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samedi, 11 octobre 2008

Pour un dépassement du projet moderne

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POUR UN DEPASSEMENT DU PROJET MODERNE

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Écrit par Jean-Baptiste Santamaria   

Trouvé sur: http://groupe-sparte.com

La philosophie émerge en même temps que la décadence d’Athènes et des autres cités grecques.
Bien sûr les hommes n’ont pas attendu la philosophie pour penser ni pour être sages ou savants.
On a coutume de dater le départ de la démarche philosophique avec la dialectique (purement orale) de Socrate. Xénophon et Platon deux de ses disciples ont laissé trace écrite de son enseignement.
Socrate est un soldat endurant, courageux; sur le plan politique il dédaigne les joutes oratoires des diverses assemblées athénienne au profit de dialogues en cercle restreint sans rétribution.
Il sera condamné à mort par le parti du démos et fidèle aux lois de la cité il ne cherchera pas à se dérober à la sentence ou à la négocier.Le parti démocratique n’aimait pas son caractère provocateur et indépendant,son ironie; Socrate n’avait pas hésité à braver la foule en s’opposant à la condamnation des géneraux  suite à la bataille navale des Arginuses.
Le peuple avait pris du poids politique dans l’Athènes du V°siécle. La marine prenait de l’importance-le commerce poussait au développement de la flotte-et les marins constituaient la couche populaire de l’armée. La victoire de Salamine constitue un épisode glorieux et caractéristique de l’évolution maritime d’Athènes (Sparte restant une cité attachée à sa glèbe) la cité s’était embarquée avec femmes et enfants laissant la ville aux envahisseurs (seul un petit contingent restera retranché vite exterminé) donc du développement de l’hégémonie du démos.
Opposition antidémocratique emblématique de la part de Socrate.
Mais aussi opposition à la tyrannie de quelques ploutocrates (gouvernement des Trente) :requis par le gouvernement pour aller se saisir d’un opposant (dans le but d’accaparer ses biens au profit des tyrans, Socrate refuse au péril de sa propre vie.
C’est donc un profil quelque peu « anar de droite » que l’on retiendra du père de la philosophie :rejet des grandes fêtes politiques et des querelles entre factions mais tout en incarnant le dernier représentant du soldat-citoyen courageux, sobre et endurant.
Platon va quelque peu infléchir cette ligne, sans doute est-ce la situation historique qui le pousse à s’adapter.
Platon va proposer un autre modèle de vie :le bios politikos est remplacé par le bios qeoretikos  ,la contemplation de l’Etre se substitue comme modèle existentiel supérieur, au mode de vie politique de la cité grecque classique.
A la décharge éventuelle de Platon :cet abandon apparent du primat du politique fixé aux élites n’est que la conséquence du constat de la crise de la cité athénienne.
Le régne des sophistes traduit sur le plan intellectuel la réalité de la démocratie-manipulation du démos par les démagogues au profit de nouvelles générations de ploutocrates,oligarques.

C’est face à cette décadence que Platon propose dans sa République (poliqeia=constitution) une réforme politico-morale de la Polis (cité).
On sait que son ouvrage majeur propose un modèle de Cité soit pour une réforme véritable soit pour servir de norme à viser.
Le réformateur reprend l’organisation-type des sociétés européennes dotées des trois fonctions :le prêtre (ici le philosophe),le gardien (guerrier) et le poïéte (l’artisan, celui qui  fait).La cité a pour telos (finalité) la contemplation de l’Etre,cette fonction suprême est dévolue aux philosophes mais la cité la leur confie en tant qu’activité centrale de tous.
Le philosophe est donc le dernier maillon, le plus élevé, dans la hiérarchie politique ;mais cette « division du travail » est apparente puisque si le guerrier ou l’artisan (agriculteur, maçon etc)permettent au philosophe de contempler ils contemplent aussi par procuration. Toute la cité est tendue vers ce télos qui la justifie,qui la « fonde ».
Mais le philosophe ne se contente pas de tendre à une saisie de l’Etre, il est chargé du gouvernement de la Cité. Plus encore le long cursus qui le mène par sélections successives à cette fonction (il est choisi parmi la caste des gardiens et se révèle le meilleur dans les activités de guerre et de magistrature) implique qu’il s’immerge totalement dans les affaires de la Cité. Après la formation classique du guerrier (musique, gymnastique etc) à trente ans il entreprendra diverses magistratures, dés cet âge il alternera cette fonction politique avec la fonction théorétique (contemplation des Idées de l’Etre).Ruse du législateur :la contemplation est tellement gratifiante que la gestion du politique avec ses retombées (gloire, enrichissement, pouvoirs etc)apparaît bien pâle,peu attrayant.Le philosophe (ex-gardien)éduqué donc dans le rejet des fausses valeurs retournera avec plaisir à la contemplation après avoir fait sa période comme magistrat .

Sautons quelques siècles mais toujours sous les auspices de nos grands ancêtres indo-européens de l’Attique ou du Péloponése. Maurice Bardéche dans Sparte et les Sudistes se livre à une analyse de la Cité européenne des années soixante,dresse un bilan dégage l’origine de la crise comme émanant de la mise sous le boisseau des valeurs liées à la fonction guerrière.

C’est sous ce double patronage que nous tenterons de « refonder » la cité européenne.
Redonner la primauté au courage, la sagesse et la tempérance comme valeurs centrales, rétablir sur ses pieds cette vieille organisation millénaire, restaurer la hiérarchie « naturelle » en rendant l’hégémonie aux valeurs guerrières et de contemplation .

Si les valeurs du libéralisme et ses vertus (la négociation, l’organisation rationnelle du monde et notamment le travail) sont aujourd’hui hégémoniques elles ne peuvent à elles seules assurer la cohésion de la cité. Remettons donc chaque fonction à sa place.


La question de l’Etre et de l’être-au-monde


La Cité n’est qu’un être parmi d’autres. Un ordre inséré dans un autre ensemble, un autre ordre. La politique qui régit la cité ne peut donc être une valeur en-soi, une valeur suprême.
Les Grecs croyaient en l’existence d’un Cosmos c’est à dire un ordre naturel incréé (les dieux eux-mêmes sont installés dans ce monde mais ne l’ont pas créé),ordre c’est à dire harmonie.
La mesure est donc la  vertu qui signale l’acceptation de cette harmonie. La démesure (ubris) est donc le « péché » capital.  Rien de trop (meden agan) est  une maxime centrale applicable dans toutes les strates du réel (la Cité ,l’Economique ou le cours d’une planète).
Le politique n’est donc pas pour cela le fondement de l’être des hommes c’est une institution (nomos) qui se greffe et s’articule sur la strate naturelle (fusis) d’où une certaine distanciation.
La primauté du politique que nous interrogerons plus loin est donc toute « relative » , à prendre avec du recul ,de l’ironie ,cum grano salis.
Il ne saurait donc dans cette optique sacraliser la société, l’Etat, l’argent etc Par exemple les théories romantiques (hégélianisme) dans leurs versions  prolétarienne, raciale, nationale seraient à rejeter.
Sans aller jusqu’à prétendre que la valeur qui fonde la Cité est la contemplation de l’Etre nous nous bornerons à nous référer au mystère de l’être comme « justifiant » le politique, le surdéterminant .

Nous développerons plus avant notre défense de la tradition,  notre rejet de la modernité et du constructivisme. Disons simplement maintenant que nous ne prétendons pas ici faire table rase de la civilisation européenne et proposer ex nihilo un projet de « société » issu de quelque spéculation ce qui serait foncièrement contradictoire avec notre démarche générale de référence au « réel » au « naturel » à l’acquis. Il n’est donc question dans ces pages ni de proposer dans les pas de Saint Augustin, Platon ou Cicéron, une cité idéale mais de nous inscrire dans un déjà là politique,naturel.
Il est encore moins question de « fonder » cette cité sur une base scientifique quelconque.
Attardons nous quelques instants sur la question du fondement en général et de la cité en particulier.
Marx  prétend fonder sa réforme sur une base scientifique :une analyse matérialiste, objective, de la société anglaise de son temps l’autoriserait à pronostiquer des changements objectifs qu’il va faciliter par sa théorie et son organisation politique.
Avec les Grecs nous pensons que le politique ni la nature ne se fondent en raison.
Rien dans les science s de l’homme ou de la nature ne nous autorise à fonder sur une évidence première notre vision du monde. Nous ne détenons pas en ce qui concerne la physique (science de la nature) l’équation fondamentale d’où tout le reste se déduirait mécaniquement-le modèle standard (big bang) n’est qu’une hypothèse ;l’hypothèse étant le statut de tout énoncé scientifique).Encore moins en histoire ou sociologie ou économie ou politique nous ne possédons de loi vérifiée absolument. Nous ne saurons donc nous autres humains fonder ni notre savoir ni notre pratique.
La certitude que nous procurerait la démarche scientifique irait plutôt dans l’autre direction : depuis Gödel nous savons que tout système logique ou mathématique d’une certaine puissance ne saurait se valider (se prouver) à l’aide de ses seuls énoncés (théorèmes d’incomplétude et d’indécidabilité).Les mathématiques sont certes des ensembles cohérents mais lacunaires, contenant des poches de chaos d’irrationnel. A  fortiori la physique ou l’histoire recèlent de cet irrationnel et ce à tous les niveaux d’observation -Cornelius Castoriadis parlait d’une dualité topologique entre l’ordre et le chaos irréductible dans notre analyse de l’être.
La modernité qui prétend se barder de la certitude que procure la science n’est donc qu’une croyance qui se masque ,œuvre de charlatans.
Il n’est donc pas possible de faire dériver un mode d’organisation de la Cité d’un théorème ou d’une loi naturelle.
Double conséquence :_nos références à un ordre naturel ne sont donc pas démontrables. Nous ne prétendrons pas lutter avec nos adversaires en nous bardant de certitudes physiques. Nous acceptons le jeu (la liberté) inhérent au politique ,aux choix à y opérer aux risques à prendre.
Notre liberté de commettre des « erreurs » des crimes nous la revendiquons, plutôt nous l’acceptons comme relevant simplement de la condition humaine. Condition qui nous est imposée en quelque sorte à nous humains installés dans un cosmos qui ne se plie ni à nos actes ni nos spéculations.
                                -symétriquement nos adversaires modernes qui prétendent depuis la nature ou leur morale universelle fonder leur pratique politique (les droits de l’homme) n’y sont pas autorisés.


Il n’est donc ni question de fonder le politique sur une base indiscutable (évidence première à la Descartes) ni d’en dériver l’organisation de la Cité juste.
Ce qui fait la noblesse du politique c’est ce beau risque à prendre lors des  décisions .L’homme de droite assume sa « liberté » c’est à dire qu’il reconnaît l’absence de déterminisme (aucune loi de l’histoire qui se déroule, aucune certitude morale absolue).
Notre référence au droit naturel, à la nature en général est une simple acceptation d’un cadre certes harmonieux mais troué par le chaos en tout cas par un ordre qui nous échappe.

C’est la reconnaissance de cette condition humaine marquée au sceau du tragique qui est notre marque distinctive.

Si le politique est marqué d’un tragique qui lui est propre (hétérotélie, impuissance à mettre en place des institutions stables, guerres endémiques…) arrêtons nous un instant sur le tragique inhérent à la condition humaine en géneral.
Les sources du tragique :
Les mythes et les religions nous parlent bien avant les sciences de ce tragique qui procède de l’ambiguïté de la condition humaine. La Genèse ou le mythe de Prométhée (in Les Travaux et les jours d’Hésiode) nous parlent des hommes condamnés à l’indirection, l’ambiguïté de leurs actes .Quelque soient leurs actions ils se débattent dans la souffrance le mal et la laideur cet horizon est indépassable le mort étant emblématique de cette finitude et cette ambiguïté.
L’homme est installé dans ce monde et ses limites ;bien fol qui prétend sortir de ce monde.
Cette démesure est pourtant caractéristique de la modernité.
Prétendant s’affranchir de la nature ,fonder et reconstruire selon les seules lueurs de la raison un monde humain voire une seconde nature pour en évincer la souffrance et le mal la modernité n’a débouché que sur un autre mal :le déracinement.

La critique phénoménologique de la modernité :
En provenance d’Allemagne notamment du penseur de l’Etre Heidegger s’est développé en France un courant qui débouche-peut être à son corps défendant- sur des similitudes d’analyse. Le plus interessant et le plus honnête (voir le débat avec Thierry Maulnier in Sens et non-sens) est sans doute Merleau-Ponty (outre la trajectoire captivante d’Albert Camus).
Sans rentrer dans des débats spécifiquement philosophiques rappelons certains points car liés à la question du fondement évoquée ci-dessus.
Dans « Phénoménologie de la perception » Merleau-Ponty rejette aussi bien le subjectivisme que l’objectivisme. Ces théories prétendent toutes deux assurer un fondement à notre connaissance et notre pratique. La première assurant que la pensée humaine est le sous-bassement qui garantit la validité, la cohérence de notre savoir .La seconde que l’esprit ne tire cette cohérence que de celle du monde qui constitue le socle validant toute connaissance.
Dans les deux cas une rationalité totale est permise. Le statut de la croyance est celui d’un dérivé de cette raison.
Merleau-Ponty reprend la thèse allemande d’un déjà là, d’un monde qui nous préexiste ;mais ce monde n’a pas un statut objectif-existant en dehors de la pensée des hommes-.Le concept jeu de mot ek-sistence est forgé. L’homme est inscrit dans cet univers qui lui même n’est pas donné comme évident. L’homme est sa raison ne peuvent donc se prévaloir d’aucune garantie préalable mais cette pensée est inscrite dans un cadre, une chair. Cette incarnation de l’esprit dans une chair et dans une patrie (l’Heimat de Heidegger/holderlin) est indépassable.
Merleau-Ponty est le premier à évoquer l’incarnation, l’inscription de l’homme et de sa raison dans un umwelt,un monde qui l’entoure qui lui est premier.
C’est un acte important dans la rupture avec le projet de maîtrise du monde de la modernité.
Depuis la Renaissance et une certaine lecture des Anciens se faisait jour le programme de l’Humanisme. Comme son nom l’indique ce courant prétend accorder le primat à l’homme et en particulier ce qui le distinguerait de l’animalité-naturalité :la raison.
Le progrès :
En rupture donc avec le monde antique (primat du Cosmos) et du christianisme (organisation et hégémonie divine) la modernité prétend remettre à plat le monde et le faire plier notamment via la technique aux desiderata de l’espèce humaine.Le monde serait totalement transparent en droit à l’analyse rationnelle et à la pratique de transformation opérée par l’homme ;bien plus cette activité de longue haleine se double d’une dimension morale typique elle aussi du régne humain. C’est le progrès ce progrès est un processus rationnel donc s’inscrivant dans le temps et soumis à une technique. Progrès moral et technique signifie une amélioration des conditions d’existence mais aussi de l’Etre même de l’homme.
C’est donc la consommation d’une rupture totale avec tout ce qu’on appellera les sociétés traditionnelles.
Attardons nous sur cette opposition entre tradition et modernité.


