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mardi, 05 mars 2024

La révolution de l'esprit II - In Memoriam de Daria Douguina

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La révolution de l'esprit II

In Memoriam de Daria Douguina

Princesse Vittoria Alliata di Villafranca

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/revolution-spirit-i...

Discours de la Princesse Vittoria Alliata di Villafranca au Forum sur la multipolarité à Moscou, 26 février 2024

La compassion dont nous parlons, cette rahma qui marque le début de chaque sourate du Coran, a été traduite par "vraie charité" ou "amour le plus pur" par de célèbres prélats catholiques et théologiens français du 17ème siècle. Ils avaient entendu parler d'une grande sainte découverte par les croisés chez les Sarrasins de Palestine et, la croyant chrétienne, ils ont consacré des éloges monumentaux à nulle autre que Rabi'a al-'Adawyya, la décrivant comme le "portrait de la vraie compassion". Cette femme remarquable, dont les poèmes passionnés sont encore mémorisés et chantés de la Malaisie à la Mauritanie, est connue dans l'Islam comme shahidat al-'ishq al-ilahi, le véritable témoin de l'amour de Dieu.

41Xm7f9jfTL._AC_SY1000_.jpgMais shahid ne signifie pas seulement témoin en arabe. Tout comme en grec, où le mot martys - qui signifie témoin - devient martyr dans le Nouveau Testament, le mot shahid dans le Coran désigne quelqu'un qui meurt par dévotion à Dieu. Le premier martyr de l'islam était une femme, Sumeyah. Elle fut la sixième personne à embrasser la foi, juste après le début de la Révélation au prophète Muhammad *. Elle a été torturée pendant des jours par les polythéistes de La Mecque sous un soleil de plomb, avant d'être poignardée et empalée avec une lance sous les yeux de son jeune fils. Mais elle est restée inébranlable et est morte en martyr, premier témoin éternel de l'islam.

Dans mon pays, la Sicile, les saintes patronnes, guérisseuses miraculeuses dont les voiles sacrés protègent des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, du cancer du sein et du viol, sont toutes des femmes, de jeunes vierges mortes de faim ou aveuglées ou brûlées vives ou déchiquetées pour leur force d'âme et leur détermination. Leur chemin lumineux est encore très vivant dans notre peuple.

Il semblerait donc qu'à travers les âges et les religions, en Occident comme en Orient, les vertus de la compassion, de l'amour véritable, du témoignage de la Vérité et de la mort pour elle aient été reconnues comme une vocation essentiellement féminine.

Et pourtant, lorsqu'il y a un an et demi, Daria Douguina, une jeune philosophe qui représentait l'Europe dans ce qu'elle avait de meilleur, avec sa capacité à fusionner la métaphysique grecque et la tradition chrétienne, a été brutalement assassinée lors d'un attentat terroriste, aucun prélat romain ne l'a célébrée comme la championne de la dévotion, aucune féministe indignée n'a réclamé de sanctions internationales pour ce crime, aucune ONG ne l'a nommée pour un prix des droits de l'homme.

Pourquoi ? Est-ce simplement parce que Daria était russe et fière d'appartenir à une nation qu'elle décrivait comme "capable de compassion et d'empathie" ? Est-ce parce que, selon elle, contrairement à l'"homme-loup" occidental, l'âme russe a une certaine douceur, un manque de rationalité rigide, qu'elle transforme en force, en reconnectant le monde et en pansant ses plaies ?

Non, ce n'est pas le cas. Personne n'avait pris la peine d'écouter cette extraordinaire philosophe polyglotte, qui était aussi une femme athlétique, élégante, artistique, moderne. Le désir de perfection et de beauté de Daria, son ardeur à contempler l'essence absolue de la Vérité, étaient simplement cachés sous l'apparence d'une jeune journaliste. Comme tous ses prédécesseurs martyrs, elle était une ancilla abscondita, une servante dévouée de Dieu protégée par un voile de normalité.

