vendredi, 10 février 2023
La crise des subprimes semblera être une promenade de santé en comparaison...
La crise des subprimes semblera être une promenade de santé en comparaison...
par Andrea Zhok
Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/a-confronto-la-crisi-subprime-ci-sembrera-una-passeggiata
La question des sanctions occidentales à l'encontre des pays jugés hostiles nous rappelle une chose très simple: l'économie et la finance à l'échelle internationale, et pas seulement aujourd'hui, sont des armes, et sont comprises et conçues comme telles.
Rappelons qu'il fut un temps où les situations considérées par le droit international comme des "casus belli" incluaient toujours le blocus naval (à l'époque où l'économie se déplaçait principalement par le biais de marchandises et que celles-ci étaient transportées par bateau). Le système de sanctions que l'Occident a l'habitude de produire implique également des sanctions à l'égard des alliés qui ne veulent pas se joindre aux sanctions contre l'"ennemi", et constitue en fait une sorte de blocus naval de la deuxième puissance.
Outre le niveau strictement commercial, les guerres de devises, avec l'induction d'entrées ou de sorties rapides de capitaux, sont également des armes primaires qui peuvent être utilisées et employées pour faire plier les pays indisciplinés.
Le fait que les principaux marchés financiers soient physiquement sous le contrôle économique, matériel et infrastructurel du bloc anglo-saxon (New York et Londres) et que les systèmes d'échange soient (jusqu'à présent) régulés par ce bloc géopolitique a permis à l'empire américain de continuer à exercer des formes de domination avec les armes de l'économie non moins qu'avec celles de l'armée pendant très longtemps.
Elle l'a fait à maintes reprises contre des puissances régionales plus petites et contre des alliés dont les politiques n'étaient pas momentanément alignées.
Tout cela a toujours été vendu à l'opinion publique occidentale comme un accident ingérable lorsqu'il s'agissait de la sphère financière et comme un devoir moral ("peace enforcing") lorsqu'il s'agissait de l'utilisation de bombardiers.
À la lumière de ces idées, le compte-rendu que les États-Unis et leurs employés se sont fait de la guerre en Ukraine est clair: elle a été vendue comme d'habitude comme un "devoir moral incontournable", puis présentée comme un "interventionnisme doux" qui nous laissait tranquilles, fournissant à l'Ukraine des armes et de l'argent pour acheter des armes, payer des mercenaires, plus un soutien logistique et de renseignement.
Pendant ce temps, elle comptait étrangler la Russie avec des sanctions.
L'Occident étant, sur le papier, largement plus riche en termes financiers, la partie semblait jouée: nous ne pouvions pas perdre.
Mais c'est là le point de vue de personnes habituées à traiter la dimension virtuelle de la finance comme un substitut du monde: des personnes qui ne regardent plus les gens, mais l'argent dont vous avez besoin pour les embaucher, qui ne regardent plus les marchandises, mais leurs contrats d'achat et leur relation sur le marché des titres, etc.
Et c'est là que l'on comprend la folle erreur de jugement qui s'est produite, une erreur intuitive pour ceux qui raisonnent avec bon sens, mais invisible pour ceux qui vivent dans le monde virtuel de l'argent.
Ils ne l'admettront jamais, mais la situation est devenue complètement hors de contrôle.
La réalité virtuelle des chiffres des comptes courants a volé en éclats, se heurtant à la réalité des chiffres de la population, de la quantité de ressources naturelles, des extensions territoriales.
Ce sera une erreur fatale qui déterminera, qui détermine déjà, un tournant historique.
Et les premiers signes de panique se manifestent dans les formes de plus en plus fréquentes de vol national légalisé. Lorsque, par exemple, le produit de la vente de Chelsea par un milliardaire russe en Angleterre est d'abord gelé, puis saisi pour être utilisé pour soutenir les dépenses de guerre, nous voyons ici comment les derniers tabous dont s'était nourrie l'idéologie occidentale (Pacta sunt servanda + sacralité de la propriété privée) se sont dissous.
Le vol par l'État des dépôts bancaires d'autres personnes a toujours été considéré comme un abîme infranchissable. Le caractère sacré de la propriété privée est l'un des fondements séculaires de l'idéologie occidentale, à commencer la version formulée jadis par Locke, et a été, entre autres, le rempart idéologique contre toutes les tentatives de nationalisation au profit du peuple qui ont parfois eu lieu sous des gouvernements socialistes (comme dans le Chili d'Allende).
Aujourd'hui, même cette dernière frontière, la fiabilité du respect des droits de propriété, a été franchie.
Si sur le plan de la guerre, la dernière ligne rouge, l'utilisation de l'armement nucléaire, n'a pas encore été dépassée, sur le plan économique, l'équivalent de la bombe nucléaire a déjà connu sa déflagration: la confiance dans un système de commerce international doté de règles, qui lui donnaient une certaine autonomie par rapport aux conflits nationaux, s'est dissoute.
Les conséquences de ce bouleversement commencent à peine à se faire sentir, mais elles feront date, à commencer par le possible défaut de paiement du Trésor américain sur ses obligations.
En comparaison, la crise des subprimes semblera être une promenade de santé.
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jeudi, 02 février 2023
L'effacement de la réalité
L'effacement de la réalité
par Andrea Zhok
Source : Andrea Zhok &https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-obliterazione-della-realta
Après avoir supprimé un grand nombre de profils gênants ou modifié astucieusement leurs programmes au cours des derniers mois, après avoir transformé l'"incendie d'Odessa" en accident domestique, après avoir changé la paternité des missiles ukrainiens de manière ad hoc lorsque cela servait à soutenir une thèse de l'OTAN, la dernière initiative brillante dont nous avons été témoins consiste à faire libérer Auschwitz non pas par l'Armée rouge, mais par une armée ukrainienne autoproclamée.
Nous espérons qu'une liste des miracles accomplis par Zelenski en faveur de sa canonisation suivra prochainement.
Maintenant, tout ceci serait comique, serait risible si ce n'était pas une indication de la transformation la plus dangereuse à l'oeuvre en cette triste époque.
Bien sûr, nous pouvons dire que, après tout, qu'est-ce qui est revendiqué ? C'est Wikipedia, ce n'est pas une vraie encyclopédie. Ne pouvez-vous pas exiger de la rigueur ?
Et c'est vrai. Tout comme il est vrai que Facebook, ou Google, ou d'autres sont des entreprises privées et qu'il est donc dans l'ordre des choses qu'elles agissent en fonction de leurs propres intérêts.
Qui peut le nier ?
On ne peut pas non plus nier que 90% des journalistes d'aujourd'hui - lorsqu'ils veulent vraiment être minutieux et ne pas faire du copier-coller d'agences, - vérifient leurs sources sur Wikipedia.
On ne peut nier que c'est le cas (sans l'admettre) des étudiants et d'un grand nombre de professeurs.
Et on ne peut nier que, après la fermeture des sections de parti, après la destruction des communautés locales et de la vie de quartier, pratiquement la seule arène de discussion politique publique qui reste debout est celle fournie par les médias sociaux, ces médias sociaux qui sont directement ou indirectement influencés par l'administration américaine, ou plutôt par leur appareil militaro-industriel.
Jusqu'à il y a 15-20 ans, il était encore d'usage, chez les journalistes, d'extraire des nouvelles importantes de sources papier accréditées. Cependant, l'héritage de la connaissance sur papier, qui en soi peut être falsifiée comme toute autre connaissance, détenait sa propre inertie fondamentale, due à la fois aux coûts de production et à la difficulté de modifier physiquement les informations une fois qu'elles étaient imprimées sur papier.
Si vous deviez produire du texte pour un volume de la Treccani (ndt; une encyclopédie italienne), vous deviez faire attention à ne pas y inclure un corrigendum arbitraire, car les corrections étaient très coûteuses, et les dommages économiques pouvaient être énormes, sans compter la réputation de la dite encyclopédie .
La numérisation de l'information a réduit les coûts de production et d'édition. La réduction des supports physiques et l'accès croissant aux informations sur des serveurs distants, des "nuages", etc. ont également facilité l'accès à de nombreuses informations pour nous, utilisateurs finaux (j'ai un doute sur la piste de ski que je compte fréquenter et pour le dissiper je dois consulter un ouvrage de type encyclopédique ? Pas de problème, je sors mon téléphone portable et le problème est résolu).
