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lundi, 13 mai 2019

Vers un nouveau printemps des études parétiennes?

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Vers un nouveau printemps des études parétiennes?

par Daniel COLOGNE

Vilfredo Frederigo Samaso, marquis de Pareto, est né le 15 juillet 1848 à Paris. Son père y est en exil pour avoir participé à un complot républicain à Gênes. La réhabilitation paternelle lui permet d’entreprendre ses études à Gênes et Turin. Après avoir soutenu une thèse de physique, il devient ingénieur et directeur technique de deux sociétés, l’une ferroviaire, l’autre métallurgique.

Déçu par l’engagement politique, Vilfredo Pareto se lance dans l’étude de la théorie économique, rencontre Léon Walras en 1891 et obtient une chaire d’économie politique à Lausanne en 1893. Il se passionne ensuite pour la sociologie et publie notamment Les Systèmes socialistes. Il soutient Mussolini. Il est nommé sénateur du royaume d’Italie le 23 mars 1923, mais il meurt quelques mois plus tard (le 19 août) à Céligny, face au lac Léman.

Un lycée Pareto existe à Lausanne et j’y ai rencontré Giuseppe Patanè, avec qui j’ai organisé en 1976 une commémoration de la répression de la révolte de Budapest par les chars soviétiques (1956). Patanè avait deux fils : Fabrizio, très sympathique, fort discret et d’un bon niveau, et Massimo, jeune érudit m’ayant fait découvrir que le syndicalisme mussolinien n’avait rien à envier à celui des régimes situés à gauche et intouchable à l’époque dans des medias tendancieux.

L’évocation du syndicalisme permet de faire une transition vers la pensée de Georges Sorel (d’un an plus vieux que Pareto) et vers l’intérêt que suscite l’auteur de Réflexions sur la Violence chez Jean-Pierre Blanchard, pasteur militant de la cause identitaire et auteur de Vilfredo Pareto, génie et visionnaire.

À propos de Sorel, l’auteur rappelle « qu’il a introduit un célèbre distinguo entre force et violence, la force ayant pour but d’imposer un ordre social, alors que celui de la violence est de le détruire (p. 118) ». J’attire aussi l’attention des lecteurs sur l’annexe où Jean-Pierre Blanchard développe l’hypothèse d’une cohabitation inattendue de Nietzsche et de Marx chez Sorel, ce dernier ayant donc pu permettre de « faire mariage » à « l’aristocratie nationaliste réactionnaire » et au « bourgeois communiste révolutionnaire (p. 136) ».

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Le brillant exposé de la sociologie parétienne par le pasteur Blanchard est préfacé par Georges Feltin-Tracol qui espère que l’ouvrage de 2019 sera « l’hirondelle printanière », messagère d’un « renouveau des études parétiennes ! (p. 18) ». Car il faut bien reconnaître l’optimisme excessif de Jules Monnerot et de son pronostic des années 1960 sur « une remontée de la cote Pareto à la bourse des valeurs intellectuelles de l’Europe (p. 17) ».

Et ce malgré l’intérêt jamais démenti de la « Nouvelle Droite » à travers l’admiration vouée à Pareto par Georges Henri-Bousquet (ouvrage paru chez Dalloz en 1971), les références d’Alain de Benoist dans son Vu de droite (1977) et la revue Nouvelle École (1981), les allusions de Louis Pauwels dans son Blumroch l’Admirable (1976) et même, assez récemment, l’influence parétienne observable chez Guillaume Faye dans Mon Programme (2012).

« Toute population sociale est composée de deux couches, une couche inférieure qui comprend tous ceux qui ne réussisent que médiocrement dans la vie et une couche supérieure, l’élite, qui comprend tous ceux qui réussissent, dans quelque domaine que ce soit, et qui se divise en deux : l’élite non gouvernementale et l’élite gouvernementale. » Le pasteur Blanchard précise que, si de bons éléments émergent de la « couche inférieure » et que des membres de « l’élite », « gouvernementale » ou non, s’avèrent défaillants, « la décadence menace toute société qui ne pratique pas la mobilité sociale, la circulation des élites (p. 108) ». L’Establishment britannique fournit un bon exemple de cette « mobilité sociale », mais aussi l’Église catholique, comme le souligne pertinemment en page 73 Éric Zemmour dans son Destin français. Deux ans après le décès de Pareto, le Grand d’Espagne Miguel de Unamuno parle d’« agonie du christianisme » (1925).

Un deuxième stade de la « régression des castes dominantes (Julius Evola) » sévit déjà à travers la simple « magistrature d’influence » exercée par les derniers monarques issus de la noblesse. Ainsi s’exprime l’historien liégeois Léon Balace pour décrire les rois des Belges qui règnent sans gouverner et qui se contentent désormais de pérorer sur l’utopique vivre-ensemble, tant au niveau de leur petite patrie fracturée qu’à celui de la grande et illusoire fraternité mondialiste. L’élite gouvernementale désignée par Vilfredo Pareto est celle de la troisième fonction (en termes duméziliens) ou des « hommes de gestion » (dans le lexique de Raymond Abellio). Les producteurs ne sont pas seulement économiques, mais aussi culturels. Ceux-ci composent l’essentiel de l’élite non gouvernementale (presse, écrivains, artistes de toutes disciplines, animateurs des industries du divertissement, du spectacle et du luxe).

La quatrième fonction des « hommes d’exécution » (Abellio) ne s’est mise en valeur que le temps d’une brève parenthèse historique avec la complicité des penseurs de type sartrien, trop rarement éveillés à l’inanité du déterminisme socio-économique : « Valéry est un intellectuel petit-bourgeois, mais tout intellectuel petit-bourgeois n’est pas Valéry. » Peut-on encore attendre aujourd’hui de la nouvelle caste médiatique dominante ce type de jugement nuancé dont même Sartre était encore capable ? Le mondialisme qu’elle cherche à imposer correspond parfaitement à la nation parétienne de « dérivation », à savoir un ensemble de « manifestations verbales [qui] s’éloignent de la réalité [tout en ayant] une valeur persuasive bien supérieure au raisonnement objectif (p. 67) ».

« Voici ce qui est plus grave : toutes ces idées pures, toutes ces théories, ces doctrines, nous en connaissons la vanité, et l’inexistence au point de vue objectif (p. 81). » Ces lignes du Pasteur Blanchard mettent en exergue le « pragmatisme » de Vilfredo Pareto, dont le préfacier Georges Feltin-Tracol rappelle qu’il est « une référence revendiquée [par Jean Thiriart] dans le cadre de son État central grand-européen (p. 17) ». C’est une raison supplémentaire de lire l’excellent ouvrage de Jean-Pierre Blanchard sur l’auteur du Traité de sociologie générale (1916).

Note complémentaire

Dans une excellente contribution d’août 2018 au site Rédacteurs RH, David Rouiller évoque « l’autre tiers-mondisme », différent de celui qui s’est exprimé dans les livres de Frantz Fanon et de Jean Ziegler et dans les conférences de Bakou (1920) et de Bandœng (1955). On peut l’appeler tiers-mondisme « de Droite », à l’intérieur duquel David Rouiller sépare encore l’ivraie du « fatras » d’Alain Soral et le bon grain de la « Quadricontinentale » de Thiriart et des positions de Guénon et d’Evola en faveur des cultures traditionnelles détruites par la modernité. David Rouiller souligne toutefois que l’installation de Guénon en terre musulmane d’Égypte peut inciter certains guénoniens à développer un « philo-islamisme de Droite », comme le fit aussi la revue évolienne Totalité en 1979 avec son éloge d ela révolution iranienne.

Toujours en août 2018 et sur le même site, David Rouiller aborde la question de « l’avènement du Cinquième État », stade ultime de la « régression des castes dominantes » (Julius Evola). À la manœuvre de ce processus semble opérer une large fraction de ce que Pareto appelle « l’élite non gouvernementale ». Les anciens intellectuels soutenant le prolétariat sont remplacés par les partisans du « chaos social » (René Guénon), une sorte de nouvelle caste dont les contours sont toutefois difficiles à cerner ainsi que le notait déjà dans un article de 1980 le regretté Guillaume Faye.

Daniel Cologne

• Jean-Pierre Blanchard, Vilfredo Pareto, génie et visionnaire, préface de Georges Feltin-Tracol, Dualpha Éditions, coll. « Patrimoine des héritages », 2019, 152 p., 23 €.

jeudi, 18 mai 2017

Elites installées, élites naturelles et populisme...

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Elites installées, élites naturelles et populisme...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur le site Idiocratie, qui rappelle avec talent la différence entre la technocratie prédatrice et l'aristocratie organique...

Élites installées, élites naturelles et populisme

Dans le langage officiel sans cesse martelé, celui des élites installées, le « populisme » semble synonyme d'immaturité politique. Mais, peut-on se demander, ce travers d'immaturité, à quoi conviendrait-il de le reconnaître ? A la fâcheuse volonté de poser certaines questions, notamment celles qui renvoient à des enjeux décisifs ? Curieuse immaturité ! Pourtant, c'est ce qu'expriment nombre de dirigeants politiques, le plus souvent à mots couverts, mais parfois directement comme le fit un jour Ségolène Royal.

Celle-ci répondit en effet à un journaliste qui l'interrogeait quant à la possibilité d'un référendum sur le maintien de la France dans l'UE : « nous croyons en la démocratie, mais nous croyons aux bonnes questions par rapport aux bonnes réponses ». Autrement dit, nous, classes dirigeantes, décidons unilatéralement quelles sont les bonnes réponses. Résultat : il n'y a pas vraiment de questions, pas autrement que pour la forme. Ce qui témoigne d'une vision purement oligarchique de la démocratie et énonce la vérité profonde du système. A ce titre, on ne saurait trop remercier Ségolène Royal pour l'inégalable candeur dont elle fait preuve dans l'expression du cynisme. Pour cela, nul doute, on la regrettera.
 
Remarquons-le, si l'élite dirigeante prétend ainsi exercer une tutelle éclairée sur la communauté politique, c'est précisément parce qu'elle se considère éclairée : elle posséderait d'emblée les bonnes réponses. A vrai dire, le mode de connaissance qu'elle revendique ainsi implicitement procède d'une fonction oraculaire, vieille comme le monde mais jamais disparue. C'est le tropisme archaïque des initiés qu'ont notamment vécu les Romains pendant quelque temps avec les fameux pontifes, détenant seuls la connaissance mystérieuse des règles applicables, et dont la communauté civique s'est par la suite libérée au profit des jurisconsultes et de l'élaboration ouverte du droit. C'est cette tendance récurrente, dans l'histoire des sociétés, selon laquelle se forment périodiquement des castes se voulant productrices et dépositaires d'un savoir, non pas issu d'un effort dialectique, comme toute connaissance exigeante, mais d'un savoir autogène et imposé comme tel. Aujourd'hui, il y a là un trait qui ne trompe pas, quant à la nature oligarchique de l'élite qui nous gouverne.
 
Or, barricadée dans ce fantasme oraculaire, cette élite tente constamment de disqualifier le courant populiste. Non seulement en déniant tout jugement lucide au commun de la population sur ce qui le concerne, mais encore en laissant planer l'idée suivante : le peuple - qui, en pratique, correspond à l'ensemble de la communauté nationale, interclassiste par définition - serait dépourvu d'élites par nature. En somme, l'excellence serait du côté du système (haute finance, grands médias et gouvernants) et la médiocrité dans le camp de ceux qui le subissent. On doit le constater, il s'agit bien là d'une vision dualiste de la communauté politique, dans laquelle existerait ainsi une séparation étanche entre les meilleurs et les autres, vision relevant d'un biais cognitif proprement oligarchique.
 
De fait, la sécession des élites, évoquée par Christopher Lasch, est d'abord une sécession accomplie dans les représentations. L'oligarchie ne conçoit la cité qu'à travers une division de principe : d'un côté, une caste qui, forte du magistère qu'elle n'hésite pas à s'attribuer, exerce un pouvoir unilatéral, de l'autre, une masse indifférenciée. Sur la base de cet imaginaire, cette même oligarchie entretient avec la cité un rapport ambivalent. Elle est dans la cité, mais sans en jouer le jeu. Elle est à la fois à l'intérieur et en dehors, son but, en tout état de cause, n'étant pas de détruire la cité mais de l'instrumentaliser à son profit.
 
Selon une conception traditionnelle de type aristocratique, apparaît au contraire un tout autre rapport entre les meilleurs et les autres, entre le petit nombre et le grand nombre. Prenons ici la notion d'aristocratie non au sens sociologique mais en référence au principe d'excellence réelle. Principe que, comme l'enseigne la moindre expérience, certains individus incarnent mieux que d'autres (d'où une inégalité foncière, différenciation irréductible qui constitue sans doute l'invariant anthropologique le plus embarrassant pour notre époque).
 
L'excellence à la place des oracles
 
On peut observer que, dans le monde hellénique et romain, toutes considérations de statut mises à part, les meilleurs (aristoï, en grec) sont, idéalement, ceux qui pratiquent le mieux les vertus de courage, de sagesse pratique (phronesis) et de justice. Il faut insister ici sur la notion de phronesis. Disposition de la personne au jugement perspicace non dogmatique et sens aigu des limites, elle constitue « l'une des facultés fondamentales de l'homme comme être politique dans la mesure où elle le rend capable de s'orienter dans le domaine public, dans le monde commun », selon les termes d'Hannah Arendt. Cette phronesis, comme l'avait antérieurement montré Aristote, s'inscrit dans une conception délibérative de l'action et notamment de l'action commune. A ce titre, notons-le particulièrement, elle apparaît comme un précieux garde-fou contre toute velléité de sécession.
 
