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mardi, 28 octobre 2025

Le Japon se réveille à la Tradition

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Le Japon se réveille à la Tradition

Moscou voit une nouvelle voie alors que le Japon passe d’un déclin libéral à une consolidation sur base de ses valeurs ancestrales

Alexander Douguine

Alexander Douguine voit le tournant du Japon sous Sanae Takaichi comme un réveil civilisateur qui pourrait aligner Tokyo avec la Russie dans la révolte mondiale contre le libéralisme.

Le Japon a élu sa première femme Premier ministre — Sanae Takaichi. Son élection constitue un signe politique très sérieux.

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Partout dans le monde, l’idéologie libérale s’effondre. Dès le début des années 1990, elle avait dominé la politique, l’économie et la culture — presque sans rencontrer d'opposition. Pourtant, après trente-cinq ans de règne ininterrompu, le libéralisme est arrivé à une exhaustion totale. Ses principes fondamentaux — universalité des droits de l'homme, la notion de « fin de l’histoire » (Fukuyama), le principe de l’identité individuelle, la woke culture, l’idéologie transgenre, l’immigration illégale, et le multiculturalisme — ont échoué à l’échelle mondiale.

Les libéraux étaient sur le point de prendre le contrôle de toute l’humanité; aujourd’hui, le libéralisme et le mondialisme s’effondrent partout. La Russie, la Chine, l’Inde, le monde islamique, les pays africains et l’Amérique latine — unis dans le BRICS — se sont levés précisément contre ce programme. L’élection de Donald Trump a été le premier grand coup porté à l’hégémonie libérale: dès son premier jour au pouvoir, il a rejeté les dogmes fondamentaux du projet libéral, y compris l’activisme LGBT et transgenre, ainsi que l’idéologie de la Critical Race Theory — celle du racisme anti-blanc qui avait envahi l’éducation et la culture occidentales. Tout ce paquet a été rejeté par la majorité de l’humanité non-occidentale, et maintenant aussi par l’Amérique elle-même. Seule l’Union européenne reste la dernière forteresse de ce pandémonium, bien que tous ses États membres ne partagent pas encore les mêmes convictions.

Il n’est donc pas surprenant que le paradigme libéral ait également disparu au Japon — longtemps considéré comme un pays intégré dans le monde occidental centré sur l’Amérique. À l’instar des Etats-Unis trumpistes, le Japon a élu une femme qu’on peut qualifier de « Trumpiste » — ou peut-être de «Trumpiste japonaise ». Sanae Takaichi incarne des valeurs traditionnelles: elle voit le mariage comme une union entre un homme et une femme, elle trouve normal que les femmes prenant le nom de leur mari après le mariage, et vise le « zéro immigration » — ce qui signifie que les migrants illégaux et légaux devraient être expulsés du Japon.

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Takaichi appelle à un retour à la foi shintoïste, à une réaffirmation du culte impérial, et à la renaissance du bouddhisme traditionnel. Elle visite régulièrement le sanctuaire dédié aux morts de la guerre de la Seconde Guerre mondiale, défiant ouvertement les récits libéraux sur le passé du Japon. En substance, elle prône la restauration de la souveraineté militaire et politique du Japon. Il est frappant que la première femme Premier ministre ait autrefois joué de la batterie dans un groupe de heavy metal. Cette femme remarquable — une ancienne batteuse de métal — mène désormais la renaissance de l’esprit samouraï, des valeurs traditionnelles, du culte impérial, de la religion shintoïste, et du culte de la déesse du soleil Amaterasu, ancêtre de la lignée impériale.

C’est rien de moins qu’une révolution conservatrice au Japon, qui se déroule sous nos yeux. Le parti bouddhiste modéré Komeito s’est retiré de la coalition de gouvernement avec le Parti libéral-démocrate maintenant dirigé par Mme Takaichi. Pourtant, elle a mobilisé une autre force — le Parti de l’innovation japonaise (Ishin no Kai), encore plus à droite et conservateur.

