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dimanche, 06 novembre 2011

Territoire enraciné ou nouvelle région artificielle ?

Territoire enraciné ou nouvelle région artificielle ?

par Robert PAGAN

Aujourd’hui, le sujet qui fait débat au sein de la classe politique locale concerne le projet de métropole qui doit voir le jour très bientôt. Le moins que l’on puisse dire est que ce projet qui sera porté sur les fronts baptismaux en janvier 2012 semble plutôt mal parti.

Déjà, le nom qui a été choisi nous semble assez peu heureux : « Métropole Côte d’Azur » qui donne une orientation touristique et économique. Il eut été plus judicieux de faire un choix historique en choisissant de l’appeler « Métropole Comté de Nice » qui a pour elle de définir un territoire historique et culturellement homogène, en regroupant toutes les communes de notre ancien Comté. Cette option nous aurait permis de redéfinir un territoire qui a une longue histoire et d’obtenir, à l’image de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne, toutes proportions gardées, une certaine autonomie dans notre pouvoir de décision. Nous aurions pu envisager une grande région européenne en nous liant aux provinces du Piémont et de la Ligurie.

Mais nos politiciens, aux ordres de la République française une et indivisible, ont préféré faire le choix de ce concept de Côte d’Azur qui n’a pas de réalité charnelle et reprend le côté « bling-bling » mis au goût du jour par le président hexagonal. Ils ont préféré cautionner la division de notre pays qui a été, depuis 151 ans, intégré dans un ensemble hétérogène qu’est le département pour ensuite être mis sous la coupe d’une ville rivale dans une région sans nom, sans âme et sans passé. Au lieu de reformer un ensemble cohérent qui a une légitimité historique, ils ont accolé des villes d’outre-Var telles Saint-Laurent-du-Var, Cagnes-sur-Mer et Vence (non pas que nous voulions rejeter celles qui souhaiteraient nous rejoindre) à l’agglomération niçoise tout en rejetant Le Broc et Gattières (cette dernière qui fait tout de même partie du Comté de Nice). Et, à cet égard, le début de l’aventure n’augure rien de bon : l’ensemble des communes qui ont adhéré à cette nouvelle structure rejette le projet présenté par le gouverneur français (le préfet des Alpes-Maritimes), la première adjointe de Nice – Côte d’Azur s’est abstenue lors du vote constitutif, ce qui n’a pas manqué d’étonner tout le monde, Le Broc et Gattières sont maintenus à l’écart, Coaraze veut s’en aller, La Tour n’est pas encore admise, Saint-Jean – Cap Ferrat ne veut pas entrer, Beaulieu est plus que sceptique et la communauté mentonnaise qui comprend plusieurs commune du Comté de Nice, après avoir voulu intégrer cette métropole, lui tourne le dos à présent.

C’est réellement une occasion historique qui a été gâchée, une de plus me direz-vous, mais les politiciens locaux qui se disent Niçois dans l’âme, qui viennent nous faire de grandes déclaration de leur attachement à cette terre et à cette culture, auraient été bien inspiré de saisir l’occasion qui leur était donné de récréer un territoire ancré dans la mémoire collective du Peuple Nissart, de saisir l’occasion de s’affranchir tant que faire se peut du centralisme jacobin si pesant, de sortir de cette région artificielle symbolisée par un sigle de quatre lettres, de se retourner vers l’Est, où est son avenir, pour retrouver, enfin, les six communes du Comté de Nice sous administration italienne (Apricale, Dolceacqua, Isolabona, Perinaldo, Pigna et Rochetta-Nervinia), nos six sœurs abandonnées.

Oui, notre avenir est à l’Est, cela semble si évident. Qu’est-ce que 150 années comparé à près de cinq siècles d’histoire (entre la dédition de 1388 à la Savoie et l’annexion par la France, 472 années se sont écoulées), ceci pour faire court puisque le Pays Niçois existait bien avant cette date, sans aucun lien (ou dépendance) avec la France : notre pays existait même avant que la France, elle, n’existe. Ce poids de l’histoire, nous le ressentons tous, d’autant plus que ce furent des siècles où les libertés et privilèges du peuple nissart étaient préservées, alors que depuis 1860 nous nous sentons enfermés dans des ensembles administratifs pesants et coercitifs (l’État, la région et le département).

Cela est dû, en grande partie, au fait que nous sommes en concurrence, dans une région dominé par une métropole qui a une mentalité totalement différente de la nôtre, parce qu’elle a une histoire différente de la nôtre, une culture différente de la nôtre, cette ville qui se veut l’alter ego de la capitale française, la deuxième ville de France. Une ville qui, ne pouvant supplanter sa capitale, veut tout dominer dans le territoire qu’on lui a donné à contrôler et ne veut surtout pas lâcher la bride à celle qu’elle considère comme une concurrente dangereuse, la cinquième ville de France qui n’en a que le titre sans les prérogatives, je veux parler de Nice. Oui, nous sommes en concurrence avec Marseille sur tout les plans et elle le sait : notre avenir est bouché à l’Ouest et il ne faut rien en attendre. En revanche, vers l’Est, nous avons des possibilités de retrouver nos libertés en étant un des piliers du trépied GénovaTorinoNissa (Gènes – Turin – Nice), villes qui ont tout pour être complémentaires et qui souhaitent un peu s’affranchir de leurs capitales respectives.

D’ailleurs, certains de nos hommes politiques l’ont bien compris quand on voit certaines positions ou déclarations de leur part. Quand Christian Estrosi souhaite une ligne à grande vitesse de Gènes à Nice. Quand Bernard Asso déclare dans Nice Matin qu’il nous faut nous tourner vers le Piémont pour nos besoins énergétiques. Quand Jean-Marc Giaume et Bernard Asso mettent en place un jumelage avec nos sœurs piémontaises. Quand nos échanges culturels se multiplient de part et d’autre des Alpes. Nous le pensons depuis longtemps, notre avenir va finir par rejoindre notre passé. Et, nous pensons, nous l’avons déjà dit, que la ligne ferroviaire à grande vitesse que l’État français n’a pas été capable de construire pour rapprocher Nice de l’Europe du Nord, cette ligne-là, doit passer par Turin et Chambéry (nos anciennes capitales) pour rejoindre Lyon, Paris, Bruxelles, Londres et Amsterdam avec une bifurcation vers Milan pour mettre Nice à portée directe de l’Europe centrale et orientale. Voilà où est notre avenir.

C’est pourquoi lorsque l’on entend le maire de Nice déclarer que la métropole aura un vocation mondiale, nous ne comprenons pas qu’il n’ait pas fait le choix d’une « Métropole Comté de Nice » seule à même à susciter l’émergence d’une grande région européenne aux marches de l’Hexagone à l’instar de ce que préfigure la Catalogne (encore une de nos tranches d’histoire).

Nous avons la chance d’avoir un territoire qui a longtemps eu le privilège d’être une île non entourée d’eau, cette insularité qui nous a longtemps préservé de l’assimilation dont ont été victimes de nombreuses régions de France et qui nous a permis de développer une culture originale, ouverte à tous, sans se renier elle-même.