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Ce n'est que lorsque, face à l'Empire du Chaos, Daria brandit son nom Platonova comme un drapeau pour affirmer qu'être une femme aujourd'hui, c'est choisir entre deux archétypes opposés, que l'ennemi la remarque enfin. Parce qu'elle avait révélé le choix impératif qui attend toutes les femmes d'aujourd'hui. L'affrontement mortel et impérieux qui aurait dû rester caché sous les questions de genre et les doléances féministes. Soit se laisser séduire par le modèle triomphant de Didon, la reine phénicienne qui invoqua les forces du monde souterrain pour maudire par un rituel satanique son amant Énée, qu'elle ne parvint pas à détourner de sa mission divine. Ou de suivre, au prix d'énormes risques, la voie sacrée de la Béatrice de Dante, l'être parfait qui conduit son homme au-delà des plus hauts niveaux du Paradis, jusqu'à la contemplation du Trône sacré.

15:35 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : daria douguina, vittoria alliata di villafranca | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 26 février 2024

Daria Douguina: "Nous sommes sur l'axe central de la révolte"

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Nous sommes sur l'axe central de la révolte

Discours de N.V. Melentieva lors de la remise du prix pour le livre "Eschatological Optimism" de Daria Douguina au "Congrès eurasien des philosophes", 17 février 2024

Source: https://www.geopolitika.ru/article/my-na-centralnoy-osi-vosstaniya?fbclid=IwAR2GMC_m4QuCJHt13boKxNcuAZXL0CCA29E6jYKmQnq6KEJqE9QRxfdD9uQ

Le livre Eschatological Optimism est une compilation à partir des textes des discours, des streamings, des conférences et des thèses de Dasha. Il était difficile pour nous, ses parents, de remarquer à une trop courte distance qu'une philosophe se formait tout près de nous. Nous regardions vers l'avenir et pensions que sa croissance et son épanouissement étaient encore devant nous. Mais aujourd'hui, nous pouvons constater que ce qu'elle a écrit est un livre véritablement philosophique, avec des pensées, des idées et des concepts originaux qui peuvent être objets de réflexion et développés plus avant.

Dans son journal électronique, intitulé "Les sommets et les hauteurs de mon cœur", Dasha écrit: "Nous sommes abandonnés dans ce monde... Nous avons un devoir et une mission... Nous avons besoin d'une révolution intérieure, d'une révolution de l'Esprit...", et "Nous sommes sur l'axe central de la rébellion verticale".

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Dasha était avant tout une philosophe traditionaliste. Platon et la théologie chrétienne constituaient sa principale plate-forme idéologique. Dasha était une platonicienne orthodoxe avec une identité distincte. Le traditionalisme considère le mouvement historique non pas comme un progrès unilinéaire, mais comme une série de cycles avec des étapes de dégradation et de régression. Dans la perspective traditionaliste, la modernité de l'Europe occidentale est apparu à Dasha comme un processus de déclin brutal de la pensée, par rapport aux époques antique et médiévale, de perte de sens et d'objectifs pour l'homme, tandis que le postmoderne est apparu comme l'aboutissement naturel de la dégénérescence d'une civilisation. Elle a passé un an à Bordeaux, en France, en tant que stagiaire, et nous a dit que dans la France contemporaine, comme dans le reste du monde, les orbites de la pensée se rétrécissent progressivement, les "grands récits" sont soumis à une critique péjorative, et la philosophie est délibérément transformée en un examen technique de détails microscopiques. Les grandes généralisations sont découragées et ne sont autorisées qu'aux philosophes institutionnalisés d'un certain rang. Le cours de philosophie d'un an qu'elle a suivi à l'université de Bordeaux consistait principalement en la lecture du dialogue qu'est La République de Platon, où la majeure partie du temps était consacrée à l'analyse des nuances d'un sujet intéressant mais très étroit tel que "Le problème de la 'ligne divisée' dans le dialogue La République de Platon".

