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lundi, 05 janvier 2009

Le Front Populaire contre les étrangers

Le Front Populaire contre les étrangers

Le Front Populaire contre les étrangers
"Les élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936 voient la victoire du Front populaire. 378 sièges pour la gauche contre 222 pour la droite. Pour la première fois de son histoire, le parti socialiste, avec 149 sièges et 27 apparentés, est le plus important de l'Assemblée. Plus de soixante-dix ans plus tard, la gauche française revendique encore l'héritage de cette victoire. Les images d'Épinal ne manquent pas pour décrire cette période qui s'acheva le 18 avril 1938 avec la démission de Léon Blum. La gauche n'a pas oublié ces années de lutte : les congés payés ; la semaine de quarante heures ; la création de délégués du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés ; les nationalisations.

Et la politique des socialistes à l'égard des étrangers ? La gauche l'a inconsciemment effacée de sa mémoire car elle ne correspond pas à sa mythologie. Et pour cause. Si elle se souvenait, elle croirait que les élections de 1936 ont vu l'accession au pouvoir d'une droite réactionnaire et xénophobe. Elle en viendrait à renier Roger Salengro, ministre de l'Intérieur du Front populaire, érigé en héros après qu'il se soit suicidé à la suite d'une campagne de presse attribuée à l'hebdomadaire d'extrême droite Gringoire. Le 2 octobre 1936, Salengro répond à une question posée par un député de la Moselle sur les expulsions récentes d'ouvriers étrangers de Lorraine. Sa réponse ferait aujourd'hui scandale : « Les décisions prises à l'égard des étrangers expulsés à la suite des incidents de Moyeuvre-Grande ont toutes étaient motivées par des raisons graves : l'attitude particulièrement violente des intéressés qui, parfois, ont manqué de la correction la plus élémentaire à l'égard des autorités locales, justifie pleinement de telles mesures. Si le gouvernement entend rester fidèle à tous les principes humanitaires et faire tout spécialement honneur aux traditions d'hospitalité, il ne saurait tolérer que les étrangers abusent de l'asile qui leur est offert en intervenant dans les conflits politiques et sociaux. » Une expulsion pour un manquement aux règles de la correction. Le refus de voir les étrangers s'immiscer dans la vie politique et sociale de la France. Délires de Jean-Marie Le Pen ? Non, simplement la position d'une des figures légendaires du Front populaire.

Roger Salengro ne s'arrête pas en si bon chemin. Le 14 août 1936, il adresse aux préfets une circulaire appelant à la plus grande fermeté face aux réfugiés allemands. Le ton est donné. L'heure n'est pas au laxisme : « Il importe de ne plus laisser, désormais, pénétrer en France, aucun émigré allemand et de procéder au refoulement de tout étranger, sujet allemand ou venant d'Allemagne, qui, entré postérieurement au 5 août 1936, ne serait pas muni des pièces nécessaires (passeport régulièrement visé ou autorisation spéciale), ou chercherait à se maintenir au-delà du délai fixé par son visa consulaire... Ces mesures de bienveillance et d'attente ne devront pas jouer, bien entendu, à l'égard de ceux qui vous paraîtraient, par leur attitude, leur conduite ou la gravité des faits ayant motivée la sanction intervenue, mettre manifestement en péril l'ordre public et la sécurité nationale. » Nous étions en 1936. Hitler était au pouvoir. Les persécutions à l'égard des juifs et des communistes avaient commencé. Les socialistes français le savaient. Roger Salengro ne pouvait l'ignorer. Pourtant, il refuse l'accueil des étrangers fuyant le régime nazi. Quant à ceux qui mettraient en danger l'ordre public et la sécurité nationale, ils ne méritent qu'une sanction : l'expulsion. Que pouvait suggérer le ministre socialiste par de tels comportements ? Peut-être une manifestation discrète contre le gouvernement allemand ? Sans doute une protestation contre un régime manifestement totalitaire. Rien de très organisé. Rien de particulièrement violent. Et, en tout état de cause, la mise en danger de l'ordre public ne pouvait résulter que de quelques individus isolés. Nous étions loin de Villiers-le-Bel. Loin des policiers agressés. Loin des écoles, des voitures et des bibliothèques incendiées. À mille lieux des insurrections urbaines qui agitent la France depuis plusieurs années. Pourtant, la gauche française, avec le soutien de la droite, n'hésitait pas à employer les grands moyens face à des étrangers qu'elle estimait, à tort ou à raison, dangereux pour l'ordre public. Personne, à l'époque, n'aurait osé crier à l'extrémisme ou au fascisme.

