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mardi, 30 mai 2023

Jean Haudry, le professeur qui nous a appris d'où nous venons

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Jean Haudry, le professeur qui nous a appris d'où nous venons

Enric Ravello Barber

Source: https://www.enricravellobarber.eu/2023/05/jean-haudry-el-profesor-que-nos-enseno.html

C'est avec une grande tristesse que nous avons appris la nouvelle du départ de Jean Haudry. Avec sa disparition, notre famille de pensée perd son plus grand universitaire, la figure d'un très grand prestige académique et intellectuel.  Il a consacré sa vie à l'étude et à l'enseignement du monde indo-européen, en tant que professeur à l'Université de Lyon III et fondateur de la prestigieuse revue Etudes Indo-Européennes.

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Dans les années 80, notre jeune génération de militants était formée par la lecture d'auteurs européens, parmi lesquels les membres du GRECE étaient une référence obligée, et c'est ainsi que j'ai entendu pour la première fois le nom de Jean Haudry, que j'ai immédiatement inclus dans ma liste d'auteurs préférés, car le sujet qu'il traitait m'intéressait particulièrement.  Ce n'est que quelques années plus tard, au début des années 1990, que j'ai pris conscience de la dimension intellectuelle de Haudry ; j'étais en la dernière année de mes études universitaires lorsque le professeur d'histoire ancienne a terminé un cours en recommandant la lecture d'un ouvrage : Juno Moneta. Aux sources de la monnaie, de Jean Haudry. Haudry était une référence non seulement pour notre monde idéologique, mais aussi pour le monde universitaire, et je me suis dit : "Nous avons raison. Haudry en est la preuve".

En 2006 et 2009, j'ai eu l'honneur de partager une tribune avec lui. Il s'agissait des 11ème et 14ème Tables Rondes de l'organisation identitaire Terre et Peuple, présidée par Pierre Vial, dont Jean Haudry était vice-président. La photo - sur laquelle apparaît également l'intellectuel portugais Duarte Branquinho - montre le souvenir de cette journée inoubliable de 2009 qui, sous le titre explicite "Pour la Reconquête, reviens Charles Martel !", a été un point de rencontre et de réflexion pour le mouvement identitaire européen. L'événement de 2006 avait lui aussi un titre clair et retentissant : "Face au Mondialisme les Patries Charnelles".

Depuis lors, nous avons entretenu une relation épistolaire constante, centrée sur le thème des origines indo-européennes, et sur ses articles à ce sujet, de la linguistique aux origines, en passant par les institutions et la religion, pour laquelle il a inventé le terme de "religion de la vérité".

Haudry allait bien au-delà du terme étroit d'intellectuel, c'était un militant et un combattant courageux.  Lorsque son collègue universitaire à Lyon III, Bruno Gollnisch (professeur de droit), alors numéro deux du Front national dirigé par Jean Marie Le Pen, a été victime d'une ridicule persécution idéologique, Haudry, ainsi que Pierre Vial, se sont présentés devant la commission disciplinaire de Lyon III en habits de professeurs d'université pour exprimer ouvertement et notoirement leur soutien à Gollnisch.

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Il y a une vingtaine d'années, un matin de printemps, je prenais congé de Miguel Serrano, après avoir passé quelques jours chez lui à Santiago du Chili, et il m'a dit : "n'oubliez pas de faire ce dont nous avons parlé hier, sans faute. C'est très important". Le brillant écrivain et diplomate faisait référence à notre conversation de la veille, au cours de laquelle il m'avait parlé de l'importance du livre de B. G. Tilak, The Artic home of the Veda, et m'avait ordonné - car tel est bien le mot approprié - de le faire traduire et publier en espagnol. L'ordre a été exécuté et, en 2012, The Arctic Home of the Vedas a vu le jour en version espagnole. Dix ans plus tard, en 2022, une nouvelle édition parait chez Editorial EAS. Cette nouvelle édition de qualité méritait d'être mise en valeur. Nous avons donc demandé à Jean Haudry, le plus grand spécialiste de la linguistique indienne/aryenne, d'en rédiger l'avant-propos. La première page de l'édition EAS indique : "avec nos remerciements au Prof. Dr. Jean Haudry, qui a eu l'amabilité et le désintéressement de rédiger un superbe texte d'introduction à la présente édition de l'ouvrage de B. G. Tilak". Une étude de la plus haute qualité scientifique dans laquelle Haudry réaffirme l'origine nordique des peuples dits "indo-européens".

Au cours des dernières années et jusqu'à aujourd'hui, la relation épistolaire avec lui a été permanente. Des conversations longues et profondes, toujours sur les différents aspects de notre monde originel, récemment il a montré sa disponibilité pour m'aider dans tous les aspects où j'aurais besoin de ses conseils académiques pendant l'élaboration de ma thèse de doctorat, qui touche des sujets proches de ceux dans lesquels il était un spécialiste absolu.

Jean Haudry n'est plus parmi nous, il est retourné à l'Aryenyo vajo, notre patrie primordiale à laquelle il a consacré sa vie intense.

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samedi, 27 mai 2023

Jean Haudry et l'énigme indo-européenne

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Jean Haudry et l'énigme indo-européenne

Par Constantin von Hoffmeister

Source: https://arktos.com/2023/05/24/jean-haudry-and-the-indo-european-enigma/?fbclid=IwAR2WmQd6ERfpoXxE-iEe0SbEUiAbWVn_6We--tt-IhTV9VpjdHfMJA7pgHI

Constantin von Hoffmeister rend un hommage poignant à Jean Haudry, explorant l'impact durable de l'universitaire sur les études indo-européennes et son rôle influent au sein de la Nouvelle Droite française.

Alors que la pâleur du crépuscule d'hier descendait, un silence s'est abattu sur l'Europe. Jean Haudry, homme de lettres passionné par l'étude des langues anciennes et des cultures qui les accompagnent, a achevé son pèlerinage vers la mort et est entré dans les salles de fête du Valhalla. Avec son départ, nous nous trouvons au bord d'un gouffre, celui de l'introspection, regardant vers l'abîme et l'écho d'un héritage laissé derrière nous. Cette figure éminente, monument de fidélité indéfectible, de perspicacité scientifique et de curieuse fusion entre la rigueur de l'enquête et les points de vue partisans, nous invite à une méditation solennelle.

Le voyage de Haudry a commencé le 28 mai 1934 - un jour de brise illuminé par un soleil exceptionnellement radieux - dans le bourg Perreux-sur-Marne, niché dans le cœur vibrant de la France. Les vents du destin ont voulu que son chemin serpente à travers les rigueurs académiques et les subtilités politiques, créant une histoire de vie aussi complexe que les civilisations anciennes qu'il a consacré son existence à comprendre.

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Dès son plus jeune âge, Haudry est attiré par les souvenirs lointains des langues oubliées. Il s'est plongé dans l'étude des langues indo-européennes, vestiges fantomatiques de civilisations autrefois florissantes. Le sanskrit, joyau linguistique sacré de l'Orient, le grec ancien, dialecte des philosophes renommés, et le latin, langue dominante du puissant Empire romain, ont tous trouvé en Haudry un érudit dévoué.

La marche inexorable du temps l'a conduit dans les salles estimées de l'Université de Lyon III. C'est là qu'il a construit un récit illuminant sur la linguistique pour ceux qui ont eu la chance d'apprendre sous sa houlette. Ses écrits sur les civilisations indo-européennes - explorations approfondies de la langue, de la mythologie, de la culture et de la religion - ont apporté richesse et compréhension à ces domaines. Les fonctions éminentes qu'il a occupées en tant que doyen de la faculté des lettres et directeur de l'Institut d'études indo-européennes de l'université ont encore renforcé sa position en tant que force intellectuelle avec laquelle il faut compter.

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Dans le domaine de la discussion scientifique, Jean Haudry a fait preuve d'audace en suggérant que les racines des Indo-Européens se trouvaient au cœur d'une géographie circumpolaire. À l'instar de Bal Gangadhar Tilak qui affirmait l'existence d'un berceau arctique, Haudry écarte systématiquement les régions méditerranéennes du panthéon des origines potentielles de la culture indo-européenne. Son argumentation repose sur l'absence flagrante de la végétation propre à cette région dans le lexique indo-européen. Sa théorie s'étend même jusqu'aux confins du Nord, englobant des territoires tels que la Scandinavie et la Russie septentrionale, en utilisant l'absence flagrante du terme désignant le hêtre dans le vocabulaire indo-européen: telle était la pierre angulaire étayant ses affirmations.

La thèse de Haudry, qui fait écho aux battements rythmiques de sa cosmogonie primordiale, est distillée principalement à partir d'une analyse comparative des données indiennes et grecques. Cette approche entre en résonance avec la méthodologie de Tilak, qui a osé interpréter les Védas comme contenant des messages codés désignant l'Arctique comme le lieu de naissance des anciens Aryens. Malgré leurs approches distinctes, les deux chercheurs empruntent une voie non conventionnelle, proposant les régions polaires comme le berceau premier de cet ancien peuple. Alors qu'ils dansent sur la symphonie des origines indo-européennes, leurs airs distincts s'harmonisent, chacun ajoutant ses propres notes sonores à la grande orchestration de notre compréhension de cette société primordiale.

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Une facette captivante de la vie de Haudry a été son association avec la Nouvelle Droite française. Ce mouvement politique novateur, reconnu pour ses interprétations spécifiques et originales des idéologies conservatrices, a trouvé en Haudry un partenaire intellectuel sympathisant. Pour beaucoup, cette alliance était un témoignage du pouvoir de l'honnêteté intellectuelle, une fusion de la brillance académique et de la pensée politique révolutionnaire.

La Nouvelle Droite française a trouvé une fréquence en résonance dans le cœur de Jean Haudry. Son manifeste, imprégné de la préservation de l'hétérogénéité ethnique, vibrait en harmonie avec les sentiments de Haudry. Lui aussi était habité par une profonde inquiétude face à l'effacement rapide et impitoyable des identités ethniques distinctes face à ce monstre dévorant qu'est la mondialisation. Les recherches de Haudry, en particulier ses incursions dans les études indo-européennes, étaient intrinsèquement enracinées dans un désir profond de maintenir intact le tissu culturel du monde. Les fils vibrants de la langue et de la tradition, laborieusement tissés par les civilisations du passé, risquaient de s'effilocher et d'être remplacés par une morne uniformité.

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L'éthique de la Nouvelle Droite, ardente défenderesse de la protection de la multiplicité culturelle, a trouvé un alignement parfait avec les convictions académiques de Haudry. Dans cette association métapolitique, il perçoit un reflet de sa propre ferveur scientifique - un désir commun et brûlant de protéger le riche patrimoine de l'humanité contre le raz-de-marée de l'homogénéisation.

En effet, Haudry ne voyait pas dans la Nouvelle Droite une antithèse mais une confluence d'idéaux, une vision de la préservation de la myriade de joyaux linguistiques et culturels qui ornent la couronne de l'histoire de l'humanité. Pour lui, cet alignement politique n'était pas un compromis mais plutôt une affirmation de sa passion profonde pour la sauvegarde de la mosaïque colorée de la culture humaine. La Nouvelle Droite lui a offert une plateforme qui reflétait sa mission académique, entremêlant ainsi les domaines de la politique et de l'érudition dans une danse aussi complexe que profonde.

Les liens de M. Haudry avec l'institution réputée qu'est le GRECE, acronyme français du Groupe de recherche et d'études sur les civilisations européennes, ont ajouté une autre couche de profondeur à sa relation complexe avec la Nouvelle Droite. Le GRECE, un groupe de réflexion à l'influence considérable, est un pilier intégral de la Nouvelle Droite, fournissant la substance intellectuelle et la direction à l'idéologie du mouvement. L'association de Haudry avec le GRECE n'est pas une simple note de bas de page dans son parcours académique, mais plutôt un chapitre important, illustrant sa volonté de s'engager avec des structures politiques qui partagent ses idéaux de prolonger la gloire du monde indo-européen et de ses multiples avatars. Son association avec le GRECE a amplifié ses recherches dans un environnement politiquement fécond, créant une interface unique et dynamique entre le monde universitaire et le domaine de l'idéologie politique. À bien des égards, cela a réaffirmé la synchronicité entre les recherches intellectuelles de Haudry et les fondements idéologiques de la Nouvelle Droite.

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Bien que ses détracteurs remettent en question ses affiliations politiques, il est évident pour beaucoup que l'association de Haudry avec la Nouvelle Droite fait partie intégrante de son identité multidimensionnelle. Elle témoigne de sa volonté de protéger les murmures du passé contre la cacophonie de l'homogénéité moderne. C'était le reflet de sa conviction que le monde universitaire et la gouvernance pouvaient et devaient se croiser, pour aboutir à un discours plus riche et plus nuancé que les chambres d'écho dans lesquelles se sont transformés nos établissements d'enseignement supérieur contemporains.

Dans le grand bilan de l'existence, l'histoire de la vie de Haudry se dresse comme un monument durable à la puissance de la ténacité intellectuelle et du dévouement inébranlable. Tel un navire solide face à la tempête hurlante des critiques, il s'est accroché à ses convictions, son alliance avec la Nouvelle Droite lui servant d'ancre solide au milieu des mers turbulentes de l'opinion publique. Cette association, bien que faisant l'objet d'un débat controversé pour certains, est loin d'être un emblème de controverse pour Haudry. Au contraire, elle lui a servi de phare, illuminant son courage de s'aventurer dans les territoires inexplorés de la connaissance, guidé par la boussole de ses convictions.

Son affiliation à la Nouvelle Droite n'est pas seulement le signe d'une tendance politique, mais révèle une position philosophique plus large, un engagement à maintenir les fondements de la civilisation occidentale, comme il l'a fait avec son étude méticuleuse des communautés archaïques. Il était prêt à naviguer dans le labyrinthe non conventionnel des idées dans sa quête incessante de la sagesse.

Par conséquent, alors que nous arrivons à la scène finale de ce récit biographique, nous devons souligner que la vie de Haudry n'émet pas la clameur vide des querelles intellectuelles. Au contraire, elle vibre de la mélodie harmonieuse d'une foi durable et d'un dévouement incessant. L'existence de cet homme, marquée par la valeur intellectuelle, déploie la saga de celui qui s'est aventuré dans les domaines vierges de la recherche académique et dans l'arène turbulente du débat public.

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mardi, 23 mai 2023

Disparition de Jean Haudry

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Disparition de Jean Haudry

Armand Berger

Source: https://institut-iliade.com/disparition-de-jean-haudry/

Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d’une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant.

Le professeur Jean Haudry est décédé ce matin à 7 heures, à l’âge de 88 ans. Avec cette triste nouvelle, nous apprenons le départ d’un grand savant dont la carrière de chercheur était pleinement consacrée à l’étude de la linguistique et de la civilisation indo-européennes.

Le parcours de Jean Haudry a été exemplaire. Élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il est reçu au concours de l’agrégation de grammaire en 1959. Il a enseigné successivement aux universités de Montpellier et de Paris comme assistant de latin et de linguistique, avant d’être nommé maître de conférences de sanskrit et de grammaire comparée à l’université de Lyon. Il a soutenu une thèse en 1977 et, cinq années plus tard, fondé un Institut d’études indo-européennes dans la même université. Par ailleurs, Jean Haudry a été élu directeur d’études de grammaire comparée des langues indo-européennes à la IVe section de l’École pratique des hautes études en 1976. Il est devenu professeur émérite en 1998. Parallèlement à son enseignement, Jean Haudry a exercé les fonctions de directeur d’UER dans l’ancienne université Lyon II et de doyen de la Faculté des Lettres et Civilisations de l’université Lyon III. La liste des publications de Jean Haudry est particulièrement abondante : elle comprend plus de cent cinquante titres, dont une dizaine de monographies, traduites pour certaines dans plusieurs langues. Par ailleurs, ses articles ont été publiés dans les revues les plus savantes de linguistique ou d’études indo-européennes : Bulletin de la société de linguistique de Paris, Journal Asiatique, The Journal of Indo-European Studies ou encore Revue des études latines.

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Jean Haudry a été l’élève de grands maîtres desquels il se réclamait. Pour le sanskrit, dont il deviendra un éminent spécialiste, il est redevable à Armand Minard et Louis Renou. Pour la linguistique, à André Martinet. Pour l’indo-européen, à Émile Benveniste. Pour le grec, à Michel Lejeune. Pour le latin, à Jacques Perret. Sa solide formation universitaire, acquise auprès de ces savants, l’a conduit à devenir un indianiste hors-pair. La publication en 1977 de sa thèse sur l’Emploi des cas en védique : introduction à l’étude des cas en indo-européen était déjà signe de recherches inédites et prometteuses. Toutefois, Jean Haudry s’est éloigné de la reconstruction phonétique et morphologique indo-européenne, bien que la morphologie soit abordée dans un ouvrage intitulé Préhistoire de la flexion nominale indo-européenne en 1982. Ses connaissances en linguistique indo-européenne lui ont permis de publier dans la collection « Que sais-je ? » des Presses Universitaires de France un volume sur L’Indo-européen en 1979 qui, en dépit de la difficulté du sujet, a connu un grand succès d’édition et fut réimprimé à plusieurs reprises. L’éditeur commande alors un second livre à Jean Haudry, portant cette fois-ci sur les Indo-Européens. Le sujet ne touchant pas à la linguistique, il fallait donc se documenter. La présentation de l’exposé doit beaucoup aux trois fonctions duméziliennes. Alors qu’il rédige l’ouvrage, Jean Haudry découvre la traduction française de L’origine polaire de la tradition védique de Bâl Gangâdhar Tilak, dans la traduction de Jean Rémy. Il trouve une idée similaire également chez Ernst Krause : le postulat d’un habitat circumpolaire à un stade précoce de la formation du peuple indo-européen.

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Commence alors une nouvelle phase de recherche, centrée sur la notion de « tradition indo-européenne », que Jean Haudry a développé à partir des années 1985-86. Jusqu’alors, les chercheurs qui s’efforçaient de reconstituer la culture des Indo-Européens le faisaient au moyen de la paléontologie linguistique. Toutefois, un certain nombre d’irrégularités ou d’archaïsmes ont été relevés, et ont posé problèmes. L’exemple bien connu de la crainte que l’aurore ne revienne pas, dans la tradition védique, constitue tout simplement une donnée héritée, transmise. Et ce n’est pas en Inde, évidemment, que cette tradition a pu naître. L’introduction de la notion de tradition a changé complètement les perspectives en matière d’études indo-européennes, comprenant désormais une dimension diachronique, et a permis d’intégrer des réalités beaucoup plus anciennes que celles avec lesquelles on opérait habituellement. Pour revenir à la chronologie, on situe les derniers Indo-Européens, c’est-à-dire les locuteurs de l’indo-européen commun, au quatrième millénaire, dans la steppe pontique. En tenant compte des données de la tradition, on peut en revanche identifier un héritage qui remonte au septième millénaire. Toutefois, une telle perspective ne permet pas de remonter indéfiniment à des états antérieurs. Ce que les linguistes appellent « Indo-Européens » appartiennent à la période reconstruite. L’existence d’une tradition indo-européenne dont ils sont les héritiers permet de dégager de nouvelles perspectives.

Cet apport considérable de Jean Haudry aux études indo-européennes, qui travaille dès lors en diachronie, l’a conduit à s’intéresser à la religion cosmique des Indo-Européens. Il publie sur le sujet une monographie en 1987, dans laquelle il développe une thèse des trois cieux indo-européens. Dans cet ouvrage dense et érudit, Jean Haudry est parvenu à montrer le souvenir précis d’une dimension circumpolaire dans la tradition indo-européenne en se fondant sur les cycles temporels. Cette dimension circumpolaire est une thèse intéressante, car elle est aujourd’hui confirmée par de récentes découvertes en paléogénétique qui ont permis de retrouver les traces d’un héritage génétique de chasseurs-cueilleurs septentrionaux chez les populations des steppes pontiques de la fin du Néolithique.

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Jean Haudry a également exploré la tradition indo-européenne en prenant en compte les nombreuses données de correspondances linguistiques qui sont à la base du formulaire. La reconstruction du formulaire indo-européen, fondée sur la concordance de séquences de formes superposables dans deux ou plusieurs littératures indo-européennes (dans les Védas, chez Homère, mais aussi dans l’Avesta voire dans l’ancienne poésie germanique), sous la forme de syntagmes nominaux composés d’un substantif et d’un adjectif épithète, permet d’approcher la tradition poétique indo-européenne ainsi que d’accorder de l’importance aux notions. C’est ainsi que Jean Haudry relève de nombreuses occurrences formant la triade pensée – parole – action, dont il tire un livre en 2009.

Jean Haudry s’est également intéressé à la présence du feu dans la tradition indo-européenne, en particulier dans un copieux ouvrage paru en 2016. La présence très ancienne du feu, attestée bien avant l’apparition des Indo-Européens – elle se trouve déjà en Europe plus de 300 000 ans avant notre ère – a été intégrée très tôt à la mythologie. Cette réalité ancestrale du feu constitue l’un des points essentiels de la première période de la tradition indo-européenne, celle des temps immémoriaux.

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Jusqu’aux derniers moments de sa vie, Jean Haudry a été un savant prolixe. Preuve en est la parution de deux ouvrages aux éditions Yoran Embanner. Le premier, publié l’an passé, est intitulé Sur les pas des Indo-Européens, et se présente sous la forme d’un recueil d’articles déjà parus ou inédits, précédé d’un bel entretien et complété par une bibliographie exhaustive de ses travaux académiques. Un autre livre a été publié il y a un mois : le Lexique de la tradition indo-européenne. Il s’agit sans aucun doute du grand œuvre de Jean Haudry, élaboré pendant au moins une décennie. La matière contenue dans cette somme montre l’étendue de l’érudition d’un savant qui connaissait aussi bien les langues védiques que la poésie vieil-anglaise, qui était à tu et à toi avec les dieux la Grèce ancienne et de l’Iran.

Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d’une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant. Autant de qualités rassemblées en un seul homme qui demeure, pour des générations de linguistes et d’historiens des religions, un véritable mentor dont la gloire est impérissable.

Armand Berger
Membre du Pôle Études de l’Institut Iliade

 

jeudi, 31 mars 2022

Les racines indo-européennes de l'Iran chiite

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Les racines indo-européennes de l'Iran chiite contemporain

Daniele Perra

Ex: https://www.lintellettualedissidente.it/controcultura/filosofia/le-radici-indoeuropee-delliran-sciita/

La République islamique d'Iran reste encore un pays entouré de mystère pour beaucoup. Cependant, le système établi par les Ayatollahs, bien qu'également inspiré par d'autres expériences révolutionnaires du 20e siècle, a ses racines profondes dans l'histoire, la culture et la tradition d'un espace sur terre où la métaphysique rencontre la métagraphie.

Le Zaratusht-Nameh (le livre de Zoroastre) raconte que lorsque le Prophète avait trente ans, il a ressenti le désir d'Eran-Vej (en Pahlavi ou Persan moyen ; "Airyanem Vaejah" en Vieux Persan) et il est parti avec quelques compagnons, hommes et femmes, vers cette terre. Avoir le besoin d'Eran-Vej signifie désirer le Pays des Visions Célestes. Cela signifie atteindre le centre du monde : le but de tout véritable homo religiosus. Eran-Vej est le lieu de rencontre des Saints Immortels ; c'est le "centre sacré" où les Célestes et les Terriens communiquent. Les événements de cette terre n'ont pas de "dates historiques" : ce sont des épisodes hiérophaniques qui, par conséquent, appartiennent à la sphère de la hiérohistoire. Et l'espace hiérophanique est toujours et à chaque fois au centre. Les paysages d'Eran-Vej, bien que parfaitement réels, n'appartiennent pas à la sphère de la topographie matérielle. Ils n'appartiennent pas à une dimension géographique spatiale mais à une dimension géographique sacrée. Il s'agit d'une géographie imaginaire et l'entrée dans Eran-Vej, qui a lieu le dernier jour de l'année (la veille de Now-Ruz), marque la rupture avec les lois du monde physique. Et c'est toujours à Eran-Vej que Zoroastre se retirera dans une grotte de montagne "ornée de fleurs et de sources jaillissantes": un lieu qui offrira à sa méditation une parfaite imago mundi.

Eran-Vej est situé à Xvaniratha, au centre du keshvar central. Eran-Vej, en fait, est à la fois le centre et l'origine ; c'est le berceau des Aryens (Iraniens). C'est là que les Kayanides, les héros légendaires, ont été créés, et c'est là que la religion mazdéenne a été créée, d'où elle s'est répandue dans les autres keshvars. À l'origine, la terre était établie comme un tout continu, mais suite à l'oppression des puissances démoniaques, elle s'est retrouvée divisée en sept keshvars. Les keshvars, dit le grand iraniste Henry Corbin, plutôt que des "climats", sont des zones de la terre selon une représentation analogue à celle de l'orbis latin. Le keshvar central susmentionné est appelé Xvaniratha ("roue lumineuse") ; celui de l'est Savahi ; celui de l'ouest Arezahi ; ceux du sud sont respectivement Fradadhafshu et Vidadhafshu ; tandis que les deux du nord sont appelés Vourubareshti et Vourujareshti.

    Quant à leur position, elle se déduit astronomiquement par rapport au keshvar qui en est le centre, et dont la présence est donc situative de l'espace avant d'être elle-même située dans l'espace. En d'autres termes, il ne s'agit pas de régions réparties dans un espace donné au préalable, espace homogène ou quantitatif, mais de la structure typique d'un espace qualitatif.
    Henry Corbin

Xvaniratha représente la totalité de l'espace géographique accessible à l'homme. Celle-ci a été à son tour divisée en sept régions selon un schéma élaboré, entre autres, par le savant iranien al-Biruni (970-1050 après J.-C.). Selon ce schéma, le cercle central est le pays de l'Iran, autour duquel sont regroupés six autres cercles, tangents les uns aux autres et de rayon égal, représentant, au nord, le monde slave-byzantin et le Turkestan ; au sud, l'Arabie et l'Inde ; à l'ouest, la Syrie et l'Égypte ; à l'est, la Chine et le Tibet. L'Iran est donc dépeint comme le centre du monde. Il s'agit d'une conviction extrêmement répandue dans la culture iranienne qui a trouvé une confirmation considérable dans la poésie persane, tant mazdéenne que zoroastrienne et islamique. Le Sad-Dar (ou livre des Cent Portes) déclare : "Le pays de l'Iran est plus précieux que tout autre car il est au centre du monde". Le même concept est repris dans le texte médiéval Haft Peikar (Les sept princesses) de Nizami Ganjavi, qui déclare : "Le monde est le corps et l'Iran est le cœur".

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Plus récemment, cette idée a également pris des connotations plus géopolitiques. En effet, un important hojjatoleslam (preuve de l'islam) iranien, interviewé par Claudio Mutti dans la revue d'études géopolitiques Eurasia, a déclaré :

    Le mouvement religieux et stratégique de la révolution islamique a assigné à l'Iran une fonction géostratégique. (...) L'Iran est devenu le cœur géostratégique.

L'impact de la révolution islamique sera évalué dans la suite de ce travail. Maintenant, il est bon de se concentrer sur l'idée de l'Iran comme "centre du monde".

L'être aryen (iranien) est construit en relation/contraste avec l'être touranien. L'iranisme et le touranisme représentent en fait deux interprétations différentes du logos indo-européen. Le Turan est la patrie de la culture indo-européenne nomade. Ce mot ancien est le nom iranien par lequel l'espace géographique de l'Asie centrale était identifié. Dans l'Avesta, le terme désigne le "pays du Tur", c'est-à-dire le peuple nomade des Tuirya, l'ennemi par excellence des Iraniens sédentaires et installés. Ce n'est qu'avec le Shahnameh (Le Livre des Rois) de Firdusi que le terme "Touraniens" commence à désigner les peuples turcs ; bien qu'il n'y ait pas de lien réel entre la culture turque et la culture des anciens Turcs. L'espace touranien est donc le centre éternel à partir duquel se sont répandus les peuples habitant une partie de l'immense dimension spatiale eurasienne. L'Iran, en revanche, est la terre habitée par des tribus provenant du même espace touranien qui, avec le temps, se sont sédentarisées, perdant les caractéristiques nomades et pastorales originelles de la culture indo-européenne. L'Iran (ou Airyana - terre des Aryens), en fait, dérive du terme "arya" qui signifie "laboureur". Celui-ci, à son tour dérivé de la racine "ar", également présente dans plusieurs termes latins de même sens, désigne un titre honorifique particulier inextricablement lié à la terre comme expression de stabilité, de fixité et d'espace sacralisé. En Iran, les Indo-Européens ont d'abord construit leur propre droit purement "terrestre".

Cette "opposition" entre les mondes nomade et sédentaire était également présente lorsqu'une religion "étrangère" est apparue parmi les tribus nomades du désert de la péninsule arabique : l'Islam. Le grand penseur arabe Ibn Khaldoun (1332-1406), dans son œuvre monumentale Kitab al-ibar (Livre des exemples historiques) précédée de la longue introduction al-Muqaddimah (Prolégomènes), a démontré comment les populations nomades, plus disposées aux actes de courage et à un mode de vie éloigné du luxe par rapport aux sédentaires, vivaient dans une condition existentielle plus pure, marquée uniquement par la satisfaction des besoins primaires et, donc, le partage du sacré. Cette idée a également été adoptée par le penseur traditionaliste français René Guénon, qui considérait la sédentarisation comme l'expression de ce processus de "solidification" qui, dans sa perspective, était inexorablement lié à l'éloignement progressif de l'homme de la Tradition. Mais le théoricien de l'asabiyyah (que l'on peut traduire par "solidarité d'esprit"), contrairement à Guénon, a interprété la sédentarisation comme un passage ultérieur au nomadisme (origine de la civilisation), mais pas nécessairement comme une déviation "négative" de celui-ci.

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Bataille entre l'Iran et Turan dans le Shahnameh

Ibn Khaldoun, dans son œuvre, fait expressément référence à la condition de l'homme face au désert (as-sahra en arabe) compris comme un espace vide et inhabité. Un vide physique et métaphysique qui le rend particulièrement adapté aux "visions" et aux "électrocutions" : comme pour saint Paul sur le chemin de Damas ou le prophète de l'islam Mahomet. Le désert est le lieu de l'éveil de l'âme. C'est pourquoi elle s'est si admirablement prêtée à devenir le lieu d'élection d'une religiosité qui vise à combler le vide par la "Parole" et le "Livre révélé" (le Coran). Le déterminisme géographique peut donc, d'une certaine manière, fournir une première clé de compréhension de la principale division sectaire de l'Islam, celle entre Sunnites et Chiites : c'est-à-dire entre l'Islam des Bédouins nomades et celui des Arabes acculturés et sédentarisés ; entre les Arabes du désert et ceux du croissant fertile. Kerbala, le lieu du martyre de Hussein (petit-fils de Mahomet), représente, dans la géographie sacrée de l'Islam, la frontière entre deux manières différentes de concevoir l'Islam lui-même. Mais, en même temps, elle représente une frontière entre deux contextes géographiques différents. Au-delà du Tigre et de l'Euphrate, en effet, commence le plateau iranien : la terre indo-européenne où le mazdéisme aura une influence décisive sur le développement de la théologie chiite.

Cet espace existentiel, même avant l'avènement de l'Islam, était marqué par une conception spirituelle du monde fondée sur l'interdépendance entre l'homme et la nature et entre l'ordre physique et métaphysique. Dans cette dimension, la mort et le mal n'existaient pas. L'homme était un produit de la Lumière qui émane de l'Éternel et la mort n'était conçue que comme un retour à la Lumière originelle. L'âme est descendue sur terre uniquement en vue d'une ascension future. Tout n'était que verticalité et hiérarchie. Une verticalité bien exprimée dans le schéma trifonctionnel (Roi/Prêtres - Guerriers - Paysans) par lequel Georges Dumézil a décrit la société traditionnelle indo-européenne. Dans cette perspective, le mal était essentiellement compris comme l'éloignement du bien ; comme le rejet de l'ordre hiérarchique ou comme la sortie du système des castes dans le cas de l'hindouisme.

