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dimanche, 06 juin 2021

Latin et grec supprimés à Princeton: «Et si l'Antiquité était au contraire meilleure guide pour l'avenir?»

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L'Antiquité et l'avenir de l'Europe...

par Raphaël Doan

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Raphaël Doan, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'importance de l'enseignement de l'héritage gréco-latin pour l'avenir de notre civilisation...

Agrégé de lettres classiques, Raphaël Doan est l'auteur de Quand Rome inventait le populisme (Cerf, 2019).

Latin et grec supprimés à Princeton: «Et si l'Antiquité était au contraire meilleure guide pour l'avenir?»

Depuis quelques mois, les milieux universitaires américains sont agités par une polémique improbable: l'étude du monde gréco-romain serait-elle un repaire du fameux «racisme systémique»? Accusés à la fois d'avoir servi de justification aux pratiques coloniales du XIXe et du XXe siècles, d'usurper la place de langues antiques moins connues et d'être un obstacle à la diversité sociale dans l'enseignement supérieur, le grec et le latin voient leur prééminence remise en cause par des militants adeptes de la «critical race theory». Si certains ne voulaient y voir qu'un salutaire débat sur le sens de leur discipline, il faut se rendre à l'évidence: cette offensive sert désormais à justifier la suppression du latin et du grec dans l'enseignement supérieur américain. Au nom de la lutte contre le racisme systémique, la célèbre université de Princeton vient d'annoncer que le latin et le grec ne seraient plus obligatoires pour les étudiants en classics, c'est-à-dire… pour étudier la littérature grecque et romaine. On pourra donc obtenir un diplôme de lettres antiques à Princeton sans être capable de lire un mot de grec ou de latin, ce qui est aussi logique que d'être diplômé de mathématiques sans savoir faire une addition.

Passons sur la tactique interne des départements universitaires qui espèrent probablement, en baissant ainsi les exigences, recruter plus d'étudiants pour accroître leurs financements. On comprendrait que, faute de candidats suffisamment nombreux, ils renoncent à exiger la maîtrise des langues anciennes à l'entrée dans le cursus ; après tout, on peut tout à fait commencer à les pratiquer dans l'enseignement supérieur. Mais pour la même raison, il est parfaitement illogique de renoncer à l'obligation de les étudier pendant le cursus. Une telle révolution, qui pourrait un jour ou l'autre arriver en France, est bien le fruit d'une idéologie qui vise à dénier au grec et au latin leur prééminence dans l'étude du monde antique, et, plus largement, leur utilité dans le monde moderne.

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Car c'est bien de cela qu'il s'agit: au-delà des délires propres aux tenants du «racisme systémique», la place des langues anciennes dans la société contemporaine est précaire. Depuis longtemps – en réalité, depuis la fin du XIXe siècle au moins – des pédagogues en dénoncent l'inutilité, des sociologues y voient de l'élitisme, et des gestionnaires en condamnent le coût. En France, sous l'Ancien Régime et jusqu'en 1863, un apprentissage intensif du latin était la base obligatoire de toute instruction secondaire, avant même l'étude du français. Il resta prépondérant pendant toute la première moitié du XXe siècle, avant de connaître un lent déclin pour laisser place à d'autres matières jugées plus indispensables au monde moderne.

Le latin et le grec se trouvent désormais dans un cercle vicieux. Leurs enseignements ayant été réduits à peau de chagrin et saccagés par de mauvaises méthodes d'apprentissage, l'immense majorité des lycéens ayant choisi cette option est aujourd'hui incapable, après cinq ans d'étude, de traduire une phrase basique, encore moins, évidemment, de lire un texte. Au bac, ils se contentent d'apprendre par cœur la traduction française, puisqu'ils connaissent d'avance le sujet de l'examen, et obtiennent 18/20. Cette situation est absurde et ne peut plus durer: qui accepterait qu'après cinq années à apprendre l'espagnol, aucun élève de la classe ne soit capable d'en lire une seule phrase? Certes, on leur inculque pendant ce temps quelques notions de civilisation antique ; mais à tout prendre, ils pourraient les recevoir en cours d'histoire. Une telle situation alimente les critiques de ceux qui ne voient dans ces langues mortes qu'une perte de temps quand nos élèves pourraient apprendre, au choix, le marketing ou le code informatique.

Face à cet échec, deux attitudes s'opposent, toutes deux compréhensibles. La première – c'est celle du grand historien Paul Veyne – serait de renoncer entièrement à l'enseignement des langues anciennes dans les études secondaires, pour les réserver à l'enseignement supérieur, où elles seraient correctement étudiées. En somme, mieux vaut apprendre le latin tard et bien que tôt et mal. Cela reviendrait à réserver les langues anciennes à une petite poignée d'experts ; le latin et le grec y auraient à peu près le même statut que le sanskrit ou les hiéroglyphes, des langues pour spécialistes. Les Grecs et les Romains ne seraient plus pour nous que des étrangers à moitié oubliés.

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La seconde option, qui a ma préférence, est au contraire de raviver l'enseignement des deux langues dans le secondaire, de manière à offrir aux élèves la «familiarité avec l'Antiquité» selon laquelle, disait Guizot, «on n'est qu'un parvenu en fait d'intelligence.» Ce n'est pas un choix pédagogique ou technique: c'est, pour employer un gros mot, un choix de civilisation. Dans toute l'histoire européenne, et particulièrement dans l'histoire de France, la fréquentation de l'antique a constitué le moteur des avancées politiques et culturelles. Les rois du Moyen-Âge voulaient prolonger l'Empire romain ; notre droit y a puisé sa source ; nos artistes y ont sans cesse trouvé l'inspiration. Jusqu'à la fin des Trente Glorieuses environ, nos chefs d'État ont été baignés par les textes antiques ; Georges Pompidou échangeait des blagues en latin avec Jean Foyer au sortir du conseil des ministres. Si leurs discours nous paraissent incomparablement meilleurs que ceux du personnel politique actuel, c'est qu'ils étaient nourris de rhétorique ancienne. Ce qui relie de Gaulle et Louis XIV, Bergson et Descartes, Ingres et Poussin, mais aussi, plus modestement, le bachelier de 1930 à l'étudiant de 1770, c'est que toutes ces personnes ont lu les mêmes textes dans la même langue et ont puisé à la même source: le monde classique. En l'absence de ce lien commun, notre culture - nous le voyons bien depuis quelques décennies - risque l'archipélisation, chacun ayant ses propres références et ses propres modèles. Face à une société déboussolée, quel meilleur guide pour l'avenir que celui que nous avons toujours eu: l'Antiquité?

En pratique, pour restaurer l'enseignement du latin et du grec, deux évolutions seraient nécessaires. D'abord, il faudrait permettre à tous les élèves de bénéficier d'une initiation à l'une des deux langues, avant de leur proposer de suivre un enseignement approfondi – et que cet enseignement soit proposé dans tout collège et tout lycée de France. Ensuite, il faudrait que les langues anciennes soient enseignées comme des langues vivantes, l'expression orale en moins. Ce n'est en général pas le cas aujourd'hui, où l'analyse technique de la phrase précède et obscurcit la simple recherche du sens: les élèves passent plus de temps à chercher les conjonctions de coordination ou les compléments circonstanciels qu'à tenter de comprendre simplement ce que veut dire la phrase, pour finalement apprendre par cœur une traduction sans lien avec le texte. Rappelons tout de même que le latin et le grec ont été des langues vivantes, parlées par des millions de personnes dont beaucoup étaient illettrées: il n'y a pas de raison que les élèves ne parviennent pas à les comprendre aujourd'hui encore, à condition de les enseigner… comme de vraies langues, c'est-à-dire en prenant les mots dans l'ordre, et en déduisant au fur et à mesure le sens de la phrase, sans avoir besoin de la réorganiser ni de recourir à du jargon linguistique.

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C'est ainsi que l'enseignent déjà certains professeurs (1), et heureusement, de plus en plus de cercles de «latin parlé» se développent. On a même vu paraître une édition de la méthode Assimil dédiée au latin. Appuyons-nous sur ces heureuses initiatives pour apprendre les langues anciennes de manière à les comprendre. Car c'est bien le but de cet apprentissage: il faut qu'après quelques années seulement, un élève attentif puisse lire du latin dans le texte, aussi bien qu'il lirait de l'anglais. Ce n'est qu'ainsi qu'il pourra réellement apprécier le rythme et les sonorités de la poésie de Virgile, la logique des argumentations de Cicéron ou la puissance des images de Tacite. Il se forgera un goût plus sûr de la langue, de l'expression et du raisonnement. Alors seulement les langues anciennes seront réellement utiles: quand elles permettront d'accéder sans intermédiaire aux modèles qui ont forgé notre civilisation, et de s'en inspirer pour créer du nouveau. Là où l'idéologie à la mode aux États-Unis s'évertue à couper le lien qui nous unit à l'Antiquité, travaillons à en retrouver la fécondité.

Le président de la République a appelé de ses vœux, dans un récent entretien, le début d'une «nouvelle Renaissance». Mais on ne «réinvente» pas une civilisation sans modèle. C'est en voulant restaurer l'Antiquité que la Renaissance du XVe siècle a fait naître notre modernité. Restituer l'enseignement des langues anciennes, c'est tisser de nouveau une familiarité avec ce qui, depuis des siècles, nous fait donner le meilleur de nous-mêmes. Pourquoi pas une fois de plus ?

