jeudi, 04 novembre 2021
Bonnal et la Gauche Caviar
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mercredi, 03 novembre 2021
L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola
L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola
Karel Veliký
Ex: https://deliandiver.org/2020/04/pribeh-vzpoury-proti-modernimu-svetu.html
Lorsque Révolte contre le monde moderne (Rivolta contro il mondo moderno) a été publiée pour la première fois en Italie en 1934, le livre est passé presque inaperçu. Non pas qu'il n'ait pas trouvé ses lecteurs, car son auteur, le baron Julius Evola (1898-1974), alors âgé de trente-cinq ans, était déjà suffisamment célèbre dans certains cercles (artistiques, hermétiques, philosophiques et politiques), mais il a été écarté par les autorités locales. Six ans plus tôt, en 1928, au moment même du rapprochement de l'État italien avec l'Église catholique, qui aboutira bien vite à la conclusion des accords du Latran, le baron doit faire face à des attaques indiscriminées tant du côté catholique que du côté du régime - fasciste -, après avoir publié un recueil de ses essais sous le titre Imperialismo pagano (Impérialisme païen). Cela n'a cependant fait que contribuer à la notoriété du titre et de l'auteur. Cette fois, donc, les adversaires d'Evola ont décidé de passer son œuvre plutôt sous silence...
En Allemagne, la situation était différente. Là, Impérialisme païen (Heidnischer Imperialismus. Armanen, Leipzig 1933) avait déjà reçu un accueil favorable de la part de nombreux milieux, que nous résumons aujourd'hui, par souci de concision, sous le terme de "révolution conservatrice". Pour l'édition allemande de la "révolte" (Erhebung wider die moderne Welt. Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1935), le baron a donc remanié le texte, a ajouté unnouvel appareil d'annotation, alors que celui-ci était déjà très complet, et a demandé au poète Gottfried Benn, qu'il pouvait compter parmi ses lecteurs les plus assidus depuis le "paganisme", de veiller à la langue dans la traduction.
Benn, qui partageait une maison d'édition avec Evola, a ensuite également écrit une longue critique enthousiaste, dans laquelle on peut lire, entre autres choses :
"Il s'agit d'un livre dont l'idée repense presque tous les problèmes des Européens, y compris la justification de leurs horizons, et les amène dans quelque chose d'inconnu et inédit jusqu'ici ; ceux qui ont lu le livre verront l'Europe différemment. C'est, en outre, le premier exposé très complet de la force motrice spirituelle fondamentale à l'œuvre dans l'Europe d'aujourd'hui, et 'à l'œuvre' signifie: une force définissant les époques, détruisant le monde dans son ensemble, renversant et orientant, c'est la force motrice fondamentale contre l'histoire. Pour cette seule raison, ce livre est éminemment important pour l'Allemagne, car l'histoire est un problème spécifiquement allemand, l'histoire de la philosophie explique le mode germanique d'autoréflexion".
Le livre a fait l'objet de critiques enthousiastes dans Die Literarische Welt, Deutsches Adelsblatt (le journal de la noblesse allemande), ainsi que dans Völkische Kultur et Der Hammer de Fritsch. Un certain nombre d'autres critiques ont émis des commentaires positifs, bien qu'avec des réserves. En privé, cependant, comme en témoigne la correspondance privée qui subsiste, des voix s'élèvent pour lancer des avertissements et des critiques. Le nom qui a le plus de poids aujourd'hui est celui de Hermann Hesse, qui, dans une lettre d'avril 1935 adressée à l'éditeur Peter Suhrkamp, décrit Evola comme un auteur "éblouissant, intéressant, mais dangereux" :
"Je partage en grande partie sa conception ésotérique de base: depuis près de vingt ans, je vois l'histoire du monde non pas comme une sorte de "progrès" mais, précisément avec les anciens Chinois, comme le déclin graduel d'un ancien ordre divin. Mais la façon dont Evola s'y prend, ici avec la "vraie" histoire, là avec l'occultisme fanfaron, est tout simplement dangereuse. En Italie, presque personne ne s'y est laissé prendre, en Allemagne, c'est différent (voir G. Benn, etc.)".
L'influent penseur que fut le Comte Keyserling, auteur de Das Reisetagebuch eines Philosophen (Le voyage d'un philosophe, 1919), s'attendait au succès de Révolte, car "la glorification par Evola du monde sacré de l'homme solaire ...". et son affirmation que seule la renaissance de ce monde peut sauver l'humanité de l'extinction, représente le meilleur, voire le seul point de départ possible pour la tendance païenne des nationaux-socialistes à spiritualiser leur vision du monde".
Mais cela n'est jamais arrivé. La lecture de la Révolte contre le monde moderne restait une affaire très privée, même dans le Reich, même si les auteurs du Matin des magiciens caractérisaient rétrospectivement le régime par le raccourci "Guénon + Panzerdivisionen". Il faut également souligner que l'année 1935 appartient encore à la "période de transition" post-révolutionnaire. Alors que le régime commence à orienter (Gleichschaltung) sa politique culturelle, visant à attirer ou à rejeter tous les courants centrifuges, il n'y a pas de place dans le lit du fleuve de la pensée nationale-socialiste pour les piliers de la Tradition, dépouillés des couches de l'histoire par Evola. Ainsi, les éditions ultérieures du texte de la conférence romaine d'Evola La doctrine aryenne de la lutte et de la victoire à Vienne (1941) et la traduction du Grundriß der faschistischen Rassenlehre (Berlin 1943) ne sont encore une fois que le résultat d'une initiative individuelle ou la manifestation d'un échange culturel avec l'Italie.
En effet, dans l'environnement diffus de ces premières années, Evola est devenu proche non seulement par sa position mais aussi par sa personne de plusieurs autres "parias" ultérieurs (volontaires et involontaires), tels que, outre Benn, Edgar Julius Jung, auteur du farouchement antidémocratique Die Herrschaft der Minderwertigen1930, visant la désintégration du monde politique des hommes sans valeur et son remplacement par un "nouveau Reich"), qui fut abattu pendant la nuit des longs couteaux ; Raphael Spann, fils d'Othmar Spann, le théoricien du "véritable Etat" (Der wahre Staat), dont la doctrine est qualifiée par Alfred Rosenberg dans Mythos de "nouvelle scolastique" ; Walter Heinrich, l'un des principaux disciples de Spann et organisateur du "Kameradschaftbund" sudète, déshumanisé par les partisans de Henlein : "ils voudraient diriger le peuple national depuis la table verte comme les francs-maçons" ; Karl Anton Rohan, fondateur de l'influente Europäische Revue, alors fustigée par Goebbels ; et Heinrich von Gleichen, figure de proue du Deutschen Herrenklub, dont le visionnaire du "Troisième Reich" Arthur Moeller van den Bruck était initialement proche. C'est-à-dire exclusivement avec les personnalités classées par Armin Mohler dans la nébuleuse de la "révolution conservatrice" (Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, première édition 1950), avec des personnes qui incarnaient précisément ces forces centrifuges (de droite), alternatives, désirant et ayant l'intention de dévier la dynamique de la Nouvelle Allemagne dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, comme l'affirme avec justesse Giorgio Locchi, "Si nous supprimions Hitler et le national-socialisme, le camp de la révolution conservatrice, tel que nous le présente Armin Mohler, aurait certes des ailes, mais il lui manquerait un centre... (voir L'essence du fascisme, 2e édition, p. 56).
Le lecteur attentif le plus influent de Erhebung wider die moderne Welt était donc sans aucun doute Heinrich Himmler, dont les fonds privés ont permis à l'auteur de continuer à opérer occasionnellement dans le Reich dans un domaine étroitement défini et étroitement contrôlé. Plus révélateurs que la propre biographie d'Evola (où il mentionne, entre autres, d'autres "révolutionnaires conservateurs" tels que Hans Blüher, Ernst von Salomon et Ernst Jünger) et ses Notes sur le Troisième Reich sont les documents survivants réimprimés par Hans Werner Neulen et Nicola Cospito dans Julius Evola nei documenti segreti del Terzo Reich (1986 ; sur ce point, voir au moins E. Gugenberger, Hitler's Visionaries, Gateway 2002). On raconte que le baron n'hésitait pas à discuter bruyamment avec le Reichsführer de la SS de ses connaissances acquises non seulement par l'étude mais aussi par la méthode de la perspicacité intérieure (in-tu-eri). Le fait que Himmler lui confie la rédaction de son article, qu'Evola publie dans le supplément culturel ("Diorama") de Il Regime fascista du 15 juin 1939, témoigne peut-être du respect du second pour le premier. Ou à une époque où le non-conformiste Hermann Wirth avait depuis longtemps été remplacé à la direction de l'Ahnenerbe par Walter Wüst, doyen de la faculté de philosophie de Munich. La réticence avec laquelle la "vision polaire" de Wirth (voir Der Aufgang der Menschheit, 1928), bien que projetée sur le fond de divers "faits prouvables" partiels, a été traitée par des chercheurs plus académiques, a déjà été constatée par Evola, lui aussi non-conformiste, en tant qu'invité à la deuxième Nordische Thing, organisée par L. Roselli à Brême en 1934. En effet, parmi les invités italiens, la réponse la plus chaleureuse, au grand dam d'Evola, a été donnée à Giulio Cogni, qui a établi un lien entre l'actualisme de Gentile, élevé au rang de philosophie fasciste officielle, et la doctrine raciale scientifique populaire de Günther, avec laquelle les cadets de la NS ont grandi dans les années 1920...
Julius Evola est resté inconnu en Tchécoslovaquie et dans le Protectorat de Bohème et Moravie. La première et, pendant longtemps, la dernière mention de lui se trouve dans le livre Fascism. A la page 346, seul un extrait de l'article d'Evola pour la Critica Fascista de Bottai d'octobre 1926 est cité en rapport avec le "fascisme aristocratique" ou "superfascisme" (superfascismo).
A propos de la réception d'après-guerre du livre, je reviendrai à vous "une autre fois"...
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George Bernard Shaw : du socialisme au surhomme (et vice versa)
George Bernard Shaw: du socialisme au surhomme (et vice versa)
George Bernard Shaw (26 juillet 1856 - 2 novembre 1950)
Juliana R.
Ex: https://deliandiver.org/2021/02/george-bernard-shaw-socialismem-k-nadcloveku-a-naopak.html
La difficulté avec laquelle George Bernard Shaw seplace sur l'échelle politique est illustrée par un détail de sa vie intellectuelle. Lorsqu'il a commencé, jeune homme, à fréquenter la British National Library et à se plonger dans ses collections, il aurait étudié le Capital de Marx et la partition du Nibelungenlied simultanément dans son bureau. Car il lui semblait que les deux œuvres avaient une idée commune: elles appelaient à la lutte révolutionnaire. "La véritable activité révolutionnaire, écrira-t-il plus tard, consiste à préparer la venue du surhomme."
Le dramaturge, philosophe et romancier irlandais - pour ne citer que les plus célèbres des caractéristiques de sa personnalité aux multiples facettes - est parfois classé dans la catégorie des gauchistes. C'est principalement parce qu'il était l'un des principaux membres de la Fabian Society socialiste et parce qu'il ne cachait pas sa sympathie pour l'Union soviétique, qu'il n'a pas cachée même après une visite dans ce pays (en 1941) et un débat amical avec J. V. Staline. A gauche, en revanche, on lui reproche souvent d'être un partisan de l'eugénisme, un idéaliste philosophique ou un élitiste, un adorateur des grands solitaires. Shaw lui-même a identifié ses sources d'inspiration comme étant Nietzsche, Wagner et Ibsen - Ibsen, qui n'était pas seulement un révolutionnaire social mais qui divisait également les gens en "bœufs et caniches", c'est-à-dire en foules médiocres et en leaders cultivés (1). Son socialisme (sous le mode fabien) peut aussi être appelé socialisme évolutionniste plutôt que révolutionnaire: il cherche un changement lent et sans effusion de sang par la pénétration des fabiens au parlement et dans les administrations locales. En bref, si Shaw appartient à la gauche, alors il est considérablement peu orthodoxe - et incendiaire, comme les hérétiques ont tendance à l'être.
L'une des principales caractéristiques qui rendent ce penseur intéressant même pour le lecteur de droite est le surhumanisme de Shaw. Il l'a incarné principalement dans deux œuvres, Man and Superman (1905) et, en partie, dans une pentalogie de pièces intitulée collectivement Back to Methuselah (1918-20). L'"homme supérieur" de Shaw, qui doit transcender l'humanité contemporaine, est différent du surhomme de Nietzsche et du surhomme de Pierre Teilhard de Chardin et mérite d'être étudié.
Le surhomme, le démocrate du futur
Man and Superman a été publié en 1905 sous le sous-titre "Comédie et philosophie". Elle a été mise en scène deux ans plus tard et jouée sans l'intermezzo philosophique qui est encore d'usage aujourd'hui. Shaw travaille avec l'archétype de Don Juan dans cette pièce hilarante, bien que fortement sublimé. Dans le protagoniste Jan Tanner, descendant de Juan, il dépeint à la fois un penseur et un homme d'action - en d'autres termes, un représentant de sa propre vision vitaliste du monde, un pont vers le surhomme.
Dans l'édition du livre, l'œuvre prend la forme d'une sorte de triptyque. La pièce elle-même est précédée de la préface de l'auteur (sous la forme d'une longue réflexion ou étude) et suivie du "Manuel du révolutionnaire" (une sorte de manifeste et de recueil d'aphorismes). Le Manuel est présenté ici - de manière quelque peu postmoderne - comme l'œuvre non pas de Shaw mais de son héros dramatique Tanner. Les deux textes en prose, la Préface et le Manuel, encadrent donc la pièce, tant sur le plan formel qu'idéologique. L'auteur y formule et élabore sa thèse, ce qui explique pourquoi il a désigné Man and Superman comme un genre précisément comme "comédie et philosophie". Résumons d'abord l'intrigue de la pièce en mettant l'accent sur sa structure idéologique.
Tanner est un philosophe révolutionnaire et irritant qui demande, entre autres, l'abolition du mariage pour qu'il ne soit pas un obstacle à l'eugénisme. Lorsqu'il apprend que sa pupille, Anna, l'a choisi comme marié, il tente de lui échapper en faisant un voyage à travers l'Europe et l'Afrique dans une voiture à moteur. Cependant, il est arrêté à Siera par des voleurs, dirigés par le malchanceux amant juif Mendoza. Capturé, Tanner s'endort et rêve d'une scène en enfer. C'est cette ascension qui constitue l'intermezzo - généralement supprimé -.
Dans le néant infernal, l'ancêtre de Tanner, Don Juan (qui prend la forme de Tanner parce que le type de personnage de Juan survit dans le révolutionnaire en tant que son descendant) philosophe avec son ancienne connaissance Anna. Il s'avère que ce don Juan est un philosophe, qui s'efforce de prendre conscience de la nature à travers l'esprit humain. C'est pourquoi, de son vivant, il a échappé au mariage avec des femmes séduites et n'a pas voulu devenir un simple esclave de la force procréatrice, concentré sur le soin des enfants. Le père d'Anna (incarnant un faux progressisme) et le diable galant (portant les traits de Mendoza et signifiant ainsi un romantique sentimental) se joignent bientôt au débat. À la fin de la conversation, Juan-Tanner rejette la simple apparence qui est l'essence de l'enfer, et sa dévotion à des objectifs secondaires: la beauté ou le plaisir, qu'il avait jusqu'alors trouvé chez ses maîtresses. Au lieu de cela, il trouve une valeur suprême à la vie, préférant sa réalité inquiétante à sa déception. Il quitte donc l'enfer et ses habitants - tous les autres types de personnages - et se rend au paradis.
L'interlude du songe préfigure le choix du vrai Tanner, qui est tiré de son rêve par l'arrivée d'Anna et de ses compagnons. Le révolutionnaire finit par succomber et accepte de l'épouser, souscrivant ainsi au principe de Vie et Réalité. En effet, il sacrifie sa propre individualité, jusqu'alors libre, aux intérêts de l'espèce humaine ; il entreprend, au prix d'une activité intellectuelle et d'une connaissance abstraite du monde, d'engendrer, d'élever et de pourvoir à une descendance.
Cette idée est complétée par la préface et le manuel du révolutionnaire. L'auteur y explique que le socialisme a toujours échoué parce que, jusqu'à présent, l'inégalité des biens n'a pas empêché l'humanité de survivre. Mais cela change avec la mondialisation. Un monde de plus en plus complexe nécessite un nouvel homme, meilleur que tous les précédents, qui serait capable de le gérer. Le surhomme devient une nécessité. Mais comment en fournir un ? George Bernard Shaw voit la solution dans l'eugénisme d'État. Si l'humanité y accède, il ne s'agira, selon Shaw, que d'un changement quantitatif, puisque l'État a toujours choisi des partenaires pour ses dirigeants : les héritiers du trône. Cependant, puisque les pays modernes ne sont plus gouvernés par des monarques mais par le peuple, il est nécessaire de rechercher rationnellement des contreparties à ce nouveau souverain, les masses démocratiques. Les oligarchies, juge l'écrivain, sont tombées parce qu'elles n'ont pas trouvé un seul surhomme à leur tête. La démocratie peut donc d'autant moins fonctionner que nous n'élevons pas un électorat de surhommes (2).
