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dimanche, 15 juin 2008

Le gaullisme de Dominique de Roux

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Le gaullisme de Dominique de Roux

 

«La réalité historique est que le temps travaille pour un autre homme, l'homme dune seule idée, celui qui se fout que la zone libre soit occupée ou non. Il n'aime pas les Français, il les trouve moyens, il n'aime que la France dont il a une certaine idée, une idée terminale qui ne s'embarrasse pas des péripéties.»

Pascal Jardin, La guerre à neuf ans.

 

Dominique de Roux s'était fait une certaine idée de de Gaulle comme de Gaulle (première phrase de ses Mé­moi­res) s'était toujours fait une certaine idée de la France. On était en 1967, la subversion ne s'affichait pas encore au grand jour, mais déjà l'on sentait sourdre la révolte sou­terraine, la faille entre les générations aller s'élar­gis­sant. L'Occident à deux têtes (libéral-capitaliste  à l'Ouest,  marxiste-léniniste à l'Est) paissait paisiblement, inconscient d'être bientôt débordé sur sa gauche par ses éléments bour­geois les plus nihilistes et, on ne s'en apercevra que plus tard, les plus réactionnaires. Dominique de Roux lui aussi cherchait l'alternative. La littérature jusqu'ici n'avait été qu'un appui-feu dans la lutte idéologique. Qu'à cela ne tienne, de Roux inventerait la littérature d'assaut, porteuse de sa propre justification révolutionnaire, la dé-poétisation du style en une mécanique dialectique offensive. Le sens plus que le plaisir des sens, la parole vivante plutôt que la lettre morte. De Roux, qui résumait crise du politique et cri­­se de la fiction en une seule et même crise de la poli­ti­que-fiction, avait lu en de Gaulle l'homme prédestiné par qui enfin le tragique allait resurgir sur le devant de la scè­ne historique après vingt ans d'éviction. Le cheminement de de Gaulle homme d'Etat tel qu'il était retracé dans ses Mémoires, n'indiquait-il pas «l'identification tragique de l'ac­tion rêvée et du rêve en action»? (1) .

 

Un message révolutionnaire qui fusionne et transcende Mao et Nehru, Tito et Nasser

 

En 67, de Roux publie L'écriture de Charles de Gaulle. L'es­sai, cent cinquante pages d'un texte difficile, lorgne osten­siblement vers le scénario. A rebours du mouvement géné­ral de lassitude qui s'esquisse, de l'extrême-droite à l'ex­trê­me-gauche de l'opinion, et qui aboutira dans quelques mois à la situation d'insurrection du pays qu'on connaît, Domi­ni­que de Roux veut croire en l'avenir planétaire du gaullisme. Ni Franco ni Salazar, ni l'équivalent d'un quelconque dicta­teur sud-américain, dont les régimes se caractérisent par leur repli quasi-autistique de la scène internationale et leur allégeance au géant américain, de Gaulle apporte au mon­de un message révolutionnaire qui, loin devant ceux de Mao, Nehru, Tito et Nasser, les fusionne et les transcende.

 

Révolutionnaire, de Gaulle l'est une première fois lorsqu'il ré­invente dans ses Mémoires le rapport entre les mots et la réa­lité historique. Sa tension dialectique intérieure, entre des­tinée gaullienne et vocation gaulliste, son être et sa cons­cience d'être, dédouble cette réalité par l'écriture, la mé­moire, la prophétie.

 

La volonté de puissance du génie prédestiné en butte aux vicissitudes historiques que sa prédestination exige et dont dépend la résolution tragique de l'Histoire, modifie sa rela­tion aux mots, libérant l'écriture du style, subordination ex­térieure au sens des mots, mécanique des choses dites qui l'en­ferme et contient sa charge explosive. Le discours n'est plus reproduction esthétisante, rétrécissement du champ de vision pour finir sclérose, mais expression et incarnation de la dialectique parole vivante et langage qui le porte.

 

«A une histoire vivante ne sied pas la lettre morte du style, mais les pouvoirs vivants de la réalité d'une écriture de la réalité agissante dans un but quelconque». Quand de Gaul­le parle, déjà il agit et fait agir l'Histoire. L'écriture devient ac­te politique. Ses mots charrient et ordonnent l'histoire en marche.

 

Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul

 

Qu'est-ce que le gaullisme dans ces conditions ? Réponse de Do­minique de Roux: «Le dialogue profond que de Gaulle pour­suit sans trêve avec l'histoire se nomme gaullisme, dès lors que d'autres veulent en faire leur propre destin.» Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul qui considère la France, non les Français, comme la finalité de son action. La rencontre de la France en tant qu'idée d'une nation métaphysique et transcendante, et de la parole vive de de Gaulle, intelligence de la grandeur d'âme chez Chateaubriand, de la vocation pour Malraux, doit déboucher sur l'idéal de la Pax Franca.

 

La dialectique gaulliste de l'histoire rejaillit sur la stratégie gaulliste de lutte contre tous les impérialismes, au nom de la prédestination intérieure qui fait de l'assomption de la France l'avènement de celle de l'Europe et au-delà de l'or­dre universel: la Pax Franca. «De Gaulle ne sert ni l'Eglise avec Bossuet, ni la Contre-Révolution avec Maurras, mais la monarchie universelle, cette monarchie temporelle, visible et invisible, qu'on appelle Empire. Dante exaltait dans son De Monarchia cette principauté unique s'étendant, avec le temps, avec les temps, sur toutes les personnes. Seul l'Em­pire universel une fois établi il y a la Paix universelle.»

 

Ainsi posée, la géopolitique gaulliste s'affirme pour ce qu'elle est, une géopolitique de la fin (l'Empire de la Fin énoncé par Moeller van den Bruck), dépassement de la géopolitique occidentale classique, de Haushofer, Mackin­der, contournement de la structure ternaire Europe-USA-URSS.

 

Pour être efficace, le projet gaulliste aura à cœur de trans­former la géopolitique terrienne en géopolitique transcen­dan­tale, «tâche politico-stratégique suprême de la France, plaque tournante, axe immobile et l'Empire du Milieu d'une unité géopolitique au-delà des frontières actuelles de notre déclin, unité dont les dimensions seraient à l'échelle de l'Occident total, dépassant et surpassant la division du mon­de blanc entre les Etats-Unis, l'Europe et l'Union sovié­tique.» Car la France est, selon le statut ontologique que de Gaulle lui fixe, accomplissement et mystère, l'incarna­tion vivante de la vérité, la vérité de l'histoire dans sa mar­che permanente.

 

La nouvelle révolution française menée par de Gaulle doit conduire à la révolution mondiale

 

Une révolution d'ordre spirituel autant que temporel ne se conçoit pas sans l'adhésion unilatérale du corps national. Toute révolution qui n'est que de classe ne peut concerner la totalité nationale. Toute révolution nationale doit penser à l'œcuménité sociale. La révolution, l'action révolutionnai­re totale enracinée dans une nation donnée, à l'intérieur d'une conjecture donnée, n'existe que si l'ensemble des struc­tures sociales de la nation s'implique. Là où le so­cia­lisme oublie le national, le nationalisme occulte le social sans lequel il n'y a pas de révolution nationale. De Gaulle annule cette dialectique par l'«idée capétienne», reprise à Michelet et Péguy, de nation vivante dans la société vivan­te. Le principe participatif doit accompagner le mouve­ment de libération des masses par la promotion historico-sociale du prolétariat. Ce faisant la révolution gaulliste, dans l'idée que s'en fait Dominique de Roux, supprime la théo­rie formulée par Spengler de guerre raciale destruc­trice de l'Occident. Car la nouvelle révolution française me­née par de Gaulle ne peut que conduire à la révolution mon­diale.

 

De Gaulle super-Mao

 

L'époque, estime Dominique de Roux, réclame un nouvel ap­pel du 18 juin, à résonance mondiale, anti-impérialiste, démocratique et internationaliste à destination de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine, dont la précédente déclaration de Brazzaville deviendrait, au regard de la postérité, l'annonce. Un tel acte placerait de Gaulle dans la position d'un super-Mao —ambition partagée pour lui par Malraux— seul en mesure d'ébranler la coalition nihiliste des impérialismes américano-soviétiques, matérialistes ab­solus sous leur apparence d'idéalisme. La grande mission pacificatrice historique de dimension universelle assignée à la France passe, en prévision d'une conflagration thermo­nuc­léaire mondiale alors imminente —la troisième guerre mon­diale—, par le lancement préventif d'une guerre révo­lutionnaire mondiale pour la Paix, vaste contre-stratégie visible et invisible, subversion pacifique qui neutraliserait ce risque par l'agitation révolutionnaire, la diplomatie sou­ter­raine, le chantage idéologique. L'objectif, d'envergure planétaire, réclame pour sa réalisation effective la mise en œuvre d'une vaste politique subversive de coalitions et de renversements d'alliances consistant à bloquer, dans une dou­ble logique de containment, la progression idéologico-territoriale des empires américain et soviétique sur les cinq continents.

 

Le plan d'ensemble du gaullisme géopolitique s'articule en cinq zones stratégiques plus une d'appui et de manœuvre, en place ou à créer:

-renforcement du bloc franco-allemand, selon la fidélité historique au devenir éternel de l'Europe;

-dégager le Sud-Est européen de l'empire soviétique, afin de stopper l'action de l'URSS sur son propre axe de clivage et l'obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-dégager le Sud-Est asiatique de l'empire américain, afin de stopper l'action des USA sur leur propre axe de clivage et les obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-faire jouer à l'Amérique latine le rôle de lien entre la conscience occidentale et le Tiers-Monde par l'action des for­ces révolutionnaires sur le terrain;

-empêcher que le Canada ne devienne une base impériale extérieure de rechange des USA;

-soutenir secrètement l'Inde contre la Chine pour des rai­sons d'ordre spirituel théurgique, la Chine représentant la matérialisation de l'esprit quand l'Inde incarne depuis tou­jours le primat du spirituel sur la matière.

 

La consolidation du front idéologique mondial lancé par le gaullisme requérant que soient attisés par ses agents le ma­ximum de foyers, il apparaît nécessaire dans un premier temps que partout où se trouvent les zones de con­fron­ta­tion idéologique et d'oppression des minorités, l'on sou­tien­ne la révolution au nom du troisième pôle gaulliste. Six zo­nes de friction retiennent l'attention de Dominique de Roux, en raison de leur idéal nationaliste-révolutionnaire con­forme aux aspirations gaullistes et pour leur situation géostratégique de déstabilisation des blocs (de Roux ne le sait pas encore, mais viendront bientôt s'ajouter à sa liste le Portugal et les possessions lusitaniennes d'Afrique: Ango­la, Guinée-Bissau, Mozambique):

«1) le combat pour la libération nationale et sociale de la Pa­lestine, clef de voûte de la paix au Moyen-Orient et de la présence pacifique de la France en Méditerranée.

2) la mise en marche immédiate de la Conférence Pan-eu­ro­péenne pour la Sécurité et la Coopération Continentale.

3) le combat pour la libération nationale et sociale de l'Ir­lande catholique.

4) la relance du soutien international aux combattants du Québec libre pour la sauvegarde de son être national pro­pre.

5) appui inconditionnel au Bangladesh.»

6) insistance sur la tâche prioritaire des enclaves de langue française comme relais de la subversion pacifique mondia­le.

 

Il conviendra donc d'intensifier les contacts avec toutes les forces révolutionnaires en présence sur le terrain. Ainsi seu­lement la vocation gaullienne accomplie rejoindra sa des­tinée, celle du libérateur contre les internationales exis­tantes —capitaliste et communiste, ouvertement impé­rialistes—, qui soutient et permet toutes les luttes de li­bération nationale et sociale, toutes les révolutions iden­titaires et économiques. «Aujourd'hui, la tâche révolution­naire d'avant-garde exige effectivement, la création de deux, trois quatre Vietnam gaullistes dans le monde.» (Ma­gazine Littéraire n°54, juillet 1971) Sa force contre les a priori idéologique, apporter une solution qui s'inspire de l'histoire, des traditions nationales de chaque pays, de sa spécificité sociale: socialisme arabe, troisième voie péru­vienne, participation gaulliste.

 

L'après-gaullisme représente l'échéance d'une ère

 

De Gaulle a mené un combat entre la vérité historique ulti­me et les circonstances historiques de cette vérité.

 

A l'époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber a cherché à per­suader les Français que le républicanisme gaullien était un régime à peine plus propre que la Grèce des colonels. Puis vint mai 68. «Aujourd'hui, ce même grand capital, qui pour mater les syndicats permit (...) Mussolini (...), qui inventa le nazisme pour la mobilisation maoïste des ouvriers alle­mands en vue de l'expansion économique, qui donna sa pe­tite chance à Franco l'homme des banques anglaises, nous invente morceaux par morceaux la carrière française de Jean-Jacques Servan-Schreiber et les destinées euro­péen­nes du schreibérisme.» La vérité fut que de Gaulle, na­tionaliste et révolutionnaire, annula dialectiquement et re­jeta dos à dos Hitler et Staline. L'après-gaullisme repré­sente l'échéance d'une ère. L'avenir de l'Occident ne pourra plus se définir que par rapport à l'action personnelle de de Gaulle. Si le gaullisme est le fondement de l'histoire nou­velle, l'après-gaullisme est la période à partir de laquelle se confronteront ceux qui poursuivent son rêve et ses oppo­sants, ceux qui refusent sa vision. Pas d'après-gaullisme donc, seulement le face à face gaullistes contre anti-gaul­listes. «Il n'y a de gaullisme qu'en de Gaulle, de Gaulle lui-mê­me devient l'idée dans l'histoire vivante ou même au-de­là de l'histoire.» Pour préserver l'authenticité de la geste gaul­liste, il faut conserver le vocabulaire de l'efficacité gaul­lienne. «Qu'importe alors la défaite formelle du gaul­lisme en France et dans le monde, écrit Dominique de Roux dans Ouverture de la chasse en juillet 1968, si, à sa fin, le gaullisme a fini par l'emporter au nom de sa propre vérité in­térieure, à la fois sur l'histoire dans sa marche dialectique et sur la réalité même de l'histoire ?»

 

Dominique de Roux victime de sa vision ?

 

Trente ans après, quel crédit accorder aux spéculations géo-poétiques du barde impérial de Roux ? Lui-même re­con­naissait interpréter la pensée gaullienne, en révéler le sens occulte. Des réserves d'usage, vite balayées par les mi­rages d'un esprit d'abord littéraire (littérature d'abord), sujet aux divagations les plus intempestives. Exemple, la France, «pôle transhistorique du milieu» «dont Charles de Gaulle ne parle jamais, mais que son action et son écriture sous-entendent toujours.»