Le résultat global de ce développement récent mais massif est qu'il n'a jamais été aussi facile de modifier et de manipuler l'accès à toutes sortes d'informations ; et qu'il n'a jamais été aussi facile d'orienter les discussions publiques et les débats politiques.
Certes, dans les bibliothèques, dans les bibliothèques des journaux, dans les lieux d'étude des historiens et des philologues, il existe encore des traces, des bases fondées sur l'écriture imprimée, des sources que l'on peut réellement créditer. Mais - et c'est la grande nouvelle - ce n'est pas une réelle préoccupation pour ceux qui ont intérêt à manipuler l'opinion publique, qui flotte comme une planche de surf toujours sur la vague des "rumeurs actuelles", suffisantes pour définir les décisions dans le présent et le futur proche. Nous pouvons toujours retrouver des manuscrits du 17ème siècle et vérifier le texte, et c'est alors une grande satisfaction intellectuelle, mais franchement pour les gestionnaires actuels du pouvoir, c'est sans intérêt. Il suffit que toutes les nouvelles et informations affectant le discours public actuel et les décisions des organes politiques aient disparu ou aient été remises en question de temps à autre.
Le processus auquel nous assistons est récent, très récent, mais il a une puissance absolument extraordinaire. En quelques années seulement, nous avons déjà assisté à une énorme réorientation de l'opinion publique de masse, et dans quelques années encore, nous pourrions nous retrouver à nager dans un monde complètement transformé dans ses références. Un ou deux cycles d'études et l'ancien monde des connaissances historiques et scientifiques peut être entièrement remplacé par une version commode de celui-ci, elle-même en perpétuel changement.
Il n'est jamais nécessaire de "tout changer". Il suffit de modifier stratégiquement ce qui est pertinent de temps en temps, en rendant inaccessible ce qui est dérangeant, pour le temps qu'il faut.
Le travail laborieux de Winston Smith dans le 1984 d'Orwell, qui consistait à rééditer et à effacer, n'est plus nécessaire: il suffit d'un "clic", avec des effets planétaires.
Ceux qui pensent que ce tableau est peint de manière trop sombre se bercent de deux illusions.
La première est l'idée qu'il existerait néanmoins une pluralité d'agents économiques concurrents, et que cela peut garantir une certaine pluralité de l'information. Malheureusement, la pluralité des agents économiques, en premier lieu, n'est pas si plurielle, étant donné que les capitalisations nécessaires pour compter dans ce monde (grande édition numérique, information mainstream) sont très élevées et les concentrations déjà énormes; en second lieu, cette pluralité ne l'est pas lorsque l'on touche aux intérêts autoreproducteurs du capital, et donc sur la question principale du débat politique contemporain, la pluralité concurrente se traduit par des variations polies sur un sujet où la coopération est totale.
La deuxième illusion est la vieille idée que l'existence d'îlots dissidents, de connaissances minoritaires, garantit en quelque sorte une pluralité suffisante pour empêcher la manipulation de masse. On sous-estime ici le fait que les temps de changement actuels mettent hors jeu les processus de détermination de la vérité. Le fait qu'une ou deux décennies plus tard, on en vienne à prouver que telle "révolution colorée" était une opération occulte des services secrets n'est pas une "victoire de la vérité" dont il faut se consoler. Une vérité qui émerge lorsqu'aucune décision ne dépend plus d'elle n'est qu'une curiosité. Et d'ailleurs, si la vérité éclate, c'est parce qu'à ce moment-là, il n'y a plus d'intérêt suffisant à l'occulter. Si, en revanche, cet intérêt est toujours présent, tout, littéralement tout, peut être manipulé suffisamment pour conduire l'opinion publique dans le port souhaité.
Il est important de réaliser qu'il n'est pas nécessaire que "le peuple" soit fermement convaincu d'une certaine fausseté. Si l'on ne peut pas faire mieux, il suffit qu'il y ait suffisamment de bruit de fond pour rendre toute vérité indiscernable et douteuse. Ceci étant fait, le reste du processus de persuasion est produit par des formes ordinaires de propagande, sans qu'il soit nécessaire de s'embarrasser de fondements ou de vérification.
Tant que ce processus d'oblitération et de remplacement de la réalité publique n'est pas pris suffisamment au sérieux par tous ceux qui s'intéressent à la vérité, toutes les autres questions risquent d'être sans intérêt.
21:20 Publié dans Actualité, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réalité, problèmes contemporains, andrea zhok, philosophie | |
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lundi, 10 octobre 2022
Préparer l'Ordre Nouveau
Préparer l'Ordre Nouveau
par Andrea Zhok
Source: https://www.ideeazione.com/preparare-lordine-nuovo/
Afin de définir notre espace de possibilité historique, nous devons comprendre notre place dans la trajectoire de notre civilisation.
Nous tous, Italiens, Européens, Occidentaux, nous nous trouvons dans une phase de crise historique, potentiellement terminale, du monde libéral qui a pris forme il y a un peu plus de deux siècles.
Le fait est que cette forme de civilisation, contrairement à toutes celles qui l'avaient précédée, était affectée par des contradictions internes autodestructrices: cela avait déjà été mis en évidence par l'analyse marxienne au milieu du 19ème siècle. Les principaux éléments contradictoires internes étaient déjà clairs à l'époque, même si Marx concentrait son regard sur la ligne de fracture sociale (tendance à la concentration oligopolistique et à la paupérisation de masse), alors qu'il lui manquait, pour des raisons historiques évidentes, la perception d'autres potentialités critiques découlant des mêmes contradictions (en son temps, il n'y avait ni la conscience de la possibilité de l'extinction de l'espèce humaine par la guerre, qui est devenue une possibilité après 1945, ni l'idée de la pertinence de l'impact dégénératif du progressisme capitaliste sur le système écologique). Un système qui ne vit que s'il croît et qui, en croissant, consomme les individus et les peuples comme des moyens indifférents pour sa propre croissance, produit toujours, nécessairement et systématiquement des tendances à l'effondrement. La lecture de Marx, qui fut peut-être trop conditionnée par ses propres désirs, prévoyait comme forme de l'effondrement à venir un effondrement par la révolution, dans lequel les majorités appauvries se révolteraient contre les oligopoles ploutocratiques. L'effondrement qui s'est présenté aux yeux de la génération suivante a été la guerre, une guerre mondiale vue comme conflit final dans la compétition impérialiste entre les États qui étaient véritablement devenus des "comités d'affaires de la bourgeoisie".
La phase actuelle présente des tendances très similaires à celles du début des années 1900: une société apparemment progressiste et opulente, sécularisée et scientiste, dans laquelle les marges de croissance ("plus-value") se sont toutefois réduites et ont conduit à la recherche de territoires où puiser des ressources alimentaires et des matières premières, des territoires de plus en plus lointains, situés dans les pays colonisés. Et ce, jusqu'à ce que les ambitions individuelles de croissance commencent - de plus en plus - à se heurter au niveau international, entraînant des préparatifs pour un éventuel conflit par le biais de traités secrets d'alliance militaire qui devaient être activés dès que l'on se trouvait en présence d'un casus belli.
Que l'issue de la crise actuelle soit une guerre mondiale totale sur le modèle de la Seconde Guerre mondiale n'est qu'une possibilité.
La volonté d'en faire une guerre ressemblant davantage à la Première Guerre mondiale pourrait l'emporter, où le front est l'Ukraine et l'arrière fournissant les moyens de la guerre sont respectivement l'Europe et la Russie. Pendant la Première Guerre mondiale, les civils n'ont pas été directement touchés par les événements de la guerre, sauf dans les zones de contact, mais l'implication globale en termes d'appauvrissement et de famine a été énorme. Entre 1914 et 1921, l'Europe a perdu entre 50 et 60 millions d'habitants, dont "seulement" entre 11 et 16 millions sont morts directement pendant le conflit (le chiffre varie selon la méthode de comptage).
Une classe industrielle spécifique a émergé de la guerre, plus riche et plus puissante qu'auparavant, et c'est celle qui avait participé directement ou indirectement à l'approvisionnement du front. Les pays plus éloignés du front et non directement impliqués sont par ailleurs sortis de la guerre encore plus riches et comparativement plus puissants.
C'est, bien sûr, également la perspective et le souhait de ceux qui, aujourd'hui, alimentent le conflit de loin.