On dit que l'eugénisme exige à la fois l'élimination de la propriété, puisque les différences de circonstances matérielles empêchent l'appariement d'individus appropriés, et l'institution du mariage. En effet, George Bernard Shaw, qui a lui-même vécu dans une union célibataire avec l'intellectuelle fabienne Charlotte Pyne-Townshend, a observé que le mariage et la procréation pouvaient être séparés. Les parents les plus aptes, selon lui, ne sont souvent pas aussi les partenaires les plus aptes, ce qu'il illustre par un cas imaginaire : le fils d'un paysan anglais simple et vif et d'une femme juive instruite hériterait, dit-il, d'un équilibre entre la vie et la pensée, mais sa mère et son père ne se supporteraient pas. (Bien que l'auteur ne le mentionne pas explicitement dans le manuel, il voit dans l'endogamie raciale un troisième obstacle sur la route du surhomme. À la fin d'une autre œuvre, la nouvelle philosophique "A Negro Girl's Journey to God", l'héroïne épouse un socialiste irlandais et lui donne naissance à de "beaux enfants couleur café").
La "surhumanité" et la métaphysique du genre chez Shaw
Voilà donc ce que devrait être l'eugénisme. Ce à quoi un surhomme devrait ressembler, Shaw n'en est pas sûr. Vraisemblablement, dit-il, il doit au moins répondre à l'idéal de kalokagathia et ne pas être un "fanatique de la vertu" mais plutôt un libre penseur inventif, un immoraliste. Si cette idée est trop vague, le surhomme peut être assimilé à des personnages historiques spécifiques. George Bernard Shaw accorde une attention particulière au précédent de la colonie de Oneida Creek dans l'État de New York, aux États-Unis. Entre 1848 et 1878, une petite société de soi-disant perfectionnistes, basée sur des principes communistes et eugénistes, y a fonctionné.
Dans son chef Noeyes - le prototype du communiste, qui "peut être défini grossièrement comme une personne exceptionnellement fière, désireuse d'enrichir le capital commun plutôt que de l'exploiter" - Shaw voit l'épiphanie historique du surhomme. Mais les surhommes individuels ne suffisent plus : il faut un surhomme général. "Si Noeyes avait organisé, non pas quelques dizaines de perfectionnistes, mais l'ensemble des États-Unis, l'Amérique l'aurait vaincu aussi complètement que l'Angleterre a vaincu Oliver Cromwell, la France a vaincu Napoléon, ou Rome a vaincu Jules César."
Mais ce n'est pas seulement l'eugénisme de l'État qui peut faire naître le surhomme, mais aussi la volonté de l'individu. Les personnages principaux de la pièce, Anna et Tanner, incarnent deux approches de la transcendance : la féminine et la masculine. Le principe féminin, selon Shaw, est la Vie, la capacité de sacrifier sa propre personne pour le bien des enfants. Le principe masculin est la conscience de soi, car l'homme, en tant que philosophe, est le cerveau de l'univers. A travers lui, la Nature cherche à se connaître et à orienter la Vie pour qu'elle s'épanouisse toujours mieux. Les deux sexes, et à travers eux les deux approches de la réalité, sont en compétition l'un avec l'autre. La femme moyenne (3) ne souhaite avoir en l'homme qu'un instrument de procréation et d'éducation de la progéniture, dont l'attention ne doit être distraite par rien. L'homme un peu au-dessus de la moyenne, quant à lui, a besoin d'otium (paix). Son activité cognitive est mieux servie par l'étude des femmes à distance, peut-être comme amantes, mais pas comme mères de ses enfants, qui le lieraient au foyer. Aucune des forces qui s'affrontent dans cette dialectique féconde n'est inférieure. Certains hommes excellents doivent cependant succomber et devenir pères afin de transmettre leur intelligence raffinée à leur progéniture. Par conséquent, Tanner se soumet à Anna et, en elle, à la volonté de la Vie elle-même. Don Juan ne conquiert pas dans cette pièce - il est conquis.
En lisant Man and Superman, on ne peut s'empêcher de penser à la Métaphysique de l'amour sexuel. Qu'il s'agisse de l'influence de Schopenhauer ou de l'évolution convergente des deux penseurs, certaines idées sont partagées : la continuation de l'espèce comme une forme de transcendance dans laquelle l'individu se transcende lui-même; la volonté de vie comme un élément puissant et aveugle sur lequel la carapace de l'individu est ballotée ; ou encore l'activité cognitive rendue possible uniquement par la séparation de l'intellect et de la pulsion sexuelle. Même la vision du monde de Shaw est définie par l'idéalisme et le volontarisme. Pour lui, le développement de la matière (y compris l'économie) dépend de la volonté, et surtout de la volonté de personnes exceptionnelles non liées par la morale et la coutume. C'est aussi pourquoi l'histoire peut être orientée vers le surhomme, le but principal, et vers le socialisme, un sous-but. Sans ce "bouleversement biologique", aucun bouleversement social ne peut être envisagé ; d'ici là, le progrès en matière morale reste un leurre. Le végétarien Shaw l'illustre, entre autres, dans la relation de l'homme avec les animaux, qui, même si elle change dans certains détails, reste dans l'ensemble aussi cruelle que jamais, car l'homme n'est toujours qu'un homme.
L'auteur affirme qu'il n'a trouvé qu'une inspiration marginale pour son surhomme chez Nietzsche. Teilhard de Chardin, quant à lui, ne revendique pas l'influence de Shaw, bien que son surhomme ait plusieurs points de contact avec celui de Shaw. Comme George Bernard Shaw, le paléontologue jésuite n'appelle pas à un "individu supérieur" mais à l'ensemble du surhomme. Dans l'œuvre de Teilhard aussi, l'évolution elle-même prend le contrôle, ayant appris à se connaître à travers le cerveau humain. Il appelle lui aussi à un "eugénisme" qui, toutefois, ne se souciera pas de la race. Et les deux philosophes voient le moteur de l'évolution dans la clarification de la conscience. Pour le penseur chrétien, cette clarification consiste en une convergence toujours plus étroite des esprits individuels ; pour Shaw, en une meilleure connaissance de soi et de la réalité, à laquelle doit conduire la concurrence sans frein des opinions. Mais parallèlement, GBS cherche aussi à dépasser le "particularisme" par le "service de la vie", une force universelle commune à tous les hommes et à tous les animaux (3). Pourtant, le surhomme de Shaw a un objectif différent de celui de Teilhard - il ne cherche pas à fusionner avec Dieu, bien qu'il ne soit pas non plus dépourvu de certains éléments religieux.
L'évolutionnisme du dramaturge irlandais n'était pas du pur darwinisme. L'évolution, selon lui, a des causes non seulement physiques mais aussi métaphysiques, et n'est pas matériellement déterminée : elle peut être interférée par l'intellect de la créature individuelle. En accord avec cette vision, Shaw a souscrit au vitalisme, la croyance que la nature et le développement sont spiritualisés par une force immatérielle. Athée fortement idéaliste, il prêchait même que les théâtres devaient devenir les temples d'une nouvelle religion. Sur ces idées, il a construit la pentalogie Retour à Mathusalem (en allusion à l'Ancien Testament, il l'a également appelée "pentateuque"), écrite entre 1918 et 20. La première pièce du cycle se déroule dans l'Eden biblique, où Adam et Eve renoncent à leur immortalité individuelle ; la dernière dans un futur lointain, où les humains ont presque retrouvé l'éternité. Ils passent par la jeunesse en trois ans et passent le reste de leur longue vie à accumuler de l'expérience, à travailler pour se libérer de la matière. (Ce qui, soit dit en passant, rappelle à nouveau l'idée de Teilhard d'une évolution surhumaine conduisant au dépouillement des corps).
L'homme - du moins dans sa forme supérieure - est donc, selon Shaw, responsable de l'avenir de l'espèce. Le message dramatique de l'auteur du surhomme est une philosophie de l'action. Il n'est donc pas surprenant que le "Manuel du révolutionnaire", qui proclame le surhomme comme condition préalable à un monde démocratique et globalisé et l'eugénisme comme une nécessité, soit souvent omis des éditions modernes du livre, tout comme un intermezzo clé est omis de la pièce elle-même.
Cela plairait-il à Shaw que les idées du trublion au sang bleu de Jan Tanner semblent encore révolutionnaires cent seize ans plus tard ?
Notes:
1] La distinction ci-dessus provient de la pièce de théâtre An Enemy of the People, à laquelle Ibsen a identifié le protagoniste, le docteur Stockmann.
2] Cet aspect du livre a été critiqué par L. N. Tolstoï dans une lettre adressée à l'auteur : même les masses, disait-il, pouvaient adopter de meilleures religions et les pratiquer, "alors que pour faire des surhommes des hommes tels qu'ils sont aujourd'hui, ou pour en engendrer de nouveaux, il faudrait des conditions spéciales qui sont tout aussi difficiles à remplir que celles nécessaires pour améliorer l'humanité par le progrès et la civilisation."
3] Selon Shaw, il existe également de brillantes femmes philosophes, comme George Sand. Ils peuvent désirer des enfants, mais pas nécessairement - si Sand avait choisi de devenir mère, elle aurait été motivée par le désir de connaître la réalité et de la représenter dans son œuvre.
4] Le spécialiste de la littérature marxiste Zdenek Vančura qualifie ce service à la vie d'"universalisme" afin de se démarquer du particularisme que Shaw combattait (nationalisme, churchianisme, conscience de classe, etc.). [VAN10C↩URA, Zdeněk. George Bernard Shaw. Prague : Orbis, 1956. La lettre de Tolstoï est citée dans son livre].
Les extraits de L'homme et le surhomme sont cités d'après l'édition tchèque (traduite par Ivan Schulz, Prague, Kamila Neumannová, 1919).
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"Une vague migratoire totale" - le professeur Rupert Scholz, expert en droit constitutionnel et ancien ministre de la défense, répond aux questions de ZUERST !
"Une vague migratoire totale" - le professeur Rupert Scholz, expert en droit constitutionnel et ancien ministre de la défense, répond aux questions de ZUERST !
Ex : https://zuerst.de/2021/11/02/totale-migrationswelle-ex-verteidigungsminister-prof-rupert-scholz-im-zuerst-interview/
Le juriste constitutionnel et ancien ministre fédéral de la Défense, le Prof. Rupert Scholz, a donné à la revue Zuerst une interview sur le désastre de l'Afghanistan et l'état de la nation.
Professeur Scholz, la situation sécuritaire en Afghanistan est fragile. Le retrait précipité a révélé de manière flagrante les défauts de conception de l'ensemble de la mission militaire. Mais le fait que le gouvernement allemand tente apparemment de rattraper son échec politique en rouvrant la frontière aux migrants afghans n'a-t-il pas un poids plus lourd encore ?
Scholz : Le retrait précipité d'Afghanistan est une véritable catastrophe dont l'Allemagne est également responsable. Il est évident que l'Afghanistan a été géré avec des attentes ou des espoirs complètement faux pour l'avenir. Le résultat est un désastre total, pour lequel 59 soldats allemands ont même dû perdre la vie. Tout cela ne peut être réparé en ouvrant les frontières au profit des Afghans. Bien sûr, il faut s'occuper des Afghans qui ont travaillé pour la Bundeswehr ou les magazines d'information des administrations allemandes en Afghanistan. Car ils sont menacés par les talibans. Mais tout cela ne peut être garanti que par le droit d'asile et son contrôle strict. L'ouverture des frontières aux Afghans sur le modèle de 2015 ne peut être envisagée à nouveau.
Dans une interview de 2018 à Die Welt, vous déploriez déjà "que le droit d'asile soit depuis longtemps dépassé par une vague d'immigration de plusieurs centaines de milliers d'individus". Outre l'Afghanistan, la pression migratoire augmente également via la Méditerranée, les Balkans et l'Europe de l'Est. Cette "vague d'immigration" nous menace-t-elle à nouveau ?
Scholz : La vague totale de migration initiée par le gouvernement fédéral en 2015 nous a apporté quelque deux millions de migrants, mais, en plus, elle a aussi établi des violations substantielles du droit. Cela ne doit pas se répéter. L'Allemagne est déjà le pays qui compte le plus grand nombre de migrants après les États-Unis, bien que l'Allemagne soit un pays relativement petit et en aucun cas omnipotent sur le plan économique.
L'interview accordée à Die Welt à l'époque portait également sur votre proposition de modifier l'article 16a de la Loi fondamentale sur le droit d'asile. Dans quel but ?
Scholz : L'article 16a de la Loi fondamentale, qui garantit le droit d'asile, est généralement défini à tort comme un pur droit de liberté, c'est-à-dire que l'on croit que toute personne dans le monde a le droit de se voir accorder l'asile en Allemagne. Cependant, ce n'est pas correct. Le droit d'asile est en vérité et avant tout un droit aux subsides sociaux; et les droits à ces subsides comportent également des limites de recevabilité bien définies - à commencer par la capacité à les recevoir, en passant par les problèmes d'intégration jusqu'aux conséquences financières économiques et sociales. Ceci devrait également être clarifié dans le texte actuel de l'article 16a de la Loi fondamentale.
Vous avez, par le passé, averti à plusieurs reprises que les coûts de l'immigration massive mettraient à l'épreuve la "résilience de l'État-providence". Faut-il une limite supérieure ?
Scholz : Dans le sens susmentionné, la "résilience de l'État-providence" est définitivement mise à l'épreuve. Par conséquent, il est juste de fixer une limite supérieure correspondante pour l'admission des migrants. Cela devrait aussi et surtout se faire dans le cadre européen, d'autant plus que la quasi-totalité des États membres de l'UE ne sont pas du tout d'accord avec la politique migratoire de l'Allemagne jusqu'à présent.
Début 2020, vous avez déclaré : "La décision migratoire de l'automne 2015 était inconstitutionnelle et contraire au droit européen." De quelle manière ?
Scholz : La décision migratoire de 2015 était inconstitutionnelle car elle a été prise sans tenir compte des exigences du droit d'asile selon l'article 16a de la Loi fondamentale. Elle était également inconstitutionnelle au regard du droit européen, car les règlements de Schengen et de Dublin prévus par le droit européen n'ont pas été respectés. Surtout, les règles du protocole de Dublin ont été totalement ignorées. Bien que ce protocole stipule explicitement qu'un demandeur d'asile doit mener sa procédure d'asile dans l'État de l'UE dans lequel il arrive en premier. Tout cela a été tout simplement ignoré par le gouvernement allemand de l'époque et a été critiqué à juste titre par d'autres gouvernements européens, par exemple par le chancelier autrichien Sebastian Kurz.
Cependant, l'Afghanistan ne préoccupe pas seulement le public en ce qui concerne la politique d'immigration. Les récents événements autour de l'aéroport de Kaboul ont également montré l'importance pour l'Allemagne d'un commandement des opérations spéciales prêt au combat et expérimenté. En tant qu'ancien ministre de la défense, comment évaluez-vous la gestion actuelle du KSK (ndt: commandos spéciaux de garde-frontières/Bundesgrenzschutz) ?
Scholz : Les problèmes de l'aéroport de Kaboul ne sont qu'une illustration du désastre global de la politique afghane décrite précédemment. Ce sont précisément des situations de ce genre qui posent des défis que seules des formations de la Bundeswehr compétentes en la matière, comme le KSK, peuvent relever. Il est d'autant plus regrettable et tragique que cet aspect soit lui aussi négligé depuis des années dans la politique militaire du gouvernement allemand. Le KSK n'a pas été entraîné, soutenu et développé avec l'attention et la cohérence nécessaires. C'est plutôt le contraire qui s'est généralement produit - au point de discréditer les membres du KSK qui n'ont fait que professer un patriotisme légitime.
Dans la Bundeswehr, le mécontentement à l'égard de la direction politique est également important. Les investissements dans les équipements, les véhicules et le personnel stagnent, l'armée vit dans l'ombre et les avions et les navires sont souvent inaptes au combat. Dans le même temps, cependant, les tâches dans les missions internationales, comme sur le flanc oriental de l'OTAN dans la Baltique ou dans la région de crise de l'Afrique de l'Ouest, augmentent. Pouvez-vous comprendre cette contradiction ?
Scholz : Il est vrai qu'il y a beaucoup de ressentiment dans la Bundeswehr à l'égard de la direction politique. Malheureusement, il est également vrai que les investissements en équipements, en formation et en personnel sont absolument nécessaires. Depuis des décennies, notre État ne s'est pas suffisamment occupé de la Bundeswehr - jusqu'à la suspension du service militaire obligatoire, qui reste difficile à justifier. Il est possible de franchir le pas vers une armée professionnelle et de renoncer au service militaire obligatoire. Cela présuppose toutefois que les réglementations transitoires nécessaires soient créées en matière de politique du personnel. Mais c'est précisément ce qui a été ignoré dès le départ lors de la suppression du service militaire obligatoire. Les missions internationales confiées à la Bundeswehr sont essentiellement justifiées, surtout sur la base de la politique d'alliance, par exemple dans les États baltes et dans la zone du Sahel. Mais dans tout cela, il manque en fait un concept stratégique de base véritablement fondamental et de plus grande portée. Pendant des décennies, l'Allemagne n'a même pas pensé à la stratégie militaire et donc à la première condition préalable à une véritable capacité de défense.
Sur un autre sujet : en tant que spécialiste du droit constitutionnel, comment évaluez-vous l'arrêt très discuté de la Cour constitutionnelle fédérale sur la loi sur la protection du climat ?
