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jeudi, 20 octobre 2016

Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

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Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

A son tour, Drieu connaît les honneurs de la bibliothèque de la Pléiade. L'écrivain talentueux au parcours honteux s'interrogeait sur sa postérité. Il repose désormais, mais pas en paix, sur papier bible.

Quelle postérité pour un écrivain collabo? Mauriac voyait en lui un des «ratés immortels». Pour Sartre, il était «sincère, il l’a prouvé» (1). Si Pierre Drieu la Rochelle, fasciste, antisémite, sent durablement le soufre, son suicide «nous épargne un embarras: il a assumé sa conduite», note Jean-François Louette, professeur de littérature à la Sorbonne, responsable de l’édition des Romans, récits, nouvelles dans la Pléiade, qui paraît le 20 avril 2012. De fait, l’écrivain n’eut de cesse de se scruter à travers ses personnages. Gilles, son chef d’œuvre, dessine un portrait miroir de son parcours. Etrange roman qui se termine abruptement, comme un suicide sacrificiel, évoquant celui de l’auteur.

Le droit de se contredire

drieu-pleiade.jpgJamais Drieu ne brigua de mandat électif – son antiparlementarisme l’en empêchait - mais son engagement politique est manifeste. Membre du PPF de Jacques Doriot (de 1936 à 1939), il prône une Europe unie, sous hégémonie allemande, seule capable de mettre fin à la décadence. Sous l’Occupation, il collabora activement. Drieu pourtant n’est pas réductible au seul fascisme. Mieux que tout autre peut-être, il incarne la confusion d’une époque brisée. Au point que l’on serait tenter de paraphraser, qu’il nous pardonne!, Montaigne: «je ne peins pas le fasciste, je peins le passage».

Il connut Borgès, une amitié durable l’unit à Malraux. Il fut proche de communistes - dont Aragon à qui il dédia L’Homme couvert de femmes. Il n’est pas exempt de tentations pacifistes: en 1923 il appelle à une réconciliation généreuse avec les allemands (c’est alors l’occupation de la Ruhr!)... Résolument antisémite, après avoir été philosémite, il «contribua à sauver des mains des nazis sa première femme, Colette Jéramec, et ses deux jeunes enfants, internés à Drancy», observe Jean-François Louette. En 1938, il est furieusement hostile aux accords de Munich. Enthousiaste à l’égard d’Hitler puis déçu, il reporte son admiration sur… Staline, en 1944. 

«Il est plus contradictoire qu’aucun de ses contemporains. Il a constamment revendiqué le droit de se contredire, comme le dit Baudelaire (2). Il s’est trompé mais il y a une conviction, une sincérité dans chacun de ses mouvements. Chez lui, j’aime bien l’incertitude. Changer d’avis est une forme d’intelligence car la politique n’est pas une science mais une contingence. Son ralliement ultime à Staline a quelque chose de prophétique, comme s’il avait voulu reprendre la main face à l’Histoire…»

Il assume ses contradictions comme ses erreurs. Hostile à la République, il refuse la Légion d’Honneur. Fin 1943, il rentre de Suisse, alors même qu’il est déjà persuadé de la défaite allemande. Plus tard,  Paul Morand, sagement, optera pour l’exil doré en Suisse et évitera l’épuration (il finira à l’Académie française). Ce destin-là, Drieu n’en voulut pas. Il choisit la mort, l’opprobre. D’où, malgré un cercle de lecteurs passionnés, de rares adaptations cinématographiques (3), une forme de mise au ban. Jean-François Louette s'interroge:

«Est-il un écrivain maudit? Le terme me paraît un peu fort. Mais il reste sulfureux et les passions sont toujours prêtes à se déchaîner – en sa faveur, comme dans la détestation. L’édition de son Journal en 1992, très antisémite, y a aidé, bien que celui-ci n’ait pas été destiné à la publication et soit aussi le reflet d’une grande crise personnelle.»

