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mercredi, 16 mai 2018

Marc Eemans, Jean Thiriart & Günter Maschke : trois inspirateurs contradictoires ?

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Marc Eemans, Jean Thiriart & Günter Maschke : trois inspirateurs contradictoires ?

Par Robert Steuckers

Question posée par l’animateur de l’Ecole des Cadres de Synergies Européennes à Liège :

Q.: Dans les entretiens que vous avez accordés récemment à Monika Berchvok (http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2018/05/08/m... ) et à Thierry Durolle ( http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2018/04/18/e... ), vous répondez à des questions spécifiques, vous demandant de préciser la dette que vous estimez avoir à l’endroit de quelques-uns de vos aînés, à savoir Marc Eemans (1907-1998), Jean Thiriart (1922-1992) et Günter Maschke (né en 1943). Ces personnalités, marginalisées par l’inculture dominante, ont des cartes d’identité idéologiques très différentes. Comment faites-vous la synthèse entre des positions qui furent les leurs et qui sont hétérogènes et contradictoires (du moins en apparence) ?

R.: En effet, les trois hommes recouvrent presque l’entièreté du spectre politico-idéologique et métapolitique du 20ème siècle, car les avant-gardes de gauche, les diverses conjugaisons du communisme, les idéologies quiritaires d’Allemagne et d’Italie entre 1920 et 1945, l’opposition extra-parlementaire allemande des années 1967-68 ont animé ces hommes à titre divers : ils les ont abordés, dans leur jeunesse, sous des angles différents. Leurs itinéraires, leurs maturations et leurs changements apparents de cap méritent toute l’attention du politiste, à l’heure actuelle, nous allons le voir.

Marc Eemans vient du dadaïsme et du surréalisme, a exploré le monde des traditions, parfois en pionnier avec sa revue Hermès (entre 1933 et 1939), a dirigé le Centro Studi Evoliani de Bruxelles à la fin de sa vie, qu’il a passée dans les milieux artistiques d’avant-garde. Jean Thiriart est opticien et optométriste de formation ; son regard sur les choses est « technomorphe » ; les traditions de sa famille sont laïcardes et hostiles au cléricalisme qui maintenait solidement ses ouailles sous sa coupe en Belgique avant-guerre et encore dans l’immédiat après-guerre. Sa vision du politique est pragmatique (il disait « matérialiste ») et la qualifiait aussi de « machiavélienne ». Il entendait recréer une « physique du politique », dérivant d’une certaine interprétation mécanique de la pensée de Thomas Hobbes, exprimée dans le Léviathan. Pour lui, l’Etat-Léviathan permet de tirer les masses hors du marais de la trivialité. Il avait horreur de l’indiscipline qu’il prêtait à tous les littéraires.

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Günter Maschke est un Revoluzzer allemand, finalement assez typique. Issu d’une famille thuringienne, qui avait adopté l’orphelin de guerre qu’il était, il est séduit par l’idéologie révolutionnaire des gauches marxistes et communisantes, non pas parce qu’elles offrent des appareils conceptuels rigides mais parce qu’elles servent de prétexte pour « foutre le boxon » dans le monde bourgeois dont il aime toujours à se moquer. Il aura une carrière haute en couleurs de pré-soixante-huitard mais virera sa cuti après avoir découvert l’œuvre de Carl Schmitt, d’abord via sa théorie du partisan, qui a, il faut le rappeler, quelques connotations maoïstes car, à l’époque, les personnalités issues d’une forme ou d’une autre de catholicisme, ou qui avaient abandonné fraîchement leurs déterminations propres aux classes rurales, avaient été davantage fascinées par Mao plutôt que par la version soviétique du communisme d’inspiration marxiste.

Photo: Günter Maschke en 2015.

Günter_Maschke_2015.jpgMaschke, comme la plupart des agitateurs allemands des années 1967 et 1968 en Allemagne et en Autriche, ne persévèrera pas dans la veine ethno-masochiste du soixante-huitardisme désormais institutionnalisé, ne s’enlisera pas dans la volonté fébrile et frénétique d’amorcer une « longue marche à travers les institutions » pour détruite de fond en comble les fondements mêmes de ces institutions. Chez eux, ce sera la veine anti-impérialiste qui prendra le dessus, si bien qu’en fin de compte les marottes du sociétal rencontreront leur incompréhension et leur désapprobation (car elles sont foncièrement impolitiques). Ils n’opèreront pas le virage « néocon » des trotskystes américains de la Côte Est et ne se solidariseront pas avec leur bellicisme outrancier depuis les événements de Yougoslavie et d’Irak. De même, tous les travers du sociétal suscitent leurs moqueries.

Le dénominateur commun à ces trois hommes se trouve, me semble-t-il, dans une approche, superficielle ou rigoureuse (dans le cas de Maschke), de Carl Schmitt. Ce sont les œuvres de ce juriste rhénan, ou plutôt ses concepts de combat, qui permettent, et me permettent, d’opérer entre ces trois personnalités, leurs itinéraires idiosyncratiques, leurs réflexions, leurs travaux, un travail de convergence.

Marc Eemans était lié d’amitié avec le principal des disciples et exégètes de Carl Schmitt en Flandre, le Professeur Piet Tommissen, qui, plus tard, deviendra un ami intime de Günter Maschke. Piet Tommissen explique dans ses mémoires, publiées à compte d’auteur (cf. https://robertsteuckers.blogspot.be/2011/10/piet-tommisse... & https://robertsteuckers.blogspot.be/2011/11/adieu-au-prof... ) que son intérêt de jeunesse pour les avant-gardes artistiques et littéraires était partagé par Carl Schmitt dont, il faut le rappeler, l’un des plus enthousiastes admirateurs était l’ex-dadaïste et ex-surréaliste allemand Hugo Ball, reconverti au catholicisme (de forme romaine) dès 1920. Le lien entre Schmitt et l’espace des avant-gardes est dès lors évident : il est tout naturel qu’une passerelle existe entre ce monde purement artistique et littéraire et les thèses sur l’essence du politique, formulées par Schmitt et son disciple alsacien Julien Freund.

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Marc Eemans et Piet Tommissen dans les années 1970.

Par ailleurs, l’européisme de Carl Schmitt et la volonté d’Evola de replonger l’Europe dans une sphère politique impériale et romaine (païenne ou catholique) se rejoignent. L’idée schmittienne de « grand espace » (Grossraum) (1) et l’européisme pragmatique et géopolitique de Jean Thiriart se rejoignent pareillement. Et le glissement de Maschke, parti d’une opposition extra-parlementaire gauchiste, hostile à la « Grande Coalition » entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens pour aboutir dans une immersion totale et passionnée dans l’œuvre de Carl Schmitt, permet de concilier provocations de type dadaïste ou situationniste, d’une part, et immersion dans la tradition, vaste espace intellectuel qui va de Donoso Cortès à Julius Evola, d’autre part, sans oublier la volonté schmittienne de retrouver la forme romaine dans un « grand espace » européen hostile à l’américanisme.

Tous ces ingrédients se retrouvent à des degrés divers chez les personnalités que vous évoquez dans votre question : Eemans restait totalement étranger aux séductions de l’américanisme, pensait l’excellence européenne en termes impériaux traditionnels, notamment en valorisant la figure de l’Empereur Frédéric II Hohenstaufen. Thiriart admirait cet Empereur et sa politique méditerranéenne, entendait restaurer une « forme romaine » (non catholique en ce qui le concerne) en dépit du laïcisme assez tranché, hérité de son milieu familial, et partageait la notion schmittienne du politique et son hostilité aux immixtions américaines sur le Vieux Continent, hostilité que Maschke combinera aisément avec l’anti-impérialisme de ses amis de jeunesse. Maschke connait les avant-gardes, manie ironie cinglante, assénée à coups de marteau, même s’il ne se déclare pas nietzschéen, cultive un art de la provocation que l’on peut définir comme post-dadaïste, voit une Europe certes sous hegemon germanique mais animée par une pensée politique hispanique ou italienne, moins naïve que celle du « Deutscher Michel », du plouc allemand replié sur lui-même, sur son ego narcissique, ou du Biedermeier bourgeois, esthète et impolitique, tous deux mentalement mutilé par le protestantisme.

Jean Thiriart.

thiriartmeilleurephoto.jpgL’ensemble de ces influences couvre un spectre idéologique d’une très grande amplitude, mêlant l’hyperpolitisme (Schmitt et Thiriart) aux fondements de la tradition (Evola et Eemans), permettant de cimenter, dans le concret et dans l’esprit, de vastes espaces impériaux et civilisationnels (Evola et Schmitt), tout en autorisant les tenants de cet hyperpolitisme et de ce traditionalisme (bien conçu et non replié sur des dadas impolitiques, énoncés sur un mode insupportablement pubertaire) à déverser des sarcasmes dignes des dadaïstes sur ceux qui, d’une manière ou d’une autre, entendent pratiquer le politicide (2) dissolvant ou subvertir et éradiquer le mos majorum (Maschke et le jeune Evola).

En tablant sur ce faisceau d’influences, il faut souligner les convergences entre pensées fortes (3) et ne pas mettre systématiquement en exergue les divergences qui existent entre elles, car, dans ce cas, on empêche l’éclosion de mouvements réellement alternatifs, permettant de se débarrasser des pratiques concussionnaires, impolitiques et conduisant au politicide que mettent toujours en œuvre, inlassablement, les démocrates-chrétiens, les sociaux-démocrates et les libéraux. Leurs pratiques, fustigées par l’opposition extra-parlementaire de Rudi Dutschke, ont mené l’Europe à l’impasse dangereuse dans laquelle elle végète et marine aujourd’hui. L’intention qui vise à favoriser les convergences et les synergies correspond à une idée de Carl Schmitt, celle de la coïncidentia oppositorum, vertu éminemment politique qu’il attribuait à l’Eglise, société idéale, dans la phase la plus catholique de son œuvre, dans les années 1920. Il faut, de fait, faire coïncider toutes les divergences qui ont animé ces hommes au cours de leur existence.

La proposition toute récente de former un gouvernement en Italie entre le « mouvement cinq étoiles » et la Ligue est sans doute la première manifestation importante, capable de faire masse dans une Europe qui a chaviré dans la trivialité, et d’amorcer un processus graduel de sortie hors de la fange antipolitique conventionnelle, qui ne donnera plus aucun fruit tant ses arbres démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates ou libéraux sont gangrénés jusqu’aux plus infimes de leurs radicelles. L’Italie avait sur tous les autres pays européens une fameuse longueur d’avance dans le processus de maturation intellectuel et politique que nous appelons de nos vœux. Car, là-bas, de Milan à la Sicile, Schmitt et Evola sont présents dans tous les débats au quotidien. En Europe, il faut constituer des avant-gardes de même nature, portée par le projet liguiste de Gianfranco Miglio, aujourd’hui décédé et disciple insigne de Carl Schmitt et par la stratégie ironique, mise au point rigoureusement par Beppe Grillo, mêlant ironie caustique des avant-gardes, stratégie gramscienne et pirandellienne du théâtre des rues. Nous avons là tous les ingrédients brassés jadis, d’une manière ou d’une autre, par les trois hommes que vous mettez en avant dans votre question. Au travail !

Notes :

  • (1) L’idée schmittienne du Grossraum a été étudiée à fond par le juriste alsacien Jean-Louis Feuerbach, et remarquée par un disciple de Schmitt, également spécialiste de Vilfredo Pareto, idole de Thiriart et objet de la thèse de doctorat de Piet Tommissen, feu Helmut Quaritsch.
  • (2) Le terme de « politicide » a été forgé par le politologue néerlandais Luk De Middelaar, spécialiste des questions françaises. De Middelaar voyait l’origine de cette destruction systématique du politique dans les cercles sartriens des années 1950 et 1960, préludes du soixante-huitardisme proprement dit.
  • (3) Nous reprenons l’idée de « pensée forte » au philosophe italien Gianni Vattimo qui leur opposait un jeu d’antidotes qu’il baptisait « pensée faible ».

lundi, 06 avril 2015

Marc. Eemans en de 'gnostische' schilderkunst

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Le but ultime, Marc. Eemans (1928)
 
 

Ex: http://mededelingen.over-blog.com

Kort na zijn ontslag uit het Klein Kasteeltje eind 1949 publiceerde Marc. Eemans onder pseudoniem De Vlaamse krijgsbouwkunde, een boek dat hij gedeeltelijk tijdens de bezetting geschreven had. Hij gaat opnieuw aan de slag in het uitgeversvak, nl. bij uitgeverij Meddens waar hij in contact komt met Jef L. de Belder (1912-1981) die in 1949 ontslagen was uit het interneringskamp van Merksplas. De Belder was redactiesecretaris van het door Meddens uitgegeven pasgeboren maandblad De Periscoop (1950-1980), een betrekking die hij aan hoofdredacteur René F. Lissens te danken had. Jef De Belder en zijn vrouw Line Lambert (1907-2005) runden de Colibrant-uitgaven te Lier, waar Eemans' Het boek van Bloemardinne in 1954 verscheen, twee jaar later gevolgd door Hymnode.

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Jan Hugo Verhaert trad in 1956 bij Meddens in dienst als verantwoordelijke voor het tijdschrift World Theatre / Théâtre dans le Monde, een blad gesubsidieerd door de Unesco. Hij werd ook ingezet om de lay-out van De Periscoop te verzorgen, “het troetelkind” van directeur Theo Meddens (1901-1966). Op verzoek van prof. Lissens werd het hoofdredacteurschap in 1955 aan de De Belder overgedragen.

In 1956 nam hij jammer genoeg ontslag en bleven alleen nog Marc. Eemans, toen lector bij Meddens, en ikzelf over. Ik verzorgde de vormgeving. Eemans moest intussen alleen alles beredderen, wat hij graag deed, daar hij (die pottenkijkers schuwde als de pest) nu de vrije hand had. De nieuwe hoofdredacteur, dr. Frans van den Bremt, had van literatuur en hedendaagse kunst weinig kaas gegeten. Hij was musicoloog, zijn grootste hobby was fotografie en hij liet Eemans graag betijen.

 

In De Periscoop publiceerde Eemans een aantal lezenswaardige gelegenheidsbijdragen, onder meer over Henri de Braekeleer, William Degouve de Nuncques, Fritz van den Berghe, Max Ernst en E. L. T. Mesens. Zijn eerste bijdrage, 'Bij Paul van Ostaijen in de leer' (1 november 1956), verscheen in de periode dat de dichter van het Eerste boek van Schmoll dank zij de vierdelige publicatie van zijn Verzameld werk onder redactie van Gerrit Borgers volop in de belangstelling stond. Met die bijdrage eist Eemans opnieuw avant-gardistisch verleden op en situeert zichzelf – m.i. geheel onterecht – in de Ostaijense traditie. Twee jaar tevoren had hij het moeten slikken dat zijn vriend Mesens hem het predicaat 'surrealist' ontzegd had. In 'Les apprentis magiciens au pays de la pléthore' verweet Mesens hem met zoveel woorden enige “verwardheid” (ook op politiek vlak...), wat hem gebracht heeft tot een “culte mystico-panthéiste dont l'expression est symboliste et ne peut rien avoir de commun avec la réduction des antonomies que le surréalisme s'est toujours proposé”.

Dat stond echter hun vriendschap niet in de weg.

*

Na zijn vrijlating was Eemans ook als schilder opnieuw aan de slag gegaan – La vie méhaignée (le chant d'amour) dateert van 1950. In 1957 exposeerde hij een dertigtal werken in galerie Le Soleil dans la Tête te Parijs. De bescheiden catalogus werd ingeleid door een oude relatie van de schilder, Claude Elsen, pseudoniem van Gaston Derycke (1910-1975), die voor de oorlog aan Hermès meewerkte.

 

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Gaston Derycke had in de jaren dertig enkele plaquettes gepubliceerd. Hij was redacteur bij het Amerikaanse persagentschap United Press, redactiesecretaris van het weekblad Cassandre, opgericht door Paul Colin, en had naam en faam verworven met zijn filmkritieken in Le Rouge et le Noir en in Les Beaux-Arts. Hij werkte ook mee aan de roemruchte Cahiers du Sud (1925-1966).

In 1937 schreef hij nog met zoveel woorden de haat te delen tegen het fascisme dat de cultuur en de intelligentie bedreigt, maar bij het begin van de bezetting werd hij toch maar hoofdredacteur van Cassandre en publiceerde hij kritieken in Le Nouveau Journal. In 1944 verscheen Destin du Cinéma, meer dan een tijdsdocument. Ondertussen had hij zich ook ontpopt als misdaadauteur met Je n'ai pas tué Barney (1940) en Quatre crimes parfaits (1941), verschenen in de populaire, door Stanislas-André Steeman gedirigeerde reeks 'Le Jury'. Relevanter zijn de kritische bijdragen waarin hij theoretische bespiegelingen verwoordt over het genre zelf en scherpzinnig de redenen analyseert waarom het als minderwaardig wordt geacht, een stelling die hij terecht betwist.

Bij de bevrijding kreeg Derycke het zwaar te verduren. Hij vlucht naar Frankrijk waar hij deel gaat uitmaken van het actieve netwerk van Belgische schrijvers die in min of meerdere mate gecompromitteerd waren door de collaboratie. Als Claude Elsen zet hij zijn literaire carrière in Parijs voort. Hij schrijft een paar jaar opgemerkte filmkritieken in het extreem-rechtse tijdschrift Écrits de Paris, opgericht in 1947 door René Malliavin die in januari 1951 Rivarol zou lanceren, 'hebdomadaire de l'opposition nationale' dat tot op heden verschijnt. Zijn belangstelling voor misdaadliteratuur blijft onverminderd. Wanneer Jean Paulhan hem uitnodigt mee te werken aan de herrezen NRF (anno 1953, nu als Nouvelle Nouvelle Revue Francaise) publiceert hij een bijdrage waarin hij de Amerikaanse 'roman noir' als antidotum stelt voor de dreigende sclerose van de klassieke politieroman.

Met de publicatie in 1953 van Homo eroticus: esquisse d'une psychologie de l'érotisme in de prestigieuze reeks 'Les Essais' van Gallimard (uitgever van de NNRF) verwerft de expat die tot dan slechts toegang had tot uiterst rechts gemarkeerde publicaties, een (bescheiden maar voor velen benijdenswaardige) plaats binnen de Franse literaire institutie. Hij zou echter vooral als vertaler van o.m. Norman Mailer, Angus Wilson, Kingsley Amis en anti-psychiater Ronald Laing waardering (en ook soms wel terechte kritiek) oogsten. Tot slot, in J'ai choisi les animaux komt een vroege maar niet minder radicale verdediger van de dierenrechten resoluut aan het woord.

*

 

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Het is typisch voor Eemans' demarche dat hij bij zijn tentoonstelling in galerie Le Soleil dans la Tête, een manifestatie die hij ongetwijfeld als een vorm van rehabilitatie zag, een tekst vroeg aan uitgerekend een eveneens door de collaboratie zwaar gebrandmerkte relatie.

Claude Elsen onderstreept dat schilderkunst voor Eemans niets anders is dan :

 

Démarche spirituelle, conquête de l'invisible, elle annexe ce monde invisible à l'univers visible de l'art pictural, nous faisant voir ces choses dont saint Jean de la Croix dit qu'elles existent sans que nous les voyions, au contraire de celles que nous voyons et qui n'existent pas.

Cette peinture ne se réclame d'aucune mode, ne va dans le sens d'aucun courant actuel. Si l'on peut voir en elle, dans une certaine mesure, un prolongement du surréalisme, elle se rattache davantage à une Tradition plus secrète et plus profonde – à cette Tradition hermétique dont récemment encore André Breton lui-même déplorait que l'art moderne ignorât le message.

 

Claude Elsen zinspeelt hier op het pas verschenen L'art magique van Breton, die op ambigue wijze gefascineerd was door die “Tradition plus secrète et plus profonde”, die “Tradition hermétique” die hier nog ruim aan bod zal komen.

Eemans had nu blijkbaar een bruggenhoofd in Parijs. In de lente van 1959 publiceerde Le Soleil dans la Tête een voornaam uitgegeven monografie van Serge Hutin (1929-1997) en Friedrich-Markus Huebner (1886-1964), Ars magna. Marc. Eemans, peintre et poète gnostique.

Serge Hutin, doctor in de letteren verbonden aan het CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), publiceerde in 1955 een Histoire des Rose-Croix. Hij had enkele deeltjes op zijn naam staan in de bekende reeks 'Que sais-je?' uitgegeven door de Presses Universitaires de France: L'alchimie, Les sociétés secrètes, La philosophie anglaise et américaine en Les gnostiques. Zijn belangrijkste publicaties waren toen nog in de pijpleiding: Les disciples anglais de Jacob Böhme en Henry More. Essai sur les doctrines théosophiques chez les Platoniciens de Cambridge.

 

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Hutin wijst erop dat alleen al de titels van Eemans' schilderijen uit de periode 1950-1959 onmiskenbaar verwijzen naar diens esoterische bedoelingen: La gnose de la parturience, Le serpent hyperboréen, L'étoile anagogique, L'ascension originelle, enz. Met zijn werk wil Eemans de toeschouwer verheffen tot wat hij “l'état de mystère” noemt, waardoor hij, de toeschouwer, niet louter passief blijft maar integendeel toegang krijgt tot “le monde invisible des symboles, des illuminations et des rites”. Het komt erop aan een on-middellijke, niet gemedieerde 'communicatie' tot stand te brengen door het prikkelen of '(op)wekken' van de trans-rationele intuïtie'. Wanneer de kunstenaar daar in slaagt, dan gaat het niet langer om fantastische kunst – dit is de projectie van wonderbaarlijke of schrikwekkende fantasma's, “enfantés par le sommeil de la raison dont parle Goya” – maar wel om een waarachtige revelatie. De schilder reveleert, ont-hult (een) waarheid

(άληθεία, wat niet verhuld is).

De telles œuvres sont belles, certes, mais leur caractère d' 'art' n'est, somme toute, que secondaire: elles sont, avant toute, l'expression symbolique des expériences intérieures de l'artiste – expériences qui ne sont elles-mêmes qu'une découverte 'occulte' et magique.

Volgens Hutin verschijnt de contemporaine surrealistische schilderkunst als de laïcisering van een in se esoterische schilderkunst:

Il ne s'agit plus d'extérioriser une doctrine secrète traditionnelle, mais de découvrir, indépendamment de toute contrainte (religieuse ou initiatique), l'intrication 'dialectique' de la réalité et de la surréalité – du domaine des apparences sensibles et de celui des déterminismes subtils qui conditionnent les premières.

 

Hij stelt vast dat Salvador Dalí zijn 'mystiek' bewust heeft geïntegreerd in de traditie van de katholieke symboliek en dat Ernst Fuchs (°1930) de “koninklijke weg” van het zestiende-eeuwse hermetisme teruggevonden heeft. Maar zelfs kunstenaars die, vrij van welke sacrale traditie ook, een eigen, persoonlijke weg volgen, wars van welke vorm van esoteriek ook, blijken spontaan de uitbeelding en de regels te herontdekken van bepaalde vormen van traditionele symboliek, zoals bijvoorbeeld Leonor Fini die in haar werk de taal der alchemie als vanzelf hanteert. Eemans, van zijn kant, leunt doelbewust aan bij een “ésotérisme de type traditionnel”:

il dessine et peint dans un but initiatique: surtout il ne s'agit point de 'faire de jolies choses', même pas de faire de l'art pur mais de fournir à la méditation des 'supports' concrets et symboliques tout à la fois, qui permetttront au spectateur de répéter en lui-même le processus d'illumination intuitive par laquelle l'artiste est parvenu à la connaissance supra-rationnele, à la gnose.

 

Impliciet suggereert Hutin hier dat Eemans aanknoopt bij of deelachtig is aan de traditie van het kunstwerk als sacrale, geladen afbeelding. Aan de Byzantijnse iconen werden en worden wonderdadige en andere wonderbaarlijke vermogens toegekend. Voor de Renaissance-mens hadden (bepaalde) schilderijen en beeldhouwwerken een religieus of zelfs thaumaturgisch of minstens bezwerend karakter, net zoals de antieke, polychrome Griekse beelden die het voorwerp waren van cultische zorgen. Peter Burke stipt in dat verband aan dat (bepaalde) Renaissance-schilderijen lijken te behoren tot een magisch stelsel buiten het kader van het christendom (zo was Botticelli's Primavera wellicht een talisman).

Volgens Hutin zijn Eemans' schilderijen tegelijk concrete et symbolische 'dragers' voor meditatie, net als bijvoorbeeld mandala's, die moeten leiden tot illuminatie, supra-rationele kennis, gnosis. Hij gaat uitvoerig op dit thema in:

Ce n'est pas, bien au contraire!, une peinture 'anecdotique', 'allégorique' ou 'littéraire': il ne s'agit pas de 'raconter une histoire', ni d' 'illustrer une doctrine', ni de transformer des idées en allégories concrètes. Bon gré mal gré, celui qui regarde de telles œuvres est obligé de participer à un acte magique: même s'il ne retrouve pas l'illumination gnostique à laquelle le peintre est parvenu, il sera plongé dans un état de 'rêverie' singulièrement propice aux hantises métaphysiques. […] Ce peintre-penseur a retrouvé l'un des principes de la meilleure initiation: il ne s'agit pas d' 'apprendre' didactiquement tel ou tel système, mais de réaliser en soi un état d'illumination – condition nécessaire à l'acquisition ultérieure d'une connaissance métaphysique véritable. Il ne faut pas vouloir à tout prix découvrir une 'signification' précise aux scènes 'symboliques' que nous montre le peintre: il s'agit, tout simplement, de les regarder de la manière la plus 'intuitive', la plus spontanée possible. Aristote caractérisait ainsi l'enseignement des mystères d'Éleusis: 'Ne pas apprendre, mais éprouver', et, dans l'observation des tableaux de Marc. Eemans, c'est un peu la même chose.

