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jeudi, 25 novembre 2021

Marx le Messie

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Marx le Messie

Luca Bistolfi

Trop d'intellectuels laqués, laquais du pouvoir, citent Marx au hasard. C'est pourquoi le grand vieillard de Trèves s'avère très nécessaire à relire dans le moment terrible et marquant que nous vivons.

SOURCE : https://www.lintellettualedissidente.it/controcultura/filosofia/marx-berlin/

Bien conscient de l'inanité de certains de ses thuriféraires-charlatans contemporains et notamment des professeurs d'université, Schopenhauer a été contraint, dans la Préface de la deuxième édition de son livre Welt, de tremper sa plume plus que de coutume dans l'acide pour fustiger l'habitude d'un certain public de recourir à des exposés de seconde main au lieu de lire les textes originaux. C'est l'"affinité élective, par laquelle une nature commune se sent attirée par ses semblables", tout comme les enfants "apprennent mieux d'autres enfants". Et qui sait ce qu'il écrirait aujourd'hui face à des coupures de presse et des "tutoriels" philosophiques !

Cependant, il ne faut pas être trop rigide, et si l'on souhaite mordre dans les idées et les auteurs avec la dureté d'un autodidacte, afin d'éviter le moule académique, on peut certainement recourir aux travaux préparatoires. C'est dans ce sens que je veux attirer l'attention du lecteur sur deux Karl Marx.

71bv0FFN3VL.jpgLe premier est publié ces dernières semaines par Adelphi et est signé par Isaiah Berlin. Il s'agit en fait d'une réédition du texte paru en 1969 pour La Nuova Italia, mais avec un appareil critique plus efficace. Berlin n'est pas le premier penseur antimarxiste à écrire un ouvrage honnête, lucide et informé sur le "docteur de la terreur rouge", comme on l'appelait en son temps : pensons, par exemple, aux connaissances considérables dont firent preuve Giovanni Gentile, le premier professeur d'Antonio Gramsci, et Benedetto Croce, un élève du marxiste Antonio Labriola. L'étude du travail de Berlin ne manque pas de nous faire découvrir quelques imprécisions terminologiques, quelques citations irréfléchies - auxquelles les éditeurs remédient néanmoins - et quelques jugements un peu hâtifs ; mais ces péchés sont somme toute négligeables face à une étude rigoureuse et surtout honnête, même si elle est datée puisqu'elle remonte à 1938. Ceux qui souhaitent avoir un aperçu général de Marx en tant que penseur, érudit et activiste politique trouveront ici satisfaction. Il s'agit d'une sorte de vaste entrée d'encyclopédie, du genre qui n'est plus composé nulle part.

Il ne faut donc pas s'attendre à y trouver un exposé des découvertes de Marx dans les Grundrisse ou le Capital. La marque de ce Karl Marx réside dans la capacité d'Isaiah Berlin à ancrer le sujet dans son époque et, surtout, à décrire certains fondements philosophiques cruciaux avec une compétence et une clarté d'exposition exemplaires, qui ressortent particulièrement à certains moments, comme les pages magistrales consacrées à Hegel et au rapport fondamental du jeune Marx avec sa philosophie, et le chapitre sur le "Matérialisme historique", un sujet, comme chacun sait, plutôt dur, mais Berlin montre qu'il sait "manier avec soin" les concepts hégélo-marxistes, sans générer de malentendus embarrassants, qui seraient dus à un excès d'orthodoxie, ou peut-être à  à un défaut d'orthodoxie, qui émaillent malheureusement les pages de nombreux marxistes, réels ou supposés.

Toutefois, permettez-moi de faire deux suggestions pour tous ceux qui envisagent d'aborder cette étude. Tout d'abord, il est nécessaire de lire attentivement la "Préface de l'éditeur à la cinquième édition", l'une des rares prémisses utiles en circulation. Deuxièmement, ne lisez pas la quatrième de couverture : elle semble clairement avoir été écrite soit dans l'intention de mettre en garde contre Marx, soit a plutôt été écrite sans avoir lu le livre, en tenant pour acquis que le Berlin n'était qu'un libéral doctrinaire, type humain que l'on rencontre dans maintes rédactions.

81+cvkFVYXL.jpgDifférent à tous égards, le Karl Marx de Maximilien Rubel, sorti il y a vingt ans, en 2001, mais toujours disponible chez l'éditeur milanais Colibri, est l'un des outils les plus indispensables pour qui veut étudier sérieusement le Grand Ancien de Trêves. Contrairement à Berlin, qui est connu de tous, le nom de Rubel sera inconnu de la plupart des gens : mais, pour ce que cela vaut, je peux vous assurer que nous avons affaire à l'un des chercheurs les plus intelligents, les plus aigus et les mieux préparés du marxisme européen, capable de traiter un sujet très complexe avec habileté et dextérité. Afin de fournir le stimulus nécessaire pour inviter le lecteur à lire le livre, il faut partir du deuxième sous-titre de l'ouvrage : Prolegomeni per una sociologia etica (Prolégomènes pour une sociologie éthique), que l'auteur a ajouté à la seule édition italienne, bien meilleure à tous égards que l'original français. Il est également doté d'une chronologie raisonnée et minutieuse de plus de cent pages et d'un solide appareil critique.

L'intention principale de Rubel est de libérer Marx des lectures économistes arides, en saisissant la continuité, de sa jeunesse à sa mort, d'une instance éthique pré-politique et pré-économique. Mais écoutons les mots éloquents de l'auteur:

"Non seulement il n'y a pas, chez Marx, d'intention spécialiste, mais il faut aussi s'abstenir d'y voir une tentative philosophique de s'élever au-dessus des diverses spécialisations en vertu de l'activité systématique et médiatrice de la pensée : une telle "philosophie", pour lui, avait elle-même un caractère fragmentaire, était un pur produit de la division du travail et de son aliénation. Ou du moins, cela ne lui semblait concevable - puisque philosopher est nécessaire - que si elle était surmontée et réalisée dans la pratique, c'est-à-dire rendue inutile en tant que projet. Les raisons de Marx étaient d'un autre ordre, que je crois pouvoir définir comme éthiques, dans la mesure où l'éthique est précisément ce qui, dans la pensée d'un homme, fuit instinctivement toute particularisation réductrice pour embrasser la diversité des activités dans une vision d'ensemble toujours plus élevée et les rapporter sans cesse à la vérité pratique [...]. Marx n'a pas créé, ni eu l'intention de créer, un nouveau système d'économie politique. Il voulait donner aux hommes luttant pour la transformation radicale de la société une explication théorique et critique du mode de production capitaliste. Karl Marx a voulu orienter la connaissance scientifique de la société vers une cause éminemment révolutionnaire : le renversement du capitalisme et la construction d'une société libérée de l'exploitation et de l'oppression".

Cette libération permettra aux individus de se réaliser enfin sans aucune contrainte, de devenir des êtres humains intégraux parce que libérés de la lutte des classes et de la domination, qui enserrent et concourent au libre développement visant à la connaissance - progressive et pourtant nécessairement asymptotique - tant du cerveau individuel que du cerveau social, une expression qui n'est pas présente chez Rubel mais que j'emprunte au vocabulaire d'Amadeo Bordiga, l'un des plus grands théoriciens révolutionnaires du 20ème siècle.

Mais pourquoi aborder Marx ?

Depuis quelques années, une fois que la démoralisation consécutive aux événements européens de 1989-1991 s'est estompée, et parfois à l'occasion de quelques anniversaires, Karl Marx revient de temps en temps sur le devant de la scène, mais soit comme une pose intellectuelle, soit comme une figure reproposée par quelques merluchons de la télévision avides d'argent et aux boucles parfumées, et précisément pour cette raison sans être vraiment familier avec lui, ou encore moins conscient de ses prémisses et surtout de ses conclusions révolutionnaires. Cependant, la crise structurelle anormale du système mondial actuel, à laquelle s'ajoute la catastrophe hautement probable et imminente, obligera le prolétariat - ancien et nouveau - et les masses en général à s'orienter dans la direction indiquée par l'agitateur de Trêves et ceux qui, au cours des décennies, ont maintenu vivants son enseignement et ses encouragements.

Seuls les cerveaux abrutis par l'idéologie dominante qui les instille et les asservit, et seuls les parasites sociaux du monde, de tout ordre et de tout degré, ignorent le moment terrible et épocal que nous vivons et la catastrophe vers laquelle nous avons déjà fait les premiers pas. Et sans instruments politiques adéquats, le sort des classes subalternes - pas moins que celui de la bourgeoisie ! - est scellé de la manière la plus fatale. Même les simulacres de revendications écologiques et gendéristes, aussi mal posés et mal préparés soient-ils, marquent un changement de cap qui, toutefois, s'il n'est pas bien guidé, risque de n'être qu'une énième fausse solution, vide face à des drames concrets et immanents qui ne peuvent être résolus que par le renversement du système politique et économique actuel.

Bien sûr, il ne faut pas commettre la très grave erreur de considérer le marxisme comme une idéologie et, encore moins, comme une idéologie enfermée dans un système relégué au 19ème siècle et dont la teneur s'avère "incommunicable" avec le monde actuel, comme beaucoup de gens des deux côtés parviennent admirablement à le faire et comme une position explicitement niée par Berlin et Rubel. Avec ses sodalistes et ses disciples, Marx est l'arme critique efficace essentielle avec laquelle il faut s'entraîner en attendant de passer des armes de la critique à la critique des armes.

Luca Bistolfi

Bonnal et la Dictature Universelle

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Bonnal et la Dictature Universelle

Le Coup de Gueule de Nicolas Bonnal, la rubrique de Café Noir enregistrée le jeudi 18 novembre 2021. Une selection de livres avec liens de Nicolas & Tetyana Bonnal ci-dessous.
 
 
LIVRES DE BONNAL CHEZ AVATAR EDITIONS
 
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Le Choc Macron – Fin des Libertés et Nouvelles Résistances https://avatareditions.com/livre/le-c...
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La Comédie Musicale Américaine – Nicolas et Tetyana Bonnal https://www.amazon.fr/dp/B08NWWYBT3
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Sur la frontière polonaise

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Sur la frontière polonaise

Enric Ravello Barber

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/11/en-la-frontera-de-polonia.html?fbclid=IwAR39lia6p607_12Dsb4u4zFbnbF2HSkBXDRj6nrXskXZBCtl-oNPJgMlWRw#.YZ0NOLrjKUk

La Pologne défend sa frontière, qui est celle de l'UE, contre une vague d'immigrants clandestins qui cherchent à la prendre d'assaut. Varsovie a déployé son armée pour empêcher l'assaut de milliers de réfugiés qui cherchent à s'installer sur notre continent. Nous soutenons pleinement le gouvernement et l'armée polonais qui doivent agir avec toute la force nécessaire pour arrêter et faire reculer cette invasion intolérable.

Il n'existe aucune considération "humanitaire" pouvant servir de prétexte pour s'opposer à une action polonaise énergique. Si les migrants ont froid et sont dans le besoin, la solution consiste à ouvrir des ponts aériens identiques à ceux qui les ont amenés à la frontière polonaise, mais dans la direction opposée pour les ramener chez eux.

Cela dit, énonçons quelques commentaires sur le contexte de la situation.

L'ombre de Washington dans la crise

Après les attentats du 11 septembre, les "néo-cons" ont imposé leur stratégie à l'administration américaine. Dans leur messianisme irrationnel, ils font déclarer aux USA une "guerre générale contre le Mal", un "Mal" dont ils se donnent le droit de déterminer les pays qui le composent.

Dans cette dynamique délirante, les USA ont envahi l'Irak - un pays laïc et islamiste - en 2003. Les États-Unis ont promis aux Kurdes, soumis à l'Irak, un État à eux s'ils soutenaient leur invasion.  Il convient de rappeler que la Pologne, alors gouvernée par l'Alliance de la gauche démocratique, a soutenu l'invasion américaine en Irak.

Les États-Unis n'ont pas tenu leur promesse aux Kurdes et lorsqu'ils ont retiré leurs troupes d'Irak, ils ont laissé leurs anciens collaborateurs sans protection, comme ils l'ont fait récemment en Afghanistan. La grande majorité des réfugiés qui tentent de prendre d'assaut la frontière polonaise sont précisément des Kurdes.

Depuis son retour dans la politique internationale, c'est-à-dire depuis la chute du rideau de fer, la Pologne définit sa position géopolitique comme une alliance claire avec les États-Unis. Elle a été le premier pays à déployer le bouclier de défense antimissile contre la Russie. Plus récemment, Varsovie a soutenu la "révolution orange" et la tentative de renversement de Loukachenko, derrière laquelle se cachait la diplomatie américaine. Les "révolutions de couleur", orchestrées par les services de renseignement américains et souvent financées par Soros, ont eu pour principal objectif de supprimer le contrôle de Moscou sur l'espace ex-soviétique que la Russie contrôlait encore : les exemples de la Géorgie et de l'Ukraine sont clairs. La tentative suivante a été de détacher le Belarus, mais cette fois, elle a échoué.

Les réactions de Lukashenko et du Kremlin

La Turquie, elle, est toujours prête à créer de l'instabilité dans l'UE et plus particulièrement en Allemagne, qui est la destination finale de tous ces réfugiés. Elle a affrété des vols, principalement de Kurdes, à 1500 euros le billet et le visa de sortie - pas vraiment pour les pauvres. Les visas pour le Belarus ont été généreusement délivrés par ses ambassades. La complicité de Minsk dans la crise est incontestable. La vengeance de Loukachenko contre la Pologne, et éventuellement contre la Lituanie et la Lettonie, pays avec lesquels le Belarus a également une frontière et un désir de vengeance, est stratégiquement maladroite.  Minsk a annoncé qu'en réponse aux sanctions économiques européennes sévères pour les violations des droits de l'homme au Belarus, c'est-à-dire pour se venger de l'échec de la "révolution colorée", elle inonderait les pays de l'UE de "drogues et de migrants". Une réaction absurde et répréhensible, typique d'un autocrate nostalgique de l'Union soviétique.

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"L'Occident avec ses guerres injustifiées est responsable du flux de réfugiés", a déclaré Vladimir Poutine en référence à la situation actuelle. Le président russe a raison. Toutefois, la poursuite de l'inacceptable position de Minsk consistant à faire chanter l'Europe avec des vagues de réfugiés illégaux éloigne Poutine de son rôle de grand homme d'État, suscite la méfiance de l'Europe occidentale à l'égard de sa vision continentale et, bien sûr, entrave son projet d'"Europe unie de Lisbonne à Vladivostok", qu'il a récemment qualifié de principal objectif géopolitique. En somme, cette tension Pologne/UE-Belarus/Russie est une victoire politique et de propagande pour les positions atlantistes en Europe de l'Est et dans l'espace Intermarium. C'est l'espace clé où se joue la guerre géopolitique la plus importante pour l'avenir de l'Europe.

Privé d'influence en Géorgie et "de facto" confronté à une Ukraine alliée de l'OTAN, Moscou ne peut se permettre de perdre le Belarus, le dernier État européen ex-soviétique dans son orbite. Le Belarus est un État tampon typique utilisé par une grande puissance (la Russie) pour amortir les conflits et disposer d'une ligne de front à partir de laquelle il peut agir - diplomatiquement et militairement - sans impliquer son propre territoire. Dans ce cas, c'est une arme à double tranchant, car le Belarus est le dernier État tampon du Kremlin en Europe, un Kremlin qui est dès lors obligé de suivre et de soutenir toute aventure - aussi risquée et absurde soit-elle - à Minsk.

L'escalade de la tension, le déploiement de l'armée polonaise à la frontière, avec la même réponse des forces biélorusses, a incité la Russie à envoyer des parachutistes d'élite et des hélicoptères à armement nucléaire pour soutenir Minsk. Ce n'est pas du tout une bonne nouvelle pour les Européens dans leur ensemble.

Il est nécessaire de surveiller l'évolution de la situation et de voir qui prend la tête de la solution et s'avère être un politicien doté d'une vision continentale. Poutine a fait un premier pas dans cette direction en proposant une rencontre entre les gouvernements allemand et biélorusse.

L'hypocrisie impuissante de l'UE

Face à la Pologne l'Europe a une attitude ambigüe:e la menace de son expulsion à l'éloge de son travail en tant que garant de la défense de l'UE, en passant par l'acceptation de financer un mur anti-immigration sur son territoire. C'est dire à quel point les dirigeants européens sont versatiles et hypocrites.  La Pologne est aujourd'hui un cas d'espèce. Pourtant, Salvini, qui a été le premier à mettre en garde et à agir de manière cohérente sur le danger de la migration, a été attaqué politiquement et est toujours poursuivi en justice.

Après avoir attaqué Trump pour avoir érigé un mur contre l'immigration - qu'Obama, objet de tous les éloges, avait commencé - les ridicules dirigeants européens ont ensuite proposé de construire eux-mêmes un mur identique.  L'UE est décadente, inutile, sacrifiable, craintive et incapable d'agir dans le monde du 21ème siècle et l'absence de tout leadership en Europe occidentale est une nouvelle fois démontrée.

Dans certains milieux, on peut lire des déclarations telles que "laissons l'UE se montrer sévère envers le Belarus". La réponse doit être claire : l'UE n'a pas la main forte, pas de capacité gazière ou nucléaire pour répondre à la Russie. Nous avons toujours prôné une synergie entre l'Europe et la Russie pour créer un tel bloc de Lisbonne à Vladivostok. Cette crise démontre plus que jamais sa nécessité.

Conceptuellement, ce n'est qu'en assumant une logique de civilisation européenne, Polonais et Biélorusses, que les peuples européens pourront assurer leur avenir et empêcher toute forme de manipulation qui nous fracture et nous affaiblit.

mercredi, 24 novembre 2021

Une critique antimoderne du nationalisme

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Pierre Le Vigan

Une critique antimoderne du nationalisme

Essayiste métapolitique, amoureux du cinéma sur lequel il a souvent écrit, animateur éclairé d’émissions de radio et de télévision, Arnaud Guyot-Jeannin propose une critique du nationalisme qui ne consiste pas seulement à s’y opposer mais à définir une attente dont on peut déjà dire qu’elle est tout autant de l’ordre du sacré que du politique proprement dit. Cette attente, c’est l’Empire – une notion qui inclut l’idée de fédéralisme et de subsidiarité - qui compose au lieu de l’impérialisme qui impose. Le nationalisme qu’Arnaud Guyot-Jeannin critique, c’est celui qui épuise les identités par leur entrechoc au lieu de les défendre réellement dans la durée. Pour le dire autrement, la question à laquelle AGJ donne une réponse, que l’on aurait aimé voir plus développée, mais qui va à l’essentiel avec une grande clarté d’expression, c’est celle de la possibilité et du pourquoi d’une critique « de droite » du nationalisme. Cette critique, nous dit-il, est nécessaire et possible. Il nous explique pourquoi.

L’auteur distingue très justement le nationalisme comme phénomène historique du nationalisme comme phénomène idéologique, sans nier qu’il y ait des liens entre les deux phénomènes. Historiquement, le nationalisme désigne à la fois un mouvement de libération nationale et un mouvement d’affirmation, parfois exclusive, de l’appartenance nationale  comme élément central de la vie d’une collectivité. Le nationalisme historique est un phénomène moderne. Il apparait avec l’Etat, comme l’avait souligné Julien Freund. Bien sûr, les guerres ont existé avant le nationalisme. Mais les nationalismes donnent à la guerre un caractère de masse. L’Etat-nation permet seul ce caractère de mobilisation de masse. Or, cet Etat-nation se forme à partir du Moyen Age, quant, aux producteurs et aux féodaux s’ajoute une nouvelle catégorie sociale, qui devient progressivement dominante à partir de Philippe le Bel, la bourgeoisie. Le processus durera 5 ou 6 siècles. Le rôle du roi en sera changé puisqu’il s’appuiera tantôt sur la bourgeoisie contre les féodaux devenus l’aristocratie, tantôt sur l’aristocratie contre la bourgeoisie, et rarement sur le peuple contre les uns ou les autres. Quant à la bourgeoisie, elle instrumentalisera le peuple contre l’aristocratie, puis contre le roi. Même si la bourgeoisie professe des valeurs non guerrières, elle crée l’Etat-nation homogène, assujettit chacun à la discipline du marché et des impôts, et permet des mobilisations de masse qui rendent les guerres plus meurtrières.

Le patriotisme, l’attachement au terroir restent présents dans l’imaginaire, mais il s’agit bien souvent d’aller au-delà du patriotisme défensif, et de submerger le monde de ses idéaux, qu’il s’agisse des idées des Lumières, des idées de liberté et d’égalité, et des idées complémentaires de l’individu souverain dans un marché libre, sans entraves ni limites. Il a fallu des siècles pour que les communautés populaires spontanées soient moulées, sinon broyées dans une homogénéisation nationale-étatique. Il est vrai que ce processus fut concomitant de l’irruption directe du peuple comme acteur politique, avec le mouvement « sans-culotte » – qui ne saurait faire oublier la Guerre des Paysans dans l’Allemagne du XVIème siècle, le rôle du peuple dans Le Fronde, etc. Une nouveauté réelle par la légitimité idéologique qui est la sienne avec le triomphe des idéaux de la révolution et ses versions de plus en plus radicales, mais une nouveauté historique relative de l’intervention du peuple.

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Après l’apparition, partout en Europe au XIXème siècle, d’Etat nations, mouvement favorisé par l’exportation (militaire) des idées de la Révolution française, le nationalisme se confond avec la modernité, celle qui compte, qui recense, qui rassemble un tas en un tout, qui mobilise de la manière la plus homogène possible, qui rationalise. Ceci se produit bien sûr dans la continuité de la monarchie centralisatrice, mais en accéléré à partir du moment où les sociétés traditionnelles ont perdu leur légitimité idéologique, le capitalisme ayant laminé les organisations par ordres, ou par castes, en lesquelles il voit à juste titre des freins à son expansion. Cette homogénéisation se heurte pourtant, encore longtemps, à des résistances, souvent informelles, à la modernité, résistances qui sont l’expression de la diversité des cultures populaires de la France. Ce n’est que vers 1960 que la France, ses parlers, ses paysages deviendront unifiés, et cela sera justement ce que l’on a appelé « la France défigurée ». Dès le début du XIXème siècle, les nationalismes prennent une forme économique, c’est-à-dire que l’économie devient un des moyens d’une politique de puissance. La domination économique britannique, puis ensuite anglo-américaine, se heurte ainsi aux tentatives d’hégémonie plus classique, plus directe, plus militaire, de certaines puissances européennes, d’abord la France, puis l’Allemagne. 

L’attachement concret à sa terre, aux siens, et à ses traditions se confronte ainsi à l’abstraction d’un nationalisme fondé sur la recherche de puissance. Mais le patriotisme s’oppose aussi, particulièrement en France, à une forme particulière de « patriotisme », c’est-à-dire à un « patriotisme idéologique ». C’est la querelle des « deux patries » (jean de Viguerie), qui est plutôt la querelle des deux patriotismes. Se prétendant désintéressé et universaliste, le « patriotisme » idéologique français consiste à porter, partout dans le monde, les « idéaux » des droits de l’homme et de la Révolution française. Ce « patriotisme », comme quoi l’idée de bonheur du genre humain serait une invention française a le « mérite » d’être très commode. Ce patriotisme universaliste fonctionne contre l’Allemagne « réactionnaire » de Guillaume 1er puis de Guillaume II, il fonctionne aussi pour justifier l’expansion coloniale française. Ce « patriotisme » idéologique se présente rarement pur. C’est souvent un mixte. On ne disait pas sous la IIIème République que la France était née en 1789, même si on insistait sur la grande importance de ce moment. Aussi la IIIème République combinait-elle ce patriotisme, qui est en fait un nationalisme déguisé, avec l’éloge, plus « ethnique », ou ethno-culturel, de nos racines gauloises. En tout état de cause, ce « patriotisme » idéologique, non pas simplement charnel, et alors défensif, mais adossé aux idéaux de la Révolution française, alimente un nationalisme offensif, expansionniste, et manichéen, puisque si la France porte les idéaux d’égalité, de liberté et de fraternité, elle incarne donc le Bien, et ses ennemis ne peuvent incarner que le Mal, avec lequel on ne négocie pas, et contre qui on mène une guerre à mort. Mais c’est curieusement non pas tout de suite, à l’époque des guerres de la Révolution et de l’Empire, ponctuées de nombreuses paix de compromis, que cela se manifeste, mais plus de 120 ans plus tard, avec la guerre de 1914-1918.

Dans la mesure où nous sommes revenus depuis 40 ans, depuis les années 1980, à une version plus pure du patriotisme idéologique, à savoir que la France n’est que la « patrie des droits de l’homme », ce grand récit s’est considérablement affaibli, et a perdu sa capacité d’assimilation, car on s’intègre à des mœurs, mais pas à des idées, a fortiori quand celles-ci sont inaudibles dans la culture d’origine.

Individualisme, société de masse et non d’ordres, uniformité des droits et des devoirs, goût de l’abstraction contre goût du concret définissent donc le nationalisme comme phénomène spécifiquement moderne. Plus que jamais, il faut défendre notre nation et notre peuple, mais il n’y a pour cela nul besoin d’imaginer que notre nation est supérieure aux autres. Ne nous donnons pas ce ridicule d’avoir besoin, pour aimer notre pays, de ne pas aimer les pays voisins. Il convient aussi de comprendre qu’on ne défend pas son identité sans défendre toutes les identités, qui elles-mêmes ne sont pas des invariants mais des moyens de changer et de se changer en restant fidèle à la meilleure part de soi-même. Ce ne sont, doit-on enfin dire, pas les autres nations qui nous nient, mais l’oligarchie qui nie toutes les nations.

Arnaud Guyot-Jeannin, Critique du nationalisme. Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité, préface d’Alain de Benoist, postface de Philippe Lamarque, Via Romana, 2021, 11 €.

Jeux, masques et règles : Roger Caillois et notre ludique tyrannie

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Jeux, masques et règles: Roger Caillois et notre ludique tyrannie

par Nicolas Bonnal

On évoque justement le caractère ludique de cette tyrannie sanitaire : il faut « jouer le jeu », comme dit le partisan du confinement éternel ou de la dose bimestrielle. De même les masques, les règles, les gestes dits barrières évoquent cette fâcheuse tendance au totalitarisme ludique que nous observons partout. Ajoutons que le non vacciné relève moins du bouc émissaire de Girard que du cas du non-participant mal considéré. Il ne veut pas participer à l’amusant jeu du vaccin, du reset (pas de voiture, de maison, de courant, etc.) alors sanctionnons-le.

Tout cela nous rappelle le fameux livre de Caillois sur les jeux ; il en distinguait de quatre genres :

« Après examen des différentes possibilités, je propose à cette fin une division en quatre rubriques principales selon que, dans les jeux considérés, prédomine le rôle de la compétition, du hasard, du simulacre ou du vertige. Je les appelle respectivement Agôn, Alea, Mimicry et llinx. Toutes quatre appartiennent bien au domaine des jeux : on joue au football ou aux billes ou aux échecs (agôn), on joue à la roulette ou à la loterie (alea), on joue au pirate ou on joue Néron ou Hamlet (mimicry). On joue à provoquer en soi, par un mouvement rapide de rotation ou de chute, un état organique de confusion et de désarroi (ilinx). »

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Seuls les deux derniers nous intéressent, en particulier Mimicry. Caillois écrit à ce propos :

« Mimicry. - Tout jeu suppose l'acceptation temporaire, sinon d'une illusion (encore que ce dernier mot ne signifie pas autre chose qu'entrée en jeu : in-lusio), du moins d'un univers clos, conventionnel et, à certains égards, fictif. Le jeu peut consister, non pas à déployer une activité ou à subir un destin dans un milieu imaginaire, mais à devenir soi-même un personnage  illusoire et à se conduire en conséquence. »

Le masqué vacciné parano méfiant est en effet un personnage illusoire qui subit « un destin dans un milieu imaginaire. » mais en marge de la tragédie qui lui préparent ses élites démoniaques, lui reste un ludique. Il ne veut plus être lui-même (Guénon parle déjà du caractère minable de notre vie ordinaire moderne, idem pour Thoreau et son « désespoir tranquille ») :

« Le sujet joue à se faire croire ou à faire croire aux autres qu'il est un autre que lui-même. Il oublie, déguise, dépouille passagèrement sa personnalité pour en feindre une autre. Je choisis de désigner ces manifestations par le terme de mimicry. »

Parlons du masque maintenant. On veut porter un masque pour changer de personnalité et « faire peur aux autres », ajoute Caillois dans une phrase effrayante :

« L'inexplicable mimétisme des insectes fournit soudain une extraordinaire réplique au goût de l'homme de se déguiser, de se travestir, de porter un masque, de jouer un personnage. Seulement, cette fois, le masque, le travesti fait partie du corps, au lieu d'être un accessoire fabriqué. Mais, dans les deux cas, il sert exactement aux mêmes fins: changer l'apparence du porteur et faire peur aux autres. »

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Parlons de la folie furieuse, dantesque et menaçante qui nous entoure. La deuxième rubrique de Caillois se nomme Ilinx. Voici ce qu’elle désigne :

« Ilinx rassemble les jeux qui reposent sur la poursuite du vertige et qui consistent en une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d'infliger à la conscience une  sorte de panique voluptueuse. Dans tous les cas, il s'agit d'accéder à une sorte de spasme, de transe ou d'étourdissement qui anéantit la réalité avec une souveraine brusquerie. »

Cet ilinx est lié à une rage de destruction (le Reset), celle que nous vivons maintenant (destruction des économies, des libertés, du respect humain, de la logique, de toute la superstructure de la civilisation) :

« Il existe un vertige d'ordre moral, un emportement qui saisit soudain l'individu. Ce vertige s'apparie volontiers avec le goût normalement réprimé du désordre et de la destruction. Il traduit des formes frustes et brutales de l'affirmation de la personnalité… »

A la fin de son livre Caillois reprend son étude sur le masque :

« Le masque : attribut de l'intrigue amoureuse et de la conspiration politique; symbole de mystère et d'angoisse; son caractère louche. »

Et il évoque la bautta, le masque vénitien rendu célèbre par Kubrick dans EWS (ce n’est certes pas un hasard : voyez mon livre) :

« Elle était imposée aux nobles, hommes et femmes, dans les lieux publics, pour mettre un frein au luxe et aussi pour empêcher que la classe patricienne soit atteinte dans sa dignité, quand elle se trouverait en contact avec le peuple. Dans les théâtres, les portiers devaient contrôler que les nobles portaient bien la bautta sur le visage, mais une fois entrés dans la salle, ils la gardaient ou l'enlevaient suivant leur bon plaisir. Les patriciens, quand ils devaient conférer pour raison d'Etat avec les ambassadeurs, devaient aussi porter la bautta et le cérémonial le prescrivait également en cette occasion aux ambassadeurs. »

Caillois rappelle après d’autres que le masque libère, mais au mauvais sens du terme :

« Ils sont bruyants, débordants de mouvements et de gestes, ces masques, et pourtant leur gaieté est triste; ce sont moins des vivants que des spectres. Comme les fantômes, ils marchent pour la plupart enveloppés dans des étoffes à longs plis, et, comme les fantômes, on ne voit pas leur visage. »

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En réalité – et on est bien d ‘accord – le masque permet d’échapper à la loi (voyez mon texte sur Guénon et le carnaval permanent de nos sociétés) :

« Cette humanité, qui se cache pour se mêler à la foule, n'est-elle pas déjà hors la nature et hors la loi ? Elle est évidemment malfaisante puisqu'elle veut garder l'incognito, mal intentionnée et coupable puisqu'elle cherche à tromper l'hypothèse et l'instinct. »

Sources:

Roger Caillois, Les jeux et les hommes (Gallimard)

Nicolas Bonnal – Kubrick (Amazon.fr, Ed. Dualpha)

 

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Savoir, c'est pouvoir : l'intelligence dans la géopolitique contemporaine

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Savoir, c'est pouvoir: l'intelligence dans la géopolitique contemporaine

Par Mirko Mussetti
Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/sapere-e-potere-lintelligence-nella-geopolitica-contemporanea/

L'intelligence est aujourd'hui le cœur profond de la puissance, l'élaboration centrale des grandes stratégies des nations, un facteur conditionnant de la géopolitique des acteurs dominant la scène mondiale. Nous avons le plaisir de vous présenter un extrait du dernier essai de Mirko Mussetti, analyste estimé de la revue Limes que nous avons eu le plaisir d'accueillir dans nos colonnes à plusieurs reprises, La rosa geopolitica (La rose géopolitique), publié par Paesi Edizioni dans la série "Machiavelli" avec une préface de Lucio Caracciolo, consacré précisément au poids stratégique du renseignement aujourd'hui.