De boue, les damnés de la terre

Comme toute une génération, la vie de Drieu commence (ou se termine?) avec 14-18. Plus longuement d’ailleurs, puisqu’il est incorporé au 5ème régiment d’infanterie en novembre 1913 et ne sera libéré que fin mars 1919. Durant ces presque six ans (aujourd’hui où «les trois jours» sont quelques heures, imagine-t-on ce qu’ont représenté tant d’années?), il collectionne les blessures (à la tête, au bras gauche - deux fois, tympan crevé), sans oublier les maladies (dysenterie, paratyphoïde), alternant les séjours au front et à l’hôpital.

Contrairement à beaucoup, il n’en ressortira pas durablement pacifiste. «Pour lui, les choses ne peuvent se résoudre que dans le sang, explique Jean-François Louette. Quelque chose doit exploser pour que l’Histoire puisse avancer». Refuser Munich, c’est espérer un sursaut – ce que la molle démocratie ne fera pas. 

Le tournant de février 1934

C’est en février 1934 que Drieu devient résolument fasciste. Plus encore que la manifestation du 6 février, c’est celle organisée par le PCF quelques jours après, qui l’en persuade. Il est désormais «convaincu que la Troisième République est incapable de se réformer en respectant un processus démocratique». L’été qui suit, il écrit Socialisme fasciste. En 1935, le voici en Allemagne, admiratif du Congrès de Nuremberg, «aveuglé par la propagande hitlérienne”. Il n’en démordra plus, malgré les déceptions: le bellicisme fanatique d’Hitler comme le pacifisme de Doriot (qui est munichois). Tandis que Gide publie Retour de l’URSS, témoignage lucide sur le communisme réel (1937), Drieu préfère s’ancrer dans une erreur suicidaire: «mourir en démocrates ou survivre en fascistes», écrit-il.

Son antisémitisme devient virulent, l’Occupation le voit bientôt collaborer à la résurrection de la NRF - en décembre 1940 (y figurent aussi les signatures de Paul Valéry, Henry de Montherlant, Paul Eluard, André Gide, Francis Poulenc). Gide se désolidarise en avril 1941, Malraux critique sa position mais lui garde son amitié (faisant de Drieu le parrain de son deuxième fils fin 1943). 

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Le droit de s’en aller

Sa Collaboration ne se limite pas à la NRF. Il fait le voyage propagandiste de Weimar en 1941 (première édition des Dichtertreffen), écrit dans La Gerbe ou Je suis partout. Son protecteur, l’ambassadeur Otto Abetz, tombe en disgrâce, la censure allemande bloque certains de ses écrits, la défaite approche: Drieu ne cherche pas à fuir, ni à retourner sa veste. Le suicide lui est un salut: «Que la France soit balayée par la destruction. C’est vivre que de hâter la décision de la mort» (Gilles).

Sa marche vers le suicide est résolue: Le 11 août 1944, «il prend une dose mortelle de Luminal» mais est sauvé par miracle. Quatre jours après, à l’hôpital, il s’ouvre les veines. Sauvé encore. En mars 1945, sur le point d’être arrêté, il «avale du Gardénal et arrache le tuyau de gaz (...). Cette fois, il ne sera pas ranimé». 

«Le suicide est un compagnon constant qui l’a toujours hanté, constate Jean-François Louette. C’est l’assomption de la décadence. En mettant fin à ses jours, il indique la fin de la civilisation. Mais ça reste un geste de force, une protestation, qui exige du courage…»

Par-delà ce parcours si singulier, que reste-t-il de Drieu aujourd’hui, qui lui vaille les honneurs de la Pléiade ? 