 

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Het gaat immers om een 'supra-picturale' schilderkunst die zich niet richt naar het materialistische genot van de kleur om de kleur en van de vorm om de vorm, maar wel om een “véritable tentative gnostique pour réconquérir les visions métaphysiques et les mythes'. Drie invalshoeken bepalen het esoterische universum van de schilder, aldus Hutin: de Griekse mysteriën en godenwereld, bepaalde vormen van christelijke gnosis en alchemistische overleveringen, vermengd met reminiscenties aan de Edda's. De inbreng van het surrealisme bestaat, ten eerste, uit vernuftige metaforische uitwerkingen (“dans lesquelles Eemans excelle autant que son compatriote Magritte”) en, ten tweede, uit een metafysica van de erotiek (“qui rejoint d'ailleurs d'authentiques secrets occultes”).

Hutin heeft nu meer dan de helft van zijn diepgravend essay achter de rug en beseft dat zijn discours nu ook iets concreets moet bevatten op louter schilderkunstig vlak, hoe profaan dit ook moge wezen... Sommigen zullen inderdaad de vraag stellen of de kunstenaar zoveel duistere literatuur van doen heeft, waarbij ze geringschattend insinueren dat de schilderijen van Eemans al te literair zijn en, vooral, dat hij zondigt door gebrek aan zin voor plastiek. Het volstaat echter, zegt Hutin, hen te wijzen op de subtiliteiten van zijn coloriet en op zijn voorkeur voor het clair-obscur – “ce mystère incarné dans toute vraie peinture de l'âme”. Bovendien moet gewezen worden op Eemans' diepe kennis van de compositie:

Tout dans ses œuvres, est harmonie rythmiquement ordonnée, non point en raison d'une idée ou d'une allégorie préétablie, mais bien en fonction de formes – peut-être toujours chargées de sens – qui sont là avant tout pour se répondre sur le plan des nécessités plastiques inhérentes à toute peinture digne de ce nom.

Volgens Hutin komt Eemans' kunst van de compositie rechtstreeks voort uit de surrealistische technieken van het 'papier collé' en van de foto-montage. Tot slot wijst hij op

une permanente fusion entre des images oniriques et celles qui relèvent du sentiment de l'infini, aussi bien dans le temps que dans l'espace, avec les analogies telluriques, lunaires et solaires, ou encore avec tous les reflets de dépaysement par rapport au moi discursivement tangible, dépaysement qui conduit à se sentir soit immensément grand, soit infiniment petit, ou bien encore à se voir emporté, tel une comète, à travers le monde sidéral.

De behandeling van het literaire werk van Eemans door Hutin en Huebner zal te zijner tijd aan bod komen. Wel dient hier al aangestipt dat Hutin de publicatie bij Le Soleil dans la Tête aankondigt van Eemans' Gnose de chair et de Silence. Daar kwam niets van in huis, en Eemans zou ook geen tweede keer exposeren bij de Parijse galerie. Het zou mij niet verwonderen dat hij zichzelf eens te meer in de weg heeft gestaan.

Henri-Floris JESPERS

vendredi, 21 juin 2013

In herinnering aan Marc. Eemans

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In herinnering aan Marc. Eemans (16 juni 1907 - 28 juli 1998)

 

Marc. Eemans wordt geboren op 16 juni 1907 te Dendermonde. Hij is onder meer actief als dichter, schilder en kunsthistoricus.

Al op zeer jonge leeftijd vertrouwd geraakt met het Brusselse artistieke milieu, begint hij onder invloed van Victor Servranckx zich op 15-jarige leeftijd te wijden aan de abstracte schilderkunst. In deze periode volgt hij lessen bij de symbolistische schilders Constant Montald en Emile Fabry. Hij schrijft voor toonaangevende avantgarde-tijdschriften als Het Overzicht, De Driehoek en Sept-arts. Vanaf 1925 schildert Eemans niet langer abstract. Hij ondergaat sterk de invloed van André Breton's Manifeste du surréalisme dat in het voorafgaande jaar verschijnt. Eemans onderhoudt intensieve contacten met de Brusselse surrealistische kring en geldt ook hier als de jongste binnen het gezelschap. Aanvankelijk voelt hij zich aangetrokken tot het communisme en schrijft hij in 1926 samen met de bevriende dichter René Baert Le Manifeste de l'Humanisme. Eemans' bronnen zullen echter veeleer mystiek van aard zijn. Een vroeg aanwezige belangstelling voor het werk van o.a. de Engelse en Duitse romantici (Percy Bysshe Shelley, Novalis), William Blake, Maurice Maeterlinck en Comté de Lautréamont wijst hem in deze richting. In 1930 komt het tot een definitieve breuk met de Brusselse kring en vervolgt hij zijn eigen weg. Datzelfde jaar richt Eemans samen met Baert de uitgeverij Hermès op, dat Eemans' eerste dichtbundel Vergeten te worden publiceert. Het (Franstalige) tijdschrift Hermès verschijnt van 1933 tot 1939 en wijdt speciale afleveringen aan (o.a.) Jan Ruusbroec, de Middelnederlandse mystiek, Meester Eckhart en het Soefisme. Niet onbelangrijk zijn de door Henry Corbin gerealiseerde Franse vertalingen van Duitse existentialistische auteurs (Martin Heidegger, Karl Jaspers). In nabeschouwing zou het project volgens Eemans gelijkenissen vertonen met de esoterische kring Gruppo di Ur, in 1927 mede-opgericht door de Italiaanse filosoof Julius Evola.

eemans_partout2.jpgEemans romantische en aristocratische gezindheid doen hem evolueren naar een eerder mythisch geïnspireerd nationaalsocialisme. “Eemans [zag] in het nazisme vooral een terugkeer tot de oertraditie, de wedergeboorte van een sacrale en magische wereld die ten onder was gegaan aan de technische, democratische maatschappij.” (1) Het in 1944 verschenen L'épreuve du feu: à la recherche d'une éthique van de hand van René Baert vormt een blauwdruk van deze visie.


In reactie op de naoorlogse Belgische kunst, die dan voornamelijk abstract-georiënteerd is, sticht Eemans in 1958 samen met de Waals-Brusselse schilder Aubin Pasque
Fantasmagie, het driemaandelijkse tijdschrift van het Centre International d'Actualité Fantastique et Magique. Ze vertegenwoordigt een fantastische schilderkunst (en literatuur) die navolging vindt in o.a. Frankrijk, Duitsland, Nederland, Tsjecho-Slowakije en Joegoslavië.

In de jaren 1970 komt Eemans in aanraking met het werk van Julius Evola, wiens traditioneel metafysische opvattingen hem diepgaand zullen beïnvloeden. Hij bezoekt Evoliaanse kringen in Italië en treedt in contact met Renato del Ponte, stichter van het Centro Studi Evoliani in Genua en redacteur van het tijdschrift Arthos. Er wordt overgegaan tot de vorming van een Brusselse studiekring (Studi Evoliani Bruxelles) die kortstondig nieuwsbrieven verzorgt, teksten en vertalingen uitgeeft, maar op weinig belangstelling kan rekenen.

Ter gelegenheid van Eemans' 65e verjaardag wordt door vrienden in 1982 een Marc. Eemans-stichting opgericht. Ongeacht haar functioneren was de doelstelling – het bestuderen van idealistische en symbolistische kunst en literatuur – ambitieus. Een archief van kunst, literatuur en muziek met betrekking tot diverse symbolen en mythen, niet slechts van België maar van Europa en elders in de wereld, zou worden ontsloten.

Nog tot in zijn laatste jaren geeft Eemans dissidente beschouwingen over zijn kunstenaarschap en het Belgische surrealisme.

Aanbevolen literatuur

Jespers, Henri-Floris (20-09-2009). Marc. Eemans en de 'gnostische' schilderkunst. (http://mededelingen.over-blog.com/article-36310697.html)

Tommissen, Piet (1972). Inleiding tot de idee Marc. Eemans. Brussel: Henry Fagne. (http://marceemans.wordpress.com/2012/08/15/p-tommissen-inleiding-tot-de-idee-marc-eemans)

Voor teksten van Marc. Eemans, zie http://marceemans.wordpress.com

Noten

(1) Henri-Floris Jespers, 'Marc. Eemans 90 jaar: een biecht', in: BRUtaal I (1997), nr. 1, p. 12.

dimanche, 27 janvier 2013

Bij Paul van Ostaijen in de leer

Bij Paul van Ostaijen in de leer

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Zowel de vroege als de late epigonen van Paul van Ostaijen zullen het U wellicht heel anders trachten diets te maken, daar elkeen bij zijn leermeester slechts datgene wenst te leren wat het meest naar zijn zin is en het best met zijn eigen geestesaanleg overeenstemt.

De speelse geesten, die slechts van woordgeknutsel houden of de poëzie “experimenteren” zoals men een nieuwe fiets of een nieuwe flirt aanpakt, zullen U weten te vertellen dat Paul van Ostaijen de aartsmodernist bij uitstek was die hele tot dan toe zo ouderwetse Vlaamse poëzie op stelten heeft gezet, om de ene poëtische waaghalzerij na de andere aan te durven en het over boord te werpen. Ze staven zich blind op toch zo modernistische “Boere-charleston” of op dat even leuk “Alpejagerslied”, met die twee heren die een open hoed dragen en die hem voor elkaar afnemen vlak vóór de winkel van Hinderickx en Winderickx… Leuk zijn ze, inderdaad, die gedichten en misschien zelfs baanbrekend, doch vindt U ze niet eveneens een tikje “prozaïsch” en potsierlijk, met heel die goedkope tingeltengel van “bolle wangen ballen bekkens / bugel en basson”?

We weten gelukkig genoeg, dat het voor Paul van Ostaijen met die en dergelijke andere gedichten slechts om het “Eerste Boek van Schmoll” ging, U weet dat eerste piano-oefenboek, waarin de kinderen de allereerste beginselen van de moeilijke klavierkunst aanleren. Na dit boek komen de andere, meer ingewikkelde oefenboeken en slechts na jaren oefenen komt men er eindelijk toe min of meer voldoende bekwaam te zijn een fuga van Bach of een nocturnen van Chopin te vertolken. Met Paul van Ostaijen was het net eender en na die eerder schrale en al te gemakkelijke probeerselen moesten meer ernstige dichtoefeningen komen. Trouwens, dit “Eerste Boek van Schmoll” behelst het niet reeds enkele zeer gave gedichten, zoals die wondermooie en ietwat romantische “Loreley”? Helaas, Paul van Ostaijen is te jong de dood ingegaan, om ons de volle maat van zijn dichterlijke gaven te hebben kunnen tonen. De gedichten die we van hem bezitten zijn nog te onvolkomen, te onvolmaakt om ons de volle, overdadige potentie van zijn waar dichterlijk vermogen te kunnen onthullen.

In zijn critische proza moeten wij de dichter Paul van Ostaijen leren zoeken en, hoe paradoxaal! het is in een van de weinige Franstalige geschriften van deze Vlaamse dichter dat wij zijn ars poetica vinden. Dit Franstalig geschrift heet “Un Débat Littéraire”. Het behelst de tekst van een lezing door Paul van Ostaijen in 1925, te Brussel, gehouden voor het publiek van het studentengenootschap “La Lanterne Sourde”. Als nog zeer jonge dichter, hadden wij het voorrecht deze lezing te mogen horen, er ja zelfs een beetje een van de mede-inrichters van te zijn. De lezing van Paul van Ostaijen maakte de grootste indruk op zijn Brussels publiek en voor onszelf werd ze een werkelijk richtinggevende poëtische boodschap, die wij achteraf nog dikwijls met Paul van Ostaijen mochten bespreken.

De poëtische boodschap van Paul van Ostaijen viel bij ons in een wellicht reeds goed voorbereide aarde, want toen reeds dweepten wij èn met Hadewijch èn met Novalis. Hoe het ook zij, de heel wat oudere Paul van Ostaijen vond in ons, vertegenwoordiger van een jongere generatie, een gewillige discipel, toen hij verkondigde dat Sint Jan van ‘t Kruis de hoeksteen van de hele Spaanse literatuur was, terwijl Mechtild van Maagdeburg, Meister Ekhardt, Jacob Böhme, Tauler en Angelus Silesius als de hechtste vertegenwoordigers van de Duitse letterkunde dienden beschouwd te worden.

Paul van Ostaijen had, inderdaad, de poëtische boodschap van die wonderbare woordkunstenaars begrepen; hij had van hen geleerd dat het woord heel wat meer is dan een teken, dat de woorden meer dan loutere begrippen dekken, dat ze het leven zelf zijn, of eerder dat ze de transcendentie van al hetgeen in het leven besloten weten te reveleren. Hij had van hen geleerd dat het woord in de woordkunst heel wat meer is dan een klank, een klankassociatie met of zonder geestelijke of intellectuele resonans-bodem. Weliswaar is de poëzie eerst en vooral, zoals alle kunsten trouwens, gensensibiliseerde materie, die materie hier het woord zijnde met al de mogelijkheden van zijn verhouding tot het onbewuste. De metafysische bekommernis van de dichter, leerde ons Paul van Ostayen (want volgens hem diende de dichter metafysische bekommernissen te hebben), zou er de dichter toe leiden in de woorden heel wat meer te zien dan het beeld van de uiterlijke wereld, om er de onbewuste som uit te puren van al hetgeen uit hun aard in hem weerklank, diepte en verte heeft gevonden. En op zijn beurt moet de dichter, niet de geest, maar het onbewust van zijn lezer of luisteraar weten te beroeren.

Ten slotte bestaat de kunst van de dichter er vooral in een bewuste en bestendige beroering van het onbewuste te verwekken. Doch van Ostaijen wist onmiddellijk de onbewust geïnspireerde poëzie van de bewust opgebouwde te onderscheiden, met dit voorbehoud echter dat de ene vaak in de andere verglijdt. Geen enkel dichter, geen enkel bewust woordkunstenaar geraakt echter ten volle in de sfeer van de louter onbewust geïnspireerde poëzie; slechts de zuivere mystici, de profeten en… de geesteszieken kunnen het spreekbord van de onbewuste, van de “goddelijke” of andere niet gewone ingeving worden. Aan de dichters behoort het de bewust opgebouwde poëzie te puren uit de gehele bewerking van de onbewuste grondstof die hun wordt geboden ter beoefening van hun dichtkunst. Van Ostaijen stond hier dan van meetaf afwijzend tegenover het blind vertrouwen van de surrealisten in hetgeen deze het woordautomatisme noemen. Voor hem kwam het er in eerste instantie op aan de Wahlverwantschaften van de woorden op te sporen en hierbij zijn hun klank en de metafysische en gevoelsverhoudingen tussen die klank en de zin van de woorden wellicht de beste gidsen.

Paul van Ostaijen stelde zich daarbij de vraag of men een bewuste mystieke literatuur kon scheppen. Hij antwoordde er onmiddellijk negatief op. Hij meende echter dat men heel wat aan de mystieke literatuur kon ontlenen, om haar uitingsmiddelen bewust in de poëzie om te werken. Kantiaans aangelegd, sprak hij dan van een “mystiek in de verschijningsvormen” die de mystiek in God zou kunnen vervangen. Maar die “mystiek in de verschijningsvormen”, is ze ten slotte niet als een vorm van het eeuwige pantheïsme te beschouwen? In die zin hebben we althans de les van van Ostaijen verstaan en, de extase van de mystici “bewust” ervarend, hebben we de “verwondering”, de “begeestering”, samen met al de “nachtzijden” van het leven, als doel an sich van de poëzie weten te ontginnen. (*)

Paul van Ostaijen zegt nog dat het er op aankomt door het woord heen “rationeel”tot het surreële op te gaan. Wij hebben zijn raad gevolgd en zijn aldus logischerwijze in het surrealisme beland om achteraf tot een loutere metafysische poëzie te komen. Doch hijzelf, heeft hij zijn ars poëtica heel en gans in de praktijk van zijn poëzie weten om te zetten? Wij geloven van niet, want daarvoor was zijn kunst nog te gebonden aan zekere aspecten van het expressionisme, ja zelfs van het dadaïsme. Wel heeft hij de grondslagen gelegd van een loutere thematische poëzie, doch zijn thematiek was nog te verslaafd aan de al te goedkope feeërie van de music-hall, aan “dressuurnummers” en grotesken. In enkele van zijn mooiste gedichten heeft hij de poëzie van het “kind in ons” weten op te roepen, doch de poëzie van “plant in ons”, van het “dier in ons” en het verder van al hetgeen de “subcorticale” wereld van ons diepste wezen toebehoort heeft hij nooit of slechts sporadisch weten te benaderen.

De poëzie van Paul van Ostaijen is voor ons een vertrekpunt geweest, een “overwonnen standpunt”, om een uitdrukking aan zijn eigen terminologie te ontlenen. In de poëzie van de jongste jaren hebben wij, helaas, slechts een terugkeer tot die “overwonnen standpunten” dus een poëtische “Weg zurück” menen te zien. Wij weten het wel, men zal ons antwoorden dat men verder gegaan is dan van Ostaijen zelf. Misschien wel, doch dan voorzeker slechts op de meest gemakkelijke onder de vele wegen die vanaf het “kruispunt” van Ostaijen openstonden. Wij, in tegendeel, hebben de moeilijkste verkozen, die waar de poëzie de ijlste toppen van het sacrale in de mens besloten tracht te benaderen en te omschrijven. Doch leidt deze weg ten slotte niet tot de “eeuwige poëzie”, die boven alle bekommernis van rijm, metrum of andere min of meer gebonden of ongebonden prozodie, de poëzie weet bloot te leggen van al hetgeen ons in het werelds aanzijn weet te beroeren?

MARC. EEMANS

(*) Paul Rodenko, in zijn boek “Tussen de Regels”, aarzelt niet Paul van Ostaijen een “mysticus” te noemen. Hij voegt er aan toe dat alleen van daaruit de poëtische ontwikkeling van de dichter te begrijpen is, en hij citeert daarbij, ter staving, een louter metafysisch gedicht van de dichter, waarin het gaat over de bevrijding van de “gevangen éénheid” van doen en denken, lichaam en ziel.

Marc. Eemans, Bij Paul van Ostaijen in de leer, in De Periscoop, 7e jg., nr. 1, november 1956, blz. 1-2.

mardi, 08 janvier 2013

Une approche des surréalismes de Belgique

 

Une approche des surréalismes de Belgique

par Marc. Eemans 

Café Het Goudblommeke (55 rue des Alexiens 1000 Brussel) maart 1953. Van links naar rechts: Marcel Mariën, Camille Goemans, Gérard Van Bruaene, Irène Hamoir, Georgette Magritte, E.L.T. Mesens, Louis Scutenaire, René Magritte en Paul Colinet.

Tout comme l'histoire de la peinture et de la sculpture symbolistes belges doit encore être écrite, cela en dépit de nombreux et parfois remarquables travaux d'approche tels des catalogues d'expositions et de savantes monographies de détail ou d'ensemble, l'histoire de l'art surréaliste de Belgique reste encore à écrire. Certes, il existe déjà pas mal de publications à ce sujet, ne serait-ce que les innombrables livres parus à la louange de la peinture de René Magritte ou de Paul Delvaux. Il y a eu de même des esquisses de travaux d'ensemble qui pèchent, hélas, par manque d'objectivité ou d'information. Le travail le plus complet jusqu'ici est le beau livre de Madame José Vovelle, actuellement professeur en Sorbonne. Ce livre, édité en 1972 aux Editions André De Rache à Bruxelles, n'est toutefois qu'une thèse de doctorat de troisième cycle soutenue en 1968 à Paris.

Comme le dit un modeste "avertissement" en tête de ce très remarquable travail, "Depuis des documents inédits ont été divulgués et des études particulières ont précisé tel ou tel point de la matière envisagée". Et en effet, de nombreuses perspectives nouvelles se sont ouvertes, tandis que des faits tout aussi nouveaux ont tenté de brouiller celles-ci depuis la rédaction de l'ouvrage de Madame Vovelle.

Puisse le catalogue pour la présente exposition des oeuvres qui ont fait l'objet du legs Hamoir-Scutenaire rectifier quelque peu ces perspectives, et d'abord en précisant que ce que l'on présente généralement comme le surréalisme en Belgique n'est le plus souvent que le surréalisme de la "Société du mystère" (selon l'expression de Patrick Waldberg) de l'entourage de Magritte, et encore ... Bien souvent on oublie d'y ajouter le surréalisme du "Groupe surréaliste du Hainaut", en ignorant à peu près complètement l'éphémère effloraison du surréalisme liégeois avec Auguste Mambour, qui fut un remarquable surréaliste durant environ trois ans, et le couple Delbrouck-Defize qui exposa même un jour à Paris sous l'égide d'André Breton.

Deux femmes surréalistes wallonnes, qui relèvent plutôt du groupe surréaliste parisien, sont la Namuroise Marianne Van Hirtum et la Liégeoise Alika Lindberg, fille du poète Hubert Dubois, l'inspirateur du surréalisme de Mambour. Cette dernière figure toutefois dans les annales du surréalisme parisien sous le nom de Monique Watteau. Toutes deux semblent des inconnues pour les historiens du surréalisme belge, tout comme la Gantoise Suzanne Van Damme, l'épouse du surréaliste italien Bruno Capacci et l'amie des surréalistes bruxellois Paul Colinet et Marcel Lecomte. ·

C'est par ailleurs un lieu commun d'affirmer que si l'expressionnisme belge est flamand, le surréalisme belge serait wallon. Rien n'est moins vrai, car le maître à penser du surréalisme bruxellois, Paul Nougé, bien que d'origine française, avait une mère flamande, tout comme l'historiographe officiel du surréalisme belge, Marcel Mariën est anversois. Il en est de même pour son homonyme (également un oublié quoique surréaliste depuis 1926-1927), le collagiste Georges Mariën, chef de file de plusieurs collagisles surréalistes anversois.

N'oublions pas que Camille Goemans est le fils du Secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Langue et de Littérature flamandes de Belgique et que E.L.T. Mesens se proclamait volontiers, ne serait-ce que par bravade ou provocation, "le flamingant de Londres". Fait est qu'en sa jeunesse présurréaliste celui-ci avait été un intime des poètes expressionnistes flamands Wies Moens et Paul Van Ostaijen ainsi que du futur chef fasciste flamand Joris Van Severen dont une grande amie de Magritte, la Flamande, quoique francophone Rachel Baes a été la fidèle égérie au point de se faire enterrer à ses côtés au cimetière d'Abbeville en France.

On néglige également l'apport pourtant important au surréalisme belge des Flamands Fritz Van den Berghe, tout au moins en son ultime période (1927-1939), de Maxime Van de Woestijne (il est le seul à représenter le surréalisme belge dans une petite monographie allemamle consacrée à l'ar1 surréaliste) et de nous-même, auteur d'un album contenant "dix formes linéaires influencées par dix formes verbales" (1930), le seul recueil vraiment surréaliste paru en langue néerlandaise, tout au moins en Flandre.

Comme on a bien voulu conférer à un dessinateur quelque peu naïf et sans le moindre talent le statut de surréaliste à part entière pour la seule raison qu'il est le neveu de Paul Colinet, pourquoi ne nous permettrions-nous pas de joindre également aux surréalistes belges un Jules Lempereur qui inspira par certains de ses dessins le livre de Marcel Lecomte intitulé "Connaissance des degrés", paru toutefois sans les arts dessins. Même dans les milieux officiels (Administration des Beaux-Arts et Musées) le surréalisme belge est devenu ûn vrai fourre-tout. C'est ainsi, par exemple, qu'à l'exposition "Werkelijkheid en verbeelding - Belgische Surrealisten" (Réalité et imagination - Surréalistes belges), qui s'est tenue à Arnhem du 12 juillet au 6 septembre 1964, nous retrouvons parmi les exposants James Ensor, Léon Spilliaert, Victor Servranckx , Jan Burssens, Marcel Delmotte et Octave Landuyt, sans oublier plusieurs peintres qur fréquentaient la taverne bruxelloise "Le Petit Rouge", promus surréalistes par E.L.T. Mesens du fait qu'il y avait ses habitudes lors de ses séjours, après guerre, dans sa ville natale...

***

Si l'on veut vraiment écrire une histoire objective des "surréalismes de Belgique", il conviendrait d'y reconnaître trois courants dont les prodromes sont un courant dadaïste ("Oesophage", "Marie"), un courant rationaliste , très valéryen ("Correspondance") et un courant métaphysique, proche des vues sur la poésie du poète flamand Paul Van Ostaijen ("Hermès").

Des trois courants seuls les deux premiers ont requis l'attention des historiens du surréalisme belge (voir e.a. le livre de José Vovelle et le catalogue de l'exposition "René Magritte et le Surréalisme en Belgique" (Musées royaux des Beaux-Arts de Belgrque, Bruxelles 24 septembre - 5 décembre 1982). Quant au troisième courant, fort proche du surréalisme de l'André Breton du "Second manifeste du Surréalisme", 1929, il ne prit vraiment corps qu'en 1930, lorsque Camille Goemans et Marc. Eemans eurent pris congé", du surréalisme à la Nougé-Magritte et Scutenaire, en fondant les Editions "Hermès".