Scholz : Je ne considère pas que la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle fédérale soit correcte dans son résultat. Aussi importante que soit la protection du climat, et aussi évidente que soit l'application de l'article 20a de la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle fédérale a surinterprété ou exagéré la question en ce domaine. Par conséquent, cet arrêt équivaut à une protection des droits fondamentaux déjà pour les générations futures - même avec la conséquence d'une applicabilité subjective pour les associations de protection de l'environnement d'aujourd'hui et ainsi de suite. L'article 20a de la Loi fondamentale, que j'ai formulé à l'époque en tant que président de la Commission constitutionnelle mixte du Bundestag et du Bundesrat, n'est absolument pas une disposition de droit subjectif, mais une disposition exclusivement objective de droit étatique. La Cour constitutionnelle fédérale n'en a pas suffisamment tenu compte dans cette décision. Il en va de même pour la vision de l'avenir qui est ici chargée de droits fondamentaux. La Cour constitutionnelle fédérale souligne dans toute sa jurisprudence jusqu'à présent que les décisions sur l'avenir des infrastructures en particulier, ce qui inclut la protection du climat, s'accompagnent d'un haut degré de discrétion politique de la part des organes étatiques agissant dans chaque cas et ne sont formulées normativement que dans leur ensemble. La Cour constitutionnelle fédérale n'a cessé de souligner ces principes au cours de plusieurs décennies - et à juste titre. Or, dans la décision actuelle, c'est littéralement le contraire qui se produit, ce qui - je le crains - aura un effet contre-productif au lieu de le justifier dans la politique de protection du climat de demain.
La polarisation de la politique climatique et environnementale est menée avec des mots éthiquement nobles. Y a-t-il un risque que la morale l'emporte sur le droit ?
Scholz : Ce danger existe encore et encore, et il a été intensifié par la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle fédérale. Dans l'ensemble de notre politique, la distinction entre la morale et le droit est toujours trop faible, et surtout lorsque nous croyons devoir soutenir une certaine exigence morale, nous l'exagérons au point qu'elle est supposée être même normativement contraignante. Cependant, il faut toujours faire la distinction entre la morale et le droit. L'État de droit démocratique exige le droit démocratique pour le droit et non pour le bénéfice des exigences morales parfois très singulières des parties intéressées individuelles.
La remise en cause du droit applicable dans la question de l'asile, les restrictions des droits fondamentaux dans le cadre de la pandémie Corona, les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale à caractère politique ou moral, la perte de confiance dans la politique : l'État de droit est-il en crise ?
Scholz : L'État de droit constitutionnel est encore essentiellement intact dans notre pays. Mais les symptômes critiques s'accumulent de plus en plus ; et c'est là que des contre-mesures prudentes doivent être prises. Aucun État constitutionnel ne tombe littéralement du ciel. Tout État de droit qui fonctionne doit être entretenu, soigné et développé face aux menaces respectives. Malheureusement, cette prise de conscience fait de plus en plus défaut dans notre pays. Le résultat est une perte de confiance dans la politique. Les décisions relatives à la pandémie du coronavirus sont également problématiques à bien des égards du point de vue de l'État de droit. Ici, une primauté réglementaire de l'exécutif s'est développée, qui, à bien des égards, est également entrée et continue d'entrer en conflit avec les droits fondamentaux qui ont la priorité en vertu de l'État de droit. Cela aussi a conduit à une perte substantielle de substance de l'État constitutionnel libéral et de sa stabilité.
En particulier, les partis populaires autrefois tout-puissants, la CDU et le SPD, représentent aujourd'hui à peine 50 % de l'électorat, le nombre d'adhérents diminue et les jeunes qualifiés font défaut dans les rangs de ces partis. La notion classique de "parti du peuple" (ndt: attribuée aux chrétiens-démocrates et aux sociaux-démocrates) est-elle un modèle abandonné ?
Scholz : Pendant des décennies, la stabilité de notre démocratie constitutionnelle a reposé sur la primauté des deux grands partis populaires, la CDU/CSU et la SPD. Leur concurrence et leur orientation vers la population dans son ensemble les ont transformés en partis populaires correspondants, la CDU/CSU dès le début et le SPD au plus tard après le programme de Godesberg. Cela a contribué de manière décisive à la stabilité et à la vitalité de notre démocratie. La compétition entre ces deux grands partis populaires était vraiment bénéfique. Toutefois, la situation a considérablement évolué entre-temps. Le nombre de partis s'est accru, des partis dissidents se sont joints à eux, ainsi que des partis situés aux confins de la droite et de la gauche.
Vous êtes vous-même membre de la CDU depuis 1983, vous avez été ministre fédéral de la défense et vous avez participé à de nombreuses fonctions et mandats pour l'Union. Ressentez-vous une douleur face à l'éviscération (Entkernung) de votre parti en termes de contenu ?
Scholz : Je suis en effet peiné par le fait que la CDU/CSU soit vidée de son contenu. J'ai dû observer ce processus pendant des années et j'ai souvent exprimé mes critiques à son égard. Mais cela a toujours été sans succès.
Avec l'accent mis sur le centre de la classe moyenne et après des années de grande coalition, une démarcation nette avec l'AfD allait de soi. Néanmoins, il existe bel et bien des accords et une coopération au niveau municipal et informel, notamment dans les nouveaux États fédéraux. L'exclusion de l'AfD est-elle viable à long terme ?
Scholz : Il y a donc, parfaitement observable, la considérable éviscération programmatique de la CDU, qui ne cesse de s'amplifier encore. Dans un tel contexte, les électeurs doivent être respectés et ne peuvent être diabolisés ou simplement déclarés extrémistes. Une telle attaque contre les électeurs est absolument antidémocratique et très dangereuse pour l'existence de notre démocratie. En ce sens, je suppose qu'une exclusion de l'AfD sera difficilement tenable sur le long terme. Du moins si l'AfD ne risque pas de se désintégrer elle-même. Certains aspects pourraient bien annoncer qu'un tel développement est possible.
Professeur Scholz, merci beaucoup pour cette interview.
16:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Droit / Constitutions, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rupert scholz, allemagne, europe, affaires européennes, droit constitutionnel, constitution allemande | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"
La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"
par Cristi Pantelimon*
Source: article paru dans „Eurasia. Rivista di Studi geopolitici”, Anno XIV – n. 4, Ottobre-Dicembre 2017
L'année 2016 avait enregistré les débuts d'une nouvelle opération géopolitique sur le sol européen, sous l'appelation d'Intermarium. Tout le scénario de cette opération montre que l'Intermarium, vieille nostalgie impériale polono-lituanienne du Moyen Âge, est aujourd'hui une construction artificielle, anti-européenne, contraire aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne. Elle constitue un instrument américain de contrôle de la périphérie orientale de l'Union européenne, c'est-à-dire de l'espace de contact entre le monde allemand (et plus généralement ouest-européen) et le monde russe. La Roumanie ne semble pas intéressée à jouer le rôle que les Etats-Unis ont attribué à la Pologne et à l'Ukraine; les déclarations de ses représentants suggèrent qu'elle n'a pas l'intention de se distancer du noyau franco-allemand de l'Europe.
L'été dernier, la présentation du groupe d'assistance dit Intermarium a eu lieu à Kiev, à l'hôtel Radisson Blue, qui, selon un article de presse ouvertement favorable au projet Intermarium, préfigurerait un bloc géopolitique compact, doté de tous les attributs nécessaires, et serait une "initiative de l'Est" (1). La carte qui accompagne l'article en question est vraiment audacieuse: elle indique la zone de la nouvelle construction géopolitique, en partant de la zone de l'ex-Yougoslavie, avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Slovénie ; il est curieux qu'elle n'inclue pas l'Albanie, qui est par ailleurs un client fidèle de l'OTAN ; elle inclut la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, l'Ukraine, la Roumanie et aussi, ce qui est extrêmement intéressant, le Belarus. Cerise sur le gâteau: la Crimée apparaît sur la carte, probablement comme une partie de l'Ukraine. L'article fait un long excursus dans la protohistoire de ce projet géopolitique, en commençant par l'union polono-lituanienne de 1569 à Lublin. En réalité, les racines du royaume polono-lituanien sont encore plus anciennes, puisque dès 1385, l'histoire rapporte l'accord politico-dynastique de Krewo, entre la reine polonaise Jadwiga et le grand-duc de Lituanie Jogaila, avec lequel les bases du futur État polono-lituanien (2) ont été posées. Si nous examinons la carte de la fédération polono-lituanienne au Moyen Âge (3), nous pouvons constater que ses territoires correspondaient plus ou moins à ceux de la Pologne actuelle, partiellement à ceux de l'Ukraine et du Belarus et aux territoires baltes, mais n'avaient aucun lien avec les régions balkaniques et roumaines. On peut en dire autant des territoires correspondant à la Hongrie, à la République tchèque et à la Slovaquie d'aujourd'hui. La vie assez courte de ce royaume polono-lituanien s'est terminée au XVIIIe siècle par le partage de la Pologne en 1772-1775 entre la Prusse, l'Autriche et la Russie.
Si l'on laisse de côté l'histoire dramatique et troublée de la Pologne et des Polonais et que l'on revient à notre époque, une question se pose: qu'est-ce qui rend possible la relance de ce projet ? De même, nous devons répondre à une autre question: dans quelle mesure le projet actuel est-il important pour la Roumanie ?
L'article cité répond très clairement à la première question: "L'Intermarium, en sa qualité d'alliance d'Etats post-soviétiques, voudrait être le stimulus d'un projet plus ambitieux, qui irait jusqu'à mettre en commun, sur une plus grande échelle, les forces militaires de l'ensemble des pays en question", afin de créer une sorte d'alliance complémentaire à l'OTAN qui s'opposerait à l'impérialisme russe. L'article précise ensuite les éléments économiques communs de cet espace, mais aussi les éléments culturels.
Mais l'essentiel a été dit lorsqu'il s'agit d'énoncer la finalité militaire de cette nouvelle construction géopolitique. Un autre article en faveur de l'Intermarium apporte une petite contribution: cette première conférence tenue à Kiev s'est déroulée sous les auspices du mouvement ukrainien Azov, qui a donné son nom au célèbre bataillon qui a combattu les séparatistes dans le Donbas et dont le chef suprême, Andrij Biletski, est député à la Rada ukrainienne (4). L'Intermarium serait, ni plus ni moins, "un vecteur alternatif de l'intégration européenne". En effet, les initiateurs de ce projet espèrent, même s'il s'agit pour l'instant d'une hypothèse lointaine, dans la "possibilité d'avoir des alliés au sein de la Fédération de Russie, avec le projet d'autonomie de la région de Kaliningrad, connue pour son importance stratégique dans le domaine nucléaire". Les critiques d'Andrij Biletski à l'égard de l'Union européenne, de la France, de l'Allemagne et des États d'Europe occidentale, accusés de détruire bureaucratiquement l'Europe, y furent largement exposées. Il est vrai qu'il existe une tendance à revenir aux valeurs traditionnelles dans le cadre des nations européennes. Enfin, l'homme politique ukrainien estime que l'ère des États-nations puissants dans le cadre de l'Europe est revenue et que l'Ukraine peut être un modèle dans cette perspective. L'article sur cette première conférence de présentation de l'Intermarium a également été repris et traduit en anglais (5). L'impression que l'on a est celle d'un programme de propagande.
Qui dirige l'orchestre d'Intermarium ?
Pour comprendre qui sont les "ténors" de cette partition, qui contient ici et là quelques notes alléchantes (pour un spécialiste de la géopolitique faisant autorité comme Robert Steuckers, l'initiative Intermarium peut être positive en principe, mais elle est aujourd'hui mise en œuvre par ceux qui cherchent à empêcher l'accord russo-allemand, qui redonnerait sa gloire au Heartland dont parlait Halford Mackinder) (6), il sera utile de citer un prestigieux analyste américain, expert dans le domaine dont nous parlons, à savoir George Friedman. Dans un article du 7 juillet 2017, l'analyste américain affirme que l'Intermarium n'est rien d'autre que l'instrument avec lequel les États-Unis tentent d'empêcher toute initiative de la Russie de se déplacer vers l'ouest: "Son but serait de contenir tout mouvement potentiel de la Russie vers l'ouest. Les États-Unis la soutiendraient. Le reste de l'Europe s'en inquiéterait" (7). En d'autres termes, l'Intermarium sera un problème tant pour la Russie que pour le reste de l'Europe. Friedman inclut également la Turquie dans ce périmètre (aux côtés de la Pologne et de la Roumanie, qu'il considère - préférence personnelle ? - états de référence de la nouvelle construction) (8). D'un point de vue économique, Friedman voit dans l'Intermarium un potentiel de réplique à petite échelle du modèle économique américain, plus "entrepreneurial" que celui de l'Europe occidentale (c'est-à-dire plus conforme aux règles du marché, donc plus proche des intérêts américains), un potentiel de perturbation pour l'Union européenne, qui a de toute façon suffisamment de raisons d'être perturbée....
La Pologne, qui est peut-être l'acteur le plus important de ce projet géopolitique, a certainement son propre intérêt à être attirée par celui-ci. Les raisons ne sont pas seulement liées aux relations historiques de la Pologne avec ses voisins orientaux et occidentaux. La Pologne a des ambitions régionales, qui, selon nous, ne seront pas diminuées par l'échec relatif de l'Ukraine, bien au contraire. L'historien polonais Tomasz Szczepanski (photo) le dit franchement: "Le fondement du projet Intermarium est l'objectif de créer en Europe de l'Est (ou Europe centrale et orientale), comprise comme la région entre la Russie et l'Allemagne, un pôle de puissance capable de contrebalancer la puissance des deux voisins. Le but de la création d'un tel pôle est de sécuriser la région contre les tentatives impériales de la Russie et de l'Allemagne et de créer les conditions du libre développement des nations de la région" (9). Le même historien affirme que si, d'un point de vue politique, l'Intermarium est un élément d'équilibre face à l'impérialisme russe, d'un point de vue culturel, il est plutôt opposé à l'occidentalisme. Dans cette approche, nous entendons déjà un autre niveau de discours, plus sophistiqué, bien loin de la propagande anti-russe ou anti-allemande à bon marché.
L'auteur polonais met les points sur les i lorsqu'il affirme que les nations de la région d'Europe de l'Est, qui ont connu l'hégémonie russe, ont davantage confiance dans une alliance avec les États-Unis (qui est loin d'être parfaite) que dans une Union européenne qui viserait géopolitiquement à évincer les États-Unis d'Europe. Les craintes de la Pologne doivent être prises en compte (l'historien polonais rappelle que, juridiquement, la constitution allemande stipule que les frontières de l'Allemagne sont celles de 1937) dans la nouvelle architecture de sécurité européenne, car les ignorer ne pourrait que conduire à une aggravation de la situation générale en Europe. Avec tous les mérites de ses observations, l'auteur polonais démontre une compréhension limitée du contexte politique global lorsqu'il met sur la table (cela semble être un leitmotiv de l'approche politique liée à l'Intermarium) le problème de Kaliningrad, qui lui semble une aberration géopolitique et une menace pour la Pologne. Il propose, sic et simpliciter, la "solution" de ce problème à l'avantage de l'État polonais...
Ces remarques montrent comment les différends historiques intra-européens empêchent une possible construction européenne avec de réelles valeurs géopolitiques, débarrassée de toutes ces querelles plus ou moins dépassées. Une telle entreprise devrait se détacher des idiosyncrasies historiques, des égoïsmes nationaux (sans ignorer les vertus et les besoins naturels des nations européennes), afin de faire de l'Europe un véritable acteur sur la scène géopolitique mondiale. Grâce à la vision de Thiriart d'une Europe de Lisbonne à Vladivostok (difficile à imposer, reconnaissons-le, au niveau mental collectif des "tribus" européennes, comme Thiriart appelait les nations comme de simples entités morales et culturelles, dépourvues de ferveur politique), nous arrivons à comprendre ce que chaque nation européenne devrait sacrifier dans le cadre d'un projet géopolitique d'intégration du continent. Voici ce qu'écrit Thiriart : "Au début du XXIe siècle, les États comptant moins de 400 ou 500 millions d'habitants seront éliminés de l'histoire. (...) La plus grande absurdité que j'ai pu lire ces dernières années est celle de "l'Europe aux cent drapeaux" (...). Les grands États, les seuls qui survivront au XXIe siècle, devront nécessairement être politiques et devront nécessairement réprimer, écraser et éradiquer toutes ces vagues identités "raciales", linguistiques et religieuses qui pourraient interférer avec l'Imperium. Seul l'État-nation politique permet la construction de grands États libres, historiquement autonomes. Hobbes a dit à juste titre: "La liberté, c'est la puissance". Aujourd'hui, pour nous, la puissance serait une république impériale qui s'étend de Dublin à Vladivostok, dans les structures d'un État unitaire et centralisé" (10).
Les idées de Tomasz Szczepanski sont également pertinentes pour le cas roumain. Un géopoliticien et homme de culture de la stature d'Alexandre Douguine a récemment déclaré à Bucarest, lors de la présentation de son livre Destin eurasien, que la Russie a commis de nombreuses erreurs à l'égard de la Roumanie, ainsi que de l'Ukraine (11). Un tel discours, orienté vers l'avenir et non vers le passé des relations avec la Russie, est beaucoup plus approprié à la situation actuelle de l'Europe, qui doit faire face aux plus grandes provocations géopolitiques de l'après-Seconde Guerre mondiale (peut-être plus grandes que celles des années 1990, lorsque l'empire soviétique s'est effondré). Dans une telle perspective, le projet Intermarium est sans valeur. Elle ne fait que remplacer une relative (inévitable ?) hégémonie interne européenne par une hégémonie ou une ingérence géopolitique non européenne (États-Unis). Toute puissance géopolitique spatialement étrangère peut spéculer sur les différences de potentiel géopolitique entre les États européens afin de déstabiliser l'unité européenne. L'alternative à l'intégration européenne sera appelée désintégration européenne. D'autre part, l'auteur polonais cité ci-dessus souligne que les relations entre l'Intermarium (dont le noyau est posé en Pologne et en Ukraine) et la Russie ne doivent pas être inévitablement conflictuelles, au contraire. Une Russie plus "pacifique" sur le plan géopolitique serait souhaitable. À notre avis, une Russie "impérialiste" (au sens large) serait également acceptable, à condition qu'elle joue le rôle de l'hégémon idéal envisagé par Carl Schmitt (12).
