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samedi, 16 mars 2019

Propos d’Alain de Benoist sur Salvini, la « Lega » et ses éditeurs de la "Alt-Right" américaine

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Propos d’Alain de Benoist sur Salvini, la « Lega » et ses éditeurs de la "Alt-Right" américaine

Par Gilles Dusaussois

Sur le site https://www.ariannaeditrice.it, en date du 2 mars 2019, j’ai eu la surprise de trouver un entretien étonnant qu’Alain de Benoist a accordé à Anais Ginori, journaliste auprès du quotidien italien La Repubblica. Les réflexions de la figure de proue de la « Nouvelle Droite » méritaient, me semble-t-il, une traduction française. La voici :

La Nouvelle Droite, que vous avez créée, il y a un demi-siècle, fut-elle une tentative de dédouaner des idées extrémistes ?

Je ne me suis jamais reconnu dans l’étiquette inventée par des journalistes. Mon groupe de réflexion s’occupe plutôt de formuler une critique radicale de la modernité, de la destruction des solidarités, à travers ce que Marx définit comme « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Certains de vos amis vous décrivent comme le père spirituel de Salvini. Est-ce exact ?

Je n’ai rencontré Salvini qu’une seule fois et, franchement, je doute qu’il ait jamais lu mes livres. Je ne me reconnais pas dans la Lega ni davantage dans le « Mouvement Cinq Etoiles ». J’observe en voisin ce gouvernement parce que l’Italie est un laboratoire du populisme.

Vos livres sont très prisés parmi les militants de la « Alt-Right » (américaine)...

Par pitié, ce sont de petits extrémistes ridicules. Ils se servent de moi pour se construire une crédibilité. Je m’intéresse à Trump qui vaut mieux que ce qu’en pensent ses adversaires. Aux Etats-Unis, j’aurais voté pour Bernie Sanders. Et, aujourd’hui en France, je me sens proche des Gilets jaunes.

Commentaires :

  • Voilà la « Nouvelle Droite » devenue subitement « marxiste » après un itinéraire qui ne l’aurait pas laissé deviner… La question qu’il faut se poser est dès lors la suivante : peut-on, à intervalles réguliers, opérer des volte-face aussi audacieuses sans justement perdre une certaine crédibilité… ?
  • Le chef de file de la ND ffançaise semble considérer Salvini comme un beauf analphabète, attitude d’autant plus bizarre que la revue éléments, qu’il patronne et où il fait la pluie et le beau temps, vient de sortir un numéro assez copieux faisant l’éloge de Salvini et de la forme de populisme qu’il a inaugurée. Pire: ce sont donc les propres rédacteurs d'éléments qui sont reniés puisque ce sont eux, principalement, qui ont soutenu la thèse du lien entre Salvini et AdB... Des purges en vue dans la rédaction ? Aussi fracassantes que celles qui ont lourdé Faye dans les années 1980 et Champetier au début des années 2000 ?

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On voit bien Salvini sur la couverture, avec, en plus, la mention suivante: "Les intellectuels qui l'ont formé"...

  • Le reniement unilatéral de la Lega et du M5S paraît comique dans la mesure où notre philosophe du 11ème arrondissement semble passionné, ces temps-ci, par le « populisme », en dépit de la diabolisation de cet « -isme ».
  • Les éditeurs de la « alt-right » se sont décarcassés pour publier ses livres, pour prendre le risque d’un bouillon, surtout en traduisant « Vu de droite », livre datant de 1978 et comprenant des textes des années 1970, et ont dépensé des sommes rondelettes pour l’inviter aux Etats-Unis. Ils apprécieront hautement cette nouvelle vogue de l’élégance française, en apprenant que le sieur AdB les prend pour « de petits extrémistes ridicules » qui abusent de sa personne pour se faire valoir.
  • Enfin, contradiction supplémentaire : le chef de file de la ND se dit proche des Gilets jaunes mais rejette Salvini, la Lega, le M5S (et donc di Maio) qui sont leurs principaux soutiens au niveau international. Comprenne qui pourra. A moins qu’il faille imputer le grand âge du « philosophe » ?

La théorie civilisationnelle d’Herman Wirth

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La théorie civilisationnelle d’Herman Wirth

Alexandre Douguine                                  

Le Cercle Culturel de Thulé

L’idée de Bachofen d’un matriarcat primordial et sa théorie des « cercles culturels » furent  développés par un autre historien et archéologue, un spécialiste en paléo-épigraphie, Herman Wirth (1885-1981).

Les théories de Wirth sont basées sur l’hypothèse empruntée à l’auteur indien Bala Gandhara Tilak (1856-1920) [1], selon qui la civilisation proto-indo-européenne originelle se forma à la fin du Paléolithique (la culture aurignacienne) dans la région du cercle polaire nordique. Cette  hypothèse était basée sur l’interprétation des données de l’astrologie indienne, des textes védiques, et des mythes des Hindous, des Iraniens et des Grecs, qui parlent de l’existence dans l’antiquité lointaine d’un pays habité se trouvant dans le Grand Nord (Hyperborée). Ce continent étai décrit dans les Vedas comme la « terre du sanglier blanc », Varahi, et l’« île de  lumière », ou Sweta Dvipa. La tradition zoroastrienne parle de l’ancienne résidence du premier homme, la cité de Vara, située dans le Grand Nord, qu’il fut forcé de quitter pour descendre  vers le sud quand la déité obscure Angra Mainyu, l’ennemi du dieu de la lumière  Ahura-Mazda, déchaîna un « grand froid » sur cette contrée. Tilak affirme l’existence de cette proto-civilisation « nordique » sur la base de l’astrologie indienne, dont le symbolisme, selon Tilak, ne devient clair que si nous acceptons que les constellations furent originellement observées dans les régions circumpolaires, où le jour des dieux est égal à l’année des hommes.

wirthaufgang.jpgWirth adopta cette hypothèse et construisit sa propre théorie sur elle, la « théorie hyperboréenne » [2] ou théorie du « cercle culturel de Thulé » [3], qui est le nom grec de la cité mythique se trouvant dans le pays des Hyperboréens. D’après cette théorie, avant la dernière vague de refroidissement mondial, la zone circumpolaire dans l’Océan nord-atlantique abritait des terres habitables dont les habitants furent les créateurs d’un code culturel primordial. Cette culture se forma dans des conditions où l’environnement naturel de l’Arctique n’était pas encore si inhospitalier, et où son climat était similaire au climat tempéré de l’Europe Centrale moderne. Cependant, étaient présents tous les phénomènes annuels et atmosphériques qui peuvent être observés dans l’Arctique aujourd’hui : le jour et la nuit arctiques. Les cycles solaire et lunaire annuels sont structurés différemment de leurs équivalents sous les latitudes moyennes. Ainsi, les fixations symboliques du calendrier, la trajectoire du soleil, de la lune et les constellations du zodiaque avaient forcément une forme différente et des motifs différents.

A partir d’une énorme quantité de matériel archéologique, paléo-épigraphique (peintures rupestres, symboles paléolithiques, anciennes gravures, etc.), mythologique et philologique, Herman Wirth tenta de reconstruire le système primordial du code culturel de cette proto-civilisation arctique. Au cœur de celui-ci il plaça le proto-calendrier reconstruit, dont les  dernières traces sont constituées d’après Wirth par les runes scandinaves, qu’il attribuait à l’antiquité éloignée. Wirth proposa d’examiner ce calendrier, qui enregistre les moments clés de l’année arctique, comme étant la clé de toutes les versions ultérieures des héritages mythologiques, religieux, ritualistes, artistiques et philosophiques qui continuèrent et développèrent cet algorithme primordial au cours des vagues de migrations des porteurs de la « culture thuléenne » dans les régions méridionales. Lorsqu’on les appliqua à d’autres conditions climatiques, cependant, beaucoup des motifs symboliques de ce calendrier, qui étaient parfaitement clairs dans l’Arctique, perdirent leur sens et leur justification. Ils furent partiellement transférés à de nouvelles réalités, partiellement transformés en reliques, et perdirent partiellement leur sens ou en acquirent de nouveaux.

D’abord et avant tout, ce changement entraîna une compréhension fondamentalement nouvelle de l’unité de base du temps : à la place du jour hyperboréen qui est égal à une année, c’est le cercle du jour qui est beaucoup plus clairement défini dans les régions au sud du cercle polaire qui devint la mesure des événements de la vie humaine. De plus, les points indiquant les équinoxes de printemps et d’automne changèrent en relation avec le mouvement en direction du sud. Tout cela obscurcit graduellement la clarté et la simplicité parfaites de la matrice primordiale.

Wirth pensait que sa reconstruction du système sacré de la culture de Thulé se trouvait au cœur de tous les types historiques d’écriture et de langage, ainsi que des tons musicaux, du symbolisme des couleurs, des gestes rituels, des inhumations, des systèmes religieux, etc.

L’étude de cette culture forma la base des tentatives de Wirth pour reconstruire ce qu’il nommait la « proto-écriture » ou « proto-script » de l’humanité. Wirth publia les résultats de ses études dans deux ouvrages monumentaux, Der Aufgang der Menschheit (La marche en avant de l’Humanité) [4] et Die Heilige Urschrift der Menschheit (L’écriture originelle sacrée de l’Humanité) [5], incluant tous deux une grande quantité de tables synoptiques, d’illustrations comparatives de fouilles archéologiques, de systèmes d’écriture, etc.