Contrairement à la vision typiquement nomade "touranienne" du monde comme une hypostase terrestre de la source éternelle de lumière, étrangère au mal, la cosmovision iranienne reposait sur un principe dualiste dans lequel la lumière et les ténèbres, le bien et le mal, se disputaient la domination de l'homme et du monde. Ainsi, non seulement le mal existait et menaçait l'homme et le monde de ses attraits, mais, plus surprenant encore, il pouvait même, bien que temporairement, prendre le dessus sur le bien. C'est à travers le logos philosophique et religieux iranien (une véritable métaphysique de la lumière) que le temps prend la valeur d'une attente et d'un espoir dans la résurrection, dans le triomphe définitif du bien sur le mal. La lumière dont il est question ici est la "Lumière de la Gloire" à laquelle l'âme de l'homme, une fois portée au sommet de son incandescence, s'identifie afin de pouvoir percevoir l'essence même de la Terre comme un "ange".

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L'archange Spenta Armaiti, fille préférée d'Ahura Mazda et expression de la sagesse divine, a pour antagoniste le démon Taromati, incarnation de la pensée débridée, du tumulte et de la violence. L'activité mentale de l'adorateur qui embrasse Spenta Armaiti définit la nature purement sophienne de la "fille" du Dieu de la Lumière. Il reproduit en lui la pensée de pure sagesse qui est l'essence de l'Ange de la Terre. Il fait donc exister en lui le Spenta Armaiti. C'est la Pensée. Mais dans la pensée il y a un Mot : voici Ashi Vanuhi. Et dans ce Verbe il y a une Action : il y a le siège de Daena, la fille de Spenta Armaiti. La pensée, la parole et l'action représentent la trinité du zoroastrisme.

Le mythe zoroastrien du Saoshyant, celui qui, lors de la rédemption cosmique finale, mènera les armées du bien dans la bataille contre les forces du mal et apportera le renouveau du monde, en fait partie. En effet, dans cette "géosophie" qui s'accomplit à travers les Anges féminins de la terre (Ahura Mazda est entouré de six Archanges trois femmes et trois hommes), l'imagination religieuse mazdéenne purement indo-européenne (il n'aura pas échappé au lecteur attentif que Spenta Armaiti n'est autre que l'Athéna grecque), a configuré un récit imaginaire dans lequel la vision de l'Archange de la Terre engendrant un être humain encore pré-terrestre typifie déjà la génération surnaturelle du Sauveur, le Saoshyant de la dernière heure.

Gayomart, l'Homme primordial a été créé à Eran-Vej, au centre du monde. Les forces du mal, personnifiées par Ahriman, ont fait en sorte que la mort le pénètre. Lorsqu'il est tombé sur le côté gauche, sept métaux sont sortis du corps en métal pur de Gayomart, chacun provenant de son "organe" correspondant, plus l'or : le huitième métal qui provient de l'âme elle-même. Spenda Armaiti a collecté cet or et l'a conservé pendant quarante ans. À la fin de cette période, une plante a poussé du sol, formant le premier couple humain Mahryag - Mahryanag, bien qu'il soit encore difficile d'y distinguer le mâle de la femelle. D'où la profession de foi zoroastrienne :

    J'ai pour mère Spenta Armaiti, je dois ma condition humaine à Mahryag et Mahryanag.

Gayomart, Zoroastre et le Saoshyant représentent le début, le milieu et la fin de l'homme. Zoroastre est Gayomart redivivus, tout comme le Saoshyant sera Zoroastre redivivus. Tous naissent à Eran-Vej, où se déroule la "liturgie" finale qui embrasera le monde.

Ces convictions, tant philosophiques que religieuses, seront en quelque sorte reprises par la théologie islamique chiite dans son courant imamite, celui qui est encore majoritaire en Iran aujourd'hui. Selon cette branche particulière de l'Islam, dont la séparation d'avec le courant littéraliste sunnite est trop souvent réduite à de simples motivations politiques, les douze Imams qui ont assumé la fonction prophétique après la mort de Mahomet (auxquels s'ajoutent sa fille Fatima, dont descend la lignée desdits Imams, et le Prophète lui-même) constitueraient le plérôme des "Quatorze Immaculés" : véritables entités éternelles pré-cosmiques qui représentent les Noms et Attributs divins. Ali, cousin et gendre du prophète Muhammad et premier Imam, est le Logos. Sa femme Fatima est la Sophia. Elle devient, pour la gnose chiite, Fatima la brillante : une version "islamisée" de Spenta Armaiti. Le dernier Imam, qui s'est caché en attendant sa parousie finale, se tient avec le Prophète Muhammad dans une relation similaire à celle de Zoroastre avec le dernier Saoshyant : Zoroaster redivivus.

Ensemble, ils représentent le Ciel de l'Initiation. Fatima/Sophia est le cœur du monde spirituel. C'est grâce à elle que la création est de nature sophianique et que les Imams sont investis de la sophianité qu'ils communiquent à leurs adeptes. Avec la parousie finale du douzième Imam Muhammad al-Mahdi, qui aura lieu le premier jour de l'année (Now-Ruz), la restauration de toutes choses dans leur splendeur et leur intégrité primordiale sera réalisée. Mais son nouvel avènement ne vient pas de nulle part. Il s'est caché parce que les hommes se sont rendus incapables de le voir. Ils se sont privés du monde intermédiaire où les Célestes communiquent avec les Terriens. Le mundus imaginalis, le lieu des visions théophaniques, n'existe plus. Et avec sa disparition, le nihilisme (le néant qui nihilise, pour reprendre une expression heideggerienne) et l'agnosticisme ont commencé. Ainsi, la désoccultation de l'Imam de "notre temps" ne peut être qu'un processus graduel. Le fidèle chiite doit être un coopérateur de l'Imam occulte afin de préparer sa venue. Devenu pèlerin de l'esprit, le croyant s'élève vers le monde de Hurqalya : le lieu des réalités imaginaires établi comme médiateur entre les pures essences intelligibles et l'univers sensible qui, dans la perspective "islamisée" du monde iranien, contrairement à Eran-Vej, n'est pas seulement le centre du monde mais aussi le centre entre les mondes. Ici, le pèlerin de l'esprit, comme le fidèle mazdéen qui abrite en lui Spenta Armaiti, produit en lui l'avènement de l'Imam attendu.

Toujours dans la sphère indo-européenne, la recherche/préparation de l'avènement de l'imam occulte peut être comparée à ce que l'on appelle dans la tradition védique la chasse à Agni (divinité représentant les forces de la lumière), dont on dit parfois qu'il "se cache dans son refuge". Mais le thème de la dissimulation du divin est répandu dans toute l'énorme dimension spatiale dans laquelle les peuples indo-européens se sont installés. Zeus est né et a vécu les premiers moments de sa vie dans le diktaion antron de Crète, nourri par la nymphe Amalthée sous forme de chèvre, afin de pouvoir échapper à la fureur dévorante de son père Kronos ; dieu titanesque du temps et de la fertilité, fils d'Uranus et de Gaea, terrifié par la prophétie qui voyait son trône vaciller aux mains de son propre fils. Et dans cette même grotte, centre sacré hors du temps à l'intérieur duquel personne d'autre ne pouvait naître ou mourir, le jeune Epiménide, à la recherche de ses troupeaux, s'endormit à l'instant de midi, se réveillant cinquante-sept ans plus tard, l'apparence physique inchangée par l'expérience atemporelle souterraine mais habile dans l'art de la divination. Epiménide lui-même, selon Diogène Laërtius, a accompagné le philosophe Pythagore dans la même grotte, où il est resté pendant vingt-sept jours. La figure de Pythagore est souvent associée à celle du prétendu "dieu" dace Zalmoxis. Zalmoxis, considéré par les sources grecques comme un esclave à qui Pythagore a enseigné la doctrine de la transmigration des âmes, une fois réapparu devant son peuple après s'être caché pendant plus de quatre ans dans une habitation souterraine, est devenu l'objet d'un véritable culte.

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Mais il existe également d'autres exemples plus proches dans le temps. Le plus célèbre est sans doute celui lié à la tradition gibeline. Le "mythe", dans ce cas, est lié à la "lignée divine" des Hohenstaufen. On dit que Frédéric Ier Barberousse vit dans un "sommeil magique" avec ses chevaliers, attendant de descendre dans la vallée depuis la symbolique montagne Kyffhäuser, lorsque les corbeaux auront fini de tourner autour de la montagne et que l'arbre sec aura repoussé, pour livrer la bataille décisive qui déterminera l'aube d'une nouvelle ère du monde. Et n'oublions pas une autre croyance largement répandue dans la région des Carpates et de la Danubie. Il s'agit de la croyance selon laquelle le voïvode de Moldavie, Étienne le Grand, est toujours vivant et en état de dissimulation jusqu'à sa nouvelle apparition eschatologique.

Ces similitudes évidentes entre les mondes européen et asiatique ne sont guère surprenantes. La racine indo-européenne commune aux nombreux peuples qui partagent le grand espace eurasiatique n'est qu'un des nombreux aspects qu'ils ont en commun. Des aspects qui ont été relevés à plusieurs reprises depuis l'Antiquité et qui, une fois de plus, trouvent en partie leur origine dans ce "mythe" à travers lequel l'homme interprète son être au monde.

Dans la Théogonie d'Hésiode, par exemple, l'Europe et l'Asie, engendrées par Océan et Thétis, sont décrites comme deux sœurs appartenant à la "lignée sacrée des filles qui, sur terre, élèvent les hommes à la jeunesse, avec le Seigneur Apollon et les Fleuves". Ce serait la tâche qui leur serait confiée par Zeus. Parmi les sœurs d'Europe et d'Asie se trouve Perséide, dont le nom est étroitement lié à celui de son fils Persée et du Persée grec ; tous deux sont considérés comme des ancêtres des Perses. Persée, fils de Zeus et de Danaé, vint chez Céphée, fils de Bélos, et épousa sa fille Andromède, qui lui donna un fils nommé Perse. C'est de ce fils, resté à Céphée sans descendance mâle, que les Perses ont tiré leur nom. L'Europe et l'Asie, la Grèce et la Perse, ont donc été considérées dès l'Antiquité comme des sœurs, distinctes mais inséparables, issues de la même lignée divine. C'est ce que dit Eschyle, vétéran de la bataille de Marathon, dans sa tragédie Les Perses. Une œuvre dans laquelle le grand dramaturge grec, comme l'indique Claudio Mutti, a également adopté une position résolument "sympathique" à l'égard du souverain perse Xerxès : une position qui n'était pas rare dans l'Antiquité.

Le terme même de "barbare", utilisé dans l'Antiquité par les Grecs pour désigner leurs voisins asiatiques, n'impliquait aucune connotation négative. Cela signifiait simplement un pays où la langue grecque n'était pas parlée. Au contraire, les Perses étaient souvent présentés dans une relation d'affinité remarquable avec le monde grec. L'historien Hérodote, par exemple, n'a pu s'empêcher d'identifier Ahura Mazda avec le Zeus hellénique. Toutefois, il convient de rappeler que les "Perses" se sont toujours appelés "Iraniens" (Irani). L'Empire perse, quant à lui, était identifié à l'Iranshar ou Aryana Khashatra (Empire iranien ou aryen). Celle-ci, avant même d'être une entité politique, était une entité spirituelle. Et le concept de l'Iran comme "terre des Aryens" était considéré comme une "idée immortelle". Pour le démontrer, on pourrait citer l'épisode que le penseur russe Konstantin Leont'ev a décrit dans son ouvrage Byzantinisme et monde slave, en citant un passage d'un texte d'Aleksandr I. Herzen. Dans ces pages, le précurseur de l'eurasisme raconte un événement que l'on appelle, à tort ou à raison, les "Thermopyles perses". Pris en mer par une violente tempête, certains nobles perses, afin d'alléger le navire et de sauver leur souverain (Xerxès), se sont délibérément jetés à la mer après avoir salué l'empereur. Un tel geste, du point de vue de Leont'ev, constituerait un acte d'amour bien plus gigantesque et terrible que celui accompli par Léonidas et les Spartiates aux Thermopyles. En effet, il est beaucoup plus facile de se sacrifier dans le feu de la bataille que de choisir de sang-froid de se sacrifier pour une idée. Cette idée était "l'Iran éternel".

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Konstantin Nikolaevič Leont'ev

Or, l'Europe et l'Asie, comme l'a déjà abondamment cité Hérodote, bien qu'indiscernables à la base, ne pouvaient qu'entrer en guerre. En fait, la communion spirituelle originelle du monde eurasien s'est lentement estompée au point de sanctionner une séparation entre "l'Ouest" et "l'Est" clairement distinguable, même en termes géo-philosophiques. Cette séparation, à son tour, se retrouve également au sein des mêmes religions, le christianisme étant divisé entre le catholicisme et l'orthodoxie et l'islam entre l'averroïsme "occidental" et le mysticisme oriental. Si le chemin de la religiosité occidentale s'est perdu dans les méandres de la modernité et du rationalisme, on ne peut pas en dire autant de celle de l'Orient. Ici, l'homme, malgré les dangereuses dérives anti-traditionnelles de facture fondamentaliste, n'a pas encore totalement perdu le contact avec le sacré. Ici, l'homme est encore essentiellement un homo religiosus qui aspire à vivre le plus près possible du centre du monde. Et en Iran, ce type d'humain, étranger aux formes messianiques sécularisées et contrefaites de l'Extrême-Orient, comme nous avons essayé de l'expliquer précédemment, a vraiment conscience d'être au cœur du monde.

La Révolution islamique, après l'intoxication occidentale de l'ère Pahlavi, a indéniablement joué un rôle fondamental à la fois pour rendre à l'Iran cette "centralité géo-historique" perdue et pour assurer une véritable sauvegarde du sacré. En restituant au Divin la souveraineté qui lui avait été usurpée par l'homme, elle a reconstruit le lien entre les mondes physique et métaphysique. La Révolution a fait de l'Iran un modèle : un pôle géopolitique qui libère son potentiel idéologique dans le sens de l'ampleur et de l'exaltation. L'Iran est le symbole de l'humanité qui ne s'abandonne pas au matérialisme et à l'individualisme. Et la Révolution est le mythe "refondateur" d'une Nation et d'un peuple prêt à faire le sacrifice extrême pour défendre sa souveraineté. La défense même de ses frontières, identifiée par les gardiens de la révolution comme la "ligne rouge" qui ne doit jamais être franchie par les puissances étrangères, prend en ce sens une valeur sacrée. Celle-ci, en effet, trouve ses racines dans la tradition indo-européenne : dans cette opération magico-rituelle que le souverain/pupille (entendu au sens littéral de "bâtisseur de ponts" entre l'humain et le divin) effectuait lorsque, en indiquant sur le sol l'espace consacré par son autorité, il délimitait le domaine du sacré de celui du profane.

L'obsession des chancelleries occidentales pour l'Iran provient du fait qu'il est l'antithèse (plus encore que le socialisme confucéen chinois) d'un modèle de civilisation qui a placé à sa base ce matérialisme qui, comme l'affirme Ruhollah Khomeini, ne pourra jamais faire sortir l'espèce humaine de la crise.

    Sortir l'humanité d'une crise causée précisément par le manque de foi en l'Esprit.
    Ruhollah Khomeini

samedi, 04 septembre 2021

La tradition native des Européens n'est pas morte. Elle sommeille comme Blanche-Neige dans son cercueil de verre ! 

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La tradition native des Européens n'est pas morte. Elle sommeille comme Blanche-Neige dans son cercueil de verre ! 

Libres propos en guise d’hommage à Jean Haudry

par Frédéric Andreu

L’observation attentive des visiteurs du site pariétal de Lascaux a conduit les  sociologues a formuler une réflexion d'une portée dépassant largement le cadre de leur recherche. A l’époque, une copie de la grotte éponyme venait d’être construite à quelques lieues du site original. C’est cette copie que les touristes visitent et non la grotte originale. Un fac-similé en plâtre, en tous points conforme à l’original, double le site pariétale unique au monde dans le but de le protéger de la corrosion.  

A l’époque de l’aménagement du site, ce fac-similé de la célèbre grotte déclencha, notamment chez Jean Baudrillard, une réflexion de grande portée. Un champs de compréhension de la « post-modernité » s’ouvrit peu à peu en observant attentivement les visiteurs qui s'exclamaient d'aise devant les peintures rupestres  couvertes de bisons. Les visiteurs croyaient que ces peintures doublées de projecteurs étaient les véritables. Au risque de simplifier, l’intuition de Baudrillard peut se résumer en cette formule : entre l’original et la copie, c’est la copie qui l’emporte.

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Mais qu’entend exactement Baudrillard par « original » et « copie » ? Non pas l’observation du processus technique rendant désormais possible la reproduction en série. La « copie » postmoderne est tout autre chose. Il s’agit du tropisme principal propre à elle. Ce tropisme, à la fois captatif et parodique, engendre un ou des parallèles destinés à conduire l’original au rebus. Voici résumé en quelques mots un principe qui reste attaché à Jean Baudrillard mais que l’on rencontre déjà chez les philosophes présocratiques.

La démonstration intellectuelle de Baudrillard eut un certain retentissement chez l’adolescent que j’étais. Poser la question du "dédoublement" dans le champs d'observation de la post-modernité - qui est désormais notre original omniprésent – c'était ce rendre compte que le tout de notre monde est un faux et que ce théâtre durait de la naissance à la mort. La post-modernité dans laquelle je suis né m’est apparu comme un vaste théâtre de dupe. Nous ne mesurons pas toujours combien le monde post-moderne est un double puisqu'il nous apparaît comme notre original exporté désormais au quatre coins du monde. Nous ne voyons généralement pas plus notre monde que le poisson rouge ne voit l’aquarium dans lequel il nage. La technoscience omniprésente est notre univers mais cet univers est un parallèle au réel, non le réel augmenté. Si vous lisez - en cet instant même – ces lignes sur votre écran d'ordinateur, c’est que vous participez sans vous en rendre compte à ce monde spectral, parallèle et luciférien.

Donnons à présent quelques exemples simples de ce qui nous apparaît comme relever du même principe du double : la surface asphaltée du réseau autoroutier double le chemin de terre tout comme les valeurs de la république doublent et les principes anciens de la royauté. Jean-Paul Sartre double Heidegger et nous pourrions donner de multiples exemples qui montrent que la post-modernité est un vaste marché de doubles narcissiques.

Nous pourrions en effet remplir des listes entières de ces dédoublements qui sont devenues la norme de notre monde. En tant que "dédoublements" ou « double », ils participent pleinement à la « cybernétique de l'auto-mouvement du capital » décrit par Guy Debord dans la «Société du spectacle».

Le thème éminemment complexe du dédoublement "porteur de lumière" - au sens luciférien du terme, c’est le sceau même de la modernité. La post-modernité marque simplement une étape dans ce processus : le double est devenu notre monde et l’original est désormais oublié. Le processus se décline en une série de thèmes secondaires qui mériterait un examen approfondi dépassant le cadre d'une simple note sur internet. Voyons que Narcisse est sans doute un de ces thèmes  imbriqués. En effet, Narcisse se noie dans son reflet or qu’est-ce que le reflet sinon un double ? Narcisse a perdu de vue tout rapport a ce qu'il est originellement. De ce point de vue, Narcisse peut être considéré comme l'archétype de l'individu post-moderne.

Le champs du double est trop large pour en dessiner les contours dans le cadre étroit d'une simple note publiée sur internet. En revanche, je crois pouvoir surprendre mon lecteur en montrant que le christianisme est peut être bien la matrice de ce processus. Je précise que je n’ouvre pas ici un procès contre le christianisme ; je pointe simplement ce qui, en lui, relève du dispositif du double. En effet, lorsqu'on observe attentivement la tradition chrétienne, on se rend compte qu'elle « double » une tradition plus ancienne. Plus précisément, le christianisme en temps que processus historique apparaît bien comme une entreprise de captation d’éléments païens.

Cela est vrai de la tradition « orthodoxe » des premiers siècles (commune alors à l'Orient et à l'Occident); moins vrai de sa dissidence romaine et catholique; encore moins vrai de la réforme protestante. Enfin, les Droits de l'Homme peuvent apparaître comme un énième réemploi « devenu fou » des valeurs chrétiennes, pour reprendre la célèbre formule de Chesterton. 

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La lecture des ouvrage de Jean Haudry, notamment la "Religion cosmique des Indo-Européens", a fait réplique - au sens sismique du terme - du tremblement de certitudes déjà entamé par d’autres lecteurs.

Les ouvrages de Baudrillard m'invitèrent à considérer la post-modernité comme relevant d’une série de "doubles" tandis que ceux de Jean Haudry soulevèrent le voile sur la tradition des origines. Dans la "Religion cosmique des Indo-Européens" se dessinent les linéaments de notre «identité» native. D'autres ouvrages du même auteur nous apprenaient que nombre d'éléments que l'on croyaient chrétiens, (comme la triade pensée/parole/action) relèvent en fait d'une tradition bien antérieure au christianisme. La raison en est simple : le christianisme est une religion exogène au sol européen et au monde indo-européen. Pour s’y implanter, le clergé chrétien n'eut de cesse d'incorporer, cela relève d’une stratégie d’appropriation du sacré totalement planifiée par les élites cléricales. Il y a pléthore d'exemples: le culte des Saints a servit à recouvrir celui des dieux et des héros de l'Antiquité; celui de la Vierge Marie a recouvert le culte d'Isis et autres déesses-mères de l'ancienne tradition.

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Afin de pénétrer les structures profondes des peuples européens, la stratégie des Conciles a moins consisté à rejeter le paganisme qu’à «christianiser» ses structures. Le but d’une nouvelle idéologie est toujours la même : s’approprier les postes de pouvoir de la société conquise. Il résulte que le christianisme est une forme "mixte" que l'on peut appeler "pagano-chrétienne".

Toute une cadena aurea de chercheurs, où brillent notamment les noms de Émile Benveniste, Georges Dumézil et Jean Haudry, permet de retrouver le fil d’Ariane de la tradition. Les champs d’exploration respectifs de ces chercheurs ont mis en exergue les lignes de force disparues de l’ancienne tradition. Même si la tradition est morte en occident, elle reste cependant inscrite dans la "boîte noire" de notre identité que sont les anciens mythes de l’Europe. Les études comparées de ces mythes et rites observés chez différents peuples rendent possible la mise en exergue de la « tradition » que Jean Haudry qualifie d’«indo-européenne".

Nous admettons que la formule « tradition indo-européenne » peut rebuter le lecteur profane car elle relève du jargon linguistique. Elle a cependant l’avantage de se distinguer de la formulation de "tradition primordiale" d’obédience ésotérique.

La formule «tradition primordiale» impressionne à première vue plus que «tradition indo-européenne» mais elle est aussi plus trompeuse ; à mon sens, elle est à mettre au nombre de ces fausses fenêtres universalistes d’autant plus que lke cadre de la fenêtre est peint aux couleurs de l’ésotérisme. L’adjectif «primordiale» exclue en outre toute référence à un espace-temps particulier or celle-ci est fondamentale : aucune tradition ne naît dans le vide et celle que Jean Haudry reconstitue relève clairement du grand nord européen.

Au terme de « tradition indo-européenne » nous préférons une autre formulation. «Actualisme» convient à mon avis mieux que tradition indo-européenne. L’«actualisme» désigne tout ce qui dans la société est contenu en puissance et se destine à se traduire en acte : tel est exactement le cas de la tradition indo-européenne.

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À l'heure où nous écrivons ces lignes, des travaux scientifiques relatifs à la "tradition indo-européenne" sont en cours sous la plume de Jean Haudry. Il est important d’insister encore sur le fait que cette tradition est démontrable scientifiquement et ne provient pas de la quincaillerie ésotérique. La méthodologie des linguistes français se base sur les données de langue et de culture, croisées et recroisées entre elles, mais il en est une autre dans laquelle ils excellent moins. Il n’est pas simple pour des gens dont le pays n’a même pas d‘armoirie officielle, et où la tradition nationale a été détruite, de se remettre à l’écoute de ce qui sommeille en eux. La tradition n’est ni objet de musée ni objet de laboratoire, c’est un auto-mouvement cosmique de l’être générique. Elle se décline sur trois plans, un plan cosmique (les trois cieux tournant autour de terre), un plan sociétal (les trois castes fonctionnelles) et un plan personnel (la psychologie individuelle, elle même trine). Les trois couleurs, le blanc, le rouge et le noir, données par la tradition en permet une codification symbolique.

Dans cette perspective, la tradition n’a pas d’origine humaine. Elle contient sa propre finalité interne. Le mouvement des planètes que l’on observe dans le ciel donne une métaphore de ce qu’est la tradition ; un auto-mouvement. A l’extrême, je dirais que la planète terre que l’on croit voir tourner par gravitation autour du soleil  tourne en réalité par « tradition » solaire. Sans tradition, elle s’arrêterait de tourner. Il en va de même de nos peuples indo-européens. Sans tradition, ils se condamnent à disparaître.

Le dispositif des religions et des idéologies lucifériennes consistent en un  détournement de cette attraction surnaturelle de ce que nous sommes. Il agit comme un canal qui détourne l’eau d’un fleuve. 

Mais, même obombrée par des siècles de captation subversive, la tradition native des Indo-Européens réapparaît dans les périodes critiques de l’Histoire. Elle est réapparu au Moyen-Âge sous la forme de la tradition templière ; elle aurait pu apparaître à nouveau en Allemagne au XXème siècle si les nationaux-socialistes n’avaient pas traiter la moitié des peuples d’Europe, les slaves, en «sous-hommes». Elle est en voit de réapparaître aujourd’hui à l’instar du système immunitaire d’un organisme stimulé par la maladie. Dans cette perspective, ce n’est peut être pas un hasard si la tradition remontre le bout de son nez à l’heure grise de la globalisation. Cette globalisation, c‘est l’expression sur terre des puissances de progrès. Plus ces puissances destructrices prennent de l’ampleur, plus les forces contraires, conservatrices, en prennent aussi.

Il y a un sens caché de l’apparaître de ces forces cosmiques qui transcende nos lattitudes individuelles. Sur un plan métaphysique, les travaux de Jean Haudry participent à cet auto-mouvement du retour à la tradition.

Pour comprendre en profondeur « ce qui se passe » les mots ne suffisent pas toujours. Sans doute convient-il de rappeler que la veritas des Anciens n’a rien à voir avec celle des Modernes. Elle en est même l’antithèse symétrique. La vérité des Anciens ne repose pas sur un château de cartes de l’abstraction. L’un des termes grecs pour vérité est «Aléthéïa». Il est lié aux puissances symboliques du dévoilement. Les Anciens Grecs sacrifiaient a des dieux qui étaient représentés sans habit comme pour indiquer qu’ils étaient les puissances symboliques du dévoilement. Le combat que leur livrent depuis toujours les titans - puissances antinomiques du voilement – est aujourd’hui démultiplié par la technologie noire omniprésente de notre quotidien. Le monde parallèle de la technologie relève toujours de la même stratégie du « double » : le  double calque narcissiquement l’original afin de se faire passer pour lui. 

Bref, tout un processus historique d’oubli du cosmos, des dieux et de la tradition d’origine non humaine est depuis toujours à l’œuvre mais la plus sérieuse des atteintes jamais orchestrée contre la tradition indo-européenne c’est la tradition parallèle à celle-ci. Le dispositif mis au point par le clergé chrétien ne consiste pas a détruire la tradition mais a en créer un double le plus proche possible de l’original, à la fois captatif et fascinatoire. En Inde, la tradition native demeure ; en Europe, elle est morte et doublée par son décalque chrétien de diverses obédiences, mais sa résurrection est en cours du moins dans les ouvrages de Jean Haudry.

Cela tombe bien car les mots sont des puissances vibratoires, qui anticipent le réel.

Frédéric Andreu

contact : fredericandreu@yahoo.fr

lundi, 08 mars 2021

Dix questions à Jean Haudry pour ne pas perdre le Nord

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Dix questions à Jean Haudry pour ne pas perdre le Nord
 
Propos recueillis par Frédéric Andreu-Véricel
 
Cher Monsieur, vous venez de commettre un texte fort savant sur le thème de l'habitat des Indo-Européens. Tiré d'un ensemble de travaux en cours, ce dernier s'inscrit dans une conception nordique de la tradition et des hommes.

Sans prétendre faire le tour du sujet, les questions suivantes visent à lever un coin du voile sur ce thème aussi déterminant que controversé (FAV).

1 - À l'instar des Inuits de la zone arctique dont le lexique connait de très nombreux termes pour désigner la neige, la glace et, pour se repérer dans l'espace, d'un nombre encore plus grand de termes pour désigner le blanc, le PIE reflète-il le cadre de vie nordique ?

Il est probable que les Indo-Européens ont eu plusieurs noms de la neige et du gel quand ils habitaient les régions circumpolaires. Toutefois, avec l’optimum climatique qu’on situe entre 12.700 et 10.700 avant notre ère, ces régions étaient moins enneigées qu’elles ne le sont aujourd’hui. En s’installant dans les régions tempérées, les Indo-Européens ont pu perdre les noms de certaines variantes devenus sans objet. Mais le lexique a conservé un doublet significatif. Au début, le nom de la neige s’identifie à celui de l’hiver. Par la suite, il s’est créé un nouveau nom dérivé de la racine signifiant «coller» typique de la neige des régions tempérées de plaine. Pour la couleur blanche, l’indo-européen distingue entre le blanc brillant et le blanc mat.

2 - Votre texte nous apprend par ailleurs qu'une langue agglutinante aurait vraisemblablement précédé la flexion de l'Indo-Européen. Sait-on pourquoi cette mutation s'est opérée en Indo-Européen alors que d'autre langue comme le turc ne l'ont pas connu?

Toute langue agglutinante ne devient pas flexionnelle. Les langues flexionnelles sont rares parmi les langues du monde.

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3 - L'espace circumpolaire (où vous situez la formation de l'ethnie) va du pôle nord au cercle arctique. C'est donc un immense territoire composé d'une calotte glacière, d'îles et de terres. En l'absence de découverte archéologique probante, les spéculations vont bon train quant au lieu de l'habitat. Un espace plutôt qu'un autre a-t-il cependant votre faveur?

L’espace circumpolaire n’est pas nécessairement celui de la formation de l’ethnie qui pouvait exister antérieurement, que ce soit indépendamment ou comme partie d’un groupe plus étendu. Mais il est impossible de préciser le lieu correspondant, qui a pu être englouti à la suite du réchauffement.

4 - Votre approche chronologique de la reconstruction vous a permis de distinguer plusieurs "périodes". La première vaut pour la seule formation de l'ethnie. Pouvez-vous nous dire combien d'autres périodes avez-vous circonscrit et par quoi ces dernières se caractérisent?

La première période de la tradition indo-européenne se caractérise par un panthéon cosmique (Ciel diurne identifié au Soleil, Ciel nocturne, Aurores, Lune, et à prédominance féminine ; c’est le cas pour le Ciel diurne et les Aurores. 
On peut supposer une société archaïque, la bande primitive, dans laquelle les femmes jouissaient d’un statut privilégié et d’une liberté qui s’est conservée partiellement dans le mariage dit «par libre choix» de l’aristocratie.
La deuxième période est celle de la société lignagère, patrilinéaire et patriarcale. Elle s’accompagne de la néolithisation. C’est celle où apparaissent les trois fonctions de Dumézil et où la société s’organise en quatre cercles, la famille, le clan, le lignage, la tribu.
La troisième période est la société héroïque, bien connue des historiens. Elle n’est commune qu’en partie.

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5 - La thèse récente d'un Ulysse balte défendue par Felice Vinci a étonné le monde scientifique. La localisation dans l'espace baltique de la société de type aristocratique décrite par Homère est-elle selon vous crédible ?

L’«Ulysse balte» de Felice Vinci n’est admissible qu’à l’intérieur d’une chronologie où il constitue la strate la plus ancienne. Mais les poèmes homériques doivent beaucoup aussi à la société mycénienne, qui est méridionale : elle se partage entre la Grèce et la Crète.

6 - Georges Dumézil est notamment connu pour sa théorie des "trois fonctions". Il semble que certains peuples indo-européens ont généré une caste sacerdotale tandis que pour d'autres, c'est la caste guerrière qui domine. Qu'en est-il des Indo-Européens les plus archaïques ?

