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samedi, 19 septembre 2020

Théophile Gautier, artiste et homme d'esprit réactionnaire

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Théophile Gautier, artiste et homme d'esprit réactionnaire

Ex: http://dernieregerbe.hautetfort.com

Théophile Gautier (1811-1872) occupe une place-charnière dans notre grand XIXe siècle, ayant un pied chez les romantiques et un deuxième chez les parnassiens, voire un troisième chez les réalistes. Combattant parmi les plus en vue de la « bataille d’Hernani » en février 1830, il a été, très jeune, en relations avec Hugo, Lamartine, Musset, Nerval, Dumas, Nodier, etc. Mais figure tutélaire  des « dîners Magny » sous le Second Empire, il fut aussi proche de Flaubert, Baudelaire, Sainte-Beuve, les Goncourt, Renan, Taine, Du Camp, etc. Tous les témoins ont souligné sa personnalité haute en couleurs, sa liberté de ton et d’opinion, son sens de la provocation, son art de la causerie gauloise et débridée.

61Vdv42alWL.jpgSon œuvre le fait aujourd'hui considérer comme un auteur de deuxième rang, et ce n’est peut-être pas injuste. Comme Musset, ses dix premières années (je veux dire entre 20 et 30 ans) ont été prodigieuses, et en comparaison la suite paraît un déclin. Sa poésie des années 1830, trop méconnue, ne manque pas de force, mais consiste en variations sur les poncifs romantiques. Ensuite, sa veine se tarit : il passe aux octosyllabes froids et insipides d’Émaux et camées, antichambre de la stérilité [1]. Ses récits sont intéressants, mais on n’y sent pas la griffe du génie : ses histoires d’amour tragiques sonnent un peu creux au milieu des décors de marbre qu’il a reconstitués en plasticien [2]. C’est qu’il a érigé l’insensibilité en système, allant jusqu’à prétendre que s’il avait glissé ici et là un peu de sentiment dans ses livres, c’était uniquement pour « donner satisfaction aux bourgeois » [3]. Il ne faut pas le croire entièrement, mais il est certain qu’il a développé en lui, au fil des années, un intérêt exagéré pour le monde matériel, qui a asséché sa sensibilité et dévitalisé son œuvre. Il était peut-être plus fait pour être peintre qu’écrivain [4].

Mais cet artiste purement descriptif n’était qu’une face de sa riche personnalité. « Le bon Théo » fut aussi un causeur étonnant, truculent comme pas deux, jamais à court de paradoxes ni de bouffonneries provocatrices. Il affichait sur toute chose des jugements tranchés qui allaient à rebours de la pensée dominante, dans les termes les plus verts et les plus libres, avec une telle assurance dans le cynisme qu’on se demande dans quelle mesure il prenait au sérieux ses boutades, envers d’un nihilisme total qui transparaît bien dans la collection de citations que j’ai rassemblées. Avec ça, le plus joyeux et le plus distrayant des compagnons. Bref, une « nature » qui ne passait pas inaperçue, une sorte de Jean Yanne du Second Empire qui aurait professé le culte de l’Art d’Oscar Wilde, vite devenue la vedette non des Grosses têtes mais du salon de la princesse Mathilde et des dîners Magny [5]. C’est comme si l’inhumaine impassibilité qu’il imposa à son œuvre, comprimant insupportablement son tempérament, avait fait rejaillir celui-ci dans la conversation avec une force décuplée. Sa dualité rappelle fortement celle de Flaubert, avec qui il fut lié par l’amitié et une admiration réciproque, et dont les lettres tonitruantes font aussi entendre une tout autre tonalité que les romans trop gourmés.

Cette faconde fameuse, qui donna à Théophile Gautier, aux yeux de ses contemporains, une place bien plus importante que celle que la postérité lui a accordée, éclate encore pour nous dans les propos que rapportent surtout les frères Goncourt, à un moindre degré son ami Ernest Feydeau et son gendre Émile Bergerat. Mais alors que c’est bien le même nihilisme qu’on lit dans les lettres à Louise Colet et dans L’Éducation sentimentale ou Bouvard et Pécuchet, – on n’imaginait pas que le conteur de La Morte amoureuse, du Roman de la momie et de Spirite, ou le poète d’España et d’Émaux et camées, celui que Baudelaire salua dans la dédicace des Fleurs du Mal comme un « poète impeccable, parfait magicien ès lettres françaises », – pût traiter Pascal de « pur cul », affirmer que « Racine faisait des vers comme un porc », asséner qu’ « il n’y a rien de plus infect » que la langue de Molière, dont les vers sont « pleins d’enchifrènement » et dont Le Misanthrope est « une comédie des jésuites pour la rentrée des classes… Ah ! le cochon, quelle langue ! Est-ce mal écrit !… », ou juger ainsi le Roi-Soleil : « Un porc  grêlé comme une écumoire ! Et petit : il n’avait pas cinq pieds, le Grand roi… Toujours à manger et à chier… C’est plein de merde, ce temps-là ! Voyez la lettre de la Palatine sur la merde… Un idiot avec celà, et bête !… Parce qu’il donnait des pensions de quinze-cents livres pour qu’on le chantât… Une fistule dans le cul et une autre dans le nez, qui correspondait au palais et lui faisait juter par le nez des carottes et toutes les juliennes de son temps… » [6], entre cent autres fusées tout aussi drôlatiques.

n2916.jpgLes Goncourt, qui l’avaient d'abord jugé un peu sévèrement [7], deviennent vite, et à juste titre, émerveillés par cette infatigable verve rabelaisienne, au point de juger le causeur supérieur à l’écrivain, ce qu’on a envie de ratifier, car on peut faire des réserves sur sa poésie et sur ses récits, mais pas sur la truculence ni la vigueur de ses formules : « Gautier sème intarissablement les paradoxes, les propos élevés, les pensées originales, les perles de sa fantaisie. Quel causeur ! Bien supérieur à ses livres ; et toujours, dans la parole, bien au-delà de ce qu’il écrit ! Quel régal pour des artistes que cette langue au double timbre, qui a les deux notes, souvent mêlées, de Rabelais et d’Henri Heine, de l’énormité grasse ou de la tendre mélancolie ! » [8]. Ils préviennent toutefois qu’il faut faire la part de la provocation dans ses saillies et ne pas toutes les prendre au premier degré. À un passage où Gautier se déclare totalement fermé à la musique et où il traite Gounod de « pur âne », Edmond de Goncourt a ajouté en 1887 une note importante : « La qualité caractéristique, je dirai, la beauté de la conversation de Gautier était l’énormité du paradoxe. C’est dire que dans cette négation absolue de la musique, prendre cette grosse blague injurieuse pour le vrai jugement de l’illustre écrivain sur le talent de M. Gounod, ce serait faire preuve de peu d’intelligence ou d’une grande hostilité contre le sténographe de cette boutade antimusicale. » [9]  

De fait, les outrances systématiques dont Gautier régalait ses interlocuteurs amusent souvent plus qu’elles ne convainquent. Quand il développe des théories originales sur le rôle des cafés dans la vie politique [10], ou sur le goût culinaire, incluant une critique radicale du pain, invention « bête et dangereuse », « corrupteur suprême du goût » [11], on reste perplexe et on se demande s’il y croyait vraiment. Quand il avoue qu’il n’aime que les filles impubères et que c’est seulement « à cause des sergents de ville » qu’il ne peut satisfaire ce goût, on s’interroge sur la part de sincérité et la part d’affectation [12]. Quand il déclare qu’ « il se passe des choses énormes chez les bourgeois. J’ai passé dans quelques intérieurs, c’est à se voiler la face. La tribaderie est à l’état normal, l’inceste en permanence et la bestialité… » [13], on pense qu’il invente ou, au mieux, qu’il généralise un cas exceptionnel. Quand il raconte que ses articles de critique artistique et dramatique sont toujours approbateurs à cause du souvenir d’un marchand de boutons de guêtre qui, vexé à mort d’avoir vu sa corporation moquée, s’était mis à le persécuter [14], on n’en croit rien. Quand il explique comment il est devenu un athlète battant des records de force de frappe (chaque jour, deux heures de musculation… et un régime de cinq livres de mouton saignant et trois bouteilles de Bordeaux !) [15], on se dit qu’on est en pleine galéjade. Et quand il se vante d’avoir écrit Partie carrée – roman d’aventures également connu sous le titre de La Belle-Jenny, contribution méconnue à la légende napoléonienne – à la suite d’un défi avec Émile de Girardin remporté avec éclat : écrire douze feuilletons en douze jours, dans les locaux du journal [16], là on le prend en flagrand délit d’imposture, et on constate qu’on a affaire à un carabistouilleur de premier ordre. En effet, ainsi que nous le révèle Claudine Lacoste-Veysseyre dans la notice de la Pléiade, la correspondance montre tout autre chose : Girardin lui réclame son travail le 3 août 1847, Gautier fournit deux feuilletons, puis en a sept prêts… en mars 48 ! Girardin réclame encore en juin, et encore en septembre. Gautier se décide enfin à achever le roman, mais le 4 octobre, alors que la publication a commencé, il demande un petit délai supplémentaire pour raison de santé… [17]
 
9782081337282.jpgEt cependant, tous ses propos n’étaient pas des blagues improvisées pour faire marrer les copains, tant s’en faut. C’est le destin des faiseurs de paradoxes que de n’être pas pris au sérieux. On pourrait juger que la haine de Gautier pour les bourgeois et pour le règne de Louis XIV est tellement outrée qu’elle en devient dérisoire, tout comme son refus buté de croire aux mérites des femmes, au progrès, aux principes de 1789, trois sources inépuisables de sarcasmes. Or il y a une cohérence dans son discours, c’est celle de la réaction anti-moderne, du rêve d’un retour à la grande santé du polythéisme antique. Gautier pousse très loin son discours anti-moderne, jusqu’au refus total du christianisme. C’est une position très originale parmi les romantiques car, par réaction contre l’esprit « philosophique » du siècle précédent, ils ont réhabilité le Moyen-Âge, le christianisme et la personne de Jésus, en faisant de celui-ci le modèle de la spiritualité humanitaire qu’ils prônaient. Et Gautier lui-même a dabord subi cet état d’esprit, avant de tourner casaque au plus tard début 1835, à vingt-trois ans. Qu’on considère ainsi cet important propos, où il réfute la légende du fameux « gilet rouge » porté lors de la bataille d’Hernani (février 1830), expliquant au contraire qu’il s’agissait d’un pourpoint rose : « Mais c’est très important ! Le gilet rouge aurait indiqué une nuance politique, républicaine. Il n’y avait rien de ça. Nous étions seulement moyenâgeux… Et tous, Hugo comme nous…. Un républicain, on ne savait pas ce que c’était… Il n’y avait que Pétrus Borel de républicain… Nous étions tous contre les bourgeois et pour Marchangy…[18] Nous étions le parti mâchicoulis, voilà tout… Ç’a été une scission, quand j’ai chanté l’Antiquité dans la préface de la Maupin… Mâchicoulis et rien que mâchicoulis… L’oncle Beuve, je le reconnais, a toujours été libéral… Mais Hugo, dans ce temps-là, était pour Louis XVII. Mais je vous assure ! Oui, pour Louis XVII ! Quand on viendra me dire que Hugo était libéral et pensait à toutes ces farces-là en 1828… Il ne s’est mis qu’après dans toutes ces saletés-là…  C’est le 30 juillet 1830 qu’il a commencé à se retourner… Au fond, Hugo est purement Moyen-Âge… À Jersey, c’est plein de ses blasons. Il était le vicomte Hugo. J’ai deux-cents lettres de Mme Hugo, signées la vicomtesse Hugo. » [19]

Gautier n’avait pas seulement (à l’instar de Baudelaire et Flaubert) une profonde aversion pour les socialistes, les républicains, les progressistes – et les Juifs, il n’était pas seulement athée et matérialiste, il rejetait aussi de manière conséquente le christianisme et tout ce qui en découle, avec une virulence bien plus agressive que Leconte de Lisle ou Louis Ménard, ces deux autres grandes figures du mouvement parnassien. La parution de la Vie de Jésus d’Ernest Renan le mit en fureur. Transformer Jésus en saint laïc et le christianisme en religion humanitaire, compatible avec le progressisme moderne, n’était pas pour lui une façon de le sauver, mais tout au contraire de l’enfoncer définitivement. Devant les frères Goncourt, il laissa exploser sa haine du personnage le plus nuisible de l’histoire humaine, d’où ce morceau extraordinaire :

