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vendredi, 03 juillet 2020

Muray sur la haine des figures du passé en 1998, raccord avec l’actualité :

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Muray sur la haine des figures du passé en 1998, raccord avec l’actualité :

9782251442099_1_75.jpg« Toujours suivant René Girard, on peut observer que simultanément à la chasse aux néo-coupables et à la transformation des victimes en néo-dieux, nous réinventons à tour de bras d’autres boucs émissaires, mais cette fois « dans l’Histoire », c’est-à-dire dans le passé, c’est-à-dire dans ce qui a précédé cette disparition de la réalité (et de l’Histoire) à laquelle nous participons quotidiennement de si bon cœur.

Le ton d’assurance invraisemblable avec lequel nous traquons tant de « sorcières » rétroactives est l’indice de notre fascination non dépassée ; et l’occasion, comme toujours, de nous mettre en valeur : « ce que nos pères ont fait, nous ne l’aurions pas fait ».

Au nom de l’éradication définitive de la violence, nous tournons notre violence non liquidable contre nos ancêtres, et nous tirons de l’inoffensive confrontation avec leurs fantômes un sentiment éclatant de supériorité « actuelle ». Nous baignons, dirait Girard, dans l’illusion parfaite de notre indépendance métaphysique, ou dans le mirage de notre auto-transcendance, c’est-à-dire dans le triomphe de notre vanité de masse [...]. »

— Philippe Muray, René Girard et la nouvelle comédie des méprises (in Exorcismes spirituels III, 1998).

lundi, 22 janvier 2018

Philippe Muray face au désert des barbares

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Philippe Muray face au désert des barbares

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Chaque défaite de cette société est une victoire de la vie.

On va citer Philippe sans trop l’interrompre. On ne s’est pas rencontrés mais correspondus vers l’an 2000…

Nous avions le même éditeur, les Belles Lettres, depuis lors chu dans un désastre obscur. Fidèle à ma méthode, je lui avais envoyé une lettre pour lui rappeler que Flaubert (Bouvard et Pécuchet) comme Musil, qu’il citait, et Broch (l’apocalypse joyeuse) tançaient déjà cette société festive, humanitaire et querelleuse qu’il pourfendait avec une verve perpétuelle, aussi remarquable dans ses livres que dans ses interviews : je me demande ce qu’il aurait dit de l’affaire Trump, Weinstein, Oprah ou Jolie-Otan ! Et il rappelait qu’il aimait faire rire, pas jouer au grincheux pour médias PC.

Mais citons Philippe :

« Le rire est une façon de manifester que l’agnosticisme par rapport au réel moderne est encore possible. »

Sur le crépuscule du rire dans notre monde obscène (admirez ses phrases) :

PM-empirebien.jpg« Ce monde est dérisoire, mais il a mis fin à la possibilité de dire à quel point il est dérisoire ; du moins s’y efforce-t-il, et de bons apôtres se demandent aujourd’hui si l’humour n’a pas tout simplement fait son temps, si on a encore besoin de lui, etc. Ce qui n’est d’ailleurs pas si bête, car le rire, le rire en tant qu’art, n’a en Europe que quelques siècles d’existence derrière lui (il commence avec Rabelais), et il est fort possible que le conformisme tout à fait neuf mais d’une puissance inégalée qui lui mène la guerre (tout en semblant le favoriser sous les diverses formes bidons du fun, du déjanté, etc.) ait en fin de compte raison de lui. En attendant, mon objet étant les civilisations occidentales, et particulièrement la française, qui me semble exemplaire par son marasme extrême, par les contradictions qui l’écrasent, et en même temps par cette bonne volonté qu’elle manifeste, cette bonne volonté typiquement et globalement provinciale de s’enfoncer encore plus vite et plus irrémédiablement que les autres dans le suicide moderne, je crois que le rire peut lui apporter un éclairage fracassant. »

Sa critique du vieux crétin parigot en trottinette :

« …Le rire m’avait plus durablement saisi cet hiver, pendant près de six mois, en voyant des imbéciles bien intentionnés, sur la dalle de Montparnasse, se rassembler pour faire du roller et ainsi militer pour la libération de Florence Aubenas et de son guide en portant des tee-shirts où on pouvait lire : « Ils sont partis pour nous, ils reviendront grâce à nous ». Au fond, nous ne devrions plus traverser ce monde qu’en rigolant sans cesse comme des baleines. »

Dans une autre interview, une pensée sur la fin du rire :

« Le rire est très exactement ce que l’époque ne peut plus du tout tolérer, encore moins produire, et qu’elle est même en passe de prohiber. «Rire de façon inappropriée», comme on a commencé à dire il y a une dizaine d’années sur les campus américains, est maintenant presque un délit. L’ironie, la dérision, la moquerie, la caricature, l’outrance, la farce, la guignolade, toute la gamme du rire, sont à mes yeux des procédés de description que l’âge de l’industrie de l’éloge ne peut évidemment pas supporter. »

Puis Muray évoque  la religion du moderne :

« On parle beaucoup de déclin des grandes religions, de demande de spirituel ou de retour du religieux, mais à mes yeux le XXIe siècle commence sous le joug d’une religion implacable : le Moderne. Le Moderne pour le Moderne. Le Moderne en soi. C’est la plus dure des religions et, contre elle, je ne vois pas d’autre délivrance que celle du rire. Pour reprendre une formule connue, le rire est un antidestin. »

Sur l’homme robotisé par la connerie et pas par la technologie, Philippe Muray écrivait, prononce plutôt ces lignes hilarantes :

PM-festivus.jpg« Festivus festivus, qui vient après Homo festivus comme Sapiens sapiens succède à Homo sapiens, est l’individu qui festive qu’il festive : c’est le moderne de la nouvelle génération, dont la métamorphose est presque totalement achevée, qui a presque tout oublié du passé (de toute façon criminel à ses yeux) de l’humanité, qui est déjà pour ainsi dire génétiquement modifié sans même besoin de faire appel à des bricolages techniques comme on nous en promet, qui est tellement poli, épuré jusqu’à l’os, qu’il en est translucide, déjà clone de lui-même sans avoir besoin de clonage, nettoyé sous toutes les coutures, débarrassé de toute extériorité comme de toute transcendance, jumeau de lui-même jusque dans son nom. »

Sur l’après fin de l’histoire qui se nourrit d’ersatz (de simulacres, dirait notre autre Philippe), d’événements :

« Après la fin de l’Histoire, donc aussi après la fin des événements, il faut bien qu’il y ait encore quelque chose qui ait l’apparence d’événements même si ça n’en est pas. Eh bien ces ersatz d’événements, le Moderne les puisera en lui-même, dans un affrontement  perpétuel avec lui-même qui constituera la mythologie (mais aussi la comédie) de la nouvelle époque. »

Sur la criminalisation procédurière du passé ou sur l’histoire réécrite (voyez la deuxième considération de Nietzsche) par le storytelling humanitaire, anti-blanc ou LGBTQ :

« …maintenant il est extrêmement difficile de dire ce qu’était l’Histoire dans la mesure où nous en avons effacé les traces  parce que nous lui avons substitué un ensemble de films de fiction sur lesquels nous portons des jugements moraux et que nous traînons devant des tribunaux rétrospectifs plus burlesques les uns que les autres. Ce délire procédurier rétrospectif trouve bien entendu son équivalent au présent, dans la société contemporaine, où la folie procédurière en cours se nourrit du ressentiment de tous contre tous, du sentiment d’innocence que chacun entretient vis-à-vis de lui-même et de l’accusation de culpabilité qu’il porte envers tous les autres. »

Muray disait déjà sur la disparition des ennemis (les fachos sont soumis, les musulmans exterminés ou contrôlés, surtout les terroristes) :

« Ce magma, pour avoir encore une ombre de définition, ne peut plus compter que sur ses ennemis, mais il est obligé de les inventer, tant la terreur naturelle qu’il répand autour de lui a rapidement anéanti toute opposition comme toute mémoire. »

Sur le besoin de se débarrasser du fardeau sexuel :

