Contre le Grand Reset ! Vers la culture politique du Grand Réveil !
par Alexandre Douguine
QU’EST-CE QUE LE « GRAND RESET » ?
Les Cinq Points du Prince Charles
Au Forum de Davos en 2020, son fondateur Klaus Schwab et le Prince Charles de Galles ont proclamé une nouvelle orientation pour l’humanité — le Grand Reset. Le plan, annoncé par le Prince de Galles, consiste en cinq points :
1. Captiver l’imagination de l’humanité.
2. Rétablissement économique après la pandémie du COVID-19, ce qui devrait conduire au début du « développement durable ».
3. Transition vers une économie non-pétrolière au niveau mondial.
4. Science, technologie et innovation doivent recevoir une nouvelle impulsion pour le développement.
5. Il est nécessaire de changer la structure de l’équilibre des investissements. La part des investissements verts doit être augmentée.
Ce programme est en fait devenu l’idéologie de l’élite libérale globale. Joe Biden et son administration sont arrivés à la Maison Blanche sous ces slogans.
Si nous écartons la rhétorique humaniste et l’accent mis sur l’écologie (qui est précisément la lubie du Prince Charles), alors le programme de la nouvelle phase de globalisation et le plan d’action de l’élite internationale dans l’ère Biden sont réduits à ce qui suit :
- Il est nécessaire de subordonner complètement la conscience de l’humanité aux idées libérales-globalistes. Cela peut être atteint par le contrôle complet des médias, des réseaux sociaux, de l’éducation, de la culture, de l’art, où les nouvelles lois sont établies – politique du genre, glorification des minorités – sexuelles, ethniques, biologiques (exaltation de la laideur corporelle comme idéal de beauté et d’harmonie). En même temps, les Etats nationaux sont diabolisés, et les structures supranationales, au contraire, sont exaltées de toutes les manières possibles.
- Le « développement durable » (le projet du Club de Rome) implique une réduction de la population du globe (puisque les limites de croissance sont atteintes). D’où le lien avec la pandémie du COVID-19, ainsi que la mise en garde de l’OMS sur la probabilité de nouvelles pandémies.
- Le refus du pétrole vise à frapper un coup contre l’économie de la Russie, d’un certain nombre de pays islamiques et d’Amérique Latine (principalement le Venezuela), qui sont les piliers de l’ordre mondial multipolaire. La même tactique fut utilisée par les Etats-Unis dans la dernière période de l’URSS, ce qui abaissa artificiellement le prix du pétrole.
- « Développement technologique » signifie encore plus de numérisation avec l’introduction du contrôle total et de la surveillance totale des citoyens, le transfert d’un certain nombre de fonctions à l’« Intelligence Artificielle forte », l’accélération des technologies de bio-ingénierie, la production de masse des robots, la promotion des projets de mutation génétique et des projets de croisements d’espèces (ainsi que le « croisement » des humains et des machines).
- Il est nécessaire de continuer et d’accélérer la désindustrialisation de l’économie, de déplacer les bulles financières accumulées dans le domaine vague et opaque de la « production écologique » avec la monétarisation simultanée de l’environnement lui-même et sa transformation en capital.
En même temps, les globalistes croient que l’arrivée des Démocrates à la Maison Blanche et la diabolisation de Trump et des conservateurs qui le soutenaient créent les conditions idéales pour un nouveau tour de globalisation et d’application de ce programme. De plus, la globalisation a manifestement piétiné durant les dernières décennies, et l’ordre multipolaire alternatif basé sur la montée de civilisations indépendantes – russe, chinoise, islamique, etc. – est graduellement devenu une réalité irréversible. Par conséquent, les globalistes n’ont simplement pas le temps : c’est maintenant ou jamais.
Voilà ce qu’est le « Grand Reset ». Et il a commencé.
Brève histoire du libéralisme
Si nous regardons les principaux stades de l’idéologie libérale, nous comprendrons que le « Grand Reset » n’est pas quelque chose de fortuit et de transitoire. La globalisation est le résultat logique de l’histoire mondiale, telle qu’elle est comprise par la pensée libérale.