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Mais la postmodernité ne se caractérise pas seulement par le morcellement des intérêts et l'attention portée aux détails sans tenir compte des modèles généraux. La postmodernité semble avoir déjà transgressé les interdits de la culture, des idées, des philosophes, de la pensée en tant que telle. Les grands principes de la postmodernité sont devenus le "rhizome" et le "plateau", symboles de l'ontologie plate, de l'anti-hiérarchie, de l'absence de centre, de la désintégration de l'individu en parties. Fidèle à Platon, Dasha s'est intéressée à ces ontologies déformées et renversées du postmodernisme, essayant de comprendre les contrefaçons qu'elles constituaient, de déchiffrer leur ironie et de comprendre comment s'organisent ces constructions théoriques fausses, mais d'une certaine manière hypnotiquement attrayantes, basées sur des fuites, des glissements et des transgressions ironiques.

En observant les produits typiques de la postmodernité dans sa génération, dans son environnement, parmi ses connaissances, Daria a essayé de relier ces entités délibérément fragmentaires et fractales à ses idées d'une personnalité platonicienne entière. Et malgré toutes les difficultés de cette idée, elle n'a jamais abandonné, amenant la philosophie dans les relations et les situations humaines les plus ordinaires, parfois banales.

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Dasha a grandi dans une famille philosophique et considérait la pensée, l'esprit, le Logos comme les éléments principaux de la vie humaine. Elle pensait que la philosophie devait être vitale, passionnée, dotée d'un léger pouvoir de transformation. Le Logos doit être lié à la vie de l'âme. La pensée doit aller de pair avec le sentiment, les événements vivants, doit être liée à la compréhension, à l'herméneutique, elle doit philosopher dans des cercles herméneutiques. La philosophie est une sorte de réunion et de transformation alchimique des fragments de la vie quotidienne, une transmutation des éléments, un brassage alchimique où s'entrechoquent des couches de réalité, des thèses et des antithèses et où s'opère la synthèse des concepts, des notions, des nœuds de pensée qui organisent et maintiennent l'ordre de la réalité.  Pour elle, la véritable pensée est une sorte de production et de développement de concepts vivants. Ces concepts doivent d'abord être repêchés dans le flot turbulent des impressions, puis revivifiés, accentués, et devenir le point de rassemblement, de cristallisation et de consolidation de l'esprit et des esprits. Et Dasha a trouvé plusieurs de ces points brillants - des concepts qui sont intéressants, volumineux, et même révélateurs de manière hypnotique.

L'un de ces concepts est l'"optimisme eschatologique".

De quoi s'agit-il ? C'est une éthique héroïque de la fin, de la finitude de l'existence humaine. C'est la prise de conscience que nous sommes confrontés à notre propre fin, la mort de l'homme et de l'humanité. Et cette compréhension n'est pas adoucie par le temps, mais aiguisée et dépassée par l'acte transcendant de l'Esprit. L'optimisme eschatologique est un autre nom du tragique de l'Antiquité, lorsque le petit héros condamné s'engage dans une lutte avec le destin et perd, mais le fait même de sa rébellion donne un sens à l'existence. La dignité de l'homme en tant qu'espèce est contenue dans la défaite. L'optimisme eschatologique n'est pas l'attente d'une récompense, d'une récompense pour l'action, mais l'action elle-même, l'acte même de rébellion, contre toute attente.

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Un autre concept qu'elle a remarqué et mis en évidence, étoffé et auquel elle a donné puissance, est celui de la Frontière. Le troisième livre de Dasha, qui est déjà prêt à être publié, s'intitule Russian Frontier. La Frontière est un territoire volumétrique, spatial, c'est une zone, un lieu, un topos, presque sacral, où les anciennes formes sont détruites et de nouvelles sont créées. Contrairement aux frontières, qui sont des lignes de délimitation et d'interdiction, les frontières sont plutôt des espaces de connexion et de permission. La frontière est un lieu particulier où se dessinent les contours du futur destin de la nation, où se dessine l'esquisse de notre avenir russe.

