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dimanche, 04 mai 2008

La fin de la mondialisation heureuse

La fin de la « mondialisation heureuse » : un retour vers des économies plus autocentrées ?

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Les mois de mars et d'avril 2008 ont été marqués par un tumulte médiatique sur des sujets anecdotiques : les heurs et malheurs d’Ingrid Betancourt, la perturbation du parcours de la flamme olympique, les banderoles de mauvais goût du PSG, les profanations de cimetières ou les agonies télévisées : un programme de divertissement et d'ahurissement de l'opinion qui a permis d'occulter les sujets majeurs. Notamment l'ampleur de la crise économique – 1.000 milliards de dollars de pertes annoncés par le FMI – qui marque la fin de la « mondialisation heureuse ». Heureuse pour certains, sans doute. Mais malheureuse pour beaucoup.

Explications :

Le libre-échangisme mondial

Durant la campagne électorale présidentielle française de 2007, Dominique Strauss-Kahn (DSK) se présenta comme le candidat de la « mondialisation heureuse ». Jolie formule qui ne lui permit pas de devenir président de la République mais qui en a fait un président du Fonds monétaire international (FMI) acceptable pour les Américains.

La « mondialisation heureuse » est l'expression médiatique utilisée pour désigner le libre-échangisme mondial, courant de pensée qui a imposé, au cours des trois dernières décennies, la disparition de tout obstacle à la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des hommes. Selon cette doctrine, la suppression des frontières, en permettant l'allocation optimale des ressources à l'échelle mondiale, déboucherait sur l'amélioration de la situation dans chaque pays et pour chaque groupe social.

Cette doctrine s’est d’autant mieux imposée qu’elle a assis sa domination par un processus de « ringardisation » et de diabolisation de ses adversaires ; s'y opposer c’était prendre le risque de se placer à l'écart de la modernité et de la rationalité économique et par conséquent d’être déconsidéré.

La mondialisation a été « heureuse » pour la superclasse mondiale

Dans « Qui sommes nous », Samuel Huntington décrit l'existence d'une superclasse mondiale : les « cosmocrates », les « transnationaux économiques », qui mettent l'accent sur la mondialisation, les échanges sans frontières et font carrière en se déplaçant d'un pays à l'autre.
http://www.polemia.com/contenu.php?iddoc=1392&cat_id=...

Huntington estime cette population à 20 millions, dont 40% d'Américains, en 2003, avec la perspective qu'elle atteigne 40 millions en 2010.

Ces « transnationaux » ont été les grands bénéficiaires de la mondialisation : aux Etats-Unis, la croissance enregistrée depuis 1996 a bénéficié à moins de 10% de la population, les revenus des autres Américains stagnant. A titre d'exemple et pour la seule année 2006, les bénéfices des cinq plus grandes banques d'affaires new-yorkaises (Goldman Sachs, Lehman Brothers, Bearn Stearns, Morgan Stanley et Merrill Lynch) ont porté sur 28 milliards de dollars. Et 170.000 banquiers et courtiers d'établissements new-yorkais ont reçu cette même année 2006 en moyenne 212.000 euros de bonus annuel. Des sommes qui, comme le dit Madame El Karoui, professeur de mathématiques financières à l'école Polytechnique, aurait dû alerter (1). La crise de 2007 n'a pas modifié ces pratiques puisque les 100 courtiers les mieux payés du monde ont gagné en moyenne 304 millions de dollars, cinq d'entre eux dépassant le milliard de dollars de gains personnels !

En Chine, en 2006, le nombre de Rolls Royce vendues a, lui, augmenté de 60%.

En France, les 3.500 foyers les plus riches ont vu leurs revenus réels progresser de 43% de 1998 à 2005.

Ces évolutions ne reflètent évidemment pas la croissance générale.

 

L'ouverture des frontières européennes s'est accompagnée du ralentissement de la croissance française

De 1947 à 1957 puis de 1957 à 1967 l'économie française a vécu dans une ambiance protectionniste, stricto française d'abord, européenne ensuite avec le tarif extérieur commun ; durant cette période, la croissance moyenne annuelle a été de 5,4% (2).

L'aboutissement des négociations Kennedy et de celles de Tokyo, puis les enchaînements libre-échangistes qui ont suivi ont abouti à une suppression progressive des frontières ; parallèlement le taux annuel de croissance a reculé à 3,3% durant la période 1967/1980, puis à 2,12% de 1979 à 2005.

Le taux de chômage initialement à 2% s'est installé autour de 10% bien que la mise en place de préretraites, d'un côté, du RMI et des minima sociaux, de l'autre, contribue à le minorer.

Encore faut-il nuancer ce taux de 2,12% de croissance annuelle puisqu'il tombe à 0,52% pour le revenu moyen disponible des ménages, la croissance nominale étant à partager entre un plus grand nombre de bénéficiaires du fait de l'immigration, d'une part, du vieillissement de la population, de l'autre ; le vieillissement s'accompagnant par ailleurs de la marchandisation de tâches familiales et domestiques qui n'entraient pas jusqu'ici dans le cadre de la comptabilité nationale et contribuant ainsi indirectement à une augmentation du PIB en partie artificieuse.

Ajoutons que de 1998 à 2005 les revenus déclarés par 31,5 millions de foyers fiscaux, soit 90% de la population fiscale, n'ont augmenté que de 4,6% (3).

Enfin, la mondialisation et la financiarisation se sont accompagnées d'une amélioration de la situation des détenteurs de capitaux (rentes et fonds de retraites notamment) au détriment des producteurs et des jeunes.

En France, l'écart entre les jeunes et les vieux actifs, notamment pour les cadres, s'est accru pour la génération née entre 1970/1980 par rapport à la situation connue par la génération née de 1950 à 1970. Ce sont les classes d'âge jeune et en âge de constituer les familles qui se sont trouvées financièrement pénalisées, ce qui contribue à la baisse du taux de fécondité et au déclin démographique des populations européennes.

 

Libre échange et financiarisation : l'augmentation des coûts de friction économiques et sociaux

Le libre-échange international et la financiarisation de l'économie n'ont cessé de pousser les entreprises à améliorer leur compétitivité.

Des efforts considérables ont été accomplis en France et en Europe pour diminuer les coûts de production ; ils ont porté sur l'amélioration de la productivité des industries et des services et souvent débouché sur la délocalisation d'une partie de la production (4).

Si une partie de ces efforts ont bénéficié aux consommateurs, d'un côté, et à ceux des travailleurs qui ont pu garder leur emploi, de l'autre, ils n'ont pas été, non plus, sans augmenter les coûts de friction économiques, sociaux et psychologiques.

D'abord, le courtermisme et la versatilité des marchés (notamment des devises et des matières premières) n’ont cessé de rendre difficile, voire impossible, l'allocation optimale des ressources. D'autant que les changements rapides de stratégies et les chocs brutaux des prix ne sont pas absorbables sans dommages ni gaspillages. Tout cela fragilise l'inscription dans la durée des projets de vie professionnels et personnels.

Enfin, la sortie de l'emploi – de manière provisoire ou définitive – de nombreux agents économiques engendre un coût social élevé pour la collectivité, les gains économiques en termes de productivité étant souvent compensés par des charges sociales et fiscales supplémentaires. En termes de revenus le jeu risque alors d'être à somme nulle tout en étant à somme négative en termes d'équilibre social et psychologique.

C'est ce qui a conduit Giulio Tremonti, vice-président de Forza Italia, à rompre avec le libéralisme mondialiste dans son livre « Crainte et Espoir ». Il y dénonce la vélocité et la violence dans le processus de compétitivité et voit dans la précarité de l'emploi et la chute du pouvoir d'achat la conséquence de la « folie de la mondialisation ». Dénonçant à l'origine de ce phénomène (5) « un groupe de fous, d'illuminés ayant décidé dans les vingt dernières années de diviser le monde en deux : production à bas coût en Asie et consommation aux Etats-Unis et en Europe. Et au final la situation a empiré pour nous comme en Asie ».

 

Libre-échange et spéculation : l'émergence d'une crise alimentaire mondiale

L'ouverture générale des frontières tout comme la spéculation débouche aujourd'hui sur le retour d'une crise alimentaire dans certains pays d'Afrique ou d'Asie.

D'abord, l'accès à la richesse de centaines de millions d'Indiens et de Chinois modifie leurs habitudes alimentaires. La viande qu'ils consomment désormais, poulets ou porcs, augmente la demande en céréales et oléagineux qu'il faut produire pour nourrir le bétail ou les volailles, ce qui crée une tension dans l'économie réelle entre l'offre et la demande, conduisant à une hausse des prix. Celle-ci est amplifiée par les mouvements spéculatifs, la crise boursière et l'éclatement de la bulle immobilière conduisant les détenteurs de capitaux et les acteurs des marchés à terme à rechercher d'autres placements.

En se portant sur les matières premières et les produits alimentaires, l'économie casino déclenche leur renchérissement. Cela nourrit les craintes légitimes sur le pouvoir d'achat dans les pays développés et se traduit par des révoltes frumentaires dans de nombreux pays d'Afrique, comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, l'Egypte ou les Caraïbes comme Haïti, voire d'Asie du Sud (Bengladesh).

Enfin certains producteurs de riz comme le Vietnam, la Thaïlande ou l'Inde ont choisi de protéger la consommation de leurs nationaux en limitant leurs exportations.

Vers un retour à des économies réelles plus autocentrées

Selon de nombreux analystes, la crise actuelle est la plus profonde depuis la grande dépression de 1929. Son ampleur doit conduire à une complète réorientation de l'économie mondiale :

– d'abord par l'arrêt de la fabrication artificielle de monnaie, la limitation de l'endettement des acteurs financiers et une meilleure couverture des risques qu'ils prennent par l'existence d'actifs réels pour les garantir ;

– ensuite par une meilleure maîtrise des autorités nationales sur les grands échanges économiques ; sauf à dénier toute souveraineté aux Etats – et à vider la démocratie de tout sens dans les pays qui la pratiquent encore – il faut rapprocher les centres de décisions politiques et les centres de décisions économiques ; ce que la mondialisation ne permet pas ;

– les pays les moins développés seront d'ailleurs conduits à agir dans le sens de la recherche de l’autosuffisance pour des raisons sociales : garantir l'accès aux produits alimentaires de première nécessité (céréales, oléagineux) à leur population ;

– les pays les plus avancés seront, eux, conduits aux mêmes nécessités pour protéger la rareté de leurs espaces et la qualité de leur environnement ; des règles strictes dans ces domaines étant difficilement compatibles avec la mise en compétition des entreprises européennes avec celles des pays aux normes beaucoup moins exigeantes.

Il faut reconstruire l'ordre économique des nations, selon les perspectives tracées depuis plus de 10 ans déjà par le prix Nobel français d'économie Maurice Allais, politiquement incorrect mais économiquement lucide !

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/messages_recus/La_c...
et :
http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=37&iddoc=16...

Polémia

NOTES :
(1)     Dans « Le Monde » du 29 mars 2008. La Lettre de Polémia de janvier 2007 avait signalé le caractère exorbitant de ces chiffres.
(2)     Pierre Milloz, « Les frontières ou le chômage », Editions nationales.
(3)     Camille Landais, « Les hauts revenus en France (1988/2006) », Paris School of economics, 2007.
(4)     Voir le dossier de Polémia sur « Les stratégies possibles pour les entreprises industrielles dans la mondialisation » :
http://www.polemia.com/campagne.php?iddoc=1494&cat_id...
(5)     Le 6 mars 2008 sur la 2e chaîne de télévision de la RAI.

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vendredi, 02 mai 2008

La vraie crise mondiale, c'est l'alimentation

Oubliez le pétrole, la vraie crise mondiale, c’est l’alimentation Version imprimable Suggérer par mail
Crise alimentaire
Une nouvelle crise alimentaire mondiale est en train d’émerger, et elle pourrait être bien plus dramatique que tout ce que le monde a connu par le passé. La crise du crédit et les conséquences de l’envol du prix du pétrole seront peu de choses en regard de ce qui nous attend.


Telles sont les prévisions dont Donald Coxe, un gestionnaire du fonds BMO Financial Group, a fait part aux investisseurs réunis à Toronto par l’Empire Club. « Il ne s’agit pas de si mais de quand », a-t-il averti son auditoire avant de prévenir que « cela va frapper fort cette année. »

M. Coxe estime que les fortes hausses des denrées alimentaires observées l’année dernière allaient s’intensifier durant les années à venir, en raison de la demande accrue de viande et de produits laitiers des classes moyennes en Chine et en Inde et de la forte demande de l’industrie des biocarburants.

« Le plus grand défi mondial ce n’est pas le pétrole à 100 dollars, c’est d’obtenir assez de nourriture pour que les nouvelles classes moyennes puissent vivre de la même façon que les nôtres le font, et cela signifie que nous devons accroître considérablement la production ».


L’impact d’un marché de produits alimentaires plus tendu est déjà évident sur le prix des produits bruts qui ont augmenté de 22% l’an passé. M. Coxe a déclaré que cette envolée serait ressentie dans les prix à la consommation dans les 6 prochains mois. Les consommateurs ont déjà dépensé 6,5% de plus pour l’alimentation l’année dernière. Le prix du blé a bondi de 92% en 2007 et a clôturé hier à 9,45 dollars le boisseau de 35 litres à la bourse de Chicago.

Au cœur de cette catastrophe imminente se trouve le maïs, qui est la première ressource utilisée par l’industrie des biocarburants. Son prix a augmenté de 44% durant les 15 derniers mois, clôturant hier à 4,66 dollars à Chicago, au plus haut depuis juin 1996. Ces impacts ne se font pas seulement ressentir sur les prix des nourritures à base de céréales, mais influent également sur le prix de la viande, en entraînant une augmentation du prix des aliments pour le bétail.

« Il va y avoir de vrais problèmes dans les pays qui sont importateurs de nourriture, car nous voyons déjà se développer des embargos sur l’exportation de la part de pays qui auparavant tentaient à tout prix de vendre à l’étranger »
, note-t-il, en citant la Russie et l’Inde à titre d’exemples.

« Ceux qui ont de la nourriture vont avoir un avantage énorme »
: avec 54% du maïs mondial cultivé dans les états du Middle-West, les USA feront partie de ces pays avantagés. Mais M. Coxe avertit que les exportations de maïs sont en danger d’ici trois ans si le pays continue de subventionner la production d’éthanol. On s’attend à ce que les biocarburants aient accaparé un tiers de la production de grain en 2007.

Selon lui, les stocks de réserves de céréales américains sont au niveau le plus bas jamais enregistré, comparativement à la consommation. Il existe une vingtaine de ces stocks de par le monde, qui vont définir le futur contour de l’offre mondiale, et dit-il « ces stocks prendront une valeur précieuse avec le temps qui passe ». M.Coxe estime que les rendements du maïs dans le monde devront tendre vers ce que l’on observe dans l’Illinois, qui produit 500 boisseaux l’hectare, alors que la moyenne mondiale n’est que de 75 boisseaux. « Cela sera possible avec plus d’engrais, plus d’OGM, et grâce à une mécanisation et une technologie de pointe », prévoit-il.

Alia McMullen, Financial Post, 7 janvier 2008

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mercredi, 23 avril 2008

Un livre sur la pensée de Keynes

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Sur la pensée économique de Keynes

 

On se trouve ici face au meilleur texte d’introduction à l’œuvre de Keynes actuellement en circulation. Non seule­ment le plan a été remarquablement construit, en deux par­ties de trois chapitres, mais le style est limpide, cou­lant, et donne envie de continuer de sorte qu’on regrette d’ar­river si vite à la fin. Keynes (1883-1946) a fondé un pa­radigme, c’est-à-dire une conception générale et élaborée de l’économie. Il a résolu des questions que Marx et Walras avaient posé : pourquoi la baisse du taux de profit conduit-elle à la crise? Comment comprendre la stabilité des crises (sous-consommation ou sur-accumulation)? Le problème de la durée des déséquilibres entre offre et demande... Key­nes étudie l’économie du capitalisme de marché, où la con­cur­rence est essentielle. Il est motivé par la misère ouvriè­re qui règne dans ce capitalisme marchand industriel. Il a un souci de méthode scientifique, en tenant compte de l’é­po­que  Sa réflexion macroéconomique a stimulé l’étude de la répartition globale entre salaires et profits ainsi qu’un in­térêt pour la notion de crise financière. Sa relance de l’a­nalyse monétaire dans le cadre d’une économie de pro­duc­tion a permis de comprendre que le vieux rêve des alchi­mis­tes était réalisé: la monnaie ne tient sa valeur que d’ê­tre un signe. Enfin, le débat sur un juste et légitime pro­tec­tionnisme lui doit beaucoup… (JD).

 

Frédéric POULON, La pensée économique de Keynes, Du­nod, Coll.Topos, 126 p.

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mardi, 22 avril 2008

La pensée économique de Keynes

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Frédéric VALENTIN:

Keynes : capitalisme, endettement et crises

Intervention de Frédéric Valentin lors de la dixième université d’été de « Synergies Européennes, Basse-Saxe, août 2002

I - Les apports de Keynes à la pensée économique.

I - 1 : Nouveaux fondements

1 - L’individu mimétique.

2 - La rareté résulte d’une construction sociale.

I - 2 : Grandeurs caractéristiques

1 - Travail et emploi.

2 - Contrainte extérieure.

 

II - La contestation de l’orthodoxie monétaire : la monnaie-dette.

II - 1 : Fondements keynésiens de l’approche circuitiste

1 - Une économie d’entrepreneurs

2 - L’image du circuit keynésien

II - 2 : Compréhension des cycles et des crises

1 - Une politique monétaire plus souple.

2 - Le déficit budgétaire.

 

III - Des principes keynésiens pour l'Europe ?

III - 1 : La Lucidité de Keynes.

1 - Victoire de l’obscurantisme

2 - L’éternel retour de l’impérialisme.

III - 2 : Sortir des crises

1 - L’échelon européen favorise-t-il la sortie de crise ?

2 - La réforme du système monétaire international en perspective.

L’œuvre complète de Keynes, né en 1883, com­prend trente volumes dont la publication com­plète fut terminée pour le centenaire de sa nais­sance, en 1983. Une telle production pré­sen­te de multiples facettes. Il a été sé­lec­tion­né, pour leur portée générale, trois domaines : la capacité de remise en cause des préjugés ; la volonté de comprendre le fonctionnement des économies concrètes ; la conception de pro­­jets améliorant le sort des peuples et des pays.

Dans la société cambridgienne où Keynes fut é­du­qué, la recherche rigoureuse du vrai guidait cha­cun. Dès sa thèse sur les probabilités, sou­te­nue en 1908, il remit en cause les idées re­­çues sur la fréquence comme base de calcul. S’af­franchir de ce qui est considéré comme la pen­sée orthodoxe d’une époque passe par l’é­la­boration d’un cadre différent et par la for­mu­la­tion de relations nouvelles. Proposer des con­cepts novateurs, mieux aptes à décrire, com­pren­dre et expliquer les situations, a été la pre­mière contribution majeure de Keynes, qui en­seigna ainsi la nécessité d’innover en ma­tiè­re intellectuelle pour résoudre les  problèmes de l’économie d’un pays voire de l’économie in­ternationale.

La question de la monnaie est au centre de son œu­vre. Il comprit combien était difficile la co­or­dination des acteurs dans une société hé­té­ro­gène. Il étudia les désordres monétaires qui sui­virent la fin de la première guerre mondiale et constata l’existence des relations entre infla­tion / déflation et enrichissement / appauvris­se­ment des groupes sociaux. La monnaie n’est pas neutre. A partir de là, Keynes s’attacha à for­muler les règles de fonctionnement d’une éco­nomie monétaire et insista sur ses trois fonc­tions de base : la fonction de crédit rem­plie par les banques, la fonction de production as­surée par des entreprises, la fonction de dé­pen­se des ménages. Lorsqu’il publia en 1936 le li­vre le plus connu, la Théorie générale, il pen­sait qu’elle allait en grande partie révolu­tion­ner la façon dont le monde concevait les pro­blèmes économiques. Mais cette révolution key­nésienne a connu un nombre et une di­ver­si­té d’interprétations surprenantes. Nous in­si­ste­rons sur l’une des dimensions de l’œuvre, la con­ception circuitiste de l’économie où la mon­naie n’est clairement plus assimilée à une mar­chandise.

Les travaux de Keynes sur la question de l’or­ga­nisation monétaire internationale sont mul­ti­ples. Dès 1930, eu égard aux profondes diffi­cul­tés rencontrées au niveau des paiements in­ternationaux dans les années vingt, il publia au sein de son Traité de la monnaie un chapitre in­titulé “Propositions pour la création d’une Ban­que supranationale”. Il présenta un plan por­tant son nom à la Conférence Monétaire et Financière des Nations Unies à Bretton Woods en juillet 1944, document officiel de la délé­ga­tion britannique. Les fondements analytiques des thèses de Keynes restent une référence es­sen­tielle pour comprendre les problèmes ac­tuels de l’organisation monétaire internationa­le.

I - LES APPORTS DE KEYNES

A LA PENSÉE ÉCONOMIQUE

Keynes poursuit deux objectifs fondamentaux. Sa cible est la  «théorie classique» qu'il qualifie d'orthodoxe. Ce n'est cependant pas la cohérence interne de la théorie classique qui lui pose problème mais bien ses prémisses. D’au­tres hypothèses sont à formuler. Son se­cond objectif, plus ambitieux, est de construire la théorie d'une économie monétaire, seule ca­pa­ble de rendre compte des caractéristiques es­sentielles d'une société capitaliste, en parti­cu­lier de son caractère «dynamique». De nou­velles grandeurs sont à privilégier.

I - 1 : NOUVEAUX FONDEMENTS

Keynes a tenté d'élaborer une théorie gé­néra­le, qui ne préjuge pas a priori de la com­patibi­li­té des actions individuelles. Cet essai repose sur l’hypothèse de l’individu mimétique et sur les effets de composition.

1 - L’individu mimétique. L'individu mis en scè­ne par Keynes est mimétique car l'imitation est une stratégie rationnelle (1). Plongé dans le monde de la marchandise, l’homme est tout à la fois séparé de ses semblables et dé­pen­dant d'eux. Ses projets ne peuvent aboutir que s'ils sont compatibles avec ceux de ses rivaux. Puisqu'il ne peut en débattre avec les autres, il s'en remet à des signes que tous finalement pro­duisent, mais sans le savoir ni le vouloir. Ces signes -- les prix des marchandises – fluc­tuent dans l'arbitraire, au gré des opinions de la foule ignorante, emportés par le flot des ru­meurs les plus folles.

L’univers marchand est la proie d'une incertitu­de radicale ; non pas l'aléatoire des phéno­mè­nes naturels ou météorologiques, relativement maî­trisable par le calcul des probabilités, mais l'in­certain irréductible des affaires humaines lors­qu'elles se laissent guider par les forces ob­scu­res du marché. Pour Keynes, la seule con­duite individuelle cohérente dans ce con­texte est alors d'imiter les autres.  L'in­di­vidualisme du sujet marchand est un con­for­mis­me et un grégarisme (2).

Dans un monde foncièrement incertain, l'imi­ta­tion est la seule forme rationnelle de conduite. Keynes avance deux raisons, l'une générale, l'autre propre aux marchés financiers.

- Si je ne sais rien de la situation générale et de son évolution possible, à guider mes pas sur ceux des autres je tire avantage de leur savoir si vraiment ils savent, et s'ils ne savent rien (ce qu'il m'est impossible de décider), que je prenne ce point de repère ou un autre ne fait au­cune différence que je sois en mesure d'ap­pré­cier.

- Les comportements sur un marché financier obéis­sent aux lois de la psychologie des foules: l'imitation de l'imitation, loin de rester impuis­san­te à produire quoi que ce soit, fait émerger un monde qui a ses lois propres. Dans l'ex­plo­ration des propriétés de ce modèle, Keynes ré­vèle des potentialités. Supposons qu'un bruit, qu'une rumeur fasse penser à l’individu A  que l’individu B  désire (recherche, veut acheter, se fie à, espère...) l'objet #. Il sait désormais ce qu'il lui faut désirer (respectivement : recher­cher, etc.), prend les devants, désigne par là mê­me à B  l'objet #  et lorsque B manifeste à son tour son intérêt pour #,  A a la preuve que son hypothèse de départ était correcte. Cette émergence d'une objectivité résulte d'un sy­stème d'acteurs qui s'imitent. Les ru­meurs les plus absurdes peuvent polariser une foule unanime sur l'objet le plus inattendu, cha­cun trouvant la preuve de sa valeur dans le re­gard ou l'action de tous les autres.

Le processus se déroule en deux temps : le pre­mier est celui du moment où chacun guette chez les autres les signes d'un savoir convoité et qui finit tôt ou tard par précipiter tout le mon­de dans la même direction ; le second est la stabilisation de l'objet qui a émergé, par ou­bli de l'arbitraire inhérent aux conditions de sa genèse. Les mécanismes de la spéculation, dont Keynes a su si bien dévoiler la logique, re­­posent donc sur l'autoréférence.

2 - La rareté résulte d’une construction so­­ciale. On considère traditionnellement qu’il exis­te une rivalité fondamentale entre la con­som­mation et l’accumulation. Le temps est ra­re. Le taux d’intérêt est le “prix du temps”. Il est proportionnel à l’impatience de consommer plutôt que d’investir. Or, Keynes développe deux arguments (3) :

- La rivalité entre consommation et investis­se­ment est relative puisque le montant des res­sources à partager n’est pas fixe.

- Le taux d’intérêt ne peut pas traduire une ten­sion entre ressources rares si celles-ci ne sont pas données. Il convient de lui trouver une autre justification.

Le revenu, qui se partage entre la consom­ma­tion et l’investissement, n’est pas constant. Il est “endogène”. Il évolue en proportion de l’in­vestissement car l’accumulation produit du re­ve­nu. En investissant plus, il sera possible de consommer plus. Une traduction pédagogique de cette thèse prend la forme du multiplica­teur qui exprime parfaitement qu’un léger dé­ca­lage temporel existe entre le moment où l’on in­vestit et le moment où la consommation croît. Il y a bien un arbitrage intertemporel mais, selon Keynes, la rivalité n’existe pas.

La décision d’investir est fonction de la con­fian­ce que l’on place dans les revenus à venir de cet investissement. Elle est liée à notre atti­tu­de psychologique face à l’avenir et s’inscrit dans la catégorie des prophéties auto-réali­sa­trices. Si l’accumulation est amarrée à l’état d’esprit collectif concernant le futur la valeur du taux d’intérêt traduira l’état de la confiance. Un taux élevé exprime la réticence psycho­lo­gi­que des agents à prêter et investir. Inverse­ment, un taux bas traduit la forte disposition des agents à accumuler.

La voie dans laquelle s’est engagé Keynes té­moi­gne d’une volonté de rupture. Il souligne des principes nouveaux et utilise d’autres con­cepts.

I - 2 : GRANDEURS CARACTÉRISTIQUES

Il est banal de rappeler que la Théorie Géné­rale publiée en 1936 est une théorie de l'em­ploi. Les questions du marché de l'emploi et de la force de travail ne sont pourtant pas traitées explicitement par Keynes quoiqu’elles se trou­vent au centre de sa problématique car il a sen­ti la nécessité de rompre avec l'orthodoxie qui l’entourait et qui était la théorie d’Alfred Marshall (1842-1924) et de Cecil Arthur Pigou (1877-1959).

De même, au début de ses Essais de persua­sion parus en 1931, il explique qu’il a passé les dix années précédentes à lutter contre le re­­tour à l’étalon-or. Ce combat s’élargira ulté­rieu­rement à la réforme du système monétaire in­ternational.

1 - Travail et emploi (4). L’objectif de la Théo­rie Générale est d'expliquer ce qui dé­ter­mine le niveau de l'emploi effectif ainsi que ses variations. La question est d'importance, non seulement compte tenu du contexte his­to­ri­que particulier de la crise des années trente mais également parce la théorie «classique» est incapable d'y répondre.

La demande effective n'est pas le simple ré­sul­tat de l'agrégation de comportements indivi­duels. Elle intègre les contraintes collectives is­sues de la non-compatibilité des plans indivi­duels et à ce titre ouvre la possibilité d'intro­dui­re dans la théorie l'inintentionnalité dont l'exem­ple le plus clair est le chômage involon­taire. Keynes raisonne dans un univers d'incer­ti­tu­des, de paris et de risques, un univers où toute décision individuelle rationnelle peut a­boutir à un désastre, par effet de composition, si les autres acteurs, rationnels selon leurs pré­vi­sions propres, ont abouti, par la sommation de leurs actions, à démentir le bien-fondé de  la décision qui était initialement prévue. Par exemple (5), si les entrepreneurs anticipent (à tort ou à raison) une baisse prochaine du taux d'in­térêt ils attendent pour acquérir de l'outilla­ge à crédit qui, moins coûteux financièrement, sera d'un plus grand rapport à productivité con­stante. Que se passe-t-il si tous les em­prun­teurs attendent ? Autre exemple, bien con­nu : si A  veut majorer son revenu futur, il peut décider, plutôt que de trouver un emploi mieux rémunéré, d'accroître son taux d'épar­gne (propension à épargner, Epargne / Reve­nu). Admettons que son épargne représente dé­sormais 25% de son revenu au lieu de 10% au­paravant. A taux d'intérêt donné, il attend un gain substantiel. Mais si B, C, D, etc. agis­sent de même, le taux global de l'épargne aug­mente et la propension à consommer (Con­som­mation / Revenu) aura diminué de façon com­­plémentaire ; elle passera de 90% à 75%. En conclusion, les entreprises seront pessi­mi­stes quant à la demande effective (la de­man­de à laquelle elles s'attendent). Elles in­vestis­sent moins, empruntent moins. L’affais­se­ment de l'activité gonfle le chômage.

Le niveau de la demande effective, qui dans la Théo­rie Générale est déterminé en dernière in­stance par le comportement d'investisse­ment des entreprises, «contraint» le volume de l'em­ploi que les entreprises décident rationnelle­ment d'utiliser. Mais ces entreprises ne sont en mesure ni de connaître ni d'exprimer a priori l'é­tendue de cette contrainte. De même le «ra­tionnement» de l'emploi contraint la demande de biens par les salariés.

L'approche du marché du travail chez Keynes met en lumière la sujétion des salariés aux ca­pi­talistes, sujétion dont la manifestation ultime est l'existence du chômage involontaire. Si les sa­lariés apparaissent comme des sujets écono­miques passifs dans la Théorie Générale par rap­port aux capitalistes, les chômeurs involon­tai­res sont des non-sujets économiques dénués qu'ils sont de tout moyen de modifier leur sort. Ce chômage involontaire constitue une consé­quen­ce inintentionnelle de la confrontation d'in­­ten­tions rationnelles mais incompatibles des agents économiques.

2 - La contrainte extérieure. Le premier ou­vrage important de Keynes s’intitula Les con­sé­quences économiques de la paix et ses der­nières réflexions portèrent sur un plan de ré­­forme du système monétaire international. Dans la Théorie Générale elle même on trou­ve des considérations sur la politique moné­tai­re externe et une critique d’un certain “laissez-faire”. Il montra que le libre échange associé à un système de change fixe oblige à sacrifier le plein emploi. Il posa clairement le problème de la contrainte externe tel que l’analyse la théo­rie aujourd’hui.

A l’occasion du paiement des réparations par l’Al­lemagne, Keynes innova en étudiant le pro­bl­ème des transferts qui a reçu une nouvelle im­pulsion après la crise pétrolière de 1973. Il s’at­tacha à cerner la capacité de transfert d’un pays qu’il définit finalement comme le ma­ximum de revenu transférable à l’étranger sans qu’il fût porté atteinte au niveau de vie de la population (6). C’est donc le revenu glo­bal moins le revenu des ménages, épargne com­prise. Car Keynes attendait d’un système mo­nétaire international qu’il assure la stabilité des changes, des balances commerciales, ainsi que le plein emploi des ressources productives. Il ne doit pas y avoir incompatibilité entre é­qui­libre interne et équilibre externe. Le sy­stè­me monétaire international doit créer les con­di­tions de cette harmonie.

L’un des apports de Keynes, sur ces sujets, a été possible parce qu’il aborda la théorie mo­né­taire non par les fonctions de la monnaie mais par ses propriétés (7). Dans le domaine de la monnaie internationale, considérer que la monnaie a une certaine nature qui commande les fonctions qu’elle remplit s’est révélé parti­cu­liè­re­ment utile. Dans la Théorie générale,  Key­nes énonce trois propriétés qui fondent la mon­naie : 

 - Élasticité de production nulle. On ne peut em­ployer plus de travail à produire de la mon­naie lorsque son prix s’élève par rapport aux sa­laires. L'élasticité de la production de mon­naie est nulle dans le cas d'une circulation stric­tement contrôlée de monnaie inconver­ti­ble, et presque nulle dans le cas d'une circula­tion fondée sur l'étalon-or car la production d'or est, couramment, marginale eu égard aux be­soins de la circulation.  

 - Élasticité de substitution nulle. L’utilité de la mon­naie varie strictement avec sa valeur d'é­change. Lorsque celle-ci s'élève il n'y a pas, com­me dans le cas des autres facteurs de ren­te, de motif ni de tendance à lui substituer un au­tre facteur.            La monnaie est un réceptacle sans fond pour le pouvoir d’achat lorsque sa de­mande s’accroît : il n’existe pas une valeur au-dessus de laquelle la demande de monnaie est déviée vers d’autres objets.

- Une prime de liquidité. Le pouvoir de dispo­ser de richesses pendant un temps donné n'of­fre pas la même commodité ni la même sécuri­té selon la nature de ces richesses. Le revenu to­tal attendu d'une propriété pendant une cer­tai­ne période est égal à son rendement moins son coût de conservation plus sa prime de li­qui­dité. Le rendement de la monnaie est nul ; son coût de conservation négligeable ; sa liqui­di­té fait toute son utilité. Toute offre de mon­naie supplémentaire entraîne en général un ac­crois­sement de sa demande.

Keynes a facilité la compréhension du fait que la monnaie n’est pas neutre, ni dans le do­mai­ne national ni dans le domaine international. Si le système monétaire international ne possède pas une monnaie en adéquation avec les rôles qui sont les siens, il en résulte des incohé­ren­ces et la destruction des économies. Ces ré­fle­xions ont renouvelé la théorie monétaire et dé­ga­gé la voie d’un paradigme dont la théorie du cir­cuit est un aboutissement logique.

II - LA CONTESTATION DE L’ORTHODOXIE MONÉTAIRE 

L’économie capitaliste concrète est une écono­mie monétaire de production au sein de la­quelle toute monnaie représente un titre sur la pro­duction courante et un endettement des en­treprises auprès des banques. Le travail est le seul facteur de production. Sa rémunération est l’acte par lequel le pouvoir d’achat qui é­coulera le produit est formé. Dans le Traité sur la monnaie de 1930 Keynes insiste sur le rô­le que jouent la monnaie et le crédit. La con­tri­bution de Keynes réside dans la mise en lu­miè­re du lien existant entre la création moné­taire et la formation du revenu. Il a ouvert la voie à une connaissance correcte du caractère mo­nétaire de l’économie capitaliste et il initia l’a­nalyse circuitiste.

II - 1 : FONDEMENTS KEYNÉSIENS DE L’APPROCHE CIRCUITISTE

Théorie keynésienne et approche circuitiste ne sauraient être identifiées l'une à l'autre. Mais les théories de Keynes ont permis de décrire une économie d’entrepreneurs et d’améliorer la vi­sion circuitiste de celle-ci sur trois points : struc­turel, fonctionnel, analytique.

1. Une économie d’entrepreneurs (8). Dans l’é­conomie d’entrepreneurs étudiée par Key­nes, le cycle du capital est déclenché par la dé­pense de monnaie des investisseurs. La for­ma­tion du capital est à saisir sous ses deux as­pects : la dépense d’investissement, l’accumu­la­tion nette d’actifs financiers. Le produit dis­po­nible est l’évaluation, au niveau des en­tre­pri­ses, des marchandises produites par ap­pli­ca­tion du travail aux équipements. La société est contrainte de dépenser dans ses achats l’é­quivalent du revenu distribué. Les ménages ré­partissent leur revenu en monnaie entre leur consommation et l’accumulation de créances fi­nancières ou épargnes. L’accumulation fi­nan­ciè­re est asservie à la dépense de formation net­te de capital au pôle Entreprises. Car l’é­pargne n’est que la contre-partie finan­ciè­re de l’investissement.

L’économie d’entrepreneurs débouche sur une ana­lyse circuitiste à condition de préciser et d’ap­­profondir ce que Keynes n’eut pas les mo­yens de mener à bien (9).

a) Sous l'angle structurel. La question du sta­tut des banques dans l'analyse du capitalisme a été posée. La réponse est liée à la conception que l'on a de la monnaie. Deux possibilités se présentent :

- La monnaie richesse / liquidité. Selon cette con­ception, les banques sont reléguées à l'ar­riè­re-plan. La première place dans le fonction­ne­ment de l’économie se dispute entre les mé­na­ges et les entreprises. Les ménages sont les prin­cipaux agents détenteurs de la monnaie ri­chesse, à cause de leur préférence pour la li­qui­dité. Cependant le principe de la demande ef­fective de Keynes confère le premier rôle aux en­treprises : ce sont elles qui, par leurs antici­pa­tions, déterminent l'injection de revenus mo­nétaires dans le circuit et, par suite, la création de richesses monétaires. 

 - La monnaie créance / dette. Selon cette con­ception, il convient de donner aux banques la pre­mière place dans le fonctionnement de l’ac­ti­vité économique ; elles sont le point de dé­part et le point d'arrivée des flux.

b) Sous l'angle fonctionnel. Des relations de cau­salité déterminent tout le "fonctionnement" de l’activité économique. Ces relations expri­ment la hiérarchie qui s'établit entre les gran­des fonctions. La principale consiste à assurer la circulation industrielle (par paiement de re­ve­nus) ; elle est remplie par les entreprises. Il vient ensuite, sous la responsabilité des ména­ges, celle qui autorise à la fois la circulation mar­chande (par la dépense de consommation) et la circulation financière (par l'épargne).

c) Sous l'angle analytique. On rencontre les pro­blèmes liés aux concepts de profit et d'in­té­rêt.

