Philippe Meirieu, prix Lyssenko :
Les origines du délire pédagogique
par Jean VIOLETTE
Ex: http://www.polemia.com/
A l’occasion de la remise du Prix Lyssenko par le Club de l’Horloge au pédagogue Philippe Meirieu, Jean Violette s’est interrogé sur les origines du délire pédagogique : il y trouve d’abord le désintérêt de la droite (entre « évitement » et « lâchage ») pour l’école et notamment pour l’école publique. Jean Violette montre aussi l’imposture des pédagogues français qui n’ont fait que reprendre les théories des behavioristes américains et soviétiques et des pères de « l’éducation nouvelle » de Dewey à Makarenko. Le tout sur fond de petits intérêts économiques, corporatistes et idéologiques.
Mais pour Jean Violette, la révolution pédagogique a pu s’imposer d’autant plus facilement qu’elle sert le système économique dominant car elle est :
- -un vecteur du déracinement culturel,
- -un vecteur de l'anglicisation de la culture,
- -un vecteur du développement de l'individualisme,
- -un vecteur de diffusion d’une culture de la facilité.
Les pédagogues à la Ph. Meirieu sont en réalité des idiots utiles au service du Système et de la nouvelle classe dominante à qui ils fournissent des individus déracinés et déculturés, des électeurs conformes, des consommateurs fidèles et des travailleurs résignés.
C’est ce qui explique que réformes catastrophiques sur réformes catastrophiques aient pu s’enchaîner.
Jean Violette estime néanmoins que nous arrivons au terme de ce processus. Et que le temps de la revanche des faits est venu : la médiocre productivité pédagogique française n’est plus contestable ; le recul de la France dans les classements internationaux PISA non plus. Le temps de la déglaciation pédagogique est donc venu. Voici en tout cas un texte très solidement argumenté.
Polémia.
Pédagogie : pourquoi en est-on arrivé là ?
Il y a, certes, le poids des individualités comme celle qui vient d'être honorée aujourd’hui par le Prix Lyssenko, mais il y a aussi des raisons systémiques à l’éclosion et au développement du délire pédagogique au sein de l’Education nationale.
1) D’abord, la droite ne s'est pas assez préoccupée de l'école et encore moins de la pédagogie, à l'exception du Club de l’Horloge, des campagnes du Figaro Magazine dans les années 1980 sur les manuels scolaires et de certaines initiatives de la Nouvelle Droite (revue Nouvelle Education par exemple).
C'est la gauche seule qui a investi à long terme ces questions et sans réelle contradiction publique.
Car la droite parlementaire n'a abordé la question scolaire que sous l'angle de la préservation de l'école libre, c'est-à-dire de la possibilité d'échapper à l'école publique.
De même pour la réforme de la carte scolaire qui offre la possibilité d'échapper aux établissements les plus dégradés. C'était important mais pas suffisant : car la concurrence exercée par l'école libre a été impuissante à éviter les dérapages de l'école publique.
Le « marché de l'enseignement », comme une certaine droite libérale le croyait dans les années 1980, n'a pas fonctionné, en tout cas pas dans le sens imaginé. Le succès de l’enseignement privé ou libre n’a nullement incité l’Education nationale à se réformer. Il a, au contraire, joué le rôle de soupape de sécurité pour un système au risque d’imploser, en permettant à un nombre croissant d’enfants d’y échapper.
Mais tout se passe comme si la droite avait ainsi abandonné les enfants des autres à leur triste sort. Comme l’écrit Sophie Coignard dans son livre Le Pacte immoral (Albin Michel 2011), les politiques s’accommodent d’un grand écart prodigieux entre le discours (l’éducation nationale serait une priorité nationale) et la réalité (les performances éducatives du système diminuent) : mais c’est parce que ce sujet « ne passionne pas nos éminences. La plupart d’entre elles ont été, si l’on ose dire, à bonne école » (page 102) et leurs enfants et petits-enfants également : ils ont su échapper au mammouth.