L'expérience de l'entrée en guerre, avec la complicité de fait de presque tous les partis socialistes et sociaux-démocrates, a représenté un traumatisme dont on pouvait tirer une leçon fondamentale, une leçon que l'on pourrait résumer par la phrase suivante : la gauche systémique n'a pas la capacité ni la volonté réelle de s'opposer à la dégradation du système.
En réponse à ce traumatisme, Gramsci a fondé en 1919 une revue au nom hautement symbolique, l'Ordine Nuovo ; et deux ans plus tard, sur la base du succès apparent de la révolution russe, le PCI est né, avec l'intention d'être précisément un antidote à ce qui était arrivé : une force "anti-système" capable de renverser les paradigmes sociaux et productifs qui avaient conduit à la guerre (et qui étaient restés intacts).
Au même moment, le mouvement des Fasci di Combattimento prend forme, dont le manifeste de "Sansepolcristi" (juin 1919) peut surprendre ceux qui connaissent l'évolution ultérieure du régime fasciste.
Ici aussi, la vague d'expériences de l'avant-guerre et de la guerre a poussé les protagonistes de ce mouvement dans la direction d'un renouveau radical "anti-système". On y trouve la revendication du suffrage universel (y compris celui des femmes), la journée de travail de huit heures, le salaire minimum, la participation des travailleurs au gouvernement de l'industrie, un impôt progressif extraordinaire sur le capital avec expropriation partielle de toutes les richesses, la saisie de 85 % des bénéfices de guerre, etc.
En quelques années, cependant, le mouvement des Fasci di Combattimento perdra toutes ses revendications les plus radicales sur le plan social et sera réabsorbé dans le système, obtenant en retour le soutien économique des agrariens et de la grande industrie, qui l'utiliseront à des fins anticommunistes et antisyndicales. Avec une lecture topique (et bien sûr forcée, étant donné l'immensité des différences historiques), on pourrait dire que la tactique consistant à provoquer une scission dans les mouvements de protestation anti-système (scission fomentée par le capital) a réussi à neutraliser son caractère menaçant pour le capital lui-même, ne conservant qu'un caractère révolutionnaire extérieur.
Dans un parallélisme presque parfait avec la publication du Manifeste des Sansepolcristi, Antonio Gramsci ouvre les pages de L'Ordine Nuovo (mai 1919) par un appel célèbre :
"Instruisez-vous, car nous aurons besoin de toute notre intelligence. Agitez vous, car nous aurons besoin de tout notre enthousiasme. Organisez-vous, car nous aurons besoin de toutes nos forces".
Gramsci était parfaitement clair sur le fait que les chances de succès d'une force désireuse de renverser un système capitaliste qui était sorti presque indemne du plus grand conflit de tous les temps nécessitaient certes de l'agitation et de la protestation (ce qui n'était pas difficile à réaliser dans une Italie où le mécontentement d'après-guerre était énorme), mais surtout de l'"étude" (éducation) et de l'"organisation".
Un siècle s'est écoulé. Beaucoup de choses ont changé, mais le système socio-économique est le même et la phase que nous connaissons aujourd'hui est similaire : après avoir subi une profonde refonte au lendemain de 1945, ce système est revenu sur ses anciens rails, et ce, en accéléré depuis les années 1980.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation qui rappelle à bien des égards celle de 1914: le début, parfaitement inconscient, d'une crise longue et destructrice.
En sortir plus ou moins comme en 1918, avec une condition d'appauvrissement généralisé et une société plus violente, mais sans la destruction de la guerre directement chez soi est le scénario que je considère comme le plus optimiste.
Quelques années de crise énergétique, alimentaire et industrielle et l'Europe sera réduite au rôle d'un fournisseur de main-d'œuvre qualifiée bon marché pour les industries américaines. C'est le meilleur scénario possible.
Les chances d'arrêter le train dans sa course sont minimes.
Ce que l'on peut faire, c'est se préparer à être à la hauteur de l'événement, à diriger les pièces en chute libre afin qu'elles posent comme des fondations pour un futur édifice.
Et cela nécessite, comme le disait Gramsci, d'abord une FORMATION adéquate pour interpréter les événements, pour se défaire des dogmatismes et des rigidités qui empêchent de comprendre la force et le caractère du "système". À ce stade, ceux qui restent ancrés dans les réflexes conditionnés qui nous somment de penser en termes de droite et de gauche, en acceptant leurs dogmes, leur morgue et leurs diabolisations constantes, font partie du problème.
Le système de domination capitaliste financière mondiale basé sur la sphère anglo-américaine est une puissance en crise, certes, mais elle reste la plus grande puissance de la planète et a survécu à d'autres crises majeures.
Elle est capable de persuader presque n'importe qui, de presque n'importe quoi, grâce à un contrôle capillaire des principaux centres médiatiques.
Elle est capable de corrompre quiconque a un prix et de menacer quiconque n'en a pas.
Elle peut également changer rapidement d'oripeaux sur les questions purement "décoratives" et "superstructurelles" telles que tous les différents "droits-civilismes" et "droits-de-l'hommismes", qu'elle brandit maintenant comme des matraques en cas de besoin, mais qu'elle peut faire disparaître en un instant avec un nouveau conte de fées ad hoc, si une stratégie différente s'avère utile.
Avoir une conscience culturelle claire de ce qui est essentiel et de ce qui est contingent est crucial à ce niveau.
Et dans le second cas, toujours avec Gramsci, l'ORGANISATION est nécessaire. Ceux qui aspirent non pas à "renverser le système" (personne aujourd'hui n'a le physique du rôle pour le faire de manière directe, de manière "révolutionnaire"), mais à accompagner son effondrement endogène partiel, afin de faire naître une nouvelle forme de vie, n'ont une chance d'y parvenir que s'ils prennent sacrément au sérieux les obligations de l'organisation collective.
Ce que le "système" nourrit sciemment, c'est la propagation planétaire de la NON-CONNAISSANCE (de l'ignorance, de la désorientation) et la généralisation de la FRAGMENTATION (chute dans le privé, méfiance mutuelle). Ce que doivent faire ceux qui tentent de le contester, c'est ramer de toutes leurs forces dans la direction opposée.
13:08 Publié dans Actualité, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, antonio gramsci, métapolitique, gramscisme, andrea zhok, théorie politique, politologie, sciences politiques | |
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mardi, 06 septembre 2022
Environnementalisme systémique contre environnementalisme instrumental
Environnementalisme systémique contre environnementalisme instrumental
par Andrea Zhok
Source: https://www.ideeazione.com/pillole-programmatiche-4-ambientalismo-sistemico-versus-ambientalismo-strumentale/
La protection de l'environnement est l'une des questions les plus cruciales et les plus facilement instrumentalisées du monde contemporain. Pour comprendre la nature structurelle du problème, il faut commencer par une compréhension de base des mécanismes sous-jacents de la dynamique du capital, caractérisée par le besoin intrinsèque de croissance pérenne et de concurrence entre les agents économiques. Le système de production capitaliste ne tolère pas de rester longtemps sans croissance (en un état stable) et fonctionne selon un système de "rétroaction positive", selon lequel, à chaque cycle, le produit (sortie) doit augmenter l'investissement (entrée). L'état stable pour la société et l'économie décréterait l'effondrement du modèle capitaliste.
Ce fait a une implication immédiate : le modèle de développement capitaliste est incompatible avec l'existence dans le temps sur une planète finie aux ressources finies. Cette incompatibilité, il faut le noter, n'est pas seulement due au conflit structurel entre ressources finies et croissance infinie, mais aussi à la tendance inhérente du développement capitaliste à se développer sous des formes asymétriques, érodant sélectivement certains lieux, certains éléments, certains facteurs, et créant ainsi des déséquilibres toujours nouveaux.
Ce qu'il faut fixer fermement, c'est que notre forme de vie, façonnée par le système de production capitaliste et la raison libérale, est constitutivement incompatible avec ce qui est la condition essentielle de la santé organique et environnementale, à savoir l'équilibre. La croissance effrénée (le capital), l'affranchissement de toute limite (la raison libérale) et l'exigence permanente de dépasser le donné (le progressisme) sont autant de formes de conflit frontal avec l'équilibre organique et environnemental.
