Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 09 janvier 2020

Michel Onfray « Nous allons vers un homme dénaturé, déculturé »

onfray-4545023xxxx.jpg

Michel Onfray « Nous allons vers un homme dénaturé, déculturé »

00:15 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, michel onfray, homme dénaturé | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Antimanuel de Pédophilie par Michel Onfray

20707111.jpg

Antimanuel de Pédophilie

Par Michel Onfray

Ex: https://leblogalupus.com

« Je suis comme un enfant qui n’a plus droit aux larmes, Conduis-moi au pays où vivent les braves gens » — Michel Houellebecq, La Poursuite du bonheur (1991)


Il m’a été rapporté que, dans le flot des commentaires du net concernant ce qu’il est désormais convenu de nommer l’Affaire Matzneff, il a été dit que « même Onfray » avait défendu la pédophilie en son temps! Or, il n’en est rien.

Voici donc le texte incriminé: il propose un travail philosophique généalogique (comment devient-on pédophile?) et y répond avec les catégories de la psychologie classique (le déterminisme psychique de l’inconscient -qui peut n’être pas freudien, je précise puisque désormais il faut tout sous-titrer, Nietzsche en parle dès les années 80 du XIX° siècle en le nommant « la Grande Raison »…). Dire qu’on ne naît pas pédophile mais qu’on le devient sans pour autant le choisir n’est pas validation éthique et morale de cette pratique que j’ai toujours condamnée (un texte de 1997 en atteste) mais dont on peut vouloir se demander, en tant que philosophe, de quelles logiques elle procède!

C’est un texte publié dans un Antimanuel de philosophie destiné aux apprentis philosophes, soit de classe terminales, mes élèves de l’époque, soit à qui voudra. Cette analyse visait à faire penser aux élèves l’articulation liberté & déterminisme, choix & fatalité, volonté & prédétermination -et ce dans le cadre du programme de classe Terminale technologique qui, parmi neuf notions, proposait l’examen du concept de Liberté. Il a été écrit il y a vingt ans.

Fidèle à l’esprit de Spinoza qui invitait à ni rire ni pleurer, mais comprendre et à celui de Nietzsche qui appelle à se demander pourquoi et comment les choses sont ainsi et pas autrement, j’ai souhaité avec mes élèves penser la pédophilie sans autre souci que de la penser. Dire qu’elle était institutionnelle et codée chez les Grecs ne consiste pas à défendre la pédophilie, tout comme faire savoir qu’on envoyait à la mort les enfants mal-formés à Sparte ne revient pas à une défense de l’infanticide. De même, rappeler que le Moyen-Age pratiquait abondamment la peine de mort ne vaut pas défense de la peine de mort…

Je crains qu’un jour, au point d’imbécillité de masse auquel nous sommes parvenus, un historien républicain qui publierait une biographie d’Adolf Hitler ne soit considéré comme hitlérien et sommé par la vocifération du net de faire amende honorable…

« Un éducateur pédophile choisit-il sa sexualité?
Sûrement pas, sinon, il choisirait vraisemblablement une autre sexualité, moins dangereuse socialement, moins risquée pour tous ses équilibres acquis dans la société (famille, situation dans la cité), moins discréditée est détestée par tous et toutes, et, surtout, moins traumatisante pour ses victimes souvent nombreuses et définitivement marquées. La pédophilie d’un individu signifie une attirance sexuelle irrésistible et irrépressible vers une catégorie de personnes (les enfants en l’occurrence) qui, de façon exclusive, lui permet d’assouvir ses pulsions.

 Avoir le choix suppose de pouvoir nettement et clairement opter pour une pratique plutôt qu’une autre, en pleine connaissance des enjeux. C’est examiner, comparer, calculer, puis élire un comportement plutôt qu’un autre. Ainsi, si le pédophile choisissait librement de l’être, il pourrait tout aussi bien user de sa liberté pour choisir de ne pas l’être. De même, à l’inverse, vous qui n’êtes pas pédophile (du moins je le suppose…), avez-vous la possibilité de le devenir, de choisir de l’être? Pas plus que cette victime de soi ne veut cette sexualité, vous ne voulez la vôtre. Son incapacité à s’exprimer sexuellement dans une sexualité classique égale votre incapacité à vous épanouir dans la sexualité qui le requiert, l’oblige et s’impose à lui.

On ne naît pas pédophile, on le devient.
Quand on est dans la peau d’un individu qui n’a pas le choix et subit son impulsion sans pouvoir y résister (de même pour la vôtre qui est, par chance, socialement et culturellement correcte), on subit un déterminisme. Le déterminisme suppose une force contraignant un individu à se comporter d’une façon qui ne relève pas d’un choix conscient. Nous procédons tous d’une série de déterminismes qui, pour la plupart, visent à nous transformer en modèles sociaux: bons époux, bonnes épouses, bonnes femmes d’intérieur, bons enfants, bons employés, bons citoyens, etc. Et malgré le processus éducatif, certains dressages ne suffisent pas pour empêcher la tendance à un comportement déviant.

Ainsi de l’homosexualité, pratiquée, tolérée, encouragée ou interdite, pourchassée, criminalisée suivant les siècles. Aujourd’hui, en France, elle est devenue légalement une pratique sexuelle et relationnelle presque comme une autre, et dans les esprits un comportement de moins en moins rejeté illustrant une autre façon de vivre sa sexualité que l’hétérosexualité classique mise en avant par les modèles sociaux dominants. Un homosexuel ne se détermine pas à cette sexualité-là, elle s’impose à lui; de la même manière qu’on ne se choisit pas un jour hétérosexuel, on se découvre tel. Tant mieux si la sexualité qui nous échoit (nous tombe dessus) est acceptée ou tolérée par la société dans laquelle on vit.

Un pédophile dans la Grèce de Platon n’est pas condamné ou condamnable. Mieux, il agit dans une logique défendue par la société; à l’époque une relation pédagogique passe par une relation sexuée puis sexuelle. Socrate pratiquait ainsi avec les élèves qu’il trouvait spécialement beaux -ainsi Alcibiade, Charmide, Euthydème, Phèdre (qui donnent leur nom à des dialogues de Platon), Agathon et tant d’autres. En ces temps, le philosophe pédophile vivait une relation éducative normale, naturelle. Aujourd’hui, il devrait faire face à des plaintes de parents, à une mise en accusation au tribunal, à un déplacement hors académie ou une radiation de l’Éducation nationale. Un déterminisme peut être façonné par le contexte socioculturel de l’époque: l’interdit ou l’autorisé du moment contribuent à fabriquer une façon d’être et de faire. A l’aire atomique, Socrate croupirait en prison, détesté par tous, maltraité par surveillants et détenus.

Le coupable en un lieu et en un temps ne l’est plus dans un autre lieu et dans un autre temps. Une époque, une histoire, une géographie, une culture, une civilisation fabriquent des déterminismes auxquels on n’échappe pas. Le poids du social pèse lourd dans la constitution d’une identité. Vous êtes en partie un produit de votre milieu, la résultante de combinaisons multiples et difficiles à démêler d’influences éducatives, de contraintes mentales affectives, de constructions familiales. Au bout du compte, votre être résulte de nombreux déterminismes contre lesquels vous pouvez plus ou moins, voire pas du tout, vous rebeller ou résister.

zeus-ganymede.jpgLe déterminisme peut être également psychologique, en l’occurrence génétique: on ne choisit pas son corps et les caractères transmis par l’hérédité. Certains sont dits récessifs (vous les portez en vous, ils ne sont pas visibles directement, mais se manifesteront dans votre descendance), d’autres dominants (on les voit tout de suite en vous: couleur d’yeux, de cheveux, sexe, tendance au poids ou à la maigreur, à la grandeur ou à la petitesse, prédisposition à certaines maladies – cancers, hypertension, hypercholestérolémie, etc., ou héritage de maladies -diabète, hémophilie, etc.). Qui reprocherait à un adulte de développer un cancer de forte nature héréditaire? De la même manière nous échoient un tempérament sexuel ou une santé spécifique.

Libertins timides ou bénédictins cavaleurs?
Un corps singulier dans une époque donnée, et vous voilà déterminé par des influences nombreuses. Les plus puissantes et les moins nettement visibles, mais les plus repérables par leurs conséquences, ce sont les influences psychiques. La psychanalyse enseigne l’existence d’un inconscient, un genre de force qui choisit en chacun et l’oblige à être et à agir sans possibilité d’échapper à sa puissance. L’inconscient emmagasine des souvenirs, il est plein de pulsions, d’instincts de mort et de vie dirigés contre soi ou contre les autres, il regorge de traumatismes, de douleurs, de blessures, de plaisirs, il est invisible à la conscience, on ignore sa nature véritable, sauf dans certains cas, par bribes, par morceaux, mais toujours et pilote la barque.

Ce qu’est chacun d’entre nous, ses goûts et ses dégoûts, ses plaisirs et ses désirs, ses envies et ses projets, tout procède et découle de la puissance de l’inconscient. Ainsi on ne naît pas pédophile ou gérontophile (amateur de vieilles personnes), zoophile (d’animaux), masochiste (plaisir pris à subir la douleur) ou sadique (plaisir à l’infliger), on ne naît pas nécrophile (obsédé de cadavres) ou fétichiste (passionné par un objet particulier ou le détail d’un corps – des bas, un orteil, une oreille, etc.): on ne naît pas tout cela, on le devient, sans jamais l’avoir choisi, en ayant été déterminé par son inconscient qui, lui, donne ses ordres en fonction d’informations enregistrées dans l’enfance (parents violents ou laxistes, expériences douloureuses ou traumatisantes, amour excessif ou défaillant d’un père ou d’une mère, absence ou présence massive d’une figure maternelle ou paternelle à la maison, deuils ou maladies dans la famille, expériences frustrantes ou indicibles, existence ou manque d’affection, de tendresse, de contacts entre les parents et les enfants, incommunicabilité dans la famille, etc.).

Chacun de vous a été déterminé à être ce qu’il est aujourd’hui: cavaleur ou timide, libertin ou bénédictin, collectionneur infidèle ou monogame fidèle. Et si le choix existait, hors déterminismes, la plupart choisiraient d’être autre que ce que ce qu’ils sont et voudraient plutôt l’épanouissement, l’harmonie, la joie, la paix avec eux-mêmes et les autres -au lieu de l’inverse, si souvent la règle. Sinon, pourquoi autant de violences, de misères, de pauvretés sexuelles, sensuelles, affectives? Pour quelles raisons le plus grand nombre se contenterait-il d’une vie si difficile s’il suffisait de vouloir une autre existence pour qu’elle advienne?

Généralement, un individu dispose d’une liberté minimale et subit des contraintes maximales. Certains sont puissamment déterminés par leur milieu, leur époque, leurs gènes, et leur liberté est égale à zéro (ainsi un autiste, un trisomique, un enfant du tiers-monde ou du quart-monde); d’autres, plus chanceux, car ils n’ont pas davantage choisi leur état, voient leur part de liberté plus grande parce que les déterminismes auxquels ils ont eu à faire face, ou auxquels ils font face, pèsent moins lourd. Dans tous les cas, on constate que la liberté existe en doses différentes chez les individus -totalement inexistante chez certains, importante pour d’autres. Mais à chaque fois, pour l’essentiel (les grandes lignes et les grandes directions d’un caractère ou d’un tempérament), on est choisi par plus fort que soi, on obéit. La croyance à la liberté ressemble étrangement à une illusion. »

Michel Onfray
https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/antimanuel-de-pedophilie

Zeus_Ganymède_Prométhé2222222.jpg

Du bon usage de » la Pédophilie

A la faveur de la parution d’un livre de Vanessa Springora intitulé « Le Consentement » (Grasset), la presse nous annonce pour la rentrée de janvier une affaire Matzneff qui met en scène le pédophile et ses relations avec un nombre considérable de protagonistes issus du milieu parisien, de Philippe Sollers à Frédéric Mitterrand en passant par Christophe Girard, mais aussi Bertrand Delanoë, Jean-Marie Le Pen et Bernard Pivot (cf. L’Express: « Quand la république décorait Gabriel Matzneff » par Jérôme Dupuis, le 27 décembre 2019), la liste s’allonge et il se pourrait bien qu’on aille de découverte en découverte.

L’équipe de Sollers m’avait sollicité pour le numéro 59 de sa revue L’Infini dont le titre était « La question pédophile ». J’avais donné ce texte: Du bon usage de la pédophilie -je me souviens qu’il était l’un des rares à ne pas défendre la pédophilie… J’y critiquais l’étrange statut d’extraterritorialité qui permettait aux pédophiles puissants du monde germanopratin d’échapper à la loi qui frappait, à juste titre, les misérables de la pédophilie.

C’était en 1997 -c’est-à-dire il y a vingt-deux ans. Le voici:

Du bon usage de la pédophilie

Je lis et relis Pascal comme Montaigne ou les Lettres à Lucilius de Sénèque, le soir, la nuit tombée, ou vers deux ou trois heures du matin, quand tout bruit sourdement dans la lenteur du temps épuisé et fatigué. Dans le flux de ces pages, cardinales à mes yeux, brillent des pépites qui éclairent le silence des noctambules. J’y trouve des viatiques, des occasions de méditation, des maximes utiles pour tâcher de mener une existence philosophique, voire des sésames avec lesquels poursuivre une conversation entre soi et soi, ou soi et le monde. Dernière phrase en date, lue dans les Pensées: « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on n’adore point les originaux! » Le fragment a beaucoup servi aux candidats bacheliers. J’ai bien dû moi-même l’infliger à des impétrants condamnés à me rendre des copies sur ce sujet… Mais en dehors de la classe de philosophie, que peut-on penser à partir de cette proposition?

Bien sûr: le divertissement, les beaux-arts comme détournement de l’essentiel, la vanité d’imaginer la possibilité de combler la misère de l’homme sans Dieu par l’artifice de la peinture et autres billevesées esthétiques (musique, littérature, philosophie, poésie, architecture, théâtre, etc.); certes: la critique philosophique de l’illusion et la célébration de l’austère réalité; ou encore: l’opposition, déjà, entre le virtuel esthétique et le réel naturel; ou bien: des méditations sur semblance et ressemblance, puis leurs relations avec la vérité; mais aussi: l’étrange alchimie générée par l’art qui éloigne du monde au nom d’un monde, qui célèbre un univers fictif au détriment d’un autre, immanent, concret et matériel; et puis, cette idée susceptible d’extrapolation: l’art contraint insidieusement à accepter, transfigurée, une réalité refusée sinon, il rend présentable, voire désirable, des faits et gestes, des choses et des situations qui, en dehors de cette transposition, nous froissent, nous choquent, nous hérissent, voire nous dégoûtent. L’art comme excipient du pire?

Y a-t-il, dans le monde esthétique, des occasions de montrer un réel refusé ou condamné autrement, en l’occurrence dans ses incarnations triviales? Bien sûr, notamment en matière de consensus politiquement correct: haine de la guerre (et présentation de celle-ci dans Guernica, la toile emblématique des leçons de morale pacifistes du siècle écoulé); mépris de la société de consommation (et mise en scène de celle-ci dans les boîtes de soupe Campbell sérigraphiées puis surfacturées par Andy Warhol); dénonciation de l’accumulation des richesses, du capital, des objets et de l’affolante production des valeurs d’usage (mais proposition de celles-ci esthétisées dans les compressions de César ou les accumulations d’Arman); condamnation de l’émergence de la publicité (et exposition d’affiches lacérées prélevées telles quelles sur les murs des villes par Hains ou Villéglé); fustigation de l’intellectualisme et de la cérébralisation de l’art contemporain (puis réinvestissement du discours culturel et de la rhétorique esthétique dans le monde de l’art brut et de la marchandisation de la peinture de Jean Dubuffet). Partout on critique un monde qu’on célèbre une fois esthétisé, transfiguré en objet d’art.

Étrange ruse de la raison: on finit par renverser l’expression populaire “ne pas supporter, même en peinture” et affirmer: “ supporter, parce qu’en peinture”. Comme si l’oeuvre mettait à distance et que dans cette distanciation on retrouvait la sérénité impossible dans le contact direct. Ce qui blesse réellement ravit une fois peint ou sublimé sur le terrain des beaux-arts. L’inceste effraie dans la réalité, mais séduit transformé en livre à succès; le criminel attire sur lui la déconsidération, mais redevient fréquentable une fois devenu sujet de roman; le viol inquiète dans la rue, mais appelle le génie dès lors que cette brutalité se propose sous forme de film; la violence tétanise dans les banlieues, les cités, les villes nouvelles, mais ravit une fois mise en scène dans des spectacles à grand budget. Catharsis diagnostiqueront les psychologues: on purifie en mettant à distance, on nettoie les affects en les projetant dans un objet tiers chargé d’assurer la présentation acceptable, puis la respectabilité.

Ainsi de la pédophilie qui réussit à fédérer l’ensemble de la société française, dans toutes ses composantes intellectuelles et philosophiques, politiques et spirituelles, dès qu’il s’agit de juger des faits. Aucune voix ne s’élève pour défendre, expliquer, raconter, justifier, atténuer la pratique pédophile d’un prêtre de province condamné à dix-huit années de prison. Pas de pétition d’intellectuel, de soutien des plumes habituées à brandir la pancarte humaniste, à proférer le slogan compassionnel et à se présenter en figure incarnée des droits de l’homme si l’on juge au tribunal un instituteur, un moniteur d’équitation ou un quidam qui ignore tout de Platon, des rapports d’éraste et d’éromène entre Socrate et Alcibiade, qui n’a pas lu la littérature grecque sur ce sujet et pratique l’amour des jeunes garçons et filles en inculte actif, innocent des coutumes hellénistiques à même de lui assurer une couverture théorique. Pas même d’anciens auteurs naguère défenseurs actifs de la cause qu’on découvre désormais silencieux…

Dans l’absolu, la question de la sexualité des enfants génère un silence gêné. Le plus modeste lecteur de Freud et le moins averti des récentes découvertes de l’éthologie sait désormais l’enfant pourvu d’une sexualité dès ses gesticulations initiales dans le ventre maternel. Les premières érections des petits garçons se vivent dans le placenta, les premiers mouvements de contraction des cuisses des petites filles également. Le fameux polymorphe pervers qui choque tant la bourgeoisie viennoise dès son baptême freudien se voit pourtant refuser purement et simplement l’existence charnelle effective par les intellectuels pourtant prompts à saisir l’occasion de défendre les exploités, les réprouvés, les oubliés, les négligés, les sans-grades, les privés d’humanité.

A contraindre les enfants à renoncer à leur sexualité on crée une situation qui les condamne à subir, ignorants, la névrose des adultes. Exclus de la possibilité d’une vie sexuelle entre eux, interdits d’épanouissement libidinal dans leur monde singulier, privés d’autonomie corporelle, ignorants leurs potentialités propres, confinés dans un auto-érotisme associé par la civilisation familialiste (prêtres et médecines acoquinés) à la culpabilité, faussement représentés et pensés dans la posture d’angelots asexués, ils deviennent facilement les victimes d’adultes qui profitent de leur supériorité physique, psychique, rhétorique, sociale, économique pour obtenir d’eux des faveurs qui les transforment en victimes idéales. Incapables d’entretenir des relations dignes de ce nom entre eux, ces adultes infligent leur misère sexuelle à des corps objectivés et terrorisés. La pédophilie se nourrit de l’insouciance des enfants exploitée par des adultes névrosés, impuissants à communiquer, et qui triomphent en abuseurs de chairs dépourvues des moyens d’une relation égalitaire.

