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jeudi, 04 octobre 2012

Exposition: Céline et quelques autres...

mercredi, 03 octobre 2012

Cahier Nimier aux éditions de L'Herne

Vient de paraître:

Cahier Nimier aux éditions de L'Herne

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
A partir de 1956, Roger Nimier entre en A partir de 1956, Roger Nimier entre en correspondance avec Céline en tant que conseiller éditorial pour la maison Gallimard. Les liens avec le reclus de Meudon ne cesseront de se resserrer. Au sommaire de ce 99è Cahier, plusieurs articles consacrés à Céline : Frédéric Vitoux « Le fantôme de Nimier à Meudon », les textes de Roger Nimier « Donnez à Céline le Prix Nobel ! », « Céline » (Bulletin de la NRF), des textes de Marcel Aymé et Marc Henrez et enfin une correspondance inédite Céline-Nimier. Consultez le sommaire complet ici.
 
Roger Nimier, L'Herne, 384 pages, 39 €, 2012.
Commande possible sur Amazon.fr.


Cinquante ans après, si déconcertant qu’ait été ce destin, le public et la critique n’en ont pas fini avec Roger Nimier. L’attestent son oeuvre au format de poche et plusieurs essais récents. Aucun livre, pourtant, ne met pleinement sous les yeux cette expérience singulière, vécue entre les années 1940 et 1960. Ce Cahier veut combler ce manque.
 
Il ambitionne ainsi de tenir le rôle de passeur auprès du lecteur actuel.

En 1948, Roger Nimier s’impose à l’âge de vingt-trois ans avec son premier roman, Les Épées. S’attaquant sans tarder à l’ordre intellectuel et moral instauré après la Libération, il se livre à des provocations qui lui valent bientôt des ennemis et une réputation de factieux. Mauriac, Julien Green et Marcel Aymé n’en désignent pas moins Le Hussard bleu en 1950 pour le Goncourt, avant que la revue de Jean-Paul Sartre fasse de ce roman l’emblème d’un groupe littéraire. Cinq autres titres ont déjà paru quand le hussard annonce en 1953 qu’il abandonne le roman pour longtemps. Rupture de ce silence, D’Artagnan amoureux présage à l’automne 1962 un retour, quand survient l’accident mortel.
 
Lancée à la face d’une époque jugée décevante, l’exigence de style qui caractérise Roger Nimier s’est exercée dès le début à la fois dans le roman, la chronique et la critique. Mais elle a aussi conduit l’écrivain à jouer un personnage. Ce Cahier en esquisse donc la mise en scène, avant de s’attacher successivement aux trois volets de l’oeuvre.

Entretien, journal poème, correspondances et autres formes, un matériau varié tente de rendre cette multiplicité à travers le temps.

Tout au long de ce volume, afin de restituer l’écrivain dans sa diversité, documents originaux et témoignages entrent dans une polyphonie de points de vue. Celle-ci s’oppose délibérément à une vision dont la cohérence serait dictée par la volonté de prouver, ou inspirée par le seul souci d’admirer.

Si l’oeuvre compte une quinzaine de volumes, ce Cahier étend la connaissance de l’auteur en rendant accessibles d’importants écrits encore dispersés, ou totalement inédits.
Pour l’interprétation, il apporte les analyses actuelles de critiques et d’écrivains, sans exclure la reprise d’articles significatifs ou fondateurs.

Ainsi se développe une réponse à la question que posent une oeuvre et une figure qui résistent incontestablement au temps. Ainsi surtout peut naître, on l’espère, la tentation de relire Roger Nimier, ou de le découvrir enfin.

 
Roger Nimier, L'Herne, 384 pages, 39 €, 2012.
Commande possible sur Amazon.fr.
 

lundi, 24 septembre 2012

Lisibilité et idéologie, le cas du texte célinien

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/ 

Lisibilité et idéologie, le cas du texte célinien
par Danielle RACELLE-LATIN
 
 
« J'écris pour les rendre tous illisibles. »
L.-F. Céline.
 
celine-meudon-1959.jpgLe refus de souscrire aux codes linguistiques et culturels qui fondent la lisibilité du roman bourgeois caractérise l' « intentionnalité » des écrits céliniens. Nous plaçons le mot entre guillemets parce qu'il ne fait que renvoyer à l'appréciation de l'écrivain sur sa pratique littéraire. Sans augurer du niveau d'objectivité qu'elle manifeste, il nous faut d'entrée de jeu constater que cette évaluation fut corroborée par le public et sanctionnée par le désintérêt dans lequel sont tombées les dernières productions céliniennes : Guignols Band, Le Pont de Londres, D'un Château l'autre et plus encore Rigodon, Nord ou Féerie pour une autre fois sont actuellement des textes « illisibles ».
 
L'ostracisme dont cette production fait l'objet ne peut pas que tenir à la compromission de leur auteur vis-à-vis du national-socialisme et de l'antisémitisme à une époque qui précédait de peu la seconde guerre mondiale. Le fait est inhérent à la nature de la production elle-même, laquelle ne fait qu'accuser une altérité déjà présente, mais à titre latent, dans les deux premiers romans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, tous deux cités en bonne place (relative) dans les ouvrages normatifs sur la littérature du xxe siècle.
 
On pourrait invoquer ici, à titre d'hypothèse explicative, la théorie du saut qualitatif. Les premiers textes de Céline contiendraient en eux des signes de différence quantitativement limités et donc latents, qui, en s'accroissant progressivement, auraient produit une brusque mutation qualitative, mutation que l'on peut assurément faire coïncider avec l'éclatement opéré dans la forme de communication antérieurement adoptée. Le passage du roman polémique au pamphlet, de la fiction à l'Histoire, manifeste chez l'écrivain un processus de réification des phantasmes et, au point de vue du lecteur, atteste la désagrégation d'une médiation littéraire acceptable antérieurement. La subversion idéologique du texte célinien restait lisible tant qu'elle s'accommodait d'une médiation littéraire conforme à la pratique idéologique de la lecture bourgeoise. Son caractère fondamental, l'incongruité, devenait par contre irrecevable à partir du moment où, poursuivant sur sa lancée anarchique, le texte projetait son altérité et sa duplicité jusqu'à la transgression du code « fiction littéraire » et faisait passer sans guillemets son discours fictionnel et délirant dans le champ de l'Histoire. La sanction d'une telle transgression est celle de la folie, ultime ostracisme de l'institution sociale.
 
L'exemple tend à illustrer que ce n'est pas le contenu idéologique explicite de la communication qui détermine l'acceptabilité ou la non-acceptabilité du discours littéraire, mais sa « forme idéologique » c'est-à-dire sa conformité ou sa non-conformité aux codes de la lisibilité littéraire. C'est le reniement jugé pathologique des codes de la littérarité qui condamne le discours célinien à ne plus être entendu. Les pamphlets eux-mêmes et leur délire de persécution antisémite fussent restés à la rigueur « lisibles » pour autant que le lecteur eût pu être convaincu, ainsi que Gide tenta de le dire, de leur caractère « poétique ».
 
La seule véritable transgression est celle qui porte sur la typologie des discours implicitement reconnue par l'idéologie. Un texte devient irrecevable du fait qu'il trahit le type de discours auquel ses caractéristiques linguistiques, rhétoriques et idéologiques le destinaient dans la conscience sociale. Le pamphlet célinien transgresse et violente irrémédiablement cette conscience sociale parce qu'il se donne à lire tout à la fois pour un discours politique (référentiel, didactique et performatif) et comme un pur jeu poétique, ballet verbal connotant ironiquement sa propre pratique. Eût-il été poème ou discours politique qu'il aurait été encore justiciable d'une appréciation idéologique — fût-elle négative — et donc « lisible ». Mais par son équivoque formelle il tombe hors de l'espace idéologique, dans la folie. Il ouvre un lieu d'ambiguïté insoluble, produit d'une double destruction : celle du discours politique par le poème, celle du poème par le discours politique. Fiction et Histoire sont renvoyées dos à dos dans une même dérision et le texte sort du sens parce qu'il a brouillé les clivages fondamentaux (discours politique/littéraire), autrement dit les codes de repérage idéologique de la signification.
 
Ce phénomène de transgression joue bien entendu également à l'intérieur d'un type de discours donné. Ici, en l'occurrence, le discours littéraire. Les « romans » céliniens nous en fournissent un bel exemple. On peut dire que les deux premiers romans, Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, bien que subversifs, sont « lisibles » tandis que les derniers, transgressifs, ne sont plus acceptables pour le lecteur-consommateur de romrans.
Le texte subversif est lisible parce qu'en dépit de ses écarts il continue à se conformer à une typologie générique particulière (ici celle du roman), tandis que le texte transgressif opère une destruction radicale du code générique régulateur.
La typologie de base du genre romanesque est bien connue. Disons pour résumer les choses schématiquement qu'il s'agit d'un discours principalement représentatif d'une fiction, laquelle représente à son tour une épreuve de la négativité assumée par un héros, cette crise étant réversible.
 
Le Voyage au bout de la nuit présente les signes certains d'une pratique transgressive des codes littéraires, mais s'exerçant dans les limites typologiques du discours romanesque. Aussi bien, en raison de cette visée romanesque avouée, cette transgression sera-t-elle récupérée esthétiquement comme forme signifiante d'une négativité purement fictionnelle.
Dans le Voyage, la subversion de la langue littéraire (langue écrite) par l'intrusion d'une oralité désublimante (vulgarismes, argot, incongruités, etc.) est le support d'une transgression idéologique (marques d'extranéité culturelle, vision du monde antihumaniste, critique radicale des valeurs sociales et morales...). Mais celle-ci, parce qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une fiction romanesque (expérience fictive de la négativité) et, bien qu'elle soit le fait du narrateur et non du seul personnage, est renvoyée à la secondarité littéraire. La négativité idéologique de l'écriture devient « lisible » parce qu'elle prend valeur de forme signifiante connotant la négativité d'une fiction. De ce fait elle est récupérée et positivée : la subversion initiale du code « langue littéraire », inscrite dans la pratique de l'écriture célinienne, devient un code d'enrichissement de cette langue littéraire même. Nous voudrions succinctement illustrer ce processus.
 
 
Voyage au bout de la nuit - Manuscrit
 
La transposition de l'effet de parlé à la langue écrite constitue dans le Voyage un fait d'écriture dont la portée est effectivement transgressive : sa fonctionnalité vise en effet à renverser le code romanesque fondé sur la représentation d'une histoire vraisemblable pour lui substituer un texte. Mixte de langue parlée et de langue littéraire cette écriture brasse, pour les subvertir réciproquement, un nombre considérable de codes linguistiques et littéraires, lesquels renvoient à des signifiés ou des présupposés culturels : l'argot, la parlure populaire sont les codes linguistiques d'un niveau social et d'un ethos particulier (mythe social de la « mentalité populaire »). Par leur utilisation en contexte littéraire, ils acquièrent en sus la valeur de code esthétique : ils signifient un genre existant, celui du populisme. La langue écrite et soutenue quant à elle renvoie à des signifiés diamétralement opposés tant au niveau socio-linguistique que littéraire : pratique conforme au code de la bourgeoisie, elle ne marque dans le roman aucune socialité particulière et se donne à lire comme un langage du subjectif, du psychologique, comme un code adéquat à l'idéalité bourgeoise. L'écriture active est ici un jeu réellement dialectique dans la mesure où elle vise à brouiller la transparence de ces codes de lecture. Par sa fonction mimique (et non simplement mimétique), elle rend mobiles les signifiés par rapport aux codes qu'elle traverse et attaque leur taxinomie. Ainsi les signes de la langue parlée, populaire, y sont-ils déplacés de leur signifié social de telle sorte qu'ils prennent progressivement (au cours de ce qui serait une écriture-lecture) fonction de signifiants strictement textuels.
 
Pour nous limiter à un exemple simple, nous citerons le cas du rappel du pronom, tournure syntaxique utilisée systématiquement par la narration. Celle-ci se donne d'abord à lire, conformément au code, comme signe d'un usage populaire chargé du pouvoir de connoter la marginalité du locuteur par une intonation d'invective ou de ressentiment social. Innombrables sont les phrases du type : « Tu parles si ça a dû le faire jouir, la vache ! » / « Le jour on les aurait bien bousillés jusqu'aux essieux, ces salauds-là », qui se caractérisent par le rappel du pronom sujet ou complément ou de l'un et l'autre en combiné (« Je le connaissais le Robinson moi » / « C'est même ce jour-là, je m'en suis souvenu, depuis qu'il a pris l'habitude de la rencontrer dans ma salle d'attente, la vieille Henrouille, Robinson »).
 
Cette structure est cependant génératrice de tout un travail de déconstruction rationnelle de la phrase qui affecte tout aussi bien les registres de la langue écrite et littéraire que ceux de la langue parlée (populaire, trivial, familier). Un même schème de dénotation rythmique en perturbe la distinction :
 
« C'est un quartier qu'en est rempli d'or, un vrai miracle et même qu'on peut l'entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu'on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang. »(1)
 
« Elle les tenait déjà d'ailleurs la misère au cou, au corps, les mignonnes, elles n'y couperaient pas. Au ventre, au souffle, qu'elle les tenait déjà la misère par toutes les ondes de leurs voix minces et fausses aussi... » (2)
 
Du registre populaire cette structure verbale se médiatise jusqu'à rejoindre enfin le style impressionniste des passages « littéraires » transcrits en style soutenu :
 
« Chaque fois, au départ, pour se mettre à la cadence, il leur faut du temps aux canotiers. La dispute. Un bout de pale à l'eau d'abord et puis deux ou trois hurlements cadencés et la forêt qui répond, des remous, ça glisse, deux rames puis trois, on se cherche encore, des vagues, des bafouillages, un regard en arrière vous ramène à la mer qui s'aplatit là-bas, s'éloigne et devant soi la longue étendue lisse contre laquelle on s'en va labourant, et puis Alcide encore un peu sur son embarcadère que je perçois loin presque repris déjà par les buées du fleuve, sous son énorme casque, en cloche, plus qu'un morceau de tête, petit fromage de figure et le reste d' Alcide en dessous à flotter dans sa tunique comme perdu déjà dans un drôle de souvenir en pantalon blanc. » (3)
 
Le clivage langue populaire /langue littéraire s'en trouve transgressé au profit d'une écriture qui n'est plus socialisable et qui ne codifie plus effectivement que les signifiés textuels fondamentaux : révolte et impuissance, chaos et relâchement, ballottement débile d'une déviance qui n'est plus celle d'un sujet « situable » dans l'espace social, mais celle de la société tout entière. L'écriture se fait ainsi métalangage poétique, compétence purement rythmique où se forment et se déforment dans un grand mouvement négateur de sac et de ressac les différentes physionomies sociales et culturelles de la performance linguistique qu'elle réduit à une équivalence symbolique dans la négativité.
 
La « parole » narrative issue de cette pratique subversive de la langue ne peut plus être mise au compte du personnage ou du narrateur fictif que si l'on se rend dupe du jeu de trompe-l'oeil qu'affiche pourtant la nature mimique de l'écriture. Par son allure populaire et argotique celle-ci motive bien en apparence la situation des héros dans l'espace socio-linguistique et socio-idéologique du monde fictionnel (personnages déclassés, argotiers, réfractaires à l'ordre social) ainsi que l'action narrative comme procès de déviance sociale. Mais cette illusion s'affiche comme illusion, le réalisme stylistique étant détruit par les inconséquences volontaires de la « parole » (attribution de parlure argotique ou vulgaire à des personnages bourgeois secondaires, registre tantôt populaire tantôt soutenu de la narration). En avouant sa fabrique artificielle l'écriture se montre sans cesse et tend à détruire l'illusion romanesque.
 
Louis-Ferdinand Céline - Voyage au bout de la nuit
Une relecture du texte permettrait par ailleurs de constater que bon nombre de séquences narratives ne sont effectivement que des métaphores discursives « objectivées » ironiquement dans l'espace diégétique. Ainsi par exemple la métaphore de la galère-société présente dans l'ouverture-programme du texte est-elle l'origine de la séquence fantastique de l'« Infanta Combitta », galère espagnole à laquelle Bardamu sera vendu par un prêtre africain pour être conduit dans le « nouveau monde ». Ici encore l'écriture pointe comme surdétermination ironique de la fiction. La subversion du genre et l'utilisation d'une intertextualité complexe dans le roman (conte, satire, picaresque fantastique) découle en droite ligne de la pratique démotique de l'écriture qui se fonde sur la transgression du code « langue littéraire ». De même que l'écriture se constitue par le mixage fantaisiste de niveaux incompatibles de la langue, de même le texte littéraire fonctionne comme confrontation incongrue des codes génériques propres à la langue littéraire. Et ce, afin d'attaquer la fonction de représentation de la littérature mais surtout, à travers elle, cette représentation même du monde qu'elle autorise.
 
On peut constater néanmoins que cette textualité n'a opéré qu'un blocage temporaire à la lisibilité du Voyage au bout de la nuit. La critique, un instant déroutée, eut tôt fait de récupérer cette incongruité « expressive » comme l'indice d'une nouvelle systématique formelle qui sauve la cohérence esthétique de « l'oeuvre » en même temps que sa lisibilité comme roman, c'est-à-dire comme langage médiat de la Valeur.
 
L'usage d'une parole narrative traversée par des discours incompatibles, les contradictions de l'oeuvre ainsi que son hétérogénéité du point de vue des genres peuvent en effet se fonder en « pertinence expressive » aux yeux de cette critique du fait que le roman représente un héros déclassé (populaire), engagé dans une épreuve de délaissement moral et social. Ainsi son univers de représentation ne peut-il être lui-même qu'un « chaos en suspens » (expression de Bardamu, le héros de l'aventure). C'est cette expressivité que l'esthétique du roman « représente » à son tour par le chaos des codes de la langue et de la littérature. La forme n'est là que pour confirmer à titre homologique le sens psychologique de la fiction, l'expérience d'une anomie individuelle, l'épreuve d'un « voyage au bout de la nuit ».
 
La narration ne fait que représenter la fiction. Le livre ne s'ouvre-t-il as sur une rupture de silence (« Ça a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. ») pour se clôturer sur un retour au silence (« Et qu'on n'en parle plus ») identifiant donc acte de narration et de représentation, mais au profit de cette dernière évidemment ? Le travail de l'écriture est ramené aux dimensions de la « parole » du héros et c'est à travers le code populiste préexistant, en fonction de la marginalité sociale du personnage qu'il pose, que seront rationalisées les subversions textuelles. La lecture est de ce fait à nouveau permise. Le texte voit sa négativité effective récupérée au ciel de l'idéalité esthétique. La subversion des codes littéraires telle que la pratique le Voyage peut ne pas être comprise comme une remise en question de la lisibilité romanesque et de l'idéologie qu'elle présuppose. Le Voyage est bien un roman à forme originale qui « représente » la mise en question individuelle de l'ordre social par la « parole » d'un héros négative, et qui signifie cette négation fictionnelle selon la logique des codes littéraires : leur utilisation chaotique n'empêche pas qu'ils continuent de signifier (dialectiquement) l'ordre, le sens, la valeur. Bien au contraire puisque cette destruction ironique représente précisément dans l'oeuvre l'expérience d'une enténébration de ceux-ci.
 
 
Cette lisibilité du Voyage au bout de la nuit que nous retraçons succinctement, et de façon un peu sournoise, révèle la clôture idéologique de toute lecture. Elle laisse également supposer la nature réactionnaire du phénomène d'esthétisation.
Le processus d'esthétisation semble bien être proportionnel au travail de la subversion littéraire : plus le texte réalise dans sa pratique une destruction de la représentation du monde conforme à l'idéologie, plus cette négativité sera récupérée esthétiquement. Encore faut-il qu'il n'y ait pas transgression du code de lisibilité fondamental. Dans le cas du Voyage, la subversion des codes littéraires s'accommode bien, en effet, du type du discours romanesque puisque la parole s'y présente encore, fût-ce illusoirement, comme celle d'un personnage engagé dans une fiction ou dans le récit de cette fiction. Tel sera encore le cas pour Mort à crédit, en dépit de l'intensification des formes de la subversion verbale que cette seconde production manifeste (emploi systématique de l'effet de parlé, vulgarismes, argot, déconstruction rationnelle plus grande de la phrase linguistique et de la phrase narrative). Par contre, dans les dernières productions de Céline, la subversion, en accentuant encore davantage les écarts au genre romanesque, aboutit à une transgression visible; le support de la lisibilité fictionnelle, à savoir le personnage, disparaît : c'est l'écrivain Céline qui « parle » désormais et la « réalité » que le langage désintègre comme la négativité que cette destruction véhicule ne trouvent plus par conséquent leur code de médiation. La superposition chaotique des genres (épique, satirique, historique, fantastique, poétique, auto-biographique, romanesque...) y est systématisée au point qu'aucun de ces codes génériques ne peut plus être pris comme code de base ou comme type de discours régulateur d'une lisibilité acceptable. Le langage résiste ici comme phénomène irréductible. Que cette transgression soit le fait de la folie, du délire autistique ou d'un refus concerté de faire de la littérature autrement qu'en la déconstruisant, c'est là un problème de lecture critique qui ne concerne pas le lecteur-consommateur de sens, lequel se contente de sanctionner l'altérité de l'écriture en refermant le livre.
 