Dans le même sens, toujours dans une perspective allemande (cette fois-ci celle de Jordis von Lohausen), la géopolitique d'une Europe unie devra devenir la géopolitique d'un Reich idéaliste, c'est-à-dire d'un Empire qui, en tant que tel, reconnaît la valeur et la validité de toutes les nations qui acceptent de le rejoindre. Qu'une telle Europe puisse avoir plusieurs moteurs (Russie, Allemagne, France, etc.) est moins important. Il est plus important que, au-dessus de toutes ses composantes, l'intérêt général du continent prévale (13).
Le fait que l'Intermarium soit un élément dangereux pour l'unité européenne est déjà évident au vu des nouvelles concentrations de troupes russes... à la frontière de cette construction géopolitique (pour l'instant) fictive. Si la Pologne et l'Ukraine sont les piliers militaires de cette construction (à notre avis la Roumanie a un rôle moins important et nous verrons pourquoi), de nouvelles unités militaires russes apparaissent dans la zone de démarcation de ce nouvel espace, en réponse aux manœuvres de l'OTAN dans la partie orientale de l'Europe. La coagulation des sous-unités géopolitiques au sein de l'Europe prévue par Thiriart entraîne une nouvelle séparation, un nouveau rideau géopolitique, cette fois peut-être plus dangereux, car il ne s'agit plus d'une frontière idéologique, mais d'une frontière purement militaire, déplacée de Berlin à Kiev (14).
La place de la Roumanie dans la matrice Intermarium
Toutes les déclarations officielles roumaines montrent que la Roumanie essaie de ne pas se distancer du soi-disant noyau dur européen, formé par l'Allemagne et la France. C'est précisément contre ce noyau dur que l'Intermarium se formera, si tant est qu'il se forme. Avec un président d'origine allemande et une histoire francophile au cours du siècle dernier, la Roumanie n'a aucune raison de jouer la carte anti-européenne choisie par la Pologne. Relativement indépendante du point de vue de la production d'hydrocarbures (les importations de gaz russe ne représentant que 15% des besoins), la Roumanie, contrairement à la Pologne, avec laquelle elle entretient de bonnes relations (l'épisode le plus marquant de la solidarité entre les deux nations est l'asile donné en 1939 par la Roumanie au gouvernement polonais), ne semble pas intéressée par le rôle de petite hégémonie locale que lui propose la Pologne avec l'Intermarium. On pourrait même dire que la Roumanie tente de concilier les deux camps, le pro-atlantique et le pro-européen, en préférant une politique attentiste. Un épisode récent important est lié à la politique d'équipement de l'armée roumaine, un domaine extrêmement sensible, à partir duquel on peut deviner l'orientation géopolitique plus générale du pays. Ainsi, la Roumanie s'est engagée à acheter des batteries de missiles Patriot et la presse a parlé d'un "accord de principe" du département d'État américain pour la transaction. Parallèlement, dans le cadre de la récente visite du président français Macron en Roumanie, les spécialistes de la défense ont entamé des discussions avec l'entreprise française concurrente, MBDA, dont l'offre semble être meilleure que celle des Américains !(15).
De cette manière, la Roumanie s'ouvre à une orientation géopolitique que nous pourrions définir, bien que timidement, comme multipolaire, sentant que le rôle hégémonique des Etats-Unis en Europe et dans le monde commence à s'affaiblir. En ce sens, on constate des efforts clairs de régulation des relations avec la Russie, mais aussi une (ré)ouverture d'importantes voies de collaboration avec la Chine, un acteur géo-économique et géopolitique qui, jusqu'à récemment, était " bloqué " aux portes de la Roumanie pour des raisons de pro-atlantisme exacerbé. Récemment, la Roumanie a entamé des discussions importantes pour la construction de deux réacteurs nucléaires avec la Chine ; cela montre une volonté de transgresser les inhibitions géopolitiques inspirées par les États-Unis. Dans ces conditions, avec toute la publicité qui lui est faite, l'Intermarium ne peut apparaître que comme une construction artificielle, anti-européenne et régressive par rapport aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne.
Notes:
[1] http://hajde.fr/2017/03/21/lunion-baltique-mer-noire-une-...
[2] Ion Constantin, Din istoria Poloniei și a relațiilor româno-polone, Ed. Biblioteca Bucureștilor, 2005, p. 18.
[3] https://ro.wikipedia.org/wiki/Uniunea_statal%C4%83_polono...
[4]http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2016/07/2...
[5] http://reconquista-europe.tumblr.com/post/146993199731/th...
[6] http://robertsteuckers.blogspot.ro/search?q=Intermarium
[7] https://geopoliticalfutures.com/intermarium-three-seas/
[8] George Friedman s'est fait remarquer pour l'attention qu'il porte à la Roumanie. A sa façon, il est un observateur attentifdes relations entre la Roumanie et la Fédération de Russie. Il était présent à Chisinau (avec ses conseillers, bien entendu), pour présenter une fondation de nature géopolitique. Il est intéressant de souligner le fait que Friedman est considéré proche des intérêts de Moscou par les unionistes roumains les plus résolus. Sa prudence lors des déclarations de Chisinau pourrait aussi être le reflet dela situation générale dans laquelle se trouve la République de Moldavie, un Etat qui, manifestement, ne désire par suivre la voie de l'Ukraine voisine, étant bien plus prudent dans sa politique d'équilibre entre l'Est et l'Ouest.
[9] http://www.europemaxima.com/l%E2%80%99autre-europe-un-ent...
[10] V. http://www.leblancetlenoir.com/2015/04/europe-l-etat-nati...
[11]http://adevarul.ro/news/politica/reportaj-ideologul-putin...
[12] V. Carl Schmitt, The Concept of Reich in International Law, în Carl Schmitt, Writings on War, Polity Press, 2011, pp. 101-110. Pour développer utilement cette thématique, en réfénrenceplus particulièrement à Carl Schmitt, on se réfèrera à Günter Maschke: http://www.archiveseroe.eu/maschke-a112853978
[13] Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance, Ed. du Labyrinthe, 1996, pp. 196-197.
[14] http://www.limesonline.com/lanakonda-della-nato-alle-port...
[15] http://www.cotidianul.ro/cum-au-marcat-francezii-in-lupta...
12:25 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roumanie, intermarium, europe, affaires européennes, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Luc-Olivier d'Algange: "Dans le triple mouvement de la vague"
Luc-Olivier d’Algange
Dans le triple mouvement de la vague
« La mer, le bleu Protée »
Borges
Tant que nous ne comprenons pas qu'il y a une coalition de forces destinées à nous restreindre, nous démoraliser, nous faire taire et finalement, nous tuer, nous demeurons à sa merci, livrés aux tumultes sans espérances. Notre alliée majeure sera la distance, celle que nous prenons avec l'amer discours global que l'on nous tient et l'universelle tristesse diffuse, répandue en marées noires sur nos consciences, - distance prise et maintenue entre les hommes qui, se refusant à vivre en tas, se saluent de loin en loin, et parfois cheminent ensembles, non en touristes mais en fils de roi, - tels les Pléiades de Gobineau.
*
N'attendons pas de nous croire abandonnés de tous pour savoir que nous sommes seuls. Devançons l'appel que nous font les forêts, les nuages, les prairies, et prenons les chemins de traverse. Notre mémoire nous précède: nous ne savons pas encore ce dont nous nous souviendrons, croyant l'ignorer. La sapience du cœur bruissant de tous les temps est sise dans chaque seconde justement honorée. Elle nous fait signe, divulguée et cachée, héraclitéenne par nature dans l'immanence irisée de transcendance. Elle nous revient à la fois comme héritage et comme pressentiment; elle revient d'en-deçà, d'en-dessous et le monde est l'écume de la vague qu'elle roule et dont nous sommes sculptés, témoins de pierre.
*
L'âme verdoie. Le souffle s'avive. La joie, secrète éclosion, est gnose qui divague d'éons en éons, jusqu'au-delà de Dieu qui n'est qu'un IL ! La voici saisissable dans l'éclat de la lumière du fond de la noire prunelle. Toute la lumière possible est dans la nuit. Le bel honneur sera d'y demeurer fidèle, ordonné à ses impondérables racines, à ses éclairs d'orage d'été sous le ciel gagné par le grand silence d'avant-tonnerre.
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Nous venons d'avant, et c'est ainsi qu'aujourd'hui est déjà derrière nous, dans cette pénombre où se perdent les cris et les rages.
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Souvent la plénitude à l'improviste survient et aussitôt les forces adverses adviennent pour s'en venger. La plus grande puissance intérieure est ainsi confrontée, par la fatalité d'un temps dominé par le ressentiment, à la plus grande menace. La beauté conquise excite l'animosité de ceux auxquels elle se refuse. Ce qui n'est pas est en guerre permanente contre ce qui est, - qui doit ainsi recourir à l'éthique héroïque pour ne pas disparaitre. Espérons qu'aux rêveurs, aux intercesseurs et aux désintéressés revienne aussi le privilège du Bouclier de Vulcain afin qu'ils survivent encore un peu dans ce monde désastré.
*
Quelques personnes connues, aimées peut-être, ou même simplement entrevues suffisent à sauver la vie de quelques autres, à lui donner un sens, une ampleur qui, en leur absence, se fussent refusés.
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La grande entreprise d'avilissement se poursuit dans l'activisme planificateur des cupides et des moroses. Quiconque prétend vouloir y échapper et entraîner quelques autres dans cette échappée belle sera jugé hérétique, autrement dit, dans l'actuel jargon antiphrastique, « réactionnaire » voire pire. La perte du sens des mots est l'un des signes des temps les plus notables et les plus sinistres. Ah que reviennent l'approfondissement de l'été sous le règne des dieux impondérables, le scintillement épiphanique de la lumière sur la surface des eaux, la simple beauté de la voile latine, la ruée des orages lumineux, - et la grande désinvolture délivrée, tragique et joyeuse, devant la vie et la mort !
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Une sapience nous en viendra, en ressacs odysséens et divines anamnèses, dont Porphyre détenait le secret.
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Le moderne est celui qui juge que rien de ce qui lui est donné n'est assez bon pour lui, ni la terre, ni le ciel, ni les dieux, ni ses semblables. D'où son activisme modificateur, ses technologies arrogantes et despotiques et sa rage qui change tout legs en décombres, - et avec cela, moralisateur hystérique contre toute vertu au sens antique.
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La force ne fut, n'est et ne sera jamais ailleurs que dans le calme. L'ennemi, en nous, et en dehors de nous, le sait bien: tout ce qui nous fait perdre notre calme nous affaiblit et nous dispose à la défaite.
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L'homme chevaleresque n'est pas l'homme sans défaut et sans faiblesse, ni même un homme perfectible: il est celui qui, de ses faibles forces humaines, s'efforce vers une beauté qui, peut-être, va l'anéantir. Cependant, toute existence qui n'est pas une quête du Graal est un interminable avilissement.
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La mémoire heureuse est une croisée de chemins qui portent vers le cœur le souvenir des allées, le parfum des prairies, la rumeur des cités mystérieuses. La mémoire malheureuse est une comptabilité de déceptions, de remords et de griefs, sous éclairage artificiel.
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« Là où il n'y a plus de dieux règnent les spectres ». Ce propos de Novalis, si nous en tirons les fils jusqu'à nous, dit à peu près ce qu'il faut savoir de notre temps. Il nous reste, à nous qui sommes relégués aux marges d'une société devenue l'ennemie de notre civilisation, à opposer à cette réalité spectrale, le réel immense, tantôt lapidaire, tantôt diffus qui, par bonheur, quelquefois, se laisse accueillir dans la ressource de notre langue accordée à la grammaire du monde.
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Sitôt que les anciennes civilités, qui sont l'enseignement des siècles, sont contraintes de battre en retraite, une torve barbarie s'installe, utilitaire et fondamentaliste. Tout ce que Villon, Rabelais, Montaigne, Cyrano de Bergerac, le Prince de Ligne, Villiers de l'Isle-Adam ou Valery Larbaud tentèrent de nous apprendre, disparaît et nous sommes laissés sans défense devant les néons, les écrans, les banquiers et les barbus fanatisés.
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Le monde est plein de dieux et d'œuvres, qui sont la preuve de la générosité humaine, et réserve ainsi à ceux qui les honorent, des forces sensibles et consolatrices dont nul acharnement nihiliste ne peut venir à bout. Tout au plus peut-il restreindre encore l'aire heureuse, mais si limitée qu'elle soit, même réduite à une tête d'épingle, voire à une pointe invisible, elle demeure cette prodigieuse trouée dans l'espace-temps d'où reviendront d'improbables épiphanies.
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Il est bon et juste quelquefois, face à l'outrecuidance du pouvoir, - celui de l'argent, qui s'exerce sous le couvert de la loi, celui du guichet et de la bêtise accréditée par le plus grand nombre, - de réveiller quelque ancien mépris aristocratique et de se souvenir que ces oppresseurs ne sont jamais que des esclaves promus ou des maîtres dérogés et avilis.
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Ce qui empêche la plupart des êtres humains de saisir leur bonheur, c'est d'ignorer, en préalable, l'immensité du désastre où ils se trouvent et l'abomination de leur condition. Enfin, tout nous sera ôté de ce que nous aimions et de ce qui nous aimait, et que nous eussions aimé davantage si nous n'avions pas été si vétilleux et vindicatifs, si aveugle à la magnificence du don offert.
La condition humaine est telle que, dans Le Septième Sceau, sur cette rive austère, où l'on voit le chevalier pâle jouer aux échecs contre la Mort.
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Ce jour, ce soleil dans les nuées, cette cité au bord de la mer, sont tant plus vastes que nous qu'il est juste de s'y laisser dissoudre nos craintes et nos acrimonies, et même de nous y perdre jusqu'à disparaître.
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Paradoxe notre temps: plus loin nos racines plongent dans le passé, jusqu'aux nappes phréatiques de notre civilisation même, et plus nous nous trouvons exilés sur les terres qui furent celles de nos légendes et de nos songes. Qu'est-ce qu'un homme, dans l'actuelle société française, dont les pensées s'accordent naturellement à l'Astrée d'Honoré d'Urfé ou à la promenade nervalienne « par-delà les portes de cornes et d'ivoire » ? Un exilé d'entre les exilés, parlant à ses contemporains une langue devenue presque incompréhensible.
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Et c'est bien ce qui vient à l'esprit lorsqu'on assiste à tant de débats et discussion simplificateurs et acrimonieux. Parlons d'autre chose ! Parlons des livres oubliés et des plages désertes, des mystères du sommeil et de la musique des morts, qui, selon Nicolas Gomez Davila, persiste sous le vacarme des vivants. Parlons de l'Ange du crépuscule et de l'avant-matin, des Ennéades de Plotin et de L'Antre des Nymphes de Porphyre. Parlons de la paracelsienne « signature des choses ». Parlons de la peau frémissante et des chevelures ensoleillées des amantes. Parlons des poètes, des saints et des héros, des arcanes de notre pays, des demeures philosophales, de l'or du temps, de la belle gradation qui unit le sensible et l'intelligible, parlons des astres et de la pluie.
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Les bien-pensants sont, désormais, en permanente crise anaphylactique: toute libre pensée, même à des doses infinitésimales, les révulse. Un ministre nous dit que tel intellectuel aurait « perdu ses repères » et voici une horde d'obséquieux de surenchérir, tout heureux de nuire avec l'aval du gouvernement. Le spectacle qu'ils offrent est à la fois comique et sinistre: sauts de puces s'évertuant, comme au cirque, à complaire à l'Empire du Bien. Que se disent à l'envi ces moralisateurs dans la citerne croupissante de leur cervelle ? « Si je puis être un homme de talent, que je sois au moins celui qui le juge et le condamne ! ». Il y a, chevillée au corps de tous les moralisateur, et pourrissant leur âme, cette rancœur, cette volonté de pouvoir aigrie, pour laquelle la fin justifie les moyens, - et qui participe, par le fait, à l'enlaidissement du monde.
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Il est bon de reconnaître le moment où il faut sortir du débat, prendre le Large et reconquérir la souveraineté de l'Instant dont le prisme diffracte et diffuse les clartés de tous les temps, - où le passé le plus lointain donne son halo discernable au moment présent, lequel contient la toute-possibilité d'un monde recommencé. Les « « réalistes » appliqués comme de bons élèves à traiter des « questions de société » participent de ce qu'ils dénoncent parfois, et nous emprisonnent dans une fatalité forgée. Leurs adversaires semblent être les seuls points d'appui de leur pensée mais ces joutes valent moins de celles des raseteurs du port de Sète. Mieux vaut, sur une terrasse, attarder son regard sur une page d'Horace ou la chevelure d'une amie où vient se prendre la lumière du soir qui tombe. Là nous trouverons la force du vrai combat.
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Rituel personnel: réciter chaque jour, en fondations de notre raison d'être, les raisons de notre gratitude et faire l'éloge de ce qui nous est donné, à commencer par ce ciel de Merveilles au-dessus de nos têtes, ce Graal d'azur renversé, ou ces nuages dont le mouvement, si nous le traduisons en notre âme, est la plus belle symphonie du monde.
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Ce qui importe n'est pas en nous mais dans un ailleurs proche comme un souffle, un ailleurs qui bat dans notre propre veine jugulaire par l'intercession de l'air et de la lumière.
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Seul sur une terrasse au bord de la mer, je suis dieu.