Matriarcat nordique

Wirth adopta l’idée de Bachofen d’un matriarcat primordial et attribua à la « culture de Thulé » une forme matriarcale de civilisation. Il suggéra que la croyance selon laquelle le genre féminin tend à la matérialité, à la corporéité, à la chtonicité et à des spécificités empiriques est un pur produit de la censure patriarcale, et que le matriarcat pouvait être un phénomène tout aussi spirituel, et même plus, que le patriarcat. Wirth pensait que les sociétés dominées par des femmes, et par des clergés, des religions et des cultes féminins représentaient les types les plus avancés de la culture hyperboréenne, qu’il nommait la « culture des Dames blanches » (weisse Frauen).

Herman-Wirth.jpgWirth présenta ainsi une vision très particulière de la relation entre le matriarcat et le patriarcat dans la culture archaïque de la région méditerranéenne. De son point de vue, les plus anciennes formes de culture en Méditerranée furent celles établies par les porteurs du matriarcat hyperboréen, qui en plusieurs étapes descendirent des régions circumpolaires, de l’Atlantique Nord, par voie de mer (et leurs navires avec des trèfles sur la poupe étaient caractéristiques). C’était le peuple mentionné dans les artefacts du Proche-Orient comme les « peuples de la mer », ou am-uru, d’où le nom ethnique des Amorrites. Le nom de Mo-uru, d’après Wirth, était jadis celui du centre principal des Hyperboréens, mais fut donné à de nouveaux centres sacrés par les natifs du Nord dans leurs vagues migratoires. C’est à ces vagues que nous devons les cultures sumérienne, akkadienne, égyptienne (dont l’écriture prédynastique était linéaire), hittite-hourrite, minoenne, mycénienne, et pélagienne. Toutes ces strates hyperboréennes étaient structurées autour de la figure de la Prêtresse Blanche.

Le patriarcat, d’après Wirth, fut apporté par des immigrants d’Asie, venant des steppes du Touran, qui déformèrent la tradition hyperboréenne primordiale et imposèrent aux cultures méditerranéennes des valeurs très différentes – primitives, violentes, agressives et utilitaires – qui s’opposèrent (c’est-à-dire qu’elles les dégradèrent) aux formes purement spirituelles du matriarcat nordique.

Ainsi chez Wirth nous avons la reconstruction suivante : le type de culture matriarcale primordial, spirituel et hautement développé du cercle culturel hyperboréen se diffusa à partir d’un centre circumpolaire, principalement par voie de mer, pénétrant en Méditerranée, effleurant l’Afrique, et atteignant même la côte sud de l’Asie jusque dans le Pacifique, où la culture maorie conserve encore des traces de l’ancienne tradition arctique. Une autre branche venant du centre de Mo-uru dans l’Atlantique Nord migra en Amérique du Nord, où elle posa les fondations du code culturel de nombreuses tribus. L’une des entreprises de Wirth fut de démontrer une homologie entre ces deux branches qui étaient issues de la culture de Thulé – la branche européenne, méditerranéenne, et aussi africaine et polynésienne d’une part, et la branche nord-américaine de l’autre [6].

wirthurschrift.jpgEntretemps se forma en Asie continentale un pôle culturel qui représentait l’embryon du proto-patriarcat. Wirth associait cette culture au naturalisme primitif, aux cultes phalliques, et à un type de culture martial, agressif et utilitaire, que Wirth considérait comme inférieur et asiatique. Nous avons consacré un volume entier à un exposé plus détaillé des idées de Wirth [7].

La signification des idées de Wirth pour la géosophie

De nombreux aspects des travaux injustement oubliés d’Herman Wirth méritent attention dans l’étude de l’anthropologie plurielle. Avant tout, son hypothèse extrêmement fertile du cercle culturel de Thulé, qui est généralement rejetée d’emblée sans aucune analyse sérieuse de son argumentation, est si riche qu’elle mérite une sérieuse attention à elle seule. Si une telle hypothèse permet la résolution de si nombreux problèmes historiques et archéologiques associés à l’histoire des symboles, des signes, des mythes, des rituels, des hiéroglyphes, du calendrier, de l’écriture et des plus anciennes idées de la structure de l’espace et du temps, alors cela en soi est suffisant pour justifier un examen approfondi. Même si les travaux de Wirth contiennent de nombreuses affirmations qui semblent complètement fausses ou hautement douteuses, nous pouvons les laisser de coté et tenter de comprendre l’essence de sa théorie qui, à notre avis, est une version extraordinairement constructive qui élargit notre compréhension des époques archaïques de l’ancienne histoire de l’humanité. On n’est pas obligé d’accepter inconditionnellement la théorie du cercle culturel de Thulé, mais une évaluation de son potentiel interprétatif est nécessaire.

Deuxièmement, l’évaluation positive du matriarcat par Wirth est extrêmement intéressante et donne du poids aux idées de Bachofen. En effet, nous avons affaire à une interprétation d’une civilisation matriarcale conditionnellement reconstruite à partir de la position de ce qu’est le patriarcat, théorique du moins, auquel notre société s’est habituée. Wirth propose une interprétation alternative du Logos féminin, une tentative de voir le Logos de la Grande Mère avec des yeux différents. C’est aussi une proposition extrêmement non-conventionnelle et fertile.

Troisièmement, dans les théories de Wirth nous pouvons voir de claires analogies avec les reconstructions de Spengler et de Frobenius. Alors que Frobenius et particulièrement Spengler prirent le parti de la culture indo-européenne (touranienne, eurasienne), c’est-à-dire le camp du patriarcat tel qu’ils l’interprétaient, Wirth propose de regarder les choses du point de vue de la civilisation des Dames Blanches, c’est-à-dire depuis la position de la culture méditerranéenne primordiale qui précéda l’invasion des « peuples aux chars de guerre ».

Notes

[1] Tilak, B.G., Arkticheskaiia rodina v Vedakh (Moscow: FAIR-PRESS, 2001). En anglais : Tilak, B.G., The Arctic Home in the Vedas: Being Also a New Key to the Interpretation of Many Vedic Texts and Legends (Poona City: Tilak Bros, 1903).

[2] Dugin, A.G., Znaki Velikogo Norda: Giperboreiskaiia Teoriia (Moscow: Veche, 2008). Une traduction anglaise de l’introduction est disponible ici : http://www.4pt.su/en/content/herman-wirth-runes-great-yul.... Une traduction française a été publiée dans le gros recueil de textes d’Alexandre Douguine, Pour le Front de la Tradition, Ars Magna, 2017, p. 509.

[3] Wirth, H., Khronika Ura-Linda. Drevneishaiia istoriia Evropy (Moscow: Veche, 2007). En allemand : Wirth, Herman. Die Ura-Linda Chronik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1933).

[4] Wirth, H., Der Aufgang der Menschheit. Forschungen zur Geschichte der Religion, Symbolik und Schrift der atlantisch-nordischen Rasse (Jena: Diederichs, 1928).

[5] Wirth, H., Die Heilige Urschrift der Menschheit. Symbolgeschichtliche Untersuchungen diesseits und jenseits des Nordatlantik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1936).

[6] Le titre complet du livre de Wirth, Die Heilige Urschrift der Menschheit, spécifie « des deux cotés de l’Atlantique Nord ». Voir note 5.

[7] Voir note 2.

Chapitre 22 de la Partie 2, « Théories des Civilisations : critères, concepts, et correspondances », du livre Noomachy: Wars of the Mind – Geosophy – Horizons and Civilizations (Moscou, Akademicheskii Proekt, 2017).

Sénèque et la mondialisation malheureuse

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Sénèque et la mondialisation malheureuse

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Le monde moderne n’est qu’un monde usé jusqu’à la corde, et qui se croit nouveau parce qu’il a tout oublié.

L’actualité de Sénèque est toujours extraordinaire, jusques et y compris dans le domaine de la médecine (lettre XCV, voyez ce qu’en dit De Maistre) ou de la géographie ; son théâtre ignoré fourmille aussi de traits de génie et c’est dans sa tragédie Médée que Sénèque médite les limites de la science, de la navigation…et de la mondialisation, deux mille ans avant les rédacteurs fatigués de Zerohedge.com

On écoute l’universitaire Jean-Noël Michaud sur ce monologue du chœur de Médée :

« Les vers 374-379 sont célèbres car on y a vu l’annonce de la découverte du Nouveau Monde. Et en fait on a eu raison : depuis que la science grecque et les savants d’Alexandrie ont établi que la terre était ronde et que le monde connu des Grecs et des Romains ne représentait tout au plus qu’un quart de la surface terrestre, l’Océan a cessé, dans la pensée des savants, d’être uinculum rerum, on a supposé qu’au-delà de l’Océan, comme au sud de l’équateur, il y avait d’autres terres, nouos orbes. »

Michaud ajoute :

« L’Amérique existait donc, dans la pensée des astronomes et des gens cultivés qui connaissaient leurs travaux, 1500 ans avant qu’on ne la découvre. »

Ce monde techniquement et géographiquement maîtrisé est spirituellement rétréci. Michaud :