Raphaël Doan (Figaro Vox, 31 mai 2021)

Note :

(1) C'est notamment le cas du professeur Alain Le Gallo, dont j'ai suivi les cours et à qui je dois cette vision de la langue.

samedi, 15 décembre 2018

Myth, Satire, and Lucian’s “True History”

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Myth, Satire, and Lucian’s “True History”

Ex: http://www.theimaginativeconservative.org

For the ancient myth-maker, there is something at the heart of all of human events that is worth preserving, something marvelous and worthy of renown, even if the account is not entirely true to life…

The second-century satirist, Lucian of Samosata, makes the following inflammatory statement in his True History:

[Historical accounts] are intended to have an attraction independent of any originality of subject, any happiness of general design, any verisimilitude in the piling up of fictions.…I fall back on falsehood — but falsehood of a more consistent variety; for I now make the only true statement you are to expect — that I am a liar. This confession is, I consider, a full defence against all imputations. My subject is, then, what I have neither seen, experienced, nor been told, what neither exists nor could conceivably do so.

For Lucian, the end of his own peculiar history is to “loosen the mind so that it is in better form for hard study.” While he mentions several “lying” authors by name, and spends a majority of his time in A True History lampooning their accounts; his main argument against these ancient poets, historians, and philosophers is that they “have written many monstrous myths,”[1] following in the tradition of Odysseus, and meant to deceive and overawe the uneducated. Meanwhile, he presents his own narrative as a “new subject, in pleasing style,” with clever references to these same ancient poets, philosophers and historians, “in order that I would not alone lack in the of share myth-making”[2].

Lucianus.jpgLucian, in response to the poet’s fancy, intends to compose an account in which there is no pretense at truth, and which will surpass the work of the poets because he, at least, has openly declared himself a liar. His goal is to provide a pleasant literary spectacle for the entertainment of his highly educated audience, not unlike the various gladiatorial matches that took place in his own day. But, by describing “myth-making” (mythologeo) in this way, he has misunderstood and therefore, unjustly butchered the goal of the poet, the historian, and the philosopher. For the goal of the ancient myth-maker is not to create an entertaining story or a perfectly accurate description, but to explore and explain aspects of the human experience.

Myth in the Ancient World

 

However, before we condemn Lucian too harshly, let us try to understand what he means by “myth.” The troublesome word mythos within its various classical contexts includes definitions ranging from simply “word” (close to the meaning of logos), to the more modern connotation of myth as purely false. Monica Gale, in her work on Myth and Poetry in Lucretius, describes this progression throughout Greek literature: “[Mythos] is frequently employed as a blanket term for anything about which the author is skeptical. Thus Herodotus criticizes the [muthoi] of Homer and the poets only to be reprimanded by Thucydides and Aristotle for his acceptance of [to mythodes] (‘that which resembles mythos’).” Lucian himself follows in this critical tradition, equating the historians’ mythical accounts with those of the ancient rhetoricians, who are concerned with the persuasive power of their accounts, rather than their veracity (puxagogiai). This distinct dilemma, as presented by Lucian and other critics regarding the complete truth or falsity of an account is, according to Gale, misleading at best.

While the term “myth” itself falls into the category of mere falsehood (pseudees) in Lucian’s case, a classical understanding of mythos as its own distinct genre remains. There are two main criticisms that follow the genre as such: that myth is either impious or irrational. These are the basis of Plato’s objection to myth his Republic, saying that it causes confusion within the soul because of its misrepresentation of reality and that it ought not to be recited to any “listeners who do not possess, as an antidote, a knowledge of its real nature,” (Plato X.605c, 595b). However, while Plato and Lucian condemn the myths of Homer, these same myths nevertheless continued to function as the basic source of truth in the education of the Greek world, and even serve to inspire Socrates himself in his allegorical creation of the City in his Republic dialogue.

The Philosopher’s Art of Myth-making

If the purpose of myth-making lies outside of its accuracy, then it must serve some other purpose. We have already seen how Plato condemns the poets in his Republic; however, in excluding the poets from the ideal City, he “put[s] himself to shame and condemn[s] himself when he condemns by word, those who are indeed his fellow-workers and models,” as Carleton L. Brownson argues. Indeed, Strabo, a Roman historian who wrote concerning the study of geography about one hundred years before Lucian, describes the poets themselves as “creative philosopher[s]” (philosophian teen poieetikeen). Strabo goes on to make the distinction between the “fable-making old wife” who invents “whatever she deems suitable for the purposes of entertainment,” and the poet who “’invests’ the hearer with special knowledge.” To illustrate this, he describes Odysseus as a man whose wiliness came not from his skillful rhetoric but from the substance of past experience. In Strabo’s mind, the substance of a poet is not his rhetorical abilities, but the combination of both wisdom and rhetoric; to quote Homer, “’But when he uttered his great voice from his chest, and words like unto snowflakes in winter, then could no mortal man contend with Odysseus.’” Odysseus is so persuasive because he understands a deeper truth that exists in reality and cannot be adequately expressed except in fables.

On the other hand, Lucian views Odysseus as a charlatan,[3] who merely uses his rhetoric to enchant the Phaeacians and gain their favor. His argument is that Odysseus could not have had any experience that would support or add substance to his story and that he was intentionally trying to deceive his audience. Lucian takes this more secular view of myth throughout his works, often referring to it as a pleasing kind of rhetoric, rather than a mode of conveying abstract or abstruse realities. In Lucian’s Lover of Lies, he says that the common people “prefer a lie to the truth simply for its own merits… now what good can they get out of it?” Lucian, again, berates the historians and poets as he did in his introduction to his True History, blaming them for not only deceiving their listeners but using the power of rhetoric to perpetuate ignorance in the people. He offers some defense of the poets, saying that these myths capture the attention of the audience and add luster to the mundane; however, this is the only defense that he gives, and he does not admit any additional substance outside of this rhetorical appeal.

Historians Following in the Poetic Tradition

Herodotus, the historian that Lucian mocks the most in his narrative, begins his own accounts by stating two basic goals: first, “that neither the deeds of men may be forgotten by lapse of time”; and second, that “the works great and marvelous, which have been produced some by Hellenes and some by Barbarians, may [not] lose their renown.” As Lucian and other later historians are so eager to point out, if Herodotus, as a historian, meant to preserve the accuracy of the stories, then he has sadly failed in this respect, because his accounts are either completely fantastic or sadly misinformed. However, that is not what he has told us in the proem. Marc Bloch, in his book on the historical method, describes the element of humanity that is necessary in any historical narrative: “There must be a permanent foundation in human nature and in human society or the very names of man or society become meaningless.” While a perfectly scientific account of any historical event is often considered impossible—even Herodotus admits this in his investigations, quoting the accounts of a variety of sources—he, Herodotus, seems to believe that there is something at the heart of all these human events that is worth preserving, something marvelous and worthy of renown, even if the account is not entirely true to life. Herodotus’ idea of the central meaning of the human existence or the human essence is something that cannot be explained through facts; it is explained in the “great deeds of men.” David Grene elaborates on this point in his introduction to his translation of The Histories: “Herodotus certainly believed in the universal characteristics of the human imagination… He is interested in the eccentricities of men’s beliefs and practices, [for] he is sure of a common core where men think and feel alike.” As Marc Bloch says: “The historian’s job is to make sense of the nearly infinite expanse of historical evidence, just as the poet’s is to make sense of the equally infinite expanse of human experience.”

In that sense, Herodotus, follows the same literary tradition as Homer and Hesiod. The chief difference lies in who controls the actions of history: While Homer and Hesiod focus on the actions of gods, and invoke their aid as they begin their works, Herodotus seeks to understand mankind and his deeds, as we saw in his proem. He, therefore, does not invoke the gods for inspiration but rather calls on his sources for aid in narrating his account, jumping straight from his proem to the varied accounts given by the Persians as to the cause of the Persian war with the Assyrians. Truesdell S. Brown, in his work on The Greek Historians, describes Herodotus’ approach, to history in much the same terms: “Herodotus’ methods cannot be easily reduced to a stylistic formula…[and] he lived well ahead of the formulation of specific rules for prose composition.” The reason why his style is so notoriously hard to track, as many classical critics of Herodotus have observed, is that he is not concerned with the accuracy of his account; indeed, he often casts doubts on his own narrative. His goal is to meditate on and make sense of the “works great and marvelous, which have been produced some by Hellenes and some by Barbarians, [so that they] may [not] lose their renown.” He never makes the pretense at a truly aleethee account, rather, he intends to “publish his findings.”

Modern Defenses of Myth

Within any iteration of truth, the limitations of language, time, and space act as rigorous editors. However, to merely convey accurate factual information is not the same as understanding what it means. The responsibility of the poet, the philosopher, or the historian is to understand and convey a meaning that draws from and explains the significance of the facts. Lucian’s True History serves neither of these ends, for he neither presents anything constructive “[having] nothing true to tell,” nor does he have any experience, “not having any adventures of significance.” In his narrative, he is only critiquing that which is already obvious to his readers, and fostering a kind intellectual pride and chronological snobbery by rejecting the accounts of the ancients. Alexander Pope, a Neo-Classical poet, describes this type of critic in his Essay on Literary Criticism:

The bookful blockhead, ignorantly read,
With loads of learnéd lumber in his head,
With his own tongue still edifies his ears,
and always list’ning to himself appears.

In Pope’s mind, the critic must possess “a knowledge both of books and human kind,” as well as “a soul exempt from pride.” This is in keeping with the classical understanding of education as “encompass[ing] upbringing and cultural training in the widest sense,” with poetry and the poets at the center. The poets in the ancient world not only served as a style guide for other authors but as the foundation for the entire culture, providing an understanding of how to find the answers from the variety of human experience.

C.S. Lewis, another illustrious student in the classical vein, offers a defense of myth along much the same line in his essay “On Stories.” Here Lewis describes the goal of “story” as similar to that of art, by which “we are trying to catch in our net of successive moments something that is not successive…. I think it is sometimes done—or very nearly done—in stories.” Additionally, J.R.R. Tolkien offers his own defense of myth in his essay, “The Monsters and the Critics”“The significance of a myth is not easily to be pinned on paper by analytical reasoning. It is at its best when it is presented by a poet who feels rather than makes explicit what his theme portends; who presents it incarnate in the world of history and geography, as our poet as done.” This idea is in no way limited to the religious sphere, for both Friedrich Nietzsche in his Birth of Tragedy and Albert Camus in his essay “On Sisyphus” have attested to the inimitable power of myth to express that which is inexplicable about the nature of the universe: “Whatever is profound loves masks,” Nietzsche writes. “Every profound spirit needs a mask.”