La vraie soudure entre les surréalistes bruxellois se fit à l'occasion de ce qu'il est convenu d'appeler la "bataille du Casino de Saint Josse" (novembre 1926): Les futurs membres du groupe vinrent à cette manifestation en char à bancs (une initiative de Geert van Bruaene) accompagnés d'un "chevalier" mercenaire en armure, car les acteurs du "Groupe Libre" avaient averti leurs adversaires qu'ils seraient reçus sans ménagement. Il y eut en effet non seulement chahut, mais aussi bataille avec quelques blessés légers de part et d'autre, dont Camille Goemans.

Parmi les amis des futurs surréalistes il y avait outre Van Bruaene , trors Flamands, les poètes Gaston Burssens et Paul Van Ostaijen (à cette époque un associé de van Bruaene) ainsi que l'auteur de ces lignes qui fut le seul de ceux-ci à rejoindre le groupe.

Marc. Eemans entraîna dans son sillage son amie Irène Hamoir laquelle il venait d'apprendre les rudiments du surréalisme selon les préceptes du premier "Manifeste du surréalisme" de Breton, d'où la "Lettre à Irène sur l'automatisme". Hélas, pour Eernans ! l'"automatisme" n'était pas tout à fait à l'ordre du jour de surréalistes bruxellois loin de là ! Il avait oublié que ceux-ci étaient surtout férus d'insolite et de spéculations diverses sur les apparences des choses et de leur réalité la plus banale possible tout en les rangeant dans un ordre peu habituel. Seconde bévue d'Eemans au sein du groupe, fut sa traduction d'une "Vision" d'une mystique médiévale brabançonne, Soeur Hadewych. Selon lui, le déroulement de cette vision rejoignait la quête du mervetlleux des surréalistes. Il suivait en cela une des thèses de son ami Van Ostaijen selon laquelle, tout en n'accordant que peu de crédit à l'écriture automatique à la Breton, celui-ci prônait en poésie une exploitation consciente du subconscient, en faisant une distinction nette entre la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite. Selon Van Ostaijen, la première de ces deux poésies procéderait d'un état extatique et, si l'on n'est pas un mystique, cette poésie pourrait procéder d'un fonds de mythes et d'archétypes selon une psychologie des profondeurs comme l'a formulée un Carl Gustav Jung.

A l'époque, Eemans et Van Ostaijen étaient encore ignorants de la psychologie jungienne, mais en bon surréaliste Eemans se croyait autorisé à se référer au freudisme et à ses vues sur l'inconscient. Toutefois, sans connaître Jung, Van Ostaijen et Eemans s'étaient déjà convertis aux vertus de tout ce qui relèverait de l'irrationnel, du métaphysique el de l'hermétique : aussi bien la mystique, orthodoxe ou non, que l'occultisme, l'alchimie, la parapsychologie, le romantisme, surtout allemand, et le symbolisme, sans oublier l'art des fous et ce que l'on appellerait plus tard l'"art brut", bref tout ce qui. s'insère dans l'imaginaire, le féerique du "hasard objectif', le fantastique et le merveilleux visionnaire.

Que nous sommes loin d'un surréalisme à la Nougé - Magritte et surtout de la gratuité du dadaïsme à la Mariën ! mais proche du surréalisme du Breton qui croit à ce fameux "point suprême d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable cessent d'être perçus contradictoirement".

Et aussi que nous sommes encore loin de ce futur surréalisme "non-dit" de la revue "Hermès", celle-ci consacrée à l'étude comparée de la poésie, de la mystique el de la philosophie.

Marc. Eemans en devint un des deux directeurs et Camille Goemans y fut l'auteur des "Notes des Editeurs" ainsi que des "Notes sur la poésie et l'expérience" rédig ées en collaboration avec l'essayiste Joseph Capuano. Henri Michaux, ami de collège de Goemans, devint le secrétaire de rédaction de la revue et André Rolland de Renéville, l'auteur de "Rimbaud le Voyant", ainsi que Bernard Groethuysen et quelques autres spécialistes en la matière y entrèrent au comité de rédaction. La revue compta parmi ses collaborateurs Marcel Lecomte qui entretint ainsi certains contacts avec le groupe Nougé, Magritte et Scutenalre. Que de sérieux peu "surréaliste" dans tout cela dira-t-on ! Aussi le ludique E.L.T. Mesens fut-il, "très fâché" en traitant ses anciens amis de "petits curés"... Plus tard tout rentra toutefois dans l'ordre surréaliste et Camille Goemans re devint à la grande joie de celui-ci un riche acheteur d'oeuvres de Magritte. Quant à Eemans, il redevint l'ami intime de Mesens et l'on sait que le couple Scutenaire-Hamoir, ainsi que le brave et gentil Colinet, cessèrent de bouder le vieux complice de leur "Bande Bonnot".

Seul le caractériel Marcel Mariën (en raison d'une jalousie d'ordre sentimental!) et ses jeunes séides d'après-guerre ne cessèrent de harceler Eemans de leur hargne, bien que Tom Gutt lui ait toul récemment adressé quelques lettres fort courtoises...

Mais arrêtons ici ces trop brèves el peul-être trop subjectives notes sur les "surréalismes de Belgique". N'empêche qu'en dépit de récentes lois en matière de révisionnisme politique, il conviendrait de pratiquer pas mal de révisionnisme surréaliste en réagissant contre certaines déviations el dérives vers la facilité pseudo- ou néo-dadaïste et la grossièreté pure et simple sous prétexte de faire de l'anti-esthétique el de l'antifascisme.

Et souvenons-nous du fameux pamphlet de Salvador Dali à l'adresse des "cocus du vieil art moderne". Quoique l'on puisse en penser, il ne s'agit pas que d'humour "paranoïa-critique"…

Marc. Eemans

Mai 1995

Uit: Eemans, M. (1995), Une approche des surréalismes de Belgique. Bruxelles: Fondation Marc. Eemans : archives de l’art idéaliste et symboliste.

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lundi, 07 janvier 2013

Un arôme de Magritte

Un arôme de Magritte

par Marc. Eemans 

Il y eut un temps, c'était dans les années soixante, où j'avais l'honneur de participer à des expositions d'art belge à l'étranger organisées par les instances officielles de mon pays. Ce fut d'une part le cas au Gemeentemuseum d'Arnhem et d'autre part au Centraal Museum d'Utrecht, et cela dans le cadre de l'Accord culturel belgo-néerlandais, mais surtout grâce à la bienveillante amitié de feu Monsieur Emile Langui, alors Directeur Général des Beaux-Arts au Ministère compétant de l'époque.

Depuis lors je fus comme frappé d'un certain ostracisme disons d'un ostracisme d'ordre politique, de sorte qu'il n'y eut plus de participation à quelque exposition officielle que ce fût, et voici, oh surprise! Que j'ai eu l'honneur de participer, sans que j'en fusse averti, à l'exposition “L'avant-garde en Belgique, 1917-1929” qui se tient en ce moment (18 septembre-13 décembre 1992) au Musée d'Art Moderne de Bruxelles.

Ostracisme levé? Pas tout à fait, car au lendemain du vernissage une de mes oeuvres appartenant au Musée contemporain de Gand, celui de Jan Hoet, fut enlevée sous prétexte d'une restauration urgente, et cela jusqu'à la fin de l'exposition, les autres oeuvres, commes elles appartenaient à des collections particuliéres, eurent cependant le privilège de ne pas être également décrochées... pour restauration urgente!

Quel deus ex machina intervint dans la levée d'ostracisme et quel autre ordonna l'éloignement d'une de mes oeuvres de cette exposition? Je l'ignore.

Toujours est-il que la notice biographique qui accompagne mon nom n'est pas très tendre à mon égard et me reproche surtout d'oser parler de “balivernes” à propos de certaines oeuvres de Magritte... Je passerai sur certaines assertions gratuites comme “Le surréalisme est le moment du saut quantique entre le met et l'image”. Que signifient ici les mots “quantique” et surtout “saut”? Et puis aussi, pour conclure, “Marc. Eemans est un artiste du fantastique plutôt qu'un explorateur du paradoxe surréaliste”. Me voilà donc qualifié d'”artiste du fantastique” alors que mes exégètes parlent plutôt d'"ïdéalisme magique”, mais surtout qui a jamais osé qualifier le surréalisme de “paradoxe”? Quel comble d'incompréhension et d'absurdité!

Mais revenons à mon délit de “lèse majesté” à l'égard de Magritte, et je lis: “La négation de la raison chez Eemans se manifesta explicitement quelques années plus tard (en 1944) lorsqu'il déclara que le Wallon René Magritte veut nous faire croire que dans ses peintures une pomme est un oeuf ou une clef un nuage et autres balivernes”, et mon biographe d'ajouter: “On peut s'étonner d'entendre quelqu'un -qui connaissait René Magritte personnellement depuis 1926/1927- déclarer que ce dernier parlant de l'image d'une chose, prétendait qu'il s'agissait de l'image d'autre chose. Au contraire, ce qu'affirmait l'oeuvre de Magritte ce n'était pas que ce quelque chose était ou n'était pas, mais ce qui paraît évident n'est pas pour autant exact”.

Merci, grand merci de m'avoir éclairé sur les intentions de Magritte quant à la signification de certaines de ses oeuvres genre “cette pipe n'est une pipe”, et dire que j'ai eu l'impudence de fabriquer un petit multiple avec une vraie pipe, disant “Cette pipe est bien une pipe (hommage à Magritte...”)!

Mais où peut-on découvrir qu'il y ait chez moi quelque “négation de la raison”? Ce n'est pas parce que je mets d'autres facultés au-dessus de la raison dans l'élaboration d'une oeuvre d'art que je nie celle-ci. Ce que j'ai toujours reproché à petits nuages propres à la bande dessinée, bref d'avoir trop rappeler à ce propos la définition qu'en donna Maurice Denis pour affirmer que la peinture n'est pas un jeu de l'esprit ou le lieu de spéculations plus ou moins philosophiques, sémantiques ou structuralistes avec la représentation des choses ou les mots qui les désignent?

Je sais que Magritte était un joueur d'échecs et qu'il aimait déplacer ses “pièces”sur son échiquier, en l'occurence peinture: bilboquets, grelots, chapeaux melon, etc. en des variations infinies selon une fantaisie (ou une logique) que j'appelerai “surréaliste” par commodité de langage, mais que je crois plutôt “dadaïste”.

Qu'on me permette toutefois une anecdote qui m'a été racontée par le peintre Désiré Haine. La scène se passait à une exposition de peintres surréalistes à La Louvière, où René Magritte et Désiré Haine furent témoins d'une petite discussion entre deux gamins devant une peinture de Magritte représentant (déjà!) une pipe, et au cours de laquelle un des deux gamins prétendait que la pipe représentée n'était pas une vraie pipe et qu'on ne pouvait done pas la fumer... Se non è vero!

D'autre part, à propos des recours par trop répété à des mots dans des peintures de Magritte, je citerai Victor Segalen (“Gustave Moreau, maître imagier de l'orphisme”) où il dit : “Ne croyons plus à la valeur des mots ou bien avec défiance : 'Citadelle' est terrible de menace et de sonorité. Mais, fait observer R. de Gourmont, 'mortadelle' est bien plus terrible encore, et c'est un aliment charcutier”.

A part ça, j'avoue que je signerais volontiers de mon nom au moins une cinquantaine d'oeuvres de Magritte – les plus poétiques – et que d'ailleurs une de mes oeuvres exposées au Musée d'art moderne de Bruxelles avait, pour un critique d'art flamand, “un arôme de Magritte”... Ah, mes oeuvres de jeunesse, et l'osmose des premiers balbutiements du surréalisme en Belgique! Sont-ce là les mystères de la “Société du Mystère”?

Marc. Eemans

Overgenomen uit de in eigen beheer verspreide brochure 'Marc. Eemans et le surrealisme, plus particulièrement celui de René Magritte', daterend van 1992.

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dimanche, 06 janvier 2013

Petite histoire surréaliste en marge du legs Hamoir-Scutenaire

 

Petite histoire surréaliste en marge du legs Hamoir-Scutenaire

par Marc. Eemans 
René Magritte - Portret van Irène Hamoir, 1936.

René Magritte - Portret van Irène Hamoir, 1936.

Etrange confusion d'intention que celle de ces surréalistes bruxellois des années '20 qui entendaient faire de l'anti-peinture alors que René Magritte et Marc. Eemans étaient peintres et que Paul Nougé, Camille Goemans, Marcel Lecomte et Jean (avant de devenir Louis) Scutenaire voulaient faire de l'anti-liltérature toul en ne cessant de pratiquer de la lillérature ... De méme André Souris, Paul Hooreman et Edouard L.T. Mesens s'appliquaient à faire de l'anti-musique tout en composant de la musique…

De tous ces jeunes gens, seul E.L.T. Mesens fut à ce moment le seul à être conséquent avec lui-même en renonçant à la musique, mais pour faire, lui aussi, de la littérature et des collages tout en devenant marchand de tableaux comme son ami et concurrent Camille Goemans.

Tous, ou à peu près tous, entendaient être sérieux comme des papes tout en étant évidemment anti-papistes. Rappelons à ce propos que Paul Nougé est l'auteur d'un livre intitulé "Histoire de ne pas rire" et qu'un beau jour le groupe excommunia André Souris pour avoir dirigé une messe à la mémoire de son défunt mécène. Faut-il dire que ces messieurs maniaient volontiers, tout comme leurs amis français, l'anathème contre tous ceux qui contrevenaient à leur dogme de l'anti-art ?

Mais tout cela ne relève-t-il pas d'une certaine présomption ainsi que d'une bien grande naïveté de penser bien que la plus grande rigueur et probité intellectuelles aient toujours été l'exigence primordiale du groupe surréaliste bruxellois dont l'aîné, Paul Nougé, a toujours été considéré comme le principal maître à penser ?

Certes, tous ces surréalistes n'étaient pas aussi férus de cartésianisme et tous ne se voyaient pas comme des émules du Monsieur Teste de Paul Valéry ou de la rigueur intellectuelle de Jean Paulhan, l'éminence grise de la N.R.F., car pour d'aucuns il y avait des antécédents soit symbolistes, dadaïstes ou futuristes, voire cubistes et abstraits ("plastique pure").

Mals tous étaient par ailleurs hantés de politique gauchiste allant du léninisme stalinien au trotskisme et plus tard même au maoïsme. Ils croyaient ou voulaient mellre leur anti-art au service de la révolution prolétarienne en vouant avec un certain aveuglement leur ferveur révolutionnaire au mythe bolchevik. La plupart demeurèrent jusqu'au bout fidèles à leur utopie gauchiste en dépit des révélations, dès les années '30, sur les horreurs du Goulag. E.L.T. Mesens, peut-être plus lucide que ses amis, lui au contraire, proclamait volontiers que les surréalistes en fait de révolution n'étaient que des "anarchistes sentimentaux" et il ajoutait pour sa part qu'il était "sans dieu ni maître"...

E.L.T. Mesens partageait par ailleurs, avec ses amis Irène Hamoir, Jean Scutenaire et Marc. Eemans, le privilège d'être tes benjamins de ces would-be révolutionnaires surréalistes. ce qui leur permellait certaines incartades plus ou moins pittoresques comme des visites au cirque ou à la foire du midi où les attiraient surtout les baraques de tir et le musée Spitzner.

Marc. Eemans était le plus jeune du groupe et il est actuellement le seul encore en vie de cette assez hétéroclite "Société du Mystère", comme l'appela un jour Patrick Waldberg. Marc. Eemans était plus particulièrement lié avec Camille Goemans (il avait été en classe avec le frère cadet de celui-ci) et E.L.T. Mesens, dont il avait fait la connaissance vers 1924 au fameux "Cabinet Maldoror'' de Geert van Bruaene. Il avait rejoint le groupe lors de la mémorable "bataille du Casino de St. Josse". Il y avait amené dans son sillage Irène Hamoir, une jeune militante socialiste dont il avait fait la connaissance aux cours du soir de ce qui était à l'époque l'embryon d'un Institut pour Journalistes. La jeune femme était totalement ignorante de touchait à l'avantgarde artistique et liltéraire et plus spécialement du surréalisme. Son nouvel ami eut tôt fait de l'initier et de la convertir au communisme ainsi qu'aux critères du surréalisme au point d'en faire une des trois égéries, avec Georgette Magritte et Marthe Beauvoisin, du surréalisme bruxellois.

Quant à Jean Sculenaire, le dernier venu, il devint un intime de la "Société du Mystère" à la suite de l'envoi de quelques poèmes à Paul Nougé qui les trouva à ce point proches des préoccupations poétiques du groupe qu'il crut à une mystification de son ami Goemans. Le patronyme de l'auteur de l'envoi n'avait-il d'ailleurs pas un parfum de canular avec ce Sculenaire trop visiblement dérivé du flamand Schutteneer (skutteneer = tirailleur) ? Fait était que ces poèmes étaient bel et bien l'oeuvre d'un étudiant en droit de l'Université Libre de Bruxelles. Après plus ample informé, ce jeune inconnu devint bien vite un membre à part entière du groupe avec des affinités plus particulières avec les autres jeunes recrues de celui-ci. Il naquit ainsi une amicale complicité avec Irène Hamoir et Marc. Eemans, jouant à eux trois à la "Bande Bonnot", elle devenant l'anarchiste Rirelle Maitrejean, lui Raimond-la-Science el Eemans Kibaltchiche, le futur Victor Serge, le secrétaire particulier de Léon Trotski. Il faut dire que Scutenaire était obsédé par tout ce qui était marginal depuis le banditisme et la prostitution (songeons au roman "Boulevard Jacqmain" d'Irène Hamoir) jusqu'aux fantassins du "Batt' d'Aff" disciplinaire de l'armée française.

Les Raimond-la-Science et Kibaltchiche bruxellois, faut-il le dire, étaient tous deux amoureux de leur Rirelle Mailrejean, mais au lieu d'épouser la ''Veuve", comme Je fit le Raimond-la-Science parisien, son admirateur bruxellois épousa la Rirette... Après être devenu entre-temps un docte docteur en droit et un vrai fonctionnaire modèle.

Témoins de cet épisode du surréalisme bruxellois sont une "Lettre à Irène sur l'automatisme" d'Eemans, de quoi démentir l'affirmation bien gratuite de Scutenaire selon laquelle les surréalistes bruxellois n'avaient cure de l'"écriture automatique" chère à Breton ; un poème-préface de Sculenaire pour la première exposition personnelle d'Eemans à la galerie "L'epoque" de leur ami Mesens ; une lettre éplorée d'Eemans à Nougé ; une photo de couverture d'un magazine bruxellois d'une Rirelie en maillot de bain, mais le visage caché par une pancarte portant la mention "Miss Week-end". Ajoutons-y une petite dizaine d'oeuvres d'Eemans dans la riche collection de peintures surréalistes du couple Hamoir-Scutenaire ainsi que des photos des anciens complices de la "Bande Bonnot" bruxelloise, prises lors de la présentation de "La Chanson de Roland", de Louis Sculenaire, au 18 de la rue du Président à Bruxelles.

Nous sommes en 1930, Camille Goemans et René Magiitte sont rentrés à Bruxelles, tous les deux pauvres comme Job après l'échec de la galerie Goëmans (sic) de la rue de Seine, à Paris. C'est le moment pour Goemans et Eemans de "prendre congé" de leurs amis et du surréalisme sectaire et fermé à la Nougé, trop souvent en bulle aux pièges du dérisoire el du farfelu, et d'ouvrir l'épisode d'un surréalisme ouvert, occulté (selon le précepte du "second manifeste du surréalisme"), non-dit et apolitique de la revue "Hermès", mais l'histoire de ce surréalisme reste encore à écrire...

Le mariage de Rirette avec son Raimond-la-Science, n'interrompit pas pour autant la profonde affection qui liait Irène Hamoir à son ami "Marco"l Cette amitié dura jusqu'au décès de celle-ci avec pour corollaire qu'elle suivit les conseils de son vieil ami ainsi que d'un autre fidèle des Sculenaire du nom de Luc Canon (fidèle au point d'habiter un Cour Louis Scutenaire, situé à peine à quelques lieues du. village natal de celui-ci) . Irène Hamoir soustraya ainsi son trésor d'Aiibaba de la caverne surréaliste de la rue de la Luzerne aux grilles de tous ceux qui le convoitaient et vous connaissez la suite…

Marc. Eemans

Réf. : Rirette Maîtrejean – “Souvenirs d'anarchie”. Quimperlé, 1988, Editions “La Digitale”.

Uit: Eemans, M. (1995), Une approche des surréalismes de Belgique. Bruxelles: Fondation Marc. Eemans : archives de l'art idéaliste et symboliste.

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dimanche, 29 mai 2011

La réception d'Evola en Belgique


 

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Entretien avec Robert Steuckers sur la réception de l’œuvre de Julius Evola en Belgique

 

Propos recueillis par Denis Ilmas

 

Q. : Monsieur Steuckers, comment avez-vous découvert Julius Evola ? Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois ?

 

RS : Dans la Librairie Devisscher, au coin de la rue Franz Merjay et de la Chaussée de Waterloo, dans le quartier « Ma Campagne », à cheval sur Saint-Gilles et Ixelles. « Frédéric Beerens », un camarade d’école, un an plus âgé que moi, avait découvert « Les hommes au milieu des ruines » dans cette librairie, l’avait lu, et m’en avait parlé tandis que nous faisions la queue pour commander d’autres ouvrages ou quelques manuels scolaires. Ce fut la toute première fois que j’entendis prononcer le nom d’Evola. J’avais dix-sept ans. Nous étions en septembre 1973 et nous étions tout juste revenus d’un voyage scolaire en Grèce. Pour Noël, le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, le patron de mon père, m’offrait toujours un cadeau didactique : cette année-là, pour la première fois, j’ai pu aller moi-même acheter les livres que je désirais, muni de mon petit budget. Je me suis rendu en un endroit qui, malheureusement, n’existe plus à Bruxelles, la grande librairie Corman, et je me suis choisi trois livres : « L’Etat universel » d’Ernst Jünger, « Un poète et le monde » de Gottfried Benn et « Révolte contre le monde moderne » de Julius Evola. L’année 1973 fut, rappelons-le, une année charnière en ce qui concerne la réception de l’œuvre d’Evola en Italie et en Flandre : tour à tour Adriano Romualdi, disciple italien d’Evola et bon connaisseur de la « révolution conservatrice » allemande grâce à sa maîtrise de la langue de Goethe, décéda dans un accident d’auto, tout comme le correspondant flamand de Renato del Ponte et l’animateur d’un « Centro Studi Evoliani » en Flandre, Jef Vercauteren. Je n’ai forcément jamais connu Jef Vercauteren et, là, il y a eu une rupture de lien, fort déplorable, entre les matrices italiennes de la mouvance évolienne et leurs antennes présentes dans les anciens Pays-Bas autrichiens.

 

Je dois vous dire qu’au départ, la lecture de « Révolte contre le monde moderne » nous laissait perplexes, surtout Beerens, le futur médecin chevronné, féru de sciences biologiques et médicales : on trouvait que trop d’esprits faibles, après lecture de ce classique, se laisseraient peut-être entrainer dans une sorte de monde faussement onirique ou acquerraient de toutes les façons des tics langagiers incapacitants et « ridiculisants » (à ce propos, on peut citer l’exemple d’un Arnaud Guyot-Jeannin, tour à tour fustigé par Philippe Baillet, qui lui reprochait l’ « inculture pédante du Sapeur Camember »,  ou par Christopher Gérard, qui le traitait d’ « aliboron » ou de « chaouch »). Une telle dérive, chez les aliborons pédants, est évidemment tout à fait possible et très aisée parce qu’Evola présentait à ses lecteurs un monde très idéal, très lumineux, je dirais, pour ma part, très « archangélique » et « michaëlien », afin de faire contraste avec les pâles figures subhumaines que génère la modernité ; aujourd’hui, faut-il s’empresser de l’ajouter, elle les génère à une cadence accélérée, Kali Yuga oblige. L’onirisme fait que bon nombre de médiocres s’identifient à de nobles figures pour compenser leurs insuffisances (ou leurs suffisances) : c’est effectivement un risque bien patent chez les évolomanes sans forte épine dorsale culturelle.

 

Mais, chose incontournable, la lecture de « Révolte » marque, très profondément, parce qu’elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs : l’Occident, en optant pour la modernité, a nié et refoulé les notions de valeur, d’excellence, de service, de sublime, etc. Après lecture de « Révolte », on ne peut plus que rejeter les anti-valeurs qui ont refoulé les valeurs impérissables, sans lesquelles rien ne peut plus valoir quoi que ce soit dans le monde.

 

« Révolte » et la notion de numineux

 

Plus tard, « Révolte » satisfera davantage nos aspirations et nos exigences de rigueur, tout simplement parce que nous n’avions pas saisi entièrement, au départ, la notion de « numineux », excellemment mise en exergue dans le chapitre 7 du livre et que je médite toujours lorsque je longe un beau cours d’eau ou quand mes yeux boivent littéralement le paysage à admirer du haut d’un sommet, avec ou sans forteresse (dans l’Eifel, les Vosges, le Lomont, le Jura ou les Alpes ou dans une crique d’Istrie ou dans un méandre de la Moselle ou sur les berges de la Meuse ou du Rhin). « Masques et visages du spiritualisme contemporain » nous a apporté une saine méfiance à l’endroit des ersatz de religiosité, souvent « made in USA », alternatives très bas de gamme que nous fait miroiter un vingtième siècle à la dérive : songeons, toutefois dans un autre contexte, à la multiplication des temples scientologiques, évangéliques, etc. ou à l’emprise des « Témoins de Jéhovah » sur des pays catholiques comme l’Espagne ou l’Amérique latine, qui, de ce fait, subissent une subversion sournoise, disloquant leur identité politique.

