Parues de nos jours, certaines couvertures soulèveraient sur le champ l’indignation des chochottes de la mémoire et des contempteurs de l’« appropriation culturelle ». C’est le cas pour celle-ci : un célèbre personnage historique germano-autrichien de la première moitié du XXe siècle attifé à la mode afro-amérindienne !
Outre sa couverture, Caroline Oh ! Caroline du Flamand Paul Van Herck (1938 – 1989) brave toutes les convenances historiques en proposant une satire déjantée proprement impubliable aujourd’hui. Inspiré à la fois par le style de Marcel Aymé et de la veine littéraire flamande souvent burlesque, Caroline Oh ! Caroline associe la farce, le fantastique, le psychadélisme et l’uchronie.
Guillaume « Bill » de Lancastère n’admet pas le décès de son amour fou, Caroline. Croyant à la métempsychose, il se souvient parfois d’un fragment de ses vies antérieures et recherche la réincarnation de sa bien aimée. Ses divagations personnelles ne l’empêchent pas de faire son devoir de soldat : partir en Amérique du Nord en mission secrète afin d’y recenser les puits de pétrole disponibles. Préfiguration du steam punk qui apparaîtra une décennie plus tard, le roman évoque l’emploi de véhicules à vapeur. Or, trouver du pétrole deviendra indispensable avec un nouveau modèle d’automobile tracté par « un moteur beaucoup plus léger, plus puissant, plus économique que la machine à vapeur (p. 36) ».
Guillaume de Lancastère sert dans l’armée grande-française. L’Empire français de Napoléon VIII s’étend de l’Oural à l’Irlande. Son modèle administratif centralisé couvre tout le continent de départements, d’arrondissements, de cantons et de communes. C’est l’héritage de Napoléon Ier, vainqueur surprise de Waterloo. En effet, « en 1815, au cri de “ La Fayette nous voici ! ” les Américains décidèrent d’intervenir au côté des Français à Waterloo, les Indiens et les Noirs s’unirent de façon touchante. Ce fut pour jeter à la mer, de concert, les Blancs démunis de leur armée régulière. Depuis, toute l’Amérique est rouge et noire. Les derniers Blancs ont été expulsés il y a environ une centaine d’années (p. 38) ». l’auteur n’insiste pas sur les raisons de cette surprenante action. On peut imaginer une poursuite du conflit anglo-américain commencée en 1812 – la seconde Guerre d’Indépendance – ou bien la volonté du Congrès de se venger de l’incendie de la Maison Blanche… Il en résulte l’expulsion de tous les Européens du Nouveau Monde et la fermeture du continent américain à toute influence extérieure. Les services du renseignement impérial supposent que les tribus noires et indiennes ont plongé toute l’Amérique dans la sauvagerie et l’arriération technique.
L’Empire français d’Europe n’est pas la seule puissance mondiale. Il tient compte du redoutable royaume d’Israël d’Hérode XII. Le peuple juif a profité « des troubles de 1815 pour faire main basse sur tout le Moyen-Orient […]. Et depuis il s’était emparé du Sahara et il menaçait des États comme l’Algérie et le Maroc. Pas étonnant, quand on songeait qu’Israël passait sa vie l’arme au pied (p. 165) ». Par ailleurs, l’ordre impérial napoléonien n’assure pas une pleine quiétude. Perdure ici ou là un relatif sentiment francophobe. Aux périphéries de l’Empire éclatent parfois quelques agitations à l’instigation, par exemple, de ce « Joseph Staline, fomentateur d’agaçants troubles politiques dans le département de Moscou (p. 27) ».
Dans le cadre de sa mission secrète qui nécessite de traverser l’Atlantique par les airs grâce à l’un des tout premiers avions, on adjoint à Bill un second d’origine germanophone, prénommé Adolf, grand fan de Richard Wagner. C’est un « homme à la drôle de petite moustache et aux cheveux gris coiffés à la limande. Son regard était à la fois pénétrant et étrange (p. 46) ». Bien que regrettant la victoire franco-américaine de Waterloo, Adolf est prêt à explorer les « riches gisements au Tex-Ha, ou chez le Caliphe Hornia (p. 53) ».
