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mercredi, 20 mai 2020

Pression américaine sur le Venezuela : Washington veut un « changement de régime »

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Pression américaine sur le Venezuela : Washington veut un « changement de régime »

Par Bernhard Tomaschitz

Profitant de la crise du coronavirus, les Etats-Unis multiplient leurs efforts pour provoquer un changement de régime au Venezuela

Alors que la crise du coronavirus affecte toute la planète, les tensions entre les Etats-Unis et le Venezuela s’intensifient. Au début du mois de mai 2020, plusieurs tentatives d’invasion auraient eu lieu dans l’Etat sud-américain. Vingt-trois personnes auraient été prises prisonnières et, d’après les autorités vénézuéliennes, il s’agirait de mercenaires. Ces actions, ajoutent-elles, auraient été téléguidées par l’opposition vénézuélienne et par les cartels de narcotrafiquants basés en Colombie, comme l’a déclaré le ministre des communications Jorge Rodriguez. Derrière cette tentative d’invasion, baptisée « Operation Gedeon », se profilerait le firme de mercenariat Silvercorp de l’ancien soldat d’élite américain Jordan Goudreau. Le siège de Silvercorp est situé dans l’Etat américain de Floride. Ce qui frappe de premier abord, c’est que cette « Operation Gedeon » a été menée à la mode du dilettante. Le New York Times écrit qu’elle était menée selon un « scénario hollywoodien ». Le ministre américain des affaires étrangères, Mike Pompeo, a fait savoir que « si nous avions été impliqués, les choses auraient tourné autrement ». Cette déclaration permet toutefois de conclure que l’option militaire contre le Venezuela est bel et bien envisagée aux Etats-Unis.

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Depuis lors, Washington et Caracas se querellent pour savoir qui est à l’origine de l’« Operation Gedeon ». Rodriguez : « Le gouvernement de Trump aura du mal à nier ses responsabilités ». Donald Trump rejette toute implication américaine et a évoqué une campagne de désinformation du Président vénézuélien Nicolas Maduro. D’après le New York Times cependant, Silvercorp affirme avoir conclu un accord avec l’opposition vénézuélienne portant sur une somme de 220 millions de dollars, « afin de l’aider à renverser Maduro ».

Les faits sont pourtant les suivants : Donald Trump, depuis son entrée en fonction en janvier 2017 et en dépit des sanctions économiques accrues contre le Venezuela, n’est toujours pas parvenu à provoquer un changement de régime à Caracas et à installer un gouvernement de marionnettes dirigé par Juan Guaido, président ad interim auto-proclamé. La revue Politico écrit : « La stratégie américaine contre le Venezuela patine depuis près d’un an, depuis que Trump a demandé à Maduro de se retirer et a imposé des sanctions accrues contre son gouvernement ». Maduro « est toutefois resté au pouvoir avec l’appui des adversaires des Etats-Unis que sont la Russie et Cuba ». Washington n’a plus guère d’autres ressources que d’appuyer Guaido et de parier sur la menace militaire ». Quant à Guaido, les Etats-Unis affirment, par la voix d’Elliott Abrams, conseiller spécial pour le Venezuela auprès du gouvernement américain, vouloir encore le soutenir dans l’avenir.

Ce soutien, ouvertement avoué, à un « président intérimaire » auto-proclamé est, qu’on le veuille ou non, l’indice d’une immixtion délibérée dans les affaires intérieures d’un Etat souverain. De même que le projet esquissé par Elliott Abrams, baptisé « Projet-cadre pour la transition démocratique au Venezuela ». Le noyau central de ce projet vise la constitution d’un « conseil d’Etat » qui reprendrait à son compte le rôle du gouvernement vénézuélien. Au point 6 de ce projet, on lit : « toutes les compétences exercées par le Président en vertu de la constitution seront toutes transmises au ‘conseil d’Etat’ ». Et dès que ce « conseil d’Etat » se mettrait à fonctionner, Maduro serait démis de ses fonctions et les sanctions imposées par les Etats-Unis et l’UE seraient levées. Et, bien évidemment, ce « conseil d’Etat » serait constitué de telle manière que l’opposition, soutenue par les Etats-Unis, obtiendrait de facto un droit de veto.

Et ce n’est pas tout : en avril les Etats-Unis ont incriminé Maduro sous le prétexte de trafic de drogues et mis sa tête à prix pour 15 millions de dollars. Pire : ils ont envoyé des navires de guerre dans les Caraïbes. La revue The American Conservative émet également son avis : « Les Etats-Unis ont amorcé la plus grande invasion dans notre hémisphère depuis celle de Panama ». Elle évoque l’invasion américaine du Panama en décembre 1989, où Manuel Noriega, qui y détenait le pouvoir, a été renversé. Le conseil de sécurité de l’ONU n’avait donné aucun mandat permettant cette invasion ; comme les Etats-Unis n’avaient pas été attaqués par le Panama, on peut affirmer que cette agression était contraire au droit des gens. The American Conservative poursuit, en soulignant un détail particulier : la mise à prix de la tête de Maduro a été signée par le même procureur général, William Barr, qui avait, en 1989, justifié juridiquement l’invasion perpétrée contre Noriega.

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A l’époque comme aujourd’hui, la lutte contre le narcotrafic constituait le prétexte de l’action américaine. Washington justifie l’envoi de ses navires de guerre dans la Mer des Caraïbes en arguant de la nécessité d’interdire le trafic de stupéfiants sur le territoire américain. Les faits nous obligent à constater, toutefois, qu’il y a davantage de drogues qui arrivent aux Etats-Unis par la Colombie que par le Venezuela. Mais la Colombie est le principal allié des Etats-Unis dans la région. Ses trafiquants envoient leurs drogues aux Etats-Unis par la voie maritime du Pacifique. Il est probable que la Colombie ait joué un rôle dans l’« Operation Gedeon « , estime Lucas Leiro de Almeida de l’Université de Rio de Janeiro. Il écrit : « D’après des sources officielles, les guerilleros ont quitté la Colombie par la mer pour arriver au Venezuela, transportés par les bâtiments d’une firme américaine, que Guaido lui-même aurait loués (…). Le procureur général du Venezuela a rendu publiques toute une série de preuves, y compris le contrat signé entre Guaido et l’entreprise américaine, lequel contrat décrivant la route maritime à suivre depuis la Colombie ; or c’est justement cette route-là que les attaquants ont suivie ; cela confirme les accusations formulées par le gouvernement de Maduro ».

Bernhard TOMASCHITZ.

(article tiré de « zur Zeit », Vienne, n°20/2020).   

mardi, 19 mai 2020

Et si on parlait de l'essentiel: les élections américaines

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Et si on parlait de l'essentiel: les élections américaines

par Michel LHOMME

Après le Covid-19, les soldats US débarquent en Europe.

Quoi ? Nouvelle occasion pour faire repartir une seconde vague de contamination par le virus ? Ne soyons pas mauvaise langue ! Non, tout simplement, contrairement à tout ce que les crétins télévisuels veulent nous faire croire, tout continue comme avant et même de plus belle, la crise du coronavirus ayant renforcé opportunément sans qu’on sache vraiment si ce fut prémédité, les assurances et les plans des mondialistes. Il s’agit donc maintenant d’ailler chatouiller, après l’Iran (https://metainfos.fr/2020/05/19/moyen-orient-pourquoi-les...) un peu plus la Russie sur ses frontières, puisque les peuples en particulier européens sortent affaiblis par le confinement, par leurs pertes financières et par leurs deuils ! N’oublions pas que face au krach plus que prévisible (https://metainfos.fr/2020/05/18/vers-un-deuxieme-krach/) et ceci par contre fut bien l’objet de discussions secrètes à Davos ou ailleurs, au sein du deep state, l’option d’une troisième guerre mondiale reste bien dans les cartons, en dernier recours, pour sauver le système.

C’est donc tout naturellement que l’armée américaine va reprendre un exercice à grande échelle en Europe. Des milliers de soldats américains et polonais participeront à des exercices militaires en juin, et ce sera donc la première fois depuis le début de la crise du coronavirus que les troupes américaines se réuniront pour un exercice à grande échelle. Bien sûr, « toutes les mesures de précaution seront prises pour assurer la santé et la protection des forces armées participantes et de la population locale », a déclaré mercredi 13 mai le commandement de l’armée américaine en Europe. Appelé Allied Spirit, l’exercice sera en fait une version réduite de Defender Europe-20, une série d’événements qui devait être parmi les plus grands efforts d’entraînement de l’armée sur le continent européen depuis la Guerre froide. Allied Spirit était initialement prévu pour mai mais se tiendra finalement dans la zone d’entraînement de Drawsko Pomorskie en Pologne du 5 au 19 juin.

Environ 6 000 soldats américains et polonais prendront part à l’exercice qui comprendra une opération aéroportée polonaise et une traversée du fleuve. Concernant Defender Europe 20, il est vrai qu’en raison de la crise de coronavirus, une grande partie de l’exercice a été annulée y compris une opération impliquant des parachutistes tombant en République de Géorgie et dans les pays baltes.

Notons au passage que selon les chiffres officiels du Pentagone, plus de 8 000 militaires américains ont été contaminés par le coronavirus. 

Mais au fait, savez-vous qu’on votera en novembre aux Etats-Unis !

En effet, nonobstant, ces démonstrations de la puissance américaine (en Europe, en Iran) (https://metainfos.fr/2020/05/19/moyen-orient-pourquoi-les...), la prochaine élection présidentielle américaine revêt dès à présent des dehors inhabituels qui anticipe d’ores et déjà des caractéristiques nouvelles. Par exemple :

1/ elle n’est plus le centre d’intérêt de la planète ;

2/ pour cause de pandémie, la primaire démocrate n’a pas vraiment eu lieu, mais cela n’a pas empêché la désignation du candidat à la présidentielle, un ancien vice-président cachochyme et pervers (accusé d’aggression sexuelle) reclus dans son sous-sol !

3/ les fraîches pousses de nouveaux partis semblent amplifiant les fissures déjà notées de la chape bipartite constitutive depuis un siècle de la politique intérieure américaine.

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S’il est, par conséquent, difficile de prédire ce qui ressortira d’une élection à tous égards extraordinaire, l’observation des tendances lourdes de transformation de la puissance américaine permet néanmoins de commencer à repérer la naissance d’une Nouvelle Amérique. Cette Amérique est très, trop proche de l’Europe, et ses ambitions sont plus que jamais de la soumettre complètement économiquement, politiquement, et culturellement (c’est déjà pratiquement fait).

Mais rappelons d’abord au néophyte qu’en fait, la « démocratie » américaine est sans surprise (on appelle cela « l’alternance » et elle est aussi devenu » la règle tacite mais cachée de la drauche française et de toute sa comédie) : deux mandats démocrates, deux mandats républicains, deux mandats démocrates, deux mandats républicains. C’est sur cette base – qui interroge forcément sur le plan démocratique, ce qu’est vraiment la tarte à la crème « démocratie » – que le système satisfait les Américains depuis deux cent ans, en les convainquant de rester calmes car leur tour de représentation n’est jamais qu’à plus de huit ans.

Certes, les circonstances exceptionnelles que traversent ce pays et le monde depuis douze ans, le déclin lié au multiculturalisme en particulier ont pu conduire parfois à anticiper quelques accrocs à la routine multi-décennale. Mais rien n’a dévié en réalité cette mécanique horlogère même si l’arrivée au pouvoir du populiste Donald Trump était (peut-être) un vrai premier bug – mais disons les formes en gros avaient effectivement été respectées. Nous devrions donc avoir appris de nos erreurs et nous devrions donc anticiper sagement la réélection de Donald Trump pour le second mandat auquel il a logiquement droit eu égard à ce modèle d’alternance quasi officialisée. Il ne devrait donc pas y avoir de changement dans le petit ballet bien huilé de la Maison Blanche. Nous pouvon anticiper sans risques de nous tromper la réélection de Donald Trump sauf l’arrivée surprise d’un outsider chez les démocrates, une candidature par exemple de « madame » Obama. Néanmoins, tout ceci reste pour nous de la cuisine électorale et cela ne reflète pas en réalité les transformations profondes des logiques sous-jacentes de pouvoir aux États-Unis.

En effet, tout système connaît ses bâtisseurs, ses gestionnaires et ses fossoyeurs. Et les fossoyeurs de systèmes obsolètes (Macron?) ne sont pas forcément les fossoyeurs de l’avenir, contrairement à ce que les conservateurs effrayés du changement essayent toujours de faire croire. Ainsi, Trump a incarné de manière outrancière une certaine Amérique à laquelle, ce faisant, il a mis fin. Par exemple :

. il a révélé la vulgarité d’une culture business que l’Amérique infligeait au monde depuis des décennies, renforçant toutes les tendances de monopolisation  des gafa contre lesquels il paraît pourtant lutter.

. il a révélé le machisme et le racisme profonds du système de pouvoir américain, réveillant une société civile de sa torpeur;

. il a révélé la faiblesse d’une Amérique qui n’avait plus les moyens de ses politiques : le mur mexicain décidé par Bush-père en 1990 et jamais construit, Jérusalem-capitale israélienne approuvée par Bill Clinton en 1992 et sans cesse remis, obligeant tout le monde à se demander pourquoi et à réagir ;

. il a révélé le provincialisme de l’Amérique et les dangers qu’il y avait à se laisser diriger par des institutions internationales(ONU, OMS, droits de l’homme, etc) ;

. il a révélé le déséquilibre profond et désormais injustifié entre les deux blocs de la relation transatlantique et ainsi attaqué l’Europe qui aurait, devrait permettre à l’Europe de se repositionner, réinventer voire même si elle en avait le courage militaire et la volonté économique de s’émanciper ;

. il a révélé le problème que représentait la présence américaine au Moyen-Orient, créant les conditions du désengagement des troupes américaines ;

. il a révélé que l’OTAN n’était plus qu’une coquille vide, exclusivement portée par les États-Unis et dont les États européens s’étaient désengagés, questionnant la pertinence ou non à repenser cette organisation ;

. il a révélé l’obsolescence de Traités nucléaires n’intégrant pas la Chine et les a donc considéré comme nuls et non avenus ;

. il a révélé la dépendance de l’Amérique à la Chine (et à l’Arabie saoudite, et à l’Europe, et au Japon et au monde) et a ainsi obligé à penser un repositionnement global du pays ;

. il a révélé (avec l’aide du Covid) les limites du modèle de financement de l’Etat amérciain, obligeant à passer pour demain à un autre système. …

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En effet, il nous semble que le coronavirus porte le dernier coup fatal au système social et de santé de la « première puissance mondiale ». De même qu’il fait exploser tout le système dette-pétrole-dollar qui maintient sous perfusion d’oxygène (jusqu’à quand?) l’économie mondiale totalement endettée.

Mais si tout est à reconstruire, il importe peut-être avant tout de finir le travail c’est-à-dire d’abord de continuer à tout détruire. Et c’est là que l’on voit bien, que l’on sent bien que tout est en réalité déjà prêt et même en action, activé.

En fait, Donald Trump est comme Hitler et la comparaison fera que nombreux applaudiront ma remarque mais sans réellement la comprendre. Comme Hitler, Trump a libéré toutes les énergies de transformation et c’est ainsi que comme le fuhrer allemand, Donald Trump est un grand homme (au sens hegelien du terme) sauf qu’il a le mauvais rôle de fait et restera donc le « méchant » dans tous les livres d’histoire. Et surtout, personne ne saura jamais s’il a fait tout cela par bêtise, inconscience ou génie… ou même s’il n’a été que la poupée d’un génial groupe de marionnettistes. (comme pour Hitler, toujours les mêmes, les banquiers et les sionistes radicaux).

Si donc la Nouvelle Amérique et le nouveau monde lui devront beaucoup, il n’empêche qu’il n’est pas la personne qui pourra incarner demain l’émergence du nouveau monde. Il en faudra une autre.

En réalité, s’il a réussi à détruire autant sans déclencher de guerre, sa méthode brutale pourrait aussi devenir soudainement dangereuse lors d’un second mandat qui devrait être consacré à la reconstruction des Etats-Unis. C’est pourquoi, d’un point de vue systémique, Donald Trump a peut-être fait son temps et que donc, on s’en passera en novembre. Il a accompli en réalité sa « mission », dirions-nous en langage militaire ou des services secrets. Mais alors qui incarnera les nouvelles logiques et comment aussi s’en débarrasser ?

dimanche, 17 mai 2020

Le SCAF prend forme

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Le SCAF prend forme

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Ceux qui se demandaient si l'Allemagne allait pouvoir s'affranchir de la tutelle militaire américaine en se débarrassant des engins nucléaires américains stockés sur son territoire pourraient peut-être commencer à se rassurer en constatant un engagement accru de Berlin dans le SCAF ou Système de Contrôle Aérien du Futur, considéré comme l'emblème de la coopération militaire entre la France, l'Allemagne et l'Italie.

L'élément central du SCAF sera un avion de combat de nouvelle génération (NGF – New Generation Fighter), dont la mise au point a été confiée en principe à Dassault Aviation. Cet appareil sera au centre d'un « système de systèmes », c'est à dire une mise en réseau de plusieurs types d'engins aériens ou spatiaux en réseau tels que drones, satellites, avions, intercepteurs connectés dans le cadre d'un « Air Combat Cloud », qui fusionnera les données en temps réel et pourra en faire des synthèses.

Ceci supposera le recours à l'intelligence artificielle, aux big data, aux interfaces homme-machine supposant notamment par l'intermédiaire de capteurs portables par le pilote la relation en temps réel avec celui-ci avec l'arme. Certains avaient même envisagé de mettre en place des implants au moins temporaires dans le corps du pilote. Mais l'idée a jusqu'à ce jour été refusée car considérée comme « non éthique ». C'est le moins que l'on pourrait en dire.

En attendant, la réflexion sur les implications humaines de ce projet vient d'être lancée en Allemagne, sous l'égide d'Airbus et de l'institut de recherche en sciences appliquées « Fraunhofer-Gesellschaft », via un groupe d'experts présentés comme « indépendants». Ils réfléchiront à « l'utilisation responsable des nouvelles technologies en matière d'armements tels que le SCAF ». Airbus a indiqué que leurs travaux seront consultables sur le site  FCAS Forum actuellement non disponible en français. 

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Rappelons qu'Airbus civil est déjà, à la suite d'abandons français successif, une société principalement allemande. Il en est de même de Airbus military, où la présence allemande est prépondérante, avec une large participations de conseillers militaires américains. On peut en conséquence s'interroger sur le rôle que jouera Dassault Aviation dans le programme SCAF.

samedi, 16 mai 2020

Quel dessous des cartes dans la proposition du rachat du Groenland par les Etats-Unis ?

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Quel dessous des cartes dans la proposition du rachat du Groenland par les Etats-Unis ?

par Laurence Perrault

Ex: https://infoguerre.fr

Le vendredi 16 août dernier, les danois, stupéfaits, découvraient dans un article du quotidien américain The Wall Street Journal que le président américain aurait demandé à plusieurs occasions à ses conseillers s’il serait possible d’acheter le Groenland, territoire danois. Quatre jours plus tard, Donald Trump publiait un post humoristique sur son compte Twitter officialisant ses intentions. Vite raillé et moqué notamment par la presse européenne, il se trouve qu’en lançant cette idée, le président américain a envoyé un message fort, usant ainsi d’une stratégie offensive médiatique et ce même si, la Première ministre danoise Mette Frederiksen, s’était indignée en rappelant que « Le Groenland n’est pas à vendre !».

Pour autant, le statut juridique de ce territoire, qui depuis 2009 a acquis une autonomie renforcée au sein du Royaume de Danemark, permet de rendre plausible l’intention. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis cherchent à racheter le Groenland au Danemark. Ils ont déjà tenté à deux reprises en 1867 puis en 1946, lorsque le président Harry Truman avait proposé 100 millions de dollars pour en faire le 51e Etat américain. Il faut dire que les Etats-Unis ont de bonnes raisons de convoiter le Groenland. Cet immense territoire glacé offre à première vue peu d’attrait mais ses ressources naturelles et sa situation géographique en font un enjeu d’avenir face aux appétits de la Chine et de la Russie dans l’Arctique.

La déclaration offensive et fortement médiatisée de rachat du Groenland du Président américain, s’inscrit ainsi dans une manœuvre coordonnée et beaucoup plus globale engagée par les Etats-Unis depuis deux ans, pour contrer les ambitions russes et chinoises et ainsi réaffirmer leur leadership dans cette zone du monde.

Trois clés de compréhension rationnelles de la stratégie américaine

Une logique d’expansion par l’achat de territoires :

Les Etats-Unis sont actuellement le troisième pays le plus vaste du monde, derrière la Russie et le Canada, mais devant la Chine, avec une superficie terrestre de 9,63 millions de km2. Un territoire bâti à coups d’achats au cours de son Histoire. Ainsi, les américains ont acheté la Louisiane en 1804 à la France. Ils ont acheté 15 ans plus tard la Floride à l’Espagne, puis contraint le Mexique à céder d’immenses territoires (dont la Californie) moyennant une compensation. Autre acquisition notable, celle de l’Alaska, rachetée à la Russie en 1867. La dernière acquisition remonte à 1917, quand les Etats-Unis se sont offert les Îles Vierges pour 25 millions de dollars, territoire qui appartenait alors au Danemark ! Le Groenland, fort de ses 2,2 millions de km2 (auxquels il convient d’ajouter presque 2,5 millions de km2 de zone économique exclusive), porterait le territoire des Etats-Unis à 11,8 millions de km2, ce qui en ferait le deuxième plus grand pays du monde. D’ailleurs, géologiquement parlant, la grande île fait partie du continent américain.

L’évolution du statut juridique du Groenland, vers une réelle autonomie politique en 2021 ?

Le Groenland a été colonisé par le Danemark en 1721 mais il peut juridiquement proclamer son indépendance sans opposition des Danois, d’où la stratégie offensive de la Maison Blanche. En effet, depuis 1979, le territoire jouit d’une « autonomie interne » qui a abouti à la création d’un Parlement et d’un gouvernement souverains sur les questions intérieures (pêche, chasse, éducation, culture). Les questions régaliennes (diplomatie, armée, justice) relèvent encore des prérogatives du royaume danois. Mais depuis l’accord du SELVSTYRE en 2009, le Groenland dispose d’un statut « d’autonomie renforcée », obtenu suite à un référendum, qui lui permet de déclarer son indépendance à tout moment. Localement, la population est largement en faveur de l’indépendance (75,5% ont approuvé le referendum), mais à court terme, personne n’y songe compte tenu du manque de ressources propres. Pour autant, les élections législatives de 2018 ont porté au pouvoir un nouveau gouvernement qui rassemble les formations politiques indépendantistes les plus radicales. Les élus du Parti NALERACQ (2ème force du gouvernement) appellent d’ailleurs à une déclaration d’indépendance le 21 Juin 2021, date d’anniversaire de la colonisation danoise ! Ainsi, si la marche vers l’indépendance politique semble bel et bien enclenchée, l’autonomie économique reste un défi important à relever pour le Groenland.

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Un territoire sous perfusion financière danoise :

L’article 6 de l’accord du SELVSTYRE stipule qu’il reviendra au gouvernement autonome de financer les dépenses liées à la prise en charge de toute nouvelle responsabilité, ce qui pose les enjeux économiques qu’impliquerait l’indépendance de l’île au vu de sa dépendance financière. Une rente annuelle de 540 millions d’euros est versée par le Danemark, soit 9700 euros par habitant (le territoire compte 56 000 habitants).

Depuis 2009, le Danemark a accordé à sa province autonome le droit d’exploiter son sous-sol, mais le Groenland peine à concrétiser ses projets du fait des températures extrêmes, du manque de personnel qualifié ou de l’absence de routes. Le gouvernement pro-indépendantiste a ainsi par exemple tenté de doper l’attractivité financière du territoire avec une loi en 2012, permettant aux entreprises minières étrangères d’employer une main d’œuvre étrangère à des conditions moins couteuses. C’est pourquoi localement la proposition de Donald Trump a séduit : « Il est prêt à nous verser des milliards de dollars pour nous protéger et nous aider à nous développer, pourquoi ne pas envisager avec lui un traité de libre association ?» interroge Pele Broberg, député du parti indépendantiste Naleraq.

En effet, la capacité productive du pays reste très faible et repose sur la pêche qui représente 90% des exportations. Après une décennie d’explorations, seules deux mines fonctionnent pleinement : l’une de rubis, l’autre d’anorthosite (un minerai destiné à la fabrication du ciment et des enduits de peinture). Néanmoins trois projets se finalisent : d’abord, celui d’une mine de zinc convoitée par une compagnie australienne et classée dans les cinq premiers gisements au monde. Ensuite, une mine de titane dont la licence est en cours d’examen. Enfin, un site d’exploitation de terres rares, également piloté par un investisseur australien dans le sud du pays. Un potentiel en ressources économiques que les Etats-Unis ont bien identifié.

Les enjeux stratégiques justifiants la manœuvre offensive des Etats-Unis

Des matières premières stratégiques dans les sous-sols du Groenland :

Avec le réchauffement climatique le Groenland se transforme. La calotte glacière qui couvre 80 % du territoire fond désormais quatre fois plus vite qu’il y a dix ans. A ce rythme, à l’horizon 2040, les navires franchiront librement le pôle durant l’été. « On découvre de nouveaux fjords, les rennes paissent davantage et grossissent, des montagnes émergent avec des minerais à exploiter, c’est une opportunité énorme » comme l’explique l’ancienne Première ministre du Groenland.

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« Grand comme 4 fois la France, le Groenland a de quoi attirer l’attention au travers de ses ressources naturelles et de l’impact sur le monde de la fonte de sa calotte glacière », indique Damien Degeorges, analyste en géopolitique. Il faut dire qu’entre le fer, le zinc, l’or, les rubis, les diamants, l’uranium et le pétrole, les ressources naturelles de l’île sont considérables. Sans parler de ses réserves d’eau douce, qui représenteraient 10% du total mondial. Or, toutes ces ressources naturelles devraient être de plus en plus faciles à extraire, au vu de la fonte de la calotte glaciaire. Dernier avantage, et pas des moindres, le Groenland est riche en terres rares (il recèlerait la deuxième réserve mondiale), ces fameux métaux stratégiques pour l’industrie (utilisés dans les smartphones, les éoliennes, l’automobile, les écrans plasma, les équipements de Défense…) produits actuellement à plus de 90% par la Chine, le principal challenger des Etats-Unis. Les terres rares qui s’étaient retrouvées au coeur du conflit sino-américain en mai 2019 dans la guerre commerciale initiée par Washington avec une hausse des droits de douane sur les produits chinois.

Ainsi, malgré les difficultés d’extraction des sols, une discrète course internationale aux ressources se joue déjà au Groenland. La compagnie australienne Greenland Minerals and Energy (détenue à 74% par la China Minmetals Nonferrous Metals Co.) a découvert en 2007 ce qui pourrait être le plus grand gisement mondial de métaux rares, au sud de l’île. Le groupe américain Alcoa envisage l’implantation d’une grande usine d’aluminium sur la côte ouest. La société London Mining, appuyée par des investisseurs chinois développe un projet de plus de deux milliards de dollars d’investissement pour l’exploitation d’une mine de fer. Les sociétés telles que Exxon Mobil, Cairn Energy, Dong Energy ou encore EnCana prospectent également pour l’obtention de licences d’exploration et d’extraction. Si une seule mine d’or est actuellement exploitée, cinq autres sont sur le point d’être ouvertes, et 120 sites sont en cours d’exploration. La Chine, qui veut assurer la permanence de son monopole dans la production de terres rares, continue ses prospections en Arctique. La China-Nordic Mining Company explore ainsi des gisements d’or et de cuivre dans le Sud-est groenlandais.

Une future route commerciale maritime :

Le réchauffement climatique laisse apparaître des routes maritimes stratégiques aux abords du Groenland, notamment le passage du Nord-Est. Cette voie permettrait de réduire d’environ 5.000 kilomètres, et donc de 10 à 14 jours le trajet entre Busan (Corée du Sud) et Rotterdam (Pays-Bas).

Le Conseil de l’Arctique qui a procédé en 2005 à une « Évaluation de la navigation maritime dans l’Arctique » d’ici à 2050, envisage le rallongement de la saison moyenne de navigation de 20 à 30 jours en 2004, à 170 jours aux environs de 2050. Pour rappel, le Conseil de l’Arctique, fondé en 1996, compte 7 Etats membres permanents dont le Danemark, les Etats-Unis et la Russie, des organisations représentant les peuples autochtones et 12 Etats dits observateurs, dont la Chine depuis 2013. L’Union européenne demeure à ce jour le seul candidat dont l’admission a été refusée, car ses ambitions auraient pu mettre à mal le leadership des membres permanents sur la zone…

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De fait, pour tirer parti des nouvelles voies commerciales, des investisseurs privés construisent des navires-citernes spéciaux, capables d’atteindre les futurs champs pétroliers et gaziers de l’Arctique sans avoir recours aux brise-glaces, principalement détenus par la Russie, qui doit se doter, d’ici à 2022, de 3 nouveaux brise-glaces à propulsion nucléaire.

De nouvelles manœuvres militaires et diplomatiques pour renforcer la position américaine :

Selon la doctrine américaine Monroe (1823), le Groenland appartient à la sphère sécuritaire des Etats-Unis. Cette vision, un temps délaissée à la fin de la guerre froide, revient d’actualité du fait du réchauffement climatique et des changements qu’il engendre sur le Groenland, mais surtout en réaction aux manœuvres militaires et économiques déployées par la Russie et la Chine autour de ce territoire. « Les Etats-Unis se réveillent, dit Rasmus Leander Nielsen, professeur d’économie à l’université de Nuuk, capitale du Groenland, ils regardent autour et découvrent les ambitions arctiques de la Russie et de la Chine ! ». Car, à Washington, une peur s’installe : celle d’un déploiement militaire ennemi dans le Grand Nord.

  • Face à la Russie :

Depuis 2007 et le discours de Vladimir Poutine devant la Wehrkunde de Munich, le regain d’intérêt russe pour le Grand Nord Arctique est clairement exprimé. Le président russe a ainsi annoncé sa volonté de réinvestir militairement la façade arctique de Mourmansk au détroit de Béring, le long des quelques 4000 kilomètres du passage du Nord. Or, pour Washington, le Groenland est d’abord un enjeu militaire, car sur une carte la Russie et l’Amérique se font face dans cette zone du Pôle Nord. Si en 1946, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le président américain Truman avait cherché à racheter le Groenland, c’était pour faire de l’île un poste militaire stratégique. A défaut d’un rachat, les États-Unis ont néanmoins construit une base militaire sur ce territoire danois, véritable pièce maîtresse du bouclier anti-missile américain, poste avancé d’observation du complexe militaro-industriel russe de Mourmansk et un « hub » pour les bombardiers stratégiques susceptibles d’être projetés, non seulement vers la Russie, mais aussi vers la Chine, la Corée du Nord, voire l’Iran.

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Depuis 2 ans, les États-Unis ont multiplié les exercices militaires, que ce soit dans un cadre national, bilatéral ou encore dans le cadre de l’OTAN. On peut citer en exemple l’exercice Trident Juncture 2018 réalisé à l’automne dernier à la frontière de l’Arctique entre l’Islande et la Norvège. Ce fut la plus grande manœuvre militaire réalisée par l’OTAN depuis la Guerre froide. Les États-Unis ont, à cette occasion, fait naviguer un porte-avions au nord du Cercle polaire arctique pour la première fois depuis 1991. Cette stratégie rénovée et offensive s’est aussi traduite par la publication de stratégies arctiques renouvelées en juin 2019 par le Département de la Défense. Pour Washington, l’Arctique est tout simplement une frontière nationale, sa frontière septentrionale. L’Alaska, qui est américain depuis 1867 constitue le premier pilier stratégique du pays en contrôlant le détroit de Béring, mais pour garantir leur sécurité, les États-Unis doivent également assurer un contrôle de l’autre accès à l’Arctique : les bras de mer situés entre le Groenland, l’Islande et la Norvège, précisément la zone où s’est déroulé l’exercice Trident Juncture.

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Les Etats-Unis pourraient donc être fortement intéressés par l’ancienne base navale Danoise de Grønnedal, située au sud-ouest du Groenland et utilisée pendant la guerre froide. Cette base, désaffectée par le Danemark en 2016, face à l’intérêt exprimé par des acteurs chinois de l’acquérir à grands frais, pourrait être très utile à la 2ème Flotte américaine (United States Second Flee), composée de 126 bâtiments, 4 500 avions et 90 000 personnels. Cette flotte, désactivée en 2011 et dont la zone de responsabilité couvre l’Océan Atlantique et l’Arctique, a été réactivée en 2018 et déclarée opérationnelle le 31 décembre 2019.

  • Pour contrer les ambitions chinoises :

L’intérêt chinois pour le Groenland depuis ces dernières années a changé la donne pour les Etats-Unis, mais aussi pour le Danemark, soucieux de ses relations avec l’allié américain OTAN. En effet, si Pékin ne possède pas de frontières communes au monde arctique, il entend bien jouer un rôle de premier plan dans la zone. La Chine a ainsi initié 5 expéditions en Arctique entre 1999 et 2012 et fondé sa première station, « Fleuve Jaune », sur l’île de Spitzberg en Norvège en 2004. Pékin y implante des entreprises avant d’y envoyer à terme des sous-marins nucléaires.

Pour parfaire leur nouvelle stratégie, les Etats-Unis devraient ouvrir fin 2020 une ambassade au Groenland avec 7 diplomates, appelés à remplacer un représentant employé jusqu’ici à mi-temps. Cette antenne diplomatique permettra notamment d’assurer un rôle de veille important. En effet, à titre d’exemple, en 2018, lorsque le Pentagone avait appris la participation d’une entreprise de BTP chinoise au projet de construction de trois aéroports dans le pays, le ministre danois de la Défense avait été convoqué à Washington. À la suite de cet entretien qui avait mis en avant le risque pour la sécurité militaire américaine, Copenhague avait débloqué 215 millions d’euros destinés au financement des infrastructures aéroportuaires, annihilant la prise de position chinoise. Pour autant, « L’Empire du milieu » a déjà investi près de 100 milliards de dollars en 5 ans, ce qui est très peu pour la Chine mais beaucoup pour le Groenland.

Au bilan, Donald Trump par ses déclarations tonitruantes en août dernier a imposé dans l’actualité mondiale le sujet du futur de l’Arctique, réaffirmé l’intérêt de son pays pour cet espace face à la Russie, posé une barrière claire à la Chine quant à sa pénétration au Groenland et mis sur la table une question jusque-là taboue, la possibilité pour les États-Unis de renforcer leur présence au Groenland par la voie de simples transactions. Ainsi, cet incident n’est pas aussi fantasque et risible qu’il en a l’air à première vue et force est de constater que les Etats-Unis ont, par cette manœuvre, réellement renforcés leur position.

 

Laurence Perrault

jeudi, 14 mai 2020

Pourquoi Xi ne répétera pas les erreurs de la Dynastie Ming

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Pourquoi Xi ne répétera pas les erreurs de la Dynastie Ming

par Pepe Escobar

Ex: https://reseauinternational.net

La Chine a tiré les leçons de sa riche histoire et les applique pour redevenir une grande puissance du 21ème siècle.