Conclusion

By reducing these storytellers to this false dichotomy of pure truth and pure falsehood, Lucian has eviscerated philosophy and history, and left mankind with a meaningless string of facts, dates, abstractions, and reflections. In daring to suppose himself above the gods, he has, intentionally or unintentionally, pitched himself from the height of learning into the void of meaningless abstraction. He does not foster an attitude of learning, but rather a callous existentialism that will cauterize the natural affections of the human heart, rotting the core from the center of a society, and leave the human race, in the end, utterly blind, deaf, and dumb.

Lucian has a full understanding of what he was doing when he uses the terms muthos and mythologeomai to describe the efforts of philosophers, poets, and historians. His concern is for those who have taken the mythos for aleethees (accurate truth), and is speaking up on their behalf. However, this does not justify his dismissal of myth as a genre, nor does his satire constructively contribute to the discussion of meaning in poetry, philosophy, or history. Not only that, but Lucian’s criticism is a sign of a deeper and more troubling problem: that is, the great divorce of the intellectuals from a simple understanding of the world and human nature. Lucian thinks that he has seen through the poets to something greater when, in reality, he has destroyed any hope of finding meaning in the culture that surrounds him.

The Imaginative Conservative applies the principle of appreciation to the discussion of culture and politics—we approach dialogue with magnanimity rather than with mere civility. Will you help us remain a refreshing oasis in the increasingly contentious arena of modern discourse? Please consider donating now

Notes:

[1 ] “πολλὰ τεράστια καὶ μυθώδη συγγεγραφότωv” (“putting these many lies and myths to paper”)

[2] “ἵνα μὴ μόνος ἄμοιρος ὦ τῆς ἐν τῷ μυθολογεῖν ἐλευθερίας” (“in order that I myself am not left out of this

myth-making”)

[3] “διδάσκαλος τῆς τοιαύτης βωμολοχίας” (“the teacher of these mendicants”)

Works Cited:

Bloch, Marc. The Historian’s Craft. Vintage Book, 1953.

Brown, Truesdell S. Greek Historians. D.C. Heath and Co, 1973.

Gale, Monica. Myth and Poetry in Lucretius. Cambridge University Press, 2007.

Grene, David. “Introduction,” History of Herodotus. University of Chicago Press, 1987.

Herodotus. The History of Herodotus, trans. G. C. Macaulay. 1890 edition.

Lewis, C.S. On Stories and other Essays on Literature. ed. Walter Hooper. Harcourt Brace Jovanovich, Publishers, 1983.

Lucian. A True History. Trans. A.M. Harmon. Loeb Classical Library: Harvard University Press, 1913.

Lucian. “A True History”. The Complete Works of Lucian. Vol III. trans. H.W. Fowler and F.G. Fowler. Oxford University Press, 1949.

Lucian. “The Liar (ΦΙΛΟΨΕΥΔΗΣ Η ΑΠΙΣΤΩΝ)”. The Complete Works of Lucian. Vol III. trans. H.W. Fowler and F.G. Fowler. Oxford University Press, 1949.

The Oxford Classical Dictionary. Eds. Hornblower, Simon, and Antony Spawforth.

Nietzsche, Fredrich. Beyond Good and Evil. trans. Walter Kaufmann. Vintage Books. 1989.

Plato. Republic. Plato, Complete Works. ed. Cooper. Hackett, 1997.

Strabo. The Geography of Strabo. trans. Horace Leonard Jones. Loeb Classical Library: Havard University Press, 1913.

Tolkien, J.R.R. “Beowulf: On the Monsters and The Critics.” On The Monsters and The Critics and Other Essays. ed. Christopher Tolkien. Harper Collins, 2007. pp 103-120.

Twain, Mark. The Adventures of Huckleberry Finn. Penguin Classics, 2005.

Renehan, Robert, and Henry George Liddell. Greek Lexicographical Notes: A Critical Supplement to the Greek-English Lexicon of Liddell-Scott-Jones. Göttingen: Vandenhoeck und Ruprecht. 1975.

Editor’s Note: The featured image is “Sapho embrassant sa lyre” by Jules Elie Delaunay (1828-1891), courtesy of Wikimedia Commons. The image of Lucian is a speculative portrayal taken from a seventeenth-century engraving by William Faithorneis, courtesy of Wikipedia.

samedi, 04 août 2018

Sénèque et notre temps

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Sénèque et notre temps

par Nicolas Bonnal

Sénèque est par excellence le penseur du présent perpétuel. Toutes les tares de son empire romain, trop romain, sont les nôtres. Extrait de notre prochain livre : la sagesse transgressive de Sénèque, ou comment supporter des temps insupportables.

C’est la fameuse, c’est l’éternelle lettre XCV, citée par Joseph de Maistre dans la deuxième soirée de Saint-Pétersbourg… dénonciation d’une civilisation monstrueuse dite romaine et regret du bon vieux temps frugal… La civilisation procèderait en raffinement (comparer la France de Macron à celle de Louis XIV), mais alors à quel prix…

« Sans doute, comme vous le dites, cette sagesse de nos aïeux était grossière, surtout à votre naissance, ainsi que tous les autres arts qui avec le temps se sont raffinés de plus en plus. Mais aussi n’avait-on pas besoin alors de cures bien savantes. L’iniquité ne s’était ni élevée si haut, ni propagée si loin : à des vices non compliqués encore des remèdes simples pouvaient résister. »

Sénèque regrette bien entendu l’avènement de la « grande bouffe », de notre « orgie romaine ».

 « Aujourd’hui il faut des moyens de guérir d’autant plus puissants que les maux qui nous attaquent ont bien plus d’énergie. La médecine était autrefois la science de quelques herbes propres à étancher le sang et à fermer les plaies ; depuis, elle est arrivée insensiblement à cette infinité de recettes si variées. Ce n’est pas merveille qu’elle ait eu moins à faire sur des tempéraments robustes, non encore altérés, nourris de substances digestibles que ne viciaient point l’art et la sensualité. »

Tout repose sur l’excitation de la faim ; tout, c’est-à-dire le déclin physique de l’humanité :

« Mais dès qu’au lieu d’apaiser la faim, on ne chercha qu’à l’irriter, et qu’on inventa mille assaisonnements afin d’aiguiser la gourmandise, ce qui pour le besoin était un aliment devint un poids pour la satiété. »

Et Sénèque se sert à merveille de l’accumulation :

« De là cette pâleur, ce tremblement de nerfs qu’a pénétrés le vin, ces maigreurs par indigestion, plus déplorables que celles de la faim ; de là cette incertaine et trébuchante démarche, cette allure, comme dans l’ivresse même, constamment chancelante ; de là cette eau infiltrée partout sous la peau, ce ventre distendu par la malheureuse habitude de recevoir outre mesure ; de là cet épanchement d’une bile jaune, ces traits décolorés, ces consomptions, vraies putréfactions d’hommes vivants, ces doigts retors aux phalanges roidies, ces nerfs insensibles, détendus et privés d’action ou mus par soubresauts, et vibrant sans relâche. Parlerai-je de ces vertiges, de ces tortures d’yeux et d’oreilles, du cerveau qui bouillonne comme un fourmillement, et des ulcères internes qui rongent tous les conduits par où le corps se débarrasse ? »

Comparaison avec le bienheureux temps jadis point marqué par le règne de la quantité gastronomique et calorique :

senequeTame.jpg« On était exempt de ces fléaux quand on ne s’était pas encore laissé fondre aux délices, quand on n’avait de maître et de serviteur que soi. On s’endurcissait le corps à la peine et au vrai travail ; on le fatiguait à la course, à la chasse, aux exercices du labour. On trouvait au retour une nourriture que la faim toute seule savait rendre agréable. Aussi n’était-il pas besoin d’un si grand attirail de médecins, de fers, de boîtes à remèdes. Toute indisposition était simple comme sa cause : la multiplicité des mets a multiplié les maladies. Pour passer par un seul gosier, vois que de substances combinées par le luxe, dévastateur de la terre et de l’onde ! »

Et en effet on dévaste le monde. Avant l’ère moderne et industrielle, l’empire romain fut la cause d’une intense dévastation.

Puis Sénèque s’en prend aux femmes modernes et jouisseuses ; en se masculinisant elles attrapent des maladies des hommes ! Comparaison terrible, que reprendra Juvénal dans sa sixième satire :

« Le prince, et tout à la fois le fondateur de la médecine, a dit que les femmes ne sont sujettes ni à la perte des cheveux ni à la goutte aux jambes. Cependant et leurs cheveux tombent et leurs jambes souffrent de la goutte. Ce n’est pas la constitution des femmes, c’est leur vie qui a changé : c’est pour avoir lutté d’excès avec les hommes qu’elles ont subi les infirmités des hommes. Comme eux elles veillent, elles boivent comme eux ; elles les défient à la gymnastique et à l’orgie ; elles vomissent aussi bien qu’eux ce qu’elles viennent de prendre au refus de leur estomac et rendent toute la même dose du vin qu’elles ont bu ; elles mâchent également de la neige pour rafraîchir leurs entrailles brûlantes. Et leur lubricité ne le cède même pas à la nôtre : nées pour le rôle passif (maudites soient-elles par tous les dieux !), ces inventrices d’une débauche contre nature en viennent à assaillir des hommes. »

Et face au vice la médecine devient impuissante. La femme en perd les privilèges de son sexe :

« Comment donc s’étonner que le plus grand des médecins, celui qui connaît le mieux la nature, soit pris en défaut et qu’il y ait tant de femmes chauves et podagres ? Elles ont perdu à force de vices le privilège de leur sexe ; elles ont dépouillé leur retenue de femmes, les voilà condamnées aux maladies de l’homme. »

Après c’est la formule célèbre : compte nos cuisiniers. 

