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vendredi, 27 janvier 2023

Déserts, pics et glace. La vie extraordinaire d'Ardito Desio, l'indomptable

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Déserts, pics et glace. La vie extraordinaire d'Ardito Desio, l'indomptable

Marco Valle

Source: https://insideover.ilgiornale.it/societa/deserti-vette-e-ghiacci-la-straordinaria-vita-di-ardito-desio-indomabile.html?fbclid=IwAR1kQaBxZBawgdUyknFkIJdvC1Phsj3P0xg21ytIzNIyipzfowmEDFSR7uk

À la fin des années 1980, à l'époque où j'étais jeune rédacteur, j'ai interviewé Ardito Desio. Il avait alors presque quatre-vingt-dix ans (il est né à Palmanova le 18 avril 1897) et je pensais trouver un grand-père un peu sénile qu'il fallait expédier avec quelques questions et quelques compliments standard - bravo, bravissimo, prenons une photo, saluons les lecteurs, etc... - mais au lieu de cela, j'ai découvert un personnage fascinant, extraordinaire, digne de la plume de Verne. Une surprise et une leçon de vie.

En cette morne après-midi milanaise, le professeur m'a raconté, avec l'enthousiasme et le brio d'un jeune de vingt ans, de nombreuses histoires. Elles étaient toutes magnifiques. J'étais cloué à mon fauteuil en écoutant le récit de ses explorations autour du monde et ses descriptions très précises des mondes et atmosphères passés. L'Afrique italienne à la fin de son histoire et l'Asie du "Grand Jeu" de Kipling. Puis la Birmanie, la Perse, l'Himalaya, l'Antarctique. Déserts, montagnes, glace, sommets, sable, froid, chaleur. Passions et études. Tant d'études. Tant de passion.

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Fasciné, je l'ai écouté, oubliant de prendre des notes. Ce n'était pas nécessaire. Tout était (et est) dans ma tête. Ardito Desio était un formidable conteur qui pouvait vous envoûter, vous intriguer. En disant au revoir, il a anticipé son prochain voyage. Il m'a surpris une fois de plus. A l'âge où il n'était plus tout jeune, cet incroyable Frioulan s'apprêtait à repartir au Népal pour inaugurer la "Pyramide", un laboratoire de recherche multidisciplinaire de haute altitude situé à 5050 mètres au pied de l'Everest, un projet du CNR qu'il avait conçu et fortement souhaité. En écarquillant les yeux, il m'a dit : "Je retourne dans l'Himalaya où j'ai beaucoup travaillé, mais certainement moins que dans le désert saharien, tant d'aventures là-bas, tant d'occasions gâchées...". Puis il a saisi une grande bouteille et me l'a tendue. C'est le premier échantillon de pétrole de la Libye, me dit-il, "je l'ai trouvé en 1938 dans l'oasis de Marada, mais nous n'avions pas la technologie pour l'extraire, alors après la guerre, les Américains s'en sont occupés et nous avons été baisés....".

Une découverte dont il était à juste titre fier. Mais pas la seule. Au cours de sa très longue vie, qui s'est achevée à l'âge de 104 ans le 12 avril 2001, Desio a accumulé une étonnante série de succès scientifiques et géographiques qui lui ont valu reconnaissance, célébrité et pas mal d'envie. Il se fichait de ces envieux et allait toujours droit devant lui. En bref, Ardito en nom et en fait.

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Sa première aventure fut la Grande Guerre. Il partit comme aide-soignant cycliste volontaire en 1916 et fut nommé sous-lieutenant dans le corps alpin où il se lia d'amitié avec Italo Balbo, également jeune officier. Une rencontre, comme nous le verrons, qui fut décisive. Entre deux batailles, Desio s'inscrit à la faculté des sciences naturelles de Florence, mais en 1917, il est fait prisonnier des Autrichiens et termine la guerre dans un camp de détention en Bohème. De retour chez lui, il obtient son diplôme avec les meilleures notes et, en 1921, prend un poste d'assistant à l'Institut de géologie de Florence, puis de Pavie et enfin de Milan.

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L'Afrique selon Ardito Desio

Mais la vie sédentaire n'était pas pour Desio. Entre 1921 et 1924, il entreprend deux longues expéditions (14 mois en tout) dans le Dodécanèse, une nouvelle possession italienne, effectuant la première reconnaissance géologique de l'archipel. En 1926, c'est au tour de la Libye. Ayant débarqué le 24 septembre à Benghazi sous une pluie diluvienne, le jeune scientifique s'est vite débarrassé de tous les fantasmes littéraires sur l'Afrique et s'est rapidement adapté à la nouvelle réalité. Dans son livre Le vie della sete (= Les chemins de la soif), consacré à la recherche saharienne, Ardito mettait en garde ses lecteurs : "Chacun de nous s'est fait une idée personnelle de l'Afrique avant même d'y avoir mis les pieds. Les réminiscences d'anciennes lectures, les vignettes des livres, les descriptions imaginatives d'amis globe-trotters ont tous contribué à créer l'image singulière qui représente "notre" Afrique. Si la véritable Afrique devait être différente, nous en voudrions non pas tant à nous-mêmes qu'à cette "réalité inexplicable".

Envoyé, sur mission de la Société géographique italienne, dans l'oasis reculée de Giarabub, le jeune géologue est immédiatement fasciné par les attraits de "ce pays très intéressant et effrayant qu'est l'Afrique saharienne" et pendant des mois, il patrouille à Marmarica, effectuant d'importants relevés géologiques, topographiques et paléontologiques. C'était une tâche passionnante et terriblement fatigante, aggravée par la situation: à l'époque, la Libye était loin d'être conquise et "pacifiée" et la rébellion des Senoussistes continuait à saper les avant-postes italiens installés à l'intérieur du pays. Néanmoins, Desio poursuit ses explorations à pied ou à dos de chameau, se heurtant à plusieurs reprises aux autorités militaires qui ne sont pas du tout enthousiastes à l'égard des activités du professeur téméraire.

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Une fois sa première aventure africaine terminée, Desio participe en 1929, en tant que géographe et géologue, à l'expédition dans le Karakorum dirigée par le duc de Spolète, Aimone di Savoia-Aosta, une connaissance qui remonte à son séjour au Dodécanèse. L'idée initiale, née lors du 10ème Congrès géographique italien, était purement alpiniste-sportive et l'objectif était la conquête du K2, le deuxième plus haut sommet du monde, mais le désastre de l'expédition Nobile au pôle Nord a refroidi l'enthousiasme de Rome. Après la tragédie du dirigeable "Italia", Mussolini craignait un nouvel échec et a "conseillé" à la Société de géographie et au Club Alpino, commanditaires de la mission avec la ville de Milan, une approche scientifique plus prudente. C'est ainsi que Desio et ses compagnons ont exploré la vallée inviolée de Shaksgam, sur le versant nord du Karakorum, et ont atteint le glacier Duca degli Abruzzi et la selle de Sella Conway dans le Haut Baltoro. Dans son pèlerinage parmi les sommets d'Asie, le Frioulan a découvert un nouveau col à travers la crête principale du Karakorum entre le Trango (un affluent du Baltoro) et le Sarpo Laggo, et a effectué l'exploration complète du glacier Panmah. En outre, avec sa "Tavoletta di campagna" personnelle, construite spécialement pour lui par l'Officine Galileo de Florence, il a effectué des relevés topographiques dans de vastes zones inexplorées ainsi que l'étude géologique et géographique de tout le territoire. L'expédition himalayenne est un succès total, mais pour Desio, c'est aussi le début d'une obsession : la conquête du K2.

Entre 1931 et 1932, le professeur, mandaté par Guglielmo Marconi, président de l'Accademia d'Italia, organise deux expéditions dans le Sahara libyen, qu'il traverse avec une caravane de chameaux et l'année suivante avec une colonne de camions. L'objectif était double: étudier et cartographier le territoire et, en même temps, rechercher des ressources minérales telles que les nitrates et les phosphates.

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Son amitié avec Italo Balbo et son séjour en Libye

À son retour, Desio épouse à Milan Aurélia Bevilacqua, son ancienne élève, et renoue des relations avec Italo Balbo, l'ami de guerre devenu entre-temps le héros de la traversée de l'Atlantique et l'un des personnages les plus puissants de l'Italie de Mussolini. Une association fructueuse. En 1933, le ministre de l'Aéronautique de l'époque met un avion à la disposition de son vieux camarade alpin pour une reconnaissance scientifique en Perse. Arrivés à Téhéran, après une traversée périlleuse ponctuée de deux atterrissages en catastrophe en cours de route, Desio et ses compagnons d'aventure ont escaladé plusieurs sommets de plus de 4000 mètres, dont le mont Demaved, d'une hauteur inégalée de 5771 mètres, et étudié les glaciers de la chaîne du Zagros. 

Il s'agissait d'une opération géopolitique de soft power en synergie avec la focalisation croissante des institutions fascistes sur le Levant et l'Asie. A son tour, l'Iran de Reza Shah, le fondateur de la dynastie Pahlavi, regarde avec grand intérêt vers l'Italie, considérée, dans une intention anti-britannique, comme un allié possible. Outre les résultats scientifiques importants, l'expédition a inauguré une nouvelle phase dans les relations entre les deux nations et, quelque temps plus tard, les premiers élèves-pilotes de la force aérienne iranienne naissante ont été envoyés en Italie. 

Entre-temps, en 1934, Mussolini avait envoyé l'encombrant pionnier de l'aviation transatlantique en Libye en tant que gouverneur. Une sinécure plutôt qu'un poste politique, mais le natif de Ferrare, personnage mercuriel et pragmatique, a rapidement transformé la colonie endormie en un grand atelier social et culturel.

Bottiglia-con-il-primo-petrolio-del-Sahara-Libico-1938-FILEminimizer.jpgDeux ans après son arrivée à Tripoli, Balbo charge Desio de créer le musée libyen d'histoire naturelle et de diriger les recherches géologiques-minérales et sur les eaux artésiennes dans le sous-sol. Au cours de ses recherches, Desio a découvert un gisement de magnésium et de potassium dans l'oasis de Marada ainsi que la présence d'hydrocarbures dont, comme mentionné plus haut, les premiers litres de pétrole ont été extraits en 1938, dont la fameuse grande bouteille que le professeur m'a montrée lors de notre rencontre à Milan...

Avec l'aide de l'Agip, un programme d'exploration pétrolière est élaboré pour les trois années suivantes, qui comprend, dans le cadre de ses études de l'ensemble du territoire (résumées dans sa carte géologique de toute la Libye), des investigations dans le Sirtica, qu'il étudie pour la première fois d'un point de vue géologique. Le déclenchement de la guerre a stoppé toutes les recherches, bien que déjà 18 des puits forés aient commencé à révéler des traces de pétrole.

Le professeur a également identifié un aquifère artésien très riche qui servait à irriguer de vastes zones de la province de Misurata, permettant la transformation agraire de ce territoire semi-désertique, et a réalisé l'exploration du Fezzan, dont il a illustré pour la première fois la constitution géologique. Toujours en 1936, il participe au premier vol, un raid secret organisé par Balbo, le long des nouvelles frontières méridionales de la Libye - définies en 1935 par une convention italo-française, mais jamais ratifiée par Paris - qui va jusqu'à la région inexplorée du Tibesti.

Non content de l'aventure, l'année suivante, Desio se rend en Afrique orientale italienne pour explorer l'ouest de l'Éthiopie, une terre nouvellement conquise et à peine ou pas du tout pacifiée. Les deux expéditions entre le Nil Blanc et le Nil Bleu ont identifié des gisements d'or, de molybdénite et de mica, mais ont été attaquées à plusieurs reprises par les rebelles éthiopiens et ont subi de lourdes pertes; lors de l'un des assauts, un tube métallique providentiel utilisé comme porte-papier et porté par Desio sur son épaule a empêché une balle de lui transpercer la poitrine.

En mars 1940, à la veille de la guerre, Balbo le rappelle en Libye et lui confie une nouvelle expédition dans l'inhospitalier Tibesti. Avec deux avions et une colonne de camions, Ardito s'est rendu dans le mystérieux massif montagneux - un territoire quatre fois plus grand que la Sicile avec des sommets de plus de 3000 mètres - produisant la première carte de base de la zone, qui a été très utile pour définir la frontière contestée entre la Libye alors italienne et le Tchad français. Lors de sa reconnaissance libyenne, le géologue-explorateur découvre sur les parois d'un rocher dominant le désert des gravures représentant "de curieux dessins montrant, avec peu de traits mais avec une remarquable clarté, des bœufs aux cornes en forme de lyre, œuvre de bergers préhistoriques, qui ont dû vivre là lorsque le climat était moins aride".

Le 10 juin, l'Italie entre malencontreusement en guerre et le 28, l'avion d'Italo Balbo est accidentellement abattu par notre artillerie anti-aérienne dans le ciel de Tobrouk. Pour Desio, ce fut un grand chagrin et la fin d'une phase importante de sa vie bien remplie. Les événements de la guerre ayant mis un terme à l'exploration, le professeur se concentre sur la vie académique et, en 1942, il inaugure l'Institut de géologie de l'université de Milan, dont il reste le directeur jusqu'en 1972, date à laquelle il prend sa retraite pour cause de limite d'âge.