Pour bien saisir à quel point une telle vertu favorise un engagement non faussé dans la vie de la cité, il faut situer la question au niveau des modes de perception commune. Il apparaît en effet qu'en pratiquant la vertu prudentielle de phronesis, les meilleurs, s'ils cultivent une exigence singulière, n'ont pas pour autant un rapport au réel foncièrement différent de celui du peuple en général. Ils procèdent là pleinement de la matrice communautaire. De ce point de vue, il n'y a donc pas de fossé entre les meilleurs et le grand nombre, tous partageant, pour l'essentiel, la même vision du monde. Qu'il s'agisse de mythes, de religions ou de toute autre conception globale de l'existence, il y a unité de tradition. N'en déplaise aux défenseurs d'un lien social magique, prétendument libre de toute détermination, la solidarité du cadre de perception est une condition de la solidarité de destin.
 

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Dans un modèle de ce type, le souci de stabilité qui anime les meilleurs reflète ainsi largement les préoccupations de la population. D'où la volonté aristocratique traditionnelle, attestée dans la Rome antique et dans l'ancienne Europe, d'assurer la protection des mœurs et des coutumes. A rebours de la chimère des avant-gardes éclairées, les meilleurs n'incarnent, à ce titre, que la composante la plus dynamique de la sagesse commune. Aussi n'est-il pas absurde de dire que l'aristocratie bien comprise, loin de tout esprit de caste, n'est que la fine fleur du peuple. Du moins tant qu'elle n'emprunte pas la voie d'un contrôle et d'une transformation de ces mœurs et règles communes et ne se transforme alors elle-même, de facto, en oligarchie, avec son esprit de rupture, sa vulgarité et ses rêves de yachts.
 

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Différenciation et liberté commune
 
On ne doit pas cesser de le dire, la communauté politique, aujourd’hui comme hier, recèle des élites naturelles, lesquelles ne s'adonnent généralement pas à la vaine quête du pouvoir. De toute évidence, le rejet des élites que manifeste le populisme ne relève donc nullement d'une quelconque opposition à la compétence, à l'efficacité, au principe de l'élite en soi. C'est au contraire en vertu de ce principe qu'est contestée la nomenklatura, souvent douée pour l'incurie.
 
Il n’en faut pas moins tenir compte de l’entropie actuelle. Celle-ci peut être enrayée cependant. De fait, en misant davantage sur les ressources de l'excellence, en donnant la priorité à ses élites naturelles, toujours renaissantes, sur les technocraties prédatrices et niveleuses, la communauté peut et doit retrouver toute la vitalité de ses différenciations organiques. Rien n'est pire en effet qu'un peuple réduit à l'état de foule sentimentale et versatile, tantôt saisie d'une saine réactivité, tantôt séduite par les illusionnistes au pouvoir et inclinant à la servitude volontaire. Qui dit foule dit aliénation et, partant, impuissance à défendre la liberté commune : question vitale au cœur de l'enjeu populiste. A cet égard, notons-le, il est bien établi qu'une longue tradition aristocratique, avec son art de la bonne distance, sa lucidité au long cours et sa culture de l'exemple, a beaucoup fait, dans l’histoire européenne, pour la liberté concrète du peuple. C'est précisément à ce rôle salutaire joué par les meilleurs que faisait allusion Ernst Jünger quand il parlait, dans « Le Noeud gordien », de « la liberté élémentaire, c'est-à-dire la liberté des patres*, dont dispose un peuple ». En définitive, serait-il hasardeux de penser qu'un populisme conséquent ne saurait qu'être, au sens indiqué du terme, aristocratique ?
 
Des idiots (Idiocratie, 13 mai 2017)
 
*patres : la noblesse romaine, dans la rhétorique latine classique. Sens symbolique, ici.

vendredi, 15 mai 2015

Brzezinski et la formation des «élites hostiles» en Europe

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Brzezinski et la formation des «élites hostiles» en Europe

Auteur : Nicolas Bonnal
Ex: http://zejournal.mobi

La grande obsession américaine n’est plus de conquérir le peuple, mais de contrôler ses élites. Rien de plus simple : il suffit d’imposer le culte des universités américaines, et l’on se retrouve avec les Young Leaders et les élites hostiles aux manettes ; dette, austérité, immigration et guerre humanitaire au menu.

C’est le fameux et immortel Zbigniew Brzezinski, architecte de la nouvelle guerre froide avec la Russie, qui décrit la nouvelle caste dominante dans sa Révolution technétronique (publié en 1969), qui exalte froidement un homme synthétique et cybernétique, des nations désossées et liquéfiées. Je cite un passage de cet anglais de laboratoire dont le mentor d’Obama a le secret, et qui montre que l’on n’aurait jamais dû renoncer au français comme langue diplomatique – mais nos rois très chrétiens sont partis…

« La création d’une grille globale d’informations facilitant l’interaction intellectuelle en continu et le partage du savoir renforcera le trend présent vers la formation d’élites internationales et l’émergence d’un langage scientifique commun. »

Le stratège devrait quand même indiquer que cette langue internationale est, depuis le traité de Versailles, l’anglais administratif, que nos ministres parlent mieux que leur langue natale. On se souvient, par exemple, de Christine Lagarde qui bredouillait ses premiers discours en français sur LCP. C’est sans doute pour cela qu’elle imposa l’anglais à son ministère, et que Sarkozy a donné un nom américain à son petit parti.

Brzezinski souligne ensuite que les intérêts des nouvelles élites européennes ne seront plus nationaux mais – quel beau mot ! – fonctionnels. Il insiste sur le rôle des universitaires : comme on sait, une grande partie des désastreux Premiers ministres et Présidents de France et d’Italie (Barre, Prodi, Hollande, etc.) sont avant tout des profs d’éco et de peu trépidants universitaires d’extraction keynésienne ou néolibérale, tous soumis à la doxa et à l’enseignement made in America, qui ont assuré à ce beau pays son bellicisme, son immigration clandestine, sa dette, ses déficits ou sa violence urbaine.

Le résultat, Brzezinski s’en moque : pour lui, ce qui importe, c’est l’abolition des frontières et la stricte coalescence de ces élites de mondains et de pédants. L’euro aura marqué cette rage d’unifier à tout prix contre les intérêts économiques et culturels des peuples concernés.

Enfin notre vieux renard prévoyait la réaction populaire et nationale à venir. C’était en 1969. Trois ans plus tard, on créait le Front national.

« Tout cela pourrait créer un fossé entre ces élites et les masses politiquement activées, dont le nativisme exploité par des leaders politiques pourrait marcher contre les élites cosmopolites. »

Une remarque : il n’y a rien de mal à être cosmopolite. Au XVIIIe siècle, nos élites aristocratiques étaient cosmopolites. Aujourd’hui, nos élites de péquenots sont américanisées. Ce n’est pas tout à fait la même chose…


- Source : Nicolas Bonnal

dimanche, 22 mars 2015

Le formatage idéologique et la production des élites: la matrice Sciences-Po Paris

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Le formatage idéologique et la production des élites: la matrice Sciences-Po Paris

par Guillaume Borel
Ex: http://www.arretsurinfo.ch

Les élites nationales sont largement constituées d’entrepreneurs politiques professionnels. La professionnalisation de l’univers politique induit des contraintes électorales majeures qui touchent à la reproduction du pouvoir politique. Cette dernière s’effectue à travers un processus électoral dont le caractère aléatoire demande à être maîtrisé par les différents acteurs. Dans ce contexte, la production et la reproduction de l’idéologie dominante constitue ainsi une garantie de conformité aux différents entrepreneurs à même de faciliter leur maintien au pouvoir. Le conformisme politique à la doxa dominante et la capacité à se situer à l’intérieur du consensus médiatique dominant sur les sujets économiques et sociétaux ont jusqu’à présent donné les meilleures garanties d’adhésion électorale. Les élites politico-médiatiques produisent et reproduisent ainsi un discours ordo-libéral qui se veut consensuel et qui se base sur une expertise mondialisée. Les lieux de production de cette idéologie sont constitués au niveau international par les structures du Nouvel Ordre Mondial telles que le FMI, l’OCDE, l’OSCE ou encore l’Union Européenne. Au niveau national, les institutions assurant la formation des élites participent également à la production de cette doxa à la prétention universelle.

Les deux hauts lieux de la production et du formatage des élites au niveau national sont Sciences-po Paris et l’Ecole Nationale d’Administration, qui fournissent les plus gros contingents des cadres politiques et médiatiques. Penchons-nous sur la première.

Sciences-po Paris : la matrice de l’oligarchie

Sciences-po Paris demeure à ce jour l’école diplômante de référence concernant les cadres du secteur politique et administratif mais également du milieu médiatique. L’école se présente comme une passerelle entre « savoir académique et professionnalisation, entre culture générale et sens de l’action. » et se veut généraliste. Son objectif est ainsi de former des cadres dans un « large éventail de métiers » correspondants à ses différentes spécialisations au niveau du Master qui se déclinent en plusieurs grands domaines :

- La presse, les médias et l’édition, soit la production et la mise en circulation du savoir et de l’information.

- Les ressources humaines et les relations sociales, soit les structures du management et de la communication.

- Les carrières juridiques, qui visent les services juridiques des grandes entreprises et des institutions nationales et internationales

- La finance, qui vise les cabinets de conseils et d’audits des secteurs bancaires et financiers, mais aussi les « organismes de régulation financière ». On voit donc ici que les régulateurs comme les lobbyistes sont issus du même parcours de formation…

- L’administration publique et politique, avec notamment la préparation aux concours de cadres supérieurs de la fonction publique.

- La coopération internationale et le développement, qui ouvre l’accès aux postes à responsabilité dans le secteur des ONG et des structures du nouvel ordre mondial comme l’OMC ou le FMI…

- Enfin, le secteur de la recherche et des think-tanks, qui sont indifférenciés dans le parcours de formation de Sciences-po, ce qui signifie donc une articulation pratique entre les activités de recherche et de lobbying, c’est à dire d’influence idéologique.

La simple énonciation des formations dispensées par Sciences-Po Paris révèle une imbrication des secteurs publics et privés, des activités de recherche et de lobbying, des activités de régulation et de communication, des activités politiques et médiatiques, qui souligne déjà la collusion existant dans la formation des élites entre les intérêts privés et publics, et qui renvoie plus généralement l’image d’une matrice de production et de reproduction de l’oligarchie dominante, quel que soit son secteur d’activité. Ce que produit donc avant toute autre chose Sciences-po Paris, c’est une collusion d’intérêts et leur reproduction.

L’école a également développé la co-pénétration des sphères publiques et privées, et érigé le conflit d’intérêt comme mode de formation privilégié. Elle annonce ainsi sur son site Internet que :

« Les élèves sont orientés vers la prise de responsabilités, grâce aux enseignements de plus de 4000 praticiens venus du monde professionnel ».

Autre point essentiel de la production de l’idéologie du Nouvel Ordre Mondial visant à détruire les souverainetés et les appartenances nationales, l’école développe également une « culture de l’international ». La subtilité sémantique est ici intéressante à souligner : il ne s’agit pas d’une « culture internationale » qui viserait avant tout à découvrir la richesse et la diversité culturelle d’autres nations mais de développer à l’inverse, une « culture internationale », c’est à dire une culture de la mondialisation qui consiste précisément à nier et à dépasser les différences et les spécificités interculturelles. Il s’agira précisément pour l’étudiant d’aborder « tous les sujets à l’échelle de l’Europe et du monde »…

Cette dimension mondialiste se retrouve sans surprise dans le recrutement de l’école qui ambitionne de former l’élite mondiale sans distinction de nationalité. Ainsi, 46% des étudiants sont étrangers et proviennent de 150 pays. L’école est également insérée dans un réseau de formation de l’élite internationale par son appartenance à plusieurs réseaux universitaires comme l’Association of Professional Schools of International Affairs, ou le Global Public Policy Network.

L’école ne cache pas sa prétention à constituer un réseau oligarchique mondial totalitaire, c’est à dire recouvrant tous les champs du pouvoir, médiatique, politique, et économique. Elle se vante sur son site Internet d’avoir constitué « […] une communauté de plus de 65 000 anciens élèves qui, pour nombre d’entre eux, occupent des postes à responsabilité dans des secteurs aussi variés que l’audit, la diplomatie, la presse et les médias, le secteur social, le développement durable, la finance, la fonction publique, la culture… en France comme à l’international. »

On voit donc le but opérationnel de l’éventail des formations proposées par l’institution et touchant tous les domaines du pouvoir : la constitution d’un vaste réseau élitiste, que l’on peut qualifier d’oligarchie mondiale. L’école invite d’ailleurs explicitement ses anciens élèves à « rester connectés à leur alma mater au-delà de leur passage rue Saint-Guillaume, à former un réseau professionnel solidaire. »  On ne saurait être plus explicite…

L’association des anciens élèves de Sciences-po Paris anime à cet effet un ensemble de clubs, de cercles et de groupes, afin de renforcer le réseau relationnel de ses membres et favoriser les passerelles entre les différents diplômes, dans un souci de promotion du conflit d’intérêt.