Dans les limites du discours littéraire, tout écrit est lisible pour autant qu'il se codifie conformément à un type générique. Les subversions apportées à ce type de base, si elles troublent la sécurité idéologique du lecteur, n'en sont pas moins récupérables esthétiquement, pour autant qu'elles n'attaquent pas sa norme d'interprétation.
Les formes subversives se déchiffrent dès lors comme connotations ou comme signifiants d'enrichissement du code fondamental et leur négativité vient renforcer le système de récupération de la lisibilité.
Les formes transgressives, par contre, parce qu'elles attaquent la lisibilité dans ses fondements, font sortir de l'idéologique. Elles sont historiques et dialectiques. Les formes subversives du discours romanesque ne sont lisibles que si elles sont computables, c'est-à-dire susceptibles de s'inscrire comme des célébrations ornementales dans le temps institutionnalisé de la fiction. Fiction qui ne reste omniprésente dans la lecture que parce qu'elle est le garant du caractère strictement individuel, accidentel, non historique de la négativité. Récemment Charles Grivel, dans son ouvrage sur La Production de l'intérêt romanesque, rappelait notamment, en termes peu suspects d'essentialisme, le caractère nécessairement mythique de la lecture comme recouvrement de l'origine à travers le temps du lire. Le plaisir de lire n'est là que pour permettre celui de la relecture. Le temps romanesque, comme chute ou émergence dans la négativité, n'est présenté que pour réactiver la force hypnotique du temps idéologique, temps antérieur et postérieur à la fiction lisible. La lecture comme pratique idéologique épouse donc la structure circulaire qui conduit le sens du même au même à travers un espace qui ne peut être que tracé d'avance.
Déplacée phantasmatiquement du réel historique à la fiction, la négativité— nous dirions plus volontiers l'Historicité, lieu de travail des formes et du sens — peut être ainsi reniée pour autoriser l'aveuglement mythique, l'obturation de la conscience historique en idéologie, temps du prototype, temps du code, origine, dirait Grivel.
La négativité, pour autant qu'elle se donne à lire dans le roman, fût-elle accusée en des termes particulièrement subversifs, n'empêche donc pas pour autant le lecteur de « danser en rond » c'est-à-dire d'opérer une récupération euphorique et limitatrice du texte en le délestant de son altérité effectivement dialectique. Et ce, en fonction du code générique lui-même, qui autorise, par le processus de récupération esthétique, la lisibilité idéologique des « oeuvres ».
 
Danielle RACELLE-LATIN
Littérature, n°12, 1973, pp.86-92.
 
 
 
 
Notes
1. Voyage au bout de la nuit, Paris, Éditions Balland, 1966, p. 142.
2. Ibid., p. 265.
3. Ibid., p. 120.

samedi, 07 juillet 2012

Fabrice LUCHINI à propos de Louis-Ferdinand CÉLINE

 

Fabrice LUCHINI

à propos de Louis-Ferdinand CÉLINE

mardi, 03 juillet 2012

Roman 20-50, revue d'étude du roman du XXè siècle

Roman 20-50, revue d'étude du roman du XXè siècle

 
La revue Roman 20-50, revue universitaire d'étude du roman du XXè et XXIè siècle publiée par l'équipe d'accueil « Analyses littéraires et histoire de la langue » et du Conseil Scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, a consacré son numéro 17 de juin 1994 à Louis-Ferdinand Céline. Sous la direction d'Yves Baudelle, ce numéro, toujours disponible, réunit une quinzaine d'études sur Voyage au bout de la nuit. Voici son sommaire :
 
DOSSIER CRITIQUE : Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline
Études réunies par Yves Baudelle
 
Henri GODARD
Céline à l'agrégation
 
Philippe MURAY
C'est tout le roman ce quelque chose
 
Jean-Pierre GIUSTO
Louis-Ferdinand Céline ou le dangereux voyage
 
Michel P. SCHMIDT
Un texte méchant
 
Gianfranco RUBINO
Le hasard, la quête, le temps dans le parcours du moi
 
Philippe BONNEFIS
Viles villes
 
Denise AEBERSOLD
Goétie de Céline
 
André DERVAL
La part du fantastique social dans Voyage au bout de la nuit : Mac Orlan et Céline
 
Judith KARAFIATH
Les héritiers indignes de Semmelweis : médecins et savants dans Voyage au bout de la nuit
 
Isabelle BLONDIAUX
La représentation de la pathologie psychique de guerre dans Voyage au bout de la nuit
 
Philippe DESTRUEL
Le logographe en délit
 
Yves BAUDELLE
L'onomastique carnavalesque de Voyage au bout de la nuit
 
Catherine ROUAYRENC
De certains "et" dans Voyage au bout de la nuit
 
Günther HOLTUS
Les concepts voyage et nuit dans le Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline
 
LECTURES ÉTRANGÈRES
Marc HANREZ
Céline, Sand, Shakespeare
 
ÉTUDE DE LA NOUVELLE
Marie BONOU
Histoire d'un crime : La Nuit hongroise
 
ROMAN 20/90
Yves REUTER
Construction/déconstruction du personnage dans Un homme qui dort de Georges Perec
 
COMPTE RENDU
Catherine DOUZOU

 

Commande (le numéro 15 € franco):
ROMAN 20-50
1, Bois du Vieux Mont
62580 VIMY
 

mardi, 26 juin 2012

Le Bulletin célinien n°342 - juin 2012

Le Bulletin célinien n°342 - juin 2012

 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°342.

Au sommaire : 

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- Juliette Demey : Lucette, ombre et lumière de Céline
- M. L. : Une soirée Céline aux Beaux-Arts
- Bernard Labbé : Dernier hommage à Claude Duneton
- M. L. : Céline et « Je suis Partout »
- M. L. : Gofman, le Marquis et les emmerdeuses
- René Miquel : En consultation chez le docteur Destouches [1933]
- M. L. : Le cinquantenaire vu par Jean-Paul Louis
- François Brigneau : Céline revient… Le retour de l’Aryen errant [1951]
 
Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

Le Bulletin célinien n°342 - Bloc-Notes

 
Mon ami Marc Hanrez estime que le terme « célinien » est souvent abusivement employé, y compris par le BC dans son titre. Est « célinien », selon lui, ce qui appartient à Céline. On parlera donc de l’univers célinien, du style célinien, des personnages céliniens, du comique célinien, etc. En revanche, dès lors qu’on traite, par exemple, des spécialistes de l’écrivain, il faudrait, selon lui, utiliser le terme « céliniste ». C’est ce que fit Philippe Alméras lorsque, répliquant à un confrère qui avait mis en cause son travail, il titra son droit de réponse : « Ne tirez pas sur le céliniste ! » – clin d’œil à un film célèbre oblige.
Alors, célinien ou céliniste ? Cela mérite discussion car si l’on dénomme ainsi les exégètes de l’œuvre, convient-il d’utiliser le même terme pour désigner ceux qui sont, tout simplement, des amateurs, éclairés ou non, de l’écrivain ? Dans sa liste des noms et adjectifs correspondant aux noms de personnes, le dictionnaire Le Robert ne retient, lui, que le terme « célinien ». Lequel rejoint ainsi la cohorte d’adjectifs dérivés de patronymes d’écrivains, tels « balzacien », « rimbaldien », « giralducien » ou encore « apollinarien ». Un autre ami… célinien, Christian Senn, s’est amusé à faire le relevé de tous les mots forgés autour de « Céline » tels qu’il les a récoltés au cours de ses lectures. Le mot « célineurasthénie », imaginé par un journaliste en 1933 (voir page 16), ne figure pas dans sa collecte. Mais il en a trouvé bien d’autres. Ainsi, pour désigner les fervents de l’écrivain, le choix ne se limite pas aux deux termes signalés puisqu’on trouve aussi : célinophile, célinomane, célinologue, célinialiste, célinomane, célinomaniste, célinolâtre, célinomaniaque, ... La liste n’est pas exhaustive. Pour désigner, non pas les personnes, mais la passion – ou l’ensemble des passionnés – que l’œuvre suscite, on trouve : célinie, célinerie, célinisme, célinite, etc. Sans oublier que l’écrivain lui-même a forgé des mots à partir de son nom : Célinegrad (Féerie pour une autre fois) ou Célineman [rabineux] (Bagatelles pour un massacre).
Voilà qui rappelle les travaux du regretté Alphonse Juilland (1923-2000) sur les néologismes de Céline. Ces livres, qu’il a lui-même édités, devraient figurer dans la bibliothèque de tout célinien (ou céliniste) digne de ce nom ¹. On déplore naturellement que cet éminent linguiste n’ait pu achever cette œuvre unique en son genre. Dommage aussi que Céline n’en ait rien vu alors même qu’il avait eu connaissance de cette initiative : « Pour ce jeune homme qui veut étudier mes livres, diantre, ils sont là ! Qu'il s'y plonge. De ma part dites-lui que lorsqu'il aura fini son étude je la lirai et lui donnerai mon avis ². » Au moins Cioran, vieil ami de Juilland, lui exprima-t-il son enthousiasme : « Tous ces mots, quelle nourriture ! Cela vous fortifie, vous libère du cafard, vous réconcilie avec tout ce que le quotidien comporte d'intolérable. Un stimulant ! Il faudrait que les psychiatres en proposent l'usage. » Et si cela ne suffisait pas, c’est également Alphonse Juilland qui a retrouvé la trace d’Elizabeth Craig. Sans lui, nous n’aurions pas ce témoignage bouleversant ³ sur Céline livré peu avant la mort de la dédicataire de Voyage au bout de la nuit
 
Marc LAUDELOUT 
 
 
1. Alphonse Juilland, Les Verbes de Céline, 4 vol. parus, 1 : Étude d’ensemble, 2 : Glossaire, A-D, 3 : Glossaire, E-L, 4 : Glossaire, M-P, Anma Libri [Saratoga], coll. « Stanford French and Italian Studies », 32, 1985. [vol. 1] ; Montparnasse Publications [Stanford], 1988, 1989 et 1990 [vol. 2-4] & Les adjectifs de Céline, vol. 1 [seul paru] : Glossaire, A-C, Montparnasse Publications [Stanford], 1992, 271 p. 
2. Lettre du 6 décembre 1950 in Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Age d’Homme, 1979, p. 160.
3. Elizabeth et Louis. Elizabeth Craig parle de Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, 1994, traduction Florence Vidal (le livre a initialement paru en langue anglaise)

dimanche, 24 juin 2012

Louis-Ferdinand Céline - Knut Hamsun

Louis-Ferdinand Céline - Knut Hamsun

par Marie-Laure Béraud

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

Dans Dialogues outre-ciel (Ed Manuella, 2010), Marie-Laure Béraud a imaginé différentes conversations entre personnalités aussi diverses que Marylin Monroe, Robert Walser, Barbara et Oscar Wilde. Voici le dialogue imaginaire entre Knut Hamsun (1859-1952), écrivain norvégien, Prix Nobel de Littérature en 1920 et Louis-Ferdinand Céline.
 

Louis- Ferdinand Céline, Knut Hamsun Louis Ferdinand râlait, trépignait, faisait les cent pas, jurait, crachait des mots qui cinglaient comme des lames acérées à tel point que les oreilles trop sensibles se ramassaient à la pelle, mais sans la moindre goutte de sang répandue. Dans cette immensité opaque et indéfinissable, il portait des habits de campagne, gros pull de laine, pantalon de velours élimé, une tenue assez négligée qui seyait parfaitement à son visage et ses cheveux en désordre. Lui les limbes il n’en avait rien à foutre il aurait préféré tout de suite aller griller en enfer. 

L F - Crénom de Dieu, tiens Dieu justement parlons-en ! C’est quoi toutes ces putains d’antichambres, ces inventions à la con ? Tous les crétins échoués ici et là, purgatoire, limbes etc… Ils n’ont toujours pas compris que leur sale cœur d’homme eh bien le bon Dieu il en a rien à foutre, qu’il les laisse choir ici pétris de leur cruauté et qu’il se marre de les avoir dupés, qu’il en pisse de rire même ! C’est un p’tit malin. Moi je m’en fous de l’espoir c’est mes clebs qui me manquent , mon perroquet et ses plumes, l'odeur de poil et de pluie mais y’avait un panneau interdit aux animaux à l’entrée et j'ai eu beau discuter avec le larbin, rien à faire, inflexible le gars, drôlement bien dressé. Du coup je suis marron enfin façon de parler puisqu’ici y’a ni odeurs ni couleurs, ils font dans la sobriété, triste à pleurer, nu, vide, gris, froid, chiant,et ces nuées d’anges qui passent et tentent de me toucher le crâne pour me refiler un peu de bonté, la juste esthétique et tout ce fatras de trucs, amidonnés, bien repassés, pile au format de l’étagère ! Eh bien non ! J'en veux pas !

Un homme au regard bleu perçant, très distingué, d’allure nordique, releva avec intérêt le mot format qui le mit en colère. Il en fit presque tomber son chapeau et ses lunettes, pris soudain de violentes convulsions. D'habitude de nature assez calme, ce qu'il venait d'entendre le fit littéralement bondir.

K- Quoi ! Encore cette histoire stupide de l’homme tel qu’en rêvent nos gouvernants ? Soumis, hagard, sans aucune histoire digne d’être révélée, juste humain par fatalité, par accident, qui se lève, qui se couche et recommence jusqu’à son dernier jour d’inconscience, sans fleurs, sans montagnes sans arbres, sans amour, sans rien qui vaille la peine. Non j’ai assez goûté les basses hésitations, les écritures sans talent, les prétentieux, les couards, les théoriciens de la vie, ceux qui pensaient avoir trouvé sans même avoir commencé à chercher, toute cette basse cour trépidant en vain. Les mots, ils n’en ont pas joui, ils en ont eu peur, une peur qui dépassait tout, aucun soubresaut sur la ligne parfaite de leur petite existence, à peine le début d’une mélodie médiocre. Mais ne seriez-vous pas Monsieur Céline ? Celui qui tant d’années après sa mort continue à déchaîner les haines et les passions ? Je me présente Knut Hamsun. Notre destin fut assez similaire savez-vous, écartés et conspués, de vraies maladies ambulantes !

L F- Oui je sais on a trinqué pour tout l'monde, mes congénères ne m’ont pas raté, la vie ne m’a rien épargné, la guerre non plus, ça vous change un homme, ensuite quand on en réchappe, on n’est plus jamais le même. Tant de cruauté ça vous fait partir l’âme en vrille, ça sèche sur pied, ça vous ôte tout sentiment de compassion, et Dieu sait que j’en ai eu de la compassion, tous ces gens misérables et malades que j’ai soignés, que j’ai même sauvés parfois, eh bien Dieu ne me l’a pas rendu, au contraire, il m’a mis au pilori. On m’a entôlé, exilé, faut dire que je l’avais cherché avec "Bagatelles" ça m’a mis dans de beaux draps cette histoire-là, d’écrire sur la haine inextinguible de l’homme pour l’homme, l’impossibilité d’aimer de ceux qui ne furent pas aimés, mais avant ça j’indisposais déjà avec mes écrits éclaboussant le rêve de tranquillité de ces bourgeois, de ces intellectuels  à la petite semaine, aux mains moites, aux mots enrobés de miel, à la langue plate et monotone. Déjà le Voyage avait fait des ravages, j’étais maudit dès le départ. Oui mes livres m’ont dévoré. Toute l’attention, la précision, la passion, le besoin que j’avais d’écrire phrases après phrases, tout cela m’a consumé peu à peu. Écrire m’a assassiné.
 
K- Oui je vous voyais d’ici même vous débattre avec les bêtes que vous aviez provoquées et dont il était impossible de calmer la colère. Puisque je suis votre aîné mais d’assez peu nous avons connu tous deux cette époque de tumulte où j’ai eu tort et vous aussi de croire à une grande Europe possible grâce à l’Allemagne tant je détestais ces britanniques, leur arrogance de colons, leur désir de commerce, d’usines, de fumées, cette gifle odieuse à la nature, ce bruit. Je n’avais pas saisi les desseins de ce petit homme à moustache que je trouvais stratège et fort et en qui je croyais voulant à tout prix échapper à cette emprise anglaise. Je n’y ai vu que du feu, je ne me doutais pas une seconde de ses projets meurtriers, de sa folie. On a eu vite fait de me taxer d'antisémite alors que j’ai passé des jours et des nuits à télégraphier pour tenter de sauver un maximum de personnes des exécutions quand j’aurais pu fuir mon pays pour être à l’abri, d’ailleurs les allemands ont fini par me voir d’un très mauvais œil. Vous c’est assez différent puisqu’il n’était pas seulement question de politique mais d’une haine pour les juifs, exacerbée par des humiliations que certaines personnes vous auraient fait subir dans votre jeunesse et pour lesquelles il vous fallait un coupable. Alors la puissance de cette haine s’est étendue à toute l’humanité, et tel un cyclone, a tout décimé.

L F- Oui c’est sûrement ce sentiment de frustration qui a tout déclenché, c’est souvent cela qui pousse au crime, cette faiblesse de l’homme, la sensation douloureuse qu’il n’est pas reconnu, accepté, le mépris dont il est victime rend la bonté qu’il y a pourtant en lui absolument invisible, muette, paralysée. J’ai baissé les bras, me suis résigné à la contemplation de ma déchéance consentie. Vous savez bien que toute révolte mouvante est liée à l’espoir, je n’avais pas d’espoir. L'espoir est malheureux puisqu'il espère et la prière aussi puisque c'est un cri qui monte et qui vous abandonne. Mais les blasphémateurs dont je suis ne sont-ils pas un peu croyants au fond ? Toutes mes pages, toutes ces phrases qui n'étaient qu'une seule et même question contribuèrent à l'édification de ma pierre tombale. J'ai trop crié ma rage, trop répandu mon désespoir, ils n'aimaient bien que les optimistes, ceux qui racontent des trucs dont on a rien à foutre, leurs petites affaires privées avec un beau brin de plume.

K- Certainement, et comme je vous comprends sur ce point. La révolte des êtres et des mots est vitale, il faut ouvrir la porte sur l'inconnu, ne pas accepter, inventer, explorer, et cela demande une vigilance de chaque instant, un travail immense pour que les mots incarnent les émotions, qu'ils ne fassent qu'un. Cette notion de labeur, de quête infinie a par exemple tout à fait échappé à la plupart des auteurs américains trop aveuglés par une morale inhibitrice menant à un rêve unique et commun, celui de la lumière au bout du tunnel. L'Amérique exactement comme vous m’a terriblement déçu, comme vous j’ai trouvé stupide cette façon de penser que la liberté est à gagner à tout prix selon des règles précises, qu’elle devient fanatique et despotique. Cette notion de liberté si puérile a détruit sur son passage tous les petits chemins de traverse menant à l’autonomie mentale. Ils sont partis ensemble sur la même route, à la conquête d'une chimère. Rien que de prononcer le mot anarchie les faisait frémir et se signer soudain comme s’il s’étaient trouvés face à face avec le diable. L’anarchie c’était de la dynamite là-bas, un mot à proscrire, un intrus dangereux, une véritable menace pour la tranquillité de leurs âmes, un mot pourtant dont ils ne connaissaient même pas la signification.

L F- Ah l'Amérique, New-York , Detroit , Ford, les ouvriers qui bossent comme des chiens et qu'on remplace à la moindre défaillance et tout ça pour gagner un petit coin de paradis sur terre, pour contribuer à l'effort de la nation, ben merde alors! Même les putes font l'même rêve, avoir du pognon pour s'payer des déshabillés affriolants et finir en déambulant dans une petite chaumière bien nickel avec deux ou trois bambins dans les pattes. Ça me rappelle Lola la garce, et puis Molly la douce, ça c'était le bon côté de l'affaire, un peu d'oubli entre les jambes que l'coeur faisait pulser, avant de repartir pour la vraie vie violente, dégradante, exigeante. Bon heureusement y'avait la danse aussi, la danse ça vous transcendait une femme, j'ai toujours été avec des danseuses, sans doute leur côté sucre impalpable, cette façon de se glisser et d'onduler tout en rêvant, de s'enrouler autour de vous avec cette volupté inouïe. De vraies femmes dans leur mission originelle. Sans compter qu'elles pouvaient penser aussi! Bon y'a eu les autres, les hygiéniques, partout, en Afrique surtout, mais pour là-bas on était pas équipés nous les blancs becs, il faisait trop chaud et on attrapait tout un tas de saloperies dans ces corps -là et puis y'avait les moustiques et les mouches et puis on était usé par ce qu'on y voyait, question de vous plomber un homme ils s'y connaissaient! ça crevait dans tous les coins!

K- Vous êtes décidément bien cynique ! Et alors que tout porte à croire en votre nihilisme je vois dans votre regard une grande tristesse, une grande amertume, une lumière presque éteinte et c'est la preuve que vous y avez cru un peu à la vie, sinon vous afficheriez une mine victorieuse et sereine. Vous avez été vaincu par votre conscience, cet animal sournois, qui vous a tourmenté sans cesse jusqu'ici, dont vous n'avez jamais pu vous débarrasser une fois pour toutes. Sombrer dans la folie eût été préférable et à l'heure qu'il est vous auriez peut-être obtenu l'oubli et le calme dans votre trajectoire. Moi on a essayé de me faire passer pour fou à quatre vingt six ans! Ça les arrangeait bien de me coller dans un asile, de m'écarter, s'ils avaient pu ils m'auraient liquidé mais ils ne pouvaient pas se le permettre avec un prix Nobel. Oui mon propre pays m'a dépouillé de tous mes biens, m'a ruiné. Accusé de défendre le national socialisme, je voulais simplement qu'on évite cette guerre, que les norvégiens arrêtent de combattre en pure perte et surtout qu'ils ne se soumettent pas aux anglais ni aux américains.

L F- Je vous approuve, pendant cette foutue guerre ça me déprimait de voir tous ces gens partir au casse-pipe. Et puis je sais de quoi j'parle, j'en ai vu des morts et des abimés des tout sanguinolents, suintant par tous les bouts, j'en ai entendu, des cris insupportables qui vous fichaient des frissons dans l'dos. Ma médaille pour 14 -18 j'me la suis foutue au cul. J'voulais pas que ça recommence ce cirque funèbre. J'voulais plus qu'on fasse la fête à ce stupide paradoxe qui consistait pour tous ces pauvres soldats en première ligne à vendre leur vie pour survivre, à mourir pour ne pas être éliminé par cette société qui prônait l'honneur, le patriotisme, valeurs que défendent rarement les macchabés.

