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mardi, 26 mai 2009

Livres sur Nietzsche

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

 

Livres sur Nietzsche

Recensions de Robert Steuckers

Tarmo Kunnas, Nietzsches Lachen. Eine Studie über das Komische bei Nietzsche, Edition Wissenschaft & Literatur, München, 1982.

Le comique chez Nietzsche est un thème, pense le philosophe et essayiste polyglotte finlandais Tarmo Kun­nas, qui n'a guère été exploré. C'est le pathos nietzschéen, son romantisme fougueux, bruyant, qui sé­duit d'em­blée et capte les attentions. Rares sont les observateurs, bons connaisseurs de l'œuvre com­plète de Nietz­sche, qui ont pu percevoir l'ironie cachée, le sourire dissimulé, qui se situe derrière les aphorismes tran­chés, affirmateurs et romantiques. Nietzsche se sentait trop solitaire, trop menacé, pour se permettre un hu­mour souverain, direct, immédiat, sans fard. Tarmo Kunnas explore toute l'œuvre de Nietzsche pour y re­pérer les éléments de satire, d'ironie, d'humour et de parodie. Il nous révèle les mutations, les glissements qui se sont produits subrepticement depuis sa jeunesse idéaliste jusqu'à la veille de sombrer dans la folie.

 

Tarmo Kunnas, Politik als Prostitution des Geistes. Eine Studie über das Politische bei Nietzsche,  Edition Wissenschaft & Literatur, München, 1982.

Nietzsche a été politisé, mobilisé par des partisans, mis au service des causes les plus diverses. Pour Tarmo Kunnas, Nietzsche est plutôt «anti-politique», hostile à l'emprise croissante du politique sur les esprits. Méticuleusement, il analyse la critique du système partitocratique chez Nietzsche, ses tendances anti-démo­cra­tiques, ses propensions à l'aristocratisme, son refus de l'idéologème «progrès», son anti-socialisme, son an­ti-capitalisme, son anti-militarisme et, finalement, les rapports entre Nietzsche et le nationalisme, entre Nietzsche et le racisme (l'anti-sémitisme).

 

Richard Maximilian Lonsbach, Friedrich Nietzsche und die Juden. Ein Versuch (zweite, um einen Anhang und ein nachwort erweiterte Auflage), herausgegeben von Heinz Robert Schlette, Bouvier Verlag / Herbert Grundmann, Bonn, 1985.

R. M. Lonsbach est le pseudonyme de R. M. Cahen, avocat israëlite de Cologne, émigré en Suisse en 1937, revenu dans sa ville natale en 1948. Cahen/Lonsbach était un admirateur de Nietzsche et son petit li­vre, aujourd'hui réédité, est une réfutation radicale des thèses qui font de Nietzsche un antisémite rabique. Ecrit dans l'immédiat avant-guerre, en 1939, ce livre a enregistré un franc succès dans les mi­lieux de l'émi­gration allemande, ainsi qu'en Pologne, aux Pays-Bas et en Scandinavie. Il réfutait anti­cipativement toutes les théories de notre après-guerre qui ont démonisé Nietzsche. C'est en ce sens que cet ouvrage est un docu­ment indispensable. Malgré l'ambiance anti-nietzschéenne de l'Allemagne amé­ricanisée, Lonsbach/Cahen ne modifia pas sa position d'un iota et réaffirma ses thèses lors d'une émis­sion radiophonique en 1960. Le texte de cette émission est également reproduit dans ce volume édité par H. R. Schlette.

 

Henry L. Mencken, The Philosophy of Friedrich Nietzsche,  The Noontide Press, Torrance (California), 1982 (reprint of the first edition of 1908).

Journaliste brillant, fondateur de l'American Mercury,  auteur d'un livre vivant sur la langue anglo-amé­ri­cai­ne, Henry L. Mencken, dont l'ampleur de la culture générale était proverbiale, écrivit également un essai sur Nietzsche en 1908. Pour l'Américain Mencken, Nietzsche est un transgresseur, sa pensée constitue l'antidote par excel­len­ce au sentimentalisme démobilisateur qui exerçait ses ravages à la fin du XIXème siècle. Menc­ken admire l'in­­dividualisme de Nietzsche, son courage de rejetter les modes et les dogmes dominants. Cu­rieu­sement, Menc­ken croit repèrer un dualisme chez Nietzsche: celui qui opposerait un dyonisisme à un apol­linisme, où le dyonisisme serait vitalité brute et l'apollinisme, vitalité de «seconde main», une vitalité dressée par les con­venances. Les castes de maîtres seraient ainsi dyonisiennes, tandis que les castes d'esclaves seraient apol­li­niennes, parce qu'elles soumettent leur vitalité au diktat d'une morale. Cette interpétation est certes tota­lement erronée mais nous renseigne utilement sur la réception américaine de l'œuvre de Nietzsche. Dans le chef de Mencken, la pensée de Nietzsche devait compléter et amplifier celles de Darwin et Huxley, dans l'or­bi­te d'un univers intellectuel anglo-saxon dominé par l'antagonisme entre l'«individualisme» de l'auto-conser­va­tion et l'«hu­ma­nitarisme» du christianisme moral.

Mihailo Djuric und Josef Simon (Hrsg.), Kunst und Wissenschaft bei Nietzsche,  Königs­hausen + Neumann, Würzburg, 1986.

Ouvrage collectif sur l'esthétisme nietzschéen, ce volume contient un article centré sur l'histoire des idées de Des­cartes à Nietzsche, chez qui les concepts traditionnels d'«imagination» et d'«intuition» acquièrent pro­gres­­si­­ve­­ment une dimension entièrement nouvelle (Tilman Borsche: Intuition und Imagination. Der erkennt­nis­­theo­retische Perspektivenwechsel von Descartes zu Nietzsche).  Mihailo Djuric évoque longuement la fusion de la pensée et de la poésie dans le Zarathoustra (Denken und Dichten in "Zarathustra").  Diana Behler passe au crible la métaphysique de l'artiste ébauchée par Nietzsche (Nietzsches Versuch einer Artisten­meta­physik). Goran Gretic étudie, quant à lui, la problématique de la vie et de l'art, dans laquelle se repère le ren­versement pro­prement nietzschéen: la métaphysique se fonde dans l'homme; donc, le chemin de la pensée ne passe pas nécessairement par l'hom­me pour accéder à l'Etre mais va de l'homme à l'homme.

 

Josef Simon (Hrsg.), Nietzsche und die philosophische Tradition,  Band I u. II, Königs­hau­sen + Neumann, Würzburg, 1985.