Leur arrivée en Amérique provoque la stupeur : on les prend pour des dieux. Bill utilise cet atout surnaturel pour semer la zizanie entre les tribus indiennes des Wah-Shintogos et noire des Niou-Yokos. En exacerbant les rivalités, Bill estime que l’armée grande-française reprendra sans grand mal l’Amérique et ses précieux champs pétroliers. Or, la supercherie est bientôt éventée. Si Bill parvient à revenir en Europe où il est fêté en héros impérial, Adolf évite de peu d’être mangé par des cannibales. Il accepte de passer du statut de prisonnier à commandant en chef de l’armée américaine avec le grade de caporal afin de ne pas provoquer « d’infarctus à nos militaires de carrière par une promotion trop rapide (p. 126) ». Les chefs noirs et indiens lui ont offert ce poste, car ils savent aussi qu’ils n’ont « pas un seul militaire de génie, […] intelligent (Idem) ».
Indiens et Noirs ont conclu une alliance militaire secrète. Ayant caché leur avance technologique, ils s’apprêtent à envahir l’Europe napoléonienne par l’Ouest avec une formidable armada navale noire, par l’Est avec la ruée des Indiens à travers la Sibérie, et par le Sud avec l’entrée en guerre des populations africaines. Le « caporal autrichien » Adolf échafaude une stratégie rapide, violente et brutale qu’il baptise Blitzkrieg.
La conquête de l’Est se révèle facile. Londres tomba rapidement. Puis, « les Noirs débarquèrent en France, poussèrent jusqu’au Rhin, anéantissant au passage une armée démoralisée. L’armée noire traversa le fleuve à Remagen, sur un pont demeuré intact, et, dans un élan irrésistible, elle atteignit Berlin. Les Rouges venant de l’Oural portèrent un coup décisif à l’armée impériale, sur la Volga, en un lieu nommé Impérialeville. […] L’empereur Napoléon VIII se suicida (p. 171) ». La conquête achevée, « une des premières étapes de la déseuropéanisation (quel mot !) fut de rebaptiser les Blancs avec des noms nègres ou indiens (p. 174) ». Défait mais vivant, Guillaume de Lancastère s’appelle désormais veau-Idiot et vit dans une réserve près de Moscou avec sa femme et leurs deux enfants.
Dans ce monde rêvé par Houria Bouteldja, Rokhaya Diallo et Lilian Thuram, existent dorénavant « deux Europes, l’Europe Noire et l’Europe Rouge. Comme les Noirs venaient de l’ouest, et les Indiens de l’est, ce furent l’Europe occidentale et l’Europe orientale, sans aucune référence à la réalité géographique, car la ligne de démarcation avait de singulières sinuosités (p. 172) ». Les relations entre les deux ensembles victorieux se chargent de méfiance réciproque quand il n’est pas la proie d’attentats à répétition. L’un d’eux revient à Bill.
Arrêté, Guillaume de Lancastère se fait interroger par Adolf en personne qui se rappelle peu à peu de lui. En touchant la fibre wagnérienne de son interlocuteur, Bill parvient à le raisonner. Tous deux rencontrent un descendant de H.G. Wells qui a conçu le chronoscaphe, une machine à remonter le temps. Les trois compères retournent alors en 1815 et implorent le Congrès des États-Unis de conserver une juste neutralité. Washington n’expédie aucune force armée en Europe au secours de l’« Ogre corse ». Le Grand Empire français n’existera jamais plus. « Nous pouvons toujours en tirer une conclusion, dit Adolf : n’appelez jamais les Américains à l’aide, ils ne font que nous embarrasser (p. 221). »
Essayant de revenir à leur époque à bord du chronoscaphe, le trio se perd dans les couloirs du temps, ce qui rend Bill inconsolable de ne plus pouvoir rencontrer encore une fois sa chère Caroline. L’absurde s’ajoute à la narration pittoresque pour clore ce récit fantaisiste. Un fait est certain : vu l’ambiance intellectuelle actuelle délétère, on ne verra pas de si tôt une réédition de Caroline Oh ! Caroline de Paul Van Herck, l’espiègle uchroniste.
Georges Feltin-Tracol
• Paul Van Herck, Caroline Oh ! Caroline, préface et traduction de Michel Védéwé, Librairie des Champs-Élysées, coll. « le Masque Science-fiction », 1976, 251 p.