K- Alors la mort est une délivrance. Vous, vous avez eu avec elle un long entretien, avez tenté de voir par quel côté elle arriverait, mais peu d'hommes ont eu comme vous la conscience de son omniprésence, le talent que vous aviez de lui parler comme à un interlocuteur essentiel. D'ailleurs vous étiez mort avant de mourir, elle et vous, aviez fini par être si proches! Amis en somme! Cela m'a beaucoup impressionné, votre courage à l'affronter et même à la désirer comme une ultime maîtresse, comme la dernière conquête possible.

L F- On m'a un peu forcé la main faut dire ! Du coup j'ai un peu moins de mérite, le harcèlement et la calomnie m'ont conduit à faire plus rapidement que quiconque sa connaissance approfondie. Malheureusement ce privilège a eu un prix, et ce plaisir à provoquer la tempête, à dire non et à faire mal avec mes mots pour leur remuer les neurones, pour leur faire voir que, oui, ils sont bien tout seuls et pour toujours, ça m'a coûté un max, une peine à perpèt c'était pareil !

K- Ma façon d'écrire ne leur a pas plu, ils voulaient de jolies phrases inoffensives et romantiques, quelque chose qui laisse l'esprit en paix, qui ne réveille rien, mais je n'ai jamais pu parler d'autre chose que de cette quête impossible d'un homme qui ne trouvera pas. La faim en est une parfaite illustration, cela a été peut-être le sommet de mon art, le récit d'un estomac vide, le mystère des nerfs dans un corps affamé, l'errance d'un homme seul ne voulant pas céder aux bassesses, quelque soit le prix à payer, la quête d'un homme honnête et orgueilleux. Ma vocation fut de prouver que j'étais vivant en cherchant sans cesse, et non pas d'écrire pour distraire mon prochain avec de pauvres histoires à faire pleurer dans les chaumières .Oui j'ai voulu faire de ma langue une langue étrangère, une nouvelle musique , la transcender. Tout comme vous j'étais possédé tout entier, brûlant intérieurement de cette nécessité d'écrire. Vous savez quelque chose m'a vraiment aidé et soulagé après le vacarme de l'Amérique, après toutes ces luttes, et cette chose merveilleuse fut l'Orient, cette manière qu'on les gens là-bas de se taire et de sourire. Plus je m'en approchais moins les hommes parlaient, ils avaient compris la majesté du silence et son éloquence incomparable.

L F- Vous vous êtes montré plus sage que moi, cela ne fait aucun doute, et si j'ai souvent cru que le silence fut préférable aux âneries, je n'ai pu m'empêcher de crier dans chacun de mes livres, de défendre bec et ongles l'esprit contre le poids, le pur sang contre le percheron. Mes livres étaient mon seul refuge possible, ma maison, et mes mots son architecture. La nature et son silence vous ont aidé, moi la nature je l'ai découverte au cimetière, pour vous dire! Ma vraie inspiratrice fut la mort, tapie et ronronnant dans mon sang, qui m'a transformé dès le départ en hérisson d'angoisse.

K- Vous n'avez plus rien à craindre ici! Le crépuscule permanent dont nous sommes entourés vous et moi écarte la laideur, efface la misère et l'horreur, change la poussière en ombre, comme une malédiction en bénédiction. Ici on ne pleure plus, on ne sourit plus, on contemple dans une sorte de béatitude les agitations terrestres et vaines, c'est tout. Nous ne sommes plus. Tous deux prirent place côte à côte, sans un mot, et plongèrent leur orbites vides et noirs sur le monde lointain, où ils pouvaient apercevoir la naissance et la mort des sourires sur le visage des hommes, heureux de n'en faire plus partie.

 

Marie-Laure BÉRAUD

 

Dialogues outre-ciel, Ed. Manuella, 2010.

 

 

 





Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous faire partager ce texte.

vendredi, 22 juin 2012

XIXè Colloque international Louis-Ferdinand Céline du 6 au 8 juillet 2012 à Berlin

XIXè Colloque international Louis-Ferdinand Céline du 6 au 8 juillet 2012 à Berlin

 Le dix-neuvième Colloque international Louis-Ferdinand Céline, organisé par la Société d'études céliniennes, se déroulera du 6 au 8 juillet 2012 au Frankreich-Zentrum de la Freie Universität de Berlin (Rheinbabenallee 49, Berlin). Voici le programme complet de ces trois journées.

VENDREDI 6 JUILLET 2012

 

10h - Ouverture du colloque par François Gibault, président de la SEC

 

10h15 - Présidence François GIBAULT

Ana Maria ALVES 

 

Céline et les rapports franco-allemands

 

Christine SAUTERMEISTER 
D'un café l'autre : Céline et Marcel Déat à Sigmaringen

 

11h30
Pascal IFRI 
L'Allemagne et les Allemands dans la correspondance de Céline (1907-1939)

 

Émile BRAMI
L'Allemagne dans la correspondance de Céline (1940-1961)

 

 13h - Déjeuner
14h - Présidence Christine SAUTERMEISTER

 

Margarete ZIMMERMANN
Les représentations de Berlin dans Nord

 

David FONTAINE
Le Berlin de Céline

 

 15h30

 

André DERVAL
Allemand et anglais, entre musique et charabia

 

Ann SEBA-COLLET
Céline en bataille avec la guerre : l'Allemagne, catalyseur d'un pacifisme

 

SAMEDI 7 JUILLET 2012

 

9h45 - Présidence Margarete ZIMMERMANN

Bianca ROMANIUC-BOULARAND

Un phénomène stylistique célinien : la récurrence formelle et sémantique

 

Catherine ROUAYRENC
Les avatars de la métaphore dans les derniers romans

 

11h
Alice STASKOVA

 Figure et espace dans la trilogie allemande et dans Féerie pour une autre fois I

 

Suzanne LAFONT

 Des collabos aux Balubas : le miroir sonore de l'histoire dans la trilogie allemande

 

Véronique FLAMBARD-WEISBART
 La traversée de l'Allemagne en train

13h - Déjeuner
14h - Présidence Alice STASKOVA

François-Xavier LAVENNE

Orphée en Allemagne : la trilogie, parcours à travers les enfers et quête de l'écriture

Sven Thorsten KILIAN
L'Allemagne, ce monstre

15h30
Anne BAUDART
Céline et l'art en Allemagne

 

Johanne BÉNARD
Le théâtre dans la trilogie allemande : l'envers du décor

 DIMANCHE 8 JUILLET 2012

 

10h - Présidence André DERVAL

 

Pierre-Marie MIROUX
Le Nord chez Céline ; des racines et des ailes

 

Marie-Pierre LITAUDON
Guignol's band... au passage

 

11h15
Louis BURKARD
Les pamphlets de Céline et leur interdiction en droit

Isabelle BLONDIAUX
Pourquoi lire Céline ?

 12h30 - Assemblée Générale de la Société d'études céliniennes

 

13h - Clôture du colloque

 

Sociétés d'études céliniennes, 3, rue Monsieur, 75007 PARIS

 

 Freie Universität,Rheinbabenallee 49, 14199 BERLIN

jeudi, 21 juin 2012

Jean Prévost, homme libre et rebelle

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Jean Prévost, homme libre et rebelle

par Pierre LE VIGAN

 

Qui connaît encore Jean Prévost ? Assurément plus grand monde. Cet oubli est de prime abord étonnant. Voici un écrivain français, intelligent bien qu’intellectuel, patriote sans être anti-allemand, anti-hitlérien sans être communiste, il fut aussi maquisard et fut tué dans le Vercors durant l’été 44.

 

La France d’après-guerre a fort peu honoré cet homme, non plus que la France actuelle. L’air du temps est à la contrition mais pas à l’admiration. Jean Prévost a pourtant des choses à nous dire : sur le courage et sur l’intelligence, et sur le premier au service de la seconde comme l’avait rappelé Jérôme Garcin (1).

 

Dominique Venner écrit de son côté : « Pamphlétaire, critique littéraire et romancier, Jean Prévost venait de la gauche pacifiste et plutôt germanophile. C’est le sort injuste imposé à l’Allemagne par les vainqueurs de 1918 qui avait fait de lui, à dix-huit ans, un révolté. Depuis l’École normale, Prévost était proche de Marcel Déat. Il fréquentait Alfred Fabre-Luce, Jean Luchaire, Ramon Fernandez. À la fin des années Trente, tous subirent plus ou moins l’attrait du fascisme. Tous allaient rêver d’une réconciliation franco-allemande. Tous devaient s’insurger contre la nouvelle guerre européenne que l’on voyait venir à l’horizon de 1938. Lui-même ne fut pas indifférent à cet « air du temps ». En 1933, tout en critiquant le « caractère déplaisant et brutal » du national-socialisme, il le créditait de certaines vertus : « le goût du dévouement, le sens du sacrifice, l’esprit chevaleresque, le sens de l’amitié, l’enthousiasme… (2) ». Une évolution logique pouvait le conduire, après 1940, comme ses amis, à devenir un partisan de l’Europe nouvelle et à tomber dans les illusions de la Collaboration. Mais avec lui, le principe de causalité se trouva infirmé. « Il avait choisi de se battre. Pour la beauté du geste peut-être plus que pour d’autres raisons. Il tomba en soldat, au débouché du Vercors, le 1er août 1944.  (3) ».

 

Jean Prévost est d’abord un inclassable : ni communiste, ni catholique, ni même communiste-catholique comme beaucoup, rationnel sans être rationaliste, progressiste sans être populiste au sens démagogique, patriote sans être nationaliste. Un intellectuel nuancé et, dans le même temps, un homme privé vif, tourmenté, sanguin, passionné, exigeant vis-à-vis de lui-même. Un aristocrate. Stendhal dont Prévost fut un bon spécialiste disait que le « vrai problème moral qui se pose à un homme comblé » est : « que faire pour s’estimer soi-même ? ». Jean Prévost fit sien ce problème. Pour y répondre, il « raturait sa vie plutôt que son œuvre ». Et il se « dispersait » dans une multiplicité de centres d’intérêt : critique littéraire, cosmologie et polémologie, philosophie du droit et architecture… En fait, Jean Prévost foisonnait. Sa pseudo-dispersion était profusion. « Jamais de ma vie je n’ai pu rester un jour sans travailler. »

 

Éloigné de tout dandysme, Jean Prévost veut savoir pour connaître. Son travail intellectuel est ainsi un « rassemblement » de lui-même, une mise en forme de son être, qui se manifeste par des prises de position rigoureuses et souvent lucides. Grand travailleur tout autant que grand sportif, Jean Prévost attend que le sport lui fournisse « ce bonheur où tendait autrefois l’effort spirituel ». C’est aussi pour lui un antidote à la civilisation moderne. « Les Grecs, écrit-il, s’entraînaient pour s’adapter à leur civilisation. Nous nous entraînons pour résister à la nôtre. »

 

Malgré la diversité de ses dons, Prévost évoque le mot de Stendhal sur ceux qui « tendent leur filet trop haut ». Il fait partie de ceux qui « pêchent par excès ». Mais c’est un moindre défaut car, comme Roger Vaillant le dit à propos de Saint-Exupéry, « l’action le simplifie ». Et Prévost est un homme d’action. Jean Prévost est aussi aidé par une idée simple et robuste de ses devoirs et de ce qui a du sens dans sa vie : le plaisir, l’amour de ses enfants, les amis, le souci de l’indépendance de son pays.

 

vercors-tombe-jean-prevost-img.jpgTrop païen pour ne pas trouver que la plus détestable des vertus – ou le pire des vices – est la « reconnaissance » envers autrui, trop français pour ne pas avoir le sens de l’humour, « décompliqué des nuances », mais plein de finesse et de saillies (en cela nietzschéen). Jean Prévost se caractérise aussi par la temporalité rapide de son écriture qui est celle du journalisme. C’est ce sens du temps présent qui l’amène (tout comme Brasillach, mais selon des modalités fort différentes), à l’engagement radical, c’est-à-dire, dans son cas, à la lutte armée contre les Allemands dans le maquis du Vercors. C’est là que cet homme, multiple, entier, solaire, trouva sa fin. Il avait écrit : « il manque aux dieux-hommes ce qu’il y a peut-être de plus grand dans le monde; et de plus beau dans Homère : d’être tranché dans sa fleur, de périr inachevé; de mourir jeune dans un combat militaire ».

 

Pierre Le Vigan

 

Notes

 

1 : Jérôme Garcin, Pour Jean Prévost, Gallimard, 1994.

 

2 : Idem.

 

3 : Dominique Venner, dans La Nouvelle Revue d’Histoire, n° 47, 2010.

 

• Publié initialement dans Cartouches, n° 8, été 1996, remanié pour Europe Maxima.

 


 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

vendredi, 25 mai 2012

Simon Leys, l’intempestif

 

Simon Leys, l’intempestif

 

Un des rares écrivains vivants que l’on devrait déclarer d’utilité publique

 

Ex: http://www.causeur.fr/

 

 

 

En ce temps-là, tout anticommuniste était un chien. Achat obligé en Chine sous peine de travaux forcés, le Petit Livre Rouge se vendait comme des petits pains à Saint-Germain-des-Prés. Philippe Sollers s’exaltait à traduire les poèmes du Grand Timonier dans Tel Quel. Et parce qu’il avait osé le premier un essai critique sur la Révolution culturelle avec Les Habits neufs du président Mao (1971), la sinologue maoïste Michelle Loi ne trouvait rien de plus honnête que de révéler le véritable patronyme de Simon Leys dès le titre de son libelle contre lui Pour Luxun. Réponse à Pierre Ryckmans (Simon Leys), espérant ainsi que celui-ci devienne persona non grata en Chine. Il est vrai que l’on ne s’en prenait pas comme ça à la « Révo. Cul. » et à ses laudateurs dont Jean-François Revel dirait plus tard que s’ils n’avaient pas de sang sur les mains, ils en avaient sur la plume.

 

Autant le négationnisme nazi arriva après le nazisme, autant le négationnisme stalinien et maoïste commença tout de suite, et non par le biais de quelques extrémistes délirants et isolés, du reste immédiatement exclus des thébaïdes intellectuelles mais bien par celui de l’ensemble des maîtres-censeurs du Flore et dont certains sont toujours honorés sur les plateaux de télévision, tel l’inoxydable Alain Badiou qui se donne encore le droit, comme le rappelle, mi-consterné mi-amusé, Leys, d’écrire à propos de Lénine, Staline, Mao, Guevara et autres bienfaiteurs du XXème siècle qu’ « il est capital de ne rien céder au contexte de criminalisation et d’anecdotes ébouriffantes dans lesquelles depuis toujours la réaction tente de les enclore et de les annuler. » Rien que pour cette piqûre de rappel, d’autant plus nécessaire que l’amnésie historique, partie intégrante du programme totalitaire, continue, comme l’a bien vu Frédéric Rouvillois, à être la règle auprès d’un grand nombre d’intellectuels, la lecture de ce Studio de l’inutilité devrait être déclarée d’utilité publique. En vérité, ce Belge qui résista aux tanks de l’intelligentsia des années 70 et suivantes, fut notre homme de Tian’anmen à nous.

 

Pour autant, l’intérêt de ce Studio n’est pas seulement d’ordre purgatif. Intempestif en politique, Simon Leys l’est tout autant en littérature – et c’est là que le plaisir commence. Esprit curieux, érudit toujours plaisant, il n’est jamais là où on l’attend. Peut-être est-ce dû à cette « belgitude » qui, comme chez Henri Michaux sur lequel s’ouvre ce recueil d’essais, est la marque d’une carence originelle, d’une « conscience diffuse d’un manque » que l’auteur de L’ange et le Cachalot va tenter de compenser par la singularité et le paradoxe – l’inadaptation étant toujours la chance de l’esprit libre. Et l’adaptation trop grande provoque la malchance de l’artiste – celle qui finira par toucher Michaux lui-même qui, en voulant, à la fin de sa vie, corriger son œuvre de sa spontanéité originelle, la gâchera en lui donnant un tour bien trop culturel pour être artistique. C’est qu’entre temps, Michaux sera pour sa gloire et son malheur devenu français – c’est-à-dire à l’époque un intellectuel de gauche se rangeant à l’opinion la plus avantageuse et la plus dépravée, au fond la plus utile, celle qui permet, écrit Simon Leys, de « délivrer des brevets de bonne conduite et des médailles récompensant l’effort méritant, qu’il s’agisse de la Chine de Mao ou du Japon d’après guerre » et qu’il se serait sans doute bien gardé de faire s’il était resté belge.

 

Se garder de tous les clichés de la « francitude », au risque de perdre les pouvoirs qu’elle donne, telle sera la probité de Simon Leys qui, à l’instar de Simone Weil qu’il admire, choisira toujours la justice plutôt que son camp. En plus de rester fidèle à ses goûts, ce qui dans notre pays où tout le monde aime ou déteste la même chose est aussi une preuve d’héroïsme. Ainsi, lorsqu’Antoine Gallimard et Jean Rouaud le contactent pour savoir quel est pour lui « le roman du XX ème siècle », il ne propose pas, comme tout un chacun, l’énième chef-d’œuvre de Céline, Proust ou Kafka, mais remet à l’honneur d’autres titres moins côtés quoique tout aussi importants, tels Le nommé Jeudi de Chesterton et L’agent secret de Conrad, deux romans qui mettent en scène terroristes et contre-terroristes et qui à leur manière parlent de cette possession révolutionnaire qui fut la marque abominable du XX ème siècle et qu’un Dostoïevski avait déjà anticipée dans ses Possédés. Paradoxe personnel de Leys dont on connaît l’amour de la mer mais qui choisit de Conrad, l’un des plus grands écrivains maritimes s’il en est, le roman le plus urbain, le moins épique, et qui en guise d’eau ne parle que de la pluie londonienne. Mais cohérence métaphysique de Leys qui voit dans cet Agent secret la volonté de Conrad, apatride comme lui, de décrire la terrifiante réalité européenne du début du siècle avec ses conspirations prométhéennes, son nihilisme délirant, sa future violence continentale.

 

A l’instar de René Girard et de Conrad, Leys est un romantique qui connaît mieux que personne les mensonges du romantisme que seul l’art romanesque peut dévoiler. Y compris ceux qui se mêlent justement de mer et de navigation, sa passion-répulsion. Car la mer réelle n’est pas celle qu’ont fantasmée nombre d’auteurs (et parmi les plus grands comme Baudelaire), en faisant une sorte d’évasion du quotidien, d’horizon paradisiaque, d’aventure féérique comme la rêvait le pauvre Marius dans la trilogie de Pagnol. Non, la vérité que seuls les marins savent mais taisent est que « la mer est invivable ». La mer est stupide, plate, monotone, stérile, cruelle. La mer rappelle que la Nature n’est pas cette bonne maman accueillante sur laquelle se sont pâmés Charles Trenet et Renaud mais bien cette marâtre qui traite sans pitié les hommes et les marins de surcroît. Le « rêve nautique » est plein de noyade, de scorbut, de discipline inhumaine – aussi faux et aussi mortifère que le rêve maoïste. Mais l’amnésie poétique a la vie aussi dure que l’amnésie idéologique. Que sait-on exactement de Magellan et de son voyage aussi héroïque qu’infernal (et qu’il ne termina pas, se faisant tuer à mi-route par des indigènes philippins) ? Au-delà de la performance, indiscutable pour l’époque, de ce premier tour du monde et qui allait changer la donne du monde, « ce que l’expédition démontra – faisant de Magellan l’involontaire ancêtre idéologique de la globalisation, c’est la circumnavigabilité du globe : tous les océans communiquent. »

 

A partir de Magellan, le monde ne sera en effet plus qu’une affaire de communication, commercialisation, médiatisation, aliénation – et mal de mer. Alors, certes, on peut toujours rêver d’une cité parfaite, comme celle qu’organisèrent pour un temps sur leur île les fameux « naufragés des Auckland » en 1865 (et qui inspirera à Jules Verne quelques années plus tard son Ile mystérieuse), on peut toujours rêver, à l’instar de Simon Leys lui-même, d’une université castalienne où professeurs et étudiants se retrouveraient pour la seule quête de la connaissance pure et de la vérité désintéressée (quoique, rajoute malicieusement l’auteur, « les étudiants constituent un élément important, mais pas toujours indispensable » !), l’on peut toujours imaginer une tour d’ivoire aristocratique dans laquelle se protéger du monde, le problème est que, comme le disait Flaubert, l’on ne pourra jamais éviter cette « marée de merde [qui] en bat les murs, à les faire crouler. » La merde de l’utile, évidemment.

 

Simon Leys, Le Studio de l’inutilité, Flammarion, 2012.

jeudi, 24 mai 2012

Le Dictionnaire des polémistes

Un nouveau Bouquin de Synthèse nationale :

Le Dictionnaire des polémistes,

d'Antoine de Rivarol à François Brigneau,

par Robert Spieler...

Dictionnaire des pole´mistes.jpg

Tout au long de l’année 2011, Robert Spieler a proposé aux lecteurs de Rivarol, l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne, une série d’articles consacrés aux polémistes qui marquèrent l’histoire de la presse depuis la Révolution française, jusqu’au milieu du XXe siècle. Il reprend ainsi le travail effectué par Pierre Dominique dans son ouvrage publié au début des années 60 (et aujourd’hui épuisé) Les Polémistes français depuis 1789.

Ce Dictionnaire des polémistes rassemble tous ces articles. Vous retrouverez ici les grands noms qui, en leur temps, marquèrent les esprits. Ils n’hésitaient pas à dénoncer les puissants du moment. Beaucoup parmi eux payèrent très cher leur engagement.  Aujourd’hui, la liberté d’expression se heurte encore aux ukases du politiquement correct et, comme hier, des lois liberticides, beaucoup plus insidieuses sans doute, empêchent les vrais polémistes de s’exprimer…

Robert Spieler, ancien député, fondateur d’Alsace d’abord, Délégué général de la Nouvelle Droite Populaire, est aussi l’un des journalistes de l’hebdomadaire Rivarol. Chaque semaine il décortique avec délectation et cynisme l’actualité dans sa fameuse Chronique de la France asservie et résistante.