Deux volumes comprenant dix études sur Nietzsche. Parmi celles-ci, un essai de Volker Gerhardt sur le «de­venir» dans la pensée de Nietzsche (Die Metaphysik des Werdens. Über ein traditionelles Element in Nietz­sches Lehre vom "Wille zur Macht");  une étude de Tilman Borsche sur le redécouverte des présocratiques chez Nietzsche (Nietzsches Erfindung der Vorsokratiker).  Le Japonais Kogaku Arifuku compare, lui, les fon­­­dements du bouddhisme, dont la vision du vide (sunyata),  avec la définition nietzschéenne du nihilisme (Der aktive Nihilismus Nietzsches und der buddhistische Gedanke von sunyata [Leerheit]).  Günter Abel ana­lyse la philosophie de Nietzsche au départ d'une réinvestigation de l'héritage nominaliste (Nominalismus und Interpretation. Die Überwindung der Metaphysik im Denken Nietzsches).  Abel définit le nominalisme comme une vision du monde qui perçoit celui-ci comme un monde d'individualités, où aucun «universel» n'a d'assise solide, où les principes doivent être manipulés avec parcimonie si l'on ne veut pas choir dans les «schémas» déréalisants, où les assertions doivent se référer à un «contexte» précis; ce monde-là, enfin, est fait, de finitudes concrètes, non d'infinitudes transcendantes. Josef Simon étudie, lui, le concept de liberté chez Nietzsche (Ein Geflecht praktischer Begriffe. Nietzsches Kritik am Freiheitsbegriff der philosophischen Tradition).

 

Mihailo Djuric u. Josef Simon (Hrsg.), Zur Aktualität Nietzsches, Band I u. II, Königs­hausen + Neumann, Würzburg, 1984.

Onze textes magistraux, consacrés au visionnaire de Sils-Maria. Dont celui de Günter Eifler sur les inter­pré­tations françaises contemporaines de l'œuvre de Nietzsche (Zur jüngeren französischen Nietzsche-Rezeption).  Mihailo Djuric se penche sur la question du nihilisme (Nihilismus als ewige Wiederkehr des Gleichen).  Bran­ko Despot démontre avec un extraordinaire brio comment le temps, la temporalité, suscite la «volonté de puissance». La vie, qui est «devenir», ne connait aucune espèce d'immobilité, mais le «déjà-advenu» impose des critères qui ne peuvent pas être ignorés, comme si le «déjà-advenu» n'avait jamais, un jour, fait irruption sur la trame du devenir et n'y avait pas laissé son empreinte. Dans la lutte «agonale», le sur­homme doit affronter les aléas nouveaux et les legs épars du passé, vestiges incontournables. Le temps est donc lui-même volonté de puissance, puisque l'homme (ou le surhomme) doit se soumettre à ses diktats et épouser ses caprices, se lover dans leurs méandres (B.D., Die Zeit als Wille zur Macht).  Tassos Bougas s'interroge sur le retour au monde préconisé par Nietzsche (Nietzsche und die Verweltlichung der Welt); son objectif, c'est de repérer les étapes de cette immanentisation et de dresser le bilan de la contribution nietz­schéenne à ce processus, à l'œuvre depuis l'aurore des temps modernes (T.B., Nietzsche und die Verwelt­lichung der Welt).  Friedrich Kaulbach et Volker Gerhardt se préoccupent de l'esthétisme nietzschéen et de sa «métaphysique de l'artiste» (F.K., Ästhetische und philosophische Erkenntnis beim frühen Nietzsche;  V.G., Artisten-Metaphysik. Zu Nietzsches frühem Programm einer ästhetischen Rechtfertigung der Welt).  

 

 

 

 

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lundi, 25 mai 2009

Elecciones europeas

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La situation est-elle prérévolutionnaire?

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La situation est-elle prérévolutionnaire ?

Six thèses sur les bouleversements politiques

1/ Contrairement à ce que soutiennent les historiens et les sociologues, les bouleversements politiques, et notamment les révolutions, sont imprévisibles :

Il faut se méfier en effet de la tendance contemporaine à rationaliser a postériori des évènements, pour y plaquer une grille de lecture idéologique et souvent moralisante, sinon religieuse : l’histoire est alors perçue comme fatalité ou comme châtiment des « fautes » commises par ceux qui perdent le pouvoir. On se souvient de l’ouvrage de Tocqueville L’Ancien Régime et la Révolution, emblématique du genre, puisque son auteur conclut que c’est la monarchie centralisatrice qui est responsable de la Révolution.

Mais cette approche idéologique sert en général surtout à légitimer le nouveau pouvoir issu de ces mêmes bouleversements et accessoirement à valoriser auprès des nouveaux maîtres, celui qui se livre à cette lecture rétrospective de l’histoire. Les universitaires sont passés maîtres en la matière. Ces analyses a posteriori expriment aussi la croyance dans le sens de l’histoire que des esprits « éclairés » pourraient décrypter.

En réalité très rares sont ceux qui sont capables de prévoir de tels évènements : ils sont surtout incapables de les dater. Ils ne sont en outre jamais écoutés.

L’exemple de la chute de l’URSS est éclairant : on peut certes trouver de bons auteurs qui ont annoncé sa décadence ou sa fin (comme par exemple G. Le Bon et son analyse de l’utopie) : mais personne n’a prévu exactement les circonstances ni encore moins la date où elles se sont produites. Sans parler de tous ceux qui se sont trompés quant aux modalités (ex. H. Carrère d’Encausse).

2/ Il est extrêmement rare en outre que les acteurs, sans parler des spectateurs, de ces bouleversements aient conscience de ce qui se produit vraiment :

La lecture des « journaux » rédigés par les contemporains de bouleversements politiques majeurs est éclairante sur ce plan : tels Fabrice à Waterloo, ils ne relèvent souvent que des détails insignifiants qui ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble de ce qui se passe vraiment. De fait comme le dit la sagesse populaire « l’histoire est comme l’herbe : on ne la voit pas pousser ». On se souvient que Lénine fait une conférence à Zurich au début de 1917 pour faire le constat que la révolution n’éclatera pas ! Quelques semaines plus tard il est à Petrograd.

En outre ces témoignages passent à côté d’un phénomène politique essentiel mis en lumière par J.Monnerot : l’hétérotélie qui fait que les acteurs politiques conduisent souvent sous le poids des circonstances des politiques contraires à leurs intentions déclarées. Bien rares sont ceux qui veulent le reconnaître. Qui aurait prévu que le Général De Gaulle serait l’artisan d’un rapprochement franco-allemand ? Certainement pas en 1940 !