« Un livre sur Jésus-Christ, voilà comme il fallait le faire. Un mauvais sujet qui quitte ses parents, qui envoie dinguer sa mère, qui s’entoure d’un tas de canailles, de gens tarés, de croquemorts et de filles de mauvaise vie, qui conspire contre le gouvernement établi et qu’on a bien fait, très bien fait de crucifier ou plutôt de lapider. Un pur socialiste, un Sobrier de ce temps-là, qui détruisait tout, anéantissait tout, la famille, la propriété, furieux contre les riches, recommandant d’abandonner ses enfants ou plutôt de ne pas en faire, semant les théories de L’Imitation de Jésus-Christ, amenant dans le monde toutes ces horreurs, un fleuve de sang, les Inquisitions, les persécutions, les guerres de religion ; faisant la nuit sur la civilisation, au sortir du jour qu’était le polythéisme ; abîmant l’art, assommant la pensée, en sorte que tout ce qui le suit n’est que de la merde, jusqu’à ce que trois ou quatre manuscrits, rapportés de Constantinople par Lascaris, et trois ou quatre morceaux de statues, retrouvés en Italie, lors de la Renaissance, sont pour l’humanité comme le ciel qu’on retrouve… » [20]

librio263-2004.jpgOn comprend son entente profonde avec Flaubert, qui à la même époque vomissait son exécration de « la crapule catholico-socialiste, la vermine philosophico-évangélique » pour laquelle, hélas, militait le Hugo des Misérables. [21]          

Chez l’un comme chez l’autre, il ne s’agit pas d’un prurit momentané, d’un geste d’humeur déclenché par les circonstances, mais bien d’une philosophie profonde qu’ils ont eue toute leur vie. Dans les poésies de Gautier, on trouve ici et là quelques vers qui signalent que le christianisme est mort. Mais c’est surtout dans Mademoiselle de Maupin (1835) que se manifeste la prise de distance radicale du poète à l’égard de la secte nazaréenne, de son prophète et de sa mentalité : le personnage principal – et narrateur de la majorité des chapitres –, qui est à bien des égards une transposition de son auteur, tient des propos qui comptent parmi les plus antichrétiens de toute la littérature du XIXe siècle : « Je suis un vrai païen de ce côté, et je n’adore point les dieux qui sont mal faits : […] personne n’est de fait plus mauvais chrétien que moi. Je ne comprends pas cette mortification de la matière qui fait l’essence du christianisme » (Pléiade tome I, 2002, p. 324) ; « Je suis un homme des temps homériques ; – le monde où je vis n’est pas le mien, et je ne comprends rien à la société qui m’entoure. Le Christ n’est pas venu pour moi ; je suis aussi païen qu’Alcibiade et Phidias. – Je n’ai jamais été cueillir sur le Golgotha les fleurs de la passion, et le fleuve profond qui coule du flanc du crucifié et fait une ceinture rouge au monde ne m’a pas baigné de ses flots. » (p. 368) ; « De maigres anachorètes vêtus de lambeaux troués, des martyrs tout sanglants et les épaules lacérées par les tigres de tes cirques, se sont juchés sur les piédestaux de tes dieux si beaux et si charmants : le Christ a enveloppé le monde dans son linceul. […] Le monde palpable est mort. Une pensée ténébreuse et lugubre remplit seule l’immensité du vide. » (p. 371-372) ; « Virginité, mysticisme, mélancolie, – trois mots inconnus, – trois maladies nouvelles apportées par le Christ.» (p. 372) ;  « L’homme est réellement déchu du jour où le petit enfant est né à Bethléem. » (p. 377-378).    

81aZNqHfglL.jpgOn voit que, s’il est courant de placer Mademoiselle de Maupin parmi les sources d’Oscar Wilde – et en effet, l’esthétisme radical proclamé dans la préface semble parfois plagié dans Le Portrait de Dorian Gray –, on pourrait aussi mettre Gautier parmi les antécédents de Nietzsche. Faudrait-il aller plus loin et dire parmi les inspirateurs de Nietzsche ? La question n’est pas absurde. En effet, Nietzsche a commencé à lire le Journal des Goncourt en octobre-novembre 1887. Impressionné par l’atmosphère des dîners Magny, il a pris quelques notes à ce sujet qu’on retrouve dans ses œuvres posthumes [22], et surtout il écrit le 10 novembre à Peter Gast : « Le tome II du Journal des Goncourt vient de paraître : c’est la nouveauté la plus intéressante. Il concerne les années 1862-65 [celles qui justement sont les plus riches en propos de Gautier, dont ceux relevés ci-dessus] ; on y trouve décrits de manière très vivante les fameux dîners chez Magny, ces dîners qui réunissaient deux fois par mois la bande la plus spirituelle et la plus sceptique des Parisiens d’alors (Sainte-Beuve, Flaubert, Théophile Gautier, Taine, Renan, les Goncourt, Scherer, Gavarni, parfois Tourgueniev, etc). Pessimisme, cynisme, nihilisme exaspérés ; j’y aurais parfaitement ma place – je connais ces messieurs par cœur, à tel point que j’en ai soupé. Il faut être plus radical : au fond, il leur manque à tous l’essentiel – "la force" » [23]. À cette époque, Nietzsche écrit les aphorismes qui deviendront Le Crépuscule des idoles, notamment ceux de l’avant-dernier chapitre, « Flâneries d’un inactuel ». Un an plus tard, il écrira L’Antéchrist. Bien sûr, Nietzsche n’a pas eu besoin de Gautier pour concevoir sa vision du monde ni son anti-christianisme. Mais il est possible que la lecture des envolées du Gautier des Goncourt ait contribué à donner ce ton d’agression exaspérée qui est celui de sa dernière manière [24].

Gautier n’a pas développé ses conceptions réactionnaires et anti-chrétiennes, se contentant de les résumer pour ses amis. Pourtant, s’il n’était pas un théoricien, il était aussi (comme Flaubert) un homme à idées, et non pas un pur amant de la forme, ainsi qu’ il l’a laissé croire et affecté de le croire lui-même. Ernest Feydeau, qui l’a bien connu, le juge ainsi : « En toute chose il était, avant tout, un homme d’esprit. » [25] Au début de sa carrière, il a fait précéder son premier recueil poétique (Albertus ou l’âme et le péché, 1832), son premier recueil de nouvelles (Les Jeunes-France, 1833) et son premier roman (Mademoiselle de Maupin, 1835) de trois préfaces pétaradantes, qui comptent parmi les manifestes les plus remarquables de « l’art pour l’art ». À la fin de sa vie, il nourrissait (comme Flaubert) plusieurs projets de livres d’idées : un essai sur le goût culinaire, une série d’articles sur quelques jeunes peintres, intitulée Ceux qui seront célèbres,  un essai sur la dernière manière de Victor Hugo et son style apocalyptique dont il assurait posséder la clef, et surtout un recueil posthume de pensées où « il aurait révélé ce qu’il pensait réellement des hommes, des choses, de la vie et du monde », véritable testament qui ne serait pas passé inaperçu : « Ce sera terrible, et les cheveux vous dresseront sur la tête ! car je dirai ce qui est ! » [26]. Comme il est regrettable qu’il ne s’y soit jamais attelé ! Comme cette œuvre aurait été plus intéressante et plus valable qu’Avatar ou Jettatura dont on aurait très bien pu se passer !… voire que Le Roman de la momie et Spirite qui ne sont pas « terribles » et laissent nos cheveux immobiles !…

9782755506006-T.jpgDans ses récits de voyages parfois, dans ses articles (trop rarement, hélas), dans sa charmante et malheureusement inachevée Histoire du romantisme, transparaissent au détour d’une page cette verve, cette originalité de pensée, cette liberté de jugement qui faisaient le régal de ses amis. Cependant, force est de reconnaître que celà reste exceptionnel : Gautier n’a pas confirmé ce talent de polémiste et d’agitateur d’idées qui pointait dans les préfaces de 1832-35, ou plutôt il l’a réservé presque totalement à sa conversation orale et quelques lettres. Pourquoi cette amputation, pourquoi ce gâchis ?

Je vois deux raisons, que j’ai mentionnées dans ma note n°3. La première raison est externe. Son père ayant été ruiné par la révolution de juillet 1830, et lui-même en février 1848 (avant de voir à nouveau son avenir social brisé en septembre 1870 ! [27]), Gautier n’a pas connu cette vie de rentier qui a permis à beaucoup d’écrivains comme Flaubert de se consacrer à leur œuvre. Presque tout au long, il a dû à lui seul subvenir aux besoins de cinq à sept personnes : un père, deux sœurs, une femme, un fils, deux filles… D’où une vie de galérien de la plume, une collaboration obligée aux journaux, une carrière de chroniqueur dramatique et artistique très astreignante. Or il vivait à une époque où la censure était très vigilante, pas seulement la censure judiciaire en aval, celle qui retire de la vente les ouvrages déjà publiés, mais surtout la censure moralo-commerciale en amont, celle des directeurs de journaux et des éditeurs qui filtrent les textes à paraître. Gautier prétend avoir été systématiquement « raturé » chaque fois qu’il essayait d’exprimer une idée personnelle, de telle sorte qu’il a vite compris qu’il devait rester parfaitement neutre, bien-pensant, lénifiant, pour continuer à gagner sa pitance et celle de sa famille [28]. On reste toutefois sceptique devant cette justification. Sous le Second Empire, Gautier était-il obligé de chroniquer dans le très officiel Moniteur universel ? N’y avait-il vraiment aucune autre feuille disposée à accueillir un collaborateur prestigieux depuis plus de vingt ans et lui donner carte blanche sur tous les sujets autres que politiques, – restriction d’autant plus facile à observer que Gautier, qui détestait les républicains, n’avait aucune raison d’attaquer frontalement le régime impérial ? À la même époque, un Barbey d’Aurevilly a pu lui aussi se nourrir grâce à une chronique littéraire hebdomadaire, qu’il a pratiquée avec une bien plus grande liberté de ton ! Et Baudelaire, très impécunieux lui aussi, a pu se faire payer par les journaux des articles d’un intérêt bien plus puissant que le robinet d’eau tiède de Gautier ! Même remarque pour Sainte-Beuve, dont les Lundis n’ont jamais manqué de lecteurs depuis un siècle et demi, alors que les chroniques de Gautier sont englouties. La relative insignifiance de ses articles, comparée au jaillissement prodigieux de sa conversation orale, reste donc assez mystérieuse. [29]

La seconde raison est interne. Mademoiselle de Maupin, dont tous les chapitres (sauf deux) sont écrits à la première personne, est le dernier récit de Gautier riche en idées (et en sentiments originaux). Après, les thèses de la préface, qui en est plutôt une postface, seront appliquées : gratuité ludique, culte du beau plastique, primat de la description, effacement (relatif) du narrateur. C’est déjà le programme de Flaubert, mais avec une froideur, un anti-intellectualisme, une déshumanisation dont celui-ci saura mieux se garder. Nietzsche, lui, avait bien compris que l’art pour l’art, s’il a le mérite d’envoyer au diable la morale, a néanmoins le vice d’être un serpent qui se mord la queue, car l’art doit aller vers la vie [30]. Gautier est en quelque sorte victime de ses théories : il s’est mis dans la tête une conception selon laquelle, dans ses récits et ses poèmes, sa verve devait être comprimée, ses idées écartées, ses paradoxes pulvérisés [31]. Il n’a pas su conjuguer les deux faces de sa personnalité, il a considéré que son amour de la pure beauté matérielle avait seul le droit de contribuer à sa production littéraire. L’artiste et l’homme d’esprit, au lieu d’œuvrer ensemble, se sont crus antagonistes. L’artiste n’a fait qu’une œuvre de surface, et l’homme d’esprit n’a pas trouvé cette surface où se faire admirer de la postérité. Chez lui, l’artiste n’est qu’une image et l’homme d’esprit n’a pas d’image.

____________________________

[1] À la toute fin de sa vie, il déclara : « Je trouve que la poésie doit être fabriquée à l’époque où l’on est heureux. C’est pendant la période de la jeunesse, de la force, de l’amour, qu’il faut faire des vers, qu’il faut parler cette langue… » (Edmond de Goncourt, Journal, 6 juillet 1872, R. Laffont, coll. Bouquins, tome II, 1989, p. 520).