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Le terme anglo-saxon moderne intelligence est généralement employé pour décrire le complexe d'activités consistant en la collecte et l'analyse de données finalisées à l'élaboration d'informations utiles au processus de décision politico-militaire. Les opérations de renseignement sont donc intrinsèquement liées à la sécurité nationale et nécessaires à la prévention de toute action économique, stratégique ou culturelle ayant des effets déstabilisants sur le système du pays.

Plus généralement, ce terme désigne le système capillaire dans lequel s'articulent les activités d'espionnage et de contre-espionnage. D'autre part, le mot intelligence trouve son origine dans la locution latine intŭs legere, c'est-à-dire "lire à l'intérieur". Mais tout aussi probablement, il dérive de inter legere, c'est-à-dire "lire entre les lignes" ou "choisir entre". La capacité de comprendre et de distinguer, et de comprendre facilement, ce qui se cache dans les choses et les circonstances est donc fondamentale pour toute action politique sensée.

La capacité de lire et de conditionner les événements constitue le cœur de la "rose géopolitique". Le succès des activités de renseignement ne dépend pas tant de l'efficacité avec laquelle les informations sont recueillies que de l'efficacité avec laquelle elles sont mises en relation. Ce n'est pas tant la quantité de connaissances recueillies qui compte, mais la façon dont elles sont alignées ou, mieux encore, la façon dont elles sont traitées pour déclencher le changement. Le philosophe grec Plutarque (1er siècle après J.-C.) disait que "l'esprit n'est pas un récipient à remplir, mais un feu à allumer".

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Avec une expression pleine d'esprit, l'écrivain français du 19ème siècle Victor Hugo a organisé les expériences cognitives de manière hiérarchique, en affirmant que "l'intelligence est la femme, l'imagination est la maîtresse, la mémoire est la servante".

Mais si l'une de ces trois figures fait défaut, la vie sociale devient insipide et la famille (l'État) risque de sombrer dans le chaos, le ressentiment et le regret. De même, en l'absence d'une gestion économique rationnelle, d'une stratégie visionnaire et "globale", et d'une culture ordonnée, diligente et soumise, l'orientation géopolitique d'une nation est vouée à une fatigue prolongée.

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Savoir lire, en même temps, entre les trois ambiances opérationnelles de la géopolitique - géo-économie, géo-stratégie, géo-culture - est crucial pour imprimer une politique étrangère nationale aussi saine et holistique que possible. La connaissance est le pouvoir. L'intelligence constitue le noyau de la puissance dynamique d'une nation, disposant des instruments appropriés pour accroître son efficacité, gonfler son hard power et revigorer son esprit. En apparence, la géopolitique concerne les liens entre la géographie et les nations. Mais au fond, elle est liée aux besoins (im)prévisibles et intimes des États. Contrairement à l'action d'une masse d'atomes, qui est statistiquement prévisible, en physique, l'action d'un seul atome ne peut être prédite. Le comportement des nations est assez similaire: les gouvernements, ou plutôt les "États profonds", dissimulent des intentions et des projets d'irradiation géopolitique. La connaissance est un pouvoir en soi. Elle peut être utilisée par les services de renseignement de manière directe - par le biais de la communication - afin de façonner la réalité et d'accroître les avantages concurrentiels de la nation. Les dispositifs employés dans les relations internationales peuvent être économico-financiers (ôikos), militaro-diplomatiques (stratòs) ou, précisément, communicatifs-propagandistes (cultŭs).

À propos de l'auteur / Mirko Mussetti

Mirko Mussetti est un analyste en géopolitique et en géostratégie. Avant La Rosa geopolitica, il a publié Áxeinos ! Geopolitica del Mar Nero (2018) et Némein. L'arte della guerra economica (2019), tous deux publiés par GoWare.

Un nouveau projet impérial pour la Russie

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Un nouveau projet impérial pour la Russie

Valery Korovin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/novyy-imperskiy-proekt-dlya-rossii

En réfléchissant au nouvel ordre social russe, il est impossible de ne pas se référer, d'une manière ou d'une autre, à son essence impériale. La Russie était un empire et, à bien des égards, elle l'est toujours, même si c'est de manière inerte, fragmentaire, en déclin, mais ce qui est vraiment difficile à imaginer, c'est comment la Russie peut ne pas être un empire. Et alors, y aurait-il une Russie sans empire ? Et si elle est un empire - quel genre d'empire est-elle ? Quelle serait son Idée motrice, ses contours idéologiques fondamentaux, ses paramètres politiques, économiques et culturels ? Comment l'Empire s'inscrit-il dans les défis du monde moderne, par exemple celui de l'intelligence artificielle, de l'imprimante 3D, du revenu universel ou des "camps de concentration numériques" en constante augmentation ? Conscients de la distance qui nous sépare d'une transformation radicale de l'État actuel, essayons de penser l'Empire tel qu'il devrait être, en comparant cette idée impériale à l'image idéale de la Russie.

Explications nécessaires

Dès le début de cette tentative créative de concevoir un empire, il est nécessaire d'émettre quelques réserves pour répondre aux objections les plus courantes à ce sujet ainsi que pour exposer les paramètres techniques de ce texte.

L'auteur de ces lignes a consacré à l'Empire de nombreux articles, des dizaines de discours, d'essais, de textes journalistiques et même plusieurs livres, mais la somme de ceux-ci n'est qu'une petite tache sur la grande fresque des recherches et des textes sur l'impérialité. Il convient donc de noter que le texte proposé, étant donné l'espace limité, ne prétend pas être scientifiquement fondé et complet, mais n'est qu'une généralisation de niveau journalistique proposée par l'auteur. D'où l'absence de références et de notes de bas de page, lesquelles auraient été nécessaires à un essai de nature scientifique. Telles sont donc nos premières remarques.

Deuxièmes batteries de remarques: le sujet est si vaste et si englobant que seuls ses principaux contours peuvent être présentés dans l'espace réduit qui nous est offert, et le texte peut donc être considéré comme une table des matières détaillée ou comme un bref synopsis d'une étude plus vaste, conçue pour s'étoffer ultérieurement.

Troisième série de remarques: le terme "empire" lui-même est tellement chargé de contexte historique que toute mention de celui-ci évoque immédiatement une masse d'associations, de références, d'analogies historiques, dans lequel s'engouffre toute déclaration constructive. C'est pourquoi, dès le départ, nous devons préciser que, conformément aux préceptes de Carl Schmitt, nous utiliserons le concept d'"empire" comme un terme technique, c'est-à-dire complètement débarrassé du contexte historique et de toutes les associations qui se sont développées au cours de l'histoire de l'humanité.

Partant de tout cela, en parlant de l'empire, nous n'aurons à l'esprit ni le retour au passé, ni la reconstruction des empires historiques, ni la restauration des dynasties monarchiques et des maisons impériales, dont les partisans des empires du passé aiment tant parler. Il s'agit ici de créer une nouvelle image de l'empire en Russie, tournée vers l'avenir, créative et non encombrée d'images historiques d'époques révolues.

Revenir en arrière

Lorsque nous commençons à parler d'empire, nous comprenons inévitablement que nous parlons d'une certaine forme d'État. Mais la conscience de l'homme moderne est tellement dominée par le type d'État dominant - l'État-nation, avec une forme républicaine de gouvernement, que souvent - comme nous le rencontrons régulièrement - l'empire n'est perçu que comme un État-nation, mais sur une plus grande échelle. Qui plus est, une telle perception de l'empire est une caractéristique du discours non seulement des profanes, mais aussi de politologues et même d'hommes politiques, en particulier les dirigeants de certains États, tant à l'Ouest qu'à l'Est.

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Les États-Unis d'Amérique se considèrent comme un empire (bien qu'en réseau, extraterritorial, postmoderne) et étendent leur influence sur le reste du monde. Un nouvel empire ottoman est le rêve du dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan, qui pense pouvoir le construire en absorbant certains fragments territoriaux - qu'il s'agisse de fragments de la Syrie au sud ou de l'ensemble de l'État d'Azerbaïdjan au nord - dans un plus vaste État-nation turc (ndt, doté enfin de ressources énergétiques suffisantes). Tout cela ne fait que révéler l'incompréhension de l'essence même de l'empire qui s'est emparée de l'humanité moderne.

En réalité, un empire n'est pas un État-nation ou une Nation qui s'est donné un Etat, mais son antipode complet. Pour la définition de l'empire, l'auteur de ces lignes (sans toutefois s'en réclamer) propose la notion d'État-empire afin de souligner la différence qui existe avec l'État-nation. En fait, sur la négation des principaux paramètres de l'État-nation, il n'est pas difficile de décrire les paramètres de l'État-empire, en trouvant simplement pour chacun d'eux son antipode (bien que, bien sûr, il serait plus exact de dire le contraire - l'État-nation est l'antipode de l'État-empire, et non vice-versa).

Abandonner l'État-nation

Si nous prenons au hasard les principaux paramètres d'un État-nation, nous recevons déjà, en y opposant des paramètres correspondants relevant de l'empire, les principaux contours d'un État-empire.

Tout d'abord, les frontières administratives strictes sont une caractéristique de tout État-nation. Cela commence par les frontières. Les frontières des États-nations sont les contours immuables de la souveraineté nationale. Tout déplacement de la frontière est une cause de guerre, de conflit, ou d'affront national, de ressentiment, qui peut durer des années, des décennies, des siècles, alimentant la soif de vengeance nationale.

Pour un empire-état, les frontières administratives n'ont pas tellement d'importance. La frontière d'un empire n'est pas une ligne mais une bande, dont l'espace peut comprendre de vastes territoires et peut inclure des États entiers. Si les peuples ou les États vivant aux frontières de l'empire sont amis, quelle importance a le tracé de la ligne de démarcation ? S'ils se trouvent dans la sphère d'influence culturelle de l'empire, alors les frontières de son influence s'étendent jusqu'à l'endroit où cette influence culturelle s'arrête, passant à des relations simplement amicales, de partenariat ou d'alliance, et ainsi de suite.  Où se situent les limites des relations alliées ou amicales - est-ce vraiment important ?

C'est une autre affaire que d'avoir des nations ou des États hostiles à proximité. Ce n'est pas agréable, mais l'endroit où est tracée la frontière importe-t-il tant si l'empire est soumis à l'influence culturelle d'États hostiles, si des réseaux ennemis s'y déploient, diffusant les valeurs idéologiques, philosophiques et culturelles propres à ces États hostiles, à d'autres peuples ou civilisations ? Qu'en est-il du fait que la frontière occidentale de la Russie d'aujourd'hui est scellée, si nous sommes dans une situation d'occupation culturelle par l'Occident ? Dans ces conditions, il y aura toujours quelqu'un qui ouvrira les portes de l'intérieur, quelle que soit la puissance de nos armes contre un ennemi occidental potentiel, et que vaudra la forteresse de nos frontières ?

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Ainsi, les frontières administratives, immuables pour un État-nation, pour un État-empire réalisant son expansion par l'avancement de ses codes culturels et civilisationnels, ne sont pas si importantes. Ils peuvent l'être, mais leur glissement d'un côté à l'autre, leur flou ou leur conventionnalité ne sont pas une raison d'offense nationale, et encore moins une raison de guerre, compte tenu du fait que l'empire vit et s'étend. Ou, au moins, palpite. 

Le second critère est l'individu (citoyen) en tant que catégorie sociale de base niant toute subjectivité collective - ethnos, peuple. Ainsi, les étapes de la construction d'une nation comprennent l'atomisation, l'individualisation et l'absolutisation de l'individu en tant qu'entité indépendante, séparée de toute communauté collective, puis la généralisation politique mécanique de cet éparpillement de citoyens atomisés en une nouvelle communauté artificielle. Pour mettre cela en contexte, on pourrait comparer la nation à un construction en Lego: il y a beaucoup de petites pièces qui peuvent être utilisées pour construire quelque chose d'entier, voire de monumental. Mais combien il est difficile d'intégrer à cette construction un élément solide, encore plus grand...

La négation de ce second critère révèle le sujet principal de l'empire - la communauté collective (non atomisée) organique (non artificielle) - ethnos, nation, autonomie ou communauté. Si le citoyen est déjà une unité politique, la communauté organique de l'empire n'est pas politique mais, par exemple, culturelle ou religieuse. L'empire n'est donc pas constitué de citoyens atomisés, créés artificiellement (sur la base de quoi ? Nous y reviendrons plus loin), mais de grandes entités - groupes ethniques, peuples, autonomies et communautés, dans toute leur diversité, constituant leur unité stratégique.

Le troisième critère de l'État-nation (parmi les principaux, et il y en a aussi beaucoup de mineurs) est le contrat social. C'est sur sa base que l'unité de la multitude des citoyens atomisés devrait se produire (cependant, comme l'histoire le montre, elle peut ne pas se produire, et même le plus souvent elle ne se produit pas). Le contrat politique, généralement une constitution, est en fait le document de base qui établit politiquement l'État-nation, définissant les paramètres fondamentaux de son aspiration générale vers un objectif politique unique, élaboré sur la base d'un accord civil et de valeurs conventionnelles. C'est ainsi qu'il est conçu.

Mais dans l'histoire réelle, les choses ont tendance à ne pas aller aussi facilement, et plus l'individu gagne et expérimente les libertés, moins l'aspiration commune, la concorde civile et les valeurs conventionnelles seront importantes. De même, l'unité de l'objectif politique est fortement remise en question. D'où le rugissement du Léviathan de l'État-nation : les dissidents - "jusqu'au clou", sous le rouleau de la machine répressive étatique, et ensuite - jusqu'à la consommation. Peu de choses ont changé depuis la révolution française, le triomphe de l'établissement de l'état-nation sur les ruines de la monarchie et de l'empire.

L'établissement de l'État par l'intervention du bas est l'image même de la création d'un État-nation, car cet établissement repose sur la négation de la monarchie, telle que bouleversée par la révolution française. Mais si nous remettons tout sur pied, nous aurons le principe impérial de formation d'un État-empire - de haut en bas, établi par les élites, les états (Stände) ou les castes supérieures. À la tête d'un tel État, dans des circonstances différentes, il peut y avoir un clergé ou des philosophes - et nous obtenons alors les rudiments de l'État idéal de Platon, mais il est établi (ce qui est aussi plus souvent le cas dans l'histoire) par le second état - les kshatriyas, la noblesse militaire, qui personnifie l'action. C'est la meilleure, l'aristocratie qui définit les principaux paramètres de l'État impérial sans exiger un accord absolu avec eux de la part des sujets de l'empire - peuples, ethnies, autonomies, communautés, parce qu'ils sont, comme on l'a vu plus haut, des sujets non pas politiques, mais sacrés, religieux ou culturels. Cependant, le rôle des personnes dans l'empire doit être abordé séparément.

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Toutefois, ce qui précède peut plutôt être considéré comme des paramètres techniques. La principale différence entre l'État-empire et l'État-nation est définie par la formule de "l'unité stratégique de la diversité" qui remplace l'unification de l'État-nation.

Unité stratégique de la diversité

Les paramètres susmentionnés de la formation de l'État différencient de manière cardinale les approches de la formation de l'État-nation, l'État de l'ère moderne, l'époque du matérialisme, du progressisme et du positivisme, et son antipode, l'État-empire, un État traditionnel fondé sur les catégories de l'Éternité et non du temps, de l'Esprit et non de la matière, du traditionnel et non du profane, de l'organique et non de l'artificiel, du communautaire et non du privé.

Il semblerait que le choix soit évident. Et pourtant, une question hante même ceux qui acceptent déjà, ou sont prêts à accepter, le principe impérial de l'État - la question de la garantie de l'unité. Après tout, l'approche de l'unification semble si tentante - disperser, fragmenter, mélanger et recompresser tout en un seul monolithe. Mais ce n'est pas si simple.

Les partisans de l'unification nationale, en règle générale, citent l'argument suivant comme principal : la diversité est un conflit, tandis que l'unification élimine ce conflit. À première vue, cela semble logique, mais seulement à première vue. Cette logique mécanique ne fonctionne que pour les mécanismes. Lorsqu'il s'agit d'un être humain, sa principale caractéristique, l'identité, entre en jeu, ce qui remet en question tous les modèles d'unification.

Il est bon, bien sûr, de proposer à tous de devenir les mêmes, d'accepter une identité commune, unifiée, universelle, jusqu'à ce qu'une question se pose : quelle identité ? Et elle ne se présente pas devant vous, mais devant tout le monde. Et c'est là que commence la résistance, car à côté de l'identité collective - Id (racine latine signifiant "le même que ça") - il y a aussi une identité individuelle développée à l'époque de la Modernité et de l'absolutisation de l'individu.

Et si l'individu atomisé peut encore être entraîné dans la matrice socio-politique générale, mécanique, universelle, par la machine nationale-étatique, ce Léviathan de Hobbes, alors, avec les peuples et les ethnies (sans parler des civilisations) - porteurs d'une identité collective représentant des communautés organiques - tout est beaucoup plus compliqué. Et à proprement parler, ce n'est pas le cas. Les identités collectives ne sont pas enfermées dans les étals des États-nations, quoi qu'il arrive. D'où les nombreux conflits locaux, les dissensions, les guerres régionales, la résistance insurrectionnelle, le séparatisme ou l'autodétermination - quel que soit le nom qu'on lui donne.

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La modernité s'est bloquée au niveau de l'identité collective et s'est arrêtée. Les États-nations de la Modernité sont embourbés dans des conflits internes fondés sur l'idée de défendre, maintenir et développer leur identité par tous les nombreux rebelles et séparatistes. Même dans les conditions de laboratoire idéales des États-Unis, la nation politique, dans ses paramètres de référence, n'est même pas près de se former - enclaves, ghettos, quartiers chinois, réserves, un tiers de la population hispanique, stratification sociale, culturelle, raciale, menaçant à tout moment de se transformer en une guerre civile à grande échelle. Il n'y a pas de véritable "melting pot" dans lequel une nation politique américaine unifiée, homogène et cohésive devait être élaborée. L'expérience, qui a duré deux siècles et demi, a échoué. Et c'est là que toutes les conditions de sa mise en œuvre réussie ont été créées dès le début - aux États-Unis. Que dire de l'Europe, avec ses peuples distinctifs. Qu'en est-il du reste du monde, dont la plupart n'ont que des noms, des drapeaux, des hymnes et des armoiries comme attributs d'un État-nation, au mieux des formes nominales d'imitation de gouvernement républicain et rien d'autre.

L'expérience de création d'un État-nation à l'échelle de l'humanité a complètement échoué, bien qu'extérieurement elle soit triomphante - le monde entier est divisé en États-nations, découpés en tranches irrégulières et tordues, et il n'existe aucune autre forme d'État. Légalement, il n'y en a pas. Mais en fait, il n'y a qu'eux. Ce sont les États-nations dans leur format de référence qui n'existent pas. Qui ? La France, avec ses quartiers arabes où aucun policier ne met les pieds ? L'Allemagne, mentalement divisée entre l'Est et l'Ouest, avec des Arabes et des Turcs qui violent des Allemandes tolérantes sans l'intervention des autorités ? Il n'y a aucune mention des États-Unis. Mais les conflits intra-nationaux, en fait des guerres d'identité, abondent. Ne vaut-il pas mieux cesser d'avancer dans la mauvaise direction, désespérément coincé au début de la route depuis près de trois siècles ?

L'Empire a sa propre réponse à ce défi - l'unité stratégique de la diversité. Cela implique deux niveaux de gouvernance - stratégique et culturel. Au niveau stratégique, les élites impériales établissent une structure verticale rigide qui assure la centralisation, l'intégrité et la sécurité de l'empire, y compris les espaces qui font partie de la zone d'influence culturelle et civilisationnelle de l'empire. Mais les élites impériales ne sont responsables que des domaines traitant de la capacité de défense, de la sécurité, de l'intégrité territoriale, des questions macroéconomiques, des infrastructures et de la politique d'information impériale - en d'autres termes, des domaines stratégiques.

Tout le reste est relégué au niveau culturel et quotidien, où les peuples, les groupes ethniques, les autonomies culturelles et les communautés déterminent eux-mêmes les paramètres de leur existence, en mettant en œuvre les formes quotidiennes, économiques et même juridiques de leur existence, de manière pluraliste, dans toute leur diversité. Il est important de souligner ici que, sans même une allusion aux attributs politiques et à l'autodétermination politique, la politique, la question du pouvoir et l'organisation politique sont entièrement du ressort des élites impériales. Qui, à leur tour, n'interfèrent pas dans la vie quotidienne, le mode de vie, la réglementation des caractéristiques culturelles et religieuses de toute la diversité des groupes ethniques, des peuples, des autonomies et des communautés de l'empire. L'ingérence n'est autorisée que lorsqu'il y a des menaces pour la sécurité, l'intégrité, l'infrastructure impériale ou des conflits majeurs entre les sujets de l'empire - ethnies, peuples ou communautés - pour les diviser.

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Ainsi, la diversité culturelle, ethnique, religieuse, linguistique et même juridique des formes au sein de l'empire est normative. Contrairement à l'État-nation, qui s'immisce dans tout, jusque dans les moindres détails, qui réglemente et régit toutes les questions, jusqu'à l'intérieur, où tout est basé sur l'unification et les approches universelles et identiques pour tous, ce qui provoque un nombre infini de conflits.

L'empire est une unité stratégique de la diversité, et c'est la clé de son intégrité, de sa stabilité et de sa durabilité.

Au niveau géopolitique, l'Empire est soit une partie d'un bloc civilisationnel, soit le centre, comme, par exemple, l'Empire eurasien russe, la Russie-Eurasie, qui est le centre du pôle civilisationnel eurasien du monde multipolaire à venir.

Les bâtisseurs d'empire

Et pourtant, la principale catégorie, le principal sujet de l'empire est le peuple. Mais pas dans son acception vulgaire de tous les jours - comme l'ensemble des citoyens d'un État, ou comme un groupe de personnes rassemblées sous un seul critère - traduction inexacte de la notion de "peuple", de "gens" - une simple masse quantitative hétérogène - mais dans un sens strictement scientifique, ethnosociologique. Une nation, du point de vue de l'ethnosociologie, n'est ni un ethnos, ni une nation, comme des "spécialistes" pas trop éduqués le disent parfois négligemment. Une nation est une communauté organique, qualitative, identique à la notion grecque de laos - c'est-à-dire un groupe social supra-ethnique, comprenant plus d'un, plusieurs groupes ethniques, mais conservant un ethos organique commun.

La principale caractéristique qui distingue un peuple d'une ethnie est le fait qu'un peuple acquiert un but historique, qui unit les ethnies déconnectées, qui s'éloignent ainsi déjà de leur monotonie domestique et de leur cyclicité inhérente, créant une sorte de modèle universel plus complexe d'auto-organisation, avec une hiérarchie, une stratification, une division en élites et en masses. En s'unissant en un peuple, les groupes ethniques entrent ainsi dans l'histoire, se fondant dans la structure organique générale du peuple.

C'est la nation qui crée l'État, et l'État est un empire. Non pas l'État-nation, car sa population est une masse atomisée, fragmentée et artificiellement réassemblée, politiquement politisée, de citadins, de bourgeois et de bourgeoises, mais l'État-empire. Un grand peuple crée un grand empire, qui peut unir d'autres peuples, plus petits, qui le cofondent et le construisent avec le grand peuple. C'est une grande nation qui forme cet empire, prenant sur elle toute la charge de la responsabilité de tous ses membres.

Une nation naît de la diversité ethnique, elle prend un nom commun. Une nation est un stade de développement de la société qui est plus compliqué dans sa structure sociale et qui suit l'ethnos. Il ne s'agit pas ici d'une origine commune, puisque plusieurs groupes ethniques ou même l'ensemble des groupes ethniques sont réunis dans une nation.

Les langues des groupes ethniques qui fusionnent en une nation fusionnent en une langue commune construite sur la base d'une seule langue dominante. La sacralité transmise par un prêtre ou un chaman est remplacée par une religion, le plus souvent monothéiste, qui se substitue à toutes les croyances et à tous les cultes qui existaient dans les ethnies d'origine, mais permet de les préserver ; la culture devient alors la matrice commune de l'assemblée du peuple.

Pour l'empire russe - passé ou futur, une nation aussi importante et formatrice d'empire est le peuple russe - en tant que communauté collective organique supra-ethnique - un rassemblement des groupes ethniques majoritairement slaves orientaux, finno-ougriens et turcs en une seule entité sociale, supra-ethnique, qui a pris un nom commun, et avec lui est entrée dans l'histoire, a créé une langue commune basée sur un certain nombre de dialectes et d'accents, et a formé un État-empire continental avec un environnement culturel commun.

Après avoir exposé les principaux paramètres de l'État Empire, et la manière dont il se distingue de l'État-nation, abordons maintenant les questions privées et techniques de l'ordre impérial à venir, à savoir les questions de sécurité, l'économie et la technologie.

Une économie multi-économique + une modernisation sans occidentalisation. Une image de l'avenir

Suivant le principe impérial de l'unité stratégique de la diversité, et le pluralisme normatif qui en découle, le système économique de l'empire-état à venir, qui est généralement décrit en termes d'"économie multiforme", doit également être conçu. 

En termes de base, une économie multi-structurelle est comprise comme une combinaison de tous les types possibles de propriété des moyens de production. Il s'agit tout d'abord de la propriété publique de grandes installations de production et de matières premières. Les paramètres macroéconomiques, le niveau du PIB en général et la sécurité stratégique de l'économie en dépendent.

Le niveau suivant est la propriété collective des entreprises de taille moyenne, des petites usines et des fabriques, dont la production ne dépend pas de manière critique de l'économie de l'État dans son ensemble. Elles peuvent être détenues soit par la main-d'œuvre, soit par des investisseurs privés individuels, soit par d'anciens employés, soit en copropriété avec l'État. Il peut également s'agir d'installations de services, de cafés, de restaurants, d'ateliers, d'artisans, de coopératives, d'ateliers et d'autres moyens de production non essentiels à l'économie.

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La propriété privée des moyens de production n'est pas non plus exclue - petits ateliers, cafés, salons de coiffure, production locale, presque tout le secteur des services, tout ce qui est attrayant par sa diversité, sa créativité, sa richesse, inhérente à l'initiative privée.

Il en va de même pour l'agriculture - la production stratégique de denrées alimentaires de base - céréales, viande, lait, légumes - dans la propriété obligatoire de l'État, dans la mesure où elle ferme la sphère de la sécurité alimentaire. Tout le reste - en propriété collective et privée, avec la volonté de l'État d'acheter les produits agricoles des fermes collectives et privées, ce qui devrait en même temps encourager la relocalisation dans l'environnement agraire, car c'est seulement dans l'environnement agraire qu'il y a une croissance de la population ; dans l'environnement urbain - seulement un déclin.

Dans le domaine de la haute technologie, l'approche impériale s'exprime par la formule "modernisation sans occidentalisation", qui inclut un développement presque illimité de la haute technologie, mais uniquement dans son aspect utilitaire, appliqué, sans absolutisation ni "déification" exaltée.

Le développement, dans ce sens, doit être limité strictement à la sphère matérielle et technique, et ne doit pas être accompagné du soi-disant "développement social", qui est un processus inévitable et inhérent accompagnant le PNT en Occident. De plus, l'Occident place le transfert des hautes technologies en dépendance directe du degré de "développement" social, c'est-à-dire de la dégradation de la société. La technologie est étroitement liée à des manifestations sociales telles que les gay-parades, le soutien aux LGBT, le légalisme, le féminisme et d'autres formes hideuses, généralement définies comme "occidentalisation".

En d'autres termes, une imprimante 3D, un smartphone et une intelligence artificielle sont des choses acceptables pour un État-imperium s'ils ont une valeur utilitaire, appliquée, notamment à la défense, ce qui signifie leur production interne, de tout ce qui est "logiciel" à "dur", et rien à voir avec l'adoption des valeurs occidentales. Le smartphone - de préférence produit dans le pays, comme toute autre haute technologie - est, dans l'empire, inséparable des catégories de l'Éternité, de la Tradition, de la religion, de Dieu, du salut, du sacré et de la métaphysique, au lieu de les exclure, comme l'exige l'occidentalisation.

***

Tous les autres paramètres sont dérivés de ces principes de base, et peuvent être facilement reconstruits si on le souhaite et avec un développement intellectuel, une créativité et une érudition suffisants. Il reste à imposer de manière créative cette matrice sémantique de l'État Empire à venir sur l'État russe actuel afin de comprendre ce qui doit être complètement aboli, ce qui doit être radicalement transformé, ce qui doit être reconstruit et ce qui doit rester inchangé. 

Cette création du nouvel Empire russe du futur est en soi un processus très intéressant, créatif, intellectuel, dont les conséquences, et plus encore l'incarnation, la mise en œuvre, la construction sont tout à fait vertigineuses et fascinantes. Tout l'univers de l'Empire russe s'ouvre devant nous, et pas une seule personne intelligente, créative et attentionnée ne peut résister à sa brillante manifestation.

Source première: https://zavtra.ru/blogs/novij_imperskij_proekt_dlya_rossii

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mardi, 23 novembre 2021

Les trois vagues de la modernisation mondiale

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Les trois vagues de la modernisation mondiale

Par Andrea Muratore

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/le-tre-ondate-della-modernizzazione-globale-modernita/

L'histoire sans "théorie" est aveugle ; la "théorie" sans histoire est absconse, non prouvée, sans vérification empirique. En ce qui concerne la modernisation, les historiens préfèrent la narration pure, limitant l'analyse conceptuelle, obtenant un compte rendu neutre qui ne tient pas suffisamment compte de l'évolution des processus ; les philosophes, les sociologues et les politologues, quant à eux, ont une vision plutôt irréaliste des processus de modernisation, et les deux catégories ne parviennent très souvent pas à s'écarter de la vision eurocentrique ou occidentaliste de l'histoire moderne, considérant l'Europe et l'Europe "hors Europe" comme le "miroir du monde". Le début de la mondialisation a démontré le caractère incomplet des schémas historiographiques européens appliqués à des contextes différents et la nécessité d'élaborer des paradigmes plus inclusifs.