« Naviguer n’est plus une entreprise héroïque qui requiert l’aide des dieux et un équipage de princes, n’importe qui peut sillonner la mer, sans l’aide d’un vaisseau magique. On construit des villes partout, l’univers s’ouvre à toutes les routes, on voit des Perses au bord de l’Elbe et des Indiens au bord de l’Araxe. La terre est le village planétaire de nos modernes internautes. Comme il nous est difficile aujourd’hui de ne pas donner à ces vers un sens positif, puisque même les adversaires de la mondialisation nous expliquent qu’en réalité ils sont pour ! »

Car l’empire romain est une mondialisation, est une matrice très consciente :

« Ce que disent ces vers, c’est bien ce que l’empire est en train de réaliser à l’échelle de l’orbis Romanus : assurer la permanence des relations maritimes, civiliser des régions sauvages en y établissant des villes, envoyer sur le Rhin des auxiliaires syriens et sur l’Euphrate des Espagnols. »

Et c’est la fin de la poésie dans le monde (je sais, on va nous traiter de ringards, de retardataires…) :

jasonbateau.jpg« Les Argonautes ont fait tomber la première barrière et ce premier écroulement a provoqué de proche en proche la chute de toutes les barrières qui séparaient les peuples les uns des autres, le monde civilisé du monde barbare, le cosmos de tous les au-delà, merveilleux ou épouvantables. »

Très belle envolée de l’universitaire sur le vieillissement du monde (si visible aujourd’hui mais pensez au grand remplacement de la démographie romaine…) :

« Peut-être Sénèque se souvient-il de la version hésiodique de la fin des temps : quand aux derniers temps de la cinquième race, la race de fer, tout sera vieux, les enfants viendront au monde avec des tempes blanches. On a l’impression que le chœur annonce aussi que le cosmos finira par s’éteindre dans la sénilité. »

La quête de la toison d’or précipite la fin d’un monde qui sera vieux et médiocre :

« En allant la chercher dans un espace où l’homme n’a pas sa place, Jason a libéré dans le monde des hommes les forces déchaînées d’un monde qu’un dieu ne domine plus. Le choeur Audax nimium donne à Médée sa dimension cosmique mais la réalisation de sa vengeance marquera aussi l’épuisement du cosmos et la fin du tragique. »

Un peu de Sénèque maintenant, inspiré auteur de théâtre :

« Il fut hardi, le premier navigateur qui osa fendre les flots perfides sur un fragile vaisseau, et laisser derrière lui sa terre natale, confier sa vie au souffle capricieux des vents, et poursuivre sur les mers sa course aventureuse, n’ayant pour barrière entre la vie et la mort que l’épaisseur d’un bois mince et léger ! On ne connaissait point alors le cours des astres, et l’on ne savait point encore se régler sur la position des étoiles qui brillent dans l’espace. »

Comme Hésiode, Rousseau ou Kierkegaard, Sénèque célèbre l’innocence ignorante de nos pères :

« Nos pères vivaient dans des siècles d’innocence et de pureté. Chacun alors demeurait tranquille sur le rivage qui l’avait vu naître, et vieillissait sur la terre de ses aïeux, riche de peu, ne connaissant de trésors que ceux du pays natal. »

Ensuite le vaisseau de Thessalie met fin aux enchantements des origines (les lucifériens bien sûr préfèreront ce qu’ils croient un progrès) ; et il y a un prix à payer (le réchauffement climatique ?) :

« Le vaisseau de Thessalie rapprocha les mondes que la nature avait sagement séparés, soumit la mer au mouvement des raines, et joignit à nos misères les périls d’un élément étranger. Ce malheureux navire paya chèrement son audace par cette longue suite de dangers qu’il lui fallut courir, entre les deux montagnes qui ferment rentrée de l’Euxin, et qui se heurtaient l’une contre l’autre, avec le retentissement de la foudre, tandis que la mer, prise lançait jusqu’aux nues ses vagues écumantes. »

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Le prix à payer ? Sénèque en parle tel quel – c’est la fin des limites (mais dans un monde devenu petit, cela sonne comme une cour de prison abandonnée pour prisonniers…) :

« Quel fut le prix de ce hardi voyage ? Une toison d’or, et Médée plus cruelle que les flots mêmes, digne récompense des premiers navigateurs. Maintenant la mer est soumise, et se courbe sous nos lois : plus n’est besoin d’un navire construit par Minerve, et monté par des rois ; la moindre barque peut s’aventurer sur les flots : les bornes antiques sont renversées, et les peuples vont bâtir les villes sur des terres nouvelles. »

 Les derniers vers sont fantastiques :

« Le monde est ouvert en tout sens, et rien plus n’est à sa place…L’Indien boit l’eau glacée de l’Araxe, le Perse boit celle de l’Elbe et du Rhin. Un temps viendra, dans le cours des siècles, où l’Océan élargira la ceinture du globe, pour découvrir à l’homme une terre immense et inconnue ; la mer nous révélera de nouveaux mondes, et Thulé ne sera plus la borne de l’univers. »

Sources

Sénèque, Médée Traduit par Eugène Greslou,  1834

Jean-Noël Michaud Le chœur Audax nimium (Sénèque, Médée, 301-379) (Persée, via latina)

Colloque de RESISTANCE HELVETIQUE Discours de Robert Steuckers

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Genève, 9 mars 2019 – Colloque de RESISTANCE HELVETIQUE

Discours de Robert Steuckers

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers amis et camarades,

L’Europe, le réveil ou la mort, tel est l’intitulé du colloque d’aujourd’hui. L’Europe est, politiquement parlant, en dormition. Et en dormition profonde, alors que de multiples dangers et menaces se développent et s’amplifient, dangers et menaces qui sont autant de défis.

Il y a le danger démographique, avec une chute vertigineuse des natalités et un remplacement de population à une échelle inouïe. Sur ce sujet, je ne vous apprends rien. Ce danger démographique est assorti d’un basculement dans la multiculturalité qui fait de toutes les sociétés ouest-européennes des sociétés composites donc fragiles et déstabilisées en permanence, ruinant le principe antique, et toujours valable, de la politique selon Aristote : une Cité est d’autant plus harmonieuse et efficace qu’elle est homogène, qu’elle est gérée comme une famille biologique, comme un vaste réseau ethnique, tissé par d’innombrables liens de cousinage. Voilà pour l’idéal aristotélicien. Dans la pratique, en revanche, nous assistons à l’installation de réseaux mafieux diasporiques, favorisés par les regroupements familiaux et par la dissémination subséquente de communautés bien soudées dans quelques grands pôles urbains répartis dans plusieurs pays européens : le monde politique belge est tombé des nues, au cours de ces dernières semaines, en découvrant les ramifications complexes d’un clan araméen-chaldéen de double nationalité, turque au départ, belge à l’arrivée. Ces ramifications partaient du trafic de cocaïne à la constitution d’agences immobilières et de l’implantation de réseaux de bistrots à la vente de passeports, à la location d’automobiles de luxe et à la corruption concussionnaire au sein de la politique politicienne, le tout avec la bénédiction du prêtre de la communauté qui, dans son presbytère, faisait dans le recel de marchandises illicites ou de papiers compromettants.

Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres et, paradoxe de plus sur la place de Bruxelles, c’est la maison d’édition du parti néo-communiste qui dresse, dans un ouvrage copieux, le bilan historique complet des communautés qui se sont installées dans la capitale belge et européenne ; l’auteur clôture chaque chapitre en décrivant les types de criminalité qu’elles pratiquent chacune. Ce ne sont donc pas les populistes qui le disent mais ceux qui se proclament « antifa ». Nous sommes bel et bien face à l’imposture du vivre-ensemble car tout vivre-ensemble conduit inexorablement à juxtaposer, en une même agglomération urbaine de bonnes dimensions, des réseaux diasporiques d’économies parallèles, des formes nouvelles de criminalité, des trafics illicites et non pas à rassembler, toutes ethnies confondues, les amoureux de Victor Hugo dans les villes françaises ou de Goethe dans les villes allemandes.

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Il y a ensuite le danger du « figement politique », tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Sur le plan théorique, on nous prie, depuis plusieurs décennies, de vénérer un « patriotisme constitutionnel » qui fait fi de toutes les appartenances concrètes dont relevaient, dans les sociétés encore normales, les ressortissants d’un peuple, quel qu’il soit. Tout doit être gommé, effacé des mémoires, chez les autochtones comme chez les allochtones : les traditions, la culture, l’inné ethnique, l’acquis historique, les institutions nées des combats politiques pour ne laisser que des normes abstraites, posées comme immuables, et que l’on ne pourra enfreindre sans risquer les foudres des nouvelles inquisitions. En Allemagne, le politologue Hans Herbert von Arnim vient d’établir un bilan précis de la partitocratie allemande, soit le système qui a éloigné la sphère politicienne (car on ne peut plus parler de sphère politique !) des citoyens, créant une bulle parasitaire qui échappe à toutes les responsabilités réelles, combat tout challengeur potentiel, ruinant ainsi la mobilité démocratique inscrite dans les principes mêmes de toute bonne gouvernance, selon leur propre vulgate, s’entend. Le remède proposé par von Arnim est celui du référendum, que vous connaissez en Suisse pour le pratiquer à intervalles réguliers, et que réclament les Gilets Jaunes en France aujourd’hui. Nous voyons là se dessiner une convergence entre contestataires des désordres établis.