Un charme désinvolte

Jean-François Louette parle d’un «charme malgré tout». Classique, le style de Drieu l’éloigne des innovations d’un Céline et il a pris ses distances avec les Surréalistes. Mais l’élégance est là, qui séduit souvent. S’y ajoute, s’y conjugue plutôt, une désinvolture assumée, qui le pousse parfois à bâcler, comme l’épilogue de Gilles, si frustrant. Mais il la revendique, écrivant en préface: «pour montrer l’insuffisance, l’artiste doit se réduire à être insuffisant». Ce dandysme nonchalant évoque un «aristocratisme de la désinvolture», avec une pointe de provocation.

Y figure aussi une part d’amertume, de déception. L’œuvre de Drieu oppose un démenti à l’assertion de Cioran pour qui, «depuis Benjamin Constant, personne n’a retrouvé le ton de la déception». Ses textes narrent des déceptions, des échecs, concourant à son propre dénigrement: «la haine de lui-même le recouvrait comme de la sueur», ose-t-il superbement. 

Un précurseur de l’autofiction ?

Benjamin Constant encore. D’Adolphe, ne disait-il pas qu’il s’agissait d’une «fiction confessionnelle»? Les textes de Drieu répondent sans doute à cette appellation, parce qu’écrire «c’est visiter les différentes parties de soi», avec leurs contradictions et leurs alternances. La confession est distanciée, avec lucidité et, sans doute, un brin d’apitoiement affectueux. «Gilles est à la fois Drieu et la caricature de Drieu», note Jean-François Louette avant de s’amuser de ce Gilles, prénom récurrent dans l’œuvre, construit en je-il.

Est-il, avec son roman-confession, un précurseur de l’autofiction? «En un sens oui», répond Jean-François Louette.

«Drieu a besoin de se projeter dans ses personnages et de s’inventer d’autres destins à travers ces personnages. Pas au sens où l’entend Serge Doubrovski, c’est-à-dire une aventure du langage, avec des calembours ou jeux de mots – Drieu est éloigné de cela. Mais plutôt pour parler de son vécu en évitant la catégorie autobiographique ou celle du portrait. A cette différence notable que l’exhibition de soi lui est étrangère: il ne se livre qu’en se masquant. Gilles est une autobiographie du possible, de ce que Drieu aurait dû ou voulu être. C’est un romancier qui a besoin du double.»

Un classicisme de lambeaux

DrieuChevalPoche.jpgStendhal, Balzac, Zola...: Drieu n’ignore pas le 19ème siècle mais de ces références il ne garde que des «lambeaux, et à la limite de la parodie». Pourtant, ce qui fait d’abord la force, l’attrait de ses textes, c’est qu’il s’agit de grands romans d’amour.

«L’élan et la déception amoureuse y tiennent une grande place, tout comme la désillusion, celle de L’Education sentimentale. Ensuite, son œuvre est une réflexion sur le cynisme, un des phénomènes essentiels de notre époque, avec la décroyance, l’incrédulité généralisée, l’amertume… Et le nivellement de toutes les valeurs dans cet équivalent universel qu'est l’argent. Drieu a fait une profonde analyse de la société moderne, celle d’après la Révolution.»

Ainsi, il serait contre Révolutionnaire…

«Oui. Mais il n’adhère pas à l’Action française parce qu’il est déçu à titre personnel par Maurras, qui est plus un homme de mots que d’action. Le personnage principal de Blèche est un journaliste très proche de l’Action française, mais vu de manière satirique.»

La modernité, symbole de la décadence

Dans ses textes, il s’en prend à la bourgeoisie bien sûr, mais aussi aux Surréalistes, et aux institutions: l’Armée, la République... La censure partielle de Gilles est en quelque sorte un hommage rendu par la République à celui qui la vomit. Son antiparlementarisme et son refus de la modernité culminent dans sa haine des juifs. «L’homme moderne est un affreux décadent», écrit-il, et c’est le juif qui l’incarne le mieux.

Contradiction encore. Car comment expliquer ce refus de la modernité avec son fascisme, mouvement fortement imprégné (comme le communisme) d’une culture et d’une esthétique du progrès?