Il est nécessaire de traiter la modernité, en dépassant l'idée originale basée sur les hypothèses mentionnées ci-dessus qui fondent l'application du "moderne" uniquement sur une base nationale et théorisent la mondialisation comme une somme de processus locaux dirigés dans une direction commune sur la base de l'imitation du modèle de la "locomotive" des pays avancés. Le fait que les élites africaines et asiatiques aient longtemps été formées dans les métropoles européennes, Londres et Paris en tête, témoigne de la mesure dans laquelle cette idée a également été perçue en dehors des frontières occidentales. Toutefois, ce récit ne peut être considéré comme crédible : la modernité représente un processus unitaire mondial qui a débuté en Europe occidentale et aux États-Unis et qui s'est progressivement étendu pour impliquer la quasi-totalité de la planète, devenant ainsi une condition généralisée pour toute l'humanité. La modernité s'est développée à travers un processus violent, incohérent et conflictuel, au-delà de ce que prétendent certains récits partisans: par exemple, l'Europe a été très habile à faire disparaître les souvenirs désagréables associés au colonialisme et a été très indulgente envers elle-même. Les millions de morts de l'Holocauste nazi, par exemple, bénéficient d'une considération et d'un souvenir à la hauteur de la gravité de l'événement, alors qu'à l'inverse, les millions de morts du colonialisme en Amérique du Sud ou au Congo sont aujourd'hui passés sous silence. La colonisation est un phénomène important de la modernité, comprise comme un "conflit".

On peut distinguer trois vagues de modernisation : la première, essentiellement "classique" et libérale, a concerné les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France dans le sillage de quatre grandes révolutions, de la révolution néerlandaise contre la domination espagnole à la révolution française de 1789.

Le Congrès de Vienne, auteur d'une restauration politique, n'a pu arrêter la vague de modernisation économique et législative : aucun événement historique ne passe sans laisser de conséquences derrière lui, aucune restauration ne peut jamais être complète. La graine de la modernité a continué à germer, contribuant à générer la deuxième vague au milieu du 19ème siècle, impliquant l'Allemagne, l'Italie, la Russie et le Japon.

La Russie a aboli le servage en 1861, à la suite de sa défaite dans la guerre de Crimée, et a entamé au fil du temps un processus d'industrialisation concentré dans la région de Saint-Pétersbourg. Par la suite, le processus de modernisation a été fortement catalysé par de nouvelles défaites militaires, notamment celle contre le Japon et celle de la Grande Guerre, qui ont provoqué la déflagration de révolutions internes.

La modernisation allemande, en revanche, après l'échec de la révolution libérale de 1848, est le résultat des succès militaires de la Prusse contre le Danemark, l'Autriche et la France entre 1864 et 1871, à la suite desquels le deuxième Reich, l'Allemagne impériale, est formé. La croissance économique et industrielle allemande est le "mariage du seigle et de l'acier", et le développement des grandes industries allemandes est essentiellement catalysé par l'expansion de la puissance et des ambitions militaires allemandes, guidée et orchestrée par le gouvernement central.

En Italie, la modernisation et l'unité sont le produit des intérêts croissants de la grande bourgeoisie productive du nord de la péninsule, qui fournit le substrat politique de l'unité culturelle consolidée de l'Italie. Les sept congrès de scientifiques italiens de la première moitié du 19ème siècle ont effectivement fondé l'idée d'une "Italie" avant le Risorgimento. L'alliance entre la révolution démocratique-libérale et les aspirations de la plus italienne des dynasties régnantes de la péninsule au milieu du XIXe siècle, la Maison de Savoie, a créé la plate-forme de la première tentative d'unification, qui a échoué en 1848 ; par la suite, les Savoie ont pris la direction politique du processus d'unification italienne. La modernité en Italie n'a donc pas été le fruit révolutionnaire d'une société déjà "mûre", ni le fruit exclusif d'un succès militaire : c'est la politique qui a créé la modernisation.

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Lorsque les États-Unis ont contraint l'Empire du Soleil Levant à ouvrir ses ports au commerce international, la dynastie Meji a imposé une véritable révolution par le haut, amorçant la modernisation du pays, pour l'achèvement de laquelle le développement d'une marine moderne et efficace était fondamental.

La deuxième phase de la deuxième vague a été beaucoup plus traumatisante, et a commencé après la révolution russe de 1917. Les quatre pays, pour des raisons très différentes liées à la Première Guerre mondiale, sont sortis de la Grande Guerre complètement prostrés et totalement désemparés. La caractéristique conflictuelle de la modernité est devenue extraordinairement évidente dans les années qui ont précédé la Grande Guerre, car cette période a modifié la structure sociale des pays et a conduit à l'émergence de conflits internationaux, dont le plus important a été la bataille pour la suprématie navale et coloniale mondiale entre l'Allemagne et le Royaume-Uni. Elle a également révélé la tendance typique des pays avancés à considérer la modernité comme un phénomène égocentrique, et le désir de pousser le reste du monde dans un développement moderne subordonné. Les tendances autoritaires déjà présentes en Italie, au Japon et en Allemagne se sont consolidées à la suite du mécontentement suscité par les "victoires mutilées" ou le revanchisme contre les vainqueurs: la deuxième vague se caractérise par une "modernisation autoritaire", axée sur le rôle hégémonique de l'État, la compression des droits des classes laborieuses et la montée du totalitarisme. L'analyse de la première période d'après-guerre permet de constater le caractère différent de la modernité dans les différents contextes étatiques.

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L'idée d'un développement inégal-combiné est fondamentale pour comprendre la modernité et la mondialisation: Trotsky a théorisé son application à la Russie soviétique, à la lumière du principe du "saut d'étapes", de l'historia amat nepotum, du développement cumulatif de la connaissance. Le développement est inégal en raison de la différence de contexte culturel, social et matériel entre les différents pays, d'où la nécessité de modifier le rythme du développement en imposant une modernisation tardive et accélérée. La nécessité de rattraper des siècles de retard a conduit les quatre pays de la deuxième vague à des processus rapides et traumatisants: par exemple, l'urbanisation accélérée a déraciné des millions de personnes des campagnes, tout en créant de vastes zones de pauvreté et d'inégalité dans les villes. Dans le même temps, à l'exception de l'Italie, l'industrie lourde et l'armement ont été largement préférés dans les quatre pays à la production de biens de consommation, à l'industrie légère: cela a entraîné une augmentation de l'irrationalité, sous la forme de travaux publics réalisés à la hâte et de manière non optimale, et la production d'une "mentalité d'accélération" qui a conduit les individus bien au-delà du sentiment d'émerveillement associé à la capacité de percevoir le changement au cours de leur vie.

Le changement graduel a créé une idée de l'histoire, le changement accéléré a été la base d'un changement de paradigme politique. Le mythe du XXe siècle était "Prométhée libéré", l'idée du triomphe de la volonté, du volontarisme au-delà de tout sacrifice et de tout renoncement, que l'on retrouve tant dans les régimes totalitaires de droite et de gauche, en totale opposition avec les idées développées dans la première vague de modernisation. La coexistence d'éléments de modernité extrême, d'éléments hautement traditionnels et de formes de compression des libertés individuelles est typique de la modernisation tardive : ce modèle de modernisation a été mis en échec dans les pays fascistes avec la Seconde Guerre mondiale, après quoi l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont rejoint la tendance à la modernisation libérale, en conservant certaines particularités locales (en Italie, par exemple, l'esprit corporatif et la mentalité népotique ont persisté). La Russie soviétique, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, a connu une évolution différente avant son implosion interne en 1991.

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La troisième vague de modernisation était centrée sur la mondialisation néolibérale. Plusieurs pays, comme certaines parties du monde islamique, la Chine et l'Inde, ont connu au cours des dernières décennies un processus de modernisation retardée et accélérée encore plus prononcé que celui qu'ont connu la Russie, l'Italie, l'Allemagne et le Japon. La modernisation ne s'est donc pas développée comme un "processus de distillation" de ses composantes, mais a été beaucoup plus traumatisante : plus le développement a été accéléré et retardé, plus les déséquilibres créés par la progression de la modernisation ont été importants. En Chine, par exemple, les régions intérieures ont subi de très pâles reflets des changements économiques des dernières décennies, et le gouvernement de Pékin tente d'accroître la sphère d'influence des nouveaux processus en cours par le biais de grands travaux publics ; en Inde, on parle même de "six fuseaux horaires historiques différents" et des zones où les conditions de vie n'ont pas changé depuis le 14ème siècle côtoient des villes entièrement modernisées. Afin d'être encore accéléré, le développement est concentré territorialement.

La modernité et la mondialisation sont incompréhensibles si l'on ne tient pas compte du phénomène de la complexité : le propre de la complexité est la production d'effets contre-intuitifs et imprévisibles dus au mélange et à l'intersection de phénomènes non homogènes. Aujourd'hui, il est nécessaire de développer une théorie de la prise de décision "en état d'ignorance". Un besoin que la crise pandémique et son chevauchement avec l'urgence environnementale dans ce qui pourrait devenir une "grande tempête" mondiale ont rendu encore plus pressant.

À propos de l'auteur / Andrea Muratore

Né à Brescia en 1994, Andrea Muratore a étudié à la faculté des sciences politiques, économiques et sociales de l'université de Milan. Après avoir obtenu un diplôme en économie et gestion en 2017, il a obtenu un master en économie et sciences politiques en 2019. Il est actuellement analyste géopolitique et économique pour "Inside Over" et "Kritica Economica" et mène des activités de recherche au CISINT - Centro Italia di Strategia e Intelligence.

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Parution du numéro 2 de la revue Sparta !

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Parution du numéro 2 de la revue Sparta !
 
Le revue de Philippe Baillet
 
Sparta poursuit son aventure avec un vol. 2 aussi fourni, mais plus varié, que le vol. 1. L’éditorial dresse un premier bilan d’étape pour la publication, réaffirmant notre refus de rabaisser les idées au rang de mots d’ordre, donc notre rejet d’une vision idéologique du monde et de l’histoire.
 
Suit un dossier substantiel sur Sparte et son « actualité discontinue » devant la conscience occidentale, qui s’ouvre par un article de Jean Haudry, « Sparte dans la tradition indo-européenne », où l’auteur confronte la cité grecque aux autres représentants du monde indo-européen pour en montrer à la fois les points communs et les innovations, tout en suivant l’évolution de Sparte dans les trois périodes de la tradition. J. Haudry se penche aussi sur la double royauté spartiate, dont il met l’origine en relation avec les Jumeaux divins, et sur la cryptie, survivance de l’initiation masculine.
 
Un long article de Jean Bataille, « La cryptie spartiate : un service de renseignement dans l’Antiquité ? », est précisément consacré à cette étrange institution. L’auteur y voit une spécialisation de la métis, l’intelligence rusée des Grecs, et une pratique de la guerre secrète, qui use de techniques non conventionnelles et inavouables, mais efficaces. Étroitement dépendante des cinq éphores, la cryptie se dévoile comme un service de renseignement en même temps qu’une autre façon de penser l’hostilité. Prenant appui sur une impressionnante moisson de données textuelles antiques, l’hypothèse de l’auteur avait toute sa place dans Sparta.
 
Le dossier se ferme avec une longue étude de Philippe Baillet, « L’ “actualité discontinue” de Sparte et son image sous le Troisième Reich : chez les historiens, Richard W. Darré et Gottfried Benn ». Consacré pour l’essentiel à l’historiographie de Sparte – complexe et contradictoire –, cet article rappelle que la cité laconienne fascinait déjà dans l’Antiquité et que, depuis les Lumières, elle n’a cessé d’interroger la conscience occidentale, suscitant de nombreux admirateurs et détracteurs, les uns et les autres avec des motivations très variées : ainsi de Robespierre, qui vante la « vertu » civique des Spartiates, jusqu’à de nombreux auteurs allemands qui font de Sparte une Prusse antique ou bien de la Prusse une Sparte moderne. Après avoir insisté sur le tournant qui se vérifie au XIXᵉ siècle dans l’approche de Sparte (primauté de la race, attention au corps, insistance sur la sélection), Ph. Baillet passe en revue les principaux historiens qui, sous le Troisième Reich, écrivirent sur Sparte, avant d’en venir à R. W. Darré, à son nordicisme, à sa vision atypique de la cité antique et à son influence en matière doctrinale dans les premières années d’existence de l’Ordre noir. L’article se conclut par de nombreuses informations sur le poète Gottfried Benn, sa vision idéalisée de Sparte, l’ostracisme dont il fut victime à l’époque nationale-socialiste, ses liens avec Evola, son esthétique et son culte de la forme épurée, seuls remèdes au nihilisme.
 
Traduction d’un autre chapitre du volumineux traité de sociologie de l’art moderne de Raimondo Strassoldo, «L’américanisation et l’institutionnalisation de l’art contemporain» revient sur un phénomène fondamental : son transfert depuis Paris, où il avait commencé en 1904 avec l’arrivée dans la capitale française de Gertrude Stein, mécène de Picasso et de tant d’autres, jusqu’à New York, où il triomphe dans les années cinquante, l’avant-garde étant plus que jamais cajolée par les richissimes collectionneurs américains et, plus encore, par leurs épouses. Après une interprétation psychosociologique des grandes étapes conduisant à la domination mondiale de cette forme d’art, l’auteur examine le rôle joué par des facteurs proprement politiques, comme l’exposition sur l’ « art dégénéré » organisée à Munich en 1937, la surreprésentation juive dans le monde de l’art contemporain et le tableau Guernica comme icône itinérante de la propagande antifasciste. Il conclut en soutenant que l’art contemporain a été, depuis la guerre froide, totalement instrumentalisé par l’impérialisme américain, et qu’il y a là une vraie logique, reposant avant tout sur l’affinité profonde entre capitalisme et art d’avant-garde qui trouve son origine dans la superstition du nouveau et de l’innovation.
 

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Paru dans la lointaine année 1976 mais toujours d’actualité, un article de l’historien Gianni Vannoni, « L’antisémitisme de Gramsci », analyse le contenu de plusieurs passages des célèbres Cahiers de prison du théoricien marxiste pour en conclure qu’il existe des affinités entre matérialisme historique et matérialisme biologique. Défendant avec érudition mais en forçant souvent les choses un point de vue catholique et contre-révolutionnaire assez classique, l’auteur estime qu’il faut séparer radicalement l’antijudaïsme traditionnel à base religieuse de l’antisémitisme moderne, né selon lui (comme selon Hannah Arendt) dans l’atelier des Lumières, notamment chez Voltaire et d’Holbach.
 
Philippe Baillet répond à cette interprétation qui sollicite un peu trop les textes pour parvenir à ses fins dans un article intitulé « Un catholique traditionaliste face au national-socialisme : entre ignorance et mauvaise foi ». Il rappelle que l’hostilité des chrétiens (catholiques ou protestants, traditionalistes ou progressistes) à l’idée selon laquelle la biologie pourrait être prise « comme juge de la vérité » (G. Benn) s’explique encore et toujours par leur vieille haine du corps. Il dénonce la mauvaise foi de Vannoni au sujet du caractère prétendument « prolétarien/prolet-aryen » du national-socialisme et souligne que de nombreux théoriciens catholiques de la contre-révolution n’étaient pas du tout des antisémites « modérés ». Au terme de sa réponse, l’auteur revient sur le cas emblématique du Juif autrichien et romancier Joseph Roth, rallié à la défense du Trône et de l’Autel contre la « barbarie nazie », et qui croyait, ou feignait de croire, que, dans le national-socialisme, l’antichristianisme a la primauté sur l’antijudaïsme. Le texte de Ph. Baillet se termine par un rappel de toute l’importance de la formule de Pie XI : « Nous chrétiens, nous sommes spirituellement des Sémites. »
 
Ce vol. 2 s’achève par deux articles de Tomislav Sunic. Le premier, « Nietzsche (1900-2020) et le signalement moral ostentatoire (virtue signalling) du Système face au “grand remplacement” », revient sur la réception et les interprétations de la philosophie de Nietzsche depuis la mort de celui-ci. Il existe en réalité un lien profond entre les valeurs chrétiennes originelles et leurs traductions sécularisées, aujourd’hui exploitées par l’hyperclasse dirigeante mondialiste pour justifier le « grand remplacement », qui selon l’auteur devrait plutôt recevoir le nom de « grande invasion ». Cette hyperclasse entretient délibérément en Europe, pour parvenir à ses fins, un sentiment maladif de culpabilité et un comportement caractérisé par la haine de soi. Mais les récits hypermoralistes officiels ont aussi pour fonction d’occulter la répression qui s’exerce contre les esprits indépendants. Sunic dénonce l’idéalisation du migrant exotique, la quête d’une supra-identité non blanche et imaginaire, les pèlerinages pénitentiels des dirigeants de l’UE à Washington, Bruxelles et Tel-Aviv. Derrière tous ces phénomènes, il aperçoit l’objectif, systématiquement poursuivi depuis 1945, de créer une nouvelle espèce d’Européens. Dans un article proche du précédent, « La théologie politique de la culpabilité blanche : Donald Trump, une menace pour la doxa officielle de l’Europe d’après la Seconde Guerre mondiale », Sunic démontre combien Trump, presque à son corps défendant, a constitué, avec sa critique des médias mainstream, de l’État profond, et sa rhétorique hostile à l’immigration, une menace pour le discours officiel répandu en Europe depuis 1945.
 
Le vol. 2 de Sparta contient encore trois nécrologies (respectivement consacrées à l’essayiste et philosophe conservateur anglais Roger Scruton, l’historien de l’art français Marc Fumaroli, le musicologue et critique musical italien Paolo Isotta), un courrier des lecteurs et un index des noms cités.
 
264 p., 26 euro.
Pour toute commande: https://www.akribeia.fr/aidos/2236-sparta-vol-2.html?

"Discipline du chaos" : les illusions brisées du libéralisme

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"Discipline du chaos": les illusions brisées du libéralisme

Par Alessio Mannino

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/disciplina-del-caos-le-illusioni-infrante-del-liberalismo/

Parmi les différents courants qui ont animé la modernité, le libéralisme est devenu le dogme de base qui soutient aujourd'hui la domination des seigneurs de l'argent, grâce à la sournoise escroquerie idéologique séculaire selon laquelle il n'y aurait pas de liberté en dehors d'une quête individualiste du succès économique, la politique étant réduite à un esclavage auxiliaire d'un "bien-être" non seulement injuste et inégal, mais en fait de plus en plus renversé en malaise social et existentiel. Actuellement, la morale libérale est une anti-éthique de masse au service de ceux qui contrôlent le cycle mondial de l'argent par le biais du pouvoir des États. La généalogie de la morale libérale montre, d'une part, comment la morale libérale a bouleversé le sens premier de la libéralité et, d'autre part, comment il est possible de s'extraire du piège mental de la fausse liberté.

indexamdc.jpgDans l'essai Disciplina del caos publié par "La Vela" et récemment édité, dont nous présentons aujourd'hui un extrait, Alessio Mannino trace un itinéraire qui va de la démystification des grands théoriciens pour descendre dans les bas-fonds du quotidien aliéné, jusqu'à l'hypothèse d'une discipline fondamentale pour lutter dans le chaos de la triste époque. L'essai est complété par des entretiens avec Franco Cardini, Paolo Ercolani, Fabio Falchi, Thomas Fazi, Carlo Freccero et Marco Gervasoni.

L'auteur - Alessio Mannino (1980), journaliste indépendant. Professionnellement né à Voce del Ribelle fondé par Massimo Fini, il a édité les journaux en ligne La Nuova Vicenza et Veneto Vox. Il écrit pour Il Fatto Quotidiano, L'Intellettuale Dissidente (où il tient une chronique, "Sott'odio"), The Post Internazionale, Kritika Economica et Mondoserie.it. Il collabore avec la chaîne youtube Vaso di Pandora et est l'auteur de Contro. Considerazioni di un antipolitico (Maxangelo, 2011), Mare monstrum. Immigrazione : bugie e tabù (Arianna Editrice, 2014), Contro la Constituzione. Attacco ai filistei della Carta '48 (= Contre la Constitution. Attaque contre les philistins de la Charte de 48) (Edizioni Circoli Proudhon, 2016). Son dernier ouvrage Disciplina del caos. Come uscire dal labirinto del pensiero unico liberale (= Comment sortir du labyrinthe de la pensée unique libérale) (La Vela), est sorti le 11 octobre 2021.

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Quand la liberté se dévore elle-même

Extrait de "Discipline du Chaos" - pages 385-389.

L'individualisme, l'âme du libéralisme, peut être défini comme le principe de la solitude. Après avoir démoli la stabilité en tant que valeur, "nous nous sommes tous retrouvés terriblement seuls". C'est là qu'il faut repartir : de la plénitude des liens qui réconcilient les individus avec eux-mêmes.

Le libéralisme a été bien plus que la coquille de légitimation du capitalisme. Elle a représenté une césure anthropologique : pour la première fois dans l'histoire, la dimension économique est devenue le centre de la vie humaine. Alors que dans l'Antiquité, et dans une certaine mesure encore au Moyen Âge, l'économie, du moins dans l'idéal, restait une partie de l'ensemble, et de surcroît pas la plus noble (le marchand était digne d'être honoré, non pas en tant que marchand ni en tant que prêteur d'argent), avec l'époque moderne, la sphère productive et commerciale se détache du cadre communautaire et, devenant autonome dans la société civile, l'emporte sur toutes les autres.  Le projet moderne répudie la nature législative et l'historia magistra vitae et les remplace par la calculabilité, selon laquelle tout phénomène est mesurable, quantifiable et programmable (l'entreprise capitaliste moderne, écrit Weber, "est entièrement basée sur le calcul"). Ce qui intéresse la modernité libérale, c'est la sécurité du commerce privé. Par conséquent, il n'y a plus besoin d'une théorie de l'État, car l'État n'est pas un sujet primaire, mais un dérivé, un instrument dangereux contre lequel il faut se défendre. Il n'y a donc plus de sens à parler de gouvernement : il vaut mieux parler de gouvernance, d'administration bureaucratique en pilotage automatique.

12543b4.jpgLa liberté comme domination sur l'excès est abandonnée pour faire place à l'excès comme vertu, la soif de pouvoir tournant entièrement autour du nervus rerum de l'argent ("la technique qui unit toutes les techniques"). Le véritable objectif du capitalisme libéral, cependant, n'est pas l'argent lui-même : c'est l'appropriation du futur par l'argent ("il n'y a pas de passé et il n'y a pas de présent, seulement le futur"). Spéculation et exploitation : patient de l'accumulation, le capitaliste livré à lui-même, quelles que soient ses intentions, est un criminel éthique. La monétisation de la réalité a agi comme un acide solvant dans le comportement humain, le dévorant comme dans "une fièvre qui augmente d'abord le métabolisme et accélère la croissance d'un organisme, pour ensuite affecter sa forme et miner son existence même".

Partant du principe que la rationalité utilitaire est un critère plus rationnel que l'imprévisibilité de la raison politique, l'intérêt privé et économique a colonisé l'imaginaire, affaiblissant le concept même de public. Et finir, aujourd'hui, par considérer la méfiance envers les autres comme un fait tout à fait normal ("75,5% des Italiens ne font pas confiance aux autres, convaincus que nous ne sommes jamais assez prudents pour entrer en relation avec les gens", comme le note le Censis dans son rapport 2019).

Les armes de la distorsion libérale ont été la science technique et l'économie néoclassique. Il serait plus correct de la qualifier de marginaliste, puisqu'elle est née contre celle, classique, de David Ricardo (contrairement au laissez-faire), idéalisant la marge, c'est-à-dire la contribution que chaque sujet apporte à la production du revenu. Les marginalistes prétendent démontrer non seulement une lecture simpliste de la loi de Say - selon laquelle l'offre non régulée générerait magiquement la demande - mais aussi que le plein emploi est possible grâce à une flexibilité contractuelle massive.  Loin d'être scientifique, cette école doit être considérée comme "une théorie politique en quête d'hégémonie" qui passe sous silence la surproduction structurelle qui conduit le capitalisme à des crises cycliques de la demande (ce qui signifie que l'on produit plus que l'on ne consomme).

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La liberté en tant qu'exemption d'impositions, et donc d'impôts, a d'abord légitimé la relève de la garde entre l'aristocratie du sang et l'aristocratie des affaires. Dans un deuxième temps, toujours en cours, elle a éradiqué le concept même de hiérarchie de l'effort et du mérite. Historiquement justifiée par le déclin de la noblesse et l'inefficacité de l'absolutisme, l'émancipation des 18ème et 19ème siècles des chaînes de la tradition (ancien régime) est réitérée aujourd'hui comme s'il existait encore une sainteté résiduelle, qui a depuis longtemps été rasée. Les libéraux du dernier mètre, ceux que l'on appelle les néo-libéraux, raisonnent comme si Adam Smith était parmi nous. David Boaz, vice-président du Cato Institute à Washington, a déclaré que "le libéralisme a d'abord conduit à la révolution industrielle et, dans une évolution naturelle, à la nouvelle économie [...]. D'une certaine manière, nous avons repris le chemin tracé au début du 18ème siècle, à la naissance du libéralisme et de la révolution industrielle [...]. L'idéal libéral n'a pas changé depuis deux siècles. Nous voulons un monde dans lequel les hommes et les femmes peuvent agir dans leur propre intérêt [...] parce que c'est ainsi qu'ils contribueront au bien-être du reste de la société. Plus clair que ça...

    "Les institutions libérales cessent d'être libérales dès qu'il est impossible de les obtenir : il n'y a rien ensuite qui nuise plus terriblement et plus radicalement à la liberté que les institutions libres".
    Friedrich Nietzsche

Le libéralisme a déclaré inacceptable le besoin de pierres angulaires communes autres que les règles de procédure. Il est ainsi devenu l'ennemi public numéro un de la liberté dont il prétend avoir l'exclusivité. C'est là une fraude intellectuelle. L'individu, au lieu de se penser comme un nœud de relations, flotte dans l'isolement (ce qui est techniquement l'affaire des manuels psychiatriques). En conséquence, les valeurs sont considérées comme relevant uniquement de la sphère individuelle, "où il n'y aurait plus le problème de s'accorder éthiquement sur quoi que ce soit". Un point commun éthique devient alors irrationnel. Pire: un fardeau.  "Nous ne savons plus comment aimer, croire ou vouloir. Chacun de nous doute de la vérité de ce qu'il dit, sourit de la vérité de ce qu'il affirme et présage de la fin de ce qu'il proclame". Constant a écrit ceci au début du 19ème siècle. C'était vrai alors comme c'est vrai aujourd'hui.

Pour mieux servir le veau d'or, on nourrit un hédonisme de mendiant, qui paie pour profiter du peu de vie accordé par le retour d'impôt. Brocardé et stigmatisé déjà lors de l'essor de la raison libérale, l'homo oeconomicus appartient désormais au passé. Mais cela ne peut pas durer éternellement. La normalité sociale (comprise comme la norme dominante) et la naturalité psychobiologique (l'ensemble des caractéristiques propres à l'espèce humaine) réclament la restauration de leurs canons. Et ils le feront, que ça leur plaise ou non, par la manière forte ou la manière faible. Redevenir humain, et non rester humain, sera la gaie science d'un monde post-libéral.

Les Turcs conseillent à Kiev de ne pas se frotter à l'OTAN

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Les Turcs conseillent à Kiev de ne pas se frotter à l'OTAN

Doğu Perinçek

Source: https://www.geopolitica.ru/article/turki-rekomenduyut-kievu-ne-svyazyvtsya-s-nato

L'Alliance de l'Atlantique Nord est une menace pour la sécurité et non une organisation qui protège, le président du Parti de la mère patrie turque Doğu Perinçek en est convaincu.

L'Ukraine a été convoquée à un exercice de l'OTAN en mer Noire, près des frontières roumaines. La frégate roumaine Merăşesti, le destroyer américain Porter, le navire d'état-major Mount Whitney et le pétrolier John Lenthall, la frégate turque Yavuz ainsi que le navire de débarquement ukrainien Yuriy Olefirenko et le patrouilleur Slavyansk ont participé aux manœuvres.

Le but de l'exercice, selon l'armée roumaine, est de "renforcer la capacité de réaction de l'OTAN en mer Noire et d'accroître le niveau d'interaction entre les marines des pays participants". Bien que l'Ukraine n'ait pas encore été acceptée dans l'alliance, Kiev a dû prendre cette invitation comme un bon signe.

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Cependant, le président du parti turc de la mère patrie (Vatan), Doğu Perincek (photo), ne pense pas que ce soit une raison de se réjouir. Interrogé par PolitEkspert pour savoir si les autorités turques étaient prêtes à soutenir l'entrée de l'Ukraine dans ce bloc militaire, il a répondu :

"L'OTAN est une menace pour la sécurité. Ce n'est pas une organisation qui nous protège. Nous faisons partie de l'OTAN mais la position de l'Alliance a toujours été hostile à la Turquie. Les membres de l'OTAN ont toujours voulu utiliser la Turquie pour leurs propres intérêts, sans penser aux intérêts de notre pays. Tous les coups d'État qui ont eu lieu en Turquie ont été organisés par l'Occident".

Doğu Perinçek estime que "la Turquie quittera bientôt l'OTAN", et ne plaidera donc pas en faveur de l'adhésion de Kiev à l'alliance.

"Nos alliés sont les pays asiatiques, nos voisins - la Russie, l'Iran, la Syrie. Nous devons nous concentrer sur l'amélioration des relations avec eux. L'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ne menace pas seulement la Russie. Elle menace la sécurité de notre pays et la sécurité de toute la région. Je suis sûr que l'Iran et la Russie ne permettront pas que cela se produise. Erdogan devrait également bien peser le pour et le contre avant de soutenir l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN", a-t-il conseillé au site d'information et d'analyse".

La veille, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, dans une interview accordée à HBO, a réaffirmé que les pays du bloc n'étaient pas encore parvenus à un consensus sur l'adhésion de l'Ukraine à l'organisation.

Alexandre Douguine: L'ingénierie politique va ruiner la Russie

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L'ingénierie politique va ruiner la Russie

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitica.ru/article/polittehnologii-pogubyat-rossiyu

L'approche technique de la politique, soit la pensée technologique en politique, a atteint un point critique dans notre politique quotidienne en Russie. Cela a commencé dans les années 90, mais, fait intéressant, parallèlement aux changements fondamentaux qui se sont produits en Russie depuis l'ère Poutine, lorsque pratiquement tout a changé et que le cours libéral-occidental a été remplacé par un cours souverain-patriotique, la politique russe est restée purement technique (ndt: "technomorphe" aurait dit le sociologie allemand Ernst Topitsch). En outre, du chef du département politique de l'AP à la tête, elle est devenue non moins, mais de plus en plus technique/technomorphe.

Je vais essayer d'expliquer ce que je veux dire, car nous sommes tellement habitués à la technologie politique que nous avons oublié comment il peut en être autrement, ou nous ne l'avons tout simplement jamais connu et considérons par défaut que c'est quelque chose d'impossible. En fait, le domaine de la politique est le domaine des idées et celui de la lutte pour le pouvoir. Mais le pouvoir n'est pas individuel, mais politique, qui est à nouveau associé à une idée.  En politique, il ne s'agit pas de décider qui, individuellement, occupera les postes supérieurs et qui occupera les postes inférieurs, mais quel bloc d'idées, de perceptions, de valeurs et de stratégies sera reconnu comme prioritaire et dominant, et lequel sera subordonné et marginal, voire interdit. En d'autres termes, la politique est d'abord une philosophie politique, une idéologie, et ensuite seulement viennent ses éléments porteurs sous forme de partis, de mouvements, d'organisations, de réseaux, de cercles et de cellules.