■ Commandez le Dictionnaire des Polémistes :

Règlement à la commande par chèque à l’ordre de Synthèse nationale à retourner à :

Synthèse nationale 116, rue de Charenton 75012 Paris

18, 00 € l’exemplaire (+ 3 € de port)

Bulletin de commande : cliquez ici

mardi, 22 mai 2012

Maurice Bardèche, Européen fidèle

Maurice Bardèche, Européen fidèle

par Georges FELTIN-TRACOL


I-Grande-6153-bardeche.net.jpgAprès avoir écrit pour la même collection la biographie condensée d’Henri Béraud, de Léon Daudet, de Henry de Monfreid, de Hergé et de Saint-Loup, Francis Bergeron évoque cette fois-ci la vie d’une personne qu’il a bien connue : Maurice Bardèche.

 

On sait que Bardèche fut l’exemple-type de la méritocratie républicaine hexagonale. Ce natif d’un village du Cher en 1907 montra très tôt de belles dispositions intellectuelles pour l’étude et la littérature. Excellent élève, ce boursier se retrouve à l’École normale supérieure (E.N.S.) où il allait côtoyer une équipe malicieuse constituée de José Lupin, de Jacques Talagrand (le futur Thierry Maulnier) et de Robert Brasillach, l’indéfectible ami. « Brasillach lui fait du thé, lui offre des gâteaux catalans. Mais la culture littéraire de Brasillach date un peu; Bardèche lui fait découvrir à son tour Proust, alors qu’il vient d’obtenir le prix Goncourt, Barrès, dont les funérailles nationales datent tout juste de deux ans, et Claudel, ancien de Louis-le-Grand, dont l’œuvre est déjà reconnue (p. 16). »

 

À l’E.N.S., Maulnier et Brasillach commencent à publier dans la presse tandis que « Bardèche […] se destine réellement à l’enseignement supérieur, et […] voit son avenir dans l’approfondissement de la connaissance des grands textes et des grands auteurs (p. 20) ». À côté de sa passion littéraire, Maurice Bardèche éprouve de tendres sentiments pour la sœur de son ami Robert, Suzanne Brasillach. Ils se marient en juillet 1934 et partent en voyage de noce pour l’Espagne en compagnie de Robert qui vivra avec eux jusqu’en 1944 ! Francis Bergeron raconte qu’au cours de ce voyage, Maurice Bardèche faillit mourir dans un accident de la route. Bardèche fut trépané et conserva sur le front un « enfoncement dans le crâne (p. 26) ».

 

On ne va pas paraphraser cet ouvrage sur le talentueux parcours universitaire de Bardèche qui suscita tant d’aigreurs et de jalousie. Sous l’Occupation, si Robert Brasillach travaille à Je suis partout, Bardèche préfère se tenir à l’écart des événements et se dévoue à Stendhal et à Balzac. Or le mois de septembre 1944 marque un tournant majeur dans la destinée du jeune professeur : il est arrêté, puis emprisonné. Il voit ensuite son cher beau-frère jugé, condamné à mort et exécuté le 6 février 1945. Dorénavant, « la vie et, plus encore, peut-être, le martyre et la mort de Robert [vont] occup[er] une place centrale tout au long de l’existence de Maurice (p. 43) ». Guère attiré jusque-là par la politique, Maurice Bardèche s’y investit pleinement et va produire une œuvre remarquable, de La lettre à François Mauriac (1947) à Sparte et les Sudistes (1969). En outre, afin de publier les œuvres complètes de Robert Brasillach, il fonde une maison d’édition courageuse et déjà dissidente, Les Sept Couleurs.

 

Le respectable spécialiste de littérature du XIXe siècle se mue en fasciste, terme qu’il endosse et qu’il revendique d’ailleurs fièrement dans Qu’est-ce que le fascisme ? (1961). Dès la fin des années 1940, il se met en relation avec d’autres réprouvés européens dont les militants du jeune M.S.I. (Mouvement social italien). En 1952, il participe au célèbre congrès de Malmö qui lance le Mouvement social européen dont le bulletin francophone est Défense de l’Occident (titre ô combien malvenu, car les positions qui y sont défendues ne rappellent pas l’occidentalisme délirant d’Henri Massis – il faut comprendre « Occident » au sens d’« Europe » et de « civilisation albo-européenne pluricontinentale »). Sorti en décembre 1952, ce titre est dirigé par Bardèche. Si le M.S.E. s’étiole rapidement, miné par des divergences internes et des scissions, Défense de l’Occident devient une revue qui accueille aussi bien les nationaux que les nationalistes, les nationalistes-révolutionnaires que les traditionalistes. La revue disparaîtra en novembre 1982. Francis Bergeron n’en cache pas l’ensemble inégal du fait, peut-être, d’une forte hétérogénéité thématique visible à la lecture de ses nombreux collaborateurs.

 

Par fascisme, Bardèche soutient une troisième voie hostile au capitalisme et au socialisme. Mais son fascisme, anhistorique et éthéré, cadre mal avec les réalités historiques du fascisme. Dès 1963 dans L’Esprit public, Jean Mabire rédigeait un article roboratif intitulé « L’impasse fasciste » repris successivement dans L’écrivain, la politique et l’espérance (1966), puis dans La torche et le glaive (1994). Au-delà des blessures vives de la Seconde Guerre mondiale, « Maît’Jean » esquissait de nouvelles perspectives européennes et authentiquement révolutionnaires.

 

Déjà marqué par son fascisme assumé, Maurice Bardèche accepte d’être un paria de l’histoire parce qu’il ose un avis révisionniste sur les événements contemporains. « Ses exercices de “ lecture à l’envers de l’histoire ”, comme il les appelle lui-même, font partie des points les plus détonants de son discours. Ils démontrent son courage tranquille, et ne peuvent que susciter l’admiration. Sur le fond, il y aurait certes beaucoup à dire, explique Bergeron. De toute façon, comme l’a rappelé Bardèche lui-même à Apostrophe, on ne peut plus s’exprimer librement sur ces questions (p. 87). » Saluons toutefois sa clairvoyance au sujet de la mise en place d’une justice internationale mondialiste. Déjà prévue dans l’abjecte traité de Versailles de 1919, cette pseudo-justice planétaire se réalise à Nuremberg et à Tokyo avant de réapparaître dans les décennies 1990 et 2000 à La Haye pour l’ex-Yougoslavie, à Arusha pour le Rwanda et avec l’ignominieuse Cour pénale internationale qui veut limiter la souveraineté des États.

 

Tout en étant fasciste et après avoir prévenu en 1958 le camp national du recours dangereux à De Gaulle, Maurice Bardèche n’hésite pas à vanter le caractère fascisant des régimes de Nasser et de Castro, et à faire preuve dans Défense de l’Occident d’une grande lucidité géopolitique. « Bardèche […] faisait bouger les lignes de la vision géopolitique de son camp (p. 67). » Cet anti-sioniste déterminé encourage le panarabisme et, dès l’automne 1962, appelle les activistes de l’Algérie française à délaisser leur nostalgie et à relever le défi de la nouvelle donne géopolitique. Il est l’un des rares à cette époque à prôner une entente euro-musulmane contre le condominium de Yalta.

 

1752.jpgC’est sur la question européenne que Maurice Bardèche a conservé toute sa pertinence. Quand on lit L’œuf de Christophe Colomb (1952) ou Sparte et les Sudistes, on se régale de ses fines analyses. Bardèche réfléchissait en nationaliste français et européen. À la fin de l’opuscule, avant l’habituelle étude astrologique de Marin de Charette et après les annexes biographiques, bibliographiques, de commentaires sur Bardèche et de quelques-unes de ses citations les plus marquantes, Francis Bergeron reproduit l’entretien que lui accorda Bardèche dans Rivarol du 5 avril 1979 (avec les parties supprimées ou modifiées par Bardèche lui-même). Cet entretien est lumineux ! « Devons-nous accepter […] de ne pas nous défendre contre la concurrence sauvage, déclare Bardèche, accepter le chômage, le démantèlement d’une partie de notre industrie, la dépendance à laquelle nous risquons d’être contraints ? » On croirait entendre un candidat à l’Élysée de 2012… Le sagace penseur de la rue Rataud estime que « l’Europe qu’on nous prépare ne sera qu’un bastion avancé d’un empire économique occidental dont les États-Unis seront le centre »… Il prévient qu’« il ne faut pas que l’Europe ne soit que le cadre agrandi de notre impuissance et de notre décadence », ce qu’elle est désormais. Il importe néanmoins de ne pas rejeter l’indispensable idée européenne comme le font les souverainistes nationaux. L’Europe demeure plus que jamais notre grande patrie civilisationnelle, identitaire et géopolitique. « L’Europe indépendante constitue un idéal ou plutôt un objectif », juge Bardèche avant d’ajouter, prophétique, que « la crise économique peut nous aider à la faire plus vite qu’on ne le croit ».

 

Ce nouveau « Qui suis-je ? » est bienvenu pour découvrir aux plus jeunes des nôtres l’immense figure de ce fidèle Européen de France, ce magnifique résistant au politiquement correct !

 

Georges Feltin-Tracol

 

• Francis Bergeron, Bardèche, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », (44, rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing), 2012, 123 p., 12 €.


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lundi, 21 mai 2012

Le Bulletin célinien n°341 - mai 2012

Le Bulletin célinien n°341 - mai 2012

 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°341. Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- *** : Hommages à Claude Duneton
- Benoît Le Roux : Céline vu de Rennes en mars 1939
- Louis La Motte-Meurdel : Bagatelles pendant un massacre ou Céline à Rennes [1939]
- Paul Werrie : Entre Céline et Robert Poulet
- B. C. : Une version célinienne du mythe de Babel (2)

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.



Le Bulletin célinien n°341 - Bloc-Notes

Notre ami Claude Duneton nous a quittés le 21 mars. Coïncidence : c’est un 22 mars (1997) qu’il fut l’invité d’honneur de la « Journée Céline » organisée par le BC ¹. On lira dans ces pages un bouquet d’hommages rendus par ses confrères au chroniqueur de la langue française, à l’homme de théâtre et à l’écrivain

 

Il me revient peut-être de saluer ici le célinien émérite et pionnier. Sait-on qu’il fut l’un des premiers à adapter Céline au théâtre ? Cela se passait en novembre 1970 à Paris et il s’agissait – belle audace – d’une adaptation des Beaux draps ².  Éric Mazet s’en souvient : « Nous n’étions guère nombreux ! On avait l’air de conspirateurs. » Et d’ajouter : « Claude Duneton était un homme libre. D’une vive intelligence curieuse de tous les chemins de traverse, d’une grande culture voyageuse sans frontières et d’une malice dans le regard inoubliable ³. » Je souscris entièrement à ce point de vue en ajoutant, parmi d’autres qualités, sa grande modestie et ce courage tranquille qui lui faisait écrire des choses que la doxa feint d’ignorer. Ainsi rappelait-il volontiers que c’est l’anticommunisme, bien davantage que l’antisémitisme, que les épurateurs reprochaient à Céline après la guerre : « Jusqu’au milieu des années 1950, le sort des Juifs n’était pas vraiment détaché de celui des déportés de toutes catégories dans l’opinion des Français. Ce fut plus tard, presque dix ans après la défaite de l’Allemagne, qu’on se rendit compte, dans la foulée, du massacre distinctif – ethnique si l’on veut. (…) Céline est parti, in extremis, parce que les communistes étaient sur le point de lui faire la peau – et sans procès encore ! (…) Voilà la tare, la faute inexpiable : Céline était anticommuniste militant, et pire, antistalinien farouche, exactement, il l’avait crié à tous les échos. Mea culpa, Bagatelles, Les Beaux draps... 4 ». Outre ses préfaces pertinentes 5, on retiendra aussi de Duneton son « ode à Célne », Bal à Korsør 6,  publié en 1994 « à l’occasion de ses cent bougies ». Moins connu : son montage de textes, Appelez-moi Ferdinand, qu’il réalisa en 1980 pour la télévision française 7. Et il faudrait également citer ses chroniques langagières du Figaro qui firent souvent la part belle à Céline. Ainsi Claude Duneton n’a-t-il jamais cessé de se livrer à une défense et illustration de l’œuvre célinienne. Grâces lui en soient rendues.
 
Marc LAUDELOUT.

1. Les autres invités étaient Jean-Claude Albert-Weil, Éliane Bonabel, Nicole Debrie-Le Goullon et la Compagnie Catherine Sorba qui présenta des extraits de son adaptation de Guignol’s band.
2. Les Beaux draps. Adaptation scénique de Claude Duneton. Librairie-galerie « Les Anamorphoses », 68 rue de Vaugirard, Paris 6ème.  Mise en scène de Jean-Paul Wenzel. L’affiche du spectacle est reproduite dans le Catalogue de l’exposition Céline – Musée de l’Ancien Evêché de Lausanne, Edita, 1977.
3. Commentaire d’Éric Mazet au lendemain de la mort de Claude Duneton sur le blog « Le Petit Célinien », 22 mars 2012 [http://www.lepetitcelinien.com]
4. Préface de Claude Duneton à Céline au Danemark, 1945-1951 de David Alliot & François Marchetti, éditions du Rocher, 2008, pp. 9-13.
5. Signalons aussi ses préfaces au livre d’Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline 1945-1951 (Copenhague-Korsør (Du Lérot et La Sirène, 2004) et à la biographie de Gen Paul, un peintre maudit parmi les siens par Jacques Lambert (La Table ronde, 2007).
6. Bal à Korsör. Sur les traces de Louis-Ferdinand Céline, Grasset, Paris 1994, 122 p. Une deuxième édition a paru en 1996 dans « Le Livre de Poche » et fait l’objet, en 1999, d’une traduction danoise due à Svend Mogensen.
7. « Appelez-moi Ferdinand », montage illustré de textes de Céline (Guignol’s band et Nord) par Claude Duneton et Gérard Folin. Voix : Georges Mordillat et Jean-Pierre Sentier. Comédien : Jules Firmin Waroux. Antenne 2, 16 avril 1980.

dimanche, 06 mai 2012

Du chevalier au cuirassier Destouches : l'art du pamphlet comme un art de la guerre

Du chevalier au cuirassier Destouches : l'art du pamphlet comme un art de la guerre

par J.-Fr. Roseau

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

Étude comparée de la violence polémique et critique chez Jules BARBEY D'AUREVILLY et Louis-Ferdinand CÉLINE




Les prétentions aristocratiques de Céline, léguées par les récits d’un modeste employé d’assurance hanté par le mythe de la déchéance, ne relèvent pas seulement d’une reconstruction délirante ou fantasmatique du passé familial, mais tirent leur légitimité d’une généalogie désormais attestée. Comme le chouan du même nom, chargé d’informer les troupes royalistes émigrées sur les côtes anglaises durant les guerres révolutionnaires, la souche paternelle des Destouches est originaire de la Manche. Issu en ligne directe des seigneurs de Lantillère, comme il se plaît à l’indiquer dans une lettre adressée à une amie d’enfance (1), Louis-Ferdinand Céline descend d’un cousin éloigné au dixième degré de Jacques Des Touches de La Fresnaye, érigé en figure historique par le texte éponyme de Jules Barbey d’Aurevilly (2). La lumière faite sur l’ascendance aristocratique de Céline, le métier des armes devenait un devoir. Pour autant, du Chevalier au cuirassier, fallait-il en conclure une même culture guerrière, exprimée, à plus d’un siècle de distance, dans le maniement conjoint du sabre et de la plume ?

Quant à Barbey, sa posture chevaleresque est un appel du sang (3). Vaguement unis par ces lointaines racines, normandes et nobiliaires, mais plus encore par une verve brillante de polémiste forcené, ces deux atrabilaires ont une vénération commune pour l’art de batailler, et perçoivent l’écriture comme un jet d’amertume et de rage libéré. Si Barbey comme Céline ont excellé dans la carrière des Lettres en ferraillant contre la pensée dominante, c’est avant tout par l’adoption d’une langue radicale et cruelle, portant ouvertement l’empreinte d’une virulence martiale à la fois séduisante, ivre et brutale. On a pu évoquer çà et là les parentés éthiques et idéologiques de ces deux écrivains réduits à l’isolement à force de convictions politiquement anachroniques et moralement douteuses. Pourtant, noyée dans le bruit parasite de leur époque, leur voix hargneuse et provocante n’en a pas moins sonné comme un ultime refus de ce que l’opinion posait comme vérité définitive.

De la critique considérée comme un art militaire 

On trouve chez ces deux solitaires une même expérience décisive de la guerre. Pour le premier, refusé au collège militaire, le déshonneur moral de n’avoir pu s’y livrer conformément à son statut de gentilhomme, pour le second, le traumatisme incurable des séquelles corporelles et psychiques laissées par la Grande Guerre. La frustration sublimée de Barbey devait nécessairement aboutir à une langue belliqueuse, agressive et violente, transposant dans l’univers symbolique de l’écriture des procédés de nature soldatesque : escarmouche passionnée contre le culte du progrès, assaut féroce contre les fats, parade contre les bien-pensants. Si la critique aurevillienne a sans conteste une valeur de compensation, l’énergie frénétique de Céline puise quant à elle ses sources dans la violence hallucinante non seulement fantasmée, mais vécue des boucheries quotidiennes de 14. Recevant sa pension héroïque d’invalide, le sous-off’ réformé n’a pas tout dit durant ses quelques mois au front. Céline remplace Destouches. Le pamphlétaire, avec l’allure hautaine et suranné d’un duelliste piqué au vif ou d’un soldat subitement réveillé par les coups de canon, tient la littérature pour un champ de bataille. Il y règle ses comptes, fièrement, à coups de plume bien affûtée. Pour ces bretteurs, toute injure personnelle est un casus belli et l’écriture est un art de la guerre. Il y a chez eux un sens aigu de l’honneur offensé.
« Je devrais être aujourd’hui […] le maréchal d’Aurevilly », écrit Barbey à la veille de sa mort, lui qui rêvait d’une « existence passionnée, fringante, vibrante, même cahotée, pleine d’un bruit essentiellement militaire, un tumulte de charges endiablées et de sonneries éclatantes, avec le faste attirant d’uniformes empourprés et d’aiguillettes d’or sautillantes dans le galop des purs-sang » (4). Cette phrase, d’ailleurs, n’est pas sans faire penser au rythme haletant des trompettes céliniennes. Il y a chez eux un souffle épique qui tient de l’assaut littéraire. A défaut du bâton de maréchal, il aura obtenu l’honneur non moins glorieux d’être nommé « connétable des Lettres françaises ». Céline, en revanche, gradé maréchal des logis à quelques mois de la déclaration, a vécu le baptême douloureux du feu comme un fait structurant de son évolution morale, littéraire et idéologique (5). Pessimistes, Céline et Barbey d’Aurevilly le sont tous les deux face à l’espérance vaine et fallacieuse d’un progrès de l’humanité. Ils s’escriment l’un et l’autre contre la nonchalance facile des donneurs de leçons collectives qui, sur fond d’humanisme éclairé et de bonté philanthropique, prennent la défense du faible contre la brute intolérante et fanatique.

Du catholique hystérique à l’antisémite enragé 

La rhétorique fulminante de Barbey comme la voix furibonde de Céline, souvent assimilables à un tissu de vitupérations haineuses, traduit une obsession quasi-pathologique focalisée sur le mythe nauséeux d’un coupable exclusif. Le juif assume chez Céline le rôle que Barbey attribue indifféremment au protestant, au juif ou au franc-maçon. Relevant les symptômes de la décadence et du malaise social, les deux auteurs entretiennent constamment la fiction du complot étranger. Au-delà des différences culturelles et chronologiques entre d’une part l’antijudaïsme chrétien (6), qui culmina lors de l’Affaire Dreyfus, et d’autre part l’antisémitisme racial du premier XXe siècle, leurs thèses ont en commun une pseudo-justification d’ordre racial ou religieuse. Dans les deux cas, il s’agit d’une croisade dont l’enjeu correspond au pays menacé. S’il leur arrive d’essuyer un échec ou un désagrément quelconque, ils revendiquent aussitôt la pureté de l’écrivain solitaire, guerroyant pour l’esprit national, contre la corruption et la conspiration. « Faut dire…, écrit Céline, je serais d’une Cellule, d’une Synagogue, d’une Loge, d’un Parti, […] tout s’arrangerait ! sûr !» (7). Le rôle du pamphlétaire incarné par Céline ou Barbey d’Aurevilly, reclus loin des factions, est d’annoncer les cataclysmes sur un ton de prophète et de dénoncer les « coupables ». Mais, à défaut d’arguments, la haine impétueuse du pamphlet tourne en rond. Elle manifeste une tendance singulière à la névrose. Névrose antisémite, antidémocratique et « conspirationniste » qui se mue en délire frénétique. Il y a chez ces deux écrivains une outrance idéologique qui tient de la dérive malsaine et maladive. Le lexique médical, et plus précisément le lexique psychiatrique, sont en effet les premiers qui répondent à l’appel quand on souhaite qualifier cette violence passionnée du polémiste, éreintant hargneusement sa cible, hanté par un ennemi qui relève davantage du mythe que de la menace effective. Il fallait donc nécessairement que, parmi leurs principaux contradicteurs, Barbey et Céline se heurtent aux défenseurs de l’universalisme et de l’humanisme bafoués. Zola accuse le premier d’hystérie fanatique (8). Sartre prend Céline pour exemple historique de l’antisémite assimilé aux « grands paranoïaques » (9). C’est ici que la figure haïe de l’intellectuel entre dans l’arène.