- Le profit keynésien (profit de court terme) est in­terprété par certains auteurs comme un pro­fit de risque intégré dans le coût des facteurs (ou prix d'offre global). Comme ce coût, il est fi­­nancé par le crédit. En conséquence le profit s'annule lors du remboursement des dettes. Ce paradoxe pousse à s’éloigner d’une telle appro­che.

- La détermination de l’intérêt fait intervenir la monnaie dans sa fonction de liquidité. Dire que l'intérêt récompense la renonciation à la liqui­di­té est une chose ; expliquer l'état de la pré­fé­rence pour la liquidité en est une autre, plus complexe, sur laquelle Keynes a judicieuse­ment insisté.

2 - L’image du circuit keynésien (10). La de­­mande effective se décompose en consom­ma­tion des ménages et investissement des en­tre­preneurs. La consommation des ménages est prévisible : la propension à consommer, ré­gie par la fameuse “loi psychologique fonda­men­tale”, est stable. La décision d’investisse­ment est une variable totalement incertaine.

Les banques mettent à la disposition des en­tre­preneurs la quantité de monnaie requise par le niveau de production anticipée. Elles ouvrent le circuit par le crédit. Les entrepreneurs distri­buent un flux de revenus dont ils attendent un reflux sous la forme de dépenses d’investisse­ment et de consommation. Avec l’épargne, le cir­cuit se ferme par le retour de la monnaie dans le compte des banques.

Le circuit keynésien est celui de la création-des­truction de la monnaie dans la logique d’une hiérarchie entre les agents économiques: banques, entrepreneurs, ménages.

Au pôle banques, on retrouve l’égalité compta­ble entre la masse monétaire, SM, épargne li­quide des ménages, détenue sous la forme de dé­pôts bancaires, et ses contreparties F, cré­dits nets de remboursement accordés aux en­tre­prises.

Au pôle ménages, le revenu disponible Y est affecté à la consommation finale et à l’épargne.

Au pôle entreprises, on évalue le revenu global R = C+I , après avoir éliminé U et fait passer F dans le membre de gauche. R se décompose en Y, revenu des ménages, et (I-F) le revenu des entreprises.

Les éléments essentiels de la théorie keyné­sienne apparaissent dans ce circuit, prolon­ge­ment de la critique radicale de l’économie or­thodoxe. Il favorise les réflexions complé­men­taires sur les cycles et les crises.

***

II - 2 : COMPRÉHENSION DES CYCLES ET DES CRISES

Le cycle économique ou cycle des affaires (bu­siness cycle) avait été étudié dès 1926 par l’A­méricain W. C. Mitchell. Le débat dura jusqu’en 1939. Keynes affirme le principe d’une incer­ti­tude radicale sur les rendements des investis­se­ments à long terme. Le taux d’intérêt est un instrument de spéculation et non d’équilibre. Le niveau d'activité de sous-emploi, la situation de chômage involontaire durable, la “crise”, sont possibles s’il y a déséquilibre entre épar­gne et investissement du fait de l'excès d'é­par­gne prélevé sur le revenu de la période précé­dente. Les remèdes préconisés par Keynes re­po­sent sur deux instruments :

1 - Une politique monétaire plus souple. Da­vantage de monnaie bancaire est mise en cir­culation ; il faut pour cela assurer aux ban­ques le refinancement de leurs avances aux a­gents non financiers, c'est-à-dire demander à la Banque centrale d'escompter (ou de rées­comp­ter) les traites détenues par les banques. Ainsi sont-elles assurées de disposer des liqui­di­tés en monnaie centrale, et garanties contre les «fuites» qui résultent des demandes de re­conversion en espèces des titulaires de comp­tes bancaires. La Banque centrale devient un four­nisseur contraint de monnaie puisque le mon­tant de la circulation monétaire est dé­ter­mi­né par les demandeurs.

Le réescompte est jugé par Keynes assez inef­fi­cace. Les entreprises n'empruntent que si les perspectives de débouchés (la demande effec­ti­ve) leur paraissent justifier le coût de l'em­prunt. Or, rien ne garantit qu'une demande de mon­naie conduira à un accroissement suffisant de la demande finale (consommation intérieure et exportations) ; qui plus est, le taux d'intérêt doit être un paramètre et la masse monétaire une variable. Le taux doit rester suffisamment bas et stable pour que joue l’envie de s’en­det­ter. Si les agents pensent qu'un tel taux n'est pas tenable, ils conserveront leurs encaisses mo­nétaires. C'est la trappe à liquidité.

2 - Le déficit budgétaire. Un accroissement des dépenses publiques assure une augmen­ta­tion effective de la demande finale. Par effet mul­tiplicateur, en n périodes consécutives, se pro­duira un accroissement du Revenu national tel que, au bout du compte, on approchera le plein emploi. Les principales limites de ce mé­ca­nisme sont liées : à la nécessité que la pro­pen­sion marginale à épargner (la part du reve­nu supplémentaire induit destiné à l'épargne) n'aug­mente pas ; au risque que la demande in­dui­te profite à l'importation, surtout si les fir­mes ne croient pas à la réussite du projet, et si l'on est situé en économie ouverte. Mais la cri­ti­que évidente est celle-ci : le financement ini­tial ne peut être assuré que par une avance de la banque d'émission, à nouveau contrainte. On aura beau démontrer que l'accroissement des recettes fiscales, résultat mécanique d'un re­lè­vement du niveau de l'activité, permettra à l'É­tat de rembourser aisément, c'est-à-dire de dé­truire la monnaie supplémentaire initiale­ment demandée à la banque d'émission, la cri­ti­que reste acharnée, et fondée sur deux mo­tifs. Le premier est que l'État n'aura pas la ver­tu de s'en tenir là et sera conduit à des choix la­xistes à court terme (thèse de l'école du Pu­blic Choice) ; le second est que l'illusion moné­taire dans laquelle Keynes croit pouvoir tenir les agents, spécialement les salariés, ne rési­ste­ra pas : les hausses de salaire nominal se­ront rattrapées par les prix industriels, surtout si les entreprises anticipent l'échec du projet. On aura sacrifié la monnaie pour revenir au ni­veau de chômage initial.

Après la guerre, on a appelé politique keyné­sien­ne de relance un ensemble de mesures qui pré­voyaient du déficit budgétaire, une politique mo­nétaire souple, des dispositions sociales sou­­tenant la consommation. Elles furent accu­sées, à partir du premier choc pétrolier en 1973, de nourrir l’inflation et le déficit exté­rieur. Pourtant, les principes keynésiens res­tent d’actualité tant pour sortir de la stagnation eu­ropéenne que pour améliorer le fonction­ne­ment du Système monétaire international.

III - DES PRINCIPES KEYNÉSIENS POUR L’EUROPE ?

Dès 1941, Keynes étudia les fondements d'un sy­stème monétaire international à mettre en œu­vre après la guerre. Le 8 septembre, il avait ter­miné la rédaction de deux mémoires de­sti­nés au Trésor. Le premier abordait « la situa­tion anglaise après la guerre et la position qu'elle a intérêt à adopter dans la négociation vou­lue par Morgenthau, le secrétaire au Trésor amé­ricain et l'ami de Roosevelt » (11). L'autre dé­­veloppait le plan de création d'une "Union de com­pensation", organisme destiné à résoudre le problème de l'endettement de guerre.

III - 1 : LA LUCIDITE DE KEYNES

Keynes défendait trois idées (12): 

 - Le multilatéralisme : les excédents accu­mu­­lés sur un pays sont utilisables dans tous les autres. 

 - La charge de l'ajustement des déficits de ba­lances commerciales doit peser aussi bien sur les pays excédentaires que sur les pays dé­fici­taires. 

 - La transposition au niveau international des règles de fonctionnement d'un système bancai­re national.

Le cadre général du projet keynésien reposait sur des idées très en avance sur celles de son temps et peut-être cela a-t-il contribué à son échec :

* Toutes les transactions de change devaient ê­tre centralisées entre les mains des banques cen­trales de chaque pays.

* Il n'existait plus de marchés de change. Les pa­rités, fixes, restaient ajustables par dévalua­tion.

* Les mouvements de capitaux étaient inter­dits sauf autorisation des pouvoirs publics.

Deux orientations sont tout à fait nouvelles et o­ri­ginales :

- La place de l'or et d’une monnaie interna­tio­nale à créer, dénommée “le bancor”. Le bancor au­rait une valeur définie en or. Les monnaies na­tionales dépendraient de cette monnaie de de­gré supérieur (le bancor) émise par une ban­que internationale à installer. - La distinction entre monnaie et capital fi­nan­cier. Instrument d'intermédiation, le bancor de­meu­rerait un "non bien", une grandeur pu­re­ment nominale. Gagné dans les exportations com­merciales nettes, le bancor serait une gran­­deur réelle ayant une valeur patrimoniale. Key­nes demandait de distinguer deux bancors: l’un en tant que monnaie, l’autre formant un ca­pital. Mais il n'a pas réussi à clarifier la dis­tinc­tion entre les deux.  

1 - Victoire de l’obscurantisme. Lorsque le plan américain de réforme des paiements in­ter­nationaux fut publié en avril 1943, la cé­lè­bre économiste anglaise Mme. Robinson af­fir­ma qu'il était aussi difficile à comprendre qu'u­ne énigme policière... Il se présentait sous la for­me d'un règlement technique assurant le fonc­tionnement d'un Fonds de stabilisation, sans aucun commentaire explicatif. Il prévoyait la création du FMI pour gérer le système des chan­ges fixes. Le FMI ne devait être rien d'au­tre qu'une vaste société de secours mutuel ac­cor­dant des découverts au prorata des quotas ini­tialement versés. Le plan White affirmait que le paradis sur terre était devant nous à condi­tion de favoriser au maximum les échanges in­ternationaux... Les USA ont imposé au reste du monde l'élimination des restrictions de change à leur seul profit :  

- La convertibilité des dollars en or était ac­cep­tée pour les gouvernements ou leur ban­que centrale. Pour l’obtenir, il fallait que l'Etat re­qué­rant fît valoir que ces dollars avaient été ga­gnés à l’occasion d’opérations sur biens et ser­vices (opérations courantes) ou que leur con­version répondait à la nécessité d’effectuer des paiements d'opéra­tions courantes. La co­te­­rie du Trésor US avait ouvert la porte à la chi­cane.    

- Le remboursement des dollars en or ne va­lait pas pour les mouvements de capitaux pri­vés à court terme. Les banques restaient tota­le­ment libres de leurs opérations.  

Le texte publié le 21 avril 1944, qui n'enga­geait pas encore les gouvernements, dérivait es­sentiellement du plan White. Les gouverne­ments étaient quasiment tous des gouverne­ments en exil, vivant des subsides de l'An­gle­ter­re elle même portée à bout de bras par les USA. La disproportion était énorme entre la puis­sance américaine et celle des autres délé­ga­tions. Le texte de l'accord, soumis à la Con­fé­rence monétaire et financière des Nations-U­nies à Bretton-Woods en juillet 1944, reflétait l'in­fluence des banques américaines qui ob­tin­rent que leur point de vue dominât. Aucun des deux plans ne fut présenté à la Conférence. Ils ne firent l’objet d’aucun débat...  

L'Américain White, secrétaire de Morgenthau, pré­tendait : "qu'il serait difficile de gagner l'o­pin­ion publique au thème de la coopération mo­nétaire internationale si, parmi les propo­si­tions, on mettait en lumière la création d'une mon­naie internationale”. Mensonge pieux... En réalité, White et ses coreligionnaires ne vou­laient pas comprendre que le bancor proposé par Keynes ne devait pas remplacer les mon­naies nationales, mais être un véhicule destiné à porter le cours des monnaies nationales au-de­là des frontières du pays de leur émission. Au­jourd'hui, on parlerait de panier et de mon­naie de compte pour désigner le principe du ban­cor (13).  

2 - L’éternel retour de l’impérialisme.  

Il n’y a pas d’analyse keynésienne cohérente des re­lations internationales (14). La stratégie du dé­veloppement a été étudiée par les key­né­siens mais pas par Keynes lui-même. Le rejet de la théorie classique l’a amené à soutenir une conception historique du développement du capitalisme et à réhabiliter le mercantilisme.  

Knapp, l’un des rares auteurs à avoir tenté une ana­lyse de l'impérialisme selon le paradigme key­nésien, affirme que la croissance économi­que européenne du XIXème siècle qui constitue le prototype du « Développement » s’est fon­dée sur des conditions géopolitiques très par­ti­cu­lières. Ces conditions furent : l'ouverture de nou­velles contrées à l'Ouest et en Océanie ; la su­prématie politique et militaire de l'Europe sur le reste du monde. Dans cette vision du dé­ve­lop­pement, le politique et l'économique sont in­terdépendants. Le pouvoir politique est utilisé à des fins économiques et le pouvoir écono­mi­que est utilisé à des fins politiques.  

Les occasions d'investir, dans l’esprit de Key­nes, seraient provoquées par le jeu de méca­nismes sociaux et politiques autonomes. La soif de pouvoir et de prestige a conduit par le passé, comme aujourd'hui, les groupes do­mi­nants à agir dans un sens qui favorise la crois­sance, en accumulant les armements, en pro­tégeant les marchands aventuriers, en a­mas­sant les métaux précieux, en favorisant les en­treprises coloniales, en aidant à étendre les mar­chés, en encourageant les inventions. Les exemples de complicité du politique et de l'éco­nomique sont légions : la rivalité acharnée des puissances capitalistes pour décrocher des mar­­chés ; le contrôle des sources d'appro­vi­sion­nement de matières premières impossibles à obtenir chez soi ; les manipulations pour main­tenir des prix intéressants. Les avantages éco­nomiques ont aussi un autre but que le gain ma­tériel : ils servent les objectifs de la politi­que interne et externe. Il n'y a pas d'harmonie né­cessaire entre les intérêts et l'expan­sion­nis­me peut-être indispensable à l'accumulation du ca­pital ; ainsi en est-il des commandes mili­tai­res en cas de guerre, de l'ouverture de nou­vel­les routes commerciales, de la mise en culture de terres vierges, de la découverte de mines d'or et d'argent, d’innovations technologiques.  

Les idées keynésiennes rendent compte d’un “so­cial-impérialisme”, c’est-à-dire du lien entre réformisme et politique impérialiste. La recher­che de l'argent comme motivation suprême et unique du système capitaliste ne conduirait qu'à la stagnation. Les capitalistes doivent se pré­senter comme les bienfaiteurs de la société, d'où des dépenses grandioses, des missions ci­vi­lisatrices pour convertir les terres barbares. Il n'y a rien de pacifique dans les relations entre États capitalistes. Les guerres et le colonia­lis­me n'ont pas nécessairement leur source dans une survivance féodale ou monarchique. L'im­pé­­ria­lisme est une forme nécessaire de vitalité de toute société humaine...                        

III - 2 : SORTIR DES CRISES  

Les théories économiques évoluent mais la phi­lo­sophie générale d’un œuvre demeure. Celle de Keynes pousse les Autorités politiques à in­tervenir dans l’économie, à réformer les orga­ni­sations déficientes. L’économie n’est pas une mé­taphysique ou un substitut à la religion. C’est une technique pour résoudre les pro­blè­mes de la subsistance matérielle de l’humanité. Keynes voulut assurer le plein emploi pour ré­sou­dre les problèmes sociaux de son temps, en particulier l’intégration de la classe ouvrière dans le capitalisme qui l’écarterait du bolche­vis­me. Il était aussi un pacifiste. Si chaque na­tion veut exporter, cela peut provoquer des con­flits. Il convient donc de mettre en œuvre un système monétaire international qui pousse les pays à la coopération.  

1 - L’échelon européen favorise-t-il la sor­tie de crise ?  Dans un article de juillet 1933 du New Statesman and Nation, Keynes dis­tin­gue trois domaines dans l’échange interna­tio­nal : la culture, les biens et services, la fi­nan­ce. “Les idées, le savoir, l’art... voilà des cho­ses qui par nature devraient être inter­na­tio­nales. Mais que les marchandises soient de fa­bri­cation nationale chaque fois que cela est pos­sible est raisonnable. Et, par dessus tout, que la finance soit prioritairement nationa­le” (15).

La préférence nationale était donc essen­tielle à ses yeux. Si l’internationalisation de la pro­duction s’est développée à un point tel qu’au­cun système productif ne se boucle plus dans l’espace national, la zone européenne of­fre un champ d’action pour pratiquer la pré­fé­ren­ce selon la méthode des quotas. Ainsi que l’a montré à de multiples reprises le professeur français M. Allais, prix Nobel d’économie, la mon­dialisation actuelle évolue vers une tyran­nie infâme (16) dont il convient de se protéger. De plus, l’Europe est constituée pour l’instant en­core de peuples frères. Cet espace est “sus­ceptible de produire un ensemble cohérent de mar­chandises, de telle sorte qu’il puisse à la fois constituer un champ pour des anticipations ma­cro-économiques cohérentes et entrer en in­ter­action faible avec le reste du monde”(17).  

Une politique en faveur du plein emploi en Eu­rope aura donc à se préoccuper de l’in­vestis­sement, en jouant tant sur le coût du capital que sur l’efficacité de celui-ci. Les investisse­ments publics européens et les programmes de recherche et développement sont à renforcer et à généraliser. Les coopérations dans les sec­teurs du nucléaire, du spatial, des satellites de télécommunications fonctionnent et servent d’exem­ple. Mais la composante socio-culturelle de l’Europe a été oubliée. Les questions clés  “pour­quoi l’Europe”  et  “quelle Europe” sont à po­ser en ce début de millénaire, selon l’exem­ple donné par Keynes après la guerre de 1914-1918. Car penser européen est difficile. Dans cha­que pays, des sectes d’infâmes ont obtenu la criminalisation des autochtones. Une législa­tion totalitaire d’origine biblique, des hordes de ma­gistrats-cannibales, des associations de dé­la­teurs œuvrent à l’éradication des peuples du continent. Face à la haine et à la machinerie in­stitutionnelle du meurtre de masse des Eu­ro­péens de vieille souche, l’Europe communau­tai­re reste indifférente. A-t-elle été conquise dé­finitivement par les congrégations transna­tio­nales ?  

L’esprit libéral de Keynes, penseur hétérodoxe, reste un exemple : remettre en cause les dog­mes absurdes et les théories aliénantes.  

2 - La réforme du système monétaire in­ter­national en perspective.

La théorie de l’é­conomie monétaire de production et le pa­ra­digme du circuit ne s’achèvent pas aux fron­tières de l’économie nationale. L’intégration fi­nan­cière est la condition nécessaire au fonc­tion­nement d’un espace plurinational selon les prin­cipes des économies monétaires de pro­duc­tion. Le plan Keynes est toujours en mesu­re d’inspirer la réforme du Système Monétaire In­ternational.  

 Le bancor reste d’actualité en tant que possible dénominateur commun des monnaies de dif­fé­rents pays. Sa création résulte d’une applica­tion “améliorée” des thèses de la “Banking School”.

D’après les théoriciens de cette école, les banques secondaires émettent des crédits et non de la monnaie. Ils affirment aussi que tout crédit lancé par les banques secondaires comporte une échéance postérieure à la date de son émission. En fait, précise Keynes, à l’in­stant précis où une banque quelconque émet  X  unités de monnaie, elle accorde un crédit de ce montant à l’économie mais, à l’inverse, l’é­co­nomie lui accorde, sans délai un crédit égal. L’é­mission du bancor proviendrait donc d’une in­stitution internationale, l’Union des Compen­sa­tions (clearing union). Il n’aurait d’usage qu’en­tre banques centrales ou trésors publics et son pouvoir d’achat demeurerait strictement nul.  

Selon les directives expresses du plan Keynes, l’U­nion de Compensation crée l’instrument in­ternational des paiements réciproques conclus entre les pays. La banque internationale em­prun­te aux pays exportateurs la somme totale des bancors qu’ils gagnent en paiement de leurs exportations et émet des bancors pour le paiement des importations des autres pays. Il se passe que certains pays prêtent à d’autres par l’intermédiaire de la banque de compen­sa­tion.  

Les bienfaits d’une telle solution sont immen­ses. La monnaie commune est émise par une ban­que communautaire. Les bancors définis­sent une monnaie véhiculaire : elle n’intervient que dans les relations entre la banque de l’U­nion et les Banques centrales ou les Trésors pu­blics des pays membres. Le fléau de la glo­ba­lisation, dont les excès de spéculation finan­cière sont une illustration, serait endigué.  

CONCLUSION  

On vit par ses œuvres en ce monde. Keynes vit car son œuvre nous parle de notre monde et de son avenir. Il témoigne de la nécessité de fon­der la science positive de l’économie en con­cevant le modèle des sociétés concrètes, cel­les que l’histoire impose. Ces modèles per­mettent d’agir en ces sociétés pour le bien com­mun, la réduction du chaos, du désordre, des crises.

Keynes donne l’exemple du doute en remettant en cause la science établie. Il n’y a rien de plus bes­tial que la tyrannie des idées à la mode qui ser­vent aux establishments pour justifier leurs in­térêts, prébendes et soultes. En économie, l’or­thodoxie est aussi aliénante qu’en d’autres do­maines de la connaissance. On doit au maî­tre de Cambridge une approche mimétique du com­portement qui éclaire les emballements bour­siers ; une élucidation du fait que la rareté ré­sulte d’un processus de construction sociale par effet de composition. Son combat contre l’ob­session de l’équilibre et en faveur d’une ana­lyse dynamique a dévoilé que les sociétés en croissance doivent parier sur le futur pour dis­poser d’équipements assurant les revenus né­cessaires à la consommation. L’avenir est fa­çonné par des actions qui l’anticipent. La crise est endogène à un système qui repose sur la dé­­pense. Elle arrive lorsque les entrepreneurs et les banques ne veulent plus risquer une pro­duction sur l’avenir et ratifier ces paris.  

Comment lever la contrainte de l’endettement ex­térieur ? 

C’est très souvent une situation com­plexe. Les économies sont interdépendan­tes, plus ou moins spécialisées, en avance ou en retard selon les domaines technologiques. Le Système Monétaire International repose sur des taux de change fluctuants et une monnaie na­tionale, le dollar, sert de monnaie interna­tio­nale. Deux orientations s’ouvrent alors (18) :    

- Considérer la contrainte extérieure au niveau d’une zone, d’un ensemble de pays solidaires pratiquant des actions coordonnées. Dans cette voie s’est engagée l’Europe, mais l’idéologie de la monnaie marchandise héritée des classiques y tient le haut du pavé. On ne peut prévoir si la zone euro ira vers plus de richesse ou entre­tiendra l’esprit rentier et l’économie de tribut.    

- Concevoir de nouvelles règles pour le systè­me monétaire international ; favoriser la coor­di­nation des zones économiques dans l’intérêt de tous et non au seul bénéfice du pays mo­mentanément dominant. Le plan Keynes pré­sen­té à Bretton-Woods remplissait ces condi­tions. Il fut balayé par les gorgones du mini­stè­re du Trésor américain qui imposèrent le plan “White” dont Keynes affirma en octobre 1943 qu’il n’était qu’un nouveau Talmud (19). Les propositions de Keynes étaient pourtant très supérieures. Elles eussent pu s’imposer si un grand nombre de pays avaient conservé une indépendance par rapport aux oligarchies américaines.  

Le danger essentiel qui guette l’œuvre de Key­nes au XXI° siècle est le dépérissement de l’É­tat en tant qu’organisation politique préoccu­pée du bien commun. La désagrégation des É­tats au cours du processus de mondialisation promeut les soviets de la finance, les consistoi­res des centrales multimédiats et les congréga­tions transnationales qui conduisent inévitable­ment à la perte des intérêts communs, au re­fus d’un système monétaire international équi­table et à la fin des politiques économiques sou­­tenant les investissements essentiels à la com­munauté. Si Keynes, rêveur d’une Europe pa­cifique et prospère pour ses descendants, sort de l’actualité du XXI° siècle, il “restera une belle page des manuels d’histoire de la pensée économique” (20).  

Frédéric VALENTIN.

Notes :

(1) André ORLEAN : « Incertitude, prévision et spé­cu­lation financière ». Dans : Travaux du séminaire DECTA III, Université de Bordeaux I, 1988-1989, Tome X. p.125.    

(2) Jean-Pierre DUPUY : Introduction aux sciences sociales. Ellipses, 1992. Chapitre 7 : « L’individu libéral, cet inconnu », p.184.

(3) Bruno VENTELOU : Au-delà de la rareté. A. Michel, 2001, chapitre 2.    

(4) Philippe de VILLÉ et Michel de VROEY : « Salaire et marché du travail chez Marx et Keynes : orthodoxie ou hétérodoxie? » Dans : Cahiers d’économie politique n° 10-11 : « L’hétérodoxie dans la pensée économique ». Anthropos, 1985.  

(5) Philippe RIVIALE : Passion d’argent, raison spéculative. L’Harmattan, 2000, chap. 8 : « Le crime de Monsieur Keynes ».  

(6) Frédéric POULON : « Le circuit en économie ouverte et la capacité d’endettement international ». Revue Économies et Sociétés, Hors-Série n° 30, Tome XXII n° 6-7, juin-juillet 1988, p.7.    

(7) Michelle de MOURGUES : « Monnaie internatio­na­le et croissance externe dans la théorie key­né­sienne ». Dans : Croissance, échange et monnaie en économie internationale. Mélanges en l’honneur de Jean Weiller. Économica, 1985, chapitre 35.    

(8) Alain PARGUEZ : « A l’origine du circuit dyna­mi­que : dans le circuit de la Théorie générale, l’épargne et l’investissement sont identiques ». Dans : Pro­duc­tion, circulation et monnaie. PUF - CNRS Nice, 1985, p. 191 et suiv.    

(9) Alain BARRERE : « Signification générale du circuit ». Dans : Les cahiers de DECTA III, n°5, 1989: « Les théories contemporaines du circuit ». Chapitre 4.  

(10) Pascal COMBEMALE -- Jean-José QUILÈS : L’économie par le circuit. Nathan, coll.Circa n°10, 1990.  

(11) Jean DENIZET : « Keynes en 1943 : négociateur et prophète ». Dans : Michel ZERBATO et douze économistes : Keynésianisme et sortie de crise. Dunod, 1987, p.179.  

(12) Bernard SCHMITT : « Un nouvel ordre moné­taire international : le plan Keynes ». Dans : F. Poulon éditeur : Les écrits de Keynes, Dunod, 1985, chapitre 9.  

(13) Bernard SCHMITT : L’ECU et les souverainetés nationales en Europe. Dunod, 1988.  

(14) Serge LATOUCHE : « Les ruses de la raison et les surprises de l’histoire : Marx, Keynes et Schumpeter, théoriciens de l’impérialisme ». Dans : « L’hétérodoxie dans la pensée économique » Cahiers d’économie politique n°10-11, Ed. Anthro­pos, 1985.  

(15) Frédéric POULON : La pensée économique de Keynes. Dunod, coll.Topos, 2000, p.111.  

(16) Dans un entretien récent accordé à la revue L’Esprit Européen, M. Allais affirme que “la mon­dia­li­sation telle qu’elle est mise en œuvre, représente un dan­ger majeur à l’encontre de la civilisation dans le monde entier, et tout particulièrement à l’encontre de la démocratie.”  L’Esprit Européen n°8, prin­temps/été 2002, p.7 [adresse : Refondation Europe, BP 221, 07502 GUILHERAND CEDEX ]  

(17) Michel ZERBATO : « Plein emploi et espace key­nésien régional ».  Dans : M. Zerbato éditeur : Key­né­sianisme et sortie de crise. Dunod, 1987, chapitre 8, p.173.  

(18) Christian GOUX : « Keynes ou l’impatience d’a­gir ». Dans : Michel Zerbato éditeur : Keynésianisme et sortie de crise. Dunod, 1987.  

(19) Bernard SCHMITT : « Un nouvel ordre moné­taire international : le plan Keynes ». Dans : F. Pou­lon éditeur : Les écrits de Keynes. Op. cit., p.196.  

(20) Frédéric POULON : La pensée économique de Keynes. Op. cit., p.118.

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Joyeux krach !

Joyeux krach !

Joyeux krach !

Image Hosted by ImageShack.usLes soubresauts des bourses mondiales et les scandales financiers révèlent l’état de crise des structures économiques. Quand quelques « traders », aux valeurs morales plus que douteuses, peuvent manier des milliards sans aucun contrôle et les perdre en quelques minutes, nous sommes devant les conséquences de la financiarisation totale du capitalisme. Face à la baisse tendancielle du taux de profit, l’accroissement rapide du capital financier semble être la solution refuge pour des secteurs entiers de la bourgeoisie, véritables parasites entés sur le corps social. Mais derrière ces chiffres devenus irréels, il y a des vies qui sont mises en jeu. Personne ne parle des travailleurs qui sont réduits au chômage par les délocalisations, des intérimaires exploités, des jeunes qui ne trouvent pas de travail assez stable pour fonder un foyer. Nous pouvons souhaiter un « joyeux krach » aux apprentis sorciers de la finance croyant encore à la bienveillance de la « Mains Invisible » d’Adam Smith pour réguler les marchés (comme la patronne du MEDEF, Laurence Parisot). Les mêmes attaquent le Socialisme comme étant une lubie dépassée appartenant au 19° siècle…

Dans le registre des naïvetés feintes, les médias découvrent la réalité de la hausse des prix des produits de consommation et des loyers. Il était temps, les classes populaires en étaient persuadées depuis des années. Elles sont frappées de plein fouet pas les augmentations de prix continues et sont obligées de se serrer la ceinture. Les gesticulations de l’agité de l’Elysée ne font qu’occuper les devants de la scène. Pendant ce temps, le gouvernement ne cherche pas à trouver des solutions simples et rapides (comme par exemple, s’attaquer aux monopoles de la grande distribution). Le pays semble à la dérive, tout ce qui était encore solide est parti en fumée ou démembré au nom de la logique libérale.

La même logique a conduit à la ratification du Traité de Lisbonne qui parachève la perte de la souveraineté française. Contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, ce traité n’est ni un mini traité, ni un traité simplifié. Il reprend pour l’essentiel, le contenu du Traité constitutionnel européen (TCE) qui a été rejeté par les Français et les Néerlandais en 2005. Malgré une mobilisation d’opposants de tous bords (un millier de manifestants) devant les grilles du palais de Versailles, la ratification fut acceptée par la majorité des députés UMPS. La Gauche se rallia sans surprise à cette forfaiture du gouvernement Sarkozy démontrant par là, une énième fois, son intime solidarité avec les finalités du capitalisme
Funeste présage, quelques semaines après, la déclaration d’indépendance du Kosovo offrait l’image de l’avenir possible de notre pays et de l’Europe. Utilisant les haines nationalistes, les Etats-Unis et les dirigeants européens donnaient naissance à un état maffieux au cœur des Balkans. Un foyer d’embrasement des futurs conflits qui déchireront l’Europe. Ici aussi, le gouvernement français montrait son empressement à reconnaître l’existence de l’Etat croupion et son allégeance avilissante aux projets de Washington concernant la région balkanique. Sarkozy, pour autant, n’en était guère remercié par les Etats-Unis qui, conscients de leurs intérêts, lui jouaient un mauvais tour en Amérique latine où la libération d’Ingrid Betancourt était sabotée par l’assassinat du numéro deux des FARC grâce aux renseignements fournis par la CIA à l’armée colombienne. Il est plus important pour l’impérialisme US de déstabiliser le révolutionnaire Hugo Chavez, que de flatter l’ego du roitelet de l’hexagone. Seul point positif dans la situation géopolitique internationale : la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo vient d’être suivie de la déclaration faite par le Kremlin, de l’absence de restriction des relations commerciales avec l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, ce qui ne peut rendre que plus forts ces pays face au pion otanesque qu’est la Géorgie. Notons au passage, l’échec de la tentative de déstabilisation de la Russie lors des élections présidentielles où le peuple n’a pas cédé aux sirènes des formations libérales payées par les capitalistes occidentaux. Même si on peut penser que des irrégularités ont été commises lors du scrutin, force est de constater que le parti de Poutine est largement soutenu par la population. Nous pouvons le créditer de l’échec de la tentative initiée par Washington du démembrement de la Fédération de Russie, ce dont nous nous félicitons. Au delà, cette réussite ne doit pas constituer un blanc seing pour le Kremlin ; les travailleurs russes doivent reprendre le chemin de la lutte sociale de façon autonome. Le relatif maintien du Parti Communiste avec près de 18% pour Ziouganov (qui a signalé les irrégularités électorales dont il a été victime) est un signe important.
Pour en finir avec la dimension internationale, le gouvernement français aura été remercié malgré tout de sa docilité envers le rouleau compresseur mondialiste, par le gouvernement israélien, suite à l’expression de sa compassion à l’égard des victimes d’un attentat faisant huit morts en Israël alors que sa sensibilité n’avait guère été affectée par le calvaire enduré par les palestiniens de la bande de Gaza, subissant l’attaque de l’armée sioniste.
Si nous commencions notre éditorial par l’évocation de ce que le système laisse apparaître de sa décomposition sur le plan financier, il ne faut pas oublier que cette apparence n’est que la manifestation de son essence. Les soubresauts financiers ne font que répercuter la nature contradictoire du mode de production capitaliste dont le nécessaire processus de valorisation plonge la majeure partie de l’humanité dans les affres de la lutte pour la simple survie économique, ce qui constitue l’aliénation fondamentale. Devant cette avalanche de mauvais coups contre les travailleurs, il est désormais primordial de réagir. Il est important de s’accrocher à des lignes de résistance précises : la défense du socialisme et d’un patriotisme positif (Pour reprendre une citation de Michel Clouscard : « L’État a été l’instance superstructurale de la répression capitaliste. C’est pourquoi Marx le dénonce. Mais aujourd’hui, avec la mondialisation, le renversement est total. Alors que l’État-nation a pu être le moyen d’oppression d’une classe par une autre, il devient le moyen de résister à la mondialisation. C’est un jeu dialectique. ». Ajoutons, pour notre part, que la condition sine qua non pour que l’Etat puisse jouer ce rôle d’outil de résistance, est qu’il soit essentiellement contrôlé par des acteurs politiques dont les finalités soient explicitement orientées vers une lutte antimondialiste dont on perçoit de nos jours également la dimension géopolitique, de laquelle il faut avoir une vision affûtée. Seul, le poids d’une relative hégémonie de travailleurs conscients et dynamiques au sein de la Nation, garantirait l’efficacité de l’Etat. La haute politique reste un rapport de forces, notamment entre classes sociales.
Pour cela, nous posons dans ce numéro des jalons, à fin de construction d’une alternative véritable au système. Nous en sommes encore à une étape de fédération et de structuration, le lancement des Cercles Rébellion en est l’expression concrète. Lénine définissait le rôle important des Cercles de diffusion dans ses écrits : « A elle seule, la fonction de diffusion du journal commencerait à créer une liaison effective (…). Les relations de ville à ville pour les besoins de la cause révolutionnaire sont aujourd’hui une grande rareté, et en tout cas une exception; elles deviendraient alors la règle et assureraient bien entendu, non seulement la diffusion du journal, mais aussi (ce qui est beaucoup plus important) l’échange d’expérience, de documentation, de forces et de ressources.
Le travail d’organisation prendrait une ampleur beaucoup plus considérable, et le succès obtenu dans une localité encouragerait constamment à perfectionner le travail, inciterait à profiter de l’expérience déjà acquise par les camarades militant sur un autre point du pays ». Que faire?

La faillite du système est totale, avant qu’il ne nous entraîne plus loin dans sa folie destructrice nous avons la possibilité d’endiguer la démence du capitalisme. Ne la ratons pas…

Source : Rebellion


 

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mercredi, 16 avril 2008

M. Allais: l'économie humaniste

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Frédéric VALENTIN:

 

Maurice ALLAIS : L’économie humaniste

Intervention à la 8ième Université d'été de «Synergies Européennes», Groppelo di Gavirate, juillet/août 2000

I - Conception de la science économique

II - L’économie de marchés.

III - La dynamique monétaire

IV - Assomption de l’Europe.

Né en 1911, prix Nobel en 1988, Maurice Allais a publié sur les problèmes de l’Europe, ces dernières années, plusieurs ouvrages destinés à un vaste public. En 1991, avec “l’Eu­rope face à son avenir ”, il posait très clairement le pro­blème des européens : leur tâche dans cette fin de siècle, c’est de réaliser la Communauté culturelle, politique et économique qui constitue la condition de leur épanouis­sement dans le XXI° siècle. Il montre inlassable­ment les ex­tra­vagances et incohérences des conceptions de la Com­mission européenne qui emploie systématiquement la mé­thode autoritaire. On lui doit aussi une clarification des con­ditions de la réussite d’une monnaie commune.

Depuis ces premiers travaux, en 1943, M. Allais donne des leçons de clarté, de lucidité et de courage.  Aussi, après une présentation de sa conception de la science écono­mique, nous exposerons brièvement le cadre qu’il a élabo­ré, l’économie de marchés, et les difficultés que provoque la théorie monétaire dominante, dont les profiteurs sont essentiellement les oligarchies financières. De là, nous mon­trerons les projets d’amélioration de la construction européenne à laquelle le maître se consacre désormais.

I - CONCEPTION DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE

L’autoportrait de Maurice ALLAIS, publié en 19891, expose avec clarté les principes fondamentaux qu’il a suivis dans tous ses travaux : 

 1 - Le critère fondamental de l’expérience. Il n’y a de science que là où existent des régularités susceptibles d’être analysées et d’être prédites. Toute science repose sur des modèles et tout modèle comporte trois stades : hypothèses bien explicitées ; conséquences de celles-ci ; con­frontation des conséquences avec les observations. L’é­conomiste est intéressé par la première et la troisième de ces phases.