Le cercle Sciences-po HEC se donne ainsi pour but « de renforcer les liens entre les diplômés passés par les deux écoles, tout en affermissant leurs liens avec Sciences Po et l’association des anciens. Il a également vocation à servir de lieu d’échange et de solidarité entre les différentes promotions du double diplôme. » Quoi de plus naturel en effet que de développer la solidarité entre le monde économique et la haute administration ?

Les différents clubs disponibles sur le réseau des anciens élèves de Sciences-Po Paris constituent une bonne photographie des loisirs et pratiques culturelles de la classe supérieure et ne laissent aucun doute sur l’origine sociale de ses membres.

On trouve entre autres un club Golf (409 membres), un club Opéra (l’un des plus largement représenté avec 1576 membres), un club Polo (160 membres), un club Sciences-po Millésimes, dédié à la dégustation des grands crus (1416 membres) ou encore un club Sciences-po de la mer, dédié aux sports maritimes et au nautisme (471 membres).

A ces cercles, et ses clubs, qui favorisent le développement d’un réseau d’affaire professionnel de type oligarchique ainsi que les conflits d’intérêts, il faut ajouter les groupes professionnels.

Comme les structures relationnelles précédentes, les groupes professionnels ont pour objectif de favoriser la « culture du réseau » et la mise en relation des diplômés de l’école, ainsi que de créer des passerelles d’intérêts entre les différents secteurs professionnels, c’est à dire de développer une fois encore une « culture du conflit d’intérêts ». Le groupe le plus populaire est sans surprise le groupe Finance, qui compte 5019 membres. Il propose une série de 8 rencontres annuelles baptisées « les jeudis financiers de Sciences-po ». Ces rencontres permettent des échanges « sans langue de bois » avec des personnalités du monde de la finance. Il propose également, les deuxièmes jeudis de chaque mois, un « afterwork », c’est à dire une rencontre informelle autour d’un verre… Voilà donc un des lieux où se tissent les liens de collusion entre le pouvoir politique et le lobby financier.

Il faut noter que tous les secteurs du pouvoir sont concernés par ces structures semi-informelles dont le but est de créer un vaste réseau d’influence et de collusion basé sur l’appartenance à Sciences-po Paris. Les secteurs de la communication et des médias sont également largement représentés. Le groupe spécifiquement dédié au secteur « Presse /Médias » compte 2617 membres, mais il existe aussi un groupe « communication » qui comprend 2254 membres ainsi qu’un groupe « Culture et management » fort de 3100 membres et qui « affirme la pertinence du management dans le secteur culturel et en structure la réflexion. » On voit bien ici de quels genres de monstres hybrides néo-libéraux accouche le réseau d’influence relationnel de Sciences-po Paris.

Le programme idéologique

L’orientation idéologique de l’apprentissage délivré à Sciences-po Paris est d’abord visible, comme nous l’avons-vu dans les intitulés des diplômes préparés, notamment au niveau des Master.

Pour cerner plus précisément la nature et l’orientation idéologique des enseignements dispensés on peut se pencher plus précisément sur le contenu de la formation commune, dispensée à tous les étudiants de Sciences-po Paris, quel que soit le Master préparé.

Cette formation, selon la communication de l’école est « Située au cœur du projet éducatif de Sciences Po, la formation commune de master vise à transmettre des connaissances et des compétences qui permettront aux diplômés de faire face à un monde en mouvement et d’être les acteurs du changement. » Nul doute que le contenu des cours délivrés nous éclairera sur ce que signifie pour la direction de Sciences-po l’expression « être les acteurs du changement » et sur la nature de ce dernier. Il s’agit là, n’en doutons pas, du cœur idéologique de l’institution.

D’autant plus que cette formation commune constitue pour l’école une « Occasion unique de brassage des populations étudiantes de Sciences Po, ces cours contribuent à la cohésion et au sentiment d’appartenance de nos étudiants. » 

Pour des raisons pratiques nous allons nous intéresser plus spécifiquement au cours intitulé Philosophie des relations internationales sous la direction de Frédéric Ramel, d’un volume horaire de 24h, qui représente le nœud stratégique de la théorie politique..

Sans surprise, Frédéric Ramel fait du mondialisme l’unique objet de son étude des relations internationales. Ce dernier est en effet l’auteur d’un essai intitulé L’attraction mondiale, paru aux  presses de Sciences-po en 2012, qui présentait le Nouvel Ordre Mondial comme un aboutissement logique de l’histoire universelle… Plus que les contenus, auxquels nous n’avons pas accès, c’est le choix des objets d’étude et du plan du cours qui procèdent d’une vision idéologique biaisée.

La première partie du cours s’intéresse ainsi à « l’Architecture mondiale » et est sous-titrée : « des cosmopolitismes controversés ». Elle présente d’abord « Le cosmopolitisme kantien et ses prolongements actuels ». Le cours s’appuie notamment sur un essai de Jürgen Habermas : Après l’Etat-nation, une nouvelle constellation du politique et l’ouvrage de David Held : Un nouveau contrat mondial. Pour une gouvernance social-démocrate. Ces deux ouvrages s’interrogent essentiellement sur la manière d’organiser la « gouvernance mondiale », et bien qu’ils formulent certaines critiques au sujet de la mondialisation, essentiellement sur son aspect non-démocratique, ils se concentrent  sur la problématique de son organisation politique. Ainsi, l’ouvrage de David Held appelle à la mise en place d’instruments de gouvernance mondiaux dits « démocratiques ». Habermas milite également pour la constitution d’une « démocratie cosmopolite » internationale censée combler le déficit démocratique du Nouvel Ordre Mondial. Nous nous situons donc là sans surprise dans une vision régulatrice du mondialisme qui constitue le ressort psychologique de son acceptation pour la gauche sociale-démocrate européenne et dont sont issus ses sempiternels discours inopérants sur une « autre Europe » ou une « autre mondialisation ».

Les chapitres du cours de Frédéric Ramel consacrés à l’anti-cosmopolitisme font une place centrale au philosophe anti-libéral allemand Carl Schmitt, qui fut un membre du parti nazi et considéré comme le juriste  et le théoricien politique du 3ème Reich. On saisit ici toute la grossièreté du procédé qui consiste à présenter l’antilibéralisme à travers la pensée d’un philosophe nazi. Il s’agit ni plus ni moins que d’une réduction ad-hitlerum de l’antilibéralisme. Signalons donc à Frédéric Ravel que ses étudiants auraient pu avec profit bénéficier d’une introduction à l’œuvre de Karl Marx et à sa critique toujours actuelle du capitalisme qui permet d’expliquer avec pertinence le processus de la mondialisation…

Mais Frédéric Ravel va plus loin le cours suivant, et après l’assimilation de l’antilibéralisme au nazisme, il expose un autre « foyer anti-cosmopolite : le communautarisme ». Après la réduction ad-hitlerum vient donc le spectre communautariste, qui a pour tâche d’attacher définitivement toute critique de la mondialisation et du Nouvel Ordre Mondial à la barbarie et à l’archaïsme communautaire. Pour faire bonne mesure le cours se conclu sur la « recherche de voies médianes » censées donner un vernis de débat et d’ouverture intellectuelle à un sujet déjà balisé et encadré puisque toute contestation radicale a été précédemment discréditée. La liberté de pensée ainsi étroitement balisée, la deuxième partie de l’enseignement peut tranquillement s’attacher aux grands problèmes éthiques contemporains soulevés par le Nouvel Ordre Mondial, et en particulier l’ingérence dite « humanitaire ». Il s’interroge ainsi sur les nouveaux critères de l’impérialisme visant à définir une « guerre juste » et à cet effet s’appuie encore une fois sur Carl Schmitt et son essai : La guerre civile mondiale, qui critiquait justement le néo-absolutisme des institutions internationales et leur discours sur les droits de l’homme constituant une rhétorique universaliste au service de l’impérialisme. Là encore, faire endosser la critique de l’impérialisme humanitaire à un penseur nazi, constitue un procédé de dé légitimation grossier et une nouvelle réduction ad-hitlerum de l’anti-impérialisme et de la critique du Nouvel Ordre Mondial.

Le cours se conclue ainsi logiquement sur Le droit des gens de John Rawls. L’auteur américain voit dans la démocratie libérale la meilleure expression de gouvernement et le régime le plus juste, c’est à dire conciliant le mieux les principes d’égalité et de liberté individuelle. Il fait ainsi du « minimum démocratique » la condition de l’acceptation d’une société donnée par la communauté internationale. Selon lui, c’est la justice, comme régulatrice des rapports entre liberté et égalité dans les sociétés démocratiques, qui s’impose ainsi comme principe universel. Il justifie ainsi les inégalités sociales, comme variable naturelle de l’expression de la liberté et de l’entrepreneuriat individuel. On le voit, il s’agit ici d’une justification éthique du système économique capitaliste dont la démocratie libérale constitue l’organisation politique la plus consensuelle. Rawls en conclu que les droits de l’homme possèdent ainsi un caractère universel en tant qu’expression des rapports de justice existant dans les sociétés démocrates-libérales, et qu’ils doivent être étendus aux sociétés « hiérarchisées », la guerre constituant selon lui l’ultime recours.

On constate donc que sous couvert d’un discours éthique s’attachant à déterminer les principes de la justice et des droits humains, John Rawls tient en réalité un discours militant universaliste basé sur les droits de l’homme et la conception de la démocratie héritée du social-libéralisme qui porte la justification de l’interventionnisme « humanitaire », autre nom de l’impérialisme ou du néo-colonialisme.

On peut ainsi résumer le formatage des élites tel qu’il est entrepris dans la formation commune dispensée à Sciences-po Paris, tout d’abord comme une forme d’amnésie sélective ayant pour cible l’analyse marxiste de la mondialisation comme phénomène économique, ainsi que ses implications dans les relations internationales, puis comme une réduction ad-hitlerum de  la contestation du Nouvel Ordre Mondial et du totalitarisme des « droits de l’homme ». Le mondialisme y est ainsi présenté comme la principale force en mouvement de l’histoire portée par des valeurs positives basées sur les « droits de l’homme » et l’idéal de la « justice » inégalitaire de société libérales-démocrates indépassables comme forme de régulation des rapports antagonistes entre les affects de liberté et d’égalité. A cet égard, le « cosmopolitisme » promu sur toutes les pages du site Internet de Sciences-po Paris apparaît comme le signe évident de l’appartenance à la modernité politique.

Ce véritable bourrage de crâne idéologique qui vise à formater les élites mondiales de l’oligarchie, associé à la volonté de créer un vaste réseau d’influence et de gouvernance touchant tous les domaines du pouvoir, explique en grande partie le monolithisme intellectuel qui touche les cadres du pouvoir, incapables de penser hors du logiciel démocratique-libéral universaliste. Cette déformation idéologique des élites s’effectue naturellement sous l’influence des intérêts du capital financier et économique, qui a établi de solides rapports de proximité et de collusion d’intérêts à l’intérieur du système de formation, comme nous l’avons vu, par l’entremise des clubs, cercles, et autres groupes de réflexion…


- Source : Guillaume Borel

mardi, 30 septembre 2014

Comment l'élite française a mal tourné

Comment l'élite française a mal tourné

Dire que c'est Maurice Thorez qui a créé l'ENA...

Ex: http://fortune.fdesouche.com

Le communiste stalinien Maurice Thorez a passé la deuxième guerre mondiale à Moscou, où il se faisait appeler Ivanov. A la Libération, il revint au pays et entra au gouvernement. Quand Charles de Gaulle quitta le pouvoir, en 1946, Maurice Thorez reprit l’un des projets chers au général : la création d’une école, l’École Nationale d’Administration (l’ENA), destinée à former les hauts technocrates de la nouvelle république. Il devait penser que cette caste était cette « avant-garde du prolétariat » dont Lénine parlait souvent.

L’ENA a depuis produit d’innombrables membres de l’élite politique et financière française, pour culminer avec le Président François Hollande. Critiquer l’élite en France relève de la guillotine, ce qui n’empêche pas de constater que les énarques et leurs amis sont actuellement au plus bas. En un an, les gouvernements de droite comme de gauche sont devenus l’objet d’un mépris inégalé. La France connaît un chômage record. Les scandales impliquant l’élite se succèdent (le dernier concerne l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac et son compte secret en Suisse). Quelque chose a terriblement mal tourné pour la caste de Maurice Thorez.


L’élite française se définit par ses capacités intellectuelles. Elle est principalement recrutée à travers deux écoles seulement, et très sélectives. L’ENA et l’École Polytechnique (que ses anciens élèves appellent simplement « l’X »). « Nulle part ailleurs au monde l’école que vous avez fréquentée détermine aussi profondément un parcours professionnel et la destinée d’une nation toute entière » écrit Peter Gumber dans son nouveau livre France’s Got Talent (« La France a du talent »). C’est la raison pour laquelle certains membres âgés de l’élite se présentent toujours comme « ancien élève de Polytechnique ».