On pourrait penser que le libéralisme capitaliste et l'environnementalisme doivent être des ennemis jurés, mais ce n'est pas vrai : c'est avec l'environnement, et non l'environnementalisme, que le conflit se situe. L'environnementalisme peut facilement devenir un déguisement instrumental pour les besoins du capital. Le capitalisme est cette chose qui peut vous vendre des T-shirts avec Che Guevara et Fidel Castro dessus - fabriqués par le travail des enfants thaïlandais et avec une majoration de mille pour cent - sans sourciller et sans percevoir en cela un quelconque problème de cohérence. Au contraire, elle présentera cette indifférence totale aux moyens de vendre comme une "libéralité".
La même chose se produit avec toutes les questions environnementales, qui, une fois entrées dans le hachoir à viande libéral-capitaliste, deviennent facilement des opportunités de profit. La seule chose que l'approche libérale ne supporte pas, c'est la vision globale et systémique.
Tant qu'elle peut focaliser sélectivement toute l'attention du public sur un seul problème, sur un slogan magique, sur une solution technique miraculeuse, elle est parfaitement capable de le transformer - quel qu'il soit - en une opportunité de profit. Ainsi, tout en montrant qu'un seul problème est résolu, des dommages sont causés sur d'innombrables autres fronts, qui devront ensuite être corrigés individuellement, créant à leur tour de nouveaux dommages. Et ainsi, d'une solution brillante à une autre, une dégradation systémique illimitée peut en résulter.
Ce mécanisme est à l'œuvre aussi bien dans le cas de l'environnement que dans celui de la santé humaine. Dans le cas de la santé, cela signifiera que les problèmes sont traités comme des clous saillants individuels sur lesquels on peut faire tomber le marteau, en accordant peu ou pas d'attention à l'équilibre de l'organisme sur lequel on travaille. Une idée correcte de la santé suppose qu'il s'agit d'un équilibre organique que des interventions externes (thérapies) peuvent aider à rétablir : l'accent est mis ici sur l'équilibre de l'organisme. En revanche, dans la conception libérale-capitaliste, l'accent est mis sur le moyen (qui est un produit commercial) que l'on imagine atteindre unilatéralement la santé de l'organisme.
On retrouve la même approche avec l'environnement, qui est traité strictement comme une source d'alarmes ou d'urgences sélectives, à manipuler pour favoriser telle ou telle direction de consommation. Le cas de l'alarme climatique actuelle est un exemple manifeste de cette tendance, non pas parce que l'alarme est nécessairement infondée (elle pourrait très bien être fondée, et nous pourrions toujours adopter un principe de précaution), mais parce qu'elle est traitée de manière opportuniste et instrumentale.
Taxer le carburant des citoyens qui n'ont pas d'autre alternative que le transport privé pour se déplacer (comme l'a fait Macron en France) n'est pas un "sacrifice commun pour le climat", mais une attaque classiste déguisée en noble intention, car elle frappe une partie, la plus faible, de la population, tout en refusant de voir les milliers d'autres cas, touchant des intérêts plus organisés, dans lesquels le même problème devrait être abordé (si l'on veut vraiment l'aborder).
De même, déclarer que l'énergie nucléaire - dans la mesure où elle ne contribue pas aux gaz à effet de serre - est soudainement une "énergie verte" (et peut bénéficier d'innombrables concessions pour cela), est un autre exemple de cet unilatéralisme dans le traitement des questions environnementales. Elle fait disparaître tous les problèmes environnementaux qui n'ont pas été résolus jusqu'à présent dans l'utilisation de l'énergie nucléaire pour ne mettre l'accent que sur l'aspect fonctionnel de ce que les médias de service déclarent être la "question du jour".
Dans cette approche, la disposition sous-jacente est animée par un aveuglement volontaire : on ne veut pas, même de loin, prendre au sérieux la seule chose qui devrait être prise mortellement au sérieux, à savoir l'incompatibilité de ce modèle socio-économique avec les équilibres environnementaux (voire avec toute la naturalité). Une fois cette option systémique exclue, on ne se concentre toujours que sur des pseudo-solutions partielles et instrumentales qui permettent de poursuivre les affaires courantes.
Le libéral suppose par définition que pour tout problème, une solution de marché existe en principe, et que la trouver n'est qu'une question d'incitations. Cette vision le rend aveugle à tout problème systémique, car le système lui-même n'est pas discutable : il n'y a pas d'oxygène en dehors de la bulle d'air libérale-capitaliste. (J'anticipe les objections habituelles en disant que les systèmes de production non capitalistes peuvent EN PRINCIPE éviter le piège de la croissance obligatoire, mais ils ne sont pas obligés de le faire : le progressisme soviétique n'était pas plus gentil avec l'environnement que le progressisme américain).
La vérité simple sur la question environnementale est qu'elle s'harmonise bien avec une attitude "conservatrice" et très mal avec une attitude "progressiste", mais paradoxalement, cette dernière a réussi à se l'approprier en la transformant en un instrument de manipulation sociale et économique.
La fausse conscience du "progressisme" environnemental contemporain est évidente dans le classisme qui le domine. Se racontant l'histoire abstraite selon laquelle les problèmes environnementaux touchent tout le monde de la même manière, pauvres et riches, le libéral-progressisme s'approprie les revendications écologistes en se croyant porteur d'un bien supérieur, qui lui donne donc aussi le droit d'utiliser des moyens coercitifs sur les récalcitrants.
La combinaison de la prédominance des intérêts commerciaux (qui dirigent le "marché des solutions environnementales") et de l'arrogance habituelle des détenteurs du "bien supérieur" (qui caractérise le progressisme) fait de l'appropriation libérale-progressiste de la question environnementale une démonstration effrontée de classisme.
On fait semblant de ne pas voir l'évidence, à savoir que si l'on veut vraiment s'attaquer de front à la question environnementale, la première chose à faire est de s'attaquer au problème systémique de la croissance obligatoire et de la concurrence entre des positions économiques asymétriques. S'attaquer à ce problème impliquerait en effet un changement qui implique une période de sacrifice, car les attentes antérieures ne peuvent être satisfaites (elles ne le sont d'ailleurs déjà plus pour la plupart des gens).
Mais si l'on entre dans la perspective de changements de formes de vie qui impliquent des sacrifices, il est évident que ces sacrifices DOIVENT commencer par le sommet de la pyramide sociale. Il est impensable qu'alors que les capitalisations d'une petite élite financière mondiale sont les plus élevées de l'histoire, on demande aux gens qui ont du mal à payer leurs factures de se serrer la ceinture. Et de même, il est impensable de demander des sacrifices égaux aux nations dont les taux de consommation et de bien-être sont faibles et aux nations dont les taux de bien-être et de consommation hyperbolique sont élevés (États-Unis en tête).
La question environnementale est une question d'époque et très importante, mais seule la mauvaise foi la plus flagrante peut prétendre ne pas voir comment elle est nécessairement imbriquée avec la question des rapports de force économiques.
Il n'y a pas d'appel au "sacrifice commun" tant que vous êtes appelé à payer une taxe écologique sur la Ferrari et lui sur l'essence pour emmener ses enfants à l'école. Il n'y a pas d'appel à "être tous dans le même bateau", tant que le vôtre est un yacht et le sien un canot de sauvetage.
Tant que l'environnementalisme ne se débarrassera pas sans équivoque de son classisme implicite, il restera un jeu rhétorique destiné à la plèbe, pour permettre à ceux qui sont au sommet de préserver les différences de pouvoir.
Et l'environnementalisme à la sauce libérale-progressiste est structurellement empêché de franchir ce pas.
18:47 Publié dans Actualité, Ecologie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, écologie, environnementalisme, définition, théorie politique, politologie, sciences politique, philoosphie, philosophie écologique, philosophie politique, andrea zhok | |
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lundi, 05 septembre 2022
Réalisme géopolitique, multipolarisme et perspective de neutralité
Réalisme géopolitique, multipolarisme et perspective de neutralité
par Andrea Zhok
Source: https://www.ideeazione.com/pillole-programmatiche-5-realismo-geopolitico-multipolarismo-e-la-prospettiva-della-neutralita/
Nous avons déjà souligné le lien interne crucial entre la demande de restauration de la souveraineté populaire et les conditions de viabilité de la démocratie. L'idée de souveraineté populaire est jumelée au niveau des relations internationales avec l'idée d'"autodétermination des peuples": en principe, chaque peuple a le droit de poursuivre ses propres lignes de développement, conformément à sa propre trajectoire historico-culturelle et à sa situation territoriale.