La vie politique est un processus social purement collectif, dans lequel sont impliqués différents groupes de la population. Certains proposent et formulent des idées et des principes, d'autres les soutiennent ou s'y opposent. La société écoute le rythme et la sémantique de cette vie, accepte certaines choses, en rejette d'autres, reconnaît la corrélation directe avec les programmes et les projets et la vie quotidienne de chaque citoyen, alors que quelque part, elle considère qu'il s'agit d'abstractions de peu d'importance pour l'individu.

Et ce n'est que dans le processus de cette vie politique, précisément la vie dans toute sa diversité, avec ses dialectiques et ses contradictions, que les institutions politiques se forment et que la question du pouvoir se décide. Elle est entre les mains de ceux qui, dans la vie politique, atteignent le sommet, battent leurs adversaires, dépassent leurs rivaux et atteignent enfin la ligne décisive où les idées, les projets et les visions peuvent se transformer en réalité.

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En politique, l'individu est en contact permanent avec la société de toutes parts. Et ce contact passe toujours par les idées. En politique, les pensées et les plans sont formulés dans des discours, des mots, des textes, des déclarations, et ensuite seulement dans des actions. Cela s'appelle le discours politique. Et quiconque prononce tel ou tel discours, ou partage son contenu, assume une grave responsabilité. Si ces idées gagnent, leurs partisans gagnent avec elles. S'ils perdent, ils perdent avec eux. En politique, tant l'orateur que l'auditeur (qu'ils approuvent ou désapprouvent ce qu'ils entendent) entrent déjà dans un système d'obligations, d'actions responsables et de dépendance directe de leur position, de leur condition ou même de leur bien-être par rapport au résultat. Si les idées qui nous sont chères et que nous défendons perdent, nous sommes contrariés et tristes. S'ils gagnent, nous exultons et nous nous réjouissons. Et c'est entièrement naturel et biologique. La politique, c'est la vie, pleine et épanouissante. Ça devrait être comme ça.

Mais dans notre société, à un moment donné, quelque chose a manifestement mal tourné. Le ton en politique a commencé à être donné par des technologues, des spécialistes du marketing, de la publicité ou même de la tromperie systématique des clients - ainsi, un certain nombre de politiciens de haut rang des années 90 ne venaient même pas du monde des affaires, mais de la publicité, des relations publiques, des pyramides financières ou de l'escroquerie pure et simple. Ce sont des professionnels de la tromperie à grande échelle, prêts à promouvoir n'importe quel candidat, n'importe quel projet ou n'importe quel parti contre rémunération. Ainsi, la politique a cessé d'être le domaine de la vie, de la lutte des idées et de la compétition pour le pouvoir nécessaire à la mise en œuvre de ces idées. Et cela, c'est surtout ce qui est arrivé. Au lieu de cette mise en oeuvre d'idées, le problème du pouvoir a été résolu dans l'entourage de la première personne de l'État et parmi un cercle très étroit d'oligarques, et la société a tout simplement été coupée des processus politiques. Dans les années 90, les élections ont été transformées en spectacles bruyants et criards, qui n'ont eu aucun impact sur la vie du pays. Les communistes et leurs alliés, qui ont remporté ensemble la majorité à la Douma en 1996, étaient considérés comme "marginaux" et ne contrôlaient rien, et, surtout, étaient à l'aise avec cette situation. Eltsine n'avait aucun autre soutien qu'un cercle d'oligarques proches, et il a continué à gouverner presque tout seul. Et sur la toile de fond de cette dépolitisation de la vie publique, la technologie politique et une race vorace et cynique de spin doctors se sont épanouies. C'est ainsi qu'est né un simulacre de politique. Le simulacre de la politique est apparu et, apparemment, pour une raison quelconque, s'est enraciné dans notre société.

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Le plus étrange est que la situation n'a pas changé, même après l'arrivée au pouvoir de Poutine. Tout a changé sauf ça. Il est plus probable que Poutine ait profité de cet état d'aliénation des processus politiques dans la société pour prendre pied dans le monde du pouvoir. Tout le monde autour de lui continuait à jouer à des jeux sans intérêt, à échafauder des scénarios nauséabonds, tandis que Poutine, qui savait ce qu'il voulait et où il allait, faisait silencieusement son travail à la manière des tchékistes. C'était probablement parfaitement rationnel de sa part et il faut reconnaître que cela a fonctionné. Oui, il n'y avait pas et il n'y a pas de vie politique en Russie. Oui, la technologie politique supplante toujours tout processus politique. Oui, les idées politiques dans la société ont pratiquement disparu, sauf celles qui sont obstinément alimentées par l'Occident russophobe, mais l'espionnage (ainsi que le libéralisme) ne sont pas pris en compte. Et là, Poutine a tout à fait raison de ne pas en tenir compte et d'agir de manière ferme et décisive contre la cinquième colonne.

Mais peu à peu, cette stratégie, sans doute fructueuse pour Poutine lui-même et pour son plan interne de réforme en Russie, est devenue, pour le peuple, une source d'aggravation de sa situation. Le président a les mains libres et la pleine légitimité pour faire presque tout. Mais le fait est que, dans une telle situation, une société totalement dépourvue de vie politique réelle ne peut que dégénérer. Les technologues politiques paralysent effectivement la volonté en créant des simulacres et en laissant, une fois de plus, les passionnés de politique faire fausse route - dans l'esprit des courses de cafards. Mais ils sapent également les fondements de la vie publique. Et lorsque, à un moment donné, la mobilisation de la société sera nécessaire, il n'y aura tout simplement pas de force, pas de confiance et pas de volonté pour le faire. À un moment donné, cela pourrait être fatal, comme ce fut le cas à la fin de la période soviétique. Le parti communiste a ensuite perdu le pouvoir non pas parce que des alternatives sont apparues, mais parce que toute la vie politique du pays a été figée, comme gravée dans le marbre. La galvanisation artificielle, à laquelle se sont attelés les architectes de la perestroïka, était en fait déjà une technologie politique - encore naïve et non parfaite, mais juste cela. A aucun moment, pendant la perestroïka, une question sérieuse n'a été véritablement posée et formulée:

    Capitalisme ou non-capitalisme (socialisme) ?
    Conservatisme ou progressisme ? 
    Réalisme ou libéralisme au Moyen-Orient ?
    Atlantisme ou Eurasianisme ?
    Patriotisme ou cosmopolitisme ?
    Empire ou société ouverte ?
    Adam Smith ou Keynes ?
    Libéralisme en matière de commerce extérieur ou mercantilisme ?
    Monnaie nationale souveraine ou caisse d'émission ?
    Valeurs traditionnelles ou copie du postmodernisme occidental ?
    Marchés complets ou protectionnisme ?
    A gauche ou à droite ?
    Identité russe ou idéologie abstraite des droits de l'homme ?

Tout a été décidé par défaut - dans les années 90 par les libéraux qui ont pris le pouvoir avec Eltsine. Depuis 2000, elle appartient exclusivement à Poutine. Les préférences de Poutine étaient beaucoup plus acceptables pour la société, mais elles ont été mises en œuvre dans les faits. Et encore une fois avec l'aide de la technologie politique.  Sans discours politique, sans explication complète, sans la complicité du peuple dans son propre destin.

À mon avis, cette domination de la technologie politique est historiquement épuisée. Il est nécessaire d'avancer de manière cohérente et progressive vers un renouveau de la vie politique en Russie - ce qui signifie des idées politiques, des philosophies, des stratégies, des valeurs, des lignes directrices, des conversations, des débats, des réflexions, des programmes, des projets et des propositions. Il n'est guère judicieux de traduire immédiatement cela en politique de parti : le format de parti est devenu depuis longtemps quelque chose de profondément apolitique dans notre pays. A mon avis, il n'est pas possible d'éveiller la pensée dans ce domaine. La technologie a mis fin au système des partis russes. Mais il existe d'autres formes et d'autres voies, des itinéraires et des pratiques.

Il est temps de déclarer la guerre à la technologie politique (et aux technologues politiques). Ce n'est pas seulement une tromperie cynique, c'est un obstacle au développement historique d'un grand pays. Dans une telle situation, la technologie politique est criminelle.

lundi, 22 novembre 2021

Cousins, mais pas trop : l'Italie et l'Espagne, une rivalité systémique

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Cousins, mais pas trop : l'Italie et l'Espagne, une rivalité systémique

Par Vincenzo D'Esposito

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/progetto-italia/cugini-ma-non-troppo-italia-e-spagna-una-rivalita-sistemica/

L'Espagne est l'un des plus grands rivaux de l'Italie, tant en Europe que dans le reste du monde. Parce que, tous faits pris en considération, il n'y a pas de théâtre où notre cousin en latinité ne nous combat pas à coups de concurrence déloyale et de diplomatie antagoniste: des produits à base de vin et d'huile d'olive vendus à prix cassés sur les marchés italiens de référence au dynamisme des entreprises ibériques dans nos pays voisins.

Qu'il s'agisse de s'approprier des parts de marché ou de concurrencer notre primauté entrepreneuriale, le modus operandi est toujours le même: la concurrence déloyale. Parce que les Espagnols offrent des biens et des services similaires aux nôtres à des prix dérisoires. Ces biens et services sont théoriquement les mêmes, comme l'huile d'olive ou les centrales électriques, mais dans la pratique, ils sont différents, en raison de la qualité nettement inférieure garantie par les vendeurs espagnols. Et le fait que cette pratique n'est pas accidentelle, mais le résultat d'un dessein précis visant à profiter du moment de coma de la politique étrangère italienne, est suggéré par les faits: les Espagnols sont maintenant sur nos talons partout, de la Roumanie à l'Azerbaïdjan, en passant par l'Albanie et la Russie. Ils ne sont pas encore capables de nous nuire autant que la France, la Turquie et l'Allemagne, mais ils constituent une menace qu'il ne faut pas sous-estimer.

Comme les Français, les Espagnols ont historiquement cherché à réduire la marge de manœuvre de l'Italie, tant en Afrique du Nord qu'en Méditerranée. L'Italie, pour sa part, a su nouer des relations cordiales tant avec le Maroc qu'avec l'Algérie, surmontant ainsi la tentative de son cousin d'encercler le Maghreb et se construisant une image positive pour contrebalancer celle de l'Espagne, qui continue d'être perçue au Maghreb comme une puissance occupante en raison de la question de Ceuta et Melilla.

La rivalité est palpable et persistante, mais la collaboration est et sera toujours possible, car l'Espagne, contrairement à la France, ne cherche pas à vassaliser l'Italie, mais à récupérer l'influence et le prestige perdus en Amérique latine en se rattrapant dans l'espace occidental de l'Eurafrasie. 

L'immigration clandestine et le terrorisme pourraient être utilisés comme tremplins vers la formation d'un axe italo-espagnol consacré à une coopération élargie et renforcée dans le style du traité d'Aix-la-Chapelle. Et les risques - comme les tentatives de profiter de la détente pour appuyer sur l'accélérateur dans le dossier de la lutte sans quartier contre le Made in Italy - seraient largement compensés par les bénéfices : la possibilité de contenir et de redimensionner les ambitions hégémoniques françaises en Méditerranée et en Afrique du Nord, la consolidation d'un bloc géopolitique en Europe qui équilibre la puissance excessive du Nord et l'amélioration globale des agendas respectifs de profondeur stratégique.

La collaboration, encore une fois, est possible, car toutes les conditions préalables sont réunies, y compris la plus importante - l'Espagne et l'Italie ne sont pas deux puissances naturellement vouées à l'hégémonie et, surtout, il s'agit d'une rivalité de faible intensité -, mais la table des négociations pour l'établissement d'une entente durable de bon voisinage ne sera ouverte que lorsque notre classe politique reviendra à l'histoire, en préférant la Realpolitik à la Fantapolitik et en remettant l'intérêt national au centre de l'agenda extérieur.

Entre l'Algérie et le Maroc : le différend franco-espagnol en Méditerranée occidentale

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Entre l'Algérie et le Maroc : le différend franco-espagnol en Méditerranée occidentale

Par Vincenzo D'Esposito

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/dossier/il-triangolo-mediterraneo/tra-algeria-e-marocco-la-contesa-franco-spagnola-nel-mediterraneo-occidentale/

Son rôle de porte de l'Atlantique a fait du Maghreb l'une des zones les plus intéressantes pour les puissances méditerranéennes. Cette zone a été subjuguée à plusieurs reprises par l'Empire ottoman, la France et l'Espagne. Ces deux derniers ont déployé leur concurrence politique et économique dans deux États en particulier : l'Algérie et le Maroc.

Le Maghreb et la France coloniale

L'État dont l'influence est la plus importante au Maghreb est la France qui a pénétré en Algérie dès la première moitié du 19ème siècle; les raisons qui ont poussé Paris à s'ingérer dans les affaires du Maghreb sont principalement des questions de sécurité. Les pirates barbaresques présents dans la région représentaient un danger constant pour le commerce dans la zone et, d'autre part, pour détourner les tensions internes à la monarchie française de l'époque, il fut décidé de prendre possession de la rive sud de la Méditerranée, en face de la Provence.

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Depuis le 19ème siècle, Paris déplace de plus en plus de colons sur ce territoire dans le but d'assurer son contrôle et de pénétrer à l'intérieur des terres. Cela a conduit la France à la nécessité de consolider les frontières de la colonie tant à l'est, avec l'occupation de la Tunisie, qu'à l'ouest, avec l'entrée du Maroc. La décolonisation après la Seconde Guerre mondiale, qui s'est déroulée de manière traumatisante en raison de la volonté française d'intégrer les territoires coloniaux d'Afrique du Nord à la France métropolitaine, a laissé des traces dans les relations entre Paris et l'État nord-africain. Celles-ci sont restées volatiles en raison d'une amertume remontant au passé colonial et à la guerre d'Algérie. L'ancienne colonie voit Paris comme un ennemi historique auquel il ne faut pas se soumettre, tandis qu'Alger est perçu par l'Elysée comme un partenaire qui n'est pas totalement fiable.

La France a un intérêt pour l'Algérie en tant que jonction fondamentale pour atteindre le Sahel, qui est devenu central dans l'agenda français en raison des routes de migrants qui le traversent. Le maintien de bonnes relations avec l'État maghrébin permet à Paris de prendre des mesures plus fermes pour lutter contre le terrorisme et la traite des êtres humains. En outre, les énormes gisements d'hydrocarbures et de gaz d'Alger ont historiquement attiré l'attention de la plus grande compagnie pétrolière française, Total. Si l'on ajoute à cela le fait qu'une proportion importante de citoyens français a des liens directs avec les colons rapatriés après l'indépendance de l'Algérie, l'importance des relations avec cet État pour Paris apparaît très clairement.

Dans le cas du Maroc, les relations avec la France sont sensiblement différentes. Tout d'abord, par rapport à son voisin oriental, elle n'a jamais complètement perdu son administration locale, étant un protectorat avec son propre souverain pendant toute la période de la colonisation française. La colonisation française a également été beaucoup plus courte que celle de l'Algérie, laissant des cicatrices moins évidentes.

Bien que moins important économiquement que l'Algérie, reposant principalement sur le commerce du phosphate, le Maroc possède une base manufacturière croissante qui a attiré des entreprises françaises telles que Renault. Le rôle majeur que la France attribue au Maroc est de contribuer à la stabilité du Sahel et d'éviter un renforcement excessif de l'Algérie. Le soutien indirect apporté par la France à Rabat dans le dossier de l'annexion par le Maroc du Sahara occidental, dont le gouvernement, représenté par le Front Polisario, est en exil en Algérie, en est une illustration.

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Mouvements espagnols au Maroc et en Algérie

De l'autre côté, on trouve l'Espagne, qui est entrée très tôt dans cette partie de l'Afrique, mais qui n'a commencé à la contrôler sérieusement qu'à partir de la seconde moitié du 19ème siècle, pour éviter un renforcement excessif de la France. Concentrant son contrôle au nord-ouest, dans la région du Rif marocain et du Sahara occidental, l'Espagne a des liens historiques avec le Maroc actuel.

Les relations entre Madrid et Rabat sont de première importance pour l'Espagne, qui contrôle toujours un certain nombre d'enclaves sur le sol africain, Ceuta et Melilla étant les plus connues. Ces liens ne sont toutefois pas facilités par la question des migrants et de la souveraineté espagnole sur ses enclaves nord-africaines, qui voit souvent les deux gouvernements s'opposer, bien que l'attitude de base soit la coopération.

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Une autre question qui rend les relations entre les deux États difficiles est l'occupation marocaine du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole, alors que l'Espagne continue d'avoir des contacts avec les membres du Front Polisario. En témoigne, par exemple, le fait que le leader de ce mouvement, Brahim Ghali, s'est récemment rendu dans un hôpital espagnol pour y être soigné après avoir contracté le Covid-19, ce qui a suscité des protestations officielles de Rabat. Néanmoins, Madrid reste le principal partenaire économique du Maroc et son principal interlocuteur en Europe.

Contrairement à son voisin occidental, l'Algérie ne partage pas de liens coloniaux avec l'Espagne. Ce qui a poussé Alger et Madrid à collaborer, c'est la nécessité pour l'Espagne de diversifier ses sources d'approvisionnement en énergie, ainsi que la lutte contre l'immigration clandestine. Depuis le siècle dernier, des contacts commerciaux ont été établis entre les principales villes espagnoles de la côte méditerranéenne et l'Algérie, et l'Espagne est actuellement, avec la France, le principal pays de référence de l'État nord-africain dans l'Union européenne. Le rôle de l'Algérie, selon l'Espagne, n'est pas seulement d'approvisionner Madrid en combustibles fossiles et de repousser les migrants irréguliers, mais aussi de maintenir l'équilibre géopolitique en Afrique du Nord, en évitant un renforcement excessif du Maroc.

Quand la géographie l'emporte sur l'histoire

Sur la rive africaine de la Méditerranée occidentale, la France et l'Espagne sont les deux principales puissances européennes qui se disputent l'influence. Alors que Paris a longtemps pu compter sur les liens historiques et coloniaux qui unissent encore Alger et Rabat, Madrid a mené une politique fondée sur une lente pénétration commerciale.

La volonté française d'une plus grande présence au Maghreb est liée d'une part à l'affirmation du rôle prestigieux du pays, membre du G7 et du Conseil de sécurité de l'ONU, et d'autre part à la sécurisation du contrôle des routes migratoires et à la lutte contre les flux. Les objectifs de Paris comprennent également une présence significative dans les secteurs stratégiques de la région. Le poids du passé colonial limite toutefois considérablement la marge de manœuvre française en Algérie, tandis que le Maroc, bien que faisant partie de l'Afrique francophone, gravite depuis des années fermement dans la sphère d'influence espagnole. Par ailleurs, la laïcité excessive et délirante de la France et le droit d'asile accordé à de nombreux dissidents maghrébins constituent un obstacle dans les relations entre Paris, Alger et Rabat.

L'Espagne, pour sa part, entend profiter des tensions entre le Maroc et l'Algérie pour gagner des parts de marché dans ces deux États. Cela se fait d'une part en maintenant des relations très étroites avec le Maroc pour des raisons de sécurité intérieure, en bordant physiquement le pays par les enclaves espagnoles sur la côte africaine. D'autre part, Madrid soutient indirectement l'Algérie dans la question du Sahara occidental, bien que ces dernières années, l'orientation espagnole se tourne de plus en plus vers une solution politique de la question et non vers un référendum.

L'érosion de l'influence française dans cette zone est plus évidente que jamais, tandis que l'importance de l'Espagne dans les affaires politiques, économiques et de sécurité de la région s'accroît en raison de sa proximité avec le Maghreb. La géographie bat l'histoire.

A propos de l'auteur / Vincenzo D'Esposito

Diplômé en études internationales à l'université "L'Orientale" de Naples avec une thèse sur l'hydrohégémonie dans le bassin du Syr Darya. Il est actuellement inscrit au programme de maîtrise en développement durable, géopolitique des ressources et études arctiques au SIOI. Il a étudié et travaillé en Allemagne après avoir obtenu deux bourses Erasmus, qui l'ont conduit d'abord à étudier à Fribourg-en-Brisgau, puis à effectuer un stage à la Chambre de commerce italienne pour l'Allemagne. Passionné par l'Asie centrale et l'énergie, il collabore avec plusieurs groupes de réflexion en tant qu'analyste géopolitique.

Giorgio Agamben et le virus du capitalisme

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Giorgio Agamben et le virus du capitalisme

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2021/11/16/giorgio-agamben-ja-kapitalismin-virus/

57481480._SY475_.jpgLe philosophe italien Giorgio Agamben est l'un des rares universitaires à avoir critiqué l'exceptionnalisme, les masques de croissance et les restrictions excessives de l'ère Corona. Ces écrits et entretiens ont été rassemblés dans un livre, également traduit en anglais sous le titre Where Are We Now ? The Epidemic as Politics (Rowman & Littlefield, 2021).

Agamben a écrit la majorité de ses textes publiés dans ce livre pendant les premières phases de la crise du coronavirus, il se concentre donc sur les différentes contraintes imposées. Il s'est également exprimé ailleurs sur les vaccins, demandant "comment l'État peut blâmer ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner alors qu'il ne veut pas lui-même être responsable des effets secondaires des vaccins".

Agamben part du principe que ceux qui sont au pouvoir ne laissent pas une bonne crise se perdre, mais profitent de l'occasion pour faire avancer les pratiques et les politiques qui conviennent à leur programme, qui est "le capitalisme avec une touche communiste".

Cependant, il fait également référence aux scénarios de menace de l'Organisation mondiale de la santé d'il y a quelques années, à Bill Gates et à la simulation de pandémie Event 201, suggérant que cette "pandémie" ne s'est pas déclarée de manière inattendue. Le philosophe suggère-t-il que les courtiers du pouvoir suprême - les banquiers centraux, les grands investisseurs et leurs partenaires - ont également déclenché cette "crise" artificielle ?

Quoi qu'il en soit, dans "l'espace exceptionnel" des blocages sociaux, un "nouveau paradigme de gouvernance" a émergé, qui vise à "abandonner le paradigme de la démocratie bourgeoise - avec ses droits, ses parlements et ses constitutions - et à le remplacer par de nouveaux instruments, dont nous pouvons à peine commencer à cerner les contours".

Qu'est-ce qui a créé le contexte dans lequel tant de gens étaient prêts à accepter tout cela, demande le philosophe de manière rhétorique, et il répond. La première vague de panique en Italie a montré que la société moderne ne croit qu'en la "vie nue", ce qui s'est traduit par le fait que les Italiens étaient prêts à presque tout sacrifier - leurs moyens de subsistance, leurs relations sociales, leurs emplois, leurs convictions religieuses et politiques - face au risque de maladie."

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La vie a été réduite au minimum, à la simple existence, dont tout le reste a été dépouillé. Dans la peur du virus, seule la "survie" semblait compter. En fait, pour vivre dans le nouveau système biopolitique, il fallait sacrifier les libertés à la "sécurité" et, paradoxalement, il fallait vivre dans un "état constant de peur et d'insécurité".

Il a également été suggéré dès le départ que l'interaction humaine devait se faire autant que possible sans présence physique, en faisant appel à la numérisation et à la technologie. Le télétravail a été proposé comme alternative à la prise de risque d'être physiquement présent auprès de collègues ou de clients.

Comment cela affectera-t-il l'espace public et le débat public à long terme ? Si nous ne pouvions plus nous rencontrer en personne ou en groupe et avoir des discussions ouvertes, il serait beaucoup plus facile pour des forces extérieures de contrôler et de manipuler des individus solitaires et isolés.

Les textes d'Agamben rappellent ce qu'était la vie au plus fort de la "panique pandémique", en particulier pendant les semaines du déclenchement de la dite pandémie qui a débuté en mars de l'année dernière. Avec l'avènement des vaccins anti-corona, beaucoup croient encore qu'avec le temps - peut-être après une couverture vaccinale de près de 100 % et plusieurs épisodes d'inefficacité ? - les choses reviendront à la normale. Agamben ne croit pas que cela se produira.

Dans l'Europe d'aujourd'hui, l'Autriche, berceau d'Adolf Hitler, a déjà enfermé les non-vaccinés dans un isolement temporaire et une assignation à résidence. Le fait de savoir que tout cela peut arriver si facilement et si rapidement est en soi déconcertant et inquiétant. Agamben va jusqu'à affirmer que le "seuil entre humanité et barbarie" a été franchi à l'époque du coronavirus.

Tout voisin est à craindre et à éviter, car il peut être malade et menacer la santé et le bien-être d'une personne. La Finlande a également introduit le terme "pervers", que certains restrictionnistes et vaccinateurs ont tenu à utiliser sur les médias sociaux et dans les fils de commentaires des journaux à propos de ceux qui n'étaient pas d'accord.

Et qu'en est-il des questions philosophiques sur la vérité ? Qu'en est-il de la fiabilité de la médecine ? Comment le profane doit-il comprendre et interpréter les statistiques qui nous sont présentées chaque jour ? Remettre en question les statistiques et s'opposer à l'autorité des experts est désormais considéré comme une désobéissance civile irresponsable.

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D'autres maladies ont été éclipsées par la maladie du coronavirus, de sorte que les services de santé sont noyés dans une accumulation d'interventions qui entraînent elles-mêmes de nouveaux décès. La crise devient permanente, même si elle prend des formes différentes, alors quelles restrictions supplémentaires sont nécessaires pour lutter contre ces menaces pour la santé ? Dans le cas du coronavirus, le récit officiel est que nous luttons actuellement contre de nouvelles mutations et épidémies malgré la vaccination.

Des circonstances exceptionnelles assorties de restrictions ont été vendues au public avec la promesse d'un "retour à la normale" (alors que dans le même temps, des déclarations contradictoires ont été faites selon lesquelles il n'y a plus de retour à la normale). L'illusion de la normalité a été maintenue, en particulier pendant l'été, mais dans le même temps, les restrictions étaient toujours présentes en arrière-plan.

En Finlande, nous nous en sommes peut-être tirés plus facilement que beaucoup d'autres pays dans le passé, mais aujourd'hui, nous avons aussi resserré notre étau, et même le passeport corona a été introduit comme une absurde "mesure de sécurité sanitaire". Dans le même temps, les médias grand public et les experts de la santé mentent en affirmant que "la maladie est endémique, en particulier chez les personnes non vaccinées". Les citoyens sont divisés en camps opposés selon le principe politique "diviser pour régner".

Agamben affirme que tout le concept de citoyenneté est subtilement redéfini en nous réduisant à notre simple existence biologique - ou peut-être à de simples sources de revenus et à des animaux de laboratoire pour les grandes organisations ? Après tout, ce sont les grandes entreprises technologiques qui semblent avoir le plus profité de la numérisation de la vie quotidienne et des services de santé. Les citoyens sont contraints de se conformer aux nouvelles règles au motif qu'"il n'y a pas d'autre solution".

Le dernier argument qu'Agamben présente comme une " menace pour l'action politique " est l'utilisation de masques. Sans l'ouverture à l'autre que l'on ne peut obtenir qu'en étant capable de voir et de lire les expressions du visage, l'ensemble de la vie publique se détériorera.

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"Un pays qui décide d'abandonner son visage et de couvrir les visages de ses citoyens avec des masques est un pays qui a supprimé la dimension politique de lui-même", affirme le penseur italien, qui estime que le visage humain est un élément fondamental de la politique et de la vie sociale qui devrait pouvoir être affiché.

La "lutte contre le virus" en Occident a clairement tiré des leçons de la Chine, mais elle a également suivi le modèle américain de la "guerre contre le terrorisme", et les conséquences de la perte des libertés civiles ont été comparées aux conséquences du 11 septembre 2001.

Le réseau massif de structures - des agences gouvernementales aux institutions universitaires, en passant par des industries entières et des entreprises de technologie de la communication - est simplement passé de la guerre contre le terrorisme à la guerre contre le virus pandémique, tout comme les usines de la Seconde Guerre mondiale sont passées de l'industrie du temps de paix à l'armement du temps de paix.

Les enjeux politiques et humains sont importants, car l'état d'urgence de la période Corona est "le mécanisme par lequel les démocraties peuvent se transformer en États totalitaires". Comparer les actions des gouvernements actuels au totalitarisme nazi peut sembler exagéré, mais Agamben est convaincu que le "totalitarisme du XXe siècle" nous hante encore.

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"Les restrictions imposées à la vie humaine par l'"État sécuritaire biomédical" ont en fait été plus extrêmes que les interdictions imposées à la population civile pendant la guerre, au nom de la protection contre les raids aériens et autres menaces.

Les espoirs d'Agamben pour l'avenir restent flous. Il parle d'une future "configuration politique alternative" et d'une "nouvelle politique future", mais d'un autre côté, il semble ne souhaiter qu'un retour aux conditions normales de la vie humaine, débarrassées des anomalies de la période Corona.

Cependant, la restauration de la société nécessite une action politique. Comme le craint Pavlos Papadopoulos, qui a analysé les écrits d'Agamben, "le grand danger est que nous permettions au nouveau normal de devenir le normal". Ainsi, toute une génération s'habituerait aux "diktats d'un système de santé publique devenu fou", les États et les entreprises technologiques adoptant des systèmes de notation du crédit social "à l'Ouest comme à l'Est".

Selon Agamben, nous assistons à un conflit entre le "capitalisme occidental" et le "nouveau capitalisme communiste", dans lequel "ce dernier semble sortir vainqueur". Selon le philosophe, la nouvelle gouvernance mondiale "combinera l'aspect le plus inhumain du capitalisme avec l'aspect le plus terrible du communisme d'État", où l'"aliénation extrême" entre les personnes est combinée à un "contrôle social sans précédent".

On ne peut qu'espérer que les politiciens y réfléchiront aussi, mais les vieux partis se sont montrés complètement à la merci de l'élite transnationale. Aujourd'hui, les dissidents de l'ère Corona constituent la plus grande population sous-représentée dans les démocraties occidentales, qui se transforment rapidement pour s'adapter à l'ordre mondial changeant du capital global.

Sur l'ingérence de la Grande-Bretagne en Amérique latine

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Sur l'ingérence de la Grande-Bretagne en Amérique latine

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-vmeshatelstve-britanii-v-dela-latinskoy-ameriki

Début novembre, des émeutes ont éclaté en Araucanie, au Chili. Les initiateurs étaient des membres d'une population indigène connue sous le nom de Mapuche. En cause: des attaques contre la police et l'armée; les autorités ont répondu par la force. Au cours d'une opération spéciale, plusieurs militants munis d'armes automatiques ont été arrêtés. L'état d'urgence a été déclaré dans la région. Mais cela n'a pas arrêté les manifestants, qui ont répondu par des barrages routiers et des incendies criminels.

De nombreux militants des droits de l'homme, notamment des pays occidentaux, ont immédiatement condamné les actions des autorités, soulignant le statut des Indiens Mapuche en tant que peuple indigène opprimé. Mais les Mapuches sont des citoyens à part entière au Chili et en Argentine voisine et ne sont donc pas privés de droits constitutionnels. Le problème, c'est que si les Mapuches sont des indigènes, il existe en outre un mouvement de Mapuches dont les membres se livrent depuis des années à des actes de sabotage, à la destruction des biens d'autrui et à des attaques contre d'autres citoyens, qu'ils appellent en quelque sorte des occupants.