3/ Les explications économiques et sociales des bouleversements politiques sont en général dénuées de fondement :

Ce type d’explications a posteriori des bouleversements révolutionnaires est réductionniste et traduit l’influence de la sociologie marxiste de l‘histoire, très en vogue depuis le XXème siècle dans l’université et la recherche : les révolutions seraient la conséquence de l’exploitation sociale, devenue insupportable aux masses (comme le fascisme en Europe serait la conséquence de la crise de 1929 et de l’inflation). Le triomphe du capitalisme en Occident conduit en outre à survaloriser les facteurs économiques par rapport à tous les autres.

Il est pourtant contestable que la pauvreté ou la misère conduise toujours à la révolte et surtout débouchent sur des bouleversements politiques durables. Ils conduisent tout autant à l’apathie et au repli sur soi. Les révolutions ont comme moteur l’espoir en un monde meilleur. La grande misère débouche tout aussi bien sur le désespoir.

En outre les pauvres sont en général fragiles : ils sont dès lors peu capables d’ébranler à eux seuls un ordre politique, encore moins un état moderne. Ces concepts sont enfin extrêmement relatifs : un chômeur aujourd’hui n’est pas dans la situation d’un chômeur dans les années 30.

On peut surtout défendre tout aussi bien le point de vue inverse : les révolutions sont plutôt le fait de ceux qui veulent préserver leur situation ou qui veulent renforcer leur position. Comme le dit l’adage « les mutineries éclatent à l’arrière, jamais au front » : c’est-à-dire qu’elles sont en général le fait de ceux qui ont peur d’aller au front.

L’analyse de l’origine sociale des principaux acteurs révolutionnaires du XVIIIème au XXème siècle est d’ailleurs éclairante : ils étaient avant tout originaires de la petite ou moyenne bourgeoisie provinciale et non pas des miséreux et très rarement des « travailleurs manuels ».

Beaucoup de bouleversements politiques ont été initiés en réalité par l’action de certaines élites à l’encontre des aristocraties en place, plus que par une révolte populaire : par exemple la révolution anglaise a été provoquée par la petite noblesse soucieuse de préserver ses libertés locales face au pouvoir royal. Et ce sont les libéraux qui ont conduit par leurs intrigues le tsar, l’empereur d’Allemagne ou le roi d’Espagne à l’abdication, ouvrant la voie à la révolution. La Révolution française aurait-elle eu lieu si Louis XVI et la Cour n’avaient pas été si sensibles aux Lumières ? Ne vivons nous pas justement aujourd’hui la « révolte des élites » en Occident, selon l’expression de Ch .Lasch ? Le poisson ne pourrit-il pas d’abord « par la tête » ?

4/ Les révolutions frappent tout aussi bien les régimes et les Etats réputés jusqu’alors solides et forts, que les plus instables:

C’est l’autre aspect de leur caractère imprévisible.
En Europe tous les pays ont connu des révolutions politiques plus ou moins violentes. Les plus brutales ont touchées des Etats considérés alors comme puissants: France en 1789, Russie en 1917, Allemagne en 1919.
Le phénomène révolutionnaire a pour caractéristique en effet l’implosion rapide de tout le système institutionnel : les régiments se mutinent, la police disparaît du jour au lendemain, les fonctionnaires n’obéissent plus, les usines s’arrêtent, les amis d’hier se haïssent.
Mais jusqu’au moment fatal rien ne le laissait vraiment prévoir. Ce qui prouve que les révolutions ont avant tout des causes psychologiques et morales.
A l’époque contemporaine la France a connu un temps ce phénomène étrange : en mai 1968, avant le retour de Baden-Baden de De Gaulle, qui a justement réussi à interrompre le processus d’implosion.

5/ C’est la combinaison catastrophique de multiples causes qui conduit aux révolutions :

Le propre d’une catastrophe est de combiner différentes causes normalement indépendantes mais qui brusquement produisent des effets convergents et inattendus.

Le Titanic coule sans secours parce que le commandant veut naviguer vite de nuit (sans radar..) dans une zone d’icebergs, parce qu’un iceberg est de forme biscornue, parce que toutes les cloisons étanches ne sont pas posées et parce qu’aucun bateau alentours n’interprète correctement les signaux de détresse qu’il émet.

Il en va de même des bouleversements politiques qui sont assimilables à des catastrophes. Ils ne peuvent se réduire à une cause unique.

Car l’accumulation de petites causes peut produire de grands effets comme le savait la sagesse populaire et comme le redécouvre la théorie du chaos. C’est aussi ce qui rend difficile les prévisions politiques car les régimes sont des systèmes complexes.

Plus grande la complexité, plus élevé le risque de conjonction imprévue.
Souvent un évènement joue à lui seul le rôle de catalyseur de la crise politique : dans l’histoire il s’agit souvent d’un évènement extérieur (défaite militaire notamment). Il est intéressant de relever d’ailleurs que les républiques en France ont toutes chuté à l’occasion de conflits extérieurs.

6/ Malgré les apparences, on ne doit donc pas exclure l’occurrence de bouleversements politiques majeurs dans les sociétés occidentales d’aujourd’hui :

Les sociétés occidentales modernes sont certes dotées d’appareils de répression et de sidération de l’opinion – en particulier grâce au pouvoir médiatique – formidables et qui paraissent sans précédent dans l’histoire. Les citoyens sont en général réduits au silence (« majorités silencieuses ») car ces sociétés sont devenues de puissantes oligarchies.

Mais ne disait-on pas la même chose de tous les puissants empires qui se sont pourtant effondrés ?

On ne doit pas oublier en outre que ces sociétés sont de plus en plus hétérogènes, en particulier du fait de l’immigration de masse, donc plus complexes. La domination des valeurs marchandes a conduit en outre à l’atomisation sociale. Sous l’influence des médias ces sociétés deviennent composées de foules psychologiques, aux réactions sentimentales imprévisibles.

Pour l’instant le Système qui s’est imposé en Occident paraît inexpugnable. Mais pour combien de temps ?

Michel Geoffroy
07/05/09

Polémia


 

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Gogol le libre orthodoxe et la transfiguration du monde

Gogol le libre orthodoxe et la transfiguration du monde

Notes à propos de Nicolas Vassiliévitch (1809-1852) et de son bicentenaire.