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La fameuse technique dont on nous ressasse les avantages est avant tout une technique de contrôle et de dépendance. Chacun de ses « progrès » accroît l'emprise sur nous des « fournisseurs de service » que nous payons pour être contrôlés par eux. La servitude volontaire interdit d'y résister, même pour protester contre elle puisque les moyens de protestation sont eux-mêmes souvent conditionnés par un abonnement internet. Reste le papier, la magie concrète d'une page imprimée qui n'est pas une information virtuelle mais une chose concrète, comme un arbre ou une pierre. Adressons un signe d'une rive à l'autre. Quittons l'écran. Ouvrons un livre.
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Toutes les grandes œuvres littéraires, même les plus classiques de forme et d'apparence, sont éperdues. Elles sont des signes jetés au monde, brefs scintillements dans la course vers la mort.
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Le plus grand calme est conquis par ceux qui, entourés d'énervés, y résistent. Le calme est précisément un nerf, une nervure dont l'absence a pour conséquence l'inconséquente agitation de la plupart.
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Le bien commun par excellence est notre langue. Ceux qui l'altèrent, l'offensent, la dénaturent, l'enlaidissent, la restreignent et la réduisent sont, têtes de poissons pourries, nos ennemis. Notons bien, en passant, que la plupart de ceux que l'on dit illettrés offensent moins la langue française de nos prétendues élites politiques, « communicationnelles » ou technocratiques. La « faute de français », en l'occurrence, est un péché véniel.
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Une seule phrase accordée aux ressources de l'intelligence et de la langue française suffit à contrebattre la totalité du mécanique bredouillis global dominant, - de même que l'infini déhiscent dans une goutte de rosée, ou d’un regard, fait contrepoids à la close totalité, - de même encore que la source vive nous fait oublier la citerne croupissante. Une fois écrite ou entendue, cette phrase devient inaltérable et tomberions-nous en prostration ou mélancolie noire, vaincus par les vengeurs et les moroses, elle demeurerait, claquant dans l'air vif de l'amitié, étendard d'une irrécusable victoire, d'un symbole actif.
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« Etre de bonne race », cette formule qui fut encore familière, et sans arrière-pensées, aux homme du dix-septième siècle, ne veut pas dire que nous appartenons à une race au sens biologique, scientiste, qui serait meilleure que d'autres, qui seraient mauvaises, mais qu'une fidélité nous porte, venue du fonds des temps, dont nous nous efforcerons, sans toujours y parvenir, d'être digne: rien n'est acquis qui ne soit encore à reconquérir.
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« Orare et laborare ». Il faut entendre dans cette formule initiatique et alchimique, tout de même autre chose qu'aller au bureau et assister à la messe du dimanche.
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« Réalistes » est le nom que se donnent ceux qui ne voient en toute chose que les raisons d'être les plus basses et les plus communes. Le réel polyphonique, imprévisible, vaste et prodigieux leur échappe, et lorsqu'ils l'entrevoient, ils ferment la porte et verrouillent à triple tour.
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Quelle crainte anime ceux qui veulent nous amoindrir, nous dissiper, nous diffamer, nous démoraliser, nous faire taire ? Pourquoi tant s'évertuer ? Serait-ce que nos songeries, nos spéculations sont, pour eux, et pour le monde dans lequel ils s'enferment et veulent nous enfermer, une menace ? Nos ennemis ne sont ainsi pas les derniers à nous révéler les fins dernières de nos plus innocentes et improvisées audaces. Ils semblent tant assurés de leur victoire et de notre fragilité que nous finissons par en douter, et par nous croire plus forts que nous ne l'imaginions au départ. De tout grand rêveur confronté à leurs hostilités et à leurs mépris, ils forgent un héros malgré lui, - et préparent ainsi la venue du « nouveau règne » qu'évoquait Stefan George.
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La société de consommation, outre sa nature polluante et inepte, a pour conséquence d'atteindre en l'homme le sens de la gratitude et de la valeur: tout ce qui lui est donné sera pour lui sans valeur, et achetant tout le reste, c'est à dire presque rien, il n'aura jamais à remercier. Ainsi sommes-nous entourés de ces femmes et de ces hommes qui se plaignent de la faiblesse de leur pouvoir d'achat, ou, pire encore, qui en usent comme inépuisable vengeance contre l'insatisfaction fatale où il les plonge. Les plus belles heures sont altérées par leurs reproches et leurs griefs fracassant. Rien, ni personne, n'est assez bon pour eux. Ils ne comprendront la beauté de ce qui leur fut offert qu'au seuil de la perdre. Une grâce ultime leur sera donnée, - dans un éclair de lucidité avant la mort. En attendant, l'étincelle d'or dans l'iris des Rares Heureux leur insupporte et ils feront tout pour l'éteindre. Tout leur sera bon, de la tyrannie domestique jusqu'aux massacres de masse, en passant par tous les systèmes d'asservissement que la société imbrique les uns dans les autres à la manière des poupées russes. Quelle sera leur victoire ? Un spectre délétère flottant sur les décombres.
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J'éprouve, à la longue, un léger agacement, à l'égard de ceux qui, se fiant à quelques signes extérieurs, me font valoir leurs mérites en suggérant que, pour moi, par contraste, tout a toujours été plus facile. Je ferai un jour (lorsqu'il y aura prescription) le récit de mes témérités et de mes efforts, et je doute que ces futurs retraités méritants, plus ou moins cossus, en eussent affronté le quart.
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La seule question, en fin, qui se pose aux réfractaires: comment n'être pas détruits par la bêtise et la laideur. La réponse est sans doute dans le secret du recommencement. Ce jour qui se lève est éternellement le premier jour; il dispose autour de nous tous les recours du temps et l'éternité même, facettée de nostalgies et de pressentiments.
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Ecrire pour jeter quelques éclats avant la nuit: immense orgueil, vaste humilité.
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L'histoire de la philosophie, en situant les philosophes dans une logique progressive, entre leurs prédécesseurs et leurs successeurs qui les caducisent, passe largement à côté de ce qui, dans leurs œuvres, s'adresse à nous avec amitié et hors du temps. Cet « hors du temps » est l'actualisation même, l'acte d'être de la pensée, sa profonde raison d'être. Tout le reste est anecdote et commérages, instrumentalisations et publicité. Lisons, par exemple Plotin, comme s'il avait écrit la veille de ce jour, et pour nous seuls.
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Dans tout esprit qui mérite attention, il y a, sous la plus grande exactitude de ses formulations, quelque chose de vague, d'incertain et de nuageux, sur lequel reposent, en vols précis, telle des escadres ailées, les signes discernables de la pensée.
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Par-delà les classes sociales visibles, qui conforment des apparences et des pouvoirs, les êtres humains obéissent aux lois de leur caste invisible, c'est-à-dire à une orientation majeure vers l'esprit, vers le combat ou vers les affaires économiques. Ce qu'ils sont au monde s'en trouvera destiné d'une certaine façon.
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En ces temps dominés par la caste économique, les hommes d'esprit et de courage sont relégués, voire persécutés, - les instances auxquelles ils se réfèrent contredisant un pouvoir qui voudrait absorber en lui tout autorité pour finalement l’abolir. Un règne étrange en découle, celui que nous vivons, où la pensée calculante domine, où la fin justifie les moyens et où la subjectivité outrecuide dans un pathos vengeur à l'égard de tout ce qui s'accorde au souffle, à l'héroïsme, au lointain. Règne à la fois morose et hyperactif, informe et furieusement enlaidisseur dont la loi de fer est le plus vaste programme d'avilissement. Nous constatons que ce programme est déjà largement réalisé en observant les progrès de la servitude volontaire (que les esclaves nomment « Progrès »,- tout court, comme une pendaison, et avec une majuscule).
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Dans ce monde, les esclaves demandent des comptes aux derniers hommes libres, leur imposent leur confusion, leur vacarme, leurs stupidités ostensibles et les manifestations incessantes de leurs griefs immémoriaux. L'homme libre est leur haïssable mauvaise conscience et sa seule existence, tel un remord affreux, révèle la vie magnifique à laquelle ils ont renoncé, ou pire encore, qu'ils ont bafouée ou insultée, - et dont ils ont éradiqué, avant même que n'en eclosent les corolles solaires, les plus infimes surgeons.
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Cependant, leur grande entreprise de découragement est vaine car ceux qui y travaillent ne peuvent comprendre que, par nature, quand bien même serait-elle vaincue, la caste héroïque des hommes de courage ne peut être découragée et que les serviteurs de la souveraineté de l'Esprit ne peuvent servir un autre maître. La caste économique raisonne selon ses propres normes et ne parvient à concevoir qu'il y eût encore des hommes plus intensément dévoués à leurs actions non-lucratives qu'elle-même ne s'y emploie. Là est sa faiblesse: le manque d'imagination. Le sens même de l'action désintéressée et noble lui échappe, et par voie de conséquence, risque de la surprendre au moment où elle se croira définitivement établie. Ce qui se nomme périr dans son triomphe.
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Les théories conspirationnistes ont le charme frelaté des romans feuilletons du dix-neuvième siècle: l'illusion s'y cultive que le combat contre des Puissants dissimulés tirant leurs ficelles à travers les nations, est encore possible, pour ainsi dire d'homme à homme. Or la situation est bien pire. La servitude est généralement volontaire et les tireurs de ficelles n'en sont que les agents indéfiniment remplaçables.
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L'Ame du monde attend d'être sauvée par des âmes humaines.
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Sauf à sa cupidité, le Moderne renonce bien vite à tout, - à la souveraineté de son pays, à sa civilisation, à ses dieux, à ses légendes, à son bonheur, à sa liberté, et à ce bien commun par excellence qu'est sa langue - si tant est qu'il puisse acheter un peu du fatras inutile que la publicité lui vante comme nécessaire à son « estime de soi », pour user du jargon des psychologues. De ces grands renoncements qui sont l'envers de sa petite avidité, il ira jusqu'à faire une « morale », arguant qu'en tout ce à quoi il renonce, il y eut, et demeure, un germe du Mal. L'éthique la plus vile se trouve ainsi parée des atours conviviaux d'une dictature du Bien, loisible de s'exercer, en représailles, contre ceux qui persistent dans l'être, dans l'anamnèse, - dans la fidélité à la source de Mnémosyne.
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Héritiers de la plus lointaine culture européenne, nous sommes menacés, comme le furent avant nous les belles cultures amérindiennes, dans la terreur et la désolation, et nous le sommes, non point abstraitement, « en général », mais concrètement, individuellement, un par un, - les vecteurs de cette menace n'étant pas seulement une armée discernable, mais une glue, un poison, une atteinte portée par ceux qui nous entourent, voire par nous-mêmes, lorsque nous défaillons. D'où l'importance de sauvegarder les chants, échelles du vent, de demeurer fidèle à Orphée et à Empédocle et de boire à la source de Mnémosyne avant notre mort, - et même, et surtout, après elle, comme il est dit sur une feuille d'or trouvée à Pharsale.
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Dans son grief hystérique qui est, ni plus ni moins, un processus concerté d'anéantissement, ce monde tient pour rien tout ce que nous sommes et veut en tout, nous faire devenir ce que nous ne sommes pas, - c'est-à-dire, rien du tout.
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Notre force surhumaine est le cœur de notre plus extrême fragilité humaine.
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On peut suivre le courant commun ou nager à contre-courant vers les hauteurs, la source. L'effort n'est pas le même. Certains sur les berges honorent et remercient, d'autres tirent à vue, profitant de ce que l'effort même interdit de riposter.
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Les faibles prennent presque toujours parti pour ce qu'il y a de plus fort, - l'argent, la technique, le progrès, la médiocrité, le plus grand nombre, - contre les plus forts qui deviennent ainsi, fors leur courage, les plus fragiles.
*
Ce qui manque à l'extrême à nos contemporains, c'est bien le « double-regard » que nous enseigne Platon: voir en même temps la plénitude du présent et sa fin, son achèvement, la vie et la mort, et, par voir de conséquence, la beauté tragique de l'heure heureuse, à la fois passagère et éternelle. Les grands gâcheurs (et gâcheuses) sont là, épris de saccage, emprisonnés dans leurs subjectivité ulcérée, dans une insatisfaction qui nourrit l'esprit de vengeance, tous engoncés dans leurs problèmes qu'ils veulent faire les nôtres afin de faire à leur ressemblance, tristes et vindicatifs, aveugles à l'inépuisable beauté du monde et aux « allusions instigatrices » qu'il persiste à nous lancer dans le chaos et la déroute, signes d'intelligence, hirondelles de mars.
*
Question décisive. Comment être heureux au milieu des tristes, vifs avec les avachis, exercer son intellect face à celles et à ceux dont les « affects » saturent et fourvoient l'entendement, comment survivre sous les assauts des plaintifs ? Comment ne pas accuser ceux qui nous accusent, et ne pas se plaindre de ceux qui font de leurs plaintes une accusation ? Une seule réponse: la désinvolture, qui, certes, nous sera comptée comme le crime suprême.
*
Autre signe des temps: ces incessants procès pour « mauvaise moralité » que l'on fait, de façon rétrospective ou contemporaine, à nos écrivains, - procès que l'on dirait inquisitoriaux s'ils n'étaient pires, - par la supériorité spectaculaire qu'elle donne aux Médiocres de se faire les juges d'hommes plus talentueux et courageux qu'ils ne le seront jamais.
*
A ceux qui ont été amenés quelquefois à se poser la question « Comment faire pour survivre à cette journée », de vastes et heureuse perspectives s'ouvriront les autres jours.
*
On rencontre des gens qui, inépuisables dans leur apologie de la médiocrité, se vantent de leur modestie, de leur absence de vanité et de prétention. « Voyez comme je suis si modeste en ce miroir ! ». Le dandy le plus flamboyant, le Calender le plus radical, l'artiste le plus mégalomane sont, à les comparer d'une humilité rafraîchissante.
*
Prendre conscience que l'on veut nous clouer le bec, nous réduire au silence, à tout prix, sous n'importe quel prétexte, demeure un diapason moral sur lequel nous pourrons toujours accorder notre musicale façon d'être dans un monde qui n'aime que vacarme et discordance. Puisons les ressources du chant dans le silence des âmes bien-nées.
*
Qu'aimons-nous chez autrui ? La bienveillance et le courage à suivre sa voie, la force au cœur de la fragilité, et quelques nuances d'âme éperdue.
(…)
(Caetera desiderantur)
Luc-Olivier d’Algange.
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mardi, 02 novembre 2021
Décision et souveraineté (Carl Schmitt)
18:10 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carl schmitt, révolution conservatrice, allemagne, république de weimar, décisionnisme, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Humain, plus qu'humain: la solution futuriste de Stefano Vaj
Humain, plus qu'humain: la solution futuriste de Stefano Vaj
Alfonso Piscitelli
SOURCE : https://www.ilprimatonazionale.it/cultura/umano-soluzione-futurista-stefano-vaj-212850/
L'une des clés pour comprendre I sentieri della Tecnica. Spirito faustiano, transumanesimo, futurismo (= Les chemins de la technologie. Esprit faustien, transhumanisme, futurisme) de Stefano Vaj (Moira, 20,80 €) est sa nature milanaise. L'auteur est profondément milanais et Milan est le moteur de l'Italie depuis des siècles: du réformisme des Lumières au romantisme du Risorgimento, du socialisme au futurisme, des débuts du fascisme au boom économique. Il n'y a pas une saison en Italie qui n'ait vu en Milan le scénario prémonitoire, la porte de l'avenir.
Aujourd'hui, chez Vaj, nous retrouvons à la fois les traits de caractère des cultures qui ont rayonné à partir de Milan dans toute la péninsule. Vaj est une figure caractéristique des Lumières - même si la référence ne lui plaira pas - en raison de son franc mépris pour ce qu'il considère comme la stagnation idéologique, tendant à la régression, qui marque notre temps présent. Simultanément, il est romantique en évoquant certaines icônes fondamentales: Prométhée, Faust, peut-être même un peu de Frankenstein (qui apparaît dans le roman de Shelley Le Prométhée moderne).
Le rêve "surhumaniste" de Stefano Vaj
Le rêve faustien de Vaj s'appelle le transhumanisme: l'idée que l'homme, ou plutôt certains hommes, peuvent faire un saut quantique dans l'évolution par une décision radicale et une utilisation volontariste de la technologie. Ce n'est pas le hasard, ce n'est pas la nécessité, ce n'est pas un Dieu transcendant, ce n'est pas une idéologie sociale, mais une simple rotation du gouvernail sur le navire de la technologie qui peut conduire à un lieu d'atterrissage si inédit qu'il est consciemment et heureusement post-humain.
Bien sûr, outre sa "milanéité" tournée vers l'avenir, pour comprendre le parcours de Vaj, il faut aussi se référer au passé idéologique dont l'auteur est issu. Plusieurs de ses mentors, à commencer par Giorgio Locchi, en font partie. Le transhumanisme de Vaj (qui diffère des tendances américaines similaires) est clairement une réponse à l'impasse de l'espace néo-fasciste. Ayant renoncé aux rêves de révolution politique, l'auteur identifie dans une ligne de développement possible de la bio-ingénierie le moyen de donner des ailes à ce "rêve surhumaniste" dont parlait Giorgio Locchi.
Où ce chemin va-t-il mener? Nous ne le saurons qu'en vivant. Entre-temps, Stefano Vaj, avec le regard moqueur d'Al Pacino dans L'avocat du diable, constate que certaines pratiques qui, il y a quelques années seulement, semblaient inconcevables ou répréhensibles - comme le diagnostic prénatal - sont aujourd'hui devenues monnaie courante. Et que les thérapies géniques commencent à prendre leur essor. Vaj sait que ces positions susciteront l'indignation des sections de la droite qui se réfèrent à un catholicisme conservateur ou à un traditionalisme à la White Wheat du Moyen-Orient. Et il s'en réjouit visiblement.