« Nos maladies sont innombrables ; ne t’en étonne pas ; compte nos cuisiniers. Les études ne sont plus ; les professeurs de sciences libérales, délaissés par la foule, montent dans une chaire sans auditeurs. Aux écoles d’éloquence et de philosophie règne la solitude ; mais quelle affluence aux cuisines ! Quelle nombreuse jeunesse assiège les fourneaux des dissipateurs ! »

colere_5249.jpegEt d’évoquer la pédophilie festive de nos romains diners :

« Je ne cite point ces troupeaux de malheureux enfants qui, après le service du festin, sont encore réservés aux outrages de la chambre à coucher. Je ne cite point ces bandes de mignons classés par races et par couleurs, si bien que tous ceux d’une même file ont la peau du même poli, le premier duvet de même longueur, la même nuance de cheveux, et que les chevelures lisses ne se mêlent point aux frisées. »

Citons la remarque de Joseph de Maistre sur cette page prodigieuse, immortelle :

« Avez-vous présente par hasard la tirade vigoureuse et quelquefois un peu dégoûtante de Sénèque sur les maladies de son siècle?

Il est intéressant de voir l'époque de Néron marquée par une affluence de maux inconnus aux temps qui la précédèrent. »

Sénèque évoque la frénésie meurtrière de l’État… 

« Notre frénésie n’est pas seulement individuelle, elle est nationale : nous réprimons les assassinats, le meurtre d’homme à homme ; mais les guerres, mais l’égorgement des nations, forfait couronné de gloire ! La cupidité, la cruauté, ne connaissent plus de frein : ces fléaux toutefois, tant qu’ils s’exercent dans l’ombre et par quelques hommes, sont moins nuisibles, moins monstrueux »

Et Sénèque de souligner que ces massacres sont légaux, politiques, encouragés par le sénat :

« …mais c’est par décrets du sénat, c’est au nom du peuple que se consomment les mêmes horreurs, et l’on commande aux citoyens en masse ce qu’on défend aux particuliers. L’acte qu’on payerait de sa tête s’il était clandestin, nous le préconisons commis en costume militaire. Loin d’en rougir, l’homme, le plus doux des êtres, met sa joie à verser le sang de son semblable et le sien, à faire des guerres, à les transmettre en héritage à ses fils, tandis qu’entre eux les plus stupides et les plus féroces animaux vivent en paix. »

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L’homme vit et tue en insecte. A côté de cela se développe l’apathie (l’anesthésie, dit l’historien Stanley Payne des citoyens d’aujourd’hui). L’apathie a suivi comme toujours la libération sexuelle ou autre ; et elle est dure à corriger :

« Quant aux esprits émoussés et obtus ou que leurs habitudes dépravées dominent, il faut un long travail pour que leur rouille s’efface. Au reste, si l’on élève plus vite à la perfection les âmes qui tendent au bien, on aidera aussi les âmes faibles et on les arrachera à leurs malheureux préjugés en leur enseignant les dogmes de la philosophie dont l’importante nécessité est si visible. Il y a en nous des penchants qui nous font paresseux pour certaines choses, téméraires pour d’autres. On ne peut ni arrêter cette audace, ni réveiller cette apathie, si l’on n’en fait disparaître les causes, qui sont d’admirer et de craindre à faux. »

Un remède après ce constat de désespoir ? Il faut un noble but pour se protéger :

« Il faut se proposer un but de perfection vers lequel tendent nos efforts et qu’envisagent tous nos actes, toutes nos paroles, comme le navigateur a son étoile pour le diriger dans sa course. Vivre sans but, c’est vivre à l’aventure. Si force est à l’homme de s’en proposer un, les dogmes deviennent nécessaires. Tu m’accorderas, je pense, que rien n’est plus honteux que l’homme indécis, hésitant et timide, qui porte le pied tantôt en arrière, tantôt en avant. C’est ce qui en toutes choses nous arrivera, si nos âmes ne se dépouillent de tout ce qui nous retient en suspens et nous empêche d’agir de toutes nos forces. »

dimanche, 25 septembre 2016

Le Manuel d'Épictète

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Le Manuel d'Épictète

Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

EPI-0.gifParmi les philosophies antiques, le stoïcisme tient une grande place. Traversant l'antiquité grecque et l'antiquité romaine sur près de six siècles, symbole du sérieux et de l'abnégation de tout un peuple, l'école du Portique apprend à ses disciples à vivre en harmonie avec l'univers et ses lois. Maîtrise de soi, courage, tenue, éthique, ce sont là quelques mots clés pour comprendre le stoïcisme. Le Manuel 1 d'Epictète, condensé de cette sagesse, permet à chaque Européen de renouer avec les plus rigoureuses racines de notre civilisation. Brillant exemple de ce que pouvait produire l'univers mental propre au paganisme européen, le stoïcisme continuera d'irriguer la pensée européenne sur la longue durée (avec notamment le mouvement du néo-stoïcisme de la Renaissance). Et au delà de la longue durée, il est important de souligner l'actualité de la philosophie stoïcienne. Philosophie de temps de crise comme le souligne son histoire, le stoïcisme redirige l'homme vers l'action.

Structure de l’œuvre: Le Manuel est volontairement court. Il s'agit d'un condensé des leçons données par Epictète. Si court qu'il soit, on pourrait s'attendre à une idée différente à chaque aphorisme. Et pourtant les idées centrales ne sont que quelques-unes. Le lecteur ne doit donc pas s'étonner de voir répétées sous des formes différentes, à partir d'observations différentes, les mêmes idées. Ce manuel est un précis de gymnastique, une gymnastique de l'âme. Quelques mouvements y sont codifiés. Ce qui importe n'est pas le nombre mais bien la perfection dans l'exécution. Que chacun puisse donc y voir une porte d'entrée vers une métaphysique de l'absolu, celle de nos origines et qui s'oppose à la métaphysique de l'illimité dans laquelle nous nous perdons aujourd'hui.

Gwendal Crom, pour le SOCLE

La critique positive du Manuel d’Épictète au format .pdf

Le Manuel est l’œuvre attribué à Epictète la plus célèbre. Attribué car tout comme Socrate, il n'écrit rien de son vivant. C'est le disciple d'Epictète, Arrien qui consigna les pensées du maître dans huit à douze œuvres (les Entretiens) dont seuls quatre nous sont parvenus. Le Manuel consiste en un condensé de ces entretiens. Disciple de l'école stoïcienne fondée par Zénon en 301 avant notre ère, Epictète fut par la suite abondamment cité par l'empereur Marc-Aurèle. Epictète forme avec Sénèque (qui le précéda) et Marc-Aurèle la triade du stoïcisme impérial (ou latin). Esclave affranchi né aux alentours de l'an 50 de notre ère, il put suivre durant sa servitude les leçons de Musonius Rufus, grande figure du stoïcisme romain. Une fois libre, il devint un philosophe porté en haute estime par ses contemporains. Epictète vécut dans la pauvreté toute sa vie en ayant pour principale préoccupation de répondre à la question « Comment doit-on vivre sa vie ? ». Il mourut selon toutes vraisemblances aux alentours de l'an 130.

EPI-2.pngLa pensée stoïcienne dégage à ses origines trois grands axes d'étude: la physique (l'étude du monde environnant), la logique et l'éthique (qui concerne l'action). La pensée d'Epictète a ceci de particulier qu'elle ne s'intéresse pas à l'étude de la physique et ne s'attarde que peu sur celle de la logique, même si Epictète rappelle la prééminence de cette dernière dans l'un de ses aphorismes: Le Manuel, LII, 1-2. Car en effet, toute éthique doit être démontrable.

Et si la pensée d'Epictète peut être considérée comme une pensée de l'action alors son Manuel est un manuel de survie, comme le considérait selon la légende Alexandre le Grand. Le Manuel est dénommé en Grec : Enkheiridion qui signifie également « que l'on garde sous la main » et désigne communément le poignard du soldat. Voilà pourquoi Alexandre le Grand gardait sous son oreiller nous dit-on, un poignard et Le Manuel d'Epictète.

Le stoïcisme a pour tâche de nous faire accéder au divin. Il n'est pas une illumination une révélation. C'est une voie d'accès au bonheur par l'exercice et la maitrise rigoureuse de la (froide) raison. C'est une constante gymnastique de l'esprit, une méditation à laquelle on doit se livrer en permanence pour redresser son esprit, redresser toute son âme vers un seul but : être en harmonie avec les lois de l'univers et accepter la marche de celui-ci sans s'en émouvoir. Ainsi, dans ses Pensées pour moi-même 2 (Livre I, VII), l'Empereur Marc-Aurèle remercie son maitre Julius Rusticus (qui fut vraisemblablement un élève d'Epictète) en ces termes: « De Rusticus : avoir pris conscience que j'avais besoin de redresser et surveiller mon caractère... [et] avoir pu connaître les écrits conservant les leçons d'Epictète, écrits qu'il me communiqua de sa bibliothèque ».

On ne saurait de fait évoquer la pensée d'Epictète sans évoquer la notion de tenue. Car la tenue est une manière d'être, un exemple pour soi et pour les autres comme le souligne Epictète. Ainsi pour le philosophe, il ne faut point attendre pour mettre en pratique ce qui a été appris. La perfection théorique n'a aucune valeur si elle n'est pas suivie d'effets. De plus, le stoïcisme croit aux effets retours du comportement sur l'âme humaine. C'est en effet en s'astreignant chaque jour à la discipline, à la méditation, au maintien d'une tenue que l'âme peut tendre vers la perfection. Simplement théoriser cette perfection ou pire, l'attendre, est vain et puéril. Il faut chaque jour trouver de nouvelles confirmations des enseignements du stoïcisme. Il faut chaque jour méditer cet enseignement comme on pratiquerait un art martial, pour que chaque mouvement appris se fasse naturellement, instinctivement.