Alors que la guerre hybride 2.0 contre la Chine atteint des sommets, les Nouvelles Routes de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route, continueront à être diabolisées 24/7, comme le légendaire complot communiste maléfique pour la domination économique et géopolitique du monde « libre », boostée par une sinistre campagne de désinformation.

Il est vain de discuter avec des simplets. Dans l’intérêt d’un débat éclairé, ce qui compte, c’est de trouver les racines profondes de la stratégie de Pékin – ce que les Chinois ont appris de leur propre histoire riche et comment ils appliquent ces leçons en tant que grande puissance réémergente au jeune 21ème siècle.

Commençons par la façon dont l’Orient et l’Occident s’étaient positionnés au centre du monde.

La première encyclopédie historico-géographique chinoise, le Classique des Montagnes et des Mers du IIe siècle avant J.-C., nous dit que le monde était ce qui était sous le soleil (tienhia). Composé de « montagnes et de mers » (shanhai), le monde était disposé entre « quatre mers » (shihai). Une seule chose ne change pas : le centre. Et son nom est « l’Empire du Milieu » (Zhongguo), c’est-à-dire la Chine.

Bien sûr, les Européens, au XVIe siècle, découvrant que la terre était ronde, ont mis la centralité chinoise sens dessus dessous. Mais en réalité, pas tant que ça (voir, par exemple, cette carte sinocentrique du 21ème siècle publiée en 2013).

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Le principe d’un immense continent entouré de mers, « l’océan extérieur », semble avoir été dérivé de la cosmologie bouddhiste, dans laquelle le monde est décrit comme un « lotus à quatre pétales ». Mais l’esprit sinocentrique était assez puissant pour écarter et prévaloir sur toute cosmogonie qui aurait pu le contredire, comme la bouddhiste, qui plaçait l’Inde au centre.

Comparons maintenant la Grèce antique. Son centre, basé sur les cartes reconstituées d’Hippocrate et d’Hérodote, est un composite de la Mer Égée, avec la triade Delphes-Delos-Ionie. La division majeure entre l’Est et l’Ouest remonte à l’Empire Romain au 3ème siècle. Et cela commence avec Dioclétien, qui a fait de la géopolitique son cheval de bataille.

Voici la séquence : En 293, il installe une tétrarchie, avec deux Augustes et deux Césars, et quatre préfectures. Maximien Auguste est chargé de défendre l’Occident (Occidens), la « préfecture d’Italie » ayant pour capitale Milan. Dioclétien est chargé de défendre l’Orient (Oriens), la « préfecture d’Orient » ayant pour capitale Nicomédie.

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La religion politique s’ajoute à ce nouveau complexe politico-militaire. Dioclétien crée les diocèses chrétiens (dioikesis, en grec, d’après son nom), douze au total. Il existe déjà un diocèse d’Orient – essentiellement le Levant et le nord de l’Égypte.

Il n’y a pas de diocèse d’Occident. Mais il y a un diocèse d’Asie : essentiellement la partie occidentale de la Turquie méditerranéenne actuelle, héritière des anciennes provinces romaines d’Asie. C’est assez intéressant : l’Orient est placé à l’est de l’Asie.

Le centre historique, Rome, n’est qu’un symbole. Il n’y a plus de centre ; en fait, le centre s’incline vers l’Orient. Nicomedia, la capitale de Dioclétien, est rapidement remplacée par sa voisine Byzance sous Constantin et rebaptisée Constantinople : il veut en faire « la nouvelle Rome ».

Lorsque l’Empire Romain d’Occident tombe en 476, l’Empire d’Orient demeure.

Officiellement, il ne deviendra l’Empire Byzantin qu’en 732, alors que le Saint Empire Romain – qui, comme on le sait, n’était ni saint, ni romain, ni un empire – renaîtra avec Charlemagne en 800. À partir de Charlemagne, l’Occident se considère comme « l’Europe », et vice-versa : le centre historique et le moteur de ce vaste espace géographique, qui finira par atteindre et intégrer les Amériques.

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Nous sommes toujours plongés dans un débat – littéralement – océanique entre historiens sur la myriade de raisons et le contexte qui a conduit chacun et son voisin à prendre frénétiquement la mer à partir de la fin du 15ème siècle – de Colomb et Vasco de Gama à Magellan.

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Mais l’Occident oublie généralement le véritable pionnier : l’emblématique amiral Zheng He, nom d’origine Ma He, un eunuque et musulman Hui de la province du Yunnan.

Son père et son grand-père avaient fait leur pèlerinage à la Mecque. Zheng He a grandi en parlant le mandarin et l’arabe et en apprenant beaucoup sur la géographie. À 13 ans, il est placé dans la maison d’un prince Ming, Zhu Di, membre de la nouvelle dynastie qui arrive au pouvoir en 1387.

Éduqué en tant que diplomate et guerrier, Zheng He se convertit au Bouddhisme sous son nouveau nom, bien qu’il soit toujours resté fidèle à l’Islam. Après tout, comme je l’ai constaté moi-même lorsque j’ai visité des communautés Hui en 1997, en quittant la Route de la Soie pour me rendre au monastère de Labrang à Xiahe, l’Islam Hui est un syncrétisme fascinant qui intègre le Bouddhisme, le Tao et le Confucianisme.

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Zhu Di a fait tomber l’empereur en 1402 et a pris le nom de Yong Le. Un an plus tard, il avait déjà commissionné Zheng He comme Amiral, et lui avait ordonné de superviser la construction d’une grande flotte pour explorer les mers autour de la Chine. Ou, pour être plus précis, « l’océan Occidental » (Xiyang) : c’est-à-dire l’océan Indien.

Ainsi, de 1405 à 1433, soit environ trois décennies, Zheng He a mené sept expéditions à travers les mers jusqu’en Arabie et en Afrique de l’Est, partant de Nanjing dans le Yangtsé et bénéficiant des vents de mousson. Elles ont atteint le Champa, Bornéo, Java, Malacca, Sumatra, Ceylan, Calicut, Ormuz, Aden, Djeddah/La Mecque, Mogadiscio et la côte d’Afrique de l’Est au sud de l’équateur.

Il s’agissait de véritables armadas, comptant parfois plus de 200 navires, dont les 72 plus importants, transportant jusqu’à 30 000 hommes et de vastes quantités de marchandises précieuses pour le commerce : soie, porcelaine, argent, coton, produits en cuir, ustensiles en fer. Le navire de tête de la première expédition, avec Zheng He comme capitaine, mesurait 140 mètres de long, 50 mètres de large et transportait plus de 500 hommes.

C’était la première Route Maritime de la Soie, aujourd’hui ressuscitée au 21ème siècle. Et elle a été couplée à une autre extension de la Route de la Soie terrestre : après que les redoutables Mongols se soient retirés et qu’il y ait eu de nouveaux alliés jusqu’en Transoxiane, les Chinois ont réussi à conclure un accord de paix avec le successeur de Tamerlane. Les Routes de la Soie étaient donc à nouveau en plein essor. La cour Ming envoya des diplomates dans toute l’Asie – au Tibet, au Népal, au Bengale et même au Japon.

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L’objectif principal des pionniers de la marine chinoise a toujours intrigué les historiens occidentaux. Il s’agissait essentiellement d’un mélange diplomatique, commercial et militaire. Il était important de faire reconnaître la suzeraineté chinoise – et de la matérialiser par le paiement d’un tribut. Mais il s’agissait surtout de commerce ; pas étonnant que les navires avaient des cabines spéciales pour les marchands.

L’armada était désignée sous le nom de Flotte du Trésor – mais dénotant plus une opération de prestige qu’un véhicule de capture de richesses. Yong Le était un adepte de la puissance douce et de l’économie – il a pris le contrôle du commerce extérieur en imposant un monopole impérial sur toutes les transactions. Il s’agissait donc, en fin de compte, d’une application intelligente et complète du système d’affluence chinois – dans les domaines commercial, diplomatique et culturel.

Yong Le suivait en fait les instructions de son prédécesseur Hongwu, le fondateur de la Dynastie Ming (« Lumières »). La légende veut que Hongwu ait ordonné qu’un milliard d’arbres soient plantés dans la région de Nanjing pour alimenter la construction d’une marine.

Puis il y a eu le transfert de la capitale de Nanjing à Pékin en 1421, et la construction de la Cité Interdite. Cela a coûté beaucoup d’argent. Même si les expéditions navales étaient coûteuses, leurs profits étaient bien sûr utiles.

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Yong Le

Yong Le voulait établir la stabilité chinoise – et panasiatique – par le biais d’une véritable Pax Sinica. Cela n’a pas été imposé par la force mais plutôt par la diplomatie, couplée à une subtile démonstration de puissance. L’Armada était le porte-avions de l’époque, avec des canons à vue – mais rarement utilisés – et pratiquant la « liberté de navigation ».

Ce que l’empereur voulait, c’était des dirigeants locaux alliés, et pour cela il utilisait l’intrigue et le commerce plutôt que le choc et l’effroi par le biais de batailles et de massacres. Par exemple, Zheng He a proclamé la suzeraineté chinoise sur Sumatra, la Cochinchine et Ceylan. Il a privilégié le commerce équitable. Cela n’a donc jamais été un processus de colonisation.

Au contraire : avant chaque expédition, au fur et à mesure de sa planification, les émissaires des pays à visiter étaient invités à la cour des Ming et traités, bien, royalement.

Européens pilleurs

Comparons cela à la colonisation européenne menée une décennie plus tard par les Portugais sur ces mêmes terres et ces mêmes mers. Entre (un peu) de carotte et (beaucoup) de bâton, les Européens ont fait du commerce principalement par le biais de massacres et de conversions forcées. Les comptoirs commerciaux ont rapidement été transformés en forts et en installations militaires, ce que les expéditions de Zheng He n’ont jamais entrepris.

En fait, Zheng He a laissé tellement de bons souvenirs qu’il a été divinisé sous son nom chinois, San Bao, qui signifie « Trois Trésors », dans des endroits d’Asie du Sud-Est tels que Malacca et Ayutthaya au Siam.

Ce qui ne peut être décrit que comme un sadomasochisme judéo-chrétien s’est concentré sur l’imposition de la souffrance comme vertu, seule voie pour atteindre le Paradis. Zheng He n’aurait jamais considéré que ses marins – et les populations avec lesquelles il a pris contact – devaient payer ce prix.

Alors pourquoi tout cela a-t-il pris fin, et si soudainement ? Essentiellement parce que Yong Le n’avait plus d’argent à cause de ses grandioses aventures impériales. Le Grand Canal – qui relie le fleuve Jaune et les bassins du Yangzi – a coûté une fortune. Même chose pour la construction de la Cité Interdite. Les revenus des expéditions n’ont pas suffi.

Et juste au moment où la Cité Interdite fut inaugurée, elle prit feu en mai 1421. Mauvais présage. Selon la tradition, cela signifie une dysharmonie entre le Ciel et le souverain, un développement en dehors de la norme astrale. Les Confucianistes l’utilisaient pour blâmer les conseillers eunuques, très proches des marchands et des élites cosmopolites autour de l’empereur. De plus, les frontières méridionales étaient agitées et la menace mongole n’a jamais vraiment disparu.

Le nouvel empereur Ming, Zhu Gaozhi, a fait la loi : « Le territoire de la Chine produit toutes les marchandises en abondance ; alors pourquoi devrions-nous acheter des bibelots à l’étranger sans aucun intérêt ? »

Son successeur, Zhu Zanji, était encore plus radical. Jusqu’en 1452, une série d’édits impériaux ont interdit le commerce extérieur et les voyages à l’étranger. Chaque infraction était considérée comme de la piraterie punie de mort. Pire encore, l’étude des langues étrangères était bannie, tout comme l’enseignement du chinois aux étrangers.

Zheng He est mort (au début de 1433 ? 1435 ?) en vrai personnage, au milieu de la mer, au nord de Java, alors qu’il revenait de la septième et dernière expédition. Les documents et les cartes utilisés pour les expéditions ont été détruits, ainsi que les navires.

Les Ming ont donc abandonné la puissance navale et sont revenus à l’ancien Confucianisme agraire, qui privilégie l’agriculture sur le commerce, la terre sur les mers, et le centre sur les terres étrangères.

Plus de retraite navale

Il faut dire que le formidable système d’affluence navale mis en place par Yong Le et Zheng He a été victime d’excès – trop de dépenses de l’État, turbulences paysannes – ainsi que de son propre succès.

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En moins d’un siècle, des expéditions de Zheng He à la retraite des Ming, cela s’est avéré être un changement de paradigme majeur dans l’histoire et la géopolitique, préfigurant ce qui allait se passer immédiatement après au cours du long 16ème siècle : l’ère où l’Europe a commencé et a finalement réussi à dominer le monde.

Une image est frappante. Alors que les lieutenants de Zheng He naviguaient sur la côte orientale de l’Afrique jusqu’au sud, en 1433, les expéditions portugaises commençaient tout juste leurs aventures dans l’Atlantique, naviguant également vers le sud, peu à peu, le long de la côte occidentale de l’Afrique. Le mythique Cap Bojador a été conquis en 1434.

Après que les sept expéditions Ming eurent sillonné l’Asie du Sud-Est et l’Océan Indien à partir de 1403 pendant près de trois décennies, ce n’est qu’un demi-siècle plus tard que Bartolomeu Dias allait conquérir le cap de Bonne-Espérance, en 1488, et que Vasco de Gama arriverait à Goa en 1498.

Imaginez un « et si » historique : les Chinois et les Portugais s’étaient croisés en terre swahilie. Après tout, en 1417, c’était le commandement de Hong Bao, l’eunuque musulman, un lieutenant de Zheng He ; et en 1498, c’était au tour de Vasco de Gama, guidé par le « Lion de la mer » Ibn Majid, son légendaire maître navigateur arabe.

Les Ming n’étaient pas obsédés par l’or et les épices. Pour eux, le commerce devait être basé sur un échange équitable, dans le cadre du tribut. Comme Joseph Needham l’a prouvé de façon concluante dans des ouvrages tels que « Science et Civilisation en Chine », les Européens voulaient des produits asiatiques bien plus que les Orientaux ne voulaient des produits européens, « et la seule façon de les payer était l’or ».

5cbec224a3104842e4aa1131.jpegPour les Portugais, les terres « découvertes » étaient toutes des territoires de colonisation potentiels. Et pour cela, les quelques colonisateurs avaient besoin d’esclaves. Pour les Chinois, l’esclavage équivalait au mieux à des tâches domestiques. Pour les Européens, il s’agissait de l’exploitation massive d’une main-d’œuvre dans les champs et dans les mines, notamment en ce qui concerne les populations noires d’Afrique.

En Asie, contrairement à la diplomatie chinoise, les Européens ont opté pour le massacre. Par la torture et les mutilations, Vasco de Gama et d’autres colonisateurs portugais ont déployé une véritable guerre de terreur contre les populations civiles.

Cette différence structurelle absolument majeure est à l’origine du système mondial et de l’organisation géo-historique de notre monde, comme l’ont analysé des géographes de premier plan tels que Christian Grataloup et Paul Pelletier. Les nations asiatiques n’ont pas eu à gérer – ou à subir – les douloureuses répercussions de l’esclavage.

Ainsi, en l’espace de quelques décennies seulement, les Chinois ont renoncé à des relations plus étroites avec l’Asie du Sud-Est, l’Inde et l’Afrique de l’Est. La flotte des Ming a été détruite. La Chine a abandonné le commerce extérieur et s’est repliée sur elle-même pour se concentrer sur l’agriculture.

Une fois de plus : le lien direct entre la retraite navale chinoise et l’expansion coloniale européenne est capable d’expliquer le processus de développement des deux « mondes » – l’Occident et le centre chinois – depuis le 15e siècle.

À la fin du XVe siècle, il ne restait plus d’architectes chinois capables de construire de grands navires. Le développement de l’armement avait également été abandonné. En quelques décennies seulement, le monde sinifié a perdu sa grande avance technologique sur l’Occident. Il s’est affaibli. Et plus tard, il allait payer un prix énorme, symbolisé dans l’inconscient des Chinois par le « siècle de l’humiliation ».

Tout ce qui précède explique pas mal de choses. Comment Xi Jinping et les dirigeants actuels ont fait leurs devoirs. Pourquoi la Chine ne veut pas faire un remix des Ming et battre en retraite à nouveau. Pourquoi et comment la Route de la Soie terrestre et la Route de la Soie Maritime sont rétablies. Comment il n’y aura plus d’humiliations. Et surtout, pourquoi l’Occident – en particulier l’empire américain – refuse absolument d’admettre le nouveau cours de l’histoire.

Pepe Escobar

source : https://asiatimes.com

traduit par Réseau International

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mardi, 12 mai 2020

LETTRE A MES AMIS(IES) PRO-CHINOIS…

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LETTRE A MES AMIS(IES) PRO-CHINOIS…

par Richard Labévière

Ex: http://prochetmoyen-orient.ch

Le terme de « pro-chinois » n’est pas forcément très adapté aux discussions récurrentes que nous avons depuis plusieurs mois – bien avant le déclenchement de la pandémie du Covid-19 – avec plusieurs de nos plus proches amis(ies), lecteurs et lectrices réguliers(ières) de votre hebdomadaire prochetmoyen-orient.ch.

Grosso modo, la moindre critique à l’encontre du modèle de développement économique de la Chine, de son système politique et de ses prétentions hégémoniques sur les plans militaire et culturel, serait infondée ou plutôt malvenue parce qu’elle pourrait être aussitôt interprétée comme un satisfecit au profit de l’hégémonie américaine. Et nos amicaux contradicteurs enfoncent le clou, invoquant un principe de nécessité absolue selon lequel, « il faut bien une alternative aux folies américaines », la Chine incarnant aujourd’hui, justement la seule alternative qui vaille…

Cette dualité a une couleur de déjà vu, nous ramenant aux plus beaux jours de la Guerre froide où il fallait absolument choisir son camp : celui du monde dit « libre » – le camp de l’Ouest tutellisé par les Etats-Unis d’Amérique ou celui du Bloc communiste sous la domination de l’URSS. De la fin de la Seconde guerre mondiale à la Chute du mur de Berlin, cette alternative a fait sens – légitimement sens – mais à d’importantes nuances près, notamment dans le contexte de la décolonisation et des soutiens nécessaires à apporter aux mouvements de libération en Asie, en Afrique, ainsi qu’aux Proche et Moyen-Orient.

Cela dit, et les compagnons de route des partis communistes s’en souviennent, la question, elle-aussi récurrente, se posait ainsi : jusqu’où pouvait-on aller trop loin « afin de ne pas désespérer Billancourt »… Prêtée à Jean-Paul Sartre, la formule sans doute apocryphe, traduit un certain état d’esprit. Tirée de Nekrassov – créée au Théâtre Antoine en 1955 -, la pièce provoque un réel malentendu : pièce à message, elle est jugée « communiste » par les anti-Communistes et « anti-communiste » par les Communistes… En fait, Jean-Paul Sartre a écrit deux répliques : « il ne faut pas désespérer les pauvres » et « désespérons Billancourt ». La contraction des deux donnera la fameuse formule qu’il n’aurait jamais dite, si elle ne lui avait pas été prêtée en mai 1968.

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Le 4 novembre 1956, 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie. Le 9 novembre, dans un entretien à L’Express, Sartre dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. Autrement dit : « Il ne faut pas désespérer Billancourt ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’amateurisme révolutionnaire de Jean-Paul Sartre, mais ce n’est pas la question du jour. Toujours est-il qu’on connaît, au moins depuis René Descartes, les ravages des pensées dualistes qui dissocient strictement l’erreur de la vérité et inversement.

PILLAGES EN TOUS GENRES

Si, comme Spinoza, l’on cherche à remonter aux causes, il faut aller y voir… sur le terrain, ce que l’auteur de ces lignes a fait, dans la mesure de ses voyages. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le bilan pour la Chine est plutôt effarant : coupe de la plupart des forêts du Mozambique ; destruction des fonds marins du sud de Madagascar ; trafic du bois de rose et monopole sur les réserves de crevettes. Mêmes types de prédations en Ethiopie ainsi qu’ à Djibouti où une stratégie d’endettement systémique a permis de mettre sous tutelle la souveraineté du petit Etat-portuaire.

Question : pourquoi la Chine emploie-t-elle, à l’échelle planétaire, les mêmes techniques de pillage des ressources naturelles que celles pratiquées par les Etats-Unis, le Japon, les pays européens … ? Pourquoi la Chine d’aujourd’hui reste-t-elle incapable de nous proposer un système de développement économique alternatif plus respectueux de l’environnement et d’avancées sociales qu’on serait en droit d’attendre d’un régime qui se prétend « communiste » ?

Ne parlons pas du « Crédit social », ce permis civique à points qui permet de surveiller vos moindres faits et gestes, de la traçabilité téléphonique et de l’impossibilité d’effectuer le moindre paiement en liquide… tout ça pour « surveiller et punir », pour instaurer un « panopticon » généralisé1. Bentham, Aldous Huxley et Georges Orwell sont pulvérisés par cette obsession d’un transparence sociale totale, sinon totalitaire !

Quant à la philosophie politique générale que l’empire du milieu prétend nous vendre, c’est encore plus catastrophique. On peut en goûter un échantillon avec le best-seller d’un prétendu philosophe « non-officiel » – Zhao Tingyang2 qui nous sert une soupe néo-confucéenne du genre « travail, famille, patrie ». On connaît un peu la suite… Xi Jinping nous voilà ! Du reste, le président chinois ne cesse de le répéter : son pays sera l’hyper-puissance mondiale à l’horizon 2049, date du centième anniversaire de la création de la République populaire. Nous voilà prévenus. Faut-il pour autant s’en réjouir ? C’est une autre paire de manches…

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Le 13 avril 2018, le président Xi Jinping passe en revue la marine de l’APL (Armée populaire de libération) à Sanya, dans le sud de la province insulaire de Hainan, où est notamment hébergée une base « secrète » de sous-marins nucléaires. A cette occasion, il affirme que « la nécessité pour la Chine de construire une marine forte n’a jamais été aussi urgente qu’aujourd’hui ». Des dizaines de frégates progressent en formation autour du Liaoning, le premier porte-avions chinois remodelé à partir d’un bâtiment soviétique acheté à l’Ukraine. La parade navale géante est diffusée en direct sur la télévision nationale avec les commentaires du commandant en chef des forces chinoises qui affirme « qu’aujourd’hui, la marine chinoise s’est levée à l’Est avec une toute nouvelle image ».

LE NOUVEL EMPIRE NAVAL DU MILIEU

La moitié des 48 bâtiments qui défilent a été mis en service à partir de 2012, l’année où Xi Jinping a accédé au poste de chef suprême du Parti communiste chinois et de l’APL. Une dizaine de jours après cette démonstration de force navale, le 23 avril 2018, un deuxième porte-avions, entièrement fabriqué en Chine – mais toujours selon la conception soviétique avec une piste de décollage en forme de tremplin, effectue sa première sortie d’essai au large de Dalian, dans l’Est du pays avant d’engager une mission d’endurance de plusieurs mois. Le nombre de bâtiments de guerre est estimé à plus de trois cents, les chantiers navals chinois ayant produit en quatre ans l’équivalent du tonnage de la Marine nationale française.

En comparaison avec les Américains qui entretiennent des bases militaires sans cacher leur volonté hégémonique, les Chinois le font, disent-ils, pour sauvegarder leurs intérêts et leurs approvisionnements en matières premières mais en affirmant vouloir garantir la paix dans le monde. Si Pékin ne prétend pas remplacer Washington dans son rôle de gendarme du monde, il assume néanmoins désormais ouvertement sa quête d’une puissance globale. Et dans cette volonté proclamée, la Marine chinoise s’impose comme le fer de lance d’une stratégie de long terme.

Critiques (souvent à juste raison) envers le modèle de gouvernance occidentale, la démocratie et les droits de l’homme, les Chinois veulent promouvoir un système de développement économique et de gouvernance différent de celui promu jusqu’ici par les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon voisin. A terme, l’Empire du milieu espère piloter la gestion mondiale des flux de marchandises, de personnes et d’informations à travers les infrastructures nécessaires : ports, aéroports, lignes de chemin de fer, gazoducs, câbles sous-marins, tribunaux d’arbitrage, etc. Si elle évite de théoriser son « modèle », la Chine propose des « solutions » adaptées aux problèmes des pays en recherche de développement. Même si elle dispose désormais de porte-paroles officiels de sa philosophie néo-confucéenne, la Chine évite de trop communiquer sur une prétendue supériorité idéologique, préférant jouer la carte d’un pragmatisme partagé en cherchant à monnayer ses solutions.

C’est dans cette perspective que Pékin essaie de jouer une carte Sud-Sud, même si les BRICS3 ne constituent pas à ce jour une organisation susceptible de peser efficacement sur les relations internationales. Pékin préfère multiplier des relations bilatérales suivies et des formats régionaux ad hoc comme par exemple les sommets Chine-Afrique ou les « Rencontres 16 plus un » avec les pays d’Europe centrale et orientale. Cet activisme a contribué au doublement du budget du ministère chinois des Affaires étrangères : il est passé de 30 milliards de yuan pour 2011 à plus de 60 milliards de yuan (environ 7, 5 milliards d’euros, soit à peu près le double du budget du Quai d’Orsay) en moins de cinq ans.

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Dans ce contexte, Moscou reste un partenaire très courtisé. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, les convergences sino-russes se sont consolidées dans le cadre du Groupe de Shanghai4 et sur des dossiers cogérés comme par exemple l’avenir économique et militaire du Grand Nord arctique. Sur la plupart des grands dossiers internationaux, Pékin et Moscou, fervents défenseurs de l’égalité souveraine des Etats, partagent les mêmes positions et font preuve de compréhension réciproque. Ainsi Pékin s’est-il abstenu de tout commentaire sur les dossiers de la Crimée et de l’Ukraine, tandis que Moscou n’a jamais condamné les violations chinoises du droit maritime international en mer de Chine méridionale, tout particulièrement dans les zones contestées des îles Spratley et Paracels.

La Chine a progressivement fait de la Russie son premier partenaire sécuritaire devant le Pakistan. « De 1992 à 2016, pas moins de 3 200 officiers chinois ont été formés à Moscou. Le régime communiste coopère depuis 2005 avec son voisin dans le cadre de l’organisation de Shanghai. Cette plateforme est particulièrement utile en Asie centrale, une région sous la menace islamiste. Des exercices maritimes conjoints sont également conduits chaque année depuis 2012, alternativement sur les côtes russes et chinoises »4.

Visiblement, Pékin cherche à restructurer la gouvernance mondiale dans une direction clairement anti-occidentale, en souhaitant associer Moscou pour y parvenir. De son point de vue, la Chine estime que la période lui est favorable et que le temps travaille pour sa prétention à devenir la première puissance mondiale à l’horizon 2049. Mais ce présage n’est pas aussi doux que les petits matins légers… Au contraire, elle génère des coûts politiques, sociaux et environnementaux très élevés, quand bien même cet envers du miracle chinois est rarement médiatisé – pour ne pas dire sévèrement censuré.

LA GUERRE HORS LIMITES

Le 8 mai 1999, l’ambassade de Chine à Belgrade est atteinte par plusieurs missiles américains. Qualifié « d’erreur » par Washington, l’événement est aussitôt ressenti comme une agression délibérée… à juste titre. Trois mois plus tôt paraissait à Pékin La Guerre hors limites5, rédigé par Qio Liang, colonel de l’Armée de l’air, directeur adjoint du Bureau de la création au Département politique de l’armée de l’Air et membre de l’Union des écrivains de Chine, et Wang Xiangsui, colonel de l’Armée de l’air et commissaire politique adjoint de division.

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La rédaction de cet ouvrage est à replacer dans le contexte national et international des années 1990, marquées par trois événements traumatiques : la répression des manifestations de la place Tian’anmen en juin 1989 ; la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste quelques mois plus tard ; et enfin la deuxième guerre du Golfe menée l’année suivante en Irak pour « libérer » le Koweït. Les Etats-Unis s’imposaient alors comme la seule superpuissance, notamment dans le domaine militaire. Tirant les leçons des opérations de la coalition occidentale dirigée par les Etats-Unis en Irak, les analystes de l’armée chinoise, dont nos deux auteurs, considéraient alors la puissance américaine écrasante comme une menace. Ainsi, il devenait urgent de réduire d’une manière ou d’une autre le retard chinois afin de combler l’écart stratégique, non seulement avec les Etats-Unis, mais plus globalement avec l’Occident.

Entre fascination et rejet, la culture stratégique américaine constitue le repoussoir, sinon l’anti-modèle de nos deux auteurs. Celle-ci est comprise comme le cœur de la politique étrangère de Washington, qui s’appuie d’abord sur la supériorité technologique militaire. Ainsi les guerres américaines successives cherchent-elles l’anéantissement de l’adversaire pour atteindre une victoire politique sans partage : la supériorité matérielle est perçue comme la clef du succès, restant toutefois tributaire des contraintes budgétaires.

Aux antipodes de cette approche « mécaniste », la culture stratégique chinoise privilégie les chemins de la ‘guerre indirecte’ inspirée de Sun Tzu6, théoricien de la victoire sans combat. Traditionnellement, les stratèges chinois lient la suprématie à la pensée humaine, à la pratique de la dissimulation et de la ruse au point de mépriser la force et les machines. La puissance du raisonnement doit l’emporter sur toute autre considération et le concept basique des Routes de la soie et du Collier de perles – le civil d’abord, le militaire après – s’inscrit dans cette même filiation.

Nos auteurs théorisent et modernisent cet héritage qui en dernière instance, ne diffère pas fondamentalement de la doctrine des néo-conservateurs américains et des nouveaux principes issus de la Révolution dans les affaires militaires7, optimisant eux-aussi la ruse, la dissimulation et la sous-traitance à des opérateurs privés. Michel Jan8, qui a préfacé l’édition française de La Guerre hors limites, souligne que les auteurs « englobent aussi dans leur analyse, parfois prémonitoire, les actes hostiles menés depuis la fin de la Guerre froide sous toutes les formes, dans tous les domaines, économiques, financiers, religieux, écologiques, etc. Une telle combinaison de plus en plus complexe d’actes de guerre dépasse les limites habituelles des conflits menés jusqu’à une période récente uniquement par les militaires ».

En conclusion de leur manuel, les colonels Qio Liang et Wang Xiangsui ont l’avantage d’annoncer la couleur : « Pour la guerre hors limites, la distinction entre champ de bataille et non-champ de bataille n’existe pas. Les espaces naturels que sont la terre, la mer, l’air et l’espace sont des champs de bataille ; les espaces sociaux que sont les domaines militaire, politique, économique, culturel et psychologique sont des champs de bataille ; et l’espace technique qui relie ces deux grands espaces est plus encore le champ de bataille, où l’affrontement entre les forces antagoniques est le plus acharné. La guerre peut être militaire, paramilitaire ou non militaire ; elle peut recourir à la violence et peut être aussi non-violente ; elle peut être un affrontement entre militaires professionnels ainsi qu’un affrontement entre les forces émergentes principalement constituées de civils ou de spécialistes. Ces caractéristiques marquent la ligne de partage entre la guerre hors limites et la guerre traditionnelle, et elles tracent la ligne de départ des nouvelles formes de guerre ».

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Ils ajoutent : « En outre, il est urgent que nous élargissions notre champ de vision concernant les forces mobilisables, en particulier les forces non militaires. A part diriger l’attention comme par le passé sur les forces conventionnelles, nous devrions porter une attention spéciale à l’emploi des ‘ressources stratégiques’ intangibles comme les facteurs géographiques, le rôle historique, les traditions culturelles, le sentiment d’identité ethnique ainsi que le contrôle et l’utilisation de l’influence des organisations internationales ».

Aujourd’hui, Qiao Liang est un général de l’armée de l’air à la retraite. Professeur dans différentes universités, il est directeur du Conseil pour les Recherches sur la Sécurité Nationale et membre de l’Association des Écrivains Chinois. Sa dernière interview est parue dans une revue de Hong Kong9. Il nous livre son analyse sur le monde d’après, d’après l’actuelle pandémie :

« Je pense que l’Occident passera au moins une douzaine de mois à deux ans après l’épidémie pour réparer sa propre économie et réparer son propre traumatisme. Dans ce processus, les soi-disant responsabilités et revendications envers la Chine sont toutes fantaisistes, et finiront par disparaître face à une situation post-épidémique plus grave. La Chine devrait avoir suffisamment confiance en elle pour savoir que tant qu’elle pourra rester suffisamment forte et maintenir avec ténacité ses capacités de production, personne ne pourra lui porter atteinte.

Quand les États-Unis sont forts, qui peut les accuser de la propagation du sida ? Les gens n’ont pas accusé les États-Unis parce que les forces expéditionnaires américaines ont apporté en Europe la grippe qui a éclaté aux États-Unis à la fin de la Première Guerre mondiale et qui a finalement été appelée grippe espagnole. Pourquoi personne n’a mis en cause les États-Unis ? C’était à cause de la force des États-Unis à cette époque. Tant que la Chine restera forte et se renforcera, personne ne pourra la faire tomber avec des prétendues revendications de responsabilité. La Chine devrait avoir confiance en elle ». Sans commentaire…

LE DROIT A LA DIALECTIQUE

Si les pays de l’Union européenne (UE) – dont la France – n’étaient pas toujours aussi à plat ventre devant les Etats-Unis, s’ils étaient un tant soit peu capables d’œuvrer à l’émergence d’une Europe indépendante, sinon souveraine, ils feraient affaire avec la Russie – géographiquement et culturellement européenne. Héritage d’une quarantaine d’années de Guerre froide, Washington continue à pousser Moscou dans les bras de la Chine… Quelle erreur ! Le plus navrant, c’est que nos dirigeants actuels en rajoutent, sans parler de la patronne de l’UE – la pétulante Ursula von der Leyen – qui vient, en pleine crise du Covid-19, de signer un accord du monde d’avant, un accord de « libre-échange » avec le Mexique qui inquiète diablement nos agriculteurs ! Encore bravo ! Décidément, ces gens n’ont rien compris, ne comprennent rien et continuent à nous imposer leurs obsessions de course au pognon…

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Un dernier mot à propos du Covid-19 : prochetmoyen-orient.ch respecte trop ses lecteurs pour parler comme Donald Trump d’un « virus chinois »10. Cela dit, ce « truc » ne tombe pas du ciel par une corde à foin et il faudra bien reconstituer son histoire et sa filiation pour comprendre ce qui s’est passé, pour éviter de répéter les mêmes erreurs et pour mettre en place quelques outils multilatéraux susceptibles d’endiguer d’autres pandémies de ce genre, qui peuvent revenir…

Alors les amis, détendez-vous ! Ce n’est pas parce qu’on adresse questions et critiques à l’encontre de la Chine actuelle qu’on accepte fatalement de revenir se jeter dans les bras de l’impérialisme yankee. En tout cas, ce n’est certainement pas à nous qu’il faut adresser ce genre de reproche !

Dernièrement un ahuri nous a envoyé un message furax, annonçant son « désabonnement » de prochetmoyen-orient.ch, nous mettant en demeure de répondre à cette question (nous citons) : « pour qui roulez-vous, pour Mélenchon ou pour Marine Le Pen ? ». Nous avons répondu poliment que nous ne « roulions » pour personne (si, pour la France) et que prochetmoyen.orient.ch tenait, par-dessus tout, à sa ligne éditoriale « pluraliste », pour essayer – modestement – de comprendre certains problèmes de notre monde, de celui d’avant et de celui d’aujourd’hui, en ouvrant quelques perspectives pour la suite.