80 diplômés seulement sortent de l’ENA chaque année, et 400 de Polytechnique. Ils obtiennent ensuite des postes très exigeants. « Ils travaillent dur. ll ne s’agit pas d’une élite qui ne pense qu’à s’amuser » souligne Pierre Forthomme, coach pour dirigeants qui compte parmi ses clients de nombreux membres de cette élite. Pendant des décennies, l’élite a fait le boulot que l’on attendait d’elle. De 1946 à 1973, la France a connu les « trente glorieuses », presque trente ans de prospérité économique.

En 1990, l’élite pouvait encore revendiquer de grandes réalisations. Elle avait inventé le premier prototype d’Internet (le Minitel), équipé le pays des trains les plus rapides d’Europe (le TGV), conçu en partenariat l’avion de transport le plus rapide au monde (le Concorde), poussé l’Allemagne à créer l’Euro (que l’élite française considérait comme le début de l’unité de l’Europe, et non la fin), imposé sa propre politique indépendante de défense, que beaucoup prenaient encore au sérieux et elle continuait à croire qu’elle parlait une langue internationale. Confier le pouvoir à de brillants cerveaux semblait bien fonctionner.

Depuis, les choses on terriblement mal tourné. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans les années 60, avait commencé à mettre à jour les travers de l’élite. La classe dirigeante prétendait être une méritocratie ouverte aux esprits brillants de toutes origines, mais en réalité, elle était devenue une caste qui se reproduisait entre elle.

Il s’agit de la plus petite élite de n’importe quel grand pays. Elle vit dans quelques arrondissements chics de Paris. Ses enfants fréquentent les mêmes écoles, dès l’âge de 3 ans. Quand ils atteignent leurs 20 ans, les futurs dirigeants de la France se connaissent tous. Ils passent de « camarades d’école » à « copains de promo », expliquent les sociologues Monique Pinçon-Charlot et son mari Michel Pinçon.

Alors qu’un PDG et un romancier américains ne se rencontreront jamais, les élites françaises de la politique, des affaires et de la culture ont pratiquement fusionné. Ils se fréquentent lors de petits-déjeuners, de vernissages d’expositions et de dîners. Ils deviennent amis ou conjoints. Ils s’embauchent mutuellement, camouflent leurs transgressions mutuelles, écrivent des critiques dithyrambiques de leurs livres respectifs (comparez l’euphorie que déclenchent les livres de Bernard-Henri Levy en France et leur accueil à l’étranger).

« L’élite est l’unique classe sociale française qui fait preuve d’une solidarité de classe », dit Monique Pinçon-Charlot. Elle est liée par des secrets partagés : par exemple, de très nombreux membres de l’élite connaissaient les habitudes d’alcôve particulières de Dominique Strauss Kahn, mais ils étaient prêts à le laisser se présenter à la Présidentielle plutôt que d’en informer les manants qui vivent de l’autre côté du périphérique parisien. Pour paraphraser l’écrivain anglais EM Forster, ces personnes trahiraient plutôt leur pays qu’un ami. L’élite justifie ces services rendus par l’amitié. Mais en fait (comme le remarque le journaliste Serge Halimi, et d’autres), il s’agit de corruption.

Tout aussi dangereux : une si petite caste – issue des mêmes grandes écoles – souffre inévitablement de pensée unique. Et l’élite ne rencontre pas beaucoup de subalternes prêts à exprimer des avis contraires.

Pierre Forthomme explique : « Si vous êtes un haut dirigeant sorti d’une grande école en France, vous n’avez aucun feedback. Ils sont seuls ». Il ajoute : « Ils aimeraient entendre des critiques et travailler en équipe. Ils ne souhaitent pas être solitaires, mais le système les place à ces postes de pouvoir pour que nous puissions accuser l’élite de nos problèmes ».

La mondialisation a aussi fait des dégâts. L’élite française n’était pas formée pour réussir dans le monde. Elle était formée pour réussir dans le centre de Paris.

François Hollande, ancien élève de trois grandes écoles, découvre aujourd’hui le monde en tant que Président. Il a pour la première fois mis les pieds en Chine lors de sa visite d’Etat dans ce pays, le mois dernier. Aujourd’hui, beaucoup de Français réussissent à Londres, New York et dans la Silicon Valley mais ils ont tendance à échapper à l’élite française.

L’élite n’est pas prête à s’auto-dissoudre. Cependant, une menace encore pire plane : l’élection en 2017 du premier président véritablement anti-élite, la candidate de l’extrême-droite Marine Le Pen.

Financial Times (via Le nouvel Economiste)

lundi, 06 mai 2013

The Moral Hollowness of the Elites

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The Moral Hollowness of the Elites


Ex: http://www.alternativeright.com/

The Establishment presents itself as moral and opposed to low things like "prejudice," "narrow-mindedness," and "bigotry." This helps create a sense of arrogance that prevents them from questioning whether they have actually created a multiracial utopia or not. They are prejudiced, but against their own people. Furthermore, their unrealistic and irrational policies have brought about the very same situation that the ideology of the last sixty years was designed to prevent.

The dominant ideology since the Second World War has been multiracialism with variants like "anti-racism," enthusiasm for open borders, and other variations which are idealistic and progressive. The zealots for immigration have justified it by lies like "the economy needs it" or blaming working people, who "won't do the dirty jobs"! 

In the 1960s the New Left took over Liberalism. They kept the name but changed the content. For example, and this is profoundly important, individual rights were changed to group rights, which introduced totalitarian thinking, as group rights gave minority ("victim") groups preferential treatment over the host population ("the oppressors"). The watchwords of The New Left were “everything is political,” which reveals their totalitarian approach, and “we must change attitudes,” which uncloaks their social engineering agenda. Liberalism was effectively changed to a form of Marxist totalitarianism.

The New Left were not working-class socialists but Bourgeois-Socialists, with middle-class students serving as the apparatchiks. They eschewed economics for identity politics, which was effectively an inverse of Hitler's racial superiority ideology, as they promoted ethnic minorities, gypsies, and homosexuals - all groups that had the inverse endorsement of Hitler's disdain. These new Left Liberals were authoritarian where Classic Liberals genuinely believed in rights. The New Left took over universities in 1968 and nearly brought the French government down with riots in Paris. The London School of Economics and Berkeley in the US suffered similar occupations. Many leaders of New Left/Trotskyist groups, like Tariq Ali, then went on to become part of the new Establishment.

Up to the 1960s Liberals had undermined Western nations with guilt, but from then on it changed to hatred of their own people. Multiracialism has the same structure as Nazism, except Whites became the target group in place of Jews. It was a reaction to Hitler's attempt to exterminate European Jews and to stop that happening again. The people the Nazis persecuted were almost deified, while Whites became the scapegoats when things went wrong, as they always do now, under the term “racism.”

The New Left project was to destroy existing communities, especially the working-class communities that supported the old moderate Socialists, while using the term "communities" for their new constituency groups, the “Black” and “gay”communities.

The individual subjects of classic Liberalism were transformed into representatives of favoured groups, like “single mothers,” “lesbians,” “gays,” and “alternative life-styles.” Traditional units of organization, like the family and community, were opposed, and in their place personal freedom and sexual emancipation were promoted with little concern for the consequent unhappiness, loneliness, and deprivation. Abstract justification was all; practical consequences nothing. Schools' curricula were feminised and young White men were denied the invigoration of competition and suitable male role models.

The Liberal capitulation

This movement would have got anywhere without the support of major popular musicians of the time, like Bob Dylan and The Beatles. John Lennon donated money to the IRA and Black Panthers.

William Rees-Mogg, editor of The Times, defended Mick Jagger and Keith Richards who were on drugs charges in an infamous and cowardly article, “Who breaks a butterfly on a wheel?”  In 1971 the state capitulated to the convicted editors of the counter cultural OZ magazine when the Lord Chief Justice of England, Lord Widgery had them brought from prison and told them that if they agreed to stop working on the magazine their appeal would be certain to succeed, which is exactly what happened, making them "martyrs who had suffered nothing" and effectively mocking the remnants of conservative power in the state.

Classical Liberals believed in rights for ethnic people and homosexuals, but Cultural Marxists instead gave them preferential treatment and started moves to to dispossess and dehumanise Whites.

This shift in the 1960s can be characterized as a change from fighting for racial equality to dehumanising Whites as haters. The term “racist” replaced “racialist.” In a book review for The Salisbury Review of Spring 2003, Sir Alfred Sherman, former speech writer for Mrs Thatcher and leader writer for the Daily Telegraph, recalled the process at work in parts of London:

I was horrified. My natural vague sympathies for the immigrants, strangers in a foreign land, was replaced by strong but hopeless sympathy for the British victims of mass immigration, whose home areas were being occupied. I was made aware of a disquieting evolution in “Establishment” attitudes towards what they called immigration or race relations and I dubbed “colonialisation.” The well-being and rights of immigrants and ethnic minorities had become paramount. The British working classes, hitherto the object of demonstrative solicitude by particularly the New Establishment on the left, but the working classes had acquired new status as the enemy, damned by the all-purpose pejorative “racists."

 

In education Liberals allowed free expression within Liberal parameters. The style of essay writing changed to favour cultural relativism, with students asked to consider the pros and cons of a case, rather than rights and wrongs. Cultural Marxists also proceeded to remove many subjects from the curriculum, especially conventional history, because forgetting our common roots and shared ancestry would make it easier for them to socially engineer us into a new people ready for their utopia. The process of dumbing-down and reducing vocabulary, so that people could only think what the elites want them to, was also favoured.

The Public Abasement of Dissidents

Cultural Marxism derived much from Chairman Mao's Little Red Book, a fashionable item for middle-class students from the 1960s onward. Mentors like Herbert Marcuse and Eric Hobsbawm were open admirers of Stalin. In Marxist China and the Soviet Union dissent was typically dealt with through public show trials, where the victims publicly abased themselves and confessed their crimes. In contemporary Britain this persecution role is now in the hands of the media.

In 2007, Dr. James Watson, the 79-year-old geneticist who, with Francis Crick, discovered the structure of DNA, and who is regarded as one of the great scientists of his time, was persecuted for telling the Sunday Times that he was "inherently gloomy about the prospect of Africa" because "all our social policies are based on the fact that their intelligence is the same as ours – whereas all the testing says not really." He also said there was a natural desire that all human beings should be equal but "people who have to deal with black employees find this not true." He claimed the genes responsible for creating differences in human intelligence would be found within a decade.

The British establishment's agency of inquisition, the Equality and Human Rights Commission, responded, saying it was studying Dr Watson's remarks "in full." Politicians moved to persecute him: "It is a shame that a man with a record of scientific distinction should see his work overshadowed by his own irrational prejudices," opined David Lammy, the Skills Minister.

The loathsome mayor of London Ken Livingstone said, "Such ignorant comments...are utterly offensive and give succour to the most backward in our society." The Science Museum cancelled a sell-out meeting it had planned to hold to honour Watson on the grounds that his remarks had gone "beyond the point of acceptable debate." Several other centres scheduled to host his talks followed suit. What a scientific argument! His employers, the Cold Spring Harbor Laboratory in Long Island suspended him as chancellor. Scientist Richard Dawkins saw the real issue:

What is ethically wrong is the hounding, by what can only be described as an illiberal and intolerant "thought police," of one of the most distinguished scientists of our time, out of the Science Museum, and maybe out of the laboratory that he has devoted much of his life to, building up a world-class reputation.

Around the same time "celebrity" Jade Goody had the "wrong attitude" to Indian film star, Shilpa Shetty, in Celebrity Big Brother, and was accused of racist bullying. The programme is based on getting an assortment of diverse characters into a house and titillating the viewers to keep the viewing figures up, with bullying and personality clashes. This is the whole attraction.

Following the clash Goody was presented as "common" and a "chav,"  a derogatory term for White working class Britons, while Shetty was made into something of a saint. This set the scene for the inevitable public kowtowing and abasement before the gods of multiculturalism. Jade kept apologising, confessing publicly that she was disgusted with herself - the Cultural Marxist rulers version of a Soviet show trial.

She had to be broken in public, made to repent and show abject contrition. Jade had some Afro-Caribbean ancestry. An honest person would look for a cause other than racism, like class envy or bad manners, but there is an ideology at work which imposes the same explanation on different situations – anti-White racism.

The British state is now persecuting a dissident, Emma West. The incident that got West persecuted was a film of her being abusive on a tram against multiracialism in general but to no one in particular. This was 18 months ago and the case has since been delayed, with five scheduled hearings cancelled, not for practical or legal reasons, but because West has not suitably abased herself and maintains a plea of not guilty. West is a danger to the authorities because pleading not guilty raises the threat of the case becoming a public debate and the state wants to maintain the illusion that everyone agrees with mass immigration apart from a few nutters.