Le libéralisme est une idéologie qui se concentre sur la libération de l’individu vis-à-vis de toutes les formes d’identité collective.
Cela commença avec la Réforme Protestante et l’abolition des états médiévaux [= clergé, noblesse, tiers-état]. Le résultat fut une société bourgeoise où tous étaient égaux – mais seulement en théorie et en termes d’opportunités. Mais ce fut une grande avancée aux yeux des libéraux.
Les Etats-nations modernes émergèrent sur les ruines de l’Empire européen et du pouvoir du Pape – à nouveau, des individus (mais sous la formes d’Etats) furent libérés de l’identité collective (les identités catholique et impériale). Mais le progrès libéral ne s’arrêta pas là.
Les philosophes Locke et Kant décrivirent le projet de « société civile », où les Etats-nations devaient être abolis. Les individus pouvaient théoriquement s’en sortir sans eux. Ainsi surgit la philosophie du cosmopolitisme, qui présuppose l’abolition des Etats-nations et (comme idéal) la création d’un Gouvernement Mondial. Ce fut la naissance du mondialisme – bien qu’en théorie.
Adam Smith formula les fondements du libéralisme en économie, soulignant la nature internationale du marché. Dans cette théorie libérale, le développement du capitalisme présupposait la disparition graduelle des Etats, et en fin de compte, le remplacement complet de la politique par l’économie, c’est-à-dire le marché.
La théorie critique du marxisme émergea au XIXe siècle, qui opposait la théorie des classes à l’individualisme libéral. L’idée de progrès était vue différemment ici, bien que les marxistes s’accordaient aussi sur la nécessité de la mort des Etats (l’internationalisme). Au XXe siècle, des idéologies de nationalisme extrême (le fascisme), contestant à la fois le libéralisme et le communisme, surgirent. Elles mettaient en premier le principe de la nation (l’Etat pour les fascistes, la race pour les nationaux-socialistes).
La défaite du fascisme en 1945 élimina cette idéologie de l’agenda, et l’image du futur fut disputée entre les libéraux et les communistes. Ce fut la signification idéologique de la Guerre Froide.
En 1991, l’Occident libéral finit par gagner. L’URSS s’effondra, et la Chine communiste se lança sur le chemin du développement du marché.
C’est alors que la « fin de l’histoire », c’est-à-dire la victoire finale du libéralisme, fut proclamée. Cependant, après un examen plus attentif, il s’avéra que les libéraux n’avaient pas aboli deux types d’identité collective – l’identité sexuelle (le genre) et l’identité humaine elle-même. Cela signifiait que de nouveaux obstacles se trouvaient sur la route du progrès libéral. C’est pour cela que depuis les années 90 du XXe siècle, la politique du genre est venue au premier plan. Sa signification n’est pas seulement la tolérance pour les pervers et le féminisme radical qui restaure l’égalité des genres. D’après les progressistes libéraux, le genre devrait devenir une question de choix individuel – comme auparavant la religion, la profession, la nationalité, etc. Sinon, le « progrès » ralentirait. D’où les couples transgenres et gays dans l’administration Biden. Ces normes de la correction politique sont les signes de la victoire sur le tournant conservateur qui était presque arrivé sous Trump.
Maintenant la démocratie a fini par être définie comme le pouvoir des minorités, dirigé contre la majorité (manifestement une majorité « criminelle » qui est capable de choisir Trump ou… Hitler à tout moment, sous l’influence des sentiments populistes). Trump tenta désespérément de défendre l’ancienne compréhension de la démocratie, mais fut renversé. Il a été « annulé » [« canceled »] comme l’ont été les autres figures, mouvements, et pays entiers se trouvant sur la route du « Grand Reset » – le dernier stade du mouvement du libéralisme vers son triomphe historique.
