mercredi, 03 juillet 2024
Maurice Bardèche et la race à prix unique
Maurice Bardèche et la race à prix unique
Nicolas Bonnal
Tous nous savons ce que sont devenues nos rues à Paris, Londres, Berlin. On sait aussi qu’il est trop tard et que les gens s’en foutent (sauf Zemmour, le pauvre). Trotta a transmis une vidéo comparative entre les rues de New York en 1930 (époque de Céline) et 2023. On vous laisse juger.
https://x.com/silvano_trotta/status/1808067308524360054
Trotta, qui n’est pas une lumière, limite cela à la malbouffe: mais il y eut un « grand remplacement » (notion fictive-conspirative comme on sait) aussi, favorisé par les Kennedy du reste (voyez Alien nation, par l’anglo-américain Peter Brimelow, journaliste repenti du WSJ, et la fin du goût et de la culture en tout, notamment en mode. Comparez même un film de l’époque d’Eisenhower avec celle de Biden et découvrez mon livre sur la Comédie musicale ou ma Destruction de la France au cinéma – car la France et les USA sont les deux pays où tout s’est passé le plus vite – en prime time comme on dit.
Oublions le défilé de monstres, de trumeaux, de cageots, comme on disait dans ma jeunesse. Et revenons-en aux maîtres.
Céline en parlait ainsi des belles américaines dans le Voyage :
« J’attendis une bonne heure à la même place et puis de cette pénombre, de cette foule en route, discontinue, morne, surgit sur le midi, indéniable, une brusque avalanche de femmes absolument belles. Quelle découverte ! Quelle Amérique ! Quel ravissement ! Souvenir de Lola ! Son exemple ne m’avait pas trompé ! C’était vrai ! Je touchais au vif de mon pèlerinage. Et si je n’avais point souffert, en même temps des continuels rappels de mon appétit je me serais cru parvenu à l’un de ces moments de surnaturelle révélation esthétique. Les beautés que je découvrais, incessantes, m’eussent avec un peu de confiance et de confort ravi à ma condition trivialement humaine. Il ne me manquait qu’un sandwich en somme pour me croire en plein miracle. Mais comme il me manquait le sandwich ! Quelles gracieuses souplesses cependant ! Quelles délicatesses incroyables ! Quelles trouvailles d’harmonie ! Périlleuses nuances ! Réussites de tous les dangers ! De toutes les promesses possibles de la figure et du corps parmi tant de blondes ! Ces brunes ! Et ces Titiennes ! Et qu’il y en avait plus qu’il en venait encore ! C’est peut-être, pensais-je, la Grèce qui recommence ? J’arrive au bon moment ! »
Après il y eut une certaine guerre avec une certaine défaite et ses conséquences certaines. Et voici comment Bardèche en parle dans sa Terre promise ; c’est qu’il n’y aura plus de patries et plus de droit patriote :
« Car telle est, en vérité, la condition de l'homme après la déposition des patries. On soutient par pression les régimes qui ouvrent largement la cité à l'étranger. On exige que ces étrangers reçoivent les mêmes droits que les habitants du pays et on condamne solennellement toute tentative de discrimination. Puis on ne reconnaît pour régulière qu'une manière d'opiner purement numérique. Avec ce système, quelle cité ne sera pas, en un temps donné, soumise par une conquête pacifique, submergée par une occupation sans uniforme et offerte finalement au règne de l’étranger ? Le point final est atteint ici. Les différences nationales seront peu à peu laminées. La loi internationale s'installera d'autant mieux que la loi indigène n'aura plus de défenseurs. »
Donc après on construit une population d’un certain type que l’on peut apprécier partout maintenant qu’il ne sert plus rien de voyager :
« Et d'un bout à l'autre du monde, dans des villes parfaitement pareilles puisqu'elles auront été reconstruites après quelques bombardements, vivra sous des lois semblables une population bâtarde, race d'esclaves indéfinissable et morne, sans génie, sans instinct, sans voix. L'homme déshydraté régnera dans un monde hygiénique. D'immenses bazars résonnants de pick-up symboliseront cette race à prix unique. Des trottoirs roulants parcourront les rues. Ils transporteront chaque matin à leur travail d'esclave la longue file des hommes sans visage et ils les ramèneront le soir. Et ce sera la terre promise. »
Debord que l’on ne peut accuser de racisme ou autre écrit dans sa Société du Spectacle :
« Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garanti de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace. »
Le niveau de connerie actuel est telle que des lignes comme celles-ci ne peuvent plus être comprises.
Bardèche poursuit lui sa vision du futur. En 45 on peut dire qu’il nous restait quinze ans à vivre : De Gaulle-Chirac-Giscard ici, Kennedy là-bas, les travaillistes GB ensuite (Blair notamment qui joue un rôle eschatologique, comme Macron) allaient y mettre bon ordre ; il y aura un Etat global et pas d’Etat local. Les peuples et patries n’étant pas protégés seront vite anéantis et remplacés – avec plus personne (et surtout pas Trump ou le RN) pour les défendre :
« Les gérances nationales que nous décrivions tout à l'heure prennent dans cette perspective leur véritable signification: les Etats ne seront plus que les arrondissements administratifs d'un seul Empire. Et d'un bout à l'autre du monde, dans des villes parfaitement pareilles puisqu'elles auront été reconstruites après quelques bombardements, vivra sous des lois semblables une population bâtarde, race d'esclaves indéfinissable et morne, sans génie, sans instinct, sans voix. L'homme déshydraté régnera dans un monde hygiénique. »
J’aime cette idée de bombardement. En effet cela marche très bien. Il sert à anéantir ou à étourdir. Plutarque en parle de ce bruit qui sert à abrutir une armée avant de l’écraser (voyez la vie de Crassus). Et Bardèche ajoute :
« D'immenses bazars résonnants de pick-up symboliseront cette race à prix unique. Des trottoirs roulants parcourront les rues. Ils transporteront chaque matin à leur travail d'esclave la longue file des hommes sans visage et ils les ramèneront le soir. Et ce sera la terre promise. Ils ne sauront plus, les usagers du trottoir roulant, qu'il y eut jadis une condition humaine. Ils ne sauront pas ce qu'étaient nos cités, quand elles étaient nos cités : pas plus que nous ne pouvons imaginer ce qu'étaient Gand ou Bruges au temps des échevins. Ils s'étonneront que la terre ait été belle et que nous l'ayons aimée passionnément. »
Au-dessus domineront quelques logos et slogans, comme dans Blade runner (qui reste avec 2001 le seul film essentiel, pour quarante raisons, voyez mon Ridley Scott) :
« Eux, la conscience universelle propre, théorique, découpée en rondelles, illuminera leurs ciels. Mais ce sera la terre promise. »
Dégagés des peuples on pourra adorer l’abstraction avec le pognon :
« Et au-dessus régnera en effet la Personne Humaine, celle pour qui on a fait cette guerre, celle qui a inventé cette loi. Car enfin, on a beau dire, il y a une Personne Humaine. Ce n'est pas les Allemands de la Volga, ce n'est pas les Baltes, ce n'est pas les Chinois, ce n'est pas les Malgaches, ce n'est pas les Annamites, ce n'est pas les Tchèques, ce n'est pas les prolétaires, bien entendu. »
Parce qu’il est important de le dire aucun pays n’aura plus le droit de vivre. Sauf quelques-uns… On poursuit :
« La Personne Humaine est, en outre, habituellement munie d'un passeport international, d'une autorisation d'exportation, d'une dispense d'impôt et du droit de réquisitionner les appartements. Ajoutons que la Personne Humaine ainsi définie est tout spécialement dépositaire de la conscience universelle : elle en est, pour ainsi dire, le vase d'élection. Elle possède pour cela des organes d'une sensibilité exquise qui manquent aux autres hommes : ainsi dans le pays où elle vient d'arriver, elle désigne avec sûreté les véritables patriotes et détecte à une grande distance les organismes réfractaires aux vibrations de la conscience universelle. »
Inutile d’insister.
Maurice Bardèche, Nuremberg ou la terre promise.
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dimanche, 26 novembre 2023
« Babar » contre la pègre démocratique
« Babar » contre la pègre démocratique
par Georges FELTIN-TRACOL
Pendant trente ans au gré d’une périodicité fluctuante sort Défense de l’Occident. Fondée et animée par Maurice Bardèche (1907 – 1998), cette revue accueille diverses sensibilités nationales, du nationaliste-révolutionnaire François Duprat au futur gréciste Jean-Claude Jacquard, du traditionaliste radical Georges Gondinet à l’euro-régionaliste Jean Mabire… Maurice Bardèche, affectueusement surnommé « Babar » par les contributeurs, en fait un carrefour obligé de la radicalité à droite.
Outre ses articles, Maurice Bardèche signe dans chaque livraison un éditorial sur l’actualité du moment. Il aborde tous les sujets, de l’économie aux relations internationales en passant par la vie politique. Bien de ses éditoriaux sont de nos jours dépassés. Toutefois, certains gardent toute leur pertinence. C’est le cas avec La mafia des démocraties (2023, 212 p., 18,10 €), un recueil de vingt textes écrits entre 1953 et 1982 que viennent de publier les excellentes éditions dissidentes Kontre Kulture.
Il faut saluer le long et minutieux travail de recherche et de lecture attentive qui précède le choix crucial des éditoriaux. Certes, en cette période de Guerre froide, « Babar » dénonce volontiers l’Union Soviétique, le Pacte de Varsovie et les communistes. Il fustige néanmoins avec une énergie équivalente le Système occidental capitaliste – libéral. Maurice Bardèche tonne avec constance contre le régime victorieux en 1945. Force est de constater que certains textes rassemblés dans ce volume à la magnifique couverture sont visionnaires.
Par exemple, dans « Physiologie des démocraties libérales avancées » (1976), il prévient que « l’État ne nous protège plus. […] Les organisations marginales sont plus puissantes aujourd’hui que les gouvernements ». Il précise que l’impuissance croissante de l’État « n’empêche pas l’autoritarisme saugrenu. C’est un autre aspect des démocraties libérales avancées, c’est même la contrepartie de la violence et du terrorisme ». Cet avertissement prend un écho considérable après le covid et les attaques terroristes. Quelques lignes auparavant, il signale que « notre liberté politique est donc illusoire ». Persécuté politique pour ses écrits hostiles au résistancialisme triomphant, en particulier son Nuremberg ou la Terre promise, « Babar », incarcéré à la prison de Fresnes en 1954, rappelle que « nos libertés sont un leurre et la liberté de la presse pour commencer ». Il souligne que « l’opinion est donc dirigée dans les démocraties libérales tout comme dans les pays totalitaires ».
Brillant universitaire, spécialiste de la littérature française du XIXe siècle, mais marginalisé en raison de son engagement audacieux, Maurice Bardèche appartient au sérail enseignant. Son point de vue sur le système scolaire français peut surprendre. Sans aller jusqu’à la remise en cause de l’obligation scolaire, remise en cause plus que jamais essentielle et salutaire comme le préconisait d’ailleurs l’excellent programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2002, « Babar » estime que « le but de l’enseignement est un but pratique : l’enseignement doit permettre à un adolescent de gagner sa vie. Tout le reste est prétention et verbiage. Dès l’école, la sélection doit être la règle. C’est la meilleure et même la seule garantie de promotion pour les enfants des familles défavorisées ». Datant de 1981, cet article intitulé « Sur le chômage » s’élève par conséquent contre les premiers méfaits dévastateurs du pédagogisme et de la massification.
À propos de ce drame social qu’est la perte d’un emploi, il explique que « la cause fondamentale de tout chômage présent ou à venir est notre incapacité à maîtriser les conséquences du mécanisme industriel de la production, impuissance qui n’est pas particulière à la France, mais qu’on retrouve dans toutes les nations industrielles ». À l’époque, la France est encore une grand pays industriel. Maurice Bardèche devine les ravages considérables d’une mondialisation balbutiante alors contenue par le duopole planétaire USA – URSS.
Sans avoir la fibre juridique, « Babar » condamne enfin l’intrusion lente du poison égalitaire dans le droit. « Notre Code pénal, note-t-il, établi sous l’influence de la Déclaration des Droits de l’homme qui proclamait l’égalité de tous les citoyens contenait par là une cause profonde d’injustice et d’inefficacité. Aussi bien dans le niveau que dans l’exécution de la peine, la valeur de la sanction, la simple intervention de la justice pénale, ont un poids très différent suivant les individus, leur passé, leur caractère, leur situation sociale. » Les tribunaux libèrent des immigrés clandestins pour mieux emprisonner des lanceurs d’alerte identitaires. La « justice » administrative entérine la dissolution scandaleuse d’associations de défense du peuple français et supprime celle des bandes éco-terroristes. C’est très bien vu par Bardèche !
On comprend qu’il est impérieux de lire et de faire lire La mafia des démocraties. Le style de Maurice Bardèche y est exceptionnel. Il maîtrise tous les sujets qu’il traite avec brio, clarté et intelligence. Soucieux du sort des classes populaires autant que des classes moyennes, l’auteur de Sparte et les Sudistes combat donc l’égalitarisme et, plus largement, le mythe égalitaire qui sous-tend l’illusion démocratique. Un très grand merci aux courageuses éditions Kontre Kulture de remettre à l’honneur un immense monsieur de la pensée nationale et européenne !
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 93, mise en ligne le 22 novembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.
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dimanche, 10 juillet 2022
Une rencontre avec Maurice Bardèche
Une rencontre avec Maurice Bardèche
par Yannick Sauveur
C’est l’histoire d’un séminaire sur l’image culturelle de la Guerre Froide qui s’est déroulé sur une année (1977-1978). Dans une grande ouverture d’esprit et avec une tolérance qui existait encore à l’Université en ce temps là, nos interlocuteurs reflétaient une grande diversité de pensée. Imagine-t-on aujourd’hui un séminaire où seraient invitées des personnalités aussi différentes que Dominique Desanti, Annie Kriegel, Madeleine Rebérioux d’une part et Michel Déon, Philippe Ariès ou Jacques Laurent, d’autre part, l’objectif étant de porter un regard objectif sur cette période très clivante de la Guerre Froide. Les uns étaient communistes ou proches, les autres étaient anticommunistes et proaméricains à l’instar de Raymond Aron, Jules Monnerot, Georges Albertini. Ayant quelques affinités avec Maurice Bardèche, il me parut naturel de proposer aux participants du séminaire de recueillir le témoignage autorisé d’un intellectuel qui fut très impliqué au plus fort de la Guerre Froide. C’est dans ces conditions que j’ai rencontré Maurice Bardèche à son domicile en mars 1978. Je précise que bien qu’étant anticommuniste, Bardèche n’épouse pas, loin s’en faut, l’unanimisme proaméricain de l’ensemble de la droite voire de l’extrême-droite.