Le référendum a pour vertu politique principale de briser les routines que perpétuent les majorités ou les grandes coalitions qui, généralement, ne résolvent rien et laissent pourrir les problèmes. Le référendum permet de sauter au-delà des clivages gauche/droite ou majorité/opposition, au-delà des projets de lois concoctés par les tenants de diverses idéologies politiciennes, projets généralement loufoques et indécis que la « vox populi » peut alors jeter aux orties en toute légalité. Le résultat d’un référendum équivaut à une décision, à trancher sans tergiversations aucunes. Et, ainsi, à faire avancer la Cité dans un sens bien précis, dépourvu de toute ambigüité.

La partitocratie sans référendum conduit à l’absence de décisions claires en tous domaines. Les régimes qui s’y complaisent ne sont pas politiques mais impolitiques. Leur présence persistante dans la durée indique que la souveraineté n’est pas entre leurs mains mais entre celles d’un hegemon extérieur qui cherche, par ses propres décisions, à leur confisquer tout pouvoir réel sur la marche du monde ou à les plonger durablement dans le marasme.

Jurgen_Habermas.jpgLe danger du « patriotisme constitutionnel », théorisé par le grand gourou du système en Allemagne, Jürgen Habermas, est celui d’un état d’esprit qui vénère la norme, et rien que la norme, et évacue la force, et même et surtout la simple force des choses, écrit le politologue français d’origine libanaise Zaki Laïdi. En évacuant toute force et toute simple force des choses, le patriotisme constitutionnel, cher à Habermas et défendu avec jactance par Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt, est un pur déni du réel, qui place l’Europe dans un état de faiblesse très inquiétant, tout en interdisant les remèdes, d’avance condamnés comme étant les expressions morbides du populisme, nouveau croquemitaine des intellocrates et des médiacrates, au service de la superclasse.

Il y a ensuite le danger américain, danger principal, qui est très divers dans ses manifestations mais dont je ne retiendrai que deux aspects particulièrement pernicieux aujourd’hui : 1) l’espionnage par satellites, patronné par la NSA, dénoncé naguère par Edward Snowden, et 2) l’usage offensif du droit pour torpiller l’élan de firmes étrangères, principalement européennes, à coups d’amendes pharamineuses et de sanctions vexatoires.

A la fin des années 1990, les révélations d’un journaliste écossais, Duncan Campbell, sur le système d’écoute ECHELON ont suscité quelques remous bien vite oubliés, alors que le rapport rédigé par les autorités de l’UE précisait bien que plusieurs entreprises de haute technologie en Europe, principalement en France et en Allemagne, avaient littéralement été pompées et que tout le fruit de leur R&D avait été exploité aux Etats-Unis puis largement commercialisé à un coût très bas puisqu’il n’y avait pas eu d’investissement. En 2013, les révélations du hacker Snowden, tout comme les fuites de Wikileaks diffusées par Assange, ont fait le buzz pendant quelques semaines avant que la pause estivale ne vienne recouvrir d’un pudique silence les rares voix qui s’étaient insurgées contre ces pratiques indignes d’un allié. D’un allié ? Non ! Les Etats-Unis n’ont plus d’alliés depuis la doctrine Clinton, élaborée pendant l’un des mandats de ce président démocrate. Face aux Etats-Unis, selon cette doctrine, il n’y a plus que des « alien audiences » pour lesquelles on ne doit pas entretenir trop de scrupules. Dont acte. L’UE et sa clique dirigeante n’ont pas bougé, n’ont pas élaboré une politique de défense des entreprises européennes. J’espère que l’histoire retiendra cette inactivité préjudiciable comme une haute trahison.

alilaidi-droit.jpgAprès le pompage des données sensibles de nos entreprises les plus performantes, qui se poursuit allègrement, sans rencontrer ni critiques ni résistances, une nouvelle arme a été sortie de la panoplie américaine : le droit. Depuis une dizaine d’années, depuis la crise de 2008, de grandes entreprises européennes subissent les foudres des procureurs du département de la Justice américaine et l’assaut des agences de régulations financières. Elles sont accusées de violer les embargos imposés à Cuba, à la Corée du Nord et surtout à l’Iran. Les amendes qu’on leur inflige montent à des millions voire des milliards de dollars. Tour à tour, Siemens, la banque ABN Amro, Technip, la BNP, Alstom, la Société Générale, etc. ont été dans le collimateur ; ces multinationales européennes figurent au top dix des plus lourdes sanctions imposées par Washington, en attendant d’être rejointes demain par Airbus ou de passer sous pavillon américain, écrit Ali Laïdi, chercheur auprès de l’IRIS et spécialiste des guerres économiques. Cette attaque systématique et continue contre nos entreprises est le résultat de la doctrine Clinton, car, depuis qu’elle a été énoncée, les Etats-Unis n’ont plus d’alliés mais se trouvent face à des « cibles étrangères » qu’il convient de viser et de frapper quand elles risquent de dépasser en ampleur leurs équivalentes américaines ou de développer des technologies supérieures à celles créées par leurs concurrentes d’Outre-Atlantique. Les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles à New York ont servi de prétexte, sous Bush II, pour planétariser des lois qui ne s’adressaient, jusqu’alors, qu’aux entreprises et aux citoyens américains. Les terroristes wahhabites ont bon dos : l’action terroriste spectaculaire qu’on leur attribue a permis de lancer une attaque systématique contre le véritable ennemi européen, dont il faut, par la coercition juridique, vassaliser les meilleures entreprises, surtout en Allemagne et en France.

La véritable guerre est là. L’ennemi numéro un de Washington, c’est l’Europe. Une Europe qui est tétanisée. En effet, au sein de l’UE, aucune majorité ne se dessine pour contrecarrer la législation extraterritoriale américaine. Les listes noires, établies à Washington, menacent les entreprises et leurs dirigeants de geler leurs avoirs aux Etats-Unis et de leur interdire toutes activités commerciales. L’Europe ne peut toutefois se passer du client iranien, le désordre établi dans ce pays depuis la fin des années 1970, par les agissements d’officines étrangères, ayant eu pour objectif stratégique de briser tous les tandems économico-industriels que le Shah d’Iran avait promu comme la coopération nucléaire avec la France et l’Allemagne, les importations d’acier wallon en Iran, etc. La création délibérée de l’Iran khomeyniste a servi à diaboliser le pays jusqu’à nos jours : l’objectif réel n’est donc pas de lutter contre un fondamentalisme islamique et chiite, que l’on a créé et soutenu dans un premier temps, mais de ruiner toute coopération irano-européenne ; d’ailleurs, comment ne pas s’apercevoir de la supercherie de cet anti-islamisme déployé contre Téhéran quand, par ailleurs, les mêmes services ont utilisé les fondamentalistes wahhabites pour lancer leurs guerres de basse intensité en Afghanistan, en Tchétchénie, au Daghestan, en Syrie et au Yémen ?

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Les fausses élites eurocratiques savent parfaitement que la politique anti-iranienne de Washington est en réalité une politique anti-européenne. Face à la virulence de l’offensive juridique, en cours depuis une bonne dizaine d’années, l’eurocratie vient timidement de contre-attaquer. En effet, le 25 septembre 2018, Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne, annonce, en pleine assemblée générale des Nations Unies, que l’Europe a trouvé une parade pour maintenir ses relations économiques avec l’Iran (Ali Laïdi, p. 309), en pratiquant une politique de transactions par troc ! Cette solution évite d’utiliser des devises donc le dollar, permettant ainsi d’échapper aux sanctions américaines. L’Iran échange son pétrole ou son gaz contre des produits finis, selon un modèle préconisé par la « diplomatie Goering » dans les années 1930, quand l’Allemagne achetait de la viande, des céréales et des légumes frais aux pays d’Europe centrale et orientale, en les troquant contre des machines ou des locomotives. Devant ce fait quasiment accompli, Mike Pompeo a promis de se venger. Et il le fera, à coup sûr, au risque de ruiner encore la réputation des Etats-Unis car, désormais, le rôle mondial du dollar est bel et bien sapé : tous s’en éloignent. Ali Laïdi rappelle quelques paroles étonnantes de Jean-Claude Juncker, tirées de son « Discours sur l’état de l’Union » de 2018 : « Il est aberrant que l’Europe règle 80% de sa facture d’importation d’énergie en dollars américains alors que 2% seulement de nos importations d’énergie nous proviennent des Etats-Unis. Il est aberrant que les compagnies européennes achètent des avions européens en dollars et non pas en euros ». Ces timides changements d’attitude et ces paroles qui sonnent enfin vrai ne sont que l’amorce d’un combat qui est loin d’être terminé. Un combat que Juncker et les siens ne mèneront évidemment pas et que nous devons, nous, préparer dès maintenant.