Allons-nous, longtemps encore, accepter d’être sous double tutelle de Paris et de Marseille ? Quand allons-nous saisir les chances qui se présentent à nous de nous émanciper ? Cette chance se présente aujourd’hui, avec l’opportunité de créer (ou de recréer) notre territoire historique riche d’une grande et longue histoire : il faut faire comprendre aux maires de nos communes que le peuple nissart souhaite autre chose que leur « Métropole Côte d’Azur ». Nous voulons que soit institué une nouvelle métropole : la « Métropole Comté de Nice » afin de retrouver une partie de notre souveraineté et de notre dignité. Et, nous pourrons dire, à l’inverse du titre d’une œuvre célèbre : « À l’Est, il y a du nouveau ! »

Robert Pagan

Paru d’abord dans l’info-lettre mensuelle Le « Ficanas » enchaîné, n° 32, mai 2011.


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mardi, 01 novembre 2011

Piet Tommissen, gardien des sources

Robert Steuckers:

Piet Tommissen, gardien des sources

La communauté académique connait Pïet Tommissen comme un grand spécialiste de Vilfredo Pareto et surtout de Carl Schmitt, depuis la parution régulière de la collection “Schmittiana” chez Duncker & Humblot à Berlin. Comment l’oeuvre précise et minutieuse de cet homme a-t-elle pu voir le jour, comment a-t-elle émergé idiosyncratiquement? De son cheminement personnel, Piet Tommissen nous livre un récit émouvant, tendre, autobiographique en une langue néerlandaise naturelle et spontanée. Malheureusement, ce beau récit sera trop souvent négligé par la communauté scientifique, qui suivra ses traces, car les écrits en néerlandais ne sont que rarement pris en compte par ceux qui ne maîtrisent pas cette langue. A la fin de sa vie, dans son charmant petit appartement d’Uccle, près de Bruxelles, Piet Tommissen a rédigé deux courts volumes de souvenirs, intitulés “Een leven vol buitenissigheden” (= “Une vie pleine d’extravagances”). Ils nous livre la clef de l’oeuvre, le fil d’Ariane d’une quête que notre professeur disparu a menée jusqu’à son dernier souffle. La première de ces plaquettes évoque une jeunesse sans histoire, passée à Turnhout en Campine, une région de landes de bruyère, assez aride, en lisière de la frontière néerlandaise, où son père était fonctionnaire des douanes et accises. Il y terminera pendant la seconde guerre mondiale ses études secondaires au Collège Saint Victor. Après la guerre, il occupe un premier emploi dans la petite localité de Baulers, près de la belle ville de Nivelles en Brabant wallon. C’est une époque où il se rend fréquemment à Bruxelles pour visiter libraires et bouquinistes et pour acquérir les principales revues intellectuelles françaises de l’époque, comme “Les temps modernes” ou “Synthèses”.

“La petite fleur en papier doré”

Au cours d’une de ces promenades bibliophiliques dans le Bruxelles de la fin des années quarante, en 1947 plus précisément (car la mémoire des dates est proverbiale chez Tommissen), il pousse la porte d’un des plus charmants estaminets de la ville, qui porte encore et toujours aujourd’hui le nom poétique de “La petite fleur en papier doré”, rue des Alexiens. Cet estaminet était le lieu de rendez-vous des surréalistes bruxellois autour de Magritte, Scutenaire, Mariën et les autres. L’exploitant de l’époque était collectionneur d’art et tenait une galerie: il se nommait Geert van Bruaene. Quand Tommissen entre dans le local sombre et agréable de cet extraordinaire bistrot, chauffé par un poêle de charbon, c’est van Bruaene qui sert les bières aux clients: dans la conversation qu’il entame, il parle au nouveau venu du théoricien avant-gardiste flamand Paul Van Ostaijen. Quasi inconnu en dehors des Flandres et des Pays-Bas, ce jeune révolutionnaire des années 20 avait rédigé un manifeste avant-gardiste, où il préconisait, outre une certaine écriture automatique (comme le fera plus tard Henry Michaux, côté wallon), un retour aux sources de toutes les formes de mystique religieuse dans les cadres nationaux et linguistiques: pour rompre avec la modernité positiviste et rationaliste, il faut retourner, disait Van Ostaijen, aux pensées mystiques que les peuples avaient développées aux stades antérieurs de leur histoire. Ce recours aux formes mystiques n’était pas une simple nostalgie ni une volonté passéiste de revenir à une sorte de moyen âge intellectuel car, pour Van Ostaijen, la mystique est “anarque” par excellence: elle balaie par la hauteur, la fraîcheur, la simplicité et la puissance de sa pensée les lourdeurs des systèmes et les banalités des périodes triviales dans l’histoire des peuples et des sociétés. Les Flamands, pour Van Ostaijen, doivent revenir à leurs mystiques médiévales, avec le mouvement des béguines, Soeur Hadewych et surtout Ruusbroec l’Admirable, dont Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature en 1911, avait réalisé une traduction française, tout en indiquant que ce mystique médiéval, retiré à Groenendael dans la Forêt de Soignes en lisière de Bruxelles, représentait la quintessence des aspirations mystiques flamandes et brabançonnes, tout comme, sans nul doute, Maître Eckhart représentait en Rhénanie la quintessence des aspirations mystiques allemandes. Piet Tommissen venait de découvrir le monde des “avant-gardes”, qui restera toujours présents chez lui, derrière sa façade officielle de “Schmittien”. Un monde d’avant-gardes qui n’était toutefois pas fermé aux aspirations religieuses.

