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dimanche, 03 mai 2009

Le Japon et les Centraux pendant la première guerre mondiale

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

Le Japon et les Centraux pendant la première guerre mondiale

Josef KREINER (Hrsg.), Japan und die Mittelmächte im Ersten Welt­krieg und in den zwanziger Jahren, Bouvier Ver­lag/Herbert Grund­­mann, Bonn, 1986, 253 S.

 

Dans cet ouvrage collectif, on lira surtout avec profit les conclusions de Rolf-Harald Wippich sur l'histoire des relations germano-japonaises avant la première guerre mondiale. Les rapports entre l'Allemagne et le Japon sont alors essen­tiel­lement déterminés par le facteur russe. Japonais et Allemands voulaient mé­nager la Russie qui se rapprochait de la France. En 1898, Ito Hirobumi déclare: «Le Japon doit tenter de s'entendre avec St. Petersbourg et de partager la gran­de sphère d'intérêts de l'Orient avec sa puissante voi­sine. L'Allemagne pourrait jouer un rôle important en tant que troisième partenaire». Le Japon n'octroyait à Berlin qu'un rôle sub­alterne. Et, en Allemagne, per­sonne n'avait un projet cohérent de politique ex­trême-orientale. Le Japon n'était pas considéré comme un facteur en soi dans les calculs allemands, mais comme une variable de la politique chinoise. Les Ja­ponais jouissaient d'une certaine bienveillance: la va­riable qu'ils constituaient agissait vaguement dans le sens des projets allemands, surtout quand ils avaient maille à partir avec la Russie, ce qui allégeait la pres­sion slave aux frontières orientales du Reich.

Le dés­intérêt pour le Japon en Allemagne vient d'un préjugé: le Japon s'est borné à imiter servilement le système prussien en amorçant l'ère Meiji. De surcroît, les Al­lemands souhaitent que les Russes jettent tout leur dé­volu en Extrême-Orient et s'emparent de la Mand­chourie et de la Corée. L'Empereur Guillaume, te­naillé par son obsession du «péril jaune», veut que la région soit sous domination «blanche», russe en l'oc­currence. De cette façon, les Russes ne seront pas disponibles pour un projet panslave de balkanisation de l'Europe centrale au détriment de l'Autriche et au bénéfice direct de la France. Le Japon, même s'il a agi dans un sens favorable à l'Allemagne en Chine et s'il a montré à la Russie que le véritable danger était à l'Est et non en Europe Centrale, reste un facteur qui peut troubler les relations germano-russes. Ce souci de conserver de bons rapports avec la Russie conduit les Allemands à négliger les approches du cabinet germanophile de Yamagata/Aoki (1898-1900) et à ne pas conclure un pacte tripartite dans le Pacifique avec l'Angleterre et le Japon. En 1902, Anglais et Japonais signent un traité d'alliance sans l'Allemagne, qui n'est plus que spectatrice dans le Pacifique Nord. Occupant la forteresse de Kiao Tchéou, avec un  hinterland  chi­nois, l'Allemagne pouvait jouer un rôle d'arbitrage dans le conflit russo-japonais, tant que celui-ci restait latent. Après les événements de 1905 et la défaite de la Russie, la Japon est maître du jeu en Extrême-Orient; l'Empire des Tsars se tourne vers l'Europe et la stra­tégie du «para-tonnerre japonais» ne joue plus en fa­veur du Reich. Conclusion: l'Allemagne, maîtresse de la Micronésie, restait la dernière puissance euro­péenne à éliminer dans la sphè­re d'influence directe du Japon. Ce sera le résultat de la première guerre mondiale dans la région.

 

Dans ce même volume, signalons également l'étude de Félix Moos (en langue anglaise) sur la Micronésie. Longtemps espagnol, l'immense archipel passe aux Allemands pour la somme de 4.500.000 dollars en 1899. Le Japon en prendra possession après Ver­sailles. Pour le géopoliti­cien Haushofer, ce transfert dans les mains japonaises est normal et naturel, puisque le Ja­pon est une puissance non étrangère à l'espace Pacifique (Robert Steuckers).

samedi, 02 mai 2009

La face cachée du développement durable

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La face cachée du développement durable

 

Ex: http://unitepopulaire.com/ (article exclusif)

 

Dans un monde qui ne cesse d’exploiter des ressources non renouvelables tout en détériorant l’environnement, il est légitime de s’interroger quant aux solutions à apporter à cette crise sans précédent. En ce moment, les politiques parlent beaucoup du développement durable comme incarnant la meilleure voie à suivre. Mais que penser de ce développement durable ? Quel est son lien réel avec l’écologie ? Le présent article s’inspire de l’ouvrage Demain la Décroissance du philosophe et intellectuel français Alain de Benoist. Celui-ci s’est longuement penché sur l’étude du système économique actuel et de l’idéologie mondialiste qui le sous-tend.

 

Le développement durable et l’écologie

Tout d'abord, définissons ce qu'est l'écologie et le développement durable et faisons la distinction entre ces deux termes. Le développement durable, pour commencer, découle de la théorie classique de la croissance. Celle-ci s’est construite sur l’idée de dématérialisation des ressources naturelles. Ces ressources seraient, en fait, substituables à un certain capital financier. En d’autres termes, un apport financier suffirait à compenser la dégradation de l’environnement. Le problème est évidement lié au fait que le patrimoine naturel n’est pas entièrement substituable au capital. Il n’est, de plus, absolument pas substituable lorsqu’il s’agit de ressources non renouvelables. On voit donc dans cette théorie une sorte de financiarisation d’un environnement qui n’est pourtant pas monétisable.

Cette marchandisation de l’environnement est comparable à la marchandisation des salaires aux premières heures de la mondialisation. En effet, autrefois, pour le patron, la dépense salariale comprenait une certaine dimension humaniste qui interdisait qu’on la manipule au même titre qu’on le ferait avec les dépenses matérielles de l'entreprise. Or – et c'est la thèse du démographe français Emmanuel Todd – la dépense salariale est aujourd’hui considérée comme une dépense comme les autres qu'il faut réduire au maximum. Cette logique s’est concrétisée par la libéralisation mondiale des marchés de la production, notamment par le phénomène délocalisation qui obéit toujours à la loi du moindre coût – et donc du salaire le plus bas.

Un autre exemple qui illustre cette théorie est le marché de la pollution. Ce marché a la caractéristique de permettre la pleine substituabilité du capital à la pollution. Une industrie polluante ne considérera pas ces rejets nocifs comme un mal devant être réparé par souci de conscience environnementale mais plutôt comme de simples "externalités négatives" devant être intégrées dans les comptes alloués aux pollutions potentielles. Il est à noter que ce fonctionnement est financièrement plus intéressant que la remise en cause du système de production…

L’écologie, quant à elle, est définie comme l’étude des milieux et des conditions d'existence des êtres vivants et des rapports qui s'établissent entre eux et leur environnement. Cette définition amène à penser l’écologie comme une science soucieuse des dégradations environnementales. L’écologie, contrairement au développement durable, est donc prête à remettre en cause n’importe quel système économique qui irait à l’encontre du bien-être de l’écosystème. Ce qui constitue ces deux doctrines est donc l’ordre des priorités, l’équilibre naturel et la préservation de l’environnement n’ayant pas la même importance primordiale pour les deux. Le développement durable n’est donc qu’une échappatoire non pas au système économique mais à la réforme nécessaire de ce système économique, celui-ci étant basé sur la croissance et la dette (la seconde engendrant la première). 


Modèle économique à remettre en cause

Comme il a été dit plus haut, le développement durable ne remet nullement en cause le dogme de la croissance infinie mais se contente d’intégrer la donnée écologique à un système économique qui demeure, lui, inchangé.

Le sociologue et philosophe français Edgar Morin évoque la nécessité d’une remise en cause des principes de la logique marchande. Il voit dans le développement durable un moyen de faire croire qu’il est possible de remédier à cette crise environnementale sans remettre en question l’imaginaire économique, le système de l’argent et l’expansion illimitée du capital financier. Cette logique se condamne elle-même à terme dans la mesure où elle continue de s'inscrire à l'intérieur d'un système de production et de consommation qui est la cause essentielle des dommages auxquels elle tente (ou prétend tenter) de remédier.

Alain de Benoist pointe du doigt le fait que tout le monde parle aujourd'hui d'écologie (le marketing industriel a même créé le concept de greenwashing qui consiste à faire vendre au moyen de pseudo-arguments écologiques), mais que depuis qu'on en parle, la situation ne s'est pas globalement améliorée, bien au contraire. Ce qui montre qu'en dépit des beaux discours et des proclamations de principe, la logique du profit reste prédominante.

Kurt Gödel, un mathématicien américain, a formulé un théorème qui démontre qu’un énoncé ne peut être ni vérifié ni réfuté dans le cadre de la théorie à laquelle il appartient. En d’autres termes, le seul moyen de résoudre les problèmes environnementaux est de sortir du système économique actuel, principal producteur de ces mêmes problèmes.



La croissance "tue" tout progrès environnemental

Un des meilleurs moyens de comprendre l’influence néfaste de la croissance sur l’écologie est l’effet rebond. Celui-ci permet de comprendre que lorsque des économies d’énergie ou des avancées environnementales sont effectuées, elles sont en fait annulées, voire aggravées, par l’incitation à consommer et l’augmentation des quantités produites qui en résultent. Par exemple, un véhicule de consommation modeste incitera son conducteur à parcourir plus de kilomètres puisqu’elle permet d’aller plus loin pour le même prix... Cette augmentation de l’utilisation du véhicule (incitation à consommer) aura comme effet d’annuler le gain obtenu par la réduction de la consommation en carburant du véhicule. Les économies d’énergie ont donc souvent comme effet d’augmenter les quantités produites et, par conséquent, le volume global de consommation.

Il est important de noter que ces effets pervers d’augmentation du volume des ventes induits par le développement durable sont, en fait, un effet voulu. Ils permettent, en effet, de stimuler la consommation et de maintenir une croissance exponentielle tout en "sauvant la face" vis-à-vis d’une opinion publique toujours plus sensible aux préoccupations écologiques.



Le développement durable et la disparition des productions locales

Le développement durable est souvent associé à une volonté humanitaire de contribuer au développement des pays pauvres. Seulement, la pauvreté du tiers-monde ne serait pas, selon Alain de Benoist, le résultat d’un développement insuffisant des ces pays mais plutôt leur insertion dans une économie de marché libérale prédatrice et inadaptée aux besoins réels desdits pays. Cette insertion, voulue par les pouvoirs occidentaux, plonge bon nombre de pays dans une logique de réduction effrénée des coûts de production. Logique qui amène ces pays non pas à développer leur production locale et à avancer vers l’auto-suffisance mais plutôt, au contraire, à importer des biens produits moins cher ailleurs.

Le développement durable aurait donc un effet pervers pour les pays pauvres qu’on pousserait à s’endetter pour rattraper leur "retard" de développement. Il serait légitime de se demander si cet endettement ne serait pas là que pour faire consommer ces pays qui, jusque là, n’étaient rentables pour l’Occident qu’à travers leurs matières premières. N’est-ce pas là un moyen d’affaiblir ces pays en les rendant plus dépendants des pays riches ?

Un autre problème engendré par la doctrine du développement durable est sa volonté d’imposer des lois restrictives à des pays jugés "non-écologiques". Ces lois, sous couvert de souci environnemental, peuvent servir à freiner la croissance de certains pays concurrents, notamment en matière d’énergie.


pour Unité Populaire, Jonathan Newton
  

 

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Portret C. S. Lewis (1898-1963)

Portret C.S. Lewis (1898-1963)

C.S. LEWIS

door Bart Jan Spruyt - http://bitterlemon.eu/

 

"Do not be scared by the word authority. Believing things on authority only means believing them because you have been told by someone you think trustworthy. Ninety-nine per cent of the things you believe are believed on authority. I believe there is such a place as New York. I have not seen it myself. I could not prove by abstract reasoning that there must be a place. I believe it because reliable people have told me so. The ordinary man believes in the Solar System, atoms, evolution, and the circulation of the blood on authoritybecause the scientists say so. (...) A man who jibbed at authority in other things as some people do in religion would have to be content to know nothing all his life."

Clive Staples Lewis werd op 29 november 1898 in Belfast geboren uit ouders die nominaal lid waren van de Anglicaanse Kerk. Zijn vader, waarmee Lewis een groot deel van zijn leven een problematische verhouding had, was advocaat en stamde uit een sociaal geëmancipeerd Engels arbeidersmilieu. Zijn moeder was van vaders kant afkomstig uit een Schots-Iers predikantengezin en van moeders kant stamde zij uit een oud Anglo-Normandisch geslacht dat zich onder Hendrik II in Ierland gevestigd had. Op dat laatste was Lewis als jongeman erg trots.

Samen met zijn drie jaar oudere broer Warren beleefde hij een gelukkige kindertijd. Centraal in hun bestaan stond een fantasiewereld, uitgedrukt in zelf geschreven sprookjes, tekeningen en sILLEtjes, al snel mede gevoed uit de omvangrijke ouderlijke boekerij waar de kinderen onbeperkte toegang toe hadden. Zo vermeldde Lewis als tienjarige in zijn dagboek: “Paradise Lost gelezen, erover nagedacht.” Daar is hij nog vele jaren mee doorgegaan, getuige het in 1942 verschenen A Preface to Paradise Lost. Aan deze gelukkige periode kwam abrupt een einde door de vroege dood van zijn moeder. Vervolgens bracht hij enkele jaren door op twee Engelse kostscholen die hem tot laat in zijn leven depressief makende herinneringen opleverden. In zijn autobiografie Surprised by Joy (1955) heeft hij maar liefst zeven hoofdstukken nodig om dit liefdeloze en intellectueel afstompende milieu te beschrijven.

In 1916 won Lewis een beurs voor University College in Oxford, maar moest al spoedig zijn studie afbreken om als negentienjarige officier zijn land te dienen in de Noord-Franse loopgraven. In april 1918 kwam er een eind aan zijn oorlogservaringen door een ernstige granaatwond die hij opliep tijdens de Slag bij Arras. Na de oorlog hervatte hij zijn studie in Oxford. Hij studeerde er cum laude af in de klassieke talen, in de klassieke filosofie en in de Engelse taal- en letterkunde. Vanaf 1925 was hij als fellow in de Engelse taal- en leterkunde verbonden aan Magdalen College. Nadat hij gedurende zijn jeugd langere tijd van het christendom vervreemd was geraakt, begon rond die tijd ook een proces van religieuze heroriëntatie. Onder andere onder invloed van de dood van zijn vader en als gevolg van gesprekken met gelovige collega's als J.R.R. Tolkien en Hugo Dyson bekeerde hij zich tot het christendom. Zoals hij later in Surprised by Joy zou beschrijven vond de eigenlijke bekering plaats op 22 september 1931 tijdens een tochtje in de zijspan van de motorfiets van zijn broer. Als eerste literaire neerslag van zijn bekering publiceerde hij The Pilgrim's Regress (1932), een geestrijke allegorie naar het model van John Bunyan's boek.

Een nationaal bekend figuur zou Lewis pas tijdens de Tweede Wereldoorlog worden. Die bekendheid kreeg hij enerzijds door een aantal druk beluisterde lezingen over filosofische en religieuze onderwerpen voor de BBC-microfoon. Een aantal van die lezingen werden later gebundeld onder de titel Mere Christianity (1952), nog steeds een van zijn meest gelezen boeken. Daarnaast verscheen in 1942 het eerste publiekssucces, The Screwtape Letters, dat in het eerste jaar negen drukken kende en een jaar later eenzelfde succes kende in de Verenigde Staten.

Tot 1954 werkte hij onafgebroken in Oxford. In dat jaar werd hij in Cambridge benoemd op een speciaal voor hem ingestelde leerstoel voor letterkunde. In 1956 trouwde hij met de Amerikaanse Joy Davidham Gresham, een gescheiden voormalige communiste die zich onder invloed van Lewis’ boeken tot het christendom bekeerd had. Vier jaar later al stierf zij. In een van zijn laatste boeken, A Grief Observed (1961), dat onder het pseudoniem N.W. Clerk verscheen, probeerde hij verslag te doen van dit verschrikkelijke verlies. C.S. Lewis stierf op 22 november 1963, de dag dat John F. Kennedy in Dallas werd neergeschoten. Hij ligt begraven op het kerkhof van de Holy Trinity Church in Headington, Oxford.