Examinons toutefois les contextes dans lesquels ce combat va se dérouler : celui de la dette abyssale des Etats-Unis et celui de l’abandon progressif du dollar par des puissances comme la Russie ou la Chine. Pour y voir clair, rien de tel que les analyses de la dissidence américaine, plus lucide et clairvoyante que les dissidences européennes, dont la nôtre, dans les domaines de la politique et de l’économie internationales. Barbara Boland, sur l’excellent site « The American Conservative », constate que le Congrès américain admet que la différence négative entre la dette et le PIB américain est aujourd’hui de 22.000 milliards de dollars. En 2000, cela faisait une différence de 33% ; en 2019, ils en sont à 78% ; en 2029, ce sera vraisemblablement 93%. Le déficit du budget fédéral américain est de 900 milliards de dollars/an aujourd’hui ; à partir de 2022, il sera de 1000 milliards de dollars par an. Ce qui est alarmant, comme partout dans la sphère occidentale, à laquelle nous ne nous identifions pas, c’est qu’aucun débat sérieux sur les dettes et leurs effets pernicieux n’anime plus les hémicycles parlementaires, y compris aux Etats-Unis où l’on discute du « Medicare » pour tous (soit !), du Mur de Trump et de sa justification morale ou, cerise sur le gâteau, du « Green New Deal » d’Alexandra Ocasio-Cortez ! Or, le déficit américain est essentiellement dû à l’hypertrophie impérialiste, aux immixtions incessantes commises dans des pays étrangers, hors de l’espace continental américain, où les budgets suivants ont été alloués l’an passé : 5,3 milliards pour Israël, l’Ukraine et la Jordanie ; 3,4 milliards pour les réfugiés fuyant les zones de combat (une augmentation de 74 millions par rapport à 2017) ; 4,4 milliards pour les catastrophes au niveau international ; 8,83 milliards pour les « Global Health Programs » ; 9 milliards pour la « Security Assistance ».

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Barbara Boland note que ce ne sont pas les démocrates qui sont responsables de l’explosion de cette dette pharamineuse. Sous Bush, la dette avait atteint 10.000 milliards de dollars ; avec Obama, elle culminait à 20.000 milliards. La spirale avait été amorcée par des Républicains, notamment par Reagan.

Cette dette énorme est le talon d’Achille des Etats-Unis qui ne font rien pour la juguler sous Trump. Chris Hedges, autre dissident américain, estime, quant à lui, que l’accroissement de la dette sous Trump fait perdre toute confiance en l’Amérique et induit les autres grandes puissances à abandonner le dollar, ce qui aura pour corollaire de démanteler graduellement et tacitement les alliances, tout comme les harcèlements judiciaires américains ont fait fléchir, en septembre dernier,  Juncker et Mogherini, auparavant féaux sujets de l’hegemon, incapables d’imaginer un monde où celui-ci aurait été autre qu’hégémonique. La dette a des effets désastreux sur la politique intérieure américaine, ajoute Chris Hedges, car elle entraîne une inflation difficilement maîtrisable qui ne permet plus de financer les forces armées, dont le budget est colossal, comme on le faisait auparavant. Chris Hedges annonce ainsi la fin d’une impérialité de triple facture, athénienne, romaine et britannique, athénienne parce qu’elle tablait sur des alliés fiables et fidélisés, romaine parce qu’elle dispersait ses légions à bon escient aux endroits les plus stratégiques, britannique parce qu’elle visait un « système omni-englobant » reposant sur la culture, le commerce et les alliances.

Pour Hedges, la fracture est née en 2003 quand Bush a refusé d’écouter ses « alliés » européens. Elle sera confortée plus tard quand les Etats-Unis rejetteront justement les accords avec l’Iran, en menaçant leurs « alliés » de rétorsions s’ils persistaient à respecter ces accords ou à passer outre les injonctions américaines. La Turquie, depuis lors, a partiellement abandonné le dollar, l’Europe refuse de céder sur le gaz russe amené par le gazoduc Nord Stream 2, la Russie a échangé un stock de 100 milliards de dollars pour des yuan chinois, des yens japonais et des euro, l’Allemagne a demandé le retrait de son or de la « Federal Reserve » (300 tonnes), suivi par les Pays-Bas (100 tonnes). La dette, la défiance générale par rapport au dollar, sonne le glas du bellicisme néo-conservateur, incarné aujourd’hui par une nouvelle génération de faucons comme Mike Pompeo, John Bolton et Elliott Abrams.

Hedges base son analyse sur les travaux d’un historien anglais, Ronald Robinson, qui a étudié les mécanismes qui ont entraîné la disparition progressive de l’impérialité britannique. Celle-ci s’est effilochée quand elle n’a plus trouvé de collaborateurs indigènes et que ceux-ci, notamment sous l’impulsion de Gandhi, se sont mis à poursuivre des programmes autonomes. Pour ce qui concerne l’actuelle impérialité américaine, la perte de confiance due à la dette entraîne la perte de confiance dans les bons du trésor américain, même auprès du gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney qui a déclaré : « Nous avons désormais des devises de réserve autres que le dollar ». Cette perte de confiance s’observe très nettement depuis 2004 déjà, où les banques se sont appliquées à conserver moins de dollars dans leurs réserves. La tendance s’est accentuée jusqu’en 2015 où moins de paiements en dollars ont été effectués dans les transactions commerciales internationales. D’où la cote des Etats-Unis sur le total du commerce mondial n’est plus que de 10%, alors qu’elle dépassait les 50% dans l’immédiat après-guerre et au moment de la Guerre de Corée.

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Si rien ne change, le période de 2020 à 2030 sera catastrophique pour l’hegemon : l’augmentation des prix aux Etats-Unis ruinera encore davantage la pauvre classe moyenne, ou ce qu’il en reste, car les salaires stagneront. Pour Hedges, le dollar cessera définitivement d’être une monnaie de réserve mondiale vers 2030, obligeant le Pentagone à retirer ses troupes de partout ; le tourisme américain ne sera plus possible ni finançable pour les particuliers ; le recul de la puissance sur terre entraînera un recul dans l’espace et dans le « cyberspace », ce dont je doute et j’y reviens, provoquant sur le territoire américain lui-même des conflits internes que Hedges ne définit pas mais que les tenants de la fameuse « alt-right » qualifieront de « raciaux », ce qui est l’hypothèse effectivement la plus plausible.

Pourquoi ai-je émis un doute quant au recul des Etats-Unis dans le domaine du « cyberspace » ? Pour énoncer cette objection, je prends appui sur un document rédigé par Jean-Claude Empereur, vice-président de la « Convention pour l’Indépendance de l’Europe », un document qui a été préalablement publié dans la « Revue Politique et Parlementaire », dans son numéro d’avril-septembre 2018. Pour Empereur, nous sommes aujourd’hui, à l’échelle planétaire, face au « piège de Thucydide ». L’historien grec antique Thucydide, auteur de « La guerre du Péloponnèse », avait émis un axiome de la pensée politique qui disait que les grandes guerres se déclenchaient quand une puissance dominante était défiée par une puissance émergente et que la puissance dominante ne sortait pas nécessairement victorieuse du conflit ou en sortait en perdant des plumes.

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Aujourd’hui, le « piège de Thucydide » s’observe dans la confrontation Chine/Etats-Unis, où la Chine est une puissance tellurique et les Etats-Unis, facteur nouveau dans l’histoire, une puissance numérique. La Chine est qualifiable de puissance tellurique parce qu’elle vise à organiser territorialement le continent en créant de nouvelles voies terrestres ou des voies maritimes littorales en Eurasie, qui rappellent les antiques « routes de la soie ». Elle veut dont multiplier les infrastructures physiques sur une vaste masse continentale. Tandis que les Etats-Unis, par leur savoir-faire de pointe, veulent parfaire une puissance basée sur le virtuel, sur le « Big Data ». Le défi chinois, face à l’hégémonie réelle et actuelle des Etats-Unis, se matérialise surtout dans la tentative de se tailler un créneau dans la sphère du numérique en tablant sur la 5G. Car tel est bien le défi majeur. Je laisse aux spécialistes le soin d’expliquer en quoi consiste matériellement ce bond en avant du numérique. Je me contenterai d’en évoquer les retombées politiques. L’affaire Huawei, qui secoue aujourd’hui les relations sino-américaines, est la première manche dans cette cyber-guerre que mènent les deux protagonistes. La 5G, pour les Chinois, doit permettre de créer la ville du futur, testée en Chine à Xiongan qui recevra ses premiers habitants en 2020. La gestion numérique de cette ville, de cette smart city, devra servir de modèle aux acheteurs potentiels du système ailleurs dans le monde ; Xiongan est située à quelque 100 km de Beijing et est reliée à la capitale par un train à lévitation magnétique se déplaçant à 200 km/h. Les Chinois avaient déjà mis beaucoup de choses remarquables en œuvre pour la gestion des villes du futur et des aéroports tentaculaires des prochaines décennies. Xiongan doit être le couronnement de ces recherches, ponctuées désormais par la maîtrise de la 5G. L’exportation de ce modèle de ville, à des coûts concurrentiels, pourrait rapporter à la Chine autant que la maîtrise du numérique a rapporté aux Etats-Unis. Godfree Roberts écrit à ce propos : « Les Etats-Unis considèrent Huawei comme étant ‘dangereuse pour la sécurité’ parce que Huawei protège la confidentialité des communications des usagers », installant ainsi un barrage assez efficace contre toute intrusion des réseaux d’espionnage. La NSA a pourtant réussi à pénétrer les serveurs de la société Huawei et ne doit guère craindre ce bouclier vanté par les Chinois pour séduire les acheteurs de leurs produits, déjà très nombreux en Europe. On le voit, la guerre est ouverte et ce que craint Trump, par-dessus tout, c’est que les Etats-Unis accusent prochainement un retard de dix ans sur la Chine, sur la 5G et les technologies associées. Pire : ils se rendent compte que les Allemands, moteurs de l’Europe, ne peuvent renoncer à Huawei sans risquer le suicide économique. Un tandem sino-européen pointe à l’horizon, dont la Russie ne serait pas exclue. Une dynamique eurasienne se dessine, cauchemar des thalassocraties anglaise hier et américaine aujourd’hui.

piege-americain_0_400_642.jpgLe sort des cadres chinois de Huawei, poursuivis par la « justice » américaine, laisse préfigurer le pire aux Européens qui transgresseraient les interdits formulés par le Deep State américain. Le récit que vient de nous livrer Frédéric Pierucci dans son livre intitulé « Le piège américain » est affolant : ce cadre d’Alstom a été emprisonné pendant de longs mois aux Etats-Unis pour faire chanter les dirigeants de l’entreprise française qui ont fini par la céder à un consortium américain, avec toute la complaisance de Macron.