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Le défi réussi de K2

Dans l'après-guerre, Desio reprend ses contacts internationaux et, dès 1952, se rend en Inde et au Pakistan pour couronner son rêve de jeunesse, la conquête du K2. Avec un talent diplomatique incontestable et beaucoup de patience, il a convaincu en 1953 le gouvernement pakistanais très réticent d'autoriser l'ascension du sommet convoité. Ayant enfin obtenu l'autorisation, le professeur a mis toute sa force et sa méticulosité dans l'organisation de l'entreprise, suscitant plus d'une critique en raison de son tempérament de fer: les sélections étaient extrêmement rigoureuses et de nombreux alpinistes talentueux ont été rejetés. Desio ne permettait aucune objection ou pression d'aucune sorte, il choisissait ceux qu'il considérait comme les meilleurs (et les plus disciplinés...) sans se soucier des râleries et des envies.

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Une image de la vie d'Achille Compagnoni, l'un des héros du K2. Photo : Ansa.

Le plan prévoyait deux équipes, une d'alpinistes et une de scientifiques. Le premier avait pour mission de s'attaquer à l'ascension, le second devait se consacrer à la recherche scientifique. Les candidats sélectionnés pour l'ascension étaient: Erich Abram, Ugo Angelino, Walter Bonatti, Achille Compagnoni, Cirillo Floreanini, Pino Gallotti, Lino Lacedelli, Mario Puchoz, Ubaldo Rey, Gino Soldà, Sergio Viotto. L'expédition a atteint le camp de base à la fin du mois de mai 1954, entamant une périlleuse marche d'approche. Le 28 juillet, une altitude de 7627 mètres a été atteinte où le camp avancé VIII a été installé, puis, le 30 juillet, le camp IX à environ 7900 mètres et enfin, le 31 juillet 1954 à 18h00, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli ont conquis le sommet de la deuxième plus haute montagne du monde. Le K2 est ainsi devenu la "montagne des Italiens".

L'exploit a été endeuillé par la mort, suite à une pneumonie, de Mario Puchoz, l'un des membres les plus connus de l'expédition, et par le très grave "malentendu" entre Bonatti, d'une part, et Compagnoni et Lacedelli, d'autre part. L'histoire est bien connue et il est inutile ici de la retracer. Rappelons qu'au fil des ans, la version des deux alpinistes, signée et approuvée par le chef d'expédition Desio, a été durement combattue par Bonatti, déclenchant une "affaire K2" qui a duré jusqu'en 2004, lorsqu'une commission de sages du Club Alpino a donné raison au courageux Walter, sans toutefois jamais réfuter complètement le rapport de Desio. Ce n'est qu'en 2008 que la Société géographique italienne et la CAI ont officiellement rectifié la documentation, acceptant pleinement la version de Bonatti.

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L'attitude de Desio doit en tout cas être contextualisée. Pour lui, rien ne devait ternir la grande victoire italienne, un triomphe sportif mondial qui apaisait les blessures douloureuses d'un pays qui venait d'être durement battu et vaincu. La victoire du K2 a été la revanche de toute une nation et c'est tout. D'où son entêtement à courte vue à refuser à Bonatti ses sacro-saintes prétentions et à reconnaître tous ses mérites. Une injustice inutile. Mais c'était la façon de faire de l'homme.....

Au fil des ans, le professeur a continué à planifier et à diriger des expéditions au Pakistan, en Afghanistan, en Birmanie et aux Philippines, complétant ainsi ses recherches. En 1961, il tente d'organiser une mission italienne en Antarctique, mais le gouvernement lui refuse les fonds nécessaires. L'indomptable Ardito ne s'est pas résigné et, à l'invitation de la National Science Foundation américaine, il a atteint le continent gelé l'année suivante et, en tant que premier Italien de l'histoire, est allé jusqu'au pôle Sud. En 1974, le gouvernement américain lui a décerné la médaille du service dans l'Antarctique. En 1980, alors âgé de 83 ans, il se rend à Pékin et, premier étranger après l'annexion chinoise, traverse le sud du Tibet de Lhassa à Zham, puis au Népal. Une "promenade" à plus de cinq mille mètres.

La dernière aventure, comme mentionné au début, fut la construction du laboratoire Pyramide du CNR, inauguré par Desio en 1989 au pied de l'Everest. Sa mission était enfin terminée. Le temps était enfin venu de l'immobilité et de l'attente avant le grand saut, douze ans plus tard, dans le mystère de la mort. 

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mardi, 18 février 2020

The Faustian impulse and European exploration

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The Faustian impulse and European exploration

By Ricardo Duchesne

Ex: https://fortnightlyreview.co.uk

IN HIS 2003 book, Human Accomplishment: Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, 800 BC to 1950, Charles Murray argued that the great artistic and scientific accomplishments were overwhelmingly European. ”What the human species is today,” he wrote, “it owes in astonishing degree to what was accomplished in just half a dozen centuries by the peoples of one small portion of the northwestern Eurasian land mass.”

This claim goes against the modern grain of the world history community – indeed, against fashionable belief. The New York Times unsurprisingly called it “more bluster than rigor” and “unconvincing”1, but it was nonetheless the first attempt to quantify “as facts” the creative genius of individuals in terms of cultural origin and geographic distribution. Murray did this by calculating the amount of space allocated to these individuals in reference works, encyclopedias, and dictionaries. Based on this metric, he concluded that “whether measured in people or events, 97 percent of accomplishment in the sciences occurred in Europe and North America” from 800 BC to 1950.  Murray’s inventories of the arts also confirmed the overpowering role of Europe, particularly after 1400. Although Murray did not compare their achievements but compiled separate lists for each civilization, he noted that the sheer number of “significant figures” in the arts is higher in the West in comparison to the combined number of the other civilizations. He explained this remarkable “divergence” in human accomplishments in terms of the degree to which cultures promote or discourage autonomy and purpose. I am persuaded that individualism is one of the critical variables.2

The point I want to make, however, is that Murray pays no attention to accomplishments in other human endeavors such as leadership, exploration, and heroic deeds. The achievements he measures come only in the form of “great books” and “great ideas.” In this respect, Murray’s book is similar to certain older-style Western Civ textbooks where the progression of modern liberal ideals is the central theme. David Gress dubbed this type of historiography the “Grand Narrative.” By teaching Western history in terms of the realization of liberal democratic values, these texts “placed a burden of justification on the West … to explain how the reality differed from the ideal.’3 Gress called upon historians to do away with this idealized image of Western uniqueness and to emphasize the realities of Western geopolitical struggles and mercantile interests. Norman Davies, too, has criticized the way early Western civilization courses tended to “filter out anything that might appear mundane or repulsive.”4

MY VIEW IS that Europeans were not only exceptional in their literary endeavors, but also in their agonistic and expansionist behaviors. Their great books, including their liberal values, were themselves inseparably connected to their aristocratic ethos of competitive individualism. There is no need to concede to multicultural critics, as Davies does, “the sorry catalogue of wars, conflict, and persecutions that have dogged every stage of the [Western] tale.”5 The expansionist dispositions of Europeans as well as their literary and other achievements were similarly driven by an aggressive and individually felt desire for superlative and undemocratic recognition.

It has been said that when Mahatma Gandhi was asked what he thought of Western civilization he answered, “I think it would be a good idea.” Academics today interpret this answer to mean that the actual history of the West—such things as the conquest of the Americas and the expansion of the British Empire— belie its great ideas and great books. I challenge this naïve separation between an idealized and a realistic West borrowing Oswald Spengler’s image of the West as a strikingly vibrant culture driven by a type of personality overflowing with expansive, disruptive, and creative impulses. Spengler designated the West as a “Faustian” culture whose “prime-symbol” was “pure and limitless space.” This spirit was first visible in medieval Europe, starting with Romanesque art, but particularly in the “spaciousness of Gothic cathedrals;” “the heroes” of the Scandinavian, Germanic, and Icelandic sagas; the Crusades; the Viking sailing of the North Atlantic Ocean; the Germanic conquest of the Slavonic East; the Spaniards in the Americas; and the Portuguese in the East Indies.6

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“Fighting,” “progressing,” “overcoming of resistances,” struggling “against what is near, tangible and easy”—these are some of the terms Spengler used to describe this soul. This Faustian being is animated with the spirit of a “proud beast of prey,” like that of an “eagle, lion, [or] tiger.” Moreover, the seemingly peaceful achievements of the West, not just its warlike activities, were infused with this Faustian impulse. As John Farrenkopf puts it:

[T]he architecture of the Gothic cathedral expresses the Faustian will to conquer the heavens; Western symphonic music conveys the Faustian urge to conjure up a dynamic, transcendent, infinite space of sound; Western perspective painting mirrors the Faustian will to infinite distance; and the Western novel responds to the Faustian imperative to explore the inner depths of the human personality while extending outward with a comprehensive view.7

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IN MY BOOK, The Uniqueness of Western Civilization, I trace the West’s Faustian creativity and libertarian spirit back to the aristocratic warlike culture of Indo-European speakers who began to migrate into Europe roughly after 3500 BC, combining with and subordinating the ‘ranked’ Neolithic cultures of this region. Indo-European speakers originated in the Pontic-Caspian steppes. They initiated the most mobile way of life in prehistoric times, starting with the riding of horses and the invention of wheeled vehicles in the fourth millennium BC, together with the efficient exploitation of the “secondary products” of domestic animals (dairy goods, textiles, large-scale herding), and the invention of chariots in the second millennium. The novelty of Indo-European culture was that it was led by an aristocratic elite that was egalitarian within the group rather than by a single despotic ruler. Indo-Europeans prized heroic warriors striving for individual fame and recognition, often with a “berserker” style of warfare. In the more advanced and populated civilizations of the Near East, Iran, and India, local populations absorbed this conquering group. In Neolithic Europe, the Indo-Europeans imposed themselves as the dominant group, and displaced the native languages but not the natives.

I maintain that the history of European explorations stands as an excellent subject matter for the elucidation of this Faustian restlessness. An overwhelming number of the explorers in history have been European. The Concise Encyclopedia of Explorers lists a total of 274 explorers, of which only 15 are non-European, with none listed after the mid-fifteenth century.8 In the urge to explore new regions of the earth and map the nameless, we can detect, in a crystallized way, the “prime-symbol” of Western restlessness. We can also detect the Western mind’s desire – if I may borrow the language of Hegel – to expand its cognitive horizon, to “subdue the outer world to its ends with an energy which has ensured for it the mastery of the world.”9

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The Greeks initiated the science of geography. But just as pertinent is how contentious individuals, born in a culture engaged in widespread colonizing activities between 800 and 500 BC, drove this science. Hecataeus (550 – 476 BC), the author of the first book of geography, Journey Round the World, based his knowledge on his extensive travels along the Mediterranean and the Black Sea. To be sure, the Phoenicians, starting around the first millennium BC, established approximately 30 colonies throughout the African shores in the western Mediterranean, Sardinia, Malta, and as far west as Cádiz in modern Spain. However, more than thirty Greek city-states each established multiple colonies, with some estimating that the city of Miletus alone set up ninety colonies. All in all, Greek colonies were stretched throughout the Mediterranean coasts, the shores of the Black Sea, Anatolia in the east, southern France, Italy, Sicily, and in the northern coast of Africa, not to mention the long colonized islands of the Aegean Sea.

A popular explanation as to why the Greeks launched these overseas colonies is population growth and scarce resources at home. But the evidence shows that much of these colonial operations were small-scale undertakings rather than mass migrations led by impoverished farmers. Commercial interests and the incentive to gain new agricultural lands were motivating factors. But I would also emphasize the “general spirit of adventure” permeating the Greek world since Mycenaean times. Many of the colonies, as A. G. Woodhead has shown, had “their origins in purely individual enterprise or extraordinary happenings.”10

Hecataeus envisioned the world as a disc surrounded by an ocean. But soon there would be a challenger – Herodotus, born in 484BC. He too offered numerous geographical and ethnographic insights based on his extensive travels, and he did so in explicit awareness of his own contributions and in direct criticism of his predecessor. This competitive desire on the part of individuals to stand out from others was ingrained in the whole social outlook of classical Greece: in the Olympic Games, in the perpetual warring of the city-states, in the pursuit of a political career, in the competition among orators for the admiration of the citizens, and in the Athenian theater festivals, where numerous poets would take part in Dionysian competitions amid high civic splendor and religious ritual. New works of drama, philosophy, and music were expounded in the first-person form as an adversarial or athletic contest in the pursuit of truth.

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DURING THE HELLENISTIC centuries, explorers would venture into the Caspian, Aral, and Red Seas, establishing trading posts along the coasts of modern Eritrea and Somalia. Perhaps the most successful of Hellenistic explorers was Pytheas. In his book, On the Ocean, he recounts an amazing journey (ca. 310BC) northward to Brittany across the Channel into Cornwall, through the Baltic Sea, the coast of Norway, and even Iceland.11

These explorations encouraged astronomical and geographical scholarship leading to the full conceptualization of the shape of the earth itself by Eratosthenes (276-185BC), who not only contextualized the location of Europe in relation to the Atlantic and the North Sea, but calculated the spherical size of the earth (within 5 percent of its true measure), with the obvious implication that the Mediterranean was only a small portion of the globe. This spirit of inquiry continued through the second century AD, when Ptolemy wrote his System of Astronomy and his Geography, where he rationally explained the principles and methods required in mapmaking and produced the first world map depicting India, China, South-East Asia, the British Isles, Denmark and East Africa.