Est-ce une bonne ou une mauvaise chose pour nous ? Idéologiquement, c’est positif. La Russie aussi revient à des valeurs traditionnelles — aux idéaux de l’Empire, de l’Orthodoxie et de l’identité nationale. C’est notre tendance, comme c’est le cas en Amérique et de plus en plus dans le monde entier. Le Japon, qui se dresse aujourd'hui contre le libéralisme, ne fait que rattraper le reste de l’humanité, qui se débarrasse rapidement de toute la pourriture de l’idéologie libérale.

L’Union européenne reste le dernier bastion du déclin, de la dégénérescence et de la sénilité politiques — mais probablement pas pour longtemps. Le Japon, en revanche, rejoint les rangs des pays fondés sur des valeurs traditionnelles. La Russie appartient à ce même camp, ce qui crée un terrain fertile pour le dialogue.

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Parallèlement, le Japon reste néanmoins bien ancré dans le cadre de la politique étrangère américaine. Sa militarisation croissante signifie qu’il adoptera une ligne plus agressive dans la région du Pacifique. La Russie et le Japon ont une longue et difficile histoire commune — à commencer par la guerre russo-japonaise du début du 20ème siècle, lorsque Tokyo, après la restauration Meiji, s’était orienté vers les États-Unis. Cela pourrait présenter un certain risque pour la Russie.

Pourtant, cette nouvelle orientation du Japon est un défi encore plus grand pour la Chine — un autre géant du Pacifique, et ami proche ainsi que partenaire de la Russie. C’est pourquoi la restauration de relations normales avec un Japon récemment redevenu traditionaliste — et désormais idéologiquement plus proche de nous — ne doit pas se faire au détriment de notre partenariat qu'est la Chine, notre principal allié et partenaire fondamental .

Cependant, si nous voyons dans Sanae Takaichi — cette « batteuse d'esprit samouraï » — quelqu'un qui amorce un véritable mouvement vers la Russie et qui preste un effort sincère pour atteindre la souveraineté stratégique du Japon, c’est-à-dire vise à se libérer du contrôle direct du pays par les Américains, alors nous aurons une bonne base pour discuter. La Russie pourrait établir une relation bilatérale avec le Japon basée sur des intérêts mutuels. Nous pourrions même agir en tant que médiateurs de la paix dans le Pacifique, aidant nos amis chinois à passer de la confrontation à une forme de coopération en Asie de l’Est. En tant que grande puissance pacifique, la Russie pourrait jouer un rôle important dans cette transformation.

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Il est encore trop tôt pour dire ce que la gouvernance de cette exceptionnelle figure du Japon — qui incarne l’essence symbolique de la déesse Amaterasu — apportera. Mais, quoi qu'il en soit, son arrivée au pouvoir marque un moment remarquable dans l’histoire du Japon. Et peut-être, sous cette nouvelle « Déesse Amaterasu », la Russie pourra établir des relations constructives, tournées vers l’avenir, et multipolaires avec le Japon — des relations basées sur les plans idéologique, civilisationnel et géopolitique — en harmonie avec notre alliée et partenaire la plus chère, la grande Chine, où les valeurs traditionnelles prévalent également.

Au fait, les valeurs traditionnelles triomphent aussi dans la belle Corée du Nord — contrairement à ce qui se passe en Corée du Sud, pays qui demeure l’un des bastions de la décadence libérale. J’espère cependant que ce ne sera que temporaire, et que la Corée retrouvera son unité et sera alors véritablement coréenne. Il faut aussi se rappeler qu’il existe de profondes tensions entre la Corée et le Japon.

En résumé, la Russie a maintenant une chance de réinitialiser ses relations avec le Japon sur la base d’un retour commun aux valeurs traditionnelles. Voyons ce que cela donnera.

Gracq, le goût, le jugement, la littérature

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Gracq, le goût, le jugement, la littérature

par Claude Bourrinet

J'ai tenu à reproduire le texte de Gracq qui suit, et qui appartient aux entretiens accordés à Jean Carrière. Il y est question de "goût", point d'ancrage, s'il en est, de la critique littéraire depuis Montesquieu, depuis le début du XVIIIe siècle. Ce critère de valeur appartient particulièrement au monde du classicisme, ou du néoclassicisme, qui s'inscrit dans la longue tradition romaine d'une culture livresque nécessaire à la sélection des oeuvres. Certaines demeurent "classiques", illustres, donc, et destinées à être étudiées en classe.