Ayant mis en lumière la triade des fonctions, Dumézil s’est tout naturellement confiné dans ce que je nomme la deuxième période de la tradition. Ce qui l’a conduit notamment à rejeter l’essentiel du panthéon grec, qui est issu de la période précédente, et à ignorer la période heroïque, celle où apparait la guerre qui est un phénomène récent, comme l’ont montré les archéologues. L’entrée des Indo-Européens dans la «Vieille Europe» agricole et pacifique n’a pas été guerrière, faute de résistance des populations.

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7 - Vous avez fait remarquer que l'expression "idéologie des trois fonctions" chère à Georges Dumézil est peu idoine aux réalités qu'elle désigne puisque l'indo-européen ne connait pas de mot pour dire "fonction". On peut en dire autant du terme "indo-européen" puisque cet adjectif appartient au métalangage de la linguistique. Sait-on comment les indo-européens se nommaient-ils eux-mêmes ou comment leurs voisins les nommaient-ils?

Le terme d’idéologie me semble impropre pour les trois fonctions. C’est une structure naturelle, spontanée et non une création intentionnelle à base idéologique.

8 - Bien que le terme "chamanisme" ne semble pas d'origine indo-européenne, a-t-on trouvé trace d'un chamanisme ancien dans la tradition ? Le fameux "vol d'Icare" du mythe grec a été interpreté comme un son ancien au "voyage astral" du chamane. Est-ce selon vous crédible ?

Il existe des traces indéniables de chamanisme chez plusieurs peuples indo-européens, notamment les Grecs et les Iraniens. Reste à savoir s’il s’agit de conservation ou d’emprunts.

9 - Dans votre texte vous estimez que "la tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte". N'est-ce pas une manière de dire que la tradition n'est pas d'origine humaine et que ne l'étant pas, elle ne peut être que "surnaturelle" ?

La tradition est toujours antérieure au peuple qui la porte, mais ce n’est pas une raison pour lui attribuer une origine surnaturelle*: c’est un héritage ancestral.

10 - Pouvez-vous enfin nous dire un mot sur vos recherches actuelles ? Le texte "l'habitat circumpolaire des IE" fait partie d'un corpus plus étendu, n'est-ce pas ?

Il m’arrive encore de pratiquer la recherche, à l’occasion, et de proposer des idées nouvelles comme l’identification de Minos à un dieu Lune époux d’une déesse Soleil nommée «Celle qui brille pour tous» (article des Mélanges de Lamberterie) ou de Balder à un jeune Soleil du prochain cycle cosmique (article des Mélanges Dillmann à paraître). Mais pour l’essentiel, je me consacre à la rédaction de Tradition indo-européenne déjà bien avancée, mais qui progresse régulièrement.

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L’habitat circumpolaire des Indo-Européens

Comme les Indo-Européens sont les locuteurs de l’indo-européen reconstruit, qui, avant de devenir une langue flexionnelle, comme le latin et les langues romanes, a été une langue agglutinante et peut-être une langue isolante, il ne faut pas craindre d’étendre cette profondeur temporelle à l’étude de leur tradition, et par exemple reconstruire un modèle dans lequel le printemps, succédant à une nuit hivernale, était effectivement le matin de l’année. Le souvenir s’en est conservé en Inde comme l’indique le passage de la Taittirīya saṃhitā 1,5,7,5  « Jadis, les brahmanes craignaient que l’aurore ne revînt pas. »

Si l’on estime que la formule islandaise til árs oc friðar a pour but de pourvoir à la venue d’une année elle exprime une préoccupation similaire : si la nouvelle année risque de ne pas venir, c’est qu’un hiver éternel peut l’en empêcher. Le souvenir s’en est conservé aussi dans l’Avesta, Yašt 6,3 « quand le soleil ne se lève pas, les démons détruisent tout ce qui existe sur les sept continents ». Il s’est aussi conservé dans le « Grand hiver » de la mythologie scandinave. Les passages d’Hérodote sur les populations qui dorment la moitié de l’année, de Stace sur les hommes primitifs qui, à la tombée de la nuit, « désespéraient de revoir le jour » cités montrent que l’Antiquité classique en conserve également des traces sans qu’on sache par quelle voie ce lointain souvenir lui est parvenu.

L’hypothèse présentée ici diffère profondément de celle de Warren (1885), fréquente au XIXe siècle : un refroidissement de la terre qui aurait commencé par les pôles, et les aurait rendus inhabitables pour l’homme. On sait aujourd’hui que la dernière période habitable des pôles se situe au tertiaire, où l’homme n’existait pas encore. Au contraire, survenu après leur refroidissement qui les a rendus inhabitables, un réchauffement limité qui se situe entre le dixième et le huitième millénaire avant notre ère est un phénomène similaire à celui qui, au moyen âge, a valu au Groenland son nom de « pays vert ».

Ce que j’entends par « tradition indo-européenne » n’est donc pas une tradition qui se serait formée pendant la période commune des Indo-Européens qui se situe entre 4500 et 2500, mais une tradition antérieure dont ils ont eux-mêmes hérité et qu’ils ont transmise à leurs descendants. La tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte et la transmet.

La notion de tradition indo-européenne et la perspective chronologique qui en est indissociable permettent de résoudre nombre de problèmes que soulèvent les données observées et souvent, comme pour celui de l’habitat originel, de montrer qu’il s’agit de problèmes mal posés. Elle permet par exemple, pour la signification des feux annuels, de sortir du dilemme, déjà évoqué par Frazer dans le Rameau d’or, et toujours actuel, du « feu solaire » et du « feu purificateur » : la théorie solaire vaut pour la période la plus ancienne, où la disparition du soleil dans la nuit hivernale était une réalité vécue, ou une réalité ancienne dont on conservait le souvenir ; celle du feu purificateur vaut pour les périodes ultérieures à partir de l’introduction de l’élevage au Néolithique.

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La fête ionienne-attique des Apatouries fournit aussi un exemple de la pertinence d’une approche chronologique. A en juger par son nom, qui signifie « fête de ceux qui ont le même père », ce devrait être une fête du lignage, se rattachant à la société lignagère de la part centrale de la période commune. Or elle est à la fois plus récente sous la forme dans laquelle elle est attestée, et plus ancienne par ses origines. Plus récente, car c’est en réalité une fête des phratries, placée sous le patronage de Zeus Phratrios et d’Athéna Phratria. Bien qu’elle soit censée regrouper des lignages (génē), la phratrie est une institution d’époque historique qui reflète la solidarité entre voisins, apparentés ou non, comme le mir russe ; un lien avec des compagnonnages guerriers typiques de la société héroïque a également été envisagé. Mais le rituel qui lui correspond, celui du combat de Xánthos  « le Blond » contre Mélanthos « le Noir », combat truqué en faveur de Mélanthos par Dionysos à l’égide noire, à l’origine de la réinterprétation du nom de la fête à partir du verbe « tromper », apateîn, n’a aucun lien avec les solidarités sociales, qu’elles soient lignagères, locales ou compagnonniques : il s’agit de la nuit hivernale qui sous-tend nombre de conceptions de la période la plus ancienne de la tradition, et qui a un parallèle dans le combat entre l’Ārya et le Śūdra pour s’emparer d’une image solaire lors du Mahāvrata indien, qui est initialement un « grand tournant », *mahāvarta, et non un « grand vœu ». Le nom des Anthestéries qui signifie originellement « traversée des ténèbres » a fait l’objet d’une réinterprétation analogue : il a été réinterprété en « floralies », bien que les fleurs soient totalement absentes des documents correspondants. La situation est similaire à celle de l’expression homérique en nuktòs amolgôi « dans le lait de la nuit » = « dans la lueur tremblante de la nuit » image inconnue en grec alors qu’en védique la nuit et le crépuscule sont souvent figurés par le lait.

611O9SxRoiL.jpgLa reconnaissance de l’existence de la tradition conduit aussi à distinguer l’âge d’un texte de l’âge de son contenu. C’est ce qu’a montré Filliozat (1962 : 340) à propos des Pléiades dont le Śatapatha brāhmaṇa 2,1,2,2-3 affirme qu’elles ne se départent pas de la direction de l’est. « La position vraie de l’équinoxe vernal dans les Pléiades a eu lieu à haute date, au milieu du IVe millénaire, et il faut, pour qu’elle ait assuré aux Pléiades dans les traditions les plus répandues la première place d’entre les constellations, qu’elle ait été notée comme une découverte capitale en un temps où on ne connaissait pas encore la précession des équinoxes. » Filliozat note que ce fait confirme la datation de Dikshit et de Tilak [1979 (1903) : 17], contestée à tort par Thibaut, Whitney et Kaye. Il serait naturellement absurde de faire remonter au IVe millénaire la rédaction du Śatapatha brāhmaṇa, qui est considéré comme le texte le plus récent de sa catégorie. Il est vrai toutefois que Tilak a eu des formulations malencontreuses comme (1979 (1903) : 122) : « La Taittirīya saṃhitā doit être attribuée à la période des Pléiades (…) vers - 2.500. » Il s’agit naturellement de l’origine d’une petite part du contenu et non de la rédaction de l’ensemble du texte. Tilak n’est pas isolé dans ses conclusions : il a été précédé par Krause (1891 ; 1893 a-b), qui opérait sur de tout autres bases. Quand Kuiper (1960 : 222) suppose que les hymnes à Agni et à Uṣas du R̥gveda célèbrent « la réapparition de la lumière solaire après une période de ténèbres hivernales », il se rallie manifestement à leur hypothèse sans les citer, mais en la formulant explicitement. Bongard-Levin et Grantovskij (1981), qui citent abondamment Tilak, mais ignorent Krause, concluent (115-116) : « Il y a toute raison de soutenir que chez les ancêtres des peuples indo-européens, le cercle complet des représentations « nordiques » que nous avons examiné a pu se former seulement par des contacts directs avec des tribus du Nord, qui habitaient tout près des régions arctiques. » Leurs conclusions ne contredisent pas la théorie des Kourganes qu’ils adoptent explicitement pour des temps ultérieurs. Mais comme ils n’opèrent pas avec la notion de tradition, ils s’en tiennent à des contacts. Or que de tels contacts aient abouti à des anecdotes, comme on en trouve chez Hérodote, chez Lucrèce, chez Pline et bien d’autres, surtout après le voyage de Pytheas (fin du IVe siècle avant notre ère), est naturel. Mais comment imaginer qu’ils aient pu pénétrer aussi profondément dans la pensée des Indo-Européens et plus particulièrement des Indo-Iraniens, des Germains et des Celtes ? Leurs informateurs, qui auraient dû parcourir plus de deux mille kilomètres, ne parlaient pas l’indo-européen, ce qui rendait improbables des contacts culturels et surtout une influence de ces populations que les Indo-Européens, dont les auteurs rappellent à juste titre le développement, devaient considérer comme arriérées. Un peuple ne fonde pas sa vision du monde sur des récits de voyageurs étrangers, surtout s’il s’agit de sauvages. L’accord entre l’origine circumpolaire des Indo-Européens et la théorie des kourganes est en effet possible. Mais il faut opérer avec les notions de tradition et de chronologie de la tradition.

BIBLIOGRAPHIE

BONGARD-LEVIN G.M., GRANTOVSIJ E.A. 1981 : De la Scythie à l’Inde. Enigmes de l’histoire des anciens Aryens, traduit du russe par Philippe GIGNOUX, Paris : Institut d’études iraniennes de l’Université de la Sorbonne Nouvelle.

FILLIOZAT Jean, 1962: Notes d’astronomie ancienne de l’Iran et de l’Inde, J. as., 250 : 325-350.

KRAUSE Ernst, 1891 : Tuisko-Land der arischen Stämme und Götter Urheimat, Glogau : Carl Fleming.

TILAK Lokamanya B.G., 1903 : The Arctic Home in the Vedas, Poona : The Managar. Traduction française par Jean et Claire RÉMY, Origine polaire de la tradition védique, 1979, Milano : Archè.

WARREN William F., 1885: Paradise Found. The Cradle of the Human Race at the North Pole6 Boston: Houghton, Miffling and Co; Cambridge University Press.

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dimanche, 28 février 2021

Texte d'hommage à Jean Haudry, héraut de la tradition indo-européenne

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Texte d'hommage à Jean Haudry, héraut de la tradition indo-européenne
 
par Frédéric Andreu-Véricel
 
Un hommage est une révérence d'âme ou il n'est rien. Celui que je rends ici publique est d'autant plus spirituel que je n'ai rencontré le professeur Haudry qu'à deux ou trois reprises. Je me souviens notamment d'une randonnée pédestre dans le sud de la France organisée par l'association Terre et Peuple. Tout en arpentant les sentes de l'arrière-pays provençal, de jeunes gens phosphoraient avec le professeur sur les Indo-Européens. J'en étais. Un paysage sec et aride nous entourait, contrastant avec la forêt des livres dans lequel je me perdais souvent !

418AMFV15EL._SX314_BO1,204,203,200_.jpgDepuis, mon chemin, devenu plus littéraire que scientifique, se ponctue de poèmes et de romans, mais à cette époque, le Samkhya de l'Inde - une des productions les plus lumineuses des Indo-Européens - occupait l'essentiel de mon temps libre. J'avais donc adressé quelques questions par courrier au professeur. Ce dernier eut la courtoisie de me répondre. Ma gratitude à son égard - qui motive aujourd'hui cet hommage - est d'autant plus grande que son courrier eut un impact décisif sur la suite de mes recherches. Il faut dire qu'il apportait un débouché inattendu à un questionnement ancien et tenace, l'origine des trois couleurs traditionnelles - le blanc, le rouge et le noir - que l'on retrouve dans le Samkhya.

Les faits remontent aux années 2000, et si ma mémoire en trahit la lettre, elle n'en trahit pas l'esprit. C'est là un trait du professeur Haudry, où la rigueur de la démonstration linguistique n'a d'égal que la courtoisie des échanges.

Bref, le courrier-réponse du professeur impulsa en moi une nouvelle phase de recherche. Esseulé dans le labyrinthe inextricable de textes anciens et de rapports archéologiques, je tenais maintenant un fil d'Ariane. En Inde, il y a pléthore de correspondances ; leur exploration fut longue et laborieuse. Certaines Upanishads intègrent les trois couleurs à des conceptions plus ou moins ésotériques des feux sacrés, de l'eau et de la nourriture ; certaines écoles de yoga distinguent un karma blanc, celui des bonnes actions, un rouge et un noir. Mais l'application aux "gunas" du Samkhya m'a paru la plus solide.
En Europe, le symbolisme des couleurs se limite aux structures sociales. Le blanc codifie la fonction sacerdotale ; le rouge, la fonction guerrière et le noir, toutes les autres activités qui ne sont ni religieuse ni guerrière.

Selon Jean Haudry, ces couleurs proviennent d'une réalité céleste bien antérieure à leur application. La cosmogonie des Indo-Européens se compose non pas d'un ciel mais de trois ! curieuse conception que celle-là ! Elle implique une révolution des repères habituels rendue possible en se plaçant sous les latitudes nordiques marquées par de longues nuits hivernales. Les cieux y sont perçus comme "tournants" et non fixes. L'un est blanc, c'est le grand jour de l'année qui succède à la longue nuit cosmique (le ciel noir) ; le troisième ciel correspond à la suite d'aurores identifiée à un "ciel rouge".
Le rapprochement entre les ciels et des gunas se justifie en vertu des couleurs et du nombre. Mais il fallait surtout retenir que sous ces latitudes nordiques, les réalités cosmiques prédisposent à un découpage binaire, voire ternaire du monde. Un long jour succède à une longue nuit.

81YK1fj8XFL.jpgNous savons que Georges Dumézil a observé l'existence de "trois fonctions" dans la structure sociale, mais avait-il en tête cette réalité cosmique ? Je l'ignore. Ses écrits desservis par une plume allègre, lesquels ne font pas allusion clairement à ma cosmogonie hypernordique et très peu aux couleurs, allaient me renvoyer une nouvelle fois, à l'instar d'un élastique, au Samkhya de l'Inde !

Il faut dire que ce système indien qui envisage l'énumération systématique des éléments constitutifs de l'univers (c'est le sens même du mot "Samkhya") ne pouvait pas échapper à la perspicacité du maître. Au fil du temps, ma méditation sur le Samkhya ne cessa de résonner (et raisonner) avec certains mythes de la tradition. J'ai même osé un comparatif entre le Samkhya et l'Odyssée d'Homère ! Cette comparaison inhabituelle, et peut être inédite, m'a permis d'observer des parallèles troublants. Dans l'Odyssée, la reine Pénélope tisse un linceul dans l'attente éplorée d'Ulysse, parti à la guerre. J'ai proposé d'y voir une allégorie de la prakriti du Samkhya car Pénélope tisse un linceul en attendant Ulysse tout comme la Mula-Prakriti produit la substance du monde ; la déesse-mère non manifestée rend possible toutes les manifestations, physiques et psychiques, qui nous entourent. Le Samkhya est un système de résolution et la Manifestation implique un "spectateur" nommé Purusha pour ainsi prendre conscience d'elle-même.

Le comparatiste trouve dans Ulysse richesse à comparaison. Ulysse ressemble symboliquement à Purusha : plus il parcourt le monde au gré d'aventures multiples, et plus il ressent la nostalgie du retour.

Il quitte Calypso et d'autres créatures aimantes, autant d'étapes du processus libérateur, autant de fausses identifications de l'Esprit avec la Matière. Quant au massacre des prétendants, j'y ai vu une épreuve qualifiante de deuxième fonction. Cependant, en l'absence des deux autres fonctions de la triade, impossible de vérifier le schéma dumézilien !

Plus que les mythes du corpus IE, toujours sujets à interprétations contradictoires, le Samkhya m'est apparu proche de la conception ancienne d'un univers "image de la vérité" chère à Jean Haudry.

s-l400.jpgEn effet, le Samkhya est perçu comme un système dont la clé de résolution n'est autre que dans l'observation elle-même. J'ai été amené à penser que cette conception prévalait pour la première période, pré-sacerdotale, et qu'elle fut recouverte ensuite par une conception imposée par les castes dominantes contemporaines aux périodes plus tardives.

Une communauté "primitive", telle qu'on peut en observer encore dans quelques contrées reculées du monde, n'a pas de clergé et les chefferies, lorsqu'elles existent, sont tournantes. Ce ne sont pas des castes. Le clergé constitué modifie toujours la religion primitive à son avantage et cela pour une raison simple : il faut que cette caste s'impose comme intermédiaire indispensable entre la divinité et le peuple.

À un moment ou à un autre, tous les peuples ont connus ce désencastrement de la première fonction magico-religieuse et les pathologies sociales consécutives. Le conflit entre le pharaon Akhenaton et les prêtes d'Ammon en est un exemple emblématique. Dans l'Histoire, on ne connait qu'un seul peuple auto-proclamé "clergé international", celui qui inventa le Dieu unique.

Bref, les anciens mythes et légendes me sont apparus comme une sorte d'allégorie cryptée du processus auto-libérateur du monde, pré-cléricale. Ils sont la source vivante de la tradition. Insistons sur le point suivant : la rationalité du Samkhya n'est pas un argument contraire à son archaïque. C'est le contraire qui est vrai : les ethnologues ont montré que les tribus primitives ont une représentation extrêmement rationnelle du monde où les proportions mathématiques, les philosophies ne sont pas rares. Contrairement au mythe du bon sauvage, les "primitifs" produisent des modèles scientifiques mais sans y croire, au rebours de nos sociétés développées.

pensee_parole_action_haudry.jpgPar la suite, j'ai essayé d'élargir mon comparatisme à d'autres mythes et thèmes mythiques du corpus IE. Le thème du labyrinthe m'est apparu comme chargé d'une autre allégorie d'un monde "image de la vérité". L'inspiration y est elle aussi d'ordre cosmique : Thésée, vainqueur du Minotaure, peut symboliser le soleil dans sa quête ; Ariane, peut personnifier la déesse aurore.

J'ai donc proposé de voir dans le labyrinthe une occurrence symbolique de la "traversée de la ténèbre hivernale", thème du formulaire reconstruit par Jean Haudry. En ouvrant à nouveau Homère, il m'est apparu que la ville de Troie pouvait être perçue comme un labyrinthe symbolique, et la Belle Hélène comme l'aurore qui attend d'être libérée...

Dans la vision Samkhya où sa version cryptée, je retenais que chez les IE, l'univers est perçu comme une "image de la vérité". Les cycles cosmiques révèlent le mécanisme dynamique du monde que l'on retrouve dans les gunas. J'ai fait litière de cette idée que le Ur-Volk concevait le monde comme une sorte de "samkhya cosmique" dont la clé de résolution n'est autre que dans l'observation.

Dans le Samkhya, la trame substantielle du monde, sans cesse en mouvement, tisse toute réalités à partir de trois fils, un blanc, un rouge et un noir. Ces couleurs sont celles des ciels de la tradition nordico-primordiale.

Le Samkhya contient un processus auto-libérateur. Il n'implique pas donc aucun clergé. Une conception du monde proche du Samkhya prévalait peut-être dans la première période indo-européenne, pré-sacerdotale. Fut-elle recouverte ensuite par une autre religion sacerdotale teintée de superstitions ? Je l'ignore.

indo-europeens_jean_haudry_F_S.jpgJe sais en revanche qu'une communauté primitive - telle que celle que l'on peut observer dans certaines contrées reculées du monde - n'a pas de clergé et les chefferies, lorsqu'elles existent, sont tournantes. Ce ne sont pas des castes. Le clergé modifie toujours la religion primitive en privatisant l'accès au sacré à son avantage et cela pour une raison simple : il faut que le clergé justifie sa place, ses privilèges.

Les anciens mythes et légendes me sont apparus comme une sorte d'allégorie cryptée de cette "image de la vérité" de la première période pré-cléricale. Ils sont la source vivante de la tradition que l'on appelle "héroïque". Même si cette tradition héroïque est aujourd'hui en dormition dans nos sociétés modernes, il est remarquable d'en observer les traces dans les sagas projetées sur écran, comme les Seigneurs des Anneaux !

Les comparaisons que j'observais entre mythes et système, couronnées de succès ou non, ne visaient qu'un but : reconstruire la vision que les Indo-Européens posaient sur le monde. Sans la prise en compte du milieu circumpolaire, mes travaux de l'époque seraient restés de simples conjectures.

Caractérisé par la longue nuit cosmique, l'habitat nordique explique bien des choses, les calendiers anciens, les rites et les fêtes. Sous des latitudes plus australes, à Rome ou à Athènes, où les rites ne se justifient plus, ces derniers continuent à être observés par tradition.

À la conception d'Indo-Européens nordiques de Jean Haudry, j'apportais par la suite un bémol. L"origine" n'implique pas forcémment un équivalent dans la réalité historique. Le grand Nord arctique est-il le berceau du Ur-Volk ou celui du mythe ? Je pense plutôt pour la seconde proposition.

Pour moi, la question centrale n'est pas dans la localisation réelle de l'habitat (lequel n'est d'ailleurs pas confirmée par l'archéologie) mais dans le lieu où la tradition identifie cette origine.

De tous les peuples que j'ai pu visiter, aucun d'eux ne place son "origine" dans l'endroit où il réside. Le "paradis" est toujours "nostalgique", il provient d'un lieu fantasmé et qui métaphorise un ailleurs spirituel. À mon avis, les Indo-Européens ne font pas exception. Cependant, il se trouve que la tradition affectionne le "nord" et que les princesses de nos contes sont souvent blondes. Devrait-on nier ces faits, récurrents et nombreux, ou au contraire en faire une religion de la preuve ? Pour ma part, je pense que la question est résolue sans preuve archéologique.

mzjeanhaudry.jpgLa Weltanschauung des IE. affectionne le nord et c'est là l'essentiel. La cosmogonie d'une grande nuit cosmique suivie d'un jour est une des pièces qui manquaient au puzzle. Quant à la religion des IE, je n'ai cessé d'interroger les mythes dont la vision dynamique du Samkhya m'a paru donner une sorte de "décryptage".

Le Samkhya de maître Kapila reste en effet le seul système indo-européen, connu de moi, où l'observation directe est la clé de résolution. Aucun clergé n'y est nécessaire. À mon avis, le Bouddhisme en est le prolongement historique. L'Occident ne connait point de système comparable sauf à voir dans l'Odyssée une sorte de "Samkhya crypté"...

Après tout, pourquoi pas ? On a prétendu que la bibliothèque d'Alexandrie était remplie d'études et commentaires de l'Iliade et de l'Odyssée !

En dépit de mes comparaisons, Je n'ai jamais pu déterminer la nature du type d'analogie qui unit l'Odyssée et le système Samkhya. Sont-ils reliés par une origine commune ou par des invariants anthropologiques observables partout ?

L'idée d'une tradition commune penche pour la première solution ; la théorie du "monomythe",  chère à Joseph Campbell, pour la seconde.

Si les trois couleurs pouvaient être observées chez Homère comme dans le Samkhya, cela changerait tout ! Mais avec des "sis", on mettrait Pâris en bouteille !

Que dire de plus de ces vastes chantiers de recherche sinon qu'ils ressemblaient parfois à de longues traversées maritimes. Le comparatiste aperçoit des îles à l'horizon de sa pensée qui ne sont bien souvent que des mirages ! Heureusement, les hérauts de la tradition, Benveniste et sa théorie des "quatre cercles" ; Dumézil et ses "trois fonctions", et J. Haudry et l'origine circumpolaire, nous permettent aujourd'hui de reconstituer l'essentiel de la tradition. Sans doute peut-on rêver de la découverte d'autres aspects de la tradition ? Un linguiste montrera-t-il un jour que le système flexionnel de la langue indo-européenne a partie liée avec la cosmogonie circumpolaire ?

17960271431_2.jpgLes discussions buissonnières échangées avec le troisième et ma lecture de sa "Religion Cosmique" ont projeté une lumière nouvelle dans le filigrane de ma recherche. Cette "vision du monde" qui s'est fait jour, je la résumerais en ces termes: "Le regard que pose les IE sur le monde est celui d'un système à résoudre dont la résolution n'est rien d'autre que dans l'observation elle-même. Le monde est perçu comme "image de la vérité". Le mundus indoeuropeanus est en effet construit pour correspondre aux formes questionneuses de l'individu. La trame sans couture que les cinq sens tissent avec le monde présuppose un rapport d'harmonie préétablie dont le Samkhya nous donne la clé. Mais le Samkhya est aussi et surtout une voie de libération. Entrer dans cette vision sans visée libératrice n'a pas de sens. Pour se faire, le "cogito" (le "je pense") des Modernes doit laisser place au "video" (le "je vois", j'observe) de l'homme traditionnel.
 
Georges Dumézil.

"Video versus Cogito" ou "Video, ergo cogito", voici des formules que je mettais souvent en exergue de mes textes !

Dans son article sur le paganisme, Alain de Benoist écrit : "pour moi, le sens premier, c'est la vue". C'est dans ce sens-là qu'il faut entendre ma devise. La religion IE est une religion du "voir" et c'est pourquoi le terme "vedas", par lequel on désigne en Inde les quatre livres du savoir, est construit sur la racine "vid-" qui signifie "voir".

Le primas du voir n'est pas universel. Par exemple, le Judaïsme s'inscrit autour d'un tropisme tout autre où l'ouïe est au-dessus du voir.

Quant à l'homme moderne, je dirais qu'il entend mais n'écoute pas, il regarde le monde mais ne le voit pas. Son monde est encombré physiquement par la technoscience et mentalement par des idéologies de seconde main. Son cosmos ne s'apparente plus à cette "image de la vérité" des Anciens IE mais à un désert spirituel. Il nous reste à scruter les traces laissées par les dieux disparus. Pour se faire, la tradition est essentielle !

Mon étude "hors les murs" sur le Samkhya n'a finalement pas suscité de publication, mais plutôt amusements polis ou sourires moqueurs. Je pense que le parallèle que j'ai tenté d'établir entre Samkhya et Odyssée a été jugé trop baroque. Et sans doute est-ce le cas ! Quant aux références à la "Religion Cosmique des IE" qui émaillent mon étude, elles n'ont pas joué en ma faveur. J'ai par la suite aggravé mon cas en dédiant à Jean Haudry mon récit de voyage à bicyclette. Cette Vélodyssée en terres nordiques a été présenté dans une émission de TV liberté.

md22311502738.jpgIl faut dire que mes recherches sur les Indo-Européens étaient arrivées "après la bataille", celle qui avait eu raison de l'Institut des Études Indo-Européennes. Et sans institut, sans bibliothèque spécialisée, il est difficile de dépasser le stade du tâtonnement.

Je ne connais pas les tenants de la bataille idéologique à l'origine de cette regrettable disparition, mais seulement les aboutissants.

On a invoqué un manque de rigueur scientifique à l'encontre de cet institut cofondé à Lyon par Jean Haudry, mais je n'en crois rien. Ses opinions politiques ont dû jouer un rôle. Pour ma part, les opinions politiques n'ont jamais constitué un pôle de répulsion comme c'est le cas chez les détracteurs du professeur ; elles n'ont pas représenté non plus un pôle d'attraction. Il m'arrive de converser en bonne intelligence avec des gens de droite ou de gauche, communistes ou fascistes, musulmans, juifs ou chrétiens. Je rappelle au passage que Emile Benvéniste, un des hérauts de la tradition indo-européenne, était juif.

Je suis frappé par le "groupisme" de mon époque. Le microcosme universitaire français n'y échappe pas, bien au contraire. Et beaucoup d'enseignants confondent transmission d'un savoir et propagande politique. Ce n'est pas le cas de Jean Haudry qui sépare science et politique.

Par ailleurs, le comparatiste que je suis a pu observer que les universalistes ne sont pas les premiers à répondre au courrier.

Lorsque Jean Haudry prend des positions publiques contre le mondialisme et l'immigration cela ne me semble pas particulièrement condamnable car un professeur est aussi quelqu'un qui - au sens premier du terme - "dit les choses devant".

Lorsqu'il nous assure que l'"Euro-mondialisme n'a pas d'avenir", il nous faut le croire. Il nous faut croire que le progressisme sans limite laisse un jour place à la tradition, possible que l'idéologie des Droits de l'Homme Étranger s'effacent devant le droit de tous les peuples à coexister.

Si la tradition est derrière nous, elle est aussi devant. On peut même rêver d'une alliance entre la tradition la plus archaïque et la technoscience la plus futuriste. Cette fusion produirait une esthétique nouvelle, un rapport à la fois nouveau et ancien au monde déjà préfigurée par dans certaines oeuvres de Science Fiction.

Et cela tombe bien car l'"archéofuturisme" a connu son prophète, Guillaume Faye. Quant aux travaux de Jean Haudry, tout laisse à penser qu'ils en seront un jour la source !

Frédéric Andreu-Véricel
Contact : fredericandreu@yahoo.fr
 

Jean Haudry:

La tradition Indo-Européenne

Conférence de Jean Haudry, Président d'honneur de Terre et Peuple, ancien Professeur de linguistique français et de sanskrit, spécialiste des langues et de la civilisation indo-européenne, sur son livre « Le message de nos ancêtres » qui traite de la tradition indo-européenne, à la XXIème table ronde de Terre et Peuple, à Rungis le dimanche 11 décembre 2016.
 

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mardi, 08 décembre 2020

La tradition indo-européenne parmi nous

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La tradition indo-européenne parmi nous

Entretien avec Jean Haudry

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler, à une époque où tout un dispositif idéologique cherche à nous convaincre que l'Européen, détaché de toute appartenance, pourrait se construire à partir de rien ; il n'est pas inutile de rappeler, disais-je, qu'il ne peut y avoir de peuple ni de civilisation sans "transmission", c'est-à-dire - au sens premier du terme - de "tradition".

Endormie, telle la princesse de la légende, la tradition de nos plus lointains ancêtres attend son chevalier. Jean Haudry est assurément un de ces chevaliers. Tel le prince escaladant la tour du château, il s'est donné pour mission de réveiller la princesse éteinte en apparence, en apparence seulement.

Y est-il parvenu ? A-t-il pu déjouer l'attention des sentinelles de l'anti-tradition ? C'est en tout cas ce type de questions (métaphore du chevalier en moins !) que nous avons eu l'outrecuidance de lui poser.