There was far less desire to explore the geography and landscapes of the world among the peoples of the non-Western world. While in the first century BC the Han dynasty extended its geographical boundaries south into Vietnam, north into Korea, and east into the Tarim Basin, the Chinese showed little geographical interest beyond their own borders. What is striking about Chinese maps in general is how insular they were in comparison with the much earlier maps of Ptolemy. Even a sixteenth-century reproduction of Zheng He’s sailing maps lacks any apposite scale, size, and sense of proportion regarding the major landmasses of the earth.

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The Chinese supposition that the earth was flat remained almost unchanged from ancient times until Jesuit missionaries in the seventeenth century brought modern ideas. In stark contrast, Greek philosophers of the fifth and fourth centuries BC were already persuaded that the earth was a sphere. Aristarchus of Samos, who lived about 310 to 230 BC, went so far as to postulate the Copernican hypothesis that all planets revolve in circles around the sun, and that the earth rotates on its axis once in twenty-four hours.

Indian civilization showed little curiosity about the geography of the world; its maps were symbolic and removed from any empirical concern with the actual location of places. Maritime activity among the isolated civilizations of America was restricted to fishing from rafts and canoes. The Phoenicians left no geographical documents of their colonizing expeditions.12

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The Vikings “discovered in their gray dawn the art of sailing the seas which emancipated them”—so says Spengler.13 During the last years of the eighth century, marauding bands of Vikings pillaged their way along the coast lines of Northern Europe and down around Spain, into the Mediterranean, Italy, North Africa, and Arabia. Some hauled their long boats overland from the Baltic and made their way down the great Russian rivers all the way to the Black Sea. During the ninth and tenth centuries, their primary aim was no longer plunder as much as finding new lands to settle. Their voyages far into the North Atlantic were “independent undertakings, part of a 300-year epoch of seaborne expansion” which resulted in the settlement of Scandinavian peoples in Shetland, Orkney, the Hebrides, parts of Scotland and Ireland, the Faroe Islands, Iceland, Greenland, and Vinland (present-day Newfoundland).14 They colonized the little-known and unknown lands of Iceland from 870AD onward, Greenland from 980 onward, and then Vinland by the year 1000 AD. The Icelandic geographers of the Middle Ages showed considerable detailed knowledge in their descriptions of the Arctic regions, stretching from Russia to Greenland, and of the eastern seaboard of the North American continent. This is clearly attested in an Icelandic Geographical Treatise preserved in a manuscript dating from about 1300, but possibly based on a twelfth-century original.

Peter Whitfield speculates that “some conscious impulse towards exploration and conquest” must have motivated these voyages, “prompted by harsh living conditions at home.”15 Jesse Byock explains that the settlement of Iceland was led by sailor-farmers seeking to escape population pressures in the Scandinavian mainland, and that, in turn, the settlement of Greenland was initiated by Icelanders escaping Malthusian pressures in Iceland. At the same time, the cultural world Byock reveals, through his careful reading of numerous heroic sagas associated with these voyages and settlements, is that of aristocratic chieftains and free farmers venturing into unknown lands, competing with other chieftains and struggling for survival and renown.16

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In the next centuries after the Vikings, the travels of Marco Polo (1254-1324) throughout the Asian world found expression in the Catalan Atlas of 1375, which was quite innovative in showing compass-lines, and in the accurate delineation of the Mediterranean. On the strength of Ptolemy’s work, Islam fostered its own geographical tradition with the benefit of their extensive dominions and travels. Ibn Battuta (1304-1374), the greatest Muslim traveler, visited every Muslim country and neighboring lands. But his “overmastering impulse,” to use his own words, was to visit “illustrious sanctuaries”17 – unlike Marco Polo’s desire, which was to visit non-Christian lands barely visited by Europeans and learn about the unknown tribes of Asia, including the numinous land of Cathay.18 In 1154, the greatest Islamic cartographer, al-Idrisi, produced a large planispheric silver relief map that was original in not portraying the Indian Ocean in a landlocked way and in offering a more precise knowledge of China’s eastern coast. But Islamic geography would go no further.

SPENGLER WRITES THAT the Spaniards and the Portuguese “were possessed by the adventured-craving for uncharted distances and for everything unknown and dangerous.’19 By the beginning of the 1400s, the compass, the portolan chart and certain shipping techniques essential for launching the Age of Exploration were in place. The Portuguese, under the leadership of Henry the Navigator would go on, in the course of the fifteenth century, to round the southern tip of Africa, impose themselves through the Indian Ocean, and eventually reach Japan in the 1540s. They would create accurate maps of West Africa as far as Sierra Leone, as well as rely on Fra Mauro’s new maps, one of which (1457) mapped the totality of the Old World with unmatched accuracy while suggesting, for the first time, a route around the southern tip of Africa. A mere two years after Diaz had sailed around the Cape; Henricus Martellus created his World Map of 1490, which showed both the whole of Africa generally and the specific locations of numerous places across the entire African west coast, detailing the step-by-step advancement of the Portuguese.

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The question of what motivated the expeditions of the Portuguese is a classic one, and, conversely, so is the question of why China abandoned the maritime explorations started by Zheng He. Why were his expeditions not as consequential historically as the ones initiated by Henry the Navigator? For Felipe Fernández-Armesto, Zheng He’s voyages were displays of “China’s ability to mount expeditions of crushing strength and dispatch them over vast distances.” Zheng He’s expeditions did not last and were less consequential, according to Fernández-Armesto, because China’s Confucian government assigned priority to “good government at home” rather than “costly adventures” abroad, particularly in the face of barbarian incursions from the north.20

At the same time, Fernández-Armesto portrays China’s mode of exploration in rather admiring terms: her peaceful commerce, scholarship, and even “vital contributions to the economies of every place they settled.’21He almost implies, indeed, that the Chinese, not the Europeans, were the true explorers, on the grounds that He’s expeditions along the Indian Ocean were more difficult (due to wind patterns) than the European ones through the Atlantic, and that the Europeans navigated through the Atlantic in order to overcome their marginalized economic position rather than to explore.

The major flaw in Fernández-Armesto’s account (as in all current accounts) is the unquestioned assumption that the Chinese expeditions were “explorations” stirred by disinterested curiosity while the Portuguese expeditions were primarily economic in motivation. The Chinese did little that can be considered new in the exploratory sense; they did not discover one single nautical mile; the Indian Ocean had long been a place of regular navigation, unlike the Atlantic and the western coasts of Africa. The Portuguese, it is true, were poor and many of the sailors manning the ships were longing for better opportunities, but what drove the leading men above all else was a chivalric desire for renown and superior achievement in the face of economic costs, persistent hardships, and high mortality rates.

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The Chinese were ahead of Europe in technology when the 1400s started, but their technology thereafter remained for the most part unchanged; whereas the Portuguese (and Europeans) would advance continuously. Furthermore, the nautical problems the Portuguese had to face were more difficult.  As Joseph Needham has noted,

Almost as far as Madagascar the Chinese were in the realms of the monsoons, with which they had been familiar in their own home waters for more than a millennium. But the inhospitable Atlantic had never encouraged sailors in the same way, and though there had been a number of attempts to sail westwards, that ocean had never been systematically explored.22

The main motivations of the Portuguese cannot be adequately explained without considering the chivalric and warlike spirit of the aristocratic fidalgos. Fernández-Armesto acknowledges that the ethos of chivalric honor “did make the region peculiarly conducive to breeding explorers.”23 But to him this was an ethos rooted in medieval romances exclusive to Portugal and Spain. Besides, he rejects any notion of Western uniqueness, and does not properly explain the differences between economic, religious, and chivalric motivations.

As I see it, the chivalric motivations of the Portuguese colored and intensified all their other motivations, and this is why they exhibited an excessive yearning for spices, a crusading zeal against non-Christians, a relentless determination to master the seas. The chivalry of the Portuguese was a knightly variation of the same Faustian longing the West has displayed since prehistoric times. The ancient Greeks who established colonies throughout the Mediterranean, the Macedonians who marched to “the ends of the world,” the Romans who created the greatest empire in history, the Franks who carved out Charlemagne’s Empire, and the Portuguese, were all similarly driven by an “irrepressible urge to distance.”

NO SOONER DID Columbus sight the “West Indies” in 1492, than one European explorer after another came forth eager for great deeds. By the 1520s, Europeans had explored the entire eastern coast of the two Americas from Labrador to Rio de la Plata. From 1519 to 1522 Ferdinand Magellan led the first successful attempt to circumnavigate the earth through the unimagined vastness of the Pacific Ocean. It has been said that Magellan’s energy and vision equaled that of Columbus; he “shared with his great predecessor the tenacity of a man driven by something deeper than common ambition.’24

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Between 1519 and 1521 Hernán Cortés put himself at the command of an expedition that would result in the conquest of the Aztec Empire. These days many regard Cortés as something of a criminal, and this is true. The campaigns he conducted against the Mexicans were graphically barbaric. At the same time, Cortés was a prototypical Western aristocrat, or, as described by his secretary, a man “restless, haughty, mischievous, and given to quarrelling.’25 The running story on Cortés today is that if he had not conquered Mexico someone else would have. The real agents were the guns, the steel swords, the horses, and the germs. Without denying any of these factors, I agree with Buddy Levy’s recent portrayal of Cortés as a man who displayed, again and again, an extraordinary combination of leadership, tenacity, diplomacy, and tactical skill. Finding gold was a priority for Cortés and his men, but, as Cortés’s impassioned speeches and the character descriptions of his contemporaries both testify, he was above all a man driven by an “insatiable thirst for glory and authority;” “he thinks nothing of dying himself, and less of our death.”26 A similar account can be given of Francisco Pizarro.

The same spirit that drove Cortés and Pizarro drove Luther in his uncompromising challenge to the papacy’s authority: “Here I stand, I cannot do otherwise.” It drove the “intense rivalry” that characterized the art of the Renaissance, among patrons, collectors, artists, and that culminated in the persons of Leonardo, Raphael, Michelangelo, and Titian.27 It motivated Shakespeare to outdo Chaucer, creating more than 120 characters, “the most memorable personalities that have graced the theater – and the psyche – of the West.’28 Let us recall that the age of the conquistadores was Spain’s golden age; the age of El Greco, Velázquez, Calderón de la Barca, and Francisco López de Gómara; the time of Cervantes’s Don Quixote and the realist transformation of the chivalrous imagination, of Lope de Vega and the creation of a new literary style in the picaresque novel with its sympathetic story of thieves and vagabonds. This century saw, additionally, a veritable revolution in cartography. As early as 1507, the German cosmographer, Martin Waldseemüller, produced a map depicting a coastline from Newfoundland to Argentina, and showed the two American continents clearly separated from Asia.

IN THE FACE of a list of rather ordinary human motivations, such as the motivation to acquire wealth and conquer new lands, it is very difficult to ascertain the Faustian character of the explorers, extract its essential nature, and apprehend it for itself. I want to suggest, even so, that the history of exploration during and after the Enlightenment era offers us an opportunity to apprehend clearly this soul. For it is the case that, from about the 1700s onward, explorers come to be increasingly driven by a will to discover irrespective of the pursuit of trade, religious conversion, or even scientific curiosity. My point is not that the unadulterated desire to explore exhibits the Faustian soul as such. The urge to accumulate wealth and advance knowledge may exhibit this Faustian will just as intensively. The difference is that in the desire to explore for its own sake we can see the West’s psyche striving to surpass the mundane preoccupations of ordinary life, comfort and liberal pleasantries, proving what it means to be a man of noble character.

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The minimization of any substantial differences among humans cultivated by the modern model of human nature has clouded our ability to apprehend this Faustian desire.  The original outlook of Locke and French Enlightenment thinkers, themselves the product of the persistent Western quest to interpret the world anew, fostered a democratic model wherein humans came to be seen as indeterminate and more or less equal, a “white paper,” a malleable being determined by outside circumstances, tradition-less and culture-less. This egalitarian view was nurtured as well in the philosophy of Descartes, Leibnitz, and Kant, with its emphasis on the innate and equally a priori cognitive capacities of humans qua humans.