Prudence et précaution
Bien sûr, même ceux qui sont absolument favorables à tout ce qui peut rendre l'être humain plus efficace ont des doutes. Surtout en raison de l'attitude "fondamentaliste" que l'auteur attribue à sa position. En réalité, précisément parce que la biologie humaine est d'une complexité déconcertante, l'attitude la plus appropriée pour ce type de parcours devrait être la prudence. Tout comme lorsqu'un nouveau médicament est testé et qu'une approche prudente est méthodologiquement poursuivie, avec des essais et des tests articulés sur des décennies. La prudence est d'autant plus nécessaire lorsqu'on pense à mettre la main sur la "carrosserie" ou même sur le moteur de la machine humaine.
Parce que les monstres sont toujours à l'affût. Après tout, même cette humanité pittoresque qui tente de changer de sexe au moyen d'hormones et d'amputations chirurgicales chérit quelque chose de très similaire au rêve transhumaniste de manipulation illimitée des données de naissance. Maintenant, après avoir adressé à l'auteur l'avertissement consciencieux (et absolument vain) de ne pas prêcher la création de monstres, nous voudrions souligner certains ajustements conceptuels vraiment aigus que l'on peut trouver dans "Les voies de la technique". Par exemple, la critique du concept de naturalité par opposition au monde humain. Comme si un champ laissé en jachère était la "nature" et non un ingénieux artifice humain. Comme si le chien était la "nature" et non une heureuse bio-ingénierie de la préhistoire.
Mettre fin aux idéologies mélancoliques
La rapide moquerie de Stefano Vaj sur le concept de "décroissance heureuse", dans lequel Alain de Benoist semble s'enliser lourdement depuis des décennies, est également excellente. Vaj dit : demandez aux dinosaures ce que signifie la décroissance heureuse... si vous réduisez votre espace "vital" il y a toujours quelqu'un d'autre qui occupe votre place de manière frénétique. Comparé à ces idéologies mélancoliques, le futurisme de la turbo-bio-ingénierie de Vaj et de ses amis est meilleur. Bien que l'idée de se mettre dans un conteneur de glace et de se décongeler dans les années 2200 semble complètement folle. L'intuition de Goethe, selon laquelle "la nature a créé la mort pour avoir plus de vie", est peut-être plus authentique.
Stefano Vaj est une substance à prendre en quantité modeste. Mais il est également vrai qu'à l'approche de la cinquantaine, avec le pragmatisme craxien, je demanderais à l'avocat faustien de commencer à me communiquer toutes les nouvelles les plus fiables sur la manière de rendre l'existence plus intense et plus efficace dans les années à venir...
Alfonso Piscitelli.
Lire l'entretien de Stefano Vaj (en anglais): http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/01/14/interview-with-stefano-vaj-on-biopolitics-and-transhumanism.html
De même: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2011/10/20/dittatura-dell-economia-e-societa-mercantilistica.html
11:26 Publié dans Livre, Livre, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stefano vaj, nouvelle droite, biohumanisme, biopolitique, transhumanisme, surhumanisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La Chine de Wang Huning et la crise existentielle de l'Occident
La Chine de Wang Huning et la crise existentielle de l'Occident
par Markku Siira
Ex: https://markkusiira.com/2021/11/01/wang-huningin-kiina-ja-lannen-eksistentiaalinen-kriisi/
L'analyse de la géopolitique nécessite d'avoir un aperçu des cultures politiques des différents pays, et au cours de ses recherches, le géopolitologue rencontre souvent des personnages intéressants. L'un d'entre eux est le Chinois Wang Huning, qui a été appelé "le Richelieu de la Chine moderne".
Wang est l'un des principaux idéologues de la République populaire de Chine et est considéré comme le cerveau derrière tous les grands concepts politiques chinois actuels. Le "rêve chinois", la campagne de lutte contre la corruption, l'initiative "la Ceinture et la Route", une politique étrangère plus affirmée et même la "pensée Xi Jinping" figurent au crédit de M. Wang.
Si vous regardez une photo du président Xi lors d'un voyage ou d'une réunion importante, vous verrez probablement le fonctionnaire à lunettes Wang à l'arrière-plan, jamais très loin du dirigeant.
Wang a ainsi mérité d'être comparé à des personnages célèbres de l'histoire de la Chine, tels que Zhuge Liang et Han Fei (les historiens appellent ce dernier le "Machiavel de la Chine"), qui ont agi comme des "gardiens derrière le trône", mais des gardiens officieux: des conseillers stratégiques de haut niveau et même des "professeurs de l'empereur".
Une telle figure est aussi facilement reconnaissable en Occident avec les éminences grises, comme François Leclerc du Tremblay, Charles Maurice de Talleyrand, Klemens von Metternich, Henry Kissinger ou l'ancien conseiller de Vladimir Poutine, Vladislav Surkov.
Mais ce qui est particulièrement remarquable chez Wang, c'est qu'il a réussi à jouer le rôle du philosophe de cour avec non pas un, mais trois des plus récents dirigeants de la Chine. Avant la présidence de Xi Jinping, Wang était l'idéologue à l'origine de la théorie des "Trois Représentants" de Jiang Zemin et de la plate-forme de la "Société harmonieuse" de Hu Jintao, entre autres.
Il s'agit d'une réussite sans précédent dans le monde de la politique des factions du parti communiste chinois. Wang a été recruté dans le parti par le "gang de Shanghai" de Jiang, une faction rivale que Xi a cherché à évincer après son arrivée au pouvoir en 2012. Nombre de ses membres éminents, dont l'ancien chef de la sécurité Zhou Yongkang et l'ancien vice-ministre de la sécurité Sun Lijun, ont, depuis, fini en prison.
Entre-temps, le fait de Hu Jintao a également été ignoré, tandis que la faction de Xi n'a fait que consolider son pouvoir. Wang Huning, cependant, reste toujours. Sa présence continue en dit long sur la profondeur de sa ruse politique, ainsi que sur son importance pour l'appareil d'État chinois.
L'éminence grise de la Chine était autrefois un écrivain très prolifique, publiant près de vingt livres et de nombreux essais. L'apparente continuité entre les idées contenues dans ces œuvres et ce qui se passe en Chine aujourd'hui révèle que Pékin voit toujours le monde à travers les yeux de Wang Huning.
En 1988, à l'âge de 30 ans, Wang est devenu le plus jeune professeur de l'université Fudan, carrière entamée à une vitesse sans précédent. Wang a également pu se rendre aux États-Unis, où il a passé six mois en tant que chercheur invité. Wang avait une profonde curiosité pour l'Amérique et il en a profité pour faire le tour de différentes villes et universités, comme une sorte d'Alexis de Tocqueville chinois moderne.
Ce qu'il a vu l'a profondément choqué et a définitivement changé sa vision de l'Occident. Wang a consigné ses observations dans un livre publié en Chine en 1991 sous le titre America versus America. Il s'y étonne, choqué, des campements de sans-abri dans les rues de Washington, de la criminalité liée à la drogue qui sévit dans les quartiers noirs pauvres de New York et de San Francisco, et des grandes entreprises qui semblent avoir fusionné avec le gouvernement et en avoir pris le contrôle.
En fin de compte, il a conclu que l'Amérique était en proie à un "courant sous-jacent de crise imparable" découlant de ses contradictions sociales, notamment entre les riches et les pauvres, le pouvoir démocratique et oligarchique, les privilèges de classe, les droits individuels et les obligations collectives, les traditions culturelles et les solvants de la modernité liquide.
Mais si les Américains ont le sentiment d'être confrontés à des "problèmes sociaux et culturels complexes", dit-il, ils ont tendance à penser qu'ils doivent être résolus séparément. Wang affirme que cela ne nous mène nulle part, car les problèmes sont en fait inextricablement liés et ont la même cause profonde : l'individualisme radical et nihiliste au cœur du libéralisme américain moderne.
"La véritable cellule de la société aux États-Unis est l'individu", dit-il. C'est parce que la cellule la plus fondamentale de la société, la famille, "s'est effondrée". En même temps, dans le système américain, "tout a une double nature" et le glamour de la haute caste marchande est abondant. Le sexe, la connaissance, la politique, le pouvoir et la législation sont devenus des marchandises.
Cette "marchandisation corrompt la société à bien des égards et entraîne de nombreux problèmes sociaux graves". Après tout, "le système économique américain a créé la solitude humaine" comme son principal produit, ainsi que des inégalités frappantes. En conséquence, le nihilisme est devenu un "mode de vie", avec des conséquences désastreuses pour la culture américaine.
Cette expérience révélatrice a donc influencé les opinions de Wang. Il a ainsi analysé le système politique chinois et la manière dont il diffère du système occidental. Wang critique fortement la démocratie occidentale, affirmant qu'elle n'est que nominale. Il estime que la politique américaine est dominée par des intérêts particuliers, et il n'a probablement pas tort.
Il estime que la Chine devrait suivre son propre modèle de leadership fort et centralisé. Il défend fermement le système hybride de la Chine, le "socialisme aux caractéristiques chinoises", que Xi Jinping a désormais adapté à l'idée d'une "nouvelle ère" pour la Chine. "Là où il n'y a pas de gouvernement central ou là où le gouvernement central est en déclin", a écrit un jour Wang, "la nation est divisée et dans un état chaotique".
De nombreux écrits de Wang portent sur les défis de la gouvernance. Il a comparé les styles de gouvernance dans différents pays et ce qui pousse les administrateurs à évaluer les besoins des citoyens. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon, dit-il, la "sécurité" est la priorité, alors qu'en Inde, par exemple, c'est le "respect" qui prime.
"Les besoins d'un individu peuvent être influencés par de nombreux facteurs, tels que les traditions sociales, les relations économiques, les activités politiques, les idéologies religieuses et les convictions morales", explique Wang. La confiance dans le gouvernement, dit-il, dépend en fin de compte du respect de ses promesses fondamentales envers la population.
Le sinologue Jude Blanchette a noté qu'après 1989, Wang et d'autres universitaires ont souligné la nécessité d'une stabilité politique pour soutenir le développement économique et se sont fortement opposés aux appels à la décentralisation politique parallèlement aux réformes économiques de Deng Xiaoping.
Selon Wang, "la formation d'institutions démocratiques requiert des conditions historiques, sociales et culturelles spécifiques". Tant que ces conditions ne sont pas réunies, le pouvoir politique doit être orienté vers le développement de ces conditions. Il a même exprimé sa crainte que la Chine ne soit "divisée en 30 duchés et 2000 principautés concurrentes" par la décentralisation.
Blanchette affirme que "l'héritage du néo-autoritarisme de Wang et de son cousin, le néo-conservatisme, perdurera sous Xi Jinping". L'administration de Xi a renforcé le contrôle des entreprises d'État aux provinces. Toutefois, pour ceux qui s'attendaient à un "culte de Xi" à la Mao, il convient de noter que l'idéologue Wang est également un critique virulent des excès du maoïsme. La révolution culturelle n'a été, selon lui, qu'un "désastre politique".
Selon un rapport divulgué par Wikileaks, Xi Jinping - qui a été surnommé "M. Propre" par des sources diplomatiques américaines - partage l'avis de Wang sur la commercialisation omniprésente de la société chinoise et les néo-riches qui en découlent, la corruption officielle, la perte des valeurs, de la dignité et du respect de soi, ainsi que les vices moraux tels que la drogue et la prostitution, qui sont des phénomènes "odieux".
Wang a maintenant apparemment convaincu Xi qu'ils n'ont d'autre choix que de prendre des mesures drastiques pour contrer les menaces existentielles que le capitalisme libéral économique et culturel occidental fait peser sur l'ordre social chinois. Ces menaces sont presque identiques aux problèmes auxquels sont confrontés les États-Unis.
En effet, les dirigeants chinois actuels, suivant les idées de Wang, ont cherché à saper l'influence toxique de l'Occident libéral. Cela se reflète également dans la répression de la politique chinoise au nom des minorités sexuelles, et l'influence perçue comme néfaste des boys bands androgynes, populaires auprès des jeunes, a été remplacée par des idéaux de masculinité et de nationalisme.
Avec la montée de la Chine conservatrice, l'Occident devrait se livrer à une introspection profonde et rigoureuse. Ce serait une étape nécessaire vers le changement fondamental qui s'impose. Il semble toutefois que ni les États-Unis ni l'Union européenne ne disposent d'une idéologie comme celle de Wang pour aider à actualiser un modèle de civilisation en déclin vers une forme plus saine et durable. Pas assez de volonté non plus, je suppose ?
À l'heure actuelle, il semble que l'on nous propose presque la seule "alternative" au "capitalisme vert" et au transhumanisme des oligarques occidentaux, combinée à un système de notation sociale à la chinoise.
En cas de crise systémique, l'élite dirigeante de l'Occident devait choisir entre la perte du pouvoir économique ou le rejet dans les coulisses de la "démocratie libérale" ; la "nouvelle normalité" de l'ère Corona a montré ce qu'elle a choisi. L'Occident ne peut plus se permettre de critiquer la Chine de Wang Huning pour son autoritarisme.
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lundi, 01 novembre 2021
La Roumanie et les fausses alliances stratégiques
La Roumanie et les fausses alliances stratégiques
par Cristi Pantelimon*
La Roumanie se trouve dans une situation géopolitique ambiguë, que l'on pourrait considérer comme celle des "fausses alliances". Elle privilégie la relation stratégique avec les puissances atlantistes afin de se défendre contre une prétendue agressivité de la Russie. Une telle vision et la géopolitique qui en découle n'ont aucun fondement dans la situation géo-historique de la Roumanie, un État continental par définition. Une telle alliance peut fonctionner pendant un certain temps, mais elle ne sera que conjoncturelle et opportuniste. On peut dire la même chose des États occidentaux. La seule stratégie géopolitique à long terme qui se fonde sur l'histoire du continent est la stratégie eurasiste, c'est-à-dire une tentative de consolidation du Grand Continent de Lisbonne à Vladivostok.
La Roumanie, comme d'autres États européens, est clairement confrontée au problème des fausses alliances. Ce syntagme a été utilisé dans la longue réflexion que le géopolitologue et général autrichien Jordis von Lohausen a consacrée au destin géopolitique de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale dans son ouvrage Mut zur Macht. Denken in Kontinenten (1). Lohausen est un chercheur d'autant plus intéressant qu'il propose souvent une solution aux conflits géopolitiques passés sur le mode d'une histoire contrefactuelle, étant extrêmement crédible dans ce registre. Ses réflexions et ses solutions géopolitiques visent à renforcer une conception qui n'était pas pleinement réalisée au moment historique où les événements ont eu lieu, mais qui est encore plus évidente après la fin de ces événements. Ainsi, son continentalisme et son eurasianisme sont d'autant plus crédibles qu'au moment de la Seconde Guerre mondiale (et aussi de la Première), ils n'ont pas été pleinement soutenus par les puissances européennes, avec les conséquences qui sont sous nos yeux aujourd'hui : une Europe qui se trouve, pratiquement, à la discrétion des puissances thalassocratiques (surtout les États-Unis) et de l'OTAN (où l'influence des États-Unis est presque totale) ; une Europe qui ne peut pas résoudre ses problèmes, non pas à cause d'un manque de capacité bureaucratique, mais à cause d'un manque de vision globale d'un point de vue géopolitique et géostratégique. Le moment est venu pour l'Europe de choisir entre des alliances conjoncturelles et souvent opportunistes (celles avec les puissances thalassocratiques) et des alliances durables et logiques (peut-être plus difficiles à articuler pour le moment) avec les puissances continentales, en particulier la Russie.
La géopolitique : une science traditionnelle ?
Cette provocation est également manifeste dans le cas de la Roumanie, traversée par une véritable ligne de fracture géopolitique, quoique non déclarée, entre les adeptes de l'atlantisme d'une part et les adeptes (de plus en plus nombreux et déterminés) d'un continentalisme que la crise actuelle de l'Europe semble sortir de sa léthargie.
La géopolitique est souvent une science romantique. En d'autres termes, elle est pratiquée, en dehors de ceux qui, à un moment donné, semblent avoir la décision politique, par une série de personnes qui restent en dehors des véritables jeux de pouvoir, mais dont la mission est de créer, avec leurs idées, de véritables "états d'esprit", pour reprendre la notion de René Guénon. Ainsi, à côté de la dimension que nous avons appelée romantique (pour souligner le caractère gratuit, culturel et désintéressé de la géopolitique), ce secteur de la pensée humaine fait également ressortir son caractère profondément traditionnel, peut-être le moins mis en évidence jusqu'à présent. Si nous acceptons cette perspective, la géopolitique devient brusquement un territoire de liberté d'esprit, où ce qui n'est pas possible dans la réalité immédiate peut être considéré comme une probabilité ou une alternative créative dans le futur. Ce n'est qu'en ce sens que la géopolitique peut revendiquer une dimension créative; c'est-à-dire que ce n'est que dans la lutte avec la réalité à partir d'un certain moment qu'elle peut manifester ses qualités profondes. Une géopolitique des données concrètes et immuables, une géopolitique des faits achevés, des décisions déjà prises et du présent déjà transformé en un passé inerte est une fausse géopolitique, une géopolitique dépourvue de sens. Comme l'histoire humaine, la géopolitique est aussi une agonie (agonie comme lutte) pour la transformation des données réelles du monde, une lutte pour la revitalisation de l'humanité et son équilibre perpétuel.
Il découle de ces considérations que la géopolitique, parmi de nombreuses autres possibilités d'affirmation, a pour destin essentiel la critique et la négation des états de fait apparemment établis, la critique et la négation des évidences imposées par l'idéologie, de la pensée unique, du confort dans l'acte de réflexion.