« …il faudrait revoir, réactualiser et corriger tout cela avec le formidable progrès des sciences qui, joint au désarroi général et à l’envie sourde de se débarrasser du fardeau sexuel, est en train de fusionner dans une espèce d’idéologie new age qui n’a même plus besoin de dire son nom. Il y a aujourd’hui un néo-scientisme mystique qui renouvelle tout ce que j’écrivais, à l’époque, sur les danses macabres de l’occultisme et du socialisme. »

Belle définition de mai 68 :

« 68 n’est pas ce qu’on raconte, mais la contribution la plus efficace jamais apportée à l’établissement de la civilisation des loisirs. Par 68, le dernier homme s’est vu gratifier de ce qui lui manquait pour cacher en partie son immense veulerie vacancière : une petite touche de subversion… »

Petite définition du passé (ère des crimes contre l’humanité, nous sommes depuis à l’ère des primes) :

PM-desaccord.png« Dans le nouveau monde, on ne retrouve plus trace du Mal qu’à travers l’interminable procès qui lui est intenté, à la fois en tant que Mal historique (le passé est un chapelet de crimes qu’il convient de ré-instruire sans cesse pour se faire mousser sans risque) et en tant que Mal actuel postiche. »

Sur la capacité de chantage et de harcèlement de cette société (qui peut aussi déporter et exterminer, comme dans le monde arabe) :

« Cette anecdote, qui vaut pour tant d’autres, a la vertu de révéler le moderne en tant que chantage ultra-violent ; et de faire entendre la présence du Mal dans la voix même des criminels qui l’invoquent pour faire tout avaler. »

Sur les accusations de facho :

« Quand ils traitent quelqu’un de «maurrassien», par exemple, c’est autant de temps de gagné : il est tellement plus avantageux de parler de Maurras, et de le condamner, que d’ouvrir les yeux sur le monde concret ! Ils n’ont plus que ce projet : gagner du temps. Empêcher que leurs exactions soient connues en détail. »

Sur la dégénérescence de la gauche (notez le bel usage de l’accumulation, un de ses tropes préférés) :

« …mais ils continuent parce que cette doctrine, à présent toute mêlée au marché, toute fusionnée, toute confusionnée avec les prestiges de l’Europe qui avance sur ses roulettes, avec le festivisme généralisé et programmé, avec le turbo-droit-de-l’hommisme, avec le porno-business, les raves vandaliques, le déferlement hebdomadaire des néo-SA en rollers, et encore avec tant d’autres horreurs dont on ne les a jamais entendus dire quoi que ce soit, leur permet de conserver une apparence de pouvoir tout en jouissant dans le même temps (à leurs seuls yeux maintenant) d’une réputation de «rebelles». Il leur restait un chapeau à manger, un vrai haut-de-forme celui-là, celui de l’américanophilie ; c’est fait depuis le 11 septembre 2001. »

Sur l’euphémisme dénoncé en son temps par Bourdieu (on parle de flexibilité pour payer 500 euros tout le monde) :

« …l’été dernier, alors que d’effrayantes inondations submergeaient l’Europe de l’est, notamment l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, et que l’on se demandait si le climat n’était quand même pas vraiment détraqué, un hebdomadaire avait tranché avec un titre admirable : «Le climat ne se détraque pas, il change.» Appliquée au temps, c’est la rhétorique analgésique de l’époque dans tous les domaines : la famille n’est pas en miettes,  elle change ; l’homosexualité, soudain toute-puissante et persécutrice, n’est pas au moins, per se, une étrangeté à interroger, c’est la sexualité en général qui change. Et ainsi de suite. »

Pointe d’humour (la litote à rebours) :

« Et, le jour de l’Apocalypse, ne vous dites pas non plus que c’est la fin du monde, dites-vous que ça change. »

C’est la chanson de Boris Vian ! Sur la fin de la sexualité come héritage de la pseudo-libération qui a viré comme toujours à l’épuration de masse et à la chasse aux sorcières :

« Il n’y a aucune contradiction entre la pornographie de caserne qui s’étale partout et l’étranglement des dernières libertés par des «lois antisexistes» ou réprimant l’«homophobie» comme il nous en pend au nez et qui seront, lorsqu’elles seront promulguées, de brillantes victoires de la Police moderne de la Pensée. »

Derrière ces pauvres hères toutefois, le conglomérat des solitudes sans illusions dont parle Guy Debord :

PM-portatif.jpg« …pour en revenir à cette solitude sexuelle d’Homo festivus, qui contient tous les autres traits que vous énumérez, elle ne peut être comprise que comme l’aboutissement de la prétendue libération sexuelle d’il y a trente ans, laquelle n’a servi qu’à faire monter en puissance le pouvoir féminin et à révéler ce que personne au fond n’ignorait (notamment grâce aux romans du passé), à savoir que les femmes ne voulaient pas du sexuel, n’en avaient jamais voulu, mais qu’elles en voulaient dès lors que le sexuel devenait objet d’exhibition, donc de social, donc d’anti-sexuel. »

Et pour finir une nouvelle petite accumulation sur le crétinisme du clown médiatique et humanitaire :

« …l’angélisme d’Homo festivus, son parler-bébé continuel, son narcissisme incurable, sa passion des contes de fées, son refoulement du réel (toujours «castrateur»), son illusion de toute-puissance, sa vision confuso-onirique du monde et son incapacité, bien sûr, de rire. »

Source

Entretiens par Vianney Delourme et Antoine Rocalba

mardi, 03 octobre 2017

Homenaje a Philippe Muray

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Homenaje a Philippe Muray

 
Ex: http://www.geopolitica.ru

Juzgado desde el punto de vista del pensamiento, Philippe Muray (1945-2006) fue un escritor y ensayista francés que, más allá de novelas, obras de teatro y otras yerbas, escribió dos libros liminares que valen la pena de ser leídos: el Imperio del Bien (1991) [1]y Festivus, Festivus (2005). Este último es una serie conversaciones de junio de 2001 a diciembre de 2004.

En el Imperio del Bien realiza como lo hicieran antes que él, Kart Lowith[2], Eric Voegelin[3] o nuestro Julio Meinvielle[4], la genealogía de la modernidad mostrando como el ocultismo, o mejor la gnosis, es la base irracional de Las Luces y la Ilustración.

Festivus, Festivus, se puede resumir así: “La ridiculización del mundo tal como va es una disciplina que está aun en pañales. Reírse de este universo lamentable, en el cual el caos se equilibra con el canibalismo y la criminalización, entre fiesta continua y la persecución, es la única manera hoy de ser rigurosamente realista”.

En Exorcismos espirituales se pregunta: “Quién es el enemigo: el mundo contemporáneo y su homegeneización totalitaria. Ningún entendimiento con él es posible”. Encontramos allí la crítica más profunda a la teoría del multiculturalismo. La matriz ideológica de lo contemporáneo en sí mismo es la indiferencia ontológica que se manifiesta en la abolición del conflicto entre el Mal y el Bien, entre identidad y diferencia, que termina con la absolutización de “lo Mismo”, exterminando a lo Otro. La ideología de “lo Mismo” termina anulando las diferencias esenciales entre hombre-animal, naturaleza –cultura, saber-ignorancia, masculino-femenino, orden natural-orden simbólico, sagrado-profano, niño-adulto, fuerza-violencia, ser-ente, nación-conglomerado, pueblo-gente.

El homo festivus termina festejando la fiesta en una frivolidad aterradora, borrando su fundamento teológico que es el culto, como lo mostraron Joseph Pieper y Otto Bollnow, entre otros.

En el fondo de este razonamiento se halla “un catolicismo de combate” como muy bien señala Paulin Césari, quien estudió su pensamiento en profundidad.[5]

Como afirmó el filósofo Jean Baudrillard en sus exequias: “Con Philippe Muray desparece uno de los raros, de los muy raros conjurados de esta resistencia subterránea y ofensiva al “Imperio del Bien”, a esa pacificación grotesca del mundo real, a todo aquello que procede de la hegemonía mundial”.

[1] En castellano tiene dos obras editadas por la editorial española El imperio del bien en 2013 y Querido Yihadistas en 2010. Además están los trabajos del joven Rodrigo Agulló o Adriano Erriguel o como quiera que se llame, pues no se sabe si es mejicano o gallego ni su verdadero nombre, pero que valen la pena leerlos.