Urbain Van de Voorde, Leo Picard, Wies Moens

En fréquentant van Bruaene et les joyeux convives de “La petite fleur en papier doré”, Piet Tommissen finit par faire connaissance avec Urbain Van de Voorde, responsable des pages littéraires du quotidien flamand “De Standaard”. Il écrit: “Les conversations que j’ai eues avec Van de Voorde, à cette époque et plus tard, ont été enrichissantes à tous points de vue. J’ai entendu pour la première fois prononcer les noms de Gottfried Benn, d’August Stramm, de Guillaume Apollinaire, d’André Breton, de Michel de Ghelderode, etc. D’où, je puis dire avec sérénié que Van de Voorde et quelques autres, ..., sont à la base de mon intérêt pour les ‘ismes’ de l’histoire de l’art, qui se sont déployés en Europe avant et après la première guerre mondiale”(p. 32). Piet Tommissen devint ainsi collaborateur occasionnel des pages littéraires du “Standaard”. Il prend le goût d’écrire, le goût de la recherche aussi, du détail piquant qui explique la genèse d’une oeuvre, d’un poème ou d’une toile, d’une esquisse ou d’une somme philosophique. Dans le cadre de ses activités au “Standaard”, il rencontre l’historien flamand Leo Picard (qu’on ne confondra pas avec le leader socialiste belge Edmond Picard). Leo Picard avait été le disciple préféré de Henri Pirenne, dont on se souvient partout en Europe pour ses thèses sur l’histoire médiévale et sur l’époque carolingienne. Mais Pirenne opte pour une vision “nationale” de l’histoire belge. Pour cette vision pirennienne, la Belgique est née, du moins sur le plan territorial, de la reconquête des Pays-Bas du Sud par les armées royales espagnoles; elle est, depuis 1598, affirme-t-il, détachée de ses environnements septentrional (la Hollande calviniste devenue indépendante) et oriental (l’Allemagne en tant que Saint Empire fragmenté par la Kleinstaaterei). Leo Picard critique cette vision, estime que les liens avec le Nord et l’Est ont toujours subsisté et que la Belgique indépendante de 1830 a été dominée par une bourgeoisie sans autre idéologie qu’un mixte confus de positivisme et de cosmopolitisme, une bourgeoisie qui a coupé tous liens organiques avec le peuple, surtout avec sa composante flamande. La dimension socio-économique de la vision flamande de Picard mérite toujours le détour en Flandre et nourrit sans doute secrètement, ou par les multiples avataras qu’elle a suscités, les contestations radicales de l’établissement économique belge dans les cercles du patronat et des PME (= “petites et moyennes entreprises”) en Flandre, parmi lesquels sans doute le “Marnixkring”, dont Tommissen fut longtemps le zélé secrétaire. Notons qu’il y a passerelle entre l’écriture positiviste de l’historien Leo Picard, formé par Pirenne, et l’idéal organique et “expressionniste” d’un autre poète avant-gardiste flamand, Wies Moens, auquel Tommissen consacrera plusieurs études. Picard examine les structures du pouvoir et constate qu’il y a “placage” d’un pouvoir inorganique sur l’organisme national flamand; Wies Moens exalte pour sa part (et dans le sillage de Camille Lemonnier) la vigueur d’un peuple flamand appelé à secouer le joug de l’établissement. L’idéal que se forge Piet Tommissen à la fin des années 40 repose sur ce double pilier intellectuel: d’une part, l’analyse organique et positiviste de Picard, un homme formé par Pirenne; d’autre part, les idéaux vigoureux, expressionistes et mystiques (Moens et Van Ostaijen) des avant-gardes flamandes, réclamant l’avènement d’un populisme révolutionnaire et organique, traduction politique d’un certain expressionnisme.

Vesperkring, Erasmusgenootschap, Aristo-Groep

En dépit de cette marque très particulière, très vernaculaire flamande, difficilement communicable en dehors de l’espace linguistique néerlandais, Tommissen ne demeure nullement sourd, bien sûr, aux grands courants intellectuels qui traversent l’Europe en général et la France en particulier. La fin des années 40 et le début des années 50 sont marqués à Paris par l’existentialisme des Sartre, Camus et de Beauvoir, dont Tommissen suit les avatars via la revue “Les Temps modernes” mais le bon petit virus qui est en lui et qui lui a été communiqué par van Bruaene, lui-même “contaminé” par le manifeste de Van Ostaijen, a créé des garde-fous contre toutes les dérives abstraites et extrémistes, contre toutes les bouffoneries de l’existentialisme parisien/sartrien. Dans ses mémoires, Tommissen confesse avoir été marqué par la lecture des écrits existentialistes français mais conclut en disant que, pour lui, et pour ses compagnons des avant-gardes flamandes et de l’équipe du “Standaard” autour d’Urbain Van de Voorde, il était impossible de dissocier l’essence de l’existence, le corps de l’âme. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier et de la revue “Esprit” rencontre sans doute davantage d’approbation, catholicisme oblige, mais c’est dans des cercles flamands ou néerlandais aujourd’hui disparus ou oubliés par les historiographes que Tommissen va parfaire sa formation intellectuelle et spirituelle: il cite, dans ses mémoires, le “Vesperkring” (= “Cercle Vesper”) du Père Kallist Fimmers de l’Abbaye de Tongerloo, l’ “Erasmusgenootschap” (= “Le Compagnonnage Erasme”) animé à Gand par le poète Johan van Mechelen et l’ “Aristo-Groep” (= Le “Groupe Aristo”) du fascinant prêtre hollandais Wouter Lutkie. Celui-ci, fils de négociant en peaux, est au départ un militant espérantiste, qui consacre son temps à toutes sortes d’oeuvres caritatives complètement dépolitisées, puis devient un prêtre “démocrate chrétien” animé par le principe de charité et par les encycliques de Léon XIII, pour lesquelles il faut agir avec dévouement et humilité sans développer d’idées politiques abstraites et séditieuses. Disciple des Français Léon Bloy et Ernest Hello, Lutkie en vient, dans une phase ultérieure de son itinéraire, à dénoncer, comme eux, les hypocrisies de la démocratie bourgeoise: celle-ci n’a rien à voir avec les vertus morales (qu’elle proclame bruyamment), avec les efforts en matières éthiques et caritatives préconisés par l’Evangile ou avec la religion tout court. La démocratie bourgeoise, disent Bloy et Lutkie, a basculé dans le mensonge, s’est muée en une “idéolâtrie du nombre”. Lutkie fait alors du zèle à la Bloy, fustige le “démocratisme” avec une langue au vitriol: l’évêque de ’s Hertogenbosch le démet de ses fonctions de chanoine. Il s’installe alors dans un “cottage” du village de Nuland, où il oeuvrera comme “prêtre-publiciste”, activité qui conduira à la création de l’Aristo-Groep. Deux autres prêtres philosophes, les frères Walgrave, influenceront l’itinéraire intellectuel de Tommissen; rappellons aussi que J. H. Walgrave fut en Flandre le seul grand hispaniste qui nous ait laissé une étude magistrale sur José Ortega y Gasset (tout en étant un grand spécialiste de l’oeuvre du Cardinal Newman). Cette errance fructueuse dans les cercles intellectuels flamands permettent à Tommissen d’amorcer son oeuvre: pour le compte de ces cercles, il écrit dans diverses publications à modestes tirages mais de haute voltige intellectuelle. Nous avions, à la charnière des années 40 et 50, un catholicisme exceptionnel, d’une densité intellectuelle inégalée, aujourd’hui disparu sous les coups du consumérisme et de l’américanisme généralisés, d’une vulgate démocratiste chrétienne marquée d’anti-intellectualisme, des positions démissionnaires de Vatican II et de ses multiples avatars “modernistes”.