 

Quand il parle de la centrale d'action internationale gaul­liste, qu'il évoque en préambule du premier numéro d'une collection avortée qui devait s'intituler Internationale gaul­liste sa contribution à la propagation du message gaulliste, c'est un souhait ardent que de Roux émet avant d'être une réalité. De Roux victime de sa vision ?

 

Hier figure du gauchisme militaire, aujourd'hui intellectuel souverainiste, Régis Debray dans A demain de Gaulle fait le mea culpa de sa génération, la génération 68, coupable selon lui de n'avoir pas su estimer la puissance visionnaire du grand homme, dernier mythe politique qu'ait connu la France.

 

Au regard de l'Histoire dont il tenta sa vie durant de percer les arcanes, Dominique de Roux s'est peut-être moins four­voyé sur l'essentiel, qui est l'anti-destin, que la plupart des intellectuels de son temps. «Par l'acte plus encore que par la doctrine, Charles de Gaulle a amorcé une Révolution Mon­diale. Celle-ci, connue par lui à l'échelle du monde, ap­pelle ontologiquement une réponse mondiale.»

 

Dans Les chênes qu'on abat, Malraux fait dire à de Gaulle: «J'ai tenté de dresser la France contre la fin d'un monde. Ai-je échoué ? D'autres verront plus tard.»

 

De Gaulle, troisième homme, troisième César.

 

Laurent SCHANG.

 

Bibliographie:

 

De Dominique de Roux:

-Ouverture de la chasse, L'Age d'Homme, 1968.

-Contre Servan-Schreiber, Balland, 1970.

-Politique de Dominique de Roux, Portugal, Angola, In­ternationale gaulliste, Au signe de la Licorne, 1998.

-L'écriture de Charles de Gaulle, Editions du Rocher, 1999.

 

André Malraux, Les chênes qu'on abat, NRF Gallimard, 1971.

 

samedi, 14 juin 2008

Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

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Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

 

Entretien

 

A quelques jours de la parution de son nouvel essai, Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France, aux éditions du Bon Albert, Rémi Soulié a accepté de nous entretenir de son précédent ouvrage, publié chez L'Age d'Homme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux

 

«De Roux a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire»

 

Pourquoi, aujourd'hui, écrire sur Dominique de Roux? Son nom, qui reste sulfureux (on se souvient du mot: «A force d'être traité de fasciste, j'ai envie de me présenter ainsi: moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nurem­berg»), n'a laissé aucun chef-d'œuvre impérissable. Ses livres sont pour la plupart des collages d'idées anarchi­ques, anarchiquement assemblées pour former une pâte de textes indigestes jetée sans autre souci à la figure d'un lecteur qui n'est pas habitué à être reçu ainsi. Mis à part une poignée d'irréguliers, personne ne le réclame. Seuls quelques éditeurs hors du sérail ont relevé le pari de publier les fulgurances et les formules bancales de ce styliste épileptique, qui se voulut tour à tour et en mê­me temps géométaphysicien, poète dissident du monde, impérialiste pacifique infiltré à la solde d'une Interna­tio­nale révolutionnaire gaulliste qui n'exista jamais ailleurs que dans son esprit enfiévré. Sa vie brusquement écour­tée ressemble à l'image finale de ce film de Werner Her­zog, Aguirre, où l'on voit Klaus Kinski dériver seul sur un radeau au milieu dune multitude de petits singes jaunes à têtes noires, debout dans son armure rouillée de con­qui­stador renégat, défiant Dieu, le regard halluciné, dé­voré par son rêve d'empire d'au-delà de la jungle amazo­nienne, avec la caméra qui s'éloigne. Pourquoi en effet, quand on s'appelle Rémi Soulié, écrire une biographie de Dominique de Roux, sinon pour tout ce qui vient d'être dit ?

 

Dès la première page des Châteaux de glace le ton est donné: «Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux! La politique enfin restaurée en mystique par quelques ro­yalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révo­lu­tion­naires intacts à la Fajardie! "Heureux comme Dieu en France", cette neuvième béatitude sortirait de la morgue où la science épigraphique congèle les anciennes senten­ces!» Soulié, maurrassien c'est sûr, n'aime pas son époque, aux songes creux et à la bouche pleine de gargouillis («droits de l'homme», «citoyenneté», «démocratie»...), et encore moins sa littérature. La gauche, hier insurgée, s'a­bîme dans la social-démocratie. La droite a trahi de Gaulle —c'était quand? Les écrivains se regardent le nombril et les éditeurs jouent les barbouzes. Lui voudrait un écrivain qui soit à la fois un idéologue et un aventurier, de droite et un peu à gauche, un militant et un esthète, Lawrence et Rim­baud, Monfreid et Malraux. Sa rencontre avec de Roux était fatale.

 

Ecrire une biographie c'est aussi, c'est surtout, écrire sur soi-même, retracer les étapes d'une vie étrangère pour mieux comprendre son propre cheminement intérieur. Rémi Soulié a donc mis ses pas dans ceux du Don Quichotte avey­ronnais, ce qui nous vaut de jolis passages, rencontré des témoins, nourri une abondante correspondance avec ses pro­ches. Son livre est riche de citations, et dans sa relation intime avec de Roux, il lui parle autant qu'il nous parle de lui. Raison pour laquelle Soulié ne craint pas de se montrer par endroit hermétique, voire ésotérique.

 

De Roux, la littérature et la droite. C'eût été un parfait sous-titre si Rémi Soulié avait jugé bon d'en ajouter un. En­core faut-il, avec un aussi subtil dialecticien, s'entendre sur les mots. De quelle droite parlons-nous ? En politique, de Roux honnissait le nationalisme et la propriété privée. En France, ce voyageur infatigable se considérait en territoire ennemi. Côté littérature, de Roux méprisait les hussards, qu'il qualifiait dédaigneusement de «chevaux-légers de la bourgeoisie». La Droite selon Dominique de Roux, Droite avec un grand "D" (comme Evola l'écrivait du reste, et Sou­lié ne manque pas de faire le lien), est partout où domine le tragique, donc le sens du sacré, dans la marche de l'His­toire. Héroïsme et folie sont valeurs de droite, qui définis­sent en littérature le Grand Art. Sont de droite Claudel, Hei­degger, Gombrowicz, Lawrence, Jünger, Benn, Céline, Artaud, Biely, Blanchot, Cummings, Pound, Genet, Nizan, Yeats, Joyce, Ungaretti, Gadda, Michaux. Une droite re­con­nue par lui seul, qu'il réinvente et redessine au gré de ses illuminations.

 

«Je soupçonne Dominique de Roux d'avoir lâché la corde avant terme pour ne pas assister à l'ultime désastre. Pro­phète comme il l'était, il aura préféré la vision béatifique à la société du spectacle.» Certains doutent de sa mort et préfèrent croire qu'il dort, roi du monde pétrifié dans la ro­che, sous un glacier, attendant son heure. D'autres pen­cheraient plutôt pour un repli stratégique dans une faille tel­lurique, quelque part entre Thulé et l'île de Pâques. Plus disert, Rémi Soulié conclut par l'impérieuse nécessité de sa relecture. «Dominique de Roux (...) desperado sudiste di­gne de notre piété.»

 

Entretien.

 

Q: Rémi Soulié, on sort de votre essai, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux, converti. Il émane de cha­cune de ses pages une attraction mystérieuse que j'attri­buerai autant aux révélations que vous nous apportez sur ce personnage extraordinaire que fut Dominique de Roux qu'à l'inexplicable envoûtement de votre style, touché par une sorte de grâce qui le transfigure. Parfois, je me suis surpris à lire des paragraphes pour leur seule poésie, incapable «au réveil» de me souvenir de ce qu'ils disaient. Ce livre est celui d'un mystique. Au reste, son titre est déjà porteur d'un sens initiatique, comme s'il fal­lait entrer dans son œuvre comme on part en pè­le­rinage.

 

Rémi Soulié: Dans Immédiatement, Dominique de Roux évoque sa grand-mère et son «château de glaces». J'ai donc choisi ce titre parce que c'était une formule de Dominique de Roux lui-même, quelle renvoyait métaphoriquement à une demeure familiale  —et je me suis attaché à montrer ce que de Roux devait aux vacances passées en Aveyron, pen­dant son enfance— mais aussi parce que le château et la glace sont lourds de sens: ils évoquent à la fois l'en­ra­cinement profond, aristocratique, dans l'histoire de France, dans l'ancienne France, un «palais des glaces» où se réflé­chissent une image de soi fragmentée, une identité plu­riel­le, et, enfin, la mort. Dominique de Roux était hanté par la mort. Etait-ce pressentiment d'une fin prématurée, tro­pis­me romantique ? Sans doute les deux à la fois, et sans dou­te plus encore.

 

Q.: Dominique de Roux écrivain révolutionnaire -écrivain ET révolutionnaire, il ne viendrait plus aujourd'hui à l'i­dée de personne d'en douter. Mais dans quel camp était-il ? Droite-gauche-gaulliste-anar de droite ?

 

R.S.: Certainement pas révolutionnaire de gauche. Cela n'au­rait aucun sens. Son intérêt pour la Chine de Mao était esthétique, poétique —en ceci, il n'est pas très éloigné de Sol­lers, mutatis mutandis. Révolutionnaire de droite suppo­serait de sa part une adhésion doctrinale à un système par­ticulier également, or, même si l'on trouve dans son œuvre, surtout dans le Contre Servan-Schreiber, un jeu intellectuel sur le lexique maurrassien, Dominique de Roux ne saurait être réductible à une seule pensée politique. Il fut un hom­me d'action, certes, au service de la France gaullienne, en Angola, mais son gaullisme était mystique, non politique, selon la distinction de Péguy. Je vois en de Roux un poète de l'action, comme le colonel Lawrence ou Mishima. Il était attaché, sans doute, à une «certaine idée de la France», mais à une idée poétique, littéraire. Son anticommunisme, néanmoins, est évident. La catégorie d'anar de droite, si in­téressante soit-elle, François Richard la bien montré, est un peu un fourre-tout. On y «case» les irréductibles, ceux qui sont allergiques aux conneries puritaines de la bigoterie contemporaine et éternelle, à la figure increvable du «bour­geois», celle que Baudelaire, Flaubert, Bloy, Barbey ont décrit. Un Dictionnaire des idées reçues serait d'ailleurs impubliable de nos jours. Les hérauts socialistes et émi­nem­ment bourgeois de la liberté nous en empêcheraient. De Roux, en définitive, était bien révolutionnaire, parce que c'était un écrivain, et que tous les écrivains dignes de ce nom le sont. Pound, Borgès, Jouve, Céline, Gombrowicz, c'est aussi lui, c'est souvent d'abord lui.

 

Q.: Dominique de Roux nous a quitté il y a un quart de siècle. Selon vous, qui le connaissiez bien, qui peut pré­tendre aujourd'hui avoir pris sa place ? Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question: quel apport à la lit­térature française fut le sien ?

 

R.S.: Personne n'a pris sa place, car personne ne prend ja­mais la place d'un écrivain —surtout un autre écrivain. Do­minique de Roux a néanmoins des admirateurs, par exem­ple certains jeunes collaborateurs de la revue Immédia­te­ment, placée sous son patronage. Marc-Edouard Nabe est un excellent connaisseur de de Roux. De Roux a marqué l'his­toire littéraire française, comme écrivain et comme édi­teur. Les Dossiers H de L'Age d'Homme, dirigés par Jac­que­line de Roux, sa femme, n'existeraient pas sans les Ca­hiers de l'Herne. Les auteurs dont je parlais précédemment sont entrés dans notre bibliothèque grâce à lui. Il a renou­velé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire.

 

Q.: Au fond, que représente-t-il pour vous ?

 

R.S.: C'est un intercesseur, pour reprendre le mot de Bar­rès. Il donne des leçons de style, de courage, de vitesse, de passion, d'absolu, de colère; de Roux est un esprit libre, un homme seul qui a suivi sa vocation. C'est un «littéraire in­tégral», un homme pour qui la littérature était une vision du monde.

 

Q.: Le romancier Dominique de Roux m'a toujours in­trigué...

 

R.S.: Quoi qu'il écrive, Dominique de Roux était un styliste doué, d'emblée maître de son écriture et de son univers. Il est donc difficile, et sans doute réducteur, de comparti­men­ter son œuvre. Plus que pour d'autres écrivains, la ques­tion du genre, à mon avis, ne se pose pas vraiment chez lui. Je suis sensible à tous ses «romans» de Mademoi­selle Anicet au Cinquième Empire en passant par Harmo­nika-Zug et Maison jaune. Avec Mademoiselle Anicet, il a montré qu'il pouvait écrire, très jeune, un roman de fac­tu­re classique, «à la française», comme Une curieuse solitude de Sollers, avec lequel un parallèle s'impose à nouveau; à l'autre bout de l'œuvre, Le Cinquième Empire se lit comme un poème, lui aussi parfaitement maîtrisé. La beauté du Por­tugal éternel, mythique, celui du Roi caché, transparaît dans l'évocation dune situation exceptionnelle de crise. L'écriture de Dominique de Roux est limpide, et il a assi­milé Rimbaud.

 

Q.: Avant de lire Les Châteaux de glace votre nom m'é­tait inconnu. Force est de constater que votre livre se montre d'une grande discrétion à ce sujet. Rien ne filtre, ni sur vous ni sur vos antécédents. Quelques mots de votre part seraient les bienvenus à présent.

 

R.S.: J'ai trente-deux ans. Avant ce Dominique de Roux, j'ai publié un traité sur la promenade (*); j'avais alors une acti­vité d'enseignant-chercheur en littérature française, à l'U­ni­versité de Toulouse. J'ai collaboré à différentes revues, pu­blié plusieurs articles, universitaires ou non.

 

Q.: Et quels sont vos projets désormais ?

 

R.S.: Je corrige en ce moment les épreuves d'un essai sur Aragon, à paraître en janvier 2001 aux Editions du Bon Al­bert: Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France. J'es­père également publier dans les mois à venir une étude sur Jean Boudou, immense écrivain occitan, traduit en fran­çais, qui est l'égal de Jean Genet ou Mishima, pas moins! Je me suis attaché à le lire avec les lunettes de Freud et de Lacan —une écriture de la perversion, en bordure de la psy­chose. Je n'ai pas la religion de la psychanalyse, loin s'en faut, mais pour qui sait lire, surtout l'œuvre de Lacan, l'éclairage analytique, philosophiquement, est passionnant. Je publie en janvier 2001 une nouvelle, dans un recueil col­lectif, aux côtés de Georges-Olivier Châteaureynaud, Ho­meric, Victor Martin, Marie-Hélène Lafon et Denitza Ban­tcheva.