Tradition et Modernité

Observons un instant l’opposition entre ces deux philosophies de la vie sous l’angle de deux catégories fondamentales :l’espace et le temps.
Le village planétaire, la jet society incarnent la modernité la plus extrême :l’espace se veut aboli grâce à des moyens de communication des êtres matériels et immatériels. La Modernité est l’expression de la raison et la raison émet des jugements universels ;c’est à dire valable en tous lieux (et sans doute en tous temps puisque l’histoire est revisitée à l’aune de nos actuelles catégories :Ex :le révisionnisme des droits de l’homme).Si ces analyses qui revêtent l’aspect de lois objectives donc normatives sont valables en tous lieux l’espace et ses particularités sont gommées .C’est la mondialisation, l’universalisation des modes de vie et de penser.
Et il n’est pas indifférent que la puissance qui est à l’origine de cette négation des particularismes ,des localismes nie aussi le temps.

Les Etats Unis sont un peuple jeune sans histoire. Patrie de l’espace sans fin (la nouvelle frontière)-peu importe si ces terres sont déjà occupées -c’est aussi celle de la négation du temps ou son ravalement à une dimension rationnelle :l’argent.
Laissons parler Nietzsche dans ses Considérations inactuelles II,3 :
« Chacun le sait qui s’est rendu compte des terribles effets de l’esprit d’aventure,de la fièvre d’émigration,quand ils s’emparent de peuplades entières,chacun le sait, qui a vu de près un peuple ayant perdu la fidélité à son passé,abandonné à une chasse fiévreuse et cosmopolite de la nouveauté sans cesse renouvelée.Le sentiment contraire,le plaisir que l’arbre prend à ses racines,le bonheur qu’on éprouve à ne pas se sentir né de l’arbitraire et du hasard,mais sorti d’un passé- héritier,floraison,fruit- ce qui excuserait et justifierait même l’existence :c’est là ce que l’on appelle aujourd’hui,par prédilection, le sens historique. »
Les E.U. pour reprendre l’expression de Camus fait partie de ces peuples-enfants,peuples sans histoires, qui prétendent faire table rase des acquis de leurs peuplades d’origine, se mélanger et démarrer à zéro.
Ce déracinement est le responsable de la crise actuelle de l’Europe et de l’occident.
Remettre les compteurs à zéro et construire une praxis totalement rationnelle c’est l’obsession de la modernité.
La tabula rasa se trouve chez Descartes comme dans les paroles de Pottier,l’Internationale.
Refuser les préjugés (ce qui a été pensé par d’autres avant nous) partir d’ trouve chez Descartes comme dans les paroles de Pottier,l’Internationale.
Refuser les préjugés (ce qui a été pensé par d’autres avant nous) partir d’une société ou d’une idée neuve et incontestable par la logique et construire un  ordre nouveau.
Descartes prétend avoir trouvé avec le Cogito cette idée évidente (claire et distincte) dont la lumière initiale est transmise de proche en proche en déroulant les longues chaînes de raison à d’autres idées élaborant un système entièrement  neuf et « vrai ».C’est tout du moins une certaine vulgate cartésienne enfourchée par certains épigones zélés de la modernité.
Quant au marxisme la constitution d’un homme nouveau berger le matin et musicien à ses heures relève d’un même procès de transformation –praxis révolutionnaire- guidé par le matérialisme dialectique,nous y reviendrons.

La tradition relève d’une démarche opposée.
La société traditionnelle n’est pas rationnelle, ou ne prétend l’être ni totalement ni fondamentalement.
Elle n’est ni critique ni analytique.
La tradition reprend sans une interrogation radicale ce qui est transmis par les anciens (tradere=transporter).L’homme de tradition assume totalement son histoire (celle de ses ancêtres) il ne hasarde pas des positions tranchées à propos des conflits intérieurs et extérieurs menés dans le passé de sa peuplade –même s’il se permet de visiter ce passé à l’aune de catégories qu’il sait moboles-.L’homme de tradition ne prétend pas reconstruire sur des critères transparents à la raison un ordre nouveau,il sait qu’il est inscrit dans un réel déjà là et que les utopies (u-topos :privé de territoire réel) peuvent être sanguinaires.
Donc une critique inexistante ou au moins un rejet de la table rase des us ancestraux une acceptation d’un ordre comme un déjà-là.
Une reconnaissance donc de la vanité qu’aurait l’homme à chaque génération de redéfinir des règles.
A contrario on appellera constructivisme cette démarche prétendant à la reconstruction sous les seules auspices de la Raison des formes d’organisation humaines (politiques et sociales).
Ce constructivisme sous entend que la raison émet des énoncés rendant compte complètement du système à analyser et à promouvoir, que le réel est totalement rationnel donc que la raison est totalement (auto)suffisante.
La tradition entend que l’homme est bien doté de raison mais que celle ci est inscrite dans une chair, un lieu et un temps. Que les énoncés de la raison sont empreints d’une certaine validité mais que celle ci n’est pas universelle mais localisée .C’est un « modeste » qui ne prétend pas à l’infaillibilité et à l’unicité de son mode d’être. Cette démarche n’est pas une tradition servile elle peut donner lieu à une critique philosophique et pensée comme telle c’est à dire socialement limitée.
La tradition reconnaît donc l’existence de l’espace et encore plus du temps.
Alors que la logique donne des résultats immédiats 2+2 égalent immédiatement (et partout) quatre l’homme de tradition (et déjà le physicien) reconnaissent l’existence du temps qui n’est pas qu’une « variable » mais qui marque de l’intérieur nos propres jugements et pratiques :l’histoire.
La raison n’opérant pas dans des systèmes complets et décidables la tradition ne prétend pas à la perfection de son mode d’être, c’est à dire l’achèvement logique de ce qui n’est donc pas considéré comme un « système » ou un processus en cours.
La tradition au moins européenne intègre la raison des hommes dans un cosmos plus large dont on sait qu’il est en partie seulement perméable à cette activité rationnelle ;mais elle ne prétend pas que les affaires humaines excluent las passions ou le hasard.
Si l’homme de tradition est un réformateur permanent car il ne sacralise pas absolument le domaine de l’homme il n’est en aucun cas révolutionnaire au sens d’initiateur d’un projet concocté par un cerveau ou un groupe.
Ces lignes ne sauraient donc être un manifeste pour un ordre nouveau mais au contraire le rappel cyclique d’un ordre millénaire.
En effet la conception traditionnelle du temps est cyclique :l’éternel retour du même et non une vision linéaire (le progrès) ou dialectique (Marx, Hegel).
Nous proposons pour seule réforme d’en finir avec l’hégémonie des poïétes et de leur catégories (travail,argent,négoce) et de restaurer l’ordre des gardiens philosophes.
Rien de nouveau donc mais un mouvement à l’intérieur du même pour passer à l’autre (les valeurs de courage, sagesse et tempérance.


Une « nouvelle » éthique.

Nous pensons qu’il n’y a pas de solution techniques à la crise de l’Europe.
Prenons l’exemple de l’insécurité. La tolérance zéro garantie par des forces de police importantes et le suivi ad-hoc (infrastructures juridiques et carcérales) n’est pas une solution vivable-aux EU plus de 1% de la population est en prison. La morale doit donc être prioritairement subjective et certes garantie par la Cité. Il faut donc une « production » en série d’individus moraux. C’est là où nous voyons l’inadaptation de la morale actuelle celle des droits de l’homme.
Paradoxalement la conception morale qui prédomine actuellement est celle de Socrate l’homme qui agit mal se trompe.La faute morale est donc une erreur intellectuelle.
Dans la même veine ,Victor Hugo : « Ouvrez des écoles vous fermerez des prisons. »
Cette conception de l’éthique est une conception intellectualiste.
La morale actuelle est une morale kantienne, c’est à dire l’expression d’une exigence de la raison, un impératif catégorique (produit d’une exigence interne) de cette raison.
C’est donc une morale de « classe » accessible aux jeunes cadres hyper-diplômés et inadaptée à d’autres secteurs de la population y compris autochtones.
L’acte moral n’est pas le fruit d’un computage permanent (calcul) :est-ce que la maxime de mon action est universalisable ?Si tout le monde faisait ainsi est-ce que cela serait vivable ?Dois-je attendre un plus grand bien de mon action (optimisation du calcul des pertes et profits) ?
La morale de Bentham ou de Kant aboutit à la crise actuelle .Hédonisme ambiant et spectaculaire entrecoupé d’irruption de la barbarie :ex :sortie de l’univers du complexe et agression sur le trottoir.
La morale ne peut relever du calcul rationnel.
Pour les raisons évoquées plus haut :à savoir que le domaine de l’homme n’est pas transparent à lui même, que les us et coutumes héritées ne sont certes pas entièrement fonctionnelles –c’est même un bien-mais qu’on ne peut entièrement connaître l’origine et l’impact de tel interdit su l’ensemble du « système » social. Mettre les coudes à table induit en aval des conséquences incalculables.
Comme son nom l’indique (ethos :habitude) l’éthique est une « science » du comportement .Elle relève de l’habitude ,du bon pli à prendre dés le plus jeune âge.
L’éducation n’est pas essentiellement affaire de rationalité. Le jeune d’homme n’est pas libre de choisir entre différents devenir. Il n’a pas le choix. Le petit démocrate apprendra avec le lait maternel le credo universaliste comme le petit balilla intégrait le rôle civilisateur de l4Etat hégélien.On ne demande pas son avis au petit d’homme sur l’adoption de la station debout ou la défécation en des lieux et temps prédeterminés.
Par définition (e-ducare) l’éducation consiste à tirer l’in-fans (qui ne parle pas=qui n’a pas de raison) de son état bestial pour l’amener vers l’humain. Mais quel type :le Kiowa, le Boro Boro, le stalinien,l e spartiate ?Il ne saurait y avoir choix, liberté, l’usage même de la raison est imposé.
L’éthique renvoie bien à une mise en condition relevant en partie seulement de la persuasion mais surtout de la conviction.

 
La réinstallation de l’homme.

En 1948 dans l’Europe en ruine dépecée par les forces de la modernité, Albert Camus parle de l’exil d’Hélène. La  beauté, le Beau valeur suprême confondue par les Grecs anciens avec le Bien est expulsée par la Raison absolutisée, la raison historique.
Une fois l’impérium américain resté le seul maître apparent et seul porte parole de la Raison incarnée par la démocratie US relayée par le credo dit universel des droits de l’homme on a pu parler de Fin de l’histoire toujours selon une certaine conception de la rationalité et de l’hégélianisme.
Aujourd’hui c’est l’homme lui-même qui est exilé. Sans racines, sans toît, sans patrie il erre tel un dieu ou une bête pour reprendre les mots d’Homère et d’Aristote.
La modernité a remplacé l’ordre des anciens- géocentrisme, théocentrisme-par l’humanisme.
Ce n’est plus la Phusis ou Dieu qui occupe l’ordre architectonique traditionnel (le Cosmos, ordre harmonieux dans lequel chaque être a une place) c’est l’homme lui même expulsé de sa chair et réduit à la raison,la raison elle même réduite au concept.
A vouloir positionner l’homme au centre de l’univers ou plutôt de sa représentation il s’est retrouvé marginalisé sur un petit îlot galactique.
Condamné à l’errance dans le village planétaire, arraché à son clan il vague, atome sans clinamen, soumis aux bons soins d’entités financières sans réalité physique.
Un lent procès d’atomisation l’a extirpé de sa glèbe de ses diverses communautés « naturelles » pour en faire un individu-masse.