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Le livre est un recueil de contributions d'amis, de collaborateurs et de collègues, enrichi d'une célèbre contribution critique de Gianfranco de Turris lui-même, Dal Mito alla Fantasy (Du mythe à la littérature fantastique), et d'une bibliographie de ses œuvres de fiction. Il ne s'agit pas d'une célébration sans critique, d'un ouvrage simplement hagiographique et panégyrique dans un sens dissuasif, mais, comme le souligne l'éditeur, "d'un hommage bien mérité qui a d'autant plus de valeur que celui qui le reçoit se bat encore sur le terrain" (p. 8). Le livre rassemble différentes contributions, certaines basées sur des souvenirs, d'autres visant à présenter un portrait psychologique, humain et existentiel de de Turris. On y trouve aussi, bien sûr, des analyses importantes de ses contributions sur l'œuvre de Tolkien, Lovecraft, Meyrink, Machen et la littérature de science-fiction. Sebastiano Fusco, qui, en tant que jumeau littéraire, a accompagné presque entièrement notre activité éditoriale, se souvient que tout est né à Rome, au début des mémorables années soixante, une période de grands changements sociaux, caractérisée par une nouvelle ferveur intellectuelle. Roberto Scaramuzza, qui deviendra plus tard le rédacteur en chef du légendaire magazine Abstracta, met de Turris et Fusco en contact. Tous trois vivaient dans le même quartier et c'est là qu'ils ont également rencontré Luigi de Pascalis. Une fraternité est née et s'est poursuivie au fil des ans.







La Chine accuse les États-Unis ! Nous avions déjà la crise sanitaire et la crise économique, voici peut-être une nouvelle crise diplomatique majeure puisqu’un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères suggère que l’épidémie n’est pas nécessairement accidentelle…et qu’elle provient d’Amérique !

L'émergence d'une nouvelle économie techno-féodale qui distingue les information rich et les information-poor (et certes il ne suffit pas de se connecter sur le réseau pour être information rich) fait les délices des polémistes. Le gourou du management moderne Peter Drucker (photo) dénonce cette société qui fonctionne non plus à deux mais à dix vitesses : « Il y a aujourd'hui une attention démesurée portée aux revenus et à la richesse. Cela détruit l'esprit d'équipe. » Drucker comme le stupide Toffler, qui devraient se rappeler que Dante les mettrait au purgatoire en tant que faux devins, font mine de découvrir que la pure compétition intellectuelle génère encore plus d'inégalités que la compétition physique. C'est bien pour cela que les peuples dont les cultures symboliques sont les plus anciennes se retrouvent leaders de la Nouvelle Économie.
William Gibson, l'inventeur du cyberspace, imaginait en 1983 une société duale gouvernée par l'aristocratie des cyber-cowboys naviguant dans les sphères virtuelles. La plèbe des non-connectés était désignée comme la viande. Elle relève de l'ancienne économie et de la vie ordinaire dénoncée par les ésotéristes. La nouvelle élite vit entre deux jets et deux espaces virtuels, elle décide de la consommation de tous, ayant une fois pour toutes assuré le consommateur qu'il n'a jamais été aussi libre ou si responsable. Dans une interview diffusée sur le Net, Gibson, qui est engagé à gauche et se bat pour un Internet libertaire, dénonce d'ailleurs la transformation de l'Amérique en dystopie (deux millions de prisonniers, quarante millions de travailleurs non assurés...).
Les rois de l'algorithme vont détrôner les rois du pétrole. Les malchanceux ont un internaute fameux, Bill Lessard (photo), qui dénonce cette nouvelle pauvreté de la nouvelle économie. Lessard évoque cinq millions de techno-serfs dans la Nouvelle Économie, qui sont à Steve Case ce que le nettoyeur de pare-brise de Bogota est au patron de la General Motors. Dans la pyramide sociale de Lessard, qui rappelle celle du film Blade Runner (le roi de la biomécanique trône au sommet pendant que les miséreux s'entassent dans les rues), on retrouve les « éboueurs » qui entretiennent les machines, les travailleurs sociaux ou webmasters, les « codeurs » ou chauffeurs de taxi, les cow-boys ou truands de casino, les chercheurs d'or ou gigolos, les chefs de projet ou cuisiniers, les prêtres ou fous inspirés, les robots ou ingénieurs, enfin les requins des affaires. Seuls les quatre derniers groupes sont privilégiés. Le rêve futuriste de la science-fiction est plus archaïque que jamais. Et il est en train de se réaliser, à coups de bulle financière et de fusions ...







Le microcosme que Clarke nous fait entrevoir semble donc idéal, et fondé en apparence sur un système traditionnel ; pourtant il ne faut pas longtemps pour découvrir au contraire une société hédoniste, nombriliste et dont la vanité est à peine voilée par les avancées technologiques éblouissantes, qui agissent comme autant de narcotiques sur la conscience de chacun. Bien à l’abri au cœur de leur petit monde