[2] Löwith, Kart: El hombre en el centro de la historia, Ed. Herder, Madrid, 2009

[3] Voegelin, Eric: El asesinato de Dios y otros escritos políticos, Ed. Hydra, Bs.As. 2009

[4] Meinvielle, Julio: De la Cábala al progresismo, Ed. Epheta, Bs.As. 1994

[5] Césari, Paulin: Philippe Muray, penseur catolíque, Le Figaró Magazine, 16/1/2915 

 

lundi, 11 septembre 2017

Homenaje a Philippe Muray

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Homenaje a Philippe Muray

Ex: http://www.geopolitica.ru

Juzgado desde el punto de vista del pensamiento, Philippe Muray (1945-2006) fue un escritor y ensayista francés que, más allá de novelas, obras de teatro y otras yerbas, escribió dos libros liminares que valen la pena de ser leídos: el Imperio del Bien (1991) [1]y Festivus, Festivus (2005). Este último es una serie conversaciones de junio de 2001 a diciembre de 2004.

En el Imperio del Bien realiza como lo hicieran antes que él, Kart Lowith[2], Eric Voegelin[3] o nuestro Julio Meinvielle[4], la genealogía de la modernidad mostrando como el ocultismo, o mejor la gnosis, es la base irracional de Las Luces y la Ilustración.

Festivus, Festivus, se puede resumir así: “La ridiculización del mundo tal como va es una disciplina que está aun en pañales. Reírse de este universo lamentable, en el cual el caos se equilibra con el canibalismo y la criminalización, entre fiesta continua y la persecución, es la única manera hoy de ser rigurosamente realista”.

En Exorcismos espirituales se pregunta: “Quién es el enemigo: el mundo contemporáneo y su homegeneización totalitaria. Ningún entendimiento con él es posible”. Encontramos allí la crítica más profunda a la teoría del multiculturalismo. La matriz ideológica de lo contemporáneo en sí mismo es la indiferencia ontológica que se manifiesta en la abolición del conflicto entre el Mal y el Bien, entre identidad y diferencia, que termina con la absolutización de “lo Mismo”, exterminando a lo Otro. La ideología de “lo Mismo” termina anulando las diferencias esenciales entre hombre-animal, naturaleza –cultura, saber-ignorancia, masculino-femenino, orden natural-orden simbólico, sagrado-profano, niño-adulto, fuerza-violencia, ser-ente, nación-conglomerado, pueblo-gente.

El homo festivus termina festejando la fiesta en una frivolidad aterradora, borrando su fundamento teológico que es el culto, como lo mostraron Joseph Pieper y Otto Bollnow, entre otros.

En el fondo de este razonamiento se halla “un catolicismo de combate” como muy bien señala Paulin Césari, quien estudió su pensamiento en profundidad.[5]

Como afirmó el filósofo Jean Baudrillard en sus exequias: “Con Philippe Muray desparece uno de los raros, de los muy raros conjurados de esta resistencia subterránea y ofensiva al “Imperio del Bien”, a esa pacificación grotesca del mundo real, a todo aquello que procede de la hegemonía mundial”.

[1] En castellano tiene dos obras editadas por la editorial española El imperio del bien en 2013 y Querido Yihadistas en 2010. Además están los trabajos del joven Rodrigo Agulló o Adriano Erriguel o como quiera que se llame, pues no se sabe si es mejicano o gallego ni su verdadero nombre, pero que valen la pena leerlos.

[2] Löwith, Kart: El hombre en el centro de la historia, Ed. Herder, Madrid, 2009

[3] Voegelin, Eric: El asesinato de Dios y otros escritos políticos, Ed. Hydra, Bs.As. 2009

[4] Meinvielle, Julio: De la Cábala al progresismo, Ed. Epheta, Bs.As. 1994

[5] Césari, Paulin: Philippe Muray, penseur catolíque, Le Figaró Magazine, 16/1/2915 

 

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vendredi, 23 janvier 2015

De l’homme-masse à Festivus festivus: deux visages de la médiocrité

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De l’homme-masse à Festivus festivus: deux visages de la médiocrité

« Les hommes du XVIIIe siècle ne connaissaient guère cette espèce de passion du bien-être qui est comme la mère de la servitude, passion molle, et pourtant tenace et inaltérable (…) Dans les hautes classes, on s’occupait bien plus à orner sa vie qu’à la rendre commode, à s’illustrer qu’à s’enrichir. Dans les moyennes mêmes, on ne se laissait jamais absorber tout entier dans la recherche du bien-être ; souvent on en abandonnait la poursuite pour courir après des jouissances plus délicates et plus hautes ; partout on plaçait, en dehors de l’argent, quelque autre bien ». Un doux relent de nostalgie parsème les élégantes pages de L’Ancien Régime et la Révolution. Tocqueville révèle bien plus qu’une simple mutation institutionnelle ou idéologique ; sa plume égraine, ici et là, les contours d’une nouvelle sensibilité. L’identité malheureuse guette souvent l’intellectuel rompu à une lecture affûtée du réel – tout effort critique consistant à s’extraire du ici et maintenant pour lui donner forme, le livrer à une interprétation et ainsi, en quelque sorte, se l’approprier en le sublimant -, d’autant plus lorsque celui-ci sent amèrement la fin d’un monde que le renouveau n’égalera jamais. N’y a-t-il pas mouvement plus salvateur, plus libérateur, que la peinture du hic et nunc sous les couleurs de la médiocrité ? N’y a-t-il pas plus beau geste qu’une plume s’appliquant, à l’instar d’un pinceau, à flétrir l’innocente putréfaction des âmes ? Et d’aucuns seraient peut-être surpris d’apprendre que les couleurs de la médiocrité ne sont pas ternes. Au contraire, il faut bien d’avantage rendre un triste hommage au jaune poussin de mines boursouflées par la suffisance d’une réjouissance joviale et primesautière ; au rouge d’une vie foisonnante mais sans formes portée par un hédonisme de circonstance. Force jaune et force rouge rayonnent d’un enthousiasme cadavérique. Il est vrai qu’ils seront sauvés par l’amour mais, en attendant, décortiquons deux manifestations ou deux figures de notre moderne médiocrité dans laquelle force jaune et force rouge se diluent : l’homme-masse et Festivus festivus.

mur9782213621296.jpgL’homme médiocre, écrivait Ernest Hello, incarne l’entre-deux, le milieu (entre l’imbécile et le génie) sans le savoir et sans le vouloir : « Il l’est (médiocre) par nature, et non par opinion ; par caractère, et non par accident. Qu’il soit violent, emporté, extrême ; qu’il s’éloigne autant que possible des opinions du juste-milieu, il sera médiocre ». Il s’agit bien d’un état d’esprit. Un médiocre peut tout à fait, par exemple, posséder certaines vertus mais il ne verra pas avec acuité en quoi ces vertus pourraient faire de lui un homme de bien. Une fois niché dans une vie confortable plus rien ne l’ébranle ; peu exigeant avec lui même, il ne désire que son bien-être et se repaît d’un contentement paresseux. L’homme-masse que décrit brillamment Ortega Y Gasset s’inscrit dans cette tendance et roule sur le sombre triomphe des masses ou de l’hyper-démocratie. L’homme-masse est celui qui, comme son nom l’indique, appartient à la masse, c’est-à-dire à l’homme moyen, par opposition à l’élite toujours minoritaire. Deux critères permettent de définir un individu solidaire de la masse : il faut non seulement que « la valeur qu’il s’attribue – bonne ou mauvaise – ne repose pas sur une estimation justifiée de qualités spéciales » mais encore qu’il n’éprouve aucune angoisse à se sentir profondément identique aux autres. L’homme qui s’interroge et se demande « si il ne possède pas quelque talent dans tel ou tel domaine et constate, en fin de compte, qu’il ne possède aucune qualité saillante » se sentira peut-être médiocre « mais il ne se sentira pas « Masse » ». L’homme d’élite, quant à lui, n’a rien du misérable prétentieux mais, au contraire, tout d’une nature éminente ; il se veut généralement « plus exigeant pour lui que pour les autres, même lorsqu’il ne parvient pas à réaliser ses aspirations supérieures ». Nous avons donc deux classes d’individus : « ceux qui exigent beaucoup d’eux-même et accumulent volontairement devoirs sur difficultés, et ceux qui, non seulement n’exigent rien de spécial d’eux-même, mais pour lesquels la vie n’étant à chaque instant que ce qu’elle est déjà, ne s’efforcent à aucune perfection et se laissent entraîner comme des bouées à la dérive ».