(propos recueillis par Laurent SCHANG).

(*) De la promenade, Editions du Bon Albert, 1997.

00:30 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dominique de roux, france, lettres, entretiens | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 13 juin 2008

Civilisation occidentale: entre agonalité et irénisme

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SYNERGIES EUROPEENNES – BRUXELLES / TOULOUSE - AVRIL 2004

KORTE INLEIDING : Deze tekst van Rodolphe Lussac is ook een nuttige herhaling van sommige filosofische ideeën, die wij jammer genoeg vergeten zijn. Zijn argumentatie staat volledig op de lijn van de conservatieve revolutie, maar hij haalt ook dikwijls argumenten,  om de notie van identiteit te bepalen en te verdedigen, uit onverwachte hoeken (Lévi-Strauss, Merleau-Ponty, Kundera, Althusser, enz.). Daarom, alhoewel soms moeilijk voor wie het Frans debat niet goed  kent, is zijn tekst hieronder uiterst belangrijk, om de perspectief nog wijder te maken. De referenties naar minder bekende geciteerde sociologen zijn ofwel in het Duits ofwel in het Engels.  

Réflexions sur le devenir de la civilisation occidentale : entre agonalité et irénisme
 

Par Rodolphe Lussac

Le cours de l'histoire contemporaine et événementielle, avec son cortège de guerres, de conflits inter-ethniques, de catastrophes humanitaires, de terrorisme transnational, met en exergue, et de manière évidente, l'irruption, ou plutôt le retour en force, du fait religieux et de l'irrationalité politico-idéologique, qui s'enracinent dans les différentes aires civilisationnelles et minent peu à peu les fondements humanitaro-pacifistes de la civilisation occidentale moderne.

Ce constat nous conduit à nous interpeller sur le sens et le devenir des civilisations et surtout de la destinée de la civilisation occidentale. S'il est établi, en reprenant  un mode de pensée spenglerien, que toutes les civilisations sont périssables, il est pertinent de s'interroger sur les causes de déclin et de mort des dites civilisations. En ce sens, il convient de rappeler qu'à juste titre, Arnold Toynbee a affirme que les civilisations se font par l'action des minorités créatrices et se défont quand la force de création diminue. En un mot, toute civilisation est vouée au déclin lorsqu'elle n'a plus de défi à relever. Force est de constater que la civilisation occidentale (qui serait constituée de l'aire civilisationnelle européenne et “extrême-européenne” américaine) serait indéniablement vouée au déclin par défaut de défi régénérateur et d'absence d'élites créatrices de valeurs et vecteurs de mimétisme socio-politique , qui transcendent les seuls pseudo-défis économiques et financiers qui justifient les entreprises belliqueuses comme c'est le cas pour les Etats Unis.

La perception que l'on se fait de la civilisation occidentale procède d'une dissonance cognitive (pour reprendre un concept sociologique) entre, d'une part, l'image d'une Amérique va-t'en guerre dont les valeurs se fondent sur un réalisme “hobbesien” de recours à la force et, d’autre part, l'image d'une Europe bercée par l'irénisme kantien et idéaliste d'une "paix perpétuelle"  et illusoire, aux accents mielleux, “pacificards”, dignes des héritiers de Kellog et de Briand. L'un et l'autre des deux camps qui sont l'incarnation d'un même mal économiciste et ploutocratique, pêchent par excès d'ignorance car tous deux se réfèrent de manière messianique (pour les Etats Unis) et de manière timorée (pour l'Europe) aux sacro-saintes pseudo-valeurs désuètes de la démocratie, de l'économie libérale de marché et de l'égalitarisme “droit-de-l'hommien”, qu'ils entendent propager coûte que coûte aux "confins barbares" et périphériques des autres peuples et civilisations extra-occidentales. Baignant dans le registre bien connu de la pensée unique, de l'indignation, de la condamnation et du pathos incantatoire face au terrorisme de type ethnique et religieux, ils se refusent à croire que, malheureusement, le moteur de l'histoire humaine résulte de ressorts irrationnels enracinés dans la religion et l'identitarisme national et ethnique dont les irruptions violentes sont cycliques mais constantes.

De récentes fouilles archéologiques et anthropologiques ont établi que le sacrifice humain rituel était la pierre angulaire de toute civilisation, et que la guerre a bien été à la source des premières civilisations et constitue un processus nécessaire du degré de complexification des dites civilisations (l'action guerrière serait fondatrice de la première ville-mère), alors que les thèses sociologiques conflictuelles comme celles avancées par Lewis Coser (http://www.net-lexikon.de/Lewis-Coser.html - http://www.asanet.org/footnotes/septoct03/indexthree.html - http://cgi.sociologyonline.co.uk/News/coser.shtml) ainsi que l'herméneutique de Gadamer démontrent combien les préjugés, les conflits sociaux et la conflictualité générale ont joué un rôle de résolution et de stabilisation des sociétés humaines. La principale erreur de jugement de la civilisation occidentale moderne est de croire aveuglément que toutes les civilisations se valent sur un même pied d'égalité et sont réductibles à l' omniprésence de la démocratie, des droits de l'homme et de la suprématie de l'économie de marché.

L'histoire démontre au contraire que toutes les grandes civilisations ont émergé et vécu sur un mode d'agonalité ( d'opposition, de conflictualité),  un mode donc éminemment conflictuel, et s'insèrent dans une structure d'inégalité. Déjà les travaux de Lévi-Strauss faisaient état d'une opposition entre cultures chaudes et cultures froides, par référence aux cultures actives prométhéennes et aux cultures passives et contemplatives. L'anthropologue K. Avruche  (http://www.republique-des-lettres.com/samuel_huntington/huntington_contre.php ) a démontré, en ce sens, que les concepts de tradition et de nation sont impliqués dans un processus constant et interactif de constructions sociales et culturelles  et résultent de luttes et de conflits d'identités opposées. Ainsi, les matières premières des traditions, de la religion et de l'idéologie peuvent être utilisées pour générer une gamme extrêmement large de civilisations alternatives. Dans cette structure d'inégalité agonale, on assiste à une échelle variable du fait religieux, des ressorts irrationnels, de degrés divers de sacralisation et de sécularisation qui font que les civilisations, à un moment donné historique, peuvent se compénétrer, évoluer de manière synchronique, puis dériver vers une confrontation diachronique de rupture et d'hostilité (le cas le plus flagrant pour la période pré-moderne est celui de l'Empire musulman d’ Al-andalus en Espagne, annihilé à la fin du 15ième siècle par la Reconquista).

A l'époque du mondialisme triomphant, les changements brutaux, économiques et sociaux, détachent les peuples de leur identité locale séculaire. La dé-sécularisation du monde, remarqué par Arthur Weigall, est une réalité de la vie contemporaine. Dans la plupart des civilisations du monde, la religion vient combler ce vide spirituel par un retour aux racines identitaires:
“asianisation” au Japon, hindouisation en Inde, ré-islamisation au Moyen Orient, etc. Le fait religieux et, plus largement, la religion, constituent un facteur structurant et permanent de l'identité nationale, sous forme de ciment d'une identité nationale menacée, et certains aspects de la religion cristallisant les antagonismes sociaux entre nations et communautés cohabitant au sein d'une même nation, et peuvent aboutir à des manifestations de violence fanatique, reflet de l'exacerbation du moi collectif, de doctrine libératrice ou de messianisme prophétique, qui peuvent être, tour à tour, conjoncturelles ou structurelles (cf. Les travaux récents de l’anthropologues américaine Amy Chua, originaire de la  communauté chinoise des Philippines).

Les conditions de structuration et d'évolution d'une culture ou d'une identité  sont évolutifs et, par rapport à d'autres cultures étrangères, s'articulent selon les principes structurants et des hiérarchies de valeurs variables d'un groupe à un autre. Les contacts peuvent être pacifiques mais sont le plus souvent conflictuels. Les sociologues appellent “acculturation” le fait, pour les membres d'une culture donnée, d'adopter contre leur gré des éléments d'une autre culture; les conquêtes militaires sont souvent suivies de stratégies d'acculturation, d'assimilation, voire de destructions pures et simples. Ainsi, les civilisations connaissent une phase d'expansion caractérisée par un processus combinant la dilation spatio-temporelle, l'absorption-domination de cultures mineures, d'assimilation et d'acculturation.

A la lumière de cet enseignement, force est de constater combien est vulnérable la civilisation occidentale matérialste et libérale, laquelle a pour base des stéréotypes médiatiques et des dingueries publicitaires, et doit,  à l’aide de ces pauvres schémas, faire face aux assauts parfois violents et aspirants d'autres civilisations théocratiques et holistes, car elle a déjà succombé au phénomène d'acculturation, adoptant des modes vie et de pensée extérieurs, que je qualifierai d’ “orientalo-anglo-saxons”, de sorte que le pacte culturel "originel", européano-centré, qui touche à la structuration intellectuelle, affective et symbolique (vision du monde, attitudes morales, croyances, réactions affectives)  est largement contaminé par des éléments exogènes et verse dans l'anomie généralisée.

Ce n'est qu'au prix d'une ré-européanisation identitaire, que l'Europe redeviendra ce qu'elle est et que l'européanité  (Roland Barthes parle aussi d'américanité) ne sera plus un vague concept technocratique vide de sens et définira une essence spirituelle héroïco-aristocratique comme l'a si bien évoqué Hugo von Hoffmannsthal. A cette “acculturation culturelle” qu’est la colonisation culturelle de l'Europe, les peuples européens opposeront le retour à leur propre identité culturelle, à un nativisme post-moderne, qui se traduirait par le rejet de toute culture étrangère dominante, vecteur  de ce que Léo Hamon appelle la “causalité extérieure comme forme absolue d'hétéro-détermination”; les Européens se dresseront pour réactiver leurs cultures chtoniennes spécifiques, et, dans ce mouvement, viendrait éclore ce que le sociologue Heiner Mülhmann (http://www.brock.uni-wuppertal.de/Schrifte/Habil/Rezens1.html ) nomme l'adhésion et l'identification de la masse à un chef prestigieux et charismatique dans le sens wébérien du terme et ce que Jean Lacouture appelle "l'homme-témoin-drapeau" qui incarne l'identité nationale.

La société globale et néo-libérale est irrémédiablement gangrénée par le syndrome de la modernité, vision mono-linéaire de l'évolution de l'humanité, le miroir aux alouettes des parvenus et des drogues de l'illusion du progrès, l'ambition des "feuilles mortes" comme l'appelait Kundera, la chasse gardée de la caste du "mandanirat" technocratique, vilipendé par Noam Chomsky comme les représentants de la nouvelle oligarchie ploutocratique.  Au lieu de se lamenter sur son sort et de faire l'anathème d'un monde qui trébucherait sur des anachronismes et des guerres de religions, la civilisation européenne (enfin ce qu'il en reste) ferait bien d'accepter l'évidence que la religion est une expression naturelle, une forme de croyance, la traduction d'un désir d'interprétation du monde et qu'au lieu de s'indigner et de dénoncer la violence aveugle, elle  s'attache à réfléchir sur la grille de lecture que procure le radicalisme religieux et plus précisément sur le sacré, qui, selon Regis Debray, se révèle être une voie de compréhension et d'accès au profane.

Le fait religieux restera indubitablement  un indicateur de la réalité humaine et collective. A  rebours d'une Amérique messianique contemporaine, qui, au moins, a eu le mérite de remettre au goût du jour le concept de recours à la force, la civilisation européenne plonge dans un irénisme béat et fonctionne sur un mode expiatoire d'auto-flagellation, rongée par ce que Spinoza fustigeait comme la complainte sanglotante de l'homme blanc : le remord, le ressentiment et la propension européenne à culpabiliser sur son passé colonial, ainsi qu'à se morfondre dans une compassion “victimaire” au lieu de se ressaisir sur un mode matriciel et de renouer avec le concept de puissance fondé sur un projet commun géopolitique eurasiatique, la défense des valeurs spirituelles, politiques et culturelles séculaires.

Même si les thèses de Huntington sur le choc de civilisations pêchent par réductionnisme et par culturalisme, et font l'impasse sur les conflits intra-civilisationnels (qu’Amy Chua met bien en exergue), elles ont eu le mérite de remettre au goût du jour les ressorts conflictuels latents, inhérents à toute civilisation, ressorts qui peuvent être, selon le contexte, réactifs par la religion, l'identité ethnique et nationale. A l'instar de ce que l'historien Edward Gibbons a declaré jadis, à savoir que dans l'histoire des civilisations, seuls la naissance et le décès ont une valeur explicative, l'analyse des causes de déclins des civilisations s'avère fondamentale, sans oublier que le déclin de la civilisation occidentale moderne et libérale peut être une lente agonie, compte tenu des capacités d'autorégulation et de régénération du capitalisme de marché, si bien expliquées par Joseph Schumpeter.

Le philosophe Ernst Troeltsch, qui se rattache à l'école de Bade et à l'historisme de Dilthey, a considéré qu'il existe une unité de devenir à travers chaque culture et ses valeurs, et l'on pourrait dire qu'il existe indéniablement une unité de régression propre à toutes les civilisations dont les symptômes sont: anomie généralisée, multiculturalisme exacerbé, persistance du crime, drogue et violence, déclin de la famille et de la natalité, déclin du capital social, faiblesse générale de l'éthique et du civisme, désaffection pour la politique et le savoir, suprématie de l'industrie du spectacle, syncrétisme néo-spirituel et hédonisme généralisé.

Arnold Toynbee écrira, à juste titre, que la civilisation contemporaine est corrompue par les images et les ondes et le résultat de cette désastreuse nouvelle donne culturelle a été le désert spirituel que Platon avait décrit comme une "communauté de gorets" et qu’Aldous Huxley avait raillé sous le nom de "meilleur des mondes". L'imaginaire collectif européen est purement et simplement colonisé par la société de la communication et de l'information, l'hyper-festif fictif et par les pilules anesthésiantes de la télé-réalité, qui constituent aujourd'hui ce que Louis Althusser appelait les relais modernes de l'"appareil idéologique d'Etat".   