Pire : la droite depuis 1968 a fait le jeu de la gauche en la matière. Ce sont des ministres, qui n'étaient pas tous de gauche, qui ont mis en œuvre le plan Langevin-Wallon et ses succédanés – comme le collège unique – et qui ont cautionné de leur autorité toutes les dérives des pédagomanes. Or tout était connu et analysé dès les années 1970, pour la simple raison que les révolutions pédagogiques introduites en France au nom des « sciences de l’éducation » n'avaient rien d'original : elles avaient déjà été mises en œuvre ailleurs – notamment aux Etats-Unis – avec des résultats tout aussi catastrophiques. La droite ne peut en la matière plaider l'ignorance. Il suffisait de se renseigner et de lire un peu…
Car les pédagogues à la Ph. Meirieu sont à la pédagogie ce que les tenants de l’art dit moderne ou contemporain sont à l’art : ce sont des imposteurs qui se contentent de remettre au goût du jour de vieilles lunes conçues à la fin du XIXe siècle pour l’essentiel, ou au XVIIIe siècle, mais qu’ils présentent pourtant comme des nouveautés révolutionnaires ; et des imposteurs qui imposent un nouvel académisme, pédant et intolérant de surcroît, au nom du progressisme.
Car quand Ph. Meirieu affirme, par exemple, qu’il faut « faire le deuil de la maîtrise, pour accepter l’émergence de l’autre dans son altérité » (cf. Des enfants et des hommes, 1999), il ne fait que reprendre – dans un français obscur au surplus – ce que déclarait, par exemple, l’Américain John Dewey, le père de « l’éducation nouvelle » au tout début du siècle dernier, à savoir que « Pour enseigner le latin à John il n’est pas nécessaire de connaître le latin mais de connaître John » ! On le voit, John Dewey était plus lisible que Ph. Meirieu ! Ou bien il reprend aussi ce qu’affirmait le pédagogue soviétique Makarenko (1888-1939) pour qui la relation maître/élève devait être cassée (« Je répète qu’un tel couple n’existe pas. Pour cette raison les méthodes d’enseignement et d’éducation ne doivent pas être déduites du rapport éducatif maître/élève » (La pédagogie socialiste, Théo Dietrich, Maspero 1973).
Ou de copier J .J. Rousseau qui écrivait dans L’Emile « J’appelle plutôt gouverneur que précepteur le maître de cette science parce qu’il s’agit moins pour lui d’instruire que de conduire. Il ne doit point donner de préceptes, il doit les faire trouver ».
Malheureusement, vis-à-vis de l'école la droite s'est cantonnée dans une posture passive et non pas offensive, posture dont les deux mamelles étaient l'évitement et le lâchage.
L'évitement : éviter d’abord le ministère de l’Education nationale (car ce portefeuille ministériel est perçu comme une corvée voire une sanction), éviter le conflit social, éviter la mauvaise rentrée scolaire, éviter les vagues, éviter les manifestations d'étudiants, éviter de mettre ses enfants dans l'école publique ; en déversant au surplus une part croissante du budget de l'Etat dans le gouffre opaque de l'Education nationale [depuis 1980 le budget moyen par élève a augmenté de 80%, selon Luc Chatel, Les Echos du 27/4/2011] ou de l’Université pour acheter la paix sociale. Au demeurant, la durée moyenne de passage d’un ministre rue de Grenelle est de deux ans, alors que les réformes pédagogiques ne produisent que des effets à moyen et long terme : les mauvais résultats ont donc toutes les chances de ne pas apparaître tout de suite et c’est donc le ou les successeurs qui auront à les gérer…
Le lâchage, un sport auquel, à la différence de la gauche, elle excelle. Les ministres de droite qui ont essayé de réformer le mammouth ont tous, tôt ou tard, été lâchés par l'exécutif ou leur majorité au premier incident. Il va de soi que cette attitude n'a pas contribué à soutenir les bonnes volontés.
Et pour couronner le tout, la droite parlementaire se donnait bonne conscience en jouant périodiquement [le temps d'une élection…] les pleureuses devant les résultats médiocres de l'institution. « Pleure comme une femme ce que tu n’as pu défendre comme un homme », comme dit la légende arabe !