L’homme-masse ne possède aucun goût pour la culture. En effet, cette noble tâche demande un effort constant, le sens du sacerdoce : la culture dissimule toujours un éloge de la formation. Comment notre homme pourrait-il sérieusement s’élever – autrement dit se rendre inégal à lui-même – alors que résonne de sa bouche complaisante les mots suivants : « tout est bon ce qui est en moi : opinions, appétits, préférences ou goût ». Que peut bien signifier une culture sans recherche de vérité, sans normes de référence, sans autorité ? A dire vrai, elle est tout simplement inconcevable « là où n’existe pas le respect de certaines bases intellectuelles auxquelles on se réfère dans la dispute » ; ou encore « là où les polémiques sur l’esthétique ne reconnaissent pas la nécessité de justifier l’œuvre d’art ». Est-ce que l’homme-masse entend qu’une culture sans dispute fonderait comme neige au soleil ? Assurément non, et il le fait savoir lorsqu’il s’époumone à rappeler benoîtement que de toute façon, eh bien, chacun ses goûts ! Chacun ses opinions ! Mais que recherche-t-il mise à part la légèreté de l’agrément et les fausses joies du plaisir ? Quel cas fait-il de la magnanimité ? A-t-il perdu tout rapport avec cette noblesse d’âme esthétisante promue par un double attachement à la distinction et au devoir – à savoir le sens des honneurs et l’obligation d’une vie vouée à l’effort, « toujours préoccupée à se dépasser elle-même, à hausser ce qu’elle est déjà vers ce qu’elle se propose comme devoir et comme exigence » ? Il est vrai que l’homme d’élite n’a pas oublié l’héritage légué par ses pairs : la vénération constitue peut-être le plus beau témoignage d’une âme fièrement soumise.

A ces questions nous devons répondre par l’affirmative mais sous un angle spécifique. Il est évident que la distinction entre esprit vulgaire et esprit noble n’appartient nullement de manière exclusive à notre époque et qu’il serait idiot de reprocher à l’individu moyen de ne pas intégrer les rangs de la classe supérieure. Précisément, on ne lui reproche pas son caractère médian mais un certain type de médiocrité qui en découle. La particularité de l’homme-masse – et ce qui constitue le grief moteur – réside dans son émancipation. Nous avons, en effet, « une masse plus forte que celle d’aucune autre époque » (la quantité de connaissance dont elle jouit est inédite dans l’histoire) et pourtant, contrairement à une masse traditionnelle, elle semble « hermétiquement fermée sur elle-même, incapable de prendre garde à rien ni à personne, et croyant se suffire à elle-même – en un mot indocile ». Cette indocilité marque une funeste rupture avec l’ordre ancien : la masse actuelle s’évertue à élaguer tout ce qui dépasse sa pauvre tête ; en somme, il n’y a plus d’élite, plus d’aristocratie – en ce sens, notre homme-masse marche sur les décombres des minorités supérieures – puisqu’une « aristocratie dans sa vigueur ne mène pas seulement les affaires ; elle dirige encore les opinions, donne le ton aux écrivains et l’autorité aux idées » (Tocqueville). La vigueur d’une élite aristocratique comme balayée par la révolte intempestive d’une classe moyenne sans pudeur, complaisamment satisfaite d’elle-même et résolue à gouverner. La gloire du vulgaire se conjugue avec la crise ou la reddition des élites et, par ailleurs, ce que Christopher Lasch nomme la révolte des élites n’est pas autre chose que la corruption des anciennes minorités d’exception par l’esprit médiocre des masses mais dans un rapport inversé : la corruption des masses – celles-ci conservant encore une certaine sagesse  par la médiocrité d’une élite décadente (en ce sens Christopher Lasch prend le contre-pied du philosophe espagnol tout en conservant, sur le fond, le même diagnostic). Et comment pourrait gouverner décemment celui qui a fait table rase du passé ? Celui pour qui le mot décadence ne peut plus rien signifier de tangible ? « L’européen est seul, sans mort vivant à son côté ; comme Pierre Schlemihl, il a perdu son ombre. C’est ce qui arrive toujours à midi ». Midi, le temps d’un nouveau départ. Amnésique de sa matinée mais convaincu qu’il fera mieux dans l’après-midi : voici l’édifiante confusion de l’homme-masse indexée sur la mamelle juteuse du progressisme. Ortega y Gasset résume, encore une fois avec brio, la situation : « on peut, nous dit-il, facilement formuler ce que notre époque pense d’elle-même : elle croit valoir plus que toutes les autres tout en se croyant un début et sans être sûre de ne pas être une agonie ».

Ortega_y_Gasset_Jose_La_revolte_des_masses.jpgPhilippe Muray ne s’y est pas trompé dans le portrait qu’il consacre à l’Homo festivus festivus. Vecteur de médiocrité festive ou figure allégorique de la post-histoire, Festivus festivus transfigure l’homme moyen en égérie du ridicule. Festivus festivus incarne le digne descendant de son prédécesseur Festivus ; on le rencontre au détour d’une rue comme dans les locaux de la mairie de Paris. De la même façon que l’Homo sapiens sapiens sait qu’il sait, Festivus festivus « festive qu’il festive ». Certes, Festivus festoyait déjà dans sa lutte contre l’ordre établi – et contre le Mal tout entier – qu’il devait définitivement écarter pour promouvoir son droit à la fête. Le soixante-huitard a accouché de Festivus festivus et lui a légué en héritage les clefs de l’après-histoire (de l’île aux enfants), et les vêtements bigarrés de l’ « après-dernier homme ». Après la fin de l’homme historique il n’y a plus que célébration : célébration de la célébration.

Qu’est-ce exactement que cette (dé)culture-festive ? Ses manifestations sont nombreuses et Muray s’amuse en les épinglant. Disons simplement qu’il s’agit, bien sûr, d’un produit de substitution à la Culture : une culture-festive traduit avant tout un renouvellement de la Culture par la festivité ; un développement de la fête et des spectacles (par exemple la déclaration d’un nommé Christophe Girard, responsable de la Culture (sic) à Paris : « Je me suis donné pour objectif de redonner un caractère festif à la capital » – bravo Christophe !). Comment ne pas en restituer la profonde misère artistique ? Ce que fait notre auteur lorsqu’il relève avec ironie « les plus belles énormités » d’un programme festif organisé par la mairie de Paris : « l’ « irrévérencieuse » Sophie Calle qui reçoit des visiteurs au sommet de la tour Eiffel et leur demande de lui raconter une histoire, est présentée ainsi : « Elle déjoue les interdits, accomplit des fantasmes. Scandaleuse et engagée, elle se perd et s’abîme, prend tous les risques pendant que son défi résonne en sourdine » ». Et Muray d’ajouter entre parenthèses à la fin de sa citation : « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Mais que fait cette Sophie Calle ? Quel réel représente-t-elle avec son « art insolent » ? Eh bien, précisément, toute la vacuité de la post-histoire  lieu où les mots flottent dans l’alter-monde d’une subjectivité envahissante ; où le Moi narcissique devient la référence ultime de toute création. L’art n’a de sens chez Muray qu’en réponse à la question « que se passe-t-il ? » d’où son attrait pour la forme littéraire  seule capable d’y répondre consciencieusement – et son mépris affiché pour la néo-littérature contemporaine sujette à la diversion, c’est-à-dire à une manière de raconter des histoires ne contenant plus « une étude critique, ou plus exactement une psychologie de la nouvelle vie quotidienne ». Il est assez clair sur ce point : « j’appelle étrangère à la littérature toute personne qui ne sait pas que l’homme, dans les nouvelles conditions d’existences, est un plagiat pour l’homme ». Festivus festivus ou l’après-dernier homme n’est rien d’autre qu’un vulgaire plagiat. Autrement dit, et c’est un élément crucial, il ne peut plus y avoir d’art sans une réaction radicale, sans un rejet de l’homme sous sa physionomie actuelle. Pourquoi ? Parce que l’art évoque l’homme et non pas son plagiat et qu’il lui faut donc, pour sauver sa peau, désigner l’imposteur, le démasquer et le liquider comme il a liquidé le réel en liquidant l’histoire.

