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lundi, 14 septembre 2009

L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Robert Steuckers:

L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye

Indubitable et déterminante est l'influence de Henri Lefebvre sur l'évolution des idées de Guillaume Faye; Henri Lefebvre fut un des principaux théoriciens du PCF et l'auteur de nombreux textes fonda­mentaux à l'usage des militants de ce parti fortement structuré et combatif. J'ai eu personnellement le plaisir de rencontrer ce philosophe ex-communiste français à deux reprises en compagnie de Guillaume Faye dans la salle du célèbre restaurant parisien “La Closerie des Lilas” que Lefebvre ai­mait fréquenter parce qu'il avait été un haut lieu du surréalisme parisien du temps d'André Breton. Lefebvre aimait se rémémorer les homériques bagarres entre les surréalistes et leurs adversaires qui avaient égayé ce restaurant. Avant de passer au marxisme, Lefebvre avait été surréaliste. Les conver­sations que nous avons eues avec ce philosophe d'une distinction exceptionnelle, raffiné et très aristo­cratique dans ses paroles et ses manières, ont été fructueuses et ont contribué à enrichir notamment le numéro de Nouvelle école sur Heidegger que nous préparions à l'époque. Trois ouvrages plus récents de Lefebvre, postmarxistes, ont attiré notre attention: Position: contre les technocrates. En finir avec l'humanité-fiction (Gonthier, Paris, 1967); Le manifeste différentialiste (Gallimard, Paris, 1970); De L'Etat. 1. L'Etat dans le monde moderne, (UGE, Paris, 1976).

 

Dans Position (op. cit.), Lefebvre s'insurgeait contre les projets d'exploration spatiale et lunaire car ils divertissaient l'homme de “l'humble surface du globe”, leur faisaient perdre le sens de la Terre, cher à Nietzsche. C'était aussi le résultat, pour Lefebvre, d'une idéologie qui avait perdu toute potentialité pra­tique, toute faculté de forger un projet concret pour remédier aux problèmes qui affectent la vie réelle des hommes et des cités. Cette idéologie, qui est celle de l'“humanisme libéral bourgeois”, n'est plus qu'un “mélange de philanthropie, de culture et de citations”; la philosophie s'y ritualise, devient simple cérémonial, sanctionne un immense jeu de dupes. Pour Lefebvre, cet enlisement dans la pure phraséo­logie ne doit pas nous conduire à refuser l'homme, comme le font les structuralistes autour de Foucault, qui jettent un soupçon destructeur, “déconstructiviste” sur tous les projets et les volontés po­litiques (plus tard, Lefebvre sera moins sévère à l'égard de Foucault). Dans un tel contexte, plus aucun élan révolutionnaire ou autre n'est possible: mouvement, dialectique, dynamiques et devenir sont tout simplements niés. Le structuralisme anti-historiciste et foucaldien constitue l'apogée du rejet de ce formidable filon que nous a légué Héraclite et inaugure, dit Lefebvre, un nouvel “éléatisme”: l'ancien éléatisme contestait le mouvement sensible, le nouveau conteste le mouvement historique. Pour Lefebvre, la philosophie parménidienne est celle de l'immobilité. Pour Faye, le néo-parménidisme du système, libéral, bourgeois et ploutocratique, est la philosophie du discours libéralo-humaniste répété à l'infini comme un catéchisme sec, sans merveilleux. Pour Lefebvre, la philosophie héraclitéenne est la philosophie du mouvement. Pour Faye, —qui retrouve là quelques échos spenglériens propres à la ré­cupération néo-droitiste (via Locchi et de Benoist) de la “Révolution Conservatrice” weimarienne—  l'héraclitéisme contemporain doit être un culte joyeux de la mobilité innovante. Pour l'ex-marxiste et ex-surréaliste comme pour le néo-droitiste absolu que fut Faye, les êtres, les stabilités, les structures ne sont que les traces du trajet du Devenir. Il n'y a pas pour eux de structures fixes et définitives: le mou­vement réel du monde et du politique est un mouvement sans bonne fin de structuration et de déstruc­turation. Le monde ne saurait être enfermé dans un système qui n'a d'autres préoccupations que de se préserver. A ce structuralisme qui peut justifier les systèmes car il exclut les “anthropes” de chair et de volonté, il faut opposer l'anti-système voire la Vie. Pour Lefebvre (comme pour Faye), ce recours à la Vie n'est pas passéisme ou archaïsme: le système ne se combat pas en agitant des images embellies d'un passé tout hypothétique mais en investissant massivement de la technique dans la quotidienneté et en finir avec toute philosophie purement spéculative, avec l'humanité-fiction. L'important chez l'homme, c'est l'œuvre, c'est d'œuvrer. L'homme n'est authentique que s'il est “œuvrant” et participe ainsi au devenir. Les “non-œuvrants”, sont ceux qui fuient la technique (seul levier disponible), qui re­fusent de marquer le quotidien du sceau de la technique, qui cherchent à s'échapper dans l'archaïque et le primitif, dans la marginalité (Marcuse!) ou dans les névroses (psychanalyse!). Apologie de la tech­nique et refus des nostalgies archaïsantes sont bel et bien les deux marques du néo-droitisme authen­tique, c'est-à-dire du néo-droitisme fayen. Elles sortent tout droit d'une lecture attentive des travaux de Henri Lefebvre.

 

Dans Le manifeste différentialiste, nous trouvons d'autres parallèles entre le post-marxisme de Lefebvre et le néo-droitisme de Faye, le premier ayant indubitablement fécondé le second: la critique des processus d'homogénéisation et un plaidoyer en faveur des “puissances différentielles” (qui doi­vent quitter leurs positions défensives pour passer à l'offensive). L'homogénéisation “répressive-op­pressive” est dominante, victorieuse, mais ne vient pas définitivement à bout des résistances particu­laristes: celles-ci imposent alors malgré tout une sorte de polycentrisme, induit par la “lutte planétaire pour différer” et qu'il s'agit de consolider. Si l'on met un terme à cette lutte, si le pouvoir répressif et oppresseur vainc définitivement, ce sera l'arrêt de l'analyse, l'échec de l'action, le fin de la découverte et de la création.

 

De sa lecture de L'Etat dans le monde moderne,  Faye semble avoir retiré quelques autres idées-clefs, notamment celle de la “mystification totale” concomitante à l'homogénéisation planétaire, où tantôt l'on exalte l'Etat (de Hobbes au stalinisme), tantôt on le méconnaît (de Descartes aux illusions du “savoir pur”), où le sexe, l'individu, l'élite, la structure (des structuralistes figés), l'information sura­bondante servent tout à tour à mystifier le public; ensuite l'idée que l'Etat ne doit pas être conçu comme un “achèvement mortel”, comme une “fin”, mais bien plutôt comme un “théâtre et un champ de luttes”. L'Etat finira mais cela ne signifiera pas pour autant la fin (du politique). Enfin, dans cet ouvrage, Faye a retenu le plaidoyer de Lefebvre pour le “différentiel”, c'est-à-dire pour “ce qui échappe à l'identité ré­pétitive”, pour “ce qui produit au lieu de reproduire”, pour “ce qui lutte contre l'entropie et l'espace de mort, pour la conquête d'une identité collective différentielle”.

 

Cette lecture et ces rencontres de Faye avec Henri Lefebvre sont intéressantes à plus d'un titre: nous pouvons dire rétrospectivement qu'un courant est indubitablement passé entre les deux hommes, cer­tainement parce que Lefebvre était un ancien du surréalisme, capable de comprendre ce mélange ins­table, bouillonnant et turbulent qu'était Faye, où se mêlaient justement anarchisme critique dirigé contre l'Etat routinier et recours à l'autorité politique (charismatique) qui va briser par la vigueur de ses décisions la routine incapable de faire face à l'imprévu, à la guerre ou à la catastrophe. Si l'on qua­lifie la démarche de Faye d'“esthétisante” (ce qui est assurément un raccourci), son esthétique ne peut être que cette “esthétique de la terreur” définie par Karl Heinz Bohrer et où la fusion d'intuitionnisme (bergsonien chez Faye) et de décisionnisme (schmittien) fait apparaître la soudaineté, l'événement im­prévu et impromptu, —ce que Faye appelait, à la suite d'une certaine école schmittienne, l'Ernstfall—  comme une manifestation à la fois vitale et catastrophique, la vie et l'histoire étant un flux ininter­rompu de catastrophes, excluant toute quiétude. La lutte permanente réclamée par Lefebvre, la reven­dication perpétuelle du “différentiel” pour qu'hommes et choses ne demeurent pas figés et “éléatiques”, le temps authentique mais bref de la soudaineté, le chaïros, l'imprévu ou l'insolite revendiqués par les surréalistes et leurs épigones, le choc de l'état d'urgence considéré par Schmitt et Freund comme es­sentiels, sont autant de concepts ou de visions qui confluent dans cette synthèse fayenne. Ils la rendent inséparable des corpus doctrinaux agités à Paris dans les années 60 et 70 et ne permettent pas de con­clure à une sorte de consubstantialité avec le “fascisme” ou l'“extrême-droitisme” fantasmagoriques que l'on a prêtés à sa nouvelle droite, dès le moment où, effrayé par tant d'audaces philosophiques à “gauche”, à “droite” et “ailleurs et partout”, le système a commencé à exiger un retour en arrière, une réduction à un moralisme minimal, tâche infâmante à laquelle se sont attelés des Bernard-Henry Lévy, des Guy Konopnicki, des Luc Ferry et des Alain Renaut, préparant ainsi les platitudes de notre political correctness.

vendredi, 11 septembre 2009

El racismo - Génesis y desarrollo de una ideologia de la Modernidad

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El racismo. Génesis y desarrollo de una ideología de la Modernidad

[Artículo de Carlos Caballero Jurado para la revista Hespérides, en el número 16/17 (fue doble) de la primavera de 1998]

 

Desde fines del siglo XIX las relaciones entre culturas y naciones se han visto envenenadas por las creencias racistas. Como la palabra racismo se usa de forma constante, y no siempre adecuada, conviene empezar por definir, lo más estrictamente posible, su significado. La palabra “racismo” designa una creencia cuyos rasgos fundamentales serían los siguientes:

 

1) Creer que los seres humanos se dividen, fundamentalmente, en razas. Y, en consecuencia, atribuir al factor raza una importancia antropológica decisiva.

 

2) Asignar a las razas características inmutables, y creer que los caracteres trasmitidos hereditariamente no son sólo los rasgos físicos, sino también ciertas aptitudes y actitudes psicológicas, que son las que generan las diferencias culturales que se pueden apreciar.

 

3) Creer que existe una jerarquía entre razas, siendo alguna, o algunas de ellas, superiores a las otras.

 

4) Entender la mezcla de razas como un proceso de degeneración de las razas “superiores”.

 

Raza y ciencia

 

Lo que entendemos por “raza” es simplemente un estereotipo cultural. Este concepto se formó a partir de la presencia de ciertos rasgos externos —color de la piel, características del pelo, rasgos faciales, constitución anatómica, etc.— muy visibles y sistematizados por los científicos de la primera modernidad, rasgos a los que se superpusieron predisposiciones intelectuales e incluso espirituales. El racismo consiste, pues, en una improcedente mezcla de elementos heterogéneos: físicos por una parte, mentales y anímicos por otra.

 

Contrariamente a lo predicado por sus defensores durante mucho tiempo, hoy la base científica del racismo ha sido puesta en entredicho. Recientemente, por ejemplo, el equipo dirigido por los profesores Luca Cavalli-Sforza, Paolo Menozi y Alberto Piazza ha publicado la gigantesca obra The History and Geography of Human Genes (1), donde niegan toda base científica al racismo. Usando modernas técnicas desarrolladas por la Genética de poblaciones, llegan a la apabullante conclusión de que no hay fundamento científico alguno para clasificar a los seres humanos en razas, ya que la diversidad genética, bioquímica y sanguínea entre individuos de una misma “raza” es incluso mayor que la que existe entre “razas” consideradas distintas. Los factores biológicos en los que se basa el concepto científico de raza serían sólo externos, mientras que los datos aportados por las nuevas técnicas —análisis de los árboles filogenéticos, de los polimorfismos nucleares y del ADN mitocondrial— dibujan un panorama completamente distinto donde la noción de raza es irrelevante. Frente a esta perspectiva abierta por la biología molecular, otros científicos disienten. Así, André Pichot escribía recientemente: “Combatir el racismo arguyendo que las razas no existen es una inepcia (…) Que la noción de raza (o de especie, o de género, etc.) no sea aprehendida por la genética molecular es una cosa; que haya razas en taxonomía, en antropología o en el mundo humano en que vivimos, es otra muy distinta, y la verdad, en esta materia, no tiene por qué residir en el reduccionismo molecular” (La Recherche, febrero 1997).

 

¿Hay razas o no hay razas? ¿Hay que tener en cuenta las diferencias fisiológicas externas, o las biomoleculares? Los científicos no se ponen de acuerdo. Pero sí hay un amplio consenso sobre el hecho de que, existan las razas o no, el racismo es una peligrosa desviación.

 

Sin embargo, aunque el racismo está hoy completamente desacreditado como doctrina científica —o como ideología política—, esto no quiere decir que en el pasado no fuera una doctrina ampliamente difundida y apoyada por pensadores tenidos por insignes, a la vez que considerada como plenamente científica. Ni tampoco que, hoy en día, las actitudes racistas sigan estando ampliamente difundidas; muchísimas personas que jamás se definirían como racistas tienen, sin embargo, un comportamiento inequívocamente racista cuando han de convivir, por el motivo que sea, con personas de otra raza.

 

Racismo y xenofobia

 

El racismo, como es bien sabido, hunde sus raíces en la xenofobia, el miedo al extraño, una actitud o sentimiento prácticamente innato que encontramos tanto en los animales como en los seres humanos y también en los grupos sociales por éstos constituidos, incluidas las naciones. En pocas palabras, la xenofobia es la desconfianza instintiva hacia el extraño al grupo, percibido a priori, y de forma casi mecánica y automática, como un enemigo potencial. Esta xenofobia, que sin duda debe tener que ver con los instintos territoriales, no es sin embargo completamente equiparable al racismo, ya que éste no se presenta como un instinto, sino como una teoría. De ahí, de ese impulso innato y primario, a la formulación de doctrinas racistas hay un largo trecho y, en realidad, el racismo como ideología y dogma político no aparece en la historia sino muy recientemente, en el ámbito de lo que llamamos Modernidad (2).

 

No es extraño, ya que la modernización supone, entre otras cosas, la desaparición de un mundo caracterizado por lo reducido de las agrupaciones humanas y su aislamiento, lo que hacía que el contacto con el extraño fuera una experiencia casi excepcional para una inmensa mayoría de la población. La Modernidad abrió el camino hacia una sociedad globalizada, con gigantescos movimientos de personas, en la que la presencia del extranjero se transforma en algo cotidiano. Y esa presencia, cada vez más frecuente, del extranjero no deja de provocar angustias, sobre todo en un entorno que de ser estable y cuasi-inmutable, como el de las pequeñas comunidades que caracterizaban el modo de vida pre-moderno, pasa a ser velozmente cambiante. El proceso de desarraigo, favorecido por la modernización, está muy posiblemente en la base de la aceptación de los comportamientos racistas tan lamentablemente cotidianos en el mundo actual por amplios segmentos sociales.

 

Los precursores

 

El lugar y fecha del nacimiento del racismo como ideología está perfectamente localizado: la Europa del siglo XIX, especialmente en su último tercio, aunque hunda sus raíces casi un siglo atrás. El sueco Karl von Linné (1707-1778), y el francés George-Louis Leclerc, conde de Buffon (1707-1788), modelos de científicos ilustrados, catalogaron a todos los seres vivos en razas, géneros, familias, etc. Los seres humanos no escaparon a ese afán catalogador y, de forma inevitable, se les clasificó por razas, como a los demás integrantes del reino animal. No es que Linné o Buffon prestaran una gran atención a clasificar a los seres humanos, pero sí sus sucesores antes de que acabara este siglo XVIII, como el anatomista holandés Peter Camper (1722-1789), que estableció una taxonomía de razas humanas —casi resulta inútil decir que los blancos estaban en el estrato superior y los negros eran situados por Camper sólo ligeramente por encima de los monos—. Camper construyó su taxonomía a partir de los cráneos, partiendo del que para él resultaba ser el modelo perfecto: las cabezas de los atletas de la escultura clásica griega. La forma del cráneo parecía ser una obsesión del siglo, ya que Franz J. Gall (1758-1828) alcanzó fama gracias a su nueva ciencia, la frenología, según la cual las predisposiciones morales e intelectuales de un ser humano se manifestaban a las claras como consecuencia de la forma que tenía su cráneo. Por ridículo que esto suene hoy día, esta teoría pasó por ser una auténtica psicología moderna, empirista y científica, frente a las tradiciones psicológicas espiritualistas. De hecho, durante mucho tiempo, a los psicólogos modernos se les llamó “frenópatas” y a las clínicas psiquiátricas modernas se las llamó “frenopáticos”. Dado que la forma de un cráneo figura entre los caracteres racialmente heredados, no es difícil ver las implicaciones racistas de estas teorías (3).

 

En la medida en que el pensamiento teológico iba siendo sustituido por el científico y racionalista, fueron apareciendo más y más pensadores que intentaban dar explicaciones nuevas al devenir histórico humano, alejadas de las tradicionales. Y varios de ellos atribuyeron una importancia especial al tema de la raza. Los alemanes Carl G. Carus y Gustav F. Klem figuran entre los primeros autores que introducen el factor raza para interpretar la evolución de las culturas y la historia humana (4). Casi simultáneamente, el sueco Retzius introduce el primer método científico para clasificar razas: el índice cefálico (5). Combinado con otros sistemas, todos los cuales son hoy considerados de nulo valor probatorio —color de la piel, características del cabello, estatura media, color de ojos, forma de la nariz, etc.— el índice cefálico se utilizó para intentar clasificar a los seres humanos en razas. La poca fiabilidad del resultado intelectual de tales métodos resulta evidente cuando contemplamos la extremada dificultad que ha existido para clasificar y catalogar las razas. Se han formulado un gran número de taxonomías raciales, ninguna de las cuales ha llegado a gozar de plena aceptación (6).

 

Todo este conjunto de ideas pre-racistas o expresamente racistas no eran difundidas simplemente por científicos aislados, sino por significadas sociedades científicas, como la Sociedad Etnológica de París —fundada en 1839—, la Sociedad Etnológica de Londres —creada en 1843— y la también londinense Sociedad Antropológica —establecida en 1863. Todas ellas eran definitivamente racistas en las tesis que defendían y difundían (7).

 

En este contexto se formuló la primera teoría racista explícita, la desarrollada por el francés Joseph Arthur, conde de Gobineau en su celebre Ensayo sobre la Desigualdad de las Razas Humanas (1853). Sintetizando al máximo su doctrina encontraríamos estos puntos:

 

— Existen razas superiores, dominantes, que no son sino ramas de una misma familia, la aria, y que han dado vida a las formas culturales más brillantes y a las naciones más poderosas.

 

— La decadencia de esas naciones y esas culturas se ha producido por degeneración biológica de las razas, por el mestizaje.

 

— La historia no es otra cosa que el campo de batalla donde se libran luchas entre razas.

 

Tan endeble teoría es posible que no hubiera tenido mucho eco en otras condiciones distintas a las reinantes en la Europa del siglo XIX. En ese preciso contexto histórico coincidieron varios factores que favorecieron, sin embargo, la recepción de tales ideas:

 

a) La interpretación biologizante de las teorías de Herder. Aunque no sea posible hacer de Herder un pensador racista, su insistencia en la existencia de un Volksgeist —genio nacional— especifico e inalterable de cada nación servía indirectamente para dar credibilidad a las tesis de Gobineau.

 

b) El gran auge que en esos momentos experimentaba Europa, en los ámbitos de lo político, militar, tecnológico, científico y cultural. Europa se había lanzado a la conquista del mundo y lo estaba sometiendo. Las naciones formadas por miembros de la raza blanca se estaban haciendo las dueñas del Universo. El racismo fue utilizado por todas las grandes naciones imperialistas blancas como ideología de legitimación del imperialismo.

 

c) Los grandes avances experimentados por las ciencias biológicas. Poco después de la aparición de la obra de Gobineau aparecía El Origen de las Especies (1859), de Darwin, y aunque sin la menor duda Darwin no fue racista, sus ideas de que en la naturaleza imperaba una “batalla por la vida” en la que triunfaban “los más fuertes” y que esto era “el motor de la evolución” fueron inmediatamente vulgarizadas y aplicadas al ámbito de lo humano —darwinismo social—. No menos influyente será el descubrimiento de las leyes de la Genética por Mendel, en 1865. Aunque los descubrimientos de éste pasaran largos años sin ser de dominio público, estos avances científicos iban a tener una inesperada repercusión en el ámbito de las ideas.

 

El racismo fue una ideología fruto de la biologización de las teorías sociológicas. En el mundo contemporáneo, los estudiosos de áreas humanistas —la historia, la psicología, la sociología, etc.— han padecido y padecen de un notable complejo de inferioridad respecto a las ciencias exactas y naturales, cuyos métodos tratan de copiar constantemente. Estos pensadores, que significativamente empezaron a adoptar la denominación de científicos sociales, adaptaron irreflexivamente al estudio de las sociedades una serie de paradigmas tomados de las ciencias biológicas. Historiadores, filósofos, psicólogos, que antes habían buscado su inspiración en textos sagrados, tradiciones ancestrales, etc., ahora copiaban las técnicas de los laboratorios: en el mundo moderno la ciencia ha ocupado el lugar de la teología o, mejor dicho, la ciencia es la teología del mundo moderno.

 

d) Los avances en lingüística comparada demostraron que prácticamente todas las lenguas habladas en Europa procedían de una lengua originaria común, el indoeuropeo, de la que descendían también lenguas como el persa y las lenguas del norte de la India. A partir de la existencia de esa lengua original se dedujo la existencia de un pueblo primigenio, el ario, cuya genialidad quedaría de manifiesto al haber sido la matriz de los pueblos que crearon grandes culturas como las de la India, Persia, Grecia y Roma y —más recientemente— la Cultura occidental. Este análisis desdeñaba el hecho de que una misma lengua no implica una misma raza. Pueblos racialmente distintos pueden hablar una misma lengua sin que eso establezca entre ellos una filiación genética. Un ejemplo evidente es el caso del idioma castellano, cuyos hablantes se extienden desde los Pirineos hasta Tierra del Fuego, sin que eso haga de ellos una comunidad biológica.

 

Las teorías de Gobineau se inscriben en la herencia intelectual de la Ilustración, aunque a muchos esto les pueda sonar extraño. Observadores sagaces, como George L. Mosse, no han dudado en definir al racismo como “der Schattenseite der Aufklärung”, el lado oscuro de la Ilustración (8). Y quienes crean que el racismo es una pervivencia del mundo tradicional en el mundo moderno, deberían leer con detenimiento al antropólogo cultural y sociólogo Louis Dumont, para cerciorarse de cómo el racismo es una ideología típicamente moderna y profundamente emparentada con el individualismo (9). Gobineau trata, como todos los grandes ilustrados, de crear una gran teoría, elaborada mediante la razón, para explicar un fenómeno, en este caso la Historia política y cultural de la Humanidad, sin recurrir a las revelaciones proféticas ni a la acción de la Providencia divina. La teoría pretende ser científica y basarse en la experiencia —Gobineau fue embajador de Francia en Persia y concibió sus ideas al comparar el estado del país cuando él lo conoció con la época de esplendor de Persia en la Antigüedad—.

 

A Gobineau le sucedieron una serie de intelectuales cuyas formulaciones, de una manera u otra, estaban emparentadas con las suyas. Además, el ambiente intelectual global jugaba a favor suyo. No es mínimamente creíble presentar a Friedrich Nietzsche como un teórico del racismo, pero su idea de la existencia de una “moral de señores”, opuesta a una “moral de esclavos” podía —debidamente vulgarizada— engarzarse con las tesis de Gobineau. Por esto, algunos de sus admiradores, y casi todos sus detractores, han hecho de Nietzsche un apóstol del racismo, aunque esta idea no se sostenga después de un análisis serio de su obra. Algo similar cabe decir de Richard Wagner, amigo personal de Gobineau, dicho sea de paso. El mundo germánico recreado por Wagner en sus óperas, presentado de forma absolutamente idealizada, era exhibido como encarnación de todas las virtudes positivas y fueron muchos los que sacaron de aquellas óperas unas conclusiones racistas.

 

Ya he hablado de Darwin y las teorías del darwinismo social. A esta influencia cabe añadir la del también británico Francis Galton, cuya obra Hereditary Genius (1869) fundamentó la doctrina de la Eugenesia, fácilmente susceptible de aplicación para reforzar las tesis racistas. Por muy extraño que esto suene a los oídos de muchos —dado que hoy en día, como consecuencia de la experiencia del nazismo en Alemania, está sólidamente establecida la ecuación entre Eugenesia y Racismo— la realidad es que inicialmente la obra de Galton fue asumida y difundida fundamentalmente por gentes con mentalidad progresista y de izquierdas (10).

 

De hecho, el conjunto de las teorías racistas engarzaban magníficamente con la ideología liberal triunfante. Como señala Mosse: “Hay que tener en cuenta que las ideas de superioridad racial no estaban necesariamente vinculadas al nacionalismo, sino que podían utilizarse también para apoyar las cualidades liberales de la seguridad en uno mismo y la iniciativa privada (…) [muchos] creyeron que Inglaterra debía sus instituciones parlamentarias a sus raíces anglosajonas. Se creía que la organización de las tribus germánicas, el Comitatus, ejemplificaba las prácticas democráticas. Se dedujo de ello que aquellas razas que no compartían ese pasado carecían de la cualidad mental precisa para el autogobierno. Esta apropiación del autogobierno como consecuencia de las tradiciones de raza adecuadas forjó una vinculación entre gobierno representativo y exclusividad racial (…) El racismo no rechazaba al principio la libertad y la autonomía, sino que les atribuía raíces de raza”. (11)

 

El racismo, fruto del positivismo

 

En 1899, con la aparición de la obra del británico Houston S. Chamberlain Los Fundamentos del Siglo XIX, el racismo da un salto cualitativo. Profundizando en las ideas de Gobineau, Chamberlain circunscribe el ámbito de las razas superiores al mundo germánico-nórdico, quintaesencia de la raza aria, de los pueblos blancos. Una teoría que resultaba extraordinariamente halagadora a los oídos de los alemanes, recién unificados en 1870 y que estaban convirtiéndose en una gran potencia mundial. Chamberlain parecía dar la razón a sus ansias de expansión.

 

Pero es más que dudoso que Gobineau o Chamberlain, autores de libros bastante endebles —Gobineau llegaba a afirmar, contra toda evidencia, que culturas como la egipcia o la china tenían una base “aria”; Chamberlain, por su parte, trató ridículamente de demostrar que Jesucristo no era judío, sino un ario…— , hubieran encontrado eco de no haber existido un ambiente intelectual propicio. Y este, aunque parezca inverosímil, no fue otro que el generado por el positivismo, una doctrina filosófica típicamente moderna. F. Elias de Tejada llamaba la atención sobre este hecho, muy relevante, ya que salta a la vista que la obra de Gobineau o Chamberlain no podía, por sí misma, generar un movimiento intelectual con tanta influencia como la que el racismo tuvo. Elías de Tejada escribía a este respecto: “Fomentando la tesis racista o, mejor dicho, allanándole el camino, hay toda una escuela filosófica que en el siglo XIX va a investigar los problemas humanos teniendo en cuenta las diferencias entre las ramas de la especie humana; es el positivismo, cuyas perspectivas filosóficas se acomodan fácilmente al punto de vista racial. En efecto; es el positivismo la posición filosófica que sólo se atiene a los hechos, a los données, para ir sacando de ellos, por el camino de la inducción, tesis de validez general y leyes cuya aplicación sea más amplia que el hecho mismo. Ajustándose únicamente a los datos y prescindiendo de toda visión previa de amplitudes universales, tomando como punto de partida los hechos concretos, bien podrá ser la raza uno de estos en la fundamentación de una nueva filosofía de la historia. El positivismo vino a proporcionar al racismo una fundamentación filosófica y un asidero ante los ataques, porque era una filosofía que prescindía de la vieja metafísica para vivir únicamente de los planteamientos y teoremas reales.

 

“El padre de la escuela —prosigue Elías de Tejada—, A. Comte, no incide en cuestiones raciales, pero tampoco escapan a su aguda visión de las cosas. En la lección 52 de su Curso de Filosofía Positiva compuesta mucho antes de que apareciera la obra de Gobineau, nota ya las especialisimas aptitudes de la raza blanca para el desarrollo político, sin adentrarse en la cuestión, pero dejando abierta una pregunta a la que el propio Gobineau contestará posteriormente y en la que también se fijaran sus discípulos. ‘¿Por qué posee la raza blanca —se plantea— de una manera tan pronunciada el privilegio efectivo del principal desarrollo social, y por qué ha sido Europa el lugar esencial de esta preponderante civilización? Este doble objeto de correlativas meditaciones ha debido estimular sin duda más de una vez la inteligente curiosidad de filósofos (…) Sin duda, se percibe en seguida, al primer respecto, en la organización característica de la raza blanca, y sobre todo en el aparato cerebral, algunos gérmenes positivos de su superioridad real, aunque todavía están muy lejos los naturalistas de coincidir unánimemente en este punto’ (…) La tesis de Comte, mejor dicho, su indicación, no se ciñe estrictamente a la posición racista (…) Pero marca una dirección en la que progresarán sus discípulos, partiendo de esta intima relación entre los hechos físicos y los fenómenos políticos, tan de acuerdo con la filosofía positivista y en la que el propio Comte insiste muchas veces” (12).

 

De no haber existido el positivismo como filosofía de la ciencia masivamente aceptada en la Europa del XIX, es más que probable que las especulaciones racistas de personajes como Gobineau o Chamberlain, de poquísima altura intelectual como ya hemos señalado, no hubieran encontrado un terreno tan bien abonado. Quizás el mejor ejemplo de la interconexión entre racismo y positivismo sea la figura de L. von Gumplowicz, el famoso sociólogo austríaco de origen judío, quien colocó el tema racial en el centro de muchas de sus obras, como Die sociologische Staatsidee (1892) y Grundiss der Sociologie (1892), aunque sea en Der Rassenkampf (1883) donde el tema racial concita toda su atención. Vale la pena señalar también que agudísimos pensadores sociales, como Max Weber, llegaron a confiar en que el desarrollo de las modernas ciencias biológicas permitieran hacer de la raza un factor explicativo de las diferencias económicas y culturales (13).

 

Otra razón que nos explica el campo abonado que encontró el racismo fue el imperialismo europeo sobre los países de ultramar y la lucha entre las grandes potencias, y la necesidad de articular una serie de justificaciones ideológicas para esos fenómenos. En la medida en que la Europa blanca, o más exactamente la Europa noroccidental y los Estados Unidos se estaban adueñando del mundo, las teorías racistas servían para explicar y justificar el dominio sobre razas inferiores. El británico Kipling, quien justificaba el imperialismo inglés en terminos de “la pesada carga” que el británico debía asumir dada la incapacidad de otras razas, es quizás el representante más conspicuo de estas ideas.

 

Pero existía igualmente el conflicto entre distintas naciones blancas europeas, y a estas pugnas se les quiso dar también una explicación racista: no sólo existía una jerarquía entre las distintas grandes razas humanas, sino que dentro de la blanca también existían jerarquías. Para los sajonistas eran los británicos y los norteamericanos los mejor dotados. Los celtistas legitimaban las aspiraciones francesas en las bondades de la raza celta, los habitantes de las Galias antes de la invasión franca, ya que, de haber exaltado a los francos, al ser éstos un pueblo indudablemente germano, habrían glorificado indirectamente a Alemania, a la que se consideraba una potencia enemiga (14). El teutonismo consideraba, por fin, que era el pueblo alemán el que mejor encarnaba las cualidades de la raza aria. Todas estas doctrinas estaban ampliamente difundidas y eran entusiásticamente aceptadas, tanto en los ámbitos populares, como en los sesudos círculos académicos.

 

Aunque hoy sólo se hable del racismo alemán, este tipo de ideas tenían igualmente predicamento en el Reino Unido, EE.UU. o Francia. Un autor norteamericano, Homer Lea (1876-1912), en su The Day of Saxon (1912) animaba a la “raza sajona” —británicos y norteamericanos— a aniquilar a la “raza teutónica” si quería asegurarse el dominio del mundo.

 

Los pueblos europeos latinos no solían salir muy bien parados en estas teorizaciones racistas. La cultura grecorromana no era presentada como autóctona, mediterránea, sino como fruto de pueblos nórdicos emigrados al sur… Y en cuanto a lo que pasa por ser la mayor gesta de los pueblos latinos en el mundo moderno, el descubrimiento de América, no deberá sorprendernos que en los primeros años de este siglo hiciera auténtico furor la historia de los viajes de los vikingos a América, presentados como el primer y verdadero descubrimiento; el hecho de que, en cualquier caso, la eventual presencia de escandinavos en América no tuviera la más mínima consecuencia histórica era irrelevante: cualquier cosa era preferible antes que admitir que ese hecho capital de la historia de la Humanidad que es el descubrimiento del Nuevo Mundo se debiera a una tripulación de andaluces mandados por un marino italiano (15).

 

En cuanto a las relaciones entre blancos y pueblos de color, en la praxis política cotidiana, el muy liberal Reino Unido realizaba una política indiscutiblemente racista sobre su vasto imperio colonial, y esto resulta tan obvio que no merece la pena que abundemos en ello. Sí que conviene, en cambio, subrayar que esta praxis no era fruto de la casualidad, ni de la simple xenofobia, sino resultado de todo un andamiaje teórico de carácter inequívocamente racista (16).

 

Y que la vida cotidiana de los Estados Unidos, paradigma de la democracia formal, estaba impregnada de un racismo radical —no sólo frente a indios y negros, también frente a otras razas blancas, como los italianos— no era menos obvio. Y no estamos hablando de las actitudes concretas de la personas señaladas, sino de la existencia de leyes y reglamentaciones que impedían que blancos y negros viajaran juntos en autobús, se cortaran el pelo en la misma peluquería, fueran a la misma escuela, etc. De hecho, el racismo institucionalizado y legalizado se mantuvo en la mayor parte de los EE.UU. hasta bien entrados los años sesenta de nuestro siglo.

 

Sin embargo, será Alemania la nación con la que, en definitiva, acaben identificándose las teorizaciones racistas en la mente de la mayor parte de los habitantes del mundo. ¿Por qué? No hay duda de que Alemania fue uno de los más tristemente fértiles caldos de cultivo para todo tipo de ideas racistas. Sin duda, porque servían, como ya hemos dicho, para tratar de justificar las aspiraciones expansionistas alemanas. Debido a su muy tardía unificación, Alemania había llegado muy tarde al reparto del poder mundial y, lógicamente, trataba de subvertir ese orden. La ideología racista ofrecía un buen surtido de argumentos útiles y no se tardaría mucho antes de que apareciera una legitimación racista del afán expansionista alemán con la figura de Von Treitschke. El racismo era, incluso, una fórmula para tratar de alcanzar lo que en realidad los alemanes aún no habían logrado después de su unificación de 1870, esto es, la auténtica unificación alemana: decenas de millones de alemanes seguían viviendo fuera del territorio del II Reich, fundamentalmente en el Imperio Austro-Húngaro, pero también en Suiza.

 

Conviene que subrayemos, empero, que la identificación entre racismo y Alemania es bastante caprichosa, ya que como hemos afirmado el racismo ha sido una ideología profundamente arraigada en toda la Europa noroccidental y los EE.UU. Todos hemos oído hablar de los excesos del racismo nazi en el período de entreguerras y en el transcurso de la segunda guerra mundial. En cambio, un discreto velo de silencio oculta que esas mismas ideas aberrantes eran ampliamente compartidas en los EE.UU., por poner sólo un ejemplo. La obra de Stephan Kühl, The Nazi Connection. Eugenics, American Racism and German National Socialism (17), ilustra elocuentemente los estrechos lazos establecidos entre los teóricos y científicos racistas nazis alemanes y sus colegas norteamericanos; y no nos estamos refiriendo a minúsculos grupos de radicales políticos, sino a instituciones académicas y médicas estadounidenses del mayor prestigio, que compartían con los nazis alemanes la obsesión por la higiene racial.

 

¿Una herencia bíblica?

 

Si la xenofobia puede manifestarse en cualquier país o cultura, y podemos encontrar sin apenas esfuerzo huellas de esa presencia, en cambio el fenómeno que aquí definimos como racismo parece patrimonio —en cuanto a sus orígenes intelectuales y primeros escarceos— de un reducido número de naciones, todas ellas —repetimos— situadas en el ángulo noroccidental europeo, con su prolongación transatlántica en EE.UU., y con una común caracerística: la influencia que en todas ellas tuvo la Reforma protestante. En efecto, Alemania, el Reino Unido, Escandinavia, Holanda, los Estados Unidos, son posiblemente los países donde el racismo ha tenido raíces intelectuales más profundas. Desde luego, todos tienen en común una base germánica, pero pensar que el racismo se deriva necesariamente del germanismo sería precisamente caer en una abominación racista, además de ser una ridiculez histórica. Se podría pensar también que todos estos países estaban en pleno apogeo a fines del XIX y principios del XX, y que encontraron en el racismo una ideología legitimadora. Tampoco es demasiado cierto, porque según esta idea, todo país o raza que haya tenido una fase de apogeo debería haber dado lugar a la aparición de una teoría racista, y esto es falso.

 

A mi entender, el factor decisivo que se da en todos estos países para explicar la aparición de una teoría racista es el hecho de que fueran culturas vinculadas al Protestantismo. Como es sabido, mientras que en los países de cultura católica la libre lectura directa de la Biblia y en concreto del Antiguo Testamento estuvo prácticamente prohibida salvo autorización, en los países que se unieron a la Reforma la lectura y reflexión cotidiana sobre el Antiguo Testamento se convirtió en una práctica cotidiana de todos y cada uno de los creyentes. Son muchas y muy variadas las ideas que podemos encontrar en el Antiguo Testamento; y el exclusivismo biológico —por no utilizar en este caso la palabra racismo, para que nadie se dé por ofendido— es una de las más repetidas y las más nefastas (18). Creemos que un estudio detallado del tema demostraría la correlación existente entre los tres factores siguientes:

 

a) País de cultura protestante y en los que se practica la lectura cotidiana de la Biblia.

 

b) La noción biológica de pueblo elegido se incorpora a la cultura nacional.

 

c) Se formulan teorías racistas explícitas, que llegado el caso se transforman en derecho positivo.

 

Vale la pena, por ejemplo, comparar los casos de dos de los países donde el racismo ha estado presente en el Derecho positivo: los EE.UU. y la Suráfrica de los boers. Tenían poca cosa en común. El primero de estos Estados se estaba elevando hacia la hegemonía planetaria, era —y es— un país altamente industrializado y urbano, y los negros eran una minoría. En Suráfrica, los boers vivían en el campo, en granjas aisladas, conformaban la minoría estadística y nunca llegaron a ser una superpotencia. Ni desde el punto de vista socioeconómico, ni en el orden internacional, ni por la importancia de la población de color, los casos de EE.UU. y Suráfrica pueden ser considerados análogos. Pero ambos tuvieron leyes que impedían a un negro viajar junto a un blanco en un autobús, por ejemplo. Lo que sí tenían en común los EE.UU. y la Suráfrica boer es la ideologia germinal de ambas naciones: el calvinismo.

 

La simple ecuación protestantismo = racismo sería absurda, mecanicista, reduccionista. Pasaría por alto, por ejemplo, que el político racista más conspicuo del siglo, Hitler, procedía de una familia y una región culturalmente católicas. Pero que existe una relación entre una cultura nacional basada en la lectura y exégesis de la Biblia y la formulación explícita de teorías racistas me parece evidente e históricamente contrastable.