 

Nous n’avons découvert le reste de l’œuvre d’Evola que progressivement, au fil du temps, avec les traductions françaises de Philippe Baillet mais aussi parce que les latinistes de notre groupe, dont le regretté Alain Derriks et moi-même, commandaient les livres non traduits du Maître aux Edizioni di Ar (Giorgio Freda) ou aux Edizioni all’Insegno del Veltro (Claudio Mutti). Je crois n’avoir atteint une certaine (petite) maturité évolienne qu’en 1998, quand j’ai été amené à prendre la parole à Vienne en cette année-là, et à Frauenfeld, près de Zürich, en 1999, respectivement pour le centième anniversaire de la naissance d’Evola et pour le vingt-cinquième anniversaire de son absence. L’idée centrale est celle de l’ « homme différencié », qui pérégrine, narquois, dans un monde de ruines. Evola nous apprend la distance, à l’instar de Jünger, avec sa figure de l’ « anarque ».

 

Q. : Quelques années plus tard, la revue « Totalité » sera la première, dans l’espace linguistique francophone, à publier régulièrement des textes d’Evola. De « Totalité » émergeront une série de revues, telles « Rebis », « Kalki », « L’Age d’Or », puis les Editions Pardès. Comment tout cela a-t-il été perçu en Belgique à l’époque ?

 

RS : Le coup d’envoi de cette longue série d’initiatives, qui nous ramène à l’actualité éditoriale que vous évoquez, a été, à Bruxelles du moins, une prise de parole de Daniel Cologne et Georges Gondinet, dans une salle de l’Helder, rue du Luxembourg, à un jet de pierre de l’actuel Parlement Européen, qui n’existait pas à l’époque. C’était en octobre 1976. Depuis, le quartier vit à l’heure de la globalisation, échelon « Europe », Europe « eurocratique » s’entend. A l’époque, c’était un curieux mixte : fonctionnaires de plusieurs ministères belges, étudiants de l’école de traducteurs/interprètes (dont j’étais), derniers résidents du quartier se côtoyaient dans les estaminets de la Place du Luxembourg et, dans les rues adjacentes, des hôteliers peu regardants louaient des chambres de « 5 à 7 » pour bureaucrates en quête d’érotisme rapide camouflé en « heures supplémentaires », tout cela en face d’un vénérable lycée de jeunes filles, qui faisait également fonction d’école pour futures professeurs féminins d’éducation physique (le « Parnasse »). En arrière-plan, la gare dite du Quartier Léopold ou du Luxembourg, vieillotte et un peu sordide, flanquée d’un bureau de poste crasseux, d’où j’ai envoyé quantité de mandats dans le monde pour m’abonner à toutes sortes de revues de la « mouvance » ou pour payer mes dettes auprès du bouquiniste nantais Jean-Louis Pressensé. En cette soirée pluvieuse et assez froide d’octobre 1976, Daniel Cologne et Georges Gondinet étaient venus présenter leur « Cercle Culture & Liberté », à l’invitation de Georges Hupin, animateur du GRECE néo-droitiste à l’époque. Dans la salle, il y avait le public « nouvelle droite » habituel mais aussi Gérard Hupin, éditeur de « La Nation Belge » et, à ce titre, héritier de Fernand Neuray, le correspondant belge de Charles Maurras (Georges Hupin et Daniel Cologne étaient tous deux collaborateurs occasionnels de « La Nation Belge »). Maître Gérard Hupin était flanqué du Général Janssens, dernier commandant de la « Force Publique » belge du Congo. J’étais accompagné d’Alain Derriks, qui deviendra aussitôt le correspondant belge du « Cercle Culture & Liberté ». Les contacts étaient pris et c’est ainsi qu’en 1977, je me retrouvai, pour représenter en fait Derriks, empêché, à Puiseaux dans l’Orléanais, lors de la journée qui devait décider du lancement de la revue « Totalité ». Il y avait là Daniel Cologne (alors résident à Genève), Jean-François Mayer (qui fera en Suisse une brillante carrière de spécialiste ès religions), Eric Vatré de Mercy (à qui l’on devra ultérieurement quelques bonnes biographies d’auteurs), Philippe Baillet (traducteur d’Evola) et Georges Gondinet (futur directeur des éditions Pardès et, en cette qualité, éditeur de Julius Evola).

 

Je rencontre Eemans dans une Galerie de la Chaussée de Charleroi

 

eemans30.jpgTout cela a, vaille que vaille, formé un petit réseau. Mais il faut avouer, avec le recul, qu’il n’a pas véritablement fonctionné, mis à part des échanges épistolaires et quelques contributions à « Totalité » (une recension, un seul article et une traduction en ce qui me concerne…). Rapidement, Georges Gondinet deviendra le seul maître d’œuvre de l‘initiative, en prenant en charge tout le boulot et en recrutant de nouveaux collaborateurs, dont celle qui deviendra son épouse, Fabienne Pichard du Page. Lorsqu’il revenait de Suisse à Bruxelles, en passant par Paris, Cologne faisait office de messager. Il nous racontait surtout les mésaventures des cercles suisses autour du NOS (« Nouvel Ordre Social ») et de la revue « Le Huron », qu’il animait là-bas avec d’autres. Ainsi, en 1978, par un coup de fil, Cologne m’annonce avec fracas, avec ce ton précipité et passionné qui le caractérisait en son jeune temps, qu’il avait pris contact avec un certain Marc. Eemans, peintre surréaliste, historien de l’art et détenteur de savoirs voire de secrets des plus intéressants. A peine rentré dans la « mouvance », j’ai tout de suite eu envie de la sortir de ses torpeurs et de ses ritournelles : alors, vous pensez, un « surréaliste », un artiste qui, de plus, exposait officiellement ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, voilà sans nul doute l’aubaine que nous attendions, Derriks et moi. J’étais à Wezembeek-Oppem quand j’ai réceptionné le coup de fil de Cologne : j’ai sauté sur mes deux jambes, couru à l’arrêt de bus et foncé vers la Chaussée de Charleroi, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque du « 30 » qui brinquebalait bruyamment, crachant de noires volutes de mazout, dans toutes les rues et ruelles de Wezembeek-Oppem avant d’arriver à Tomberg, première station de métro en ce temps-là. Il faisait déjà sombre quand je suis arrivé à la Galerie, Chaussée de Charleroi. Eemans était seul au fond de l’espace d’exposition ; il lisait, comme je l’ai déjà expliqué, « le nez chaussé de lunettes à grosses montures d’écaille noire ».  Agé de 71 ans à l’époque, Eemans (photo en 1930) m’a accueilli gentiment, comme un grand-père affable, heureux qu’Evola ait de jeunes lecteurs en Belgique, ce qui lui permettrait d’étoffer son projet : prendre le relais de Jef Vercauteren, décédé depuis cinq ans, sans laisser de grande postérité en pays flamand. Cologne disparu, amorçant sa « vie cachée » qui durera plus de vingt ans, le groupe bruxellois n’a pratiquement plus entretenu de liens avec l’antenne française du réseau « Culture & Liberté ». Il restait donc lié à Eemans seul et à ses initiatives. Gondinet, bien épaulé par Fabienne Pichard du Page, lancera « Rebis », « L’Age d’or », « Kalki » et les éditions Pardès (avec leurs diverses collections, dont « B-A-BA » et « Que lire ? »). Baillet continuera à traduire des ouvrages italiens (dont un excellent ouvrage de Claudia Salaris sur l’aventure de d’Annunzio à Fiume) puis participera à la revue « Politica Hermetica » et fera un passage encore plus bref que le mien au secrétariat de rédaction de « Nouvelle école », la revue de l’inénarrable de Benoist (cf. infra). Et les autres s’éparpilleront dans des activités diverses et fort intéressantes.

 

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Q. : Parlez-nous davantage de Marc. Eemans…

 

RS : Eemans a donc lancé son « Centro Studi Evoliani », que nous suivions avec intérêt. La tâche n’a pas été facile : Eemans se heurtait à une difficulté majeure ; en effet, comment importer le corpus d’un penseur traditionaliste italien, de surcroît ancien de l’avant-garde dadaïste de Tristan Tzara, dans un contexte belge qui ignorait tout de lui. Quelques livres seulement étaient traduits en français mais rien, par exemple, de son œuvre majeure sur le bouddhisme, « La doctrine de l’Eveil ». En néerlandais, il n’y avait rien, strictement rien, sinon quelques reprints tirés à la hâte et en très petites quantités à Anvers : il s’agissait des éditions allemandes de ses ouvrages, dont « Heidnischer Imperialismus ». En français, l’œuvre n’était que très incomplètement traduite et nous n’avions aucun travail sérieux d’introduction à celle-ci, à part un excellent essai de Philippe Baillet (« Julius Evola ou l’affirmation absolue »), paru d’abord comme cahier, sous la houlette du « Centro Studi Evoliani » français, dirigé par Léon Colas. Ni Boutin ni Lippi n’avaient encore sorti leurs thèses universitaires solidement charpentées sur Evola. Gondinet et Cologne, dans le cadre de leur « Cercle Culture & Liberté » n’avaient édité que quelques bonnes brochures et les tout premiers numéros de « Totalité » étaient fort artisanaux, faute de moyens. En fait, Eemans n’avait pas de véritable public, ne pouvait en trouver un en Belgique, en une telle époque de matérialisme et de gauchisme, où les grandes questions métaphysiques n’éveillaient plus le moindre intérêt. Mais il n’a pas reculé : il a organisé ses réunions avec régularité, même si elles n’attiraient pas un grand nombre d’intéressés. Au cours de l’une de celle-ci, j’ai présenté un article de Giorgio Locchi sur la notion d’empire, paru dans « Nouvelle école », la revue d’Alain de Benoist. Dans la salle, il y avait Pierre Hubermont, l’écrivain prolétarien et communiste d’avant-guerre, auteur de « Treize hommes dans la mine », ouvrage couronné d’un prix littéraire à la fin des années 20.  Hubermont, comme beaucoup de militants ouvriers communistes de sa génération, avait été dégoûté par les purges staliniennes, par la volte-face des communistes à Barcelone pendant la guerre civile espagnole, où ils avaient organisé la répression contre les socialistes révolutionnaires du POUM et contre les anarchistes. Mais Hubermont ne choisit pas l’échappatoire facile d’un trotskisme figé et finalement à la solde des services anglais ou américains : il tâtonne, trouve dans le néo-socialisme de De Man des pistes utiles. Pendant la seconde conflagration intereuropéenne, Hubermont se retrouve à la tête de la revue « Wallonie », qui préconise un socialisme local, adapté aux circonstances des provinces industrielles wallonnes, dans le cadre d’un « internationalisme » non plus abstrait mais découlant de l’idée impériale, rénovée, en ces années-là, par l’européisme ambiant, notamment celui véhiculé par Giselher Wirsing. Hubermont était heureux qu’un gamin comme moi eût parlé de l’idée impériale et, avec une extrême gentillesse, m’a prodigué des conseils. D’autres fois, le Professeur Piet Tommissen est venu nous parler de Carl Schmitt et de Vilfredo Pareto. Une dame est également venue nous lire des textes de Heidegger, à l’occasion de la parution du livre de Jean-Michel Palmier, « Les écrits politiques de Heidegger ». Les thèmes abordés à la tribune du « Centro Studi Evoliani » n’étaient donc pas exclusivement « traditionalistes » ou « évoliens ». Eemans lance également l’édition d’une série de petites brochures et, plus tard, nous bénéficierons de l’appui généreux de Salvatore Verde, haut fonctionnaire italien de ce qui fut la CECA et futur directeur de la revue italienne « Antibancor », consacrée aux questions économiques et éditée par les Edizioni di Ar (cette revue éditera notamment en version italienne une de mes conférences à l’Université d’été 1990 du GRECE sur les « hétérodoxies » en sciences économiques, que l’inénarrable de Benoist n’avait bien entendu pas voulu éditer, en même temps que d’autres textes, de Nicolas Franval et de Bernard Notin, sur les « régulationnistes » ; je précise qu’il s’agissait de la « cellule » mise sur pied à l’époque par le GRECE pour étudier les questions économiques). Toutes les activités du « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles ne m’ont évidemment laissé que de bons souvenirs.

 

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Q. : Mais qui fut Eemans au-delà de ses activités au sein du « Centro Studi Evoliani » ?

 

RS : J’ai très vite su qu’Eemans avait été, après guerre, un véritable encyclopédiste des arts en Belgique. Plusieurs ouvrages luxueux sur l’histoire de l’art sont dus à sa plume. Ils ont été écrits avec grande sérénité et avec le souci de ménager toutes les susceptibilités d’un monde foisonnant, où les querelles de personnes sont légion. Ces livres font référence encore aujourd’hui. Dans un coin de son salon, où était placé un joli petit meuble recouvert d’une plaque de marbre, Eemans gardait les fichiers qu’il avait composés pour rédiger cette œuvre encyclopédique. Toutefois, il n’en parlait guère. Il m’a toujours semblé que la rédaction de ces ouvrages d’art appartenait pour lui à un passé bien révolu, pourtant plus récent que l’aventure de la revue « Hermès », qui ne cessait de le hanter. J’aurais voulu qu’il m’en parle davantage car j’aurais aimé connaître le lien qui existait entre cette peinture et ces avant-gardes et les positions évoliennes qu’il défendait fin des années 70, début des années 80. J’aurais aimé connaître les étapes de la maturation intellectuelle d’Eemans, selon une chronologie bien balisée : je suis malheureusement resté sur ma faim. Apparemment, il n’avait pas envie de répéter inlassablement l’histoire des aventures intellectuelles qu’il avait vécues dans les années 10, 20 et 30 du 20ème siècle, et dont les protagonistes étaient presque tous décédés. Au cours de nos conversations, il rappelait que, comme bon nombre de dadaïstes autour de Tzara et de surréalistes autour de Breton, il avait eu son « trip » communiste et qu’il avait réalisé un superbe portrait de Lénine, dont il m’a plusieurs fois montré une vignette. Il a également évoqué un voyage à Londres pour aller soutenir des artistes anglais avant-gardistes, hostiles à Marinetti, venu exposer ses thèses futuristes et machinistes dans la capitale britannique : le culte des machines, disaient ces Anglais, était le propre d’un excité venu d’un pays non industriel, sous-développé, alors que tout avant-gardiste anglais se devait de dénoncer les laideurs de l’industrialisation, qui avait surtout frappé le centre géographique de la vieille Angleterre.

 

L’influence décisive d’un professeur du secondaire

 

Eemans évoquait aussi le wagnérisme de son frère Nestor, un wagnérisme hérité d’un professeur de collège, le germaniste Maurits Brants (1853-1940). Brants, qui avait décoré sa classe de lithographies et de chromos se rapportant aux opéras de Wagner, fut celui qui donna à l’adolescent Marc. Eemans le goût de la mythologie, des archétypes et des racines. Pour le Prof. Piet Tommissen, biographe d’Eemans, ce dernier serait devenu un « surréaliste pas comme les autres », du moins dans le landerneau surréaliste belge, parce qu’il avait justement, au fond du cœur et de l’esprit, cet engouement tenace pour les thèmes mythologiques. Tommissen ajoute qu’Eemans a été marqué, très jeune, par la lecture des dialogues de Platon, de Spinoza et puis des romantiques anglais, surtout Shelley ; comme beaucoup de jeunes gens immédiatement après 1918, il sera également influencé par l’Indien Rabindranath Tagore, lequel, soit dit en passant, était vilipendé dans les colonnes de la « Revue Universelle » de Paris, comme faisant le lien entre les mondes non occidentaux (et donc non « rationnels ») et le mysticisme pangermaniste d’un Hermann von Keyserlinck, dérive actualisée du romantisme fustigé par Charles Maurras.

 

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Eemans a souvent revendiqué les influences néerlandaises (hollandaises et flamandes) sur son propre itinéraire intellectuel, dont Louis Couperus et Paul Van Ostaijen. Ce dernier, rappelle fort opportunément Tommissen, avait élaboré un credo poétique, où il distinguait entre la « poésie subconsciemment inspirée » (et donc soumise au pouvoir des mythes) et la « poésie consciemment construite » ; Van Ostaijen appelait ses éventuels disciples futurs à étudier la véritable littérature du peuple thiois des Grands Pays-Bas en commençant par se plonger dans leurs auteurs mystiques. Injonction que suivra le jeune Eemans, qui, de ce fait, se place, à son corps défendant, en porte-à-faux avec un surréalisme cultivant la provocation de « manière consciente et construite » ou ne demeurant, à ses yeux, que « conscient » et « construit ». A l’instigation surtout du deuxième manifeste surréaliste d’André Breton, lancé en 1929, un an après le décès de Van Ostaijen, Eemans explorera d’autres pistes que les surréalistes belges, dont Magritte, ce qui, au-delà des querelles entre personnes et au-delà des clivages politiques/idéologiques, consommera une certaine rupture et expliquera l’affirmation, toujours répétée d’Eemans, qu’il est, lui, un véritable surréaliste dans l’esprit du deuxième manifeste de Breton —qui évoque le poète romantique allemand Novalis—  et que les autres n’en ont pas compris la teneur et n’ont pas voulu en adopter les injonctions implicites. Si l’étape abstraite de la « plastique pure » a été une nécessité, une sorte d’hygiène pour sortir des formes stéréotypées et trop académiques de la peinture de la fin du 19ème siècle, le surréalisme ne doit pas se complaire définitivement dans cette esthétique-là. Il doit, comme le préconisait Breton, s’ouvrir à d’autres horizons, jugés parfois « irrationnels ».

 

 

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Quand Sœur Hadewych hérisse les surréalistes installés

 

Fidèle au credo poétique de Van Ostaijen (photo ci-dessus), Eemans s’était plongé, fin des années 20, dans l’œuvre mystique de Sœur Hadewych (13ème siècle), dont il lira des extraits lors d’une réunion de surréalistes à Bruxelles. L’accueil fut indifférent sinon glacial ou carrément hostile : pour Tommissen, c’est cette soirée consacrée à la grande mystique flamande du moyen âge qui a consommé la rupture définitive entre Eemans et les autres surréalistes de la capitale belge, dont Nougé, Magritte et Scutenaire. Toute l’animosité, toutes les haines féroces qui harcèleront Eemans jusqu’à sa mort proviennent, selon Tommissen, de cette volonté du jeune peintre de faire franchir au surréalisme bruxellois une limite qu’il n’était pas prédisposé à franchir. Pour les tenants de ce surréalisme considéré par Eemans comme « fermé », le jeune peintre de Termonde basculait dans le mysticisme et les bondieuseries, abandonnait ainsi le cadre soi-disant révolutionnaire, communisant, du surréalisme établi : Eemans tombait dès lors, à leurs yeux, dans la compromission (qui chez les surréalistes conduit automatiquement à l’exclusion et à l’ostracisme) et dans l’idéalisme magique ; il trahissait aussi la « révolution surréaliste » avec son adhésion plus ou moins formelle et provocatrice à l’Internationale stalinienne. Pour Eemans, les autres restaient campés sur des positions figées, infécondes, non inspirées par la notion d’Amour selon Dante (à ce propos, cf. notre « Hommage à Marc. Eemans sur http://marceemans.wordpress.com/ ). Pour poursuivre leur œuvre de contestation du monde moderne (ou monde bourgeois), les surréalistes, selon Eemans, doivent obéir à une suggestion (diffuse, lisible seulement entre les lignes) de Breton : occulter le surréalisme et s’ouvrir à des sciences décriées par le positivisme bourgeois du 19ème siècle. Breton, en 1929, en appelle à la notion d’Amour, telle que l’a chantée Dante. La voie d’Eemans est tracée : il sera le disciple de Van Ostaijen et du Breton du deuxième manifeste surréaliste de 1929. Pour concrétiser cette double fidélité, il fonde avec René Baert la revue « Hermès ».

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Le surréalisme y est « occulté », comme le demandait Breton, mais non abjuré dans sa démarche de fond et sa revendication primordiale, qui est de contester et de détruire le bourgeoisisme établi, et s’ouvre aux perspectives de Dante et de la mystique médiévale néerlandaise et rhénane. Cette situation générale du surréalisme français (et francophone) est résumée succinctement par André Vielwahr, spécialiste de ce surréalisme et professeur de français à la Fordham University de New York : « Le surréalisme éprouvait depuis plusieurs années des difficultés insolubles. Il sombrait sans majesté dans le poncif. L’écriture automatique, l’activité onirique s’étaient soldées par un supplément de ‘morceaux de bravoure ‘ destinés à relever les œuvres où ils se trouvaient sans jamais fournir la clé ‘capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme » (in : S’affranchir des contradictions – André Breton de 1925 à 1930, L’Harmattan, Paris, 1998, p.339). Aller au-delà des poncifs et trouver le clé (traditionnelle) qui permet de découvrir l’homme dans sa prolixité kaléidoscopique de significations et de le sortir de toute l’unidimensionnalité en laquelle l’enferme la modernité a été le vœu d’Eemans. Qui fut sans doute, à son corps défendant, l’exécuteur testamentaire de Pierre Drieu la Rochelle qui écrivait le 1 août 1925 une lettre à Aragon pour déplorer la piste empruntée par le mouvement surréaliste : Drieu reconnaissait que les surréalistes avaient eu , un moment, le sens de l’absolu, « que leur désespoir avait sonné pur », mais qu’ils avaient renié leur intransigeance et, surtout, qu’ils « avaient rejoint des rangs » et n’étaient pas « partis à la recherche de Dieu » (A. Vielwahr, op. cit., pp. 66-67). Aragon avait reproché à Drieu que s’être laissé influencé par les gens d’Action Française, qui étaient, disait-il, « des crapules ». En quémandant humblement la lecture des écrits mystiques de Sœur Hadewych, Eemans, jeune et candide, s’alignait peu ou prou sur les positions de Drieu, qu’il ne connaissait vraisemblablement pas à l’époque, des positions qui avaient hérissé les « partisans alignés du surréalisme des poncifs ». Notons qu’Eemans travaillera sur les rêves et sur l’écriture automatique, notamment à proximité d’Henri Michaux, qui sera, un moment, le secrétaire de rédaction d’ « Hermès ». Il reste encore à tracer un parallèle entre la démarche d’Eemans et celles d’Antonin Artaud, Georges Bataille, Michel Leiris et Roger Caillois. Mais c’est là un travail d’une ampleur considérable…  

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Eemans m’a souvent parlé de sa revue des années 30, « Hermès ». Il en possédait encore une unique collection complète. « Hermès » était une revue de philosophie, axée sur les alternatives au rationalisme et au positivisme modernes, dans une perspective apparemment traditionnelle ; en réalité, elle recourrait sans provocation à des savoirs fondamentalement différents de ceux qui structuraient un présent moderne sans relief et, partant, elle présentait des savoirs qui étaient beaucoup plus radicalement subversifs que les provocations dadaïstes ou les gestes des surréalistes établis : pour être un révolutionnaire radical, il fallait être un traditionnaliste rigoureux, frotté aux savoirs refoulés par la sottise moderne. « Hermès » voulait sortir du « carcan occidental » que dénonçaient tout à la fois les surréalistes et les traditionalistes, mais en abandonnant les postures provocatrices et en se plongeant dans les racines oubliées de traditions pouvant offrir une véritable alternative. Pour trouver une voie hors de l’impasse moderne, Eemans avait sollicité une quantité d’auteurs mais l’originalité première d’ « Hermès », dans l’espace linguistique francophone, a été de se pencher sur les mystiques médiévales flamandes et rhénanes. De tous ses articles dans « Hermès » sur Sœur Hadewych, sur Ruysbroeck l’Admirable, etc., Eemans avait composé un petit volume. Mais, malheureusement, il n’a plus vraiment eu le temps d’explorer cette veine, ni pendant la guerre ni après le conflit. Il faudra attendre les ouvrages du Prof. Paul Verdeyen (formé à la Sorbonne et professeur à l’Université d’Anvers) et de Geert Warnar (1) et celui, très récent, de Jacqueline Kelen sur Sœur Hadewych (2) pour que l’on dispose enfin de travaux plus substantiels pour relancer une étude générale sur cette thématique. Notons au passage qu’une exploration simultanée de la veine mystique flamande/brabançonne, jugée non hérétique par les autorités de l’Eglise, et des idées de « vraie religion » de l’Europe et d’ « unitarisme » chez Sigrid Hunke, qui, elle, réhabilitait bon nombre d’hérétiques, pourrait s’avérer fructueuse et éviter des dichotomies trop simplistes (telles paganisme/catholicisme ou renaissancisme/médiévisme, etc. empêchant de saisir la véritable « tradition pérenne », s’exprimant par quantité d’avatars).