«La relation de Drieu au fascisme est extrêmement compliquée. Le côté technicien du fascisme ne lui plaît guère. Son refus des machines et de la mécanique est explicite dans La Comédie de Charleroi. Dans le fascisme, il espère retrouver une communauté unie par la maximisation de la force. L'esthétisation de la politique (l’expression est de Walter Benjamin) le séduit. Il salue le beau geste, de la prouesse du Congrès de Nuremberg. A l’inverse, le communisme ne donne pas la possibilité d’exalter l’individu. L’égalitarisme soviétique, fût-il de façade, ne le convainc pas.»

Il est mort dans le mauvais camp. Rien n'a été pardonné à Drieu, qui entre néanmoins dans la Pléiade, avec cette édition qui devrait faire émerger des livres peu connus, comme Blèche, et aider à apprécier une œuvre qui peut susciter fascination ou répulsion, plus souvent les deux, mais s’avère parfois touchante dans sa désarmante lucidité.

Dans les semaines qui viennent, on s’amusera de l’indignation qui, à l’instar de celle d’Aude Lancelin, dans Marianne, ne manquera pas de se faire entendre. Drieu au Panthéon de la littérature? Un crime, pire: le reflet de notre époque. Une indignation sélective et absurde: la Pléiade n’est pas une bibliothèque rose façon bisounours.

A Drieu vat.

Jean-Marc Proust

Drieu la Rochelle: Romans, récits, nouvelles, la Pléiade (1936 pages) - 72,50 € (prix de lancement : 65,50 € jusqu'au 31 août 2012).

1 Les citations sont extraites de la préface (Jean-François Louette) et de la chronologie (Julien Hervier), de l’édition de la Pléiade, ainsi que d’un entretien avec Jean-François Louette. Retourner à l'article.

2 « Parmi l’énumération nombreuse des droits de l’homme que la sagesse du xixe siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et le droit de s’en aller. » (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres).Retourner à l'article.

3 Le Feu follet, film de Louis Malle (1963), Une femme à sa fenêtre, film de Pierre Granier-Deferre (1976), Oslo 31 août, film de Joachim Trier (2012), d’après Le Feu follet. Retourner à l'article

 

vendredi, 14 octobre 2016

José Luis Jerez y el Padre Marius Visovan sobre Horia Sima

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La Falange

José Luis Jerez y el Padre Marius Visovan sobre Horia Sima

07-10-2016

00:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : horia sima, roumanie, entre-deux-guerres, années 30 | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 12 juin 2016

Drieu fin analyste politique

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Drieu fin analyste politique

par argoul

Ex: https://www.argoul.com

Retour aux années 30 ? 2013 = 1933 ? Drieu, surréaliste tenté par le communisme avant de suivre Doriot (devenu fasciste) avait diagnostiqué la situation de son époque. elle ressemble à la nôtre par les hommes (aussi médiocres), mais pas par les circonstances (l’histoire ne se répète jamais).

Dans Gilles, Drieu passe une volée de bois vert aux politiciens et autres intellos tentés par le pouvoir. « La politique, comme on le comprend depuis un siècle, c’est une ignoble prostitution des hautes disciplines. La politique, ça ne devrait être que des recettes de cuisine, des secrets de métier comme ceux que se passaient, par exemple, les peintres. Mais on y a fourré cette absurdité prétentieuse : l’idéologie. Appelons idéologie ce qui reste aux hommes de religion et de philosophie, des petits bouts de mystique encroûtés de rationalisme. Passons » p.927.

drieu82841006021.jpgL’idéologie, domaine des idées, est la chasse gardée des intellos. Ceux-ci alimentent les politiciens ignares par des constructions abstraites, vendables aux masses, autrement dit une bouillie où l’on se pose surtout ‘contre’ et rarement ‘pour’. « Il y a les préjugés de tout ce monde ‘affranchi’. Il y a là une masse de plus en plus figée, de plus en plus lourde, de plus en plus écrasante. On est contre ceci, contre cela, ce qui fait qu’on est pour le néant qui s’insinue partout. Et tout cela n’est que faible vantardise » p.1131. Yaka…