 

El pecado y la penitencia

 

En el período de entreguerras en Europa, por ejemplo, observamos claramente cómo el racismo es un componente clave en los fascismos nórdicos, pero inicialmente ausente de los meridionales. El fascismo italiano, por ejemplo, no sólo no tenía ningún componente racista originalmente, sino todo lo contrario. Cuando los soldados italianos marchaban sobre Abisinia —la actual Etiopía— para conquistarla, aunque sin la menor duda machacaron a los indígenas, es revelador que la canción militar que se hizo famosa en la campaña rezara: Facetta nera, sarai romana —”Carita negra, serás romana”—. Es decir, por encima de la brutalidad de la conquista, de las matanzas, a medio plazo existía el proyecto de incorporar a los abisinios a la italianidad. En cambio, en el fascismo alemán el racismo ocupaba el lugar nuclear. Incluso aunque dieran en algunos casos mejor trato a las poblaciones conquistadas que los propios italianos, jamás se les ocurría pretender que esos pueblos pudieran ser germanizados. El soldado alemán que violaba a una rusa, por ejemplo, era llevado ante un tribunal militar, pero no por la violación, sino por atentar contra la pureza de la sangre alemana. Por desgracia, al ser Alemania la única nación que, dada su fuerza, podía subvertir el orden internacional imperante, su versión racista del fascismo acabó imponiéndose y siendo miméticamente imitada por los demás fascismos europeos, incluido el italiano.

 

Cuando se habla de la Alemania nazi, resulta obvio que nadie apelará a cualquier otro aspecto de su ideología o de su política distinto del racismo y el antisemitismo. Todo aspecto interesante o positivo que pudiera haber en sus ideas o en su praxis queda anulado ante el hecho de que en el centro del discurso nazi se instaló el más fanático exclusivismo biológico. Pero de estos temas ya se ha hablado hasta la saciedad, de manera que el aspecto sobre el que aquí deseamos llamar la atención es distinto: se trata de subrayar aquí hasta qué punto el racismo fue, en sí mismo y paradójicamente, el causante de la derrota de la Alemania de Hitler. Estos serían los grandes errores hitlerianos causados por su ceguera racista:

 

1) En 1940 la Alemania hitleriana pudo aniquilar a los británicos en Dunkerke y después con una invasión de las islas británicas. Hitler no lo hizo porque siempre profesó una devoción literalmente perruna por los británicos que, para él, eran los más próximos parientes raciales y cuyo modelo de dominación mundial pretendía remedar. No podía aniquilar a una nación cuyo capital biológico era tan valioso… Los dejó escapar en Dunkerke, para no humillarlos; y después jamás proyectó en serio ni la invasión de Gran Bretaña ni tampoco el ataque a sus intereses imperiales en el Mediterráneo hasta 1942, cuando ya era demasiado tarde. Hitler soñaba con una alianza entre pueblos germánicos, los británicos dominando los mares y los alemanes el continente. Pretendía copiar su sistema colonialista en el Este… Y los británicos le devolvieron tanto respeto y admiración de la forma que ya sabemos.

 

2) En 1940-1941 los pueblos colonizados, fundamentalmente los árabo-musulmanes y los hindúes, después de la apabullante derrota de Gran Bretaña y Francia en 1940, sólo esperaban una señal del III Reich para alzarse contra las potencias colonialistas, señal que como sabemos jamás recibieron. Es más, incluso a la Francia derrotada se le permitió conservar su imperio norteafricano. En abril de 1941 Irak, un país árabe, se sublevó contra el dominio británico para unirse al Eje —un caso único, pues ningún otro país se sublevó para aliarse con el III Reich— sin recibir de Alemania más que una ayuda simbólica. La razón de tan absurda política es que, en realidad, Hitler jamás tuvo ninguna simpatía por aquellos pueblos de color. Incluso pensaba que, en definitiva, aquellas razas inferiores no podrían expulsar a los blancos… Esta estupidez llego al extremo de que cuando en Singapur los británicos fueron humillantemente derrotados por los japoneses, Hitler confió a sus generales que, de hecho, lo que él desearía era mandar a sus panzers a Singapur para defender los intereses de los pueblos germánicos frente al peligro amarillo. Que los pueblos colonizados han tenido fuerza para expulsar a los ejércitos de las naciones occidentales, incluso a costa de sacrificios increíbles, es algo que tenemos muy reciente. Hitler siempre se resistió a esta idea debido, sin duda, a sus prejuicios racistas.

 

3) Dada su comovisión racista, pese a sus simpatías por la Italia fascista y por el Japón, nunca tuvo el convencimiento de estar librando la misma guerra que esas dos naciones, latina la una y amarilla la otra. Esto dio lugar a lo que los historiadores han bautizado como “guerra de las estrategias independientes”. De hecho, Hitler jamás se molestó en dar a conocer sus intenciones a japoneses e italianos. Japón, que durante los años 1936-39 tuvo innumerables conflictos fronterizos con la URSS, en 1940 no fue informada de que ya se planeaba la operación “Barbarroja” y cuando comunicó a Alemania que se disponía a establecer un pacto de no agresión con la URSS, hasta se le animó a hacerlo. No se consideraba preciso contar con aquellos pequeños amarillos. Casos similares se pueden relatar con respecto a Italia. Subyacente en esta absurda estrategia, estaba la idea de que esos dos Estados, que no eran germánicos, no podían ni debían ser tratados como iguales.

 

4) Cuando Alemania lanzó la operación “Barbarroja”, los rusos y los demás pueblos de la URSS estaban literalmente hartos de la ominosa dictadura stalinista, que había causado millones de muertos y sacrificios sin fin a todos los pueblos de la URSS. De hecho, en las primeras semanas de la campaña los pueblos del Este recibían alborozados a la Wehrmacht. Pero en vez de actuar como liberadores, la campaña se transformó en una auténtica guerra de conquista colonial. Literalmente se pensaba en hacer de los pueblos de la URSS unos nuevos ilotas al servicio de los alemanes. Esta abominable política abortó, en definitiva, lo que fue una posibilidad más que real: la de que millones de ciudadanos de la URSS se unieran a los alemanes contra Stalin. Al contrario, la brutal política racista y colonialista aplicada por los alemanes en Rusia despertó todas las energías nacionales de los rusos, quienes acabaron derrotándolos y ocupando parte de su mismo territorio durante medio siglo.

 

Tan larga digresión pretende demostrar qué puede llegar a ocurrir cuando se parte de ideas aberrantes. Todo problema que está mal planteado no puede tener una solución correcta. Y si el planteamiento —la ideología racista— es manifiestamente absurdo —amén de potencialmente criminal—, la conclusión no puede ser más que catastrófica. Aunque a sus entusiastas defensores les guste creer que lo que provocó la derrota del III Reich fue una tenebrosa conjura mundial, la realidad es que lo que llevó a la derrota de la Alemania hitleriana no fue otra cosa que su ideología racista o, más exactamente, los errores político— estratégicos que de ella se derivaron. Su pecado les trajo una dura penitencia (19).

 

De la ideología a la realidad

 

Las tesis racistas que hablaban de la superioridad blanca, en general, o sus derivaciones —nordicismo, teutonismo, sajonismo, celtismo, etc.—, resultaban manifiestamente absurdas y no hubieran resistido un análisis frío y desapasionado, en el caso de que sus creyentes hubieran decidido someter sus ideas a esta práctica. Bastaba con preguntarse: si la raza blanca era superior, ¿cómo explicar que durante milenios la China marchara en vanguardia cultural, científica y técnica? Se atribuía a los arios todo aspecto creativo, pero sólo alguien dotado de una imaginación portentosa podía atribuir la Gran Muralla, o las pirámides de Egipto o del Yucatán, al genio creador de los blancos. Si los germanos eran seres tan poderosamente dotados, ¿cómo justificar que durante siglos hubieran sido tan sólo un pueblo de rústicos analfabetos que habitaban chozas en el interior de fríos bosques, sin dar durante tantísimos siglos la más mínima muestra de genio, mientras que, a orillas del Mediterráneo, se sucedían portentosas civilizaciones?

 

Los mismos germanos afirmaban sus orígenes nórdicos, incluso hiperbóreos, sosteniendo que esa sangre nórdica era la mejor. Hubiera sido necesario preguntarse, ¿cuál había sido la gran aportación del mundo nórdico a la Humanidad? Los vikingos, sus más conspicuos representantes, no fueron más que vulgares piratas y saqueadores. Incluso sus hazañas guerreras palidecen y se quedan en nada cuando se las compara con las de otro gran pueblo de saqueadores, los mongoles, quienes, además de superarles en proezas castrenses, fueron capaces de levantar un imperio, nada más y nada menos que desde Corea hasta Polonia, al tiempo que conquistaron la nación más desarrollada y poblada del mundo: China.

 

Los pueblos latinos, como los españoles o los portugueses, muy despreciados en la época de apogeo del racismo, demostraron estar mucho más avanzados que los británicos en el dominio del mar. Mientras que los portugueses llegaban a las Indias Orientales y China mucho antes que los británicos, los españoles fueron capaces de construir un gigantesco imperio ultramarino que duró mucho más de lo que ha permanecido en pie el bastante efímero imperio británico (20), por muy germánicos y rubicundos que fueran los conquistadores y administradores de este último. ¿Cómo un pueblo tan poco nórdico como el español había realizado tamañas proezas en la historia? En vez de resolver de una forma sensata tal interrogante se recurrió, sin embargo, a una hábil treta: mientras los publicistas anglosajones cantaban las mas apasionadas elegías de cualquier personajillo con apellido británico, las gestas de un Cortés o un Pizarro ni se mencionaban. Y que conste que no tratamos aquí de legitimar un imperialismo hispano frente a otro anglosajón, sino que apuntamos cómo se construía una visión de la historia destinada a sostener las tesis racistas del imperialismo británico. Y ¿qué decir de los árabes? Ese pueblo, considerado un pueblo semita despreciable, había realizado una de las más gigantescas epopeyas de la historia, conquistando el espacio comprendido entre los Pirineos y el valle de Ferghana en Asia Central —de hecho, la batalla en la que los árabes derrotan al ejército godo en España y la batalla de Talas, en la que expulsan a los chinos de toda el Asia Central, son cronológicamente casi simultáneas—, dotándolo además de una civilización altamente desarrollada. En cuanto a su mayor creación espiritual, el Islam, esa religión se extendía, en la época de apogeo de la ideología racista, entre el Atlántico y el Pacífico. ¿Cuál era la gran creación cultural-religiosa que se pudiera comparar a ésta y que fuera realizada por los escandinavos, un pueblo que parece ser la quintaesencia de la germanidad? ¿Sus sagas? ¿Son comparables sus correrías de saqueo por los mares que circundan Europa con esa capacidad para construir en poquísimos años un imperio pluricontinental? Todo esto resulta fácil de razonar, si uno se lo propone. Pero cuando se parte de prejuicios, casi nada resulta claro y todo acaba por deformarse.

 

De hecho, los prejuicios racistas reaparecen donde menos lo espera uno, y así, aún hoy en día, podemos ver, por poner un ejemplo, cómo para bastantes autores sigue siendo imposible admitir que el Taj Mahal, sin duda la creación artística más bella de la Humanidad, pueda ser debido a autores que no eran todo lo blancos que debieran (21).

 

Dicho de otra manera: el racismo, las teorías racistas, encuentran un mentís total en la Historia, en la que vemos a pueblos que si bien a la altura del ultimo tercio del XIX estaban en situacion de decadencia, habían sido autores de grandes hazañas, creadores y portadores de grandes culturas. Mientras que a la vez contemplamos cómo los pueblos germánicos, que por las mismas fechas se consideraban la mejor muestra del género humano, han pasado larguísimos siglos sin dar la mas mínima muestra de genialidad. ¿Por qué no se quiso ver lo que resultaba evidente? Pues porque, por desgracia, la Historia ha sido —y es— la más manipulada de las actividades intelectuales.

 

Para centrarnos en el caso de Alemania, nadie pareció prestar atención al hecho de que la raza supuestamente superdotada se hubiera pasado largos siglos sin dar la más mínima señal de creatividad cultural o política, ni tampoco de la voluntad de dominio que se supone acompaña a toda raza superior, siendo incluso incapaz de auto-unificarse hasta casi en los estertores del siglo XIX. Obviamente, entre los alemanes racistas no se trataba para nada la cuestión de los prusianos, considerados el paradigma de lo alemán, y en realidad los alemanes menos alemanes, ya que por sus venas corría al menos tanta sangre eslava como germana. En toda Alemania al este del Elba se encuentra una sorprendente cantidad de apellidos terminados en “-ki”, los mismos apellidos que, según el rey prusiano Federico Guillermo, caracterizaban “a esa masa de estúpidos que son los polacos”. De la misma manera, la cantidad de germano-austriacos que tienen apellidos de indiscutible origen esloveno o serbocroata sugiere que, aunque todos ellos sean indiscutiblemente alemanes por su cultura, desde un punto de vista racial muchos debieran ser considerados como eslavos. Un análisis sensato de la realidad histórica debía haber mostrado que, al Este del Elba, y conforme se avanza a lo largo del Danubio, la mayor parte de los alemanes tenían entre sus antepasados a algún polaco, algún checo, algún esloveno o algún croata.

 

Nada de esto era tomado en consideración. En cambio, el extraordinario auge cultural, científico y económico de Alemania en el mundo a lo largo de los últimos años del siglo XIX y primeros del XX era atribuido a las cualidades biológicas de su excepcional raza. Dado el tremendo influjo que ejercía la cultura alemana en toda Europa, eran muchos los que consideraban que las mejores o peores cualidades de cada nación tenían mucho que ver con el porcentaje y la calidad de la sangre germánica que corriera por sus venas. Y no estamos hablando de personajes de segunda fila. En España, por ejemplo, un pensador de la categoría de Ortega y Gasset atribuía buena parte de la responsabilidad de la decadencia española, a que los germanos que nos tocaron en suerte en las invasiones que pusieron fin al Imperio romano, los visigodos, eran unos germanos decadentes y contaminados de romanidad, lo que contrapone al vigor bárbaro de los francos, los germanos que se asentaron en las Galias (22). Queda por explicar cómo este pueblo español, tocado por esa mácula de poca y bajísima calidad de sangre germánica que nos llegó, pudo realizar la conquista de medio mundo mientras la muy portentosa sangre de los francos apenas permitía a Francia asegurarse el dominio de su “hexágono” durante un buen puñado de siglos… No menos sorprendente es la valoración de lo godo-germánico como un hecho cultural de alguna relevancia, siendo así que los siglos de dominio de los conquistadores godos en España no supuso ninguna aportación cultural apreciable y en realidad la España goda no es sino un triste final para el mucho más glorioso episodio de la Hispania romana. Pero, en definitiva, la referencia a Ortega y Gasset nos da una muestra de hasta qué grado se había extendido, también en nuestro país, la moda de la teutomanía (23).

 

Raza versus clase

 

Un análisis, no ya científico, sino de sentido común, acaba por echar por tierra cualquier teoría racista. Sin embargo, no sólo se difundieron ampliamente, sino que fueron seguidas a pies juntillas por Gobiernos, por partidos y por amplias capas populares. ¿Cómo fue posible? En realidad no tiene nada de extraño ni de excepcional. Un caso similar ha ocurrido con el marxismo. Éste, como sistema de pensamiento, es una falacia absoluta. Según esta teoría, era inevitable que los países más desarrollados económicamente se acabaran convirtiendo en comunistas, al entrar en contradicción el desarrollo de las fuerzas productivas con las relaciones de producción. Pasaron décadas y se pudo comprobar que ni un solo país desarrollado se convertía al socialismo, mientras que este régimen se imponía exclusivamente en países atrasados y feudales, puramente rurales. Pese a tan flagrante contradicción, que invalidaba al marxismo como ciencia, ya que no sólo no predecía bien el desarrollo histórico, sino que al final lo que ocurría en la realidad histórica era exactamente lo contrario de lo que se decía que iba a ocurrir, de lo que debía suceder según los dogmas; pese a esto, repito, el marxismo ha sido la filosofía oficial de la Historia durante décadas, no sólo en la URSS y demás países comunistas, sino con más fuerza aún entre los intelectuales de Occidente; y quién sabe si, de no haber sido por el hundimiento catastrófico de la URSS y el mundo socialista, aún seguiría gozando del mayor predicamento intelectual. El intelectual que vive del “prêt-a-penser” es un modelo mucho mas habitual de lo que nos podemos imaginar. Y aunque la URSS y demás países satélites parecía que debían sus teorías más a un taxidermista que a un filósofo (24), los absurdos, aberraciones y ridículos del pensamiento marxista aparentaban tener mas verosimilitud que cualquiera otra filosofía en la Historia, si uno se dejaba llevar por las opiniones de la mayor parte de los intelectuales afamados del siglo XX. Si el marxismo ha podido mantenerse como ideología cuasi-hegemónica durante tantas décadas, no debería sorprendernos que el racismo haya sido una ideología con un amplio predicamento.

 

El racismo y el marxismo se presentaban como ciencias y eran creídos como tales, pero en realidad no eran sino creencias, ideologías, casi religiones, que se aceptaban acríticamente por sus seguidores. Marx creyó que las clases y sus luchas eran motores de la historia. Gobineau afirmó que eran las razas y sus luchas. Hoy sabemos que si existen razas y clases es puramente como categorías descriptivas —como existen los trajes verdes y los sombreros azules—, pero que ni las clases ni las razas son los motores de la historia, porque en realidad no son sujetos agentes.

 

Otro punto en común entre marxismo y racismo es su gran capacidad de movilización de masas. En la Alemania derrotada de 1918, Hitler encontró en el racismo el gran motor capaz de sacar de su abatimiento al pueblo alemán e hizo de él la base de su doctrina. Poco importaba, en realidad, que el pueblo alemán no pueda ser definido como una raza. Según los criterios taxonómicos raciales entonces vigentes, una parte del pueblo alemán podía ser considerada como miembro de la raza nórdica —la que habitaba en la parte central y septentrional del país—, pero otros muchos alemanes respondían a las clasificaciones de raza alpina —alemanes del Sur—, este-europea —alemanes del Este, a partir del Elba y, desde luego, a partir del Oder— e incluso de la raza dinárica —en Austria— (25). Sin embargo, se hizo de la raza el mito movilizador central del discurso. No por casualidad la obra del teórico principal del NSDAP, Rosenberg, se llama El Mito del Siglo XX. Al proceder así, Hitler no estaba realizando nada excepcional. Por desgracia, el nacionalismo alemán se hallaba muy impregnado de racismo antes de que él fuera una figura relevante. Hoy sabemos que no hay una raza romana, sino una cultura romana; que no hay una raza indoeuropea, sino una lengua y, a grandes rasgos, una cultura indoeuropea; que no hay una raza alemana, sino una cultura alemana. Pero esto no resultaba tan obvio en la Alemania y en la Europa de principios de siglo…

 

Frente a la ideología pretendidamente científica del marxismo, con gran capacidad de atracción popular —¿cómo no va a gustar oír que la culpa de tus desgracias la tienen los explotadores, pero afirmándose a la vez que su fin esta próximo y es inevitable?—, se alzó otra ideología con igual pretensión de ser científica, y no menos halagadora para las masas —¿acaso no suena a música celestial que le digan a uno que pertenece a una raza superior?—. Ni una ni otra, empero, contenían un ápice de verdad y han pasado a la historia como responsables de las mayores tragedias para los pueblos que las adoptaron. Si los errores y horrores del racismo llevaron a Alemania al borde de su aniquilación como nación, los errores y los horrores del comunismo han llevado a Rusia desde el feudalismo hasta el gobierno de las mafias pasando por la dictadura más brutal de la historia.

 

Precisamente la comparación entre marxismo y racismo es la mejor manera de verificar hasta qué punto el racismo es una ideología típica de la modernidad. Ambas pretenden ser filosofías de la historia, que la explican a través de un solo factor —lucha de clases, lucha de razas—, basando sus teorías en los avances científicos —la economía política, la biología—. Si los marxistas querían superar la falsa conciencia de los proletarios, haciéndoles adquirir conciencia de clase, el primer objetivo de los racistas era difundir la conciencia de raza entre los miembros de la pretendida raza superior.

 

Dos ejemplos que nos ilustran sobre la necesidad de construir la alternativa, los nuevos paradigmas, alejados de reduccionismos y de presuntos cientifismos. Pero, a la vez, ambos fenómenos nos sugieren una importante pregunta: ¿Si eran tan erróneos y absurdos como han demostrado ser, cómo explicar su éxito? ¿Cómo llegaron a convertirse en las “ideologías universales del siglo XX”, según expresión de Hannah Arendt? Este éxito no se debió, sospecho, tanto a sus méritos intrínsecos como a las deficiencias esenciales del pensamiento burgués triunfante con la Ilustración. De la misma manera que el pensamiento ilustrado fue incapaz de dar una respuesta a la problemática social que se derivaba del industrialismo capitalista, pese a sus proclamas de libertad e igualdad, el pensamiento ilustrado tampoco fue capaz de ofrecer una teoría antropológica que se adecuara a las realidades plurales del ser humano. El individuo, la construcción teórica de la antropología ilustrada, es una ilusión, ya que el ser humano, si llega a ser, es precisamente porque no es individuo, sino miembro de una comunidad o, más exactamente, de una cadena de comunidades. Al despojar al ser humano de su engarce dentro de un universo social holista y organicista, el pensamiento ilustrado no erradicó de él la necesidad de identificarse con una colectividad. La nación y la raza —en otros casos, la clase— aportaron así el nuevo marco colectivo al sujeto nacido de la Ilustración que, como ser humano que seguía siendo, en realidad no podía reconocerse en la construcción teórica del individuo.

 

La vinculación entre racismo e individualismo se manifiesta también en el hecho de que todo racismo es un igualitarismo. Para un racista alemán, por ejemplo, cualquier alemán era mejor que el mejor de los italianos, porque todos los alemanes era iguales, y por tanto mejores que cualquiera de otra raza… Y hacemos constar esto porque algunos racistas han pretendido dar a esta ideología un cariz de ideología aristocratizante, frente a los valores plebeyos de la Ilustración. Nada más alejado de la realidad, ya que el igualitarismo antropológico ilustrado se reproduce en el discurso racista, aunque a escala reducida, limitada. Son muchos y muy sólidos los argumentos que nos hablan de que el racismo es una ideología cuya génesis, desarrollo y características están más vinculados con la modernidad que con el mundo tradicional. Por tanto lo que está claro es que todo intento de ir más allá de los valores de la modernidad debe rechazar resueltamente cualquier vinculación con el racismo. Y que, desde el punto de vista de las Ciencias Humanas, la dependencia de los volubles datos de las ciencias físicas siempre es una peligrosa sumisión.

 

Notas

 

1. Princenton University Press, 1995.

2. Habrá quien afirme que, de hecho, el racismo es tan antiguo como el hombre. La Antropología comparada ha demostrado que infinidad de tribus primitivas dividen a los seres humanos en dos grandes categorías: los “hombres”, es decir los miembros de la propia tribu, y los demás seres humanos, catalogados directamente como inferiores y a veces incluso como animales. Pero no creo que se pueda hablar de racismo en este tipo de manifestaciones, ya que esas creencias carecen de todo tipo de formulación o intento alguno de fundamentación; se trata, simplemente, de un caso primario de xenofobia que se conoce como etnocentrismo (Levi-Strauss). Por otra parte, a lo largo de la Historia, algunos grandes pueblos se han considerado superiores a los demás, con derecho a conquistar y someter a sus vecinos, como sería el caso de los romanos, por ejemplo. Pero, a la vez, esos pueblos se han esforzado por extender su cultura a los pueblos conquistados, lo que nos muestra que en realidad creían en la superioridad de su cultura, no de su sangre. La xenofobia radical de tribus primitivas o el supremacismo cultural de algunas grandes naciones conquistadoras pueden haber tenido ocasionalmente efectos prácticos muy similares a los del moderno racismo, pero se trata en realidad de fenómenos cualitativamente distintos.

3. Es muy significativo que las teorías frenológicas fueran fundamentalmente criticadas por los pensadores de la corriente antiilustrada, como el español Balmes.

4. Carus era físico, filosofo y pintor aficionado, devoto admirador del gran paisajista alemán Caspar David Friedrich; sus ideas racistas aparecen en su obra Nueve Cartas sobre la Pintura de Paisajes (1831). Klem (1802-1867) fue uno de los primeros antropólogos y desarrollo un concepto de “cultura” cuya influencia se dejó sentir largamente. Para él, la humanidad atraviesa varias etapas de desarrollo y progreso: el salvajismo, la domesticación, la libertad. Estas ideas, típicamente progresistas, se combinan con la creencia de que los pueblos tienen temperamentos y mentalidades inmutables y que hay razas “activas” e “inactivas”. Estas ideas fueron expuestas en su voluminosa obra en diez tomos Allgemeines Kulturgeschichte der Menschheit.

5. Magnus Gustaf Retzius (1842-1919) fue un anatomista y antropólogo sueco que destacó especialmente por sus estudios del sistema nervioso y de anatomía del cerebro.

6. Cada libro que trata de establecer una taxonomía racial, establece una catalogación distinta de las razas. Compárese, por ejemplo: EUGENE PITTARD, Las Razas y la Historia. Introducción etnológica a la Historia, México, 1959, y PAULETTE MARQUER, Las razas humanas, Madrid, 1969.

7. GEORGE L. MOSSE, La Cultura del siglo XIX, Barcelona, 1997. Especialmente el cap. 5º: “Racismo”.

8. GEORGE L. MOSSE, Die Geschichte des Rassismus in Europa, Franfurt am Main, 1990.

9. LOUIS DUMONT, Ensayos sobre el Individualismo, Madrid, 1987. Especialmente el cap. “La Enfermedad Totalitaria. Individualismo y Racismo”.

10. La obra de FRANCISCO JAVIER NAVARRO, El Paraíso de la Razón. La Revista “Estudios” (1928-1937) y el mundo cultural anarquista (Valencia, 1997) nos muestra, por poner un ejemplo, hasta qué punto la eugenesia fue asumida y difundida por intelectuales anarquistas españoles. V. p. 96 y ss. Cuando redactamos este artículo —agosto de 1997— la prensa diaria esta cuajada de noticias sobre la noticia-escándalo de este verano: la práctica eugenésica extendida durante varias décadas en los muy civilizados, modernos y socialdemócratas países escandinavos, especialmente en Suecia, que ha continuado hasta casi hoy en día.

11. GEORGE L. MOSSE, La Cultura del siglo XIX, cap. cit.

12. F. ELÍAS DE TEJADA, El racismo. Breve historia de sus doctrinas, Madrid, s.f. Elías de Tejada fue un pensador tradicionalista, ideológicamente afín al carlismo.

13. De hecho, la obra de Weber La Ética protestante y el espíritu del capitalismo es un magnífico texto antirracista, al mostrarnos como el “desarrollo” económico moderno tiene que ver fundamentalmente con la adopción de ciertos valores ético-culturales que favorecen la productividad económica, y nada que ver con “valores raciales congénitos” de los pueblos. Pero es muy revelador que, en las primeras páginas de ese texto, cuando esboza su tesis sobre la relación entre calvinismo y desarrollo capitalista, Weber diga que quizás las ideas que va a exponer en la obra sean falsas y la explicación auténtica sobre el grado superior de desarrollo económico de los países germánicos de Europa noroccidental radique en algunos rasgos raciales de los pueblos germánicos, rasgos que, nos recuerda Weber, en esa época se estaban estudiando afanosamente.

14. Este “celtismo” reaparece de la manera más inesperada en lugares insospechados, como los “comics” de Asterix y Obelix. Una lectura ideológica de estas famosas viñetas humorísticas nos muestra a los galos -celtas- como superiores a los romanos, los vikingos y los germanos, así como descubridores del continente americano, ganadores de Juegos Olímpicos, etc., etc.

15. V. GWYN JONES, El Primer Descubrimiento de América, Barcelona, 1985. Es sorprendente el interés por atribuir las mayores proezas a los vikingos, algo debido a que siendo posiblemente los escandinavos los más rubios- altos- ojosazulados miembros de la raza blanca, todo buen racista les debe prestar una rendida admiración y atribuirles las mayores proezas, aunque no se encuentre el mas mínimo vestigio de ellas en la Historia. Esta vikingomanía alcanza caracteres verdaderamente patológicos en algunas obras que insinúan orígenes vikingos en culturas prehispánicas de América; v. Jacques de Mahieu, El Imperio Vikingo de Tiahuanacu (América, antes de Colón), Barcelona, 1985.

16. Edward Said cita un buen número de las obras en las que se desarrolló la teoría racista del imperialismo ingles: THOMAS HENRY HUXLEY, The Struggle for Existence in Human Society (1888); BENJAMIN KIDD, Social Evolution (1894); P. CHARLES MICHEL, A Biological View of Our Foreign Policy (1896); JOHN B. CROZIER, History of Intellectual Development on the Lines of Modern Evolution (1897-1901); CHARLES HARVEY, The Biology of British Politics (1904)… Como se ve, un elenco de teóricos racistas de la política que hubiera despertado la envidia del mismísimo Himmler. En su obra Orientalismo (Madrid, 1990), Edward Said da otros muchos ejemplos de la presencia de ideas racistas en políticos e intelectuales británicos y franceses, todos ellos de la órbita ideológica liberal.

17. Editada por Oxford University Press, Nueva York, 1994.

18. Cuando alguien que se ha formado en el entorno de una cultura católica usa la expresión “Pueblo Elegido”, le da el carácter de elección voluntaria. En la Biblia, por el contrario, el concepto “elegido” es estrictamente biológico, hereditario, racial. Numerosos pasajes de los textos bíblicos recogen, por ejemplo, las imprecaciones que lanzaban los profetas contra aquellos hebreos que mezclaban su sangre con la de otras razas.

19. El lector habrá observado que en ningún momento estamos tratando de un tema como el antisemitismo ni la política antisemita del III Reich. Tema tan importante merece por sí mismo un estudio detallado.

20. Para los británicos su imperio iba a ser eterno, al igual que para Hitler su Reich iba a durar mil años. En 1911, cuando los británicos trasladaron la sede de su Gobierno en la India desde Calcuta a Delhi, se prohibió que la banda que animaba el desfile militar conmemorativo interpretara “Onward, Christian Soldiers”, dado que esa pieza musical aludía al ascenso y caída de imperios, mientras que sólo se mantenía lo creado por Dios. Obviamente era inapropiada, ya que el imperio británico iba a ser eterno. Después de la creación de Adán y de la venida del Mesías, se podía leer en la prensa británica, el tercer hecho decisivo en la Historia de la humanidad era la instauración del imperio británico, que iba a durar eternamente. En realidad, aunque los británicos estuvieron en la India durante doscientos años, desde la coronación imperial de la reina Victoria hasta que se arrió la bandera británica en Delhi solo pasaron setenta años. La creencia en la eternidad del Imperio británico o en la duración milenaria del Reich hitleriano derivaba directamente de la ideología racista que sustentaba ambas creaciones políticas. El imperialismo estaba estrechamente vinculado con el racismo, ya que el dominio imperial de una raza sobre otras parecía ser la confirmación empírica de las mejores cualidades biológicas de la raza dominante.

21. La autoría del Taj Mahal ha sido objeto de una curiosa polémica. Algunas guías de la India, destinadas a turistas occidentales, llegan a afirmar sin titubeos que el autor fue un italiano, dándole el nombre de Geronimo Veroneo, con lo cual el turista vuelve a su país satisfecho de saber que la obra de arte que le ha dejado boquiabierto no se debe a ningún tipo oscuro como los que le asediaban en las calles de Agra.Tal mixtificación se basa en apreciaciones como las del historiador George Marçais, quien escribía que las características de la obra le da “un carácter algo extraño al arte oriental y que ha dejado suponer la intervención de un arquitecto europeo” (El arte musulmán, Madrid, 1985, p. 210). Otro gran especialista en arte musulmán, Alexandre Papadopoulo (El islam y el arte musulmán, Barcelona, 1977, p. 292), sostiene que el nombre del arquitecto era el de Isa —Jesús, en árabe—, nombre muy raro en los musulmanes de la India o Persia, que “en cambio sería normal en un griego, un armenio o un sirio”; es decir, entre miembros de minorías nacionales cristianas del Imperio otomano, de alguna manera vinculadas a la tradición cultural europea. Pero no satisfecho con ello, apunta además que “según cierta tradición podría tratarse de un arquitecto italiano”. En realidad, se sabe perfectamente quiénes fueron los arquitectos del Taj Mahal, y ninguno de ellos responde a la información que sobre ellos nos dan Marçais, Papadopoulo o las guías turísticas al uso (v. S. BLAIR Y J. BLOOM, The Art and Architecture of Islam, 1520- 1800, Pelican History of Art, Yale University Press). El hecho, que puede parecer anecdótico, demuestra no obstante lo arraigado de ciertas convicciones racistas, que ven como increíble que personajes morenos y de ojos obscuros puedan ser absolutamente geniales…

22. Cfr. España invertebrada, pp. 137 y ss. (Revista de Occidente, 17ª ed., Madrid, 1975).

23. Un crítico feroz de esta “teutomanía” de Ortega y Gasset fue su por otra parte rendido admirador Ernesto Giménez Caballero, en su obra Genio de España.

24. Que Marx hubiera sido un taxidermista habría explicado al menos la pasión de los líderes comunistas por hacerse embalsamar —o la de sus seguidores por embalsamarlos—, práctica que se inicia con Lenin, continúa con Stalin, Dimitrov y Mao, y llega hasta Kim Il Sung. También La Pasionaria fue embalsamada.

25. Ni siquiera los teóricos nazis del racismo aceptaron la existencia de una raza alemana. H.F.K. Günther, por ejemplo, distingía cinco razas en Europa: la nórdica, la mediterránea, la dinárica, la alpina y la báltica. Conceptuaba a la nórdica como la más dotada y creía que era la que dominaba entre los alemanes, pero desde luego no se atrevió a afirmar que todos los alemanes fueran nórdicos.

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vendredi, 04 septembre 2009

Vers l'infantilisation et l'américanisation de la société française

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Vers l'infantilisation et l'américanisation de la société française.

Ex: http://www.polemia.com/

Labourage et pâturage ne sont plus depuis longtemps les deux mamelles de la France. Elles sont aujourd’hui devenues Psychologie et Judiciaire. A chaque semaine sa nouvelle loi ou son nouveau règlement en réponse à chaque dernier fait divers. A chaque nouvel incident, sa horde de psychologues s’abattant tel un vol de criquets pèlerins sur les « victimes » aux frais de l’Etat et des collectivités locales. Autour de nous, ce n’est que procès, plainte, récrimination et victimisation. Tout devient judiciaire, on ne sait plus se parler et répondre par le bon sens ou le courage aux petits inconvénients de la vie. La plainte est l’avenir de l’homme aurait dit Aragon en rimant sur notre triste époque. Et ce qui n’est pas judiciarisé est psychiatrisé dans le mauvais sens du terme.

Il n’est pas un jour où l’on lise dans la presse ou sur Internet, où l’on voit à la télévision ou que l’on entende à la radio que la désormais célèbre « cellule psychologique d’urgence » a sévi. Passager du car qui s’est renversé, familles et voisins du petit loubard heurté par un voiture de police, enfants, parents et personnel de la crèche où l’enseignante s’est pendue, de la piscine où le gérant a pris un coup de couteau, tous y on droit sans discrimination.

Jadis, ceux qui supportaient mal les vicissitudes de l’existence, les mauvais coups et les traumatismes soit faisaient avec tant bien que mal, soit s’engageaient dans la voie volontaire et payante de la psychanalyse ou de la psychothérapie.

Maintenant, il n’est même plus nécessaire de demander, le psychologue et sa cellule de crise arrivent quasiment avant les flics et les pompiers sur les lieux du drame. Etre pris en charge psychologiquement devrait être une démarche individuelle et réfléchie. Or que voyons nous le plus souvent, des individus à qui certes il est arrivé quelque chose de fâcheux, mais le plus souvent de simples témoins qui s’en remettraient d’eux même la plupart du temps. Ils vont subir les poncifs et les lieux communs de soit disant professionnels du malheur pour les aider à supporter le choc. Et puis, comme les pouvoirs publics du plus haut de l’Etat au maire de la plus petite commune ne veulent pas passer pour des irresponsables et se montrer compatissants et ne pas être impliqués, on envoie l’équipe de psychologues qui le plus souvent ne fera qu’un séance collective tout près de la carcasse du bus, de la chapelle ardente ou de la cage d’escalier du HLM qui a pris feu. Résultat nul au niveau du soutien, car seul une écoute prolongée et structurée peut être efficace pour des personnes psychologiquement fragiles. Et puis, quand un autocar rempli de Slovènes se rendant Portugal s’écrase dans un fossé à trois heures du matin du côté de Sauveterre en Guyenne, on peut se demander où le maire va trouver à cette heure une équipe de soutien psychologique maîtrisant la langue des occupants du véhicule accidenté.

De plus, ce soutien est gratuit, même s’il coûte à l’Etat. Les « victimes » ne faisant pas de démarche volontaire et ne déboursant pas le moindre euro, l’impact psychologique est différent de celui créé par la relation avec un thérapeute que l’on a choisi et que l’on rémunère, quelque soit sa formation. Il y a fort à craindre que l’assistance tous azimuts, dispensée larga manu, peut avoir plus d’effets secondaires que prévu. D’abord la fixation de la scène traumatisante à force d’en avoir parlé. L’oubli est aussi utile à la reconstruction se soi après un traumatisme. Ensuite peut se greffer l’idée que « si l’on s’intéresse à moi, c’est qu’il y a eu faute ». Cela débouche rapidement sur la revendication et dans certains cas sur une pathologie revendicative appelée sinistrose, avec des effets encore pire que quelques possibles mauvais rêves post traumatiques.

A croire que les pouvoirs publics veulent venir en aide à la profession des psychologues qui pourtant est loin d’être sinistrée. Déjà les entreprises y ont recours tant au niveau du recrutement que de la gestion des ressources humaines. Mais là au moins, c’est le patronat qui paie, pas le contribuable. Et puis, le service rendu aux victimes, aux témoins de drames n’en est peut être pas véritablement un. Il y a aussi des risques de fixation du traumatisme subit indirectement quand on vient vous expliquez que vous venez d’en subir un et que vous risquez d’en souffrir toute votre vie si vous ne vous exprimez pas en vidant votre sac devant un professionnel.

Le recours au tout psychologique a pour corollaire l’inflation du tout judiciaire. En effet, lorsque l’on vous a fait comprendre que vous êtes quelqu’un digne d’intérêt parce que votre voisin a été tué à coups de hache, ou que votre car ne se serait pas retrouvé dans le fossé si la compagnie de transport avait suivi toutes les procédures de sécurité, que le maire du patelin aurait dû faire établir des ronds-points à grand frais dans sa commune et qu’à cause de ces irresponsables vous allez souffrir psychologiquement pendant des années parce que votre voisin de siège s’est cassé la clavicule dans l’accident, alors il vous vient rapidement le désir revendicatif et l’espoir de toucher quelque chose au titre du préjudice moral.

Souvent, après avoir été requinqué par le psychologue, le témoin, le rescapé, bref celui ou celle qui n’a pas souffert grand-chose est mûr pour devenir plaignant. Un plaignant qui va au tribunal stimulé par une démarche bipolaire. D’abord, le désir vindicatif et punitif le motive, mais le versant mercantile de la plainte n’est pas à négliger, même s’il se drape dans les oripeaux de la juste revendication.

La société française entière a été gangrenée par un recours au légal, au pénal pour un oui ou pour un non. La victime expiatoire a été remplacée par le coupable expiatoire qui permet à la fois de toucher des indemnités sonnantes et trébuchantes, mais aussi de considérer la justice comme l’émonctoire de la peur. Il y a aussi de nos jours, du Millénarisme dans le recours au juridique ainsi que du sacré. Le citoyen a une peur irraisonnée de Fin du Monde, d’Apocalypse et de Jugement dernier. L’environnement, de potentiellement dangereux, devient ressenti comme obligatoirement hostile. Manger un fruit, un bonbon, une salade ou un kebab, c’est s’exposer aux pesticides, aux cancérigènes et aux germes et de ce fait rechercher un bouc émissaire à dénoncer avant même le premier incident. Aller dans un parking toute seule, c’est prendre le risque d’un viol. Envoyer ses enfants en car scolaire, c’est la très forte probabilité de l’accident « qui aurait pu être évité » ou alors de tomber sur un chauffeur pédophile. Les exemples se ressemblent tous dans leur essence. La peur règne en maître, elle est érigée en dogme et débitée ad libitum durant les journaux télévisés. Le citoyen pense qu’il peut, qu’il doit se protéger de l’adversité en portant plainte, espérant ainsi une juste compensation. Cette forme d’exorcisme place l’action judiciaire au niveau du sacré, si ce n’est du magique et du sacrifice propriatoire. Le recours au psychologue le renforce dans cette dérive.

Les inconvénients de la vie ordinaire n’ont cependant pas tous le tragique d’un drame atridien. Les prud’hommes, le civil et le pénal sont utiles, mais pas à tout bout de champ. Il existe des licenciements abusifs évidents, certains inconscients peuvent laisser déambuler une meute de bergers allemands sans surveillance devant une école maternelle. Le viol, l’attaque à main armée et le meurtre, fût il petit et entre amis doivent avoir une réponse pénale avec sanction et réparation matérielle, c’est évident.

Mais en plus de la démarche individuelle, il se développe une stratégie collective de la plainte. Les associations de consommateurs et de victimes se comportent de plus en plus en associations de malfaisants, si ce n’est de malfaiteurs. Ces groupes se portent partie civile, le plus souvent non pour faire éclater la vérité et faire châtier le coupable, mais pour faire condamner un responsable avant tout solvable. Il est remarquable de constater que les « lampistes » ne paient quasiment jamais, même quand ils sont véritablement impliqués dans une affaire pouvant déboucher sur des dommages et intérêts. Les associations savent que les subalternes ne sont pas solvables et sont souvent défendus bec et ongles par les syndicats. Il est nettement plus rentable de se retourner contre l’Etat, une compagnie aérienne, une grosse entreprise, un médecin, un maire ou un architecte si on espère une forte indemnisation. Ce comportement participe à l’inflation judiciaire et à la pénalisation, mais aussi à l’inflation tout court, car les coupables potentiels sont obligés de se couvrir en s’assurant et en créant des provisions pour frais de justice.

Par contre, le « Respect pour Farid ! » scandé aux alentours d’une cité après le décès d’un délinquant est beaucoup plus significatif d’un désir revendicatif incantatoire, d’une recherche de reconnaissance, voire d’une forme de victimisation. A l’inverse, il ne s’agit pas de l’influence de la télévision sur le citoyen, mais de l’imprégnation des médias et de la classe politique par un cri venu du peuple. Le mot respect étant ensuite récupéré avec démagogie à des fins électorales par les politiciens de tous bords.

De nos jours, le milieu judiciaire lui permet d’exprimer sa citoyenneté. Le Français rejoint le thème aphorique, « Je plaide donc je suis ! ». Plaider reviendrait à une démarche identitaire individuelle.

L’accent mis sur le lien ressenti par le plaideur entre la sanction et le dédommagement. Le « quelqu’un doit payer » est devenu le leitmotiv du plaignant. On a gloussé sur le fameux « responsable mais pas coupable ». Personnellement, je ne vois pas le mal dans cette réplique, peut-être du bon sens. En terme trivial, on pourrait dire : « Si je ne peux obtenir les cinq mois ferme minimum requis contre le coupable, je veux au moins un gros paquet de fric ! Les deux ensembles, ça ne serait pas plus mal ! » Cette dérive explique en parti pourquoi de nombreux maires de petites communes hésitent à se représenter, craignant de se retrouver au pilori et leur compte en banque vidé à la suite de la chute d’un arbre sur une poussette par jour de grand vent.

L’ « américanisation » des comportements de la société française est de plus en plus visible dans le domaine médical. Les plaintes sont de plus en plus fréquentes et le médecin n’est plus le notable respecté de jadis mais une volaille à plumer. Les vrais canailles médicales, cependant passent encore entre les gouttes car bien organisées. Mais les malchanceux, responsables de fautes professionnelles, condamnables mais compréhensibles sont de plus en plus attaqués. On n’a cependant pas atteint en France le niveau américain avec ses avocats véreux attendant les patients à la sortie de la clinique avec un formulaire pré rempli. La première conséquence de cette dérive procédurière se retrouve dans les tarifs des assurances des professionnels de santé et de ce fait dans le déficit de la sécurité sociale.

La solution passerait donc par une éducation juridique du citoyen. Beaucoup de français n’ont qu’une idée très vague de la différence entre une infraction, un délit et un crime. Peu savent ce qui relève du civil, du pénal ou des assises. Cet enseignement devrait être acquis à l’école, mais on lui préfère les activités d’éveil. On est mal parti quand on regarde la télévision ou bien quand on lit la presse populaire qui a érigé le fait divers en fait historique. La pire catégorie de ces nouveaux Fouquier-Tinville veut pénaliser tout ce qui est potentiellement agressif même au niveau subjectif. Tirer un colvert hors saison, stationner sur une place de handicapé, ne pas indiquer un colorant sur un emballage, ne sont que des infractions bénignes ne méritant qu’une simple amende quelquefois amnistiable. Mais, ces adulateurs dévoyés du droit voudraient les voir pénalisées et sanctionnées, regrettant le temps des galères et du bagne pour le vol d’un pain.

La France s’américanise au niveau de ses comportements : recours au religieux, au psychologique, au pénal, au règlement en permanence. De nombreuses plaintes qui finalement entravent l’application de la justice, la recherche de coupables et de responsables à tout prix paralyse les institutions. Les Français s’orientent vers cette dérive américaine qui les rend de plus en plus processifs et intolérants et de moins en moins résistants à l’adversité.

Peut-être en arriverons nous un jour à un pays de geignards et de procéduriers, totalement incapables de réagir aux moindres vicissitudes et inconvénients de la vie quotidienne

Georges Yang
12/08/2009

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/vers-l-infantilisation-et-l-60107

« Citoyen français. Entre Nairobi et Paris, mais me tenant au courant de l’actualité ! Médecin vivant dans le monde arabe et en Afrique centrale et de l’est depuis 1976
Intéressé autant par mon métier que par les diversités culturelles quoique hostile au métissage culturel synonyme de Mc Donald en Afrique, de pizzeria à Athènes et d’appauvrissement de la langue en banlieue »
 

Correspondance Polémia
19/08/2009

 

Georges Yang

mercredi, 02 septembre 2009

L. F. Céline: Que demande toute la foule moderne?

Louis-Ferdinand Céline :

"Que demande toute la foule moderne ?"

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le coeur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture.

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

samedi, 30 mai 2009

"Le bonheur paradoxal" de Gilles Lipovetsky

Le bonheur paradoxal, essai sur la société d'hyperconsommation

 

                  La bibliothèque NextModerne, interview Gilles Lipovetsky par Denis Failly           Gilles Lipovetsky, Editions Gallimard, 2006

Ex.: http://nextmodernitylibrary.blogspirit.com/

Une nouvelle modernité est née au cours de la seconde moitié du XXème siècle : la civilisation du désir, portée par les nouvelles orientations du capitalisme de consommation. Mais ces deux dernières décennies, un nouveau séisme est apparu qui a mis fin à la société de consommation, une nouvelle phase du capitalisme de consommation s'est mise en place : la société d'hyperconsommation.



Quelques mots de l'auteur, Gilles Lipovetsky


Denis Failly - Gilles Lypovetsky, Pourriez nous brièvement nous définir l'hypermodernité

Gilles Lypovetsky -medium_lipovetsky.jpg "La modernité s'est construite au 18ème siècle en mettant en place trois grands systèmes les droits de l'homme et la démocratie, le marché, et enfin la dynamique de la techno-science, le problème c'est que pendant deux siècles et demi ces 3 systèmes ont été fortement attaqués par des systèmes qui les rejetaient, par exemple le totalitarisme qui rejetait à la fois le marché et la démocratie. Aujourd'hui se fait sentir moins le besoin d'un contre modèle qu'une nouvelle régulation qui met au centre l'individu."

 

Denis Failly - "En quoi le bonheur est - il paradoxal ?

Gilles Lypovetsky - L'hédonisme, la consommation promet des bonheurs, de l'évasion, c'est une société qui stimule une marche au bonheur dans ses référentiels, mais la réalité c'est que l'on voit la multiplicité des anxiètés, la morosité, l'inquiétude, le ras le bol, l'insatisfaction quotidienne. Donc voilà, l'idée de bonheur paradoxal est : que plus la société marche au bonheur plus montent les plaintes, les récriminations, les insatisfactions.


Denis Failly - Quelles sont les grandes tendances de la société que vous appelez «hyper consommative» dans votre ouvrage ?

Gilles Lypovetsky- L'équipement, non plus centré sur les biens mais sur les personnes, par exemple le téléphone avant c'était semi collectif, ou bien on avait une télé par ménage...
- les cultures de classes s'érodent, le fait d'appartenir à un groupe social ne détermine plus strictement les modes de consommation parce que les cultures de classes se sont effondrées, à cause de l'information, à cause de la pub, de la diffusion des valeurs hédonistes, à partir de là, le consommateur devient un hyper consommateur, c'est à dire volatile, infidèle, qui échappe au quadrillage de classe d'autrefois.
- Une consommation émotionnelle, une satisfaction pour soi ou ses proches, soit par ce que dans la consommation on cherche par exemple à fuir un malaise, c'est une sorte de thérapeutique, soit par ce que les gens ont envie de vivre des expériences nouvelles, dans le sport, le tourisme... pour connaître des sensations nouvelles, donc la consommation devient beaucoup plus émotionnelles ou expérientielles. - On a des consommations de plus en plus clivées entre le haut de gamme et le low cost, ce sont les deux segments de marchés qui se développent le plus, le moyen de gamme décline, les extrêmes se renforcent.


Denis Failly - Comment aujourd'hui les jeunes construisent leur identité à travers la consommation ?
Gilles Lypovetsky- Comme les jeunes sont aujourd'hui éduqués dans l'idée d'être eux mêmes, d'être plus autonomes, du coup ils cherchent au travers de la consommation ce qui leur permet d'afficher leur personnalité même si c'est en copiant le modèle de leur camarade, donc au travers du conformisme, du culte des marques, ils construisent leur identité.

Denis Failly - Que vous inspirent Internet comme nouvelles manières de faire lien ?

Gilles Lypovetsky- Oui avec Internet beaucoup de choses sont liées à la consommation on entre dans l'hyperconsommation puisqu'il n'y a pas plus de limites, il n'y a plus de barrières spatio – temporelles. Il y a une information beaucoup plus ample avec un consommateur plus reflexif qui est capable de comparer de juger les offres...Internet favorise le low cost, départ dernière minute...tarifs préférentiels.
Le succès des blogs, c'est une certaine défiance envers les médias traditionnels au profit de l'expression des individus qui montrent qu'il y a une limite à la consommation et que les gens ont envie aussi de devenir acteur, de s'exprimer, de passer à côté des circuits ou des réseaux tradiitionnels.
C'est sympa comme phénomène mais il peut y avoir des dérives du n'importe quoi, il n'y a plus de filtrage, c'est un peu comme les cafés philos c'est parfois un peu de la bouillie pour le dire simplement.

Denis Failly - Par rapport à certains sociologues qui postulent l'existence de tribus, de communautés...est ce que l'hyperconsommateur est un hyper - individualiste et en quoi les deux s'opposent ?

Gilles Lypovetsky - C'est une question en fait conceptuelle, empiriquement les tribus existent mais c'est purement descriptif maintenant il faut les penser et c'est là ou la notion de tribu ne va pas, car la tribu c'est clos c'est fermée, hors, ce qui caractèrise le moment, c'est que les gens changent et à part les adolescents les gens sont dans une tribu, dans une autre... et ils peuvent mélanger, ils ne sont pas fait d'une pièce, les punks ou les goths c'est un tout petit monde mais ça représente pas le monde des adultes. Pour définir un adulte qu'elle est sa tribu exact, il peut aller faire du camping, faire de la musique classique etc, alors à quelle tribu appartient-il ? si il n'y plus d'homogéneïté c'est difficile. Ce sont des tribus tellement perméables tellement fugitives que la notion de tribu ne me paraît pas correcte, la tribu, on peut l'observer à des signes, mais on ne peut pas la penser parce que ce qui pense le tribalisme d'aujourd'hui c'est l'hyper-individualisme justement, les individus ne sont plus incrustés, incorporés dans quoi que ce soit puisque ce qui les caractérise c'est leur labilité, leur capacité à ne pas être intégrés, mais de choisir leur groupe d'appartenance.

Denis Failly - Gilles Lypovetsky, Vous sortez un nouvel ouvrage en septembre, pouvez-vous nous en dire plus ?

Gilles Lypovetsky - Oui, ca va s'appeler la « société de déception », j'essaie de voir comment l'expèrience de la déception fait partie de la condition humaine, les hommes sont déçus car ils ont des désirs et les désirs correspondent rarement à ce que l'on a, mais la modernité lui donne un poids, une surface beaucoup plus importante qu'autrefois. On le voit dés le 19ème siècle avec Durkheim, Tocqueville notamment. La notion d'égalité fait monter les aspirations, avant nous étions enfermés dans notre monde aujourd'hui c'est ouvert. Le livre monte que ce phénomène n'a fait que s'exacerber, avec le recul du religieux qui n'encadre plus les comportements, avec l'école qui ne répond plus aux promesses d'ascenseur sociale, avec la fin de la croyance dans le progrès, les gens sont méfiants envers la technique, ils ont peur des OGM, ils ont peur du réchauffement de la planète.. La technique déçoit, l'école déçoit, la politique déçoit on est dans une période de désillusion...

Denis Failly - Gilles Lypovetsky, je vous remercie


NB :  cette interview de Gilles Lipovetsky a été réalisée par téléphone

 
Bio : Gilles Lipovetsky est Professeur agrégé de philosophie à l'université de Grenoble, Membre du Conseil d’analyse de la société (sous l’autorité du Premier Ministre), Membre du Conseil national des programmes (Ministère de l’Education Nationale), Consultant à l’Association Progrès du Management. il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages :
L'Empire de l'éphémère, Le Crépuscule du devoir, La Troisième femme, édition Gallimard, L'Ere du vide, La société de déception, Métamorphoses de la culture libérale, Le luxe éternel, Les temps hypermodernes, etc.

mardi, 26 mai 2009

M. Bardèche: définition du technocrate

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Maurice Bardèche: définition du technocrate

“Comme chacun le sait, le technocrate est un spécialiste, et on ne lui demande pas plus de qualités morales éminentes qu’à un cardiologue ou un oto-rhino. Il sert comme eux à rédiger des ordonnances. Il est expressément invité à ne pas avoir de caractère, mais seulement de l’autorité. Il est un technicien des problèmes posés par les collectivités anonymes de producteurs-consommateurs et il doit régler leurs mouvements comme un ingénieur. Il peut avoir des idées, il importe même qu’il en ait. Mais il abhorre par formation tout ce qui dépasse, tout ce qui ne rentre pas dans les normes, tout ce qui ne s’inscrit pas docilement dans les statistiques. Son arme est la dissuasion, mot feutré, récemment introduit dans notre vocabulaire, et qui évoque très discrètement le systèmes des tubulures dans lequel nous sommes priés de circuler. Ce gestionnaire est hostile à toute brutalité, et également fermé à toute supériorité qui n’est pas strictement technique. Il connaît des contribuables, des assujettis, les hommes ne lui apparaissent que sous leur définition administrative. Il n’imagine pas qu’ils puissent être autre chose. Il ne demande jamais à quoi servent finalement les ordonnances qu’il prescrit. Il est soumis, non à des hommes, mais à un système qu’il s’interdit de juger. Ces qualités développent le sang-froid. Le technocrate est calme et objectif. Il se soucie aussi peu des destructions qu’il accomplit que le menuisier des copeaux que fait tomber sa varlope. Ce n’est pas de la cruauté mentale, c’est simplement absence d’imagination. Cette aristocratie technique est désincarnée, hautement cérébrale. Ce sont les grand-prêtres de l’ordinateur, messies envoyés sur la terre pour prêcher l’obéissance et la prospérité, et consubstantiellement au Père qui s’appelle le Cerveau et qui régnera sur les hommes profanant la parole magnifique, pendant des siècles et des siècles.”

Maurice BARDECHE, Sparte et les sudistes, Montrouge, Pythéas, 1994, p. 37-38.

lundi, 18 mai 2009

Claduio Risé: la postmodernité est une révolution conservatrice!

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Archives de "Synergies Européennes" - 1997

Claudio Risé:

 

La postmodernité est une révolution conservatrice!

 

Quel corpus idéologique succédera à la droite? Affinons notre question: comme jamais la droite ne gagne les élections, sauf en Angleterre, comme elle connaît la défaite depuis plus d'un demi-siècle en Italie, sera-t-elle éliminée à tout jamais des prochains chapitres des livres d'histoire? Cette question, nombreuses sont les revues les plus autorisées de l'établissement culturel et politique du monde occidental: depuis Foreign Affairs aux Etats-Unis, très écouté au “département d'Etat”, en passant par Theory, Culture and Society en Grande-Bretagne, l'une des revues les plus attentives aux phénomènes dits “postmodernes”, jusqu'au Monde Diplomatique  de Paris, qui se pose comme l'observateur classique de la gauche en matières de politique internationale.

 

Le Monde Diplomatique  se préoccupe surtout de “la droite à la conquête des âmes”, dont la gauche semble avoir oublié de s'occuper, parce qu'elle se concentre obsessionnellement sur sa propre survie après l'écroulement du marxisme. Cette droite qui inquiète le Monde Diplomatique  est une droite dont la vitalité ne se mesure pas tant (ou pas seulement) en termes de suffrages, mais surtout en termes d'adhésions individuelles ou d'élites intellectuelles ou, plus particulièrement, de jeunes. De ce point de vue, la victoire récente des listes de droite lors des dernières élections universitaires italiennes  —même si l'on décrète dans les rangs mêmes des droites qu'il ne s'agit que d'un phénomène “qualunquiste”, “quelconque”, purement réactif, dépourvu de signification—  je crois, personnellement, qu'il s'agit d'un signal de plus, annonciateur d'une situation en mutation rapide.

 

Mais ce qui inquiète un bon nombre de politologues de gauche, ce sont les curieuses affinités qui relient la réflexion sur la postmodernité dans son ensemble au mouvement qui s'était développé dans l'Allemagne de la République de Weimar et que l'on appelle la “révolution conservatrice”, dont les principaux exposants furent Ernst Jünger, Martin Heidegger et le juriste Carl Schmitt.

 

Quels sont les indices qui nous permettent de dire que la “révolution conservatrice” est de retour? Goran Dahl, professeur de sociologie à l'Université de Lund en Suède, vient de consacrer un long essai sur cette question dans la revue Theory, Culture and Society. L'un des principaux indices permettant de poser l'analogie “révolution conservatrice”/“postmodernité” est la valorisation accordée à la technologie, perçue comme l'instrument parfait pour se libérer du “vieil ordre”, ainsi que des classes dirigeantes incapables et corrompues qui l'expriment. Du temps de la “révolution conservatrice”, Ernst Jünger avait fait du “Travailleur” le héros des nouvelles technologies destinées à changer le monde. Cette option “technique” avait grandement irrité les proto-nazis (on a trouvé la phrase suivante dans l'une de leurs publications mineures: «Jünger se rapproche de la zone des balles dans la nuque»), tout comme les sociaux-démocrates, désorientés par cette figure d'un “Travailleur” si peu marxiste, plus passionné par la guerre que par l'économie.

 

Aujourd'hui, à l'âge postmoderne, c'est quelque chose de très semblable qui se passe: la technologie et l'informatique constituent la grande ligne de partage entre ceux qui parient sur les “temps nouveaux” et sont prêts à courir des risques et à se lancer dans l'aventure, d'une part, et ceux qui, à droite mais surtout à gauche, dressent haut la bannière de la “vieille” modernité contre la postmodernité hypertechnologique. Ces partisans conservateurs et frileux de la “vieille modernité” accusent par exemple Internet de tous les maux imaginables: la guerre, l'effondrement de la religion ou la prolifération des religiosités alternatives et irrationnelles, la pédophilie, etc. Mais Internet est surtout utilisé ouvertement comme instrument pour rassembler des informations sur les mouvements affirmant les identités traditionnelles (culturelles, religieuses, nationales) et, de ce fait, proches des principes qu'avait affirmés jadis la “révolution conservatrice”.

 

Autre similitude entre postmodernité et “révolution conservatrice”, qui a surpris beaucoup de monde: les deux mouvements d'idées estiment que sont positives et fécondes les “différences” entre les peuples et les cultures, nées sur des territoires précis. Cette position conduit à une rupture voire à un choc frontal tant avec la gauche  —qui prône l'universalisme et, en paroles du moins, l'égalité absolue—  qu'avec la droite (du temps de la “révolution conservatrice”, c'était Hitler) qui est toujours plus ou moins ouvertement raciste et pour laquelle le différent est toujours inférieur. Sur le terrain des “différences”, le réveil de la révolution conservatrice acquiert une vitalité explosive face à l'égalitarisme hypocrite de la gauche car justement cet égalitarisme a été contesté en premier lieu par les peuples dominés par les empires coloniaux construits sur des fondements issus de l'idéologie progressiste! Sur cette thématique, la version postmoderne de la révolution conservatrice est bien vivante, non seulement parce qu'elle s'articule sur les notions dégagées par les principaux philosophes du siècle  —de Derrida à Foucault et à Deleuze—  mais surtout parce que ses thèses sont celles de tout le discours culturel et politique de l'ère post-coloniale, discours qui est sans doute la part la plus substantielle de la postmodernité.

 

Par l'effet de la globalisation, marque majeure de notre contemporéanité, cet héritage idéologique postcolonial trouve évidemment des alliés importants. Comme, par exemple, Kishore Mahbubani, secrétaire du ministère des affaires étrangères de Singapour, qui se plaignait, dans les colonnes de la revue Foreign Affairs,  que les Occidentaux avaient du mal à comprendre que l'Asie pouvait accepter la technologie avancée sans pour autant renoncer à ses propres traditions et à sa propre culture.

 

L'Occident, selon cet homme politique de Singapour, n'a pas vraiment accepté que “d'autres cultures ou d'autres formes d'organisation sociale pouvaient avoir une égale validité”, justement parce que “la croyance en la valeur universelle de ses propres idées peut amener à l'incapacité de reconnaître le principe de la diversité”. La domination à l'ère coloniale de l'idéologie des Lumières et de ses dérivés idéologiques constitue d'ailleurs une thématique à la fois politique et morale que l'on ne peut plus esquiver. Thématique à laquelle un philosophe attentif et sensible comme Salvatore Veca, pour ne donner qu'un exemple, a consacré des réflexions très précises et pertinentes dans son dernier essai, Dell'incertezza  (paru chez Feltrinelli). Pour Veca, la (re)-valorisation des différences induit que le lieu, le site, le topos  d'une culture, puis la culture proprement dite ainsi que les traditions enracinées prennent le pas, dans l'ère postmoderne comme dans le corpus doctrinal de la “révolution conservatrice”, la place qu'occupait le temps (plus ascétique) dans la modernité, et cela sous l'oripeau de l'idée de progrès, présente depuis le XVIIIième des Lumières jusqu'à nos jours.

 

Avec la (re)-valorisation du topos, on affirme également ipso facto la centralité de la géopolitique (comme l'a noté l'Allemand Joachim Weber), qui affirme les caractéristiques “organiques” (c'est-à-dire culturelles au sens anthropologique) des nations qui ne sont finalement que fort mal représentées par les ordres juridiques que sont les Etats classiques, issus des révolutions bourgeoises et aujourd'hui nettement en crise. Cette radicalité “révolutionnaire-conservatrice” se lie non seulement avec les exposants philosophiques de la postmodernité mais aussi avec les autres protagonistes de la pensée scientifique contemporaine tels Paul Feyerabend, dont l'idée centrale est que le savoir n'est jamais universel, mais toujours une “valeur locale, destinée à satisfaire des besoins locaux”, propres de nations, de peuples et de cultures particulières (ou de “tribus”, dirait Michel Maffesoli, autre brillant exposant de cette option particulariste suscitant tant de turbulences).

 

«Le conservatisme, pour être plus révolutionnaire que n'importe quelle forme d'“illuminisme” positiviste, n'a besoin de rien de plus que d'esprit, et de rien de moins qu'une révolution conservatrice», écrivait Thomas Mann en 1921. Voilà pourquoi, à l'ère postmoderne, qui est tout à la fois conservatrice et futuriste, on assiste au retour de la “révolution conservatrice”, nous assure Goran Dahl. Du reste, on peut observer que cette “révolution conservatrice” n'a jamais totalement disparu. Tant Jünger que Heidegger ou Schmitt ont survécu gaillardement à l'effondrement allemand de 1945 et n'ont jamais abandonné leurs idées. Immédiatement après la fin des hostilités, ils ont trouvé des disciples attentifs et des continuateurs féconds. Certes, la “modernité” est restée en selle, du moins officiellement, et continue à nier les différences, à manier sa notion de “progrès”, à imposer son mépris pour tout ce qui est “local”, pour les potentialités de la “terre”. La survivance du corpus des Jünger, Schmitt et Heidegger peut sembler marginale. Mais aujourd'hui, postmodernité et postcolonialisme ont revalorisé les traditions, les différences et les territoires et il me semble beaucoup plus difficile de faire machine arrière, alors que les plus brillants esprits du siècle ont bel et bien participé au mouvement. Mais il est vrai aussi que les tenants actuels du différencialisme sont fort différents de cette “nichée de dragons” qu'avait aimée Stephen Spender dans le Berlin qui basculait dans le nazisme et qu'il a décrite avec un esthétisme complaisant dans Un monde dans le monde. Les tenants contemporains ressemblent au contraire davantage à ces étudiants qui viennent, en Italie, de voter pour les listes de droite lors des élections universitaires. Car, comme nous l'a dit Sergio Ricossa, dans les colonnes d'Il Giornale,  le 27 avril 1997, “ils veulent connaître le monde tel qu'il est”. Ils sont moins romantiques, moins grandiloquents, que leurs prédécesseurs. C'est mieux, car notre siècle en a trop vus, des dragons...

 

Claudio RISÉ.

(article paru dans Il Giornale, 6 mai 1997).

 

mercredi, 13 mai 2009

le mariage transformé par ses célibataires mêmes

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Le mariage transformé par ses célibataires mêmes

par Philippe Muray, écrivain* - Ex: http://www.communautarisme.net

Par-delà le néo-mariage, et quelques autres revendications divertissantes, c’est la réduction au silence du moindre propos hétérodoxe qui se profile, c’est l’écrasement légal des derniers vestiges de la liberté d’expression, c’est la mise en examen automatique pour délit de lucidité.

Le mariage est une invention qui remonte à la plus haute antiquité. Je parle du mariage à l’ancienne, cette institution conformiste, vermoulue et petite-bourgeoise qui véhicule depuis la nuit des temps « les valeurs hétéro-patriarcales et familialistes » pour m’exprimer comme Christophe Girard et Clémentine Autain. Sauf erreur de ma part, cette mémorable conquête n’a pas été arrachée, l’arme à la main, de nuit, dans la précipitation et sous la menace des pires représailles, par une petite bande de fanatiques de la nuptialité bien décidés à se servir de la lâcheté des uns, de l’ambition des autres, de la démagogie tremblotante de tous, pour faire triompher leur cause. Nulle part ce type de mariage ne paraît avoir été imposé par la force. Ni en jetant à l’opinion publique un fatras précipité de raisonnements contradictoires afin d’extorquer d’elle, par sondage, une approbation apeurée. Il n’est pas davantage le fruit d’une volonté claironnée de mettre à genoux le pouvoir politique. Aucun gouvernement, à ma connaissance, n’a cédé aux partisans de la conjugalité dans la crainte de se voir accusé de gamophobie (du grec gamos, mariage).

Y a-t-il même eu « débat », à propos de cette importante « question de société », chez les Égyptiens pharaoniques, à Babylone, en Inde, à Lascaux, entre psychanalystes lacustres, sociologues troglodytes, militants de l’un ou l’autre bord ? En a-t-on discuté, dans le désert de Chaldée, à la lueur de la Grande Ourse ? A-t-on menacé de ringardisation les adversaires de cette nouveauté ? Les a-t-on accusés de ne rien comprendre à l’évolution des mœurs, de s’accrocher à des modèles désuets, d’alimenter la nostalgie d’un ordre soi-disant naturel qui ne relève que de la culture ? La Guerre des Games (de gamos, mariage, je ne le répéterai plus) a-t-elle eu lieu ?

Il semble bien que non. La chose, c’est horrible à dire, s’est faite toute seule, suivant la pente de l’espèce, laquelle sait si bien jouer sur les deux tableaux pour protéger ses intérêts, manier en même temps la carotte et le bâton, l’appât et l’hameçon, le désir de satisfaction sexuelle des individus et ses propres nécessités vitales de perpétuation, et emballer cela dans les mirages vaporeux de la pastorale romantique.

On a tout essayé, par la suite, avec le mariage. On l’a plié dans tous les sens. On a tâté de la polygamie, de la bigamie, de la monogamie, de l’adultère, du divorce à répétition, du mariage forcé, du mariage civil, du mariage religieux, du mariage d’argent, du mariage raté. On a même vu des mariages heureux. On a vu des mariages stériles et d’autres féconds, des unions dramatiques et des noces de sang. On en a fait des vaudevilles et des tragédies. Avec des placards pleins d’amants, des cocus en caleçon, des maîtresses acariâtres. Le mariage, en résumé, n’a été inventé que pour fournir des sujets de romans et pour assurer la chaîne sans fin des générations ainsi que le veut l’espèce.

Il n’en va pas exactement de même du futur mariage homosexuel, dont la genèse aura laissé tant de traces, à l’inverse de l’autre, qu’il sera aisé de la reconstituer. C’est que cette nouveauté ne va pas de soi, comme d’ailleurs la plupart des opérations expérimentales de notre temps. L’époque moderne, dont l’essence même est le soupçon dans tous les domaines, explose en cette affaire dans une sorte d’opéra-bouffe stupéfiant où la mauvaise foi et le chantage se donnent la réplique inlassablement. C’est d’abord le code civil qui a été instrumenté. On a prétendu qu’il n’y était stipulé nulle part que le mariage était réservé aux personnes de sexe opposé. Les homosexuels militants se sont engouffrés dans cet « oubli » pour exiger, au nom de l’égalité des droits, « l’accès des gays et des lesbiennes au mariage et à l’adoption ». L’exigence d’égalité est la grosse artillerie qui renverse toutes les murailles de Chine. La marche sans fin vers l’égalité absolue remplace, chez les minorités dominantes et furibondes, le défunt sens de l’Histoire. Pour ce qui est du code civil, d’abord paré de toutes les vertus, il n’a plus été qu’une sorte d’opuscule diffamatoire sitôt qu’on découvrit l’article 75, qui détermine que le mariage consiste à « se prendre pour mari et femme ». Peu soucieux de logique, les militants de la nouvelle union conclurent aussitôt à l’urgence d’une refonte de ce code que, l’instant d’avant, ils portaient aux nues. Et, en somme, puisque la loi est contre les homos, il faut dissoudre la loi. 

 
Dans le même temps Noël Mamère, bonimenteur de Bègles, agitait son barnum ; et les notables socialistes se bousculaient au portillon de l’avenir qui a de l’avenir dans l’espoir de décrocher le titre de premier garçon d’honneur aux nouvelles épousailles. Le terrorisme et la démagogie se donnaient le bras sur le devant de la scène. On « déconstruisait » en hâte le mariage à l’ancienne. On affirmait qu’il est aujourd’hui « en crise » quand la vérité est qu’il l’a toujours été, par définition, puisqu’il unit deux personnes de sexe opposé, ce qui est déjà source de crise, et que, par-dessus le marché, il les soumet à des postulations contradictoires, le mensonge romantique et la vérité procréatrice. On rappela, contre les réactionnaires qui lient mariage et reproduction, qu’il n’en allait plus ainsi depuis la révolution contraceptive (ce qui ne pouvait manquer, ajoutait-on, de rapprocher les comportements homos et hétéros), quand c’est en fait depuis toujours, et dans toutes les civilisations, que l’on a cherché, certes avec moins d’efficacité technique qu’aujourd’hui, à réguler la fécondité, c’est-à-dire à autonomiser la sexualité par rapport à la « reproduction biologique ».

En quelques jours apparurent les étonnantes notions de « mariage fermé » (antipathique, hétéro) et de « mariage ouvert » (sympathique) puis « universel » (supersympa). On publia des sondages dans lesquels la société française déclarait qu’elle était d’accord pour applaudir aux évolutions de la société française, mais de grâce, qu’on arrête de lui brailler dans les oreilles. Les partisans du néo-mariage expliquèrent à la fois qu’il ne fallait pas interpréter leur demande comme une volonté de normalisation ou comme un désir d’imitation mais qu’il y avait de ça quand même, et que d’ailleurs ils se moquaient des institutions dont ils étaient exclus, sauf que le seul fait d’en être exclus leur apparaissait comme un outrage. Réclamant en même temps le droit à la différence et à la similitude, exigeant de pouvoir se marier par conformisme subversif et pour faire « un pied de nez à la conception traditionnelle du mariage » (comme l’écrivent encore les impayables Christophe Girard et Clémentine Autain), ils affirmaient aussi que ce même mariage, à la fois convoité et moqué, revendiqué pour être rejeté, et de toute façon transformé s’ils y accédaient jusqu’à en être méconnaissable, serait un remède souverain contre « l’alarmant taux de suicide » qui sévit chez les jeunes homosexuels, ce qui laisse supposer que ces derniers se suicident tous par désespoir de ne pouvoir convoler officiellement. On aurait pu imaginer d’autres motifs.

Mais ces réflexions tomberont très bientôt sous le coup des lois anti-homophobie qu’un gouvernement vassalisé par les associations se prépare en toute sottise à faire voter. Mieux vaut donc se taire. Par-delà le néo-mariage, en effet, et quelques autres revendications divertissantes (suppression de la mention relative au sexe sur les papiers d’identité afin d’en terminer avec les « problèmes kafkaïens rencontrés par les individus de sexe mixte, hermaphrodites, transsexuels, transgenres », ou encore « dépsychiatrisation des opérations de changement de sexe »), c’est la réduction au silence du moindre propos hétérodoxe qui se profile, c’est l’écrasement légal des derniers vestiges de la liberté d’expression, c’est la mise en examen automatique pour délit de lucidité. Il est urgent que personne ne l’ouvre pendant que se dérouleront les grandes métamorphoses qui s’annoncent, dont ce petit débat sur l’effacement de la différence sexuelle est l’avant-propos. Le néo-mariage, dans cette affaire, n’est que l’arbre baroque qui cache la prison.

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Ce texte a été publié dans une version légèrement réduite sous le titre "La guerre du mariage a-t-elle eu lieu ?" dans Marianne (18/09/2004, page 79). Cette version intégrale est reproduite avec l'autorisation de l'auteur.

*Philippe Muray est l'auteur de
nombreux ouvrages, dont Après l'histoire, Belles Lettres, 2002.

Voir aussi sur le site de l'Observatoire du communautarisme :
Les démons, par Philippe Muray

Photo de Philippe Muray : droits réservés (HANNAH/OPALE - 18, rue des Quatre Fils - 75003 Paris)


Lundi 20 Septembre 2004

mardi, 12 mai 2009

Toleranz - Die 9. Todsünde der zivilisierten Menschheit

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Götz KUBITSCHEK - http://www.sezession.de/

Toleranz – Die 9. Todsünde der zivilisierten Menschheit

1973 veröffentlichte Konrad Lorenz Die acht Todsünden der zivilisierten Menschheit, eine kulturkritische, pessimistische Analyse der gesellschaftlichen Verfallserscheinungen und Zivilisationskrankheiten seiner Zeit. Er schrieb diese Analyse entlang der wissenschaftlichen Grundsätze der Ethologie, der von ihm mitbegründeten und ausdifferenzierten Lehre vom Verhalten der Tiere und Menschen. Dieses Verhalten kann in seinem rezenten, also jeweils aktuellen Zustand beobachtet und als die Funktion eines Systems beschrieben werden, »das seine Existenz wie seine besondere Form einem historischen Werdegang verdankt, der sich in der Stammesgeschichte, in der Entwicklung des Individuums und beim Menschen, in der Kulturgeschichte abgespielt hat« (Konrad Lorenz).

Es steht also die Frage im Raum, warum wir Heutigen uns so oder so verhalten, und Lorenz betont an mehreren Stellen seiner Analyse, daß er erst über die Deformierung menschlichen Verhaltens zu der Frage gelangt sei, welche Notwendigkeit eigentlich hinter dem So-Sein des Menschen stehe: »Wozu dient der Menschheit ihre maßlose Vermehrung, ihre sich bis zum Wahnsinn steigernde Hast des Wettbewerbs, die zunehmende, immer schrecklicher werdende Bewaffnung, die fortschreitende Verweichlichung des verstädterten Menschen usw. usf.? Bei näherer Betrachtung aber zeigt sich, daß so gut wie alle diese Fehlleistungen Störungen ganz bestimmter, ursprünglich sehr wohl einen Arterhaltungswert entwickelnder Verhaltens-Mechanismen sind. Mit anderen Worten, sie sind als pathologisch aufzufassen.«

In acht Kapiteln wirft Lorenz seinen ethologisch geschulten Blick auf anthropologische Konstanten und zeitbedingte Entwicklungen und kommt zu verheerenden Ergebnissen: Rundumversorgung und Massenkonsum, Verweichlichung und Überbevölkerung, Indoktrinierbarkeit und genetischer Verfall – all dies trage dazu bei, aus den Menschen eine degenerierende, leicht manipulierbare Masse zu machen. Vom Wunsch einer Höherentwicklung und Veredelung menschlicher Möglichkeiten bleibt nicht viel übrig.

»Maßlos«, »Wahnsinn«, »Fehlleistungen«, »pathologisch«: Man hat Lorenz die Verwendung solcher Vokabeln vorgeworfen und beanstandet, er werte bereits durch seine Wortwahl den Gegenstand, den er doch zunächst bloß zu beobachten habe. Der Vorwurf stimmt: Lorenz weist sich mit seinen Todsünden als konservativer Kulturkritiker aus, der dem Menschen als Masse nicht viel abgewinnen kann und aufgrund seiner Alltags- und Fallstudien einen Niedergang aus einstiger Höhe konstatieren muß. Was aber ist an der Beschreibung von Lorenz anders als an den vielen Kritiken und Analysen, die bis heute das konservative Feuilleton füllen?

Lorenz hat als Naturwissenschaftler harte Fakten zur Hand, mit denen er seine Beobachtungen und Ableitungen stützt. Er geht als Ethologe von Dispositionen aus, die den Menschen wie ein Korsett umklammern. Seinen Genen, seinen Antrieben, Reflexen und phylogenetischen Dispositionen kann er nicht entfliehen, er ist in Zwangsläufigkeiten eingesperrt wie in einen Käfig. Auf Seite 56 in diesem Heft ist das unter dem Begriff »Ver­hausschweinung« einmal polemisch durchdekliniert: Die acht Todsünden sind voll von weiteren Beispielen. Wenn Lorenz etwa die dem Menschen typische Erhöhung der ökonomischen Umlaufgeschwindigkeit und die daraus resultierende Rastlosigkeit in Konsum und Bedarfsbefriedigung als »Wettlauf mit sich selbst« bezeichnet, stellt er als Erklärungsmodell das Prinzip des Regelkreises daneben und zeigt, warum lawinenartige Prozesse aufgrund ausschließlich positiver Rückkoppelung ins Verheerende und letztlich ins Verderben führen. Dasselbe gilt auch für die Überbevölkerung, die Lorenz als die zentrale Todsünde an den Anfang stellt und von der her er die meisten anderen Fehlentwicklungen ableitet, etwa auch »Das Abreißen der Traditionen«: Lorenz beschreibt, wie gefährlich es für die Entwicklung eines Kindes ist, wenn es bei seinen Eltern und in seiner nahen Umgebung vergebens nach rangordnungsmäßiger Überlegenheit sucht und in seinem Streben und seiner Entwicklung ohne (verehrungswürdiges) Ziel bleiben muß. Lorenz macht das Verschwinden unmittelbar einleuchtender Hierarchien zum einen an der modernen Arbeitswelt fest: Die Austauschbarkeit von Mutter und Vater am Schreibtisch ist ein revolutionärer Vorgang der letzten zwei Generationen. Der andere Grund liegt in der Übertragung einer Gleichheitslehre vom Menschen auf möglichst alle Lebensbereiche: »Es ist eines der größten Verbrechen der pseudodemokratischen Doktrin, das Bestehen einer natürlichen Rangordnung zwischen zwei Menschen als frustrierendes Hindernis für alle wärmeren Gefühle zu erklären: ohne sie gibt es nicht einmal die natürlichste Form von Menschenliebe, die normalerweise die Mitglieder einer Familie miteinander verbindet.«

Während nun das gender mainstreaming – das Lorenz noch nicht so nennen konnte – Orgien der Gleichheit zelebriert, Mann und Frau also weiterhin auf Ununterscheidbarkeit getrimmt werden, scheint es mit der pseudo-demokratischen Doktrin nicht mehr überall so aussichtslos gut zu stehen, wie Lorenz es noch vermuten mußte. Wenn sich ihr Zeitalter in der großen Politik seinem Ende zuzuneigen scheint, hat man doch bis in den Kindergarten hinein die Durchsetzung des Abstimmungsprinzips bei gleicher Stimmgewichtung von Erwachsenem und Kleinkind festzustellen. Dies alles scheint einem Abbau der Notwendigkeit einer Entscheidung zu folgen: Wenn die Zeit keine in ihrer Besonderheit wirksam herausmodellierten Männer und Frauen, sondern vor allem in ihrem Einheitsgeschmack und ihrer Funktionstüchtigkeit herausmodellierte Verbraucher erfordert, verhält sich die zivilisierte Menschheit wohl so, wie sie sich derzeit verhält. Und wenn es nichts ausmacht, ob die Fähigen (etwa: die Erzieher) oder alle (etwa: die Kleinkinder) mitentscheiden, dann hat man tatsächlich alle Zeit der Welt und kann die Konsequenzen von Fehlentscheidungen immer wieder ausbügeln – und die beim Ausbügeln neu entstandenen Falten wiederum, und so weiter.

An Beispielen wie dem vom Verlust der Rangordnung und am Hinweis auf eine pseudo-demokratische Doktrin hat sich die Kritik festgebissen. Neben vielen Reflexen gibt es bedenkenswerte Einwürfe, etwa den von Friedrich Wilhelm Korff, der eine Neuausgabe der Todsünden mit einem Nachwort versah. Er schreibt mit viel Sympathie über Lorenz’ provozierendes Buch und weist den Leser auf eine seltsame Unstimmigkeit, ein Pendeln zwischen zwei Ebenen hin. Auf der einen Seite nämlich lasse die aus dem unerbittlichen stammesgeschichtlichen Verlauf herrührende Fehlentwicklung der zivilisierten Menschheit keinerlei Raum für Hoffnung: Etwas, das qua Gen oder Arterhaltungstrieb so und nicht anders ablaufen könne, sei nicht aufzuhalten und nicht korrigierbar. Auf der anderen Seite finde sich Lorenz eben nicht mit der Rolle des kühl diagnostizierenden Wissenschaftlers ab, sondern gerate ins Predigen und formuliere pro Kapitel mindestens einen Aufruf, aus der Kausalkette der zwangsläufigen Entwicklung auszusteigen. Lorenz selbst hat diese Verwischung der Kategorien »Wissenschaft« und »Predigt« in einem »Optimistischen Vorwort« für spätere Ausgaben aufzufangen versucht, indem er etwa auf die Breitenwirkung der Ökologie-Bewegung hinwies, von der bei Verfassen seiner Schrift noch nicht viel zu bemerken war. Im Grund aber bleiben die Todsünden bis heute ein starkes Stück konservativer Kulturkritik.

Was also versuchte Konrad Lorenz mit seinem Buch? Er versuchte auf den permanenten Ernstfall hinzuweisen, den der »Abbau des Menschlichen« (auch ein Buchtitel von Lorenz) verursacht: Das Erlahmen der Abwehrbereitschaft ist der Ernstfall an sich, und der Beweis, daß es längst ernst war, wird durch den tatsächlich von außen eintretenden Ernstfall nur noch erbracht: Kluge Prognosen konnten ihn lange vorher schon absehen.

Es gibt kaum ein besseres Beispiel für dieses Erlahmen der Abwehrbereitschaft als die Umdeutung des Wortes »Toleranz«. Die heutige Form der Toleranz ist die 9. Todsünde der zivilisierten Menschheit. Ob sie in der Notwendigkeit ihrer stammesgeschichtlichen Entwicklung liegt, vermag nur ein Ethologe zu sagen. Festzustehen scheint, daß ihr trotz vielstimmiger Warnrufe und glasklarer Fakten nicht beizukommen ist. Vielleicht ist diese weiche, pathologische Form der Toleranz tatsächlich ein wichtiger Indikator für einen an das Ende seiner Kraft gelangten Lebensentwurf, hier also: den europäischen.

Toleranz ist nämlich zunächst ganz und gar nichts Schwaches, sondern die lässige Geste eines Starken gegenüber einem Schwachen. Während ich hier sitze und vermessen den acht Todsünden von Lorenz eine neunte aufsattle, toleriere ich, daß eine meiner Töchter im Zimmer über mir trotz angeordneter Bettruhe vermutlich einen Tanz einstudiert. Von Toleranz diesen rhythmischen Erschütterungen gegenüber kann ich nur sprechen, weil ich a) einen klaren Begriff von angemessenem Verhalten in mir trage und die Störung als Abweichung von dieser Norm erkenne, b) in der Lage wäre, diese Abweichung nicht zu tolerieren, sondern sie zu beenden, c) sie tatsächlich im Verlauf meines Vater-Seins schon unzählige Male nicht toleriert habe.

Zur Verdeutlichung hilft es, mit allen drei Kriterien ein wenig zu spielen: Wer a) nicht hat, also Angemessenheit und Norm nicht kennt, muß nicht tolerant sein: Er wird jede Entwicklung hinnehmen und sich einpassen oder verschwinden, wenn es gar nicht mehr geht; wer b) nicht kann, der empfundenen Störung und Beeinträchtigung also hilflos gegenübersteht, kann keine Toleranz mehr üben: Er kann bitten und betteln und sich die Haare raufen oder über das Argument und die Mitleidsschiene den anderen zur Rücksichtnahme bewegen. Das Kräfteverhältnis hat sich jedoch verschoben, und wenn der Störer keine Rücksicht nehmen will, bleibt dem Schwächeren nur übrig, sich mit seiner Unterlegenheit abzufinden. Und c)? Toleranz kann kein Dauerzustand sein. Wer den Regelverstoß dauerhaft toleriert, setzt eine neue Regel, weitet die Grenze des Möglichen aus, akzeptiert eine Verschiebung der Norm. Zur Toleranz gehört der Beweis der Intoleranz wie zur Definition des Guten das Böse.

Toleranz ist also eine Haltung der Stärke, niemals eine, die aus einer Position der Schwäche heraus eingenommen werden kann. Wer schwach ist, kann nicht tolerant sein; wer den Mut zur eigentlich notwendigen Gegenwehr nicht aufbringt, kann seine Haltung nicht als Toleranz beschreiben, sondern muß von Feigheit, Rückzug und Niederlage sprechen: Er gibt Terrain auf – geistiges, geographisches, institutionelles Terrain. Es kann – das versteht sich von selbst – ab einem bestimmten Zeitpunkt sinnvoll sein, sich zurückzuziehen und neue Grenzen der Toleranz zu ziehen. Solche Korrekturen und Anpassungen an den Lauf der Dinge hat es immer gegeben, und starre Gebilde haben die Neigung zu zersplittern, wenn der Druck zu groß wird. Aber eine Neuordnung in diesem Sinn ist ein Beweis für Lebendigkeit und nicht einer für Schwäche und das oben beschriebene Erlahmen der Abwehrbereitschaft.

Auch der Spiegel-Kolumnist und Wortführer einer »Achse des Guten« (www.achgut.de), Henryk M. Broder, hält Toleranz für ein gefährliches, weil sprachverwirrendes Wort. In seinem jüngsten Buch übt er die Kritik der reinen Toleranz und schreibt gleich im Vorwort Sätze, die an Deutlichkeit nichts zu wünschen übriglassen: »In einer Gesellschaft, in der ein Regierender Bürgermeister die Teilnehmer einer SM-Fete persönlich in der Stadt willkommen heißt; in einer Gesellschaft, in der ein rechtskräftig verurteilter Kindesmörder Prozeßkostenbeihilfe bekommt, um einen Prozeß gegen die Bundesrepublik führen zu können, weil er noch nach Jahren darunter leidet, daß ihm bei einer Vernehmung Ohrfeigen angedroht wurden; in einer Gesellschaft, in der jeder frei darüber entscheiden kann, ob er seine Ferien im Club Med oder in einem Ausbildungscamp für Terroristen verbringen möchte, in einer solchen Gesellschaft kann von einem Mangel an Toleranz keine Rede sein. Dermaßen praktiziert, ist Toleranz die Anleitung zum Selbstmord. Und Intoleranz ist eine Tugend, die mit Nachdruck vertreten werden muß.«

Das sind klare Worte, die außerdem Broders Montagetechnik veranschaulichen. Sein Buch ist theoretisch schwach und lebt von Fundstücken aus Presse und Internet – mal ausführlich beleuchtet, mal bloß aneinandergereiht. Jeder Schnipsel belegt den bestürzenden Zustand der Verteidigungsbereitschaft selbst der banalsten Werte unseres Volkes, unserer Nation, unseres kulturellen Großraums. Nicht ohne Grund stellt unsere Zeitschrift ihre Begriffsdefinitionen auf der letzten Seite unter ein Motto von Konfuzius: »Zuerst verwirren sich die Worte, dann verwirren sich die Begriffe und zuletzt verwirren sich die Sachen.« Broders Kritik der reinen Toleranz kann als Sammlung gefährlicher Wort- und Begriffsverwirrungen gelesen werden, etwa wenn er neben die Toleranz ein anderes ruiniertes Wort stellt: Zivilcourage. Jeder will ja diese Eigenschaft besitzen, will im entscheidenden Moment »Sophie Scholl« sein (jedoch ohne Fallbeil). Leute wie Wolfgang Thierse aber haben das Wort Zivilcourage bis auf weiteres kaputtgemacht, indem sie während eines Massenauflaufs gegen »Rechts« jedem Teilnehmer Zivilcourage attestierten. Neben einhunderttausend anderen Leuten zu stehen und eine Kerze zu halten, ist jedoch kein Beweis für Mut, es ist allenfalls ein Vorsatz, beim nächsten beobachteten Glatzen-Angriff auf einen schwarzen Mitbürger intolerant zu reagieren. »Toleranz ist gefühlte Zivilcourage, die man nicht unter Beweis stellen muß«, schreibt Broder etwas verwirrend, aber er meint das Richtige, nämliche dasselbe wie Armin Mohler, der stets und vehement davon abriet, Leute schon für ihre guten Vorsätze zu prämieren.

Das Gebot der Stunde ist also die Intoleranz, oder besser: das Lehren und das Erlernen der Intoleranz dort, wo das Eigene in seiner Substanz bedroht ist. Hier können wir ein seltsames Phänomen beobachten: den Sieg der Erfahrung über die Theorie. »So ist es nicht der klassische Spießer, der überall sein fürchterliches Gesicht zeigt, sondern der chronisch tolerante Bildungsbürger, der für jede Untat so lange Verständnis äußert, wie sie nicht unmittelbar vor seiner Haustür passiert« (wiederum Broder). Dann aber! Dann aber! Dann kann man nur hoffen, daß aus Erfahrung klug wurde, wessen Vorstellungsvermögen nicht hinreichte, die Lage des Ganzen (etwa: der Nation) zu seiner eigenen Sache zu machen.

Broders Buch, Ulfkottes neue Schrift oder die Zurüstung zum Bürgerkrieg von Thorsten Hinz: Die Beispiele für die verheerende Auswirkung der reinen Toleranz auf die Verteidigungsbereitschaft und -fähigkeit auch nur unserer eigenen Nation sind längst gesammelt und können gelesen und ausgewertet werden. Aber die Flucht in die 9. Todsünde, die Toleranz, scheint zu süß zu sein, und sie ist wohl angemessen für den Teil der Welt, der »schon Hemmungen hat, sich selbst ›zivilisiert‹ zu nennen, um die anderen nicht zu kränken« (ein letztes Mal: Broder).

lundi, 04 mai 2009

Tocqueville contre le nihilisme moderne

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Tocqueville contre le nihilisme moderne

par Pierre Le Vigan - http://europemaxima.com/


On sait que Benjamin Constant distinguait dans un célèbre discours de 1819 la liberté des Anciens et la liberté des Modernes. La première réside dans la participation aux affaires publiques, la seconde dans la garantie des jouissances privées. Dans la première, il y a selon Constant « asservissement de l’existence individuelle au corps collectif ». C’est pourquoi il défend la seconde conception de la liberté, celle des Modernes. En un sens, la conception de Benjamin Constant a fondé un certain libéralisme. Il est toutefois patent qu’une autre grande figure libérale, ou plutôt peut-être devrait-on dire conservatrice, a souligné que la liberté des Modernes ne suffisait pas. Cette figure c’est Tocqueville. Il est constant que pour Tocqueville la liberté des Modernes même corrigée par la morale chrétienne ne suffit pas. « Les devoirs des hommes entre eux en tant que citoyens, les obligations des citoyens envers la patrie me paraissent mal définis et assez négligés dans la morale du christianisme. C’est là, ce me semble, le coté faible de cette admirable morale de même que le seul coté vraiment fort de la morale antique. » note Tocqueville (Lettre à Arthur de Gobineau, 5 septembre 1848).

Si la morale civique tend à disparaître c’est encore pour une raison que Tocqueville a parfaitement analysée. C’est du fait de la montée de l’individualisme. L’égalité de principe des hommes « abolit le prestige des noms pour lui substituer la force du nombre » note Finkielkraut. En conséquence se développe l’esprit moutonnier et le conformisme de masse dont nous voyons aujourd’hui les effets poussés à l’extrême. Plus les hommes sont égaux en principe plus se manifeste l’envie, la recherche du bien-être, l’hédonisme. Le régime des désirs tend à être la loi de l’économie. Ce « chacun pour soi » et ce désinvestissement de l’engagement civique et politique donne au despotisme toutes les chances de s’imposer. Il aggrave alors l’individualisme. « Il retire aux citoyens toute passion commune, tout besoin mutuel, toute nécessité de s’entendre, toute occasion d’agir ensemble ; il les mure, pour ainsi dire, dans la vie privée […]. La liberté seule, au contraire, peut combattre efficacement dans ces sortes de sociétés les vices qui leur sont naturels et les retenir sur la pente où elles glissent. Il n’y a qu’elle en effet qui puisse retirer les citoyens de l’isolement dans lequel l’indépendance même de leur condition les fait vivre, pour les contraindre à se rapprocher les uns des autres, qui les réchauffe et les réunisse chaque jour par la nécessité de s’entendre, de se persuader, et de complaire mutuellement dans la pratique d’affaires communes. Seule elle est capable de les arracher au culte de l’argent et aux petits tracas journaliers de leurs affaires particulières pour leur faire apercevoir et sentir à tout moment la patrie au-dessus et à côté d’eux ; seule elle substitue de temps à autre à l’amour du bien-être des passions plus énergiques et plus hautes, fournit à l’ambition des objets plus grands que l’acquisition des richesses, et crée la lumière qui permet de voir et de juger les vices et les vertus des hommes. » (L’Ancien régime et la Révolution).

Si chacun ne se saisit pas de la liberté, une liberté de faire, une liberté des Anciens, et non une simple liberté de ne pas être contrôlé, encadré par l’État, la liberté des Modernes, alors le despotisme menace d’autant plus fortement que la société est justement démocratique. Tocqueville remarque : « Je pense que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain en moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer. Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux et ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus d’eux s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? » (De la démocratie en Amérique). Tocqueville peut ainsi conclure : « Le despotisme me parait particulièrement à redouter dans les âges démocratiques. » Face au triomphe conjoint de l’individualisme et du despotisme, la société s’atomise, comme avait bien vu Tocqueville. C’est ce que le « Comité invisible » aura bien défini quelque cent cinquante ans après sa mort, dans L’insurrection qui vient (La Fabrique, 2007) : « Le couple est comme le dernier échelon de la grande débâcle sociale. C’est l’oasis au milieu du désert humain. On vient y chercher sous les auspices de l’« intime » tout ce qui a si évidemment déserté les rapports sociaux contemporains : la chaleur, la simplicité, la vérité, une vie sans théâtre ni spectateur. » Avant de préciser que le couple n’échappe pas à la tourmente de la société-machine et marchandise.

Notre monde, Tocqueville nous a aidé à le penser. Tocqueville n’est ni libéral – il ne croit pas que l’intérêt général soit la simple somme des intérêts particuliers, ni rousseauiste – il ne croit pas à l’unanimité du peuple qui ne parlerait que d’une seule voix. Tocqueville est bien plutôt un ancêtre de Hannah Arendt et de sa notion d’une démocratie excédant radicalement toute idéologie des droits de l’homme. C’est aussi avec cent cinquante ans d’avance un formidable critique du nihilisme du règne contemporain de la marchandise et de l’équivalence généralisée des biens culturels et des œuvres d’art.

Pierre Le Vigan

samedi, 25 avril 2009

Qu'est-ce que le relativisme?

 

Qu'est-ce que le relativisme?

Ex: http://unitepopulaire.org/

 

« De toutes les pathologies dont souffre notre société, le relativisme "philosophique" est certainement l’une des plus dangereuses, car son caractère diffus, sa fausse logique empreinte de scientificité et son adéquation trop parfaite avec la notion de tolérance (suprême valeur du monde post-moderne) lui procurent d’inestimables avantages sur les courants philosophiques concurrents. Si, depuis Montaigne, le relativisme a attiré de nombreux penseurs refusant l’idée selon laquelle une civilisation ou une religion ne peuvent se déclarer supérieures à toutes les autres, il est indéniable que depuis une soixantaine d’années, le paradigme relativiste a étendu son empire sur toutes les nations occidentales, abrutissant dramatiquement leurs populations désormais incapables de sauvegarder les bases mêmes et les principes primordiaux de la pensée et de la culture européenne. […]

 

Loin d’avoir permis la sauvegarde de la diversité culturelle, le relativisme a engendré la haine de soi (ou, par voie de conséquence, la xénophilie) et l’essor de l’individualisme radical, qui ont laminé à une vitesse extraordinaire des nations millénaires.

 

Aujourd’hui, le relativisme apparaît cependant davantage comme la conséquence d’une déréliction généralisée, comme un discours servant à légitimer les faiblesses d’un peuple, hier glorieux et rayonnant, et aspirant désormais à une totale retraite. »

 

 

 François-Xavier Rochette, "Vaincre le relativisme ?", Rivarol, 6 mars 2009

lundi, 23 mars 2009

Homo Americanus: Child of the Postmodern Age

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Homo Americanus: Child of the Postmodern Age

by Tomislav Sunic BookSurge Publishing, 2007

Reviewed by Troy Southgate - http://www.rosenoire.org/

BOOK REVIEW

HAVING endured life under communist and liberal-capitalist regimes in both Croatia and the United States respectively, Tom Sunic is particularly well-qualified to address the serious problem of postmodern America and to examine the hard-line theocracy that lies at the very core of its current geopolitical impetus. The author is renowned both for his honesty and for his penetrating insight, and this – similar to his previous literary offerings - represents a perfect blend of empirical and intellectual wisdom. However, this is not simply the latest in a series of gratuitous Eurocentric attacks on the American people themselves; it is a scathing indictment of their system and the wider implications it has for the rest of the world. More importantly, Sunic argues that the nostalgic America of the past had, and still retains, the creativity and potential to become a positive driving force for those inhabitants of European extraction.

It is no great secret that Europe has also fallen victim to Americanism and “often appears unnerving to American visitors in Europe in search of an elusive ‘true’ Frenchman, German or a Dutchman.” (p.5) So this book is also written from the perspective of Homo Americanus himself, avoiding the usual stereotypes with which some of the more unthinking critics here in Europe tend to chip away at the American edifice. The book’s working postulate looks at Homo Americanus as “a distinct sociobiological specie and not only a derogatory label for an average American citizen” (p.8), regardless of his social or geographical status. This useful form of terminology allows Sunic to dissect, examine and formulate American development over the last 200 years.

The author, who is a former Croatian diplomat and Professor at the University of California, spends a great deal of time explaining why critics of America’s egalitarian values are likely to incur the wrath of the U.S. system. Opponents of these values are denounced as ‘fascists’ and ‘anti-Semites’, or portrayed as ‘anti-American’ heretics. Sunic has been a victim of this narrow-mindedness himself, although the fact that he is no longer resident in America or working for the Croatian government does, at least, mean that he is at slightly more liberty to criticise the intellectual hypocrisy of the international thought police. The rabid vilification of those who dare to stand outside of the liberal parameters, Sunic explains, is being perpetuated by intellectuals who not only cut their teeth in the leftist environs of the Frankfurt School, but who also represent a secularised version of early American Calvinism. In fact the theocratic roots of America are much to blame for the millenarian fervour that now drives the free-market economy and its army of docile consumers. In fact modern American racialists are criticised for failing to appreciate that “[w]hile they bewail the passing of the white race, they fail to critically examine the foundations of Americanism . . . Why should one worry about the passing of the great white race if that race has only been involved in endless economic transactions?” (p.23)

America’s role in the Cold War is also examined, although the relationship between Homo Americanus and Homo Sovieticus is shown to have been far less antagonistic than most people think. Sunic does contend that, without America, “the Soviet Union would likely have become a reality for most people on earth” (p.29) and that the masses much prefer American consumerism to life under the Soviets themselves. However, whilst anti-communist rhetoric is often solely obsessed with the ‘atheistic’ nature of communism, it remains a fact that both systems share the same egalitarian undercurrent and that no attempt is made to examine the dynamics of this relationship. Sunic goes on to speculate that communism – as a direct result of its egalitarianism - has to a large extent managed to achieve its ends through the American system. It is already a well-known fact that after the collapse of communism, many former party apparatniks in Eastern Europe eagerly pinned their colours to the new liberal mast, but the author capably demonstrates that a similar form of intellectual and ideological duplicity has taken place in the West: “A large number of American left-leaning intellectuals seriously began to think that ‘true’ communism could have a second chance with a humane face in America, and this by means of employing different forms of social engineering. Some European authors observed that communism died in the East because it has already been implemented in the West.” (p.34) It is not uncommon, of course, for rats to leave a sinking ship and to redirect their energies elsewhere. We see this opportunistic trend happening in the economic sphere, too, as Big Business conglomerates continue to transfer their business operations to China and the Third World. But lest you doubt the author’s theory concerning the gradual importation or transference of Communist principles to America, we need only remind ourselves that the egalitarian ideals of Thomas Jefferson and other formulative American leaders were – as writers like Noam Chomsky and Lawrence R. Brown openly contend – a radical and pronounced form of leftism. The seeds, therefore, had already been sown at the very beginning of American history.

One of the more successful weapons in the struggle for liberal ascendancy has been political correctness. The kind of terminological double-speak that we so often hear emanating from the mass media, particularly during the Anglo-American attacks on Iraq and Afghanistan, had previously been developed for the purposes of self-policing, censorship and social engineering. Sunic rightly attributes the early origins of political correctness to the Frankfurt School, which, as the name suggests, was a German-based think-tank headed mainly by Jewish intellectuals who had fled to America during the rise of Hitler. At the end of World War Two, however, these individuals returned to Germany and the Frankfurt School was then used by America to essentially brainwash the next generation of young Germans. Sunic explains: “Most of the American educators, however, were former disciples of Freud and Marx, who considered that the best approach in curing defeated Germany was by treating Germans as a nation of ‘clinical patients’ in need of a hefty dose of liberal and socialist therapy.” (p.66) The clandestine book-burning and shelf-clearing that followed, however, was designed to function as an intellectual tabula rasa for the subsequent re-education of the German people themselves. After more than 60 years the witch-hunts are still going on, of course, with nationalists and revisionists alike facing the wrath of the modern German system. But more importantly, perhaps, the kind of political persecution that was first hatched on the drawing boards of the Frankfurt School, soon found their way into America. There may not be as much overt repression in the United States as there has been among those who laboured under Soviet communism or who suffered the spiteful tribulations of post-war Germany, but the same objectives are being pursued: “The entire West, including America itself, has become a victim of collective guilt which, strangely enough, is induced more by intellectual self-denial and by Christian-inspired atonement, and less by State repression.” (p.73)

Chapter IV is the most illuminating and revealing section of the book, particularly for those American readers who often find it hard to look at themselves objectively and particularly in the way that they are viewed by outsiders. Despite the fact that the political and religious realms are kept entirely separate in public life, Christian fundamentalism is still a potent force in modern-day America and Sunic gets to grips with the country’s seemingly inextricable Calvinist origins. This potency is reflected in the attitude that Americans express, not merely with regard to one another, but also towards the rest of the world: “Foreigners, by contrast, and particularly Europeans, immediately notice in American behaviour strong pedagogical outbursts which they wrongly interpret as camouflage for capitalist hypocrisy (p.87) . . . It is often formulated in petty sentimentalism, passing pep talks, gigantic fake smiles, verbiage teeming with bombastic adjectives, and a vicarious ‘love thy neighbour attitude’, always accompanied by a strong desire for social conviviality.” (p.89) The arrogant and patronising morality so often associated with the vast majority of Americans is the direct result of Protestant influence among the New England settlers of the seventeenth-century; something which, in turn, was transported directly from the dogmatic horror show that was Oliver Cromwell’s Puritan England. Sunic, by way of Werner Sombart, demonstrates how Christianity has acted as the perfect impetus for American universalism, not least because the traditional values of Calvinism, which are stringently linear and progressivist in nature, are so very similar to Judaism. This proliferation of the Jewish spirit through Christian fundamentalism, which, as Carl Schmitt also believed, has since become secularised but certainly no less formidable, has caused many people to attribute blame to the Jews themselves. However, Sunic notes that Jewish power in America is not simply down to the Jews, it has also been aided and abetted by those philo-Semites who have swallowed Jewish theocracy hook, line and sinker. In other words, the Calvinist tradition, with its so-called ‘work ethic’ and universalistic mores, matches precisely the mercantile framework in which cosmopolitan Jewish capitalists have managed to ascend the gilded throne of opulence, or, as the author puts it, “America became a Jewish substitute utopia . . . This multi-racial social engineering was facilitated by the ecumenical and globalistic framework of the early American Puritans – who had considered themselves as spiritual Jews.” (p.99) American racialists who retain their Christian roots also come in for some flak: [R]egardless whether they are hypermoralistic Puritans or more authority prone Catholics, [they] are in no position to found an ethnically and racially all-white Gentile society while adhering at the same time to the Christian dogma of pan-racial universalism.” (p.101) Sunic believes this conflict of interests will result in some form of neurosis, because despite his hatred for Jews, the American anti-Semite “lugs behind himself a Levantine deity that is not of European cultural origin.” (p.104)

The alternative, of course, as other New Right figures such as Alain de Benoist have advocated, is some form of pagan revival. But Sunic is careful to point out that “the rejection of monotheism does not imply a return to the worship of Indo-European deities or the veneration of some exotic gods and goddesses. It means forging another civilisation, or rather, a modernised version of scientific and cultural Hellenism, considered once as a common receptacle for all European peoples.” (p.106) On the other hand, Oswald Spengler’s ‘second religiosity’ – which may be interpreted as an ineffectual escape from reality - is cited as one example of how not to proceed, particularly as its modern legacy is epitomised by the multifarious cults that swamp the face of America but which completely fail to have any unified political or cultural impact. Sunic concludes his assault upon the theocratic foundations of America by stating emphatically that “the Western world did not begin with the birth of Christ or in America. Neither did the religions of ancient Europeans see the first light of day with Moses – in the desert . . . America’s Greco-Roman-Nordic ancestors also believed in honour, justice, and virtue, although they attached to those notions a radically different meaning.” (p.114)

Now that he has addressed the origins of Americanism, the author turns his mind to the dissemination of those ideals overseas. Beginning with the Monroe Doctrine in 1917, which, if you know your history, was rather a curious year to launch such a profoundly egalitarian statement, Sunic takes us into the murky world of American geopolitics. But whilst the relationship between America and the Israelis appears to make no sense whatsoever to the average American taxpayer, let alone the rest of the world, once you recall the Calvinist roots of those now at the helm it becomes easier to grasp why America is so disastrously committed to the eradication of its Islamic enemies from the face of the earth. Samuel Huntingdon’s ‘clash of civilisations’ thesis appeared to pre-empt the cataclysmic attack on New York in September 2001, but as far as the author is concerned “the scope of his analyses and predictions about Americanism are far behind the probity of the German jurist Carl Schmitt or the expert on geopolitics Karl Haushofer.” (p.140)

Postmodernism, at least from the perspective of those who oppose it, has been discussed on several occasions, one of the best examples appearing in Michael O’Meara’s well-researched New Culture, New Right: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (1stBooks, 2004). Similarly, Sunic devotes a whole chapter to this crucial topic and tells us that “postmodernity reflects an intellectual climate in which preceding political paradigms are meant to be discarded on the grounds of their allegedly outdated nature.” (p.143) In fact, just like the denizens of the Frankfurt School, postmodern theorists are derived from Freudian and Marxist circles. This fact demonstrates the validity of the author’s earlier theory concerning the ideological ‘conversion’ that many of academia’s key players seem to go undergo and reminds me somewhat of the cultural and intellectual ‘seeding’ process discussed by Ernst Scott in The People of the Secret (Octagon Press, 1983). According to these postmodern shapers of reality, “[i]ntellectual history has finally come to an end and everything must be replaced by micro-histories and consensual truth from all parts of the world, including all lifestyles imaginable.” (p.145) However, despite what appears to represent an increase in individual freedom and expression, the old egalitarian myths still cannot be questioned and therefore the Calvinist-inspired dogma and economic progressivism still lurk in the background; “postmodernity is a historical oxymoron, a buzzword which neatly covers up intellectual mendacity.” (p.145) Ironically, perhaps, much postmodern rhetoric is infused with the language of Nietzsche and Heidegger, although once again, this is a smokescreen for the Orwellian double-speak that masks the more nefarious objectives of its shadowy progenitors. Sunic, like Gilles Lipovetsky before him, believes that a more appropriate term for this development is ‘hypermodernity’: “Postmodernity is hypermodernity insofar as the means of communication render all political signs disfigured and out of proportion.” (p.150) In other words, committed efforts by postmodernists to assign to an innumerable amount of discourses and lifestyles their own peculiar validities – however surreal – now means that everything has become ‘memorialised’; hence the term ‘postmodern’ and its relation to ‘hypermodernism’.

But once again, certain matters are not open to scrutiny and postmodern discourse is highly-selective and there to ensure that only certain things are retained for posterity: “First comes the American virtual icon, most likely by means of a movie, a TV show, or a computer game; then the masses start using this imagery in the implementation of their own local reality. It is the media projection of hyper-real America which serves from now on as the best propaganda weapon for the American dream.” (p.152) This manifests itself through narcissistic behaviour and a fear of the unpredictable. Whilst America is infatuated with its own contrived image, the effects of this fragile state of unreality on the general population have led to widespread anxiety and health problems. Indeed, “given that Americanism, at least in the eyes of its non-American imitators, functions solely as a make-believe system, i.e. as a hyper-copy of its own projected and embellished self” (p.154), surely it won’t be too long before the whole artificial structure begins to collapse completely?

The author then counteracts this frighteningly realistic image with his own heady dose of optimism, referring us instead to great American cultural icons like Henry Miller, H.L. Mencken, Ezra Pound and Francis Parker Yockey. He contrasts nostalgia and reality, arguing that one’s memories can often be unexpectedly shattered by an unpleasant experience in a place that once held a sense of great personal significance. At the same time, Sunic asks “Is not the dream of having another geographic alternative at hand the only way to make human life bearable?” (p.161) He is suggesting, of course, that another America still exists in the memory, and that it is still possible to make it a reality once again. This, he claims, can be achieved by using postmodernity “as a launching pad for diverse forms of Euro-American-nationalism, including the rebirth of a new European-inspired American political elite . . . No one can rule out that European-Americans will cordon themselves off into their own well-guarded racial reserves.” (p.166) The anti-egalitarianism of Nietzsche, meanwhile, is posited as a potential saviour from the Puritanical dogma of hypermodernism, and the author goes on to suggest that whilst Americanism has been derided, no serious attempt has been made to seize the cultural initiative. I would argue that this is slowly beginning to change, not least as a result of the impending marriage between the ‘Industrial’ music underground, self-styled National-Anarchists and sections of the New Right. All it takes is for this current to be tilted in the right direction; one spark of organisational brilliance and the future will be ours.

Sunic’s optimism continues with a brief look at postmodern agrarianism and American scholars like George Fitzhugh and Richard Weaver. But whilst these figures are undeniably part of the hidden America, they are perhaps a little out of place in an otherwise radical work such as this. Indeed, when used in this context they represent little more than an appeal to the kind of nostalgic Paleoconservative mindset that one finds in the pages of Chronicles magazine .

The parting shot, however, is reserved for American democracy and the author takes an elitist position by rightly conceding that the masses are not interested in traditional American ideas. He also explains that egalitarian, multi-racial societies are doomed and that the consequences will inevitably plunge America into balkanisation and civil strife. Furthermore, “as the American system becomes more and more economically opulent, even the slightest economic crisis, resulting in a small drop in living standards is bound to cause social discord and political upheavals.” (p.188)

Tom Sunic’s classic American hero can be found in the celluloid beauty of a Spaghetti Western, or perhaps among the characters of a Jack London novel. Finally, let it be said that his excellent book represents a final chance for Homo Americanus to redeem himself. Let’s hope he does so before it’s too late.

dimanche, 22 mars 2009

Over verlangen en wilskracht, de kleenex en de onthouding

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Over verlangen en wilskracht, de kleenex en de onthouding

mardi, 24 février 2009

Scholasticism, Protestantism, and Modernity

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Scholasticism, Prostestantism, and Modernity

Paul Gottfried

 

Protestantism rose on the downfall of scholasticism, and Protestantism, in turn, led to the demise of hierarchy and the rise of individualism.

A curious but significant byproduct of the Protestant Reformation was moral support for what became middle-class modernity. This connection is particularly remarkable inasmuch as reformers Martin Luther and John Calvin sought to restore a Christian community, not to build a new civilization. What they found objectionable about the medieval church was not its traditionalism but its pagan and nonbiblical character. They attacked the attempt by Catholic philosophers Albertus Magnus (1200--1280) and Thomas Aquinas (1225--1274) to import Aristotelian philosophy into what should have been biblically based Christianity.
       
       The reformers objected to the scholastic view that people, despite Original Sin, could improve their character through moral effort. Indeed, they insisted on the bondage of the will to man's natural state of depravity, a condition that could only be improved through the infusion of divine grace. And this grace was given not in response to human exertion but as an outside work (opus extrinsecum) for which fallen beings could only wait and pray. Though this apparently fatalistic understanding of redemption underpinned Calvin's theology more explicitly than Luther's, it was nonetheless present in both. A radical conception of human sinfulness, partly derived from Saint Augustine, pervaded Reformation thinking. Total human corruptness necessitated a dramatic form of divine redemption, which each individual had to experience to know that he was saved.
       

Scholasticism and Modern Rationalism
       
       In some ways the scholastic thinking characteristic of European universities in the twelfth and thirteen centuries seems closer to modern rationalism than does Reformation theology. The schoolmen believed that the good was knowable through right reason, that knowledge about the existence of God was accessible to human understanding, and that pagan rhetoric and philosophy were appropriate for the education of Christians. Although medieval schoolmen did not deny the doctrine of Original Sin or the need for grace to move toward a Christian life, they considered the sacraments and instruction of the church sufficient for that end. The sin of Adam did not irreparably destroy human character, but once washed away with baptism, inborn sin would not prevent us from developing our moral capacities, through learning and useful habits.
       
       Understandably, critics of scholastic thought, which reached its greatest influence in the late thirteenth century, accused its proponents of pagan, rationalist tendencies. From Franciscan mystics like Saint Bonaventure through Nominalist philosophers in the fourteenth and fifteenth centuries down to the great thinkers of the Reformation, the criticism was heard that the schoolmen minimized the experience of faith and ascribed excessive importance to theological reasoning. Though Thomas Aquinas, for example, argued in the Summa Theologica that belief in God might result purely from faith (credibilia), he nonetheless also provided five proofs for God's existence, one of which derived from Aristotelian physics. Like other schoolmen, Aquinas insisted that "the philosopher" could lead Christians to some if not all theological truths.
       
       Even more important for the history of ethics, Aquinas and other schoolmen related rules of conduct to moral reasoning. God as the source of all being, as underlined in Thomas' Expositio super librum Boethii, provided both natural cognition (lumen naturale) and supernatural revelation (lumen supernaturale). Each was made available to clarify divine truth, and by the operation of universal reason as well as by biblical morality, humans were capable of forming proper ethical decisions, outside as well as inside a Christian society. Moreover, despite the fall of Adam, both the natural and social worlds gave evidence of an order (ordo mundi) that pointed back to a divine Author. Following Aristotle's notion of design, Aquinas insisted that the world was intelligible to our intellects because both were products of divine Reason. Human minds trained to think could apply "right reason" to moral questions, arrive at "prudential judgment" regarding the social good, and grasp the interrelatedness of the physical world.
       
       Despite the apparent entry point that some have found here into a modern, scientific rationalist culture, there are qualifications to be made before assuming such links exist. As the German social thinker Ernst Troeltsch explains in Protestantism and Progress (English translation 1912), the scholastic worldview most fully articulated by Aquinas was inextricably linked to medieval society. It assumed ranks and an order of authority characterized by ecclesiastical and temporal hierarchies, both of which were seen as necessary for human well-being. The Thomistic ordo was not a collection of individuals in search of divine and rational truths. It was held together by organic social relationships based on statuses. The temporal served the ecclesiastical, the physical laborer the contemplative, and the knight his lord.
       
       Economic transactions, like other social transactions, were fixed in terms of hierarchical design perceived to be present throughout creation. Commerce was to be regulated by its assigned purpose, satisfying specific material needs: It was to be practiced in accordance with a "just price" that could be calculated with regard to cost factors but that prohibited the taking of interest (prodesse faenore).
       

The Deconstruction of Scholasticism
       
       What happened in the postscholastic West culminating in the Reformation was the progressive deconstruction of this scholastic outlook. Particularly in the Nominalist tracts of the Oxfordian Franciscan monk William of Ockham (1280--1349), whose thinking marked Luther and other Protestant reformers, the scholastic ordo is subjected to relentless criticism. For Nominalists like Ockham, there is no harmonious synthesis of reason and faith, nor necessary correspondence between God's mind and the social order. If religious propositions or ethical precepts were held to be true, one had to accept them finally on faith. For critical reason, maintained Ockham, was there to challenge and discredit received truths, and the unconditional reality that the schoolmen had attached to justice, goodness, and other ideals to which they appealed were merely names (nomina) awarded to the objects of our perception.
       
       God Himself, as conceptualized by the Nominalists, was essentially absolute will. Those laws or regularities through which He controlled creation were the products of divine volition. What was perceived as rational or moral truths, according to Ockham, flowed from this will. But here, too, one had to accept the possibility that what was thought to be certain would turn out to be a figment of our minds upon further examination. Nominalist thinking encouraged both skepticism and faith to the extent that it presupposed a yawning gulf between divine truth and human reasoning.
       
       The Reformation added to this deconstructed scholasticism two critical elements, a positive theology and implied social teachings that were incompatible with the Thomastic-Aristotelian order. Drawing on Saint Paul's Letter to the Romans, Luther and Calvin both proclaimed that Christians are justified by faith, independently of any work or sacrament. Nor was reason essential to this process inasmuch as the believer is saved from damnation by faith alone, as the inner certainty of divine election. This Reformation view of the Christian life, as an attempt to find evidence of divine favor from within, was conducive to modernization in ways that could not have been fully grasped in the sixteenth century.
       

Protestantism's Attack on Hierarchy
       
       Looking at Protestantism's modernizing effect over a period of centuries, Presbyterian theologian and political thinker James Kurth observes (Orbis, Spring 1998): "All religions are unique, but Protestantism is more unique than all others. No other is so critical of hierarchy and community, or of the traditions and customs that go with them."
       
       Already in Luther's germinal writings as a reformer in 1520--21 were stated Protestant ideas that would bring forth cataclysmic social consequences. The "priesthood of all believers," the repudiation of a spiritual difference between clergy and laity, the need for each individual to develop a personal relationship with Christ, the irrelevance of the sacramental and legal structure of the church in gaining salvation, the equal sanctity of all honorable vocations, and the demand that all Christians have access to the Bible as God's proffered word were more than religious stands. They were points of departure for a social and cultural transformation. However much Luther opposed social disobedience and denounced a peasant's revolt in Germany that cited his work, the Reformation was, as later Catholic counterrevolutionaries described it, an invitation to level down. Or, as James I of England responded to a suggestion that the Presbyterians be allowed to form the state church in England, "no bishop no king."
       
       But the revolution advanced by Protestant thought did not lead to perpetual revolution. Rather, Protestantism contributed to the bourgeois civilization out of which constitutional republics, limited monarchies, and free-market economies all came, directly or indirectly. Numerous scholars have explored this relationship, and one distinction to be made among them is between those who argue from unintended consequences and those who do not. Clearly in the first category is the great German sociologist Max Weber, who in 1893 examined the connection between Calvinist moral theology and the "capitalist spirit." According to Weber, Calvinists did not set out to accumulate wealth or to reinvest it for profit. They moved in this direction because their search for signs of divine grace, together with their belief in the equal dignity of all vocations, predisposed them toward commercial and banking activities. By serving God selflessly in their work and prospering, they were able to convince themselves of their predestined grace. And instead of practicing monastic discipline, as in Catholic cultures, Calvinists carried ascetic habits into middle-class roles, living abstemiously and cultivating the Protestant work ethic.


       
Protestantism and Subjectivism
       
       Against this view of unintended consequence, others have contended that Protestants laid the foundations of modern society more deliberately. Thus Hegel argued that Protestants created a modern consciousness by stressing the "subjectivity" found in the New Testament. Although individual self-awareness was always present as a value in that text, historical conditions did not favor its emergence as a dominant religious value until the sixteenth century.
       
       More recently, American social historian Benjamin Nelson has linked the beginnings of sustained banking capitalism to the rejection of the Hebraic ban on taking interest. Nelson finds this view emphatically stated in Calvin's Institutes and presents Calvin as the first biblical exegete to distinguish commercial investment from loans made to the destitute. It was only the latter, Calvin properly observed, that is forbidden in Deuteronomy. On a similar note, Troeltsch had ready commented on the opening of society to commercial activity caused by the Protestant assault on medieval Christendom. Not the result of any single theological reinterpretation, this change occurred because of a general attack on the Christian-Aristotelian worldview and on the sacramental hierarchy it undergirded.
       
       In a detailed study of Protestantism's unintended consequences, Weber noted the changed view of nature and work produced by the Reformation, particularly by the Calvinist teachings of, among others, Weber's own French Protestant ancestors. The Calvinist search for signs of divine election, maintained Weber, not only nurtured the psychology and practice of capitalism but enforced the belief that the world existed for the sake of the elect, who could both comprehend and exploit nature and society. Weber saw rationalism and secularism as two consequences of Calvinist moral theology. Confronting a divinely created world that, according to Genesis, was placed at the disposal of mankind, and hoping to relate that world to one's personal spiritual experience, Weber's Calvinist tried to make the outside world fit his own needs as one of the elect. The Calvinist observer felt no sense of mystery in the presence of nature but rather viewed it as something to be mastered in glorifying God and enhancing his own certainty of salvation.
       
       Moreover, the Protestant stress on reading and discussing the Bible did not lead to the contempt for intellectual analysis shown by Luther when he referred to Reason as the "Devil's whore." On the contrary, Protestant biblicism contributed to mass literacy and democratically organized churches that would define their own doctrines. A frequently heard opinion among historians is that the Russians never underwent political modernization, because they neither experienced nor were significantly influenced by the Protestant Reformation. This opinion seems highly plausible if one looks at the unintended as well as intended results of that development.

 

A Momentum for Change
       
       On the other hand, it may be argued that Protestantism has included a momentum of change that by now may be hard to stop. In The Sociology of Religion, Weber explored this problem almost a century ago. The forces created or intensified by the Reformation that had resulted in a bourgeois commercial society would continue to promote change, not all of it congenial to the middle-class beneficiaries of an older Protestant culture. The exploration of a demystified nature, the shift of religious life from the community to the individual, and a general suspicion of hierarchy eventually led in a direction hostile to bourgeois institutions.
       
       All of this, it might be concluded, has indeed come to pass in Protestant societies, as can be inferred from family disintegration, the cult of technology, and the rise of modern bureaucracies and states as family planners and providers. Such observations must be qualified by pointing out that the Protestant reformers would have been as horrified by this situation as the medieval schoolmen. Until recently Protestants stressed moral rigor and family virtue at least as strongly as did Catholics. But Protestant societies were less organic, while Protestant morality centered more on individuals than on families and inherited community. And the believer's view of his life as the "pilgrim's progress," to borrow the title of the most important Protestant classic, helped give birth to a specifically modern doctrine of progress, associated with the subduing of nature and the spread of moral and technical knowledge. The Protestant's world went from being a test of the elect to a material object that one feels free to tamper with.
       
       In the face of these unintended Protestant consequences, Catholic philosophers Nicholas Capaldi and Nino Lingiulli have made the ironic observation that American ethnic Catholics may be closer to bourgeois Protestantism than anyone else. Having absorbed Protestant attitudes as a result of Americanization, Catholic peasants who came to the United States--and even more their descendants--took over distinctly Weberian values. The Calvinist work ethic, a more individual and more interior religiosity than that present among their ancestors, and uneasiness with the formalities of Catholic worship are all characteristic of these Protestantized Catholics. But unlike the members of the Protestant majority culture, such Catholics have still not completely abandoned their communal sense--nor their fascination with bourgeois virtues.
       
       Still, one may wonder how much longer this American Catholic insulation will work. If the Latin and Slavic Catholic character of American immigrants could be modified once, by Protestant characteristics, why can't the same process continue to work change? Why should those who have been exposed to it and absorbed part of it resist Protestant culture in its later radicalized phase? Likewise, why should millions of Asians who converted to Protestantism and often represent a stern Victorian form of it remain embedded in that particular form? Why shouldn't Chinese and Korean Presbyterians and Methodists be overtaken by the forces that have already overwhelmed Western Protestantism? Cultural lags do get overcome--and not always for the best..


Paul Gottfried is a senior editor of the Modern Thought section of The World & I and author of The Search for Historical Meaning: Hegel and the Postwar American Right.

[The World and I (New York), February, 1999]

lundi, 23 février 2009

La modernité s'épuise, l'histoire continue

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SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

Noël RIVIÈRE & Pierre LE VIGAN:

La modernité s'épuise, l'histoire continue

On s'accorde à considérer qu'il y a crise du lien social. Cette crise est celle de l'ensemble des formes de ce lien: le politique, le religieux, la représentation du beau, la place de l'homme dans le monde. L'individualisme et l'utilitarisme - la conjonction des deux - sont à l'origine de cette crise. La génèse de l'utilitarisme a été bien éclairée par les travaux de Louis Dumont. Mais la crise du lien social survient avec retard par rapport au déploiement des nouvelles valeurs. Le nouvel état d'esprit rationnel et utilitaire se déploie en plusieurs vagues. La première se traduit par une révolution des consciences.

 

L'individualisme en est le fruit.  Il marque l'entrée dans l'ère de la subjectivité.  Dans celle-ci, l'important est l'histoire individuelle de chacun. Lucien Sève a appelé cela "la révolution biographique". Elle prend son essor vers le 14ème siècle, au moment où nous entrons, selon l'expression de Pierre Chaunu, dans le système du monde plein. L'homme commence alors à se poser en s'opposant: aux autres et au monde. Le premier aspect est une constante de l'histoire; le recul du holisme donne toutefois aux affrontements une forme differente. C'est principalement dans le second aspect que réside la nouveauté, dans une volonté de maîtriser le monde. Plus, de le domestiquer. Cette volonté a pour origine une peur nouvelle du monde. Car c'est au moment où l'homme commence à prendre la mesure de l'immensité cosmique qu'il se sent abandonné par un Dieu unique qui ne joue pas le rôle d'intercesseur et de partenaire qui était celui des anciens dieux.

 

Au 5è siècle ap. J-C, Augustin établit dans La cité de Dieu les bases de ce que l'on appelera l'augustinisme politique: a) existence d'une société surnaturelle distincte de la société terrestre, b) caractère légitime des institutions politiques (même quand les souverains sont païens), c) pouvoir séculier détenu par les évêques representant la providence divine.

Augustin allie la raison et l'argument d'autorité: il faut comprendre pour croire. Au 9ème siècle, Scot Erigène précise: "nisi crediteritis, non intelligetis". Le pseudo-Denys, Maxime le Confesseur, les néo-platoniciens font de la raison un adjuvant majeur de la foi. En mettant la raison au centre des valeurs, en l'affirmant comme outil de l'autonomie terrestre et de la séparation de l'homme et de la nature, la pensée chrétienne crée les conditions d'une prochaine sortie de la religion. Thomas d'Aquin tente de réinstaurer le rapport de la foi et de la raison sur un mode moins impératif: Dieu n'a pas à être prouvé par la raison selon Thomas, il se prouve parce que l'homme existe - qui est sa créature. Le sujet humain peut connaître l'erreur, mais non Dieu. La raison humaine est admise implicitement comme pouvant être faillible; il est toutefois possible de comprendre Dieu à partir du monde, en mettant la pensée au travail, en s'élevant, à partir de la connaissance de la nature, par l'analogie, vers l'universel, jusqu'à la conclusion de l'existence de Dieu. Le rapport entre l'être et l'existence est le rapport d'un acte à une puissance, l'être actualisant la puissance - qu'Heidegger appellera le Dasein (=l'étant). Thomas développe ainsi une thématique qui s'oppose à celle d'Augustin et de Bonaventure pour qui il y a immédiateté de l'évidence de Dieu. Bref répit. La tentative thomiste de stabilisation des rapports de la religion et de la raison est aussitôt mise à mal.

Notamment par Duns Scot. Celui-ci critique à la fois le néo-platonisme augustinien (et la théorie de l'"illumination divine") et un aristotélisme représenté par Thomas et le philosophe arabe Avicenne (980-1037). Pour Duns Scot, démontrer l'existence de Dieu n'est pas tâche théologique mais métaphysique. Cela revient à démontrer la possibilité pour un être infini d'exister. Mais si la métaphysique peut conclure à l'existence de cet infini, elle ne peut le comprendre. Duns Scot postule ainsi une absence de passage entre le plan de l'être, accessible par la métaphysique, et le plan de Dieu, relevant de la théologie (cf. Hervé Rousseau, la pensée chrétienne, PUF, 1973); il s'inscrit dans le prolongement de la thèse de Boèce (début du VIè siècle ap. JC) selon laquelle "toutes les catégories changent de sens lorsqu'elles sont appliquées à Dieu". En postulant aussi que la volonté de connaissance est préalable à l'existence de l'intellect, Duns Scot autonomise la volonté, ouvrant ainsi la voie au renforcement d'un individualisme déjà présent dans le thème de la Révélation.

 

Guillaume d'Ockham développe un point de vue très proche du scotisme en écrivant: "il ne saurait y avoir supposition en dehors d'une proposition". Pour  Ockham, l'existence de Dieu est improuvable. Il considère, ainsi que Duns Scot, que c'est un credibilia. Il approfondit ainsi le fossé entre Dieu et l'être qui date d'Augustin. Etre et existence sont pensés comme tous deux causés, créés par Dieu. Il n'y a pas de participation de l'homme au divin via le biais d'une participation à l'être.  L'objet de la théologie est de constater Dieu, tandis que l'objet de la philosophie est de prouver le monde. Dans celui-ci, ne sont réels que les objets particuliers, position qui caractérise un nominalisme (ou terminisme) opposé à la recherche des essences ou des universaux. Le bien, le beau, l'amour sont ainsi sans statut, et sans réelle existence. Le seul universel est extra-humain: c'est Dieu.

 

En séparant radicalement l'étude du monde et celle de Dieu, l'ockhamisme, illustré notamment par Buridan et Nicolas d'Autrecourt, ouvre la voie à une étude du monde "débarrassée" de la présence divine. Il inaugure (indépendamment de l'avatar historique que constitue les condamnations du nominalisme) le conflit entre science et spiritualité, dont l'affaire Galilée est le symbole. Il renforce la mise en minorité de la nature dans la pensée chrétienne - c'est-à-dire dans la pensée dominante. Les nominalistes, dans le même temps qu'ils affirment l'autonomie de la raison et de la volonté, libèrent le champ pour une éclosion du mysticisme dans la sphère religieuse, comme le note justement H. Rousseau (op. cit.).  D'où un foyer de tensions et de déséquilibres lourd d'explosions.

Le critique d'art Lionello Venturi écrit à partir du cas italien les lignes suivantes - qui sont valables pour l'ensemble de l'Europe: "A partir de Saint-François, c'est-à-dire à partir du 13è siècle, les italiens ne s'intéressent plus à la théologie comme avant; ils rêvent d'une fraternité humaine et aiment les choses terrestres avec un renouveau d'émotions qui projette le Christ et son action dans la vie journalière de l'homme, c'est ce qui donne naissance au 15è siècle à une foi nouvelle en l'homme. On exalte l'homme comme le centre de l'univers et on le divinise" (cité in André Amar, l'Europe a fait le monde. Histoire de la pensée européenne. Présence Planète, 1966). Il y a dans ces lignes tous l'optimisme préliminaire à la modernité. Mais aussi beaucoup d'inconscience.

 

Le conflit ouvert entre science et spiritualité après Thomas est un approfondissement du clivage augustinien entre Dieu et l'être. Il reste ouvert tout au long du développement des sciences. Il oppose par exemple Descartes et Newton. Le premier assigne à l'homme la mission de constituer une "science universelle" et de se rendre "maître et possesseur de la nature". Aussi, quand Glucksmann situe Descartes "à l'origine d'un humanisme négatif", il faut comprendre: à l'origine d'une conception dans laquelle l'homme n'accroit son être que dans la mesure où il nie l'être du reste du  monde. A l'inverse de Descartes, Newton refuse la vision mécanique de la nature imprégnée de la raison et développe une conception théiste de la science. Bien que ses thèses scientifiques soient d'une valeur incontestablement supérieure à celles de Descartes, Newton représente une ligne de pensée minoritaire dans le mouvement des idées. Car s'agrandit le fossé entre Dieu d'une part, l'être, le monde, l'homme et la philosophie d'autre part. Cette étape est bien caractérisée par Lukàcs, dont Reinhard Mocek résume ainsi le point de vue sur cette période: "L'Ecriture n'est pas concernée par la science moderne, mais, en conséquence, la science ne peut plus procurer ce qui encore paraissait dans les oeuvres de Bacon et de Galilée: la certitude de l'être! Plus la science accomplit de progrès important, et plus les doutes apparaissent béants" (De Hegel à Lukàcs, le problème de l'ontologie, La Pensée, n°268, 1989). Spinoza est représentatif de cet état d'esprit. Il écrit: "J'ai acquis l'entière conviction que l'Ecriture laisse la raison absolument libre et n'a rien de commun avec la philosophie". En clair, un partage des rôles: d'un coté, l'Ecriture, qui relève de la foi, de l'autre, le monde, qui relève de la libre raison. Etape nouvelle dans l'assomption de la raison: Spinoza estime que celle-ci, outre la qualité d'autonomie, a la capacité de s'appliquer à l'examen des Ecritures elles-mêmes. Dans le même temps, l'amour de Dieu doit naître de la connaissance des lois "claires et distinctes" de la nature, ce qui ouvre la voie à un théisme scientiste. La religion comme la science sont déjà entrés dans l'ère post-chrétienne même si les mots pour le dire sont ceux du christianisme. 

 

Le déplacement de la question de Dieu hors du champ de la philosophie est alors chose acquise pour quelques siècles. Kant le confirme, à la suite notamment de Berkeley (1685-1753) et du cardinal Bellarmin (1542-1621). Le noyau de ses conceptions est résumé ainsi par Lukàcs: "on ne saurait reconnaitre la moindre valeur ontologique à aucune de nos connaissances du monde matériel" (cité in R. Mocek, art. cit.). Si le kantisme constitue la pointe extrème de la rationalisation du christianisme, une inversion se produit simultanément qui est la déchristianisation du rationalisme. Hegel tente de restaurer l'identité entre théologie et philosophie, en supposant que dialectiquement l'Esprit s'aliène dans la matière, puis se reconnait enfin en lui-même. Ecrivant que "l'essence de la nature ne concerne en rien l'extérieur", Hegel défend l'idée que la nature se manifeste "en tant qu'unité du monde" (Hans Heinz Holz, in La Pensée, n°268, mars-avril 1989). L'éclatement de la postérité d'Hegel en multiples courants montre que, là encore, la stabilisation des rapports religion-science sur la base du christianisme n'est pas viable. Le philosophe et protestant Schleiermacher pose bien le problème au milieu du 19è siècle (Lettre à Lücke, cité in H. Rousseau, op. cit.): "Le noeud de l'histoire devra-t-il se dénouer ainsi: le christianisme du côté de la barbarie, et l'incrédulité du côté des sciences ?... Si la Réformation, des débuts de laquelle est issue notre Eglise, n'a pas pour but d'établir un pacte perpétuel entre la foi vivante et la recherche scientifique libre, accomplissant son travail en toute indépendance, de sorte que la première n'entrave pas plus la seconde que celle-ci n'exclut la première, alors la Réforme ne satisfait pas aux besoins de notre époque, et il nous en faudra une autre, quels que puissent être les combats qui seront nécessaires".

++

Francis Fukuyama remarque: "Le désir (de reconnaissance) et la raison suffisent à eux deux pour expliquer le mouvement de l'industrialisation, et plus généralement une bonne partie de la vie économique" (La fin de l'histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992). Le désir de reconnaissance est de fait un puissant moteur d'action à partir du moment où les individus se voient précisement comme tels, c'est-à-dire séparés du groupe (1). En ce sens, la démocratie libérale constitue la forme politique la plus adéquate pour l'économie de marché. Par l'égalité des droits civils et civiques, elle transfère le désir de reconnaissance - le thymos (2) - dans la seule sphère économique, faisant de celle-ci le champ privilégié des affrontements et des affirmations individuelles. "La force de l'économie libérale, écrit Fukuyama, est d'utiliser la démocratie (...) comme sa ruse. C'est cette égalité des droits qui maximise l'investissement dans la compétition au sein de la sphère du travail" (op. cit.). La situation peut ainsi être résumée avec justesse par l'historien de l'économie François Caron: "Le fondement réel du libéralisme politique est le libéralisme économique. Ils sont indissociables" (Le débat, n°68, 1992). Le rôle de l'économie libérale, c'est-à-dire de l'économie libérée (de toute entrave), est aussi bien vu par Jean-Pierre Dupuy, l'auteur d'un ouvrage sur "Le sacrifice et l'envie". Il affirme: "L'économie contient la violence aux deux sens du verbe contenir: elle lui fait barrage mais elle a cette violence en elle" (entretien accordé à Vendredi, 11 décembre 1992).

Mais l'économicisme ayant affaibli la capacité des sphères politiques et culturelles d'exister en propre et d'être productrices d'identités individuelles et collectives, l'économie est sommée de produire elle-même ces identités. D'où le développement de l'esprit d'entreprise (3), l'utilisation des valeurs du militantisme dans certains secteurs professionnels (on parle par exemple de militants du développement local, de militants des énergies propres, etc), la vogue des histoires d'entreprises. Fukuyama n'a rien inventé. Hobbes, dans Le Léviathan, exprime bien cette idée de désir de reconnaissance consécutif à l'éclatement des représentations collectives: "(...) chaque homme tient à ce que son compagnon l'évalue au même prix qu'il s'estime lui-même". Et cette recherche subjective de la reconnaissance rencontre un critère objectif formulé un siècle plus tard par le grand philosophe de l'utilitarisme Hume: "Ce qui est vrai, c'est ce qui réussit".

 

Nous en sommes là: au stade de l'utilitarisme et de l'assimilation du vrai au rationnel. La raison a triomphé de ses ennemis, d'où une "mélancolie" rationaliste apparentée à la "mélancolie démocratique" de Pascal Bruckner. La course à la reconnaissance est la règle. Mais c'est parce que c'est produit un basculement global des visions du monde. Kant pensait qu'"une communauté authentiquement humaine n'est pas constructible sur le mensonge". La société moderne est simplement construite sur l'oubli de l'être. Ce n'est forcément plus rassurant. Cet oubli a entrainé la déchristianisation; et c'est en même temps le christianisme qui, dés l'origine, en est porteur. Marcel Gauchet a résumé cet aspect des choses en une formule vive: "Le christianisme aura été la religion de la sortie de la religion" (le désenchantement du monde, Gallimard, 1985). Au service des pouvoirs pour construire son pouvoir, l'Eglise a contribué à identifier l'irreligion à la maîtrise du destin terrestre et du destin social des hommes, sapant ainsi les bases de la croyance à mesure que l'outil de la raison, par elle valorisé, faisait apparaître qu'il n'est de connaissance du monde que ne soit une intervention sur le monde. C'est dans la "modeste, imperceptible bifurcation de l'augustinisme politique" que M. Gauchet situe le pas à partir duquel s'engage la dissolution de l'histoire proprement chrétienne. C'est donc au moment où le christianisme se rigidifie du point de vue des pratiques et de l'idéologie que nous amorçons notre sortie de l'age religieux. Il se produit alors ce que l'on peut nommer éclipse du sacré ou retrait du divin. "Avec le retrait de Dieu, remarque M. Gauchet, (...), le monde, d'intangiblement donné qu'il était, devient à constituer" (op. cit.). Le champ est par là pleinement ouvert à une laïcisation de l'éthique. Celle-ci, comme l'avait bien vu La Mettrie, comportait une possible dimension émancipatrice: abandon des "fausses vertus traditionnelles (humilité, pitié, remords, repentir), et revendication d'une sagesse matérialiste tournée vers la vie terrestre et son affirmation" (Olivier Bloch, le matérialisme, PUF, 1985, p. 73). Mais le retrait de Dieu par accomplissement de la promesse chrétienne d'avênement de la raison aboutit aussi à dévaloriser le monde en le transformant en pur champ d'expérimentation, et à se tromper sur l'homme en le rabattant sur la nature - méconnaissant que "la nature de l'homme, c'est de n'en avoir point" (Arnold Gehlen). La modernité est contradictoire. Et c'est pourquoi l'éclipse du sacré est réversible.

La vision antique était la suivante: au dessus des dieux, le monde. La vision chrétienne fut: au dessus du monde, Dieu. Résultat: un monde sans Dieu et une raison devenue dieu.  La vision de demain pourrait être: au dessus des hommes, le monde; avec le monde (nés avec), les dieux, et avec les hommes, la raison, pour comprendre, agir, intervenir. Et accepter le monde.

 

 

Noël RIVIERE et Pierre LE VIGAN

_______________________

(1) Jean Saint-Geours, dans Moi et nous (politique de la société mixte, préface de P. Bérégovoy, Dunod, 1992) tente de définir une troisième voie entre le holisme pur - qui s'énoncerait "nous" - et l'individualisme - qui s'énonce "moi et eux".

(2) De thymos, on déduit l'isothymia, désir d'être reconnu comme égal, et la mégalothymia, désir d'être reconnu comme supérieur. Le thymos est aussi l'ardeur spirituelle, celle qu'évoque Nietzsche qand il parle de l'homme comme de "la bête aux joues rouges".

(3) voir les remarquables analyses de Jean-Pierre Le Goff, le mythe de l'entreprise, La Découverte/essais, 1992. J-P Le Goff définit l'idéologie de l'entreprise, "une de ces petites idéologies qui ont fleuri sur l'ère du vide", comme fondée sur l'idée que "l'homme doit s'investir totalement dans le travail". Cette idéologie renforce selon lui la "souffrance au travail et le désarroi ambiant" (cf. son entretien in Courrier cadres, 27 novembre 1992).

 

jeudi, 19 février 2009

Comment utiliser à bon escient l'expression "postmodernité"?

 

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1989

Comment utiliser à bon escient l'expression «postmodernité»? Pourquoi cette nébuleuse intellectuelle est-elle proche de notre courant de pensée?


par Robert STEUCKERS

Explication: ce texte a servi d'introduction et d'annonce à une conférence de Robert Steuckers devant le public sélectionné du "Cercle Héraclite" à Paris, qui constituait le noyau du G.R.E.C.E., émanation principale de la "Nouvelle droite" en France. A la demande de Charles Champetier, promu directeur du département "Etudes et Recherches" de cette association à vocation métapolitique, Robert Steuckers revenait travailler au sein de ce groupement, après l'avoir quitté, dégoûté, suite aux évictions scandaleuses de Guillaume Faye et Jean-Claude Cariou. Son objectif était de soutenir la volonté de rénovation du jeune Charles Champetier, qui, d'étudiant plein de bonne volonté et de bonnes intentions, allait lentement "pourrir" au sein de cette secte pour se voir contaminé par tous les travers du gourou que Pierre-André Taguieff a justement défini comme "polygraphe et doxographe". Le texte qui suit est paru dans le bulletin interne du G.R.E.C.E., peu avant la conférence de Steuckers, qui eut lieu en juin 1989. A ce titre, il revêt une certaine valeur historique pour qui voudra encore se pencher sur l'historique de la secte métapolitique que fut le G.R.E.C.E. avant de périr sous les contradictions, atermoiements, pusillanimités et trahisons de son faux-derche emblématique de gourou. Plus généralement, il montre que la dite secte n'a pas embrayé sur les interrogations philosophiques de l'époque, n'a pas travaillé correctement sur le plan métapolitique et n'a pas arraché les éléments valables du discours et du questionnement post-modernes à la nouvelle gauche néo-libérale. On voit le résultat: le gourou a été totalement marginalisé et le néo-libéralisme n'a plus d'adversaire si ce n'est une gauche confite dans ses archaïsmes. Le gourou, par narcissisme, par égomanie, a loupé le coche. C'est un vrai doxographe. Taguieff avait raison!


La finalité de la conférence itinérante que je donnerai au cours de ce printemps dans diverses villes d'Europe, c'est de re­plonger notre courant de pensée dans le débat philosophique actuel et de montrer que nos intuitions les plus anciennes ca­drent avec les innovations les plus récentes du microcosme des philosophes.

Dans un numéro récent de la revue Criticón, Armin MOHLER, dont les conseils et les directives nous ont toujours été si utiles, nous exhorte à lire et à potasser un ouvrage de 1987, dû à la plume de Wolfgang WELSCH et consacré aux multiples débats tournant autour de la postmodernité (Unsere postmoderne Moderne, Acta Humaniora, Weinheim, 1987). Le mérite de WELSCH, c'est d'avoir enfin clarifié le con­cept de «postmodernité» et d'avoir classé les linéaments de ce phé­nomène sur un mode pédagogique.

In nuce, voici ce que WELSCH nous démontre dans son ouvrage:


1) La postmodernité, ce n'est pas la posthistoire, ni l'«hypertélie» de Baudrillard, où l'on pose un diag­nostic pessimiste, en disant que l'histoire s'est arrêtée, que nous sommes encroûtés dans l'obésité trans­historique. La postmodernité n'admet pas ce pessimisme outrancier.


2) La postmodernité, ce n'est pas non plus la société postindustrielle. Cette dernière conserve le grand projet de faire le bonheur des masses en produisant et en commercialisant des biens de consommation en quantités énormes. Telle que l'a théorisée le sociologue américain Daniel BELL (cf. Guillaume FAYE, «Les néo-conservateurs américains» in Orienta­tions n°6), cette société postindustrielle est marquée par une mutation technologique: le passage des technologies hard (industrialisme sidérurgique, extraction du charbon, etc.) aux technologies soft (informatique), couplé à une «révolution culturelle» escapiste, qui se perd dans un esthétisme irréalitaire et «distrait» nos contemporains, tout en alimentant leurs fantasmes de tous ordres. Ancien libéral (au sens américain du terme) devenu néo-conservateur, BELL constate la fail­lite du grand projet bonheurisant des libéraux et des marxistes, mais il en a la nostalgie; il ne veut pas renoncer à ses promesses et à ses acquis et craint que la sphère culturelle, perçue comme anarchisante, ne précipite le monde dans un chaos néo-mé­diéval. Les postmodernes, eux, ne s'encombrent pas de telles peurs parce qu'ils pensent et agissent selon des logiques mul­tiples et non plus, comme BELL, sur un mode unitaire, monologique (même si BELL, en opposant la logique indus­trielle à la logique culturelle con­statait de facto qu'il y avait au moins deux logiques).


Ensuite, WELSCH a le mérite de nous suggérer une chronologie cohérente de l'évolution intellectuelle de l'Europe. Pour lui, la modernité, c'est la vision-du-monde qui démarre avec le grand projet de «mathesis universalis» de Descartes, relayé par les mythes de l'âge des Lumières, de l'Aufklärung. C'est effectivement à cette époque que l'individualisme bourgeois fait irruption dans le droit, avec les révolutions américaine et française (cf. Louis DUMONT), que la sphère du politique se «moralise» en paroles et s'ensauvage dans le concret (exterminations des «pas moraux»: Vendéens, Indiens d'Amérique, Fédéralistes lyonnais et autres récalcitrants), que naissent les grands programmes idéologiques dont nous souffrons encore (libéralisme économique de la «main invisible» et de la «concurrence parfaite», «équilibres» des pensées économiques de RICARDO et MARX). Cet espoir de voir se réaliser, en des jours meilleurs, dans un futur utopique, un «équilibre idéal», c'est ce que défendent aujourd'hui les principaux adversaires de notre courant de pensée: HABERMAS, les néo-libéraux qui ont colonisé étroitement les droites françaises, les adeptes du «réarmement théologique» (pour qui la main invisible d'Adam SMITH est une instance régulatrice, dé­tachée du concret comme le Yahvé biblique tonne au-dessus des hommes), les néo-individualistes anti-holistes (Alain LAURENT), etc.


Devant la modernité en marche au XVIIIième et au XIXième siècles, les romantiques se révoltent sans toutefois pouvoir opposer une épistémologie scientifique suffisamment étayée pour réfuter les assises de la physique newtonienne et, par­tant, le projet philosophique cartésien qui en découle. Comme seule pré­vaut la physique déterministe, physique des choses inanimées, le romantisme, malgré son épistémologie botaniciste/organique, ne parvient pas à secréter un contre-monde, basé sur une vision radicalement alter­native. Nietzsche, lui non plus, ne parviendra pas à ébranler les certitudes de la mo­dernité, malgré son style et ses aphorismes visionnaires. La rupture, selon Welsch, est consommée quand apparaît, à l'aube de notre siècle, la physique relativiste d'un Heisenberg ou d'un Gödel. La structure intime des faits physiques ne cor­respond plus, désormais, à un schéma figé, stable, équilibré: derrière l'apparente stabilité des choses, se profile un chaos synergétique, où évolutions et involutions se côtoient. Les explorations les plus récentes des physiciens contemporains (Prigogine, Haken, Mandelbrot, etc.) ont confirmé cette vi­sion d'un chaos synergétique sous-jacent. Dès lors, les idéolo­gies politiques, les «grands récits» (Lyotard) de la modernité politique, sont basés sur des postulats infirmés par la science. Du coup, notre sphère poli­tique, marquée soit par le libéralisme soit par le marxisme, s'avère désuète, obsolète, inadéquate.


Pour Welsch, la seule postmodernité qui soit acceptable sur le plan intellectuel, c'est celle qui prend le re­lais de l'épistémologie des sciences physiques et cherche à en transposer les découvertes dans la philoso­phie et dans la vie quoti­dienne. Face à cette postmodernité précise, nous trouvons, explique Welsch, une postmodernité anonyme et une postmo­dernité diffuse. La PM anonyme, ce sont tous les courants de pen­sée, toutes les philosophies qui enregistrent et acceptent la structure chaotique/synergétique du monde, sans toutefois revendiquer l'appellation «postmoderne». La PM diffuse, c'est l'ensemble considérable des opinions hétéroclites qui se baptisent «postmodernes» pour être dans le vent et pour justifier des fan­tasmes de toutes natures.


En Allemagne, aujourd'hui, la pensée officielle, la seule qui soit tolérée, c'est celle qui répète les postulats de la modernité en les napant d'une sauce nouvelle. Pour sortir de cette impasse, de jeunes philosophes font soit appel à l'irrationnel pur et brut, soit opèrent un détour par les philosophes français contempo­rains, inspirés par Nietzsche et Heidegger. En effet, dans la philosophie française contemporaine, nous trouvons, souvent derrière un vocabulaire à première vue abscons, des linéaments nietzschéens ou des linéaments calqués sur le chaotique/synergétique de la physique nouvelle. C'est le cas chez Deleuze, Guattari, Foucault et Derrida. Notre courant de pensée doit s'approprier impérativement les éléments de nietz­schéisme présents dans les thèses de ces philosophes car nous assistons au phénomène suivant: les tenants du néo-uni­versalisme actuel sont en train de les larguer, de les démoniser, de les assimiler pure­ment et simplement à notre vision-du-monde, laquelle, bien sûr, ils condamnent sans appel. Dans deux ouvrages récents, deux vulgarisateurs du néo-universa­lisme, Luc Ferry et Alain Renaut signalaient que Deleuze, Foucault et Derrida avaient, ô scandale, proclamé la «mort de l'homme», la «fin du sujet» (lisez: l'individualisme occidental), et avaient hissé «le vitalisme au-dessus du droit».


Devant tous ces faits d'histoire de la pensée, la tâche d'un mouvement métapolitique comme le nôtre, c'est de transposer les acquis de la physique contemporaine dans le domaine de la philosophie, de les greffer sur les corpus des sociologies organiques et vitalistes, puis de propulser cette audacieuse synthèse dans la vie quotidienne, c'est-à-dire dans le politique, l'organisation de la Cité, le droit, l'économie, etc. Rien ne sert de sombrer dans le pessimisme; au contraire: le travail qui nous attend, dès cet instant même, est énorme et fascinant. Au bout de nos efforts, il y aura incontestablement la victoire.


Robert STEUCKERS,

janvier 1989.

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samedi, 14 février 2009

Sixty-Eighters

 

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Sixty-Eighters

Tomislav Sunic

From Italy to France, from Germany to England, the post-World War II generation is now running the show. They have traded in their jeans and sneakers for political power. Thirty years ago, they rocked the boat at Berkeley, in Paris, and in Berlin; they marched against American imperialism in Vietnam, and supported the Yugoslav dictator, Josip Broz Tito, and his "socialism with a human face." They made pilgrimages to Hanoi, Havana, and Belgrade, and many of them dressed in the Vietcong's garb, or Mao's clothes. A certain Bimbo named Jane Fonda even paid a courtesy visit to North Vietnam and posed for a photo-op with her rear on a communist howitzer. This generation protested against their wealthy parents, yet they used their fathers' money to destroy their own welfare state. A burning joint passed from hand to hand, as Bob Dylan croaked the words that defined a generation: "Everybody must get stoned."

This was a time which the youth in communist countries experienced quite differently. Prison camps were still alive, deportations were the order of the day from the Baltics to the Balkans, and the communist secret police--the Yugoslav UDBA, the Romanian Securitate, the East German Stasi, and the Soviet KGB--had their hands full. European 68ers did not know anything about their plight, and they simply ignored the communist topography of horror.

Back then, the 68ers had cultural power in their hands, controlling the best universities and spreading their permissive sensibility. Students were obliged to bow down to the unholy trinity of Marx, Freud, and Sartre, and the humanities curriculum showed the first signs of anti-Europeanism. Conservatives concentrated all of their attention on economic growth, naively believing that eliminating poverty and strengthening the middle class would bring about the renaissance of the conservative gospel.

Today, the 68ers (or "neo-liberals" or social democrats") have grown up, and they have changed not only their name, but also their habitat and their discourse. Their time has come: Now they hold both cultural and political power. From Buenos Aires to Quai d'Orsay, from 1600 Pennsylvania Avenue to 10 Downing Street, they sit in air-conditioned executive offices or in ministerial cabinets, and they behave as if nothing has changed. Perfectly recycled in stylish Gucci suits, wearing expensive Bally shoes, sporting fine mascara, the 68ers pontificate about the global free market. They have embraced their former foe, capitalist entrepreneurship, and have added to it the fake humanistic facade of socialist philanthropy.

They have drawn up a hit list, filled with the names of senile individuals from distant countries who have been accused of "war crimes" and must be extradited to the 68ers' kangaroo courts. Seldom, if ever, do they acknowledge the millions of victims of communism, documented recently by Stephane Courtois in Le livre noire du communisme. Nor do they wish to face their own role in communist genocide. And why should they? Their decades-long civil disobedience resulted in the downplaying of communist horror and legitimized the Gulag. While the 68ers did not play a direct role in Beria's, Yagoda's, or Tito's ethnic cleansing, they were useful idiots. If today's caviar left were to open the Pandora's box of the Gulag, Augusto Pinochet would look like a naughty little scout from boot camp. The best way to cover up their own murderous past is to sing the hymns of human rights and to lecture on the metaphysics of permanent economic progress.

The 68ers and their well-clad cronies are the financial insiders now, speculating on stocks, never hesitating to transfer megabucks to Luxembourg via the Cayman Islands or, better yet, to do some hidden wheeling and dealing on Wall Street. They no longer spout nonsense about equality and social justice for the Vietcong, Congolese, or Tibetans, nor do they indulge in academic rantings about socialist utopia. And why should they? Today, the time is ripe for their gross corruption, veiled, of course, in the incessant rhetoric of multiculturalism. The 68ers have won: The world belongs to them.

But for how long? The 68ers have inherited a massive financial burden, much of it the result of government spending on the various programs that they once took to the streets to demand. At the same time, their work ethic pales next to the rugged individualism of their hard-working predecessors. From Germany to France, from Italy to England, they may excel in a liberal mimicry of capitalism, which in practice translates into the rise of a handful of the very rich and an ever-larger mass of the working poor. But who will foot the tab? No country can be run by humanitarian decrees. When push comes to shove, good leftist intentions mean nothing: The voters can kick the 68ers out of office just as quickly as they brought them in.

Many conservatives in Europe misunderstand the true nature of the modern left and its socialist offshoots. These conservatives naively assume that the cultural war will be won through political elections. They believe that political power (that is, the army, police, and diplomacy) will keep the country together and circumvent or circumscribe leftist influence. This is a dangerous and possibly fatal mistake, not just for the conservative cause, but for European civilization. The political power held today by the former 68ers is being institutionalized through legal restrictions on freedom of speech, of thought, and of research. Germany, Belgium, France, and other European countries have already passed strict laws forbidding young scholars to pursue open and honest research in certain touchy areas of modem history. Passages from the German Criminal Code bring to mind the Soviet comrade Vishinsky: They are not what we expect of a free and democratic country.

Many conservatives have failed to realize that political power must always be preceded by cultural power, and afterwards strengthened by an incessant media war. In our age of video, of hologram Hitlers, of sound-bite political lingo, the one who adapts the fastest to the changing world is bound to win. The 68ers realized long ago that one needs to infiltrate universities, publishing houses, and schools before storming the White House. For three decades, leftist scholars have diligently dished out their marxophille dogma to gullible students in Europe. Their progeny have grown up and are well positioned to follow suit.

If conservatives ever wish to surface again, they must resolutely commit themselves to fighting the cultural revolution by grooming highly sophisticated, highly intelligent journalists and scholars, and by coaching young people to defend the heritage of Europe. Conservative political leaders must realize that the culture is the only battleground on which cultural and political hegemony can be snatched away from the hydra of 68ers. Consider this: Conservatives can still boast of some prominent political leaders, yet the universities, schools, and the media are totally controlled by the left.

Conservative intellectuals in Europe are too differentiated, and they often suffer from pathological vanity and obsessive   individualism. Although they are sometimes wrongly accused of being populists, conservatives are incapable of whipping the young masses into a frenzy, or of creating militants ready to storm street barricades. Most conservatives don't understand how to articulate their own message. It is impossible to get three conservatives to work together: Each will immediately wish to prove that he is the best. Cultural conservatives still don't recognize their true enemy, much less know how to beat him. Frequently, they quarrel among themselves about their own nationalist victimology, or push their tribal dogmas to the extreme--always, of course, to the benefit of the international left. To be a conservative should not merely mean being frightened by postmodernity, or savoring one's provincial "rootedness," or wearing thick horn-rimmed glasses, or attending Sunday school lessons. Some great conservatives were agnostics, or pagans, or modernists, or revolutionary thinkers. By contrast, today's conservatives have failed to address the social question of workers, and therefore, their turf has been stolen by the former 68ers, who are more versed in promising a glorious future.

What is to be done? Young conservatives, especially those with a solid background in the humanities, must start demystifying the leftist-liberal mythology. They must not gullibly imitate their teachers in the corrupt academy. After all, many self-proclaimed scholars are often half-wits with little knowledge of the drama of life, and they can easily be beaten on their own ground. In order to unseat the leftist-liberal political class and its pseudo-intellectual acolytes, young conservatives must resort to the same strategy that the left has pursued: Take to the cultural barricades, but to defend European civilization, rather than to tear it down.

And conservatives should not forget the ancient wisdom: Beat your leftist neighbor with his own weapon. Where it hurts the most.

[Chronicles, March 1999]

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dimanche, 01 février 2009

Contradictions et abîmes de la communication de masse

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - PUNTO Y COMA (Madrid) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Mars 1988

Contradictions et abîme de la communication de masses

 

par Javier ESPARZA

 

Traits caractéristiques de la modernité: exigence de communication, nécessité d'une transparence, demande d'un flux libre d'informations. A  contrario, la post-modernité se caractérise, entre moults autres choses, par une critique  à l'encontre de cette communication de masse, par des doutes à l'endroit de la transparence, par l'inquiétude face au débordement du flux informatif. Cette communication qui, depuis le XVIIIème siècle était considérée comme un facteur de libération, nous apparaît désormais comme un instrument de domination. D'énormes contradictions sociales et culturelles naissent de l'information de masse et surtout depuis l'application des techniques modernes de communication. La télévision s'assied sur le banc des accusés. Pourtant, jamais inculpé ne fut aussi sûr de se tirer si facilement d'affaire: l'Occident accuse la communication de masse tout en regardant un vidéo-clip. Narcisse est de retour mais cette fois il ne s'agit pas d'un jeune homme qui admire son reflet dans les eaux calmes d'un étang mais d'une masse informe qui égratigne l'écran de ses téléviseurs en essayant d'atteindre ce qui, pour elle, a déjà cessé d'exister: la réalité, l'histoire, la vie.

 

La société de l'information

 

Ce nouveau monde qui naît avec l'explosion des techni-ques de communication et la culture de masse a reçu le nom de "société de l'information".  Les ter-mes contemporains "société post-industrielle" et "so-ciété post-moderne" ou "Nouvelle Société de Con-sommation" (Faye) sont peu à peu utilisés de-puis la moitié des années 70 pour désigner les so-ciétés occidentales en tant que réseaux de flux in-for-matifs: Daniel Bell, Alvin Toffler, S. Nora et Alain Minc, James Martin, J. McHale, Yoneji Misuda ou J.Naisbitt, entre autres, ont popularisé le concept.

 

En Espagne, l'un des premiers à introduire ce terme dans le monde universitaire en tant qu'objet d'étude  —et à éditer des travaux à ce sujet—  a été Francisco Javier Bernal. Salvador Giner accorde une cer-taine importance à ce terme; pour lui, "le faisceau de phénomènes évoqué par l'expression “société de l'information” est d'une telle ampleur qu'il faut se de-mander s'il n'est pas en train de se forger ce que, traditionnellement, on avait coutume d'appeler un “mo-de de production”, un mode de domination et un or-dre culturel distincts, sous ce nom, sous un terme proche ou sous un synonyme". Pour Giner, ce "fais----ceau de phénomènes" serait constitué de la télé-matique, de l'informatique, de la microélectronique, de la robotique, de l'intelligence artificielle, etc. Il ne cite pas d'éléments aussi décisifs que la multipli-ca-tion de l'offre propre à la télévision (chaînes privées, antenne parabolique) ou la publicité. De toute façon, pour Giner, l'expression "société de l'information" n'est qu'"une candidate de plus, parmi d'autres expressions également attirantes, à la définition de ce qui est essentiel aux étapes futures de la modernité".

 

Bien que l'on puisse douter que la modernité (en tant que telle) soit encore à même de nous offrir des "pha-ses futures", l'importance croissante de l'information au sein des structures socio-économiques de l'Occident est indiscutable. D'après Román Gubern, au cours des trente dernières années de ce siècle, le  sec-teur électronico-informatique a dépassé celui des in-dustries lourdes comme la pétrochimie et l'auto-mo-bile. Pour l'an 2000, on estime que, dans les pays  développés, 90% de la population active tra-vaillera dans le secteur des services et la moitié de ces personnes dans des systèmes d'information ou  des réseaux informatisés. Cette conséquence pra-ti-que de l'extension de l'univers médiatique se con-ju-gue, d'autre part, avec une légitimation sociale (et mê-me psychologique) de son utilisation: dans une so-ciété atomisée et individualiste, les média joue-raient le rôle (et c'est ce qu'ils font effectivement) de "thérapeutes sociaux" de l'individu, en essayant de compenser la carence d'une communauté réelle.

 

Universalisation et résistance

 

Comme l'écrivent Faye et Rizzi, "les média sont l'une des causes majeures de l'isolement individuel actuel mais, en même temps, leur fonction et leur pré-tention sont d'y apporter un remède. Facteurs d'a-tomisation  -une atomisation  dont la société de con-sommation a besoin pour survivre- ils se pré-sen-tent pourtant à nous comme des antidotes contre l'ato-misation". Nous pourrions dire que la "so-ciété de l'information" est celle dans laquelle la so-ciété est remplacée par l'information ou, plus pré-ci-sément, cel-le dans laquelle la transmission technique de l'in-for-mation joue le rôle que la société elle-même déte-nait auparavant: définition d'objectifs, normation de rè-gles de conduite, imposition culturelle de modè-les, de formes de production économique, d'échelles de valeurs morales…

 

Les conséquences sont évidentes: la société dispa-raît, s'évanouit dans le réseau technique de la com-mu-nication de masse. Les cosmovisions particu-lières et enracinées sont remplacées par  une culture de masse homogène qui met fin aux cultures tradition-nel-les. La  communication se met ainsi au service du néo-colonialisme post-industriel et de la cosmopolis marchande. Comme l'affirme le publicitaire David Vic-toroff, "grâce aux images de marque, la publicité tend à construire de nouvelles  valeurs symboliques, communes à la totalité du groupe social, et ce, sur les ruines des systèmes de valeurs et de symboles  ca-ractéristiques des sous-groupes particuliers". Un nou-vel imaginaire collectif, universaliste, s'ins-tal-le dans nos sociétés à l'abri de ce que Abraham Mo-les a appelé "l'opulence communicationnelle". Mais ce-la ne se passe pas sans résistances. Un fort cou-rant cri-tique verra dans la communication de masse —et concrètement dans la communication techni-que—  un abîme insondable vers lequel notre so-ciété se précipite inéluctablement.

 

Le regard de la Méduse

 

Evidemment, les critiques qui s'adressent à la com-munication de masse prirent leur envol bien avant l'usage généralisé des moyens technologiques les plus sophistiqués. Dans les années 40 et 50, une cer-taine critique que, par convention, nous appele-rons "de gauche", a accusé la publicité et la propagande d'asservir les masses: Max Horkheimer, Theo-dor W. Adorno, Dwight MacDonald, Irving Ho--we ou Leo Löwenthal, voyaient, dans la cul-tu-re de masse, un facteur de création d'une "fausse cons-cience" dans les classes populaires, qui annulait leur puissance révolutionnaire et les intégrait dans un système d'exploitation; au fond, ils ne critiquaient pas la communication de masse mais son utilisation sociale.

 

La perspective de droite, qui leur était antérieure, était différente, elle ne critiquait pas tant la commu-nication que son caractère massif et technique, com-me on peut le voir chez Ortega y Gasset ou Carl Schmitt. Entre les années 60 et 70 et malgré ces cri-ti-ques, la communication de masse s'est développée à une vitesse incroyable et elle ne manqua pas de pro-tecteurs pour la légitimer: tantôt on alléguait la pos-sibilité d'une rétroaction et d'une rétroalimenta-tion (feed-back) qui affirmait que le récepteur pou-vait con-tester le message en agissant selon son libre ar-bitre; tantôt on disait que, grâce à la communi-ca-tion de masse, l'homme moderne pouvait se déta-cher de la terre à laquelle il était lié et entrer dans une société où il manifesterait librement ses goûts cultu-rels. Ce fut là la position défendue notamment par Edward Shils, Herbert Gans, Raymond Williams, Hans M. Enzensberger ou même Walter Benjamin. Parallèle-ment, et à partir du développement à grande échelle de moyens audiovisuels, des auteurs apparaissaient qui se montraient ouvertement criti-ques envers la TV: Jerry Mander écrivait ses célè-bres Quatre arguments pour éliminer la Télévision  qui jouirent d'une influence notable. La télé-vi-sion devenait le prin-cipal accusé. Il y a quelques an-nées, David Mata identifiait l'effet paralysateur de la télé au regard terrifiant de la Méduse mythique.

 

La culture de masse serait intimement liée à la démocratie bourgeoise

 

Nonobstant, ses défenseurs continuent à insister: pour beaucoup d'entre eux, la culture de masse est in-timement liée à la modernité occidentale, à la civi-li-sa-tion marchande et à la démocratie bourgeoise. Dans cet agencement complexe, faire abstraction d'un élément impliquerait l'oubli des autres. De là, di-verses tentatives visant à concilier démocratie et technologie communicationnelle. C'est notamment l'ob-jectif poursuivi par Manuel Castelles sur le plan  de l'informatique; pour cet auteur, les nouvelles techno-logies, qui, effectivement, favorisent le con-trô-le du citoyen par l'Etat, pourraient agir inver-sé-ment en informatisant les procédés de l'Admi-nis-tra-tion et en les ramenant au niveau du citoyen, favo-ri-sant ainsi une transparence publique toujours plus grande.

 

Pourtant, ces espoirs de "démocratisation" sont peu nombreux, que nous parlions de la TV, de l'infor-ma-tique ou de la publicité (tout cela forme la "société de l'information"). Christopher Lasch pense que la cul-ture de masse, propre des sociétés modernes, ho-mo-généisée comme elle l'est, n'engendre abso-lu-ment pas une mentalité éclairée et indépendante mais, au contraire, la passivité intellectuelle, la con-fu-sion et l'amnésie collective.

 

Le message de Baudrillard

 

En fait, le problème ne réside pas dans ce que dit l'ins-trument de masse mais dans la manière dont il agit et dans les effets qu'il crée. Comme l'écrit Jean Bau-drillard: "Le message de la TV n'est pas consti-tué des images qu'elle transmet mais des nouveaux modes de perception et de relation qu'elle impose: le changement dans les structures traditionnelles de la famille et du groupe. De plus, dans le cas de la TV et des mass-media modernes, ce qui est perçu, assi-mi-lé, consommé,  n'est pas tant le spectacle que la vir-tua-lité de tous les spectacles. La vérité des moyens de masse est donc la suivante: sa fonction est de neu-traliser le caractère vivant, unique, événémentiel du monde pour le remplacer par un univers multiple de medias homogènes les uns par rapport aux autres en tant que tels, qui ont de la signification les uns pour les autres et qui renvoient les uns aux autres. En dernière instance, les médias deviennent le contenu réciproque les uns des autres -et c'est là que se trouve le message totalitaire d'une société de consommation".

 

C'est pour cette raison que toute analyse de la médiation technique ne peut se réduire à une simple posologie, ni se limiter à formuler son "utilisation idéale". Les média ne dépendent pas uniquement de la manière dont on les utilise. D'une certaine façon, c'est comme s'ils étaient supérieurs à leur propre instrumentalisation.

 

Information et inhibition

 

La fonction que, dans la culture politique dérivée de l'Il-luminisme (des "Lumières"), on attribuait à l'information, c'était de créer une opinion publique ca-pa-ble de discuter les problèmes de gouvernement, de choisir judicieusement ses gouvernants et de décider librement ce qui convenait ou non à la société. On pré-tendait ainsi créer un espace de liberté   à la base, per-mettant la coexistence démocratique. Les lois ré-gis--sant la presse, en vigueur au siècle passé et au dé-but de ce siècle, obéissaient à cette logique. Jürgen Ha--ber-mas a rapporté tout cela de manière fort ex-haustive dans Strukturwandel der Öffentlichkeit .

 

Mais, tout comme la naissance de l'information est liée au commerce, à la banque et au pouvoir éco-no-mique, son développement a continué à dépen-dre de ce type ou d'autres types de pouvoir. Ainsi, au XXè-me siècle, l'information se met au service d'une relation "offre-demande" qui sature  le récep-teur: d'abord, il l'inonde de discours au point de le transformer en automate, puis il le bombarde d'in-for-mations jusqu'au moment où il ne répond plus et se noie dans l'indifférence. On est passé du désir de participation, encore vivant dans la modernité, à l'in-hibition complète des masses.

 

L'hypersollicitation et l'implosion du sens

 

Et cette situation débouche sur une grave contra-dic-tion sociale: "Partout, on cherche à faire parler les mas-ses", écrit Baudrillard, "on les presse d'exister so-cialement, électoralement, syndicalement, sexuellement, dans la participation, dans la fête, dans l'ex-pression libre, etc. Il faut conjurer le spectre, et qu'il dise son nom. Rien ne montre avec plus d'éclat que le seul véritable problème aujourd'hui est le silence de la masse, le silence de la majorité silencieuse". Et plus on insiste, moins de résultats l'on obtient. La mas-se ne participe pas, non qu'elle ne le veuil-le pas mais parce que cela lui importe peu. L'in-formation n'a jamais connu un tel développement et pourtant le narcissime moderne, comme l'explique Li-povetski, "apparaît comme une forme inédite d'a-pathie, faite de sensibilisation épidermique au monde en même temps que d'une indifférence profonde en-vers celui-ci, paradoxe qui s'explique partiellement par la plé-tho-re d'informations qui nous accablent et par la rapidité avec laquelle les événements traités par les mass-média se succèdent, empêchant toute émo-tion durable". L'individu actuel est com-plè-tement indif-fé-rent au monde qui l'entoure, non parce qu'il ne le con-nait pas mais parce qu'il le connait trop: "L'in-dif-férence  postmoderne  -poursuit Lipo-vetski-  l'est par excès, non par défaut, par hy-persollicitation, non par privation".

 

Ce comportement a une explication anthropologique. D'après Arnold Gehlen, l'excès d'informations en-traîne un effet de "sollicitation excessive" provoquant une insensibilité progressive; le procesus de per-te de sens ne cesse donc de s'accentuer. Toute l'in-géniosité dont l'homme fait preuve pour structu-rer le monde en fonction des signaux qu'il en per-çoit, finit par disparaître (ou s'amenuise considé-ra-ble-ment) lorsque ces signaux se succèdent à une vi-tese et dans une quantité telles qu'il ne peut plus les appréhender. Aussi toute possibilité de signification dis-paraît-elle devant l'omniprésence de ce que  Kon-rad Lorenz a appelé la "formation indoctrinée" et qui constitue un de nos huit péchés capitaux (Cf. Les huit péchés capitaux de notre civilisation,  Flam-ma-rion).  Et ainsi, l'idée de la participation, issue des "Lu-mières" devient, à travers l'information, à l'ère de la technique, une pure chimère; l'indifférence dé-truit le vieux rêve de la raison. Pour parler comme Bau-drillard, le sens implose.

 

Sociabilité et narcissisme

 

On observe une contradiction lorsque nous passons au domaine des comportements en société et à la ré-per-cussion qu'a, sur eux, la communication de mas-se. Dans l'optique moderne de la communicaiton, c'est un lieu commun de dire que celle-ci sert à en-ve-lopper ce que l'on appelle en sociologie le "pro-ces-sus de socialisation"; en d'autres mots, il s'agit des pro-cessus grâce auxquels l'individu apprend à s'in-té-grer dans la société qui l'entoure. Les théories les plus récentes  —surtout après la condamnation des to-ta-litarismes par l'Ecole de Francfort—  prétendent que cette socialisation est libre et accroît le sens criti-que de l'individu vis-à-vis des valeurs sociales do-mi-nantes.

 

Dans cette perspective, l'information devrait jouer un rôle important puisqu'elle dote l'individu des élé-ments de jugement qui lui sont nécessaires pour se mouvoir de manière critique parmi les valeurs de sa société. Cependant, non seulement on n'observe pas une plus grande intégration de l'individu mais il sem-ble même que, plus l'individu reçoit d'infor-ma-tions, plus il ressent des difficultés à "se socialiser", à s'intégrer dans la vie sociale.

 

La critique développée par les conservateurs fait fré-quemment allusion à une "crise des valeurs" qui fe-rait de la société contemporaine un lieu indésirable et dangereux. Pour Lipovetski, une telle carence des va-leurs n'existe pas, on assiste plutôt à la prédo-mi-nan-ce d'une valeur suprême, celle de l'individu et de son "désir de se réaliser", d'"être libre dans la me-sure où les techniques de contrôle social déploient des dispositifs de plus en plus sophistiqués et hu-mains". C'est cette valeur suprême, née pré-ci-sément de l'hypervaloration du sens critique de l'in-dividu fa-ce à la société qui fait que l'individu s'isole et se fa-çonne une sorte de petit monde ambiant. "Le sen-ti-ment communautaire —écrivent Faye et Rizzi—  dis-paraît. L'Autre devient une abstraction. Les capa-ci--tés de sociabilité s'évanouissent. De nombreuses en-quêtes ont démontré jusqu'à quel point la télé a con-tribué à l'extinction des formes de vie com-mu-nau-taires. L'homme moderne ne sait plus ce qu'est l'en-vironnement, cette communauté de proches qui lui est éthologiquement   indispensable".

 

Culture de masses et infra-culture

 

Une des fonctions primordiales attribuée par la cri-ti-que illuministe à l'information était de faire parvenir la vérité (la raison, la lumière) au plus grand nombre possible d'êtres. Elle pourrait garantir le bonheur de l'homme  dans la mesure où elle lui permettrait d'ac-cé-der, de plus en plus, à la connaissance du monde. Mais le résultat en a été fort différent. Non seule-ment on n'a pas accédé à la connaissance du monde mais plus on prétend accroître l'audience d'un mes-sa-ge, moins le niveau culturel en est élevé. Il existe une proportion inverse entre la hauteur des messages culturels et l'ampleur possible de l'audience. Plus le message est élevé, moins il y a de gens pour le com-prendre. Plus on veut jouir d'une large audience, moins le niveau du message devra être élevé. D'une cer-taine manière, il s'agit d'une incompatibilité entre ce qui est étendu et ce qui est intense.

 

De cette situation découle un abaissement général du niveau culturel. D'après Habermas, "les effets de la com-munication de masse sont culturellement régres-sifs". Pour Régis Debray, "les mass-media as-su-rent la plus grande socialisation de l'ignorance pri-vée". Bau-drillard conclut: "L'information, au lieu de trans-former la masse en énergie, produit en-core plus de masse".

 

L'origine de ces dysfonctions se trouve dans deux théo-rèmes du système de pensée moderne. Le pre-mier est la croyance que l'ordre naturel de la vie (et, partant, de la culure également) fonctionne comme un marché: le meilleur produit culturel, comme le meil-leur homme politique ou la meilleure brosse à dents, sera celui qui suscitera l'unanimité la plus gran-de dans le public.

 

De la Vox populi à "l'effet Coluche"

 

Le deuxième théorème (nous pourrions presque dire "mythème") est celui qui donne origine au premier, comme à toutes les constructions théoriques qui concernent l'"opinion publique" et que l'on peut résu-mer par une expression ancienne: Vox populi, vox dei,  "la voix du peuple est la voix de Dieu", expres-sion qui possède un sens quand, par peuple, on en-tend communauté, mais également un sens fort dif-fé-rent si, par peuple, on entend classe productrice (en termes chers à Dumézil: la troisième fonction). La bourgoisie a fait ample usage de cette expression à partir du XVIIème siècle en lui attribuant un sens qui corresponde à ses aspirations. Comme dit Julio Ca-ro Baroja, "nous avons tant de raisons de penser que la voix du peuple est la voix de Dieu que d'esti-mer que c'est la voix du Diable ou la voix des imbéciles".

 

Nous connaissons bien le résultat de cette manipu-la-tion: quantitativement, l'opinion d'un acteur ou d'un présentateur suscite plus de considération que celle d'un professeur, d'un philosophe ou d'un scientifi-que, non en raison de la personnalité du sujet mais en raison de sa fonction sociale, qui consiste à di-vert-ir  le particulier. En France, on a appelé ce phé-no-mène "l'effet Coluche",  du nom de ce pitre qui, grâ-ce à un discours hyper-humanitaire, prétendit de-ve-nir Président de la République. Quand cette logi-que se transplante sur le terrain culturel, la culture, com-me le politique ou le social, devient une marchandise.

 

Transparences et stratégies

 

Le quatrième cauchemar qui angoisse la société mé-diatique provient du rêve irréalisé de la raison: l'im-possibilité de transparence dans la communicaiton entre êtres humains. Toutes les idéologies des XVIIIè-me et XIXème siècles soulignaient la néces-sité d'élucider, en prenant la raison comme base, le réseau complexe de la vie, en abandonnant les cro-yan-ces irrationnelles et superstitieuses et en accédant à un niveau supérieur, celui de la connaissance trans-parente, par le truchement de laquelle les hom-mes parviendront à la compréhension rationelle, tout en dialoguant sans aucun préjugé.

 

Sur le plan politique, cette situation s'est traduite dans la transparence administrative; sur le plan inter-per-sonnel, la transparence se manifeste dans l'ab-sence de formalités, dans le tutoiement, dans l'indis-crétion. On doit tout connaître; s'y opposer, c'est agir contre la raison. La société de la communication totale n'est que le stade ultime de cette soif de transparence; pour Baudrillard, le processus historique qui domine avec la société médiatique est "cette lon-gue voie vers une traductibilité totale", chemin qui est celui de "la transparence superficielle de toutes les choses, de leur publicité absolue".

 

Cependant, la vie n'est pas transparente, les hom-mes non plus et, par conséquent, la communication ne peut l'être. La psychologie (surtout la psycho-lo-gie jungienne et la néo-jungienne) a prouvé à quel point, dans l'esprit de chaque homme, on trouve des prédispositions déterminées qui rendent totalement opaque son intimité ultime; et, simultanément, ces prédispositions agissent de telle sorte que cet homme aborde l'autre interlocuteur de front comme s'il s'a-gissait d'un combat. Ces attitudes ont été appelées "stra-tégies" bien que la majorité d'entre elles soient inconscientes.

 

L'Ecole de Palo Alto

 

Les théoriciens de l'Ecole de Palo Alto (Bateson, Watz-lawick) ont démontré de quelle manière tout co-de de communication est en soi "un régulateur de relations de pouvoir" inséparable du système culturel auquel il appartient. Les éthologistes en ont donné une bonne explication. La transparence n'existe pas et encore moins dans les milieux de masse, où la règle est la stratégie du communicateur. De cette ma-nière, une stratégie faisant face à une stratégie, la com-munication dans la société de masses devient un flux circulaire de discours irréductibles. Le con-sen-sus est une illusion. Jürgen Habermas a essayé d'es-qui-ver cet écueil en proposant un  "horizon commu-ni-catif" qui pourrait faciliter le consensus à l'ombre de la Raison Universelle. Cette attitude ne relè-ve que d'une pure accélération dans le vide car si quel-que chose démontre bien l'impossibilité de la trans-parence, ce quelque chose,  c'est précisément l'inexis-tence d'une telle raison.

 

Expériences de seconde main

 

Le problème ne se situerait pas dans la communi-cation mais, comme on l'a noté auparavant, dans le canal technique de masses, dans la mesure où celui-ci isole l'individu de la réalité en l'empêchant de l'ex--périmenter. De cette façon, l'homme "technifié" est un autre type d'homme dont les capacités pour la perception et pour une assimilation de la réalité sont fort différentes de celles de l'homme qui vivait il y a seulement quelques générations. Cette mutation an-thro-pologique est facilement perceptible aujourd'hui chez les enfants. "L'enfant est abandonné dans un con-texte permissif, seul et libre  face aux médias et aux appareils électroniques. Il erre parmi une jungle de signes, qu'il peut comprendre  techniquement mais dont il n'obtient aucune sens.  Il devient un néo-primitif.  Drogué par les médias, il voit sans ces-se un écran artificiel dressé entre lui et le mon-de… Il faut craindre que les générations qui ont re-çu ce type d'éducation ne soient plus capables d'é-valuer la réalité, de décoder le monde extérieur: la pas-sivité collective naît de l'abrutissement individuel".

 

Serait-il saugrenu de mettre ceci en relation avec l'in-dice élevé d'échecs scolaires que l'on peut noter parmi les générations éduquées, dès leur plus jeune âge, devant le téléviseur? La communication média-ti-sée par la technique crée des expériences de seconde main  dont l'effet se devine: culturellement involutif et individuellement domesticateur.

 

Déréalisation et fragilité

 

C'est l'anthropologue allemand Arnold Gehlen qui a vu à quel point l'hypermédiatisation ne laissait sub-sis-ter de la vie que ces expériences de seconde main. Gehlen signale que, sans expérimentation directe, l'hom-me cesse de s'auto-construire. Il tombe dans un état de dépendance psychologique. Les sociétés oc-ci-dentales, par conséquent, se trompent en se cro-yant mûres; elles ne se rendent pas compte de leur extraordinaire fragilité physiologique, fragilité qui les laisserait sans recours si, subitement, les techni-ques de médiatisation venaient à manquer. "Aujour-d'hui, tout est sens dessus dessous: les media sup-pri-ment facilement le vécu et le symbolisent de ma-niè-re incomplète. De là, une fragilité plus grande de l'homme contemporain face à la mort, le combat, la peine, la crise collective…".

 

Tout cela crée des mentalités très particulières. Une de celles-ci, peut-être la plus frappante, est l'attitude qui se situe à mi-chemin entre le nihilisme et le stoï-cisme que Mario Perniola croit discerner dans le mou-vement punk. Ce mouvement serait un ré-sul-tat du bombardement médiatique et de l'indifféren-ce qui en découle. Il naît ainsi un comportement de refus aveugle et passif, dépourvu de sens mais qui, de temps à autre, se fait bruyamment entendre. Tout ce-la provient de l'impossibilité du système mé-dia-tique à fabriquer la réalité et à la doter de sens. Comme l'explique Baudrillard, "la demande d'ob-jets et de ser-vices peut toujours être suscitée artifi-ciel-lement… mais le désir de signification, quand il est absent, le désir de réalité, quand il se met à man-quer de tous côtés, ne peuvent être comblés et cons-ti-tuent un abîme définitif". Nous sommes plon-gés dans cet abî-me. La technique nous y a mis; et la technique ne nous laisse pas en sortir. Le problème se situe-t-il dans la technique elle-même, dans son es-sence, dans son utilisation sociale ou, même, dans la manière de concevoir la technique et la commu-nication?

 

Le problème de la technique

 

Carl Schmitt disait que "culturellement, la technique aveugle". En effet, si elle ne rend pas aveugle, il est in-discutable que la technique moderne, appli-quée à la communication, amenuise considéra-ble-ment les ca-pacités de l'homme à appréhender le mon-de. Tout me-dia, tout élément que nous utilisons pour intercé-der entre nous et le monde, modifie no-tre perception de celui-ci et même la relation physio-lo-gique que nous entretenons avec lui. Le cerveau prend note de cette modification et la met en prati-que, il la fait se répercuter dans le comportement or-ga-nique.

 

Ce processus s'est déroulé avec la première hache en silex et se répète exactement de la même façon avec l'ordinateur: le nouveau système de médiation conti-nue à exercer des transformations sur l'organisme et le psychisme. En réalité, la différence se situe dans le fait que les nouveaux médiateurs ont remplacé les précédents avec une rapidité inouïe (il n'a fallu qu'une génération) et dans le fait que leur pouvoir quantitatif de transformation de l'organisme puisse toucher toutes les cultures d'un seul coup.

 

Konrad Lorenz a examiné ce phénomène avec une inquiétude explicite: "Si le développement culturel poursuit sa course à une vitesse supérieure à celle du développement phylogénétique et, malgré tout, obéit à des lois similaires, il est très probable qu'il (le dé-veloppement culturel) puisse mener à une phylogé-nè-se allant dans son sens, c'est-à-dire, dans une di-rec-tion similaire. Vu les circonstances de notre or-dre technocratique mondial, cette direction semble con-dui-re, sans nul doute, vers le bas".

 

L'analphabétisme informatisé des handicapés réceptifs

 

Ces nouvelles formes de mass-médiatisation accen-tuent la distance qui nous sépare de la "nature", mais, en plus, elles nous éloignent également de no-tre corps. Il ne s'agit pas seulement qu'apparaisse ce que Joseph Weizenbaum appelle l'"analphabétisme informatisé", c'est-à-dire, l'analphabétisme de ceux qui sont considérablement incultes sur le plan géné-ral mais très compétents en informatique  —c'est ce qu'Ortega y Gasset a appelé la "barbarie du spécia-liste". Le problème ne se situe pas non plus unique-ment dans le fait que —comme l'écrit Ri-cheri— "l'usage de l'ordinateur favorise une repré-sentation linéaire et non dialectique de la réalité et in-hibe la capacité critique de celui qui l'utilise".

 

Le véritable problème, la question réellement préoc-cu-pante que soulève la technique d'information de mas-ses, en tant qu'intermédiaire entre nous et le mon-de, est qu'elle nous éloigne de notre propre cer-veau, de notre propre capacité à donner forme au mon-de que nous voyons et à créer les modèles permettant de l'appréhender. Faye et Rizzi écrivent: "Nous pouvons déjà voir à quel point les individus nés dans un environnement hyper-médiatisé (environnemental et audiovisuel) sont des handicapés ré-cep-tifs, équipés de gadgets technologiques qui leur per-mettent de survivre".

 

Nous avons créé des formes de connaissance qui se développent plus rapidement que nous, qui nous sup-plantent et qui nous convertissent en êtres limités par rapport à un état antérieur. La communication de masse, au sein d'une société dans laquelle dominent le quantitatif, l'hédonisme et la conception marchan-de de la connaissance, se transforme en un facteur me-naçant de décomposition. D'une certaine façon, c'est comme si nous devions reculer organiquement alors que nous sommes allés si loin d'un point de vue technologique. Qui a parlé de progrès?

 

La technique pour quelles valeurs?

 

Cependant et comme on l'a déjà signalé, il serait er-ro-né de faire endosser à la technique la respon-sa-bi-li-té de tous les maux. Toutes les théories définissant la technique comme un "mal", oublient que le fait techni-que est consubstantiel à la nature humaine et que l'homme ne serait pas homme sans ces éléments techniques, qu'il s'agisse du char à bœufs ou du té-les-cope. Pourtant, il serait naïf de croire, à l'instar de certains courants libéraux et marxistes, que la techni-que est un élément neutre en soi, et que tout dépend de son utilisateur et de ses objectifs, en pré-sup-poant que la technique sera bonne si on l'utilise au nom du progrès et mauvaise si on l'emploie pour exercer une domination  ou quelque chose de sem-bla-ble. Ce point de vue est naïf car, d'abord, de nom-breux crimes ont été commis au nom du progrès et, ensuite, parce qu'un des traits caractéristiqes de la technique dans le monde moderne est d'être, en soi, un instrument de domination, en marge de celui qui l'utilise.

 

La solution serait peut être de voir dans la technique un fait de civilisation, la manifestation d'une manière déterminée de voir le monde; cette manifestation peut revêtir l'une ou l'autre forme ne dépendant pas de l'utilisateur mais de l'ordre des valeurs dominant. D'a-près Heidegger, dans le monde grec, la techni-que avait une fonction révélatrice de la réalité,  de con-naissance, mais pas de domination du monde (ou du moins de faible domination, de domination sans possession); dans le monde moderne, au contraire, elle a une fonction exclusive de domination et toute connaissance s'y subordonne. Ce changement d'une conception à une autre est, de fait, parallèle à l'essor des conceptions modernes pour lesquelles toute l'his-toire est une ligne ascendante qui conduira l'hom-me à la domination du monde et au bonheur, dans une utopie universellmeent réalisée. C'est pré-ci-sément la même idéologie progressiste, indivi-dua-liste et universaliste qui a donné naissance à toutes les contradictions mentionnées ci-dessus.

 

En effet, toutes les dysfonctions qui affectent la so-ciété de l'information ne constituent pas tant un pro-duit direct de la communication à travers la techni-que, qu'un résultat, celui d'une manière déterminée de comprendre le monde. Une façon de comprendre le monde définie par l'individualisme, l'universa-lis-me, la tendance à l'homogénéisation, la foi aveugle   dans la raison et la science, le sens quantitatif des cho-ses, la prétention progressiste à faire advenir une utopie rationnelle. Une manière de comprendre le mon-de qui, en termes généraux, correspond à ce que nous pourrions appeler "idéologie de la modernité" et qu'aujourd'hui, on nous désigne comme une idéologie largement hétérotélique  où la distance en-tre l'objectif à atteindre et le but réellement atteint est énorme.

 

Vers l'implosion finale?

 

Et comme cet abîme est incontournable, la commu-ni-cation technique essaie de le surmonter en offrant des simulacres,  des farces, le spectacle  omniprésent de "ce qui devrait être". En vain. L'individu cher-che, dans les media,  le "monde ouvert", la "so-ciété transparente" dont on lui parle. Il ne trouve rien. Et  comme plus il se sent isolé, plus il s'a-bandonne aux media, "sa personne, disent Faye et Riz-zi, se ferme dans l'illusion dramatique de l'ouver-ture… Pareils à des mouches enfermées dans un bo-cal renversé, les individus s'efforcent de toucher ce monde extérieur,  cette société ouverte,  qu'ils voient mais qui n'existe pas".

 

Ainsi, il s'agit d'un problème de conception du mon-de. Et concrètement, la question de savoir com-ment dépasser la vision moderne du monde. Des solutions? Peut-être n'y en a-t-il pas. Peut-être cela exi-gerait-il des efforts et des volontés collectives qui ont déjà disparu de notre civilisation. Peut-être, par conséquent, serons-nous condamnés à voir, sur no-tre téléviseur, le simulacre gigantesque de ces socié-tés qui, dépourvues de tout sens historique et de tou-te capacité de mobilisation, ont perdu la possibilité de s'auto-représenter et attendent l'implosion finale  comme  ultime et définitif spectacle - mais qui sera peut-être le plus beau.

 

Javier ESPARZA.

(texte tiré de  Punto Y Coma n°8, 1987. Traduction française de Nicole Bruhwyler).

 

Adresse de  Punto y Coma, Apartado de Correos 50.404, E-28.080 Madrid.

 

Bibliographie:

 

Nous renvoyons le lecteur à l'édition originale de ce texte pour les références espagnoles. Ci-dessus, le lec--teur trouvera une bi--blio-graphie succincte, se rap-portant au thème et son exploi-ta-tion.

 

Daniel BELL, Les contradictions culturelles du capitalisme, PUF, Paris, 1979.

John NAISBITT, Megatrends. Ten New Directions Trans-for-ming Our Lives, Futura/Mac Donald, London/Sidney, 1984.

Régis DEBRAY, Le pouvoir intellectuel en France,  Ramsay, Pa-ris, 1979.

Gilles LIPOVETSKY, L'ère du vide. Essais sur l'indivi-dua-lisme contemporain,  Gallimard, Paris, 1983.

Jürgen HABERMAS, Strukturwandel der Öffentlichkeit, Luch-ter-hand, 1962-80.

Jean BAUDRILLARD, La société de consommation,  Galli-mard, coll. "Idées" n°316, 1974.

Jean BAUDRILLARD, A l'ombre des majorités silencieuses ou la fin du social,  Utopie, Paris, 1978. 2ème éd.: Denoël/ Gon-thier, coll. Médiations n°226, Paris, 1982.

Christopher LASCH, Le complexe de Narcisse. La nouvelle sensibilité américaine,  Robert Laffont, Paris, 1981.

Guillaume FAYE et Patrick RIZZI, "Vers la médiatisation totale", in: Nouvelle Ecole, n°39, automne 1982.

 

mardi, 27 janvier 2009

Pinoch : Un mito moderno

 

 

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Pinocho: Un mito moderno

 

por Primo Siena / http://www.arbil.org

Las aventuras de Pinocho nos proporcionan un mito actual y, al mismo tiempo, perpetuo. Es decir, el mito que encierra el destino eterno e inmutable del hombre en la expresión simbólica de la realidad, el mito que exprime la realidad espiritual y existencial del hombre en el cosmo.

"Te envío esta chiquillada; haz lo que tú quieras". Así escribía Carlos Lorenzini, inventor de Pinocho, al enviar el primer capítulo de la "Historia de un muñeco" al director-gerente del Diario de los Niños que se imprimía en Roma en el año 1881.

 

Sin embargo, Carlos Lorenzini - quien desde 1860 ya escribía bajo el seudónimo de Carlos Collodi, por ser Collodi el pueblecito de Toscana donde había nacido su madre - en aquel entonces no imaginaba de componer una obra maestra. Pero el libro, nacido por necesidades económicas de su autor y, casi por broma, se convertiría, a lo largo del tiempo, en el libro más traducido después de la Biblia hasta alcanzar fama universal.

 

La universalidad de la fama de Pinocho deriva del hecho que esta historia de un muñeco gusta tanto a los adultos como a los niños; tanto es así que justamente se ha observado que esta obra maestra de literatura para niños, más que ser leída por los niños, es leída a los niños por los adultos.

 

Otros han destacado que Pinocho es un libro dirigido a los adultos, sólo con la excusa de que está escrito para niños.

 

Opinamos que es inútil discutir si Pinocho sea un libro para adultos o para niños. Más bien se puede decir que este libro toma la realidad de la vida disolviéndola en lo fabuloso y en lo mágico; y por lo tanto encierra costumbres, modalidades y símbolos de todo un pueblo; símbolos aflorados desde un Inconsciente Colectivo que - de acuerdo con el psicólogo Jung - envuelve cada ser humano, sin distinción de edad.

 

Desde esta perspectiva es posible y plenamente legítima una lee tura analógica y metafórica -y no sólo lógica y racional- de las aventuras de Pinocho bajo distintos puntos de vista.

 

El simbolismo del muñeco Pinocho

 

El primer significado simbólico nos lo proporciona el protagonista de la historia: el mismo muñeco Pinocho. En efecto, Pinocho está hecho de madera, y la palabra madera tiene su origen en la palabra latina materia, a través de la cual los latinos se referían, precisamente, a la madera para la construcción. Pero la misma palabra madera comparte su raíz con la palabra latina mater, es decir: la madre que es la matriz de la vida. Pinocho entonces no tiene sólo un padre, como todos opinan y que es Geppetto, maestro de madera; él tiene también una madre: la madera que es su matriz y desde la cual sale el muñeco, así como el niño sale desde el útero de su madre natural.

 

El trozo de madera, además, nos lleva al simbolismo de la redención porque la madera indica - en el plan físico - la materia que necesita ser transformada en el plan metafísico. ¿Y dónde está la madera? En el bosque, en la foresta, en la selva; otros elementos simbólicos, porque el bosque, la foresta, la selva indican el mundo inferior de las tinieblas desde el cual es necesario salir. Pensamos en la selva agreste y fuerte de Dante (en el primer canto del Infierno) y en el aventuroso y místico camino hacia la expiación - la catarsis de los griegos - y la redención.

 

Geppetto ha olvidado de hacer a su muñeco las orejas. Ahora bien, las orejas en el simbolismo tradicional indican el medio a través del cual se escucha la verdad (pensamos en las grandes orejas del Buddha). Por e so Pinocho no puede entender y enterarse de los buenos consejos que recibe de Geppetto, del Hada de cabellos azules y del Grillo hablante.

 

Por el contrario, Pinocho tiene una buena nariz; es decir, pose e destacada intuición y notable fantasía, pero la falta de oído hace que su intuición y fantasía se desarrollen en las mentiras. Consecuentemente, Pinocho actúa estimulado sólo por el corazón que no oye la verdad y que, por lo tanto, se equivoca o se porta tontamente siguiendo malos ejemplos; como es el caso del encuentro con el Zorro y el Gato y, después, con Lucignolo.

 

En el cuento de Collodi, el simbolismo que envuelve las figuras del Zorro y del Gato está pintado con sabrosa ironía. El Gato simula de estar ciego, dejándose guiar por el Zorro que - a su vez - simula de ser cojo, y por lo tanto se apoya al Gato; es decir: la malicia que el Zorro representa se hace conducir por parte del Gato que, aquí, representa la mentira disfraza da como una verdad sólo aparentemente auténtica. El Gato, además, repite como Loro todo lo que el Zorro propone.

 

Sentido de las alegorías simbólicas

 

Los símbolos que los dos animales representan, aquí se integran en perfecto equilibrio.

 

El niño Lucignolo representa también una interesante alegoría simbólica, pero en un sentido casi contrario a lo que nos proporciona el muñeco Pinocho.

 

Si Pinocho -en cuanto muñeco de madera- representa el hombre mecánico producido por el maquinismo técnico, Lucignolo por ser un niño de carne y hueso, nos indica la dignidad humana del hombre.

 

Si Pinocho no posee orejas, por el contrario Lucignolo las tiene y bien puestas; pero a él de nada le sirven. Entonces, por no haber sabido disfrutar positivamente su dignidad humana, por no haber escuchado la voz de la verdad con sus orejas de niño normal y bien nacido, Lucignolo es condenado a transformarse - y para siempre - en un burro con dos largas orejas peludas.

 

También Pinocho es transformado en burro, por haber seguido tontamente los consejos de Lucignolo, que los llevaron a ambos a la "Ciudad de los juguetes".

 

Pero Pinocho, al tener las largas orejas de burro, aprende el valor de los consejos sabios que antes había eludido; aprende además a reflexionar sobre lo bueno que la vida proporciona a quien sigue el camino recto. Por eso Pinocho puede redimirse, puede abandonar su condición de burro dejando, en fin, de ser el muñeco de antes y transformarse en el niño de carne y hueso que él había anteriormente imitado.

 

La figura alegórica del burro tiene un clásico antecedente simbólico en El burro de oro de Apuleio; del cual aprendemos que el "transformarse" - según el mito de la metamorfosis al cual Apuleio se refiere - indicaba una experiencia catártica, redentora, necesaria para lograr el verdadero conocimiento metafísico.

 

Collodi – claro - nos proporciona el mito del burro en un sentido menos esotérico y más simple; porque nos indica que la condición de animal - después de todo- resulta ser una manera por salir de la mecanicidad del muñeco a la vitalidad - por animal que ésta sea- de un ser viviente; y además resulta una manera de acercarse a la dignidad superior del ser humano.

 

El itinerario catártico de un Ulises infantil

 

 Por medio de una alegoría sagaz, Carlos Collodi nos da aquí una lección transparente de moral práctica: por ser muñeco Pinocho es mucho menos responsable que Lucignolo, niño de verdad. Por eso Pinocho merece más comprensión; mientras que el castigo de Lucignolo no tiene remedio y debe ser irrevocable porque - como nos enseña la ley del contrapeso dantesco - la pena tiene que ser proporcional al delito; y el delito de Lucignolo reside en el hecho de no haberse portado según la dignidad de una criatura humana, haciéndose el burro.

 

El itinerario "catártico" de Pinocho resulta muy interesante. Una vez transformado en burro, Pinocho es comprado por el director de un circo ecuestre y tiene que aprender a bailar y saltar en los círculos, hasta que un día cae de mal modo y queda cojo. Por este motivo, el director del circo vende el burrito Pinocho a un viejito que quiere la piel del burro para hacer un tambor para la banda municipal.

 

El viejo lleva el burro a las orillas del mar, le pone una gruesa piedra al cuello y lo hecha a las aguas para ahogarlo. Los peces, por orden del Hada de cabellos azules, comen la piel asnina dejando al muñeco nuevamente su cuerpo de madera que flota en el mar. Pero, después, el pobre muñeco es tragado entero por un enorme tiburón.

 

En el vientre del tiburón, Pinocho encuentra un atún y, luego, atraído por la luz de una velita que brilla de lejos, descubre a su padre Geppetto, quien vive desde hace dos años en el vientre del tiburón. Con el auxilio del atún, Pinocho y Geppetto logran salir del tiburón, el cual duerme con la boca abierta porque sufre de asma. 

 

Una vez recuperada la libertad, Pinocho se pone a trabajar duro para ganar el dinero que Geppetto enfermo necesita para comprar remedios y comida. De día Pinocho confecciona canastos de mimbre y de noche escribe y lee. Cuando aprende que su Hada de cabellos azules se ha enfermado y no tiene plata, Pinocho le proporciona todos sus ahorros y, además, hace trabajos extraordinarios para ayudarla; en una sola noche confecciona ocho canastos en lugar de cuatro. La mañana siguiente, cuando se mira en el espejo, Pinocho no ve la figura de un muñeco de madera, más bien ve, en cambio, la figura de un niño alegre e inteligente.

 

Hasta Geppetto está sano y alegre, como hace tiempo y explica a Pinocho que los niños, al transformarse de malos en buenos, tienen facultad de proporcionar una vida serena y tranquila también a sus familiares.

 

La conclusión del itinerario catártico de Pinocho involucra una moral; no se trata de una moral sublime, pero más bien de una moral práctica: existe una justicia superior que recompensa el bien y castiga el mal. Por lo tanto hacer el bien tiene sus ventajas, mientras que - a la postre - no conviene portarse mal.

 

Carlos Collodi presenta esta moral de una forma alegre que facilita a los niños la captación espontánea de la filosofía pedagógica involucrada en el cuento; es decir, que a través de la experiencia el niño adquiere paulatinamente su autonomía alcanzando la plenitud de su ego en la dignidad y libertad del ser humano integral.

 

Pinocho enfrenta sus aventuras y recorre el camino de la experiencia mágica, expiando sus culpas para poder dejar finalmente su condición de muñeco de madera y renacer como niño de verdad; y por eso, alguien comparó Pinocho a un Ulises infantil sus aventuras a una "Odisea de niños".

 

Y por arriesgada que sea esta comparación, las aventuras de Pinocho resultan muy adecuadas a la psicología edénica del niño, quien concibe el dolor y la muerte sólo como una suspensión de la felicidad, una pausa que ampara la niñez del peligro del dolor y del mal absoluto, porque la niñez no concibe ni el dolor ni la muerte como algo permanente y definitivo.

 

En esta perspectiva, el tiburón, el atún y el mar, que Pinocho encuentra mientras se aproxima el fin de sus aventuras de muñeco travieso, resultán ser los símbolos de la vida futura que la "renovación", proporcionada por las aguas de la vida nueva, va a permitir.

 

El tiburón creado por la fantasía de Collodi, es muy parecido a la ballena que se tragó Jonás; y como Jonás también Pinocho sale del vientre del enorme monstruo marino, listo para ser rescatado a una nueva vida.

 

La fábula de Collodi tiene un desenlace feliz que la distingue de las fábulas anglosajonas, en las cuales los niños protagonistas (como Pe-ter Pan, por ejemplo) parecen vivir la nostalgia de un paraíso perdido, culti vando el deseo de ampararse para siempre en el jardín de la niñez.

 

Pinocho, por el contrario, manifiesta el modo típicamente latino de entender la niñez, porque en los países de cultura latina, en efecto, los niños son considerados pequeños aspirantes al oficio de los adultos.

 

El muñeco de Carlos Collodi simboliza el deseo que cada niño tiene de crecer y hacerse adulto; este deseo está amparado por el Hada de cabellos azules. Pero el Hada expresa la forma femenina del fatum latino; es decir: la personificación del destino que vigila la sucesión de los acontecimientos humanos. El Hada de Pinocho lleva en sus cabellos azules, además, la serenidad del cielo limpio y claro que anticipa la conclusión positiva y alegre de las aventuras del muñeco de madera, destinado a rescatarse como hombre de verdad.

 

El libro de Collodi tiene todos los ingredientes clásicos de los cuentos mágicos para niños: lo aventuroso, lo milagroso, lo bestial y monstruoso, lo fantástico; pero todos esos ingredientes están balanceados para una adecuada medida de jovialidad y de buen sentido. De este equilibrio entre lo fantástico y lo cómico, constituyen un ejemplo los personajes de Manducafuego ("Mangiafuoco") y del Pescador Verde.

 

Manducafuego parece un hombre espantoso, pero en el fondo no es un hombre malo; y cuando Pinocho pide ser quemado, en sustitución de su amigo el muñeco Arlequín para cocinar el almuerzo, Manducafuego se conmueve: deja libre a Pinocho y le regala incluso cinco monedas de oro.

 

La cólera del Pescador Verde, al ver que el pescado que el quería comer, es robado por un perro, de pronto se acaba con golpe de tos; lo que transforma una escena turbulenta en una escena cómica.

 

Considerando el humorismo típico que caracteriza las aventuras de Pinocho, el crítico italiano Piero Citati ha observado justamente que sólo Collodi podía oler los aromas de una hostería toscana en el vientre de un tiburón.

 

A pesar de todos sus ingredientes humorísticos, el libro de Collodi pertenece a la literatura del mito que, por medio de una interpretación fantástica de la realidad, proporciona al hombre adulto las distintas exigencias de su espíritu, buscando en la simbología del mito una "terapia del alma" capaz de satisfacer sus inquietudes. En este sentido los elementos característicos del libro de Collodi se conforman con las aspiraciones arquetípicas de la psiquis humana y, al mismo tiempo, con el código alegórico de las más profundas intuiciones metafísicas y metapolíticas del hombre.

 

Por lo tanto, el elemento aventuroso no es el ingrediente de un juego, sino un camino por el cual alcanzar el conocimiento esencial; el elemento monstruoso es el símbolo del Mal que tiene que ser vencido y el elemento bestial saca del mundo de los animales los modelos de las distintas virtudes e inclinaciones del hombre y nos las proporciona con eficacia didáctica.

 

En esta perspectiva, los símbolos del cuento encierran hasta un sentido teológico por el cual el Tiburón se manifiesta como el símbolo de un "purgatorio" para los hombres; la Velita de Geppetto que brilla en el vientre del Tiburón, aparece como una antorcha de la fe que nunca se apaga. El propio muñeco de madera se muestra como el símbolo del existencialismo moderno: el ser ignaro que huye de sí mismo, hasta que - buscando en el gran libro de la vida - después de un largo viaje por caminos equivocados, logra los conocimientos que necesita el hombre consciente de sus valores inmanentes y de su destino trascendente.

 

Podemos, entonces, concluir que las aventuras de Pinocho nos proporcionan un mito actual y, al mismo tiempo, perpetuo. Es decir, el mito que encierra el destino eterno e inmutable del hombre en la expresión simbólica de la realidad, el mito que exprime la realidad espiritual y existencial del hombre en el cosmo.

 

Claro está que Carlos Collodi estuvo bien lejos de atribuir a su libro todos estos significados; pero - a pesar de eso- su mano, su mente, su imaginación se hicieron instrumentos creadores de un mensaje providencial, sin que él supiera de actuar según el plan de la misteriosa providencia de Dios; la cual - como hemos aprendido del metapolítico Juan Bautista Vico - guía el destino de los hombres y de las naciones, a lo largo de los siglos.

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Primo Siena

samedi, 10 janvier 2009

La ville, sa figure moderne

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

Fabrice MISTRAL:

La ville, sa figure moderne

 

“La forme de la ville a, depuis la révolution industrielle, toujours changé plus vite que le coeur des mortels (...)”, écrit Annie Fourcaut, remarquable historienne de l’urbanisme contemporain. C’est en banlieue, territoire de constitution récente, moins marqué par les héritages que ne le sont les vieux centres urbains, que la modernité urbaine s’incarne le plus fortement (1). Bouleversement des images de la ville comme de son fonctionnement, nouveaux réseaux de communication, télescopage entre la rapidité potentielle des déplacements et l’engorgement effectif, ...: la ville témoigne au plus haut point des contradictions sociales à l’oeuvre.   Deux aspects principaux, particulièrement marqués en banlieue, peuvent  être repérés:

- la fin de tout holisme urbain,

- la nouvelle nature des communications physiques.

 

a) Contrairement à la ville traditionnelle, la ville moderne n’est plus perceptible comme un tout. Georges Teyssot écrit qu’elle “outrepasse définitivement le monde de l’expérience sensible” (2). De là nait une profusion des “images”  de la ville produites par les architectes et les bureaux d’études: précisement parce que cette image fait problème, et ne relève plus de l’évidence. Jacques Guillerme écrit: “La puissance de la figuration tient essentiellement à la dénotation qui lui est associable”. En d’autres termes, imaginer, c’est dévoiler. Heidegger l’exprime à sa façon: “L’ouverture d’un monde donne aux choses leur mouvement et leur repos, leur éloignement et leur proximité, leur ampleur et leur étroitesse” (3). Pour cette ouverture, des repères sont nécessaires: sans cartes, le territoire n’existe plus. A l’inverse, avec la prolifération des représentations, le territoire disparait aussi. On peut faire l’hypothèse suivante: “La catastrophe urbaine aurait résidé en l’impossibilité de maîtriser la représentation de la ville” (4). Conséquence de cette multiplication des points de vue sur la ville: la fin du “holisme” urbain, c’est-à-dire d’un sentiment commun d’appartenance. Vient alors le temps des remises en scène. L’objectif (voir “Banlieues 89”, le secteur politique de la ville du ministère de la culture, etc) est de génerer un “nouvel art d’habiter”, et la possibilité d’appropriations collectives des lieux. Le problème est qu’une trop fréquente méconnaissance des pratiques urbaines  de la part des urbanistes, plus encore de leurs maîtres d’ouvrage, rend fragiles ces remises en scène. Difficulté des tentatives “baroques” (5) de réenchantement de la ville: elles sont fondées généralement sur une naturalisation de l’histoire plus que sur sa réinvention. A cette aune, la différence entre l’urbanisme des libéraux - qui rejette le zonage au nom du refus des règles - et l’urbanisme des sociaux-démocrates - interventionnistes au nom d’un équilibre à rétablir - est, sinon “illusoire”, comme l’écrit Guiheux, du moins secondaire. Dans les deux cas, l’urbanisme (moderne) est système d’objets. Dans les deux cas, ceux-ci ne font pas corps avec la ville.

 

Le baroquisme consolide en outre la césure entre l’intérieur et l’extérieur dans la ville, entre l’habitat et la rue. Dans la ville traditionnelle, le dedans n’est qu’un “pli du dehors” (Henri Gaudin). Pour autant, ce pli rend les intérieurs habitables. Car il y a opacité de l’étoffe. Dans la ville moderne, le mythe de la transparence tend à supprimer les intérieurs en tant que lieux habités. Et la tentative baroque de conjurer la banalité par la naturalisation de l’histoire renforce l’incommunication.

 

b) La seconde caractéristique de la modernité urbaine concerne la nature des communications matérielles et d’abord la nouvelle conception de leurs intersections. Les voies de communication se multiplient qui correspondent à une direction, mais ne se rencontrent pas avec d’autres voies: un  échangeur n’est  pas un point, mais un noeud. C’est “une intersection sans carrefour” note Michel Serres. L’échangeur “reçoit et redistribue, il trie sans mélanger” (6). La route moderne - celle des autoroutes et des “voies rapides” - est par nature unidimensionnelle, elle ne correspond qu’à un trajet et un seul: de l’embranchement ouest de l’autoroute X à la sortie sud de telle ville. Le trajet est ainsi en quelque sorte irréversible. En cas d’erreur d’aiguillage, “même si nous retournons sur le point, nous serons néanmoins sur une autre voie” (Georges Teyssot). Ces trajectoires pré-déterminées, faites pour éviter de nous “perdre”, aboutissent à une formidable dépossession de la liberté humaine d’interpréter un territoire - comme un musicien interprète une partition.

 

La nouvelle nature des réseaux de transport amène à s’interroger sur les rapports entre la modernité urbaine et la communication. Chantal de Gournay rappelle que pour communiquer, il faut “savoir s’effacer (derrière une facade, un rôle” (7). En ce sens, la banalité, par opposition à la distinction, est précisément ce qui permet la communication: c’est dans la mesure où nous sommes partiellement inauthentiques que la communication est possible. De ce fait, il n’y a pas coincidence entre les activités de conscience et les manières d’apparaître. La conséquence urbaine en est qu’un lieu de communication est un lieu “de tous le monde et de personne” - comme à Marseille la Canebière que Marcel Roncayolo définit comme un “no man’s land”. Par là, elle est qualifiée comme lieu inconsommable et inappropriable. Banal, mais à sa façon.

 

Le problème est que, dans la ville moderne, ou dans celle parfois qualifiée de post-moderne, l’espace public répond à la recherche d’un style. Or, cet espace public  fonctionne comme tel précisement s’il “correspond à un degré zéro de la mise en scène”, écrit Chantal de Gournay qui ajoute: “L’espace public post-moderne, fait “sur mesure” sinon à la mesure de son “public”, est à la grande ville industrielle ce que le “narrowcasting” est à la télévision de masse” (8).

 

La place de l’espace public est ainsi un repère capital dans la génèse de la ville moderne. Tout d’abord, cet espace est caractérisée par la rue. Celle-ci devient au XIXème siècle espace d’auto-mise en scène de la socialité pour elle-même (comme l’illustrent bien les peintures de Monet). Elle l’est notamment au travers des grands magasins, qui consacrent à la fois le triomphe de la consommation et de l’individualisme. Se manifeste ainsi une rupture avec la Renaissance: la ville moderne ne se contente plus de se représenter. Elle se donne en spectacle.

 

La modernité urbaine dans ses premiers moments a représenté une transition dans laquelle coexistaient des aspects modernes et traditionnels qu’a bien vu Walter Benjamin. La rue n’est plus “pli sinueux”, mais ruban géométrique.  “Ce n’est pas dans l’errance que l’homme se livre à la rue, écrit-il dans Le livre des passages (Le Cerf, 1989); il succombe au contraire à la fascination du ruban monotone qui se déroule devant lui.”

 

“Le labyrinthe, poursuit Benjamin, représente toutefois la synthèse de ces deux types de terreur; c’est une errance monotone” (9). En conséquence, c’est avec raison que C. de Gournay peut écrire: “L’espace public, loin d’être pour le flaneur un champ d’interaction humaine, est un lieu de perte où l’homme se dissout dans l’équivalence qui régit désormais l’univers de la marchandise” (10). Une des formes de cette perte est  l’expérience fusionnelle qui se produit dans la ville moderne sous la forme de la fascination par la marchandise, -  la “communion avec la marchandise” dont  parle Walter Benjamin. Paradoxe apparent: ce qui triomphe à partir du 19ème siècle, c’est le simulacre d’une communion ou d’une fusion qui cache maladroitement la réalité de l’homme des foules (le flaneur de Baudelaire), ou de l’homme sans qualité (Musil). En effet, “la socialité, précise Isaac Joseph, en tant que celle-ci implique une concertation, est tout le contraire d’une expérience fusionnelle” (11). Cette socialité implique une communication et non la simple présence à son rôle social. Elle est tout autre que la danse devant le feu d’artifice des marchandises.

 

Aussi, au travers de la communication, peut-on approfondir l’opposition typologique entre la ville traditionnelle et la ville moderne. Dans la première, le réseau de communication physique relève du labyrinthe, où la réversibilité est toujours possible. Ce labyrinthe, ponctué de carrefours, est “régi, note G. Teyssot, par des schémas d’axialité, formé d’une hiérarchie d’espaces caractérisés”  - les avenues, les places, les rues, les galeries, ... C’est un moyen d’apprivoiser l’espace. Il permet les repères, et surtout les arrêts. La ville traditionnelle  est ainsi celle qui permet de revenir sur ses pas. Dans la mesure où elle se lit au travers des rues, elle permet de prendre ce qu’André Breton appelait “le vent de l’éventuel” - et est l’un des lieux du politique tout comme de la disponibilité sexuelle.  La ville traditionnelle est celle dans laquelle la déambulation est possible, - et le projet non obligatoire.

 

Dans la ville moderne et hyper-moderne, l’urbanisme des voies non réversibles est aussi celui des “rubans”: rubans des équipements culturels,  des sièges de société, etc. A l’échelle des agglomérations est reprise l’idée de la ville linéaire de Le Corbusier. Ainsi le “grand espace” de la ville moderne, qui est l’espace de l’agglomération, est-il un espace d’homogénéisation. Il s’oppose à l’esthétique du divers (Victor Segalen) et du mélange. Il est ponctué, dans sa variante hyper-moderne, non de rues, même si on observe parfois une composition en terme d’axe (néo-hausmannisme), mais surtout de “pôles d’excellence”: (Massy-Rungis, Cergy-Pontoise, ...) ou de “zones de restructuration” (Seine-amont, la boucle de Genevilliers,...).  Dans tous les cas de figures, ces pôles doivent “communiquer” entre eux plus qu’avec leur environnement respectif. Plus que destinataires ou émetteurs de communication, ils doivent être vecteurs de communication eux-mêmes. 

 

Observateur attentif de ces signes, Marc Augé appelle sur-modernité “la surabondance évênementielle, la surabondance spatiale et l’individualisme des réferences” (12). La sur-modernité est selon lui caractérisée par les  non-lieux. Explication: le lieu, “identitaire, relationnel et historique”, s’incrit dans un territoire, façonné par les pratiques des hommes. Alors que le non-lieu, couplé avec un espace neutre et “mathématique” (que dire de l’espace, sinon sa surface ?), est une simple portion d’espace. Le non-lieu n’habite pas l’espace; il est donc lui-même inhabitable. Conséquence: il ne permet pas la mutation de l’espace en territoire, ensemble de lieux  humanisé et historicisé. La sur-modernité apparait ainsi une forme d’hyper-modernité, à quoi se réduit pour Kostas Axelos la “post-modernité”. Nous en sommes là. Il en est désormais de la modernité comme de l’Occident défini par Cioran: c’est “une pourriture qui sent bon”. A ce stade, l’a-venir ne peut être qu’un retournement. La clé en est la sortie du règne de la marchandise, donc de l’auto-symbolisation par l’économie. C’est dire que le travail vivant doit cesser d’être au service de l’accumulation et au contraire devenir l’objet premier de valorisation. A ces conditions, un dépassement tant de la ville traditionnelle que de la ville moderne pourrait donner lieu à une ville authentiquement post-moderne.

 

Fabrice MISTRAL

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(1): précisons d’emblée que nous partageons le point de vue de Kostas Axelos comme quoi le post-moderne n’est que de “l’hyper-moderne”: l’exacerbation du moderne, non sa négation.

(2): la métropole mise en représentation, in Urbanisme: la ville entre image et projet, Cahiers du C.C.I. n°5, Centre Georges Pompidou.

(3): L’origine de l’oeuvre d’art, in Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962.

(4): Alain Guiheux, Cahiers du C.C.I, op. cit.

(5): le thème de la ville baroque a été popularisé par Jean-Pierre Le Dantec. Voir Dédale le héros, Balland, 1991.

(6): Hermès 2. L’interférence, éditions de Minuit, 1976.

(7): in Cahiers du C.C.I., op. cit.

(8): id.

(9): Walter Benjamin écrit: “Le labyrinthe est la patrie de celui qui hésite. Le chemin de celui qui appréhende de parvenir au but dessinera facilement un labyrinthe. Ainsi fait la pulsion sexuelle dans les épisodes qui précèdent sa libération.” Il note encore, avec une justesse saisissante: “Le labyrinthe est le bon chemin pour celui qui arrive bien assez tôt au but. Ce but est le marché”.

(10): in Cahiers du C.C.I.

(11): I. Joseph, communication pour le colloque “Vie publique, vie privée”, Lyon, octobre 1980. La socialité est ici entendue au sens de sociabilité (selon la distinction que fait Bourdieu entre cette dernière et la sociétabilité).  

(12): Non lieux, Introduction à l’anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.

 

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vendredi, 09 janvier 2009

Une modernité en état critique

 

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES -

VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

 

 

Fabrice MISTRAL:

Une modernité en état critique

 

 

Il n’y a pas si longtemps, il fallait absolument être moderne. Aujourd’hui, on s’interroge. La modernité n’est plus à la mode. Alain Touraine propose une “critique de la modernité”. Bruno Latour écrit: “Nous n’avons jamais été modernes”. Reste à savoir de quoi parle-t-on ? La modernité philosophique semble se caractériser, indique Didier Paquette, par “l’affirmation plus appuyée du “sujet pensant” et par une “capacité à penser les relations entre des plans d’existence ou de réalité jusque là posés sans liens définis” (1). Pour B. Latour, si la modernité a consisté à penser séparement l’homme et le monde, la nature et la culture, nous n’avons pas pensé intelligemment les écarts entre chacun des deux termes. Et surtout, nous n’avons cessé de produire des objets hybrides sans en faire l’analyse. La mentalité pré-moderne partait du principe de non-séparabilité entre la nature et l’homme; elle rendait donc impossible toute expérimentation sur la nature à grande échelle puisqu’elle eut signifié une transformation de la société de même ampleur. Avec la mentalité moderne, nous en sommes au stade d’une action transformatrice de la nature qui transforme l’homme lui-même, dans ses dimensions tant économiques que non-économiques - anthroponomiques (2). Les transformations de l’homme-producteur concernent l’homme tout entier. Mais l’inconvénient est que nous pensons très insuffisamment l’effet de ces transformations. “Nous n’avons jamais été modernes” (3); c’est-à-dire que nous n’avons jamais bien pensé l’unité de ce que nous avons “découpé”: l’homme, Dieu (ou les dieux), les différents champs de l’existence.

 

Alain Touraine critique la modernité d’un autre point de vue. Selon lui, la modernité a consisté a assigner des tâches à la raison et à la conscience: comprendre le monde et l’humaniser. Il propose de “reprendre le projet moderne” là où il a “dérapé”, quand la raison, classant et articulant les différents plans de l’existence et du réel, serait devenue folle. Moment de l’accident: le siècle des Lumières. Circonstance: la collision de la raison et de la laïcisation. Avatar: le lancement des philosophies de l’histoire comme “mise-à-la-raison” totalisante du monde. Dans le détail, les choses sont un peu plus complexes. Retour sur image(s).

 

 

Au début du 18ème siècle, le rationalisme est solidement installé dans la pensée française. Entendons par là que s’est imposé depuis Descartes l’idée que la certitude de l‘existence de Dieu avait comme corollaire la valeur certaine de nos idées “claires et précises” sur le monde.  Si Dieu a créé l’homme, il a aussi créé ses idées, ajoute Malebranche. A partir de cet “acquis” se déploie le dualisme cartésien: d’un coté Dieu créateur du monde (y compris l’homme), de l’autre l’homme connaisseur - et en charge - du monde. Comme l’a justement remarqué Jean-François Revel, Descartes ne révise pas les fins de la philosophie, il en ajuste simplement les moyens (4). A savoir qu’il donne à la raison une force et un domaine d’application inégalés jusqu’alors. Cette raison triomphante est fondée sur l’évidence (le “bon sens”), l’analyse, le dénombrement et la synthèse. Il reste - on doit le remarquer - peu de place pour l’incertain, l’aléatoire, le contingent, le problématique.

 

La tâche à accomplir ne fait désormais pas de doute au début du 18è siècle. L’abbé Terrasson  choisit pour idéal (1715) la droite raison et la belle nature  (5). La nature s’entend comme l’extérieur de l’homme mais aussi comme les phénomènes intérieurs à celui-ci. Le projet philosophique consiste alors à mettre en cohérence l’homme et la nature.

 

D’une part, le rationalisme de Descartes a affirmé les droits de la raison à la souveraineté du savoir, d’autre part, ce savoir se laïcise: puisque Dieu a donné la raison à l’homme, celui-ci a le droit de tout connaître. Plus, devant la force de la raison, tout est connaissable. Tout est susceptible d’investigation, de classement, d’analyse. Et par là de transformation.

 

La philosophie des Lumières complète cette initiation à la modernité. Tout d’abord en affirmant que l’homme a des droits “naturels”, puis que, précisément au nom de ces droits - “les droits de l’homme” - la nature est corvéable et taillable à merci. Nous avons à nous rendre, dit Kant, “maîtres et possesseurs de la nature”. L’homme, “trop mauvais pour le hasard” (Kant toujours), doit corriger le monde et lui-même par la morale, et la condition en est l’autonomie de la volonté (l’étymologie de “morale” renvoie justement à “volonté, usage, moeurs” indiquant ainsi que la volonté n’est pas pensable hors de l’habitus).

 

La difficulté, c’est qu’il existe un continuum entre l’homme et la nature (le monde des objets animés et inanimés). Et que l’exploitation sans réserve de la nature aboutit à l’exploitation de l’homme par l’homme.

 

Alain Touraine incrimine dans le divorce du sujet et du monde l’”orgueil” de la philosophie des Lumières, puis l’envol des philosophies de l’histoire. Celles-ci ont prétendu interpréter l’histoire par un grand facteur explicatif. Pour faire court: la lutte des classes chez Marx, la lutte des races chez Disraëli, le développement du progrès chez A. Comte. Le rôle des philosophies de l’histoire a été celui de “grands récits” déréalisants. Ils ont abouti à une tendance à la dissociation de la vie publique et de la vie privée qui signe le divorce entre entre la modernité et la subjectivité. Alain Touraine en souligne justement le danger: “La séparation complète de la vie publique et de la vie privée entrainerait le triomphe de pouvoirs qui ne seraient plus définis qu’en terme de gestion et de stratégie, et face auxquels la plupart se replieraient sur un espace privé, ce qui ne laisserait qu’un gouffre sans fond là où se trouvait l’espace public, social et politique et où étaient nées les démocraties modernes”. De son coté, Gilles Polycarpe remarque: “L’annulation des lieux de symbolisation du pouvoir menace la vie démocratique”(6). C’est le revers du même problème: la visibilité du pouvoir est la condition de la participation démocratique.

 

 

Dans les sociétés post-socialistes (dorénavant !) comme dans les sociétés occidentales (néo-capitalistes), la dissociation du public et du privé est le produit d’un assèchement du monde. Par le libéralisme capitaliste comme par une certaine utopie du socialisme productiviste. Camus écrivait: “Quand on veut unifier le monde au nom d’une théorie, il n’est pas d’autre voie que de rendre ce monde aussi décharné, aveugle et sourd que la théorie elle-même” (7).

 

Mais on ne peut s’en tenir, dans la critique de la modernité, au dérapage dü à l’orgueil. Le rabattement de l’histoire sur la “nature”, et de celle-ci sur des lois universelles est dans les prémices de la modernité. Kant écrit (dans son Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolite, 1784): “quel que soit le concept qu’on se fait, du point de vue métaphysique, de la liberté du vouloir, ses manifestations phénomènales, les actions humaines, n’en sont pas moins déterminées, exactement comme tout évênement naturel, selon les lois universelles de la nature”. Cette idée de naturalité de l’homme, de religion naturelle et de caractère naturel de la raison est l’idée dominante au 18è siècle, à la notable exception de Rousseau. Elle prolonge le projet “moderne” de Marsile Ficin de montrer l’ordonnancement “à Dieu et par Dieu” de la création (Jean-Claude Margolin). Ainsi la raison de Descartes s’enracine dans le “bon sens”, considéré comme une disposition “naturelle” de l’homme. Toutefois, face au constat de l’imperfection de la situation de l’homme dans le monde, bien que tous deux - homme et monde - créés par Dieu, il s’impose assez vite l’idée que le “bon sens”, ça se cultive, et qu’il n’est pas forcément partagé par tous, enfin, que les sociétés sont faites pour être perfectionnées. Ce qui, après un détour par l’idée de “despotisme éclairé” amène à celle de la nécessaire arrivée au pouvoir des “compétents” (et surtout de ceux qui l’ont prouvé en sachant s’enrichir).

 

 

Le cercle est ainsi bouclé. “Le “développement de la raison” inscrit à l’ordre du jour, est absolument lié à l’”accroissement du bonheur”, que permet le règne d’une liberté entière”, note François Azouvi (8). Le travail est ce par quoi la raison développe son emprise en vue du bonheur commun. C’est ce qui permet la détermination du droit naturel. Quesnay écrit: “Le droit naturel est indéterminé dans l’ordre de la nature; il le devient dans l’ordre de la justice par le travail” (9). Les physiocrates pensent, comme Mercier de La Rivière que “tous nos intérêts, toutes nos volontés viennent se réunir et former pour notre bonheur commun une harmonie qu’on peut regarder comme l’ouvrage d’une divinité bienfaisante qui veut que la terre soit couverte d’hommes heureux” (10). “Bonheur commun” ? quel bonheur ? La réponse est fournie par l’imagerie et la statuaire. A Reims, les allégories du piédestal de la statue de Louis XV représentent "une femme dont le visage serein exprime la douceur du gouvernement  et un citoyen heureux assis sur un ballot de marchandises “(11). Evidemment, le bonheur marchand a un coût. Pour ceux qui en sont privés d’abord, et qui sont ainsi dépossédés non seulement de tout statut social, mais de tout statut proprement humain. Un pauvre, dans notre société, n’est pas seulement un pauvre, c’est aussi “un pauvre type”, note Alain Caillé, car il est supposé inefficace et raté - par le système et dans le système. C’est donc une nuisance.

 

La modernité a aussi un coût qui concerne “exclus” comme “intégrés”. “On se modernise pour survivre, mais on se détruit pour être moderne”, indique Serge Latouche. La modernité nous a dépouillé, remarque Jean Chesneaux, de “la pratique des marches de nuit sous les étoiles, (de) l’odeur des tomates lentement muries au soleil, (de) la douceur intacte de paysages édifiés de siècle en millénaire” (12). C’est un peu cher payé.

 

 

 

 

 

Fabrice MISTRAL

 

 

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(1) Société-magazine, n°5, juillet-aout 1990.

(2) le concept d’anthroponomie se trouve utilisé principalement chez Jean-Paul de Gaudemar et Paul Boccara. Ce dernier la définit comme “les aspects non économiques de la société et rapports sociaux de la reproduction ou de la régénération des hommes eux-mêmes” (Issues, n°32, 1988). Cf. aussi Jean Lojkine, cinq ans de recherches anthroponomiques, in La Pensée, n°258, juillet-aût 1987.

(3) B. Latour, nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. La Découverte, 1991.

(4) Histoire de la philosophie occidentale, tome 2, Stock, 1970 et Le livre de poche.

J-F Revel est l’auteur d’un vigoureux pamphlet contre Descartes, ruinant l’interprétation le mettant à l’origine de la science moderne: Descartes inutile et incertain (Stock, 1976). Dans un autre registre, son livre fameux Pourquoi des philosophes (Livre de poche, 1979) avait fait l’objet d’une attentive récension par Jacques Milhau (cf. Chroniques philosophiques, éditions sociales, 1972). Milhau s’y trouvait d’accord avec Revel sur de nombreux points.

(5) cité in La littérature du siècle philosophique, PUF, 1947. 

(6) Révolution, 29 novembre 1991.

(7) Actuelles 1, Le témoin de la liberté, 1948.

(8) Introduction à L’institution de la raison, sous la dir. de F. Azouvi, Vrin/EHESS, 1992. Les citations en italique sont de Destutt de Tracy, Elements d’idéologie, 1803.

(9) cité par Roger Daval, histoire des idées en France, PUF, 1977, p. 65.

(10) idem.

(11) Jean-Louis Harouel, histoire de l’urbanisme, PUF, 1981, p. 58.

(12) Modernité-monde (Brave modern world), La Découverte, 1989.

 

 

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jeudi, 25 décembre 2008

Espace et temps chez Ezra Pound

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Janvier 1986

Vintilia HORIA:

Espace et temps chez Ezra Pound

Pour avoir défendu une position similaire, pour s'être attaqué à l'usure comme procédé hétérodoxe dans le cadre de l'Eglise de son temps, Dante perdit sa patrie, fut condamné à mort et dut passer le reste de ses jours loin des siens. Au XXème siècle, Ezra Pound subit le même sort…

Ce qu'on pourrait appeler "le plan vital" dans la poésie d'Ezra POUND ne peut trouver qu'une seule comparaison, ancienne mais toujours valable: l'œuvre de DANTE. La poésie que ce grand Italien a produite ne se limite pas à La Divine Comédie mais comprend aussi De la Monarchie, œuvre en prose contenant le projet d'une société basée sur l'idée impériale. Cette idée recèle une transcendance que l'homme doit conquérir en subissant les épreuves de l'enfer, épreuves de la connaissance en profondeur; en tant qu'être inférieur, il doit surpasser les purifications du purgatoire afin de trouver, avec l'aide de l'amour, considéré comme possibilité maximale de sagesse, les dernières perfections du Paradis. Dans cette optique, la Vie serait un voyage, comme l'imaginaient les Romantiques ainsi que RILKE et JOYCE. Dans l'œuvre de POUND, ce qui nous rapproche de La Divine Comédie, ce sont les Cantos Pisans. Dans toute la poésie et la prose de POUND, comme dans tous les gestes de son existence, on repérera un souci quasi mondain de la perfection, confinant au métaphysique. L'homme, dans cette perspective, doit se perfectionner, non seulement sur le plan de la transcendance et de l'esprit, mais aussi dans le feu des affrontements momentanés qui composent sa vie de pauvre mortel. La perfection spirituelle dépend de l'héroïcité déployée dans le quotidien. "La lumière plane sur les ténèbres comme le soleil sur l'échine d'une bourrique".

Une révolte contre le monde moderne

Le pire, chez DANTE, l'ennemi qu'il combattit tout au long de sa vie d'exilé, fut la confusion consciente entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. La tâche du Pape, c'était de s'occuper de la santé et du salut des âmes. L'Empereur, lui, devait s'occuper du monde visible, sans jamais perdre de vue le but ultime. Le Souverain Pontife ne devait s'abstenir de lutter contre les maux du quotidien. L'homme est une combinaison d'antagonismes complémentaires. Sa complexe constitution psychosomatique révèle un désir d'harmonie finale, désir qui s'exprime sans cesse conformément à la "coincidentia opposi- torum". L'affrontement politique, qui caractérisa et marqua l'existence de DANTE, constitue finalement le sceau typique d'un être capable de vivre et d'assumer la même essence, tant dans sa trajectoire vitale que dans son œuvre; la marque de l'affrontement politique confèrera une aura tragique à POUND également. Cette similitude dévoile non seulement une certaine unité de destin commune aux deux poètes mais aussi l'immuabilité de la tragédie humaine, (de l'homme en tant que zoon politikon, NdT), à travers les siècles. Le poète nord-américain ne put échapper au XXème siècle à ce sort qui frappa le Florentin six cents ans plus tôt. On constate une relation perverse avec la politique qui affecte l'homme et  lui est dictée par le droit, ou plutôt le devoir, de se scruter sous l'angle du péché originel. La politique est le terrain où l'homme trouvera, avec le maximum de probabilités, une tribune pour se faire comprendre aisément et rendra ses pensers accessibles aux commentateurs.

La révolte de Pound contre le monde moderne est une attitude quasi générique, consubstantielle à sa génération. En effet, c'est cette lost generation nord-américaine qui abandonna sa patrie lorsque le puritanisme céda le pas au pragmatisme, dans un mouvement comparable à la révolte de KAFKA contre la technique considérée comme inhumaine. Mais ce n'est pas la technique qui définit le désastre. HEIDEGGER a consacré un essai entier à ce problème crucial et nous savons désormais combien les machines et leur développement peuvent être nocives et ceci seulement par le fait qu'il y a malignité chez ceux qui les manipulent. Le problème nous apparaît dès lors beaucoup plus profond. Il s'agit de l'homme lui-même et non des œuvres qu'il produit. Il s'agit de la cause, non de l'effet. Déjà les romanciers catholiques français de la fin du XIXème, tout comme le Russe DOSTOIEVSKI, avaient souligné ce fait. C'est le manque de foi, la perte du sens religieux qui octroye à l'homme des pouvoirs terrestres illimités.

Le problème n'est donc pas physique mais métaphysique. POUND n'est certes pas un poète catholique. C'est un homme soulevé par une religiosité profonde qui se situe dans une forme d'ésotérisme compris comme technique de la connaissance. Ce qui lui permet d'utiliser les mêmes sources et de chercher les mêmes fins que BERNANOS ou CLAUDEL. Il n'est donc pas difficile de rencontrer des points communs   -et d'impétueux déchaînements au départ d'une même exégèse-  entre POUND et l'auteur du Journal d'un curé de campagne, qui lança de terribles attaques contre notre monde actuel après la seconde guerre mondiale.

Le Mal, c'est l'usure

En conséquence, nous pouvons affirmer que, de son premier à son dernier bilan, POUND sait où se trouve le mal. Il le définit par le terme usure, tout en se proclamant combattant contre tout système voué à l'utiliser sous les formes de l'exploitation, de l'oppression ou de la dénaturation de l'être humain et contre toute Weltanschauung  ne se basant pas sur le spirituel. C'est là que les attaques de POUND contre l'usure, présentes dans les Cantos, trouvent leurs origines, ainsi que ses critiques d'un capitalisme exclusivement basé sur ce type d'exploitation et son désir de s'allier à une régime politique ressemblant à l'Empire défendu et illustré par DANTE.

Ses émissions de Radio-Rome dirigées contre ROOSEVELT durant les dernières années de la guerre sont, dans ce sens, à mettre en parallèle avec les meilleurs passages des Cantos. Pour avoir défendu une position similaire, pour s'être attaqué à l'usure comme procédé hétérodoxe dans le cadre de l'Eglise de son temps, DANTE perdit sa patrie, fut condamné à mort et dut passer le reste de ses jours loin des siens. Ezra POUND subit le même sort. Lorsque les troupes nord-américaines submergèrent l'Italie, POUND fut arrêté, moisit plusieurs mois en prison et, pour avoir manifesté son désaccord avec un régime d'usure, un tribunal le fit interner dans un asile d'aliénés mentaux. Son anti-conformisme fut taxé d'aliénation mentale. Cette leçon de cynisme brutal, d'autres défenseurs d'un régime d'usure, je veux dire de l'autre face de l'usure, celle de l'exploitation de l'homme en masse, l'apprendront. Cette usure-là engendre les mêmes résultats, en plus spectaculaire peut-être puisque le goulag concentre davantage d'anti-conformistes déclarés tels et condamnés en conséquence.

"L'usure tue l'enfant dans les entrailles de sa mère" déclare un des vers de la célèbre finale du Cantos XV. Cet enfant pourrait bien être le XXIème siècle, celui que POUND prépara avec tant de passion, avec un soin quasi paternel. Ce siècle à venir est déjà menacé de tous les vices prévus par le poète, contrairement à sa volonté et à ses jugements empreints de sagesse.

Vintilia HORIA.

(traduit de l'espagnol par Rogelio PETE, décembre 1985).

 

mardi, 16 décembre 2008

Benjamin, Heidegger et la naissance de la modernité

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SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

Pierre LE VIGAN:

Benjamin, Heidegger et la naissance de la modernité - Raison, Habitat, Expérience

"Tout est rappelé du passé, ce qui est à venir, qu'il soit attendu comme sempiternel" (Nietzsche).

Maurice de Gandillac rapporte qu'au XIIème siècle, les moines de Saint-Victor louent les marchands qui "explorent des rivages nouveaux", font connaitre de nouveaux  produits et "rendent commun ce qui était privé" (1). Un siècle après, le franciscain Duns Scot justifie les bénéfices des négociants par leur rôle d'intermédiaire. Là se situe selon M. de Gandillac "l'essentielle coupure de la véritable modernité". Une double idée s'insinue: la société doit "progresser", l'aptitude à cette progression n'est pas générale. Il y aura ce qu'Augustin appelait des "damnés": les laissés pour compte du progrès. Cette idée de progression sélective est une des sources de la modernité.

L'autre est la soif de connaissance. Au 15ème siècle, Nicolas de Cues rêve de mesurer l'ensemble du réel, y compris les propriétés physiques et physiologiques de l'homme. Aux catégories de l'être et de l'existant, il substitue en somme celle de l'existible, la catégorie de tout ce qui peut, potentiellement, exister. Pour autant que l'utilité en soit démontrable.  Dans le même temps, le mode d'apparaitre du monde devient identique à celui de Dieu, c'est-à-dire que l'univers apparait sans centre ni circonférence. Autrement dit, les conditions de la naissance de la subjectivité se mettent en place.

Selon Alain Touraine (2), cette dualité de la rationalisation et la subjectivisation est la définition même de la modernité. La modernité aurait assigné des tâches à deux "sujets": la raison et la conscience. La tâche de la première serait de comprendre le monde, celle de la seconde d'"humaniser l'homme". Le dérapage se serait produit au moment de la philosophie des Lumières qui aurait détruit ce dualisme "par orgueil" (en quelque sorte le pendant de la thèse de Furet sur le dérapage de la Révolution française entre 1789 - la "bonne" révolution - et 1793 - la "mauvaise").  D'où l'inclination de Touraine pour l'humanisme chrétien optimiste (selon lui Erasme, Marsile Ficin, ...) qu'il oppose à l'augustinisme pessimiste. D'où aussi son désaccord avec Louis Dumont situant plus en amont l'irréversibilité du mouvement conduisant à l'individualisme moderne. Reste l'accord sur la présence, aux sources de la modernité (c'est-à-dire de ce en quoi notre temps nous est propre), de la soif de connaissance, de l'utilisation de l'outil de la raison, de la recherche de la mesure, d'une forme nouvelle de la subjectivité individuelle et collective.

La valeur nouvelle de la notion de certitude marque la naissance de la modernité. C'est le signe des temps modernes. Heidegger s'y réfère dans l'interrogation suivante: "Mais qu'est-ce qui est plus étant, c'est-à-dire, d'après la pensée des Temps modernes, plus certain que la mort ?" (3). Or, la notion de certitude apparait avoir des affinités particulièrement fortes avec celles de raison et de sûreté. Sous deux aspects. D'une part, de ce qui est certain, on est sûr. Et ce qui est sûr (en lieu sûr) est sauf (sauvé). D'autre part, on n'est certain que de ce que l'on connait. Or, le principe de toute connaissance est la raison.  

Selon Heidegger, le principe de raison est le fond du fond, la raison de tous les principes et donc "la raison de la raison".  Etymologiquement, la "raison", c'est le "fond" (Grund), et aussi le "sol", l'"humus". Grund désigne le fond vers lequel nous descendons et auquel nous revenons, pour autant que le fond est ce sur quoi une chose repose, à quoi elle tient, d'où elle s'ensuit (4). Hegel distinguait le fond d'une chose et ce sur quoi elle repose.  Si Heidegger semble ici user d'un des sens seulement du mot "fond", le second, ce n'est qu'apparence. Ces deux notions sont liées: pour aller "au fond des choses", il faut voir ce sur quoi elles reposent. Ainsi, on ne connait les choses que compte tenu de leur fondement. Le sens du terme "compte tenu" est clair: la raison (Grund) est aussi ratio.  Elle est le compte de ce que l'on donne, et donc aussi de ce qu'il nous reste. Conclusion: la raison comme "compte", "calcul" suppose un jeu à somme nulle. Ce que je n'ai plus est à quelqu'un d'autre. Dit autrement: la raison suppose un monde fini (5).

Mouvement de quête, de recherche du fond, la raison ne se conçoit pas sans l'autonomie de la volonté. Il n'y a de raison que dans l'agir. "C'est la philosophie moderne (...), de Leibniz à Nietzsche, qui met en route la méditation de l'être comme agir, jusqu'à sa détermination ultime comme volonté de puissance", écrit Jean Beaufret (6).

De son coté, Husserl, s'interrogeant sur l'origine de la philosophie, la définit comme source de la raison. Or, on peut le considérer comme étant l'illustration fondatrice d'un néo-kantisme que Michel Clouscard situe justement "à l'origine de l'épistémologie de notre période culturelle" (7), et qui pose le principe d'identité de l'objet et du sujet de la connaissance. Kant voyait dans la révélation chrétienne l'auxilliaire de la raison. Husserl se rattache à ce point de vue quand il écrit, en 1935: "La vie de l'homme n'est autre chose qu'un chemin vers Dieu". Cette position fut aussi celle de Max Scheler. En somme, la philosophie serait née de Dieu et consisterait  à y retourner. De là, l'importance de la généalogie.

Evidemment, la difficulté commence quand on constate que la pratique de celle-ci n'est pas unique. Dans l'approche d'Alain, l'esprit apparait "développement de l'idée réelle". Dans celle  d'Hegel, "l'histoire de l'esprit est son acte", et le sens de l'acte est d'atteindre à la perfection et à l'universalité (8). Dans cette perspective, l'histoire de l'esprit, comme le notait justement Althusser, est  "processus sans sujet (...). C'est le procès lui-même qui est sujet".  Quand Husserl, pour sa part, définit le travail philosophique comme remontée aux sources de la raison (d'accord ici avec Dilthey), il en appelle à une méthode généalogique illustrée par Nietzsche. La remontée aux sources est en effet la méthode même de la généalogie. Mais celle-ci, plus que la simple génèse, comporte, dit Jean Beaufret, "une herméneutique plus essentielle". Elle s'occupe de ce qui, malgrè l'enchaînement des étapes, confère au produit le plus récent, donc le plus loin de l'origine, une étonnante proximité, néanmoins, de cette origine.  Or, la génèse existentiale chez Husserl comme chez Heidegger consiste en un questionnement sur ce dont le phénomène en tant que tel est porteur.  Dans cette optique, la généalogie ne peut être reconstitution de ce qui est déjà en germe, ni simple remontée à l'origine. Et c'est précisement en celà, grâce à cet écart par rapport à l'origine, que cette perspective permet l'historicité.

Si cet écart par rapport à l'origine se maintient jusque dans la quête de celle-ci, c'est dire que le primitif n'est pas l'originel.  La pensée grecque comme mâtrice, ce que Jean Beaufret appelle "la percée radieuse du monde grec" est héritière d'un "avant" encore dérobé. Peut-être parce que, comme dit Hölderlin, la pudeur, c'est ce qui "retient d'aller jusqu'à la source". De ce fait, le propos de la démarche généalogique n'est pas de s'engager dans le retour à un "monde de la vie" originel. Plutôt faut-il être à l'écoute de la parole reçue par les grecs, et par eux transmise - parole qui n'est donc pas originelle. Encore est-il besoin de s'entendre sur les conditions de la transmission - le temps, et sur la nature de l'acte d'écoute  - à savoir l'intention, et en somme sur la nature du "Je" et de la personne. 

Kant aperçoit bien le rôle constitutif du temps dans la constitution du "Je", mais il en conclut que cela atteste de la séparation du monde de l'être et du monde de la pensée. Le temps est ainsi conçu comme une limitation de l'être qui l'empécherait d'atteindre la complétude du monde de la pensée. Résumant Kant,  Pierre Trotignon écrit: "Marque de ma finitude, le temps est encore conçu comme une diminution d'être, comme une impossibilité pour notre existence d'être cet entendement intuitif à qui l'être se révélerait adéquatement"(9).

Le point de vue de Martin Heidegger sur la question du Je est fort différent.  Il parait bien compris par Georges Steiner qui écrit: "Ce n'est pas sous le rapport du "Je suis" que nous saisissons la nature de l'être avec le plus de facilité et d'assurance (Heidegger se sépare ici fondamentalement de l'"égoisme" de Descartes et de la fusion du sujet et de l'objet chez Kant et Fichte). Ni en fonction du "tu es" (comme le voudraient certaines écoles modernes de phénoménologie dialectique)." Heidegger voit dans le temps une forme de l'intention qui permet le dévoilement de l'être, sans donner accès "à la totalité et à l'unité des êtres" (10). En d'autres termes, le temps est un chemin, ce qui ouvre une toute  autre perspective que celle de Kant. Mais Heidegger dit aussi:"Tout est chemin". Ce qui est  sans doute dire qu'il n'y a pas de but. Et définit une position nettement distincte de celle de Husserl.

Dieu n'est plus alors, comme dans la vision de l'humanisme chrétien, le couronnement de la Création - la plus haute des "valeurs" - ce qu'Heidegger interprète comme une "dégradation de l'essence de Dieu" (Lettre sur l'humanisme). Dieu est alors, toujours dans la vision heideggerienne, au fond de toute chose. Ainsi que Goethe l'exprime poétiquement:

"Si l'oeil n'était pas parent du soleil, comment pourrions-nous voir la lumière, si la force de Dieu ne vivait pas elle-même en nous, comment serions nous transportés par les choses divines ?"

De son coté, Max Scheler émet sur la question du "Je" et sur celle de "l'intention" deux propositions. L'une est que "l'idée de personne n'a rien à voir avec les idées de Je". L'autre est que "ce qui appartient à l'essence de la personne, c'est de n'exister et de ne vivre qu'en effectuant des actes de visée intentionnelles". Le problème, c'est que ces deux propositions sont rigoureusement incompatibles. Il est en effet exact que la personne se définit par l'articulation entre une fonction adaptatrice et une fonction de ressourcement, entre une identité "idem" (celle du caractère) et une identité "ipsé" (celle de l'être), cette dernière jouant une fonction de réserve. Il est ainsi vrai que le "Je" devient personne, c'est-à-dire être-dans-le-monde en faisant apparaître au jour sa part la moins authentique, la moins personnelle, et de fait la plus banale. Mais, de ce fait même, il n'est pas évident que le propre de l'homme soit de "n'exister et de vivre qu'en effectuant des actes de visée intentionnelles". Tout au contraire peut-on penser que l'intention est une des notions les plus faiblement fondées qui soient, impensable en tout état de cause hors de ce que Bourdieu nomme l'"habitus". Conséquence: la première proposition de M. Scheler sur le "Je" et "la personne" apparait pertinente, mais la seconde fausse et contradictoire. 

Aussi faut-il resituer ce que peut être l'"écoute", une écoute non purement intentionnelle. L'écoute est d'abord écoute de la parole, et elle est aussi écoute qui recueille. D'où une double question: la parole et le recueil de la parole (en d'autres termes l'intérieur).

Heidegger définit la parole comme n'étant pas un discours (rationnel), mais un dire qui signifie. Aussi l'écoute de la parole n'est-elle ni immédiate, ni totale. Il y a écart entre le dit et le reçu. "Le signe est éternellement veuf du signifié", dit encore Gilbert Durand (11).

Le deuxième aspect soulevé est la question du recueil de la parole. Dans un texte intitulé Intérieur et expérience. Notes sur Loos, Roth et Wittgenstein (12), Massimo Cacciari pose la question: y a-t-il un espace du recueillement, et à quelles conditions ?  Et il pose cette question très concrètement à partir de l'architecture et de l'urbanisme moderne. En effet, le projet tant des intérieurs "kitsch" ("mauvais gout" en yiddish) que de l'immeuble moderne qui les contient est "la pure visibilité". Or, ce qui est visible n'est pas forcément habitable. Un premier effet de la visibilité est de transformer la chose en monnaie, en objet "aliénable et manipulable", écrit Cacciari. Dans le cas d'une maison, la visibilité de celle-ci tue sa possibilité d'être un intérieur. L'architecture de verre et d'acier constitue une illustration contemporaine de ce refus du principe même d'intérieur.

Or, la question de la transparence est tout à fait nodale. Car la volonté de rendre tout transparent postule une équivalence entre l'humain et le logos. "Tout "secret" doit être parlé", résume Cacciari. Or, le verre, et la culture de la transparence - Glaskultur - met à nu l'expérience, et, le cas échéant, la misère de l'expérience. La misère la plus grande se trouve quand l'expérience se situe avant la narration, c'est-à-dire quand la narration n'est plus auto-constitution de l'identité (au sens de Ricoeur), mais simple accumulation de hasards. Alors, l'expérience - celle connue avant la narration - ne peut revenir que comme miracle, chez celui qui a habité le temps d'avant. Une attente de l'extraordinaire qui explique l'attirance des temps modernes pour les eschatologies (quoi de plus extra-ordinaire que le dernier récit ?).

Pour que le récit ne soit pas ce qui vient après l'expérience, il doit être inscrit dans le temps. Il doit ainsi être de l'ordre du relatif (puisqu'il relate) , et non de l'absolu. Cette inscription dans le temps nécessite que la Parole n'y soit pas l'objet d'une écoute im-médiate, mais au contraire distante. L'inscription dans le temps nécessite ainsi le ressourcement, donc le silence, ou du moins des silences.

Silence. Que l'homme ne soit ni toujours à l'écoute (le parlé), ni toujours le parlant. Giorgio Agamben précise: "Que l'homme ne soit pas toujours déjà le parlant, qu'il ait été et qu'il soit encore l'"in-fans", c'est cela l'expérience" (13). L'expérience d'avant le récit, cette expérience "frappée de mutisme", est celle qui peut, dans les silences, perdurer dans le recueillement, dans l'attente qui est attention, et qui est aussi ressourcement. Cette expérience d'avant le récit est le non-dicible qui pour cela même donne sa forme (tel un réceptacle) au dicible qu'est le récit. Et le lieu de cette expérience est le silence parce que "le silence est la mémoire de l'enfance" (Cacciari).  Aussi l'illusion en ce domaine serait que l'expérience soit en-deçà de la vie, et le risque l'attente du miracle comme connaissance, et de la parousie ("l'arrivée") comme de ce qui sauve. Plutôt s'accordera-t-on avec René Char qui écrit: "L'éternité n'est guère plus longue que la vie".

De même que l'expérience perdure si elle s'incrit dans le temps, l'homme est pour autant qu'il s'inscrit dans l'espace, pour autant qu'il est un habitant. Ici encore, l'être précède le faire (précéder, c'est  montrer le chemin); comme l'habiter précède le bâtir. "Bâtir n'est pas seulement un moyen de l'habitation. Bâtir est déjà de lui-même habiter" (14). L'homme habite dans la mesure où il prend soin d'un lieu; il bati parce que sa nature est d'être un habitant. "Wohnen, "demeurer en "est "la structure fondamentale du Dasein" (15). Alors, ce que l'homme bati prend sens. Heidegger prend l'exemple d'un pont. Un pont "rassemble, à sa manière, auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels" (16). A ces éléments, - le Quadriparti - le pont accorde une place. "Car, note Heidegger, seul ce qui est lui-même un lieu peut accorder une place". C'est ici le pont qui crée le lieu. Sans pont, pas de lieu. Et si le lieu est tel en tant qu'il est dans l'espace, c'est un espace aménagé, et aussi un espace "ménagé". Son aménagement n'est autre qu'un mode de son paraître. Lieu aménagé - et "à ménager" -  le pont ne met pas seulement "en place" le Quadriparti. Il le garde. L'essence de l'acte de bâtir est ainsi: produire des choses qui soient des lieux, qui mettent en place, -"ménagent" une place-, et tiennent sous leur garde la terre et le ciel, les divins et les mortels. En somme, bâtir est répondre à l'appel du Quadriparti en attente de modes de paraître. Ainsi, bâtir est pro-duire (pro-ducere: mettre en avant), et au plus haut point. Et bâtir est: rassembler ou assembler. Assembler ce qui ne passe pas - le Quadriparti - avec ce qui passe - les oeuvres humaines, ainsi le pont, ou toute autre bâtisse.  Alchimie qui est notre travail.

Difficulté: faire ce travail aux temps modernes. Le lieu n'existe en effet que par sa perception collective. La compréhension du lieu doit faire l'objet d'un accord. Or, les conditions de celui-ci sont rendus hasardeuses par un phénomène remarqué particulièrement par Georg Simmel: la multiplicité des rythmes dans la ville moderne. La conséquence de ce phénomène est l'obligation de l'exactitude. L'excentricité devient rare, la banalité et le conformisme la règle. Pour autant, cette homogénéisation des comportements  n'aboutit pas à une perception collective des lieux, faute d'un horizon commun. Les conséquences de cet état de fait  sont doubles.

D'une part, la communauté est ainsi "désoeuvrée" (Jean-Luc Nancy). L'homme est pris dans une "cage intemporelle" (Lewis Mumford),  "sans héritage et sans projet", dit encore Georges Balandier (17). D'autre part, la ville moderne secrète le mimétisme. Le lebenwelt, le vécu du monde s'appauvrit. Comme le note Blanqui, "l'univers se répète sans fin et piaffe sur place". Aussi y a-t-il perte du goût et de l'expérience.

Pour Walter Benjamin, les questions fondamentales de l'authenticité, du sens du bonheur, de la tradition se posent à partir de l'observation des spécificités de l'âge bourgeois. "Le pouvoir et l'argent, observe Benjamin, sont devenus sous le capitalisme des grandeurs commensurables. Chaque quantité donnée d'argent doit être converti en un pouvoir bien défini, et l'on peut calculer la valeur d'achat de chaque pouvoir" (18). De cette coincidence nouvelle et essentielle entre deux données sociales auparavant disjointes dans leurs principes, il s'ensuit que le sacré diffusé par un pouvoir sublimé s'éclipse au profit de la "beauté" et que celle-ci elle-même devient reproductible et mesurable (19).

La technique n'est qu'un moyen de la reproductibilité et non la cause de cette recherche de reproductibilité.  "Les composantes de l'authenticité se refusent à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée" (20). La cause de la recherche de reproductibilité, c'est la volonté de distinction par l'accumulation (d'objets, images, signes, ...). Et  comme  la modernité se caractérise par la construction d'images du monde (Heidegger), la profusion des images au moyen de leur reproductibilité alimente le règne de la marchandise. "Là où il n'y a pas les dieux règnent les spectres", écrit Novalis (21).

Mais la volonté de distinction n'est qu'un produit de l'individualisme et de l'invention de la volonté comme attribut individuel. J-F Lyotard (qui fait remonter l'invention de la volonté à Augustin), écrit: "Tout ce que Benjamin décrit comme "perte d'aura", esthétique du "choc", destruction du goût et de l'expérience, est l'effet de ce vouloir peu soucieux des règles. Les traditions, les statuts, les objets et les sites chargés du passé individuel et collectif, les légitimités reçues, les images du monde et de l'homme venues du classicisme, même quand ils sont conservés, le sont comme moyens pour la fin, qui est la gloire de la volonté" (22). Les grands mouvements sismiques de la sensibilité, et les structurations sur la longue période de la psychologie des peuples sont remplacés par le règne du nouveau - la néophilie. "'Plus de vagues, plutôt des vogues", disait Félix Guattari.

Trés logiquement, l'invention de la volonté précède de peu l'invention de l'autonomie de l'économie (23). A partir du moment où la personne apparait "pour-soi" (Hegel), c'est-à-dire comme l'unité conflictuelle d'un Je (moi-sujet) et d'un Moi (moi-objet), la volonté s'institue - et s'insinue - comme le moyen d'être au monde. Les biens deviennent alors autant d'indispensables "miroirs du moi".

De là, est inévitable l'invention de l'économie comme sphère autonome des activités humaines, consacrée à la fabrication de ces biens. L'essor de la technique accompagnant l'autonomie de l'économie, le règne de la marchandise advient, qui brise la perception collective du monde de la vie, et réduit - tendanciellement - ce dernier à une collection d'objets. Le "choc" du nouveau remplace l'acquisition de l'expérience. Or, il n'y a pas, remarque Benjamin, de bonheur sans expérience - et sans expérience collective. Et la tradition est l'éternel retour de cette expérience. "L'expérience du bonheur, dit Jürgen Habermas de Benjamin, qu'il appelle illumination profane, est liée à la préservation de la tradition".

La notion de tradition dans la pensée de Benjamin occupe une place comparable à celle de l'être chez Heidegger. Dans les deux cas l'idée d'un abîme joue un rôle essentiel. Cet abime se définit "par la séparation qui règne entre deux mondes, dont l'un des deux seulement est en toute rigueur celui de l'être"(24). Le point de vue heideggerien est que cette séparation nait avec Socrate et Platon, et se creuse avec ce que Beaufret nomme le "déclin même de la philosophie ou, si l'on veut, son virage stoïcien" (id.). L'opinion de Benjamin ne semble pas éloignée. Pour lui, la tradition remplit le rôle de réserve d'authenticité de l'être, même si, pas plus que chez Heidegger, on ne trouve chez lui de définition tranchée de l'authentique et de l'inauthentique. Ainsi, avec la mort de la tradition se perd la capacité de connaitre ce que Benjamin appelle le bonheur et qui est sans doute un autre nom de l'allégresse définie comme "la coincidence du désir et du réel" (Clément Rosset).

La modernité a commencé avec Faust. Elle finit avec ce que Forget et Polycarpe appellent l'homme-machinal. Ce qui ne parait pas très éloigné de l'homme réifié de Marx. Au 19ème siècle, l'idéal des temps est, note alors Stendhal, la capacité métamorphique: le bal le soir, la guerre le lendemain. (Bonaparte en fut une illustration étonnante: les soirées de la campagne d'Italie de 1796-97 étaient consacrées aux lettres à Joséphine et aux plans d'opérations militaires contre l'Autriche). Mais une fois détruit l'ancien ordre des choses (25), les temps modernes sont ceux du mimétisme et de l'alignement. La civilisation dont l'idéal est la mise au travail aboutit au chômage de l'être. Vient alors le stade de l'ahurissement de l'homme.

Pour le flaneur, fasciné par le marché,  ayant "peur de s'arrêter" (Maxime Du Camp), la ville comme la femme apparaissent sous l'aspect d'un labyrinthe, "la patrie de celui qui hésite". "Le labyrinthe, écrit Benjamin, est le bon chemin pour celui qui arrive bien assez tôt au but. Ce but est le marché". Et encore: "Le chemin de celui qui appréhende de parvenir au but dessinera facilement un labyrinthe. Ainsi fait la pulsion sexuelle dans les épisodes qui précèdent sa libération" (26).

Benjamin n'est pas seulement un remarquable décripteur de la modernité. Très lucide quant à la profondeur des racines de l'ordre bourgeois, il inscrit ses recherches dans une conception novatrice du temps historique (surtout par rapport à une certaine culture marxiste): "Chasser toute évolution de l'image de l'histoire et présenter le devenir comme une constellation au sein de l'être grâce à un déchirement dialectique entre la sensation et la tradition; telle est aussi la tendance de ce travail" (27). Brecht, peu complaisant pour Benjamin, notait de son coté dans son Journal de travail (Août 1941): "Benjamin s'oppose à la conception de l'histoire comme déroulement linéaire, du progrès comme entreprise énergique menée à tête reposée, du travail comme source de moralité, de la classe ouvrière comme la protégée de la technique, etc. Il se moque de la phrase, si souvent entendue, qu'il puisse y avoir, "encore en ce siècle" quelque chose comme le fascisme (comme s'il n'était pas le fruit de tous les siècles)" (28). Dans cette conception du devenir, le détail et l'instant apparaissent "le cristal de l'évênement total". L'instant oscille entre le "toujours nouveau" et le "toujours identique".

Influencé par certains mystiques, notamment Weigel, Benjamin imagine que pour une humanité "délivrée", "chacun des instants qu'elle a vécus devient une citation à l'ordre du jour - et ce jour est justement le dernier" (29). Bien que se dégageant avec difficulté de l'idée de "délivrance" (qui implique une critique radicale du monde et est donc au fond anti-constructiviste et anti-révolutionnaire), il conclut ses "thèses sur la philosophie de l'histoire" en notant que l'ancien messianisme juif est moins "appel à l'avenir que commémoration d'un passé toujours présent", chaque seconde s'offrant à la libre discussion des hommes comme "une porte étroite".

Un jour de septembre 1940, Walter Benjamin tente de passer en Espagne, quittant cette France qu'il a tant aimé. L'affaire se présente mal, et l'échec serait sans doute l'arrestation par la Gestapo. Alors, Benjamin franchit une dernière fois "la porte étroite". Il se tue.

Nous n'oublions pas: l'Andenken, c'est la pensée fidèle et remémorante. C'est au courage devant la détresse, qui est la préoccupation - le souci - commun d'Heidegger et de Benjamin qu'il s'agit d'être fidèle.

Pierre LE VIGAN .

_______________________

(1) M. de Gandillac, Génèse de la modernité. Les douze siècles où se fit notre Europe. De "La cité de Dieu" à "La nouvelle Atlantide", CERF, 1992. Abstraction faite de son sous-titre "vendeur" Les douze siècles..., l'ouvrage est d'importance.

(2) A. Touraine, Critique de la modernité, Fayard, 1992.

(3) Chemins qui ne mènent nulle part, Idées-Gallimard, 1980, p.364.

(4) Le principe de raison, préface de Jean Beaufret, Tel-Gallimard, 1962, p.211, souligné par nous. 

(5) Heidegger distingue bien sûr "raison" (fond, sol) de "Raison" au sens d'Intelligence. L'intelligence est nommée, en allemand comme en français, par un autre mot que raison. Le terme allemand Grund renvoie au motif des choses, à ce qui fait qu'elles "sont comme cela". La notion d'"intelligence" relève plus de la mesure et de la quantification que celle de "raison" au sens de motif: on est plus ou moins intelligent que quelqu'un, alors qu'un motif est "le bon motif" ou "un faux motif". Dans un cas, une logique de la graduation, dans l'autre, une logique binaire. Pour autant, les notions sont parentes: l'intelligence des choses n'est pas autre chose que la compréhension de ce qu'elles sont. La ratio est simultanément raison et Raison. Nous employons simplement ici "raison" au sens de "principe de raison", incluant les deux sens pré-cités. C'est parce que l'apparentement entre les deux notions est très fort que le "dire" les met "l'un avec l'autre".

(6) Dialogue avec Heidegger, Philosophie moderne, Minuit, 1973.

(7) L'être et le code. Le procès de production d'un ensemble précapitaliste, Mouton, 1972.

(8) Hegel est ici dans la lignée de Parménide d'Elée disant: "Même chose que le penser (de l'être) est ce par quoi s'accomplit ce penser".

(9) in Heidegger, PUF, 1965.

(10) Trotignon, op. cit.

(11) L'imagination symbolique, PUF, 1964.

(12) Critique, janvier-février 1985.

(13) Enfance et histoire, Payot, 1989.

(14) Martin Heidegger, Essais et conférences, Tel-Gallimard, 1980.

(15) Heidegger, "Bâtir, habiter, penser" .

(16) Essais et conférences, op. cit., p. 181.

(17) Balandier, Le détours. Pouvoir et modernité, Fayard, 1985.

(18) in Sens unique, précédé de Enfance berlinoise, et suivi de Paysages urbains, p. 258, Maurice Nadeau éditeur, 1988.

(19) W. Benjamin trouve chez Carl Schmitt l'idée, si importante dans ses propres travaux, que l'art est l'expression des tendances philosophiques et religieuses d'un époque. Sur l'influence du C. Schmitt, cf. Bernd Witte, W. Benjamin une biographie, CERF, 1988.

(20) W. Benjamin, Ecrits français, Gallimard, 1991, p. 142.

(21) Fragments, José Corti, 1992. 

(22) Tombeau de l'intellectuel et autres papiers. Galilée, 1984.

(23) voir le chapitre consacré à cette "invention" in Yves Barel, La ville médiévale, système social, système urbain, PUG, 1977. Du même auteur, lire aussi un ouvrage stimulant: La société du vide, Seuil, 1984.

(24) Dialogue avec Heidegger, Philosophie moderne, Minuit, 1973, p. 16.

(25) cf. François Crouzet, la modernité commence en 1815, in Analyses de la SEDEIS, n°89, septembre 1992.

(26) cité par Catherine Perret, le concept de critique chez Walter Benjamin in numéro hors série sur Benjamin de la "Revue d'esthétique", Jean-Michel Place, novembre 1990. Voir aussi de C. Perret, Benjamin sans destin, La Différence, 1992.

(27) W. Benjamin, Paris, capitale du XIXème siècle, Le livre des passages, CERF, 1989, cité par G. Petitdemange, Citoyenneté et urbanité, p. 97, éd. Esprit, 1991.

(28) cité par Philippe Ivernel, article Benjamin de l'Encyclopédia Universalis.

(29) W. Benjamin, Essais 1 et 2, Denoël/Gonthier, 1983.

 

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jeudi, 11 décembre 2008

RFID: la police totale

RFID : la police totale

 

 

Puces intelligentes et mouchardage électronique
Pièces et main d’œuvre
96 pages | 12 x 18,5 cm | 6 euros
isbn 978-2-91583026-2

Hors des laboratoires, des services vétérinaires et de logistique, peu de gens connaissent les RFID (Radio Frequency Identification), aussi nommées « étiquettes électroniques », « intelligentes », « smart tags », « transpondeurs », « puces à radiofréquences ».

Ces mouchards, nés durant la Seconde Guerre mondiale, vont bientôt supplanter les codes-barres dans les objets de consommation, puis envahir les animaux, les titres de transport et d’identité, les livres des bibliothèques, les arbres des villes et finalement les êtres humains à l’aide de puces sous-cutanées : voici venu le temps du marquage électronique universel et obligatoire. Bientôt il sera criminel d’extraire de son corps sa puce d’identité.

– Avez-vous quelque chose à vous reprocher ?

Ceux qui écrivent à l’enseigne de Pièces et Main d’Œuvre enquêtent et s’expriment depuis 2002 sur les nécrotechnologies. Ils ont publié à l’Echappée Terreur et possession, enquête sur la police des populations à l’ère technologique, Le Téléphone portable, gadget de destruction massive et Aujourd’hui le Nanomonde. Les nanotechnologies, un projet de société totalitaire.

http://www.lechappee.org/

mercredi, 10 décembre 2008

"Le regard vide" de l'Europe selon J. F. Mattéi

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Le regard vide de l’Europe selon Jean-François Mattei - Essai sur l’épuisement de la culture européenne

SYNERGIES EUROPEENNES - ECOLE DES CADRES / WALLONIE - Comité de lecture - novembre 2008

Trouvé sur : http://canalacademie.com 

Le philosophe Jean-François Mattei examine la traditionnelle capacité de l’Europe à voir loin, à se projeter, son sens critique, sa croyance dans le progrès, bref sa métaphysique. Loin de l’imprécation des déclinologues ou de l’auto flagellation de ceux qui, comme Suzanne Sontag, considère « la race blanche » comme « le cancer de l’humanité », il nous aide à mieux comprendre la spécificité de l’Europe et les causes de son aveuglement actuel. Damien Le Guay a lu "Le regard vide de l’Europe" et nous fait partager ici son analyse.

Jean-François Mattei, le philosophe, et non l’ancien ministre de la santé, poursuit un travail salutaire de critique en profondeur d’un monde, le nôtre, qui a perdu le sens du lointain. Car après tout, comme l’indiquait Lévinas, la civilisation n’est-elle pas une distance prise avec soi-même qui rend possible une intrigue avec un au-delà de soi. Mais si cette distance s’écrase, si la civilisation perd le goût de l’horizon, alors l’individu s’enferme en lui-même, devient despotique, étranger à tout ce qui n’est pas lui.

En 1999, avec son magnifique livre intitulé La barbarie intérieure (PUF), il avait passé à la paille de fer, par une mise en perspective philosophique et une analyse sans concession, cette phase actuelle de la modernité qu’il considérait comme « immonde » - à savoir inapte à laisser se déployer « le monde » qui nous porte ensemble, nous réunit pour nous faire sortir de nos barbaries intérieures.

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Dans De l’indignation (La table ronde, 2005), d’un ton alerte, il s’en prenait à toutes ces fausses indignations d’opérettes qui pullulent – avec des rebelles autoproclamés, des insurrections convenues. Dès lors : la fausse indignation chasse la bonne. La bonne ? Celle que nous devons avoir vis-à-vis d’une certaine culture contemporaine qui met en péril l’homme et finit par abolir les œuvres d’art elles-mêmes.

Le voici qui nous revient avec un essai Le regard vide (Flammarion, 2007) qu’il sous-titre lui-même « essai sur l’épuisement de la culture européenne ». Avec toujours cette dénonciation de la perversion d’un certain esprit critique qui a finit par se retourner contre lui-même, par devenir nihiliste, il examine la spécificité de l’Europe. Tout le monde la cherche. Lui, la détecte dans le regard. Oui ! Son regard. Il est avant tout porté vers le lointain. Certes cette manière de voir loin, d’aller au loin, de ne pas tenir compte des frontières, peut comporter une part de surplomb. Mais à trop insister, comme on le fait aujourd’hui, sur ses travers méprisants, n’occultons-nous pas cette incroyable capacité européenne de mise en mouvement, de projection – au sens de faire des projets et « d’aller voir là-bas si j’y suis », selon l’expression de Remi Brague ? Seconde caractéristique de ce regard européen : son sens critique qui le conduit, par le recours à l’abstraction, à transformer la réalité. Les développements scientifiques et philosophiques de l’Europe naissent de cette métaphysique-là. Ajoutons une dernière caractéristique : un éloge de l’infini qui donna à l’Europe son sens de l’histoire et sa croyance dans le progrès.

Le regard, donc. Regard sur la cité, sur le monde, sur l’âme. Jean-François Mattéi, textes d’auteurs à l’appui, décline cette spécificité du regard éloigné de l’Europe et devient « théorique ». N’oublions pas que pour les Grecs la « théorie » est une manière de voir, d’acquérir un regard sur le monde. Il montre bien en quoi nous avons assisté à un « aveuglement du regard ». De critique il est devenu autocritique. D’ouvert, il est devenu relativiste. De tendu, il est devenu mou. D’assuré, de son mouvement il est devenu en bougeotte sur lui-même. De spirituel, il est devenu procédural.

Jean-François Mattei, Le regard vide, Essai sur l’épuisement de la culture européenne,Flammarion, 292 pages, 20 €

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