Volgens zijn levenslange vriend Owen Barfield zijn er in zekere zin drie “C.S. Lewissen” geweest. Tijdens zijn leven heeft Lewis aan drie verschillende roepingen succesvol beantwoord. Op de eerste plaats was daar de gerespecteerde Oxford-docent, literatuurgeleerde en literair criticus. Daarnaast de schrijver van romans en kinderboeken. En ten slotte was er de populaire en invloedrijke apologeet, filosoof en volkstheoloog die veel lezers (opnieuw) op een verfrissende wijze het christendom binnen leidde. Daarbij geldt echter ook dat in veel van zijn werk filosofie, theologie, literatuur en fictie niet scherp te scheiden zijn.

In 1936 publiceerde Lewis zijn baanbrekende The Allegory of Love. Lewis beschrijft in dit boek hoe in de vroege middeleeuwen de klassieke goden in allegorische vorm weer het christelijk denken binnenkomen. Streden de goden vroeger tegen elkaar, nu worden het personificaties van krachten in de mens zelf. In de loop van de eeuwen begint de kracht van de allegorie echter te verzwakken. Dit wordt veroorzaakt door het verzwakkende besef dat de stoffelijke wereld primair een afspiegeling is van de bovennatuur. Steeds meer gaan elementen als satire, alledaagsheid en liefdesperikelen overheersen en daarmee verdwijnt de kracht van de allegorie in de westerse literatuur. Een ander levenswerk op het gebied van de literatuurgeschiedenis was zijn English Literature in the Sixteenth Century (1954) dat als deel III verscheen van The Oxford History of English Literature.

In zijn zeven kinderboeken (The Chronicles of Narmia) en drie science fiction romans verwerkte Lewis ook tal van theologische en filosofische ideeën. Zo vindt men in de roman That Hideous Strength talloze ideeën in literaire vorm die men in The Abolition of Man (1943) in filosofische vorm uitgewerkt vindt. Zijn beroemdste literaire werk is ongetwijfeld het al eerder genoemde The Screwtape Letters. In dit boek schrijft een oudere duivel eenendertig brieven aan een jongere collega met talloze adviezen hoe een jonge gelovige het best verleid kan worden. Het boek weerspreekt het binnen de hedendaagse Nederlandse intelligentsia wijd verbreide vooroordeel dat christendom en humor elkaar niet verdragen.

C.S. Lewis vormde de belichaming van een natuurlijk soort conservatisme. In zijn levensstijl (zo weigerde hij pubs te betreden waar de radio aan stond), in zijn literaire opvattingen (pas heel laat kwam hij tot waardering voor het werk van T.S. Eliot) en in zijn politieke opvattingen was Lewis een conservatief pur sang. Voor wat betreft de politiek moet daarbij wel vermeld worden dat Lewis een groot scepticus was ten aanzien van politici en partijpolitiek. Winston Churchill bewonderde hij overigens zeer, maar dat verhinderde hem in 1951 niet de minister-president te laten weten dat hij afzag van een hem aangeboden titel. Lewis was bang dat zijn critici zo'n adellijke titel als bewijs zouden opvatten dat zijn religieus werk slechts verholen anti-progressieve propaganda was. Zijn onverschilligheid inzake de dagelijkse politiek weerhield hem er niet van over een breed scala aan politieke onderwerpen te schrijven: misdaad, censuur, pacifisme, doodstraf, dienstplicht, vivisectie enzovoorts. Ook over de verzorgingsstaat had hij uitgesproken opvattingen. In een artikel in The Observer schreef hij in 1958:

"The modern State exists not to protect our rights, but to do us good or make us good — anyway, to do something to us or to make us something. Hence the new name ‘leaders’ for those who were once ‘rulers’. We are less their subjects than their wards, pupils, or domestic animals. There is nothing left of which we can say to them, ‘mind your own business.’ Our whole lives are their business."

De staat kan ervoor zorgen dat mensen zich gedragen, maar uiteindelijk kan hij de mens niet goed maken. Deugd veronderstelt vrije keuze. Lewis was er vooral bang voor dat de verzorgingsstaat zich verder zou ontwikkelen tot een technocratie van het soort dat hij al in romanvorm had beschreven in That Hideous Strength.

Veel conservatieven zien in The Abolition of Man zijn belangrijkste filosofische werk. In dit werk geeft Lewis een zeer originele verdediging van de natuurrechtsleer. De meeste beschavingen, religies en denksystemen gingen in het verleden van dezelfde morele codex uit. Wanneer men die codex analyseert komt men vanzelf uit bij de bekende deugden als Rechtvaardigheid, Eerlijkheid, Bramhartigheid en Voorzichtigheid. Hij laat zien wat de consequenties zijn wanneer de moderne cultuur het idee van een objectieve morele orde verwerpt.

Lewis is in Nederland een bekend auteur. Een aantal belangrijke boeken van hem is vertaald en leverbaar.

Literatuur

Er is zoveel over Lewis geschreven dat het hier slechts mogelijk is een bescheiden selectie te geven.

Een mooie biografie werd geschreven door Roger Lancelyn Green en Walter Hooper: C.S. Lewis: A Biography (A Harvest Book).

De biografie Jack: A Life of C.S. Lewis van George Sayer werd ook in het Nederlands vertaald (Crossway Books).

In de bundel Ontijdige bespiegelingen van Robert Lemm is een korte lezenswaardige inleiding in het werk van Lewis opgenomen (Kok Agora).

Een interessante visie op het conservatieve mens- en geschiedbeeld van Lewis vindt men in het door Peter Kreeft geschreven C.S. Lewis for the Third Millennium. Six essays on the Abolition of Man (Ignatius Press).

Een kort essay over de politieke opvatingen van Lewis werd geschreven door John G. West, Jr.: Public Life in the Shadowlands. What C.S. Lewis Teach Us About Politics (Acton Institute), met een geannoteerde bibliografie van de boeken en essays van Lewis die handelen over politieke thema's.

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - Novembre 1987

 

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

par Günther MASCHKE

A l'automne 1918, les troupes fraîches et bien équipées (voire suréquipées) du général Pershing, com-mandant en chef du corps expéditionnaire américain, décidaient de l'issue de la Première Guerre mon-diale. Malgré cela, et bien que, contrairement à Foch, Pétain et Haig, Pershing fût le seul chef allié à vou-loir porter la guerre jusqu'à Berlin et occuper l'intégralité du territoire allemand, peu d'Allemands nourrirent à l'époque des sentiments anti-américains. La haine des vaincus se dirigea plutôt contre l'An-gle-terre et, plus encore, contre la France: n'était-ce pas les Anglais qui, dès la fin des combats, main-tinrent jusqu'en 1919 un blocus économique qui réduisit à la famine un million d'Allemands? N'était-ce pas les Français qui imposèrent le diktat de Versailles avant d'occuper la Ruhr? A l'inverse, l'éphémère prospérité que connut la République de Weimar entre 1925 et 1929 n'était-elle pas due aux crédits amé-ricains? Même si la crise économique mondiale frappait l'Amérique plus durement encore que l'Alle-magne, l'image positive d'une Amérique, pays vaste, libre, aux potentialités infinies, demeurait, parmi les Allemands, pratiquement intacte.

La sympathie allemande pour l'Amérique de Roosevelt

L'année 1933 n'altéra pas ce beau tableau, bien au contraire: la propagande nationale-socialiste et les au-teurs politiques sérieux étaient plutôt pro-américains pendant les premières années du régime. La politi-que de Franklin Delano Roosevelt, au pouvoir depuis mai 1933, fut même accueillie avec faveur, voire avec enthousiasme, et l'on s'enhardit, en Allemagne, à mettre en parallèle New Deal  et national-socialisme.

De fait, les deux systèmes furent perçus comme deux variantes d'une "Troisième Voie", la seule pro-metteuse, entre le capitalisme libéral et le bolchévisme. Comme le national-socialisme, faisait-on ob-server, le New Deal  essaie de résorber le chômage de masse par l'intervention de l'Etat dans le do-maine économique; d'un côté comme de l'autre, une politique sociale garantissait la sécurité matérielle de l'exis-tence. En Allemagne comme aux Etats-Unis, la libre entreprise, échec évident, était désormais contrôlée et bridée par l'Etat planificateur; ici comme là-bas, une nation en proie au désespoir et à la ré-signation était enfin mobilisée et vitalisée par un chef charismatique. La France et l'Angeterre, restées fi-dèles au libéralisme bourgeois, étaient condamnées au déclin. Quant à l'Union Soviétique, elle ne pou--vait, au mieux, que se maintenir par la terreur. Seuls, les Allemands, les Italiens et, dans une moin-dre mesure, les Américains, avaient compris que les temps avaient changé.

Parfois, les sympathies nationales-socialistes pour Roosevelt frisaient l'idôlatrie. Colin Ross (1), le jour--naliste le plus brillant du Troisième Reich, évoque, en 1935, l'impression que lui laissa une con-fé-rence de presse à la Maison Blanche: "Bien sûr, le sourire rooseveltien est, si l'on veut, le fameux keep smiling  américain. Mais le rire et le sourire du président sont bien plus que cela. C'est un rire fondé sur la souffrance. C'est l'expression d'une âme, d'une expérience du monde, qui, parce qu'elle connaît, pour les avoir éprouvées, toute la misère et toute la détresse de l'univers, sait sourire et soulager par la tendresse. La charge immense de travail et de responsabilité qui pèse sur Roosevelt a gravé dans son visage les mêmes sillons que dans celui d'Adolf Hitler".

L'attitude positive du national-socialisme à l'égard de Roosevelt et du New Deal s'infléchira en 1935-1936, mais pour faire place à un scepticisme prudent plutôt qu'à une hostilité déclarée. Plusieurs fac-teurs joueront, que les observateurs allemands ne purent tous identifier. Ainsi, les Américains finirent par remarquer les mesures antisémites prises peu après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Ils s'en alarmèrent, eux qui pensaient pouvoir tourner le dos aux querelles européennes et retrouver leur ancien iso-la-tion-nisme pour mieux s'attaquer à leurs problèmes intérieurs: montée du chômage, misère de masse, éro-sion des sols, endettement de l'Etat, etc… De plus, Roosevelt passait, y compris en Allemagne, pour un ardent défenseur de l'isolationnisme. Cependant, l'immigration juive aux Etats-Unis, de plus en plus in-fluente, entra en relation avec le brain trust  de Roosevelt, comme en témoigne l'exemple du publi-ciste et sociologue Walter Lippman. A partir de 1935, médias et "instituts scientifiques" se mettront à "édu-quer" les Américains, jusque là plutôt rétifs en la matière, sur les dangers du "nazisme". Du coup, les organisations allemandes et germanophones d'Amérique devinrent suspectes, surveillées par toutes sor-tes de mouchards. Les groupements nationaux-socialistes déclarés n'étaient pas les seuls visés: les as-sociations culturelles, musicales ou folkloriques furent surveillées, en butte aux chicanes et aux tra-cas-series.

L'échec du New Deal

Cependant, le national-socialisme assista (et sur ce point, son analyse et sa critique furent très souvent pertinentes) à la déconfiture progressive et à l'échec final de la politique de New Deal.

En 1933, Roosevelt s'était lancé dans la bataille avec un élan incroyable et dès le premier trimestre, la fameuse "Révolution des 100 jours", avait mené à bien plusieurs réformes. La nouvelle aggravation de la crise économique mondiale et quelques faillites bancaires retentissantes pendant les derniers mois du gouvernement d'Herbert Hoover, adepte à 100% du libéralisme de marché, paralysèrent pour un temps toute opposition à Roosevelt. Le printemps 1933 marqua l'apogée de la crise: tout le crédit aux USA était pratiquement gelé et peut-être Roosevelt aurait-il alors pu nationaliser en un tour de main le secteur bancaire pour financer sa révolution. Une occasion pareille ne se représenterait plus…

Mais la résistance s'organisait. Les milieux d'affaires, la haute finance, bref le Big Business,  pro-tes-tè-rent contre les interventions dirigistes et planificatrices du New Deal,  jugées "contraires à l'esprit amé-ricain" et propagèrent le mythe de l'effort individuel et de l'initiative privée. Quant aux Etats de l'U-nion, ils virent, dans la tentative de Roosevelt de créer un puissant pouvoir central, une violation de leurs droits traditionnels et fondamentaux. Enfin, la Cour Suprême fit barrage à l'extension du pouvoir exécutif du président et torpilla ses projets de loi les uns après les autres.

La critique nationale-socialiste dressa un bilan difficilement contestable: Roosevelt avait échoué parce qu'il n'avait pas su  —et aussi peut-être parce qu'il ne pouvait  pas—  devenir dictateur. En fait, le pré-sident américain, naguère encore comparé à Hitler, n'était pas un Führer  et les Etats-Unis, selon Colin Ross qui voyait ainsi confirmée sa thèse de "l'échec du melting pot", n'étaient, au mieux, que "les peuples unis de l'Amérique": ils ne formaient ni un Etat au sens européen du terme ni une nation politiquement unie. La démocratie  qui s'y manifestait à travers la lutte des pouvoirs particuliers et des lobbies  avait eu raison de la dictature souhaitée. C'est pour cela que Roosevelt ne pouvait  atteindre aucun des objectifs du New Deal.  Les réformes en profondeur firent dès lors place à la propagande; mais la propagande ne pouvait réussir que si elle se cherchait (et se trouvait) un adversaire, une cible.

L'analyse critique de Giselher Wirsing à l'encontre du New Deal de Roosevelt

Sous le Troisième Reich, Giselher Wirsing fut l'un de ces journalistes qui, tout en sacrifiant aux rites obligatoires de la propagande officielle, furent également capables d'analyses de qualité. En 1938, dans une série d'articles rédigés pour les Münchner Neueste Nachrichten,  et, l'année suivante, dans des textes plus importants écrits pour la revue qu'il dirigeait, Das Zwanzigste Jahrhundert,  Wirsing décrit les cau-ses de l'échec du New Deal:  ces travaux, de haut niveau intellectuel, sont la quintessence des innom-bra-bles reportages, articles, brochures et études scientiques parus en Allemagne entre 1935 et 1939 sur le thè-me des  Etats-Unis. En 1942, Wising regroupa ses essais dans un ouvrage intitulé Der maßlose Kontinent - Roosevelts Kampf um die Weltherrschaft  (= "Le continent de la démesure; le combat de Roo-sevelt pour la domination du monde") (2). Bien que, dans cet ouvrage, Wirsing réaffirme que le New Deal,  même s'il avait réussi, n'aurait finalement eu que de maigres résultats, sa plume de jour-na-liste y est plus acérée: entretemps, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l'Allemagne. "C'est pré-ci-sément dans le domaine de la politique agricole, écrit Wirsing, que le New Deal devait essuyer le re-vers moral le plus cuisant, bien qu'Henri Wallace, ministre de l'agriculture de Roosevelt,…eût révélé les carences du système agraire aux USA. La politique agricole du New Deal  devint une juxtaposition d'ex-pédients qui permirent certes d'alléger le poids de la crise mais n'en vinrent jamais réellement à bout. Pour Wallace, le problème-clé de l'agriculture mécanisée américaine était la surproduction alors que le marché mondial s'était rétréci par suite des mesures d'autarcie prises dans le monde entier. De sorte que le New Deal,  au lieu d'engager la bataille pour la production, fit l'inverse: il fit tout pour li-miter la production. C'est cette idée fondamentale qui inspira l'Agricultural Adjustment Act  (AAA) de 1933. Une politique agricole véritablement  constructive n'aurait jamais dû s'appuyer sur une analyse aus-si né--gative tant que les excédents enregistrés dans les campagnes contrastaient avec les carences les plus effroyables en milieu urbain".