Deux modèles entrent en collision frontale avec cette perspective : le modèle impérialiste et le modèle mondialiste. Ces deux modèles supposent qu'une forme de vie doit s'imposer à toutes les autres. Dans le cas de l'impérialisme, c'est une civilisation unique qui doit être imposée aux autres, dans le cas du mondialisme, c'est un modèle économique unique qui doit être imposé universellement.
Bien que le mondialisme se soit répandu sur la base d'un programme libéral, que certains opposent naïvement à la tension impérialiste, le moteur de la mondialisation a toujours été autoritaire, souvent soutenu par la "persuasion morale" et militaire. Par le passé, les instances mondialistes se sont parfaitement mêlées aux instances impérialistes. C'est ainsi depuis les tirs des canonnières britanniques contre les ports chinois au milieu du XIXe siècle (guerre de l'opium), en passant par les changements de régime en Amérique du Sud jusqu'à aujourd'hui, où l'Occident libéral-capitaliste (dirigé par les Anglo-Saxons) a encouragé l'ouverture forcée des marchés des autres. Le conte de fées séculaire du "bénéfice mutuel du libre-échange" a servi à l'Occident pour revendiquer une fois de plus le monopole du bien et du juste, justifiant toutes les tergiversations et toutes les violences ("nous ouvrons les marchés des autres à la pointe de la baïonnette, mais même s'ils ne le savent pas, c'est pour leur bien"). L'impérialisme et le mondialisme sont des mouvements sympathiques, qui se différencient simplement par une rhétorique différente : l'IMPÉRIALISME se présente généralement sous l'aspect paternaliste de celui qui apporte la vraie civilisation à ceux qui en sont dépourvus, tandis que le MONDIALISME se présente comme la diffusion par le "doux commerce" d'un modèle de vie intrinsèquement supérieur.
Dans le monde contemporain, l'impérialisme et le mondialisme gravitent autour du même centre politique, à savoir l'État-nation américain, le seul qui se réserve le droit à l'autodétermination (et d'ailleurs les États-Unis ne ratifient pas systématiquement les traités qui feraient d'eux un objet d'ingérence ou de contrôle - par exemple celui qui a instauré la Cour pénale internationale).
Adopter le principe d'autodétermination signifie adopter une vision géopolitique qui défend une perspective MULTIPLE dans les relations internationales, où l'on suppose que, en présence d'asymétries de pouvoir entre différentes nations, l'existence d'une pluralité de pôles d'attraction ("puissances") est néanmoins souhaitable. L'existence d'une pluralité de pôles à peu près égaux rend les petites puissances, les États les plus faibles, moins sujets au chantage, puisqu'ils peuvent osciller entre différentes sphères d'influence, se rapprocher d'une autre sphère d'influence si la précédente s'avère trop oppressante, ou chercher une position de neutralité entre elles. Le multipolarisme est une "démocratie" possible dans un domaine où elle est formellement impossible, à savoir les relations entre les nations.
Le fait d'être des provinces d'un empire, ou pire encore d'en être des protectorats de facto, comme c'est le cas de l'Italie, a le seul avantage de réduire les responsabilités de la classe politique (qui peut donc se permettre d'avoir un Di Maio comme ministre des affaires étrangères - un tatou ou un koala pourraient aussi bien faire l'affaire). Cependant, ce positionnement rend les pions parfaitement et entièrement sacrifiables, chaque fois que cela est utile au centre impérial.
La position de l'Italie aujourd'hui est délicate et extrêmement dangereuse. En tant que pays stratégiquement situé entre l'Occident et l'Orient politique, entre l'Europe atlantique et le Moyen-Orient, entre le Nord et le Sud du monde, nous sommes les plus exposés aux deux menaces qui se profilent dans cette phase historique : le danger d'un conflit guerrier et la pression migratoire.
Quant au premier, la situation de l'Italie pourrait dégénérer à tout moment. Le conflit russo-ukrainien, fomenté de manière irresponsable par les États-Unis et l'OTAN, peut dégénérer en une implication directe en un seul bref instant. L'Italie étant le porte-avions américain en Méditerranée, toute escalade impliquant explicitement l'OTAN nous verrait, malgré nous, en première ligne.
Dans le même temps, l'Italie est également en première ligne face au problème explosif des processus migratoires. Des taux de migration élevés et incontrôlés fonctionnent systématiquement comme des fauteurs de déséquilibre social, en mettant à mal les structures de bien-être des pays d'accueil, en fournissant des petites mains possibles pour la criminalité et en créant une couche de main-d'œuvre soumise au chantage et prête à tout, avec l'effet délétère de la compression des salaires pour les autres. Par conséquent, les immigrations massives sur de courtes périodes - dépassant la capacité d'intégration et de métabolisation des États d'accueil - sont économiquement et culturellement dommageables pour les systèmes sociaux qui les subissent, créant des conditions dans lesquelles l'exploitation, la précarité et le chantage se développent verticalement.
Sur ces deux questions, la politique (et l'information) italienne fonctionne et s'exprime bien en dessous du niveau minimum de sérieux. Les sujets sont systématiquement traités comme s'il s'agissait avant tout de questions morales, remettant en cause les jugements sentimentaux : loyauté (atlantique) ou brutalité (russe), générosité de l'accueil ou haine xénophobe, bienveillance des bons ou hostilité des méchants.
Toute tentative de remettre la question des intérêts nationaux au centre, comme cela est nécessaire dans une discussion où le réalisme géopolitique prévaut, est rejetée comme de l'égoïsme, de l'étroitesse, du nationalisme.
Cette existence virtuelle dans un monde de conte de fées bien-pensant, étranger à la réalité des rapports de force et à la confrontation d'intérêts indépendants, n'est pas un simple enfantillage innocent, mais une opération de distraction massive, qui contribue à rendre notre pays impuissant sur la scène internationale : une victime prédestinée.
Mais tant en raison de sa situation géographique que de son histoire, l'Italie pourrait naturellement aspirer à un rôle de NEUTRALITÉ. L'Italie est le siège du Vatican, elle est l'une des régions du monde présentant le plus grand intérêt historique et artistique, et elle a cette position géopolitiquement médiane qui en fait un candidat de choix pour un rôle de non-alignement et d'équidistance dans un monde multipolaire.
Il est clair que dans le contexte qui a mûri au fil du temps, le réalisme politique exige également de reconnaître que l'Italie ne dispose pas d'une échappatoire à ses dépendances internationales actuelles. Ce qui doit avoir lieu, c'est le début d'un processus d'autonomisation, qui est au contraire parfaitement dans les possibilités immédiates du pays. À ce stade historique, la première étape indispensable serait la promotion de pourparlers de paix entre la Russie et l'Ukraine et le retrait immédiat de toute implication dans le conflit actuel.
21:02 Publié dans Actualité, Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : andrea zhok, géopolitique, réalisme, realpolitik, multipolarisme, neutralité, italie, europe, affaires européennes | |
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samedi, 30 juillet 2022
Au-delà de la droite et de la gauche
Au-delà de la droite et de la gauche
par Andrea Zhok
Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/oltre-destra-e-si...
Le nouveau terrain politique qui nous est offert doit partir de la reconnaissance du caractère désormais obsolète et trompeur de l'opposition historique entre la droite et la gauche. Ce rejet ne doit pas être compris comme une mode à suivre, mais comme le fait que nous comprenons bien les enjeux de la fin d'une époque. La droite et la gauche ont toujours été des oppositions sans identité stable : depuis leur origine dans la Révolution française, la droite et la gauche ont eu des rôles et des incarnations très différents. Il existe des identités théoriques telles le socialisme, le communisme, le libéralisme, le traditionalisme, le conservatisme catholique, le naturalisme chrétien, etc. etc., mais il n'y a pas d'identité de "droite" ou de "gauche", sauf dans la contingence d'expressions journalistiques plus ou moins vagues.