Tous ces maux qui accablent la civilisation occidentale procèdent d'un principe du mal que Baudrillard a nommé le “principe de dé-liaison”, ce qui veut dire que l'Occident est en dé-liaison avec ses racines spirituelles et cuturelles comme la societe occidentale est en “dé-liaison” avec le respect du civisme, de l'autorité et de la hiérarchie. Pour se régénérer , la civilisation occidentale se doit de se soumettre à un devoir de mémoire, non pas une mémoire accablante et culpabilisante, mais une mémoire sous forme de maïeutique, que prône le précepte husserlien du "retour aux choses mêmes", du retour aux origines spirituelles et culturelles originelles. Une fois désintoxiquée, cette mémoire collective serait à même, comme le préconise Merleau-Ponty, de mesurer sa conscience au monde, et, en s'incarnant en situation historique, de se confronter aux autres civilisations par l'affirmation de sa volonté de puissance.

Dans la compréhension des dynamiques des civilisations, au pessimisme spenglerien, au réalisme et l'élitisme de Toynbee, il faudrait ajouter une dose de réalisme darwiniste social, selon lequel il est  établi que, dans la survie et la suprématie, la victoire appartiendra à la civilisation la plus unifiée culturellement et la plus déterminée ainsi que la plus adaptée à la poursuite de la puissance mondiale. Oui, il faut croire que la civilisation occidentale, plongée dans une longue déliquescence morale et politique, peut encore s'inscrire dans une sorte de "possibilisme", et envisager un sursaut salvateur, un déterminisme à rebours et relever un nouveau défi culturel et identitaire comme le prônait Arnold J. Toynbee. Pour ce dernier, "la facilité est nuisible à la civilisation", et il est vrai que toutes les grandes constructions se sont édifiées dans un cadre difficile par ré-activité volontariste. L'art politique est agonal, naît de la lutte, vit de contrainte et meurt de facilité. "Le stimulant de la civilisation croit en proportion de l'hostilité du milieu". La renaissance de la civilisation européenne se fera si il y a lieu dans un climat de rivalité sous l'impulsion de minorités agissantes et déterminées, car comme le disait si bien Bernanos, les "hommes d'exception naissent à la lisière des pouvoirs forts". Les futures guerres et conflits décisifs seront combattus le long des fractures civilisationnelles et identitaires. La civilisation exprime la plus vaste base symbolique et pratique d'affiliation culturelle humaine en aval d'une conscience d'appartenance à l'espèce humaine. C'est pourquoi, la culture, l'identité et non la classe, l'idéologie ou la nationalité fera la différence dans la lutte des puissances du futur.

Rodolphe Lussac
(Toulouse, avril 2004).

The Right Stuff (Drugs and Democracy)

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Chronicles of American Culture (October 1996)

The Right Stuff (Drugs and Democracy)

by Tomislav Sunic


Morphine is said to be good for people subject to severe depressions, or even pessimism. Although the drug first surfaced in a laboratory at the end of the last century, its basis, opium, had been used earlier by many aristocratic and reactionary thinkers. A young and secretive German romantic, Novalis, enjoyed eating and smoking opium juice, probably because he had always yearned to alleviate his nostalgia for death. Probably in order to write his poem Sehnsucht nach dem Tode. Early poets of Romanticism rejected the philosophy of rationalism and historical optimism. They turned inward to their irrational feelings, shrouding themselves in the pensive loneliness which opiates endlessly offer.

Once upon a distant time we met Homer's Odysseus, who was frequently nagged by the childish behavior of his pesky sailors. Somewhere along the shores of northern Africa, Odysseus and his sailors had strayed away into the mythical land of the lotus flower. As soon as his sailors began to eat the lotus plant, they sank into forgetfulness, and immediately forgot their history and their homeland. It was with great pain that Odysseus succeeded in extracting them from artificial paradises. What can be worse for a nation than to erase its past and lose its collective memory?

Unlike many modern wannabe conservatives and televangelists, Greeks and Romans were not hypocrites. They frankly acknowledged the pleasures of wine and women. Sine Cerere et Bacco friget Venus - without food and wine sexual life withers away, too.

The escape from industrial reality and the maddening crowd was one of the main motives for drug use among some reactionary poets and thinkers, who could not face the onset of mass society. The advent of early liberalism and socialism was accompanied not only by factory chimneys, but also by loneliness, decay, and decadence. If one could, therefore, not escape to the sunny Mediterranean, then one had to craft one's own artificial paradise in rainy and foggy London. The young English Tory Thomas De Quincey, in his essay Confessions of an English Opium Eater, relates his Soho escapades with a poor prostitute Anna, as well as his spiritual journeys in the aftertaste of opium. De Quincey has a feeling that one life-minute lasts a century, finally putting an end to the reckless flow of time.

The mystique of opium was also grasped by the mid-19th century French symbolist and poet Charles Baudelaire. He continued the aristo-nihilistic-revolutionary-conservative tradition of dope indulgence via the water pipe, i.e., the Pakistan huka. Similar to the lonely albatross, Baudelaire observes the decaying France in which the steamroller of coming liberalism and democratism mercilessly crushes all esthetics and all poetics.

When studying the escapism of postmodernity, it is impossible to circumvent the leftist subculture and its pseudo-intellectual sycophants of 1968. The so-called sixty-eighters hollered out not only for liberty from all political authority, but also for free sex and drugs. Are these leftist claims not part of the modern religion of human rights? At the beginning of the 60's, the musical alter egos of the Western left, the Rolling Stones and Bob Dylan, called out to millions of young people throughout America and Europe, telling intruders to "get off of my cloud" and concluding that "everybody must get stoned."

Predictably, the right-wing answer to the decadence of liberal democracy was nihilistic counterdecadence. The main difference, however, between these two is that reactionary and rightist addicts do drugs for elitist and esoteric purposes. By their temperament and literary style they reject all democracy- whether it is of a socialist or liberal brand. When in the 20th century the flow of history switched from first gear into fifth gear, many rightist poets and thinkers posed a question: What to do after the orgy? The French right-leaning author Jean Cocteau answered the question this way: "Everything that we do in our life, even when we love, we perform in a rapid train running to its death. Smoking opium means getting off the train."

Hashish and marijuana change the body language and enhance social philanthropy. Smoking joints triggers abnormal laughter. Therefore hashish may be described as a collectivistic drug custom-designed for individuals who by their lifestyle loathe solitude and who, like Dickens' proverbial Ms. Jellyby, indulge in vicarious humanism and unrepentant globalism. In today's age of promiscuous democracy, small wonder that marijuana is inhaled by countless young people all over liberalized Europe and America. In the permissive society of today, one is allowed to do everything-provided one does not rock the boat, i.e., "bogart" political correctness. Just as wine, over the last 2,000 years, has completely changed the political profile of the West, so has marijuana, over the last 30 years, completely ruined the future of Western youth. If Stalin had been a bit more intelligent he would have solemnly opened marijuana fields in his native Transcaucasia. Instead, communist tyrants resorted to the killing fields of the Gulag. The advantage of liberalism and social democracy is that via sex, drugs, and rock 'n' roll, by means of consumerism and hedonism, they function perfectly well; what communism was not able to achieve by means of the solid truncheon, liberalism has achieved by means of the solid joint. Indisputably, Western youth can be politically and correctly controlled when herded in techno-rap concerts and when welcomed in cafes in Holland, where one can freely buy marijuana as well as under-the-table "crack," "speedball," and "horse." Are these items not logical ingredients of the liberal theology of human rights?

Cocaine reportedly induces eroticism and enhances the sex act. The late French fascist dandy and novelist Pierre Drieu La Rochelle liked coke, desiring all possible drugs and all impossible women. The problem, however, is that the coke intaker often feels invisible bugs creeping from his ankles up to his knees, so that he may imagine himself sleeping not with a beautiful woman but with scary reptiles. In his autobiographical novels Le feu follet and L'homme couvert de femmes, La Rochelle's hero is constantly covered by women and veiled by opium and heroin sit-ins. In his long intellectual monologues, La Rochelle's hero says: "A Frenchwoman, be she a whore or not, likes to be held and taken care of; an American woman, unless she hunts for a husband, prefers a passing relationship... Drug users are mystics in a materialistic age. Given that they can no longer animate and embellish this world, they do it in a reverse manner on themselves." Indeed, La Rochelle's hero ends up in suicide-with heroin and revolver. In 1945, with the approaching victory of the Allies, and in the capacity of the intellectual leader of the defunct Eurofascist international, Pierre Drieu La Rochelle also opted for suicide.

The English conservative and aristocrat Aldous Huxley is unavoidable in studying communist pathology (Brave New World Revisited) and Marxist subintellectual schizophrenia (Grey Eminence). As a novelist and essayist his lifelong wish had been to break loose from the flow of time. Mexican mescaline and the artificial drug LSD enabled him new intellectual horizons for observing the end of his world and the beginning of a new, decadent one. Apparently mescaline is ideal for sensing the colors of late impressionist and pointillist painters. Every drop on Seurat's silent water, every touch on Dufy's leaf, or every stone on the still nature of old Vermeer, pours away into thousands of billions of new colors. In the essay The Doors of Perception, Huxley notes that "mescaline raises all colors to a higher power and makes the percipient aware of innumerable fine shades of difference, to which, at ordinary times, he is completely blind." His intellectual experiments with hallucinogenic drugs continued for years, and even on his deathbed in California in 1963, he asked for and was given LSD. Probably to depart more picturesquely into timeless infinity.

And what to say about the German centenarian, enigmatic essayist and novelist Ernst Jünger, whom the young Adolf Hitler in Weimar Germany also liked to read, and whom Dr. Joseph Goebbels wanted to lure into pro-Nazi collaboration? Yet Jünger, the aristocratic loner, refused all deals with the Nazis, preferring instead his martial travelogues. In his essay Annäherungen: Drogen and Rausch, Jünger describes his close encounters with drugs. He was also able to cut through the merciless wall of time and sneak into floating eternity. "Time slows down. . . . The river of life flows more gently... The banks are disappearing." While both the French president François Mitterrand and the German chancellor Helmut Kohl, in the interest of Franco-German reconciliation, liked meeting and reading the old Jünger, they shied away from his contacts with drugs.

Ernst Jünger's compatriot, the essayist, early expressionist, and medical doctor Gottfried Benn, also took drugs. His medical observations, which found their transfigurations in his poems "Kokain" and "Das Verlorene Ich," were collected by Benn as a doctor-mortician in Berlin of the liberal-Weimarian Germany in decay. He records in his poetry nameless human destinies stretched out dead on the tables of his mortuary. He describes the dead meat of prostitutes out of whose bellies crawl squeaking mice. A connoisseur of French culture and genetics, Benn was subsequently offered awards and political baits by the Nazis, which he refused to swallow. After the end of the war, like thousands of European artists, Benn sank into oblivion. Probably also because he once remarked that "mighty brains are strengthened not on milk but on alkaloids."

Modern psychiatrists, doctors, and sociologists are wrong in their diagnosis of drug addiction among large segments of Western youth. They fail to realize that to combat drug abuse one must prevent its social and political causes before attempting to cure its deadly consequences. Given that the crux of the modern liberal system is the dictatorship of well-being and the dogma of boundless economic growth, many disabused young people are led to believe that everybody is entitled to eternal fun. In a make-believe world of media signals, many take for granted instant gratification by projecting their faces on the characters of the prime-time soaps. Before they turn into drug addicts, they become dependent on the videospheric surreality of television, which in a refined manner tells them that everybody must be handsome, rich, and popular. In an age of TV-mimicry, headless young masses become, so to speak, the impresarios of their own narcissism. Such delusions can lead to severe depressions, which in turn can lead to drugs and suicide. Small wonder that in the most liberal countries of the West, notably California, Holland, and Denmark, there is also the highest correlation between drug addiction and suicide.

If drug abuse among some reactionary and conservative thinkers has always been an isolated and Promethean death wish to escape time, the same joint in leftist hands does more than burn the fingers of the individual: it poisons the entire society.


Tomislav Sunic is the author of Against Democracy and Equality; The European New Right (1990).

jeudi, 12 juin 2008

Entretien avec Jacques d'Arribehaude

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Entretien avec Jacques d'Arribehaude, un «Français libre»

Q.: Dans Un Français libre (L'Age d'Homme, 2000), vous me­nez, sous le couvert d'un journal intime, une quête qui n'est autre que l'antique gnôthi seauton hellénique: la recherche et l'étude de soi. Qui êtes-vous donc? Fran­çais ou Gascon? Moderne ou d'Ancien Régime? Du XVIIe ou du XIIe siècle?

Né au pied des Pyrénées à l'extrême sud-ouest de la Fran­ce, d'une mère basque et d'un père gascon, je suis Français d'éducation, de tradition et de culture, mais ouvert depuis toujours au grand large, à l'esprit d'aventure et de recher­che de nos grands ancêtres navigateurs et conquérants. J'ap­partiens une famille dont les archives remontent au XIIe siècle par mon père, avec des attaches en Béarn, Gascogne et Navarre. On trouve mes ascendants sur les Sceaux gas­cons de la Tour de Londres sous Edouard III, puis sur les rô­les d'armes de Gaston Phébus du Béarn au XIVe siècle, mais dans un déclin constant durant les guerres de Religion et les désordres de la Fronde au XVIIe siècle. Sous la Révo­lu­tion, Jean d'Arribehaude, beau-frère de Raymond de Seze, dé­fenseur de Louis XVI à la Convention, renonce à ses sei­gneuries de Lasserre, d'Orgas et autres lieux pour échap­per à la guillotine, et la ruine du patrimoine familial a­chève de se consommer au fil des générations. Mon enfance n'en est pas moins marquée par la forte empreinte des in­sti­tuteurs au lendemain (très illusoirement victorieux) de la grande guerre 14-18, ces «hussards de la République» qui met­taient tout leur cœur à exalter la nation comme un mo­dèle insurpassable de civilisation pour la terre entière. Le dé­sastre sans précédent de 1940 (j'avais tout juste 15 ans), m'éloigne à tout jamais du régime qui l'a provoqué, qui m'in­spire dès lors le plus définitif dégoût.

Q.: Très jeune, vous avez vécu quelques expériences peu banales: voir défiler les Prussiens de la Totenkopf, tra­verser les Pyrénées, croupir dans une geôle hispa­ni­que, découvrir les clans d' Alger, goûter à toutes sortes de propagandes et même, naviguer ("Il est nécessaire de naviguer"). N'est-ce pas beaucoup pour un jeune homme encore tout frotté de littérature? Quel était donc son état d'esprit le 8 mai 1945?