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Tout ceci est organisé dans le cadre du projet "Nation Mapuche". Il s'agit d'un projet séparatiste à la base, qui vise à séparer des parties du Chili et de l'Argentine et à créer un État indépendant sur leur base. Selon cette organisation, "la Nation Mapuche couvre tout le sud de Bio Bio (Chili) et le sud de Salado et Colorado (Argentine) jusqu'au détroit de Magellan". Fait révélateur, les Mapuchistes utilisent l'anglais plutôt que l'espagnol. Et leur siège social se trouve au Royaume-Uni, avec un bureau enregistré au 6 Lodge Street, Bristol, depuis 1996. Les Mapuchistes ont même leur propre prince autoproclamé appelé Frédéric 1er. La Royal Air Force promeut activement le sujet sous couvert de défense des droits de l'homme.

Leur site web affirme que le peuple Mapuche "n'a jamais renoncé" à ses droits souverains ou à la restitution de son territoire ancestral" et diffuse des allégations d'"invasion", de "génocide", de "répression" et d'"espionnage" par les États du Chili et de l'Argentine.

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Selon l'avocat chilien Carlos Tenorio, qui représente la famille des agriculteurs assassinés par les Mapuches, ces personnes n'expriment pas leurs revendications par les voies juridiques institutionnelles, mais par l'action directe. "Nous traversons la période la plus difficile depuis que j'ai travaillé sur ce dossier il y a deux décennies. Un manque total de contrôle qui va de pair avec le climat politique", a-t-il déclaré. L'avocat a fait une distinction entre les "demandes des communautés indigènes" qui sont faites "institutionnellement" et "d'autres groupes qui sont maintenant armés et ont déclaré la guerre à l'État chilien".

L'affaire qu'il défend a eu lieu en janvier 2013 dans un champ de 40 hectares situé dans le sud du Chili et appartenant à la famille Luchsinger. Ils ont été attaqués par une bande de 40 hommes qui ont brûlé la maison et ses habitants. En Amérique latine, on parle des Mapuchistas comme d'un réseau anglais inhabituel qui encourage le séparatisme dans le sud du Chili et en Argentine.

Compte tenu des relations tendues entre l'Argentine et la Grande-Bretagne au sujet des Malouines/Malvinas (îles Falkland), Londres a un intérêt évident à porter atteinte à la souveraineté de cet État.

La stratégie de la Grande-Bretagne semble plutôt astucieuse. Alors qu'à l'époque de la guerre froide, Londres a aidé les régimes de droite d'Amérique centrale à balayer les populations indigènes (notamment au Guatemala) et à fournir des armes à ces pays, la situation dans la partie sud du continent semble aujourd'hui tout à fait opposée. Mais la Grande-Bretagne continue le vieux système en Colombie, où elle a des intérêts économiques.

Selon le journalisme d'investigation, l'ambassade britannique à Bogotá investit massivement dans son réseau et mène une campagne de relations publiques visant à "améliorer la perception" de la Grande-Bretagne. Selon les documents du ministère britannique des Affaires étrangères, 6000 £ ont été dépensées en 2019-20 pour mener une "analyse de la perception du soft power du Royaume-Uni en Colombie" qui a aidé à "identifier les intérêts futurs pour l'association dans les messages publics et les médias sociaux". "L'objectif à long terme", note l'ambassade du Royaume-Uni à Bogota, est de "construire de nouveaux réseaux d'influence et de connexions avec des publics plus diversifiés en Colombie... ce qui conduira à une amélioration des perceptions et à un changement de comportement à l'égard du Royaume-Uni". L'ambassade a déclaré que le projet comprenait "un certain nombre de domaines de travail conjoint avec des parties prenantes colombiennes clés" par lesquels l'ambassade chercherait à "améliorer son profil" au cours de l'année 2021. Les domaines de coordination comprenaient "la sécurité et la défense".

En outre, 25.000 £ ont été allouées à la création d'une nouvelle "campagne de sensibilisation à l'environnement et à la biodiversité". Ces thèmes ont été identifiés à la suite d'une enquête.

Fait révélateur, plus de la moitié des meurtres d'écologistes dans le monde en 2020 ont eu lieu en Colombie, certains d'entre eux étant liés à ceux qui luttent contre les projets des entreprises britanniques dans le pays.

Un rapport publié l'année dernière a révélé que 44 % des attaques récentes liées à des entreprises en Colombie visaient des défenseurs des droits de l'homme qui avaient fait part de leurs préoccupations concernant cinq entreprises. Il s'agit notamment de la mine de charbon de Cerrejón, qui appartient aux sociétés minières cotées à Londres BHP, Anglo American et Glencore, ainsi qu'à AngloGold Ashanti, également enregistrée à Londres.

L'année dernière, David Boyd, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement, a déclaré que la mine de charbon de Cerrejón avait "gravement endommagé l'environnement et la santé de la plus grande communauté indigène du pays". Et en juin de cette année, UKCOL2021 a été lancé, ce qui permettra de continuer à établir l'influence britannique en Colombie.

Il est révélateur que, parallèlement à l'annonce de ce programme, la police colombienne réprimait des manifestations qui, selon Human Rights Watch, ont fait 63 morts. Mais l'ambassade britannique à Bogota est restée muette sur la question, ce qui n'a rien à voir avec le comportement des diplomates britanniques dans d'autres pays, comme la Russie, où toute bousculade des hooligans et des provocateurs qui narguent la police lors de manifestations non coordonnées est accueillie par des hurlements retentissants.

La raison est probablement que le Royaume-Uni est indirectement responsable de ces meurtres, car il a mis en œuvre deux programmes avec la police colombienne de 2015 à 2020, pour un coût de plusieurs millions de livres.

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Directement en Colombie, une équipe spéciale britannique est désormais stationnée pour aider les forces armées colombiennes, elles aussi accusées à plusieurs reprises de tuer des civils.

Londres est connu pour soutenir activement le président colombien Ivan Duque, au pouvoir depuis 2018 et représentant le Parti démocratique (PCD) de centre-droit. La proximité de la Colombie avec les territoires britanniques d'outre-mer dans les Caraïbes permet à Londres de suivre de près les processus politiques dans les Caraïbes. Il n'est pas exclu que de nombreuses provocations de la Colombie contre le Venezuela aient également été organisées avec l'implication directe de l'armée et des services de renseignement britanniques.

dimanche, 21 novembre 2021

Considérations sur le désespoir spirituel de l'homme moderne : La modernité et le nouvel ordre mondial, Wittgenstein et la parole

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Considérations sur le désespoir spirituel de l'homme moderne : La modernité et le nouvel ordre mondial, Wittgenstein et la parole

Par Antonio R. Peña

Ex: https://elcorreodeespana.com/politica/495880790/Consideraciones-sobre-la-desesperacion-espiritual-del-hombre-moderno-Modernidad-y-Nuevo-Orden-Mundial-Wittgenstein-y-la-Palabra-Por-Antonio-R-Pena.html

1. La proposition de Ludwig Wittgenstein

Le noyau de base de la pensée de Wittgenstein est formé par son Tractatus Logico-Philosophicus et ses Investigations philosophiques. Dans le Tractatus notamment, Wittgenstein a précisé sa proposition d'un langage-parole universel sur la base de la notion de "fondamentaux", à partir desquels un langage philosophico-scientifique pourrait être construit.

Il est vrai que Wittgenstein a progressivement affiné son approche et l'a retravaillée dans ses Investigations, mais il est également vrai qu'il a maintenu les fondements de l'approche initiale: une énonciation et ce qu'elle décrit doivent avoir la même structure logique que le langage et la pensée avec lesquels ils sont construits.

41o9X94l3gL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgPour Wittgenstein, donc, s'il était possible de construire une structure philosophico-scientifique dans laquelle le langage, la pensée et les énoncés auraient la même organisation logique, les confusions conceptuelles qui, selon lui, sont la cause des problèmes philosophiques seraient évitées.

L'objectif de Wittgenstein est donc de scruter la logique du langage, voire de construire un langage logique et rationnel et, à partir de là, de construire la pensée dont découlent les énoncés. Et, de plus, Wittgenstein a offert cet objectif à l'ensemble de la philosophie.

Dans le Tractatus, Wittgenstein centre la question sur la relation entre les mots et les objets afin de résoudre que le langage utilisé est utilisé en fonction ou avec l'intention de se référer aux objets et de leur donner un sens. C'est sur cette relation que se fonde la pensée. Et c'est sur cette base que se construisent les symboles (1). Et c'est là que réside le problème, à savoir que nous partons de la dénomination et, donc, de la description des objets qui composent le monde, avec laquelle nous utilisons des noms et des significations différents pour les mêmes objets, ce qui nous conduit à une diversité symbolique pour ces mêmes objets (2). Mais si nous partons des faits qui forment les objets, nous pouvons connaître de manière univoque les objets et, à travers eux, nous pouvons apprendre à connaître le monde (3).

Il faudrait donc construire un langage logiquement et rationnellement parfait dans lequel il y aurait unicité entre les mots utilisés, leur signification et leur référence symbolique. Avec une telle langue, la philosophie, la science, pourraient être enseignées sans ambiguïté et avec vérité. Cela a conduit Wittgenstein à déclarer que "la vérité des pensées communiquées ici me semble intouchable et définitive. Je suis donc d'avis que les problèmes ont, pour l'essentiel, été définitivement résolus" (4).

Contexte et conséquences de la proposition de Wittgenstein

Le résultat de l'approche de Wittgenstein est que la pensée - réalisée au moyen du langage, même si elle n'est pas logico-rationnelle - ne pourrait pas exprimer la réalité du monde, elle ne pourrait que la figurer, et ces figurations ne seraient pas réelles. Par conséquent, on ne peut rien dire du monde, de l'éthique, du bien et du mal. Le mieux qu'on puisse faire, c'est de dire des choses sur la composition du monde. Nous ne pourrions dire des choses sur le monde dans son ensemble que si nous pouvions sortir du monde. Mais c'est impossible car nous sommes enfermés dans ses limites, qui sont nos propres limites matérielles. Par conséquent, nous ne pouvons rien dire de vraiment vrai sur le monde, sur le sens de la vie, sur le bien, sur le mal. Il s'agirait de choses ou d'aspects indicibles de la vie.

goddin_217000.jpgC'est la pensée matérialiste qui conduit à la négation de tout ce qui se trouve au-delà des limites physiques, la métaphysique. Mais ce type de pensée va plus loin et aboutit au nihilisme car, si l'on ne peut rien dire du monde dans son ensemble (seulement des aspects de sa composition physique), on ne peut rien dire non plus de nous-mêmes (seulement des aspects de notre composition matérielle). Par conséquent, nous, en tant que totalité de la réalité - et aussi le monde - n'avons aucun sens. La vie et le monde deviennent ainsi une énigme insoluble (5). Si cette question est insoluble, les problèmes philosophiques et scientifiques sont également insolubles (quelle que soit la logique du langage avec lequel ces problèmes sont abordés). Par conséquent, la philosophie et la science n'ont aucun sens. Résultat logique: rien n'a de sens.

Le fondement de ces approches se trouve dans toute une génération historico-philosophique (de la fin de l'âge moderne et prolongée pendant l'âge contemporain) désillusionnée par les relations sujet-objet offertes par la philosophie rationaliste, empiriste et utilitariste (de Leibniz et Spinoza à Hume et Mill, de Kant à Hegel) et qui a fini absorbée entre l'existentialisme de Kierkegaard et l'évasion métaphysique de Heidegger. Je décris quelques-unes de ces filons ci-dessous.

De l'approche présentée, retenons une affirmation principale: la vie et le monde sont une énigme insoluble. C'est là qu'intervient la question de Dieu: si nous considérons Dieu comme l'origine de tout ou si nous le considérons comme une excuse pour expliquer la vie et le monde qui, malgré leur apparence logique, n'ont aucun sens. Nous ne trouverions un sens que si nous pouvions sortir du monde, c'est-à-dire de ses limites. Mais cela signifierait - comme le dit Wittgenstein - sortir de nos propres limites, et nous ne pouvons pas le faire.

La solution de Nietzsche à ce dilemme philosophique a donc été de proclamer la mort de Dieu. Le "Dieu est mort" de Nietzsche aurait dû signifier tuer les problèmes philosophiques de la vie et du monde, car ce n'est qu'alors que l'homme n'aurait plus de limites, qu'il pourrait donc dépasser ses propres limites et sortir du monde. Maintenant, compte tenu de ce point, la question est de savoir comment surmonter ces limites.

La ligne philosophique de Feuerbach et Nietzsche proposerait que l'homme reconnaisse ses propres limites afin de les dépasser. Le mécanisme pour les surmonter serait la dialectique hégélienne, utilisant la logique comme un outil de déconstruction afin de reconstruire. Cela permettrait d'élaborer de nouvelles limites qui seraient remises en question et desquelles émergeraient d'autres nouvelles limites, et ainsi de suite. L'axe déconstructionniste de la dialectique hégélienne atteindra le XXe siècle, de Camus à Derrida.

41Z6nZqzWJL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgUne autre option, en réponse à la question posée, était la proposition agnostique des idéalistes de Schopenhauer à Cioran en passant par Proust et Bergson. Cette proposition est d'un pessimisme profond puisqu'elle pose l'existence humaine comme un mouvement de balancier constant entre la souffrance et l'ennui. La volonté est l'outil nécessaire à cette oscillation. La seule façon de sortir de ce cercle serait de refuser (vouloir) de vivre. Mais ce refus serait une fausse échappatoire puisque la vie prise comme refus ne résout pas le problème de la vie elle-même.

Les existentialistes (Kierkegaard) récupéreront le terme de foi, comme solution au problème. Mais il ne s'agit pas d'une foi religieuse, au sens où elle émanerait d'un ou de plusieurs transcendants, mais elle est le fruit de la volonté. La clé serait donc dans le langage (le terme "foi" par exemple) et dans la volonté humaine de "vouloir". C'est là qu'interviendrait le modèle heideggerien, selon lequel par la volonté, par le vouloir, l'être humain pourrait dépasser toutes ses limites, sauf les limites ultimes qui le circonscrivent au monde et l'empêchent d'en sortir, le temps et l'espace.

Par conséquent, le temps et l'espace seraient les véritables limites à dépasser, est-ce possible ? C'est là que le relativisme entre en jeu. Les scientifiques du relativisme (Einstein) composeraient un modèle cosmologique d'un univers illimité, comprenant le terme "illimité" comme dépourvu de limites ou de barrières, mais fini.

Des philosophes tels que Gödel, Russell et Wittgenstein lui-même soutiendraient qu'une telle évasion n'est pas possible. Or, s'il n'y a pas de possibilité d'évasion, il n'y aurait pas d'autre choix que de reconnaître que la logique n'a pas de sens. Il faudrait donc chercher un sens logique à la logique. Ce serait la proposition de Deleuze à travers l'homme-machine (Canguilhem), qui fonctionne au moyen de paramètres logiques. Ce serait ce qui caractérise l'homme et serait le matériau sur lequel l'homme construit et est construit (Sartre). Heidegger revient sur ce point, qui ajouterait que la construction de l'être se réalise à travers le langage, qui est l'outil par lequel il exprime son rapport au monde, mais dans le monde. C'est ainsi que l'être humain exprime sa propre existence. Ainsi, la vérité de sa propre existence et ses propres limites seraient déterminées par le langage.

Par conséquent, le problème est à nouveau ancré dans la langue. Il faudrait chercher un langage libre de toute attache subjective et capable d'exprimer l'univers illimité et l'immensité de l'homme, désormais libéré de ses limites. La recherche d'une telle langue a été l'idée et le but initial qui a rassemblé un certain nombre de philosophes qui ont pris le nom de Cercle de Vienne. Et ils se sont unis pour défendre la logique comme un langage objectif reflétant le monde, l'univers illimité et l'homme libéré (6). Le Cercle de Vienne a choisi de s'appuyer sur les mathématiques comme méthode logique (7).

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Par conséquent, une langue qui serait un reflet authentique de cet univers sans limites devrait rompre avec les limites que la science et l'être humain ont connues. Le Cercle de Vienne a ainsi réuni une diversité de philosophes empiristes et positivistes tels que Wittgenstein, Russell et Whitehead, Feigl, Schlick et Mach, Popper et Hayek (le cousin de Wittgenstein). De là émergeront d'autres courants connexes, comme le cercle économique de Vienne - avec les Popper, Mises, Hayek - qui défendront la liberté individuelle comme seule limite de l'être humain. Ces "Viennois" se sont attachés à développer une conception libérale empirique-positiviste des sciences sociales.

En conclusion : Modernité/Nouvel Ordre Mondial

Les mécanismes de base de ces contenus philosophiques - c'est la Modernité - ont fini par s'imposer dans la société occidentale, surtout depuis la crise de 1873. C'est pourquoi l'Église catholique a dû organiser le Concile Vatican I et rappeler à la société occidentale - autrefois appelée chrétienté - que la modernité était le condensé de toutes les hérésies : Pascendi, Saint Pie X.

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La modernité a posé de nouvelles bases mentales et culturelles pour l'Occident. C'est, à mon avis, la principale cause de désorientation et de désespoir spirituel de l'homme moderne. Une bonne représentation des conséquences de la nouvelle mentalité et de la nouvelle culture peut être le Cri de Munch (1893). Un symbole figuratif de ce désespoir face à la destruction des valeurs référentielles (religieuses, morales...) qui touchent la racine et la substance de l'être humain et de la société occidentale, pour les remplacer par le transhumain et le global reset. Le Cri de Munch résumerait - dans un symbolisme pictural figuratif - le nouveau monde régi par un rationalisme et un empirisme extrêmes qui donnent naissance aux transhumains installés dans le Grand Réinitialisation. Ainsi, la Modernité -que nous pouvons maintenant appeler le Nouvel Ordre Mondial- pense que -à ce moment-là- ce sera finalement la mort de l'être humain, de son sens immatériel et métaphysique, spirituel et transcendant ; et que ce sera le triomphe du "singe de Dieu". Mais la modernité avec ses mondialistes et ses agendas (2030, 2045, 2050 ou autre) a-t-elle vraiment atteint ou va-t-elle atteindre ses objectifs ?

J'insiste sur le fait que la Modernité s'exprime avec le nouveau langage logique-rationaliste. La science et la philosophie de la modernité se sont construites sur ce langage. La science et la philosophie sous-tendent les nouvelles conceptions de l'être humain, du monde et de la vie, nouvelles conceptions qui sont la cause principale de la désorientation et du désespoir spirituel de l'homme moderne.

Ainsi, pour en revenir au langage, l'un des symboles de la modernité est l'équation E=mc2 : l'énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré, et exprime qu'une très petite quantité de masse équivaut à une énorme quantité d'énergie. E=mc2 a été et est présenté comme l'équation parfaite. C'est-à-dire qu'il est présenté comme l'expression - dans un langage logique parfait, les mathématiques - de la perfection elle-même. Il s'agit du symbole de perfection le plus répandu et le plus popularisé, et il est devenu le mythe de la perfection matérialiste offerte par la modernité.

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En même temps, je dois me rappeler que l'un des ingrédients de la perfection est l'ordre et que cette formule contient l'idéal de l'ordre. Et dans notre culture, l'idéal d'ordre est assimilé à la beauté. Par conséquent, dans cette formule, nous avons contenu l'idéal de perfection, d'ordre et de beauté dans un langage logico-mathématique. C'est là le point essentiel, car la modernité elle-même nous refuse - à travers son nouveau langage logique, rationnel et parfait - l'existence objective de Dieu et d'un monde fondé sur Lui. Cependant, par le biais de son langage, la Modernité nous décrit - sans le vouloir - l'action de Dieu à travers les objets qui forment le monde (Wittgenstein). Ainsi, à travers les objets du monde, Dieu apparaît comme logos et raison parfaite, beauté parfaite, ordre parfait.

Nous voyons donc comment le langage logique-rationnel parfait que Wittgenstein recherchait, et qui est utilisé par la Modernité pour nier le monde au-delà de la physique objective, est le nexus et le pont entre nous et Dieu à travers les objets matériels. Et tout cela, même de la part des plus radicaux de l'empirisme scientifique et du positivisme. Le langage logique et rationnel parfait devient le lien parfait qui nous permet de réfuter la Modernité, et de construire des liens concrets de conversation avec le Transcendant.

C'est dans cette conversation scientifique que se révèlent les éléments immatériels qui habitent l'intérieur de l'être humain et qui sont représentés par le langage logique. Ainsi, le monde de ce qui serait - en principe - inexistant et incommunicable devient donc existant et communicable. De plus, elle surmonte les barrières et les limites de l'espace-temps. C'est-à-dire qu'elle nous fait accéder à un plan supérieur, celui de la Transcendance : Dieu.

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J'ai commencé cet article en écrivant que l'un des problèmes humains est que les mots peuvent avoir des significations et des signifiés multiples, en référence à Wittgenstein. D'où, également, sa proposition d'un langage logique. La modernité a prétendu construire, avec un langage aussi logique, un monde parfaitement matériel, sans Dieu. Cependant, lorsque l'objectif tant recherché a été atteint et que la multiplicité des significations et des signifiants a été éliminée, la seule signification et le seul signifiant véritables et authentiques sont réapparus : le Verbe parfait, qui se matérialise empiriquement (par le biais de la transsubstantiation). La langue parfaite qui agit et travaille dans le monde et nous interpelle, et nous appelle à converser avec Lui, en dépassant nos barrières et nos limites. Parole et langage qui est, en même temps, le lien entre les objets et chaque personne, avec tous les hommes et avec Dieu : Jésus-Christ (8).

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1 WITTGENSTEIN, L. ; Tractatus Logico-Philosophicus, voir 2.323 ; 3.325, 3.3411.

2 Ibid., vid. 2.01231

3 Ibid. 1.1, 1.11 ; 2.04

4 Ibid, voir p. 12.

5 Ibid., vid. 6.432 ; 6.4312

6 Ibid., vid. 6.13

7 Ibid., vid. 6.2

8 WITTGENSTEIN, L. ; Tractatus Logico-Philosophicus , vid. 6.4312, 6.13 Bien qu'il insiste sur le fait que "Dieu ne se révèle pas dans le monde" (6.432), il reconnaît que "la solution (...) est hors de l'espace et du temps" au moyen d'une logique qui est transcendantale. En d'autres termes, Wittgenstein lui-même - peut-être sans le vouloir et sans le savoir - faisait référence à Celui qui est le Verbe et la Langue et avec lequel nous pouvons surmonter nos barrières et nos limites - le Péché - et être, par Lui, rachetés.

Préface du Professeur Charles Zorgbibe  au livre d'Irnerio Seminatore, en cours d'édition, La Multipolarité au XXIème siècle

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Préface du Professeur Charles Zorgbibe  au livre d'Irnerio Seminatore, en cours d'édition, La Multipolarité au XXIème siècle

C’est dans le cadre de l’alliance atlantique et sous l’aiguillon de notre intérêt commun pour la géopolitique que j’ai rencontré Irnerio Seminatore… en juin 1983.

La géopolitique –l’étude de la politique internationale dans sa relation avec la géographie- avait connu une évidente désaffection depuis 1945. Pour des raisons morales : la géopolitique était identifiée à son rameau allemand, expression de la recherche d’un « espace vital » et identifiée avec elle. Pour des raisons techniques : le missile balistique semblait avoir aboli les distances et les considérations d’utilisation de l’espace. La dissuasion nucléaire semblait figer les deux principales puissances dans leur face à face et mettre un terme à la conception de la lutte armée comme poursuite de la politique.

9782296546295b.jpgCette double désaffection était-elle justifiée ? Techniquement, si l’armement nucléaire ignore les conditions atmosphériques et réduit les facteurs géographiques à l’attraction de la pesanteur ou aux conditions de rentrée dans l’atmosphère, il n’en reste pas moins qu’à l’abri du feu nucléaire, les principales puissances peuvent recourir à l’armement conventionnel, classique. La dissuasion nucléaire avait pour contrepartie la multiplication des conflits locaux ; la « sanctuarisation » du territoire des membres du « club » nucléaire n’excluait pas l’affrontement des Grands, par acteurs locaux interposés.

Moralement, les excès de la « Geopolitik » allemande ne devaient pas occulter l’actualité de l’autre géopolitique, anglo-saxonne et « démocratique » : les relations Est-Ouest s’inscrivaient alors dans la perspective, chère à McKinder, du conflit inévitable, à long terme, de la puissance du « Heartland », « le cœur de l’île mondiale », l’Union soviétique, et de la puissance maritime, les Etats-Unis. Expulser la puissance continentale de la périphérie du système international, ou concurrencer la puissance maritime dans le contrôle de la frange d’archipels qui entoure l’île mondiale : n’était-ce pas une lecture possible de l’affrontement physique des deux Grands, à l’ère de la guerre froide ?

C’est dans cet esprit que le secrétariat de l’alliance atlantique me demanda de constituer, en partenariat avec mon collègue Ciro Zoppo, de l’université de Californie, un réseau d’universitaires et d’officiers stratèges à même de revoir les thèses de la géopolitique classique et de jauger l’adéquation de l’analyse géopolitique au monde de la guerre froide, avec ses idéologies diplomatiques et sa technologie militaire.

Ce réseau connut son apogée avec un séminaire international à Bruxelles, les 22-24 juin 1983 –qui réunit de brillantes participations, au sein de quatorze délégations nationales. Citons, au hasard : pour les Pays-Bas, Frans Alting von Geusau, qui dirigeait l’Institut Kennedy d’Oisterwijk, et le député démocrate-chrétien van Iersel ; pour la Belgique, Luc Reychler de Louvain, Jacques Jonet de l’Institut européen de sécurité et les responsables de l’Institut royal des relations internationales ; pour le Portugal, issus de la « Révolution des œillets », les généraux Altino Magalhaes, président de l’Instituto da Defensa Nacional, et Cabral Couto, qui commandait la base des Açores, ainsi que Jorge Campinos, professeur de droit international et ministre dans les premiers gouvernements qui suivirent la mutation constitutionnelle de 1974 –Campinos allait disparaître, dix ans plus tard, dans un accident de la route au Mozambique ; pour la France, l’historien Jean-Pierre Cointet, l’amiral Hubert Moineville, auteur d’un manuel de « stratégie de la mer » dans la collection « Perspectives internationales » que je dirigeais alors, mon collègue Jean Klein, de Paris 1-Panthéon Sorbonne. D’outre-atlantique étaient venus, Albert Legault, de l’université Laval de Québec, l’un des animateurs les plus dynamiques du séminaire, William Fox, le politologue à la grande notoriété de l’université Columbia de New York, David Wilkinson, de l’université de Californie et le Lt. Colonel George Thompson.

9782841913299-475x500-1.jpgC’est dans les coulisses de la délégation italienne que je rencontrai Irnerio Seminatore, alors assistant à l’université Paris VIII de Vincennes-Saint Denis, siège mythologique du gauchisme de l’Après-1968. Seminatore avait un double parcours, italien et français : il était né à Turin, capitale du Piémont-Sardaigne, première capitale de l’Italie unifiée, capitale de l’automobile et de l’Italie industrielle, capitale du marxisme et du libéralisme italiens et de toutes les grandes innovations scientifiques et technologiques de la péninsule –Turin à laquelle il a consacré un livre « La rude Gioventu del dopo-guerra ». J’ai partagé l’infinie curiosité de Seminatore pour Turin et sa très complexe sédimentation sociale… à travers les romans policiers de Carlo Fruttero et Franco Lucentini, les auteurs de la « Donna della Domenica » (« La femme du dimanche »), puis lors d’un cycle de conférences à l’université, encore éprouvée par l’activisme des « brigades rouges ». Le président de l’université, auteur d’une thèse sur le terrorisme, était devenue une cible et changeait, chaque jour, d’itinéraire –ce qui ne l’empêcha pas de m’inviter au « Whist », le somptueux club privé, créé par Cavour, l’artisan de l’unification italienne. Après des études universitaires à Turin, Seminatore avait été à Paris l’élève du général Lucien Poirier, l’un des grands théoriciens contemporains de la stratégie. Il était proche de Michel Sudarskis, un jeune et très érudit haut-fonctionnaire français à l’Otan, qui se considérait comme un « hussard » de la guerre froide –un engagement et un militantisme qui causèrent hélas ! la fin prématurée de sa carrière bruxelloise –et des chefs de file de la délégation italienne : Sergio Rossi, brillant éditorialiste de « La Stampa » et chargé de cours à l’université de Turin, et Edgardo Sogno del Vallino.    

Sogno_divisa.jpgDoyen d’âge de notre séminaire atlantique pour les études géopolitiques, Sogno del Vallino (photo) fut le mentor de Seminatore, qu’il associa à toutes les réunions multilatérales tenues en France ou en Italie. Sogno del Vallino, diplomate et homme politique, était une personnalité charismatique, admirée et contestée dans la péninsule. Grand résistant, il avait été l’interlocuteur, auprès des Anglais et Américains, des réseaux monarchistes, les «Badogliani» ; dans l’Après-guerre, il avait été «Golpiste», partisan de la création en Italie d’un régime présidentiel, sur le modèle de la Cinquième République ; il avait également été impliqué dans la constitution du « Gladio », ces réseaux « en attente » de l’Otan dont la mise en lumière provoqua un séisme politique dans les années 1980.

Comment Irnerio Seminatore a-t-il pu enseigner, pendant 29 années, à Paris-VIII, citadelle du gauchisme, alors qu’il portait, dans son adn, l’idée de fédération européenne? Il fut fédéraliste européen, « furieusement » fédéraliste, disciple d’Alexandre Marc, le maître penseur de l’aile fédéraliste la plus radicale, et collaborateur de Claude Nigoul et de son Institut d’études fédéralistes à Nice et Aoste. C’était l’époque de la « théologie » fédéraliste qui mua, avec le temps, en une sorte de positivisme juridique, institutionnel de l’Union européenne.              

En 1996, Seminatore s’établit à Bruxelles où il crée l’Institut européen de relations internationales. L’Institut est installé dans un bel hôtel du boulevard Charlemagne, en plein quartier de l’Union européenne, à deux cents mètres de la Commission et du Conseil de l’Union, un hôtel tellement romain avec son sol de marbre et ses bustes antiques –un hôtel abandonné et tombé en ruines, complètement restauré par Seminatore. De nombreux colloques se succèdent alors, dans ces locaux, réunissant experts du droit, de l’économie, de la politique européennes. Seminatore reçoit eurocrates ou parlementaires en compagnie de son épouse et égérie, Ioana Nicolaie, pneumologue et conseillère scientifique du ministère de la santé du Luxembourg –un produit des séismes du second conflit mondial puisque née roumaine, d’un père juif hongrois, économiste et géologue, et d’une mère russe, ingénieur… « le seul multiculturalisme acceptable », selon lui.

Mais la marche du monde et des institutions européennes déçoit nombre d’observateurs. Seminatore, fédéraliste passionné, s’était transformé en un théoricien réaliste des relations internationales. Désormais, le commentateur lucide des actes de l’Union accomplit sa révolution intellectuelle et devient un contestataire, toujours attentif et exigeant, de « l’establishment » européen et de l’appareil de l’Union. En 2017, il revient sur la souveraineté et l’ordre du monde, il estime l’identité et la civilisation européenne menacées, il appelle à la « révolution des patriotes européens ». L’année précédente, il avait publié un récit de politique fiction, « Waterloo 2015 », qui donnait un visage plausible au processus de décomposition des institutions européennes, à la déconnexion de ses élites du réel, au déclin du continent.