En tant que science traditionnelle, la géopolitique doit chercher, tout d'abord, à découvrir quelles sont les sources de la force géopolitique. Qu'est-ce qu'une force géopolitique ? C'est cette force qui s'oppose à la domination injuste, non traditionnelle, non naturelle d'un peuple ou d'un espace donné. Il existe une domination géopolitique naturelle et une domination géopolitique non naturelle. La domination géopolitique naturelle est celle qui se déroule dans un esprit traditionnel. Selon le géopoliticien Jordis von Lohausen, la force géopolitique doit protéger la vie. Si elle ne le fait pas et commence à protéger les aspects superficiels de la vie, la force s'ankylosera et deviendra nuisible: "Tout pouvoir provient de la vie et est soumis au devoir de protéger la vie. Si elle perd ce sens originel, si elle se perd dans des objectifs superficiels, si elle ne cherche que le succès, alors elle se corrompt (...) Comme la flamme de la lanterne qui émet une dernière lumière avant de s'éteindre, ainsi la course à la superficialité célèbre ses triomphes, qui ne sont que la confirmation d'une réelle extinction" (2).
La Roumanie et les "tentations" stratégiques
La géopolitique de la Roumanie actuelle est, malheureusement, tributaire des aspects non traditionnels et donc, à notre sens, non géopolitiques de l'Europe occidentale. Une Europe occidentale qui se complaît dans une "fausse alliance" (ce syntagme appartient aussi à Lohausen) avec la thalassocratie mondiale américaine. Une alliance qui, sous couvert de protection (aujourd'hui contre le "danger russe") ne fait que débiliter l'esprit vital du continent et lui rendre un mauvais service à long terme.
L'aperçu de cette débilitation européenne dirigée par les États-Unis est bien illustré par Lohausen dans une postface de l'ouvrage cité. Lohausen s'exprime de la manière la plus directe qui soit: "Cinquante ans de croissance ininterrompue de la richesse sous le parapluie nucléaire américain n'ont pas seulement érodé la conscience de soi des Européens, ils ont aussi engourdi leur vigilance et détruit leur volonté de se défendre. La richesse sans défense est toujours une invitation au vol et au pillage. Le pouvoir est comme l'eau: il ne connaît pas d'espaces vides (3). Comme dans le cas de l'Europe occidentale, l'alliance stratégique de la Roumanie avec les États-Unis est un piège caché par le besoin de protection totale.
La première idée exprimée à propos de cette alliance est qu'elle fonctionne comme une protection contre la résurgence de l'esprit agressif de la Russie. Mais ce qui apparaît de ce point de vue est une situation et une idée contradictoires. D'une part, la Russie décrite comme un État agresseur doit intensifier sa vigilance militaire et géopolitique sur la Roumanie et dès lors renforcer la fameuse alliance (le "partenariat stratégique") avec les États-Unis. En revanche, ce qui est étrange, c'est que la Russie se voit refuser la puissance géopolitique dans la même mesure, ce qui la réduit au statut d'"acteur" sur la scène internationale. On fait souvent des comparaisons qui se veulent humiliantes, en comparant le produit intérieur brut des États-Unis à celui de la Russie, ou le niveau des dépenses en armement des premiers à celui des seconds. A l'évidence, ces comparaisons aboutissent à une Russie presque caricaturale en tant que poids géopolitique.
Le premier geste géopolitique naturel de la Roumanie serait de reconnaître la puissance géopolitique de la Russie et de tenter de la "capturer" dans l'esprit d'une collaboration stratégique continentaliste. En effet, dans l'hypothèse d'un affaiblissement géopolitique de la Russie, la Roumanie, contrairement à ce que préconise la recette atlantiste officielle, devrait contribuer à accroître cette puissance géopolitique. Nonobstant certaines contradictions historiques entre la Roumanie et la Russie, l'intérêt du Continent, qui n'est pas occasionnel et qui n'est pas opportun, serait celui d'une collaboration mutuellement bénéfique.
Toutefois, cette recette de collaboration présupposerait une image globale du continent européen qui ne correspond pas à la vision actuelle (4). Malheureusement, l'élite politique et militaire de la Roumanie actuelle semble être prisonnière d'une idée préconçue anti-russe, souvent subtilement, mais continuellement, alimentée par la "mémoire" d'épisodes historiques embarrassants dans les relations entre les deux pays (5). L'idée qu'à l'heure actuelle, la Roumanie a les mêmes intérêts géopolitiques que les États-Unis a infiltré la mentalité collective de l'élite intellectuelle roumaine. Une telle idée ne résiste toutefois pas à une analyse approfondie.
Dans l'entre-deux-guerres, un célèbre sociologue et philosophe roumain (martyr du changement brutal de la situation géopolitique européenne en 1945), Mircea Vulcănescu (1904-1952), a proposé une vision intéressante des forces qui ont façonné en profondeur la civilisation roumaine. Sa théorie peut être appelée "théorie des tentations historiques" et consiste principalement en la théorisation subtile d'un mécanisme d'"éternel retour" aux origines du peuple roumain à travers le souvenir (plus ou moins une anamnèse de type platonicien) des éléments constitutifs de son ethnogenèse. Vulcănescu, cependant, ne privilégie pas l'aspect ethnique ou anthropologique au sens biologique, mais plutôt l'aspect strictement culturel et civilisationnel. "Chaque peuple, chaque âme populaire peut être caractérisée par un certain dosage de ces tentations, qui reproduisent dans son architecture interne l'interpénétration dans l'actualité spirituelle des vicissitudes historiques par lesquelles le peuple respectif est passé" (6).
En bref, il s'agit d'une série d'attractions irrésistibles, de forces configurantes que l'on retrouve non seulement dans les périodes d'épanouissement historique, mais surtout dans les périodes de bouleversement et de provocation historiques. Les influences extérieures s'accompagnent toujours d'un douloureux processus de reconfiguration morphologique ou, peut-être, de pseudomorphose. Mais ces influences, une fois subies, deviennent des tentations ou des facteurs générateurs d'énergies historiques, des éléments de nature vitale dans l'affirmation historique d'une communauté.
Selon Vulcănescu, les plus importantes tentations historiques des Roumains sont la tentation grecque, la tentation romaine, la tentation byzantine, la tentation russe, la tentation germanique, la tentation française et la tentation thrace (que l'auteur roumain considère comme la plus importante de toutes, étant de nature "résiduelle", c'est-à-dire liée au noyau). Ces "tentations" correspondent à certaines tendances qui façonnent le cadre global de la civilisation roumaine. Comme on le voit, les Roumains, peuple profondément continental (qui, selon Marija Gimbutas (7), réside précisément dans le "foyer" de l'Europe ancienne), n'ont pas de liens spirituels profonds avec le monde d'où vient aujourd'hui leur "salut" géopolitique, le monde atlantique. Au contraire, toutes les références anciennes ou récentes de la spiritualité roumaine sont d'ordre continental. Dans ces conditions, même si l'on peut spéculer sur le fait que la géopolitique a des règles différentes de l'histoire, il n'en est pas moins vrai que l'histoire et la géographie, ensemble, fournissent les orientations les plus sûres pour la géopolitique, comprise, comme nous l'avons dit plus haut, comme une science de l'empreinte traditionnelle.
Les alliances actuelles de la Roumanie et de l'Europe occidentale peuvent fonctionner. Mais ce fonctionnement n'aura jamais qu'un sens conjoncturel et opportuniste.
* Cristi Pantelimon, sociologue, est l'auteur des ouvrages suivants : Corporatisme şi economie. Critica sociologică a capitalismului, Ed. Academiei Române, Bucureşti, 2009 ; Prin cenuşa naţiunii, Ed. Etnologică, Bucureşti, 2006 ; Sociologie politică, Ed. Fundaţiei România de Mâine, Bucureşti, 2005. Il a coordonné les volumes collectifs suivants : Modernităţi alternative, Ed. Institutului de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, 2013 ; (avec Antoine Heemeryck), La globalisation en perspective. Elites et normes, Ed. Niculescu, 2012 ; Ideea naţională şi ideea europeană, Ed. Institutului de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, Bucureşti, 2009. Il a édité : Emile Durkheim, Diviziunea muncii sociale, Ed. Antet, Bucureşti, 2007 et Donoso Cortés, Eseu asupra catolicismului, liberalismului şi socialismului, Ed. Antet, Bucureşti, 2007. Il est l'auteur de traductions et d'articles sur divers sujets d'actualité pour le blog www.estica.eu. En italien : Vasile Gherasim e l'Eurasia spirituale, "Eurasia" 4/2015.
Article paru dans: EURASIA. Revue d'études géopolitiques, Année XIII - Numéro 1, Janvier-mars 2016
Notes:
1. Kurt Vowinckel, Berg am See, 1979 și 1981. Nous citons l'édition française : Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourdʼhui, Éd. du Labyrinthe, 1996.
2. Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourdʼhui, Éd. du Labyrinthe, 1996, p. 78.
3. Ibid, p. 320.
4. De notre point de vue, ces dernières années, la vision concernant le continent européen a de nouveau subi une distorsion qui rappelle la guerre de l'information de la période de la guerre froide. Cette fois, le mal axial du monde n'est pas l'URSS, mais tout ce qui est sous l'influence de la Russie, à commencer bien sûr par la Russie elle-même. L'Europe n'est l'Europe que si la Russie en est éliminée. Une telle perception coïncide avec les plans atlantistes et maximalistes du pouvoir à Washington, mais est évidemment désastreuse pour l'ensemble du continent (que tout géographe non régenté idéologiquement voit s'étendre non pas jusqu'à l'Oural, mais au-delà... jusqu'à Vladivostok).
5. Bien sûr, cette "mémoire" n'est pas seulement présente dans l'espace roumain. La logique de la situation fait que les forces anticontinentales de l'espace russe agissent dans le même sens : le "fascisme" roumain reste, semble-t-il, une cible privilégiée pour un nationalisme russe dépourvu de véritable horizon géopolitique.
6. Mircea Vulcănescu, Dimensiunea românească a existenței, Ed. Fundației Culturale Române, București, 1991, p. 43.
7. " La Roumanie est le foyer de ce que nous avons appelé l'Europe ancienne, une entité culturelle située chronologiquement entre 6500 et 3500 av. J.-C., fondée sur une société matriarcale, théocratique, pacifique, amoureuse de l'art et créative, qui a précédé les sociétés guerrières patriarcales indo-européennes des âges du bronze et du fer " (Marija Gimbutas, Civilizație și cultură, Ed. Meridiane, București, 1989, p. 49).
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Au bord de l'histoire: redécouvrir le regard de William Irwin Thompson
Au bord de l'histoire: redécouvrir le regard de William Irwin Thompson
Giovanni Sessa
Ex: https://www.centrostudilaruna.it/allorlo-della-storia.html
Le débat théorique sur l'histoire, en ce début de XXIe siècle, est toujours d'actualité. Cela s'explique si l'on tient compte du fait que nous sommes tous, à des titres divers, les enfants des philosophies de l'histoire et des drames qu'elles ont déterminés au cours du siècle dernier. Certes, dans la phase actuelle, plusieurs chercheurs, plutôt que de remettre en question le sens et la finalité de l'histoire, ont commencé à se demander s'il est possible d'aller au-delà de l'histoire. Parmi eux, l'Américain W. I. Thompson, dont la nouvelle édition de All'orlo della storia. Per una critica della tecnocrazia, avec une préface de Luca Siniscalco (pour les commandes : associazione.iduna@gmail.com, pp. 332, €24.00).
D'un point de vue général, il convient de rappeler qu'à la fin des années 1990, la thèse de la "fin de l'histoire" de Fukuyama a dicté le paradigme des recherches sur le sujet. Heureusement, il est aujourd'hui possible de soutenir qu'il aurait été bien plus judicieux de faire référence à la fin de l'histoire, comme nous le rappelle à juste titre Siniscalco. L'exégèse de Thompson part précisément de cette hypothèse. Il semble, en effet, suivre la position qu'Ernst Jünger a présentée dans au Mur du temps, afin de reconnaître ce qui pourrait être donné au-delà de l'âge historique proprement dit. L'Américain, avec une instrumentation culturelle archéo-futuriste, tente de détecter: "dans le présent, les constantes du passé et les germes du futur [...] il identifie ainsi certaines conjonctures dont il fait l'hypothèse qu'elles pourraient devenir vraies dans le futur post-industriel et post-nihiliste" (p. V). L'expérience proposée nous oblige à rester sur la ligne du nihilisme, en attendant des rayons de lumière dans les ombres sombres du temps présent, afin d'identifier le profil d'un possible nouveau départ. Il ne s'agit donc pas d'une des nombreuses plaintes des passatistes concernant l'état actuel des choses, bien au contraire ! Un regard sur l'histoire trouve sa raison d'être dans le constat de l'inanité du présent, mais il ne nous pousse pas en arrière, vers le passé, mais suggère le projet d'une autre modernité. Une modernité qui ne se construit plus sur le paradigme du rapport de calcul.
At the Edge of History a été publié pour la première fois aux États-Unis en 1971. Thompson a reçu une éducation polyvalente et une carrière universitaire immédiate, bien qu'elle se soit terminée trop tôt. Formé aux textes de philosophie des sciences d'A. N. Whitehead, il ne dédaigne pas la pratique du yoga, l'étude de l'ésotérisme et s'intéresse profondément à la biologie et à l'écologie, ce qui l'amène à remettre en question le "canon" moderne. Il a été influencé par Sri Aurobindo et a fréquenté David Spangler, une figure importante du monde du New Age. Son anti-modernisme se manifeste par son observation du déclin du libéralisme, non seulement en tant que doctrine politique, mais aussi en tant que noyau de l'imagination de l'homme occidental. Il estime que le libéralisme ne pourra plus servir d'image directrice aux nouvelles générations. Il note également comment le progressisme a été "le mythe le plus faux de tous les mythes réels de notre histoire" (p. 126). En outre, la "fin" de l'histoire, comme l'a souligné Massimo Cacciari, n'est rien d'autre que le progrès infini de notre époque, qui a perdu la mémoire de toute substance. Un temps privé de profondeur, rempli par la consommation et la mercurialité des technologies de l'information. À cet égard, nous ne devons pas espérer le retour idyllique du bon sauvage, mais viser à "surmonter l'aveuglement scientifique dans un nouveau paradigme capable de concilier la satisfaction de la nature verticale [...] de l'homme avec le développement technologique" (p. X).
Les certitudes néopositivistes doivent être relativisées par un sain scepticisme gnoséologique. Pour ces raisons, Thompson, après avoir fréquenté l'Institut Esalen Big Sur, d'abord hippie puis centre New Age, en a été désabusé, ayant saisi le trait typique caractérisant les phénomènes de seconde religiosité. Dans la post-modernité, rappelle Siniscalco, le choc déjà prévu par Jünger est clairement visible : le contraste entre la potestas historique du processus de civilisation et les potestates archétypales et titanesques qui émergent dans l'animus contemporain. Le retour des dieux est précédé par la réapparition, fallacieuse et sous des formes différentes de celles qui l'ont caractérisé dans le passé, du mythe. C'est le fondement des liens, les liens invisibles qui maintiennent le monde ensemble.
Dans ce contexte, notre auteur s'intéresse à la pensée de l'anthroposophe Rudolf Steiner qui, selon lui, propose une "vision non dualiste, percevant l'être humain comme [...] co-impliqué dans un univers d'essence psychophysique" (p. XVIII). Dans ces déclarations émerge, à notre avis, son ambiguïté théorique. Il suffisait d'une recension de Giovanni Gentile pour montrer combien la pensée de Steiner n'était pas du tout moniste, mais encore dualiste (cf. G. Gentile, Ritrovare Dio, Mediterranee, pp. 191-196), sans parler de la critique de l'anthroposophie d'Evola ! Quoi qu'il en soit, la réémergence du mythe dans le monde contemporain s'observe également dans la littérature fantastique, lue par l'écrivain comme une "nouvelle mythologie".
Les suggestions mythico-fantastiques pourraient également déterminer un tournant dans la science apodictique, qui pourrait retrouver ses lointaines racines hermétiques dans cette nouvelle rencontre. Heisenberg, le père de la physique quantique, était l'exemple typique d'un scientifique ouvert à Sophia, capable d'avoir une vision holistique de la réalité. Le projet de l'autre modernité a, selon Thompson, un besoin urgent de développer une logique qui n'est pas impliquée dans l'identarisme éléatique mais, si quelque chose, une hyper-logique. Il a même pensé à une nouvelle spiritualité, en accord avec la science "réformée", dont le modèle expressif se manifesterait dans une récupération de la beauté, dans un art au service de la nouvelle mythologie. La nouvelle science pourrait aussi donner naissance à une technique "différente", qui devrait renoncer à la dimension appréhensive du Gestell, du système de la techno-science positive.
Au-delà de certains traits utopiques qui ressortent des positions de Thompson, ce livre nous confronte au problème séculaire de la synthèse entre innovation et tradition. C'est un thème incontournable pour ceux qui souhaitent agir politiquement et culturellement dans la réalité contemporaine, afin d'en faire un nouveau départ. At the Edge of History est, pour cette raison, un livre à lire et à méditer.
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Pourquoi les médias occidentaux ont-ils commencé à parler d'Armageddon ?
Pourquoi les médias occidentaux ont-ils commencé à parler d'Armageddon?
Vladimir Malyshev
Ex: https://www.geopolitica.ru/es/article/por-que-los-medios-de-comunicacion-occidentales-han-comenzado-hablar-del-armagedon
Lior Ron, responsable de la division logistique d'Uber Technologies, a déclaré dans une interview accordée à CNBC que l'effondrement du secteur du transport automobile américain est un "véritable Armageddon" (1).