Avec Armin Mohler à Bâle et à Zürich

Mais c’est la rencontre avec l’oeuvre d’Ernst Jünger qui sortira Tommissen d’un ancrage exclusivement flamand. Fidèle à sa mémoire des dates, Tommissen nous rappelle que c’est le 30 janvier 1949 qu’il acquiert à Anvers, chez le bouquiniste Moorthaemers, un exemplaire de “Der Krieg als inneres Erlebnis” (= “La guerre comme expérience intérieure”). Sur le trajet Anvers/Baulers, notre homme lit ce livre d’une seule traite. Enthousiasmé et bouleversé par la lecture de cet ouvrage, il veut impérativement rencontrer l’auteur. Via Van de Voorde et la rédaction du “Standaard”, il apprend qu’Ernst Jünger vit dans le Würtemberg. Tommissen écrit: il jette sa petite bouteille à la mer... Armin Mohler, alors secrétaire d’Ernst Jünger, lui répond. Le contact est pris. Et le 25 octobre 1950, Tommissen monte dans le train de nuit pour Bâle. Arrivé au petit matin dans la métropole alémanique, il est reçu par la chère Edith Weiland, la future épouse d’Armin Mohler. Le lendemain, il s’embarque pour Zürich, où Mohler avait organisé une causerie sur Oswald Spengler. Dans les débats qui s’ensuivirent, un des participants évoque la figure de Carl Schmitt. Tommissen avait entendu parler de ces deux géants de la “Konservative Revolution” allemande dans les monographies que leur avaient consacré le Professeur Victor Leemans et d’autres exposants de la “Politieke Akademie” de Louvain. Piet Tommissen a rendu hommage à maintes reprises au travail de cette “Politieke Akademie”, dont il entendait pérenniser ou ressusciter l’esprit.

C’est à la suite de ce voyage à Zürich que Piet Tommissen entamera sa longue quête schmittienne. Il quitte au même moment l’entreprise qui l’employait à Baulers. Pendant de longues journées, au fil des semaines, Piet Tommissen va travailler à la Bibliothèque Royale de Bruxelles pour extraire toutes les informations possibles et imaginables sur l’oeuvre et la personnalité de Carl Schmitt, méritant, dès cette étape de sa vie, le surnom dont l’affublait avec tendresse Armin Mohler: “l’écureuil des Flandres”, qui glâne avec fébrilité des notes, recense des articles, cherche dates de naissance et de décès, comme le rongeur roux de nos chênaies ramasse glands ou noisettes. Chaque découverte est aussitôt envoyée à Carl Schmitt, qui, heureux que l’on fasse ce travail pour lui, le proscrit de la nouvelle Allemagne, répond toujours chaleureusement et finit par inviter Tommissen et son épouse Agnes à Plettenberg dans le Sauerland. Le couple y restera deux semaines. Le destin de Tommissen est scellé. Il deviendra et demeurera le fidèle disciple.

A Plettenberg pour le premier “Liber Amicorum” des amis de Carl Schmitt

Cette double expérience suisse et allemande fait de lui le porte-paroles en Flandre de ce qui subsiste de la “Révolution Conservatrice” dans les pays germanophones. C’est au sein de la revue “De Tafelronde” d’Ivo Nelissen (un ancien du “Vesperkring”) qu’il s’exprimera sur ces sujets. Les discussions avec l’abondante rédaction de la revue, et surtout, rappelle Tommissen, avec Koen Van den Bossche, portaient sur tous les thèmes de cette “Révolution Conservatrice”. En juillet 1953, l’ “Academia Moralis”, qui regroupe les amis de Carl Schmitt, ceux qui entendent l’aider dans le besoin et la détresse de l’immédiat après-guerre, décide de publier un “Liber Amicorum”, à l’occasion des 65 ans du grand juriste. Pour marquer le coup au jour de cet anniversaire, l’ “Academia Moralis” sort également de presse une première bibliographie de Carl Schmitt, fruit du travail de Tommissen à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Le jour de la remise officielle du “Liber Amicorum” à Schmitt, chaque participant, face à un Tommissen rouge de confusion et de bonheur, reçoit un exemplaire de cette bibliographie. Victor Leemans est présent, avec l’éditeur anversois Albert Pelckmans; il dit à Tommissen: “Ta bibliographie est plus précieuse pour la recherche ultérieure que le Liber Amicorum lui-même”. Leemans présente alors à Tommissen le philosophe “révolutionnaire-conservateur” Hans Freyer auquel le professeur louvaniste avait consacré avant-guerre une courte monographie dans le cadre de la “Politieke Akademie”. C’est ainsi que l’on a pu dire, qu’après la disparition de Leemans, Piet Tommissen a été le véritable vulgarisateur des thèses de la “révolution conservatrice” allemande en Flandre.

Force est de dire que l’esprit politique schmittien n’a pas trop imprégné la pensée politique flamande contemporaine, même dans ses marges censées demeurer germanophiles: en effet, les modes de pensée en sociologie et en sciences politiques sont désormais calquées sur leurs équivalents anglo-saxons, notamment à cause du recul général de l’enseignement de l’allemand et de l’omniprésence de l’anglais (le même phénomène s’observe en philosophie et en théorie littéraire). Plusieurs étudiants flamands m’ont déclaré que de jeunes assistants en sciences politiques à Louvain, dans les années 90, ignoraient jusqu’au nom de Carl Schmitt! Cette ignorance doit certes être en recul aujourd’hui, vu l’abondance de publications sur Schmitt en français et en anglais. En revanche, il est exact que les nombreux articles de Tommissen, qui introduisaient le lecteur flamand aux thèmes et aux figures de la “Révolution Conservatrice”, publiés dès le début des années 50, ont permis de maintenir un intérêt général pour ces thématiques. Mais l’exemple que nous lègue Tommissen, son inlassable engagement pour défendre et illustrer l’oeuvre de Carl Schmitt ou pour rappeler l’excellence des travaux de la “Politieke Akademie” de Victor Leemans, est celui d’une fidélité. Mais d’une fidélité à quoi? Aux “sources”.

Sources politiques et sources mystiques

Reste à déterminer quelles sont ces sources pour Piet Tommissen. Elles se répartissent en deux catégories: d’une part, les idées et les lectures que fait naître dans l’esprit d’un jeune adulte le sentiment de vivre dans un Etat qui n’est pas harmonieux, qui constitue une sorte de “cacocratie” en dysfonctionnement permanent et ne tient pas compte des aspirations profondes du peuple ou d’une majorité du peuple, objectivement discernable par l’appartenance ethno-linguistique; pour mettre un terme à la domination de cette forme “cacocratique”, il faut oeuvrer à proposer sans relâche des formes nouvelles et positives, qui n’ont pas la négativité des idéaux habituellement classés comme “révolutionnaires” (les oeuvres d’Orwell et de Koestler nous indiquent clairement quels sont les vices rédhibitoires voire criminels du totalitarisme “révolutionnaire” des gauches européennes de l’entre-deux-guerres). D’autre part, les individualités inclassables, qui peuplent le monde sympathique des avant-gardes, proposent des provocations qui se veulent dissolvantes de l’ordre établi; mais toute dissolution volontaire d’un ordre établi postule de ne pas tomber ou retomber dans les schémas froids du révolutionnisme des gauches: dans l’aventure du surréalisme belge (et surtout bruxellois), l’équipe dominante, autour de Scutenaire, Mariën et Magritte, ajoutait à ses provocations avant-gardistes une adhésion a-critique et provocatrice au communisme, affichée bruyamment sans être concomittante d’une réflexion profonde et véritablement politique. Par le fait de cette lacune, cette posture du groupe surréaliste bruxellois est parfaitement qualifiable de “poncif”, selon la terminologie même adoptée par les surréalistes qui s’inscrivaient dans le sillage d’André Breton. Paul Van Ostaijen, lui, propose une nouvelle immersion dans l’héritage mystique, sans doute suite aux travaux de Maerterlinck sur le mystique médiéval brabançon, Ruusbroec l’Admirable: il n’aura qu’un disciple parmi la première équipe des surréalistes de Bruxelles, l’ami de Tommissen, le peintre Marc. Eemans. Dans ses travaux philosophiques, celui-ci réhabilitera d’abord la mystique flamande Soeur Hadewych, provoquant l’ire des surréalistes engoncés dans leurs poncifs rationalistes et “révolutionnistes”: pour eux, Eemans sombrait dans les bondieuseries et s’excluait ipso facto du cercle des “vrais révolutionnaires”.