9782296069282-475x500-1.jpgL’évolution intellectuelle et politique d’Irnerio Seminatore peut surprendre : elle est révélatrice des impasses actuelles de la construction européenne. L’Union renonce à créer un pôle de puissance, elle est prête à sortir de l’Histoire selon les schémas néo-hégéliens, une Europe au « pouvoir doux ». L’approche « fonctionnaliste », chère à Jean Monnet et à Robert Schuman, permettait de contourner les souverainetés nationales. Du contournement, la tentation a été forte de passer à la dissolution desdites souverainetés. Surtout, le « millénarisme des droits de l’Homme » a pris le relais du « millénarisme communiste » de l’ère de la guerre froide, avec pour horizon le déracinement des peuples européens. Il s’agit de faire rentrer les peuples européens dans un moule préétabli. Face à ces injonctions, un nouveau « Samizdat » (l’ensemble des moyens à même de permettre la diffusion des œuvres interdites ou réorientées critiquement à l’Est et à l’Ouest) prend forme : les travaux d’Irnerio Seminatore en sont l’une des facettes.

Charles Zorgbibe

Professeur honoraire à la Sorbonne

Ancien recteur de l’académie d’Aix-Marseille

Ancien doyen de la faculté de droit Jean Monnet de Paris-Sud     

Entretien avec Pierre Le Vigan : « Le drame est que si nous n’avions pas déjà été atteints dans notre humanité, nous n’aurions jamais pu accepter cet enfermement »

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Entretien avec Pierre Le Vigan: «Le drame est que si nous n’avions pas déjà été atteints dans notre humanité, nous n’aurions jamais pu accepter cet enfermement»

En observateur de la post-modernité, Pierre Le Vigan revient pour nous sur la grande transformation que nous vivons.

Deux après l’apparition du covid 19, pensez-vous qu’un retour au monde d’avant soit encore possible ? 

Je dis comme vous « le » covid car c’est « le virus du covid » qui est sous-entendu et non pas « la » covid pour « la maladie du covid ». Un virus n’est pas forcément une maladie, il faut le souligner. Il y a 800 millions de virus par m2 sur la terre, chaque seconde, nous en respirons 200.000. Beaucoup de virus sont dans l’eau. Nous avalons plus d’un milliard de virus quand nous nous baignons dans de l’eau de mer. Qui dit mieux? Il n’empêche que se baigner est bon pour la santé. En deuxième lieu, je note que le « monde d’avant » n’était pas idyllique, mais le monde de l’hygiénisme, des distances sociales, du contrôle des « cas contacts » est assurément monstrueux. Il est posthumain. Voulons-nous du monde post-humain de la perpétuelle vigilance covidiste (ou d’un autre virus), des pass vaccinaux, des vaccins obligatoires tous les trois mois ? C’est une question de civilisation, comme le dit justement Florian Philippot. Le drame est que si nous n’avions pas déjà été atteints dans notre humanité, nous n’aurions jamais pu accepter cet enfermement, l’interdiction de se promener plus d’une heure, et à plus d’un km de chez soi.  Si nous avons accepté cela, c’est que nous étions dejà très diminués collectivement et anthropologiquement. Le covid est donc un révélateur. Pour répondre à votre question, il y a deux options, soit nous nous enfoncerons dans une société de contrôle par l’Etat et les GAFAM qui est dans la logique du libéralisme (puisqu’il n’y a pas d’auto-contrôle du collectif par des communautés), soit un mouvement de libération nationale nous en délivrera car il nous délivrera de la domination de l’oligarchie. Dans les deux cas, il n’y aura pas de retour au « monde d’avant ». 

La dépression profonde de notre société est–elle uniquement le fait de la crise du covid ou de raisons plus profondes ? 

Notre société souffre de la perte du sens. Le travail, le métier ont été remplacés par l’emploi, le « job ». La patrie est remplacée par les identités de genre, les projets sont remplacés par des engouements éphémères, etc. Il faut retrouver le sens du long terme. Pour cela, il faut sortir du libéralisme, aller vers une économie dirigée et encadrée par un Plan, et remettre de la démocratie réelle, directe notamment, dans ce pays. Il faut libérer la démocratie des grands médias oligarchiques et mondialistes. 

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Les mesures sanitaires renforcent la société libérale de la surveillance et de la méfiance généralisée. Comment résister mentalement à ce contrôle social par la peur ? 

Dans La tyrannie de la transparence, livre publié il y a une dizaine d’années, j’avais déjà expliqué ce que sont les dégâts de la transparence et sa logique de justification perpétuelle de soi et de tous ses actes et même de ses pensées. C’est la société du soupçon. L’obsession de la transparence veut dire à terme la généralisation de la paranoia. Cela va avec des procès de plus en plus fréquents, et des condamnations, pour des propos dont le supposé caractère allusif ferait offense à telle ou telle communauté, ou à la mémoire de tel ou tel drame historique. Comment résister à ce contrôle social ? En désactivant certains applications numériques, mais surtout en lisant, en publiant, en combattant par les idées les manœuvres de terrorisme intellectuel des enfermistes, des vaccinolatres (mais ce ne sont pas des vaccins et ils n’empêchent ni d’être contaminés, ni de transmettre le virus ! Quand ils ne rendent pas malades des bien portants !). Face aux tenants de la dictature sanitaire, il faut aussi réagir en maintenant et en créant du lien social, humain, sans distanciation outrancière. 

Vous évoquez la notion de « fatum » dans le dernier Rébellion. Cette conception de la vie est-elle pour vous une voie héroïque de libération ?

J’ai beaucoup d’admiration pour les conceptions héroïques de la vie (Evola, Venner, etc). Je crois toutefois qu’on ne peut vivre tout le temps en haut des montagnes, sur les sommets. Montherlant le remarquait lui-même. A côté de cette conception héroïque, souvent inspirée de Nietzsche, il y a des leçons à prendre du côté des stoïciens, mais plus encore du côté des épicuriens – ceux-ci n’étant pas les éternels jouisseurs que l’on imagine. Je renvoie sur ce trop vaste sujet pour notre entretien à mes livres « Avez-vous compris les philosophes ? « (La barque d’or) et à « Comprendre les philosophes », qui vient de paraitre chez Dualpha. 

Les livres de l’auteur son disponible en ligne ici : https://www.amazon.fr/Pierre-Le-Vigan/e/B004MZJR1M%3Fref=dbs_a_mng_rwt_scns_share

Pour lire le dernier article de Pierre Le Vigan : https://rebellion-sre.fr/boutique/

La revue de presse de CD - 21 novembre 2021

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La revue de presse de CD

21 novembre 2021

ÉTATS-UNIS

Quand l’ingérence humanitaire mène à des crimes contre l’humanité

Un nouveau rapport révèle que les atrocités sont monnaie courante en Libye en raison de la guerre civile qui a éclaté à la suite du changement de régime mené par les États-Unis.

Les-crises.fr

https://www.les-crises.fr/quand-l-ingerence-humanitaire-m...

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Daniel Ellsberg, le lanceur d’alerte des « Pentagon Papers » témoigne : combattre un État criminel

Daniel Ellsberg est le tout premier lanceur d’alerte, l’homme à qui l’on doit en 1971 la publication des fameux « Pentagon papers »: 7000 pages secret-défense émanant du département de la Défense à propos de l’implication politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam. Ellsberg a payé très cher cette décision consistant à révéler la vérité sur les exactions de son gouvernement, afin de faire cesser les atrocités en cours. Sa vie toute entière en a été affectée. Vidéo.

Elucid

https://elucid.media/democratie/le-lanceur-d-alerte-des-p...

EUROPE

Populisme italo-ibérique : Lisbonne, Madrid et Rome

En octobre dernier, le parti national populiste Vox anima un événement pour contrer l’agenda onusien. Selon le parti espagnol, celui-ci se focalise sur un remplacement migratoire des autochtones européens en faveur des nouveaux arrivants extra-européens. Un choix inacceptable pour le parti de Santiago Abascal. Madrid a reçu également l’appui de l’italienne Giorgia Meloni et du portugais André Ventura. Faut-il y voir la création d’un axe politique entre ces trois partis ?

Conflits

https://www.revueconflits.com/populisme-italo-iberique-li...

FRANCE

Marie-France Garaud : « La République est tombée dans les mains des partis » 2e partie

Dans un contexte de crise économique, financière, politique et géopolitique, Marie-France Garaud nous offre son analyse du paysage politique français dans un entretien inédit réalisé par Olivier Berruyer. Revenant sur l’histoire de notre Ve République, l’ancienne avocate met en lumière les insuffisances d’un système qui vit, selon elle, une crise de confiance. Un remarquable cours de droit constitutionnel !

Elucid

https://elucid.media/politique/marie-france-garaud-republ...

Bernard Squarcini: Insurrections, Espions, COVID-19, Crise mondiales… et massacres islamiques à Paris en 2015

Bernard Squarcini (ex-directeur de la DCRI : “Les Syriens ont proposé à la France une liste de djihadistes français. Valls la refuse. Un terroriste capturé par la France explique qu’il devait attaquer le Bataclan. Valls n’en a pas tenu compte”. Vidéo.

Thinkerview

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Désindustrialisation de la France : juger la trahison

Comment se pose effectivement le problème et qui est responsable de cette destruction de notre potentiel industriel de la France dont l’opinion publique fait aujourd’hui le constat effaré ? Et que sont contraints de reconnaître aujourd’hui, ceux-là même qui en sont à l’origine, et en ont grassement profité. Il faut en plus supporter de les entendre asséner, toute honte bue, qu’il faut « réindustrialiser la France ». Parce que c’est une vieille histoire, que cette trahison, où par idéologie néolibérale obtuse, soumission à l’Allemagne, cupidité obscène, certaines élites ont simplement vendu à l’encan un potentiel économique construit grâce aux efforts des travailleurs de notre pays.

Vu du Droit

https://www.vududroit.com/2021/11/desindustrialisation-de...

Sciences Po : une nomination de directeur révélatrice du mal français

La nomination d’un énarque n’ayant pas d’expérience de recherche académique à la tête de Sciences po Paris est révélatrice du mal français.

Contrepoints

https://www.contrepoints.org/2021/11/18/414206-sciences-p...

GAFAM

Souveraineté et numérique : maîtriser notre destin

Facebook se dote d’un conseil de surveillance, sorte de « cour suprême » statuant sur les litiges relatifs à la modération des contenus. Des géants du numérique comme Google investissent le marché des câbles sous-marins de télécommunications. La France a dû faire machine arrière après avoir confié à Microsoft l’hébergement du Health Data Hub.

socialnetlink

https://www.socialnetlink.org/2021/11/11/souverainete-et-...

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GÉOPOLITIQUE

Note sur les opérations navales en cours en mer Noire

Les opérations actuelles des États-Unis et de l’OTAN dans la région de la mer Noire font l’objet de nombreuses spéculations. Si nous additionnons toutes les forces des États-Unis et de l’OTAN impliquées dans cette opération, elles sont loin de correspondre à ce qui serait nécessaire pour une attaque contre la Russie. Ainsi, en termes purement militaires, il ne s’agit que d’un théâtre de Kabuki, et non d’une menace réelle pour la Russie. Le public visé est la population ukrainienne à qui est envoyé le « message » suivant : « Nous sommes là, nous sommes invincibles, nous assurons vos arrières, et si vous vous retrouvez dans un conflit/guerre ouvert avec la Russie, nous vous protégerons ». Bien entendu, un tel engagement n’est pas formellement pris, mais seulement implicite. C’est l’exacte répétition de ce qui s’est passé le 08.08.08.

Le Saker francophone

https://lesakerfrancophone.fr/note-sur-les-operations-nav...

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LECTURE

« Au-delà de l’affaire de la chloroquine ». Sous-titre : « Comment l’industrie pharmaceutique pervertit nos systèmes de santé et met la nôtre en péril », du professeur Didier Raoult. Michel Lafon, octobre 2021

Présentation :

Une analyse très complète, avec comme point de départ l’interdiction du gouvernement français d’un médicament qui avait été alors pris par plus d’un milliard de personnes. De la corruption par le Big pharma au Lancetgate, des conflits d’intérêts au principe de précaution inversé, de la désinformation médiatique à l’excommunication de scientifiques, de la politique vaccinale à la politique sanitaire, le professeur Raoult dresse un constat effrayant et effarant de nos sociétés occidentales malades, et pas seulement du COVID… Aucune critique dans les médias mainstream et pourtant en 5e position des meilleures ventes non-fiction selon Livres hebdo du 28 octobre.

Auteur :

Microbiologiste mondialement reconnu, né en 1952 à Dakar, ce chercheur et scientifique a également travaillé avec Xavier Bertrand quand ce dernier a été ministre de la Santé. Il a créé l’IHU Méditerranée.

Extraits :

« La crise de l’hydroxychloroquine est extraordinairement importante. Non pas parce qu’elle reflète un combat spécifique de l’année 2020 mais parce que, si nous acceptons de perdre dans une affaire comme celle-là, alors plus rien ne pourra résister contre la pression de la désinformation, de l’agression, du harcèlement de ceux qui ne croient pas dans une vérité quotidiennement exprimée par les tenants de l’information, incluant l’industrie pharmaceutique, les médias et une part du gouvernement. »

« Concernant le virus SARS-CoV-1, l’agent de l’épidémie de 2003, il avait été rapporté qu’il était sensible à l’hydroxychloroquine et à la chloroquine in vitro, et Fauci, le directeur du National Institute of Health (NIH) aux États-Unis (équivalent de l’INSERM), qui deviendra un des grands adversaires de la chloroquine dans le COVID-19, avait proclamé à l’époque que c’était probablement le meilleur traitement contre le SARS-CoV-1. »

« Il est étonnant de voir la lutte de l’Europe, et de la France en particulier, contre les médicaments parmi les plus sûrs du monde, et son appétence pour des produits extrêmement chers, dangereux et inefficaces. Là aussi, avec le temps, ces prises de position devront peser dans la réflexion sur l’état d’évolution de nos structures. »

« Dans l’expérience que nous avions en juin 2021 à l’IHU de Marseillle, documentée par PCR, qui portait sur près de 600 patients vaccinés et néanmoins infectés par le COVID, nous n’avons pas noté que le vaccin diminuait la gravité de la maladie, la mort étant aussi fréquente chez les gens vaccinés que chez les gens non vaccinés, de même que l’hospitalisation. »

« Une partie de la terreur liée à cette épidémie a été associé, dès le départ, à la réalisation de modèles dramatisant, qui ont été brandis d’abord par le Conseil scientifique, puis sur tous les plateaux de télévision, sans que personne n’ait jamais rien pu prédire de réaliste. »

« Les États-Unis sont arrivés à un niveau d’espérance de vie inférieur à celui de Cuba, ce qui veut tout dite ! L’espérance de vie des États-Unis, fin 2020, est du niveau de celle des pays du Maghreb, la Chine n’en est plus très loin, ni le Vietnam, ce qui traduits un retournement de l’Histoire qui laisse rêveur. »

« La tyrannie s’exerce par le biais d’une fausse science imputée à la médecine. Des groupes de pression, plus au moins efficaces, comme les collectifs NoFakeMed ou Citizen4Science, et même, dans une certaine mesure, le conseil de l’ordre des médecins, expliquent ce qui est exact et ce qui ne l’est pas à l’aide de sentences péremptoires et de certitudes dérisoires. »

« Les discussions du Conseil scientifique étaient, de mon point de vue, inintéressantes. Deux des membres étaient des modélisateurs qui prédisaient l’avenir, et je ne crois pas que l’on puisse prédire l’avenir. D’ailleurs, tous leurs modèles se sont révélés hasardeuses, et il était surtout question d’approuver les décisions de contraintes et de confinement qui seraient proposées par Jean-François Delfraissy. C’est d’ailleurs la dernière fois que j’ai parlé à celui-ci, lorsqu’il a commencé à me rebattre les oreilles avec ses stratégies de confinement, pour lesquelles il n’y avait aucune base scientifique, et il n’y en a toujours aucune. »

« Le vaccin contre la COVID-19 est devenu un enjeu financier et stratégique mondial, qui a amené à transgresser toutes les règles que nous nous étions fixées depuis de très nombreuses années. En effet, les principaux fabricants de vaccins ont été dispensés de faire des études de phase 3, c’est-à-dire qu’au lieu de tester les vaccins sur des populations suffisamment importantes pendant deux à trois ans, pour avoir le recul sur des effets secondaires ou toxiques, la procédure a été terriblement allégée, et les États ont garanti l’assurance des fabricants de vaccins. Cela signifie, en pratique, que les industriels ne courent aucun risque en manufacturant des vaccins dont les effets secondaires tardifs n’ont pas été évalués. »

« Concernant l’efficacité de la vaccination, nous n’avons plus d’éléments. Ici à Marseille, fin juillet 2021, nous avons eu près de 600 cas diagnostiqués de gens infectés malgré une vaccination (complète ou incomplète). Les gens infectés ont fait des formes aussi graves ‘en termes d’hospitalisation, de réanimation ou de mort) que les gens qui n’avaient pas reçu de vaccin. Très fréquemment, pour des raisons que je ne m’explique pas, ces personnes ont fait des infections dans les quinze jours qui ont suivi la vaccination. Cette réaction n’avait d’ailleurs pas du tout été évaluée dans les essais cliniques. »

RÉFLEXION

L'idéologie du politiquement correct et la civilisation occidentale

Lorsque, au début des années 1930, le politologue et théoricien du droit allemand Carl Schmitt a tenté de prouver la présence cachée mais néanmoins évidente de tendances totalitaires dans l'État libéral-démocratique moderne, il a semblé à nombre de ses contemporains conservateurs qu'il s'agissait d'une exagération. Les années suivantes ont apparemment confirmé à leurs yeux l'absurdité de l'affirmation de Schmitt. Au contraire, le véritable totalitarisme était palpable dans les régimes qui positionnaient la démocratie libérale comme leur ennemi juré.

Euro-synergies.hautetfort.com

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/11/09/l...

L’électromobilité ne sera pas le seul levier de croissance de l’industrie future

Croire qu’il suffit de remplacer un moteur thermique par un moteur électrique sans réfléchir à tout l’écosystème relève soit de l’incompétence soit du sabotage. Avec une interview intéressante de Carlos Tavarès, PDG de PSA (vidéo)

Contrepoints

https://www.contrepoints.org/2021/11/14/413085-lelectromo...

Contextualisation et enjeux réels de la guerre du Droit

Cette guerre du droit est menée, tambour battant, par l’empire commercialo-maritime anglo-saxon mais elle n’est toujours pas considérée comme devant être relevée par la France et les pays européens de tradition continentale. Or, vous savez que seules les batailles non menées sont définitivement perdues.

Le Saker francophone

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Le règne de l’homme-masse, une fatalité ? (Jose Ortega y Gasset)

Dans cette vidéo, nous aborderons un penseur encore trop méconnu dans le public francophone, à savoir Jose Ortega y Gasset, auteur d’un chef d’œuvre de la pensée politique du XXe siècle : « La révolte des masses ». Philosophe de haute stature, Ortega se livre à une critique d’une grande profondeur de l’homme-masse moderne et du règne de la médiocrité. Néanmoins, pour lucide qu’il soit de la situation politique et intellectuelle de l’Europe, il ne pense pas que cette dernière connaisse un déclin inéluctable. Refusant tout fatalisme historique, Ortega y Gasset estime que c’est seulement lorsque les Européens se saisiront à nouveau d’un projet à la hauteur de leur temps qu’ils vaincront la médiocrité et l’apathie qui consiste à se laisser vivre.

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SANTÉ/LIBERTÉ

Confinement, pass sanitaire : surprise, le gouvernement a encore menti

Aujourd’hui, ça sera donc fromage et dessert : non seulement la ségrégation sanitaire généralisée s’est mise en place sans trop de heurts, mais les mesures de privation de liberté plus classiques risquent de revenir.

Contrepoints

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Covid et hospitalisation : quelques chiffres

Comme le martèle le gouvernement, “on peut discuter de tout sauf des chiffres”, et comme on vient d’avoir les chiffres officiels de l’hospitalisation en 2020, cela tombe bien, on va pouvoir en discuter. Qu’en est-il ? En page 2, on apprend que 218 000 patients ont été hospitalisés en 2020 pour prise en charge de covid, dont 185 863 en hospitalisation « classique » MCO. Cela semble peu pour 140 000 lits disponibles. Le rapport confirme : 2% des hospitalisations de l’année 2020 étaient des patients covid.

Covid-factuel

https://www.covid-factuel.fr/2021/11/14/covid-et-hospital...

Covid : pays plus vaccinés versus pays moins vaccinés

TrialSiteNews vient de sortir un article, intitulé « Enquête sur les tendances Covid-19 dans les 10 pays les plus vaccinés et les 10 pays les moins vaccinés ». Deux tableaux résument bien la situation, et se passent de commentaires, sinon celui-là : « On peut discuter de tout sauf des chiffres ». Certains chipoteront sur les pays sélectionnés, il y a peut-être des erreurs, un oublié ou un en trop. C’est ce que j’ai pensé en me disant qu’ils avaient omis l’Islande. Eh bien non, sur Our World in Data, l’Islande est « fully vaccinated” à 75%, donc inférieur au Cambodge, dernier de la liste. Le Portugal m’étonnait, je le croyais au niveau de la France, non, la liste semble donc juste (et vérifiable toujours sur OWD).

Covid-factuel

https://www.covid-factuel.fr/2021/11/17/covid-pays-plus-v...

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UNION EUROPÉENNE

Aux États-Unis, Ursula von der Leyen remet le prix de l’Atlantic Council au PDG de Pfizer : en route pour un monde meilleur !

L’ancien ministre d’Angela Merkel Ursula von der Leyen et actuelle présidente de la Commission européenne a remis le prix du « Leader of Business » au PDG de Pfizer Albert Bourla ainsi qu’à Özlem Türeci et Uğur Şahin de BioNTech, pour « célébrer les personnes exceptionnelles qui relèvent les défis extraordinaires d’aujourd’hui ». Dans une vidéo qui a beaucoup circulé, on la voit montrer toute sa familiarité avec ces dirigeants des géants pharmaceutiques.

Boulevard Voltaire

https://www.bvoltaire.fr/aux-etats-unis-ursula-von-der-le...

 

samedi, 20 novembre 2021

Le monde comme illusion. Les racines gnostiques de la théorie de la simulation

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Le monde comme illusion. Les racines gnostiques de la théorie de la simulation

par Giulio Montanaro

Ex: https://www.centromachiavelli.com/2021/11/19/teoria-della-simulazione-gnosticismo/

De Nag Hammadi à la matrice

Est-il possible de trouver (et si oui, où) une synthèse cohérente et organique de la cosmologie hindoue-bouddhiste, des jeux vidéo, du panpsychisme ou du mythe platonicien de la caverne, des intelligences artificielles, du mauvais génie et de son doute hyperbolique cartésien, de films comme Matrix, Existenz ou Inception, du démon de Laplace, des papyrus de Nag Hammadi, de la civilisation maya, de la physique quantique de Max Planck à John Bell, du trilemme de Nick Bostrom, du mythe du papillon rêveur du taoïste Zhuangzi, de la voie du détachement du mystique médiéval Meister Eckhart, du premier ordinateur créé par Konrad Zuse, de la pensée de la matière de Giordano Bruno, et de l'idée traditionnelle du libre arbitre ?

Avec quelle arrogance et quelle présomption peut-on même prétendre trouver un plus petit dénominateur commun qui unit des milliers d'années d'histoire, de science et de philosophie?

Nick Bostrom et la théorie de la simulation

Le philosophe suédois Nick Bostrom (photo), fondateur et directeur du Future of Humanity Institute de l'université d'Oxford, offre une perspective sur l'hypothèse d'un argument philosophique appelé le trilemme de Bostrom.

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Nous nous pencherons sur le trilemme dans un prochain article ; pour l'instant, il suffit de dire que, selon le directeur de cet Institut du futur de l'humanité, la réalité dans laquelle nous vivons n'est rien d'autre qu'un projet de superordinateur réalisé par une intelligence dépassant l'univers et notre capacité de compréhension, probablement créé par de futures civilisations extraterrestres ou interdimensionnelles.

C'est un thème que je lis depuis une vingtaine d'années et qui résonne de plus en plus fort en moi. C'est un sujet à traiter avec précaution, tant sur le plan scientifique que, surtout, sur le plan éthique et émotionnel.

Notre parcours

Dans un article récent du journal britannique The Guardian, les philosophes Galen Strawson de l'Université d'Oxford et Saul Smilansky, "avocat de l'illusionnisme" de l'Université de Haïfa en Israël, expliquent pourquoi la physique et les neurosciences de ces vingt dernières années sapent l'idée de moralité qui existait jusqu'à présent.

Si vous êtes familier avec les doctrines gnostiques, si vous avez une certaine familiarité avec l'occultisme, et si l'impact de celles-ci n'a pas eu de conséquences profondes dans l'inconscient du lecteur mais, plutôt, a allumé une étincelle qui a suscité l'intérêt, alors peut-être devriez-vous lire attentivement la suite. En tout état de cause, abordez ce dont nous parlons dans ces pages avec une extrême prudence et le scepticisme qui s'impose. J'ai décidé de donner à cette recherche la forme d'une trilogie, en la divisant en trois sections: une concernant l'histoire et la philosophie sur les hypothèses possibles sur le phénomène élaborées jusqu'au 19ème siècle, une concernant la science du 19ème au 21ème siècle, et la dernière concernant les implications morales dérivant de la synthèse des deux premières, qui a eu lieu pendant les vingt premières années du 21ème siècle.

Le thème, bien qu'encore peu connu de la plupart, plonge ses racines dans la nuit des temps et la plupart des témoignages sur le sujet sont de nature historico-philosophique. Ce n'est qu'au cours du siècle dernier que la reine incontestée des disciplines contemporaines, la "science", a commencé à le considérer avec moins de scepticisme et plus d'intérêt. Parvenant parfois à des conclusions, que j'aborderai dans le dernier chapitre de cette recherche, penchant vers une considération illusoire non seulement de la réalité physique, mais aussi de notre capacité d'autodétermination.

"Si le réel est ce que vous entendez, sentez, goûtez ou voyez, alors la réalité est simplement des signaux électriques interprétés par votre cerveau", dit Lawrence Fishburne, dans le rôle de Morphée, à Keanu Reeves, dans le rôle de Neo, alors qu'il se trouve dans la zone de chargement du film The Matrix. Cela peut sembler absurde, mais seulement jusqu'à un certain point, si l'on pense que l'intelligence artificielle, comme la réalité virtuelle, a été créée par rétro-ingénierie du cerveau humain.

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La chute

Steven Taylor, maître de conférences, professeur de psychologie à l'université anglaise de Leeds Beckett et auteur du livre The Fall : The Insanity of The Ego in Human History and the Dawning of A New Era, (en français, La chute) publié par O-Books en 2005, écrit dans le premier chapitre, intitulé What's wrong with human beings?: "Si des extraterrestres avaient observé le cours de l'histoire humaine au cours des derniers milliers d'années, ils seraient arrivés à la conclusion que nous sommes le produit d'une expérience qui a horriblement mal tourné".

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Avec une pointe d'ironie, j'aimerais être d'accord avec Taylor (dont j'ai d'ailleurs pris plaisir à lire les travaux), même si les résultats dont je vais parler pourraient inciter certaines personnes à considérer l'expérience comme un succès. Du moins pour les sujets, ou peut-être devrais-je dire les entités, qui l'ont exécutée.

Entités qui l'ont réalisé? Les suppositions de Nick Bostrom viennent à mon secours pour éviter une vile dérision dès les premières pages de cette histoire: "D'une certaine manière, les post-humains qui dirigent la simulation sont des sortes de dieux par rapport aux personnes qui vivent la simulation; les post-humains ont créé le monde que nous voyons, ils sont d'une intelligence supérieure, ils sont omnipotents dans le sens où ils peuvent interférer dans le fonctionnement de notre monde même en violant les lois physiques, et ils sont omniscients dans le sens où ils peuvent contrôler tout ce qui se passe. En tout cas, les semi-divinités, à part celles qui se trouvent au niveau de la réalité, sont soumises aux sanctions des divinités plus puissantes qui habitent les niveaux inférieurs".

Les "post-humains"? Un autre thème auquel Bostrom est particulièrement sensible est celui du développement génétique humain. C'est un thème que l'on classe à l'époque contemporaine sous la rubrique du transhumanisme. Nous en parlerons plus tard ; concentrons-nous maintenant à essayer de comprendre si et comment la théorie de la simulation peut avoir un sens dans le contexte des doctrines théologiques, philosophiques et historiques du passé.

Les papyrus de Nag Hammadi

En ce qui concerne les affirmations de Bostrom à Oxford (qui ne sont rien d'autre qu'une synthèse scientifique de ce que disent certains papyri trouvés en Égypte en 1945), nous trouvons des réactions, critiques et autres, également des universités de Cambridge, Helsinki et Columbia.

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Quel est le nœud du litige ? C'est en 1945 qu'un agriculteur égyptien vivant dans la région de Nag Hammadi a trouvé, dans une jarre découverte dans une grotte proche des tombes de la sixième dynastie égyptienne, une série de papyri enveloppés dans des étuis en cuir. Pour être exact, 13 papyri, contenant 52 traités écrits en copte (l'ancienne langue des Égyptiens non arabes, supplantée ensuite par l'égypto-arabe avec la propagation de l'islam), qui constituent encore les fondements de ce qu'on appelle le gnosticisme.

Hans Jonas : Existentialisme et gnosticisme

Hans Jonas a vécu 90 des 100 dernières années du siècle dernier : allemand, élève de Martin Heidegger, il a quitté l'Allemagne à l'époque du nazisme. Après la guerre, il a enseigné l'hébreu à l'université de Jérusalem et à l'université Carleton à Ottawa. Jonas établit des parallèles incroyables (pour la plupart) entre le gnosticisme et l'existentialisme, comme il l'a démontré en 1958, lorsqu'il a publié The Gnostic Religion : the message of the Alien God and beginnings of Christianity, toujours considéré par certains comme l'un des principaux ouvrages contemporains sur le sujet de la gnose.

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Celui de Jonas est un excellent recueil sur le sujet spécifique discuté, bien que je suggère de toujours se référer à The Secret Teachings Of All Ages, de Manly Palmer Hall, pour de plus amples aperçus et parallèles. Il est intéressant de noter que le texte de Hall peut être téléchargé non seulement à partir des archives de la Fondation Hall, mais aussi à partir du site web de la CIA. Il serait curieux de croiser les deux textes.

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Mais revenons à Hans Jonas, l'élève du plus grand représentant de l'existentialisme ontologique et phénoménologique, Martin Heidegger.

Le "négationnisme" gnostique

Jonas écrit: "La théologie du gnosticisme est fondée sur un dualisme particulier appelé anticosmisme, ce qui signifie que les gnostiques étaient des négateurs du monde physique. Ils croyaient que la matière et le divin étaient antithétiques l'un de l'autre, et que la vraie spiritualité ne consistait pas à atteindre l'harmonie avec ce monde misérable ou avec le Dieu tout aussi horrible (celui dont l'Italien Mauro Biglino parle aussi abondamment, ed.). Au contraire, la véritable spiritualité consiste à s'échapper de cette prison terrestre en réveillant la divinité transcendante qui se cache en chacun de nous et dont le Christ a parlé lors de son voyage sur terre".