L’Europe, elle, est marginalisée par rapport à cet enjeu planétaire car elle n’a parié ni sur les infrastructures terrestres ni sur des voies maritimes littorales ni sur le numérique. Elle s’est voulue une « puissance de la norme » sans la force, obsédée par l’institutionnel et le normatif, qui, pour tout lecteur de Carl Schmitt, sont du vent, de la logorrhée, des vœux pieux, du « wishful thinking ». Le normativisme est une idéologie qui privilégie exclusivement les formes figées n’autorisant pas l’affrontement aux événements neufs, comme la révolution numérique en cours ou, sur le plan des relations internationales, le passage de la bipolarité de Yalta à l’unipolarité américano-centrée des années 1990, et de celle-ci à la multipolarité des BRICS. Il est proprement impossible de développer une stratégie, dans quelque domaine que ce soit, quand on adopte le normativisme car celui-ci fige tout une fois pour toutes et considère que toute action ou toute décision qui sortirait du cadre de la norme serait ipso facto une dangereuse transgression, assimilable au mal absolu et historique qui aurait secoué l’Europe il y a quatre-vingt ou septante ans. L’Europe de la norme sans force (Zaki Laïdi) donc du politiquement correct s’interdit toute audace innovante au risque de plonger toute sa population dans une régression calamiteuse. Inutile de vous préciser qu’il est minuit moins cinq !

La puissance numérique américaine repose donc sur une maîtrise ancienne des technologies informatiques et numériques, sachant que, selon la loi de Moore, la puissance des ordinateurs double tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Les Etats-Unis ont donc bénéficié du développement exponentiel de leurs acquis en ce domaine, permettant de vastes avancées dans l’automation ou, par exemple, dans la nanotechnologie sans oublier les drones qui donnent de considérables avantages aux armées sur le terrain. Le déploiement des atouts numériques en sciences et en médecine est évidemment un acquis indispensable à tous les peuples du monde mais c’est aussi, dans le domaine de l’information et des médias, la possibilité de démultiplier l’impact du « soft power » américain, dont on connait déjà la redoutable efficacité. Le numérique, ainsi, permet des manipulations médiatiques à l’échelle planétaire comme l’atteste, par exemple, la mobilisation tous azimuts pour le climat qui jette aujourd’hui nos enfants dans les rues chaque jeudi pour des happenings saugrenus qui permettent surtout de détourner l’attention des problèmes réels. Jean-Claude Empereur écrit : « La puissance algorithmique d’un Etat devient ainsi un élément majeur de son influence géopolitique », puissance algorithmique que les Etats-Unis utilisent pour obtenir leur « full spectrum dominance ». Le colbertisme américain fait que l’armée, la défense, soutient toutes les initiatives de la Silicon Valley et des autres géants américains du numérique. Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Youtube, etc.) réinvestissent leurs profits colossaux HORS du numérique : dans les projets spatiaux, le transport, le nucléaire, si bien qu’au soft power, décrit jadis par Joseph Nye, s’ajoute désormais un « digital power », aux potentialités quasi infinies. C’est là qu’il ne faut pas partager à 100% le pronostic de Hedges qui voit un recul des Etats-Unis dans le cyberspace.

Le dôme numérique américain surplombe donc le monde aujourd’hui, aplatissant la Terre, effaçant, au besoin par la force, toutes les différences inscrites dans le sol de la Terre au bénéfice de tout ce qui est « hors sol », dans le « cloud » comme la thalassocratie de Roosevelt avait arasé les résistances des adversaires des Etats-Unis. Cet arasement, vendu hier comme une « libération », est vendu aujourd’hui comme l’avènement sans heurts « d’un vivre-ensemble mondialisé, ignorant les rapports de force et les conflits territoriaux », soit une « géopolitique numérique du tendre » (« soft/smooth numerical geopolitics »). L’Amérique, qui avait exprimé son messianisme conquérant par un langage agressif du temps de Teddy Roosevelt, par un langage presbytérien et hypocrite avec Wilson, vient d’inventer le « messianisme bienveillant », et numérisé, un messianisme thérapeutique, mais cette bienveillance, vous en conviendrez, n’est qu’un masque. Que les cerveaux hardis de notre Europe en dormition ont pour mission d’arracher.

cloudnum.jpgFace à cette puissance numérique du tout-virtuel, du Big Data, du « hors sol » et du « cloud », la Chine –et je le dis avec amertume parce que j’aurais voulu que ce fut notre Europe qui le fasse-  formule le projet intéressant des « routes de la soie », propose ainsi une organisation continentale, celle des géomètres romains, aurait dit Carl Schmitt, renoue avec la pensée du développement chez Friedrich List, entend vertébrer le monde plutôt que le fluidifier et le sublimer dans le « cloud ». Elle parie pour le temps long. Face à cette tâche qu’elle aurait dû suggérer et entreprendre elle-même, l’Europe, dit Empereur, « a souscrit béatement au grand récit de la mondialisation heureuse et de la fin de l’histoire », annoncée au début des années 1990 par Francis Fukuyama. En souscrivant à ces fables sans consistance, elle a évité ainsi la pensée du long terme, que Chinois, sur le plan tellurique, et Américains, sur le plan numérique, ont pourtant toujours eu en tête. Le présentisme obtus des Européens est une erreur fatale. Ce « présent idéal », mais figé, correspondait peut-être à des temps désormais révolus, ceux de la coexistence pacifique qui édulcorait la guerre froide, ceux des Trente Glorieuses qui se sont muées en Trente Piteuses, ou encore ceux de la perestroïka de Gorbatchev. Or le monde est redevenu « normal », c’est-à-dire multipolaire et conflictuel, précise Empereur. Voilà pourquoi un projet de refondation est impératif pour l’UE, aujourd’hui, alors que les peuples renâclent : les Européens, en effet, ont le sentiment diffus que leurs institutions bruxelloises ne sont qu’un fatras technocratique oppressant qui s’auto-justifie par une idéologie vertuiste, tissée de repentance et de culpabilité. Les Européens, ajoute Empereur, « ne disposent ni de la puissance numérique actuellement dominée par les Américains et sans doute demain par les Chinois et sont coupés de toute profondeur stratégique non seulement par leur situation géographique de petit cap de l’Asie mais aussi par l’interdiction absolue qui leur est faite, par leurs alliés anglo-saxons, de s’entendre avec la Russie dans une perspective eurasiatique. (…). Cette stratégie d’interdiction géopolitique est totalement contraire aux intérêts européens ». Pire : ces dernières semaines, à l’occasion de la soixante-troisième conférence sur la sécurité à Munich, Mike Pence, porte-paroles du gouvernement américain, a tenté de forcer Merkel à refuser et à saborder le projet de gazoduc Nord Stream 2 et a déconseillé aux Européens de commercer avec l’Iran. Macron prendra le relais en répétant les admonestations de Pence, ruinant ainsi le binôme franco-allemand, reposant sur une volonté d’émancipation européenne. Sans le gaz russe, l’Europe germanique et bénéluxienne ne peut tout simplement pas survivre ; sans l’apport du commerce iranien, l’Europe est condamnée à la stagnation et à ne disposer que de fonds réduits pour ses « recherches et développements », alors que ceux-ci sont urgentissimes pour rattraper ses retards dans le numérique et dans d’autres domaines de pointe.

Pour échapper à l’étau que Pence, à Munich, a menacé de faire fonctionner, Empereur nous demande d’appuyer un projet de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin qui est une extension du projet suggéré en 2003 par Henri de Grossouvre, c’est-dire non plus un Axe Paris-Berlin-Moscou mais un Axe Paris-Berlin-Moscou-Beijing qu’ils définissent tous deux comme « conforme aux exigences de la géographie ». Et Empereur conclut par ces paroles que je vous demande de méditer quand vous sortirez de cette salle : « Puisse la réflexion sur les grands espaces l’emporter sur celles de la gouvernance par les chiffres et les obsessions comptables d’une technocratie sans vision ».

Cette parole, qui conclut un article purement factuel sur l’affrontement sino-américain, a une portée philosophique profonde que j’ai retrouvée dans un long entretien que le philosophe Marcel Gauchet a accordé récemment au site français « Les Crises ». Pour Marcel Gauchet,   -qui, dans cet entretien, esquisse un bilan succinct, très didactique, visant l’essentiel-   la souveraineté, qui turlupine tant quelques nationalistes français qui imaginent échapper aux désastres qui s’annoncent en quittant l’UE, la souveraineté donc, dit Gauchet, est en baisse à tous les niveaux en Europe, tant à celui des Etats nationaux qu’à celui de l’UE. L’Europe, et chacun des Etats qui la compose, est anesthésiée : elle est devenue, pour Gauchet, une entité a-politique et a-stratégique. Le politique, au sens noble du terme, est évacué. La stratégie est absente. Or sans « politique politique », disait Julien Freund, il n’y a pas de souveraineté : rien que de la politicaille qui laisse tout aller, les héritages comme les traditions, tel un chien crevé au fil de l’eau.