9782842057848-G.JPG[2] Voici le jugement des Goncourt sur Le Capitaine Fracasse : « Rien de plus choquant dans un livre que la réalité des choses faisant contraste au romanesque, au convenu, au faux des personnages. Tout ce qui est matière est détaillé, vivant, présent ; tout le reste, dialogues, caractères, intrigues, est de convention. On voit le mur, l’ombre du héros. Le héros lui-même s’efface, fuit, s’estompe dans le faux et le vague. Défaut énorme de ce genre, qui, par l’empâtement, fait marcher le paysage, la maison, l’appartement, le costume sur l’homme, l’habit sur le caractère, le corps sur l’âme. » (Journal, 2 novembre 1863, R. Laffont, coll. Bouquins, tome I, 1989, p. 1026). C’est un peu exagéré, mais c’est bien l’impression que donnent souvent les récits de Gautier… et plus encore ceux des Goncourt ! Il n’est pas rare en littérature, comme ailleurs, qu’on reproche aux autres ce qu’on fait soi-même : ainsi le jugement de Gide sur les récits de Wilde.

[3] Voir le Journal des Goncourt aux 9 et 23 novembre 1863 (Bouquins, tome I, 1989, p. 1029 et 1032-1033). Il disait aussi : « Je dois vous dire dabord que je suis organisé d’une certaine façon : l’homme m’est parfaitement égal. Dans les drames, quand le père frotte sa fille retrouvée contre les boutons de son gilet, celà m’est absolument indifférent, je ne vois que le pli de la robe de la fille. » (ibid., 5 mars 1857, tome I, p. 239). Une boutade qu’il ne faut évidemment pas prendre au premier degré (et qui rappelle l’attitude caricaturale d’Irénée Fabre, Le Schpountz, qui, devenu accessoiriste, ne regardait plus dans les filmes que les accessoires, ne voyant plus les acteurs, et déclarant qu’ « une théière mal choisie peut foutre par terre une scène d’amour », Pocket n°1292, 1976, p. 175-176). Néanmoins une telle boutade n’était pas innocente, et devait traduire au minimum une pente de Gautier, voire une aspiration profonde. Son gendre Émile Bergerat a entendu exactement les mêmes idées : « Il n’admettait pas qu’une comédie fût conçue en dehors des préoccupations de costumes et de décors qui lui sont propres. L’intérêt et la particularité d’une œuvre d’imagination lui semblait résider tout dabord dans la réalisation des milieux, la reconstitution des époques, l’exactitude artistique du langage et des accoutrements. Quant à la vérité des sentiments mis en jeu, la trouvaille des incidents par lesquels les âmes se heurtent et jettent l’étincelle, et la conclusion  même de ces incidents, ce n’était là pour lui qu’un mérite de second plan, un art un peu vulgaire où on peut exceller sans sortir de la médiocrité intellectuelle, en un mot une œuvre d’artisan plutôt que d’artiste. » (Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, cinquième entretien, Charpentier, 1879, p. 129-130). A contrario, il lui est arrivé de se plaindre avec amertume d’avoir été empêché par la censure, les éditeurs, le public, de mettre des idées dans ses récits de voyage, de telle sorte qu’il percevait la reconnaissance de son talent de paysagiste comme un éloge perfide qui le réduisait à n’être qu’un « larbin descriptif » (Goncourt, Journal, 6 juillet 1872, tome II, p. 520). Mais il expliquait aussi, dans le même entretien avec Bergerat, que cette façon de s’attacher aux objets et les paysages en négligeant les mœurs locales procédait d’un principe conscient : « L’homme est partout l’homme, et, sous toutes les latitudes, il mange avec la bouche et prend avec les doigts ; dans tous les pays le fort tue le faible avec le fer, et l’art d’aimer ne varie point d’un pôle à l’autre. Celà ne vaut pas la peine de tailler sa plume, et pour moi je m’en soucie comme d’une guigne ! » (ouvr. cité, p. 128). Étonnante  inconséquence que cette cécité ethnologique volontaire, alors qu’il venait d’expliquer au contraire qu’à l’étranger, il cherchait à se fondre complètement dans la mentalité et les usages du pays, se faisant musulman à Constantinople, apostolique et romain à Rome, « forcené pour les courses de taureaux » en Espagne, Russe à Saint-Pétersbourg… et que c’est justement parce que ces usages lui étaient devenus naturels qu’il ne songeait pas à les noter ! (p. 126-128). Gautier a également abordé cette question devant Ernest Feydeau (le père – officiel – du dramaturge), qui transcrit ses propos dans son livre Théophile Gautier. Souvenirs intimes (Plon, 1874) au chapitre XXIV (p. 139-144). Il brandit à nouveau l’argument de l’empêchement externe : il a subi la censure des journaux, qui ont raturé toutes ses tentatives pour exprimer ses idées ; mais présente de façon différente la raison interne : cette fois, il prétend qu’il lui était impossible de savoir comment les Turcs pensent et qu’il a donc dû se contenter de transcrire ce qu’il a pu observer. C’est un peu léger… — Un excellent lecteur, José Cabanis, propose une comparaison ravageuse : « La notoriété vint [à Astolphe de Custine] d'un récit de voyage, La Russie en 1839, qui fit grand bruit car il évoquait avec une lucidité extraordinaire le peuple russe, et la condition humaine sous le règne des tsars. Qu'on le compare au Voyage en Russie de Théophile Gautier, qui ne sut voir que palais, chefs-d'œuvre de l'art et fêtes. "La vie russe nous enveloppait, écrit Théophile Gautier, suave, caressante, flatteuse, et nous avions peine à déposer cette moelleuse pelisse." Custine vit ce qu'elle cachait, et son livre annonce la Révolution. » (Plaisir et lectures, 10, Gallimard, 1964, p. 75). 

[4] Dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes d’Ernest Feydeau (Plon, 1874), le chapitre XXII (p. 129-134) est consacré au dépit de Gautier de n’avoir pas été peintre. Mais celui-ci ne met en avant que des raisons de réussite sociale : prestige et revenus… — Gautier prétendait aussi « le plus sérieusement du monde » qu’il « a toujours été jaloux de Paul Féval et même de Ponson du Terrail », car il était « né pour écrire des romans-feuilletons ». Mais la fatalité de la vie fait que les vocations sont toujours contrariées, ainsi celle d’Ingres qui selon lui-même et selon Gautier était avant tout un violoniste… (Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, sixième entretien, p. 132-133).                  

9782253037415-T.jpg[5] Cet homme très attaché aux manières raffinées de l’ancien temps aimait aussi à se lâcher comme on dit aujourdhui, et pouvait pousser loin les plaisanteries viriles et les « terribles familiarités ». Ainsi les Goncourt l’ont-ils vu, dans une soirée mondaine, débattre avec le prince Poniatowski sur l’érection matinale, et interpeller ainsi Adolphe de Forcade Laroquette, qui était alors ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics et qui en est resté « ahuri, éteint, encloué » : « Monsieur le ministre, combien tirez-vous de coups par semaine ? » (Journal, 29 septembre 1867, Bouquins, tome II, 1989, p. 112). On pense à Thierry Ardisson et sa fameuse question à Michel Rocard : « Est-ce que sucer c’est tromper ? ». Mais il y a une grande différence entre une plaisanterie de corps de garde osée en petit comité d’hommes, fût-il mondain, et une vulgarité lancée devant les caméras, à la face du grand public.

[6] Tous ces propos sont rapportés dans le Journal des Goncourt, tome I de l’édition Bouquins. Pascal : p. 965 (11 mai 1863) et p. 1039 (21 décembre 1863) ; Racine : p. 977 (22 juin 1863) ; Molière : p. 965 (11 mai 1863) et p. 852 (23 août 1862) ; Louis XIV : p. 852 (23 août 1862). Ils ont tous été tenus lors de dîners d’hommes de lettres, au restaurant Magny rue Mazet (ou chez Peters, passage des Princes, le 23 août 1862).

[7] « Gautier, face lourde, tous les traits tombés, un empâtement des lignes, un sommeil de la physionomie, une intelligence échouée dans un tonneau de matière, une lassitude d’hippopotame, des intermittences de compréhension : un sourd pour les idées, avec des hallucinations d’oreille, écoutant par derrière lui quand on lui parle devant. » (Journal, 3 janvier 1857, tome I, p. 227-228).

[8] Goncourt, Journal, 14 février 1868, tome II, p. 134.

[9] Goncourt, Journal, 3 mars 1862, tome I, p. 780. Mais c’est aussi que Gounod était encore vivant en 1887, quand Edmond de Goncourt commença à publier son Journal. Il se protège donc à bon compte en taxant le propos de Gautier de pure plaisanterie. La vérité est sans doute à mi-chemin… — Autre note additive de 1887 page 1011, pour marquer une réserve sur la biographie de la Païva déroulée par Gautier le 28 septembre 1863 : « Dans la parole de Gautier, il faut toujours s'attendre à du romanesque ou à de l'hyperbolisme. »

[10] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, dixième entretien, p. 172-183.

[11] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, septième entretien, p. 145-148.

[12] Goncourt, Journal, 18 janvier 1864, tome I p. 1046. Celà dit, Émile Zola confessait le même penchant pédophile : « Zola qui n’a rien dit, rien dit jusqu’ici, se plaint tout à coup d’être hanté par le désir de coucher avec une jeune fille – pas un enfant, mais une fille qui ne serait point encore une femme : "Oui, ça me fait peur… Je vois les assises et tout le tremblement" » (ibid., 28 janvier 1878, tome II p. 767).

[13] Goncourt, Journal, 22 juin 1863, tome I p. 974.

[14] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, neuvième entretien, p. 165. Peu vraisemblable au milieu du XIXe siècle, cette histoire devient criante de vérité aujourdhui, où il n’y a pas de « minorité » qui ne hurle contre l’insupportable « discrimination » dont elle est victime et les propos « offensants » dont elle exige la censure. « Nous en sommes arrivés à ce point de liberté qu'il ne faut plus rien dire et que tout est de trop dans un article » (p. 164) : Gautier exagérait pour son temps, mais dit la vérité du nôtre.

[15] Goncourt, Journal, 9 avril 1866, tome II p. 17.

002729693.jpg[16] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, sixième entretien, p. 135. Il prétend aussi que son roman-feuilleton aurait pu être poursuivi « jusqu’à la consommation des siècles ». Pourtant, si le narrateur dit dans le dernier chapitre que le sort final du personnage principal reste inconnu, ménageant par là un possible retour, les autres personnages importants meurent et l’intrigue est nettement dénouée. Tout au plus, il était possible de faire un deuxième volet, avec le même personnage principal lancé dans une tout autre aventure.

[17] Pléiade Romans, contes et nouvelles, 2002, tome II, p. 1261. Partie carrée a été publiée en vingt feuilletons dans La Presse, entre le 20 septembre et le 15 octobre 1848. Mme Lacoste-Veysseyre conclut que son écriture a duré quinze mois, puisque Gautier l’a commencée en août 1847, mais observe que les sept derniers chapitres ont été rédigés en une dizaine de jours. C’est sans doute le souvenir de cette fin précipitée, sous la contrainte pressante de Girardin !, qui a amené Gautier à fabuler plus tard en racontant son histoire de défi victorieux, toute à son avantage. Cette notice de la Pléiade ne mentionne jamais la version donnée près de vingt-cinq ans plus tard par Gautier devant son gendre, ce qui est étrange et regrettable. Il est inconcevable que Mme Lacoste-Veysseyre qui, avant de participer à l’édition de la Pléiade, a savamment édité la correspondance de Gautier (douze volumes chez Droz, entre 1985 et 2000), puisse ignorer un document aussi capital. Alors pourquoi ne pas mentionner ces propos, fût-ce pour signaler leur caractère mensonger ou illusoire ? Comment rendre compte de la genèse d’une œuvre sans signaler la façon dont l’auteur présentait cette genèse ? Mme Lacoste-Veysseyre déclare qu’ « aucun document ne permet d’échafauder des hypothèses sérieuses » sur cette genèse et les intentions de l’auteur. Je suppose que, dans l’esprit de la rédactrice, l’adjectif « sérieuses » fait allusion au caractère totalement fantaisiste des allégations de Gautier recueillies par Bergerat. Mais combien de lecteurs de cette notice auront pu décoder cette critique allusive ?!