Que faire, quand on a dix-sept ans, que l'on n'accepte pas l'humiliation d'une telle défaite, que l'on baille au lycée de Bayonne aux trois-quarts occupé par l'administration de la Kommandantur et de la Gestapo, et qu'il y a quelque part une France qui se déclare encore libre, sinon vouloir à tout prix la rejoindre? Cela me vaudra de connaître la prison de Badajoz au fond de l'Espagne, d'où la Croix-Rouge me tire à grand peine, puis le spectacle des querelles politiques d'Al­ger, jusqu'à mon embarquement sur un pétrolier battant pa­villon US, et dont un équipage français remplace un é­quipage américain défaillant et rapatrié sur New York, mais toujours armé de canonniers américains. Je figure, en qua­li­té d'écrivain de bord  —interprète faisant fonction de com­missaire— au carré des officiers, ne regrettant guère d'a­voir été déclaré «inapte au service armé» par la 1ère Di­vision Française Libre que j'avais fini par rejoindre en Li­bye, ni la Direction du service Géographique de l'Armée, qui voulait me retenir comme dessinateur à Alger. Le spec­tacle de l'Italie dévastée, de la corruption qui sévit partout sur fond d'épuration, de misère et de prétendu retour à la morale m'est odieux. J'oublie mes déceptions en décou­vrant, dans les ruines d'une librairie italienne, Le voyage au bout de la nuit où le génie imprécateur de Céline contre la guerre confirme ce que je ressens devant le bourrage de crâne universel. La «France libre» dont je rêvais et dont j'ai suivi au fur et à mesure les querelles de clans et mesquines péripéties n'est que le retour des hommes et du régime dont l'incompétence et la nullité nous ont conduit au dé­sastre. Je ne puis que le vomir et remettre tout en que­stion. J'ai vécu au bout du compte dans l'Italie éventrée de 44-45, la Grèce et la Yougoslavie exsangues et déchirées, la fin malheureuse de l'engrenage suicidaire de 1914 au seul profit d'un communisme aussi criminel que le nazisme, et du mercantilisme américain dont la façade démocratique recouvre une exploitation éhontée de la planète. On ne m'y re­prendra plus.

Q.: Quels furent vos maîtres?

Je dévore Céline dont la force comique fortifie ma lucidité et apaise ma colère dans le sentiment de ne pas être seul au monde à refuser l'imposture de ce temps. Je revois mon ancien professeur Louis Laffite qui, sous le nom de Jean-Louis Curtis, commence à se faire un nom en littérature, et qui m'encourage à écrire. Jusqu'à sa mort, il y a quelques an­nées, il soutiendra mes efforts dans ce sens et j'aurais maintes fois l'occasion d'apprécier son talent, son humour, et la solidité de son amitié. Dès l'enfance, j'ai la passion de la lecture et vais selon une humeur très vagabonde des Mémoires d'un âne à La Condition humaine en passant par Les trois mousquetaires, L'île au Trésor, Robinson Crusoë, Croc-Blanc, Guerre et Paix, Les Mille et une Nuits de Mar­drus (lus par surprise à la bibliothèque municipale) et Gil Blas. L'été de mes 16 ans, en 41, grand emballement pour Au­tant en emporte le vent et le personnage de Rhett But­ler, dont le refus d'être dupe, le joyeux cynisme et la sé­duc­tion s'offrent en modèle idéal à ma naïve adolescence. Il me faut l'épreuve de la guerre et de la maladie pour élar­gir ce modeste horizon. C'est au sanatorium de Leysin, où je suis admis sur le Fonds Européen de Secours aux étu­diants, en Suisse, que je me plonge durablement dans Bal­zac, Stendhal, Flaubert, mais aussi Saint Simon, aussi bien que dans les grands romanciers américains et russes et en particulier Dostoïevski. De là date aussi mon goût pour les correspondances et journaux intimes, au plus près de la vie, telle que la restitue dans son intensité, l'extraordinaire vision de Saint Simon.

Q.: Vous avez fréquenté le monde des Lettres, approché Céline à Meudon, Roland Laudenbach rue du Bac, et mê­me un certain André Malraux. Qui étaient ces trois hom­mes si différents? Et "La Table ronde", cette maison my­thique, quel était donc son esprit?

Accoutumé dès le départ à la solitude, c'est à Roland et De­nise Tual, rencontrés au Festival du film maudit à Biarritz en 1949, que je dois la rencontre de Malraux, de Cocteau, de René Clair, de Roger Nimier, de Roland Laudenbach et autres figures de l'époque, sans que je puisse dire avoir vraiment et durablement fréquenté le monde des lettres. De Malraux, j'ai surtout retenu la volonté qui me semblait exemplaire de «transformer en conscience l'expérience la plus large possible», qui m'incita à prendre du champ en m'exilant près de trois ans dans ce qui était alors le terri­toire du Tchad dans l'Afrique Equatoriale Française, comme agent de l'unique société chargée de l'exploitation du co­ton. Malraux se souvint de moi et m'accorda sa sympathie lorsque je lui adressai Semelles de vent, et intervint plus tard quand je tentai d'entrer à l'ORTF, où le désordre de 1968 me permit finalement de pénétrer de façon durable. "La Table Ronde" se distinguait alors par l'anticonformisme de ses publications, un éloignement ironique à l'égard de l'idéologie dominante et l'engagement à sens unique prôné par Sartre qui nous semblait le comble du grotesque, de la nuisance imbécile, et de l'aveuglement artistique. J'y ren­con­trai, auprès de Laudenbach, Alexandre Astruc, Jacques Lau­rent, et publiai, avant Semelles de vent, La grande va­drouille, bien accueilli par la critique, mais sans succès com­mercial, et dont Laudenbach eut le tort de vendre le ti­tre —sans que je puisse m'y opposer— à une production ci­nématographique sans le moindre rapport avec l'ouvrage.

Q.: La lecture de Proust ne vous a pas illuminé. Dieux mer­ci, je ne suis pas le seul à avoir bâillé d'ennui! Ras­surez-moi, donnez-moi des arguments contre le sno­bis­me proustien!

Je dois à la lecture d'avoir échappé à plusieurs reprises au découragement et à la dépression. C'est le cas avec La re­cher­che du temps perdu, quelles que soient mes réserves sur les vaines contorsions de Proust pour transposer et dé­gui­ser la réalité de son personnage. Il a beau prendre un soin infini à masquer l'origine presque exclusivement juive du «monde» auquel il a accès par l'intermédiaire d'une ma­da­me Strauss ou de Caillavet, d'un Gramont de mère Roth­schild, ou de princes moldo-valaques à généalogie dou­teu­se, pourquoi ne pas dire carrément que les grands noms dont il se pâme ne sont plus que le reflet de la souverai­ne­té triomphante de Mammon, accommodée au snobisme é­per­du et niais des élites républicaines dont il fait partie. Mal­gré cela, et en dépit de tout ce qu'il peut y avoir d'ar­tificiel et de faux dans la société qu'il dépeint, sa difficulté d'être lui inspire des pages déchirantes sur la souffrance, l'amour malheureux, «l'enchantement des mauvais souve­nirs», et son œuvre s'impose par la création de personnages atteignant la force de types universels, qu'il s'agisse de Char­lus, de madame Verdurin, Norpois, Cotard, Nissim Ber­nard, Bloch, etc. La sacralisation contemporaine de mœurs considérées naguère comme honteuses et la révérence ob­ligée devant tout ce qui semble relever particulièrement de la «sensibilité juive» ajoute sans doute à l'universelle re­nom­mée de Proust, et l'encombre d'une vague de snobisme et d'exaltation parfaitement insupportable, mais on oublie de souligner la verve comique qui nourrit souvent les meil­leures pages de son œuvre, et que le personnage de Bloch dans son évolution révèle admirablement l'identité profon­de et mal acceptée du narrateur dans tout le grotesque de son pathos verbal, de son arrivisme mondain, et de ses pa­thétiques affectations. Au total, un grand écrivain, qui ne saurait être négligé, mais dont la vision analytique et cri­ti­que de la société est plus partiale et limitée qu'il semble le croire, et très en deçà du fantastique, prophétique et sou­verain constat de l'œuvre de Céline quelques années plus tard. Marcel Proust, nanti de la République (éminente no­tabilité du père dans les hautes sphères de la maçonnerie et des riches alliances juives), confond ainsi pieusement, dans Le Temps retrouvé, l'effondrement des Empires cen­traux avec «la victoire de la civilisation sur la Barbarie» (sic). Le conformisme niais de cet aveuglement sur la tra­gé­die de l'Europe et l'incapacité démocratique à concevoir une paix durable relativise la pertinence de son ironie sur le patriotisme de ses salonnards familiers et les propos hé­roïques de la Verdurin trempant son croissant matinal dans un café au lait qui échappe aux restrictions de l'heure. Nous sommes loin de la dénonciation autrement puissante et impressionnante du Voyage et du grand souffle célinien balayant les clichés de «cette immense entreprise à se fou­tre du peuple» !

Q.: Dans votre journal, vous avouez une sympathie cou­pable pour la mythologie germanique. Quand on est né vers 1925, qu'on appartient manifestement à une caste d'exploiteurs du peuple (et même si on a porté le bon uni­forme, celui des vainqueurs), ce genre de déclaration vous rend hautement suspect. Expliquez-vous!

J'ai noté dans mon Français libre l'impression profonde, tous drapeaux confondus, de la rengaine nostalgique de la Wehrmacht Lili Marlene durant la guerre. L'affirmation pro­vocante du Sanders de Nimier  —«Plus l'Apocalypse s'est rapprochés de l'Allemagne et plus elle est devenue ma pa­trie!»—  était la mienne alors même que je vivais la victoire de notre croisade de la liberté sous pavillon US à bord du pétrolier «Eagle». La sottise et l'énormité mensongère de la propagande m'exaspéraient. A l'étalage massif et sempiter­nel des exclusives horreurs nazies je ne pouvais m'em­pê­cher de mettre en parallèle toutes les images qu'on nous cachait, et dont il n'existe aucune trace, de l'anéan­tis­se­ment systématique de Dresde et de villes entières, de po­pulations errantes, exténuées, massacrées, ou mourant de faim et de misère sur les routes dévastées. Quelles qu'aient été les aberrations de Hitler, ce désastre était aussi celui de l'Europe et donc le nôtre. A cette impression se mêlait ma compassion pour les vaincus au terme d'une lutte hé­roïque contre le monde entier, et pour les causes perdues.

Mon goût des légendes, inhérent aux contes du pays basque transmis dès l'enfance par ma grand-mère, m'inclinait natu­rellement aussi à une sorte de familiarité fraternelle avec la mythologie germanique et l'exaltation wagnérienne de Lohengrin sur fond d'honneur, de loyauté et d'amour trans­cendant. Ce genre d'impression n'était pas destiné à m'ou­vrir le meilleur accueil et l'on eût trouvé plus naturel de me voir tirer parti de mon engagement sous ce que vous ap­pelez très justement «le bon uniforme», dont je me sou­ciais comme d'une guigne. Mais la solitude était le prix de ma liberté et j'acceptais dès le départ qu'il en soit ainsi.

Q.: Vous aggravez votre cas en déclarant à Mauriac en 1951: «il y a une étude à faire sur l'aide américaine, dans le sens où l'on peut considérer la démocratie amé­ricaine comme le ferment le plus empoisonné, le plus stu­pidement pervers et le plus efficace du désordre mon­dial». Seriez-vous —je n'ose y croire— hostile au prin­cipe même de l'ingérence humanitaire?????

J'ai participé à l'ouvrage collectif Nos amis les Serbes, pu­blié à l'Age d'Homme, pour protester contre l'infamie de la guerre de l'Otan dans les Balkans et la criminelle stupidité de notre alignement sur les Etats-Unis dans ce qui relève de leur seul intérêt avec la création et l'entretien ruineux d'un abcès incurable, étranger à notre culture et à notre civili­sa­tion au cœur de l'Europe. De la même manière, notre strict intérêt était de refuser toute intervention dans la guerre du Golfe et d'en laisser la charge et les dépenses aux Etats-Unis, uniques bénéficiaires. C'est assez dire que je suis résolument contre toute «ingérence humanitaire» qui n'est que le masque grossier de combinaisons sordides et parfaitement étrangères aux intérêts de l'Europe.

Q.: Vous n'êtes tout de même pas de droite? Je vous de­mande cela car j'ai lu quelques phrases ambiguës sur les empires centraux et la monarchie. A nouveau, rassurez-nous!

On classe volontiers parmi les «anarchistes de droite» tous ceux qui n'adhérent pas au conformisme de la pensée uni­que et de l'idéologie dominante qui s'affiche aussi bien à gauche que dans la droite honteuse depuis le triomphe des «Lumières». C'est ainsi que je figure dans l'essai de François Richard, paru il y a quelques années dans la collection "Que sais-je?" (n° 2580). Je ne récuse nullement cette appella­tion, mais qui se soucie aujourd'hui de savoir si Dante, Sha­kespeare ou Cervantès, ont pu être de droite ou de gauche? Sans la moindre prétention, je me contente de croire que celui qui tente de témoigner pour son temps dans l'iso­le­ment d'une création artistique échappe à toute classifi­ca­tion sommaire. Je constate en tout cas que nombre d'écri­vains des années trente parmi les meilleurs, Chardonne, Mon­therlant, Drieu, Morand, Jouhandeau et quelques au­tres, sans parler bien entendu de Céline, arbitrairement clas­sés à droite, et qui ont payé pour cela, n'en faisaient pas moins les délices de Mitterrand, qui avait le bon goût de ne pas cacher sa paradoxale prédilection. Mitterrand, icône de la gauche officielle, était au fond tranquillement fidèle à sa jeunesse monarchiste, et mérite considération et sympathie pour tout ce que nos médias lui ont haineu­se­ment reproché à la fin de sa vie (ferme refus de «repen­tance», émouvante et brillante improvisation, au Parle­ment de Berlin, sur le «courage des vaincus», etc.). Les pre­miers mots dont je me souviens ont été ceux d'une ber­ceuse basque toujours populaire en faveur de don Carlos, "el Rey neto", soutenu par la tradition navarraise contre la farce constitutionnelle de l'oligarchie prétendument pro­gres­siste attachée au règne factice d'Isabel. Curieusement, Marx a exprimé son estime et sa préférence pour l'insur­rection carliste, dont les "fueros" populaires, nobles et pay­sans étroitement mêlés et solidaires, offraient l'image d'une démocratie autrement juste et authentique que le si­mulacre bourgeois hérité de nos mystifications révolution­naires. C'est à cette image, bien évidemment de droite pour nos éminents penseurs professionnels, que je me suis toujours voulu fidèle.

 

(propos recueillis par Patrick Canavan).