Le Front populaire ne s'arrête pas à ces interventions et circulaires de Roger Salengro. Le 11 décembre 1936, le gouvernement prend dix décrets de protection de la main-d'œuvre nationale, en application de la loi du 10 août 1932. Dans dix secteurs d'activité, chaque décret fixe la proportion maxima de travailleurs de nationalité étrangère. C'est ainsi que, dans les laiteries et fromageries du Cher, le maximum est fixé à 10% dès l'application du décret et à 5% six mois après. En Meurthe et Moselle, ce sont les fabriques de produits céramiques, de chaux, plâtre et ciment, de faïence et porcelaine qui sont tenues de limiter l'emploi de main-d'oeuvre étrangère. Dans le département du Pas-de-Calais, terre ouvrière par excellence, les tuileries et briqueteries sont tenues de ne pas employer trop d'étrangers. C'est également le cas des fabriques de bouchons et objets en liège des Bouches-du-Rhône. N'échappent pas non plus aux quotas les chantiers de construction et de réfection des voies ferrées d'une multitude de départements comme l'Ardèche, l'Aube ou la Lozère. Autrement dit, pour la gauche des années 1930, défense des travailleurs rime avec préférence nationale. D'ailleurs, cette politique porte ses fruits puisque, de 1931 à 1936, la population étrangère en France serait passée de 2,9 millions à 2,5 millions. La gauche ne voit pas de contradiction entre cette politique et les valeurs républicaines qui inspirent son action. Tout juste un décalage entre les contraintes du réel et son idéal internationaliste ?

Si les étrangers doivent s'éclipser au profit des Français en matière de travail, on les oblige aussi à se tenir tranquilles. Il n'est pas question qu'ils participent à la moindre agitation politique. Le 26 janvier 1937, un décret dissout le mouvement de l'indépendantiste algérien Messali Hadj, l'Étoile Nord-Africaine, dont le siège se trouve rue Daguerre à Paris14. Cette politique, qui soulèverait aujourd'hui l'indignation de la gauche française et de l'ensemble des associations anti-racistes, indispose-t-elle le parti communiste de l'époque ? En aucune manière. Celui-ci en rajoute même dans la propagande nationaliste. Avant même l'avènement du Front populaire, Jacques Duclos signait un article en première page de L'Humanité au titre éloquent : « La France au Français ». Deux ans plus tard, le parti n'a pas varié. Le 28 septembre 1937, Maurice Thorez, son secrétaire général, s'exclame lors d'un meeting au Vélodrome d'hiver : « Asile sacré aux travailleurs immigrés chassés de leur pays par le fascisme, mais répression impitoyable contre les agents étrangers de l'espionnage et du terrorisme fasciste et contre leurs complices français. Nulle xénophobie ne nous anime quand nous crions « La France aux Français ». Pourrait-on imaginer aujourd'hui Marie-Georges Buffet reprendre à son compte un slogan pourtant moins agressif : « Les Français d'abord » ?"

Source : Thierry Bouclier, La République amnésique, Perrin, 2008.

H. Laxness : Katholik; Kommunist, Befreiungsnationalist

Katholik, Kommunist, Befreiungsnationalist

http://www.deutsche-stimme.de/

Vor 10 Jahren starb der isländische Nobelpreisträger Halldór Laxness

Interessant an dem großen isländischen Erzähler Halldór Laxness ist nicht so sehr die Tatsache, daß er als junger Mann vom Protestantismus zum Katholizismus konvertierte (Taufe: 6. Januar 1923). Auch nicht, daß er schon wenige Jahre später ein eifriger Parteigänger der Sache Lenins und Stalins wurde (den Beitritt zur isländischen Volksfrontpartei aus Sozialisten und Kommunisten jedoch bis 1938 hinauszögerte).