[18] Louis-Antoine-François de Marchangy (1782-1826) est un magistrat et homme politique ultra-royaliste qui, en publiant La Gaule poétique, ou l’Histoire de France considérée dans ses rapports avec la poésie, l’éloquence et les beaux-arts (huit volumes entre 1813 et 1819), contribua de façon décisive à changer le regard sur le Moyen-Âge.

[19] Goncourt, Journal, 20 juillet 1863, tome I p. 988-989. Le père de Victor Hugo, le général Léopold Hugo, aurait été fait comte en 1810 par Joseph Bonaparte, roi d’Espagne. La famille était attachée à ce titre nobiliaire qui n’est cependant pas officiellement établi. À la mort du père en 1828, le fils aîné, Abel, reprit l’appellation de comte, le fils cadet Eugène se considérant alors comme vicomte et le benjamin Victor, baron. Eugène mourut sans enfant en 1837 : Victor récupéra l’appellation de vicomte. Mais quand Abel est mort en 1855, il laissait deux fils, dont l’aîné n’est mort qu’en 1895. C’est donc à tort que Péguy a surnommé l’écrivain Victor-Marie comte Hugo. Toutefois, ce fils d’Abel, Léopold, n’a laissé qu’une fille, et son frère cadet, jésuite, était mort sans descendance en 1863. Le titre de comte aurait donc pu être repris en 1895 par Georges Hugo (1868-1925), le fils de Charles (fils de Victor), puis par Jean Hugo (1894-1984) et maintenant par Charles Hugo (né en 1949). — Quand Gautier dit à tort qu’à Jersey, c’est plein des blasons de Hugo, il parle par ouï-dire de Hauteville-House, la maison habitée et décorée par Hugo à Guernesey.

[20] Goncourt, Journal, 17 juillet 1863, tome I p. 988. Joseph Sobrier (1810-1854) est un révolutionnaire socialiste mort fou.

[21] Lettre à Edma Roger des Genettes, juillet 1862 ; Pléiade Correspondance, tome III, 1991, p. 236.

[22] Fragments posthumes, tome XIII, 11, 159, et 11, 296 ; Gallimard, 1976, p. 266 et p. 300-306.

[23] Nietzsche, Briefwechsel, Kritische Gesamtausgabe, Berlin/New York, 1984, tome III/5, p. 191-192 (traduction de Robert Kopp). — Il est piquant de relever que, quelques semaines plus tard, le jeune Romain Rolland lut aussi ce tome du Journal des Goncourt, et que cet humanitaire socialiste, futur prix Nobel de la Paix en 1915 (ah non, prix Nobel de Littérature, mais ce sont les jurés qui ont dû se tromper sur l’intitulé de leur prix) en conçut une opinion diamétralement opposée : « Je ne puis dire l’impression de dégoût qui se dégage pour moi des soupers chez Magny. […] Les Sainte-Beuve et les Gautier ne gagnent pas à être vus en déshabillé. » (Le Cloître de la rue d'Ulm. Journal de Romain Rolland à l'École normale, 1886-1889,  3 janvier 1888, Albin Michel, 1952, p. 176-177). 

[24] Notez une coïncidence étonnante : dans les « Flâneries d’un inactuel », après le § 2 consacré à Renan et le § 3 consacré à Sainte-Beuve, deux paragraphes qui n’auraient pas été rédigés tels quels sans la lecture du Journal des Goncourt, le § 4 est consacré à L’Imitation de Jésus-Christ. Serait-ce notre tirade de Gautier qui a inspiré à Nietzsche l’idée de rouvrir ce livre ? (Œuvres, Bouquins, tome II, 1993, p. 991-993).

Theophile-Gautier-2.jpg[25] Ernest Feydeau, Théophile Gautier. Souvenirs intimes, chap. XLIX, Plon, 1874, p. 305.

[26] Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, septième entretien, p. 148-149.

[27] Voir une tirade sur le thème « Je suis une victime des révolutions » dans le Journal des Goncourt, 26 octobre 1870, tome II p. 322.

[28] « Chaque fois que j’ai été assez mal inspiré pour consigner sur le papier la plus inoffensive de ces idées, je l’ai vue immédiatement raturée, sans même qu’aucune bonne âme prît la peine de me dire pour quel motif. » (Ernest Feydeau, Théophile Gautier. Souvenirs intimes, chap. XXIV, Plon, 1874, p. 140-141). On ne croit pas une seconde à une telle exagération. Voir aussi le Journal des Goncourt à la date du 2 janvier 1867 (tome II p. 62). Lors d’un dîner chez la Princesse Mathilde, Gautier éreinte une pièce de François Ponsard. On lui demande pourquoi celà ne transparaît pas dans son feuilleton dramatique. Il répond par une historiette : « Un jour, M. Walewski lui dit de n’avoir plus d’indulgence et qu’il pouvait dire, dès le lendemain, ce qu’il pensait sur les pièces. "Mais, dit Gautier, il y a, cette semaine, une pièce de Doucet… – Ah ! dit vivement Walewski, si vous ne commenciez que la semaine prochaine ?" Eh bien, j’attends toujours la semaine prochaine ! » C’est amusant mais pas décisif, car on ne peut croire que tous les auteurs joués sur les théâtres parisiens fussent protégés au plus haut niveau de l’État. Comme toutes les anecdotes contées par Gautier, celle-ci doit être reçue avec circonspection. On voit mal comment Waleswki, quand il était ministre des Affaires étrangères entre mai 1855 et janvier 1860, aurait eu l’autorité de donner des consignes à un collaborateur du Moniteur. Il a donc dû dire celà quand il était ministre d’État, avec la direction des Beaux-Arts, fonction qu’il a exercée du 23 novembre 1860 au 23 juin 1863. Effectivement, on constate que Camille Doucet (1812-1895) a fait jouer au Théâtre-Français, à partir du 6 novembre 1860, La Considération, une comédie en quatre actes et en vers. Gautier lui a-t-il consacré, contraint par cette consigne d’en-haut, un feuilleton laudateur ? La collection du Moniteur universel n’apparaît pas sur Gallica, et les éditions Honoré Champion, qui ont entrepris une exceptionnelle série des Œuvres complètes de Gautier en une cinquantaine de volumes, incluant (section VI) la première publication intégrale des trente-cinq ans de chronique dramatique, n’ont pas encore atteint l’année 1860 : en 2017, la sous-série vient de sortir le huitième volume, qui couvre la période allant de janvier 1849 à juin 1850. En tout cas, ça colle assez bien, car on peut imaginer que c’est dès sa prise de fonction que Walewski a rencontré Gautier pour lui donner carte blanche, quitte à se rétracter vingt secondes après. Et Camille Doucet était en effet un homme intouchable : haut-fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, il dirigeait depuis 1853 le bureau des théâtres et « sa compétence, dabord limitée aux théâtres impériaux, fut étendue à tous les théâtres en 1863 » ; à ce poste il mena une politique plutôt libérale (Dictionnaire du Second Empire, s.d. Jean Tulard, Fayard, 1995, p. 440. Voir plus de détails ici). En tout cas, si elle est véridique, l’anecdote n’est que de quelques années antérieure au moment où Gautier l’a racontée, d’autant qu’il peut aussi s’agir de la reprise d’une autre pièce de Doucet entre 1861 et 63. Or c’est en 1837 qu’il a commencé sa chronique dramatique ! Pour être juste, il faut cependant dire que c'est surtout pendant sa période au Moniteur (1855-1869) que Gautier s'est contenté de raconter les pièces sans émettre aucune critique, transformant sa chronique en une suite de procès-verbaux approbateurs, dont l'inintérêt frappait ses amis. Quand il publiait dans La Presse, auparavant, il adoptait un ton plus personnel et montrait une certaine liberté de jugement. — Sur un mode plus pathétique, lire aussi une tirade pleine de gémissements le 28 juillet 1868 (tome II p. 163). Gautier aurait pu devenir l'un des quatre grands noms du siècle, s'il n'avait pas dû donner « la pâtée » à toute sa famille. « Il nous contait son lamento de journaliste et de tourneur de meule, sa Muse exubérante et débordante contenue dans l'Officiel, condamnée à ne peindre que des murs, "où encore, disait-il, je ne puis pas dire qu'il y a un mot comme Merde ! écrit dessus…" »

[29] On ajoutera au dossier cet élément d’explication proposé par Paul de Saint-Victor et rapporté par les Goncourt : « Nous causons de la bonnasserie olympienne et complètement indifférente des feuilletons de Gautier. Il nous dit qu’il y a de la terreur au fond de cette bonté de Gautier. Il n’a fait dans sa vie qu’un éreintement, l’éreintement d’une pièce, L’École du monde de M. Walewski. Pas de chance ! Comme les gens qui ne sont méchants qu’une fois dans leur vie ! Et il est perpétuellement tourmenté de la crainte d’éreinter quelqu’un qui puisse, par l’avenir, devenir un autre Walewski. » (Journal, 14 janvier 1861, tome I, p. 662). Encore une explication très insatisfaisante. L’École du monde a été représentée en janvier 1840, or c’est seulement en 1855 que Walewski est devenu sénateur et ministre. En outre, l’anecdote précédente montre qu’il n’avait pas gardé de rancune à Gautier. Faire de la critique, dans n’importe quel art, c’est s’exposer à se faire des ennemis. Si on n’y est pas prêt, il faut changer de métier. À Paris surtout, l’imbrication du monde littéraire et du monde politique fait que n’importe quel auteur aujourdhui isolé pourra se retrouver demain du bon côté du manche et vous faire payer vos injures. Un critique terrifié par cette éventualité ne mérite pas de faire de la critique, et il prostitue sa plume s’il s’y livre malgré tout. — Autre témoignage capital, celui de Flaubert : « Il est mort du dégoût "de la charognerie moderne". C'était son mot. Et il me l'a répété cet hiver plusieurs fois. "Je crève de la Commune !", etc. Le 4 septembre a inauguré un ordre de choses où les gens comme lui n’ont plus rien à faire dans le monde. Il ne faut pas demander des pommes aux orangers. Les ouvriers de luxe sont inutiles dans une société où la plèbe domine. […] Il a eu deux haines : la haine des épiciers dans sa jeunesse, celle-là lui a donné du talent. La haine du voyou dans son âge mûr. Cette dernière l’a tué. Il est mort de colère rentrée, et par la rage de ne pouvoir dire ce qu’il pensait. Il a été opprimé par Girardin, par Turgan, par Fould, par Dalloz. Et par la présente République. Je vous dis celà parce que j’ai vu des choses abominables et que je suis le seul homme, peut-être, auquel il ait fait des confidences entières. Il lui manquait ce qu’il y a de plus important dans la vie, pour soi comme pour les autres : le Caractère. Avoir manqué l’Académie a été pour lui un véritable chagrin. Quelle faiblesse ! et comme il faut peu s’estimer ! La recherche d’un honneur quelconque me semble, dailleurs, un acte de modestie incompréhensible ! » (lettre à George Sand, 28 octobre 1872, Pléiade Correspondance, tome IV, 1998, p. 598-599). On retrouve les mêmes formules dans deux autres lettres écrites dans la même nuit, à Ernest Feydeau (p. 596) et à la princesse Mathilde Bonaparte (p. 597) : Gautier est mort « du dégoût de la vie moderne », parachevée par la proclamation de la République le 4 septembre 1870, « jour le plus maudit de l'histoire de France ». Il est étonnant comme notre époque s'est mis dans la tête que l'art et la démocratie allaient de concert, alors qu'il n'y a pas si longtemps, des artistes comme Flaubert et Gautier (et tant d'autres !) pensaient au contraire qu'ils étaient fondamentalement antinomiques. Émile de Girardin, Jules Turgan et Paul Dalloz furent les directeurs de La Presse et du Moniteur universel : ainsi Flaubert adhère à la raison externe : Gautier a été empêché d'exprimer ses idées. C'est donc qu'il n'était pas un pur amant de la forme, mais aussi quelqu'un qui avait quelque chose à dire. 

[30] Voir Le Crépuscule des idoles, « Flâneries d’un inactuel », § 24 ; Œuvres, Bouquins, tome II, 1993, p. 1003-1004.

[31] Alors que Wilde, qui avait en gros les mêmes conceptions, ne les a pratiquement pas appliquées, et est même tombé dans l’excès inverse, puisque son roman et ses pièces, au contraire, sont saturés par les brillants paradoxes tombés de sa conversation, au point d’en être souvent très agaçants.