La stabilisation des prix agricoles, couramment pratiquée aujourd'hui, fut alors anticipée par des méthodes extrêmement brutales: enfouissement de la viande porcine, déversement en mer de tonnes de fruits mûrs, incendie des champs de coton: toutes ces mesures étaient le contraire exact des Ernteschlachten (batailles pour les récoltes) nationales-socialistes. Elles furent considérées par les capitalistes comme typiques du "dirigisme d'Etat" et par les communistes comme … typiques du "capitalisme"…

Quand l'abondance devient un fléau

Anticapitaliste d'inspiration nationaliste et romantique, Wirsing a bien cerné la réalité en mettant en lu-mière une contradiction inhérente à plusieurs volets du New Deal:  le hiatus entre l'intervention de l'E-tat, propre au New Deal,  et les axiomes d'un libéralisme presque dogmatique:

"Wallace adopta une démarche mécanique  fondée sur la théorie du pouvoir d'achat. Il constata que l'a-gri-culteur américain produisait trop dans tous les domaines, que la chute des prix devenait irrépressible et que l'endettement menaçait d'étouffer l'ensemble du système agraire. Il en concluait qu'il fallait limi-ter la production jusqu'au point où l'offre, ainsi réduite, s'harmoniserait à la demande. Théorie parfai-te-ment conforme, du reste, au libéralisme classique… Or, les initiateurs de cette politique agricole, qui per-suadèrent  —par toute une série de mesures coercitives—  l'agriculteur de ne plus cultiver ses champs et de détruire ses récoltes, se prirent pour des révolutionnaires. Ils parvinrent effectivement à fai-re passer le revenu agricole net de 4,4 milliards de dollars en 1933 à 7 milliards en 1935, mais cette aug-mentation rapide des prix était due en bonne partie à la sécheresse catastrophique de 1935, aux tor-na-des de poussière et aux inondations de l'année 1936-1937. Paradoxalement, Roosevelt vit dans la séche-resse son meilleur allié: avec l'AAA, c'est elle qui avait miraculeusement augmenté le pouvoir d'achat dans l'agriculture. L'indstrie des biens de consommation, qui soutenait Roosevelt, pouvait être satisfaite des résultats".

Naturellement, ni Wirsing ni Colin Ross (qui publia, également en 1942, Die "westliche Hemisphäre" als Programm und Phantom des amerikanischen Imperialismus  [= "L'hémisphère occidental", pro-gram-me et spectre de l'impérialisme américain]) (3) ni d'ailleurs l'explorateur suédois Sven Hedin, le sym-pa-thisant d'Hitler sans doute le plus célèbre, n'ont manqué de signaler qu'en Allemagne, l'intervention de l'Etat s'inspirait de conceptions doctrinales macro-économiques éprouvées alors qu'aux Etats-Unis, elle res-tait con-fuse et contradictoire. Le fait est qu'en Allemagne, et pas seulement à cause du réarmement, les chômeurs disparurent (sur ce point, le régime a sans doute exagéré ses mérites: le plein emploi ne fut jamais réellement atteint, pas même au début de la guerre) alors qu'aux USA, les résultats demeu-rè-rent médiocres malgré l'organisation de travaux de nécessité publique et le Service du Travail. En Allemagne, la dictature, mais aussi la grande tradition allemande du socialisme d'Etat produisaient leurs effets. Ces deux éléments n'existaient pas aux Etats-Unis. Ecoutons Wirsing résumer la queston agraire aux Etats-Unis, en sachant que ses observations valent pour l'ensemble du New Deal:

"Les tendances régionalistes et particularistes ne se manifestèrent nulle part de façon plus marquée que dans la question agraire. Quand des régions entières furent subitement menacées d'un nouveau fléau, comme le Middle West par les tornades de poussière de 1934-35, ou les Etats du Mississipi par les crues dévastatrices de l'année 1937, le Congrès consentit à débloquer des fonds parfois importants. Mais le système démocratique empêcha une imbrication adroite des diverses mesures ponctuelles dans le cadre d'une planification globale qui eût brisé toute résistance. A cause de l'impéritie du Congrès, de la sot-tise des Governors  des Etats, des groupements d'intérêts, etc…, le gouvernement de Roosevelt ne put jamais franchir l'obstacle…".

Les excellents projets de Roosevelt sont torpillés par les intérêts corporatistes privés

La liste des projets gouvernementaux torpillés par la Cour Suprême, que ce soit la loi sur les pensions des cheminots ou la déclaration d'illégalité de l'Agricultural Adjustment Act,  en 1936, est, elle aussi, in-finie. Roosevelt essaya bien de désamorcer l'opposition en y introduisant des juges favorables à sa politique et en adjoignant à ses opposants des "suppléants" avec droit de décision (les Américains di-sent: "to pack the Court");  la manœuvre avorta. Son projet favori, notamment la création d'une "Tennessee Valley Authority",  resta lettre morte. Roosevelt voulait aménager la vallée du Tennessee en y construisant de grands barrages et d'imposantes centrales électriques afin d'empêcher les inon-da-tions, permettre l'irrigation et fournir aux agriculteurs l'électricité à bon marché dont ils avaient le plus grand besoin pour leur élevage de bétail laitier et de boucherie, sans compter les programmes de reboi-sement et de terrassement. Sur le terrain, tout cela réussit. Jusqu'au jour où les compagnies privées d'é-lec-tricité sabotèrent cette politique énergétique et ces plans grandioses de mise en valeur du sol américain.

Si la comparaison entre l'interventionnisme américain et l'interventionnisme germanique montra à quel point il avait été hasardeux, de parler, en tant qu'observateurs allemands, d'affinités, même écono-mi-ques, entre le na-tional-socialisme et le New Deal,  il devint peu à peu patent que Roosevelt et Hitler avaient, en matière de commerce extérieur, des conceptions diamétralement opposées.

La guerre commerciale : autarcie contre libre-échangisme

Cette opposition, qui fut un facteur décisif de l'entrée en guerre des USA, donna au national-socialisme l'occasion d'étudier de près l'impérialisme américain (en fermant bien sûr les yeux sur son impérialisme à lui). Dès 1933, les relations économiques germano-américaines se détériorèrent. L'économie dirigée allemande, qui tendait au réarmement et à l'autarcie, jugula et planifia les importations, adapta les ex-por-tations aux importations grâce à des accords de compensation et à l'institution de taux de change multiples. Le principe allemand "marchandise contre marchandise" et le monopole d'Etat en matière de com-merce extérieur débouchèrent, par le biais des accords bilatéraux de clearing et de la technique de la "répartition des devises", sur une bilatéralisation des échanges.

On conçoit, dès lors, que la politique américaine de libre-échange, la "open door policy",  ait rencontré une résistance de plus en plus vive: en développant leurs relations économiques avec l'Amérique latine, les Allemands réussirent même à évincer les Américains et les Anglais de marchés aussi importants que ceux de l'Argentine ou du Brésil. Avec le pacte germano-soviétique, et les victoires successives des for-ces de l'Axe, les Américains entrevirent le spectre d'une partition du marché mondial (4): ils redoutèrent de plus en plus d'être handicapés économiquement et commercialement dans des zones de plus en plus vastes; qui plus est, la main d'œuvre bon marché des pays de l'Axe risquait même de saper leurs posi-tions concurrentielles partout ailleurs.

En 1941, année de l'attaque allemande contre l'Union Soviétique, le géopoliticien allemand Karl Haus-ho-fer publia son étude intitulée "Le bloc continental" (5). Ce bloc continental devint le cauchemar des Etats-Unis. Dans cette optique, l'Allemagne, la Russie, le Japon et les territoires qu'ils contrôlaient, donc également l'Afrique du Nord, la Chine et la Corée, ainsi que l'ensemble balkanique, devaient for-mer un bloc militaro-économique sur lequel se briseraient les ambitions anglo-américaines d'hégémonie mondiale. Finalement, la terre l'emporterait sur la mer, l'économie d'Etat sur le libre-échange, l'auto-ri-ta-risme sur la démocratie car le grand-espace suivrait sa propre loi alors que le libéralisme, impliquant partout des normes apparemment objectives, était contraint d'intervenir tous azimuts et de postuler dans le monde entier des conditions d'action uniformes.

                                                        

Aux Etats-Unis, la réaction à l'encontre de cette perspective d'un bloc continental tourna rapidement à l'hystérie, surtout par calcul de propagande: depuis 1937, Roosevelt voulait la guerre avec le Japon. A partir de 1939-1940, il voudra la guerre avec l'Alle-magne. Et décrira comme un "îlot impuissant" (!) une nation comme les Etats-Unis dont le volume du commerce ex-té-rieur, grâce à un marché intérieur gigantesque, n'atteignait à l'époque que 5 ou 6%. Dans son discours du 10 juin 1940, prononcé en Virginie, Roosevelt proclamait:"Pour moi-même comme pour l'écrasante majorité des Américains, l'existence d'un tel îlot est un cau-che-mar affreux, celui d'un peuple sans liberté, le cauchemar d'un peuple affamé, incarcéré, ligoté, d'un peuple nourri jour après jour par les gardiens impitoyables qui régentent les autres continents et n'ont pour nous que mépris". Et Walter Lippman ajoutait le 22 juillet 1940 dans la revue Life:"Si les cartells étatisés des puissances de l'Axe cimentaient un bloc continental eurasien de l'Irlande au Japon, les conséquences pour les Etats-Unis en seraient la baisse du niveau de vie, la montée du chô-mage et une économie réglementée. La disparition des libertés de notre libéralisme nous obligerait du même coup à nous adapter aux puissances de l'Axe". Et Lippmann concluait: "Le fait est qu'une éco-no-mie libre telle que nous la connaissons, nous, citoyens Américains, ne peut survivre dans un monde sou-mis à un régime de socialisme militaire".

Un monde trop petit pour deux systèmes

Le 9 juin 1941, Henry L. Stimson, Ministre de la Guerre, déclarait à l'Académie militaire de West-Point (6): "Le monde est trop petit pour deux systèmes opposés". Il est frappant de constater que la cam--pagne de Roosevelt contre l'Allemagne avait commencé dès 1937,  c'est-à-dire avant l'Anschluß  et l'an-nexion de la Tchécoslovaquie, voire avant les crimes collectifs perpétrés par les nationaux-socia-listes. Par contre, elle coïncida avec le moment précis, où l'échec du New Deal  éclata au grand jour. Com-mentaire de Giselher Wirsing:"L'été 1937 fut le grand tournant. Pas seulement politiquement, mais économiquement. Au moment où le président essuyait une défaite face à la Cour Suprême, un nouveau déclin économique brutal s'a-mor-ça… Dans l'industrie et l'agriculture, s'annonça une chute générale des prix. L'industrie et le com-merce avaient constitué d'importantes réserves en prévision de nouvelles hausses. En même temps, sous la pression du Big Business  et du Congrès, le président avait réduit sensiblement les dépenses fé-dé-rales et fait des coupes sombres dans les budgets de relance et d'aide sociale… Ce fut la "dépression Roosevelt". Au printemps 1938, on comptait à nouveau 11 millions de chômeurs. L'arsenal de lois du New Deal,  déjà incohérent en lui-même, s'avérait impuissant face aux faiblesses structurelles… On élabora pour l'agriculture un Agricultural Adjustment Act,  nouvelle version, mais inspiré des vieux principes: une limitation draconienne des cultures… La loi sur les salaires et le travail fut vidée de sa sub-stance. Dans tous les domaines, aucun progrès par rapport à 1933…".

L'exutoire de Roosevelt: la politique étrangère

Sven Hedin (7) a fait remarquer que les salaires payés par la Works Progress Administration  (WPA) pour les travaux de secours aux chômeurs ne dépassaient pas 54,87 dollars mensuels. Même la sécurité sociale ne fut pas transformée radicalement par le New Deal.  Voici le bilan qu'en dresse Sven Hedin: "En juillet 1939, le Social Security Bulletin  révéla que les pensions de retraite versées aux USA at-teignaient, par personne et par mois, 19,47 dollars. Mais en Alabama, le montant ne dépassait pas 9,43 $, en Caroline du Sud, 8,18$ mensuels, en Géorgie 8,12$, dans le Mississipi 7,37$ et en Arkansas 6$ seulement! Quiconque découvre l'amère réalité américaine derrière les slogans officiels ne peut que me-surer l'échec de Roosevelt en politique intérieure. Beaucoup remarquèrent que ce fut là un facteur dé-ter-minant du recours à l'aventure extérieure". Ce point de vue, des millions d'Américains l'ont partagé et aujourd'hui encore, les historiens critiques envers Roosevelt y adhèrent.

Le "discours de quarantaine" du 5 octobre 1937 marqua le début d'une véritable guerre froide contre l'Allemagne et le Japon. Même si l'on tient compte du conflit sino-japonais, les propos de Roosevelt sont assez énigmatiques:"Des peuples et des Etats innocents sont cruellement sacrifiés à un appétit de puissance et de domi-na-tion ignorant le sens de la justice… Si de telles choses devaient se produire dans d'autres parties du mon-de, personne ne doit s'imaginer que l'Amérique serait épargnée, que l'Amérique obtiendrait grâce et que notre hémisphère occidental ne pût être attaqué… La paix, la liberté et la sécurité de 90% de l'hu-ma-nité sont compromises par 10% qui nous menacent de l'effondrement de tout ordre international et de tout droit… Lorsqu'un mal se répand comme une épidémie, la communauté doit mettre le malade en qua-rantaine afin de protéger la collectivité".

"Hémisphère occidental" contre bloc continental

Les nationaux-socialistes virent bien que l'idée rooseveltienne d'"hémisphère occidental" (dont les limites d'intervention ne furent jamais précisées!) était grosse d'une volonté d'hégémonie mondiale directement opposée à leurs ambitions propres, plutôt continentales. Le déclin de l'Angleterre (à l'époque, le phénomène suscita en Allemagne une multitude de commentaires dans les milieux journalistiques et scientifiques) (8) positionna les Etats-Unis dans le rôle de l'héritier, mais un héritier qui apparaissait plus agressif encore que le de cujus.  Alors que s'annonçait (ou avait déjà commencé) le choc avec les Etats-Unis, en 1942-1943, plusieurs auteurs allemands se mirent à étudier ce nouvel impérialisme et leurs con-clusions ressemblent à s'y méprendre aux analyses marxistes qui furent ultérieurement publiées sur les Etats-Unis. Dans son ouvrage Imperium Americanum  (9), paru en 1943, Otto Schäfer relate "l'extension de la sphère de puissance des Etats-Unis" depuis le refoulement de l'Angleterre, la guerre contre l'Espagne, l'acquisition du Canal de Panama, le contrôle des Caraïbes jusqu'à la péné-tra-tion du Canada et de l'Amérique latine. Et Schäfer illustrait son propos par un bilan statistique de la politique américaine d'investissements à l'étranger.

Helmut Rumpf, spécialiste de droit public, décrivait en 1942, dans son livre Die zweite Eroberung Ibero-Amerikas  (= "La deuxième conquête de l'Amérique ibérique") (10), la mise au pas et le pillage économique du Mexique et de l'Amérique centrale par les USA.

Albert Kolb (11), enfin, se pencha sur les relations avec les Philippines, Hans Römer (12) sur les in-gé-ren-ces américaines dans les guerres civiles d'Amérique centrale, et Wulf Siewert (13), dans Seemacht USA  (= "La puissance maritime des Etats-Unis") sur le développement de la marine américaine sous Roosevelt, qui suscita outre-Atlantique un enthousiasme proche de la ferveur qu'avait jadis inspirée en Al-le-magne la flotte de Guillaume II (toutes proportions gardées, car la US Navy  devait connaître des len-demains plus heureux que la flotte impériale allemande). L'idée maîtresse de cette abondante litté-ra-ture, présentant, très souvent un niveau scientifique fort honorable, c'est que la doctrine de Monroe, dé-fen-sive au moment de sa conception et de sa proclamation (1823), puisqu'elle devait défendre le con-ti-nent américain contre toute intervention européenne, était depuis longtemps devenue une doctrine offen-sive autorisant des interventions illimitées dans l'"hémisphère occidental". Il était dès lors dans la logi-que des choses que le publiciste américain Clarence K. Streit (14) finisse par réclamer (en 1939) une fu-sion entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et que Walter Lippmann envisage la création d'un super-Etat regrou-pant —sous direction américaine— tous les pays "atlantiques" régis par le capitalisme libéral.