090518"Tâchez de voir en moi le chrétien plutôt que le littérateur".
Lettre de Gogol à sa mère en 1844.

"Prie pour que mon labeur soit véritablement consciencieux pour je sois jugé digne de chanter un hymne à la Beauté céleste"
Lettre à son ami Joukovski, 1852

Nul mieux que le grand slavisant Pierre Pascal (1) n'a cerné de manière aussi aiguë ce qu'il appelle le "Drame spirituel de Nicolas Gogol". En 1952 il intitulait de la sorte une magnifique introduction à la traduction française des Méditations sur Divine liturgie (2). Il y soulignait l'incompréhension de la majorité des compatriotes et contemporains. Car, écrit-il : "les intellectuels russes de 1850 étaient encore trop les enfants du siècle des lumières pour voir dans les exigences religieuses de Gogol autre chose qu'une maladie mentale et dans sa fin un drame de la folie".

Dès sa dernière "Nouvelle Pétersbourgeoise" intitulée "Le Manteau", commencée à Vienne en 1841 Gogol préfigure, par la pauvre destinée d'Akaki Akakiévitch, la sienne propre : "Laissez-moi ! Pourquoi me faites-vous mal !... dès lors, tout fut changé pour lui... une force surnaturelle l'écarta des camarades... qu'il avait pris d'abord pour des gens convenables..."

Irrésistiblement aussi, on songe au serviteur souffrant. On se remémore également Celui qui est venu parmi les siens et que les siens n'ont pas reçu.

Une part essentielle d'un des plus grands écrivains russes reste aujourd'hui encore méconnue

Dans sa patrie même, on recommence à s'intéresser à lui, non pas seulement comme auteur des textes charmants ou satiriques, qui lui ont valu son immense renommée depuis les années 1830, mais aussi comme croyant.

Le site internet en langue française "Parlons orthodoxie" (3) indiquait à cet égard début avril que  : "le hiéromoine Syméon Tomatchinski, directeur des éditions du monastère Sretensky à Moscou, est convaincu que l'œuvre de Nicolas Gogol renferme un grand potentiel missionnaire : elle aide l'homme contemporain à comprendre le sens des sacrements de l'Église. Il faut davantage éditer et faire connaître les œuvres de Gogol, considère le père Syméon, persuadé que Gogol est l'écrivain le plus religieux de la littérature russe, non seulement par sa vision des choses, mais aussi par son mode de vie. Parmi les œuvres spirituelles de Gogol, il accorde la place la plus importante aux Méditations sur la divine liturgie, "oubliées" pendant l'époque soviétique."(4)

Sur la tombe de l'écrivain, au cimetière du monastère Novodevitchi de Moscou après une pannykhide donnée pour le 200e anniversaire de la naissance de l'écrivain, le métropolite Juvénal, évêque de la région de Moscou soulignait pour sa part son "désir ardent de partager sa foi avec le monde, de lui transmettre sa vision de l'aspect mystique de notre existence. Il semble qu'il n'ait jamais été entendu (…). La portée véritable de sa quête spirituelle n'a pas encore été complètement comprise".

En Russie, en Ukraine et un peu partout dans le monde orthodoxe slave, nous viennent donc beaucoup  d'éloges à son propos. Mais voici ce qu'on peut trouver dans le Wikipedia francophone au sujet d'une de ses œuvres spirituelles les plus importantes, les Passages choisis d'une correspondance avec des amis témoignage, dans la patrie de Descartes, de l'incompréhension qui demeure quand on lit ceci :

Cet ouvrage est présenté comme une suite de lettres écrites entre 1843 et 1846. Celles-ci touchent à des thèmes extrêmement variés : la littérature (Les Âmes mortes et leur véritable signification, en particulier), l'éducation des serfs par les propriétaires fonciers, les obligations des épouses de gouverneurs etc. Leur contenu est ultra-conservateur, voire obscurantiste. Elles ont le ton du prêche.
Aujourd'hui, les Passages choisis sont surtout un document essentiel pour comprendre le drame de Gogol : dépression, perte d'inspiration et dérive mystique. Depuis 1843, celui-ci n'avait plus rien publié. Voyageant frénétiquement à travers l'Europe de l'ouest, il emportait dans son bagage le manuscrit de la suite des Âmes mortes, son chef-d'œuvre, dont ses nombreux admirateurs attendaient impatiemment la finition. L'écriture, cependant, n'avançait pas. Gogol, déprimé et hypocondriaque, chercha secours dans la religion. C'est ainsi qu'il s'orienta vers un ultra-conservatisme moral et politique (adhésion fanatique à l'orthodoxie et à l'autocratie).
Les Passages choisis déclenchèrent un véritable "scandale Gogol" en Russie.(…)
Tout ceci surprit et bouleversa Gogol, qui croyait sincèrement à sa renaissance artistique. Il ne publia plus rien jusqu'à sa mort, en 1852.

Revenons à la réalité des écrits de Nicolas Vassiliévitch Gogol

Quand on souhaite évoquer l'œuvre ou la pensée d'un écrivain une première remarque s'impose. On se situe soi-même et on inscrit son auditoire dans un certain contexte, celui de la langue de ses interlocuteurs ou de ses lecteurs. Ignorant le russe, je n'accède à cette littérature, que j'aime et qui touche aux choses qui, en définitive, me préoccupent avant tout, qu'au gré de ses traductions françaises.

Dans la pratique on constatera, hélas, que la deuxième partie de ses œuvres complètes, exprimant sa pensée profonde ne reste guère disponible aujourd'hui, pour le lecteur francophone, que dans l'excellente mais coûteuse édition de la Pléiade de 1966.

On peut, et on doit, véritablement distinguer, sans les opposer, deux parties chronologiques dans les écrits de Gogol.

Or, la première, la plus connue, et surtout la plus reconnue, largement profane est abordée le plus souvent par bribes. On ne cherche à y voir aucune continuité, et surtout aucune idéologie. L'auteur de ces lignes peut en attester : entre la découverte émerveillée de "Taras Boulba" (1835), le premier "vrai" livre que quelqu'un lui ait offert, et la lecture des "Nouvelles Pétersbourgeoises" (1843), il s'est écoulé pour moi un bon demi-siècle.

Ces créations délicieuses et heureuses appartiennent au royaume des lettres. Elles semblent, à première vue, échapper à tout classement. Les étiquetages qu'un certain public de faux-lettrés a pu accoler à certains textes, les décrivant comme les plus contestataires, ainsi le "Revizor" (1836) ou, plus encore, les "Âmes mortes" (1842), relèvent surtout du malentendu. Et dès le début notre auteur a tenu à s'en excuser.