Polémique contre Sartre et Zola : la haine de l’intellectuel

Barbey s’éteint en 1889, cinq ans avant la naissance de Céline. La fin du siècle aura vu émerger dans la sphère politique la figure engagée de l’intellectuel. Dans la lignée triomphante des Lumières, Zola ouvre le bal et Sartre prend le flambeau. A l’opposé, comme un revers de ce militantisme littéraire, vibre la voix grinçante du pamphlétaire réactionnaire, inaugurant la tradition « anti-intellectualiste ». Car Barbey contre Zola, ou Céline contre Sartre, c’est toujours Rivarol polémiquant contre l’abstraction théorique de Rousseau. La violence est la même. Excessive et cruelle. Les traits de leur virulence langagière, à commencer par l’injure scatologique –métaphore récurrente de leur critique anti-intellectualiste- coupe court à toute tentative de débat rationnel conforme aux schèmes spéculatifs qui structurent les discours de l’intellectuel. Le but est d’humilier. Apôtre du progrès dénonçant l’injustice et l’intolérance de ses contemporains, Zola n’est pour Barbey qu’un « fanfaron d’ordures ». Son oeuvre est tout entière construite « comme le système intestinal », produisant des effluves « de fumier et de fientes ». « M. Zola, dit-il encore, travaille dans l’excrément humain » (10). Enfin, le portrait de l’auteur culmine dans une comparaison grandiose à la Barbey : Zola, « un Michel-Ange de la crotte… ». Céline, lui, n’a pas la pudeur de Barbey. Sa prose déverse un dégoût sans mesure. Sartre est ainsi qualifié tour à tour de « petite fiente », « petit bousier », « petite crotte » et, plus franchement, de « satanée petite saloperie gravée de merde » (11). Barbey n’a pas non plus peur des gros mots lorsqu’il accuse Les Misérables, texte à tonalité pathétique et démocratique ouvrant l’ère du roman engagé, de « colossale saloperie » (12). Dépourvu d’argument et de ménagement rhétorique, leur stratégie critique repose sur l’effet vexatoire de la raillerie et de l’insulte. Rien de plus humiliant, en l’occurrence, que le motif fécal qui revient constamment. Il s’agit de blesser pour vaincre, et non pas de convaincre. Dès lors, l’intellectuel et le pamphlétaire se rejettent et s’excluent comme la passion s’oppose à la raison et le style à l’idée. Revendiquant une oeuvre intégralement fondée sur l’énergie nouvelle d’un style, Barbey et Céline condamnent tous deux la vanité des hommes à idées. Les philosophes sont, après le traître corrompu qu’ils nommeront juif ou franc-maçon, leur plus farouche ennemi. Et l’on retrouve, dans leur critique, le reproche d’un soldat à l’endroit du lâche ou du traître. Contrairement à la verve fougueuse de l’écrivain-guerrier, l’intellectuel est un « impuissant » (13). Il n’a aucune utilité sociale. Chez Céline, l’identification de l’intellectuel -et notamment de « l’agent Tartre » (14) - à la figure hideuse et répugnante du parasite, emprunte par conséquent une multitude de formes (« bousier », « cestode », « demi-sangsue »…).
Autre point commun de l’anti-intellectualisme aurevillien et célinien, la négation systématique du talent. Zola, par exemple, n’invente rien. C’est un « singe de Balzac dans la crotte du matérialisme ». Il apparaît ainsi comme une hydre sans unité, dont Barbey refuse tout talent littéraire au-delà du pastiche. Sa chair, dit-il encore, « est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert ». La méthode satirique de Céline use des mêmes procédés. Le prétendu génie de Sartre ne dépasse pas celui d’un lycéen fort en thème ou d’un plagiaire habile. Sartre, en somme, est un « Lamanièrdeux… » !
Au-delà des analogies littéraires et critiques entre les deux auteurs, il existe également une convergence idéologique marquée par le refus des idéaux démocratiques et progressistes. On a déjà pointé les ressemblances du conservateur royaliste et du patriote pacifiste sous la notion d’ « anarchisme de droite » (15). Mais plus encore que son isolement face aux idées du temps, c’est bien l’art impétueux de ses écrits polémiques, drôles et sinistres à la fois, qui fait du cuirassier Destouches l’héritier littéraire de l’auteur inquiétant du Chevalier Destouches.
 
Jean-François ROSEAU
Spécial Céline n°3 (novembre/décembre 2011, janvier 2012)
Repris sur le site www.barbey-daurevilly.com le 12 décembre 2011.
 
 
 
Notes
1 - Lettre à Simone Saintu du 30 octobre 1916 : « Il y a là aux environs de Coutances un vieux château de Famille qui abritera vraisemblablement mes pénates », dans Lettres et premiers écrits d'Afrique 1916-1917, textes réunis et présentés par Jean-Pierre Dauphin, Paris, Gallimard, 1978, p. 144. Au XVIIe siècle, une branche Destouches s’était fixée à Lentillière. C’est d’elle que descend l’auteur qui signe dans ses premières lettres Louis des Touches ou encore L. d. T.
2 - Le Chevalier Des Touches paraît pour la première fois en 1864.
3 - Lettre à Trebutien, février 1855 : « En sa qualité de cadet, mon père était ce qu’on appelle en langage gentilhomme : le chevalier », dans Correspondance générale, t. IV., Paris, Les Belles Lettres, « Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1984, p. 180.
4 - Cité par Octave Uzanne, dans Barbey d’Aurevilly, Paris, A la Cité des Livres, 1927, 88 pages. Texte mis en ligne par la médiathèque André Malraux de Lisieux.
5 - Pour H. Godard, l’expérience martiale de Céline « restera la référence absolue » en littérature comme en politique, cf. Céline scandale, Paris, Gallimard, 1998, p. 47.
6 - Ce vieux ferment d’antijudaïsme traditionnel s’exprime au premier chef dans l’accusation séculaire de déicide. Cf. la critique de Barbey d’Aurevilly, dans « Les Déicides, par M. Joseph Cohen », Le Pays, 5 janvier 1852 : « ce sang accusateur dans lequel les pieds de chaque Juif marchent, à travers le monde, depuis tout à l’heure dix-neuf cent ans ».
7 - L.-F.Céline, D’un Château l’autre, Paris, Gallimard, « coll. Folio », 1957, p. 30.
8 - « Le Catholique hystérique », dans E. Zola, Mes Haines, Paris, G. Charpentier, 1879, pp. 41-55.
9 - J.-P. Sartre, Réflexions sur la question juive, Paris, Gallimard, « coll. Folio », 1954, p. 51.
10 - J. Barbey d’Aurevilly, « Emile Zola », dans Le Roman contemporain, Paris, A. Lemerre, 1902, pp. 197-239.
11 - L.-F. Céline, A l’agité du bocal, Paris, Herne, 1995, 85 pages.
12 - Correspondance générale, t. VI, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 203.
13 - L.-F. Céline, Entretien avec le professeur Y, dans Romans, IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 497 : « les impuissants regorgent d’idées ».
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
14 - D’un Château l’autre, ibid., p. 31 : « l’agent Tartre ! crypto mon cul ! […] sous-sous-dévalures de Zola !... »,
15 - Céline et Barbey servent d’exemples emblématiques à l’ouvrage de François Richard, cf. « La haine des intellectuels, dans Les Anarchistes de droite, Paris, Presses Universitaires de France, 1997

 

 

 

vendredi, 20 avril 2012

Quando Céline era solo un giovane corazziere in armi nella Grande Guerra

Quando Céline era solo un giovane corazziere in armi nella Grande Guerra

di Andrea Lombardi

Fonte: barbadillo


Cuirassier-Destouches.jpg Louis-Ferdinand Destouches (in arte Céline), uno dei massimi romanzieri del ‘900, dopo il successo del suo libro di esordio Viaggio al termine della notte (1932) e di Morte a credito (1936), e le polemiche suscitate da Bagatelle per un massacro (1938), operò con i suoi romanzi una vera rivoluzione dello stile narrativo, culminata nella cosidetta Trilogia del nord (Nord, Rigodon e Da un castello all’altro). Uomo dalle molte vite, soldato nella prima guerra mondiale, direttore di piantagioni, membro di una commissione sanitaria della Società delle Nazioni, medico di periferia, scrittore, bohemienne, e infine Collabo e reprobo, la prima vita di Céline sarà quella di corazziere a cavallo: infatti Louis Destouches, nato il 27 maggio 1894 a Courbevoie (Parigi) si arruolerà il 28 settembre 1912, con ferma triennale, nel 12eme Régiment Cuirassiers (12° Reggimento Corazzieri) di stanza a Rambouillet, nel dipartimento degli Yvelines nella regione dell’Île-de-France. Il 12eme “Cuir” era un’unità scelta, con una lunga tradizione militare risalente al 1668: creato da Luigi XIV per suo figlio quale Régiment “Dauphin-Cavallerie”, fu rinominato 12° Reggimento di Cavalleria nel 1791 dopo la Rivoluzione Francese. Il reparto si distinse in numerose battaglie: dalle Campagne del Re Sole alle Guerre della Rivoluzione, subordinato all’Armata del Reno; da Austerlitz, Jena e Waterloo a Solferino, alla disastrosa guerra franco-prussiana del 1870-1871. I primi tempi di servizio presso il 12° ben difficilmente potevano ricordare al giovane Louis queste antiche glorie, preso come doveva essere, da buona recluta, a spalare letame, strigliare il pelo dei cavalli e centellinare i pochi spiccoli della diaria, vessato dalla disciplina di ferro dei sottuff’ di carriera, come ricordato d’altronde da lui stesso in Casse-Pipe! Dopo un anno da militare di truppa, Louis è promosso Brigadiere il 5 agosto 1913, e quindi Maresciallo d’alloggio il 5 maggio 1914.

Il 31 luglio, a Saint-Germain, il Reggimento è mobilitato e il 2 agosto si assembra nella regione a sud di Commercy. Louis accoglierà la notizia della guerra con lo stesso entusiasmo patriottico di milioni di giovani come lui in tutta Europa, come testimoniato da questa lettera ai genitori scritta poco prima della partenza per il fronte, tanto diversa per stile e spirito dal Viaggio al termine della notte:

“Cari genitori: l’ordine di mobilitazione è arrivato partiamo domani mattina alle 9 h 12 per Étain nelle pianure della Voevre non credo che entreremo in azione prima di qualche giorno […] è una sensazione unica che pochi possono vantarsi di aver provato […] Ognuno è al suo posto sicuro e tranquillo tuttavia l’eccitazione dei primi momenti ha fatto posto a un silenzio di morte che è il segno di una brusca sorpresa. Quanto a me farò il mio dovere sino in fondo e se per fatalità non dovessi tornare… siate sicuri per attenuare la vostra sofferenza che muoio contento, e ringraziandovi dal profondo del cuore. Vostro figlio”.

Il 12°, al comando del Colonnello Blacque-Belair, e facente parte della 7ª Divisione di Cavalleria, condurrà numerose missioni di ricognizione tra la Wöevre, la Mosa e l’Argonne nell’agosto e settembre 1914: il terreno dove opererà, boscoso, con campi cintati da muretti a secco tagliati da fossi e canali, è inadatto all’impiego della cavalleria, men che meno quella pesante. La guerra del ’14 inizia a mostrarsi per quello che è: niente eroiche cariche di cavalieri, ma un cieco tritacarne. Louis scriverà allora a casa lettere di ben altro tono rispetto a quelle precedenti; l’assurdità della guerra inizia a far nascere in lui Céline:

“La lotta s’impegna formidabile, mai ne ho visto e ne vedrò di così tanto orrore, noi camminiamo lungo questo spettacolo quasi incoscienti per l’assuefazione al pericolo e soprattutto per la fatica schiacciante che subiamo da un mese davanti alla coscienza si para una specie di velo dormiamo appena tre ore per notte e marciamo quasi come automi mossi dalla volontà istintiva di vincere o morire Nessuna nuova sul campo di battaglia quasi sulla stessa linea del fuoco da 3 giorni i morti sono rimpiazzati continuamente dai vivi a tal punto che formano dei monticelli che bruciamo e in certi punti si può attraversare la Mosa a piè fermo sui corpi tedeschi di quelli che tentano di passare e che la nostra artiglieria inghiotte senza posa. La battaglia lascia l’impressione di una vasta fornace dove s’inghiottono le forze vive delle due nazioni e dove la più fornita delle due sarà la vincitrice”.

Ad ottobre il Reggimento è inviato nelle Fiandre, partecipando a duri combattimenti assieme ad alcune unità di fanteria nel settore tra Ypres e Poelkapelle; il 27 ottobre, quest’ultima località è battuta incessantemente dal tiro dell’artiglieria e delle mitragliatrici tedesche, tanto che sembra impossibile garantire con staffette le comunicazioni tra il 125° e il 66° Reggimento di fanteria, che stanno cercando di strappare l’abitato di Poelkapelle al nemico. È in questo momento che il Maresciallo d’alloggio Destouches, comandato presso il Comando di Reggimento, si fa avanti, dandosi volontario per questa missione quasi suicida. Louis riuscirà a condurre a termine il pericoloso compito, ma al ritorno, intorno alle ore 18, è ferito gravemente al braccio destro. Dopo essersi ricongiunto alla sua unità, data la mancanza di posti disponibili nelle ambulanze o tende-ospedale a causa del gran numero di feriti e moribondi, dovrà raggiungere a piedi, camminando per sette chilometri, un ospedale da campo presso Ypres. Sarà poi da lì evacuato a Hazebrouck, dove sarà operata la frattura del braccio, e poi ricoverato in degenza all’ospedale militare Val-de-Grâce a Parigi, dove subirà un secondo intervento chirurgico il 19 gennaio 1915. Dichiarato inabile al servizio a causa della sua ferita, viene riformato il 2 settembre 1915: finisce così il servizio attivo di Louis Destouches nell’Armée.

Per l’eroismo dimostrato sul campo sarà citato nell’ordine del giorno del 29 ottobre del Reggimento, insignito della Medaglia Militare il 24 novembre 1914 e della Croce di Guerra con Stella d’Argento.

La rivista L’Illustré National del dicembre 1914 dedicherà al fatto d’arme che lo vide protagonista una tavola a colori a tutta pagina: Louis-Ferdinand Céline la mostrerà sempre con orgoglio a ogni suo visitatore nell’eremo di Meudon, tanti anni e tante vite più tardi.

Bibliografia:

Dauphin-Boudillet, Album Céline

Gibault, Céline

Ruby – de Labeau, Historique du 12eme Régiment Cuirassiers (1668-1942)

Le 12eme Régiment Cuirassiers (1871-1928)


Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

jeudi, 12 avril 2012

Ernst Jünger, lecteur de Maurice Barrès

Harald HARZHEIM:
Ernst Jünger, lecteur de Maurice Barrès

Nationalisme, culte du moi et extase

barres.jpg“Je ne suis pas national, je suis nationaliste”: cette phrase a eu un effet véritablement électrisant sur Ernst Jünger, soldat revenu du front après la fin de la première guerre mondiale qui cherchait une orientation spirituelle. Soixante-dix ans plus tard, Jünger considérait toujours que ce propos avait constitué pour lui l’étincelle initiale pour toutes ses publications ultérieures, du moins celles qui ont été marquées par l’idéologie nationale-révolutionnaire et sont parues sous la République de Weimar.

L’auteur de cette phrase, qui a indiqué au jeune Jünger la voie à suivre, était un écrivain français: Maurice Barrès. Bien des années auparavant, dans sa prime jeunesse, Ernst Jünger avait lu, en traduction allemande, un livre de Barrès: “Du sang, de la volupté et de la mort” (1894). On en retrouve des traces dans toute l’oeuvre littéraire de Jünger.

Maurice Barrès était né en 1862 en Lorraine. Tout en étudiant le droit, il avait commencé sa carrière de publiciste dès l’âge de 19 ans. A Paris, il trouva rapidement des appuis influents, dont Victor Hugo, Anatole France et Hippolyte Taine. Dans ses premiers ouvrages, Barrès critiquait l’intellectualisme et la “psychologie morbide” que recelait la littérature de l’époque. A celle-ci, il opposait Kant, Goethe et Hegel, qui devaient devenir, pour sa génération, des exemples à suivre. Après l’effondrement des certitudes et des idéologies religieuses, le propre “moi” de l’écrivain lui semblait le “dernier bastion de ses certitudes”, un bastion éminemment réel duquel on ne pouvait douter.

Il en résulta le “culte du moi”, comme l’atteste le titre général de sa première trilogie romanesque. Le “culte du moi” ne se borne pas à la seule saisie psychologique de ce “moi” mais cherche, en plus, à dépasser son isolement radical: le moi doit dès lors se sublimer dans la nation qui, au contraire du moi seul, est une permanence dans le flux du devenir et de la finitude.

Le processus de dépassement du “moi” individuel implique un culte du “paysage national”, donc, dans le cas de Barrès, de la Lorraine. Dans les forêts, les vallées et les villages de Lorraine, Barrès percevait un reflet de sa propre âme; il se sentait lié aux aïeux défunts. Le “culte du moi” est associé au “culte de la Terre et des Morts”. Ce culte du sol et des ancêtres, Barrès le considèrera désormais comme élément constitutif de sa “piété”. L’Alsace-Lorraine avait été conquise par les Allemands pendant la guerre de 1870-71. Une partie de la Lorraine avait été annexée au Reich. Barrès devint donc un germanophobe patenté et un revanchard, position qu’il n’adoucira qu’après la première guerre mondiale, après la défaite de l’ennemi. Dans un essai écrit au soir de sa vie, en 1921, et intitulé “Le génie du Rhin”, cette volonté de conciliation transparaît nettement. Ernst Jünger l’a lu dès sa parution.

Barrès posait un diagnostic sur la crise européenne qui n’épargnait pas l’esprit du temps. Il s’adressait surtout à la jeunesse, ce qui lui valu le titre de “Prince de la jeunesse”. Pourtant la radicalisation politique croissante de son “culte du moi”, sublimé en nationalisme intransigeant, effrayait bon nombre de ses adeptes potentiels. Ainsi, Barrès exigeait que le retour des Français sur eux-mêmes devait passer par l’expurgation de toutes influences étrangères. Le “moi”, lié indissolublement à la nation, devait exclure toutes les formes de “non-moi”. Cela signifiait qu’il fallait se débarrasser de tout ce qui n’était pas français et qu’il résumait sous l’étiquette de “barbare”. Il prit dès lors une posture raciste et antisémite. Son nationalisme s’est mué en un chauvisnisme virulent qui se repère surtout dans ses écrits publiés lors de l’affaire Dreyfus. Une haine viscérale s’est alors exprimée dans ses écrits. En 1902, Barrès a rassemblé en un volume (“Scènes et doctrines du nationalisme”) quelques-uns de ces essais corsés.

Barrès n’était pas seulement un homme de plume. Au début des années 80 du 19ème siècle, il avait rejoint le parti revanchiste du Général Boulanger et fut élu à la députation de Nancy.

Après la seconde guerre mondiale, Ernst Jünger comparait le Général Boulanger à Hitler (ce que bien d’autres avaient fait avant lui). Après une conversation avec le fils de Barrès, Philippe, il en arriva à la conclusion que cet engagement en faveur de Boulanger a dû le faire “rougir” (EJ, “Kirchhorster Blätter”, 7 mai 1945).

En 1894, Barrès avait écrit “Du sang, de la volupté et de la mort”, recueil d’esquisses en prose et de récits de voyage en Espagne, en Italie et en Scandinavie, pimentés de réflexions sur la solitude, l’extase, le sexe, l’art et la mort. Le corset spatial étroit du nationalisme de Barrès éclatait en fait dans cette oeuvre car il ne privilégiait plus aucun paysage, n’en érigeait plus un, particulier, pour le hisser au rang d’objet de culte: chacun des paysages décrits symbolisait des passions et des sentiments différents, qu’il fallait chercher à comprendre. En lisant ce recueil, Ernst Jünger a trouvé dans son contenu l’inspiration et le langage qu’il fallait pour décrire les visions atroces des batailles, relatées dans ses souvenirs de guerre. De Barrès, Jünger hérite la notion de “sang”, qui n’est pas interprétée dans un sens biologique, mais est hissée au rang de symbole pour la rage et la passion que peut ressentir un être. Quant aux descriptions très colorées des paysages, que l’on retrouve dans l’oeuvre de Barrès, nous en trouvons un écho, par exemple dans “Aus der goldenen Muschel” (1944) de Jünger.

Maurice Barrès est mort en 1923. Peu d’écrits de lui ont été traduits en allemand. Le dernier à l’avoir été fut son essai “Allerseelen in Lothringen” (“Toussaint en Lorraine”), paru en 1938. Après la deuxième guerre mondiale, aucun écrit de Barrès n’a été réédité, retraduit ou réimprimé. On a finit par le considérer comme l’un des pères intellectuels du fascisme. Barrès a certes été élu à l’Académie Française en 1906 mais sa réhabilitation en tant que romancier est récente, même en France, alors que Louis Aragon l’avait réclamée dès la fin de la seconde guerre mondiale.

Jünger ne s’est pas enthousiasmé longtemps pour ce nationaliste français. Dès la moitié des années 20 du 20ème siècle, il s’oriente vers d’autres intérêts littéraires. Jünger n’évoque Barrès explicitement qu’une seule fois dans ses oeuvres journalistiques et militantes, alors que le Lorrain les avait inspirées. Dans “Vom absolut Kühnen” (1926), Jünger affirme qu’il “préfère la France de Barrès à celle de Barbusse”, parce qu’il entend récuser l’idéologie pacifiste de ce dernier.

Toutes les évocations ultérieures de Barrès relèvent du rétrospectif. Jünger ne puise plus aucune inspiration nouvelle dans les écrits de Barrès. Jünger, âgé, comparait le sentiment qu’il éprouvait face à la défaite allemande de 1918 au désarroi qu’ont dû ressentir les jeunes Français en 1871 (cf. “Siebzig verweht”, IV, 23 octobre 1988). Il répète dans ce même passage que Barrès l’avait fortement influencé dans le travail de façonnage de sa propre personnalité, une imprégnation barrèsienne, dont il s’était distancié assez tôt. En 1945, Jünger notait que “lui-même et les hommes de sa propre génération étaient arrivés trop tard en beaucoup de choses, si bien que la voie, que Barrès avait encore pu emprunter, ne leur était plus accessible”. Dès le début des années 30 du 20ème siècle, Ernst Jünger en était arrivé à considérer le nationalisme barrèsien comme une construction dépassée, née au 19ème siècle et marquée par lui. Cette position l’a empêché de s’engager dans le sillage d’un politicien chauvin comme Boulanger, c’est-à-dire comme Hitler.