A l’aube de ce troisième millénaire ou un pseudo-libéralisme et un pseudo-individualisme semblent régner sans partage il est plus que jamais nécessaire de réinstaller l’homme dans le Cosmos des anciens grecs,dans l’harmunia mundi de la Rome antique.
Cette réinstallation doit être en rupture complète avec le projet délirant de maîtrise de la Phusis  (nature) entrepris par la technique et la science dans ses développements les plus récents. Installer l’homme n’est pas le mettre aux commandes (de quoi ?) c’est penser ce qu’il n’a jamais cessé d’être :qu’il est inscrit dans un horizon sinon impensable du moins irréductible à nos catégories rationnelles et pratiques.
Cornelius Castoriadis a décrit cet univers comme doté d’une topologie duelle.A chaque niveau d’observation que l’on pourrait découper dans ce continuum qu’est l’Etre on y perçoit des poches qui semblent en partie se soumettre à notre approche rationnelle et qui flottent au milieu d’un magma le quel magma pourrait à son tour se prêter à des formes d’observation rationnelle de même que l’ordre dégagé précedément laissait demeurer un résidu magmatique.
Ainsi ordre et chaos semblent être présents à tous les niveaux de notre observation rationnelle.
De son côté Gödel semble avoir démontré que même la théorie des ensembles recélait des béances une indécidabilité de certaines de ses expressions bien formées et que la description de tout système d’une certaine ampleur (du type théorie des ensembles par exemple) n’était pas descriptible avec ses seuls outils-incomplétude de la description-.
Théoriquement et pratiquement la physique n’a pas livré le secret du fondement de la matière, sa théorie de la grande unification piétine depuis trois-quarts de siècle.
Il résulte de ces trois remarques que la raison humaine n’est toujours pas en mesure ni d’expliquer le monde ni de rationaliser la praxis humaine. Le projet de maîtrise du monde -homme inclus-par les seules armes de la raison n’a pas abouti à ce jour.
Bien plus : la notion de Progrès, y compris dans le domaine moral qui accompagne l’imaginaire de la maîtrise rationnelle du monde, semble ne pas résister à un bilan de l’histoire moderne et contemporaine :guerres, exterminations, famines, reculs dans divers domaines de la civilisation (liberté de penser, originalité créatrice etc).
Ce bilan certes partiel de la modernité nous autorise cependant à signaler son échec –momentané ?-
Ce qui est –qui n’est donc pas un ensemble ou un univers aux sens mathématique ou physique- nous continuerons de l’appeler l’Etre. Cet être n’est donc pas l’objet de nos investigations ou manipulations de même que rien ne nous autorise à nous proclamer sujet-au sens d’auteur responsable-de nos représentations ;nous nous attarderons sur ces points un peu plus avant.
Nous -nous inscrivons corps et âme dans cet horizon lacunaire à nos yeux.
Nous ne pouvons pas accomplir l’utopie  prométhéenne d’en devenir le pilote mais nous pouvons peut-être échapper à la punition des dieux :l’exil.
Ce malaise dans la civilisation cette névrose qui nous obsède peut prendre fin.
De même que l’enfant peut se sentir à l’aise dans une demeure dont il ne comprend pas le sens et l’organisation :la maison de mon père !
De même nous devons nous réinstaller dans le monde au sein de l’Etre.
Cela ne signifie en rien la soumission au destin, la résorption  de notre essence tragique dans une fusion animale ou végétale avec cet être car l’homme est non seulement le berger de l’être mais animal politique (zoon politikon) .
L’homme est en partie l’auteur de son horizon ;le politique constitue la strate de la liberté comme nous le développerons plus loin.
La plasticité de l’homme n’est pas infinie puisque le politique inscrit son action dans l’Etre mais elle se déploie dans un lieu (topoV) particulier celui de la praxis-une action non déterminée par la phusis-.

Nous voilà donc arrivé au seuil de notre réflexion sur une politique de l’Etre après en avoir situé rapidement le cadre : eV mezo au milieu . Ni soumission absolue à un fatum ni démesure prométhéenne ;mais acceptation d’un ordre tragique non exempte d’une certaine grandeur.
Le politique n’est pas un vecteur d’émancipation de notre condition humaine finie-cette politique n’aboutit qu’à l’exil de l’homme hors de son terroir et l’ubriV (démesure) de l’universalisme (abstraction névrosante)-.
Le politique doit se donner comme tâche immédiate la réinstallation des hommes dans le monde et son réenchantement.
En ce moment de notre réflexion nous pensons que cette mission sera relevée par une nouvelle aristocratie qui ,s’émancipant des valeurs marchandes, mèneront les cités terrestres et imparfaites donc, mais réelles, sur la voie de cette nouvelle terre promise dans le cadre d’une nouvelle alliance.
Nous ne présageons pas des formes des nouvelles représentations à venir :retour d’une tradition chrétienne, héllène, celte etc bref refondations ou nouvelles fondations.
Le rejet d’une rationalité constructiviste ,d’une démarche de la table rase nous permet de  situer cependant-comme nous nous en expliquerons plus loin- dans une perspective dite traditionnelle.

Pas de millénarisme politique donc :le politique est bien soumis en quelque sorte, inscrit, dans un cosmos préalable et ce politique doit être compatible avec la menée d’une vie d’homme au sein de l’être. Les valeurs du politique ne relèvent pas donc pas de l’absolu  ,car soumises à un ordre « naturel » dans le cadre d’une vision du monde hiérarchisée dans laquelle l’ironie n’a pas la moindre place ou plutôt la place moindre.
Cela nous permet d’éviter le double écueil de l’absolutisation du phénomène communautaire (l’Etat, la Classe, la Race, les Droits de l’Homme etc) et celui de la relativisation des valeurs et son corollaire : l’affaiblissement du caractère normatif des lois.
Dernière mise à jour : ( 09-10-2007 )

mercredi, 08 octobre 2008

Révolte contre le monde moderne

jeudi, 02 octobre 2008

Les leçons de Peter Koslowski face à la post-modernité

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Les leçons de Peter Koslowski face à la post-modernité

 

par Jacques-Henry Doellmans

 

Peter Koslowski, jeune philosophe allemand né en 1952, est pro­fes­seur de philosophie et d'économie politique à l'Université de Wit­ten/Her­decke, président de l'Institut CIVITAS, Directeur de l'In­sti­tut de Recherches en Philosophie de l'Université de Hanovre. Son ob­jectif est de déployer une critique fondée de la modernité et de tous ses avatars institutionalisés (en politique comme en économie). Ses argu­ments, solidement étayés, ne sont pas d'une lecture facile. Rien de son œuvre, déjà considérable, n'a été traduit et nous, fran­co­phones, avons peu de chances de trouver bientôt en librairie des traductions de ce philosophe traditionnel et catholique d'aujour­d'hui, tant la ri­gueur de ses arguments ruine les assises de la pen­sée néo-gnosti­ci­ste, libérale et permissive dominante, surtout dans les rédactions pa­risiennes!

 

Koslowski est également un philosophe prolixe, dont l'éventail des pré­occupations est vaste: de la phi­losophie à la pratique de l'écono­mie, de l'éthique à l'esthétique et de la métaphysique aux questions re­ligieuses. Koslowski est toutefois un philosophe incarné: la réfle­xion doit servir à organiser la vie réelle pour le bien de nos pro­chains, à gommer les dysfonction­ne­ments qui l'affectent. Pour at­teindre cet op­timum pratique, elle doit être interdisciplinaire, évi­ter l'impasse des spécialisations trop exigües, pro­duits d'une pensée trop analytique et pas assez orga­ni­que.

 

Pour la rédaction d'un article, l'interdisciplinarité préconisée par Koslowski fait problème, dans la me­sure où elle ferait allègrement sauter les limites qui me sont imparties. Bornons-nous, ici, à évo­quer la présentation critique que nous donne Koslowki de la “post­mo­dernité” et des phénomènes dits “postmodernes”.

 

La “modernité” a d'abord été chrétienne, dans le sens où les chré­tiens de l'antiquité tardive se dési­gnaient par l'adjectif moderni, pour se distinguer des païens qu'ils appelaient les antiqui. Dans cette ac­ception, la modernité correspond au saeculum de Saint-Augustin, soit le temps entre la Chute et l'Accomplissement, sur lequel l'homme n'a pas de prise, seul Dieu étant maître du temps. Cette con­ception se heurte à celle des gnostiques, constate Koslow­ski, qui protestent contre l'impuissance de l'homme à exercer un quelconque pouvoir sur le temps et la mort. Le gnosticisme  —qu'on ne confon­dra pas avec ce que Koslowski appelle “la vraie gnose”—  prétendra qu'en nommant le temps (ou des segments précis et définis du temps), l'homme parviendra à exercer sa puissance sur le temps et sur l'histoire. Par “nommer le temps”, par le fait de donner des noms à des périodes circonscrites du temps, l'homme gnostique a la prétention d'exercer une certaine maîtrise sur ce flux qui lui échappe. La divi­sion du temps en “ères” antique, médiévale et moderne donne l'illusion d'une marche en avant vers une maîtrise de plus en plus assurée et complète sur le temps. Telle est la logi­que gnostique, qui se répé­tera, nous allons le voir, dans les “grands récits” de Hegel et de Marx, mais en dehors de toute réfé­rence à Dieu ou au Fils de Dieu incarné dans la chair des hommes.

 

Parallèlement à cette volonté d'arracher à Dieu la maîtrise du temps, le gnosticisme, surtout dans sa version docétiste, nie le ca­ractère historique de la vie de Jésus, rejette le fait qu'il soit réelle­ment devenu homme et chair. Le gnosticisme spiritualise et dés-his­torise l'Incarnation du Christ et introduit de la sorte une anthro­pologie désincarnée, que refusera l'Eglise. Ce refus de l'Eglise per­met d'éviter l'écueil de l'escapisme vers des empyrées irréelles, de déboucher dans l'affabulation phantasmagorique et spiritualiste. L'In­carnation revalorise le corps réel de l'homme, puisque le Christ a partagé cette condi­tion. Cette revalorisation implique, par le biais de la caritas  active, une mission sociale pour l'homme politique chré­tien et conduit à affirmer une religion qui tient pleinement compte de la communauté humaine (paroissiale, urbaine, régionale, natio­na­le, continentale ou écouménique). L'homme a dès lors un rô­le à jouer dans le drame du saeculum,  mais non pas un rôle de pur sujet au­tonome et arbitraire. Si les gnostiques de l'antiquité avaient nié toute valeur au monde en refusant l'Incarnation, l'avatar mo­der­ne du gno­sticisme idolâtrera le monde, tout en le désacralisant; le monde n'aura plus de valeur qu'en tant que matériau, que masse de ma­tiè­res premières, mises à la totale disposition de l'homme, je­tées en pâture à son arbitraire le plus complet. Le gnosticisme mo­der­ne dé­bou­che ainsi sur la “faisabilité” totale et sur la catastrophe écolo­gi­que.

 

Si le premier concept de modernité était celui de la chrétienté im­bri­quée dans le saeculum  (selon Saint-Augustin), la deuxième ac­ception du terme “modernité” est celle de la philosophie des Lumiè­res, dans ses seuls avatars progressistes. Koslowski s'insurge contre la démarche de Jürgen Habermas qui a érigé, au cours de ces deux dernières décennies, ces “Lumières progressistes” au rang de seul pro­jet valable de la modernité. Habermas perpétue ainsi la super­sti­tion du progressisme des gauches et jette ainsi un soupçon per­manent sur tout ce qui ne relève pas de ces “Lumières progres­sistes”. L'idée d'un progrès matériel et technique infini provient du premier principe (galiléen) de la thermodynamique, qui veut que l'énergie se maintient en toutes circonstances et s'éparpille sans ja­mais se perdre au tra­vers du monde. Dans une telle optique, l'ac­crois­sement de complexité, et non la diminution de com­plexité ou la régression, est la “normalité” des temps modernes. Mais, à partir de 1875, émerge le se­cond principe de la thermodynamique, qui con­sta­te la déperdition de l'énergie, ce qui permet d'envisager la déca­dence, le déclin, la mort des systèmes, la finitude des ressources na­turelles. Le pro­jet moderne de domi­ner entièrement la nature s'ef­fon­dre: l'homme gnostique/moderne ne prendra donc pas la place de Dieu, il ne sera pas, à la place de Dieu, le maître du temps. Dans ce sens, la post­modernité commence en 1875, comme le notait déjà Toynbee, mais ce fait de la déperdition n'est pas pris en compte par les idéologies politiques dominantes. Partis, idéologues, décideurs politiques a­gis­sent encore et toujours comme si ce second principe de la ther­mo­dynamique n'avait jamais été énoncé.

 

Pourtant, malgré les 122 ans qui se sont écoulés depuis 1875, l'usa­ge du vocable “postmoderne” est venu bien plus tard et révèle l'exis­tence d'un autre débat, parti du constat de l'effondrement de ce que Jean-François Lyotard appelait les “grands récits”. Pour Lyo­tard, les “grands récits” sont représentés par les doctrines de Hegel et de Marx. Ils participent, selon Koslowski, d'une “immanentisation ra­di­cale” et d'une “historicisation” de Dieu, où l'histoire du monde de­vient synonyme de la marche en avant de l'absolu, libérant l'hom­me de sa prison mondaine et de son enveloppe charnelle. Pour Marx, cette marche en avant de l'absolu équivaut à l'émancipation de l'homme, qui, en bout de course, ne sera plus exploité par l'hom­me ni assu­jet­ti au donné naturel. Lyotard déclarera caducs ces deux “grands récits”, expressions d'un avatar contemporain du filon gno­sti­que.

 

A la suite de cette caducité proclamée par Lyotard, le philosophe al­lemand Odo Marquard embraye sur cette idée et annonce le rem­pla­cement des deux “grands récits” de la modernité européenne par une myriade de “petits récits”, qu'il appelle (erronément) des “my­thes”. Le marxisme, l'idéalisme hégé­lien et le christianisme, dans l'optique de Marquard, sont “redimensionnés” et deviennent des “pe­tits récits”, à côté d'autres “petits récits” (notamment ceux du “New Age”), auquel il octroie la mê­me va­leur. C'est le règne de la “po­lymythie”, écrit Koslowski, que Marquard érige au rang d'obli­ga­tion éthique. Le jeu de la concurrence entre ces “mythes”, que Kos­low­ski nomme plus justement des “fables”, devient la catégorie fon­damentale du réel. La concurrence et l'affrontement entre les “pe­tits récits”, le débat de tous avec tous, le jeu stérile des discussions aimables non assorties de décisions constituent la variante anarcho-libérale de la postmodernité, conclut Koslowski. Ce néo-polythéisme et cet engouement naïf pour les débats entre tous et n'importe qui dévoile vite ses insuffisances car: 1) La vie est unique et ne peut pas être inscrite exclusivement sous le signe du jeu, sans tomber dans l'aberration, ni sous le signe de la discussion perpétuelle, ce qui serait sans issue; 2) Totaliser ce type de jeu est une aberration, car s'il est totalisé, il perd automati­quement son caractère ludique; 3) Cette po­lymythie, théorisée par Marquard, se méprend sur le ca­rac­tère intrinsèque des “grands ré­cits”; con­trai­rement aux “petits ré­cits”, alignés par Marquard, ils ne sont pas des “fables” ou de sym­pa­thiques “historiettes”, mais un “mé­lange hybri­de d'histoire et de philosophie spéculative”, qui est “spéculation dog­matique” et ne se laisse pas impliquer dans des “dé­bats” ou des “jeux discursifs”, si ce n'est par in­térêt stratégique ponctuel. La polymythie de Mar­quard n'affirme rien, ne souhaite même pas mainte­nir les différen­ces qui distin­guent les “petits récits” les uns des autres, mais a pour seul effet de mélan­ger tous les genres et d'estomper les limites en­tre toutes les catégories. Les ratiocinations évoquant une hypothéti­que “pluralité” qui serait indépassable ne con­duisent qu'à renoncer à toute hiérarchisation des valeurs et s'avèrent pu­re accumulation de fables et d'affabu­la­tions sans fondement ni épaisseur.