The problems we are facing stem from the moral code imposed by the Enlightenment and the replacement of an aristocratic class, based on blood and land, with secular elites united by ideology with membership dependent on thinking and saying the right things - an Ideological Caste - with pretensions to morality based on abstractions. The climatic moment was the French Revolution. Even then, the perceptive French philosopher Joseph De Maistre analysed the problem in Considérations sur la France in 1797:

I will simply point out the error of principle that has provided the foundation of this constitution and that has led the French astray since the first moment of their revolution.
The constitution of 1795, like its predecessors, has been drawn up for Man. Now, there is no such thing in the world as Man. In the course of my life, I have seen Frenchmen, Italians, Russians, etc. I am even aware, thanks to Montesquieu, that one can be a Persian. But, as for Man, I declare that I have never met him in my life. If he exists, I certainly have no knowledge of him.
....This constitution is capable of being applied to all human communities from China to Geneva. But a constitution which is made for all nations is made for none: it is a pure abstraction, a school exercise whose purpose is to exercise the mind in accordance with a hypothetical ideal, and which ought to be addressed to Man, in the imaginary places which he inhabits....
What is a constitution? Is it not the solution to the following problem: to find the laws that are fitting for a particular nation, given its population, its customs, its religion, its geographical situation, its political relations, its wealth, and its good and bad qualities?
Now, this problem is not addressed at all by the Constitution of 1795, which is concerned only with Man.

Restructuring  Peoples' Thinking

In accordance with such abstractions and the moral pretensions of those who enforce them, we are being socially engineered and traditional ways of thinking systematically broken down.  Another example: The television programme Gypsy Wars contrasted a local woman and travellers who had invaded her land. They showed her as a representative of us but then presented the travellers in such a way as to make her attitudes seem mistaken, intolerant, and extreme.

They edited out all the young Gypsy men, because they are aggressive and would garner support for the woman; the life of the village threatened by the travellers was not shown, because that is appealing and viewers would sympathise with the woman. Also, the woman was selected because she is not typical of rural people, but a bit eccentric and someone who could be set up as the aggressor even though she was in fact the victim. When the police had to evict the travellers from Dale Farm in accordance with British law, the media again showed no men. This program was a casebook study of how television restructures people's thoughts to fit them into an anti-British ideology.

How do we counter the dominant ideology?

People follow the dominant elites because they appear strong and successful, and many who agree with us vote for the dominant parties for that reason. A conviction based on the knowledge that they follow in the steps of great national figures would help counter that disadvantage. For this reason it is important to emphasize traditions of opposition to multiculturalism and the fact that most of the great and the good in history have been on our side in one way or another

By linking to traditions, our people link with great historical figures, like Queen Elizabeth I and Lord Palmerston, who are role-models, as are Enoch Powell, the great 5th Marquess of Salisbury, who fought against immigration, and Sir Winston Churchill, who tried to introduce a Bill to control immigration in 1955 and wanted to fight the 1955 general election under the slogan "Keep England White."

In the US they have the precedent of Eisenhower's Operation Wetback. In 1949 the Border Patrol seized nearly 280,000 illegal immigrants. By 1953, the numbers had increased to over than 865,000, and the U.S. government had to do something about it. In 1954, agents found over one million illegal immigrants. 

The ideology of multiracialism was supposedly a reaction to Hitler's attempted extermination of European Jews, and its aim was to ensure that genocide would never happen again. But it is happening again, and it is being caused by the Western elites who pledged to stamp it out. They have been using every form of manipulation, intimidation, corruption, brainwashing, and bullying at their command. But the evils they employ in pursuit of a supposed "good" have become instead evils for the sake of evil.

jeudi, 19 janvier 2012

Bonapartism - Machiavellianism - Elitism

Bonapartism - Machiavellianism - Elitism

di Troy Southgate

Ex: http://www.juliusevola.it/

niccolo-machiavelli-0708-lg-75217122.jpgBonapartism is a rather unusual term and one which Evola borrows from R. Michels, author of the 1915 work Political Parties: A Sociological Study of the Oligarchical Tendencies of Modern Democracy. Michels demonstrates how representative democracy and "government of the people" leads to the control of the State by a self-interested minority. This view is echoed by J. Burnham in The Machiavellians, who explains that the so-called "will of the people" is eventually superseded by the domination of a bureaucratic clique. Thus Bonapartism begins with a popular demand for more freedom and equality and ends in the totalitarian "dictatorship of the proletariat." Evola likens this process to a people who have catastrophically "led and disciplined themselves." After the decline of its aristocratic nobility, ancient Greece witnessed the same systematically repressive phenomenon. Power simply became detached from a higher, spiritual authority, leading to fear and brutality. Evola then turns to Otto Weininger, who once "described the figure of the great politician as one who is a despot and at the same time a worshipper of the people, or simultaneously a pimp and a whore." Indeed, by seeking to appeal to the masses the modern leader easily commands their respect and adulation. Not in the way that traditional societies gave their loyalty to the organic State, however, because instead of engendering a healthy diversity between the various levels (not classes) of society Bonapartism forces the politician to become a "man of the people." Therefore he is perceived as a common man, rather than as someone exceptionally transcendent and symbolic. This, Weininger called "mutual prostitution." Authority is perfectly useless unless it is attached to a central idea which runs throughout the social fabric and acts as a point of reference. This affects the individual because one "is restricted not so much in this or that exterior freedom (which is, after all, of little consequence) but rather in the inner freedom - the ability to free himself from his lowest instincts." Bonapartism - which Evola interprets here as a political, rather than militaristic, term - is equated with dictatorship because this is the logical result of its democratic ethos. It completely erodes the traditional values of human existence, refusing to "distinguish clearly between the symbol, the function, and the principle, on the one hand, and man as an individual, on the other." Instead, it rejects "that a man be valued and recognised in terms of the idea and principle he upholds" and simply views man in terms of "his action upon the irrational forms of the masses." Similarly, Evola points out the errors which began with Social-Darwinism and consequently found expression in Nietzsche’s concept of the Superman (Ubermensch): "most people, even when they admit the notion of aristocracy in principle, ultimately settle for a very limited view of it: they admire an individual for being exceptional and brilliant, instead of for being one in whom a tradition and a special 'spiritual race' shine forth, or instead of whose greatness is due not to his human virtues, but rather to the principle, the idea, and a certain regal impersonality that he embodies."

Machiavellianism - despite its frequent portrayal as an aristocratic notion - is also a highly individualist philosophy. Indeed, although the concept of The Prince rejects democracy and the masses, it makes the fatal mistake of encouraging power and authority to reside in the hands of man. In other words, man is himself the be all and end all of Machiavellian doctrine. Such men are not connected to a chain of Tradition, they are merely interested in deploying their political capabilities to advance their own interests. His very position is maintained by lies, deceit and manipulation, becoming a rampant political monster to which everything must be methodically subjected. This is clearly very different to the way in which traditional aristocracies functioned and indicates that Machiavellianism is a consequence of the general decline. True elitism, argues Evola, degenerates in four stages: "in the first stage the elite has a purely spiritual character, embodying what may be generally called ‘divine right’. This elite expresses an ideal of immaterial virility. In the second stage, the elite has the character of warrior nobility; at the third stage we find the advent of oligarchies of a plutocratic and capitalistic nature, such as they arise in democracies; the fourth and last elite is that of the collectivist and revolutionary leaders of the Fourth Estate."

Troy Southgate examines late Italian philosopher Julius Evola’s Men Among the Ruins: Post-War Reflections of a Radical Traditionalist. This is chapter 5 ( n.d.r. )

jeudi, 26 août 2010

Leadership & the Vital Order

Leadership & the Vital Order:
Selected Aphorisms by Hans Prinzhorn, Ph.D., M.D.

Translated and edited by Joseph D. Pryce

370.jpgThe enduring fame of German psychotherapist Hans Prinzhorn (1886–1933) is based almost entirely upon one book, Bildnerei der Geisteskranken (Artistry of the mentally ill), that brilliant and quite unprecedented monograph on the artistic productions of the mentally ill, which appeared in 1922. Sadly, it is too often forgotten that Hans Prinzhorn was the most brilliant and independent disciple of Germany’s greatest 20th-Century philosopher, Ludwig Klages (1872–1956).

Although Prinzhorn himself would have protested against the oblivion into which his mentor’s life’s work has fallen, it is a fact that Prinzhorn is still a major presence in the technical literature, whilst his hero, paradoxically, has been “killed by silence.” One should be thankful for even the smallest mercies.

Prinzhorn is even now a not inconsiderable presence in the field that he made his own, and he will remain a major figure, albeit a controversial one, in the field of psychology, as long as his discoveries are cherished and his insights developed as a living heritage by those who recognize, and are willing to repay, at least some small portion of the debt that scholarship still owes to his memory.

Humanitarian Demagogues, Egalitarian Rabble. Whether today’s mechanistic and atomistic experiments with human beings originated in the Orient or in the Occident, the result is always the same: the tyranny of a clique in the name of the equality of all. And it is from this very tendency that the fantastic pipe dream of human individuals being reduced to the status of mere numbers arises. This wishful thinking is a symptom of the nihilistic Will to Power that conceals its true nature behind the cloak of such humanitarian ideals as humility, solicitude for the weak, the awakening of the oppressed masses, the plans for universal happiness, and the fever-swamp vision of perpetual progress. All of these lunatic projects invariably result in a demagogic assault on the part of the inferior rabble against the nobler type of human being. These mad projects, it need hardly be said, are always concocted in the name of “humanity,” in spite of the fact that decades earlier Nietzsche had conclusively demonstrated that it was the ressentiment, or “life-envy,” of those who feel themselves to be oppressed by fate that was at the root of all such tendencies. Indeed, it is even now quite difficult for the select few who have no wish to enroll themselves among the oppressed mob to understand the realities of their situation!

The Goals of Socialism. When we set our goals in the direction of socialism, whether in the sphere of politics, of welfare work, or of the ideal community, the fanaticism that inspires the socialist is customarily tinged with Christianity. Thus the socialist urges the citizen to progress from wicked egoism to a more social attitude. Even when we ignore the social, religious, or political nature of the ideologue’s desiderata, there is one positive aspect to this development, for socialism at least directs our attention away from the tyrannical ego and towards the world that surrounds us, thus calling upon the only one of socialism’s fundamental motives that we can regard as positive and biologically sensible.

Characterological Truth vs. Psychoanalytical Error. The most extensive, pleasant, and (one might even say) amusing effects wrought by the application of the psychoanalytic treatment depended on the fact that the most wretched and feeble blockhead was now able to convince himself that he was equal to Goethe in that the instincts that played so decisive a role in the cretin’s development were identical with those that were operative in the case of Goethe, and it was only a malicious practical joke on the part of Destiny that permitted Goethe to find in poetry a congenial sublimation of his sexuality.

The Psychopath and the Revolution. We can hold out no hope whatever for the successful creation of the sort of community that is constructed by ideologists on the basis of purely rational considerations, for the projects that are hatched out in the mind of the rationalist are most definitely not analogous to the development of living forms in nature, no matter how often the contrary position has been proclaimed by false prophets. Thus, the delusive hopes that are cherished for the successful implementation of the simple-minded schemes of our socialist and humanitarian ideologists must fail in the future as they have always failed in the past. The only tangible result of these schemes has been to intoxicate the isolated psychopath with an egalitarian frenzy, from which his tormented ego awakens, more desperate than ever, in order to plunge once again, with ever-increasing violence, into his political ecstasies, into bellowing his eulogies to those nameless “masses” who are so dear to the ideologue that he has appointed them to be the sole beneficiaries of his activism, now that he has been made sufficiently mad by a nebulous and insatiable longing for “liberation.” But the “sham” anonymity, which functions effectively as the cloak for politicians who pretend to act in the name of “the masses,” can only benefit clever, robust, and willful politicians, such as those who rule the Soviet Union; the real psychopath, on the other hand, who often possesses a taste for novel sensations and who, perhaps, may also be seeking personal publicity, will never be able to conform to the prescriptions of such an icy, strict self-discipline. As a result, he “breaks out,” and is soon overwhelmed by calamities from which he thinks he can only escape by resorting to even more violent attempts to achieve “liberation.” From the standpoint of psychology, the history of revolutions is very helpful to those who wish to increase their understanding of the “everyday” behavior—as well as the political actions—of his fellow human beings, not least to the physician who seeks enlightenment as to the nature of the motivations that drive men to perform violent deeds in situations to which they lend the halo of freedom, equality, and fraternity.

Heredity as Destiny (and Tabula Rasa as Sheer Nonsense). The life-curve of an individual’s development is a single event, which arrays itself along the lines of irrevocable changes. Strictly speaking, therefore, every occurrence, no matter how insignificant, involves an irrevocable change: in life nothing can be reversed, nothing repudiated, nothing ventured without an attendant responsibility, nothing can be annihilated: that formula constitutes the biological basis of destiny. Just as the individual must accept his biological heritage as a whole, whether he likes it or not, in precisely the same fashion must he accept the pre-ordained pattern of obscure rhythms transpiring within him.

Today we have become tragically unconcerned with our biological destiny, to say nothing of the fact that we refuse to feel the slightest reverence to the sphere of life, to which we owe everything. …That very attitude accounts for the success that has greeted the claims advanced by Alfred Adler and his followers, who advance the dogma that the hitherto customary views on heredity are fundamentally false, since man is born as a tabula rasa whereon his environment makes impressions that, by means of education, one can direct at will, and according to the capacity of that will, toward any desired goal. Adler compounds his felony by claiming that there is no such thing as inborn talent or traits of disposition. …

It would be impossible to reject the principles of biological theory more absolutely than Adler and his cohorts have done. Even that which we understand by the old, almost obsolescent name of “temperament”—that which represents the sum-total of the somatically connected, permanent tendencies of an individual—even this link between the purely psychological and the purely somatic view is repudiated by Adler in his grotesquely teleological and hyper-rationalist construction. … Since there is no biological basis whatsoever for his stupendous assertions, one must seek for such a basis in another sphere, viz., the author’s ideology. Sure enough, we learn that Adler is a fanatical believer in the coming Utopia of socialism, and, as we all recognize, no Utopia can prosper until a faceless equality of disposition has been forced upon every individual by the ideological zealots who will run the show. Therefore I denounce the politically tendentious World-View that Adler and his apostles put forward as “science,” for it is a perfect example of nihilism passing itself off as scholarship, and no cloak of pedantic and prudent caution can hide the fact.