Au cours des années 30, Marc. Eemans et son compagnon René Baert éditeront la revue philosophique “Hermès” qui suggèrera, par la publication de premiers textes introductifs, de réamorcer une étude systématique de l’héritage mystique médiéval de Flandre et de Rhénanie. Aujourd’hui, le “Davidsfonds”, fondation culturelle flamande de très haut niveau liée à l’Université Catholique de Louvain (KUL), propose à ses lecteurs diverses études sur Ruusbroec, dues à la plume de philosophes et de médiévistes patentés, comme Paul Verdeyen. Aux Pays-Bas, Geert Warnar a publié chez l’éditeur Athenaeum/Polak-Van Gennep, un ouvrage très pointu sur Ruusbroec: ce sont là des études bien plus fouillées que les textes pionniers de la revue “Hermès”. De même, Jacqueline Kelen, en France, vient de publier un premier ouvrage sur Soeur Hadewych. Une lacune a été comblée, mais, hélas, dans le désintérêt général de la culture aujourd’hui dominante.

Hugo Ball et Ruusbroec l’Admirable

L’intérêt de Tommissen pour les avant-gardes, ou pour des peintres comme Propser De Troyer, Edgard Tytgat ou Alfred Kubin, relève évidemment d’un intérêt esthétique général, que l’on comparera utilement au rapport qui a existé entre Carl Schmitt et Hugo Ball. On sait que l’ancien dadaïste allemand Hugo Ball, pacifiste pendant la première guerre mondiale parce qu’il critiquait l’évolution négative qu’avait suivie l’Allemagne depuis Luther jusqu’au militarisme post-prussien du Kaiser Guillaume II, à l’instar des cabarettistes bavarois d’avant 1914. Sa critique du complexe protestantisme/prussianisme, qui n’avait pas l’aval de Carl Schmitt qui y voyait un “occasionalisme” sans aucune rigueur, l’avait amené à se replonger dans un catholicisme vigoureux (comparable à celui de Bloy) et à briser quelques bonnes lances pour défendre, d’une manière fort originale, les positions théologico-politiques du Schmitt du début des années 20. Eemans, lui, partira de la mystique flamande, à l’instigation du manifeste de Van Ostaijen, pour déboucher, à la fin des années 70 dans l’étude de l’oeuvre de Julius Evola, lui aussi ancien dadaïste dans l’entourage de Tristan Tzara. Tommissen s’intéressera également à Evola, dont il analysera surtout la vision de la décadence, au moment où son ami Julien Freund consacrait un livre entier, et solidement charpenté, à ce sujet.

Pour Tommissen, la fusion entre les notions politiques schmittiennes ou “révolutionnaires-conservatrices” (surtout Spengler et Freyer) et l’héritage religieux (catholique en l’occurrence) se trouvait toute entière dans les travaux de la “Politieke Akademie”, également édités par le “Davidsfonds” avant 1940. La “Politieke Akademie” du Prof. Victor Leemans n’avait pas voulu suivre une tendance fâcheuse, observable dans le corps académique après 1918: celle d’abandonner tout contact avec la pensée allemande pour lui substituer des modes françaises ou anglo-saxonnes. Elle avait résolument pris le parti d’étudier et de vulgariser, à l’intention des étudiants de première année, les grands thèmes de la pensée non libérale et non marxiste qui germaient en Allemagne. Victor Leemans, pour résumer ses thèses de manière didactique et pour léguer une sorte de manifeste, avait publié en 1938 un opuscule intitulé “Hoogland”, qui se voulait sans doute une sorte de calque flamand de la revue catholique allemande “Hochland” (celle-là même où Hugo Ball avait publié son maître-article sur Schmitt en 1925). Le texte de ce manifeste fourmille de phrases clefs pour comprendre le milieu dans lequel Tommissen s’est inséré après la seconde guerre mondiale. Victor Leemans plaide pour que la priorité soit sans cesse donnée aux hommes (et aux peuples dont ils émanent) et non aux idéologies, pures constructions intellectuelles procédant de l’esprit de fabrication (Joseph de Maistre), déplore la “politisation” —au sens trivial du terme— de la vie sociale en Belgique, exhorte les intellectuels et les universitaires à communier avec le peuple, pour l’élever moralement, en passant d’un socialisme de société à un socialisme de communauté (Tönnies). Rien de ce texte, 73 ans après sa publication ne pourrait être incriminé ni rejeté: il est un témoignage de sérénité et de charité, un véritable code de déontologie pour le candidat à la vie politique. Et là, nous revenons à Ruusbroec, maître spirituel qui enseigne la sérénité; en parlant des apôtres, Ruusbroec écrivait: “Ils vivent dans l’esprit sans crainte, sans peur ni souci, sans chagrin. Ils savent en leur esprit, qui procède de l’esprit de Dieu, qu’ils sont les fils choisis de Dieu. Cette assurance, personne ne peut la leur ôter. Car ils sentent la vie éternelle en leur esprit” (cf. G. Warnar, p. 278). Piet Tommissen a géré les matières jugées explosives des doctrines “révolutionnaires-conservatrices” et schmittiennes avec cette sérénité exprimée par Ruusbroec. En quelque sorte, la boucle, qui va de Van Ostaijen à Schmitt, est bouclée: la matière schmittienne a été traitée avec la sérénité préconisée par Ruusbroec. Ou pour oser une hypothèse: avec la quiétude que recherchait Ball après les tumultes et soubresauts de sa vie agitée d’avant-gardiste?