Cette attitude a conduit la droite au KO idéologique. Et c'est le KO idéologique qui a ouvert la voie au KO pédagogique car les dérives pédagogiques ont non seulement été tolérées mais aussi reconnues, encouragées et distinguées. Et les Ph. Meirieu ont eu toute latitude pour expérimenter sur les enfants des autres leurs théories bizarres.
Nous payons aujourd'hui collectivement les conséquences de cette non-stratégie, de cette bataille non livrée et du monopole idéologique exercé par la gauche sur les questions d’enseignement.
2) Ensuite, le bouleversement de la pédagogie cache des intérêts discrets mais puissants
Des intérêts économiques, d'abord.
Car derrière le bouleversement des méthodes pédagogiques, il y a aussi le monde tentaculaire de l'édition scolaire (10% du total de l'édition) et des techniques de communication. Car à chaque nouveau programme il faut de nouveaux manuels et supports pour l'élève et pour l'enseignant, de nouvelles « mallettes pédagogiques » gentiment proposées par certains groupes industriels, de nouveaux ordinateurs à vendre, de nouveaux « échanges culturels » ou linguistiques à organiser. Et puis, il y a aussi les fructueuses officines de soutien et de rattrapage scolaire ou universitaire pour pallier les graves déficiences du système public. Rattrapage qui profite aussi aux enseignants qui ne l’assurent pas toujours gratuitement : un marché d’environ 800 M€ annuels, d’après le ministre de l’Education nationale (débat au Sénat du 30/3/2011) auquel il faut ajouter le crédit d’impôt pour les dépenses de soutien scolaire privé. Il faut aussi citer les psychologues scolaires qui ont vu s’ouvrir un fructueux marché pour lutter contre les prétendus troubles des élèves (dyslexie par exemple), résultant en réalité de l’institution elle-même.
Au fur et à mesure que l’école s’est écartée de l’enseignement des disciplines et des humanités, elle est devenue plus perméable, au nom des activités d’éveil, aux lobbies, aux marques et aux intérêts mercantiles. Même si elle enseigne mal l’économie, au surplus !
Des intérêts corporatistes, ensuite.
Le bouleversement pédagogique a aussi facilité le laxisme de certains enseignants, conséquence d'une baisse de motivation liée notamment à l'évolution du recrutement (le métier d'enseignant est de moins en moins une vocation, le niveau des concours de recrutement tend à la baisse) : il est plus facile de demander aux élèves de faire un exposé, d'exprimer leur « créativité » ou leur « maîtrise des discours » que de préparer un cours. Il est plus facile de demander aux élèves de « commenter l'actualité » que d'enseigner des disciplines et de contrôler l'acquisition des connaissances. Il est plus facile d'être laxiste en matière de comportement des « apprenants » que de faire régner l'ordre dans des classes hétérogènes. La déconstruction des instruments sanctionnant l'acquisition des connaissances des élèves (exemples : notation, contrôles, redoublement), autre volet de la révolution pédagogique mise en œuvre en France, permet en effet du même coup d'éviter d'apprécier… les performances réelles des enseignants. D'où aussi sans doute l'adhésion syndicale au discours sur la non-sélection des élèves…
Il est comique de voir les mêmes organisations syndicales qui ont couvert ou encouragé ces dérives depuis des années se plaindre aujourd'hui que leurs adhérents soient victimes… de l'insécurité et de la violence dans les établissements scolaires, ou bien de déplorer que l'école ne contribue plus à « l'intégration » des étrangers : comment pourrait-il y avoir intégration à un modèle culturel alors même que l'on a détruit l'enseignement des humanités ? Ces pompiers incendiaires sont comiques et tristes à la fois.
Des intérêts idéologiques, enfin :
Les dérives pédagogiques ont aussi eu pour fonction de tenter de masquer l’échec manifeste du dogme égalitaire dans l’enseignement, du fait de la croissance puis du caractère de plus en plus hétérogène de la population scolaire. Elles ont un caractère fonctionnel.