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Présentation pressée de Paul Morand, l'anti-cosmopolite

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Présentation pressée de Paul Morand, l'anti-cosmopolite

Ex: http://dernieregerbe.hautetfort.com

En l’honneur de Paul Morand (1888-1976) dont on peut célébrer aujourd’hui le 125ème anniversaire, et qui ne fait pas son âge, je rassemble, sur une page connexe, une sélection de ses meilleurs aphorismes. Je me contenterai ici d'une simple présentation, rapide comme il se doit pour l'auteur de L'Homme pressé. [1]

006280195.jpgMorand n’est certes pas complètement sympathique : comme on le sait, son pacifisme et la faiblesse de son sens national l’ont amené à une attitude peu digne sous l’Occupation : diplomate en poste à Londres en juin 40, il se laisse ramener par sa femme en métropole (ce qui lui vaudra une mise à la retraite immédiate pour abandon de poste !). Ensuite, son principal fait d’armes consistera à profiter de son amitié avec Pierre Laval et Jean Jardin pour se faire nommer ambassadeur à Bucarest en 1943, dans le but à peine voilé d'y faire rapatrier les biens de sa femme, princesse Soutzo, avant que les Russes n’arrivent en Roumanie : difficile de trouver un exemple plus révoltant d’un haut-fonctionnaire qui, loin de servir l’État, met l’État à son service ! En juillet 1944, il se fait nommer ambassadeur à Berne : lâcheté de celui qui a senti que rien ne valait mieux que de s’installer en Suisse pour affronter la Libération, ou élégance de celui qui dédaigne de jouer la comédie du résistant de la onzième heure ? Dans un autre registre, on s’agace de lire, dans son Journal inutile, les jérémiades du nanti entouré de domestiques[2] qui redoute de voir réduit son train de vie, peste comme n’importe quel lecteur du Figaro contre l’excès des lois qui brident l’activité économique, et interprète chaque augmentation des impôts ou de l’inflation comme la preuve que le communisme sera là demain et la fin du monde après-demain[3]. Passons aussi sur sa sotte hostilité à de Gaulle, sur sa détestation aveugle et presque obsessionnelle de Gide, Cocteau et Malraux, sur ses réactions à l’actualité qui souvent ne dépassent pas le niveau du café du commerce[4], sur la complaisance qu’il met à s’impliquer dans les grenouillages de l’Académie, ou sur l’approximation constante des faits et des propos qu’il rapporte.

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Il ne faut pas s’en tenir à celà, et du reste ce Journal est aussi plein de pensées saisissantes, comme on le verra dans les citations que j'ai rassemblées. Morand est un écrivain riche et complexe : on voit en lui un moderne par excellence, alors qu’il a été toute sa vie un vieux réac nostalgique ; un thuriféraire de la vitesse, mais il la critique et fait l’éloge de la lenteur[5] ; un voyageur compulsif[6], or il est très sensible à la vanité du voyage, et plus encore à sa dégradation par le tourisme ; un anglophile impénitent, pourtant il est surtout imprégné de Saint-Simon, Stendhal, Maupassant, Proust[7]. C’est avant tout un esthète pénétré d’une mentalité aristocratique, même si à vrai dire elle se dégrade souvent en snobisme de grand-bourgeois. Amoureux des diversités du monde, il est plus qu’un autre conscient que le voyage, dès lors qu’il n’est plus réservé à une élite minuscule, entraîne l’uniformisation généralisée, c’est-à-dire un appauvrissement maximal, et la multiplication du métissage, c’est-à-dire la laideur et la fadeur. Comme Pierre Loti ou Victor Segalen, c’est un exote, que le goût de l’ailleurs amène à condamner les nomades modernes, car à trop se rapprocher du lointain il devient le proche, à trop apprivoiser le différent il devient le semblable : si le goût de l’altérité n’est pas satisfait avec un précautionneux compte-goutte, mais à grandes rasades dévastatrices, il s’épuise et s’anéantit, car l’altérité s’est évaporée[8]. Le touriste occidental occidentalise tout ce qu’il va visiter : bientôt sa curiosité ne trouve plus rien d’extra-occidental à observer, – et en retour ce sont les étrangers qui bientôt viendront chez lui pour s’y sentir comme chez eux. Dès les années 20, Morand comprend avec une confondante prémonition qu’un raz-de-marée de métèques est appelé à envahir l’Europe : je publierai quelque jour ces pages étonnantes. Ainsi ce culte du voyage et de la fugacité dont il se sera fait le chantre, assumant la figure du voyageur de l’entre-deux-guerres jusqu’à la caricature, n’est pas tant pour lui une anticipation exaltée de l’avenir que l’ultime saisie d’un passé bientôt disparu : parmi ses influences et ses modèles majeurs, n’oublions pas Gobineau ! Il est dailleurs assez significatif qu’à partir de la deuxième guerre mondiale, l’œuvre de Morand se tourne principalement vers l’Histoire, faisant de plus en plus de place aux textes situés dans le passé, qu'il s'agisse de récits (Montociel, Le Flagellant de Séville, Parfaite de Saligny et bien d’autres nouvelles), de pièces (il en a fait trois :  deux qui se passent à la fin du Moyen Âge, une au milieu du XIXe), ou d'essais biographiques (Fouquet, La Dame blanche des Habsbourg, Sophie-Dorothée de Celle, Monplaisir en histoire, etc) : manière de fuir par le temps, comme il l’avait fuie par l’espace, l’Europe décadente qui s’offrait à ses yeux.

__________________________

[1] Parmi les nombreux portraits de Paul Morand, je recommande celui du petit chef-d'œuvre de Pascal Jardin, La Guerre à neuf ans (Grasset, 1971), p. 110-119. Les informations factuelles de ce livre sont à prendre avec les plus grandes réserves (le père de l'auteur, Jean Jardin, en disait : « C'est le contraire d'un roman dont on dit que tout y est vrai sauf les noms: chez Pascal, seuls les noms sont vrais, tout le reste est faux ! », comme il l'a confié à François Périer ainsi qu'à François Nourissier : voir Pierre Assouline, Une éminence grise. Jean Jardin (1904-1976), Balland, 1986, Folio n°1921, p. 454, et comme Pascal Jardin l'a lui-même consigné dans Le Nain jaune, chap. VII, Julliard, 1978, p. 124), – mais l'atmosphère d'époque est assez bien restituée, et le mémorialiste excelle dans ses portraits. « Comme le héros de son roman L'Homme pressé, Morand est lui-même en proie à une fébrilité qui n'est pas dictée par le monde extérieur. Né pressé, il mourra pressé. Il a ce que Saint-Exupéry appelait "la nostalgie de là-bas". Persuadé que la vie se déroule derrière la ligne de l'horizon, il passe son existence à essayer de la rattraper. Quand il reste sur place, il a beau s'employer à vivre l'instant présent, cet instant-là se dérobe et coule entre ses doigts. Je l'ai vu bousculer les clients du bar de l'hôtel Plazza, houspiller les serveurs pour être servi plus vite et puis après, contempler son ouisqui avec regret. On le lui avait donné trop tard. Il n'avait plus soif. Avait-il eu vraiment soif ce jour-là ? » (p. 111). Et : « Le temps que j'essaie de lui répondre, il est déjà absent de lui-même ou sorti de la pièce. Il ne croit pas aux réponses, les questions lui suffisent. » (p. 112).   

22775940381.jpg[2] Il n’hésite pas à mettre, au premier rang des facteurs qui ont « tué la famille », avant les ouiquennes et la télévision… l’absence de domestiques ! (Journal inutile, 4 mars 1972, tome 1 p. 672). Voilà qui en dit long sur la formidable étroitesse de son point-de-vue, qui n’imagine pas d’autre modèle à la famille que celle de la bonne bourgeoisie bien rentée. Que n’a-t-il plutôt pointé l’effondrement de la démographie, ce profiteur sans enfant ! Pascal Jardin, qui consacre une bonne part de son portrait de Morand à sa femme Hélène, écrit à propos de celle-ci : « Pour elle, la révolution russe de 1917 est un incident de parcours, par contre, la catastrophe, c'est 1914. Non pas parce que c'est le début d'une guerre qui va saigner la France à blanc, cette condottiere n'en a cure, mais la mobilisation générale, c'est la fin de la grande domesticité, la disparition d'une valetaille pléthorique happée par les champs de bataille gloutons. Oui, elle ne pardonnera jamais à ses gens d'avoir quitté leur livrée pour le bleu horizon. » (La Guerre à neuf ans, Grasset, 1971, p. 117).

[3] Morand est littéralement hanté par sa terreur des Rouges, puisqu’il en fait des cauchemars la nuit : « Le capitalisme est mort : dans 10 ou 20 ans il n’existera plus. C’est la vision très nette que j’ai eue, cette nuit. Seul le travail. L’inflation non seulement l’aura détruit, mais aura tué l’épargne, sous toutes ses formes ; ce que l’État nous aura laissé, l’inflation l’aura confisqué. […] Ce n’est pas le communisme qui aura tué le capitalisme, mais le syndicalisme. Aux impôts nationaux est venu s’ajouter un impôt international, l’inflation. L’an 2000 aura vu disparaître le capitalisme. » (Journal inutile, 29 juillet 1974, tome 2 p. 298). Encore plus comique, une autre prophétie du 15 janvier 1975, annonçant que Giscard va être obligé d’ « étrangler » les riches : « Le fisc se jettera, grosse bête qu’il est, sur ce qui crève les yeux. Puis il raffinera. Ensuite, les œuvres d’art (les antiquaires, les salles des ventes où il va falloir donner son nom vont s’effondrer). Déjà, un château ne vaut plus rien. Ensuite, on ira vers le très petit, les bijoux, enfin, le fisc entrera dans les maisons, soulèvera les lames de parquet » (tome 2, p. 419). Il y a des dizaines de passages dans le même esprit, quoique plus laconiques.

[4]  Par exemple, le 17 décembre 1969, il ne craint pas de consigner cette ânerie carabinée : « Le bruit court du retour de de Gaulle, pour remettre de l’ordre dans les rangs gaullistes. Que Pompidou sera débarqué » (tome 1, page 332).

518VXFPMKNL._SX318_BO1,204,203,200_.jpg[5] Je pense à son petit essai « De la vitesse », paru en plaquette chez Simon Kra en 1929, repris dans Papiers d’identité (Grasset, 1931), et largement auto-plagié dans le chapitre conclusif d’Apprendre à se reposer sous le titre : « La vie intérieure, maîtresse de notre vrai repos ». Et est-il nécessaire de rappeler que son roman le plus fameux, L’Homme pressé (1941), est plutôt une satire qu’une apologie de la mobilité frénétique ?

[6] Ce qui est évidemment très exagéré, comme il le reconnaît lui-même : « Depuis les années 30, j’ai raté, pour des raisons diverses, matérielles, familiales, sentimentales, etc, toutes les occasions de grands voyages. Et je passe pour un grand voyageur. Je suis un voyageur virtuel. » (Journal inutile, 19 février 1969, tome 1 p. 148).

[7] Il suffit de consulter l’index du Journal inutile qu’il a tenu dans les huit dernières années de sa vie pour constater que sa culture est terriblement franco-centrée. Très rares sont les écrivains étrangers qui ont droit à plus d’une dizaine d’occurrences. Je n’en vois que trois dont les numéros de page remplissent au moins trois lignes de l’index : Byron (19 occurrences), Goethe (24) et Shakespeare (25). À titre de comparaison, Balzac : 63 ; Chateaubriand : 61 ; Flaubert : 35 ; Hugo : 34 ; Montaigne : 31. Les contemporains de Morand en ont encore bien plus (jusqu’à 200 pour Proust).