Pour comprendre "le Grand Dessein de Gogol"

Tout cela nous amène à évoquer la deuxième partie de son œuvre, celle qui sera qualifiée de "Grand Dessein de Gogol", et qui s'inscrit dans une démarche explicite d'apologie de la Foi orthodoxe.

Né en 1809, l'auteur dont on fête, hélas assez modestement le bicentenaire, est âgé de 36 ans quand il annonce publiquement en 1845 son "retour à la religion".

Que faut-il entendre par "retour à la religion" ?

Ce mot, cet événement et cette démarche appellent à leur tour des éclaircissements. Essayons de ne pas trop nous encombrer de pédantisme ou d'étymologie pour évoquer le fait que dès les auteurs latins, dont la langue française est issue, le terme religio peut s'interpréter dans des sens bien différents. Chez Cicéron, il signifie "le respect que ressent l'individu au plus profond de lui devant tout être qui en est digne, divin en particulier". Pour toute une lignée d'auteurs chrétiens estimables, comme Tertullien, Lactance et jusqu'à Chateaubriand ce fait est supposé "religere", relier, réunir les hommes.

Or tout cela s'inscrit dans une tradition latine et catholique. Et on ne peut ignorer que celle-ci diffère de la pensée orthodoxe, tributaire elle-même de la transposition en langue grecque d'idées hébraïques.

Pour l'orthodoxie chrétienne, le mot "religion" doit être considéré comme ambigu, pour ne pas dire : trompeur. À proprement parler le christianisme ne relève pas du "phénomène religieux".

Il existe plusieurs concepts, fort différents :
- la "foi", adhésion volontaire et individuelle. La phrase récurrente de Jésus consiste à dire aux miraculés "ta foi t'a sauvé" ;
-et le "culte", dont les ministres forment le clergé et ne constituent aucunement à eux seuls "l'Église" ;
- à distinguer lui-même des "œuvres".

Ceci lève la fameuse ambiguïté sur laquelle a buté le "sola fide" de Luther. L'interprétation protestante traditionnelle devient, dans son expression extrême, irrecevable pour un orthodoxe en raison même de l'argument développé dans l'épître de Jacques. Que signifierait, en effet, la "foi sans les œuvres" ? La réponse néo-testamentaire fuse alors comme une évidence : "la foi sans les œuvres est une foi morte" (Jacques 2, 17).

La dérive symétrique, celle d'un certain "activisme occidental", a été chantée par l'excellent philosophe [catholique] Philippe Nemo dans son petit livre "Qu'est-ce que l'occident ?"(5). L'auteur y développe l'éloge de ce qu'il appelle la "révolution papale du XIIe siècle". Ainsi nomme-t-il la "réforme de Grégoire VII" après sa victoire sur Henri IV de Hohenstaufen (1077). Cette lutte de la Papauté contre l'Empire occidental se prolonge jusqu'à la mort de Frédéric II (1250). Pour faire court, et résumer honnêtement le propos, "il ne suffit pas de prier il faut transformer le monde". Tout lecteur de l'Évangile (Mt 4,1-11 ; Mc 1, 12-13 ; Lc 4,1-13) reconnaît les trois tentations du Christ, et particulièrement la première : "transformer les pierres en pain", objectif économique qui guette toutes les tentatives de "doctrines sociales".

Sans aucune ambiguïté, cette formulation "occidentaliste" se veut commune au catholicisme et au protestantisme. (6)

Et elle s'affirme également éloignée de l'orthodoxie.

Elle reprochera donc à cette dernière son "essence conservatrice". Philippe Nemo ne s'abstient pas de le faire explicitement dans son livre : il s'agit de prétendre que l'orient chrétien cantonne la "religion" à la prière. Pour enfoncer le clou, le même brillant apologiste croit bon d'interpréter dans ce sens, à notre avis biaisé, la fameuse Légende du Grand Inquisiteur. Ce passage essentiel des "Frères Karamazov" marquerait de la sorte, et entacherait du sceau de l'obscurantisme "oriental", la foi de Dostoïevski.

On va voir que nous en arrivons là, très précisément, à l'occultation de sa pensée qui sera infligée à Gogol.

Son cercle d'amis et son influence

Globalement incompris, dans les dix dernières années de sa vie, il fit cependant quelques adeptes, et non des moindres.

En 1843-1844 il séjourne à Nice et réunit un petit nombre d'amis. Au nombre de ceux-ci il convient de citer la comtesse Vielgorski et ses deux filles, la comtesse Sophie Solloghoub et Anna Mikhaïlovna "la seule femme dont Gogol ait été amoureux" (7). Ce groupe compte aussi Mme Smirnova, sa protectrice qui est aussi la dame d'honneur de l'Impératrice ainsi que les deux poètes Yazhykhov et Joukovsky.

Plus tard, il n'hésitera pas à donner à ses amis des conseils spirituels. On ne les trouvera pas anodins dans le contexte de sa conception discrète et personnelle de l'orthodoxie : "prends aussi cette habitude : chaque samedi fais célébrer chez toi la vigile nocturne".

Beaucoup plus tard, en 1888 Tolstoï publiera, sous pseudonyme, une brochure "N.V. Gogol comme maître de vie".

Pierre Pascal s'interroge à ce sujet, dans les termes suivants : "Pourquoi Tolstoï, négateur de l'Église et de l'État a-t-il tant aimé Gogol orthodoxe et conservateur ? N'est-ce pas qu'il reconnaissait en lui un premier interprète de sa pensée la plus profonde : pénétrer de christianisme la vie intellectuelle et sociale toute entière ?"

Ce n'est qu'en 1850 qu'il fait un pèlerinage à l'ermitage d'Optina où il s'entretiendra avec le starets Macaire.

Sa vision du salut de la société

Il commence à la développer dans les "Passages choisis" de la correspondance avec ses amis.

"Ma cause, écrit-il pour les présenter, est celle de la vérité et du bien public". Ses textes sont qualifiés, par leur auteur de "nécessaires et utiles". Ils "apportent le salut" et répondent à une situation de la Russie qu'il affirme "malade". Or le pays ne sortira de cette maladie que si :

"à la place qui lui a été assignée par Dieu, chaque Russe, tsar, haut fonctionnaire, propriétaire foncier, serf, artiste, écrivain, femme du monde, femme de gouverneur, etc. se décide à servir"…

Dans un autre texte ("Confession d'un auteur) il posera ce choix comme la découverte du véritable sens de l'existence humaine : "Notre vie tout entière est service". Cette notion, d'ailleurs, remonte aux racines mêmes de son œuvre. Dès 1829 son désir un peu naïf d'être un grand homme, il le définit "pour le bien de sa patrie et le bonheur de ses semblables".