Dans la bibliothèque de Jünger à Wilflingen, on trouve deux ouvrages de l’écrivain français: “Amori et Dolori sacrum. La mort de Venise” et les quatorze volumes de “Mes cahiers”. Ces “cahiers”, Jünger les évoque dans une notule envoyée à Alfred Andersch: “Vous me comptez non pas parmi les conservateurs-nationaux mais parmi les nationalistes. Rétrospectivement, je suis d’accord avec vous. J’ose même dire que j’ai inventé le mot; récemment en lisant ses “Cahiers”, je me suis découvert de remarquables parallèles avec Maurice Barrès. Il y dit: ‘...je suis né nationaliste. Je ne sais pas si j’ai eu la bonne fortune d’inventer le mot, peut-être en ai-je donné la première définition’” (cf. “Siebzig verweht”, II, 7 juin 1977).

Ernst Jünger a donc lu les “Cahiers” de Barrès de manière fort occasionnelle car la plupart des quatorze volumes des “Cahiers”, dans la bibliothèque de Wilflingen, n’ont en apparence que rarement été ouverts; certains n’ont même pas été coupés. En 1971, Jünger a dit: “Barrès aussi est désormais derrière moi”. La teneur de cette assertion n’a plus été modifiée jusqu’à la mort de l’écrivain allemand.

Harald HARZHEIM.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°23/2005; trad. française: avril 2012).
http://www.jungefreiheit.de/

Harald Harzheim est écrivain, dramaturge et historien du cinéma. Il vit à Berlin. Il travaillait en 2005, au moment où il rédigeait cet article, à un essai sur la “Démonologie du cinéma” d’Ernst Jünger.

jeudi, 05 avril 2012

Louis-Ferdinand Céline : Le gribouilleur céleste

Louis-Ferdinand Céline : Le gribouilleur céleste

Ex: http://www.lepetitcelinien.com/

 
Victor Hugo louait Charles Baudelaire pour avoir introduit « un frisson nouveau dans la poésie ». L’homme qui à introduit un frisson nouveau dans le roman ; c’est Louis-Ferdinand Céline.

Si le XIXème siècle a eu le privilège de le voir naitre, le XXème siècle a eu celui de le voir écrire. Écrire, déstructurer, casser, broyer, pour enfin révolutionner une langue française essoufflée. On entre dans l’œuvre de Céline comme on s’élance au cœur d’une cathédrale dévastée, car, n’en déplaise à Baudelaire, pas de place ici pour le luxe, le calme et la volupté. L’écrivain compose sur les ruines de l’humanité, assassinant jusqu’à l’amour qu’il « traque, abîme, et qui ressort de là : pénible, dégonflé, vaincu… ».
Atypisme revendiqué, populisme lyrique, musicalité de la prose ; la plume de Céline est un « scalpel de mage ». Chaque virgule est un rouage d’argent dans une mécanique d’or, chaque page se « débrousse comme le temple d’Anghkor », chaque couteau tiré est une larme qui tombe, chaque mensonge est une demi-vérité. Céline était médecin des pauvres. Sans doute a-t-il autant soigné par son œuvre que par sa médecine.
L’alchimiste des mots n’a pourtant pas compté ses détracteurs. L’anti-judaïsme philosophique, qu’il partage avec bon nombre de grands auteurs, Voltaire et Hugo en tête, lui aura valu la mise à l’index et l’opprobre de ses contemporains. À la suite de la publication de ses pamphlets, Sartre « l’agité du bocal », traducteur d’Heidegger, ira jusqu’à l’accuser de collaboration avec l’ennemi. C’était oublier que si Céline pouvait tremper sa plume dans l’ambroisie, il pouvait aussi la noyer dans le cyanure. La réponse qu’il fit à Sartre éleva jusqu’au mythe l’art de la diatribe. Il y a fort à parier que le « ténia aux yeux embryonnaires » regretta longuement son commentaire. Fort de cette séance épistolaire d’acupuncture au pic à glace, sonnant comme un rappel à l’ordre, il préféra le silence au ridicule. A croire que lui aussi sortit de là : pénible, dégonflé et vaincu.
Auteur controversé, à la fois adulé et maudit, Céline n’a incarné qu’une école: la sienne. Son histoire est celle d’un nihiliste marginal, chansonnier du chaos, pessimiste et lucide à l’égard de la nature humaine. Sa vision de l’homme se résume à la victoire de Caliban sur Ariel. Force est de constater que cinquante années après, la « révolte de l’esprit sur le poids » n’a pas eu lieu.
Les controverses à l’endroit de Céline en sont les exemples les plus probants. Douce mascarade que celle qui consiste à retirer le maudit de Meudon des célébrations nationales. Preuves que les pressions communautaristes prévalent sur la légitimité des ministres français. En attendant bienveillamment que la famille Klarsfeld, descendante directe de Tomas de Torquemada, prenne la peine de se déplacer outre-manche pour demander l’autodafé en grande pompe des œuvres de Shakespeare pour son « Marchand de Venise », finissant leur voyage en Allemagne afin de prétendre à la saisie de tous les ouvrages de Schopenhauer, notamment son « Foetor Judaicus ».
Un racket moral à deux vitesses qui confine au grotesque mais qui finit pourtant noyé dans les eaux troubles du conformisme. Et tous les demi-spécialistes qui s’excitent, pérorent, rhétorent sur l’ambivalence d’un talent schizophrène. Autant de commentateurs volontaires qui lisent sans projeter et dissertent sans comprendre qu’il n’y a jamais eu qu’un seul système, qu’une seule vision du monde, qu’un seul Céline.
On peut penser que la prolongation post-mortem de l’anathème aurait convenu au docteur Destouches, voire qu’il l’aurait souhaité. Quoi de plus mesquin, en effet, que d’être couronné par un siècle qui s’est fait un sacerdoce d’ériger la tartufferie en vertu cardinale. Les époques pardonnent tout à leurs contemporains, sauf le génie. Lui qui appréhendait avec beaucoup de quiétude le repos de sa mort, je crains que sa plume n’ait jouée contre lui.
Son talent l’a rendu immortel. Et s’il vous vient l’envie de vérifier ce céleste postulat, rendez-vous au cimetière de Meudon. Asseyez-vous près de la roche qu’il partage avec son épouse « à l’ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l’allée du centre ». Regardez la pierre gravée, respirez, ouvrez « le voyage ». Alors vous conviendrez que cet endroit est le seul au monde ou Louis-Ferdinand Céline ne se trouve pas.

Maxime LE NAGARD
Le Bréviaire des patriotes, 22 mars 2012.

Le Bulletin célinien n°340 - avril 2012

Le Bulletin célinien n°340 - avril 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°340.

Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Céline dans la presse
- P.-L. Moudenc : Cette prose flamboyante
- P.-L. Moudenc : Les souvenirs de Henri Mahé
- Bernard Baritaud : Pour une association Mac Orlan
- Pol Vandromme : Maurice Bardèche et Céline
- André Suarès : Les rires de crocodile [1946]
- Louis-Albert Zbinden : La blessure d’un paradis perdu [1973]
- B.C. : Une version célinienne du mythe de Babel [1]

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°340 - Bloc-Notes

La bibliographie Tout sur Céline serait-elle l’Arlésienne ? Annoncée pour l’année du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, elle n’a pas encore vu le jour. Aussi convient-il de s’en expliquer auprès des souscripteurs. Cette bibliographie a, comme on le sait, trois co-auteurs : Arina Istratova, Alain de Benoist et Marc Laudelout. Le but de l’imposante Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, publiée il y a plus de vingt-cinq ans par Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché, n’était pas de prendre en compte l’abondante littérature secondaire qui a été consacrée à l’auteur de Nord ¹. C’est cette situation que les auteurs de Tout sur Céline ont voulu pallier. Leur bibliographie référencera tous les livres, brochures, tirés à part, travaux universitaires et numéros spéciaux de revues, parus en langue française et dans d’autres langues, qu’il a été possible d’identifier. Elle ne citera ni les articles sur Céline, dont la recension exhaustive serait difficilement réalisable (mais a déjà été entreprise par Jean-Pierre Dauphin pour la période 1914-1961 ²), ni – sauf très rares exceptions qui ont paru justifiées – les livres qui ne consacrent à Céline que des sections ou des chapitres particuliers : histoires générales de la littérature, études diverses sur les « fascismes littéraires », etc.
Cette bibliographie comprendra cinq parties principales : (A) les publications périodiques et les séries éditoriales entièrement consacrées à Céline ; (B) les travaux universitaires (mémoires, masters et thèses) dont Céline a fait l’objet ; (C) les ouvrages publiés ; (D) la documentation filmographique (émissions télévisées essentiellement) ; (E) la documentation phonographique (émissions radiophoniques, discographie, partitions). Un complément relatif à Internet constituera la partie (F). Une dernière partie (G) recensera les associations spécialisées dans les études céliniennes.
Cette bibliographie fournira au total près de 2000 références, dont plus de 800 thèses ou mémoires universitaires identifiés. C’est précisément cette partie-là qui donne le plus de fil à retordre aux auteurs. Alors même qu’ils en étaient au stade des épreuves, ils ont encore constaté de trop nombreuses erreurs dues au fait que les travaux universitaires (non publiés) sont souvent mal répertoriés. Nombreux sont, dans ce domaine, les renseignements lacunaires ou tout simplement erronés. Cela s’explique par le fait que toutes les universités ne recensent pas de manière méthodique et précise les thèses soutenues en leur sein. La situation est, comme on s’en doute, encore plus complexe pour les mémoires de maîtrise. Les auteurs espèrent clôturer enfin ce vaste chantier cette année. Le tirage sera limité à 300 exemplaires. Tous ceux qui ont souscrit sont bien entendu assurés de recevoir cette bibliographie dès sa sortie de presse ³. Nous espérons qu’ils voudront bien ne pas (trop) tenir rigueur de ce retard aux auteurs. L’un des souscripteurs, célinien patenté et chercheur de talent, a bien voulu faire part de sa compréhension : « Pour ma part, perfectionniste comme je le suis, je sais trop bien qu’il faut prendre tout le temps nécessaire pour faire un travail se rapprochant le plus possible de la perfection. Par conséquent, même si votre bibliographie ne sortait que dans un an, je n’en ferai pas un drame. » Puissent tous les autres souscripteurs partager ce sentiment !

Marc LAUDELOUT


1. Jean-Pierre Dauphin & Pascal Fouché, Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, 1918-1984, BLFC, 1984. Cet ouvrage est épuisé mais une version électronique est disponible sur www.biblioceline.fr
2. Jean-Pierre Dauphin, Bibliographie des articles de presse & des études en langue française consacrés à L.-F. Céline, 1914-1961, Du Lérot, 2011.
3. La souscription est actuellement close. Le prix de vente est de 65 €, frais de port inclus.

mercredi, 21 mars 2012

Céline, profeta de la decadencia

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Céline, profeta de la decadencia

GISELLE DEXTER Y ROBERTO BARDINI

Ex: http://www.elmanifiesto.com/


"Rencorosos, dóciles, violados, robados, con las tripas fuera y siempre jodidos. (...) Hemos nacidos fieles y así morimos". El autor de esta frase es un médico, físico y viajero francés a quien nadie conoce por su verdadero apellido: Destouches.

En cambio, los ambientes literarios y culturales de todo el mundo reconocen su talento magistral como escritor bajo el nombre que eligió para entrar –sin saberlo, entonces– por la puerta grande de la literatura: Louis Ferdinand Céline (1884-1961). La frase citada pertenece, precisamente, a la obra que lo consagró internacionalmente: Viaje al fin de la noche.

Céline sucumbió, junto con un grupo de jóvenes y talentosos intelectuales franceses, a lo que Benito Mussolini llamó "la tentación fascista", en el período que va de la primera a la segunda guerra mundiales. Este "pecado", con variantes, también se dio en Bélgica, Holanda, Noruega, Finlandia, Croacia, Polonia y Hungría. Ninguno de estos países, sin embargo, contó con una congregación de autores tan brillante, trágica y malograda como la de Francia. Entre sus principales exponentes figuran, entre otros, Pierre Drieu la Rochelle y Robert Brasillach. A todos ellos se les aplicó, según los casos, la ley del "encierro, destierro o entierro"; todos ellos recibieron el despectivo apodo de colabos, es decir "colaboracionistas" con el enemigo.

Una intelectual italiana antifascista y feminista, María Antonietta Machiochi, define a Céline como "el más genial de los escritores nazifascistas". A muchos historiadores, literatos y críticos les resulta muy difícil digerir esta doble realidad que incluye el reconocimiento a su genialidad como escritor y su identidad "políticamente incorrecta". Y, por si fuera poco, hay que agregar una faceta más: su rabioso antijudaísmo.

"Uno de los gigantes de nuestra época"

Lo cierto es que no existe polémica acerca de su talento; casi todos los prólogos a sus obras incluyen, junto con el repudio a su elección ideológica, las alabanzas al estilo literario: "escritura hablada", "anárquica expresividad", "grafía desquiciada". Entre las etiquetas también hay que incluir "absoluto cinismo", "pesimismo radical", "nihilismo deslumbrante". Sus admiradores políticos, incluso, lo llaman "el profeta de la decadencia europea"... Y se podría continuar.

Uno de sus adversarios, Jean Paul Sartre, quien antes de convertirse en filósofo existencialista había sido simpatizante comunista, escribe en 1946: "Tal vez Céline sea el único que permanezca de todos nosotros". Etienne Lalou, novelista, cronista de L’Express y productor de radio y televisión, dice: "Céline ha restituido al francés hablado sus títulos de nobleza y, sin él, una parte de la literatura moderna no sería lo que es". Lalou, un creador alejado de cualquier cosa vinculada a Hitler y Mussolini, lo llama "uno de los gigantes de nuestra época".

Céline es voluntario en la Primera Guerra Mundial, de la que regresa con el 75 por ciento de su cuerpo mutilado. Al terminar el conflicto, comienza a estudiar medicina. Egresa en 1924, con una tesis sobre el médico húngaro Felipe Ignacio Semmelweis (1818-1865), a quien un colega contemporáneo definió como "un poeta de la bondad". Esa tesis se convertirá en 1937 en Semmelweis, una bella biografía sobre el investigador que luchó contra la fiebre puerperal hasta el último día de su vida. En la nota preliminar de este libro, el novelista español Juan García Hortelano (1928-1992) escribe:

"La agresividad, componente indispensable de la obra maestra, alcanza en Céline al universo entero y verdadero. En el caos, el asesinato, la injusticia, el terror y la debilidad juegan la partida; el que pueda envidar, gana; sólo perderán los débiles, para quienes la opción se limita a la fuga o la muerte. Céline, en absoluto partidario del suicidio, es el primer escapista que, refractario a la mentira, no huye. Tampoco se apiada (...).Destruye el mundo, minuciosamente (...), con el arma que supo manejar. Céline es un lenguaje nuevo. Del francés hablado, mal hablado, destiló un sistema de ruptura de la lengua, en el que reside toda su gloria".

Novela "irreductible y salvaje"

Céline se alista en la marina. De 1924 a 1928 integra misiones de la Sociedad de Naciones en África y Estados Unidos; por su cuenta, visita la Unión Soviética. Al regreso a Francia, trabaja en una clínica estatal en Clichy, un suburbio al norte de París, donde prácticamente sólo atiende a pobres. En 1940, se presenta nuevamente al ejército como voluntario pero es rechazado por las secuelas de sus heridas anteriores.

Su obra incluye los siguientes títulos: Viaje al fin de la noche (1932), Muerte a crédito (1936), Mea Culpa (publicado luego de su regreso de la Unión Soviética, 1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L´école des cadavres (1938), Les Beaux Draps (1941), Guignol´s Band (1943), Casse Pipe (1949), Feerie pour une autre fois (1952), De un castillo a otro (1957), Norte (1960) y Rigodon, publicada después de su muerte.

Con Viaje al fin de la noche gana el premio Renaudout. Ferdinand Bardamu, el protagonista de la novela, es un héroe desilusionado y castigado que vive experiencias extremas, siempre al borde del abismo: herido en la Primera Guerra mundial, enamorado de una prostituta sin futuro, víctima de un trabajo embrutecedor en las colonias francesas en África, perseguidor del "sueño americano" –que no se parece al del publicitado mito– y de nuevo en Francia como médico rural de campesinos miserables.

Las reflexiones de Viaje al fin de la noche sobre la condición humana son amargas. Robert Saladrigas escribe en "Céline, el recluso de Dinamarca" (La Vanguardia, Cataluña, 24 de julio de 2002): "Novela única, irreductible, salvaje; un sólido monumento literario contra el que nada han podido el tiempo, los tifones de la historia ni la aberrante ideología de quien la escribió con un talento que desborda cualquier esquema en el que se pretenda encajarla. Es difícil no pensar en una poderosísima creación de la naturaleza que resulta literalmente abrumadora". En Viaje al fin de la noche se lee:

"Los hombres se aferran a sus cochinos recuerdos, a todas sus desgracias, y no se les puede sacar de ahí. Con eso ocupan el alma. Se vengan de la injusticia de su presente revolviendo en su interior la mierda del porvenir. Justos y cobardes que son todos, en el fondo. Es su naturaleza. (...) Os lo digo, infelices, jodidos de la vida, vencidos, desollados, siempre empapados de sudor; os lo advierto: cuando los grandes de este mundo empiezan a amarlos es porque van a convertirlos en carne de cañón".

Un destino trágico

Después de la caída del régimen de Vichy, la vida de Céline será una sucesión de sufrimientos que parecen copiados de sus propias novelas. Y parece confirmarse que la vida imita al arte hasta en sus aspectos más desgarradores.

Radio Londres, portavoz de la Resistencia Francesa, ofrece una recompensa por su captura, vivo o muerto. En 1944, Céline se retira de Francia junto con las tropas alemanas. Hace una escala en Alemania, donde paradójicamente sus libros están prohibidos. De ahí, busca refugio en la neutral Dinamarca. El Consejo Nacional de los Escritores, vinculado con la Resistencia, divulga una "lista negra" con doce autores colaboracionistas; él, desde luego, es uno de ellos. Entre los escritores denunciantes se encuentran muchos envidiosos del talento del "profeta de la decadencia", que no pueden tolerar el éxito de Viaje al fin de la noche.

En septiembre de 1945, un juez le dicta orden de arresto por "traición a la patria". Poco después, una denuncia anónima informa a la embajada francesa en Copenhague que el fugitivo se encuentra en esa ciudad. El 17 de diciembre de 1945, Céline es encarcelado. El novelista permanecerá en una celda de la severa prisión de Vestre Faengsel durante 16 agónicos meses. Entre otros vejámenes, sus carceleros lo mantienen sin calefacción en pleno invierno danés. Hay que tomar en cuenta que había quedado mutilado después de la Primera Guerra; además, estaba enfermo y se le agravaron sus dolencias hasta límites insoportables: enteritis, pelagra y reumatismo. Céline sale en libertad el 24 de junio de 1947, sin cargos, con 40 kilos menos.

El juicio al escritor "maldito" se lleva a cabo el 21 de febrero de 1950, en París, en ausencia de acusado y de un abogado defensor; lo condenan a un año de prisión, pena inferior a la cumplida con carácter preventivo en Dinamarca. Puede regresar a Francia recién el primero de julio de 1951. A seis años de terminada la guerra, toda su obra ha sido destruida.

Se establece con su mujer y decenas de gatos y perros en Meudon, cerca de París. En 1953 abre un consultorio médico para atender a personas sin recursos. Se hace imprimir tarjetas de presentación en las que se lee: "Louis Ferdinand Céline - Ave del paraíso". Recibe siete u ocho cartas diarias con insultos y amenazas; y otras tantas llenas de admiración y elogios. Unas y otras lo tienen sin cuidado. Escribe: "Anarquista soy, he sido, sigo siendo. ¡Y me traen sin cuidado las opiniones!"

Poco a poco, Céline recupera el prestigio literario que, a pesar de todo, le pertenece. Pero el sistema se lo devuelve a regañadientes, haciendo constar siempre que había sido –y continuaba siendo– un "maldito". En 1953, la editorial Gallimard edita nuevamente sus libros. De la larga lista de sus obras, cuatro continúan prohibidas a casi medio siglo de haber sido escritas: Bagatelles pour un massacre, L´école des cadavres, Les Beaux Draps y Mea Culpa. Y esto en Francia, país que se reconoce a sí mismo como cuna del liberalismo, precursor de la moderna democracia, practicante del lema Igualdad, fraternidad, solidaridad.

El marginado vuelve a escribir. Relata sus experiencias durante el exilio en De un castillo a otro (1957), Norte (1960) y Rigodon, publicada póstumamente. En 2002 se divulgan sus Cartas de la cárcel. Son casi 200 mensajes originalmente escritos en el áspero papel de baño carcelario, recopilados por su biógrafo François Gibault. "Sufro mi destino. No sé de qué crímenes soy culpable. Pero esta incertidumbre puede durar –me temo– años", dice Céline en una de sus cartas. Y en otra: "Es duro tener un mundo entero de odio contra uno".

En el prefacio, Gibault, refiriéndose a los panfletos antisemitas de Céline, explica que éste "sabía lo que había escrito antes de la guerra y por qué lo había escrito". Pero cuando se descubrió el genocidio judío "aquellos panfletos adquirían un cariz trágico que nadie había descubierto ni denunciado en el momento de su publicación, mientras que él mismo aparecía como un asesino". Sus escritos, elaborados para evitar la guerra, "pero con las exageraciones sin las cuales Céline no habría sido el que era y que aparecían a la luz de los acontecimientos como incitaciones a la matanza, servían de pretexto, pese haber sido escritos antes del genocidio, para una partida de caza en la que el objetivo era él".