Au cours des trente dernières années, tant les partis de droite autoproclamés que les partis de gauche autoproclamés ont contribué à alimenter et à renforcer un modèle de société libéral et mondialiste. Les deux camps ont contribué à l'adoption de stratégies qui ont liquéfié le tissu social, déraciné les individus et sapé le fonctionnement des familles et des communautés territoriales. Tous deux ont contribué aux processus de privatisation des biens et services publics sans tenir compte des intérêts stratégiques nationaux ; tous deux ont soutenu la cession de la souveraineté à des organismes supranationaux ; tous deux ont accompagné l'érosion du bien-être et ont sapé la protection du travail ; tous deux ont soutenu une modernisation cosmétique de l'enseignement public qui a provoqué son effondrement. Tous deux ont soutenu la transition progressive d'un ordre démocratique à un ordre technocratique, où la souveraineté est déléguée à des élites opaques de personnes autoproclamées "compétentes".
Cette convergence substantielle de la gauche et de la droite, qui a été possible en raison de leurs identités, qui sont in fine intrinsèquement ténues, a été une véritable manœuvre de camouflage, une tromperie pour dissimuler leurs lignes dominantes à l'électorat. Bien sûr, tout ce qui a grandi dans l'ombre de forces qui se considéraient comme de droite ou de gauche n'est pas à rejeter, et tous les protagonistes individuels qui se sont reconnus comme tels n'étaient pas non plus de mauvaise foi. Tant à droite qu'à gauche, il a existé - bien que de manière minoritaire - des lignes critiques à l'endroit du développement du libéralisme, dont les tendances destructrices et autodestructrices ont été reconnues par les uns comme par les autres. Mais cette vigilance critique résiduelle a été dépassée par la logique du "front commun" : contre la droite sur la gauche et contre la gauche sur la droite. Malgré l'interchangeabilité substantielle des politiques, cette astuce rhétorique, cet appel à s'unir contre "l'ennemi" a fonctionné pendant des décennies, permettant à une politique sans idées ni principes, autres que les intérêts des grandes entreprises, de s'imposer sans scrupules.
Ceux qui, à gauche, se méfiaient des impératifs du marché ont fini par soutenir toutes les formes de dissolution des liens humains (familiaux, affectifs, territoriaux, communautaires, traditionnels, naturels, religieux), de manière parfaitement fonctionnelle pour produire des individus isolés à la merci du marché, pour produire des sujets fragiles, liquides, prêts à occuper des postes de rouages dans la machine mondiale.
Ceux qui, à droite, considéraient avec méfiance les processus de dissolution des liens familiaux, territoriaux, traditionnels, etc., ont cependant fini par soutenir des formes de marchandisation généralisée de la société, quand ce n'est pas carrément du darwinisme social, alimentant ainsi les formes sociales mêmes qui dévastaient ces liens qu'ils prétendaient vouloir défendre.
Dans le contexte de ce que l'on appelle "l'effondrement des idéologies", le couplage droite-gauche est donc devenu une astuce cosmétique pour maintenir en selle quelques survivants des anciennes formations idéologiques, alors qu'en fait l'idéologie globale du néolibéralisme a été imposée - déguisée en réalité ultime. Le besoin de mobilité de la main-d'œuvre sur le marché mondial a été dépeint de manière instrumentale comme de la "flexibilité", du "dynamisme", ou même invoqué au nom de l'"accueil" et de l'"hospitalité". Les exigences de fiabilité posées par le grand capital, protégé par la BCE, ont été présentées comme un européisme fier, par opposition à un nationalisme hargneux. La demande d'un capital humain illimité a été présentée comme une "libération des contraintes oppressives de la famille". La tendance libérale-capitaliste à la liquéfaction de tous les liens, qu'il s'agisse de lieux, de personnes, de cultures ou de traditions, a été présentée comme une force émancipatrice, qui permettait enfin aux individus de s'épanouir (tout en créant en fait des générations d'individus de plus en plus solitaires et désorientés).
Ce jeu a fait son temps. Si nous voulons rouvrir l'espace où un espoir politique fertile sera possible, nous devons laisser une fois pour toutes derrière nous l'opposition catégorique entre la gauche et la droite, en brisant l'inertie d'habitudes conceptuelles et verbales qui sont aujourd'hui totalement trompeuses.
20:24 Publié dans Actualité, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gauche, droite, théorie politique, politologie, sciences politique, andrea zhok, philosophie politique | |
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mercredi, 13 avril 2022
Le crépuscule des démocraties libérales
Le crépuscule des démocraties libérales
par Andrea Zhok
Source: https://www.ideeazione.com/il-crepuscolo-delle-liberaldemocrazie/
I. Les démocraties fantastiques et où les trouver
Dans les discussions publiques sur le conflit russo-ukrainien, au-delà des arguments nombreux et souvent confus, la dernière ligne du front mental semble suivre une seule opposition : celle entre "démocraties" et "autocraties". Tous les faits peuvent être vrais ou faux, tous les arguments peuvent être valables ou non, mais en fin de compte, l'essentiel est que, Dieu merci, d'un côté il y a "nous", les démocraties, et de l'autre côté ce que la démocratie n'est pas. D'un côté de l'abîme se trouveraient les "démocraties", identifiables aux démocraties libérales qui se sont développées sous l'aile des États-Unis (Europe occidentale, Canada, Australie, Israël, et peu d'autres), et de l'autre côté se trouveraient les "autocraties", ou "pseudo-démocraties corrompues" (essentiellement impossibles à distinguer des autocraties).
Ce grand projet se nourrit de préjugés tenaces, comme l'idée que les démocraties sont naturellement pacifiques et ne font jamais la guerre - sauf, bien sûr, lorsqu'elles y sont contraintes par les infâmes "non-démocraties". Le motif est aussi vague qu'imperméable, aussi opaque dans ses détails qu'il est ferme dans la foi qu'il insuffle.
Pourtant, lorsque nous examinons les situations en détail, nous découvrons une image curieusement en dents de scie.
Andrea Zhok
Nous pouvons découvrir, par exemple, que dans l'histoire, pourtant brève, des démocraties (qui, à quelques exceptions près, commence après 1945), les conflits entre elles n'ont pas manqué (de la guerre du Cachemire entre le Pakistan et l'Inde, aux guerres de Paquisha et Cenepa entre le Pérou et l'Équateur, en passant par les guerres entre les républiques yougoslaves, jusqu'à la guerre des Six Jours - avec le Liban et Israël gouvernés par des démocraties, etc.)
Et puis, nous pouvons découvrir que la démocratie par excellence, les États-Unis, est curieusement le pays impliqué dans le plus grand nombre de conflits au monde (102 depuis sa naissance, 30 depuis 1945), des conflits, personne n'en doute, auxquels les États-Unis ont été contraints malgré eux par des autocraties malfaisantes et corrompues; et pourtant, il reste singulier qu'aucune de ces autocraties belliqueuses ne puisse, même de loin, rivaliser avec les États-Unis en termes de niveau d'activité guerrière.
Mais en dehors de ces points, qui peuvent être considérés comme des accidents, les véritables questions sont les suivantes : qu'est-ce qui constitue l'essence d'une démocratie ? Et pourquoi une démocratie peut-elle être considérée comme un ordre institutionnel de valeur ?
II. La démocratie : procédure ou idéal ?
Il y a ceux qui pensent que la démocratie est simplement un ensemble de procédures, sans essence fonctionnelle ou idéale. Par exemple, la procédure électorale au suffrage universel serait caractéristique des démocraties. Mais il est clair que la tenue d'élections n'est pas une condition suffisante pour être considéré comme démocratique: après tout, des élections ont également eu lieu sous le fascisme. Et qu'en est-il de la combinaison d'avoir des élections et un système multipartite ? Du moins, si l'on s'en tient à la perception de l'opinion publique occidentale, ces conditions ne semblent pas non plus suffisantes, puisque dans les médias, on entend parler de pays où se tiennent régulièrement des élections multipartites (par exemple, la Russie, le Venezuela et l'Iran) comme d'autocraties, ou du moins de non-démocraties. Mais si c'est le cas, alors nous devrions nous demander un peu plus loin ce qui qualifie réellement un système démocratique comme tel. Quelle est la signification d'une démocratie ? Qu'est-ce qui lui donne de la valeur ?
Le sujet est vaste, controversé et ne peut être traité de manière exhaustive ici, mais je vais essayer de fournir, de manière quelque peu affirmative, quelques traits de base qui dessinent le cœur d'un ordre démocratique authentique.