Que veut dire liquider l’histoire ? Que signifie au juste cette « fin de l’histoire » Murayienne ? Elle est une manifestation de l’hyper-démocratie comme, pourrait-on dire, l’hyper-démocratie et une manifestation de la fin de l’histoire ou post-histoire. Son essence réside étrangement dans un fétichisme du Bien, un remplacement du « Bien-et-Mal » par le Bien seul, l’arrêt de la dialectique, l’extermination désespérante du conflit. D’abord Festivus festivus sort de l’histoire par le peu d’intérêt qu’il semble accorder au savoir historique, à l’autorité du passé (on retrouve ici un trait saillant de l’homme-masse). Il a oublié ses racines judéo-chrétiennes et à consommé joyeusement son divorce avec le péché originel (il renonce ainsi à toute compromission avec le mal) et le salut (ce qui signifie la fin du mouvement dialectique ou encore le salut transposé ici bas, ici et maintenant). Dans ce monde sans histoire la figure de l’enfant ressurgit et produit ces « faces hilares, ces regards inhabités, ces cerveaux en forme de tous noirs, ces propos dévastés d’où tout soupçon de pensée critique s’est en allé, cette flexibilité à toute épreuve, et cette odieuse nouvelle innocence qui les entoure comme une aura » : une nouvelle innocence est née, non pas celle de la douce naïveté, « mais bien cette infernale illusion infantile de toute puissance ». Ainsi, « à partir de ce moment, ce qu’il y a encore de plus réel c’est le présent, l’éternel présent, et cet éternel présent, personne ne l’incarnera jamais mieux que l’enfant » ; si il y a encore du conflit ce n’est plus que pour imposer « la fin de tous les conflits ». Les soubresauts de l’égalitarisme forcené  cette recherche maniaque des discriminations à éradiquer  alimentent « un feuilleton à rebondissements infini que les imbéciles prendront pour la preuve que l’Histoire continue alors qu’il ne s’agit jamais que d’un énième épisode de notre grand film transhistorique sur écran mondial : La mort vit une vie humaine ! ». Voilà la raison pour laquelle Philippe Muray attachait autant d’importance à la véritable littérature : « si les livres, et de manière plus particulière les romans, servent à quelque chose, c’est à rendre la possibilité du Mal envisageable ».

« Faire de l’art avec le Mal, c’est le grand art, le seul. »

dimanche, 07 avril 2013

Reise in die Tiefe einer Existenz

muray_celine_Matthes_&_Seitz_Berlin_2012.jpgCéline

 
Céline
[Céline, 1981]
264 Seiten, geb. mit Schutzumschlag

Aus dem Französischen und mit einem Nachwort von Nicola Denis
Buch ISBN: 978-3-88221-559-5
Preis: 29,90 € / 38,90 CHF

eBook (epub) ISBN: 978-3-88221-019-4
Preis: 22.99 € / 25.99 CHF

Reise in die Tiefe einer Existenz

Philippe Muray, in Deutschland noch völlig unbekannt, in Frankreich in den letzten Jahren zu einem Kultautor von Jahrhundertformat avanciert, hat in diesem brillanten literarischen Langessay einen so umstrittenen wie gewichtigen Beitrag zu Leben und Werk des infernalischen Louis-Ferdinand Céline geschrieben. Es ist für deutsche Leser die erste umfassende Auseinandersetzung mit dem Phänomen Céline, der wie kein anderer Widerstände provoziert und Fragen nach dem Bösen in der Literatur, den Grenzen der Kunst und ihrer Moralität aufwirft. Diesen unlösbaren Fragen geht Muray in seinem eleganten, klugen und pointierten Essay auf den Grund und erweist sich selbst als einzigartiger Autor.

Pressestimmen

»Muray weigert sich, Céline in zwei Hälften zu zerlegen und den großen Romanautor, der seiner Zeit eine neue Sprache von den Lippen las, vom widerlichen Pamphletisten abzutrennen. ›Es gibt keine zwei Célines, da es nur einen gibt.‹ (...) In diesem Schriftsteller kohabitieren der archaische Übeltäter und der progressive Befreier, so dass für Muray die eigentliche Frage ist, wie das ein Leben lang durchzuhalten war. Muray vertieft sich aber nicht nur in Célines Werk, sondern analysiert spiegelbildlich auch das Vergessen der Nachkriegsgesellschaft, die den Autor zunächst ins dänische Exil schickte und dann in der Rezeption selektiv wegsteckte.«
Joseph Hanimann, Süddeutsche Zeitung, 27. November 2012

»Murays Buch, anarchistisch und progressiv, türmt sich wie eine Festung inmitten der Literatur des 20. Jahrhunderts auf. Einmal mehr wird der Schriftsteller Céline zum Gefangenen. So grandios wie Nicola Denis muss man diese Szene erst einmal übersetzen können.«
Jürgen Nielsen-Sikora, Glanz & Elend, 05. November 2012

jeudi, 15 novembre 2012

Lire Philippe Muray

Muray-clope.jpg

Lire Philippe Muray

dir. Alain Cresciucci

Lire Philippe Muray

En librairie le 18 Octobre 2012
ISBN 2-36371-0413
Format 125 x 195 mm
Pages 286 p.
Prix 23 €

LES ESSAIS

Philippe Muray (1945-2006), partout cité sur Internet, court, désormais, le grand risque d'être réduit à une caricature de pamphlétaire ou comique Bobo. D’où l’urgence de rétablir la vérité à son sujet : loin de se revendiquer comme critique, Muray s’est, au contraire, essayé au roman. Parce que seul le roman se saisit de la réalité vivante. Problème : le monde avait changé, la « réalité » même n’était plus qu’une fiction. Usant de divers registres, armé de connaissances jusqu'au cou, il avoue multiplier les angles de vue pour tenter de circonscrire la véritable nature de notre monde : un monde bien loin de Balzac, avec ses agents d'ambiance, ses techniciennes de surface, son obsession de la fête et surtout du Bien. C'est l'histoire du "roman" murayien que raconte Lire Muray à l'aune de son expérience picturale (La Gloire de Rubens), de sa saisie de l'Histoire entre Hegel et Braudel (Le dix-neuvième siècle à travers les âges), de son rejet de la "comédie" du monde partagée avec Céline, Baudelaire et Balzac, sans oublier sa fascination pour le phénomène d' « indifférenciation » née de la désacralisation (Entretiens avec René Girard) qui dissimule une violence sans précédent. La place de Muray dans le "débat" ou plutôt le "non débat intellectuel", l'aspect très particulier de son esprit satirique, toujours épris d'authenticité, sans oublier un glossaire de ses "concepts" phares achèveront d'éclairer le lecteur sur le "code" d'interprétation à donner à son langage et à son discours.

LES AUTEURS

 

Alain Cresciucci : Professeur émérite à l’université de Rouen, ses recherches portent sur le roman et les romanciers français contemporains : Antoine Blondin (Gallimard) ou Les désenchantés (Fayard)

François-Emmanuel Boucher : est directeur du Département d'études françaises du Collège militaire royal du Canada et doyen associé de la Division des études supérieures et de la recherche. Cofondateur du groupe Prospéro sur « Le politique du roman contemporain », il est l’auteur d’un ouvrage sur la rhétorique révolutionnaire et réactionnaire au tournant du XVIIIe siècle : Les révélations humaines.

Jérôme Couillerot : Doctorant en philosophie du droit à Paris II-Assas (Institut Michel Villey).

Laurent de Sutter : FWO Senior Researcher en théorie du droit à la Vrije Universiteit Brussel. Enseignant aux Facultés Universitaires Saint-Louis. Auteur de (Pornostars – Fragments d’une métaphysique du X De l’indifférence à la politique, PUF ; Deleuze – La pratique du droit, il dirige la collection « Travaux Pratiques » aux P. U. F.

Guillaume Gros : Historien (Framespa-Grhi, Toulouse 2) est l’auteur d’une biographie de Philippe Ariès (Presses Universitaires du Septentrion, 2008) et d’un essai sur François Mauriac (Geste éditions, 2011).