Carlos Manzano, traductor de Cartas de la cárcel –y de la mayoría los libros de Céline en español– respalda las afirmaciones de François Gibault: "Él sentía desprecio por los alemanes, nunca fue colaborador de los nazis. Siempre lo negó y nunca se pudo demostrar nada; después, cuando volvió a Francia, se encerró y nunca quiso hablar con la prensa ni con nadie".

En mayo de 2002, el primer manuscrito de Viaje al fondo de la noche fue subastado en París por casi un millón 800 mil dólares. Las 876 páginas del original –llenas de tachaduras y correcciones– quedaron en Francia ya que la Biblioteca Nacional interpuso su derecho prioritario para que el texto no salga del país. Para los especialistas, el hallazgo del texto tiene un valor inestimable, ya que permite comprender los mecanismos mediante los cuales se construyó una de las obras más importantes y sombrías del siglo XX. Durante más de 40 años, el original fue motivo de las más increíbles versiones: se decía que fue perdido, recuperado y quemado por Céline; también que estaba oculto en Argentina, en manos de nazis refugiados.

La suma que se pagó por el histórico escrito de Céline superó el monto en que fue subastado, en 1988 por la casa Sotheby’s, el manuscrito de El proceso, de Franz Kafka: un millón y medio de dólares. El texto del primer tomo de En busca del tiempo perdido, de Marcel Proust, otro clásico, fue rematado en 2001 por Christie’s en poco más de un millón de dólares.

Dejemos algunas reflexiones finales por cuenta de Andreu Navarra Ordoño, autor de "Céline: el hombre enfadado" (revista Babab Nº 11, Madrid, enero de 2002), quien define a Viaje al fondo de la noche como "una de las más feroces sátiras contra la civilización occidental". El escritor español se pregunta: "¿Es injustificado desentenderse del mundo cuando éste se ha convertido en una estafa universal, en algo así como una trampa a gran escala? ¿Cómo no hubiera podido enfadarse ante semejante espectáculo? ¿Niega Céline alguna vez las acusaciones de que fue objeto? En absoluto. Sí nos ofrece sus reflexiones, nunca alegaciones".

Céline falleció en Meudon en 1961, a los 77 años. En algún momento de su vida, escribió: "En este mundo vil, nada es gratuito. Todo se expía: el bien, como el mal, se paga tarde o temprano. El bien mucho más caro, lógicamente".

© Giselle Dexter y Roberto Bardini

lundi, 12 mars 2012

Le Bulletin célinien n°339 - mars 2012

Le Bulletin célinien n°339 - mars 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°339.

Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
M. L. : Milton Hindus et L.-F. Céline
Pascal Ifri : In memoriam Milton Hindus
M. L. : La rencontre à Korsør
Philippe Alméras : Milton Hindus face au géant
M. L. : Corinne Luchaire et Céline
Jacqueline Demornex : Le noir destin de Corinne Luchaire
*** : Corinne Luchaire et Céline. De Baden-Baden à Sigmaringen, un itinéraire commun.
*** : Karl Epting et l’Institut allemand (p. 23)

Un numéro de 24 pages, 6 euros franco.
Abonnement annuel : 50 €

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°339 - Bloc-notes

Il est bien connu que la France croule sous un excès de règlementation. Celle-ci s’avère parfois paralysante. En témoignent les efforts contrariés de François Gibault, conseil de Lucette Destouches, pour faire restaurer la tombe des parents de Céline au cimetière du Père-Lachaise dans une concession accordée jadis à la grand-mère maternelle de l’écrivain, Céline Guillou, née Lesjean. La dernière « propriétaire » en fut Marie Joubert-Guillou, la veuve de Louis Guillou, l’« Oncle Édouard » de Mort à crédit.


La tombe étant en mauvais état, François Gibault, par ailleurs président de la Société d’Études céliniennes, a décidé, en accord avec Lucette, de la faire restaurer (1). Réponse négative de la Conservation du Père-Lachaise : « Afin que le Bureau des concessions reconnaisse des droits à votre cliente sur cette sépulture, il convient d’établir, au moyen de pièces d’état civil ou d’actes notariés, sa qualité héréditaire par rapport à Madame Veuve Guillou, la concessionnaire (2) ». Tâche ardue et pas vraiment indispensable, Lucette Destouches ne demandant pas d’être reconnue titulaire de cette concession mais seulement l’autorisation de faire restaurer la tombe de ses beaux-parents, précise François Gibault dans un courrier ultérieur. Réaction inflexible du chef du Bureau des concessions : « Seul des ayants droit dûment reconnus par l’administration sont autorisés à intervenir sur leur concession (3). » Pour que Lucette soit reconnue en tant qu’ayant droit, il aurait fallu que « Madame Veuve Guillou, née Lesjean » léguât la sépulture soit à « Marguerite Destouches, née Guillou » [la mère de l’écrivain], soit « à Louis Guillou », soit directement à « Madame Destouches, née Almansor » (4). Bel hommage (involontaire) à Georges Courteline, lui aussi inhumé au Père-Lachaise. L’administration ne devrait-elle pas, au contraire, se réjouir de voir quelqu’un – membre de la famille, de surcroît – prendre en charge les frais de restauration d’une tombe ? D’autant qu’il ne s’agit pas de la modifier en quoi que ce soit mais de la nettoyer et de redorer les noms des personnes qui y sont inhumées (5). Mais les ronds-de-cuir ne badinent pas avec le règlement.


Ultime paradoxe : François Gibault a rencontré moins de difficultés à Septeuil pour la restauration de la tombe de Raoul Marquis, le fameux « Courtial des Pereires », autre personnage de Mort à crédit (6).


Il reste à espérer qu’à l’avenir, la tombe de Céline, sise au cimetière des Longs-Réages à Meudon, pourra, elle, être entretenue sans obstacle.

Marc LAUDELOUT


Notes
1. Lucette Destouches, la Société d’Études céliniennes et François Gibault lui-même ayant décidé de prendre chacun en charge un tiers des frais de restauration de la tombe.
2. Lettre du Chef du Bureau des Concessions à François Gibault (20 décembre 2011).
3. Lettre du Chef du Bureau des Concessions au même (17 janvier 2012).
4. Entretemps, Gaël Richard, qui a eu accès au testament olographe de Marie Guillou (laquelle n’a pas eu d’enfant), a découvert que la légataire universelle était sa nièce, Germaine Decorde, épouse de Jean Croisille. Aujourd’hui la titulaire de cette concession est sa fille, la chanteuse Nicole Croisille. Espérons qu’elle réservera une réponse favorable à la requête de François Gibault.
5. Outre les parents de Céline, sont inhumés dans ce caveau (qui comprend six places) : sa grand-mère (maternelle), Céline Guillou, née Lesjean (1847-1904) ; son grand-père, Jacques Guillou (1847-1879) ; son arrière grand-père, Julien Guillou (1847-1879) ; et son oncle, Julien [dit Louis] Guillou (1874-1954).
6. Il est vrai que, dans ce cas, la procédure est plus simple, François Gibault s’étant rendu propriétaire de cette concession. La décision de restaurer cette tombe fut prise lors de la dernière assemblée de la SEC, à Dinard. En couverture : la photographie de la tombe restaurée. À noter que François Gibault envisage également la pose d’une plaque rappelant que Raoul Marquis est l’un des principaux personnages de Mort à crédit.

vendredi, 24 février 2012

Livr'arbitres n°7

Livr'arbitres n°7      
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lundi, 06 février 2012

Le Bulletin célinien n°338 - février 2012

Le Bulletin célinien n°338 - février 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°338. Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
François Marchetti : Mort à crédit en danois
Bilan du cinquantenaire (livres, revues, émissions télévisées, colloques, théâtre)
Öyvind Fahlström : Ma rencontre avec Céline
Jean-Paul Louis : Pascal Pia, critique de Céline
B. C. : Les images du Déluge dans Casse-pipe

Un numéro de 24 pages, 6 euros franco.
Abonnement annuel : 50 €

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

 

Le Bulletin célinien n°338 - Bloc-notes

 

 

Après 1945, Céline ne souhaitait pas la réédition de ses textes polémiques, y compris Mea culpa (1936) jamais republié de son vivant. Par la suite, c’est à plusieurs reprises que l’ayant droit autorisa sa parution dans des éditions collectives : celle de Balland (1967), puis celle du Club de l’Honnête Homme (1982), et enfin celle des Cahiers Céline (1986). Ce libelle (20 pages dans l’édition princeps) est l’un des textes politiques les plus importants de Céline. C’est à tort qu’on l’a pris, à cause du titre essentiellement, pour une sorte de repentir. « La vraie révolution ça serait bien celle des Aveux », écrit-il pourtant dans ce texte. Au-delà du communisme ¹, la charge vise le matérialisme et l’essence même de l’homme. Tel qu’il est réellement et non pas tel que le rêvent les utopismes totalitaires. À la fin du siècle passé, il se trouvait encore des céliniens pour dénoncer « l’anticommunisme criminel » [sic] de Mea culpa. C’était, on l’aura compris, avant la chute du Mur de Berlin.
Jean-Paul Louis, lui, nous propose aujourd’hui une merveille : la version préparatoire et le texte définitif de Mea culpa, avec la reproduction intégrale du manuscrit ². Le format in-octavo a été judicieusement choisi pour présenter au mieux, folio après folio, le fac-similé du manuscrit, accompagné en regard de sa transposition en haut de page et du passage correspondant au texte final en pied de page. Cette édition scientifique du manuscrit, on la doit sans surprise à Henri Godard, familier des textes céliniens. Dans l’avant-propos, il dit l’intérêt de cette présentation : « On saisit ici visuellement à la fois, dans la graphie, la fièvre d’une écriture toujours improvisée dans l’instant et les états successifs, qui sont en l’occurrence au nombre d’au moins quatre. » Et de constater que « ses formules les plus fortes ou les plus drôles viennent souvent dans une reprise ultérieure. Ses ajouts sont des développements. Quand on a l’occasion de les isoler, ils mettent en évidence les idées auxquelles il tient le plus. » Cette édition, imprimée sur beau papier, met ainsi à l’honneur l’écrivain de combat que fut aussi Céline. Il suffit de relire ce brûlot pour se rendre compte que l’écrivain ne perd pas son talent lorsqu’il trempe sa plume dans le vitriol, bien au contraire. Et ce qui est vrai pour Mea culpa l’est aussi pour Bagatelles pour un massacre qui comporte des pages fulgurantes sur l’enfer soviétique ³, absentes du premier pamphlet. Henri Godard note que celui-ci est bien différent de ceux qui le suivront. C’est vrai en partie seulement car ce « sentiment fraternel » – « quatrième dimension » appelée de ses vœux dans Mea culpa – trouvera dans Les Beaux draps l’expression d’une manière de programme : « Il faut que les enfants des autres vous deviennent presque aussi chers, aussi précieux que les vôtres, que vous pensiez aussi à eux, comme des enfants d’une même famille, la vôtre, la France toute entière. C’est ça le bonheur d’un pays, le vrai bouleversement social, c’est des papas mamans partout. » On est assurément loin, n’en déplaise à ses contempteurs, d’un Céline misanthrope et nihiliste.

Marc LAUDELOUT


1. Même si, rappelons le, la bande-annonce du livre portait en 1936 ce seul mot : « Communisme » (peut-être proposée par Robert Denoël et avalisée par Céline). Le tirage était de 20.000 exemplaires.
2. Louis-Ferdinand Céline, Mea culpa (Version préparatoire et texte définitif. Édition d’Henri Godard avec la reproduction intégrale du manuscrit), Du Lérot, 2011, 104 pages. Tirage limité à 300 exemplaires numérotés sur bouffant ivoiré et quelques exemplaires hors commerce sur Hollande pur chiffon. Cet ouvrage ne sera pas réimprimé. Saluons, une fois encore, le remarquable travail de Jean-Paul Louis, éditeur-imprimeur.
3. Le retour d’URSS s’effectua, comme on sait, sur le paquebot le Meknès. Découverte récente : sur un livre de Panaït Istrati, Le Bureau de placement (1936), lecture de voyage d’une passagère, Céline apporta cette dédicace : « À madame Pierre Ducoudert. Souvenir d’un très agréable voyage après une terrible aventure. LF Céline. »

mardi, 31 janvier 2012

Francis Puyalte, le journalisme et Céline

Francis Puyalte, le journalisme et Céline

par Marc Laudelout

 
Francis Puyalte et Saphia Azzedine ont un point commun : leur livre comporte une épigraphe extraite de Bagatelles pour un massacre. Thème identique de surcroît : « C’est toujours le toc, le factice, la camelote ignoble et creuse qui en impose aux foules, le mensonge toujours ! jamais l’authentique... » (Puyalte) et « Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L’imposture est la déesse des foules. » (Azzedine). La comparaison s’arrête là. Car, pour le reste, l’univers décrit par la beurette (« Guerre des boutons version al-Qaida », dixit un critique) ¹ et celui de Puyalte sont bien différents. Journaliste à Paris-Jour, puis à L’Aurore et au Figaro, Francis Puyalte est aujourd’hui à la retraite. Cela lui confère la liberté de dénoncer sans fard ce qu’il nomme l’inquisition médiatique, et ce à travers des exemples concrets. De l’affaire de Bruay-en-Artois au procès d’Omar Raddad, Puyalte montre comment la presse d’aujourd’hui fabrique des innocents ou des coupables et surtout comment elle parvient à imposer ce qu’il convient de penser. Jamais auparavant un journaliste n’avait aussi franchement révélé ce qui se passe dans les coulisses du quatrième pouvoir. Dans ce livre, il ne traite donc pas d’une autre de ses passions – Céline – qui lui a notamment permis de rencontrer Lucette dont il a recueilli les propos dans deux articles mémorables ². Dans Bagatelles, le mot « imposture » est l’un de ceux qui revient le plus souvent. C’est précisément ce que dénonce Puyalte dans cet ouvrage salué par un (autre) esprit libre : « Une incroyable liberté de ton, de pensée, de critique et de démolition. Un pamphlet vif, argumenté, salubre et dévastateur sur le journalisme, ses dérives, ses conforts intellectuels, ses paresses et ses préjugés. (…) Ces dysfonctionnements et vices du journalisme ont parfois été dénoncés mais jamais avec cette verve... » ³. Savoureux aussi, le premier chapitre consacré à ses débuts dans le journalisme. Il rappelle – ce n’est pas un mince compliment – les pages analogues de François Brigneau dans Mon après-guerre. Voyez plutôt : « Le lecteur ? J’apprendrai vite que ce n’est pas le principal souci de la rédaction en chef, qui planche, dès la fin de la matinée, sur la manchette de la Une. Ce qui importe, c’est un titre accrocheur, vendeur, selon le terme si souvent entendu. Il est vrai qu’un journal est fait pour être vendu, même lorsque l’actualité est pauvre. Alors, faute d’un événement d’intérêt, on va en gonfler un autre qui n’en a aucun. Au départ, il faisait hausser les épaules. À l’arrivée, il fait la manchette. Drôle de situation pour le reporter. À lui la débrouille et non la bredouille. ». On aura compris que c’est un livre décapant, très célinien dans la démarche (« Tout dire ou bien se taire »). Raison pour laquelle, on s’en doute, Francis Puyalte ne sera pas invité dans les médias. Peu importe, son livre existe et fera date.

Marc LAUDELOUT
Le Bulletin célinien n°337, janvier 2012

• Francis Puyalte. L’Inquisition médiatique (préface de Christian Millau), Éd. Dualpha, coll. « Vérités pour l’Histoire », 2011, 338 p., 38 € frais de port inclus aux Éd. Dualpha, Bte 30, 16 bis rue d’Odessa, 75014 Paris.


1. Saphia Azzedine, Héros anonymes, Éditions Léo Scheer, 2011.
2. Francis Puyalte, « Les confidences de la femme de Céline », Le Figaro, 20 mai 1992 & « Les souvenirs de la femme de Céline », Le Figaro, 30 décembre 1992. Articles repris dans Le Bulletin célinien, n° 123 et n° 127.
3. Philippe Bilger, « Au journalisme inconnu », Justice au singulier. Le blog de Philippe Bilger [http://www.philippebilger.com], 10 décembre 2011. Repris sur le site http://www.marianne2.fr

lundi, 30 janvier 2012

Céline au bout de la nuit - Entretien avec Dominique de Roux – 1966

Céline au bout de la nuit

Entretien avec Dominique de Roux – 1966

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Il y a cinq ans, mourait d’une rupture d’anévrisme, à 57 ans, « l’écrivain maudit » Louis-Ferdinand Céline. Le 1er juillet 1961, on le portait en terre. Au cimetière, douze personnes, parmi lesquelles : Roger Nimier, Claude Gallimard, Arletty, Gen Paul (le compagnon de la Butte), Lucette Almanzor (sa femme, qui l’avait protégé jusqu’au bout). Une poignée de fidèles, pour celui dont Henri Miller disait : « J’ai adoré les œuvres de Céline, et je lui dois beaucoup. Céline vit en moi. Il y vivra toujours. Voilà l’important. » Tandis que Jouhandeau proclamait : « En lui, je vénérais la Pauvreté et le prestige du Martyre. » Le prophète de la décadence occidentale exerce-t-il, par-delà la tombe, une influence sur les moins de trente ans ? L’un d’eux, Dominique de Roux, trente ans justement, vient de lui consacrer un témoignage véhément, stèle en forme de poème, sous le titre : La mort de L.-F. Céline (éditions Christian Bourgeois).
 
Il vivait quand je me suis intéressé à lui, mais je ne suis jamais allé le voir. A travers lui, je retrouve la passion et l’idée que je me fais de la Littérature, en y retranchant un anti-sémitisme que je ne puis justifier.
 
En 1963, Dominique de Roux lui consacrait le n°3 des Cahiers de l’Herne, qui groupait des inédits, des extraits de la correspondance de Céline, des essais, études, témoignages, photographies, et une bibliographie très complète des livres et articles du disparu, complété en 1965 par le n°5 des mêmes Cahiers de l’Herne, encore consacré à Céline.
 
Si des écrivains de trente ans vouent un culte au prophète maudit, il n’est donc pas complètement enfoui sous la terre ?
J’ai choisi Céline, parce que je considère qu’il est, avec Marcel Proust, le second pilier des prosateurs français, à une époque où les jeunes écrivains sont obsédés par la linguistique et la théorie. Céline a créé son propre langage : il voulait la beauté, un ordre et des assonances nouvelles.
Il hésite un instant.
On ne peut enseigner Céline. La perspective où il entraîne est d’ordre poétique. En vingt ans, la littérature s’est soustraite à la vie, l’Europe s’est engourdie, avec une société sans littérature, des gens de lettres qui s’avilissent. C’est son lyrisme qui permet à Céline d’assumer, dans son intégrité, la génération qui disparaît.
Dominique de Roux rejette une mèche en arrière.
Il refusait de jouer le jeu : dédaignait l’intendance des lettres, les préfaces, les petits fours chez la duchesse, les regards obliques, dès quarante ans, versl’Académie. C’était un homme de l’Ancien Testament : Jérémie, son carcan autour du cou, lançant l’anathème.
 
En 1932, Céline (ce Dr Destouches qui soignait gratuitement dans la banlieue parisienne) remet un manuscrit à Denoël : Voyage au bout de la nuit. Le monde est condamné à mort : Bardamu, le héros, doté d’une sensibilité aiguë, prend à sa charge une souffrance que nous sommes incapables de ressentir. Ses semblables s’acharnent sur lui. Il ne lui reste qu’à les fuir. Au rendez-vous de Samarcande, la souffrance l’attend. Elle rôde des champs de bataille à l’asile d’aliénés. La seule fuite n’est-elle pas celle qui permet d’échapper à la lucidité, celle qui bascule vers le rêve et la folie ?
Les Goncourt récusent le brûlot, en lui préférant un roman de Guy Mazeline. Leur refus rend le vaincu célèbre. Il reçoit le Renaudot, et le Voyage atteint 500 000 exemplaires, dans un tourbillon d’injures littéraires.
Les journalistes le harcelaient, dit Dominique de Roux, les salonnards le traquaient. Il fuit à Bruxelles, Varsovie, Prague, Cambridge ; en Suède, en Finlande, en Europe Centrale. Il fait le tour de la terre, sûr de l’Histoire fatale, bien avant ses contemporains.
Dominique de Roux cite une lettre de Céline : « N’avertissez personne de mon passage à Anvers ! Tout ce qui ressemble à un accueil spécial fige la vie tout autour de soi… Un livre est déjà de la mort, et souvent de la mort ratée. » Le 24 mai 1933, Céline écrit : « Toute la vie que nous menons est fausse et viciée, et abominablement contraire à nos instincts dès l’origine. »
 
Essayait-il d’anesthésier son angoisse par ces errances ? Il semble qu’il ait été hanté par la prémonition de la catastrophe.
Il était de ceux qui annoncent la fin du monde, et il la croyait, il la voyait prochaine. Pour faire entendre sa protestation, il écrit des pamphlets inouïs, il abandonne la vie pour la littérature.
 
Durant cette période d’entre les deux guerres, Jérémie-Céline annonce des calamités que ses contemporains effacent d’une pirouette et d’une pichenette :
« Nous allons vers la violence. Elle est tout près. Il faut parler de l’ensemble de ce que nous ferons quand nous serons bien fixés : dans quelque temps. » Dans une autre lettre, écrite aux Baléares, l’écrivain avoue son impuissance à s’opposer au cours des événements. La Seconde Guerre mondiale, si proche, les camps de concentration, la campagne de Russie, les bombardements, les nappes de phosphore, Hiroshima…
Il commence à souhaiter une apocalypse de destruction.
 
Jacques Deval le voit, une nuit, surgir dans son bungalow d’Hollywood et, nu, continuer d’écrire dans l’été californien. Il croise au large de Cuba, traînant le formidable manuscrit de Mort à crédit : 800 pages de mort et de négation, une puissance d’invective sans égale. Comment écrivait-il ?
A la main, d’une écriture angulaire, sur de grandes feuilles retenues par des pinces à linge. Comme Flaubert, comme tout grand écrivain, il composait des milliers depages, dont il retirait ensuite la quintessence.
 