Le doctorat sur Pareto

Sans diplôme autre que celui de ses études secondaires à Saint Victor de Turnhout, Tommissen ne pouvait faire valoir à fond le fruit de ses innombrables recherches. Son entourage l’exhorte à passer tous les examens requis pour ensuite présenter une thèse de doctorat. C’est le Professeur Ernst Nolte qui induira directement Piet Tommissen à franchir le Rubicon; de Berlin, il ne cessait de lui envoyer des doctorants (sur le rexisme, sur Pierre Drieu La Rochelle, etc.). Pour gagner en crédibilité, Tommissen avait besoin d’un diplôme universitaire: il commence par suivre un cours de langues anciennes (latin et grec) puis par s’inscrire à la “Handelshogeschool Sint-Aloysius” (“Haute Ecole Saint Aloïs”) à Bruxelles, où il obtiendra avec brio, au bout de cinq ans, le titre belge de “Licencié” (équivalant à quatre ou cinq ans d’études universitaires). Tommissen, âgé de près de quarante ans, travaillait le jour et suivait les cours après 17 heures, avec la bénédiction et les encouragements de son épouse Agnès: on admirera au passage le courage, l’opiniâtreté et l’abnégation de notre homme. Il sera ensuite le premier docteur reçu par la nouvelle Université d’Anvers, l’UFSIA, avec sa thèse sur “l’épistémologie économique de Vilfredo Pareto”. Piet Tommissen pouvait commencer sa carrière universitaire.

De 1973 à 1976, il publie une revue en français avec Marc. Eemans, “Espaces”, qui consacrera notamment un numéro entier à la figure de Paul Van Ostaijen. Piet Tommissen, en dépit de ces cinq années d’isolement universitaire et du travail considérable qu’avait exigé sa thèse de doctorat, demeurait fidèle à son engouement pour les avant-gardes.

“Gardien des sources”

Dans ses “Verfassungsrechtliche Aufsätze”, Schmitt rend hommage à Savigny et appelle à la défense d’un droit comme expression d’un “ordre concret”, inséparable de l’histoire en laquelle il a émergé, s’est déployé et dont il procède. Il conteste simultanément le “monopole de légalité” que s’arroge l’Etat légaliste (ou nomocratique), fustige aussi les “Setzungs-Orgien” (les “orgies légiférantes” ou la multiplication anarchique des réglements) qui sont le propre des “pouvoirs législatifs déchaînés”. Schmitt évoque alors Jacob Bachofen (dont on connaît l’influence sur Julius Evola et sur quantité d’autres auteurs dont Ludwig Klages) et écrit cette phrase capitale à mes yeux: “Il ne s’agit pas aujourd’hui de donner un tour de vis de nature réactionnaire (en lisant Bachofen et ses émules, ndt) mais de conquérir une richesse incroyable de connaissances nouvelles, qui pourraient s’avérer fécondes pour les sciences juridiques actuelles et dont nous devons nous emparer en les travaillant et les façonnant. En vue de cette tâche à accomplir, nous pouvons laisser le positivisme mort du 19ème siècle enterrer ses morts” (p. 416). Et Schmitt conclut: “Savigny argumente en évoquant l’enfance, la jeunesse et la maturité des peuples. Il perçoit comme signe de la jeunesse d’un peuple le fait que la science (des sources, des racines, ndt) guide la vie du droit et garde les sources. Savigny pose cette science du droit comme autonome, tant contre la théologie et la philosophie que contre le pur artisanat qu’est cet art de fabriquer des lois. C’est là que réside le sens de sa démarche ‘historique’ et de son retour au droit romain et aux sources pures” (p. 420). Ne peut-on pas inscrire la démarche de nos avant-gardistes (Van Ostaijen, Eemans, etc.) et celle de nos “académiciens politiques” (Leemans, Tommissen, etc.) dans le cadre que posent implicitement ces citations de Schmitt? C’est en ce sens que Tommissen, à la suite de Leemans et d’Eemans, a été un “gardien des sources”.

Après le décès prématuré de son épouse Agnès, Piet Tommissen se retirera dans un appartement à Uccle, au sud de Bruxelles, où il rédigera plusieurs opuscules et plaquettes, notamment sur bon nombre de sujets que nous avons évoqués dans le présent hommage, ainsi que les deux précieux petits volumes autobiographiques, qui abondent en renseignements divers sur la vie culturelle flamande entre 1945 et 1965, dans le sillage de Victor Leemans. Nous mesurons par là tout ce que les générations ultérieures, dont la mienne, ont perdu en intensité et en qualité. Mais dans ce récit autobiographique, qui rend hommage aux maîtres et aux compagnons de jadis, je crois déceler un appel un peu angoissé: ces matières, ces revues et cercles, ces hommes, ces prêtres de la trempe des frères Walgrave ou de Lutkie, seront-ils oubliés, définitivement, sans qu’un “Master” (en langage de Bologne) ou un doctorant ne se penche jamais sur leurs oeuvres? La part de travail de Tommissen est achevée. Celle des autres doit commencer. Tout de suite.

Robert Steuckers,

Forest-Flotzenberg, 29 octobre 2011.

Sources:

Piet TOMMISSEN, Een leven vol buitenissigheden, I, APSIS, La Hulpe, 2009.

Piet TOMMISSEN, Een leven vol buitenissigheden, II, APSIS, La Hulpe, 2010.

Adresse des éditions APSIS:  koenraad.tommissen@2bhunt.eu

 

lundi, 31 octobre 2011

La naïveté européenne cache une régression menaçante dans le monde arabe


La naïveté européenne cache une régression menaçante dans le monde arabe

par realpolitiktv

Pire que la Grèce, la Californie !

Pire que la Grèce, la Californie !

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Le déficit californien atteint désormais 88 milliards de dollars (65 milliards d’euros) et la Californie, malgré les efforts de son nouveau gouverneur Jerry Brown, est désormais le seul Etat américain dont la notation financière est inférieure à celle de la Grèce…

L’État californien est terriblement endetté, mais il n’est pas seul. Beaucoup de ses municipalités, y compris celle de certaines de ses plus grandes villes sont très mal en point. Quelques exemples précis permettent de constater les dégâts, et certaines aberrations, qui rapprochent la Californie de… la Grèce.

En janvier 2009, l’Express posait la question : « La Californie est-elle au bord de la faillite ? » en rappelant les chiffres si souvent entendus « La Californie est l’Etat américain le plus riche et le plus peuplé. Indépendant, ce territoire de la taille de l’Italie et habité par 36,5 millions de personnes, serait la huitième économie mondiale » … Mais en ajoutant que son déficit atteignait alors 40 milliards de dollars.

En février 2009, « L’agence de notation Standard and Poor’s (S&P) a abaissé la note de la dette de l’État de Californie en raison de la crise budgétaire que traverse le territoire. Du coup, la Californie est désormais considérée comme le débiteur le moins fiable des États-Unis. » notait le quotidien la Tribune.

En février 2010, The Trumpet s’interrogeait « La Californie sera-t-elle la prochaine Grèce ? » et citait une réflexion du patron de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet (qui va quitter la direction de la BCE dans quelques jours). The Trumpet estimait la dette californienne à 200 000 dollars par habitant… et ajoutait que si l’Europe peut survivre sans la Grèce, l’économie américaine ne survivrait pas à une faillite de la Californie qui abrite un Américain sur huit.