L'école publique dans la seconde moitié du XXe siècle a déjà eu beaucoup de mal à relever le défi de la démocratisation de l'enseignement – conséquence du baby boom des années 1950 – et à répondre à la demande sociale en faveur d'un accès large à l'université, dans des conditions de sélectivité et donc de qualité suffisantes.
Mais elle ne se relève pas du choc de l'immigration de peuplement.
Le pédagogisme a eu pour fonction idéologique de légitimer la baisse des exigences de l'enseignement public consécutive à l'arrivée massive – même si elle est inégalement répartie sur le territoire – d'une population scolaire maîtrisant mal la langue, la culture française et aux aptitudes académiques inégales, derrière le pathos de nouveaux référentiels éducatifs ; au nom de l’idée, en réalité discriminante, que puisque les publics changeaient il fallait changer « les méthodes et les contenus » et en particulier réduire la transmission des normes et des traditions culturelles. A bas l’étude de La Princesse de Clèves : ce n’est utile ni aux enfants de pauvres ni aux enfants d’immigrés ! Tel était le curieux mot d’ordre de ces nouveaux progressistes qui veulent « briser la transmission des savoirs », tout en se lançant périodiquement dans des campagnes contre « l’illettrisme ».
Le bouleversement pédagogique n'est donc pas neutre idéologiquement : il s'inscrit dans le mouvement de rééducation et de déracinement de l'homme européen, qui est à l'œuvre depuis la seconde moitié du XXe siècle.
Le pédagogisme n'est pas seulement fou ou risible : il est en réalité au service d'un projet cynique de domestication.
La véritable révolution pédagogique qui a été mise en œuvre sous l’influence des pédagomanes comme Ph. Meirieu s’inscrit totalement dans le sens de l’idéologie de la superclasse dominante (ce qui est normal car « l'esprit de Mai-1968 » a en réalité été le brise-glace du néo-capitalisme et du mondialisme qui perçoit les cultures, les spécificités et les disciplines non marchandes comme autant d'obstacles à son pouvoir naissant et qu'il fallait détruire).
La révolution pédagogique aboutie est en réalité en effet :
- -un vecteur du déracinement culturel par la déstructuration des humanités traditionnelles (langues anciennes, histoire, orthographe) ; la promotion des disciplines abstraites comme outil principal de sélection (mathématiques) ; « la lutte contre les stéréotypes », c’est-à-dire la lutte contre la représentation traditionnelle du modèle culturel français et européen (exemple : mixité). Procède aussi de ce mouvement « l'ouverture » aux autres cultures (toujours à sens unique et jamais critique, donc relativiste). Au contraire de la promotion d'une approche avant tout critique de l'histoire européenne seule (esclavage, colonisation, persécutions religieuses ou raciales) qui contribue à développer la haine de soi et de sa culture, la valorisation du métissage au nom de l'antiracisme produit les mêmes effets indirects ;
- -un vecteur de l'anglicisation de la culture, l’anglais devenant langue obligatoire de référence (dès la maternelle…), puisque c’est la langue des dominants (dieu merci les performances de l’Education nationale en matière d’apprentissage des langues sont mauvaises…) ;
- -un vecteur du développement de l'individualisme et de déstructuration des familles (droits de l'enfant, promotion des préférences sexuelles, volonté de couper l'école de la famille par des pratiques pédagogiques de rupture ; on voit même maintenant qu’il faut favoriser l’accès des « apprenants » à la contraception, etc.) ;
- -un vecteur de diffusion d’une culture de la facilité (suppression des notes, de la sélection officielle [mais la sélection officieuse, elle, se porte très bien…], encouragement à l’expression [collective car c’est plus « citoyen »], valorisation de l'oral et de l’image par rapport à l'écrit, de la spontanéité/créativité). L’école a été en effet non seulement incapable de relever le défi des médias et des NTIC qui ont transformé les « apprenants » en consommateurs passifs de données, d’images et de sons, mais elle s’est jetée tête baissée dedans, au nom de la « modernité » et de la « citoyenneté »: il est désormais plus facile de récupérer une notice sur Wikipedia pour préparer à la va-vite un « exposé » que de lire un livre (on recommande même parfois de visionner un film tiré du livre en lieu et place de la lecture du livre… c’est plus rapide et plus facile).