- Professeur Haudry, en premier lieu, pourriez-vous nous dire en quoi la "tradition indo-européenne" se distingue de la "tradition primordiale" bien connue des lecteurs de Julius Evola ou René Guénon ?

La tradition primordiale se veut universelle. Le terme de "tradition indo-européenne" s’applique uniquement aux peuples de langue et de culture indo-européennes. La tradition primordiale est un postulat qui ne s’appuie pas sur des données scientifiques. La tradition indo-européenne est une réalité démontrable.

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- En dépit de la greffe chrétienne, en dépit de la saisie marxiste et de la liquidité capitaliste, la tradition irrigue-t-elle toujours, selon vous, les peuples de langues indo-européennes ?

La tradition indo-européenne est depuis longtemps en recul dans l’espace géographique européen. Elle l’était déjà dans l’empire romain. Un premier coup lui a été porté par le christianisme. Un deuxième, en occident, par le protestantisme, persécuteur des restes de paganisme maintenues par le catholicisme. Un troisième lui a été porté par la révolution française. Capitalisme et marxisme, deux formes liées de l’universalisme, lui ont porté un dernier coup. Curieusement, la découverte de l’indo-européen et des Indo-Européens à la fin du XVIIIe siècle en a fait une réalité démontrable, mais qui ne l’est que pour un petit nombre de spécialistes. La haine portée à certains d’entre eux est rassurante : peut-être représentent-ils en effet un danger pour les mondialistes, mais je ne vois pas lequel.

Si la tradition indo-européenne est morte en Occident, elle est vivante en Inde, où elle s’est combinée aux traditions locales du sud, et où ont été accueillis des mazdéens persécutés par les musulmans d’Iran. Elle a affronté victorieusement le christianisme et l’a éliminé sans même avoir à en persécuter les propagateurs et les quelques sectateurs, qui se limitent aux basses castes.

- Certains auteurs considèrent que la Trinité chrétienne (Père, Fils et Saint-Esprit) serait un calque d'une très ancienne conception ternaire ? Que pouvez-vous nous dire de cette conception ternaire ?

La trinité, qui déplaît tant aux monothéistes de stricte obédience, me semble avoir été inspirée par le mazdéisme iranien. Le Père reflète Ahura Mazdā, le Fils son fils Ātar «Feu», le Saint Esprit Spənta Manyu «esprit saint». Mais j’ignore dans quelles conditions s’est effectué le transfert.

- Les Indo-Européens déclinent non pas un ciel mais trois ; leur société est constituée de trois castes. Par ailleurs, ils mettent en exergue trois dieux principaux. Bref, la conception des "trois fonctions" (telles que mises en lumière par Dumézil) est-elle la clé de compréhension de leur monde ?  

Les trois cieux et les trois fonctions n’ont en commun que leur nombre. Mais ils sont totalement indépendant : les trois cieux sont une réalité cosmique de la première période de la tradition, les trois fonctions une réalité sociale de la deuxième. Les trois couleurs (le blanc, le rouge et le noir) sont initialement celles des trois cieux, mais elles ont été appliquées secondairement aux trois fonctions. Ceux qui, comme Dumézil et bien d’autres n’opèrent pas avec une chronologie de la tradition mettent le tout sur le même plan.

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- Votre conception d'Indo-Européens nordiques ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes. Quel faisceau d'indices vous a conduit à étayer cette hypothèse ?

La question est double. Elle porte à la fois sur la race et sur l’habitat primitif.

En ce qui concerne la race, les témoignages textuels et archéologiques en faveur du type physique nordique sont concordants et indubitables pour les périodes anciennes, antérieures aux métissages.

En ce qui concerne l’habitat originel, de très nombreux témoignages montrent que les Indo-Européens ont vécu dans des régions circumpolaires. Quelques exemples suffiront ici : pour l’Inde, Taittirīy a saṃhitā 1,5,7,5 "Jadis les brahmanes craignaient que l’aurore ne revînt pas" ; pour l’Iran, Yašt 6,3 «Si le Soleil ne se lève pas, les démons détruisent tout ce qui existe sur les sept continents» ; pour le monde gréco-romain, Stace, La Thébaïde 4,275 et suiv. «Les antiques Arcadiens, antérieurs aux astres et à la lune, voyaient avec stupeur le passage de la lumière aux ténèbres de la nuit et, poursuivant Titan qui se couchait au loin, désespéraient de revoir le jour». L’année de deux saisons du monde celtique et du monde germanique en est également un souvenir.

Alfred Rosenberg en a réuni quelques-uns dans Le Mythe du XXe siècle, traduit de l’allemand par Adler von Scholle, Paris, Avallon1986, p. 26 et suiv.

On en trouvera bien d’autres témoignages dans mon livre en préparation, La tradition indo-européenne.

- Enfin, quel est votre sentiment sur l'avenir de l'Europe ? Diriez-vous, comme feu Dominique Venner que "la traditiion n'est pas derrière nous, mais devant nous" ?

L’Europe n’a jamais constitué une entité politique unitaire. Elle aurait pu le faire si la guerre de 1939 / 1945 avait tourné autrement, mais la défaite du Reich l’en a empêchée et y a créé deux blocs hostiles. L’effondrement de l’Union soviétique n’y a rien changé, et le récent départ de l’Angleterre a encore réduit l’espace européen.

A mon sens, l’euro-mondialisme n’a pas d’avenir. Mais certains peuples d’Europe peuvent en avoir un s’ils réussissent à sortir de ce carcan.

Propos recueillis par Frédéric Andreu.

contact : fredericandreu@yahoo.fr

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lundi, 19 octobre 2020

Le film kazakh Tomyris: Yellowwashing made in Kazakhstan ?

Le film kazakh Tomyris: Yellowwashing made in Kazakhstan ?
 
J’ai visionné hier un film kazakh, «Tomyris » ( de Akan Satayev, initialement sorti en 2019.
 
Ce film qui avait tout pour m’intéresser, évoque la vie d’un personnage semi -légendaire, qui a inspiré de nombreux artistes européens, Tomyris, reine des Massagètes, tribus de cavaliers nomades iranophones rattachée à l’ensemble « scythique » d’Asie.
 
C’est un bon film, épique, avec des scènes d’action et une reconstitution dans l’ensemble convaincantes, bien que les costumes des protagonistes soient traités inégalement (traitement décevant pour les Sarmates ou les Perses).
 

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Là où la bât pourrait blesser, c’est que le réalisateur a présenté les Massagètes, mais aussi d’autres peuples indo-européens comme les Dahais ou les Sarmates , comme des populations turciques tant au niveau des langues parlées que de l’interprétation assurée par des acteurs kazakhs.
 
Or, un grand spécialiste des peuples des steppes ou du Caucase comme Iaroslav Lebedynsky, que j’ai maintes fois reçu sur Radio Courtoisie, précise dans plusieurs ouvrages que ces peuples iranophones nomades ( Scythes, Saces, Sarmates et Alains) étaient europoïdes , souvent de complexion claire.
 

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La critique iranienne n’a évidemment pas apprécié ce qu’il est convenu de qualifier « d’appropriation culturelle », d’autant plus que le « roi des rois » Cyrus le Grand est incarné dans le film par un acteur syrien, celui qui jouait le rôle de Saladin dans le film de Ridley Scott, «Kingdom of Heaven ».
 
Cette démarche des autorités kazakhes, impliquées dans la production du film, rappelle dans une certaine mesure, ce qu’avait pu faire Mustapha Kemal Atatürk, lorsqu’il avait revendiqué l’héritage des Hittites indo-Européens, dans la généalogie historique et identitaire de la Nouvelle Turquie.
 
De nombreux critiques soulignent que cette évocation d’une souveraine forte et guerrière, intégrée dans le roman national kazakh, aurait pour objectif de rendre plus acceptable dans la population, une prochaine accession au pouvoir de Dariga Narzabayeva, fille du père de la nation Noursultan Nazarbayev.
 

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Malgré toutes ces réserves, le film vaut largement le coup d’œil et renvoie aux récits contestés d’Hérodote selon lesquels cette reine Tomyris aurait vaincu et tué le Perse Cyrus le Grand.

mardi, 13 octobre 2020

Les Momies Blondes, les Tokhariens et les Indo-Européens de Chine

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Les Momies Blondes, les Tokhariens et les Indo-Européens de Chine

 
 
Les découvertes archéologiques de momies datant de 4 000 ans, dans le désert du Taklamakan en Chine occidentale, ont enflammé l'imagination des chercheurs, qui ont été surpris de découvrir qu'il s'agissait d'individus caucasiens venus d'Europe. Les réponses à ce mystère des momies blanches pourraient se trouver dans l'histoire plus récente de la province de Xinjiang ; des archives Chinoises mentionnent des marchands aux yeux bleus et à la barbe rousse, tels que les Yuezhi et les Sogdians venus de l'ouest, tout comme on retrouve des manuscrits rédigés dans une mystérieuse langue Indo-européenne connue sous le nom de Tokharien. Il existait donc clairement à la fois des peuplades Iraniques et Tokhariennes vivant en Chine occidentale à des époques plus tardives, dont les momies de Tarim doivent, tout du moins en partie, être les ancêtres. Le bassin désertique de Tarim était alors une route commerciale vitale, située au carrefour de l'est et de l'ouest, entouré d'oasis qui étaient autant de stations pour quiconque se déplaçait le long de la Route de la Soie. Les momies caucasiennes de type Europoïde et les antiques langages Indo-européens de la région vont à l'encontre des idées reçues sur les limites de la civilisation Européenne à l'Âge du Bronze. Les fouilles réalisées dans la région suggèrent une activité s'étalant sur plusieurs millénaires, qui regroupait divers langages, styles de vie, religions et cultures.
 
 
 
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Illustration des Tokhariens et des momies de Tarim par Andrew Whyte http://basileuscomic.com/
Illustration du char d'Andronovo par Christian Sloan Hall https://www.deathlord.co.uk
Musique : Bnde originale par Deor (site personnel en construction) Doug maxwell - Lau Tzu Ehru Doug Maxwell - Oud dance Quincas moreira - Dawn of Man Kevin McLeod - Dhaka Sources : Adams, D., (2019) ‘Tocharian C: its discovery and implications’ https://languagelog.ldc.upenn.edu/nll...
 
A dictionary of Tocharian B https://www.win.tue.nl/~aeb/natlang/i...
 
Gray, Russell & Atkinson, Quentin & Greenhill, Simon. (2011).
 
Language Evolution and Human History. Good, I., ‘A Social Archaeology of Cloth some preliminary remarks on prehistoric textiles of the Tarim Basin’ (Peabody Museum) http://www.safarmer.com/Indo-Eurasian...
 
Hollard, C. et al. (2018). New genetic evidence of affinities and discontinuities between bronze age Siberian populations. American Journal of Physical Anthropology 167 (1): 97–107.
 
Katariya, A., ‘Ancient History of Central Asia: Yuezhi-Gurjar History’, Article No 01 Mair, V., ‘Ancient Mummies of the Tarim Basin’ https://www.penn.museum/sites/expedit...
 
Ning, et al. (2019), ‘Ancient Genomes Reveal Yamnaya - Related Ancestry and a Potential Source of Indo-European Speakers in Iron Age Tianshan’ https://www.cell.com/current-biology/...
 
Wenkan, X. (1996) ‘The Tokharians and Buddhism’ Xie, M. et al, (2013) Interdisciplinary investigation on ancient Ephedra twigs from Gumugou Cemetery (3800 B.P.) in Xinjiang region, northwest China. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2...
 
Yang, Y. (2019), ‘Shifting Memories: Burial Practices and Cultural Interaction in Bronze Age China A study of the Xiaohe-Gumugou cemeteries in the Tarim Basin’ http://www.diva-portal.org/smash/get/...
 
Selections from the Han Narrative Histories https://depts.washington.edu/silkroad...

vendredi, 09 octobre 2020

John T. Koch: Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

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John T. Koch:

Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

 
 
The opening lecture from the 2016 Celtic Mythology Conference at the University of Edinburgh.
 

lundi, 31 août 2020

The Scythians: Nomad Warriors of the Steppe

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The Scythians: Nomad Warriors of the Steppe

Barry Cunliffe

 
Sir Barry Cunliffe has been Professor of European Archaeology at the University of Oxford for 35 years and is Fellow of the British Academy. In this talk, he discusses his new book "The Scythians: Nomad Warriors of the Steppe", a masterful reconstruction of the lost world of The Scythians, who were brilliant horsemen and great fighters ranging wide across the Asian steppe during the first millennium BC.
 
Get the book here: https://goo.gle/2rZcAHA.
 

jeudi, 27 août 2020

Indo Europeans and Horse

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Indo Europeans and Horse

 

 

vendredi, 21 août 2020

The Albanians of Afghanistan, the 2300-years old unwritten History

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The Albanians of Afghanistan, the 2300-years old unwritten History

Jean-Jacques Vinamont & Renaissance Paienne Européenne (via facebook)

We are dealing with a unique case of the existence of our ancestors, the Illyrians, in another corner of the world, with thousands of kilometers away, which could shed light on their history, but also can enrich our historiography. Because it was a hideaway for thousands of years, they have kept alive popular features, language and Arberesh-Pelasgian-Illyrian-Albanian customs.

The discovery

There is existence of Illyrians in the region Indochina in Qafiristan (today Nuristan), a place where Afghanistan, Pakistan, China and Tajikistan, are met, precisely in the area where some time ago was killed Bin Laden, originally discovered by American screenwriter James Hilton, who shot a documentary titled Lost Horizons. In May 1983, Ernesto Skura wrote on League newspaper of Antonio Bellushi an article entitled "The Illyrians in Afghanistan." The same thing did in his book "Arvanites" the great historian of Albanian descent, Aristides Kola, which describes the time of placement of the Illyrians in this distant place.

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The most stable hypothesis, descendants of Alexander's army

History explored to date shows that they are descendants of 6000 Illyrian fighters fled their country after the assassination of king Kliti by Alexander the Great around 300 BC. They remained there, because of distance they could not return home, but settled in this region, where they were forced to marry local women. Their language was called "burrashka", the language of men, while women spoke another language. Now this language is called again "burrashka", but is mixed and not written.

Language, many words are vestiges of Albanian

The characteristics of these residents are different from those of the Pakistanis, they live longer, are taller and have brown hair, they make and drink wine as none of these areas and the region where they live. Valley where they live nowadays is called "hundëza" (small nose) and really it closes with a spout between two mountains that surround it. Another site called is called "balta" (mud). The mounting in front is called Torabora (falling snow). Another mountain next to the valley is covered with glaciers, that slide over time. This mountain is called "rakaposhi" (falling downwards).

Although the country is mountainous, it is very prolific in producing vegetables, fruits and various grains, such as: potatoes, peas, cucumbers, wheat, corn, barley, apricots, pears, apples, peaches, plums, figs, cherries , grapes, watermelon, etc., products that locals does not cultivate. The inhabitants are excellent farmers and have created a stunning and majestic system of rooftops and irrigation that connect and feed terraces with. People are very friendly and helpful to each other. President of Hundzës has the title Mir (the best). Their largest holiday is the solar New Year (as Pelasgians and Arberesh), called Naurosh (wish us) and falls on March 21.

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The Hunza are very different compared with the Pakistanis with dark skin or the Afghans and the Chinese. Hunza are white skinned with red cheeks. Most of the 50 thousand Hunza have blue, green or gray eyes, and hairs ranging from the yellow of maize to the black of raven. Some children also have red hair. Up in the mountains is a great tribe called Kalash and their similarity with European ancestors leaves you dumbfound. Kalash gods headed by the god Di-Zau (Sun-Zeus). Kalash display on their gates a symbol which expresses their ancient origins of Illyrian and their connection to Alexander the Great, two-horned goat (the goat of Skanderbeg had two horns on the helmet). A wild flower in yellow that children gather it in the mountain or field is called "Bisha". Men wear white pants called "shalëvare" (hanged saddle), while women call their shirt kamish (worn in the flesh). Hundza dances are accompanied by drums, pipes or nozzles and the dancers jump to catch it around the circle. An important folk dance is the dance of the swords, which is always danced by men and the dancers wear colorful robes called "kamarbunde".

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Scholar Dr. J. M. Hoffman has twice visited Hunza and draw the following conclusions: The settlement of the Illyrians is where Afghanistan, Pakistan, China, Tajikistan are meet and is part of Pakistan. The valley where they live today is called spout (small nose). It closes with a spout area, surrounded by two mountains 6000-7500 meters above sea level. A swampy place there is called Clay, etc.

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Livre recencé en 1987 dans "Orientations"

lundi, 03 février 2020

Alexander Wolfheze: “Iran is duidelijk deel van de Indo-Europese cultuurcirkel”

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Alexander Wolfheze: “Iran is duidelijk deel van de Indo-Europese cultuurcirkel”

Op 3 januari werd de Iraanse generaal Qassem Soleimani met een moordaanslag om het leven gebracht, met het gevolg dat het Midden-Oosten, nu al geplaagd door oorlogen en opstanden, nog onrustiger is geworden. De Amerikaanse president Donald Trump beloofde in reactie op Iraanse aanvallen die daarna volgden, mogelijk 52 locaties in het land te bombarderen, waaronder zelfs cultureel erfgoed. Hij trok dit later weer in, maar evenwel blijft de kans op oorlog zeer wel aanwezig. Dr. Alexander Wolfheze heeft langdurig studie gedaan naar de cultuurgeschiedenis van het Nabije Oosten, wat ook Iran omvat. Kort geleden is zijn nieuwste boek met traditionalistische opstellen Alba Rosa in het Nederlands vertaald en bij Uitgeverij Arktos uitgebracht. ReactNieuws heeft hem enkele vragen voorgelegd.

war.pngHet lijkt erop dat de Iraniërs over een sterke mentaliteit beschikken om met een wereldmacht de confrontatie op te zoeken. Is hiervoor een historische verklaring?

Ook als de lezer een snel en kort antwoord zou willen, is hier toch wel een kleine historische inleiding nodig. Door ons slechte onderwijs en onze bevooroordeelde systeempers zijn veel mensen heel slecht geïnformeerd over de wereld om hen heen – daarmee is het publiek voor onze vijandelijke elite gemakkelijk te manipuleren. ‘Iran’ is in de ogen van veel mensen nu een soort barbaars ‘verweggistan’: één van de vele primitieve oorden in het Midden-Oosten die – naar ‘populistisch’ verluidt – worden bewoond door half-analfabete, lijfstraf-minnende inteelt-populaties en bestuurd door fanaat-onredelijke, hondsdol-antiwesterse godsdienstfanaten. Het is belangrijk heel wat kanttekeningen te plaatsen bij die simplistische kijk. Het komt onze vijandelijke elite maar al te goed uit dat de gemiddelde burger niet veel verder komt dan zulke vooroordelen.

Het woord ‘Iran’, etymologisch ‘(het land) van de Ariërs’, mag dan deel uitmaken van de officiële naam van de huidige ‘Islamitische Republiek Iran’, maar is pas sinds 1935 de gangbare en pas sinds 1979 de enig-officiële naam van een staat die tot dan toe in het Westen werd aangeduid als ‘Perzië’. Het is ook pas sinds 1979 dat die staat een republiek is – voor die tijd was er een Perzische Keizerrijk. Nog de laatste keizer, Mohammad Reza Pahlavi (r. 1941-1979), droeg de titels Shahanshah ‘Koning der Koningen’ en Aryamehr ‘Licht der Ariërs’ – beide gaan terug op een meer dan twee en half millennia oude rijksgedachte en staatstraditie. In het Westen werden deze staat en deze traditie, dragers van een luisterrijke en hoogstaande cultuur, aangeduid als ‘Perzisch’. Dat woord verwijst oorspronkelijk naar het oude hart van staat en traditie, namelijk de provincie Fars, gelegen in het zuidwesten van de huidige Islamitische Republiek – de relatie van ‘Perzisch’ tot ‘Iraans’ is in die zin te vergelijken met die tussen ‘Hollands’ en ‘Nederlands’. De Republiek der Zeven Verenigde Nederlanden had, via de Verenigde Oost-Indische Compagnie en gezantschappen, al goede en respectvolle betrekkingen met het Perzische Rijk, gebaseerd op neutraliteit en handel. De Perzische cultuur en taal waren in die tijd nog dominant in grote delen van de Oude Wereld, van de Balkan en Noord-Afrika (het Ottomaanse Rijk) tot in India (het Mogol Rijk) – zelfs in het 19e-eeuws Nederlands-Indië lazen en spraken veel geleerden en gezagsdragers nog Perzisch. De grootse literatuur en prachtige kunst van Perzië werden in Nederland, net als in de rest van Europa, uitgebreid bestudeerd en bewonderd. Perzië was in de beleving van gewone mensen toen nog een sprookjesland van magische tapijten, paradijstuinen en mystieke dichters. Pas sinds de Islamitische Revolutie van 1979 is er verandering gekomen in die waarneming – met de teloorgang van de oude naam ‘Perzisch’ verdwenen ook veel kennis, begrip en respect voor een hele oude en hoge cultuur.

Deze kleine inleiding geeft meteen een goede verbinding naar de historische verklaring waarom wordt gevraagd: de Perzische – of zo men wil Iraanse – geschiedenis verklaart veel van de basale houding van het huidige Iraanse bewind naar het buitenland. Het Iraanse bewind bestaat niet, zoals Westerse regeringen, uit globalistische loopjongens van het geschiedenisloze grootkapitaal en de waardevrije verlichtingsideologie: het Iraanse bewind ziet zichzelf als de trotse drager van een zeer hoge historische roeping en van een zeer oude nationale traditie. Die roeping en traditie vallen nu samen in een zeer speciale – en deels zeer Perzische – variant van de Islam: het Sjiisme (van het Arabische Sji’at Ali, ‘Partij van Ali’ – zij die Imam Ali en zijn nageslacht accepteren als opvolgers van de Profeet Mohammed). Die variant legt de nadruk op eschatologisch visie en messiaanse roeping, een nadruk die zich – soms heel subtiel en soms heel direct – uit in wat men in het Westen vroeger kende als ‘kruisvaarders’ roeping: een geleefd geloof en een levenshouding waarin discipline, strijdvaardigheid en zelfopoffering centraal staan. In de Nederlandse geschiedenis kunnen we dat soort uitingen ook zien, zoals in de Tachtigjarige Oorlog – die behalve onafhankelijkheidsoorlog ook godsdienstoorlog was – en in de Tweede Wereld Oorlog, waarin essentieel geleefde levensvisies bitter op elkaar botsten. De passie van de Engeland-vaarder enerzijds en die van de Waffen SS-vrijwilliger anderzijds. Die passie ligt dicht aan de oppervlakte van het Iraanse nationale leven – en wordt alleen maar versterkt door de constante bedreiging van de Amerikaanse vijand. Men herinnert zich daar nog dagelijks de miljoen slachtoffers van de bijna achtjaar durende oorlog tegen Saddam Hoessein (de Iran-Irak Oorlog van 1981-1988) – een oorlog die men, niet ten onrechte, ziet als een Amerikaanse poging om de Iraanse Revolutie dood te bloeden. Men ziet daar ook de constante Amerikaanse inmenging in binnenlandse politiek: via regionale afscheidingsbewegingen (vnl. in Baloechistan, Choezestan, Koerdistan), herhaaldelijke terreuraanslagen (m.n. de Volksmoedjahidien), economische sancties en propaganda hetzes. De combinatie van een gepassioneerde levenshouding en een sterk nationaal bewustzijn die de Iraanse politiek aanstuurt mag voor de gemiddelde moderne Westerse mens moeilijk navolgbaar zijn, maar is daarom niet minder authentiek en effectief.

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In die zin is de Iraanse confrontatie met de hegemoniale Amerikaanse wereldmacht zo goed als onvermijdbaar: het Iraanse vasthouden van de eigen (staats)soevereine rechten en de eigen (meta)historische roeping – een vasthouden dat parallellen vindt in de onafhankelijke geopolitiek van Rusland, China en nog een klein aantal andere landen – is eenvoudigweg onverenigbaar met de agressieve globalistische politiek die nu wordt gevoerd door de mondiale vijandelijke elite en die zich nu via deep state structuren heeft meester gemaakt van het Amerikaanse staatsapparaat. De Belgische publicist Robert Steuckers heeft de via Amerikaanse hard power en soft power geïmplementeerde en in neo-liberale en cultuur-marxistische ideologie verankerde globalistische politiek van de mondiale vijandelijke elite sinds zeer treffend geduid als ‘pyro-politiek’. Het is de politiek van het met alle mogelijke middelen ‘weg- en neerbranden’ van alle alternatieve machtscentra, -structuren en -ideeën. Voorbeelden van verschillende pyro-politieke tactieken: het (versneld neo-liberale) ‘rampen-kapitalisme’ in het voormalige Oostblok in de jaren ’90, de (black op) ‘kleuren-revoluties’ in de voormalige Sovjet-sfeer in de jaren ’00 en de ‘Arabische lente beweging’ in het Midden-Oosten in de jaren ’10. Er blijven echter een aantal alternatieve machtspolen over buiten de ‘uni-polaire’ globalistische ‘Nieuwe Wereld Orde’ die is ontstaan sinds de ondergang van de Sovjet-Unie: bovenal China en Rusland. Ook Iran is nog altijd een authentieke soevereine staat, maar als middelgroot land is Iran echter veel kwetsbaarder dan de grootmachten China en Rusland. In confrontatie met de op de Amerikaanse supermacht steunende globalistische ‘greep naar de wereldmacht’ is er maar één echte garantie van staatssoevereiniteit, namelijk een geloofwaardige nucleaire afschrikking. Ben Goerion en De Gaulle begrepen dit principe en gaven daarmee Israël en Frankrijk de optie van een authentiek soevereine geopolitieke koers. De Klerk en Gaddafi lieten zich ervan afleiden en beroofden daarmee Zuid-Afrika en Libië van een overlevingskans in de globalistische leeuwenkuil. Vandaar het heikele probleem van het Iraanse nucleaire programma. Totdat Iran zich een ‘nucleaire optie’ verschaft hangt het overleven van Iran als soevereine staat af van een instabiele combinatie van zeer variabele factoren. Bijvoorbeeld van de vraag in hoeverre President Trump in staat is de deep state provocaties en manipulaties die gericht zijn op oorlog te neutraliseren. En uiteindelijk ook van de vraag op welk punt – en hoe – Rusland zal ingrijpen wanneer de integriteit en stabiliteit van de Iraanse staat in het geding is.

De Amerikaanse president Donald Trump sprak vrijuit over het bombarderen van plekken met cultureel erfgoed, waar moeten wij dan aan denken?

Dit soort bedekte bedreigingen passen goed in de globalistische strategie van ‘totale oorlog’ – van de pyro-politiek waarover we eerder spraken. Het is belangrijk duidelijk te zijn: de inzet van het globalisme is de wereldmacht en de globalistische vijandelijke elite is dus potentieel in staat van oorlog met de hele wereld, namelijk met alles wat haar macht – al is het maar in theorie – bedreigt. De globalistische vijandelijke elite kent geen grenzen en voelt zich evenzeer bedreigt door ‘binnenlandse’ als door ‘buitenlandse’ tegenkrachten: voor haar is een onafhankelijk opererende President Trump even gevaarlijk als een onafhankelijk opererende Iraanse staat. En niets komt haar beter uit dan dat die beiden elkaar vernietigen – dat is de inzet van de Amerikaanse deep state en de mondiale systeemmedia. De oorlog die de globalistische vijandelijke elite voert is ook maar heel beperkt ‘klassiek militair’. Pyro-politieke oorlogsvoering berust namelijk niet slechts op het ‘opbranden’ van de militaire en economische capaciteit van de vijand, maar vooral ook op het ‘wegbranden’ de identiteit en het moreel van de vijand. De identiteit van een volk en een natie bestaat in ruimte en tijd – ze altijd hangt samen bepaalde ‘heilige’ plaatsen en bepaalde historische ‘sleutelmomenten’. Door volken en naties in die plaatsen en momenten te treffen, kan hun identiteit gemanipuleerd worden. Vandaar dat de globalistische vijandelijke elite, natuurlijk via proxies, steeds specifieke symbolische doelwitten kiest. Op 9 september 2001 waren dat de hoogste wolkenkrabbers van New York en op 15 april 2019 was dat de Notre Dame de Paris. De Afghaanse Taliban en Arabische Da’esh terreurbewegingen, beide heimelijk opgezet via Westerse geheime diensten en gefinancierd door de Golfstaten, richtten zich op soortgelijke wijze tegen grote pre-Islamistische monumenten als Bamiyan en Palmyra. Het is dus logisch dat een Amerikaanse oorlogsinzet tegen Iran zich met name ook zou richten op het ‘in de as leggen’ van identiteits-bepalende Iraanse monumenten.

Mocht het toch tot oorlog komen, of zelfs een Amerikaanse invasie, wat gevolgen kan dit dan hebben voor dit cultureel erfgoed?

De vernietiging van ‘vastgoed’ cultuurgoed en de roof van ‘draagbaar’ erfgoed was ook onderdeel van globalistische oorlogen tegen Irak en Syrië – monumenten werden opgeblazen en musea leeggeroofd. Veel van de Assyrische kunstwerken in Nimrod zijn zo verloren gegaan en veel van de spijkerschrift kleitabletten uit het Baghdad Museum zijn zo via de zwarte markt verdwenen in privé-verzamelingen. De rijkdommen van Iran kan een soortgelijk lot beschoren zijn: de paradijstuinen van Shiraz, de moskeeën van Esfahan en de schatkamers van Teheran behoren tot de grootste scheppingen van de mensheid maar voor de globalistische vijandelijke elite zijn het niet meer dan wegwerpartikelen. Vergeet niet dat dit de vijandschap van deze elite zich richt tegen alles wat mooier, beter en hoger is dan zijzelf – en dus tegen bijna alles in deze wereld. De globalistische inzet op de vernietiging van cultureel erfgoed vooral een lange termijnstrategie: het gaat erom de identiteit van een volk en natie op lange termijn te manipuleren door de cultuur-overdracht te verstoren. De geallieerde terreurbombardementen op de As-mogendheden gedurende Tweede Wereld Oorlog geven een indicatie van de richting waarin men daarbij moet denken: het systematisch platleggen van vrijwel alle Duitse steden en het nucleair verdampen van Hirosjima en Nagasaki resulteerden in een collectieve traumatische stress stoornis in de Duitse en Japanse psyche. Na de Stunde Null ervaring van 1945 – de ervaring van een fysieke totaal-verwoesting en psychische ‘vijandelijke overname’ – viel er bijna letterlijk een ‘gat’ in het collectieve historisch geheugen van beide volkeren. Het is dit ‘zwarte gat’ in de geschiedenis – feitelijk een geforceerde collectieve identiteitscrisis – dat hun naoorlogse hersenspoeling mogelijk maakte. Dat deze strategie ook echt werkt wordt bewezen door het feit dat beide landen – dit jaar driekwart eeuw later – nog steeds gewillig in het gareel van de overwinnaar lopen: beide landen hebben nog steeds een Amerikaans militair garnizoen en schikken zich vooralsnog zonder noemenswaardige weerstand naar de globalistische politiek die door de Amerikaanse politieke elite wordt gedicteerd, hoe onlogisch en zelfvernietigend die politiek ook moge zijn. Met Japan staat er iets beter voor omdat het tenminste één soeverein symbool behield: de keizerlijke dynastieke continuïteit. Met Duitsland is het veel slechter gesteld: daar is nu sprake van authentieke zelfhaat – Bondskanselier Merkel’s ‘migratiebeleid’ sluit naadloos aan op die realiteit. Als de globalistische vijandelijke elite Iran in geopolitieke zin daadwerkelijk wil neutraliseren dan is een soortgelijke ‘behandeling’ als die van Japan en Duitsland het meest effectief: de eerste stap is het fysiek aantasten van cultureel erfgoed. Het beoogde effect is daarbij dus een lang termijneffect. Op de korte termijn zal de vernietiging van cultureel erfgoed het Iraanse volk zo verontwaardigd en woedend maken dat de weerstand tegen de Amerikaanse agressie in hoge mate wordt versterkt en in uiterst fanatisme doorslaat – net als het geval was bij de As-mogendheden gedurende de laatste maanden van de Tweede Wereld Oorlog. Die verhoogde inzet bepaald ook de drastische uitkomst. De uiteindelijke uitkomst van een dergelijke ‘totale oorlog’ is echter moeilijk te voorspellen: zij zal men name afhangen van de escalatie-bereidheid van de globalistische strategen – en van de risico-bereidheid van hun Russische tegenspelers.