Le thème de la Guerre Froide est au cœur de l’entretien à l’exclusion de tous autres sujets (historiques ou littéraires). En gros, la discussion concerne les événements qui ponctuent les années 1950-51 et 52 :
-1950 : Réunion à Rome,
-1951 : Congrès de Malmö et création du M.S.E., publication de L’œuf de Christophe Colomb.
-1952 : Création de la revue Défense de l’Occident.
Au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale, il existe en Europe une broutille de petits partis qui émergent difficilement. La carte des groupes politiques de droite, et d’extrême droite est plus ou moins la même que maintenant (1978).
Le M.S.I. (Movimento Sociale Italiano) fondé le 26 décembre 1946 est le seul qui ait une certaine consistance. Dans le cadre de ses relations avec l’étranger, le MSI souhaite recenser les partis, qui, en Europe, sont susceptibles de prendre des positions comparables à celles du MSI. Très vite, le MSI aura tendance à avoir principalement des contacts avec l’extrême-droite française. Et seuls les jeunes du M.S.I. s’intéressent véritablement à l’Europe.
En France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, il n’existait rien, rien d’analogue au M.S.I. C’est dans ce cadre que Maurice Bardèche, pour la France, participe à une première consultation à Rome (mars 1950) en compagnie notamment de Per Engdahl, chef du Nysvenska Rorelsen (Mouvement de la Suède Nouvelle), Oswald Mosley pour le Royaume Uni, Karl Heinz Priester, chef du Deutsche Soziale Bewegung (Mouvement social allemand). A l’époque, nous dit Bardèche, la croyance en l’unité européenne est beaucoup plus forte qu’aujourd’hui (1978).
Cette réunion (mars 1950) et la suivante (octobre), à laquelle ne participe pas Bardèche, ont pour objet de préparer « une conférence européenne des mouvements néo-fascistes au mois de mai 1951 dans la ville de Malmö, en Suède. » C’est ce qu’on appela ensuite le Congrès de Malmö où chaque nation serait représentée par une personnalité choisie par les groupes locaux. Quid de la France ? Malgré son aversion pour la politique, les pressions de ses séducteurs furent telles que par « devoir » Maurice Bardèche accepta la délégation pour la France et se rendit à Malmö. Il fut fait beaucoup de bruit autour de ce congrès présenté comme un congrès néo-nazi. En réalité, c’était tout le contraire. Per Engdahl (photo), qui préside ce congrès, polyglotte, presque aveugle était avant tout un théoricien. Les travaux de ce congrès durent trois jours avec en conclusion la rédaction de statuts de ce qui deviendra le Mouvement social européen (M.S.E.) par référence au M.S.I. italien.
Les participants se donnaient pour objectif la constitution d’une Europe indépendante des deux blocs, sur les plans économique, politique et militaire [1] avec pour slogan NI WASHINGTON, NI MOSCOU mais sans qu’il y ait d’hostilité de principe envers les URSS et les USA. Certes, il fallait tenir compte de l’atmosphère de Guerre froide, ce qui ne signifiait pas l’accepter pour autant. Les participants proposent une Europe anti-communiste et non antisoviétique. Les délibérations des discussions de Rome et de Malmö ont été approuvées par l’ensemble des participants.
Quid du M.S.E. en France ? Les différents groupes qui avaient délégué Maurice Bardèche pour les représenter étaient très faibles : des jeunes le plus souvent, pauvres. Au nombre de ces militants, René Binet, passé du trotskysme au national-socialisme, était le plus extrême dans son attitude anti-américaine ainsi que face à la question du racisme alors que cet aspect n’avait été évoqué à aucun moment pendant le Congrès. Le M.S.E. a duré très peu de temps, soit de 1950 à 1954.
Toujours dans le cadre du MSE, quoiqu’un peu en marge, Maurice Bardèche rédige un ouvrage qui présente l’Europe qu’il appelle de ses vœux. Il s’agit de L’œuf de Christophe Colomb (1951) et sous-titré Lettre à un sénateur d’Amérique. Il s’agit du sénateur Robert Taft (ci-dessus, couverture du Time), candidat républicain malheureux aux primaires présidentielles de 1948 et 1952. Celui-ci est battu par Dwight Eisenhower en 1952, dès lors L’œuf de Christophe Colomb, tiré à 5000 exemplaires, perd de son intérêt voire devient inutile : aucune réaction américaine, influence du livre nulle en Europe. Personne n’en a parlé. Le quotidien Le Monde, peu enclin à faire de la publicité pour des idées allant à l’encontre de la doxa dominante, observe un silence de bon aloi. Le livre de Bardèche est traduit en italien, en allemand, en espagnol. Il a eu quelque succès en Allemagne et en Argentine, dont une publication allemande en Argentine. En France, il servira de manuel de base pour les militants du mouvement JEUNE NATION.
Dans ses Souvenirs, Bardèche témoigne que c’est un de ses ouvrages politiques auxquels je tiens le plus. Dans le contexte de l’époque, les idées mises en avant sont avant-gardistes : « la communauté européenne doit être nécessairement une unité politique absolument indépendante. Et ces mots ʺabsolument indépendanteˮ s’appliquent également aux deux voisins de l’Europe, la Russie et les Etats-Unis (…) L’Europe ne doit pas être non plus l’instrument ni l’allié inconditionnel des Etats-Unis. L’indépendance politique de l’Europe, cela veut dire avant tout que l’Europe a le droit de choisir seule si elle fera ou ne fera pas la guerre». Et concernant l’Union soviétique, « je pense que l’Europe ne doit pas montrer une hostilité systématique à l’égard de la Russie soviétique, sous prétexte que son régime et ses conceptions de vie sont différents des nôtres. Nous avons à nous défendre, nous n’avons pas à faire de Croisade. » Cette communauté européenne telle que l’envisage Bardèche « devra donc être à la fois étrangère à l’hystérie démocratique et à la Croisade soviétique. Son indépendance politique ne sera complète, elle ne sera manifeste que si elle aboutit à une totale indépendance idéologique. C’est là surtout où est l’erreur américaine. Vouloir une Europe ʺdémocratiqueˮ, c’est vouloir que l’Europe appartienne à l’un des deux camps.
J’insiste sur cette idée, car je la regarde comme capitale pour notre avenir en commun. Une Europe démocratique est la prisonnière du camp démocratique, elle ne peut être qu’un état satellite des Etats-Unis, et par conséquent elle est un facteur de guerre et sa structure rend impossible la solution des problèmes internationaux. Il est évident et il est légitime que la Russie ne puisse accepter, en aucun cas, de voir les aérodromes militaires américains installés en Prusse. La constitution de bases militaires américaines permanentes en Allemagne est une menace pour la Russie et la Russie a raison de la considérer ainsi. Si la Russie cherchait à s’établir à Cuba, les Etats-Unis considéreraient cette installation comme un casus belli. » On comprend que de tels propos aient eu peu de résonnance dans l’atmosphère de Guerre Froide de l’époque, Maurice Bardèche étant lui-même très seul, très isolé.
En politique intérieure, le camp américain (ou démocratique) allait de la gauche non communiste à l’extrême-droite (à de rares exceptions). Témoin de son isolement, Bardèche, à rebours de la droite et de l’extrême droite, manifeste une position originale au sujet du nationalisme arabe : « Nous sommes convaincus aussi que la conception du monde qui sera celle de l’Europe nous permettra de trouver un terrain d’entente avec les nationalistes arabes. En leur présentant des conceptions absolument neuves sur la présence simultanée des Européens et des Arabes dans les territoires communs, nous pensons que nous pourrons résoudre la plupart des difficultés devant lesquelles échouent l’hypocrisie démocratique et les survivances colonialistes. Au moins, aborderons-nous ces discussions, nous Européens, avec une mentalité généreuse et loyale à l’égard du peuple arabe dont nous reconnaissons la valeur et l’antiquité comme race et comme culture. »
Isolé, Bardèche reconnait avoir subi peu d’influences : « Ce qui se passe à l’extérieur n’a pas de prise sur moi. Je suis en marge. » Et d’ajouter : « Je suis inaccessible à l’expérience politique qui se déroule en dehors de moi (…) Tout ce que j’ai écrit découle de Nuremberg ou la Terre Promise[2]. Je n’ai pas voulu être sensible à l’actualité politique. Je reste à l’intérieur de mon rêve théorique, utopique, inapplicable. »
Cette rapide histoire serait incomplète si nous passions sous silence la genèse de la revue Défense de l’Occident dont le premier numéro parut en décembre 1952. L’idée de Bardèche était de pallier les insuffisances et « la collaboration impossible avec des groupes factices par une présence culturelle ». C’est la raison de la création de Défense de l’Occident qui s’inscrit donc dans le droit fil du congrès de Malmö.
Et voilà comment cette revue liée au MSE a perduré. Par « devoir » même si, depuis 1952, je n’ai qu’une idée : faire disparaître Défense de l’Occident. Ayant des abonnés dès le début, par honnêteté, j’ai continué. De plus, il y avait des gens à qui il fallait dire cela et aussi relever le moral des gens qu’on avait épurés. Après 1958, le désir de dire du mal de de Gaulle. Aujourd’hui (1978) mes raisons de faire disparaitre Défense de l’Occident sont de plus en plus grandes. L’aventure aura duré trente ans. Maurice Bardèche publie le dernier numéro (n° 194) de Défense de l’Occident daté novembre 1982. Dans ses Adieux de Défense de l’Occident, il termine ainsi : J’ai entrepris cette revue par devoir, j’en ai poursuivi la publication par honnêteté, je la cesse sans amertume. Je ne crois pas que les idées que j’ai exprimées aient cessé d’être vraies ou d’être utiles. Je les crois aussi nécessaires qu’autrefois : mais elles ne sont utiles, elles n’ont d’avenir aujourd’hui que si ce sont des hommes jeunes qui les professent et les répandent. C’est à cette condition seulement que la moisson lèvera.
Bibliographie
Maurice Bardèche, L’œuf de Christophe Colomb. Lettre à un sénateur d’Amérique, Les Sept Couleurs, 1951.
Maurice Bardèche, Souvenirs, Editions Buchet/Chastel, 1993.
Francis Bergeron, Qui suis-je ? Maurice Bardèche, Éditions Pardès, 2012.
Notes:
[1] Dans ses Souvenirs (publiés en 1992), Bardèche nuance quelque peu : « Nous étions manifestement indifférents à l’unité économique de l’Europe qui était la préoccupation principale des gouvernants de cette époque quand ils parlaient de la construction de l’Europe. Il était visible, sans que ce soit clairement exprimé nulle part, que, pour nous, l’Europe était une union politique et militaire et rien d’autre (…) ». En fait, la critique constante de Bardèche concerne la société marchande américaine et il précise : le principe sur lequel reposait ma conception de l’Europe était la subordination du mercantile au politique.
[2] Editions Les Sept Couleurs, 1948.
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mercredi, 07 avril 2021
Guérilla culturelle: retrouver les idéaux de la civilisation européenne
Guérilla culturelle: retrouver les idéaux de la civilisation européenne
par Helena Kovacic
Ex: https://lesmoutonsenrages.fr/
« Que le spartiate en nous réponde donc à l’heure du péril, et même qu’il veille toujours en chacun de nous (…), mais qu’il sache qu’il n’est là que pour protéger le Sudiste en nous, pour lui permettre d’être. »
Le texte qui suit est une fiche de lecture du livre « Sparte et les Sudistes », un essai de philosophie politique de Maurice Bardèche.
Manuel de guerre et de guérilla culturelle
Écrit en 1969, au cœur du tournant civilisationnel occidental, Sparte et les Sudistes est plus qu’un essai de philosophie, c’est un manuel de guerre.
Guerre contre soi d’abord, puisqu’il nous enjoint à demeurer à notre place : de la même manière qu’Otto Weininger (1) analyse les rapports humains par le prisme H / F « purs », avec tout ce que le réel compose de nuances, Maurice Bardèche dépeint deux types d’hommes que l’on trouvera en chacun de nous à divers degrés, en précisant qu’au « moment du péril », le Spartiate devra se sacrifier pour que les Sudistes puissent durer, continuer à vivre, et « féconder l’Histoire ».
Le Spartiate est le guerrier déterminé et protecteur, le sacrifié, tandis que le Sudiste est celui à qui incombe le devoir d’assurer la pérennité de la Cité, en maintenant le feu de la civilisation allumé. Chacun sait que « tous ne peuvent pas être des héros ».
C’est aussi un manuel de guérilla culturelle. Faut-il que nous ayons sombré complètement pour ne pas nous apercevoir que nous en sommes au stade où le simple rappel des évidences est devenu périlleux, et que nous sentions chacun, de manière plus ou moins prégnante dans nos vies, se resserrer l’étau d’un monde que nous n’avons pas choisi, et contre lequel nous peinons à lutter, dans un combat interne permanent.
« Je n’ai pas sorti mes drapeaux pour la victoire des démocraties. Je me sentais en quarantaine : il me semblait que toute une partie de moi avait été vaincue. »
Maurice Bardèche, né en 1907 et mort en 1998, qui fut l’ami et le beau-frère de Robert Brasillach (2), est issu de la tradition républicaine la plus classique. C’est en classe d’hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand qu’il se lie d’amitié avec Robert Brasillach (fusillé le 6 février 1945) et l’écrivain Paul Gadenne (3), puis à l’École Normale Supérieure, qu’il fait la connaissance de Simone Weil (4), entre autres. Après avoir été reçu à l’agrégation des lettres en 1932, il consacrera sa vie à l’enseignement, à l’écriture, et de façon plus ponctuelle à la politique. En 1948, après l’assassinat de son beau-frère, il publie Nuremberg ou la Terre Promise (5), livre pour lequel il sera condamné à un an de prison ferme et 50 000 francs d’amende pour « apologie de crimes de guerre ». Bien qu’étant un écrivain de grande qualité (il écrit à propos de Stendhal, Louis Ferdinand Céline, Flaubert également), son engagement intellectuel et moral fera de lui un maudit parmi les lettrés, de telle sorte qu’il est aujourd’hui très peu lu, et connu moins encore, y compris parmi les intellectuelles, les gens de lettres.
Êtes-vous un Spartiate ou un Sudiste ?
L’essai qui nous intéresse ici ne fait finalement que nous rappeler, à travers ces deux archétypes que sont le Spartiate et le Sudiste, ce que des centaines d’années d’histoire européenne ont forgé d’hommes.
Il en décrit les qualités indispensables, et prend le soin de préciser qu’elles doivent être « au-dessus de tous les avantages donnés par la naissance, la fortune, les alliances », enfin que « c’est cette hiérarchie (…) qui choisit l’élite en considération de ces seules qualités » : « le sentiment de l’honneur, le courage, l’énergie, la loyauté, le respect de la parole donnée, le civisme ».