 

Après la “polymythie” de Marquard, le second volet de l'offensive postmoderne en philosophie est re­présentée par le filon “décon­struc­ti­viste”. En annonçant la fin des “grands récits”, Lyotard a jeté les bases d'une vaste entreprise de “déconstruction” de toutes les in­stitutions, instances, initiatives, que ces “grands récits” avaient générées au fil du temps et imposées aux sociétés humaines. Procé­dant effecti­vement de cette “spécu­la­tion dogmatique” assimilable à un néo-gnosticisme, les “grands récits” ont été “constructivistes”  —ils relevaient de ce que Joseph de Maistre appelait “l'esprit de fa­bri­cation”—  et ont installé, dit Ko­slow­ski, des “cages d'acier” pour y enfermer les hommes et, aussi, les mettre à l'abri de tout appel de l'Ab­solu. Ces “cages d'acier” doi­vent être démantelées, ce qui légi­ti­me la théorie et la pratique de la “déconstruction”, du moins jus­qu'à un certain point. Si déconstruire les cages d'acier est une nécessité pour tous ceux qui veulent une restauration des valeurs (tradition­nel­les), fai­re du “déconstructivisme” une fin en soi est un errement de plus de la mo­dernité. Toujours hostile aux ava­tars du gnosticis­me an­ti­que, à l'instar du penseur conserva­teur Erich Voegelin, Ko­slowski rap­pelle que pour les gnoses extrê­mes, le réel est toujours “faux”, “inauthen­tique”, “erratique”, etc. et, derrière lui, se trouvent le “sur­na­turel”, le “tout-autre”, l'“inattendu”, le “nouveau”, l'“étran­ger”, tou­jours plus “vrais” que le réel. Pour Lyotard et Derrida, le phi­lo­so­phe doit tou­jours placer ce “tout-autre” au centre de ses pré­occu­pa­tions, lui oc­troyer d'office toute la place, au détriment du réel, tou­jours con­si­déré comme in­suffisant et imparfait, dépourvu de valeur. Lyotard veut privilégier les “discontinuités” et les “hété­ro­généités” contre les “continuités” et les “homogénéités”, car elles témoignent du ca­ractère “déchiré” du monde, dans lequel jamais au­cun ordre ne peut se déployer. L'idée d'ordre  —et non seulement la “cage d'a­cier”—   est un danger pour les déconstructivistes et non pas la chan­ce qui s'offre à l'homme de s'accomplir au service des autres, de la Cité, du prochain, etc.

 

Pour Koslowski, cette logique “anarchisante” dérive de Georges Ba­taille, récemment “redécouvert” par la “nouvelle droite”. Bataille, notamment dans La littérature et le mal, explique que la souverai­neté consiste à accroître la liberté jusqu'à obtenir un “être-pour-soi” absolu, car toute activité consistant à maintenir l'ordre est signe d'es­calavage, d'une “conscience d'esclave”, servile à l'égard de l'“objectivité”. L'homme ne peut être souverain, pour Bataille, que s'il se libère du langage et de la vie, donc s'il est capable de s'auto-détruire. Le moi de Bataille renonce de façon absolue à défendre et à maintenir la vie (laquelle n'a pas de valeur comme le monde n'a­vait pas de valeur pour les gnosti­ques de la fin de l'antiquité, qui refusaient le mystère de l'Incar­na­tion). L'apologie du “gaspillage”, anto­nyme total de la “conservation”, et la “mystique du moi” chez Ba­taille débouchent donc sur une “my­sti­que de la mort”. En ce sens, elle surprivilégie la dispersio des mystiques médiévaux, lui accorde un sta­tut ontologique, sans affirmer en contre-partie l'unio mystica.

 

Telle est la critique qu'adresse Koslowski à la philosophie postmo­der­ne. Elle ne s'est pas contenté de “déconstruire” les structures im­posées par la modernité, elle n'a pas rétabli l'unio mystica, elle a gé­né­ralisé un “déconstructivisme” athée et nihiliste, qui ne débou­che sur rien d'autre que la mort, comme le prouve l'œuvre de Ba­taille. Mais si Koslowski s'insurge contre le refus du réel qui part du gnosticisme pour aboutir au déconstructivisme de Derrida, que pro­pose-t-il pour ré-ancrer la philosophie dans le réel, et pour dégager de ce ré-ancrage une philosophie politique pratique et une écono­mie qui permette de donner à chacun son dû?

 

Dans un débat qui l'opposait à Claus Offe, politologue allemand vi­sant à maintenir une démocratie de facture moderne, Koslowski in­diquait les pistes à suivre pour se dégager de l'impasse moderne. Of­fe avait constaté que les processus de modernisation, en s'am­pli­fiant, en démultipliant les différencia­tions, en accélérant outranciè­re­ment les prestations des systèmes et sous-systèmes, confis­quaient aux structures et aux institutions de la modernité le ca­rac­tè­re normatif de cette même modernité. Différenciations et accé­lé­rations finissent par empêcher la modernité d'être émancipatrice, a­lors qu'au départ son éthique foncière visait justement l'émanci­pa­tion tota­le (i.e.: échapper à la prison du réel pour les gnostiques, s'émanciper de la tyrannie du donné naturel chez Marx). Pour réin­troduire au centre des préoccupations de nos contemporains cette idée d'é­man­cipation, Offe prône l'arrêt des ac­cumulations, différen­ciations et ac­célérations, soit une “option nulle”. Offe veut la moder­ni­té sans pro­grès, parce que le progrès fini par générer des struc­tu­res gigantesques, incontrôlables et non démo­cratiques. Il réconcilie ainsi la gauche post-industrielle et les paléo-conservateurs, du moins ceux qui se contentent de ce constat somme toute assez fa­cile. Effectivement, constate Koslowski, Offe démontre à juste titre qu'une accumulation incessante de différenciations diminue la vi­ta­lité et la robustesse de la société, surtout si les sous-systèmes du sy­stème sont chacun monofonctionnels et s'avèrent incapables de ré­gler des problèmes complexes, chevauchant plusieurs types de compétences. Si les principes de vérité, de justice et de beauté s'é­loi­gnent les uns des autres par suite du processus de différencia­tion, nous aurons, comme l'avait prévu Max Weber, une vérité in­juste et laide, une justice fausse et laide et une esthétique immorale et fausse. De même, le divorce entre économie, politique et solida­ri­té, conduit à une économie impolitique et non solidaire, à une politi­que anti-économique et non solidaire, à une so­lidarité anti-écono­mi­que et impolitique. Ces différenciations infécondes de la moder­ni­té doivent être dépassées grâce à une pratique de l'“in­ter­péné­tration” générale, conduisant à une polyfonctionalité des insti­tutions dans lesquelles les individus seront organiquement imbriqués, car l'individu n'est pas seulement une unité économique, par exemple, mais est simultanément ouvrier d'usine, artiste ama­teur, père de famille, etc. Chaque institution doit pouvoir répondre tout de suite, sans médiation inutile, à chacune des facettes de la personnalité de ce “père-artiste-ouvrier”. Offe con­si­dère que l'“interpéné­tration” pourrait porter atteinte au prin­cipe de la séparation des pouvoirs. Koslowski rétorque que cette sé­pa­ration des pouvoirs serait d'au­tant plus vivante avec des insti­tu­tions polyfonctionnelles et plus robustes, taillées à la mesure d'hommes réels et complexes. L'“op­tion nulle” est un con­stat d'échec. L'effondrement de la modernité politique et des es­poirs qu'elle a fait naître provoque la déprime. Un monde à l'en­sei­gne de l'“option nulle” est un monde sans per­spective d'avenir. Un sy­stème qui ne peut plus croître, s'atrophie.

 

Pour Koslowski, c'est le matérialisme, donc la pensée économiciste,  —la sphère de l'économie dans la­quelle la modernité matérialiste avait placé tous ses espoirs—  qui est contrainte d'adopter l'“option nulle”. Comme cette pensée a fait l'impasse sur la culture, la reli­gion, l'art et la science, elle est incapable de générer des développe­ments dans ces domaines et d'y susciter des effets de compensation, pourtant essentiels à l'équilibre humain et social. L'impasse, le sur-place du domaine socio-économique doit être un appel à investir des énergies créatrices et des générosités dans les dimensions re­li­gieuses, artis­tiques et scientifiques, conclut Koslowski.

 

Telle est bien son intention et Koslowski ne se contente pas d'émet­tre le vœu d'une économie plus con­forme aux principes de conser­va­tion et d'équilibre des philosophies non modernes. Deux livres très denses témoignent de sa volonté de sauver l'économie et le so­cial de la stagnation et du déclin induits par l'“option nulle”, consta­tée par Offe, un politologue déçu de la modernité mais qui veut à tout prix la sauver, en dépit de ses échecs patents. Dans cette opti­que, Koslowski a écrit Wirtschaft als Kultur  (1989) et Die Ordnung der Wirtschaft  (1994) (réf. infra). Ces deux ouvrages sont si fonda­mentaux que nous serons contraints d'y revenir: retenons, ici, que Koslowski, dans Wirtschaft als Kultur, part du constat que les réser­ves naturelles de la planète s'épuisent, qu'elles sont limitées, que cette limite doit être prise en compte dans toutes nos actions, qu'elle implique ipso facto que le progrès accumulatif il­limité est une impossibilité pratique. A ce progressisme qui avait structuré toute la pensée moderne, Koslowski oppose les idées d'une “justice” et d'une “réciprocité” dans les échanges entre l'homme et la nature. Ensuite, il plaide pour une réinsertion de la pensée économique dans une culture plus globale, laissant une large place à l'éthique du devoir. Il esquisse ensuite les contours de l'Etat social postmo­derne, qui doit être “subsidiaire” et prévoir une solidarité en tous sens en­tre les générations. Cet Etat postmoderne et subsidiaire doit partici­per, de concert avec ses homologues, à la restauration d'un marché intérieur européen, prélude à la naissance d'une “nation européen­ne”, capable d'organiser ses différences ethniques et culturelles sans sombrer dans le nivellement des valeurs qu'un certain dis­cours sur la “multiculturalité” appelle de ses vœux (Koslowski se mon­tre très sévère à l'égard de cet engouement pour la “multicul­tu­re”).

 

Dans Die Ordnung der Wirtschaft, ouvrage très solidement char­pen­té, Koslowski jette les bases d'un néo-aristotélisme, où s'al­lient “phi­lo­sophie pratique” et “économie éthique-politique”. Cette al­liance part d'une “interpénétration” et d'une “compénétration” des ratio­na­lités éthique, économique et poli­tique. Ainsi, la “bonne politi­que” est celle qui ne répond pas seulement aux impératifs politiques (con­servation du pouvoir, évitement des conflits), mais vise le bien commun et la couverture optimale de tous les besoins vitaux. Les structures économiques, toujours selon cette logique néo-aristotéli­cien­ne, doivent également répondre à des critères politiques et é­thi­ques. Quant à l'éthique, elle ne saurait être ni anti-économique ni anti-politique. Cette volonté de ne pas valoriser un domaine d'acti­vi­té humaine au détriment d'une autre postule de recombiner ce que la modernité avait voulu penser séparément. La philosophie prati­que d'Aristote entend également conserver les liens d'amitié politi­que (philia poli­tike)  entre les citoyens et les communautés de cito­yens, qui fondent le sens du devoir et de la récipro­cité. Koslow­ski relie ce principe cardinal de la pensée politique aristotélicienne aux travaux de la nou­velle école communautarienne américaine (A. MacIntyre, M. Walzer, Ch. Taylor, etc.). Le néoaristoté­lisme met l'ac­cent sur le retour indispensable de la vertu grecque de phrone­sis:  l'intelligence pratique, capable de discerner ce qui est bon et utile pour la Cité, dans le contexte propre de cette Cité. En effet, la ratio­na­lité pure, sur laquelle l'hypermodernité avait parié, exclut le con­texte. L'application de cette ra­tionalité décontextualisante dans le domaine de l'économie a conduit à une impasse voire à des cata­s­tro­phes: une rationalité économique réelle et globale exige une im­mersion herméneutique dans le tissu social, où se conjuguent ac­tions économiques et politiques. Enfin, le réel est le fondement pre­mier de la philosophie pratique et non le “discours” ou l'“agir com­mu­nicationnel” (cher à Habermas ou à Apel), car tout ne procède pas de l'agir et du parler: l'Etre transcende l'action et ses détermi­na­tions précèdent l'acte de parler ou de discourir.

 

La pensée philosophique et économique de Koslowski constitue une réponse aux épreuves que nous a infligées la modernité: elle repré­sente la facette positive, le complément constructif, de sa critique de la modernité gnosticiste. Elle est un chantier vers lequel nous al­lons immanquablement devoir retourner. Puisse cette modeste in­troduction éveiller l'attention du public francophone pour cette œu­vre qui n'a pas encore été découverte en France et qui complèterait celles de Taylor, MacIntyre, Spaemann, déjà traduites.

 

Bibliographie:

 

- Peter KOSLOWSKI, «Sein-lassen-können als Überwindung des Modernismus. Kommentar zu Claus Offe», in Peter KOSLOWSKI, Robert SPAEMANN, Reinhard LÖW, Moderne oder Postmo­der­ne?, Acta Humaniora/VCH, Weinheim, 1986

 

- Peter KOSLOWSKI, Wirtschaft als Kultur. Wirtschaftskultur und Wirtschaftsethik in der Postmoderne, Edition Passagen, Wien, 1989.