Pourtant, le communisme pouvait être une idéologie intéressante. Déjà, « la foi politique fournit aux paresseux, aux déclassés et aux ratés de toutes les professions une bien commode excuse » p.1195. De plus, l’instrument du parti est appelé à créer une nouvelle noblesse d’État : « Qu’est-ce qui le séduisait dans le communisme ? Écartée la ridicule prétention et l’odieuse hypocrisie de la doctrine, il voyait par moments dans le mouvement communiste une chance qui n’était plus attendue de rétablir l’aristocratie dans le monde sur la base indiscutable de la plus extrême et définitive déception populaire » p.1195. D’où le ripage de Jacques Doriot du communisme au fascisme, du PC au PPF. Il y a moins d’écart qu’on ne croit entre Mélenchon et Le Pen.

Mais les intellos n’ont pas leur place en communisme, ils préfèrent le libéralisme libertaire des années folles (1920-29), et ce n’est pas différent depuis mai 68. Ils ne sont à l’aise que dans la déconstruction, la critique – certainement pas dans la création d’un mythe politique (voir les déboires actuels de l’écologisme), encore moins dans l’action ! « Il y avait là des intellectuels qui étaient entrés niaisement avec leur libéralisme dans le communisme et se retrouvaient, l’ayant fui, dans un anarchisme difficile à avouer tant de lustres après la mort de l’anarchie. Quelques-uns d’entre eux cherchaient un alibi dans le socialisme de la IIè Internationale où, dans une atmosphère de solennelle et impeccable impuissance, ils pouvaient abriter leurs réticences et leurs velléités, leurs effarouchements et leurs verbeuses indignations. A côté d’eux, il y avait des syndicalistes voués aux mêmes tourments et aux mêmes incertitudes, mais qui se camouflaient plus hypocritement sous un vieux vernis de réalisme corporatif » p.1233. Vous avez dit « indignation » ? Toujours la posture morale de qui n’est jamais aux affaires et ne veut surtout pas y être.

Les meetings politiques ou les congrès sont donc d’une pauvreté absolue, cachant le vide de projet et d’avenir sous l’enflure de la parole et le rappel du glorieux passé. François Hollande et Harlem Désir font-ils autre chose que causer ? Proposer des mesurettes dans l’urgence médiatique (tiens, comme Sarkozy…) ? « Mais au bout d’une heure, il lui fallait sortir, excédé de tant de verbiage pauvre ou de fausse technique. Il était épouvanté de voir que tout ce ramassis de médiocres à la fois arrogants et timorés vivaient avec leurs chefs dans l’ignorance totale que put exister une autre allure politique, une conception plus orgueilleuse, plus géniale, plus fervente, plus ample de la vie d’un peuple. C’était vraiment un monde d’héritiers, de descendants, de dégénérés et un monde de remplaçants » p.1214. »Remplaçants » : pas mal pour François Hollande, désigné au pied levé pour devenir candidat à la place de Dominique Strauss-Kahn, rattrapé – déjà – par la faillite morale.