It should come as no surprise, then, that historians (and psychologists) write of human passions and motivations as essentially alike across all cultures. In our subject of inquiry, exploration, we are normally told that “the desire to penetrate and explore the world’s wild places is a fundamental human impulse.” Frank Debenham’s Discovery and Exploration, a broad survey published in 1960, informs us that “man’s natural inquisitiveness has been a mainspring of discovery and exploration.”29 Yet, much of Debenham’s book is about modern Europeans exploring the world. There is an appendix that lists a total of 203 famous explorers, of which only eight are non-Western.30

61MKttOBHsL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgLikewise, Fernández-Armesto’s book Pathfinders is described as “a study of humankind’s restless spirit,” but once he reaches the period after the 1500s, he has no explorers outside the West to write about. This may explain why he becomes disparaging toward European explorers, particularly those who came after the 1700s, describing them (David Livingstone, Henry Morton Stanley, Roald Amundsen, and others) as “failures,” “naïve,” “bombastic,” “mendacious,” “useless,” and “incompetent.”31

My view is the opposite: the history of exploration provides us with a profoundly revealing index of Western heroic self-fashioning. There is much to be learned about the uniqueness of the West in the life experiences and the motivations driving such men as Captain Cook. During the course of his legendary three Pacific journeys between 1768 and 1779, it is said that he explored more of the earth’s surface than any other man in history. His methods were said to be “practical and humane,” and yet he was also a heroic figure, filled with a zeal for greatness. In his own words, what he wanted above all else was the “pleasure of being first;” to sail “not only farther than man has been before me but as far as I think it possible for man to go.”32

Fernández-Armesto is highly critical of Robert Falcon Scott’s somber expressions of boldness, risk, duty, and resolve during the last days of his tragic expedition to the South Pole in 1911-12. Max Jones offers a far more incisive assessment of the significance of Scott, less as a “great” explorer than as someone who “composed the most haunting journal in the history of exploration.’33 Jones extols the captivating drama of the journals, the mounting tension and ever present anxiety as the ship battles to reach the Antarctica coast, and the epic-like account of the relentless march to the Pole. Jones situates Scott within a wider cultural setting: his immersion in polar literature, his awareness of characters in major novels who sought to prove themselves, his copy of Darwin’s Origins of Species and Scott’s “bleak vision of the universe as a struggle for existence,” the literary influences of Ibsen and Thomas Hardy and their fascination with the dependency of the human will on the indifferent power of nature and necessity.

Overall, the pervading idea of the journals is the heroic vision of exploration as a test of individual worthiness and national character. From his early manhood, Scott was filled with anxiety and doubts about his adequacy in life’s struggles: “I write of the future; of the hopes of being more worthy; but shall I ever be – can I alone, poor weak wretch that I am bear up against it all.”34 Expedition narratives through the nineteenth century, Jones observes, became ever more focus on the character of the explorer than on the economic externalities, so exploration became an inner journey, “a journey into the self, nowhere more so than in the emptiest of continents, Antarctica.’35 Scott understood this: “Here the outward show is nothing; it is the inward purpose that counts.” There was nothing to see in the center of Antarctica except the reflection of the inner Western quest to face the struggle of life in a heroic fashion.

 ♦


Ricardo Duchesne is professor at the University of New Brunswick, Department of Social Science, Saint John, Canada. He is the author of The Uniqueness of Western Civilization (2011). [US Amazon link.]

This article was revised 8 October 2012 to correct an editing error.

NOTES:

  1. Judith Shulevitz, “‘Human Accomplishment:’ the Best and the Brightest,” The New York Times,  30 November 2003.
  2. Charles Murray, Human Accomplishment, The Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences 800 BC to 1950 (New York: HarperCollins Publishing Inc, 2003), 252-259.
  3. David Gress, From Plato to NATO, The Idea of the West and Its Opponents (The Free Press, 1996).
  4. Norman Davies, A History of Europe (New York: Random House, 1997), 28.
  5. Davies, 15-16.
  6. Oswald Spengler, The Decline of the West: I: Form and Actuality, translated by Charles Francis Atkinson (New York: Alfred Knopf, 1973), 183-216.
  7. John Farrenkopf, Prophet of Decline: Spengler on World History and Politics (Louisiana State University Press, 2001), 46.
  8. Ibid.
  9. G.W.F. Hegel, Philosophy of Mind. Being Part Three of the Encyclopedia of the Philosophical Sciences, translated by William Wallace (Oxford University Press, 1971), 45.
  10. A.G. Woodhead, The Greeks in the West (New York: Praeger, 1966), 32-33. Robin Lane Fox’s Travelling Heroes: Greeks and The Epic Age of Homer (Allen Lane, 2008), deals with how their travels from one end of their world to the other shaped the Greeks’ myth, heroes, and gods.
  11. For an up-to-date review of the Greek explorations of the Atlantic world, including a chapter on Roman expeditions to the North Sea, see Duane Roller’s Through the Pillars of Herakles: Greco-Roman Exploration of the Atlantic (Routledge, 2006).
  12. Rome is not known to have carried as many explorations as the Greeks; still, it should be noted that the Romans penetrated deeper into Africa than any European power until well into the nineteenth century; see L. P Kirwan, “Rome Beyond The Southern Egyptian Frontier,” The Geographical Journal, (123.1: 1957).
  13. Decline of the West, 332.
  14. Jesse Byock, Viking Age Iceland (Penguin Books, 2001).
  15. Peter Whitfield, New Found Lands. Maps in the History of Exploration (New York: Routledge, 1998), 18.
  16.  The Vinland Sagas, The Norse Discovery of America, translated with an introduction by Magnus Magnusson and Hermann Palsson (Penguin Books, 1965).
  17. Daniel Boorstin, The Discoverers (Vintage Books, 1985), 121.
  18. John Larner, Marco Polo and the Discovery of the World (New Haven, CT: Yale University Press, 1999).
  19. Decline of the West, 333.
  20. Pathfinders, A Global History (New York: Norton, 2006), 109-117.
  21. Ibid.
  22.  Joseph Needham, The Shorter Science and Civilization in China, Volume 3: A Section of Volume IV, Part I and a Section of Volume IV, Part 3 of Needham’s Original Text (Cambridge University Press, 1995), 141.
  23. Pathfinders, 145.
  24. Whitfield, 93.
  25. Buddy Levy, Conquistador, Hernan Cortes, King Montezuma, and the Last Stand of the Aztecs (Bantam Books, 2009), 3.
  26. Levy, 203.
  27. See Rona Goffe’s, Renaissance Rivals (New Haven: Yale University Press, 2004), for an account of the passionate strivings of the greatest artists of the Renaissance to outdo both living competitors and the masters of antiquity.
  28. Frank Dumont, A History of Personality Psychology (Cambridge University Press, 2010), 20.
  29. Frank Debenham, Discovery and Exploration (London: Paul Hamlyn, 1960), 6.
  30. The same line of reasoning occupies Piers Pennington’s The Great Explorers (London: Aldus Books, 1979): “this book tells the story of the world’s great adventures into the unknown,” yet the fifty-plus explorers listed are from the Occident. See also The Discoverers: An Encyclopedia of Explorers and Exploration, ed. Helen Delpar (New York: McGraw-Hill, 1980).
  31. Pathfinders, 394.
  32. Cited in Hanbury-Tenison, ed., The Oxford Book of Exploration (Oxford University Press, 1993), 490-3. This book is an anthology of writings by explorers.
  33. Max Jones, “Introduction” in Robert Falcon Scott’s Journals: Captain Scott’s Last Expedition (Oxford University Press), xvii.
  34. Ibid., xix.
  35. Ibid, xxxiv-xxxv.

vendredi, 25 septembre 2015

Esploratori tedeschi nel cuore dell’Africa: Heinrich Barth, Adolf Overweg, Eduard Vogel

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Esploratori tedeschi nel cuore dell’Africa: Heinrich Barth, Adolf Overweg, Eduard Vogel

 

Chissà perché, oggi in certi ambienti storiografici è considerato politicamente poco corretto, o quanto meno discutibile, occuparsi degli esploratori europei del XIX secolo, particolarmente di quelli che rivolsero le loro ricerche al continente africano. Più o meno esplicitamente, viene loro imputata la colpa di aver fornito l’avanguardia degli eserciti coloniali; perciò, nell’ambito dei circoli culturali “progressisti”, i loro nomi sono caduti nell’oblio, a dispetto dei notevoli meriti scientifici che, indubbiamente, molti di essi ebbero.

Così, siamo caduti da un estremo all’altro: se, un tempo, le storie del continente africano scritte dagli Europei tendevano ad assegnar loro uno spazio sproporzionato, “dimenticandosi” delle culture locali e delle civiltà indigene, adesso sta divenendo difficile vederli citati anche solo di sfuggita, a parte i cinque o sei più famosi e a meno che le loro vite abbiano qualcosa a che fare con gli eccessi e i crimini del colonialismo.

Un buon esempio di ciò è la famosissima, e forse sopravvalutata, Africa, del saggista inglese John Reader, apparsa nel 1997 (e tradotta in italiano dalla casa Editrice Mondadori nel 2001), tipico prodotto del rigetto anti-vittoriano e anti-etnocentrico della fine del XX secolo. Invano si cercherebbero, nelle oltre 700 pagine di questa grossa opera, una sola citazione dei nomi di Heinrich Barth, Adolf Overweg ed Eduard Vogel (anche se quelle di Livingstone si sprecano addirittura: il lupo sciovinista perde il pelo, ma non il vizio…).

Questa tacita rimozione è particolarmente vistosa nel caso degli esploratori tedeschi, che pure diedero un contributo decisivo alla conoscenza del continente africano dal punto di vista geografico, botanico, zoologico ed etnografico. Infatti, dopo la prima guerra mondiale – quindi, assai prima delle altre potenze europee – la Germania dovette rinunciare alle sue colonie; e la motivazione con cui Francesi e Britannici gliele tolsero, spartendosele, fu che essa aveva dato prova di una estrema irresponsabilità nell’amministrazione delle popolazioni africane.

Ora, se è vero che vi furono, nella storia coloniale tedesca, delle pagine tremende (cfr. F. Lamendola, Namibia 1904: la «soluzione finale» del problema herero nel Sud-ovest africano, pubblicato in libro nel 1988 e su rivista nel 2007, e consultabile anche sul sito di Arianna), è altrettanto vero che anche le altre potenze europee commisero efferatezze; e che, comunque, ciò non autorizza a cancellare le pagine positive, culminate nell’opera di un Albert Schweitzer nel lebbrosario di Lambaréné.

È, quindi, nel segno di una maggiore equità storica che riteniamo si possa riaprire il capitolo sull’opera svolta dagli esploratori europei negli altri continenti. E, dopo esserci occupati di un insigne esploratore tedesco dell’Australia (cfr. il nostro articolo Ludwig Leichhardt, ultimo esploratore romantico nei deserti proibiti dell’Australia), vogliamo qui ricordare una triade di esploratori germanici che percorsero in lungo e in largo la porzione centrosettentrionale del continente africano, allargando enormemente l’orizzonte delle conoscenze che si avevano allora su quelle terre remote e quasi inaccessibili.

HeinrichBarth.jpgHeinrich Barth

Nella prima metà del XIX secolo, l’interno dell’Africa settentrionale era ancora in gran parte ignoto agli Europei, i quali non erano riusciti a spingersi molto al di là delle coste, dopo il grande viaggio esplorativo dello scozzese Mungo Park.

Questi era giunto alla foce del Gambia nel giugno del 1795 con l’obiettivo di raggiungere il Niger, per determinarne le sorgenti e la foce, cosa che era riuscito parzialmente a compiere, tra enormi difficoltà, raggiungendo di nuovo la costa nel 1797 e dimostrando che il grande fiume scorre verso est e non ha alcun rapporto con il Senegal; ma una buona parte del suo corso e, soprattutto, la foce, rimanevano avvolti nell’oscurità. Nel 1805 Park ritornò in Africa per risolvere definitivamente quel problema geografico, ma questa volta la fortuna gli voltò le spalle. Raggiunto il fiume Bamako, lo discese fino a Bussa, dove fu attaccato dagli indigeni: per salvarsi si gettò in acqua, ma perì annegato. Negli anni successivi l’attenzione dei geografi e dei viaggiatori europei si concentrò sul grande deserto dell’Africa settentrionale, il Sahara; ma una serie di spedizioni andarono incontro a un infausto destino. Nel 1823, tuttavia, gli inglesi Clapperton, Denham e Hornemann, partendo da Tripoli, si spinsero audacemente fino alle sponde del lago Ciad: che, a quell’epoca, doveva offrire uno spettacolo ben più maestoso e affascinante, con le sue rive verdeggianti e le sue acque pescose; mentre oggi si sta rapidamente prosciugando. A Murmur, Odney morì e Clapperton si rimise in viaggio da solo, giungendo a Sokoto, ove fu accolto benevolmente dal sultano Bello. Impossibilitato, tuttavia, a proseguire in direzione dell’Atlantico, dovette riprendere la via dell’interno e giunse a Tripoli passando per il Bornu, da dove fece poi vela verso l’Inghilterra. Ormai, però, il «mal d’Africa» lo aveva afferrato e, appena due mesi dopo, era di nuovo in Africa per completare l’impresa, questa volta partendo da Lagos. Ma, dopo aver raggiunto il Niger, a Sokoto, morì improvvisamente; fu il suo compagno, Richard Lander, a trovare la via della costa e a pubblicare, tornato in Inghilterra, le memorie del suo capo.

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Intanto il quadro politico e strategico stava cambiando, specialmente dopo che la Francia ebbe invaso l’Algeria nel 1830 e ne completò la conquista nel 1843, piegando la resistenza dell’indomito Abd-el-Kader. Nell’Africa settentrionale comparvero esploratori di valore e, spesso, di formazione universitaria: naturalisti ed etnologi, che univano alla passione per l’avventura un autentico interesse scientifico. Uno d essi fu il principe von Pücker-Muskau, che viaggiò attraverso l’Egitto, l’Algeria e la Tunisia.