 

- Peter KOSLOWSKI, Die Prüfungen der Neuzeit. Über Post­mo­dernität. Philosophie der Geschichte, Metaphysik, Gnosis, Edition Passagen, Wien, 1989.

 

- Peter KOSLOWSKI, «Supermoderne oder Postmoderne? Dekon­struk­tion und Mystik in den zwei Postmodernen», in Günther EIFLER, Otto SAAME (Hrsg.), Postmoderne. Anspruche einer neuen Epoche. Eine interdisziplinäre Erörterung, Edition Pas­sagen, Wien, 1990.

 

- Peter KOSLOWSKI, Die Ordnung der Wirtschaft, Mohr/Siebeck, Tübingen, 1994.

par Jacques-Henri Doellmans 

jeudi, 11 septembre 2008

G. Galli: la politique et les mages

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Robert STEUCKERS:

 

 

Giorgio Galli: la politique et les mages

 

Giorgio Galli est un politologue réputé en Italie: on lui doit une Storia del partito armato (1986), une Storia dei partiti politici europei (1990) et un ouvrage sur les partis politiques italiens (I partiti politici italiani, 1991). Depuis deux ou trois ans, le Prof. Galli s'est intéressé à un aspect de la politique que la corporation des politologues universitaires a ignoré délibérément: l'influence des doctrines ésotériques et des “mages” sur l'action des grands hommes politiques. En effet, depuis la nuit des temps, ésotérismes et mages influencent considérablement les grands décideurs et les mobiles de leur action. Depuis que le monde est monde, le simple observateur désengagé constate des phénomènes politiques inquiétants qu'il cherche sans cesse à refouler, à oublier, à nier, ou à exhiber par tous les moyens pour dénoncer ce qu'il rejette ou pour alarmer ses semblables: ces phénomènes sont les rapports (toujours ambigus) entre la politique et la “magie”. Dans l'antiquité on considérait effectivement que ceux qui détenaient le pouvoir étaient des hommes doués de facultés extraordinaires, s'appuyant sur les conseils d'un mage, qu'ils possédaient à leur service et dont ils exploitaient les pouvoirs. Les historiens grecs et romains racontent comment les chefs de guerre célèbres du monde antique s'adonnaient avant la bataille aux “sciences” de la divination.

 

Avec l'avènement du christianisme, les mages semblent disparaître de la scène politique: on les accuse de sorcellerie et de commerce avec le diable. L'Age des Lumières prend ensuite le relais du christianisme et décrète unilatéralement que les “sciences” des mages sont de pures superstitions primitives. Pourtant en dépit de ces discours pieux ou rationalistes, les siècles de logique n'ont pas réussi à évacuer totale­ment les rapports effectifs entre la politique et la magie. Ceux qui détiennent le pouvoir y font encore ap­pel pour se maintenir en selle, pour augmenter leur puissance, pour vaincre leurs ennemis ou pour se donner plus simplement l'illusion de le faire. En dépit des discours rationnels, scientifiques ou logiques, les dirigeants de ce monde font encore appel à des pratiques remontant à la plus haute antiquité, trahis­sant l'immortalité de l'âme primitive qui reste tapie au fond de tout homme. Il y a tout lieu de croire que l'avenir ne sera pas différent.

 

Donnons un exemple: Adolf Hitler, dans les derniers jours de sa vie, au fond du bunker de Berlin, était certes obsédé par l'arrivée imminente des chars soviétiques, mais il l'était encore plus par une légende ancienne et obscure: celle de l'“amandier en fleurs”, qui annonçait la mort en 1945 du “lion gammé”. Dans son nouveau livre, Giorgio Galli rassemble les données étonnantes qu'il a collationnées au cours de nom­breuses années de travail. Galli est désormais un politologue attentif au thème de l'ésotérisme: il repère ses traces dans toute l'histoire politique européenne, depuis Richelieu jusqu'à Reagan. Même les person­nages qui nous apparaissent comme les plus rationnels dans l'histoire et dans la pensée politiques euro­péennes sont au nombre de ceux qui ont eu recours à des pratiques irrationnelles, magiques. Hobbes (avec les “corps invisibles”), Blanqui, Antonin Artaud, Staline, Reagan, Ceaucescu, Dante, Mussolini, Gorbatchev, Peron (avec Lopez Rega), Max Weber, Churchill (avec l'influence de Mackenzie King), Dracula: les dimensions ésotériques de leur pensée ou de leur action sont passées au crible d'une ana­lyse rigoureuse et méticuleuse. La politique européenne semble avoir évolué entre le paranormal et l'occultisme, entre l'alchimie et la magie.

 

Dans son introduction, Galli rappelle que Galilée et Kepler s'intéressaient à l'astrologie et Newton à l'alchimie et que ces intérêts sont à l'origine de leur astronomie ou de leur physique rationnelle et scienti­fique. Officiellement, il semble que l'astrologue de la Cour de Charles 1 Stuart, William Lilly, soit le dernier de sa corporation et ait clos l'ère des astrologues de cour, donc des rapports officiels et acceptés entre politique et ésotérisme. Ce ne fut pourtant pas le cas car l'ésotérisme est revenu, sporadiquement, en coulisses, officieusement, mais sans discontinuité: pendant la Révolution française, dans l'Angleterre victorienne, dans la Roumanie de Codreanu, au Portugal de Pessoa (l'“occultisme ethno-lusitanien”), aux Etats-Unis comme en Argentine, dans l'Italie fasciste, dans la Russie bolchevique.

 

Satanisme marxien et cosmisme russo-soviétique

 

La présence de la Russie bolchevique étonne, car, officiellement, elle représente la récapitulation com­plète et totale d'une modernité sans plus aucun arrière-monde ni au-delà, la manifestation d'un pouvoir politique éminemment matérialiste et rationaliste. Pour Galli, il est possible de parler de “bolchevisme ma­gique”: Karl Marx lui-même, d'après un témoignage maladroit de sa domestique, aurait pratiqué des rituels magiques avant de mourir à Londres. D'autres évoquent le possible “satanisme” de Marx. Parmi eux, Jacques Derrida, qui a procédé à une lecture décryptante des textes et manifeste de l'auteur du Capital. Quoi qu'il en soit, Galli pense qu'une veine d'ésotérisme, difficilement discernable, traverse l'œuvre de Marx. Après lui, Lénine forge une vulgate marxiste, en apparence exempte d'ésotérisme, mais que d'autres communistes russes grefferont sur les filons autochtones de l'ésotérisme russe. Staline aurait-il été fidèle au “satanisme” de Marx, en signant ses premiers écrits des pseudonymes de “Demonochvili” (= émule du Diable) et de “Besochvili” (= Le démoniaque)?

 

Galli pense que les traditions ésotériques russes n'ont pas été interrompues ni éliminées avec la victoire des Bolcheviques. Pour Alexandre Douguine, que cite Galli à la suite de la publication par la revue Orion de son étude sur le “cosmisme” russe, un véritable complot idéologique, sur base ésotérique, a traversé toute l'histoire de l'Union Soviétique: «Par complot idéologique, j'entends l'accord entre certains person­nages et certains groupes portant en avant une idéologie différente et particulière par rapport au mode de pensée généralisé d'une société donnée. Cet accord propose d'imposer un changement radical visant à transformer les rapports idéologiques stabilisés pour instaurer de nouvelles valeurs brusquement et traumatiquement». Douguine, traditionaliste et traducteur de Guénon et d'Evola, estime que le cosmisme, qui a été l'idéologie réelle de l'URSS  —et non pas le communisme comme avatar du rationalisme et du ma­térialisme ouest-européen—,  présentait des aspects positifs (quand il agissait en tant que national-communisme) et des aspects négatifs (quand il agissait pour le compte de l'idéologie mondia­liste/cosmopolite). Le premier doctrinaire du cosmisme russe est Fiedorov, qui prétendait avoir reçu une “illumination” en 1851, lui ayant permis d'écrire son ouvrage majeur et prophétique: La philosophie de la Cause Commune. Fiedorov y présente son projet: favoriser l'avènement de l'«Homme Nouveau Théurgique», à travers des processus scientifiques et psychiques. Au bout du compte, nous aurions eu comme telos  des efforts révolutionnaires: la «Nouvelle Humanité Unifiée Théurgique».

 

Bogdanov et «L'Etoile rouge»

 

Parmi les doctrinaires communistes officiels qui ont répété quasi exactement ce discours de Fiedorov, il y avait Bogdanov, explique Douguine, dont le communisme était effectivement utopique, théurgique et ma­gique. Satan y était présenté comme le “dieu du prolétariat”. Bogdanov écrivait aussi des romans fantasti­ques et futuristes. L'un de ces romans s'intitulait L'Etoile rouge et parlait de la réalisation d'un communis­me pur sur la planète Mars, ce qui, en termes gnostiques et cabbalistiques, signifie Sémélé, figure asso­ciée à Satan. Mieux: Bogdanov a fondé l'Institut de Transfusion du Sang, espérant par des transfusions ré­pétées régé­nérer l'humanité. Cette pratique causera sa propre mort, mais elle est symptomatique des cultes habituel­lement désignés comme “satanistes”.

 

Pour le journaliste contemporain russe lié au FSN, Alexandre Prokhanov, la symbolique égyptienne du mausolée de Lénine, avec sa pyramide tronquée, indique la présence d'un ésotérisme derrière l'édifice rationnel du communisme. Douguine, puis Galli, citent l'interprétation de Prokhanov: «Cet édifice a une signification très particulière, de type mystique. Le bolchevisme des origines était profondément impré­gné de l'idée de la résurrection des morts, de la disparition du processus de putréfaction, de la transfor­mation des chairs mortes en une vie nouvelle». Autre pratique abondant dans ce sens: la conservation du cerveau de Lénine et l'étude de son tissu cellulaire.

 

Quant à Andréï Platonov, autre personnage du communisme officiel que Douguine classe parmi les “cosmistes”, il voulait faire sauter les montagnes du Pamir, de façon à ce que les vents du Sud puissent souffler sur les plaines d'Asie centrale jusqu'aux toundras des bords de l'Arctique afin de les fertiliser. Platonov a passé des années à calculer la quantité de dynamite nécessaire. Mais, à part cela, son œuvre littéraire est très belle, messianique et fantastique, passionante pour les amateurs de science-fiction. Plus tard, toute l'épopée spatiale soviétique porte la trace du cosmisme issu de la pensée “illuminée” de Fiedorov. Les années 60 ont renoué peu ou prou avec l'eschatologie cosmisto-bolchevique des origines: on voit réapparaître les recherches de parapsychologie, de radiesthésie, d'hypnotisme. Gorbatchev, se­lon Douguine, aurait voulu continuer ce néo-cosmisme, dans le sens où le terme de perestroïka se re­trouve dans l'œuvre de Fiedorov et de Vernadsky (père de la bombe atomique soviétique et cosmiste). Eltsine est celui qui aurait fait machine arrière.

 

Galli ne prend pas toutes les affirmations de Douguine pour argent comptant, mais constate que dans tous les camps du monde politique russe actuel, on constate des traces d'ésotérisme ou de pratiques magiques ou pseudo-scientifiques, des prophéties et des horoscopes étonnants. A la lecture de ce cha­pitre consacré à la Russie bolchevique, on est bien forcé d'admettre que le rationalisme et le matérialisme officiels du communisme n'ont été finalement que des façades, derrière lesquels s'activait une idéologie théurgique, plutôt dérivée de Fiedorov et de Rerich (redécouvert et réhabilité par Gorbatchev) que de Marx et des matérialistes occidentaux. A moins que Marx ait été vraiment  —et à fond—  un “sataniste”.

 

Robert STEUCKERS.

 

- Giorgio GALLI, La politica e i maghi. Da Richelieu a Clinton, Rizzoli, Milan, 1995, 322 p., 30.000 Lire, ISBN 88-17-84402-0.

dimanche, 17 août 2008

I Giovani ed il consumismo

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I Giovani ed il Consumismo

di Claudio Risé

Questa lettera con relativa risposta del Prof.Claudio Risè, è apparsa sabato 30 novembre 2002 su "IoDonna" inserto settimanale del Corriere della Sera.
Troverete altre risposte di Claudio RIsé al sito www.claudio-rise.it

"Ho 27 anni. Tre rapporti importanti negli ultimi anni, in cui funzionava tutto piuttosto bene, ma lei non riusciva ad accettare la mia indifferenza nei confronti del denaro, delle convenzioni sociali. Non sono un fannullone, o un maleducato, ma penso che il valore sacrale del denaro e dei riti di consumo produca sofferenza in uomini e donne.
Dovremmo distanziarcene e vivere, invece, in modo più fisico: stare di più nella natura, in modo molto semplice. Meno cinema e sushi, e più boschi e minestroni in baita. Vivendo in modo più autentico é anche più facile avere delle vere esperienze spirituali (non necessariamente religiose), impossibili se sei catturato dai consumi. Anche i miei amici più vicini fanno fatica a trovare delle compagne che li seguano su questa strada.
Magari protestano contro le "cose", o il materialismo, non mangiando, e svalutando il cibo, ma in questo modo si (e ci) fanno solo del male. Come avere una vita più semplice e istintiva, senza rinunciare a una vita sentimentale?"
lettera firmata