[8] Lire par exemple « L’enfer des cosmopolites », chronique recueillie dans Rond-point des Champs-Élysées (1935), p. 21-23. Morand y distingue nettement, pour les opposer, le cosmopolitisme et l’internationalisme. Il explique que, confronté au feu croisé de ces deux ennemis que sont l’internationalisme et le nationalisme, le cosmopolite doit « sans hésiter » opter en faveur du second. Pour une raison particulière : la France est elle-même un « microcosme » d’une grande diversité, elle contient « cent civilisations et mille horizons » où le cosmopolite « peut, avec de l’imagination, se sentir à l’aise. S’il doit être dévoré, mieux vaut qu’il le soit à la sauce de la France, où la cuisine est bonne, qu’à la sauce internationale ». Et pour une raison générale (ici, Morand cite un Anglais de ses amis, « grand Européen » qu’il ne nomme pas), qui est que le nationalisme contribue à différencier les nations en les poussant à accomplir leur identité propre, donc à créer le terreau propice au cosmopolitisme de l’élite, alors que l’internationalisme nivelle tout et uniformise tout : « Un nationalisme éclairé doit être la seule base d’un cosmopolitisme éclairé. […] La vie internationale du peuple est un non-sens ; pour l’élite, elle doit être le sommet d’une pyramide de culture nationale. La vraie loyauté des clercs […] doit consister à extraire de leurs pays respectifs les éléments qui leur paraîtront apporter une contribution nationale à l’universel. Vous, Français, moi, Anglais, interprétons et classons les fleurs de nos apports nationaux. L’internationalisme n’a jamais donné que de mauvaises herbes. »

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Prof. Dr. David Engels: “Onze culturele neergang is onvermijdelijk”

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Prof. Dr. David Engels: “Onze culturele neergang is onvermijdelijk”

Door Michaël Vandamme
 
Ex: https://pallieterke.net

Toen Francis Fukuyama zijn optimistische “End of History” publiceerde, was David Engels amper de lagere school ontgroeid. Vrij snel werd de rooskleurige voorspelling door de feiten ingehaald. Steeds meer lijken ze trouwens de nuchter-pessimistische kijk van Engels te schragen. “In alle grote beschavingen zit naast een groei en piek een ondergang ingebakken”, stelt hij. Een gesprek over Spengler, cyclisch denken en hoe we gedoemd zijn een verdere afbrokkeling van de westerse beschaving te moeten ondergaan.

David Engels is geen heraut met een blijde boodschap. Meer nog: van zijn analyse over hoe de achteruitgang van Europa en het Westen zich op een haast fatalistische manier voltrekt, wordt een mens zelfs vrij somber. Hijzelf ook trouwens. Maar er is de academicus die observeert, analyseert en concludeert, en daarnaast ook de burger, vader en echtgenoot die de onderzochte processen op een vrij confronterende manier ondergaat.

Enkele jaren geleden publiceerde hij “Le Déclin, la crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine”, een boek dat hem een zekere bekendheid bezorgde als publieke intellectueel. Enkele jaren eerder werd hij aangesteld als hoofd van de leerstoel Romeinse Geschiedenis aan de Franstalige Universiteit van Brussel (ULB). Een jaar later zou het werk in het Duits verschijnen en een tijdje geleden kwam ook – eindelijk – een Nederlandstalige vertaling op de markt: “Op weg naar het Imperium. De crisis van de EU en de ondergang van de Romeinse republiek – historische parallellen”, uitgeven bij De Blauwe Tijger. We maakten er onmiddellijk een eerste aanknopingspunt voor ons gesprek van.

Romeinse Rijk

le-declin.jpg“Le Déclin” leverde u enige intellectuele bekendheid op. Vanwaar het idee om net de parallellen te onderzoeken tussen de toestand van de EU en het wegkwijnende Romeinse Rijk?

Sinds mijn prille jeugd heb ik het gevoel gehad in, zoals men dat in het Duits zegt, “Spätzeit” te leven. In een ver gevorderde fase van een periode zeg maar. Het einde van een tijdperk, om het wat zwaarwichtiger te stellen, de epiloog van een beschaving. Dit was een aanvoelen dat ik pas ten volle heb kunnen plaatsen na lectuur van Oswald Spengle”s “Untergang des Abendlandes”. (Inmiddels is David Engels ook voorzitter van het Oswald Spengler genootschap, MVD). Ik maakte kennis met zijn cyclisch denken, met de opkomst en later ook ondergang van de grotere culturen doorheen de geschiedenis. En dan begin je onmiddellijk verbanden te zoeken tussen verschillende periodes. Maar de echte en directe aanzet voor het schrijven van het boek kwam er na een lezing die ik hield voor de ‘Fédération royale des professeurs de grec et de latin”. Er was me gevraagd enkele antieke teksten te verzamelen om die vervolgens vanuit een modern perspectief te analyseren. Uit die oefening is dan het boek voortgekomen.

Wat opvalt bij het lezen van uw boek, is het frequent voorkomen van de term ‘collectieve identiteit’. Wat begrijpt u precies onder deze term?

We zien in het Europa van vandaag, net zoals in de late Romeinse Republiek, de nauwe verwevenheid tussen een gedeelde identiteit en de aanwezigheid – of het ontbreken – van solidariteit. Het is belangrijk dat zo’n identiteit aanwezig is om de gevraagde solidariteit te schragen. Het belang hiervan zie je binnen nationale staten, net zoals binnen de Europese ruimte. Symptomatisch voor een realiteit waar dit scheef zit, zijn afscheidingsbewegingen en -partijen, maar evenzeer euro-kritische stemmen. De kern van het probleem van de EU is dat men er niet in geslaagd is een duizendjarige identiteit te incarneren. Europa steunt op pijlers – Rome, Athene, maar evenzeer de joods-christelijke traditie -, maar de EU draagt dat niet uit. Het miskennen van onze historische identiteit effent het pad voor de situatie waarin we vandaag terecht gekomen zijn met relativering, individualisme, het bepleiten van het multiculturalisme,… Koppel daar het fenomeen van de massa-immigratie en de demografische achteruitgang van de autochtone bevolking aan en je krijgt de realiteit van vandaag. Eigenlijk moeten we ons eerder de vraag stellen of Europa meer wil zijn dan een economische ruimte en echt een verbonden beschavingsgemeenschap wil zijn. Een collectieve identiteit is meer dan de som van de delen. Er is diepgang voor nodig, historisch bewustzijn, en dat ontbreekt volledig vandaag.

Hoe tekenend was de discussie destijds rond de Europese Grondwet en het erin opnemen van die verwijzing naar onze historische roots?

Het schouwspel dat we toen hebben gezien was niet onschuldig. Eerder dan het Europa van vandaag als de vrucht van verschillende historische etappen te beschouwen, beperkt men zich tot een aantal principes als ‘vrijheid’, ‘tolerantie’. Daar zit de echte zwakte van Europa: we snijden ons af van het verleden waarop onze identiteit precies zou moeten berusten. Dat debat was symptomatisch voor het probleem dat ik net schetste.

m1jh0lga_002_.jpegBeeldenstorm

Waar plaatst u tegenover deze achtergrond de heisa die een tijdje geleden ontstond tegen standbeelden van mensen die sommigen volgens bepaalde eigentijdse normen onaanvaardbaar vinden?

We plukken de vruchten van een jarenlang gevolgde linkse cultuurpolitiek. Als men jaren, decennia inmiddels al, de algemeen vormende taak van het onderwijs ondergraaft, dan betaal je daar op termijn een prijs voor. Cash. Het ondermijnen van ons onderwijs is bovendien gekoppeld aan een politiek correcte filter, een “Meinungskorridor”. De resultante is dat men zonder afdoende feitenkennis op een wel erg eenzijdige manier tegen de eigen geschiedenis gaat aankijken. Een beschaving met een zelfbewuste identiteit zou niet toelaten dat op zo’n manier met het eigen verleden gesold wordt.

Sommigen zien in deze toestand iets dat men als ‘cultureel Darwinisme’ kan bestempelen. Kan u zich hierin vinden?

Mijn benadering is helemaal anders dan het Darwinisme. Het is niet een andere beschaving die plots de onze verovert of verdringt, het probleem en de verklaring van wat nu gebeurt moet niet extern gezocht worden. De gevolgde cyclus zit precies in onze cultuur ingebakken. Ik ben er rotsvast van overtuigd dat alle grote beschavingen een vergelijkbaar traject volgen, ook al kunnen de omstandigheden soms sterk verschillen. Er is het ontstaan, de groei, de bloei, de maturiteit, maar daarna ook de achteruitgang, de sclerose en mogelijk zelfs het verdwijnen. Jammer genoeg zijn we in de laatste fase aanbeland in Europa, en zeker in westelijk Europa. Het aantal mensen dat zich bewust is van en trots is op ons Europees-zijn, onze gewoontes en tradities, neemt systematisch af. Ook, en vooral dat is onrustwekkend, bij de politieke elites die ons besturen. Als net in deze kringen dit bewustzijn helemaal zoek geraakt is, heb je als beschaving een serieus probleem.

Het kan toch niet ontkend worden dat de immigratie een factor is die onze Europese cultuur zwaar onder druk plaatst?

Klopt, alleen is deze inwijking van ongeveer overal, maar vooral uit de Afrikaanse en islamitische wereld, een gevolg van het probleem, niet de oorzaak. Dat men toelaat dat de demografische verschuiving die we vandaag ondergaan plaatsvindt, is de verantwoordelijkheid van zij die instaan voor het beleid. Waarom zou je je iets van de Europese identiteit aantrekken als je die zelf niet in je draagt? Dát is de kern van het probleem.

U draagt uw later boek op aan uw zonen. Al de voorgaande vaststellingen moeten u toch somber stemmen, zeker als vader?

9783944305455-de-300.jpgAbsoluut. Als historicus vind ik het boeiend deze dingen te observeren en parallellen te zoeken met vergelijkbare toestanden in het verleden. Maar als vader raakt de idee me dat mijn kinderen opgroeien in een beschaving die op haar einde loopt. Het was voor mij alvast een belangrijke reden om naar Polen te komen. Op die manier kan ik ervoor zorgen dat ze opgroeien in een samenleving die Europees is, stukken meer toch dan tot wat het Westen verworden is.

Europese omgeving

Hoe hebt u die verhuis beleefd. Ander land, andere taal,…?

Ik moet bekennen dat toen ik naar hier kwam, ik niet over een grondige kennis van Midden- en Oost-Europa beschikte. Tot dan was mijn leven eerder op de Atlantische wereld afgestemd, in het bijzonder Frankrijk en Groot-Brittannië. Het was dan ook een aangename verrassing te kunnen vaststellen dat een zin voor tradities en levensgevoel bestaat die ik enkel in mijn kindertijd ervaren heb. Ondanks de taalbarrière oogt Polen Europeser dan België. Er is de aanwezigheid van de katholieke traditie die de samenleving kenmerkt (“prägt”), de hoffelijkheid van de mensen, maar ook de lage graad van criminaliteit, iets wat vandaag ondenkbaar is in Brussel, Luik of mijn eigen thuisstad Verviers.

Stel dat we als Europeanen de cyclus waarin we ons bevinden toch willen doorbreken voor, zeg maar, een imperiale toekomst. Wat zijn hiervoor de voorwaarden?

Het belangrijkste is dat we terug de herinnering aanwakkeren aan onze zowel Grieks-Romeinse als joods-christelijke identiteit. Europa is meer dan de optelsom van de individuele ervaringen van mensen die hier toevallig op een gegeven moment wonen. Het is een historisch gegroeid gegeven. Belangrijk is ook de aanwezigheid van een “Leitkultur”, een dominante cultuur waar nieuwkomers zich naar moeten schikken; de norm. Een bijzondere rol in het smeden van die herwonnen identiteit is voor de Europese instellingen weggelegd. Ik ben ervan overtuigd dat meer nog dan vandaag op bepaalde domeinen een intensievere samenwerking tot stand moet worden gebracht. Voorbeelden hiervan: buitenlandse politiek, bescherming van de grenzen, criminaliteitsbestrijding, onderzoek en ontwikkeling, toegang tot strategische grondstoffen, en dergelijke.

Is het niet paradoxaal dat zij voor wie onze Europese traditie nog wel van belang is, vaak ook scherpe critici van het EU-gebeuren zijn?

De instellingen zoals we die vandaag kennen, zijn in mijn ogen een secundair probleem. Weet u, er zijn in de geschiedenis vele voorbeelden terug te vinden van aristocratische of oligarchische structuren die de eigen historische identiteit in zich droegen en ook bij de bevolking een grote legitimiteit genoten. Waarom zouden we dit niet verkiezen boven democratieën die zelfdestructief zijn voor onze samenleving? Wanneer men kritiek heeft op de EU-elite, en die moet er zijn, moet die niet zozeer gericht zijn op de instellingen, dan wel op het feit dat die lui onvoldoende het identitaire Europese zelfbewustzijn in zich dragen.