 

Mystique flamando-rhénane et matière de Bourgogne

 

Dans l’entre-deux-guerres, l’exploration de la veine mystique flamando-rhénane, entreprise parallèlement à la redécouverte de l’héritage bourguignon, avait un objectif politique : il fallait créer une « mystique belge », non détachée du tronc commun germanique (que l’on qualifiait de « rhénan » pour éviter des polémiques ou des accusations de « germanisme » voire de « pangermanisme ») et il fallait renouer avec un passé non inféodé à Paris tout en demeurant « roman ». Les tâtonnements ou les ébauches maladroites, bien que méritoires, de retrouver une « mystique belge », chez un Raymond De Becker ou un Henry Bauchau, trop plongés dans les débats politiques de l’époque, nous amènent à poser Eemans, aujourd’hui, comme le seul homme, avec son complice René Baert, qui ait véritablement amorcé ce travail nécessaire. Autre indice : la collaboration très régulière à « Hermès » du philosophe Marcel Decorte (Université de Liège) qui donnait aussi des conférences à l’école de formation politique de De Becker et Bauchau dans les années 1937-39. Le lien, probablement ténu, entre Decorte, Eemans, Bauchau et De Becker n’a jamais été exploré : une lacune qu’il s’agira de combler. Les travaux sur l’héritage bourguignon ont été plus abondants dans la Belgique des années 30  (Hommel, Colin, etc.), sans qu’Eemans ne s’en soit mêlé directement, sauf, peut-être, par l’intermédiaire de la chorégraphe Elsa Darciel, disciple des grandes chorégraphes de l’époque dont l’Anglaise Isadora Duncan. Elsa Darciel avait entrepris de faire renaître les danses des « fastes de Bourgogne ». Malheureusement, ni l’un ni l’autre ne sont encore là pour témoigner de cette époque, où ils ont amorcé leurs recherches, ni pour évoquer le vaste contexte intellectuel où les cénacles conservateurs belges et ceux du mouvement flamand cherchaient fébrilement à se doter d’une identité bien charpentée, qui ne pouvait bien sûr pas se passer d’une « mystique » solide. Sur l’Internet, les esprits intéressés découvriront une étude substantielle du Prof. Piet Tommissen sur la personne d’Elsa Darciel, notamment sur ses relations sentimentales avec le dissident américain Francis Parker Yockey, alias Ulrick Varange.

 

Pendant la seconde guerre mondiale, Eemans a eu des activités de « journaliste culturel ». Cette position l’a amené à écrire quantité de critiques d’art dans la presse inféodée à ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « collaboration », phénomène qui, rétrospectivement, ne cesse d’empoisonner la politique belge depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On ne cesse de reprocher à Marc. Eemans et à René Baert la teneur de leurs articles, sans que ceux-ci n’aient réellement été examinés et étudiés dans leur ensemble, sous toutes leurs facettes et dans toutes leurs nuances (repérables entre les lignes) : Eemans se défend en rappelant qu’il a combattu, au sein d’un « Groupe des Perséides », la politique artistique que le IIIe Reich cherchait à imposer dans tous les pays d’Europe qu’il occupait. Cette politique était hostile aux avant-gardes, considérées comme « art dégénéré ». Eemans racontait aux censeurs nationaux-socialistes qu’il n’y avait pas d’ « art dégénéré » en Belgique, mais un « art populaire », expression de l’âme « racique » (le terme est de Charles de Coster et de Camille Lemonnier), qui, au cours des quatre premières décennies du 20ème siècle, avait pris des aspects certes modernistes ou avant-gardistes, mais des aspects néanmoins particuliers, originaux, car, in fine, l’identité des « Grands Pays-Bas » résidait toute entière dans son génie artistique, un génie que l’on pouvait qualifier de « germanique », donc, aux yeux des nouvelles autorités, de « positif », les artistes d’avant-garde dans ces « Grands Pays-Bas » étant tous des hommes et des femmes du cru, n’appartenant pas à une quelconque population « nomade », comme en Europe centrale. La « bonne » nature vernaculaire de ces artistes, en Flandre, ne permettait à personne de déduire de leurs œuvres une « perversité » intrinsèque : il fallait donc les laisser travailler, pour que puisse éclore une facette nouvelle de « ce génie germanique local et particulier ». L’énoncé de telles thèses, sans doute partagées par d’autres analystes collaborationnistes des avant-gardes, comme Paul Colin ou Georges Marlier, avait pour but évident d’entraver le travail d’une censure qui se serait avérée trop sourcilleuse. Finalement, on reprochera surtout à Eemans et à Baert d’avoir rédigé des articles pour le « Pays Réel » de Léon Degrelle. Baert assassiné en 1945, Eemans reste le seul larron du tandem en piste après la guerre. Il sera arrêté pour sa collaboration au « Pays Réel » et non pour d’autres motifs, encore moins pour le contenu de ses écrits (même s’ils portaient souvent la marque indélébile de l’époque). « Je faisais partie de la charrette du ‘Pays Réel ‘ », disait-il souvent. Après la fin des hostilités, après la levée de l’état de guerre en Belgique (en 1951 !), après son incarcération qui dura quatre années au « Petit Château », Eemans revient dans le peloton de tête des critiques d’art en Belgique : ses « crimes » n’ont probablement pas été jugés aussi « abominables » car le préfacier de l’un de ses ouvrages encyclopédiques majeurs fut Philippe Roberts-Jones, Conservateur en chef des Musées royaux d’art de Belgique, fils d’un résistant ucclois mort, victime de ses ennemis, pendant la seconde grande conflagration intereuropéenne.

 

« Hamer », Farwerck et De Vries

 

Sous le IIIe Reich, les autorités allemandes ont fondé une revue d’anthropologie, de folklore et d’études populaires germaniques, intitulée « Hammer » (« Le Marteau », sous-entendu le « Marteau de Thor »). Pendant l’été 1940, on décide, à Berlin, de créer deux versions supplémentaires de « Hammer » en langue néerlandaise, l’une pour la Flandre et l’autre pour les Pays-Bas (« Hamer »). Quand on parle de néopaganisme aujourd’hui, surtout si l’on se réfère à l’Allemagne nationale-socialiste ou aux innombrables sectes vikingo-germanisantes qui pullulent aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, tout en influençant les groupes musicaux de hard rock, cela fait généralement sourire les philologues patentés. Pour eux, c’est, à juste titre, du bric-à-brac sans valeur intellectuelle aucune. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’Eemans adoptera les thèses d’Evola consignées, de manière succincte, dans un article titré « Le malentendu du néopaganisme ». Mais ce reproche ne peut nullement être adressé aux versions allemande, néerlandaise et flamande de « Hammer/Hamer ». Des germanistes de notoriété internationale comme Jan De Vries, auteur des principaux dictionnaires étymologiques de la langue néerlandaise (tant pour les noms communs que pour les noms propres, notamment les noms de lieux) ont participé à la rédaction de cet éventail de revues. Eemans était l’un des correspondants de « Hamer »/Amsterdam à Bruxelles. Cela lui permettait de faire la navette entre Bruxelles et Amsterdam pendant le conflit et de s’immerger dans la culture littéraire et artistique de la Hollande, qu’il adorait. Il est certain que l’on a rédigé et édité des études sur « Hammer » en Allemagne ou en Autriche, du moins sur sa version allemande ou sur certains de ses principaux rédacteurs. Je ne sais pas si une étude simultanée des trois versions a un jour été établie. C’est un travail qui mériterait d’être fait. D’autant plus que la postérité de « Hamer »/Amsterdam et « Hamer »/Bruxelles n’a certainement pas été entravée par une quelconque vague répressive aux Pays-Bas après la défaite du IIIe Reich. De Vries est demeuré un germaniste néerlandais, un « neerlandicus », de premier plan, ainsi qu’un explorateur inégalé du monde des sagas islandaises. Son œuvre s’est poursuivie, de même que celle de Farwerck, que l’on n’a commencé à dénoncer qu’à la fin des années 90 du 20ème siècle ! De l’écolier de Termonde influencé par Brants, son professeur wagnérien, du cadet de famille influencé par Nestor, son aîné, autre Wagnérien, au disciple attentif de Van Ostaijen et du lecteur scrupuleux du deuxième manifeste surréaliste de Breton au directeur d’Hermès et au rédacteur de « Hamer », du réprouvé de 1944 au fondateur du « Centro Studi Evoliani » et au collaborateur d’ « Antaios » de Christopher Gérard, il y a un fil conducteur parfaitement discernable, il y a une fidélité inébranlable et inébranlée à soi et à ses propres démarches, face à l’incompréhension généralisée qui s’est bétonnée et a orchestré le boycott de cet homme à double casquette : celle du dadaïste-surréaliste-lénino-trostkiste et celle du wagnéro-mystico-évoliano-traditionaliste. Et pourtant, il y a, derrière cette apparente contradiction une formidable cohérence que sont incapables de percevoir les esprits bigleux. Ou pour être plus précis : il y a chez Eemans, surréaliste et traditionaliste tout à la fois, une volonté d’aller au « lieu » impalpable où les contradictions s’évanouissent. Un lieu que cherchait aussi Breton dès son second manifeste.  

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Après la guerre, Eemans participe à la revue « Fantasmagie » ; l’étude de « Fantasmagie » mérite, à elle seule, un bon paquet de pages. L’objectif de « Fantasmagie » était de faire autre chose que de l’art bétonné en une nouvelle orthodoxie, qui tenait alors le haut du pavé, après avoir balayé toute interrogation métaphysique. Dans les colonnes de « Fantasmagie », les rédacteurs vont commenter et valoriser toutes les œuvres fantastiques, ou relevant d’une forme ou d’une autre d’ « idéalisme magique ». On notera, entre bien d’autres choses, un intérêt récurrent pour les « naïfs » yougoslaves. Quant à Eemans, il se chargeait de la recension de livres, notamment ceux de Gaston Bachelard. Je compte bien relire les exemplaires de « Fantasmagie » qui figurent dans ma bibliothèque mais je n’écrirai de monographie sur cette revue, ou sur l’action et l’influence d’Eemans au sein de sa rédaction, que lorsque j’aurai dûment complété ma collection, encore assez lacunaire.

 

Harcèlement et guéguerre entre surréalistes

 

L’après-guerre est tout à la fois paradis, purgatoire et enfer pour Eemans. Dans le monde de la critique d’art, il occupe une place non négligeable : son érudition est reconnue et appréciée. En Flandre, on ne tient pas trop compte des allusions perfides à sa collaboration au « Pays Réel » et à « Hamer ». En revanche, dans l’univers des galeries huppées, des expositions internationales, des colloques spécifiques au surréalisme en Belgique et à l’étranger, un boycott systématique a été organisé contre sa personne : manifestement, on voulait l’empêcher de vivre de sa peinture, on voulait lui barrer la route du succès « commercial », pour le maintenir dans la géhenne du travail d’encyclopédiste ou dans l’espace marginal de « Fantasmagie ». Son adversaire le plus acharné sera l’avocat Paul Gutt (1941-2000), fils du ministre des finances du cabinet belge en exil à Londres pendant la seconde guerre mondiale. En 1964, Paul Gutt organise un chahut contre deux conférences d’Eemans en diffusant un pamphlet en français et en néerlandais contre notre surréaliste mystique et traditionaliste, intitulé « Un ton plus bas ! Een toontje lager ! » et qui rappelait bien entendu le « passé collaborationniste » du conférencier. Le même Paul Gutt s’était aussi attaqué au MAC (« Mouvement d’Action Civique ») de Jean Thiriart, futur animateur du mouvement « Jeune Europe », en distribuant un autre pamphlet, intitulé, lui, « Haut les mains ! ». En 1973, Eemans intente un procès, qu’il perdra, à Marcel Mariën qui, à son tour, pour participer allègrement à la curée et traduire dans la réalité bruxelloise les principes de la « révolution culturelle » maoïste qu’il admirait, avait rappelé le « passé incivique » de Marc. Eemans. L’avocat de Mariën était Paul Gutt. En 1979, dans son livre sur le surréalisme belge, qui fait toujours référence, Marcel Mariën, pour se venger, exclut totalement le nom de Marc. Eemans de son gros volume mais encourt simultanément, mais pour d’autres motifs, la colère de Georgette Magritte et d’Irène Hamoir, ancienne amie d’Eemans et veuve du surréaliste « marxiste pro-albanais » (poncif !) Louis Scutenaire. Marcel Mariën ne s’en prenait pas qu’à Eemans quand il évoquait l’époque de la seconde occupation allemande : dans ses souvenirs, publiés en 1983 sous le titre de « Radeau de la mémoire », il accuse Magritte d’avoir fabriqué dans ses caves de faux Braque et de faux Picasso, « pour faire bouillir la marmite »…. ! Plus tard, en 1991, le provocateur patenté Jan Bucquoy brûlera une peinture de Magritte lors d’un « happening », pour fustiger le culte, à son avis trop officiel, que lui voue la culture dominante en Belgique. On le voit : le petit monde du surréalisme en Belgique a été une véritable pétaudière, un « panier à crabes », disait Eemans, qui ne cessait de s’en gausser. 

 

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Q. : Mais existe-t-il une postérité « eemansienne » ? Que reste-t-il de ce travail effectué avant et après la création du « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles ?

 

RS : Eemans était désabusé, en dépit de sa joie de vivre. Il était un véritable pessimiste : joyeux dans la vie quotidienne mais sans illusion sur le genre humain. Cette posture s’explique aisément en ce qui le concerne : ses efforts d’avant-guerre pour réanimer une mystique flamando-rhénane, pour réinjecter de l’Amour selon Dante dans le monde, pour faire retenir les leçons de Sohrawardi le Perse, n’ont été suivi d’aucuns effets immédiats. De bons travaux ont été indubitablement réalisés par quantité de savants sur ces thématiques, qui lui furent chères, mais seulement, hélas, au soir de sa vie, sans qu’il ait pu prendre connaissance de leur existence, ou après sa mort, survenue le 28 juillet 1998. L’assassinat par les services belges de son ami René Baert, dans les faubourgs de Berlin fin 1945, l’a profondément affecté : il en parlait toujours avec un immense chagrin au fond de la gorge. Un embastillement temporaire et des interdictions professionnelles ont mis un terme à l’œuvre d’Elsa Darciel, qui n’aurait plus suscité le moindre intérêt après guerre, comme tout ce qui relève de la matière de Bourgogne (à la notable exception du magnifique « Je soussigné, Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne » de Gaston Compère). Eemans s’est plongé dans son travail d’encyclopédiste de l’histoire de l’art en Belgique et dans « Fantasmagie », terrains jugés « neutres ». Ces territoires, certes fascinants, ne permettaient pas, du moins de manière directe, de bousculer les torpeurs et les enlisements dans lesquels végétaient les provinces flamandes et romanes de Belgique. Car on sentait bien qu’Eemans voulait bousculer, que « bousculer » était son option première et dernière depuis les journées folles du dadaïsme et du surréalisme jusqu’aux soirées plus feutrées (mais nettement moins intéressantes, époque de médiocrité oblige…) organisées par le « Centro Studi Evoliani ». Eemans avait en effet bousculé la bien-pensance comme les garçons de son époque, avec les foucades dadaïstes et surréalistes, auxquelles Evola lui-même avait participé en Italie. Comme Evola, il a cherché une façon plus solide de bousculer les fadeurs du monde moderne : pour Evola, ce furent successivement le recours à l’Inde traditionnelle (Doctrine de l’Eveil, Yoga tantrique, etc.) et au Tao Te King chinois ; pour Eemans, ce fut le recours à la mystique flamando-rhénane, destinée à secouer le bourgeoisisme matérialiste belge, qui n’avait pas voulu entendre les admonestations de ses écrivains et poètes d’avant 1914, comme Camille Lemonnier ou Georges Eeckhoud, et s’était empressé d’abattre bon nombre de joyaux de l’architecture « Art Nouveau » d’Horta et de ses disciples, jugeant leurs audaces créatrices peu pratiques et trop onéreuses à entretenir ! Eemans aimait dire qu’il était le véritable disciple d’André Breton, dans la mesure où celui-ci avait un jour déclaré qu’il fallait s’allier, si l’opportunité se présentait, « avec le Dalaï Lama contre l’Occident ». Pour Evola comme pour Eemans, on peut affirmer, sans trop de risque d’erreur, que le « Dalaï Lama » évoqué par Breton, n’est rien d’autre qu’une métaphore pour exprimer nostalgie et admiration pour les valeurs anté-modernes, donc non occidentales, non matérialistes, qu’il convenait d’étudier, de faire revivre dans l’âme des intellectuels et des poètes les plus audacieux.

 

Le « Centro Studi Evoliani » : la déception

 

Une fois son travail d’encyclopédiste achevé auprès de l’éditeur Meddens, Eemans voulait renouer avec cette audace du « bousculeur » dadaïste, en s’arc-boutant sur le terrain d’action prestigieux que constituait l’espace de réflexion évolien, et en provoquant les contemporains en reliant à l’évolisme de la fin des années 70 ses propres recherches entreprises dans les années 30 et pendant la seconde guerre mondiale. Il a été déçu. Et a exprimé cette déception dans l’entretien qu’il nous a accordé, je veux dire à Koenraad Logghe et à moi-même (et que l’on peut lire un peu partout sur l’Internet, notamment sur http://euro-synergies.hautetfort.com et sur http://www.centrostudilaruna.it , le site du Dr. Alberto Lombardo). Pourquoi cette déception ? D’une part, parce que la jeune génération ne connaissait plus rien des enthousiasmes d’avant-guerre, ne faisait pas le lien entre les avant-gardes des années 20 et le recours d’Evola, Guénon, Corbin, Eemans, etc. à la « Tradition », n’avait reçu dans le cadre de sa formation scolaire aucun indice capable de l’éveiller à ces problématiques ; d’autre part, l’espace ténu des évoliens était dans le collimateur de la nouvelle bien-pensance gauchiste, qui étrillait aussi Eemans quand elle le pouvait (alors qu’on lui avait foutu royalement la paix dans les années 50 et 60). Etre dans le collimateur de ces gens-là peut être une bonne chose, être indice de valeur face aux zélotes furieux qui propagent toutes les « anti-valeurs » possibles et imaginables mais cela peut aussi conduire à attirer vers les cercles évoliens des personnalités instables, politisées, simplificatrices, que la complexité des questions soulevées rebute et lasse. En outre, toute une propagande médiatisée a diffusé dans la société une fausse « spiritualité de bazar », où l’on mêle allègrement toute une série d’ingrédients comme le bouddhisme californien, la cruauté gratuite, le nazisme tapageur, l’occultisme frelaté, le monachisme tibétain, la runologie spéculative, etc. pour créer des espaces de relégation vers lesquelles on houspille trublions et psychopathes, les rendant ainsi aisément identifiables, criminalisables ou, pire encore, dont on peut se gausser à loisir (exemple : « extrême-droite » = « extrême-druides », intitulé tapageur d’une émission de la RTBF). Sans compter les agents provocateurs de tous poils qui font occasionnellement irruption dans les cercles non-conformistes et cherchent à prouver qu’on est en train de ressusciter des « ordres occultes », préparant le retour de la « bête immonde ».

 

Eemans, âgé de 71 ans quand il lance le « Centro Studi Evoliani » de Bruxelles, n’avait nulle envie de répéter à satiété le récit des phases de son itinéraire antérieur face à un public disparate qui était incapable de faire le lien entre monde des arts et écrits traditionalistes ; ensuite, lui qui avait connu une revue de qualité dans le cadre du « national-socialisme » des années 40, comme « Hammer », n’avait nulle envie d’inclure dans ses préoccupations les fabrications anglo-saxonnes qui lancent dans le commerce sordide des marottes soi-disant « transgressives » un « occultisme naziste de Prisunic ». Il a décidé de mettre un terme aux activités du « Centro Studi Evoliani », car celui-ci ne pouvait pas, via l’angle évolien, ressusciter l’esprit d’ « Hermès », faute d’intéressés compétents. Une « Fondation Marc. Eemans » prendra le relais à partir de 1982, dirigée par Jan Améry. Elle existe toujours et est désormais relayée par un site basé aux Pays-Bas (http://marceemans.wordpress.com/), qui affiche les textes d’Eemans et sur Eemans dans leur langue originale (français et néerlandais). Au début des années 80, toutes mes énergies ont été consacrées à la nouvelle antenne néo-droitiste « EROE » (« Etudes, Recherches et Orientations Européennes »), fondée par Jean van der Taelen, Guibert de Villenfagne de Sorinnes et moi-même en octobre 1983, quasiment le lendemain de ma démobilisation (2 août), de mon premier mariage (25 août & 3 septembre) et de la défense de mon mémoire (vers le 10 septembre). 

 

La réception d’Evola en pays flamand est surtout due aux efforts des frères Logghe : Peter Wim, l’aîné, et Koenraad, le cadet. Peter Wim Logghe, au départ juriste dans une compagnie d’assurances, a fait connaître, de manière succincte et didactique, l’œuvre d’Evola dans plusieurs organes de presse néerlandophones, dont « Teksten, Kommentaren en Studies », l’organe du GRECE néo-droitiste en Flandre, et a traduit « Orientations » en néerlandais (pour le « Centro Studi Evoliani » d’Eemans). Koenraad Logghe, pour sa part, créera en Flandre un véritable mouvement traditionnel, au départ de sa première revue, « Mjöllnir », organe d’un « Orde der Eeuwige Werderkeer » (OEW) ou « Ordre de l’Eternel Retour ». Allègre et rigoureuse, païenne dans ses intentions sans verser dans un paganisme caricatural et superficiel, cette publication, artisanale faute de moyens financiers, mérite qu’on s’y arrête, qu’on l’étudie sous tous ses aspects, sous l’angle de tous les thèmes et figures abordés (essentiellement le domaine germanique/scandinave, l’Edda, Beowulf, etc. , dans la ligne de « Hamer » et du grand philologue néerlandais Jan de Vries ; une seule étude sur Evola y a été publiée dans les années 1983-85, sur « Ur & Krur » par Manfred van Oudenhove). Koenraad Logghe fondera ensuite le groupe « Traditie », suite logique de son OEW, avant de s’en éloigner et de poursuivre ses recherches en solitaire, couplant l’héritage traditionnel de Guénon essentiellement, à celui du Néerlandais Farwerck et aux recherches sur la symbolique des objets quotidiens, des décorations architecturales, des pierres tombales, etc., une science qui avait intéressé Eemans dans le cadre de la revue « Hamer », dont les thèmes ne seront nullement rejetés aux Pays-Bas et en Flandre après 1945 : de nouvelles équipes universitaires, formées au départ par les rédacteurs de « Hamer » continuent leurs recherches. Dans ce contexte, Koenraad Logghe publiera plusieurs ouvrages sur cette symbolique du quotidien, qui feront tous autorité dans l’espace linguistique néerlandais.

 

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Eemans participera également à la revue « Antaios » que Christopher Gérard avait créée au début des années 90. Il avait repris le titre d’une revue fondée par Ernst Jünger et Mircea Eliade en 1958. Gérard bénéficiait de l’accord écrit d’Ernst Jünger et en était très fier et très reconnaissant. Lors de la fondation de l’ « Antaios » de Jünger et Eliade, ceux-ci avaient demandé la collaboration d’Eemans : il avait cependant décliné leur offre parce qu’il était submergé de travail. Dommage : la thématique de la mystique flamando-rhénane aurait trouvé dans la revue patronnée par l’éditeur Klett une tribune digne de son importance. Eemans écrivait parfaitement le français et le néerlandais mais non l’allemand. J’ai toujours supposé qu’il n’aurait pas aimé être trahi en étant traduit. C’est donc dans la revue « Antaios » de Christopher Gérard, publiée à Bruxelles/Ixelles, à un jet de pierre de son domicile, qu’Eemans publiera ses derniers textes, sans faiblir ni faillir malgré le poids des ans, jusqu’en ce jour fatidique de la fin juillet 1998, où la Grande Faucheuse l’a emporté.

 

Personnellement, je n’ai pas suivi un itinéraire strictement évolien après la dissolution du « Centro Studi Evoliani », dans la première moitié des années 80. Eemans m’en a un peu voulu, beaucoup au début des années 80, moins ultérieurement, et finalement, la réconciliation définitive est venue en deux temps : lors de la venue à Bruxelles de Philippe Baillet (pour une conférence à la tribune de l’EROE, chez Jean van der Taelen) puis lorsqu’il m’a invité à des vernissages, surtout celui qui fut suivi d’une magnifique soirée d’hommage, avec dîner somptueux fourni par l’édilité locale, que lui organisa sa ville natale de Termonde (Dendermonde) à l’occasion de ses 85 ans (en 1992). Pourquoi cette animosité passagère à mon égard ? Début 1981, a eu lieu à Bruxelles une conférence sur les thèmes de la défense de l’Europe, organisée conjointement par Georges Hupin (pour le GRECE-Belgique) et par Rogelio Pete (pour le compte d’une structure plus légère et plus éphémère, l’IEPI ou « Institut Européen de Politique Internationale »).

 

La rencontre Eemans/de Benoist

 

En marge de cette initiative, où plusieurs personnalités prirent la parole, dont Alain de Benoist, l’excellent et regretté Julien Freund, le Général Robert Close (du Corps des blindés belges stationnés en RFA), le Colonel Marc Geneste (l’homme de la « bombe à neutrons » au sein de l’armée française), le Général Pierre M. Gallois et le Dr. Saul Van Campen (Directeur du cabinet du Secrétaire Général de l’OTAN), j’avais vaguement organisé, en donnant deux ou trois brefs coups de fil, une rencontre entre Marc. Eemans et Alain de Benoist dans les locaux de la Librairie de Rome, dans le goulot de l’Avenue Louise, à Bruxelles, sans pouvoir y être présent moi-même (3). Visiblement, l’intention d’Eemans était de se servir de la revue d’Alain de Benoist, « Nouvelle école », dont j’étais devenu le secrétaire de rédaction, pour relancer les thématiques d’ « Hermès ». A l’époque, malgré quelques rares velléités évoliennes, Alain de Benoist n’était guère branché sur les thématiques traditionalistes ; il snobait délibérément Georges Gondinet, qualifié de « petit con qui nous insulte » (remarquez le « pluriel majestatif »…), tout simplement parce que le directeur de « Totalité » avait couché sur le papier quelques doutes quant à la pertinence métapolitique des écrits du « Pape » de la ND, marqués, selon le futur directeur des éditions Pardès, de « darwinisme ». De Benoist reprochait surtout à Gondinet et à son équipe la parution du n°11 de « Totalité », un dossier intitulé « La Nouvelle Droite du point de vue de la Tradition ». De Benoist, qui a certes eu des dadas darwiniens, sortait plutôt d’un « trip » empiriste logique, de facture anglo-saxonne et « russellienne », dont on ne saisit guère l’intérêt au vu de ses errements ultérieurs. Il tâtait maladroitement du Heidegger et voulait écrire sur le philosophe souabe un article qui attesterait de son génie dans toutes les Gaules (on attend toujours ce maître article promis sur le rapport Heidegger/Hölderlin… est germanomane par coquetterie parisienne qui veut, n’est pas germaniste de haut vol qui le prétend…). Sur les avant-gardes dadaïstes et surréalistes, de Benoist ne connaissait rien et classait tout cela, bon an mal an, dans des concepts généraux, dépréciatifs et fourre-tout, tels ceux de l’ « art dégénéré » ou du « gauchisme subversif », car, en cette époque bénie (pour lui et son escarcelle) où il oeuvrait au « Figaro Magazine », le sieur de Benoist se targuait d’appartenir à une bonne bourgeoisie installée, inculte et hostile à toute forme de nouveauté radicale, comme il se targue aujourd’hui d’appartenir à un filon gauchiste, inspiré par le Suisse Jean Ziegler, un filon tout aussi rétif à de la véritable innovation car, selon ses tenants et thuriféraires, il faut demeurer dans la jactance contestatrice habituelle des années 60 (comme certains surréalistes se complaisaient dans la jactance communisante des années 30 et n’entendaient pas en sortir).