Une théorie dont ni les hypothèses ni les conséquences ne peuvent être confrontées avec le réel est dépourvu de tout intérêt scientifique. Une théorie qui n’est pas vérifiée par les données de l’expérience n’a aucune valeur et doit être rejetée. C’est ainsi que récemment (2) le prix Nobel citait le modèle RUNS de la Banque mondiale qui considère 22 régions, 20 produits, 8 périodes et, finalement, 77.000 va­riables.  “En réalité un tel modèle n’a aucune signification ni économique, ni économétrique” 

 2 - La recherche d’invariants. Pour une très large part, l’élaboration des sciences sociales repose sur la recherche de relations et de quantités invariantes dans le temps et dans l’espace. L’activité économique des hommes se ramè­ne à la recherche de surplus, à leur réalisation et à leur ré­partition. Il existe une relation invariante entre la pro­duc­tion et les facteurs fournis dans le passé qui peuvent être considérés comme à l’origine de cette production. De mê­me, on constate une utilité cardinale pour tous les sujets ; elle peut se représenter par une fonction invariante des va­riations relatives de leur capital. Cela vaut aussi pour la dy­namique monétaire.

3 - L’utilisation des mathématiques. Les mathématiques ne peuvent être qu’un outil. La rigueur mathématique des rai­sonnements ne saurait en aucun cas justifier une théorie fondée sur des postulats étrangers à la nature réelle des phé­nomènes étudiés. Le véritable progrès ne réside pas dans l’exposé formel qui ne doit jamais être considéré com­me une garantie de qualité, mais dans la découverte d’idées directrices.

4 - La tyrannie des doctrines dominantes. Ce n’est que par la constante remise en cause des “vérités établies” que la science peut réellement progresser. Mais tout pro­grès se heurte à la tyrannie des idées dominantes et des “es­tablishments” dont elles émanent. Aussi, Maurice Allais reprend-il à son compte le jugement de W. Pareto “l’his­toire de la science se réduit à l’histoire des erreurs des hom­mes compétents” et affirme, avec courage, que l’hom­me de science doit se préoccuper uniquement de la recher­che de la vérité, quoi qu’il puisse lui en coûter.

II - L’ÉCONOMIE DE MARCHÉS

Le modèle d’équilibre général de Walras suppose qu’il exis­te à tout moment un système unique de prix pour tous les opérateurs et que les fonctions sont continues, dérivables et convexes. Ces hypothèses sont totalement irréalistes et donc à rejeter. A la place, M. Allais a développé depuis 1967 un modèle de dynamique économique fondé sur la recherche décentralisée des Surplus distribuables.

A - La recherche de surplus

Le modèle de l’économie de marchés retient les caractè­res essentiels de la réalité, en particulier : il y a, hors d’é­qui­libre, des systèmes de prix spécifiques à chaque opé­ra­tion d’échange ; il existe un ensemble de marchés partiels sur lesquels se fixe un prix par confrontation des offres et des demandes, suivi d’échanges effectifs.

Dans le modèle de l’économie de marchés, les règles de com­portement des agents économiques sont les suivantes (3):

a) Tout opérateur cherche à trouver un ou plusieurs autres opérateurs disposés à accepter un échange dégageant un surplus susceptible d’être réparti.

b) Une situation d’équilibre est celle où il n’existe aucune possibilité de réaliser un surplus quelconque. Une situation d’efficacité maximale reste définie comme une situation où un indice de préférence quelconque peut être considéré comme maximal.

Cette approche présente l’avantage de faire reposer toute la dynamique sur la recherche, la réalisation et la répar­tition des surplus, à la place de la recherche du système de prix d’équilibre.

B - L’efficacité de l’économie de marchés

La réussite économique ne résulte pas d’une recette unique valable en tout temps et en tout lieu. Mais il existe des conditions nécessaires.

1 - Chaque pays est dans une situation où les ressources dont il dispose sont limitées alors que les besoins sont illimités. Tout pays est condamné à l’efficacité, qui repose sur deux piliers : 

 - La décentralisation de la gestion économique : des mil­lions d’agents à la recherche des meilleures solutions ont plus de chance de trouver ces solutions efficaces que quel­ques personnes même très intelligentes. 

 - Les agents économiques doivent être incités à réaliser les progrès techniquement réalisables qu’ils découvrent. Les ré­munérations sont un moyen d’incitation.

2 - Partout dans le monde, la bureaucratie est inefficace. Pour les mêmes raisons : 

 * Loi de Parkinson de prolifération des bureaux. 

 * Loi de mouvement ascendant des rapports (vers les supérieurs).

* Loi de la compétence décroissante (les supérieurs trai­tent d’affaires locales dont ils sont très éloignés). 

 * Prise de décision au hasard (du fait d’un trop grand nom­bre de dossiers à traiter en peu de temps).

Le lien de causalité entre irresponsabilité et mauvaise ges­tion est un des plus sûr facteur d’inefficacité des bureau­craties.

3 - L’État doit faire ce qu’il est le seul à pouvoir faire. Le suc­cès des entreprises dépend de deux sortes de facteurs. Les uns sont positifs, concrets, spéciaux à chaque cas: in­vestissements judicieux ; bons produits ; etc. Les autres sont négatifs et uniformes : rien ne doit venir contrarier les facteurs positifs ; aucun fléau ne doit venir annuler les avantages réunis par les hommes. Or, la lutte contre les facteurs négatifs met en jeu l’État. Il doit protéger l’envi­ronnement, tant la santé que les libertés, la végétation que l’architecture en formulant les réglementations et normes techniques applicables ; et favoriser le travail et le plein emploi des équipements par une politique fiscale adaptée et une gestion du change en relation avec l’État de la ba­lance des paiements courants.

III -  LA DYNAMIQUE MONÉTAIRE

Depuis au moins deux siècles, de profonds désordres moné­taires se sont constatés au sein des économies occiden­tales. Ils se sont caractérisés par des fluctuations considé­rables de la valeur réelle de la monnaie, par l’impossibilité de calculs économiques corrects, par une répartition des re­venus très inéquitable, par des taux de chômage éthi­que­ment inacceptables, par une tendance permanente à spo­lier les épargnants individuels. Le système financier trans­national est générateur de déséquilibres : il donne nais­san­ce à un affairisme malsain et à une spéculation effrénée.

A - A l’origine des crises

Toutes les crises du XIX° siècle et du XX° siècle, la grande dépression de 1929, toutes les crises des monnaies sur le plan international, ont tiré leur origine des soi-disant “miracles du crédit” et de la multiplication abusive des moyens de paiement au seul profit de certains. La monnaie contemporaine est débarassée de tout support matériel. Elle repose sur la seule confiance. La création de moyens de paiement ex nihilo par simple jeu d’écritures ban­caires est assimilé par le prix Nobel à une association de faux monnayeurs.

Qu’il s’agisse des taux de change ou des cours des actions, on constate une dissociation entre les données de l’éco­no­mie réelle et les cours nominaux déterminés par la spécu­lation qui est permise, alimentée et amplifiée par le crédit tel qu’il fonctionne actuellement. Alors que dans un cadre in­stitutionnel approprié la spéculation serait utile et stabi­lisante, elle est actuellement déstabilisatrice et noci­ve. C’est l’importance des flux financiers spéculatifs qui ex­plique l’extraordinaire instabilité des cours du dollar. C’est le développement de l’endettement sur le plan inter­na­tional, avec utilisation mondiale du dollar comme unité de valeur, qui permet au niveau de vie moyen américain de se maintenir à une valeur de 3% plus élevée que celle qu’il aurait dans une situation d’équilibre.

B - L’impôt sur le capital et la réforme monétaire

Afin de rendre équitable la distribution des revenus et de diminuer considérablement l’ampleur des fluctuations, l’au­teur propose une réforme de la fiscalité accompagnée d’une généralisation de l’indexation, ainsi qu’un ensemble de modifications dans le fonctionnement du secteur mo­nétaire et financier.

1 - L’Impôt sur le capital et l’indexation généralisée (4)

La mise en place d’un impôt sur le capital s’accompagne d’une suppression de l’impôt sur le revenu, des impôts sur les bénéfices et de ceux qui frappent les mutations. Le ca­pital taxé s’entend “valeur des seuls biens physiques”.

Cet impôt payé par toute personne physique ou morale se­rait exigible dès qu’existe une appropriation des biens phy­siques, que ces biens procurent ou non un revenu effectif. Le taux de cet impôt annuel serait de l’ordre de 2%. Il ne frapperait finalement que les intérêts et les rentes. Son in­cidence directe serait nulle : aucune modification de l’in­vestis­sement, des prix des actifs, ni de l’offre de capital. In­directement, cet impôt n’affectant pas les entre­pre­neurs dynamiques, il pousserait à investir et accroîtrait l’effi­ca­cité globale de l’économie.

La réforme de la fiscalité forme l’un des volets d’une ré­for­me d’ensemble dont les deux autres touchent d’une part au système du crédit, pour  s’opposer à la création ex ni­hilo de moyens de paiement par les banques, d’autre part à l’indexation généralisée de tous les engagements sur l’ave­nir. L’efficacité de l’économie (et la justice) impliquent que les engagements soient respectés et que ni les créan­ciers ni les débiteurs ne soient spoliés. Cela est réalisé si tous les contractants sont protégés contre les variations annuelles du pouvoir d’achat de la monnaie. Ces mesures d’indexation, utilisant le déflateur du produit national brut nominal, vaudraient pour les barèmes de la fiscalité, pour les bilans des entreprises, pour les salaires.

2 - Réforme monétaire et financière (5)

a) Toute réforme du crédit doit s’appuyer sur deux prin­cipes fondamentaux :

- Le domaine de la création monétaire relève de l’État et de l’État seul auquel on donne une maîtrise totale de la mas­se monétaire. 

 - Il convient d’éviter toute création monétaire autre que la monnaie de base de manière que toute dépense trouve son origine dans un revenu effectivement gagné.

Les fonctions bancaires devraient donc être réparties entre deux types d’établissements :

* Les banques de dépôt assureraient la garde des dépôts en monnaie de base et effectueraient les paiements de leurs clients. Leurs services seraient facturés. Sur elles pèserait la contrainte d’une couverture intégrale des dépôts en mon­naie de base. 

 * Les banques de prêts respecteraient une règle de gestion précise : tout prêt d’un terme donné serait financé à partir d’un emprunt de terme au moins aussi long.

Ces réformes supprimeraient tout déséquilibre résultant d’un financement d’investissement à long terme à partir d’em­prunts à court terme. La masse monétaire croîtrait au taux souhaité par les Autorités et le parlement contrôlerait facilement la politique suivie. La collectivité bénéficierait des gains provenant de la création de monnaie et allègerait les impôts existants. Tout paiement et encaissement n’au­rait de valeur légale que s’il était effectué par l’inter­mé­diaire de banques de dépôts (françaises ou étrangères) sou­mises à la législation nationale.

b) La réforme des marchés boursiers est devenue fon­da­mentale pour éviter les fluctuations conjoncturelles des­truc­trices dont leur fonctionnement actuel est responsable. Ce système n’est profitable qu’à quelques mafias.

- Si les offres publiques d’achat sont utiles, il est anormal qu’elles puissent être financées par des moyens de paie­ment créés ex nihilo. Cela doit être rendu impossible.

- La spéculation est utile si les positions à terme sont ga­ran­ties par des marges suffisantes. Ces marges doivent être augmentées et consister en liquidités. 

 - La cotation continue des cours est une escroquerie. Elle sert uniquement à favoriser la manipulation des marchés. On la remplacera par un véritable marché journalier de cha­que valeur, dégageant un prix pour chaque titre.

Enfin, au niveau international, le dollar doit être aban­don­né au profit de la création d’une unité de compte commu­ne.

IV - ASSOMPTION DE L’EUROPE

L’Europe actuelle a réalisé une harmonisation bureaucra­ti­que et centralisatrice des cadres institutionnels des écono­mies européennes. Les institutions bancaires et financières, les législations boursières ont été harmonisées sous l’in­fluen­ce des professionnels de la finance qui tirent de très grands profits du fonctionnement actuel de ces institutions. De plus, les européens ont imité les américains dont l’in­fluen­ce n’a cessé de croître. La finance a donc imposé sa con­ception a priori, arbitraire, d’une planification centra­li­sée de toute cette sphère.

A l’inverse de cette dérive totalitaire, l’objectif à réaliser est une Europe Économique, Politique et Culturelle fondée sur des bases réalistes. Le but final, une Communauté Eu­ro­péenne, est à poursuivre régulièrement par la mise en pla­ce d’institutions communes minimales dans les trois di­mensions. Ainsi, les diversités pourraient se maintenir et l’ac­cueil d’autres pays de la zone interviendrait sans diffi­cul­tés dès que les conditions politiques et économiques de cette intégration seraient remplies.

Deux erreurs majeures ont été commises : 

 - Négliger les questions politiques et culturelles.

- Donner à l’organisation de Bruxelles des pouvoirs exces­sifs à partir desquels des technocrates prennent des déci­sions irréalistes et irresponsables.

Maurice Allais affirme que l’objectif à poursuivre est de réa­liser en plusieurs étapes une Europe fédérale avec des in­stitutions politiques communes disposant de pouvoirs limités mais réels (6). La première étape est de réaliser une Communauté Politique, Économique et Culturelle dans le cadre actuel de l’Europe des 15. La seconde étape sera d’intégrer les pays de l’Europe de l’Est à mesure qu’ils au­ront réalisé à l’intérieur de leurs frontières les conditions d’une réelle économie de marchés.

A - La Communauté politique européenne

Une Communauté Politique Européenne implique tout d’a­bord que les nations acceptent de régler leurs différends sur la base d’une loi commune acceptée par tous et selon une procédure préétablie. Elle implique l’institution d’une Citoyenneté Commune (sans perte des nationalités d’ori­gi­ne) et la constitution d’une Autorité Politique Commune, aux pouvoirs réels mais limités fondés sur la légitimité po­pulaire.

1 - Des Institutions démocratiques

L’organisation d’une société démocratique est toujours aus­si décentralisée que possible et la centralisation se li­mi­te au minimum indispensable. Aussi, chaque État a simulta­né­ment à rétrocéder un maximum de droits aux régions et à transférer à l’Autorité Politique Européenne ceux qu’im­plique la poursuite en commun des objectifs com­muns.

La meilleure orientation est une Fédération des Peuples d’Eu­rope qui transcende les États en créant un pouvoir qui en est indépendant et dont la légitimité émane des peu­ples. Les meilleures institutions, dans la situation présente, pourraient raisonnablement être les suivantes :

  - Le Parlement Européen. Il regrouperait deux Chambres: Une Chambre des députés élue au suffrage universel direct; un Sénat représentatif des États membres. La Chambre des députés existe déjà : l’actuel Parlement de Strasbourg, élu au suffrage universel direct. Le Sénat, à créer, représentatif des États, serait élu par les Par­lements nationaux.  

- Le Conseil Exécutif Européen remplacerait l’actuelle Com­mission Européenne. Il pourrait comporter quarante mi­nistres siégeant en permanence et n’exerçant aucune au­tre fonction. Il serait responsable de son action devant le Par­lement européen.

- Le Président de la Communauté Européenne ainsi qu’un Vice-Président seraient élus par le Parlement Euro­péen. Ce Président veillerait au respect de la constitution Européenne. Il désignerait le Président du Conseil Exécutif Européen qui choisirait les ministres parmi les membres du Parlement.  

- Cour Constitutionnelle et Cour de Justice.  La Cour Con­stitutionnelle examinerait les recours de tout citoyen, de toute minorité, contre toute loi ou décision contraire aux dispositions expresses de la Constitution. La Cour de Justice, qui existe déjà, serait compétente uniquement pour l’interprétation des lois et règlements commu­nautai­res pris en application de la Constitution.  - Création d’un Conseil Fédéral Européen, réunissant :  

·          Les chefs d’État et de gouvernement des États mem­bres.

·          Les présidents et vice-présidents de la Communauté, de la Chambre européenne des députés, du Sénat, du Con­seil Exécutif Européen. Cet organisme  assurerait la coordination entre les États et la Communauté, améliorerait la concertation. Par exemple, ce Conseil donnerait son avis, en seconde lecture, sur les lois proposées par le Parlement Européen. Mais, principa­le­ment, ce Conseil serait seul compétent en matière de po­litique étrangère et de défense.

2 - La Constitution Fédérale Européenne.

Toute Constitution Fédérale repose sur le principe de sub­sidiarité. Une Communauté est chargée des tâches d’in­térêt commun qu’elle seule peut mettre en œuvre effica­cement. Un État conserve donc toutes les compétences qui n’ont qu’un caractère national et qu’il peut gérer plus ef­fi­cacement lui-même. Symétriquement, les pouvoirs donnés à la Communauté Européenne se limitent à ce minimum de pouvoirs qu’implique la poursuite efficace en commun des objectifs communs. Ce principe Fédéral est garanti par la Cour Constitutionnelle Européenne que chaque État ou instance peut saisir. La Constitution Européenne préciserait les pouvoirs respec­tifs des Institutions de la Communauté et du Conseil fé­dé­ral. Elle préciserait les pouvoirs de l’exécutif, du législatif, du judicière. Elle serait précédée d’une “Déclaration des Droits et des Devoirs des citoyens” et introduirait le ré­fé­rendum d’initiative populaire. Ainsi, les tâches fonda­men­tales de la Communauté Européenne seraient au nombre de six (7) :  

- Lutte contre divers fléaux qui affectent l’ensemble de l’Europe: criminalité, violence, drogue, immigration et ac­tion en faveur de l’écologie européenne et des infra­struc­tures. Tous ces points demandent une action commune à l’é­chelon de la Communauté Européenne.        

- Achèvement du grand marché européen, avec politiques communes de la concurrence, adaptation des règle­men­ta­tions et des normes techniques nationales, contrôles sani­tai­res des produits, bref tout ce qui met en cause plusieurs pays membres.  

- Monnaie unique avec Banque Centrale indépendante char­gée de la stabilité monétaire dont elle serait respon­sable devant le Parlement Européen.  

- Établissement d’une Citoyenneté Commune et Décla­ra­tion commune des Droits et Devoirs fondamentaux des cito­yens européens.  

- Politique étrangère commune, couvrant notamment la paix, la sécurité et le contrôle des armements devant abou­tir à une Communauté Européenne de Défense.  

- Un Territoire Fédéral, propre à la Communauté Euro­péen­ne, accueillerait les Institutions. Situé sur plusieurs frontières simultanément, ce territoire “EUROPA” de 400 km2  remplirait le rôle de capitale.

B - La communauté économique européenne

Aucun auteur, aucun organisme ne cherche à étudier en détail les composantes du chômage en Europe. Les con­cep­tions en ce domaine sont très superficielles et fort é­loi­gnées de la volonté de clarté. Soit il est affirmé que tout est complexe et qu'on ne peut rien dire d'autre que "ré­duisons les salaires " pour réduire le chômage. Soit, comme à la Banque mondiale par exemple, on affirme dogma­ti­que­ment qu'il convient d'aller toujours dans la même direction.

Maurice ALLAIS cherche à comprendre les causes du chôma­ge, à expliquer son accroissement puis à tester les explica­tions. Il cherche aussi à proposer une analyse des tendan­ces en ne retenant, comme dans toute réflexion perti­nen­te, que les facteurs essentiels ; et en sachant qu'il ne s'agi­ra jamais d'une description exhaustive. Car tant l’attitude de l’Europe à l’égard de l’extérieur que les réformes inter­nes dépendent d’une bonne compréhension de ce qui cause ce chômage massif, destructeur de vies et de notre civi­lisation.

1 - Le sous-emploi massif, conséquence du libre-échangisme Maurice Allais affirme, après une analyse minutieuse et des développements précis du cas français (8), que cinq fac­teurs d'importance différente expliquent le chômage: la protec­tion sociale; le libre-échange; l’immigration; le pro­grès technique; la conjoncture.

Ces composantes du sous-em­ploi, sur la période 1995-1997, sont évidemment des or­dres de grandeur dont l'erreur relative sur chaque poste est de + ou - 20%. Mais on a les lignes directrices. ESTIMATIONS: Structure de la politique sociale : 24,5% Libre-échange mondialiste: 50,7% Immigration extra-européenne: 17   % Progrès technologique:  5, 2% Situation conjoncturelle:  2, 6%   La politique libre-échangiste sans limite menée à Bruxelles a des conséquences inéluctables: une augmentation consi­dérable des inégalités sociales ; un chômage majeur ; un effondrement de notre civilisation, désindustrialisée, dé­sœu­vrée, démoralisée. Le libre-échangisme est un dogme qui repose sur des croyances faussement présentées comme des connaissances scientifiques. Le principe des avantages comparatifs au nom duquel on justifie ce libre-échangisme est inexistant de par le fait que les différences de coûts com­paratifs ne restent pas invariables dans le temps, qu’elles sont contingentes aux taux de change utilisés, qu’elles se devraient de réintégrer tous les coûts indirects des spécialisations détruites. Compte tenu des très fortes distorsions introduites par les cours de change, M. Allais pré­conise une libéralisation des échanges dans le cadre d’en­semble régionaux économiquement et politiquement as­sociés et, inversement, de se protéger raisonnablement vis-à-vis des autres pays.

2 - La préférence communautaire (9)

La Communauté européenne doit comporter une protection raisonnable vis-à-vis de l’extérieur. Il s’agit de protéger ef­ficacement les intérêts communs fondamentaux des pays mem­bres car les spécialisations économiques impliquées par la libéralisation des échanges sont fragiles et chan­geantes, de sorte que certaines activités qui paraissent non rentables à un instant donné peuvent le redevenir quelques années plus tard. Évitons de soumettre l’ensemble des hommes et de leurs activités aux aléas d’un libre-é­chan­gisme mal construit, dont seuls profitent quelques oli­gar­chies. La protection vise à assurer un approvisionnement régulier en matières premières, à maintenir une palette d’in­dus­tries qui, soumises au progrès technique, voient leur com­pé­titivité fluctuer selon des prix et des coûts peu signi­ficatifs, voire même totalement manipulés comme les taux de change. Il n’est pas souhaitable de voir disparaître l’in­dustrie textile, la sidérurgie, la construction navale,...ni de délocaliser alors que la stabilité des pays n’est pas as­surée, que les conditions qui prévaudront ultérieurement, tant en Europe qu’à l’étranger, sont inconnues.               

La protection du marché agricole européen vis à vis du va­ste monde est fondamentalement justifiée. Une agriculture européenne est économiquement, sociologiquement et cul­tu­rellement vitale. Sa disparition compromettrait la sécu­ri­té de l’Europe en matière alimentaire. La libéralisation totale des échanges n’est possible, sans éra­dication des activités ni paupérisation des personnes, que dans le cadre d’ensembles régionaux, groupant des pays de développement économique et social comparable et de fondements culturels associés. Pour parvenir à ce but, la protection à la fois réaliste et ef­fi­cace utilisera les contingents d’importations. Les licen­ces d’importation se vendent aux enchères. Dans chaque sec­teur, un pourcentage de 20% maximum de la consom­ma­tion communautaire serait assuré par des importations. Ces éléments permettraient le développement d’une zone de civilisation qui, depuis la Renaissance puis le XVIII° siècle, repose sur une culture commune véhiculée par le Grec et le Latin, avec des schémas mentaux associés à la philosophie, à la politique, à l’administration et au droit ro­main. Ce fonds culturel commun mérite d’être appro­fon­di, amélioré, afin qu’émerge un véritable esprit européen.

CONCLUSION : lutte contre les fossoyeurs de l’EUROPE                                                                                           

L’œuvre de Maurice ALLAIS dégage une grand cohérence. Sa pensée illustre la grandeur de l’Europe, notamment son renouveau depuis la Renaissance : la connaissance y est fon­­damentale car, tirée de l’expérience, elle permet tout à la fois de réformer les structures de la vie en société et d’entretenir la capacité de l’homme à raisonner en remet­tant en cause les vérités établies ou “révélées”. Devant la situation instable qui se constate aujourd’hui dans le monde: démographie excessive; finance pré­datrice; pouvoir totalitaire de mafias usant de la violence éco­no­mique et du crime judiciaire, les Européens ont à prendre conscience de l’urgence d’une Construction Européenne Économique, Politique et Culturelle. Humaniste et esprit li­bre, Maurice Allais balise la route de notre libération de tou­tes les servitudes. Que son œuvre éclaire nombre de “bons européens”.

Frédéric VALENTIN.

Notes:

1 - M. ALLAIS : Autoportraits. Une vie, une œuvre. Montchrestien, 1989, Chap.3.

2 -  M. ALLAIS : La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance. Cl.Juglar, 1999. p.464.

3  - M. ALLAIS : La théorie générale des Surplus. Economies et Sociétés, Série EM n°8, Janvier - Mars 1981, n° 1-2-3.

4 -  M. ALLAIS : L’impôt sur le capital et la réforme monétaire. Hermann,  1989.

5 -  M. ALLAIS : Les conditions monétaires d’une écono­mie de marchés. Revue d’Économie Politique, mai-juin 1993, pp.320-367.

6 -  M. ALLAIS : L’Europe face à son avenir : que faire ?  R.Laffont / Cl.Juglar, 1991. p.37.

7 -  M.ALLAIS : L’Europe face à son avenir : op.cit. p.70.

8 -  En France, support d’une analyse tout à fait générale, Maurice Allais rappelle :   

- Le taux de croissance moyen du Produit Intérieur Brut (PIB) de 1974 à 1997 a été de 2,3%.   

- Le sous-emploi depuis 1993 s'accroît de 240.000 per­son­nes par an en moyenne (le sous-emploi mesure le chômage tel qu'il est calculé par le Bureau International du Travail plus l'ensemble des personnes qui bénéficient des dispo­sitifs de la politique de l'emploi).   

- Le taux de croissance du PIB réel par habitant (revenu par tête) a augmenté de 1,8% par an en moyenne entre 1974 et 1997   

- Le nombre de salariés payés au SMIC a augmenté de 50% de 1995 à 1999.  

9 - M.ALLAIS : Combats pour l’Europe. Cl. Juglar, 1994. Chapitre VIII : repenser la construction européenne.

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mercredi, 26 mars 2008

Nouvelle alternative à la mondialisation

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Rodolphe LUSSAC:

Ni Davos, ni Porto Alegre: pour une troisième voie, nouvelle alternative à la mondialisation

 

D’un côté, Davos, la Mecque du patronat planétaire, le pèlerinage des ultra-riches, le séminaire des évêques de l’ultralibéralisme, nous donne la température de l’univers de l’argent-roi en direct de la capitale éphémère de la World Company. De l’autre côté, Porto Alegre, la grande fer­me expérimentale, des hippies high-tec, des anarcho-li­bertaires recyclés, les gourous d’une humanité juste et pai­sible, les routards du tiers mondisme et les fidèles ré­pli­ques du Che, pour nous donner mauvaise conscience et, en passant, laisser quelques larmes sur les favellas brésilien­nes, histoire de comprendre quelque chose sur le fossé Nord-Sud. Bref à en croire les apparences, il s’agirait là de deux camps ennemis, hermétiques, bien retranchés, entre le camp des mondialistes et ceux du "non mondialisme". En fait, structurellement, sociologiquement, culturellement et même politiquement,  il n’en est rien.

 

Le camp des mondialistes et celui des prétendus anti-mon­dialistes sont tous deux affectés par ce que l’on appelle, en sociologie, les vertus de "l’isomorphisme", c’est-à-dire qu’ils possèdent les propriétés structurelles analogues qui permettent une autorégulation et une conservation délé­tère du système dominant. D’un côté, la légitimité de Da­vos, de l’autre, la contestation de Porto Alegre, le tout sau­­poudré à la sauce médiatique et le tout est joué. Tous deux sont de vastes agents de socialisation à l’échelle in­ternationale;  ils fonctionnent dans une complémentarité fallacieusement hostile, comme des vases communicants par interposition médiatique. L’un comme l’autre de ces deux camps ont besoin de leurs coups de gueule, d’action spec­taculaires pour jouir d’une notoriété médiatique. Il s’a­git en fait d’un commerce médiatique. Les deux camps ont l’un comme l’autre besoin de leur façade antagoniste et agressive, pour se médiatiser et se vendre mutuel­le­ment, en inculquant systématiquement, d’une façon com­plémentaire, une culture spécifique et unique à l’échelon planétaire.

 

Jeunes rebelles sans cause

 

"Soutenir la croissance et réduire la fracture" le mot d’or­dre de Davos. Les deux camps se confortent dans leur rôle de courroie de transmission médiatique réciproque; la par­ticipation de soixante-neuf représentants d’organisations non-gouvernementales et de nombreux syndicalistes au cô­té de représentants de multinationales, n’ont fait que re­flé­ter la promotion médiatique d’une version réformiste, humanisée des "globals leaders". Une forme de mondia­lisa­tion sociale à l’écoute des plus défavorisés. De l’autre cô­té, à Porto Allegre on est bien loin des cocktails molotov, des affrontements, des gaz lacrymogènes et des voitures in­cendiés de Seattle et Zurich. Cette fois-ci, on a bien com­pris le message. A l’ajustement phraséologique de Davos ont répondu les accents institutionnels et réformistes d’une nouvelle forme de mondialisation à visage humain. Le mou­ve­ment des sans-terre, l’organisation Via Campesina, le mou­vement ATAC, les rescapés de mouvements maoïstes, les crados anarcho-libertaires , les bolchos en tout genre et les étudiants ratés des campus de la nouvelle gauche, ont planché, répartis en cent ateliers, pour affirmer une plus grande participation de la société civile dans le commerce international. Bref les jeunes rebelles sans cause ont bien com­pris la leçon de leurs paternels. Le forum de Porto Ale­gre s’est terminé sans déclaration finale. Et pour cause, en l’absence de fondements suffisants pour une réflexion ar­ti­cu­lée et fructueuse, les participants n’ont fait que leur a­veu d’impuissance et de leur incapacité de véhiculer une quel­conque vision du monde, un quelconque projet de société, à part le fait de fumer du shit en communauté sous l’oeil bien veillant du Che et de la Passionaria. Le discours ré­volutionnaire a cédé le pas devant une stratégie réfor­mi­ste qui rejoint le discours globalisant et rassurant d’une crois­sance soutenue des pontifes de Davos.

 

Macdonaldisation des styles de vie

 

En fait d’un point de vue culturel, Davos et Porto Allegre ne sont que l’alter ego, les deux faces prétendument op­posées d’un seul et unique processus de mondialisation qui se propage à l’échelon planétaire, articulé autour d’une dualité complémentaire, le nivellement uniformisateur d’un côté et la micro-hétérogénéité anarchique de l’autre côté. En effet, la mondialisation propage la macdonaldisa­tion des styles de vie, des normes de comportement, des musiques, des modes de consommation par un processus de nivellement culturel uniformisateur. Cette uniformisation est soutenue par les relais médiatiques et non gouver­ne­mentaux de la société civile qui propage subtilement le ré­pertoire des normes et des valeurs des droits de l’homme, de la démocratie, de l’économie de marché, de la protec­tion de l’environnement qui s’imposent aux quatre coins du monde. A cela vient se greffer la cyberspace et la hightech culturelle dernier cri.

 

En effet, d'un côté, on vend en quantité colossale des ordi­nateurs de dernier cri à des populations du tiers-monde, des représentants de l’élite locale, des intellectuels, des universitaires, des opérateurs sociaux culturels, qui en font la promotion et la commercialisation auprès de leur propre population en louant les vertus de la démocratie de mar­ché, de l’écologie, du féminisme, etc. De l'autre côté, en réac­tion à la propagation de la culture consumériste et glo­ba­lisante, se constitue des pôles culturels pseudo-contes­ta­taires, des groupes de pression souvent affiliés à des partis d’obédience socialisante voire communisante, qui prônent et génèrent un modèle micro-hétérogène culturel qui se manifeste dans toutes sortes de métissage, de crispations identitaires régionalistes, d’ethnicité , de prêt-à-porter spi­ritualiste, lesquels seraient bien sûr les remèdes et l’alter­native à l’économie libérale, avec une redistribution plus jus­te des richesses, une solidarité internationale et une hu­manité plus juste, bref le tralala pleurnichard des alterna­tifs de tous bords.

 

Un échappatoire insuffisant et bricolé

 

En fait, ce camp contestataire est affecté par la maladie de l'hybridation, et ne constitue en réalité qu’un échappa­toire insuffisant et bricolé à la culture Mcdonald de Davos, comme les larmoyants refrains sur le terroir pathétique de José Bové. Ce courant d’idée n’est que le rejeton de la mon­dialisation culturelle et ne peut être perçu comme un vé­ritable mouvement de contre-modernité, car il procède des mêmes matrices individualistes, égalitaristes et écono­micistes qui font les piliers de la technocratie internatio­nale. D’un côté, le monde de Davos serait une gigantesque Bourse mondiale avec toboggans entre les diverses places boursières mondiales, un argent facile et une frénétique spé­culation où se délecteraient les yuppies débiles sur les start-ups du dernier modèle net, les sites, les portals, pro­viders avec tous les barbarismes qui nous en mettent plein la figure: Yahoo, Wanadoo, Amazon, Vizzavi; dans ce parc d’attraction dernier cri,  le décrochage définitif de la reli­gion ultra-libérale par rapport à la ringardise économique et sociale de "l'archaïsme" socialo-humain s’opérerait par la promotion et la banalisation des nouvelles technologies, du monde virtuel et de la cyberconscience planétaire. De l’au­tre côté, le monde de Porto Allegre deviendrait une gigan­tesque rave party, avec le cannabis légalisé, où gigo­te­raient des générations entières de pacifistes décervelés, des gourous de l’humanisme techno, des raspoutines eth­nos, au-dessus de laquelle s’élèverait un gigantesque nuage de fumée, du hashish recyclé pour préserver la couche d’o­zone. Bref, la symbiose des deux mondes se fait par la vé­nération de l’hyperhédonisme et de l’ultra-rentabilité de milliards instantanés dans une ivresse collective, voilà l’al­chimie du mondialisme réalisée, la pierre philosophale de la Word company enfin trouvée.

 

A l’ordre technocratique néolibéral des high tech trusts de Davos et l’hétérodésordre anarcho-soviet de Port Allegre, une Troisième voie s’impose, véritable alternative philoso­phique, métapolitique et économique qui soit une force de pro­position, non seulement réactive, mais authentique­ment et profondément matricielle. Cette nouvelle matrice se propose de :

 

Soumettre la modernité à un “Modulor”

 

- Ne pas rejeter la modernité mais repenser la modernité comme le résultat d’une dialectique entre la nature bio­lo­gique de l’homme, l’organicité de la vie et les construc­tions de l’intelligence entre lesquels une équation étroite et asymétrique doit être établie au risque d’un débor­de­ment abstrait et incontrôlé du phénomène de la technicité, qui s’égare dans un désert d’artificialité, de dissymétrie et de stérilité. Comme chez Le Corbusier, la modernité serait soumise à un "Modulor", une unité de mesure dont les va­leurs proportionnelles sont basées sur le corps humain et sur le corps organique social.

 

- Dénoncer l’imposture libérale qui, depuis Kant, Adam Smith, en passant par Milton Friedman, Hayek et la théorie de la justice de John Rawls, en vient à générer un véritable darwinisme social sous l’appellation sordide d’égalité des chances, processus dissolvant de toute forme de solidarité sociale où le rôle de l’Etat disparaît pour laisser place à la suprématie techno-financière des grands trusts transnatio­naux;

 

-La mondialisation est le fruit de ferments individualistes qui, depuis la révolution française et l’avènement du règne de la bourgeoisie mercantile, désintègre tout lien social et empêche toute forme de société d’évoluer organiquement de manière responsable et disciplinée.

 

Réintroduire le civisme et le loyalisme

 

L’absence de contrôle social engendre une irresponsabilité collective et individuelle croissante. Face à cette contagion individualiste, la crispation sécuritaire et la répression s’or­ganise à l’échelon planétaire pour contenir la montée de l’incivisme et de la criminalité pandémique. C’est la nou­velle "guerre civile" localisée dont a parlé Hans Magnus En­zensberger, une forme de "brutalisation de la société" qui est le fruit conjugué de l’anomie généralisée, de l’idéo­logie sécuritaire et l’individualisme moderne. L’homme est dualité: tourné vers le dedans et membre de la cité, sa tragédie intérieure comme son drame politique découlent de cette double et contradictoire orientation; toute vraie politique, toute religion , tout mythe qui prétend ignorer l’un des deux aspects ou supprimer l’une des appar­te­nances est malfaisant. L’être humain et son milieu réagis­sent en symbiose; c’est pourquoi il sera prioritaire de réintroduire dans les sociétés contemporaines le civisme et le loyalisme des citoyens, comme premier fondement d’une refonte globale du système.

 

- Face à la conception économiciste, mercantile et socié­taire de la vie sociale et individuelle, face à la sclérose et le déficit des institutions démocratiques qui se manifestent dans la structure des partis politiques et dans les méthodes de travail parlementaire, il convient de restaurer la su­pré­ma­tie de la sphère politique sur celle de l’économique, une politique au service du bien-être général, qui au-delà des clivages politiciens, de l’impuissance, de la gabegie, des lut­tes partisanes stériles saura sagement combiner l’auto­rité et la liberté, la hiérarchie et la justice sociale. Ainsi, le primat du politique en tant qu’incarnation d’une "polis" régénérée, saura écarter le plus insidieux et le plus nocif abus de pouvoir commis en Occident qu’est le "scientisme politique", cette prétention du rationalisme qui veut que la raison réglerait seule toutes les relations de la collectivité. Cette restauration du politique, terrain de communion, agira comme principe d’unité spirituelle, comme sym­bo­le unificateur d’une nation et ultime ancrage d’une ad­hésion à la famille de chaire et de sang que sont les na­tions.

 

-Dénoncer l’utopie conservatrice et réactionnaire du pro­grès. Depuis, Marx, Darwin, Rousseau, puis Fukuyama, le cou­rant progressiste, qui croit en un progrès linéaire et con­tinu de l’humanité, confondu avec les performances de l’informatique et des hautes technologies, nous annonce la fin de l’histoire. Or l’histoire même, les guerres, les géno­cides apportent un démenti radical à l’idée de progrès et même à l’idée de providence. Le mal pourrait se transfor­mer en bien, or la crise de l’idée de progrès résulte de la crise de la représentation du mal, d’un dérèglement de la dialectique du mal et du bien, corroboré par l’absence de représentation du point de démarcation entre le bien et le mal. Toute la philosophie du progrès est à revoir.