Caro amico,
io, però, ricevo molte lettere come la sua, oltre che da ragazzi, anche da ragazze. Lamentano la superficialità dei ragazzi, incapaci di accettare la loro avversione per il consumo coatto. Chiedono affetti che condividano con loro questo "stile autentico" che sta crescendo in modo sempre più evidente, sotto la vernice modaiola e "di immagine" che i media cercano di stendere su tutto.
Dunque: come mai non vi incontrate? Come mai loro trovano solo i tipi da discoteca, e voi pure?
La prima risposta, abbastanza ovvia, é che probabilmente continuate a cercarvi nei vecchi templi del consumismo di ieri: le discoteche, le happy hours. Rappresentate un nuovo stile giovanile, ma non avete ancora creato i vostri luoghi di aggregazione. Che rimangono divisi tra quelli classici del consumismo più sdato, e quelli (anche loro lì da circa trent'anni) di un anticonsumismo molto ideologico, non molto fisico, e poco naturale. E qui siamo al punto più specifico della sua lettera. Nella galassia dell'anticonsumismo giovanile, infatti, si é sviluppata negli ultimi anni una "via" al "dopo società dei consumi", praticata da individui e piccoli gruppi ( a cui lei accenna nelle altre parti della sua lettera), che sembra più specificatamente maschile, e forse difficile per molte ragazze.
Si tratta di quel "passaggio al bosco", inteso in senso fisico e simbolico, assai più radicale dell'anticonsumismo vissuto da un'ottica ancora metropolitana. Il giovane maschio che vive profondamente quest'esperienza infatti, anno dopo anno, dando sempre più spazio e importanza al suo stare nella natura, ascoltandola, dopo un po' vive come consumo e costrizione anche il cinema o l'"evento" culturale, magari di denuncia del consumismo. Quando si fa una vera esperienza di vita naturale e autentica, insomma, l'uomo sente anche il discuterne come qualcosa che le toglie energia.
Si riaffaccia qui quel modo di essere "poco verbale" del maschio, che crea non poche difficoltà alla comunicazione tra uomo e donna nella vita sentimentale. L'uomo dimostra ciò che prova facendolo, ma la donna vuole anche parole che lo dichiarino. Nello sviluppo dello stile di vita post consumista dovrete dunque tenerne conto, cari amici amanti dei boschi e dei silenzi attorno al fuoco. Naturalmente ci sono, anche, delle vere donne selvatiche, che sono esattamente come voi.
Ma quelle , per trovarle, dovete fare come il contadino delle leggende: andare in quello spazio magico tra il bosco e le malghe alte, e aspettare di incontrarle. L'altra, la selvatica che magari lavora tre scrivanie più in là della vostra, per aprirsi, e lasciarsi portare a casa, vi chiederà qualche parola, e qualche rito di condivisione culturale. Che magari ha il suo lato consumista e modaiolo, e soprattutto ideologico. Ma, se volete una vita sentimentale più ricca, probabilmente é uno scotto che potrete pagare senza timore. Tanto, poi, il bosco vince.
Claudio Risé

vendredi, 01 août 2008

Défis postmodernes: entre Faust et Narcisse

Robert STEUCKERS:

Défis postmodernes : entre Faust et Narcisse

 

Notre culture européenne est le produit d'une pseudomorphose, disait Spengler. D'une pseudomorphose, c-à-d. d'un télescopage entre un mental autochtone, initial, inné, et un mental greffé, chronologiquement postérieur, acquis. L'inné, pour Spengler, c'est le mental "faustien".

 

L'affrontement de l'inné et de l'acquis

L'acquis, c'est le mental "magique", théocentrique, né au Proche-Orient. Pour la pensée magique, le moi s'incline respectueusement devant la substance divine, comme l'esclave se courbe devant son maître. Dans le cadre de cette religiosité, l'individu se laisse guider par la force divine, incluse en lui par le baptême ou l'initiation. Rien de tel pour l'esprit faustien vieil-européen, selon Spengler. L'homo europeanus, lui, malgré le vernis magique/chrétien qui recouvre sa pensée, déploie une religiosité volontariste et anthropocentrique. Le bien pour lui, ce n'est pas de se laisser guider passivement par Dieu, c'est bien plutôt affirmer et réaliser sa volonté. "Pouvoir vouloir", tel est le fondement ultime de la religiosité autochtone européenne. Dans le christianisme médiéval, cette religiosité volontariste transparaît, perce la croûte du "magisme" importé du Proche-Orient.

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Dès l'an mille, dans l'art et les épopées littéraires, ce volontarisme dynamique apparaît progressivement, couplé à un sens de l'espace infini, vers lequel peut et veut se déployer le moi faustien. À la notion d'un espace clos, où le moi se trouve enfermé, s'oppose donc une notion d'espace infini, vers lequel se projette un moi aventureux.

Du monde "clos" à l'univers infini

Pour le philosophe américain Benjamin Nelson (1), le sens vieil-hellénique de la physis, avec tout le dynamisme qu'il implique, triomphe dès la fin du XIIIe siècle, grâce à l’averroïsme, détenteur de la sagesse empirique des Grecs (et d'Aristote en particulier). Progressivement, l'Europe passera du "monde clos" à l'univers infini. L'empirisme et le nominalisme prennent le relais d'une scolastique strictement discursive, répétitive et enfermante. La renaissance, avec Copernic et Bruno (le martyr tragique du Campo dei Fiori), renonce au géocentrisme sécurisant pour proclamer que l'univers est infini, intuition essentiellement faustienne selon les critères énoncés par Spengler.

Dans le 2nd volume de son Histoire de la Pensée Occidentale, J-F. Revel (2), qui officiait naguère au Point et y illustrait malheureusement l'idéologie occidentaliste américanocentrée, écrit avec beaucoup de pertinence : "On conçoit sans peine que l'éternité et l'infinité de l'univers énoncées par Bruno aient pu faire aux hommes cultivés d'alors l'effet traumatisant d'un passage de la vie intra-utérine au vaste et cruel courant d'air d'un tourbillon glacial et sans limite".

La peur "magique", l'angoisse suscitée par l'effondrement d'une certitude dorlotante, celle du géocentrisme, provoquera la mort cruelle de Bruno, mais sera, en somme, une épouvantable apothéose... Rien ne réfutera plus l’héliocentrisme, ni la théorie de l'infinitude des espaces sidéraux. Pascal dira, résigné, avec l'accent du regret : "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie".

Du logos théocratique à la raison figée

Pour remplacer le "logos théocratique" de la pensée magique, la pensée bourgeoise naissante et triomphante va élaborer une pensée centrée sur la raison, une raison abstraite devant laquelle il faudra s'incliner comme le Proche-Oriental s'inclinait devant son dieu. L'adepte "bourgeois" de cette "petite raison étriquée", vertueux et calculateur, soucieux de juguler les élans de son âme ou de son esprit, retrouve ainsi un: finitude confortable, un espace clos et sécurisant. Le rationalisme de ce type humain vertueux n'est pas le rationalisme aventureux, audacieux, ascétique et créateur décrit par Max Weber (3) qui éduque l'intériorité à affronter précisément cette infinitude affirmée par Giordano Bruno (4).

Dès la fin de la Renaissance, 2 modernités se juxtaposent

Le rationalisme étriqué dénoncé par Sombart (5) va régenter les cités en rigidifiant les pensées politiques, en corsetant les pulsions activistes constructives. Le rationalisme proprement faustien et conquérant, décrit par Max Weber, va propulser l'humanité européenne hors de ses limites territoriales initiales, va donner l'impulsion majeure à toutes les sciences du concret.

Dès la fin de la Renaissance, nous découvrons donc, d'une part, une modernité rigide et moraliste, sans élan, et, d'autre part, une modernité aventureuse, conquérante, créatrice, tout comme nous aujourd'hui, au seuil d'une post-modernité molle ou d'une post-modernité fulgurante, impavide et potentiellement innovante. En posant ce constat de l’ambiguïté des termes "rationalisme", "rationalité", "modernité" et "post-modernité", nous entrons de plain-pied dans le domaine des idéologies politiques voire des Weltanschauungen militantes.

La rationalisation pleine de morgue vertueuse, celle décrite par Sombart dans son célèbre portrait du "bourgeois", engendre les messianismes mous et mièvres, les grands récits tranquillisants des idéologies contemporaines La rationalisation conquérante décrite par Max Weber, elle, suscite les grandes découvertes scientifiques et l'esprit méthodique, raffinement ingénieux de la conduite de la vie et maîtrise croissante du monde extérieur.

Cette option conquérante possède également son revers : elle désenchante le monde, l’assèche, le schématise à outrance. En se spécialisant dans l'un ou l'autre domaine de la technique, de la science ou de l'esprit, en s'y investissant totalement, les "faustiens" d'Europe et d'Amérique du Nord aboutissent souvent à un nivellement des valeurs, à un relativisme qui tend à la médiocrité parce qu'il nous fait perdre le sens du sublime, de la mystique tellurique et qu'il isole de plus en plus les individus. En notre siècle, la rationalité mise en exergue par Weber, si positive au départ, a culbuté dans l'américanisme quantitativiste et machiniste qui, instinctivement, cherchera, en compensation, un supplément d'âme dans le charlatanisme religieux alliant le prosélytisme le plus délirant et les bondieuseries les plus larmoyantes.

Tel est le sort du "faustisme" quand il est coupé de ses mythes fondateurs, de sa mémoire la plus ancienne, de son humus le plus profond et le plus fécond. Cette césure, c'est indéniablement le résultat de la pseudomorphose, de la greffe "magique" sur le corps faustien/européen, greffe qui a échoué. Le "magisme" n'a pu immobiliser le perpétuel élan faustien ; il l'a - et c'est plus dangereux - amputé de ses mythes et de sa mémoire, le condamnant à la stérilité par assèchement, comme l'ont constaté Valéry, Rilke, Duhamel, Céline, Drieu, Morand, Maurois, Heidegger ou encore Abellio.

Rationalité conquérante, rationalité moralisante, dialectique des Lumières, "grands récits" de Lyotard

La rationalité conquérante, si elle est arrachée à ses mythes fondateurs, à son humus ethno-identitaire, à son indo-européanité matricielle, retombe, même après les assauts les plus impétueux, inerte, vidée de sa substance, dans les rets du petit rationalisme calculateur et dans l'idéologie terne des "Grands Récits". Pour Jean-François Lyotard (6), la "modernité", en Europe, c'est essentiellement le "Grand Récit" des Lumières, dans lequel le héros du savoir travaille paisiblement et moralement à une bonne fin éthico-politique : la paix universelle, où plus aucun antagonisme ne subsistera. La "modernité" de Lyotard correspond à la fameuse "Dialectique de l'Aufklärung" ou "Dialectique des Lumières" de Horkheimer et Adorno (7), figures de proue de la célèbre "École de Francfort". Dans leur optique, le travail de l'homme de science ou l'action de l'homme politique, doivent se soumettre à une raison raisonnable, à un corpus éthique, à une instance morale fixe et immuable, à un catéchisme qui freine leurs élans, qui limite leur fougue faustienne. Pour Lyotard, la fin de la modernité, donc l’avènement de la "post-modernité", c'est l'incrédulité progressive, sournoise, fataliste, ironique, persiflante à l'égard de ce métarécit. Incrédulité qui signifie soit un possible retour du Dionysiaque, de l'irrationnel, du charnel, des zones troubles et troublantes de l'âme humaine révélées par Bataille ou Caillois, comme l'envisagent et l’espèrent le professeur Maffesoli (8), de l'Université de Strasbourg, et l'Allemand Bergfleth (9), jeune philosophe non-conformiste ; soit un retour tout aussi possible du Faustien, d’un esprit comparable à celui qui nous a légué le gothique flamboyant, d’une rationalité conquérante qui aurait récupéré sa mythologie dynamique vieille-européenne, comme nous l’explique G. Faye dans Europe et Modernité (10).

Le métarécit s'enkyste...

Avec l'installation, l'enkystement, dans nos mentalités du "métarécit" des Lumières, apparaissent progressivement les grandes idéologies laïques occidentales, le libéralisme idolâtrant la "main invisible" (11) ou le marxisme avec son déterminisme pesant et sa métaphysique de l’histoire, contestés dès l'aube de ce siècle par les figures les plus sublimes du socialisme militant européen, dont Georges Sorel (12). Avec Giorgio Locchi (13), qui appelle le "métarécit" tantôt "idéologue" tantôt "science", nous pensons que ce complexe "métarécit/idéologie/science" ne suscite plus de consensus que par contrainte, puisqu'il y a des résistances sourdes (not. en art, en musique par ex. [14]) ou une désuétude générale du dispositif métanarratif de légitimation dans son ensemble.

Le métarécit libéral-lliuministe résiste encore et toujours aujourd'hui par la contrainte ou par le matraquage médiatique. Mais dans la sphère de la pensée immédiate, des poésies, de la musique, de l'art ou des lettres, ce métarécit ne dit plus rien, ne suscite plus rien, ne mobilise plus aucun grand esprit depuis 100 ou 150 ans. Déjà le modernisme littéraire de la fin du XIXe s. exprime une diversité de langages, une hétérogénéité d’éléments, une sorte de chaos désordonné qu'analyse le "physiologue" Nietzsche (15) et que Hugo von Hoffmannstahl appelle die Welt der Bezuge (le monde des relations). Ces interrelations omniprésentes et surdéterminantes nous signalent que le monde ne s'explique pas par un simple récit tout propret ni ne se laisse régenter par une instance morale désincarnée. Mieux : elles nous signalent que nos Cités, nos peuples, ne peuvent exprimer toutes leurs potentialités vitales dans le cadre d'une idéologie déterminée et instituée une fois pour toutes pour toute ni conserver indéfiniment les institutions issues (les corpus doctrinaux dérives du "métarécit des Lumières". La présence anachronique du métarécit constitue un frein au développement de notre continent dans tous les domaines : scientifique (informatique et biotechnologie [16]), économique (maintien des dogmes libéraux au sein de la CEE), militaire (fétichisme d’un monde bipolaire et servilité à l'égard des USA, paradoxalement ennemis économiques), culturel (matraquage médiatique en faveur d'un cosmopolitisme qui élimine la spécificité faustienne et vise à l’avènement d'un grand village convivial à l'échelle du globe, régenté par les principes des "sociétés froides" à la manière des Bororos chers à Lévi-Strauss [17]).