Genetic Endowment and Environmental Conditioning. Upon his entry into individual existence, the human being’s development as a psychosomatic creature is determined as regards substance, capacity for expansion, and direction, in the first place by his genetic endowment as a whole; in the second place by his pre-natal environment; and lastly by the circumstances of his birth. That almost all the active factors rise and fall in varying phases, makes a rational interpretation and estimate of the state of things at any given moment impossible in the strictest sense of that word.

But the fact that such an admission of the difficulties that arise due to methodological limitations is exploited by false prophets in order to deceive the world as to the real nature of biological facts—usually in order to breathe some life into the defunct heresy of the infant born as a tabula rasa—is either a sad indication of their childish mentality or additional evidence that they are indulging their ideological proclivities in the wrong place. What Goethe described as “the law under which you entered the world,” what Kant, Schopenhauer, and others called the “intelligible character,” is the first unavoidable actuality that we must accept as the destiny of our being, and as the starting-point of all investigation and thinking that relates to the human being. All experience and all reasonable thinking drives us back to this basic fact.

The Occidental Observer, August 8, 2010, http://www.theoccidentalobserver.net/authors/Pryce-Prinzhorn.html

Joseph Pryce (email him) is a writer and poet and translator from New York. He is author of the collection of mystical poems Mansions of Irkalla, reviewed here. His translation of the German philosopher Ludwig Klages’ work will be published shortly.

lundi, 02 février 2009

Quelques notes sur la notion d' "aristocratie"

 

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Quelques notes sur la notion d'«aristocratie»

par Philippe JOUET


Un projet politique, projet culturel, reposant né­cessairement sur un certain nombre de choix éthi­ques qui expriment, à l'aide de références choi­sies tenues pour cohérentes, les aspirations, les idéaux, la culture de leurs promoteurs.


De toutes ces références, de ces «mots-clés» qui s'affrontent, s'appuient et se repoussent au gré des «combats d'idées», il en est une, pas la plus employée ni la plus claire, qui mérite qu'on s'y arrête: celle d'«aristocratie» qui poursuit, çà et là, une carrière idéologique déjà ancienne. Le terme est suffisamment vague pour qu'on l'admette sans examen et, de plus, il est évocateur d'his­toi­re(s). C'est cependant un terme suspect, au con­te­nu ambigu et dont l'usage ne va pas de soi. Son insignifiance politique présente contraste plaisam­ment avec l'abus que l'on en peut faire dans cer­tains milieux droitistes. C'est pourquoi tout débat sur la notion d'«aristocratie» doit commencer par une clarification sémantique. Ce faisant, on n'é­chap­pera pas, et l'on s'en excuse, aux détermi­na­tions intellectuelles de l'espace francophone. Mais si le mot est d'introduction ré­cente en fran­çais (le terme aristocratie, latinisé dans les traduc­tions d'Aristote, n'est usuel qu'à partir de 1750. L'aristocrate date du XVIe s. et ne se vulgarise, si l'on peut dire, qu'à la veille de la révolution (1778, Linguet) (1). La notion est ancienne.


Il faut donc s'attacher à donner des points de repère historiques relatifs à l'origine de cette no­tion, tant il est vrai que le «style aristocratique», quelles que soient les analogies que peuvent pré­senter sur ce point différentes civilisations, ne se laisse définir que dans un milieu culturel donné, en relation avec une situation historique précise. L'«aristocratie chinoise», ou pharaonique, ou in­ca, mais on risquerait alors de méconnaître l'uni­vers mental particulier qui les explique.


Aussi ces quelques notes s'attachent-elles aux données de la tradition indo-européenne, recon­nues comme fondement de la notion européenne d'«aristocratie». On a ainsi accès moins aux réali­tés des aristocraties historiques qu'à l'image que nous permettent d'atteindre les textes les plus an­ciens des cultures indo-européennes.


1.1. Le vocabulaire


Le sens du terme ayant varié au cours des temps, il convient de rechercher les valeurs premières. Si l'on se reporte au grec ancien, on se rend compte que les composés en aris- sont extrêmement nom­breux, de même que les noms de personnes. C'est l'indice d'une notion traditionnelle conser­vée par le formulaire et comme telle révélatrice des idéaux du peuple qui l'utilise, donc une no­tion fondamentale.


áristos sert de superlatif à ágathós «bon», et s'ap­plique à l'«excellent», au «meilleur», au «plus brave», au «plus noble». L'aristocrate est donc celui qui se distingue dans un emploi précis, jugé essentiel par la tradition nationale. A l'origi­ne, l'emploi devait être guerrier, l'áristeus étant «celui qui tient le premier rang», le «chef le plus distingué, le plus brave». Chez Homère, le terme s'applique à la suite ou à l'entourage des rois (Iliade 15, 363; 23, 236, etc…), d'où l'épique án­dres áristèes. L'áristeía est la supé­riorité, no­tamment la vaillance et, au pluriel, les hauts faits, les exploits qui procurent la gloire ári-prepéoos «impérissable». Aussi trouve-t-on l'adverbe ári-prepréoos «avec distinction, supé­rieurement». La notion de hiérarchie, ou mieux de hiérarchi­sa­tion (active) des mérites n'est pas loin et se traduit dans le vocabulaire du gouver­nement: áristarxéoo est «exercer la magistrature avec distinction», on classe les hommes áristín­dèn «par rang de no­blesse ou de mérite». L'idéal social d'áristeúoo «ex­celler» entretient les espé­rances lignagères, d'où le composé áristo-gónos «qui enfante les plus nobles fils». L'áristokratía est donc le «gou­vernement des plus puissants ou des meilleurs». L'«aristocratie» est donc une no­tion issue de l'ex­périence sociale, vérifiée et somme toute relative. Elle n'est pas un concept métaphysique.


1.2. Dans la tradition indo-européenne


1.2.1. L'individu dans le groupe


On remarque l'association de l'«aristocratie», qui est un terme composé et donc secondaire par rap­port à la notion d'aristeia, constatée, éprouvée dans les faits, avec les valeurs guerrières et la compétition sociale. Le rapport avec Indien arya- est probable mais le sens de ce dernier terme est discuté (2): l'arí- (avec sa personnification le dieu Aryaman) désigne la confédération des tribus qui constitue la «nation», tous ceux qui se revendi­quent du même «naître»; mais en même temps qu'il désigne la communauté nationale par op­position aux non-aryens, arí- désigne l'étranger à la famille, au clan et à la tribu. Emile Benvéniste a pu écrire que le style indo-européen était «a­ristocratique» et Meillet n'a pas dit autre chose: l'analyse du vocabulaire hérité montre que l'indo-européen «est une langue de chefs et d'orga­nisa­teurs imposée par le prestige d'une aristocratie» (3). L'étude du formulaire tradition­nel confirme cette impression d'ensemble: «on y trouve l'ima­ge d'une fière aristocratie guerrière, qui aime la vie, les larges espaces, les biens de ce monde et par-dessus tout la gloire, et qui con­sacre à l'éle­vage, aux sports équestres et à la chasse les loi­sirs du temps de paix. Aristocratie pour qui le «caractère» (*ménos) est la qualité es­sentielle de l'homme, et la gloire (*kléwos «ce qu'on en­tend») le but suprême de l'existence» (4). Nul doute que l'organisation distendue de la «nation» entre clans rivaux et compétiteurs a fa­vorisé la sélection de ces «aristocraties» guer­rières. Tel est encore le mode d'organisation de plusieurs peu­ples indo-européens historiques, en particulier les Celtes de l'Antiquité et du Haut Moyen Age irlan­dais.


L'«aristocratie» se laisse ainsi définir comme la recherche et la maîtrise d'une perfection technique dans les activités caractéristiques de son mode de vie et génératrices de hauts faits. Les exploits du guer­rier lui valent la gloire, la «bonne réputation» qui fait que l'on parlera de lui. C'est le seul mo­yen de conquérir l'immortalité, car la gloire est «im­périssable» (formule reconstruite à partir de védique áksitan ´srávah et grec homérique kléos áphthiton (5)). Le meilleur échappera ainsi à l'a­no­nymat de la «seconde mort» qui est le lot com­mun de ceux que guette l'oubli.


Comment cette idéologie d'apparence très «in­di­viduelle» s'inscrit-elle dans une doctrine sociale éminemment communautaire, entretenue par une tra­dition orale nécessairement supra-in­dividuelle? C'est d'abord que la recherche de gloire profite au groupe tout entier, puisqu'elle lui assure la maîtrise du «large espace», de l'«espace pour vi­vre». Ainsi les cosmogonies vantent les exploits du héros qui a fixé le soleil et repoussé les Té­nè­bres (Indra), servant en cela l'Ordre divin et ren­dant possible la vie du peuple et de l'univers (li­bé­ration des eaux/vaches/aurores). La victoire mi­li­taire permet aussi l'instauration du sacrifice, l'or­ganisation mystique de l'espace, la maîtrise dis­tinctive des champs de pouvoir (les différents ager de Rome). C'est aussi parce que la réussite individuelle renforce le sens de la lignée dont la famille, le premier des cercles de l'appartenance sociale, est l'expression synchronique: «Les de­voirs envers la lignée sont ceux du système que les sociologues nomment trustee, «caractérisé par la croyance que la race, la lignée étaient la réalité métaphysique, et que l'individu n'était qu'un mail­lon transitoire d'une chaîne permanente de la famille idéalement éternelle, gardant le nom, la ré­putation, le statut et la propriété de la famille en dépôt (in trust) pendant son temps de vie. C'était la responabilité de l'individu de transmettre ce dé­pôt non diminué et si possible accru par sa propre conduite. L'individu acquérait l'immortalité quant la postérité et en particulier ses propres descen­dants se rappelaient son nom avec orgueil et hon­neur» (6)».


Cette conception est inséparable de la solidarité cla­nique (famille étant ici à entendre comme «gran­de famille», élargie à l'ensemble de la pa­ren­té, pratiquement l'unité réelle de la vie natio­nale). C'est d'ailleurs la reconnaissance de la so­lidarité-dépendance qui seule permet l'existence sociale. On peut résumer ainsi E. Benvéniste (7): «En latin et en grec, l'homme libre, *(e)leud­heros, se définit positivement par son appar­te­nance à une «croissance», à une «souche»; à preu­ve, en latin, la désignation des «enfants» (bien nés) par liberi: naître de bonne souche et ê­tre libre, c'est tout un. En germanique, la parenté encore sensible par exemple entre all. frei «libre» et Freund «ami», permet de reconsti­tuer une no­tion primitive de la liberté comme ap­partenance au groupe fermé de ceux qui se nom­ment mutuel­lement «amis». A son appartenance au groupe –de croissance ou d'amis– l'individu doit non seulement d'être libre, mais aussi d'être soi: les dérivés du terme *swe, gr. idiotes «particulier», lat. suus «sien», mais aussi gr. étes, hetaîros «al­lié, compagnon», lat. sodalis «compagnon, col­lè­gue», font entrevoir dans le *swe primitif le nom d'une unité sociale dont chaque membre ne découvre son «soi» que dans «l'entre-soi».


On n'est libre que dans le mesure où on reconnaît sa dépendance de nature, on n'est une personne que dans la mesure où le groupe vous reconnaît. L'aristocratie, la première à suivre le modèle so­cial des sodalités et des unions de lignages, avec le système complexe d'engagements réciproques qu'elles supposent, participe entièrement de cette idéologie de la cohésion sociale, de type pourrait-on dire génétique.


1.2.2. Hiérarchie des valeurs et mobilité sociale.


Les différentes sociétés issues des Indo-Euro­péens ont conservé et cette exaltation de l'excel­lence sociale et le sens corollaire de la hié­rarchi­sa­tion: «Un ensemble formulaire constitué à partir de la racine *kens- «qualifier», «porter un juge­ment de valeur sur» évoque ces mécanismes com­plémentaires (la louange et le blâme). Ainsi la no­tion indo-européenne de *nára(m) ou *nárya-´sám­sa «la qualification des seigneurs» est per­sonnifiée en une entité à la fois crainte et aimée; on en retrouve peut-être le nom dans les anthro­ponymes grecs comme kássandros, kassándra. On se fait une mauvaise réputation (*dus-klewes) en manquant au code d'honneur de la commu­nau­té ou à l'un des devoirs de sa condition» (8).