Cette pédophilie construite par une civilisation négligente des enfants et castratrice des adultes les plus faibles a généré contre elle un consensus de la morale, du jugement et de la justice. Elle induit l’unanimité de la réprobation dès qu’il s’agit de faits et gestes repérables dans la trivialité de la vie quotidienne. Pas de quartier pour l’éducateur, pas de pitié pour l’enseignant, pas de circonstances atténuantes pour le prêtre, pas d’indulgence pour l’entraîneur et, en même temps, une extrême tolérance pour les artistes, au sens large du terme, qui exploitent le filon pédophile et mettent en scène l’amour des enfants dans leurs romans, essais, peintures, dessins ou photographies. Je songe à Nabokov (qui célèbre les Lolita entre neuf et quatorze ans), à Gide, sûr de l’impunité offerte par le Nobel lorsqu’il collectionne les petits Arabes au Maroc, à Gabriel Matzneff (qui vante les mérites des moins de seize ans, et reconnaît dix ans comme une limite plancher), à Balthus, metteur en scène de nymphes alanguies, aux cuisses perpétuellement écartées et aux petits seins de jeunes filles à peine pubères, aux dessins de jeunes garçons filiformes et nus d’Otto Meyer-Amden, ou aux photographies kitsch et faussement grecques de Wilhelm von Gloeden amplement célébré par un René Schérer s’abritant derrière la caution fouriériste pour justifier la pédophilie dans la presque totalité de ses ouvrages philosophiques depuis plus de quarante ans.

Précisons, avant toute chose, ce qu’il convient d’entendre par pédophile. Étymologiquement, le mot désigne un individu qui aime les enfants. Aimer, au sens large, ne comprend pas le passage à l’acte sexuel. Le pédagogue et la pédagogie, le pédiatre et la pédiatrie, puis l’orthopédie et l’orthopédiste procèdent de la même racine -paedia, l’enfant qui, en latin, se dit infans: qui ne parle pas. Le pédophile aime l’enfant dans la relation qu’il entretient à lui: l’instruction de l’instituteur, l’éducation de l’éducateur, l’examen du médecin spécialisé, l’entraînement du moniteur, mais aussi le parent qui donne de l’affection à sa progéniture, tous expérimentent à des degrés divers le sentiment pédophilique. Par la suite, le terme caractérise également l’adulte qui aime amoureusement et désire sexuellement les enfants d’âge impubère ou juste pubère. Celui, aussi, qui passe à l’acte. Récemment, le pédophile est devenu le criminel sexuel, violeur, organisateur de rapts ou de ventes, de mises en scènes filmées ou photographiées, voire de crimes perpétrés sur les corps d’enfants et leurs personnes. Entre l’attention professionnelle de l’enseignant en primaire et la brutalité délirante du délinquant se déploie une série de possibilités. J’en choisirai deux.

La première met en scène Gabriel Matzneff, dont j’ai beaucoup aimé, naguère, les livres consacrés à la Rome impériale, au suicide chez les philosophes antiques, à la vertu des stoïciens, à la grande santé des poètes élégiaques, au dandysme de Lord Byron. J’ai également lu, quand j’avais vingt ans, ses chroniques dans Le Monde où j’aimais voir convoqués Horace, Lucrèce, Tibulle ou Properce, mais aussi Schopenhauer ou Nietzsche, pour commenter et regarder l’actualité avec un œil critique et intempestif. J’étais alors lecteur fidèle de ces textes d’homme libre.

nabokov.png

Plus tard, j’ai découvert, chez un bouquiniste, Les Moins de seize ans -un livre publié dans une collection dirigée par Jacques Chancel chez Julliard en 1974 et récemment réédité. Puis, Mes amours décomposés – Journal 1983-1984, un ouvrage (1990) dont l’éditeur est Philippe Sollers chez Gallimard. Ces deux volumes proposent noir sur blanc une justification théorique de la pédophilie pour le premier et, pour le second, une illustration de la thèse par un exposé détaillé, trivial, vulgaire, cru, narcissiste, mégalomane et d’une précision médicale sans limite, des pratiques du susdit en la matière.

J’ai cessé d’aimer cet auteur dont je croyais la vie exigemment indexée sur la pensée et vice versa lorsque, chez Bernard Pivot, faisant face à Denise Bombardier, une écrivaine québécoise lui disant que s’il n’était protégé par son statut d’homme de lettres bien intégré dans le milieu parisien et par l’affection du président de la République d’alors qui aimait aussi tel ancien préfet de Vichy, il irait tout droit en prison, Gabriel Matzneff a nié, joué l’écrivain sali, s’est abîmé avec une arrogante mauvaise foi dans une dénégation indigne d’un prétendu amateur de courage stoïcien et de bravoure romaine. Le suicide, ce soir-là, fut loin d’être romain…

Car sa pédophilie existentielle et littéraire, immanente et théorique ne fait aucun doute. Lisons son manifeste, Les moins de seize ans: éloge de la sexualité avec des partenaires, garçons ou filles, dont l’âge oscille entre dix et seize ans; revendication d’une impuissance à imaginer et d’une capacité à écrire seulement ce qui est vécu, pratiqué, éprouvé et expérimenté au quotidien; refus de toute sexualité avec un garçon ayant franchi le cap des dix-sept ans; aveu de l’intégrale clandestinité de ses pratiques amoureuses avec les enfants masculins alors qu’il rend publiques ses relations avec les jeunes filles du même âge; justification d’un fait divers du moment mettant en scène un quinquagénaire organisateur de ballets roses ayant couché avec au moins soixante-dix-huit fillettes âgées de onze à quinze ans, payées de quelques francs, photographiées, et « peut-être un peu violées », bien que toutes soient présentées par lui comme consentantes et désireuses de voir le manège se répéter; ces phrases aussi: “la violence du billet de banque qu’on glisse dans la poche d’un jean ou d’une culotte (courte) est malgré tout une douce violence. Il ne faut pas charrier. On a vu pire.” Suivies de considérations sur le rôle économique bénéfique de la pédophilie dans les familles du sud de la Loire; confidences autobiographiques sur ses relations sexuelles avec des garçons de douze et treize ans; rhétorique spécieuse pour transformer la sexualité avec les jeunes garçons en « expérience hiérophanique », « épreuve baptismale », « aventure sacrée »; célébration appuyée des colonies de vacances, des camps de jeunesse, des associations sportives qui permettent ce sport et cette chasse d’enfant -selon ses termes; aveu cynique du choix de ses jeunes partenaires de préférence dans des familles désunies, chaotiques. Cessons-là l’inventaire…

Comment un homme qui a écrit ce livre et défendu ces thèses, qui s’est fait une gloire d’installer le pédophile du côté des réprouvés, des rebelles, des marginaux, des porteurs d’étoile jaune (dans le numéro de L’Infini consacré à « La question pédophile » en septembre 1997), des hérétiques, des ennemis de l’ordre et de la bourgeoisie, comment cet homme peut-il se réfugier sur les cimes, feignant la vertu outragée, se nimber d’une aura de victime lorsque la Québécoise bien inspirée lui demande à la télévision de justifier devant des millions de téléspectateurs ses positions à la faveur d’un livre, son journal, exclusivement consacré à l’autocélébration de ses performances avec des jeunes individus des deux sexes? A ce moment, Matzneff pouvait, devait, faire preuve du courage romain qu’il n’a cessé d’encenser verbalement. Et acquiescer, puis justifier -et non se justifier.

A dire vrai, la pédophilie revendiquée comme une possibilité d’existence me semblait ce soir-là un tout petit peu moins détestable si elle en appelait au débat que cette fuite, ce refus, cette dénégation, cet écroulement public de l’homme qui passe sa vie à faire l’éloge du suicide de Sénèque et tremble devant la perspective d’une piqûre de guêpe. Exit le héros de carton pâte, le grand homme devenu nain, le donneur de leçons romaines qui se comporte en bourgeois dénégateur une fois pris la main dans le sac. On se réclame du rigoureux Caton d’Utique, on adopte la posture de l’austère Cicéron, on se drape dans la toge virile de César, puis on se contente d’une vie vécue sous les auspices de Monsieur Prudhomme…

La schizophrénie de Matzneff pèse plus contre lui qu’une pratique à ses yeux justifiable verbalement puisqu’elle est depuis toujours sienne et revendiquée théoriquement puis pratiquée comme telle. Pourquoi ne pas mener le débat, conduire le combat, défendre ses idées lorsque l’heure vient de montrer du courage? Pour quelles raisons refuser devant la caméra ce que tous ses livres avouent depuis des années? Soudain, alors que les élégiaques romains auraient pu être convoqués, puis la Grèce et la figure de Socrate, enfin Tibulle, Pétrone et Straton de Sardes, plus proches Lewis Carroll, Thomas Mann ou Michel Tournier, Matzneff a ajouté à la réputation du pédophile celle du lâche n’ayant pas le courage de ses opinions et préférant le mensonge à la vérité pourtant brandie en étendard depuis des années. A quoi ressemble une idée à laquelle on renonce dès l’ombre de la première difficulté?

La raison de ce revirement fait sens: l’artiste sait qu’on tolère ses frasques si elles sont roulées dans la farine de la vertu, confites dans la dignité de la littérature, cuites dans l’écriture et le livre, puis livrées dans la publication. L’art voile l’immoralité et la transfigure en marchandise monnayable. L’impossible pédophilie de fait devient une figure de style possible après esthétisation. Edité par Julliard et Chancel, Gallimard et Sollers, ami de Cioran et de Mitterrand, puis de quelques autres plumitifs germanopratins grouillant dans son journal entre piscine remplie de jeunesses bronzées et restaurant diététique où l’on surveille sa taille et son ventre plat, l’écrivain peut porter son vice en bandoulière; ouvrier d’usine en province, ami de personne et ne disposant d’aucun carnet d’adresse, incapable d’écrire ou de vendre sa pédophilie en expérience transmutée par le livre ou un autre support relevant des beaux-arts, c’est la cour d’assise qui l’attendrait… Denise Bombardier avait-elle tort? Pouvait-on refuser pour le moins de répondre à sa question? La posture d’offusqué suffisait-elle pour glisser comme une couleuvre et éviter le débat, ouvrir la discussion. 

Mon deuxième exemple passe par Balthus et le requiert. Non que le peintre ait pratiqué la pédophilie dans sa vie quotidienne (question non abordée et non abordable), mais parce que toute son oeuvre transpire la passion pour les petites filles et le jeu pervers entre son exhibitionnisme de petits corps nus montrés dans des postures obscènes et le voyeurisme attendu des regardeurs de ses toiles, spectateurs consentants ou silencieux de ce théâtre d’enfants mis en scène dans une série de tableaux où les jeunes filles triomphent à quatre pattes, comme de petites femelles lascivement en rut qui offrent leur postérieur au premier mâle venu à même de les prendre en ignorant leur face, donc leur humanité. Là où se cambrent les reins de ces enfants, il ne saurait y avoir de place pour ce que Levinas appelle le visage.

balthus.png

Peinture de Balthus

Fesses relevées, croupes tendues, jambes écartées, sexes exhibés, ces corps de jeunes filles aux très petits seins à peine formés, hauts placés sur un buste qui pourrait être celui d’un jeune garçon, ces silhouettes impubères (l’effrayante enfant du Nu au miroir de1981-1983), graciles, sans hanches, sans bassin, sans toison pubienne, sans histoire écrite sur le visage, ces chairs lisses pas encore finies, à peine terminées, au seuil du monde adulte, ces peaux fraîches et sans cicatrices, quel plaisir peut-on avoir à les montrer dans le détail et à satiété?

Ces visages aux yeux fermés, aux regards impossibles à croiser, dont les traits lissés citent vaguement ceux de l’extase du Bernin, ces corps abandonnés dans un fauteuil, ces bras ballants dans une posture alanguie, cet entrejambe toujours ouvert sur un angle obscène, ce pubis imberbe, glacial, exposé à la manière d’une planche anatomique de pédiatrie (l’affreuse Leçon de guitare de1934!), quelle jubilation induisent-ils chez le peintre des heures attardé devant sa toile, fourbissant l’obscène? Cette scène à frissonner d’épouvante dans La Rue (1933) qui, au milieu d’un genre de décor de théâtre, ou d’une sorte de scène reconstituée en studio pour un film réaliste, propose dans l’angle gauche une jeune fille effarouchée, prisonnière d’un adulte qui arrive derrière elle, l’enserre, d’une main saisit son avant-bras, de l’autre soulève sa jupe pendant qu’il glisse sa cuisse dans l’entrejambe de l’enfant, quelle satisfaction de mettre en scène ce viol dans ses premiers instants? Enfin, cette sinistre toile intitulée La Victime (1939-1946) qui montre une jeune fille nue, allongée sur un lit aux draps froissés, alanguie, le visage semblable à celui d’une morte, un couteau repose à terre, la lame luisante, épargnée par le sang, le corps aussi est sans trace sanguinolente, sans plaie: l’arme a-t-elle servi à un homme pour menacer d’un viol et l’accomplir? Quelle satisfaction pour le peintre de représenter cet après violence sexuelle, de mettre en scène l’absence du violeur son forfait accompli, la chair meurtrie de sa victime défaite sur un lit?

Le nombre de toiles de Balthus où les corps de jeunes filles sont offerts, donnés, abandonnés, disponibles pour un maître à même de les prendre selon son bon plaisir, est considérable. Le dominateur s’empare de la virginité due et donnée au seigneur, la jeunesse se destine au bon vouloir du mâle qui en dispose, la chair appartient à l’homme qui soumet l’enfant docile et soumis: voilà les impératifs pédophiles et misogynes, féodaux et aristocratiques, cyniques et immoraux -rien qui réjouisse une âme désireuse de sexualité solaire, épanouie, partagée, consentante, libertaire, en un mot, adulte. Balthus met en scène un univers d’avant la modernité aussi bien sur le terrain de la peinture (technique, artisanat, métier) que sur celui des sujets, des thématiques: il peint un monde en ignorant que la Révolution française a eu lieu et l’a mis à mal.

La protection (que je ne dirai pas pédophile, même si Balthus a alors autour de quinze ans) de Rilke qui préface un recueil de ses dessins de chats, puis l’avalanche et la cascade de noms fascinés par l’ancienne caution du poète ne cesse de valoir soutien: Antonin Artaud, Albert Camus, Georges Bataille, Pierre Klossowski, René Char, André Malraux, Pierre-Jean Jouve, Yves Bonnefoy, Félix Guattari, Jean-Pierre Faye, parmi les plus illustres, forment une palette devant laquelle les amateurs d’instinct grégaire plient le genou. Ecrire ou penser contre Balthus équivaut à écrire et penser contre ces sommités qui l’ont soutenu; refuser son monde, le mettre en doute conduit à interdire l’inscription de son nom dans la filiation qui garantit la réputation et la prétendue autorité de l’expert.

Or aucun de ces soutiens prestigieux n’a mis en doute la représentation féodale du corps des enfants dans la peinture de Balthus, aucun n’a proposé de lecture politique (au sens noble) de son travail, aucun n’a regimbé devant la pédophilie esthétiquement active dans la plupart de ses toiles, y compris celles qui proposent des portraits de pères avec leurs enfants (Portrait d’André Derain en 1936, Joan Mirò et sa fille en 1937-1938, Portrait de Monsieur L. de C. et de ses enfants en 1943, Roger et son fils en 1936, d’étranges monstruosités picturales où l’adulte semble toujours prêt de fondre en prédateur possible d’enfant.

Personne parmi ces autorités intellectuelles n’a mis cette peinture en perspective avec le monde d’avant 1789, celui où les enfants (mais aussi les femmes et les autres minorités: les juifs, les noirs, les esclaves, les citoyens passifs, les gens de peu) n’existaient que comme des proies offertes à la discrétion des seigneurs et maîtres qui possédaient le monde. Via les images qu’il produit et les icônes féodales qu’il signe, Balthus possède le corps des petites filles et réduit leur chair à l’objet exhibé et destiné aux initiés, à l’élite, à l’aristocratie, aux pairs qui se reconnaissent dans cet univers fabriqué pour réjouir leurs fantasmes. Dans ce théâtre où le corps des enfants se chosifie, le Marquis de Sade est incontestablement parent du Comte Balthazar Klossowski de Rola, dit Balthus. Le même sang bleu circule, gelé, dans leurs veines à particules.

Matzneff et Balthus démontrent, parmi d’autres exemples possibles, que pour défendre des positions pédophiliques (pratiques et théoriques), mieux vaut passer par le filtre de l’art et faire un détour par la médiation de l’esthétique. Ouvrier, modeste, sans culture, sans références intellectuelles, sans appui dans le monde des lettres, ignorant la rhétorique spécieuse qui convoque les Grecs, Spartes et Athènes, Gide et Montherlant, voire, plus contemporains Tony Duvert et François Augiéras, sinon René Schérer (auteur, parmi d’autres livres défendant cette question, d’un Emile perverti publié en 1974 chez Robert Laffont, dans une collection dirigée par Jean-François Revel, puis d’Une érotique puérile chez Galilée en 1978), en délicatesse avec la parole, la justification, le verbe et les mots, le présumé innocent se retrouvera vitement dans les geôles d’une prison où, reçu comme pointeur par un comité d’accueil déterminé, il subira les traitements réservés aux auteurs de crimes sexuels.

 En revanche, écrivain, intellectuel, auteur à l’agenda mondain bien rempli, gendelettres ou institutionnels, lecteur d’Alcibiade dans le texte, objet de ses pulsions sans autre recommandation qu’un Œdipe mal fichu, mais bien travesti par les jeux croisés de l’esprit et de la cérébralité, voire peintre rare dans ses épanchements et apparitions (vertu sublime et grandement payante dans un monde spectaculaire), réactionnaire dans sa peinture (thématique et traitement), conservateur en tout, affichant sa féodalité sans complexe, revendiquant une passion pour Hergé et les albums de Tintin (on le comprend en comparant la naïveté des deux mondes), voilà qui garantit d’une totale impunité, voire, pire, ou mieux, voilà qui assure d’une réputation sulfureuse rentable et d’un parfum de scandale payant.

balthus2.jpg

Peinture de Balthus

Car, étrangement, la pédophilie se justifie sublimée par l’art. Une fois passée par le chas de l’aiguille esthétique, elle peut prétendre à la respectabilité et à l’institution -Nobel de Gide, Académie française de Montherlant, Pléiade de Carroll, Académie Goncourt pour l’un et Conclave pour l’autre. En revanche, elle vaut l’infamie véritable au prêtre de province, au notaire de sous-préfecture, à l’instituteur de campagne, elle déclenche l’ire des simples et des naïfs, des gens modestes et des consciences bien faites. Elle garantit d’une aura magique l’artiste et le peintre, le photographe et le romancier, l’essayiste et le poète, le cinéaste et le philosophe s’ils ont le bon goût de sublimer, au sens freudien, leur passion pour la chair fraîche.

Qu’on laisse la sexualité des enfants s’épanouir dans son registre et ses fantaisies, qu’on leur offre toutes les latitudes possibles et imaginables entre eux, et simultanément qu’on abandonne les adultes à leur univers et à la gestion tribale de leur misère sexuelle, loin des plus jeunes préoccupés de leurs corps en devenir et de leurs pulsions à part. La reconnaissance d’une libido infantile oblige à réfléchir à la place qu’on peut leur laisser, entre eux, pour eux, elle ne permet pas qu’on s’appuie sur cette évidence désormais acquise de l’existence d’un désir infantile pour justifier l’intrusion des névroses adultes dans ces univers singuliers sous prétexte qu’ils pourraient, eux, du haut de leur savoir et de leur compétence, répondre à ce désir par leur plaisir.

Les juges épargnent les coupables ou manifestent une étrange mansuétude à leur endroit lorsqu’ils évoluent dans le même monde intellectuel qu’eux: les écrivains, les intellectuels, les gens de culture et les hommes du droit, les artistes du barreau se reconnaissent comme appartenant au même univers, ils partagent des valeurs semblables, communient dans un catéchisme identique. Le pédophile trivial, vulgaire, commun fait l’unanimité contre lui; son frère jumeau, mais doué de rhétorique, se veut différent, distinct, autre, d’un alliage différent, et on lui concède la plupart du temps cette faveur qui lui assure l’impunité. Matzneff est même allé jusqu’à tomber récemment le froc pédophile pour endosser l’habit de philopède -une création de son crû! Qui trompe-t-il encore avec ces artifices de langage? Philopèdes les célébrités culturelles, mais pédophile le quidam inculte? Que de contorsions intellectuelles pour cacher la misère sexuelle et l’étendue des dégâts… »

https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/du-bon-usage-de-la-pedophilie?mode=video

mardi, 14 mai 2019

Média & Politique : La fabrique du consentement - Michel Onfray

cover-r4x3w1000-5b13eb1ed9451-000-arp3338015.jpg

Média & Politique : La fabrique du consentement - Michel Onfray

Retrouvez les vidéos et les ouvrages des intervenants sur http://philocloud.fr
 
* * *
 
Haussez la réalité d'un ton, abonnez-vous https://goo.gl/MPBYLu.
 