Hubert Heckmann : Ancien élève de l’ENS Ulm, il est maître de conférences à l’Université de Rouen

Alain-Jean Léonce : travaille dans le commerce équitable. Il prépare un essai sur Muray.

Isabelle Ligier-Degauque : Maître de conférences en arts du spectacle à l’Université de Nantes, elle a publié Les Tragédies de Voltaire au miroir de leurs parodies dramatiques : d’Œdipe à Tancrède, (Champion, 2007).                                                                         

LES POINTS FORTS

-Toute la vérité sur la « fausse » image de Philippe Muray, devenu auteur mondain malgré lui.

-A la recherche des sources d’inspiration cachées du grand « contemporain ».

-La naissance d’un genre romanesque hybride, tourné vers le monstrueux d’une société fictive. 

vendredi, 05 novembre 2010

Il n'y a que la mauvaise presse qui sauve ou Philippe Muray ressuscité

Il n'y a que la mauvaise presse qui sauve ou Philippe Muray ressuscité

 «Par ailleurs, il devient facile de reconnaître un écrivain conformiste : c’est celui, tout simplement, qui se flatte le plus haut et le plus fort d’être politiquement incorrect.»
Philippe Muray.


muray39370.gifÀ propos de Philippe Muray, Essais (Éditions Les Belles Lettres, 2010).

 