Il faut dire que la France majoritairement rurale de l’entre-deux guerres était peu éduquée ; les électeurs étaient bovins (« des veaux », dira de Gaulle). La France actuelle, majoritairement urbaine, est nettement mieux informée, si ce n’est éduquée ; l’individualisme critique est donc plus répandu, ce qui est le sel de la démocratie. Rappelons que le sel est ce qui irrite, mais aussi ce qui conserve, ce qui en tout cas renforce le goût.

drieularochZ2BWZNL.jpgOn parle aujourd’hui volontiers dans les meetings de 1789, de 1848, voire de 1871. Mais la grande politique va bien au-delà, de Gaulle la reprendra à son compte et Mitterrand en jouera. Marine Le Pen encense Jeanne d’Arc (comme Drieu) et Mélenchon tente de récupérer les grandes heures populaires, mais avec le regard myope du démagogue arrêté à 1793. Or « il y avait eu la raison française, ce jaillissement passionné, orgueilleux, furieux du XIIè siècle des épopées, des cathédrales, des philosophies chrétiennes, de la sculpture, des vitraux, des enluminures, des croisades. Les Français avaient été des soldats, des moines, des architectes, des peintres, des poètes, des maris et des pères. Ils avaient fait des enfants, ils avaient construit, ils avaient tué, ils s’étaient fait tuer. Ils s’étaient sacrifiés et ils avaient sacrifié. Maintenant, cela finissait. Ici, et en Europe. ‘Le peuple de Descartes’. Mais Descartes encore embrassait la foi et la raison. Maintenant, qu’était ce rationalisme qui se réclamait de lui ? Une sentimentalité étroite et radotante, toute repliée sur l’imitation rabougrie de l’ancienne courbe créatrice, petite tige fanée » p.1221. Marc Bloch, qui n’était pas fasciste puisque juif, historien et résistant, était d’accord avec Drieu pour accoler Jeanne d’Arc à 1789, le suffrage universel au sacre de Reims. Pour lui, tout ça était la France : sa mystique. Ce qui meut la grande politique et ce qui fait la différence entre la gestion d’un conseil général et la gestion d’un pays.

En politique, « tout est mythologie. Ils ont remplacé les démons, les dieux et les saints par des idées, mais ils n’en sont pas quittes pour cela avec la force des images » p.1209. La politique doit emporter les foules, mais la mystique doit aussi se résoudre en (petite) politique, forcément décevante. Les politiciens tentent aujourd’hui de pallier la désillusion par la com’.

Drieu l’observe déjà sur le costume démocratique : « Il vérifiait sur le costume de M. de Clérences qu’il était un homme de gauche. Clérences avait prévu cela depuis quelque temps : il s’était fait faire un costume merveilleux de frime. ‘La démocratie a remplacé le bon Dieu, mais Tartufe est toujours costumé en noir’, s’était exclamé à un congrès radical un vieux journaliste. En effet, à cinquante mètre, Clérences paraissait habillé comme le bedeau d’une paroisse pauvre, gros croquenots, complet noir de coupe mesquine, chemise blanche à col mou, minuscule petite cravate noire réduisant le faste à sa plus simple expression, cheveux coupés en brosse. De plus près, on voyait que l’étoffe noire était une profonde cheviotte anglaise, la chemise du shantung le plus rare et le croquenot taillé et cousu par un cordonnier de milliardaires » p.1150. François Hollande est aussi mal fagoté que les radicaux IIIè République. Il en joue probablement ; il se montre plus médiocre, plus « camarade » qu’il ne l’est – pour mieux emporter le pouvoir. Et ça marche. C’est moins une société juste qui le préoccupe que d’occuper la place… pour faire juste ce qu’il peut. « Une apologie de l’inertie comme preuve de la stabilité française » p.1216, faisait dire Drieu à son père spirituel inventé, Carentan.

Mais est-ce cela la politique ? Peut-être… puisque désormais les grandes décisions se prennent à Bruxelles, dans l’OTAN, au G7 (voire G2), à l’ONU. La politique n’est plus la mystique mais de tenir la barre dans les violents courants mondiaux. « (Est-ce qu’un grand administrateur et un homme d’État c’est la même chose ? se demanda Gilles. Non, mais tant pis.) Tu n’es pas un apôtre » p.1217.