Des mots de Hans Jonas, bien que cela ressemble à l'une des nombreuses conférences de Manly Palmer Hall, heureusement toujours disponibles en ligne.

Les Archontes

Les figures centrales du récit gnostique sont les "Archontes", dont les papyrus de Nag Hammadi nous donnent des informations dans la partie de l'"Hypostase des archontes" ou "Réalité des souverains", une exégèse du livre de la Genèse. Nous verrons plus en détail qui sont les Archontes et pourquoi la diffusion de leur histoire a conduit à la persécution des négateurs gnostiques par les matérialistes orthodoxes, un sujet encore d'une incroyable actualité aux yeux de certains...

Qui est Giulio Montanaro?

Polyglotte, découvreur de talents dans le monde de la musique électronique, conseiller créatif avec diverses expériences en gestion d'entreprise, chercheur indépendant et amateur de médias alternatifs, Giulio Montanaro a fait ses débuts en tant que reporter en 2000, à Padoue, au sein du groupe d'édition "Il Gazzettino".

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Le Japon selon le magazine Limes

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Le Japon selon la revue Limes

par Riccardo Rosati

Ex: https://www.barbadillo.it/76650-focus-il-giappone-secondo-il-periodico-limes-con-insofferenza-per-il-nazionalismo-al-governo/?fbclid=IwAR2iDgug2BU7isJXNpWRK6Jw5WoesNnc3BQFG5VXfbHElxcrpXjHMFlQ9y8

Une clarification et une orientation méthodologiques essentielles

Parler de Roland Barthes, c'est généralement parler de l'écriture, du texte, de la signification, et plus encore du sens. La question plus que légitime serait de savoir pourquoi cette référence au grand linguiste et homme de lettres français est faite dans une analyse de la monographie que le célèbre magazine géopolitique Limes a consacré au Japon en février dernier. À première vue, on pourrait penser à une référence au merveilleux texte que Barthes a adressé à ce pays, intitulé L'Empire des signes (1970), mais ce n'est pas le cas. La raison qui nous a poussés à commencer ces réflexions en parlant de l'écriture elle-même réside dans le fait que même un champ d'investigation et de recherche comme la géopolitique change de perspective, tout en révélant son identité, en fonction du lexique utilisé et de la manière dont les phrases sont formées. La première, qui est celle du Limes, tend à ne pas être hostile au global et au progrès d'une matrice technocratique; la seconde, suivie par moi-même, est au contraire encadrée par une position traditionaliste, pour laquelle, reprenant un concept cher au célèbre géopolitologue allemand Karl Haushofer (1869-1946), les nations sont toujours et avant tout: "le sang et le sol". 

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Nous avons ressenti le besoin de faire une telle introduction, car si, pour le volume que nous allons analyser, il nous arrive d'être en désaccord avec certaines des positions qui y sont exprimées, dans la plupart des cas, ce ne sera pas à cause de la qualité intrinsèque des articles individuels, qui sont pour la plupart d'un bon niveau, mais presque exclusivement à cause d'une distance méthodologique et intellectuelle insoluble. 

La contribution la plus intéressante du numéro de Limes est intitulée : La révolution japonaise, et se trouve probablement dans l'éditorial lui-même (7-29), dans son examen articulé qui ne se limite pas à anticiper synthétiquement, comme cela arrive souvent dans des écrits de ce genre, les thèmes abordés ensuite par les différents articles, mais se concentre à proposer, même avec une certaine conviction, la perspective que Limes a sur la situation politique actuelle de l'Archipel. Il n'y a pas d'objection à cela, si ce n'est l'absence de signature de la personne qui a écrit cet éditorial ; un défaut, à notre humble avis, qui dénote une vocation d'écriture plus journalistique qu'académique. Moins "neutre", en revanche, est la compréhension schématique et partielle du Premier ministre japonais Abe Shinzō, qui apparaît comme une sorte de "refrain" dans les différentes contributions, mais uniquement dans celles signées par des Italiens. Néanmoins, malgré l'intolérance habituelle de la gauche italienne envers les soi-disant "hommes forts" aux penchants nationalistes, l'honnêteté intellectuelle nous oblige à reconnaître une part de vérité dans le jugement suivant sur la politique du Premier ministre japonais: "Jouer la carte de l'accord entre les démocraties libérales à des fins de propagande [...]" (18-20). 

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Le Japon est un monde à part, comme le savent les spécialistes, et un aspect important de ce numéro est précisément l'utilisation des réflexions de divers chercheurs et professeurs japonais, afin d'offrir une perspective interne sur les changements en cours au Soleil Levant. Plus d'une de ces contributions traite de la manière dont l'Empire japonais a étendu son influence pendant des années brèves mais décisives, en essayant en vain d'ériger la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, jusqu'à son effondrement en 1945, lorsque les États-Unis, afin d'éviter une invasion directe du Japon, l'ont contraint à se rendre par un double bombardement atomique, criminel selon nous. Pour la première fois dans son histoire légendaire, l'Empire du Soleil est soumis au joug étranger, asservi à ceux que l'on appelle les "yeux bleus" (aoime), c'est-à-dire les Occidentaux. 

Depuis son formidable redressement d'après-guerre, le Japon est synonyme, pour le reste du monde, d'avant-garde technologique, de locomotive industrielle internationale et de puissance financière et commerciale qui, dans les années 1980, semblait sur le point de dépasser même les États-Unis, dont ce pays asiatique complexe a été pendant des années une sorte de "serviteur géopolitique", agissant comme un porte-avions naturel, gardant l'océan Pacifique. La Seconde Guerre mondiale a fait du Japon un cas rare de coexistence d'une puissance économique et d'une minorité politique. 

Bien que réduit à l'état de vassal des États-Unis, le Soleil Levant a su préserver son caractère, rester fidèle à sa mission patriotique supérieure en s'adaptant, par la force et non par le choix, et il faut toujours le garder à l'esprit, aux contraintes imposées par l'allié gênant.  Néanmoins, cette grande nation a vécu jusqu'à aujourd'hui, changeant de peau mais certainement pas d'âme. Et pourtant, comme le souligne à juste titre l'éditorial, le "problème américain" existe toujours, ou plutôt est encore plus grand que par le passé, pour le Japon, dans sa nécessité, qui n'est guère facile: "Mais les réalistes de tonalité modérée - faisons abstraction des nombreux pacifistes et autres idéalistes - tendent à constater que la contrainte américaine subie reste pour l'instant indispensable face à la résurgence de la puissance chinoise, à l'hypothèque nucléaire nord-coréenne [...]" (15).

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Deux écrits particulièrement intéressants

Comme mentionné, en général, toutes les contributions de la revue sont au moins intéressantes. Pour des raisons compréhensibles d'espace, nous nous attarderons ci-dessous sur ceux qui ont le plus retenu notre attention. 

Nous aimerions tout d'abord mentionner l'article de Dario Fabbri, intitulé : L'importanza di essere Giappone (33-45), qui est essentiellement un "écho" de ce qui a déjà été dit dans l'éditorial, mais dans lequel nous trouvons quelques indications valables sur la formidable capacité de résistance et d'innovation de l'Archipel et de son Peuple. 

Tōkyō réintègre la dimension géopolitique, sous le signe d'un ancien adage japonais : Keizoku wa chikara nari (継続は力なり, "Continuer, c'est pouvoir"). En fait, il n'y a aucun autre pays qui ait changé aussi radicalement, aussi rapidement et avec des effets aussi extrêmes au cours des deux derniers siècles que le Japon. D'un archipel isolé à une puissance coloniale en moins de trente ans ; d'une nation, bien que seulement formellement, historiquement vassale de la Chine, à un hégémon asiatique ; d'un ennemi juré des Américains à leur allié, tout en s'imposant comme l'avant-garde technologique de la planète. Des bouleversements effrayants qui auraient désintégré n'importe quelle communauté, démembré n'importe quel peuple, mais certainement pas les Japonais, telles sont les observations correctes de l'auteur.

Après tout, malgré l'ascension fulgurante du géant chinois au cours des quinze dernières années, le Japon reste la troisième économie mondiale. De même, la modernité obligatoire qui s'est emparée d'elle depuis la Seconde Guerre mondiale a sapé divers éléments: la langue, les coutumes et même le régime alimentaire, mais certainement pas sa véritable identité ethnique. En outre, au Pays du Soleil Levant, la confiance absolue dans la hiérarchie reste inchangée, ce qui a permis à la nation de se survivre et d'être essentiellement la culture unique qu'elle est. Un pays que l'on pourrait se risquer à résumer par un double axiome : la solidité en a fait un sujet ethnique incontournable ; tant de substance empêche ponctuellement sa compréhension à l'extérieur. 

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Le document de Fabbri, non pas en termes de style, mais en termes de contenu, nous trouve substantiellement en accord, sauf que la perspective que nous avons mentionnée au début nous oblige à reconnaître une erreur, et nous espérons qu'on nous pardonnera d'être draconien, ce qui est capital. C'est-à-dire définir le Japon comme une "thalassocratie" (33). Techniquement, une telle affirmation est correcte, mais seulement si l'on conçoit la géopolitique comme un réseau d'interactions économico-politiques; selon un point de vue moderne, donc dépourvu de la compréhension de l'essence spirituelle qui connote les lieux habités par les peuples, surtout dans le cas du Japon, puisque, comme l'explique encore Haushofer dans son texte extraordinaire: Il Giappone costruisce il suo impero (Parma, All'insegna Del Veltro, 1999), le Soleil Levant s'est effectivement déplacé dans la période de son expansionnisme en Asie à travers le vecteur maritime, mais pas du tout poussé par les vils objectifs mercantiles qui ont caractérisé d'abord l'Empire britannique et ensuite les Etats-Unis. Le Japon impérial était "en forme" une thalassocratie, mais dans la réalité historique, il s'est comporté comme une "tellurocratie". Ces différences de perspective peuvent sembler anodines, mais elles ne le sont pas ; au contraire, on mesure ici deux visions du monde absolument irréconciliables. 

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Fabbri a également édité une conversation très intéressante avec Tōmatsu Haruo (47-52), historien de la stratégie et doyen de la faculté des relations internationales de l'Académie de défense nationale (防衛大学校, Bōei Daigakkō) à Yokosuka. Nous considérons cette contribution comme la plus précieuse parmi celles incluses dans ce numéro de Limes. En effet, la précieuse perspicacité de Tōmatsu, notamment dans sa réflexion aiguë sur le dualisme entre Armée et Marine dans les hiérarchies militaires japonaises (48), constamment développé à partir de la restauration Meiji (1868), est une donnée historique cruciale pour la compréhension de la première période Shōwa (1926-1945) et que nous avons rarement eu la chance de retrouver dans les études des noms blasonnés - plus pour la gloire que pour la valeur tangible - de la yamatologie contemporaine. Cette rivalité acharnée entre l'armée et la marine s'accentue avec l'implication directe du Soleil Levant dans les affaires chinoises, faisant que la première, c'est-à-dire l'armée, gagne de plus en plus de poids politique, jusqu'à s'imposer comme le pouvoir du gouvernement proprement dit, inaugurant ce que les spécialistes ont l'habitude d'appeler le militarisme japonais, également défini comme: "Vallée sombre" (黒い谷, "Kuroi Tani").

Tōmatsu fait référence à un changement en cours au Japon, empreint de malaise, qu'il décrit comme: "Une phase délicate de suspension, en attente de devenir autre chose". D'un côté, il y a les bureaucrates, en charge de la politique étrangère depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui ont perdu toute sensibilité stratégique parce qu'ils sont habitués à compter sur les États-Unis. [Enfin, il y a des amiraux et des généraux, nostalgiques de l'empire, qui voudraient inaugurer une nouvelle saison expansionniste, sans envisager les graves conséquences que cela entraînerait. Le résultat est un pays qui oscille entre un nihilisme indolent et une agressivité réprimée [...]". (47). En répondant précisément à chacune des questions que Fabbri lui pose, l'érudit japonais offre de nombreuses pistes de réflexion non seulement sur le positionnement politique et stratégique actuel de son pays, mais surtout en le reliant à l'histoire récente de l'Archipel. Pour cette raison, nous considérons cet entretien comme un élément bibliographique qui devrait être constamment présent dans les futures études géopolitiques sur le Japon. 

Autres écrits plus utiles

Il y a cependant d'autres écrits d'un intérêt certain inclus dans ce volume. Par exemple, celle de Nishio Takashi: Long live the todōfuken (53-59), dans laquelle il aborde la question de savoir comment les préfectures du pays ne sont plus aujourd'hui de simples unités administratives, mais des "entités écologiques", linguistiques et culturelles, capables même de façonner l'identité individuelle des citoyens. 

Nishio explique comment, dans le système de gouvernance japonais actuel (un mot mal aimé, à juste titre, par le courant géopolitique traditionnel), le système des autonomies locales (todōfuken) est le plus ancien et le plus consolidé. On dénombre pas moins de 47 todōfuken dans l'archipel, dont les noms et les limites sont restés quasiment inchangés depuis la restauration Meiji. Cependant, si ces unités d'autonomie locale semblent être restées inchangées, leurs caractéristiques politiques et sociales ont, au contraire, changé de façon spectaculaire depuis l'établissement de l'État centralisé de la période Meiji. 

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Le thème est traité dans l'article intitulé The Demographic Crisis and a New Meiji Restoration (73-78) de Stephen R. Nagy et est d'une actualité brûlante. Il y aborde la question du vieillissement très rapide de la population au Japon, une situation qui crée d'énormes problèmes sociaux et, surtout, économiques. Résoudre ce problème, même si une véritable solution ne semble pas avoir été trouvée par les dirigeants du pays, est d'une importance vitale. Par exemple, on tente de "remplacer" les gens par des robots - l'automate a toujours été un élément de grande fascination dans cette culture - pour certains emplois sociaux, bien que cela semble un remède plus proche de la science-fiction que de la vie réelle. 

L'urgence démographique a incité le Parlement à adopter des politiques économiques, sécuritaires, migratoires et culturelles qui promettent de changer le visage du pays, même si dans le cœur des Japonais, à chaque grand changement, ils espèrent rester les mêmes. 

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Un thème que très peu de gens connaissent, et que presque aucun japonologue italien n'est coupable d'aborder, est celui que l'on trouve dans l'article de Ian Neary : Burakumin, the last ones will remain last (83-87), où il raconte la discrimination à l'égard des membres de la caste des exclus (en particulier les descendants des tanneurs de cuir), une forme de "racisme interne" qui révèle l'obsession toute japonaise de la pureté du sang. En fait, il existe même au Japon des agences d'enquête spéciales qui recherchent le passé des gens pour empêcher les mariages "mixtes". Toutefois, il convient de mentionner qu'en décembre 2016, la Diète (le Parlement japonais) a adopté une loi visant à promouvoir l'élimination de la discrimination à l'égard des burakumin (un terme que l'on peut traduire par "gens du village" ou "gens du canton"). C'est la première fois qu'un texte législatif fait référence à la ghettoïsation des communautés buraku. 

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Peu de pays ont lié leur histoire nationale à celle de leur marine autant que le Japon au cours des deux cents dernières années, comme nous le raconte Alberto de Sanctis dans son article : La rinascita della flotta nipponica nel nome delle antiche glorie (97-105). Au cours des quelques décennies entre les XIXe et XXe siècles, la flotte de combat japonaise (海軍, kaigun) a connu une croissance rapide et exponentielle qui lui a permis de jouer un rôle crucial dans l'histoire de l'Asie. Pendant des décennies, symbole incontesté du pouvoir impérial, la marine japonaise a contribué à faire du pays l'une des plus grandes puissances militaires de la première moitié du XXe siècle. 

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Il était bien sûr inévitable que la question de l'abdication prochaine du roi Akihito, prévue en 2019, soit abordée. Hosaka Yuji le fait dans : Le visage humain de l'empereur (121-125). Cet événement rappelle, bien qu'à distance, l'abdication du pape Benoît XVI le 28 février 2013, et fait prendre conscience au monde entier de la fragilité embarrassante, pour les Japonais, d'un souverain que, malgré les événements constitutionnels de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup dans l'Archipel n'ont jamais cessé de considérer comme divin. De plus, étant donné que le système actuel de l'empereur-symbole n'envisage pas un tel cas, la population japonaise a réagi avec une grande consternation à la décision de l'empereur (Tennō) d'abandonner essentiellement son rôle pour des problèmes personnels, comme si la nature humaine et divine de Tennō pouvait être séparée.

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Enfin, si nous pensons à l'évolution du scénario politique de l'Extrême-Orient, il est très utile d'avoir abordé l'occupation japonaise (de 1910 à 1945) de la péninsule coréenne ; un épisode colonial qui a vu les Japonais commettre parfois de véritables crimes, notamment le phénomène des femmes dites de réconfort : de jeunes Coréennes contraintes de satisfaire les besoins sexuels de l'armée impériale. Une blessure, comme le raconte Antonio Fiori dans son article: Le détroit de Corée est toujours plus large (227-234), qui continue de peser sur les relations entre Tōkyō et la Corée du Sud, tandis qu'à l'opposé, l'enlèvement jamais élucidé de citoyens japonais par des agents de Pyongyang crée toujours des tensions. À cet égard, en Occident également, le cas de Yokota Megumi, qui a été enlevée par des agents infiltrés par la Corée du Nord, en novembre 1977, et n'est jamais rentrée chez elle, a fait la une des journaux. A ce sujet, le texte du journaliste Antonio Moscatello a été récemment publié : MEGUMI. Histoires d'enlèvements et d'espions de Corée du Nord (Naples, Rogiosi, 2017).

Le Japon ne fait pas de révolution, mais renaît !

41voLvOoGlL._SX306_BO1,204,203,200_.jpgEn résumé, nous pouvons constater qu'il y a de nombreuses cartes et graphiques dans cet intéressant numéro de Limes, comme pour réitérer la primauté de la géographie sur la philosophie politique si chère à Haushofer lui-même. Ce n'est pas pour rien qu'il est à l'origine de la création de l'école géopolitique japonaise, qui a fortement orienté les choix du gouvernement pendant la période du militarisme. Certains des principes fondateurs du Nippon Chiseigaku (chi/terre [地], sei/politique [政], gaku/étude [学]) visaient à dénoncer la "brutalité des Blancs", dont Julius Evola fut le premier à parler dans son article, comme toujours prophétique: Oracca all'Asia. Il tramonto dell'Oriente (initialement publié dans Il Nazionale, II, 41, 8 octobre 1950 et maintenant inclus dans Julius Evola, Fascismo Giappone Zen. Scritti sull'Oriente 1927 - 1975, Riccardo Rosati [ed.], Rome, Pages, 2016). Pour les Japonais, leur expansion imparable en Asie était une "guerre de libération de la domination coloniale blanche" (23). Et, comme le rapporte à juste titre l'Editorial cité ici, l'apport de la pensée de Haushofer a été d'une énorme importance dans la structuration d'une haute idée de l'impérialisme japonais: "Le pan-continentalisme de l'école haushoferienne a contribué à structurer le projet de la Grande Asie orientale [...]" (26).

Le " Japon profond " dont on parle parfois n'est pas aussi connu qu'on le croit. Elle a été, et est encore, un noyau, essentiellement familier, au sommet duquel se dresse la figure du Souverain. L'américanisme de l'après-guerre a affaibli cette structure sociale exceptionnelle, exclusivement japonaise. Ce phénomène dissuasif de colonisation culturelle a été partiellement stoppé par la tragédie naturelle qui a frappé la région du Tōhoku le 11 mars 2011. Cet événement malheureux a cependant permis la renaissance du kizuna (絆, "lien"), recompactant toute une nation, alors hébétée par une aliénation de l'individu qui a atteint son apogée avec le phénomène des Hikikomori (引き篭り, littéralement: "ceux qui restent entre eux"), les jeunes qui s'enferment chez eux pendant des années, vivant une réalité faite uniquement d'Internet et de télévision, refusant tout contact direct avec les autres (à ce sujet, nous vous recommandons la série animée intelligente: Welcome to the N. H.K. [24 épisodes, 2006], réalisé par Yamamoto Yūsuke).

nhk-ni-youkoso_t33581_18.jpgAujourd'hui, c'est un devoir pour un japonologue qui n'est pas esclave du globalisme de parler d'un Japon très différent, peut-être même meilleur et plus fort que celui que nous aimions quand nous étions enfants, puisqu'il est redevenu un Pays/Peuple, ce dont nous, Italiens, ne parvenons jamais à comprendre l'importance. 

L'éditorial du Limes se termine par une sorte de provocation: "Parmi les survivances des anciennes gloires, le bushidō ne semble pas briller. Pour la tristesse, nous l'imaginons, des esprits samouraïs" (29); presque comme si nous voulions nous moquer de manière incompréhensible de l'héritage politique et moral du grand Mishima Yukio, encourageant ainsi ce "Japon perdant", auquel nous avons consacré il y a quelques années un volume spécialisé agile (voir Riccardo Rosati, Perdendo il Giappone, Roma, Armando Editore, 2005).  Nous ne pouvons certainement pas nous réjouir de cette position, car elle révèle précisément cette méconnaissance déjà stigmatisée du " Japon profond ". 

Il est nécessaire de réaliser que ce que certains dirigeants conservateurs de l'Archipel, comme Ozawa Ichirō, voulaient et veulent encore aujourd'hui, c'est un retour à un "Japon normal" (22). En effet, un message, pas trop voilé, que l'on peut voir courir sous la surface de cette publication, est que le "révisionnisme historique" au Japon a des racines vigoureuses et que l'Occident atlantiste, qui est un point de référence pour un magazine comme Limes, ne le voit pas d'un bon œil. Encore une fois, bien que nous soyons loin de ces positions, nous ne pouvons pas nier l'exactitude des données ; il suffit de rappeler une figure telle que l'homme politique et écrivain Ishihara Shintarō, qui était aussi un ami de Mishima, qui a toujours soutenu que le Massacre ou le Viol de Nankin, perpétré pendant les six semaines qui ont suivi l'occupation de la ville par les troupes japonaises en décembre 1937, n'était que le résultat de la propagande du gouvernement de Pékin.

L'éditorial confirme également que quelque chose est en train de renaître au Soleil Levant, qui fera peut-être reculer les mains de l'histoire: "D'où le caractère unique de la nation japonaise, qui change tout en restant elle-même. Capable de voir sans être vu. Offrir au "barbare" le visage commode (tatemae), pour lui-même garder la pensée intime, authentique (hon'ne). Garder l'harmonie (wa), le bien suprême" (8). Ceci dit, pour rappeler combien le lexique est aussi un élément géopolitique, nous pensons que le titre même de ce livre est conceptuellement incorrect, étant donné qu'associer ce pays au mot "révolution" est mystifiant, puisqu'il l'a toujours abhorré, voir la Restauration (ou Renouveau) Meiji de 1868. D'ailleurs, l'un des plus grands spécialistes du Japon au siècle dernier, l'Italien Fosco Maraini, ne pensait pas différemment de nous: "Le cas japonais est extraordinairement intéressant en ce qu'il offre un exemple classique d'imperméabilité obstinée aux interprétations marxistes, de transparence lumineuse aux interprétations wébériennes" (Fosco Maraini, Ore giapponesi, Milan, Corbaccio, 2000, p. 13).

* Merci à la collègue orientaliste Annarita Mavelli pour ses suggestions et sa révision du texte.

@barbadilloit
Riccardo Rosati

La philosophie de l'histoire de Spengler

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La philosophie de l'histoire de Spengler

Rudolf Jičín

Ex: https://deliandiver.org/2007/10/spenglerova-filosofie-dejin.html

La conception spenglérienne de l'histoire en tant que développement de cultures humaines individuelles est basée sur Kant. Le monde n'est pas une chose en soi, c'est un phénomène. Si quelque chose, n'importe quoi, doit exister pour nous, il doit entrer dans notre conscience et ainsi prendre ses formes. Ce qu'elle est sur et pour elle-même est indétectable pour nous. Notre monde, ou le monde, n'est donc rien en soi, mais c'est la totalité de ce qui nous apparaît et de ce que nous apportons à ces phénomènes de l'intérieur, c'est notre connaissance. Le monde et la connaissance, si nous comprenons le terme "connaissance" de manière assez large, sont la même chose.

La connaissance se produit dans certaines formes de sensibilité et de raison a priori qui nous sont données et auxquelles nous ne pouvons échapper. Notre monde prend donc nécessairement, du point de vue de la sensibilité, la forme de l'espace et du temps en particulier, et du point de vue de la raison, la forme de la compréhension causale des phénomènes. Pour le Kant à la pensée anhistorique, ces formes sont identiques pour tous les sujets humains de tous les temps et de tous les types. Ce n'est pas le cas du philosophe de l'histoire Spengler. Les formes sensibles et rationnelles sont identiques à certains égards, mais elles diffèrent aussi toujours à certains égards. Spengler suit ici Nietzsche et Chamberlain, mais nous trouvons l'idée dans sa forme fondamentale chez Leibniz. Il n'y a pas d'identité dans la nature, seulement de la similitude. Aucun sujet (monade) ne peut être absolument identique à un autre et, par conséquent, leurs formes cognitives doivent différer. Il n'y a pas un seul type de sujet humain qui évolue vers le haut quelque part et qui est constamment "perfectionné", peut-être comme le design d'une voiture ou d'un avion, mais différents sujets de différents types de personnes qui ont émergé historiquement, créant leur monde spécifique de formes, leur cognition et leur culture. Il n'y a donc pas un seul "monde", un "monde entièrement humain", mais de nombreux mondes, c'est-à-dire des mondes bien spécifiques et différents les uns des autres, bien que toujours similaires à certains égards, des mondes de sujets différents. La connaissance n'est pas une évolution de la raison "humaine". Cette raison prétendument universelle, la raison en tant que telle, n'est qu'une projection de notre raison spécifique dans l'histoire de la connaissance.

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La division de la connaissance entre sensible et rationnel est en grande partie un schéma artificiel. Nous savons déjà, depuis Berkeley, que toute perception sensorielle s'accompagne d'une activité de la raison. Par exemple, l'identification d'un objet présuppose la participation de la mémoire et la capacité de généraliser. Goethe, auquel Spengler se réfère souvent comme source principale pour sa philosophie de l'histoire, divise différemment le monde du sujet, à savoir en "ce qui arrive" et "ce qui est arrivé". La vie est un flux d'événements. La raison interprète cet événement en le traduisant en formes généralisées de concepts et d'idées. "Ce qui s'est passé" peut alors être compris comme une connaissance dans un sens plus étroit.

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Ce qui est vrai du sujet individuel l'est aussi des sujets collectifs. Leur vie passée, leur histoire, est également un flux, ou plutôt un ensemble de nombreux flux, quelque chose qui se passe, en cours, un "happening" - mais avant, pas aujourd'hui. D'autre part, l'historiographie, la description et l'interprétation de cet événement, ne peut que témoigner de "ce qui s'est passé", c'est-à-dire qu'elle pétrifie cet "événement" antérieur, le transforme sous la forme de concepts et d'énoncés périmés, "sans événement". La présence du "happening", la présence passée, ne peut être saisie que sous forme de pensée, c'est-à-dire sous forme de "devenir". L'histoire telle qu'elle s'est passée, l'histoire "réelle", est donc différente de l'historiographie, un traité sur l'histoire. L'historiographie est toujours le point de vue d'un sujet particulier ou d'un ensemble de sujets, c'est-à-dire de personnes pensantes d'un type culturel particulier et d'une époque particulière. Elle est déterminée à la fois par la gnoséologie, car le "se produire" est toujours différent du "devenir", et par la diversité des sujets, de leurs formes cognitives et de leurs mondes. "Chaque époque a sa propre histoire du passé... Chaque époque imagine le passé selon elle-même", dit Feuerbach.

Dans le "happening", dans l'histoire, le facteur déterminant n'est donc pas la raison, mais quelque chose qui la dépasse, ce qu'on peut appeler l'essence, la nature, le caractère, l'âme d'un certain type d'homme, ou dans la manifestation de l'homme sa volonté. Ici, Schopenhauer a eu un effet sur Spengler. Dans l'histoire, comme dans la vie de l'individu, la raison joue un rôle servile ; elle n'exécute que ce qui lui est donné par l'âme, ce que la volonté veut, et cherche divers moyens de le réaliser. C'est pourquoi nous ne trouvons pas dans l'histoire un seul courant d'art, de science, de religion, de philosophie, mais leurs différents styles selon les types respectifs d'âmes humaines. Si la raison était déterminante, tous les hommes seraient essentiellement les mêmes, seraient des "rationalistes" et agiraient pour des raisons "rationnelles". Mais il y a toujours autre chose derrière la rationalité, à savoir ce qui est poursuivi rationnellement, et cela est inexplicable par la seule rationalité. Les anciens Égyptiens ont construit les pyramides de manière rationnelle, mais la raison pour laquelle ils les ont construites ne peut être comprise à partir de la seule rationalité. La chose primordiale est la volonté, le fait qu'ils aient voulu quelque chose, et cette volonté est l'expression de leur caractère spécifique, de leur nature, de leur âme.

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Si l'histoire avait été gouvernée par la raison, c'est-à-dire, en fait, la raison telle que nous l'imaginons aujourd'hui, car nous sommes incapables de comprendre par ce terme autre chose que ce que nous donne notre conception de la vie et notre nature, à savoir la raison utilitaire, alors les hommes qui nous ont précédés ont dû être les mêmes "rationalistes" que nous, mais avec moins de connaissances et peut-être une pensée moins développée. Mais alors il leur serait impossible, par exemple, de construire des maisons gothiques ou baroques avec des décorations irrationnelles et des formes complexes complètement inutiles, dysfonctionnelles et inutiles, mais ils devraient consacrer tous leurs efforts, comme nous, à des questions d'hygiène, de confort et de "goût".

L'histoire ne confirme pas notre rationalisme. Ils ne confirment pas une quelconque "évolution de l'homme", d'une sorte de singe à l'homme préhistorique, puis de l'antiquité à nous en passant par le Moyen Âge. L'homme d'un âge plus récent ne peut pas être dérivé de manière causale de l'homme d'un âge plus ancien. Si l'évolution de l'homme, de sa raison et donc aussi de sa création devait se faire, disons, à partir des anciens Égyptiens comme l'imaginent les "rationalistes" d'aujourd'hui, les Grecs auraient dû construire des pyramides encore plus hautes que les Égyptiens, et aujourd'hui nous devrions les construire à au moins 5 km de hauteur. Ce serait un développement "logique". Il ne serait pas non plus difficile de nous insérer à l'endroit approprié dans la série d'images panoptiques des anthropologues, en commençant par une sorte d'"homme-singe", qui est censé être un enfant de la fin du Tertiaire, mais qui est en fait tout à fait contemporain, un orang-outan cosmétiquement modifié, et se terminant par l'apparence tout aussi humoristique d'un "intellectuel" du trentième siècle, doté d'un énorme front super haut, d'une petite bouche, d'un minuscule menton et peut-être d'une couleur de visage universelle, apparemment un mélange de blanc, de jaune et de noir. Mais, par exemple, les types d'hommes anciens et germaniques, sans parler des Chinois et autres, ne présentent pas de différences qui permettraient de les placer dans une telle série, et les Grecs ont commencé à construire des temples antiques au lieu de pyramides, et les Allemands des cathédrales gothiques. L'art grec n'est pas une continuation de l'art des civilisations antérieures, et encore moins de la préhistoire. Et comment expliquer, par exemple, l'extinction de la pensée grecque et la montée du christianisme ? Peut-être le "progrès de la raison" ou peut-être un "changement dans les relations de production"?