À la frontière, la raison est obscurcie, la vérité est désordonnée, la beauté est contestée, mais c'est là que les guerres et les révolutions finissent par reformater l'histoire, donnant naissance à de nouvelles époques avec leurs mythes, leurs idéologies et leurs visions du monde. La frontière, c'est d'abord la confusion et l'incertitude, une époque où l'on ne sait pas vraiment s'il y a un Dieu et une vérité. C'est une zone grise avec des traces de dieux, avec des gardiens du seuil - comme s'ils quittaient tous leurs fiefs terrestres, et que les choses sublunaires tombaient dans le chaos et commençaient à changer de forme et de nom, sans prêter attention à nous, les témoins.

Dasha a senti que les projets passés et présents du chemin de vie de notre patrie n'ont pas tout à fait eu lieu, et qu'aujourd'hui nous sommes à la croisée des chemins, peut-être dans une sorte d'interrègne. En mars 1924, le livre de D. Douguina, Russian Frontier, sera publié, où ce sujet sera discuté plus en détail.

Un autre thème que Dasha a soigneusement développé dans ses recherches est celui du "sujet faible" dans la philosophie russe. Dasha a utilisé l'image du "sujet pauvre" pour décrire les particularités de l'identité russe. Selon elle, cette "pauvreté" ou "faiblesse" n'est pas seulement un désavantage - l'absence de rationalité rigide et de volonté forte - mais aussi une vertu. Le cœur russe est capable de compassion et d'empathie à l'égard des gens et du monde, en s'imprégnant de l'humanité de l'être. Contrairement au sujet occidental qui attaque la nature dans l'esprit de Francis Bacon ou qui rivalise avec d'autres sujets dans l'esprit de "l'homme-loup" de Hobbes, le sujet russe fait de sa faiblesse sa force, reconnecte le monde, le rend entier, guérit ses blessures.

La vie de Dasha a été interrompue par un attentat terroriste organisé par les services de sécurité ukrainiens. Mais le véritable instigateur du meurtre de notre fille est l'esprit déchu de la civilisation occidentale avec son idéologie spécifique - le libéralisme - et les valeurs qui en découlent - l'individualisme, le confort, le culte de la consommation, le pragmatisme, l'unidimensionnalité, une compréhension pervertie de l'homme et de son sens. Dasha n'a cherché qu'à s'opposer à ce discours totalitaire, qui se veut un mondialisme sans alternative.

Lorsque Cicéron perdit sa fille Tullia, il se rendit en province et écrivit des lettres de réconfort. Ma complainte philosophique sur sa fille et les vicissitudes de son destin est inépuisable. Mais j'aimerais penser que mes paroles sur Dasha ne sont pas seulement des "discours réconfortants", et que tout ceci n'est pas seulement notre tragédie familiale personnelle, mais que la passion de Dasha pour la vie et la pensée, la volonté de perfection et de beauté, l'esprit et la poésie ne laisseront pas beaucoup de gens indifférents, et captureront leurs esprits, leurs sentiments et leurs pensées. Qu'elle nous saisira tous comme des esprits du Haut et du Sublime ! Et que nous pouvons espérer une réponse pleine d'âme de nos contemporains, en particulier des jeunes, l'enthousiasme intellectuel, la passion intellectuelle, l'empathie, la solidarité de ceux qui penseront à eux-mêmes, à la patrie, au sens de la vie, au bonheur, à la volonté, à leur propre authenticité, à l'écart entre le début terrestre de la vie et sa fin terrestre, à l'eurasisme, à la guerre, au choix de la voie de notre patrie, et à la Victoire.

vendredi, 15 décembre 2023

Bibliothèque Dasha. Pour le 31ème anniversaire de Daria Douguina

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Bibliothèque Dasha. Pour le 31ème anniversaire de Daria Douguina

L'héroïne de la nouvelle Russie

Source: https://www.geopolitika.ru/article/dashina-biblioteka-k-31-dnyu-rozhdenya-dari-duginoy

La série de livres "Bibliothèque de Dasha", que la maison d'édition "Vladimir Dal" ouvre avec la publication des "Paroles héroïques" du grand poète russe Nikolaï Gumilev, est une initiative symbolique. 