Et les libéraux ont un dernier problème devant eux – l’abolition de l’humanité, la politique du post-humanisme. La libération vis-à-vis de l’identité collective requiert l’abolition du genre et de l’espèce. Les futurologues libéraux font déjà l’éloge des nouvelles possibilités des post-humains – la fusion avec la machine multipliera la force du corps, de la mémoire, et aiguisera les sens ; l’ingénierie génétique mettra fin aux maladies ; la mémoire peut être stockée sur un serveur « cloud » ; l’humanité peut se connecter à la machine et atteindre l’immortalité.
Le « Grand Reset » est le triomphe de l’idéologie libérale à son stade le plus élevé, à son stade de globalisation.
Et tous ceux qui s’opposent à un tel agenda sont déclarés « ennemis de la société ouverte ». Ils sont invités à capituler volontairement. Sinon, tout le monde progressiste – avec ses finances illimitées, son potentiel technico-militaire et sa capacité inépuisable de contrôler l’« imagination de l’humanité » – leur tombera dessus.
Ainsi, le « Grand Reset » est la dernière note du progrès humain, tel qu’il est compris par la pensée libérale. Maintenant toute l’humanité est libre – libre d’être libérale.
Mais il faut noter qu’en même temps elle n’est pas libre de ne pas être libérale. Si un « illibéral » ou un « pas assez libéral » est repéré quelque part, le système punitif est lancé automatiquement.
Grand Réveil
Durant la féroce campagne électorale aux Etats-Unis, les supporters de Biden – les partisans du « Grand Reset » – utilisèrent tous les moyens contre leur adversaire Trump, incluant les moyens prohibés. Ils allèrent même jusqu’à appliquer les méthodologies des « révolutions de couleur » à l’intérieur des Etats-Unis – des méthodologies qui étaient auparavant exportées. Une telle détermination à la limite de l’infamie en dit long sur l’importance des enjeux. Les globalistes sont bien conscients que si leurs défaites et leurs échecs continuent à s’accumuler, toute l’histoire du libéralisme, longue de cinq cent ans, s’effondrera. Un monde multipolaire – vers lequel Trump, étant critique de la mondialisation, gravitait instinctivement – ne laisserait aucune chance aux libéraux. Ils jetèrent donc leurs masques, abandonnèrent les principes de la « vieille démocratie » et poussèrent Biden à la Maison Blanche, sans aucune considération de décence, des procédures et des règles.
Les supporters de Trump savaient à quelle force puissante et maniaque ils avaient affaire depuis sa première campagne électorale. Les Démocrates, conduits par la logique du mondialisme, étaient prêts à sacrifier les institutions américaines traditionnelles et la démocratie elle-même. Et c’est contre cela que les trumpistes mettaient en garde depuis 2016.
Bien sûr, il est difficile pour les citoyens ordinaires de comprendre tout l’arrière-plan sinistre de l’idéologie libérale, qui mène immanquablement et consciemment à la destruction de l’humanité, à son « dépassement ». Cela est difficile à croire, ce n’est pas facile de parvenir à la vérité. Spécialement pour ceux qui ont été élevés sous l’influence de la démocratie libérale, à l’intérieur du système capitaliste et sous la profonde introduction d’une culture mondialiste. Et pourtant l’épiphanie a commencé.
C’est ainsi que la thèse du « Grand Réveil » est née. Ce slogan fut mis en avant par les supporters de Trump, qui devinrent les premières victimes du nouveau totalitarisme libéral à venir. Leurs initiatives furent immédiatement censurées, leurs comptes sur les médias sociaux furent supprimés, et même les références à eux furent effacées des systèmes des géants technologiques – Twitter, YouTube, Google, Facebook.
Tout d’abord, cela affecta seulement les adversaires les plus bruyants des globalistes et les supporters de Trump. Mais à mesure que la campagne électorale s’envenimait, des cercles de plus en plus larges devinrent les victimes de la culture de l’« annulation » et du « deplatforming ». Jusqu’à ce que les globalistes appliquent finalement leurs méthodes au président US lui-même – Donald Trump.
Ce fut le moment du « Grand Réveil ». Maintenant la vraie nature des mondialistes a été comprise non seulement par les plus lucides et les plus irréconciliables, mais aussi par de vastes sections de la société américaine.