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Expliquer l'histoire de l'humanité comme un enchaînement logique de causes et d'effets est inutile, car nous la soumettons toujours à un expédient, non pas objectif, car nous n'en connaissons pas, mais taillé à la mesure de nos idées présentes. De même que les images des anthropologues mentionnées ci-dessus découlent de leur idée subjective que l'homme devient de plus en plus intelligent par l'évolution, c'est-à-dire de l'idée que l'histoire de l'homme et peut-être même de l'univers poursuit comme but la création d'êtres toujours plus "intelligents", de même les idées des optimistes de la science et de la technologie découlent d'une conception subjective de la finalité du monde comme un quantum toujours croissant de découvertes, de vérités et de produits matériels. Ainsi, nous ne pourrons jamais expliquer d'où viennent les nouvelles races, les nouveaux peuples dotés d'aptitudes bien spécifiques, d'aptitudes bien particulières, jusqu'alors inédites. Peut-on les déduire de la précédente "histoire de l'humanité" comme étant les résultats de certaines causes ? D'où venaient ces Hellènes, par exemple ? Comment pouvons-nous les déduire ? D'où ? Ou, d'un autre côté, imaginons que seuls les Chinois vivent sur cette planète. Une culture et une civilisation de notre type actuel naîtraient-elles jamais dans le monde ? Y aurait-il une musique, une peinture, une technologie européennes ? Est-il concevable que les Chinois seraient parvenus à ces formes s'ils avaient eu 5000 ans de plus ? Et pourquoi, en fait, n'y sont-ils pas parvenus depuis longtemps ? Seul Spengler peut répondre à cette question : la volonté chinoise était dirigée dans une autre direction, poursuivait d'autres objectifs, posait d'autres questions. Son âme était différente.

imoswwages.jpgL'homme n'est pas un produit de son environnement, il n'est pas créé par des influences extérieures. Par conséquent, il ne peut être expliqué de manière causale. Däniken suggère que les tours des temples gothiques ressemblent à des fusées et sont donc le souvenir d'une visite d'"extraterrestres". Ce qui est intéressant, ce n'est pas tant la comparaison elle-même que la manière dont Däniken y est parvenu. Cette approche typiquement mécaniste et complètement erronée de l'explication des événements historiques n'est malheureusement pas l'apanage du "peu sérieux" Däniken d'aujourd'hui. La culture ne naît pas du fait que quelqu'un entend ou voit quelque chose quelque part, puis l'imite ou s'en souvient. La culture ne vient pas à l'homme de l'extérieur, mais découle de lui comme une expression de son moi intérieur, de son âme. Däniken a raison de dire qu'il existe une similitude de forme entre un clocher d'église et une fusée. Mais s'il y a une raison à cela, nous ne pouvons pas la chercher causalement dans une certaine continuité des idées sensorielles, mais dans la similitude des âmes et de leurs désirs. Selon Spengler, la caractéristique essentielle de l'homme d'Europe occidentale est l'aspiration à la distance, l'élan vers l'avant et vers le haut, le désir de l'infini. Et c'est ce désir qui s'exprime à la fois dans la tour gothique et dans la fusée. Dans le premier cas, il s'agit de l'expression de la nostalgie de Dieu dans les cieux, dans le second de la pénétration des espaces infinis de l'univers. Les deux sont des expressions du même type d'homme, de la même âme, seulement à des périodes différentes de son développement : dans le premier cas, au début de la culture, à l'âge du mythe et de la vraie religion ; dans le second, à la fin, dans sa période de civilisation, caractérisée par le rationalisme, la science et la technologie.

L'histoire n'est pas un mystère technique, mais un mystère métaphysique. Rien de substantiel ne peut être expliqué en répondant à la question de l'artisan qui a posé des pierres les unes sur les autres. En effet, à l'origine, il n'y avait pas ces pierres et l'idée rationaliste qu'elles pouvaient être posées les unes sur les autres jusqu'à former une pyramide, mais - de façon tout à fait platonicienne - l'idée de la pyramide, le produit mystérieux d'une âme humaine spécifique et de ses étranges désirs, et ce n'est qu'ensuite que cette idée a cherché les moyens et les méthodes pour sa réalisation. Le développement de la pensée technique ne nous apprend pas grand-chose sur l'histoire de l'homme, car cette pensée n'est pas primaire et essentielle, mais secondaire, déjà une manifestation, une réalisation de quelque chose d'autre. Il faut avant tout s'intéresser aux sentiments de l'homme qui a réalisé certaines créations techniques, et ensuite seulement aux moyens et méthodes par lesquels il les a réalisées. Ce sentiment, la vision de la vie et du monde au sens large, est le véritable mystère primaire à résoudre, et non pas quelques problèmes de leviers et de poulies, de moyens de production, de forces et de relations. L'interprétation matérialiste, quelle qu'elle soit, entre toujours en conflit avec les faits fondamentaux de l'histoire et n'explique jamais rien, car elle pose des questions de manière mécaniste. L'homme tel que nous le connaissons dans l'histoire n'est pas un simple "améliorateur". S'il l'était, l'histoire devrait être un peu différente.

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Tout comme des peuples et des cultures spécifiques émergent soudainement dans l'histoire, les personnalités font de même. Les explications causales ne peuvent pas non plus être appliquées ici. Il n'est jamais arrivé auparavant que le génie engendre le génie. Les enfants de génies sont médiocres. Il s'ensuit que les génies sont nés de médiocrités, et donc que leur émergence est inexplicable par le raisonnement génétique. Un génie n'est pas le résultat de l'empilement des gènes de ses parents. La causalité, l'enchaînement des causes et des effets matériels, n'est d'aucune utilité ici, et même si nous supposons qu'elle existe "objectivement", elle ne nous dit rien dans ce cas car elle est indétectable. Cependant, la causalité n'a rien d'objectif. Nous savons, grâce à Kant, qu'il ne s'agit que de notre façon de penser, rien qui soit extérieur à nous, quelque part dans le monde "objectif". C'est juste la méthode de notre raison pour expliquer les événements tels qu'ils nous sont donnés par nos sens.

Et toute autre explication de tout développement, en particulier de l'histoire humaine, est aussi absurde que les explications génétiques causales des caractéristiques individuelles. Il y a aussi des génies : des nations, des tribus géniales. Et leur existence, avec leurs caractéristiques spécifiques, leurs capacités, et aussi toujours avec des limitations très spécifiques, ne peut être comprise par une quelconque compilation de connexions causales. Ainsi, la causalité et toutes les sciences fondées sur elle ne conviennent qu'aux cas ordinaires, et non aux cas exceptionnels. Plus un phénomène est courant, plus il est causal ; plus il est exceptionnel, plus il défie la causalité et la logique. Mais ce sont les cas exceptionnels qui sont importants et décisifs pour l'histoire de l'humanité. Ce qui est commun, ordinaire, médiocre est en dehors de l'histoire, car le développement historique ne peut naître de rien de tel. S'il n'y avait pas d'exceptions, alors, bien sûr, l'histoire serait effectivement ce que les matérialistes obsédés par les explications causales "scientifiques" pensent qu'elle est : la simple accrétion de l'ordinaire, le développement constant des "forces de production". Mais nous savons que l'histoire n'est pas comme ça. L'histoire des individus, des nations, des cultures, de l'humanité ne peut être calculée.

indkpkkkex.jpgSi tout, ou du moins l'essentiel de l'histoire, se déroulait selon un lien de causalité, il n'y aurait pas de problème particulier à prédire scientifiquement l'avenir. Et en effet, une telle prédiction existe ! Il s'agit même d'une discipline scientifique particulière ! La superficialité et la banalité de la futurologie ne sont qu'une preuve supplémentaire de la folie des idées évolutionnistes matérialistes.

Puisqu'il n'y a pas de développement quantitatif continu de la raison ou de quoi que ce soit d'autre dans l'histoire, mais le développement de types humains individuels, et non pas un développement dirigé vers l'infini, mais - comme l'expérience biologique et historique élémentaire nous le dit - l'émergence, la montée, le développement, le déclin et l'extinction des types, il est impossible de parler du développement de l'humanité dans son ensemble. Nous entendons ici Nietzsche et d'autres prédécesseurs de Spengler : Chamberlain, Danilevsky. Toutes les hypothèses d'un tel développement ne sont que des spéculations de personnes qui font passer leurs idées sur les buts et les objectifs du développement historique pour des "lois objectives". Mais "l'humanité", ce n'est pas seulement eux. Il fut un temps où les gens poursuivaient des intérêts bien différents de l'utilité fonctionnelle de chaque chose, telle que nous y avons succombé, se préoccupaient de problèmes autres que l'élévation du "niveau de vie", et créaient à partir de leurs âmes spécifiques leurs mondes de phénomènes, leurs cultures et leurs civilisations. Mais ces personnes, comme tous les êtres vivants, ont fini par s'éteindre, et il n'y a aucune raison de penser que nous, avec nos images de vie, notre âme, notre culture et notre civilisation, ferons exception.

Spengler distingue, outre la Russie, qui est un cas particulier, huit cultures dites élevées dans l'histoire, à savoir la culture chinoise, indienne, babylonienne, égyptienne, antique, arabe, mexicaine et la culture actuelle de l'Europe occidentale, qu'il qualifie également de faustienne. Ces cultures sont des formes distinctes, causalement inséparables l'une de l'autre, qui ne se développent pas l'une de l'autre. Chaque culture, dans toutes ses manifestations de vie, possède ses propres caractéristiques, qui sont l'expression du type de personne qui la crée. Les cultures ne poussent pas les unes des autres comme les branches d'un arbre, mais chacune représente un arbre particulier, individuel, avec sa naissance, sa jeunesse, sa maturité, sa vieillesse, son déclin et sa mort. Cela correspond également à l'expérience historique. Il est impossible de prédire ou de déduire de manière causale quand une nouvelle culture apparaîtra et quelles seront ses formes, tout comme il est impossible de calculer la naissance d'un génie. On ne peut parler d'eux que lorsqu'ils sont là.

La méthode de compréhension du monde mort, selon Spengler, est la loi mathématique ; la méthode de compréhension des formes vivantes est l'analogie. Par conséquent, la compréhension de l'histoire humaine ne peut être abordée en recherchant des continuités causales de formes, mais seulement en les comparant les unes aux autres. Les formes individuelles ont été pour nous depuis le troisième millénaire avant J.-C. les grandes cultures. Si nous voulons lever un tant soit peu le voile du mystère, nous devons les comparer et rechercher leurs caractéristiques communes et générales. En effet, nous constatons que leur développement du début à la fin est similaire à bien des égards. La culture prend naissance lorsque le château, avec sa noblesse guerrière au pouvoir, et l'église, avec son clergé, s'élèvent au-dessus du paysage agricole. Dans la phase suivante, la ville apparaît comme l'antithèse du village et continue à prendre de l'importance. C'est là que se développent les arts et, plus tard, les sciences. Le citadin triomphe sur le noble, le marchand sur le guerrier, l'argent sur le sang. Avec la croissance des villes, la culture passe au stade de la civilisation. La dernière classe est mise en avant : le peuple. Avec elle, ses idéologies, notamment le matérialisme et le socialisme, s'installent. La victoire des masses signifie un nouveau déclin des valeurs, tout est déjà en voie d'extinction. Les petites villes deviennent les périphéries insignifiantes des villes géantes, les petits États les périphéries des grands États. Le monde est dominé par de moins en moins de grandes puissances. La démocratie dégénère en tyrannie, l'art s'éteint, toutes ses formes sont épuisées, et il ne reste que des efforts civilisateurs et matérialistes. La science et la technologie sont encore florissantes pendant un certain temps. Alors il n'y a plus rien à poursuivre, les idées qui animaient l'âme meurent. C'est la mort de la culture. Sur leurs ruines, au lieu des nations qui aspiraient à quelque chose, il reste une simple population qui veut vivre en privé, rien de plus, rien d'autre. Le sens du "nous" et le désir commun de faire quelque chose n'existent plus. C'est l'ère finale du féodalisme sans héritage et du césarisme. C'est un moment à Pékin, qui dure mille ans.

Dans Le Déclin de l'Occident, Spengler retrace en détail les analogies du développement de chaque culture séparément dans tous les aspects de la vie, en comparant leur art, leur science, leur économie, leur politique, leur état, leur philosophie, leur religion, leur droit. Notre culture, la culture de l'Europe occidentale, dit-il, se caractérise avant tout par l'aspiration aux distances, à l'infini, comme cela se manifeste au début dans sa religion, qui est une religion différente du christianisme originel du chaos des peuples du pourtour méditerranéen, et plus tard dans l'art, surtout dans la peinture de paysage avec ses horizons infinis, dans le portrait avec son regard sur les profondeurs incommensurables de l'âme humaine, et dans la musique comme un art à part entière, exprimant le plus complètement le sentiment de la vie de cet homme. Sa science et sa technique dynamiques, basées sur la catégorie de la puissance, de l'énergie, découlent également de ce sentiment. Notre culture commence aux alentours de l'an 1000, atteint son apogée artistique à l'époque baroque, passe au stade de la civilisation au début du 19ème siècle, et s'approche maintenant de sa fin. Par analogie avec d'autres cultures, Spengler estime la durée de cette culture à environ mille ans.

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Selon Spengler, toutes les visions optimistes, qu'elles soient marxistes à propos d'un paradis communiste, professorales à propos d'une humanité toujours cultivée qui se dirige en progrès constant vers les normes de justice et de liberté, ou technocratiques à propos de la transformation de l'homme dans la société "post-industrielle" de surabondance qui s'approche, doivent être incluses parmi les anecdotes, car elles méconnaissent l'homme et créent encore des illusions sur lui et sur l'histoire. Le monde humain et le monde de chaque communauté humaine, tout comme le monde de chaque individu, ne sont pas régis par la raison, la morale ou l'économie, mais par la volonté, qui est immuable et aveugle. L'homme ne peut pas changer ses désirs, ses passions et ses instincts. C'est donc en fonction de ces passions que sont gouvernées sa raison, sa moralité et les tendances de l'économie. Si l'âme d'une culture change en son sein, c'est parce que d'autres personnes, des membres d'autres classes, des personnes à la pensée et aux sentiments quelque peu différents, accèdent au pouvoir effectif. Mais à la fin d'une culture, il n'y a pas d'autres possibilités de transformation interne. C'est, selon Spengler, notre cas.

La prédiction de Spengler était fausse à bien des égards, et à bien des égards, elle se réalise. La science et la technologie sont loin d'être épuisées. La complexité non seulement de la pensée mais aussi de la vie se poursuit, même à un rythme toujours plus rapide. Cette tendance doit-elle vraiment se terminer un jour par un effondrement ? C'est la question qui préoccupe les intellectuels. La pensée scientifique et technique ne se pose pas la question et travaille, réfutant par l'action le pronostic pessimiste de Spengler.

Si, au contraire, nous voulons accorder à Spengler le bénéfice du doute, nous pouvons tout d'abord affirmer que le progrès matériel amène la planète entière au bord de la destruction. L'air devient irrespirable, l'eau imbuvable. Pourtant, on croit généralement que la science sauvera ce qu'elle a causé. Tout "le peuple" court frénétiquement après la prospérité matérielle ; la société ne connaît plus de problèmes sérieux autres qu'économiques. La culture vit du passé, les nouveaux arts ne sont que des expositions ou de la médiocrité, le goût prime sur le style. Le grand art ne sert qu'à donner à la foule une apparence occasionnelle de solennité et de "culture". Mais son cœur est attiré par le kitsch, il l'aime et le vit profondément. Et en musique, on ne doit même plus l'appeler ainsi ! La musique pop, ce crachat sur toutes les grandes valeurs du passé, n'est plus kitsch, mais une sorte d'art. Les passions de la foule s'affirment avec une insouciance absolue. L'automobilisme dans les grandes villes pollue l'air au point que la population est en danger d'empoisonnement lent, mais personne ne doit s'opposer à cette passion populaire la plus massive et la plus destructrice. Plus les horreurs à l'horizon sont grandes, plus les préoccupations qui occupent le peuple sont triviales. L'importance de la mode, qui change à des intervalles de plus en plus courts, a énormément augmenté. Tout le monde veut voyager constamment, tout voir, tout absorber. Une grande importance est accordée au sport, comme si le résultat d'un match était un événement historique dont dépendait le sort du monde. Pourtant, en quelques jours, tout est oublié, il y a à nouveau de nouvelles sensations. La foule est toujours informée des nouvelles. Cette néophilie annule toute notion de valeur, il n'y a plus rien de durable. Les valeurs éthiques ont disparu. Des concepts comme l'amour, l'amitié, l'honneur, la fierté, la bravoure, la loyauté ont perdu leur sens profond. Il y a une surenchère pour l'avantage personnel et le "succès". Dans une société atomisée d'individus "auto-réalisateurs", personne n'est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l'ensemble. Et au-dessus de tout cela plane le spectre inquiétant de la mort atomique.

La vie devient de plus en plus artificielle et organisée. Mais alors qu'auparavant, il n'y avait que des tentatives d'organiser les masses d'en haut, aujourd'hui la foule s'organise d'ailleurs elle-même. Il a besoin d'organisation autant que d'artificialité. Il joue parfois les amoureux de la nature, mais au quotidien, il observe les vitrines des magasins pour voir les nouveautés et admirer leur "beauté". L'homme ne peut être organisé et manipulé de manière arbitraire, mais uniquement dans le sens qui convient à sa nature. Il peut y avoir des manipulateurs qui pétrissent le peuple dans leurs griffes, mais ces manipulateurs ne s'accrochent au pouvoir qu'en se pliant aux passions des masses.

Si nous pensons en termes juridiques, c'est-à-dire si nous comprenons l'homme comme capable de libre choix et responsable de ses actes, nous conclurons que la responsabilité de toutes ces tendances négatives incombe à la foule et à ses représentants qui attisent ses passions matérialistes. Ces gens, organisateurs de la foule et de ses idoles, professent eux-mêmes les passions de la foule et appartiennent donc pleinement à la foule. Il y a non seulement une foule d'ouvriers, de paysans, de commerçants et d'employés, mais aussi une foule de politiciens, d'artistes et de scientifiques, et même une foule de philosophes. Quiconque professe les passions de la foule appartient à la foule, quelle que soit sa profession ou son éducation. La foule est une question d'opinion de vie. Spengler soutient que la soif d'amusement, de félicité et d'indulgence "n'est pas le goût des grands explorateurs eux-mêmes... ni des experts en problèmes techniques." C'était peut-être encore le cas au début du XXe siècle, mais aujourd'hui, il ne fait aucun doute que la grande majorité de ces personnes sont du même acabit que la foule, professant les mêmes passions et la même conception de la vie.

imaosppppges.jpgD'un côté, nous trouvons des signes de déclin, de l'autre, des progrès sans précédent dans l'histoire. Cette incohérence peut être observée dans presque tous les domaines de la vie moderne. Partout, on peut trouver des raisons d'être optimiste et, en même temps, les pronostics les plus sombres.

Il n'y a pas de "progrès" en tant que tel, mais toujours un progrès dans quelque chose, ce qui signifie en même temps une régression dans autre chose. C'est la nature même du fait que certains trouvent un avenir glorieux pour l'humanité, d'autres une catastrophe imminente. Cela dépend du point de vue de chacun.

Spengler est parfois décrit comme "l'un des précurseurs théoriques du nazisme". C'est une évaluation très simpliste. Bien que Spengler reprenne certaines idées de base de Chamberlain, sa conception de l'histoire dans Le Déclin de l'Occident n'est pas raciste. Spengler, ne considère pas les hautes cultures individuelles comme "inférieures" et "supérieures", et encore moins comme l'œuvre d'une seule race exceptionnelle. Ils sont pour lui des expressions de la vie intérieure - des images de certains types de personnes. C'est tout. Dans L'homme et la technique, il surestime apparemment l'influence des Normands dans les débuts de la culture de l'Europe occidentale. Les Russes, par contre, il les inclut comme un élément non créatif parmi les "gens de couleur", bien que son analyse de l'âme russe, déchirée depuis Pierre le Grand entre l'Europe et ses propres sentiments, soit l'une des meilleures parties du deuxième volume du Déclin de l'Occident. Dans L'homme et la technique, cependant, Spengler part du principe qu'il connaît Le déclin de l'Occident.

Spengler est un fataliste historique. Il ne croit pas que l'effondrement de la culture occidentale européenne actuelle puisse être évité ou retardé de manière significative. Cela était inacceptable pour l'idéologie nationale-socialiste. Rosenberg l'accuse de révéler, comme beaucoup d'autres avant lui, quelques "régularités" historiques. Nous ne connaissons pas de telles lois, juge Rosenberg, et nous ne prétendons pas agir en accord avec elles et avoir une quelconque "vérité", encore moins une vérité scientifique. Mais nous sommes convaincus que nous avons la volonté et l'énergie nécessaires pour réaliser une idée à laquelle nous croyons profondément. D'où le "mythe du 20e siècle".

Mais l'idéologie démocratique est également en contraste frappant avec la philosophie de l'histoire de Spengler. Selon Spengler, un monde démocratique n'est à nouveau que le monde d'un certain type de personnes d'un certain temps, tout comme, par exemple, un monde monarchiste. La démocratie, surtout de type anglo-américain, ne représente certainement pas pour lui une "référence" à laquelle "l'humanité" est arrivée à travers des milliers d'années de développement ou de "progrès", de sorte qu'elle ne l'abandonnera pas à l'avenir et que désormais, au motif qu'elle est "le meilleur système parmi les mauvais", elle se concentrera sur son amélioration continue. Une telle conception est, selon lui, à nouveau un mythe, non pas de n'importe quel "homme", mais précisément de l'homme moderne et intelligent des grandes villes de la civilisation européenne occidentale et de ses contemporains.

Comme Le déclin de l'Occident, L'homme et la technique a suscité une tempête de réactions négatives et positives. Aujourd'hui, alors que la recherche historique a mis en doute certaines des généralisations spéculatives de Spengler, mais qu'elle a en revanche accepté presque universellement son affirmation de base selon laquelle la culture de l'Europe occidentale en tant qu'entité historique spécifique émerge au dixième siècle, nous devons reconnaître que son œuvre reste un sujet de réflexion opportun. Nous ne sommes pas obligés d'être d'accord avec Spengler. Mais cela ne change rien au fait que son œuvre fournit une quantité considérable d'idées originales et stimulantes qui le placent à juste titre parmi les grands penseurs.

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Oswald Spengler, philosophe allemand de l'histoire, né le 29 mai 1880 à Blankenburg (Harz), mort le 8 mai 1936 à Munich. Jusqu'en 1911, professeur au Gymnasium de Hambourg, puis écrivain à Munich.

Travaux :

Der Untergang des Abendlandes (1918-1922)

Preussentum und Sozialismus (1920)

Politischen Pflichten der deutschen Jugend (1924)

Neubau des deutschen Reiches (1924)

Der Mensch und die Technik (1931)

Jahre der Entscheidung (1933)

Reden und Aufsätze (1937)

Postface de Rudolf Jičín à l'édition tchèque de L'homme et la technique, Neklan Publishing House, Prague 1997, ISBN 80-901987-6-7. Dans une version éditée (complétée par une sélection de pensées d'O. Spengler), la postface est publiée sous le titre Thoughts Worth Remembering : Spengler dans le magazine Marathon n° 2/2004.

La prochaine guerre des sables

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La prochaine guerre des sables

par Georges FELTIN-TRACOL

Le 17 février 1989 à Marrakech, Hassan II du Maroc, le Guide libyen Kadhafi et les présidents algérien Chadli Bendjedid, tunisien Ben Ali et mauritanien Sid'Ahmed Taya lançaient l’Union du Maghreb arabe (UMA). Cette nouvelle organisation internationale à vocation régionale entendait favoriser un espace économique commun, une union douanière et une zone de libre circulation des biens et des personnes. Cette imitation maghrébine du processus européen resta néanmoins inachevée, car ce projet ambitieux fut très tôt miné par la vieille rivalité entre le Maroc et l’Algérie.

Cinq ans plus tard, le 24 août 1994, suite à un attentat commis contre l’hôtel Atlas - Asni à Marrakech, le Maroc imposait le visa pour les Algériens. Soutien indéfectible du Front Polisario, l’Algérie répondait par la fermeture de sa frontière terrestre avec son voisin occidental. Les contentieux ne manquent plus entre Alger et Rabat.

Outre la question du Sahara occidental annexé par le Maroc, l’Algérie se méfie depuis soixante ans des revendications territoriales de son voisin. Dès la fin du protectorat français en 1956, l’Istiqlal, le parti indépendantiste, évoque un « Grand Maroc », soit un royaume qui engloberait non seulement le Sahara occidental à l’époque espagnol, mais aussi toute la Mauritanie, l’Ouest sahélien du Mali jusqu’aux portes de Tombouctou et l’Ouest algérien avec les régions de Tindouf, de Béchar, d’In Salah et de Figuig.

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Ces dissensions frontalières suscitent d’ailleurs entre septembre 1963 et février 1964 un conflit armé entre le jeune État algérien et le royaume alaouite : la « Guerre des Sables ». Ni l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, ni le président tunisien Habib Bourguiba ne parviennent à arrêter les combats. Le cessez-le-feu entre les belligérants revient finalement à la médiation conjointe de l’empereur éthiopien Hailé Sélassié et du président malien Modibo Keïta. Sur le terrain, l’armée royale marocaine a nettement triomphé de l’Armée de libération nationale. La victoire de Rabat contribue à affaiblir Ahmed Ben Bella et permet en 1965 le coup d’État de Houari Boumédiène. En janvier 1976, soldats algériens et marocains s’affrontent encore pendant deux jours à Amgala. Le 13 novembre 2020, l’armée marocaine intervient en force contre le Polisario afin de débloquer un axe routier près de Guerguerat. Il en découle une reprise d’intenses combats entre les Marocains et la rébellion sahraouie.

Depuis cet été 2021, on assiste à une escalade entre les deux États. Fragilisé par le Hirak, la forte contestation de la société civile lasse de subir la corruption et l’incompétence du FLN, de ses avatars politiciens et d’une clique militaire, ainsi que par les revendications autonomistes croissantes de la Kabylie, le gouvernement algérien rompt, le 24 août 2021, ses relations diplomatiques avec le Maroc. La mort, le 1er novembre dernier, de trois chauffeurs routiers qui effectuaient le trajet entre la Mauritanie et l’Algérie par des drones marocains crispent encore plus les relations bilatérales.

Les griefs de l’Algérie contre le Maroc sont variés. Alger dénonce la mainmise marocaine sur le Sahara occidental. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, désigne le représentant du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, comme un soutien actif au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie interdit, clandestin et classé comme terroriste. Les incendies de cet été qui ont ravagé les forêts algériennes seraient des actions subversives marocaines. Enfin, l’Algérie n’apprécie pas que son voisin ait rallié les « accords d’Abraham » et établi des relations diplomatiques avec l’État d’Israël. En septembre dernier, l’Algérie a aussi fermé son espace aérien à tout aéronef entrant et sortant du Maroc…

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L’accord entre Israël et le Maroc n’est pas une surprise. En échange de cette reconnaissance, les États-Unis de Donald Trump valident les droits légitimes de Rabat sur le Sahara occidental. Une importante communauté juive a longtemps vécu au Maroc. Sous le protectorat français, le drapeau marocain portait parfois en son centre une étoile à six branches. Descendant du prophète Mahomet et  « Commandeur des croyants », le roi du Maroc, apte à contenir les poussées islamistes, peut se permettre de telles initiatives. À la fin des années 1970, Hassan II fit condamner par ses oulémas et ses cadis les écrits de l’ayatollah Khomeiny jugés « hérétiques ». La dynastie marocaine entretient enfin de nombreux liens familiaux avec les principales tribus berbères si bien que le Maroc est un royaume de langue arabe avec un fort substrat ethnique berbérophone.

Tous ces faits agacent l’Algérie, adepte depuis l’indépendance d’un centralisme arabo-musulman à l’encontre des Kabyles et des Touaregs. Incapable de résoudre les crises économique et sociale, le gouvernement a interdit à compter du 1er novembre dernier l’usage du français dans les administrations et dans l’enseignement. Si le pouvoir algérien avait utilisé au cours des précédentes décennies une partie de l’argent des hydrocarbures à constituer un corps d’enseignants du premier degré dévoué à l’«algérianité» à l’instar des tristement célèbres «Hussards noirs» de la IIIe République française, une « assimilation » au modèle stato-national algérien aurait peut-être pu se réaliser. Mais c’était sans compter sur l’avidité matérielle illimitée de la caste et de ses factions.

Une nouvelle « guerre des sables » pourrait survenir dans les prochaines semaines, sinon dans les prochains mois. Fortement appuyée par la Russie et la Turquie, l’Algérie dispose dorénavant, avec l’Afrique du Sud et le Rwanda, de l’armée la plus puissante du continent africain. Une guerre à la fois cybernétique et conventionnelle telle qu’elle vient d’être pratiquée par l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh et l’Arménie, montrerait sa supériorité technique et tactique sur les troupes marocaines. On a oublié qu’au début de ce siècle, des cénacles néo-conservateurs étatsuniens envisageaient l’adhésion de l’Algérie à l’OTAN…

Il faut par conséquent suivre avec la plus grande attention tout ce qui se trame au Maghreb. Plusieurs foyers d’instabilité (la Tunisie, la Libye, le Sahel malien et nigérien, et maintenant le Maroc) entourent l’Algérie. Une guerre entre l’Algérie et le Maroc aurait de graves répercussions en France, en Belgique et en Allemagne où vivent des communautés immigrées originaires de ces États. Rien n’empêcherait qu’elles y importent une violence exacerbée.

Plus que jamais, en proie à des turbulences historiques, la rive Sud de la Méditerranée est à surveiller avec la plus grande attention possible.

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 10, mise en ligne sur Radio Méridien Zéro du 16 novembre 2021.

vendredi, 19 novembre 2021

Le règne de l’homme-masse, une fatalité? (Jose Ortega y Gasset)

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Le règne de l’homme-masse, une fatalité? (Jose Ortega y Gasset)

 
Dans cette vidéo, nous aborderons un penseur encore trop méconnu dans le public francophone, à savoir Jose Ortega y Gasset, auteur d’un chef d’œuvre de la pensée politique du XXe siècle : « La révolte des masses ». Philosophe de haute stature, Ortega se livre à une critique d’une grande profondeur de l’homme-masse moderne et du règne de la médiocrité. Néanmoins, pour lucide qu’il soit de la situation politique et intellectuelle de l’Europe, il ne pense pas que cette dernière connaisse un déclin inéluctable. Refusant tout fatalisme historique, Ortega y Gasset estime que c’est seulement lorsque les Européens se saisiront à nouveau d’un projet à la hauteur de leur temps qu’ils vaincront la médiocrité et l’apathie qui consiste à se laisser vivre.
 
 
Pour se procurer le livre de Jose Ortega y Gasset : - https://www.lesbelleslettres.com/cont...
 
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Musique :
- Joaquín Rodrigo : Concierto Heroico para piano – IV. Allegro maestoso
- Joaquín Rodrigo : Concerto de Aranjuez – II. Adagio
- Manuel de Falla : Noches en los jardines de España
- Maurice Jarre : Morir en Madrid
- Albéniz : Suite española, Op.47 - Granada (Serenata)