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En hier komen we op een interessant vraagstuk: in hoeverre is de door de deep state gebezigde oorlogsretoriek reëel? Er is anno 2020 sprake van een duidelijke Amerikaanse imperial overreach: de militaire en financiële grenzen van de Amerikaanse macht zijn bereikt. Een echte globalistische overwinning op Iran is slechts mogelijk met grootschalige Amerikaanse militaire inzet: grondinvasie gevolgd door bezettingsgarnizoen. Zo’n overwinning is niet te bereiken door de inzet van lokale proxy groepen – dit is bewezen in Irak en Syrië. Een totale grondoorlog en een langdurige bezetting zouden veel van Amerika vergen: veel levens en veel geld. De politieke wil en brede ondersteuning lijken vooralsnog volledig te ontbreken; de daadwerkelijke belanghebbenden – het military industrial complex en buitenlandse lobby’s – zouden een enscenering van het niveau ‘Pearl Harbor’ of ‘9/11’ nodig hebben om voldoende binnenlandse steun te krijgen voor een grootschalige oorlog tegen Iran. Er is dus waarschijnlijk sprake van een bepaalde mate van ‘blufpoker’, wellicht bedoeld ter verhoging van de inzet bij toekomstige regionale diplomatieke initiatieven. Wat echter niet is uit te sluiten is een – al dan niet door deep state fracties bewerkstelligd – ‘incident’, gevolgd door een ‘per ongeluk’ oorlog.

Wat is onze, dus de Indo-Europese, verwantschap met Iran? Gaat dit enkel over de taal?

Historische verwantschap bestaat op verschillende niveau’s – van zeer abstracte kosmologie (mythologische symbolen en religieuze concepten) tot aan zeer concrete biologie (haplogroepen en fenotypes). Nu is biologische verwantschap op welk niveau dan ook, laat staan op het groepsniveau van etnische identiteit, natuurlijk zo goed als een taboe onderwerp in het huidige ‘politiek-correcte’ discours van de cultuur-nihilistische systeemmedia en systeemacademie – het blijft niettemin een realiteit. De cultuur-nihilistische deconstructie van elke soort authentieke groepsidentiteit is een belangrijk streven van de globalistische vijandelijke elite. Hiermee is een realistische discussie van genetische, epigenetische en fenotypische ontwikkeling en identiteit op niveau van etniciteit in de Westerse publieke sfeer bijna onmogelijk. Het gaat natuurlijk om wetenschappelijke materie met uiterste complexe aspecten, maar dat wil niet zeggen dat het biologische aspect van etniciteit zomaar van tafel kan worden geveegd. Het is verstandig met respect te kijken naar het historisch overgeleverde gegeven van etnische identiteit – en om volksidentiteiten als deel van de menselijke biologische variëteit te beschermen tegen de intrinsiek nivellerende en diep-ecocidale richting van het globalisme. In de Iraanse en Indische cultuursfeer denkt men overigens veel positiever en realistische over de eigen Indo-Europese oorsprong en identiteit dan in Europa.

Nu is ‘Indo-Europees’ in de eerste plaats een taalkundige uitdrukking, de Indo-Europese volkerengemeenschap – die al prehistorische tijd uitstrekte van de Europese Atlantische kust tot aan de Golf van Bengalen – heeft echter ook een bepaalde mate van culturele samenhang. Het is daarbij belangrijk op te merken dat ook godsdienst zich bij de Indo-Europese volkeren steeds minstens net zoveel aanpast aan de volksaard, als de volksaard aan de godsdienst. De typisch eigen leef- en gedachtewereld – door de Duitse filosoof Heidegger zeer treffend beschreven als Haus des Seins – van de Indo-Europese volkeren drukt steeds duidelijk een stempel op de niet-Indo-Europese godsdiensten waartoe zij voor een groot deel zijn overgegaan. Dat geldt voor het Europese Christendom evenzeer als de Iraanse Islam. De in Iran dominante Sji’a Islam en de daar sterk mee verweven Soefi Traditie wijken beide sterk af van in de Arabische wereld dominante Soenni Islam – en al helemaal van de neo-primitieve ‘Islam’ die wordt uitgedragen door de Wahhabitische puristen van het Arabisch schiereiland en die wordt uitgedragen door groepen als Al-Qaeda en Da’esh. Zo ligt in het Sjiisme een sterke nadruk op hiërarchische kosmologie – een typisch Indo-Europese gegeven. En zo is er in het Sji’a Islam een institutionele religieuze hiërarchie die ontbreekt in de Soenni Islam. Er is daarnaast ook een aansluiting op het oude Indo-Europese instituut van vererfbaar priester-koningschap: het Sjiisme kent de institutie van het Imamaat: de opvolgingslijn vanuit Imam Ali, de schoonzoon van de Profeet. Deze lijn heeft zelfs een legitieme claim op het hoogste wereldlijk gezag over het Perzische Rijk via het huwelijk van Imam Hossein, de tweede zoon van Imam Ali, met Shahr Banoe, de dochter van de laatste Sassanidische keizer Yazdegard III. Andere relevante elementen zijn het Sjiitisch juridisch beginsel van de Ijtihad – de onafhankelijke rede als bron van jurisprudentie – en de binnen het Sjiisme dominante afkeur van elke vorm van polygamie. Bovenal is er echter het feitelijk – geleefde – overleven van veel Zoroastrianistische cultuurelementen: kalender, feestdagen, rituelen. Het Zoroastrisme – dat in Iran ook nog een echte institutionele presentie heeft – is, net als het Vedisch Hindoeïsme, een authentieke Indo-Europese godsdienst.

Iran is daarmee, ondanks aanzienlijke materiële en culturele verschillen, duidelijk deel van de Indo-Europese cultuurcirkel waartoe ook de meeste Westerse landen behoren. Het is daarnaast ook als authentiek soevereine staat een natuurlijke bondgenoot van de anti-globalistische beweging die recent in het Westen opgang maakt als ‘Nieuw Rechts’. Voor de Nederlandse patriottisch-identitaire tak van Nieuw Rechts is het daarbij specifiek belangrijk toe te werken naar een op het eigen, Nederlandse, belang gebaseerde buitenlandse politiek. Nederland heeft als demografisch-economisch middelgroot handelsland belang bij een afgewogen maar stevige neutraliteitspolitiek – de politieke elite heeft die politiek na de Tweede Wereld Oorlog, onder dwang van de toenmalige omstandigheden (militair en economische zwakte, noodzaak tot wederopbouw, communistische dreiging), opgegeven. Maar ons land heeft een dure prijs betaald voor het dwingende Amerikaanse vazalschap en het kunstmatige Europese eenheidsproject die resulteren uit het opgeven van een soevereine neutraliteitspolitiek. Onder Amerikaanse politieke druk zijn Indonesië en Nieuw-Guinea, ondanks allerlei realistische staatsvorm-alternatieven voor ouderwets kolonialisme, overhaast opgegeven. Daarnaast heeft Nederland zich door het zich slaafs schikken naar Amerikaanse oorlogspolitiek medeschuldig gemaakt aan agressieoorlogen tegen onder meer Joegoslavië (1999), Afghanistan (2006) en Irak (2003). Onder Europese druk zijn nu ook de eigen munteenheid, de eigen grenzen en eigen rechtspraak opgeofferd aan globalistische belangen. Deze stand van zaken is niet alleen historisch volledig achterhaald, maar heeft zich nu ook als zeer schadelijk bewezen voor het Nederlandse volk: neo-liberale kaalslag, massa-immigratie, nihilistische indoctrinatie, sociale implosie en ecologisch wanbeleid hebben niet alleen de levenskwaliteit aangetast maar bedreigen nu ook het voortbestaan van het volk als volk en het land als land. Nederlands Nieuw Rechts staat voor de grote opgave van herstel van de staatsoevereiniteit – een op Nederlandse belangen afgestelde, authentiek-soevereine buitenlandse politiek is daarbij essentieel.

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Ten aanzien van Iran betekent dit een heroverweging van het door de systeemmedia en systeemacademia beeld van Iran als vijand. Als handelsland Nederland heeft veel te winnen bij een strikte neutraliteitspolitiek: betrekkingen zouden op basis van reëel eigenbelang moeten worden gemaakt – onafhankelijk van onheuse (want holle en selectieve) criteria als ‘mensenrechten’ en ‘internationaal recht’. Als zulke retorische criteria écht zouden moeten doorklinken in de Nederlandse buitenlandse politiek, dan zouden we moeten beginnen met sancties tegen Amerika en verbreken van diplomatieke betrekkingen met Saoedi-Arabië. Beide zijn natuurlijk geen reële opties en het is belangrijk dat Nederland juist reëel kijkt naar het eigenbelang. Het huidige ‘Calimero’ denken in de Nederlandse politiek – dat Nederland ‘te klein’ en ‘te kwetsbaar’ is voor een autonoom buitenlands beleid, buiten de EU, buiten de Euro, buiten Schengen en buiten de NAVO – is echter evenzeer onzin: Nederland heeft wel degelijk een goede onderhandelingspositie bij een zelfstandig buitenlands beleid: het heeft een bijzonder gunstige strategische positie in het hart van West-Europa, een goede handels- en communicatie infrastructuur, een hoogst inventieve technologiesector, een steenrijke financiële sector, een deels autarkische landbouwsector en een permanente toeristisch aantrekkingskracht. Met een eigen munt, losgekoppeld van woeker- en subsidiepraktijken van de ‘Europese Bank’, een eigen immigratiebeleid, losgekoppeld van de omvolking praktijk van de ‘Schengen Zone’, een eigen rechtssysteem, losgekoppeld van de totalitaire abstracties van het ‘Europese Recht’ en een eigen krijgsmacht, losgekoppeld van de agressief-expansieve ‘NAVO’ is er een wereld aan welvaart, welzijn en (zelf)respect te winnen. Iran is niet de vijand van Nederland – de echte vijand van Nederland is de globalistische elite: die vijand bevindt zich niet duizenden kilometers ver weg aan de Perzische Golf, maar binnen onze eigen grenzen, diep ingevreten in onze instituties.

lundi, 20 janvier 2020

Caucasian Tarim Mummies, Tocharians and other Indo-Europeans of China

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Caucasian Tarim Mummies, Tocharians and other Indo-Europeans of China

 
 
Archaeological discovery of mummies in the Taklamakan desert of Western China dating back 4,000 years has captivated the imaginations of researchers, who were surprised to discover that they were caucasians from Europe. The answers to the mystery of who these white mummies were might be found in the later history of Xinjiang province; in the Chinese written records of blue eyed and red bearded merchants such as the Yuezhi and the Sogdians from the West and in the manuscripts written in a mysterious Indo-European language known as Tocharian. Clearly there were both Iranic and Tocharian peoples living in Western China in later times, and the Tarim mummies must have been the ancestors of some if not all of them.
 
The inhospitable Tarim basin became a vital route for merchants, at the crossroads between East and West, the basin is skirted by oasis towns which were stations for anyone traveling on the Silk Road.The caucasian, Europoid mummies and the ancient Indo-European languages of the region challenge popular misconceptions about the limits of European civilisation in the Bronze Age. The material excavated suggests the area was active for thousands of years, with diverse languages, lifestyles, religions, and cultures present.
 
 
 
This channel depends on your support:
Tocharians and Tarim mummies art by Andrew Whyte http://basileuscomic.com/
Andronovo chariot art by Christian Sloan Hall https://www.deathlord.co.uk
 
Music:
OST by Deor (website coming soon) Doug maxwell - Lau Tzu Ehru Doug Maxwell - Oud dance Quincas moreira - Dawn of Man Kevin McLeod - Dhaka
 
Sources:
Adams, D., (2019) ‘Tocharian C: its discovery and implications’ https://languagelog.ldc.upenn.edu/nll...
 
A dictionary of Tocharian B https://www.win.tue.nl/~aeb/natlang/i...
 
Gray, Russell & Atkinson, Quentin & Greenhill, Simon. (2011). Language Evolution and Human History. Good, I., ‘A Social Archaeology of Cloth some preliminary remarks on prehistoric textiles of the Tarim Basin’ (Peabody Museum) http://www.safarmer.com/Indo-Eurasian...
 
Hollard, C. et al. (2018). New genetic evidence of affinities and discontinuities between bronze age Siberian populations. American Journal of Physical Anthropology 167 (1): 97–107. Katariya, A., ‘Ancient History of Central Asia: Yuezhi-Gurjar History’, Article No 01 Mair, V., ‘Ancient Mummies of the Tarim Basin’ https://www.penn.museum/sites/expedit...
 
Ning, et al. (2019), ‘Ancient Genomes Reveal Yamnaya - Related Ancestry and a Potential Source of Indo-European Speakers in Iron Age Tianshan’ https://www.cell.com/current-biology/...
 
Wenkan, X. (1996) ‘The Tokharians and Buddhism’ Xie, M. et al, (2013) Interdisciplinary investigation on ancient Ephedra twigs from Gumugou Cemetery (3800 B.P.) in Xinjiang region, northwest China. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2...
 
Yang, Y. (2019), ‘Shifting Memories: Burial Practices and Cultural Interaction in Bronze Age China A study of the Xiaohe-Gumugou cemeteries in the Tarim Basin’ http://www.diva-portal.org/smash/get/...
 
Selections from the Han Narrative Histories https://depts.washington.edu/silkroad...

dimanche, 05 mai 2019

La métaphysique de la tripartition indo-européenne

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La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 1

Collin Cleary

Note de l’auteur :

Cet essai fut originellement écrit il y a presque exactement treize ans. Je m’étais abstenu de le publier pendant toutes ces années, parce que je considérais que les idées qu’il contenait étaient un peu trop spéculatives et audacieuses. Je crois cependant que ces idées sont trop intéressantes pour être gardées indéfiniment non-publiées. Dans l’espoir que d’autres puissent en profiter, j’ai décidé que le temps était venu de publier cet essai. Je dois cependant souligner que ces idées sont en effet hautement spéculatives, et la théorie exposée ici demeure un travail en progrès.

  1. Introduction : le schéma tripartite de Dumézil

Le plus éminent savant dans le domaine des études indo-européennes est le regretté Georges Dumézil du Collège de France. La contribution de Dumézil à ce domaine plutôt restreint peut être résumée à deux choses : (a) il remarqua que toutes les cultures indo-européennes  exhibaient une structure tripartite fondamentale ; et (b) il découvrit que cette structure était  codifiée dans la mythologie de chaque peuple indo-européen. Je décrirai d’abord simplement cette tripartition et ensuite j’en proposerai quelques exemples. Ce sujet est déjà familier pour beaucoup de mes lecteurs.

Au sommet de la société indo-européenne se trouve ce que Dumézil appelle la première fonction. Celle-ci incarne des aspects jumeaux : un aspect juridique et un aspect sacerdotal. Elle concerne l’administration de la justice, et la religion. Elle est donc parfois appelée la fonction « sacerdotale-royale » ou « sacerdotale-juridique ». La deuxième fonction est assumée par la classe guerrière ou militaire, qui sert à protéger la société dans son ensemble et à faire la guerre à ses ennemis. La troisième fonction incorpore tous ceux qui s’occupent de la production ou de la fourniture de biens, de services, et de nourriture. Ainsi, cette classe incorpore tous les marchands, fermiers, commerçants, artisans, etc.

Quant à savoir quelle est la fonction qui règne vraiment dans la société indo-européenne, c’est une question complexe. D’une certaine manière, il semble évident que la première fonction règne. Elle joue un rôle organisateur et structurant dans la société. Parce qu’elle inclut un aspect juridique, elle est impliquée dans la compréhension et l’application de lois abstraites. De plus, puisqu’elle implique aussi un aspect religieux, c’est la première fonction qui fournit à la société l’accès au divin, la plus haute autorité de toutes. Cependant, dans la plupart des  sociétés indo-européennes, c’est de la classe guerrière, ou classe de la deuxième fonction, que les souverains provenaient. C’est le cas pour la caste indienne des Kshatriyas, par exemple.

Donc qui règne, la première ou la deuxième fonction ? Le problème est facilement résolu en regardant la description de la société timarchique traditionnelle dans la République de Platon. La timarchie est une société gouvernée par des membres de la classe guerrière, qui sont éduqués et conseillées par des membres de la première fonction, ou classe sacerdotale. Cela fait des guerriers des souverains de facto, mais puisque les prêtres font les lois, et servent d’autorité finale, on pourrait aussi soutenir qu’au sens réel c’est la première fonction qui règne. La timarchie est en fait la forme prise par la plupart des sociétés indo-européennes traditionnelles.

A présent, permettez-moi de donner quelques exemples spécifiques de tripartition dans les cultures indo-européennes, et dans le mythe indo-européen. En Inde nous trouvons trois castes principales : brahmanes (prêtres), kshatriyas (guerriers), et vaishyas (producteurs). Une quatrième caste, les shudras, est simplement celle des serviteurs des autres. Les aspects jumeaux de la première fonction sont représentés par les dieux Varuna et Mitra. La deuxième fonction est représentée par le dieu puissant et belliqueux Indra. La troisième fonction est représentée par les jumeaux Ashvins.

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En allant très loin en fait, parmi les Celtes nous trouvons les druides (qui étaient prêtres et juristes), les flaith (qui étaient une aristocratie militaire), et les bo airig, qui signifie littéralement « hommes libres possédant du bétail ». Parmi les tribus germaniques nous trouvons une tripartition sociale similaire, et des dieux similaires. Odin et Tyr représentent, respectivement, l’aspect religieux et l’aspect juridique de la souveraineté. Comme Varuna, Odin est représenté comme un habile magicien. Comme Mitra, Tyr est le contrat personnifié. Thor, qui correspond très clairement à Indra, est le dieu des guerriers. Freyr et Freya représentent la troisième fonction. Il faut noter, à cet égard, que tout ce qui a un rapport avec la production ou la fécondité est associé à la troisième fonction. C’est pourquoi Freyr et Freya, des dieux de la sensualité, sont des dieux de la troisième fonction. Dans le panthéon romain, nous avons Jupiter (première fonction), Mars (deuxième fonction), et Quirinus (troisième fonction). En Iran nous trouvons les Amesa-Spentas, aspects du Seigneur Sage, Ahura Mazda. Ceux-ci incluent Asa et Vohu Manah, qui représentent l’ordre cosmique et la moralité et qui sont donc des déités de la première fonction. Xsathra est puissance ou pouvoir, et est donc associé à la deuxième fonction. Armaiti, Haurvatat, et Amerutat sont les patrons, respectivement, de la terre, de la santé, et de l’immortalité, et semblent donc représenter des caractéristiques de la troisième fonction.

La tripartition est encodée dans le mythe indo-européen par d’autres manières encore. Dans un mythe scythe, par exemple, les dieux envoient à l’humanité quatre objets : un calice, une épée, un joug, et une charrue. Le calice est clairement un objet rituel, représentant la première fonction sacerdotale. L’épée est évidemment un objet de guerre et est donc associée à la deuxième fonction. Le joug et la charrue servent à cultiver le sol, et sont donc des objets de troisième fonction. Dans la légende irlandaise, les Tuatha de Danaan étaient supposés avoir quatre grands trésors. Le premier était la Pierre du Destin, qui servait pour les couronnements. Le deuxième et le troisième étaient l’épée invincible de Lug au Long Bras, et une lance magique (les deux ensemble représentent la deuxième fonction). Le quatrième était le Chaudron du Dagda, qui était une sorte de corne d’abondance.

La tripartition est au cœur de l’Iliade. Ce qui cause la Guerre de Troie est la rivalité entre les déesses Héra, Athéna et Aphrodite, parmi lesquelles un certain Pâris doit choisir la plus belle. Pour le séduire, Héra lui offre la souveraineté (première fonction) ; Athéna lui offre la prouesse militaire (deuxième fonction) ; et Aphrodite lui offre l’amour de la plus belle femme dans le monde (troisième fonction). En choisissant Aphrodite, et Hélène, Pâris voue sa nation à la perte en sortant de l’ordre naturel des choses : pour les Indo-Européens, la souveraineté et la chevalerie doivent toujours passer avant la sensualité.

Ayant fait un bref exposé de la tripartition indo-européenne, je vais maintenant arguer que nos ancêtres avaient raison de penser que la tripartition est plus qu’une simple structure sociale. Les trois fonctions sont en réalité les reflets d’une métaphysique tripartite plus profonde, et chaque niveau de réalité exhibe cette structure. Avant de commencer à défendre cette idée, je veux très brièvement faire trois remarques. Avant tout, je ne dis pas que « toutes les choses vont par trois ». Ce dont je parle ici est une forme particulière de structure triple, et non la triplicité en tant que telle. Ma procédure sera inductive. Je présenterai de nombreux exemples d’aspects de la réalité structurés d’une manière analogue au système social indo-européen. Dans les sections 7 et 8 je proposerai des exposés purement abstraits de la nature de ces principes, m’abstenant de toute application spécifique de ceux-ci.

Ensuite, je ne traiterai pas de la question de la manière dont les anciens Indo-Européens auraient pu posséder cette connaissance avancée. Je supposerai que je n’ai pas besoin de convaincre mes lecteurs qu’il est possible que nos lointains ancêtres connaissaient plus de choses que nous, et non pas moins.

Enfin, il est inévitable que certains objecteront à ma procédure ici en disant que les Indo-Européens tentaient simplement de justifier leur structure sociale en la « lisant » dans la structure même du cosmos. Cette objection sera émise spécialement par ceux qui objectent aux traits de l’« idéologie » indo-européenne qui sont « politiquement incorrects », par exemple le patriarcat, l’aristocratie, le militarisme, et, mon « isme » préféré, ce que Jacques Derrida appelait le « phallo-logocentrisme ». Il est bien sûr possible que les Indo-Européens aient simplement pu lire leur structure sociale dans les cieux, mais nous devons au moins envisager que cela a pu être l’inverse – qu’ils ont pu lire cette structure dans les cieux, et ensuite bâtir leur société autour d’elle. Mais cette objection est vraiment à coté de la question, car les exemples de tripartition que je présenterai ici sont principalement mes propres observations, ma propre application des catégories indo-européennes à d’autres régions du réel.

La Métaphysique de la Tripartition indo-européenne, Partie 2
La tripartition dans la Société Humaine Société, Psychologie, et Physiologie

Collin Cleary

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Le Jugement de Pâris par Rubens

  1. L’Ame Humaine Tripartite

Pour commencer, les Indo-Européens pensaient traditionnellement que la société doit être structurée en trois parties ou « fonctions », parce que les gens eux-mêmes exhibent trois types d’âmes basiques.

Les étudiants de la philosophie grecque réaliseront que c’est exactement la vision de Platon. Dans la République, Platon divise sa cité idéale en trois classes : les philosophes, les gardiens ou guerriers, et les producteurs. Cela correspond précisément à la tripartition indo-européenne, les philosophes-rois prenant la place des prêtres-juristes. Mais dans la République, Platon ne fait cette remarque politique que pour faire une remarque psychologique. Il dit que chaque être humain exhibe cette structure tripartite.

Dans nos âmes il y a un élément-guide – un élément qui contrôle, qui dit oui ou non, qui parle « sens » en nous quand les émotions s’égarent. Cet élément se préoccupe à la fois des règles, de l’ordre, de la logique, et de ce que nous appelons la spiritualité. Il correspond donc à la fonction juridique-sacerdotale de la société indo-européenne. Nous avons aussi ce que Platon appelle un élément « passionné » [spirited] (à ne pas confondre avec « spirituel ») qui bat sauvagement dans la poitrine dès que le corps ou l’honneur de quelqu’un est menacé. Il nous pousse à combattre, parfois stupidement. Cela correspond évidemment à l’élément gardien ou guerrier (deuxième fonction). Enfin, nous avons ce que Platon appelle la partie « appétitive » ou « désirante » de l’âme. C’est la partie de nous qui est avide de biens physiques : nourriture, sexe, plaisirs sensuels de toutes sortes, argent, trésors, biens immobiliers, etc. La vertu, pour Platon, est présente dans une âme quand ces trois éléments coexistent harmonieusement, l’harmonie étant largement imposée par le contrôle de la première fonction, ou fonction rationnelle.

  1. Les trois types humains

L’autre remarque psychologique de Platon est que les gens diffèrent selon la proportion de ces éléments dans leur âme individuelle. Pour le dire simplement, certains humains tendent naturellement à être intellectuels ou spirituels. D’autres sont principalement passionnés, agressifs, préoccupés par les choses comme la compétition, l’honneur, et la gloire. D’autres encore sont principalement appétitifs, avec des préoccupations qui ne s’élèvent jamais au-dessus du niveau de la satisfaction physique et sensuelle, ou du gain matériel.

Bref, pour Platon et pour les Indo-Européens, il existe des souverains et des prêtres naturels, des guerriers naturels, et des producteurs et des commerçants naturels. Pour les Indo-Européens, la société doit exhiber une structure tripartite parce que les humains eux-mêmes se répartissent dans un tel groupement. Soit dit au passage, Platon pensait que la plus grande partie de l’humanité tombait dans la troisième classe appétitive, et c’est pourquoi il s’opposait à la démocratie. Le règne de « la majorité » signifie inévitablement le règne de ceux qui ne sont pas principalement raisonnables, spirituels, ou honorables, mais plutôt de ceux qui sont principalement préoccupés par le gain personnel, et par l’instant.

  1. Les types somatiques et tempéramentaux 

sheldon.jpgWilliam Herbert Sheldon

Ainsi, ce que nous avons vu jusqu’ici est que la tripartition indo-européenne nous fournit une psychologie selon laquelle nous pouvons comprendre la dynamique de notre âme individuelle, et selon laquelle nous pouvons nous catégoriser et nous comprendre, nous-mêmes et les autres. Cependant, la tripartition n’est pas seulement présente dans l’âme mais aussi dans le corps. Dans ce qui suit je m’inspirerai des travaux du psychologue W. H. Sheldon, dont le travail a été déclaré « discrédité » aujourd’hui (tous ses livres sont épuisés), parce qu’il a commis le péché impardonnable de suggérer que la biologie forme notre destin [1].

Sheldon distingue trois types physiques ou « morphes », et trois types de tempérament, ou « tonies ». Les morphes seront familiers à beaucoup d’entre vous : ce sont l’ectomorphe, le mésomorphe, et l’endomorphe [2] (la signification littérale de ces noms sera discutée dans la section 4, plus loin).

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L’ectomorphe est typiquement mince, peut-être quelque peu fragile et délicat. La linéarité prédomine. Il y a peu de graisse et peu de masse musculaire. Le tempérament typiquement exhibé par l’ectomorphe est cérébrotonique. Il est souvent introverti, souvent complètement absorbé dans ses propres processus de pensée. La plupart des schizophrènes exhibent un type ectomorphique. Le cérébrotonique tend à un comportement nerveux, obsessif, et est souvent hautement doué pour les recherches théoriques. Je n’ai pas besoin de souligner ce que nous avons tous observé dans nos vies : que les « cérébraux » et les « dingues de science » tendent à être minces, dégingandés, et nerveux. Mais ce type, qui est attiré par l’abstrait et le rationnel, peut aussi être attiré par le spirituel et le mystique.

Le mésomorphe a typiquement des épaules larges, avec une taille étroite, lui donnant une apparence triangulaire. Il est naturellement bien-proportionné. Comme l’ectomorphe, il tend à avoir peu de graisse, mais à la différence de l’ectomorphe sa musculature est prononcée. C’est un athlète naturel, avec un corps construit pour le conflit et la compétition. Concernant son tempérament, Sheldon l’appelle somatotonique. C’est un tempérament orienté vers l’action. Le somatotonique est un guerrier, recherchant la compétition, l’effort, la victoire, et la gloire de toutes sortes. De tels individus tendent vers l’extraversion. Ils veulent faire des choses, plutôt que s’asseoir et y réfléchir. Ils tendent à l’insensibilité, et même parfois à la brutalité. Ils veulent diriger, mais ils peuvent aussi être des partisans fanatiques s’ils rencontrent quelqu’un qu’ils estiment plus hautement qu’eux-mêmes.

L’endomorphe est de forme ovale, tendant souvent à l’obésité. Il est l’opposé diamétral de l’ectomorphe. En termes géométriques, il est rond plutôt que droit. La musculature qu’il peut avoir est très souvent cachée sous la graisse. L’endomorphe est viscérotonique ou « dominé par les boyaux ». Un représentant des théories de Sheldon remarque que pour les viscérotoniques « l’amour du confort physique, de la nourriture, des cérémonies polies, de la compagnie, et du sommeil sont des caractéristiques dominantes ». Il est caractérisé par « la douceur du corps et de l’esprit » [3]. Cette « douceur de l’esprit » se manifeste par une tendance à la passivité, à la complaisance, à l’amabilité indiscriminée, à la jovialité, et à une absence de volonté ou une incapacité à faire des jugements fermes ou tracer des distinctions fermes.

Il devrait être évident que ces trois types corporels et tempéramentaux correspondent aux trois fonctions indo-européennes. L’ectomorphe et cérébrotonique est l’intellectuel, le raisonneur abstrait, le juge, ainsi que le mystique. Le mésomorphe et somatotonique est le guerrier naturel. L’endomorphe et viscérotonique est naturellement incliné vers la production, la consommation, et la satisfaction sensuelle. La description par Sheldon des trois tempéraments peut être considérée comme un supplément à la discussion par Platon des types rationnel, passionné, et appétitif. Dans la distinction des trois « morphes » associés à ces types nous trouvons une expression physique de la tripartition, ce qui est particulièrement remarquable.

  1. La signification du mésomorphe

Ce qui est particulièrement intéressant ici est la « position médiane », au niveau physique aussi bien qu’au niveau spirituel, occupée par les mésomorphes-somatotoniques. Comme l’ectomorphe, il est maigre. Comme l’endomorphe, il est épais. Mais sa maigreur épaisse est musculaire. Il manque de la graisse de l’endomorphe, mais à la différence de l’ectomorphe sa musculature tend à être visible.

Dans l’enseignement ésotérique de Platon – rapporté sous forme fragmentaire par Aristote et d’autres – le grand philosophe distingue deux principes ultimes et métaphysiques qu’il appelle l’Un et la Dyade Indéfinie. L’Un est conçu comme mesure, ordre, proportion. La Dyade est conçue comme les principes jumeaux du Grand et du Petit. On peut facilement surimposer les trois morphes à ces catégories, le mésomorphe représentant un milieu entre des extrêmes. C’est le type parfaitement mesuré, ordonné, proportionnel. C’est dans l’espoir d’approcher de sa forme que des millions de dollars sont dépensés chaque année pour adhérer à des sociétés de gymnastique. L’endomorphe et l’ectomorphe sont, respectivement, le Grand et le Petit. C’est comme si l’endomorphe avait trop de quelque chose et l’ectomorphe trop peu.

Il y a une autre manière plus importante par laquelle le mésomorphe-somatotonique est un « milieu » entre les deux autres. L’ectomorphe tend vers l’abstrait, le cérébral, et l’intellectuel. L’endomorphe-viscérotonique est à l’opposé : inclinant vers la sensualité, la physicalité, et l’oubli insouciant. En termes platoniciens-aristotéliens, l’un est plus proche du domaine du Formel et de l’Idéal, l’autre du matériel. Il est probable que les deux mènent des existences problématiques. Le mésomorphe, d’autre part, est un heureux milieu entre les deux. Il est incontestablement physique, et se réjouit de sa physicalité. Mais à la différence de l’endomorphe, sa physicalité n’est pas celle de l’autosatisfaction et de la sensualité. Le mésomorphe utilise sa physicalité pour poursuivre des idéaux. Ceux-ci vont de buts triviaux, comme gagner une partie, ou marquer un point, à des questions plus sérieuses, comme défendre l’honneur, vaincre une menace contre soi-même ou son peuple, ou défendre les sans-défense.