 

Une vision synecdotique et métonymique de l'univers

 

- Devant l’anti-historicisme de la pensée contemporaine, il convient de réinstaller au cœur de la vie des peuples le sens de l’histoire. L’histoire conçue comme un phénomène culturel, métapolitique et organique indispensable dans la vie et l’affirmation de l’être collectif que sont les peuples, laquelle est une succession de conflits, de mélanges entre le pouvoir consensuel et le pouvoir absolu, la liberté et la contrainte, l’égalité et la hiérarchie, l’initiative et le con­trôle multiple, la fraternité et la terreur. L’histoire s’ins­crit dans une vision "synecdotique et métonymique de l’u­nivers" qui, dans un espace-temps donné, est le vecteur d’une mise en forme et le moteur d’un ordre de choses, ex­pression d’un espace symbolique collectif, qui tire ses sour­ces d’une dialectique conflictuelle entre le conscient et l’in­conscient collectif des peuples.

 

- A l’idée illuministe et utopique d’une humanité au sin­gulier, substituer le concept d’une universalité régéné­rée par les valeurs de pluralité, de noblesse et de digni­té, une humanité en tant que jonction solidaire et orga­ni­que entre l’individu, la communauté et leur intégra­tion harmonieuse dans l’espace-temps.

 

Attirer l'adhésion volontaire des peuples

 

- Substituer à la conception gestionnaire libérale de l’Etat, la conception et la fonction anagogique de l’Etat souverain, comme créateur de valeurs et de concepts transcen­dan­taux, capables d’attirer l’adhésion volontaire des peuples.

 

-Dans la lignée de Hobbes et de Bodin, réhabiliter l’idée schmit­tienne du "nomos", d’un enracinement territorial de l’Etat moderne, à vocation  universelle qui supplanterait les mécanismes artificiels multinationaux et régionaux qui ser­vent l’uniformité mondialiste.

 

-A la suprématie de "l’international law", en vigueur et d’essence anglo-saxonne, en tant que droit international général, impersonnel, uniformisateur, abstrait et indiffé­ren­cié, le plus souvent instrumentalisé par les puissances dominantes, il conviendra de procéder à une refonte ju­ridique européenne, qui instituera un droit des peuples et des gens générateur d’un ordre de rapports organi­ques et différenciés entre les nations européennes, ga­rant du respect de la pluralité, de la gradation fonction­nel­le et de l’autonomie relative de chaque sujet et com­po­sante nationale. Un droit "éminent, central et de sou­verainetés partielles " —imperium eminens et jus singu­lare—, en vertu duquel il sera possible d’appliquer le principe pondéré des nationalités qui se substituerait aux divisions et aux inégalités générées par l’actuel "in­ternational law".

 

Hypertrophie logocentrique et refoulement du mythos

 

-Nous assistons, depuis l’ère philosophique socratique, à une contagion de l’hypertrophie logocentrique, marqué par le phénomène du "refoulement du mythos par le logos", lequel a précédé ce que Heidegger a appelé "la domination du logos", le règne du concept de la raison discursive et nar­rative précédant la période du nihilisme occidental. A cette image contemporaine logocentrique en laquelle un Logos construit le centre du monde, pour reprendre une expression de Ludwig Klages, il convient de substituer une nouvelle forme de déconstructivisme philosophique comme paradigme d’un nouveau nihilisme actif. Il ne s’agit pas ici d’opposer le "mythos", le langage en "état stationnaire", au soi-disant "logos" , " le langage en processus", car la dé­mon­stration irréfutable a été faite que le logocentrisme depuis les Lumières, et jusqu'à nos jours, a été contaminé par un es­prit de vengeance et de ressentiment, ce que Gabriel  de Mal­by, à la veille de la révolution, illustrera par ces ter­mes: "Vengez les droits de l’homme, c’est à quoi se réduit la poétique de l’histoire". De sorte que le logocentrisme de la philosophie contemporaine est devenu l’une des expres­sions les plus conservatrices et les plus totalitaires dans l’in­terprétation de la vérité et du monde. Il convient donc de substituer à cette interprétation logocentrique du mon­de une interprétation "épochale" de la vérité et du monde, permettant un retour à l’essence humaine, conçue non pas comme une hégémonie de la présence, mais comme la per­cep­tion active d’un perpetuum mobile de la remontée vers l’en-deçà de l’abaissement et de la réduction logocen­tri­que. Cette position déconstructiviste ouvrirait la voie vers une forme de philosophie active, qui pour combattre les théories totalitaires, ne l’affronte pas par un affrontement critique mais par le biais d’une pensée créatrice, qui dé­pas­se, transcende les oppositions, les contraires vers une forme de synthèse totale.

 

Le rôle actif, créateur et novateur du mythe

 

-Réinstaller dans l’histoire collective des peuples le rôle ac­tif, créateur et novateur du mythe. Non pas le mythe conçu comme l'image archaïque et stationnaire, passéiste, d’une figure fondatrice, mais comme le vecteur de nouvelles po­tentialités créatrices à l’oeuvre dans l’inconscient collectif et individuel des peuples. Même si, selon la définition de Lévi-Strauss, le mythe a longtemps été considéré comme une onde stationnaire, il est néanmoins certain que cette onde stationnaire est soumise à des ruptures. La rupture dans l’histoire contemporaine consiste dans le clivage entre l’entropie du mythe prométhéen progressiste et utopique des sociétés contemporaines et les leçons qualifiées comme "régressives" de l’histoire, ponctués d’événements tragi­ques à rebours d’un sens linéaire et progressiste de l’hu­ma­nité. Tout comme le langage, dont Deleuze et Fou­cault ont démontré qu’il s’agissait d’un composé de rapport de for­ce, nous assistons, à l’époque contemporaine, à une scis­sion entre le théâtre des énoncés c’est-à-dire, la glose mé­diatique et conformiste promettant la fin de l’histoire et l’a­vènement du bien-être de l’humanité entière, et la réa­lité du champ de visibilité quotidien c’est-à-dire l’actualité cruelle de tous les jours, une scission entre le primat du parler et de la penser unique et de l’irréductibilité du vi­sible. C’est précisément à l’intersection de cette scission, que nous entendons restaurer le rôle créateur du mythe, non plus comme une onde stationnaire, mais considéré com­me une onde dynamique et dialectale d’un rapport de forces.

 

Non pas le mythe fondateur de jadis mais une nouvelle forme de "mythe constitutif" et dynamique, constitutif de "jus terrae", projection archétypale du "jus spiritus", sub­stituant au processus de la sécularisation de l’histoire et à sa réduction à une forme d’engineering realpoliticien et cal­culateur, la matrice et support d’un nouveau droit, fac­teur "historicisant", d’une affirmation souveraine, d’une né­gation radicale, d’une confrontation constante de forces opposés et irrationnelles en perpétuel devenir. Le "logos" mondialiste, qui désagrège les continuités naturelles et his­toriques, crée des séismes épistémologiques, marqués par le signe de l’inadéquation. Lorsque l’on entre dans le champ de la mondialisation technicienne, nous s’assistons plus aux transmutations mais à l’action des forces muti­lantes, et au règne des mutations brutales.

 

Le logos mondialiste élimine le rôle cognitif de l'imagination

 

A la relation corps-âme-esprit de l’univers du "mythos" se substitue l’inéluctabilité d’un dualisme foncier qui relègue l’imagination et l’inconscient à la folie. Car l’espace du "my­thos" est l’espace de la transmutation qui ne s’épanouit que par l’imagination. Notre nouveau mythe constitutif vo­yage à travers d’autres cultures qu’il assimile par l’espace de transmutation. C’est-à-dire que la convergence s’opère au plan des symboles. La transmutation du "mythos" possè­de une faculté transfiguratrice en vertu de laquelle un sym­bole, un archétype, sort de sa propre constellation, passe à la suivante, s’y installe, en subit l’impact mais retrouve sa propre origine et longueur d’onde, sans dégrader le champ d’allégorie et sans mutilation. Le "logos mondialiste" éli­mine le rôle cognitif de l’imagination en lui substituant le langage virtuel. Dès lors, à la transmutation des formes sym­boliques se substituent des mutations de toutes espè­ces, avec l’explosion de contenus étrangers dans des for­mes inadéquates à les contenir et le résultat est l’appa­ri­tion de formes hybrides, des monstres de Frankenstein, un bri­colage idéologique produisant des amalgames construits des plus pervers. Seul le "mythos" qui conquiert, digère et intègre par voie de transmutation est en mesure de par­ve­nir et de faire croître le "telos" des grandes cultures univer­salisantes.

 

Face aux passéismes oniriques des souverainistes et l’ab­sen­­ce de vision d’avenir des technocraties gouvernantes, le seul choix historique est désormais entre l’Europe, en tant que communauté spirituelle de nations unies par la même histoire, la même culture et le même destin, et l’ultra­li­béralisme américain fondé sur le consumérisme cosmo­po­lite. A la rhétorique médiatique dominante, pleurni­char­de et fallacieuse quand elle évoque le fossé Nord Sud, le fossé entre riches et  pauvres, il conviendra de dénoncer priori­tairement le génocide culturel et identitaire euro­péen. C’est pourquoi, l’européanisation indispensable des nations européennes se fera sous la forme de cercles con­centriques qui, de façon centripète, agiront à partir  des axes "pié­mon­tais" franco-germanique, germano-mitteleu­ro­péen, et germano-russe, fondement de l’unité et de l’idéal sym­pho­nique grand européen.

 

Rodolphe LUSSAC.

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samedi, 01 mars 2008

Nouvelles communications terrestres en Eurasie

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Gerhoch REISEGGER :

La Russie construit de nouvelles communications terrestres en Eurasie

 

Introduction pour les lecteurs francophones : Gerhoch Reisegger, qui a derrière lui une longue expérience d'ingénieur bâtisseur d'infrastructures partout dans le monde, appartient aux traditions de Schumpeter, des institutionalistes et de l'école historique allemande (Schmoller, Rodbertus, etc.). Pour lui, l'économie libérale actuelle, impulsée depuis les Etats-Unis et reposant sur l'artifice de la bulle spéculative, est une erreur qui s'avèrera tôt ou tard fatale pour l'humanité. De nombreux voyages, notamment en Russie, lui ont permis de découvrir une alternative eurasienne prometteuse à la domination anglo-saxonne. Il nous en fait part dans cet extrait de son dernier livre (références infra), paru cette année à Tübingen. Un livre si riche en informations que nous y reviendrons souvent.

 

[texte de G. REISEGGER]:

 

Nous ne devons pas perdre de vue que d'autres Etats, que ceux de l'Occident, prennent aujourd'hui des mesures importantes, dans une perspective eurasienne (1), tant sur le plan politique que sur celui de la coopération économique, dans les domaines de l'énergie, du pétrole, du gaz naturel, des infrastructures et des communications. Notre propos, ici, est d'énumérer les mesures que prend la Russie, l'ancien antagoniste numéro un des Etats-Unis sur l'échiquier mondial. La nouvelle politique russe en Asie est intéressante à observer et dévoile clairement ses intentions : organiser la masse continentale eurasiatique.

 

La conférence euro-asiatique des communications et transports

 

Le 12 et 13 septembre 2000 une conférence euro-asiatique des communications et des transports s'est tenue à Saint-Petersbourg. Les décisions prises concernaient cinq corridors de communications:

◊ 1. Le corridor du nord, qui part d'Europe, suit le trajet du chemin de fer transsibérien, pour aboutir en Chine, dans les deux Corées et au Japon.

◊ 2. Le corridor central, qui part d'Europe du Sud, en passant par la Turquie, l'Iran et l'Asie central pour arriver en Chine.

◊ 3. Le corridor du Sud, ou, plus précisément, la branche méridionale du corridor central, qui part de l'Iran pour aboutir, via le Pakistan et l'Inde, à l'Asie du Sud-Est.

◊ 4. Le corridor TRACEACA, qui part d'Europe orientale, suit la rive septentrionale de la Mer Noire, pour mener à la Caspienne puis à l'Asie centrale.

◊ 5. Le nouveau corridor Nord-Sud, qui part d'Europe du Nord, traverse la Russie, aboutit à la Mer Caspienne et mène finalement en Inde.

 

La politique des chemins de fer transsibériens

 

Pendant l'automne de l'année 2000, le Président russe Poutine a présenté ses vues aux hommes d'affaires japonais, dont l'élément principal était le développement du chemin de fer transsibérien.

 

La ligne BAM (Baïkal - Amour - Magistral)

 

La ligne BAM est parallèle à celle du Transsibérien. Elle constitue l'élément de base dans les communications, qui permettraient d'exploiter de manière optimale les matières premières de l'Extrême-Orient russe. Le gouverneur de la région de Khabarovsk, sur la frontière sino-russe, Victor Ichaïev, est l'homme qui s'engage le plus pour faire revivre ce projet. Le ministre russe des communications, Aksenenko, a fait un rapport à Poutine en juillet 2000 sur les possibilités d'exploitation des gisements de fer, de titane et de vanadium de Khinaïski, de même que sur les communications par chemin de fer entre Khinaïski et le combinat de Kouznetski. L'exploitation avait commencé du temps de Staline  —en mobilisant de la main-d'œuvre forcée—  puis avait été interrompue à la mort du dictateur géorgien, pour reprendre ensuite sous Khrouchtchev. Depuis le début de l'«ère libérale», en 1990, tout est à nouveau tombé en quenouille. La population de la région est passée d'un million d'âmes à 600.000. Aujourd'hui, le projet BAM est à nouveau au centre des préoccupations stratégiques. Plusieurs projets de chemins de fer existent à nouveau, rien qu'au niveau des plans, ou sont déjà en construction.

 

Réactivation du chemin de fer de la «Route de la Soie»

 

Les présidents de la Corée et de la Russie sont convenus en juin 2000 de remettre en service le chemin de fer transcoréen (c'est-à-dire la liaison entre la Corée du Nord et la Corée du Sud) puis de le joindre au Transsibérien. De cette façon, dès que la liaison sera rétablie, trois voies de communications seront à nouveau disponibles:

 

◊ 1. La liaison entre Séoul et Vladivostok, via Ouensan (en Corée du Nord), et, via le Transsibérien, portera fret et voyageurs vers Moscou et Berlin. Une voie ferroviaire alternative passerait par Tchongdjin, bifurquerait vers le Nord, traverserait la frontière chinoise pour passer par Toumen, traverser la Mandchourie et rejoindre ainsi le Transsibérien (une voie de 13.500 km).

 

◊ 2. La liaison Pousan - Pyongyang - Sin Ouïdjou - Chenyeng - Datong - Erenhot pour rejoindre le chemin de fer transmongol et Oulan Bator, puis, de là, atteindre Oulan Oude, sur la ligne transsibérienne, et relier ainsi la Corée à Moscou et à Berlin (11.230 km).

 

◊ 3. La ligne transcoréenne et transchinoise : de Pousan à Pékin, via le second "pont terrestre" eurasien, vers Ouroumtchi et Aktogaï pour atteindre Moscou et Berlin (11.610 km).

 

Poutine s'est fait personnellement l'avocat de ces projets. Ce n'est donc pas sans raison que le Président nord-coréen Kim Jong-Il a fait le trajet transsibérien aller et retour jusqu'à Moscou, dans un train spécial, à l'invitation de Poutine. A la mi-février 2002, une délégation russe de 53 personnes, dirigée par le représentant du ministre des chemins de fer, Alexandre Tselko, s'est rendu en Corée du Sud. Thème de la visite: « Le pont terrestre transsibérien du 21ième siècle : perspectives pour le développement des relations russo-coréennes dans le domaine des transports ferroviaires ». La Russie a accepté de former 1500 ingénieurs coréens, spécialisés en chemins de fer, et de prendre en charge la majeure partie du coûts de la construction, qui s'élèvera à un milliard de dollars.

 

Relier l'île de Sakhaline et le Japon au continent eurasien

 

Déjà en 1950, Staline avait ordonné que commencent les travaux de percement d'un tunnel ou de construction d'un pont pour relier Sakhaline au continent. La “Manche de Tartarie”, qui sépare l'île du continent est large de 8 km à hauteur de Lazarev. Avec la mort de Staline, le projet a été arrêté. Vu la présence de gisements importants de gaz naturel au large des côtes, ce projet retrouve aujourd'hui, à nouveau, toute sa signification.

 

Le 20 septembre 2001, le ministre russe des chemins de fer, Alexandre Micharine, déclare que la liaison entre Sakhaline et le continent était à nouveau un projet mis à l'ordre du jour. En octobre 2002, les travaux de construction d'un pont de 8 km de long ont repris. Parallèlement à ces travaux, les travaux de construction d'une ligne de chemin de fer, longue de 450 km entre le Cap Lazarev et Komsomolsk, ont également commencé, ce qui permettra d'assurer une connexion avec l'un des corridors, que nous venons d'évoquer, en plus d'une liaison aux 130 km de chemins de fer déjà existants sur l'île de Sakhaline. Le coût total s'élève à 3,4 milliards de dollars.

 

Par cette construction, remarquait Micharine, la liaison par pont de 40 km entre Sakhaline et Hokkaïdo , la principale île du Nord de l'archipel nippon, devient un projet réalisable. Rappelons, ici, que les Japonais ont déjà réalisé le plus long tunnel sous eau du monde (54 km) entre la principale île de leur archipel, Hondo, et Hokkaïdo. Avec le projet suggéré par les Russes, le Japon serait relié au continent, en d'autres termes, le deuxième puissance économique du monde, aurait une liaison terrestre directe avec la masse continentale eurasienne.

 

Cela aurait pour résultat de transformer complètement la politique économique de la planète, dans des délais prévisibles : le développement et la fabrication de biens d'investissement de haute valeur pour l'industrie et pour les infrastructures. Les technologies de l'information, qui sont surévaluées, repasseraient au second plan. L'industrie d'exportation ne se déplacerait plus vers les pays à bas salaires. Ces deux paradigmes erronés —technologies de l'information et délocalisation—  sont le propre de la politique économique basée sur les méthodologies individualistes (Hayek), qui prêche pour les avantages immédiats, sur une diminution drastique des coûts du travail et sur l'abolition des frontières au profit d'un marché unique. Ces paradigmes nous ont conduits à la situation actuelle où l'économie mondiale et le système des devises sont pratiquement en faillite. Le programme des Russes, des Coréens et des Japonais, dicté par les nécessités de l'espace, nous oblige à regarder le monde de manière globale et organique, dans une perspective d'intégration intelligente, qui s'incarne aujourd'hui dans le projet de l'EATU (“Eurasian Transport Union”).

 

Le Forum russo-japonais de Moscou (29 et 30 mai 2001)

 

Une délégation de 240 chefs de l'économie et de l'industrie japonaises, sous les auspices de la Keidanren, c'est-à-dire l'association qui chapeaute les consortiums économiques nippons, est venue à Moscou et à sillonné toutes les régions de Russie, par petits groupes, afin de mettre au point de nouveaux projets. C'était la première visite en Russie de la Keidanren depuis dix-huit ans. Elle avait reçu le blanc-seing et les pleins pouvoirs du Ministère japonais des affaires étrangères pour conclure tous les contrats nécessaires; pour la première fois depuis vingt-cinq ans, la délégation était menée par le Président même de l'organisation.

 

La visite des Japonais a eu lieu à l'invitation même de Poutine, formulée en septembre 2000. Lors de sa visite au Japon, celui-ci avait déclaré, devant un parterre d'hommes d'affaires : « Je vais changer la Russie. Venez chez nous, rendez nous visite, vous verrez de vos propres yeux comment la Russie se transforme».

 

La Russie, l'Iran et l'Inde

 

Le 12 septembre 2000, les ministres des communications de la Russie, de l'Iran et de l'Inde ont signé conjointement un accord historique afin de réaliser un corridor Nord-Sud, combinant liaisons terrestres et liaisons maritimes. Il s'agit de relier l'Europe du Nord à l'Inde, afin d'éviter le détour par le Canal de Suez, ce qui permettrait de diminuer les coûts de transport de 20 à 25%, sinon plus! A cela s'ajoutent toutes les potentialités économiques qui pourraient devenir réalités le long de cette liaison, autant d'atouts qu'une voie maritime ne peut offrir. Chose encore plus inhabituelle : une instance unique administrera ce corridor et sera responsable de l'ensemble des tâches logistiques. Afin de faire avancer les projets de corridors de communication, le ministère russe des communications a fondé en mai 2001, avec l'accord de 40 pays européens et asiatiques, l'EATU, “Eurasian Transport Union”.

 

L'Iran sera la plaque tournante du corridor méridional

 

L'Iran s'est placé en toute connaissance de cause au centre de ce projet de développement. Sur son territoire, en effet, les liaisons entre le Nord et le Sud, entre l'Est et l'Ouest, entre l'Europe et l'Asie se croisent. Elles donnent à la Russie et à l'Asie centrale un accès aux ports iraniens, au Golfe Persique et à la Mer d'Arabie.

 

Le réseau transsibérien des oléoducs

 

Autre projet important : l'exploitation des immenses champs pétrolifères et gaziers d'Asie centrale, de Sibérie et des régions extrême-orientales de la Fédération de Russie. La construction d'oléoducs servira à alimenter l'Europe et l'Asie. Ce projet conduirait, à court ou moyen terme, à faire disparaître la suprématie de la région moyen-orientale en matière d'approvisionnement énergétique et porterait, ipso facto, atteinte aux intérêts anglo-saxons. 78% du pétrole (300 millions de tonnes annuelles) et 87% du gaz naturel (500 milliards de m3 annuels) qui sont pompés en Russie, proviennent de Sibérie. Aujourd'hui 85% du pétrole utilisé dans le monde proviennent de la région autour du Golfe Persique. 100% de ce pétrole est livré via des voies maritimes. Le Japon et la Corée en dépendent pour 90%. La Chine consomme 78% de l'exportation mondiale de gaz liquide. Ces chiffres démontrent clairement l'importance de la politique russe actuelle, visant à développer toutes ces infrastructures. Ils démontrent également que les intérêts anglo-saxons risquent d'être enfreints par un tel développement.

 

La Russie et la Chine

 

Le 9 septembre 2002, la Russie et la Chine ont signé un accord sur la construction d'un système d'oléoducs de 2400 km de long, partant d'Irkoutsk pour aboutir dans le Nord-Ouest de la Chine. Via ce système d'oléoducs, passeront, chaque année, de 20 à 30 millions de tonnes de pétrole. Le consortium russe de gaz naturel, Gazprom, planifie actuellement la construction de quatre oléoducs complémentaires :

◊ 1. Le premier de ces oléoducs partira de la région de Tomsk dans le Nord-Ouest de la Sibérie et aboutira dans le Nord de la Chine.

◊ 2. Le deuxième partira de la région d'Irkoutsk, traversera la Mongolie et aboutira dans le centre de la Chine.

◊ 3. Le troisième partira de Yakoutie, dans le Nord-Est de la Sibérie, sera installé parallèlement à la ligne de chemin de fer orientale, traversera la Chine et aboutira à Changhaï.

◊ 4. Le quatrième traversera l'île de Sakhaline et aboutira au Japon.

 

Pour l'exploitation des ressources pétrolières et gazières autour de Sakhaline, un budget de 25 à 45 milliards de dollars a été prévu pour les vingt prochaines années. Déjà en 1999, le premier pétrole du projet Sakhaline-2 jaillissait du sol.

 

D'après les données fournies par l'expert japonais en matières énergétiques, Masaru Hirata, de l'Université de Tokyo, le réseau d'oléoducs transasiatique, qui est en train de se construire, aura une longueur totale de 42.500 km. Ce projet concerne les régions suivantes :

◊ 1. Le Nord-est de l'Asie et la zone du Pacifique Nord.

◊ 2. Le Turkménistan, la Chine, la Corée et le Japon.

◊ 3. L'île de Sakhaline et le Japon.

◊ 4. La Malaisie, le Golfe de Thaïlande, le Vietnam et la Chine méridionale.

◊ 5. L'Australie et l'Asie du Sud-Est.

 

Les projets en cours autour du bassin de la Caspienne n'entrent pas en ligne de compte ici. A la dynamique extrême-orientale, s'ajoute bien entendu cette dynamique autour de la Caspienne, dont la région est aujourd'hui l'épicentre du «Grand Jeu», évoqué depuis plus de cent ans par les géostratèges anglo-saxons. Ainsi, Zbigniew Brzezinski, dans son livre Le Grand échiquier, a décrit les avatars contemporains de ce «Grand Jeu». Un simple coup d'œil sur la carte permet de juger de l'ampleur de ces projets.

 

Les conséquences de ces projets

 

On se rend compte de l'objectif stratégique de la Russie actuelle, qui cherche à tout prix à se lier plus étroitement à la Chine. On voit aussi clairement que les atouts géopolitiques de la Russie, et les potentialités économiques que recèlent les terres sibériennes, sont autant de cartes que joue Poutine dans sa grande politique. Ce qui étonne, c'est la vitesse ultra-rapide avec laquelle les accords sont pris, souvent entre des puissances jadis ennemies. Vitesse qui étonne d'autant plus que les Etats d'Asie orientale ne sont pas tous maîtres de leurs décisions, vu les limites imposées à leur souveraineté. Dans les perspectives que j'ai acquises à la suite de mes différents voyages récents en Russie, j'ai aussi appris à connaître les raisonnements de l'élite russe. Ils sont assez clairs et surtout très justes. J'ai aussi remarqué que la politique étrangère de la Russie contemporaine cherche un point d'appui en Europe et espère surtout que ce point d'appui sera l'Allemagne. Cet espoir est naturel et intelligent, car d'où pourraient bien venir les ingénieurs, les techniciens, les spécialistes, les équipements? Ce ne sont pas seulement les ressources, les matières premières, les débouchés commerciaux qui font l'économie et la politique, c'est surtout le “capital de nature supérieure”, c'est-à-dire le savoir-faire et le niveau technologique acquis, nécessaires à réaliser de tels projets. Or ce type de capital est l'atout premier de l'Allemagne.

 

L'Allemagne a également intérêt à ce que ses décideurs économiques comprennent enfin que le potentiel intellectuel et industriel allemand soit mis au service de la bonne cause, de projets cohérents, de projets qui ont de l'avenir. L'exemple à suivre nous vient du Japon et des pays asiatiques. Mais voyons une fois de plus comment la politique officielle russe jauge la situation. Le Président de la Commission des Affaires Etrangères, Dimitri Ragozine a exprimé sans fard la teneur de cette politique lors d'un Congrès sur la nouvelle situation politique dix ans après l'effondrement de l'Union Soviétique : «Une bonne partie des questions [que nous nous posons], ce sera à l'Allemagne d'y répondre». Ragozine a voulu dire par ces paroles que la Russie, elle, est prête à agir, mais que l'Allemagne, dans ce même contexte, n'a pas le droit d'agir, car elle doit tenir compte de l'avis des Etats-Unis. Il est donc extrêmement intéressant de voir comment l'une des plus hautes figures de la politique étrangère russe actuelle perçoit le rapport idéal à avoir avec l'Europe, l'Union Européenne et, plus particulièrement, avec l'Allemagne.

 

La Russie et l'Union Européenne

 

Ragozine : «Dans l'avenir, nous nous attendons à ce que les organisations internationales prennent encore des mesures contre la Russie, ce qui entraînera un éloignement de notre pays par rapport à l'Europe; mais, sans la Russie, l'Europe n'a pas d'avenir. La Russie détient les sources de toutes les matières premières dont les pays industrialisés ont besoin. Si l'Europe veut devenir quelque chose, nous, Russes, sommes prêts à accepter et respecter une solide unité européenne, mais cette Europe consolidée devra avoir des liens très étroits avec la Russie». Cette politique concerne directement :

◊ Les communications au sein de l'UE et les routes de transit à travers l'Europe;

◊ La signature d'une charte énergétique commune ;

◊ La coopération multilatérale ;

◊ La coopération économique.

L'Europe centrale est liée à la Russie par tradition et elle a tout à gagner d'une situation géopolitique et économique telle celle qu'esquisse Ragozine.

 

L'Union Economique Eurasienne (Eurasische Wirtschaftsunion)

 

Les Russes reconnaissent clairement que les Etats d'Europe occidentale profitent aujourd'hui des faiblesses de la Russie, mais qu'une telle politique arrive au bout de son rouleau. La Russie officielle pense sur le long terme, le très long terme, prévoit l'avenir plusieurs décennies à l'avance. L'Union Economique Eurasienne (UEE) recevra son impulsion dans l'avenir de la Russie. Ragozine a déclaré que la politique actuelle de son pays, orientée vers l'Asie et l'Extrême-Orient n'est pas seulement motivée par l'économie, mais vise surtout la création d'un nouveau pôle de puissance, dont l'existence même devrait inciter les Européens de l'Ouest à analyser la situation sur l'échiquier mondial de façon plus réaliste. Après avoir posé une telle analyse, les Européens devront, à leur tour, pratiquer une politique rationnelle, c'est-à-dire une politique eurasienne et non plus atlantiste.

 

Le monde est sur le point de subir une mutation en profondeur. Malgré leurs rodomontades, les Etats-Unis sont le dos au mur. En fait, les gesticulations militaires de l'équipe Bush indiquent un déclin plutôt qu'une victoire. Julius Evola, le penseur traditionaliste italien, dans Les hommes au milieu des ruines, avait écrit : « La puissance perd son essentialité lorsqu'elle ne recourt plus qu'à des moyens matériels, c'est-à-dire lorsqu'elle ne recourt plus qu'à la violence, lorsque, pour elle, la violence est un refuge, et que sa puissance n'est plus reconnue comme allant de soi. La puissance doit n'être rien d'autre d'un "moteur immobile" et agir en tant que tel».

 

Et Evola poursuit son raisonnement : « La supériorité ne repose par sur la force coercitive, mais, au contraire, c'est la force coercitive qui doit reposer sur la supériorité. Faire usage de la force coercitive, c'est démontrer son impuissance; celui qui comprend cela, comprendra sans doute aussi le sens et la voie d'un certain renoncement  —un renoncement viril, qui repose sur le sentiment de ne pas “avoir besoin de l'inutile”, sur le sentiment de “posséder en suffisance”, même si on ne possède rien que l'essentiel et rien de superflu; cette vertu du renoncement est l'une des principales conditions pour accéder à la puissance supérieure; elle inclut par ailleurs une logique cachée, selon laquelle  —sur base de traditions que la plupart de nos contemporains prennent pour des mythes, au contraire de nous—  les ascètes, les saints et les initiés produisent soudain, de manière naturelle, l'exercice de puissances supra-sensibles, plus fortes que toutes les forces coercitives exercées par les hommes et par les choses».

 

Rappelons-nous aussi le témoignage historique de cet important homme d'Etat autrichien que fut le Prince Clemens Metternich. Dans son Testament politique, nous avons surtout retenu cette phrase : « Ce n'est pas dans la lutte de la société pour obtenir des progrès, mais dans une approche graduelle vers l'obtention de biens vrais, que j'ai vu le devoir de tout gouvernement et le véritable salut des gouvernés; et ces biens vrais sont la liberté de reconnaître les résultats impassables de l'Ordre [divin], l'égalité là où elle peut seulement s'incarner c'est-à-dire l'égalité de tous devant la loi, le bien-être, lequel n'est pas pensable sans les assises d'une sérénité morale et matérielle, le crédit qui ne peut reposer que sur base de la confiance. Le despotisme, quelle que soit la manière dont il s'exprime, je l'ai toujours considéré comme un symptôme de faiblesse. Là où s'installe le despotisme est un mal qui finit par se sanctionner lui-même; il est encore plus insupportable quand il se cache derrière une défense fallacieuse de la liberté!».

 

Aujourd'hui nous pouvons traduire ce terme de "despotisme" par "utilisation de la violence" (bien que, chez Metternich, l'idée de despotisme ne se rapporte qu'aux affaires intérieures de l'Etat). Quant au "masque" moralisant que prend le despotisme, en voulant promouvoir la "liberté", c'est bien la pratique de l'idéologie dominante et de la politique extérieure des Etats-Unis aujourd'hui : on a simplement remplacé le terme de "liberté" par l'idéologie des "droits de l'homme". Derrière l'évocation de ces droits de l'homme, en effet, l'appareil militaire américain utilise les armes les plus terribles, les plus meurtrières : bombes, fusées, missiles, obus à uranium traité, le tout selon la technique du "tapis de bombes".

 

La situation actuelle doit nous amener à conclure que :

◊ Les Etats-Unis ne sont plus vraiment au zénith de leur puissance. Leur force coercitive est certes plus présente que jamais, mais cette puissance purement matérielle n'a plus de légitimité acceptée, ne représente plus une spiritualité reconnue comme supérieure.

◊ Pour résoudre les conflits du Proche-Orient, de l'espace jadis occupé par l'Etat yougoslave titiste (surtout le conflit entre Serbes et Albanais) et dans les autres contrées de la planète; il faut être animé par une grande idée supra-sensible  —comme d'ailleurs pour donner une forme véritable à l'Europe—  il faut un mythe qui porte les esprits vraiment au-delà des contingences économiques ou des visées purement pragmatiques. Si une telle idée n'existe pas, personne ne sait ce qu'il faut faire, personne ne sait comment les choses doivent évoluer, comment elles doivent s'agencer et se porter vers l'avenir.

 

Les Etats-Unis, en tant qu'hyperpuissance dans le monde devenu unipolaire, ne peuvent plus s'affirmer autrement que par l'exercice d'une violence coercitive inféconde. Un simple coup d'œil sur l'histoire récente prouve la véracité de notre assertion : plus de 200 guerres ont animé et ensanglanté la scène internationale depuis 1945. Les Etats-Unis (et l'Angleterre) sont intervenu militairement dans 70 d'entre elles. L'American Way of Life, un style d'existence dépourvu de toute spiritualité et de toute consistance, se voit de plus en plus rejeter dans le monde.

 

Pire, dans ce contexte de dé-spiritualisation et de violence, la propagande américaine tente de coller de fausses étiquettes sur les peuples, de tromper les autres par la distribution d'étiquettes valorisantes (l'UÇK!) ou infamantes (la Serbie). Dans ce jeu, où l'on ne sait plus où se trouve la réalité et où se niche la fiction, les opinions publiques ne savent plus vraiment s'il y a ou non la guerre, et, plus généralement, ne savent même plus quels sont les véritables enjeux de ces conflits. Dans les euphémismes de la propagande de CNN, on ne parle évidemment plus de guerre mais de "pre-emptive defence" (défense préventive), ce qui nous amène à penser, à l'instar d'Evola, que l'ère de l'impuissance véritable est bien advenue, où la force coercitive joue seule, unilatéralement, et non plus la puissance naturelle et tranquille de l'évidence et de l'exemple. Les Etats-Unis et leurs satellites ouest-européens ne sont-ils pas définitivement condamnés à l'impuissance, parce qu'ils n'ont pas d'idée supérieure, n'ont aucune référence transcendante, non seulement pour construire l'Europe, mais aussi et surtout pour étayer le “Nouvel Ordre Mondial”, annoncé par Washington?

 

Gerhoch REISEGGER.

(Extrait de Wir werden schamlos irregeführt. Vom 11. September zum Irak-Krieg, Hohenrain, Tübingen, 2003, ISBN-3-89180-068-1).      

lundi, 25 février 2008

De zegeningen van de globalisering

Peter W. LOGGHE :

De zegeningen van de globalisering

Dat wij van de Deltastichting vraagtekens plaatsen bij de globalisering en vooral bij het neoliberaal pleidooi voor het volledig open stellen van de grenzen en voor een onvoorwaardelijk vrij verkeer van goederen, diensten, kapitalen en mensen, mag duidelijk zijn. Recente berichten in de Nederlandse pers sterken ons nog eerder in onze achterdocht.
 
Enkele jaren geleden werd de Europese Unie uitgebreid met een aantal voormalige Oostbloklanden. Toen reeds voorspelden allerlei kritische geesten massale migratiebewegingen en ontwrichtingen van zowel de oude lidstaten als van de nieuwkomers, voor zover de arbeidsmarkten onvoorwaardelijk zouden worden open gezet.
 
Groot-Brittannië en Ierland zetten hierop de poorten wagenwijd open. Op enkele maanden tijd kwamen zo’n 800.000 Polen Groot-Brittannië binnen en Ierland zelf trok er ook zo’n 500.000 aan. In Dublin lijken ganse straten “verpoolst”. Andere Oost-Europese ethnieën volgden in snel tempo. In NRC Handelsblad (09.01.2008) trekken verschillende voormalige Oostbloklanden ondertussen aan de alarmbel: het eigen land geraakt namelijk ontwricht. Zo meldt de Nederlandse krant: “De uitbreiding van de EU en de openstelling van de grenzen heeft zelfs voor een van de grootste migratiebewegingen sinds de Tweede Wereldoorlog gezorgd. De gevolgen voor de nieuwe EU-lidstaten zijn tamelijk desastreus; Delen van het platteland van de Baltische staten lopen leeg. Litouwen heeft sinds de toetreding tot de EU 10% van zijn bevolking naar het Westen zien vertrekken. In Bulgarije en Roemenië zijn dorpen waar alleen nog wat bejaarden wonen. Roemenië zoekt in China naar gastarbeiders voor zijn textielindustrie.”

Gevolg van het onvoorwaardelijk openen van de grenzen is een migratie zonder weerga. Dit leidt dus in het emigratieland tot leegloop en ontwrichting. Op zijn beurt trekken deze fenomenen dan weer een nieuwe migratie op gang richting emigratieland. Dat de natte droom van de liberalen – de markt die zichzelf perfect organiseert en reguleert zonder staatstussenkomst – blijkt een grote, vette illusie. NRC Handelsblad wijst er verder fijntjes op dat het argument van de arbeidskrapte om nieuwe migratie toe te laten, eigenlijk ook al op ‘onwaarheid’ berust. Immers: “het is ook niet zo dat er in het Westen geen arbeidsreserve meer is. Toen Nederland in 1964 gastarbeiders ging werven, had het 25.000 werklozen, een absolute schaarste dus. Nu zijn het er 320.000”.
 
Misschien zou Europa best proberen zijn “eigen” werklozen aan het werk te krijgen? Of zien we het weer té simpel?