 

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mercredi, 11 juin 2008

The Russian Dreams of a German Philosopher

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The Russian Dreams of a German Philosopher

by Pavel Tulaev

One of the central issues to Russian contemporaneous historiography is the matter of the relations between the East and the West. It is from here that the interest on the subjects arises in the classics like: Russia and Europe, by N. Y. Danilevskii; Decline of the West, by Oswald Spengler; or, Europe and Humankind, by N. S. Trubetskoy. One of the most important works on the subject is the book by the German Philosopher Walter Schubart (1897-194?) Europe and the Soul of the East, published for the first time in Switzerland in 1938. The importance of this work lies in the fact that it is the only one that deals with the universal vocation of the Russian civilization.

The main idea of the treaty is the "natural contradiction between the western man and the eastern man".

The author considers that the West has fallen prisoner of the materialist civilization and lives a time of a profound crisis. The West cannot save itself on its own, the new awakening has to come from the East, from Russia. Schubart bases his analysis in the Russian Literature, in the Philosophy and in the key moments of Russian History. In any case, Schubart's book does not deal just with Russia, but rather with "Europe as seen from the East".

Following the different periods of history, the author analyzes the contradictions between the West and the East, he dives into the depths of the Russian soul, and tries to understand the meaning of the Russian national idea. He places the Russians in the same level as the Germans, Spanish, French and English. He also deals with philosophical matters, like faith and atheism, fear and courage, egoism and fraternity. For instance, he tries to understand the reason why the Germans are badly seen by other peoples; why is it that the Anglo-Saxons are so entrepreneurs; what makes the French to be so rationalistic whereas the Russians are so nationalistic and are so much into self-sacrifice. He is interested, above all, in the degradation of the western individual.

Schubart finds the answer to those questions in the geographical, religious and cultural factors.

The West, for Schubart, is divided into a few key nations, and then he continues analyzing the Germans, the Anglo-Saxons and the French.

The Germans, according to Schubart, are the ones who stand out most in the prometeic culture (i.e., bearer of a will to know the truth and to change the course of things) in the West. They are disciplined, they love working, they carry the mark of the Nordic soul. They love the combat and are natural soldiers. A typical characteristic of the Germans is some degree of arrogance and even cruelty in their treatment to others. But this does not mean that the German is cruel; on the contrary, inside his own family circle he is affectionate and warm.

With regards to the Anglo-Saxons, the fact of living in an island has influenced them like no other factor in their idiosincracy. The English is pragmatic, practical, and he makes an effort in being succesful in his enterprises. Spiritually, he is a liberal; vocationally, he is a merchant.

The French, unlike the English, are less pragmatic. They are good analysts and rationalists, but more dreamers. The French is sentimental and searches for beauty and order in everything. If the Germans fights attracted by his warrying soul, the French is ready to die for his dear motherland.

The Russians --to whom Schubart dedicates over the first half of the book--, differently to their western cousins, they posses a great interior freedom. Due to their profound religiosity, the Russian is not subject to the material things, he doesn't try, like the German, to conquer the world; nor does he wish, like the English, to always achieve material benefits; he does not try, like the French, to understand what cannot be understood, although he posseses an immense universalist vocation.

From the Geopolitical point of view, the Russian is a born imperialist; he thinks in wide spaces and continents, which is why Dostoievski was right to speak of the "Pan-European" vocation of the Russian, and also was Napoleon when he asserted that "Russia is a power that goes towards world domination with giant steps."

The author of Europe and the Soul of the East calls the Russians who live in the open plains of Eastern Europe, the "sons of the steppe". Even if living in the cities, the Russians "keep the life style proper of the nomad people". And though the ancient Scandinavians named Russia as Gardarika ("country of cities), the fact is that there has always been a vocation to live outside the urban limits, a need to return to the ways of the rural life, to the harsh tasks of the work in the land.

In any case, it seems as if to analyze the central characteristics of the Russian nation, Schubart based himself in the Russian Literature and Thought, instead of the evidenced historical facts.

One of the most interesting observations from Schubart is the list of similarities that he finds in the national trajectories of Russia and Spain:

Both nations emerge as powers as a result of the struggle against non-Christians. In 1476, Ivan III refused to pay the yearly tribute to the Tatar Khanate, and in 1492 Fernando of Aragon conquers the last Moorish reduct in Granada and expels the Jews, finishing this way the Reconquista. Both nations build powerful empires and both peoples fought against Napoleon like no other and defeated his armies. A fact that is key for both nations, according to Schubart, was the entry of the prometeic ideas which, already in the 20th century made that both Russia and Spain lived revolutions and civil wars.

"The Spanish national idea is more similar to the Russian national idea than any other --asserts Schubart-- since both share the same longing for transcendence, of returning to the world its 'lost soul'."

"Russian civilization --continues Schubart-- struggles for the triomph of the prometeic culture in its lands, but the day will arrive when this struggle will come out of its frontiers to attack the western soul in its own terrain. From this will depend the destiny of humanity: Europe was a source of disgraces for Russia, but Russia can get to be a source of happiness for Europe."

The assesment of Schubart's book that we are doing here should not make us forget that it is not possible to agree with many of the assertions done by the author. Some of the facts must be discussed.

Schubart speaks of the Russian soul and of the spiritual characteristics of other peoples in an abstract mode, without taking into account the very important fact that every time and every historical context is different from the one preceding it. It is not the same to speak of the Russian mentality based on the Christian Orthodoxy than to speak of the one based on Bolschevism. Another critique refers to what the author understands by "East": Russia, in relation to Germany is obviously in the East. But in relation to China and Central Asia it is the West. Russia is, for its racial and cultural origins, an European nation. The country expanded from the North-West to the South-East, but that does not mean that we stop being Christians and White colonizers and we turn into Asians or Muslims.

The German philosopher calls our country "the Eastern Continent" and to the Russians "the sons of the steppe". In fact the geographical determinism happens to be one of Schubart's weakest points: it seems as if for him the "landscape" is one of the main factors to know the destiny of a people; when it has been evidenced that a good Blood can exist in a highly technified environment.

Since his work was released, the global relations have change already twice: in 1945 and in 1991. There is no more a III Reich nor a USSR. We live in the time of the technocracy, of the post-industrical civilization, the "New World Order". There is little space left for the profecies of Schubart to become reality.

There is only left the trust in ourselves, to listen to our heart and to our soul; only this way we will be the owners of our Destiny.


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Article by Pavel Tulaev, published on the issue #7 of the Russian Identitarian magazine Nasledye Pred' Kov (The Heritage of the Forefathers). Summer 2000.

Translated from Russian to Spanish by Josep Oriol Ribas i Mulet, and published on the issue #12 of the Spanish Identitarian magazine Tierra y Pueblo. May 2006.
__________________
'Dardanidae duri, quae uos a stirpe parentum
prima tulit tellus, eadem uos ubere laeto
accipiet reduces. Antiquam exquirite matrem:
hic domus Aeneae cunctis dominabitur oris,
et nati natorum, et qui nascentur ab illis.'



We can easily forgive a child who is afraid of the dark; the real tragedy of life is when men are afraid of the light.

--Plato--

Unheilig - Maschine

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Unheilig - Maschine

 

“[D]e industrie is niet alleen de toepassing van de wetenschap, toepassing waarvan die laatste – op zichzelf – totaal onafhankelijk zou moeten zijn. Zij wordt er de bestaansreden en de rechtvaardiging van, zodanig dat hier nogmaals de normale betrekkingen omgekeerd blijken te worden. Datgene waarop de moderne wereld al haar krachten heeft toegepast, zelfs wanneer ze heeft beweerd aan wetenschap op haar manier te doen, is in werkelijkheid niets anders dan de ontwikkeling van de industrie en het ‘machinisme’. En door zo de materie te willen beheersen en haar naar hun gebruik te buigen zijn de mensen er alleen in geslaagd zich er de slaven van te maken. Zoals we in het begin zeiden: niet alleen hebben ze hun verstandelijke (als het nog toegelaten is zich van dat woord te bedienen in een dergelijk geval) ambities beperkt tot het uitvinden en bouwen van machines, maar ze zijn uiteindelijk zélf machines geworden. Inderdaad, de ‘specialisatie’ – zo geroemd door bepaalde sociologen onder de naam ‘arbeidsverdeling’ – heeft zich niet alleen opgedrongen aan geleerden, maar ook aan technici en zelfs aan arbeiders, en voor die laatsten is elke verstandelijke arbeid op die manier onmogelijk gemaakt. Heel anders dan de ambachtslui van vroeger, zijn zij niets anders dan de bedieners van machines. Zij vormen als het ware één geheel ermee. Zij moeten onophoudelijk – op een volledig mechanische manier – bepaalde gedetermineerde bewegingen herhalen om het minste tijdverlies te vermijden. Altijd dezelfde en altijd volbracht op dezelfde manier. Zo willen het tenminste de Amerikaanse methodes die aanzien worden als de hoogste graad van ‘vooruitgang’. Inderdaad, het gaat er alleen om zoveel mogelijk te produceren. Men bekommert zich weinig om de kwaliteit, het is enkel de kwantiteit die belangrijk is. We komen eens te meer terug op dezelfde vaststelling die we al gemaakt hebben in andere domeinen: de moderne beschaving is waarlijk wat men een kwantitatieve beschaving kan noemen, wat niets anders is dan een andere manier om te zeggen dat zij een materiële beschaving is”.

René Guénon, La crise du monde moderne, p. 153

Les Etats-Unis financent l'agitation tibétaine

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Les Etats-Unis financent l’agitation tibétaine

 

D’après un article de la “Süddeutsche Zeitung” (SDZ), le caucus “National Endowment for Democracy” (NED), qui, bien que privé, reçoit de larges subsides du gouvernement américain, aurait payé, rien que l’an passé, 45.000 dollars à l’“International Tibet Support Network” (Réseau international de soutien au Tibet) qui a notamment coordonné les protestations très médiatisées contre les Jeux olympiques prévus cet été à Pékin, principalement à l’occasion des courses avec la flamme olympique.

 

L’argent du contribuable américain est allé dans l’escarcelle des groupes tibétains que le gouvernement chinois considère comme insurrectionnels. L’intermédiaire, assurant le transit des fonds, n’a pas toujours été la NED, mais elle l’a été souvent.

 

Rien qu’au cours de l’année 2006, cette organisation privée, selon ses propres déclarations, aurait versé 293.000 dollars à des groupes tibétains que Pékin accuse d’avoir co-planifié le soulèvement de Lhasa, il y a deux mois.

 

Sur le plan politique, ce soutien financier ne manque pas de piquant parce que la NED reçoit la plupart de ses subsides du Congrès américain. Les Etats-Unis financent ainsi directement des actions que Pékin juge déstabilisantes ou diffamantes à la veille des Jeux olympiques,  explique le journaliste du SDZ.

 

Dans les années qui viennent de s’écouler, le Congrès a de fait libéré toujours davantage de fonds pour soutenir des “programmes de démocratisation” en Chine et au Tibet. Pour l’année 2006 seulement, le montant s’élève à 23 millions de dollars. Des organisations privées comme la NED sont devenues d’importants instruments de la politique étrangère américaine.

 

Le journal de Munich cite les propres paroles de l’ancien directeur de la NED, Weinstein: “Beaucoup d’actions que nous lançons maintenant auraient été secrètement menées, il y a vingt-cinq ans, par la CIA”. Les instituts américains de ce type auraient, poursuivent les  rédacteurs de la SDZ, également soutenu financièrement la “révolution orange” en Ukraine et la “révolution des roses” en Géorgie, deux “remaniements politiques” clairement dirigés contre les intérêts de la Russie.

 

Le président du Venezuela, Hugo Chavez, a ouvertement reproché aux Etats-Unis de soutenir la violence au Tibet. En menant une telle politique, Washington entend saboter les Jeux olympiques de Pékin, a déclaré Chavez lors de l’un de ses discours, tenu récemment à Caracas. Les Etats-Unis veulent, par tous les moyens, fractionner le territoire actuellement sous souveraineté chinoise. Derrière les désordres du Tibet se profilent les intérêts de l’impérialisme américain, pense le président du Venezuela, qui a appelé à soutenir la Chine dans cette épreuve, de même que les Jeux olympiques.

 

K. KRIWAT.

(article tiré de DNZ/n°23/2008; source: Jean-François Susbielle, “China/USA – Der programmierte Krieg”; édition allemande de: J.-F. Susbielle, “Chine-USA. La guerre programmée. Le XXI° siècle sera-t-il le siècle de la revanche chinoise?”, First Editions, Paris, 2006,ISBN 2-75400-149-2).

mardi, 10 juin 2008

Veneti: ancestors of Slavs

VENETI: 

  

ANCESTORS OF SLAVS

  

by Pavel V. Toulaev

Moscow, Russia

The core of the discussion around the Veneti (Enetoi, Venethi, Vendi) is in the answer to the question of whether they had been Slavs or not.  Western scholars, Germans and Italians in particular, believe that Veneti having ancient roots, had not been Slavs, since the latter stepped on the historic stage only in the VI-th century A.D., when they took part in the destruction of the Roman Empire and got onto the pages of the Byzantine chronicles.  The majority of the Slavic authors tend to regard Veneti as their ancient ancestors, although this point of view is not always well-grounded and is not shared by all scholars.

On the basis of historic facts and conclusions in scientific literature we can reconstruct in more detail the picture of the Venetic world starting from ancient times.  Chronologically it may be divided into the following major stages.

Before 1200 B.C., the data of the Trojan War, the Enetoi, mentioned by Homerus [Homer] and later by Strabon [Strabo] and other ancient authors, lived in Troas [city/area near ancient Troy] and Paphlagonia.  They descend to Dardanus [Dardanelles or Hellespont], Ilus [Ilium or Troy] and Pilemen which manifested itself in the contacts of the Western regions of Asia Minor with Thracia and Illyria.

1200 - VII century B.C.  After the collapse of Troy and the Hittite Empire the Enetoi headed by Antenor first moved to Thracia and then to the northern coast of the Adriatic.  The fellow-tribesmen of Enei (Aineias)[Aeneas], the main hero of the "Eneide" [Aeneid] by Vergilius [Vergil] and the legendary founder of Rome, colonized the western part of the Apennine peninsula.  The civilization of Ethruscs [Etruscans] also appeared in that area.  At the same time there was a migration of Paphlagonian Enetoi to Urartu, which comprised the Kingdom of Van.

VI - I centuries B.C.  After the collapse of the Tarquinius Dynasty the Ethruscan [Etruscan] center shifted to the region of Ethruria [Etruria].  In that period the Adriatic Venice, described by many authors including Herodotos [Herodotus] and Tacitus, witnessed a formation of the union of towns with developed trade and culture.  The Adriatic Veneti set out to follow the Amber Route alongside with many others.  The Route led from the Mediterranean to the Baltic Sea via the Alps and Noricum in particular.