Laten we nog even terugkeren naar onze plaats in de cyclus. Zou men kunnen stellen dat de regressie vandaag sneller loopt dan destijds in het Rome van toen het geval was?

De snelheid waarmee de dingen evolueren blijft me verbazen. In mijn analyse had ik het over een periode van burgerlijke onzekerheid die misschien wel twintig jaar in beslag kon nemen. Hier was de parallel de burgeroorlogen die Rome hebben geteisterd. Die fase zou gevolgd worden door de installatie van een autoritair regime dat een soort van orde zou herstellen. Daar gaan we nu naartoe. Elk land kent zijn eigen gegeven situatie, maar je merkt overal die groeiende tegenstellingen, vaak onderhuids. In een land als Frankrijk valt dat probleemloos op, minder in Duitsland, maar onderschat de situatie daar niet: er suddert iets in de Duitse samenleving. De polarisatie tekent zich scherper af, er is onbehagen bij een steeds groter deel van de bevolking. De indruk van stabiliteit bedriegt. Wie had trouwens in 1989 de val van de Muur en de implosie van het Oostblok durven voorspellen.


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David Engels

David Engels (°1979 in Verviers) komt uit de Duitstalige gemeenschap van dit land. Hij studeerde geschiedenis, filosofie en economie aan de Rheinisch-Westfälische Technische Hochschule (RWTH) in Aken. In 2005 behaalde hij zijn doctoraatstitel met een proefschrift over de waarzeggerij in het Romeinse Rijk. Hij werd assistent aan de RWTH om in 2008 de leerstoel Romeinse Geschiedenis aan de ULB aangeboden te krijgen. Sinds 2018 is hij vrijgesteld van zijn taken aan deze universiteit en is hij onderzoeksprofessor aan het Instytut Zachodni in Poznań (Posen). Binnen deze instelling focust hij zich op de ideeëngeschiedenis van het Avondland, de Europese identiteit en de relatie tussen Polen en West-Europa.

Michaël Vandamme
 
Michaël Vandamme (°1974, Brussel) studeerde rechten, filosofie en internationale betrekkingen. Beroepshalve is hij redacteur en voormalig hoofdredacteur van een aantal vakbladen.

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De la guerre commerciale à la "guérilla économique"

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De la guerre commerciale à la "guérilla économique"

par Olivier de Maison Rouge
Ex: https://www.journaldeleconomie.fr

La guerre économique fait rage. La crise sanitaire et économique qui s’en suit, ont accentué les rapports de force et affaibli des structures déjà largement exposées, constituant autant de proies. Face à cette mutation sans précédent, il est essentiel que les entreprises puissent disposer d’une boîte à outils de la sécurité économique et parer les menaces et ingérences auxquelles elles sont malgré elles exposées.

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Rappelons au préalable quelques considérations sur la guerre économique, dans son approche macro :
Elle ne doit pas se confondre avec la guerre à l’économie militaro-industrielle, telle que la destruction, par des moyens armés, d’usines d’armement, de voies de communication, atteintes aux pôles aéroportuaires, coupures à l’accès aux matières premières, moyens de télécommunication, infrastructures cyber, etc., lesquelles actions relèvent davantage de la guerre totale.
 
La guerre économique n’est pas non plus la guerre à l’économie dans son essence même, que les altermondialistes et anticapitalistes mènent dans leur velléité d’anéantissement du libéralisme, et plus largement des activités économiques humaines sous toutes ses formes.
 
Enfin, elle n’est pas l’économie de guerre à savoir l’effort industriel des entreprises d’armement pour subvenir aux ressources en moyens nécessaires pour livrer les batailles et alimenter l’appareil militaire en armement.
 
En réalité, comme nous l’avions démontré dans notre précédent ouvrage [1], la guerre de nature non militaire et/ou non conventionnelle affecte désormais les petites ou moyennes puissances. Précisément, la guerre économique prospère en temps de paix militaire, et constitue l’affrontement géoéconomique des grandes puissances, à défaut d’employer des moyens armés. D’où le recours essentiel aux stratégies indirectes et/ou asymétriques dont le droit, la fiscalité, les technologies, les normes environnementales désormais, etc., ne sont pas absentes.
 
En effet, selon Bernard Esambert :
 
« L’économie mondiale se globalise : la conquête des marchés et des technologies a pris la place des anciennes conquêtes territoriales et coloniales. Nous vivons désormais en état de guerre économique mondiale, et il ne s’agit pas seulement là d’une récupération du vocabulaire militaire. Ce conflit est réel, et ses lignes de force orientent l’action des nations et la vie des individus. L’objet de cette guerre est, pour chaque nation, de créer chez elle emplois et revenus croissants au détriment de ceux de ses voisins » (…)
« la guerre économique impose également des débarquements chez l’ennemi par l’implantation à l’étranger, la défense de l’arrière par des entreprises à caractère régional et l’établissement de protections au travers de tarifs douaniers qui ne représentent plus que des murets de fortune, de mouvements monétaires qui ont pris le relais des barrières douanières, enfin d’innombrables entraves aux échanges qui protègent ici ou là un pan de l’économie ». « Les chômeurs sont désormais les morts de la guerre économique » [2] .
 
Mais cette compétition économique exacerbée – ou guerre par l’économie– ne concerne pas seulement les grands groupes ; elle n’épargne pas non plus le tissu industriel et commercial territorial. Tant s’en faut. Dès lors que nous voulons développer des aspects pratiques au niveau de l’entreprise, il convient de se situer dans le cadre des ingérences et déloyautés commerciales, affectant directement le tissu des TPE, PME et ETI.  C’est ce que ne nous nommerons la « guérilla économique » constituée de conflits de moindre intensité, mais tout aussi mortifère pour l’entreprise.
 
De la même manière qu’il est souvent opposé macro-économie et micro-économie, il existe donc bien une guerre économique (à l’échelle des états) et une guérilla économique vécue au niveau des TPE-PME-ETI, qui relève de la compétition exacerbée.
 
La guérilla ou « petite guerre » est souvent présentée comme un conflit de partisans, ou combattants irréguliers, ne constituant pas une armée régulière de soldat sous uniforme. La guerre froide et la période de décolonisation ont favorisé ce type d’agressions non conventionnelles. De même que l’arme atomique a conduit les grandes puissances à la neutralité directe et aux affrontements asymétriques. C’est d’ailleurs le fondement même de guerre froide : « paix impossible, guerre improbable » [3].
 
Par conséquent, à l’instar de ces luttes armées indirectes, la guérilla économique est une action concertée visant une cible industrielle ou commerciale, destinée à réduire, sans intervention étatique ni institutionnelle, sa part de marché ou sa position dominante, jusqu’à l’anéantissement total.
 
Plusieurs actions relevant de cette sphère de « petite guerre économique » peuvent être recensées : espionnage industriel, déstabilisation réputationnelle (guérilla informationnelle), cyber atteinte aux données, risques en matière de conformité, fraudes financières, débauchages et mouvements RH. Autant d’ingérences dans la gouvernance de l’entreprise afin de parvenir à des buts de guerre.
 
C’est l’ensemble de ces moyens, et leurs réponses, qui sont exposés dans « Survivre à la guerre économique », pour en faire un véritable manuel de survie face aux risques contemporains relevant de la guérilla économique.

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Olivier de MAISON ROUGE est Avocat, Docteur en droit. Professeur associé à l’Ecole des relations internationales (ILERI) et à l’Ecole de Guerre Economique (EGE), intervenant régulier à l’IHEDN et à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). L’auteur a été amené à défendre des entreprises confrontées aux actes d’espionnage économique et ingérences économiques ; il a développé une véritable doctrine en matière de contre-mesures juridiques et de protection du patrimoine informationnel. Il contribue ainsi à l’élaboration de références et standards en matière de sécurité économique et de souveraineté en matière d’informations sensibles.
Auteur de nombreux articles et d’ouvrages :
Cyberisques. La gestion juridique des risques numériques, LexisNexis, 2018
Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique. VA Editions, 2018

Dernier ouvrage paru : « Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience  », VA Editions, septembre 2020
 
[1] de MAISON ROUGE Olivier, Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique. VA Editions, 2018.
[2] ESAMBERT Bernard, La guerre économique mondiale, Olivier Orban, 1991
[3] ARON Raymond, Le grand schisme, 1948

13:00 Publié dans Actualité, Economie, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre commerciale, guerre économique, guerilla économique, olivier de maison rouge, livre, économie, actualité, politique internationale | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

The Historic Clash of Two Opposing Geopolitical Paradigms

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The Historic Clash of Two Opposing Geopolitical Paradigms
 
Matthew Ehret
 
Ex: https://www.strategic-culture.org

Compared the great initiatives taken on behalf of freedom and anti colonialism throughout the past 260 years, today’s America appears to be a strange and foolish creature running roughshod over the dignity of people and nations in a race for mass nuclear extermination.

Such is the image projected by Mike Pompeo’s ranting anti-China attacks or the relentless demonization of Russia sweeping across mainstream media ever day- both nations who have repeatedly called for cooperation and friendship with the USA. If it were simply belligerent words then we could brush off these childish attacks as mere foolish rhetoric, but sadly these words are backed by extraordinarily dangerous action. From escalating military maneuvers on Russia’s border, to belligerent military expansion in China’s backyard, everywhere one looks, we find the same lemming-like commitment to playing a nuclear game of chicken in the hopes of psychologically breaking the Multipolar Alliance.

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However, as China’s Ambassador Cui Tiankai recently stated, “China and the USA need to recapture the spirit of cooperation from WWII and join hands to confront our common enemies in the new era.”

I couldn’t agree more.

As the Ambassador invoked the spirit of Lincoln citing the beautiful quote: “the best way to predict the future is to create it”, I think it’s wise to revisit the two opposing global policy options the USA had available to it at the turn of the last century while the Civil War hero William McKinley still presided in the office of the presidency in 1901.

At this crucial moment in world history, it was still undetermined whether America would hold on to its anti-imperial traditions or slip into the trap of a new imperial identity.

Monroe Doctrine or Empire?

As Martin Sieff eloquently laid out in his recent article, President McKinley himself was an peacemaker, anti-imperialist of a higher order than most people realize. McKinley was also a strong supporter of two complementary policies: 1) Internally, he was a defender of Lincoln’s “American system” of protectionism, internal improvements and black suffrage and 2) Externally, he was a defender of the Monroe Doctrine that defined America’s anti-imperial foreign policy since 1823.

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The Monroe Doctrine’s architect John Quincy Adams laid out this principle eloquently on July 4, 1821:

“After fifty years the United States has, without a single exception, respected the independence of other nations, while asserting and maintaining her own.

That the United States does not go abroad in search of monsters to destroy. She is the well-wisher to the freedom and independence of all. She is the champion and vindicator only of her own.

That by involving itself in the internal affairs of other nations, the United States would destroy its own reason of existence; the fundamental maxims of her policy would become, then, no different than the empire America’s revolution defeated. It would be, then, no longer the ruler of itself, but the dictator of the world.”

America’s march is the march of mind, not of conquest.

Colonial establishments are engines of wrong, and that in the progress of social improvement it will be the duty of the human family to abolish them”.

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It was an aging John Quincy Adams whom a young Abraham Lincoln collaborated with in ending the imperial Mexican-American war under Wall Street stooge James Polk in 1846. When Adams died in 1848, Lincoln picked up the torch he left behind as the London-directed “proto deep state” of the 19th century worked to dissolve the republic from within. The foreign policy conception laid out by Adams ensured that America’s only concern was “staying out of foreign imperial entanglements” as Washington had earlier warned and keeping foreign imperial interests out of the Americas. The idea of projecting power onto the weak or subduing other cultures was anathema to this genuinely American principle.

A major battle which has been intentionally obscured from history books took place in the wake of Lincoln’s murder and the re-ascension of the City of London-backed slave power during the decades after the Union victory of 1865. On the one hand America’s role in the emerging global family of nations was being shaped by followers of Lincoln who wished to usher in an age of win-win cooperation. Such an anti-Darwinian system which Adams called “a community of principle” asserted that each nation had the right to sovereign banking controls over private finance, productive credit emissions tied to internal improvements with a focus on continental (rail/road) development, industrial progress and full spectrum economies. Adherants of this program included Russia’s Sergei Witte and Alexander II, Germany’s Otto von Bismarck, France’s Sadi Carnot, and leading figures within Japan’s Meiji Restoration.