A quell’epoca, la Germania non aveva ancora raggiunto la sua unificazione politica e nessuno degli Stati tedeschi, nemmeno i due più potenti – l’Austria e la Prussia – avevano interessi da far valere in proprio nei confronti dell’Africa, per cui un certo numero di viaggiatori ed esploratori tedeschi si misero al servizio di altre potenze, in particolare della Gran Bretagna. Tale fu il caso di uno dei maggiori di essi, Heinrich Barth, nato ad Amburgo il 16 febbraio 1821 e morto a Berlino il 25 novembre 1865, e dei suoi compagni Adolf Overweg (1822-1852), anch’egli amburghese, ed Eduard Vogel (1829-1856), di Krefel.

barthAZMX06L..jpgDa giovane, Barth aveva studiato i classici all’Università di Berlino e aveva acquisito buone cognizioni filologiche le quali, unite a una naturale predisposizione per le lingue, gli avevano permesso di padroneggiare, sin dal suo primo viaggio africano, l’inglese, il francese, l’italiano, lo spagnolo e l’arabo. Dotato di uno spirito di ricerca scrupoloso e sistematico, nel 1845 Barth aveva compiuto la traversata del deserto da Tripoli all’Egitto, facendosi una buona reputazione, benché in quel primo viaggio avesse quasi perduto la vita nel corso di una aggressione dei predoni nomadi. Così ricorda la figura e le imprese di Heinrich Barth il saggista tedesco Anton Mayer, nel suo libro 6 000 anni di esplorazioni e scoperte (traduzione italiana di Rinaldo Caddeo, Valentino Bompiani Editore, Milano, 1936, pp. 204-206):

…Anche Richardson, che al tempo del viaggio di Barth s’era spinto da Tripoli a Murzuk, lo conobbe di fama. Quando nel 1849 veniva preparata una grande impresa per l’esplorazione del Sudan occidentale e del Sahara e di cui Richardson ottenne il comando, anche Barth e il suo compatriota Overweg vi parteciparono. Il governo inglese aveva un interesse speciale all’esplorazione del Sudan. Non vi erano, è vero, problemi fluviali da risolvere, ma, oltre all’allettamento del bel paesaggio, delle vaste foreste e della fertilità del terreno, si offriva la possibilità di allacciare rapporti commerciali col grande e potente regno degli Arabi, e con quelli dei popoli misti e degli indigeni che esistevano verso la metà del secolo XIX.

L’English mixed scientific and commercial expedition (Spedizione scientifico-militare inglese) che tradiva col suo nome il suo duplice fine, lasciò Tunisi nel dicembre del 1849 e Tripoli, dove cominciò la vera e propria attività di esplorazione, nel febbraio 1850. Da Murzuk Barth si diresse per Gat ad Agades nel paese di Air per entrare in rapporti di commercio col sultano; a Damergu, al confine settentrionale del regno del Bornu, Barth si divise dai suoi compagni ed andò ad oriente verso il lago Ciad. Aveva intenzione di ritrovarsi a Kuka con Richardson che aveva battuto una via ancora più ad oriente, ma l’Africa voleva ancora la sua vittima e Richardson moriva alcuni giorni prima che i suoi compagni raggiungessero il punto d’incontro. Barth lo sostituì nel comando della spedizione e si occupò innanzitutto dell’esplorazione del lago Ciad: la sua descrizione delle acque non assomiglia affatto a quella di Denham del 1823. Egli mette già in luce il carattere paludoso della “laguna” che allargava ogni anno le sue rive e accentuava l’impossibilità di stabilire esattamente la forma del lago. Il viaggiatore proseguì la marcia verso Sud, si spinse ad Adamaua e scoprì il 18 giugno 1851 il fiume Benué. A luglio si incontrò a Kuka nuovamente con Overweg, e poiché quanto aveva fatto non era sufficiente al suo desiderio di attività, decise di spingersi nuovamente a Sud e Sud-Est nel paese dei Baghirmi. Mentre ancora lavorava in quella regione la morte africana gli strappò Overweg, cosicché Barth rimase solo. Egli fidò volentieri su se stesso e diresse la sua marcia dal lago Ciad ad occidente; il Niger fu raggiunto il 12 giugno 1853 presso Sinder per canoa, ma egli non lo percorse. Preferì attraversare l’arco del fiume per terra verso Timbuctù, la qual città aveva assunto in certo qual modo la funzione di Lhasa nel Tibet e fungeva da «regale città del deserto». Qui rimase sei mesi e raccolse una quantità di materiale.

Per apprezzare il merito dell’impresa compiuta dai primi messaggeri dell’Europa nei paesi islamici dell’Africa non dobbiamo dimenticare che la vita di un Europeo era colà minacciata ad ogni istante e che la minima imprudenza poteva avere le più gravi conseguenze.

L’8 aprile 1854 Barth cominciò a discendere il Niger e da Sinder ritornò al Bornu. Il 1 dicembre 1854 incontrò inaspettatamente un collega tedesco, Eberhard [in realtà, Eduard] Vogel, che la Società inglese aveva mandato a sostituire Richardson alla notizia della sua morte. Barth rimase ancora un inverno sul lago Ciad; il 5 maggio 1855 riprendeva la marcia di ritorno per il Sahara, che esattamente verso nord lo riportò per Murzuk a Tripoli. Barth era stato ininterrottamente per sei anni nell’interno dell’Africa, dando prova di una resistenza fisica e spirituale che al di fuori di lui solo pochissimi, come Livingstone, hanno potuto ripetere. La lunghezza dei tratti da lui superati ammontò a più di 20.000 chilometri; le sue osservazioni, ricerche e risultati si distinguono per un’esattezza e acutezza eccezionali e costituiscono la base della conoscenza odierna del Sahara e del Sudan. Egli viaggiò attraverso la metà occidentale dell’Africa dove il continente è più largo, dal Niger al Uadai, centro della parte settentrionale.

Barth ha avuto oltre alle sue qualità di scienziato anche quelle di un buon conoscitore degli uomini che sapeva come trattare, essendogli riuscito di allacciare amichevoli relazioni con i più potenti principi del Sudan e del Sahara meridionale, che gli conservarono la vita. Inoltre Barth era di una modestia straordinaria; egli aveva, disse, lasciato molto, moltissimo da fare ai suoi successori, ma aveva almeno la soddisfazione di aver schiuso alla scienza e persino, forse, ad uno scambio regolare con l’Europa, una parte considerevole dell’interno dell’Africa.

«Da nessun esploratore dell’Africa – disse l’inglese Thomson, occupandosi dell’attività di Barth – è stata raccolta una messe così ricca di materiale geografico, storico, filologico e folcloristico come da Barth».

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Eberhard [sic] Vogel era un uomo di fegato e un esploratore di valore che raggiunse presto buoni risultati quando dopo la partenza di Barth intraprese anch’egli una punta ad Adamaua giungendo poi nel paese di Uadai i cui confini non erano stati superati dagli Europei. Dopo questo sparì e solo le ricerche di Nachtigal hanno messo in luce il suo destino. Egli non possedeva la circospezione di Barth, ed eccitava gli indigeni con scritti, disegni ed altre “magie” tanto da essere battuto a morte con randelli per ordine del Sultano di Uadai. Come suole avvenire molto spesso in Africa, egli compromise senza alcuna intenzione un altro bianco, l’ufficiale prussiano Moritz von Beuermann, che venne inviato per salvarlo., quando fu dato per scomparso. Beuermann andò a Kuka per il Sahara e tentò di entrare nel Uadai; era appena giunto a quei confini che gli indigeni lo uccisero, nel 1863.

Tornato in Europa, Barth ricevette congratulazioni e un alto riconoscimento dalla Reale Società Geografica di Londra; tuttavia – come riconosce l’Enciclopedia Britannica – i viaggi di questo notevolissimo esploratore ricevettero scarsa attenzione da parte del grosso pubblico, ed egli stesso rimase relativamente poco conosciuto anche in seguito. Solo dopo la morte, la sua figura emerse in tutta la sua statura, come quella di uno degli uomini che avevano maggiormente contribuito alla conoscenza del continente africano.

Ritornato in Germania, occupò la cattedra di geografia all’Università di Berlino nel 1863 e divenne presidente della Società Geografica Berlinese. Ma non era fatto per star seduto dietro a un tavolo; instancabile viaggiatore, fu in Asia Minore (1858), in Spagna (1861), ancora in Turchia (1862), sulle Alpi (1863), in Italia (1864) e, per la terza volta, in Turchia (1865). Forse, tutti quei viaggi e quegli strapazzi finirono per logorare il suo organismo: si spense all’età di soli quarantaquattro anni, a Berlino, nel novembre del 1865. Heinrich Barth ha pubblicato la relazione dei suoi viaggi sia in inglese, sia in tedesco (5 volumi), e una edizione abbastanza recente è quella di Londra, in tre volumi, del 1965, con il titolo Travels and discoveries in North and Central Africa.

Altre notizie si possono reperire (citiamo dal Dizionario degli esploratori di Silvio Zavatti, Feltrinelli, Milano, 1967, p. 23) in: A. Jacobs, Expédition du Dr. Barth en Afrique, in Revue des deux mondes, 15 giugno 1858-1 marzo 1859; B. Malfatti, Enrico Barth e le sue esplorazioni nell’Africa Centrale, in Scritti geografici ed etnografici, Milano, 1869; S. Günther, Heinrich Barth der Erforscherdes runklen Kontinents, Wien-München, 1896; G. von Schubert, Heinrich Barth, der Bahnbrechter der Deutschen Afrikaforschung. Ein Leben und Characterbild, ecc., Berlin, 1897; R. Mansel Prothero, Heinrich Barth and the western Sudan, in The Geographical Journal, settembre 1958. Degli esploratori tedeschi dei due decenni successivi – Rohlfs, Nachtigal e Schweinfurth – parleremo in un prossimo articolo.

La situazione politica, in Africa, stava evolvendo rapidamente. Anche se il “Continente Nero” celava ancora molti segreti – primo fra tutti, quello sulle sorgenti del Nilo – che appassionavano non soltanto una ristretta cerchia di studiosi europei, ma anche l’opinione pubblica, si andavano creando le condizioni per un assalto concentrico da parte delle potenze europee e per una spartizione sistematica, che verrà sanzionata dal Congresso di Berlino del 1885.

Adolf_Overweg.jpgOrmai, si andava verso una nuova fase storica, quella della colonizzazione – almeno per quanto riguarda le zone più favorevoli; quella di cui sono testimonianza opere letterarie quali Cuore di tenebra di Joseph Conrad e Via dall’Africa di Karen Blixen.

L’intera impresa dei tre esploratori tedeschi – Barth, Overweg e Vogel – è stata così riassunta dallo scrittore inglese Richard Hall in La scoperta dell’Africa (titolo originale: Discovery of Africa, London, Hamlyng Publishing, 1969; traduzione italiana di Michele Lo Buono, Arnoldo Mondadori Editore, Milano, 1971, pp. 96-98):

La strada settentrionale fino al lago Ciad e al Sudan occidentale era stata aperta da High Clapperton e dai suoi colleghi nel 1820-29. Nel 1859 la ripercorse un gruppo di tre uomini di cui uno solo, Heinrich Barth, di Amburgo, era destinato a sopravvivere. La spedizione, pur patrocinata dal governo inglese, era composta da Barth e da un altro tedesco, Adolf Overweg, con un solo inglese, James Richardson. Questi morì vicino al lago Ciad un anno dopo la partenza da Tripoli. Overweg fu il secondo a soccombere, ma prima di morire aveva compiuto la circumnavigazione del lago su un battello pneumatico. Barth non si scoraggiò, e nei tre anni che seguirono esplorò minuziosamente la regione compresa fra Timbuctù e il Camerun. Egli istituì un modello completamente nuovo di osservazione scientifica, e l’opera in cinque volumi che riporta le sue scoperte ha contribuito immensamente alla comprensione dell’Africa da parte degli europei. Ogni fatto veniva registrato, la larghezza dei fiumi, l’altezza delle sponde, la natura della vegetazione, la distanza fra una città e l’altra, le usanze delle tribù. Ma ciò non tolse nulla al fascino e all’umanità dei suoi scritti. Ecco come sapeva descrivere una difficile traversata del Benué: «Per fortuna aveva messo i pioli della mia tenda sul fondo della canoa, e così l’acqua non è arrivata fino ai bagagli; ma per la sbadataggine dei suoi compagni tutti i libri di Haggi si sono bagnati, con suo grande dispiacere, dopo l’ho visto spargere calde lacrime, mentre asciugava i suoi tesori rovinati sulla spiaggia sabbiosa del promontorio. I cavalli, che procedevano a nuoto accanto alle canoe, dovettero faticare molto, ma disperata fu la lotta dei cammelli, che erano troppo ostinati per farsi guidare dai fragili battelli, e si dovette ricorrere al bastone; il cammello di Haggi fu per un po’ considerato spacciato fra la disperazione di tutti».