Mais avant de pénétrer plus avant la pensée stoïcienne, il convient d'emblée de préciser qu'il ne faut pas confondre la philosophie stoïcienne avec le caractère « stoïque » qui désigne quelqu'un de résigné, faisant preuve d'abnégation et affrontant les coups du sort sans broncher. La philosophie stoïcienne est avant tout une recette du bonheur visant à se libérer totalement de l'emprise des émotions pour atteindre un état dit d'ataraxie, calme absolu de l'âme. Néanmoins, ce bonheur ne sera accessible qu'en étant « stoïque » : l'abnégation étant la base nécessaire pour accéder à la philosophie stoïcienne. De fait, cette recherche du calme absolu, de la maîtrise de soi intégrale ne put que plaire aux Romains comme le souligne Dominique Venner dans Histoire et Tradition des Européens 3. Peuple droit et rigoureux, cette philosophie enseignait entre autres à bien mourir, c'est-à-dire à affronter la mort en face, et au besoin, de se l'administrer soi-même lorsque l'honneur le commandait. Il sera d'ailleurs tentant de remarquer que la philosophie stoïcienne, par son rapport aux émotions, rappelle le bouddhisme là où le sérieux des Romains n'hésitant pas à se donner la mort rappelle étrangement celui des Samouraïs s'infligeant le seppuku. Que serait devenu une Europe où le stoïcisme aurait remplacé la morale chrétienne ? Qu'en serait-il également d'une noblesse européenne qui telle la noblesse japonaise aurait répondu de son honneur sur sa vie ? Ce sont là des pistes que l'historien méditatif saura explorer à bon escient. Mais avant d'entreprendre tel voyage, examinons comme dirait Epictète ses antécédents et ses conséquents.

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Le philosophe Epictète représenté avec une canne. Durant sa servitude, son maître lui mit la jambe dans un instrument de torture. Selon la légende, Epictète le prévint en ces mots: «Attention. Cela va casser ». Lorsque la jambe céda, Epictète dit alors « Ne t'avais-je point prévenu que cela allait casser ». Boiteux toute sa vie, il montra que l'on pouvait nuire à son corps mais pas à son âme.

Car le stoïcisme est une voie dure et qui n'est pas sans risques. Le rejet des émotions et donc de la subjectivité de l'existence expose celui qui s'y livre à une vie terne (car sans émotions) et tourmentée (tourmentée car on ne souffre jamais plus que de ce que l'on cherche à fuir, à nier ou à absolument contrôler). Celui qui recherche le bonheur et la suprême sagesse à travers la philosophie stoïcienne se devra de s'y livrer totalement. Il serrera alors conte lui ses enfants comme des êtres mortels, que l'univers peut à tout moment lui prendre sans que cela ne l'émeuve. Le Manuel, III: « Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c'est un être humain que tu embrasses ; car s'il meurt, tu n'en seras pas troublé ». Mais celui qui ne peut ou ne veut s'engager sur la voie de la philosophie mais recherche un exemple de tenue, une manière de redresser son âme tel l'empereur Marc-Aurèle aura alors à sa disposition les outils d'une puissante et européenne méditation. Tel Marc-Aurèle, il sera en moyen de faire le bien et de s'acquitter de sa tâche en ne cédant pas aux fastes et distractions que la vie pourrait lui offrir. Car c'est également cela la force de la pensée stoïcienne : elle offre deux voies. Une pour le philosophe et une autre pour le citoyen. C'est également en cela qu'elle est une pensée de l'action car elle n'est pas uniquement destinée à un corpus d'intellectuel mais constitue une manière de vivre que chaque Européen, que chaque citoyen peut faire sien. Philosophe et citoyen, tous deux seront en mesure de vivre selon ce qui est élevé. Qu'est ce qui est élevé ? La Sagesse. Que fait l'homme sage ? Le Bien. Comment se reconnaît-il ? Il vit dans l'Honneur.

Epi-1.jpgEt c'est cet Honneur au-dessus de tout, au-dessus de la vie elle-même qui est invoqué par la pensée d'Epictète. Car rappelons-le, la tenue est la base de la pensée stoïcienne. Sans Honneur, point de tenue. Sans tenue, point de voie d'accès à la Sagesse. Et sans Sagesse, on ne saurait faire le Bien. Il faut d'abord et avant tout vivre dans l'honneur et savoir quitter la scène le jour où notre honneur nous le commandera. C'est ce que ce grand Européen que fut Friedrich Nietzsche rappelle dans Le Crépuscule des Idoles 4 (Erreur de la confusion entre la cause et l'effet, 36): Il faut « Mourir fièrement lorsqu'il n'est plus possible de vivre fièrement ». Et s'exercer à contempler la mort jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à lui être supérieur est une des principales méditations stoïciennes : Le Manuel, XXI: « Que la mort, l'exil et tout ce qui paraît effrayant soient sous tes yeux chaque jour ; mais plus que tout, la mort. Jamais plus tu ne diras rien de vil, et tu ne désireras rien outre mesure ». Celui qui se délivrera de l'emprise de la mort sur son existence pourra alors vivre dans l'Honneur jusqu'à sa dernière heure.

Pour bien comprendre Le Manuel, il convient de rappeler les trois disciplines du stoïcisme selon Epictète. Selon lui, toute philosophie se répartie entre ces trois disciplines que sont : la discipline du discernement (le jugement que l'on porte sur soi et le monde environnant), la discipline du désir et des passions (celle qui régit l'être) et la discipline de l'éthique (c'est-à-dire celle qui régit l'action). Et par l'usage de la raison, on part de la première pour arriver à la troisième. Ce qui importe, c'est de pouvoir porter un jugement sûr permettant de régler tout notre être de la meilleure manière qui soit pour pouvoir enfin agir avec sagesse et donc ainsi faire le Bien. La première tâche qui nous incombe est donc de focaliser notre attention (et donc notre jugement) sur les choses qui importent.

Toute la démarche de celui qui s'engage sur la voie du stoïcisme consiste donc d'abord à pouvoir déterminer la nature de l'univers et à pouvoir se situer par rapport à lui. Et le stoïcisme nous enseigne que la première caractéristique de l'univers est qu'il est indifférent à notre sort. Tout est éphémère et n'est que changement. Nous ne pouvons rien contre cela. La marche de l'univers est inéluctable et nous ne sommes qu'une partie d'un grand Tout. Si les Dieux existent, ont prise sur notre existence et doivent être honorés, ils ne sont eux aussi qu'une partie d'un grand Tout et soumis au fatum. Il devient dès lors inutile de pester contre les coups du sort, de maudire les hommes et les Dieux face au malheur. La véritable Sagesse consiste à accepter tout ce qui peut nous arriver et à aller à la rencontre de notre destin le cœur serein. Voilà entre autres pourquoi on ne saurait craindre la mort qui forcément un jour viendra à nous. Prenant l'exemple des bains publiques pour illustrer les torts que notre environnement ou nos contemporains peuvent nous causer, Epictète nous dit (Le Manuel, IV) : « Ainsi, tu seras plus sûr de toi en allant te baigner si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature ». Et qu'il en soit ainsi pour toutes tes actions. Ainsi s'il te survient au bain quelque traverse, tu auras aussitôt présent à l'esprit : « Mais je ne voulais pas me baigner seulement, je voulais encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. Je ne la maintiendrais pas, si je m'irritais de ce qui arrive » ». C'est l'un des pivots de la pensée stoïcienne. Tout comme l'univers est indifférent à notre sort, nous devons être indifférents à sa marche. Mieux encore, épouser la marche du monde, accueillir le destin d'un cœur résolu, c'est faire acte de piété car c'est avoir fait sien le principe directeur qui guide l'univers lui-même. Et l'univers est par définition parfait donc divin. Ce sont ces considérations métaphysiques qui nous amènent à la raison. Et c'est par la raison que nous accéderons en retour au divin.

EPI-4.jpgNous devons donc ne nous préoccuper que de ce qui ne dépend que de nous car selon Epictète, l'une des plus grandes dichotomies à réaliser c'est celle existante entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Parmi les choses qui dépendent de nous, le jugement que l'on se fait de soi et de l'univers qui nous entoure. Ce qui dépend de nous, c'est tout ce qui a trait à notre âme et à notre libre-arbitre. Et parmi les choses qui ne dépendent pas de nous : la mort, la maladie, la gloire, les honneurs et les richesses, les coups du sort tout comme les actions et pensées de nos contemporains. L'homme sage ne s'attachera donc qu'à ce qui dépend de lui et ne souciera point de ce qui n'en dépend point. C'est là la seule manière d'être libéré de toute forme de servilité. Car l'on peut courir après richesses et gloires mais elles sont par définition éphémères. Elles ne trouvent pas leur origine dans notre être profond et lorsque la mort viendra nous trouver, à quoi nous serviront-elles ? Pour être libre, il convient donc de d'abord s'attacher à découvrir ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. C'est bel et bien la première discipline du stoïcisme : celle du discernement. En se plongeant dans Le Manuel d'Epictète, on apprendra vite qu'il faut d'abord et avant tout s'attacher à ce que l'on peut et au rôle dont le destin nous a gratifié. Le rôle qui nous est donné l'a été par l'univers (que ce soit par l'entremise des Dieux ou par la voie des causes et des conséquences) et c'est donc avec ferveur que nous devons le remplir. C'est en faisant ainsi, cheminant aux côtés de ses semblables, modeste et loyal, que l'on sera le plus utile aux siens et à sa patrie. C'est bel et bien une vision fataliste de l'existence, un amor fati très européen. Rappelons-nous qu'aller à l'encontre du destin, c'est défier les Dieux et l'univers. Et pourtant... cela nous est bel et bien permis à nous Européens. La Sagesse consiste à savoir que cela ne peut se faire que lorsque tel acte est commandé par l'absolue nécessité et en étant prêt à en payer le prix. On se replongera dans l'Iliade pour se le remémorer. Mais comme il est donné à bien peu d'entre nous de connaître ce que le destin leur réserve, notre existence reste toujours ouverte. Il n'y a pas de fatalité, seulement un appel à ne jamais se dérober lorsque l'histoire nous appelle. Voici une autre raison de s'exercer chaque jour à contempler la mort. Car si nous ne nous livrons pas quotidiennement à cette méditation, comment réagirons-nous le jour où il nous faudra prendre de véritables risques, voir mettre notre peau au bout de nos idées ? Lorsque le Destin frappera à notre porte, qu'il n'y aura d'autre choix possible qu'entre l'affrontement et la soumission, le stoïcien n'hésitera pas. Que seul le premier choix nous soit accessible, voici le présent que nous fait le stoïcisme. Le Manuel, XXXII, 3: « Ainsi donc, lorsqu'il faut s'exposer au danger pour un ami ou pour sa patrie, ne va pas demander au devin s'il faut s'exposer au danger. Car si le devin te déclare que les augures sont mauvais, il est évident qu'il t'annonce, ou la mort, ou la mutilation de quelque membre du corps, ou l'exil. Mais la raison prescrit, même avec de telles perspectives, de secourir un ami et de s'exposer au danger pour sa patrie. Prends garde donc au plus grand des devins, à Apollon Pythien, qui chassa de son temple celui qui n'avait point porté secours à l'ami que l'on assassinait ».