Refuser le néo-ruralisme, le néo-pastoralisme…

Le désordre confus du modernisme littéraire de la fin du XIXe s. a eu son aspect positif, son rôle : celui de constituer ce magma qui, petit à petit, deviendra producteur d'un nouvel assaut faustien (18). C'est Weimar, le Weimar-arène où se déroulait l'affrontement créateur et fécond de l'expressionnisme (19), du néo-marxisme et de la "révolution conservatrice" (20), qui nous léguera, avec Ernst Jünger, une idée de la modernité post-métanarrative (ou post-modernité, si l'on appelle "modernité" la Dialectique des Lumières, théorisée postérieurement par l'École de Francfort). Le modernisme, avec la confusion qu'il inaugure, due à l'abandon progressif de la pseudo-scientificité des Lumières, correspond quelque peu au nihilisme constaté par Nietzsche. Nihilisme qui doit être surmonté, dépassé, mais non par un retour sentimental, voire niais, au passé révolu. Le nihilisme ne se dépasse pas par le wagnérisme théâtral, fulminait Nietzsche, comme aujourd'hui, l'effondrement du "grand récit" marxiste ne se dépasse pas par un néo-primitivisme pseudo-rustique (21).

Chez Jünger, le Jünger des Orages d'Acier, du Travailleur et d'Eumeswil, on ne trouve nulle référence au mysticisme du terroir : rien qu'une admiration sobre pour la pérennité paysanne, indifférente aux bouleversements historiques. Jünger nous signale la nécessité d'un équilibre : s'il y a refus total du rural, du terroir, de la dimension stabilisante de la Heimat, le futurisme constructiviste faustien n'aura plus de socle, de base de départ, de zone de repli. En revanche, si l'accent est trop placé sur le socle initial, le socle-tremplin, sur la niche écologique originaire du peuple faustien, celui-ci, en s’encroûtant dans sphère-cocon, se prive d'un rayonnement universel, se rend aveugle à l'appel du monde, refuse de s’élancer vers le réel dans toute sa plénitude, "exotique" compris. Le repli frileux sur le territoire premier confisque au faustisme sa force de diffusion et relègue son "peuple porteur" au niveau de celui du "paysan éternel anhistorique" décrit par Spengler et par Eliade (22). L'équilibre consiste à puiser (dans le fond du terroir premier) et à diffuser (vers le monde extérieur).

En dépit de toutes les nostalgies "organiques", ruralistes ou pastoralistes, en dépit de leur beauté esthétique, sereine, idyllique, qui nous rappelle Horace ou Virgile, la Technique et le Travail sont désormais les essences de notre monde post-nihiliste. Rien n'échappe plus à la technique, à la technicité, à la mécanique ou à la machine : ni le paysan qui ouvre avec son tracteur ni le prêtre qui branche un micro pour donner plus d'impact à son homélie.

L’ère de la "Technique"

La Technique mobilise totalement (Totale Mobilmachung) et projette les individus dans une infinitude inquiétante, où ils ne sont plus que petits rouages interchangeables (les mitrailleuses, constate le guerrier Ernst Jünger, fauchent les vaillants et les peureux dans la plus pure égalité). Comme dans la guerre totale de matériel, annoncée dès les batailles de char de 1917, sur le front de France. Le "Moi" faustien perd son intraversion pour se noyer dans un tourbillon d’agir incessant. Ce moi, après avoir façonné les flèches en dentelles de pierre du gothique flamboyant, a soit basculé dans le quantitativisme américain soit hésité, désorienté, pris dans le magma informatif, dans l’avalanche de faits concrets du XXe s. Ce fut son nihilisme, son blocage, son indécision due à un subjectivisme exacerbé, un patinage dans la boue désordonnée des faits. En franchissant la "ligne", disent Heidegger et Jünger (23), la monade faustienne (celle dont nous parlait Leibniz [24]) annule son subjectivisme et retrouve la puissance pure, le dynamisme pur, dans l’univers de la Technique. Avec l’approche jüngérienne, la boucle se referme : à l’univers clos du "magisme" se substitue le petit monde inauthentique du bourgeois, sécuritaire, frileux, confit dans sa sphère d’utilitarisme et à l’univers dynamique du "faustisme" se substitue un stade Technique, dépouillé cette fois de tout subjectivisme.

La Technique jüngérienne balaye la modernité factice du métarécit des Lumières, l’hésitation des littératures modernistes de la fin du XIXe siècle et le trompe-l’œil du wagnérisme et du néo-pastoralisme. Mais cette modernité jüngérienne, toujours incomprise depuis la parution de Der Arbeiter en 1932, est demeurée lettre morte.

De Babbit au paradoxe sartrien

En 1945, le débat idéologique est remis au diapason des idéologies victorieuses : le libéralisme à l’américaine (l'idéologie de M. Babitt [25]) ou le marxisme sous la forme d’un métarécit soi-disant désembourgeoisé. Les grands récits reviennent à la charge, traquent toute philosophie ou démarche "irrationaliste" (26), instaurent une police des pensées et provoquent, finalement, en agitant l’épouvantail d’une barbarie rampante, une ère du vide. Sartre, avec sa vogue existentialiste parisienne, doit être analysé à la lumière de cette restauration. Sartre, fidèle à son "athéisme", à son refus de privilégier une valeur, ne croit pas aux fondements du libéralisme ou du marxisme, il n’institue pas, au fond, le métarécit (dans sa variante la plus récente : le marxisme vulgaire des partis communistes [27]) comme une vérité mais comme un impératif catégorique "indépassable" pour lequel il convient de militer, si l’on ne veut pas être un "salaud", c-à-d. un de ces êtres abjects qui vénèrent des "ordres pétrifiés" (28). C'est là tout le paradoxe du sartrisme : d'un côte, il nous exhorte à ne pas adorer d' "ordres pétrifiés", ce qui est proprement faustien, et, d'un autre côté, il nous ordonne d'adorer "magiquement" un "ordre pétrifié", celui du marxisme vulgaire, déjà démonté par Sombart ou De Man. Le consensus, dans les années 50, âge d'or du sartrisme, est donc bel et bien une contrainte morale, une obligation dictée par une pensée de plus en plus médiatisée. Mais un consensus par contrainte, par obligation de croire sans discuter, n'est pas un consensus éternel : d’où l l'oubli contemporain du message sartrien, avec ses outrances et ses exagérations.

L'anti-humanisme révolutionnaire de mai 68

Avec Mai 68, phénomène de génération, l'humanisme, label du métarécit, est battu en brèche par les interprétations françaises de Nietzsche, Marx et Heidegger (29). L'humanisme est une illusion "petite-bourgeoise", proclament universitaires et vulgarisateurs agissant dans le sillage de la révolte étudiante. Contre l'Occident, réceptacle géopolitique du métarécit des Lumières, le 68tard joue à monter sur les barricades, prend parti, parfois avec un romantisme naïf, pour toutes les luttes des années 70 : celle du Vietnam spartiate en lutte contre l'impérialisme américain, celle des combattants latino-américain ("Che"), du Basque, de l'Irlandais patriote ou encore du Palestinien.

Le faustisme combatif, ne pouvant plus s'exprimer à travers des modèles autochtones se transpose dans l'exotisme : il s'asiatise, s'arabise, s'africanise ou s'indianise. Mai 68, en soi, par son ancrage résolu dans la grande politique, par son éthos du guérillero, par son option combattante, revêt malgré tout une dimension autrement plus importante que le blocage crispé du sartrisme ou que la grande régression néo-libérale actuelle. À droite, Jean Cau, en écrivant son beau livre sur Che Guevara (30) a parfaitement saisi cette problématique, que la droite, tout aussi crispée sur ses dogmes et ses souvenirs que la gauche, n'avait pas voulu apercevoir.

Avec ce soixante-huitardisme-là, combattant et politisé, conscient des grands enjeux économiques et géopolitiques de la planète, ont brûlé, dans l'esprit public français, les derniers feux de l'histoire, avant la grande assomption dans la posthistoire et le postpolitique que représente le narcissisme néo-libéral contemporain.

La traduction des écrits de l’ "École de Francfort" annonce l’avènement du narcissisme néo-libéral

La 1ère phase de l'assaut néo-libéral contre l'anti-humanisme politique de Mai 68, ce fut la redécouverte des écrits de l’École de Francfort, née en en Allemagne avant l’avènement du national-socialisme, arrivée à maturité pendant l'exil californien d'Adorno, d'Horkheimer et de Marcuse et érigée en objet de vénération dans l’après-guerre ouest-allemand (31). Dans un petit ouvrage, concis et fondamental pour comprendre la dynamique de notre de notre temps, Dialektik der Aufklärung, Horkheimer et Adorno nous signalent l'existence, dans la pensée occidentale, de 2 "raisons", que, dans le sillage de Spengler et de Sombart, nous serions tenté de nommer "raison faustienne" et "raison magique". La 1ère est, pour les 2 anciens exilés en Californie, le pôle négatif du "complexe raison" dans la civilisation occidentale : cette raison-là est purement "instrumentale", elle sert à accroître la puissance personnelle de celui qui s'en sert. Elle est la raison scientifique, la raison qui dompte les forces de l’univers et les met au service d’un chef ou d’un peuple, d’un parti ou d’un État. Elle est prométhéenne et non point narcissique / orphique, disait, dans cette optique, Herbert Marcuse (32). Pour Horkheimer, Adorno et Marcuse, c’est ce type des rationalité qu'avait théorisé Max Weber...

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La "raison magique", selon notre terminologie généalogique spenglérienne, en revanche, c’est, pour en brosser vite l’aspect général, celle du métarécit découvert par Lyotard. Elle est une instance morale qui dicte une conduite éthique, allergique à toute expression de puissance. Donc, à toute manifestation de l’essence du politique (33). En France, la redécouverte de cette théorie horkheimerienne et adornorienne de la raison, vers la fin des années 70, a inauguré l’ère de dépolitisation, ce qui, par déconnexion généralisée à l'endroit de l'histoire concrète et tangible, aboutira à l’ "ère du vide" si bien décrite par le professeur grenoblois Gilles Lipovetsky (34). À la suite de l'effervescence militante de mai 68, G. Lipovetsky perçoit, avec beaucoup de pertinence, les nouvelles attitudes mentales du post-68tardisme : apathie, indifférence (également au métarécit dans sa forme brute), désertion (des partis politiques, surtout des PC), désyndicalisation, narcissisme, etc. Pour Lipovetsky, cette démission et cette résignation généralisées constituent une aubaine. C'est la garantie, explique-t-il, que la violence reculera, donc qu'aucun "total "totalitarisme", rouge, noir ou brun, ne prendra le pouvoir. Cette convivialité psy, doublée d'une indifférence narcissique aux autres, constitue le propre de l'âge "post-moderne".

Il y a plusieurs définitions possibles de la "post-modenité"

En revanche, si nous percevons - convention de vocabulaire inverse à celle de Lipovetsky - la "modernité" ou le "modernisme" comme expressions du métarécit, donc comme freins à l'élan faustien, la post-modernité sera nécessairement un retour au politique, un rejet du fixisme para-magique et du soupçon anti-politique, surgis après mai 68, dans le sillage des spéculations sur la "raison instrumentale" et la "raison objective" décrites par Horkheimer et Adorno.

La complexité de la problématique "post-moderne" ne permet pas de donner une et une seule définition de la "post-modernité". Il n’existe pas UNE post-modernité, qui, toute seule, pourrait revendiquer l'exclusivité. Au seuil du XXIe siècle, se juxtaposent, en jachère, DIVERSES post-modernités, divers modèles sociaux post-modernes potentiels, chacun basé sur des valeurs foncièrement antagonistes, prêtes à s’affronter. Les post-modernités diffèrent, dans leur langage ou dans leur "look", des idéologies qui les ont précédées ; elles renouent néanmoins avec les valeurs éternelles, immémoriales, qui leur sont sous-jacentes. Comme le politique entre dans la sphère historique par des affrontements binaires, opposant des clans adverses avec exclusion des tiers minoritaires, osons évoquer la possible dichotomie de l’avenir : une post-modernité néo-libérale, occidentale et américaine et américanomorphe contre une post-modernité fulgurante, faustienne et nietzschéenne.

"Génération morale" et "ère du vide"

La post-modernité néo-libérale, c'est celle qu’annonce, triomphant et follement messianique, un Laurent Joffrin dans son bilan de la révolte étudiante de décembre 1986 (cf. Un coup de jeune, Arlea, 1987). Pour Joffrin, qui avait pronostiqué il y a 2 ou 3 ans (35) la mort de la gauche hard, du prolétarisme militant, décembre 86 est le signe avant-coureur d'une "génération morale", alliant, dans ses cerveaux, le gauchisme mou, un peu collectiviste par paresse intellectuelle, et l’égoïsme néo-libéral, narcissique et postpolitique. Le modèle social de cette société hédoniste, axée sur la praxis marchande, que Lipovetsky a décrit dans L'ére du vide. Vide politique, vide intellectuel, et désert posthistorique : telles sont les caractéristiques de l'espace bloqué, de l'horizon bouché, bouche, propre au néo-libéralisme contemporain. Cette post-modernité-là constitue, pour le grand espace européen, qui doit advenir pour que nous ayons un avenir viable, un blocage inquiétant, où le lent pourrissement annoncé par le chômage de masse et la démographie déclinante exerceront leurs ravages, sous les lumignons blafards des illusions consuméristes, du gigantesque fictionnisme publicitaire, sous les néons des enseignes vantant les mérites d'un photographe d’un photocopieur japonais ou d'une compagnie aérienne américaine.

En revanche, la post-modernité qui refusera le vieux métarécit anti-politique des Lumières, avec ses avatars et ses métastases, renouera avec l'insolence nietzschéenne ou l'idéal métallique d’un Jünger, qui franchira la "ligne" comme nous l'exhorte Heidegger qui sortira du dandysme stériles des périodes de nihilisme, la post-modernité qui recourrera à l'aventureux, en déployant concrètement un programme politique audacieux impliquant le rejet des blocs, la construction d’une économie auto-centrée en Europe, en luttant farouchement et sans concessions contre toutes les vieilleries religieuses et idéologiques, en développant les grands axes d'une diplomatie indépendante de l’avis de Washington, la post-modernité, qui réalisera ce programme volontaire et négateur des négations de la posthistoire, celle-ci aura notre pleine adhésion.