Est-il possible de voir encore surgir des apôtres ? Drieu rêve à la politique fusionnelle, qui ravit l’être tout entier comme les religions le firent. Peut-être de nos jours aurait-il été intégriste catholique, ou converti à la charia, ou jacobin industrialiste, autre version nationale et socialiste inventée par le parti communiste chinois depuis 1978. Drieu a toujours cherché l’amour impossible, avec les femmes comme avec la politique, fusionnel dans le couple, totalitaire dans le gouvernement.

livre-drieu-la-rochelle.pngMais la démocratie parlementaire a montré que la mystique pouvait surgir, comme sous Churchill, de Gaulle, Kennedy, Obama. Sauf que le parlementarisme reprend ses droits et assure la distance nécessaire entre l’individu et la masse nationale. Délibérations, pluralisme et État de droit sont les processus et les garde-fous de nos démocraties. Ils permettent l’équilibre entre la vie personnelle de chacun (libre d’aller à ses affaires) et la vie collective de l’État-nation (en charge des fonctions régaliennes de la justice, la défense et les infrastructures). Notre système requiert des administrateurs rationnels plus que des leaders charismatiques, malgré le culte du chef réintroduit par la Vè République.

Nos politiciens sont tous sortis du même moule. Du temps de Drieu c’était de Science Po, du droit et de la coterie des salons parisiens ; aujourd’hui presqu’exclusivement de l’ENA et des clubs parisiens (le Siècle, le Grand orient…). Un congrès du PS ressemble fort à un congrès radical : « Ils étaient tous pareils ; tous bourgeois de province, ventrus ou maigres, fagotés, timides sous les dehors tapageurs de la camaraderie traditionnelle, pourvus du même diplôme et du même petit bagage rationaliste, effarés devant le pouvoir, mais aiguillonnés par la maligne émulation, alors pendus aux basques des présidents et des ministres et leur arrachant avec une humble patience des bribes de prestige et de jouissance. Comme partout, pour la masse des subalternes, il n’était point tellement question d’argent que de considération » p.1212. Pas très enthousiasmant, mais le citoyen aurait vite assez de la mobilisation permanente à la Mélenchon-Le Pen : déjà, un an de campagne présidentielle a lassé. Chacun a d’autres chats à fouetter que le service du collectif dans l’excitation perpétuelle : sa femme, ses gosses, son jardin, ses loisirs. Le je-m’en-foutisme universel des pays du socialisme réel l’a bien montré.

Dans le spectacle politique, rien n’a changé depuis Drieu. Les intellos sont toujours aussi velléitaires ou fumeux, les révolutionnaires toujours aussi carton-pâte, les politiciens tout autant administrateurs fonctionnaires, et les militants dans l’illusion permanente avides du regard des puissants (à écouter le syndicaliste socialiste Gérard Filoche aux Matins de France-Culture, on est consterné). Même s’il ne faut pas le suivre dans ses choix d’époque, Drieu La Rochelle reste un bon analyste de l’animalerie politique. Il n’est jamais meilleur que lorsqu’il porte son regard aigu sur ses contemporains.

Pierre Drieu La Rochelle, Gilles, 1939, Folio 1973, 683 pages, €8.64

Pierre Drieu La Rochelle, Romans-récits-nouvelles, édition sous la direction de Jean-François Louette, Gallimard Pléiade 2012, 1834 pages, €68.87

Les numéros de pages des citations font référence à l’édition de la Pléiade.

Tous les romans de Drieu La Rochelle chroniqués sur ce blog

lundi, 07 mars 2016

Poètes guerriers: génération perdue

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Ils étaient les enfants de D'Annunzio, de Barrès, de Marinetti et de T. E. Lawrence. Ils avaient le goût de l'utopie, le culte de la jeunesse et celui de la belle mort. Ils se nommaient René Crevel, Klaus Mann, W. H. Auden, ou Lauro de Bosis. Trop jeunes pour avoir connu l'épreuve des tranchées et hantés par le sentiment d'avoir manqué la grande occasion de leur vie, ils ont espéré rendre leur existence “ inimitable ”.