Evidemment, avant que ce genre d’ignorants comprennent que notre volonté de compréhension, forcément dialectique, ne peut se contenter d’un dogmatisme « dualiste », les poules auront des dents…

Malgré tout, bonne lecture et à la semaine prochaine. Continuez d’observer la devise de Spinoza – Caute -, prudence !

Richard Labévière
11 mai 2020

Notes:

1 Inventée à la fin du XVIIIe siècle par le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832), le « Panopticon », cette « maison d’inspection » – où l’on peut tout voir sans être vu – n’est pas exclusivement réservée aux détenus. Dans Panopticon, son livre paru en 1791, le penseur britannique estime que ce système peut également s’appliquer à d’autres lieux de « surveillance ». 
2 Zhao Tingyang : Tianxia, tout sous un même ciel. Editions du Cerf, mars 2018.
3 BRICS est un acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

4 L’Organisation de coopération de Shanghai est une structure intergouvernementale régionale asiatique qui regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Elle a été créée à Shanghai les 14 et 15 juin 2001 par les présidents de ces six pays.
4
5 Qio Liang et Wang Xiangsu : La Guerre hors limites. Editions Payot&Rivages, 2003.
6 Sun Tzu est un général chinois du VIᵉ siècle av. J.-C. Il est surtout célèbre en tant qu’auteur de l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien : L’Art de la guerre.
7 Le concept de Révolution dans les affaires militaires ( RAM ) est une doctrine sur l’avenir de la guerre qui privilégie les progrès technologiques et organisationnels. La RAM affirme que de nouvelles doctrines, stratégies, tactiques et technologies militaires ont conduit à un changement irrévocable dans la conduite de la guerre. Spécialement liée aux technologies modernes de l’ information, des télécommunications et de l’ espace, la RAM a guidé une profonde transformation et une intégration totale des systèmes opérationnels de l’armée américaine.
8 Michel Jan est un écrivain français, né le 30 juin 1938 à Brest. Militaire de carrière (Armée de l’Air) et sinisant, il s’est spécialisé dans les relations internationales et l’Extrême-Orient, avec un intérêt particulier pour les régions des marches de l’empire chinois.
9 Le Général Qiao Liang est interviewé par les reporters Wei Dongsheng et Zhuang Lei dans le numéro de mai 2020 du magazine Bauhinia (Zijing), revue chinoise (pro-gouvernementale) publiée à Hong Kong.
10 Voir l’article de Guillaume Berlat : « P4 » DE WUHAN : UN SCANDALE D’ÉTAT ? prochetmoyen-orient.ch du 4 mai 2020.

lundi, 11 mai 2020

Le Groenland : territoire à vendre ?

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Le Groenland : territoire à vendre ?

En août 2019, le président américain Donald Trump affirme vouloir acheter le Groenland au Danemark. Derrière l’attitude cavalière et le ton proche de la plaisanterie, la proposition, plus sérieuse qu’il n’y paraît, révèle de nombreux enjeux économiques et géopolitiques, indices de l’intérêt croissant que suscite l’Arctique.

La proposition n’est pas si saugrenue de la part des États-Unis, dont l’expansion doit historiquement beaucoup à l’acquisition de territoires (la Louisiane à la France en 1803, la Floride à l’Espagne en 1819, l’Alaska à la Russie en 1867). Mais pourquoi Donald Trump s’intéresse-t-il à cet immense territoire peu peuplé (2,16 millions de kilomètres carrés pour 55 992 habitants au 1er janvier 2019) ? Une partie de la réponse réside dans les énormes richesses dont regorge le Groenland, qu’il s’agisse des minerais (cuivre, zinc, fer, diamant, or, titane, uranium) ou des hydrocarbures offshore, lesquels ne sont toutefois pas assez concentrés pour en permettre une exploitation rentable vu le coût élevé de l’extraction dans les conditions extrêmes du milieu arctique. D’autres acteurs les convoitent, à l’instar de la Chine, qui a des visées sur les terres rares, une matière première dont elle est la première importatrice mondiale, et dont le Groenland abrite 12 à 25 % des réserves mondiales. Ces ressources sont encore peu exploitées puisque 85 % des recettes d’exportations de ce territoire autonome dépendant du Danemark sont issues des produits de la pêche.

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Pourtant, l’intérêt des États-Unis est plus stratégique qu’économique. Entre Europe et océans Arctique et Atlantique, le Groenland a une situation aussi importante que l’Alaska, autre porte de l’Arctique, et qui a justifié par le passé deux tentatives d’achat, en 1867 et en 1946. Les États-Unis disposent d’ailleurs d’installations militaires de premier plan sur ce territoire, avec la base de Thulé, dans le nord-ouest, et des équipements de surveillance spatiale. Cette proposition de Donald Trump s’inscrit donc dans les nouvelles orientations de la stratégie américaine, révélant le regain d’intérêt de l’Arctique pour la première puissance mondiale.

Les États-Unis cherchent à réinvestir la région face à la réémergence russe et aux appétits chinois, comme en témoigne en septembre 2019 la visite du vice-président américain, Mike Pence, en Islande. Déjà, en mai 2019, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, avait tenu un discours agressif contre la volonté supposée de la Russie et de la Chine de s’approprier la région, un ton surprenant pour une réunion du Conseil de l’Arctique, le forum intergouvernemental regroupant les États riverains de l’Arctique, plutôt caractérisé par la coopération que par le conflit.

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Cette proposition a pourtant peu de chances d’aboutir, un achat nécessitant l’accord du Parlement groenlandais (l’Inatsirartut, Chambre monocamérale de 31 membres), certes autonome du Danemark auquel il est rattaché, mais qui lui assure une grande partie du financement de son fonctionnement, à hauteur de 500 millions d’euros annuels. Le poids des partis indépendantistes rend improbable le choix d’une nouvelle tutelle pour un territoire qui recherche plutôt les moyens de son indépendance, aussi bien politique qu’économique. 

dimanche, 10 mai 2020

La Roumanie à deux doigts de la violence politique

Roumanie – Dès l’accession (d’une rapidité certes surprenante), en 2014, de Klaus Iohannis à la plus haute responsabilité de l’État roumain, ses détracteurs ont usé et abusé contre lui du qualificatif « nazi ». Dans la plupart des cas, de façon assez stupide : ceux qui l’employaient, ne sachant guère ce que recouvre le terme, se contentaient de faire ainsi méchamment allusion à l’origine ethnique de Klaus Iohannis , issu d’une minorité de langue allemande (les « Saxons » de Transylvanie) de ce pays multiethnique qu’est la Roumanie. Des liens familiaux ont aussi été mis en exergue (les Saxons ayant, dans les années 1930 et pendant la Seconde Guerre mondiale, bien souvent cédé aux sirènes de l’hitlérisme), liens familiaux dont Klaus Iohannis n’est bien entendu pas responsable. Et si on a certes pu relever chez lui des propos suggérant un certain antisémitisme, ce dernier est trop répandu en Roumanie pour qu’on puisse en tirer quelque conclusion que ce soit quant aux phobies supposées dudit Klaus Iohannis, et encore moins quant à leur origine.

Il existe néanmoins une affinité grandissante entre le discours politique de Klaus Iohannis et certains thèmes de l’idéologie de l’Allemagne hitlérienne – affinité dont il est probable que Iohannis lui-même n’ait pas conscience, ce dernier ne semblant pas briller par sa culture historique ou philosophique.

Bref retour en arrière :

National_Liberal_Party_Romania.pngDès la campagne menant à sa première élection, Klaus Iohannis – suivi en cela par la quasi-totalité de la « droite » roumaine rassemblée autour de lui – a systématiquement évacué la politique de son discours électoral.

En Hongrie, le FIDESZ au pouvoir se présente comme « de droite » ou « conservateur » (ajoutant éventuellement « illibéral » depuis 2015, à l’usage de publics plus initiés) ; que ces étiquettes soient appropriées ou non, elles ont le mérite de situer l’idéologie de ce parti de gouvernement sur un spectre idéel, où d’autres positions sont aussi possibles : l’opposition parlementaire au FIDESZ, par exemple, bien qu’essentiellement libérale à la Macron, est généralement nommée – et se nomme souvent elle-même – opposition « de gauche » (ou, de plus en plus, « écologiste » pour certains). Elle constitue donc une option politique, que les médias proches des partis de gouvernement ne recommandent naturellement pas à l’électorat, mais dont tout le monde reconnaît la dignité.

Partidul_Social_Democrat_logo.svg.pngEn Roumanie, dès sa campagne de 2014, non content de dénoncer la présence, dans les rangs de la « gauche » roumaine, de quelques personnalités soupçonnées de malversations, Klaus Iohannis a décidé de faire de ses adversaires « socio-démocrates » (à vrai dire : populistes) « le parti de la corruption », tandis que son propre camp (de facto libéral à la Macron) cessait de se définir comme la « droite » roumaine, pour devenir le camp « du travail bien fait ». Ce remplacement relativement brutal (quoique non dénué de précédents dans la vie politique roumaine de l’après-1989) de la politique par la morale a été accompagné :

  • D’abord d’une exploitation médiatique assez malsaine de l’origine (territorialement transylvaine, ethniquement germanique) du candidat, instaurant symboliquement une hiérarchisation géo-biologique de la population roumaine : au Nord-ouest, les transylvains travailleurs, donc riches, cultivés et disciplinés ; au Sud-est (à l’extérieur de l’arc carpatique), les valaques et moldaves, paresseux, voleurs, obscurantistes, portés au mensonge et à l’assistanat. Ce discours a, en 2014 (et même encore un peu en 2019 !) séduit beaucoup d’électeurs issus de la minorité hongroise de Transylvanie. L’ironie du sort a voulu que Klaus Iohannis, élu grâce à eux, se soit ensuite avéré être le président le plus magyarophobe de l’histoire constitutionnelle roumaine (époque communiste comprise). Klaus Iohannis est en effet avant tout une marionnette de l’État profond roumain, lui-même inféodé à l’Empire occidental, qui n’accepte pas les velléités d’indépendance de la Hongrie de Viktor Orbán.
  • Puis, assez vite, d’une coloration de plus en plus biopolitique de ce moralisme. La Roumanie de Klaus Iohannis est devenue « la Roumanie propre », tandis que son adversaire socio-démocrate (en dépit du fait que son programme n’a plus rien de marxiste depuis trente ans) devenait « la peste rouge ». Dans les médias proches de la « droite » roumaine, il est depuis plusieurs années implicitement admis que les électeurs du Parti Social-Démocrate ne peuvent « commettre » un tel choix électoral qu’en l’absence de facultés intellectuelles appropriées – et, à chaque poussée électorale du PSD réapparaît l’idée de remettre en cause le suffrage universel, pour en exclure soit les non-diplômés (réputés idiots), soit les pauvres (scrutin censitaire), soit les vieux – soit toutes ces catégories à la fois (que le discours de la droite roumaine tend de toute façon à confondre).

C’est ici qu’apparaît un trait spécifiquement est-européen de ce discours d’extrême-droite, dont on trouvera aussi des équivalents en Ukraine (chez les « ultras »), ou encore en Pologne (chez les adversaires du PiS), mais qui a naturellement de quoi surprendre l’observateur d’Europe occidentale : son caractère « progressiste ». C’est en effet une rhétorique d’extrême-droite (hostile à la démocratie, anti-égalitariste, construisant « l’ennemi intérieur », etc.) qui puise moins sa légitimité dans un passé plus ou moins mythique que dans une certaine vision (eugéniste et technologiste) de l’avenir. Ce pourquoi elle réussit en même temps à être favorable au multiculturalisme, à l’agenda LGBT etc.. On reconnaît là un thème majeur de l’idéologie américaine, effectivement très présente en Roumanie, à la fois par les canaux culturels ordinaires (actifs aussi en Europe de l’Ouest), et, de façon plus directe, par la propagation cancéreuse des sectes néo-protestantes pilotées depuis les États-Unis d’Amérique.

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Le dénouement (en cours) :

Une fois instruit de ces éléments, on comprend mieux pourquoi, dans la Roumanie de Klaus Iohannis, la « crise du Covid » ne pouvait que dégénérer.

Apparemment, pourtant, tout s’est passé comme ailleurs : sortant d’une insouciance coupable, le gouvernement est d’abord surpris par une menace mal connue, et médiatiquement grossie par la « communication de crise » du gouvernement chinois ; il surréagit donc, et – étant, comme presque partout ailleurs en Europe, à peu près dénué de moyens d’action technique au terme de décennies de saccage néo-libéral du secteur public – trouve une solution techniquement peu convaincante, mais spectaculaire, dans la folie suggérée à Boris Johnson (vite imité par Macron) par le gourou Neil Ferguson : le confinement. Jusqu’ici, rien de très surprenant, vu de France, d’Italie, de Suisse ou même de Hongrie.

Mais voilà : en Roumanie, « l’idéologie Covid » se superpose si parfaitement à celle du régime Iohannis qu’elle le mène tout naturellement à ses dernières conséquences. J’ai déjà évoqué ailleurs le premier acte du drame, à savoir la transformation rapide, en mars-avril 2020, de cette démocratie (certes plus formelle que réelle, compte tenu du poids de l’État profond) en dictature militaire. J’ai aussi évoqué les amendes – d’un montant record en Europe – infligées à la pelle pour les moindres infractions à des règles de confinement particulièrement absurdes et liberticides. Ces amendes sont très vite devenues une des premières recettes fiscales de l’exsangue État roumain.

Or ce 6 mai, la Cour Constitutionnelle roumaine a frappé ces amendes d’illégalité. Elle reproche notamment au décret qui les institue de ne pas définir avec assez de précision les conditions de constatation du délit, ouvrant ainsi un espace d’arbitraire policier que tout le monde a, en effet, pu constater. Ami français : à bon entendeur…

Sans attendre, Klaus Iohannis a, dès le 7 mai, a consacré une allocution télévisée au commentaire de cette décision et de la situation du pays. Confondant allègrement communication de crise et discours de campagne, il a désigné deux ennemis de la « Roumanie propre » qu’il pense incarner :

  • un appareil judiciaire dont il laisse entendre qu’il serait secrètement complice du PSD (que cet appareil judiciaire a pourtant fort sévèrement puni à l’époque où ce parti était présidé par Liviu Dragnea, aujourd’hui incarcéré), et
  • à nouveau, le PSD lui-même. Bien qu’en charge du gouvernement – dirigé par son acolyte Ludovic Orban –, et en dépit du fait que le PSD a approuvé au parlement les pouvoirs exceptionnels confiés audit gouvernement au début de la « crise sanitaire », Iohannis avait déjà, le 29 avril, accusé (sans le moindre fondement) le PSD de « vouloir vendre la Transylvanie aux Hongrois ». Cette fois-ci, plaçant carrément PSD et Covid19 sur le même plan, il donne au discours biopolitique de l’extrême-droite libérale au pouvoir en Roumanie sa forme achevée, parfaite et probablement définitive. La métaphore dangereuse de la « peste rouge » est devenue hallucination en bonne et due forme.

Examinons, donc, l’impact de ces deux « calamités » sur la société roumaine :

Le bilan officiel du Covid19 est aujourd’hui en Roumanie de 888 morts, soit, en deux mois de décompte, 1.26 jour de mortalité générale. Cette situation est d’ailleurs générale en Europe post-communiste, pour, notamment, des raisons de faible longévité (notamment masculine), que j’ai analysées ailleurs. Rien n’indique donc que ce taux de mortalité soit à l’avenir susceptible d’une forte augmentation, ni dans des conditions de confinement actuelles, ni hors confinement (comme le suggère assez clairement l’exemple biélorusse, équivalent oriental de l’exemple suédois).

J’ai souvent évoqué dans ces chroniques le bilan des gouvernements du PSD de Liviu Dragnea (2016-2019), qui a notamment doublé les salaires de la fonction publique – et donc ceux des professions de santé, ralentissant ainsi l’exode des médecins roumains. Aussi léger que soit le bilan roumain de l’épidémie, on peut donc raisonnablement penser que, sans ces gouvernements, il aurait été un peu plus lourd.

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Bien plus que par un Covid qui y tue bien moins que les grippes ordinaires, ou par la « peste rouge » du timide PSD, la Roumanie semble donc actuellement menacée par le délire autoritaire de Klaus Iohannis et de l’extrême-droite atlantiste qu’il incarne.

On ne compte plus les voies de faits commises par des membres des forces de l’ordre sur des passants circulant pourtant régulièrement. Il est aussi question de médecins – de toute évidence intimidés – refusant aux victimes de telles violences un certificat d’attestation qui leur est pourtant statutairement dû. Sous prétexte de lutte contre les « fake news », le régime a fait fermer divers sites d’information hostiles à Klaus Iohannis, dont le site Justițiarul, auquel Klaus Iohannis porte une vieille rancune, pour avoir révélé l’un des aspects les moins reluisants de son ascension sociale au début des années 1990 : ses liens avec un réseau canadien de trafic d’enfants (le site étant censuré, impossible de fournir un lien, ndlr). Sur Internet, enfin, une armée de trolls (a priori issus des effectifs des services « secrets » – c’est-à-dire de la police politique roumaine, la plus nombreuse d’Europe) guette le moindre signe de scepticisme à l’égard du confinement, pour brutalement rappeler à l’ordre le « contrevenant », en évoquant les souffrances de parents placés en soins intensifs (à ceci près que la Roumanie n’a probablement pas assez de lits de soins intensifs pour héberger les parents de tous ces trolls).

Conclusion provisoire :

La question est maintenant avant tout de savoir dans quelle mesure l’État profond roumain conserve encore le contrôle du simulacre démocratique qu’il gère de plus ou moins près depuis l’assassinat du couple Ceauşescu. Si tel est encore le cas, alors Klaus Iohannis est certainement très proche de sa fin politique, et servira de fusible. Ses charges exagérées contre le PSD peuvent dans ce cas avoir été mises en scène dans le but de doper a contrario la popularité de ce parti (désormais tout aussi contrôlé par l’État profond que le PNL de Iohannis), qui accèderait alors pacifiquement au pouvoir, « afin que tout change pour que rien ne change ».

Si, en revanche, Klaus Iohannis s’avérait être sincère dans le délire paranoïaque et eugéniste affiché par ses dernières interventions publiques, on pourrait désormais s’attendre au pire. Dans ce second cas, il serait tout aussi improbable de le voir finir son mandat (voire l’année) aux commandes de l’État roumain. Mais il risquerait alors, avant de quitter la scène de façon plus ou moins brutale, de laisser un bilan plus lourd que celui du Covid-19, voire (et ce n’est pas peu dire) plus lourd que celui du confinement.

 

Extrait de: Source et auteur

samedi, 09 mai 2020

Quand le Covid-19 contamine le "Pacte du Quincy"...

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Quand le Covid-19 contamine le "Pacte du Quincy"...

par Richard Labévière

Ex: http://prochetmoyen-orient.ch

Le président des Etats-Unis ne conseille pas seulement aux victimes du Covid-19 de se désinfecter les poumons à l’eau de javel, il menace aussi ses grands amis saoudiens de retirer toutes ses troupes de la péninsule arabique, si Riyad ne cesse pas sa guerre des prix du pétrole, de connivence avec la Russie. Dans un appel téléphonique au prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane (MBS) – début avril -, Donald Trump a expliqué, en substance, que les pays producteurs devaient réduire l’offre mondiale de pétrole en raison de l’effondrement de la demande consécutive à la pandémie du Covid-19.

Au cours de la conversation téléphonique, Donald Trump aurait à peu près tenu ce langage à MBS : à moins que les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ne réduisent leurs productions, je ne pourrai empêcher la Chambre des Représentants et le Sénat d’adopter une loi décidant le retrait des soldats américains qui assurent la protection de la monarchie wahhabite.

Apparemment, le prince héritier n’en a pas cru ses oreilles, à tel point – selon Reuters – qu’il aurait demandé à ses collaborateurs de quitter la salle afin de poursuivre la conversion en privé… Le téléphone raccroché, le locataire de la Maison blanche a aussitôt « tweeté » qu’il espérait que le « chef de facto » du royaume réduise la production saoudienne de plusieurs millions de barils !

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Verbatim : « je viens de parler à mon ami MBS d’Arabie saoudite, qui a parlé avec le président Poutine et je m’attends à ce qu’il réduise d’environ 10 millions de barils/jour la production saoudienne et peut-être beaucoup plus. Si cela arrive, cela sera bénéfique pour l’industrie du pétrole et du gaz… ». Dans un « tweet » suivant, il a ajouté : « Si l’Arabie saoudite pouvait diminuer sa production de 15 millions de barils/jour, ce serait une grande et bonne nouvelle pour tout le monde ».

Après avoir déchiré l’accord de la COP-21 de Paris sur le réchauffement climatique, l’accord sur le nucléaire iranien ( signé en format 5 plus un :les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne) du 15 juillet 2015 à Vienne obtenu après quinze ans d’âpres négociations, celui sur les missiles de portée intermédiaire, suspendu le financement de plusieurs agences de l’ONU dont l’OMS tout récemment, fragilisant ainsi toutes espèces d’approches et de négociations multilatérales, Donald Trump donne un sérieux coup de canif à l’un des principaux piliers de la diplomatie américaine en vigueur depuis la fin de la Seconde guerre mondiale : le Pacte du Quincy.

UN PACTE HISTORIQUE DE 75 ANS

Au retour de la conférence de Yalta (14 février 1945), le président des Etats-Unis Franklin Roosevelt convoque le roi Ibn Séoud – le fondateur du royaume d’Arabie saoudite – à bord du croiseur lourd USS-Quincy (CA-71) qui mouille dans le lac Amer, au beau milieu du canal de Suez.

Débattant d’abord de la colonisation juive en Palestine, Roosevelt cherche à obtenir l’appui du roi saoudien en faveur de l’établissement du « foyer national juif en Palestine » que le Royaume-Uni a promis au baron Rothschild par la Déclaration Balfour (2 novembre 1917). Face à un refus catégorique du monarque wahhabite, la discussion glisse ensuite sur la Syrie et le Liban afin d’écarter définitivement la France de ces deux pays.

Enfin, les deux chefs d’Etat abordent la question de l’avenir de la dynastie saoudienne et du pétrole arabe. Traumatisée par le blocus japonais de la Seconde guerre mondiale qui a coupé les Etats-Unis d’un accès aux matières premières – gaz, pétrole et caoutchouc -, la Maison blanche considère désormais que ce type d’approvisionnement relève de la sécurité nationale. Profitant des incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la famille Saoud – qui n’a aucune légitimité à gérer les lieux saints de l’Islam (La Mecque et Médine) face à la dynastie historique des Hachémites – Roosevelt propose un premier marchandage « pétrole contre sécurité ». Autrement dit, laissez les compagnies pétrolières américaines exploiter les plus grandes réserves d’hydrocarbures du monde. En contrepartie, les Etats-Unis d’Amérique protégeront le maintien en place et la reproduction de votre dynastie ploutocrate…

ibn-seoud-635677-264-432.jpgL’historien français Jacques Benoist-Méchin (1901 – 1983) relate avec une grande précision comment les deux chefs d’Etat ont noué ce marchandage du siècle. Le résultat de cette discussion s’articule en quatre points : 1) la stabilité de l’Arabie saoudite fait partie des « intérêts vitaux » des États-Unis qui assurent, en contrepartie, la protection inconditionnelle de la famille Saoud et accessoirement celle du Royaume contre toute menace extérieure éventuelle ; 2) par extension, la stabilité de la péninsule arabique et le leadership régional de l’Arabie saoudite font aussi partie des « intérêts vitaux » des États-Unis ; 3) en contrepartie, le Royaume garantit l’essentiel de l’approvisionnement énergétique américain, la dynastie saoudienne n’aliénant aucune parcelle de son territoire. 

Aramco, à l’époque américaine, bénéficie d’un monopole d’exploitation de tous les gisements pétroliers du royaume pour une durée d’au moins soixante ans ; 4) les autres points portent sur le partenariat économique, commercial et financier saoudo-américain ainsi que sur la non-ingérence américaine dans les questions de politique intérieure saoudienne. La durée de cet accord est prévue pour une durée de 60 ans. Ce pacte a été renouvelé pour une nouvelle période de 60 ans, le 25 avril 2005 lors de la rencontre entre le président George W. Bush et le prince héritier Abdallah à Crawford (Texas).

Auparavant dès 1933, le roi wahhabite avait déjà concédé à la Standard Oil of California (SOCAL) une concession de 60 ans concernant l’est de l’Arabie saoudite, concession partagée avec la Texas Oil Company (Texaco) à partir de 1936. Le même accord est étendu en superficie en 1938, intégrant en 1948 la Standard Oil of New Jersey (Esso) et la Standard Oil of New York (Socony) au sein de l’Aramco. Les promesses verbales de Roosevelt concernant le « foyer national juif » – renouvelées par écrit dans une lettre datée du 5 avril 1945 – seront actées par le président Truman, qui va favoriser la fondation d’Israël en 1948.

Depuis la signature de ce pacte, le Pentagone dispose d’unités de ses services spéciaux déployées dans l’ensemble de la péninsule arabique, assurant aussi le fonctionnement d’un véritable « pipeline » pour transférer à prix d’or noir des cargaisons d’armements parmi les plus sophistiqués dont les Saoudiens ne savent pourtant pas se servir, nombre de cargaisons sous emballages plastiques restant dans des entrepôts sous haute surveillance…

Mais cet accord permet surtout aux troupes américaines d’occuper et de « protéger » la reproduction de la ploutocratie wahhabite, favorisant ses initiatives diplomatiques, religieuses et militaires visant l’Iran chi’ite et la prétention géopolitique d’une domination sans partage de l’ensemble des mondes musulmans. Comme l’ont souligné de nombreux chercheurs comme Faouzi Skali et Alain Chouet1, cette politique américaine a favorisé une « wahhabisation » des islams d’Asie et d’Afrique, favorisant aussi l’expansion de l’Islam radical et du terrorisme, également en Europe et en France.

LA FIN DU PETROLE DE SCHISTE AMERICAIN

Selon une note blanche d’un service européen de renseignement : « plusieurs entreprises avaient pris l’engagement d’acheter une grande quantité de pétrole brut West Texas Intermediate à un certain prix. Le prix proposé par les vendeurs semblait bon marché au moment de la signature des contrats. La date de règlement des contrats était le 21 avril 2020. Mais cette fois, les vendeurs ont insisté pour livrer physiquement le pétrole aux acheteurs avant le paiement. Cela a posé un problème. Les acheteurs n’avaient pas la capacité de stockage nécessaire pour accepter le pétrole qu’ils avaient acheté il y a plusieurs mois. Ils ne pouvaient le stocker nulle part. La seule solution était de vendre immédiatement à quelqu’un d’autre. Mais personne n’était intéressé. Tous avaient déjà rempli leurs capacités de stockage. Les sociétés qui avaient l’obligation d’accepter le pétrole des producteurs ont alors proposé de payer d’autres personnes pour prendre leur pétrole. Lorsque le prix a commencé à être négatif, la décision a été prise de proposer un stockage supplémentaire à moins 50 dollars. Finalement, le contrat d’option de Mai du West Texas Intermediate a été clôturé à moins 37 dollars ».

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Pour la première fois de leur histoire, les contrats à terme sur le pétrole West Texas Intermediate (WTI) se sont négociés en valeur négative sur le New York Mercantile Exchange (Nymex) et le brut américain prévu à la livraison en Mai a perdu 55,90 dollars en une journée pour clôturer à moins 37,63 dollars le baril ! Cette chute vertigineuse est en partie le résultat de la liquidation forcée sur le marché à terme « à tout prix ». En fait, l’effondrement des prix s’explique par l’accroissement des cargaisons bloquées par les raffineries qui réduisent leur production, puisqu’elles ne peuvent vendre leurs produits sur un marché où la demande s’est asséchée à cause de la propagation de la pandémie du Covid-19. Le prix négatif élevé « signifie que le stockage est au maximum de ses capacités », a déclaré Albert Helmig, PDG de la société de conseil Grey House et ancien vice-président du Nymex.

La plupart des grands pays consommateurs sont encore en situation de confinement. Le trafic aérien mondial a diminué de plus de 80 % et la demande d’essence et d’autres produits pétroliers raffinés est faible. Conséquence structurelle majeure pour l’économie américaine : les producteurs de pétrole de schiste ont déjà réduit une partie de leur production, mais ils devront la réduire encore beaucoup plus. Le nombre de plates-formes pétrolières et gazières américaines en activité est passé de plus de 1 000 l’année dernière à 529, la semaine dernière. Elle pourrait tomber en dessous d’une centaine durant les prochaines semaines.

La production de pétrole de schiste nécessite un prix du baril à environ 45 dollars. Actuellement, aucun producteur américain de pétrole de schiste ne peut atteindre ce prix plancher. Tous sont déjà très endettés et envisagent de fermer leurs puits. Une fois fermés, les puits ont tendance à se boucher et nécessiteront d’importants travaux coûteux pour être réouverts. Dans ces conditions, il est peu probable qu’ils soient de nouveau rentables au cours des deux à cinq prochaines années, voire jamais, puisqu’il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que le pétrole brut atteigne à nouveau son précédent pic aux environs de 100 dollars le baril.

Aujourd’hui, la dette totale des producteurs américains de pétrole de schiste est estimée à plus de 200 milliards de dollars. Selon certains experts, cette situation pourrait même engendrer un effondrement du système bancaire américain et la situation de l’Arabie saoudite aggrave ces perspectives !

LA DICTATURE WAHHABITE FRAGILISEE

En effet avec le Covid-19, les mauvaises nouvelles s’accumulent pour la dictature wahhabite : exacerbation des tensions régionales, enlisement saoudien dans le conflit yéménite (depuis 2015) et guerre des prix du pétrole liée à la récession amorcée par la pandémie.

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Avec un prix du baril qui plafonne aux alentours de 20 dollars depuis Mars, Riyad devrait connaître un accroissement de son déficit budgétaire, déjà estimé à hauteur de 6,6 % de son PIB pour 2020. Début avril, la monarchie a demandé aux agences d’État d’amputer leur budget en cours d’au moins 20 % pour faire face à la baisse du prix du baril. Le budget 2020 avait déjà été revu à la baisse avec une réduction de 8 % des dépenses. En fait, l’Arabie saoudite a besoin d’un prix du pétrole d’au moins 85 dollars le baril pour équilibrer le déficit budgétaire de son gouvernement et d’au moins 50 dollars le baril pour équilibrer les comptes courants. Selon plusieurs prévisionnistes, ces deux déficits vont s’aggraver par rapport au prix actuel du pétrole et le déficit budgétaire notamment sera beaucoup plus important, au moins à hauteur de 15 % du PIB.

L’impact économique du Covid-19 remet en question certaines perspectives du plan « Vision-2030 », en particulier les plans pour NEOM – mégalopole du futur qui devait s’installer dans le Nord-Est saoudien. Les nouvelles politiques du « divertissement » et du « tourisme », pierres angulaires initiales du plan, seront fortement impactées, sinon abrogées.

La dictature wahhabite se trouve ainsi dans une situation très délicate qui n’est pas sans conséquences politiques et géopolitiques. Riyad se retrouve de plus en plus isolé, du moins avec des alliés sur lesquels elle ne peut plus systématiquement compter, dans un environnement toujours plus hostile. Cette évolution explique partiellement pourquoi depuis quelques mois la dictature wahhabite essaie de jouer l’apaisement avec Téhéran et cherche une porte de sortie à la guerre au Yémen.

MBS lui-même a dû revoir à la baisse ses ambitions de transformer la monarchie et de devenir le leader incontesté du monde sunnite. Dans cette conjoncture, il durcit le régime et réprime toute personne ou organisation susceptible de contester son pouvoir personnel. Accusés de trahison, quatre membres de la famille royale ont été arrêtés le mois dernier, dont le dernier frère vivant du roi Salmane – Ahmad ben Abdelaziz – et l’ancien prince héritier Mohammad ben Nayef.

Toujours à cause du Covid-19, la suspension « temporaire » de la omra (le petit pèlerinage) et la possible annulation du hajj (le grand pèlerinage annuel à La Mecque), sont d’autres défis. La défection des quelque deux millions de pèlerins qui étaient attendus en Juillet prochain risque d’affecter la légitimité des Saoud, censés être gardiens des lieux saints. On peut en tout cas s’attendre à une recrudescence d’attaques politiques ciblant personnellement MBS.

MBS avait aussi beaucoup misé sur le prochain G-20 qui devrait se dérouler à Riyad en Novembre prochain. Celui-ci risque d’être annulé ou de se tenir par visioconférence. Mais la dictature wahhabite devra affronter une échéance encore plus décisive avec l’élection présidentielle américaine. Alors que la monarchie pâtit d’une image de plus en plus négative aux Etats-Unis, particulièrement dans le camp démocrate, le prince-héritier devrait beaucoup prier pour une nouvelle victoire de Donald Trump. Dans le cas contraire, le cauchemar pourrait s’avérer de plus grande ampleur pour la dynastie des Saoud.

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LE RETOUR DE L’IRAN ?

La Maison Blanche a déchiré l’accord sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018. La semaine dernière, Le New York Times indiquait que les États-Unis veulent maintenant y revenir : « Le secrétaire d’État Mike Pompeo prépare une singulière volte-face affirmant que les États-Unis sont toujours partie prenante à l’Accord nucléaire iranien auquel le président Trump a pourtant renoncé, dans le cadre d’une stratégie complexe visant à faire pression sur le Conseil de sécurité des Nations unies pour qu’il prolonge un embargo sur les armes à destination de Téhéran ou qu’il impose de nouvelles sanctions beaucoup plus sévères contre ce pays… ».

Dans cette perspective, Mike Pompeo est en train de bricoler un plan qui ne peut qu’inquiéter les pays européens : les États-Unis prétendent, en substance, qu’ils restent légalement « partie-prenante » de l’accord nucléaire – mais seulement pour invoquer un « retour à la case départ » qui permettrait de rétablir les sanctions de l’ONU contre l’Iran, les mêmes qui étaient en vigueur avant l’accord. Si l’embargo sur les armes n’est pas renouvelé, les États-Unis feraient valoir leur « droit » de pays membre originel de l’accord. Cette mesure obligerait à rétablir le large éventail de sanctions qui interdisaient les ventes de pétrole et les arrangements bancaires avant l’adoption de l’accord en 2015. L’application de ces anciennes sanctions serait, en théorie, contraignante pour tous les membres des Nations unies.

Désormais pris à son propre piège, l’administration américaine cherche non seulement à imposer de nouvelles sanctions à l’Iran, mais veut forcer Téhéran à renoncer à toute prétention de préserver l’accord de l’ère Obama. Ce n’est qu’en le brisant « de l’intérieur », disent plusieurs hauts fonctionnaires américains, que l’ayatollah Ali Khamenei et le président Hassan Rouhani seraient contraints de négocier un tout nouvel accord conforme aux intérêts de Donald Trump qui a fait de ce dossier l’un de ses principaux arguments électoraux pour l’élection présidentielle de novembre prochain.