Par cette allocution, j'ai voulu prouver qu'il y avait une continuité dans l’affrontement entre "faustisme" et que cette continuité antagonistique se répercute dans le débat actuel sur les post-modernités. L'Occident américano-centré centre est le havre des "magismes", avec son cosmopolitisme et ses sectes moonistes ou autres qui exigent l'obéissance aveugle (36). L’Europe, héritière d’un faustisme maintes fois tarabusté par la pensée "magique", se réaffirmera par une post-modernité qui récapitulera les thèmes indicibles, récurrents mais toujours neufs, de la fausticité intrinsèque de la psyché européenne.

NOTES :

  1. Benjamin Nelson, Der Ursprung der Moderne, Vergleichende Studien zum Zivilisationsprozess, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1986.
  2. Jean-François Revel, Histoire de la pensée occidentale, tomeII, La philosophie pendant la science (XVe, XVIe et XVIIe siècles), Stock, 1970. Cf. également le maître-ouvrage d'Alexandre Koyré : Du monde clos à l'univers infini, Gal., 1973.
  3. Cf. Julien Freund, Max Weber, PUF, 1969.
  4. Paul-Henri Michel, La cosmologie de Giordano Bruno, Hermann, 1962.
  5. Cf. essentiellement : Werner Sombart, Le Bourgeois. Contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne, Payot, Paris, 1966.
  6. Jean-François Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Minuit, 1979.
  7. Max Horkheimer, Theodor Adomo, Diaektik der Aufklârung. Philosophische Fragmente, Fischer, Frankfurt a.M., 1969-1980. Cf. également : Pierre Zima, L'école de Francfort. Dialectique de la particularité, éd. Universitaires, 1974. Michel Crozon, Interroger Horkheimer et Arno Victor Nielsen, Adorno, le travail artistique de la raison in : Esprit, Mai 1978.
  8. Cf. principalement : Michel Maffesoli, L'ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l'orgie, Méridiens, 1982, repris en Livre de Poche/biblio-essais. Pierre Brader, Michel Maffesoli : saluons le grand retour de Dionysos in Magazine-Hebdo n°54 (21 sept. 1984).
  9. Cf. Gerd Bergfleth et al., Zur Kritik der Palavernden Aujklärung, Matthes & Seitz, München, 1984. Bergfleth publie dans cette remarquable petite anthologie 4 textes assassins pour le ronron "moderno-francfortiste" : 1) Zehn Thesen zur Vernunftkritik ; 2) Der geschundene Marsyas ; 3) Über linke Ironie ; 4) Die zynische Aufklärung. Cf. également R. Steuckers, G. Bergfleth : enfant terrible de la scène philosophique allemande in Vouloir n°27, mars 1986. Dans ce même numéro, lire aussi : M. Kamp, Bergfleth : critique de la raison palabrante et Une apologie de la révolte contre les programmes insipides de la révolution conformiste. Voir encore : M. Froissard, Révolte, irrationnel, cosmicité et... pseudo-antisémitisme in Vouloir n°40-42, juil-août 1987.
  10. Guillaume Faye, Europe et Modernité, Eurograf, Méry/Liège, 1985.
  11. Sur le fondement théologique de la doctrine de la "main invisible" : cf. Hans Albert, Modell-Platonismus. Der neoklassische Stil des ökonomischen Denkens in kritischer Beleuchtung in Ernst Topitsch (Hrsg.), Logik der Sozialwissenschaften, Kiepenheuer & Witsch, Köln/Berlin, 1971.
  12. La bibliographie française sur Georges Sorel est abondante. Néanmoins, on déplorera qu'une biographie et une analyse aussi précieuse que celle de Michael Freund n'ait jamais été traduite : Michael Freund, G. Sorel, Der revolutionäre Konservatismus, Vittorio Klostermann, Frankfurt a.M., 1972.
  13. Cf. G. Locchi, Histoire et société : critique de Lévi-Strauss in Nouvelle Ecole n°17, mars 1972. G. Locchi, L'histoire in Nouvelle Ecole n°27-28, janv. 1976.
  14. Cf. G. Locchi, L' "idée de la musique" et le temps de l'histoire in Nouvelle École n°30, nov. 1978, Vincent Samson, Musique, métaphysique et destin in Orientations n°9, sept. 1987.
  15. Cf. Helmut Pfotenhauer, Die Kunst als Physiologie. Nietzsches äesthetische Theorie und literarische Produktion, J.B. Metzler, Stuttgart, 1985. Cf. à propos du livre de Pfotenhauer : Robert Steuckers, Regards nouveaux sur Nietzsche in Orientations n°9.
  16. Les bio-technologies et les innovations les plus récentes de la bio-cybernétique, appliquées au fonctionnement des sociétés humaines, remettent fondamentalement en question les assises théoriques mécanicistes du "Grand Récit" des Lumières. Des législations moins rigides, souples parce qu'adaptées aux ressorts profonds de la psychologie et de la physiologie humaines, redonneraient un dynamisme à nos sociétés et les mettraient au diapason des innovations technologiques. Le Grand Récit, toujours présent malgré son anachronisme, bloque l'évolution de nos sociétés ; la pensée de Habermas, qui refuse catégoriquement d'inclure dans sa démarche les découvertes épistémologiques d'un Konrad Lorenz par ex., illustre parfaitement la rigidité proprement réactionnaire du néo-Aufklärung francfortiste et de la dérivation néo-libérale actuelle. Pour se rendre compte du glissement qui s’opère malgré la réaction libérale-francfortiste, on lira les travaux du bio-cybernéticien allemand Frédéric Vester : 1) Unsere Welt - ein vernetztes System, dtv, n°l0118, München, 1983 (2e éd.) ; 2) Neuland des Denkens. Vom technokratischen zum kybernetischen Zeitalter, DVA, Stuttgart, 1980. La rénovation de la pensée sociale holiste (ganzheitlich) par la biologie moderne, nous la trouvons not. chez Gilbert Probst, Selbst-Organisation, Ordnungsprozesse in sozialen Systemen aus ganzheitlicher Sicht, Paul Parey, Berlin, 1987.
  17. G. Locchi, art. cit., voir note (13).
  18. Pour aborder la question du modernisme littéraire au XIXe s., se référer à : M. Bradbury, J. McFarlane (ed.), Modernism 1890-1930, Penguin, 1976.
  19. Cf. Paul Raabe, Expressionismus. Der Kampf um eine literarische Bewegung. Utile anthologie des principaux manifestes expressionnistes.
  20. Armin Mohler, La Révolution Conservatrice en Allemagne 1918-1932, Pardès. Se référer principalement au texte A3 intitulé Leitbilder (idées directrices).
  21. Cf. Gérard Raulet, Mantism and the Post-Modern Conditions et Claude Karnoouh, The Lost Paradise of Regionalism : The Crisis of Post-Modernity in France in Telos n°67, mars 1986.
  22. Cf. Oswald Spengler, Le déclin de l'Occident. Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle, Gal., 1948 ; pour la définition du "paysan anhistorique", voir t. 2, p. 90. Cf. M. Eliade, Le sacré et le profane, Gal., 1965 ; voir surtout le chap. III, La sacralité de la nature et la religion cosmique, p. 98 sq. Pour l'agencement de cette vision du "paysan" dans la querelle contemporaine du néo-paganisme, voir : Richard Faber, Einleitung : "Pagan" und Neo-Paganismus. Versuch einer Begriffsklärung in : Richard Faber & Renate Schlesier, Die Restauration der Gôtter. Antike Religion und Neo-Paganismus, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1986, pp. 10 à 25. Ce texte a été recensé en français par Robert Steuckers, Le paganisme vu de Berlin in Vouloir n°28/29, avr. 1986, pp. 5-7.
  23. Sur la question de la "ligne" chez Jünger et Heidegger, cf. W. Kaempfer, Ernst Jünger, Metzler, Sammlung Metzler, Band 20l, Stuttgart, 1981, p. 119 à 129. Cf. aussi J. Evola, Devant le "mur du temps" in Explorations. Hommes et problèmes, p. 183-194, Pardès. Profitons aussi de cette note pour rappeler que, contrairement à une idée reçue, Heidegger ne rejette pas la technique de manière réactionnaire, ne la considérant même pas comme dangereuse en elle-même. Le danger tient au mystère de son essence non pensée, empêchant l’homme de revenir à un dévoilement plus originel et d’entendre l’appel d’une vérité plus initiale. Si l’âge de la technique apparaît comme la figure achevée de l’Oubli de l’être, où la détresse propre à la pensée se manifeste comme absence de détresse dans la sécurisation et l’objectivation de l’étant, il est aussi cet extrême péril à partir duquel est pensable le relèvement comme possibilité d’un autre commencement une fois la métaphysique de la subjectivité achevée.
  24. Pour juger de l’importance de Leibniz dans le développement de la pensée organique allemande, cf. F.M. Barnard, Herder's Social and Political Thought. From Enlightenment to Nationalism, Clarendon Press, Oxford 1965, p. 10-12.
  25. Sinclair Lewis, Babbit, Livre de Poche/biblio, 1984.
  26. Le classique des classiques dans la condamnation de l’ "irrationalisme", c’est la somme de Georg Lukàcs, La Destruction de la Raison, éd. de l’Arche (2 vol.), 1958. Ce livre se veut une sorte de discours de la méthode de la dialectique Aufklärung-Gegenaufklärung, rationalisme-irrationalisme. La technique de l’amalgame, propre à ce qui apparaît avec le recul bel et bien comme un pamphlet stalinien, cherche à compromettre de larges secteurs de la culture allemande et européenne, de Schelling au néo-thomisme, accusés d‘avoir préparé et favorisé le phénomène nazi. Il s’agit là d’une vision paranoïaque de la culture.
  27. Pour saisir l’irrationalité foncière de l’adhésion de Sartre au communisme, on lira Thomas Molnar, Sartre, philosophie de la contestation, La Table Ronde, 1969.
  28. Cf. R.-M. Alberes, Jean-Paul Sartre, éd. Universitaires, 1964, p. 54 à 71.
  29. En France, la polémique visant un rejet définitif de l’anti-humanisme 68tard et de ses assises philosophiques nietzschéennes, marxiennes et heideggeriennes, se retrouve dans L. Ferry & A. Renaut, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain (Gal., 1985), et son pendant 68-86. Itinéraires de l’individu (Gal., 1987). Contrairement aux thèses défendues dans le 1er de ces 2 ouvrages, l’essayiste Guy Hocquenghem dans Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary Club (Albin Michel, 1986) déplorait l'assimilation de l’hyperpolitisme 68tard dans la vague néo-libérale contemporaine. Dans une optique nettement moins polémique et dans le souci de restituer le débat tel qu'il est sur le plan de l'abstraction philosophique, on lira : Eddy Borms, Humanisme -kritiek in het hedendaagse Franse denken, SUN, Nijmegen, 1986.
  30. Jean Cau, ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre, polémiste classé à "droite", polisson qui prend régulièrement à partie les manies et giries des conformistes bien-pensants, n'avait pas hésite à rendre hommage à Che Guevara et à lui consacrer un livre. Les "rigides" de la gauche bourgeoise avaient alors parlé d'un "détournement de cadavre" ! Les admirateurs rigido-droitistes de Cau, eux, n'ont pas davantage retenu la leçon : le Nicaragua sandiniste, qu'admiraient pourtant Abel Bonnard et le "fasciste" américain Lawrence Dennis, reste pour ces messieurs-dames une émanation du Malin.
  31. Cf. dans ce n° l'article de Hans-Christof Kraus, Habermas sur la défensive.
  32. Cf. A. Vergez, Marcuse, PUF, 1970.
  33. Julien Freund, Qu'est-ce que la politique ?, Seuil, 1967. Cf G. Faye, La problématique moderne de la raison ou la querelle de la rationalité in Nouvelle Ecole n°41, nov. 1984.
  34. G. Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gal., 1983. Peu après le colloque de Bruxelles, au cours duquel le texte ci-dessus a servi d'allocution, G. Lipovetsky publiait un 2nd ouvrage qui renforçait son option : L'Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes(Gal, 1987). Contre cette option "narcissique", protestaient presque simultanément François-Bernard Huyghe et Pierre Barbés dans La soft-idéologie, Laffont, 1987. Inutile de préciser que mes propos rejoignent, en gros, ceux de ces 2 derniers essayistes.
  35. Cf. Laurent Joffrin, La gauche en voie de disparition. Comment changer sans trahir ?, Seuil, 1984.
  36. Cf. Furio Colombo, Il dio d’America. Religione, ribellione e nuova destra, Arnoldo Mondadori ed., Milano, 1983.

mercredi, 30 juillet 2008

Chr. Lash: l'agonie des Lumières

L'agonie des Lumières

lasch-christopher.jpgSi les termes « populisme » et « communautarisme » figurent au premier plan du discours politique aujourd’hui, c’est parce que l’idéologie des Lumières, exposée à des attaques de provenance diverse, a perdu une grande partie de son attrait. Les prétentions de la raison universelle sont universellement suspectes. Les espoirs d’un système de valeurs qui transcenderait les particularismes de la classe, de la nationalité, de la religion et de la race ne sont plus guère convaincants. De plus en plus, on perçoit la raison et la morale des Lumières comme un masque pour le pouvoir, et la perspective d’un monde régi par la raison semble plus lointaine qu’à aucun moment depuis le XIXe siècle. Le citoyen du monde – prototype de l’humanité de l’avenir, selon les philosophes des Lumières – n’est guère visible. Nous avons un marché universel, mais il n’est pas porteur des effets civilisateurs qu’en attendaient avec tant de confiance Hume et Voltaire. Au lieu d’engendrer une prise en compte nouvelle de nos inclinaisons et de nos intérêts communs – de l’identité essentielle des êtres humains sur toute la surface du globe – le marché mondial semble intensifier la prise de conscience des différences ethniques et nationales. L’unification du marché va de pair avec la fragmentation de la culture.
Christopher Lasch - La révolte des élites

 

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