Lui qui avoua sa fascination et sa répulsion pour le grand Karl Kraus, retrouva même quelque peu de l'ire vindicative du fameux et terrifiant polémiste durant cette période bénie ou maudite, c'est selon, pendant laquelle les médiocres durent prendre un ticket numéroté et faire la queue en attendant le bon plaisir du maître désormais incontournable et bien trop visible pour qu'on puisse continuer à faire taire sa voix subtile et puissante. Il tenait, en somme, sa revanche sur les cuistres. Il était vivant. Philippe Muray, lui, ne l'est plus.
Nous ne sommes jamais assez durs avec les journalistes, c'est peut-être ce que découvrit aussi, avec un peu de stupeur tout de même, Elias Canetti. Leur médiocrité est toujours un cran au-dessus (ou au-dessous, c'est affaire de perspective) de celle que, par compassion plus qu'ignorance, nous avions cru être le maximum qu'un être humain pût supporter sans se dissoudre instantanément. Comme les créatures des très grandes profondeurs sous-marines, les journalistes se sont adaptés à des pressions extrêmes, n'ont pas besoin de lumière, se nourrissent des déchets qui lentement glissent vers leurs petites bouches translucides et, pour certains, parviennent même à écrire sans avoir, une seule fois, pris la peine de remuer leurs branchies atrophiées.
Tous ont beau ne pas être les résidents de la fosse dite de Marianne, ils n'en sont pas moins extrêmophiles, comme disent les biologistes qui paraissent tous les jours découvrir de nouvelles espèces de ces monstres mous habitués à l'obscurité la plus impénétrable. Vivants, ils sont morts car, à de pareilles profondeurs, toute dépense d'énergie inutile peut être létale. Ils végètent, ils planctonnisent, ils regardent parfois, de leurs gros yeux globuleux et aveugles, le ciel impénétrable et très profondément noir qui tend sa gueule au-dessus d'eux.
Vivants, s'agitant, ils sont déjà morts et se nourrissent de la chair de certains morts, mille fois plus vivants qu'eux.
Voyez-les, tous ces imbéciles claironnants et demi-soldes boulevardiers qui découvrent Philippe Muray quelques années seulement, ce n'est déjà pas si mal me dira-t-on, après sa mort, et encore, pressés qu'ils sont d'écrire leurs petits articulets navrants et incultes pour ne pas paraître en reste de ceux de leurs confrères, bluettes elles-mêmes incultes et creuses, voyez-les qui rédigent des papiers tellement originaux que le plus scrupuleux des experts en faux ne pourrait établir aucune différence entre eux. Ils s'agitent. Ils frétillent. Ils bavardent. Ils ne créent rien, car ils sont morts bien que vivants, et le règne des morts-vivants est une constante mais inéluctable pétrification, comme nous le voyons dans l'étonnant conte de Michel Bernanos. Il y a plus de différences entre deux ouvrières d'une termitière japonaise qu'entre deux journalistes qui partagent la même table de restaurant, rêvent de partager la même maîtresse et, quoi qu'il en soit, défendent les mêmes idées, c'est-à-dire celles qui sont l'émanation de l'air du temps.
Même le très gauchi et bientôt centenaire Jean Daniel, m'a-t-on dit, s'est subitement mis à trouver du génie à son illustre cadet contempteur, Philippe Muray, promettant à son fantôme ironique de sonner l'hallali, le derrière vissé sur sa bréhaigne, pour une cavalcade poussive de quelques centimètres sur les pâtures du lieu commun. Il ne sera pas dit que l'illustre Jean Daniel a méprisé, du moins après son trop court séjour sur terre, Philippe Muray.
Élisabeth Lévy elle-même, inflexible Cassandre du marronnier réactionnaire plutôt que du scoop véritable, causeuse lassante y compris même lorsqu'elle consent à vous laisser parler, journaliste point trop inintéressante tout de même lorsqu'elle écrit plutôt qu'elle bavarde, ronchonneuse professionnelle qui a réussi à faire reconnaître aux services de l'État la profession de mouche du coche, moderne incarnation d'une Amazone de toute éternité contrariée et peut-être même de tous les dangers réunis de la sauvage Amazonie ou de ce qu'il en reste, walkyrie miniaturisée du verbe journalistique qui ne rate jamais une occasion de se prétendre femme jusqu'aux bouts de ses flèches enduites de curare et d'affirmer qu'elle ne doit rien aux hommes (pas même sa propre naissance, référence faite à une conversation animée, désormais ancienne, en présence de Maurice G. Dantec), Élisabeth Lévy en personne n'a pas eu assez de mains et de pieds pour serrer tous ceux de ses collègues journalistes masculins lors de telle récente soirée privée (ce mardi 21 septembre vers 18 heures, au Lucernaire, un restaurant naguère fréquenté par Muray) où elle but les paroles de Fabrice Luchini, pas franchement dupe du cirque qui l'entourait et même, bien que disert et aimable, étrangement réservé.
Bien évidemment, unique couac (ou peu s'en faut) dans cette magnifique symphonie en culbute majeure, j'aurais quelque mauvaise grâce à ne point saluer le mystérieux regain d'intérêt dont paraissent (restons prudents) bénéficier les livres (en l'occurrence, ses exorcismes spirituels, regroupés en un seul beau volume préparé par Vincent Morch pour les Belles Lettres) de Muray mais enfin, nul ne m'en voudra je l'espère de jeter quelque sonde soupçonneuse dans la flache de cette subite attention, ni même de gentiment moquer le fait que le meilleur livre de cet auteur, le livre même qu'il n'a fait que décliner ou répéter jusqu'à sa mort, je veux bien sûr parler du XIXe siècle à travers les âges, est tout aussi étonnamment absent des meilleures ventes de la rentrée, catégorie essais comme il se doit.
Gageons même que cette si propitiatoire période de ventes d'ouvrages de qualité soit elle-même affublée d'une tare que Philippe Muray avait caractérisée de la façon suivante : «Il n’y a pas de lucidité sans séparation. Il n’y a pas non plus de littérature sans conflit et sans aggravation de conflit» (1).
Nous pouvons tirer deux postulats de cette constatation trempée, comme l'acier, dans un bain d'eau froide. D'abord, puisque nous voici plongés dans la mélasse la plus indifférenciée où gauche et droite se disputent la dépouille aimablement désagréable d'un mort et tentent de convoquer au-dessus de leur table barbante son mauvais génie posthume, le phénomène auquel nous assistons est tout ce que l'on voudra sauf le témoignage d'une miraculeuse prise de conscience, pour ne point évoquer, comme Muray le fait, quelque lucidité qui n'est tout de même pas la vertu la mieux partagée par nos contemporains, surtout s'ils exercent la profession immodeste de journaliste.
Ensuite, puisque ce remarquable et sans contestation possible mélodique accord sur la portée des œuvres de Muray nous a plongés dans le sucre candi des bons sentiments qui creusent, comme des larves de mouches, leur nid douillet dans la dépouille d'un auteur qui fut un redoutable vivant, il y a fort à craindre que la littérature soit, de nouveau l'absente des bouquets de toutes ces fiancées froides qui pleurent la mort d'un fiancé et même celle d'un véritable père, d'un père plus intensément père en ceci qu'il ne présente aucun lien de parenté avec les intéressées.
Pardon, vous me dites qu'il n'y a, encore elle, qu'Élisabeth Lévy qui menace de faire monter le niveau de la Seine à force d'ouvrir les vannes cyclopéennes de ses conduits lacrymaux ? J'ai cru qu'elles étaient au moins un bon millier, ces Antigones s'arrachant de douleur les cheveux et criant sur tous les toits, sur tous les plateaux de télévision, sur toutes les ondes radiophoniques que c'était bel et bien le corps maltraité de leur propre malheureux frère qui était laissé sous les soleils corrupteurs des flashs des photographes qui, par conscience professionnelle sans doute, se déclarent près à déterrer un cadavre pour voir si sa texture réactionnaire l'a affublé de particularités anatomiques troublantes.
Non, il n'y a sur scène, vérification faite auprès du metteur en scène de notre impeccable et si actuelle tragédie, qu'Élisabeth Lévy mais celle-ci, phénomène qui devrait passionner et intriguer les physiciens de l'étrange et même les frères Bogdanoff, semble posséder la particularité d'être sur plusieurs plateaux d'émissions télévisées en même temps, à seule fin d'y délivrer son message aussi convenu que le bruit d'un coucou d'horloge suisse, prêt-à-consommé de crieuse et gouaille vulgaire de cabaretière éraillée rendant grâce au père, maître, intercesseur, modèle et bientôt bienheureux Philippe Muray d'avoir irrigué de sa sève polémistique les plates-bandes où poussent ses quelques navets journalistiques de si pâle couleur qu'on les confond avec des feuilles de gélatine.
La si brillante et versicolore réacosphère, ce mélange improbable de petits frontistes se planquant derrière des pseudonymes, de gros beaufs avinés commentant, comme le matin ils sont accoudés au zinc et le ballon de blanc faisant cercle sur un exemplaire de SAS, les communiqués immondes, suintant la haine et la peur la plus ignoble, la crispation identitaire autour de belles valeurs gersoises qu'hélas ces lamentables vivandiers de l'action politique véritable n'illustrent guère par leurs écrits, émis, avec un sérieux d'un grotesque inégalé, par le ridicule Parti de l'In-nocence de Renaud Camus, cette si probe congrégation d'évanescents ectoplasmes appartenant, par leur seul corps astral, à la Nouvelle Droite, ce maigre raout de puceaux proches de la quarantaine qui croient sans rire que Kierkegaard, Chesterton, Unamuno et peut-être même le Christ en personne leur soufflent à l'oreille les phrases suintantes de prétention et de vulgarité qui composent leur catéchisme névrosé et enfin ce bordel bien sous tout rapport composé de vieilles demi-mondaines confondant hostie et godemiché et ne se rendant pas compte qu'elles risquent une déchirure anale plutôt qu'une excommunication papale, la réacosphère donc, mutualisation de talents nanométriques et de prétentions himalayesques adore, mais alors là vraiment adore, paraît-il, les textes d'Élisabeth Lévy.
Ce doit donc être, hypothèse la plus sobre, un fameux signe d'excellence. Il est vrai que cette même réacosphère aime immodérément Philippe Muray, qu'elle ne cite d'ailleurs jamais très précisément, se contentant de tirer, sur sa face blême et maladive, un peu de la lumière crue que Muray dirige toujours, avec une cruauté raffinée, sur ses cibles fuligineuses.
Revenons au texte de Muray, qui poursuit, dans le même ouvrage : «Un critique, plutôt que de perdre son temps à analyser tous les romans de néo-sacristains, tous ces livres rédigés avec un style directement trempé dans le préservatif, pourrait s’amuser à les rapprocher de slogans publicitaires connus, montrer qu’ils se ramènent tous à l’une ou l’autre des injonctions récentes de la pub» (p. 13).