Les Allemands ont sous-estimé les Américains

Un économiste aussi sérieux que Friedrich Lenz (15) affirmait encore en 1942, dans son livre Politik und Rüstung der Vereinigten Staaten  (= "Politique et armement des Etats-Unis"), que la production de guerre aux USA était beaucoup trop lente pour représenter à bref délai une menace pour l'Allemagne. Le capitalisme libéral, que le New Deal n'avait fait qu'égratigner, était incapable, assurait Lenz, d'assumer la directivité qu'implique une politique d'armement. Lenz allait jusqu'à soutenir qu'en 1941, "les USA ne pouvaient aligner que 425 chars lourds". Or, même si les objectifs de production annon-cés par Roosevelt le 6 janvier 1942 (60.000 avions, 35.000 chars et 20.000 tubes de DCA pour 1942, 125.000 avions, 75.000 chars et 35.000 tubes de DCA pour 1943) ne furent jamais atteints, et si le dé-veloppement rapide de l'armée entraîna outre-Atlantique de graves difficultés, les Etats-Unis, en appro-vi-sionnant massivement l'Armée Rouge, n'en apportèrent pas moins aux Allemands la preuve irréfu-table de l'efficacité de leur production guerrière.

Sven Hedin lui-même affirmait: "Aux manœuvres de l'automne 1941, l'armée américaine était équipée de fusils mitrailleurs et de blindés en bois et en carton pâte, exactement comme la Reichswehr d'après 1919". Apès les manœuvres, le général McNair déclarait que "deux divisions seulement sont en état de se battre". Et Sven Hedin ajoutait:

"En 1940, les forces armées ne comptaient que 250.000 hommes. Or, le Victory Program  américain prévoit pour l'assaut contre l'Allemagne un effectif de 6,7 millions d'hommes répartis en 215 divisions. Comment Roosevelt va-t-il les former, les entraîner, les armer pour qu'ils viennent à bout des divisions aguerries de l'Allemagne et de ses alliés?".

Bien sûr, à l'époque, la conquête des richesses russes paraissait acquise pour l'Allemagne et les Japonais allaient de succès en succès. Mais le paradoxe, c'est que cette sous-estimation des Etats-Unis était due à une analyse pertinente de l'échec du New Deal!  L'échec économique et social des Etats-Unis trouva tout simplement un exutoire dans le domaine de l'économie de guerre…

Pourtant, on débattit, sous le Troisième Reich, des conséquences d'une défaite éventuelle de l'Axe face aux Etats-Unis: Friedrich Lenz affirma qu'après l'échec du capitalisme libéral et les succès des Etats to-ta-litaires (parmi lesquels il comptait généreusement l'Union Soviétique bien que celle-ci fût entre-temps passée dans le camp adverse), l'effondrement de ces mêmes Etats entraînerait une régression sans précé-dent dans l'histoire mondiale: "Promettre le rétablissement de la civilisation libérale du XIXème siècle sur les ruines des systèmes totalitaires d'Allemagne, d'Italie et du Japon, et peut-être même de Russie soviétique est une position réactionnaire", et Lenz d'ajouter avec une ironie féroce: "Peut-être Thomas Mann sera-t-il alors le nouveau praeceptor Germaniae  de cette civiliation libérale?".

L'idéal social de "Park Avenue"

L'idée américaine accélère-t-elle ou retarde-t-elle l'histoire? Giselher Wirsing, lui, polémique contre l'entrée en guerre des USA en avançant des arguments sociaux: "Park Avenue va-t-elle diriger le monde? Dans quel but? On a a calculé qu'en 1927, les 4000 familles qui y résidaient, dépensaient un budget annuel gloabal de 280 millions de dollars. Sur ce total, 85 mil-lions ont été dépensés pour entretenir la garde-robe de ces dames et de leurs filles… Pour se nourrir, ces 4000 familles ont dépensé 32 millions de dollars et pour leurs bijoux, 20 millions par an!… Voilà la civilisation pour laquelle il faudrait se battre! Et pour laquelle devront mourir les soldats chinois, indiens, australiens, anglais, sud-africains, canadiens et égyptiens!… Pour quelle liberté? Pour celle de Park Avenue,  celle de drainer les milliards du monde entier. Pour la liberté de profiter de la guerre".

Mais quel ordre une Amérique victorieuse offrirait-elle au monde? Le pronostic le plus séduisant est ce-lui que propose Carl Schmitt dans un article (16) publié dans la revue Das Reich  du 19 avril 1942 et in-titulé Beschleuniger wider Willen oder Problematik der westlichen Hemisphäre  (= "Accélérateur de l'his--toire malgré lui, ou le problème de l'hémisphère occidental"); Schmitt y justifie son pronostic en sou-lignant la propension obligée des Etats-Unis à violer les autres grands-espaces et leur incapacité à créer pour eux-mêmes un grand-espace (Grossraum)  cohérent et circonscrit:

"En essayant de prolonger la puissance maritime et la domination mondiale britanniques, le président des Etats-Unis n'a pas seulement recueilli de cet héritage les parts les plus avantageuses; il s'est ipso facto placé sous la loi qui gouvernait au siècle dernier l'existence politique de l'Empire britannique. L'Angleterre était devenue la gardienne de tous les "hommes malades", à commencer par celui du Bos-pho-re, jusqu'aux maharadjas indiens et aux sultans de toutes sortes. L'Angleterre était un frein au dé-veloppement de l'histoire mondiale… Quand Roosevelt quitta le terrain de l'isolationnisme et de la neutralité, il entra, qu'il le voulût ou non, dans la logique retardatrice et rigidifiante qui fut celle de l'empire mondial britannique".

Carl Schmitt poursuit: "Dans la foulée, le président proclama l'avènement du "siècle américain" afin de coïncider avec la ligne idéologique américaine traditionnelle, tournée théoriquement vers l'avenir et toutes formes d'innovation comme l'avait démontré l'essor spectaculaire des Etats-Unis au XIXème sièc-le. Ici encore, comme à toutes les étapes importantes de l'histoire politique américaine ré-cen-te, on s'enlise dans les contradictions inhérentes à cet hémisphère qui a perdu toute cohésion intérieure. Si Roosevelt, en entrant en guerre, était devenu l'un des grands ralentisseurs de l'histoire mondiale, passe encore; ce serait déjà beaucoup. Mais la vacuité de la décision annihile tout effet authentique. C'est ainsi que s'accomplit le destin de tous ceux qui lancent leur barque dans le maëlström de l'histoire sans que leur intériorité ne soit assurée (ohne Bestimmtheit des inneren Sinnes).  Ce ne sont ni des hommes impulseurs de mouvement, ni de grands retardateurs: ils ne peuvent que finir… accélérateurs malgré eux…".

Les idées de "grand-espace" (17), dont les nationaux-socialistes n'ont pas la paternité mais qu'ils ont récu-pérées pour camoufler et justifier leurs propres ambitions, succombèrent, sur le champ de bataille, à la "pensée globale" des Américains, et des millions d'Allemands, aujourd'hui encore, s'en disent soulagés. Mais ce constat n'infirme en rien la critique qui fut faite jadis, sous Hitler, du capitalisme amé-ricain ni l'idée grandiose de servir la paix en créant de grands-espaces fermés aux interventions de puis-sances géopolitiquement étrangères. On peut même prévoir que les Américains vont devenir les gar-diens de l'ordre ancien, les conservateurs des formes politiques révolues. Dans la perspective d'une éman-cipation européenne qui ne pourra compter, bien évidemment, que sur ses propres forces, il fau-drait distinguer, dans les idées de cette époque, entre ce qui relevait des besoins et de la propagande et ce qui mériterait plus ample approfondissement.

Günther MASCHKE.

(trad. Jean-Louis Pesteil; texte tiré de la revue autrichienne Aula et reproduit dans Orientations avec l'aimable autorisation de l'auteur; adresse d'Aula: AULA-Verlag, Merangasse 13, A-8010 Graz, Autriche)

vendredi, 01 mai 2009

"La journée de la jupe"

“La journée de la jupe” :

fulgurante réponse à

“Entre les murs”

par Saint-Plaix

Depuis sa sortie en avant première sur Arte, qui réalisa ce soir-là son record d’audience, La journée de la jupe - film qui marque le retour d’Isabelle Adjani absente des écrans depuis plusieurs années - fait couler beaucoup d’encre et soulève des réactions indignées dans la bien-pensance de gauche notamment dans les colonnes de l’imMonde qui dénonce une « dérive raciste et xénophobe », quant aux organisations féministes, elles déclarent en réponse « ne pas avoir vu le même film » qui dénoncerait, selon elles, la condition des filles dans les banlieues soumises aux dictats islamistes…

A s’arrêter, selon les commentaires de ces diverses corporations dites zintellectuelles, à des aspects spécieux de ce film, on en oublie le message fondamental qui dérangera les tenants de la pensée unique : les conséquences de l’intégration communautaire envisagée comme refus de l’assimilation. C’est l’éternel problème qui reçoit là une magistrale démonstration que chacun ne veut surtout ni voir ni commenter. On en reste donc à insister sur l’exceptionnelle prestation de l’actrice, que l’on n’avait pas vue aussi brillante depuis son interprétation de Camille Claudel. Là le consensus s’est à juste titre tout de même imposé.

Nous n’avons donc, nous non plus, pas vu le même film !

Le cadre est simple : un collège de banlieue “difficile” où un professeur de français va faire un cours sur Molière dans la petite salle de théâtre où certains élèves doivent réciter certaines scènes. Comme on se l’imagine, parmi les élèves présents, on note une forte majorité de “jeunes issus de la diversité”, ou dit plus clairement, une majorité partagée entre des ressortissants d’origine maghrébine et des africains noirs, les autres, minoritaires, blancs, sont assez représentatifs de ces classes dites défavorisées qui tentent de sauvegarder encore leur place en banlieue… Tout ce petit monde des deux sexes se fout éperdument du cours sur Molière et des prestations forcées des camarades désignés envoyés jouer sur scène. Dans le brouhaha que le professeur ne maîtrise pas, les clans ethniques vaquent à leurs occupations préférées : le bavardage, la vantardise et la provocation. On remarque une forte tête plutôt “blonde” et une autre carrément plus “noire”, petits chefs qui mènent la vie dure à tout le monde et terrorisent leurs camarades. Et oui, c’est une constatation : il existe en banlieue des meneurs et des petits caïds, des dealers et des délinquants, qui ne sont pas forcément des blancs aux yeux bleus !

La prof a beau hurler, rien n’y fait, et elle commence à s’énerver sérieusement devant cet aréopage, jusqu’au moment où, ultime provocation, la forte tête blonde exhibe un révolver qu’elle sort de son sac, pour épater la tête noire et s’imposer au groupe arme à la main. La salle alors est bouclée à clef.

A l’extérieur, des bruits de ces menaces ayant filtré par la vertu du téléphone portable d’une élève, tout de même inquiète de la tournure des évènements, le corps enseignant est en émoi devant une situation envisagée en termes de prise d’otage : on y retrouve le principal, un pleutre geignard et des professeurs très politiquement corrects dont les femmes qui dénoncent à loisir « les provocations de cette enseignante qui s’obstine par exemple à venir au lycée en jupe dans ce quartier sensible ». Très clairement, si elle se fait prendre en otage, c’est de sa faute ! Seule, une enseignante, amie de l’héroïne de l’histoire, va prendre son parti et la soutenir, elle seule contre tous.

Et les forces de police investissent le lycée…

C’est alors qu’à l’intérieur du théâtre, un conflit éclate, une bousculade se produit, et fortuitement, le révolver tombe, est ramassé, et remis à la prof… qui va s’en servir !

Là, le film bascule dans sa dimension originale : un huis clos où vont s’affronter les élèves et la prof qui utilise la menace de l’arme qu’elle détient pour s’imposer et qu’elle n’hésite pas à brandir pour obtenir le calme… et exiger l’attention de l’auditoire à son enseignement ! A cela, se surimpose un quiproquo d’un nouveau genre. Une prise d’otage, révolver au point, d’une classe par un professeur motivé par un seul but : faire son cours ! Un scénario original et brillamment traité.

Des scènes fortes, comme celle où, à quatre reprises, la tête noire se retrouve avec le révolver sur la tempe pour finir par énoncer, conformément à la demande de son professeur et malgré toute sa mauvaise volonté, que Molière s’appelle Jean Baptiste Poquelin, ou une autre où une des élèves avertit la prof quand elle risquerait de se retrouver surprise par des meneurs… Une certaine complicité se dessine entre les élèves, notamment les filles, et cette prof qui a retrouvé son autorité, même si c’est par arme interposée.

D’autres scènes fortes où, parmi les forces de l’ordre averties de la vraie nature de la prise d’otage, il ne se trouve qu’un officier de police partisan du dialogue avec la « preneuse d’otage » face aux autres, partisans de la manière forte pour délivrer les élèves. On suit petit à petit la sympathie croissante pour l’enseignante qui entend aussi utiliser cette situation imprévue pour énoncer publiquement des revendications : dénoncer les violences faites aux filles en milieu scolaire (dont les tournantes dont elle retrouve une trace sur un téléphone portable et dont elle fera par force dénoncer les coupables à la tête noire), et faire instaurer une fois par an « la journée de la jupe » pour faire afficher aux filles leur féminité retrouvée, enfin dégagée de la tyrannie et de la perversion des garçons, et leur permettre d’évoluer comme toutes les autres filles de leur âge des autres milieux socioéducatifs.

Comme par hasard, cette dernière revendication rencontre aussitôt l’hostilité de la ministresse empantalonnée, dépêchée sur place, consternée d’une telle revendication qui provoque ce commentaire péremptoire : « On s’est battu pendant un siècle pour pouvoir porter le pantalon, ce n’est tout de même pas pour revendiquer maintenant le port de la jupe ! » Donc, c’est clair, on est féministe ou féminine, mais on ne peut pas être les deux à la fois. Tout le monde sait cela, qu’on se le dise !

Le huis clos se poursuit. La prof explique à ses élèves ses motivations pour l’enseignement du français et l’importance que cela devrait avoir pour eux, descendants d’immigrés à qui elle défend de parler arabe entre eux… jusqu’au moment où elle rétorque dans cette langue à une réflexion désobligeante !

Chacun comprend alors avec stupeur qu’elle est “des leurs” et qu’elle a choisi non seulement de devenir française mais de le vivre pleinement et de le faire partager… Elle a clairement opté pour l’assimilation.

Au bout de plusieurs heures, la police donnera l’assaut, contre l’avis du seul officier de police partisan de la négociation, pour « délivrer les élèves ».

Dans l’intervalle, à l’intérieur, la prof est devenu une héroïne, un leader qui a rallié l’immense majorité de sa classe qui la rejetait et la méprisait jusque là et à l’inverse, les meneurs traditionnels sont réprouvés voire rejetés. Cet aspect, loin du syndrome de Stockholm auxquels certains ne manqueront pas de se référer, est particulièrement bien rendu : l’ascendant et le respect primitivement conquis par la force mais ensuite accepté tacitement par tous. Lors de l’assaut, malgré le mouvement de protection qui sera effectué par ses élèves face aux forces d’intervention, la prof - alors qu’il n’y a nulle raison tactique pour tirer ni aucune menace de sa part - sera intentionnellement abattue d’une balle à bout portant…

Comme on est loin de la vision démagogique développée par nos journaleux gaucho-féministes !

Ainsi le vrai message délivré est limpide : l’immigré assimilé doit être un réprouvé surtout s’il a trouvé toute sa place et qu’il suscite des vocations. La tentation assimilatrice - face au communautarisme conséquence de l’intégration - est réprouvée politiquement, au besoin même à l’encontre des sentiments des jeunes issus de la diversité qui pourraient se laisser séduire ! La société plurielle issue de la diversité, formatée aujourd’hui par les officines et leurs dictats soit disant antiracistes, doit s’y conformer !

La journée de la jupe est un film à voir, à l’opposé des clichés et des poncifs éculés véhiculés par Entre les murs. Rassurons-nous, ce film n’aura pas de Palme d’or à Cannes : c’est un bon film original, très bien joué qui ne laisse pas indifférent.

Un film qui dépeint la jeunesse de banlieue sans complaisance, avec ses tabous raciaux et machistes, sans clichés anti-blancs, ce qui n’est pas si fréquent et ce qui a provoqué évidemment la colère de l’imMonde.