Le prologue de son livre se termine néanmoins par un constat froid, que l’on pourrait reprendre à notre compte encore en 2021, à propos de l’état d’esprit général de nos contemporains :
« Et si tant de gens se laissent faire sans protester l’opération qu’on fait aux matous pour les transformer en chats paisibles, c’est en grande partie parce qu’ils ne voient pas très bien à quoi peut leur servir ce qu’on leur enlève, ils pensent même confusément que cela ne peut servir qu’à de vilaines choses. »
A nous, donc, la charge de rappeler aux châtrés de notre époque que la virilité c’est vir, virtus, à savoir l’ensemble des qualités qui font la valeur de l’homme, moralement et physiquement.
Car si Sparte et les Sudistes est un manuel de guerre, il l’est aussi précisément parce qu’il désigne et décrit notre ennemi, son mode d’action, et comment le combattre : l’ennemi, c’est d’abord soi -même et c’est donc aussi l’ensemble des promoteurs de confort, toute la société du spectacle, toute la société de consommation, la novlangue que nous connaissons aujourd’hui, puisque le danger ne paraît pas urgent. Or le danger est là mais il est invisible ce sont les esprits vidés de toute substance.
Enfin, le livre Sparte et les Sudistes est aussi, une vision de de l’homme et du monde profondément chrétienne, nous remettant chacun à notre place et nous rappelant comme en un dernier avertissement la juste charge que chacun de nous doit accepter de porter si l’on veut durer encore un peu dans l’histoire au niveau collectif.
Sur la route du progrès
Pour mieux comprendre la tournure d’esprit de Maurice Bardèche, commençons par nous pencher sur le premier chapitre intitulé Sur la route du progrès : ce qu’il nomme progrès, c’est l’effet sans cesse renouvelé, mis en action, de la révolution industrielle, menée par une caste d’hommes qui en tire profit, au détriment de l’humain.
Selon lui, l’uniformisation des existences paraît être un effet inéluctable de la civilisation industrielle, l’alignement conformiste, un effet transitoire de la propagande.
Pour l’auteur au contraire, « ces résultats proviennent de l’application d’un même mécanisme de l’abrutissement, il s’agit dans les deux cas d’une rationalisation de l’être humain, qui porte sur la vie extérieure d’une part et sur la vie intérieure d’autre part, et qui a pour objectif le descellement, l’extirpation et la destruction de toute personnalité. ».
Il souligne ici ce que collectivement nous devrions tous voir, que le prétendu progrès, qui a viré au progressisme aujourd’hui, a une conséquence en grande partie néfaste pour l’essentiel des hommes.
Un point essentiel de ce premier chapitre est de nous montrer que le rejet de notre part animale, loin de nous propulser sur la voie de notre plus grande humanité, nous retire précisément ce qui faisait le fondement de notre vocation d’homme. La part animale des hommes leur a permis pendant des millénaires de se projeter vers le Ciel : cette animalité « lui rappelle sa vocation paysanne, sa vocation familiale, sa vocation de défenseur et de petit souverain de sa maison et de son champ, elle le remet à tout moment à l’échelle humaine ». C’est par ce rapport et ce retour qu’elle le protège contre les passions destructrices des hommes, contre le déchaînement planétaire de la cupidité ou des idéologies. »
Ce qui menace, donc, ce n’est pas simplement une décrépitude de l’homme, c’est purement et simplement la disparition de l’homme, par son besoin devenu existentiel de la machine, qui le dépossède de lui-même : Bardèche dit que « la conscience qui était un cri dans nos poitrines est devenue un instrument de travail. ».
Mais l’auteur ne se contente pas de décrire l’effondrement de l’âme humaine ainsi que de son corps, il présente aussi l’arme et celui qui la tient.
L’arme, c’est, dit-il, quelque chose d’infiniment plus raffiné, pervers et dérivant, c’est « l’invasion permanente et la cohabitation forcée de la publicité. ». Qui se dérive aujourd’hui en toutes choses qui constitue notre environnement, y compris nous-mêmes ou nos semblables, qui s’en font le relai permanent.
« Nous marchons comme des forçats sur les berges du beau fleuve Vendre-Vendre-Vendre le long duquel nous halons le bateau des prêteurs. Les yeux fixés sur la balance des exportations, sur le cadran de la circulation monétaire, les ingénieurs ajustent et généralement raccourcissent la longe qui nous permet nos propres mouvements. Au-dessus d’eux, point de princes, point de fouets qui tournoient. Ils calculent, pilotent, répartissent. Ils gardent pour eux quelques rares clous d’or et nous distribuent les billes d’agate que nous appelons nos joies et nos libertés. ».
Ce « viol des consciences », cet abrutissement, doit être, selon lui, endigué par une
« option morale » qui se distingue de Washington et Moscou (nous sommes en 1969 en pleine guerre froide), c’est « l’idée même de l’homme qu’il faut restaurer », et le mot d’ordre, c’est tout simplement « Souvenez-vous de vivre. ».
Biographie intellectuelle d’un nationaliste
Avant de s’attaquer à la description de l’homme, précisément, Bardèche fait un aparté dans lequel il présente les raisons de son engagement moral et politique dans le chapitre intitulé Biographie intellectuelle d’un nationaliste, dans lequel il décrit aussi les détails historiques qui ont amené au désastre humain qu’il constate. Il décrit notamment le renversement des valeurs rendu possible par la puissance des canaux publicitaires notamment, dans un très long passage que je ne cite pas en entier :
« Nous avions l’impression qu’une humanité inférieure s’était arrogé le pouvoir parmi les hommes (…). Nous détestions cette intrusion dans nos âmes par mille canaux qui diffusaient une nourriture abjecte (…). Le monde mercantile nous habillait de force par ses guenilles. Insensiblement, les hommes s’engourdissaient sous l’effet de ce poison répandu en musique, ils devenaient ce qu’on leur disait d’être. Nous avions l’impression de vivre dans un pays occupé (…). »
On remarquera que sa description des hommes qui faisaient alors la politique pourrait être reprise mot à mot pour nos politiciens contemporains, je cite :
« On trouvait dans leurs carrières l’indiscipline, la déloyauté, l’asservissement à l’étranger, la haine, le meurtre, le mépris de la justice, l’ignorance de toutes les formes de générosité. Enfin, ils étaient tout le contraire de ce qu’il aurait fallu qu’ils fussent pour inspirer le respect. (…) Ils avaient systématiquement persécuté la loyauté, le courage, le civisme, chaque fois qu’ils les avaient rencontrés, et ils les avaient calomniés et salis. »
Non pas nostalgique mais soucieux de faire perdurer certaines qualités d’un monde auquel il est attaché, il s’interroge, « Est-ce qu’il y a des formes du bonheur, des recettes de la vie qui sont perdues à jamais ? »
L’idéal Spartiate
En regard des valeurs qui infusent dans les années 1960, et de l’homme déloyal et servile que décrit précédemment, Bardèche va tisser son fil d’Ariane d’une civilisation européenne qu’il appelle de ses vœux.
Avant tout, il rappelle qu’« en chacun de nous se trouve quelque aspiration qui nous entraîne tantôt vers Sparte, tantôt vers les Sudistes. La plupart du temps, ce sont les circonstances qui nous amènent à soutenir une conception spartiate, tout en regrettant qu’elle ne fasse pas plus de concessions aux Sudistes, ou, inversement. »
Ces deux concepts vont lui permettre d’articuler des tendances humaines, sur les plans de la sociologie et de la biologie, mais également des tendances politiques, puisqu’en se référant à ces deux entités combattantes, chacune à sa manière, il parvient à décrire des types d’hommes qui peuvent être à l’origine d’une cité « idéale ». Une cité idéale qui serait tout simplement capable d’une adaptation à de multiples circonstances, de la défense avec l’hoplite spartiate (le guerrier), à la garantie de la perpétuation de la tradition (l’insoumis sudiste). Avec ces deux tendances, nous pouvons refonder le sens en permanence face aux évolutions.
Ainsi dit-il du Spartiate, « avant tout, Sparte est une certaine idée du monde et une certaine idée de l’homme. C’est pour cela qu’elle fait peur. Sparte croit que, finalement, c’est l’épée qui décide. Qu’on ne peut échapper à son verdict. Que le nombre des vaisseaux et le marbre des portiques, que les palais et les soieries (…) ne sont que des girandoles, des marottes de cristal, des lampions qu’une tempête peut éteindre et briser tout à coup : et qu’il faut être prêt pour cette tempête. Qu’on n’a point de liberté sans cela et que les cités qui oublient que la liberté se défend à chaque instant, sont déjà, sans le savoir, des cités esclaves. »
Nous voyons donc que le Spartiate représente cette puissance ultime et primordiale, qui méprise les biens terrestres et ne reconnaît que la valeur d’une vie vécue à protéger la liberté.
« L’homme de Sparte, même s’il a eu beaucoup moins de droits, il a eu l’impression que sa vie était utile, que sa vie brève et unique ne lui a pas été dérobée mais qu’elle prolonge un élan qu’il sent en lui et qu’elle tend obscurément à quelque avenir qui lui donne un sens. »
On notera au passage l’opposition de Bardèche à une quelconque démocratie, car les qualités d’hommes nécessaires à l’âme spartiate sont éminemment rares, de l’ordre du « moine-soldat » selon lui.
L’auteur est sans concession lorsqu’il énonce que « l’épée coupe tous les liens : il n’y a pas de sac d’or qui l’emporte dans la balance où Brennus a jeté la sienne. Le vrai socialisme, c’est la loi du soldat. Combattre la puissance de l’argent, c’est remplacer la puissance de l’argent. Quand les qualités d’homme seront notre référence et notre guide, notre vie ne sera plus une botte de foin que n’importe quelle fourche peut lancer sur la meule. Chacun de nous répondra à lui-même de ce qu’il aura été. »
Ainsi s’achève sa description du Spartiate : voici qu’il a posé les conditions d’existence de ce type d’homme, rustique, mais n’obéissant qu’à sa propre loi (« le spartiate est seul en face de son devoir et de sa conscience »), celle du plus grand honneur, au prix d’une vie de renoncement au service de la Cité.
L’idéal Sudiste
Mais de quelle Cité parle-t-on ? Certainement pas la démocratie libérale actuelle, qui n’est pas issue de la Grèce antique, mais de ce que l’auteur nomme la « victoire des Yankees » s’opposant aux Sudistes :
« Victoire d’une certaine morale et avec elle d’une certaine conception de l’homme et de la vie. C’est le rationalisme qui triomphe et, avec lui, les grands principes qu’on proclame et qu’on n’applique pas, et, après eux, c’est le dollar dont le culte s’installe et, avec le dollar, les aciéries et au-delà des aciéries, le fonctionnalisme, et, à l’horizon de tout cela, la société de consommation, la monotonie, et, les longues, les immenses plaines de l’ennui et de l’absurdité. »
Voici donc ce qui fait le Sudiste pour Bardèche, en opposition au Yankee et à l’homme robot, et en complémentarité avec le soldat Spartiate :
« À la rectitude correspond la modération qui est l’équilibre d’un grand caractère, et, dans les manières, la politesse qui implique le contrôle de soi, la modestie et les égards dus aux autres. Au courage correspond la bonté du fort et notamment la générosité envers l’ennemi vaincu. (…) Enfin, à la loyauté correspond l’estime pour ceux qui refusent le mensonge et l’équivoque, l’égalité qui leur est consentie et, en contrepartie, la séparation qui relègue ceux qui refusent cette rigueur, ceux que leur métier invite à la flagornerie, à l’artifice ou à la fraude.
Le marchand est exclu par cette morale de l’intransigeance : non pour ses richesses, mais pour l’origine servile de ses richesses.
Tel est le fond de la morale sudiste qui n’est rien de plus que la résonance sur toute la vie de la morale virile quand les religions et la métaphysique ne l’altèrent pas. »
On pourrait dire du concept du Sudiste qu’il est la morale-même, l’instinct retrouvé de l’homme, le bon sens que certains trop sûr de leur savoir technicien, raillent en permanence :
« Je crois que le Sudiste, au contraire, aime son destin d’animal et ne s’y dérobe pas. »
La civilisation européenne des Spartiates aux Sudistes
Voici le chemin que nous devons retrouver pour Bardèche :
« L’affection des enfants au père est sudiste, la douceur du commandement est sudiste, et aussi la confiance, le respect. (…) Les rites sont sudistes, ils sont les formes consacrées de la sagesse naturelle. (…) Les Sudistes sont une espèce d’hommes qu’on retrouve dans toutes les races et à travers tous les continents. L’amour est sudiste : il est la forme de ségrégation la plus impertinente. L’érotisme est, au contraire, un produit des systèmes et de la falsification. Les femmes énergiques sont un produit sudiste (…) elles sont naturellement patientes et résistantes (…) et elles tirent au fusil aussi bien que n’importe qui. Les Sudistes aiment que les femmes soient vraiment des femmes et que les hommes soient vraiment des hommes. Mais ils se passent en ces matières des conseils de la publicité. »
Nous voyons donc que ces caractéristiques dépeintes dans chacune des deux conceptions peuvent être trouvées dans chacun de nous à des degrés divers, mais on peut aussi dire qu’elles correspondent à deux entités qui se répondent, l’État (c’est Sparte, avec la potestas, le pouvoir qui entraine le devoir de protéger et de combattre), et la Morale (Sudiste, qui possède le devoir de conserver et de prolonger).
« On est Spartiates ou on est Sudistes, selon les temps et les circonstances. » dit Bardèche. Comme un écho qui devrait fortement résonner à nos oreilles en cette année 2020, « Sparte est un style que l’état d’urgence impose à une génération. Les Sudistes sont des éleveurs. Il y a quelque chose du patriarche en eux. (…) Les Spartiates sont des chirurgiens. Ils savent qu’on ne peut plus attendre. ».
Un renouveau civilisationnel, à commencer par soi-même
Maurice Bardèche termine de façon intéressante son essai sur un chapitre qu’il intitule Au Royaume d’Utopie.
Selon lui « Le meilleur des Etats serait celui dont Sparte fournirait l’armure et les Sudistes la pensée. (…) Ce royaume d’Utopie qui combinerait les vertus de Sparte et les aspirations des Sudistes, on n’en peut décrire l’image idéale en construisant une de ces villes que les peintres du XVème siècle ont représentées au fond de leurs tableaux et qui rassemblent derrière les murs d’une seule cité toutes les coupoles et toutes les tours qui étaient célèbres dans la chrétienté (…). Car nous bâtissons sur quelque-chose qui existe. Ni les Spartiates ni les Sudistes ne se proposent de raser nos villes et d’en élever de différentes sur le désert qu’ils auraient créé. »
L’auteur spécifie bien ici qu’il ne s’agit pas de rêver d’un monde idéal, pas plus que de détruire le monde dans lequel nous vivons pour rebâtir sur des cendres. « Mais un esprit nouveau peut souffler sur le monde dans lequel nous vivons et le transformer. C’est d’une hygiène des cerveaux et d’une redistribution des pouvoirs dont nous avons besoin.