Le plan Pompeo ne peut fonctionner. Il n’y aura pas de « retour à la case départ » pour les sanctions et l’Iran s’en tiendra à l’accord. L’option de retour à la case départ fait partie du mécanisme de règlement des différends prévu aux articles 36 et 37 de l’accord. Le site UN Dispatch en donne une brève description : « L’accord … crée un panel de huit membres, appelé « Commission conjointe », qui servira de mécanisme de résolution des litiges. Les membres de ce panel sont les cinq membres du Conseil de sécurité ayant le droit de veto, plus l’Allemagne, l’Iran et l’Union européenne. Il y a huit membres au total. Si une majorité estime que l’Iran a triché, la question est renvoyée au Conseil de sécurité. Aucun pays ne dispose d’un droit de veto ».

Selon l’accord nucléaire le Conseil de sécurité ne peut imposer de nouvelles sanctions. En fait, le Conseil de sécurité doit décider s’il continue ou non à lever les sanctions en vigueur. S’il ne le fait pas, les anciennes sanctions restent en vigueur. Ce cadre évite la perspective d’un veto russe et garantit que si les pays occidentaux pensent que l’Iran triche, les sanctions seront automatiquement réimposées.

Les États-Unis ne participent plus à la « commission conjointe » et ne peuvent donc pas déclencher le processus. Il n’y aura pas non plus de majorité pour soumettre le désaccord au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans sa résolution 2231, le Conseil de sécurité des Nations unies a également établi que seuls les participants à l’accord peuvent déclencher un processus de retour en arrière. Le fait que les États-Unis déclarent aujourd’hui être toujours un « État participant » à l’accord sera considéré comme une véritable farce par tous ceux qui se souviennent des remarques de l’administration Trump concernant la décision d’en sortir ! Un diplomate européen de haut rang a déjà rejeté « le plan Pompeo », estimant que celui-ci « était parfaitement farfelu, irréaliste et indécent. On ne peut pas piétiner à longueur de journée le multilatéralisme et, en même temps, lui imposer des virages à 360 degrés ! ».

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L’article du New York Times conclut : « la stratégie de l’administration pourrait bien fonctionner, même si d’autres membres des Nations unies ignoraient cette initiative. A ce moment-là, sur le papier du moins, les Nations Unies retourneraient à toutes les sanctions contre l’Iran qui existaient avant que M. Obama ne signe l’accord avec Téhéran… Pourtant, seuls les participants à l’accord peuvent déclencher un tel processus de retour à la case départ. Or, les États-Unis ne sont plus reconnus en tant que participant effectif ».

Il est peu probable que les pays européens acceptent la dernière initiative de Washington. En janvier dernier, ils ont fait savoir qu’ils déclencheraient le mécanisme de règlement des différends qui prévoit une relance des sanctions, parce que l’Iran a dépassé certaines limites de l’enrichissement d’uranium. L’Iran a répliqué en faisant valoir qu’il était toujours dans les limites de l’accord et a ensuite menacé de quitter le traité de prolifération nucléaire si les Européens continuaient dans cette voie. Depuis, on observe le plus grand silence des Européens, dont plusieurs chancelleries admettent que le bras de fer déclenché par les Américains est en train de tourner à l’avantage de l’Iran.

En effet, à force de vouloir absolument faire rendre gorge à l’Iran – et ce par les moyens les plus tordus -, Washington pousse non seulement Pékin, Moscou et Ankara à soutenir davantage Téhéran, mais aussi les pays européens à se dissocier de cet objectif qui tourne à l’obsession. Plusieurs pays arabes – sunnites -, pas seulement le Qatar, et non des moindres, comme l’Egypte sont aussi en train de ce dissocier de cet « iran-bashing » en train de tourner à l’hystérie.

Un haut-diplomate européen qui a longtemps été en poste a Téhéran conclut : « Comment les Européens pourraient-ils accepter les dernières manipulations de Mike Pompeo alors que Washington leur crache dessus depuis plusieurs mois ! En définitive et malgré les difficultés économiques et politiques qui frappent l’Iran, il se pourrait bien que la pandémie du Covid-19 favorise, à terme, un singulier retour politique et géopolitique de Téhéran… ».

En attendant, bonne lecture. A la semaine et continuez à bien prendre soin de vous.

Richard Labévière
4 mai 2020

1 Alain Chouet : Au cœur des services spéciaux – La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers. Editions La Découverte, Paris, 2011.

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vendredi, 08 mai 2020

L’économie européenne devrait connaitre une récession de 7,5% en 2020… si tout se passe bien

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L’économie européenne devrait connaitre une récession de 7,5% en 2020… si tout se passe bien

par Ivan Lapchine

En communiquant ses nouvelles prévisions, le 6 mai, la Commission européenne a prévenu que «l'économie de l'UE connaîtra[it] une récession dans des proportions historiques cette année». Elle devrait être à peu près semblable pour la moyenne des 27 Etats membres et pour la seule zone euro, avec des contractions des produits intérieurs bruts (PIB) respectives de 7,5% et 7,75%. Une reprise est attendue en 2021 aux environs de 6% pour les deux ensembles.

L’ampleur du choc causé par le coronavirus se constate dans celle de la révision brutale des prévisions de la Commission :   elles ont été revues à la baisse d'environ neuf points de pourcentage par rapport à ce qui était envisagé à l’automne et de 6,5 points en seulement deux mois.

Tous les Etats membres ont été atteintes, mais pour l’année 2020, l’ampleur de la récession variera suivant les pays et la structure de leur économie. L’Espagne, la Grèce et le Portugal où le tourisme apporte habituellement une importante contribution économique seront les plus touchés avec près de 9% de contraction du PIB.

Le taux de chômage dans la zone euro devrait passer d’une moyenne de 7,5% en 2019 à 9,5% en 2020, avant de retomber à 8,5% en 2021. Dans l'UE, il devrait passer de 6,7% en 2019 à 9% en 2020, puis tomber à environ 8% en 2021. Certains Etats membres connaîtront une augmentation du chômage plus importante que d'autres. Ceux qui comptent une forte proportion de travailleurs sous contrat de courte durée et ceux dont une grande partie de la main-d'œuvre dépend du tourisme sont particulièrement vulnérables. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail en ce moment auront également plus de mal à trouver leur premier emploi.

La zone euro proche de la déflation

Enfin, les prix à la consommation devraient chuter sensiblement cette année en raison de la baisse de la demande et de la forte baisse des prix du pétrole, qui, ensemble, devraient plus que compenser les hausses de prix isolées causées par les ruptures d'approvisionnement liées à la pandémie. La zone euro, se trouvera dangereusement proche de la déflation avec un indice de progression des prix de 0,2% en 2020, et à 1,1% en 2021. La situation ne sera guère meilleure pour la moyenne des 27 avec une inflation prévue à 0,6% en 2020 et 1,3% en 2021.

Après avoir baissé depuis 2014, le ratio dette publique/PIB devrait de nouveau augmenter en 2020. Dans la zone euro, il devrait passer de 86% à 102,75% et de 79,4% à 95% dans l’UE.

La Cour constitutionnelle allemande fixe un ultimatum à la #BCE et menace la zone #euro#Allemagne  #UE  #Economie

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— RT France (@RTenfrancais) May 6, 2020

Incertitude «exceptionnellement élevée» et risques «orientés à la baisse»

Dans son communiqué, la Commission européenne ajoute que ses prévisions «sont assombries par un degré d'incertitude plus élevé que d'habitude». En effet, elles se basent sur un scénario qui prévoit un déconfinement progressif de l’activité économique en Europe à partir de mai. Mais la commission prévient qu’«une pandémie plus grave et plus durable […] pourrait entraîner une baisse du PIB beaucoup plus importante».

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L’exécutif européen affirme avec insistance la nécessité d’un plan de relance coordonnée au niveau européen qu’elle prépare et espère faire accepter aux Etats membres malgré leurs divergences. Dans son communiqué la Commission européenne souligne qu’«étant donné l'interdépendance des économies de l'UE, la dynamique de la reprise dans chaque Etat membre affectera également la force de la reprise des autres Etats membres».

«Reprise collective» et «réponses coordonnées»

A ce sujet, Valdis Dombrovskis, vice-président de la commission a déclaré : «Notre reprise collective dépendra de la poursuite de réponses fortes et coordonnées aux niveaux européen et national. Nous sommes plus forts ensemble.»

Paolo Gentiloni, commissaire européen à l'économie, a pour sa part souligné que «tant la profondeur de la récession que la force de la reprise ser[aie]nt inégales, conditionnées par la vitesse à laquelle les fermetures peuvent être levées, l'importance des services comme le tourisme dans chaque économie et par les ressources financières de chaque pays». Et pour lui ces divergences entre les économies constituent «une menace pour le marché unique et la zone euro» qui peut toutefois être atténuée «par une action européenne commune et décisive».

Enfin, la Commission redoute un reflux de la mondialisation qu’elle caractérise par «des changements d'attitude plus radicaux et permanents à l'égard des chaînes de valeur mondiales et de la coopération internationale». Cette tendance, écrit-elle, «pèserait sur l'économie européenne très ouverte et interconnectée».

Ivan Lapchine

Extrait de: Source et auteur

L'Arabie saoudite au bord du désastre économique

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L'Arabie saoudite au bord du désastre économique

par Jean-Paul Baquiast
Ex: http://www.europesolidaire.eu
 
Comme on pouvait le pressentir, l'épidémie mondiale de coronavirus qui ralentit considérablement la demande de pétrole pose un véritable problème de survie économique au Royaume saoudien.

Celui-ci subsiste essentiellement sur une seule ressources, le pétrole et le gaz dont la nature (Allah ?) l'avait richement doté. Pour réduire cette dépendance, le prince héritier Mohammad bin Salman al Saoud (MBS) avait envisagé de diversifier l'économie. Pour cela, il avait tenté d'y appeler des investisseurs étrangers compétents notamment dans le domaines des nouvelles sciences et technologies. Il avait élaboré à cette fin un plan dit Vision 2030. Mais aujourd'hui il n'a plus les moyens de leur offrir des conditions d'accueil attrayantes.

Ceci d'autant plus que le pétrole saoudien est désormais en compétition avec le pétrole russe. Certes, la Russie souffre aussi de la baisse des cours pétroliers, mais elle dispose d'une économie suffisamment puissante pour ne pas en dépendre. Le roi Salman, père du prince, a prévenu le 19 mars que le Royaume devait se préparer à une bataille très difficile. C'était  peu avant le 26 mars, où il devait présider une réunion du G20, autrement dit des 20 puissances les plus riches du monde. Cette réunion était supposée proposer une politiques internationale permettant de lutter contre le virus. Comme l'on sait, rien de sérieux n'en est sorti.

MBS, sunnite, avait initialement accusé l'Iran chiite d'être à la source de l'épidémie, alors qu'elle en est elle-même durement frappée. Ses proches avaient porté la même accusation contre le Qatar, supposé s'opposer à la Vision 2030. Ce furent ensuite les travailleurs éthiopiens venus chercher de l'emploi à Riyad qui furent suspectés d'être des porteurs du virus. Des milliers d'entre eux furent expulsés, dans des conditions dites inhumaines par les associations.

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Il est vrai que l'Arabie Saoudite est particulièrement victime du coronavirus. Début avril, 200.000 cas ont été identifiés, dont 150 membres de la famille royale, famille il est vrai très nombreuse. Le 6 avril, un couvre-feu a été décrété dans les principales villes. De nombreux magasins alimentaires ont été fermés, provoquant l'inquiétude des milieux populaires. 

De plus le Hajj, pèlerinage annuel que font, au moins une fois dans leur vie, les musulmans aux lieux saints des villes de La Mecque et Médine, en Arabie saoudite, devant se tenir du 28 juillet au 3 août, ne pourra avoir lieu. Ce pèlerinage est traditionnellement une source de profits considérables pour le Royaume. Deux millions de pèlerins étaient attendus. On rappellera par ailleurs que MBS prévoyait la création d'une ville dite futuriste, nommée Neom, à laquelle il espérait pouvoir consacrer 600 milliards de dollar, lesquels rapporteraient des profits bien supérieurs. On devait y trouver, entre autres, des automobiles volantes et des serviteurs robotiques. .

Certes le Royaume dispose de réserves financières considérables, provenant de la vente du pétrole. Mais celles-ci s'épuiseront vite. Malheureusement, selon les observateurs, la crise actuelle aurait semé la panique dans l'esprit de MBS. Perdant son sang-froid, il envisagerait un retour à un nationalisme agressif et à d'autres décisions irrationnelles qui seraient la risée de toute la région, à commencer par l'Iran et la Russie. Il ne pourra espérer aucun appui de Washington, l'allié de toujours, qui affronte bien d'autres nécessités.

 

mercredi, 06 mai 2020

Les anglo-sionistes lancent une PSYOP stratégique contre la Chine

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Les anglo-sionistes

lancent une PSYOP stratégique

contre la Chine

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

 
Peut-être que la rengaine «C’est la faute des Russes» est devenue obsolète. Ou peut-être que les dirigeants de l’Empire ont finalement compris que la Chine était encore plus dangereuse que la Russie. Mais mon intuition personnelle est simplement que les anglo-sionistes paniquent d’avoir perdu la face « tous azimuts » avec leur gestion catastrophique – médicalement et, plus encore, politiquement – de cette crise socio-économique provoquée par la pandémie, et qu’ils pointent maintenant le doigt vers à peu près tout le monde – et même entre eux.

La Russie a joué un rôle crucial ici, car c’est dans leur guerre de communication contre elle que les dirigeants de l’Empire ont inventé ce que j’appelle maintenant les «normes de preuve Skripal», signifiant «très probable». Ce dernier principe étant subrepticement accepté par tous les Européens au nom de la «solidarité» – avec qui exactement est rarement spécifié, parfois « atlantique » – il était, dirons-nous, «naïvement raisonnable» de penser qu’il fonctionnerait à nouveau cette fois-ci. Encore une fois, personnellement, je n’en suis pas du tout sûr. Beaucoup de choses ont changé au cours des deux dernières années : non seulement les Européens ont finalement découvert à quel point le conte de fées de Skripal était complètement stupide et incroyable, mais le niveau de dégoût, et même de haine envers Trump et les États-Unis a fortement augmenté.

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De plus, la Chine a beaucoup plus à offrir à l’Europe que les États-désUnis en désintégration – alors pourquoi se ranger du côté des perdants ? Dernier point, mais certainement pas le moindre, les Européens découvriront – et certains l’ont déjà fait, que les États-Unis se soucient comme d’une guigne, non seulement des Européens ordinaires, mais même de leurs classes dirigeantes [cf le brigandage des masques contre le virus, NdT]. Aparté Une étude rapide de l'histoire montre que lorsque les élites exploiteuses se portent bien, elles se soutiennent toutes loyalement, mais lorsque les choses commencent à partir en vrille, elles se retournent immédiatement les unes contre les autres. Le meilleur exemple récent de ce phénomène est le schisme des élites dirigeantes américanistes qui, depuis l'élection de Trump, se sont immédiatement retournées les unes contre les autres et se battent désormais violemment comme des "araignées dans une boîte" (pour utiliser une expression russe).

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En fait, cette constatation est si vraie qu'elle peut même être utilisé comme outil de diagnostic très fiable : lorsque vos ennemis sont tous unis, c'est qu'ils sont probablement confiants dans leur victoire, mais dès qu'ils se retournent les uns contre les autres, vous comprenez que les choses sont très mauvaises pour eux [Théorie de la "Discorde chez l'ennemie", chère à De Gaulle, NdT]. De même, nous voyons maintenant comment les Européens du Sud se mettent vraiment en colère contre leurs «alliés de l'UE» au Nord - Macron semble s'aligner derrière Trump même s'il utilise un langage diplomatique plus prudent. Enfin, la façon dont la CIA a sa politique étrangère, le Pentagone une autre et Foggy Bottom [Affaires étrangères] la sienne - même si elle se limite aux sanctions et à la stigmatisation - vous dit à peu près tout ce que vous devez savoir pour voir à quel point en est arrivée la crise systémique de l'Empire.

Bien qu’il ne reste que très peu de gens vraiment intelligents au sein du gouvernement américain, il y en a encore beaucoup «dans les strates élevées» et il ne leur a pas fallu longtemps pour découvrir que cette pandémie était une occasion en or pour coller tous leurs propres échecs et erreurs sur le dos de la Chine. Les arguments ? Vraiment facile :
 

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LA TERREUR JAUNE DANS TOUTE SA GLOIRE

1 – La propagande anti-chinoise a une longue histoire aux États-Unis et il était vraiment facile de la rallumer.

2 – La plupart des Américains ont une réaction complètement irrationnelle au mot «communiste», il est donc très facile, pour tout organe de propagande américain de mentionner le PCC, de «mentir» dans la même phrase, et de paraître crédible, indépendamment de ce que dit la phrase – comme, par exemple, une preuve factuelle.

3 – La ploutocratie américaine est terrifiée par la puissance économique et industrielle chinoise, d’où la diffamation d’entreprises comme Huawei ou DJI qui sont déclarées menaçantes pour la sécurité nationale des États-Unis. Blâmez tout sur les Chinois et les oligarques américains vont adorer !

4 – La Chine et la Russie sont dans une relation plus profonde qu’une alliance. J’appelle cela une «symbiose» tandis que les Chinois parlent d’un «Partenariat stratégique global de coordination pour la nouvelle ère» et les Russes d’une «alliance cruciale». Les termes n’ont pas vraiment d’importance ici, ce qui compte, c’est que la Russie et la Chine sont au coude à coude contre l’Empire, c’est ce qu’ils veulent dire par «coordination», et que les tentatives américaines – certes peu nombreuses et maladroites – pour briser cette alliance ont totalement échoué.

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5 – Comme pour toute nouvelle pandémie, il a fallu du temps à la Chine pour comprendre la nature de ce qui se passait et il était extrêmement facile d’accuser celle-ci d’obscurcissement délibéré – tout en gardant à l’esprit le fait que la Chine a informé le monde dès le 31 décembre, ce qui est évidemment omis, tout comme la présence d’une délégation multinationale de l’OMS pour enquêter sur cette question. En réalité, on pourrait aussi bien accuser la Chine d’être trop ouverte en permettant à diverses estimations et hypothèses de circuler avant même que le gouvernement chinois n’ait établi tous les faits. C’est un cas parfaitement insoluble de double contrainte : condamné si vous le faites et condamné si vous ne le faites pas.

6 – La culture politique américaine est telle que 99,99% des Américains américains croiront littéralement tout mensonge, aussi stupide soit-il, concernant le reste du monde [comme ils disent si joliment !, NdT], que d’accepter toute vérité désagréable sur leur pays. Faire d’un autre pouvoir un bouc émissaire, en particulier un pouvoir communiste, provoque une réaction instinctive d’approbation de la part d’une grande majorité des Américains.

7 – Lorsque l’OMS n’a clairement pas marché dans la propagande américaine [contre la Chine], ce fut une bonne occasion pour Trump de supprimer son financement. Non seulement les États-Unis devaient déjà des millions de dollars à l’OMS, de $50 à $200 millions, selon la personne à qui vous le demandez, mais le prétexte facile pour ne pas payer était de l’accuser d’être pro-chinois. Il est évident que Trump ne voit aucune utilité à l’ONU, à part en tant que punching ball, et c’était une occasion parfaite pour s’entraîner une fois de plus.

8 – Comme pour tout événement effrayant, un véritable tsunami de rumeurs complètement non fondées, et carrément stupides, a commencé à se déverser dès qu’il a été clair qu’il s’agissait d’un événement majeur. Tout ce que la machine de propagande américaine avait à faire était de parler sérieusement de certaines de ces rumeurs, en faisant croire que les médias ne faisaient que «rapporter» plutôt qu’inventer des histoires.

9 – La Chine est également une menace majeure pour les intérêts américains en Asie, et cette pandémie a fourni à ces derniers une occasion parfaite pour présenter des rapports venant de Taïwan comme des rapports venant de Chine – c’est une vieille astuce. Quant au gouvernement taïwanais, il était plus qu’heureux de l’aubaine d’avoir un autre prétexte pour haïr la Chine, rien de nouveau ici non plus.

10 – Enfin, les économistes américains n’ont pas mis longtemps à comprendre que cette pandémie aurait un effet dévastateur sur la «meilleure économie de l’histoire de la galaxie», si bien que le fait de rejeter la faute sur la Chine est le moyen idéal pour Trump et ses maîtres néocons de dévier toute accusation lancée contre eux.

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Les récits qui ont ensuite été inventés sont vraiment magnifiques. Voici quelques-uns de mes favoris :
Le FBI dit que des États étrangers ont piraté des centres de recherche américains à la recherche de percées dans l’étude de la COVID-19. Bien que cet article pointe du doigt l’Iran, pas la Russie ou la Chine, il donne très bien le ton de «on nous attaque». Remarquez le pluriel dans «États étrangers».
Les États-Unis lancent une «enquête à grande échelle» sur le laboratoire de Wuhan.
Une étude a-t-elle prouvé que le coronavirus était une création humaine, comme le prétend un lauréat français du prix Nobel de médecine ? Excellent coup joué, il donne du pouvoir à l’argument en citant une célébrité, peu importe qu’il y ait beaucoup plus de voix crédibles disant que cette théorie est une baliverne. [Cf l’interview du Pr Montagnier sur Cnews encadré par la fine-fleur des « journalistes » atlantistes, NdSF]


Il y en a beaucoup plus, je suis sûr que vous les avez vus aussi.

Finalement, et inévitablement, cette PSYOP stratégique a fait monter les enchères et FOXnews – évidemment – a diffusé ce véritable chef-d’œuvre : «Sen. Hawley : Que les victimes du coronavirus poursuivent le Parti communiste chinois ». Vraiment, c’est génial. «J’ai perdu mon emploi, que les camarades chinois diaboliques me remboursent» est une mélodie agréable pour les oreilles de la majorité des Américains.

À l’heure actuelle, la plupart des déclarations américaines ne sont que de simples mensonges, mais comme la Chine, avec le temps, publiera finalement des données corrigées plus précises, ces statistiques mises à jour seront immédiatement interprétées comme la preuve qu’initialement les Chinois mentaient délibérément, et non pas comme le résultat des Chinois eux-mêmes obtenant progressivement une meilleure image de ce qui s’est réellement passé. Encore une fois, c’est le cas typique de double contrainte où vous êtes toujours coupable.

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Je dois mentionner qu’il y a une autre raison qui pourrait contribuer à la décision des États-Unis de rejeter la faute sur la Chine : on ne sait toujours pas d’où vient ce virus, mais une possibilité est qu’il soit originaire des États-Unis et a été amené en Chine par les Américains – que ce soit délibérément ou non n’est pas la question ici. Quant aux rapports qui prétendent que les États-Unis dissimulent délibérément l’ampleur réelle de la catastrophe aux États-Unis, ils sont ignorés.

En outre, il est maintenant douloureusement évident que les politiciens américains ont très mal apprécié la situation en commençant à dire que c’était un problème chinois ou que ce n’était « pas pire que la grippe saisonnière », ou les deux. Ce n’est que le dernier exemple de ce que j’appelle le «messianisme narcissique américain», conduisant les dirigeants à croire en leur propre propagande, pour finir par découvrir que la réalité existe toujours, et qu’elle est radicalement différente des illusions de la plupart des Américains.

Maintenant, tous ces politiciens américains – les Republicrates autant que les Démoblicains – doivent courir dans tous les sens en cherchant à planquer collectivement leurs culs. Quelle meilleure façon d’y parvenir que de rejeter la faute sur la Chine ?

Comme je l’ai dit plus haut, c’est intelligent, mais absolument pas très intelligent.


Les États-Unis sont déjà coincés dans une guerre impossible à gagner contre la Russie – comme je le rappelle toujours à tout le monde, cette guerre est à 80% communication, 15% économique et seulement 5% militaire. Ouvrir un «deuxième front» à grande échelle est logique en termes d’opportunité politique à court terme, en particulier pendant une année électorale, mais à long terme, il est voué à un désastreux échec. En fait, s’il y a quelque chose que l’histoire nous enseigne, c’est que l’ouverture d’un second front lorsque vous ne pouvez même pas gérer le premier est suicidaire. Mais qui se soucie de l’histoire, en particulier aux «États-Unis d’Amnésiques» ? Et puis, quand vous êtes en même temps exceptionnel et totalement supérieur, pourquoi voudriez-vous vous soucier de l’histoire des peuples et des nations «déplorables» ici où là ? Appelez-les simplement «fosses à purin» et agitez votre drapeau – de fabrication chinoise. C’est ce qui suffit pour «paraître présidentiel» de nos jours …

Indépendamment de tout ce qui a été dit ci-dessus, l’élan de cette campagne sinophobe est trop important pour être inversé ou arrêté. Et puisque la plupart de la classe politique américaine la soutient, cela continuera probablement même après l’élection présidentielle américaine, en supposant qu’elle ait lieu.

Pourtant, tout cela pose une question : que s’est-il vraiment passé ? Quelle est la vérité ?

La vérité est que personne ne sait vraiment. Il faudra probablement des années pour obtenir l’image complète et, plus encore, les bons chiffres. Quels chiffres corrects ? Eh bien, tous : porteurs, résistants, groupes d’âge, comorbidité, caractéristiques exactes du virus et de ses diverses mutations, efficacité des différents tests, quel médicament antiviral pourrait aider, ses effets secondaires, rôle du vaccin BCG pour aider le corps à combattre le virus, etc.

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Pour l’instant, je ne pense pas que quiconque le sache vraiment, même le pourcentage de porteurs asymptomatiques change d’ordre de grandeur en fonction de l’informateur. Bien sûr, certaines suppositions sont plus proches de la vérité que d’autres, par définition, mais il est encore très difficile de déterminer lesquelles.

Il est important de garder à l’esprit maintenant que la plupart de ce que nous voyons a très peu de rapports avec une enquête scientifique. Ce que nous voyons, c’est une tentative d’utiliser cette pandémie à des fins politiques, financières et géostratégiques.

Et s’il vous plaît, ne pensez pas que ce n’est que Trump ! N’oubliez pas ce que Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants US, disait en février !

C’était près de deux mois après que la Chine avait averti l’OMS qu’une crise majeure se préparait !

Mais Pelosi, tout comme Trump, ne pense qu’au pouvoir, à l’argent et à l’influence, pas à la sécurité des «déplorables» que les Démocrates détestent tant, comme les Républicains aussi bien sûr, mais ils ne le disent tout simplement pas aussi ouvertement que Hillary.

Quant à mesurer le respect de Trump pour ses semblables, surtout les femmes, souvenez-vous simplement de son conseil : il suffit de «les attraper par la chatte».

Ensuite, il y a un autre risque très réel : alors que la situation empire de plus en plus aux États-Unis et, en particulier, pour la réélection de Trump, il pourrait bien décider de faire ce que beaucoup de politiciens font dans une telle situation : déclencher une grande guerre. Avant la pandémie, les États-Unis n’avaient clairement pas les cojones pour déclencher une guerre contre l’Iran, mais maintenant que la pandémie paralyse l’économie mondiale et que tous les côtés abjects du système capitaliste transnational deviennent évidents, je ne mettrais pas Trump à l’abri de l’idée de commencer une guerre contre l’Iran juste pour dévier les nombreuses accusations portées contre lui. L‘Idiot en chef a maintenant ordonné aux forces de l’US Navy, au large des côtes de l’Iran, de – sans blaguer – « abattre et détruire » toute vedette iranienne armée qui « harcèlerait » l’US Navy.

Apparemment, il ne comprend toujours pas que si un navire de l’US Navy exécutait un tel ordre, il se retrouverait immédiatement face à un essaim de missiles anti-navires iraniens. De toute évidence, son narcissisme messianique et sa mégalomanie enragée ne permettent tout simplement pas à Trump de comprendre que les Iraniens existent pour de vrai, qu’ils sont sérieux, et que, contrairement aux États-Unis, ils ont soigneusement étudié les conséquences de toute guerre contre les États-Unis et bien qu’ils ne provoqueront jamais délibérément une telle guerre, ils la combattront si nécessaire, avec une énergie infiniment plus forte que les États-Unis. Aparté Comme un politicien américain typique agitant le drapeau, Trump pense probablement que si tout va mal pour eux, les États-Unis pourront atomiser l'Iran et l'emporter. Il a raison sur le premier point, mais complètement tort sur le second. Si des armes nucléaires sont utilisées contre l'Iran, alors il y aura une guerre totale et longue pour expulser les États-Unis et l'entité sioniste du Moyen-Orient. Mais c'est un sujet pour un autre jour.

Les politiciens américains me rappellent une personne vivant dans une cabane dans l’Arctique qui décide de la brûler pour se chauffer : bien sûr, cette stratégie fonctionnera pendant un petit moment, mais seulement au prix d’une catastrophe beaucoup plus importante. C’est ce que presque tous les politiciens américains ont fait avec cette pandémie, et c’est pourquoi ils n’accepteront jamais aucune responsabilité pour quoi que ce soit.

Covered_ass.jpgDécouvrez ce petit âne mignon sur la droite.

Ne ferait-il pas une mascotte et un symbole parfait pour les deux partis politiques américains et pour les nombreux politiciens américains qui ne pensent qu’à se couvrir ?

Il y a encore une chose que je voudrais mentionner ici : il y a beaucoup de gens qui aiment bien noter toutes les fois où quelqu’un a prédit que cette pandémie se produirait. Ils prennent ces avertissements comme preuve d’un complot. La vérité est que la communauté scientifique et même le grand public, du moins ceux qui lisent encore des livres, savaient parfaitement que ce n’était qu’une question de temps avant qu’une telle pandémie ne se produise, car notre société rendait un tel événement inéluctable. Un seul exemple :
 
La prochaine épidémie : nouvelles maladies émergentes dans un monde déséquilibré

51W2kHMNNUL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgEn 1995, la journaliste américaine Laurie Garrett a publié un excellent livre intitulé «The Coming Plague: Newly Emerging Diseases in a World Out of Balance» dans lequel elle a expliqué pourquoi et même comment une pandémie mondiale émergerait naturellement en raison de la nature même de notre société moderne. Je recommande fortement ce livre en dépit du fait qu’il a maintenant un quart de siècle : il est très bien écrit, facile à lire et il est très convaincant en disant que de telles pandémies étaient inévitables, et sans besoin de faire appel aux théories non confirmées de la guerre biologique.

L’histoire montrera que nous tous, notre planète entière, n’avons pas pris cela, et bien d’autres avertissements, au sérieux.

Demandez-vous ce qui est plus facile pour un politicien : accepter que tout notre ordre socio-politique est insoutenable et carrément dangereux – ou «déséquilibré» pour utiliser l’expression de Garrett, ou rejeter la faute sur les cocos chinois et leur programme «secret» de guerre biologique » ?

Je pense que la réponse va de soi.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

dimanche, 03 mai 2020

Alexander Dugin: We are entering the zone of turbulence

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We are entering the zone of turbulence

Interview for Guancha
 
Ex: https://www.geopolitica.ru

Could you please tell us something about the measures the Russian government has taken to control the spread of the coronavirus? What is the situation in Russia like right now?

220px-New_Horizons_International_Conference_04_(cropped).jpgRussia has been hit by the pandemic in a relatively mild form. I can not say that the measures the government has undertaken were (or are) exceptionally good but the situation is nevertheless not as dramatic as elsewhere. From the end of March, Russia began to close its borders with the countries most affected by coronavirus. Putin then mildly suggested citizens stay home for one week in the end of March without explaining what the legal status of this voluntary measure actually was. A full lockdown followed in the region most affected by pandemic. At the first glance the measures of the government looked a bit confused: it seemed that Putin and others were not totally aware of the real danger of the coronavirus, perhaps suspecting that Western countries had some hidden agenda (political or economic). Nonetheless, reluctantly, the government has accepted the challenge and now most regions are in total lockdown.

The authorities combine mild methods of persuasion with a harder approach including serious fines on those who violate the lockdown. Sometimes this method works, sometimes it doesn’t. The Moscow authorities made a number of grave errors: despite prohibiting the mass gatherings, they organized checkpoints in the metro creating huge crowds and dangerously increasing the number of infected. 

It seems that Russian government has no idea how to handle the economic situation. The Russian economy is based on the selling of natural resources, which has meant that the closure of international trade and decrease of the oil prices have caused serious damage to the Russian economy. 

In domestic politics, an emergency state has not yet been declared and people suppose that the reason for such hesitation is the reluctance of authorities to accept the responsibility. However, in the meantime, small and middle-sized businesses have been almost totally destroyed. Only state workers have any level of guarantee during lockdown.

So, in spite of relatively small losses in terms of human lives, the damage inflicted by the coronavirus on Russia is massive and unprecedented. The management of this extraordinary situation by the government is far from perfect but such a situation has been common in almost all countries. China is one rare exception where the reaction of power from the very beginning of the epidemic was much more decisive, effective and convincing. 

The western media and the politicians have long been blaming China for this pandemic for ridiculous reasons, claiming that “China produced the virus”, “China put out a fake death number to mislead the world” or even “China should pay compensation for their failure to deal with the virus.” We know there are also some criticisms from the West which say that “Russia has used the virus to expand its political influence.” Russia’s Foreign Minister Sergey Lavrov rejected all of these claims on April 14. 

What do you think of such strategic motives to invoke blame worldwide? Given the situation, how do our two countries support each other and work around rumors and slander?

The pandemic has led to a number of rather strange outcomes. There are many unanswered questions, and clearly different powers around the world are trying to use the huge event changing drastically the face of the world system for their own benefit while claiming their enemies. 

vaccino-antinfluenzale-il-piemonte-punta-ad-aumentare-la-cop-12018-660x368-653x367.jpgOn one hand, many experts claim that the disease has artificial origin and was leaked (accidently or on purpose) as an act of biological warfare. Precisely in Wuhan there is allegedly one of the top biological laboratories in China. In the US, many people, including President Trump, pursue this hypothesis or suggest this is all part of the plan of a select group of globalists (like Bill Gates, Zuckerberger, George Soros and so on) to expand the deadly virus in order to impose the vaccination and eventually introduce microchips into human beings around the world. The surveillance methods already introduced to control and monitor infected people and even those who are still healthy seem to confirm such fears. There is a conspiracy theory which suggests that China has been set up as a scapegoat. We might laugh at the inconsistency of such myths and their lack of proof, but belief in such theories – especially during moments of deep crises – are easily accepted and become the basis for real actions, and could even lead to war. 

The second reason to blame China is the general agreement that the epidemic started in Wuhan in Hubei province which has given rise to racist instincts deep rooted in Western societies despite all their pretensions to liberalism and human rights. The situation has fueled anti-Chinese sentiments all of which will certainly be felt in future.

In these conditions it is obvious that everybody is trying to use dramatic situations for their own profit and seeks to inscribe the pandemic in its geopolitical and ideological world vision.

Russia, however, is against blaming China, and agrees (although not officially) with the accusations that the virus originated in the US as a biological warfare experiment. Officially, Russia recognizes the natural character of infection and bat/pangolin theory, but in Russian media, many experts close to the Kremlin have faulted the Americans. Many of them are citing controversial statements of Chinese authorities accusing the US for the spread of the coronavirus.