Un film qui porte un grand message d’espoir : celui d’une jeunesse dont la dérive pourrait peut être se fondre dans l’assimilation à la société pourvu que les extrémistes qui aujourd’hui l’animent en toute impunité soient réprimés réellement, et non tacitement soutenus politiquement par les tenants de la promotion de cette mixité culturelle et sociale, credo des BHL, Attali et autres “penseurs” chers à nos politiques et à nos médias.

Décidément, non, nous n’avons pas vu le même film !

Source : Le libre journal


 

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Vrijheid van meningsuiting: de puntjes op de i

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VRIJHEID VAN MENINGSUITING: DE PUNTJES OP DE i

door prof. Matthias E. Storme - http://bitterlemon.eu

 

Vrijheid van meningsuiting is vandaag de dag een belangrijk thema, zowel omwille van de reële aantastingen ervan in onze samenleving als omwille van de totaal onterechte hulpkreten erover, beiden vaak vanuit "linkse" hoek. Een van de meest groteske karikaturen van het vraagstuk is wel de tekst die geschreven werd door de "vrijzinnig-humanistische" organisatoren van de "Nacht van de censuur" (21 juni 2008), nl. Rik Pinxten en Björn Siffer [1] (zie ook al de terechte kritiek van Filip van Laenen [2]). Hoog tijd dus om even de puntjes op de i te zetten.

Wat voor iets is "vrijheid van meningsuiting"?

Vrijheid van meningsuiting is op de eerste plaats een juridisch begrip. De vrijheid van meningsuiting is een van de fundamentele vrijheden waarvan de erkenning noodzakelijk is opdat een staat een rechtsstaat zou zijn. Die vrijheid gaat aan de staat vooraf en een staat die deze niet erkent is geen rechtsstaat. Omgekeerd is het waarborgen van deze vrijheden een deel van de legitimatie van de staat tot overheid. Deze erkenning, naast andere kenmerken, legitimeert het geweldmonopolie van de overheid.

Met "waarborgen" van de vrijheid van meningsuiting bedoel ik enerzijds de afwezigheid van inperking ervan door die overheid zelf (geen overheidsgeweld), anderzijds het waarborgen dat die vrijheid ook niet door anderen met geweld wordt ingeperkt of bestreden.

Men verwart nogal vaak de "vrijheid" van meningsuiting als juridisch begrip met zoiets als een "recht op vrije meningsuiting" dat in zijn algemeenheid niet bestaat of minstens niet hoeft te bestaan om van een rechtsstaat te spreken. Zo'n grond"recht" zou betekenen dat de overheid zou moeten garanderen dat iedereen overal daadwerkelijk zijn mening zou kunnen uiten (zie punt 2).

Het geweldmonopolie van de overheid anderzijds maakt dat de overheid de burgers moet beschermen tegen geweld; dit geldt a fortiori voor burgers die geweld ondervinden omwille van het gebruik dat zij maken van de vrijheid van meningsuiting.

Waar geldt die vrijheid van meningsuiting?

De fundamentele vrijheid van meningsuiting is een vrijheid zijn mening te uiten met eigen middelen op eigen kosten en in de publieke ruimte. Vanuit het oogpunt van de rechtsstaat hoeft die vrijheid helemaal niet te gelden op privédomein. In mijn huis beslis ik in beginsel wie ik binnen laat (hierbij laat ik natuurlijk even de verplichtingen jegens gezinsleden buiten beschouwing) en beslis ik dus ook wie daar welke vrijheid van meningsuiting heeft. Hetzelfde geldt op mijn website. Zo ook heeft elk medium juridisch natuurlijk de vrijheid om te beslissen welke meningsuitingen in dat medium geduld worden of niet. Natuurlijk, wanneer ik ruimte die mij toebehoor door middel van een overeenkomst verhuur of anderszins ter beschikking stel van iemand anders, moet ik mijn overeenkomst naleven. Een huurder die zijn contract naleeft kan ik dus in beginsel niet buiten zetten omwille van enige meningsuiting vanwege die huurder.

Op wiens kosten geldt er vrijheid van meningsuiting?

Aangezien de vrijheid van meningsuiting de vrijheid is om op eigen kosten zijn mening te uiten, bestaat er geen juridische verplichting vanwege de overheid om ervoor te zorgen dat iedereen de praktische middelen heeft om overal en altijd in het publieke domein zijn mening te uiten. Wel mag een overheid omwille van de monopoliepositie waarover ze beschikt niet discrimineren, en dat heeft ook zijn weerslag op deze vraag. Wanneer er activiteiten van meningsuiting met overheidsgeld, d.i. belastinggeld, ondersteund worden, dan mag de overheid niet discrimineren, d.i. geen onderscheid maken op basis van de daarbij geuite meningen, tenzij dat onderscheid redelijk kan worden verantwoord aan de hand van een legitieme doelstelling van de overheid. Een publieke zender, die rechtstreeks gesubsidieerd wordt door de overheid, is dus verplicht om onpartijdig te zijn en de verschillende meningen evenwichtig aan bod te laten komen. Als een overheid debatten subsidieert, dan dient de overheid ervoor te zorgen dat er enig evenwicht is in de meningen die daarbij een kans krijgen (daarom niet in elk debat afzonderlijk, maar wel over het geheel genomen). Dat betekent natuurlijk niet dat alle meningen evenveel aan bod moeten komen, of precies in evenredigheid met hun aanhang in de samenleving. Ook mag de overheid enige voorkeur aan de dag leggen voor meningen die de maatschappelijke vrede, de welvaart, de goede zeden en andere legitieme maatschappelijke doeleinden die verband houden met de taak van de overheid bevorderen. De overheid is ook gerechtigd tot op zekere hoogte maatregelen te nemen die de participatie van zoveel mogelijk burgers aan het publieke leven bevorderen.

Zijn er dan geen grenzen aan de vrijheid van meningsuiting?

Natuurlijk zijn er grenzen aan de vrijheid van meningsuiting, zoals er aan alle fundamentele vrijheden grenzen zijn. Enkel kan de juridische inperking van de vrijheid van meningsuiting, ondersteund door de sterke arm van de overheid (overheidsgeweld dus) in een op vrijheden gebouwde rechtsstaat maar heel beperkt zijn, met name waar een meningsuiting een onmiddellijk gevaar betekent voor een belangrijk rechtsgoed zoals het leven, de lichamelijke integriteit en gezondheid of de eer en goede naam van personen. Daarom is het aanzetten tot geweld een mogelijke inperking van de vrijheid van meningsuiting. Een juridische beperking aan die vrijheid in geval van "aanzetten tot discriminatie" daarentegen is nonsens, omdat discriminatie per definitie elk onderscheid betreft dat niet redelijk wordt gerechtvaardigd, terwijl de essentie van een fundamentele vrijheid er juist in bestaat dat men zich jegens de overheid niét met een redelijke uitleg moet rechtvaardigen voor de onderscheidingen die men in het gebruik van die vrijheid maakt. Nog erger wordt het wanneer een overheid de vrijheid inperkt met het excuus van de bescherming van "groepen" van personen. De inperking is slechts gerechtvaardigd ter bescherming van de rechten van concrete mensen, en niet omdat men een "groep" zou beledigen, a fortiori niet wanneer men een profeet van 13 eeuwen terug (waarvan het bestaan hebben overigens erg betwistbaar is) zou beledigen.

Er kunnen nog andere beperkingen gelden op de vrijheid van meningsuiting dan een verbod op aanzetten tot geweld, maar bij nader toezien kunnen die beperkingen nooit slaan op de mening zelf, op de inhoud van de boodschap, maar slechts op de wijze waarop of omstandigheden waarin die wordt geuit, en met name omdat die een concreet gevaar opleveren voor de medemens. Zoals ten onrechte brand roepen in een volle zaal. Maar dan gaat het dus niet meer om de meningsuiting die verboden wordt. Sommigen hebben met dit argument ook geprobeerd een verbod op zgn. aanzetten tot haat te legitimeren, met daarbij nog het lege argument dat haat geen mening zou zijn. Zij dwalen. Het is niet omdat een mening hatelijk is, of als hatelijk zou worden gepercipieerd, dat het geen mening is.

Zijn er dan geen morele grenzen of verantwoordelijkheden verbonden met die vrijheid?

Vanzelfsprekend wel. Meer nog, het gebruik van de vrijheid brengt altijd een morele verantwoordelijkheid met zich mee voor de wijze waarop die vrijheid wordt gebruikt, zoals dat ook geldt voor de wijze waarop elke andere vrijheid wordt gebruikt. Maar buiten de zopas genoemde, zeer enge juridische beperkingen die kunnen gelden, gaat het dan ook om morele grenzen, grenzen die niet met geweld mogen worden opgelegd. Zoniet is er overigens geen vrijheid en dus ook geen morele verantwoordelijkheid. Over de concrete invulling van die morele maatstaven binnen het gebruik van de vrijheid van meningsuiting kan men in een democratische samenleving van mening verschillen. Ook om die reden worden die morele beperkingen in een rechtsstaat niet tot juridische verboden verheven. Maar dat ontslaat ons niet van onze morele verantwoordelijkheid. Die morele verantwoordelijkheid is veelvuldig. Zij betreft op de eerste plaats de verantwoordelijkheid voor de eigen meningsuiting, waarbij men niemand nodeloos dient te kwetsen of te benadelen. Dat heeft met respect voor elke mens te maken. Het betreft ook de verantwoordelijkheid voor de morele en maatschappelijke invloed van de eigen meningsuitingen. Zij betreft ook de deugd van de tolerantie, die respect voor de meningsuitingen van anderen vereist. Dat betekent ook dat moreel handelende personen ook op hun privéterrein een voldoende respect voor andermans meningen zullen betuigen, als een tolerante gastheer. Maar het betekent evenzeer dat iedereen de vrijheid heeft om meningsuitingen van anderen die moreel niet verantwoord zijn aan de kaak te stellen en om anderen omwille van hun onfatsoenlijke meningen desgevallend te "discrimineren". Zo heeft men niet enkel de vrijheid maar soms zelfs de morele plicht om handelingen van anderen ook al zijn ze juridisch toegelaten, als immoreel te verwerpen. Christenen moeten de caritas beoefenen tegenover personen, maar moeten zonodig hard zijn in het aanklagen van bepaalde praktijken, zelfs indien die door de heersende "paarse" moraal als belangrijke verworvenheden worden beschouwd.

Noten

[1] R. Pinxten & B. Siffer, “Censuur, een veelkoppig monster”, De Standaard 21 juni 2008, http://www.standaard.be/artikel/detail.aspx?artikelId=6C1TDTHQ

[2] zie ook al de terechte kritiek van Filip van Laenen, “Censuur, Inderdaad een Veelkoppig Monster”, Brussels Journal 22 juni 2008, http://www.brusselsjournal.com/node/3352.

Rencontre avec François Gibault

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Rencontre avec François Gibault

 

Avec son affabilité coutumière, François Gibault nous reçoit chez lui, au premier étage de ce bel hôtel particulier jouxtant le cinéma « La Pagode ». Étonnant personnage que ce libertaire de droite, catholique, colonel de réserve, amateur éclairé de peinture moderne et d’art lyrique.  Pénaliste réputé, il cumule deux passions : Céline (le biographe est devenu président de la Société des Études céliniennes) et Dubuffet (il en administre la Fondation). Il vient de terminer son troisième roman, Un nuage après l’autre, et prépare l’édition de la correspondance de Céline au pasteur Löchen.

 

Comment se porte la Société des Études céliniennes ?

 

Elle se porte bien. Comme vous le savez, l’essentiel de nos activités, ce sont les colloques qui se tiennent tous les deux ans et qui sont une grosse machine à organiser intellectuellement et matériellement. Ensuite, l’année suivante, c’est la publication des Actes. Le colloque de l’année dernière a été un beau succès, une réunion extrêmement fructueuse pour tout le monde. Nous étions, comme d’habitude, une quarantaine venus, sinon de tous les pays, du moins de tous les continents. Cela avait été remarquablement organisé par l’Institut français de Budapest, et les débats furent passionnants. Il faut dire que le thème était, je crois, très bien choisi : « Céline et la médecine ». Thème double puisque c’était à la fois « Céline médecin » et « La médecine dans l’œuvre ». Les actes viennent d’être publiés ¹. Maintenant, nous travaillons sur le prochain colloque qui aura lieu en France, dans un an, puisque l’usage est l’alternance. Ce sera sans doute Paris, et nous aurions voulu que ce soit au Val de Grâce, mais cette administration vient de refuser pour les raisons que vous imaginez. Le thème en sera « Céline et la guerre » comme cela a été décidé lors de l’assemblée de juillet dernier.

 

En tant que représentant de l’ayant droit, pouvez-vous susciter d’autres manifestations, telle une grande exposition Céline à la Bibliothèque nationale ?

 

C’est envisageable, mais il y a des réticences : les pouvoirs publics ne sont pas très chauds pour organiser quelque chose sur Céline. Ou alors il faudrait un grand événement. Il aurait fallu faire cela au moment du centenaire de la naissance de l’écrivain, mais vous savez que cet anniversaire n’a même pas été mentionné dans la brochure des commémorations éditée chaque année par le Ministère des Affaires culturelles.

 

Beaucoup de céliniens regrettent que les trois entretiens filmés de Céline ne soient pas commercialisés sous la forme de DVD.

 

Ça, c’est tout à fait envisageable, d’autant que Frémeaux vient de publier, sous la forme de disques compact, une lecture intégrale du Voyage au bout de la nuit ². C’est une idée excellente et cela pourrait être une action possible de la société. Par ailleurs, il existe un projet cinématographique d’adaptation du Voyage. Cette fois-ci, ça a l’air sérieux, le contrat est signé mais je n’ai pas encore pu rencontrer le réalisateur François Dupeyron qui est en train de travailler sur le scénario. Vu l’importance de l’œuvre, je crois qu’il envisage de faire un film en deux épisodes. Étant donné son intérêt pour la Première guerre mondiale, je crois qu’il va s’attacher surtout à la première partie du livre, nous verrons bien...  Quoiqu’il en soit, je dois le rencontrer pour veiller au respect du droit moral (vous savez qu’il y a plusieurs manières d’adapter une œuvre), et pour veiller aussi au choix des acteurs... Mais je le crois soucieux d’être très fidèle à l’esprit de l’œuvre, et je ne me fais guère de souci à ce sujet.

 

Comment se porte l’œuvre de Céline en librairie ?

 

Elle se porte admirablement. Le meilleur indicateur, c’est précisément le nombre d’exemplaires de Voyage par an vendus en poche, car vous savez qu’on ne vend plus qu’en poche pratiquement — et en Pléiade, mais ça c’est un autre public. Le grand public, lui, n’achète plus qu’en poche. On ne vend presque plus d’exemplaires en collection « Blanche ». On vend plus de 40.000 exemplaires par an, ce qui est énorme. On en a vendu un peu plus l’année où le manuscrit de Voyage s’est vendu aux enchères publiques : là, il y a eu une espèce de rebond. Il s’en est vendu plus de 50.000 exemplaires. Je pense que Voyage est une des œuvres classiques qui se vend le mieux. Plus de 70 ans après sa parution, il n’a pas pris une ride et c’est encore un best-seller. À titre de comparaison, Mort à crédit se vend à 10.000 exemplaires environ chaque année.

 

Quid d’une édition scientifique des pamphlets ?

 

C’est le serpent de mer, ça revient toujours, on en parle tout le temps, mais vous savez que Madame Destouches est opposée à cette réédition, sinon ça serait fait depuis longtemps. En tout cas, il n’y a pas de projet précis. Compte tenu du climat actuel, je crois que cela serait très mal vu et même considéré comme une sorte de provocation. Céline, de son vivant, ne voulait pas cette réédition, et Madame Destouches ne fait que respecter les intentions de son mari.

 

Avec tout de même une exception : Mea culpa.

 

Mea culpa, c’est autre chose. C’est un texte très court, très élaboré et aussi anticommuniste. Longtemps, elle s’est opposée à cette réédition. Je l’ai beaucoup incitée à accepter une nouvelle publication.