On peut devenir meilleur en suivant les enseignements de l'Église et l'on peut contribuer à rendre les autres meilleurs en exerçant une bonne influence. Tout cela suppose de "faire entrer le Christ dans les moindres actions de sa vie".

On doit noter que Gogol refuse très explicitement, ou pour parler de manière plus exacte, il se désintéresse absolument de l'idée de changer la moindre institution, y compris le servage. Nous serions tenté de résumer de la sorte la vision sociale de Gogol en la définissant du point de vue orthodoxe : Le christianisme ne vise pas la transformation du monde par la loi, mais à sa transfiguration par la foi.

L'exemple de la cruelle institution du servage qu'Alexandre II abolira en 1861…

Le point ne peut pas être pudiquement mis de côté puisqu'il s'agit du sujet même des "Âmes mortes".

Évoquons donc ici quelques données à propos de cette forme sociale. On la considère aujourd'hui, peut-être à juste titre comme la marque, la plus odieuse, d'une injustice toute médiévale et de l'obscurantisme. Elle se distingue radicalement de l'esclavage, en ce sens que le serf y dispose d'un statut social de personne humaine. Le système était apparu dans l'occident médiéval et a évolué au gré des siècles et des pays. En Angleterre, il fut aboli dès XVIe siècle, mais en Écosse seulement au XVIIIe. En France, il avait pratiquement disparu à la veille de 1789.

Dans le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, le statut des "serfs-paysans" s'était dégradé au cours des âges. Sur les domaines seigneuriaux, le nombre de jours de servage est passé, on n'arrête pas le progrès : de quelques jours dans l'année XIIIe siècle, à 1 jour par semaine au XIVe siècle, 4 jours par semaine au XVIIe siècle et de 6 au XVIIIe. Et comme le septième jour était consacré au repos, le "serf-paysan" polonais ne pouvait plus cultiver son lopin personnel.

En Russie, au contraire, le servage n'a été généralisé que sous l'effet de l'occidentalisation, à partir du XVIIe siècle. Il sera largement aggravé au temps des "Lumières". Le 19 février 1861 l'abolition de ce "contrat" par le tsar Alexandre II libère de manière radicale 40 % de la population.

Dans la perspective chrétienne qui est la sienne on ne peut évidemment pas dire, de Nicolas Vassiliévitch Gogol, qu'il "défend" le servage. Son livre "les Âmes mortes" est généralement considéré comme la plus admirable dénonciation de cette sinistre institution : mais il s'écarte de toute apologie de la révolte.

Sommes-nous autorisés à dire ici que l'Histoire lui donna raison : moins de 20 ans après son livre, par la volonté d'un monarque libérateur, que les révolutionnaires assassineront, le système disparaît. En revanche après 1921, et la victoire des Rouges, des "justes révoltés", pendant la guerre civile, la condition des travailleurs de la glorieuse Union Soviétique évoluera rapidement vers une forme d'esclavage que l'ancienne Russie n'avait jamais connue, et qui ne disparaîtra qu'après 70 ans de souffrance et d'oppression.

La question de la censure administrative

Vers 1847 il se trouve confronté à la fois au problème de la censure et à son éreintement propre par la presse, de même qu'aux reproches véhéments de certains membres du clergé. Il mobilise un petit comité de lecture de 5 personnes.

Il prend pour modèle Karamzine (1766-1826) précurseur du mouvement slavophile. En 1811, celui-ci avait publié une "Note sur l'ancienne et la nouvelle Russie". L'auteur se verra attaqué comme glorifiant l'autocratie. Mais il subit en fait la censure parce qu'il critique les anciens empereurs modernistes. Le même publiera en 1818 un pamphlet intitulé "L'opinion d'un citoyen russe" où il critique l'autonomie accordée à la Pologne.

Voici ce qu'écrit Gogol à ce sujet : "Karamzine a été le premier à nous montrer qu'un écrivain peut chez nous être honoré et indépendant à l'égal du plus titré des citoyens. Le premier, il a proclamé solennellement que la censure ne saurait gêner un écrivain et que si, l'écrivain est animé du plus pur désir de faire le bien, au point que ce désir, s'emparant de toute son âme, devienne sa chair et sa nourriture, alors aucune censure ne lui est sévère et il est à l’aise partout. Karamzine a dit cela et il l'a prouvé." (8)

"Comme ils sont ridicules après cela, ceux d'entre nous qui prétendent qu'en Russie il est impossible de dire la vérité pleine et entière et qu'elle ne peut que blesser ! (...) Allons donc !", conclut-il. "Ayez une âme aussi pure aussi bien ordonnée que Karamzine, et alors proclamez votre vérité !" (9)

Ceci entraînera à son encontre les foudres du pire inquisiteur des lettres russes, censeur politiquement correct, plus dur encore que son homologue administrative de l'époque, précurseur lui-même du réalisme socialiste, le pense-petit Bielinski qui ose écrire : "les hymnes aux puissances du jour arrangent parfaitement la situation terrestre du pieux auteur".

Certains textes ne pourront paraître qu'après sa mort en 1857 : "Confession d'un auteur" et son travail par les archives de l'Académie de Kiev, que Gogol a recopié des extraits de 17 Pères de l'Église et de 10 théologiens russes des XVIIe et XVIIIe siècles. Il se faisait traduire du grec en latin notamment saint Jean Chrysostome et saint Basile le Grand.

Slavophiles contre occidentalistes

Comme toujours on doit se méfier des classifications réductrices. Dans sa Lettre XI "Controverses" on pourrait même penser de notre auteur qu'il entend se tenir à égale distance des "deux camps" slavophiles et occidentalistes qui apparaissent vers 1839-1840. Les occidentalistes ("rapadnicki") Herzen, Botkine, Bielinski attendaient, au départ, des principes politiques de l'occident la transformation du régime absolutiste. Les "slavophiles" proprement dits sont représentés par IP Kirievski (1806-1856) et Khomiakov (1804-1860). Leur pensée consiste à dénoncer d'abord deux grands maux de la Russie : les réformes de Pierre le Grand, et l'asservissement de l'Église russe à l'État.