 

En ce jour de mars 1981 donc, Alain de Benoist dédicaçait ses livres dans la Librairie de Rome et Eemans s’y est rendu, joyeux, débonnaire, chaleureux et enthousiaste, à la mode flamande, sans doute après un repas copieux et bien arrosé ou après quelques bon hanaps de « Duvel » : on est au pays des « noces paysannes » de Breughel, du « roi boit » de Jordaens et des plantureuses inspiratrices de Rubens ou on ne l’est pas ! Cette truculence a déplu au « Pape » de la « nouvelle droite », qui prenait souvent, à cette époque qui a constitué le faîte de sa gloire, les airs hautains du pisse-vinaigre parisien (nous dirions de la « Moeijer snoeijfdüüs »), se prétendant détenteur des vérités ultimes qui allaient sauver l’univers du désastre imminent qui l’attendait au tout prochain tournant. Pour de Benoist, la truculence breughelienne d’Eemans était indice de « folie ». Les airs hautains du Parisien, vêtu ce jour-là d’un affreux costume de velours mauve, sale et tout fripé, du plus parfait mauvais goût, étaient, pour le surréaliste flamand, indices d’incivilité, de fatuité et d’ignorance. Bref, la mayonnaise n’a pas pris : on ne marie pas aisément la joie de vivre et la sinistrose. Le courant n’est pas passé entre les deux hommes, éclipsant du même coup, et pour toujours, les potentialités immenses d’une éventuelle collaboration, qui aurait pu approfondir considérablement les recherches du mouvement néo-droitiste, vu que la postérité d’ « Hermès » débouche, entre bien d’autres choses, sur les activités de « Religiologiques » de Gilbert Durand ou sur les travaux d’Henri Corbin sur l’islam persan, et surtout qu’elle aurait pu démarrer tout de suite après l’écoeurante éviction de Giorgio Locchi, germaniste et musicologue, qui avait donné à « Nouvelle école » son lustre initial, éviction qu’Eemans ignorait : les arts et la musique ont de fait été quasiment absents des spéculations néo-droitistes qui ont vite viré au parisianisme jargonnant et « sociologisant » (dixit feu Jean Parvulesco), surtout après la constitution du tandem de Benoist/Champetier à la veille des années 90, tandem qui durera un peu moins d’une douzaine d’années.

 

La brève entrevue entre le « Pape » de la « nouvelle droite » et Eemans, à la « Librairie de Rome » de Bruxelles, n’a donc rien donné : un nouveau dépit pour notre surréaliste de Termonde, qui, une fois de plus, s’est heurté à des limites, à des lacunes, à une incapacité de clairvoyance, de lungimiranza, chez un individu qui s’affichait alors comme le grand messie de la culture refoulée. Cela a dû rappeler à notre peintre l’incompréhension des surréalistes bruxellois devant son exposé sur Sœur Hadewych…

 

Eemans m’en a voulu d’être parti, quelques jours plus tard, à Paris pour prendre mon poste de « secrétaire de rédaction » de « Nouvelle école ». Eemans jugeait sans doute que l’ambiance de Paris, vu le comportement malgracieux d’Alain de Benoist, n’était pas propice à la réception de thèmes propres à nos Pays-Bas ou à l’histoire de l’art et des avant-gardes ou encore aux mystiques médiévale et persane ; sans doute a-t-il cru que j’avais mal préparé la rencontre avec le « Pape » de la « nouvelle droite », qu’en ‘audience’ je ne lui avais pas assez parlé d’ « Hermès » ; quoi qu’il en soit, pour l’incapacité à réceptionner de manière un tant soit peu intelligente les thématiques chères à Eemans, notre surréaliste réprouvé avait raison : de Benoist se targue d’être une sorte d’Encyclopaedia Britannica sur pattes, en chair (flasque) et en os, mais il existe force thématiques qu’il ne pige pas, auxquelles il n’entend strictement rien ; de plus, Eemans estimait que « monter à Paris » était le propre, comme il me l’a écrit, furieux, d’un « Rastignac aux petits pieds » : ma place, pour lui, était à Bruxelles, et non ailleurs. Mais, heureusement, mon escapade parisienne, dans l’antre du « snobinard tout en mauve », n’a duré que neuf mois. Revenu en terre brabançonne, je n’ai plus jamais ravivé l’ire d’Eemans. Et c’est juste, la sagesse populaire ne nous enseigne-t-elle pas « Oost West - Thuis best ! » ?

 

Vienne et Zürich/Frauenfeld

 

Ma première activité strictement évolienne date de 1998, année du décès de Marc. Eemans. Evola suscitait à l’époque de plus en plus d’intérêt en Allemagne et en Autriche, grâce, notamment, aux efforts du Dr. T. H. Hansen, traducteur et exégète du penseur traditionaliste. Du coup, toutes les antennes germanophones de « Synergies Européennes » voulaient marquer le coup et organiser séminaires et causeries pour le centième anniversaire de la naissance du Maître. Au printemps de 1998, j’ai donc été appelé à prononcer à Vienne, dans les locaux de la « Burschenschaft Olympia », une allocution en l’honneur du centenaire de la naissance d’Evola ; on avait choisi Vienne parce qu’Evola adorait cette capitale impériale et y avait reçu, en 1945, pendant le siège de la ville, l’épreuve doublement douloureuse de la blessure et de la paralysie : un mur s’est effondré, brisant définitivement la colonne vertébrale de Julius Evola. A Vienne, il y avait, à la tribune, le Dr. Luciano Arcella (qui a tracé des parallèles entre Spengler, Frobenius et Evola dans leurs critiques de l’Occident), Martin Schwarz (toujours animateur de sites traditionalistes avec connotation islamisante assez forte), Alexandre Miklos Barti (sur la renaissance évolienne en Hongrie) et moi-même. J’ai essentiellement mis l’accent sur l’idée-force d’ « homme différencié » et entamé une exploration, non encore achevée treize ans après, des textes d’Evola où celui-ci fut le principal « passeur » des idées de la « révolution conservatrice » allemande en Italie. Cette exploration m’a rendu conscient du rôle essentiel joué par les avant-gardes provocatrices des années 1905-1935 : il faut bien comprendre ce rôle clef pour saisir correctement toute approche de l’école traditionaliste, qui en procède tant par suite logique que par rejet. En effet, on ne peut comprendre Evola et Eemans que si l’on se plonge dans les vicissitudes de l’histoire du dadaïsme, du surréalisme et de ses avatars philosophiques non communisants en marge de Breton lui-même, et du vorticisme anglo-saxon. Les éditions « L’Age d’Homme » offrent une documentation extraordinaire sur ces thèmes, dont la revue « Mélusine » et quelques bons dossiers « H ». En 1999, à Zürich/Frauenfeld, j’ai prononcé à nouveau cette même allocution de Vienne, en y ajoutant combien la notion d’ « homme différencié », proche de celle d’ « anarque » chez Ernst Jünger, a été cardinale pour certains animateurs non gauchistes de la révolte étudiante italienne de 1968. En Italie, en effet, grâce à Evola, surtout à son « Chevaucher le Tigre », le mouvement contestataire n’a pas entièrement été sous la coupe des interprètes simplificateurs de l’ « Eros et la civilisation » d’Herbert Marcuse. Dans les legs diffus de cette révolte étudiante-là, on peut, aujourd’hui encore, aller chercher tous les ingrédients pratiques d’une révolte qui s’avèrerait bien vite plus profonde et plus efficace dans la lutte contre le système, une révolte efficace qui exaucerait sans doute au centuple les vœux de Tzara et de Breton…  

 

Deux mémoires universitaires ont été consacrés tout récemment en Flandre à Evola, celui de Peter Verheyen, qui expose un parallèle entre l’auteur flamand Ernest van der Hallen et Julius Evola, et celui de Frédéric Ranson, intitulé « Julius Evola als criticus van de moderne wereld » (4). Ranson prononce souvent des conférences en Flandre sur Julius Evola, au départ de son mémoire et de ses recherches ultérieures. En Wallonie, en Pays de Liège, l’homme qui poursuit une quête traditionnelle au sens où l’entendent les militants italiens depuis le début des années 50 ou dans le sillage de « Terza Posizione » de Gabriele Adinolfi est Philippe Banoy. La balle est désormais dans leur camp : ce sont eux les héritiers potentiels de Vercauteren et d’Eemans. Mais des héritiers qui errent dans un champ de ruines encore plus glauque qu’à la fin des années 70. Un monde où les dernières traces de l’arèté grec semblent avoir définitivement disparu, sur fond de partouze festiviste permanente, de niaiserie et d’hystérie médiatiques ambiantes et d’inculture généralisée.

 

Evola, Eemans et la plupart des traditionalistes historiques de leur époque sont morts. Jean Parvulesco vient de nous quitter en novembre 2010. Un mouvement authentiquement traditionaliste doit-il se complaire uniquement dans la commémoration ? Non. Le seul à avoir repris le flambeau, avec toute l’autonomie voulue, demeure un inconnu chez nous dans la plupart des milieux situés bon an mal an sur le point d’intersection entre militance politique et méditation métaphysique : je veux parler de l’Espagnol Antonio Medrano, perdu de vue depuis ses articles dans la revue « Totalité » de Georges Gondinet. Ce mois-ci, en me promenant pour la première fois de ma vie dans les rues de Madrid, je découvre une librairie à un jet de pierre de la Plaza Mayor et de la Puerta del Sol qui vendait un ouvrage assez récent de Medrano. Quelle surprise ! Il est consacré à la notion traditionnelle d’honneur. Et la jaquette mentionne plusieurs autres ouvrages d’aussi bonne tenue, tous aux thèmes pertinents (5). Aujourd’hui, il conviendrait de fonder un « Centre d’Etudes doctrinales Evola & Medrano », de manière à faire pont entre un ancêtre « en absence » et un contemporain, qui, dans le silence, édifie une œuvre qui, indubitablement, est la poursuite de la quête. 

 

MAUGIS-8251-1995-4.jpgEnfin, il ne faut pas oublier de mentionner qu’Eemans survit, sous la forme d’une figure romanesque, baptisée Arminius, dans le roman initiatique de Christopher Gérard (6), rédigé après l’abandon, que j’estime malheureux, de sa revue « Antaios ». Arminius/Eemans y est un mage réprouvé (« après les proscriptions qui ont suivi les grandes conflagrations européennes »), ostracisé, qui distille son savoir au sein d’une confrérie secrète, plutôt informelle, qui, à terme, se donne pour objectif de ré-enchanter le monde (couverture du livre de Christopher Gérard avec, pour illustration, le plus beau, le plus poignant des tableaux d'Eemans: le Pélerin de l'Absolu).

 

Pour conclure, je voudrais citer un extrait extrêmement significatif de la monographie que le Prof. Piet Tommissen a consacré à Marc. Eemans, extrait où il rappelait combien l’œuvre de Julius Langbehn avait marqué notre surréaliste de Termonde : « Au moment où il préparait son recueil ‘Het bestendig verbond’ en vue de publication, Eemans fit d’ailleurs la découverte, grâce à son ami le poète flamand Wies Moens, du livre posthume ‘Der Geist des Ganzen’ de Julius Langbehn (1851-1907) (…) Langbehn y analyse le concept de totalité à partir de la signification du mot grec ‘Katholon’. Selon lui, le ‘tout’ travaille en fonction des parties subordonnées et se manifeste en elles tandis que chaque partie travaille dans le cadre du ‘tout’ et n’existe qu’en fonction de lui. Le ‘mal’ est déviation, négation ou haine de la totalité organique dans l’homme et dans l’ordre temporel ; le ‘mal’ engendre la division et le désordre, aussi tout ce qui s’oppose à l’esprit de totalité crée tension et lutte. Pour que l’esprit de totalité règne, il faut que disparaisse la médiocrité intellectuelle car elle est le fruit d’hommes sans épine dorsale ou caractère et sans attaches avec la source de toute créativité qu’est la vie vraiment authentique de celui qui assume la totalité de sa condition humaine. Langbehn rappelle que les mots latins ‘vis’, ‘vir’ et ‘virtus’, soit force, homme et vertu, ont la même racine étymologique. Oui, l’homme vraiment homme est en même temps force et vertu, et tend ainsi vers le surhomme, par les voies d’un retour aux sources tel que l’entend le mythe d’Anthée ». Dans ces lignes, l’esprit averti repèrera bien des traces, bien des indices, bien des allusions…

 

(propos recueillis en avril et en mai 2011).

 

Bibliographie :

 

-          Gérard DUROZOI, Histoire du mouvement surréaliste, Hazan, Paris, 1997 (Eemans est totalement absent de ce volume).

-          Marc. EEMANS, La peinture moderne en Belgique, Meddens, Bruxelles, 1969.

-          Piet TOMMISSEN, Marc. Eemans – Un essai de biographie intellectuelle, suivi d’une esquisse de biographie spirituelle par Friedrich-Markus Huebner et d’une postface de Jean-Jacques Gaillard, Sodim, Bruxelles, 1980.

-          André VIELWAHR, S’affranchir des contradictions – André Breton de 1925 à 1930, L’Harmattan, Paris, 1998.

 

 

Notes :

 

(1)     Geert WARNAR, Ruusbroec – Literatuur en mystiek in de veertiende eeuw, Athenaeum/Polak & Van Gennep, Amsterdam, 2003 ; Paul VERDEYEN, Jan van Ruusbroec – Mystiek licht uit de Middeleeuwen, Davidsfonds, Leuven, 2003.

(2)     Jacqueline KELEN, Hadewych d’Anvers et la conquête de l’Amour lointain, Albin Michel, Paris, 2011. 

(3)     Mis à toutes les sauces, fort sollicité, j’ai également organisé ce jour-là un entretien entre Alain de Benoist et le regretté Alain Derriks, alors pigiste dans la revue du ministre Lucien Outers, « 4 millions 4 ». Soucieux de servir d’écho à tout ce qui se passait à Paris, le francophile caricatural qu’était Outers avait autorisé Derriks à prendre un interview du leader de la « Nouvelle Droite » qui faisait pas mal de potin dans la capitale française à l’époque. On illustra les deux ou trois pages de l’entretien d’une photo d’Alain de Benoist, les bajoues plus grassouillettes en ce temps-là et moins décharné qu’aujourd’hui (le « Fig Mag » payait mieux…), tirant goulument sur un long et gros cigare cubain.

(4)     Frederik RANSON, « Julius Evola als criticus van de moderne wereld », RUG/Gent ; promoteur : Prof. Dr. Rik Coolsaet – année académique 2009-2010 ; Peter VERHEYEN, « Geloof me, we zijn zat van deze beschaving » - de performatieve cultuurkritiek van Ernest van der Hallen en Julius Evola tijdens het interbellum », RUG/Gent ; promoteur : Rajesh Heynick – année académique 2009-2010.

(5)     Le livre découvert à Madrid est : Antonio Medrano, La Senda del Honor, Yatay, Madrid, 2002. Parmi les livres mentionnés sur la jaquette, citons : La lucha con el dragon (sur le mythe universel de la lutte contre le dragon), La via de la accion, Sabiduria activa, Magia y Misterio del Liderazgo – El Arte de vivir en un mondi en crisis, La vida como empressa, tous parus chez les même éditeur : Yatay Ediciones, Apartado 252, E-28.220 Majadahonda (Madrid) ; tél. : 91.633.37.52. La librairie de Madrid que j’ai visitée : Gabriel Molina – Libros antiguos y modernos – Historia Militar, Travesia del Arenal 1, E-28.013 Madrid – Tél/Fax : 91.366.44.43 – libreriamolina@yahoo.es . 

(6)     Christopher GERARD, Le songe d’Empédocle, L’Age d’Homme, Lausanne, 2003. 

          

mercredi, 09 mars 2011

Maître Eckehart et la mystique néerlandaise

Maitre Eckehart et la mystique néerlandaise

conseils72k.jpgSi l’on en juge par les nombreux témoignages parvenus jusqu’à nous, les doctrines de Maitre Eckehart ont eu une grande répercussion dans les Pays-Bas. Cette influence s’expliquera notamment par le fait que ces contrées ont entretenu durant tout le moyen âge un commerce spirituel des plus intense avec Cologne et les provinces rhénanes.

Cependant, si l’histoire du mysticisme occidental nous apprend que les mystiques néerlandais ont fréquenté les foyers spirituels de la Rhénanie, il est certain, d’autre part, que les mystiques allemands sont venus de leur côté s’initier aux sources de la spiritualité néerlandaise. Mais si les voyages d’un Tauler ou d’un Suso en Néerlande sont chose généralement admise, l’influence de la mystique néerlandaise du XIIIe siècle sur un maître Eckehart, par exemple, semble encore relever du domaine des thèses hardies et peu défendables. L’analyse philologique de certains teImes eckehardiens à laquelle s’est livrée le R.P. Van Mierlo nous conduira cependant à admettre que l’infuence de la mystique néerlandaise sur Eckehart est possible, voire même certaine.

D’après le témoignage de Lamprecht von Regensburg (1) toute une littérature mystique du plus haut intérêt aurait fleuri dans les Pays-Bas avant l’année 1250. jusqu’ici deux noms à peine ont survécu à la perte des écrits de cette époque: Hadewych (2) et Béatrice de Nazareth. Mais à eux deux, ces noms suffisent pour situer la beauté de cette efflorescence mystique. Tout ce qui caractérisera un j~ur l’ori~inalité de la Mystique germanique se trouve déjà lllscrlt dans 1 oeuvre de ces femmes exceptionnelles. Et l’apparition de Eckehart au lieu de les inaugurer ne fera que confirmer les tendances spéculatives de cette mystique germanique, née dans les Pays-Bas près de la mer … Mais son génie créateur conduira ces tendances à leur suprême accomplissement, de telle manière que le maître de Hochheim peut être considéré à juste titre comme le véritable père de la «Deutschen Speculation». C’est chez lui que pour la première fois se dessine en toute sa magnificence ce grandiose édifice de la mystique germanique, et des matériaux épars dans les écrits spirituels de la Néerlande et de la Rhénanie il construira cette somme mystique qui domine encore le mysticisme allemand.

Nous n’entrerons pas ici dans les détails qui caractérisent le message du maître de Hochheim, mais nous essayerons de déceler son importance quant à l’orientation définitive de la mystique néerlandaise du XIVe siécle, telle qu’elle se précisera dans l’oeuvre de Ruusbroec l’Admirable et de ses disciples.

Ici encore nous pouvons dire, sans peur d’être contredit, que l’influence de Eckehart sur le sage de Groenendael est beaucoup moins évidente que l’on ne se plait généralement à l’affirmer. L’ignorance de la plupart des historiens du mysticisme occidental quant au développement parallèle des mystiques rhénane et néerlandaise a ainsi conduit à des conclusions par trop hâtives qui nous ont longtemps fait croire que les doctrines de Ruusbroec devaient tout à celles de Eckehart. N’a-t-on pas été jusqu’à affirmer que la terminologie de Ruusbroec était en grande partie tributaire de celle du grand créateur de «néologismes mystiques», quand la plupart de ces « néologismes» étaient depuis près d’un demi siècle le bien commun des mystiques Néerlandais et rhénans?

Comme nous le montrerons plus loin, ce n’est que dans les dernières oeuvres de Ruusbroec que l’on peut déceler d’une manière certaine que le mystique brabançon a pris connaissance de certaines thèses de Eckehart, mais alors encore pour les refuser et les attaquer comme les· pires des hérésies, cela après leur condamnation à Rome. Il est donc vraisemblable que seul le grand bruit fait autour des 17 thèses hérétiques du fougueux dominicain ait attiré l’attention du solitaire de Groenendaal sur l’oeuvre de Eckebart. Dès lors, l’affirmation d’un Van Olterloo, selon laquelle Ruusbroec aurait suivi pendant un certain temps l’enseignement de Eckehart à Cologne nous semble devenir peu défendable.

Quoique lui-mêine ait été soupçonné d ‘hérésie par certains maîtres en théologi.è, l’on peut dire qu’une importante partie de l’activité de Ruusbroec a été consacrée à combattre les hérésies de son temps (3), Selon le témoignage de son biographe Pomerius, Ruusbroec aurait même entrepris cette sainte croisade dès les premières années de sa prêtrise en s’attaquant à J’une des plus célèbres et des plus mystérieuses hérétiques de son temps: la Bloemardinne (4).

Dès sa première oeuvre, «LE LIVRE DU ROYAUME DES AMANTS DE DIEU», Ruusbroec fait allusion aux hérésies si «pernicieuses pour: la vraie foi» et dans son énumération de ceu?, qui sont incapables de suivre le chemin surnaturel vers Dieu, il citera dans le même chapitre les mécréants et les hérétiques, Plus loin il citera les quatre principales raisons d’hérésie en indiquant les moyens de les éviter. Dans tous ses autres écrits également Ruusbroec trouvera moyen de faire allusion aux divers aspects d’hérésie. Il en va ainsi dans «L’ANNEAU OU LA PIERRE BRILLANTE» au chapitre des «cinq sortes de Pécheurs» ; dans son «LIVRE DES QUATRE TENTATIONS» qui toutes sont évidemment à l’origine des errements de la foi : dans son «LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL», où l’hérésie est cependant moins explicitement attaquée: dans son «LIVRE DES SEPT CLOTURES» où la cinquiè me clôture, celle de la fausse vacuité est décrite avec force détails qui nous montrent combien proche celle-ci se trouve du panthéïsme.

Dans «LES SEPT DEGRES DE L’ECHELLE D’AMOUR SPIRITUEL» nous trouvons également au chapitre XI une description de ceux qui se croient grands et élevés devant Dieu. Dans «LE MIROIR DU SALUT ETERNEL» Ruusbroec parle longuement de cette sorte de gens qui ne peuvent approcher de la Sainte Table et parmi lesquels les hérétiques prennent une place d ‘exception, parce qu’ils ne croient pas que le Christ se trouve en chair et en sang dans le Saint Sacrement, ou parce qu’ils affirment qu’ils sont -eux-mêmes Dieu et le Christ, leur main ayant créé le ciel et la terre, etc. etc… En d’autres endroits encore du même livre,Ruusbroec s’attaque à ces mêmes hérétiques en les vouant aux pires supplices.

Quant à son « LIVRE DE LA PLUS HAUTE VERITE» il y résume au chapitre IV tout ce qu’il a dit précédemment contre l’hérésie; nous y trouvons ainsi une véritable synthèse de la croisade idéologique de Ruusbroec contre les errements de son temps, synthèse qu’il lui suffira de reprendre dans son « LIVRE DES DOUZE BEGUINES» pour y dresser un réquisitoire définitif contre toutes les hérésies qui portent atteinte à la vraie foi.

Les hérésies que Ruusbroec combat dans ses premiers livres sont manifestement celles des Beggards et des Béguines, telles qu’elles f”rent condamnées par le Concile de Vienne de 1311, et dont il suffirait de reprendre. les différentes thèses latines pour en retrouver un écho direct, en langue populaire! dans les divers ouvrages de Ruusbroec.

Ce n’est qu’à partir des « SEPT CLOTURES» et des «DOUZE BEGUINES» que Ruusbroec s’attaque directement aux tendances de l’hérésie panthéïstique, et c’est ici que l’on retrouve clairement et pour la première fois certaines alluSions aux thèses condamnées de Eckehart et de ses disciples.

Sans que le nom d’Eckehart soit cité une seule fois dans les «DOUZE BEGUINES» plusieurs errements eckehardiens y sont explicitement réfutés. Ici encore l’on peut se demander si Ruusbroec: s’en est bien référé directement aux oeuvres du savant dominicain, ca’r il est plus vraisemblable de croire que Ruusbroec s’en est tenu aux «Errores Eckardi » telles qu’elles sont relatées dans la Bulle «In Agro Dominico » de Jean XXII, du 27 mars 1329 (5).

Certaines tournures de phrase du texte de Ruusbroec font cependant croire que celui-ci a également eu connaissance de quelque rédaction allemande des thèses hérétiques de Eckehart, mais alors encore a-t-il pu les trouver dans certaines variantes respectant plus ou moins fidèlement la pensée du maitre. C’est ce qui pourrait expliquer le gauchissement imprimé à certaines phrases citées par Ruusbroec, pour être immédiatement passées au crible. Après une analyse minutieuse des textes ruusbroeciens l’on en arrive à conclure que l’information de Ruusbroec quant aux doctrines eckehardiennes. Ne semblerait être que de seconde main, ce qui nous conduit en définitive bien loin d’une dépendance immédiate du solitaire de Groenendael à l’égard du Père de la « Deutschen Speculation » (6).