Aujourd’hui, ce n’est plus de 40 milliards de dollars dont il faut parler, mais de 88 milliards de dollars (65 milliards d’euros) et la Californie, malgré les efforts de son nouveau gouverneur Jerry Brown, est désormais le seul État américain dont la notation financière est inférieure à celle de la Grèce

 

Le mensuel Vanity Fair s’intéresse à son tour à la Californie, et plus particulièrement à deux villes qui illustrent sa situation derrière l’apparence d’un des États les plus prospères des États-Unis, et bien sûr, à son ancien gouverneur, le très médiatique Schwarzenegger.

Mais Vanity Fair évoque aussi une inconnue, Meredith Whitney, analyste indépendante qui dirige sa propre société à Wall Street : le 14 décembre 2010, dans la célèbre émission d’information « 60 Minutes », elle se fait remarquer en soulignant que c’est au niveau local, au niveau des municipalités que l’Amérique est en train de couler.

Elle déclenche une salve de critiques mettant en cause son expérience, et l’accusant de parler sans savoir. En juillet 2011, l’agence Bloomberg écrit que la catastrophe qu’elle annonçait ne s’est pas produite, que sa crédibilité est remise en cause, et y consacre une longue dépêche pour réfuter sa thèse.

Pourtant, en cette fin d’année 2011, Vanity Fair estime qu’elle n’a peut être pas tort, et prend l’exemple de la Californie, la quintessence de l’Amérique et de son rêve avec Hollywood et la Silicon Valley. Elle s’étend le long de la côte du Pacifique de San Diego (frontière mexicaine) au sud, jusqu’à San Francisco au nord, sur plus de 800 Km mais elle ne couvre que 400 000 Km2, soit deux fois moins que la France.

Le journal considère que l’ancien gouverneur de l’Etat, Schwarzenegger y a réalisé quelques réformes importantes, mais que sur les recettes et les dépenses de la Californie, il a connu un échec total. A son arrivée au pouvoir en 2003, il atteignait 70% d’opinions favorables et l’on croyait que son mandat servirait à résoudre les problèmes financiers de la Californie. mais quand il est parti en 2011, sa cote de popularité était en dessous de 25%, et il n’a presque rien résolu.

Schwarzenegger répond qu’il n’a jamais eu les outils pour agir. David Crane, ancien conseiller économique démocrate, souligne que les pensions des fonctionnaires de l’État faisaient un trou deux fois plus grand dans le budget au départ de Schwarzenegger qu’à son arrivée.

Et il donne des détails précis et choquants : la Californie dépense 6 milliards de dollars pour moins de 30 000 gardiens de prison. Celui qui commence sa carrière dans une prison à 45 ans, peut prendre sa retraite 5 ans après avec une pension égale à la moitié de son ancien salaire… Le psychiatre en chef des prisons californiennes est le fonctionnaire le mieux payé de Californie : 838 706 dollars par an.

Si la Californie dépense 6 milliards pour ses prisons, elle ne consacre que 4,7 milliards à ses universités qui abritent 33 campus et 670 000 élèves, à comparer aux 30 000 gardiens. En 1980, un étudiant californien payait 776 $ par an en frais de scolarité ; en 2011, il paie 13 218 $. Partout, l’avenir à long terme de l’État est sacrifié.

Schwarzenegger reconnaît s’être rendu compte que quelque chose n’allait pas, lorsque mi-2007, les impôts ont rapporté 300 millions de moins en un mois, puis le mois suivant c’était 600 millions. En fin d’année, il manquait un milliard de dollars. Vanity Fair cite deux exemples. D’abord celui d’une grande ville que ceux qui ont parcouru la Californie connaissent, mais que les Français ne voient pas, aveuglés par San Francisco, qui n’est pas loin.

Déjà San Jose est une ville de près d’un million d’habitants. Elle se trouve à l’autre bout de la Silicon Valley qui commence aux portes de San Francisco. San Jose abrite le siège d’Adobe (éditeur du logiciel Photoshop etc.) et d’autres entreprises célèbres… Mais elle est au bord de la faillite. Ses malheurs ont, en fait, commencé dans les années 1990 avec le boom Internet, tout le monde s’est cru riche et les fonctionnaires municipaux ont voulu aussi leur part de gâteau, comme les policiers et les pompiers. En 2002, les policiers avaient été augmentés de 18%, puis les pompiers ont obtenu 23%. Les policiers ont réclamé une compensation pour être au même niveau.

Le maire de la ville, Chuck Reed, va jusqu’à dire qu’ils gagneront encore plus en retraite que lorsqu’ils travaillaient mais il espère ne pas en être au niveau de la Grèce en matière d’endettement. Pourtant les retraites et les mutuelles représentent plus de la moitié du budget, et ces dépenses continuent d’exploser.

Du coup, bien que la ville ait 250 000 habitants de plus, elle a dû réduire de près d’un tiers son nombre d’employés qui est passé de 7 450 à 5 400, soit le niveau de 1988. Les bibliothèques sont fermées trois jours par semaine, elle a licencié des pompiers et des policiers. Heureusement via un fonds fédéral de 15 millions de dollars, la ville a pu réembaucher, le 25 août dernier, 15 pompiers comme le montrent ces photos.

Si la situation ne s’arrange pas, en 2014, San Jose, 10e ville des USA ne pourra plus employer que 1 600 fonctionnaires. Les négociations avec les pompiers et les policiers n’avancent pas car ces deux corporations se considèrent comme indispensables, toutes les économies doivent donc se faire sur d’autres services à leurs yeux.

L’exemple de Vallejo, une autre ville californienne, qui se trouve près du bord nord-est de la baie de San Pablo, qui s’enfonce dans les terres au-delà de la baie de San Francisco illustre-t-il ce qui attend la Californie ? Le hall d’entrée de la mairie est vide, il y a un bureau d’accueil, mais personne derrière. Beaucoup de bureaux dans les étages sont vides. Cette ville de 117 000 habitants a fait faillite en 2008, les charges salariales des employés municipaux dévoraient 80% du budget municipal. Le taux de chômage en ville atteint 15,8%.

En août 2011, un juge a validé la banqueroute de Vallejo : ses créditeurs ont récupéré 5 centimes pour chaque dollar que la ville leur devait, rien de plus.

Atlantico

Da Giovane Europa ai Campi Hobbit

Da Giovane Europa ai Campi Hobbit

 

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

 

La narrazione della storia più recente è affidata soprattutto alla memorialistica, il cui peccato veniale – e limite spesso insuperabile – è l’autocompiacimento. Nel libro di Giovanni Tarantino, giovane storico palermitano e giornalista freelance (già redattore di EPolis e collaboratore del Secolo d’Italia, di cui è firma apprezzata), che le edizioni Controcorrente di Napoli hanno appena dato alle stampe, Da Giovane Europa ai Campi Hobbit (pp. 201, € 10), non ce n’è traccia.