* * *
 
Autres sources : Facebook PhiloCloud : https://www.facebook.com/PhiloCloud52
 
Facebook Clip & Musique : https://www.facebook.com/frenchflux
 

Théorie de la dictature... - Un essai de Michel Onfray

comme-esprit.jpg

Théorie de la dictature...

Un essai de Michel Onfray

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Les éditions robert Laffont viennent de publier un essai de Michel Onfray intitulé Théorie de la dictature. Philosophe populaire, tenant d'un socialisme libertaire, Michef Onfray a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement sa trilogie  Cosmos (Flammarion, 2015), Décadence (Flammarion, 2017) et Sagesse (Flammarion, 2019).

71hD5GMQ5zL.jpg

Il est admis que 1984 et La Ferme des animaux d'Orwell permettent de penser les dictatures du XXe siècle. Je pose l'hypothèse qu'ils permettent également de concevoir les dictatures de toujours.
Comment instaurer aujourd'hui une dictature d'un type nouveau ?

J'ai pour ce faire dégagé sept pistes : détruire la liberté ; appauvrir la langue ; abolir la vérité ; supprimer l'histoire ; nier la nature ; propager la haine ; aspirer à l'Empire. Chacun de ces temps est composé de moments particuliers.
Pour détruire la liberté, il faut : assurer une surveillance perpétuelle ; ruiner la vie personnelle ; supprimer la solitude ; se réjouir des fêtes obligatoires ; uniformiser l'opinion; dénoncer le crime par la pensée.
Pour appauvrir la langue, il faut : pratiquer une langue nouvelle ; utiliser le double langage; détruire des mots ; oraliser la langue ; parler une langue unique ; supprimer les classiques.
Pour abolir la vérité, il faut : enseigner l'idéologie ; instrumentaliser la presse ; propager de fausses nouvelles ; produire le réel.
Pour supprimer l'histoire, il faut : effacer le passé ; réécrire l'histoire ; inventer la mémoire ; détruire les livres ; industrialiser la littérature.
Pour nier la nature, il faut : détruire la pulsion de vie ; organiser la frustration sexuelle ; hygiéniser la vie ; procréer médicalement.
Pour propager la haine, il faut : se créer un ennemi ; fomenter des guerres ; psychiatriser la pensée critique ; achever le dernier homme.
Pour aspirer à l'Empire, il faut : formater les enfants ; administrer l'opposition ; gouverner avec les élites ; asservir grâce au progrès ; dissimuler le pouvoir.

Qui dira que nous n'y sommes pas ?

M.O.

lundi, 25 février 2019

Michel Onfray charge Bernard-Henri Lévy : "Il est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie

plantu-bhl.jpg

Michel Onfray charge Bernard-Henri Lévy : "Il est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie

 
Michel Onfray charge Bernard-Henri Lévy : "Il est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie"
 
ABONNEZ-VOUS pour plus de vidéos : http://bit.ly/radioE1
Retrouvez-nous sur : |
Notre site : http://www.europe1.fr |
 

Quand Fabrice Luchini rencontre Michel Onfray

onfray-luchini-lgl-01-1bafa.jpg

Quand Fabrice Luchini rencontre Michel Onfray

mardi, 09 janvier 2018

Cosmos de Michel Onfray : une ontologie matérialiste

Cosmos-Michel-Onfray-reflet-apories-temps-Livre-e1452358512357.jpg

Cosmos de Michel Onfray : une ontologie matérialiste

Rémy Valat
Historien.

« Le jardin est une bibliothèque quand trop peu de bibliothèques sont des jardins »

Qui lira Bernard-Henri Lévy ou Jacques Attali dans 20 ans ? Personne. Dans un monde en devenir qui doute, critique et repense ses fondements, il est presque assuré que Michel Onfray figurera parmi les auteurs que l’on enseignera à l’école, mais certainement pas au même titre que les « philosophes des Lumières » (Vous rappelez-vous peut-être d’un certain Voltaire, cet Onuphre qui dénonçait l’esclavage, mais vivait de ses bénéfices). Lassées des manipulateurs de symboles dont les modes de vie révèlent un net décalage avec leurs discours, les classes populaires sont à la recherche d’autres modèles et de valeurs profondes. Un besoin de réel se fait entendre. Michel Onfray, qui pense et agit à partir du réel, nous a offert, il y a deux ans, sa première « pilule rouge » : Cosmos.

Bienvenue dans le monde réel….

Cosmos est le premier opus d’une trilogie, intitulée Brève encyclopédie du monde, une oxymore qui cache en réalité un véritable défi philosophique. Cosmos est paru aux éditions J’ai Lu en 2015, son cadet Décadence qui a vu le jour il y a un an, à quelques semaines des élections présidentielles, a quant à lui fait couler beaucoup d’encre, car il aborde frontalement la question du déclin de notre civilisation et abonde dans le sens du livre d’Éric Zemmour, Le suicide français (paru chez Albin Michel en 2014). Et enfin, Sagesse paraîtra cette année.

Les pieds sur terre (ou dans la boue pour ses détracteurs), Michel Onfray qui défend les valeurs de la gauche identitaire, s’est mis à dos l’élite parisienne de la bien-pensance. En enracinant sa pensée dans le réel, cet héritier de Frédéric Nietzsche, des philosophes grecs et de Pierre-Joseph Proudhon a brisé un tabou en repartant à la conquête de domaines de la connaissance laissés en friche par la gauche (si ce mot peut encore avoir un sens aujourd’hui) : l’histoire dans sa longue durée, le devenir des civilisations, la nature, le vitalisme, le darwinisme… des sujets de « fachos » et de « réacs ».

Il n’est pas vraiment le seul, il est vrai que Régis Debray, ancien compagnon de route du « Che », s’intéresse au « sacré » et à la soif de transcendance, éléments, selon lui essentiels, de la cohésion sociale (conceptions qui l’éloigne de l’athéisme matérialiste de Michel Onfray). Mais en définitive, les « penseurs » de gauche qui osent se remettre en question se comptent sur les doigts d’une main. Surtout, le philosophe en noir s’est attiré la ire de la bien-pensance pour avoir osé porter un regard moins naïf sur l’Islam et dénoncer le manque de recul des médias (qui privilégient l’immédiateté et le sensationnalisme) et leur incapacité à traiter ce sujet en profondeur.

sun_tunnels_Nancy_Holt.jpg

Cosmos est, selon Michel Onfray, son premier livre. Il est le fruit de ses précédentes recherches et réflexions (en particulier sa « contre-histoire de la philosophie »), mais aussi de drames personnels : la perte du conjoint et d’un père, dont l’art de vivre, « virgilien » selon les propres mots de l’auteur, s’est imposé à lui comme un modèle de vie, une philosophie à part entière. « Mon père, écrit-il, qui ne faisait jamais d’autres leçons de morale qu’en vivant moralement, m’apprit que (l’étoile polaire) est la première levée, la dernière couchée qu’elle indique infailliblement le nord, quelles que soient les circonstances et que, quand on est perdu, il suffit de la regarder, car elle nous sauve en nous montrant le cap à tenir. Leçon d’astronomie, certes, mais aussi leçon de philosophie, mieux même : leçon de sagesse. Savoir qu’il nous faut un point de repère existentiel pour pouvoir mener une vie digne de ce nom, voilà qui donnait à l’enfant que j’étais un colonne vertébrale pour enrouler son être » (page 17).

Ce livre est aussi et surtout une inversion des perspectives (et par conséquent des valeurs), alimenté certes par le rejet (bien compréhensible) des monothéismes, religions du livre qui prétendent dire le monde. « Trop de livres, écrit Michel Onfray, se proposent de faire l’économie du monde tout en prétendant nous le décrire. Chacun des trois textes fondateurs de religion prétend abolir les autres livres pour rester le seul. Ces trois-là ont généré une infinité de livres qui les commentent, ouvrages tout aussi inutiles pour comprendre le réel. Le jardin est une bibliothèque quand trop peu de bibliothèques sont des jardins » (page 37).

Cosmos est un texte écrit à la première personne. Comme Frédéric Nietzsche, Michel Onfray ne dissocie pas l’auteur de son œuvre. L’écrivain doit se dévoiler, révéler les éléments de son existence constitutifs de sa pensée avec un réel souci épistémologique. Chaque pensée est unique et une philosophie personnelle. Méthode qui élève Michel Onfray en héritier de Karl Popper (1902-1994). Cosmos est un livre de réflexion, pas un livre d’incantations. Il pourrait servir de modèle aux historiens du temps présent, qui bien souvent cachent leurs opinions politiques ou leurs liens avec leur objet d’étude de manière à réinterpréter l’histoire avec le secret espoir de pouvoir peser sur les événements contemporains.

Sur la forme, le style souvent poétique, le rythme lent et descriptif sans être pesant et la parfaite maîtrise de la langue française rendent la lecture de l’ouvrage agréable et enrichissante à celles et ceux qui prennent le temps d’en comprendre le contenu et l’esprit. Ce n’est pas un livre fast-food et Cosmos a reçu le prix Lire du meilleur livre de philosophie.

Par delà la gauche et la droite

Pourquoi parler de Cosmos deux années après sa publication ?

Parce que l’esprit de Métamag n’est pas de se plier à la loi de l’instant, un livre de philosophie (comme un bon vin) vit selon un rythme propre, il a sa propre temporalité (le sujet du livre s’y prête bien). Et aussi parce que j’estime que Décadence, de par son succès médiatique, pourrait occulter Cosmos, qui est à mon sens plus fondamental. Parce qu’également la personnalité de Michel Onfray interpelle : issu d’une famille modeste, il est devenu enseignant, puis démissionne de l’éducation nationale. Un choix radical. Alors que certains professeurs se tiennent éloignés de l’enseignement en pantouflant dans les services éducatifs d’institutions publiques, Michel Onfray a créé une université populaire, gratuite, où il professe (2002). Ces leçons de contre-philosophie sont radiodiffusées par France Culture. Un moyen d’offrir au classes populaires les moins favorisées le moyen d’accéder, et permettez-moi de paraphraser Fernand Pelloutier (1867-1901), à « la science de son malheur ». Son attachement à l’anarcho-syndicalisme et au fédéralisme proudhonien et au peuple et sa volonté affichée de combattre le Front National, le rapprocheraient « paradoxalement » de la droite non institutionnelle. Cette ouverture d’esprit facilite le débat et l’échange d’idées : tout en restant sur ses positions, le dialogue est possible entre ce philosophe de gauche et des penseurs de droite.

738_michel_onfray.jpg

Honnête, il a tout en se démarquant idéologiquement des auteurs « dits d’extrême-droite » ayant mis en lumière les falsifications de Sigmund Freud reconnu le bien-fondé de leurs analyses : pour lui, les faits n’ont pas de coloration politique et l’antisémitisme n’est qu’un pansement idéologique sur la jambe de bois de la psychanalyse freudienne.

Le débat avec Alain de Benoist autour de la pensée, de l’oeuvre et de la postérité de Proudhon en est une belle illustration ( voir vidéo ci-dessous). Il témoigne de la fin du clivage « gauche-droite » traditionnel et révèle plutôt une ligne de fracture (centre-périphérie, classes populaires et élite auto-proclamée et héréditaire des villes, intégrées aux bénéfices de la « mondialisation »), constitutive du jacobinisme et multipliée par la dite « mondialisation » (l’anglicisme Globalisation serait plus approprié pour définir ce processus à visée totalitaire). Les constats du géographe Christophe Guilly sont vécus depuis longtemps par les « gens de la périphérie ». Un auteur qui fait grincer les dents de Libération (Michel Onfray qualifie avec truculence Serge July de « curé ») et la gauche dorée et institutionnelle. Il est certain qu’une « Commune » ne pourrait plus se produire à Paris : la société française pourrait bien changer à partir de sa base et de sa périphérie par un mouvement fédéraliste qu’il appelle de ses vœux (les premières sections de l’Internationale ouvrière, d’inspiration proudhonienne, ont vu le jour en Normandie, patrie du philosophe). Par cet essai, Michel Onfray achève d’une balle dans la tête un socialisme et un communisme déjà moribonds : la mort programmée de la civilisation judéo-chrétienne a déjà fait ses premières victimes.

Un manifeste pour un matérialisme ontologique

Ce livre interroge le réel. L’arsenal de son auteur : la philosophie grecque, le paganisme et la culture européenne. Ce livre reflète-t-il le Zeitgeist de la post-modernité ? La réalité serait-elle païenne ?

Michel Onfray s’attaque aux racines du mal, l’héritage platonicien et chrétien en Occident, il rejette toute notion scindant l’homme en une entité matérielle et spirituelle, un sujet et un objet : une paresse intellectuelle ou une peur d’affronter le complexité et la multiplicité d’un monde concret et immanent par des spéculations rassurantes et simplistes autour de la transcendance divine. Dans son chapitre dédié au Temps, par exemple, l’auteur souligne que « l’âme humaine qui est matérielle porte en elle la mémoire d’une durée qui se déplie par delà le bien et le mal. La durée vécue n’est pas naturellement perçue, elle est culturellement mesurée (40) ». En somme, le temps se trouve dans la cellule de ce qui est.

Michel Onfray est ouvertement vitaliste, l’homme provient de la matière, il est un modeste élément de l’univers, qui comme lui, est animé par la « volonté de puissance », cette pulsion de vie qui veut la vie (l’auteur rappelle dans son ouvrage l’interprétation erronée de ce concept par la propagande nazie, une trahison et une instrumentalisation de la pensée de Nietsche par sa sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche et recadre la définition du surhomme qui est celui qui sait qu’on ne peut rien à ce qui est. Conception qui s’oppose radicalement aux idéologies de l’espérance du christianisme aux fascismes, en passant par le droit-de-l’hommisme.).

Rien ne distingue l’homme de l’animal, du végétal ou du minéral, sinon une différence de degré. Pour lui, l’éthologie humaine est un remède contre toutes les spéculations réduisant la nature à une matière à détruire (très présente dans la doctrine paulinienne), alors que celle-ci serait plutôt une force à maîtriser. Si Michel Onfray réhabilite justement Charles Darwin (1809-1882), il aurait pu élargir son propos à Konrad Lorenz (1903-1989), mais on ne lui en voudra pas. Dans le même ordre d’idée, Michel Onfray met également en avant les ravages de l’anthropomorphisation de la nature (qui est une vision déformée de celle-ci, parce que rapportée à l’échelle de nos préoccupations et désirs) qui alla de pair avec la destruction (par le Christianisme et l’Islam en particuliers) des cultures et civilisations entretenant un rapport sacré avec la nature. Ces dernières véhiculant la connaissance intuitive que celle-ci comporte une part de sacré et réciproquement.

En replaçant l’homme à sa juste place, celui-ci se retrouve un simple élément d’un processus fait de contraintes ne laissant qu’une faible part de liberté : l’humain, l’animal et le végétal sont soumis au même diktat et les moyens d’adaptation varient de la collaboration au conflit. L’exemple du sipo matador, la liane tueuse, qui épuise et parasite l’arbre lui servant d’appui pour accéder à la lumière, ou plus largement le processus de colonisation des espèces végétales sur notre planète ne nous éloigne guère du phénomène humain des migrations de masse.

Cosmos est une tentative réaliste de réconciliation de l’homme avec lui-même, faite d’une acceptation non résignée de notre état (amor fati) et un manifeste pour une recherche concrète d’une éthique libérée de la pilule rouge des carcans moraux des idéalismes de tout poils.

11:37 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel onfray, cosmos, livre, philosophie, vitalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 19 septembre 2016

Michel Onfray : «Les médias de masse ont intérêt à cultiver l'imbécillité»

onfray-611x330.jpgMichel Onfray : «Les médias de masse ont intérêt à cultiver l'imbécillité»

Par Alexandre Devecchio

Ex: http://www.lefigaro.fr

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors qu'il lance sa propre Web TV en lien avec l'Université populaire de Caen, le philosophe Michel Onfray dresse un réquisitoire sans concession contre des médias devenus symboles de la défaite de la pensée.


Michel Onfray est philosophe. Après le 21 avril 2002, il fonde l'Université Populaire de Caen. En 2016, il publie Penser l'Islam(éd. Grasset) et Le Miroir aux alouettes. Principes d'athéisme social(éd. Plon).


FIGAROVOX. - Vous venez de lancer votre web TV. Pourquoi avoir créé ce nouveau média? À qui s'adresse-t-il?

Michel ONFRAY. - Pour disposer de temps afin de développer des argumentations et des démonstrations, ce qui est impossible dans un média dans lequel le temps c'est de l'argent. Et souvent: beaucoup d'argent… Dès lors, dans un média classique, ce qui est visé est moins l'information, vraie ou fausse d'ailleurs, que le spectacle susceptible de créer le buzz. Autrement dit, il faut obtenir le maximum de consommateurs devant leur écran à l'heure où le clystère publicitaire se trouve infligé. Or on n'obtient pas un public massif avec de l'argumentation ou de la démonstration, mais avec de la grossièreté ou du dérapage, de l'insulte ou de la haine, du mépris ou de la boxe. Quand jadis Paul Amar apportait sur un plateau une paire de gants de boxe, il montrait ce qu'étaient vraiment les choses. On l'a d'ailleurs congédié pour avoir dénudé le roi. Il faut désormais cogner, en dessous de la ceinture si l'on veut, pour obtenir le vacillement ou le k.-o. de l'adversaire. Ce média que j'initie avec mes amis s'adresse à tous ceux qui veulent prendre le temps d'entendre des arguments sur les questions d'actualité afin de se faire un avis par eux-mêmes, mais aussi sur mille autres sujets qui constituent les séminaires de l'UP.

Quels seront les principaux programmes? L'esprit de cette télé sera-t-il proche de celui de l'université populaire de Caen?

MO-1.jpgC'est d'abord le média de l'université populaire. J'ai souhaité reporter le lancement de ce média de juin à septembre parce que les interventions de mes amis de l'UP n'étaient pas prêtes à être mises en ligne. J'ai préféré commencer plus tard, avec ma trentaine d'amis, plutôt que très vite, avec moi seul. Je souhaite par la suite créer des rubriques autonomes pour mes amis qui souhaiteraient s'exprimer aussi. Nous commençons de façon expérimentale. Il n'existe aucune WebTV de ce type à cette heure me dit-on.

Ce projet s'inscrit-il en réaction au système médiatique actuel? Celui-ci est-il trop uniforme?

Oui, bien sûr. Le système médiatique est aujourd'hui digne des systèmes les plus idéologiquement intolérants. Tout le monde peut-être invité (encore que: Patrick Cohen a franchement parlé un jour d'une liste noire de gens à ne pas inviter sur le service public…), mais il y aura au moins deux traitements: le premier qui est celui du tapis rouge réservé aux tenants de l'idéologie dominante ( en un mot, les partisans du libéralisme d'État et de l'Europe transnationale) le second est celui du punching-ball réservé à ceux qui ne communient pas dans cette religion étatique et dont le temps de parole sera entièrement consacré à se justifier de ne pas faire le jeu du FN, de ne pas rouler pour Marine Le Pen, de ne pas penser comme Éric Zemmour ou Robert Ménard, de ne pas être antisémite ou islamophobe… Ainsi, on a annoncé sur France Culture que «Michel Onfray lançait son web média… comme Soral et Dieudonné». Ce qui renseigne sur le degré de perfidie … du service public!

Vous avez déclaré souhaiter «reprendre en main de façon libertaire et non libérale l'information». Qu'entendez-vous par là? Les médias véhiculent-ils une idéologie dominante?

MO-2.jpgOui, bien sûr. Du moins les médias de masse et la totalité du service public qui est franchement à la botte du pouvoir d'État. Depuis que Mitterrand a abandonné le socialisme au profit du libéralisme en 1983 puis le pacifisme au profit du bellicisme en 1991, l'idéologie dominante ne sépare plus la droite de la gauche, mais les libéraux d'État de droite et de gauche (Sarkozy, Juppé, Le Maire, NKM et Hollande, Valls, Macron) et les antilibéraux de droite et de gauche ( Le Pen, Guaino, Dupont-Aignan et Mélenchon, Besancenot, Arthaud). Les médias dominants roulent pour le libéralisme d'État de droite et de gauche, et je risque peu à prophétiser que le prochain chef de l'État sera issu de ce bloc-là. On changera de figure, mais pas de politique.

Aucun espace médiatique ne trouve grâce à vos yeux?

Si, tel ou tel support, le vôtre par exemple, dans lequel je sais que, si l'on n'est pas d'accord avec moi, on ne me salira pas personnellement et qu'on n'utilisera pas d'attaques ad hominem, de sous-entendus tordus…

Vous voulez échapper «au culte de la petite phrase, du sniper prêt à tout pour créer le buzz». Lorsque vous participez à une émission comme «On n'est pas couché» ou plus récemment «C l'hebdo» avec Aymeric Caron, n'avez-vous pas tendance à y céder parfois vous aussi?

La production m'avait assuré que l'émission serait courtoise. J'ai eu la faiblesse de le croire quand j'ai accepté de m'y rendre. Quant aux petites phrases, si elles existent, elles ne sont pas de mon fait: je ne suis pas comme ces politiques ou ces journalistes incapables d'improviser et qui ne travaillent qu'avec des communicants qui leur écrivent les phrases qui feront les fameuses petites phrases. Nombre de journalistes lisent leurs textes et les blagues de tel ou tel sont écrites et défilent sur les prompteurs. La petite phrase est la production idéologique destinée à créer le buzz qui induit les parts de marché qui décident de la reconduction des émissions, de la place dans les grilles de diffusion et, bien sûr, des émoluments des animateurs. On comprend qu'avec pareils enjeux, les médias de masse aient intérêt à cultiver le superficiel, l'anecdotique, le bref, le ricanant, sinon l'imbécile.

 

Alain Finkielkraut explique qu'il lui semble nécessaire d'aller dans la gueule du loup dire son fait à la bien-pensance et au «politiquement ricanant». Partagez-vous son point de vue?

MO-3.jpgIl a absolument raison. Sauf qu'il y a des lieux où on ne peut pas faire passer son message, il s'agit de savoir lesquels. Comme ça n'est pas une science exacte, on peut se tromper. On ne le sait qu'après… Il arrive qu'on perde son temps dans une émission littéraire où les écrivains n'écrivent pas leurs livres alors qu'on le gagnera en allant sur un plateau a priori moins intellectuel mais sur lequel on aura pu dire deux ou trois choses.

Est-il possible de réagir à l'actualité chaude en conservant le recul de la philosophie?

Oui, absolument. Pourquoi le philosophe n'aurait-il pas les qualités de l'urgentiste, du chirurgien de guerre, du secouriste sur les lieux d'un accident? Et puis il est drôle qu'on se demande si un philosophe peut penser à chaud quand le moindre quidam commente la moindre actualité en ne s'autorisant que de lui! Ou qu'on permet au journaliste de réagir à chaud. Si le philosophe a derrière lui un travail de réflexion sur les sujets sur lesquels il s'exprime, il est habilité à parler.

La rentrée télé est dominée par le face-à-face entre Yann Barthès et Cyril Hanouna. Que cela vous inspire-t-il?

Les médias parlent des médias, c'est leur affaire. Il y a plus important à penser, me semble-t-il.

Dans les colonnes du Figaro, vous déclariez: «Vouloir ressembler à Serge Reggiani ou à Yves Montand, c'est tout de même moins déshonorant que vouloir ressembler à Cyril Hanouna! Il est donc logique que de nos jours, la kalachnikov devienne le rêve ultime…»

MO-4.jpgCette phrase se trouvait dans un contexte qui me faisait dire une chose, puis donner un exemple pour l'illustrer. On a préféré s'exciter sur l'exemple plutôt que de disserter sur la thèse qui était: dans un pays où l'idéal est perdu, il n'est pas étonnant que des jeunes optent pour une idéologie clé en main - l'islam intégriste en l'occurrence. Vous connaissez ce proverbe chinois: «Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt». Sur les réseaux sociaux, on regarde beaucoup le doigt… Et les journalistes qui pensent désormais dans les formats épidermiques imposés par les réseaux sociaux emboîtent le pas. Ils disposent ainsi du buzz, premier bénéfice, puis, second bénéfice, le plus important, ils évitent le débat sur la thèse. De sorte qu'il était plus facile de faire de moi une personne qui salissait Hanouna que de s'interroger sur Hanouna comme symptôme. C'est la maladie qui est le problème, pas le symptôme. Hanouna a saisi l'occasion pour montrer du doigt le doigt qui montrait tout en ignorant même s'il y avait aussi la lune. Je lui ai fait un texto explicatif, il ne m'a pas répondu, tout à l'admiration de son doigt.

Vous avez déclaré «le Burkini est une petite chose» et fustigé une nouvelle fois notre politique étrangère. On peut dénoncer fortement l'ingérence occidentale au Moyen-Orient tout en s'inquiétant de la désintégration culturelle d'une partie de la population française…

Oui, en effet, mais là encore, regarder le burkini, c'est regarder le doigt… Pendant ce temps-là, on ne s'interroge pas sur les seules questions qui importent: la généalogie. D'où cela vient-il? Que des hommes puissent croire qu'en écrasant des enfants et leurs parents avec un camion, qu'en égorgeant un prêtre qui dit la messe, qu'en massacrant des gens qui boivent un verre à une terrasse de café ou que des femmes puissent imaginer que Dieu a le souci de leur maillot de bain sur la plage ou de ce qui se trouve dans le verre qu'elles sirotent, cela renseigne sur l'état de la raison et des Lumières, de l'intelligence et de la réflexion en France. Car cette génération de personnes chez qui la défaite de la pensée est à ce point majeure est les produits de politiques «éducatives» françaises menées depuis pas mal d'années.

Pour les gens qui vivent dans ou à proximité de quartiers salafisés, le «Burkini» mais aussi la Burqa, le voile ou la pression des barbus, ne sont pas de «petites choses», mais l'affirmation d'une identité, voire d'une idéologie conquérante… Comprenez-vous qu'une partie de la population s'inquiète sincèrement de la progression et de la banalisation des codes islamistes dans certains territoires?

Bien sûr que je le comprends. Mais si l'intelligence a disparu là où l'on se prosterne désormais devant des articles de foi, il faut ajouter que la disparition du débat sur ce sujet à cause de médias qui se battent à coup d'imprécations sur le principe du «pour ou contre le burkini» a laissé désormais la place au viscéral, à l'instinctif, au tripal. Les médias s'honoreraient à faire sur ces sujets de véritables émissions dans lesquelles on ne visera pas le sensationnel mais l'éducation populaire. Que certains quartiers soient perdus pour la république est une chose qui se dit depuis longtemps: qu'ont fait la droite et la gauche qui se remplacent au pouvoir depuis un demi-siècle? Rien.

Revenons à la désintégration culturelle. L'été 2016 a été celui du massacre islamiste de la promenade des Anglais et des «grands adultes en trottinette» chassant les Pokémon….

Là aussi, là encore, la trottinette est le doigt… J'ai donné cet exemple pour une thèse qu'on a soigneusement évité de discuter: notre société ne se féminise pas, contrairement à ce que dit Éric Zemmour, elle s'infantilise. J'ai pris l'exemple de la trottinette, du tatouage, du baladeur, j'aurais pu ajouter, pour les adultes, car c'est d'eux dont je parlais, le vapotage qui est le suçotage des grands, le bermuda qui est la culotte courte des adultes, les baskets qui sont les chaussures des adolescents, le Pokémon bien sûr qui est le cache-cache des quadras, mais ça n'est pas le sujet, la question ou le problème. La vraie question est: quand on refuse tant de devenir ou d'être un adulte, pourquoi penserait-on autrement que comme un enfant? Mais je subodore que le buzz va se faire plus sur «Onfray dézingue le vapotage» que sur cette thèse que nous vivons dans une société infantile où tout est fait pour infantiliser. C'est tellement plus facile de séduire l'électeur quand il est un enfant!

lundi, 06 juin 2016

Philosoph Michel Onfray zu RT: „Frankreich ist in einer Patt-Situation und kurz vor dem Bürgerkrieg“

 

Philosoph Michel Onfray zu RT:

„Frankreich ist in einer Patt-Situation und kurz vor dem Bürgerkrieg“

Der französische Philosoph Michel Onfray diskutiert die Gründe für die massiven Proteste in Frankreich: „Frankreich ist beinahe bankrott, aber immer noch führt die Regierung Kriege.“ Zudem seien die Politiker austauschbar geworden. Unter Jugendlichen tritt die destruktive Haltung auf, dass die Bourgeosie alles zerstört. Also dürfe man selbst auch Dinge zerstören. Auch Michel Onfray wirft der Polizei vor, sie würde Hooliganismus dulden. Anna Baranova schaut zurück auf die unterschiedlichen Proteste in Frankreich während der letzten Monate. Mehr auf unserer Webseite: https://deutsch.rt.com/

Folge uns auf Facebook: https://www.facebook.com/rtdeutsch
Folge uns auf Twitter: https://twitter.com/RT_Deutsch
Folge uns auf Google+: https://plus.google.com/1068940314550...
RT Deutsch nimmt die Herausforderung an, die etablierte deutsche Medienlandschaft aufzurütteln und mit einer alternativen Berichterstattung etablierte Meinungen zu hinterfragen. Wir zeigen und schreiben das, was sonst verschwiegen oder weggeschnitten wird. RT - Der fehlende Part.

dimanche, 01 novembre 2015

Crise syrienne, paysage intellectuel français et «Grand Remplacement»

wolf_hero04a.jpg

Crise syrienne, paysage intellectuel français et «Grand Remplacement»

Entretien avec Robert Steuckers

Propos recueillis par Adriano Scianca pour « Primato nazionale »

1.     Que pensez-vous de la manière dont l'Europe a géré la crise de l'immigration suite à la crise syrienne?

L’Europe est inexistante en tant que puissance politique qui compte dans la région hautement stratégique qu’est le Levant. Elle n’a su ni impulser une politique de stabilité qui aurait joué dans son intérêt le plus légitime ni faire face aux catastrophes que l’intervention des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région ont entraînées. Parmi ces catastrophes, la plus visible aujourd’hui en Europe, de la Grèce à l’Allemagne en passant par tous les pays des Balkans, est bien sûr cet afflux massif de réfugiés que les Etats européens ne sont pas capables d’intégrer à l’heure d’un certain ressac de l’économie européenne, perceptible même en Allemagne. L’intérêt de l’Europe aurait été de maintenir la stabilité au Levant et en Irak. C’était le point de vue du fameux « Axe Paris-Berlin-Moscou » qui s’était insurgé contre l’intervention de Bush en Irak en 2003. Les Etats-Unis, qui ne sont pas une puissance romaine au sens classique du terme et au sens où l’entendait Carl Schmitt, ne font donc pas comme Rome, ils n’apportent ni « pax romana » ni « pax americana » mais génèrent le chaos, auquel les populations essaient tout naturellement d’échapper, au bout d’une douzaine d’années voire d’un quart de siècle si l’on tient compte de la première intervention en Irak en 1990. Ces pays, jadis structurés selon les principes de l’idéologie baathiste (personnaliste, transconfessionnelle et étatiste), avaient le mérite de la stabilité et faisaient l’admiration d’un grand diplomate néerlandais, Nikolaos Van Dam, docteur en langue et civilisation arabes, qui a consacré un ouvrage en anglais à la Syrie baathiste qui mériterait bien d’être traduit en toutes les grandes langues d’Europe. Cette stabilité, maintenue parfois avec rudesse et sévérité, a été brisée : on a cassé la forme d’Etat qui finissait vaille que vaille par s’imposer dans une région, soulignait aussi Van Dam, marquée par le tribalisme et allergique à cette forme étatique et européenne de gestion des « res publicae ». L’Europe a fait du « suivisme », selon la formule d’un observateur flamand des relations internationales, le Prof. Rik Coolsaet. Elle a benoîtement acquiescé aux menées dangereuses et sciemment destructrices de Washington, puissance étrangère à l’espace européen et à l’espace du Levant et de la Méditerranée orientale. Elle paie donc aujourd’hui les pots cassés car elle est la voisine immédiate des régions où l’hegemon-ennemi a semé le chaos. Celui-ci cherche à éviter ce que j’appellerais la « perspective Marco Polo », la cohésion en marche des puissances d’Eurasie (Europe, Russie, Inde, Chine), par le truchement des télécommunications, des nouvelles voies maritimes et ferroviaires en construction ou en projet, du commerce, etc. Par voie de conséquence, l’hegemon hostile doit mener plusieurs actions destructrices, « chaotogènes » dans les régions les plus sensibles que les géopolitologues nomment les « gateway regions », soit les régions qui sont des « passages stratégiques » incontournables, permettant, s’ils sont dominés, de dynamiser de vastes espaces ou, s’ils sont neutralisés par des forces belligènes, par un chaos fabriqué, de juguler ces mêmes dynamismes potentiels. La Syrie et le Nord de l’Irak sont une de ces « gateway regions » et l’étaient déjà au moyen-âge car ce Levant, avec sa projection vers l’hinterland mésopotamien, donnait accès à l’une des routes de la soie, menant, via Bagdad, à l’Inde et la Chine. L’Ukraine est une autre de ces « gateway regions ». L’abcès de fixation du Donbass est un verrou sur la route du nord, celle empruntée, avant la première croisade d’Urbain II, par les Coumans turcs, tandis que leurs cousins seldjouks occupaient justement les points-clefs du Levant, dont on reparle aujourd’hui : cette tenaille turque, païenne au nord et musulmane au sud, barrait la route de la soie, la voie vers l’Inde et la Chine, enclavait l’Europe à l’Est et risquait de la provincialiser définitivement.

Par ailleurs, dans un avenir très proche, d’autres zones de turbulences pourront éclore autour de l’Afghanistan, non pacifié, dans le Sinkiang chinois, base de départ d’une récente vague d’attentats terroristes en Chine, en Transnistrie/Moldavie ou ailleurs. L’Europe, dans cette perspective, doit être cernée par des zones de turbulence ingérables, afin qu’elle ne puisse plus se projeter ni vers l’Afrique ni vers le Levant ni vers l’Asie centrale au-delà de l’Ukraine. L’Europe a la mémoire courte et ses établissements d’enseignement ne se souviennent plus ni de Carl Schmitt (surtout le théoricien du « grand espace » et le critique des faux traités pacifistes dictés par les Américains) ni surtout du géopolitologue Robert Strausz-Hupé (1903-2002) qui, pour le compte de Roosevelt et de Truman, percevait très clairement les atouts de la puissance européenne (allemande à son époque), que toute politique américaine se devait de détruire. Ces atouts étaient, entre bien d’autres choses, l’excellence des systèmes universitaires européens, la cohésion sociale due à l’homogénéité des populations et la qualité des produits industriels. Le système universitaire a été détruit par les nouvelles pédagogies aberrantes depuis les années 60 et par ce que Philippe Muray appelait en France l’idéologie « festiviste » ; l’homogénéité des populations est sapée par des politiques migratoires désordonnées et irréfléchies, dont l’afflux massif de ces dernières semaines constitue l’apothéose, une apothéose qui détruira les systèmes sociaux exemplaires de notre Europe, qui seront bientôt incapables de s’auto-financer. Les Européens seront dès lors dans l’impossibilité de consacrer des budgets (d’ailleurs déjà insuffisants ou inexistants) à l’insertion de telles quantités de nouveaux venus. L’Europe s’effondre, perd l’atout de son excellent système social et ne peut plus distraire des fonds pour une défense continentale efficace ou pour la « recherche & développement » en technologies de pointe. Avec le scandale Volkswagen, qui verra le marché américain lui échapper, un coup fatal est porté à l’industrie lourde européenne. La boucle est bouclée.

2.     Partout en Europe des mouvements hostiles à l'immigration ont beaucoup de succès. Dans bon nombre de ces cas, cependant, ces partis n'ont pas très clairement compris qu’attaquer l'immigration sans se battre contre la vision du monde libérale et les mécanismes du capitalisme est une bataille qui ne touche pas les racines du Système. Que pensez-vous?

Votre question pointe du doigt le problème le plus grave qui soit : effectivement, les succès récents de partis ou mouvements hostiles à cette nouvelle vague migratoire, considérée comme ingérable, sont dus à un facteur bien évident : les masses devinent inconsciemment que les acquis sociaux des combats socialistes, démocrates-chrétiens, nationalistes, communistes et autres, menés depuis la fin du 19ème siècle, vont être balayés et détruits. Le paradoxe que nous avons sous les yeux est le suivant : depuis 1979 (année de l’accession au pouvoir de Thatcher en Grande-Bretagne), la vogue contestatrice de l’Etat keynésien, jugé trop rigide et mal géré par les socialistes « bonzifiés » (Roberto Michels), a été la vogue néolibérale, mêlant, en un cocktail particulièrement pernicieux, divers linéaments de l’idéologie libérale anti-étatique et anti-politique. Une recomposition mentale erronée s’est opérée : elle a injecté dans toutes les contestations des déviances et errements politiques régimistes une dose de néolibéralisme, dorénavant difficilement éradicable. Quand ces partis et mouvements anti-immigration acquièrent quelque pouvoir, même à des niveaux assez modestes, ils s’empressent de réaliser une partie du vaste programme déconstructiviste des écoles néolibérales, préparant de la sorte l’avènement d’horreurs comme le Traité transatlantique qui effacera toute trace des Etats nationaux et tout résidu d’identité populaire et nationale. On combat l’immigration parce qu’on l’accuse de porter atteinte à l’identité mais on pratique des politiques néolibérales qui vont bientôt tuer définitivement toute forme d’identité. Le combat contre le néolibéralisme et ses effets délétères doit être un combat socialiste et syndicaliste musclé (retour à Sorel et Corridoni), pétri, non plus des idées édulcorées et dévoyées des pseudo-socialistes actuels, mais des théories économiques dites « hétérodoxes », dérivées de Friedrich List, des écoles historiques allemandes et de l’institutionnalisme américain (Thorstein Veblen). Parce que ces écoles hétérodoxes ne sont pas universalistes mais tiennent compte des contextes religieux, nationaux, civilisationnels, culturels, etc. Elles ne théorisent pas un homme, un producteur ou un consommateur abstrait mais un citoyen ancré dans une réalité léguée par l’histoire. Etre en rébellion contre le système, négateur des réalités concrètes, postule d’être un hétérodoxe économique, qui veut les sauver, les réhabiliter, les respecter.

3.     Que pensez-vous des positions actuelles, plus ou moins «identitaires» des intellectuels comme Zemmour, Onfray, Houellebecq, Finkielkraut, Debray?

Tous les hommes que vous citez ici sont bien différents les uns des autres : seuls les praticiens sourcilleux de la médiacratie contrôlante et du « politiquement correct » amalgament ces penseurs en une sorte de nouvel « axe du mal » au sein du « paysage intellectuel français » (PIF). Zemmour dresse un bilan intéressant de la déconstruction de la France au cours des quatre dernières décennies, déconstruction qui est un démantèlement progressif de l’Etat gaullien. En ce sens, Zemmour n’est pas un « libéral » mais une sorte de personnaliste gaullien qui estime qu’aucune société ne peut bien fonctionner sans une épine dorsale politique.

 

Michel Onfray - Cosmos.jpg

Onfray a toujours été pour moi un philosophe plaisant à lire, au ton badin, qui esquissait de manière bien agréable ce qu’était la « raison gourmande », par exemple, et insistait sur l’homme comme être de goût et non pas seulement être pensant à la façon de Descartes. Onfray esquissait une histoire alternative de la philosophie en ressuscitant des filons qu’une pensée française trop rationaliste avait refoulés ou qui ne cadraient plus avec la bien-pensance totalitaire inaugurée par Bernard-Henry Lévy à la fin des années 70, période où émerge le « politiquement correct » à la française. Plus récemment, Onfray a sorti un ouvrage toujours aussi agréable à lire, intitulé « Cosmos », où il apparaît bien pour ce qu’il est, soit un anarchiste cosmique, doublé d’un nietzschéen libertaire, d’un avatar actuel des « Frères du Libre Esprit ». Certaines de ses options le rapprochent des prémisses organicistes, dionysiaques et nietzschéennes de la fameuse « révolution conservatrice » allemande, du moins dans les aspects non soldatiques qu’elle a revêtus avant la catastrophe de 1914. D’où un certain rapprochement avec la nouvelle droite historique, observable depuis quelques jours seulement.

 

timthumb.php.png

Houellebecq exprime, mieux que personne en Europe occidentale aujourd’hui, l’effondrement moral de nos populations, leur dé-virilisation sous les coups de butoir d’un féminisme exacerbé et délirant, ce qui explique, notamment, le succès retentissant de son ouvrage Soumission aux Etats-Unis. Houellebecq se déclare affecté lui-même par la maladie de la déchéance, qui, qu’on le veuille ou non, fait l’identité européenne actuelle, radical contraire de ce que furent les fulgurances héroïques et constructives de l’Europe d’antan. L’homo europaeus actuel est un effondré moral, une loque infra-humaine qui cherche quelques petits plaisirs furtifs et éphémères pour compenser le vide effroyable qu’est devenue son existence. Pour retrouver une certaine dignité, notamment face à ce féminisme castrateur, cet homo europaeus pourrait, pense Houellebecq, se soumettre à l’islam, le terme « islam » signifiant d’ailleurs soumission à la volonté de Dieu et aux lois de sa création. Ce passage à la « soumission », c’est-à-dire à l’islam, balaierait le féminisme castrateur et redonnerait quelque lustre aux mâles frustrés, où ceux-ci pourraient reprendre du poil de la bête dans une Oumma planétaire, agrandie de l’Europe.

Le parcours de Finkielkraut est plus étonnant, dans la mesure où il a bel et bien fait partie de ces « nouveaux philosophes » de la place de Paris, en lutte contre un totalitarisme qu’ils jugeaient ubiquitaire et dont ils étaient chargé par la « Providence » ou par « Yahvé » (Lévy !) de traquer les moindres manifestations ou les résurgences les plus ténues. Ce totalitarisme se percevait partout, surtout dans les structures de l’Etat gaullien, subtilement assimilé, surtout chez Bernard-Henri Lévy, à des formes françaises d’une sorte de nazisme omniprésent, omni-compénétrant, toujours prêt à resurgir de manière caricaturale. Ces diabolisations faisaient le jeu du néolibéralisme thatchéro-reaganien et datent d’ailleurs de l’avènement de celui-ci sur les scènes politiques britannique et américaine. Finkielkraut a été emblématique de ces démarches, surtout, rappelons-le, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. Finkielkraut avait exhumé des penseurs libéraux serbes du 19ème siècle inspirés par le philosophe différentialiste allemand Herder, pour démontrer de manière boiteuse, en sollicitant les faits de manière pernicieuse et malhonnête, que deux de ces braves philologues serbes, espérant se débarrasser du joug ottoman, étaient en réalité des précurseurs du nazisme (encore !). Ce travail de Finkielkraut était d’autant plus ridicule qu’au même moment, à Vienne, un journaliste très connu, Wolfgang Libal, également israélite mais, lui, spécialiste insigne du « Sud-Est européen », écrivait un ouvrage à grand tirage pour démontrer le caractère éminemment démocratique (national-libéral) des deux philologues, posés comme pionniers de la modernité dans les Balkans !!

9782070415526.jpgAprès son hystérie anti-serbe, Finkielkraut, sans doute parce qu’il prend de l’âge, s’est « bonifié » comme disent les œnologues. Son ouvrage sur la notion d’ingratitude, qui est constitué des réponses à un très long entretien accordé au journal québécois Le Devoir, est intéressant car il y explique que les malheurs de notre époque viennent du fait que l’homme actuel se montre « ingrat » par rapport aux legs du passé. J’ai lu cet entretien avec grand intérêt et beaucoup de plaisir, y retrouvant d’ailleurs une facette de l’antique querelle des anciens et des modernes. Je dois l’avouer même si le Finkielkraut serbophobe m’avait particulièrement horripilé. A partir de cette réflexion sur l’ingratitude, Finkielkraut va, peut-être inconsciemment, sans doute à son corps défendant, adopter les réflexes intellectuels des deux Serbes herdériens qu’il fustigeait avec tant de fureur dans les années 90. Il va découvrir l’« identité » et, par une sorte de tour de passe-passe qui me laisse toujours pantois, défendre une identité française que Lévy avait posée comme une matrice particulièrement répugnante du nazisme !

Debray est un penseur plus profond à mes yeux. Le début de sa carrière dans le paysage intellectuel français date des années 60, où il avait rencontré et accompagné Che Guevara en Bolivie. Cet aspect suscite toutes les nostalgies d’une époque où l’aventure était encore possible. Jean Cau, ancien secrétaire de Sartre (entre 1947 et 1956) qui, ultérieurement,  ne ménagera pas ses sarcasmes à l’encontre des gauches parisiennes, consacrera en 1979 un ouvrage au Che, intitulé Une passion pour Che Guevara ; en résumé, nous avons là l’hommage d’un ancien militant de gauche, passé à « droite » (pour autant que cela veuille dire quelque chose…), qui ne renie pas la dimension véritablement existentielle de l’aventure et de l’engagement pour ses idées, fussent-elles celles qu’il vient explicitement de rejeter. Debray a donc mis, dans une première phase de sa carrière, sa peau au bout de ces idées. Peu ont eu ce courage même si d’aucuns ont cherché plus tard à minimiser son rôle en Bolivie.

51EqyovmguL._SX302_BO1,204,203,200_.jpgDans les années 80, Debray, devenu, plutôt à son corps défendant, faire-valoir du mitterrandisme ascendant, participera à toutes les mascarades de la gauche officielle, en voie de « festivisation » et d’embourgeoisement, où les cocottes et les bobos se piquent d’eudémonisme et se posent en « belles âmes » (on sait ce que Hegel en pensait…). Les actions qu’il mène, je préfère les oublier aujourd’hui, tant elles ont participé des bouffonneries pariso-parisiennes. Mais entre l’épisode du militant guevariste et celle du néo-national-gaulliste d’aujourd’hui, il n’y a pas eu que cette participation à la lèpre républicano-mitterrandiste, il y a eu le passage du Debray militant et idéologue au Debray philosophe et « médiologue » (une science visant à cerner l’impact des « médiations », des images, dont éventuellement celles des médias, sur la formation ou la transformation des mentalités et des aspirations politiques). C’est dans le cadre de ce statut de « médiologue », qui commence en 1993, que Debray va glisser progressivement vers des positions différentes de celles imposées par le ronron médiatique ou le « politiquement correct » des « nouveaux philosophes » (Lévy, etc.) « qui », dit-il, « produisent de l’indignation au rythme de l’actualité ». Debray, comme l’indique alors le titre d’un de ses ouvrages récents, Dégagements, se « dégage » de ses engagements antérieurs, l’espace de la gauche, de sa gauche, ayant été phagocyté par de nouveaux venus qui se disent « occidentaux » et participent à la pratique perverse de la table rase, notamment en Amérique latine : leur travail de sape serait entièrement parachevé si des hommes comme Evo Morales, qu’il qualifie positivement d’« indigéniste », ne s’étaient pas dressés contre son vieil ennemi l’impérialisme américain, appuyé par les bourgeoisies compradores.

Enfin, les révolutions socialistes (et communistes) sont d’abord des nationalismes, écrit-il en 2010 : en dépit de l’omniprésence du Front National dans la vie politique de l’Hexagone, Debray ne craint plus le mot, à l’heure où les nouvelles gauches « néo-philosophiques » perdent et ruinent tout sens historique et basculent dans la moraline répétitive et incantatoire, dans le compassionnel et l’indignation programmée. Debray se déclare aussi « vieux jeu » : ce n’est pas le reproche que je lui ferai ; cependant, l’abus, dans ses œuvres polémiques récentes, est d’utiliser trop abondamment le vocable (également incantatoire) de « République » qui, pour tout observateur non parisien, est un véhicule d’éléments délétères de modernité donc d’ignorance du véritable tissu historique et populaire. De même, sa vision de l’« Etat » est trop marquée par l’idéologie jacobine, figée au fil des décennies depuis le début du 19ème siècle. Ceci dit, ses remarques et ses critiques (à l’adresse de son ancien camp) permettent de réamorcer un combat, non pas pour rétablir la « République » à la française avec son cortège de figements et d’archaïsmes ou un Etat trop rigide, mais pour restaurer ce que Julien Freund, à la suite de Carl Schmitt, nommait « le politique ». Combat qui pourrait d’ailleurs partir des remarques excellentes de Debray sur la « représentation », sur le « decorum », nécessaire à toute machine politique qui se respecte et force le respect : Carl Schmitt insistait, lui aussi, sur les splendeurs et les fastes du catholicisme, à reproduire dans tout Etat, sur la visibilité du pouvoir, antidote aux « potestates indirectae », aux pouvoirs occultes qui produisent les oligarchies dénoncées par Roberto Michels, celles qui se mettent sciemment en marge, se dérobent en des coulisses cachées, pour se soustraire au regard du peuple ou même de leurs propres militants. Schmitt hier, Debray aujourd’hui, veulent restaurer la parfaite visibilité du pouvoir : nous trouvons là une thématique métapolitique offensive qu’il serait bon, pour tous, d’articuler en nouveaux instruments de combat. Debray est sans nul doute une sorte d’enfant prodigue, qui a erré en des lieux de perdition pour revenir dans un espace à l’air rare et vif. L’histoire des idées se souviendra de son itinéraire : nous jetterons dès lors un œil narquois sur les agitations qu’il a commises dans les années 80 dans les allées du pouvoir mitterrandien et vouerons une admiration pour l’itinéraire du « médiologue » qui nous aura fourni des arguments pour opérer une critique de la dictature médiatique et pour rendre au pouvoir sa visibilité, partageable entre tous les citoyens et donc véritablement « démocratique » ou plutôt réellement populiste. Derrière cela, les quelques « franzouseries » statolâtriques et « républicagnanates », qu’il traine encore à ses basques, seront à mettre au rayon du folklore, là où il rangeait lui-même le vieux et caduc « clivage gauche/droite », dans quelques phrases bien ciselées de Dégagements.

4.     Êtes-vous d'accord avec la thèse du Grand Remplacement?

Camus—Identitaires.jpgJe ne considère pas la notion de « Grand Remplacement » comme une thèse mais comme un terme-choc impulsant une réflexion antagoniste par rapport au fatras dominant, comme une figure de rhétorique, destinée à dénoncer la situation actuelle où le compassionnel, introduit dans les pratiques politiques par les nouveaux philosophes, évacue toute éthique de la responsabilité. Vous avez vous-même, en langue italienne, défini et explicité la notion de « Grand Remplacement » (http://www.ilprimatonazionale.it/cultura/grande-sostituzione-32682/ ). Vous l’avez fait avec brio. Et démontré que Marine Le Pen comme Matteo Salvini l’avaient incluse dans le langage politico-polémique qui anime les marges dites « droitières » ou « populistes » des spectres politiques européens d’aujourd’hui. Renaud Camus, père du concept, a le sens des formules, du discours (selon une bonne tradition française remontant au moins à Bossuet). Il est aussi le créateur de deux autres notions qui mériteraient de connaître la même bonne fortune : la notion de « nocence », contraire de l’« in-nocence », puis la notion de « dé-civilisation ». Renaud Camus se pose comme « in-nocent », comme un être qui ne cherche pas à nuire (« nocere » en latin). Les régimes politiques en place, eux, cherchent toujours à nuire à leurs citoyens ou sujets, qu’il haïssent au point de vouloir justement les remplacer par des êtres humains perdus, venus de partout et de nulle part, attirés par les promesses fallacieuses d’un paradis économique, où l’on touche des subsides sans avoir à fournir des efforts ni à respecter des devoirs sociaux ou citoyens. Les établis forment donc le parti de la « nocence », de la nuisance, auquel il faut opposer l’idéal, peut-être un peu irénique, de l’« in-nocence », sorte d’ascèse qui me rappelle tout à la fois le bouddhisme de Schopenhauer, le quiétisme de Gustav Landauer, but de son idéal révolutionnaire à Munich en 1919, et l’économie empathique de Serge-Christophe Kolm, inspiré par les pratiques bouddhistes (efficaces) qu’il a observées en Asie du Sud-est (cf. notre dossier : http://www.archiveseroe.eu/kolm-a118861530 ). Si la « nocence » triomphe et s’établit sur la longue durée, la civilisation, après la culture et l’éducation, s’effiloche, se détricote et disparait. C’est l’ère de la « dé-civilisation », du « refus névrotique de l’héritage ancestral », commente l’écrivain belge Christopher Gérard. Ce pessimisme n’est pas une idée neuve mais, à notre époque, elle constitue un retour du réalisme, après une parenthèse trop longue de rejet systématique et pathologique de nos héritages.

arton70.jpgJe mettrais en parallèle la double idée de Renaud Camus d’une « dé-culturation » et d’une « dé-civilisation » avec l’idée de « dissociété », forgée par le philosophe Marcel De Corte au début des années 50. Pour De Corte, monarchiste belge et catholique thomiste, l’imposition des élucubrations libérales de la révolution française aux peuples d’Europe a conduit à la dislocation du tissu social, si bien que nous n’avons plus affaire à une « société » harmonieuse, au sens traditionnel du terme comme l’entendait Louis de Bonald, mais à une « dissociété ». L’idée, en dépit de son origine très conservatrice, est reprise aujourd’hui par quelques théoriciens d’une gauche non-conformiste, dont le Prof. Jacques Généreux qui constate amèrement que les pathologies de la dissociété moderne sont une « maladie sociale dégénérative qui altère les consciences en leur inculquant une culture fausse ». Généreux, socialiste au départ et rêvant à l’avènement d’un nouveau socialisme capable de gommer définitivement les affres de la « dissociété », quitte, déçu, le PS français en 2008 pour aller militer au « Parti de Gauche » et pour figurer sur la liste « Front de Gauche pour changer l’Europe », candidate aux élections européennes de 2009. En mars 2013, les idées, pourtant pertinentes, de Généreux ne séduisent plus ses compagnons de route et ses co-listiers : il n’est pas réélu au Bureau politique ! Preuve que la pertinence ne peut aller se nicher et prospérer au sein des gauches françaises non socialistes, bornées dans leurs analyses, sclérosées dans des marottes jacobines et résistancialistes qui ne sont qu’anachronismes ou tourneboulées par les délires immigrationnistes dont l’irréalisme foncier est plus virulent et plus maladivement agressif en France qu’ailleurs en Europe.

Ceci dit, l’idée de « Grand Remplacement » est à mes yeux un des avatars actuels d’un ouvrage écrit en 1973, le fameux récit Le Camp des Saints de Jean Raspail, où l’Europe est envahie par des millions d’hères faméliques cherchant à s’y installer. Les grandes banlieues des principales villes de France étaient déjà occupées par d’autres populations, complètement coupées des Français de souche. Dorénavant on voit la bigarrure ethnique émerger, à forte ou à moyenne dose, dans de petites villes comme Etampes, Vierzon ou Orléans, où elle semble effectivement « remplacer » les départs antérieurs, ceux de l’exode rural, ceux du départ vers les grandes mégapoles où dominent les emplois du secteur tertiaire. La France donne l’impression de juxtaposer sur son territoire deux ou plusieurs sociétés (ou dissociétés) parallèles, étanches les unes par rapport aux autres. Personne n’est satisfait ; d’abord les « remplacés », bien évidemment, dont les modes de vie et surtout les habitudes alimentaires sont dénigrées et jugées « impures » (ce qui fâche tout particulièrement les Français, très fiers de leurs traditions gastronomiques) mais aussi les « remplaçants » qui ne peuvent pas reproduire leur mode de vie et manifestent dès lors un mal de vivre destructeur. Le plan satanique du libéralisme se réalise dans cette bigarrure : la société est disloquée, livrée à la « cash flow mentality », déjà décriée par Thomas Carlyle au début du 19ème siècle. Le néolibéralisme, amplification monstrueuse de cette « mentality », étendue à la planète entière, ne peut survivre que dans des sociétés brisées, de même que les « économies diasporiques » ou les réseaux mafieux, pourfendus par les gauches intellectuelles non conformistes mais non combattus sur le terrain, dans le concret de la dissociété réellement existante.

5.     Dans le parlement italien, on est en train de changer les lois sur la citoyenneté, en introduisant le principe de la citoyenneté par le lieu de naissance (jus soli) à la place de celui fondé sur la nationalité des parents (jus sanguinis). Selon vous quelles conséquences cela aura sur le tissu social de notre pays?

Le débat opposant le jus sanguinis au jus soli est ancien. Il remonte à l’époque napoléonienne. Napoléon voulait accorder automatiquement la nationalité française à toute personne vivant en France et ayant bénéficié d’une éducation (scolaire) française. Le but était aussi de recruter des soldats pour les campagnes militaires qu’il menait partout en Europe. Les rédacteurs du Code civil optent toutefois pour le jus sanguinis. Ces dispositions seront modifiées en 1889, vu l’afflux massif d’immigrés dans la France du 19ème siècle, essentiellement belges et italiens, dans une moindre mesure allemands et espagnols. Même visée que celle de Napoléon : la France de souche connait un ressac démographique, encore léger toutefois, face à une Allemagne qui, elle, connaît un véritablement boom démographique, en dépit des émigrations massives vers les Etats-Unis (plus de 50 millions de citoyens américains sont aujourd’hui d’origine allemande). Il faut à cette France angoissée devant son voisin de l’Est une masse impressionnante de soldats. De même, il faut envoyer des troupes dans un Outre-Mer souvent en révolte où les effectifs de la « Légion étrangère » ne suffisent pas. Dans Paris, sur les monuments aux morts de la première guerre mondiale, on lit plus de 10% de noms germaniques, allemands, suisses ou flamands, quelques noms italiens (ou corses ?), ce qui ne mentionne rien sur les immigrés romans de Suisse ou de Wallonie, parfois de Catalogne, dont les patronymes sont gallo-romans, comme ceux des Français de souche. La France s’est voulue multiethnique dès la fin du 19ème siècle, forçant parfois les immigrés européens, notamment en Afrique du Nord, à acquérir la nationalité française. Tant que cet apport volontaire ou forcé était le fait de peuples immédiatement périphériques, l’intégration et la fusion s’opéraient aisément. Après l’horrible saignée de 1914-18, quand les villages de la France profonde sont exsangues, une immigration plus exotique prend le relais de celle des peuples voisins. La départementalisation de l’Algérie et l’entrée, d’abord timide, de travailleurs algériens, puis subsahariens, colore la nouvelle immigration. Rien à signaler dans un premier temps. Ou rien que des broutilles. A partir du moment où certaines banlieues deviennent à 90% exotiques, le projet d’intégration et d’assimilation cafouille : pourquoi s’intégrer puisque l’environnement de l’immigré n’est en rien « Français de souche » ? Il lui est désormais possible de vivre en complète autarcie par rapport à la population d’origine. La société devient « composite » comme le déplorent les théoriciens indiens du RSS et du BJP qui estiment aussi que de telles sociétés n’ont pas d’avenir constructif, sont condamnées au chaos et à l’implosion. Pour les sociétés européennes, l’avenir nous dira si ces prophéties des théoriciens indiens s’avèreront exactes ou fausses. En attendant, l’introduction du jus soli, au détriment de tout jus sanguinis, en Italie comme ailleurs en Europe, est le signe d’un abandon volontaire de toute idée de continuité, d’héritage. Avec les théories du genre (le « gendérisme ») et les pratiques du néolibéralisme   ­-dont la délocalisation et la titrisation soit l’abandon de toute économie patrimoniale et industrielle au profit d’une économie de la spéculation boursière-   ce glissement annonce l’éclosion d’une société nouvelle, éclatée, amnésique, jetant aux orties l’éthique wébérienne de la responsabilité, pour la remplacer par des monstrations indécentes de toutes sortes d’éthiques de la conviction, prononcée sur le mode de l’hystérie « politiquement correcte » et travestie d’oripeaux festivistes et compassionnels. Bref, un Halloween planétaire et permanent.

Forest-Flotzenberg, octobre 2015.

dimanche, 27 septembre 2015

Onfray, Sapir : le retour en force de la gauche du non

XVM0e799ed8-6087-11e5-915d-602b514c66cf.jpg

Onfray, Sapir : le retour en force de la gauche du non

Entretien avec Thomas Guénolé

Ex: http://patriotismesocial.fr

Thomas Guénolé décrypte comment la gauche du non, ignorée en 2005, est en train de revenir sur le devant de la scène, accusée de «faire le jeu du FN».

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po – CEVIPOF). Il est l’auteur du Petit guide du mensonge en politique paru aux éditions First en mars 2014.

LE FIGARO. – Jacques Sapir et maintenant Michel Onfray, deux personnalités issues de la gauche, ont été récemment accusés de faire le jeu du FN. Selon vous, ces polémiques s’inscrivent dans la continuité du «Non» français au traité constitutionnel européen en 2005. En quoi ?

Thomas GUÉNOLÉ. – Après la victoire du «Non» au référendum de 2005 sur la Constitution européenne, il y avait eu alliance objective entre le «Oui de droite» et le «Oui de gauche», entre l’UMP de Nicolas Sarkozy et le PS de François Hollande, pour adopter au Parlement quasiment le même texte, rebaptisé «traité de Lisbonne».

Depuis lors, le «Non de gauche» a été repoussé en France dans les limbes du débat public, du paysage politique, et du paysage audiovisuel. Voici dix ans en effet qu’en France, les intellectuels, éditorialistes et économistes qui défendent les idées du «Non de gauche», et qui obtiennent d’être significativement médiatisés, se comptent au total à peine sur les doigts des deux mains. Pourtant, lors du référendum de 2005, selon un sondage de TNS Sofres et de Gallup, le «Non» à la Constitution européenne, en particulier à son programme économique, avait fait 70% des voix chez le «peuple de gauche».

Au bout de dix ans de purgatoire, depuis quelques mois nous assistons au contraire à la brutale réhabilitation du «Non de gauche» dans le débat public. La présence beaucoup plus prégnante d’intellectuels comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Michel Onfray, tous trois partisans de cette ligne politique, constitue un symptôme évident de ce retour de balancier.

Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfrey : c’est la riposte du « Oui de gauche » au « Non de gauche ».

Dans ce contexte, il est parfaitement cohérent que Laurent Joffrin en particulier soit monté au créneau contre Michel Onfray: c’est la riposte du «Oui de gauche» au «Non de gauche». On avait assisté à la même chose, lors de la controverse sur le livre «Qui est Charlie?», entre le «Non de gauche» d’Emmanuel Todd et le «Oui de gauche» de Manuel Valls.

La crise politique euro-grecque de 2015 a-t-elle contribué à cette transformation du débat public français ?

Je pense même que c’est le facteur principal qui a provoqué cette transformation du paysage intellectuel. L’affrontement entre les dirigeants de l’Union européenne et le gouvernement grec a atteint un degré de violence politique proprement ahurissant: songez qu’en plein référendum grec sur les mesures d’austérité exigées par la «Troïka», la Banque centrale européenne a coupé l’arrivée de liquidités au système bancaire grec tout entier. Sauf erreur de ma part, c’est du niveau d’un acte de guerre économique pure et simple.

Obtenue avec ces méthodes et avec ces exigences en termes d’austérité radicalisée, la capitulation d’Athènes le couteau sous la gorge a sans doute agi comme révélateur sur tout un pan de l’opinion publique de gauche en France. Le révélateur de cette vérité simple: non, quand on est dans la zone euro, et quand on a signé le Pacte budgétaire européen dit «traité Merkozy», on ne peut pas faire une autre politique que celle de l’austérité. Et donc: non, quand on est dans la zone euro et quand on a signé le Pacte budgétaire européen, on ne peut pas faire une politique de gauche au sens où l’entend le «Non de gauche».

Tout au plus peut-on, comme actuellement François Hollande, être de gauche au sens très limité d’une politique socio-économique identique à celle de la droite, mais accompagnée d’une lutte rigoureuse contre les discriminations dans la société française ; discriminations qui du reste sont bien réelles, en particulier contre les femmes, les jeunes, et les Français ayant des origines arabes ou subsahariennes. Du reste, c’est toute la logique de la stratégie Terra Nova conceptualisée par feu Olivier Ferrand pour le candidat du PS à la présidentielle de 2012.

Par conséquent, la crise euro-grecque de 2015 ayant brutalement dévoilé qu’une alternative à l’austérité est interdite quand vous êtes membre de l’euro et du Pacte budgétaire européen, il est parfaitement logique qu’elle accouche de la résurrection du «Non de gauche» dans le débat public français.

Ce «Non» de gauche peut-il, non pas faire le jeu du FN, mais le concurrencer ?

Etre de gauche et dire que la France doit sortir de Schengen, pour combattre la concurrence déloyale de la main d’œuvre d’Europe centrale, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut copier le modèle canadien d’immigration par quotas de métiers, pour empêcher l’écrasement des salaires du personnel non qualifié et le dumping sur celui du personnel qualifié, ce n’est pas faire le jeu du FN. Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.

Etre de gauche et dire qu’il faut sortir de l’euro pour ne plus se voir interdire les relances monétaires keynésiennes, ce n’est pas faire le jeu du FN. C’est, au contraire, enrayer la dynamique du FN, en faisant que la gauche se réapproprie ses propres fondamentaux socio-économiques.

C’est la grande contradiction dans le raisonnement d’une partie des éditorialistes, intellectuels et économistes qui défendent le «Oui de gauche»: accuser leurs homologues du «Non de gauche» de «faire-le-jeu-du-FN» en ayant un discours souverainiste de gauche. Or, au contraire, ce sont la marginalisation et l’étouffement du «Non de gauche» dans le débat public français depuis dix ans qui favorisent la montée du FN, en le mettant en monopole sur le message anti-politiques européennes d’austérité. Car, tout bien pesé, si le «Non de gauche» existait solidement dans le paysage intellectuel et politique français, alors, du jour au lendemain, la stratégie Philippot du FN, consistant à cibler les électeurs du «Non de gauche», n’aurait plus aucune chance de fonctionner.

Pour l’heure, le «Non de gauche» ne trouve pas de traduction politique…

C’est plutôt un problème d’unification qu’un problème de vide. EELV tendance Duflot, Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, Nouvelle Donne de Pierre Larrouturou, aile gauche du PS presque en rupture de ban, réseaux d’Arnaud Montebourg: sur le fond, ces courants du paysage politique incarnent tous à des degrés divers le «Non de gauche», et ils ne divergent que sur une poignée d’enjeux, secondaires face au programme européen d’austérité.

Néanmoins, aussi longtemps que cette offre politique du «Non de gauche» sera atomisée, fragmentée, balkanisée, elle n’aura aucune chance de percer. Et ce, alors que l’écroulement progressif dans les urnes du «Oui de gauche» lui donne une fenêtre de tir.

Face aux divisions de la gauche du «Non», la candidature d’une personnalité de la société civile peut-elle émerger pour la présidentielle de 2017 ?

Peut-être Michel Onfray lui-même compte-t-il, comme José Bové en son temps, concourir à l’élection présidentielle ; et après tout, l’aventure d’un candidat venu de la société civile est dans l’air du temps. Cependant, une autre possibilité m’apparaît plus solide pour porter un «Non de gauche» unifié sur les fonds baptismaux: une primaire ouverte de toute la gauche du «Non», pour ne présenter qu’un candidat au premier tour de 2017 ; et d’ici là, l’unité de liste systématique du «Non de gauche» au premier tour des élections régionales de décembre.

Source : Le Figaro

jeudi, 17 septembre 2015

Michel Onfray : « L’Occident attaque, prétendument pour se protéger, mais il crée le terrorisme »

5748169.jpg

Michel Onfray : « L’Occident attaque, prétendument pour se protéger, mais il crée le terrorisme »

L’Europe, la guerre, le terrorisme, la crise migratoire, autant de questions auxquelles le philosophe a accepté de répondre.

Michel Onfray est docteur en philosophie. Il a publié une soixantaine d’ouvrages dont Traité d’athéologie : Physique de la métaphysique, Le Crépuscule d’une idole, Contre-histoire de la philosophie. Ses derniers ouvrages parus : Avant le silence. Haïkus d’une année, Galilée, 2014. Bestiaire nietzschéen. Les Animaux philosophiques, Galilée, 2014. Cosmos, Flammarion, 2015

On ne présente plus Michel Onfray, philosophe que l’on dit iconoclaste, grand pourfendeur devant l’Eternel (ou ce qui lui tient d’éternité) des conformismes et autres tables de lois. Il revient pour RT France sur les sujets qui ont, ces derniers temps, vrillé l’actualité.

RT France : Comment jugez-vous la façon qu’a l’Europe de traiter de cette crise migratoire ? 

Michel Onfray (M.O.) : L’Europe n’existe pas, sauf par sa monnaie unique. On voit bien dans cette affaire combien elle est impuissante, nulle, désarticulée. Elle bricole, ne parle pas d’une seule voix, elle improvise. C’est pitoyable.

RT France : Quand vous dites «BHL fait partie des gens qui ont rendu possible cet enfant mort», que vouliez-vous dire par là ? Qui sont «les  autres gens» ?

M.O. : Que tous ceux qui ont justifié les guerres contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, le Mali et autres pays musulmans sont responsables et coupables. Ils ont légitimé le bombardement de milliers de personnes sur place. Que la communauté musulmane soit en colère contre l’Occident me parait tout à fait légitime. L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant. Quel irakien menaçait la France en 1991 ? Saddam Hussein finançait même la campagne d’un président.

L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant.

RT France : Depuis la publication de la photo du petit enfant, les opinions publiques européennes semblent opérer une volte-face sur cette question, comment l’expliquez-vous ? Qu’est-ce que cela dit de nos opinions publiques ?

M.O. : Les médias ont transformé le peuple qui pensait en populace qui ne pense pas et ne réagit plus qu’à l’émotion, au pathos, à la passion. L’image d’un enfant mort interdit de penser : elle arrache immédiatement la pitié. La pitié empêche de penser. La preuve : ceux qui ont rendu possible cette mort en détruisant les pays bombardés vont répondre en bombardant plus encore.

RT France: Pourquoi cette crise migratoire semble-t-elle être traitée politiquement et médiatiquement «hors-sol», comme si elle n’avait pas de causes géopolitiques précises?

M.O. : Parce que le personnel politique est fait de gens médiocres qui n’ont aucune vision d’avenir pour le pays, aucun sens de l’histoire et qu’il n’écoute plus que les communicants qui leur donnent des recettes pour être élus ou réélus. La question n’est plus : «qu’est-ce qui est bon pour la France ?», mais «qu’est-ce qui va permettre ma réélection ?». La guerre, on le sait, hélas, booste les cotes de ceux qui les déclenchent. La testostérone fait plus en la matière que la matière grise. 

RT France : François Hollande a annoncé des frappes aériennes sur la Syrie que vous avez aussitôt vivement condamnées. Pourquoi ?

M.O : Bombarder des combattants de l’Etat Islamique suppose tuer des victimes civiles innocentes, les uns vivant chez les autres, et que ça n’empêchera pas un islamiste radical vivant en France de passer à l’acte. Au contraire !

RT France : Jacques Sapir a lancé l’idée d’un mouvement rassemblant tous les souverainistes, allant même jusqu’à une alliance avec le FN. Vous avez estimé que «l’idée est bonne (…) de fédérer les souverainistes des deux bords». Pourquoi ?

M.O. : Les souverainistes sont majoritaires dans l’opinion mais inexistants parce que répartis dans des partis très hétérogènes qui comptent pour rien dans la représentation nationale. Mais jamais un électeur de Mélenchon ne soutiendra une thèse de Marine Le Pen et vice versa. Seul un tiers au-dessus des partis pourrait fédérer ces souverainistes de droite et de gauche.

RT France : Cette proposition de Sapir ne traduit-elle pas une recomposition des lignes politiques dont le pivot (ou l’axe) ne serait plus l’économie mais le rapport à l’Europe ? Comment voyez-vous cette recomposition politique du paysage français ?

M.O. : L’idée est juste, mais elle n’aboutira pas. Les souverainistes sont représentés par des politiciens qui n’ont en tête que leur ego, leur trajectoire personnel, leur narcissisme. Aucun ne sera capable de jouer la fédération sous la bannière d’un tiers en s’effaçant. Entre la France et eux, ils ne choisiront pas la France.

jeudi, 25 juin 2015

Lettre ouverte à ce salaud de Michel Onfray...

onfray.jpg

Lettre ouverte à ce salaud de Michel Onfray...

par Julien Rochedy

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une lettre ouverte de Julien Rochedy à Michel Onfray, qui fait suite aux positions à contre-courant prises par le philosophe depuis quelques années, et singulièrement au cours des derniers mois. Un courrier tonique et sans détours, qui devrait permettre d'ouvrir, espérons-le, un débat fécond...

Cher Michel,

D'abord, Michel, permets moi d'être franchement familier. C'est qu'on a quelques amis en commun, et c'est surtout que tu fais, somme toute, un peu parti de ma famille. Voilà des années et des années que tes livres traînent sur la table du salon de mon père. Je crois les avoir tous vu passer, au moins depuis La politique du rebelle. Je ne compte pas les fois où l'on parla de toi au repas ; moi t'enfonçant, mon père te défendant, toi dont le parcours ressemble au sien, comme il ressemble à tant d'hommes de ta génération (ce qui explique une partie de ton succès). Jeune provincial éduqué à l'ancienne chez les bonnes sœurs et jeté d'un coup, à l'âge d'homme, dans le post-modernisme et ses valeurs hédonistes : un grand classique, presque un poncif générationnel. Tu me pardonneras donc, j'espère, le tutoiement et les quelques grossièretés qui vont suivre.

Michel, je t'ai longtemps pris pour un con. Un vrai con, comme les autres. Un petit moderne qui se piquait de penser. Un gros gauchiste de plus de l’intelligentsia médiatique. Un béat de 68, un progressiste, un athée militant, un droit-de-l-hommiste content de lui, un libéral-sociétal qui faisait encore des caprices de gosses pour obtenir, toujours, plus de droits. Liberté. Fraternité. Amour. Tolérance. Gentils immigrés. Méchants capitalistes. Et prout-prout.

Puis tu as évolué. Ça m'a un peu surpris, mais, très vite, j'ai été plutôt surpris de ma propre surprise, car j'aurais du deviner. Un nietzschéen obligé de frayer avec le Paris mondain, ça ne peut donner qu'un réactionnaire. Un jour ou l'autre, ça devait arriver. J'aurais du y penser. Du coup, je t'ai même rendu hommage sur mon blog (http://www.rochedy.fr/2015/04/michel-onfray-encore-un-effort.html). Je louais tes changements soudains de points de vue. Non seulement tu t'en prenais à ce monde décadent (je me permets le mot car tu te le permets toi-même en ce moment), mais en plus tu te payais le luxe de découvrir la pensée de la Tradition : l'immanence de la terre (avec un T majuscule ou minuscule), les valeurs archaïques de l'honneur, de la parole, de la droiture, de la force, etc. Tu découvrais même la pensée des cycles contre celle du progrès ! Quel progrès ! Je ne pouvais qu'applaudir. Bravo Michel. Rien à dire. Pour moi, tu n'étais plus un con.

Le problème Michel, c'est que tu as beau être sorti de la catégorie des cons, tu es entré dans celle des salauds. Finalement, c'est peut-être pire.

Avant de te dire pourquoi, autorise moi juste une petite remarque, gratuite et méchante. Elle n'est pas un peu tardive ton évolution ? Coucou Michel ! J'écoutais dernièrement, pour le plaisir, une émission d'une heure qui t'était consacrée en 1997. L'horreur absolue. En face de Finkielkraut, qui était ton interlocuteur et qui avait déjà pris pas mal de temps d'avance intellectuel sur toi, tu défendais encore toutes les libertés possibles et inimaginables, tu parlais du devoir des européens à accueillir le plus d'immigrés possibles, tu parlais des bienfaits de 68, notamment de la destruction du principe d'autorité, en particulier à l'école, et tu continuais Michel, tu chantais les lendemains égalitaires, tu bavais de sentiments moraux, tu pleurnichais comme les autres. C'était en 97 et c'était à gerber ! Tu étais encore un jeune gauchiste ! Et tu le fus longtemps. Et maintenant ? Eh ben Michel ! Oh, comme c'est étrange, maintenant tu pestes contre la médiocrité des politiques, de l'éducation nationale et de la culture, maintenant tu annonces que notre civilisation européenne est morte et qu'elle risque de se faire submerger par des méchants islamistes. Coucou Michel ! Réveil matin ! 2015, tu découvres que tes anciennes idées ont produit le monde de merde que tu vomis désormais. Dring dring ! Trente ans de retard. Rendez-vous loupé avec l'Histoire. 

Pareil pour ta philosophie dans ton dernier livre Cosmos Michel ! Là c'est grave quand même. Toi qui a commencé à réfléchir avec Nietzsche, voilà que quarante ans après tu retournes à lui. Tu redécouvres la métaphysique nietzschéenne de l’immanence. Moi, je l'ai lu à 15 ans et j'y suis resté. Toi, tu as erré pendant quarante ans pour t’apercevoir qu'enfin, c'était lui qui avait raison. Coucou Michel ! Quand au reste de Cosmos (très bon), bah Michel, c'est juste la philosophie des penseurs de la nouvelle droite, avec seulement quelques chichis et quelques prodomos que tu as encore besoin d'ajouter. Franchement Michel, tu as perdu un temps fou.

Tu pourrais m'objecter, comme on dit, vaut mieux tard que jamais. C'est vrai. Mais bon, en fait, on pourrait presque croire que tu es surtout un bon filou. Tu es toujours à la mode en quelque sorte. C'est habile. Quand la pensée à la mode était la pensée libérale (au sens américain, en Français : gauchiste), tu en étais un magnifique représentant. Maintenant que ça a basculé, maintenant que la société est devenue pessimiste et que ce sont plutôt les Zemmour qui cartonnent en librairie, tu te découvres réactionnaire. Habile ! Tu as raison en fait : en matière mondaine, littéraire et politique, rien ne sert d'avoir raison avant tout le monde, il faut avoir raison à temps. Même si c'est un peu tard.

Mais cela dit, je me plante quand je dis que tu es devenu réactionnaire. Le mot est mal choisi pour toi, car un réactionnaire, par définition, ça veut réagir. D'ailleurs, le problème vient de là, et c'est ce qui fait que tu es un vrai salaud.

Je te raconte juste une petite histoire avant de m'expliquer :

Dans ma petite vie, j'ai eu la chance d'avoir, comme tout le monde, des milliers de discussions. Des amis, des collègues de travail, des inconnus en soirée, la famille. Autour d'un verre, d'un café, ou juste dans la rue. Armé de mes idées et tandis qu'on s'aventurait à parler politique ou histoire, j'en ai convaincu plus d'un à propos du caractère profondément médiocre de notre post-modernité. Aujourd'hui, tu me diras, ce n'est pas bien difficile, mais pardonne moi quand même cet orgueil : je crois avoir fait plusieurs fois des noeux à la tête de bons petits gauchistes, ou simplement des indifférents, qui pensaient encore être nés à une époque formidable, joyeuse et pleine de vie. J'ai introduit le pessimisme dans leur petite tête gonflée de la vanité du présent. Mais souvent, alors que je voyais la bête enfin s'incliner et opiner du chef face à mes arguments, j'ai vu ce qu'il y a de pire au monde et ce à quoi je ne m'attendais pas : j'ai vu le fatalisme. Moi, tu comprends, quand je dis que nous vivons une époque de merde, c'est pour tout faire pour en changer. Au lieu de cela, j'ai vu des dizaines et des dizaines de personnes (et des jeunes notamment...), une fois d'accord avec mes sentences sur le temps présent, terminer la conversation par des réflexions du genre « puisque c'est comme ça je ne ferai pas d'enfants », « bah, on va mourir donc c'est pas grave », « tant pis quoi ». Horreur et damnation. Moi qui pensais toucher leurs cordes de la révolte, voilà qu'elles n'émettaient plus aucun son. Je crois que je préférais encore quand ils n'étaient que de simples béats un peu idiots. En fin de compte, je regrettais qu'ils voient clair.

 

julien rochedy, michel onfray, philosophie, réflexions personnelles,

 

Cette histoire terminée, je peux te dire pourquoi tu es en vérité un beau salaud. J'ai vu ta conférence à Nice, datée du 3 juin 2015. Je t'ai vu débiter, avec plaisir, les vérités sur la dégénérescence de notre civilisation. Puis tu as commis (par trois fois !) le pire des péchés contre la vie Michel, celui-là même contre lequel notre maître commun, Nietzsche, nous mettait en garde. Tu as dit, expliqué, justifié, qu'il ne fallait plus faire d'enfants. Tu as même fait applaudir toute la salle sur cette idée (et des femmes ! Je répète : des femmes !!). La civilisation européenne était morte, elle allait sans doute se faire remplacer, et il ne restait plus qu'à aller s'enfermer dans le jardin d'Epicure. Salaud. Triple salaud. Tu professes pendant quarante ans les idées qui ont conduit à cette déchéance, puis un matin tu te réveilles et continues à vendre des livres en disant que finalement tout ça sent la catastrophe, puis tu déclares que tout est foutu et qu'il ne faut même plus se battre ni faire d'enfants. Tombée de rideau. Boucle nihiliste. Salopard de première.

Michel, je te crois si intelligent que je ne te crois pas capable de ne pas voir le profond nihilisme dont tu fais état, et je te crois assez nietzschéen pour savoir que ce nihilisme est l'horreur absolue. Tu le sais Michel, la volonté du néant (consciente ou non) est à laisser aux autres, aux esclaves, aux êtres du ressentiment, ceux-là même que tu as souvent pourfendu dans tes livres. Alors pourquoi, Michel ?

On me dit que tu as voulu des enfants mais que tu ne pus en faire avec ta femme, malade et morte jeune. Je respecte profondément - je n'ai rien à dire. Mais Michel, toi le nietzschéen, je sais que tu sais qu'en vérité toutes nos pensées ne sont que des symptômes de notre propre vie, et, surtout, des tentatives de justifications de soi. Ça, je le sais, et tu le sais aussi (puisqu'à la suite de Nietzsche, tu l'as toi même écrit). Mais Michel, si tu le sais aussi bien, tu dois savoir que les grandes âmes parviennent également à réfléchir, de temps en temps, contre elles-mêmes (ci-contre disait Nietzsche). Penser contre soi. Ta vie n'est donc pas une excuse Michel. A dire qu'il ne faut plus faire d'enfants, tu ressembles à quelques uns de ces anachorètes des pires sectes chrétiennes d'antan, pleines de ressentiment et de haine contre la vie, tout ce que tu abhorres, tout ce contre quoi tu es censé t’ériger.

Voilà mon cher Michel. J'ai appris, compte tenu de tes évolutions, à être patient avec toi. Échappé du camp des cons, essaye de ne pas entrer dans celui des pires salauds, car entre un homme qui croit, même à de mauvaises choses, et un autre qui ne croit plus en rien, je pense que je préfère encore le premier. Et le pire, c'est que je suis sûr que toi aussi.

Bien à toi,

Julien Rochedy (Blog de Julien Rochedy, 22 juin 2015)

vendredi, 03 avril 2015

Michel Onfray semble avoir de plus en plus de mal à supporter un certain prêt-à-penser!

onfray-est-l-aute.jpg

Michel Onfray, docteur en philosophie, semble avoir de plus en plus de mal à supporter un certain prêt-à-penser!

Ex: http://medias-press.info

Ce week-end, le quotidien belge Le Soir lui offrait deux pleines pages d’entretien.

Morceau choisi :

« (…) il fallait être Charlie, sous peine d’être Dieudonné; il fallait être tolérant, sauf pour ceux qui ne pensent pas comme Valls; il fallait éviter les amalgames et n’avoir pas entendu que les criminels avaient mis leur crime sous le signe de la vengeance du Prophète; il fallait affirmer que l’équipe de Charlie était morte pour la liberté d’expression, mais comprendre que la liberté d’expression s’arrêtait juste après l’ânonnement du catéchisme médiatique; il fallait défiler en masse et applaudir on ne sait quoi sous peine d’être complice des tueurs; il fallait dire de l’islam, tout l’islam, qu’il était une religion de paix, de tolérance, et d’amour – en un mot, il fallait ne plus penser et obéir, obéir à la doxa imposée par les médias qui n’ont jamais vendu autant de papier ni obtenu pareils records d’audience. C’était le but. Il faut lire ou relire Propaganda. Sous-titré : Comment manipuler l’opinion en démocratie, d’Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud, qui a publié ce texte en 1928 pour expliquer comment une poignée de gens invisibles fabrique le consentement en démocratie. Un livre qui se trouvait dans la bibliothèque de Goebbels.«

mercredi, 01 octobre 2014

La tyrannie démocratique ?...

La tyrannie démocratique ?...

par vMichel Onfray

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Michel Onfray datée du mois de septembre 2014 et cueillie sur son site personnel. Une prise de position, parmi d'autres de l'auteur, qui énerve les aboyeurs stipendiés du système...

Onfray.jpg

 

La tyrannie démocratique

Pour les besoins d’un travail en cours, je reprends mes fiches sur Platon. Relisant mes notes concernant La République, je tombe sur une critique de la démocratie qui me stupéfie par sa vérité.

La démocratie, c’est sa nature, s’avère le régime le plus à même de donner ses chances à l’exercice de la liberté. Mais, anthropologie oblige, la pente naturelle des hommes consiste à vouloir toujours plus de liberté. Chacun veut pouvoir faire ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut, sans se soucier d’autrui. L’autorité passe pour une contrainte inadmissible. Elle est vilipendée, détestée, détruite. Si un chef n’est pas assez docile aux revendications de son peuple, il passe pour un tyran, un dictateur, aujourd’hui on dirait : un fasciste, un stalinien…

Platon écrit qu’une cité de ce genre « loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l’air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air de gouvernants » (562,d). L’actualité lui donne raison : Giscard se faisant photographier torse nu et velu dans une piscine, jouant au football avec une culotte à manches courtes, Sarkozy filmé lui aussi dans ce genre de culotte devenue bouffante pour son format, suant, transpirant, trempé d’humeurs montrées comme les saintes huiles, Hollande se voulant un président normal et photographié en short et polo sur la plage ou arborant un sourire béat sous une pluie battante pour montrer qu’il mouille sous l’averse comme chacun de ses électeurs, nos présidents veulent montrer qu’ils sont comme tout le monde – poilus, sportifs, en sueur, mouillés par la pluie…

De même les exemples de gouvernés qui prennent l’air de gouvernants ne manquent pas : les joueurs de foot décérébrés, les comédiens incultes, les acteurs narcissiques, les vedettes de télévision, les chanteurs de ritournelles à deux neurones ou les stars du rap se comportent dans la vie comme s’ils étaient des princes, des rois, des empereurs à qui tout est dû.

Il en va de même avec le quidam qui se comporte avec ses semblables comme un Roi dans son royaume : malpoli avec son téléphone portable quand il nous inflige ses conversations indigentes, fonçant dans le troupeau pour s’asseoir à la meilleure place en écrasant un ancien ou en piétinant une femme enceinte, passant devant tout le monde dans une file d’attente, se bâfrant d’une poignée de cerises ou d’un abricot pour goûter avant d’acheter… sans acheter, les exemples ne manquent pas.

Le résultat écrit Platon est « que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement » (562, e-563, a). Parce que le fils ne craint plus le père ni l’élève son maître, c’est le père qui craint son fils et le maître son élève. La peur qui existait de l’inférieur au supérieur ne disparait pas, elle s’inverse : le supérieur se met alors à craindre l’inférieur. Mais la crainte n’a pas disparu. « Ainsi l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu et dans l’Etat » (564,a). La flatterie devient la règle – la démagogie en est la forme contemporaine. Petit à petit, à force de démocratie, le démocrate fait le lit du tyran.

Impressionnant de vérité…

Michel Onfray (Chronique mensuelle de Michel Onfray, septembre 2014)

dimanche, 15 septembre 2013

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

Diogenes_statue_in_Sinop-top.jpg

Archives, 1997

Robert STEUCKERS:

Introduction au thème de l'ironie:

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

Dans la philosophie grecque et européenne, toute démarche ironique trouve son point de départ dans l'ironie socratique. Celle-ci vise à aller au fond des choses, au-delà des habitudes, des conventions, des hypocrisies ou des vérités officielles. Les conventions et les vérités officielles sont bourrées de contradictions. L'ironie consiste d'abord à laisser discourir le défenseur des vérités officielles, un sourire aux lèvres. Ensuite, lui poser des questions gênantes là où il se contredit; faire voler en éclats son système de dogmes et d'idées fixes. Amener cet interlocuteur officiel à avouer la vanité et la vacuité de son discours. Telle est l'induction socratique. Son objectif: aller à l'essentiel, montrer que le sérieux affiché par les officiels est pure illusion. Nietzsche, pourtant, autre pourfendeur de conventions et d'habitudes, a raillé quelques illusions socratiques. Ce sont les suivantes: croire qu'une vertu est cachée au fond de chaque homme, ce qui conduit à la naïveté intellectuelle (a priori: nul n'est méchant); imaginer que la maïeutique et l'induction peuvent tout résoudre (=> intellectualisme); opter pour un cosmopolitisme de principe (Antisthène, qui était mi-Grec, mi-Thrace, donc non citoyen de la ville, disait, moqueur, que les seuls Athéniens pures, non mélangés, étaient les escargots et les sauterelles). Il n'empêche que ce qui est vérité ici, ne l'est pas nécessairement là-bas.

Pour nous, le recours à l'ironie socratique n'a pas pour objet d'opposer une doctrine intellectuelle à une autre, qui serait dominante mais sclérosée, ou de faire advenir une vertu qui se généraliserait ou s'universaliserait MAIS, premièrement, de dénoncer, démonter et déconstruire un système politique et un système de références politiques qui sont sclérosés et répétitifs; deuxièmement, d'échapper collectivement à toutes les entreprises de classification et, partant, d'homologation et de sérialisation; troisièmement, d'obliger les hommes et les femmes qui composent notre société à retrouver ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes.

Nietzsche critique Socrate

Mais comme Nietzsche l'avait vu, la pensée de Socrate peut subir un processus de fixation, à cause même des éléments d'eudémonisme qu'elle recèle et à cause des risques d'intellectualisation. Après Socrate viennent justement les Cyniques, qui échappent à ces écueils. Le terme de “Cyniques” vient de kuôn (= chien). Le chien est simple, ne s'encombre d'aucune convenance, aboie contre l'hypocrisie, mord à pleines dents dans les baudruches de la superstition et du conformisme.

Première élément intéressant dans la démarche des Cyniques: leur apologie de la frugalité. Pour eux, le luxe est un “bagage inutile”, tout comme les richesses, les honneurs, le plaisir et la science (le savoir inutile). La satisfaction, pour les Cyniques, c'est l'immédiateté et non un monde “meilleur” qui adviendra plus tard. Le Cynique refuse dès lors de “mettre sa sagesse au service des sots qui font de la politique”, car ces sots sont 1) esclaves de leurs passions, de leurs appétits; 2) esclaves des fadaises (idéologiques, morales, sociales, etc.) qui farcissent leurs âmes. Les Cyniques visent une vie authentiquement naturelle, libre, individualiste, frugale, ascétique.

La figure de proue des Cyniques grecs à été Diogène, surnommé quelquefois “le Chien”. On retient de sa personnalité quelques anecdotes, comme sa vie dans un tonneau et sa réplique lors du passage d'Alexandre, qui lui demandait ce qu'il pouvait faire pour lui: «Ote-toi de mon soleil!». Le Maître de Diogène a été Antisthène (445-365). Antisthène rejetait la vie mondaine, c'est-à-dire les artifices conventionnels et figés qui empêchent l'homme d'exprimer ce qu'il est vraiment. Le danger pour l'intégrité intellectuelle de l'homme, du point de vue d'Antisthène, c'est de suivre aveuglément et servilement les artifices, c'est de perdre son autonomie, donc le contrôle de son action. Si l'on vit en accord avec soi-même, on contrôle mieux son action. Le modèle mythologique d'Antisthène est Héraklès, qui mène son action en se dépouillant de toutes les résistances artificielles intérieures comme extérieures. L'eucratia, c'est l'autarkhia. Donc, avec Antisthène et Diogène, on passe d'une volonté (socratique) de gouverner les hommes en les améliorant par le discours maïeutique, à l'autarcie des personnes (à être soi-même sans contrainte). L'objectif d'Antisthène et de Diogène, c'est d'exercer totalement un empire sur soi-même.

Contre les imbéciles politisés, l'autarcie du sage

Diogène va toutefois relativiser les enseignements d'Antisthène. Il va prôner:

- le dénuement total;

- l'agressivité débridée;

- les inconvenances systématiques.

Le Prof. Lucien Jerphagnon nous livre un regard sur les Cyniques qui nous conduit à un philosophe français contemporains, Michel Onfray.

Première remarque: le terme “cynique” est péjoratif aujourd'hui. On ne dit pas, explique Jerphagnon: «Il a dit cyniquement qu'il consacrait le quart de ses revenus à une institution de charité»; en revanche, on dit: «Il a dit cyniquement qu'il détournait l'argent de son patron». Dans son ouvrage d'introduction à la philosophie, Jerphagnon nous restitue le sens réel du mot:

- être spontané et sans ambigüité comme un chien (pour le meilleur et pour le pire).

- voir l'objet tel qu'il est et ne pas le comparer ou le ramener à une idée (étrangère au monde).

Soit: voir un cheval et non la cabbalité; voir un homme et non l'humanité. Quand Diogène se promène en plein jour à Athènes, une lanterne à la main et dit aux passants: «Je cherche un homme», il ne dit pas, pour “homme”, anèr (c'est-à-dire un bonhomme concret, précis), mais anthropos, c'est-à-dire l'idée d'homme dans le discours platonicien. Diogène pourfend ainsi anticipativement tous les platonismes, toutes les fausses idées sublimes sur lesquelles vaniteux, solennels imbéciles, escrocs et criminels fondent leur pouvoir. Ainsi en va-t-il de l'idéal “démocratique” proclamé par la démocratie russe actuelle, qui n'est qu'un paravent de la mafia, ou des idéaux de démocratie ou d'Etat de droit, couvertures des mafiacraties belge, française et italienne. Dans les démocraties modernes, les avatars contemporains de Diogène peuvent se promener dans les rues et dire: «Je cherche un démocrate».

Jerphagnon: «La leçon de bonheur que délivrait Diogène (...): avoir un esprit sain, une raison droite, et plutôt que de se laisser aller aux mômeries des religions, plutôt que d'être confit en dévotion, mieux vaut assurément imiter les dieux, qui n'ont besoin de rien. Le Sage est autarkès, il vit en autarcie» (p. 192).

Panorama des impertinences d'Onfray

Cette référence au Cyniques nous conduit donc à rencontrer un philosophe irrévérencieux d'aujourd'hui, Michel Onfray. Dans Cynismes. Portrait d'un philosophe en chien (1990), celui-ci nous dévoile les bases de sa philosophie, qui repose sur:

- un souci hédoniste (en dépit de la frugalité prônée par Antisthène, car, à ses yeux, la frugalité procure le plaisir parce qu'elle dégage des conventions, procure la liberté et l'autarcie).

- un accès aristocratique à la jouissance;

- un athéisme radical que nous pourrions traduire aujourd'hui par un rejet de tous les poncifs idéologiques;

- une impiété subversive;

- une pratique politique libertaire.

Dans La sculpture de soi. La morale esthétique (1993), Onfray parie pour:

- la vitalité débordante (on peut tracer un parallèle avec le vitalisme!);

- la restauration de la “virtù” de la Renaissance contre la vertu chrétienne;

- l'ouverture à l'individualité forte, à l'héroïsme;

- une morale jubilatoire.

Dans L'Art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste (1991), Onfray s'insurge, avec humour et sans véhémence, bien sûr, contre:

- la méfiance à l'égard du corps;

- l'invention par l'Occident des corps purs et séraphiques, mis en forme par des machines à faire des anges (=> techniques de l'idéal ascétique). Le parallèle est aisé à tracer avec le puritanisme ou avec l'idolâtrie du sujet ou avec la volonté de créer un homme nouveau qui ne correspond plus à aucune variété de l'homme réel.

gourm.jpgIl démontre ensuite que ce fatras ne pourra durer en dépit de ses 2000 ans d'existence. Onfray veut dépasser la “lignée morale” qui va de Platon à nos modernes contempteurs des corps. Onfray entend également réhabiliter les traditions philosophiques refoulées: a) les Cyrénaïques; b) les frères du Libre-Esprit; c) les gnostiques licencieux; d) les libertins érudits; etc.

Dans La raison gourmande (1995), Onfray montre l'incomplétude des idéaux platoniciens et post-platoniciens de l'homme. Cet homme des platonismes n'a ni goût ni olfaction (cf. également L'Art de jouir, op. cit.). L'homme pense, certes, mais il renifle et goûte aussi (et surtout!). Onfray entend, au-delà des platonismes, réconcilier l'ensemble des sens et la totalité de la chair.

Conclusion: nous percevons bel et bien un filon qui part de Diogène à Onfray. Un étude voire une immersion dans ce filon nous permet à terme de détruire toutes les “corrections” imposées par des pouvoirs rigides, conventionnels ou criminels. Donc, il faut se frotter aux thématiques de ce filon pour apprendre des techniques de pensée qui permettent de dissoudre les idoles conceptuelles d'aujourd'hui. Et pour organiser un “pôle de rétivité”.

Robert STEUCKERS.

dimanche, 19 mai 2013

MICHEL ONFRAY contre les dogmes freudiens

MICHEL ONFRAY contre les dogmes freudiens


Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr/
 
Fidèle à sa méthode Michel Onfray cherche à opposer en tous domaines – ici la psychanalyse – les « autoritaires » d’un côté, les « libertaires-libertins » de l’autre. On peut le dire aussi différemment : les orthodoxes normatifs d’un côté, les hétérodoxes hédonistes de l’autre. On a compris : ceux qui ont précédé et préparé Onfray, et ceux qui ont précédés les ennemis d’Onfray. Pour être un peu sommaire ce clivage est  éclairant. Il met du désordre dans un faux ordre, travail philosophique s’il en est.
 

                                                                                Michel Onfray et Sigmund Freund
 
Dans Le crépuscule d’une idole, Michel Onfray avait produit une critique radicale – et retentissante ! – de Freud. Il avait certes repris les réflexions d’un Pierre Debray-Ritzen (La psychanalyse cette imposture, 1991) et bien entendu du Livre noir de la psychanalyse (2005) mais avec un écho plus grand. 
 
Otto Gross toxicomane et vitaliste 

Il s’attache à autre chose dans Les freudiens hérétiques. Son but est de défendre 3 figures de psychanalystes fâchés avec Freud. Le premier, Otto Gross, fils d’un criminologue conservateur, se veut révolutionnaire. Il se livre à toutes sortes d’expériences limites. Il oppose le « refoulement toxique du dionysisme individuel par l’apollinisme social. » à la nécessaire libération des forces dionysiaques- ce qui n’est pas faux mais renvoie à la structure de toute société. Il politise et socialise ainsi la question de l’inconscient. En termes freudiens, il prêche la mise à l’écart du surmoi au profit du ça.  Les pulsions primitives et vitales sont donc valorisées au détriment des normes sociales. « Otto Gross (…) ne se contente pas d’en appeler à une hétérosexualité libre, il souhaite également en finir avec la division des sexes et l’inscription des corps dans une logique dite aujourd’hui gendrée (ou genrée), avec d’un côté les hommes, de l’autre les femmes. » On voit qu’il ne suffisait pas de s’éloigner de Freud pour ne pas professer des absurdités ! Otto Gross est trouvé mort en 1920. Un infirmier note : « Le docteur en médecine Otto Gross, âgé de 42 ans et de religion mosaïque, est décédé à 5 heures du matin. Il a couché durant la nuit dernière dans un passage inutilisé conduisant à un entrepôt. Une pneumonie, aggravée par la sous-alimentation, ne pouvait plus être traitée ».
 

Otto Gross

Deuxième figure : Wilhelm Reich 
 
Issu d’une famille juive autrichienne très assimilé, proche de Gross quant aux idées, il «inscrit l’inconscient non pas dans un univers purement métapsychologique, mais dans un monde sociologique et politique. » (Michel Onfray). Autre différence, contrairement à Freud, il soigne surtout des pauvres.  
 
 
Sa thèse centrale est qu’ « il n’y a qu’un seul mal chez les névrosés : le manque de satisfaction sexuelle totale répétée. » Selon W. Reich la « mauvaise sexualité » vient du capitalisme. D’où la nécessité d’une révolution/libération sexuelle anticapitaliste. Il croit trouver l’Eden dans la Russie bolchévique, Lénine ayant déclaré que « le communisme ne doit pas apporter l’ascèse mais la joie de vivre, la vigueur et également une vie amoureuse comblée » (ce qui est peut-être beaucoup demander à la politique !).  Comme Rousseau, Wilhelm Reich croit qu’à l’origine des temps historiques l’acte sexuel était simple et sans complexe. Pourquoi ? Parce que dans le communisme primitif tout était la propriété commune de tous. Wilhelm Reich mourra en 1957 dans la cellule d’une prison américaine. Il avait écrit : « La plupart des psychanalystes étaient eux-mêmes des malades souffrants  de troubles sexuels, et cela n’était pas sans influer sur leur évolution. » (La fonction de l’orgasme).
  
Erich Fromm contre le mythe freudien de la pulsion de mort

Erich Fromm, le troisième hétérodoxe d’Onfray est sans doute le plus intéressant des trois - et le moins malade. Juif allemand, passionné par le Talmud, installé aux Etats-Unis à partir de 1934, il critique la société technicienne et cybernétique, refuse la notion de pulsion de mort telle que l’entendait Freud, et récuse l’hermétisme et l’intellectualisme distanciateur de Lacan et des freudiens orthodoxes. Il applique la méthode nietzschéenne de recherche de la généalogie d’une pensée pour la comprendre (La mission de Sigmund Freud). C’est l’application du « D’où parles-tu ? » à Freud.  Il en conclut que la philosophie de Freud n’est rien d’autre que sa confession et son autobiographie. Pour Erich Fromm, Freud a inscrit toute sa vie sous le signe de l’avoir : « l’argent, la réputation, les honneurs, les richesses ». Selon Fromm la psychanalyse est devenue « un produit de remplacement de la religion pour les classes moyennes, ou tant soit peu supérieures, des villes, qui ne souhaitaient pas faire un effort radical plus complet. » Ce qui n’est pas mal vu. 
 
 
Erich Fromm fait l’apologie de la pulsion de vie aussi bien contre les dérèglements psychiques tels dit-il la pornographie ou le sadisme généralisé que contre les dérèglements sociaux tels la folie consumériste, le culte des gadgets, le nihilisme des valeurs. Toutes idées qui ne sont pas sans évoquer Herbert Marcuse ou Yvan Illich. Michel Onfray conclut son livre par un démontage aussi hilarant que convaincant de l’imposture lacanienne. « La chape de plomb du freudo-lacanisme fut une malédiction pour la scène intellectuelle [française]» écrit Michel Onfray. Une lecture roborative.
 
Michel Onfray, Les freudiens hérétiques. Contre histoire de la philosophie 8, 388 p., 20,90 €, Grasset, 2013.

dimanche, 21 novembre 2010

"Le crépuscule d'une idole" de Michel Onfray

livre-du-philosophe-michel-onfray-le-crepuscule-d-une-idole-surfreud.jpg

Le crépuscule d'une idole (M. Onfray)

 

« Le crépuscule d’une idole » est une charge de Michel Onfray contre Freud. Nous lui devons le distrayant spectacle de la secte psychanalytique en émoi. Toutefois, au-delà du côté ridicule de cette bataille d’intellos et sous-intellos (1), il y a le texte.

Note de lecture, donc. Histoire de savoir de quoi on parle.

 


*

 

D’emblée, notons que le rapport d’Onfray à la psychanalyse est… psychanalytique. Il l’avoue, sans faire de chichi : pour lui, Freud, c’est important. Le petit Michel, voyez-vous, a subi l’orphelinat (avec prêtre pédophile en option gratuite et automatique, d’après ce qu’il dit – d’où, sans doute, sa rage antichrétienne).

Trois auteurs l’aident à s’évader de cet « enfer » : Marx, Nietzsche, Freud. Alors soyons clair : il est évident que pour Onfray, flinguer Freud est une manière de liquider ce qu’il y a de psychanalytique dans sa propre pensée. Onfray réglant ses comptes avec Freud, c’est un peu l’intello français anticatholique de base faisant un choix. Nietzsche, et pas Freud (2). Avec la répudiation discrète de Marx, auquel il dit maintenant préférer Proudhon, Onfray achève de définir une identité idéologique. Une quête identitaire qui, visiblement, nourrit depuis pas mal de temps la démarche de cet intello français typique, perpétuellement à la recherche de maîtres. Des maîtres qu’il va idolâtrer, puis brûler – et bien sûr il faut qu’il les idolâtre, pour ensuite les brûler.

Très classique, tout ça : quand on analyse le parcours de nos intellos, on trouve souvent, très souvent, un traumatisme dans l’enfance, au départ de ce qui va devenir leur « raison », et qui est, d’abord, la rationalisation de leur sensibilité. Celle d’Onfray est caractérisée par un très fort individualisme (doublé d’un hédonisme revendiqué), une volonté d’indépendance intellectuelle farouche (d’où l’appétit de rupture avec toute « classe sacerdotale ») et, d’une manière générale, un enfermement non su dans les catégories modernes. Vraiment, une caricature d’intellectuel français. Ce que les héritiers des Lumières françaises, imprégnés malgré eux d’une culture catholique détestée mais intériorisée, et en outre un tantinet enfermés dans leur narcissisme intellocrate par l’héritage de mai 68, peuvent comprendre de Nietzsche : voilà, en gros, la  pensée d’Onfray.

Le côté positif du personnage est sa capacité à produire une pensée iconoclaste. Onfray déboulonnant une idole, c’est logique, c’est dans la nature du bonhomme.

Or donc, le jour est venu où, ayant fini de déboulonner « l’idole » judéo-chrétienne, notre intello français s’avisa qu’il convenait à présent de déboulonner une idole juive, ou réputée telle. Et notre intello, donc, s’attaqua au bon docteur Sigmund…

C’est là que les ennuis du philosophe commencèrent, mais c’est aussi là qu’il devint vraiment iconoclaste – puisque, par les temps qui courent, on obtient son diplôme d’hérétique en attaquant la psychanalyse, et certes pas en décochant un coup de pied rageur au catholicisme européen, ce corps immense et moribond.

Cette inscription dans la catégorie des hérétiques du moment vaudra à Onfray de figurer parmi les auteurs commentés sur ce modeste blog – ce sera notre humble contribution à son excommunication par les cléricatures dominantes.

 

*

 

Onfray analyse l’œuvre de Freud comme un travail avant tout autobiographique. En gros, il ne nie pas que les constats du bon docteur aient été justes le concernant, lui, personnellement. Il nie que ces constats soient vrais pour l’ensemble de l’humanité. Pour Onfray, Freud n’est pas un scientifique : c’est un philosophe à la rigueur. Et, en outre, un philosophe de seconde zone.

Démonstration.

Freud a menti sur sa biographie, ou en tout cas, disons qu’il l’a fortement arrangée. Pourquoi ? Parce que, nous dit Onfray, il éprouvait un besoin pathologique qu’on parle de lui en bien. Il ne supportait pas la critique. Et Onfray, ici, de suggérer que le bon docteur, toute sa vie, a cherché à donner de lui-même une image conforme à celle que sa mère se faisait de lui (la dénonciation du rôle de la mère juive n’est pas loin, mais Onfray s’arrange pour frôler le précipice sans y tomber). Exemple caricatural : Freud est cocaïnomane, donc la cocaïne permet de guérir certaines pathologies – voilà la méthode freudienne.

Pour dissimuler les conditions dans lesquelles il a bâti son système, Freud, à 29 ans, a brûlé tous ses papiers. Objectif selon Onfray : présenter la psychanalyse comme un « coup de génie », nier qu’elle soit le résultat d’une démarche à la scientificité douteuse.

D’où encore, selon Onfray, la volonté de Freud de « détruire Nietzsche » : il s’agit avant tout de dissimuler que la psychanalyse est née dans le contexte intellectuel créé par Nietzsche (un meurtre du père, en somme !). Idem pour Schopenhauer : si Freud l’a rejeté, c’est pour ne pas avouer que sa théorie du refoulement n’est qu’une resucée du « monde comme volonté et comme représentation ». Idem, au fond, pour toute la philosophie : Freud prétend s’en être détourné à cause de son caractère « abstrait » : en réalité, ce qu’il veut cacher, c’est le caractère abstrait de son œuvre à lui.

Pourquoi cette imposture ? Parce que Freud est un aventurier, obligé de dissimuler qu’il est un aventurier. La thèse d’Onfray a le mérite de la clarté : Freud ne veut pas la vérité scientifique, il veut les honneurs, l’argent, la célébrité. Mais pour avoir les honneurs, l’argent, la célébrité, il doit prétendre avoir découvert une vérité scientifique qu’il a longuement cherchée (l’inconscient), et trouvée à l’issue de travaux très sérieux. Cette vérité, en réalité, était déjà toute entière dans Nietzsche (la volonté de puissance), Schopenhauer (le vouloir vivre), et quelques autres (l’inconscient de Hartmann, et même, déjà, le conatus de Spinoza). Simplement, Freud l’habille d’un vernis de fausse scientificité, pour la revendre au meilleur prix. Si, au passage, il faut assassiner la philosophie, nier qu’elle possède une valeur spécifique, pour tout ramener à une catégorie naissante des « sciences humaines », tant mieux : une main lavera l’autre, la destruction de la filiation permettra de cautionner l’imposture. Freud est un médiocre philosophe, qui se déguise en grand médecin. Et donc, la psychanalyse n’est pas une science, c’est la philosophie d’un petit philosophe.

Après cette première salve d’artillerie à longue portée, Onfray part à l’assaut pour l’attaque à la baïonnette. Et là, c’est du corps à corps, on achève le blessé au couteau de tranchée.

La philosophie de Freud se résume, nous dit Onfray, à une banale pathologie de la relation au père, à la fois humilié (donc castré) et humiliant (donc castrateur). Le complexe d’Œdipe n’est pas une vérité universelle, mais tout simplement une pathologie spécifique à la famille du petit Sigmund, qui prend son cas pour une généralité. On nage, chez Freud, dans l’autobiographie vaguement hystérique d’un adulte qui n’est jamais parvenu à échapper à une mère fusionnelle, qui n’a pas pu construire son identité sexuelle normalement (collision des générations dans la famille), et qui, pour se dissimuler qu’il est un fils à maman, va présenter sa pathologie comme une règle générale. Onfray consacre une centaine de page à l’analyse des pathologies freudiennes ; un ami à moi, menuisier de son état, sait très bien résumer ça en une phrase définitive : ça sent le slip de pédé.

Toute la pensée de Freud, nous explique Onfray, tourne autour de sa pathologie propre. Il veut tuer Moïse, créateur de la religion où il fut élevé, parce que Moïse est assimilé à la figure paternelle (Freud interdit à sa femme, fille de rabbin, d’élever leurs enfants dans la religion). Il déteste le président Wilson au seul motif que celui-ci a pris son père en modèle. Il y a, chez Freud, une rage anti-patriarcale qui a plus à voir avec la névrose qu’avec la méthode scientifique.

Voilà, à très grands traits et sans entrer dans les détails, la théorie d’Onfray sur Freud. C’est un carnage.

 

*

 

La théorie est étayée par une analyse approfondie des méthodes du bon docteur Sigmund. Où l’on apprend en vrac :

-          Que Freud s’est vanté de guérisons imaginaires, les patients en cause ayant généralement fait des rechutes (limite de l’effet placebo),

-          Qu’il a lui-même présenté sa théorie du « père de la horde originaire » comme un « mythe scientifique » (soit un aveu du caractère non-scientifique de la théorie),

-          Qu’il a lui-même présenté la psychanalyse comme l’incarnation de « l’esprit du nouveau judaïsme », c'est-à-dire non comme une science, mais comme une religion qui se substitue à une autre religion (ici, Onfray fait une remarque inattendue et intéressante : Freud aurait-il été ami de l’Egypte, et ennemi de Moïse, précisément parce que la terre des Pharaons fut une des rares civilisations connues pour pratiquer l’inceste à grande échelle ? – Onfray va jusqu’à parler d’un antisémitisme latent chez Freud, au-delà d’un antijudaïsme évident),

-          Que les patients de Freud et de certains de ses disciples immédiats ont une fâcheuse tendance à se suicider après quelques années d’analyse (dont, entre autres, Marilyn Monroe, qui, en léguant une partie de sa fortune à la Fondation Anna Freud, a beaucoup fait pour les finances de la secte),

-          Que le bon docteur a beaucoup écrit sous l’emprise de la cocaïne, ce qui, on l’admettra, n’est pas franchement un gage d’objectivité scientifique (au passage, on peut remarquer que Freud a si bien soigné un patient à grands coups de cocaïne par injection… que ledit patient en est mort !),

-          Que Freud annonça avoir renoncé à l’hypnose à cause de son caractère « mystique », mais que ce renoncement arriva comme par hasard après qu’il se fut avéré qu’il était mauvais hypnotiseur,

-          Qu’il a ouvertement reconnu avoir abandonné la balnéothérapie parce qu’elle n’était pas rentable financièrement,

-          Etc. etc.

Plus intéressant que ce dossier à charge lourd mais anecdotique au regard des enjeux réels, Onfray attaque le freudisme, et pas seulement Freud. Et bien sûr, c’est là qu’est le vrai débat : au fond, que le bon docteur n’ait été qu’un charlatan n’a aucune importance ; ce qui est important, c’est de savoir si l’impact de sa pensée est positif ou négatif. Un charlatan médical peut très bien être un philosophe de grande portée ; est-ce le cas de Freud ?

Onfray accuse Freud d’avoir plongé l’esprit occidental dans un rapport magique au monde. Sa philosophie est caractérisée par une dénégation inconsciente du corps, dont le primat accordé au psychisme n’est que le masque. Ce déni du corps traduit, en profondeur, un refus de l’incertitude, une volonté obstinée de ne pas concéder à l’humain sa part de mystère : l’inconscient freudien est une pure abstraction, qui se révèle par des phénomènes que l’existence de cette abstraction permet de relier arbitrairement. Le discours freudien est donc celui d’une reconstitution artificielle d’un monde parallèle, où le pouvoir du mage transcende les limites de la connaissance humaine. C’est une pensée magique, et, plus grave, c’est le point de départ d’un univers sectaire : le monde freudien, déconnecté du réel, fournit en réalité un placebo à des malades eux-mêmes atteints d’une semblable déconnexion. Le psychanalyste ne guérit pas, il cautionne la maladie, il la rend acceptable par son patient. Fondamentalement, c’est de la magie noire.

Cette magie, explique Onfray, est dangereuse parce qu’elle repose sur un ensemble de mythes agissants. Si vous vivez dans un monde où l’on vous dit que tout est sexe, au bout d’un moment, dans votre esprit, tout sera effectivement sexe (surtout si ce discours vous libère d’un puritanisme étouffant). Si vous vivez dans un monde où l’on analyse toute relation comme perverse, alors toute relation deviendra effectivement perverse (surtout si vous vivez dans un monde dont les  structures socio-économiques sont réellement perverses). Et si en plus, vous vivez dans un monde où les tenants des thèses en question pratiquent l’intimidation à l’égard de quiconque ne partage pas leurs certitudes, vos réflexes d’obédience viendront renforcer l’impact pathogène du discours sectaire dans lequel votre société est enfermée. Ne perdons pas de vue qu’à travers le Comité Secret de la Société psychologique et ses ramifications à travers toute l’Europe, la psychanalyse s’est, très tôt, organisée comme une franc-maçonnerie particulièrement sectaire, dont les affidés chassaient en meute – d’où la dictature intellectuelle des milieux freudiens dans les intelligentsias.

Sous cet angle, on sort de la lecture d’Onfray avec en tête une hypothèse : Freud se rattache peut-être à la catégorie des faiseurs « d’horribles miracles », pour parler comme René Girard – il crée une peste, la répand dans la société en jouant sur les mimétismes, et se vante ensuite de pouvoir guérir du mal qu’il a lui-même créé. C’est en effet ainsi, explique Girard dans « Je vois Satan tomber comme l’éclair », que procédaient les thaumaturges du paganisme tardif – dans les catégories chrétiennes, Freud serait donc un faux prophète, un antéchrist.

Qu’Onfray n’ait pas anticipé la formulation de cette hypothèse, parmi les réactions possibles de son lecteur, se laisse bien voir à la dernière partie de son livre, où il nous présente le Freud « réactionnaire » – rappelons ici que Freud réaffirme, à travers la théorie de la sublimation, un interdit de l’inceste (fût-ce pour y voir la source de toutes les névroses). Et, à juste titre, Onfray nous fait remarquer que cette manière de poser le problème débouche, mécaniquement, sur une vision du monde très noire : rares seront les hommes heureux, car rares seront les hommes qui sauront accorder leurs désirs et leurs possibilités, donc la règle est la compétition pour le peu de bonheur disponible, presque un concours de bites, au fond, et que le meilleur gagne ! (sous cet angle il est évident que le freudisme est en partie une idéologie bourgeoise, voire un proto-fascisme, et en tout cas un nihilisme).

Et cependant, on sort de cette cinquième partie avec un sentiment d’inachevé…

En fait, Onfray passe à côté de la conclusion qui aurait dû couronner sa charge. On soupçonne ici que, pour dire les choses simplement, l’intello d’Argentan ne s’est jamais remis de son passage chez les curés (pédophiles d’après lui, et qui en outre lui auraient interdit de se branler). Résultat : chez Onfray, il manque l’essentiel.

Onfray ne peut condamner l’instrumentalisation du désir qu’au nom du désir, parce qu’il ignore, ou en tout cas néglige, la notion d’Amitié (au sens aristotélicien). C’est pourquoi, à ses yeux, il ne peut y avoir que deux camps : ceux qui veulent réprimer le désir (où il range Freud), et ceux qui veulent le libérer (où il se range). Puisque Freud décourage les hédonistes, c’est que Freud est un réac : voilà la conclusion d’Onfray – qui montre ici les limites de son positionnement, et passe donc complètement à côté de la question où, pourtant, son travail aurait dû l’amener : est-ce que le fond du problème, chez Freud, ce ne serait pas tout simplement une certaine incapacité à aimer ? A s’oublier soi-même ? Et si, pour sortir de la névrose, il ne fallait tout simplement admettre que l’on doit s’occuper d’autre chose que de soi ?

Autant de questions qu’Onfray, profondément individualiste, irréductiblement moderne, ne peut pas poser, parce qu’il ne peut pas les penser. Pour Onfray, le monde se réduit à un face-à-face entre phallocratie et libération sexuelle : il n’a pas remarqué que ce ne sont là, fondamentalement, que deux figures possibles d’une même réduction de l’Agapè à l’Eros. En quoi, et il l’avoue d’ailleurs à demi-mots dans sa conclusion, Onfray ne peut pas, à ce stade, se libérer vraiment de l’emprise de Freud…

( 1 ) Les lecteurs désireux de se détendre pourront se régaler de ce morceau de bravoure, offert par un « psy » tellement caricatural qu’on a peine à croire au premier degré : voici l’impossible remix de « Freud est grand et je suis son prophète » sur un sampling d’Offenbach, la vie parisienne, « Yé choui bréjilien y’ai dé l’or » (ne pas manquer).

( 2 ) Sur le sous-nietzschéisme d'Onfray, à lire très bientôt sur ce blog un résumé de la critique de Nietzsche par Lukacs. Qu'il soit bien entendu que cette note de lecture ne vaut pas approbation de la position d'Onfray dans l'absolu.