Par ailleurs, on pourrait envisager une réédition partielle des pamphlets. Je n’aime pas beaucoup cela car c’est une façon de trahir l’auteur. Cela étant, j’avais comme idée de republier la fin de Bagatelles (la partie qui concerne l’URSS) avec Mea culpa. On pouvait faire un très beau livre.

De toute façon, le livre n’est pas interdit puisqu’on peut le trouver notamment sur les quais, souvent en édition pirate. Ce livre est en circulation : les éditions originales ne sont pas interdites de vente.

 

N’y a-t-il pas  un  manque  de cohérence de la part de l’ayant droit qui  interdit  certaines  choses et en autorise d’autres (les lettres aux journaux de l’Occupation, la préface de L’École des cadavres, etc.) ?

 

J’ai toujours poussé Madame Destouches à accepter un maximum de choses, y compris les adaptations, bonnes ou mauvaises, car c’est intéressant de faire vivre une œuvre. On a laissé passer un certain nombre de choses y compris les abus de citation. Madame Céline laisse faire. On ferme un peu les yeux. Les pamphlets, cela fait partie de l’œuvre. Ce sont des textes extrêmement violents, mais ils sont intéressants du point de vue de la langue et du style. Il y a de très belles pages et puis aussi, il faut le dire, des pages beaucoup plus faibles. Mais il y a des envolées extraordinaires, ce n’est pas contestable.

 

Quand paraîtra la correspondance de Céline au Pasteur Löchen ?

 

Tout est prêt depuis longtemps, sauf la préface. Entre-temps, le pasteur Löchen est décédé, comme vous le savez ³. J’étais devenu très proche de lui, et sa disparition m’a fait beaucoup de peine. Ce fut affreux, d’autant qu’il est mort avant sa femme qui était grabataire. C’est lui qui s’en occupait. Ils n’avaient qu’un seul désir : c’était de mourir ensemble. Il est mort un mois avant sa femme. À sa demande, je suis allé le voir à Metz, une semaine exactement avant sa mort. C’est là qu’il m’a demandé de prendre la parole lors de son enterrement pour dire quel avait été son rôle dans la défense de Céline, ce que j’ai fait, bien évidemment.

Chaque fois qu’il y a des vacances judiciaires, je me dis que je vais les utiliser à rédiger cette préface. Je dois aussi classer les lettres par ordre chronologique. Au début, les lettres sont datées ou faciles à dater car elles se rapportent à des événements. Ensuite les lettres sont très difficiles à dater, car elles ne comportent aucun repère permettant de les situer dans le temps.

Il s’agit d’une correspondance très intéressante, car on y voit le changement de ton. Au début, les lettres sont respectueuses (« vous homme de Dieu, moi mécréant »), puis elles deviennent plus débridées et plus cordiales. Il est amusant de voir l’évolution de cette correspondance.

 

Y a-t-il d’autres projets ?

 

J’ai un projet personnel : j’aimerais faire quelque chose sur Céline et Dubuffet. Comme vous le savez, j’ai l’honneur de défendre deux œuvres : Céline en littérature, Dubuffet en peinture, puisque je suis Président de la Fondation Dubuffet.  Dubuffet était un homme aux talents multiples : peintre, lithographe, sculpteur, graveur, mais c’était aussi un grand écrivain, ce qu’on oublie souvent. Je ne désespère pas un jour de le faire entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade. C’est une autre affaire. Il y a de vraies correspondances entre les deux hommes. Il y a des fils secrets entre ces deux êtres : ils étaient libres et ont travaillé seuls, ne subissant aucune influence et n’ayant pas de suiveurs. Ils sont aussi créateurs d’un style, ce qui est rare, se moquant de l’opinion qu’on avait d’eux. Ils ont aussi chacun commencé très tard avec une première vie professionnelle : l’un comme médecin, l’autre comme marchand de vins. Dubuffet a commencé son œuvre à plus de 40 ans et Céline a publié Voyage alors qu’il avait à peu près cet âge. Leurs parcours sont assez comparables. J’avais pensé intituler ma biographie « Céline, cavalier seul ». Cette appellation peut également convenir à Dubuffet. En fait, ce sont deux anarchistes très partisans de l’ordre. La seule différence, c’est que si Dubuffet avait une grande admiration pour Céline, l’inverse n’était pas vrai. Que ce soit en peinture, en littérature ou en musique, Céline avait, comme vous le savez, des goûts classiques. Cela étant, on trouve dans leur œuvre des propos comparables quant à l’aspect révolutionnaire de l’art. Dans Asphyxiante culture 4, Dubuffet affirme que l’artiste doit être un révolutionnaire, qu’il est là pour faire avancer les choses, pour chambouler ce qui existe. On trouve une idée comparable dans Voyage au bout de la nuit. Ils ont aussi en commun un côté viscéralement français et, bien entendu, le génie car Dubuffet, lui aussi, était un génie. Un jour, je ferai une communication sur Céline-Dubuffet lors d’un colloque.

 

Votre confrère Jacques Vergès a écrit : « Admirer  Céline  à une époque où règne  la  pensée unique et le  terrorisme intellectuel est  presqu’un  délit ».  Le  fait de vous  être  intéressé de  près à Céline vous a-t-il valu des inimitiés, notamment dans le monde judiciaire ?

 

Absolument pas. Cela tient au fait que je crois avoir écrit une biographie objective de Céline, ne dissimulant aucun des documents que j’ai découverts lors de mes recherches. Ainsi, l’Ordre des médecins des Yvelines m’a donné connaissance du dossier de Louis Destouches. J’y ai trouvé une lettre qui n’est pas à la gloire de Céline et que j’ai reproduite dans le deuxième tome de ma biographie, alors que personne ne la connaissait et que j’aurais pu la passer sous silence 5. On m’a souvent dit qu’il s’agissait d’une biographie à l’anglaise ou à l’américaine. Les gens qui auraient pu me reprocher de m’occuper de Céline me rendent justice. J’ai essayé de montrer Céline tel que je le voyais et, je le pense, tel qu’il était.

 

N’avez-vous pas l’impression que la condamnation morale de Céline est paradoxalement  plus  forte aujourd’hui que dans les années d’après-guerre ?

 

C’est un peu normal : pendant les années d’après-guerre, on ne n’est pas beaucoup occupé de cet aspect de la Seconde guerre mondiale. C’est ensuite que les historiens s’en sont occupés.

Nul doute que sa responsabilité est engagée : il faut reconnaître que certaines phrases de Bagatelles pour un massacre sont insoutenables. Cela étant, quand on fait un livre en ne citant que ces phrases là et en gommant tout le reste, comme l’a fait M. Rossel-Kirschen 6, on arrive à faire de Céline une espèce de monstre. Sur le plan intellectuel, la méthode est inacceptable et condamnable.

 

Dans la préface des Lettres de prison, vous écrivez : « Céline, mieux que  tout  autre, savait  qu’il  n’avait pas voulu l’holocauste  et  qu’il n’en avait pas même été l’involontaire instrument. Il savait aussi qu’il n’avait en rien collaboré ». D’autres biographes de Céline estiment, au contraire, qu’il a collaboré. Tout dépend évidemment de ce que l’on entend par « collaboration »...

 

Évidemment. Céline a « collaboré » comme d’autres écrivains français qui ont fini à l’Académie. Ceci dit, son dossier de collaboration n’est guère consistant. Outre certaines lettres aux journaux (surtout celles écrites en 1942 et 1943), ce qu’on peut surtout lui reprocher c’est d’avoir permis la republication des pamphlets sous l’Occupation. Et on ne peut pas uniquement imputer cela à son éditeur, Robert Denoël. On connaît la lettre de Céline à Karl Epting réclamant du papier pour permettre la réédition de ces textes. Ceci, à une époque où la rafle du Vel’ d’Hiv avait eu lieu. Les déportations étaient connues, même si le sort réel des déportés, lui, ne l’était pas.

 

Ainsi,  vous pouvez donc comprendre que vous choquez certaines personnes lorsque vous écrivez : « Céline apparaît fragile, sensible comme un enfant, souffrant de toutes les misères, tragique et désespéré. »

 

Oui, j’en ai pris, pardonnez-moi l’expression, plein la gueule lorsque, sur un plateau de télévision, j’ai dit que Céline était un humaniste 7. Or, Voyage au bout de la nuit est bien le livre d’un humaniste, c’est évident. Céline était un être très contradictoire :  avare et généreux, anarchiste et homme d’ordre, pour ne citer que ces deux aspects.

 

À cet égard, vous vous êtes d’ailleurs trouvé des points communs avec lui.

 

En effet, je suis bourgeois et anarchiste. Et surtout un émotif rentré, si je peux m’exprimer ainsi. Lorsque j’étais enfant, j’étais d’une extrême sensibilité. Comme Céline, j’ai compris que c’était un immense défaut et qu’il fallait rentrer tout cela, ne pas le montrer, se durcir pour ne pas être vulnérable et prendre tous les mauvais coups. Cela étant, il faut se garder, lorsqu’on est biographe, de se laisser aveugler par les points communs et éviter de faire une sorte d’autoportrait.

 

Comment voyez-vous le petit monde des céliniens ? Il est pour le moins pittoresque, non ?

En effet, mais je crois qu’il en est ainsi dans d’autres sociétés littéraires où l’on trouve également ces aspects de jalousie, de compétition, des petites chapelles, etc. En ce qui me concerne, j’ai un avantage : je suis bien avec tout le monde, que ce soit avec vous, avec Philippe Alméras, ou avec Henri Godard. Et je laisse chacun s’exprimer. Je pense que c’est une condition absolue pour être président de la Société des Études céliniennes. Je m’efforce de ne rentrer dans aucune bagarre. Je ne suis même pas arbitre :  je suis au-dessus de toutes ces querelles.

Quant à mon admiration pour Céline, je puis vous dire qu’elle va en grandissant. Chaque fois que je relis Voyage, je découvre des choses nouvelles. Ainsi, j’ai un exemplaire où je souligne les passages qui suscitent mon admiration. Tout le livre va finir par être souligné !  Vous savez que j’ai enterré récemment mon confrère Jean-Marc Varaut. Peu de temps avant sa mort, il m’avait demandé de lui faire la lecture car il ne pouvait plus tenir un livre. Au téléphone, je lui ai dit : « Je vais te lire des passages de Voyage au bout de la nuit ». Il était réticent. J’ai insisté, et je lui ai lu des passages choisis (la guerre, l’Afrique et un passage sur l’Amérique). Il écoutait, manifestement bouleversé. Et, à la fin, il m’a dit : « Comme je regrette d’être passé à côté de cette œuvre ! » C’était extrêmement émouvant pour moi.

 

Pour conclure, j’aimerais vous demander des nouvelles de Madame Destouches...

 

Vous savez qu’elle a 93 ans. Mais je puis vous assurer qu’elle est très présente, magnifique, ayant même « rajeuni » ces dernières années. Elle avait connu un passage difficile, une sorte de dépression.  Aujourd’hui, elle sort à nouveau. Elle a passé quelques jours l’été dernier dans la suite « Marcel Proust » à Cabourg. Elle va à des expositions, des spectacles de ballets, dîne au restaurant ou chez des amis. Elle fait des choses qu’elle avait vraiment cessé de faire, ce dont je me réjouis.

Propos recueillis par Marc LAUDELOUT

Notes

 

1. Actes du Quinzième colloque international Louis-Ferdinand Céline. Médecine (Budapest, 9-11 juillet 2004), Société d’études céliniennes, 2005, 270 pages, couverture illustrée. Tirage limité à 150 exemplaires. Disponible auprès du Bulletin célinien. Prix : 73 euros, frais de port inclus. Couverture reproduite en dernière page.

2. Voyage au bout de la nuit. Texte intégral interprété par Denis Podalydès, coffret de 16 CD édité par Frémeaux et Associés, 2003.

3. Voir M. Laudelout, « In memoriam François Löchen », in Le Bulletin célinien, n° 252, avril 2004, pp. 9-13.

4. Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Éditions de Minuit, 1986 (la première édition date de 1968).

5. Cette lettre a été reproduite, page 223, dans le deuxième tome de la biographie de Céline (Délires et persécutions, 1932-1944) par François Gibault, publiée en 1985 au Mercure de France.

6. André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge, Éd. Mille et une nuits, 2004.

7. Allusion au débat qui l’opposa à Guy Konopnicki dans l’émission Rive droite, rive gauche de Thierry Ardisson sur la chaîne Paris-Première, le 15 octobre 1997. La transcription de ce débat a paru  dans Le Bulletin célinien, n° 182, décembre 1997, pp. 11-15 ; 17 et 19.

 

 

Quelles règles géopolitiques ont joué dans le conflit du Kosovo?

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Archives de "Synergies Européennes" - 1999

 

Quelles règles géopolitiques ont joué dans le conflit du Kosovo ?

Intervention de Robert Steuckers au Colloque de « Synergon-Deutschland », 24-25 avril 1999 &  à la Conférence sur la Guerre en Yougoslavie de la « Lega Nord », Milan, 6 mai 1999

 

Avec le déclenchement du conflit en Yougoslavie, le 25 mars 1999, toute géopolitique européenne, russe, euro-russe, eura­sien­ne ou germano-russe (peu importe désormais les adjectifs !), doit :

Premièrement : être une réponse au projet de Zbigniew Brzezinski, esquissé dans son livre The Grand Chessboard.

Deuxièmement : organiser une riposte à la stratégie pratique et réelle qui découle de la lecture par les états-majors de ces thè­ses de Brzezinski. Cette stratégie s’appelle « New Silk Road Land Bridge Project », comme vient de le rappeler Michael Wies­berg dans l’éditorial de Junge Freiheit, la semaine dernière.

Le Projet « New Silk Road Land Bridge » (= Pont Terrestre sur le Nouvelle Route de la Soie) repose cependant sur des ré­fle­xions géopolitiques et géostratégiques très anciennes. Elle est une réactualisation de la stratégie du « containment » appliquée pen­dant la guerre froide. Le « containment » dérive des théories géopolitiques

1.        d’Homer Lea, dont Jean-Jacques Langendorf, expert militaire suisse, a réédité le maître-ouvrage en allemand au début des années 80. Dans The Day of the Saxons, Lea fixait la stratégie britannique du « containment » de l’Empire russe, du Bosphore à l’Indus. Lea expliquait que les Russes ne pouvaient pas s’emparer des Dardanelles ou les contrôler indi­rec­te­ment (on se souvient de la Guerre de Crimée et des clauses très dures imposées à l’Empire russe par le Traité de Paris de 1856), qu’ils ne pouvaient pas franchir le Caucase ni dépasser la ligne Téhéran-Kaboul.

2.        d’Halford John Mackinder, pour qui les puissances maritimes, dont l’Angleterre, devaient contrôler les « rimlands », pour que ceux-ci ne tombent pas sous l’hégémonie du « heartland », des puissances du milieu, des puissances continentales.

La dynamique de l’histoire russe, plus précisément de la Principauté de Moscovie, est centripète, dans la mesure où la capitale russe est idéalement située : au départ de Moscou, on peut aisément contrôler le cours de tous les fleuves russes, comme, au dé­part de Paris, on peut aisément contrôler tous les fleuves français et les régions qu’ils baignent. Moscou et Paris exercent une attraction sur leur périphérie grâce à la configuration hydrographique du pays qu’elles contrôlent.

 

La dynamique centrifuge de l’histoire allemande

 

Au contraire, la dynamique de l’histoire allemande est centrifuge parce que les bassins fluviaux qui innervent le territoire ger­ma­ni­que sont parallèles les uns aux autres et ne permettent pas une dynamique centripète comme en Russie d’Europe et en Fran­ce. Un pays dont les fleuves sont parallèles ne peut être aisément centralisé. Les bassins fluviaux restent bien séparés les uns des autres, ce qui sépare également les populations qui se fixent dans les zones très œcuméniques que sont les vallées.  L’u­ni­fi­cation politique des pays à fleuves parallèles est très difficile. Face à cet inconvénient du territoire allemand, plus spécialement de la plaine nord-européenne de l’Yser au Niémen et, plus particulièrement encore, au territoire du Royaume de Prusse (du Rhin à la Vistule), l’économiste Friedrich List préconisera la construction de chemins de fer et le creusement de canaux d’une vallée parallèle à l’autre, de façon à les désenclaver les unes par rapport aux autres.

 

Outre l’Allemagne (et la Prusse), d’autres régions du monde connaissent ce parallélisme problématique des fleuves et des val­lées.

1.        La Belgique, dont la configuration hydrographique consiste en une juxtaposition des bassins de l’Yser, de l’Escaut et de la Meuse, avec un quasi parallélisme de leurs affluents (pour l’Escaut : la Lys, la Dendre ; puis la Senne, la Dyle et le De­mer), connaît en petit ce que la grande plaine nord-européenne connaît en grand. Au début de l’histoire de la Belgique indépendante, le Roi Léopold I a fait appel à List, qui lui a conseillé une politique de chemin de fer et le creusement de canaux permettant de relier les bassins de l’Escaut et de la Meuse, puis de la Meuse et du Rhin, en connexion avec le système allemand. De ce projet, discuté très tôt entre Léopold I et F. List, sont nés le Canal Albert en 1928 seulement (d’Anvers à Liège) et le Canal du Centre (reliant la Haine, affluent de l’Escaut, à la Sambre, principal affluent de la Meuse). Ensuite, autre épine dorsale du système politico-économique belge, le Canal ABC (Anvers-Bruxelles-Charleroi). L’unité belge, pourtant très contestée politiquement, doit sa survie à ce système de canaux. Sans eux, les habitants de ces mul­ti­ples mi­cro-régions flamandes ou wallonnes, auraient continué à s’ignorer et n’auraient jamais vu ni compris l’utilité d’une cer­­taine for­me d’unité politique. L’idée belge est vivace à Charleroi parce qu’elle repose, consciemment ou inconsciem­ment, sur le Canal ABC, lien majeur de la ville avec le large (les ports de mer de Bruxelles et d’Anvers) (le Ministre-Pré­sident flamand,  Luc Van den Brande, confronté récemment à de jeunes étudiants wallons de Charleroi, dans un débat sur la con­fé­dé­ra­li­sa­tion des régions de Belgique, a entendu de vibrants plaidoyers unitaristes, que l’on n’entend plus ail­leurs en Wallonie ; dans leur subconscient, ces jeunes savent ou croient encore que leur avenir dépend de la fluidité du tra­fic sur le Canal ABC).

2.        La Sibérie, comme « Ergänzungsraum » de la Russie moscovienne, connaît également un parallélisme des grands fleuves (Ob, Iénisséï, Léna). Si la Russie semble être, par son hydrographie, une unité géographique et politique inébranlable, en dépit d’un certain particularisme ukrainien, les immenses prolongements territoriaux de Sibérie, eux, semblent avoir, sur le plan hydrographique, les mêmes difficultés que l’Allemagne et la Belgique en plus petit ou en très petit. Raison pour la­quelle le Ministre du Tsar Sergueï Witte, au début de ce siècle, a réalisé au forceps le Transsibérien, qui alarmait les An­glais car les armées russes acquéraient, grâce à cette voie ferroviaire transcontinentale, une mobilité et une vélocité iné­ga­lées. La réalisation du Trans­si­bé­rien don­ne l’occasion à Mackinder de formuler sa géopolitique, qui repose essentiellement sur la dynamique et l’opposition Ter­re/Mer. Parce que les voies ferrées et les canaux donnent aux puissances continen­tales une forte mobilité, comparable à celle des navires des thalassocraties, Mackinder théorise le containment, bien avant la guerre froide, au moment où la moindre mobilité habituelle de la puis­san­ce con­tinentale russe cesse d’être vérita­ble­ment un handicap.

3.        L’Indochine possède également une configuration hydrographique de type parallèle (avec le Hong rouge, le Mékong, le Ping, le Yom, le Salween, l’Irrawaddy). Cette configuration explique la « Kleinstaaterei » de l’ensemble indochinois, ma­ni­pu­lé par les Français à la fin du XIXième siècle, par les Américains après 1945.

4.        La Chine a aussi des fleuves parallèles, mais elle a pu y pallier en organisant des liaisons par une navigation côtière bien or­ganisée. Autre caractéristique de l’hydrographie chinoise : les sources des grands fleuves se trouvent pour une bonne part sur les hauts plateaux du Tibet, ce qui explique l’acharnement chinois à conserver ce pays conquis dans les années 50. Qui contrôle les sources tibétaines des grands fleuves chinois et indochinois risque à terme de contrôler l’alimentation en eau de la Chine.

 

Ce regard jeté sur l’hydrographie démontre surtout que la géopolitique est bien souvent une hydropolitique.

 

Le projet « New Silk Road Land Bridge »

 

Revenons au projet américain de « New Silk Road Land Bridge ». Ce projet vise à créer une barrière d’Etats et de bases con­tenant la Russie loin des mers et de l’Océan Indien. Cette barrière commence à l’Ouest sur l’Adriatique (avec l’Albanie) et se termine en Chine. Elle relie, comme la Route de la Soie du temps de Marco Polo, les deux parties les plus peuplées de la masse continentale eurasienne. En termes militaires, cette barrière serait constituée de l’Albanie réorganisée par les partisans de l’UCK, encadrés par des officiers américains et turcs, une Macédoine où l’on aura sciemment minorisé les Slaves au profit des Albanais renforcés par les réfugiés du Kosovo, une Turquie comme pièce centrale de la nouvelle OTAN, l’Azerbaïdjan qui vient de mettre à la disposition de l’OTAN la plus importante base aérienne de l’ex-Armée Rouge, l’Ouzbékistan à proximité de la Caspienne qui vient de dénoncer le pacte qui le liait à la Russie (dans le cadre de la CEI). A ce dispositif turcocentré, s’a­jou­te­ra très vite la Géorgie (qui vient aussi de se désolidariser du Pacte d’entraide de la CEI), la Tchétchénie qui a déjà perturbé l’a­cheminement par oléoduc des pétroles de la Caspienne en direction du port russe en Mer Noire, Novorossisk. Plus au nord, dans la région de l’Oural, deux républiques autonomes musulmanes de la Fédération de Russie, le Tatarstan, le Bachkortostan et, au Sud, l’Ingouchie (voisine de la Tchétchénie et également musulmane), par la bouche de leurs présidents respectifs, ont ex­primé leurs réticences face à la solidarité qu’exprimait l’immense majorité des Russes à l’égard des Serbes dans le combat qui oppose ceux-ci à l’OTAN et aux Kosovars albanais de l’UCK, manipulés par Washington et Ankara. A l’Est de Moscou mais à l’Ouest de l’Oural, sur le cours d’un affluent important de la Volga, la Kama, au sud des régions moins œcuméniques du nord de l’Oural, se trouvent donc des régions susceptibles d’entrer en rébellion ouverte contre Moscou, si le pouvoir russe cherche à dis­loquer la barrière américano-turque de l’Adriatique aux confins chinois.

 

Dans The Grand Chessboard, Zbigniew Brzezinski table clairement sur la turcophonie d’Asie centrale, appelée à être organisée par Ankara, et, par ailleurs, évoque la possibilité d’étendre la sphère d’influence chinoise jusqu’au Kazakhstan, rejoignant ainsi le pôle turcophile et turcophone s’étendant de Tirana à l’Ouz­békistan. La barrière serait ainsi soudée, le verrou serait complet. Les Russes de Sibérie et d’Asie centrale seraient « con­te­nus ». La barrière serait consolidée par un appui inconditionnel à une Turquie de 70 millions d’habitants (et bientôt 100 mil­lions !). Ankara recevrait des armes et un équipement technologique de pointe. Les Etats-Unis donneraient ainsi aux Turcs l’ac­cès à des satellites de télécommunications, leur permettant d’inonder l’Asie centrale turcophone d’émissions de télévision orien­tées. Des fondations apparemment « neutres » offrent d’ores et déjà des bourses d’étude à des étudiants turcophones d’Asie cen­trale pour étudier à Istanbul et à Ankara. Washington ferme les yeux sur le génocide que subissent les Kurdes, non turco­phones et locuteurs d’une langue indo-européenne proche du persan. Les Kurdes pourraient disloquer le verrou en proclamant leur indépendance et en s’alliant aux autres indo-européophones de la région : les Arméniens, orthodoxes et alliés traditionnels des Russes, ennemis jurés de la Turquie depuis le génocide de 1916, et l’Iran, adversaire des Etats-Unis et alliés potentiels de Moscou.

 

Carte musulmane obligatoire pour la Russie

 

Cette carte musulmane jouée par les Etats-Unis jette le désarroi à Moscou. Evguenii Primakov sait désormais qu’il doit trouver une parade mais sans brusquer les 20 millions de musulmans de la Fédération de Russie et les ressortissants des ex-ré­pu­bli­ques musulmanes et turcophones de l’URSS, constituant l’ « étranger proche ». La Russie est contrainte de forger à son tour un projet cohérent pour les peuples turcophones, sous peine de bétonner définitivement son propre encerclement, mis en œuvre par les Américains. C’est ce qui explique, notamment, l’intérêt que porte notre ami Alexandre Douguine à l’Islam, en tant que force traditionaliste que l’on pourrait opposer à l’Ouest. Douguine fonde sa théorie de l’Islam sur l’œuvre de deux auteurs : Constantin Leontiev et René Guénon. Constantin Leontiev voulait au XIXième siècle une alliance des Orthodoxes et des Mu­sulmans contre l’Ouest (catholique, protestant et libéral). Leontiev s’opposait au soutien russe apporté aux petits peuples slaves des Balkans, parce que ceux-ci, disait-il, étaient animés par des idéologies émancipatrices et libérales, téléguidées depuis Vienne, Paris et Londres. Leontiev s’opposait ainsi au théoricien du nationalisme serbe Ilia Garasanin (Garachanine), qui liait l’orthodoxie balkanique à une revendication anti-ottomane et émancipatrice des communautés paysannes slaves. Garasanin de­mandait l’aide russe, mais ne souhaitait pas introduire l’autocratisme dans les Balkans. A ce titre, il apparaissait comme sub­versif pour les traditionalistes, dont Leontiev. La référence à Guénon, qui s’est converti à l’Islam et retiré au Caire, participe essentiellement, chez Douguine, d’une critique générale du « règne de la quantité ». Diverses instances en Russie cherchent donc à justifier et à consolider intellectuellement une politique d’ouverture à l’Islam qui puisse faire pièce à celle que déploient les Etats-Unis autour de la turcophonie centre-asiatique.

 

Hydropolitique carolingienne

 

En Europe, en prenant pied dans les Balkans (en Albanie, au Kosovo et en Macédoine) et en frappant Belgrade et Novi Sad sur le Danube, les Etats-Unis tentent de barrer la nouvelle grande voie d’eau qui traverse l’Europe, de l’embouchure du Rhin à Rotterdam en passant par le Main, le nouveau canal Main-Danube et le cours du Danube lui-même jusqu’à Constantza en Rou­manie. Cette volonté d’entretenir une liaison fluviale à travers le continent est très ancienne. Déjà Charlemagne avait eu ce pro­jet, à l’aube de l’histoire européenne occidentale. On oublie très souvent que les Carolingiens raisonnaient en termes d’hy­dro­po­litique. Charlemagne, doté d’une solide santé physique, s’est rendu compte des difficultés géographiques et physiques à cen­tra­liser son empire. Pour maintenir l’édifice en place, il a été obligé, pendant toute sa vie, de voyager sans cesse d’un château pa­latin à l’autre. Les missi dominici ont pris le relais, transmettant les consignes à travers tout l’empire. Les seules voies de com­munication permanentes et faciles à l’époque étaient les fleuves. Les Francs, par exemple, pour s’emparer de ce qui allait de­venir l’Ile-de-France et en faire le centre de leur puissance politique, ont descendu le cours de l’Oise sur des radeaux. Seuls les fleuves permettaient d’acheminer d’énormes quantités de marchandises dans des temps raisonnables. Pour ceux qui ne per­çoivent pas l’importance des fleuves après la disparition des routes romaines, le partage de l’empire à Verdun en 843, entre les trois petits-fils de Charlemagne, apparaît absurde. Pourtant, ce partage est d’une logique limpide pour qui raisonne en ter­mes d’hydropolitique. Charles le Chauve, roi de la Francie occidentale (qui deviendra la France), reçoit les bassins de la Som­me, de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Lothaire, empereur, reçoit la Lotharingie, de la Frise au Latium, ce qui apparaît il­lo­gique voire aberrant, sauf si l’on regarde bien la carte hydrographique : Lothaire reçoit les bassins du Rhin (avec la Moselle), de la Meuse, du Rhône (avec la Saône et le Doubs) et du Pô. Louis le Germanique, avec la Francie orientale (qui deviendra l’Allemagne) reçoit en héritage la dualité allemande qui repose, physiquement parlant, sur la dualité de la configuration hy­dro­gra­phique du pays : il hérite des fleuves parallèles de la plaine nord-européenne (Ems, Weser, Elbe, Oder) et, surtout, du Da­nu­be qui ouvre d’immenses perspectives en aval.

 

L’héritage de Louis le Germanique, qui s’emparera de la Lotharingie, scelle la dualité de l’histoire allemande, où, plus tard, la Prusse organisera la grande zone des fleuves parallèles, tandis que l’Autriche prendra en charge le système danubien. Cet état de choses explique pourquoi les Allemands se sont immédiatement entendus avec les Hongrois et qu’ensemble, ils ont guerroyé des siècles durant contre l’Empire ottoman qui entendait, lui aussi, s’emparer du Danube en en remontant le cours pour s’emparer de la « Pomme d’Or » (Vienne). Après les premières tentatives de Frédéric II de Prusse, au XVIIIième siècle, de doter son royaume d’un bon système de canaux raccourcissant les distances pour les marchandises à transporter, réalisations qu’il récapitule lui-même dans son « Testament politique » de 1752, l’économiste du XIXième siècle Friedrich List élabore des pro­jets pour tous les pays d’Europe et pour l’Allemagne en particulier. Il demande aux hommes d’Etat d’ « organiser le Da­nu­be » et d’accélérer le creusement du Canal joignant le Main au Danube. De là vient cette grande idée de relier Rotterdam à Con­stantza et la navigation fluviale danubienne au système de la Mer Noire et des fleuves russes qui s’y jettent. Plus tard, cette idée récurrente dans les politiques d’aménagement du territoire se retrouve chez le géopolitologue Walther Pahl, qui signale que la majeure partie des exportations russes en céréales, en pétrole et en produits sidérurgiques empruntent les voies et les ports de la Mer Noire pour se répandre dans le monde. Plus précis, le géopolitologue Arthur Dix, en 1923, quelques mois après la signature des accords germano-russes de Rapallo, entre Rathenau et Tchitchérine, dessine une carte montrant la sy­nergie po­tentielle entre les systèmes fluviaux russes, allemands et danubiens, permettant d’organiser l’Europe centrale et orien­tale, éventuellement contre les politiques anti-européennes de la France et de l’Angleterre. Max Klüver, historien con­troversé des prolégomènes de l’affrontement germano-russe de 1941-45, étudie dans son ouvrage Präventivschlag, les requêtes suc­ces­si­ves de Molotov auprès de Ribbentrop dans la période du pacte germano-soviétique de 39-41, demandant une participation so­vié­tique dans la gestion du trafic fluvial danubien. Klüver rappelle que Ribbentrop devait tenir compte de réti­cen­ces rou­mai­nes et hongroises et d’abord apaiser le conflit qui opposait ces deux petites puissances danubiennes entre elles. Ce sera l’objet des deux arbitrages de Vienne, œuvre diplomatique de Ribbentrop.