Qu'en est-il à présent des trois disciplines du stoïcisme. Comme il a été dit précédemment, être et action découlent du discernement et l'on peut ainsi affiner la définition des trois disciplines du stoïcisme:

  • Discernement: On s'attachera à déterminer les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas.
  •  Être: On se bornera à ne point désirer ce qui ne dépend pas de nous et inversement à désirer ce qui en dépend.
  • Action: On pourra alors agir selon ce que notre être nous commande et ne pas aller vers ce qui nous en détournerait.

EPI-3.jpgIl convient de s'attarder maintenant sur ces définitions de l'être et de l'action. Comme nous le voyons, non seulement nous devons aller dans la bonne direction mais qui plus est nous interdire tout ce qui pourrait nous en détourner. Vivre en stoïque, c'est vivre de manière radicale. Que l'on vive le stoïcisme en philosophe ou en citoyen ne change rien à cela. Il n'y a pas de place pour la demi-mesure. Une droite parfaitement rectiligne, c'est ce qui doit symboliser le chemin parcouru par l'homme antique, l'homme stoïque. Il a été dit plus haut que tout était éphémère, que tout n'était que changement. A partir de cette constatation, sachant que nous ne devons point désirer et accorder d'importance à ce qui ne dépend point de nous, il devient dès lors impossible de s'attacher à ses possessions, à ses amis, à sa famille. Ceux-ci ne nous appartiennent pas et rien de ces choses et de ces personnes ne sont une extension de nous-même. Hommes ou objets, nous n'en jouissons que temporairement. Et cela ne doit pas être vu comme un appel à l'indifférence et à l'égoïsme. L'enseignement qui doit en être retiré est que la vérité et l'exigence de tenue ne doivent pas tenir compte de ces que nos contemporains, si proches soient-ils de nous, peuvent en penser. De même, l'argent et les biens matériels ne sont que des outils. Des outils au service du bien, de la cité, de la patrie. Celui qui se laisse posséder par ce qui est extérieur à lui-même ne mérite pas le titre de stoïcien, le qualificatif de stoïque. Et à ceux qui verront le stoïcisme comme trop dur, Epictète répond que la Sagesse a un prix. Nous ne pouvons désirer la paix de l'âme et les fruits d'une vie de servitude. A vrai dire, à vouloir les deux à la fois, on n'obtient bien souvent ni l'un ni l'autre. Et à ceux qui se décourageront en chemin, Epictète rappelle que nous pouvons trouver en nous tous les outils pour persévérer. Face à l'abattement, invoquons la ferveur, face à la fatigue, invoquons l'endurance, face aux insultes et aux coups, invoquons le courage.

Quelles sont alors les valeurs qui doivent être invoquées en toutes circonstances par l'Européen sur la voie du stoïcisme ? Puisque tout n'est qu'éthique, puisque tout n'est que tenue, que doit-on se dire inlassablement pour être prêt le jour où le destin nous appellera ?

  • Méprise mort, maladie, honneurs, richesses
  • Ne te lamente de rien qui puisse t'arriver
  • Maîtrise-toi car tu es le seul responsable de tes actes
  • Joue à fond le rôle qui t'es donné
  • Agis ou lieu de décréter
  • Respecte les liens du sang, de hiérarchie et les serments
  • Ne te détourne jamais de ton devoir
  • Ne te justifie jamais, ris des éloges que tu reçois
  • Ne parle que lorsque cela est nécessaire
  • Ne commet rien d'indigne
  • Par ta conduite, amène les autres à la dignité
  • Ne fréquente pas ceux qui sont souillés
  • Modération en tout. Accepte les bonnes choses de la vie sans les rechercher. Enfin, ne les désire plus
  • Les Dieux gouvernent avec sagesse et justice :

« Sache que le plus important de la piété envers les Dieux est d'avoir sur eux de justes conceptions, qu'ils existent et qu'ils gouvernent toutes choses avec sagesse et justice, et par conséquent, d'être disposé à leur obéir, à leur céder en tout ce qui arrive, et à les suivre de bon gré avec la pensée qu'ils ont tout accompli pour le mieux. Ainsi, tu ne t'en prendras jamais aux Dieux et tu ne les accuseras point de te négliger »

Epictète, Le Manuel, XXXI

epi-6.jpgAller au-devant du monde le cœur serein. Rester droit face aux pires menaces et affronter la mort sans faillir, voilà la grande ambition du stoïcisme. En des temps troublés, l'Européen, quel que soit son rang, trouvera dans le Manuel tous les outils pour y arriver. Par la méditation, la raison et la maîtrise de soi il pourra se forger jour après jour une antique et véritable tenue. Le stoïcisme est également l'une des traditions par laquelle on peut se rapprocher du divin puis enfin mériter soi-même ce qualificatif. Devenir « pareil au Dieux » fut l'une des grandes inspirations de nos plus lointains ancêtres au sein de toute l'Europe. Germains et Celtes aux ancêtres divins ou Latins et Hellènes rêvant de prendre place à la table des Dieux, tous étaient habités par cette métaphysique de l'absolu qui guide nos âmes depuis nos origines. Une métaphysique de l'absolu qui les poussait à rechercher la perfection, l'harmonie, la beauté. Avec la raison menant au divin et le divin menant à la raison, le stoïcisme réussit un syncrétisme que beaucoup ont cherché à réaliser en vain pendant des siècles. Et cette sagesse n'est nullement incompatible avec les fois chrétiennes comme avec nos antiques fois européennes. Le libre penseur, l'incroyant lui-même n'en est pas exclu. Voilà pourquoi celui qui ouvre Le Manuel aura alors pour horizon l'Europe toute entière et ce, à travers toutes ses époques. Que celui qui contemple alors notre histoire se rappelle ces paroles d'Hector dans L'Iliade 5 (XII, 243) : « Il n'est qu'un bon présage, celui de combattre pour sa patrie ».

Pour le SOCLE :

De la critique positive du Manuel, les enseignements suivants peuvent être tirés :

                    - Le Manuel dicte la tenue idéale à tenir pour un certain type d'Européen.

                    - C'est un devoir sacré pour chacun d'être utile là où il est.

                    - Il ne saurait y avoir de réflexion sans action.

                    - L'honneur est au-dessus de la vie.

                    - L'hubris doit être condamné.

                    - On doit être guidé par une métaphysique de l'absolu.

                    - Le divin mène à la raison. La raison mène au divin.

Bibliographie

  1. Le Manuel. Epictète. GF-Flammarion.
  2. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion.
  3. Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d'identité. Dominique Venner. Editions du Rocher.
  4. Le crépuscule des idoles. Friedrich Nietzsche. Folio Essais.
  5. L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Fréréric Mugler. Babel.

vendredi, 11 décembre 2015

L’empereur Hadrien

Hadrien_2-660x330.jpgL’empereur Hadrien

Au cœur de l’histoire

sur Europe 1

Hadrien (Imperator Caesar Traianus Hadrianus Augustus, en grec Ἁδριανός ou Ἀδριανός), né le 24 janvier 76 à Italica et mort le 10 juillet 138 à Baïes, est un empereur romain de la dynastie des Antonins. Il succède en 117 à Trajan et règne jusqu'à sa mort. Empereur humaniste, lettré, poète et philosophe à la réputation pacifique, il rompt avec la politique expansionniste de son prédécesseur, s'attachant à pacifier et à structurer administrativement l'Empire, tout en consolidant des frontières parfois poreuses.

Il doit sa gloire autant au prestige de son règne qu'aux Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar, qui en fait un souverain conscient de la mission universelle de Rome.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hadrien

AU CŒUR DE L'HISTOIRE sur Europe 1

« L’INTÉGRALE - Hadrien », émission du 10 octobre 2014

Franck FERRAND reçoit Catherine SALLES pour évoquer cette existence hors du commun, notamment à travers le prisme des voyages d’Hadrien.

vendredi, 14 mars 2014

Spartan Women

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Spartan Women

Sarah B. Pomeroy
Spartan Women 
Oxford University Press, 2002

Ancient Sparta is known not only for its great warriors, but also for its unusual treatment of women. Further north in democratic Athens, modest women were rarely educated and mostly kept sequestered indoors. But in the militarist state of Sparta, the government insisted that both boys and girls be given an education from childhood. Boys were trained to be future warriors, and women to be the mother of warriors — a task that required a variety of skills.