Dopo tre anni senza vedere un altro europeo, Barth fu raggiunto da Alfred [leggi: Eduard] Vogel, anch’egli tedesco. Questi, che era stato mandato con due soldati a causa della crescente preoccupazione per la sorte di Barth, venne assassinato con uno dei soldati a est del lago Ciad. Nel settembre del 1855, accompagnato dal soldato rimasto, Barth ritornò a Londra. Egli fu coperto di onori, fece altri viaggi nell’Asia Minore, divenne professore a Berlino e morì nel 1865 all’età di 44 anni. Un risultato delle sue imprese fu quello di attirare l’attenzione della Germania sulle possibilità dell’Africa.

vendredi, 02 mars 2012

Sven Hedin, la vita avventurosa del "Marco Polo" che veniva dal freddo

Ex: http://robertoalfattiappetiti.blogspot.com/

Sven Hedin, la vita avventurosa del "Marco Polo" che veniva dal freddo

 

Articolo di Luigi G. de Anna

Dal Secolo d'Italia del 24 febbraio 2012

Sessanta anni fa, il 26 novembre del 1952, moriva Sven Hedin (era nato il 19 febbraio del 1865), l'esploratore svedese ultimo grande rappresentante della "scoperta" occidentale in Asia. Diventato famoso per aver individuato le fonti dell'Indo e del Bramaputra, soffrì negli ultimi anni della sua vita dell'ostracismo conseguenza delle simpatie da lui nutrite per il nazionalsocialismo. Al contrario di altri suoi connazionali come August Andrée o N.E. Nordenskiöld (sarà proprio la vista del trionfo a Stoccolma di Nordenskiöld a spingerlo, aveva solo quindici anni, alla ferma determinazione di esplorare una parte del mondo), resterà affascinato non dai deserti dell'Artico ma da quelli dell'Asia. 

 
Nel 1889 termina gli studi intrapresi a Uppsala e a Berlino, dove era stato allievo del grande geografo Ferdinand von Richthofen. Nel 1890, dopo essere stato nominato attaché presso l'ambasciata di Svezia a Teheran, prende congedo per esplorare il Khurasan e il Turkestan cinese. Le prime, importanti spedizioni sono intraprese tra il 1893 e il 1909. Hedin raggiunge l'Asia centrale, l'Ural, il Pamir, il Tibet e la Cina, raccogliendo una immensa mole di dati geografici e cartografici (già in occasione del primo viaggio aveva disegnato ben 552 carte), ma anche geopolitici, che saranno di grande utilità per le potenze occidentali che in questi anni stanno attuando la loro penetrazione nell'Asia continentale. Il viaggio del 1893-1897 è quello che lo vide affrontare la "marcia della morte" fatta nel deserto di Taklimakan, dove la temperatura toccava i 63,5 gradi e dove due delle sue guide e tutti i cammelli morirono di sete. Riuscì a raggiungere un lago e a portare l'acqua alla sua guida oramai agonizzante, trasportandola nello stivale. Fu il primo occidentale a tornare da questo deserto.

Esplorò la regione del Pamir e dello Xinjiang fino a Lop Nur. Questo viaggio lo rese famoso, tanto che il britannico Geographical Journal lo definì il più grande esploratore dell'Asia dopo Marco Polo. Due anni più tardi, nel 1899, riparte con lo scopo di percorrere aree dell'Asia centrale ancora non tracciate nelle carte geografiche e di visitare il Tibet, fedele all'imperativo che si era dato "vai là dove nessuno è mai stato prima". Cercò di entrare a Lhasa travestito da mercante mongolo, camuffamento che però non ingannò le guardie della città che gli imposero di tornarsene se non voleva che gli tagliassero la testa. Raggiunse nuovamente Lop Nur, dove investigò la vera natura del "Lago errante", che doveva il suo nome al fatto che nel corso dei secoli aveva cambiato di sede, un fenomeno che Hedin scoprì essere dovuto alla sabbia accumulata che lo faceva traboccare nel terreno sottostante.
Il suo resoconto venne pubblicato nel 1941 in italiano da Einaudi. In occasione di questo viaggio scoprì anche le rovine dell'antica città di Loulan, abbandonata nel IV secolo d.C. Nel 1905 ritenta la spedizione tibetana, questa volta con successo nonostante venisse ostacolato dalle autorità inglesi, evidentemente timorose che potesse aprire nuovi canali diplomatici con il Paese himalayano. Fu il primo occidentale a entrare nell'allora città proibita di Lhasa, dove riuscì a stringere un vera amicizia con il giovane Dalai Lama, il che gli permise di visitare quasi l'intero Tibet. Fu infatti instancabile viaggiatore, tanto da superare per otto volte la catena dell'Himalaya e da accumulare una distanza percorsa di 26.000 chilometri, e cioè superiore a quella che separa i due poli.

Tornato in patria nel 1908 lo aspetta una lunga pausa, fino al 1927, quando venne incaricato di dirigere una spedizione internazionale nel Xinjiang e nella Mongolia esterna. Questa volta il pericolo maggiore è rappresentato dalla guerra civile che divampa in Cina, tanto che ebbe a scrivere: «Mi sento essere un pastore che deve proteggere il suo gregge dai lupi, dai banditi e soprattutto dai governatori». Chang Kai-shek lo incaricò di studiare la possibilità di costruire una strada carrozzabile che ripercorresse l'itinerario della Via della Seta.

L'appoggio del generalissimo cinese fu peraltro essenziale per il successo della missione, terminata nel 1935. Fu il suo ultimo viaggio. Nel 1904 Sven Hedin ebbe l'onore di essere l'ultimo cittadino svedese a essere nobilitato, infatti dopo di lui il re di Svezia cesserà di concedere titoli nobiliari. Fu scrittore e saggista molto prolifico, con i suoi 65 volumi e le 25.000 lettere mandate a colleghi, amici e semplici corrispondenti. Il timore di una espansione prima zarista e poi bolscevica lo portò a simpatizzare per la Germania. Sono peraltro gli anni in cui una parte della cultura svedese riscopre le proprie radici "nordiche" e lo scandinavismo diventa la controparte del teutonismo germanico. È interessante ricordare che Hedin sarà in seguito emarginato per le sue simpatie filo-naziste, ma il suo libro del '37 non fu mai pubblicato in Germania perché aveva egli stesso radici ebraiche e aveva criticato le persecuzioni nei confronti degli ebrei. Hedin comunque non rinnegherà mai la posizione filo-tedesca da lui assunta, anche con i suoi scritti, non ultimo il pamphlet anti-Roosvelt del 1942 (Amerika im Kampf der Kontinente, pubblicato a Lipsia). Su Hedin agì in maniera fondamentale il legame con Karl Haushofer, il fondatore della geopolitica moderna. E come Haushofer, anche Hedin merita di essere "riscoperto" e di riaffiorare alla cultura europea. Proprio come fece il suo lago errante.

Luigi G. De Anna

jeudi, 08 avril 2010

L'expédition allemande au Tibet de 1938-39

Synergies européennes – Bruxelles/Munich/Tübingen – Novembre 2006

 

Detlev ROSE :

L’expédition allemande au Tibet de 1938-39

Voyage scientifique ou quête de traces à motivation idéologique ?

 

Ernst_Schaefer.jpgLe 20 avril 1938 cinq jeunes scientifiques allemands montent à bord, dans le port de Gènes, sur le « Gneisenau », un navire rapide qui fait la liaison avec l’Extrême-Orient. Le but de leur voyage : le haut plateau du Tibet, entouré d’une nuée de mystères, le « Toit du monde ». Sous la direction du biologiste Ernst Schäfer, s’embarquent pour une aventure hors du commun pour les critères de l’époque, Bruno Beger (anthropologue et géographe), Karl Wienert (géophysicien et météorologue), Edmund Geer (en charge de la logistique et directeur technique de l’expédition) et Ernst Krause (entomologiste, cameraman et photographe).

 

Tous les participants à cette expédition étaient membres des « échelons de protection » (SS), mais ce fait justifie-t-il d’étiqueter cette expédition d’ « expédition SS », comme on le lit trop souvent dans maints ouvrages ? Cette étiquette fait penser qu’il s’agissait d’une expédition officielle du Troisième Reich. Est-ce exact ? Les SS avaient-il vraiment quelque chose à voir avec ce voyage de recherche vers cette lointaine contrée de l’Asie ? Quel intérêt les dirigeants nationaux-socialistes pouvaient-ils bien avoir au Tibet ? Comment cette expédition a-t-elle été montée ; quels étaient ses objectifs, ses motifs ? A quoi a-t-elle finalement abouti ? Beaucoup de questions, qui ont conduit à des études sérieuses mais aussi à l’éclosion de mythomanies, de légendes.

 

Des sources non encore étudiées…

 

« On a raconté et écrit beaucoup de sottises sur cette expédition au Tibet après la guerre », disait le dernier survivant Bruno Beger (1). Cela s’explique surtout par la rareté des sources, qui rend l’accès à ce thème fort malaisé. Il existe certes des travaux à prétention scientifique sur ce sujet, mais, jusqu’il y a peu de temps, nous ne disposions d’aucune analyse complète et détaillée sur les recherches tibétaines entreprises sous le Troisième Reich. Cette lacune est désormais comblée, grâce à une thèse de doctorat de Peter Mierau, un historien issu de l’Université de Würzburg (2). Le thème de ses recherches était la « politique nationale socialiste des expéditions ». Dans le cadre de cette recherche générale, il aborde de manière fort complète cette expédition allemande au Tibet de 1938-39. Mierau a découvert des sources qui n’avaient pas encore été étudiées (ou à peine) jusqu’ici. Certes, ce travail ne répond pas encore à toutes les questions mais, quoi qu’il en soit, les connaissances actuellement disponibles sur cette mystérieuse expédition se sont considérablement élargies.

 

Cette remarque vaut surtout pour les prolégomènes de cette entreprise aventureuse. Le biologiste et ornithologue Ernst Schäfer s’était taillé une bonne réputation en Allemagne, comme spécialiste du Tibet. Deux fois déjà, il avait participé, en 1931-32 et de 1934 à 1936, aux expéditions américaines de Brooke Dolan au Tibet oriental et central. En 1937, Himmler, Reichsführer SS, avait remarqué ce jeune scientifique prometteur et dynamique. Il prit contact avec lui. Schäfer était en train de préparer une nouvelle expédition. Himmler voulait simplement profiter du prestige acquis par le jeune savant. Il voulait inclure l’expédition dans le cadre de l’ « Ahnenerbe », la structure « Héritage des Ancêtres » qu’il avait créée en 1935, et, ainsi, placer l’expédition sous patronage SS (3). Le spécialiste du Tibet était certes déjà membre des SS à ce moment-là, mais il aurait préféré placer son expédition sous le patronage du département culturel des affaires étrangères ou de la très officielle DFG (« Communauté scientifique allemande ») et avait effectué des démarches en ce sens (4).

 

En l’état actuel des connaissances, il n’est donc pas possible d’affirmer ou d’infirmer clairement que les préparatifs de l’expédition aient été entièrement effectués sous la houlette des SS ou de l’Ahnenerbe (5). Le nom officiel de l’expédition était le suivant : « Expédition allemande Ernst Schäfer au Tibet » (= « Deutsche Tibetexpedition Ernst Schäfer »). Himmler eut droit au titre de « patron » de l’expédition et avait tenu à connaître personnellement tous les participants avant qu’ils ne partent et de donner le titre de SS à deux des scientifiques qui ne l’avaient pas encore (Krause et Wienert). Dans les articles des journaux, l’entreprise était souvent citée comme « Expédition SS ». Schäfer lui-même a utilisé cette dénomination à plusieurs reprises (6).

 

Le rôle très restreint de l’Ahnenerbe

 

Il a été question de faire de l’Ahnenerbe, la communauté scientifique fondée par les SS, l’un des commanditaires de cette expédition. On peut le prouver par l’existence d’un programme de travail provisoire intitulé « Ziele und Pläne der unter Leitung des SS-Obersturmführer Dr. Schäfer stehenden Tibet-Expedition der Gemeinschaft « Das Ahnenerbe » (Erster Kurator : Der Reichsführer SS)“ (= Objectifs et plans de l’expédition au Tibet de la Communauté „Héritage des Ancêtres » sous la direction du Dr. Schäfer, Obersturmführer des SS (Premier curateur : le Reichsführer SS) ». Muni de ce document, le département d’aide économique de l’état-major personnel du Reichsführer SS a appuyé le dossier de Schäfer auprès de la DFG (7). Après cette démarche, l’Ahnenerbe n’a plus joué aucun rôle officiel dans les préparatifs et la tenue de l’expédition. L’historien canadien Michael H. Kater, dans son ouvrage de référence sur la question, note que cette « vague institution », aux contours flous, a causé bien des tensions entre Schäfer et les dirigeants de l’Ahnenerbe Wolfram Sievers et Walter Wüst. De plus, l’Ahnenerbe ne semblait pas en mesure de financer quoi que ce soit relevant de l’expédition (8).

 

Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’expédition a été financée par des cercles ou initiatives privées. Bruno Beger dit qu’Ernst Schäfer a été en mesure de rassembler quelque 70.000 Reichsmark, dont 30.000 provenaient du « conseil publicitaire » des cercles économiques allemands ; 20.000 RM de la DFG (qui s’appelait jusqu’en 1935 : « Notgemeinschaft Deutscher Wissenschaft ») ; 15.000 RM sont entrés dans les caisses grâce à l’entremise du père de Schäfer, qui était à l’époque le directeur de la fabrique de produits de caoutchouc Phoenix à Hambourg-Harburg ; les 5.000 RM restants ont été offerts par le « Frankfurter Zeitung » (9). Ces donateurs enthousiastes et généreux avaient été séduits par la passion et l’engagement des participants, surtout d’Ernst Schäfer. Beger se souvient encore : « Les instruments scientifiques, les appareils, les équipements photographiques, cinématographiques, sanitaires, presque tout nous a été prêté et même donné » (10).