Ceux qui avaient voté pour Trump furent presque identifiés à des « fascistes » dans la dictature libérale établie. C’est ainsi que fonctionnent les lois du « Grand Reset » : quiconque n’est pas avec nous est un « fasciste », et il est possible – et même nécessaire ! – de traiter un « fasciste » de la manière la plus cruelle. Et cette fois, cette catégorie inclut non seulement les vrais conservateurs, qui ont toujours eu des réserves vis-à-vis des libéraux, mais aussi des libéraux, les citoyens américains ordinaires qui n’avaient pas eu le temps de s’adapter aux nouveaux critères du « progrès libéral ». Ils n’ont pas encore compris que la liberté est la liberté des minorités, et que les paramètres de cette liberté – c’est-à-dire ce qui peut être dit et fait, et ce qui ne peut absolument pas être fait (les normes du politiquement correct) – sont strictement établis par les élites libérales.
Le « Grand Réveil » est le fait de comprendre que dans la période de la mondialisation, le libéralisme moderne s’est transformé en une vraie dictature, est devenu une idéologie totalitaire qui dénie – comme tout totalitarisme – le droit d’avoir un point de vue différent du point de vue dominant. C’est très similaire au début d’une nouvelle guerre civile aux Etats-Unis. Mais cette fois, ses camps sont différents : les supporters du « Grand Réveil » contre les supporters du « Grand Reset ».
A la veille d’une grande confrontation
Les Etats-Unis sont la première puissance du monde. Ce qui s’y passe concerne toute l’humanité. La victoire de Joe Biden et des architectes du « Grand Reset » derrière lui signifie que le monde est entré dans une nouvelle phase. Les globalistes sont déterminés à mener à bien ce qu’ils ont régulièrement échoué à faire durant les deux dernières décennies. D’abord le 11 septembre, puis Poutine, puis la Chine sous Xi Jinping, puis l’Iran, puis la Turquie, puis Trump. Et si les échecs continuent, le mondialisme risque de s’effondrer finalement. Le « Grand Reset » doit se faire maintenant ou jamais.
Et beaucoup d’élites d’orientation libérale dans divers pays – en Occident tout comme en Orient (incluant la Russie, bien sûr) – seront mobilisées par le mondialisme pour prendre une part active au projet de « Grand Reset ». Cela signifie qu’un front externe ainsi qu’un front interne vont être ouverts contre les supporters de la multipolarité, de la souveraineté et d’un ordre mondial polycentrique. Et ici commencent la pression externe de la part de la démocratique Washington et de l’OTAN sous son contrôle et le sabotage interne de la cinquième colonne et des élites libérales à l’intérieur des structures administratives des Etats.
Le début d’une série d’opérations de changement de régime, une nouvelle vague de « révolutions de couleur » et la manipulation des conflits régionaux devraient s’ajouter à cela. Maintenant toute la force du sabotage global contre ceux qui n’ont pas pris le parti du « Grand Reset » va travailler à plein régime.
Il est évident que la Russie – du moins la Russie de Poutine, la Russie souveraine, indépendante et libre – appartient aux rangs du « Grand Réveil ».
Pour que cela devienne un fait irréversible, il faut faire un dernier effort. La moitié de la Russie s’est réveillée il y a vingt ans. Et ensuite elle commença un retour difficile mais généralement réussi (bien que prolongé) à l’histoire en tant que sujet de la politique mondiale, et non pas comme objet (comme dans les années 90 du XXe siècle). Mais l’espace pour un compromis avec les mondialistes est complètement épuisé. Nous n’avons qu’une option – nous réveiller complètement et non seulement prendre une part active au « Grand Réveil », mais – ce qui serait souhaitable et digne de l’échelle de notre histoire et de notre esprit – aussi le diriger.
Préalablement traduit en anglais par Cyrill Strelnikov, blogueur, observateur politique
Published by RIA-Novosti
Against Great Reset. Toward Political Culture of Great Awakening | Katehon think tank. Geopolitics & Tradition