Marie Canavaggia, sa secrétaire, raconte qu’il exigeait d’elle ce que Molière attendait de sa servante. Chargée de surveiller la frappe de la dactylo, elle devait « repérer les petites bêtes ». Fallait-il remplacer un « que je fis » par « que je fisse » ? « La faute est à maintenir, pour la cadence », répondait l’auteur. Et s’il décidait de changer un mot, il recomposait entièrement sa phrase, comme les phrases voisines.
Parfois, il revenait à la charge, des heures, une nuit, quelques jours après. Il téléphonait : « Relisez-moi cette phrase… », et opérait une nouvelle métamorphose. Un mot dans le même livre changeait d’orthographe, et aussi bien un mot du petit Larousse ou du Chautard qu’un mot de son invention.
- « mais, quelques pages plus haut, vous l’écrivez autrement ?
- Et alors ? Si on a plusieurs femmes, pourquoi coucherait-on toujours avec la même ? »
- Que ce soucie de créer fond et forme entraînerait de tortures !
Il revenait trente fois à l’œuvre, recopiant, corrigeant, angoissé, lisant sa copie à voix haute, pour dépister les retouches à effectuer.
 
Un an avant de mourir, il a confié à Jean Guénot, au magnétophone, que Proust était un grand écrivain, le dernier, le plus grand de notre génération : « Proust était maniaque, c’est à dire que, au fond, il était pas bien dans la vie… C’est l’histoire de tous les gens qui écrivent. Quand vous jouissez de la vie, pourquoi la transformeriez-vous, hein ? C’est ça qu’on se demande. Faut déjà être détraqué, hein ! Quand vous vous amusez à raconter des histoires, c’est que vous fuyez la vie, n’est-ce pas, que vous la transposez… »
 
En 1960, malade, abandonné dans une maison délabrée, sur la colline de Meudon, entouré de sa compagne et ses chiens, Céline fait penser à Léautaud. Toléré en France, après s’être réfugié à Sigmaringen puis au Danemark, il paie les positions qu’il a prises durant l’Occupation.
Il attribuait au poète le pouvoir de changer le monde. Avant la guerre, il était parti pour l’URSS en croyant à la Révolution d’Octobre, et il en revint désabusé. A Moscou, il avait rédigé 50 pages de son Mea Culpa. Quelque chose allait arriver. La destruction de l’Europe la rendrait inutilisable pour un plus grand destin.
Il avait annoncé, à Médan, en prononçant l’éloge de Zola : « Notre civilisation semble bien coincée dans une incurable psychose guerrière. Nous ne vivons plus que pour ce genre de redites destructrices. »
 
En dix jours, Céline, au comble de la rage, termine Mea Culpa.
Pour lui, dit mon interlocuteur, le marxiste est devenu un despote, le nazisme une inquisition. Rien n’est plus rien. La stratégie n’est plus la stratégie, l’amour l’amour, l’Amérique l’Amérique. L’Histoire elle-même n’est plus. La littérature n’a plus d’importance quand elle n’est que pure théorie. Les écrivains devraient tenter d’expliquer Hitler, Staline, Mao-Tsé-Toung, l’actualité-mère : ces ombres mortelles sur le dormeur occidental…
 
Je veux bien que ce visionnaire ait dépassé sa pensée, mais s’agit-il d’un délire verbal ? Son antisémitisme…
C’était un homme engagé, répond Dominique de Roux. Il reproduit assez parfaitement le déchirement de son époque, dont il représente à la fois la grandeur et l’égarement. Pour lui, le mot juif n’a pas le sens habituel. Il ne désigne pas un groupe ethnique ou religieux particulier. Le mot à ses yeux tient du magique. Il y loge toute sapeur. Le juif, pour lui, c’est le marchand de canons, les deux cents familles. Il n’aurait jamais toléré la moindre persécution raciale, puisqu’il ne pouvait supporter la douleur chez les autres.
 
Céline a-t-il joué les apprentis-sorciers, ou était-il conscient de la charge de dynamite qu’il déposait ?
Il avait le dessein de conjurer le mal présent et à venir. En prononçant le mot Juif, il croyait fixer toute une charge maléfique. Himmler traquera des innocents, tandis que Céline, hanté par ses visions, proclamait : « Nous sommes dans un monde de génération et de mort et il faut nous en débarrasser. »
 
Il souhaitait faire exploser la planète. Nul ne sait ce qu’il a pensé du soleil mortel d’Hiroshima. Dominique de Roux redresse la tête.
Il a vécu la fin des Temps Modernes, de l’ère « clausewitzienne », qui s’arrête en 1945, au moment où nous sommes entrés dans l’ère de l’atome et de la stratégie. Plus que ses hantises, ses personnages, l’humanité déchue dont il capte les cris, ont exercé une influence profonde.
 
Certains écrivains font vieillir d’un seul coup les livres qui les ont précédés. Après eux, il n’est plus possible d’écrire comme autrefois. Céline est de ceux-là. Ses clochards ont chassé les bourgeois préoccupés par leurs aventures sentimentales, dans les romans de l’entre-deux-guerres. Ils ont sonné le glas d’une esthétique périmée.
Il a surtout bouleversé le style, murmure Dominique de Roux, en introduisant les cadences du langage parlé dans l’écriture. L’ortographe phonétique, la multiplication des néologismes, l’emploi de l’argot, d’un vocabulaire technique, de locutions étrangères ramassées au cours de ses voyages. Un monde vivant, grouillant, qui a révolutionné le microcosme des salons littéraires, un gros pavé dans la mare, comme Joyce, comme Borgès…
 
Quels sont les écrivains influencés par Céline ?
Ceux qui explorent la fosse aux serpents, qui trouve « autant d’art dans la laideur que dans la beauté » : Queneau, Audiberti, Beckett, Boris Vian, Jean Genêt, et, sur un autre plan, Roger Nimier.
Il se met à rire.
Nous sommes dans une époque où les écrivains de trente ans sont des gens de lettres désuets. Une certaine maffia constitue à Paris un club d’admiration mutuelle, un cénacle privilégié. La plupart des regards des jeunes écrivains sont vides. « Le poncif d’avant-garde ennuie autant que le poncif académique », écrivait Aragon à Ezra Pound. Or, écrire, ce n’est ni faire carrière, ni prolonger ses humanités. Il faut avoir la force, ne servir que sa vision.
 
Et si Céline était mort avant d’avoir écrit ses pamphlets ?
Dominique de Roux a un geste éloquent.
Il n’aurait été question que de son génie. La guerre l’a pris de court, au moment même de son outrance. La Sorbonne l’aurait reconnu, il figurerait dans les anthologies…
 
Propos recueillis par Thérèse de SAINT PHALLE.
Le Spectacle du Monde, décembre 1966
 


A lire :

Dominique de Roux, La mort de L.-F. Céline, La Table Ronde, 2007.
Jean-Luc Barré, Dominique de Roux : Le provocateur (1935-1977), Fayard, 2005.
Dominique de Roux, Il faut partir : Correspondances inédites (1953-1977), Fayard, 2007.
Philippe Barthelet, Dominique de Roux, Coll. Qui suis-je, Pardès, 2007.

A voir :
Dominique de Roux (1935-1977)

dimanche, 29 janvier 2012

Céline et le thème du Roi Krogold

Céline et le thème du Roi Krogold

par Erika Ostrovsky

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

 
Céline lui aussi est d'abord, avant tout : rêveur. Au centre de cette nuit qui l'entoure et qui inonde ses oeuvres, au bout de tous les chemins de l'existence qu'il explore si implacablement, se trouve un immense réservoir de poésie et de rêve. Caché, protégé du regard vulgaire ou indifférent par un mur de silence, de défi ou de dureté, Céline préserve un sens profond, une faim inépuisable de ce domaine ancien et lointain qui appartient aux vrais poètes de tous les temps : celui du conte, de la légende, du mythe. Ce domaine est la retraite secrète à l'abri du monde d'ici-bas.
La plus frappante de ces irruptions de l'élan poétique, légendaire, mythique chez Céline, se trouve dans le thème du roi Krogold qui court comme un fil conducteur à travers les pages de Mort à crédit. Thème d'abord étrange et presque enfantin, proche du conte de fée, de l'évasion pure et de l'imagination primitive, défense contre les misères du monde, il évolue, fait irruption à plusieurs endroits capitaux du roman, indique à chaque reprise l'opposition foncière entre les deux pôles de l'existence. (A la fois symbole et synthèse du monde de l'imagination, de la poésie, du rêve); le thème du roi Krogold semble hanter Céline pendant toute sa vie (1), et continue à paraître sous une forme transfigurée, élargie jusque dans les tout derniers romans.
Si nous voulons regarder de près le thème de Krogold, nous devons nous baser sur les fragments que nous trouvons dans Mort à crédit. Bien que Céline parle à plusieurs reprises de tout un manuscrit perdu, d'un « roman épique (2) », d'une « légende celte (3) », intitulée La Volonté du roi Krogold, nous n'en avons retrouvé aucune trace. Heureusement, la légende, telle qu'elle paraît dans Mort à crédit, est suffisante pour révéler des aspects très intéressants de la vision fondamentale de Céline et nous fournit donc une clef précieuse pour la compréhension de son oeuvre.
La légende elle-même fait irruption assez abruptement dans Mort à crédit, à chaque fois qu'elle apparaît. Le récit ne se fait nullement de manière suivie : il saute, s'arrête, reprend ; ce n'est pas dans l'intrigue que réside son importance. L'histoire elle-même n'a rien d'extraordinaire : elle ressemble superficiellement à maintes oeuvres médiévales qui décrivent une lutte entre deux adversaires, et pourrait presque passer pour un pastiche des romans épiques. Céline, en parlant de Krogold, le classe parmi ses oeuvres lyriques, ironiques (4), indiquant peut-être que son penchant pour l'humour se fait sentir dans la forme donnée à la légende. Cet humour révèle peut-être un souci de dissimuler l'importance fondamentale du thème de Krogold.
Le fragment le plus important est aussi le premier qui paraît dans Mort à crédit. Introduit dans un chapitre qui débute sur un plan terre à terre, il étonne par son ton élevé, son style lyrique, la profondeur de ses jugements. La lutte entre la réalité et la légende, décrite de manière frappante, font de ce chapitre l'un des plus importants du livre.
Celui qui est élu pour écouter la légende est Gustin Sabayot, homme désabusé, fatigué, un peu charlatan, connard, abruti par les circonstances, le métier, la soif, les soumissions les plus funestes. Ferdinand lui demande : Peux-tu encore, en ce moment, te rétablir en poésie ?... faire un petit bond de cœur et de bide au récit d'une épopée, tragique certes, mais noble, étincelante !... Te crois-tu capables ?... (5) Mais Gustin reste assoupi sur son escabeau, passif, indiquant dès le début qu'il sera incapable du bond qu'on réclame de lui : ce qui fait de la légende un récit prononcé dans le vide, mais qui doit être prononcé quand même.
Le récit commence après une courte introduction, en langage parlé, comme une dernière tentative pour atteindre Gustin, pour l'entraîner vers la légende. Puis, il s'élève soudainement, prenant l'allure d'un conte ; la langue devient littéraire, noble ; le rythme ralentit. Nous sommes en pleine légende. La scène est un champ de bataille : Dans l'ombre montent les râles de l'immense agonie d'une armée. Parmi eux, Gwendor le Magnifique expire, mis à mort par le roi Krogold pour l'avoir trahi. A l'aube, la mort paraît devant Gwendor. Suit le dialogue entre Gwendor et la Mort, qui est d'une importance capitale :

« As-tu compris, Gwendor ?
— J'ai compris, ô Mort ! J'ai compris dès le début de cette journée... J'ai senti dans mon coeur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas même de mon cheval, un charme triste qui tenait du sommeil... Mon étoile s'éteignait entre tes mains glacées... Tout se mit à fuir ! Ô Mort ! Grands remords ! Ma honte est immense !... Regarde ce pauvre corps !... Une éternité de silence ne peut l'adoucir !...
— Il n'est point de douceur en ce monde, Gwendor ! rien que de légende ! Tous les royaumes finissent dans un rêve !... »

Le chapitre se termine sur la réaction de Gustin : sa méfiance face à la beauté, son refus de « rajeunir », sa défense contre la légende, ses demandes d'explications. Mais il n'est pas facile de mettre le monde de la poésie sur la table de dissection, sous la lumière crue de tous les jours : C'est fragile comme papillon. Pour un rien ça s'éparpille, ça vous salit. Il vaut mieux ne pas
insister, s'éloigner de ceux qui ne peuvent pas comprendre.
Et cependant, quelque chose pousse l'auteur à continuer son récit. Il se tourne vers nous dans le chapitre suivant, sans grand espoir d'être compris et avec un sourire amer, semble-t-il, pour nous décrire le château du roi Krogold : ... Un formidable monstre au cœur de la forêt, masse tapie, écrasante, taillée dans la roche... pétrie de sentines, crédences bourrelées de frises et de redans... d'autres donjons... Du lointain, de la mer là-bas... les cimes de la forêt ondulent et viennent battre jusqu'aux premières murailles...
Et Gustin a, encore une fois, une réaction négative : Gustin il n'en pouvait plus. Il somnolait... Il roupillait même. Je retourne fermer sa boutique.

Dans ces deux pages de Mort à crédit, Céline réussit à nous donner une synthèse de sa vision fondamentale. Nous reconnaissons d'abord l'opposition foncière entre le domaine de la poésie, de la légende ou du mythe, et celui de la vie quotidienne. Le bond qui projette l'homme, au-dessus, en dehors de cette vie, le moment où il se « rétablit en poésie », est le seul qui puisse le sauver d'un avilissement quasi total. Ici, cette conviction fondamentale nous est présentée de façon pessimiste, car Gustin n'est nullement capable de se rétablir en poésie. Dans son métier de médecin (et, en ceci, il est en quelque sorte le double de Ferdinand, comme Robinson l'était pour Bardamu dans le Voyage), il a été inondé par toute la misère du quartier où il exerçait : Eczémateux, albumineux, sucrés, fétides, trembloteurs, vagineuses, inutiles, les « trop », les « pas assez », les constipés, les enfoirés du repentir, tout le bourbier, le monde en transferts d'assassins, était venu refluer sur sa bouille, cascader devant ses binocles depuis trente ans, soir et matin.
C'est Gwendor le Magnifique qui paraît le premier. Le décor est important. C'est sur un énorme lit de mort, sur un champ de bataille que nous le voyons, agonisant, entouré de blessés qui râlent dans l'ombre. Lentement, le silence se fait, étouffant tour à tour cris et râles, de plus en plus faibles, de plus en plus rares... A l'aube, la Mort paraît. Le dialogue de Gwendor avec elle résume sa propre vie, la vie humaine.
La Mort devient la voix de la lucidité, de l'amère réalité. Elle fait contraste avec la douce mélancolie de Gwendor, avec ses idées romanesques et presque naïves, ses efforts pour trouver des solutions à la misère de la vie et de la mort.
Le roi Krogold, qui paraîtra plus tard dans la légende, impose déjà sa présence dans les premières remarques et dans la description de son château. Nous savons qu'il est brutal, qu'il rend sa terrible justice sans pitié. Son château, comme lui, est un formidable monstre, une masse taillée dans la roche, pleine d'oubliettes, une vraie demeure de bourreau. N'avons-nous pas là déjà l'évocation de tous les domaines monstrueux que Céline va décrire dans ses romans ultérieurs, la fondation de ces châteaux cauchemardesques qui vont s'élever dans ses dernières œuvres ? Et les armes royales, le serpent tranché au cou saignant qui proclame Malheur aux traîtres ! ne flotteront-elles pas à la cime de toutes les forteresses bourrées de cachots qui hantent les dernières œuvres de Céline ? Ici, cependant, Krogold et son château symbolisent, sans plus, tout ce qui est opposé à Gwendor : la cruauté, la victoire, l'autorité établie, la vie impitoyable.
Le côté bourreau du roi Krogold ressort plus clairement dans les autres parties de la légende que nous trouvons à divers endroits de Mort à crédit.
Grâce à lui, les forces bestiales, barbares, l'emportent ; la défaite totale, la subjugaison des victimes, de tous ceux qui ont osé s'opposer à son règne, s'accomplit. Et même dans la légende, l'amère vérité s'impose : le monstre n'est pas vaincu par le héros; la justice ne triomphe pas. C'est là le fond de la pensée de Céline qui se révèle. Il revient toujours à la surface dans ses œuvres.
Et la légende elle-même, domaine de l'imagination et du rêve qui s'incarne en Gwendor, n'est-elle pas aussi menacée que lui ? Pour triompher, les forces de la brutalité doivent rejeter ou détruire celles de la poésie. En effet dans Mort à crédit, la légende devient un danger pour son auteur, car on l'accuse d'avoir débauché le petit André par ce moyen, d'être un révolté dangereux qui sème l'indiscipline à travers les rayons de Monsieur Lavelongue. Il doit donc être châtié comme traître à l'ordre établi. Pour ses proches, il devient le maudit qui, c'est évident, finira sur l'échafaud. Il faut l'éloigner comme un pestiféré.
Ferdinand lui-même, ahuri par les conséquences de ses incursions dans le monde défendu de la poésie, devient peureux et commence à se défendre contre les tentations du rêve, de la légende. Mais il y a toujours danger qu'elles reviennent. Nora, au « Meanwell College », le menace par sa féerie, son sortilège, par des ondes, des magies, et il se défend de toutes ses forces. Le monde poétique agit avec puissance. C'est lui qu'incarne Nora à côté de l'érotique : elle émanait toute l'harmonie, tous ses mouvements étaient exquis... C'était un charme, un mirage... Quand elle passait d'une pièce à l'autre, ça faisait comme un vide dans l'âme.
En fait, Nora ressemble à Wanda la Blonbe, évoquée dans la légende du roi Krogold. Le plus grand danger, cependant, se présente quand l'enchantement de Nora est renforcé par celui des légendes, par l'éblouissement d'un livre de contes anciens. Mais celui qui a été châtié pour avoir autrefois dévoilé son dévouement au monde de la poésie, n'en veut plus souffrir ; et Ferdinand rejette celui-ci de manière féroce, brutale : Je me suis cramponné au gazon... J'en voulais plus, moi, merde ! des histoires J'étais vacciné !...
Je m'en rappelais pas moi des légendes ?... Et de ma connerie? A propos ? Non ? Une fois embarqué dans les habitudes où ça vous promène ?... Alors, qu'on me casse plus les couilles ! Cependant, il est impossible de renoncer à ce monde si puissant (6) ; Ferdinand, adulte, n'est nullement guéri de son penchant d'enfant et raconte toujours sa légende à Gustin. Il nous dit à la deuxième page du roman (qui, chronologiquement, en est la dernière) : J'aime mieux raconter des histoires. J'en raconterai de telles qu'ils reviendront exprès, pour me tuer, des quatre coins du monde. Phrase étrangement prophétique : ce sera, en effet, le destin de Céline poète.
Si la légende du roi Krogold raconte la défaite de Gwendor (le Poétique), si le roman lui-même semble décrire les attaques du monde brutal qui menace, ou les marchés dégradants qu'il faut quelquefois conclure, les dénonciations mêmes qui sont parfois nécessaires (7), Mort à crédit dans sa totalité affirme le rêve, la poésie, la légende. Non que Céline partage, avec Marcel Proust, la conviction que le domaine de l'imagination est tout-puissant. Il est vrai que la légende de Krogold, comme celle de Golo, est une projection magique, mais elle ne peut pas transfigurer la réalité. Elle reste opposée à celle-ci, île de rêve ou de poésie — fragile, facilement salie ou détruite. L'image de Krogold ne peut pas, comme celle de Golo, effectuer la métamorphose du bouton de porte de la réalité. C'est plutôt l'image qui est déchirée, anéantie, si le bouton de la porte est brusquement secoué par une main brutale ou indifférente. En dépit de cela, cependant, le côté légendaire, féerique, poétique revient continuellement dans l'oeuvre de Céline, par des moyens obliques, dans des phrases isolées, des apartés presque...
Et la légende du roi Krogold, même si Céline déplore sa disparition, n'est pas vraiment perdue. Elle ne nous donne pas seulement une clef importante pour Mort à crédit, mais elle se réanime de maintes manières dans toute son oeuvre. Ses thèmes ont des racines tellement profondes dans l'esprit de l'auteur qu'elles ne peuvent que se frayer un chemin dans ses écrits. Nous n'avons qu'à regarder les derniers romans pour voir combien les lignes du roi Krogold, esquissées d'abord de manière assez sommaire, se sont élargies et approfondies : le château de Krogold, dont nous ne voyons que la silhouette dans Mort à crédit, se concrétise pour atteindre toutes ses proportions ahurissantes dans l'immense domaine habité de monstres qu'est Kräntzlin, ou le château cauchemardesque de Siegmaringen où les démons sont des familiers. C'est là aussi que nous retrouvons un Krogold d'autant plus terrible qu'il est devenu femme : Nicha qui règne avec ses dogues et règle l'ouverture des portes de l'enfer. Mais l'autre face de la légende se réaffirme aussi. La beauté, la douceur, l'harmonie, la pitié, la poésie essentielle que nous trouvions chez Gwendor, s'étendent sur des êtres divers: des jeunes filles gracieuses qui passent un instant dans une vie(8) ; de vieilles dames fragiles qui habitent le monde de la poésie, chez lesquelles on ressent une « musique de fond », comme Mme Bonnard (9) ; des animaux qui ont une justesse, une beauté, même dans leur agonie (10), les danseuses finalement, qui s'acheminent vers toute la poésie, l'harmonie possible à l'homme, et à leur tête celle qui en est l'incarnation : Lili, Arlette, Lucette.

Erika OSTROVSKY
Céline et le thème du Roi Krogold, Herne, 1972.