(Peter Logghe)

dimanche, 20 janvier 2008

Ludwig von Mises: vérités et erreurs

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Ludwig von Mises, une critique libérale-capitaliste de l'économie dirigée-

Un mélange de vérités et d'erreurs

par Noël RIVIERE

sur: http://www.europemaxima.com/spip.php?article308...

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samedi, 19 janvier 2008

R. Sennett : l'homme flexible

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Brigitte SOB :

Globalisation, néo-libéralisme et « homme flexible »

Les analyses du sociologue américain Richard Sennett

 

La globalisation exige la flexibilité. La notion des « flexibilité » est aussi le terme magique dont raffole l’économie néo-libérale, qui salue le processus de globalisation comme un défi positif. Cette notion de « flexibilité » est issue, au départ, de l’empirisme des naturalistes : on tire profit de l’expérience, par exemple, en constatant que les arbres ploient sous la force du vent mais qu’après la tempête ils reprennent leur forme originale. La « flexibilité » est non seulement posée comme l’antonyme du « fixisme », de la « rigidité » ou de l’absence de vitalité, mais, dans le cadre de l’idéologie néo-libérale, comme le synonyme de la « liberté » ; dans ce sens, la flexibilité apporte de nouveaux défis, de nouvelles exigences, de nouveaux boulots qui exigent des déménagements fréquents et des délocalisations : l’homme flexible devient ainsi un « perpetuum mobile » au sein de l’économie globale. Tout « perpetuum mobile » est une construction qui, une fois mise en marche, demeure éternellement en mouvement, ce qui, d’après les lois fondamentales de la thermodynamique, est une impossibilité.

 

Le grand sociologue américain contemporain, critique des fondements de notre culture libérale, Richard Sennett, défend la thèse que cet artifice qu’est l’homme flexible ne peut survivre biologiquement sur le long terme. Pour Sennett, les questions fondamentales qui s’adressent aujourd’hui à l’économie politique et à la science politique sont les suivantes : 1) dans quelle mesure peut-on permettre au système économique de plier, ployer et tordre littéralement l’homme, pour satisfaire ses besoins d’expansion ? ; 2) l’Etat a-t-il le droit de « donner aux hommes, à ses citoyens, cette flexibilité propre aux arbres, de façon à ce qu’ils ne se brisent pas, du moins en théorie, face aux coups permanents que lui assènent les changements imposés par la nouvelle économie néo-libérale et globaliste » ? Sennett ne voit pas du tout comment s’ouvriraient les portes de la liberté si les hommes deviennent flexibles comme le veut l’économie globalitaire. Bien au contraire : l’homme flexible ne sera ni libre ni plus libre mais basculera dans l’impuissance à maîtriser et gérer son destin. Dans un contexte existentiel, dominé par l’économique, on exige sans cesse de faire face à de la nouveauté et à des changements, ce qui rend impossibles les liens sur le long terme : « La profession, le lieu de résidence, la position sociale, la famille, tout est désormais soumis aux exigences hasardeuses de la vie économique ; la vie personnelle de l’individu soumis à de telles pressions apparaît comme une mosaïque éparse et sans cohérence, dépourvue de but et incompréhensible, insaisissable. Le résultat n’est donc pas un surcroît de liberté, mais un sentiment profond d’impuissance, d’isolement et de perte de sens », écrit Sennett.

 

L’économie à l’ère de la globalisation est marquée par le court terme. Ce court terme exige de l’homme flexible d’être toujours prêt à changer, si besoin s’en faut, de travail, de cadre de travail, d’emploi et de domicile. Ce court terme est contraire, dit Sennett, à l’essence de l’être humain, car la constitution ontologique et psychologique de l’homme repose sur la longue durée, sur la sécurité que celle-ci procure, sur la continuité de mêmes modèles. La thèse centrale de Sennett est dès lors la suivante : la « flexibilisation » du monde du travail détruit l’homme en ses fondements ontologiques : des valeurs comme la fidélité et la responsabilité perdent automatiquement leur sens et leur signification, en même temps que toute éthique du travail ; des vertus comme la faculté de renoncer à la satisfaction immédiate des besoins au profit d’objectifs sur le long terme, disparaît.

 

Remarquons que Sennett insiste toujours pour dire que la tradition politique de sa famille, du moins depuis ses grands parents, s’ancre dans les réseaux de la gauche américaine. En dépit des évolutions ou involutions des gauches aujourd’hui, notamment en Europe, Sennett demeure fidèle à des valeurs comme la fidélité, la loyauté, la confiance, l’esprit de décision et surtout à celles de la famille et de la communauté.

 

Richard Sennett est né en 1943 à Chicago. Il a passé sa jeunesse dans les quartiers pauvres de la ville. Après avoir obtenu son diplôme en 1964, Sennett a œuvré à Harvard, à Yale, à Rome et à Washington. Aujourd’hui, Sennett vit à Londres et enseigne la sociologie et l’histoire à la célèbre « London School of Economics ». Il a acquis la célébrité grâce à plusieurs ouvrages comme « La tyrannie de l’intimité », « L’homme flexible » et « La culture du nouveau capitalisme », tous traduits en allemand de 1986 à 2005.

 

Dans ses livres, ce sociologue désormais célèbre participe aux grands débats sur les effets de l’économie globale sur nos sociétés. Avec un courage étonnant, il défend des idées jugées totalement inactuelles, qui ont pourtant fait de ses livres des best-sellers à l’échelle planétaire et lui ont conféré une notoriété internationale. Sennett critique en effet les involutions de nos sociétés telles l’isolement progressif des individus, la perte de toute orientation dans la jungle sociale et l’impuissance de l’homme contemporain ; de même, il ne ménage pas ses critiques sur la superficialité et l’instabilité des relations interpersonnelles qui ne cessent de croître. Il défend des valeurs telles la fidélité, le sens du devoir, le sens du but à atteindre dans la vie et l’esprit de décision ; ce sont là toutes des valeurs qui postulent que l’homme conserve son caractère naturel qui lui permet d’envisager calmement la longue durée. Sennett perçoit bien la contradiction dans laquelle le « capitalisme de la flexibilité » plonge l’homme des temps présents : « Comment peut-on protéger les relations familiales contre ces comportements basés sur le court terme, contre cette rage de toujours tout remettre en question et surtout contre ce manque chronique de loyauté et de sens communautaire, qui caractérisent le monde actuel du travail ? ».

 

Le « visage caméléonique » de l’économie parie aujourd’hui sur les seules capacités de l’homme à s’adapter : dans ce cas, une valeur comme la loyauté peut devenir un piège et freiner l’adaptation exigée. Le monde du travail promeut la « force qui réside dans la faiblesse des liens sociaux » et « les formes éphémères » de communauté. « Si l’on transpose cela sur la famille, cela signifie, dans une société entièrement vouée à la flexibilité : reste en mouvement, ne te lie pas et ne fais aucun sacrifice ». Sennett estime qu’une telle évolution de nos sociétés est totalement erronée, constitue une menace pour le genre humain et nous interpelle en ce sens : « Comment peut-on viser des objectifs à long terme dans une société fixée exclusivement sur le court terme ? Comment pourra-t-on maintenir des liens sociaux sur la longue durée ? Comment un être humain dans une telle société, qui ne se compose plus que d’épisodes et de fragments épars et diffus, pourra-t-il opérer une synthèse de son existence, raconter en un récit cohérent son identité et sa vie personnelle ? ».

 

Sennett contre également l’opinion largement répandue qui veut que les Etats-Unis soient une « démocratie de consommateurs ». A rebours de cette idée toute faite, Sennett défend la thèse que les citoyens américains sont désormais complètement désorientés face aux différences réelles qui divisent leur société. Les Américains sont tellement obsédés par l’individualisme qu’ils considèrent, souvent inconsciemment, que les masses ne méritent aucun intérêt en tant qu’ensembles humains. Pour cette raison, il est important aux Etats-Unis de se poser comme détaché des masses ou des collectivités, de s’élever au-dessus d’elles : « Le besoin de statut s’exprime d’une manière très personnelle : on veut être respecté en tant qu’individu », écrit Sennett. D’après lui, les Américains veulent que l’on juge leur position dans la société selon leur race ou leur ascendance, ce qui remplace souvent la conscience de classe qui subsiste en Europe. Critiquant les évolutions de la société américaine actuelle, Sennett dénonce la polarisation entre riches et pauvres qui ne cesse de croître aux Etats-Unis, alors que la classe moyenne s’amenuise de plus en plus, ce qui génère un sentiment général d’angoisse, de désorientation, d’instabilité et d’insécurité qui touche de vastes strates de la population. Face à ces phénomènes inquiétants, prospère une petite caste de profiteurs de la flexibilité, se hissant au-dessus d’une énorme masse de perdants.

 

Pour Sennett, Bill Gates, fondateur de Microsoft, constitue l’exemple paradigmatique d’un « boss de l’économie flexible » : bien que les produits de Microsoft soient, d’après Sennett, de « qualité moyenne », ils débouchent très rapidement sur le marché, pour disparaître aussi vite. Sennett cite une phrase significative de Bill Gates, pour stigmatiser son attitude face au travail : « Au lieu de s’immobiliser soi-même dans un travail aux contours bien délimités, … on devrait au contraire se mouvoir dans un réseau de possibilités ». Cette volonté d’imposer une adaptabilité flexibiliste chez Bill Gates démontre surtout, selon Sennett, que le fondateur de Microsoft est prêt, si la situation l’exige, à détruire ce qu’il a créé. D’autres réflexions de Sennett méritent également le détour : notamment celles qui concernent les systèmes d’éducation dans les pays industriels. Ces systèmes d’éducation, d’enseignement et de formation produisent un surnombre de travailleurs hautement qualifiés. Ceci nous conduit aux problèmes du chômage et du sous-emploi, où les victimes de ces effets pervers sont confrontées en permanence à un sentiment d’inutilité sociale.

 

Les conclusions de Sennett sont claires : les sociétés, dont les ressortissants sont majoritairement désorientés et doivent faire face à un trop grand sentiment d’inutilité sociale, et au sein desquelles des valeurs comme la confiance, la fiabilité, la fidélité, la loyauté et le sens de la responsabilité sont minées, brocardées et éradiquées en toute conscience, risquent, sur le long terme, de mettre leur existence même en péril.

 

Brigitte SOB.

(article paru dans l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°51-52/2007 ; traduction française : Robert Steuckers).   

 

 

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samedi, 22 décembre 2007

La pétro-diplomatie de Chavez

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Cristiano TINAZZI :

Chavez lance la « pétro-diplomatie »

La nouvelle stratégie du Venezuela : aider les pauvres des Etats-Unis

La nouvelle invention de Hugo Chavez est la « pétro-diplomatie ». Le Président vénézuelien, fort des profits importants que lui rapporte l’industrie pétrolière étatisée, espère aujourd’hui embarrasser le gouvernement de Bush. On peut lire dans les colonnes du « Washington Post », quotidien américain, quelle est en substance cette politique. Le Venezuela est un des principaux fournisseurs de pétrole des Etats-Unis et leur fournit environ 1,5 million de barils par jour. Certains sénateurs américains auraient écrit à neuf compagnies pétrolières pour leur demander de céder une partie des énormes profits qu’on leur prédit pour cet hiver au profit des strates les plus indigentes de la population des Etats-Unis. La seule compagnie à avoir répondu à cette missive des sénateurs a été la « CITGO Petroleum », une compagnie contrôlée par le gouvernement de Caracas. Le président de la CITGO a expliqué aux sénateurs que la compagnie « est en train d’étudier un plan de soutien aux programmes d’assistance américains dans le but d’alléger le fardeau de nos prochains qui ont besoin d’une meilleure qualité de vie ». Ainsi, la CITGO, lit-on dans un article du « Washington Post », pense annoncer des ristournes sur le gasoil de chauffage pour les résidents aux revenus les plus bas du Massachussetts. Ensuite, d’après des fonctionnaires vénézueliens, une offre similaire a été faite aux plus pauvres de New York.

Le Président vénézuelien Hugo Chavez lance donc une stratégie du pétrole économique pour les pauvres des Etats-Unis. Quelques députés démocrates ont applaudi à ce projet : « CITGO se comporte comme une bonne entreprise et fait une bonne et charitable donation à ceux du Bronx ». « J’applaudis à leur comportement » a ajouté le démocrate José Serrano. Les habitants du Bronx pourraient recevoir 8 millions de galons à prix réduit pour leur chauffage domestique. La CITGO a également envoyé des lettres en ce sens aux gouverneurs de Rhode Island, du Maine et d’autres Etats pour proposer des programmes semblables au bénéfice de leurs administrés. Chavez est également en train de former une société pétrolifère sud-américaine, la « Petrocaribe », dans laquelle participeront d’autres Etats du Sud du Nouveau Monde, dans le but d’abaisser le prix du brut, en-dessous des prix moyens du marché.

Cristiano TINAZZI.

(source : Rinascita, Rome, 24 nov. 2005).

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vendredi, 02 novembre 2007

En pleine "agflation"...

 

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En pleine « agflation »

Le jeudi 13 septembre 2007 ne fut pas un jour comme un autre en Italie. Au pays des tortellini et des macaronis, des millions de citoyens ont participé à une grande action de boycott des… pâtes. Pour les masses italiennes, le prix, toujours croissant, de leurs aliments de base devenait franchement insupportable. Au cours de l’année écoulée, cette augmentation avait atteint 25%. Un repas sans pâtes, comme le voulait le boycott, ne fera évidemment pas la différence. Mais le message est clair. Au Mexique, la population subit également une augmentation terrible des denrées alimentaires. Quelques mois avant que les Italiens n’organisent leur journée de boycott des pâtes, des émeutes avaient éclaté au Mexique parce que le prix des ingrédients de la tortilla avait considérablement augmenté. En trois mois à peine, le prix des denrées de base du peuple mexicain avait quadruplé ! L’explication de ce scandale, il faut aller la rechercher au Nord du Rio Grande. Le Mexique est certes le quatrième producteur au monde de maïs, mais pour faire leurs tonnes de tortillas, le pays dépend encore et toujours du maïs bon marché importé des Etats-Unis. Or voilà que ce produit, jadis abordable, est devenu subitement très cher.

Dans nos propres magasins aussi, nous ressentons les effets de quelques mutations sur le marché global. Pendant les mois d’été, les rapports sur l’augmentation imminente des prix des denrées alimentaires se sont bousculés. Le principal producteur flamand de pâtes, la firme « Soubry » de Roulers (Roeselaere) prévoyait même des augmentations de 20 à 30%. La facture ne sera probablement pas aussi salée, prétendent certains experts, mais, quoi qu’il en soit, les prix augmenteront. On sent déjà, aux caisses des grandes surfaces, que le blé, l’orge ou le lait sont plus chers qu’avant.

Plusieurs acteurs jouent un rôle avant que ces produits alimentaires finis ne s’entassent dans les rayons de nos magasins ; le jeu de la concurrence prend effet tout au long de la chaîne, si bien que le prix final n’explose pas comme au Mexique. Mais la question qui se pose aux analystes est la suivante : pendant combien de temps pourra-t-on, sous nos latitudes, protéger le consommateur moyen contre l’explosion potentielle des prix ? En moyenne, les ménages consacrent un cinquième de leurs revenus à l’alimentation. Cette part augmentera, c’est une certitude.

Nous entrons de plein pied dans l’ère de l’ « agflation », terme qui fut employé pour la première fois dans un rapport du géant financier Merrill Lynch. Sa signification est claire quand on le décompose, avec « ag » pour « agro » et « -flation » pour « inflation ». Il s’agit donc de l’inflation des prix des produits agricoles. Exactement ce qui se produit aujourd’hui.

Un problème structurel

Les mauvaises conditions climatiques ne jouent qu’un rôle fort modeste dans les tendances à la hausse que l’on observe ces temps-ci. Les raisons sont davantage structurelles. Ce qui entre en jeu, c’est la vieille loi de l’offre et de la demande. Nous pouvons certes admettre que le marché mondial de l’agro-alimentaire est d’une extrême complexité. Lorsqu’un incident survient quelque part dans le monde, disons une catastrophe écologique qui détruit une récolte tout entière, cela ne se traduit pas immédiatement par une augmentation des prix à la consommation. Les nombreux stades intermédiaires que traversent les produits ont souvent une fonction qui absorbe les chocs. Ensuite, l’un produit n’est pas l’autre. Quant à tel marché, il sera plus sensible que tel autre sur le plan des prix. Ceci dit, ce qui ce passe de nos jours, n’est pas dû à des impulsions ou des hasards provoqués par les vicissitudes climatiques.

Avant toute chose, il y a la question majeure et elle est d’ordre démographique. Des géants démographiques comme l’Inde et la Chine sont des marchés en pleine expansion, comme chacun le sait. Des millions voire des milliards de consommateurs voient leur pouvoir d’achat augmenter si bien que des gammes entières de produits leur deviennent soudain accessibles. Ce faisceau de faits a même un volet culturel. Pendant longtemps, il n’était pas de mise en Chine de manger du fromage ; la culture chinoise considérait cet aliment comme une abomination. Mais le pays, sur ce plan, commence à adopter des habitudes culinaires occidentales. Ce qui n’est pas sans conséquences : la demande en lait augmente, ce qui entraîne une hausse des prix des produits laitiers. L’Inde est redevenue pour la première fois depuis 1975 un importateur net de blé. Ce qui est révélateur… A partir de 2008, la Chine deviendrait un important importateur de maïs.

Les carburants biologiques

Parallèlement à ce mouvement, l’offre stagne. Pire : pour un certain nombre de produits, l’offre baisse, ce qui nous confronte à un autre problème, celui de la fabrication de bio-carburants. Résumons une situation qui est évidemment bien plus compliquée : pour fabriquer de tels carburants, il faut de la biomasse, produite, par exemple, par du colza. L’avantage écologique ne réside pas dans une émission diminuée de CO2, que l’utilisation de ce carburant rendrait possible, mais du fait que, pendant la culture de cette biomasse, les plantes de colza absorberaient du CO2, ce qui compenserait les émissions ultérieures. C’est pour cette raison que l’on appelle les bio-carburants « neutres sur le plan du CO2 ». Mais si l’on va mobiliser des terres arables pour la culture de plantes destinées aux bio-carburants, on ne les consacrera pas à la culture de denrées alimentaires. C’est là que réside le nœud du problème. Sur le plan commercial, la problématique des bio-carburants n’est donc pas entièrement résolue mais un fait demeure, au milieu de cet imbroglio, la conversion en direction de la culture de plantes destinées aux bio-carburants est très avantageuse pour les agriculteurs qui entendent s’y mettre. Avec le résultat que l’on devine : la hausse des prix s’intensifie encore davantage.

« Food versus fuel » : c’est par cette formule lapidaire qu’un analyste résumait naguère la situation que nous vivons. « A l’horizon se dessine une lutte entre les 800 millions de personnes possédant une automobile et les milliards de pauvres qui n’en n’ont pas ». Cette une présentation certes assez abrupte de la situation, mais, quelque part, elle est exacte. Car dans la sphère occidentale les gens se mettent à grogner et à rechigner quand ils passent à la caisse. Mais la bataille est plus âpre dans les pays en voie de développement. D’après les experts, il y a tout de même un moyen de s’en sortir et de concilier tout le monde. D’abord, il existe potentiellement beaucoup de terres arables en réserve dans le monde. De plus, l’ingénierie biologique permettra encore beaucoup de choses. D’autres prétendent que l’on pourrait encore davantage libéraliser le marché, car cela permettrait des prix plus honnêtes, un véritable « fair trade » (le terme est à la mode). Il existe des pistes, c’est indubitable. Reste la question : sont-elles réalisables ?

Sans doute mais cela demandera du temps et exigera bien des difficultés dans leur mise en œuvre. L’ère de l’ « agflation » met un holà à une tendance à la chute systématique des prix, qui avait duré de très nombreuses années.

« M. » /  « ’t Pallieterke ».

(article tiré de « ‘t Pallieterke », Anvers, 10 octobre 2007).

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dimanche, 28 octobre 2007

1970: coopération russo-iranienne

1970: déjà une coopération russo-iranienne

28 octobre 1970: Nikolaï Podgorny, président du Soviet Suprême de l’URSS, inaugure, avec le shah d’Iran, Mohammed Reza Pahlavi, le plus long gazoduc du monde. Cet événement montre que la question énergétique est la clef pour comprendre l’histoire contemporaine depuis le rapprochement entre le shah et les Soviétiques, jusqu’à sa chute sous les coups de la révolution des mollahs et jusqu’aux événements actuels, où les Etats-Unis affrontent l’Iran d’Ahmadinedjad.

Le shah d’Iran voulait jouer une carte autonome, ne craignait plus les Soviétiques comme au début de son règne, quand les troupes soviétiques venaient de quitter le territoire iranien, après une occupation de quatre ans (1941-45) et que Moscou soutenait des indépendantistes azéris dans le nord-ouest de l’ancienne Perse. Le soutien inconditionnel apporté par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël aux mollahs aux débuts de la révolution khomeyniste avait pour but de déstabiliser, et jeter bas, un régime personnel qui avait appuyé l’OPEP, entendait mener une politique indépendante face au bloc soviétique, affirmer ses droits historiques dans le Golfe Persique, tendre une main à l’Inde, dégager l’Océan Indien des tutelles étrangères à son espace.

Il ne fallait surtout pas que ce régime ait une autonomie énergétique (ni par le pétrole ni par le nucléaire) ; l’hostilité au shah, qui avait acquis les premiers rudiments d’une énergie nucléaire, est paradoxalement la même que celle qui oppose Ahmadinedjad à Washington, en dépit de la différence idéologique entre l’autocratie éclairée du souverain Pahlavi et le fondamentalisme chiite professé par l’entourage de l’actuel président iranien. L’intention américaine, en appuyant la révolution des mollahs, était de bloquer la grande œuvre de modernisation du shah et de replonger l’Iran dans un régime fait d’archaïsmes que l’on voulait incapacitants et cela, jusqu’à la consommation des siècles.

Ahmadinedjad veut sortir de ces archaïsmes, relancer le programme nucléaire abandonné depuis le shah : raison de l’hostilité des Etats-Unis à son égard.

samedi, 27 octobre 2007

Qu'est-ce que la mondialisation?

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Qu'est-ce que la mondialisation?

 

L’économie mondiale résulte des centres mondiaux de pro­duction, de la propagande mondiale diffusée par des mé­diats très concentrés et des marchés financiers. La mon­dia­li­sa­tion, c’est la constitution de décisions écono­miques à l’é­chelle mondiale et dotées de moyens mondiaux.

 

Certains utilisent plus volontiers le terme de globalisation, pour désigner l’accroissement de la mobilité de tout ce qui est codifiable et se transporte indépendamment des hom­mes. Une firme globale procède ainsi : elle décompose la chaîne de production, qui va de la recherche-développe­ment d’un nouveau produit à sa distribution, en activités unitaires simples. Puis, elle localise les activités sédentaires (par exem­ple, un supermarché proche des consommateurs éven­tuels) et localise tout le reste dans les territoires qui offrent les meilleures conditions. Finalement, le commerce interna­tional est, pour plus de la moitié, un commerce entre diffé­rentes filiales de firmes globales. Cela crée partout chômage et désindustrialisation, accroît la puissance de quel­ques oli­garchies et utilise force propagan­de pour affir­mer que les pauvres sont responsables de leur pauvreté.

 

I - Les dogmes de l’occidentisme.

 

1 - Le dogme commun aux institutions internationales (OMC, FMI, OCDE) peut se résumer en quatre propositions :         

 

- L’accroissement du commerce international explique fondamentalement la croissance du PIB. Mais il n’y a aucune possibilité de prouver cela. On peut tout aussi valablement soutenir que c’est la croissance du PIB qui a suscité la croissance des exportations européennes (et françaises) ou bien que l’un et l’autre (croissance et exportations) ont crû en raison d’autres facteurs.

- La poursuite de ce développement peut dégager des “ gains colossaux “ mais on ne précise jamais les coûts.

- Le refus de la poursuite de la libéralisation des échanges entraînerait une situation catastrophique.

- Le meileur moyen de combattre le chômage en occident est de poursuivre la libéralisation mondiale des échanges.

 

2 - Le modèle globalitaire s’appuie sur la théorie des coûts comparés formulée en 1817 par Ricardo. Mais elle est erro­née sur un point essentiel : la structure des coûts com­parés ne reste pas invariable dans le temps, sauf pour les res­sources naturelles et les produits tropicaux.

 

3 - Les prix mondiaux sont des prix en $. Or, les taux de change sont flexibles. Donc les taux de change permettent d’égaliser dans les pays les prix des biens exprimés en dol­lar.

 

Les causes de la servilité des Européens face aux diktats US sont connues et sans originalité : déplaire aux factions US, c’est s’interdire toute carrière dans les organismes internationaux ou dans certaines affaires privées.

 

II - Le libre-échangisme responsable du chômage massif (1)

 

a) Le ralentissement de la croissance en Europe, la désindustrialisation et la montée d’un chômage massif ont la même cause : la rupture de 1974. A cette époque, l’entrée dans le marché commun, le 1° janvier 1973, de la Grande-Bretagne, a entraîné une orientation majeure de l’orga­nisa­tion de Bruxelles vers une politique de libre-échange mon­dia­liste. Au début de 1973, le système monétaire in­ter­na­tio­nal s’est disloqué et, à partir de Mars 1973, le système des taux de change flottants s’est établi. Le commerce in­ter­na­tio­nal et les taux de change correspondent à deux aspects in­dis­sociables qu’on ne peut considérer isolément. Si le chan­ge peut varier de 50% en quelques années, aucun calcul é­conomique n’est possible.

 

b) Le libre-échangisme crée partout une forte pression à la baisse des coûts. Partout on entend dire que le coût du tra­vail non qualifié est trop élevé. Mais personne ne dit de com­bien...Pour survivre, les entreprises délocalisent...Le chô­­­­ma­ge résulte de charges salariales globales trop élevées au regard de la productivité externe du travail (i.e. des tra­vail­leurs étrangers) au cours des changes.

 

c) Les effets de tout progrès technologique sont progressifs et continus. Ils ne peuvent générer du chômage massif. Le développement des machines à vapeur, des chemins de fer et de l’électricité n’a jamais été brutal. Il n’a jamais impliqué le sacrifice de générations entières. Le libre-échange détruit les investissements industriels dans les secteurs défavorisés et nécessite de nouvelles ressources pour effectuer de nou­veaux investissements.

 

III - Pour une Europe auto-centrée

 

L’objectif des USA, tant en matière agricole qu’industrielle, et dans les industries du divertissement, est d’accroître les exportations des firmes US et d’augmenter les importations européennes. Nombre d’importations transitent d’ailleurs par les USA et sont en réalité des importations de pays à bas salaires. Le libre-échangisme est une ruse. Il convient :

 

1 - Réformer le Système monétaire :

 

 - Organiser le contrôle monétaire des activités, avec sanc­tions des créditeurs et des débiteurs qui sont autant res­ponsables. En particulier, il convient de réduire massivement la titrisation (et d’interdire la défaisance) qui crée des parts de fonds communs à partir de prêts. Par cette astuce, une dette illiquide, non négociable, portée par une banque, don­ne naissance à des titres la représentant. La finance indi­recte se transforme en finance directe avec, comme pour la défaisance, l’objectif inadmissible d’étaler les pertes, de façon à ne pas déclarer la cessation de paiements et d’é­chap­per à la liquidation judiciaire qui découlerait de l’ap­pli­ca­tion des règles en vigueur. 

 

 - Créer des organismes de compensation des dettes et créances à côté des banques. Notamment, utiliser le mé­canisme des caisses de conversion. Un débiteur en dollar verse les intérêts de sa dette en monnaie locale. La caisse cré­dite en cette monnaie le créancier en dollar qui dispose d’un pouvoir d’achat avec lequel il acquiert des biens et services produits dans le pays. Ce mécanisme aide simulta­nément à relancer l’activité de la région et à embaucher.

 

- Créer une monnaie internationale commune à l’ensemble des pays ou nations qui délimitent leurs propres espaces monétaires. Elle fonctionne selon deux préceptes :

* La monnaie internationale est instituée d’emblée comme une monnaie de crédit, moyen exclusif de règlement des dettes extérieures qui naissent des échanges.

* La monnaie commune ne se substitue pas aux monnaies existantes. Elle est une monnaie de conversion émise par une banque mondiale ayant un département dans chaque zone monétaire.

 

2 - Instaurer des quotas d’importations par catégories de produits. Un pourcentage de 20% maximum d’importations serait autorisé, sauf pour les matières premières et les produits exotiques.

 

3 - Réformer les organisations mondiales.

 

L’OMC et le FMI doivent fusionner car commerce et taux de change sont deux aspects d’un même problème. L’OCDE serait réorientée vers la fourniture de statistiques fiables et fournirait des expertises en concurrence avec les organisa­tions de l’ONU.

 

Conclusion

 

Aucune civilisation n’a pu exister en l’absence des multiples fonctions économiques, notamment sans industrie, et en présence de plus de 10% de la population active alimentée par l’aide sociale. Or, ces tendances amorcées en 1974 ne s’inversent pas, au contraire. La désindustrialisation de l’Eu­ro­pe et le chômage massif  (y compris l’immigration in­ces­sante extra-européenne) ne peuvent être remplacés par des écoles d’hôtellerie pour créer des activités de tourisme. Cela est totalement niais. Le suicide de notre civilisation est pro­grammé dans ces tendances.

 

Frédéric VALENTIN.

 

NOTE 1 : D’après M. ALLAIS : La mondialisation, la des­truction des emplois et de la croissance. Cl.Juglar, 1999.

 

vendredi, 26 octobre 2007

Protection sociale et colonies de peuplement

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Protection sociale et colonies de peuplement : la grande iniquité

 

L'occidentisme, selon Alexandre Zinoviev, est  «Un phénomène uni­que en son genre et exceptionnel dans l'histoire de l'humanité... Il n'y en aurait plus jamais dans l'avenir si, d'aventure, il se dégradait et quittait la scène historigue» (1). Or, des dizaines de millions d'étrangers vivent en occident stricto sensu sans s'y assimiler. On peut envisager que ces migrants deviennent majoritaires (2). Si tous les peuples sont capables de jouir des bienfaits matériels de l'occident, peu sont capables de créer eux-mêmes une civilisation de ce genre. D'autres peuples ont créé des civilisations de type différent. L'occident sera détruit par l'immigration.

 

La croissance de la population française : rappel historique

 

Les effets de l'augmentation de la population avaient éveillé l'intérêt du pasteur-économiste Malthus au XVIIIième  siècle, lorsque Benjamin Franklin décrivait les colonies anglaises où la population avait doublé en 25 ans (3). Le pasteur Malthus s interrogea sur l'équilibre entre population et ressources. Or, dans l'Europe du XIXième, l'équilibre fut trouvé. Comment ?

 

En France, selon l'historien Michel Morineau, l'accroissement démographique conduisit, jusqu'aux années 1840-1850, à un système d'ex­ploitation complexe destiné à élever les ressources au niveau des bouches à nourrir. A titre complémentaire, certaines catégories de la population en âge de travailler effectuaient des migrations temporaires ou se livraient à de nouvelles activités commerciales. En même temps, l'industrialisation, en tuant l'artisanat paysan, provoqua de partout la pauvreté. Celle-ci fut éliminée peu à peu par des activités de remplacement, à condition d'accepter le passage de la migration temporaire à la migration définitive. C'est dire que l'exode définitif des populations quittant la terre fut acquis parce qu'il existait des offres d'emplois en ville, avec un revenu, ou des terres vierges à mettre en valeur dans le monde. Rien de tel aujourd'hui. Les diasporas du monde entier bénéficient d'un revenu par l'intermédiaire de prestations sociales multiples, utilisent gratuitement les services collectifs, mais n'ont pas d'emplois durables car le problème actuel est d'ordre qualitatif : la technologie requiert des compétences précises en termes de métier et des qualités personnelles solides : claire compréhension d'une langue, des usages, des modes de raisonnement et des références culturelles.

 

L'existence de diasporas multiples a déjà engendré des problèmes qui comptent parmi les plus importants et les plus difficiles de notre époque. La contrainte incessante à l'immigration est une source de conflits permanents car elle ôte à la population autochtone l'espace dans lequel ses enfants auraient pu agir. Les Européens de vieille souche y voient une menace pour la vie et l'avenir de leur descendance.

 

La rupture du lien entre générations

 

Dans l'installation de colonies de peuplement, deux mouvements se superposent :

- Nombre d'immigrés viennent parce que leur pays ne leur donne pas une instruction solide ou n'offre pas assez de travail. D'aucuns affirment faussement qu'ils paieront les retraites des Français en phase de vieillissement de leur pyramide des âges. Mais les jeunes que les pays pauvres envoient le plus facilement en France sont les moins formés. Entretenus sans effort, ils subsistent massivement par le branchement sur les mécanismes d'assistance et de protection sociale. Ces immigrés sont inutilisables dans les conditions technologiques actuelles. Ils ne seront jamais en mesure de financer la retraite des Européens.

 

- Des jeunes immigrés sont éduqués dans leur pays puis viennent en France. C'est le drainage des cerveaux issus des pays pauvres, dans des conditions culturelles difficiles.

 

Les problèmes soulevés par ces diasporas sont multiples. Au niveau macroéconomique, le prix Nobel Maurice Allais les expose de la manière suivante : «C’est un fait que dans les différents pays le capital national reproductible est de l’ordre de quatre fois le revenu national. Il résulte de là que lorsqu'un travailleur immigré supplémentaire arrive, il faudra finalement pour réaliser les infrastructures nécessaires ( logements, hôpitaux, écoles, universités, infrastructures de toutes sortes, installations industrielles, etc.) une épargne supplémentaire égale à quatre fois le salaire annuel de ce travailleur. Si ce travailleur arrive avec sa femme et trois enfants, l'épargne supplémentaire nécessaire représentera suivant les cas dix à vingt fois le salaire annuel de ce travailleur, ce qui manifestement représente une charge très difficile à supporter» (4). Or, la part de l'épargne fixée par les investisseurs institutionnels (fonds de pension, fonds communs de placement, OPCVM) s'est presque partout très fortement accru. Il y a concentration de la gestion de l'épargne entre les mains de professionnels ouverts aux opportunités du marché global, qui placent en titres libellés en différentes monnaies. L'Etat n'est plus qu'un emprunteur parmi d'autres et, déjà sur-endetté par la politique des factions qui le contrôlent, se rabat sur l'épargne forcée, le pillage des classes moyennes versant un Tribut croissant en faveur du gouffre sans fonds de la protection sociale.

 

La seconde question clairement identifiable est celle de l'équité intergénérationnelle. L'équité, ou justice commutative, impose de faire en sorte que chacun reçoive en proportion de ce qu'il apporte. L'équité se préoccupe d'équivalence : il faut assurer un traitement équitable entre les générations. Or, les diasporas détruisent l'équi­té. Les diplômés originaires des pays en développement, souvent confrontés à des perspectives de gain médiocres dans leur pays, et à un environnement technologique limité, préfèrent s'installer en France, en sorte que «si nous parvenons à prendre ces jeunes aux sociétés qui les ont formés et envers lesquels ils ont des devoirs, nous commettons un véritable vol et nous privons le tiers monde de sa seule chance de développement» (5). L’investissement dans la jeune génération, consenti par leurs aînés, est perdu et la dette de ces étudiants à l'égard de leur pays n'est pas remboursée. Aux conséquences délétères pour le développement de ces régions s'ajoute l'injustice d'une dette non remboursée.

 

Recréer l’harmonie

 

Une solution alternative consiste, selon l'analyse de l'économiste J. Bichot, à stopper le nouveau commerce du bois d'ébène en explorant la piste suivante : «Ne donner à un diplômé d'un pays pauvre l'autorisation de venir exercer une activité professionnelle dans un pays riche que dans la mesure où, en sens inverse, un technicien du Nord irait exercer ses talents au Sud» (6). Il s'agit de respecter le principe d'un échange équitable : celui qui se rend utile a des droits, celui qui déçoit a des devoirs.

 

La contribution apportée par la France à l’instruction des ressortissants du monde entier est considérable, comme le montre toute visite des établissements d'enseignement. Cela est inique! Rien n'est comptabilisé ! La valeur de la formation dispensée aux étudiants étrangers devrait être facturée et, par un échange équitable, la "matière grise" importée de l'étranger serait payée.

 

Ce principe se substituerait à l'injustice actuelle où le plus grand nombre des diplômés appartenant aux multiples diasporas évite de rembourser les dettes dues à leur pays d'origine ; où les non qualifiés préfèrent vivre en France du RMI et de diverses prestations plutôt que de demeurer sans emploi dans leurs pays.

 

Erreur sur le coût du travail

 

Pour faire semblant de lutter contre le chômage, le premier ministre a proposé de réduire les charges sociales des entreprises et d'accroître, à la place, les prélèvements sur les revenus de la population. Mais, pour les entreprises dans leur ensemble, le coût du travail ne changera pas. Que les charges sociales soient payées sous la forme de cotisations ou sous la forme d'impôts sur les revenus des ménages (cas du Danemark par exemple ), les salariés demanderont une compensation à cette fiscalité par des salaires nets plus élevés. Le vrai problème est le coût global du travail (salaires plus charges) comparé à sa productivité. Or, les colonies de peuplement provoquent des distorsions sur les salaires de certaines activités et sur la productivité de nombreux secteurs. L'iniquité va consister à appauvrir l'ensemble de la population au profit des diasporas qui subsistent de notre subsistance.

 

Les hommes ne sont pas interchangeables, sauf dans les délires religieux, lorsque la race autoproclamée supérieure des bergers encadre le bétail, vaste masse d'impurs mêlés dans le pandémonium de toutes les nations dissoutes. Les tyrans capitalo-théocratiques de l'occidentisme méprisent les facteurs qualitatifs, les grâces spécifiques des peuples et des patries, comme des brutes pédophiles qui veulent les violer dans un fossé le sont aux minauderies des enfants. Mais c'est un suicide, car la culture professionnelle est un pilier fondamental de notre civilisation. Forgée au cours des siècles, elle permet à des millions d'individus d'exécuter correctement leur travail. Or, l'arrivée massive de diasporas du monde entier, qui en sont dépourvus, a entraîné une transformation de celle-ci. Une conséquence de cette inadéquation est la baisse des normes culturelles et professionnelles. Une autre est l'extension indéfinie du prélèvement obligatoire sur les revenus professionnels pour financer le niveau de vie des nouveaux occupants.