Un disciple de Ruusbroec, Jan Van Leeuw, reprenant les arguments de son maitre contre les doctrines de Eckehart, s’élève dans un de ses livres avec une rare violence contre les erreurs qu’elles comportent (7), Ne ménageant point ses mots, le bonus cocus reprochera à Eckehart d’être un homme diabolique, plein de morgue, qui ne songerait qu’à entrainer ses semblables en Enfer, Le feu de la polémique entraina cependant trop loin le brave cuisinier mystique qui, dans un écrit ultérieur, a dû faire amende honorable (8), Dans deux chapitres de ce manuscrit il justifie ses attaques, en se défendant à son tour d’avoir écrit des choses hérétiques: «Si j’ai pu écrire faussement, dira-t-il fort humblement, j’en demande pardon auprès de Dieu et de mes lecteurs». Cela n’empêche qu’il essayera de prouver son innocence en reconnaissant que Eckehart a abjuré toutes les hérésies qu’il lui reprochait. Il va même jusqu’à dire que « si Eckehart se trouve actuellement au Ciel – comme il l’espère – celui-ci doit non seulement approuver la chaleur avec laquelle lui, Jan van Leeuw, a pu l’attaquer dans ses hérésies, mais que si cela était en son pouvoir, celui-ci les attaquerait lui-même avec plus de violence encore … ».

Les répliques de Ruusbroec et de son disciple aux thèses hérétiques de Eckehart laissent supposer que, quoi que condamnées en haut lieu, celles .. ci devaient avoir une répercussion certaine, en séduisant les âmes pieuses, pout les entrainer dans les voies du panthéisme.

Les très nombreux manuscrits thiois de Maître Eckehart retrouvés dans les principales bibliothèques d’Europe laissent supposer que ses doctrines doivent avoir eu un grand retentissement dans les Pays-Bas. Si l’on songe qu’un manuscrit devait passer de main en main et faire J’objet de lectures à haute voix devant ‘un auditoire choisi, l’on peut dire que c’est par centaines, si pas par milliers que devaient s’y recruter les amis de Eckehart.

Un des plus curieux témoignages de l’influence de Eckehart est ce dialogue entre «Meester Eggaert» et de laïc anonyme (9), Ce texte se compose de 80 pages in-folio, de quatre colonnes chacune. Il est un véritable essai de vulgarisation de la doctrine eckehardienne. Il se présente sous forme de questions et réponses et fut probablement écrit dans le courant du XIVe siècle, bien que le seul manuscrit que nous connaissions soit du XVIe siècle.

Dans l’ensemble, ce texte ne nous apprend rien de nouveau sur Eckehart, mais le fait d’avoir été écrit sous forme de questions ~t de réponses lui confère la valeur d’un véritable catéchisme mystique à l’usage des âmes simples qui « ne connaissent assez de latin que pour dire « Pater»

Que ce manuscrit ait encore été recopié au XVIe siècle nous prouvera d’autre part la persistance de J’influence eckehardienne dans les Pays-Bas.

Sans doute est-ce parce que la pensée de Eckehart se prêtait facilement à une interprétation panthéistique qu’elle joue un rôle si prépondérant dans J’évolution de certaines sectes dont la plus célèbre est celle des frères du «Libre Esprit».

Très réputée en Rhénanie, cette secte était dirigée au XIVe siècle par le néerlandais Walter de Hollande, dont les relations avec les Pays-Bas furent fréquentes et fécondes. C’est surtout par J’entremise de son école que les «hérésies panthéistes» de Eckehart furent anonymement répandues dans ces contrées.

Ruusbroec et ses disciples immédiats ne furent d’ailleurs pas les seuls à combattre tes hérésies; d’autres auteurs mystiques de son école, tel ce Gerhard Zerbold de Zutphen, auquel on attribue le «DE LIBRIS TEUTONICALIBUS». L’interprête autorisé de la doctrine des «Frères de la Vie Commune» s’y élève avec violence contre les «hérésies» sous prétexte qu’elles sont «valde nocipi et periculosi».

Cependant, l’interprétation hérétique du message eckehardien était trop séduisante pour que les anathèmes des esprits orthodoxes l’atteignent profondément. Durant le XIVe et jusque fort avant dans le XVe siècJe les sectes hérétiques connurent un rayonnement prodigieux et cela malgré Jes persécutions les plus tragiques.

Dire l’histoire de ces sectes, établir leurs doctrines et leurs filiations serait chose bien tentante; hélas. nous ne sommes renseignés à leur sujet que par le témoignage indirect de ceux-là mêmes qui les combattirent et qui ont du facilement fausser leur pensée exacte. Quant aux écrits mêmes des hérétiques. ils furent la proie des bûchers.

Il est impossible, dans de telles conditions d’établir l’influence réelle des doctrines de Eckehart sur ces hérésies, tout comme il est malaisé de déceler l’influence de celles-ci sur son système. Quant à la mystique orthodoxe, c’est surtout par les voies de ses disciples Tauler et Suso que Eckehart a pu avoir une influence positive et indirecte sur les mystiques néerlandais. Mais chez ces auteurs également il est bien difficile de déceler ce qui appartient en propre à la mystique rhénance, ces deux auteurs ayant séjournés également dans les centres spirituels des Pays-Bas.

Pour suivre les thèses du R. P. Van Mierlo quant aux relations entre la mystique des Pays-Bas et celle de la Rhénanie, nous dirons qu’en vérité il ne peut être question que d’interférences dont l’état actuel de la science ne peut établir les courbes exactes. Trop de documents perdus nous empêchent de retrouver les chaînons qui nous permettraient de parler valablement de cet aspect complexe de la spiritualité occidentale.

Dès maintenant une: conclusions s’impose cependant, c’est que mystiques néerlandaise et rhénane se confondent constamment et bien souvent ne font qu’une.

Marc. EEMANS

(1) Lamprecht von Regensburg : « DIE TOCHTER SIONS ».

(2) Les affinités évidentes entre la mystique de Hadewych et les doctrines de Eckehart ont conduit A. E. Bouman, dans une étude parue dans la revue Néo-Philgus (8e année) a affirmer non sans quelque légèreté que Hadewych était tributaire de Eckehart… La gratuité de cette thèse apparaîtra immédiatement si l’on songe que les oeuvres de Hadewych ont été écrites près d’un demi siècle avant celles de Eckehart. Nous n’en concluons cependant point que c’est Eckehart qui est tributaire de Hadewych, nous pourrons affirmer tout au plus que l’un

et l’autre ont puisé à une tradition commune et que l’interaction des mystiques néerlandaise et rhénane donnent à ces deux écoles de spiritualité une évidente parenté. Notons également en passant qu’une Sainte Hildegarde que l’on situe généralement à l’origine de 1a mystique germanique ne présente encore aucune des caractéristiques de cette école, mais participe encore entièrement de la tradition des Pères de l’Eglise.

(3) Voir notamment le R. P. Van Mierlo: « RUUSBROEC’S BESTRIJDING DER KETTERIJ « Ons Geeslelijk Erf. Oct. 1932. (N° Ruusbroec).

(4) Le R. P. Van Mierlo a analysé av,ec son érudition coutumière le cas de la Bloemardinne dans son étude

« OVER DE KETTERIN BLOEMARDINNE » dans Verslagen en Mededeelingen der Kon. VI. Académie, 1927.

(5) Voir p. 70 de ce numéro. Pour de plus amples détails consulter également G. Théry O. P. « EDITION CRITIQUE DES PIECES RELATIVES AU PROOES D’ECKHART CONTENUES DANS LE MANUSCRIT 33b DE LA BIBLIOTHEQUE DE SOEST », l. c. Paris, 1929.

(6) Ruusbroec et son entourage devaient cependant connaître les textes des Sermons XV et LXXXVII. Voir la traduction de ces deux sermons dans le présent numêro. Voir aussi Walther Dolch : DIE VERBREITUNG OBERLANDISCHER MYSTIKERWERKE IM NIEDERLANDISCHEN, Teil I. Diss, Leipzig 1909,

(7) Voir notre traduction page 91.

(8) Ms. 667 de la Bibliothèque Royale de Belgique, à Bruxelles.

(9) Ms. Biblio, Royale de Belgique, N° 888.890.

mardi, 08 mars 2011

Het geheim der Perseïden

Het geheim der Perseïden

hermes.jpgIn het slotartikel van ‘Het cultureel leven tijdens de bezetting’ (Diogenes, nr. 1-2, nov. ’90, blz. 57), schreef onze vriend Henri-Floris Jespers dat ik in het interview van de Heer Van de Vijvere te voorschijn gekomen was als een ‘ijverige en openlijke ultra’ (sic!). Niets is minder waar. Ik een ‘ultra’? Ik wens dit hier, zo mogelijk, te weerleggen. Eerst en vooral: in een passage van zijn artikel onderstreept H.F. Jespers dat werken van zijn grootvader Floris Jespers door de Brusselse Propaganda-Abteilung, niettegenstaande haar mild standpunt tegenover de zogenaamde Belgische ‘entartete Kunst’ gecensureerd werden. En hij citeert: ‘Joods meisje’ en ‘Joodse Bruiloft’. Dergelijke titels zijn, helaas, te beschouwen als naïeve provocatie! Hadden beide werken als titel meegekregen ‘Antwerps meisje’ en ‘Antwerpse bruiloft’, zou de Propaganda-Abteilung er voorzeker geen graten in gezien hebben… Laten we niet vergeten dat nazi-idioten onze grote Rembrandt als ‘entartet’ beschouwden omdat hij o.m. ‘Het Joods bruidje’ geschilderd heeft, alsmede portretten van rabbijnen die in de buurt van zijn Jodenbreestraat rondliepen in schilderachtige Oosterse gewaden… De heren van de Brusselse Propaganda-Abteilung, het dient gezegd te worden, interesseerden zich meer voor ‘wijntje en Trijntje’ dan aan censuur! Anderzijds heeft grootvader Jespers toch in Nazi-Duitsland tentoongesteld met de meeste Vlaamse expressionisten. Dit echter met eerder brave werken die de naam hadden te behoren tot een nieuwe strekking in de Belgische kunst, namelijk het ‘animisme’. Onder het mom van ‘Heimatkunst’ heeft Floris Jespers gedurende de bezettingsjaren Ardense landschappen geschilderd waar ik onlangs nog een prachtig staaltje van gezien heb in het Osterriethhuis, aan de Meir, te Antwerpen. Zelfs een Magritte heeft zich aan de nazi-bezetter trachten aan te passen met zijn ‘surrealisme en plein soleil’, dat Andre Breton achteraf als ‘surrealisme cousu de fil blanc’ bestempeld heeft, terwijl ikzelf gedurende die bezetting als echte surrealist, als ‘Entart’ verketterd werd!

***

Doch, laten we overgaan naar ‘het geheim der Perseïden’! Perseiden? Een geheim genootschap of eerder een vriendenkring van schrijvers, musici en vooral kunsthistorici die zich als ‘Groot-Nederlanders’ of ‘Dietsers’ aanstelden, en de roem van de ‘Groot-Nederlandse cultuur’ verdedigden en wensten te verspreiden, zelfs onder nazi-bezetting, die ‘Groot-Nederland’ als een onverdedigbare en voorbijgestreefde utopie beschouwde. Laat ons niet vergeten dat er tussen Vlaanderen en Nederland teen een haast onoverschrijdbare ‘Chinese muur!’ bestond, een echte ‘muur van de schande’, en toch werd die muur overschreden, namelijk door uw dienaar, de zogezegde ‘ultra’ Marc. Eemans. Maar van waar die Perseïdenaam? Laat ons gerust opklimmen tot de 16de en de 17de eeuw, toen de kloof tussen Noord en Zuid in de Nederlanden ontstaan is. Toen is er een wellicht eveneens geheim genootschap gesticht, dat naar rederijkersgewoonten een naam meekreeg ontleend aan de klassieke Oudheid, en de keuze viel op de held Perseus die Andromeda gered heeft. In rederijkerstaal was de arme, gekluisterde Andromeda het symbool van de verscheurde Nederlanden… Een van de topfiguren van dit geheim genootschap moet Petrus-Paulus Rubens geweest zijn, de hofschilder der aartshertogen Albert en Isabella, doch tevens een halfbroer van een prinses van Nassau, geboren uit overspel van de vader van Rubens met prinses Anna van Saksen, echtgenote van Willem de Zwijger.

Hier komt nu de spilfiguur van Dr Juliane Gabriëls op de voorgrond van de moderne ‘Perseiden’. Vriendin Juliane, een thans helaas haast vergeten topfiguur uit het Vlaamse cultureel leven in de eerste helft van onze eeuw, werd te Gent geboren in een francofone orangistische familie . Ze studeerde geneeskunde aan de Vrije Universiteit Brussel en werd de eerste vrouwelijke neuroloog dezer instelling, dit circa 1910, zo ik me niet vergis. Gedurende de Eerste Wereldoorlog werd ze docent aan de toen vervlaamste Universiteit van Gent, en werd ze in 1918, als zoveel andere ‘aktivisten’, vervolgd door het Belgische gerecht.

In de diaspora der vervolgde flaminganten belandde ze te Berlijn, waar ze o.m. bevriend werd met de eveneens uitgeweken jonge dichter Paul van Ostaijen en, zo men haar mag geloven, ontmoette ze hem geregeld in de lift van een groot Berlijns hotel, die hij bediende in een rood uniformpje in de trant van ‘le chasseur de chez ‘Maxim”…

Te Berlijn trad Juliane Gabriëls in de echt met de Duitse kunsthistoricus Dr Martin Konrad, de medewerker, onder de leiding van Dr Paul Clemens, van het verzamelwerk ‘Belgische Kunstdenkmäler. (Verlag F. Bruckmann A.G., München, 1923). Het werd voor Juliane Gabriels het begin van haar tweede roeping. Ze promoveerde toen te Berlijn tot doctor in de kunstgeschiedenis met een studie over ‘Artus Quellien, de Oude, Kunstryck Belthouwer’ (Uitg. ‘De Sikkel’, Antwerpen, 1930), met de beroemde Duitse kunsthistoricus A.E. Brinckmann als promotor.

Juliane Gabriëls vertoefde echter niet lang te Berlijn en ging zich te Blaricum, aan de Zuiderzee vestigen, waar ze de geboorte van het Vlaamse expressionisme meemaakte, met haar vrienden Gust en Gusta de Smet, Fritz van den Berghe, Jozef Canrre en het koppel Lucien Brulez-Mavromati, zonder de dichter Rene De Clercq te vergeten. Een herinnering aan dit ballingschapsoord is het ‘Portret van mevrouw G.’, geschilderd door Fritz van den Berghe.

Terug in het vaderland, vestigde Juliane Gabriëls zich te Antwerpen, in de Osijstraat, waar ze een dokterscabinet opende en een salon hield waar talloze Vlaamse en Noord-Nederlandse prominenten graag geziene gasten werden.

In dit salon is een haard van Vlaams culturele  initiatieven ontstaan. Laat ons hier slechts vermelden: ‘Geschiedenis van de Vlaamsche kunst’ onder leiding van Prof. Dr Ir Stan Leurs (uitgeverij De Sikkel, Antwerpen, z.d.); stichting van de ‘Vlaamse Toeristenbond’, onder voorzitterschap van dezelfde Prof. Dr Ir Stan Leurs; stichting van een Vlaamse Akademie van de zeevaart; stichting van het ‘Busleyden-instituut’, onder voorzitterschap van de Noord-Nederlandse Prof. Dr G.J. Hoogewerff, voor de studie van de Groot –Nederlandse kunstgeschiedenis, enz.

Ik heb Juliane Gabriëls slechts twee dagen voor de inval van de Duitse legers in Belgie leren kennen. Bij een luchtaanval op Antwerpen, in mei 1940, werd haar huis in de Osijstraat door een bom getroffen en is ze een onderkomen te Brussel komen zoeken, hetgeen de aanleiding werd voor een meer uitgebreide kennismaking en de ontdekking van dezelfde interesse voor de Groot-Nederlandse idealen zowel op het gebied van de kunst als op dat van de Dietse belangen, zowel cultureel als politiek.

Groot was onze hoop toen we vernamen dat het gebied waarover de Duitse ‘Militärverwaltung’ zich uitstrekte tot aan de Somme reikte, dit is tot aan de zuidelijke grens van de aloude XVII Provincies; doch even groot werd onze teleurstelling toen we moesten vaststellen dat Noord-Nederland onder een ‘Zivilverwaltung’ viel en van Zuid-Nederland door een echte Chinese muur gescheiden werd. Onze sympathie voor de ‘Mythos van de XXe eeuw’ ten spijt, bracht dit ons, Juliane Gabriëls en mezelf, en onze gelijkgeoriënteerde vrienden, tot een eerder terughoudende gezindheid tegenover de bezetter. Dit belette echter niet, voor de meeste onder ons, een kollaboratie met voorbehoud.

Ikzelf, werkloos geworden door de oorlogsomstandigheden, ben aldus om den brode een vrije medewerker geworden aan allerlei zowel franstalige als nederlandstalige bladen en tijdschriften behorende tot de verscheidene strekkingen van de kollaboratie, dit echter op uitsluitend cultureel vlak, want politiek was me uit den boze… De Realpolitik van de bezetter was eerder dubbelzinnig en onaanvaardbaar wat ons Diets ideaal betrof. Ik heb trouwens eens gezegd aan Dr Jef van de Wiele, de leider van de Devlag en auteur van het boek ‘Op zoek naar een vaderland’, dat hij niet een lands-, maar een volksverrader was…

Zonder aan ‘weerstand’ te denken, hebben Juliane Gabriëls en onze Dietsgezinde vriende aan ‘weerstand’ gedaan onder het motto ‘onverfranst, onverduitst’. Maar hoe? Op allerlei wijzen, middels contacten met nietnazi-gezinde Duitse vrienden waaronder, o .m. de Brusselse leden van de Propaganda-Abteilung. Vandaar de milde houding van deze heren wat betreft de toepassing in Vlaanderen van de ‘entartete Kunstpolitik’ .

Ons Groot-Nederlands ideaal was anderzijds, hoe paradoksaal het ook moge klinken, gediend door een door ‘Ahnenerbe’, het wetenschappelijk organisme van de SS, gestichte uitgeverij geheten ‘De Burcht’. De zetel van deze uitgeverij werd aldus het ontmoetingscentrum van de ‘Perseïden’ en de haard van talrijke Groot-Nederlandse uitgaven, o.m. het maandblad ‘Hamer’ en het tijdschrift ‘Groot-Nederland’, waar zowel Noord-Nederlandse als Zuid-Nederlandse schrijvers regelmatig aan meegewerkt hebben.

Er waren verder nog andere mogelijkheden door andere uitgeverijen geboden. Zo is het dat bij De Sikkel een boek van Juliane Gabriëls en Adriaan Mertens in 1941 verschenen is, gewijd aan ‘De constanten in de Vlaamse kunst’, en van mezelf, bij de uitgever Juliaan Bernaerts (hij was eveneens de directeur van ‘De Burcht’) een kleine monografie over ‘De Vroeg-Nederlandse schilderkunst’ (Kleine Beer-reeks nr. 10 van de uitgeverij ‘De Phalanx’). Onze thans té vergeten vriend Urbain Van de Voorde publiceerde anderzijds bij een uitgeverij van het VNV een uitstekend overzicht van de schilderkunst der Nederlanden, dat vooral de nadruk legde op de eenheid van de zogeziene of zogenaamde ‘Vlaamse’ en ‘Hollandse’ schilderkunst, niettegenstaande de politieke verscheurdheid van ons gemeenschappelijk vaderland. Van dit boek bestaat een tot hiertoe onuitgegeven Franse vertaling. Anderzijds heb ik toen een uitvoerig, nog steeds onuitgegeven, essay in het Frans gewijd aan de Nederlandse poëzie (Noord en Zuid), vanaf de Middeleeuwen tot het midden van onze eeuw. Het draagt voor de ‘Perseïden’ de veel betekenende poëtische titel ‘Andromède révélée’.

Van een Duitse kunsthistoricus, de in Amsterdam vertoevende Friedrich-Markus Huebner, vertaalde ik verder een boek gewijd aan Jeroen Bosch dat na de oorlog, dank zij mij, nog een Franse vertaling kende onder de titel ‘Le mystere Jerome Bosch’ (uitgeverij Meddens, Brussel). Laat me er nog aan toevoegen dat ik eveneens de auteur ben (onder een deknaam!) van een boek gewijd aan ‘De Vlaamse Krijgsbouwkunde’ (Frans Vlaanderen inbegrepen), gedeeltelijk geschreven gedurende de Duitse bezetting (Drukkerij-Uitgeverij Lannoo, Tielt, 1950).

Met de bedoeling de nadruk te leggen op de voorrang van de Nederlandse op de Italiaanse kunst, gaf Juliane Gabriëls een lezing in het ‘Italiaans Instituut’ van de Livornostraat te Brussel, waarin ze betoogde dat de Renaissance niet in ltalië, doch in de Nederlanden was ontstaan met een Claus Sluter en een Jan van Eyck als boegbeelden. Na de lezing had een kleine ontvangst in de ‘dopo lavoro’ van het Instituut plaats. Bij het drinken van een uitstekende ‘chianti’ (toen een rariteit), werd een woordje gezegd ter ere van de Duce en van de leider Staf De Clercq, waarop een toevallig aanwezige Duitse SS-man, Unterscharführer Heinz Wilke, eveneens een woordje ter ere van zijn Führer wenste te zeggen. Het woord werd hem echter geweigerd omdat het voor ons uitsluitend ging om een Italiaans-Vlaamse verbroederingsavond. Heinz Wilke liep woedend weg en diende tegen ons een klacht in bij de S.D. met diplomatieke verwikkelingen tussen Brussel, Berlijn en Rome. Gelukkig genoeg voor ons, kwam de topfiguur van de SS in Belgie ons ter hulp en bleef de klacht bij de S.D. ten slotte zonder gevolg, zoniet waren Juliane Gabriëls en haar vrienden in een Duits concentratiekamp beland… Achteraf, na de val van de Duce, bleek de directeur van het ‘Italiaans Instituut’ te Brussel een Italiaanse verzetsman te zijn…

Een ander, eerder onschuldig exploot van de ‘Perseïden’ ten gunste van de Nederlandse kunstgeschiedenis, was de officiële ontvangst door het ‘Busleydeninstituut’, op het Mechelse stadhuis, van Prof. Dr Hans Gerard Evers ter gelegenheid van het verschijnen van zijn boek gewijd aan Peter Paul Rubens (Verlag F. Bruckmann, München, 1942). Het werd een heuglijke gebeurtenis met een ‘congratulatio’ van Juliane Gabriels, een dankwoord van Prof. Evers en de overhandiging van een erediploma aan de Duitse kunstgeleerde, dit in aanwezigheid van leden van het ‘Deutsches Institut’ te Brussel, waaronder weinig of geen Nazi-Iui, doch mooie jonge vrouwen, want vrouwelijk schoon heeft steeds de ‘Perseïden’ gesierd…

Een ‘Perseïde’ van over de ‘schreve’ was de Frans-Vlaamse priester Gantois, een persoonlijke vriend van de niet-katholieke Juliane Gabriëls, die reeds in het begin van de bezetting onder een deknaam een studie gewijd had aan het toen aktuele onderwerp ‘tot waar strekken zich de Nederlanden in Frankrijk uit?’ Natuurlijk tot aan de Somme! Ik licht hierbij dan uit mijn bibliotheek een vijfdelig boek uit de 18e eeuw (met een ‘imprimatur’ van 24 juni 1768) dat heet ‘Les delices des Pays-Bas ou description geographique et historique des XVII. Provinces Belgiques’, met een ‘Descriptio particuliere du Duche de Brabant et du Brabant Wallon’ .

In het Nederlands luidt dit boek (op de titelplaat) ‘Het Schouwburg der Nederlanden’, want de drukker-uitgever ervan was de Antwerpenaar C.M. Spanooghe, ‘Imprimeur-Ubraire’, gevestigd ‘sur la place de la Sucrerie’ (sic!). Een merkwaardige toeristische gids avant la lettre, waarvan de ‘Denombrement’ of inhoudstafel niet enkel de XVII provincies omvat, waaronder het hertogdom Luxemburg, het graafschap Artesie, het graafschap Henegouwen, enz., doch eveneens o.m. Waals Brabant, Frans-Vlaanderen, het Kamerijkse, ja zelfs het Prinsbisdom Luik en het Akense, dus een gedeelte van het huidige Duitslandl Aldus een echt kluitje voor de kultuteie expansiegeest van de ‘Perseïden’ die anderzijds niet terugdeinsden voor een kijk op de bestendige culturele invloed van de Nederlanden tot ver in Oost-Duitsland, o.m. Dantzig en Königsberg, ja ook in Zuid-Duitsland , tot in Tyrool (Innsbrück) en ook Frankrijk en Italië.