Darya Douguina, qui est devenue une héroïne de la nouvelle Russie, celle qui revient dans une lutte difficile à ses racines civilisationnelles, à son identité, est un exemple non seulement de patriote aimant de manière désintéressée sa patrie et donnant sa jeune vie pour elle, pour sa victoire, non seulement d'orthodoxe profondément croyante, fidèle au Christ et à l'Église jusqu'à son dernier souffle, mais aussi d'intellectuelle raffinée, de philosophe, d'amoureuse, de connaisseuse de la culture et de l'art. En la personne de Daria Douguina, les innombrables Darya, Maria, Svetlana, Natalia, Eugenia, Catherine, Irina, Anna, Sofia, Vasilisa, Varvara, Tatiana russes trouvent un modèle de féminité complètement différent des stéréotypes bas et primitifs qui nous sont imposés de l'extérieur. Il s'avère qu'une fille russe peut faire un choix spécial - un destin unique, lié du début à la fin à la tradition et à ses valeurs, à la science, à l'intelligence et à la volonté, à l'amour actif de son peuple, de son pays et de son pouvoir. Il ne s'agit pas d'une garce égoïste, corrompue, cynique, qui ne se préoccupe que d'elle-même et de sa carrière. Il s'agit d'une jeune fille aimante, souffrante, réfléchie et délicate, qui honore les idéaux de chasteté. C'est la fille russe de la mère patrie.

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La tradition comme sens de la vie et de la mort

Dasha a vécu une vie très courte, interrompue par l'explosion d'une bombe placée par un terroriste ukrainien sous sa voiture. Cela s'est produit après la fête de la Tradition. Jusqu'au dernier moment, on ne savait pas si Darya monterait dans cette voiture ou dans une autre. Celle qui a explosé pourrait bien avoir été conduite par son père. Son plus grand regret, et il le regrettera jusqu'à la fin de ses jours, est de ne pas être monté à bord de ce véhicule. Une torture éternelle que l'on ne souhaite même pas à son ennemi le plus juré. 

"La tradition est un concept clé pour Dasha depuis sa naissance. Elle est née en 1992 dans une famille de philosophes traditionalistes. Dès le premier jour de sa vie, elle a baigné dans un environnement linguistique où tout était construit autour de la discussion et de la compréhension de la tradition et de la lutte contre son antithèse - le monde moderne. Adolf Portmann pensait qu'après la naissance, l'enfant passe de l'utérus physique à un tissu social de mots, d'intonations, de gestes, d'expressions, d'attitudes. Et même s'il n'en comprend pas encore le sens, l'enfant l'absorbe inconsciemment. La tradition, le traditionalisme est devenu une telle matrice sociale pour la petite Dasha. C'était la philosophie traditionaliste ou, plus précisément, la philosophie qui était imbriquée dans le traditionalisme, qui vibrait d'une seule impulsion avec lui.  

La mère de Dasha, philosophe de formation, se souvient d'un épisode où Dasha, âgée de trois ans, et elle-même étaient allongées ensemble dans leur lit le matin, et où la petite fille reproduisait verbalement, de façon incroyable, les pensées qui grouillaient dans la tête de sa mère. Dasha a demandé : "Qu'est-ce que l'existentia ? À ce moment-là, sa mère pensait à l'existentia de Heidegger. Ce fut un choc et en même temps un signe. Un signe de la sensibilité philosophique de l'enfant. La philosophie et ses syntagmes se sont répandus, ont été dispersés et ont tourné autour de "l'enfant philosophe" dès sa plus tendre enfance.