Je crois qu'une démocratie tire ses mérites fondamentaux de deux cas idéaux, le premier plus explicite, le second un peu moins :
1) L'acceptation d'un pluralisme des besoins. Il est juste que tous les sujets d'un pays - s'ils sont capables de comprendre et de vouloir - aient la possibilité concrète de faire entendre leurs besoins, de les exprimer, et d'avoir une représentation politique capable de les assumer. Cette idée est principalement de nature défensive, et sert à exclure la possibilité que seule une minorité soit en mesure d'imposer politiquement son agenda et de faire valoir ses besoins, au détriment des autres.
2) L'acceptation d'un pluralisme de visions. Deuxièmement, nous pouvons également trouver une idée positive, concernant la dimension fondatrice du "peuple". Une vision du monde et de l'action collective dans le monde tire ses avantages, ses forces et ses vérités du fait qu'elle peut bénéficier d'une pluralité de points de vue, non restreints à une classe, un groupe culturel ou un contexte expérientiel. Si, dans la communication interne d'une démocratie (au sens étymologique du terme "politique"), une synthèse de ces différentes perspectives expérientielles est réalisée, alors, en principe, une vision plus riche et plus authentique du monde peut être obtenue. Cette idée n'est pas simplement défensive, mais donne à la pluralité des perspectives sociales une valeur proactive : la "vérité" sur le monde dont nous faisons l'expérience n'est pas le monopole d'un groupe particulier, mais émerge de la multiplicité des perspectives sociales et expérientielles. Cette dernière idée est plus ambitieuse et part du principe qu'un biais expérientiel tend de toute façon à créer une vision abstraite et limitative du monde, et que cette limitation est intrinsèquement porteuse de problèmes.
Ces deux instances, cependant, représentent en quelque sorte des idéalisations qui nécessitent l'existence de mécanismes capables de transférer ces instances dans la réalité. Il doit donc exister des pratiques sociales, des lois, des coutumes et des institutions capables de transformer le pluralisme des besoins et le pluralisme des visions en représentation et en action collectives.
Le mécanisme électoral n'est que l'un de ces mécanismes, et on peut se demander s'il est le plus important, bien que l'exposition périodique à un système d'évaluation directe soit d'une certaine manière cruciale en tant que méthode de contrôle et de correction par le bas.
Maintenant, la vérité est que le système de pratiques, de lois, de coutumes et d'institutions qui permet aux instances démocratiques susmentionnées de se concrétiser est extrêmement vaste et complexe. En fait, nous avons affaire à un système de conditions, dans lequel le dysfonctionnement grave d'un seul facteur peut suffire à compromettre l'ensemble. Une politique non représentative de la volonté du peuple, un pouvoir judiciaire conditionné par des puissances extérieures, un système économique soumis au chantage, un système médiatique vendu, etc. Tous ces facteurs, et chacun d'entre eux à lui seul, peuvent briser la capacité du système institutionnel à répondre aux instances idéales 1) et 2) ci-dessus.
En revanche, prenons le cas d'un système souvent mentionné comme manifestement antidémocratique, à savoir le système politique chinois. Il n'est pas caractérisé par le multipartisme (bien que des partis autres que le parti communiste aient été récemment autorisés). Toutefois, il s'agit d'une république et non d'une autocratie, car il existe des élections régulières qui peuvent effectivement choisir des candidats alternatifs (les députés du Congrès du peuple, qui peuvent élire des députés du Congrès du peuple à un niveau successivement plus élevé, dans un système ascendant jusqu'au Congrès national du peuple, qui élit le président de l'État). S'agit-il d'une démocratie ? Si nous avons les démocraties occidentales à l'esprit, certainement pas, car il lui manque plusieurs aspects. Cependant, dans une certaine mesure, il s'agit d'un système qui, au moins dans cette phase historique, semble s'accommoder au moins des instances négatives (1) mentionnées ci-dessus : il accueille les besoins et les demandes d'en bas et y répond de manière satisfaisante. Est-ce un heureux accident ? S'agit-il d'une "démocratie sui generis" ?
Si, d'autre part, nous examinons le système politique russe, nous sommes ici confrontés à quelque chose de plus similaire en termes de structure aux systèmes occidentaux, puisque nous avons ici des élections avec plusieurs partis en compétition. Mais ces élections sont-elles équitables ? Ou bien le conditionnement de la liberté de la presse et de l'information est-il déterminant ? Là aussi, il y a eu une amélioration des conditions de vie de la population au cours des vingt dernières années, ainsi que quelques ouvertures limitées en termes de droits, mais avons-nous affaire à une démocratie complète ?
III. Démocraties formelles et oligarchies économiques
Ces modèles (Chine, Russie), que l'on qualifie souvent de non-démocratiques, sont certes différents des démocraties libérales du modèle anglo-saxon, mais cette diversité présente également des aspects intéressants dans une perspective proprement démocratique, au sens des exigences 1) et 2). L'aspect le plus intéressant est une moindre exposition à l'influence de puissances économiques indépendantes, étrangères à la sphère politique.
Ce point, il faut le noter, peut être lu à la fois comme un plus et un moins en termes démocratiques. Certains diront que parmi les composantes sociales dont les intérêts doivent être pris en compte dans une démocratie (personne dans une démocratie ne doit être sans voix), il doit aussi y avoir les intérêts des classes aisées, et que par conséquent les systèmes qui ne sont pas sensibles à ces demandes seraient démocratiquement défectueux.
Ici, cependant, nous nous trouvons près d'un point critique. Nous pouvons prétendre que, dans le monde moderne, les représentants des pouvoirs économiques sont un pouvoir à côté des autres, un corps social à côté des autres : il y aurait des représentants des retraités, des métallurgistes, des agriculteurs directs, des enseignants, des défenseurs des droits des animaux et puis aussi des fonds d'investissement internationaux, comme un groupe de pression à côté des autres. Seulement, il s'agit, bien sûr, d'une fraude pieuse. Dans le monde d'aujourd'hui, suite à l'évolution du système capitaliste moderne, le pouvoir de loin le plus influent et le plus omnivore est représenté par les grands détenteurs de capitaux, qui, lorsqu'ils agissent dans l'intérêt de leur classe, exercent un pouvoir qui ne peut être limité par aucune autre composante sociale. Pour cette raison, c'est-à-dire en raison du rôle anormal en termes de pouvoir que peut exercer le capital aujourd'hui, il peut arriver que des formats institutionnels moins "démocratiquement réceptifs" dans des pays à la "démocratie imparfaite" offrent une plus grande résistance aux demandes du capital que dans des pays plus démocratiques sur le papier.
Ce point doit être bien compris, car il est en effet très délicat.
D'une part, le fait que les démocraties, en l'absence d'une surveillance robuste et de correctifs forts, peuvent rapidement dégénérer en ploutocraties, c'est-à-dire en règne de facto d'élites économiques étroites, ne fait aucun doute. Il s'agit d'une tendance structurelle que seuls les aveugles ou les hypocrites peuvent nier. D'autre part, cela ne signifie pas en soi que les systèmes qui se présentent comme potentiellement "résistants à la pression ploutocratique" le sont réellement, ni qu'ils sont effectivement capables de promouvoir un agenda d'intérêts proches du peuple (le cas historique du fascisme italien, inventeur de l'expression "démoplutocratie", reste là comme un avertissement).
Dans cette phase historique, le problème vu du point de vue d'une démocratie libérale occidentale n'est pas d'idéaliser d'autres systèmes ou d'imiter d'autres modèles, qui se montrent peut-être à ce moment-là capables de servir les intérêts de leur propre peuple. Pour tout dire, on peut affirmer que le système institutionnel chinois de ces dernières décennies gagne en crédit pour sa capacité à améliorer, non seulement sur le plan économique, la condition de son immense population. Mais il s'agit d'un système qui a évolué sur des bases culturelles et historiques très spécifiques, qui ne peuvent être reproduites ou transférées. Il est donc approprié de l'étudier, il est juste de le respecter dans sa diversité, mais nous devons également éviter les idéalisations ou les improbables "transferts de modèles".
L'importance historique de l'existence d'une pluralité de modèles est à la fois géopolitique et culturelle. Sur le plan géopolitique, le pluralisme multipolaire peut limiter les tentations impériales d'un seul agent historique : avec toutes les limites de l'URSS, sa simple existence après la Seconde Guerre mondiale a produit de plus grands espaces d'opportunités en Occident, grâce au stimulus fourni par l'existence d'un modèle social alternatif auquel se comparer. La multipolarité est une sorte de "démocratie entre les nations", et permet d'obtenir au niveau des communautés historiques les mêmes effets que ceux qui sont idéalement promus en interne par une démocratie : l'acceptation d'une pluralité de besoins et d'une pluralité de visions.