Een mooi geschenk in die zin was een in 1937 verschenen ‘Deutsch-Niederländische Symphonie’ onder leiding van Dr R. Oszwald en met een speciale hulde aan Prof. Raf Verhulst. Op het kaft prijkt een mooie foto van het Lierse stadhuis! Hier waren eveneens ‘Perseïden’, bewust of onbewust, aan het werk geweest. Ik denk o.m. aan de gewezen echtgenoot van Juliane Gabriels, Dr Martin Konrad en ons beider persoonlijke Nederduitse vriend Franz Fromme, of eerder Franske, de olijke anti-nazi, die het vertikte gedurende de bezetting een uniform te dragen en die aan zijn hiërarchische chef ooit de vraag stelde: ‘een uniform dragen? Wilt u dan dat ik zelfmoord pleeg?’ Deze kleine anekdote moge een, tenminste voorlopig eindpunt stellen aan rnijn beknopt relaas van wat het bewust of onbewust Diets cultureel ‘verzet’ geweest is van de kleine vriendengroep der ‘geheime Perseïden’ … Maar er bestond eveneens een politiek ‘Diets Verzet’!

POSTSCRIPTUM

Bij het redigeren van het hiervoor afgedrukt ‘Geheim der Perseïden’ zijn allerlei bedenkingen en bijkomende vaststellingen en wellicht niet altijd noodzakelijke toevoegingen aan mijn betoog komen opdoemen. En in de eerste plaats dan bedenkingen en vaststellingen bij het oorlogsgeweld dat niet voor elkeen geweld betekende. Inderdaad, zo dit geweld onvervangbaar cultuurgoed vernietigde, bracht het eveneens een cultuur opbloei mee, ten minste in onze Westerse landen. Gedurende de laatste wereldoorlog zijn in Vlaanderen uitgeverijen en vooral boekhandels als paddestoelen na de regen in groot ge tal uit de grond gerezen. Men verkocht soms zelfs mooie vergulde boekbanden aan de lopende meter… En het muziek- en toneelleven dan: talloze concerten, oprichting van nieuwe muziekensembles zoals een Vlaams filharmonisch orkest te Brussel en, eveneens te Brussel, de hernieuwing van de Alhambraschouwburg als operahuis. Ik herinner me, enkele dagen voor de ‘bevrijding van Brussel’, in augustus 1944, een opvoering van ‘De Vliegende Hollander’ . Begin september was er een Amerikaanse musicalshow met mooie, halfnaakte girls in ruil gekomen…
Amerikaanse cultuur?

Maar het oorlogsgebeuren brengt eveneens allerlei ontsporingen mee, vooral bij extraverte en ambitieuze naturen, zoals bv. een atheneumleraar die zich plots ontpopte als een toekomstig gouwleider of een dichter die zich reeds een Vlaamse Goebbels waande. Ja zelfs een naïeve Cyriel Verschaeve die het slagwoord van Rene De Clercq omvormde tot een potsierlijk ‘Wij zijn Duitsers, geen Latijnen’, in de waan dat het Nazi-Duitsland de mythe van het Heilig Roomse Rijk der Duitse Natie had doen herrijzen met een Hitler als de door de profetieën aangekondigde ‘derde Frederik’…

Aan de andere zijde, de zijde van ‘de goede Belgen’, zien we hoe de hoofdconservator van een onzer grote musea zijn museum, in mei 1940, in de steek liet om naar Engeland te vluchten om dan in 1944 naar het ‘bevrijde vaderland’ terug te keren als kapitein van het Belgische leger; een eenvoudige Gentse schoolmeester ontpopte zich tot kapitein van de ‘weerstand’, om achteraf diktator van de moderne kunst in Belgie te worden, terwijl een misdadiger van gemeenrecht als grote ‘weerstander’ uit Dachau terugkeerde, twintig kilo verzwaard, en in 1945 kabinetschef van een socialistische minister werd, om achteraf een hoge functie in een ministerie te bekleden… Er dient echter gezegd dat dezelfde man, in september 1940, een ‘Jeunesse Socialiste Nationale’ (hoe vertaalt men dit in het Nederlands?) had willen opdrichten.

Een andere goede socialist en volgeling van Hendrik De Man, en toekomstige hoge functionaris van de Spaarkas, had op datzelfde ogenblik een milde ‘Socialiste Nationale’ willen stichten… Gelukkig voor hen werd het hen door de Duitse bezetter niet toegelaten!

***

Doch laat ons tot ‘Het geheim der Perseïden’ terugkomen, om dan te herinneren aan een prent van Harrewijn uit Rubens’ tijd die ons de tuingevel van het Rubenshuis aan de Wapper toont waarop duidelijk, als een uithangbord, een voorstelling van Andromeda’s verlossing door Perseus te ontwaren is. Voor Dr Juliane Gabriëls was het een duidelijke bevestiging dat Rubens wel degelijk een lid van het geheim genootschap der ‘Perseïden’ geweest was…

Een andere stelling van Juliane Gabriëls was dat Rubens niet te Siegen geboren werd, zoals thans algemeen wordt beweerd, doch wel te Antwerpen.

Tot in het midden van verleden eeuw werd nog, historisch getrouw, aangenomen dat het te Keulen en niet te Siegen was. Ik bezit het programmaboekje van de feestelijkheden die te Antwerpen plaatsvonden van 15 tot 25 augustus 1840 ter gelegenheid van de inhuldiging van het standbeeld van P.P. Rubens op de Groenplaats aldaar. In een voorafgaande korte levensbeschrijving van de kunstenaar is deze nog steeds te Keulen geboren, en in 1840 of 1841, moet Victor Hugo nog zijn geboortehuis te Keulen bezocht hebben als toeristische bezienswaardigheid (cfr. ‘Le Rhin’, 1842).

In de ‘Aanteekeningen over den grooten meester en zijne bloedverwanten’, van de Antwerpse stadsarchivaris P. Genard, verschenen in 1877, vindt men trouwens op pagina 193 het volgende: ‘Omgeven van de zorgen eener teedere moeder en van duurbare verwanten, gaf Maria Pijpelinckx te Antwerpen, waarschijnlijk in het huis harer zuster Suzanna, het licht aan eenen zoon die den voorvaderlijken naam van’ Peeter ontving en later met fierheid den titel van geboren poorter van Antwerpen droeg.’ Het is hier niet de plaats om verder in te gaan op de echte geboorteplaats van Peter-Paulus Rubens: Siegen, Keulen of Antwerpen? Ik zal er echter aan toevoegen dat men op de Meir, te Antwerpen, een pand vindt dat, in het Latijn en met een borstbeeld van de kunstenaar, beweert zijn geboortehuis aldaar te zijn, alhoewel het slechts een huis uit de 18′ eeuw moet zijn. Hetgeen in bezettingstijd voor de ‘Perseïden’ vooral telde was dat Rubens wel te Antwerpen, in Brabant, geboren werd en niet te Siegen, in Duitsland… Dr Juliane Gabriëls, waarvan ik me als geestelijke erfgenaam beschouw (ik bezit van haar onuitgegeven geschriften, waaronder een uitgebreide stamboom van de familie Rubens), was een verwoede verdedigster van de geboorte te Antwerpen van de ‘zoon van de triomf’, zoals ze P.P. Rubens heette.

***

Alvorens dit reeds al te lang postscriptum te besluiten wil ik nog wijzen op een ander stokpaardje van Dr Juliane Gabriëls en haar vriendenkring, namelijk een te herwaarderen Vlaamse, thans totaal vergeten Jeanne d’ Arc. Zo ik me niet vergis, kent men niet eens meer haar naam en bekommeren de historici zich niet om haar bestaan. Ze was nochtans de ziel en de geestelijke aanvoerster van het Vlaamse heir dat onder het bevel stond van Filips van Artevelde en dat in 1382 te Westrozebeke vers lagen werd door Filips de Stoute en de Franse koning Charles VI.

Dit mochten de ‘Perseïden’ vernemen in ‘Het Schouwburg der Nederlanden’ dat het optekende in een ‘Histoire du Moine de St. Denis, auteur contemporain, mise en François par M. le Laboureur’ . We lezen  aldus: ‘les Flamands étaient conduits par une vieille Sorcière, qui les avait assurés de la victoire, pourvu qu’on lui donnât à porter la bannière de St. Georges. Il ajoute que cette femme fut tuee au commencement du combat. Il y aurait bien des reflexions à faire sur cette particularité, qui n’a pas êté assez remarquée par les Historiens modernes.’ Ik zou nog verder kunnen citeren, maar zal het hierbij houden. ‘Het Schouwburg der Nederlanden’ verscheen in 1786 en tot hiertoe heeft geen enkele ‘Historien moderne’ het achterhaald wie deze ‘Sorcière’ kon geweest zijn. Dr Juliane Gabriels, als goede Vlaamse feministe en logezuster, heeft haar vrienden ‘Perseïden’ trachten te overhalen dit op te sporen. Het is nog niet gebeurd en ik ben, helaas, geen historicus doch slechts een Groot-Nederlander, thans eveneens, alhoewel door de na-oorlogse surrealistjes verketterd, als de ‘laatste historische surrealist’ beschouwd…

Diogenes, nr. 1, mei 1992, p. 99-103.

lundi, 07 mars 2011

Marc. Eemans en de "gnostische" schilderkunst

Henri-Floris JESPERS

Marc. Eemans en de "gnostische" schilderkunst

Ex: http://marceemans.wordpress.com/ & http://mededelingen.over-blog.com/


Le but ultime (1928)


Kort na zijn ontslag uit het Klein Kasteeltje eind 1949 publiceerde Marc. Eemans onder pseudoniem De Vlaamse krijgsbouwkunde, een boek dat hij gedeeltelijk tijdens de bezetting geschreven had. Hij gaat opnieuw aan de slag in het uitgeversvak, nl. bij uitgeverij Meddens waar hij in contact komt met Jef L. de Belder (1912-1981) die in 1949 ontslagen was uit het interneringskamp van Merksplas. De Belder was redactiesecretaris van het door Meddens uitgegeven pasgeboren maandblad De Periscoop (1950-1980), een betrekking die hij aan hoofdredacteur René F. Lissens te danken had. Jef De Belder en zijn vrouw Line Lambert (1907-2005) runden de Colibrant-uitgaven te Lier, waar Eemans' Het boek van Bloemardinne in 1954 verscheen, twee jaar later gevolgd door Hymnode.

Jan Hugo Verhaert trad in 1956 bij Meddens in dienst als verantwoordelijke voor het tijdschrift World Theatre / Théâtre dans le Monde, een blad gesubsidieerd door de Unesco. Hij werd ook ingezet om de lay-out van De Periscoop te verzorgen, “het troetelkind” van directeur Theo Meddens (1901-1966). Op verzoek van prof. Lissens werd het hoofdredacteurschap in 1955 aan de De Belder overgedragen.

In 1956 nam hij jammer genoeg ontslag en bleven alleen nog Marc. Eemans, toen lector bij Meddens, en ikzelf over. Ik verzorgde de vormgeving. Eemans moest intussen alleen alles beredderen, wat hij graag deed, daar hij (die pottenkijkers schuwde als de pest) nu de vrije hand had. De nieuwe hoofdredacteur, dr. Frans van den Bremt, had van literatuur en hedendaagse kunst weinig kaas gegeten. Hij was musicoloog, zijn grootste hobby was fotografie en hij liet Eemans graag betijen.


In De Periscoop publiceerde Eemans een aantal lezenswaardige gelegenheidsbijdragen, onder meer over Henri de Braekeleer, William Degouve de Nuncques, Fritz van den Berghe, Max Ernst en E. L. T. Mesens. Zijn eerste bijdrage, 'Bij Paul van Ostaijen in de leer' (1 november 1956), verscheen in de periode dat de dichter van het Eerste boek van Schmoll dank zij de vierdelige publicatie van zijn Verzameld werk onder redactie van Gerrit Borgers volop in de belangstelling stond. Met die bijdrage eist Eemans opnieuw avant-gardistisch verleden op en situeert zichzelf – m.i. geheel onterecht – in de Ostaijense traditie. Twee jaar tevoren had hij het moeten slikken dat zijn vriend Mesens hem het predicaat 'surrealist' ontzegd had. In 'Les apprentis magiciens au pays de la pléthore' verweet Mesens hem met zoveel woorden enige “verwardheid” (ook op politiek vlak...), wat hem gebracht heeft tot een “culte mystico-panthéiste dont l'expression est symboliste et ne peut rien avoir de commun avec la réduction des antonomies que le surréalisme s'est toujours proposé”.

Dat stond echter hun vriendschap niet in de weg.

*

Na zijn vrijlating was Eemans ook als schilder opnieuw aan de slag gegaan – La vie méhaignée (le chant d'amour) dateert van 1950. In 1957 exposeerde hij een dertigtal werken in galerie Le Soleil dans la Tête te Parijs. De bescheiden catalogus werd ingeleid door een oude relatie van de schilder, Claude Elsen, pseudoniem van Gaston Derycke (1910-1975), die voor de oorlog aan Hermès meewerkte.

Gaston Derycke had in de jaren dertig enkele plaquettes gepubliceerd. Hij was redacteur bij het Amerikaanse persagentschap United Press, redactiesecretaris van het weekblad Cassandre, opgericht door Paul Colin, en had naam en faam verworven met zijn filmkritieken in Le Rouge et le Noir en in Les Beaux-Arts. Hij werkte ook mee aan de roemruchte Cahiers du Sud (1925-1966).

In 1937 schreef hij nog met zoveel woorden de haat te delen tegen het fascisme dat de cultuur en de intelligentie bedreigt, maar bij het begin van de bezetting werd hij toch maar hoofdredacteur van Cassandre en publiceerde hij kritieken in Le Nouveau Journal. In 1944 verscheen Destin du Cinéma, meer dan een tijdsdocument. Ondertussen had hij zich ook ontpopt als misdaadauteur met Je n'ai pas tué Barney (1940) en Quatre crimes parfaits (1941), verschenen in de populaire, door Stanislas-André Steeman gedirigeerde reeks 'Le Jury'. Relevanter zijn de kritische bijdragen waarin hij theoretische bespiegelingen verwoordt over het genre zelf en scherpzinnig de redenen analyseert waarom het als minderwaardig wordt geacht, een stelling die hij terecht betwist.

Bij de bevrijding kreeg Derycke het zwaar te verduren. Hij vlucht naar Frankrijk waar hij deel gaat uitmaken van het actieve netwerk van Belgische schrijvers die in min of meerdere mate gecompromitteerd waren door de collaboratie. Als Claude Elsen zet hij zijn literaire carrière in Parijs voort. Hij schrijft een paar jaar opgemerkte filmkritieken in het extreem-rechtse tijdschrift Écrits de Paris, opgericht in 1947 door René Malliavin die in januari 1951 Rivarol zou lanceren, 'hebdomadaire de l'opposition nationale' dat tot op heden verschijnt. Zijn belangstelling voor misdaadliteratuur blijft onverminderd. Wanneer Jean Paulhan hem uitnodigt mee te werken aan de herrezen NRF (anno 1953, nu als Nouvelle Nouvelle Revue Francaise) publiceert hij een bijdrage waarin hij de Amerikaanse 'roman noir' als antidotum stelt voor de dreigende sclerose van de klassieke politieroman.

Met de publicatie in 1953 van Homo eroticus: esquisse d'une psychologie de l'érotisme in de prestigieuze reeks 'Les Essais' van Gallimard (uitgever van de NNRF) verwerft de expat die tot dan slechts toegang had tot uiterst rechts gemarkeerde publicaties, een (bescheiden maar voor velen benijdenswaardige) plaats binnen de Franse literaire institutie. Hij zou echter vooral als vertaler van o.m. Norman Mailer, Angus Wilson, Kingsley Amis en anti-psychiater Ronald Laing waardering (en ook soms wel terechte kritiek) oogsten. Tot slot, in J'ai choisi les animaux komt een vroege maar niet minder radicale verdediger van de dierenrechten resoluut aan het woord.

*

Het is typisch voor Eemans' demarche dat hij bij zijn tentoonstelling in galerie Le Soleil dans la Tête, een manifestatie die hij ongetwijfeld als een vorm van rehabilitatie zag, een tekst vroeg aan uitgerekend een eveneens door de collaboratie zwaar gebrandmerkte relatie.

Claude Elsen onderstreept dat schilderkunst voor Eemans niets anders is dan :


Démarche spirituelle, conquête de l'invisible, elle annexe ce monde invisible à l'univers visible de l'art pictural, nous faisant voir ces choses dont saint Jean de la Croix dit qu'elles existent sans que nous les voyions, au contraire de celles que nous voyons et qui n'existent pas.

Cette peinture ne se réclame d'aucune mode, ne va dans le sens d'aucun courant actuel. Si l'on peut voir en elle, dans une certaine mesure, un prolongement du surréalisme, elle se rattache davantage à une Tradition plus secrète et plus profonde – à cette Tradition hermétique dont récemment encore André Breton lui-même déplorait que l'art moderne ignorât le message.

 

Claude Elsen zinspeelt hier op het pas verschenen L'art magique van Breton, die op ambigue wijze gefascineerd was door die “Tradition plus secrète et plus profonde”, die “Tradition hermétique” die hier nog ruim aan bod zal komen.

Eemans had nu blijkbaar een bruggenhoofd in Parijs. In de lente van 1959 publiceerde Le Soleil dans la Tête een voornaam uitgegeven monografie van Serge Hutin (1929-1997) en Friedrich-Markus Huebner (1886-1964), Ars magna. Marc. Eemans, peintre et poète gnostique.

Serge Hutin, doctor in de letteren verbonden aan het CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), publiceerde in 1955 een Histoire des Rose-Croix. Hij had enkele deeltjes op zijn naam staan in de bekende reeks 'Que sais-je?' uitgegeven door de Presses Universitaires de France: L'alchimie, Les sociétés secrètes, La philosophie anglaise et américaine en Les gnostiques. Zijn belangrijkste publicaties waren toen nog in de pijpleiding: Les disciples anglais de Jacob Böhme en Henry More. Essai sur les doctrines théosophiques chez les Platoniciens de Cambridge.

Hutin wijst erop dat alleen al de titels van Eemans' schilderijen uit de periode 1950-1959 onmiskenbaar verwijzen naar diens esoterische bedoelingen: La gnose de la parturience, Le serpent hyperboréen, L'étoile anagogique, L'ascension originelle, enz. Met zijn werk wil Eemans de toeschouwer verheffen tot wat hij “l'état de mystère” noemt, waardoor hij, de toeschouwer, niet louter passief blijft maar integendeel toegang krijgt tot “le monde invisible des symboles, des illuminations et des rites”. Het komt erop aan een on-middellijke, niet gemedieerde 'communicatie' tot stand te brengen door het prikkelen of '(op)wekken' van de trans-rationele intuïtie'. Wanneer de kunstenaar daar in slaagt, dan gaat het niet langer om fantastische kunst – dit is de projectie van wonderbaarlijke of schrikwekkende fantasma's, “enfantés par le sommeil de la raison dont parle Goya” – maar wel om een waarachtige revelatie. De schilder reveleert, ont-hult (een) waarheid

(άληθεία, wat niet verhuld is).

De telles œuvres sont belles, certes, mais leur caractère d' 'art' n'est, somme toute, que secondaire: elles sont, avant toute, l'expression symbolique des expériences intérieures de l'artiste – expériences qui ne sont elles-mêmes qu'une découverte 'occulte' et magique.

Volgens Hutin verschijnt de contemporaine surrealistische schilderkunst als de laïcisering van een in se esoterische schilderkunst:

Il ne s'agit plus d'extérioriser une doctrine secrète traditionnelle, mais de découvrir, indépendamment de toute contrainte (religieuse ou initiatique), l'intrication 'dialectique' de la réalité et de la surréalité – du domaine des apparences sensibles et de celui des déterminismes subtils qui conditionnent les premières.


Hij stelt vast dat Salvador Dalí zijn 'mystiek' bewust heeft geïntegreerd in de traditie van de katholieke symboliek en dat Ernst Fuchs (°1930) de “koninklijke weg” van het zestiende-eeuwse hermetisme teruggevonden heeft. Maar zelfs kunstenaars die, vrij van welke sacrale traditie ook, een eigen, persoonlijke weg volgen, wars van welke vorm van esoteriek ook, blijken spontaan de uitbeelding en de regels te herontdekken van bepaalde vormen van traditionele symboliek, zoals bijvoorbeeld Leonor Fini die in haar werk de taal der alchemie als vanzelf hanteert. Eemans, van zijn kant, leunt doelbewust aan bij een “ésotérisme de type traditionnel”:

il dessine et peint dans un but initiatique: surtout il ne s'agit point de 'faire de jolies choses', même pas de faire de l'art pur mais de fournir à la méditation des 'supports' concrets et symboliques tout à la fois, qui permetttront au spectateur de répéter en lui-même le processus d'illumination intuitive par laquelle l'artiste est parvenu à la connaissance supra-rationnele, à la gnose.


Impliciet suggereert Hutin hier dat Eemans aanknoopt bij of deelachtig is aan de traditie van het kunstwerk als sacrale, geladen afbeelding. Aan de Byzantijnse iconen werden en worden wonderdadige en andere wonderbaarlijke vermogens toegekend. Voor de Renaissance-mens hadden (bepaalde) schilderijen en beeldhouwwerken een religieus of zelfs thaumaturgisch of minstens bezwerend karakter, net zoals de antieke, polychrome Griekse beelden die het voorwerp waren van cultische zorgen. Peter Burke stipt in dat verband aan dat (bepaalde) Renaissance-schilderijen lijken te behoren tot een magisch stelsel buiten het kader van het christendom (zo was Botticelli's Primavera wellicht een talisman).

Volgens Hutin zijn Eemans' schilderijen tegelijk concrete et symbolische 'dragers' voor meditatie, net als bijvoorbeeld mandala's, die moeten leiden tot illuminatie, supra-rationele kennis, gnosis. Hij gaat uitvoerig op dit thema in:

Ce n'est pas, bien au contraire!, une peinture 'anecdotique', 'allégorique' ou 'littéraire': il ne s'agit pas de 'raconter une histoire', ni d' 'illustrer une doctrine', ni de transformer des idées en allégories concrètes. Bon gré mal gré, celui qui regarde de telles œuvres est obligé de participer à un acte magique: même s'il ne retrouve pas l'illumination gnostique à laquelle le peintre est parvenu, il sera plongé dans un état de 'rêverie' singulièrement propice aux hantises métaphysiques. […] Ce peintre-penseur a retrouvé l'un des principes de la meilleure initiation: il ne s'agit pas d' 'apprendre' didactiquement tel ou tel système, mais de réaliser en soi un état d'illumination – condition nécessaire à l'acquisition ultérieure d'une connaissance métaphysique véritable. Il ne faut pas vouloir à tout prix découvrir une 'signification' précise aux scènes 'symboliques' que nous montre le peintre: il s'agit, tout simplement, de les regarder de la manière la plus 'intuitive', la plus spontanée possible. Aristote caractérisait ainsi l'enseignement des mystères d'Éleusis: 'Ne pas apprendre, mais éprouver', et, dans l'observation des tableaux de Marc. Eemans, c'est un peu la même chose.


Het gaat immers om een 'supra-picturale' schilderkunst die zich niet richt naar het materialistische genot van de kleur om de kleur en van de vorm om de vorm, maar wel om een “véritable tentative gnostique pour réconquérir les visions métaphysiques et les mythes'. Drie invalshoeken bepalen het esoterische universum van de schilder, aldus Hutin: de Griekse mysteriën en godenwereld, bepaalde vormen van christelijke gnosis en alchemistische overleveringen, vermengd met reminiscenties aan de Edda's. De inbreng van het surrealisme bestaat, ten eerste, uit vernuftige metaforische uitwerkingen (“dans lesquelles Eemans excelle autant que son compatriote Magritte”) en, ten tweede, uit een metafysica van de erotiek (“qui rejoint d'ailleurs d'authentiques secrets occultes”).

Hutin heeft nu meer dan de helft van zijn diepgravend essay achter de rug en beseft dat zijn discours nu ook iets concreets moet bevatten op louter schilderkunstig vlak, hoe profaan dit ook moge wezen... Sommigen zullen inderdaad de vraag stellen of de kunstenaar zoveel duistere literatuur van doen heeft, waarbij ze geringschattend insinueren dat de schilderijen van Eemans al te literair zijn en, vooral, dat hij zondigt door gebrek aan zin voor plastiek. Het volstaat echter, zegt Hutin, hen te wijzen op de subtiliteiten van zijn coloriet en op zijn voorkeur voor het clair-obscur – “ce mystère incarné dans toute vraie peinture de l'âme”. Bovendien moet gewezen worden op Eemans' diepe kennis van de compositie:

Tout dans ses œuvres, est harmonie rythmiquement ordonnée, non point en raison d'une idée ou d'une allégorie préétablie, mais bien en fonction de formes – peut-être toujours chargées de sens – qui sont là avant tout pour se répondre sur le plan des nécessités plastiques inhérentes à toute peinture digne de ce nom.

Volgens Hutin komt Eemans' kunst van de compositie rechtstreeks voort uit de surrealistische technieken van het 'papier collé' en van de foto-montage. Tot slot wijst hij op

une permanente fusion entre des images oniriques et celles qui relèvent du sentiment de l'infini, aussi bien dans le temps que dans l'espace, avec les analogies telluriques, lunaires et solaires, ou encore avec tous les reflets de dépaysement par rapport au moi discursivement tangible, dépaysement qui conduit à se sentir soit immensément grand, soit infiniment petit, ou bien encore à se voir emporté, tel une comète, à travers le monde sidéral.


De behandeling van het literaire werk van Eemans door Hutin en Huebner zal te zijner tijd aan bod komen. Wel dient hier al aangestipt dat Hutin de publicatie bij Le Soleil dans la Tête aankondigt van Eemans' Gnose de chair et de Silence. Daar kwam niets van in huis, en Eemans zou ook geen tweede keer exposeren bij de Parijse galerie. Het zou mij niet verwonderen dat hij zichzelf eens te meer in de weg heeft gestaan.

Henri-Floris JESPERS