Les idéaux, les valeurs qui permettent la sélec­tion, l'orientation, la fixation d'un idéal type, ce­lui d'un homme qui tient son «honneur», sont codifiés par la tradition, ensemble des formules et des schèmes notionnels transmis intangiblement (et considérés comme vrais parce que d'origine divine), qui sous-tendent les mythes, les épo­pées, l'onomastique, etc… (9). La qualité d'«a­ris­to­crate», si elle est favorisée par une bonne nais­sance, n'en est pas moins soumise à un juge­ment de valeur communautaire, celui du code so­cial lui-même, et tout manquement à ce code si­gne le déclassement du fautif: si les diri­geants ont des privilèges, ils ont de lourds de­voirs, ressorts de la fatalité historique.


A Rome, une même exigence se retrouve dans le cursus honorum et les distinctions de la titulature, amplissimus, cum primis honestus, bonus, in­fimo loco (10). Chez les Celtes, c'est la distinc­tion irlandaise entre les dee «dieux» et les andee «non dieux», ces derniers étant les cultivateurs, les premiers tous les possesseurs d'un «art».


Dans tous les cas, l'homme bien doué par la na­tu­re ou les dieux chargés de la distribution des dons (nordique gaefumadhr) doit en faire la preuve et les mettre au service de son lignage et donc de son clan.


Lorsque l'homme d'exception, dont le type «litté­rai­re» le plus connu est le héros homérique, vient à succomber sous les coups des hommes, des dieux, ou de quelque alliance des deux vou­lue par le destin, le drame prend des proportions déme­su­rées et dévoile brutalement le tragique de la «va­leur mortelle». Ainsi dans le récit irlandais de La Mort tragique des Enfants de Tuireann, le vieux père qui se lamente sur la mort héroïque mais injuste de ses trois fils laisse échapper cette plainte: «le pire est qu'ils n'aient pas d'égaux vi­vants». Même personnelle, la douleur humaine ne prend tout son sens que par le drame plus général dont elle participe: le drame de la qualité, l'atteinte irréparable faite à «ce qu'il y a de meilleur» dans l'humanité.


1.3. Hommes qualifiés et hommes du commun


Une dualité remontant à la période commune, cel­le des Indo-Européens indivis, est celle des hom­mes supérieurs par leur qualification, les *ner–es, et des hommes du commun, les *wiro–. Les pre­miers sont associés au sacré, les seconds au bé­tail. A Rome, le patriciat était détenteur des sacra face à la plèbe occupée à la troisième fonc­tion. On se souviendra utilement que le chef de famille é­tait à l'origine le maître du sacrifice (essentiel­le­ment familial). Remarquable est ce­pendant la mo­bilité sociale des sociétés indo-eu­ropéennes histo­ri­ques: faible importance de l'esclavage en dehors de la Méditerranée, impor­tance à Rome des homi­nes noui, selon le mérite: «les Romains de la fin de la République sont per­suadés de l'existence dès l'époque royale, d'une hiérarchisation fondée sur les qualités. Tite-Live prête à Tanaquil l'idée que Rome est le lieu où la noblesse et le premier rang sont promis «forti ac strenuo viro» (…) Tant et si bien que l'histoire de Rome apporte toujours en première ligne des in­dividualités nouvelles: pa­triciens d'abords, plé­béiens ensuite,alienigenas mé­­ritants même sont succesivement et progressi­vement amenés à jouer les premiers rôles» (11).


Il s'ensuit que les distinctions sociales sont mar­quées. Elles se fondaient à l'origine sur l'exercice de la puissance et la capacité de faire durer le grou­pe clanique dans les vicissitudes de l'histoi­re. Dans les sociétés historiques, elle s'exprime par un compromis entre la nécessaire stabilité (con­servatrice) et l'appétit des nouvelles élites (dy­namique). Dans tous les cas, la renom­mée, la gloire, la bonne réputation, héritage d'une civili­sa­­tion sans écriture et d'une «shame culture» pro­to-historique, restent le moteur de la sélection. Si­gni­ficativement, le «prix de l'honneur» est en cel­ti­que brittonique l'enebwerth, le «prix du vi­sa­ge», un visage qu'une satire bien décochée peut à tout jamais flétrir.


1.4. Justification des hiérarchies: l'aristocratie comme principe «diurne».


Une chose est de constater l'existence d'individus mieux doués que les autres (dans un système don­né, selon des critères donnés), une autre de l'ex­pliquer. Dans leur plus ancienne religion, les Indo-Européens ont mis en rapport les compor­tements, les domaines éthiques avec des couleurs symboliques issues de la cosmologie. Ce rap­port a été récemment souligné par le Pr. Jean Hau­dry dans un série d'études relatives à la cos­mologie reconstruite (12). Il sert en quelque sorte de «justification» naturelle et supra-humaine au «principe d'aristocratie».


Selon la plus ancienne cosmologie indo-euro­péen­ne, reconstruite, trois cieux tournent autour de la terre. Un ciel diurne blanc (*dyew), un ciel au­roral et crépusculaire rouge (régwos) et un ciel nocturne noir (*ne/okwt). De ces trois cieux vien­nent les «trois couleurs» cosmiques: «Qu'il s'a­gisse du monde, de la société ou de l'être in­di­vi­duel, nous trouvons invariablement, à la base de la conception indo-européenne, une triade de cou­leurs: le blanc, le rouge et le noir. Pour l'être in­dividuel, on parle de trois «qualités», de trois «principes spirituels»: les Indiens disent «trois fils» (guna) mais à chacun de ces «fils» est atta­chée une couleur: le sattva («bonté») est un prin­cipe luminueux, blanc éclatant; le rajas («l'ar­deur», «passion») est un principe rouge; le tamas «inertie spirituelle» est un principe noir, la «té­nè­bre». Pour la société, on parle de trois «fonc­tions» à la suite de G. Dumézil, qui a jadis postu­lé imprudemment trois «classes sociales» corres­pondantes, comme si la vision du monde était né­cessairement le reflet de la réalité sociale. En fait, comme l'indiquent le terme indien de varna et le ter­me avestique de pistra – désignant les trois cas­tes aryennes–, ces castes sont fonda­mentalement des "couleurs" (13)».


En chacun se mêlent plus ou moins heureusement ces trois composantes. Dans le Chant de Rígr de l'Edda, Noble est blond, pâle, Karl (Paysan li­bre) est roux et Thraell (Serviteur) a la peau som­bre. Diverses valeurs, des éthiques et des de­voirs différents traduisent ces différences de par­ticipa­tion aux trois couleurs cosmiques (qui se retrou­vent aussi chez les héroïnes «aurorales» de nos contes populaires). D'autres faits (14) con­firment que l'«allure» est une caractéristique du rang so­cial. De fait, dans toutes les provinces du monde indo-européen, l'opposition des castes ou des clas­ses est d'abord celle des caractères. Ainsi s'ex­pliquent toutes ces légendes de fils de rois ou de nobles élevés modestement, loin de leur milieu d'origine, mais qui parvenus à l'adolescnece font la preuve de leurs vertus intrinsèques: ce qui est «par nature» ne peut se cacher longtemps. La ra­ci­ne *men ne désigne pas particulièrement les ac­tivités de l'intellect, mais s'applique à la puis­san­ce de la vie psychique traduite en actes, d'où l'é­qui­valence grecque ieron ménos Alkinóoio = Al­ki­noos lui-même. Celui qui possède cette ar­deur, cette force, est dit avoir «le caractère d'un sei­gneur» (*nr-menes–).


De tout cela se dégage une hiérarchie que l'on peut schématiser en l'ordonnant sur les trois «do­maines d'activité» reconnus par la tradition: la pen­sée, la parole et l'action (15):

1. Principe clair, relatif au ciel-diurne:

- La pensée est fidèle à la tradition, droite, sans ar­rière-pensée, réfléchie, consciente de sa fin.

- La parole est rare, sensée, efficace, «bien ajus­tée» (16), parfois énigmatique (thème de la «lan­gue des dieux»).

- L'acte est techniquement irréprochable.


2. Principe rouge, relatif au ciel-crépusculaire (et au­roral):

- L'esprit est peu réfléchi, sensible aux sollicita­tions, tourné vers l'acte.

- La parole, parfois imprudente, provoque l'ac­tion dont elle peut être un agent (défi hé­roïque).

- L'action est la raison d'être de l'individu.


3. Principe noir, relatif au ciel-nocturne dans son as­pect négatif:

- L'esprit est vide, irréfléchi, lent.

- La parole est pauvre ou se réduit à un vain ba­var­dage.

- L'action est tout entière dans l'obéissance, dé­pour­vue d'initiative personnelle.


Ce tableau ne se confond pas avec celui de la «tri­partition fonctionnelle» dégagée par G. Dumézil, pas plus qu'avec le système quadriparti indien (trois castes aryennes, qui sacrifient, + les su­dra). Le type supérieur qui tend vers la clarté diur­ne est ici celui de l'aristocratie guerrière dé­ten­trice des sacra (l'invention d'une classe sacer­dotale peut être récente chez les Indo-Européens. Quoi qu'en aient dit certains auteurs, les druides celtiques ne sont que les auxiliaires de la royauté sacrée (17)). C'est à cette aristocratie que se rap­portent les qualités diurnes: la perfection tech­ni­que du dire et du faire, le physique irrépro­chable, qui signalent aux yeux de tous l'être «porteur du vrai», celui qui rayonne de la puis­sance magique de ce qui est «bien ajusté».


Il est facile de retrouver dans les protagonistes du mythe et de l'épopée la mise en œuvre de ces prin­cipes d'organisation. La classe aristocratique, en dépit de son endogamie protectrice et de son sys­tème d'éducation par fosterage, garant de ses alliances et de son homogénéité (d'où le sens de Germ. Edel et d'Irl. aite), n'apparaît pas figée u­ne fois pour toutes, mais soumise elle aussi aux exigences du renouvellement comme au principe de «décadence».


Elle est d'abord, ou se doit d'être, une réalité cons­tatée et estimée pour les services qu'elle peut rendre. Estimée d'abord par les chefs eux-mê­mes, dépositaires de la tradition, et exaltée par les poètes gardiens de la mémoire nationale, mais aus­si par la communauté des hommes libres. La con­ci­liation des trois ordres de comportements, des trois natures de l'être individuel, leur mise en harmonie, leur «attelage» se manifestent dans un personnage supérieur, le roi, incarnation de son peu­ple. Position risquée, car le roi, qui par son nom di–rige, est le premier responsable de l'or­dre cosmique. De fait, une disette, une atteinte na­­tu­relle au bien-être de la communauté, la dé­fa­veur des dieux, sont souvent interprétées comme un affaiblissement du charisme royal, de son effi­cacité mystique, d'où la «mort sacrificielle du roi» celtique, si bien commentée par Mme Clé­men­ce Ramnoux (18).


1.5. La décadence.


La décadence est causée par l'éloignement du prin­cipe diurne, dans l'ordre biologique, poli­ti­que, moral. Chacun connaît la doctrine hésio­di­que des Ages du Monde et la conception in­dienne des Ages, le dernier étant le kali-yuga, dominé par le principe noir. Pour Platon (République 547 ss.) on passe de la «timocratie» (gouver­ne­ment de l'honneur) aristocratique à l'oligarchie plou­tocratique, puis à la démocratie. L'anarchie en­gendre ensuite la tyrannie. La dis­parition, la per­­version de l'aristocratie marque donc la dégra­dation des principes de l'«Age d'or». En outre, la décadence est liée au devenir cosmique: ce qui s'efface dans tous les ordres, c'est la capacité à reconnaître la supériorité du principe diurne (19).


1.6. Idéaltype hérité.


L'«aristocratie» indo-européenne est, pour autant qu'on se la puisse représenter, un idéal éthique, esthétique, moral, qui se retrouve à l'époque his­to­rique dans les littératures européennes qui ont hérité de la communauté originelle le fonds et souvent la forme de leurs constructions.


Mais cet «idéal» contraignant résulte bien d'un choix initial, probablement issu d'une sélection culturelle et biologique, celle qui a donné nais­sance, à partir d'un fond commun prénéolithique, à un peuple particulier qui en a été le propagateur. Il est permis de penser que la communauté indo-européenne indivise représente assez largement ce type moral (psychique, physique).


2. Aristocratie

et forme sociale


L'aristocratie est donc au mieux la partie «active» et «rayonnante» du peuple. Au pire, lorsque les liens sociaux sont distendus et que le sentiment de la solidarité sociale se défait, elle peut devenir une caste parasitaire, ressentie comme telle, et com­battue en conséquence par un peuple qui la considère comme un «corps étranger» (ce fut le sort des aristocrates «usés» de l'Ancien Régime fran­çais).


Dans les sociétés de l'Europe préchrétienne, les de­voirs des différentes «fonctions» reflètent la gran­de variété de l'«excellence» sociale. De mê­me, le charisme solaire nommé xvar°nah– dans l'A­vesta est triple: il y a celui des prêtres, celui des guerriers, celui des éleveurs, et c'est la perte de ces trois charismes qui entraîne la décadence du royaume de Yima.