Mais cette révolution pédagogique – qui repose aussi sur l’idée bizarre [commerciale en fait, cf. la méthode Assimil] selon laquelle l’on pourrait s’instruire en s’amusant, et que l’enseignement [et plus encore l’éducation] pourrait être ludique – débouche en réalité sur un dressage : sur un apprentissage de la soumission à l'égard du Système, en particulier de la soumission aux médias et au politiquement correct, c’est-à-dire à la nouvelle idéologie dominante.
Le Système a, en effet, besoin d’individus déracinés et déculturés, d’électeurs conformes, de consommateurs fidèles et de travailleurs résignés, trop heureux d’avoir un emploi. Il a besoin d’une jeunesse molle et si possible très longue. Les pédagomanes les lui fournissent.
On vient de voir sur nos écrans de télévision qu’il faudrait proscrire les gifles qui seraient, paraît-il, des « violences éducatives » néfastes. Mais que dire de la violence éducative instituée qui consiste chaque année à déverser sur le marché du travail des milliers de jeunes déracinés, maîtrisant mal la langue et la lecture, ne connaissant ni l’histoire ni la géographie de leur pays et qui ne savent pas rédiger un CV sans faire 20 fautes d’orthographe ni comment se comporter face à un adulte lors d’un entretien d’embauche ?
Il faudrait rappeler ce qu’écrivait J.J. Rousseau sur ce plan dans l’Emile ou de l’Education – qui est une sorte de manuel de manipulation toujours très actuel : « Prenez une route opposée avec votre élève ; qu’il croie toujours être le maître et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. Le jeune enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien n’est-il pas à votre merci ? ». J.J. Rousseau était, certes, optimiste : le maître aujourd’hui ne maîtrise plus l’élève. Mais celui-ci n’en est que plus à la merci du Système.
Les pédagogues à la Ph. Meirieu sont en réalité des idiots utiles au service du Système et de la nouvelle classe dominante.
3) Il y a quand même une bonne nouvelle : la glaciation pédagogique qui a commencé en 1968 a commencé à fondre, tout simplement à l'épreuve des faits, comme c'est toujours le cas avec les utopies.
– Il y a d'abord un phénomène générationnel simple : les anciennes générations d'enseignants ont surtout profité de la révolution pédagogique, qu'elles ont contribué, sinon à instaurer, en tout cas à promouvoir, mais elles partent désormais en retraite. Elles sont remplacées par de nouvelles générations d'enseignants qui, elles, sont surtout confrontées aux effets pervers de la mise en œuvre des recettes miracles des pédagomanes : manque de respect, manque de motivation des élèves, violences, refus de suivre certains cours pour différentes raisons, hétérogénéité des classes, diminution des performances, etc. Elles sont, en outre, moins motivées et plus féminisées que leurs anciens. Et elles ont donc tendance à se retourner contre l'institution scolaire comme responsable [à juste titre] de ces dérives (cf. l'attitude des enseignants victimes de violences de la part des élèves ou des parents d’élèves mais qui portent plainte contre… leur hiérarchie).
– Les effets sociaux catastrophiques de la dégradation de l’enseignement public apparaissent ensuite de plus en plus clairement : la mobilité sociale se réduit, les performances diminuent, la violence prospère.
D’après l’OCDE, qui mesure « l’équité » des systèmes d’enseignement des pays développés, la France serait la championne de la prédestination scolaire en fonction de l’origine sociale (Haut Conseil de l’Education « Le collège bilan des résultats de l’école » 2010).