Ce qui se passe actuellement était inimaginable, il y a peu: les ports américains connaissent d'énormes embouteillages et des dizaines de navires font la queue, incapables de décharger tout ce qu'ils transportent. Il faut des travailleurs pour décharger les conteneurs et des chauffeurs de camion pour transporter leur contenu vers les entrepôts. Il a même été dit qu'il y aurait de graves pénuries de nourriture et d'autres produits de base. La Maison Blanche a averti ses citoyens que les prix des produits de base risquent d'augmenter et que les rayons seront vides d'ici Noël (2).
Selon CNBC, le coût du transport des marchandises a augmenté de 300 %. En outre, la pénurie de conteneurs a entraîné des retards dans l'arrivée des marchandises achetées en Chine, de sorte que l'augmentation du prix des marchandises affectera gravement les consommateurs. Un cadre supérieur d'Uber Technologies a déclaré que cette crise "affecte l'ensemble du secteur du transport routier, nous n'avons jamais rien vu de tel".
La chaîne de télévision CNBC a rapporté qu'il n'y a pas assez de chauffeurs de camions (3) en raison des restrictions imposées par le coronavirus. Les raisons de cette situation sont bien connues: licenciements massifs dus à l'inactivité et fermeture "temporaire" des écoles de conduite de camions. Selon le Bureau of Labour Statistics, le secteur du camionnage a perdu 6 % de ses travailleurs, plus une moyenne de 1,52 conducteur, soit au moins 90.000 travailleurs. Il y a maintenant une pénurie de près de 100.000 conducteurs.
Le quotidien italien Corriere della Sera accuse le "goulet d'étranglement" provoqué par les restrictions économiques volontaires dans le monde entier: "Celles-ci ont affecté tous les points de la chaîne logistique pour le transport des produits finis et semi-finis et des matières premières, provoquant un manque de conteneurs, de cargos, la congestion des ports, la pénurie de camions et de chauffeurs routiers, ainsi que la détérioration des capacités de stockage. Cette situation est aggravée par des pénuries de main-d'œuvre généralisées, qui se font de plus en plus sentir dans un large éventail de secteurs" (4).
Bloomberg affirme toutefois que la pénurie d'approvisionnement a d'autres causes: "À la suite des mesures restrictives imposées par la pandémie de coronavirus, les fabricants et les analystes ont prédit une baisse de la demande pour plusieurs produits. Cependant, la demande de nombreux produits s'est maintenue et a même augmenté, de sorte que de nombreuses industries n'étaient pas préparées à cela" (5).
Les entreprises n'ont pas non plus mesuré l'impact du passage du face-à-face au télétravail, d'autant plus que les gouvernements ont demandé aux consommateurs de rester chez eux et que beaucoup ont été contraints d'acheter des téléphones, des ordinateurs, des consoles de jeux vidéo, etc. en quantités jamais vues auparavant. Le marché des ordinateurs personnels a connu une croissance de 11 % en 2020, ce qui n'était pas arrivé depuis 10 ans.
En outre, il y a eu une réduction des importations de microprocesseurs en provenance d'Asie, ce qui a ralenti bon nombre des industries qui dépendent des microprocesseurs, comme les automobiles, les ordinateurs, les téléphones mobiles, les jeux vidéo, les appareils ménagers et les dispositifs médicaux..... Selon Bloomberg, "c'est un cauchemar non seulement pour les enfants qui s'attendaient à recevoir des consoles de jeux vidéo pour Noël, mais aussi pour les entreprises, puisque cette période de vacances leur procure la majeure partie de leurs revenus".
Joe Biden a dû rencontrer les représentants de plusieurs détaillants privés (Walmart, Target) et de compagnies maritimes, mais aussi les autorités portuaires de Los Angeles, de Long Beach et les syndicats de dockers pour obtenir qu'ils acceptent de travailler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour transporter 40 % des conteneurs qui arrivent chaque jour aux États-Unis. Apparemment, il n'y aura plus de fermetures !
Beaucoup affirment que les marchandises qui n'ont pas été expédiées d'Asie jusqu'à présent n'atteindront pas les magasins avant la mi-décembre, ce qui montre que les chaînes logistiques se sont brisées assez facilement. Au cours des 12 derniers mois, les marchandises traversant l'océan Pacifique ne prennent plus 13 heures mais 13 jours pour être déchargées, sans compter que les prix sont montés en flèche. Par exemple, il est désormais sept fois plus coûteux d'expédier un colis de Los Angeles à Shanghai qu'il y a un an. Sameera Fazil, directrice adjointe du Conseil économique de la Maison Blanche, a déclaré qu'un miracle était nécessaire pour résoudre ce problème. D'autre part, il est devenu très difficile de construire des conteneurs car la "pandémie" a touché l'industrie de l'acier et du bois.
En Europe, la situation n'est pas bonne non plus : en Allemagne, il manque 80 000 chauffeurs de camions, alors que les ventes et la production de voitures ont diminué d'environ 30 %. Selon le cabinet de conseil Alix Partners, 7,7 millions de voitures en moins seront produites cette année, ce qui équivaut à 10 % de la production mondiale.
La crise des transports a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires. Selon la FAO, le prix de l'huile végétale a battu tous les records. Parallèlement, les prix des produits laitiers, de la viande importée et des céréales ont augmenté de 20 à 30 % par rapport à 2019 (6).
Cela a mis en évidence la dépendance croissante des États-Unis et de l'Europe à l'égard des importations en provenance d'Asie, notamment de la Chine. Les États-Unis dépendent à 90% des approvisionnements chinois pour la fabrication de certains produits médicaux et ce chiffre atteint plus de 80% pour les terres rares (7).
Dans de telles circonstances, la meilleure chose à faire n'est pas de claironner l'Armageddon ou de rencontrer la Maison Blanche, mais de combattre la psychose que la pandémie a générée.
Notes :
1. https://www.cnbc.com/2021/10/14/head-of-uber-freight-says-the-us-is-in-a...
2. https://www.reuters.com/world/us/americans-may-not-get-some-christmas-tr...
3. https://news.ati.su/news/2021/10/14/nehvatka-voditeley-vedet-k-krizisu-g...
4. https://www.corriere.it/esteri/21_ottobre_14/usa-merci-scarse-collasso-p...
5. https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2021-03-31/prices-are-going-u...
6. https://www.fao.org/news/story/ru/item/1393201/icode/
7. https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Biden-s-Asia-policy/US-and-allies-to-build-China-free-tech-supply-chain
Source : https://www.fondsk.ru/news/2021/10/18/pochemu-zapadnye-smi-trubjat-ob-ar...
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La revue de presse de CD - 31 octobre 2021
La revue de presse de CD
31 octobre 2021
AFRIQUE
Au Bénin, le développement urbain se nourrit d'expulsions
Au moment où la France "rend" 26 œuvres d'art au Bénin, il est intéressant de découvrir, pour ceux qui ne connaissent pas ce pays africain, comment le président Talon (qui ne se prénomme pas Achille) s'occupe de son peuple et de l'urbanisation de son pays...
The Conversation
https://theconversation.com/au-benin-le-developpement-urb...
CHINE
La question taïwanaise peut-elle déclencher la troisième guerre mondiale ?
L’armée chinoise a condamné le dimanche 17 octobre les États-Unis et le Canada qui ont envoyé en fin de semaine des navires de guerre dans le détroit de Taïwan, estimant que ces initiatives représentaient une menace pour la paix et la stabilité dans la région. Le 19 octobre le correspondant du Figaro à Taïwan posait la question figurant ci-dessus dans le titre mais se bornait à rappeler l’origine historique du différend, la position de la communauté internationale d’« une seule Chine », l’effort d’armement chinois et citait pour conclure Bonnie Glasser du Center for Strategic Studies : « si Taïwan est attaquée , nous allons vers un conflit majeur entre les Etats-Unis et la Chine, qu’il sera difficile de contenir avec un risque d’escalade nucléaire. »
Geopragma
https://geopragma.fr/la-question-taiwanaise-peut-elle-dec...
DÉSINFORMATION
Contrôle de l’information : après la commission Bronner, Viginum
L’élection présidentielle approche et ce que l’on pourrait appeler une oligarchie macronienne met en place les conditions d’une bonne réélection du président sortant via une plus grande efficacité du contrôle de l’information, que celle-ci soit privée ou publique. Viginum est une parfaite illustration du second terme.
OJIM
https://www.ojim.fr/controle-de-linformation-viginum/
Déontologie : quand des journalistes revendiquent leur qualité de non-journalistes
La charte de Munich adoptée en novembre 1971 par la Fédération européenne des journalistes précise la déontologie de la profession, en dix devoirs et cinq droits. Cinq journalistes viennent pourtant de publier une tribune sur le blog Médiapart “Journalistes pas complices” où ils annoncent gentiment s’assoir sur ses principes, tribune à laquelle ont répondu plusieurs dizaines de leurs confrères.
OJIM
https://www.ojim.fr/deontologie-journalistes-mediapart-tr...
Les Corsaires à l’assaut des ennemis de la liberté d’expression
L’Observatoire du journalisme a consacré plusieurs articles aux Sleeping giants, ces ennemis de la liberté d’expression qui intimident les annonceurs de publicité. Les campagnes de pression de cette officine, organisées principalement sur Twitter, ont abouti à réduire très fortement les ressources publicitaires de médias comme Breitbart, Valeurs actuelles et Boulevard Voltaire. La riposte s’organise avec un collectif nouvellement apparu appelé « les Corsaires » (www.corsairesdefrance.com), qui propose aux citoyens de contrer les actions liberticides des Sleeping giants.
OJIM
https://www.ojim.fr/les-corsaires-vs-sleeping-giants/
ÉTATS-UNIS
La persécution d’Assange expose au grand jour la sauvagerie de l’Occident
Les pires atrocités de l’histoire ont toutes été légales. Tous les pires exemples de génocide, d’esclavage, de tyrannie et d’effusion de sang ont été autorisés ou activement facilités par l’État. La persécution d’Assange vise à faire entrer l’emprisonnement des journalistes dans cette catégorie.
Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/2021/10/29/la-persecution-dass...
FRANCE
Blanquer à l’Éducation nationale, la dictature en marche
Le 19 octobre 2021, Jean-Michel Blanquer a déclaré sans ambages : « Les enseignants doivent transmettre les ‘valeurs de la république’ ou ‘sortir de ce métier’. » À cet effet, il prévoit un « vaste plan de formation sur 4 ans des personnels, à la laïcité et aux valeurs de la république », prenant appui sur les hommages rendus à Samuel Paty, assassiné pour avoir illustré la liberté d’expression – au programme – par la présentation d’une caricature de Mahomet. C’est précisément pour avoir appliqué la politique du gouvernement qu’il a été assassiné.
Polémia
https://www.polemia.com/blanquer-a-leducation-nationale-l...
Ces ministres macroniens qui prennent la plume et ne vendent pas
Lors du conseil des ministres du 13 octobre, Emmanuel Macron aurait manifesté son (vif) mécontentement. À force de les voir publier des livres, « les Français vont finir par se dire que les ministres ne foutent rien ». D’autant que personne ne les lit, ces livres…
Front populaire
https://frontpopulaire.fr/o/Content/co683076/ces-ministre...
« Affaire du siècle » : le sidérant double jeu de Cécile Duflot et Nicolas Hulot
« Élève des corbeaux et ils te crèveront les yeux ». Depuis jeudi 14 octobre, le célèbre dicton espagnol ne doit cesser de résonner dans la tête des responsables de l’État qui s’étaient associés avec certains écologistes patentés. Le tribunal administratif de Paris les a enjoint de « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État a maintenant jusqu’au 31 décembre 2022 pour économiser les 15 millions de tonnes de CO2 qu’il a « indument » rejeté dans l’atmosphère pendant la période 2015-2018… À l’origine de cette condamnation, on trouve, entre autres, Cécile Duflot et Nicolas Hulot qui sont aujourd’hui les dirigeants de deux des quatre ONG qui ont attaqué l’État en justice (la fondation Nicolas Hulot et Oxfam France).
Causeur
https://www.causeur.fr/affaire-du-siecle-fessenheim-nicol...
La CIA et l’OTAN lorgnent sur les pépites technologiques françaises
La French Tech n’est pas à l’abri de la guerre économique. Les PME et les start-up sont aussi la cible de certaines prédations. Charles Degand, président d’Angelsquare, analyse la récente création de fonds dirigés par la CIA et l’OTAN.
Conflits
https://www.revueconflits.com/la-cia-et-lotan-lorgnent-su...
GAFAM
Trafic d’êtres humains, cartel de la drogue et appel au génocide: pas besoin d’aller sur le dark web, Facebook s’occupe de tout
Depuis plusieurs jours, un consortium de médias américains révèle des informations très embarrassantes (et c’est peu dire) au sujet de Facebook. Leur base de travail: des milliers de documents internes à l’entreprise divulgués par une lanceuse d’alerte, Frances Haugen. Voici trois des éléments les plus scandaleux qui ressortent de ces Facebook Papers.
Businessam.be
https://fr.businessam.be/trafic-detres-humains-cartel-de-...
Jeremy Fleming: l'homme qui sous-traite la souveraineté numérique britannique à Amazon
Les services de renseignement informatique du Royaume-Uni ont signé un contrat avec l'Américain Amazon Web Services pour stocker des données sensibles. Directeur de ce pilier de la sécurité britannique depuis 2017, Jeremy Fleming a préparé les esprits depuis des mois à ce partenariat aux contours flous.
L’Echo
https://www.lecho.be/dossier/portraits/Jeremy-Fleming-l-h...
Facebook va-t-il rémunérer (et aussi contrôler) une partie de la presse française ?
Un « accord » aurait été signé le 21 octobre 2021 entre Facebook et certains quotidiens pour rémunérer ces derniers, dont ni les termes financiers ni la liste des heureux bénéficiaires ne sont connus.
OJIM
https://www.ojim.fr/facebook-presse-francaise/
ITALIE
Trois commentaires amers sur les dernières élections italiennes
La défaite du centre-droit en Italie : personne ne démissionne et personne ne change les équipes d'incompétents
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/21/d...
ONU
Qui était Dag Hammarskjöld ?
Dag Hammarskjöld a établi la norme d’intégrité et d’indépendance à laquelle tous les secrétaires généraux des Nations Unies sont jugés. Il a été le pionnier de la diplomatie directe grâce au secrétariat général pour désamorcer les crises, et a créé le maintien de la paix de l’ONU. Hammarskjöld a forgé une indépendance entre les puissances de la Guerre froide qui les a contrariées et qui a peut-être conduit à sa mort il y a 60 ans.
Les-crises.fr
https://www.les-crises.fr/qui-etait-dag-hammarskjold/
RUSSIE
Poutine croque le bloc occidental à la moulinette
Poutine a fait une longue apparition de trois heures devant le public de la session plénière de l’édition 2021 du “Davos russe”, ou de “l’anti-Davos” si l’on veut, – le “Valdaï Discussion Club”. Son intervention s’est faite dans le style de ses fameuses et très longues conférences de presse, avec questions du modérateur et du public, qu’il s’agisse de celui qui était présent physiquement ou par liaison vidéo.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/23/p...
SANTÉ
L’OMS entre lobbyings et scandales
Le chef de l’OMS a-t-il été un des acteurs-clés qui se seraient livrés à « des meurtres » et auraient autorisé « la détention arbitraire et la torture d’Éthiopiens »? La plainte qui le discrédite.
Le blog de Liliane Held Khawam
https://lilianeheldkhawam.com/2021/10/23/le-chef-de-loms-...
Un message à Fauci : Vous n’êtes pas en mesure de dicter le « plus grand bien »
Comment un fraudeur comme Anthony Fauci se retrouve-t-il au poste le mieux rémunéré de la bureaucratie américaine ? Eh bien, la carrière de Fauci est un témoignage plutôt choquant de la réalité de notre gouvernement et de notre époque. Plus vous êtes corrompu, plus vous recevrez de faveurs et de promotions.
Le Saker francophone
https://lesakerfrancophone.fr/un-message-a-fauci-vous-net...
Les dirigeants européens veulent une gouvernance mondiale de la santé
Les dirigeants européens viennent de tenir un conseil dont on retiendra en particulier que, s’agissant de la lutte contre le COVID et les pandémies en général, nos chefs d’Etat proposent d’abdiquer leurs pouvoirs au profit d’une agence européenne et de l’OMS, qui seraient toutes puissantes pour décider des mesures à appliquer sur les territoires nationaux. Ce projet terrifiant est désormais assumé politiquement de façon tout à fait officielle.
Les Moutons Enragés
https://lesmoutonsenrages.fr/2021/10/26/les-dirigeants-eu...
La culture victime de l’idiotie sanitaire ?
Depuis le 21 juillet, le pass sanitaire est obligatoire pour accéder aux lieux de loisirs et culturels. Ces lieux sont en grande partie, totalement ou partiellement, financés par le contribuable, c’est-à-dire tout le monde, mais ne sont désormais plus libres d’accès. Vous n’avez pas toujours besoin de pass pour travailler ou faire vos courses, enfin pour le moment, mais pour regarder un film, admirer une exposition, communier face à un spectacle vivant, si.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/10/29/409894-la-culture...
UNION EUROPÉENNE
Cour constitutionnelle polonaise contre CJUE : la Pensée unique européiste se fissure
Même si la Pologne fait régulièrement parler d’elle depuis que les électeurs polonais se sont choisis une majorité conservatrice pour gouverner le pays (en 2015 et à nouveau en 2019), rarement un tel intérêt lui aura été porté que depuis la décision de son Tribunal constitutionnel, adoptée le 7 octobre, remettant en cause la primauté du droit européen. Revue de presse.
OJIM
https://www.ojim.fr/cour-constitutionnelle-polonaise-cont...
09:48 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, presse, journaux, médias, france, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook