SYNERGIES EUROPEENNES – Ecole des cadres – Namur
Interview –éclair de Benoit Ducarme
Sur la situation politique en Belgique et en Wallonie
Comment justifieriez-vous la situation politique de votre pays et de votre région en ce lendemain des élections régionales et européennes, où, contrairement aux législatives de 2007, aucune crise politique majeure ne semble agiter le monde politique?
L’étranger, surtout français, spécule ouvertement sur un éclatement du royaume, qui permettrait à l’Hexagonistan de parachever la politique dite des “Réunions” de Louis XIV en absorbant la Wallonie, ultime lambeau pantelant de la “Reichsromanentum”, la “romanité impériale”, qui comprenait aussi l’Artois, le Cambrésis, les provinces aujourd’hui wallonnes, la Lorraine, la Franche-Comté, la Bresse, la Savoie. Cette remarque préliminaire n’est ni académique ni une réminiscence du passé émise par un “nationaliste” fou. En Espagne vient de paraître un livre “Una pica en Flandes – La epopeya del Camino Español” (Edaf, Madrid, 2007), dû à la plume de Fernando Martinez Lainez. Ce livre est une promenade de Milan à Namur le long de l’itinéraire des “tercios” hispaniques en marche vers les Pays-Bas pour lutter contre calvinistes et Français. Implicitement, cet ouvrage espagnol nous donne une grande leçon de géopolitique: nos provinces, romanes comme thioises, de l’ex-cercle de Bourgogne ou de la Rhénanie allemande, sont mortellement mutilées, leurs bassins fluviaux sont morcelés, la voie vers la Méditerranée par la Meuse, la Moselle, la Meurthe, le Rhin, la Saône et le Rhône est occupée, stratégiquement démembrée, politiquement balkanisée. L’espace du “Camino Español” nous liait à l’Italie du Nord et à la Méditerranée, ne nous enfermait dans aucune logique mutilante, ne nous infligeait aucun repli étouffant. La politique française a visé depuis plus de mille ans l’anéantissement de la Lotharingie, du Grand Lothier. Elle veut aujourd’hui en avaler le dernier morceau, la Wallonie, ce qui entraînerait, pense-t-elle, une absoprtion quasi automatique du Luxembourg grand-ducal et donc une domination sur un morceau supplémentaire de la vallée de la Moselle. Resteraient sur la rive occidentale du Rhin, la Sarre et le Palatinat. En revanche, sur les rayons des librairies de Lorraine, de Franche-Comté et de Savoie, les ouvrages historiques bien étayés s’accumulent pour rappeler le passé impérial, “espagnol” ou anti-républicain de ces provinces perdues du Grand Lothier (exemples: Philippe Martin, “Une guerre de Trente Ans en Lorraine – 1631-1661”, Ed. Serpenoise, Metz, 2002; Gérard Louis, “La Guerre de Dix Ans – 1634-1644”, Presses Universitaires de Franche-Comté, Cahiers d’Etudes Comtoises n°60, Besançon, 2ième éd., 2005). Une lueur d’espoir, plus vive bien que ténue, que dans une Wallonie livrée aux prébendiers, aux traitres, aux francolâtres et à toutes sortes d’autres déments.
Le danger d’absorption est d’autant plus réel que nous avons assisté à la fusion Fortis/BNP Paribas et que la domination du secteur énergétique par Electrabel-Suez est un fait bien établi. Electrabel-Suez, on le sait, gonfle ses factures pour les consommateurs belges (wallons, flamands, germanophones, allochtones et autochtones sans distinction), tandis qu’on maintient les prix les plus bas possible pour les ménages hexagonistanais. Le quotidien flamand “Het Laatste Nieuws” (24 juin 2009) vient de dénoncer ce scandale et cette forme nouvelle de colonialisme-ersatz (Prix annuel moyen de l’électricité d’un ménage belge: 660 euro; pour un ménage hexagonistanais: 414 euro, soit une différence de 246 euro!!!!).