Laxness, der in seiner katholischen Lebensphase mit dem Gedanken spielte, Benediktiner- oder Jesuitenpater zu werden, übertrug seine Glaubensinbrunst auf den Kommunismus. Von besonderem Interesse an seinem Leben ist eher der Umstand, daß er als Angehöriger eines jahrhundertelang unterdrückten Volkes auch in seinen kommunistischen Lebensjahrzehnten Ansichten äußerte, die man heute eher dem modernen Befreiungsnationalismus zuordnen würde.
Der Nationalismus kann sich mit anderen Ideologien verbinden. So gibt es nationalkonservative, nationalliberale, nationalsozialistische und nationalkonservative Strömungen. Laxness verstand den Kommunismus als wirksame Befreiungslehre gegen den Imperialismus des 20. Jahrhunderts, der auch sein Volk bedrohte.

Laxness hätte kein Verständnis dafür gehabt, wenn man um der Reinheit der marxistisch-leninistischen Lehre willen von ihm verlangt hätte, Volk und Nation als dominierende Lebenswirklichkeiten zu negieren. Am 8. November 1939 schrieb er in einer isländischen Zeitung: »Der Imperialismus hat nichts mit Nationalität zu tun, sondern ist seiner Natur nach eine internationale Verschwörung von Dieben, die allzeit bereit sind, sich darum zu schlagen und zu prügeln, wer das Vorrecht haben sollte, die Welt zu bestehlen und zu plündern, unschuldige Völker zu knechten, sich die Reichtümer der Nationen anzueignen und diese zu ihrem Zweck zu versklaven; und die Methode, ihre noblen Interessen zu verfolgen, ist die, die Nationen in Blut zu ertränken.«

Gegen den Imperialismus

Freilich erkannte Laxness damals nicht, daß alle diese negativen Kennzeichnungen auch auf den Sowjetimperialismus zutrafen. Dies ging ihm erst andeutungsweise auf, als er im Zuge der Entstalinisierung nach 1953 seine kommunistische Verbohrtheit verlor und 1956 durch die sowjetische Vergewaltigung Ungarns geschockt wurde.

Worauf gründete die nationale Einstellung des Isländers Laxness? Maßstab gerade für eine kleine Nation ist, so Laxness, die Kultur, die sie hervorbringt. Er selbst fühlte sich berufen, in diesem Sinne die kleine isländische Kulturnation in die Modernität des 20. Jahrhunderts zu führen. 1932 brachte er es in einem Brief auf die Formel: »Es ist ein Unglück für einen Schriftsteller, in einem kleinen Land am Rande der Welt geboren zu sein, verdammt zu einer Sprache, die keiner versteht. Aber ich hoffe, daß die Steine Islands eines Tages zur ganzen Welt sprechen werden, durch mich.«
Die Verleihung des Nobelpreises für Literatur (1955) bestätigte ihm, daß sein Werk »Land und Volk zu Ruhm und Ehre« gereichen konnte. Nationalität und Humanität gehörten für ihn, wie er beim Empfang des Preises betonte, zusammen: »Wenn ein isländischer Dichter seine Herkunft vergißt, die in der Tiefe der Volksseele liegt, dort, wo die Saga zu Hause ist, wenn er seine Verbindung und seine Verpflichtung gegenüber dem bedrohten Leben verliert, dem Leben, das mich meine alte Großmutter gelehrt hat, dann ist der Ruhm so gut wie wertlos; und ebenso das Glück, das Geld beschert.«

Für die Freiheit seines Volkes

Ein Hurrapatriotismus war nicht Laxness‘ Sache. Im Mai 1939 sagte er bei einem Treffen sozialistischer Jugendverbände auf Island: »Nicht der ist der größte Patriot, der die Heldensagen der Nation am lautesten preist und ständig die Namen der berühmtesten Männer auf den Lippen führt, sondern der, der zugleich auch die Leiden seines Volkes versteht, den schweigenden Kampf der zahlreichen namenlosen Menschen, die es nie auf die Seiten der Geschichtsbücher gebracht haben … Der Patriot erkennt nicht nur die Stärke seines Volkes und dessen Erfolge gebührend an, er weiß auch, besser als jeder andere, wo die Erniedrigung am bittersten, die Niederlage am größten war.«
Das Wissen um die jahrhundertelange dänische Unterjochung Islands sensibilisierte Laxness für den Freiheitskampf seines Volkes. Erst am 1. Dezember 1918 konnte die bedingte Unabhängigkeit Islands errungen werden; der dänische König blieb jedoch in Personalunion noch Staatsoberhaupt der Republik (!) Island.