En 1844-1845 on assiste à la rupture totale entre les deux milieux. Et c'est à ce moment que, par ailleurs, se situe la conversion, le retour à la foi de Gogol. On verra qu'à tous égards ou presque ses idées rejoignent celles des slavophiles. On remarquera que lui-même utilise des mots différents comme "vostokchnicki" opposé à "zapadnicki". Vostok c'est l'orient "slavianofily" finira par s'imposer un peu plus tard.

Sa conversion

En 1842, Gogol quitte à nouveau la Russie. Il entend alors écrire la deuxième partie de ses "Âmes mortes", aujourd'hui encore célébrissimes quoique largement incomprises et qu'on a si longtemps présenté comme une sorte de pamphlet social. Ses biographes honnêtes considèrent que cet événement essentiel de son cheminement va lui donner ce que la prière liturgique orthodoxe nous apprend à demander au Seigneur : une fin de vie chrétienne.

À partir de 1843, il se veut avant tout chrétien. Il "a pris", dès lors, note Pierre Pascal, "la religion au sérieux".

En 1838 au cours de sa première découverte de l'Italie qui ne constitue alors, a-t-on dit, qu'une expression géographique, il note déjà : "À Rome seulement, on prie, ailleurs on fait seulement semblant". C'est aussi dans la Ville Éternelle que semble se situer une conversion, probablement amorcée aussi par un épisode de 1839, où meurt dans ses bras son ami Joseph Wielgorski, alors que lui-même souffre de maladie et pourra écrire "je sens déjà l'odeur de la tombe".

On ne saurait contester que, redécouvrant la religion à Rome, il ait été attiré par le catholicisme. Quoiqu'il s'en défende, il écrira néanmoins qu'il juge les "religions catholiques et orthodoxes également vraies".

Son chemin mystique se précisera et se développera plus tard, avec les années. En 1844 il découvre la Philocalie. Par la suite il rencontrera les représentants de cette spiritualité cette spiritualité hésychaste sans la connaissance de laquelle on ne peut rien comprendre véritablement à la spécificité du monde orthodoxe.

Si critiquée ait-elle été, sa correspondance, éclaire donc bel et bien la précision de sa pensée, son grand dessein.

Voilà encore ce qu'il écrit :

"Personne ne sera sauvé s'il n'aime Dieu, et cet amour n'existe pas chez nous. Ce n'est pas dans un couvent que vous le trouverez, n'y vont que ceux que Dieu lui-même a appelés".
(…) "Mais comment aimer ses frères, comment aimer les hommes, l'âme ne veut aimer que le beau et les pauvres hommes sont si imparfaits, il y a en eux si peu de beau ! Comment donc y arriver ? Remerciez Dieu avant tout d'être Russe."
(10)

Cela met évidemment en perspective toutes les considérations douloureuses qu'il a pu rencontrer ou formuler lui-même, celles que les âmes pures, en tout temps ou en tout lieu, sont tentées de ruminer, sur l'état de la patrie.

Et enfin cet esprit en marche nous lègue ce viatique :

"Pour un chrétien les études ne sont jamais terminées ; le chrétien est un élève perpétuel, jusqu'à la tombe". (11)

Apostilles

  1. né en 1890 et mort en 1983 ce grand défenseur de la culture russe n'aura jamais connue la fin de l'Union soviétique.
  2. 118 pages, Bruges-Paris 1952, éditions Desclée De Brouwer.
  3. créé par le diocèse français du patriarcat de Moscou
  4. Après vérification, nous pensons cependant que le P. Syméon se trompe quand il écrit : "Pour écrire ces Méditations, Gogol avait même appris la langue grecque." Au contraire il s'était fait traduire les textes des Pères grecs en latin.
  5. publié en 2004 au PUF et qui a rencontré un succès certain puisque réédité en 2005
  6. et ceci contrairement à la fameuse thèse de Max Weber
  7. au témoignage du beau-frère de celle-ci, le comte Sollogoub cf. Œuvres complètes Pléiade page 1867/note de la page 1390
  8. cf. Œuvres complètes Pléiade Lettre XIII p. 1552
  9. ibid. page 1553
  10. cf. Œuvres complètes Pléiade Lettres XIX et XX "il faut aimer la Russie" page 1591 et "il faut voyager à travers la Russie".
  11. cf. Œuvres complètes Pléiade Lettre XII "Le chrétien progresse" p. 1549.

JG Malliarakis

 

Spengler e l'Italia

Spengler e l’Italia

Ex: http://augustomovimento.blogspot.com/



Se si cercano nell’opera di Spengler (sopra in foto) indicazioni riguardanti la situazione politica e spirituale della nazione italiana, si troverà che non esiste un pensiero unitario al riguardo. Al di là dell’ammirazione espressa in Neubau des deutschen Reiches (1924) e in Jahre der Entscheidung (1933) verso Benito Mussolini – ammirazione che però non si estende al fascismo come movimento o ideologia ma rimane circoscritta alla figura cesarea del Duce, alla cui personalità Spengler riconduce tutto il fenomeno fascista in Italia – l’opinione di Spengler sull’anima italiana non è lusinghiera.

In Preußentum und Sozialismus (1919), gli Italiani, insieme ai Francesi, sono le nazioni anarchiche contrapposte alle nazioni socialiste (Spagnoli, Inglesi, Prussiani). «Nel XV secolo, l’anima di Firenze si rivoltava contro lo spirito gotico […]. Quello che noi chiamiamo Rinascimento è la volontà antigotica di un’arte composta e di una formazione intellettuale raffinata; è, assieme alla gran quantità di Stati predoni, alle repubbliche, ai condottieri, alla politica del “momento per momento” descritta nel classico libro di Machiavelli, al ristretto orizzonte di tutti i disegni di potenza – compresi quelli del Vaticano in quel periodo – una protesta contro la profondità e la vastità della coscienza cosmica faustiana. A Firenze è nato il tipo del popolo italiano». Nei frammenti storici, ascriverà l’anima di Firenze all’origine etrusca, ma non si dilungherà altrimenti sull’Italia.

Il secolo italiano si sarebbe dunque svolto e concluso già all’inizio del meriggio della Kultur faustiana, tra il ‘400 e il Sacco di Roma (1527), con cui inizia l’influenza spagnola. Allo spirito spagnolo Spengler attribuisce la creazione sia della corte asburgica di Vienna sia del Papato della Controriforma, tuttora dominato dallo spirito gotico-spagnolo e dall’idea universale dell’ultramontanismo, creazione dello spirito spagnolo così come il capitalismo è creazione dello spirito inglese e il socialismo lo è dello spirito prussiano. Questo spirito è anche ponte tra il socialismo prussiano e il periodo gotico: Bismarck per esempio è considerato l’ultimo uomo di Stato di stile spagnolo.