The true damage of the pandemic is so massive that we are unlikely to fully comprehend it, especially given the widespread manipulation, fake news and conspiracy theories circulating in the media. Everything linked to the coronavirus has become increasingly biased. We have to accept this fact and try to establish our own version that corresponds to our own multipolar anti globalist and anti hegemonic strategy. In that sense, the support of Lavrov for China and the accusations against America obtain their full meaning. This is a matter of realism and the sign of geopolitical solidarity between Russia and China, both main pillars of the emerging multipolar post-globalist world.

The latest news shows that the US is going to suspend its funding to the WHO, threatening the international organization which is now playing an important role in the fight against the pandemic. This is a response to the organizations positive comments on China. Does it not seem that the series of announcements made and measures taken during the pandemic have not already revealed the fact that the so-called “responsible superpower” and “leader of the international society” the US claims to be actually no longer exists? Why exactly have they chosen China as a scapegoat? 

I have explained that to some degree already in my previous answers. Here I can add only that the unipolar world is all but gone and US global domination is a thing of the past. Trump is trying to find a place for his country in a new context where China is regarded as the US’ main competitor. Furthermore, in Trump’s conspiracy theory, the WHO is a tool of globalists such as Obama, Hillary Clinton, Bill Gates, George Soros and so on who represent the last traces of the previous – globalist – world order. In Trump’s mind China is accomplice in the promotion of the globalization agenda. He considers all his ideological and geopolitical enemies to be united, despite evidence to the contrary. 

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The US is no longer considered the “responsible superpower” by anyone. The US is now trying to impose itself as a nationalist egoistic hegemony acting in its own interest, no longer an example for the world to follow. We didn’t pay enough attention to Trump and his supporters' world vision, projecting on them an obsolete picture of the traditional unipolar system of 1900-2020. The Americans voting for Trump have decided earlier than anybody else that the US’ role as the“the leader of international society” is over: “America first” in some sense means “nobody else matters.”  The pandemic has revealed with uttermost clarity and transparency how huge transformations of the world over the last fews years passed unperceived by majority. 

China is certainly a scapegoat and was a scapegoat for American strategists long before the coronavirus… now, however, they have just found the perfect excuse to push this notion even further.

Many experts on international issues believe the 2020 coronavirus pandemic will become a watershed moment for world politics. What do you think of that? Does this mean that the structural problems of European countries and America disclosed during the pandemic have become a death sentence for unipolarity?

I strongly believe that coronavirus is a real “event,” or Ereignis in Heideggerian sense. This means that it is a turning point in modern history. I am sure that we are now witnessing the irreversible end of globalization and the dominance of the Western-centric liberal hegemonic ideology. The experience of spending time in fully closed societies has already changed global politics forever. It has proven the capability of Eastern societies with more or less experience in having a closed society, and proven fatal to the West. When the real (or imagined but taken for real) danger hit, almost all countries immediately and instinctively chose closure. If the world were really global, the reaction should have been the opposite. After the end of the pandemic, there will no longer be any place for open societies. We have already entered the epoch of the closed society. That doesn’t necessarily mean a return to classical nationalism and the closed trade State as was conceptualized by Fichte, but in many cases it will likely be just so. Trump’s position seems to be moving in exactly this direction. We can imagine the continuation of regional cooperation but only within a radically new frame. The main form from now on will be self-reliance, autarchy and self-sufficiency. 

Structural problems will be solved in a totally new context, and the changes required are going to be so huge that it will likely provoke something close to full scale civil wars, particularly in Europe.

We are living at the end of the world we knew. It is not the end of the world as such, but certainly the end of the unipolar West-led global capitalist world system. We in Russia have experienced something like this during the fall of the USSR. But this moment included a ready made “solution”: to destroy the socialist system (judged to be inefficient) and impose a capitalist one. That was also the end of the world – of the Soviet world. Now, it is the second pole's turn to fall – the global capitalist one. In this situation, we are facing a void. Perhaps China is better prepared for this on an ideological level – conserving elements of socialist system and anti-capitalist ideology as well as the leading role of Communist party, but the changes will be so huge that will likely demand new ideological efforts from China as well. I fear that many strategic orientations scrupulously elaborated by China in recent years will need to be radically revised.

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Unipolarity is certainly dead. Now is the moment of multipolarity. But nobody knows for sure what that means concretely – not even me, a person who literally wrote the book “The theory of multipolar world.” When the future comes it is still always different from all the prognoses – even those which prove to have been most correct.

Do you feel optimistic or pessimistic about the world after the pandemic? Do you think losing power and influence will make America choose a more aggressive method to sustain its hegemony?

I am neither optimist, nor pessimist, but rather a realist. The end of globalization and of unipolarity is good because it gives a chance to establish a much more balanced world order where different civilizations can assure their independence from the World hegemony of the West. So the end of unipolarity is the end of colonialism. This is good news. However, there is also bad news. The West is in a desperate situation as the Empire falls apart, that means that it will certainly try to save its global power – military, ideological, political and economic – by any means possible. We can not exclude the possibility of war. When the US and EU understands that they can not exploit humanity in their favor anymore, they will almost certainly fight back.

We are entering the zone of turbulence. Nothing should be regarded as taken for granted. Russia and China can gain much in the course of these changes and establish solid and effective balanced multipolarity, around the Greater Eurasia project for example. But the stakes are too high… Because everybody is at risk. The fall of unipolarity that is taking place before our eyes is comparable to the fall of Babel. It can easily lead to chaos, fall into savagery and all kinds of turmoil and conflict. We should stay strong, defending our identity and our civilizational sovereignty, looking the problematic future straight in the face. 

Last but not least, China and Russia should now go their own way. We are now subjects of the world, not objects playing only minor roles in plays written by others. Many things in the future will depend on how Russia and China act in this completely new and unprecedented situation. We should fully realize: China and Russia are two pillars of the new world system and the destiny of humanity depends on our mutual understanding, support and cooperation.

jeudi, 30 avril 2020

¿RUSIA Y CHINA COMO ‘ALTERNATIVAS’?

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¿RUSIA Y CHINA COMO ‘ALTERNATIVAS’?

Hemos de ser conscientes que el enemigo actual es el poder del dinero y los procesos que apoya, como por ejemplo la globalización o el endeudamiento que anula a los Estados. Este enemigo esencial es apátrida, pero sin duda tiene dos centros actuales esenciales: Israel y USA.

En el caso de USA estamos solo ante un país parasitado, no es USA el problema sino el parásito que lo domina, la finanza y las multinacionales de los medios de información, cine, Tv, internet, etc… que ahora están allí centrados, usando su poder militar y económico como marioneta de sus presiones a los demás países. Parásitos que en realidad no trabajan en favor de USA sino de sus intereses. Israel si es un medio directo de poder de la finanza, no es su ‘cabeza’ sino un refugio y brazo armado.

Ante esta situación actual Europa, si desea liberarse del poder del parásito financiero, sabe que deberá enfrentarse al poder USA manejado por los magnates financieros. Así que solo es pensable (y ya por ahora es muy optimista creer en esa posibilidad) una liberación de Europa con la ayuda de aliados poderosos militarmente, capaces de rechazar las presiones USA-Israel tanto económicas como militares.

Por supuesto otra posibilidad, aún más remota, aunque mucho más agradable, sería que una reacción interna del pueblo americano logarse liberar primero a USA del parásito. Dejemos eso para las utopías.

En Europa es evidente que la única opción es una alianza Euro-Rusa, cuyo poder conjunto militar, tecnológico y económico haría ineficaz cualquier presión USA.

Si además hubiera un eje Ruso-Chino, el conjunto sería totalmente capaz de anular los planes de la finanza y su marioneta USA.

Ahora bien, todo esto, que no es ningún secreto puesto que muchos pensadores lo han indicado, choca con muchos problemas, pero además tiene un tema que se comenta muy poco y sobre el que no se quiere incidir. Vamos a centrarnos pues en el motivo de muchas reticencias a la alianza con Rusia.

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RUSIA O LA URSS

Todos los rusófilos se olvidan que en los antiguos países ‘satélites’ de la URSS hay una reticencia clara hacia Rusia mientras no renuncie a volver a ser la URSS, o sea mientras no denuncie Rusia a la URSS como una tiranía, como algo que no era Rusia, que solo era una marioneta del comunismo soviético, no Rusia.

Cuando en los países bálticos de recuerdan de las Waffen SS o en Polonia se habla de Katyn, cuando en Hungría repugnan de la entrada de los tanques de la URSS, etc. Rusia debería aplaudir, no sentirse culpable sino unirse a esos pueblos que sufrieron, como los rusos, la tiranía soviética durante 50 años.

Pero no es así, Rusia aún no ha logrado desprenderse de la sombra de la URSS, y por ello no solo inspira miedo y repudio, en los países del Este europeos, sino que ni siquiera inspira confianza en los países del Oeste europeo.

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CHINA O MAO

Algo similar pasa con China, entre los países de su entorno que sufrieron la brutalidad de Mao.

La India, Taiwán, Corea del Sur... todos ellos atacados por Mao, y luego el recuerdo del Tíbet.

Mientras China siga usando la imagen de Mao en sus billetes de banco, en fotos en sus calles, mientras no logre separar esa China brutal maoísta de la China eterna, sus vecinos no tendrán mucha confianza en ella.

En China el problema no es el Partido Comunista, que total ya no es realmente comunista más que en las formas externas, sino su incapacidad para condenar con fuerza y decisión al maoísmo, reconociendo sus crímenes. No solo eliminando toda alabanza al maoísmo sino condenándolo públicamente.

Los habitantes de Hong Kong no temen a China sino al maoísmo, a volver a soportar revoluciones culturales salvajes, crímenes y torturas.

Una Europa alternativa necesita a Rusia, pero no a la sombra de la URSS.

11:58 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chine, russie, politique internationale | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 26 avril 2020

Les nouvelles routes de la soie: démonstration de soft power sur l’axe o

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Les nouvelles routes de la soie: démonstration de soft power sur l’axe o

 
Ex: https://www.katehon.com

Le programme des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) dévoilé par la Chine en septembre 2013 vise à faciliter, sécuriser dans plusieurs sens du terme et harmoniser les échanges commerciaux internationaux depuis et vers la Chine, ceux-ci s’intensifiant depuis le début des années 2000. Ce vaste projet qui porte principalement sur les transports terrestres et maritimes entraîne également des investissements dans d’autres infrastructures (énergie et télécommunication notamment). Initialement prévue pour les échanges eurasiens, la carte des nouvelles routes de la soie (65 pays en 2015) n’a cessé depuis d’évoluer au fur et à mesure de l’adhésion de nouveaux pays ou organisations (139 pays en janvier 2020). En effet, ce projet que la Chine évaluait au départ à 1 000 Milliards d’USD et cofinancé par la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) est perçu comme une opportunité, surtout par les pays isolés et les pays en développement dont les crédits consentis par les institutions historiques ne sont pas à la hauteur des investissements nécessaires pour accompagner leur croissance parfois proche des deux chiffres.

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Soucieuse du risque de surendettement que pourrait entraîner le financement de chantiers de grande ampleur, la Banque Mondiale reconnaît néanmoins que la BRI contribuera à améliorer l’économie des pays participants et donc les conditions de vie de leurs citoyens sous réserve cependant que ces pays appliquent une politique de transparence et qu’ils prennent en considération les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.

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L’île de la Réunion comme hub maritime en océan Indien

Dans l’océan Indien, La Réunion (département et région française) dont le PIB est de moitié inférieur à celui de la métropole, affiche une croissance mitigée et une chute des exportations de 12,5 % en 2018. Pourtant, lorsque la Chine adhère à l’OMC en 2001, l’île de La Réunion entrevoit très tôt l’opportunité de développer son économie. Devenue région ultrapériphérique en 2003, La Réunion officialise ses relations l’année même en signant un accord cadre avec la république populaire de Chine et une convention de coopération avec la ville portuaire de Tianjin, quatrième ville la plus importante de Chine en nombre d’habitants. Les retombées sont timides, mais l’île persévère. C’est à partir de 2009, avec l’ouverture d’un consulat à Saint-Denis, que les relations sino-réunionnaises prennent un nouvel élan. Un institut Confucius siégeant au sein de l’université de La Réunion est inauguré en 2010. L’année qui suit, la Chine accorde à La Réunion le statut de destination touristique autorisée, un graal pour l’île qui ne comptabilise quasiment pas de touriste chinois contrairement à ses voisines, Maurice et Seychelles.

Mais l’absence de ligne aérienne directe entre la Chine et La Réunion (jusqu’en 2017) n’améliore pas la situation. Avec l’annonce du projet des nouvelles routes de la soie en 2013, l’île pense trouver une nouvelle voie.En effet, devant l’hésitation de Maurice à signer un accord sur la BRI alors qu’elle est la mieux placée sur la route maritime qui relie l’Asie à l’Afrique du sud, La Réunion ne cache pas son ambition de devenir le hub maritime des nouvelles routes de la soie pour le triangle Asie-Afrique-Australie. Le premier forum économique Chine-Réunion se tient en 2017 et La Réunion ouvre une antenne de Région à Tianjin en 2018.

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La Polynésie française comme un hub numérique dans le Pacifique sud

Dans le Pacifique sud, en Polynésie française (collectivité française d’outre-mer), le tourisme contribuerait pour 13% à son PIB marchand, ce qui est peu compte tenu du potentiel de ses îles. Une raison estque ces perles du Pacifique situées à plus de 5 000 km de tout continent sont perçues comme des destinations inaccessibles, tant par l’éloignement que par le coût du voyage. A l’instar de La Réunion, la Polynésie française a vu dans l’ouverture et la croissance en devenir de la Chine une opportunité de développer son tourisme. Le Consulat général de Chine en Polynésie française ouvre ses portes en 2007. En mars de l’année suivante, la Chine accorde à la Polynésie française le statut de « destination touristique agréée » puis l’université de Polynésie française accueille un Institut Confucius à partir de 2013. En 2015, le président de la Polynésie française signe un accord avec Hainan Airlines (HNA) pour le développement du tourisme chinois dans les îles. Cependant, suite aux difficultés financières de HNA en 2017, la fréquentation touristique chinoise ne progresse pas (environ 5 000 chinois pour 216 000 touristes en 2018).

Face à ces déboires, la Polynésie française étudie également d’autres leviers de croissance. Située à la croisée de 4 continents, la Polynésie française pourrait devenir un hub dans le Pacifique. Non pas un hub de transbordement, car elle est totalement excentrée des couloirs maritimes, mais un hub numérique. La Polynésie a accès au haut débit depuis 2010 par un câble sous-marin reliant Tahiti à Hawaï. Par sécurité, unsecond câble a été posé en 2020, reliant la Polynésie française à la Nouvelle-Zélande. La collectivité étant peu peuplée et se situant en fin de parcours de ces câbles, ceux-ci sont très largement sous-utilisés. Devenir le point de jonction entre les continents lui permettrait de tirer profit de ses surcapacités. Dans le cadre des nouvelles routes de soie le Chili envisage de construire un câble sous-marin qui le relierait à la Chine. Il s’agira du premier câble reliant l’Amérique du sud à l’Asie et la Polynésie française se situe sur le parcours. Le président de la Polynésie française a rencontré le président du Chili afin de confirmer l’intérêt du Pays pour le projet.

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La transparence comme moyen de légitimation de l’influence

La récente politique d’ouverture de la Chine a entraîné l’ouverture de nombreuses résidences ou de services diplomatiques à travers le monde en un temps court. Il s’agit d’une procédure habituelle de chaque pays entretenant des relations avec la localité hôte ou ayant des ressortissants résidant dans cette localité d’avoir une représentation ou un service diplomatique sur place. Le fait que la présence diplomatique chinoise s’accompagne de l’ouverture d’instituts Confucius (541 instituts à ce jour) s’inspire des démarches d’autres puissances pour promouvoir leur culture à travers le monde, notamment de la France (800 implantations Alliance française), du Royaume-Uni (le British Council dans plus de 100 pays), de l’Allemagne (157 instituts Goethe) et de l’Espagne (86 instituts Cervantes). Les investissements et aides aux investissements à l’étranger font également partie des opérations courantes réalisées par toutes les puissances.

La démarche inédite de la Chine est ailleurs. Elle est dans l’annonce au monde entier de son projet d’envergure internationale, à partir de septembre 2013, avant même d’avoir échangé avec les pays concernés, d’afficher clairement ses motivations et de publier les évolutions du projet et l’état d’avancement. En agissant ainsi, là où habituellement des échanges à huis clos précèdent les annonces publiques, là où il est difficile de connaître à l’avance et plus tard les plans stratégiques ou les véritables plans stratégiques des parties (cette situation d’ailleurs fait partie des plans), en dévoilant ses plans ouvertement, la Chine a pris de court toutes les autres nations, coupé l’herbe sous le pied de quiconque avait d’autres plans non dévoilés et a mis sous pression ceux qui ont trop tardé à mettre en place leur propre stratégie.

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Cette transparence affichée tout en insistant sur les rapports gagnant-gagnant qui rend difficilement contestable le bien-fondé du projet, a conféré à la Chine un pouvoir d’attraction, ayant pour conséquence une avalanche de manifestations d’intérêt. Alors que certains projets n’entraient pas dans le cadre des nouvelles routes de la soie ce sont les pays candidats eux-mêmes qui justifiaient auprès de la Chine l’intérêt de les intégrer aux nouvelles routes de la soie, sans nécessairement solliciter une participation de la Chine dans les investissements par ailleurs.

Sans pour autant adhérer officiellement au projet (en Europe de l’ouest par exemple, seuls l’Italie, le Portugal, la Suisse et le Luxembourg ont signé un protocole d’accord sur la BRI), toutes les grandes puissances sont membres de la BAII créée en 2014 spécialement pour le projet, excepté les Etats-Unis, dont il aura fallu attendre quelques années les premières réactions, des réactions d’inquiétude et de colère de n’avoir réagi plus tôt, sans nommément citer le projet des nouvelles routes de la soie.

Source : Info Guerre

mercredi, 22 avril 2020

Économie : En territoire inconnu

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Économie : En territoire inconnu
par Hervé Juvin
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

Économie : En territoire inconnu

Wall Street a connu début avril sa meilleure semaine depuis… 1938 ! Au moment même où les États-Unis annonçaient un nombre record d’inscriptions au chômage : 16 millions ! Malgré l’extension mondiale de la pandémie de Covid19, la paralysie d’un nombre croissant d’économies et la réduction du commerce international, de l’ordre de 30 %, ni les produits de taux, ni les actions n’ont subi les conséquences de la crise en proportion des effets attendus sur les résultats des entreprises, à l’exception des valeurs directement impactées ; tourisme, aéronautique, etc.

Les marchés lead l’économie

Que se passe-t-il ? Aucun hasard dans cet apparent paradoxe, aucune raison non plus d’en appeler à la ritournelle de ceux qui veulent que tout ça n’ait aucun sens, que les marchés aient perdu toute utilité, et qu’il suffise de fermer les Bourses, d’interdire le versement des dividendes, et accessoirement de nationaliser les entreprises. Les Cassandre finissent toujours par avoir raison, elles ne savent ni quand ni pourquoi, ce qui les rend dérisoires.

Mieux vaut regarder en face les trois faits révolutionnaires qui changent tout ce que nous croyions savoir sur les marchés.

D’abord, ce ne sont plus les chiffres d’affaires et les résultats qui font les mouvements des valeurs d’actifs, c’est l’action des Banques centrales. Business ne fait plus-value. Ceux qui croient encore que les sociétés privées dirigent le monde doivent y réfléchir. Depuis un mois, les États décident du versement des dividendes et des rachats d’action, les États décident de l’implantation des usines et des autorisations de vente à l’étranger ou d’importation de produits industriels, et les États décident de la vente ou non d’entreprises privées à d’autres entreprises privées, le blocage de la vente de Photonis à Télédyne en France en donnant un bon exemple !

Nous sommes loin de l’abandon d’Alcatel, d’Alstom, de Morpho-Safran, de Technip, des Chantiers de l’Atlantique, etc. Et ceux qui croient encore que les marchés s’autorégulent doivent abandonner leurs illusions ; les banques centrales ont tiré la leçon de 2008, elles savent que les marchés s’autorégulent encore moins qu’ils ne sont transparents et équitables, et elles en tirent la conséquence ; à elles de faire les prix de marché — pour le meilleur ou pour le pire, c’est une autre histoire !

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L’endettement

Ensuite, la Nouvelle Politique Monétaire (NPM) et son application signifient que l’émission de monnaie est devenue le vrai moteur des économies, et que tout peut être fait, rien ne doit être exclu, qui assure le maintien des valorisations boursières. Les banques centrales sont le premier acteur de l’économie nouvelle. Les marchés ont été nationalisés ; ou, plutôt, les marchés financiers sont devenus trop importants pour les laisser à la confrontation des acheteurs et des vendeurs. Le citoyen avait disparu, effacé par le consommateur, le consommateur disparaît, effacé par l’investisseur, devenu l’acteur central de la société globale, ou par son symétrique, le consommateur endetté, État ou particulier, qui doit avoir la certitude, non de rembourser ses dettes, ne rêvons pas, mais de pouvoir s’endetter davantage !

Nous sommes passés d’un univers dans lequel le crédit bancaire et les aides d’État déterminaient l’activité, au monde dans lequel la valorisation boursière commande la propriété et in fine décide de l’activité du crédit. Quelle Nation pourrait accepter que les plus belles entreprises nationales soient rachetées à vil prix parce que les cours de leurs actions ont baissé ? Trois solutions : la nationalisation, à la fois suspecte et coûteuse ; l’interdiction par la loi, qui trouve vite ses limites géopolitiques ; le soutien des cours. D’où cette conviction appliquée, il faut faire tout ce qu’il faut pour que les valorisations demeurent élevées, et progressent, c’est la condition de la stabilité économique ! La surabondance monétaire booste les cours des actions. Est-ce la nouvelle règle du jeu ?

Enfin, c’en est fini de la diversité des anticipations, cette fiction convenable des marchés où les prix étaient le résultat de l’appréciation du risque, et des anticipations d’acteur divers par leurs horizons de gestion, leurs objectifs de rendement, leur appétence pour le risque, etc. Jamais la détention d’actions n’a été aussi massivement concentrée entre les mains des 1 % de « superriches » — aux États-Unis, de toute leur histoire ! Et jamais la concentration des pouvoirs (ou la confiscation de la démocratie) n’a joué aussi manifestement pour protéger les super-riches contre tout événement fâcheux, et leur garantir la poursuite accélérée de leur enrichissement !

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Les banques centrales sont prêtes à tout

Les données publiées par le site « Zerohedge » indiquent plus de 16 000 milliards de dollars ont été engagées par la FED pour sauver les banques américaines, leurs actionnaires et leurs dirigeants, de la faillite et de ses conséquences judiciaires pour les uns, financières pour les autres ! Ce qu’elles n’indiquent pas, c’est ce phénomène bien connu et si bien exploité ; la surrèglementation nourrit l’hyperconcentration. Seuls, les très gros, très riches et très forts bénéficient des seuils réglementaires et normatifs qui excluent les plus petits, plus faibles, moins riches.

Le temps est venu de ranger au bazar des accessoires défraîchis les enseignements de l’économie classique sur la fabrication des prix et les racontars sur « la concurrence libre et non faussée » que nul n’a jamais rencontrée nulle part ailleurs que dans les manuels d’économie et les discours de la Commission européenne à la Concurrence ! Les marchés actions doivent progresser, les Banques centrales en sont garantes, et on ne gagne jamais contre les banques centrales, c’est bien connu ! Voilà qui met à bas tout ce que nous croyions savoir sur les politiques de gestion d’actifs. Les politiques de gestion raisonnables, différenciées, basées sur les fondamentaux des entreprises ou des États n’ont plus de sens quand ce sont les injections de liquidités et les politiques de rachat de tout et n’importe quoi par les banques centrales qui font les cours. S’il est une conclusion à tirer de l’énormité des engagements des banques centrales, Fed comme BCE, c’est bien qu’elles sont prêtes à acheter n’importe quoi pour que la musique continue !

Dans ces conditions, le couple risque-rentabilité qui dirigeait les allocations d’actifs raisonnées n’est plus de saison. La sélection des titres est un exercice vain. Tout simplement parce que la partie « risque » s’est évanouie, ou que l’action des banques centrales fait qu’il est impossible de l’évaluer. Il n’y a plus de prix pour le risque, ce qui interroge au passage sur le nouveau tour du capitalisme et le sens du mot « entrepreneur ». La logique est : qui va bénéficier des actions de la FED et du Congrès, de la BCE et des décisions du Conseil et de l’Eurogroupe ?

La richesse ne vient plus du travail

Au moment d’entrer en territoire inconnu, que conclure ? D’abord, essayer de comprendre les règles du « new normal ». Les règles ne sont pas les mêmes, ce qui ne signifie qu’il n’y a pas de règles ; elles sont nouvelles, c’est tout. Ensuite, s’efforcer de prévoir l’évolution dans le temps de ces règles et de leurs impacts, leur nouveauté même pouvant réserver toutes les surprises. Enfin, reconnaître l’intérêt de la France, et faire en sorte que la France sorte gagnante d’un jeu qui fera des gagnants et des perdants.

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Sauver l’effet richesse, c’est la nouvelle règle du chef d’orchestre. La richesse dans les pays riches ne vient plus du travail, mais de la détention ou de l’attraction du capital (cas exemplaire des start-up qui ne sont riches ni de produits, ni de clients, ni de chiffre d’affaires, mais du capital qu’elles lèvent sans limites, et qu’elles consomment également sans limites ; voir Uber, Tesla, etc. !) Et voilà comment des compagnies aériennes américaines qui ont racheté pour 45 milliards de leurs propres actions (soit 96 % de leur cash flow disponible) pour enrichir leurs actionnaires demandent… 54 milliards d’aides au gouvernement pour ne pas faire faillite (Boeing a suivi la même politique, consacrant la totalité de son cash flow disponible en dix ans au rachat de ses propres actions et demande également le sauvetage par l’argent public) !

Le compromis entre le capital et le travail a été rompu dans les années 1990 pour être remplacé par un compromis entre les détenteurs du capital et les banques centrales ; il ne s’agit plus de partager des gains de productivité, il s’agit de s’enrichir sans fin ! Il ne s’agit plus de redouter une « stagnation séculaire » de la croissance dans les pays riches, il s’agit d’assurer l’enrichissement des plus riches par la création monétaire déversée sur les marchés d’actifs ! Ce ne sont plus les plus vulnérables qui sont protégés, ce sont les plus riches qui peuvent se servir. Il est permis d’espérer, mais ce n’est pas demain que le monde du travail retrouvera les leviers qui lui avaient permis de négocier le partage des gains de productivité qu’assurait l’industrie — d’ailleurs, il n’y a plus chez nous ni industrie ni gains de productivité ! Pour s’en convaincre, et contrairement à tout ce que suggèrent la situation actuelle et la célébration méritée du courage des soignants, des gendarmes et des policiers, des caissières et des livreurs, il suffit de regarder où va l’argent émis par les banques centrales ; les marchés ont l’argent, les soignants ont l’ovation de 20 heures aux fenêtres chaque soir ! Paradoxalement, la pandémie marque un nouveau bond en avant du capitalisme libéral. Certains peuvent rêver que ce soit le dernier.

L’Europe laissée de côté pour le véritable affrontement

Éviter la confrontation au réel et ruiner l’adversaire, c’est le jeu du moment. Un jeu impitoyable dans la confrontation des faibles aux forts. La Chine est annoncée grande gagnante de l’épreuve actuelle. Attendons. Il serait paradoxal que le pays d’où est parti la pandémie, qui l’a probablement aggravé par sa politique de censure des informations critiques, ou simplement des mauvaises nouvelles, et par le retard mis à en reconnaître le caractère expansif et non maîtrisé, en tire un bénéfice géopolitique et financier, mais nous sommes installés en plein paradoxe (le fait qu’une chose et son contraire puissent être affirmés en même temps est caractéristique de la situation présente, c’est-à-dire du chaos cognitif et de la confusion mentale) ! Attendons pour en juger de voir quels engagements en faveur de la relocalisation massive de nos productions stratégiques seront effectivement tenus.

Tout indique que les États-Unis se détournent de l’Europe pour engager la confrontation avec le pays qu’ils jugent leur premier adversaire du XXIè siècle, une confrontation dont tout indique qu’elle mobilisera la gamme entière des stratégies non conventionnelles et des armes non militaires, les moyens de paiement, les systèmes d’information et les attaques biologiques constituant quelques-uns des moyens d’un arsenal varié. Bitcoin, 5G, biotech — nous n’avons encore rien vu des ressources que la monnaie et la finance de marché peuvent mobiliser pour appauvrir l’ennemi, pour diviser l’ennemi, pour obliger l’ennemi à composer.

Plus besoin des canonnières du commodore Perry pour obliger un pays à s’ouvrir et à se plier ! Au choix, on considérera les milliers de milliards de dollars mis sur la table par la FED depuis ces dernières années comme une arme de destruction massive pour les détenteurs de papier libellé en dollar, ou pour le système financier occidental lui-même… les paris sont ouverts ! Et on sera attentif au projet attribué au macronisme de confier la gestion des réserves d’or de la France à une banque américaine ; après le pillage d’Alstom, le pillage de la Banque de France ? Pendant la pandémie, le hold-up continue !

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Protéger le patrimoine national et l’activité nationale devient une priorité pour chaque État. C’est la priorité de la France. La sécurité monétaire, la sécurité économique et patrimoniale, s’imposent au premier rang des enjeux de sécurité globale. Derrière les soubresauts boursiers, les risques de prise de contrôle de tel ou tel fleuron technologique ou industriel sont multipliés. Derrière la suppression de la monnaie papier, les enjeux de contrôle, de détournement, et de vol, sont gigantesques. Derrière la naïveté avec laquelle les administrations européennes prétendent se moderniser en substituant au papier et au guichet l’Internet obligé se cache mal l’exploitant américain ou chinois et un retour au temps des colonies, quand quelques compagnies privées, aventureuses et pirates, se partageaient des continents.

Et qu’en sera-t-il si le traçage individuel grâce aux données collectées à partir des téléphones portables se justifie par des motifs sanitaires pour devenir la règle imposée à toute la population, au bénéfice des prestataires qui s’en félicitent déjà ? La pandémie n’arrête pas les (bonnes) affaires d’Atos et de ses concurrents (écouter à ce sujet sur RTL l’étonnant discours du commissaire européen Thierry Breton, ex-PDG d’Atos, ouvrant sereinement la voie au contrôle numérique de la population européenne !) Derrière l’échappée belle de toutes les règles budgétaires de rigueur imposées par l’Union, s’annonce une course qui fera des gagnants et des perdants.

La France doit saisir dans la pandémie une bonne occasion de rompre avec les contraintes que l’Union européenne impose aux choix nationaux, à la protection du marché national, à la préférence pour les entreprises nationales. La France doit utiliser au maximum les facilités qui sont offertes par la BCE, par un mécanisme européen de solidarité (MES) débarrassé de toute conditionnalité, par le fonds européen de relance annoncé.

Elle doit le faire au profit des entreprises françaises, des projets français, de l’indépendance de la France – et sauver les entreprises familiales du commerce et de la restauration, contre les ambitions prédatrices des chaînes mondiales de « malbouffe ». Elle doit mobiliser toutes les capacités que l’Union européenne peut offrir dans son propre intérêt, comme l’Allemagne, comme les Pays-Bas, comme les autres Nations le font. Et elle doit plus encore considérer les marchés financiers pour ce qu’ils sont, un outil à la disposition de qui choisit de s’en servir. Voilà qui n’invalide pas le rôle des marchés, mais qui le transforme.

Tout simplement parce que nous sortons du monde du bon père de famille qui savait que rembourser des dettes enrichies. Dans le nouveau monde, non seulement les dettes ne seront jamais remboursées, mais celui qui s’enrichit est celui qui peut émettre le plus de dettes. Dans le nouveau monde, ce ne sont plus des créanciers exigeants et sourcilleux qui achètent la dette, ce sont des banques centrales d’autant plus accommodantes qu’elles jouent elles-mêmes leur survie — au cours des dernières semaines, la nouvelle Présidente de la BCE, Christine Lagarde, l’a bien compris !

Et l’impensable arrive. La France de 2020 doit savoir s’enrichir de sa dette et mobiliser sans freins la dépense publique, si elle sait l’employer à relocaliser son industrie, à relancer une politique territoriale qui commence par le soutien au secteur de l’hôtellerie, de la restauration familiale et du petit commerce, à relancer de grands projets (le second porte-avion, le cloud français ?) et à réduire le coût du financement de son économie, l’exemple allemand étant sur ce sujet à méditer.

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Mieux vaut danser en cadence quand s’arrêter donne le vertige. Les colonnes du temple européen s’effondrent les unes après les autres, de Maastricht à Schengen, ce n’était que des colonnes en papier. Mais que l’entreprise privée, libre de sa stratégie, que les marchés concurrentiels où se forment les prix, que l’allocation des capitaux selon le rapport rendement-risque disparaissent par la magie complaisante des banques centrales, voilà qui mérite attention ; ce sont cette fois les bases du libéralisme qui sont mises à mal. Certains diront ; changeons de partition ! D’autres diront plus simplement ; tant que la musique joue, il faut continuer à danser, seuls ont tort ceux qui pensent d’en tirer en s’isolant dans leur coin. Mais la seule question qui compte est tout autre ; vaut-il mieux être celui qui joue dans l’orchestre, celui qui danse sur la piste, ou celui qui agite son mouchoir sur le quai en regardant partir le Titanic, tous pavillons flottant au vent ?

Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 13 avril 2020)

lundi, 20 avril 2020

«Une annulation des dettes ne changera rien aux difficultés de l’Afrique» Entretien avec Caroline Galactéros

Entretien avec Caroline Galactéros*

paru dans le FigaroVox le 17/04/2020

Ex: http://www.geopragma.fr

FIGAROVOX.- Le chef de l’État s’est engagé à «effacer» une partie de la dette des pays africains, était-ce la meilleure manière d’aider ces pays face à la crise économique sans précédent qui guette le monde entier?

Caroline GALACTÉROS.- La France a décidé de réorienter une partie de son aide au développement à hauteur d’1,2 milliard d’euros pour alléger les dettes bilatérales de certains pays africains envers nous et renforcer les systèmes de soins, de recherche et de détection, notamment via les instituts Pasteur. Paris a par ailleurs poussé le Club de Paris, qui réunit les créanciers de l’Afrique, à déclarer un moratoire sur 20 des 32 milliards de dollars dus cette seule année, par 76 pays pauvres dont 40 africains. Il s’agit donc à ce stade d’un moratoire, non d’une annulation ni même d’un allègement ou d’un rééchelonnement. Par ailleurs, le FMI et la Banque mondiale ont eux aussi activé certains de leurs mécanismes pour pouvoir prendre en charge le service de la dette durant quelques mois ou prêter (comme d’ailleurs l’UE à hauteur de 20 milliards d’euros) aux pays africains dont le budget est très lourdement au service de la dette et qui risquent une trop grande fragilisation si la crise du coronavirus venait à les toucher massivement submergeant leurs structures sanitaires notoirement insuffisantes et souvent dépendantes de l’intervention humanitaire.

“Au regard du sous-équipement de notre système de soins, on peut imaginer l’incidence d’une propagation soudaine du Covid-19 en Afrique.”