 

Questions annexes  

L'installation de colonies de peuplement pose enfin deux questions annexes qui ne sont pas sans importance.

- Mircea Eliade, grand spécialiste de l'histoire des religions, a décrit dans son Journal des Indes (7), la méthode préférée des Anglais. Ils payaient quelques voyous pour jeter un porc égorgé dans la cour d'une mosquée. Les musulmans lançaient des émeutes, de connivence avec la police anglaise qui intervenait seulement quand un Hindou prenait les armes pour se défendre. Les colonies de peuplement rendent peut-être des services auxquels un travailleur du monde de la technique ne pense pas...

- La société occidentale tend vers une société du crime (8) . Sous sa forme externe, le crime se présente comme mise à sac de la totalité de la planète. Alors, tout comme l'extinction des espèces ou la pollution généralisée du globe, la migration annoncée par Boumedienne est l'une des participations au crime, déguisée en vertu.

 

PONOCRATES.

 

(1) Alexandre ~INOVIEV : L'Occidentisme, Essai sur le triomphe d'une idéologie. Plon, 1995.

(2) Zinoviev fait dire à l'un de ses personnages littéraires : «Un jour, le muezzin criera "Allah akhbar!" du haut de la tour Eiffel».

(3) Au Canada français, la population était passée de 60.000 personnes en 1760 à 127.500 en 1790. En Nouvelle-Angleterre, aux mêmes dates, elle était estimée respectivement à 459.000 et 923.865 personnes. D'après Michel Morineau : Malthus au village. Dans : Pour une histoire économique vraie, PUL, 1985, pp.493-512.

(4) Maurice ALLAIS : L'Europe face à son avenir : que faire ?, R. Laffont/C. Juglar, 1991, p.99.

(5) Jacques BICHOT : Quelles retraites en l'an 2000 ? A.Colin, 1993, p.60.

(6) J. BICHOT : Ouvrage cité, p. 124.

(7) Mircea ELIADE : Journal des Indes, L'Herne, 1992, p.128.

(8) Christian CARLE : La société du crime. Les éditions de la passion, 1996.    

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samedi, 20 octobre 2007

Sull'euro

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Robert Steuckers
"L'Euro non sarà una moneta credibile se non quando l'Europa sarà forte e sovrana!"
Intervento di Robert Steuckers in occasione di un colloquio sull'Euro a Paris-Saint-Germain il 13 dicembre 2001 e nel corso di una riunione di Renaissance Européenne a Bruxelles il 20 dicembre 2001
Cari amici,
    
A meno di tre settimane dall¹introduzione ufficiale dell¹Euro nell'UE, con
     l'eccezione del Regno Unito, della Danimarca e della Svezia, vorrei ricordare tre
     gruppi di fatti che devono inquadrare ogni pensiero sulla nuova moneta unica, sia
     che questa riflessione le sia ostile sia che le sia favorevole.

Io non sono un
     economista e il signor Chalumeau, qui tra noi, vi presenterà l'elemento economico
     dell¹introduzione dell'Euro con molta più incisività di me. Il mio proposito è
     dunque quello di dare qualche idea generale e di richiamare alcuni fatti storici.

     1. Innanzi tutto, l'Euro non è la prima moneta a vocazione europea o
     internazionale. L'Unione latina, dalla fine del XIX secolo al 1918, introdusse una
     moneta sovranazionale condivisa da Francia, Belgio, Svizzera, Grecia, in seguito
     da Spagna e da Portogallo, seguite da Russia e da alcuni paesi dell¹America
     Latina. La prima guerra mondiale, creando enormi disparità, mise fine a questo
     progetto di unificazione monetaria, il cui motore era la Francia con il suo
     franco-oro. L'Euro, in questa prospettiva, non è dunque una novità.

     2. Sulla base del ricordo dell¹Unione latina e sulla base di volontà, all¹epoca
     antagoniste, di creare l¹Europa economica attorno alla nuova potenza industriale
     tedesca, l¹idea di creare una moneta per l¹intero continente europeo non è
     malvagia a priori, anzi. Il principio è buono e potrebbe favorire le transazioni
     all¹interno dell¹area della civiltà europea. Ma se il principio è buono, la realtà
     politica attuale rende l¹Europa inadatta, al momento, a garantire la solidità di una
     tale moneta, contrariamente all¹epoca dell¹Unione latina, in cui la posizione
     militare delle nazioni europee si trovava nel mondo in posizione preponderante.

     3. L'Europa è incapace di garantire la moneta che essa oggi si dà, perché essa
     subisce un terribile deficit di sovranità. Nel suo insieme, l¹Europa è un gigante
     economico e un nano politico: questo paragone è stato ripetuto ad oltranza ed a
     giusto titolo. Quanto agli Stati nazionali, anche i due principali Stati del
     sub-continente europeo membri dell¹UE, la Francia e la Germania, non possono
     pretendere di esercitare una sovranità in grado di resistere o di battere la sola
     potenza veramente sovrana del mondo unipolare attuale, vale a dire gli Stati Uniti
     d¹America. Le dimensioni territoriali dopotutto ridotte di questi paesi, il numero
     limitato della loro popolazione, non permettono di elevare imposte sufficienti per
     dotarsi di elementi tecnici, tali da assicurare una tale sovranità. Perché oggi, come
     ieri, è sovrano chi può decidere sullo stato di urgenza e sulla guerra, come ci ha
     insegnato Carl Schmitt. Ma per essere sovrano, c¹è sempre stato bisogno di
     disporre di mezzi tecnici e militari superiori (o almeno eguali) ai propri potenziali
     avversari. Al momento attuale, questi mezzi sono rappresentati da un sistema di
     sorveglianza elettronica planetaria, come la rete ECHELON, nata dagli accordi
     UKUSA (Regno Unito e Stati Uniti) che inglobano anche il Canada, l¹Australia e
     la Nuova Zelanda, antichi dominions britannici. Il dominio dello spazio
     circumterrestre da parte delle potenze navali anglosassoni decolla da una strategia
     lungamente sperimentata: quella che mira a controllare le "res nullius" (i « territori »
     che non appartengono e non possono appartenere a nessuno, perché essi non
     sono tellurici, ma marittimi o spaziali).

     La prima "res nullius" dominata dall¹Impero britannico è stato il mare, dal quale
     furono impietosamente eliminati i Francesi, i Russi, i Tedeschi e i Giapponesi.
     Sotto l¹impulso ideologico dell¹Ammiraglio Mahan e della "Navy League"
     americana, gli Stati Uniti ricevettero la staffetta. Nel 1922, il Trattato di
     Washington consacra la supremazia navale anglosassone e giapponese (il
     Giappone non sarà eliminato che nel 1945), riducendo al nulla la flotta tedesca
     costruita da Tirpitz e ridimensionando le flotte francese e italiana. La Francia
     subisce qui uno schiaffo particolarmente umiliante e scandaloso, nel senso che ha
     sacrificato un milione e mezzo di soldati in una guerra dalla quale le due potenze
     navali anglosassoni vanno a trarre tutti i benefici, con sacrifici in proporzione
     minori. La dominazione del mare, prima res nullius, comporterà il controllo di un
     altro spazio inglobante, cosa che permetterà di soffocare i continenti, secondo la
     "strategia dell'anaconda" (Karl Haushofer). 
     Quest¹altro spazio inglobante,    egualmente una res nullius, è lo spazio 
     circumterrestre, conquistato dalla NASA e ormai pieno di satelliti di
     telecomunicazioni e di osservazione, i quali danno alle potenze che li schierano e li
     pilotano una superiorità in materia di informazione e di indirizzo di tiri balistici. Le
     potenze che non sono né marittime né spaziali sono allora letteralmente soffocate
     e schiacciate dall¹anaconda navale e da quello satellitare. Francesi  e Tedeschi
     hanno sempre mal compresa l¹utilità delle « res nullius » marittima e
     circumterrestre, malgrado gli avvertimenti di un Ratzel, di un Tirpitz o di un
     Castex. I popoli fissi sulla terra, che badano a vivere secondo le regole di un
     diritto ben solido e preciso evitando ogni ambiguità, difficilmente ammettono che
     uno spazio, impalpabile come l¹acqua o come l¹etere atmosferico o stratosferico,
     appartenga a qualcuno. Questa qualità contadina, questa preoccupazione del
     tangibile che è fondamentalmente onesta, retaggi di Roma, si rivelano delle tare
     davanti ad un approccio contrario che privilegia la mobilità incessante, la
     conquista delle linee di comunicazione invisibili e non quantificabili da un geometra
     o da un agrimensore.
     Ecco dunque i tre gruppi di considerazioni che vorrei voi prendeste questa sera in
     considerazione.
 

      Spazio circumterrestre e sovranità militare reale

     Prima di concludere, mi permetto di sottoporvi alcune considerazioni, questa volta
     di ordine storico e monetario. L'Euro ci è stato presentato come la moneta che
     farà concorrenza al dollaro ed eventualmente lo eclisserà. Di fronte a questo
     gioco di concorrenza, l'Euro parte perdente, perché il dollaro americano dispone
     di una copertura militare evidente, come è stato dimostrato dagli ultimi tre conflitti,
     del Golfo, dei Balcani e dell¹Afghanistan. L'incontestabile sovranità militare
     americana si vede consolidata da un apparato diplomatico ben rodato, in cui non
     si tergiversa e non si discute inutilmente e si dispone di un sapere storico ben
     strutturato, di una memoria viva del tempo e dello spazio, contrariamente
     all¹anarchia concettuale che regna in tutti i paesi d¹Europa, vittime di istrioni
     politici scervellati, nella misura in cui non si sentono più di tanto responsabili di una
     continuità storica che sia nazionale-statale o continentale ; questa irresponsabilità
     sfocia in tutte le fantasie di bilancio, in tutte le capitolazioni, in tutte le svendite.
     Atteggiamenti che interdicono lo sbocciare di una sovranità, dunque anche il
     diritto regale di battere moneta. La conquista da parte dell¹America dello spazio
     circumterrestre dà un enorme vantaggio nella corsa all¹intelligence, come vedremo
     tra poco. Ora, dall¹antichità cinese di Sun Tzu, qualsiasi principiante di studi
     strategici, dunque di studi politici, sa che la potenza proviene dall¹abbondanza e
     dalla precisione dell¹informazione: 1) Sun Tzu: "Se tu conosci il nemico e conosci
     te stesso, tu non conoscerai alcun pericolo in cento battaglie". 2) Machiavelli:
     "Quali sono le risorse fisiche e psichiche che io controllo, quali sono quelle che
     controlla il mio concorrente?". 3) Helmuth von Moltke: "Raccogliere in modo
     continuo e sfruttare tutte le informazioni disponibili su tutti gli avversari potenziali".
     4) Liddell-Hart: "Osservare e verificare in maniera durevole, per sapere dove,
     come e quando potrò squilibrare il mio avversario".  Da 2500 anni, il pensiero
     strategico è unanime; le centrali strategiche britanniche e americane ne applicano
     gli assiomi; il personale politico europeo, istrionico, non ne tiene conto. Dunque
     l'Euro resterà debole, fragile davanti ad un dollaro, forse economicamente meno
     forte in assoluto o in linea di pura teoria  economica, ma coperto da un esercito e
     da un sistema di informazioni terribilmente efficace.
     Il solo vantaggio dell'Euro è la quantità di scambi interni dell¹UE: 72%. Magnifica
     performance economica, ma che nega i principi di autarchia o di autosufficienza,
     opta dunque per un tipo di economia « penetrata » (Grjébine) e non protegge il
     mercato con strumenti statali o imperiali efficaci. Tali incoerenze portano al
     fallimento, al declino e alla caduta di una civiltà.
     Altro aspetto della storia monetaria del dollaro: contrariamente ai paesi europei, i
     cui spazi sono ridotti e densamente popolati ed esigono dunque una stretta
     organizzazione razionale che implica una dose più forte di Stato, il territorio
     americano, ancora largamente vergine nel XIX secolo, costituiva in sè, con la sua
     semplice presenza, un capitale fondiario non trascurabile, potenzialmente
     colossale. Quelle terre erano da dissodare e da organizzare: esse formavano
     dunque un capitale potenziale e costituivano un richiamo naturale a degli
     investimenti destinati a diventare redditizi.  Per di più, con l¹afflusso di immigranti e
     di nuove forze-lavoro, le esportazioni americane di tabacco, cotone e cereali non
     cessarono di crescere e consolidare la moneta. Il mondo del XIX secolo non era
     chiuso come quello del XX secolo e a fortiori del XXI, e consentiva del tutto
     naturalmente delle continue crescite esponenziali, senza grossi rischi di riflusso.
     Oggi il mondo chiuso non consente più una simile aspettativa, anche se i prodotti
     europei sono perfettamente vendibili su tutti i mercati del globo. Il patrimonio
     industriale europeo e la produzione che ne deriva sono indubbiamente i vantaggi
     maggiori per l'Euro, ma, contrariamente agli Stati Uniti,  l'Europa soffre di
     un¹assenza di autarchia alimentare (solo la Francia, la Svezia e l¹Ungheria
     beneficiano di una relativa autarchia alimentare). Essa è dunque estremamente
     fragile a questo livello, tanto più che il suo antico « polmone cerealicolo » ucraino
     è stato rovinato dalla gestione disastrosa del comunismo sovietico. Gli Americani
     sono assai consapevoli di questa debolezza e l¹ex ministro Eagleburger constatava
     con la soddisfazione del potente che “le derrate alimentari erano la migliore arma
     dell¹arsenale americano”.
 

      Le due truffe che hanno « fatto » il dollaro

     Il dollaro, appoggiato su riserve d¹oro provenienti parzialmente dalla corsa del
     1848 verso i filoni della California o dell¹Alaska, si è consolidato per un
     clamoroso imbroglio che non poteva essere commesso che in un mondo dove
     sussistevano degli steccati. Questa truffa ebbe per vittima il Giappone. Verso  la
     metà del XIX secolo, desiderando aumentare le loro riserve d¹oro per avere una
     copertura sufficiente per avviare il processo di investimenti nel territorio
     americano dal Mid-West alla California, da poco sottratti al Messico, gli Stati
     Uniti si accorgono che il Giappone, volontariamente isolato dal resto del mondo,
     pratica un tasso di conversione dei metalli preziosi diverso dal resto del mondo: in
     Giappone, in effetti, si cambia un lingotto d¹oro per tre lingotti d¹argento, mentre
     dappertutto la regola vuole che si cambi un lingotto d¹oro per quindici d¹argento.
     Gli Americani comprano la riserva d¹oro del Giappone pagandola secondo il
     cambio giapponese, cioè un quinto del suo valore! L'Europa non avrà la
     possibilità di commettere una tale truffa per consolidare l¹Euro. Secondo
     imbroglio: la valorizzazione dell’Ovest passa attraverso la creazione di una
     colossale rete ferroviaria, tra cui le famose transcontinentali. In mancanza di
     abbondanti investimenti americani, ci si appella ad investitori europei,
     promettendo loro dei dividendi straordinari. Una volta che le vie e le opere sono
     installate, le compagnie ferroviarie si dichiarano  fallite, senza rimborsare  da quel
     momento né dividendi né capitali. Il collegamento ferroviario Est-Ovest non è
     costato niente all¹America; essa ha rovinato degli ingenui Europei ed ha fatto la
     fortuna di coloro che l¹avrebbero immediatamente utilizzato.
     Gli Stati Uniti hanno sempre mirato al controllo della principale fonte di energia, il
     petrolio, in particolare concludendo ben presto degli accordi con l¹Arabia
     Saudita. La guerra che oggi si svolge in Afghanistan non è che l¹ultimo elemento di
     una guerra che dura da lungo tempo e che ha per oggetto l¹oro nero. Non mi
     dilungherò sulle vicissitudini di questo annoso conflitto, ma mi limiterò a ricordare
     che gli Stati Uniti possiedono sufficienti riserve petrolifere sul proprio territorio e
     che il controllo dell¹Arabia Saudita non serve che a impedire alle altre potenze di
     sfruttare questi giacimenti di idrocarburi. Gli Stati europei e il Giappone non
     possono quasi acquistare petrolio che tramite l¹intermediazione di società
     americane, americano-saudite o saudite. Questo stato di cose indica o dovrebbe
     indicare la necessità assoluta di possedere un¹autonomia energetica, come voleva
     De Gaulle, che scommise sul nucleare (al pari di Guillaume Faye), ma non
     esclusivamente; i progetti gaulliani in materia energetica miravano alla massima
     autarchia della nazione e prevedevano la diversificazione delle fonti di energia,
     puntando anche su quelle eoliche, sulle installazioni maremotrici, sui pannelli solari,
     sulle dighe idroelettriche, etc. Se simili progetti fossero di nuovo elaborati in
     Europa su vasta scala, essi consoliderebbero l¹Euro, che, ipso facto, non sarebbe
     reso fragile da costi energetici troppo elevati.
     Altro vantaggio che favorisce il dollaro: l'esistenza del complesso
     militare-industriale. Immediatamente prima della guerra del 1914, gli Stati Uniti
     erano in debito verso gli Stati europei. Essi fornirono enormi quantità di materiali
     diversi, di conserve alimentari, di camion, di cotone, di munizioni agli alleati
     occidentali e costoro cedettero le loro riserve passando dallo stato di creditori a
     quello di debitori. Era nata l¹industria di guerra americana. Essa dimostrerà la sua
     formidabile efficacia dal 1940 al 1945 armando non solo le proprie truppe, ma
     anche quelle dell¹Impero britannico, dell¹esercito mobilitato da De Gaulle in
     Africa del Nord e dell¹armata sovietica. Le guerre di Corea e del Vietnam furono
     delle nuove « iniezioni di congiuntura » negli anni  50, 60 e 70. La NATO, se non
     è servita a sbarrare la strada all¹ipotetico invasore sovietico, è almeno servita a
     vendere del materiale agli Stati europei vassalli, alla Turchia, all¹Iran e al Pakistan.
     L'industria di guerra europea, senza dubbio in grado di fabbricare materiali in
     teoria concorrenziali, manca di coordinazione e un buon numero di tentativi iniziati
     per collegare gli sforzi europei vengono puramente e semplicemente silurati: io
     ricordo che il "pool" europeo dell¹elicottero, che doveva unire la MBB
     (Germania), la Dassault e la Westland (Regno Unito) è stato sabotato da Lord
     Brittan.
     Nel 1944, la situazione è talmente favorevole agli Stati Uniti, grandi vincitori del
     conflitto, che viene stabilito un tasso fisso di cambio tra il dollaro e l¹oro: 35 $ per
     un¹oncia d¹oro. Nixon metterà fine a questa parità nel 1971, provocando la
     fluttuazione del dollaro, il quale, tra lui e Reagan, varierà da 28 a 70 franchi belgi
     (4,80 e 11,5 franchi francesi al cambio attuale). Ma queste fluttuazioni, che alcuni
     fingevano di avvertire come calamità, hanno sempre servito la politica americana,
     hanno sempre creato delle situazioni favorevoli: il dollaro basso facilitava le
     esportazioni e quello elevato permetteva talvolta di raddoppiare il prezzo delle
     fatture emesse in dollari e di aumentare così i capitali senza colpo ferire. Si può
     dubitare che l'Euro sia in grado di dedicarsi alle stesse pratiche.
     Ritorniamo all¹attualità: nel 1999, all¹inizio dell¹anno tutto sembrava andare nel
     miglior modo per l'Euro. L'inflazione diminuiva negli Stati membri dell¹Unione. I
     deficit di bilancio nazionali si riassorbivano. La congiuntura era buona. Gli Stati
     dell¹Asia annunciavano che si sarebbero serviti dell¹Euro. Con lo scoppio della
     guerra dei Balcani, l'Euro passerà dal cambio di 1 Euro per 1,18 dollari, del 4
     gennaio 1999, a 1 Euro per 1,05 dollari di fine aprile, in piena guerra nei cieli
     serbi, e a 1 Euro per 1,04 dollari di giugno, nel momento in cui cessano i
     bombardamenti sulla Yugoslavia. In tutto, l'Euro avrà perduto l¹11% del suo
     valore (il 18% dicono i più pessimisti), a causa dell¹operazione contro Milosevic,
     demonizzato dalle attenzioni della CNN.
 

    La guerra del Kosovo ha reso pericolosamente fragile l'Euro

     Dopo la guerra del Kosovo, l'Euro, indebolito, acquista la nomea di essere una
     moneta da perdenti. L'Europa diviene un teatro di guerra, cosa che diminuisce la
     fiducia nelle sue istituzioni, specialmente in Asia. Lo stop dei bombardamenti non
     significa la fine delle ostilità nei Balcani e da ciò deriverà una UE impotente a
     mantenere l¹ordine nella propria area geopolitica. L'economista  tedesco Paul J. J.
     Welfens enuncia sei ragioni concrete per spiegare la svalutazione dell¹Euro:

     1. Non ci sarà più ripartenza nel Sud-Est del continente se non dopo lungo
     tempo. Lo spazio balcanico, aggiungerei, è uno ³spazio di sviluppo
     complementare² (Ergänzungsraum) per l'Europa occidentale e centrale, come lo
     era d¹altronde già prima del 1914. Una delle ragioni principali della prima guerra
     mondiale fu quella di impedire lo sviluppo di questa regione, al fine che la potenza
     tedesca e sussidiariamente la potenza russa, non potessero avere « finestre » sul
     Mediterraneo orientale, dove si trova il Canale di Suez, da dove i francesi erano
     stati cacciati nel 1882. Nel 1934, quando Goering, senza tenere conto del
     disinteresse di Hitler, giunge a creare un  modus vivendi attraverso degli accordi
     con i dirigenti ungheresi e rumeni e soprattutto tramite l¹intesa con il brillante
     economista e ministro serbo Stojadinovic, i servizi americani evocano la creazione
     de facto (e non de jure) di un "German Informal Empire" nel Sud-Est europeo,
     cosa che costituisce un "casus belli". Nel 1944, Churchill perviene a frammentare i
     Balcani proteggendo la Grecia, « neutralizzando » la Yugoslavia a beneficio
     dell¹Occidente e lasciando tutti i paesi senza sbocco sul Mediterraneo a Stalin e ai
     Sovietici, che vengono così totalmente messi nel sacco nonostante il ruolo di
     ³grandi spauracchi² loro affibbiato. La fine della Cortina di Ferro avrebbe potuto
     permettere, a termine, di rifare dei Balcani quello « spazio di sviluppo
     complementare » nell¹area europea. Costanti nella loro volontà di balcanizzare
     sempre i Balcani, perché essi non divengano mai l¹appendice della Germania o
     della Russia, gli Americani sono riusciti a congelare ogni sviluppo potenziale nella
     regione per numerosi decenni. L'Europa non beneficerà dunque dello spazio di
     sviluppo sud-orientale. Di conseguenza, questo stato di cose rallenterà la
     congiuntura e le prime vittime della paralisi delle attività nei Balcani sono la
     Germania (guarda caso), l¹Italia, l¹Austria (che aveva triplicato le sue esportazioni
     dal 1989) e la Finlandia. L'Euro ne risentirà.

     2. I "danni collaterali" della guerra aerea hanno provocato dei flussi di rifugiati in
     Europa, cosa che costerà all¹UE 40 miliardi di Euro.

      3. L'Europa sarà costretta a sviluppare un "Piano Marshall" per i Balcani, il che
     rappresenterà un semestre del budget dell'UE!

     4.  Le migrazioni interne, provocate da questa guerra e dal deteriorarsi della
     situazione, specialmente in Macedonia e in una Serbia privata di un buon numero
     delle sue possibilità industriali, porranno un problema sul mercato del lavoro e
     aumenteranno il tasso di disoccupazione nell¹UE, mentre proprio questo tasso
     elevato di disoccupazione costituisce l¹inconveniente maggiore dell¹economia
     dell¹UE.

     4. La guerra permanente nei Balcani mobilita gli spiriti, ricorda Welfens, che non
     meditano più di mettere a punto le riforme strutturali necessarie all¹insieme del
     continente (riforme strutturali che vedono d¹altronde i loro budget potenziali
     considerevolmente tagliati).

     5. La guerra in Europa innescherà una nuova corsa agli armamenti che poterà
     beneficio agli Stati Uniti, detentori del migliore complesso militare-industriale.

     6. Noi vediamo dunque che la solidità di una moneta non dipende tanto da fattori
     economici, come si tenta di farci credere per meglio rimbecillirci, ma dipende
     essenzialmente dalla politica, dalla sovranità reale e non da quella teorica.
     Questa sovranità, come ho già detto all¹inizio di questa esposizione, si
     fonderebbe, se essa esistesse nella testa dell¹Europa, su un sistema per lo meno
     equivalente a quello di ECHELON. Perché ECHELON non serve a guidare i
     missili, come una sorta di super-AWACS, ma serve soprattutto a spiare il settore
     civile. Nell¹indagine che il Parlamento europeo ha recentemente ordinato sulla rete
     di ECHELON, si è potuto constatare decine di casi in cui dei grandi progetti
     tecnologici europei (specialmente presso la Thomson in France o presso un
     centro di ricerche eoliche in Germania) sono stati curiosamente sorpassati dai loro
     concorrenti americani, grazie a ECHELON. L'eliminazione di ditte europee ha
     comportato dei fallimenti, delle perdite occupazionali e dunque un arretramento
     congiunturale. Come può l¹Europa in queste condizioni consolidare la sua
     moneta? Peggio: il vantaggio europeo, questo famoso 72% delle transazioni
     interne alla UE, rischia di essere intaccato se delle ditte americane forniscono
     prodotti di alta tecnologia a prezzo basso (perché esse non ne hanno finanziato la
     ricerca!).

     L'Euro è una buona idea. Ma l'UE non è un¹istituzione politica in grado di
     decidere. Il personale politico che la incarna è istrionico, si rivela incapace di dare
     il giusto ordine alle priorità. In tali condizioni, noi corriamo verso la catastrofe.
 
 
 

     12 dicembre  2001

     Synergies Europèennes
     Ufficio di Bruxelles, 3 febbraio 2002
     Tratto dal sito "SYNERGON ON LINE".

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mercredi, 29 août 2007

Organisation Mondiale du Commerce

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ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE
La supercherie
Elie Sadigh
Avec la collaboration de Rachel Rémond-Sadigh et Jacques Viléo
ECONOMIE


L'OMC régit les relations d'échanges internationaux afin d'éviter les situations de conflit. Elle n'est cependant actuellement en aucune façon au service des nations. Elle prône et fait appliquer des mesures au mépris des règles qui découlent des principes de l'économie et, ce faisant, agit au détriment des pays pauvres, dont les richesses sont pillées, mais également des pays riches, dont les entreprises délocalisent. L'application des mesures prônées par l'OMC n'est favorable qu'aux financiers...

ISBN : 978-2-296-03652-9 • juillet 2007 • 128 pages

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dimanche, 26 août 2007

Adam Müller: la Economia Orgànica

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Adam Müller: la Economía Orgánica con vivencia romántica

[Luis Fernando Torres]

I. Notas biográficas

Adam Müller nació en Berlín en 1779. Estudió Derecho en la Universidad de Göttingen. En su época juvenil era partidario del liberalismo de Adam Smith. En 1805 se trasladó a Viena, donde desarrolló su obra hasta su muerte, en 1829.

Su obra más conocida es Die Elemente der Staatskunst (Berlín, 1809), de la que existe traducción española (1). Las citas que entresacamos en este artículo proceden de ésta edición en castellano. También merece destacar Deutsche Staatsanzeigen (1816-1819).

La ideología de Müller es una mezcla de medievalismo, estatismo y romanticismo: defensa indiscriminada de todos los valores e instituciones de la Edad Media; catolicismo sentimental; culto al Estado de clara raíz pagana, y todo ello expresado en ese estilo exaltado, lleno de imágenes y algo confuso de los románticos.

El Romanticismo significó una reacción contra las concepciones materialistas y racionalistas del hombre y de la vida; destacó lo que el mundo y la existencia tienen de misterioso e incomprensible. Este estado de espíritu, es el que Müller (y también Gentz y Haller) (2) traslada al campo de la economía.

La influencia de Müller ha sido tan intensa como insospechada. Influyó en F. List y sobre la Escuela Histórica; el nacionalismo económico tienen en él un punto de arranque. Su influjo político se ha dejado sentir igualmente, en el tradicionalismo, el nacionalismo y en el fascismo.

II. Adam Müller: clasicismo político, Estado y ciencia

Adam Müller destaca especialmente dentro del panorama delimitado por la llamada Escuela Histórica Alemana de Economía. Si algunos de sus planteamientos pueden considerarse hoy en día anacrónicos, otras de sus intuiciones fueron la impronta epifánica que ayudó a constituir la ciencia económica con el rigor y amplitud interdisciplinar con que la conocemos en la actualidad.

En contraposición con la metodología de la Economía Clásica representada por Adam Smith, Müller sostiene que el hombre actúa por medio de una articulación de índole social donde se realiza la posibilidad de sus anhelos, luego la perspectiva social no puede ser ignorada para comprender a la propia economía, ya que ésta es parte del orden primordial y no mera consecuencia de la búsqueda de la riqueza. Todo orden social sería, entre otras cosas, económico, pero de tal forma que la economía pura sería una mera abstracción (útil tan sólo para un marco de trabajo de aplicación operativa o analítica) que disgregaría aspectos, factores y elementos que de suyo siempre se encuentran agrupados e integrados en un todo orgánico (3). Por ello, el sentido genuino del Derecho, de las costumbres, de la concepción del Estado perman ecerán ignorados si no llegamos a descubrir primero la trabazón y las correlaciones específicas entre todas las creaciones del civilizador de la humanidad, donde la economía es un aspecto más.

Pero el epicentro paradigmático y la clave descifradora de la cultura humana, entendida como tendencia natural y como re-creación artificiosa en su plenitud racional, se encontraría, según A. Müller, en el Estado: "El Estado es la totalidad de los asuntos humanos, su conexión en un todo vivo". Esta realidad superior del Estado no es una hipóstasis absorbente, ni una plenitud transfiguradora al estilo del estatismo hegeliano, sino que todo valor humano está permanentemente presente en la actuación del Estado; el carácter humano procurará no apartarse en ningún punto esencial del carácter civil. El Estado, para ser fecundo, debe ser sentido e interpretado como fenómeno de vida humana, por consiguiente debemos desechar los falaces límites, vanos, generados por las teorías políticas ajenas al pálpito de la vida, porque turban la vista con la voraz p arálisis de las meras abstracciones.

Así, el Estado se convierte en un ente con vida y finalidad propia: "La constitución de un Estado es algo tan grande, vario e insondable, que debe justamente extrañarnos el apresuramiento y la ligereza con que se lleva a cabo su estudio en la actualidad (...). Pero ¿es posible considerar al Estado como una máquina, y sus miembros como un inerte juego de ruedas? ¿O como un edificio, y sus partes constitutivas, tan delicadas y sensibles, como piedras frías que el cincel tiene primero que labrar y la escuadra, luego, que ordenar? Si tratamos de describir la primera sensación que el espectáculo de la sociedad civil nos produce, tendremos que recurrir forzosamente a los dominios del arte" (4)

Para Müller, debemos sobrepasar estos límites del acumulado escombro utópico antes de mostrar los límites verdaderos: "Aquellos que, lejos de impedir el movimiento del Estado, lo estimulan". Paradójicamente, la utopía política cercenaría posibilidades magníficas de progreso, abortándolas, e indicaría horizontes de ilusión colectiva que serían un puro escenario de representación donde la mueca y la máscara sustituirían al gesto y al rostro de lo que cristaliza en la realidad reflejando el sol fecundo y no bañándose en las brumas del sueño de la noche (utopismo que puede ser presuntuoso racionalismo conceptualista en sus formas de Liberalismo o Socialismo). Un Estado verdadero es consciente de sus auténticos límites, que guían al político práctico y al legislador "en cuanto tienen que resolver el asun to más nimio o decidir el caso jurídico más insignificante". Cuando la teorización, desvertebrada, no se ancla en los hechos, en las vivencias y en las experiencias, necesariamente considerará los límites del Estado erróneamente, distorsionándolos y dándoles una consistencia fija; arrebatándoles la vida y el crecimiento y, por consiguiente, perturbando la acción del político.

La Ciencia Política alcanza su conciencia máxima en el Estado, y éste en aquella: "Ciencia y Estado serán lo que tienen que ser cuando formen una unidad, como el alma y el cuerpo, que son una cosa en la misma vida, y sólo el concepto es quien los disgrega mortalmente" (5).

Y no sólo la Ciencia Política, sino todas las ramas del vigoroso árbol del saber deben entroncarse con el impulso de la savia vivificante que emana de la experiencia de la vida social. Patria y Estado son sentimientos y razonamientos grávidos de conocimiento y de saber integrados: "Esto es lo que hizo grande la ciencia de los antiguos, y tan menguada, tan confusa, tan muerta la de los alemanes de hoy".

A. Müller afirmará que las manifestaciones aurorales de las ciencias naturales en Francia y Alemania habían tenido, con Lavoisier y Schelling, un impulso especial debido precisamente a que supieron sintonizar selectivamente con lo mejor del espíritu conformador de sus pueblos. Müller, adelantándose prodigiosamente a la sociobiología de E. O. Wilson, afirmará que es la "historia natural del Estado" la que nos puede ofrecer otras perspectivas esclarecedoras que fecunden y abonen otros campos de estudio propios de las ciencias naturales. De esta forma, la ciencia se hubiese mantenido muy cerca "del corazón y de los hombres aún en sus especulaciones más profundas, y hubiese conservado su equilibrio y su vivacidad".

III. El organicismo económico

El pensador alemán considerará que el concepto de dinero de Adam Smith representa un gran paso frente a las ideas predominantes en torno al mismo en su época. Pero, por otra parte, el sistema del economista británico no podrá eludir la maldición que pesa sobre todos los sistemas de su época. Müller reprochará a Smith su tratamiento del factor trabajo como un concepto y no como una idea, con lo cual se perdía, con graves consecuencias, la flexibilidad y la necesaria capilaridad entre la vida real y los esquemas del pensamiento. Según el organicismo de Müller, la economía clásica británica debió ampliar el contenido de su visión del trabajo: "Hasta que toda la vida nacional le hubiera aparecido como un único gran trabajo". El trabajo individual estaría por lo tanto en permanente relación con el "Trabajo Nacional", y cada uno sería causa recíproca del otro. El planteamiento de economía orgánica que hace Müller implica un Estado orgánico que constituye y encauza la fuerza social que necesariamente se expresa en círculos concéntricos bien trabados por su propio impulso natural. Por ello, Müller somete a crítica y eleva a rango de ideas lo que eran meros conceptos esclerotizados en la tradición económica inglesa, tales como: riqueza, dinero, trabajo, producción,...

El "sentido reverencial del dinero" de nuestro Ramiro de Maeztu parece tener uno de sus máximos precedentes en el pensamiento de Müller, que ve en el "contrabalanceo" entre el dinero y la letra de cambio, el papel moneda, el valor y el crédito; entre el dinero efectivo y el simbólico, junto con las consecuencias comerciales redistributivas y ampliadoras de la eficacia económica que traen consigo, un hermanamiento entre los hechos económicos reales y los hechos espirituales ideales. En el dinero confluirían el interés individual con las necesidades del todo nacional. El dinero, paradójicamente, humanizaría la vida colectiva frente a las tesis rousseaunianas de corrupción de la sociedad, y al mismo Estado, ya que al ser el dinero símbolo "verdadero y vivo", posibilitaría la más precisa expresión de las conexiones ideales de todos los principios, qu e es uno de los significados, según este economista romántico, de la idea misma de Dios (6).

La teoría organicista de la economía de Müller critica tanto la hipótesis de la teoría mercantilista acerca de lo productivo, como los planteamientos de las escuelas fisiócratas o Smithiana, ya que todos estos "sistemas conceptualistas" padecen el grave estigma de considerar la economía como un mero proceso mecanicista. La identificación que Smith hace entre productividad real-material y productividad económica, le parecerá a Müller un error que malograría el desarrollo de posteriores razonamientos en el avance del conocimiento científico. Este reproche se explicitará así: "Las necesidades espirituales, aunque intervienen directa, viva e ineludiblemente en la producción que él (Smith) trata de abarcar, queda al margen de la economía, y el importante comercio espiritual queda fuera de la teoría de la riqueza de las naciones".

La Ciencia Económica no podría, para el organicismo romántico alemán, basarse en la mera producción de cosas, sobre el simple valor de cambio. Es preciso descubrir la energía espiritual del hombre, que en el orden cívico y en la libre iniciativa articula la posibilidad óptima convertida en realidad, donde lo social y lo personal apaciguan su distancia a la par que se autoafirman en esa interrelación. Vuelta a la savia primigenia (espíritu de unidad no homogeneizadora) y decidida reacción diversificadora, donde la propia libertad se expande en sus ramajes fecundos dando sombra a todo el cuerpo social, que es su propia base y su propio sustento.

El valor económico no se podrá fundamentar exclusivamente en el mercado, ya que la utilidad privada y social, en ocasiones, transciende al mecanismo del mercado, aunque sea un magnífico procedimiento de asignación de recursos y servicios.

Un capítulo de especial interés en la obra de Müller es el que hace referencia a sus ideas en torno al "capital espiritual", donde la concepción clásica de riqueza se ve desbordada por su tesis en torno a los "bienes inmateriales recibidos del pasado": las tradiciones de la sociedad, la realidad nacional, el lenguaje, el carácter del pueblo y diferentes aspectos no materiales de la cultura.