Un bon critique, colligeant donc les différents titres qui ont récemment fleuri à propos de la découverte, par de hardis paléontologues, d'un nouveau type humanoïde baptisé Homo festivus festivus (en somme, le sursinge qui prend conscience du fait qu'il fait la fête) en hommage à celui qui en avait théorisé le chaînon clinquant, Philippe Muray, pourrait donc montrer qu'ils ne sont que la forme la plus récente, et déjà parfaitement obsolète, de l'éternelle hydre publicitaire, dont voici quelques têtes sans beaucoup de cerveau : Exorcismes spiritueux pour Philippe Lançon (Libération Livres du 24 juin) qui commence nullement par un «Être de son époque, c'est savoir la détester», Désaccord parfait pour Laurent Lemire (Livres Hebdo du 16 septembre) qui, encore plus stupidement, n'a pas peur de faire hurler de rire ses lecteurs en calant dès son point de badinage : «Il y avait quelque chose de vrai chez Philippe Muray (1945-2006), c'est ce qu'il pensait», Le mieux-disant pour l'inégalable Aude Lancelin (Le Nouvel Observateur, semaine du 22 au 28 juillet), qui bavarde sur Fabrice Luchini, cet interprète de la Modernité qui, non content d'avoir mis Paris à ses pieds, a bel et bien réussi l'exploit de faire courber la nuque si raide de quelques journalistes après leur avoir déclaré qu'il n'était pas plus de droite que de gauche. Quoi d'autre encore, puisqu'il est vrai que même le canard le plus déplumé de France et de Navarre y est allé de sa petite bluette admirative pour Muray, histoire de ne pas rater la curée journalistique et peut-être même, qui sait, d'être repéré par les grosses légumes parisiennes ? Le petit-fils naturel de Georges Bernanos, Sébastien Lapaque, le sobre François Taillandier pour Le Figaro ou sa déclinaison en revue, le si mélomane Benoît Duteurtre (Marianne du 25 septembre) qui fait mine de s'extasier sur les rythmes délicieusement reggae du très oubliable Ce que j'aime ou l'intrusion de Léon Bloy dans la comptine pré-natale, tandis que Pierre Bottura (Philosophie Magazine du mois d'octobre) nous révèle, bien conscient qu'il prend des risques peut-être exagérés, que Philippe Muray était «romancier, essayiste et critique d'art», travail d'enquête tout de même moins poussé que celui de Tristan Savin (pour Lire du mois d'octobre), lequel rend grâce à l'histrion Luchini d'être un histrion. Subtile fausse note, celle émise par Alain Finkielkraut, l'autre père spirituel et intellectuel de notre chère Élisabeth, encore elle, note grinçante bien évidemment recueillie par l'antenne d'Arecibo d'une extrême finesse qu'est notre impénitente journaliste (Causeur numéro du mois de septembre) qui remet le couvert pour Le Point (du 16 septembre) où elle nous apprend que, chez Muray, «jubilation et exécration sont sœurs».
Si je n'avais pas connu les livres de Muray depuis quelques années, ces poussées hormonales imprimées sur papier recyclable m'auraient-elles donné envie de me jeter sur eux ?
Je ne crois pas.
Je suis même certain que non.
Il n'y a pas seulement, hélas, dans la canonisation actuelle dont Philippe Muray est la victime muette, que dévaluation du verbe, ce qui ne doit point nous étonner puisqu'il s'agit là de la plus constante et habituelle production des bouches mécaniques que sont les journalistes. En effet, si, selon notre redoutable polémiste, l'histoire de la littérature est celle des «prospérités de l'irrespect» (p. 250), nous ne pouvons que constater que Philippe Muray n'est point salué comme un véritable écrivain mais, tout au plus, comme un penseur réactionnaire, c'est-à-dire peu ou prou comme un fâcheux en perpétuelle colère contre le monde entier et nageant à contre-courant du fleuve tranquille où la France finit de noyer son ennui vertueux de n'être plus rien.
Puisque le fantôme de Muray est ces derniers temps très sollicité, j'oserai abuser quelque peu de son temps et poursuivre la lecture d'un de ses recueils de textes. Qu'est-ce qu'un bon critique selon Philippe Muray qui doit décidément se tordre de rire en nous observant du coin de l'œil ? C'est en tout premier lieu un esprit qui s'écarte de la foule et ne salue, dans un livre, que son essence la plus profondément romanesque, rien, donc, qui puisse ressembler au charlatanisme actuel consistant à mélanger pseudo-verve et acrimonies habituelles contre l'air du temps. Qu'est-ce dire ? Que Muray place la tâche du critique à une magnifique hauteur, la leste d'une lourde responsabilité. La critique est, ni plus ni moins, une œuvre qui répond à une œuvre. Non point un Du Bos, ni même un Thibaudet ou un Sainte-Beuve mais, tout simplement, tout impossiblement, un Conrad, un Joyce, un Faulkner, un romancier extravagant, un romancier sans roman, un maître du langage second cher à Foucault qui n'aurait pour seule mission que celle de pénétrer les romans qu'il n'a pas écrits, qu'il ne peut pas écrire, avec la souveraine vision de leur propre créateur.
C'est quelqu’un donc, ce critique idéal sinon rigoureusement surhumain, qui ne se considérerait pas comme «un agent culturel destiné à signaler au public des produits culturels (les livres), quelqu’un qui serait donc également un bon critique de la société [apte à devenir] un spécialiste de toute la consternante fantasmagorie qui tend socialement à rendre le roman impossible» (pp. 4-5).
Et Muray de poursuivre en écrivant que : «La connaissance de l’ennemi, la science de l’ennemi des romans, c’est-à-dire de presque tout ce qui se met en place, aujourd’hui, sous nos yeux (y compris dans certains romans, dans ceux que je viens d’évoquer par exemple, les livres de la nouvelle Bibliothèque rose universelle, les romans de l’École des sacristains), voilà ce qui pourrait être le propre de la critique, d’une critique faite dans l’intérêt de l’art romanesque, et non dans le dessein de s’auto-célébrer, de justifier sa propre existence ou carrément de nuire, comme les deux charlatanismes critiques, l’universitaire et le médiatique […]» (p. 14).
Curieux que nul, à ma connaissance du moins, n'ait songé à commenter cette célébration si spontanée et post-mortem du génie de Philippe Muray en l'éclairant par la seule lumière qui en révélerait la part d'ombre. Nous sommes ainsi parvenus au cœur de notre sujet, comme le fantôme de Muray d'ailleurs ne manque pas de nous le confirmer d'un sourire à peine esquissé.
C'est d'ailleurs, une fois de plus, l'auteur lui-même qui nous donne la clé de ce rituel propitiatoire autour d'une tombe encore fraîche, clé qui nous fait retrouver la magnifique ligne de basse qui cimente l'architecture du XIXe siècle à travers les âges. Cette clé est fort commune, qui ouvre pourtant toutes les portes, y compris celles qui sont réputées être les plus inviolables. Lisons Muray puisque c'est ce que ne font pas, jamais, nos amis les journalistes : «La Révolution française, mouvement de panique contre cette sortie du religieux, sursaut de révolte contre la mort des dieux, tentative de retrouver par la terreur (et d’abord par l’exécution d’un roi de «droit divin», reprise modernisée des rituels sacrificiels de rétablissement de l’ordre social dans les communautés primitives) la légitimité transcendante volée au peuple par le souverain et son clergé, bruits et clameurs contre la désertification de l’espace magique (restauration des fêtes de la Fertilité universelle), ne pouvait donc pas voir le jour dans un pays protestant, par exemple, pour la bonne raison que la Réforme y avait déjà opéré le réancrage rationnel et social du religieux et que les liens de parenté y avaient été énergiquement renoués contre la Rome vaticane déréalisante, déterritorialisante, désubstantifiante» (p. 344).
Les festivités qui ont depuis quelques semaines lieu autour de la dépouille de Philippe Muray sont donc liées à une cérémonie propitiatoire, voire fertilisante, sur laquelle Jeanne Favret-Saada a mené ses patientes enquêtes qui toutes ont révélé le fait que, à l'insu bien sûr de celles et ceux qui en constituent les participants enfiévrés, les prestiges secrets du sacré ne s'exposent jamais mieux que dans les mouvements de foule. La ruse de notre âge est de remplacer par une fausse spontanéité l'évidence charnelle tout autant que symbolique de gestes parfois incompris, transmis néanmoins pieusement au fil des générations, qu'il s'agisse de rites impies ou de survivances de croyances païennes. L'âge de la masse a étendu la surface sur laquelle le sacré va agir, faisant lever la pâte du présent insignifiant, parce que cet âge sans âme ni cœur est incapable de totalement le détruire : de quelques personnes vivant en vase clos, communautés religieuses fanatisées ou petits villages gagnés par les démangeaisons de l'interdit, nous voici face à des océans d'être indifférenciés dont les pensées, toutes semblables, paraissent agitées d'un lent mouvement cauchemardesque.
Un mort attire toujours les vivants, pas besoin de lire Monsieur Ouine pour nous en convaincre. Un mort permet aux vivants de se croire plus vivants qu'ils ne le sont en vérité. Ainsi, le consternant spectacle que nous avons sous les yeux est-il le contraire même d'une œuvre critique qui, pour sa part, tenterait de redonner vie, à l'abri des regards curieux, au fantôme qu'est Philippe Muray. Les journalistes se nourrissent d'un mort formidable, eux qui ne vivent pas. Le véritable critique doit rendre Muray à la vie, commander à Lazare de sortir de son tombeau puant, lui redonner chair et réelle présence, en montrant que ses textes ont parfaitement sondé les reins de notre époque, en montrant que Philippe Muray est plus vivant que ses zélateurs nécrophages et ses livres plus réels que leur propre langue saponifiée.
Notre seul guide, dans ce petit exercice de lecture ? Philippe Muray, encore, jamais aussi passionnant que lorsqu'il utilise son flair infaillible pour déterrer l'unique truffe qui fait rêver tous nos cochons : «La connaissance et l’analyse théologiques passeraient donc aujourd’hui par des formes inconnues des pères de l’Église et qui les surprendraient plutôt ? Oui, et il me paraît démontrable, par exemple, que l’enquête accomplie dans ses romans ou nouvelles par quelqu’un comme Flannery O’Connor en plein Sud américain, au cœur même de l’occultisme yankee halluciné, cet autre western hérétique et chamanique mettant en scène des prêcheurs ambulants, des révérends délinquants, des baptistes fous, des guérisseurs échappés d’asile poursuit à sa façon les extraordinaires reportages de saint Irénée de Lyon ou de saint Épiphane sur les officines gnostiques des premiers siècles chrétiens…» (pp. 259-260).
Dans un texte intitulé Il n’y a que la mauvaise foi qui sauve datant de 1985, dont ma note a du reste parodié le titre, Philippe Muray affirme encore que : «La fiction, toute la fiction, toute la nécessité du roman, sortent du coup de théâtre du péché, de l’intuition d’une impureté ou au moins d’un malentendu de base, d’une racine sombre et gluante au fond du fond, d’une Défaite terrible à l’heure du big-bang» (p. 256).
Spécifiquement religieux ou tout simplement utilisant la ruse de l'oraison qu'est le sacré aux milliers de visages, le Verbe ne peut en finir d'épuiser sa cargaison de signes incompréhensibles pour qui refuse de braquer son regard sur un horizon bruissant de révélations.
La conclusion de cette note que l'on affirmera être, dans le meilleur des cas, discordante, est une prière, comme toute conclusion qui se respecte : «Un écrivain religieux, loin du bornage de nos repères plombés, esquisse un vol nomade insaisissable, transversalement, au-dessus des frontières. Un écrivain religieux ne peut être que le véritable nomade de notre temps sans religion, mais plein du bruit et de la fureur de sa mort ressassée» (p. 191).
Un écrivain lucide aussi, cher Philippe Muray.

Notes
(1) Philippe Muray, Rejet de greffe (Exorcismes spirituels, 1) (Les Belles Lettres, 2006), p. X. Les références entre parenthèses renvoient à cet ouvrage, bien évidemment recueilli dans le fort volume récemment publié par Les Belles Lettres. La citation placée en exergue de cette note provient de ce même volume, p. 376 (originellement : La mondification (Autopsie du pacifisme), L’Esprit libre, n°12, 1995).