Am Unabhängigkeitstag des Jahres 1935 durfte Laxness bei den Feierlichkeiten die Hauptrede halten, die vom Rundfunk übertragen wurde. Er nutzte die Gelegenheit, um Befreiungsnationalismus und Volksfrontpolitik miteinander zu verknüpfen: »Wir stehen jetzt am Höhepunkt des Freiheitskampfes des isländischen Volkes: Isländische Männer, isländische Frauen, nehmt den Kampf noch heute auf, haltet diesen Tag der Unabhängigkeit und der Freiheit heilig, indem ihr euch vereint in der Volksfront, der Union aller Kräfte… gegen die ausländische und inländische Unterdrückungsmacht in Form des Bankenkapitals, des Finanzgroßkapitals, dieser schlimmsten Feinde der lebendigen und sich mühenden Menschheit auf Erden, die auch in diesen Tagen danach streben, ihre Pranken auf unser Land zu legen, auf jede einzelne atmende Brust.«

Erst 1944 erlangte Island die völlige Trennung von Dänemark. Laxness: »Es war bemerkenswert, wie jeder Einwohner des Landes in diesen Tagen das Leben der Nation als sein eigenes empfand, als ob jeder Mensch, gebildet oder ungebildet, die lebendige Geschichte des Landes in seiner Brust spürte.«
Laxness war ein sehr merkwürdiger Kommunist, denn was er hier beschrieb, war nichts anderes als die punktuelle Realisierung eines uralten nationalistischen Ideals: des Gedankens der Volksgemeinschaft. Dem isländischen Befreiungsnationalismus setzte Laxness mit seinem Roman »Die Islandglocke« (3 Bde., 1943 – 1946; deutsch: 1951 bzw. 1993) ein Denkmal. Die Glocke wird darin zum Symbol für Erniedrigung und Wiederauferstehung des isländischen Volkes.

Im Kampf gegen die USA

Weist »Die Islandglocke« ins 17. und 18. Jahrhundert zurück, so spielt der Roman »Atomstation« (1948, deutsch: 1955 bzw. 1993) in der Zeit nach dem Zweiten Weltkrieg. Mit diesem Roman und zahlreichen Artikeln kämpfte Laxness gegen die Abtretung von Landrechten an die USA (zwecks Errichtung eines militärischen Stützpunktes). Seine Parolen lauteten damals: »Island darf nie eine Atomstation ausländischer Kriegsgewinnler werden« und »Wir Isländer wollen das uneingeschränkte Hoheitsrecht über unser ganzes Land«.
In deutscher Sprache ist das großartige Erzählwerk dieses Isländers inzwischen in der elfbändigen Werkausgabe (abgeschlossen 2002) leicht zugänglich. Im Dritten Reich konnte nur ein Titel des Autors erscheinen.
Nach dem Zweiten Weltkrieg wurde Laxness in der DDR stark gefördert, obwohl seine fiktionalen Werke nur in sehr begrenztem Umfang Träger einer sozialistisch-kommunistischen Botschaft waren und auch nicht den Vorgaben des sozialistischen Realismus entsprachen.

1958, zu einem Zeitpunkt, als er schon stark von seiner früheren kommunistischen Begeisterung abgerückt war, mokierte sich Laxness in einem Brief an seine Frau über die »miese Atmosphäre in Ostdeutschland«. Für die Politik der DDR hatte er nur ein vernichtendes Urteil übrig: »Ich glaube, Ostdeutschland verdient den Preis des übelsten Dreckslandes, in das ich je gekommen bin, schließlich geht es nicht mit rechten Dingen zu, daß innerhalb weniger Jahre 3 Millionen Menschen aus dem Land geflohen sind. Im Vergleich zu den Bevölkerungszahlen in Skandinavien wäre es dasselbe, wenn in weniger als zehn Jahren alle Norweger aus Skandinavien fliehen würden.«