Riqueza, por cierto, hoy en día, en grave peligro de liquidación y decadencia, declinación penosa en nuestra España, esperemos que episódica y momentánea debilitación de nuestra conciencia nacional, porque, como decía E. D’Ors: "España no puede morir". Pero si no concebimos que nuestra riqueza económica está en nuestro ser nacional y que incluye y presupone nuestra lengua, nuestro afán colectivo de mejora y nuestra cultura, hoy más que nunca necesitados de defensa, no podremos potenciar nuestra riqueza, porque nos resultará ya ajena e impersonal. Y esa riqueza volatilizada es la que alimenta al sistema mundialista, desangrando a los pueblos y a las naciones.

Notas

1. MÜLLER, ADAM, Elementos de política, Ed. Baxa, Madrid, 1935

2. Para un estudio más extenso se puede consultar SPANN, OTHMAR: Die Hauptheorien der Volkwirtschaftslehre (Heidelberg, 1949; existe versión española: Historia de las doctrinas económicas, Madrid, 1934), capítulo VIII sobre Adam Müller.

3. Planteamiento también defendido por los resultados de la Nueva Ciencia Económica, fruto de la aplicación de métodos interdisciplinares. Tal es el caso de las conclusiones de Gary S. Becker, premio Nobel de Economía en 1992. Las ideas de Becker están expuestas, entre otros textos, en: BECKER, GARY S., The economic approach to human behaviour, University of Chicago Press, Chicago, 1976.

4. MÜLLER, A.: Elementos de política, Madrid, 1935, pp. 5 y 6.

5. La incomprensión de la naturaleza del Estado es, según Müller, uno de los grandes defectos de Adam Smith: "El famoso libro de Adam Smith..., su doctrina de la libertad de comercio y de la industria no tienen bastante en cuenta la personalidad cerrada de los Estados, su carácter distinto y su ineludible actitud bélica entre sí" (op. cit. pág. 15). Por ello, Müller se opone al librecambio; defiende la protección de la industria nacional e incluso la prohibición de cierto comercio exterior, cuando tales medidas sirvan para dar carácter nacional a la riqueza de su pueblo.

6. Por otro lado, Müller combate la vigencia única del derecho romano de propiedad, según el cual las cosas pertenecen a una persona de manera absoluta y están completamente a su servicio. Hace el elogio de las vinculaciones familiares y de los bienes colectivos. Al lado de la propiedad privada, de tipo romano, debería existir la propiedad corporativa y la familiar.

[Hespérides, primavera 1995, pp. 123-130]

dimanche, 12 août 2007

Une économie qui affaiblit

Une économie qui appauvrit:

Horst Afheldt est irénologue (c’est-à-dire une personne qui étudie les conditions pour que règne la paix au sein d’une aire civilisationnelle), écologue et économiste, attaché à l’Institut Max Planck de Munich. Les Français se rappelleront sans doute d’un ouvrage important de sa plume, paru aux éditions La Découverte, qui esquissait les conditons nécessaires pour établir une zone  de paix entre les deux blocs, dans la foulée du bellicisme reaganien et de l’installation de fusées otanesques pointées sur le territoire de la RDA et de la Tchécoslovaquie. Les Allemands se souviendront encore davantage de ses nombreux textes bien étayés, visant à dégager leur pays de la politique mortelle que lui imposaient les Etats-Unis et l’OTAN. Horst Afheldt (°1924), bientôt octogénaire, reste très actif. Son dernier ouvrage est une critique aussi serrée que raisonnée du néo-libéralisme ambiant, introduit en Europe en même temps que la logique bellogène des Reagan avant-hier, des Clinton hier (les démocrates ne sont pas moins va-t’en-guerre que les républicains), des Bush aujourd’hui. L’économie, comme son nom et son étymologie grecs l’indiquent, sert à normer l’oikos, l’habitat premier de l’homme et de sa famille, à générer des richesses assurant la survie d’une communauté clairement circonscrite à la Cité grecque ou à l’Etat social de keynésienne mémoire. L’économie vise la distribution juste et équitable des richesses produites par la communauté, la Polis ou l’Etat-Nation. Elle n’a pas d’autres raisons d’être. Si elle faillit à cette mission, qui est la sienne et est son propre, elle constitue forcément une aberration. Le néo-libéralisme, introduit dans les institutions productrices d’idéologies et de praxis politiques depuis les avènements de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux Etats-Unis, inverse la logique traditionnelle de l’économie, ou retourne au manchestérisme le plus pur, dans la mesure où elle réduit les salaires et augmente la production. En bout de course, nous assistons à l’émergence, non pas de chômeurs démunis parce qu’ils sont victimes d’accidents conjoncturels, mais de travailleurs à temps plein, dont l’emploi est stable depuis de longues années, qui n’arrivent pas à nouer les deux bouts. Une théorie “économique” qui génère de telles incongruïtés ne relève pas de l’économie économique, comme le disait Julien Freund. En éclatant la société de la sorte, la fausse économie en place devient “in-économique”, conclut Afheldt. L’économie est indissociable de la notion grecque de “nomos”, d’ordonnancement équitable et raisonnable. L’hybris accumulateur, déséquilibrant, est un facteur de liquéfaction, de déliquescence, de la chose publique, équilibre entre politique et économique.

[Références : Horst AFHELDT, Wirtschaft die arm macht. Von Sozialstaat zur gespaltenen Gesellschaft, Verlag Antje Kunstmann, München, 256 p., 19,90 Euro. http://www.kunstmann.de ].

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dimanche, 22 juillet 2007

Racines du néo-libéralisme

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Chrisitan LAVAL:

L'homme économique - Essai sur les racines du néo-libéralisme

Présentation de l'éditeur
Le néolibéralisme entend triompher partout dans le monde comme la norme unique d'existence des êtres et des biens.
Il n'est pourtant que la pointe émergée d'une conception anthropologique globale qu'au fil des siècles l'Occident a élaborée. Celle-ci pose que l'univers social est régi par la préférence que chacun s'accorde à lui-même, par l'intérêt qui l'anime à entretenir les relations avec autrui, voire l'utilité qu'il représente pour tous. La définition de l'homme comme "machine à calculer" s'étend bien au-delà de la sphère étroite de l'économie, elle fonde une conception complète, cohérente, de l'homme intéressé, ambitionnant même un temps de régir jusqu'aux formes correctes de la pensée, à l'expression juste du langage, à l'épanouissement droit des corps.
Cette anthropologie utilitariste, fondement spécifique de la morale et de la politique en Occident, fait retour avec le néolibéralisme contemporain sous des formes nouvelles.
En retraçant, dans un vaste tableau d'histoire et de philosophie, les racines du néolibéralisme, Christian Laval donne à voir la forme, le contenu, la nature de la normativité occidentale moderne telle qu'elle s'affirme aujourd'hui dans sa prétention à être la seule vérité sociale, à se poser en seule réalité possible.


Biographie de l'auteur
Christian Laval est chercheur en histoire de la philosophie et de la sociologie à l'université Paris X Nanterre.

Détails sur le produit
  • Broché: 396 pages
  • Editeur : Editions Gallimard (5 avril 2007)
  • Collection : Nrf essais
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2070783715
  • ISBN-13: 978-2070783717

04:50 Publié dans Définitions, Economie, Livre, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 17 juillet 2007

Wolfowitz: Return to Sender?

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Wolfowitz: Return to Sender?

by Bill Berkowitz

http://www.antiwar.com/ips/berkowitz.php?articleid=11268...

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samedi, 30 juin 2007

R. Steuckers: Discours sur l'euro

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Robert Steuckers

«L'Euro ne sera une véritable monnaie que si l'Europe est forte et souveraine!»

     Chers amis,

     A moins de trois semaines de l'introduction officielle de l'Euro dans l'UE, à l'exception du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède, je voudrais rappeler trois faisceaux de faits, qui doivent encadrer toute pensée sur la nouvelle monnaie unique, que cette pensée lui soit hostile ou favorable. Je ne suis pas un

économiste et Monsieur Chalumeau, ici présent, vous présentera le volet économique de l'introduction de l'Euro avec beaucoup plus de brio que moi. Mon propos sera donc de donner quelques idées cadres et de rappeler quelques faits historiques. 

1. D'abord, l'Euro n'est pas la première monnaie à vocation européenne ou internationale. L'Union latine, de la fin du 19ième siècle à 1918, a introduit une monnaie supranationale partagée par la France, la Belgique, la Suisse, la Grèce, plus tard l'Espagne et le Portugal, suivis de la Russie et de certains pays d'Amérique latine. La première guerre mondiale, ayant créé des disparités énormes, a mis fin à ce projet d'unification monétaire, dont le moteur était la France avec son franc-or. L'Euro, dans cette perspective, n'est donc pas une nouveauté.  
2. Sur base du souvenir de l'Union latine et sur base des volontés, à l'époque antagonistes, de créer l'Europe économique autour de la nouvelle puissance industrielle allemande, l'idée de créer une monnaie pour le continent européen tout entier n'est pas a priori une mauvaise idée, bien au contraire. Le principe est bon et pourrait favoriser les transactions à l'intérieur de l'aire civilisationnelle européenne. Mais si le principe est bon, la réalité politique actuelle rend l'Europe inapte, pour l'instant, à garantir la solidité d'une telle monnaie, contrairement à l'époque de l'Union latine, où la position militaire des nations européennes demeurait prépondérante dans le mon-de.  
3. L'Europe est incapable de garantir la monnaie qu'elle se donne aujourd'hui parce qu'elle subit un terrible déficit de souveraineté. Dans son ensemble, l'Europe est un géant économique et un nain politique: on a répété cette com-paraison à satiété et à juste titre. Quant aux Etats nationaux, même les deux principaux Etats du sous-continent européen, membres de l'UE, la France et l'Allemagne, ne peuvent prétendre à l'exercice d'une souveraineté capable de résister voire de battre la seule puissance véritablement souveraine du monde unipolaire ac-tuel, c'est-à-dire les Etats-Unis d'Amérique. Les dimensions territoriales somme toute réduites de ces pays, le nom-bre restreint de leur population ne permettent pas la levée d'impôts suffisants pour se doter des éléments techniques qui seraient en mesure d'asseoir une telle souveraineté. Car aujourd'hui, comme hier, est souverain qui peut décider de l'état d'urgence et de la guerre, comme nous l'enseignait Carl Schmitt. Mais pour être souverain, il a toujours fallu disposer de moyens techniques et militaires supérieurs (ou au moins égaux) à ses adversaires potentiels. A l'heure actuelle, ces moyens sont un système de surveillance électronique planétaire, com-me le réseau ECHELON, né des accords UKUSA (Royaume-Uni et Etats-Unis), qui englobent aussi le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, anciens dominions britanniques. La maîtrise de l'espace circumterrestre par les puissances navales anglo-saxonnes découle d'une stratégie longuement éprouvée: celle qui vise à maîtriser les "res nullius" (les "territoires" qui n'appartiennent, et ne peuvent appartenir, à personne, parce qu'ils ne sont pas telluriques mais marins ou spatiaux). 

     La première "res nullius" maîtrisée par l'Empire britannique a été la mer, d'où ont été impitoyablement éliminés les Français, les Russes, les Allemands et les Japonais. Sous l'impulsion idéologique de l'Amiral Mahan et de la "Navy League" américaine, les Etats-Unis ont pris le relais En 1922, le Traité de Washington consacre la suprématie navale anglo-saxonne et japonaise (le Japon ne sera éliminé qu'en 1945), réduisant à néant la flotte allemande construite par Tirpitz et à la portion congrue les flottes française et italienne. La France subit là une gifle particulièrement humiliante et scandaleuse, dans la mesure où elle avait sacrifié 1,5 million de soldats dans une guerre atroce dont les deux puissances navales anglo-saxonnes allaient tirer tous les bénéfices, avec des sacrifices proportionnellement moindres. La domination des mers, première res nullius, entraînera la maîtrise d'un autre espace englobant, dont la maîtrise permet d'étouffer les continents, selon la "stratégie de l'anaconda" (Karl Haushofer). Cet autre espace englobant, également res nullius, est l'espace circumterrestre, conquis par la NASA et désormais truffé de satellites de télécommunications et d'observation, qui donnent aux puissances qui les alignent et les pilotent une supériorité en matière de renseignement et de guidage des tirs balistiques. Les puissances qui ne sont ni marines ni spatiales sont alors littéralement étouffées et broyées par l'anaconda naval et l'anaconda satellitaire. Français et Allemands ont toujours eu du mal à comprendre l'utilité des "res nullius" maritime et circumterrestre, malgré les avertissements d'un Ratzel, d'un Tirpitz ou d'un Castex. Les peuples rivés à la terre, soucieux de vivre selon les règles d'un droit bien solide et précis, évitant toute ambiguïté, admettent difficilement qu'un espace, même impalpable comme l'eau ou l'éther atmosphérique ou stratosphérique, n'appartient à personne. Cette qualité paysanne, ce souci du tangible qui est foncièrement honnête, hérités de Rome, s'avèrent tares devant une approche contraire qui, elle, privilégie la mobilité incessante, la conquête de lignes de communication invisibles et non quantifiables par un géomètre ou un arpenteur. 

     Voilà donc les trois faisceaux de considérations que je voudrais que vous reteniez tous après cette soirée.

     Espace circumterrestre et souveraineté militaire réelle

     Avant de conclure, je me permettrais de vous faire part de quelques autres considérations, cette fois d'ordre historique et monétaire. L'Euro nous a été présenté comme la monnaie qui concurrencera le dollar et éventuellement l'éclipsera. Face à ce jeu de concurrence, l'Euro part perdant, car le dollar américain, lui, dispose d'une couverture militaire évidente, comme l'ont prouvé les trois derniers conflits du Golfe, des Balkans et de l'Afghanistan. L'incontestable souveraineté militaire américaine se voit consolidée par un appareil diplomatique bien rodé où l'on ne tergiverse et ne discute pas inutilement et où l'on dispose d'un savoir historique bien charpenté, d'une mémoire vive du temps et de l'espace, contrairement à l'anarchie conceptuelle qui règne dans tous les pays d'Europe, victimes d'histrions politiques écervelés, dans la mesure où ils ne se sentent plus du tout responsables d'une continuité historique, qu'elle soit nationale-étatique ou continentale; cette irresponsabilité débouche sur toutes les fantaisies budgétaires, toutes les capitulations, toutes les démissions. Attitudes qui interdisent l'éclosion d'une souveraineté, donc aussi le droit régalien de battre monnaie. La conquête par l'Amérique de l'espace circumterrestre donne un avantage énorme dans la course aux renseignements, comme nous allons le voir tout à l'heure. Or, depuis le Chinois de l'antiquité, Sun Tzu, n'importe quel débutant en études stratégiques, donc en études politiques, sait que la puissance provient de l'abondance et de la précision du renseignement: 1) Sun Tzu: "Si tu connais l'ennemi et si tu te connais toi-même, tu ne connaîtras aucun danger dans cent batailles". 2) Machiavel: "Quelles sont les ressources physiques et psychiques que je contrôle, quelles sont celles que contrôle mon concurrent?". 3) Helmuth von Moltke: "Rassembler de manière continue et exploiter toutes les informations disponibles sur tous les adversaires potentiels". 4) Liddell-Hart: "Observer et vérifier de manière durable, pour savoir où, comment et quand je pourrai déséquilibrer mon adversaire".  Depuis 2500 ans, la pensée stratégique est unanime; les officines stratégiques britanniques et américaines en appliquent les axiomes; le personnel politique européen, histrionique, n'en tient pas compte. Donc l'Euro restera faible, fragile devant un dollar, peut-être économiquement plus faible dans l'absolu ou en pure théorie économique, mais couvert par une armée et un système de renseignement redoutablement efficace.

     Le seul atout de l'Euro est la quantité des échanges intérieurs de l'UE: 72%. Magnifique performance économique, mais qui nie les principes d'autarcie ou d'autosuffisance, opte donc pour un type d'économie "pénétrée" (Grjébine) et ne protège pas le marché par des instruments étatiques ou impériaux efficaces. De telles inconséquences conduisent à l'échec, au déclin et à l'effondrement d'une civilisation. 

     Autre aspect de l'histoire monétaire du dollar: contrairement aux pays européens, dont les espaces sont réduits et densément peuplés, et exigent donc une organisation rationnelle stricte impliquant une dose plus forte d'Etat, le territoire américain, encore largement vierge au 19ième siècle, constituait à lui seul, par sa simple présence, un capital foncier non négligeable, potentiellement colossal. Ces terres étaient à défricher et à organiser: elles formaient donc un capital potentiel et constituaient un appel naturel à des investissements destinés à devenir rentables dans tous les cas de figure. De surcroît, avec l'afflux d'immigrants et de nouvelles forces de travail, les exportations américaines en tabac, coton et céréales ne cessaient de croître et de consolider la monnaie. Le monde du 19ième siècle n'était pas clos, comme celui du 20ième et a fortiori du 21ième, et autorisait tout naturellement des croissances exponentielles continues, sans gros risques de ressacs. Aujourd'hui, le monde clos n'autorise pas autant d'espoir, même si les produits européens d'aujourd'hui sont parfaitement vendables sur tous les marchés du globe. Le patrimoine industriel européen et la production qui en découle sont indubitablement les atouts majeurs de l'Euro, mais, contrairement aux Etats-Unis, l'Europe souffre d'une absen-ce d'autarcie alimentaire (seules la France, la Suède et la Hongrie bénéficient d'une autarcie alimentaire relative). Elle est donc extrêmement fragilisée à ce niveau, d'autant plus que son ancien "poumon céréalier" ukrainien a été ruiné par la gestion désastreuse du communisme soviétique. Les Américains sont très conscients de cet-te faiblesse et l'ancien ministre Eagleburger constatait avec la satisfaction du puissant que "les denrées alimentaires étaient la meilleure arme dans l'arsenal américain". 

     Les deux escroqueries qui ont "fait" le dollar

     Le dollar, appuyé sur des réserves d'or provenant partiellement de la ruée de 1848 vers les filons de la Californie ou de l'Alaska, s'est consolidé également par une escroquerie retentissante, qu'il n'était possible de commettre que dans un monde où subsistaient des clôtures. Cette escroquerie a eu le Japon pour victime. Vers la moitié du 19ième siècle, désirant augmenter leurs réserves d'or pour avoir une couverture suffisante pour entamer le processus de rentabilisation du territoire américain, depuis le Middle West jusqu'à la Californie, fraîchement conquise sur le Mexique, les Etats-Unis s'aperçoivent que le Japon, isolé volontairement du reste du monde, pratique un taux de conversion des métaux précieux différent du reste du monde: au Japon, en effet, on échange un lingot d'or pour trois lingots d'argent, alors que partout ailleurs la règle voulait que l'on échangeât un lingot d'or pour quinze lingots d'argent. Les Américains achètent la réserve d'or du Japon en la payant au mode d'échange japonais, c'est-à-dire au cinquième de sa valeur! L'Europe n'aura pas la possibilité de commettre une telle escroquerie, pour consolider l'Euro. Deuxième escroquerie: la rentabilisation de l'Ouest passe par la création d'un colossal réseau de chemins de fer, dont les fameux transcontinentaux. Faute d'assez d'investisseurs américains, on fait appel à des investisseurs européens, en leur promettant des dividendes extraordinaires. Une fois les voies et les ouvrages d'art installés, les sociétés de chemin de fer se déclarent en faillite, ne remboursant dès lors ni dividendes ni capitaux. La liaison Est-Ouest par voies ferrées n'a rien coûté à l'Amérique; elle a ruiné des Européens naïfs et fait la fortune de ceux qui allaient immédiatement les utiliser.  

     Les Etats-Unis ont toujours visé le contrôle de la principale source énergétique, le pétrole, notamment en concluant très tôt des accords avec l'Arabie Saoudite. La guerre qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan n'est ja-mais que le dernier volet d'une guerre qui dure depuis très longtemps et qui a pour objet l'or noir. Je ne m'é-ten-drai pas sur les vicissitudes de ce vieux conflit, mais je me bornerai à rappeler que les Etats-Unis possèdent sur leur propre territoire suffisamment de réserves pétrolières et que le contrôle de l'Arabie Saoudite ne sert qu'à empêcher les autres puissances d'exploiter ces gisements d'hydrocarbures. Les Etats européens et le Japon ne peuvent quasiment acquérir de pétrole que par l'intermédiaire de sociétés américaines, américano-saoudiennes ou saoudiennes. Cet état de choses indique ou devrait indiquer la nécessité absolue de posséder une autonomie énergétique, comme le voulait De Gaulle, qui pariait certes sur le nucléaire (à l'instar de Guillaume Faye), mais pas exclusivement; les projets gaulliens en matière énergétique visaient l'autarcie maximale de la nation et prévoyaient la diversification des sources d'énergie, en pariant aussi sur les éoliennes, les usines marémotrices, les panneaux solaires, les barrages hydro-électriques, etc. Si de tels projets étaient à nouveau élaborés en Europe à grande échelle, ils consolideraient l'Euro, qui, ipso facto, ne serait pas fragilisé par des coûts énergétiques trop élevés. 

     Autre atout qui favorise le dollar: l'existence du complexe militaro-industriel. Immédiatement avant la guerre de 1914, les Etats-Unis étaient débiteurs face aux Etats européens. Ils ont fourni des quantités de matériaux di-vers, d'aliments en conserve, de camions, de coton, de munitions aux alliés occidentaux, que ceux-ci ont livré leurs réserves et sont passés du statut de créanciers à celui de débiteurs. L'industrie de guerre américaine était née. Elle démontrera sa redoutable efficacité de 1940 à 1945 en armant non seulement ses propres troupes, mais aussi celles de l'Empire britannique, de l'armée levée par De Gaulle en Afrique du Nord et de l'armée soviétique. Les guerres de Corée et du Vietnam ont été de nouvelles "injections de conjoncture" dans les années 50, 60 et 70. L'OTAN, si elle n'a pas servi à barrer la route à l'hypothétique envahisseur soviétique, a au moins ser-vi à vendre du matériel aux Etats européens vassaux, à la Turquie, à l'Iran et au Pakistan. L'industrie de guerre européenne, sans doute capable de fabriquer du matériel plus performant en théorie, manque de coordination et bon nombre de tentatives amorcées pour coordonner les efforts européens sont purement et simplement torpillées: je rappelle que le "pool" européen de l'hélicoptère, qui devait unir MBB (Allemagne), Das-sault et Westland (Royaume-Uni) a été saboté par Lord Brittan. 

     En 1944, la situation est tellement favorable aux Etats-Unis, grands vainqueurs du conflit, qu'un taux fixe d'échange entre le dollar et l'or est établi: 35 $ pour un once d'or. Nixon mettra fin à cette parité en 1971, provo-quant la fluctuation du dollar, qui, entre lui et Reagan, va varier entre 28 FB et 70 FB (4,80 FF et 11,5 FF au taux actuel). Mais ces fluctuations, que d'aucuns feignaient de percevoir comme des calamités, ont toujours ser-vi la politique américaine, ont toujours créé des situations favorables: le dollar bas facilitait les exportations et le dollar élevé permettait parfois de doubler le prix des factures libellées en dollars et d'engranger ainsi des capitaux sans coup férir. On peut douter que l'Euro soit en mesure un jour de se livrer aux mêmes pratiques. 

     Revenons à l'actualité: en 1999, au début de l'année, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour l'Euro. L'inflation diminuait dans les Etats membres de l'Union. Les déficits budgétaires nationaux se résorbaient. La conjoncture était bonne. Les Etats d'Asie, notamment les NPI, annonçaient qu'ils se serviraient de l'Euro. Avec le déclenchement de la guerre des Balkans, l'Euro passera du taux de change de 1 Euro pour 1,18 $, le 4 janvier 1999, à 1 Euro pour 1,05 $ à la fin avril, en pleine guerre dans le ciel serbe, et à 1 Euro pour 1,04 $ en juin, au moment où cessent les bombardements en Yougoslavie. En tout et pour tout, l'Euro aura perdu 11% de sa valeur (18% disent les plus pessimistes), à cause de l'opération contre Milosevic, démonisé par les bons soins de CNN. 

     La guerre du Kosovo a dangereusement fragilisé l'Euro

     Après la guerre du Kosovo, l'Euro, fragilisé, acquiert la réputation d'être une monnaie de perdants. L'Europe devient un théâtre de guerre, ce qui diminue la confiance en ses institutions, notamment en Asie. L'arrêt des bombardements ne signifiant pas la fin des hostilités dans les Balkans, on verra une UE impuissante à maintenir l'ordre dans sa propre aire géopolitique. L'économiste allemand Paul J. J. Welfens énonce six raisons concrètes pour expliquer la dévaluation de l'Euro:
   1. Il n'y aura plus de démarrage dans le Sud-Est du continent avant longtemps. L'espace balkanique, ajouterais-je, est un "espace de développement complémentaire" (Ergänzungsraum) pour l'Europe occidentale et centrale, com-me c'était d'ailleurs déjà le cas avant 1914. Une des raisons majeures de la première guerre mondiale a été d'em-pêcher le développement de cette région, afin que la puissance allemande, et subsidiairement la puis-san-ce russe, ne puisse avoir de "fenêtre" sur la Méditerranée orientale, où se trouve le Canal de Suez, dont les Français avaient été évincés en 1882. En 1934, quand Goering, sans tenir compte du désintérêt de Hitler, par-vient à créer un modus vivendi par ses accords avec les dirigeants hongrois et roumains, et surtout par son en-ten-te avec le brillant économiste et ministre serbe Stojadinovic, les services américains évoquent la création de facto (et non de jure) d'un "German Informal Empire" dans le Sud-Est européen, ce qui constitue un "casus belli". En 1944, Churchill parvient à morceler les Balkans en gardant la Grèce, en "neutralisant" la Yougoslavie au bénéfice de l'Occident et en laissant tous les pays sans façade méditerranéenne à Staline et aux Soviétiques, qui furent ainsi totalement roulés dans la farine en dépit du rôle de "grands méchants" qu'on leur donnait. La fin du Rideau de fer aurait pu permettre, à terme, de refaire des Balkans cet "espace de développement complémentaire" dans l'aire européenne. Fidèles à leur volonté de toujours balkaniser les Balkans pour qu'ils ne deviennent jamais l'appendice de l'Allemagne ou de la Russie, les Américains ont réussi à geler tout développement potentiel dans la région pour de nombreuses décennies. L'Europe ne bénéficiera donc pas de l'espace de développement sud-oriental. Par conséquent, cet état de choses ralentira la conjoncture et les premières victimes de la paralysie des activités dans les Balkans sont l'Allemagne (comme par hasardЉ), l'Italie, l'Autriche (qui avait triplé ses exportations depuis 1989) et la Finlande. L'Euro en pâtira. 

     2. Les "dégâts collatéraux" de la guerre aérienne ont provoqué des flots de réfugiés en Europe, ce qui coûtera 40 milliards d'Euro à l'UE. 

     3. L'Europe sera contrainte de développer un "Plan Marshall" pour les Balkans, qui représentera, une demie année du budget de l'UE!

     4. Les migrations intérieures, provoquées par cette guerre et par le pourrissement de la situation, notamment en Macédoine et dans une Serbie privée de bon nombre de ses atouts industriels, vont poser problème sur le marché du travail et augmenter le taux de chômage dans l'UE, alors que, justement, ce taux de chômage élevé con-stitue l'inconvénient majeur de l'économie de l'UE.

     5. La guerre permanente dans les Balkans mobilise les esprits, rappelle Welfens, qui ne songent plus à mettre au point les projets de réformes structurelles nécessaires dans l'ensemble du continent (réformes structurelles qui voient par ailleurs leurs budgets potentiels considérablement rognés). 

     6. La guerre en Europe va entraîner une nouvelle course aux armements, qui va bénéficier aux Etats-Unis, déten-teurs du meilleur complexe militaro-industriel. 

     Nous voyons donc que la solidité d'une monnaie ne dépend pas tant de facteurs économiques, comme on tente de nous le faire accroire pour mieux nous ahurir, mais dépend essentiellement du politique, de la souveraineté réelle et non de la souveraineté théorique. 

     Cette souveraineté, comme je l'ai déjà dit au début de cet exposé, reposerait, si elle existait dans le chef de l'Europe, sur un système au moins équivalent à celui d'ECHELON. Car ECHELON ne sert pas à guider les missiles, comme une sorte de super-AWACS, mais sert surtout à espionner les secteurs civils. Dans l'enquête que le Parlement Européen a ordonné récemment sur le réseau ECHELON, on a pu repérer des dizaines de cas où de grands projets technologiques européens (notamment chez Thomson en France ou chez un concepteur d'éoliennes en Allemagne) ont été curieusement dépassés par leurs concurrents américains, grâce à ECHELON. L'élimination des firmes européennes a entraîné des faillites, des pertes d'emploi et donc un recul de la conjoncture. Comment l'Europe peut-elle, dans de telles conditions, consolider sa monnaie? Pire: l'atout européen majeur, ces fameux 72% de transactions internes à l'Union, risque d'être écorné si des firmes américaines fournissent des produits de haute technologie à vil prix (puisqu'elles n'en ont pas financé la recherche!). 

     L'Euro est une bonne idée. Mais l'UE n'est pas une instance politique décisionnaire. Le personnel politique qui l'incarne est histrionique, s'avère incapable de hiérarchiser les priorités. Dans de telles conditions, nous courrons à la catastrophe.
 

     12 décembre 2001 

 

ENGLISH SUMMARY
 

«The euro will  be a real currency only in a strong and sovereign Europe!» 


Address by Robert Steuckers to the Euro colloqium in Paris-Saint-Germain, December 13 2001, and to a meeting of “European Renaissance”, Brussels, December 20 2001  
 

In the present situation Europe is unable to guarantee its new currency. There is a terrible deficit of sovereignty. Europe is an economic giant but a political dwarf.
Sovereignty means owning technical and military means comparable to the ones of the potential enemy. But today the aerial and sea spaces are mastered by the US.
The only strong point of the euro is the high level of intra-European trade; but it is counterbalanced by a contradictory policy denying protection to the European market.
Europe cannot count upon the extraordinary conditions that favoured the rise of the dollar to world supremacy: the iniquous acquisition of Japanese gold, the exploitation of European investment in US railways, the control on energy sources, the existence of the military-industrial complex, and finally the unique situation that existed after World War II..
Besides, the euro has undergone a true sabotage due to the economic and political consequences of the Kosovo war.
To sum up, the strength of any currency lies not so much on economic factors, as on the essentially political factor of true sovereignty. As long as this element is missing, Europe is running towards catastrophe.

(M.C.)

06:05 Publié dans Affaires européennes, Economie, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 24 juin 2007

Participation et ergonisme

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Participation gaullienne et "ergonisme": deux corpus d'idées pour la société de demain

Robert Steuckers

Beaucoup de livres, d'essais et d'articles ont été écrits sur l'idée de participation dans le gaullisme des années 60. Mais de toute cette masse de textes, bien peu de choses sont passées dans l'esprit public, dans les mentalités. En France, une parcelle de l'intelligentsia fit preuve d'innovation dans le domaine des projets sociaux quand le monde industrialisé tout entier se contentait de reproduire les vieilles formules libérales ou keynésiennes. Mais l'opinion publique française n'a pas retenu leur message ou n'a pas voulu le faire fructifier.

On ne parle plus, dans les salons parisiens, de la participation suggérée par De Gaulle, ni de l'idée séduisante d'"intéressement" des travailleurs aux bénéfices des entreprises, ni des projets "pancapitalistes" d'un Marcel Loichot ou d'un René Capitant. Lors des commémorations à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Charles De Gaulle, ces projets, pourtant très intéressants et, aujourd'hui encore, riches de possibles multiples, n'ont guère été évoqués. Couve de Murville, sur le petit écran, a simplement rappelé la diplomatie de "troisième voie" amorcée par De Gaulle en Amérique latine, au Québec et à Phnom Penh (1966). Si la "troisième voie" en politique extérieure suscite encore de l'intérêt, en revanche, la "troisième voie" envisagée pour la politique intérieure est bel et bien oubliée.

Outre les textes de René Capitant ou l'étude de M. Desvignes sur la participation (1), il nous semble opportun de rappeler, notamment dans le cadre du "Club Nationalisme et République", un texte bref, dense et chaleureux de Marcel Loichot, écrit en collaboration avec le célèbre et étonnant Raymond Abellio en 1966, Le cathéchisme pancapitaliste. Loichot et Abellio constataient la faiblesse de la France en biens d'équipement par rapport à ses concurrents allemands et japonais (déjà!). Pour combler ce retard  ‹que l'on comparera utilement aujourd'hui aux retards de l'Europe en matières d'électronique, d'informatique, de création de logiciels, en avionique, etcŠ‹  nos deux auteurs suggéraient une sorte de nouveau contrat social où capitalistes et salariés se partageraient la charge des auto-financements dans les entreprises. Ce partage, ils l'appelaient "pancapitaliste", car la possession des richesses nationales se répartissait entre toutes les strates sociales, entre les propriétaires, les patrons et les salariés. Cette diffusion de la richesse, expliquent Loichot et Abellio (2), brise les reins de l'oligo-capitalisme, système où les biens de production sont concentrés entre les mains d'une petite minorité (oligo  en grec) de détenteurs de capitaux à qui la masse des travailleurs "aliène", c'est-à-dire vend, sa capacité de travail. Par opposition, le pancapitalisme, ne s'adressant plus à un petit nombre mais à tous, entend "désaliéner" les salariés en les rendant propriétaires de ces mêmes biens, grâce à une juste et précise répartition des dividendes, s'effectuant par des procédés techniques dûment élaborés (condensés dans l'article 33 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises si celles-ci attribuent à leur personnel des actions ou parts sociales).

L'objectif de ce projet "pancapitaliste" est de responsabiliser le salarié au même titre que le patron. Si le petit catéchisme pancapitaliste de Loichot et Abellio, ou le conte de Futhé et Nigo, deux pêcheurs japonais, dont l'histoire retrace l'évolution des pratiques économiques (3), peuvent nous sembler refléter un engouement utopique, parler le langage du désir, les théoriciens de la participation à l'ère gaullienne ne se sont pas contentés de populariser outrancièrement leurs projets: ils ont su manier les méthodes mathématiques et rationnelles de l'économétrie. Mais là n'est pas notre propos. Nous voudrions souligner ici que le projet gaullien global de participation s'est heurté à des volontés négatives, les mêmes volontés qui, aujourd'hui encore, bloquent l'évolution de notre société et provoquent, en bon nombre de points, son implosion. Loichot pourfendait le conservatisme du patronat, responsable du recul de la France en certains secteurs de la production, responsable du mauvais climat social qui y règnait et qui décourageait les salariés.

Deuxième remarque: qui dit participation dit automatiquement responsabilité. Le fait de participer à la croissance de son entreprise implique, de la part du salarié, une attention constante à la bonne ou la mauvaise marche des affaires. Donc un rapport plus immédiat aux choses de sa vie quotidienne, donc un ancrage de sa pensée pratique dans le monde qui l'entoure. Cette attention, toujours soutenue et nécessaire, immunise le salarié contre toutes les séductions clinquantes des idéologies vagues, grandiloquentes, qui prétendent abolir les pesanteurs qu'impliquent nécessairement les ancrages dans la vie. Jamais les modes universalistes, jamais les slogans de leurs relais associatifs (comme SOS-Racisme par exemple), n'auraient pu avoir autant d'influence, si les projets de Loichot, Capitant, Abellio, Vallon s'étaient ancrés dans la pratique sociale quotidienne des Français. Ceux-ci, déjà victimes des lois de la Révolution, qui ont réduit en poussière les structures professionnelles de type corporatif, victimes une nouvelle fois de l'inadaptation des lois sociales de la IIIième République, victimes de la mauvaise volonté du patronat qui saborde les projets gaulliens de participation, se trouvent systématiquement en porte-à-faux, davantage encore que les autres Européens et les Japonais, avec la réalité concrète, dure et exigeante, et sont consolés par un opium idéologique généralement universaliste, comme le sans-culottisme de la Révolution, la gloire de l'Empire qui n'apporte aucune amélioration des systèmes sociaux, les discours creux de la IIIième bourgeoise ou, aujourd'hui, les navets pseudo-philosophiques, soft-idéologiques, de la médiacratie de l'ère mitterandienne. Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, les Allemagnes restauraient leurs associations professionnelles ou les maintenaient en les adaptant, Bismarck faisait voter des lois de protection de la classe ouvrière, les fascismes italiens ou allemands peaufinaient son ¦uvre et imposaient une législation et une sécurité sociales très avancées, la RFA savait maintenir dans son système social ce qui avait été innovateur pendant l'entre-deux-guerres (Weimar et période NS confondues), le Japon conservait ses réflexes que les esprits chagrins décrètent "féodaux"... Toutes mesures en rupture avec l'esprit niveleur, hostile à tout réflexe associatif de nature communautaire, qui afflige la France depuis l'émergence, déjà sous l'ancien régime, de la modernité individualiste.

L'idée de participation est un impératif de survie nationale, identitaire et économique, parce qu'elle implique un projet collectif et non une déliquescence individualiste, parce qu'elle force les camarades de travail d'une entreprise à se concerter et à discuter de leurs vrais problèmes, sans être doublement "aliénés": et par les mécanismes économiques du salariat et par les discours abrutissants des médias qui remplacent désormais largement l'opium religieux, comme l'entendaient Feuerbach, Marx et Engels, dont les idées sont trahies allègrement aujourd'hui par ceux qui s'en revendiquent tout en les figeant et les dénaturant. La réalité, qui n'est pas soft  mais hard, contrairement à ce qu'affirment les faux prophètes, a déjà dû s'adapter à cette nécessité de lier le travailleur immédiatement à sa production: l'éléphantiasis tant des appareils administratifs étatisés de type post-keynésiens que des énormes firmes transnationales ont généré, à partir de la première crise pétrolières de 1973, une inertie et une irresponsabilité croissantes de la part des salariés, donc une perte de substance humaine considérable. Il a fallu trancher stupidement, avec gâchis, au nom de chimères opposées, en l'occurrence celles du néo-libéralisme reaganien ou thatchérien. Renvoyer des salariés sans préparation au travail indépendant. Résultat, dans les années 80: accroissement exponentiel du chômage, avec des masses démobilisées n'osant pas franchir ce pas, vu que les législations de l'ère keynésienne (qui trahissaient Keynes) avaient pénalisé le travail indépendant. Autre résultat, au seuil des années 90: une inadaptation des structures d'enseignement aux besoins réels de la société, avec répétition sociale-démocrate des vieux poncifs usés, avec hystérie néo-libérale destructrice des secteurs universitaires jugés non rentables, alors qu'ils explorent, souvent en pionniers, des pans entiers mais refoulés du réel; et produisent, du coup, des recherches qui peuvent s'avérer fructueuses sur le long terme.