Il précise que « pour qu’une élite se dégage véritablement, il faut (…) qu’il y ait une lutte. Cette lutte doit être assez égale pour que l’issue n’en soit pas prévisible d’abord, assez longue pour qu’elle exige de lourds sacrifices, assez âpre pour qu’elle engage de gros tonnages d’énergie, assez dramatique pour qu’elle soit une occasion d’héroïsme : et il faut encore que cette lutte ait un sens parfaitement clair et qu’on sache, non seulement à quoi on veut échapper à tout prix, mais aussi ce qu’on veut établir. »
Ainsi nous faudra-t-il lutter, et lutter d’abord contre soi pour retrouver la part de sudiste et de spartiate en nous, et lutter évidemment à tout niveau qu’il nous sera donné de vivre, pour infuser dans la cité nos idées, ainsi que nous-mêmes, comme modèle, et si ce n’est pas nous, ceux qui viendront après nous, et auxquels nous aurons transmis cet héritage.
« Bien sûr, on peut être dupes. C’est un risque, il faut le savoir. Mais après tout, malgré ce risque, n’est-ce pas la seule chance réaliste qui soit offerte aux hommes qui ont quelque volonté ? ».
Héléna Kovacic
Bibliographie
1) Otto Weininger, 1880 – 1903, Sexe et Caractère,
2) Robert Brasillach, 1909 – 1945, on pourra lire Poèmes de Fresnes, 1945 ; Anthologie de la poésie grecque, 1950 ; Barrès, Proust, Maurras, Colette, Giraudoux, Morand, Cocteau, Malraux, etc., 1935 ; La Conquérante, 1943 ; Le Procès de Jeanne d’Arc, 1932 (réédité chez Kontre Kulture).
3) Paul Gadenne, 1907 – 1956, on pourra lire (publications posthumes) Siloé, 1974 ; Les Hauts-Quartiers, 1973 ; Le vent noir, 1983 ; La Plage de Scheveningen,
4) Simone Weil, 1909 – 1943, on pourra lire Sur la Science, 1932 ; L’iliade ou le poème de la force, 1939 ; Notes sur la suppression générale des partis politiques, 1940 ; La pesanteur et la grâce, 1940 ; L’enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, 1943.
5) Maurice Bardèche, 1907 – 1998, Nuremberg ou la Terre Promise,
6) Francis Bergeron, journaliste (Présent, Le Quotidien de Paris), écrivain, scénariste de B.D. On pourra lire sa série de « Qui suis-je ? » Léon Daudet, Saint-Loup, Maurice Bardèche, Jean Mabire, Degrelle,
7) Karel Čapek, 1890 – 1938, il a notamment traduit en Tchécoslovaque Molière et Apollinaire, mais il est surtout connu pour avoir initié le genre littéraire de la Science-Fiction, R.U.R. 1920, sous le format du théâtre, et pour être un précurseur peu connu des œuvres d’Orwell, Huxley ou encore Zamiatine. On pourra lire L’année du jardinier, 1929 ; Voyage vers le Nord, 1936 ; La Guerre des salamandres, 1936.
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vendredi, 20 octobre 2017
Yannick Sauveur présente Jean Thiriart
Yannick Sauveur présente Jean Thiriart
Entretien avec Yannick Sauveur, biographe de Jean Thiriart
Propos recueillis par Robert Steuckers
Comment avez-vous connu l’œuvre politique de Jean Thiriart, dans quel contexte l’avez-vous rencontrée, ensuite comment avez-vous connu personnellement Jean Thiriart ? Vous évoquez des balades en forêt et en mer…
En France, le militant de base ignorait l’existence tant de Jeune Europe que de Jean Thiriart, d’une part en raison de l’interdiction de Jeune Europe mais également du fait du black out des organisations françaises concurrentes, j’aurai l’occasion d’y revenir plus tard. J’ai donc fait la connaissance avec les idées de Thiriart assez tardivement, en fait quand j’ai rejoint l’Organisation Lutte du Peuple (en 1972, je crois) qui avait été fondée par Yves Bataille, lequel venait de quitter Ordre Nouveau. Grâce à Yves Bataille, l’OLP a produit un discours européiste cohérent dans la filiation des idées exprimées dans le livre de Thiriart : Un Empire de 400 millions d’hommes L’Europe, Bruxelles, 1964.
Par ailleurs, Lotta di Popolo en Italie, antérieure à l’OLP France, puisque sa création est grosso modo concomitante de la disparition de Giovane Europa, était dans la filiation directe des idées développées en Italie par les dirigeants italiens de Giovane Europa, dont il faut rappeler que c’était le réseau le plus important en Europe avec ses propres publications dont La Nazione Europea. À l’occasion d’un périple dans plusieurs pays d’Europe, Yves Bataille, quelques militants de l’OLP et moi-même, nous avons souhaité rencontrer Jean Thiriart, lequel était retiré, à l’époque, de toute activité politique. Nous l’avons vu à son magasin (Opterion, avenue Louise), ce qui n’était évidemment pas le meilleur endroit pour faire connaissance. L’accueil fut plutôt froid. À cela plusieurs raisons : Thiriart était méfiant de nature et, trop absorbé par ses activités optométriques, ne voulait plus entendre parler de politique. Sa femme, Alice, qui n’était pas sans influence sur lui, craignait plus que tout que le virus de la politique le reprît. En fait, ainsi qu’il l’expliquera plus tard, il ne voulait plus être chef de mouvement et il se méfiait terriblement des militants, jeunes de surcroît, et le fait de nous être présentés à plusieurs n’était pas forcément la meilleure idée pour une entrée en matière. Bref, cela aurait pu être sans lendemain si je n’avais tenté de reprendre contact personnellement (à l’été 1974, de mémoire) et là, ô surprise, j’ai trouvé un autre homme, d’un contact facile voire chaleureux. L’homme privé était infiniment différent de l’homme public et ceux qui ont pu le côtoyer dans ces circonstances sont unanimes pour reconnaître l’empathie qui se dégageait du personnage. Dès lors, nos relations ont duré jusqu’à sa mort, en novembre 1992.
Effectivement, nous nous rencontrions chez lui, mais nous ne faisions qu’y passer, et soit nous allions faire du bateau en mer du Nord (son bateau était à Nieuwpoort), soit nous allions marcher (parfois faire du ski) dans les Ardennes belges où il avait son camping-car. Alice avait de réels talents de cuisinière et après une marche de 20 à 25 kilomètres à un pas soutenu, un repas copieux était le bienvenu. Il nous est arrivé également de nous rencontrer en forêt de Compiègne mais également, assez fréquemment, chez moi, lors de ses venues au salon de la navigation. Il avait l’habitude d’apporter deux saumons fumés et deux bouteilles de champagne pour quatre. C’est dire qu’avec le temps, une certaine proximité s’est installée.
Vous évoquez -et vous promettez d’approfondir- l’histoire des initiatives européistes d’avant-guerre et l’existence de l’AGRA (« Amis du Grand Reich Allemand »), où Thiriart aurait milité pendant la deuxième occupation allemande de la Belgique. Que représentent ces mouvements ? Que voulaient-ils atteindre ? Y a-t-il, finalement, une filiation avec le corpus des idées de Thiriart ?
Thiriart a effectivement appartenu aux « Amis du Grand Reich Allemand » (AGRA) qui a été présentée comme étant la « collaboration de gauche » par opposition à REX (Léon Degrelle). C’est en raison de son appartenance à l’AGRA qu’il est arrêté et condamné. Il ne semble pas qu’il ait eu une grande activité politique pendant la guerre et lui-même, dans une lettre adressée au journaliste Abramowicz (1992), écrit : « ma collaboration à l’AGRA était quasi nulle. C’est là une façade sans plus ». C’est effectivement vraisemblable dans la mesure où il a été condamné à une peine relativement légère (et il comparait libre à son procès) dans un pays où les tribunaux avaient plutôt la main lourde (plus qu’en France). Mes centres d’intérêt ne m’ont pas porté à étudier les mouvements collaborationnistes en Belgique, en général ni l’AGRA en particulier, mes renseignements sont des plus succincts. Il est vrai aussi que l’AGRA, à la différence de REX, est assez confidentielle, les Allemands souhaitant sans doute, via l’AGRA, contrebalancer l’influence de Rex. Je ne pense pas que son appartenance à l’AGRA ait eu une influence quelconque dans le corpus des idées de Thiriart. À mon sens, la construction idéologique de Thiriart ne viendra que beaucoup plus tard. Ses lectures en prison (1944-45) sont assez classiques : Nietzsche, Platon, Bergson, Marc-Aurèle, André Gide, Aldous Huxley, Anatole France,… Ce sont des lectures littéraires, philosophiques.
S’il fallait trouver une filiation, il faudrait plutôt la rechercher auprès de l’Union Jeune Europe et des époux Didier (Lucienne et Edouard) qui publient à Bruxelles le bulletin Jeune Europe (26 numéros entre janvier 1933 et juin 1936). Les époux Didier vont être très actifs avant et pendant la guerre jusqu’à créer en 1941 la Société Anonyme des Éditions de la Toison d’Or. Or, Thiriart ne pouvait pas ne pas connaître cette Jeune Europe et curieusement, il n’en parle pas, ne la cite pas alors qu’il mentionne La Jeune Europe (d’un intérêt assez limité) éditée à Berlin pendant la guerre par les Échanges culturels inter-universitaires. Je n’ai pas d’explication au fait que Thiriart occulte la Jeune Europe des époux Didier. Elle n’est citée qu’une seule fois, à savoir dans un numéro de L’Europe Communautaire (mars 1965), mais le paragraphe relatif à cette « deuxième apparition » de « Jeune Europe » (la « première apparition » étant la « Jeune Europe » de Mazzini) est purement et simplement barrée dans l’exemplaire personnel de la collection Thiriart.
Vous parlez de Thiriart comme d’un personnage qui a évolué dans sa pensée, sa vision d’Europe, sa vision géopolitique. Quelles sont les principales étapes de cette évolution ?
Il y a aussi une autre évolution de Thiriart dont vous ne parlez pas et qui est celle de l’homme. Chef de mouvement, homme d’action voire activiste, il l’est pendant cette phase de son activité politique, la plus connue, celle qui va de 1960 à 1969. Thiriart ne manquera jamais une occasion d’évoquer cette évolution, en l’espèce une rupture, pour exprimer en premier lieu le fait qu’il ne reviendrait plus jamais à la tête d’un mouvement ou parti politique, en second lieu qu’il allait pouvoir dire et écrire le fond de sa pensée alors qu’auparavant, il était prisonnier d’une clientèle. Parlant de cette époque (les années 60), il n’aura pas de mots assez durs pour les « petits imbéciles de l’extrême-droite », le « carnaval romantique » (Guevara, Mao, Drieu, Brasillach).
S’agissant de l’évolution de sa pensée, elle est progressive et se fait par étapes même si très rapidement, la tendance européenne du mouvement est présente dès le début du mouvement via une Chronique de la Nation Européenne écrite par Thiriart sous pseudonyme. Très vite également, il développe le fait que le Congo n’est pas un problème belge, que l’Algérie n’est pas un problème français. Le combat pour l’Algérie française doit se situer à l’échelle européenne. L’Algérie est européenne. Le raisonnement de Thiriart constitue, pour l’époque, incontestablement une originalité.
Le rapport Thiriart/Bardèche est intéressant. Quel fut-il ?
Thiriart avait une relative admiration pour Maurice Bardèche, il écrira d’ailleurs : Sur le plan intellectuel je n’ai rencontré que deux hommes de valeur : Bardèche et Mosley.
Thiriart et Bardèche n’ont guère eu de contacts, ils se sont rencontrés au début des années cinquante en Espagne. Lors de la reprise de contact au début des années quatre-vingt, Thiriart évoque l’ouvrage en chantier, celui de l’Europe de Vladivostock à Dublin. Bardèche montre un certain scepticisme : Je ne vois pas très bien comment on peut répercuter vos idées ni même comment on peut parvenir à les faire connaître au public. Votre analyse géopolitique et stratégique me paraît malheureusement excellente, mais je ne suis pas du tout d’accord avec les données psychologiques. Le marxisme-léninisme est une religion et procède comme toutes les grandes religions conquérantes. Elle n’offre pas d’autre alternative que celle qui était offerte autrefois par l’Islam : conversion ou extermination. Ce choix final me paraît avoir une certaine importance dans notre détermination. En fait, les deux hommes sont sur des longueurs d’ondes différentes. L’intellectuel littéraire qu’est Bardèche ne peut évidemment souscrire aux thèses de l’homme d’action qu’est Thiriart ni à ce qu’écrit (20/11/1981) ce dernier à Bardèche dont il faut rappeler qu’il est le fondateur et directeur de Défense de l’Occident (sic) : l’Occident doit crever. Il ne faut rien faire pour le sauver. En clair, deux visions opposées : l’une de droite assez classique, l’autre révolutionnaire et pratique. Malgré cette opposition non dissimulée, Thiriart reconnait une qualité à Bardèche : le courage.
Au détour d’un paragraphe, vous parlez de l’intérêt que Thiriart portait à la Chine. Cela n’a jamais vraiment transparu dans ses écrits. Qu’en dites-vous après avoir examiné toutes ses archives ?
Effectivement, cet intérêt ne transpire pas dans ses écrits politiques. Je pense que Thiriart était assez pudique et il avait le souci de mettre une barrière entre vie privée et vie publique. Dans son journal, il évoque « mon ami le peintre chinois » qu’il connaissait déjà en 1942, Thiriart a alors vingt ans. Ce peintre s’appelle SADJI (ou SHA QI), il est né en 1914, donc de huit ans plus âgé que Thiriart. Il vit en Belgique. C’est un peintre d’un certain renom (peinture, dessin, aquarelle). Artprice, le leader de l’information sur le marché de l’art, recense 465 adjudications des œuvres de cet artiste (315 en peinture, 150 en dessin-aquarelle). Jean Thiriart a été initié à l’écriture chinoise grâce à son ami Sadji et il va l’étudier pendant trois années (Je connais particulièrement bien l’histoire de la Chine pour avoir été pendant 3 ans, dans ma jeunesse, un étudiant en écriture chinoise, in 106 réponses à Mugarza, p.149). Grâce à Sadji (ou indépendamment ?), Thiriart va s’intéresser à la culture chinoise, il avait lu les ouvrages du sinologue Marcel Granet (1884-1940) qui continuent de faire autorité, notamment La pensée chinoise, Paris, 1934.) SADJI, qui avait fait un portrait de Thiriart, est mort en 2005.