2.1. Aristocratie/Peuple


A dire vrai, l'«aristocratie» est ce qui porte à leur perfection les qualités latentes dans l'ensemble du corps social (la*teuta). Elles sont donc l'expres­sion d'une qualification globale, celle qui relie tous les membres de la nation, quelle que soit par ailleurs leur activité sociale. Il n'est d'aristocratie que par rapport à un ensemble qui lui donne son sens. La stérile dialectique de l'«élite« et de la «mas­se», qui a pris une si grande ampleur dans la pensée française (conséquence des difficultés i­den­titaires de la «nation française» elle-même), re­lève d'une conception viciée du corps social. Trop souvent on définit l'élite (ce qui est «hors du rang») contre le peuple, alors que l'aristo­cra­tie, conformément à l'étymologie, devrait être le «meilleur du peuple» dans l'exercice de son «pou­voir» formateur (kratos). Comme telle il s'a­git d'un faisceau de qualités, d'une veine qui peut être recouverte par d'autres courants, d'autres re­présentations, d'autres «aristocraties», autres par leur éthique, leur sys­tème de pensée, leur «outil­la­ge mental» et parfois mais pas nécessairement leur origine ethnique.


2.2. Finalité de l'aristocratie?


Le conflit des peuples, des classes, des idées, tout cela se recoupant de toutes les façons, est tou­jours, en dernière analyse, une lutte destinée à établir une aristocratie destinée à servir de mo­dè­le social et devant tôt ou tard conformer à son ima­ge les groupes dirigés, ses tributaires. Les grands systèmes égalitaires n'échappent pas à ce schéma: Prophètes, dirigeants politiques, «fonda­teurs» de millénarismes, il y a toujours un groupe «en avance». La supériorité spatiale des ancien­nes élites s'est simplement transformée en supé­rio­rité temporelle: C'est la logique des «avant-gar­des».


C'est précisément la nature égalitaire ou inégali­taire de l'idéologie dominante qui fonde la raison d'être de l'aristocratie, sa finalité. Le contraste en­tre les sociétés égalitaires qui imposent à tous un stéréotype d'humanité, et les sociétés diffé­ren­tialistes de type holiste qui tolèrent et requiè­rent le jeu de plusieurs idéaltypes à l'intérieur de la mê­me «vue-du-monde» (type des «trois fonc­tions») se traduit dans l'appréhension même du temps et du devenir. Alors que les premières sont généra­le­ment progressistes et entendent trouver la fin de l'espèce dans la fin de l'histoire, les se­condes, sensibles à la notion cyclique de déca­dence, re­cher­chent leur fin dans une réalisation historique vouée à de perpétuelles métamor­phoses. Pour elles, la fin de l'humanité ne se trouve pas dans un au-delà inaccessible, mais dans la difficile réa­li­sation d'un idéal humain tenu pour supérieur (i.e. aristocratique). Un tel idéal est par nature sou­­mis à l'usure du temps, il n'est jamais «a­che­vé», il doit donc toujours être «construit». C'est pourquoi l'appel aux forces divines et les qualités supra-humaines du héros sont fréquemment ex­po­sés sur le mode tragique dans les mythes et les épopées de l'Europe an­tique: réduit à lui-même, pri­vé du secours de ses dieux, l'individu ne pour­rait se hausser jusqu'à la sur-nature que sa tradi­tion nationale lui fait un devoir d'atteindre. Mais l'humanité «ordinaire» n'est pas tenue à une telle «hé­roïsation», qui reste exceptionnelle. On sait qu'el­le a, par nature, d'autres préoccupations.


3. Recours à la tradition?


Il n'est pas illégitime de s'interroger sur le sens que peut garder aujourd'hui, dans le monde tel qu'il est, ce que nous pouvons atteindre de la «tra­dition indo-européenne». On peut le faire, cons­cient qu'une tradition ne s'efface jamais tout à fait pour peu qu'elle soit transmise, (et à la con­dition de ne pas se laisser enfermer dans la systé­matique du «traditionnalisme» intégral et univer­sel d'un René Guénon ou d'un A.K. Cooma­ras­wa­my). On constatera qu'à l'évidence, les fins de la société occidentale sont fort peu compatibles avec les «valeurs héritées». Cas de figure expres­sément prévu par la tradition elle-même, sous les vocables d'«âge noir», d'«âge de fer» ou de «mau­vais temps» (olc aimser irlandais de la Pré­diction de la Bodb), d'ailleurs équilibré par la cro­yance, elle aussi cyclique, au retour progressif de l'«âge d'or» (20).


Mais enfin, les questions fondamentales aux­quel­les toute tradition se veut une réponse —à cet é­gard, l'humanité n'est qu'un concert d'impréca­tions—, n'ont pas changé: quelle confi­guration don­ner à la cité? Quelles limites dessi­ner? Quels in­terdits formuler? A qui attribuer le titre de bo­nus uir, de uir integer? Par quoi définir le sens d'un «bien», qui doit être aussi celui d'un «mal»? Et, dans ce cas, quelles définitions don­ner d'une éventuelle «aristocratie»? A cela, quelques remar­ques et deux textes anciens servi­ront non de «ré­pon­se» (il n'y a pas de réponse à ces questions) mais d'accompagnement:


a) Si l'«aristocratie» est le «gouvernement des meilleurs», on se souviendra qu'aristos est utilisé comme superlatif d'agathos «bon». L'aristos n'est qu'une concentration exceptionnelle de «ce qui est bon». Les aristoi sont les individus qui ma­nifestent avec le plus de force ce «bien» qui don­ne à leur cité force et éclat. Le «gouverne­ment» des meilleurs révèle en fait, qu'il se tra­dui­se ou non en institutions politiques, la puissance d'attraction de «ce qu'il y a de meil­leur dans le peu­ple». En ce sens, la reconnais­sance d'une aris­to­cratie est intimement liée à la conscience du bien commun.


b) Considérée non comme une caste mais comme un principe de vie, l'aristocratie échappe à la dé­fi­ni­tion sommaire. Chaque fonction a son idéal, cha­que ordre a ses aspirations. Mais la figure de l'a­ristocrate, échappant aux catégorismes étroits, surmonte l'histoire et lui survit comme un regret, un sarcasme ou une menace.


c) L'aristocrate n'est donc pas nécessairement ce­lui qui dit les valeurs, les décrit, les représente; ce n'est pas celui qui les explique, c'est celui qui les incarne.


d) C'est par l'aristocratie que le peuple a connu ses dieux et s'est constitué en puissance. L'aris­to­­cratie est ainsi la face claire du peuple, ce qui lui donne son immortalité et sa mémoire, lui rappelle son origine, lui dicte ses espérances.


e) L'acte aristocratique par excellence est donc ce­lui qui étend au sein du peuple le pouvoir du bien, tel que le définit la tradition, dans son voca­bu­laire, ses mythes, ses exempla.


Mot usé et galvaudé, lié à des moments parfois bien douteux de l'histoire, et généralement manié à tort et à travers, sans doute vaut-il mieux ré­duire l'usage argumentaire de l'«aristocratie» et de son «aristocratie». Chacun peut se passer du mot. Mais chacun peut aussi entretenir en lui la part de bien qui lui est fixée, et veiller à protéger, à garantir, à étendre au sein du peuple la part di­vine qui le rendra meilleur (21). C'est cela qui est indispensable.


Est-il tellement vain ou audacieux de penser que l'Aristocratie, c'est notre peuple quand nous l'au­rons rappelé à l'existence?


4. Deux textes

pour s'éclairer


Pour comprendre et méditer, rien de mieux qu'un recours à notre mémoire la plus ancienne. Voici un passage de l'Avesta iranien qui nous dévoile la sollicitude du «Seigneur sage» pour ses créa­tures menacées par l'arrivée du grand hiver cos­mi­que. (Zend–Avesta, Vendidad, fargard 2, tra­duc­tion Darmesteter, Paris 1892, p.20 ss.).


Ahura-Mazda dit à Yíma fils de Vîvanhat (§ 22 ss.):

«Voici que sur le monde des corps vont fondre les hivers de malheur, apportant le froid dur et destructeur. (…) Et tout ce qu'il y a d'animaux dans les lieux les plus désolés et sur le sommet des montagnes et dans les profondeurs des cam­pagnes se réfugiera de ces trois lieux dans des abris souterrains (…). Fais-toi donc un var (abri) long d'une course de cheval sur chacun des qua­tre côtés. Porte là les germes du petit bétail et du gros bétail, et des hommes, et des chiens, des oi­seaux, et des feux rouges et brûlants (…) (§ 27). Tu apporteras là des germes d'homme et de fem­me, les plus grands, les meilleurs, les plus beaux, qui soient sur cette terre (…) (§ 28) (…). Et ces germes, tu les mettras là par couples pour y rester sans périr, aussi longtemps que ces hom­mes resteront dans les vars (§ 29). Il n'y aura là ni difforme par devant ni difforme par derière, ni impuissant, ni égaré; ni méchant, ni trompeur; ni ran­cunier, ni jaloux; ni homme aux dents mal fai­tes, ni lépreux qu'il faut isoler; ni aucun des si­gnes dont añgra Mainyu (le mauvais esprit) mar­que le corps des mortels» (§ 39). «Quelles sont les lumières, ô saint Ahura-Mazda, qui éclairent dans le var qu'a fait Yíma?» (§ 40). «Ahura-Maz­da répondit: «les lumières faites d'elles-mêmes et des lumières faites dans le monde. La seule chose qui manque là, c'est la vue des étoiles, de la lune et du soleil et une année ne semble qu'un jour». (§ 41) (…) et ces hommes vivent de la plus belle des vies dans le var fait par Yíma».


Et un passage tripa? de la Grèce ancienne: Tyrtée, fragment 12:


«Je ne songe pas», dit Tyrtée, à louer un homme parce qu'il court vite et qu'il est bon lutteur, ni s'il a la taille et la force de Cyclones, ni s'il vainc Borée à la course, ni s'il est plus beau que Titho­nos, plus riche que Midas, que Cinyras, ni s'il est roi plus que Pélops, plus éloquent qu'Adras­te, ni s'il se targue de quelque gloire que ce soit, en dehors du courage. Tenir bon dans la bataille, au moment où l'ennemi serre de près, c'est cela, la valeur, et cette louange-là, plus belle que toute autre, est celle qu'un jeune homme doit sou­hai­ter». Cité par M. Delcourt, Légendes et cultes de héros en Grèce, Paris, PUF, 1942, p. 74.


Philippe JOUET.



Notes


(1) Dauzat, Dubois, Mitterand, Dict. étym. de la langue fr., Paris, 1971.

(2) E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-eu­ro­péennes, I, Paris, 1969, p. 367 s., G. Dumézil, «L'arî et les Aryas» in Les Dieux souverains des Indo-Européens, Pa­ris, 1977, p. 233-251.

(3) Introduction à l'étude comparative des langues indo-eu­ro­péennes, 1937, p. 47.

(4) J. Haudry, Les Indo-Européens, «Que sais-je?» n° 1965, Paris, P.U.F., p.15.

(5) Kuhn, in K. Zeitschrift, 2, p. 467; relevée dans Schmitt, Dichtung und Dichtersprache in indogerma­ni­scher Zeit.

(6) C.C. Zimmerman, in J. Haudry, op. cit., p. 32.

(7) op. cit., I, p. 321 s.

(8) Haudry, op. cit., p. 17.

(9) On trouvera une excellente définition de la «tradition indo-européenne» dans le n° 21 de la revue Etudes Indo-Eu­ro­péennes, Institut d'Etudes I-E, Fac. des Langues, Uni­ver­sité Jean Moulin, 74, rue Pasteur, 69007 Lyon. Ici abrégé EIE.

(10) Guy Achard, «La société romaine à la fin de la Ré­pu­blique, une société de classes?», EIE 15, p. 33-42.

(11) G. Achard, loc. cit., p. 40-41.

(12) L'Information grammaticale, n°29, p. 3-11, «La tra­di­tion indo-européenne au regard de la linguistique», La Re­ligion cosmique des Indo-Européens, Archè/Les Belles Let­tres, Milan/Paris, 1987.

(13) Haudry, art. cit., p. 5-6.

(14) Dans EIE 15, p. 43-50. Une étymologie nouvel­le­ment proposée interprète par trois verbes de mouvement les noms des trois classes de la société germanique: °erla d'une racine signifiant «s'élever», le nom de l'Homme libre de °ger- «se mouvoir», le nom du Serviteur de °trek- «cou­rir, se hâter», donc trois manières de se déplacer, perçues dif­fé­rentiellement.

(15) Schème notionnel indo-européen. Voir B. Schlerath, Gedanke, Wort und Werk im Veda und im Awesta, in An­ti­quitates Indogermanicas, Gedenkschrift für H. Güntert, Innsbruck, 1974. Nouvelles attestations dans EIE 9, p. 36.

(16) Lalies, 2, revue, Paris, 1981.

(17) Cf. Ph. Jouët, L'Aurore celtique, à paraître.

(18) Dans une série d'études remarquables récemment réédi­tées: Le Grand Roi d'Irlande, éd. L'Aphélie, Perpignan, 1989.

(19) La notion de décadence a été récemment revisitée par J. Haudry, EIE 1990, p. 99 s. Il semble bien qu'initia­le­ment une phase «ascendante» répondait à la phase «descen­dante» des cycles; cette phase de «progrès» comportait elle-même plusieurs «âges».

(20) Voir la note précédente et les considérations relatives au «roi caché du monde à venir» dans Haudry, Religion cos­mique.

(21) Lire P. Simon, «Le sacré: unité du monde et destin du peu­ple, in Nouvelle Ecole, revue, Paris, n° 37.

00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : politique, aristocratie, histoire, sociologie, élitisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook