par Eric Werner
Ex: http://www.lesobservateurs.ch
On a compris qu’au sujet de l’état de droit, c’est plutôt « le tas de non droit », « les zones de non droit » les « non droit » tout court pour les dindons de la farce que nous sommes tous. By Gee avait poussé un coup de gueule, pour Grisebouille, « Ci-git l’État de droit« . C’est au tour d’Eric Werner de faire le point, relayé par LHW.*
2017: l’État de droit comme réalité. Antipresse
Les années se suivent, et en règle générale se ressemblent. Les ruptures de continuité sont rares. Mais non complètement inexistantes. L’année 2017 en a connu une importante: elle concerne l’État de droit.
L’État de droit a toujours été quelque chose de très fragile, pour ne pas dire d’aléatoire. C’est, certes, une barrière contre l’arbitraire, mais une barrière que l’arbitraire, justement, n’a pas trop de peine à franchir lorsqu’il l’estime nécessaire (par exemple, quand les intérêts supérieurs des dirigeants sont en jeu). Simplement cela ne se dit pas. Les juristes s’activent pour sauver les apparences, et en règle générale y parviennent: Les apparences sont sauves. Sauf que, depuis un certain temps, les dirigeants ne se donnent même plus la peine de sauver les apparences.
On l’a vu en 2015 déjà, lorsque Mme Merkel, s’affranchissant des textes européens relatifs à l’immigration, a décidé d’ouvrir toutes grandes ses frontières à deux millions de migrants, répétant ainsi le geste de son lointain prédécesseur Bethmann-Hollweg, qui, en 1914, avait justifié l’invasion de la Belgique en comparant les traités internationaux garantissant la neutralité belge à un chiffon de papier. Mme Merkel n’a pas exactement dit que les Accords de Dublin étaient un chiffon de papier, elle a simplement dit qu’elle ne voulait plus les appliquer. Nuance.
Fondamentalement parlant, le droit est un instrument de pouvoir: un instrument de pouvoir entre les mains du pouvoir, lui permettant de faire oublier qu’il est le pouvoir. Telle est son utilité. Or ce qui est apparu en 2017, c’est que le pouvoir se sentait désormais assez fort pour, justement, se passer de cet instrument de pouvoir. Le pouvoir continue, certes, à fabriquer du droit, à en fabriquer, même, en grande quantité. Mais le droit qu’il fabrique n’a plus grand-chose à voir avec le droit.
On l’a vu par exemple cet automne avec l’espèce de frénésie qui l’a conduit à inventer de nouveaux délits en lien avec le «harcèlement», les «comportements inappropriés», les «violences faites aux femmes», etc. Avec le renversement de la charge de la preuve, l’extension indéfinie des délais de prescription, d’autres atteintes encore aux principes généraux du droit, on sort ici clairement du cadre de l’État de droit. On a encore affaire, si l’on veut, à du droit, mais le droit ne masque ici plus rien. Il ne fait plus rien oublier. L’arbitraire, autrement dit, se donne ici directement à voir.
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Quand, par conséquent, les dirigeants français actuels reprochent à leurs homologues polonais de porter atteinte à l’indépendance de la justice, au motif que l’actuelle majorité parlementaire en Pologne aurait édicté une loi soumettant la nomination des juges polonais à l’approbation du pouvoir exécutif, on pense irrésistiblement à la parabole de la paille et de la poutre: car eux-mêmes, à y regarder de près, vont beaucoup plus loin encore dans ce domaine. En Pologne, les juges sont peut-être nommés par le pouvoir exécutif, mais au moins continue-t-on à leur demander leur avis pour savoir si quelqu’un doit ou non être embastillé. Alors qu’en France, dans les affaires de terrorisme tout au moins, non: c’est le pouvoir exécutif qui dit si quelqu’un doit ou non être embastillé. Lui et lui seul. Il n’y a pas, en France, de contrôle judiciaire dans les affaires de terrorisme. Or, comme on le sait, il est très facile aujourd’hui de se voir étiqueter de «terroriste». Le terme est élastique à souhait.
En cette fin d’année 2017, la Commission européenne a engagé une procédure visant à priver la Pologne de son droit de vote dans les conseils européens pour atteinte à «l’État de droit». Des sanctions à son encontre sont également envisagées. Mme Merkel et M. Macron font chorus en demandant à la Pologne de rentrer dans le droit chemin. Ils invoquent les «valeurs européennes». C’est l’hôpital qui se moque de la charité.
Auteur: Eric Werner, Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, docteur ès lettres, il a été professeur de philosophie politique à l’Université de Genève.
*https://lilianeheldkhawam.com/
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Cenator : Concernant des dénis de l'Etat de droit, M. Werner aurait encore pu citer le refus des parlementaires suisses d'appliquer les résultats des votations du 9 février 2014 ainsi que la campagne intensive de la RTS contre l'initiative No-Billag (alors qu'elle ne devrait pas prendre parti, ... idem pour la candidature de Sion pour les JO d'hiver de 2026)



Voilà en gros ce que nous dit Tocqueville dans la Démocratie en Amérique. L’Amérique nous offre l’exemple d’une société égalitaire, mais tempérée par un ensemble d’habitudes et d’institutions faisant barrage au despotisme, alors qu’en France de telles habitudes et institutions n’existent pour ainsi dire pas, avec pour conséquence, effectivement, le risque de basculement dans le despotisme. C’est en comparant la société française à la société américaine que Tocqueville parvient à cette conclusion. Insistons sur l’originalité de sa démarche. Tocqueville a compris que pour parler intelligemment de la France, il lui fallait prendre un certain recul, en parler donc non pas de l’intérieur, mais de l’extérieur. C’est ce point de vue décentré qui le hisse au niveau des très grands penseurs politiques (en France, sans doute même, le plus grand). Encore une fois, s’il l’est, ce n’est pas à cause de ce qu’il dit de l’Amérique, mais de la France. Il parle de la France comme personne d’autre, après lui, ne le fera plus. En ce sens, il est resté sans héritier.
del.icio.us
Digg










La guerre actuelle en Europe s'est imposée à nous sans nous demander notre avis. Elle remonte au début de 2015 avec les attentats contre Charlie Hebdo et contre l'Hyper Casher. Elle s'est poursuivie en France, en Belgique, en Allemagne. C'est une guerre qui n'est pas une guerre classique. 
Alors Eric Werner (re)découvre, exhume cette oeuvre mythique. Et il faut reconnaître que sa (re)découverte, son exhumation, la fait apparaître sous un jour on ne peut plus moderne. Quoi de neuf? Sophocle, vingt-cinq siècles plus tard...
Il y a dix-sept ans paraissait à L'Âge d'Homme, L'avant-guerre civile, d'Eric Werner. La réédition,
L'Etat se délite et, dans le même temps, il se refait en menant une guerre intra-étatique, indirectement, contre ses propres citoyens. Il s'agit de les contrôler, de les espionner, de restreindre leur liberté d'opinion, d'expression et de recherche. Il s'agit de leur inoculer une pensée unique par la désinformation et la propagande. Il s'agit de les disloquer en s'en prenant à tout ce qui naturellement leur permettrait de s'opposer au pouvoir total que l'Etat exerce de plus en plus sur eux.