Un autoportrait du peintre Sadji
Les rapports complexes entre Thiriart et les mouvements français plus ou moins équivalents devraient intéresser tout observateur des marginalités politiques. Quel regard portez-vous sur ces rapports complexes, aujourd’hui, en 2017 ?
Rapports complexes, oui , ils le furent. Quelles sont les responsabilités des uns et des autres ?
Le temps a passé, bien des acteurs de l’époque ne sont plus. Pour ma part, je n’ai pas vécu cette période (début et milieu des années 60). Avec le recul, les passions n’étant plus de mise, il est plus facile d’évoquer avec quelque objectivité les relations entre Thiriart et les mouvements français.
Avant toute chose, on ne peut oublier que Thiriart a très largement ouvert les colonnes de sa presse aux responsables politiques français dont il est permis de penser qu’ils ont une certaine proximité avec les vues de Thiriart , qu’il s’agisse de Jeune Nation, de la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN), du Front National pour l’Algérie Française, des jeunes du MP 13. Dominique Venner, Pierre Poujade, s’expriment dans Nation Belgique. Il ne faut pas oublier non plus le soutien indéfectible de Thiriart et de son mouvement à l’OAS (reproduction et diffusion du journal de l’OAS-Edition métropolitaine, Appel de la France, sous forme d’un supplément gratuit à Nation Belgique, tiré à 15 000 exemplaires).
Pour répondre à votre question, j’observe que vous évoquez « les mouvements français plus ou moins équivalents », ce qui laisse place à pas mal d’ambiguïtés et m’amène à l’analyse suivante. Quand Thiriart reprend l’action politique avec le CADBA d’abord, avec le MAC ensuite, il n’est pas encore le personnage public qu’il va devenir. Les mouvements qu’il co-anime sont typiquement de droite voire d’extrême droite et de ce point de vue assez comparables à leurs alter ego français, d’où la proximité évoquée précédemment. C’est l’évolution assez rapide de Thiriart qui va entraîner un écart de plus en plus grand, disons schématiquement, entre le discours classique d’extrême droite de la plupart des mouvements français et notamment Europe Action et le discours européen de Thiriart avec cette volonté affichée de dépasser les cadres nationaux. Il y a véritablement deux lignes bien différentes et Thiriart n’a peut être pas su se détacher suffisamment de cette extrême droite qu’il haïssait foncièrement. Il est assez paradoxal que ceux là même qui, en France, dénigraient et/ou se gaussaient de l’évolution de Thiriart, viendront (bien) plus tard sur ses positions, je pense aux héritiers d’Europe Action, FEN et autres. Il était également de bon ton dans la presse dite « nationale » de moquer le prétendu virage « gaulliste » de Thiriart là où simplement, en dehors de tous schématismes politiciens, il fait la part des différentes facettes de la politique du général de Gaulle, en particulier, les aspects positifs de la politique extérieure du général. Il n’est jamais bon d’avoir raison trop tôt. Qui aujourd’hui, en France, ne reconnaît pas le bien fondé de la politique étrangère du général de Gaulle, y compris de la part de ses détracteurs de l’époque. Je rappelle que Thiriart écrivait (22/11/1963) : Par contre, de Gaulle a cent fois raison de prendre ses distances à l’égard de Washington, il a cent fois raison de se méfier des Anglais, il a mille fois raison de vouloir un armement atomique, français de naissance, inéluctablement européen de croissance. Cela étant, au-delà de la franche hostilité ou de l’indifférence à l’égard de Thiriart de la part des « mouvements français plus ou moins équivalents », à ma connaissance, parmi ces anciens encore en activité aujourd’hui, aucun n’a exprimé publiquement sa dette envers Thiriart.
Un numéro de la revue "Forces nouvelles" (Bruxelles), avec un très long interview de Jean Thiriart
Comment expliquez-vous que « Jeune Europe » n’a jamais connu une renaissance, alors que l’Europe eurocratique de Bruxelles et de Strasbourg s’est tout à la fois construite, en s’agrandissant, et déconstruite, en perdant tout crédit dans le grand public ? Cette absence d’un mouvement européen réellement politique et géopolitique, tant sur l’échiquier politique européen que dans les marges extra-parlementaires des Etats nationaux, explique-t-elle le déclin dramatique de l’Europe d’aujourd’hui ?
Je crois que la question que vous posez se résume malheureusement au fait que l’Europe ne passionne pas (et n’a jamais passionné) les foules. C’était d’autant plus vrai au temps de Jeune Europe, dans les années 60, qu’un mouvement révolutionnaire avait peu de chance de percer dans une société en pleine croissance économique. Depuis les choses ont bien changé, la société du spectacle est passée par là et la lobotomisation généralisée des masses n’est guère favorable à une renaissance européenne tant que n’existe pas une situation de détresse. Les élites, dans tous les milieux, ont bien évidemment intérêt au maintien de ce statu quo qui les arrange bien. Du côté des adversaires de l’Europe de Bruxelles, on trouve un peu tout : des rivalités d’ego, un manque (ou absence) de cohérence politique, de la paresse intellectuelle.
Tout d’abord, on a la caricature de l’anti Europe avec les mouvements et partis nationalistes, le repli hexagonal. L’exemple en est fourni par le Front National qui me semble être l’exemple même du degré zéro de la politique. Il se présente (ou prétend être) un parti anti Système, ce qu’il n’est pas, et cannibalise un capital de voix, non négligeable, en pure perte. Il est le repoussoir idéal qui… consolide le Système. Du côté des souverainistes, de droite ou de gauche, (Chevènement, de Villiers, Dupont-Aignan, Asselineau, Nikonoff,…), leur condamnation (légitime) de l’Europe de Bruxelles les amène à une certaine myopie intellectuelle et une incapacité à penser une Europe indépendante. Enfin, certains de nos amis, dont la sincérité européenne n’est pas en cause, tout en étant partisans d’un État européen, se sont déclarés favorables aux diverses consultations (référendum Maastricht, 1992, référendum traité établissant une constitution pour l’Europe, 2005) car selon eux, il faudrait faire confiance aux structures (à l’effet de masse), avec lesquelles l’avènement d’un Etat européen se fera, inévitablement et mécaniquement. Je n’ai pas besoin de préciser que je ne partage absolument pas cette vision pour le moins optimiste ( !). Les faits, l’évolution de cette Europe-croupion, le déclin dramatique de cette Europe… rien ne semble devoir ébranler les certitudes de ces « Européens ». Je mentionne au passage que même Thiriart, point sur lequel j’étais en désaccord avec lui, était partisan du Oui (pro Maastricht) au référendum de 1992. L'effet de masse n'a nullement empêché la vassalisation, toujours plus grande, de l'Europe à l'égard de la puissance américaine.
Un exemplaire de la revue espagnole "Elementos" qui ne parait que sur la grande toile. Ce numéro est entièrement consacré à Jean Thiriart
Estimez-vous ou non que la revue de géopolitique italienne « Eurasia », patronnée par Claudio Mutti, est le seul avatar positif de « Jeune Europe » de nos jours ?
Vous avez raison d’évoquer Eurasia, l’excellente revue animée par l’infatigable Claudio Mutti qui est sans doute un des plus anciens militants de Jeune Europe encore en activité. Cela étant, ma connaissance du champ politique européen ne me permet pas d’affirmer avec certitude l’inexistence d’autres avatars de « Jeune Europe ».
Comptez-vous rédiger un ouvrage plus complet sur Thiriart, sur « Jeune Europe » ainsi que sur les antécédents « jeune-européistes » d’avant-guerre et sur les avatars malheureux du « thiriartisme » après la disparition de « Jeune Europe » et après la mort de son fondateur et impulseur ?
Avant d’écrire un livre sur Thiriart, il me paraîtrait important d’éditer (ou rééditer) ses écrits, à commencer par les éditoriaux de La Nation Européenne ainsi que 106 réponses à Mugarza, Responses to 14 questions submitted by Gene H. Hogberg pour la revue américaine The Plain Truth. On pourrait y ajouter l’interview publiée dans Les Cahiers du CDPU (1976), les articles parus dans la revue Nationalisme et République (1992). Pour ma part, j’ai obtenu d’un éditeur ami la publication de L’Empire Euro-soviétique. Ce texte qui date de 1985 n’a jamais été publié. Malgré les bouleversements géopolitiques intervenus, ce texte garde, me semble-t-il toute sa valeur de témoignage. Le jeune (ou moins jeune) lecteur découvrira, avec bonheur je l’espère, la vision de grande politique de Thiriart et sa clairvoyance et sa capacité à se projeter dans la longue durée, en dehors des idéologies et des contingences politiciennes (évidemment !). Naturellement, ce texte sera accompagné des observations, notes, mise en perspective nécessaires à une bonne compréhension. En revanche, je ne vois guère d’intérêt à rééditer les écrits antérieurs à La Nation Européenne, qu’il s’agisse du livre Un Empire de 400 millions d’hommes L’Europe (1964) ou de la brochure La grande nation, L’Europe unitaire de Brest à Bucarest-65 thèses sur l’Europe (1965).
Je n’ai pas connaissance qu’il y ait eu quoi que ce soit d’intéressant après la disparition de Jeune Europe et/ou après la mort de Thiriart. Les rares tentatives sont demeurées groupusculaires et n’ont jamais atteint un niveau satisfaisant tant sur le plan de l’organisation supranationale qu’en ce qui concerne la production intellectuelle.
Les antécédents Jeune Europe de l’entre-deux guerres, je pense notamment à la tentative des époux Didier en Belgique, mériteraient assurément une étude approfondie.
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mardi, 10 novembre 2015
Un entretien entre Franck Abed et Georges Feltin-Tracol sur Maurice Bardèche
Un entretien entre Franck Abed et Georges Feltin-Tracol sur Maurice Bardèche
Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com
Roland Hélie, directeur de Synthèse Nationale, avait eu l’amabilité de m’adresser le livre intitulé Bardèche et l’Europe de Georges Feltin-Tracol, publié en 2013. Pour différentes raisons, je ne l’avais pas encore lu et étudié. C’est chose faite maintenant.
Je dois dire que la pensée de Bardèche, en tant que catholique et royaliste, m’est assez éloignée. Pourtant, cela ne m’empêcha point de lire et de grandement apprécier l’excellent Sparte et les Sudistes. En tant que défenseur de l’héritage capétien, partisan de la monarchie universelle et admirateur de l’Europe Impériale, toutes les questions doctrinales et intellectuelles sur l’Europe m’attirent et m’intéressent grandement. Une fois le livre lu, je voulais en savoir plus. J’ai donc demandé à mon ami Roland de me mettre en relation avec l’auteur. Quelques jours après, je recevais un appel téléphonique de Georges Feltin-Tracol. Une longue et sympathique discussion s’en suivit au cours de laquelle nous abordions à battons rompus, Bardèche, l’Europe, l’Empire, le solidarisme, la théocratie, la « droite » en France et les raisons de son échec, les monarchies etc. Ne voulant pas en rester là, je proposais à mon interlocuteur de poursuivre notre échange. Voilà la raison de cet entretien...
Franck ABED
Franck Abed : Maurice Bardèche le jacobin, l’admirateur de la Grande Révolution et des soldats de 1793, a toujours défendu l’idée européenne. N’est-ce pas contradictoire ?
Georges Feltin-Tracol : Avant de répondre à cette question, il faut prévenir le lecteur que Maurice Bardèche est d’abord connu pour avoir défendu toute sa vie son meilleur ami et beau-frère Robert Brasillach dont l’exécution, le 6 février 1945, le traumatisa et transforma un paisible universitaire spécialiste de la littérature française du XIXe siècle en un ardent polémiste et farouche contempteur de l’ordre du monde surgi à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’idée européenne chez Maurice Bardèche est surtout développée dans sa conférence, « L’Europe entre Washington et Moscou » (disponible dans « Maurice Bardèche l’insoumis 1998 - 2013 », dans les Cahiers des Amis de Robert Brasillach, n° 51 - 52), à Anvers en avril 1951, dans L’œuf de Christophe Colomb (1952) et, plus succinctement, dans Les temps modernes (1956), et le fameux Sparte et les Sudistes (1969). Il faut se souvenir qu’en pleine Guerre froide, le succès notable de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951 incite les responsables européistes à envisager deux autres communautés européennes complémentaires, la première pour la défense — sous-entendue contre l’URSS — : la CED (Communauté européenne de défense) et la seconde, politique, la CEP (Communauté européenne politique). Le violent débat sur la CED porte sur le caractère supranational de l’armée européenne, son degré d’intégration de cette armée dans l’OTAN, créée en 1950, et la remilitarisation de l’Allemagne occidentale.
La CED divise toute la classe politique, hormis le PCF et le RPF gaulliste qui lui sont hostiles. Par ses interventions fréquentes, Maurice Bardèche entend contribuer aux discussions publiques en soutenant le projet. Parallèlement, Rivarol se montre lui aussi favorable à ce projet, au contraire de Jeune Nation.
Quand on retrace la généalogie contemporaine de l’idée européenne, on relève l’absence de contradictions avec l’héritage révolutionnaire française dans lequel a grandi le jeune Bardèche. Dans l’opposition jusqu’en 1875, les républicains français sont bellicistes, expansionnistes, nationalitaires, c’est-à-dire favorables à une Europe des nationalités libres qui exista un temps lors du « Printemps des peuples » de 1848. Nonobstant son (néo)fascisme assumé, Maurice Bardèche s’inscrit dans cette tradition politique. Le paradoxe n’est d’ailleurs qu’apparent puisque l’historien italien Renzo de Felice a bien démontré que les principales racines idéologiques du fascisme provenaient du nationalitarisme mazzinien. En admirateur de Metternich et de la Sainte-Alliance, Julius Evola le reconnaissait volontiers.
FA : Pourriez-vous préciser ses grandes inclinations intellectuelles sur l’Europe ?
GF-T : Maurice Bardèche ne fait pas œuvre d’historien. Il puise dans l’histoire des exemples marquants. Quand il rédige L’œuf de Christophe Colomb, il a en tête deux visions d’Europe inachevées ou avortées : l’Europe de la Grande Nation de Napoléon Ier et celle des volontaires européens sur le front de l’Est de 1941 à 1945, la première étant plus prégnante dans son esprit que la seconde.
En 1993, dans ses Souvenirs, des mémoires qui s’arrêtent volontairement à 1958, Maurice Bardèche revient sur son européisme et, dépité par la construction technocratique et marchande de l’Union pseudo-européenne, exprime toute son admiration pour les thèses de Thatcher sur une simple organisation intergouvernementale. En creux s’affirme l’acceptation d’une « France seule » chère à Charles Maurras, constat d’une immense déception et d’une occasion manquée.
FA : L’idée européenne promue par Bardèche est-elle encore défendue par des acteurs politiques contemporains ? Si oui lesquels ? Si non, pourquoi ?
GF-T : Quand on lit avec attention les positions de Maurice Bardèche sur l’Europe, on remarque tout de suite qu’il n’imagine pas un super-État continental centralisé. Mieux que l’économie (Jean Monnet) ou la culture (Denis de Rougemont), il a compris que les meilleurs facteurs d’une réelle cohésion européenne passeraient par la diplomatie et la défense.
« Babar » comme le surnommaient affectueusement les rédacteurs de sa revue, la très mal-nommée Défense de l’Occident, n’est pas un théoricien, ni un constitutionnaliste et encore moins un juriste de profession ; il se veut pragmatique. Il conçoit ainsi une Confédération européenne des États nationaux qui ne concentrerait que quelques attributs, mais des attributs régaliens primordiaux : le domaine militaire et les relations internationales. Cette idée de confédération limitée à ses seules fonctions n’est pour l’heure défendue par personne. Dans les années 1980, l’ancien ministre Michel Jobert exposait cette vision dans le cadre de son Mouvement des démocrates (cf. Vive l’Europe libre ! Réflexions sur l’Europe, Ramsay, 1984). Dans la même période, le solidariste et nationaliste-révolutionnaire Jean-Gilles Malliarakis proposait lui aussi dans Ni trusts, ni soviets (Éditions du Trident, 1985) une semblable solution. Plus récemment, mon vieux camarade Rodolphe Badinand, co-fondateur d’Europe Maxima, exigeait dans Requiem pour la Contre-Révolution (Alexipharmaque, 2008) un noyau confédéral en lieu et place de l’Union soi-disant européenne.
Aujourd’hui, l’idée européenne chère à Maurice Bardèche est en sommeil, oubliée et/ou ignorée des minables politicards. Mais le choc du réel provoquera son surgissement tôt ou tard !
FA : Dans votre livre, une expression de Maurice Bardèche m’a frappé, à la fois par sa pertinence, sa rigueur et sa permanence. Il s’agit de « l’Europe cuirassée ». Pourriez-vous l’expliquer et l’approfondir en quelques mots ?
GF-T : Par la métaphore de l’« Europe cuirassée », Maurice Bardèche veut donner un sens politique à l’Europe qu’il esquisse. En 1951, celle-ci, divisée et amoindrie par deux conflits mondiaux consécutifs et récents, se retrouve en proie à trois menaces considérables : le réveil des peuples de couleur (la décolonisation commence), la menace soviétique qui n’est alors qu’à « deux étapes du tour de France » de Paris et l’occupation étatsunienne. Maurice Bardèche aurait souhaité assister à l’émancipation des Européens. Il aurait aimé que l’Europe nationale proclame sa neutralité et, pourquoi pas ?, prenne ensuite la tête du non-alignement contre le condominium soviético-yankee.
Maurice Bardèche voulait probablement faire de l’Europe nationaliste, voire néo-fasciste, une très grande Suisse, un État neutre et inattaquable du fait d’une redoutable cuirasse : son service militaire de milice civique. On peut même s’avancer à croire que la Confédération européenne fût été le décalque continental de sa consœur helvétique.
Avec l’actualité, il va de soi que l’« Europe cuirassée » prend une autre tournure. Avec l’invasion afro-asiatique en cours orchestrée, payée et encouragée par la Turquie, l’Arabie Saoudite et les États-Unis, l’« Europe cuirassée » impliquerait le rétablissement de frontières strictes tant du point de vue juridique que politique parce que les frontières ne sont pas que territoriales. La préférence nationale, au minimum, est une autre forme de frontière salutaire. À mon avis, toutes les frontières, matérielles et immatérielles, concourent à l’édification salutaire d’une société fermée, autocentrique et autarcique. Bref, l’« Europe cuirassée » signifie « les Européens maîtres chez eux en Europe et prêts pour cela à se battre ».
FA : Quel fut l’impact réel du Mouvement social européen, dont Bardèche fut membre, sur la vie politique ?
GF-T : Dès 1951 et le lancement de la CECA, il est prévu d’instituer un Parlement européen élu au suffrage universel direct, mais le rejet de la CED en 1954 par l’Assemblée nationale française écarta cette option jusqu’en 1979 quand les députés européens remplaceront les parlementaires désignés par les Parlements nationaux. Pour une fois en avance, des formations de droite nationale ont cherché à se regrouper afin d’atteindre un seuil électoral pertinent à l’instar des premiers résultats électoraux prometteurs du jeune MSI (Mouvement social italien).
Reconnu par toute l’Europe des réprouvés grâce à son Nuremberg ou La terre promise (1948), Maurice Bardèche est sollicité pour conduire la délégation française à Malmö en Suède. De cette réunion sort le Mouvement social européen (MSE) dont Bardèche devient l’un des vice-présidents et le responsable du MSE pour la France, d’où la création d’un bulletin de liaison : la future revue Défense de l’Occident.
Si une certaine presse versa dans le sensationnalisme et cria à la renaissance du fascisme ou d’une nouvelle « Internationale noire (ou brune) », l’impact du MSE sur la vie politique française et européenne fut plus qu’insignifiant. Outre le report sine die du scrutin européen, le MSE subit très tôt une scission de la part des racialistes réunis dans le Nouvel ordre européen. Cet échec fut néanmoins profitable puisque une décennie plus tard, le Belge Jean Thiriart lança Jeune Europe avec le MSE en contre-exemple parfait.
FA : Dans votre essai vous ne mentionnez pas la religion en général, ni la religion catholique en particulier. Pourtant, la religion catholique romaine reste un pilier de notre civilisation européenne. Quel était le rapport de Bardèche à la religion catholique ?
GF-T : Maurice Bardèche évoque rarement le catholicisme dans ses écrits. Élevé par l’école des hussards noirs de la IIIe République laïque et ayant grandi dans une famille patriote, anticléricale et radicale-socialiste, c’est un catholique de culture.
La religion catholique romaine reste-t-elle encore un pilier de notre civilisation européenne? J’en doute. Certes, les basiliques des premiers chrétiens, les églises romanes, gothiques, baroques et classiques appartiennent à notre héritage, mais ce n’en est qu’une partie. L’Orthodoxie et même un certain protestantisme en sont d’autres. Avec le concile Vatican II, conséquence catastrophique des conciles antérieurs (Vatican I et Trente), le catholicisme romain a renié sa part européenne, ces syncrétismes singuliers avec les paganismes ancestraux qui en faisaient son originalité.
L’Église de Rome trahit maintenant les peuples autochtones de notre continent au profit d’intrus surnommés « migrants ». Bien que sympathique par certains côtés (son hostilité au règne de l’argent ou son approche de l’écologie malgré son tropisme cosmopolite), l’actuel « pape » conciliaire Bergoglio comme ses prédécesseurs immédiats ne me convainc pas. Pour soutenir un véritable catholicisme de combat, il eut fallu que Mgr. Jean de Mayol de Lupé (1873 - 1955) devînt le souverain pontife, cela aurait eu tout de suite une toute autre tenue !
FA : D’une manière générale, le projet politique de civilisation européenne défendu par Bardèche ou d’autres peut-il se faire sans le catholicisme ?
GF-T : La civilisation européenne ne se réduit pas au seul catholicisme qui lui-même change et se modifie au fil des âges. Les racines spirituelles de l’Europe ne se trouvent pas qu’à Athènes, Rome et Jérusalem; elles plongent aussi dans les traditions germaniques, celtiques, scandinaves, slaves, balkaniques, caucasiennes et même basques et laponnes ! Comme l’affirmait Dominique Venner dans Histoire et tradition des Européens (Éditions du Rocher, 2002), l’étymon européen a au moins plus de 30 000 ans d’histoire. Le christianisme n’est qu’un moment de sa longue histoire. Cette phase historique est d’ailleurs en train de s’achever quand bien même l’abjecte idéologie des droits de l’homme en est la forme sécularisée (pour faire simple).
Une Europe catholique serait un non-sens, sauf si un Prince, Capétien ou Habsbourg, en prenait la direction comme le soutient la sympathique équipe anarcho-royaliste et écolo-décroissante du Lys Noir. Cette Europe-là demeurerait toutefois une portion d’Europe.
La question religieuse n’est pas le meilleur moyen de favoriser la prise de conscience des Européens. Celle-ci ne se cristallisera que face à des périls immédiats, que face à l’irruption d’une altérité menaçante et conquérante. Au-delà des contentieux territoriaux, historiques et confessionnels, les Européens comprendront grâce à l’ethnologie, la généalogie et l’anthropologie qu’ils procèdent d’une substance commune et initiale. Quant à la religion, il est vraisemblable que les techniques les plus sophistiquées favorisent la résurgence et la réactivation des structures anthropologiques de l’imaginaire archaïque européen.
Propos recueillis par Franck Abed.
Le site de Franck Abed cliquez ici
- Georges Feltin-Tracol, Bardèche et l’Europe. Son combat pour une Europe « nationale, libérée et indépendante », Éditions Les Bouquins de Synthèse nationale, Paris, 2013, 130 p., 18 €, à commander sur www.synthese- editions.com ou à (+ 3 € de port), chèque à l’ordre de Synthèse nationale, 116, rue de Charenton, 75012 Paris, (+ 3 € de port), chèque à l’ordre de Synthèse nationale. L'acheter en ligne cliquez là
- « Maurice Bardèche l’insoumis 1998 - 2013 », Cahiers des Amis de Robert Brasillach, n° 51 - 52, 2013 - 2014, 275 p., 40 €, à commander aux Amis de Robert Brasillach (ARB), Case postale 3763, CH - 1211 Genève 3, Suisse, chèque à l’ordre de l’ARB.
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samedi, 07 novembre 2015
Bardèche et Padraig Pearse
Du nouveau à Synthèse Editions, la maison d'édition de Synthèse nationale:
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mardi, 24 mars 2015
Un livre collectif: «Maurice Bardèche l’insoumis»
Un livre collectif: «Maurice Bardèche l’insoumis»
Pierre Le ViganEx: http://metamag.fr
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jeudi, 06 novembre 2014
Maurice Bardèche: Souvenirs
Libre journal d'Anne Brassié sur Radio Courtoisie du 8 mars 1993. Maurice Bardèche était invité pour évoquer son livre "Souvenirs", paru chez Buchet-Chastel.
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mardi, 04 novembre 2014
Bardèche sur Léon Bloy
Anne Brassié recevait le 1 juin 1989 sur Radio Courtoisie Maurice Bardèche, pour son ouvrage sur Léon Bloy, paru aux éditions de La Table Ronde.
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mardi, 18 février 2014
Maurice Bardèche à Lyon le 1er mars
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lundi, 30 décembre 2013
Chronique littéraire: Maurice Bardèche, Suzanne et le Taudis
Chronique littéraire: Maurice Bardèche, Suzanne et le Taudis, Plon, 1957
Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com
« Je rendais grâce au ciel d’avoir fait de moi un cuistre obscur. Et aussi de m’avoir donné un taudis d’une pièce et demie, quand la moitié de l’Europe logeait dans des caves. »
1 – Maurice Bardèche et la politique
2 – Le Taudis, frêle esquif au milieu des flots tumultueux
3 – Un récit sur la condition de l’écrivain dissident
1 – Maurice Bardèche et la politique
La production littéraire de Maurice Bardèche ayant trait à la politique, radicale dans son fond et souvent très attrayante dans sa forme, n’est pas le fruit de l’assimilation particulièrement réussie de la pensée d’illustres prédécesseurs maurassiens, ni même la somme d’un nombre quelconque de réflexions antérieures, forgées à chaud à cette époque désormais révolue où l’expression « presse d’opinion » avait encore un sens. Au contraire, comme le révèle Jacques Bardèche, son propre fils, dans l’entrevue qu’il a bien voulu accorder à nos camarades de MZ récemment, Maurice Bardèche a commencé à vraiment s’intéresser à la politique à partir d’un moment historique bien précis : l’exécution de son ami et beau-frère Robert Brasillach, le 6 février 1945. De fil en aiguille, la pensée politique de Bardèche a donc émergé en réaction à un certain nombre d’événements, qu’il juge insupportables : l’exécution sommaire et injustifiée de son ami, les horreurs de l’épuration, le climat d’hypocrisie exacerbée d’après-guerre… Pour autant, jamais la plume de Bardèche n’accouche de propos haineux, contrairement à ce que laisse souvent entendre une certaine littérature engagée à gauche. Bien loin des pamphlets outranciers de Céline, des présages sombres et du pessimisme de Drieu, des intransigeances de Rebatet ou de Coston, la prose de Bardèche invite souvent le lecteur à entrevoir des rivages plus sereins : la recherche d’une forme d’équilibre, de justice, ou tout simplement de common decency, pour reprendre la formule d’Orwell. La pensée de Bardèche, c’est peut-être d’abord l’expression du bon sens appliquée à la politique. C’est un véritable antidote à la langue de bois.
Suzanne et le Taudis s’inscrit parfaitement bien dans cette forme littéraire très particulière, issue d’une radicalité qui ne sacrifie jamais à l’outrance ou à la provocation. Il en résulte un véritable pamphlet dans un gant de velours
2 - Le Taudis, frêle esquif au milieu des flots tumultueux
D’un point de vue formel, Suzanne et le Taudis se présente comme un récit plein de saveurs axé sur les conditions matérielles de Maurice Bardèche et de sa femme, Suzanne, la sœur de Robert Brasillach, après que le couple, qui habitait jusqu'alors avec celui-ci, se soit vu dépossédé de son appartement, "réputé être indispensable aux nécessités de la Défense nationale" au moment de la Libération.
De logis insalubre en appartement de fortune, en passant, bien sûr, par la case prison, sans jamais d'atermoiements, toujours avec un ton caustique, Bardèche nous livre un florilège de souvenirs où l’on entrevoit pêle-mêle d’indolentes femmes de chambres, de vertueux jeunes garçons animés d’idéaux maudits, d’improbables compagnons de cellules, mais aussi de bien espiègles marmots.
On croise au fil des pages de nombreux intellectuels plus ou moins proches de Bardèche : François Brigneau, Roland Laudenbach, le célèbre dessinateur Jean Effel, Marcelle Tassencourt et Thierry Maulnier, Henri Poulain, ou encore Marcel Aymé, à propos duquel Bardèche écrit : « il a l’air d’un saint de pierre du douzième siècle. Il est long, stylisé, hiératique, il s’assied tout droit, les mains sagement posées sur les genoux comme un pharaon et il fait descendre sur ses yeux une sorte de taie épaisse pour laquelle le nom de paupière m’a toujours paru un peu faible ». Cette icône byzantine incarnée, sans partager nécessairement les idées politiques de Bardèche, engage pourtant une campagne en faveur de celui-ci à l’occasion de son procès, dans un article publié dans Carrefour le 26 mars 1952, intitulé « La Liberté de l’écrivain est menacée ».