RH-MG.jpgLes dépenses militaires américaines, surtout après l’aventure vietnamienne et après le projet de « guerre des étoiles » cher à Reagan, ont servi à lancer une industrie numérique qui assure la domination américaine sur la planète entière. Les Européens n’ont jamais eu le réflexe de coordonner leurs actions pour être à l’avant-garde des innovations scientifiques et technologiques.

Face à ce désastre, dont les effets se sont accumulés au fil des décennies, la riposte « néo-nationaliste », dit Gauchet, est seulement « affective ». En effet, on oppose à des faits évidents des affects incapacitants qui dédoublent le danger, dans la mesure où ils n’entament en rien la force de l’adversaire et où leurs actions risquent d’avoir un effet retardateur, justement celui qu’escompte faire advenir l’ennemi pour freiner nos élans. On ne répond pas à l’ennemi par des déclamations émotionnelles ou des affects sans pertinence. De même, on ne réplique pas, dit Gauchet, par des arguments relevant de la religion car le religieux, lui, est bel et bien mobilisé par et pour la majorité morale aux Etats-Unis, par les télé-évangélistes ou par les chrétiens sionistes. Pour Gauchet, nous sommes face à une eschatologie politique, face à une théologie politique américaine qui permet une forte mobilisation des électorats, puissance dont nous ne disposons plus en Europe. Mais, j’ajouterai à l’argument pertinent de Gauchet un élément qu’il ne cite pas : face à ce pandémonium théologico-messianique américain, l’Europe ne se pose pas non plus comme le katechon qui va arrêter le déclin, freiner la déliquescence et rétablir l’ordre traditionnel. Elle ne se donne aucun rôle valorisant sur l’échiquier global. On peut poser la question : Poutine, orthodoxe russe, est-il ce katechon ? Je laisse la question ouverte car c’est là un autre débat, celui de la théologie politique, thème extrêmement complexe.

Gauchet constate aussi la « déstabilisation identitaire » qui frappe principalement les pays d’Europe occidentale, Allemagne comprise. Les pays d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne et la Hongrie, en sont nettement moins affectés : les mésaventures très récentes d’Orban avec la direction du PPE l’attestent à l’évidence. Cette « déstabilisation identitaire », au cours de ces trois ou quatre dernières années, provient essentiellement du flot d’arrivants venus de tous les horizons possibles et imaginables, flot qui induit un processus de submersion démographique alarmant auquel l’UE n’apporte aucune réponse car elle est un ensemble, dit Gauchet, qui n’a aucun contrôle ni sur sa frontière sud ni sur son front intérieur, les émeutes qui ont ravagé Grenoble, tout près d’ici, tout près de Genève, au cours de la semaine écoulée en sont un exemple patent.

Cette « déstabilisation identitaire » et ces turbulences inquiétantes sur le front intérieur sont le fruit d’une absence totale de conscience politique, que constate également Gauchet. Il nous dit : « L’UE ne sait pratiquer qu’une POLITIQUE de la REGLE, alors que ce qui lui est demandé est une POLITIQUE de l’EVENEMENT ». Toute politique de l’événement postule de déployer méticuleusement une stratégie car une stratégie, explique Gauchet, « permet d’anticiper les événements et de parer à toute éventualité ». On retrouve là, en un langage plus serein et plus subtil, les visions de Carl Schmitt et de Clausewitz. Pour Schmitt, le fétichisme de la règle, ou de la norme, est un poison ankylosant qui ruine les Cités comme le venin du cobra coagule le sang de ses proies. Pour Clausewitz, la stratégie consiste à ne jamais rater une étape dans le développement des techniques civiles et militaires qui procurent la puissance économique ou guerrière.

Ce fétichisme de la règle, qui doit, selon les tenants du normativisme, s’imposer envers et contre le réel, qui est par définition fluctuant, entraîne aussi la haine de soi, l’oikophobie disent les identitaires néerlandais, qui se traduit par une critique acerbe et injustifiée des acquis de l’histoire européenne, répétée ad nauseam par les intellocrates mercenaires des médias et des officines téléguidées par la NSA. L’idéal des normativistes étant défini une fois pour toutes, tout recours à un passé différent ou tout projet de refondation, populiste ou autre, sont tabou, doivent être effacés des mémoires et des volontés, afin que l’on n’ait plus qu’une humanité de zombis amnésiques et apathiques. Gauchet critique le « refus des intellectuels de tout eurocentrisme » et ajoute : « les legs de notre histoire sont tout-à-fait avouables ». Il y a donc urgente nécessité à « nouer un rapport critique intelligent avec le passé ».

Gauchet dénonce là le dernier danger que je voulais évoquer avec vous aujourd’hui : le danger de l’amnésie, de l’amnésie volontaire dans laquelle les normativistes nous plongent parce qu’ils estiment avoir raison au-dessus du réel et parce qu’ils ne veulent pas que des exemples du passé ressurgissent dans les mémoires, ou s’y lovent, parce qu’ils seraient des reproches actifs et virulents face à leurs manigances. Ma position personnelle est de ne pas arrêter la marche de notre histoire, de ne pas étouffer le réel historique qui est notre socle irremplaçable et doit nous servir de table d’orientation en permanence (la « logique tacitiste ») ; en ce sens je suis peut-être plus continuitaire qu’identitaire. Mais c’est là une coquetterie de vocabulaire.

Il me reste à remercier les jeunes organisateurs de ce colloque genevois, qui, au nom de la mobilisation totale, ont mobilisé les sexagénaires en ce jour pour leur demander des recettes pour affronter ce que ce cher Guillaume Faye, qui vient, hélas, de nous quitter définitivement, appelait la « convergence des catastrophes ». L’impéritie des normativistes impolitiques a imposé aux Européens la négligence de leur passé mais a aussi anesthésié leurs volontés d’aller de l’avant, de chercher des alternatives à l’impasse où ils ont été enfermés. Les tâches ardues qui attendent la nouvelle génération de combattants politiques, en Suisse et, plus encore, ailleurs en Europe, seront immenses car il s’agira de restaurer une souveraineté contre les agissements de forces colossales, avec, à côté d’eux, un matériel humain, certes de notre souche, mais profondément abîmé, zombifié par la permissivité et le festivisme qui ont régné en Europe depuis un demi-siècle, où l’on a brisé sans pitié tous les instruments traditionnels de la transmission.

Malgré cela, je souhaite à tous de conserver un vibrant courage et je vous dis : « A bientôt ! ».

Robert Steuckers.

Sources:

- Hans Herbert von ARNIM, Die Hebel der Macht und wer sie bedient - Parteienherrschaft statt Volkssouveränität, Heyne, München, 2017.

- Barbara BOLAND, "Ignoring America's Abyss of Debt", https://www.theamaricanconservative.com , 15 février 2019.

- Jean-Claude EMPEREUR, "Washington, Pékin: hégémonie numérique contre hégémonie tellurique", http://euro-synergies.hautetfort.com , 9 février 2019.

- Uriel GADESSAUD & Pierre RAMOND, "Nous avons rencontré Marcel Gauchet", https://www.les-crises.fr , 11 février 2019.

- Jean-Louis GERGORIN & Léo ISAAC-DOGNIN, Cyber - la guerre permanente, Cerf, Paris, 2018.

- Chris HEDGES, "Goodbye al dollaro", https://www.ariannaeditrice.it , 11 février 2019.

- Ali LAÏDI, Le droit, nouvelle arme de guerre économique - Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, Paris, 2019.

- Zaki LAÏDI, La norme sans la force - l'énigme de la puissance européenne, Sciences Po, Paris, 2005.

- Godfree ROBERTS, "Huawei, la 5G et la quatrième révolution industrielle", http://lesakerfrancophone.fr , 29 janvier 2019.

- Leslie VARENNE, "Le piège américain", http://www.zejournal.mobi , 15 février 2019.

Articles anonymes:

"US-Vizepräsident aus der Münchner SiKo: Washington läuft weiter Sturm gegen 'Nord Stream 2'", http://zuerst.de , 18 février 2019.

 

Francis Bergeron : « Tintin véhiculait des valeurs qui me correspondaient »

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Francis Bergeron : « Tintin véhiculait des valeurs qui me correspondaient »

Propos recueillis par Alexandre Rivet

Ex: https://www.breizh-infos.com

Francis Bergeron est journaliste pour le quotidien Présent et auteur de nombreux ouvrages, notamment pour la jeunesse. Spécialiste de Tintin et de son créateur Hergé, sur lequel il a également écrit plusieurs livres, il a accepté de répondre à nos questions en cette année marquant le 90ème anniversaire du célèbre reporter…

Breizh-info.com : Francis Bergeron, d’où vient votre passion pour Tintin ?

Francis Bergeron : Comme tout le monde ou presque : de l’enfance. Quand on m’a offert mon premier Tintin, je ne savais pas lire. Mais j’avais été frappé de voir mon père lire mon album et y trouver un réel plaisir. S’agissait-il d’un livre pour moi ou pour les grandes personnes ?