Par ailleurs, les résultats électoraux ne présentent plus aucune symétrie entre les diverses régions du royaume d’Albert II. La Wallonie se complait toujours dans un vote de gauche, une gauche qui allie tous les travers “dinosauriens” du socialisme véreux et immobiliste aux dérives festivistes (comme l’entendait le regretté Philippe Muray), exprimées par les factions “écolo” et “CdH”. La Flandre, elle, vote centre-droit, avec un solide zeste de nationalisme régional. La crise de 2007, je le rappelle, a focalisé la haine de ce pôle idéologique socialo-festiviste contre deux personnalités politiques flamandes: Yves Leterme, proposé alors comme premier ministre, et Bart De Wever, le leader de la NVA flamande, tous deux plébiscités en juin 2009, parce que martyrs d’une certaine “arrogance francophone”, tandis que les bourgmestres de la périphérie bruxelloise, décrits comme victimes du “nazifascisme flamand”, ne font pas vraiment un tabac. Joëlle Milquet, présidente du CdH francophone, avait mené la fronde, en 2007, avec un acharnement terrible, en récoltant ainsi le sobriquet de “Madame Non” en Flandre. Pour appuyer les charges de cette furie à la volubilité légendaire, nous avions les entrefilets haineux du principal quotidien bruxellois, “Le Soir”, un torchon très prétentieux, et d’autant plus prétentieux qu’il n’a aucune consistance, ne publie aucune enquête approfondie ni aucune analyse de fond, pour ne débiter rien que des clichés, slogans et schémas droit-de-l’hommistes-cartériens, festivistes, soixante-huitards, trotskistes et gauchistes. Une gazette qui tombe des mains, avec son cortège imaginaire de croquemitaines, de “scélérats” posés comme tels sans la moindre nuance, cloués au pilori, tous venus de Flandre, d’Autriche, de Russie, de Suisse, d’Iran, d’Israël ou d’Allemagne, avec, grimaçants comme les diables d’un tableau de Jérôme Bosch, des Haiders, Berlusconis, Letermes, De Wevers, Poutines, Ahmadinedjads, Blochers ou autres Netanyahous, prêts à déclencher des orgies de sang.
La plaie de la Belgique, le germe de sa déliquescence, de son enlisement dans l’impolitique, c’est justement l’esprit que véhicule le “Soir”. Ceux qui auront un jour le courage politique de porter le fer contre ce chancre sauveront le pays, limiteront les clivages entre communautés linguistiques à des discussions parfaitement gérables, réconcilieront le pays avec son hinterland centre-européen, alpin et slave, donneront aux francophones de Bruxelles et de Wallonie une presse digne d’être lue partout en Europe et dans le monde.
Les hystéries de Joëlle Milquet, des journalistes du “Soir” et du pôle franolâtre bruxellois qu’est le FDF, avec son leader imbuvable, Olivier Maingain, ont contribué à créer une césure totale entre les communautés linguistiques et culturelles du pays, en dépit des tentatives de coopération entre deux grands quotidiens, le “Soir” (justement!) et le “Standaard”. Dans un pays, ou même dans une vaste région géographique comme l’espace sis entre Seine et Rhin, situé au carrefour de quatre grandes langues européennes, il ne me paraît ni sot ni utopique d’imaginer, chaque jour, entretiens et articles traduits de personnalités culturelles ou universitaires venues des deux côtés des frontières linguistiques, de Hollande ou d’Allemagne. Les idées sur les fonctionnements et dysfonctionnements de l’Etat belge du sénateur Alain Destexhe, le seul lucide au sein du MR libéral, ne méritent-elles pas d’être explicitées en néerlandais dans la presse flamande? De même, les analyses sur la partitocratie et la “verzuiling” de professeurs comme Luc Huyse (KUL) et Chris Deschouwer (VUB) ne méritent-elles pas plus ample publicité dans les journaux bruxellois et wallons? La même remarque vaut pour le monde des arts, des lettres et de la politique. Faudra-t-il en rester ad vitam aeternam aux insultes et aux approximations? Aux blocages et aux invectives de l’été et de l’automne 2007 et aux enlisements inféconds de 2008 sur fond de crise économique mondiale?
Curieusement, et en dépit des préjugés tenaces entretenus par la classe politique francophone et par le petit monde journalistique bruxellois, c’est dans l’hebdomadaire satirique et nationaliste flamand “’t Pallieterke”, publié à Anvers, que l’on trouve une chronique, intitulée “Li bia bouquet”, rédigée par un journaliste averti et entièrement consacrée à la Wallonie, son passé et son actualité. Cette chronique est un modèle de ce qu’il faudrait faire et à plus grande échelle. Car nous marinons dans un bien étrange paradoxe: nous avons une classe politique qui hurle contre le “séparatisme” flamand, se gargarise d’un pseudo-idéal d’unité “belge” mais ne fait rien, strictement rien, pour qu’il y ait compréhension mutuelle de part et d’autre de la frontière linguistique. Alors les fossoyeurs de cette Belgique, que Milquet entendait si bruyamment défendre au nom de son salmigondis verbeux inspiré par le festivisme le plus nauséeux, sont-ce quelques politiques flamands, maladroits et patauds, qui quémandent une petite avancée vers un confédéralisme mieux balisé? Ou sont-ce les tenants de ces blocages qui prétendent, sourds aux bruits, à la musique et aux variétés du monde, tenir une vérité unique, indépassable, et l’imposer à l’Europe entière, Paris excepté, en commençant par y convertir de gré ou de force les six millions de Flamands du royaume d’Albert II?