Le mésomorphe-somatotonique possède ainsi l’idéalisme de l’ectomorphe, mais sans sa tendance aux choses détachées-du-monde et à l’obsession de soi. Il possède la physicalité de l’endomorphe, mais sans sa tendance à la recherche du plaisir et à la passivité. C’est essentiellement pour cette raison que les anciens peuples, en particulier les Indo-Européens, regardaient ce type comme le type humain idéal. Ils lui érigeaient des statues, écrivaient des poèmes épiques et des sagas sur lui, et en général lui rendaient un culte comme étant l’être humain qui pouvait le plus approcher du divin (je reviendrai sur ce point quand je discuterai de la tripartition dans le tantrisme).

Le buste triangulaire du mésomorphe (souvent appelé la « forme en V ») est également intéressant. N’est-il pas fascinant que ce type, qui est une sorte d’équilibre entre les deux autres, approche d’une forme « triangulaire », et que cette forme soit trouvée si attirante ?

  1. Les organes corporels

Si nous regardons l’arrangement du corps humain, nous trouvons quatre systèmes principaux alignés autour de son axe central, l’épine dorsale. Ce sont le cerveau, le cœur, les boyaux, et les organes génitaux. Dans la pensée traditionnelle, ils sont l’expression physique des trois fonctions : le cerveau représentant, bien sûr, la première fonction. La passion de la deuxième fonction a depuis longtemps été associée à la région du cœur. Le terme de Platon qui est traduit par « passion » est thumos, qui était conçu comme une partie physique du corps, situé dans la région du cœur. Les boyaux et les organes génitaux représentent clairement la troisième fonction. Il est également intéressant de remarquer que le cœur occupe à peu près une position médiane entre le cerveau et les organes génitaux, de même que le mésomorphe-somatotonique est le milieu entre les deux autres types.

Une « qualité yang » dure caractérise les organes associés à la première et à la deuxième fonctions. Une « qualité yin » douce est typique des organes associés à la troisième fonction. Spécifiquement, les organes de la cavité abdominale sont non seulement mous, mais ils sont aussi les moins protégés par les os. Tout durcissement de ces organes signifie une maladie. La tête, par contre, une région associée à la première fonction, est l’une des parties les plus dures du corps. On peut aussi trouver des structures dures et cristallines dans le cerveau lui-même, dans la glande pinéale [4]. A la deuxième fonction sont associées les muscles les plus importants et les plus visiblement apparents du corps, dont la « dureté » est un signe de puissance. Nous utilisons le terme « durcir » pour décrire le processus de perfectionnement de ces muscles, qui sont si nécessaires pour l’attaque et la défense. Bien que les organes sexuels soient associés à la troisième fonction, chez le mâle ils ont, du moins une partie du temps, la qualité yang dure. C’est grâce à l’interaction de l’anatomie sexuelle mâle avec le système circulatoire, qui est un système de deuxième fonction, comme je le discuterai brièvement.

  1. Les Doshas ayurvédiques et les types sexuels 

La typologie physique et tempéramentale précédente fut considérablement développée par les anciens peuples indo-européens, en utilisant un vocabulaire très différent, bien sûr. Le meilleur exemple de cela peut être trouvé dans l’ancien système indien de la médecine ayurvédique. Ce matériel a été popularisé dans les années récentes dans un certain nombre de best-sellers, en particulier ceux de Deepak Chopra (envers qui nous devrions à part cela adopter un sain scepticisme). Le système dépend d’une division des êtres humains en trois types, appelés doshas : Vata, Pitta, et Kapha. Ceux-ci sont conçus comme des forces opérant dans le corps.

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Tout comme dans l’image platonicienne de l’âme, nous avons trois types en nous, mais chez la plupart des gens un dosha prédomine. Un type Vata est mince et dégingandé, avec une tendance à la crainte et à l’obsession de soi. Il est aussi imaginatif, introspectif, et souvent intellectuel. En d’autres mots, ectomorphique-cérébrotonique. Ce qui est particulièrement fascinant ici, c’est que l’Ayurveda conçoit le dosha Vata comme « dirigeant » les autres doshas. Deepak Chopra parle en fait du Vata comme du « roi » des doshas [5]. Le type Pitta est musculaire et bien-proportionné, agressif, impérieux, et déterminé. En d’autres mots, le type « guerrier » ; le mésomorphe-somatotonique. Le type Kapha a une tendance à l’obésité, à la bonne humeur, à l’autosatisfaction, et à la paresse mentale. Evidemment, l’endomorphe-viscérotonique.

Cette tripartition fut remarquée par les Indiens même dans le domaine du sexe. L’Ananga Ranga, un manuel sexuel indien de date incertaine (bien que clairement rédigé durant le dernier millénaire) divise les hommes en trois types sexuels : le Shasha ou homme-lièvre, le Vrishabha ou homme-taureau, et l’Ashwa ou homme-étalon. Je commencerai par l’homme-taureau. On le reconnaît, affirme l’Ananga Ranga, à son phallus ou lingam d’une longueur correspondant à la largeur de neuf doigts. Autant que je puisse me l’imaginer, cela correspond approximativement à la moyenne de Kinsey. D’après le texte, le corps de cet homme est « solide, comme celui d’une tortue ; sa poitrine est charnue, son ventre dur, et les grenouilles [= les triceps] de ses bras sont tournées de manière à être mises de face ». Bref, c’est un mésomorphe classique. Le texte nous informe que sa disposition est « cruelle et violente, agitée et irascible, et son Kama-salila [= semence] est toujours prêt » [6]. L’homme-étalon a un lingam d’une longueur correspondant à peu près à la largeur de douze doigts. Il est de forme épaisse. Le texte nous dit qu’il est « d’esprit insouciant, passionné et avide, glouton, changeant, paresseux, et rempli de sommeil » [7]. Il s’agit clairement du type endomorphe-viscérotonique, correspondant à la troisième fonction indo-européenne.

J’ai gardé l’homme-lièvre pour la fin, parce qu’ici la correspondance n’est pas aussi précise. Le texte nous dit que son lingam est d’une longueur correspondant à peu près à la largeur de six doigts. « Sa figure est courte et maigre, mais bien proportionnée en forme et en fabrication … son visage est rond … Il est d’une disposition tranquille ; il fait le bien pour l’amour de la vertu ; il est impatient de se faire un nom ; il est humble dans son comportement… » [8]. Rien ici sur l’aspect mince, dégingandé et introspectif. Mais l’adjectif « maigre » suggère la minceur. Le fait qu’il fasse le bien « pour l’amour de la vertu » suggère le goût des principes du cérébrotonique classique. Notez, à ce propos, que l’homme-taureau ou mésomorphe est le milieu mathématique précis entre l’homme-lièvre et l’homme-étalon. L’homme-lièvre a une taille de six doigts, l’homme-taureau de neuf, et l’homme-étalon de douze. Neuf est un nombre très important dans les traditions indo-européennes, particulièrement dans la tradition germanique.

  1. Paracelse

Paracelsus.jpgParacelse

Nous trouvons quelque chose de remarquablement similaire à ces distinctions physiologiques indiennes tripartites dans les ouvrages du médecin et alchimiste allemand du XVIe siècle, Theophrastus Bombastus von Hohenheim, appelé Paracelse. Il y a une sorte d’esprit indo-européen à l’œuvre chez ce penseur, car il insiste pour passer du système quadripartite des éléments (Terre, Air, Feu, et Eau – qui est peut-être bien une conception d’origine proche-orientale et non indo-européenne) au système tripartite du Soufre, du Mercure et du Sel. Mais ce n’est pas la pure triplicité de ce système qui est curieuse, mais plutôt sa correspondance exacte avec les trois fonctions indo-européennes.

Dans son Opus Paramirum (1530-1), Paracelse écrit, « La première chose que le médecin devrait savoir est que l’homme est composé de trois substances » [9]. Ce sont le Mercure, le Soufre et le Sel, dit-il, qui se combinent pour faire un corps. « Pour rendre les choses visibles, la Nature doit être obligée de se montrer … Prenez un morceau de bois. C’est le corps. Maintenant brûlez-le. La partie inflammable est le Soufre, la fumée est le Mercure, et la cendre est le Sel » [10]. Comme le note un commentateur, « Il utilisait ces termes pour décrire des principes de constitution, représentant l’organisation (Soufre), la masse (Sel), et l’activité (Mercure), toutes des variétés des formes spécifiques accomplies par les intelligences et semences immanentes de la matière » [11]. La correspondance avec le système indo-européen est donc comme suit : le Soufre, le principe organisateur = Première Fonction ; le Mercure, le principe actif et volatile = Deuxième fonction ; et le Sel, le principe de la pure masse ou matière = Troisième Fonction.

Notes

[1] Mêmes les bibliothèques se débarrassent des livres de Sheldon. Des exemplaires sont encore en circulation, mais souvent pour un prix élevé. Voir en particulier les ouvrages suivants : The Varieties of Human Physique (New York: Harper, 1940); The Varieties of Temperament (New York: Harper, 1942); Atlas of Men: Guide for Somatotyping the Adult Male at All Ages (New York: Gramercy Publishing, 1954).

[2] La terminologie de Sheldon continue à vivre dans les milieux de la santé et du fitness – particulièrement dans le bodybuilding.

[3] Robert S. De Ropp, The Master Game (New York: Delacorte Press, 1968), 116.

[4] Ces remarques peuvent être trouvées dans Wolfang Schad, Man and Mammals: Toward a Biology of Form, trans. Carroll Scherer (Garden City, New York: Waldorf Press, 1977), 17.

[5] Deepak Chopra, Perfect Health (New York: Harmony Books, 1991), 36.

[6] Kalayana Malla, Ananga Ranga, trans. F.F. Arbuthnot and Richard F. Burton (New York: Medical Press, 1964), 16

[7] Ibid., 16. Il est intéressant de noter que Shiva, l’incarnation de la troisième fonction, le principe du Tamas dans la théorie indienne des gunas, est appelé « seigneur du sommeil ».  Plus de détails là-dessus plus tard.

[8] Ibid, 15.

[9] Paracelse, Essential Readings, ed. Nicholas Goodrick-Clarke (Berkeley, California: North Atlantic Books), 76.

[10] Ibid., 78.

[11] Ibid., 28.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 3
La tripartition chez les animaux et dans la  nature en général

La tripartition chez les animaux

  1. Les trois systèmes de Schad

Jusqu’ici j’ai appliqué la tripartition indo-européenne au domaine humain, à l’ordre politique et sociétal, à la psychologie individuelle et de groupe, à la physionomie, à l’anatomie, et à la sexualité. Je vais maintenant passer à un niveau d’abstraction plus élevé, à la nature de l’organisme des mammifères en général. Dans les remarques qui suivent, je m’inspirerai principalement de l’œuvre des scientifiques Wolfgang Schad et Henri Bortoft, adeptes de l’anthroposophie.

Schad identifie trois processus fonctionnels fondamentaux dans l’organisme des mammifères : le système nerveux-sensoriel, le système respiratoire-circulatoire, et le système métabolique-membres. En termes de tripartition indo-européenne, les correspondances sont assez évidentes. Le système nerveux-sensoriel fonctionne pour guider le corps. Il correspond donc à la première fonction (souvenez-vous que l’ectomorphe, que j’ai identifié à la première fonction, a été décrit en termes de tempérament comme un cérébrotonique, où le système nerveux domine). Le système respiratoire-circulatoire correspond à la deuxième fonction. Une coïncidence heureuse fait que dans les traductions [anglaises] de Platon, nous utilisons le terme « spirited » pour décrire les gardiens ou guerriers, qui sont censés posséder l’« esprit ». Les anciens Indo-Européens pensaient que leurs guerriers étaient littéralement inspirés. Les types guerriers sont aussi connus pour leur manière de respirer et de gonfler la poitrine, une forme de parade destinée à intimider les autres mâles. Ainsi, il y a une association naturelle entre la deuxième fonction, le guerrier, et le système respiratoire-circulatoire. Mais beaucoup plus important est le fait que c’est dans le système circulatoire que nous trouvons les principaux gardiens du corps : les globules blancs qui servent à attaquer les envahisseurs.

Il nous reste à examiner le système métabolique-membres. Il y a là aussi une association entre le métabolisme et la troisième fonction indo-européenne. Dans la société indo-européenne, la troisième fonction est la fonction nourricière ; elle inclut tout ce qui est concerné par la fabrication ou l’apport de nourriture. Les deux organes du corps qui représentent le plus les différents aspects de la troisième fonction (qui sont complexes) sont l’estomac et les organes génitaux (souvenez-vous que l’endomorphe, que j’ai identifié à la troisième fonction, est fréquemment caractérisé par un estomac protubérant, et une tendance à la gloutonnerie). Le « caractère négatif » de la troisième fonction (que je discuterai en détail plus tard) est illustré par l’action des organes digestifs, qui suppriment l’identité de la matière étrangère et la  convertissent en la propre substance du corps.

  1. Rongeurs, ongulés, et carnivores 

Dans l’être humain, les trois systèmes de Schad existent dans un état d’équilibre. Chez d’autres mammifères, cependant, ces systèmes existent d’une manière telle que l’un domine les autres. Schad affirme que les rongeurs (castors, spermophiles, lemmings, souris, taupes, rats, écureuils, etc.) sont dominés par le système nerveux-sensoriel. On peut voir cela non seulement dans leur activité nerveuse frénétique (similaire à celle de l’ectomorphe-cérébrotonique humain), mais aussi dans le fait que leur tête est beaucoup plus grosse et plus développée que leurs membres. Les ongulés (buffles, chameaux, vaches, chevreuils, chèvres, chevaux, cochons, etc.) sont dominés par le système métabolique-membres. Cela se reflète dans leur grande taille. En particulier, leur estomac est habituellement très grand, et leurs membres sont aussi allongés et massifs. Comme l’endomorphe-viscérotonique humain, ils tendent à être passifs, à se déplacer lentement, et aiment manger.

Les carnivores (chats, loups, dauphins, blaireaux, belettes, etc.) sont dominés par le système respiratoire-circulatoire, que Bortoft décrit significativement comme « intermédiaire entre les deux autres [systèmes] » [1]. Il écrit : « Dans leur forme bien proportionnée, dans laquelle aucune partie du corps n’est développée plus que les autres, aussi bien que par leur taille intermédiaire, ils représentent un équilibre actif entre les deux extrêmes du rongeur et de l’ongulé » [2]. Cette description correspond exactement à mon traitement du mésomorphe-somatotonique humain. Les carnivores, comme les guerriers de la deuxième fonction, sont bien sûr caractérisés par une nature de prédateur. Et qui sont les souverains de facto du royaume animal ? Les carnivores, bien sûr.

Schad dit des choses fascinantes sur la vie de ces trois types de conduite des mammifères, et sur leur relation particulière avec la mort. Le rongeur, dit-il, « vit involontairement » et « meurt avec joie ». Sa vie nerveuse hyper-cinétique semble le rendre fatigué de l’existence, et il meurt généralement facilement et sans combat. Le cas extrême serait celui du lemming.  L’ongulé, par contre, « vit avec joie » et « meurt involontairement ». L’ongulé meurt mal. Il est souvent difficile à achever, et se débat et proteste bruyamment. Lorsqu’il se trouve face à une menace réelle ou potentielle, le rongeur réagit généralement par la fuite ; l’ongulé réagit par l’« évitement tranquille ». Par contre, le carnivore attaque. « Il s’expose également à la vie ou à la mort. Avec la mort aussi bien qu’avec la vie, il a une relation active ». Plus loin, il nous dit que le carnivore « accepte également la possibilité de la vie ou de la mort » [3]. En termes humains, cette étrange combinaison d’héroïsme et de résignation est typique, bien sûr, du guerrier tel qu’il est classiquement conçu.

  1. Exemples anatomique : dents et os

Nous pouvons trouver la tripartition même à un niveau beaucoup plus concret, reflété dans le dessin des parties individuelles du corps. Prenez les dents, par exemple : les incisives, les canines et les molaires. Schad nous montre que chez les rongeurs les incisives dominent, chez les carnivores les canines, et chez les ongulés les molaires. Chacun accentue le type de dents dont il a besoin pour sa forme de vie. Mais chez l’être humain, ces trois types sont également développés, parce que nous pouvons manger – et en faire notre subsistance – toutes les nourritures mangées par les rongeurs, les carnivores, et les ongulés.

Ce simple fait nous oriente vers des questions de grande importance concernant la place de l’homme dans l’univers ; son rôle cosmique, si vous voulez. Non seulement les êtres humains possèdent les trois types de dents, également développées, mais, comme je l’ai déjà mentionné, dans l’être humain les trois systèmes corporels (nerveux-sensoriel, respiratoire-circulatoire, et métabolique-membres) sont équilibrés, sans qu’aucun ne domine les autres. Qu’est-ce que cela signifie ? Dans le concept indo-européen traditionnel de la royauté, le roi, bien qu’il vienne d’une caste, était en réalité considéré comme incarnant les trois fonctions. Maintenant, je dirais que l’homme est à la nature ce que le roi est à son royaume. Comme le roi, qui incarne tous les aspects de son royaume dans sa personne, l’homme incarne tous les aspects de la nature. L’homme est à la fois rongeur, carnivore et ongulé. L’homme est le microcosme. Si on peut dire qu’il est le « roi de la nature », sa royauté est une intendance. Son rôle n’est pas d’être un tyran, ni de piller son royaume, mais d’y travailler presque comme un jardinier travaille dans un jardin : s’assurer que le sol est capable de supporter la croissance, planter les graines d’une manière judicieuse, guider la croissance de ses plantes, et bien sûr éliminer les herbes mauvaises et nuisibles.

Comme exemple anatomique supplémentaire de tripartition, considérez les trois types de cellules osseuses. Les ostéoblastes synthétisent les nouveaux os, et réparent les os existants en prenant du calcium dans le sang et en créant des matrices osseuses. Les ostéocytes maintiennent la force osseuse. Enfin, les ostéoclastes dissolvent les os dans le sang afin de briser et de réassimiler les vieilles structures osseuses. Nous avons ici un mécanisme organisateur positif, un mécanisme préservateur, et un mécanisme destructeur négatif. Comme un auteur le remarque, cela correspond étroitement à la trinité des dieux hindous, Vishnou, Brahma, et Shiva [4]. Comme nous le verrons plus loin, ces trois dieux sont conçus comme l’incarnation de forces qui correspondent exactement aux trois fonctions indo-européennes.

  1. Vie microscopique

Maintenant, pour l’instant je n’ai rien à dire sur les groupes d’animaux autres que les mammifères. Je n’ai rien à dire non plus sur les plantes. Ce sont des domaines pour une réflexion ultérieure. Je dirai cependant quelque chose sur la forme de vie la plus primale, la cellule de base et le micro-organisme.

Il y a différentes sortes de cellules, avec des structures différentes, mais dans la structure basique de chaque cellule nous pouvons voir une tripartition. Le noyau, dont le reste de la cellule reçoit ses ordres de marche, semblerait correspondre à la première fonction. La membrane de la cellule, qui entoure la cellule et la protège, serait la deuxième fonction. Enfin, la mitochondrie, et d’autres structures, qui déconstruisent et assimilent les molécules de nourriture pour fournir de l’énergie à la cellule, semblerait représenter la troisième fonction.

En prenant à nouveau les humains comme exemple, nos corps commencent par être des organismes microscopiques tripartites. Après environ trois semaines, l’embryon humain se développe en une sphère composée de soixante cellules appelées une blastula. La blastula se replie sur elle-même et développe trois structures de base, l’ectoderme, le mésoderme, et l’endoderme. De l’ectoderme se développeront la protection extérieure du corps, l’épiderme, ainsi que le cerveau et le système nerveux. L’ectomorphe est simplement quelqu’un chez qui cette composante prédomine. Le mésoderme se développe en muscles, os, système respiratoire et circulatoire, et est le trait saillant du mésomorphe. Enfin, l’endoderme, qui prédomine dans l’endomorphe, se développe en système digestif, ainsi que dans la parité du  système respiratoire et du canal alimentaire.

Si on regarde la structure de la blastula originelle, on découvre que l’ectoderme et l’endoderme naissants sont mis ensemble, pour former la couche extérieure de la blastula. Le mésoderme est le noyau intérieur. Cela suggère le lien entre les opposés polaires de la première fonction et de la troisième fonction. En un certain sens, ceux-ci existent sur un continuum. Les anciens reconnaissaient cela, et c’est pourquoi Platon parlait de sa Dyade Indéfinie comme du Grand et du Petit. Similairement, les deux extrêmes qui s’opposent au milieu dans la doctrine aristotélicienne des vertus sont conçus comme s’ils étaient sur un continuum. Même plus tard, quand l’ectoderme et l’endoderme sont plus complètement différenciés, ces deux sont encore visiblement présents sur un continuum. Et le mésoderme réside encore au centre de l’organisme, à l’intérieur de la coquille extérieure formée par l’ectoderme et l’endoderme.

Que le mésoderme doive se trouver à l’intérieur des deux autres, plutôt que sur le continuum avec eux, est hautement significatif. Cela reflète le caractère spécial de la deuxième fonction : son coté à part, son statut de médiation entre les autres fonctions. De plus, parce que dans la deuxième fonction les deux autres sont harmonisées et réalisées (un point sur lequel je reviendrai plus loin), la deuxième fonction est, d’une certaine manière, la « vérité intérieure » des autres. La position du mésoderme comme noyau intérieur est la vérité intérieure exprimée physiquement.

La tripartition dans le monde physique en général

  1. Le macrocosme

Le niveau le plus abstrait que nous considérerons sera l’existence en tant que telle. Mais avant d’atteindre ce niveau, regardons d’abord simplement notre monde physique, et ensuite les constituants physiques de ce monde. A nouveau, c’est un domaine dans lequel beaucoup de spéculations sont possibles, et ici je ne peux proposer que quelques suggestions.

Une division triple évidente de notre monde serait celle de la terre, du ciel et de l’atmosphère, et des cieux au-delà. Sur la terre nous trouvons du liquide et du solide, des océans et des continents. La terre est la source d’abondance, de la subsistance. A ce niveau de la réalité, elle est donc la troisième fonction. La coprésence du liquide et du solide représente la coprésence dans la troisième fonction du chaos (« les eaux » sont un symbole pérenne de la force du chaos), et de l’abondance ; l’indéfinition, et la fécondité précise. Le ciel plane au-dessus de la terre. L’atmosphère entoure celle-ci et la protège. Le ciel a souvent représenté une force mâle, et la terre la force féminine. Dans le système germanique, le ciel correspond à Tyr, la terre à Ing. Les deux sont des dieux mâles, mais Tyr fait partie des Ases, Ing des Vanes. De même, je dirais que le ciel et l’atmosphère représentent la deuxième fonction. Il est aussi remarquable que, comme je l’ai montré, la deuxième fonction soit associée à l’inspiration, au sens littéral ; à l’air et à la respiration. La première fonction est représentée par les corps célestes, en particulier le soleil, qui exerce une influence sur la terre depuis en-haut, une influence que les scientifiques commencent seulement à comprendre. Le soleil est aussi un symbole pérenne de la première fonction. Il apparaît dans la République de Platon comme un symbole de l’idéal. Comme je le discuterai brièvement, le soleil joue aussi ce rôle dans la pensée indienne.

  1. Physique

L’équation d’Einstein E=mc2 décrit l’univers physique en termes d’énergie, de masse, et de lumière. Comme nous le verrons, dans la philosophie indienne la première fonction indo-européenne est identifiée à la lumière, la troisième fonction à la masse, et la deuxième, une fonction de médiation avec l’énergie. La masse ou matière dans la physique contemporaine est décrite comme un « tourbillon d’atomes », de même que, en termes métaphysiques, la  troisième fonction est souvent identifiée au chaos, ou au « flux » d’Héraclite. Nous pouvons aussi remarquer que tous les atomes après l’hydrogène sont tripartites, composés de protons positifs, d’électrons négatifs, et de neutrons à charge neutre. L’électron négatif exhibe l’aspect d’indétermination et de « flux » normalement associé à la troisième fonction. Les électrons sont conçus pour être toujours en mouvement (dans le modèle classique, orbitant autour du noyau), de sorte qu’il est impossible d’établir précisément leur position.

Notes

[1] Henri Bortoft, The Wholeness of Nature (Hudson, New York: Lindisfarne Press, 1996), 94.

[2] Ibid., 94-95. Caractères italiques ajoutés.

[3] Schad, 228-229; 216.

[4] Michael S. Schneider, A Beginner’s Guide to Constructing the Universe (New York: HarperCollins, 1995), 55. Schneider identifie en fait les ostéoblastes à Brahma, les ostéocytes à Vishnou, et les ostéoclastes à Shiva. Pour des raisons qui deviendront évidentes, j’ai changé cet ordre.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne,  Partie 4
La tripartition dans la pensée et le langage  humains

arjuna-warrior-203x300.jpgArjuna

  1. Universel, particulier, et individuel

Avant de nous tourner vers le niveau de ce qui est purement idéal et transcendant, notre niveau d’abstraction le plus élevé, je parlerai brièvement de la manière dont la tripartition se manifeste quand nous tentons d’incarner l’idéal dans la pensée et le langage.

Avant tout, il y a trois types fondamentaux de noms : l’universel, le particulier, et le singulier. Nous parlons du « loup » comme d’une espèce (ou de la gent « lupine »), et nous parlons des « loups » ou d’« un loup », et nous parlons de loups singuliers ou individuels (par exemple « Fenris »). L’universel représente la troisième fonction en ce qu’elle est une réalité potentiellement illimitée, et, pour cette raison, indéfinie. Il n’est pas sans caractère, mais son caractère n’est pas d’être un individu déterminé. Le particulier représente la première fonction : c’est l’universel rendu plus spécifique et précis. L’universel est un potentiel indéfini pour l’existence multiple. Le particulier réalise le potentiel de l’universel pour l’instanciation. Mais bien qu’« un loup » soit un existant, « un loup » est « un loup » est « un loup », etc. C’est un générique, et donc encore en un certain sens une existence indéfinie. Le singulier, l’individuel, qui serait un loup unique et non un loup générique, a vraiment une existence réelle. Comme la relation du mésomorphe avec l’ectomorphe et l’endomorphe, il fait la médiation entre l’universel et le particulier. C’est une existence particulière élevée au niveau de la réalité pleinement concrète, dans et par la réalisation de certaines des facettes, mais pas de toutes, de l’universel lui-même.

  1. Jugement perceptuel : identité, différence, et fondement

Dans le perceptuel et toutes les autres formes de jugement, trois concepts prédominent : identité, différence, et le fondement. Nous disons que les choses sont les mêmes ou autres, et nous disons cela dans la conscience d’un certain fondement ou base pour l’identification ou la distinction. Par exemple, deux hommes sont les mêmes, ou différents par la taille, qui est le fondement. Ici, l’identité représente la première fonction qui unit, égalise, rend un. La différence représente la troisième fonction qui divise et désagrège (cela deviendra plus clair quand je discuterai des gunas indiens dans un moment). Le fondement représente la deuxième  fonction, faisant à nouveau la médiation entre les deux. Il représente une constante résolue dans le jeu des identités et des différences. Comme la classe guerrière, il fournit la condition même sous laquelle les hommes, ou quoi que ce soit, peuvent être associés ensemble, ou tenus à part.

  1. Le syllogisme

En logique, nous distinguons entre trois types basiques d’argument ou de syllogisme : la catégorique, l’hypothétique, et le disjonctif. Le catégorique nous permet d’associer des concepts ou d’appliquer des concepts à des cas particuliers. Voici un exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Tous les Kshatriyas sont des guerriers.
Donc, tous les princes sont des guerriers.

Cet argument opère entièrement à l’intérieur du domaine de l’idéal ou de l’abstrait, associant des catégories de choses. Ou prenons cet exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

Cet argument subsume un particulier sous un universel. Il inverse l’ordre ontologique des choses. L’existence est une réalisation de l’universel dans le monde, un cas particulier. L’argument catégorique « fait revenir » le cas dans l’universel. Les deux formes de pensée (passer d’une catégorie abstraite à une catégorie abstraite, et subsumer des particuliers dans des universaux) sont caractéristiques de la cérébralité de la première fonction.

Un exemple d’un syllogisme disjonctif serait celui-ci :

Arjuna est chez lui ou il est parti chasser.
Il n’est pas chez lui.
Donc il est parti chasser.

Cette forme d’argument dépend de la distinction nette – de l’exclusion des possibilités, l’une par rapport à l’autre. Elle exhibe donc l’aspect diviseur et fractionneur de la troisième fonction.

Un syllogisme hypothétique ressemble à cela :

Si Arjuna découvre que son fils est mort, alors il cherchera à se venger.
Arjuna a découvert que son fils est mort.
Donc, il cherchera à se venger.

La proposition hypothétique a un but, elle est orientée vers l’action, et conséquente. Elle exprime les conséquences qui s’ensuivront si une condition antécédente est satisfaite. Un syllogisme hypothétique ne subsume pas simplement un particulier dans un universel, il nous dit quelque chose que nous pouvons attendre du monde. Il est intéressant de noter que tous les syllogismes catégoriques peuvent être convertis en syllogismes hypothétiques. Par exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

devient

Si quelqu’un est un prince, alors il est un Kshatriya.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

Notez la subtile différence que fait la conversion. Elle semble maintenant dire : « Si vous découvrez que quelqu’un est un prince, alors vous pouvez savoir que c’est un Kshatriya, donc faites attention, car Arjuna, qui est un prince, etc.… ». L’hypothétique est un argument mondain, dynamique, et donc il représente la deuxième fonction [1].

En étudiant spécifiquement le syllogisme catégorique, il consiste en termes majeur, mineur, et médian. Pour reprendre le même argument —

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

kshatriya.jpg— « Kshatriya » est le terme mineur, « Arjuna » est le terme majeur, et « prince » est le terme médian. Le terme mineur est la catégorie la plus large dans cet argument, le plus abstrait des universaux nommés à l’intérieur de lui. De même, suivant mon identification de l’universel avec la troisième fonction, le terme mineur représente aussi la troisième fonction. Le terme majeur donne une spécificité au terme mineur : il nomme un quelque chose spécifique qui appartient au terme mineur (l’universel). De même, du fait de ce rôle de « spécifieur » ou d’« identifieur », le terme majeur représente la première fonction. Le médian relie le mineur et le majeur, puisqu’il est présent dans les deux prémisses. Du fait de cette fonction médiatrice, que j’ai déjà discutée dans d’autres contextes, le terme médian semble correspondre à la deuxième fonction.

Il y a aussi, en général, une tendance souvent notée dans notre pensée à grouper les choses par trois (cela peut être universel, mais je soupçonne que cela pourrait être plus répandu parmi les Indo-Européens). On apprend aux enfants leur « A-B-C », par exemple, pas leur « A-B-C-D ». La plupart des gens ont trois noms : un premier, un médian, et un dernier. Nos histoires et fables abondent de trois : trois ours, trois frères, trois vœux, trois sorcières, trois demi-sœurs laides, trois haricots, trois voies sur la route, etc. De nombreux dictons ou rimes ont trois parties : « Jeannot sois agile ! Jeannot sois rapide ! Jeannot saute par-dessus le chandelier ! » ; Je crie ! Vous criez ! Nous crions tous pour de la crème glacée ! [“I scream! You scream! We all scream for ice cream!”] ; « Menteur, menteur, pantalon en feu ! » [“Liar, Liar, pants on fire!”] ; « Plus de stylos, plus de livres, plus de foutus professeurs ! » ; « Hip ! Hip ! Hourrah ! » ; « Du peuple, par le peuple, pour le peuple » ; « Crac, zim, boum » [Snap, Crackle, Pop], etc. Le mythe indo-européen est rempli de trois. Dans le mythe nordique il y a trois puits, trois racines, trois Nornes, trois frères (Odin, Vili et Vé), trois enfants de Loki, etc. Les Grecs avaient trois parques, trois grâces, une déesse à trois faces (Hécate), un loup à trois têtes (Cerbère), etc. La plupart des traditions indo-européennes parlent aussi d’une bataille entre un héros et un monstre à trois têtes. Il suffit de dire que de même que le monde exhibe la triplicité fondamentale que j’ai décrite, nos esprits pourraient être conçus de manière à ordonner même les choses les plus triviales en modèles triples.

Voir aussi mon article « The Gifts of Odin and His Brothers » [Les cadeaux d’Odin et de ses frères] dans What is a Rune? And Other Essays (San Francisco: Counter-Currents Publishing, 2015) pour une discussion de la structure triple fondamentale de l’esprit humain.