Les vicissitudes et les dysfonctionnements que nous observons dans notre société contemporaine proviennent de ce désancrage permanent qu'imposent les idéologies dominantes, privilégiant toutes sortes de chimères idéologiques, transformant la société en un cirque où des milliers de clowns ânonnent des paroles creuses, sans rien résoudre. La participation et l'intéressement sont les aspects lucratifs d'une vision du monde qui privilégie le concret, soit le travail, la créativité humaine et la chaîne des générations. Ce recours au concret est l'essence même de notre démarche. Au-delà de tous les discours et de toutes les abstractions monétaires, de l'étalon-or ou du dollar-roi, le moteur de l'économie, donc de notre survie la plus élémentaire, reste le travail. Définir en termes politiques notre option est assez malaisé: nous ne pouvons pas nous définir comme des "identitaires-travaillistes", puisque le mot "travailliste" désigne les sociaux-démocrates anglais ou israëliens, alliés aux socialistes de nos pays qui claudiquent de compromissions en compromissions, depuis le programme de Gotha jusqu'à celui de Bad Godesberg (4), depuis les mesures libérales du gouvernement Mitterand jusqu'à son alliance avec Bernard Tapie ou son alignement inconditionnel sur les positions américaines dans le Golfe.

Jacob Sher, économiste qui a enseigné à l'Institut polytechnique de Léningrad avant de passer à l'Ouest, participationniste sur base d'autres corpus que ceux explorés par les gaulliens Loichot, Vallon ou Capitant, a forgé les mots qu'il faut   ‹ergonisme, ergonat, ergonaire (du grec ergon, travail)‹   pour désigner sa troisième voie basée sur le Travail. Issu de la communauté juive de Vilnius en Lithuanie, Jacob Sher partage le sort de ces Israëlites oubliés par nos bateleurs médiatiques, pourtant si soucieux d'affirmer et d'exhiber un philosémitisme tapageur. Oublié parce qu'il pense juste, Sher nous explique (5) très précisément la nature éminement démocratique et préservatrice d'identité de son projet, qu'il appelle l'ergonisme. Il est démocratique car la richesse, donc le pouvoir, est répartie dans l'ensemble du corps social. Il préserve l'identité car il n'aliène ni les masses de salariés ni les minorités patronales et fixe les attentions des uns et des autres sur leur tâche concrète sans générer d'opium idéologique, dissolvant toutes les formes d'ancrage professionnel ou identitaire.

La participation gaullienne et l'ergonat sherien: deux corpus doctrinaux à réexplorer à fond pour surmonter les dysfonctionnements de plus en plus patents de nos sociétés gouvernées par l'idéologie libérale saupoudrée de quelques tirades socialistes, de plus en plus rares depuis l'effondrement définitif des modèles communistes est-européens. Pour ceux qui sont encore tentés de raisonner en termes reagano-thatchériens ou de resasser les formules anti-communistes nées de la guerre froide des années 50, citons la conclusion du livre de Jacob Sher: "Et ce n'est pas la droite qui triomphe et occupe le terrain abandonné par la gauche, malgré les apparences électorales. Certes, la droite profite de la croissance du nombre des voix anti-gauche, mais ces voix ne sont pas pro-droite, elle ne s'enrichit pas d'adhésions à ses idées. Car la droite aussi est en déroute, son principe de société a aussi échoué. Ce sont les nouvelles forces qui montent, les nouvelles idées qui progressent, une nouvelle société qui se dessine. Non pas une société s'inscrivant entre les deux anciennes sociétés, à gauche ou à droite de l'une ou de l'autre, mais CONTRE elles, EN FACE d'elles, DIFFERENTE d'elles. TROISIEME tout simplement. Comme un troisième angle d'un triangle".

Notes

(1) Cf. M. Desvignes, Demain, la participation. Au-delà du capitalisme et du marxisme, Plon, Paris, 1978; René Capitant, La réforme pancapitaliste, Flammarion, Paris, 1971; Ecrits politiques, Flammarion, 1971; Démocratie et participation politique, Bordas, 1972.
(2) "Le catéchisme pancapitaliste" a été reproduit dans une anthologie de textes de Marcel Loichot intitulée La mutation ou l'aurore du pancapitalisme, Tchou, Paris, 1970.
(3) Le conte de Futhé et Nigo se trouve également dans Marcel Loichot, La mutation..., op. cit., pp. 615-621.
(4) Au programme de Gotha en 1875, les socialistes allemands acceptent les compromissions avec le régime impérial-libéral. A Bad Godesberg en 1959, ils renoncent au révolutionnarisme marxiste, donc à changer la société capitaliste. Le marxisme apparaît comme un compromis permanent face aux dysfonctionnements du système capitaliste.
(5) Jacob Sher, Changer les idées. Ergonisme contre socialisme et capitalisme, Nouvelles éditions Rupture, 1982.

[Synergies Européennes, Nationalisme & République, Janvier, 1992]

06:05 Publié dans Economie, Sociologie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 22 juin 2007

Don d'information, résistance à la globalisation

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Frédéric VALENTIN:

Le don d'information, résistance à la globalisation

Un pamphlet bien conçu, publié récemment par Bernard Maris (1), a ou­vert la boîte de Pandore de la cuistrerie contemporaine : les dis­cours des experts en économie. On y trouve clairement exposé qua­tre thèmes qui ferment définitivement, du moins pour des penseurs hon­nêtes, la prétention des pseudo-spécialistes en économie :

- A la fin des années 70, la démonstration mathématique de ce que le modèle de concurrence est dans une impasse totale est acquise. Gé­rard Debreu a démontré que le marché ne conduit pas, naturelle­ment, à l’équilibre. Puis, Lipsey-Lancaster et Nash établissent que le mar­ché ne donne pas l’optimum. Ainsi, de même que les planifica­teurs socialistes, s’inspirant de la théorie de l’optimum et de Walras, ont finalement assassiné leur pays, de même les libéraux éradiquent l’Europe à l’abri de superstitions ridicules.

- Les auteurs Henri Simon (prix Nobel 1978) et Maurice Allais (prix No­bel 1988) ont prouvé que les agents sont irrationnels dès que l’on introduit de l’aléa dans leurs gains. La rationalité n’est qu’un postulat commode, sans lien avec le réel. Pour avoir osé préten­dre qu’ils avaient fabriqué le modèle adéquat à la réalité, les deux No­bel Merton et Scholes ont fait plonger leur portefeuille dont les clients ont été renfloués, comme toujours, par le prélèvement fiscal sur les populations laborieuses (2).

- Si certains savants finissent par devenir malhonnêtes en se trans­for­mant en « experts », les experts qui s’autorisent de la complexité de la science économique sont toujours malhonnêtes. Il en résulte que les économistes lucides refusent de parler de la réalité éco­nomi­que : elle n’existe pas. Tout ce qui se dit est parfaitement dé­montrable mais invérifiable et insanctionnable.

- La seule économie possible est l’histoire. Confession du prix No­bel John Hicks, peu avant sa mort ; et pratique régulière de Maurice Al­lais. Edmond Malinvaud, cherchant pourquoi les économistes ne font pas de découvertes, répond maintenant que cette science est sem­blable à la casuistique.

Une fois que l’esprit a été éclairé sur l’absence d’une science éco­no­mique prouvant quoi que ce soit, le point de vue de Carl Schmitt s’impose avec force : l’économie est un moyen de contrôle social in­di­rect. Il dépend de la volonté des élites et du sens de l’action op­portune, que de désobéir et /ou ne pas obéir aux diktats fondés sur cette pseudo-science. Il existera toujours des alternatives aux vec­teurs actuels de la globalisation que sont la finance, le commerce et les médiats. Nous montrerons que la problématique du don est l’une des orientations pour remettre en cause la théorie de l’information-mar­chandise véhiculée par la globalisation. Contre l’enfer de la glo­ba­lisation, soutenons le don. A l’information marchandise, opposons la valeur qualitative du lien social fondé sur des informations données et partagées.

A – Démythifier la globalisation

La globalisation désigne l’accroissement des mobilités de tout ce qui est codifiable (3). Sont concernés : la circulation des capi­taux, les marchandises et informations qui peuvent être numérisées et se transporter indépendamment des hommes. Tout ce qui se dé­place rapidement et à faible coût (sauf, évidemment, les hommes) a fa­cilité le développement des firmes globales. Par la double impulsion des États qui ont démoli leurs frontières, et du progrès technique orienté par le type de compétition que les entreprises subissent, la glo­balisation creuse chaque jour les inégalités au sein des pays et en­tre les régions du monde, en particulier entre les emplois compéti­tifs et les emplois protégés.

Les firmes globales pratiquent de la manière suivante :

- Décomposition de la chaîne de production, depuis la recherche-dé­­ve­lop­pement d’un nouveau produit jusqu’à sa distribution, en ac­ti­vi­tés unitaires simples.

- Localisation des activités sédentaires là où elles doivent l’être.

- Installation des autres processus dans les territoires qui offrent les meil­leures conditions pour leur fonctionnement.

Les experts-économistes serviteurs des marchands cherchent à faire croi­re que le progrès technique est la seule source du chômage et des inégalités. Puisque personne ne peut refuser le progrès tech­ni­que, il n’y a rien à faire... En réalité, c’est le processus de globa­lisa­tion qui est responsable d’une grande partie du chômage, en sorte qu’un certain protectionnisme servirait les intérêts des populations. Mais, pour les castrats au service des puissances économiques, il s’agit de camoufler le fait essentiel que le libéralisme de façade sert à réinstaller la société de castes : les patrons cèdent leur pla­ce aux héritiers ; en politique et dans la haute administration, les mê­mes noms se retrouvent sur plusieurs générations. Les lettrés sont en­fon­cés dans l’oubli par la promotion des « merducons » (4) du spec­tacle (cinéma, radio, chanson, sport) qui orientent les passions des foules. Cette nouvelle caste des têtes d’affiche, leaders d’opi­nion, transmet son succès à ses descendants. L’“affirmative action” (ou discrimination positive) applique le principe de la naissance à la pla­­ce du mérite. Partout en Europe, des mafias ethniques venant du vaste monde, des sectes monothéistes spécialisées dans le grand ban­ditisme intellectuel et le crime comme les humains qui pensent, pos­sèdent à nouveau, collectivement et donc par droit de naissance pour chacun, un statut juridique de race supérieure. Le fait d’être un dé­vot de telle secte ou de venir d’ailleurs, hors d’Europe, assure au­to­matiquement une préférence sur tous et favorise l’embauche par les satrapes politiques contrôlés par les marchands.

Par le processus de globalisation, l’oligarchie qui pilote l’Occident, fu­sion de la politique et des affaires, a réussi à inverser l’ordre tra­ditionnel des fonctions : l’avoir commande le pouvoir qui donne des ordres au savoir. Le sublime libéralisme mondial est en réalité une imposition violente, par propagande, meurtres et déporta­tions, d’une idéologie religieuse monothéiste et d’une organisation cléricale. Le droit de l’homme comme réalité est la continuation de la tyrannie mo­­nothéiste : la caste des purs auto-proclamés guide le troupeau et pu­­ri­fie le monde des mal-pensants.

La justification de la globalisation par des économistes-charla­tans ca­che donc le règne d’organisations centralisées à l’échelle du globe, vé­ritables Églises dirigées par des oligarchies de trafiquants. Si, en pratique, on vit le retour de la société raciste théo­cratique, l’absence d’une noblesse au service du peuple et d’une aris­tocratie spirituelle indépendante se fait déjà cruellement sentir. La mondialisation se dé­roule donc dans un certain contexte, spatial­e­ment et temporellement localisé. Quelques mensonges pieux ont été re­levés par l’économiste Bernard Maris (5) :

- La mondialisation n’est pas le commerce, mais l’organisation con­certée au niveau mondial des grands oligopoles.

- Les changements institutionnels qui favorisent le processus de glo­balisation sont soigneusement programmés dans des institutions spé­cialisées dans la dérèglementation, comme la commission euro­péen­ne ou l’OMC.

- La globalisation n’est pas la mondialiation des échanges. Pour plus de la moitié, le commerce se limite aux filiales de firmes globales.

Le mouvement de globalisation renvoie plutôt aux enclosures qui pré­cé­dèrent la révolution industrielle. Ce fut un mouvement de destruc­tion du collectif transformé en propriétés privées. De la même ma­niè­re, la globalisation organise la privatisation du monde et, corrélative­ment, tiers-mondise les Nations. Les oligarchies de trafiquants se dé­sengagent de toute obligation de façon radicale : plus de devoirs à l’é­gard de multiples groupes : employés, âgés ou jeunes, générations à venir, conditions de vie, etc. Ne pas avoir à assumer les con­sé­quences de ses actes, voilà l’avantage des nouveaux maîtres et les rai­sons de leur préférence en faveur des religions monothéistes fon­dées sur la culpabilisation, la délation et le meurtre intellectuel de mas­se.

Sous le prétexte fallacieux de pratiquer la science économique, les ec­clesia financières entretiennent des claque-dents affirmant que la guerre de tous contre tous est un progrès. L’idéologie occidentiste, par l’abus de la métaphore guerrière, tente de voiler les conditions réelles de la privatisation du monde. De même qu’il fallut une “grande transformation” pour stopper les conséquences des enclosures, de mê­me il faudra d’autres organisations (6) pour freiner les ardeurs des maîtres de l’heure. La compréhension de leur propagande vomitive amène à repenser la logique du Don - Contre-Don qui, quoique étouf­fée par les échanges monétaires, est une voie de réappropriation de l’humanité de l’homme en ce qu’elle fait appel à la valeur qualitative du lien social.

B – Don, dette, information

La production économique a besoin d’informations et de motivation. L’information est celle du travailleur ou de l’entrepreneur sur ce qu’il doit faire pour satisfaire au mieux des besoins ou désirs. Transmettre aux divers agents économiques les informations nécessaires sur les désirs et possibilités des autres est traditionnellement considéré par les économistes comme le problème majeur qu‚un système écono­mique doit résoudre (7). Les marchés avec leurs prix, la planification avec ses transferts administratifs d’information apportent des solu­tions qui, dans l’ensemble, sont impressionnantes. Mais si la motiva­tion existe ou est développée, des agents peuvent vouloir se trans­mettre volontairement des informations économiques à titre gracieux. Car le don d’information améliore le calcul, diminue les inconvénients du coût élevé de toutes informations, et donc son imperfection et son manque. La publicité qui incite à la consommation perd une grande par­tie de sa rentabilité si l’information est donnée et transmise gratui­tement. Le don d’information limite aussi les ravages du mensonge, car la motivation du secret perd de son importance.

Le capitalisme a d’autres possibilités d’avenir que la globalisation et la société de castes à fondement raciste théocratique dans laquelle les riches et les purs (justes et pieux selon la bible) dominent le trou­peau des impurs. Mais il faut pouvoir étudier l’autogestion, l’écologie, les autonomies, les décentralisations et les démocratisa­tions, etc. Pour préférer quelque chose il faut le connaître et, pour pouvoir le réa­liser il faut, de plus, savoir que c‚est possible. Aussi, la large diffu­sion de la connaissance de possibilités de transformations sociales est nécessaire pour que ces possibilités soient comprises et effec­tuées par le maximum de personnes. Car dans le champ des réfor­mes sociales, les personnes sont tout à la fois acteurs et auteurs, le suc­cès requérant que le progrès soit perçu (la fin est immanente aux moyens en ces matières).

Le don d’informations lutte contre la négligence de l’étude des so­cié­tés possibles par rapport à celle des sociétés réalisées (présentes et passées). L’argument clef des conservatismes de toutes les factions au pouvoir est devenu que seul ce qui existe est possible. Cela prou­ve une pauvreté d’imagination et de connaissance et une inaptitude à penser logiquement. Le seul critère « mérite d’exister » n’est pas le cri­tère de qualité d’une société. La recherche des inexistants pos­si­bles, la quête des ailleurs réalisables, l’analyse des utopies réalistes sont nécessairement la plus scientifique des activités. Pour savoir ce qui, parmi l’inobservé, est possible ou ne l’est pas, il faut avoir une con­naissance en profondeur de la nature et de la structure du mon­de. Le chant révolutionnaire affirme : « la liberté guide nos pas ». En fait, c’est l’espoir de liberté, c’est-à-dire l’imagination du futur, du pos­si­ble, du désirable : l’utopie. L’utopie de maintenant, c’est de donner le plus d’informations possibles pour limiter les relations hostiles, ré­dui­re les activités de parasitisme, connaître les méthodes de la ty­ran­nie monothéiste. La société actuelle des trafiquants pieux ne devien­dra problématique que si un maximum de gens peuvent en concevoir une différente. Or, toute information transmise peut créer une dé­cou­verte nouvelle ou une prise de conscience, en se combinant avec ce que sait déjà celui qui la reçoit ; de sorte que la diffusion d’in­for­ma­tions doit emprunter toutes les voies de la communication. Par exem­ple, le don d’informations provoquerait instantanément des amélio­ra­tions dans les domaines sociaux suivants :

- Les simples annonces de demande et d’offre d’emploi, développées et systématisées.

- Les accords de livraison présente ou future de biens et services, pas­sés deux à deux.

- Chaque unité économique ferait ses propres études de marché pour l’usage de ses produits et services.

- Des groupes auraient la possibilité de se transmettre des “prix fictifs” représentant des taux de substitution entre leurs désirs, ou des taux de transformation entre leurs possibilités, ou encore se don­ne­raient les rapports entre les coûts marginaux et les productivités mar­ginales.

- Les effets externes positifs ou négatifs créés par une activité se­raient connus. Le centre de décision calculerait le profit « fictif » inté­grant ces externalités. Les mensonges comptables diminueraient.

On peut donner et contre-donner pour bien des raisons : amour de l’au­tre, gratitude, reconnaissance, sens de l’équilibre ou du devoir, re­cherche de l’estime ou du statut, crainte de perdre la face, ou pour que l’autre continue de donner. Une forme classique de lien social, l’at­tachement d’un individu à ceux avec lesquels il est en relation in­stitutionnelle, est le sentiment que la personne a envers une (des) au­tre(s) une dette qu‚elle ne peut jamais entièrement repayer : dettes envers les parents, l’Empereur (cas japonais), mais ces sentiments existent souvent envers des groupes, des collectivités, des entités so­ciales (Patrie) ou des divinités créatrices. La notion de réseau rap­pelle qu’on donne en général plus facilement lorsqu’on connaît celui qui reçoit. Le réseau permet de savoir si l’aide offerte procure plaisir et de s’informer si les autres donnent aussi.

La globalisation n‚est pas la meilleure économie possible pour le plus grand nombre. La technique ne justifie aucunement la globalisation. C’est l’absence de réflexion sur le don, sur le rôle de l’information dans les conceptions sociales qui limitent la société à l’horreur ac­tuelle. Nous montrerons ci-dessous comment la théorie de l’informa­tion marchandise, véhiculée par les organisations dominantes, ré­sulte d’une conception monothéiste du marché et débouche sur la propagande et la censure. Puis nous établirons comment le don, re­fusant que l’information n’ait qu’une valeur quantitative, renoue avec la tradition de l’homme-mesure de toutes choses, conquérant de sa li­berté.

C – La théorie de l’information-marchandise

La vulgate économique pose en hypothèse que dans un monde d’a­tomes individuels et de concurrence pure et parfaite, et en l’absence de barrières techniques ou institutionnelles, les discours de tout un cha­cun et de tous types circulent. Le monde parfait, pur et immaculé, posé a priori, permet aux énoncés d’être émis, entendus, lus, é­cou­tés, vus sans entraves. La stratégie des ententes est alors d’obtenir une rente de monopole par la censure et la propagande.

1 – Censure, propagande et information-marchandise

La censure et la propagande sont deux manières complémentaires d’ob­tenir des rentes de monopole (8) :

- La censure augmente le coût, pour les producteurs et les utili­sa­teurs, des énoncés concurrents. Elle intervient tant sur le support ma­té­riel de la pensée (livres, ordinateurs,...) que sur les idées (inter­dic­tion d’enseignement, doctrines imposées, censures doctrinales) que sur les personnes (procès, sanctions, intimidations).

- La propagande diminue artificiellement le coût des énoncés de l’au­torité. Elle suppose un contrôle monopolistique sur les médiats, ces principaux moyens de diffusion des messages destinés aux foules et à l’intelligentsia. Les sources alternatives sont plongées dans le si­lence et les populations se convertissent, peu à peu, par la répétition des énoncés, aux superstitions qui conviennent à l’autorité. L’en­sei­gnement est toujours le premier visé puisqu’il permet une pro­pa­­gande « préventive » à l’usage des futurs croyants adultes.

Censure et propagande mobilisent un personnel important organisé en ecclésia. L’acceptation de la propagande et de la censure par les foules et l’intelligentsia est recherchée à travers le mécanisme étho­logique de l’argument d’autorité : les censeurs et autres prédicateurs sont présentés comme des leaders d’opinion et des locomotives so­cia­les dont les pensées sublimes sont crédibles. La cohérence des sain­tes doctrines s’appuie sur la hiérarchie des « élus », caste su­bli­me à laquelle les médiats demandent leur consentement avant de dif­fuser un énoncé. Enfin, les bourreaux de la magistrature, par envie de plaire et crasse intellectuelle, recherchent l’hérésie à tout prix et développent l’hystérie et l’efficacité de la censure.

Propagande et censure vont de pair. Elles naissent dans des socié­tés ouvertes qu’elles ferment ensuite pour longtemps. La propagande et la censure ne peuvent tolérer les libertés de l’esprit, assimilées au péché. L’éducation évolue vers la propagande, la censure déclenche l’au­tocensure et la sottise bestiale en résulte naturellement. Ces deux phénomènes ont toujours et partout dénaturé la pensée authentique et accouché de nouveaux systèmes d’idées extravagants mais com­pa­tibles avec la tyrannie.

En occident aujourd’hui, l’offre oligopolistique de messages tant cul­turels (idéologies) qu’informationnels (nouvelles) et la censure tou­chant les œuvres, leurs supports et leurs créateurs, ramènent le mar­ché de l’information à une fiction. La demande d’informations est con­di­tionnée par l’éducation / propagande à laquelle chacun est soumis depuis son enfance. Les offreurs sont organisés en consistoires : 100 chaînes et cent fois la même chose (et les mêmes têtes). Le con­tenu des messages est toujours imprégné de la même idéologie. Le mo­ment de la consommation ne change plus le contenu : du matin au soir, le médiatique autoréfère. Et une formation intellectuelle plus in­dé­pendante a un coût prohibitif, conséquence logique de l’efficacité de la censure. Pour les trafiquants et leurs cochons truffiers, l’infor­ma­tion-marchandise est un moyen d’enrichissement et de domi­na­tion. Ils demandent donc que la valeur soit appréciée selon les cri­tè­res de toute marchandise : la structure de préférence de l’individu ab­strait.

2 – Quelle valeur pour les flux d’information ?

Le morcellement effectif du pouvoir a toujours été la seule garantie contre l’intolérance. Si propagande et censure fleurissent aujourd’hui en occident, c’est qu’elles accompagnent la concentration des pou­voirs entre les mains d’oligarchies marchandes. Celles-ci affirment que l’information obéit aux mêmes lois que celles qui régissent les échanges marchands. Pourtant, dans une information se combinent la connaissance (un savoir), la donnée matérielle (informatique), la nouvelle (domaine informationnel). Mais les trafiquants affirment qu’une information est semblable à une marchandise ou à un service: c’est une chose que l’on peut quantifier et évaluer. Un paradoxe é­merge cependant : information et appréciation se correspondent. On ne peut évaluer une information si l’on ne présuppose pas une pos­sibilité d’appréciation. Une appréciation résulte d’informations préa­la­bles... Comment fixer la valeur?

Les experts qui analysent l’information sous l’angle d’un service é­co­no­mique particulier emploient leurs instruments habituels, la pré­fé­ren­ce et l’évaluation. La valeur dépend de la qualité de la relation éta­blie entre le producteur et l’usager. En tant que service, l’information obéit à cette règle, même si elle n‚est pas « appropriable » puis­qu’elle forme le substrat sur lequel s’appuient les décisions. Chaque bran­che de l’économie, de la théorie du capital humain aux in­ves­tis­se­ments immatériels, la traite alors à sa façon. Il reste toutefois que le don, en posant la question de la gratuité, ouvre d’autres voies qui re­nouent avec la pensée philosophique traditionnelle : l’homme est la me­sure de toutes choses ; l’homme accepte des conventions ; l’hom­me est un créateur.

D – Don et valeur de l’information

Max Weber (9) a développé, au début de ce siècle, la compréhension des comportements humains fondés sur l’intérêt et sur la fidélité à une conviction. Les hommes donnent de la valeur à l’objet et valo­ri­sent leur action. Ce phénomène de l’évaluation est impliqué dans toute action qui veut réaliser un but et cherche à s’en donner les moyens. Pour Weber, la valorisation consiste à donner une dignité su­périeure à un type d’actions sur les autres. Mais il est impossible de faire que les hommes ne croient qu’à un système de valeurs et portent tous uniformément la même appréciation sur le cours des choses.

Toute relation sociale s’inscrit soit dans l’éphémère soit dans la du­rée, est fermée ou ouverte (dans un parti politique, on recrute un ma­xi­mum de membres). L’activité sociale, orientée d’après autrui, met en jeu des réciprocités (pas nécessairement de la solidarité ou de la coopération) et possède un degré de probabilité pour que les rap­ports sortent du cadre dans lequel ils sont établis (exemple : la non obéissance ou la désobéissance vident des règles ou des structures de leurs possibilités d‚existence). Le don d’information agira donc sur les formes d’activité sociale et sur le type de relations. Les fragments de Protagoras ouvrent la première piste.

1 – La tradition sophistique

Le premier fragment de Protagoras affirme : « De toutes les choses, la mesure est l’homme : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas du fait qu’elles ne sont pas » (10). L’homme-mesure s’interprète de plusieurs manières. Le grec « métron » pro­vient des racines indo-européennes *me- ; *met- ; *med-, « me­su­rer » (11). La valeur originelle a été « mesurer le temps ». Elle a eu des emplois dérivés, notamment les mesures autres que temporelles et spatiales : soit en vue d’un résultat tangible (destiner, gouverner, soigner) ; soit en vue de la cohérence du discours (inférer, déduire, apporter une preuve). L’homme-mesure est donc celui qui crée l’har­mo­nie, l’unité et la différence dans les choses. Il décèle l’existence et la manière dont les choses existent. Il laisse la possibilité aux choses d’être et de devenir. Il en valorise une sans que celle-ci en ait pour un groupe. Il peut refuser de classer et de hiérarchiser, laissant les cho­ses dans un état d‚indifférence, l’une n’ayant pas plus de valeur que l’autre. L’existence simultanée de mesures plus ou moins com­pa­ti­bles est donc normale.

L’homme-mesure est à la fois individuel et social. Il prononce des o­pi­nions et agit selon des convictions. Créant la différence, il protège la valeur potentielle des choses. Car par différence, elles demeurent sans valeur affirmée mais acquièrent une valeur latente, non quan­ti­fia­ble. Ainsi, lorsqu’on refuse de classer des informations, on affirme que ce que l’on reçoit n’a aucune importance, aucune valeur : ça nous indiffère ici et maintenant. Dans le temps, les choses in­diffé­ren­tes s’actualiseront éventuellement. C’est dans le processus de trans­formation des choses au cours du temps que la valeur s’actualise.

Il n’existe pas d’universalité des valeurs. La curiosité intellec­tuelle, la déambulation, le souhait de connaître, valorisent à certains moments telle ou telle modalité de l’être. Du fond latent des choses, informes et sans valeur, sortent les œuvres des hom­mes, la valeur créative. L’hom­me-mesure met à plat les va­leurs proclamées des choses et des qualités et refuse de se sou­mettre à une définition quantitative dé­finitive de la valeur.

Le poète français Charles Baudelaire a illustré parfaitement cette dé­marche. Le monde extérieur et notre univers intime sont entourés de mystères. Les images picturale, poétique ou musicale guident vers des correspondances où tout se vaut. Le poète est l’un de ceux qui dé­voilent les richesses du monde, et sépare la valeur d’usage d’une œuvre d’avec sa valeur marchande grâce au choc esthétique. Un tel rap­port entre l’homme et l’objet exclut toute espèce de classement et de hiérarchie.

2 – Les conventions

L’économiste écossais David Hume, au XVIIIième siècle, affirmait que la convention est le sentiment de l’intérêt commun (par exemple, la justice résulte de conventions humaines). Pour les auteurs contem­porains qui en redécouvrent l‚intérêt et la portée, elle est un réfé­rentiel sans autre raison d’être que de garantir aux actions humaines une certaine continuité, durée et pérennité. Contrairement au contrat ou à la promesse, elle résulte d’un accord unanime et libre. « C’est une solution stable et régulière, offerte par l’environnement socio-économique dans lequel les acteurs sont plongés » (12). Puisqu’elle cherche à mettre en place des relations de confiance, elle touche au domaine de l’éthique. Toute la question est de savoir sur quoi se fon­de la conviction des individus quant à la généralisation de l’adoption d’une convention. Les conventionnalistes parlent d’écran d’informa­tions (13) pour désigner l’ensemble des règles qui définissent un système d’interprétation de l’information. Un pont est rétabli avec la phi­losophie grecque qui se préoccupait déjà de l’influence des ac­teurs sur les flux d’informations et de l’interprétation de celle-ci.

Il ne suffit pas de recevoir des informations pour que les conduites de­viennent cohérentes ou coordonnées. L’individu n’est pas maître du tissu informationnel qui l’entoure : information et individu sont é­troi­tement liés. Au sein d‚un groupe, un grand nombre d’informations ne sont pas traitées mais admises comme telles. Les conventions é­vitent à chacun d’avoir à manipuler un grand nombre de données, si­gnaux, énoncés, disparates. Elles sont des écrans informationnels en­tre les individus qu’elles placent dans un espace de confiance. Elles diffusent de l’information sur les convictions partagées, les rè­gles et normes. Les écrans d’informations assurent la conviction, trans­fèrent l’information afin de répondre à la question: Comment les in­dividus savent-ils (et sont-ils convaincus) que la convention est une norme générale ? Les conventions en tant que structure d’infor­ma­tions contiennent deux dimensions: l’énoncé qui véhicule le contenu donnant du sens à la convention ; le dispositif matériel qui assure tech­niquement le transfert d’information sur l’existence de la con­ven­tion auprès de chaque individu. « En tant qu’écran d’information, la con­vention est donc à la fois composée de discours qui l’énoncent et d’objets qui mettent en relation les adopteurs » (14).

L’information n’est plus ici un flux autour duquel les individus gra­vi­tent ; elle fait écran au sens et empêche que chacun se méfie et dou­te du comportement des autres en les informant du respect de la nor­me. L’information est organisation sociale.

Le Don d‚informations va-t-il alors définir à lui seul la valeur de l’in­for­ma­tion ? Ou ce don ne sera-t-il qu’un vecteur de l’échange mar­chand? En réalité, puisque le don est une convention morale à valeur im­matérielle, qui ne saurait s’identifier à la gratuité, l’association avec l’information nous conduit à l’économie de l’immatériel qui met l’accent sur l’attente d’une réaction qualitative à l’acte de donner. On sort de la logique de l’échange si on escompte, dans le don, la re­la­tion à venir (contre-don) en termes qualitatifs. Dans le don d’infor­ma­tions domine l’idée d’un retour anticipé qui prend la forme de la rela­tion donateur/donataire. Le retour s’effectuant gratuitement, la nou­veau­té réside tout d’abord dans la nouvelle perception du temps (le moment du retour est inconnu) et dans l’anticipation d’une conduite at­tendue de l’autre. Donner de l’information valorise le rapport à l’au­tre, l’aspect qualitatif de rapports communautaires par le partage d’in­for­mation. Le don d’informations dans le cadre des conventions exis­tantes aide celles-ci à résister au temps, à ne point se périmer. Il re­fu­se la marchandisation puisque l’entretien de la convention n’est pas monétarisé. Le don d’informations est à la fois invisible, sans retour attendu, sans dette à l’égard de qui que ce soit. Les conventions so­ciales définies comme des processus informationnel fonctionneront d’au­tant mieux que:

- L’interactivité entre les locuteurs est régulière.

- Celui qui reçoit l’information l’enrichit en la traitant.

- L’information circule. Le mouvement en garantit la valeur en tant que processus décisionnel.

- Chaque acteur a un statut propre : il reçoit des informations dans une zone donnée, sur des thèmes spécifiés. Il se peut que certaines informations aient une valeur marchande. Mais un grand nombre n’en auront pas.

- Le contexte dans lequel est perçu l’information n’est pas négligé.

Le don d’information pratiqué dans les réseaux interpersonnels et in­terorganisationnels accroît l’importance des liens amicaux et commu­nautaires, à la place des régulations marchandes. Le don est lui-mê­me une convention d’après laquelle on distribue des connaissances sans qu’il y ait d’utilité marchande ; des énoncés sont offerts sans hié­rarchisation directe et immédiate des contenus. La productivité du don en matière d’information réside dans la création de ressources nou­velles, puisque individus et conventions se forment mutuellement.

E – Reconquérir notre liberté

A l’écart de la globalisation et de l’information-marchandise, moyen de propagande et objet de censure, le don dévoile la question du rap­port entre l’homme et la division du travail. Les membres des groupes de production, hier comme aujourd’hui, ont besoin de connaître la valeur de leurs contributions respectives. Or le technicien, depuis la plus haute antiquité, est celui qui anticipe la valeur future. Le tech­ni­cien, comme le donneur d’informations, parie sur le futur dans sa di­men­sion qualitative. Cette anticipation des qualités à venir, par les tech­niciens et les donneurs d’informations, est une dimension de ce que les anciens Grecs nommaient la liberté.

Platon, dans La République, avait déjà posé la question de la valeur d’une production. Il avait répondu que la mesure de la valeur cor­respondait à la quantité de travail servant à la production. Il en va de mê­me aujourd’hui pour le don et l’échange d’informations au sein des ré­seaux informationnels. Pour Platon, le rapport entre les travaux qui ser­vent à produire les biens est un rapport d’équité, de justice com­mu­tative. Appliqué à l’information, l’équité s’exprime par une valeur indifférenciée. Puisque l’information est appréciée selon des valeurs qua­litatives comme la coopération, la confiance, la convention, elle ne tombe pas dans le domaine marchand et on ne peut lui appliquer les notions de coût, prix, investissement... Par ailleurs, si nous substi­tuons à La République de Platon les réseaux interpersonnels et inter-organisationnels, la division du travail devient le partage de l’infor­ma­tion et le don d’information est le moyen par lequel l’agent (l’acteur, l’hom­me, le citoyen) réalise sa liberté. Car seul un sujet actif, un hom­me libre, peut donner.

Le retour sur investissement (le rendement) de toute affectation de res­sources prend, avec le don, une autre dimension. Le donateur at­tend un retour qualitatif. En matière d’éducation par exemple, le don an­ticipe l’amélioration de la qualité du donataire qui sera utile à tous. Par là, de nouvelles ressources ont été créées. Dans le domaine de la technique, a enseigné Heidegger, nous ne devons pas en rester aux mécanismes et procédures car la technique exprime des formes de futur anticipées dont certaines seront opératoires. Le projet tech­ni­que est une anticipation selon le schéma du don, anticipation de fu­turs possibles.

Conclusion

Don, Technique et ordre social fondé sur le mérite forment un tout qui, reposant sur l’anticipation de futurs possibles, affirme la liberté de l’homme. Information-marchandise, logique de l’adaptation à la globalisation et ordre social fondé sur la naissance orchestrent le mépris de toutes les potentialités au profit de l’empire de la servitude, la tyrannie de l’opinion imposée par les médiats. La société actuelle (l’occidentisme) vit donc dans une schizophrénie qui la ronge : elle met l’accent sur la technique mais, simultanément, re­con­sti­tue les castes et traite l’information comme une marchandise. Elle fonctionne avec de multiples conventions et, parallèlement, incite à s’enrichir par des stratégies de modification de celles-ci.

L’occident a réactivé les méthodes des ecclesia monothéistes, responsables de la propagande et de la censure. Le jugement à l’é­gard des censeurs restera pour nous aujourd’hui ce qu’il fut au XIIIiè­me siècle, sous la plume de Roger Bacon : « Ils avaient commis une gra­ve erreur, ils étaient même coupables ; leur décision, injustifiable, ne pouvait que naître d’une profonde ignorance » (15). Les conven­tions valables dans les sociétés ouvertes fondées sur la technique sont qu’aucun pouvoir ne doit posséder le monopole de la doctrine. Cen­sure et propagande prouvent, une fois de plus, que les marchands sont tentés par une simplification dramatique du monde à laquelle il nous faut nous opposer de toutes nos for­ces. Le don associé à l’information émerge comme un moyen privi­lé­gié de réaliser notre liberté.

Frédéric VALENTIN.

Bibliographie :

BIANCHI Luca : Censure et liberté intellectuelle à l’université de Paris. Les Belles Lettres, 1999.

COULOUBARITSIS L. : Aux origines de la philosophie européenne. De Boeck, 1992.

FREUND Julien : Philosophie et Sociologie. Cabay, Louvain, 1984.

GIRAUD Pierre-Noël : Économie, le grand satan ? Textuel, 1998.

GOMEZ Pierre-Yves : Le gouvernement de l’entreprise. InterÉditions, 1996.

HAUDRY Jean : Études Indo-Européennes, 1992.

KOLM Serge-Christophe : La bonne économie. PUF, 1984.

LECLERC Gérard : La société de communication. PUF, 1999.

MARIS Bernard : Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie ! A.Michel, 1998.

MARIS Bernard : Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles. A.Michel, 1999.

MILON Alain : La valeur de l’information. PUF, 1999.

ZINOVIEV Alexandre : Le communisme comme réalité. Le livre de poche, 1983.



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