On découvre aussi dans ce roman, bien entendu, Suzanne, toute entière dévouée à l'éducation de ses enfants, fière, pragmatique, essayant tant bien que mal d'endiguer le flot continuel de trouvailles plus ou moins bien venues de la part de sa progéniture, au milieu des intellectuels pas toujours fréquentables que Bardèche recevait parfois chez lui. A ce titre, on pourra louer la lucidité de l’auteur quant aux travers récurrents et indéboulonnables des individus, parfois tout à fait valeureux mais bien trop souvent en dehors du réel, qui se réclamaient du fascisme encore après la guerre. Bardèche fustige leurs travers d'alcooliques ou leurs élans despotiques sans pour autant leur tourner le dos, à aucun moment.
A travers ces tranches de vie tour à tour drôles, touchantes, poignantes, Maurice Bardèche, de son style limpide, dresse l’autoportrait d’un écrivain voué à l’exclusion et à la misère, un homme sincère et droit dans ses bottes, volontiers porté sur l’autodérision, terriblement humain, au fond.
3 – Un récit sur la condition de l’écrivain dissident
Maurice Bardèche aurait pu poursuivre la très belle carrière qu’il s’était taillée avant la guerre. Successivement élève de ENS, agrégé de Lettres, docteur ès Lettres, professeur à la Sorbonne puis à l’université de Lille, on lui doit d’admirables ouvrages encore aujourd’hui unanimement reconnus sur Balzac, Flaubert, Stendhal, Bloy et Céline.
En mettant son talent au service d’une cause, Bardèche sait qu’il ne retrouvera jamais le confort matériel, la stabilité, la quiétude de sa vie d’autrefois. A travers Suzanne et le Taudis, Bardèche nous laisse entrevoir ce que la condition des hommes, et plus particulièrement des écrivains, qui osent se compromettre, peut avoir d’instable et de précaire. Le système a bien senti que la plume de Bardèche cherchait à lui chatouiller le menton ; il a donc tout mis en oeuvre, non pas seulement pour ôter cette plume, mais aussi pour rendre l'existence de celui qui la maniait aussi inconfortable que possible.
Il est très intéressant de constater qu’à la fin de son ouvrage, paru en 1957, Bardèche invoque les noms de Bernanos, de Maurras, de Péguy, et aussi de Céline. Il reconnait en effet chez ces écrivains une forme d’engagement absolu, inconditionnel, qui prévaut sur les contingences quotidienne. Or, le même Céline finit par tomber en disgrâce aux yeux de Bardèche, comme on l’apprend dans la biographie remarquable qu’il lui consacre en 1986. Bardèche confirme sa prise de position à l’occasion de son apparition sur le plateau de la mémorable émission d’Apostrophes, le 3 avril 1987, devant un BHL qui manque de s’étrangler d’indignation – mais pas pour prendre la défense de Céline, comme vous pouvez l’imaginer.
Pourquoi cette soudaine volte-face de la part d’un écrivain d’ordinaire si constant dans ses choix ? Il faut dire que le professeur Destouches a bien changé, entre les prises de positions franchement assumées de Voyage au Bout de la Nuit et la surenchère stylistique de Féerie pour une autre fois, dans lequel Céline choisit d’endosser le rôle de la victime qu’on voue aux feux de la Géhenne. On imagine aisément que les persécutions modernes aient été difficiles à supporter pour les écrivains modernes à contre-courant des idées reçues, et bien loin de nous l’idée de jeter la pierre à l’une ou l’autre de ces figures illustres. Bardèche pourtant, dans son dénuement quasi monacal, apparait dans la tourmente avec un éclat bien différent de celui de Céline, exilé au Danemark, tout engoncé, à la fin de sa vie, dans un nombrilisme maladif.
Maurice Bardèche me rappelle toujours Diogène, même si l’auteur de Suzanne et le Taudis est peut-être un peu trop bonne pâte pour être un authentique cynique. Le taudis de l’un valait bien le tonneau de l’autre, en tout cas, et l’image résume fort bien le propos du livre, posé sous forme de morale à la fin de l’ouvrage, mais que les militants d’aujourd’hui devraient sans doute méditer comme une problématique essentielle du combat qu’ils mènent aujourd’hui : celui qui ne pratique pas la langue de bois et qu’anime le désir de lutter contre le système doit s’attendre au retour de flamme. Adopter la position d’un dissident comporte des risques qu’il faut avoir le cran d’assumer, sans chercher à se réfugier derrière de fallacieux prétextes…
Sans aller jusqu’à prendre le radicalisme de Bardèche pour un modèle absolu, on peut lire Suzanne et le Taudis comme une belle leçon d’humilité, et se souvenir que l’engagement le plus total jeté à la face de tous sur Facebook ne vaut strictement rien si c’est une intransigeance de façade qui ne trouve jamais à s’exprimer dans la vie quotidienne.
Lyderic
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mercredi, 17 avril 2013
Bardèche et l'Europe
"Bardèche et l'Europe"
Un nouveau livre de George Feltin-Tracol
Publié par les "Bouquins" de "Synthèse Nationale"
L'AUTRE EUROPE DE MAURICE BARDECHE :
Universitaire promis à un bel avenir littéraire, Maurice Bardèche entre en politique le jour de l’exécution de son beau-frère, Robert Brasillach. Il devient alors le pourfendeur d’une justice de vainqueurs.
Fort d’un engagement payé par des procès et une incarcération, Maurice Bardèche est dès les années 1950 l’artisan d’une révolution mentale parmi les nationalistes français envers l’Europe. Tant au cours de la Guerre froide qu’au moment de la Détente, à la tête de la revue Défense de l’Occident et dans ses livres, il expose en géopoliticien fin et lucide une troisième voie nationale-européenne, parfois néo-fasciste, prête à dialoguer avec les nationalismes du Tiers-Monde.
Par une démarche souvent déroutante, Bardèche entend promouvoir son idée de l’Europe, une « Europe cuirassée », car « nationale, libérée et indépendante ». À l’heure où l’Union européenne atlantiste, bureaucratique et mondialiste conduit à une impasse catastrophique, le raisonnement bardéchien et ses solutions retrouvent une pertinence inattendue.
L'auteur : Georges Feltin-Tracol
Né en 1970, passionné de géopolitique, d'histoire et de métapolitique, Georges Feltin-Tracol co-fonde en août 2005 le site non-conformiste, identitaire et solidariste Europe Maxima (www.europemaxima.com) dont il en assume la rédaction en chef. Auteur d'Orientations rebelles (Éditions d'Héligoland, 2009), de L'Esprit européen entre mémoires locales et volonté continentale (Éditions d'Héligoland, 2011) et de Réflexions à l'Est (Alexipharmaque, 2012), il collabore aussi à L'Unité Normande, à Réfléchir & Agir, à Salut public, à Culture Normande et à Synthèse nationale.
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samedi, 05 janvier 2013
Méridien Zéro a reçu Jacques Bardèche (fils de Maurice Bardèche) et Patrick Canet
Méridien Zéro a reçu Jacques Bardèche (fils de Maurice Bardèche) et Patrick Canet pour évoquer avec eux l'oeuvre et la vie de Maurice Bardèche.
Animateurs : Gérard Vaudan et Eugène Krampon.
Lord Igor à la technique.
Pour écouter:
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mardi, 22 mai 2012
Maurice Bardèche, Européen fidèle
Maurice Bardèche, Européen fidèle
par Georges FELTIN-TRACOL
Après avoir écrit pour la même collection la biographie condensée d’Henri Béraud, de Léon Daudet, de Henry de Monfreid, de Hergé et de Saint-Loup, Francis Bergeron évoque cette fois-ci la vie d’une personne qu’il a bien connue : Maurice Bardèche.
On sait que Bardèche fut l’exemple-type de la méritocratie républicaine hexagonale. Ce natif d’un village du Cher en 1907 montra très tôt de belles dispositions intellectuelles pour l’étude et la littérature. Excellent élève, ce boursier se retrouve à l’École normale supérieure (E.N.S.) où il allait côtoyer une équipe malicieuse constituée de José Lupin, de Jacques Talagrand (le futur Thierry Maulnier) et de Robert Brasillach, l’indéfectible ami. « Brasillach lui fait du thé, lui offre des gâteaux catalans. Mais la culture littéraire de Brasillach date un peu; Bardèche lui fait découvrir à son tour Proust, alors qu’il vient d’obtenir le prix Goncourt, Barrès, dont les funérailles nationales datent tout juste de deux ans, et Claudel, ancien de Louis-le-Grand, dont l’œuvre est déjà reconnue (p. 16). »
À l’E.N.S., Maulnier et Brasillach commencent à publier dans la presse tandis que « Bardèche […] se destine réellement à l’enseignement supérieur, et […] voit son avenir dans l’approfondissement de la connaissance des grands textes et des grands auteurs (p. 20) ». À côté de sa passion littéraire, Maurice Bardèche éprouve de tendres sentiments pour la sœur de son ami Robert, Suzanne Brasillach. Ils se marient en juillet 1934 et partent en voyage de noce pour l’Espagne en compagnie de Robert qui vivra avec eux jusqu’en 1944 ! Francis Bergeron raconte qu’au cours de ce voyage, Maurice Bardèche faillit mourir dans un accident de la route. Bardèche fut trépané et conserva sur le front un « enfoncement dans le crâne (p. 26) ».
On ne va pas paraphraser cet ouvrage sur le talentueux parcours universitaire de Bardèche qui suscita tant d’aigreurs et de jalousie. Sous l’Occupation, si Robert Brasillach travaille à Je suis partout, Bardèche préfère se tenir à l’écart des événements et se dévoue à Stendhal et à Balzac. Or le mois de septembre 1944 marque un tournant majeur dans la destinée du jeune professeur : il est arrêté, puis emprisonné. Il voit ensuite son cher beau-frère jugé, condamné à mort et exécuté le 6 février 1945. Dorénavant, « la vie et, plus encore, peut-être, le martyre et la mort de Robert [vont] occup[er] une place centrale tout au long de l’existence de Maurice (p. 43) ». Guère attiré jusque-là par la politique, Maurice Bardèche s’y investit pleinement et va produire une œuvre remarquable, de La lettre à François Mauriac (1947) à Sparte et les Sudistes (1969). En outre, afin de publier les œuvres complètes de Robert Brasillach, il fonde une maison d’édition courageuse et déjà dissidente, Les Sept Couleurs.
Le respectable spécialiste de littérature du XIXe siècle se mue en fasciste, terme qu’il endosse et qu’il revendique d’ailleurs fièrement dans Qu’est-ce que le fascisme ? (1961). Dès la fin des années 1940, il se met en relation avec d’autres réprouvés européens dont les militants du jeune M.S.I. (Mouvement social italien). En 1952, il participe au célèbre congrès de Malmö qui lance le Mouvement social européen dont le bulletin francophone est Défense de l’Occident (titre ô combien malvenu, car les positions qui y sont défendues ne rappellent pas l’occidentalisme délirant d’Henri Massis – il faut comprendre « Occident » au sens d’« Europe » et de « civilisation albo-européenne pluricontinentale »). Sorti en décembre 1952, ce titre est dirigé par Bardèche. Si le M.S.E. s’étiole rapidement, miné par des divergences internes et des scissions, Défense de l’Occident devient une revue qui accueille aussi bien les nationaux que les nationalistes, les nationalistes-révolutionnaires que les traditionalistes. La revue disparaîtra en novembre 1982. Francis Bergeron n’en cache pas l’ensemble inégal du fait, peut-être, d’une forte hétérogénéité thématique visible à la lecture de ses nombreux collaborateurs.
Par fascisme, Bardèche soutient une troisième voie hostile au capitalisme et au socialisme. Mais son fascisme, anhistorique et éthéré, cadre mal avec les réalités historiques du fascisme. Dès 1963 dans L’Esprit public, Jean Mabire rédigeait un article roboratif intitulé « L’impasse fasciste » repris successivement dans L’écrivain, la politique et l’espérance (1966), puis dans La torche et le glaive (1994). Au-delà des blessures vives de la Seconde Guerre mondiale, « Maît’Jean » esquissait de nouvelles perspectives européennes et authentiquement révolutionnaires.
Déjà marqué par son fascisme assumé, Maurice Bardèche accepte d’être un paria de l’histoire parce qu’il ose un avis révisionniste sur les événements contemporains. « Ses exercices de “ lecture à l’envers de l’histoire ”, comme il les appelle lui-même, font partie des points les plus détonants de son discours. Ils démontrent son courage tranquille, et ne peuvent que susciter l’admiration. Sur le fond, il y aurait certes beaucoup à dire, explique Bergeron. De toute façon, comme l’a rappelé Bardèche lui-même à Apostrophe, on ne peut plus s’exprimer librement sur ces questions (p. 87). » Saluons toutefois sa clairvoyance au sujet de la mise en place d’une justice internationale mondialiste. Déjà prévue dans l’abjecte traité de Versailles de 1919, cette pseudo-justice planétaire se réalise à Nuremberg et à Tokyo avant de réapparaître dans les décennies 1990 et 2000 à La Haye pour l’ex-Yougoslavie, à Arusha pour le Rwanda et avec l’ignominieuse Cour pénale internationale qui veut limiter la souveraineté des États.
Tout en étant fasciste et après avoir prévenu en 1958 le camp national du recours dangereux à De Gaulle, Maurice Bardèche n’hésite pas à vanter le caractère fascisant des régimes de Nasser et de Castro, et à faire preuve dans Défense de l’Occident d’une grande lucidité géopolitique. « Bardèche […] faisait bouger les lignes de la vision géopolitique de son camp (p. 67). » Cet anti-sioniste déterminé encourage le panarabisme et, dès l’automne 1962, appelle les activistes de l’Algérie française à délaisser leur nostalgie et à relever le défi de la nouvelle donne géopolitique. Il est l’un des rares à cette époque à prôner une entente euro-musulmane contre le condominium de Yalta.
C’est sur la question européenne que Maurice Bardèche a conservé toute sa pertinence. Quand on lit L’œuf de Christophe Colomb (1952) ou Sparte et les Sudistes, on se régale de ses fines analyses. Bardèche réfléchissait en nationaliste français et européen. À la fin de l’opuscule, avant l’habituelle étude astrologique de Marin de Charette et après les annexes biographiques, bibliographiques, de commentaires sur Bardèche et de quelques-unes de ses citations les plus marquantes, Francis Bergeron reproduit l’entretien que lui accorda Bardèche dans Rivarol du 5 avril 1979 (avec les parties supprimées ou modifiées par Bardèche lui-même). Cet entretien est lumineux ! « Devons-nous accepter […] de ne pas nous défendre contre la concurrence sauvage, déclare Bardèche, accepter le chômage, le démantèlement d’une partie de notre industrie, la dépendance à laquelle nous risquons d’être contraints ? » On croirait entendre un candidat à l’Élysée de 2012… Le sagace penseur de la rue Rataud estime que « l’Europe qu’on nous prépare ne sera qu’un bastion avancé d’un empire économique occidental dont les États-Unis seront le centre »… Il prévient qu’« il ne faut pas que l’Europe ne soit que le cadre agrandi de notre impuissance et de notre décadence », ce qu’elle est désormais. Il importe néanmoins de ne pas rejeter l’indispensable idée européenne comme le font les souverainistes nationaux. L’Europe demeure plus que jamais notre grande patrie civilisationnelle, identitaire et géopolitique. « L’Europe indépendante constitue un idéal ou plutôt un objectif », juge Bardèche avant d’ajouter, prophétique, que « la crise économique peut nous aider à la faire plus vite qu’on ne le croit ».