Note

  1. Il y a certaines raisons de dire que la forme hypothétique « fait la médiation » entre la catégorique et la disjonctive. Examinez les trois formes posées à plat :

Categorical Disjunctive Hypothetical (Modus Ponens)

P are Q           P v Q           P > Q
R is P             -P                 P
R is Q             Q                 Q

Notez que dans la forme hypothétique, P et Q sont d’abord mis ensemble (comme dans l’argument catégorique) par une implication (« P implique Q ») puis séparés (comme dans l’argument disjonctif), mais pas opposés.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 5
La tripartition et les gunas

  1. L’émergence des gunas du Brahman

Nous avons manifestement affaire à trois principes qui se manifestent sous différentes formes. Ces principes ont le statut des idées platoniciennes : des formes transcendantes que nous pouvons approcher par leurs diverses expressions dans le monde. Mais pouvons-nous exprimer les trois principes dans l’abstrait ?

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Le domaine de recherche le plus évident est celui des traditions philosophiques et mystiques indo-européennes. Ici nous avons de la chance, car il y a beaucoup de sources d’inspiration. Comme on pouvait s’y attendre, la tradition indienne est la source la plus riche. Les anciens Aryens reconnaissaient et discutaient explicitement et exactement ce que j’ai soutenu dans cet article : que toutes les choses exhibent la même structure tripartite.

Ce dont je parle spécifiquement est l’ancienne doctrine des gunas. Guna signifie quelque chose comme « qualité », et cela peut aussi avoir signifié « partie d’un tout ». Guna est donc le même concept désigné dans la philosophie allemande par « moment ». Un moment est une partie d’un tout séparable seulement en pensée. Les gunas sont trois moments de l’Etre, dont nous pouvons parler séparément, mais qui ne peuvent pas réellement exister en séparation.

Les gunas proviennent du Brahman, qui est l’Absolu ou Immensité Transcendante existant au-delà de toute la création. Je comprends le Brahman comme étant le « fondement de l’Etre ». Quel est le fondement sur lequel l’existence ou la création devient elle-même présente ? C’est le Brahman. Pour cette raison, on en parle parfois comme d’un néant. Le brahman est en effet « néant » [« no-thing »], mais ce n’est pas un véritable néant : il doit être réel pour être le fondement sur lequel la figure de la création apparaît.

Par le pouvoir de Maya ou Illusion, le mouvement apparaît dans cette immensité transcendante du néant. Ce mouvement a, par nécessité, trois et seulement trois formes : centripète, centrifuge, et orbitante (mouvement autour d’un point). Comme le remarque Alain Daniélou : « cette triade imprègne toutes choses et apparaît dans tous les aspects de l’univers, physique aussi bien que conceptuel » [1].

  1. Sattva, Tamas, et Rajas 

La force centripète d’attraction crée la cohésion, ou agrégation. Les hindous l’appellent Sattva ou « existence », car toute existence est une agrégation [d’éléments différents]. Le Sattva est donc le principe d’unité, ayant une fonction liante ou préservatrice. Il est figuré par la lumière, et comme le Soleil. Il est associé à l’intelligence, et avec le rêve. Il devrait être évident qu’il s’agit de la première des fonctions indo-européennes. Le Sattva est incarné par le dieu Vishnou, le « Préservateur ».

La force centrifuge est l’opposée de Sattva. Ce n’est pas une force d’attraction, mais de répulsion. Ce n’est pas une force de cohésion, mais de dispersion, d’annihilation, et de retour dans l’Immensité. Elle empêche la concentration. Cette force est appelée Tamas, obscurité ou inertie. Le Tamas est l’obscurité, parce que là où il y a dispersion il y a dispersion d’énergie, et donc absence de lumière. De même, à cause de cette association avec le chaos, l’obscurité, et l’absence d’unité, il s’agit de la troisième fonction. Le dieu Rudra incarne le Tamas. Il est aussi appelé Shiva, le destructeur et seigneur du sommeil. Le Tamas ou Shiva est considéré comme la nature intérieure de toutes choses, puisque toutes choses sortent de la désintégration, pour ensuite se désintégrer à nouveau. Comme le Sattva, le Tamas est associé au sommeil, mais cette fois c’est un sommeil sans rêves – un sommeil sans formes ni images.

L’équilibre entre le Sattva et le Tamas donne naissance à une troisième force, le Rajas. En cosmologie, c’est le mouvement tournant, circulaire (que, soit dit au passage, les Grecs associaient à la perfection). Rajas signifie « activité ». C’est la source de toutes les formes et espèces différentes de la création. Tout mouvement rythmique – le type de mouvement exhibé par la vie – vient du Rajas. A la différence du Sattva et du Tamas, le Rajas n’est pas lié au sommeil, mais à la conscience éveillée. Le Sattva est associé à la forme ou à l’intelligence, le Tamas à la masse ou à la matière, et le Rajas à l’énergie. Ces associations correspondent étroitement au soufre, au sel et au mercure de Paracelse. Chose intéressante, le Rajas est considéré comme incarné dans Brahma, qui est le singulier nominatif masculin de Brahman, c’est-à-dire la personnification du Brahman. Le Rajas est évidemment la deuxième fonction indo-européenne.

Daniélou remarque : « L’une ou l’autre des trois tendances prédomine dans chaque sorte de chose, dans chaque espèce d’être » [2]. Nous avons vu cela dans les êtres humains, dans la tendance de certains hommes à être rationnels ou spirituels, d’autres passionnés, et d’autres appétitifs. Et cette doctrine des types humains peut justement être trouvée dans la psychologie tantrique. D’après le Tantra, les hommes appartiennent au Sattva, au Rajas, et au Tamas. Seuls les deux premiers sont aptes à entreprendre des pratiques spirituelles.

  1. Divya, Vira, et Pashu 

L’homme du Tamas (troisième fonction) est appelé Pashu, qui signifie « animal ». Pashu vient de « pac », lier. Le Pashu est lié à des désirs animaux – faim, sexe, confort, avidité – ainsi que par la convention sociale (à ce propos, c’est précisément de cette manière que les Grecs regardaient l’homme appétitif : ils le voyaient largement comme un animal ; comme non pleinement humain). Le tantrisme soutient que dans l’âge actuel, qui est appelé le Kali Yuga, le type Pashu prédomine.

L’homme du Sattva (première fonction) est appelé Divya, un « être divin ». Comme le Pashu, il est en un certain sens non-humain, parce qu’il est plus qu’humain. Cet homme suit un chemin intérieur, se détachant du monde. Le Divya est très rare dans le Kali Yuga.

L’homme du Rajas (deuxième fonction) est appelé Vira. Ce mot vient de la racine indo-européenne vir- dont viennent les mots modernes viril et vertu. Le vira est un être humain pleinement réalisé : un être viril et héroïque. Il y a des viras de la main droite et des viras de la main gauche. Le vira de la main droite est héroïque mais dépourvu de sens critique. Il combat pour des idéaux qu’il a à peine examinés, et se met au service de l’autorité qu’il ne conteste jamais. En fait, avec le vira de la main droite, la soumission à l’autorité et l’accomplissement aveugle du devoir sont considérés comme les vertus suprêmes.

Le vira de la main gauche peut commencer dans cet état, mais, comme le Divya, il suit un chemin intérieur. Il peut être comparé à l’idéal taoïste chinois du « guerrier lettré ». Julius Evola écrit : « Montant des niveaux inférieurs aux niveaux supérieurs, les viras sont soumis à toujours moins de limitations et de liens » [3]. Le vira atteint un point au-delà du bien et du mal, où il devient autonome au sens littéral de se donner une loi à soi-même. L’idéal pour le vira de la main gauche, et donc l’idéal humain tout court, est l’indépendance, l’autosuffisance, la complétude, et le détachement. Ce sont des caractéristiques que nous retrouvons dans la tradition grecque, dans le concept aristotélicien de Dieu, le Moteur Immobile. Pour Aristote, l’homme idéal approche le plus possible des qualités du Moteur Immobile. Dans le Tantra, l’homme idéal est celui qui incarne le plus pleinement Brahma, l’incarnation du Rajas.

Le fait que le mot « vertu » soit dérivé de la même racine que vira est très significatif. Avant tout, il suggère un lien inattendu entre virilité et vertu, ou entre masculinité et vertu. La conclusion évidente à tirer est que les anciens considéraient les vertus comme des réalisations masculines. Cela se confirme si nous nous tournons vers Aristote. Le mot grec normalement traduit par le mot latin vertu est arete, qui est peut-être le mieux traduit par « excellence ». Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote discute la nature de l’homme vertueux, et ne lie nulle part ses observations à la femme. De plus, Aristote conçoit la vertu comme un milieu entre deux extrêmes. Par exemple, le courage est un milieu entre la lâcheté et l’irréflexion. Le vira indien – qui, comme je l’ai dit, est le type guerrier mésomorphe et somatotonique – est une sorte de milieu entre le Divya et le Pashu. En effet, tout ce qui est analogue à la deuxième fonction indo-européenne occupe une position médiane entre les deux autres fonctions. Si nous regardons la liste des vertus d’Aristote, son milieu entre les extrêmes équivaut à une description du vira. Je soupçonne que les deux extrêmes opposés au milieu décriront aussi très bien les caractéristiques du Divya et du Pashu.

Ceux chez qui le Tamas prédomine, les Pashus, adorent des fantômes et des esprits (Bhuta et Preta). Ceux chez qui le Sattva prédomine, les Divyas, adorent les Devas. Ceux chez qui le Rajas prédomine, les viras, adorent les génies (Yakshas) et les anti-dieux (Asuras). Ce dernier fait est extrêmement intéressant, car le terme Asura est relié au vieux-norrois Aesir [= Ases], qui est le nom du groupe des dieux de première et de deuxième fonctions dans la tradition germanique : Odin, Thor, Tyr, etc.

D’après le Tantra, le Tamas est en réalité le chemin vers l’illumination. Mais en dépit du fait qu’il est une créature du Tamas, le Pashu ne peut pas en tirer avantage. Le Tamas est annihilation et absence d’unité. Souvenez-vous qu’il est aussi associé au sommeil profond, sans rêves. La voie de l’illumination, de la compréhension du fondement ultime de toutes choses, l’Immensité transcendante du Brahman, passe par l’annihilation et la multiplicité. Sur le plan de l’action, le vira détruit avec son épée. Le vira de la main gauche tourne son pouvoir vers l’intérieur, et détruit le jeu de la multiplicité dans sa propre âme. Il tente d’atteindre un état comme celui du sommeil sans rêves, mais dans un état d’éveil, sous son contrôle. D’où l’usage de la méditation, et de pratiques conçues pour parvenir à la maîtrise totale du corps, comme les diverses formes de yoga et d’arts martiaux.

Mais le monde externe des choses et le monde interne des pensées et des images sont tous deux issus de Sattva, la force centripète. Tout ce qui s’oppose à Sattva s’oppose au monde lui-même, et à l’intention du créateur. « Le but de tout créateur est d’empêcher une compréhension qui détruirait sa création », note Daniélou. « C’est pourquoi [il est dit que] ‘l’Ame [l’Atman, le vrai Soi] n’est pas à la portée du faible’. Elle doit être conquise en s’opposant à toutes les forces de la nature, à toutes les lois de la création » [14]. Ainsi, celui qui cherche l’illumination doit devenir un guerrier contre toute la création, en fait contre les dieux eux-mêmes. C’est pourquoi l’homme le plus adapté à la quête de l’illumination doit être l’homme qui répond à la description du vira de la main gauche – du moins, c’est le cas dans le Kali Yuga.

Notes

[1] Alain Danielou, The Myths and Gods of India (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1991), 22.

[2] Ibid., 27.

[3] Julius Evola, The Yoga of Power, trans. Guido Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1992), 55.

[4] Danielou, 33.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, partie 6
F. W. J. Schelling et la tripartition indo-européenne

von_schelling.jpgFriedrich Schelling, 1775–1854

  1. Les influences de Schelling : la Trinité chrétienne et Jacob Boehme

Je me tourne finalement vers une tradition indo-européenne différente, celle de l’Idéalisme allemand du XIXe siècle. J’inclus ce matériel afin de prouver le caractère pérenne de la pensée indo-européenne. On pourrait dire que toute l’histoire de la philosophie occidentale (et indienne) est une longue et inconsciente tentative pour retrouver la sagesse connue « directement » par nos ancêtres indo-européens.

Remarquablement, dans la philosophie tardive de F. W. J. Schelling, qui était un ancien  copain d’école de Hölderlin et Hegel, nous trouvons une doctrine qui correspond exactement à l’ancienne théorie aryenne des gunas. Ceci en dépit du fait que Schelling avait, autant que nous le sachions, une faible connaissance de la philosophie indienne. Il écrivait à une époque où les détails de la pensée indienne commençaient seulement à être connus des intellectuels européens. Les détails ésotériques des gunas n’étaient certainement pas connus de Schelling, et pourtant il écrit comme s’il les traduisait dans le langage de la philosophie idéaliste.

Spécifiquement, je parle de la Potenzlehre de Schelling, une doctrine des Puissances, qu’il développa durant toute sa carrière, mais qui ne s’épanouit pleinement que dans sa tardive et dénommée « philosophie de la mythologie ». Pour pleinement comprendre cette doctrine, on doit explorer ses antécédents dans la tradition mystique occidentale. Avant tout, Schelling, Hegel et les philosophes allemands en général étaient fascinés par le mystère de la Trinité chrétienne. On pourrait démontrer que ce que nous connaissons sous le nom de « la Trinité » n’est pas une conception proche-orientale originale mais en réalité un résultat de la « germanisation » du christianisme, développée après la conversion de nos ancêtres païens. L’idée de trois « personnes » en une seule correspond à peu près à la notion aryenne de l’unité des trois gunas dans le Brahman. Sans trop entrer dans les détails, je suggérerais que le Père correspond à la première fonction indo-européenne, le Fils à la troisième fonction, et le Saint Esprit à la deuxième fonction. En cela je suis influencé par Hegel, qui traitait le Père comme le logos, ou Idée Absolue, le Fils comme la Nature, et le Saint Esprit comme l’homme, qui est l’unité du logos et de la nature, ou de Dieu et de l’animal [1].

L’influence mystique immédiate sur Schelling fut l’Allemand Jacob Boehme, qui concevait toute la réalité comme possédant une structure triple. Considérez la citation suivante de Boehme :

« Ainsi donc la lumière éternelle, et la vertu de la lumière, ou paradis céleste, se meut dans l’obscurité éternelle ; et l’obscurité ne peut pas comprendre la lumière ; car ce sont deux Principes [séparés] ; et l’obscurité désire la lumière, parce que l’esprit s’y contemple lui-même, et parce que la divine vertu est manifestée en elle. Mais bien qu’elle n’ait pas compris la divine vertu et la lumière, elle s’est cependant continuellement et ardemment élevée vers elle, jusqu’à ce qu’elle ait allumé la racine du feu en elle-même, à partir des rayons de la lumière de Dieu ; et alors naquit le Troisième Principe, sortant de la matrice obscure, par la spéculation de la vertu [ou puissance] de Dieu. » [2]

Il y a donc trois principes, un de lumière, un d’obscurité, et un qui réconcilie. Boehme conçoit les trois principes comme étant réunis au sein de ce qu’il nomme l’Ungrund : le fondement transcendant et ineffable de tout l’être qui est lui-même sans fondement, parce qu’il n’y a rien au-delà de lui qui pourrait servir de fondement. A nouveau, nous avons une correspondance avec l’existence des gunas à l’intérieur du Brahman. Boehme conçoit ses trois principes comme imprégnant toute la réalité [3]. L’homme, affirme-t-il, est la véritable réalisation des trois principes. A cause de la coprésence des trois principes dans l’homme, ce dernier a le potentiel pour comprendre l’ensemble de la création.

  1. Les Trois Puissances 

Tournons-nous maintenant vers Schelling : celui-ci parle de Trois Puissances, qu’il conçoit comme des principes ou des idéaux, et comme des agences de volition. Schelling a une manière particulière et algébrique de parler des Puissances comme –A ou A1, +A ou A2, et A3. J’abandonnerai cet usage, et je ferai une nouvelle violence à la terminologie de Schelling en parlant de la première puissance comme étant la troisième, la seconde comme étant la première, et la troisième comme étant la seconde. L’idée est de faire apparaître les corrélations avec les fonctions indo-européennes. Ma présentation ne fera cependant pas violence aux idées de Schelling.

Schelling conçoit un temps primordial où les trois puissances existaient par elles-mêmes, avant qu’elles puissent s’exprimer dans un monde d’objets. De plus il voit les puissances comme des aspects de l’Absolu – l’équivalent du Brahman dans sa philosophie.

La Troisième Puissance est conçue par Schelling comme une pure et indéfinie possibilité d’être (das sein Koennende). C’est une sorte d’« être-en-soi » primal, qui est indéfini, illimité, et négatif. Il possède, affirme-t-il, un pur pouvoir d’auto-négation. Il peut annuler ou rejeter tout ce qu’il est et devenir n’importe quoi d’autre. Il n’a pas d’identité fixée. Les parallèles philosophiques incluent le flux d’Héraclite, et l’apeiron d’Anaximandre. Il correspond à peu près au Yin chinois, et est donc le principe féminin. Schelling conçoit aussi cette Puissance comme de la pure subjectivité. La Troisième Puissance est manifestement équivalente au Tamas indien.

La Première Puissance est un principe d’ordre et d’objectivité. Elle est l’opposée de la Troisième Puissance : spécifique, légale, précise, distincte. C’est le principe de l’identité, et de la différentiation. La Première Puissance est être pur, par opposition à la pure possibilité de l’être. Sa fonction est de placer des « limites » autour du chaos qui est la Troisième Puissance, et de faire exister des entités précises. Alors que la Troisième Puissance est das sein Koennende, « l’être possible », la Première Puissance est das sein Muessende, « l’être obligé ». La Troisième Puissance est « être-en-soi », mais la Première Puissance est « être-en-dehors-de-soi », parce que les limites fournies par la Première Puissance sont en-dehors d’elle, placées autour d’une autre. C’est donc un principe mâle, équivalent au Yang chinois, et au Sattva indien. La raison en est simple : la nature de la femelle est de générer en elle-même, la nature du mâle est de générer dans un autre (donc, « être-en-dehors-de-soi »). Parce que la Première Puissance est pure objectivité et non subjectivité, elle ne possède pas de volonté propre, ce qui est l’une des facettes d’un sujet.

Ces deux Puissances ne peuvent coexister parce qu’elles sont des opposés totaux. Sans elles, il ne peut y avoir de monde. Donc quelque chose d’autre doit fonctionner pour les réunir. Entrez ce que j’appelle la Seconde Puissance, simplement pour l’identifier avec la deuxième fonction indo-européenne. A nouveau, tout ce qui correspond à la deuxième fonction constitue une sorte de milieu entre les première et troisième fonctions. Ainsi, la Seconde Puissance doit posséder un être objectif (comme la Première Puissance), mais avec la possibilité de changement (comme la Troisième Puissance). Pour le dire d’une autre manière, la Seconde Puissance doit être quelque chose de précis, mais elle doit aussi être libre.

La Troisième Puissance est pure subjectivité, et la Première Puissance est pure objectivité, donc d’une manière ou d’une autre la Seconde Puissance unira sujet et objet. Ce fait est significatif, car Schelling conçoit l’Absolu comme le « point d’indifférence » entre sujet et objet. Il y a ici une correspondance exacte, encore une fois, avec la théorie indienne des gunas. Le vira est l’homme dans lequel le Rajas prédomine, et la personnification de Rajas est Brahma. Ainsi, c’est le vira qui est dans la position unique d’atteindre le Brahman lui-même par une transformation de sa propre nature. Chez Schelling, la Seconde Puissance, qui correspond au Rajas, est la réunion du sujet et de l’objet, alors que l’Absolu, qui correspond au Brahman, est la transcendance du sujet et de l’objet. C’est comme si la Seconde Puissance était l’Absolu « tourné vers l’intérieur », et vice-versa. L’implication semble être que celui qui s’identifie à la Seconde Puissance, ou Rajas, peut s’élever vers l’Absolu, ou Brahman, par une sorte d’héroïque changement de Gestalt.

Alors que la Première Puissance est « être en-dehors de soi », et que la Troisième Puissance est « être en soi », la Seconde Puissance est « être avec soi ». Ce choix des mots suggère que dans la Seconde Puissance il y a une sorte de totalité, d’accomplissement, de réconciliation, et d’autosuffisance [4]. Schelling remarque plus loin que si la Troisième Puissance est l’Illimité, et la Première Puissance est le Limitant, la Seconde Puissance est le « purement autolimitant ». Ici encore, nous voyons une anticipation métaphysique du vira. J’ai dit plus haut que le vira atteint un point où il devient autonome au sens littéral de se donner une loi à soi-même. C’est l’autolimitation dans sa forme la plus élevée. Le vira est autonome, indépendant, autosuffisant, et complet, tout comme la Seconde Puissance primale. La Troisième Puissance est « l’être possible », la Première Puissance est « l’être obligé », et la Seconde Puissance est das sein Sollende, « l’être qui devrait ». Sollen signifie « devrait », et donc dans la Seconde Puissance une dimension éthique ou idéaliste apparaît. C’est prévisible, puisque la Seconde Puissance se manifeste au niveau humain dans l’homme « passionné ».

Si nous pouvons parler de la Troisième Puissance comme étant la matière ou élément matériel, et de la Première Puissance comme étant la forme, alors qu’est-ce que la Seconde Puissance ? Encore une fois, puisqu’elle constitue une sorte de milieu entre les deux autres, en un certain sens la Seconde Puissance doit être une union de la matière et de la forme. Je me souviens ici de la théorie hégélienne des trois types d’art : symbolique, classique, et romantique. Le symbolique est l’art qui est excessivement formel, stylisé, et contraint. Il prend l’art égyptien comme exemple. L’art romantique se soucie avant tout de soulever des émotions et de soupeser des mamelles : un art qui a perdu toute retenue. Ici, la forme est brisée ou dépassée par un excès de contenu ; par un sentiment sans contraintes. L’art classique occupe une position moyenne, une unité parfaite de la forme et du matériel. Et qu’utilise Hegel comme exemple de l’art classique ? Les sculptures grecques de dieux et d’athlètes, bien sûr. En d’autres mots, des mésomorphes : des corps de deuxième fonction gouvernés par le Rajas, ou la Seconde Puissance schellingienne. Dans tout ce qui occupe la position de deuxième fonction, il y a une complémentarité presque parfaite de la forme et de la matière, de la raison et de l’émotion, des forces centripètes et centrifuges, etc.

La Seconde Puissance est donc l’union primale et parfaite de la forme et de la matière. C’est la forme platonicienne d’un dieu (et il faut répéter que les Grecs utilisaient le mésomorphe, la parfaite union humaine de la forme et de la matière, pour représenter leurs dieux), alors que la Première Puissance et la Seconde Puissance sont de simples forces (comme l’« amour » et la « haine » d’Empédocle). La Seconde Puissance est l’union éternelle des deux autres Puissances. Quand les trois Puissances s’extériorisent dans la création, la relation éternelle entre elles s’exprime d’une manière temporelle. Le monde est simplement la réunion et la séparation de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, Sattva et Tamas, étendues dans le temps. L’agent ultime de ce processus dans le monde est le vira, l’homme de la deuxième fonction, qui est à la fois préservateur et destructeur. Edward Allen Beach, parlant de la Potenzlehre de Schelling, dit que « [la Seconde Puissance] est … la cause finale [aristotélicienne] ou but final vers quoi tend tout l’organisme idéal de l’univers » [5].

  1. Les Anti-Puissances

Schelling appelle les trois Puissances prises ensemble « la figure de l’être ». Mais l’histoire ne se termine pas ici, car Schelling dit que l’exposé jusqu’ici n’est qu’un exposé d’essences pures. Comment exactement un monde spatio-temporel concret vient-il à l’être, à partir de ces Puissances ? J’ai parlé un peu plus haut des Puissances s’extériorisant dans la création. Mais comment cela a-t-il lieu ? La réponse de Schelling à cela est très obscure.

Il commence par remarquer que c’est plutôt dans l’ordre naturel des choses que la Troisième Puissance doive se subordonner à la Première Puissance : cette matière doit se mettre en position d’être informée. Mais cela ne se passe pas toujours comme cela. Nous pouvons le constater autour de nous. Si la Troisième Puissance, dans toutes ses expressions, se donnait à la Première Puissance continuellement et sans résistance, alors tous les objets matériels seraient des expressions parfaites de leurs formes. Il n’y aurait pas de laideur, pas de défaut, pas de difformité. Mais puisque ce n’est pas le cas, la relation entre la Troisième Puissance et la Première Puissance doit être plus compliquée que nous le pensions.

Parce que la Troisième Puissance est pure possibilité d’être, elle peut très bien faire comme elle veut ! Dans cette Puissance se trouve une dualité : c’est une potentialité de donner naissance à l’existence, à être fécond, mais c’est aussi une potentialité de nier toutes les potentialités, de dire non à tout. Elle a donc toujours en elle la possibilité de se rebeller contre son rôle de matrice, de mère, de toute la création. En faisant cela, elle devient résistante à l’ordre, à la forme, à la détermination, à la raison, et au règne de la Première Puissance. Son obscurité s’accroit, et devient impénétrable. Schelling appelle cette forme pervertie de la Troisième Puissance « B ». Je l’appellerai « l’anti-Troisième ». L’anti-Troisième de Schelling est exactement analogue à l’« aigre » de Jakob Boehme : un pouvoir égoïste négateur, tourné vers l’intérieur.

En résultat de la transformation de la Troisième Puissance en anti-Troisième, la Première Puissance lui est subordonnée. Cela indique le grand pouvoir de la Troisième Puissance : en se fermant simplement à la Première Puissance ou en lui résistant, elle subvertit le rôle naturel de la Première Puissance et la jette dans un état de déséquilibre. Souvenez-vous que la Troisième Puissance est subjectivité et la Première Puissance objectivité. En étant rejetée par la Troisième Puissance, la Première Puissance est rejetée sur elle-même, et développe ainsi la subjectivité [6]. Alors que, comme Ouranos, elle avait jadis joui d’une félicité inconsciente dans les bras de Gaïa, elle vient maintenant à la conscience – mais seulement en étant castrée. Elle se tourne vers l’intérieur. Et lorsqu’elle se conçoit, elle se conçoit seulement comme dirigée dans le sens de la soumission de l’anti-Troisième.

Pour continuer le parallèle masculin-féminin, l’anti-Troisième trouve son représentant humain dans la femme moderne « libérée » (à l’extrême, dans la « haïsseuse de l’homme », qui peut aller jusqu’à abjurer entièrement l’amour des hommes, et à réprimer le désir d’être pénétrée). Ce que la Première Puissance devient en résultat de la venue à l’être de l’anti-Troisième, c’est le mâle moderne, qui est préoccupé par la conquête physique de la femme, considérant cela comme l’essence de la virilité. Il est en fait un être entièrement physique.

Une parfaite illustration de cette dynamique se trouve dans Women in Love de D. H. Lawrence, qui montre le cours de deux histoires d’amour. La première, entre Ursula Brangwen et Rupert Birkin, illustre la relation naturelle entre la Troisième Puissance et la Première Puissance. Ursula est une « femme naturelle », qui rêve d’être possédée par Birkin. Birkin, pour sa part, est attiré par Ursula, mais refuse de se donner à elle complètement, désirant connaître quelque chose de supérieur à l’amour charnel. Bref, il a quelque chose du vira en lui. L’autre couple est Gudrun Brangwen, sœur d’Ursula, et Gerald Crich, meilleur ami de Rupert. Gudrun est l’anti-Troisième incarnée. Elle désire quelque chose, mais ne s’identifie à rien. Elle saute d’intérêt en intérêt, de lieu en lieu. Elle repousse le désir de Gerald, et l’humilie, disant à un moment : « Tu es si insistant, et il y a si peu de grâce en toi, si peu de finesse. Tu es si brutal. Tu m’embête – tu ne fais que m’ennuyer – c’est horrible pour moi » [7]. Naturellement, Gerald est obsédé par elle, et répond à ces paroles en lui faisant violemment l’amour, et en tentant plus tard de l’étrangler. Gerald est l’être entièrement physique dont j’ai parlé ; la perversion de la Première Puissance. C’est un propriétaire de mine qui (comme Clifford dans L’amant de Lady Chatterley de Lawrence) s’immerge totalement dans le dur monde des machines et des plans de production. Il s’enorgueillit de sa physicalité brutale, et, à la différence de Rupert, est préoccupé par le sexe.

Maintenant, remarquez que la Première Puissance correspond à la première fonction, qui correspond, en termes de types humains, à l’ectomorphe-cérébrotonique. Ainsi, ce qui est particulier dans le changement produit dans la Première Puissance par l’anti-Troisième est que la Première Puissance devient, d’une certaine manière, son propre opposé. En termes humains, le cérébrotonique, l’homme qui « vit dans sa tête », finit par penser qu’il devrait être son opposé : l’homme physique, le sensualiste, le « mâle ». Ce dont nous parlons, en essence, est un divya (ou divya potentiel) qui désire secrètement être un pashu. Mais un tel homme, bien qu’il puisse ne penser à rien d’autre hormis la possession sexuelle des femmes, ne réussit jamais à vraiment ou totalement posséder une femme, parce que son obsession est en fait non-masculine et, finalement, repoussante pour les femmes. C’est le mâle détaché et distant, spirituellement viril, qui se révèle le plus attirant. C’est à lui que les femmes souhaitent vraiment se donner. Entrez le vira, et la Seconde Puissance.

Nous trouvons la relation entre la Seconde Puissance et les deux anti-Puissances représentées dans le Nibelungenlied germanique médiéval. Le roi burgonde Gunther pose les yeux sur Brünhild semblable à une amazone, mais pour mériter sa main il doit se soumettre à l’épreuve du combat. S’il perd, Brünhild prend sa vie. Brünhild représente l’anti-Troisième, qui est devenue activement hostile et même mortelle pour la Première Puissance, ou Puissance mâle. Gunther, qui représente la Première Puissance émasculée, ne peut vaincre Brünhild, et donc il s’assure de l’aide de Siegfried. En tant que héros guerrier, Siegfried représente, bien sûr, la Seconde Puissance. Se rendant invisible, Siegfried agit secrètement au nom de Gunther, et gagne la main de Brünhild pour son roi. Par la suite, cependant, Brünhild se refuse à Gunther dans le lit conjugal, et donc Siegfried est à nouveau appelé pour se faire passer pour Gunther et obliger Brünhild à la soumission. Lorsqu’il réussit, elle crie : « Je ne résisterai plus à ton noble amour. J’ai découvert que tu sais maîtriser les femmes » [8].

Un curieux problème ici concerne le sexe qui doit être attribué à la Seconde Puissance. Si la Première Puissance est « mâle » et si la Troisième Puissance est « femelle », qu’en est-il de la Seconde Puissance ? Je l’ai caractérisée comme médiatrice entre les deux autres, donc serait-elle androgyne ? Etant donné que j’ai identifié la Seconde Puissance à la Deuxième fonction, à la figure guerrière mésomorphe-somatotonique, cela semble être une suggestion absurde – jusqu’à ce qu’on jette un coup d’œil sur les représentations mythologiques indo-européennes du guerrier. Ici on trouve des preuves abondantes que le guerrier était regardé comme ayant des caractéristiques à la fois masculines et féminines. Par exemple, Thor apparaît en travesti, tout comme Héraclès (à partir du XVIe siècle, les représentations artistiques d’Héraclès l’ont le plus souvent décrit en habits féminins). La figure d’Arjuna dans le Mahabharata est aussi décrite comme androgyne. Pourquoi exactement le guerrier ou vira devrait être vu de cette manière doit avoir un rapport avec son important rôle métaphysique, discuté plus haut, comme un être qui peut passer entre les opposés du sujet et de l’objet, de la forme et de la matière, du masculin et du féminin pour accomplir l’unité avec l’Absolu ou Brahman. Le nom Perceval (ou Parzival) signifie « perce la vallée ». C’est celui qui dépasse les opposés (entre les « montagnes ») pour atteindre l’Un.