 

Per l’autore, classe 1983, nessuna militanza politica alle spalle, gli anni tra il 1966 e il 1986 – «vent’anni di esperienze movimentiste al di là della destra e della sinistra», recita il sottotitolo – sono stati essenzialmente materia di studio e, non a caso, il saggio prende vita dalla sua documentata tesi di laurea in storia contemporanea. Una ricerca arricchita da testimonianze inedite, tutt’altro che facile da realizzare e anche per questo particolarmente preziosa, come certifica nella postfazione Luigi G. de Anna. La ricostruzione, senza ammiccamenti né omissioni, del cammino di più generazioni di militanti, in un dopoguerra che sembrava non finire mai, verso sintesi nuove che avrebbero consentito loro di farla finita con i miti incapacitanti, le parole d’ordine, tanto perentorie quanto anacronistiche, l’anticomunismo di maniera, il reducismo fine a se stesso e tutto l’armamentario, estetico ed estetizzante, del neofascismo italiano. Uscire dal tunnel del neofascismo, per dirla con una felice espressione coniata proprio dalla Nuova Destra, il movimento d’idee su cui Tarantino si sofferma con dovizia di particolari, sottolineando il filo rosso che lo lega ai “fratelli maggiori” della Giovane Europa, l’organizzazione fondata dal belga Jean Thiriart nel 1962. Con la “scoperta” dell’europeismo – l’Europa dei popoli, non certo quella dei banchieri – e il superamento del nazionalismo patriottardo, avviene una vera e propria mutazione antropologica e culturale prima ancora che politica. Se fino a quel momento, infatti, i neofascisti si erano limitati alla testimonianza di un mondo che non c’era più, in cui quel che contava era – come suggeriva Julius Evola – rimanere in piedi tra le rovine, con Giovane Europa facevano finalmente irruzione nell’attualità, uscendo dai vecchi recinti di appartenenza, senza complessi, scoprendosi parte integrante del proprio tempo.

 

«Proprio facendo riferimento al mondo giovanile dal quale queste realtà nascevano – sottolinea Tarantino – emergeva un dato fondamentale: le pulsioni di chi le animava erano assolutamente contestualizzate nell’ambito dei grandi fenomeni generazionali di due determinati periodi, il ’68 e il ’77, di cui hanno rappresentato espressioni compiute e legittime».

 

Il conservatorismo del Msi, intento a coltivare la rendita di posizione del partito d’ordine, fece sì che quella del ’68 divenne «un’occasione mancata» – come la definì Marco Tarchi –per i giovani di destra. Collocazione, quest’ultima, su cui nel libro di Tarantino si registra l’affettuoso «contrasto» tra il prefatore, Franco Cardini, e lo stesso Luigi G. de Anna, entrambi ex militanti di Giovane Europa e successivamente interlocutori privilegiati della Nuova Destra. «Eravamo ragazzi che avevano sbagliato collocazione», scrive nelle prime pagine lo storico fiorentino. «Noi, però, non fummo mai di sinistra», puntualizza il secondo, malgrado la pluralità di riferimenti non confinati al solito pantheon di autori di destra e la condivisione, con i coetanei di sinistra, dello spirito libertario della contestazione e l’infatuazione per icone “rivoluzionarie” come Che Guevara. Sta di fatto che il racconto sui due movimenti, sia pure diversi per contesto storico e ambizioni, non può certo esaurirsi tout court con la convenzionale collocazione storiografica nel solco dei gruppi neofascisti, o postfascisti che dir si voglia. L’insofferenza per l’ambiente di provenienza, del resto, era talmente forte da necessitare di un radicale cambio di mentalità, nuove forme di comunicazione – fumetti (autoironici come La voce della fogna) e radio libere – ma anche di strappi politici e simbolici. A cominciare dalla croce celtica, introdotta proprio da Giovane Europa e poi sventolata nei Campi Hobbit che si tennero tra il 1977 e il 1981, malgrado i vertici del Msi l’avessero dichiarata “fuorilegge”.

 

Tarantino nel libro cita, al riguardo, la spiegazione offerta da Gianni Alemanno, militante e poi segretario nazionale del Fronte della Gioventù: «Era la rottura con la vecchia cultura simbolica del partito – dice il sindaco di Roma – e l’affermarsi di un gramscismo di destra che prevedeva l’uso della metapolitica per conquistarsi la società civile». Mentre sull’Italia scendeva la nube della lotta armata, i ragazzi dei Campi Hobbit affilavano le armi della vivacità culturale, scatenando un’offensiva a tutto campo su temi innovativi: dalla musica “alternativa” alla scoperta dell’ecologismo, dal regionalismo – ben prima che nascesse la Lega – alla critica radicale all’occidentalismo e alle cosiddette esportazioni di democrazia.

 

Su quell’esperienza si è detto e scritto molto, troppo spesso nel tentativo di appropriarsi di un patrimonio che appartiene prima di tutto alle migliaia di ragazzi e ragazze che vissero quelle giornate in barba a ogni direttiva di partito o di corrente coniugando militanza e libertà. Così com’era accaduto per i giovani di Giovane Europa, coloro che parteciparono a quell’epopea sono cresciuti e hanno scelto strade diverse, spesso contrastanti. Il tentativo di sviluppare nuove sintesi si è dimostrato velleitario e il progetto è naufragato, ripiegando su una dimensione meramente intellettuale e impolitica. Un dato innegabile, tuttavia, emerge, pagina dopo pagina, dal lavoro dello storico palermitano: le esperienze e le elaborazioni della Giovane Europa, prima, e della Nuova Destra, poi, hanno fatto sentire i loro effetti nei decenni successivi rinnovando e “sdoganando” l’area politico culturale della destra italiana, contribuendo a creare una classe dirigente (non soltanto “di” e “a” destra) in grado di affrontare con maggiore consapevolezza e lucidità le complesse sfide della modernità.

 

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Tratto, con il gentile consenso dell’Autore, da Area di ottobre 2011.

Warum schweigt der Internationale Strafgerichtshof zum Tode Gaddafis?

Warum schweigt der Internationale Strafgerichtshof zum Tode Gaddafis?

Alexander Mezyaev

Die Tötung des libyschen Machthabers Muammar al-Gaddafi rückt entscheidende Fragen des Völkerrechts ins Zentrum der Aufmerksamkeit. Der russische Außenminister Sergej Lawrow forderte eine genaue Untersuchung der Umstände des Todes Gaddafis. Auch die weltweit führende Menschenrechtsorganisation Amnesty International hat zu der Angelegenheit Stellung genommen. Aber der Internationale Strafgerichtshof (ICC) in Den Haag schweigt. Warum?...

Als Gaddafi gefangengenommen wurde, lebte er noch. Wenig später war er tot – die Videoaufzeichnungen zeigen ein Einschussloch in seiner linken Schläfe. Allein das reicht schon aus, seinen Tod als Kriegsverbrechen einzustufen.

Mehr: http://info.kopp-verlag.de/hintergruende/geostrategie/alexander-mezyaev/warum-schweigt-der-internationale-strafgerichtshof-zum-tode-gaddafis-.html