Ce nouveau « Qui suis-je ? » est bienvenu pour découvrir aux plus jeunes des nôtres l’immense figure de ce fidèle Européen de France, ce magnifique résistant au politiquement correct !
Georges Feltin-Tracol
• Francis Bergeron, Bardèche, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », (44, rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing), 2012, 123 p., 12 €.
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mardi, 03 mai 2011
Sparta e i Sudisti nel pensiero di Maurice Bardèche
Sparta e i Sudisti nel pensiero di Maurice Bardèche
Cognato di Robert Brasillach, fucilato al termine della seconda guerra mondiale per aver collaborato coi nazisti; allievo di quel Charles Maurras, che il Nolte ha giudicato, insieme a Hitler e Mussolini, la più rappresentativa figura del fascismo a livello europeo; fermo sostenitore del governo di Vichy e della politica del maresciallo Pétain: tutto questo e altro ancora è stato Maurice Bardèche, saggista, giornalista e critico d’arte di levatura nazionale e internazionale, ma fascista impenitente, che si firmava appunto come «scrittore fascista».
Avendo votato la sua vita, dopo la Liberazione (o sedicente tale), alla riabilitazione della memoria di Brasillach – la cui esecuzione aveva definito un assassinio legalizzato – e, in genere, alla riabilitazione del collaborazionismo di Vichy e del fascismo in quanto tale, dovette subire l’ostracismo della cultura ufficiale e fondare una propria casa editrice, per mezzo della quale condusse una battaglia incessante per diffondere i suoi ideali.
Egli ebbe il coraggio di fare apertamente quello che altri fecero un po’ di soppiatto o che addirittura rinnegarono: continuò a professare i valori di un tempo e non venne mai a patti con l’ideologia dei vincitori. Non intendiamo qui fare l’apologia delle sue idee, anche perché ogni apologia è una operazione supremamente stupida in se stessa; ma rendere doverosamente atto della sua coerenza intellettuale e della sua onestà civile.
Come storico e saggista, fu tra i primi a contestare la legalità del processo di Norimberga e a mettere in dubbio il diritto giuridico e morale dei vincitori di ergersi a giudici dei vinti, magari per dei reati che, all’epoca dei fatti, non erano considerati tali in nessuna legislazione del mondo; così come fu uno dei primi a parlare in termini critici della distruzione di Dresda e delle esecuzioni sommarie avvenute dopo la Liberazione, da lui equiparate a crimini di guerra. Fu pure multato per essersi occupato dell’Olocausto in una forma vicina a quella di Robert Faurisson, che non piacque alla Vulgata democratico-resistenziale, la sola ufficialmente ammessa. Venne inoltre condannato a un anno di prigione per apologia dei crimini di guerra ed uscì solo perché gli venne concessa la grazia dal Presidente della Repubblica, René Coty.
Come presidente del Movimento Sociale Europeo, coagulò esponenti della destra europea quali Oswald Mosley, ex capo dei fascisti inglesi, il tedesco Karl-Heinz Priester, lo svedese Per Engdahl e l’italiano Ernesto Massi. Concentrò poi la sua attenzione di studioso sull’esperienza della Repubblica Sociale Italiana (che, da noi, è tuttora considerata alla stregua di una misera e sanguinaria appendice del Ventennio, consumatasi all’ombra del “tedesco invasore” e quindi come tipico esempio di Stato collaborazionista fantoccio), e ne fece la base per una sua rinnovata proposta politica, che egli stesso denominò “fascismo perfezionato”.
Né ha giovato alla sua fama o alla sua memoria il fatto che, dopo la sua scomparsa, a tesserne l’elogio sia stato Jean-Marie Le Pen, capo del Fronte Nazionale Francese e considerato dalla cultura politica progressista nient’altro che il leader di un partito xenofobo e reazionario.
Nel suo saggio Sparte et les Sudistes (Les Sept Couleurs, 1969; traduzione italiana di Orsola Nemi col titolo Fascismo ’70. Sparta e i Sudisti, Edizioni del Borghese, 1970, pp. 81-86), egli così sintetizza il proprio pensiero politico:
«Insegnare di nuovo agli uomini il gusto e il rispetto delle qualità umane, ricondurre la vita e le anime verso il corso naturale delle cose, ecco le due massime che dovrebbero guidare quanti pensano che l’uomo può ancora mettere il morso al cavallo che gli ha preso la mano e che noi chiamiamo la nostra “civiltà”. Quella che io chiamo Sparta è la patria in cui gli uomini sono considerati in ragione delle loro qualità virili poste al di sopra di tutte le altre. Quelli che io chiamo i Sudisti sono gli uomini i quali si sforzano di vivere secondo la “natura delle cose”, e pretendono di correggerla aggiungendo soltanto la cortesia e la generosità.
In ciascuno di noi si trova una qualche aspirazione che ci trascina a volte verso Sparta, a volte verso i Sudisti. Per lo più, sono le circostanze che ci inducono a sostenere un concetto spartano pur rimpiangendo che non faccia maggiori concessioni ai Sudisti o, inversamente, ad avvicinarci a qualche prospettiva sudista, pur augurandoci che conservi qualcosa di Sparta. Queste intermittenze spiegano forse le contraddizioni di quel che si chiama arbitrariamente “La Destra”, la quale presenta tutte le sfumature di questi due atteggiamenti. Le due posizioni non sono tuttavia inconciliabili. Coincidono e si sposano tanto facilmente in ciascuno di noi perché sono l’una e l’altra “naturali”, il rispetto delle qualità umane essendo così conforme alla “legge naturale” come la conformazione al “corso naturale delle cose”. Ma l’uno e l’altro di questi atteggiamenti comportano rischi in cambio dei loro vantaggi: Sparta rischia di essere inabitabile, i sudisti spartani possono finire col divenire gendarmi, il sudismo può finire nell’egoismo e nell’insolenza. Noi dobbiamo chiederci che cosa si può conservare di sudista a Sparta o che cosa dobbiamo serbare di Sparta per impedire ai sudisti di essere soltanto uomini di mondo.
Non bisogna fidarsi ciecamente dei libri illustrati. Sparta non è una città dove non si sente che rumore di sproni e dove nessuno dei passanti sorride. Il precetto del coraggio era chiaro e risolveva tutte le difficoltà. Il coraggio dava accesso all’aristocrazia e si era esclusi dall’aristocrazia se non si aveva coraggio. La casta dei guerrieri governava la città, nessun’altra voce aveva diritto di farsi intendere. Era la casta che portava da sola il fardello della difesa del Paese e lo portava per tutta la vita. Ma gli altri, protetti dal suo servizio, non si sentivano stranieri. Il coraggio era ricompensato fra loro, e chi aveva dato prova di possedere le virtù del soldato, partecipava ai privilegi del soldato. Anche gli iloti, se si erano distinti per una azione meritoria, avevano diritto di partecipare al combattimento. Quelli che si erano battuti al fianco delle celebri falangi non erano mai più schiavi, divenivano uomini liberi, erano onorati. Si afferma anche che gli stranieri potevano ricevere il titolo di Spartani, se accettavano di vivere secondo la regola che gli Spartani si erano imposta. E, al contrario, i giovani della casta guerriera che si dimostravano vili nel combattimento o non si sottomettevano alla disciplina della Città, erano degradati ed esclusi dalla vita pubblica.
L’educazione non aveva altro scopo che l’esaltazione del coraggio e della energia. I ragazzi vivevano tra loro il più presto possibile, in truppe analoghe a quelle dei balilla dell’Italia fascista o della Hitlerjugend, di cui facevano parte dalla età di sette anni. […]
Spesso è riprovato il culto del coraggio e della virilità accusandolo di durezza e aridità. È un’interpretazione da moralisti che la vita privata a Sparta non conferma su tutti i punti. Si trova sotto la rudezza di Sparta una specie di bonomia tedesca la quale suggerisce che le cose non sono tanto semplici. Plutarco descrive Agesilao che giuoca ai cavalli coi suoi bambini, come si racconta del nostro re Enrico IV; Antalcida manda la sua famiglia a rifugiarsi a Citera, quando teme un’invasione; l’assemblea degli Spartani piange di commozione udendo recitare un coro dell’Elettra e sono appena usciti dalla guerra contro Atene: gli Spartani avevano anche un gusto innato e un sentimento abbastanza vivo della musica, il che stupiva i loro contemporanei. In quanto al loro orgoglio di casta, che bisogna pensarne, quando sentiamo dirci che i giovani Spartani avevamo ciascuno un fratello di latte scelto tra i figli dei suoi iloti, il quale riceveva la sua medesima educazione, prendeva parte con lui ai pasti collettivi, portava le armi accanto a lui nei combattimenti e condivideva i suoi stessi privilegi? Quale democrazia ha accordato questa eguaglianza autentica ai figli dei mezzadri? Gli iloti e i perieci vissero duecento anni sotto il “giogo” di Sparta e non vi furono ammutinamenti se non in circostanze del tutto eccezionali e per cause estranee al regime. È difficile credere che abbiano vissuto durante tutto questo tempo in una continua e insopportabile umiliazione.
L’idea che ci facciamo di Sparta è dunque spesso un’idea del tutto letteraria; riduciamo arbitrariamente Sparta a una esperienza di “laboratorio”. Ne facciamo uno stato nel quale regna solo l’energia. Quel che definisce Sparta non è la caserma, come troppo spesso si crede, ma il disprezzo dei falsi beni.
Sparta non è solo il ragazzo dalla volpe. L’energia non è che una conseguenza, non è che un segno di Sparta. Prima di tutto, Sparta è una particolare idea del mondo, una particolare idea dell’uomo. Per questo fa paura. Sparta crede che in definitiva sia la spada a decidere. Non si può sfuggire al suo verdetto. Il numero dei vascelli e i marmi dei portici, i palazzi, le sete, le sontuose lettighe, il prestigio, lo splendore non sono che girandole, palline di vetro, lampioni che una tempesta può a un tratto spegnere e spezzare: bisogna essere pronti per questa tempesta. Senza di ciò, non si ha libertà; le città le quali dimenticano che la libertà si difende in ogni istante, si guadagna in ogni istante, sono già, senza saperlo, città schiave. Il culto dell’energia, del coraggio, della forza sono soltanto le conseguenze di questa concezione della città».
Non sarà sfuggito al lettore che, a dispetto della piacevolezza dello stile, la tesi di Bardèche appare viziata da una forzatura ideologica che lo porta ad accostamenti storici quanto meno opinabili, come quello fra gli Spartiati ed i Balilla fascisti o i membri della Hitlerjugend; laddove è facile vedere come le somiglianze siano più esteriori che sostanziali, specialmente nel primo caso.
E tuttavia, per quanto la volontà di dimostrare una tesi precostituita faccia velo all’Autore, è difficile rifiutare in blocco la sua analisi del fenomeno sociale rappresentato dall’antica Sparta e ancor più quello della Confederazione sudista (che noi, per ragioni di spazio, abbiamo dovuto omettere).
Meglio: è difficile rifiutare in blocco la sua tesi circa la solidità e, si vorrebbe dire, la perennità di quella componente aristocratica, nel miglior senso della parola, che caratterizza non tanto questa o quella esperienza storica di governo, ma l’idea del governo in generale, così come Platone l’ha delineata nella Repubblica e nelle Leggi, ma che i pensatori politici moderni, da Locke in poi, non riescono neppure ad immaginare.
A noi che siamo cresciti nella apparente ovvietà del sistema democratico, sfugge come l’umanità abbia potuto governarsi per millenni senza di esso, pur realizzando opere egregie; e sfugge come il cosiddetto miracolo greco non consista solo nella democrazia ateniese, ma anche nella oligarchia spartana, fondata su un valore che non è quantificabile in termini economici, ma solo e unicamente in termini di onore, dovere e spirito di sacrificio.
Solo una lettura frettolosa e parziale, inficiata da pregiudizi tipicamente moderni, potrebbe vedere nella costituzione spartana null’altro che arbitrio, oppressione dei più deboli e brutale esercizio di un potere militaresco.
E solo uno spirito politicamente fazioso potrebbe negare quanto di perenne e di nobilmente spirituale vi sia in una idea del governo che pospone ogni altro valore, a cominciare da quello dell’interesse materiale, ad un severo ascetismo virile, tutto rivolto al bene supremo della Patria e spregiatore di quello spirito di parte dietro il quale sogliono camuffarsi gli egoistici interessi personali.
In questo senso è fuori di dubbio che noi pure avremmo qualche cosa da imparare dal modello spartano, così come avremmo qualcosa da imparare dal modello sudista: non certo in un ricupero del razzismo o magari dello schiavismo, ma nel riconoscimento che troppo spesso, nei sistemi democratici, il merito non riesce ad affermarsi e il bene dell’intera società soccombe davanti al prevalere delle logiche di parte.
Per quanto il ragionamento di fondo del Bardèche non ci convinca, laddove egli vorrebbe fare del principio aristocratico un fatto di natura positivo in se stesso – anche perché in tal modo verrebbero banditi o fortemente sminuiti ideali essenziali, quali la compassione e la sollecitudine per i più deboli – è tuttavia certo che il suo discorso contiene un monito a non lasciarsi prendere la mano dalla demagogia e dal populismo a buon mercato.
Una giusta idea della politica dovrebbe partire, come cosa ovvia, dallo spirito di servizio e dalla priorità del bene comune; dovrebbe inoltre recuperare l’importanza di concetti quale onore, valore, dedizione, lealtà e magnanimità.
Si obietterà che codesti valori sono quelli tipici della società cavalleresca e che, da quando la borghesia si è affermata come classe egemone a livello mondiale, non vi è più posto per essi e nemmeno potrebbe esservi.
Forse.
Ma siamo sicuri che onore, valore, dedizione, lealtà e magnanimità siano valori legati esclusivamente ad un certo modello economico e sociale e non, piuttosto, valori perenni dell’umanità, senza i quali nessuna società potrebbe contemperare in se stessa le inevitabili spinte centrifughe?
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