I - IV A.D.  The Veneti occupied a vast territory: from central Europe (evidenced by Plinius [Pliny], Ptolemaeus [Ptolemy], Julius Caesar) to the north-western coast of the Baltic sea, which was called Venetian by the contemporaries.  To the east of the Danube in that period of time there came the tribe of Antes, which was related to western Veneti according to the Goths historian Jordan.  The Antes moved from the South Bug to the mid-stream of the Dniepr [Dnieper].

V - VI century.  Involved in the total movement of the Barbarians (Alans and Huns) and in the union with the related Slavic tribes (Sclavens) they intruded into the Roman Empire.  They subjugated Illyricum, Northern Italy and conquered Rome.  These events are described in detail by Procopius and other Byzantine historians.  The tribe of the Vandals, related to Antes and Vendi and headed by Slavic and Germanic chiefs, moved further to the West, passed in military action through Spain and founded the Kingdom of Vandals in Northern Africa.

VII - IX c.  The Slavs, called Veneti, Vendi or simply Veni by Germans and Finns, set up their own towns and princedoms on the vast plains of Europe:  from the Alpine meadows along the Danube to the forests and steppes of the East-European Plain.  The state alliance of Karantanians [Carantanians], Checks [Czechs], Moraves [Moravians] and Sorbs (the middle of VII century) headed by the leader Samo was Slavic in its nature and disintegrated under the onslaught of Germans.  The Baltic Slavs headed by Varangian Rurik imposed their authority in Novgorod and Kiev Russia inhabited by Slovens, Polens, Krivichi, Vyatichi and other related tribes.

X - XII c.  The Venetic civilization also developed on the southern coast of the Baltic inhabited by Pomors (Pomerans)[Pomeranians] Varii and Rugi.  There appeared large religious centers (Arkona, Rhetra) and flourishing trade towns such as Volin (Vinetta) Stargrad, Szczecin.  The whole region became known as Vindland.  The Pomorian [Pomeranian] Veneti had constant wars with Germans and the latter won the victory over them and destroyed their Slavic towns.

XIII - XV c.  The Germanic princes in alliance with Catholic Rome established their supremacy in Central Europe.  While militant monastic orders attacked Poland, Prussia and Lithuania from the west, Tatars and nomads ravaged Russian princedoms from the east.  After the collapse of the Golden Horde and the conquering of the Orthodox Constantinople (Tzargrad) by Muslim Turks, there started a fight for hegemony over the Slavic world.

>From the methodological point of view the following issues of vital importance have been cleared up.  The Veneti lived originally in Europe. In the course of centuries they repeatedly moved from different places of settlement to others, retaining the principle of the tribal system.  The Veneti were ancestors of some ancient civilizations, presumably Vinca, Aratta or legendary Hiperborea [Hyperborea] with its cults of the Olympic gods Zeus, Leto, Apollo, Artemide and also the ancestors of Ethrusc-Pelasgs.  In the Bronze Age they already had developed religion, culture and economy.  In the process of expansion the Veneti founded city-colonies (Troy, Rome, Venice, Vinetta) at the periphery of the Proto-Slavic world.  The colonizer possessed a developed culture traceable by its artistic reflection in the images of such heroes as Enei, Orpheus, Sadko, Veinemeinen.

Veneti are not modern Slavs but our ancient ancestors.  And they are the ones from whom the genealogical line of the Slavs stems in its metahistorical aspect.   The Veneti are neither Celts, nor Goths, Scythes, Germans, Scandinavians, Greeks, Phoenicians or any other but an independent historic community.  This statement is of vital importance since we infer the ancestor Slavs were in no way "Indo-Europeans" or "Euroasians".  From the anthropological point of view they were Europeids, subjects of the white race and bearers of its civilization.   A more ancient community could have existed V-VI thousand years B.C. or even earlier, and Protoslavs had their own identity then as well.

It is only natural that in the course of centuries our ancestors mixed with neighbouring tribes and were exposed to influence.  Dynastic marriages also presupposed mixing of different blood strains.  The name of Veneti implied most likely different ethnoses in different historic epochs.  This does not mean that they were not related or had no continuity.  The name of Veneti has survived up to now alongside with many features of the given community.  We cannot deny that the processes degradation and degeneration did take place but that doesn't mean that we should neglect our Venetic inheritance.

Slavic renaissance calls for conscientious assimilation of all its spiritual and cultural wealth.  Further studies of the Veneti will be more accurate.  We are going to research every fact differentially applying new methods of comparative culture study, semiotics, linguistics, anthropology and genetics.  We will differentiate between the name of the ethnos and its bearer, the ethnos and the language, the language and anthropology, one epoch and another.  We will pursue our road of lovingly learning our deep-rooted ancestry.

The treasures of the Veneti will have their say.

T. Sunic: homo americanus, homo sovieticus

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Homo sovieticus, homo americanus ?

Entretien avec Tomislav Sunic

Tomislav Sunic, essayiste croate et traducteur, ayant longuement séjourné aux États-Unis où il a enseigné la science politique, vit actuellement dans son pays d’origine. Il a récemment publié un ouvrage intitulé Homo Americanus. Child of the Postmodern Age, BookSurge, Charleston 2007, 15.99 $, avec une préface de l’historien Kevin MacDonald. L’auteur a accepté de s’expliquer sur le parallèle suggéré par son titre, de prime abord audacieux, avec l’homo sovieticus de Zinoviev.


Catholica : Vous effectuez une longue comparaison entre le système soviétique et le système américain, et entre les types humains qui les caractérisent. Dans la description de la culture sociale américaine, vous notez une sorte de phobie de l’autorité, sous l’effet de l’égalitarisme. Peut-on vraiment établir un parallèle avec le communisme ?

Tomislav Sunic : Un mot tout d’abord au sujet du titre de mon livre. J’ai d’abord été tenté par l’expression boobus americanus, inventée par le grand écrivain américain, H. L Mencken. Mais le boobus a une connotation limitée, restreinte au cadre provincial des États-Unis ; cette expression décrit plutôt un Américain un peu bête et d’esprit provincial (on dirait en France un plouc) ne reflétant guère le système-monde comme le font si bien les expressions homo sovieticus et homo americanus.

À propos de l’autorité, de laquelle parle-t-on ? On n’a pas forcément besoin de la police et de l’armée pour imposer son autorité. En dehors des grandes métropoles américaines et en dehors de quelques cercles clos qui partagent les mêmes intérêts intellectuels, l’Amérique est un pays très autoritaire au sens large du terme. C’est la fameuse autocensure américaine relevant de l’esprit calviniste et vétérotestamentaire qui rend la vie difficile dans les petites villes américaines pour un intellectuel européen. Rien à voir avec le vrai individualisme civique et spirituel dont, malgré l’américanisation outrancière, on perçoit encore les signes en Europe. Le prétendu individualisme américain est une contradiction en soi ; partout règne l’esprit grégaire qui se manifeste, bien sûr, en fonction de la tribu, du lobby politique, ou de la chapelle religieuse à laquelle on appartient. Tocqueville en parle dans son livre, De la démocratie en Amérique. Or le problème inquiétant, c’est que les Américains se perçoivent et se posent devant le monde entier comme des individualistes et des libertaires modèles alors qu’en réalité, tout véritable individualisme est incompatible avec l’esprit de l’homo americanus. À l’instar de l’Union Soviétique, la réussite professionnelle en Amérique exige qu’on « joue le jeu » et qu’on ne « fasse pas de vagues ». Cette fausse convivialité œcuménique est surtout visible aujourd’hui dans l’Amérique multiculturelle où il faut être extrêmement prudent dans le choix des mots. Même le terme « multiculturalisme » que l’on utilise abondamment en Occident est un tic de la langue de bois américaine dont la naissance remonte aux années 1970. Multi-ethnisme conviendrait mieux pour décrire la situation atomisée du système américain… et occidental.

Quant au système ex-soviétique et à sa prétendue structure pyramidale et hiérarchique il nous faut nous débarrasser des demi- vérités relayées par les ex-soviétologues et autres kremlinologues occidentaux. Le système communiste fut parfaitement démocratique au vrai sens du terme. Une fois terminés les grands massacres et achevée l’élimination des élites russes et est- européennes dans les années 1950, de larges masses purent jouir, en Russie comme en Europe orientale, et dans le moule communiste, d’une qualité de vie dont on ne pouvait que rêver en Occident. La vie sans soucis, quoique spartiate, assurait à tous une paresse facile - pourvu qu’on ne touchât pas au mythe fondateur communiste. Alexandre Zinoviev fut l’un des rares écrivains à bien saisir l’attraction phénoménale et la pérennité de l’homo sovieticus. En fait, si le communisme a disparu à l’Est, comme l’a dit Del Noce, c’est parce qu’il s’est encore mieux réalisé à l’Ouest, notamment en Amérique multi-ethnique et égalitaire.

Catholica : Dans votre livre, vous procédez à l’analyse du décor et de l’envers du décor, si je puis m’exprimer ainsi. Par exemple, vous relevez que les grands médias, dans l’image qu’ils cultivent sans cesse d’eux-mêmes, se présentent comme des contestataires du pouvoir, alors qu’en réalité ils en constituent l’un des principaux piliers. Vous vous intéressez ainsi non seulement aux représentations conceptualisées, mais également au langage et à sa transformation. Pouvez-vous dire ce qui a attiré votre attention sur ces points, et en particulier quelle fonction vous attribuez à la « gestion de la langue » ?

T. S. : En Amérique, les grands médias ne constituent aucunement un contre-pouvoir. Ils sont le pouvoir eux-mêmes et ce sont eux qui façonnent le cadre et le dénouement de tout événement politique. Les politiciens américains sondent au préalable le pouls des médias avant de prendre une décision quelle qu’elle soit. Il s’agit d’une synthèse politico- médiatique qui règne partout en Occident. Quant au langage officiel utilisé par les faiseurs de l’opinion américaine tout discours politico-médiatique est censé recourir aux phrases au conditionnel ; les politiciens et les medias, et même les professeurs d’université, abordent toujours les thèmes politiques avec une grande circonspection. Ils recourent de plus en plus à des locutions interrogatives telles que « Pourrait-t-on dire ? » ou « Le gouvernement serait-il capable de … ? », etc. Ici, nous voyons à nouveau l’auto-abnégation chère au calvinisme mais transposée cette fois dans le langage châtré de la communication officielle. Les phrase lourdes, à connotation négative, où on exprime un jugement de valeur, disons sur Israël, l’Irak, ou un autre problème politique grave, sont rares et prudemment feutrées par l’usage d’adjectifs neutres.

Cette « langue de coton », de provenance américaine, on la voit se propager de plus en plus en France et en Allemagne. On est témoin de locutions américaines très en vogue et soft en Europe qui disent tout et rien à la fois : je pense notamment aux adverbes neutres de provenance américaine tels que considerably, apparently, etc. – dont l’usage fréquent permet à tout homme public d’assurer ses arrières.

Catholica : Pouvez-vous, en tant que vous-même avez été professeur dans une université américaine bien représentative, indiquer quelle couche de l’intelligentsia possède un pouvoir réel, et de quelle manière concrète elle l’exerce au quotidien, en particulier dans le contrôle du langage, et pour quelle raison il en va ainsi ?

T. S. : Contrairement à ce qu’on dit en Europe, les universités américaines, surtout les départements de sciences sociales, jouent un rôle fort important dans la fabrication de l’opinion publique. On lit régulièrement dans la grande presse américaine les editorials écrits par des professeurs connus. Quoique l’Amérique se targue de son Premier Amendement, et notamment de sa totale liberté d’expression, les règlements universitaires témoignent d’une véritable police de la pensée. La haute éducation est une chasse gardée des anciens gauchistes et trotskistes recyclés, où toute recherche indépendante allant à l’encontre des mythes égalitaires et multi-ethnique peut aboutir à de sérieux ennuis (jusques et y compris le licenciement) pour les esprits libres. Nombreux sont les cas où de grands spécialistes en histoire contemporaine ou en anthropologie doivent comparaître devant des « Comités de formation à la sensibilité interethnique universitaires » (Committees for ethnic sensitivity training) pour se disculper d’accusations de « fascisme » et de « racisme ». Malgré la prétendue fin de tous les grands récits, il y a, dans notre postmodernité, un champ de thèmes tabous où il vaut mieux ne pas se hasarder. Très en vogue depuis dix ans, l’expression hate speech (« discours de haine ») n’est que le dernier barbarisme lexical américain grâce auquel on cherche à faire taire les mal-pensants. Le vrai problème commence quand cette expression s’introduit dans le langage juridique du code pénal, comme ce fut le cas récemment avec une proposition législative du Sénat américain (HR 1955). Je ne vois aucune différence entre le lexique inquisitorial américain et celui de l’ex-Yougoslavie ou de l’ex-Union soviétique, sauf que le langage de l’homo americanus est plus insidieux parce que plus difficile à déchiffrer.

Catholica : À propos du pouvoir (au sens générique), le système américain d’aujourd’hui est-il, ou n’est-il pas le prototype, ou l’aile avancée de la « démocratie » postmoderne, dans laquelle tout le monde est censé contribuer à la « gouvernance » globale sans que personne soit réellement identifiable comme responsable des décisions qu’il prend ?

T. S. : Voilà la mystique démocratique qui sert toujours d’appât pour les masses déracinées ! Dans le système collectiviste de l’ex-Union soviétique, et aujourd’hui de façon similaire en Amérique, on vivait dans l’irresponsabilité collective. Rien d’étrange. L’irresponsabilité civique n’est que la conséquence logique de l’égalitarisme parce que selon les dogmes égalitaires libéralo-communistes, tout homme est censé avoir sa part du gâteau. À l’époque de la Yougoslavie communiste, tout le monde jouait le double jeu de la chapardise et de la débrouillardise, d’une part, et du mimétisme avec le brave homo sovieticus, d’autre part, du fait même que toute propriété et tout discours appartenaient à un État-monstre. Par conséquent, tout le monde, y compris les apparatchiks communistes, se moquait de cet État-monstre dont chacun, à son niveau social, cherchait à tirer un maximum d’avantages matériels.

Le vocable gouvernance n’est qu’un piège supplémentaire du langage technoscientifique tellement cher à l’homo americanus. D’une manière inédite, les classes qui nous gouvernent, en recourant à ce nouveau vocable, conviennent qu’il en est fini de cette ère libéralo-parlementaire, et que c’est aux « experts » anonymes de nous tirer hors du chaos.

Catholica : On a largement étudié les États-Unis comme nouvelle forme d’empire, une forme appelée à périr à force d’étendre ses conquêtes au-delà de ses capacités, selon une sorte de loi inexorable d’autodestruction. Mais au-delà de cette perspective – que l’on supposera ici fondée, par hypothèse – ne peut-on pas voir dans l’américanisme postmoderne la fin de la modernité, fin à la fois comme achèvement et comme épuisement ?