Quand on voit le sous-dimensionnement et le sous-équipement de notre propre système de soins, alors que nous pérorions sur sa supériorité mondiale il y a encore quelques mois, on peut imaginer l’incidence d’une propagation soudaine du Covid-19 sur certains grands ou petits États africains. Pour l’heure, le continent est toutefois peu touché à l’exception de l’Algérie, de l’Égypte et de l’Afrique du Sud. Les pays les plus à risque sont paradoxalement les plus développés et ceux qui dépendent fortement du tourisme et du pétrole, deux ressources en chute libre. La crise économique liée à la pandémie menace au bas mot 20 millions d’emplois, pourrait priver les États africains d’un tiers de leurs recettes fiscales et faire chuter leur croissance d’au moins 1%, sans parler du fait que les économies africaines demeurent majoritairement informelles, ce qui rend le concept du confinement tout simplement impraticable.

De ce point de vue, Paris est donc une fois encore dans l’incantation généreuse, sans grands risques, mais aussi un peu décalée par rapport à la réalité des nouveaux équilibres de puissance et d’influence. L’initiative française masque mal la préoccupation grandissante qui est la nôtre. En appelant à l’annulation de la dette, Emmanuel Macron a aussi saisi l’opportunité, après son offensive européenne manquée sur la mutualisation des dettes européennes, de mettre une nouvelle fois LE sujet brûlant sur la table. Celui de notre propre dette que les vannes désormais grandes ouvertes de la création monétaire pour parer l’effondrement de l’économie nationale (et européenne) va rendre elle aussi ubuesque et de fait bientôt irremboursable! Un peu comme lorsqu’on veut poser une question personnelle à un psychologue et qu’on lui «demande conseil pour un ami».

Toutefois, cette salve de générosité envers l’Afrique correspond sans doute aussi à un élan plus large et partiellement sincère, que le tragique de la situation mondiale actuelle permet d’invoquer…sans trop y croire. En effet, la France est aussi en train de «tester» auprès des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, un texte appelant à une trêve mondiale des conflits en cours, tandis que la Russie a, de son côté, proposé son aide à l’Amérique. Donald Trump avait semblé prêter l’oreille. Crise du Pétrole oblige probablement. La Chine enfin a, à plusieurs reprises, appelé à l’unité du monde et au renforcement du multilatéralisme face à une menace qui vise la communauté humaine dans son ensemble.

“Les attaques sur la propagande des démocratures respirent la frustration et l’impuissance.”

Évidemment, comme pour les cargaisons de matériel sanitaire et médical livrées par la Russie à l’Italie ou par Pékin à l’Europe, on crie à la propagande et à l’instrumentalisation de la solidarité. Comment imaginer qu’il puisse exister, à côté d’un évident opportunisme et de la gestion bien comprise des intérêts nationaux, une once d’empathie ou de générosité gratuite dans l’action de ces démocratures? À mon sens, ces attaques sont à la fois puériles et contre-productives. Elles respirent la frustration et l’impuissance. Nous aimerions bien, nous aussi, être sortis de la tempête, avoir protégé nos populations, limité les pertes et remis notre appareil productif en branle, nous offrant le luxe de nous porter au secours des autres et de leur faire sentir combien ils dépendent de nous pour avoir abandonné leur souveraineté industrielle ou sanitaire…! Nous en sommes très loin. La crise du Coronavirus est une crise d’humanité. Elle révèle l’indifférence, la rapacité, l’absence d’appréhension globale de notre sort au-delà des envolées abstraites sur le multiculturalisme. C’est déjà le multilatéralisme qui est en morceaux et qu’il faudrait savoir ranimer.

N’est-ce pas la Chine qui est le plus gros créancier de l’Afrique?

En effet, la Chine détient environ 40% de la dette africaine: 145 milliards de dollars sur 365. Il faut savoir que cette dette n’est pas que publique, mais détenue partiellement par des fonds d’investissement, des banques, des entreprises privées. La Chinafrique n’est pas un mythe. La Chine achète l’Afrique depuis déjà près de 20 ans, sur les décombres de notre influence viciée par la repentance. L’absence de conditionnalité politique mise à son appui financier (il suffit de reconnaître l’existence d’une seule Chine pour être dans les clous) lui a assuré un immense succès qui lui fait posséder des pans entiers de l’économie de certains États ou parfois leur dette entière.

“La Chinafrique n’est pas un mythe.”

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Pékin n’a donc pas d’intérêt à annuler quoi que ce soit, mais à creuser plus encore son emprise économique et monétaire, comme d’ailleurs en Amérique latine. Le projet des Nouvelles Routes de la Soie y pourvoie notablement et vise à installer des têtes de pont notamment portuaires pour les produits chinois à destination des marchés locaux mais aussi européens. Il est d’ailleurs évident qu’au moment où se conclut ce «généreux» moratoire, de multiples contreparties en concessions minières, pétrolières agricoles doivent être négociées sans doute à des conditions léonines, contre le secours chinois (comme probablement contre celui des autres créanciers occidentaux du continent). La pandémie a juste accéléré la bascule en cours depuis plus d’une décennie du leadership global du monde vers l’Asie et chacun cherche à en tirer parti, ou du moins, à n’en point trop faire les frais.

Cette aide sera-t-elle suffisante?

Évidemment non. Ce n’est pas à la mesure des problèmes de l’Afrique qui sont endémiques. Rien ne garantit d’ailleurs qu’elle sera véritablement «fléchée» vers les bons usages et qu’elle ne disparaîtra pas au moins partiellement dans les poches de ses récipiendaires africains officiels. C’est un geste qui ne coûte pas grand-chose au Club de Paris au G20 et mais ne rapportera pas non plus beaucoup aux populations africaines.

“C’est un geste qui ne rapportera pas non plus beaucoup aux populations africaines.”

C’est à mon sens surtout un moyen d’espérer retarder les effets déstabilisateurs de la pandémie sur un continent surpeuplé dont nous voudrions en Europe qu’il fixe ses populations afin d’enrayer la perspective de flux migratoires à sens unique incontrôlables, et ce plus encore maintenant que nos propres populations vont par millions se retrouver hors de l’emploi et que les coûts économiques et sociaux de l’épidémie en Europe vont exploser.

La fermeture des frontières européennes a ralenti pour un temps la pression migratoire. Faut-il s’attendre à ce qu’elle s’intensifie dans les années qui viennent à cause de la crise?

Oui. D’abord car il faudrait une prise de conscience durable pour que l’espace Schengen demeure véritablement fermé, ce qui est impératif. Je rappelle que la France, tandis que la pandémie fait toujours rage, n’a toujours pas jugé bon de fermer ses frontières nationales avec ses voisins immédiats tandis que l’Allemagne ou l’Italie sont infiniment plus pragmatiques…Nos tabous européistes et idéologiques nous affaiblissent dans la réponse à la crise.

“Le pire en matière de pression migratoire est à venir.”

S’agissant de l’Afrique, le pire en matière de pression migratoire est donc à venir. À cause de la crise, à cause des guerres de déstabilisation suicidaires que nous soutenons toujours au Moyen-Orient sans voir qu’elles creusent au loin le lit de la déstructuration nationale. À cause aussi des questions environnementales qui affectent une Afrique déjà si structurellement frappée par les éléments. Plus encore que cette pandémie sans doute, le défi migratoire est et sera pour l’Europe le test de sa survie. Si elle ne sait pas comprendre que la souveraineté de ses membres et le rétablissement d’États lucides et solides au socle régalien assumé sont, non des handicaps, mais les conditions de sa renaissance comme ensemble qui compte, alors l’UE mourra progressivement de son européisme hors sol, de son allégeance mentale et stratégique naïve à une Amérique plus patriote et unilatéraliste que jamais, dont elle ne constitue en fait docilement que la profondeur stratégique continentale face à la Russie et face à la Chine. Pour survivre, et d’autant plus après ce coup d’arrêt économique, l’Europe va devoir réserver ses forces et ses moyens pour ses propres populations et valoriser la préférence communautaire dans tous les domaines. Pour reconstituer ses forces et ses équilibres, sans indifférence au reste du monde, mais sans vivre dans un permanent renoncement à elle-même. Ce sursaut ne sera possible qu’avec des gouvernants dotés de vision, de cohérence et de courage politique.

*Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma

mercredi, 15 avril 2020

Le coronavirus et les horizons d’un monde multipolaire: les possibilités géopolitiques de l’épidémie

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Le coronavirus et les horizons d’un monde multipolaire: les possibilités géopolitiques de l’épidémie

Alexandre Douguine

La pandémie mondiale de coronavirus a d’énormes implications géopolitiques. Le monde ne sera plus jamais le même. Cependant, il est prématuré de parler du genre de monde qui finira par exister. L’épidémie n’est pas finie : nous n’avons même pas atteint le pic. Les principaux points inconnus demeurent :

- Quel genre de pertes subira finalement l’humanité – combien de morts ?

- Qui sera capable de stopper la diffusion du virus, et comment ?

- Quelles sont les conséquences réelles pour ceux qui ont été malades et ceux qui ont survécu?

Personne ne peut encore répondre à ces questions même approximativement, et donc nous ne pouvons même pas imaginer les véritables dommages. Dans le pire scénario, la pandémie conduira à un déclin sérieux de la population mondiale. Au mieux, la panique s’avérera prématurée et infondée.

Mais même après les premiers mois de la pandémie, certains changements géopolitiques globaux sont déjà tout à fait évidents et largement irréversibles. Quelle que soit la manière dont les événements ultérieurs se dérouleront, quelque chose a changé une fois pour toutes dans l’ordre mondial.

Le dégel de l’unipolarité

Le début de l’épidémie de coronavirus a été un moment décisif dans la destruction du monde unipolaire et l’effondrement de la globalisation. La crise de l’unipolarité et l’échec de la globalisation est visible depuis le début des années 2000 – la catastrophe du 11 Septembre, la forte croissance de l’économie de la Chine, le retour à la politique mondiale de la Russie de Poutine comme entité politique de plus en plus souveraine, la forte activation du facteur islamique, la crise grandissante des migrants et la montée du populisme en Europe et même aux Etats-Unis qui entraîna l’élection de Trump et beaucoup d’autres phénomènes parallèles ont fait apparaître que le monde formé dans les années 90 autour de la domination de l’Occident, des Etats-Unis et du capitalisme global est entré dans une phase de crise. L’ordre mondial multipolaire commence à se former avec de nouveaux acteurs centraux, des civilisations, comme prévu par Samuel Huntington. S’il y avait des signes de multipolarité émergente, une tendance est une chose et la réalité objective en est une autre. C’est comme de la glace fissurée au printemps – il est clair qu’elle ne durera pas longtemps, mais en même temps elle est indéniablement là – vous pouvez même la traverser, bien que ce soit risqué. Personne ne peut savoir quand la glace fissurée cédera vraiment.

Nous pouvons maintenant commencer le compte à rebours vers un ordre mondial multipolaire – le point de départ est l’épidémie de coronavirus. La pandémie a enterré la globalisation, la société ouverte et le système capitaliste global. Le virus nous a forcés à aller sur la glace et des enclaves individuelles de l’humanité ont commencé à prendre leurs trajectoires historiques séparées.

Le coronavirus a enterré tous les mythes majeurs de la globalisation : 

- l’efficacité des frontières ouvertes et l’interdépendance des pays du monde,

- l’aptitude des institutions supranationales à faire face à une situation extraordinaire,

- la solidité du système financier mondial et de l’économie mondiale dans son ensemble lorsqu’ils font face à des défis sérieux,

- l’inutilité des Etats centralisés, des régimes socialistes et des méthodes disciplinaires pour résoudre des problèmes aigus et la supériorité complète des stratégies libérales sur ceux-ci,

- le triomphe total du libéralisme comme panacée pour toutes les situations problématiques.

Leurs solutions n’ont pas marché en Italie, ni dans les autres pays de l’UE, ni aux Etats-Unis. La seule chose qui s’est avérée efficace a été la fermeture radicale de la société, le fait de miser sur les ressources domestiques, un fort pouvoir d’Etat et l’isolement des malades vis-à-vis des gens en bonne santé, des citoyens vis-à-vis des étrangers, etc.

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En même temps, même les pays de l’Occident ont réagi à la pandémie de manières très différentes : les Italiens ont introduit la quarantaine complète, Macron a introduit un régime de dictature d’Etat (dans l’esprit des Jacobins), Merkel a donné 500 milliards d’euros pour soutenir la population, et Boris Johnson, suivant l’esprit de l’individualisme anglo-saxon, a suggéré que la maladie soit considérée comme une affaire privée pour chaque Anglais et refusé de mener un dépistage, sympathisant à l’avance avec ceux qui perdront des proches. Trump a établi l’état d’urgence aux Etats-Unis, fermé les communications avec l’Europe et le reste du monde. Si l’Occident agit de manière si disparate et si contradictoire, alors que dire des autres pays ? Chacun semble chercher à se sauver comme il le peut. Cela a été le mieux accompli par la Chine qui, en résultat des politiques pratiquées par le Parti communiste, a instauré des méthodes disciplinaires dures pour combattre l’infection et a accusé les Etats-Unis de la répandre. La même accusation a été faite par l’Iran, qui a été durement touché par le virus – y compris parmi les principaux dirigeants du régime.

Ainsi le virus a déchiré la société ouverte et projeté l’humanité dans son voyage vers un monde multipolaire.

Quelle que soit la façon dont se terminera le combat contre le coronavirus, il est clair que la globalisation s’est effondrée. Cela pourrait presque certainement indiquer la fin du libéralisme et de sa domination idéologique totale. Il est difficilement possible de prévoir la version finale du futur ordre mondial – spécialement dans ses détails. La multipolarité est un système qui historiquement n’a pas existé, et si nous en cherchons un analogue éloigné, nous devrions nous tourner non vers l’ère des Etats européens plus ou moins équivalents après le monde westphalien, mais vers l’époque précédant l’ère des Grandes Découvertes, quand, en même temps que l’Europe (divisée en pays chrétiens occidentaux et orientaux), le Monde Islamique, l’Inde, la Chine et la Russie existaient en tant que civilisations indépendantes. Les mêmes civilisations existaient dans la période précoloniale en Amérique (les Incas, les Aztèques, etc.) et en Afrique. Il y avait des liens et des contacts entre ces civilisations, mais il n’y avait pas un seul type dominant avec des valeurs, des institutions et des systèmes universels.

Le monde post-coronavirus impliquera probablement des régions mondiales individuelles, des civilisations et des continents qui se formeront graduellement en acteurs indépendants. En même temps, le modèle universel du capitalisme universel s’effondrera probablement. Ce modèle sert actuellement de dénominateur commun de toute la structure de l’unipolarité : de l’absolutisation du marché à la démocratie parlementaire et à l’idéologie des droits de l’homme, incluant les notions de progrès et de la loi de développement technologique qui sont devenues des dogmes dans l’Europe du Nouvel Age et qui se sont répandus dans toutes les sociétés humaines au moyen de la colonisation (directement ou indirectement sous la forme de l’occidentalisation).

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Beaucoup de choses dépendront de ceux qui vaincront l’épidémie et comment : là où les mesures disciplinaires s’avéreront efficaces, elles entreront dans l’ordre politique et économique du futur comme une composante essentielle. La même conclusion peut être atteinte par ceux qui, au contraire, ne parviendront pas à conjurer la menace d’une pandémie au moyen de l’ouverture et en évitant des mesures dures. L’aliénation temporaire dictée par la menace directe de la contagion venant d’un autre pays et d’une autre région, la rupture des liens économiques et l’aliénation nécessaire vis-à-vis d’un système financier unique forceront les Etats victimes de l’épidémie à rechercher l’autosuffisance, parce que la priorité sera la sécurité alimentaire, une autonomie et une autarcie économique minimum pour répondre aux besoins vitaux de la population en-dehors de tous les dogmes économiques qui, avant la crise du coronavirus, étaient considérés comme la seule possibilité. Même là où le libéralisme et le capitalisme seront préservés, ils seront placés dans le cadre national, dans l’esprit des théories mercantilistes prônant le maintien d’un monopole du commerce extérieur dans les mains de l’Etat. Ceux qui sont moins liés à la tradition libérale pourraient bien se diriger dans d’autres directions, dans l’inventaire de l’organisation optimale du « grand espace », en prenant en compte les particularités civilisationnelles et culturelles.

On ne peut pas dire à l’avance ce que deviendra finalement le modèle multipolaire dans son ensemble, mais le fait même de la rupture du dogme généralement dominant de la globalisation libérale ouvrira des opportunités et des voies complètement nouvelles pour chaque civilisation.

Après le coronavirus : la sécurité multipolaire

Le monde multipolaire créera une architecture de sécurité entièrement nouvelle. Elle ne sera peut-être pas plus viable ou adaptable pour la résolution des conflits, mais elle sera différente. Dans ce nouveau modèle, l’Occident, les Etats-Unis et l’OTAN, si l’OTAN existe encore, seront juste un facteur parmi d’autres. Les Etats-Unis eux-mêmes ne seront clairement pas capables (et probablement ne voudront pas, si la ligne Trump prévaut finalement à Washington) de jouer le rôle d’arbitre mondial unique, et par conséquent les Etats-Unis acquerront un statut différent après la quarantaine et l’état d’urgence. Il pourrait être comparé au rôle d’Israël au Moyen-Orient. Israël est indubitablement un pays puissant, influençant activement l’équilibre de puissance dans la région, mais il n’exporte pas son idéologie et ses valeurs dans les pays arabes environnants. Au contraire, il préserve son identité juive pour lui-même, tentant plutôt de se libérer des porteurs d’autres valeurs plutôt que de les inclure dans sa composition. La construction d’un mur face au Mexique et l’appel de Trump aux Américains pour qu’ils se concentrent sur leurs problèmes internes sont similaires à la voie d’Israël : les Etats-Unis seront un pays puissant, mais ils garderont leur idéologie libérale-capitaliste pour eux-mêmes, plutôt que pour attirer des outsiders. La même chose s’appliquera pour l’Europe. Par conséquent, le facteur le plus important du monde unipolaire changera radicalement son statut.

Cela conduira bien sûr à une redistribution des forces et des fonctions entre les autres civilisations. L’Europe, si elle garde son unité à un certain degré, créera probablement son propre bloc militaire indépendant des Etats-Unis, qui fut déjà discuté après l’effondrement de l’Union Soviétique (le projet de l’Eurocorps) et a été évoqué à plusieurs reprises par Macron et Merkel. N’étant pas directement hostile aux Etats-Unis, un tel bloc suivra dans de nombreux cas les intérêts européens propres, qui pourraient parfois différer fortement de ceux des Etats-Unis. Avant tout, cela affectera les relations avec la Russie, l’Iran, la Chine et le monde islamique.

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La Chine devra se transformer, passant de bénéficiaire de la globalisation à une puissance régionale et s’adaptant pour poursuivre ses intérêts nationaux en tant que telle. C’est exactement ce vers quoi ont tendu tous les processus en Chine dernièrement – renforcement du pouvoir de Xi Jinping, projet de « Routes de la Soie » [OBOR], etc. Cela ne concernera plus la globalisation avec des caractéristiques chinoises, mais un projet extrême-oriental explicite avec des caractéristiques confucéennes spéciales et partiellement socialistes. Les conflits avec les Etats-Unis dans l’océan Pacifique deviendront clairement plus aigus à un certain moment.

Le monde islamique fera face au problème difficile du nouveau paradigme de l’auto-organisation, puisque dans les conditions de formation des grands espaces – Europe, Chine, USA, Russie, etc. – les pays islamiques individuels ne pourront pas pleinement se mesurer aux autres et défendre efficacement leurs intérêts. Il devra y avoir plusieurs pôles d’intégration islamique – chiite (avec l’Iran pour centre) et sunnite, où, avec l’Indonésie et le Pakistan en Orient, un bloc sunnite occidental autour de la Turquie et de certains pays arabes comme l’Egypte ou les pays du Golfe sera probablement construit.

Et finalement, dans l’ordre mondial multipolaire, la Russie a une chance historique de se renforcer comme civilisation indépendante qui verra un accroissement de pouvoir en résultat du déclin important de l’Occident et de sa fragmentation géopolitique interne. Cependant, en même temps, ce sera aussi un défi : avant de s’affirmer pleinement comme l’un des pôles les plus influents et puissants du monde multipolaire, la Russie devra passer le test de la maturité, préservant son unité et réaffirmant ses zones d’influence dans l’espace eurasien. On ne voit pas encore clairement où se trouveront les frontières sud et ouest de la Russie-Eurasie dans l’après-coronavirus. Cela dépendra largement du régime, des méthodes et des efforts dont la Russie fera usage pour conjurer la pandémie et des conséquences politiques que cela aura. De plus, il est impossible de prédire exactement l’état des autres « grands espaces » – les pôles du monde multipolaire. La constitution du périmètre russe dépendra de nombreux facteurs, dont certains pourraient s’avérer très dangereux et conflictuels.

Graduellement, un système d’arbitrage multipolaire sera formé – soit sur la base de l’ONU réformée sous les conditions de la multipolarité, soit sous la forme d’une nouvelle organisation. Encore une fois, tout dépendra ici de la manière dont le combat contre le coronavirus se déroulera.

Le virus comme mission

Il ne faut pas s’y tromper : la pandémie mondiale de coronavirus est un tournant dans l’histoire mondiale. Non seulement les indices boursiers et les prix du pétrole s’effondrent, mais l’ordre mondial lui-même est en train de tomber. Nous vivons dans la période de la fin du libéralisme et de son « évidence » comme méta-récit global, de la fin de ses mesures et standards. Les sociétés humaines deviendront bientôt flottantes : plus de dogmes, plus d’impérialisme du dollar, plus d’incantations au libre marché, plus de dictature de la FED ni d’échanges boursiers mondiaux, plus de soumission à l’élite médiatique mondiale. Chaque pôle construira son futur sur ses propres fondations civilisationnelles. Il est évidemment impossible de dire à quoi cela ressemblera ou à quoi cela mènera. Cependant, il est déjà clair que le vieil ordre mondial est en train de devenir une chose du passé, et que les contours très distincts d’une nouvelle réalité sont en train d’émerger devant nous.

Ce que ni les idéologies, ni les guerres, ni les féroces batailles économiques, ni la terreur, ni les mouvements religieux n’ont pu faire, un virus invisible mais mortel l’a accompli. Il a apporté avec lui la mort, la souffrance, l’horreur, la panique, la tristesse… mais aussi le futur.

vendredi, 10 avril 2020

La crise du Covid-19, victoire des “démocratures”?

Article de Caroline Galactéros* paru dans Marianne le 06/04/2020

Nous devons profiter de la crise pour tirer des enseignements et cesser de nous tromper de priorité. L’important en effet, n’était pas de laisser se tenir le premier tour des municipales ou des matchs de foot avant de commencer à restreindre les activités de nos concitoyens, ni de laisser fonctionner les aéroports sans contrôle systématique des entrants et isolement, ni surtout de garder ouvertes nos frontières pour faire croire au bon peuple que tout était sous contrôle. L’important, le premier devoir de l’Etat, c’est la protection et la défense de sa population. Il faut sauver la vie des Français et leur donner des consignes claires et simples pour évincer en eux, dans l’urgence, cet ultra-individualisme qui n’a pas seulement fait le lit du communautarisme mais aussi celui d’une vulnérabilité collective ancrée dans le fait de se croire autorisé à tout et sans devoir de rien.

LES ETATS GAGNANTS DE LA CRISE

Quoi qu’il en soit, pour le regard à la fois global et scrutateur du géopolitologue, ce drame est, il faut bien l’avouer, l’occasion d’une observation sans pareille. Car le Coronavirus va rebattre les cartes de la puissance en Europe et dans le reste du monde. Le premier réflexe, celui du bien-pensant occidental qui bat sa coulpe, est de rattacher cette pandémie à un “signe du Ciel” devant opportunément enclencher un gigantesque processus d’autorégulation, de remise à plat d’une planète partie en vrille et en train de s’étouffer de sa propre démence productiviste. Un processus vertueux donc, qui irait vers une réforme de l’économie et de la finance mondiales et vers un assagissement salutaire d’une globalisation en surchauffe. Après ce drame, les dirigeants du monde vont enfin réfléchir et réformer la gouvernance mondiale vers plus de sens et de solidarité. C’est beau mais très improbable.

Les grands gagnants seront donc les régimes qui auront osé guider, sans simagrées guerrières, leurs peuples et les associer à une prise de conscience de leur devoir individuel pour un salut collectif.

En revanche, la pandémie signe le grand retour d’un malthusianisme de la puissance et de l’influence. Seuls les plus résistants et adaptables des Etats s’en sortiront. Et le jackpot ira à ceux qui oseront non pas juste revenir au statu quo ante, et repartir dans leur roue comme des hamsters bourrés d’amphétamines, mais prendre l’initiative d’une réforme globale de l’entropie mondiale dans le sens d’une meilleure coopération internationale et d’une pratique du dialogue respectueux entre adversaires (et déjà entre partenaires…). Les autres, ceux qui vont “jouer perso’ en croyant jouer gagnant, seront discrédités moralement et politiquement. Mais jouer collectif signifie voir clair et décider vite pour sauver sa propre peau avant de secourir les autres. Comme dans un avion en dépressurisation : avant d’aider votre voisin, vous devez mettre votre propre masque ! …L’ironie est donc que ce sont les Etats qui ont réagi le plus vite et fermement, par des mesures coercitives de surveillance, pour protéger leurs propres concitoyens, qui ont pu le plus rapidement exercer leur solidarité envers les autres et donc remporter la mise en matière d’influence et de magistère politique comme de reprise de l’économie : Taiwan, Hong Kong, Singapour, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, la Russie etc…. Les grands gagnants seront donc les régimes qui auront osé guider, sans simagrées guerrières, leurs peuples et les associer à une prise de conscience de leur devoir individuel pour un salut collectif, les contraindre pour les protéger.

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On a vertement critiqué la Chine pour ses méthodes drastiques et autoritaires mais, comme pour la Russie, force est de constater que c’est la fermeture quasi-immédiate des frontières, le confinement total de régions entières, la pratique massive du test, le triage et le traitement différencié et sans états d’âme de catégories de populations à risques, le traçage de leurs déplacements pendant et après la réouverture qui a permis à un pays d’un milliard et demi d’habitants d’avoir…quelques milliers de morts seulement, moins déjà que l’Espagne ou l’Italie et sans doute bien moins que les Etats-Unis dans quelques semaines. Quant à la Russie, elle a été prompte à fermer sa très longue frontière chinoise, à mettre les voyageurs en observation longue et elle prend désormais des mesures strictes mais très différenciées selon les catégories de population pour limiter l’épidémie. Elle ne parle pas de “guerre” mais fait comprendre que l’heure et grave et que du comportement de chacun dépend la survie de tous. Elle annonce aussi des sanctions lourdes aux contrevenants. Fake news ! Ces dictateurs antédiluviens nous mentent me rétorquera-t-on ! Leurs chiffres sont faux ! Peut-être un peu. L’OMS pense le contraire. Et l’on ne peut, à l’heure des réseaux sociaux, cacher impunément des tombereaux de morts. Ce qui est certain, c’est que les citoyens chinois et russes obéissent à leurs autorités, de gré et au besoin de force. On ne leur demande pas leur avis, on ne les ménage pas, on leur explique simplement les enjeux pour eux-mêmes et pour la survie collective de leur nation. On leur donne des consignes cohérentes. La France est le pays des droits de l’homme, la Chine celui des devoirs de l’homme. Et la Russie en a vu d’autres…

LA BASCULE DU LEADERSHIP

L’ironie du sort pour des élites européennes qui ont passé leur temps depuis 3 ans à critiquer Donald Trump, vient du fait que c’est de ce président américain honni et méprisé que l’Europe entière attend aujourd’hui son salut économique et financier. Pour l’instant l’Amérique souffre, mais elle met le prix pour s’en sortir au plus tôt. Et elle s’en sortira. Toutefois, c’est géopolitiquement que le pire est à venir pour Washington. C’est la bascule globale du leadership mondial vers l’Asie au profit du “contre monde” chinois qui se trouve accélérée par la pandémie. Car l’attitude de Pékin comme de Moscou a su démontrer un réflexe de solidarité envers le reste du monde et notamment envers les pays européens dont eux-mêmes comme l’Amérique ont été parfaitement incapables. Surtout, au-delà d’une capacité de rebond économique et industriel remarquable, Russie et Chine démontrent une absence totale d’approche idéologique de la crise et se paient le luxe d’exprimer, par leur soutien concret à ceux qui ont compris et agi avec retard, une empathie multilatérale ignorante des avanies subies et aux antipodes de notre comportement infantile. Tandis que nous faisons la preuve de notre incapacité mentale à prendre la mesure des enjeux (à l’instar des migrations ou du terrorisme) et de notre absence de solidarité intra-européenne, les “démocratures” que nous diabolisons à l’envi s’en sortent mieux que nous car elles osent contrôler les foules. Puis elles se paient le luxe de venir à notre secours. Elles envoient, comme Cuba ou le Venezuela, des médecins et des respirateurs en Italie, et Pékin va pour nous fabriquer un milliard de masques.

C’est aussi une triste heure de vérité pour l’Europe.

Bref, humiliation suprême, après le Moyen-Orient, après l’Afrique, sous les yeux du monde entier, Pékin et Moscou nous font de nouveau la leçon. Une leçon d’humanité qui démonétise complètement nos postures ridicules sur les dictateurs et les démocrates, les grands méchants et les bienveillants. Ils font ce qu’on n’a pas su faire : se concentrer sur la menace existentielle elle-même, la traiter sans égard pour les droits individuels de leurs citoyens mais assurer grâce à ces mesures “liberticides” leur salut collectif et leur remise au travail, donnant magistralement raison à la pensée chinoise qui voit dans toute situation le potentiel d’une inversion des équilibres. Nous y sommes. C’est la rançon de notre naïveté, de notre cupidité, de notre égoïsme et de notre oubli des devoirs premiers de l’Etat envers la nation. A force de nous soucier de notre souveraineté comme d’une guigne, elle se venge.

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C’est aussi une triste heure de vérité pour l’Europe. Même une tragédie humaine concrète, vécue par ses membres fondateurs principaux, n’aura déclenché aucun geste, aucune générosité. Le récent sommet européen vient de démontrer l’inanité de la solidarité européenne en cas de péril commun. Les plus forts, donc les plus riches, n’ont pas la hauteur de vue pour valoriser leur position de force en donnant aux plus faibles. Un peu comme chez les individus en somme. On écrase l’autre affaibli au lieu de lui sortir la tête hors de l’eau. On lui fait la leçon au lieu de lui tendre la main. On déboule en réunion sur le budget européen avec une pomme et un livre, comme le Premier ministre néerlandais, pour montrer qu’on a tout son temps et qu’on ne négociera rien. Au-delà de l’inélégance, quelle indignité ! Il y a un très fort paradoxe : les Etats européens qui refusent aujourd’hui, au nom de l’orthodoxie budgétaire, d’aider leurs partenaires, font un mauvais calcul stratégique et géopolitique. S’ils montraient leur humanité, ils gagneraient plus encore que ceux auxquels ils porteraient secours. On me dira que je prêche pour la paroisse des cigales et que je ne comprends pas la juste austérité des fourmis laborieuses. Non, je cherche à raisonner stratégiquement, du point de vue de l’intérêt européen. Or, en diplomatie comme en amour, le premier pas n’est possible qu’au plus fort, et c’est un pas forcément gagnant pour lui car “stratégique” en termes d’influence et de crédit moral et politique. Ce sont ces pas là qui font avancer l’ensemble. Encore faut-il en être humainement capable. Le Général de Gaulle sut tendre la main à l’Allemagne anéantie, puis à la Chine, à l’Espagne et à d’autres. Cette grandeur d’âme qui est la marque d’un esprit visionnaire n’est plus. Il faut d’urgence réinventer le gaullisme en Europe. Invoquer les mânes du Général ou celles du Tigre ne suffira pas.

L’Europe peut exploser.

L’Europe est donc en train de “tomber en miettes” comme l’annonce tristement le président italien. Elle peut exploser. Elle n’est même pas “en voie de déclassement stratégique” car finalement elle n’a jamais été véritablement “classée” puisqu’elle a toujours été sous la coupe américaine via l’OTAN et que, mis à part Paris durant quelques décennies, tout le monde a trouvé ce marché de dupes formidable. Peut-être finalement ne méritons-nous pas mieux que la servitude puisqu’au-delà des mots creux, nous sommes incapables entre nous d’exprimer une compassion concrète, une charité envers nos propres Etats membres. Nous faisons la morale au monde entier, mais nous sommes une aporie éthique, rien d’autre qu’une machinerie commerciale et monétaire qui ne sait que parler budget et dette et réduit ses 700 millions de citoyens à des unités de coûts et de recettes. Une Europe de comptables, où les fourmis l’ont clairement emporté sur les cigales. Notre président peut bien chanter. Berlin va le faire danser. Bientôt, l’Allemagne déçue depuis trois ans au moins par notre incapacité à tenir il est vrai nos promesses, prendra uniquement de la machine européenne ce que celle-ci peut encore lui donner tout en poursuivant une politique de puissance et d’influence personnelle en agrégeant autour d’elle son satellite batave et ceux du nord et de l’est.

LES ETATS-UNIS ET L’EUROPE DOIVENT FAIRE PREUVE D’HUMANITÉ

Petitesse d’esprit, indigence éthique : ces défauts de structure de l’édifice communautaire font rêver d’un Occident enfin décillé, remettant les compteurs de la solidarité internationale à zéro, décidant de lever enfin les arsenaux iniques de sanctions contre la Russie ou l’Iran. Ce serait le moment ou jamais. Pour satisfaire notre instinct de vengeance, notre vision punitive du monde, notre volonté d’écrasement des autres ou notre simple grégarisme, nous laissons en effet, dans un contexte sanitaire dramatique, un peuple déjà très affaibli et cette situation va entrainer probablement des milliers de morts. Pourquoi ? Juste pour le punir de ne pas déposer ses dirigeants qui résistent au plan américain de dépeçage de la Perse. C’est d’un cynisme parfaitement insupportable. Où est la conscience de la globalité des menaces pesant sur l’humanité ? L’indifférence totale des politiciens occidentaux pour les parties du monde qui ne les concernent pas et ne serviront pas leur réélection parait à l’heure de la pandémie plus abjecte encore que d’ordinaire. Souhaitons que la récente annonce d’une aide européenne à l’Iran via le mécanisme Instex jusque-là mort-né de contournement des sanctions extraterritoriales américaines auxquelles nous nous soumettons servilement depuis bientôt 2 ans contre toute raison, soit le premier pas d’une rupture nette d’attitude et d’état d’esprit de notre part. Notre cynisme et notre indifférence sinon nous perdront. Le coronavirus est un révélateur d’humanité et d’inhumanité. Il faut retrouver le sens de la Vie dans nos existences, cette Vie commune en humanité que masquent nos prédations et nos luttes incessantes pour la primauté. Les USA comme les puissances européennes ont une occasion inespérée de faire vraiment preuve d’humanité et de préoccupation pour l’homme. La bascule du monde sinon va s’accélérer à notre détriment

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Ce virus a eu le mérite de révéler des réflexes de survie collectives des peuples et des nations que l’on jugera égoïstes mais qui traduisent la verdeur d’une vertu cardinale : l’esprit de souveraineté. Certains ont enfin réalisé que le fait de se prendre en mains, de revenir aux fondamentaux politiques et sécuritaires c’est à dire à la protection de nos populations, cet égoïsme sacré et salutaire était la seule approche qui permette d’abord de survivre avant d’espérer éventuellement construire un chemin collectif avec d’autres survivants. On ne battit pas sur un champ de ruines ou de morts. Il n’y aura jamais pour l’Europe, en aucun domaine, de salut à attendre du suivisme, du grégarisme ou des déclarations hors sol d’un Commission de Bruxelles qui préfère que l’on meure par millions pour rester fidèles à des principes abscons d’ouverture de l’espace européen plutôt de survivre en reprenant le contrôle de ce qui se passe sur nos territoires nationaux.