Wenig schmeichelhaft ist auch, was Laxness 1970 einem Freund über die Untertänigkeitshaltung in beiden Teilen Rumpfdeutschlands mitteilte: »Übrigens, wie ich aus den beiden Teilen Deutschlands höre, sind alle mit ihren jeweiligen Besatzungstruppen zufrieden.« Eine solche Beobachtung verwundert nicht: Laxness´ Blick war durch die Beschäftigung mit der jahrhundertelangen dänischen Besatzungspolitik in Island hinreichend geschärft.

Josef M. Rauenthal

Entrevue avec Domenico Fisichella sur la notion de totalitarisme

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

Entrevue avec Domenico Fisichella sur la notion de totalitarisme

par Giovanni SEMPLICE

Il a cinquante-deux ans et les porte bien. C'est un savant qui jouit d'un prestige international et ses travaux sont publiés à Oxford, à l'Université de Californie, à la Sorbonne, au Centre d'Etudes constitutionnelles de Madrid. Son nom: Domenico Fisichella, professeur ordinaire de Science de la Politique auprès de la Faculté des Sciences Politiques de l'Université "La Sapienza" à Rome. Il enseigne aussi à l'Université Libre Internationale des Etudes Sociales (LUISS). Pour le grand public, il est connu comme étant l'éditorialiste du quotidien  La Nazione de Florence, auquel il a collaboré d'avril 1971 à mars 1977, et comme chroniqueur à Il Tempo de Rome.

Son livre le plus récent, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo (La Nuova Italia Scientifica, Ro-me, 1987) constitue une vaste recherche, toute emprein-te de lucidité. L'analyse théorique y est enrichie d'une énorme érudition historique et l'auteur réussit un tour de force: préciser avec minutie un concept central pour la compréhension de l'un des phéno-mè-nes politiques protestataires des plus inquiétants qu'ait jamais connu l'histoire.

C'est de cet ouvrage fondamental que nous nous sommes entretenu avec Domenico Fisichella dans le bureau de sa belle maison de Parioli.

Ma première question concerne directement la loca-li-sation historique du phénomène to-ta-litaire. Pourquoi celui-ci s'inscrit-il dans notre temps? Qu'est-ce qui le distingue des autres formes autocratiques que l'hu-manité a connues jusqu'ici?

Ma réponse renvoie aux caractères propres du XXème siècle. Nous avons une société massifiée, mar-quée par la disparition des distinctions de classe traditionnelles, nous constatons l'émergence de ni-veaux significatifs dans le développement technolo-gique, nous observons des crises de légitimité dans de nombreux pays ainsi que des soubresauts dus à la transformation radicale soit des processus politiques soit des processus socio-économiques ou socio-culturels: sur un tel terrain peut s'alimenter le grand et terrible projet des mouvements totalitaires, qui est de créer l'homme nouveau et l'ordre nouveau. Ces fac-teurs, combinés les uns aux autres, ne se sont jamais rencontrés conjointement dans aucune réalité anté-rieure. Le totalitarisme est donc bien fils de notre temps parce qu'il exprime, dans ses formes et dans son contenu, lesquels sont dramatiquement exas-pérés, distordus, désordonnés et dépourvus de toute espèce de discrimination, l'anxiété des hommes face à l'innovation et à la transformation du monde dans lequel nous vivons.

Placé sous cet angle, quelle est la différence entre un régime totalitaire et un régime autoritaire?