A ces poètes guerriers dans l'âme en mal d'héroïsme, l'ère des totalitarismes montants a offert une chance inespérée de se faire entendre. La guerre d'Espagne a été leur moment. Ils ont succombé à la tentation marxiste ou fasciste, ils sont tombés les armes à la main, aux commandes d'un avion ou d'une balle dans la tempe, ils ont glissé parfois vers l'autodestruction : nulle cohérence idéologique n'unifie leur groupe, mais la rupture avec le monde des pères, la révolte des sens, la tentation de l'absolu.  

             
C'est tout l'esprit de cette jeunesse que fait revivre ici Maurizio Serra, et la richesse ses paradoxes.

dimanche, 06 mars 2016

Drieu: chroniques des années 30

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“ « La Vénus de Milo », « Le Camping », « Le cas Violette Nozières », « La Parisienne », « L'Affaire Hanau », « La solitude de Buenos Aires », « Les Bords de la Seine », « Le corps des Français », « Goya », « Soutine », « Jorge-Luis Borges » ou « Lindbergh », voici, entre tant d'autres, quelques-unes des chroniques semées par Pierre Drieu la Rochelle dans les journaux et revues des années 30, au choix, dans Le Figaro, Marianne ou la NRF. Critiques littéraires ou artistiques, comptes rendus de procès, reportages en terre étrangère, papiers d'humeur, portraits souvenirs : les curiosités et les genres de Drieu sont multiples mais il garde ce regard unique, pénétrant et sensible, pour restituer vie et vérité de ce qu'il a vu, éprouvé et compris. Ces textes inédits ou oubliés dans les rééditions de l'auteur classique du Feu Follet, de Gilles méritaient pourtant d'être redécouverts, ils témoignent toujours du style et de la manière d'un écrivain grand format. ”

jeudi, 03 mars 2016

Drieu: le Jeune Européen

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Juste avant la débâcle de 1940, à un moment dramatique où il se penche sur son passé, il éprouve le besoin de faire le point sur ses premières œuvres et de publier un recueil de ses Écrits de Jeunesse : deux recueils de poèmes de guerre, Interrogation (1917) et Fond de cantine (1920) ; et deux recueils d’essais et de textes divers, La Suite dans les idées (1927) et Le Jeune Européen (1927). Mais, toujours insatisfait de lui-même, il croit nécessaire d’en retravailler la formulation, perdant ainsi au passage la fraîcheur de ses premières sensations ; cela nuit particulièrement à la nouvelle version de ses poèmes.

Notre nouvelle édition des Écrits de jeunesse reste fidèle au projet de l’écrivain, mais c’est un nouveau livre, puisque nous avons préféré sauvegarder la verdeur des textes originaux, plutôt que de nous ranger aux corrections a priori discutables de l’âge mûr.

Bouleversés par leur expérience atroce de la « Grande Guerre », déçus par le morne immobilisme du vieux monde qu’ils voient retomber dans l’ornière de ses petites habitudes, les jeunes écrivains de cette génération espèrent encore pouvoir donner un sens à une modernité emportée par un perpétuel mouvement d’accélération dans le vide.

Malgré quelques incertitudes juvéniles, ces courts textes de Drieu incarnent avec vigueur cet esprit d’invention et cette sincérité, réalisant une subtile combinaison entre excentricités dadaïstes, enthousiasme futuriste pour l’innovation technique et révolte surréaliste, tout en maintenant vivace le souvenir de la tradition classique.

Professeur littérature comparée, Julien Hervier a notamment édité et présenté le Journal 1939-1945 de Drieu la Rochelle (Gallimard, 2012) et la correspondance de ce dernier avec Victoria Ocampo : Lettres d’un amour défunt (Bartillat, 2009, Prix Sévigné 2010).

Source: http://zentropa.info