 

Himmler, pour sa part, s’adressa à Göring pour que celui-ci mette 30.000 RM en devises à la disposition des explorateurs. Il fit verser cette somme à l’avance. Ce n’était pas une maigre somme car il fallait que l’expédition puisse disposer de toutes les sommes nécessaires en devises, pour qu’elle soit tout simplement possible (11).

 

Les premiers Allemands dans la « Cité interdite »

 

Ernst Schäfer s’occupa seul des préparatifs politiques et diplomatiques du voyage scientifique. Vu la situation internationale à l’époque, le chemin vers le Tibet ne pouvait se faire qu’au départ de l’Inde sous domination britannique : il fallait donc obtenir l’autorisation de la Grande-Bretagne. L’adhésion au projet de Britanniques en vue, Schäfer l’obtint grâce à son habilité diplomatique. Il s’embarqua lui-même pour l’Angleterre et en revint avec bon nombre de lettres de recommandation. Les participants à l’expédition ne savaient pas s’il allait être possible d’entrer dans le Tibet, alors indépendant, ni au début de leur voyage ni pendant les premiers mois de leur séjour, qu’ils passèrent pour l’essentiel dans la province septentrionale de l’Inde britannique, le Sikkim. Ce n’est qu’en novembre 1938, après de longues négociations et grâce aux bons travaux préparatoires, que leur parvint une invitation du gouvernement tibétain, comprenant également une autorisation à séjourner dans la « Cité interdite » de Lhassa. Au départ, cette autorisation de séjourner à Lhassa ne devait durer que deux semaines, mais elle a sans cesse été prolongée, si bien que les chercheurs allemands finirent par y rester deux mois. Ils étaient en outre les premiers Allemands à avoir pu pénétrer dans Lhassa.

 

Ce résultat, impressionnant vu les difficultés de l’époque, est dû principalement au travail et à la persévérance personnelle d’Ernst Schäfer et de ses compagnons plutôt qu’à l’action hypothétique des SS et de l’Ahnenerbe. Ernst Schäfer, quand il a organisé cette expédition, a toujours mis l’accent sur son indépendance, sur ses initiatives personnelles ; il a toujours voulu mettre cette entreprise en branle de ses propres forces, pour autant que cela ait été possible. Dans ces démarches, il jouait aussi, bien sûr, la carte de ses contacts SS, les utilisait et les mobilisaient, tant que cela pouvait lui être utile ou se révélait nécessaire (12). Mais en ce qui concerne les préparatifs et le financement (mis à part l’octroi des 30.000 RM en devises), le rôle des SS est finalement fort limité, d’après les nouvelles sources découvertes et exploitées par nos nouveaux historiens.

 

Mais cette modestie s’avère-t-elle pertinente aussi quand il s’est agi de déterminer les buts de l’expédition ? Quels étaient en fait les objectifs que s’était assignés Schäfer en préparant sa troisième expédition au Tibet ? Et que voulait Himmler ? Cette dernière question est bien évidemment la plus captivante, mais aussi celle à laquelle il est le plus difficile d’apporter une réponse précise ; les sources ne nous révèlent rien de bien substantiel. Il n’y a aucune déclaration ni aucun commentaire écrit du Reichsführer SS à propos de cette expédition. Seuls quelques indices existent. Ainsi, Schäfer rapporte, dans ses mémoires non encore publiées, une conversation qu’il a eue avec Himmler et quelques-uns de ses intimes. Himmler lui aurait demandé, lors de cette rencontre, « s’il avait vu au Tibet des hommes aux cheveux blonds et aux yeux bleus ». Schäfer aurait répondu non puis aurait explicité, à l’assemblée réduite des intimes de Himmler, tout son savoir sur l’histoire phylogénétique des hommes de là-bas. Himmler se serait révélé à l’explorateur, ce jour-là, comme un adepte de la « doctrine des âges de glace de Hanns Hörbiger ». Il aurait également fait part à Schäfer qu’il supposait qu’au Tibet « l’on pourrait trouver les vestiges de la haute culture de l’Atlantide immergée » (13). Ernst Schäfer n’a pas cédé : son expédition avait des buts essentiellement scientifiques et aucun autre. Schäfer n’a pas accepté l’exigence première de Himmler d’adjoindre à l’équipe un « runologue », un préhistorien et un chercheur ès-questions religieuses. Il n’a pas davantage accepté de rencontrer l’éminence grise de Himmler, Karl Maria Wiligut pour que celui-ci fasse part de ses théories aux membres de l’expédition (14). Schäfer ne voulait apparemment rien entendre des théories et doctrines occultistes et mythologisantes de Himmler et n’a jamais omis de le faire entendre et savoir (15).

 

Les thèses de Christopher Hale

 

Pourtant, on n’hésite pas à affirmer encore et toujours que cette expédition allemande au Tibet avait un but idéologique. Ainsi, dans un film documentaire de 2004, intitulé « Die Expeditionen der Nazis. Abenteuer und Rassenwahn » (= Les expéditions des nazis. Aventure et folie racialiste) (16), cette rengaine est réitérée. Le témoignage magistral que sortent les producteurs de ce documentaire de leur chapeau est un certain Christopher Hale, journaliste britannique de son état, qui venait de publier un livre sur la question et s’était par conséquent  recommandé comme « expert » (17). La voix off commence par dire dans l’introduction : « Déjà vers la moitié des années 30, les chercheurs SS recherchaient dans le monde entier les traces d’une race des seigneurs évanouie ». Cette recherche aurait été motivée par la « doctrine des âges de glace », déjà évoquée ici, et théorisée par l’Autrichien Hanns Hörbiger. Hale ajoute alors qu’il est parfaitement absurde d’aller chercher des lointains parents des « Aryens » en Asie, sur le « Toit du monde ». Or, c’est ce que voulait, affirme Hale, l’expédition allemande au Tibet. La raison, pour Hale, réside tout entière dans les théories qui veulent que, dans une période très éloignée dans le temps, une civilisation nordique ou aryenne, supérieure à toutes les autres, ait existé et régné sur un gigantesque empire s’étendant de l’Europe au Japon. Cet empire se serait ensuite effondré à cause du mélange entre ses porteurs nordiques et les « races inférieures ». Il aurait cependant laissé des traces, même dans les coins les plus reculés de la Terre. Au Tibet, auraient affirmé ces théories selon l’expert Hale, de telles traces se retrouveraient dans l’aristocratie. Voilà en gros ce que ce Hale a tenté de démontrer. En même temps, il a essayé implicitement de prouver que les SS et l’Ahnenerbe auraient eu un grand rôle dans la préparation et l’exécution de l’expédition.

 

Cette interprétation, proposée par Hale, cadre sans doute fort bien avec les théories occultistes du Reichsführer SS, telles que les décrit Schäfer dans ses souvenirs. La « doctrine des âges de glace », la « doctrine secrète » de Madame Blavatsky et le livre paru en 1923 de l’occultiste russe Ferdinand Ossendowski (« Bêtes, hommes et dieux ») auraient donc été les principales sources d’inspiration de Himmler. La conception qu’évoque Christopher Hale d’un « grand empire aryen » remontant à la nuit des temps nous rappelle aussi les doctrines dualistes et racialistes de ceux que l’on nommait les « Ariosophes ». C’est plus particulièrement Jörg Lanz von Liebenfels qui présentait l’effondrement des anciens aryens comme la conséquence d’un mélange interracial. Les adeptes de ces théories, que l’on pose un peu arbitrairement comme les précurseurs occultes du national socialisme (18), ne voulaient absolument rien entendre d’une raciologie et d’une anthropologie scientifiques, comme celles de E. von Eickstedt et de H. F. K. Günther.

 

Une démarche rigoureusement scientifique

 

Le documentaire « Les expéditions des nazis » suggère donc que les vues bizarres de Himmler, qui sont sans aucun doute attestées, ont influencé les objectifs de l’expédition au Tibet. Ce serait aussi vrai que deux et deux font quatre, alors que les documents préparatoires de l’expédition ne prouvent rien qui aille dans ce sens (19) ! Himmler aurait certes aimé convaincre Schäfer d’aller rechercher au Tibet les traces d’une antique haute culture aryenne disparue. Mais il n’y est pas parvenu. Les membres de l’expédition se posaient tous comme des scientifiques et comme rien d’autre. Ainsi, par exemple, quand Bruno Beger a photographié et pris les mesures anthropomorphiques, crânologiques et chirologiques, ainsi que les empreintes digitales, de sujets appartenant à divers peuples du Sikkim ou du Tibet, quand il a examiné leurs yeux et leurs cheveux, quand il a procédé à une quantité d’interviews, il a toujours agi en scientifique, en respectant les critères médicaux et biologiques de l’époque, appliqués à l’anthropologie et à la raciologie, sans jamais faire intervenir des considérations fumeuses ou des spéculations farfelues.

 

Nous pouvons parfaitement étayer cela en nous référant à un essai de Beger, sur l’imagerie raciale des Tibétains, parue en 1944 dans la revue « Asienberichte » (20). Dans cet essai, Beger nous révèle les connaissances scientifiques gagnées lors de l’expédition. D’après le résultat de ses recherches, les Tibétains sont le produit d’un mélange entre diverses races de la grande race mongoloïde (ou race centre-asiatique ou « sinide »). On peut certes repérer quelques rares éléments de races europoïdes. Ce sont surtout celles-ci, écrit Beger : « Haute stature, couplée à un crâne long (ndt : dolichocéphalie), à un visage étroit, avec retrait des maxillaires, avec nez plus proéminent, plus droit ou légèrement plus incurvé avec dos plus élevé ; les cheveux sont lisses ; l’attitude et le maintien sont dominateurs, indice d’une forte conscience de soi » (21). Il explique la présence de ces éléments europoïdes, qu’il a découverts, par des migrations et des mélanges ; il évoque ensuite plusieurs hypothèses possibles pour expliquer « les rapports culturels et interraciaux entre éléments mongoloïdes et races europoïdes, surtout celles présentes au Proche-Orient ». Il a remarqué, à sa surprise, la présence « de plusieurs personnes aux yeux bleus, des enfants aux cheveux blonds foncés et quelques types aux traits europoïdes marqués » (22) (ndt : cette présence est sans doute due aux reflux des civilisations et royaumes indo-européens d’Asie centrale et de culture bouddhiste après les invasions turco-mongoles, quand les polities tokhariennes ont cessé d’exister ; cette présence est actuellement attestée par les recherches autour des fameuses momies du Tarim). Les remarques formulées par Beger s’inscrivent entièrement dans le cadre de l’anthropologie de son époque ; son essai ne contient aucune de ces allusions ou conclusions « mythologiques », contraire aux critères scientifiques ; Beger n’emploie jamais les vocables typiques de l’ère nationale socialiste tels « Aryens », « nordique » ou « race supérieure » ou « race des seigneurs » (23).

 

Ernst Schäfer a explicité les buts de son expédition

 

Dans le même numéro d’ « Asienberichte », Ernst Schäfer publie, lui aussi, un essai, sous le titre de « Forschungsraum Innerasien » (= « Espace de recherche : Asie intérieure) (24), dans lequel il explique quelles ont été les motifs de son expédition. Après les recherches pionnières effectuées dans le cœur du continent asiatique, lors des premières expéditions qui y furent menées, il a voulu procéder à des recherches plus systématiques en certains domaines et fournir par là même une synthèse des résultats obtenus en diverses disciplines. « Tel était l’objectif de ma dernière expédition au Tibet en 1938-39 ; … elle visait à obtenir une vue d’ensemble, après avoir tâté la réalité sur le terrain à l’aide de diverses disciplines scientifiques, ce qui constitue la condition première et factuelle pour que des spécialistes en divers domaines puissent travailler main dans la main, en s’explicitant les uns aux autres les matières traitées, de façon à compléter leurs savoirs respectifs ; toujours dans le but de faire apparaître plus clairement les tenants et aboutissants de toutes choses ». La tâche principale, qu’il s’agissait de réaliser, était la suivante : « Saisir de manière holiste l’espace écologique exploré », raison pour laquelle « la géologie, la flore, la faune et les hommes ont constitué les objets de nos recherches » (25).

 

Obtenir une synthèse globale et scientifique de ce qu’est le Tibet dans sa totalité, tel a donc été le but de l’expédition allemande au Tibet en 1938-39. Il n’existe aucun indice quant à d’autres motivations ou objectifs dans les rapports rédigés par les membres de l’expédition, qui décrivent leurs faits et gestes au Tibet de manière exhaustive et détaillée (26). L’image qu’ils donnent du Tibet se termine par un résumé des résultats obtenus par leurs recherches, accompagné d’une liste méticuleuse de toutes leurs activités et des échantillons prélevés, ainsi que le texte d’un exposé, prononcé par Schäfer à Calcutta. Parmi les résultats, nous trouvons des rapports sur le magnétisme tellurique, sur les températures, sur la salinité des lacs, sur les plans des bâtiments visités, sur la cartographie relative aux structures géologiques, sur les échantillons de pierres et de minéraux, sur les fossiles découverts, sur les squelettes d’animaux, sur les reptiles, les papillons et les oiseaux, sur les plantes séchées, les graines de fleurs, de céréales et de fruits, auxquels s’ajoutent divers objets à l’attention des ethnologues tels des outils et des pièces d’étoffe. A tout cela s’ajoutent 20.000 photographies en noir et blanc et 2000 photographies en couleurs, ainsi que 18.000 mètres de films (27), dont les explorateurs ont tiré, après leur retour, un documentaire officiel (28).