IV. Options crépusculaires
Le problème auquel nous sommes maintenant confrontés, avec une urgence et une gravité terribles, est que le système des démocraties libérales occidentales montre des signes clairs d'avoir atteint un point de non-retour. Après cinquante ans d'involution néolibérale, le bloc des démocraties libérales occidentales est dans un état de faillite démocratique avancée. Après la crise de 2008, et de plus en plus, nous avons assisté à un alignement des intérêts des grandes puissances financières, un alignement dépendant de la perception d'une crise naissante qui fera époque et qui impliquera tout le monde, y compris les représentants du grand capital.
Des choses connues depuis longtemps, mais dont la prise de conscience avait jusqu'alors été tenue à l'écart de la conscience opérationnelle, se présentent désormais comme des évidences qui ne peuvent plus être contournées par les grands acteurs économiques.
Il est bien connu que le système économique capitaliste issu de la révolution industrielle a besoin de s'étendre, de s'agrandir et de croître indéfiniment afin de répondre aux attentes qu'il génère (et qui le maintiennent en vie). Il est également bien connu qu'un système de croissance infinie est autodestructeur à long terme : il est destructeur pour l'environnement pour des raisons logiques, mais bien avant d'atteindre des crises environnementales définitives, il semble être entré en crise au niveau politique, car la surextension du système de production mondial l'a rendu de plus en plus fragile. L'arrêt du processus de mondialisation, dont on parle en ce moment, n'est pas un événement parmi d'autres, mais représente le blocage de la principale direction de croissance de ces dernières décennies. Et le blocage de la phase d'expansion pour ce système est équivalent au début d'un effondrement/changement de système.
Les lecteurs de Marx, en entendant évoquer l'idée d'un effondrement systémique, pourraient bien lui souhaiter bonne chance : après tout, la prophétie sur la non-durabilité du capitalisme a une tradition riche et prolifique. Malheureusement, l'idée que le renversement du capitalisme devrait déboucher sur un système idéalement égalitaire, un viatique pour la réalisation du potentiel humain, est longtemps apparue comme une perspective souffrant d'une mécanique peu crédible.
La situation qui se dessine aux yeux des acteurs économiques internationaux les plus attentifs et les plus puissants est plutôt la suivante. Face à une promesse de croissance de plus en plus instable et incertaine, il n'y a essentiellement que deux directions possibles, que nous pourrions appeler les options : a) "cataclysmique" et b) "néo-féodale".
a) Les processus dégénératifs déclenchés par les crises naissantes peuvent aboutir à une grande destruction des ressources (comme ce fut le cas la dernière fois, lors de la Seconde Guerre mondiale), une destruction telle qu'elle contraint le système à se rétrécir, tant sur le plan économique que démographique, ouvrant ainsi la voie à une réédition de la perspective traditionnelle, à un nouveau cycle identique aux précédents, où la croissance est la solution invoquée à tous les maux (chômage, dette publique, etc.). Il est difficile de dire si quelqu'un poursuit effectivement activement une telle voie, mais il est probable qu'au sommet de la pyramide alimentaire actuelle, cette perspective est perçue comme une possibilité à accepter sans tapage particulier, comme une option intéressante et non malvenue.
b) En l'absence d'événements cataclysmiques, l'autre voie ouverte aux grands détenteurs de capitaux est la consolidation de leur pouvoir économique dans des formes de pouvoir moins mobiles que le pouvoir financier, moins dépendantes des vicissitudes du marché. Le pouvoir économique aspire désormais à passer de plus en plus d'une forme liquide à une forme "solide", que ce soit sous forme de propriété territoriale ou immobilière, ou sous forme de pouvoir politique direct ou (ce qui revient au même) médiatique. Cette option, un peu comme celle qui s'est produite à la chute de l'Empire romain, devrait permettre aux grands détenteurs de capitaux de se transformer directement en autorités ultimes, en une sorte de nouvelle aristocratie, un nouveau féodalisme, mais sans investiture spirituelle.
Toutefois, ce double scénario peut également prendre la forme d'oscillations entre des mises en œuvre partielles de ces options. Il est fort probable que, comme c'est le cas pour les sujets habitués à "différencier les portefeuilles" afin de réduire les risques, au sommet, les deux options (a) et (b) sont envisagées en parallèle, pesées et préparées simultanément. C'est là un trait typique de la rationalité capitaliste et spécifiquement néolibérale : on ne se fixe jamais sur une perspective unique, qui en tant que telle est toujours contingente et renonçable : ce qui compte, c'est la configuration créée par l'oscillation entre les différentes options, à condition que cette oscillation permette de rester en position de prééminence. Ainsi, il est possible que le résultat de cette double option soit une oscillation entre deux versions partielles : des destructions plus circonscrites d'un cataclysme mondial, combinées à des appropriations plus circonscrites du pouvoir politique et médiatique d'un saut systémique dans un nouveau féodalisme postmoderne.
Cette troisième option est la plus probable et la plus insidieuse, car elle peut prolonger une agonie sociopolitique sans fin pendant des décennies, effaçant progressivement le souvenir d'un monde alternatif dans la population. La phase dans laquelle nous nous trouvons est celle de l'accélération de ces processus. Les médias des démocraties libérales sont déjà presque à l'unisson sur toutes les questions clés, créant des agendas de "questions du jour" avec leurs interprétations obligatoires. Il est ici important de réaliser que dans les systèmes de masse et d'extension tels que les modernes, il n'est jamais important d'avoir un contrôle à 100% du champ. La survie des instances et des voix minoritaires, fragilisées et dépourvues de capitaux pour les soutenir, n'est ni un risque ni une entrave. Un contrôle à 100% n'est souhaitable que dans les formes où la dimension politique est prioritaire, où une opinion minoritaire peut gagner les esprits et devenir l'opinion majoritaire. Mais si la politique est en fait déjà détenue par des forces extra-politiques, telles que les structures de financement ou le soutien des médias, une dissidence marginale peut être tolérée (du moins jusqu'à ce qu'elle devienne dangereuse).
Les démocraties libérales occidentales, qui jouent aujourd'hui le rôle du chevalier de l'idéal offensé par la brutalité autocratique, sont en vérité depuis longtemps des théâtres fragiles dans lesquels la démocratie est une suggestion et, pour certains, une nostalgie, avec peu ou rien de réel derrière elle. Avec la politique et les médias déjà massivement soumis au chantage - ou à la solde - nos démocraties fantasment sur la représentation d'un monde qui n'existe plus, s'il a jamais existé.
Par rapport aux systèmes qui n'ont jamais prétendu être pleinement démocratiques, nos systèmes ont un problème supplémentaire : ils ne sont pas le moins du monde conscients d'eux-mêmes, de leurs propres limites et donc aussi du danger qu'ils courent. Les démocraties libérales occidentales sont habituées à être cette partie du monde qui a traité le reste de la planète comme son propre pied-à-terre au cours des deux derniers siècles ; à partir de cette attitude de supériorité et de suffisance, les citoyens des nations occidentales sont incapables de se voir à travers les yeux de quelqu'un d'autre qu'eux-mêmes, ils sont incapables de se représenter sauf sous la forme de leur propre autoreprésentation idéale (souvent cinématographique), ils ne peuvent même pas imaginer que des formes de vie et de gouvernement autres que les leurs puissent exister.
L'Occident se retranche, comme un dernier bastion, derrière des bribes de sagesse commune, comme le célèbre aphorisme de Churchill : "La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres qui ont été essayées jusqu'à présent. Cette brillante boutade, maintes fois répétée, intègre le geste consolateur de penser que, oui, nous avons peut-être beaucoup de défauts, mais une fois que nous leur avons rendu un hommage formel, nous n'avons plus à nous en préoccuper, car nous sommes toujours, sans comparaison, ce que l'histoire humaine a produit de mieux.
Les Romains ont dû se répéter quelque chose comme ça jusqu'à la veille du jour où les Wisigoths d'Alaric ont mis Rome à sac.
22:26 Publié dans Actualité, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : démocraties libérales, actualité, théorie politique, andrea zhok, politologie, sciences politiques, philosophie, philosophie politique | |
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