C’est la vassalisation mentale et l’esprit de renoncement qui sont si enkystés dans nos rouages institutionnels collectifs.

Le problème en somme, qui vient de se manifester magistralement, est toujours le même : c’est la vassalisation mentale et l’esprit de renoncement qui sont si enkystés dans nos rouages institutionnels collectifs et parfois même nationaux que nous sommes les ventriloques d’un discours qui nous condamne à l’impuissance. Exactement comme en matière de défense, quand nous persistons à faire semblant de croire en la garantie atomique ou même conventionnelle américaine alors que l’on sait tous depuis plus d’un demi-siècle, qu’elle est théorique (l’Europe servant essentiellement de profondeur stratégique aux Etats-Unis). Cette “Foi du charbonnier” des Européens en des utopies-pièges (pacifisme, fatalité heureuse de la fin des Etats et des frontières, universalisme béat, refus des traditions, culte du présent, progrès conçu comme l’arasement du passé, dogmatisme moralisateur, etc… …) que l’on nous survend depuis 70 ans pour tuer la puissance européenne en prétendant la construire, a une fois encore joué contre nous.

Or, nul n’a jamais construit sur le renoncement à ce que l’on est profondément. On construit sur des partages équitables, sur des compromis respectueux, sur la lucidité qui refuse l’égalitarisme fumeux et n’aboutit, comme le communautarisme chez nous, qu’à la dictature des “petits” sur les “grands” au prétexte qu’ils doivent par principe être traités à l’identique. Mais il n’y a pas d’identique en Europe ! Les Etats-membres ne sont pas des clones ! il y a en revanche des racines historiques et religieuses communes et comme par hasard celles-là, on les nie on les oublie ! Pour le reste, il n’y a qu’une diversité culturelle économique, sociale gigantesque et d’ailleurs fertile. Mais il y a aussi une histoire commune des membres fondateurs, des membres qui ont joué franc jeu et d’autres qui poussaient d’autres agendas…

Les Américains sont pragmatiques mais pas stratèges.

Cette crise doit enfin nous conduire à redéployer massivement des moyens vers la préparation collective des situations d’urgence. Il faut reprendre en main notre souveraineté notamment sanitaire et industrielle. L’état de sidération économique du monde développé observé à cette occasion ouvre des boulevards aux hackers de tous poils et à la guerre dans le cyberspace. Il y aura d’autres corona et un jour l’un d’entre eux tout spécialement destiné à notre déstabilisation mettre à l’épreuve nos politiciens du temps court et de l’expédient conjoncturel. L’épidémie peut rebondir, en Chine comme ailleurs, et nul ne devrait se risquer à fanfaronner. Pékin semble en train de battre de vitesse l’Amérique (et plus encore l’Europe qui est le terrain de jeu sacrificiel de leur duel), qui entre tout juste dans la pandémie et va comme l’Europe, subir une contrecoup économique lourd, en faisant repartir sur les chapeaux de roues son économie pour voler au secours du monde et le soigner… Mais une autre “guerre fait rage”, là aussi pleine d’ironie qu’il faut suivre avec grande attention : celle des grands producteurs de pétrole (dont la Chine est la cible commerciale ultime).

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Donald Trump est désormais contraint d’aller à Canossa et d’implorer Moscou et Ryad de réduire leur production pour enrayer la chute vertigineuse du prix du baril et ne pas noyer définitivement son industrie du schiste dans une marée noire saoudo-russe. L’OPEP l’emporte. Russes et Saoudiens sont d’accord pour lui faire rabattre sa superbe et l’aider un peu, en échange d’un allègement des sanctions contre Moscou et d’un arrêt du soutien au cousin rival de MBS à Ryad que certains à Washington verraient bien lui succéder depuis le dépeçage de Kashoggi qui a fait désordre. Vladimir Poutine doit savourer sa vengeance mais réfléchira sans doute avant de tendre la main à Washington. L’Amérique lui en saura-t-elle gré durablement ? Rien n’est moins sûr. La nouvelle guerre froide et l’anti-russisme pavlovien reprendront de plus belle dès que Washington se relèvera. Les Américains sont pragmatiques mais pas stratèges. Ils ne sont malheureusement pas près de comprendre qu’ils auraient tout à gagner à faire basculer Moscou dans le camp occidental. Cette erreur stratégique dure depuis 30 ans et il est bien tard maintenant. Les Russes n’en veulent plus et les Européens sont incapables de comprendre qu’ils en font les frais.

*Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma

jeudi, 09 avril 2020

Géopolitique du coronavirus: Entretien avec Robert Steuckers

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Géopolitique du coronavirus:

Entretien avec Robert Steuckers

Au cœur d’une crise mondiale inédite par son ampleur, Strategika vous propose l’éclairage d’analystes et de penseurs reconnus dans leur domaine d’expertise. Nous avons posé à chacun une série de questions qui portent sur les différents aspects de cette véritable crise de civilisation ainsi que sur ses répercussions politiques, géopolitiques et sociales.

C’est aujourd’hui Robert Steuckers qui nous répond.

82469796.jpgRobert Steuckers, né en 1956 à Uccle, est diplômé de l’Institut Maria Haps, lié à l’Université de Louvain, où il a obtenu le Master en langues anglaise et allemande. Il a dirigé un bureau de traduction à Bruxelles pendant vingt ans avant de se consacrer à diverses tâches d’enseignement des langues. Il avait créé le think tank “Synergies européennes” en 1994, qui a organisé des universités d’été en France, en Italie et en Allemagne. Il gère, avec d’autres, le site Euro-Synergies qui affiche près de 17.000 articles de fonds, consultables par tous. Il dispose également d’un compte Twitter Robert Steuckers (@RobertSteuckers) | Twitter alimenté chaque jour. Robert Steuckers est l’auteur de plusieurs livres et essais, notamment la trilogie Europa, véritable somme sur l’identité et l’histoire des peuples européens ainsi que La révolution conservatrice allemande et Sur et autour de Carl Schmitt.

Strategika – On lit beaucoup d’éléments contradictoires selon les différentes sources d’information disponibles ou selon les avis des professionnels de la santé. Quelle est la réalité effective de cette pandémie selon vous ?

On ne peut exclure une origine naturelle de la pandémie (bien que je reste sceptique à l’endroit de la fable de la manducation du pangolin ou de la chauve-souris) mais on doit aussi accepter de discuter une autre hypothèse : celle d’un acte de guerre bactériologique dirigé contre la Chine, l’Iran et l’Europe, les trois principaux foyers de la maladie. Le virus mutant, car il est mutant paraît-il, pourrait aussi s’être échappé d’un laboratoire chinois ou autre mais alors pourquoi frappe-t-il les principaux rivaux de l’hegemon, quasi à l’exclusion des autres régions du globe ? Si l’hypothèse d’une guerre bactériologique s’avère exacte, nous pourrions établir le scénario suivant : le centre névralgique de la Chine est frappé, son industrie boostée par les délocalisations néolibérales ailleurs dans le monde, surtout en Europe, est ralentie, ce qui a un effet sur sa monnaie, capable, à moyen terme, de supplanter le dollar. De plus, ce ralentissement ou ce sabotage freine la réalisation des fameuses « routes de la soie ». L’Iran, ennemi numéro un de certains cénacles néo-conservateurs, est frappé à son tour, alors qu’il pourrait aisément devenir le principal fournisseur d’hydrocarbures de la Chine et un partenaire commercial très important de l’Europe, comme à la fin du règne du dernier Shah, avec les accords EURATOM notamment. C’est la thèse de Houchang Nahavandi, ancien ministre du Shah et auteur de livres très importants sur l’histoire récente et ancienne de l’Iran, dont je conseille vivement la lecture.

9782825113110-200x303-1.jpgEn Europe, les calamités s’abattent sur les maillons les plus faibles et sur le moteur principal de l’économie européenne, l’Allemagne. La Grèce doit affronter la crise des réfugiés sur sa frontière thrace, alors que sa santé économique et financière est vacillante depuis une dizaine d’années, suite à la crise de 2008. Elle échappe encore en gros au coronavirus mais… Wait and see… L’Italie, rappelons-le, avait signé des accords spéciaux, faisant d’elle le tremplin de la Chine dans l’UE. L’Espagne a reçu également la crise de la pandémie de plein fouet parce qu’elle est aussi une économie fragilisée qui risque d’aboutir à la ruine du projet européen, favorisé par les Etats-Unis dans les années 1940 et 1950, puis jugé concurrentiel et posé, notamment par la doctrine Clinton, comme « alien », c’est-à-dire comme ennemi potentiel, sinon ennemi déclaré. La France est frappée elle aussi, même si, officiellement, elle est considérée comme alliée depuis Macron, président formaté intellectuellement par une école américaine. Elle est vidée progressivement de ses fleurons industriels (Alsthom, Latécoère,…) et lourdement infestée par le coronavirus, tout simplement parce que l’hyperlibéralisme qui l’anémie depuis la présidence de Sarközy, a sabré dans les secteurs non marchands, dont le secteur médical. Sans un secteur médical fort, bien charpenté, prévoyant toutes formes de pandémie, y compris celles qui pourraient être déclenchées par une frappe bactériologique, un pays est la cible idéale pour ce type d’opération.

La « dé-gaullisation » de la France, depuis Sarközy, constitue le démantèlement d’un Etat qui avait des réflexes clausewitziens, voulu par le militaire De Gaulle, du moins dans ses écrits théoriques, dans l’influence qu’avait exercé Raymond Aron, grand spécialiste du stratège allemand du 19ème siècle, dans sa praxis originale des années 60, laquelle pouvait être décrite comme un modèle de « troisième voie » entre les deux blocs de la guerre froide. C’était une réponse aux impérities de la 3ème République, fustigées par Simone Weil à Londres avant sa mort en 1943, et à la gabegie politicienne et vasouillante de la 4ème. Ces types de régime gèrent à la petite semaine et ne prévoient rien, ce qui entraîne l’incapacité de décider aux moments opportuns ou de faire face à des catastrophes imprévues, comme une pandémie. Le « suicide français », décrit par Eric Zemmour est justement ce démantèlement progressif de l’Etat clausewitzien  -avec tous ses dispositifs mis en place qui prévoyaient toujours le pire-  que voulait être la 5ème République dès sa proclamation et surtout dans les années 1963-69.

La morale de cela, c’est que tout Etat ou groupe d’Etats, doit impérativement, s’il veut survivre aux manigances de ses ennemis (car il y a toujours un ennemi, disait Julien Freund), conserver ses atouts industriels et refuser les délocalisations et les fusions avec des firmes étrangères, garder des infrastructures médicales solides et un système scolaire/universitaire performant.

En Allemagne, les dispositifs prévus pour une pandémie ont été conservés, ce qui explique une meilleure gestion de la crise du coronavirus. Cependant, l’avenir de l’Allemagne n’est pas rose : les flots de réfugiés qui se sont installés sur son territoire ruinent le système de sécurité sociale exemplaire qui y avait été instauré dans l’après-guerre et génèrent du désordre à n’en plus finir dans les rues des villes ; le partenaire principal de l’industrie allemande est la Chine aujourd’hui mais cette dépendance est fragile, les Chinois finissant toujours par produire eux-mêmes ce dont ils ont besoin, notamment des automobiles. L’industrie allemande a trop parié sur l’exportation de ses excellentes automobiles, sans imaginer que ce flux pourrait un jour se tarir. Par ailleurs, le tandem gazier germano-russe est dans le collimateur de l’hegemon : les entreprises européennes qui contribueraient à l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 sont directement menacées de procès par la « justice » américaine ou de confiscation de leurs avoirs dans les banques d’Outre-Atlantique. L’affaire Frédéric Pierucci, cadre d’Alsthom, illustre bien quel est ce risque, notamment dans le livre témoignage que ce cadre a rédigé après son emprisonnement aux Etats-Unis, Le piège américain.  

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Enfin, l’Allemagne connait une crise politique sans pareil dans son histoire d’après 1945. Les partis qui ont été les porteurs de la République Fédérale depuis le miracle économique et depuis la réunification suite à la disparition du Mur de Berlin, sont en chute libre. La SPD socialiste n’est plus que l’ombre d’elle-même ; la CDU, véritable pilier du pays, connaît des tassements problématiques et perd ses billes dans tous les Länder de l’ancienne RDA. Ce tassement ou ce déclin n’est pas une exception en Europe : les chrétiens-démocrates italiens ont disparu de la scène depuis longtemps déjà ; le PPE espagnol est en liquéfaction, ce qui permet aujourd’hui à une fausse gauche, en dépit des étiquettes, de mal gouverner le pays en crise et face à la pandémie ; les deux partis chrétiens-démocrates belges sont également en voie de disparition. Ces effacements démocrates-chrétiens et socialistes interpellent : une autre normalité politique est en voie de constitution mais on ne sait pas encore quels contours elle prendra. Seul Orban maintient sa forme hongroise de démocratie chrétienne en état de fonctionnement, obtenant simultanément un certain consensus dans son pays mais est fustigé voire ostracisé par les instances eurocratiques qui font pression pour qu’il soit exclu de tout.

Le déclin allemand est inéluctable, contrairement à ce que l’on croit généralement en France aujourd’hui, où certains cercles agitent à nouveau le spectre d’un pangermanisme offensif. Outre-Rhin, la littérature contestatrice du système est florissante et n’est plus réduite à des marges de gauche ou de droite mais provient désormais des plus hautes sphères économiques ou intellectuelles. Il faudra y revenir car les arguments avancés par ces contestataires se marieraient très bien avec les critiques de l’eurocratie en vogue en France. C’est un thème excellent pour Strategika !

Si la pandémie frappe depuis peu les Etats-Unis, dont le système hospitalier laisse beaucoup à désirer, on pourra arguer que l’hypothèse, qui n’est qu’une hypothèse, que j’ai esquissée ici est erronée puisque l’hegemon, accusé d’avoir déclenché une guerre bactériologique, serait exonéré de cette accusation, vu qu’il est lui-même frappé par la pandémie. Mais toute opération bactériologique a ceci de particulier, c’est que la première victime peut aisément renvoyer la balle et répandre l’agent perturbateur chez l’envoyeur.

Strategika – Cette pandémie précède-t-elle un effondrement économique et systémique ?

313UGyA8Z1L._SX346_BO1,204,203,200_.jpgJe le pense. D’abord, le confinement ralentit l’industrie dans un système qui ne tolère aucune pause. Pour Carl Schmitt, le monde globalisé par la volonté de Roosevelt dans les années 1930 et 1940, relève de l’élément « eau », puisque l’hegemon bâti par ce président américain est une thalassocratie idéologiquement libérale : nous naviguons donc sur cet immense océan symbolique et sur les flux de marchandises et de communications contrôlés au départ par la puissance navale américaine : qui fait du sur-place dans un tel contexte coule, tout simplement, écrivait Carl Schmitt dans son Glossarium (non encore traduit). Ensuite, j’ai toujours pensé que la crise de 2008, plus profonde qu’on ne l’a cru jusqu’ici, n’a pas vraiment été résolue : on a colmaté les brèches en permanence par toutes sortes d’artifices, on en a freiné les effets pendant douze ans. Ces manœuvres de rafistolage prennent fin. Et on va mettre sur le compte du virus l’implosion définitive du système pour que les peuples ne cherchent pas à désigner des coupables.

Strategika – Plus de 3 milliards de personnes sont appelées à se confiner dans le monde. Pour la première fois de son histoire, l’humanité semble réussir à se coordonner de manière unitaire face à un ennemi global commun. Que vous inspire cette situation ?

Cette situation est effrayante parce que si pandémie il y a, indubitablement, elle n’est pas beaucoup plus explosive, du moins jusqu’ici, que les grippes saisonnières habituelles. Le virus semble certes plus virulent que celui des autres grippes, plus résilient une fois expectoré hors d’un corps humain et plus agressif sur le système respiratoire des patients les plus faibles, dont le système immunitaire est fragilisé par d’autres pathologies. Nous sommes face à une situation comparable à celle de 1968 et 1969-70 où un virus grippal avait tué, à un certain moment, jusqu’à 4000 personnes par semaine rien qu’en France ! En 2018, du 26 février au 4 mars, 2.900 personnes décèdent de la grippe saisonnière en Belgique, en une seule petite semaine !

Les hypothèses qui disent que les cercles dominants orchestrent une panique pour installer un système dictatorial, panoptique, vecteur d’une surveillance universelle et ubiquitaire, sont à prendre au sérieux. Le comportement moutonnier des citoyens est ahurissant dans un tel contexte, alors qu’il est patent que les sphères dirigeantes ont intérêt à promouvoir un tel système : l’Italie de Salvini ou même l’Italie post-Salvini est un pays imprévisible qu’il faut mater ; la France des gilets jaunes qui refuse l’hyperlibéralisme qu’on veut lui imposer mérite, à leurs yeux, une punition sévère et l’Allemagne qui hue Merkel à chacune de ses apparitions publiques doit également être châtiée, d’autant plus qu’elle se chauffe au gaz russe et fait tourner son industrie, automobile et autre, avec ces mêmes hydrocarbures poutiniens.

Nous sommes arrivés à l’ère du « Surveiller et punir » planétaire dont l’Europe sera la principale victime car les Chinois et les Iraniens sont davantage prêts à accepter les coûts humains et possèdent des capacités de résilience supérieures aux nôtres, qu’ils puisent dans la religion chiite ou confucéenne ou dans l’idéologie communiste revue et corrigée, tant et si bien qu’elle ressemble davantage aux projets constructifs de Frédéric List au 19ème siècle et aux projets que celui-ci a inspirés aux idéologues du Kuo MinTang, militant d’une renaissance chinoise après le « siècle de la honte », où le Céleste Empire était tombé en une profonde déchéance.

Strategika – Cette pandémie va-t-elle forcer l’humanité à se doter d’un gouvernement mondial comme le préconisait Jacques Attali lors de la pandémie de grippe A en 2009 ?

Attali formule du moins le projet et il y a des traces de cette vision messianique dans bon nombre de ses écrits antérieurs. Par ailleurs, dans un ouvrage traitant du monde vu par la CIA, il y a une dizaine d’années, Alexandre Adler évoquait une pandémie comme accélératrice d’une mondialisation amplifiée sinon définitive. Je ne vois cependant pas la Chine de Xi Jinping et la Russie de Poutine s’embarquer dans un tel projet. Sans parler de l’Iran…

Strategika – En 2009 toujours, Jacques Attali expliquait que « l’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur ». Que vous inspire cette idée ?    

Cette idée est une idée générale. Quasi une lapalissade. Mais si Attali, chantre du projet globalisateur en voie de réalisation, l’évoquait en 2009, c’est qu’une ingénierie sociale et médiatique bien orchestrée pouvait, le cas échéant, créer de la peur pour faire aboutir un projet tel celui dont il rêve depuis longtemps. Cette création d’une panique globale est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Mais Attali est désormais un vieux gourou, de l’âge de tous ceux à qui il souhaite la mort pour que les gouvernements hyperlibéraux n’aient pas à payer des retraites. Cependant, le nouveau gourou mondial s’appelle Yuval Noah Harari, célèbre pour deux bestsellers que l’on retrouve en toutes langues dans toutes les librairies du monde, surtout dans les grandes gares et dans les aéroports, là où passent ceux qui nomadisent à grande ou à petite échelle.

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Le 20 mars 2020, cet Harari publie un long article dans le Financial Times (https://amp.ft.com/ ), où le programme mondialisateur en cours est présenté sur un mode plaisant et attrayant, comme d’habitude : on ne peut reprocher ni à Attali ni à Harari d’avoir un style ennuyeux, incapable de capter l’attention de leurs lecteurs. Harari constate qu’avec le coronavirus, il y a urgence (emergency) et que toute urgence est « un processus historique accélérant ». Ensuite, je cite : « Les décisions en temps normaux, qui peuvent prendre des années de délibération, sont prises en quelques heures (…). Des technologies non encore entièrement développées voire dangereuses sont mises en œuvre, parce que les risques sont plus élevés si on ne fait rien (…). Des pays entiers servent de cobayes à grande échelle pour des expérimentations sociales ». Harari évoque alors un monde où il n’y aura plus que du télétravail et surtout du télé-enseignement: le confinement, que nous subissons, semble alors une étape préparatoire à cet avenir de réclusion complète, concocté dans les hautes sphères dominantes.  Harari évoque aussi le monitoring général de l’humanité, assorti de punitions pour les récalcitrants. Il est quelque peu lyrique en disant qu’aujourd’hui, les gouvernements sont plus forts que le KGB soviétique car ils disposent maintenant de « senseurs ubiquitaires et d’algorithmes puissants ». Le coronavirus, ajoute-t-il comme s’il voulait apporter de l’eau à notre moulin,  a d’ores et déjà permis de déployer un tel arsenal inédit dans l’histoire de l’humanité, notamment en Chine où l’Etat se manifeste en permanence à travers les smartphones de ses citoyens, utilise la reconnaissance faciale à très grande échelle et peut déterminer quel est l’état sanitaire de chaque Chinois par des appareils destinés à vérifier leur fièvre, que n’importe quel policier peut trimbaler et utiliser sur les voies publiques. L’étape suivante nous est également révélée par l’article d’Harari : les sentiments, comme la colère ou la joie, sont des phénomènes biologiques au même titre que la fièvre ou la toux : on peut donc les détecter et les manipuler au départ des mêmes instruments qui servent à repérer dans les rues de Chine les fiévreux potentiellement « coronavirusés ». Enfin, Harari dévoile l’objectif final, quasi messianique, bref la parousie enfin en advenance : la « coopération globale », seule planche de salut contre le virus qui doit nous induire tous à opter pour « un esprit globaliste », rendant inutile les réflexes locaux ou nationaux.

CLS.jpgEn d’autres termes, Harari opte pour une humanité radicalement différente de celle qu’avait préconisée en son temps Claude Lévi-Strauss : celui-ci voulait autant de modèles humains qu’il en existait encore sur la planète quand il s’adonnait à ses recherches en ethnologie, voulait promouvoir un « esprit ethnopluraliste » pour que l’homme ait à sa disposition de nombreux modèles possibles à imiter ou à assimiler en cas de blocage ou d’effondrement du modèle auquel il avait auparavant appartenu, dans lequel plusieurs générations de ses ancêtres avaient vécu. L’humanité devait être plurielle pour cet ethnopluralisme lévi-straussien. Pour Attali et Harari, cela ne semble pas être le cas. J’ai, je ne vous le cache pas, la nostalgie du projet de Lévi-Strauss. 

Strategika – Comment voyez-vous l’évolution de la pandémie et ses conséquences politiques et sociales dans les semaines à venir ?

Je pense que l’on suscitera la panique au moins jusqu’à la mi-mai, jusqu’au moment où le ralentissement des industries européennes aura des conséquences irréversibles et que la crise sera là, bien palpable, avec un nombre incalculable de faillites dans les PME (petites et moyennes entreprises). La crise sociale en France s’accentuera et le mouvement des gilets jaunes reprendra vigueur et de plus belle. Les autres pays européens suivront, Allemagne comprise. Ensuite, le confinement finira par agacer les plus patients d’entre les autochtones et par provoquer des émeutes dans les quartiers à risque car le Ramadan commence fin avril et s’étendra jusqu’à la fin du mois de mai. Il y a plus grave : le mondialisme globalitaire vise l’éradication de la culture européenne, dont le symbole le plus patent et le plus spectaculaire fut l’incendie de Notre-Dame de Paris. Le confinement a entraîné un premier sabotage de la liturgie implicite de notre civilisation : les vacances de Pâques et les festivités pascales, dont la semana santa espagnole, seront effacées pour la première fois depuis des siècles, de même que le cycle printanier de mai, avec les fêtes religieuses assorties des communions, prétextes à des fêtes de famille qui soudent la société. Suite à ce sacrilège, car il faut bien l’appeler ainsi, le cycle des vacances estivales sera très probablement bouleversé, alors qu’il est une tradition séculaire, ponctué de fêtes également. L’humanité de notre sous-continent sera perturbée en profondeur, ébranlée psychologiquement, avec effets somatiques et psychologiques. C’est là le risque le plus effrayant dans l’immédiat car, une fois enclenché le sacrilège de briser notre liturgie millénaire, il y aura en permanence le risque de le rééditer. Mais même la rupture du cycle rituel liturgique, hérité de Rome, pendant une année seulement est annonciatrice de catastrophes : jamais on avait osé cela.

Strategika – Existe-t-il une issue politique à la situation que vous venez de décrire et quelle forme pourrait-elle prendre selon vous ?

b2f8434b2865b541e9db2e207b87586a.jpgUne issue politique, véritablement politique au sens où l’entendaient Carl Schmitt et Julien Freund, n’est possible que par un coup de force, une épreuve cruellement conflictuelle. Par un bouleversement pareil à la révolution russe de 1917. Or nous ne sommes plus dans les années 1920 ou 1930 où des millions de soldats revenaient du front et n’avaient pas peur d’encaisser des coups ou de mourir face aux balles de régimistes ou d’adversaires politiques. Qui plus est, on ne brise plus un régime aujourd’hui avec de simples fusils, munis de baïonnettes. Les Etats sont dotés d’armes plus sophistiquées, que l’on ne peut pas acheter au magasin du coin, même aux Etats-Unis. Ils disposent de « senseurs ubiquitaires et d’algorithmes puissants », pour paraphraser Harari. De nos jours, il y a des drones, des caméras, des centres cachés si bien qu’il ne suffit pas de prendre la Grande Poste comme à Dublin en 1916, ou la radio à Moscou en 1993, face aux blindés d’Eltsine. Notre humanité est bien trop adoucie par des décennies de « libéralisme » (ou de festivisme) pour oser une telle aventure.

La seule forme qu’une réaction pourrait prendre serait un glissement vers l’illibéralisme à la Orban ou à la Poutine, sans répéter le stupide clivage gauche/droite car l’ennemi de tous est unique : il s’agit de l’hyperlibéralisme induit dans nos sociétés par le tandem Thatcher-Reagan à partir de 1979.  Or à gauche, on conserve de lourds réflexes hostiles au politique et, à droite, on a toujours tendance à sombrer dans une forme ou une autre de libéralisme. Ce sont là les écueils à éviter, en faisant appel à une imagination métapolitique qui fondrait les corpus opposés en une nouvelle synthèse, où les principes de la justice sociale et du suum cuique sont respectés.  

Strategika – Comment liez-vous la crise actuelle à votre domaine d’expertise et votre champ de recherche ?

Je ne suis pas un expert mais un observateur engagé. La crise actuelle, pour moi, est l’aboutissement de la crise freinée de 2008 et, mais je peux me tromper, un coup de force bien ciblé, perpétré par un acte de guerre bactériologique qui vise à anéantir la puissance économique européenne (le seul mode de puissance qui restait à notre sous-continent), le challengeur chinois,  à ruiner le projet des « routes de la soie », avec l’appui continu d’une orchestration médiatique planétaire. Nous sommes dans des guerres hybrides ou des guerres de quatrième génération, c’est-à-dire des guerres où l’on n’aligne plus des armées de chars et de fantassins mais où l’on applique savamment des stratégies indirectes. L’Europe, constataient déjà certains observateurs dans les années 1990 et 2000, était la moins bien préparée à manier les outils médiatiques et culturels de cette guerre de nouvelle dimension : c’était diantrement vrai et elle en paie lourdement les conséquences aujourd’hui. Si son projet avait été clausewitzien au lieu de néolibéral, elle n’en serait pas là…

Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe...

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Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe...

par Caroline Galactéros
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Geopragma et consacré aux conséquences de la crise du Coronavirus en Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe

Il ne s’agit pas, comme pour l’OTAN, d’une prétendue “mort cérébrale” mais d’une très concrète mise sous respiration artificielle de l’Europe. Sans garantie de survie. Le Covid-19 agit comme un triste révélateur de la vérité de ce qu’est l’UE : une vieille dame qui a “de beaux restes” mais ne sait plus ce que veut dire “se tenir”, être digne de soi ou de ce que l’on prétend être. Telle une ancienne gloire de la scène mondiale, elle vit tellement dans ses souvenirs et ses illusions qu’elle ne s’est pas rendu compte que le monde avait complètement changé et qu’on ne l’écoutait plus.

Les masques tombent

Cette pandémie révèle les meilleurs et les pires des comportements humains : les trafics, les pillages dans nos hypermarchés dégoulinants de nourriture, le mépris des consignes de confinement d’une partie de notre jeunesse en sécession, l’abandon de notre partenaire italien en pleine tragédie, comme d’ailleurs celui de la Grèce plus seule que jamais face aux migrants à l’assaut de ses frontières, les coups de poignard dans le dos entre Européens (comme ces douaniers Tchèques qui récupèrent l’aide chinoise d’urgence destinée à l’Italie et la distribuent dans leurs hôpitaux). Il y a aussi le meilleur : la solidarité active de tant de nos concitoyens et de nos entreprises qui fourmillent d’initiatives et d’empathie, les policiers qui travaillent nuit et jour pour sauver de leurs bourreaux domestiques femmes et enfants plus en danger encore que d’ordinaire, les pompiers, les personnels dévoués de nos maisons de retraite et même simplement les “mercis” chantés chaque soir pour les “soignants” qui ne démissionnent pas alors même que l’impéritie gouvernementale les fait depuis des semaines monter au front presque sans masques ni gants… Ne nous trompons pas toutefois. Le dévoiement de la sémantique guerrière est à mon sens ridicule et même contreproductif. Cette rhétorique martiale dessert l’image de nos “chefs de guerre” manifestement mal armés et peu décisifs aux premiers temps de l’épidémie. Les “soignants” ne font que leur devoir. Ils vivent leur vocation, celle qui a inspiré leur choix professionnel. Ce ne sont pas des “héros”, ni des victimes. Même s’il est vrai que, comme nos gendarmes, nos policiers, nos croquemorts et tant d’autres, ils montent au front de la pandémie depuis des semaines souvent sans armes et prennent des risques personnels insensés dans un pays qui se targuait hier encore d’avoir le meilleur système de soins au monde…

“Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien”

Les masques sont donc tombés de ce nouveau village Potemkine français, la politique préventive de santé publique. Dieu merci, Hippocrate est encore vivant. Il faudra néanmoins sérieusement s’occuper de lui dès la crise passée et le soigner à son tour sans mégoter. Cette incurie sanitaire aux conséquences désastreuses rappelle celle du budget de la défense, allègrement raboté durant des décennies au nom des “dividendes de la paix” sans réfléchir même à préserver les capacités essentielles indépendantes pour faire face à de collectives calamités. Nous sommes là au cœur de la résilience d’une nation et même de sa survie. Quand la tempête sera passée, ces domaines, comme ceux de la sécurité ou de la justice, devront une fois pour toutes échapper à nos petits hauts fonctionnaires comptables ratiocineurs, qui trouvent toujours de l’argent pour remplir les tonneaux des Danaïdes de l’assistanat à visée électoraliste, mais laissent nos soldats et nos médecins en haillons au nom de la rationalité budgétaire en misant sur leur sens du devoir pour faire le job malgré tout si besoin était. Besoin est.

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Le besoin d'état

Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien, qui dessine celui de notre souveraineté comme socle vital de la persistance dans l’être de la Nation. Temps aussi d’admettre que nous faisons face au grand retour des Etats dont il faut se réjouir au lieu de célébrer stupidement leur déliquescence comme un progrès.

Car nos peuples, tous les peuples ont besoin d’un Etat, et d’un Etat fort qui sache les protéger et décider dans l’incertitude au mieux de leurs intérêts physiques, matériels, et même immatériels. Les utopies fluides de la globalisation, de la délocalisation vertueuse des productions indispensables (des masques et respirateurs aux catapultes de nos avions de chasse, aux turbines de nos sous-marins en passant par notre alimentation, nos médicaments, etc…), celles de la virtualisation accélérée du monde viennent de se fracasser lamentablement devant un petit virus mutant, né de nos propres expérimentations, qui décime cet humain prétendument si proche de la vie éternelle et de l’humanité “augmentée”. Le COVID 19 vous terrasse comme la peste noire ou la grippe espagnole emportèrent en leur temps des centaines de milliers de malheureux. Nous ne sommes donc rien ou plutôt pas grand-chose ! Vanitas vanitatis, omnia est vanitas ! Il était temps de s’en souvenir. Pas de masque, pas de gants, une accolade de trop et hop ! Au trou ! Cette crise est une crise de l’Ubris occidental, gavé d’utopie technicienne au point de se croire invulnérable. On n’y croyait pas. Un peu comme les Américains avant le 11 septembre 2001, qui ne pouvaient seulement imaginer, en dépit de bien des signaux d’alarme, que leur territoire allait être magistralement désanctuarisé en son cœur même. Notre civilisation “post-moderne”, pétrie d’économisme triomphant, saisie du vertige transhumaniste et nos sociétés si sophistiquées qui pratiquent le trading haute fréquence et installent des millions de Kilomètres de câbles sous-marins pour gagner plus encore, en quasi totale décorrélation d’avec l’économie réelle comme du sort des populations ordinaires, avaient juste oublié qu’elles étaient mortelles. Paul Valery n’aurait sans doute pas imaginé pareille postérité à son prophétique propos.

“L’Etat tient” nous dit-on ! Encore heureux ! Mais pour combien de temps et surtout, saura-ton tirer profit de ce drame mondial pour prendre de la hauteur, revoir de fond en comble nos plans d’urgence, nos priorités, notre planification de crise, notre gouvernance et enfin définir ce que nous attendons de nous-mêmes en tant qu’Etat-nation digne de ce nom dans le monde tel qu’il est ? Cela nous permettrait de décider au passage ce que nous attendons de l’Europe et ce ne serait pas du luxe ! Quand on réalise le temps perdu à Bruxelles par nos eurocrates hors sol et pleins de certitudes à nous convaincre qu’il était urgent d’attendre, qu’il ne fallait surtout pas fermer les frontières nationales ni même celles de Schengen, encore moins contrôler systématiquement les entrants nationaux ou étrangers, car c’était là manquer à “l’esprit européen” de liberté et au sacro-saint dogme libre échangiste, on mesure la totale irresponsabilité de ceux qui prétendent savoir ce qu’il faut aux Européens pour vivre en paix et prospères. Il faut vivre tout court déjà !

Saura-t-on faire que cette crise soit le catalyseur d’une prise de conscience urgentissime de ce que la souveraineté nationale n’est pas une option mais une nécessité vitale pour chaque peuple sur cette planète ? Va-t-on en finir avec le conformisme intellectuel qui nous affaiblit collectivement en nous faisant faire l’autruche et tout comprendre en permanence de travers ? Saura-t-on voir que le sujet n’est pas le populisme ou je ne sais quelle lubie rétrograde, mais bien l’urgence de protéger concrètement nos peuples et notre civilisation contre divers périls, lutte à laquelle il faut affecter les moyens suffisants au lieu de fuir dans le ronron du productivisme en roue libre et de la morale en toc qui fait au loin des tombereaux de morts ?