A la différence de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, d’après Schelling la Seconde Puissance ne subit pas de changement ; elle demeure constante. Mais, affirme Schelling, elle ne peut être pleinement réalisée tant que les deux autres Puissances n’ont pas terminé leur développement. Ainsi, du fait de l’inversion ou perversion de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, la Seconde Puissance n’est plus l’équilibre éternel du Limité et de l’Illimité. Selon les mots de Beach, la Seconde Puissance prend le statut d’une « condition future » encore à atteindre [9]. En d’autres mots, l’unité du Limité et de l’Illimité devient un but ou un point final idéal. Schelling croit que c’est la fin vers laquelle toute l’histoire se dirige. Mais la conception historique de Schelling, comme celle de Hegel, est christianisée et linéaire. Beach remarque que « Schelling voit toute la tendance de l’histoire du monde postérieure à la Création comme étant précisément d’amener la première puissance invertie à la soumission, de changer [l’anti-Troisième] à nouveau [en la Troisième Puissance  positive] » [10].

  1. Implications de la théorie de Schelling

Si nous abandonnons la vision linéaire de l’histoire de Schelling et que nous la remplaçons par un modèle cyclique indo-européen traditionnel de changement historique, ce qui en résulte est une conception de l’anti-Troisième et de la Première Puissance évoluant continuellement vers l’unité, ce qui veut dire, donnant continuellement naissance à la réalisation de la Seconde Puissance. Après que le zénith de la Seconde Puissance est atteint, il y a une période où les deux autres Puissances se normalisent : quand l’anti-Troisième devient la Troisième Puissance « naturelle », et que la Première Puissance regagne son statut d’agent objectif inspirateur. Mais ensuite cela est suivi par un déclin, où les deux Puissances deviennent à nouveau perverties, et où la Seconde Puissance se retire apparemment, mais seulement pour resurgir plus tard, et ainsi de suite.

Du conflit et de la réconciliation graduelle de la Première Puissance et la Troisième Puissance, un monde vient à l’être. Schelling pense que son exposé du conflit des anti-Puissances n’est pas un exposé d’essences abstraites. Quand la Troisième Puissance se rebelle contre sa nature de réceptrice de forme, elle devient l’élément matériel lui-même, car la matière est précisément ce qui a la nature de recevoir la forme et de lui résister.

Pour dire cela en termes humains, le monde donne perpétuellement naissance au vira, mais le vira naît dans le conflit. Les conditions nécessaires pour donner naissance au vira sont le conflit et la disharmonie. C’est dans le creuset du trouble, de la guerre et de la désunion que le vira surgit – et monte à cette occasion. En défiant et en surmontant ces conditions, ceux qui peuvent être des viras réalisent leur nature de vira, et imposent l’ordre au chaos. Mais cet « âge d’or » ne peut pas durer, et le désordre et la disharmonie finissent par revenir – et ainsi de suite, ad infinitum.

Une telle vision de l’histoire est grosse de conséquences philosophiques. Par exemple, le dénommé « problème du mal » est résolu. Le mal – conflit, guerre, désordre, disharmonie, etc. – existe simplement pour amener le vira, l’incarnation de Dieu dans le monde, à l’être.

Nous avons aussi répondu à la question « pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? ». Le rien qui est le Fondement de l’Etre est le Brahman. Du Brahman, un monde constitué par les trois gunas ou Puissances vient à l’être. La réalité la plus élevée dans ce monde est accomplie par la plus haute chose vivante dans le monde, qui est le vira humain. Il est l’expression humaine de Brahma, et en tant que tel il peut, par une transformation de lui-même, « faire revenir la création sur elle-même » et accomplir l’unité avec le Brahman, la base de l’existence comme telle. Ainsi, il n’y a pas « quelque chose et non pas rien », car le quelque chose est le rien inconscient de lui-même.

Conclusion générale

Comme je l’ai annoncé au début de cette série, ma procédure dans cet essai a été inductive. J’ai commencé par exposer la structure tripartite de la société indo-européenne, et ensuite dit que d’autres parties du monde naturel exhibent une structure analogue : l’âme humaine elle-même, les types corporels humains, l’anatomie humaine, l’anatomie des organes ou systèmes individuels, l’embryon humain, les mammifères, la cellule isolée, le monde macroscopique, le monde microscopique de l’atome, et la structure de la pensée et de la logique humaines. Je crois que ces analogies sont plausibles. Dans certains cas, en particulier ceux des analogies entre types humains et types de mammifères, les analogies sont très précises et frappantes.

Ayant vu les mêmes structures se répétant à travers les différents aspects de la réalité, j’ai ensuite demandé s’il y avait un moyen de mettre à nu la nature de ces structures et de parler d’elles dans l’abstrait – de les connaître « en elles-mêmes et par elles-mêmes ». Plutôt que de donner mon avis en premier, j’ai d’abord regardé la Tradition, et trouvé exactement ce que je recherchais – dans la théorie indienne des gunas. Nous pouvons voir que les Indiens ont remarqué la même répétition de la structure tripartite dont j’ai parlé. En expliquant les gunas, j’ai eu l’occasion de revenir au sujet des types humains, et j’ai développé certaines suggestions sur la manière dont nous pourrions les utiliser pour élaborer une théorie de l’histoire, et une compréhension du but de l’existence elle-même.

J’ai aussi donné un exposé de la Potenzlehre de Schelling. Celui-ci servait deux buts. D’abord, il montrait comment un exposé encore plus abstrait des trois principes peut être donné. Ensuite, sa correspondance remarquable avec la théorie indienne des gunas semble indiquer que la conscience des trois principes est éternelle. Je mets cela en relation avec l’idée hermétique de la « philosophie pérenne ». Si une idée continue à apparaître dans des systèmes philosophiques ou mystiques différents, particulièrement s’il y a peu ou aucun contact entre les auteurs de ces systèmes, je prends cela comme la preuve prima facie de sa vérité.

Maintenant, on pourrait objecter que j’ai simplement « lu » ce schéma tripartite dans diverses choses, mais qu’on pourrait tout aussi bien trouver la dualité et la quadrité et la quintité dans ces mêmes choses. Cette objection manque son but, car, comme je l’ai dit au début, je ne recherche pas la pure triplicité, mais plutôt un type spécifique de triplicité. Ensuite, l’objection semble déloyale à la lumière des analogies vraiment remarquables que je crois avoir exposées ici. En fin de compte, mon argument en faveur de la vérité des principes, et la crédibilité des principes comme guides pour comprendre le monde, est pragmatique. Je crois que j’ai montré que voir le monde selon ces trois structures – ça marche. Cela nous ouvre des horizons ; cela nous permet de mieux organiser, catégoriser et analyser les choses, et de voir leurs relations. De plus, cela conduit à des réflexions vraiment profondes sur la nature de l’existence dans son ensemble.

Notes

[1] Hegel ne dit pas vraiment que l’Esprit est une unité du logos et de la nature, ou de Dieu et de l’animal, mais c’est une implication de ses idées, et correspond exactement à la vision philosophique grecque, qui influença fortement Hegel.

[2] Jacob Boehme, Concerning the Three Principles of the Divine Essence, trans. John Sparrow, 1648 (London: John M. Watkins, 1910), VII: 25; p. 100.

[3] « Et aucun lieu ou position ne peut être conçu ou trouvé là où l’esprit de la tri-unité n’est pas présent, et dans chaque être... », Boehme, Six Theosophic Points, trans. John Rolleston Earle (New York: Alfred A. Knopf, 1920), I:21; pp. 18-19.

[4] Une petite application de ce principe peut être trouvée dans les habitudes alimentaires des carnivores de rang moyen. Alors que les rôdeurs subsistent principalement par les féculents, les graisses et les huiles, et les ongulés par la cellulose, les carnivores subsistent par les protéines ; c’est-à-dire par une nourriture similaire à leur propre matériel corporel. Voir Schad, Man and Mammals, 32.

[5] Edward Allen Beach, The Potencies of Gods (Albany, New York: State University of New York Press, 1994), 126.

[6] Cela rappelle la dialectique maître-esclave dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel : subjugué par le maître, l’esclave se tourne vers l’intérieur et donne naissance au Geist.

[7] D. H. Lawrence, Women in Love (New York: Viking Press, 1969), 434.

[8] Nibelungenlied, trans. Helen M. Mustard, in Medieval Epics (New York: Modern Library, 1963), 282.

[9] Beach, 136.

[10] Ibid., 134.

samedi, 06 avril 2019

Georges Dumezil sur les Indo Européens

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Georges Dumezil sur les Indo- Européens

 
Les fonctions tripartites indo-européennes, est une thèse formulée par Georges Dumézil à partir de la mythologie comparée.
 

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mercredi, 03 avril 2019

Georges Dumézil - La tripartition indo-européenne

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Georges Dumézil - La tripartition indo-européenne

 

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lundi, 01 janvier 2018

Le retour des olympiens

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Le retour des olympiens

par Thierry DUROLLE

Dans une logique de contrecarrer le Grand Effacement des mémoires, donc de notre identité d’Européen – ce que nous nommons par néologisme « européanité » – l’étude des Indo-Européens nous paraît être incontournable. Au-delà de l’utilité de telles études, dans ce qu’elles peuvent apporter au champ de la métapolitique, il faut aussi souligner ô combien le sujet est passionnant en lui-même, pour peu que l’on ne soit pas réfractaire à une certaine rigueur académique ainsi qu’à des spécificités d’ordre disciplinaire pouvant rendre l’étude hermétique.

Dans le domaine des études indo-européennes, le professeur Jean Haudry, à la suite de Georges Dumézil, fait office de référence incontestable. Néanmoins ses travaux ne sont pas accessibles au néophyte, même armé de la meilleure volonté, quand bien même muni d’une patience qui lui servira à rechercher, en parallèle de sa lecture initiale, de nombreux termes et de nombreux concepts propices à la bonne compréhension de son sujet. Le lecteur désireux de se cultiver devra s’orienter vers une ou plusieurs introductions adéquates. L’une d’entre elles, La question d’une tradition européenne, du talentueux et regretté Adriano Romualdi représente, à n’en pas douter, la meilleure introduction qui soit.

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Adriano Romualdi

Fils de l’un des cadres de la République sociale italienne, Adriano Romualdi se fit remarquer très tôt pour son talent. En parallèle de son statut de professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Palerme, il se distingua comme l’un des meilleurs théoriciens de la Droite radicale italienne. Grand disciple de Julius Evola, dont il promouva l’œuvre, Romualdi consacra ses écrits à dessiner les contours d’une Droite radicale alter-européenne et racialiste. Hélas ! Ce penseur brillant perdit la vie lors d’un accident de voiture durant l’été 1973. La Droite radicale italienne venait de perdre l’« un de ses représentants les mieux qualifiés » selon les mots de l’auteur de Révolte contre le monde moderne. Adriano Romualdi n’est pas une figure connue en France. Seulement trois de ses livres sont disponibles en français, dont La question d’une tradition européenne. Espérons à l’avenir que ses nombreux écrits feront l’objet d’une traduction car il serait dommageable de se priver d’un tel talent.

L’essai d’Adriano Romualdi pose donc la question de l’existence de ce qu’il nomme une « tradition européenne ». Par où devrions-nous commencer à chercher les fondements de celle-ci ? « Une physionomie européenne commence à émerger des brumes de la Haute-Préhistoire au cours du IVe millénaire av. J-C. C’est un événement qui s’accompagne d’un choix déjà spirituellement significatif : le rejet de la “ civilisation de la Mère ” et l’affirmation de l’Urvolk, du peuple originel indo-européen comme communauté essentiellement virile et patriarcale (p. 29). » D’emblée, l’auteur, en bon héritier de Julius Evola, expose la dichotomie des pôles masculin (olympien) et féminin (chthonien), l’élément racial nordique incarne ce premier pôle essentiellement et, donc, substantiellement albo-européen, alors que le deuxième correspond au « ciel euro-asiatique et euro-africain de la Mère qui pénètre, à travers la race méditerranéenne et ses prolongements libyens, ligures, ibériques, pélasgiens, jusqu’au cœur du continent européen (p. 30) ». Ces peuples du Nord vont déferler sur l’Europe centrale, orientale et balkanique. Romualdi note que « cette irruption s’accompagne de l’apparition de symboles solaires. Elle marque la naissance du svastika […], de la roue solaire, du cercle dans le carré, du disque incisé ou poinçonné et du disque radiant (p. 31) ».

L’européanité se trouve également présente chez les « occidentaux de l’Orient » comme l’écrit Romualdi. Nos liens avec la Perse et l’Inde d’une certaine époque semblent évidents. À ce titre l’auteur fait remarquer que « dans le Rig-Veda apparaît déjà la notion centrale de la religiosité indo-européenne et de la race blanche : la notion d’Ordre. L’Ordre entendu comme logos universel et collaboration de toutes les forces humaines avec toutes les forces divines (p. 37) ». Celui-ci « comme fondement de l’univers indo-européen, est à la fois dans le monde et hors du monde. C’est la source d’où jaillissent le kosmos visible et le kosmos invisible (p. 40) ». L’Ordre est donc synonyme de Totalité. Un autre moment important est la migration dorienne, « c’est-à-dire de ce mouvement de peuples du Nord […] qui pousse les Doriens en Grèce, amorce les migrations italiques dans la péninsule des Apennins et provoque la dispersion des Celtes dans toute l’Europe occidentale (p. 45) ».

« Dans le monde grec, c’est la Préhistoire indo-européenne qui se met à parler. Le premier “ verbe ” articulé de la civilisation grecque est la religion olympienne (p. 52). » En effet, s’il y a bien un Dieu européen qui fait office de Dieu tutélaire (et qui constitue alors l’aspect solaire et ouranien du Divin), c’est bien Apollon. Le Dieu à la lyre « incarne un autre aspect de l’Ordre : l’Ordre comme lumière intellectuelle et formation artistique, mais aussi comme transparence solaire qui est santé et purification (p. 53) ». Les Dieux de l’Olympe, selon Adriano Romualdi, reflètent une part de nous-mêmes : « Dans les divinités olympiennes, l’âme nordique de la race blanche a contemplé sa plus pure profondeur métaphysique. L’eusébia, la vénération éclairée par la sagesse du jugement; l’aidos, la retenue pudique face au divin; la sophrosyné, la vertu faite d’équilibre et d’intrépidité : telles sont les attitudes à travers lesquelles la religion olympienne s’exprime comme un phénomène typiquement européen. Et le panthéon olympien est le miroir de cette mesure. De manière significative, même ses composantes féminines tendent à participer à des valeurs viriles : comme Héra, en tant que symbole du coniugium, comme Artémis, en raison de sa juvénilité réservée et sportive, comme Athéna, la déesse de l’intelligence aguerrie et de la réflexion audacieuse, sortie tout armée de la tête de Zeus (p. 55). »

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Concernant le monde romain, Adriano Romualdi précise que « la religiosité romaine présente en arrière-plan expressément politique (p. 61) ». L’avènement du christianisme au sein de l’Empire romain n’a pas échappé à l’auteur. Ce dernier nous rappelle ce qu’il est vraiment « un phénomène racial, social et idéal étranger à l’Antiquité gréco-romaine (p. 70) ». Il poursuit : « Le pathos chrétien, ce mélange de sentimentalisme plébéien et de grandiloquence sémitique, cet humanitarisme veiné d’hystérie eschatologique, contredit le goût classique (p. 70) ». Enfin, il conclut cet épisode de notre histoire en mettant en lumière l’exemplarité laissée durant cette période. Revenir aux Grecs, c’est retrouver la splendeur radieuse d’Apollon. « Ainsi déclinait le monde antique, où l’idée d’un Ordre sage et lumineux, apparue durant la préhistoire indo-européenne, était devenue image et parole en Grèce, puis organisation politique à Rome. Une ultime théophanie de la lumière disparaissait, mais elle laissait un modèle de clarté, de maîtrise et de mesure dans lequel l’esprit de la race blanche ne cesserait plus de se reconnaître (p. 75). »

Adriano Romualdi ne peut pas faire l’impasse de l’analyse de l’européanité au temps de l’Europe chrétienne. De toute évidence, cette dernière ne fut pas créée ex nihilo, les polythéismes ont laissé une trace plus que visible qui « traduit aussi la réapparition d’une vision ancienne dans l’intériorité même de la race indo-européenne (pp. 78-79) ». Comme le dit lui-même l’auteur, « le christianisme s’illumine et se fait olympien. […] C’est ainsi que […] refleurit la conception de l’ordre visible symbole de l’ordre invisible […], c’est ainsi qu’au pacifisme cosmopolite du premier christianisme succèdent le mythe de la guerre sainte et l’Éloge de la nouvelle milice par Bernard de Clairvaux (p. 79) ». Ce « corps étranger » à l’européanité finit donc par s’intégrer à lui, tout du moins en partie, et, finalement, à y trouver sa place. « La vocation antique à la rationalité olympienne resurgit et, avec la même passion géométrique que celle qui avait projeté dans l’espace les colonnes doriennes, mesure le kosmos grâce à la mathématique hardie des cathédrales gothiques. C’est ainsi que le christianisme, romanisé dans ses structures hiérarchiques, germanisé dans sa substance humaine et hellénisé en raison d’incessantes transfusions d’aristotélisme et de néoplatonisme, acquiert une citoyenneté pleine et entière en Europe (p. 81). »

Pourtant, l’âme européenne originelle existe toujours. Elle ne se prête pas, entièrement du moins, à une hybridation qui serait, il faut le dire, contre-nature. Le syncrétisme, et ce que certains nomment pagano-christianisme ou catholicisme solaire, bien qu’effectif en partie, ne fonctionne pas. L’exception pour Adriano Romualdi se trouve en la personne de ce grand mystique chrétien que fut Maître Eckart. Malheureusement l’involution « kali-yugesque » corrompt tout, et de la Réforme à la déchristianisation, le Divin s’efface en apparence, mais demeure toujours chez les Européens, même si le rationalisme et le scientisme semblent avoir détrôné ce dernier. « Les origines des mathématiques sont apolliniennes, même si leurs applications semblent aller à la rencontre de Marsyas. Il y a dans la science et la technique une adhésion au style intérieur de l’homme blanc qu’il ne faut pas méconnaître (p. 91). » À l’instar d’Oswald Spengler, qu’il a sûrement lu, Romualdi a parfaitement compris que la civilisation de l’Homme blanc est celle de la Technique.

En définitive, cet essai synthétique, simple d’accès et passionné, nous paraît être un exposé brillant. Véritable mise en forme de l’histoire de notre européanité, Adriano Romualdi n’omet pas les caractéristiques de l’âme de notre race, tout en soulignant toujours la réalité du substrat biologique de notre peuple. Lecture complémentaire du livre La religiosité indo-européenne d’Hans F.K. Günther (1), que nous avions précédemment recensé (2), La question d’une tradition européenne permettra aux néophytes d’acquérir des bases solides et saines sur un sujet particulièrement important.

Thierry Durolle

Notes

1 : Hans F.K. Günther, La religiosité indo-européenne, Diffusion du Lore, 124 p., 16,90 €.

2 : cf. http://www.europemaxima.com/la-lumiere-septentrionale-de-nos-origines-par-thierry-durolle/

• Adriano Romualdi, La question d’une tradition européenne, Akribeia, 2014, 112 p., 15 €.

lundi, 06 novembre 2017

Le Feu dans la tradition indo-européenne...

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Le Feu dans la tradition indo-européenne...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Les éditions Archè ont publié en 2016 une étude de Jean Haudry intitulée Le feu dans la tradition indo-européenne. Spécialiste des langues indo-européennes, ancien professeur à l'Université de Lyon III et ancien directeur d’étude à l'École pratique des hautes études, Jean Haudry est l'auteur de nombreuses études sur les indo-européens, parmi lesquels quelques ouvrages de vulgarisation, dont le Que sais-je Les Indo-Européens (1981) ou, dernièrement, Le message de nos ancêtres (éditions de la Forêt, 2016), destiné aux jeunes adolescents.

"L’étude est consacrée au thème central dont Pensée, parole, action dans la tradition indo-européenne, Archè, Milano, 2009, développait quatre annexes, les feux de la pensée, de la parole, de l’action et du corps, après avoir établi l’ancienneté de la triade et de sa variante principale, et dont Le Feu de Naciketas, paru l’année suivante chez le même éditeur, présentait l’une des figures humanisées. D’autres devraient suivre.

JHfeu961765132.jpgLa première partie intitulée « le feu dans le monde indo-européen » étudie successivement les noms du feu, ainsi que le rapport de l’un d’entre eux avec celui du souffle, la place du feu dans le formulaire reconstruit, les motifs, les énigmes, les paradoxes où il figure, dans la triade des couleurs, dans la cosmologie, la cosmogonie, l’eschatologie, les cycles temporels ; ses rapports avec les trois fonctions et les quatre cercles de l’appartenance sociale ; ses divers rôles dans la société et dans le panthéon. Une étude détaillée est consacrée à son emploi dans le culte et aux exemples d’un culte du Feu divin, qui constituent l’objet des deux parties suivantes.

La deuxième partie est consacrée aux divinités féminines du foyer (Hestia, Vesta), aux divinités, en majorité masculines, du feu dont certaines portent le nom (Agni, Ātar), d’autres un ancien qualificatif (Vulcain). Cette partie ne fait que développer dans une perspective diachronique et comparative des conceptions communément admises.

Il n’en va pas de même pour la troisième, consacrée aux « anciens Feux divins ». Elle commence par les Feux artisans comme Héphaistos, et Tvaṣṭar, se poursuit avec le voleur du feu Prométhée. Dionysos y est présenté comme Feu de la fureur, puis du vin, et mis en rapport avec une série de correspondants dont le nom est tiré de la racine qui signifie « croître » comme le Liber pater latin. L’interprétation première de Heimdall et Loki comme anciens Feux divins, solidement étayée, mais abandonnée pour des raisons de mode, est reprise avec de nouveaux arguments. Pour Janus, au contraire, une telle interprétation est propre à l’auteur qui l’a exposée précédemment dans deux articles parus dans la Revue des études latines, « La préhistoire de Janus », REL 83, 2005, 33-51 et « Les feux de Rome », REL 90, 2013, 57-82. Hermès a été reconnu comme un ancien Feu divin par Paul-Louis Van Berg, « Hermes and Agni : a fire-god in Greece ? » Proceedings of the Twelth Annual UCLA Indo-European Conference, 2001, 189-204 ; le chapitre ne fait que confirmer ses conclusions. A ma connaissance, le Dagda irlandais n’a jamais été interprété comme un ancien Feu divin, mais l’un de ses noms, Aed « Feu » plaide en faveur de cette interprétation qui s’accorde avec sa mythologie et avec plusieurs de ses attributs. Le dernier chapitre est consacré à quatre personnages qui représentent le Feu maître ou maîtresse des animaux, rôle qui remonte à la plus ancienne préhistoire. Il s’agit de Rudra « maître des animaux » dans lequel l’Inde brahmanique a vu l’une des formes d’Agni, et de Śiva qui – à tort ou à raison – a été considéré comme son prolongement ; d’Artémis et de son double humain Iphigénie dont le nom, qui signifie « fille de la force », reflète une formule appliquée au feu. Le couple gémellaire que forment Artémis avec Apollon, « loup du vent » selon Daniel E Gershenson, Apollo the Wolf-god, Mc Lean, Virginia, Institute for the Study of Man, 1991 (JIES Monograph Nr.8) et l’équivalence reconnue depuis longtemps entre Apollon et Rudra ramènent à la question essentielle, abordée dès les premières pages, des rapports étroits entre le feu et le souffle.

Ce travail est, de bout en bout, diachronique et comparatif. Il doit s’apprécier dans cette perspective, et non comme une suite de monographies qui, considérées isolément, paraîtraient incomplètes ou paradoxales."

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mercredi, 28 décembre 2016

Indo-European Dispersals and the Eurasian Steppe with J.P. Mallory

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Indo-European Dispersals and the Eurasian Steppe with J.P. Mallory

J. P. Mallory speaks on Indo-European Dispersals and the Eurasian Steppe at the Silk Road Symposium held at the Penn Museum held in March 2011.

Contacts between Europe and China that bridged the Eurasian steppelands are part of a larger story of the dispersal of the Indo-European languages that were carried to Ireland (Celtic) in the west and the western frontiers of China (Tokharian, Iranian) in the east. Reviewing some of the problems of these expansions 15 years ago, the author suggested that it was convenient to discuss the expansions in terms of several fault lines -- the Dnieper, the Ural and Central Asia. The Dnieper is critical for resolving issues concerning the different models of Indo-European origins and more recent research forces us to reconsider the nature of the Dnieper as a cultural border. Recent research has also suggested that we need to reconsider the eastern periphery of the Indo-European world and how it relates to its western neighbors.

J.P. Mallory is Professor of Prehistoric Archaeology at Queen's University, Belfast, Northern Ireland.

More at http://www.penn.museum

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lundi, 12 décembre 2016

Georges Dumézil par lui-même

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Georges Dumézil par lui-même

mardi, 16 février 2016

Le cheval solaire dans les steppes de l’Eurasie

 

dimanche, 14 février 2016

Soleil et lune / mâle et femelle

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Soleil et lune / mâle et femelle

par Thomas Ferrier

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Les mythologies anciennes évoquent deux figures majeures, deux déités parmi les plus importantes, à savoir le Soleil et la Lune. En français, langue héritière du latin, il n’y a aucun doute. Soleil masculin, Lune féminine. Comme le Sol et la Luna romains. Pourtant ces deux astres, selon les peuples, ne sont pas associés au même sexe et c’est ce que je vais m’efforcer d’analyser dans cet article.

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Chez les Indo-Européens indivis, la tribu des *Aryōs que j’évoquerai dans un prochain article, les choses sont assez simples. Le Soleil,*Sawel ou *Sawelyos), comme l’indique la forme finale en –os, est masculin, tandis que la lune, sous ses deux noms, *mens et *louksna (« la lumineuse »), est féminine. Le dieu du soleil est le fils du dieu du ciel et forme avec ses deux frères, le feu du ciel intermédiaire (foudre) et le feu terrestre, une triade. Ainsi en Grèce Apollon (substitut d’Hélios), Arès et Héphaïstos sont les trois fils de Zeus.

En Grèce, le soleil est représenté par au moins trois divinités, toutes masculines, à savoir Hélios lui-même, le Soleil personnifié, mais aussi son père, le titan Hypérion (« le très haut ») et Apollon, seul olympien au sens strict, surnommé Phoebos. De la même façon, la lune est associée à plusieurs déesses comme Selênê (*louksna) ou Mênê (*mens), mais aussi l’olympienne Artémis, déesse-ourse de la chasse, et la sombre magicienne Hécate. La lune est un astre mystérieux et inquiétant pour les anciens Grecs, à la différence du soleil souverain, dont la puissance est généralement bienfaitrice, même si parfois les rayons du soleil, qu’Apollon envoie grâce à son arc, sèment aussi la mort. En revanche, à Rome même, Sol et Luna sont des divinités très marginales, rapidement remplacées dans leur rôle céleste par Apollon et Diane.

Chez les Indo-Européens d’orient, et ce sans doute sous l’influence de la religion mésopotamienne, soleil et lune sont deux divinités masculines, ainsi Hvare et Mah en Iran ou encore Surya et Chandra Mas (*louksna *mens, pour la première fois associée). Les Arméniens par contre respectent bien le schéma indo-européen, avec le viril Arev, selon une variante du nom du soleil qu’on retrouve dans le sanscrit Ravi, et la douce Lusin (*louksna). Enfin, en Albanie aussi, on retrouve un soleil masculin (Dielli) et une lune féminine (Hëna).

En revanche, chez les peuples du nord de l’Europe, étrangement, le sexe de l’un et de l’autre s’est inversé, sauf chez les Celtes où ces deux divinités ont une place de toute façon si marginale qu’il est presque impossible de les identifier, remplacés par le dieu Belenos et sans doute la déesse Đirona. Chez les Germains, si Balder est l’Apollon scandinave, le soleil est une déesse (germanique Sunna, nordique Sol) alors que la lune est son frère (nordique Mani). De même, les Baltes possèdent une déesse solaire puissante (lituanienne Saulè) et un dieu lunaire aux accents guerriers (lituanien Menulis, letton Menuo). Cette étrange inversion s’explique peut-être par l’idée que le soleil du nord était davantage doux pour les hommes, mais on verra par la suite que cette hypothèse est douteuse.

Les Slaves quant à eux préfèrent maintenir une certaine ambiguïté. Si le soleil est clairement masculin, sous la forme du Khors (Хорс) d’origine sarmatique ou du Dazbog slave, alors que son nom neutre « solntse » ne désigne que l’astre et aucunement une divinité, la lune n’est pas nécessairement féminine. Messiats (Месяц) est une divinité qui peut apparaître aussi bien comme un dieu guerrier que comme une déesse pacifique.

La mythologie indo-européenne, malgré une inversion localisée dans le Nord-est de l’Europe, et une influence mésopotamienne évidente en Orient, a donc conservé l’idée d’un couple de jumeaux, le dieu du soleil et la déesse de la lune, tous deux nés de l’amour du ciel de jour et de la nuit (la Léto grecque, qui est aussi la Ratri indienne, déesse de la nuit).

En Egypte et à Sumer, pays où la chaleur du soleil pouvait être écrasante, le soleil est clairement une divinité mâle, mais la lune n’est pas davantage envisagée comme son opposé. L’Egypte dispose ainsi de plusieurs dieux solaires de première importance, comme Râ et Horus (Heru), et aussi de leurs multiples avatars, comme Ammon, le soleil caché, et Aton, le soleil visible. Le Soleil a même une épouse et parèdre, Rât. Il est le dieu suprême, alors que le ciel est féminin (Nout) et la terre est masculine (Geb), inversion étrange qu’on ne retrouvera pas ailleurs. La Lune est elle aussi masculine. C’est le dieu Chonsu, au rôle religieux des plus limités. De même les Sumériens disposent de deux divinités masculines, en la personne d’Utu, le Soleil comme astre de justice, et Nannar, la Lune.

lune7f44466b32c9a293a04021e247.jpgLorsque les peuples sémitiques quittèrent leur foyer d’Afrique de l’Est ou de la pointe sud-ouest de l’Arabie, leur mythologie rencontra celle des Mésopotamiens. A l’origine, le Soleil chez les Sémites est une déesse du nom de *Śamšu alors que la Lune est masculine, *Warihu. Chez un peuple qu’on associe à un environnement semi-désertique, c’est assez surprenant. Lorsque les Sémites envahirent Sumer, ils adaptèrent leur panthéon à celui des indigènes. Si la lune resta masculine sous la forme du dieu Sîn, dont l’actuel Sinaï porte le nom, le soleil devint également masculin. A l’Utu sumérien succéda le Shamash babylonien, dans son rôle identique de dieu qui voit tout et juge les hommes. Mais en Canaan et chez les Arabes, « la » Soleil survécut. Shapash était la déesse ouest-sémitique du soleil, présente aussi bien chez les anciens Judéens que dans le reste de Canaan et jusqu’à Ugarit, et Shams la déesse sud-sémitique, présente encore à l’époque de Muhammad dans tout le Yémen.

Un dieu soleil et une déesse lune chez les Indo-Européens, une déesse soleil et un dieu lune chez les Sémites, comme d’ailleurs chez les peuples Turcs et Finno-ougriens, et sans doute chez les peuples nomades en général, un soleil et une lune tous deux masculins en Egypte et à Sumer, voilà une situation bien complexe. Pourquoi attribuer à l’un ou à l’autre un genre en particulier ?

On comprend bien que la lune, liée à des cycles, puisse être associée à la femme, elle-même soumise à un cycle menstruel, terme qui rappelle d’ailleurs justement le nom indo-européen de la lune (*mens). Et de même le soleil, astre ardent qui brûle la peau de celui qui ne s’en protège pas, qui voit tout et qui sait tout, est logiquement masculin. Mais ce raisonnement ne vaut que pour les Indo-Européens. L’idée d’une lune féminine leur est propre, alors qu’elle est masculine partout ailleurs, de l’Egypte jusqu’à l’Inde.

Thomas FERRIER (LBTF/Le Parti des Européens)