Sarah B. Pomeroy, a professor at New York’s Hunter College and the Graduate Center at the City University, delves into the unique education and lifestyles of women in Sparta in Spartan Women. Although its primary focus is women, the reader will learn much in the book about the men in this city-state in the south-eastern Peloponnese, as well as about the lives of both men and women in classical Athens.

Women’s Education in Sparta

Compared to other Greek women, Spartans had vastly more free time to do what they wanted. One reason for this was because Sparta was highly dependent on the labor of slaves (called helots), and Spartan citizens were not allowed to engage in most forms of manual labor. This meant that even the women were free from much domestic drudgery. The men of Sparta were full-time warriors, and consequently, Spartan women were usually more cultured than the men. For example, girls were trained in singing, dancing, and playing instruments, and singing competitions often were held between individuals and rival choruses.

Pomeroy says that there is much reason to believe that literacy was common among women in Sparta. There are numerous references to women writing letters to their sons at war (usually these consisted of urging their sons to be brave warriors). And Spartan women also were encouraged in public speaking. In ProtagorasPlato even refers to the women of Sparta and Crete, who take pride in their educations and are skilled in philosophical debate. Common themes for women’s speeches included praising the brave and reviling cowards and bachelors. Another testimony to Spartan women’s education: The Neoplatonist philosopher Iamblichus said there were 17 or 18 women among Pythagoras’ 235 disciples; about one-third of the women were Spartans, while less than 1 percent were Spartan men.

Women could own land in Sparta, and by Aristotle’s time, they owned two-fifths of the land in Laconia. Another privilege of Spartan women, according to Pomeroy: “of all Greek women, Spartans alone drank wine not only at festivals, but also as part of their daily fare.” Although they could not vote, they participated in political campaigns and were said to have much influence over their husbands (according to Aristotle).

Spartan Women and Sports

Edgar Degas, “Young Spartans Exercising”

Spartan Women also details women’s role in sports, another area where they were able to receive training and to excel. Their training was similar to that of boys, but less intense. Women participated in trials of strength, racing competitions, wrestling, discus throwing, and hurling the javelin. Some athletic competitions were held in honor of female deities.

The encouragement of athleticism in women appears to be based on women’s role as mothers. According to Xenophon, Lycurgus (who created Sparta’s constitution) thought that having two physically healthy parents would be more likely to produce healthy offspring.

Young men and women often exercised in the nude, and there was even a “Festival of Nude Youths.” Confirmed bachelors, according to Plutarch, were banned from attending. For the others, it was a chance to view potential marriage partners.

Marriage in Sparta

Gustave Moreau’s depiction of Helen of Troy (Helen of Spara)

Spartan women were usually married at 18—later than other Greek women—and the marriages were unusual for Greece at the time. Unlike in Athens, where a 15-year-old girl might marry a man twice her age, Spartan couples were usually close to the same age. The men lived with other men in military groups until age 30, so there was no “nuclear family” until later in life. Husbands and wives were not encouraged to spend a lot of time together, the idea being that absence created stronger passions between the pair, and that the child resulting from a passionate union would be stronger.

The marriages in Sparta were “mostly monogamous.” Although couples were married, it wasn’t uncommon for a woman to have another man’s child than her husband’s, if the man could persuade the husband to allow it. As the population declined, men began fathering children with the helots (the children would be partial citizens); but the consequence was that their legitimate wives began having fewer children. There appears to have been no penalty for adulterous women, like in other parts of Greece where they could be punishable with death.

The Importance of Motherhood

Spartan Women spends many pages describing the role of motherhood in Sparta, since being a mother (particularly the mother of a brave warrior) was the highest honor for women. The only women who were permitted gravestones were priestesses and those who died in childbirth. Women spent much of their time actually involved with their children, since slaves did many of the domestic chores and families were provided with rations of food by the state. Women did work, but it was more as managers than as servants. Before the decline of Sparta, greed was considered a vice, so women’s pursuits were more centered on the arts and their children rather than accumulating material things. In fact, Spartan women were forbidden to wear gold or use cosmetics.

Because they were so involved with their children’s upbringing, women felt very responsible for their children’s successes (and failures) in life. Many of these attitudes can be found in Plutarch’s Sayings of Spartan Women, where he recounts women disowning and even killing cowardly sons.

One of Pomeroy’s most interesting discoveries involves the practice of infanticide. It’s a well-documented fact that deformed or weak babies would be thrown into a chasm on Mount Taygetos, a form of eugenics that ensured a strong military for the state, and that only worthy candidates would be awarded the land and education that was the right of every Spartan citizen. Pomeroy presents a valid case that female babies were not put to the same scrutiny as the males (except for obvious physical deformities). Not all male babies were capable of being warriors, but even the weakest female baby could grow into a mother of warriors.

Women and Religion in Sparta

Unlike most societies in ancient Greece, the private family religious cult was virtually unknown in Sparta. There are several main reasons for this: The first is because there was such an emphasis on community, so primary loyalty was to the state not the family. The militaristic nature of Sparta meant that transcendent values and actions were more important than biological ties (as evidenced by the willingness to kill family members). And finally, since married couples lived apart until the man was 30, and since children went away from home to be educated at a young age, the “family” as we think of it today was never very solidified.

Religion was important to women in Sparta, however. The popular cults for women included those of Dionysus, Eileithyia (a fertility goddess), Artemis, Hera, Helen of Troy, Demeter, Apollo, Athena, and Aphrodite. Spartan Women goes into details about each of these cults, and also discusses the role of women priestesses at various periods in the city-state’s history.

*  *  *

Spartan Women is scholarly and well-researched, yet written in an easy-to-understand style for a general audience. My only complaint is that much of the information is repeated at many places throughout the book — however, it is evidence of thorough research and ensures that you can read any chapter and receive all of the relevant information. I’d highly recommend it to anyone interested in the history of either Sparta or Athens, women’s roles in traditional societies, and women’s roles in pagan religions.

lundi, 09 avril 2012

Ce que nous devons à la Rome antique

Lucien Jerphagnon, l'historien espiègle d'une profondeur à la portée de tous.

Ce que nous devons à la Rome antique

 
L'Empereur Julien

Que devons-nous à Rome et à la Grèce antique ? « Tout, bien sûr. Enfin presque… » Telle fut la réponse de Lucien Jerphagnon à la question que je lui avais posée dans le premier numéro de La Nouvelle Revue d’Histoire en 2002. Cette réponse fut suivie de beaucoup d’autres jusqu’à la disparition de ce grand historien, helléniste et latiniste, l’an passé.

Les autres savants qui nous ont livré leurs connaissances sur Rome l’ont toujours fait en séparant hermétiquement l’histoire (les hommes, les hauts faits, les batailles) et la philosophie (les chemins de la pensée). L’un des apports rares de Lucien Jerphagnon est d’entrelacer ces deux domaines arbitrairement séparés. D’où le regard total qu’il délivre sur l’histoire romaine. Il montre l’évolution des représentations d’une époque à une autre. Car tout changeait constamment dans ce vaste univers comme dans le nôtre.

De Romulus, fondateur mythique de la Ville en 753 avant notre ère, jusqu’à la déposition en 476 du dernier empereur d’Occident, l’évanescent Romulus Augustule, s’écoulent plus de mille deux cents ans. Plus d’un millénaire d’une histoire sans équivalent au monde, pas même en Egypte ancienne, ni en Perse, en Inde ou en Chine. C’est à la découverte de ce continent historique sans égal que nous convie avec un entrain irrésistible Lucien Jerphagnon.

Avant sa disparition (16 septembre 2011), il avait prévu de léguer à la postérité le gros et passionnant volume de la collection « Bouquins », qui vient de paraître et que l’on ne se lassera pas de relire. Sous le titre Les armes et les mots, ce volume réunit trois ouvrages en un : Histoire de la Rome antique ; Les Divins Césars : Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale ; enfin, Histoire de la pensée : D’Homère à Jeanne d’Arc (autrement dit, de la Grèce antique au Moyen Age).

Dans une préface à ce volume, Jean d’Ormesson, ami de longue date de Lucien Jerphagnon, estime que s’il devait définir celui-ci en deux mots, il dirait « qu’il était amusant et profond ». C’est en effet bien résumer ce que fut Lucien Jerphagnon, universitaire à l’immense savoir, « toujours prêt à s’amuser et à amuser les autres ». Il apportait une rigueur extrême à ses travaux savants et à l’écriture de ses livres de haute vulgarisation, sans jamais se prendre au sérieux. Jerphagnon pensait que l’on écrit pour être compris et pas seulement des érudits. Sur les sujets les plus graves ou complexes, ses livres continuent de poser un regard qui n’était dupe de rien ni de personne. Une seule fois peut-être, l’émotion admirative l’emporte sur l’ironie souriante, quand il conclut les pages très denses qu’il consacre au jeune empereur Julien (360-363) auquel il refuse l’attribut d’ « apostat » (Le prince qui s’était trompé d’époque).

Qui furent vraiment les hommes rudes et entreprenants, fondateurs de Rome, puis contemporains des Scipion, d’Octave Auguste, Tibère, Trajan, Marc Aurèle ou plus tard Constantin et Julien ? Et que pensait-on à leur époque de ces grands personnages divinisés par nécessité politique ? Et que pensaient-ils eux-mêmes de Rome, de leur pouvoir et du monde dans lequel ils vivaient ? Dans les réponses à ces questions traitées comme par un contemporain lucide écrivant pour ses amis, et non un universitaire d’aujourd’hui, on discerne ce qu’il y a d’unique chez Lucien Jerphagnon, à la fois véritable historien, informé de tout, mais également connaisseur inégalé de la philosophie antique, puis de la curieuse religion instaurée non sans mal ni conflits cruels par les disciples et successeurs du divin Christos.