Pour revenir à votre question, la situation semble donc tout aussi bloquée qu’au lendemain des élections législatives de 2007, sauf qu’elle est silencieuse et dépourvue d’éclats. Le scénario demeure en place, comme une bombe à retardement: une crise similaire peut éclater du jour au lendemain. Le processus de confédéralisation, voulu par la majorité flamande, ne trouvera pas le moindre début de concrétisation. Ce qui entraînera bien entendu une crispation légitime dans le Nord du pays. On me rétorquera que les Wallons craignent que cette confédéralisation les priverait d’un fond de solidarité fédérale, dont l’absence les plongerait encore davantage dans le marasme. Peut-être. Mais toute entité politique, étatique ou infra-étatique, doit viser un maximum d’auto-centrage, pour éviter tout aléatoire, trouver en elle-même les sources de son financement. La Wallonie n’a peut-être pas de “fenêtre” directe sur la mer, sauf par le Canal Albert qui se situe quasiment in extenso sur le territoire flamand, mais elle n’en est pas pour autant “mal située” en Europe du Nord Ouest. Elle doit éviter de limiter ses choix à trois options seulement: 1) un maintien au sein du système fédéral belge fermé sur lui-même, où elle n’aura jamais la majorité; 2) une indépendance fictive qui ne fait pas l’unanimité, Namurois, Luxembourgeois, Verviétois et ressortissants de la Communauté germanophone demeurant fort sceptiques et préférant s’adjoindre au Luxembourg grand-ducal, pour ne pas mourir de honte en devenant français; leurs ancêtres s’étaient férocement battu pour ne pas subir la déchéance de passer du statut d’Impériaux à celui, subalterne, de “Royaux”; a fortiori, devenir “Républicains” hexagonistanais... et sarkozisés, de surcroît... 3) imaginer une dissolution totale dans le magma informel de l’Hexagonistan actuel, dont, répétons-le, Namurois et Luxembourgeois ne veulent pas.
Les solutions existent pourtant et selon un modèle déjà en vigueur: celui de l’euro-région regroupant les Limbourgs néerlandais et flamand, la province de Liège avec le territoire de la Communauté germanophone (Eupen, Saint-Vith, Bütgenbach, Weywertz) et les Kreise d’Aix-la-Chapelle et Düren. Cette euro-région fonctionne à merveille. Trilinguisme etconvivialité sont ces atouts et images de marque. Pourquoi cette convivialité? Parce que le projet est certes fort vernaculaire, territorialement réduit, mais unanimement impérial et principautaire, avec des références locales uniquement, sans qu’il n’y ait, posé comme la “déesse raison” le culte jacobin et hexagonistanais, devant lequel il faut faire moults génuflexions. Ce n’est donc pas l’intransigeance flamande qui brouille les cartes et risque de faire imploser le “brol” mais la présence du culte républicain et la francolâtrie.
La Wallonie, effectivement, est située dans ce que les auteurs français d’atlas historiques bien conçus, Jean et André Sellier, appellent l’espace “lotharingien et germanique” (cf. “Atlas des peuples d’Europe occidentale, La Découverte, Paris, 3ème éd., 2006). En associant ces concepts, ces auteurs signalent à nouveau, en dépit des occultations précédentes, qu’existe cette réalité historique, géographique et géopolitique. La notion d’un espace lotharingien, jouxtant l’espace germanique centre-européen, est redevenue concrète et actuelle. L’évoquer n’est plus du tout un archaïsme, une nostalgie comme au temps des chromos “Historia” du Prof. Schoonbroodt, ni une vision d’écrivain, comme dans le magnifique ouvrage de Gaston Compère, “Je soussigné, Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne”. La Wallonie doit entretenir des relations privilégiées avec les Länder de Sarre et du Palatinat, avec les départements du Nord flamando-hennuyer et du Pas-de-Calais artésien, avec la Lorraine et l’Alsace, avec la Franche-Comté et la Savoie, le Dauphiné et la Provence, la Suisse romane et alémanique, selon les principes de diversité et de convivialité qui fonctionnent parfaitement pour l’euro-région mosane-rhénane. Les Flamands et les Néerlandais doivent renforcer leurs liens avec les Länder voisins de Rhénanie du Nord-Westphalie et de Basse-Saxe. La restitution, même informelle du Grand Lothier doit donner à la Wallonie une possibilité de joindre l’Italie du Nord, les trois régions du Piémont (avec le Val d’Aoste), de Lombardie et de Vénétie. Tel avait été son fait jadis. Telle doit être sa vocation dès demain.
La crise belge ne trouvera aucune solution dans le cadre institutionnel belge actuel mais Flamands, Wallons, Germanophones, Bruxellois ne règleront leurs problèmes qu’en se hissant au niveau lotharingien, attitude fière et affirmatrice, attitude offensive et, face aux manigances et agissements jacobins, contre-offensive. Une attitude rendue possible par les dispositions de l’Union Européenne en faveur des autonomies régionales. Une attitude servie par une mémoire historique, qu’il s’agira de raviver.