Les performances éducatives sont, en outre, d’une médiocrité désormais mesurable et publique :
En 2007, 19% des élèves sont en graves difficultés de lecture à l’entrée en sixième (31,3% dans les ZEP). D’après le Haut Conseil de l’Education, 40% des élèves sortent du CM2 avec de « graves lacunes » (L’Ecole primaire, 2007). Selon l’enquête PISA (Program for International Student Assessment), réalisée tous les trois ans par l’OCDE, en 2006 22% des élèves de 15 ans ne maîtrisent pas la lecture ; 21,4% des jeunes gens testés lors des JAPD en 2008 se révèlent être des « lecteurs inefficaces ». Le taux d’échec en première année universitaire est de 50%, etc.
Ces difficultés ont tendance à se cumuler dans le temps puisque les jeunes en échec restent dans un système qui prétend exclure la sélection et qui n’arrive pas à mettre en œuvre un « soutien » adapté à leur intention. Elles sont renforcées en retour par un effet d’écrémage/fuite des meilleurs hors du système de l’Education nationale. Comme le dit fort bien Jean-Paul Riocreux, L’Ecole en désarroi, cette école formatée conformément aux préconisations des Ph. Meirieu ne sélectionne pas, en effet : elle laisse hypocritement le monde réel s’en charger à sa place. C’est l’école de Ponce Pilate.
– Par conséquent, la remise en cause des méthodes pédagogiques qui ont manifestement démontré leur inefficacité ou leur nocivité n'est donc plus aujourd’hui un sujet tabou, même au sein de l’Establishment éducatif (cf. L. Schwartz au début des années 1980, rapport Thélot de 2004 sur l'échec du collège unique, la circulaire De Robien de janvier 2006 sur l'apprentissage de la lecture, remise en cause du rôle des IUFM, 67% des Français réclament la remise en cause du collège unique, 81% constatent que beaucoup d’élèves maîtrisent mal les fondamentaux à la fin du primaire – sondage CSA/APPEL – etc.). Il suffit d’entrer dans une librairie pour voir que les ouvrages critiques sur les dérives de l’Education nationale sont de plus en plus nombreux. Cette remise en cause s’appuie sur les faits. Les contrôles d'aptitudes conduits selon des méthodes internationales relèvent publiquement la baisse de compétence des élèves français dans la durée, malgré une durée d'enseignement en général plus longue et des programmes plus fournis que dans les autres pays européens : donc une productivité éducative médiocre et, au surplus, en baisse dans notre pays, ce qu’il est de moins en moins possible de cacher.
Il y a d’ailleurs des enseignants qui s'efforcent depuis longtemps de retourner en catimini aux méthodes « traditionnelles » mais en réalité éprouvées. Ce sont des résistants dont on reconnaîtra un jour les mérites alors qu’aujourd’hui ils sont encore marginalisés voire sanctionnés par le Système.
* * *
Il en va de l’enseignement comme de l’endettement public :
Il s’agit de phénomènes d’accumulation qui ne produisent leurs effets que dans la durée.
Il y a d’ailleurs beaucoup de points communs entre la fuite en avant du système économique occidental dans l’endettement et l’implosion du système éducatif :
- -dans les deux cas ce sont les générations futures que l’on sacrifie au profit d’intérêts à court terme ;
- -dans les deux cas le sentiment s’impose progressivement qu’on ne peut plus continuer ainsi ;
- -dans les deux cas on sait ce qu’il faut faire ; on sait ce qu’il ne faut pas faire ; il manque seulement la volonté de le faire et le courage de le faire.
Le dernier chapitre de l’ouvrage du Club de l’Horloge, l’Ecole en accusation, paru en 1984 – soit il y a 27 ans, et un an avant que Ph. Meirieu publie son livre L’Ecole mode d’emploi – s’intitulait « Pour un vrai changement dans l’école ». Il est toujours d’actualité et je vous invite à vous y reporter.
C’est sans doute un peu frustrant d’avoir prêché dans le désert. Mais c’est aussi réconfortant de savoir que le temps des Ph. Meirieu, qui était déjà dénoncé dans L’Ecole en accusation, est désormais compté.
Jean Violette
30/04/2011
Voir aussi :
Correspondance Polémia – 23/05/2011