Gracq est plus ou moins embrigadé par une certaine droite, il est vrai de moins en moins substantielle, soit qu'elle tende à s'amenuiser avec le nombre de ceux qui lisent encore, ou qu'elle tende même à constituer une minorité parmi ceux qui se contentent d'une consommation d'ouvrages produits industriellement. Gracq a la réputation d'être provincial, terne, grisâtre, sans scandales, sans cette ostentation provocatrice que prisent volontiers les entrepreneurs d'idées de notre pays, de gauche, certes, mais pas toujours. Partant, on a cru l'incorporer dans la cohorte des réactionnaires. A vrai dire, si la droite s'en est réjouie, la gauche littéraire l'a dénoncé comme tel.

C'est évidemment mal le connaître. Les exemples sont extrêmement nombreux de sa dilection à privilégier, parmi les livres qu'il a croisés, ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont sécrété assez de poudre pour faire exploser une ville, comme certaines oeuvres de Stendhal, de Rimbaud, de Lautréamont, des surréalistes, de Claudel et d'autres, ou qui (et ce sont du reste les mêmes) ont ouvert grand les portes sur le vent du large.

Sa conception de la littérature, du moins du roman, appartient de plain pied à la modernité. Pour lui, un roman est tout fiction : le monde supposé "extérieur", les personnages, les indices de réalité, rien n'est lié au "réel". Même la mort, qui termine invariablement ses romans, n'a de valeur qu'imaginaire. C'est-à-dire que ce qui donne consistance à un récit, c'est le verbe, le mot, la phrase. En ce qui concerne son "style", il trace un sillon d'existence avec une entière liberté d'invention, tordant, ses longues phrases, les disloquant, les nouant et les dénouant dans un jeu qui, parfois, semble nous faire perdre la piste, mais nous y ramène par des chemins de traverse. Le "sens" qui se dégage de ses romans trahit aussi une position singulièrement "rebelle", puisque, dans un premier temps, après avoir braisé l'atmosphère où se noient ses personnages dans de noires lumières, il dérive vers les lisières de l'Histoire, entre rêverie et abandon à l'instant, pour finir par choisir, avec joie et gratitude, l'appel de la Terre, non celle des paysans, comme invitait à le faire un Barrès, mais à la façon du poète, qui unifie le monde sur le point concret où s'inscrivent les pas du promeneur.

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Gracq n'est pas du tout "classique", ni passéiste, dans tous les domaines. Il se réclame ardemment du romantisme, surtout du romantisme allemand, Novalis, Hölderlin, Arnim, Kleist et d'autres, et surtout des poètes qui ont marqué les différentes ruptures de la poésie française, depuis Nerval et Baudelaire, jusqu'à Breton, en passant par Rimbaud, Lautréamont. Rappelons aussi qu'il était un fervent admirateur de Jünger. La littérature de fauteuil douillet, et la peur d'effaroucher le bourgeois (sans qu'il eût le désir de l'épater, ou de le déranger) n'étaient pas de son monde.

"L'idée de "goût" est difficilement dissociable de celle de « culture », et celle-ci de la digestion et de la longue rumination de la littérature passée. C'est avec le développement de cette culture que le goût est censé se former : plus ou moins conservateur par sa nature, il tient à une tradition, et cherche inconsciemment, peu ou prou, à la prolonger dans le tri qu'il opère de la littérature qui se fait. Pour cette raison, et pour d'autres, c'est une notion peu franche, qui ne s'avoue pas tout à fait pour ce qu'elle est, plutôt hostile à la nouveauté, et qu'il y a intérêt à utiliser le moins possible : l'idée de jugement, par exemple, paraît en matière de littérature, plus claire et plus saine que celle de goût. Le surréalisme, à mon avis, comme le romantisme autrefois, comme tous les mouvements révolutionnaires, a été parfaitement fondé à le suspecter (« Je me fais du goût l'idée d'une grande tache », a écrit à peu près Breton). C'est une idée qui tend à se rasseoir, comme s'est rassise déjà l'idée équivoque de « Beauté ».