Les différences sont multiples. Je me limiterai à en si-gnaler deux. Pour commencer, tous les régimes totalitaires sont à parti unique, tandis que nous con-nais-sons des régimes autoritaires sans partis, à un seul parti ou à plusieurs partis (dans ce dernier cas, toutefois, dans un contexte non compétitif). Ceci dit, tandis que dans les régimes autoritaires monoparti-tes, l'Etat demeure ou tend à demeurer dans une po-si-tion supérieure et primordiale par rapport au parti, comme dans le cas de l'Espagne franquiste voire dans celui de l'Italie fasciste; dans les régimes tota-li-taires, au contraire, le parti prévaut par rapport à l'E-tat et évide ce dernier de sa signification générale pour s'en appro-prier au nom de l'idée que représente le parti et celui-ci devient ainsi le noyau où germe la société nouvelle: ce processus vaut pour les cas du bolchévisme soviétique, du communisme chinois, du national-socialisme allemand. Et nous pouvons pas-ser à la seconde différence. C'est, en gros, celle du rapport entre régime et société, entre régime et culture. L'autoritarisme montre une compatibilité avec les divers niveaux significatifs du pluralisme so-cial (dans la double dimension économique et culturelle) et les respecte en règle générale. Mais il nie le pluralisme politique. Le totalitarisme, en re-van-che, est intimement anti-pluraliste à tous les ni-veaux et se doit, en conséquence, de détruire toutes les articulations et toutes les autonomies de la vieille société afin de bâtir l'ordre nouveau.

Quand on prend acte de ce schéma, quelle plausibilité acquiert la thèse qui décrit le national-socialisme comme un mouvement et un système de pouvoir bourgeois, comme le produit et la "longue main" des intérêts du capitalisme et de ses exigences en matières de marché et d'hégémonie civile?

A mon avis, de telles interprétations sont désormais am-plement réfutées, vu que nous connaissons l'is-sue tragique du nazisme. Le parti nazi, loin d'être une projection de la bourgeoisie, de ses valeurs et de ses intérêts, en est profondément éloigné. Tout com-me sont très distinctes l'orientation globale du con-servatisme et l'orientation globale du national-socia-lisme. Sans aucun doute, dans la phase d'érosion de la République de Weimar, quand les nazis partirent à la conquête du pouvoir, il y a eu de nombreuses col-lu-sions entre les milieux conservateurs et les mi-lieux nazis, toutes dues, il faut le dire, à une mé-com-pré-hension de la nature véritable du mouvement hitlé-rien. Toutefois, tandis que la polémique conserva-trice dirigée contre la République de Weimar et son système démocratique tendait plutôt à instaurer un ré-gime autoritaire "qualitatif", l'action des natio-naux-socialistes s'efforçait de construire un régime to-talitaire "quantitatif", basé sur les masses. Il est vrai que parfois le capitalisme bourgeois peut, pour as-surer la sauvegarde de ses intérêts économiques, recourir à un instrument politique de type autoritaire, mais penser que ce capitalisme puisse aspirer à un régime totalitaire est une contradiction dans les ter-mes, surtout parce que le totalitarisme, précisément, vise à établir une économie non économique, c'est-à-dire une économie totalement subordonnée à la po-litique, alors que le bourgeoisisme se montre jaloux de préserver sa conquête: l'autonomie de la dimen-sion éco-no-mique.

Le thème central des deux cents solides pa-ges de  Totalitarismo. Un regime del nostro tempo met en exergue un trait distinctif du type politique totalitaire: la révolution permanente. Le totalitarisme est, en deux mots, un régime de révolution, d'une révolution qui ne s'arrête pas. Comment alors ce régime de révolution est-il compatible, lui qui postule une fracture dans le flux de l'his-toire, avec l'idée de permanence, qui sous-tend toujours, de quelque mode que ce soit, le principe de continuité?

Votre observation est subtile. L'apparente con-tradic-tion s'estompe si nous parvenons à percevoir la ré-vo-lution comme un processus et l'histoire comme une succession de déstabilisations induites, et ce, dans une optique de mouvement, de lutte continue. L'idée de "lutte continue", en fait, est proprement to-talitaire. Dès que le pouvoir est conquis, le mouve-ment poursuit la révolution, en l'appliquant cette fois du haut et en déstabilisant la société par une succes-sion d'"ondes" subversives. Cela peut paraître paradoxal, mais le désordre est le trait le plus spécifique du totalitarisme, qui "attend" l'avènement d'un or-dre nouveau qui n'arrive jamais.

(Interview extrait de la revue  Intervento n°82-83, août-octobre 1987; traduction franç.: R. Steuckers; adresse: Intervento, c/o Gruppo Editoriale Ciarra-pi-co, Piazza Monte Grappa 4, I-00195 Roma; abon-nement pour 6 numéros: 40.000 Lire).