Les conseilleurs n’étant pas les payeurs (quoiqu’en l’espèce un peu quand même), il serait évidemment malvenu de critiquer ceux qui dans la tempête, après l’avoir gravement sous-estimée, cherchent rames et écopes. Si cette pandémie rappelle le monde entier à son humaine condition et fait sonner à ses oreilles sidérées le même glas, on voit immédiatement que les pays sont tout sauf égaux devant elle, selon les « choix » de leurs gouvernants en matière de contrôle des frontières mais aussi de dépistage et de traitement. Le” pouvoir égalisateur ” du virus lui-même s’arrête à la décapitation de nos petites vanités dérisoires. Plus que jamais, les destinées collectives des peuples dépendent des forces morales, mentales comme de l’autorité de leurs dirigeants.

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L’état n'est plus stratège

En France, la stratégie adoptée de limiter les tests au maximum et de confiner l’ensemble de la population en mettant à l’arrêt la vie économique du pays au lieu de dépister massivement puis d’isoler les contaminés pour les traiter, n’a d’ailleurs pas été un arbitrage scientifique. Nous n’avions juste pas (plus) les moyens de faire autrement. Ce choix nous a été imposé par notre système sous-dimensionné de prise en charge de l’urgence sanitaire. Pourtant, le risque pandémique est un risque sanitaire majeur bien connu. Et depuis 15 ans, nous avons déjà connu les tragédies de la grippe aviaire et du virus H1N1…Mais nous n’en avons pas tiré les enseignements. Nous sommes passés à autre chose. Nous délocalisons toujours les productions pharmaceutiques et médicales et nos arbitrages sont idéologiques et d’opportunisme politique, nourris d’une confiance ingénue dans la supériorité de la liberté de circulation des individus sur la contagiosité extrême d’un virus. Dont acte.

Alors, on a différé, séquencé, délayé, et perdu un temps précieux au risque de bien des morts, et de devoir in fine, une fois le système saturé et les soignants éreintés, choisir ceux que l’on sauve et ceux que l’on sacrifie, écrémage pourtant politiquement suicidaire. Le gouvernement après quelques semaines d’atermoiements, parait désormais avoir pris la mesure du danger et de bonnes décisions. On peut tout de même remarquer que notre vaisseau prend l’eau de toutes parts, et qu’il faudrait voir à racheter une grand-voile au lieu de rapiécer sans cesse notre Tourmentin. Tout cette improvisation révèle une folle vanité et une désorientation plus vaste encore, qui font craindre pour la sécurité au sens le plus large que méritent nos compatriotes. Car, à moins que l’on ne cède au complotisme, ce virus n’a pas été intentionnellement lâché dans la nature. Le prochain le sera peut-être. La “guerre” bactériologique et chimique est aussi vieille que l’homme. Chinois comme Américains et Russes sont les meilleurs au monde en cette matière. Nous ne sommes pas mauvais non plus. C’est la massification de l’empoisonnement à l’ancienne, la strychnine à l’échelle industrielle. Alors l’économie mondiale s’enraye bien plus surement qu’avec un blackout venu du cyber-warfare ! Alors le pétrole plonge, les convoitises et les embuscades préparées de longue date contre des entreprises fragiles peuvent s’accélérer. Pékin est déjà en train de fondre sur des proies australiennes, et bien des entreprises européennes sont sur sa wish list… Cette crise est donc une répétition générale opportune pour une autre attaque probable lancée à des fins de déstabilisation offensive.

Face à ce type d’occurrence, il faut à nos démocraties molles des “chefs” politiques ayant des vertus particulières. Des hommes ayant le sens de l’Etat et de l’intérêt général, dotés une grande humanité mais insensibles et même réfractaires à l’air du temps, sachant définir un cap et s’y tenir, donner des ordres et se faire obéir. Des hommes surtout, qui arrêtent de bêler avec les autres européistes qui ont tué l’Europe des Nations à force de l’émasculer. Or, on a cassé le moule. Les gouvernants européens sont presque tous d’une autre eau. Pour eux, la guerre est un objet historique. Ils ne savent plus ce qu’elle exige d’anticipation austère et de sacrifices impopulaires. Ils sont sans boussole intérieure, historique et morale. Ils ne savent que “gérer” l’urgence dans l’urgence, sans jamais prendre le temps de s’y préparer sérieusement, à l’instar d’ailleurs de leur pratique politique générale, qui consiste à vouloir plaire à tout le monde, donc à personne. Pourquoi cette systématique indifférence à l’anticipation ? Sans doute parce qu’elle ne rapporte rien politiquement… sauf en cas de “surprise stratégique”. C’est un pari. Qu’ils ne font pas. Celui du service de l’intérêt national dont on ne vous saura peut-être jamais gré. Un pari à rebours de l’air du temps, qui requiert des mesures de protectionnisme économique, des nationalisations, la constitution de stocks et de champions nationaux, le maintien de capacités de production indépendantes multiples. Bref, cela coûte cher et ne rapporte rien, sauf si… Cela demande de croire à la souveraineté nationale, à l’intérêt et à la raison d’Etat et d’accepter leur coût politique et financier toujours exorbitant. Or, nous parlons d’Etat stratège sans jamais en accepter l’austérité et les exigences. Gouverner n’est pas glamour.

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Dieu merci, le cadavre européen bouge encore. Ou plutôt, sous l’effet de la gravité de la crise sanitaire qui cible les populations – première richesse d’une nation-, certains de ses “organes” (les Etats-membres) sortent de leur torpeur et reprennent leur vie propre. La Hongrie, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, la Pologne. On appelle cela avec dégoût le populisme, le souverainisme, et même “l’i-libéralisme”, alors que ce sont les systèmes immunitaires des peuples et nations qui se réveillent, non pas contre l’Europe mais pour elle, pour la faire sortir enfin de son enveloppe abstraite mortifère !

Caroline Galactéros (Geopragma, 4 avril 2020)

mardi, 07 avril 2020

Les États-Unis et la Chine sont-ils piégés dans une guerre hybride ?

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Les États-Unis et la Chine sont-ils piégés dans une guerre hybride ?

par Pepe Escobar

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Les retombées de la pandémie du Covid-19 mettent les États-Unis et la Chine sur des trajectoires de collision

Parmi les innombrables effets géopolitiques bouleversants du coronavirus, l’un d’eux est déjà évident. La Chine s’est repositionnée. Pour la première fois depuis le début des réformes de Deng Xiaoping en 1978, Pékin considère ouvertement les États-Unis comme une menace, comme l’a déclaré il y a un mois le ministre des Affaires étrangères Wang Yi lors de la Conférence de Munich sur la sécurité pendant le pic de la lutte contre le coronavirus.

Pékin façonne avec soin, et progressivement, le récit selon lequel, dès le début de l’attaque du coronavirus, les dirigeants savaient que c’était une attaque de guerre hybride. La terminologie de Xi est un indice majeur. Il a dit, pour le compte rendu, que c’était la guerre. Et, en contre-attaque, une «guerre populaire» devait être lancée.

De plus, il a décrit le virus comme un démon ou un diable. Xi est confucianiste. Contrairement à certains autres penseurs chinois anciens, Confucius répugnait à discuter des forces surnaturelles et du jugement dans l’au-delà. Cependant, dans un contexte culturel chinois, diable signifie «diables blancs» ou «diables étrangers» : guailo en mandarin, gweilo en cantonais. C’était Xi délivrant une puissante déclaration codée. 
 
Note d'un lecteur du Saker Francophone : Pepe Escobar commet ici une erreur sémantique majeure lorsqu'il extrapole l'utilisation faite par Xi Jinping du mot "devil" pour définir le coronavirus, et nommer, à couvert, d'hypothétiques responsables américains (hypothèse par ailleurs tout à fait plausible). Le terme péjoratif pour nommer un "étranger" en cantonais est effectivement "gweilo" ("diable d'étranger"), mais en aucun cas "guailo" (qui devrait en plus s'écrire "lao"), terme qui n'existe pas en mandarin. Le terme employé dans toute la Chine hors de la province du Guangdong, où se trouvent Canton et Hong kong, est "laowai", mot au contraire respectueux qui veut dire "l'étranger" (venu de l'extérieur). Xi Jinping ne parle pas le cantonais, la langue officielle de la Chine est le mandarin, et aucun président de la république de Chine, fut-il cantonais, ne se hasarderait à prononcer un discours officiel dans un dialecte régional. Laurent Schiaparelli

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La délégation américaine aux Jeux militaires de Wuhan, 2019

Lorsque Zhao Lijian, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a exprimé dans un tweet incandescent la possibilité que «ce pourrait être l’armée américaine qui a apporté l’épidémie à Wuhan» – la première diatribe à ce sujet provenant d’un haut fonctionnaire -, Pékin envoyait ainsi un ballon d’essai signalant que les gants étaient enfin retirés. Zhao Lijian a établi un lien direct avec les Jeux militaires de Wuhan en octobre 2019, qui comprenaient une délégation de 300 athlètes militaires américains.

Il a directement cité le directeur américain des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies – Centers for Disease Control and Prevention ou CDC –, Robert Redfield, qui, interrogé la semaine dernière sur la découverte à titre posthume de décès par coronavirus aux États-Unis, a répondu que «certains cas ont été diagnostiqués de cette manière aux États-Unis aujourd’hui».

La conclusion explosive de Zhao est que le Covid-19 était déjà actif aux États-Unis avant d’être identifié à Wuhan – en raison de l’incapacité désormais pleinement documentée des États-Unis de tester et de vérifier les différences par rapport à la grippe.

Ajoutant tout cela au fait que les variantes du génome des coronavirus en Iran et en Italie ont été séquencées et qu’il a été révélé qu’elles n’appartiennent pas à la variété qui a infecté Wuhan, les médias chinois posent maintenant ouvertement des questions en établissant un lien entre la fermeture en août de l’année dernière du laboratoire d’armes biologiques «dangereux» à Fort Detrick, les Jeux militaires, et l’épidémie de Wuhan. Certaines de ces questions ont été posées – sans réponse – aux États-Unis eux-mêmes.

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Des questions supplémentaires persistent sur l’opacité de Event 201 à New York le 18 octobre 2019 : une simulation de pandémie mondiale causée par un virus mortel – qui se trouvait être un coronavirus. Cette merveilleuse coïncidence s’est produite un mois avant le déclenchement de l’épidémie à Wuhan.

Event 201 a été parrainé par la Fondation Bill & Melinda Gates, le Forum économique mondial (WEF), la CIA, Bloomberg, la Fondation John Hopkins et l’ONU. Les Jeux militaires mondiaux se sont ouverts à Wuhan exactement le même jour.

Quelle que soit son origine, qui n’est pas encore établie de manière concluante, alors que Trump tweete sur le «virus chinois», Covid-19 pose déjà des questions extrêmement sérieuses sur la biopolitique – où est Michel Foucault quand on a besoin de lui ? Et la bio-terreur.

L’hypothèse de travail du coronavirus en tant que bio-arme très puissante, mais ne provoquant pas l’Armageddon, le désigne comme le véhicule parfait pour un contrôle social généralisé – à l’échelle mondiale.

Cuba devient une puissance biotechnologique

Tout comme un Xi, entièrement masqué, visitant la ligne de front de Wuhan la semaine dernière a été une démonstration médiatique à toute la planète que la Chine, avec d’immenses sacrifices, gagne la «guerre du peuple» contre le Covid-19, la Russie, dans un mouvement vis-à-vis de Riyad qui serait certainement apprécié par Sun Tzu, a provoqué une chute radicale du prix du baril de pétrole, aidant, à toutes fins utiles, à relancer l’inévitable reprise de l’économie chinoise. Voilà comment fonctionne un partenariat stratégique.

La disposition de l’échiquier change à une vitesse vertigineuse. Une fois que Pékin a identifié le coronavirus comme une attaque par arme biologique, la «guerre du peuple» a été lancée avec toute la puissance de l’État. Méthodiquement. Sur la base de «quoi qu’il en coûte». Nous entrons maintenant dans une nouvelle étape, qui sera utilisée par Pékin pour réviser considérablement son interaction avec l’Occident, et dans des cadres très différents en ce qui concerne les États-Unis et l’UE.

La puissance douce est primordiale. Pékin a envoyé un vol d’Air China en Italie, transportant 2 300 grands cartons remplis de masques portant l’inscription «Nous sommes des vagues de la même mer, des feuilles du même arbre, des fleurs du même jardin». La Chine a également envoyé un lourd colis humanitaire à l’Iran, à bord de huit vols assurés par Mahan Air – une compagnie aérienne soumise à des sanctions illégales et unilatérales de l’administration Trump.

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Le président serbe Aleksandar Vucic n’aurait pas pu être plus explicite : «Le seul pays qui peut nous aider est la Chine. À ce jour, vous avez tous compris que la solidarité européenne n’existe pas. C’était un conte de fées sur le papier. »

Soumis à des sanctions sévères et diabolisé depuis toujours, Cuba est encore en mesure de réaliser des percées – même en biotechnologie. L’anti-viral Heberon – ou Interféron Alpha 2b – un thérapeutique, pas un vaccin, a été utilisé avec grand succès dans le traitement du coronavirus. Une coentreprise en Chine produit une version à inhaler, et au moins 15 pays sont déjà intéressés à importer le produit thérapeutique.

Comparez maintenant tout cela avec l’administration Trump offrant 1 milliard de dollars pour braconner des scientifiques allemands travaillant dans la société de biotechnologie Curevac, basée en Thuringe, sur un vaccin expérimental contre le Covid-19, pour l’utiliser comme vaccin « uniquement pour les États-Unis ».

Psy-op d’ingénierie sociale ?

Sandro Mezzadra, co-auteur avec Brett Neilson du livre fondateur The Politics of Operations : Excavating Contemporary Capitalism, essaie déjà de conceptualiser notre attitude actuelle en termes de lutte contre Covid-19.

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Nous sommes confrontés à un choix entre un volet malthusien – inspiré du darwinisme social – «dirigé par l’axe Johnson-Trump-Bolsonaro» [et Macron ? oublié ? NdT] d’une part, et de l’autre, un volet proposant la «requalification de la santé publique en tant qu’outil fondamental» incarné par la Chine, la Corée du Sud et l’Italie. Il y a des leçons majeures à tirer de la Corée du Sud, de Taïwan et de Singapour.

L’alternative forte, note Mezzadra, se situe entre une «sélection naturelle de la population», avec des milliers de morts, et «la défense de la société» en employant «des degrés variables d’autoritarisme et de contrôle social». Il est facile d’imaginer qui bénéficiera de cette reconstruction sociale, un remix, au XXIe siècle, du Masque de la Mort Rouge de Poe.

Au milieu de tant de pessimisme, comptez sur l’Italie pour nous offrir des nuances de lumière de style Tiepolo. L’Italie a choisi l’option Wuhan, avec des conséquences extrêmement graves pour son économie déjà fragile. Les Italiens en quarantaine ont remarquablement réagi en chantant sur leurs balcons : un véritable acte de révolte métaphysique.

Même les milliers de milliards de dollars, tombant du ciel par un acte de miséricorde divine de la Fed, n’ont pu guérir du Covid-19. Les «dirigeants» du G-7 ont dû recourir à une vidéoconférence pour réaliser à quel point ils étaient ignorants – alors même que la lutte de la Chine contre le coronavirus donnait à l’Occident une longueur d’avance de plusieurs semaines [pour se préparer].

Le Dr Zhang Wenhong, basé à Shanghai, l’un des meilleurs experts chinois en matière de maladies infectieuses, dont les analyses ont été pertinentes jusqu’à présent, affirme maintenant que la Chine est sortie des jours les plus sombres de la «guerre populaire» contre le Covid-19. Mais il ne pense pas que ce sera fini d’ici l’été. Maintenant extrapolez au monde occidental ce qu’il dit pour la Chine.

Ce n’est même pas encore le printemps, et nous savons déjà qu’il faut un virus pour briser sans pitié la Déesse du Marché. Vendredi dernier, Goldman Sachs a déclaré à pas moins de 1.500 sociétés qu’il n’y avait pas de risque systémique. C’était faux.

Des sources bancaires new-yorkaises m’ont dit la vérité : le risque systémique est devenu beaucoup plus grave en 2020 qu’en 1979, 1987 ou 2008 en raison du danger extrêmement accru de l’effondrement du marché des dérivés de 1,5 quadrillion de dollars (1,5×10^24).

Comme le disent les sources, l’histoire n’avait jamais rien vu de tel que l’intervention de la Fed via son élimination, peu comprise, des réserves obligatoires des banques commerciales, déclenchant une expansion potentiellement illimitée du crédit pour éviter une implosion du marché des produits financiers dérivés résultant d’un effondrement total des matières premières et des marchés boursiers à travers le monde.

Ces banquiers pensaient que cela fonctionnerait, mais comme nous le savons maintenant, tout ce bruit et cette fureur ne signifiaient rien. Le fantôme d’une implosion des produits dérivés – en l’occurrence non causée par la possibilité précédente de la fermeture du détroit d’Ormuz – demeure.

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Nous commençons à peine à comprendre les conséquences du Covid-19 pour l’avenir du turbo-capitalisme néolibéral. Ce qui est certain, c’est que toute l’économie mondiale a été arrêtée par un disjoncteur insidieux, littéralement invisible. Ce n’est peut-être qu’une «coïncidence». Ou cela peut faire partie, comme certains le soutiennent hardiment, d’une possible psy-op massive créant l’environnement géopolitique et l’ingénierie sociale parfaite pour une domination tous azimuts.

De plus, avec un travail harassant le long du chemin, et d’immenses sacrifices humains et économiques, avec ou sans redémarrage du système mondial, une question plus urgente demeure : les élites impériales globalisées choisiront-elles toujours de continuer leur guerre hybride totale contre la Chine pour la domination tous azimuts ?

Pepe Escobar

Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone

samedi, 04 avril 2020

Géopolitique du coronavirus II - Entretien avec Jean-François Susbielle

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Géopolitique du coronavirus II

Entretien avec Jean-François Susbielle

Ex: https://stategika.fr

Au cœur d’une crise mondiale inédite par son ampleur, Strategika vous propose l’éclairage d’analystes et de penseurs reconnus dans leur domaine d’expertise. Nous avons posé à chacun une série de questions qui portent sur les différents aspects de cette véritable crise de civilisation ainsi que sur ses répercussions politiques, géopolitiques et sociales.

Nous poursuivons cette série d’entretiens avec Jean-François Susbielle.

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Jean-François Susbielle est Ingénieur Civil des Mines et diplômé de Sciences Po en relations internationales. Spécialiste de l’Internet, il a écrit plusieurs ouvrages techniques aux éditions Eyrolles. Depuis plus de 10 ans, il enseigne la géopolitique à Sciences Po Paris puis à Grenoble Ecole de Management. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages centrés sur les relations Chine-USA dont un thriller, “la morsure du dragon” (First Editions)

morsure.jpgStrategika – On lit beaucoup d’éléments contradictoires selon les différentes sources d’information disponibles ou selon les avis des professionnels de la santé. Quelle est la réalité effective de cette pandémie selon vous ?

La pandémie est bien réelle puisque le COVID-19 affecte aujourd’hui la quasi totalité de la planète. Par contre, l’OMS en a certainement surestimé le taux de létalité en avançant le chiffre de 3,5%. Sans doute supérieure à la grippe saisonnière, la létalité reste en deçà de 1% des personnes infectées (et non pas des seuls cas déclarés.)

D’après l’université de Stanford, la létalité du COVID-19 se situerait autour de 0,4%, d’autres l’estiment entre 0,1% et 0,3%.

Par contre, le COVID-19 est selon les spécialistes, de 2 à 3 fois plus contagieux que la grippe et lorsqu’elles surviennent, les complications pulmonaires peuvent être beaucoup plus sérieuses et nécessiter une hospitalisation en soins intensifs.

Strategika – Cette pandémie précède-t-elle un effondrement économique et systémique selon vous ?

Ce n’est pas tant le volet sanitaire de la pandémie que le confinement adopté pour la combattre, qui aura les conséquences les plus désastreuses. La mise au ralenti – sinon à l’arrêt – de l’activité économique pendant plusieurs mois (au moins 6 mois dit-on au Royaume Unis), la fermeture des frontières au tourisme, auront des conséquences cataclysmiques, en particuliers pour les pays les plus faibles. Ce sera darwinien, les plus vulnérables ne sortiront pas indemnes. L’Allemagne l’a bien compris qui tente de mitiger ces conséquences dévastatrices en évitant un confinement intégral.

9782754003346.jpgEn Asie, le Japon, Taiwan, Singapour ou la Corée ont montré qu’il était possible de gérer la pandémie de manière différente et moins destructrice en évitant d’éteindre le moteur de l’activité comme on le fait en France. L’Allemagne tente de suivre ce modèle. 

Mais chacun pressent que l’après COVID-19, s’il y a un après, sera très différent du monde que nous quittons.

Strategika – Plus de 3 milliards de personnes sont appelées à se confiner dans le monde. Pour la première fois de son histoire, l’Humanité semble réussir à se coordonner de manière unitaire face à un ennemi global commun. Que vous inspire cette situation ? Cette pandémie va-t-elle forcer l’humanité à se doter d’un gouvernement mondial comme le préconisait Jacques Attali lors de la pandémie de grippe A en 2009 ? 

Nous n’en prenons pas le chemin. Bien au contraire, la pandémie accélère la dé-mondialisation initiée par D. Trump, réintroduit les frontières entre les États et consacre plus que jamais le chacun pour soi.

Le 12 mars, les USA claquaient la porte au nez des européens sans la moindre concertation, alors que le 15 mars, l’Allemagne fermait de manière unilatérale sa frontière avec la France ! 

Pour le moment, le volet sanitaire de la pandémie montre que chaque pays joue pour son propre compte et on ne distingue pas l’amorce du début du commencement d’une coordination, prélude à ce fameux “gouvernement mondial”.

Certes nous n’en sommes qu’au début et il faut attendre le volet économique de la séquence en cours, la dépression avec son cortège de faillites, de chômage de masse et de destruction du tissu industriel et social. Chacun voudra sortir de cette pandémie dans un état de délabrement moindre que ses rivaux.

41ww3hMYBQL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgMais ce n’est pas tout ! Un cataclysme de cette ampleur représente une opportunité unique pour les nouveaux venus (je pense à la Chine) de rebattre les cartes au niveaux mondial et d’acquérir de la puissance au dépend des autres.   

Et puis, s’il y a dans les sphères mondialistes américaines un projet de gouvernement mondial, Donald Trump en est aujourd’hui le rempart.

Strategika – En 2009 toujours, Jacques Attali expliquait que « l’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur ». Que vous inspire cette idée ?    

Je vois mal à quoi Monsieur Attali fait allusion. Pour moi, l’humanité évolue grâce au progrès technique et aux révolutions industrielles.

Pense-t-il aux institutions internationales nées dans l’immédiate après-guerre, ONU, FMI, Banque Mondiale ? Ce n’est pas tant la peur d’une nouvelle guerre qui a présidé à leur création que la volonté de domination du vainqueur américain.

Aujourd’hui, après 40 ans de mondialisation débridée, plus de la moitié de la richesse mondiale se concentre entre les mains des 0,1% les plus riches, ceux que M. Attali appelle “l’hyper classe”.  C’est peut-être de leur côté qu’il faut chercher les projets d’avenir pour notre pauvre humanité, entre transhumanisme et esclavage. La période de confinement et de peur que nous connaissons offre une fenêtre de moindre résistance dans la population, propice à toute sorte d’évolutions.

Strategika – Comment voyez-vous l’évolution de la pandémie et ses conséquences politiques et sociales dans les semaines à venir ? Existe-t-il une issue politique à la situation que vous venez de décrire et quelle forme pourrait-elle prendre selon vous ?

On espère ardemment que notre pays puisse panser ses plaies et trouve suffisamment de forces pour remonter la pente. Mais chacun pressent que cette crise ne permettra pas un retour à l’état précédent comme ce fut le cas avec les crises des cinquante dernières années, qu’elles soient pétrolières ou monétaires, ou qu’elles résultent de l’éclatement des bulles de l’Internet ou des subprimes.

Il est bien trop tôt pour envisager le monde de l’après COVID-19. La dépression risque d’être si profonde que tous les scénarios sont possibles. Pour en avoir un avant-goût, il suffit de se rendre dans une librairie (en ligne) au rayon science-fiction, catégorie dystopie…

Germanisation de l'Europe ou européanisation de l'Allemagne ? Le Covid-19 comme incubateur stratégique

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Germanisation de l'Europe ou européanisation de l'Allemagne ?

Le Covid-19 comme incubateur stratégique

Irnerio Seminatore

La peur, le pouvoir et le statu-quo

Comme la peste d'Athènes (429 a.C), ou celle de l'Europe du Moyen Age (1347) et de la Renaissance (1720), ou encore la "grippe espagnole" de 1918, la pandémie du "COVID", si quotidien, fait de ce fléau dévorant un compagnon familier, silencieux et inconnu, qui suscite angoisse et exclusion.


Ceux qui déclarent qu'un état de guerre est en cours (Macron, Guterres, le Pape François), feignent d'oublier que la guerre présuppose un ennemi désigné, un état d'hostilité, un affrontement sanglant et des théâtres de combat furieux, où règnent les derniers tourments de la vie, car la guerre est un "acte de violence, qui vise à soumettre la volonté de l'autre" (Clausewitz). Or, cette pandémie démontre qu'il s'agit là d'une fausse rhétorique et que nous sommes en présence d'une "surprise stratégique".

Celle-ci n'est pas à résoudre par des moyens militaires et dont les éléments-clés sont d'ordre politique et civil et se caractérisent par l'ampleur, l'allure, l'impréparation politique, l'état d'urgence, la remise en cause de la stabilité et de l'ordre public, ainsi que l'extrême vulnérabilité du corps politique.

En effet, nos avenues sont désertes et nos ennemis absents et une coalition de forces et d'intérêts, invisibles, prétendent aider, intervenir et gouverner, liés à double fil par le cynisme, l'empathie et la colère.

Ce qui occupe les esprits de nos jours, ce sont les répercussions profondes et durables de la souffrance, de l'angoisse et de l'inconnu.

Ce qui règne en souveraine est la peur, le premier sentiment de l'homme qui est à l'origine, selon Thomas Hobbes, de la religion et de l’État.

La peur, qui se recèle dans l'âme du vivant, comme le fantasme anticipateur de la mort ne change en rien le psychisme de l'homme, ni l'organisation de la société.

Au contraire, elle renforce le pouvoir des Princes, par l'intimidation, la soumission et le désespoir, un cumul de passions bien humaines, suivies de vagues de malheurs sociaux, la faim, l'errance, le vagabondage, la fuite, le sentiment de faillite et la révolte, libératoire, colérique et inhumaine.

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Ce qui se recèle dans l'âme de l'homme qui a peur, est une ferveur religieuse soudaine, méconnue, qui découvre  le divin et l'implore.

Ce qui, dans le  sous-sol du monde rationnel, inflige une douleur moderne, de nature obsessionnelle, est l'impact économique de la situation, la raréfaction des biens et des activités, la stagnation des salaires, le chômage de masse, l'insécurité dans les villes, la révolte des affamés et des démunis, la crise d'autorité des pouvoirs et l'apparition de révoltés et d"émeutiers, qui apparaissent bien venus, généreux et justifiés.

Révoltes qui traversent la société selon des clivages ethniques et religieux, d'autant plus intenses et profonds, que la société est communautaire et tribale, bref, multiculturelle et pré-moderne.

Or la misère divise et l'autorité unit et protège, car la peur grandit le pouvoir et lui accorde générosité, grandeur et piété, la somme des sentiments humains les plus élevés, soutenus par la force physique.

La pandémie engendre effondrement, politique et moral, mais elle n'affaiblit pas l'esprit de lucre, elle le suscite et lui donne une justification nouvelle.

Par ailleurs, les pandémies légitiment le pouvoir et le renforcent, car le besoin de protection est une constante psycho-politique dans l'Histoire.

L'ampleur de la pandémie est aujourd'hui aussi profonde et cache une vulnérabilité stratégique face à des "competitors", tentés par des armes biologiques.

Le confinement de masse, l'effondrement des économies
et les politiques budgétaires des principaux pays


Le confinement de masse, exigé par les autorités publiques, engendre un effondrement des économies nationales en Europe.

La protection sanitaire a un coût, l'arrêt de la consommation et celui de la production.

La dissolution du corps politique d'une société montre, dans les situations de crise aiguë, les limites d'un modèle économique et social, qui ouvre sur un scénario catastrophe, celui de l'après pandémie.

L'imprévisibilité générale sur le vieux continent suscite deux réactions conjointes, l'absence de coordination commune sur les politiques sanitaires, et la divergence sur le mode de financement des politiques budgétaires des principaux pays.

En France, le désarroi sur les conflits d'intérêts a concerné le choix des politique sanitaires et a opposé Mr. Lévy, ancien Directeur de l'Iserm et A. Buzyn, ancienne ministre de la Santé, au Professeur Raoult, éminente virologue de Marseille et pourtant dénigré, ainsi qu'une mobilisation des média mainstream, pour encourager une réaction, tournée vers la résilience, la coopération et la solidarité.

Au même temps, les effets d'annonce des différents gouvernements, concernant les promesses de soutien budgétaire de la part des principaux pays, ont impliqué l'Union européenne et suscité divisions et dissonances graves, entre Italie, Pays-Bas et Allemagne, sur l'utilisation des instruments communs (aides d’État ou euro-bonds). 
La couverture des difficultés exceptionnelles, en termes de coûts sanitaires et de relance de grandes infrastructures, a été l'occasion d'un contraste de lecture et de vision entre le premier Ministre Italien G. Conte, la Chancelière allemande A. Merkel et le premier Ministre hollandais, Marc Rutte, aboutissant à une interprétation divergente des traités européens, prévus en leurs temps pour des situations de gouvernance courante et non exceptionnelle. Suite à cette entorse de la solidarité une question de fond s'affirme et peut se formuler ainsi:

"L'Europe existe-t-elle encore?"

"Veut-elle encore s'aider elle-même, ou s'imaginer, à tort, d'aider ses États-membres, sans en avoir la légitimité institutionnelle?"

La rapidité de décision et le caractère massif des interventions étatiques dans le monde, montre aux opinions l'efficacité et la réactivité des différents pays et leur souci de ne pas rater la reprise, en l'encourageant sans répit. 

Au sein de l'Union européenne, par contre, une loi spéciale, votée et ratifiée le 11 mars, sur "l'état de danger" du pays, par le Parlement hongrois, permet désormais au premier Ministre V. Orban de gouverner par ordonnance et pour une durée indéterminée.

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Le jour après, Ursula von der Leyen, aussi absente et tardive dans l'urgence sanitaire de l'Union, a rappelé à l'ordre Budapest et mis en garde les 27 sur les mesures urgentes décrétées en Hongrie et sur les dérives autoritaires supposées de la part de V. Orban, ouvrant la voie à une dictature présumée.

Ce qui dicte la priorité idéologique d'Ursula von der Leyen est moins la santé publique ou la sortie de la pandémie, que la surveillance intrusive de la Commission sur un État membre dissident et le respect d'un statu quo de vide stratégique existant et pré-existant

En termes de promesses de soutien à l'économie, voici quelques rappels en chiffres, concernant:

- les États-Unis, 2000 milliards de dollars + 1000 dollars par citoyen et 500 pour chaque enfant

- Allemagne, 1100 milliards d'euros

- France, 300 milliards d'euros

- Italie, 50 milliards d'euros

- BCE, émission d'eurobonds pour 750 milliards (quantitative easing - plan d'urgence de rachat de la dette publique et privée)

- les autres pays de l'UE, selon des quantités décroissantes.

Les besoins ne seront pas comblés par ces mesures, mais les mesures annoncées sont à interpréter comme des signaux d'inversion des tendances.

Le confinement et la peur ouvrent en France plusieurs fronts de combats, familiaux et civiques (mésententes conjugales, divorces). Si les premiers concernent les psychopathologies individuelles, les secondes, qui touchent au statut des banlieues, rouvrent la page, jamais fermée, de la sécurité collective ainsi que le destin unitaire ou sécessionniste de la nation.

En effet, ici la guerre n'est pas que micro-biologique, mais identitaire, constitutionnelle et raciale et les accrochages se multiplient avec la police, dans "plusieurs poches de résistance". Dans ces zones explosives (Seine Saint Denis et autres), le relâchement par la Chancellerie de caïds, tenus jusqu'ici en prison, fait reprendre, dans ce vieux no-man's land, la rançon des stups et de l'économie illicite, ainsi que  la gestion chaotique de l'ordre.

Le COVID, incubateur stratégique d'une option de fond: germanisation de l'Europe ou européanisation de l'Allemagne

Deux indicateurs institutionnels sont à considérer comme décisifs du bras de fer stratégique que se joue actuellement en Europe:

- La divergence de lecture des traités européens, conçus pour des conjonctures de gouvernance ordinaire entre l'Italie d'une part et l'Allemagne et les Pays-Bas de l'autre sur la manière de subvenir aux coûts sanitaires et de soutenir l'économie en vue de l'après coronavirus. Vis-à-vis de la rigidité d'interprétation des traités, l'Italie soutient la thèse de réécrire Lisbonne et Maastricht, afin de penser l'exception (ou la souveraineté) dans l'exercice de la gouvernance des pays-membres. Un pas, très contrasté, vers l'indépendance politique de l'Union, revendiquée par Macron.

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- Le gouvernement par ordonnance et à durée indéterminée, voté par le parlement hongrois en faveur d'Orban, qui représente l'hérésie de principe et donc la dérive absolue des "valeurs démocratiques" et de l’État de Droit, surveillée rigoureusement par la Commission et par la Cour européenne de Justice, chargée de soumettre la politique au judiciarisme des magistrats. Ce contrôle a soulevé immédiatement une mise en garde de la part de Mme von der Leyen à Budapest, comme la déviance absolue, en situation d'urgence, portant atteinte à l'unité de l'Union, dans cette phase, très délicate, du post-Brexit.

Ce double confinement de deux États-membres, par le bloc intransigeant des pays nordiques, sous direction allemande, fragmente politiquement l'Union européenne et freine ou retarde toute tendance à l'autonomisation et à la liberté de conduite des pays-membres, corsetés par le statu-quo et le vide stratégique de l'Union. Celle-ci vit par ailleurs, politiquement, une conjoncture internationale indécise et d'hésitation hégémonique, interne et internationale.


En effet, la pandémie en cours affecte à des degrés divers les pays européens et les pays-tiers asiatiques et les transforme en "acteurs-proie" de la scène internationale, dépourvus de capacité de réactivité sur le plan stratégique, productif et logistique, ce qui se répercute sur les alliances militaires et sur leur opérationnalité.

C'est à ce titre que le COVID  devient un incubateur stratégique de l'ennemi interne et du conflit de demain, tant à l'échelle européenne qu'au niveau international et que l'Europe ne peut compter que sur ses peuples, devenus, comme toujours,  "l'ultima ratio regum".


Bruxelles, le 2 avril 2020

vendredi, 03 avril 2020

UE: «Tout va s'effondrer maintenant»