Plus tard, pendant mon adolescence, il m’a semblé que Tintin, comme Bob Morane, Buck Danny, Sherlock Holmes, Les histoires de l’oncle Paul, ou La Patrouille des castors, véhiculait des valeurs, une éthique, un état d’esprit qui me correspondaient, par tradition familiale, sans doute.

FB-hergéVImm.jpgPar la suite, engagé politiquement dans des groupuscules activistes, j’ai découvert avec un infini bonheur que Hergé avait fréquenté des personnages qui me fascinaient, comme Léon Degrelle, dont j’avais lu l’épopée militaire, qu’il avait dessiné une aventure anticommuniste au pays des Soviets, album mythique, introuvable, dont j’ai pu lire pour la première fois les bonnes pages dans le mensuel anticommuniste Impact, au tout début des années 70.

Breizh-info.com : Quel est votre album favori et pourquoi ?

Francis Bergeron : Chaque tintinophile a son ou ses albums favoris. Quand je fais une conférence sur Hergé et Tintin, je pose souvent cette question ; quel est votre album préféré ? J’ai remarqué que les albums cités sont rarement les plus connus, comme Tintin au Congo, Tintin en Amérique, Les cigares du pharaon, On a marché sur la lune.

Personnellement je place au-dessus de tous Le Secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. Ces albums font vivre deux histoires parallèles, à deux époques différentes : celle du capitaine Haddock et celle du chevalier de Haddock. Il y a des morceaux d’anthologie : la visite du marché aux puces de Bruxelles, le combat du chevalier de Haddock et de Rackham le Rouge, la crypte de Moulinsart. L’exploration sous-marine des vestiges de La Licorne, l’inauguration du musée… C’est un cycle parfait !

Breizh-info.com : Vous avez écrit deux livres sur Hergé (Georges Rémi, dit Hergé, publié en 2011, et Hergé, le voyageur immobile, en 2015). Quelles sont les caractéristiques de l’auteur qui ont attiré votre attention ?

Francis Bergeron : En fait, j’en ai écrit trois. Avec Alain Sanders et quelques autres, illustré par Aramis, nous avons en effet publié Hergé et nous, dans les années 90. Ce livre nous a valu un procès et une condamnation plutôt sévère… que nous n’avons pas payée, d’ailleurs. Il faut dire que les dessins d’Aramis étaient très politiquement incorrects ! Récemment, dans une vente aux enchères consacrée à l’œuvre de Hergé, j’ai eu le plaisir de voir cet ouvrage estimé 200 euros ! À l’époque j’aurais dû me mettre de côté le tirage complet, ma fortune était faite !

Mais, pour revenir à votre question, je dirais que ce qui m’a frappé, chez Hergé, c’est – malgré le succès de ses albums – sa gentillesse, sa modestie, sa disponibilité à l’égard de ses jeunes lecteurs. Il n’a jamais pris « la grosse tête ». Je dirais même qu’il n’a jamais eu conscience qu’il construisait une œuvre.

Breizh-info.com : Plus les années passent, plus les polémiques au sujet d’Hergé se multiplient, alors était-il vraiment raciste, comme le suggèrent les détracteurs de Tintin au Congo, ou même un sympathisant des Nazis, comme disent ceux qui pointent du doigt ses liens avec le journal Le Soir pendant la guerre ?

Francis Bergeron : Hergé était de son temps. Sa vision du Congo est celle qu’avaient tous les Belges de l’époque, vision renforcée par la visite du musée royal d’Afrique de Tervuren, à Bruxelles. Un Congo quelque peu idéalisé, une vision paternaliste, mais affectueuse. Une parfaite symétrie de celle des Français à l’époque de l’exposition coloniale. Et alors ?

Quant aux sympathies politiques d’Hergé, il ne faut pas non plus les surévaluer. Hergé était très fidèle en amitié. Qu’il s’agisse de Tchang, du père Norbert Wallez, de Degrelle, de Paul Jamin (Jam), de Félicien Marceau, de Van Melkebeke, de Robert Poulet, de Paul Werrie. Il fut la providence des épurés belges, et même des autres (Bardèche, par exemple). C’est tout à son honneur.

Mais il me semble que ces aspects ne font que donner davantage de corps, de densité au personnage, de le complexifier. Hergé n’est pas un homme insipide, propre sur lui, une simple usine à dessiner des petits personnages pour les enfants. Comme pour Céline, Henry de Monfreid ou Jack London, son œuvre est magnifiée par sa vie et sa légende, lumineuse et sombre.

FB-herg&éqsj.jpgJe pense aussi que la grande vague de mise en cause d’Hergé est finie. Après la mort d’Hergé, en 1983, et alors que le politiquement correct n’avait pas encore suscité ses contre-poisons, on pouvait craindre une opération de diabolisation définitive. Mais ce ne fut pas le cas, et aujourd’hui il n’y a plus de « scandales » à découvrir. Pierre Assouline, dans sa biographie, a exploré les moindres courriers du père de Tintin. Les psychanalystes ont étudié chaque album, etc. Un recentrage sur l’œuvre s’est opéré.

Il y aurait bien davantage à dire sur le stalinisme de Picasso, d’Aragon ou d’Éluard, sur le polpotisme d’une bonne partie des intellectuels et artistes d’après-mai 68, etc.

Breizh-info.com : Pourquoi les journaux n’ouvrent plus ou presque leurs lignes aux auteurs de bandes dessinées ?

Francis Bergeron : Jusqu’à une époque assez récente, la bande dessinée était un produit cher. La prépublication des récits en feuilletons à suivre, dans des revues, était une nécessité économique. L’album arrivait ensuite.

Aujourd’hui l’album a sa vie autonome. Le bouche à oreille des cours de récréation, les réseaux sociaux, les rayons des grandes surfaces, la publicité qui exploite les personnages de BD, contribuent au succès. Sans parler des films et dessins animés tirés d’albums, des expositions, des ventes aux enchères médiatisées, des timbres-postes…

Breizh-info.com : La caricature a-t-elle remplacé la bande dessinée ?

Francis Bergeron : Ce sont deux domaines parallèles. Il n’y a pas vraiment de passerelles, d’ailleurs. Je ne connais pas le cas d’un grand de la BD qui ait été un grand du dessin de presse, et vice versa. Les ressorts sont très différents. Le caricaturiste base son travail sur l’humour ou la rosserie. La bande dessinée (en tout cas à partir d’Hergé) se rapproche des techniques de découpage du cinéma.

Breizh-info.com : Quelle place Hergé conservera-t-il dans l’histoire ?

Francis Bergeron : Dans l’histoire avec un grand H ? Aucune. Dans l’histoire de la bande dessinée ? La première. Dans l’histoire artistique du XXe siècle ? L’une des premières.

Son œuvre est dorénavant gravée dans le marbre de l’éternité, comme celles des plus grands de chaque époque.

Breizh-info.com : Tintin est désormais repris par les Américains, via le cinéma. Le film de Spielberg fait-il honneur au personnage d’après-vous et qu’attendez-vous de la suite que réalisera Peter Jackson ?

Francis Bergeron : Ce qui m’a frappé, dans le film de Spielberg, c’est qu’il a mis en valeur l’épisode où Tintin et Haddock sont recueillis dans le désert par la Légion étrangère. Au nom de l’anticolonialisme, et autres billevesées, un film comme celui-ci tourné en France ou en Belgique aurait occulté cette partie du récit.

Je n’ai aucune idée de ce que pourrait être la suite. L’important, c’est de valoriser toujours plus l’œuvre de Hergé. De ce point de vue, on ne peut que se féliciter d’initiatives qui vont accentuer le caractère international de l’œuvre.

petit20.jpgBreizh-info.com : Il y a d’innombrables anecdotes autour d’Hergé et de son héros, y en a-t-il une en particulier que vous souhaiteriez nous raconter ?

Francis Bergeron : Hergé faisait un gros complexe. Il était célèbre, mais il était persuadé qu’il ne resterait rien de lui, ensuite, qu’il n’était qu’un amuseur pour enfants.

Il s’est mis à prendre des cours de peinture, puis il a commencé à peindre. Il nous faisait du sous-Miro, du sous-Bernard Buffet, etc. Un jour, avec ses toiles sous le bras, il est allé voir des galeristes bruxellois. Ceux-ci n’ont guère manifesté d’enthousiasme. Mais ils lui ont dit :

– En revanche, si vous avez des planches originales des albums de Tintin, nous sommes preneurs…

Une autre anecdote amusante : quand Hergé venait à Paris, il se rendait parfois chez Maurice Bardèche, le beau-frère de Robert Brasillach. Et pour ses enfants, il dessinait des personnages de sa saga.

Aujourd’hui, la famille Bardèche ne sait plus ce qu’elle a fait de ces dessins. Probablement Suzanne et Maurice les ont-ils jetés, après que les enfants les aient coloriés, ou gribouillés…

Breizh-info.com : Tintin a désormais 90 ans : sera-t-il encore un héros dans un siècle, pour les générations futures ? Pourquoi ?

Francis Bergeron : Je crois avoir répondu à cette question. Tintin est un héros à la fois daté (ce qui en accentuera toujours le charme) et intemporel.

Il me semble en effet qu’il continuera à séduire des générations d’enfants, et donc ensuite des générations d’adultes. Car quand on pénètre dans cet univers, c’est pour la vie.

Propos recueillis par Alexandre Rivet
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