Simultanément, paraît aux éditions Albin Michel un ouvrage posthume de Lucien Jerphagnon, Connais-toi toi-même… et fais ce que tu aimes, ce qui a une autre allure et un autre sens que « fais ce qui te plais ». Il s’agit d’un florilège sur l’Antiquité grecque et romaine, « pour adoucir le cours du temps et réjouir ses amis ». On y retrouve les chroniques que le « vieux Jerph » avait données à La NRH, parmi un grand nombre d’autres textes et d’inédits, sources de connaissances et de réflexions inépuisables.

 

Dominique Venner

Notes

  1. Lucien Jerphagnon, Les armes et les mots, Robert Laffont, Bouquins, 1216 p., 32 €. Du même auteur, Connais-toi toi-même… et fais ce que tu aimes, Editions Albin Michel, 380 p., 20 €.
  2. En illustration, une effigie du jeune empereur Julien qui régna de 360 à 363. Une figure pathétique superbement restituée par Lucien Jerphagnon dans le volume de la collection Bouquins (p. 632-653).

samedi, 26 décembre 2009

Renseignement et espionnage dans la Rome antique

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Les activités de renseignement font partie intégrante de l’art de gouverner et, sans elles, les Romains n’auraient pas pu édifier et protéger leur empire.

Même s’ils ne séparaient pas les différentes fonctions du renseignement entre activités civiles et militaires, il n’en demeure pas moins qu’une grande partie de leurs activités de renseignement ressemblaient aux nôtres et qu’il est possible d’utiliser le concept moderne de cycle du renseignement pour les décrire. L’éventail des activités concernées est assez large : collecte de renseignements, contre-espionnage, infiltration, opérations clandestines, utilisation de codes et de chiffres, et diverses techniques d’espionnage. Toutes ont laissé des traces littéraires, épigraphiques et archéologiques qu’il est possible de suivre en partie.

Rose Mary Sheldon retrace le développement des méthodes de renseignement romaines des débuts de la République jusqu’au règne de Dioclétien (284-305 après J.-C.), d’une forme embryonnaire et souvent entachée d’amateurisme jusqu’au système très élaboré d’Auguste et de ses successeurs. L’ouvrage est rythmé tant par des chapitres consacrés à l’étude de certains des échecs romains que par l’examen des réseaux de communication, des signaux de transmission, des activités d’espionnage, des opérations militaires et de la politique frontalière.

C’est pourquoi les questions plus larges soulevées dans ce livre sont d’une pertinence immédiate pour le présent : bien que les méthodes de renseignement aient radicalement changé avec l’avènement de la technologie moderne, les principes restent étonnamment similaires. Les questions politiques essentielles portant sur la place des services de renseignement dans une démocratie et une république plongent leurs racines dans le monde gréco-romain.

Publication : novembre 2009, 528 pages,35

Via Theatrum Belli [1]

Disponible sur Amazon [2]


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mercredi, 12 août 2009

Une nouvelle approche de la tourmente du III° siècle

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Une nouvelle approche de la tourmente du III° siècle

« Dans les temps de crise que nous vivons, en ce début d’année 2009, il est agréable de se dire qu’à un moment de leur histoire des hommes ont été heureux… » Nous sommes au IIe siècle. Les Antonins ont fait de Rome une puissance insurpassable. La stabilité politique des institutions d’essence monarchique assure aux peuples de l’Empire, au moins jusqu’à Commode (180-192), sécurité et prospérité. La « Pax romana » règne partout. Elle dispose d’un instrument de fer : de 350.00 à 400.000 soldats, dont quelques 150.000 légionnaires postés pour l’essentiel aux frontières, face aux Barbares. Et c’est pourtant en pleine gloire, au faîte de sa puissance, que l’Empire romain va être touché au cœur.

Crise militaire, crise globale

La crise du monde romain au IIIe siècle est avant tout militaire. C’est l’affaiblissement de l’institution centrale de l’empire qui provoque en chaîne, et se nourrit par la même occasion, des crises politique, économique, financière, sociale et même religieuse – la « quête de sens » étant une constante des périodes troublées. Si tous les historiens s’accordent sur cet enchaînement des causes et des conséquences, rares sont les chercheurs à avoir tenté d’expliquer « comment un corps aussi solidement bâti que l’armée romaine a pu recevoir des coups aussi violents, être secoué dans d’aussi terribles difficultés ». C’est à ce choc initial, cette matrice de toutes les crises, que s’attache Yann Le Bohec avec le talent, l’érudition et l’humour qu’on lui connaît. Son ouvrage, pour être savant, est passionnant parce qu’il s’agit d’une véritable enquête dont la victime – l’Empire romain – et les auteurs – Germains et Iraniens pour l’essentiel – sont connus, mais les faits trop souvent ignorés à force d’être considérés comme acquis, et donc secondaires.

En s’attachant à proposer « une explication militaire pour une crise militaire », jusque dans les soubresauts des nombreuses « guerres civiles » induites, Le Bohec renouvelle en profondeur notre vision de cette époque, et n’hésite pas au passage à bousculer quelques certitudes historiographiques trop facilement admises.

Surtout, Le Bohec va à l’essentiel. Il ausculte, assume et revendique la gravité de la crise étudiée en réhabilitant « les trois conceptions du temps, court, moyen et long » de l’enseignement de Braudel, « ainsi que les liens qui unissent l’histoire à la géographie ». Son ouvrage est donc politique. Parce que l’essence même du politique réside finalement dans les questions de défense, comme l’ont bien compris depuis des générations les historiens anglo-saxons et l’illustre plus près de nous De Gaulle : « Quand on ne veut pas se défendre, ou bien on est conquis par certains, ou bien ou est protégés par d’autres. De toute manière, on perd sa responsabilité politique… ».  Et parce que l’essence même du politique, parfaitement illustrée par Carl Schmitt cette fois, réside dans la désignation – et donc la connaissance – de l’ennemi. Et c’est l’apport principal de cette « armée romaine dans la tourmente » que de s’attacher aux ennemis de celle-ci, en soulignant leur nombre, leur diversité, la nouvelle puissance issue de leur vitalité démographique, de leurs systèmes d’alliance (Quinquegentanei en Afrique, Pictes en Ecosse, Francs, Alamans et Goths en Europe continentale), et des progrès accomplis sur le plan militaire surtout, dans les domaines de l’armement et de la tactique face à des légions dont l’apogée capacitaire est définitivement atteint sous Septime Sévère (193-211).

Quand l’histoire éclaire le présent

L’ouvrage de Le Bohec est ainsi d’une criante actualité. Les analogies sont nombreuses avec les temps de confusions qui sont aussi les nôtres.

Il est certes tenant d’esquisser un parallèle entre les empires romain et étatsunien. Et il sera sans doute un jour daté que la fin de l’empire américain a débuté dans les villes d’Irak, comme autrefois l’empire romain dans les sables de Mésopotamie. « Rome ne s’interdisait jamais de passer à l’offensive, pour mener une guerre préventive ou de représailles, ou pour affaiblir un ennemi potentiel, ou encore tout simplement pour piller. Au cours du IIIe siècle, l’offensive n’eut jamais cours qu’en réaction contre une agression ; on ne connaît que des contre-offensives »…

Mais le choc du IIIe siècle reste, à l’image de l’Empire romain lui-même, une pièce maîtresse et indéfectible de l’histoire européenne. Il annonce les formidables mutations que vont affronter les peuples d’Europe, et les ruses dont l’Histoire aime à user : « Après avoir atteint le fond du gouffre, l’armée romaine a su s’en sortir. L’explication est sans doute double. Les ennemis sont devenus moins agressifs, parce qu’ils étaient fatigués de la guerre et parce que de nouveaux problèmes se posaient à eux, avec d’autres arrivées de barbares. L’armée romaine s’est mieux adaptée à la situation. Ce fut, si l’on en croit la critique, l’œuvre des empereurs illyriens ». La sortie de la crise est en effet attestée sous Dioclétien (284-305), mais l’Empire ne s’en remettra jamais. Au point de s’effondrer définitivement à peine un siècle et demi plus tard. La crise, aussi violente que profonde, apparaît dès lors comme une première alerte.

Une histoire à méditer. Parce que c’est la nôtre. Et que nous ne sommes qu’au IIe siècle…

GT
14/07/2009

Source: Polémia

©Polémia

L’armée romaine dans la tourmente. Une nouvelle approche de la crise du IIIe siècle, Yann Le Bohec, Editions du Rocher, collection L’Art de la Guerre, mars 2009, 315 p., 21 euros.

jeudi, 22 janvier 2009

Klassische Antike und amerikanische Identitätskonstruktion

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Dennis Hannemann
Klassische Antike und amerikanische Identitätskonstruktion
Untersuchungen zu Festreden der Revolutionszeit und der frühen Republik 1770-1815
2008, 263 Seiten, kart., EUR 34.90 / CHF 49.90
ISBN: 978-3-506-76491-1

Für die Konstitution des amerikanischen Selbstverständnisses im späten 18. und frühen 19. Jahrhundert spielten Griechenland und Rom eine bedeutsame Rolle. Inwieweit sich die junge Nation vor dem Horizont antiker Modelle politisch wie historisch zu verorten versuchte, offenbart gerade das Genre der Festreden (u. a. Fourth of July- und Washington-Gedenkreden), denen aufgrund ihrer Einbettung in eine kollektive Festkultur eine zentrale Funktion für die Identitätsstiftung zufällt. Dieses Genre wird hier erstmals systematisch aus rhetorischer und rezeptionsgeschichtlicher Perspektive untersucht.

 

Dabei treten zwei Verfahren der Vereinnahmung antiker Wissensbestände zutage. Während der exemplarische Antikerekurs genutzt wird, ein republikanisches Wertesystem zu vermitteln, dient der typologische Antikerekurs dazu, Amerika zur Erbin einer von der Antike kommenden Ziviltradition zu stilisieren. Die Festreden reflektieren zugleich zeitgenössische Geschichtsauffassungen, insofern sie das historia magistra vitae-Konzept und die progressive Geschichtsdeutung miteinander verknüpfen.