 

La maîtrise du Danube : cauchemar britannique

 

L’ouverture d’un trafic transeuropéen via le Danube a toujours été le cauchemar des Britanniques, depuis 1801.Cette année-là, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, demande à celui-ci d’envoyer des troupes via le Danube et la Mer Noire, pour amorcer une campagne contre les possessions indiennes de l’Angleterre en passant par la Perse. Le Danube devait remplacer la Méditer­ra­née comme voie de communication rapide par eau, parce que Nelson en avait chassé les Français et anéanti les projets na­po­léoniens en Egypte. L’hostilité britannique à tout trafic danubien s’explique :

-          Parce que le Danube relativise les voies maritimes méditerranéennes contrôlées par les Britanniques ;

-          En 1942, pendant la seconde guerre mondiale, des journalistes anglais publient une carte montrant un « Très Grand Reich allemand » centré autour d’un système « Rhin-Main-Danube », lui permettant d’exercer son hégémonie sur l’Ukraine et le Caucase. Pour une certaine opinion à Londres en 1942, le danger nazi n’est donc pas incarné par une idéologie totalitaire ou raciste, ou par un dictateur arbitraire aux réactions imprévisibles, mais par un simple projet d’aménagement du territoire et des voies fluviales, vieux de mille ans. Comme quoi, selon cette « logique », Charlemagne était déjà « nazi » sans le sa­voir ! Et bien avant la fondation de la NSDAP ! Aujourd’hui, pour dénoncer le processus d’unification européen en cours, un géopolitologue français germanophobe, Paul-Marie Coûteaux, ressort la même carte dans un article récent de la revue Géopolitique (mars 1999). Coûteaux se situe ainsi dans la même logique qu’un de ses prédécesseurs, André Chéradame, géopolitologue durant la première guerre mondiale et architecte oublié du système de Versailles, notamment pour ce qui concerne ses plans d’accroissement démesuré de la Roumanie et de la Yougoslavie, et de destruction de la Hongrie et de la Bulgarie. Chéradame cherchait à morceler le cours du Danube après Vienne en autant de tronçons nationaux possibles. Sa géopolitique rencontrait davantage les intérêts anglais que les intérêts français.

-          Tout accroissement du trafic fluvial danubien limite le monopole des transports maritimes exercé par les armateurs de la Méditerranée, généralement britanniques ou financés par la City. Rappelons à ce propos qu’au moment où Soviétiques et Allemands signent le Traité de Rapallo, les Américains, par les Accords de Washington de 1922, imposent à la France et à l’Italie une réduction considérable de leur tonnage, limité à 175.000 tonnes.

 

Une succession de crises bien préparées

 

Quelle est la situation actuelle, en tenant compte de tous les facteurs historiques que nous venons de mentionner ?

A.       Depuis quelques années, le système Rhin-Main-Danube est devenu une réalité, vu le percement du Canal Main-Danube sous l’avant-dernier gouvernement Kohl en Allemagne. Notons que la postérité reconnaîtra forcément le mérite de Kohl, d’avoir réalisé après 1100 ans d’attente un projet de Charlemagne. Mais, inévitablement, en connaissant l’hostilité foncière de la Grande-Bretagne à ce projet, on pouvait s’attendre à des manœuvres de diversion, dont la guerre contre la Serbie, avec le bombardements des ponts de Novi Sad et de Belgrade, a constitué un prétexte en or.

B.       Depuis l’annonce de la fin des travaux du percement du Canal Main-Danube, bon nombre de voies de communication dans le système euro-russe du Danube, de la Mer Noire et de la Caspienne subissent des crises violentes, provoquant des instabilités de longue durée, avec

1.        le conflit de la Tchétchénie, où un oléoduc important acheminant le pétrole de la Caspienne vers un terminal russe sur la Mer Noire, a été bloqué par les troubles qui ont affecté cette république ethnique de la Fédération de Russie.

2.        Une intensification observable des liens entre la Turquie, fermement appuyée par les Etats-Unis, et les ex-républiques soviétiques turcophones, qui quitte l’orbite de la CEI et donc de la Russie.

3.        Un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour l’enclave arménienne du Nagorno-Karabach, où l’Arménie, sans accès à la mer, est coincée entre son adversaire et l’allié de celui-ci, la Turquie.

4.        Un chaos permanent dans les Balkans, surtout depuis la crise bosniaque et la démonisation médiatique de la Serbie, décrite comme une sorte de croquemitaine politique en Europe.

5.        L’échec d’un plan complémentaire, du temps de Kohl et de Mitterrand, visant à joindre le Rhin au Rhône et donc le sy­stème Rhin-Main-Danube au bassin occidental de la Méditerranée ; ce projet « carolingien » a été torpillé par l’aile pro-socialiste du parti des Verts en France, orchestrée par une certaine Madame Voynet, aujourd’hui ministre dans le gou­ver­ne­ment Jospin.

6.        La crise financière qui secoue l’Extrême-Orient et affaiblit ainsi des alliés potentiels de la Russie et de l’Europe.

7.        L’arrestation du leader kurde Öcalan, quelques semaines avant le déclenchement des opérations de l’OTAN, afin que le mouvement de résistance kurde soit neutralisé et ne puisse organiser de diversion contre les opérations américano-tur­ques dans les Balkans, avec l'appui militaire de leurs mercenaires et de leurs vassaux européens.

8.        Le bombardement des ponts sur le Danube en Serbie et en Voïvodine, coupant la voie fluviale la plus importante d’Europe et annulant l’effort financier qu’avait consenti le gouvernement allemand du temps de Kohl pour réaliser le canal Main-Da­nu­be. Les frappes contre ces ponts sont des frappes contre l’Europe et, plus spécialement, contre l’Autriche, dont le com­mer­ce extérieur a connu un boom spectaculaire depuis la chute du Rideau de fer et l’indépendance de la Slovénie et de la Croa­tie, et contre l’Allemagne. Ainsi, selon un article du Washington Times, un armateur allemand de Passau en Bavière risque la ruine de son entreprise parce que le Danube n’est plus navigable au-delà de Belgrade ; de même, un armateur au­trichien, disposant d’une flotte plus considérable, a vu 60 de ses embarcations bloquées à l’Est de la frontière you­go­sla­ve. La Bulgarie et la Roumanie sont isolées et coupées du reste de l’Europe. Ces pays sont contraints d’accepter les con­di­tions de l’OTAN et de mettre leurs espaces aériens à la disposition de l’alliance.

9.        Fin mars, début avril 1999, trois républiques de la CEI, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan déclarent se désolidariser du pacte de défense collective qui les liait à la Russie. Ce qui conduit à l’encerclement complet de l’Arménie, enclavée en­tre trois pays ennemis, avec pour seule issue l’Iran. Les oléoducs passeront donc par la Turquie pour aboutir au terminal de Ceyhan sur la côte méditerranéenne, se soustrayant de la sorte à la dynamique Danube/Mer Noire.

 

De cette façon, le « Pont terrestre » (Land Bridge) sur la nouvelle Route de la Soie devient une réalité géopolitique, au dé­tri­ment de l’Europe et de la Russie.

 

Une riposte est-elle encore possible ?

 

Quelle stratégie opposer à ce gigantesque verrou qui coupe l’Europe et la Russie de leurs principales sources d’appro­vi­sion­ne­ment énergétique ? Il a été un moment question de forger une nouvelle alliance entre la Russie et :

1)       La Serbie

2)       La Macédoine, à condition qu’elle reste majoritairement slave et orthodoxe ;

3)       La Grèce, qui se détacherait de l’OTAN pour manifester sa solidarité avec les autres puissances orthodoxes, mais se verrait coincée entre une Albanie surarmée et appuyée par les Etats-Unis et une Turquie qui n’a jamais cessé de la me­nacer en Mer Ionienne.

4)       Chypre, qui serait libérée des Turcs qui occupent sa portion septentrionale, et deviendrait une base de missiles de la marine russe. On doit rappeler ici l’enjeu important que constitue cette île, véritable porte-avions dans la Méditerranée orientale. Chypre se situe à 200 km des côtes syriennes et libanaises, à 500 km des côtes égyptiennes. Elle est passée sous domination britannique en 1878 et quasiment annexée en 1914, année où les Cypriotes ont pu acquérir des pas­se­ports britanniques. Ce n’est qu’en 1936 que l’armée, la marine et l’aviation britanniques transforment cette île en for­te­res­se, au même moment où les Italiens font de Rhodes, qu’ils possèdent à l’époque, une forteresse et une base aé­rien­ne. Rho­­des se situe à 400 km à l’Ouest de Chypre et également à 500 km des côtes égyptiennes, à hauteur d’A­le­xan­drie. En 1974, la Turquie occupe le Nord de l’île et y constitue une république fantoche qu’elle est la seule à reconnaître. L’an pas­sé, de graves incidents ont opposé des manifestants grecs à des policiers de l’Etat fantoche turc de l’île. Un manifestant grec a été abattu froidement par cette police, devant les caméras du monde entier, sans que cela ne suscite d’in­dignation mé­diatique ni d’intervention militaire occidentale.

5)       La Syrie, dont les fleuves, le Tigre et l’Euphrate, sont asséchés par la politique des barrages turcs, installés en Anatolie du temps d’Özal. Seule la Syrie ne peut résister à la Turquie ; au sein d’une alliance avec la Russie (et si possible, avec l’Eu­ro­­pe), elle serait à nouveau en mesure de faire valoir ses droits.

6)       Le Kurdistan, de manière à dégager l’Arménie de son enclavement et, si possible, de lui donner un accès à la Mer Noire ;

7)       L’Irak, qui serait le prolongement mésopotamien de cette alliance et une ouverture sur le Golfe Persique.

8)       L’Iran qui échapperait aux sanctions américaines (mais on apprend que l’Iran soutient les positions de l’OTAN au Ko­so­vo !).

9)       L’Inde, dont le gouvernement nationaliste vient de tomber à la date du samedi 17 avril 1999, alors qu’il avait déployé une politique de défense et d’armement indépendante, pourrait donner corps à cette alliance planétaire, visant à encercler le « Land Bridge » entre l’Europe et la Russie au Nord, et une chaîne de puissances du « rimland » au Sud.

10)    L’Indonésie et le Japon, puissances extrême-orientales affaiblies par la crise financière qui les a frappées l’an passé. L’alliance éventuelle du Japon et de l’Indonésie, avec le Japon finançant la consolidation de la marine de guerre indienne (notamment les porte-avions), afin de protéger la route du pétrole du Golfe au Japon. Cette alliance avait inquiété les géo­po­litologues américain et australien Friedmann et Lebard, il y a quelques années (cf. The Coming War with Japan, St. Mar­tin’s Press, New York, 1991). Dans son éditorial du Courrier International (n°441, 15/21 avril 1999), Alexandre Adler, dont les positions sont très souvent occidentalistes, craint les hommes politiques japonais hostiles aux Etats-Unis. Il cite no­tam­ment Shintaro Ishihara, devenu gouverneur de Tokyo. Il écrit : « Si un Japon nationaliste et communautaire décide de de­ve­nir le banquier de la Russie néonationaliste, … nous aurons encore beaucoup à réfléchir sur les effets à long terme de la cri­se serbe que nous vivons pour l’instant avec autant d’intensité». 

 

Le flanc extrême-oriental de cette alliance potentielle s’opposerait au tandem Chine-Pakistan, soudé à l’ensemble albano-turco-centre-asiatique.

 

Deux stratégies face à la Chine

 

Dans ce contexte, nous devons réfléchir sur l’ambiguïté de la position chinoise. Brzezinski veut utiliser la Chine dans la constitution du barrage anti-européen et anti-russe ; il cherche à en faire l’élément le plus solide du flanc oriental de cette barrière, de ce « Land Bridge » sur la Route de la Soie, dont l’aboutissement  —on le sait depuis Marco Polo—  est le « Céleste Empire ». Une alliance sino-pakistanaise tiendrait ainsi en échec l’Inde, allié potentiel du Japon dans l’Océan Indien. D’autres observateurs américains, au contraire, voient en la Chine un adversaire potentiel des Etats-Unis, qui pourrait devenir autarcique et développer une économie fermée, inaccessible aux productions américaines, ou se transformer en « hegemon » en Indo­chine et en Mer de Chine. C’est pourquoi on reproche régulièrement à la Chine de ne pas respecter les droits de l’homme. A ce re­proche la Chine répond qu’elle entend généraliser une pratique des droits de l’homme « à la carte », chaque civilisation étant libre de les interpréter et de les appliquer selon des critères qui lui sont propres et qui dérivent de ses héritages religieux, philosophiques, mythologiques, etc.

Les Etats-Unis développent donc vis-à-vis de la Chine deux concepts stratégiques :

a) Ils veulent « contenir » la Chine avec l’aide du Japon et de l’Indonésie, voire du Vietnam.

b) ou bien ils veulent l’arrimer à la barrière anti-russe, favoriser son influence dans le Kazakhstan et renforcer l’alliance anti-indienne qui la lie au Pakistan (l’optique américaine est tout à la fois anti-européenne sur le Danube et dans les Balkans ; anti-russe dans les Balkans, en Mer Noire, dans le Caucase et en Asie centrale turcophone ; anti-indienne dans d’Himalaya et dans l’Océan Indien ; en toute logique les diplomaties européennes, russes et indiennes devraient faire bloc et afficher une politique globale du grand refus).

c) Reste la question irrésolue du Tibet. Si la Chine accepte le rôle que lui assignent les disciples de Brzezinski, l’Europe, la Russie et l’Inde doivent donner leur plein appui au Tibet, prolongement himalayen de la puissance indienne. Le Tibet offre l’avantage de pouvoir contrôler les sources de tous les grands fleuves chinois et indochinois ainsi que les réserves d’eau du massif himalayen, vu que l’eau devient de plus en plus un enjeu capital dans les confrontations entre les Etats (cf. Jacques Si­ron­neau, L’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Economica, Paris, 1996). La Chine tient à garder une mainmise absolue sur le Tibet pour ces motifs d’hy­dro­politique.

 

Trois pistes à suivre impérativement

 

En conclusion, ce tour d’horizon des questions stratégiques actuelles nous montre l’absence tragique de l’Europe sur l’échiquier de la planète. Politiquement et géopolitiquement, l’Europe est morte. Ses assemblées ne discutent plus que des problèmes impolitiques. Aucune école de géopolitique connue n’a pignon sur rue en Europe. Que reste-t-il à faire dans une situation aussi triste ?

A.       Développer une politique turque européenne, qui rejette tout retour de la Turquie dans les Balkans, terre d’Europe, mais, au contraire, favorise une orientation des potentialités turques vers le Proche-Orient et la Mésopotamie, en synergie avec les puissances arabo-musulmanes de la région. La Turquie ne doit plus être instrumentalisée contre l’Europe et contre la Russie. Elle doit permettre l’accès aux flottes européennes et russe à la Méditerranée via les Dardanelles. Elle doit cesser de pratiquer la désastreuse politique d’assécher la Syrie et l’Irak qu’avait amorcée Özal, en dressant des barrages haut en aval du cours de l’Euphrate et du Tigre. Elle doit renouer avec l’esprit qui l’animait au temps du grand projet de chemin de fer Berlin-Bagdad (autre hantise de l’Empire britannique).

B.       Généraliser une politique écologique et énergétique qui dégage l’Europe de la dépendance du pétrole. C’est le contrôle des sources du pétrole au Koweit, à Mossoul, dans le Caucase et le pourtour de la Mer Caspienne qui induit les Etats-Unis à développer des stratégies de containment. Un désengagement vis-à-vis du pétrole doit forcément nous conduire à adopter des énergies plus propres, comme l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Ces énergies seraient dans un premier temps un complément, dans un deuxième temps, un moyen pour réduire la dépendance. De Gaulle avait compris que la diversification des sources d’énergies était favorable à l’indépendance nationale. Sous De Gaulle, de nouvelles techniques ont été mises en œuvre, comme les usines marémotrices de la Rance, l’énergie solaire dans les Pyrénées, une politique de construction de barrages dans tout le pays et le pari sur l’énergie nucléaire (qui n’est plus une alternative absolue de­puis la catastrophe de Tchernobyl). L’objectif de toute politique réelle est d’assurer l’indépendance alimentaire et l’in­dé­pendance énergétique, nous enseignait déjà Aristote.

C.       Vu que la supériorité militaire américaine dérive, depuis le Golfe et la guerre contre la Yougoslavie, d’une bonne maîtrise des satellites d’information, il est évident qu’une coopération spatiale plus étroite entre l’Europe et la Russie s’impose, de façon à offrir à terme une alternative aux monopoles américains dans le domaine de l’information (médias, internet, etc.). Il est évident aussi que l’utilisation militaire des satellites s’avère impérative, tant pour les Européens que pour les Russes. La minorisation de l’Europe vient de son absence de l’espace.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Cologne, 24 avril 1999.

 

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