T. S. : Le paradoxe de l’américanisme et de son pendant l’homo americanus consiste dans le fait qu’il peut fonctionner à merveille ailleurs dans le monde et même mieux que dans sa patrie d’origine. Même si un de ces jours, l’Amérique en tant qu’entité politique se désagrège (ce qui n’est pas du tout exclu) et même si l’Amérique disparaît de la mappemonde, l’homo americanus aura certainement encore de beaux jours devant lui dans différentes contrées du monde. Nous pouvons tracer un parallèle avec l’esprit de l’homo sovieticus, qui malgré la fin de son système d’origine est bel et bien vivant quoique sous une forme différente. Oublions les signifiants – regardons plutôt les signifiés postmodernes. À titre d’exemple, prenons le cas des nouvelles classes politiques en Europe orientale y compris en Croatie, où quasiment tout l’appareil étatique et soi-disant non-communiste se compose d’anciens fonctionnaires communistes suivis par des masses anciennement communisées. L’héritage communiste n’empêche pas les Croates d’adopter aujourd’hui un américanisme à outrance et de se montrer aux yeux des diplomates des États-Unis plus américanisés que les Américains eux-mêmes ! Il y a certes une généalogie commune entre le communisme et l’américanisme, notamment leur esprit égalitaire et leur histoire linéaire. Mais il y a également chez les ex-communistes croates, lituaniens ou hongrois, un complexe d’infériorité conjugué à une évidente servilité philo-américaine dont le but est de plaire aux politiciens américains. Après tout, il leur faut se disculper de leur passé douteux, voire même criminel et génocidaire. Il n’y a pas si longtemps que les ex-communistes croates faisaient encore leurs pèlerinages obligatoires à Belgrade et à Moscou ; aujourd’hui, leurs nouveaux lieux saints sont Washington et Tel-Aviv. Malgré l’usure de l’expérience américaine aux U.S.A., l’Amérique peut toujours compter sur la soumission totale des classes dirigeantes dans tous les pays est-européens.

Catholica : L’anti-américanisme de beaucoup de marxistes européens s’est fréquemment mué depuis plusieurs décennies en admiration pour la société américaine. Au-delà du retournement opportuniste, ne croyez-vous pas qu’il puisse s’agir d’une adhésion intellectuelle, de quelque chose comme l’intuition que l’Amérique postmoderne représente une certaine incarnation de l’utopie socialiste, alors même que le capitalisme y domine de manière criante ?

T. S. : Après l’effondrement de son repoussoir dialectique qu’était l’Union soviétique, il était logique que beaucoup d’anciens marxistes européens et américains se convertissent à l’américanisme. Regardons l’entourage néo-conservateur du président George W. Bush ou de la candidate présidentielle Hillary Clinton : il se compose essentiellement d’anciens trotskistes et d’anciens sympathisants titistes dont le but principal est de parachever le grand rêve soviétique, à savoir l’amélioration du monde et la fin de l’histoire. Il n’y a aucune surprise à voir le Double devenir le Même ! L’ancien rêve calviniste de créer une Jérusalem nouvelle, projetée aux quatre coins de monde, se conjugue avec les nouvelles démarches mondialistes de nature mercantiles. Or au moins pour un esprit critique, il y a aujourd’hui un avantage épistémologique ; il est plus facile de s’apercevoir maintenant des profondes failles du système américain. L’anticommunisme primaire de l’époque de la guerre froide qui donnait une légitimité à l’Amérique par à rapport à son Autre n’est plus de mise. On ne peut plus cacher, même aux masses américaines incultes, que le système américain est fragile et qu’il risque d’éclater à tout moment. N’oublions jamais la fin soudaine du système soviétique qu’on croyait invincible. Le capitalisme sauvage et la pauvreté grandissante en Amérique ne vont pas de pair avec le prêchi-prêcha sur les droits de l’homme et les matins qui chantent.

Catholica : Il se dégage de l’ensemble de votre ouvrage, dont le titre pourrait être traduit L’homo americanus, ce rejeton de l’ère postmoderne, que les phénomènes que vous décrivez conduisent à produire en masse un type d’humanité dégradé, sans repères, sans racines, sans idéal. Dans la mesure où ce diagnostic est fondé (même s’il ne concerne pas également la totalité des Américains), n’est-ce pas la preuve de l’échec, non seulement du projet de régénération qui était à l’origine des États-Unis, mais de l’humanisme tout entier, tel qu’il a été affirmé au début de la période moderne ?

T. S. : Soyons honnêtes. Nous sommes tous plus ou moins des homini americani. L’américanisme, à l’instar du communisme, est parfaitement compatible avec l’état de nature cher aux plus bas instincts de tout homme. Mais donner dans un anti-américanisme primaire, comme celui que revendique l’extrême droite européenne et surtout française, ne repose pas sur une bonne analyse du système américain. En Amérique, surtout chez les Sudistes, il y a des couches populaires, quoique très rares, qui préservent le concept d’honneur largement perdu en Europe.

On a tort de nourrir des fantasmes au sujet des prétendues visées impérialistes des Américains sur l’Europe et l’Eurasie, comme c’est le cas chez de nombreux droitiers européens victimes de leur propre manie du complot. À part son délire biblique et son surmoi eschatologique incarné dans l’État d’Israël – qui représentent tous deux un danger pour la paix mondiale – l’engagement américain en Europe et ailleurs n’est que le résultat du vide géopolitique causé par les incessantes guerres civiles européennes. Il est fort possible que la guerre balkanique ait eu un bel avenir sanguinaire sans l’intervention militaire des Américains. Qu’ont-ils donc à offrir, les fameux communautarismes européens, hormis les fantasmes sur un empire européen et euroasiatique ? Au moins, les Américains de souche européenne ont réussi à se débarrasser des querelles de chapelles identitaires qui font toujours le bagage des peuples européens.

Le sens prométhéen, l’esprit d’entreprise et le goût du risque sont toujours plus forts en Amérique qu’en Europe. L’Amérique pourrait offrir, dans un proche avenir, encore de belles surprises à la civilisation européenne.

Propos recueillis par Bernard Dumont.

Paru dans Catholica, n° 98, hiver 2007 - 2008.

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Erdogan et les kémalistes

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Erdogan et les kémalistes

 

En Turquie, aujourd’hui, la lutte qui oppose kémalistes et fondamentalistes se perpétue et on n’en voit pas la fin. Récemment, une procédure a opposé la deuxième instance judiciaire turque au gouvernement d’Erdogan. Les juges reprochent au premier ministre turc actuel de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire; celui-ci, dans le cadre de la procédure d’interdiction lancée contre le principal parti gouvernmental, l’AKP d’Erdogan (ou “Parti de la Justice et du Progrès”), fait pression sur le tribunal constitutionnel pour qu’il mène cette procédure à terme et prononce la dissolution de l’AKP. Le parti d’Erdogan a réagi en lançant insultes et imprécations contre les juges. Le procureur suprême de l’Etat veut que l’on lance une procédure visant à examiner le comportement récent du parti. Le quotidien suisse alémanique, la “Neue Zürcher Zeitung” (NZZ) résume la situation comme suit: “Le pouvoir judiciaire dispose de trois possibilités: il peut refuser l’interdiction du parti; il peut se contenter d’un avertissement ou il peut considérer que le parti constitue le noyau dur des activités tramées contre l’ordre laïque et, subséquemment, le faire interdire. Une telle interdiction peut se contourner en procédant à la fondation d’un nouveau parti, appelé à être derechef le successeur de l’AKP. Mais, cette fois-ci, la procédure de dissolution, qui a été engagée, vise également à interdire tout activité politique à 71 personnes parmi lesquelles le président de l’Etat turc, Abdullah Gül, et le premier ministre Erdogan. Le mandat parlementaire d’Erdogan serait alors automatiquement suspendu, ce qui aurait pour effet de provoquer obligatoirement sa démission du poste de premier ministre”. Pour s’assurer malgré tout un avenir politique, Erdogan ne se préoccupe pas seulement de travailler à la fondation d’un nouveau parti politique mais aussi de renforcer son influence personnelle à l’étranger. En Allemagne, le nouvel ouvrage de Peter Winkelvoss, “Die türkische Frage” (“La question turque”), nous montre comment Erdogan cherche à instrumentaliser les Turcs d’Allemagne (et d’Europe) pour en faire l’avant-garde d’une politique étrangère turque selon ses voeux et pour influencer le destin de la République Fédérale, en manoeuvrant une fraction de l’électorat allemand, constituée de Turcs de souche. Son discours à Cologne en février dernier atteste de ce projet, dangereux pour l’ensemble de nos pays.

 

(Source: DNZ, Munich, 23/30 mai 2008; Peter Winkelvoss, Die türkische Frage, 17,90 Euro).

lundi, 09 juin 2008

Hommage et entretien avec Gustave Thibon

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Hommage à Gustave Thibon

Le philosophe catholique Gustave Thibon est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal): «L'écrivain et phi­losophe français Gustave Thibon, un des penseurs chré­tiens les plus controversés de la seconde moitié du 20ième siè­cle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Mar­cel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier édi­teur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine ca­tholique: de «Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité» à «Pour unir les hommes, il ne suf­­fit pas de jeter des ponts, il faut construire des échel­les. Celui qui ne monte pas vers Dieu ne pourra rencontrer son frère», en passant par «La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume» et «Aime ceux qui te rendent heureux, mais n'aime pas ton bonheur». Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter com­me un "écrivain-paysan"). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien: la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâ­ce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ou­vrages les plus connus, citons: Le destin de l'homme (1941), L'échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, L'ombre et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Pé­guy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des "exigences de l'es­prit" dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des pha­res de la pensée catholique française du 20ième siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute char­ge académique».

C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'in­fluen­ce du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous inté­res­se dans son œuvre. De même que cette pro­­xi­mité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théo­­ri­cienne de l'en­racinement, à la suite de sa lecture at­tentive de Péguy, chantre des "petites et honnêtes gens", qui font la solidité des peuples. Mieux: l'œuvre de Thibon dé­marre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Lud­­wig Klages, figure cardinale de la "révolution conser­va­trice" et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu sus­pect de complaisance avec le christianisme. Marc. Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était juste­ment le premier exégète français de Klages, reliait la pen­sée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les for­mes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fonda­men­tal. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi post­hume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'en­ra­cinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme pay­san de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Si­mone Weil permettrait de ruiner définitivement les mani­chéis­mes incapacitants et les simplismes binaires qui domi­nent l'univers médiatique et qui commencent dangereu­se­ment à déborder dans le champs scientifique (Robert Steuckers).

Gustave Thibon a accordé à notre colla­bora­teur occasionnel Xavier Cheneseau, sans nul doute l'un de ses tous derniers entretiens. Son décès le rend d'autant plus émouvant.

Entretien avec Gustave Thibon

Vous avez écrit un jour: "Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur". Pouvez-vous expliquer ces propos. Est-ce à dire qu'un traditionaliste est révolutionnaire ?

GTh: Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur dans ce sens qu'il sait dans la tradition distinguer les éléments ca­ducs des éléments essentiels, qu'il veille sans cesse à ne pas sacrifier l'esprit à la lettre et qu'il s'adapte à son épo­que, non pour s'y soumettre servilement mais pour en adop­ter les bienfaits en luttant contre ses déviations et ses a­bus. Telle fut l'œuvre de la monarchie française au long des siècles. Tout tient dans cette formule de Simone Weil: " La vraie révolution consiste dans le retour à un ordre éter­nel momentanément perturbé".

Ne pensez-vous pas que la tradition exclut la liberté créatrice ?

GTh: La réponse est la même que la précédente. La tra­di­tion favorise la liberté créatrice et ne s'oppose qu'à la li­ber­té destructrice. Traditionalisme ne signifie pas fixisme mais orientation du changement. Ainsi, un corps vivant renou­vel­le indéfiniment ses cellules, mais reste identique à lui-mê­me à travers ces mutations. Le cancer, au contraire, se ca­rac­té­rise par la libération anarchique des cellules.

Pour vous, la démocratie, le socialisme, le libéralisme sont-ils des systèmes anti-traditionnels ?

GTh: Il faudrait préciser le sens qu'on donne à ces mots. La démocratie s'oppose à la tradition dans la mesure où elle s'appuie uniquement sur la loi abstraite du nombre et des fluctuations de l'opinion. De même, au socialisme en tant que mainmise du pouvoir central sur la liberté des indi­vi­dus, de même, au libéralisme "sauvage", dans la mesure où il ne souffre aucun correctif à la loi de l'offre et de la de­man­de.

Est-il possible d'affirmer aujourd'hui la primauté de l'esprit sur le monde matérialiste ?

GTh: Il faudrait d'abord s'entendre sur le sens qu'on donne aux mots esprit et matière. De toute façon, il y a primauté de l'esprit sur la matière même chez les matérialistes, dans ce sens que c'est l'esprit "lumière" qui modifie la matière et l'aménage en fonction de sa puissance et de ses désirs. Mais, si l'on entend par matérialisme cet usage de l'esprit qui privilégie les conquêtes et les jouissances matérielles au détriment des choses proprement spirituelles (art, philo­so­phie, religion, etc...), il est bien certain que notre épo­que se fige dans un matérialisme destructeur.

Que signifie pour vous la notion de "culture populaire" ? N'y a-t-il pas une opposition entre ces deux termes ?

GTh: Il n'y a aucune opposition entre ces deux termes. La vraie culture n'est pas l'apanage des "intellectuels". Dans tou­te civilisation digne de ce nom, elle imprègne toutes les couches de la population par les traditions, les arts, les cou­tumes, la religion. Et c'est un signe grave de décadence que la disjonction entre l'instruction livresque et la culture populaire.

La notion d'ordre ne s'oppose-t-elle pas à une grande idée de l'homme ?

GTh: Là aussi, tout dépend de ce qu'on appelle l'ordre. Il y a l'ordre social, l'ordre moral, l'ordre divin etc... Et il arrive souvent que ces ordres entrent en conflit dans les faits. Exem­ple: Antigone représente le désordre par rapport à Créon, ignorant de la loi des Dieux, le Christ devant les Pha­risiens attachés à la lettre de la loi. Et la toute pre­mière idée de l'homme, sans rien négliger des formes infé­rieures de l'ordre, s'attache avant tout à l'ordre suprême où comme dit l'Apôtre: "On obéit à Dieu plutôt qu'aux hom­mes."

(Propos recueillis par © Xavier Cheneseau).