Questa analisi prosegue ora lasciandosi dietro gli scritti di Spengler, ma sempre alla luce del suo pensiero e traendone le giuste conseguenze. Esaurito il proprio secolo, la nazione italiana ha subìto varie influenze mischiate ed innestate sul proprio spirito: dalla politica francese del Piemonte madamista o della Serenissima al tramonto, al genio spagnolo di un Eugenio di Savoia, all’illuminismo all’inglese di un Francesco di Lorena, diventando campo di battaglia tra le idee e le nazioni faustiane. Anche il nostro Risorgimento reca i segni di uno scontro tra lo spirito spagnolo ormai al tramonto (l’Austria e il Papa), i limitati sussulti della Francia (Napoleone III), il liberalismo inglese (Mazzini, Garibaldi) e l’influenza prussiana (Cavour, Crispi). Di stampo italo-francese è stato poi l’intervento nel 1915, che mirava a Trento e Trieste, senza vedere la lotta titanica tra Inglesi e Prussiani. Dopo esser tornata protagonista col cesarismo mussoliniano, è sprofondata al ruolo di provincia, in seguito alla guerra mondiale.

Se ora si volesse, sempre con una visione storica di carattere spengleriano, inquadrare la giusta chiave per la riscossa nazionale dell’Italia – posto che, a nostro parere, il tentativo d’una nazione europea isolata rischia di risultare sterile – bisogna tenere conto e della situazione storica attuale e della storia del popolo italiano. Il cesarismo avanza, ma la lotta tra socialismo e capitalismo è ancora aperta, ed è inutile dire che il posto dell’Italia, come delle altre nazioni europee, non può che essere in una coalizione continentale d’animo prussiano anziché in una coalizione atlantica d’animo inglese, come oggi.




Il giudizio sull’anarchismo degli Italiani è impietoso ma vero, e spiega molti dei problemi del nostro Paese; ma l’Italia non è solo Firenze. Lasciando da parte lo spirito gotico-spagnolo asburgico-papale, in opposizione al quale essa si è formata, è a Roma che si deve guardare. Per Spengler, l’impero romano fu grande in un periodo di cesarismo, ed essendo l’animo di un popolo legato al paesaggio, è naturale che gli Italiani siano eredi di Roma e destinati a riscoprirne il destino di restare saldi di fronte al futuro. Così, se alla Germania Spengler mostrava il socialismo prussiano quale forma politica, è un “socialismo romano” che l’Italia deve riscoprire.

Ethnopsychiatrie / Psychiatrie

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Ethnopsychiatrie / Psychiatrie

 

Guérisseurs dogons

 

Les intéressantes éditions  Synthélabo  publient Les guérisseurs de la folie. Histoires du plateau dogon de Piero Coppo. L'éditeur écrit: «Les dogons qui vivent sur le plateau malien sont célèbres dans toute l'Afrique de l'ouest pour les savoirs de leurs guérisseurs et de leurs sages. On vient les consulter de partout. Ils sont célèbres également en Europe à cause d'une des entreprises ethnologiques les plus fameuses: celle de Marcel Griaule en 1931, à laquelle participa Michel Leiris. Une équipe pluridisciplinaire italienne a créé, en 1979, un Centre de médecine traditionnelle à Bandiagara qui a permis de recueillir les témoignages de plus de 400 guérisseurs et de les organiser en réseau, en liaison avec des médecins de formation occidentale et des ethnologues (...) Ce qui était au départ une tentative d'organiser en réseau des guérisseurs traditionnels s'est transformé en une belle expérience d'ethnopsychiatrie (dans la voie ouverte par Georges Devereux et Tobie Nathan) permettant de s'interroger sur les manières dont nous pouvons dialoguer avec eux et avec les patients, sur les noms des maladies, sur les systèmes interprétatifs, la façon dont le peuple dogon conçoit la nature corporelle et spirituelle de l'homme,  la manière dont il pense le rapport à l'environnement» (P. MONTHÉLIE).

 

Piero COPPO, Les guérisseurs de la folie. Histoires du plateau dogon, 1998. 170 Pages. 94 FF. Institut Synthélabo ( 22 avenue Galilée, F-92.350 Le Plessis Robinson).

 

Gaëtan Gatian de Clérambault : aliéniste

 

Chez le même éditeur paraît Le maître des insensés, Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934) d'Alain Rubens, une excellente biographie présentée ainsi: «Gaëtan Gatian de Clérambault est-il un monstre ou un génie? Médecin-chef, il exerce dans un lieu maudit qui, selon le journaliste Albert Londres, “sentait le fond de vieille cale”, à la Tour pointue, quai de l’Horloge, dans une sorte d'annexe du Palais de justice de l'Ile de la Cité. Là, la police lui amène le petit peuple des malheureux qui ont commis un délit bizarre ou qui errent dans Paris, tous ceux qui pourraient être considérés comme des insensés. Clérambault décide de leur sort: la prison ou l'asile et, plus rarement, la liberté. Quand ils vont grossir les rangs des internés à Sainte-Anne ou Charenton, ils ont de grandes chances d'y finir leurs jours, enfermés dans un mal dont on ne sait pas s'ils en étaient atteints avant leur internement ou si celui-ci est induit par la vie de l'asile. La psychiatrie ne soigne pas. Elle expertise et classe (...) Mais le siècle est à un tournant. La psychologie qui triomphe au Collège de France avec Pierre Janet gagne du terrain et oblige l'aliénisme à ses premières interrogations. Freud ou Clérambault? Troubles organiques ou psychiques? C'est toute la conception de la folie et, au-delà, de ce qu'est le psychisme et l'humain qui sont en jeu. Clérambault apparaît comme un roc face à la révolution psychanalytique qui commence. Les surréalistes vont en faire leur tête de Turc. André Breton pense à lui quand il appelle les patients à “révolvériser” les médecins aliénistes. Son élève Lacan rompt en public et spectaculairement avec celui qu'il appellera ensuite son “seul maître en psychiatrie”. Devenu aveugle, celui qui fut, de mille manières, le maître du regard et des insensés, se suicide d'une balle dans la bouche. Le vieil aliénisme meurt avec lui. La psychiatrie ne sera plus jamais la même» (PM).

 

Alain RUBENS, Le maître des insensés, Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934), 1998. 250 pages. 94 FF. Editions Synthélabo.

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