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On the other hand, “eastern establishment families” of the USA more loyal to the gods of money, hereditary institutions and the vast international empire of Britain saw America’s destiny tied to an imperial global partnership with the Mother country. These two opposing paradigms within America have defined two opposing views of “progress”, “value”, “self-interest” and “law” which have continued to shape the world over 150 years later.

William Gilpin vs Alfred Mahan: Two Paradigms Clash

A champion of the former traditionally American outlook who rose to the international scene was William Gilpin (1813-1894). Gilpin hailed from a patriotic family of nation builders whose patriarch Thomas Gilpin was a close ally of Benjamin Franklin and leading member of Franklin’s Philosophical Society. William Gilpin was famous for his advocacy of America’s trans continental railway whose construction he proselytized as early as 1845 (it was finally begun by Lincoln during the Civil War and completed in 1869 as I outlined in my previous paper How to Save a Dying Republic [LINK]).

In his thousands of speeches and writings, Gilpin made it known that he understood America’s destiny to be inextricably tied to the ancient civilization of China- not to impose opium as the British and their American lackies were want to do, but to learn from and even emulate!

In 1852, Gilpin stated:

“Salvation must come to America from China, and this consists in the introduction of the “Chinese constitution” viz. the “patriarchal democracy of the Celestial Empire”. The political life of the United States is through European influences, in a state of complete demoralization, and the Chinese Constitution alone contains elements of regeneration. For this reason, a railroad to the Pacific is of such vast importance, since by its means the Chinese trade will be conducted straight across the North American continent. This trade must bring in its train Chinese civilization. All that is usually alleged against China is mere calumny spread purposefully, just like those calumnies which are circulated in Europe about the United States”.

With Lincoln’s 1861 presidential victory, Gilpin became Lincoln’s bodyguard and ensured the president survived his first assassination attempt en route to Washington from Illinois. During the Civil War, Gilpin was made Colorado’s first Governor where he successfully stopped the southern power from opening up a western front during the war of secession (applying Lincoln’s greenback system to finance his army on a state level) and winning the “Battle of Glorieta Pass”, thus saving the union.

After the war Gilpin became a leading advocate of the internationalization of the “American system of political economy” which Lincoln applied vigorously during his short-lived presidency. Citing the success of Lincoln’s system, Gilpin said: “No amount of argument will make America adopt old world theories… To rely upon herself, to develop her own resources, to manufacture everything that can possibly be manufactured within her territory- this is and has been the policy of the USA from the time of Alexander Hamilton to that of Henry Clay and thence to our own days”.

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Throughout his speeches Gilpin emphasizes the role of a U.S.-Russia alliance: “It is a simple and plain proposition that Russia and the United States, each having broad, uninhabited areas and limitless undeveloped resources, would by the expenditure of 2 or 3 hundred millions apiece for a highway of the nations threw their now waste places, add a hundredfold to their wealth and power and influence”

And seeing in China’s potential the means to re-enliven the world- including the decadent and corrupt culture of Europe: “In Asia a civilization resting on a basis of remote antiquity has had, indeed, a long pause, but a certain civilization- although hitherto hermetically sealed up has continued to exist. The ancient Asiatic colossus, in a certain sense, needed only to be awakened to new life and European culture finds a basis there on which it can build future reforms.”

In opposition to the outdated British controls of “chock points” on the seas which kept the world under the clutches of the might of London, Gilpin advocated loudly for a system of internal improvements, rail development, and growth of the innate goodness of all cultures and people through scientific and technological progress. Once a global system of mutual development of rail were established, Gilpin stated “in the shipment of many kinds of raw and manufactured goods, it will largely supersede the ocean traffic of Great Britain, in whose hands is now carrying the trade of the world.”

Gilpin’s vision was most clearly laid out in his 1890 magnum opus “The Cosmopolitan Railway” which featured designs for development corridors across all continents united by a “community of principle”.

Echoing the win-win philosophy of Xi Jinping’s New Silk Road today, Gilpin stated:

“The cosmopolitan railway will make the whole world one community. It will reduce the separate nations to families of our great nation… From extended intercommunication will arise a wider intercourse of human ideas and as the result, logical and philosophical reciprocities, which will become the germs for innumerable new developments; for in the track of intercommunication, enterprise and invention invariably follow and whatever facilitates one stimulates every other agency of progress.”

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Mahan Derails America’s Anti-Imperial Identity

Alfred Thayer Mahan (1840-1914) represented an opposing paradigm which true American statesmen like Lincoln, Secretary of State James Blaine, William Seward, President Grant, William Garfield, and McKinley detested. Sadly, with McKinley’s murder (run by an anarchist ring with ties to British Intelligence) and the rise of Teddy Roosevelt in 1901, it was not Gilpin’s but rather Mahan’s worldview which became the dominant foreign policy doctrine for the next 120 years (despite a few brief respites under FDR and JFK).

Mahan is commonly credited for being a co-founder of modern geopolitics and an inspiration for Halford Mackinder. Having graduated from West Point’s naval academy in 1859, Mahan soon became renowned as a total failure in actual combat having crashed warships repeatedly into moving and stationary objects during the Civil War. Since reality was not his forte, Mahan focused his post-war career on Ivory tower theorizing gushing over maps of the world and fawning over Britain’s power as a force of world history.

His “Influence of Sea Power Upon History 1660-1783 published in the same year that Gilpin published his Cosmopolitan Railway (1890) was a total break from the spirit of win-win cooperation that defined America’s foreign policy. According to the Diplomat, this book soon “became the bible for many navies around the world” with the Kaiser of Germany (now released from the influence of the great rail-loving statesman Otto von Bismarck whom he fired in 1890) demanding all of his offers read. Later Teddy Roosevelt ordered copies for every member of Congress. In Mahan’s book, the geopolitician continuously asserts his belief that it is America’s destiny to succeed the British Empire.

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Taking the British imperial definition of “commerce” which uses free trade as a cover for the military dominance of weak nations (open borders and turning off protectionism simply makes a people easier to rob), Mahan attempts to argue that America need not continue to adhere to “outdated” habits like the Monroe doctrine since the new order of world empires demands America stay relevant in a world of sea power and empire. Mahan writes: “The advance of Russia in Asia, in the division of Africa, in the colonial ambitions of France and in the British idea of Imperial Federation, now fast assuming concrete shape in practical combined action in South Africa” demands that the USA act accordingly.

Attempting to refute the “outdated habits” of rail development which consume so many foolish statesmen around the globe, Mahan states: “a railway competes in vain with a river… because more facile and copious, water traffic is for equal distances much cheaper and because cheaper, more useful”. Like those attacking today’s Belt and Road Initiative, the power of railways is that their returns are not measurable by simple monetary terms, but are rather QUALITATIVE. The long-term construction of rail systems not only unite divided people, increase manufacturing and industrial corridors but also induce closer powers of association and interchange between agriculture and urban producers. These processes uplift national productive powers building full spectrum economies and also a culture’s capacity for creative thought.

The attempt made to justify sea traffic merely because “larger amounts of goods can be shipped” is purely quantitative and monetaristic sophistry devoid of any science of real value.

While Gilpin celebrates the successful awakening of China and other great nations of the world, in the Problem of Asia (1901) Mahan says: “It is scarcely desirable that so vast a proportion of mankind as the Chinese constitute should be animated by but one spirit”. Should China “burst her barriers eastward, it would be impossible to exaggerate the momentous issues dependant upon a firm hold of the Hawaiian islands by a great civilized maritime power.”

Mahan’s adherence to social Darwinism is present throughout his works as he defines the political differences of the 3 primary branches of humanity (Teutonic, Slavic and Asiatic) as purely rooted in the intrinsic inferiority or superiority of their race saying: “There are well recognized racial divergencies which find concrete expression in differences equally marked of political institution, of social progress and of individual development. These differences are… deep seated in the racial constitution and partly the result of the environment”. Mahan goes onto restate his belief that unlike the superior Teutonics “the Oriental, whether national or individual does not change” and “the East does not progress”.

Calling China a carcass to be devoured by an American eagle, Mahan writes: “If life departs, a carcass can be utilized only by dissection or for food; the gathering to it of the eagles is a natural law, of which it is bootless to complain… the onward movement of the world has to be accepted as a fact.”

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Championing an Anglo American alliance needed to subdue and “civilize” China as part of the post-Boxer Rebellion, Mahan says “of all the nations we shall meet in the East, Great Britain is the one with which we have by far the most in common in the nature of our interests there and in our standards of law and justice”.

In case there was any doubt in the minds of Mahan’s readers as to the MEANS which America should assert its dominance onto China, Mahan makes clear his belief that progress is caused by 1) force and 2) war: “That such a process should be underlain by force… on the part of outside influences, force of opposition among the latter themselves [speaking of the colonial European monarchies racing to carve up China in 1901 -ed] may be regrettable, but it is only a repetition of all history… Every step forward in the march that has opened in China to trade has been gained by pressure; the most important have been the result of actual war.”

A Last Anti-Imperial Push

The chaos induced by the anti-foreigner Boxer Rebellion of 1899 which spread quickly across China resulted a heated battle between imperial and anti-imperial forces in both Russia and the USA. Where Transport Minister Sergei Witte who spearheaded the development of the Trans Siberian rail line (1890-1905) tried to avoid military entanglement, McKinley was busy doing the same.

The boxers soon attacked the Manchurian rail connecting Russia to China by land and Witte succumbed to pressure to finally send in troops. The reformers of China who attempted to modernize with American and Russian assistance under Emperor Kuang Hsu and Li Hung Chang fell from power as total anarchy reigned. The outcome of the Boxer chaos involved the imperial powers of France, Germany and England demanding immense financial reparations, ownership of Chinese territory and mass executions of the Boxers.

While McKinley is often blamed for America’s imperial turn, the reality is just the opposite.

The Spanish-American war begun in 1898 was actually launched unilaterally by Anglophilic racist Theodore Roosevelt who used the 4 hour window he had while Undersecretary of the Navy (while the actual Secretary was out of Washington) to send orders to Captain Dewey of the Pacific fleet to engage in a fight with the Spanish over their Philippine territories. McKinley had resisted the war hawks until that point but found himself finally bending to the momentum. In China, McKinley, like Witte worked desperately to reject taking territory resulting in great fears from the British oligarchy that a U.S.-Russia alliance led by McKinley and Witte was immanent.

The assassination of McKinley on September 18, 1901 catapulted Mahan-loving Vice President Teddy Roosevelt into high office, who enmeshed America into a new epoch of Anglo-American imperialism abroad, a growth of eugenics and segregation at home and the creation of an independent police state agency called the FBI.

As Sieff writes: “Roosevelt devoted his next eight years in the presidency and the rest of his life to integrating the United States and the British Empire into a seamless web of racial imperialist oppression that dominated Latin America, sub-Saharan Africa and Asia and that destroyed the cultural history and heritage of the Native North American nations.”

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In Russia, the 1902 Anglo-Japan Treaty led to the disastrous Japan-Russo war of 1905 which devastated the Russian navy, ended the political career of Sergei Witte and threw Russia into chaos leading to the fall of the Romanovs (Czar Nicholas II was the last statesman occupying high office that this author is aware of to have actively promoted the Bering Strait Tunnel rail connection in 1906. It wasn’t until FDR’s Vice President Henry Wallace met with Foreign Minister Molotov in 1942 that the idea resurfaced once more).

While the “open door” rape of the China was attempted by the Anglo-Americans, a fortunate rear guard maneuver orchestrated by another follower of Abraham Lincoln named Sun Yat-sen resulted in a surprise overthrow of the Manchu dynasty in 1911 and the institution of the Republic of China with Sun Yat-sen as the acting President. While Sun Yat-sen sided with Gilpin and Lincoln in opposition to the Mahanists on the issue of rail and industrial development (illustrated in his extraordinary 1920 International Development of China program), the intrigues that sank the world into World War I made any hopes of this early development of China impossible in Sun Yat-sen’s lifetime.

Today’s Belt and Road Initiative, and strategic friendship established between Russia and China has re-awoken the forgotten vision of William Gilpin for a world of cooperating sovereign nation states. Does President Trump have the moral and intellectual fortitude to keep his nation from disintegrating long enough to accept a Russia-U.S.-China alliance needed to revive McKinley’s American System or will we slip into a new World War?

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