 

Aucun indice pour justifier les hypothèses occultistes

 

Le livre de Hale ne résiste pas, comme nous venons de le démontrer, à une analyse critique sérieuse. Cette faiblesse s’avère encore plus patente quand il s’agit d’analyser les thèses aberrantes de l’auteur, qui cherche à expliquer l’avènement du Troisième Reich par les effets directs ou indirects de toutes sortes de thèses et théories occultistes ou conspirationnistes. L’historien Peter Mierau l’explique fort bien dans sa thèse de doctorat : « Dans les années qui viennent de s’écouler, la double thématique du national socialisme et du Tibet a été dans le vent dans plusieurs types de cénacles. Les activités de chercheur de Schäfer, dans l’entourage de Heinrich Himmler, sont mises en rapport avec des théories occultistes, ésotéristes de droite, sur l’émergence du monde, avec des mythes germaniques et des conceptions bouddhistes ou lamaïstes de l’au-delà. Pour étayer ces thèses, on ne trouve aucun indice ou argument dans les sources écrites disponibles » (29).

 

Les occultistes endurcis ne se sentent nullement dérangés par ce constat scientifique. Ils affirment alors, tout simplement, que le caractère officiel d’une telle entreprise n’est que façade, pour dissimuler la nature de la « mission secrète » et les « motifs véritables ». Quand on sort ce type d’argument (?), inutile d’insister : ces spéculations ne sont ni prouvables ni réfutables.

 

Tant les tenants des thèses occultistes les plus hasardeuses que les dénonciateurs inscrits dans le cadre de la « correction politique » contemporaine, ne trouveront, dans les sources disponibles sur l’expédition allemande au Tibet de 1938-39, aucun élément pour renforcer leurs positions. Même si les explorateurs ont appartenu aux SS et s’ils ont eu des rapports étroits, dès leur retour en août 1939, avec l’Ahnenerbe (dans le département des recherches sur l’Asie intérieure), l’expédition proprement dite ne poursuivait aucun objectif d’ordre idéologique, comme l’ont affirmé les participants eux-mêmes. Bruno Beger, dans son rapport (30), écrit : « Tous les objectifs et toutes les tâches effectuées dans le cadre de nos recherches ont été déterminés et fixés par les participants à l’expédition, sous la direction de Schäfer. Objectifs et tâches à accomplir avaient tous un caractère scientifique sur base des connaissances acquises dans les années 30 ». Certes, les SS espéraient que les résultats scientifiques de l’expédition permettraient une exploitation d’ordre idéologique, mais cela, c’est une autre histoire ; Himmler espérait sans nul doute que les explorateurs découvrissent au Tibet des preuves capables d’étayer ses théories. Par conséquent, la leçon à tirer de cette expédition allemande au Tibet en 1938-39 est la suivante : elle constitue un exemple évident que même dans un Etat totalitaire, comme voulait l’être l’appareil national socialiste et le « Führerstaat », où le parti et la volonté du chef auraient compénétré ou oblitéré l’ensemble des activités des citoyens, le doigté et l’habilité personnelles, chez un homme comme Schäfer, permettaient malgré tout de se donner une marge de manœuvre autonome et des espaces de liberté.

 

Detlev ROSE.

(Article tiré de la revue « Deutschland in Geschichte und Gegenwart », n°3/2006).

 

Notes:

(1)     Bruno BEGER, Mit der deutschen Tibetexpedition Ernst Schäfer 1938/39 nach Lhasa, Wiesbaden, 1998, page 6. Ce livre récapitule les notes du journal de voyage de Beger, réadaptées pour publication. Il n’a été tiré qu’à une cinquantaine d’exemplaires.

(2)     Peter MIERAU, Nationalsozialistische Expeditionspolitik. Deutsche Asien-Expeditionen 1933-1945, Munich, 2006 (cet ouvrage est également une thèse de doctorat de l’Université de Munich, présentée en 2003). On y trouve une vue synoptique des sources et de l’état des recherches en ce domaine aux pages 27 à 34. Les expéditions de Schäfer sont décrites de la page 311 à la page 363.

(3)     Michael H. KATER, Das Ahnenerbe der SS 1935-45. Ein Beitrag zur Kulturpolitik im Nationalsozialismus, Stuttgart, 1974, page 79.

(4)     MIERAU, op. cit., p. 327, note 2.

(5)     Ibidem, p. 329.

(6)     Ibidem. Les participants auraient marqué leur désaccord quant à la qualification de leur expédition. Cette révélation a été faite à l’auteur de ces lignes par Bruno Beger, via une lettre à son fils Friedrich (6 août 2006).

(7)     MIERAU, op.  cit., p. 332, note 2.

(8)     KATER, op.  cit., p. 79, note 3.

(9)     Communication de Bruno Beger dans une lettre de Friedrich Beger à l’auteur (27 mars 2006). Kater estime que la totalité des frais s’élève à 60.000 RM (p. 79 et ss.). Dans le documentaire « Die Expeditionen der Nazis. Abenteuer und Rassenwahn » (MDR, ZDF Enterprises & Polarfilm, 2004), on prétend que les frais totaux se seraient élevés à plus de 112.000 RM. Le documentaire produit un document, mais le narrateur du film n’en dit pas davantage. Pour en savoir plus sur le financement, cf. MIERAU, op.  cit., p. 329 et ss., note 2.

(10)  Bruno BEGER, op. cit., p. 8, note 1.

(11)  MIERAU, p. 330, note 2. On trouve également un indice dans un discours tenu par Schäfer, peu avant le vol de retour, le 25 juillet 1939, à la tribune de l’Himalaya Club de Calcutta, une association de tourisme et d’alpinisme. Dans ce discours, Schäfer dit avoir reçu le soutien d’Himmler et de Goering ; cf. « Lecture to be given on the 25.7.39 by Dr. Ernst Schäfer at the Himalaya Club », page 4, Bundesarchiv R135/30, 12). Bruno Beger souligne lui aussi l’importance des devises (voir note 6).

(12)  MIERAU, ibidem, p. 331.

(13)  Ernst SCHÄFER, Aus meinem Forscherleben (autobiographie non publiée), 1994, p. 168 et ss. Voir également MIERAU, op. cit., p. 334 et ss. Cf. Rüdiger SÜNNER, Schwarze Sonne. Entfesselung und Missbrauch der Mythen in Nationalsozialismus und rechter Esoterik, Fribourg, 1999, p. 48. 

(14)  SÜNNER, ibidem, pp. 49 à 53. MIERAU, pp. 335-342; l’auteur y évoque de manière exhaustive les idées que se faisait Himmler sur le Tibet et leurs sources.

(15)  KATER, op. cit., p. 79. SÜNNER, ibidem, p. 49 et ss. BEGER (voir note 9): « Le caractère de Schäfer était tel, qu’il ne permettait pas qu’on lui donne des instructions pour organiser ses voyages et pour lui en dicter les missions ; cela valait aussi pour Himmler ».

(16)  Documentaire sur DVD, Die Expeditionen der Nazis. Abenteuer und Rassenwahn, MDR, ZDF Enterprises & Polarfilm, 2004.

(17)  Christopher HALE, Himmler’s Crusade. The True Story of the 1938 Nazi Expedition into Tibet, Londres, 2003.

(18)  Pour comprendre cet univers complexe, voir Nicholas GOODRICK-CLARKE, Die okkulten Wurzeln des Nationalsozialismus, Graz, 1997.

(19)  MIERAU, p. 342, note 2, note en bas de page 1120.

(20)  Bruno BEGER, « Das Rassenbild des Tibeters in seiner Stellung zum mongoliden und europiden Rassenkreis », in : Asienberichte. Vierteljahresschrift für asiatische Geschichte und Kultur, n°21, Avril 1944, pp. 29-53.

(21)  Ibid., p. 45.

(22)  Ibidem, p. 47.

(23)  Rüdiger SÜNNER, op. cit. (note 13). R. Sünner se trompe lui aussi, lorsqu’il écrit que Beger “est allé indirectement à l’encontre des fantaisies himmlériennes sur l’Atlantide » (p. 51). « J’avais reçu une invitation pour participer à un débat sur la doctrine des âges de glace en 1937. Je n’ai pu que secouer la tête devant le caractère abscons des opinions qui y ont été exprimées. Mes camarades de l’expédition, y compris Schäfer, riaient bien fort des thèmes qui y avaient été débattus » : c’est en ces mots que Friedrich Beger reprend les paroles de son père (lettre à l’auteur en date du 22 juin 2006).

(24)  Ernst SCHÄFER, « Forschungsraum Innerasien », in : Asienberichte. Vierteljahresschrift für asiatische Geschichte und Kultur, n°21, avril 1944, pages 3 à 6.

(25)  Ibidem, page 4. Cette présentation correspond à la teneur de la conférence tenue par Schäfer à Calcutta, voir note 11, pages 3 et ss.

(26)  Ernst SCHÄFER, Geheimnis Tibet. Erster Bericht der Deutschen Tibet-Expedition Ernst Schäfer 1938-39, Schirmherr: Reichsführer SS, München 1943. En outre, se référer aux notes de Bruno Beger, voir note 1.

(27)  Cf. Lecture…. (voir note 11), page 6 et ss.

(28)  Ce film est actuellement disponible grâce aux efforts de Marco Dolcetta qui l’a réédité en 1994. A ce propos, cf. H. T. HAKL, « Nationalsozialismus und Okkultismus », in : N. GOODRICK-CLARKE (voir note 18), pp. 194-217, ici p. 204. Hakl, lui aussi, souligne le caractère strictement scientifique de l’expédition, en s’appuyant notamment sur l’essai de Reinhard Greve, „Tibetforschung im SS-Ahnenerbe“, paru dans l’ouvrage collectif, édité par Thomas HAUSCHILD, Lebenslust und Fremdenfurcht. Ethnologie im Dritten Reich, Francfort sur le Main, 1995, pp. 168-209.

(29)  MIERAU, op. cit., p.28. L’auteur vise ici tout particulièrement le roman de Russell McCloud, intitulé, dans sa version allemande, Die Schwarze Sonne von Tashi Lhunpo, paru à Vilsbiburg en 1991. Dans ce roman, un ancien SS explique à l’un des protagonistes que l’histoire mondiale est le produit d’une lutte entre deux puissances occultes (pp. 144 à 173).

(30)  BEGER, op.  cit., p. 278 (voir note 1). Je remercie du fond du coeur monsieur Bruno Beger et son fils Friedrich Beger pour m’avoir permis de consulter notes et documents, pour avoir répondu avec patience à mes nombreuses questions, pour avoir mis à ma dispositions les photographies qui illustrent mon article. A ce propos, je remercie également Monsieur Dieter Schwarz.

 

vendredi, 11 septembre 2009

Une biographie d'Henry de Monfreid

Une biographie d'Henry de Monfreid signée Francis Bergeron...

 

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Le monde des vertueux n'a jamais cessé de m'accabler, on m'a voulu négrier, vendeur de femmes, je fus opiomane, mais moi, contrairement à beaucoup d'autres, devant ma glace, chaque matin, je peux me serrer la main.

 

Henry de Monfreid est, avec Jack London, l'un des seuls authentiques aventuriers-écrivains. L'un tenté par le socialisme, l'autre par le fascisme, tout devrait les opposer, mais leur indifférence au danger et au "qu'en-dira-t-on" les fait se rejoindre dans la quête inassouvie d un absolu individualiste. L'œuvre de Monfreid, très autobiographique, se lit comme un roman. Mais le faux et le vrai se mêlent, surtout quand le héros, lui, a souvent le beau rôle. Ce pourrait être une première raison de ne pas aimer Monfreid. Il y en a mille autres encore : il a vécu du trafic de drogue ; il assure ne pas s' être livré à la traite des noirs, mais, là où il vivait, la frontière était étroite entre esclave et serviteur ; le trafiquant d'armes qu'il fut peut-il garantir n'avoir jamais traité avec l'ennemi ? Toutes ses femmes, européennes ou indigènes, les a-t-il rendu heureuses ?  Les a-t-il même aimé ? Quelle dureté avec certains de ses enfants ! Où sont passés les tableaux de Gauguin ? Combien de ses employeurs Monfreid a-t-il volé ? N'a-t-il pas du sang sur les mains ? Opiomane, converti à l'islam, initié à la franc-maçonnerie, peut-il être érigé en modèle ? Ce Qui suis-je ? Monfreid montre que l'auteur des Secrets de la Mer Rouge symbolise le génie propre à un Européen qui, fût-il seul, plongé dans un univers totalement étranger et hostile, sait triompher. Monfreid donne cette leçon de courage : prison, fortune, prison, fortune, prison ; les séquences se succèdent, mais, toujours, il relève la tête. C'est bien une sorte de héros, malgré tout. Un homme à admirer. Et à lire. 

Source : Cercle du 6 février

 

Qui suis-je? Henry de Monfreid par Francis Bergeron
128 pages - 12 euros (frais de port en sus)
A commander à : Editions Pardès 44, rue Wilson 77880 Grez-sur-Loing