Dès l'école, il est apparu clairement à Dasha qu'elle pourrait se réaliser pleinement dans la philosophie - dans la sphère des idées, des pensées, des concepts, des théories, des intuitions, des schémas intellectuels et des intuitions. Sa mère, Natalia Melentieva, avait choisi la philosophie plutôt que l'histoire ou la philologie (alternatives possibles à une formation en arts libéraux) avec autant de passion et de sincérité dans sa jeunesse. L'argument absolu en faveur de la philosophie pour Natalia était le sujet magique et fascinant de la recherche philosophique de sa connaissance plus âgée, qui rédigeait une thèse sur "Le jeu en tant que phénomène esthétique" dans le cadre de ses études de troisième cycle à la faculté de philosophie de l'université d'État Lomonossov de Moscou. Combien de fois la mère de Dasha a-t-elle raconté à sa progéniture comment, à l'âge de quatorze ans, elle a été frappée comme la foudre par le thème du jeu esthétique, comment elle a été inspirée à l'école par des conversations sur Johan Huizinga - le génie néerlandais qui a écrit une étude sur le jeu en tant que principe d'interaction entre l'humain et le divin, ou l'impression que lui a faite le gracieux roman de Hermann Hesse, Le jeu des perles de verre, sur le chemin du philosophe, sur le "faire philosophique", sur le jeu exquis de la vraie pensée qui crée des mondes et transforme parfois les destins humains. Dasha écoutait sa mère et absorbait : le thème du jeu de la pensée inspirée était imprimé dans son sang et sa chair. C'est une sorte de levain philosophique qui agite l'âme de Dasha. C'est dans un tel état de fusion et de relâchement de l'âme que l'on est prêt à rencontrer la vraie pensée, la sagesse et la Tradition.

Dasha a entendu l'expression "rébellion contre le monde moderne" depuis son enfance : c'est la principale ligne de front entre la Tradition et la modernité, qui cherche à détruire celle-ci.

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Ayant grandi dans un environnement orthodoxe dans le contexte de l'unificationnisme, c'est-à-dire en observant les anciennes traditions pré-Raskolnik de l'Église russe, fréquentant régulièrement des camps orthodoxes pour enfants et pour jeunes, Darya a acquis dès l'école maternelle l'expérience nécessaire pour combiner les grandes idées et les pratiques religieuses concrètes - prières, jeûne, communion, confession, liturgie. Pendant un certain temps, elle a chanté dans la chorale de l'église et a étudié le chant znamenny.

Ainsi, dans sa vie, le traditionalisme philosophique et théorique était organiquement combiné à l'immersion dans la tradition russe. Pour les parents de Dasha eux-mêmes, cette position était le résultat d'un choix volontaire et conscient, et non d'une adhésion inertielle au mode de vie établi. Le père et la mère de Dasha étaient tous deux des philosophes qui ont pris la décision délibérée de revenir aux racines sacrées de leur culture et de leur civilisation. Les générations précédentes de leurs familles avaient suivi leur peuple et leur société, ainsi que l'histoire soviétique, sans aucune objection: donc l'athéisme donc la science. Les parents de Dasha, Alexander et Natalia, ont unanimement pris le virage vers les fondements profonds de l'identité de leur plein gré. Non pas tant à cause des humeurs de leurs familles, mais malgré elles. Dasha était déjà née dans une famille qui avait choisi la Tradition. Et elle a vécu sa vie sans jamais remettre en cause ce choix. 

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Dans le sillage de l'étoile directrice de l'esprit

Un brillant baccalauréat, l'admission à la faculté de philosophie de l'université d'État de Moscou, dont Daria sort avec un diplôme dit "rouge", des études de troisième cycle, la préparation d'une thèse sur le "platonisme politique" de Proclus. Parallèlement, Daria se passionne pour l'art moderne, principalement la musique électronique, maîtrise l'héritage culturel des classiques russes et européens, se plonge dans la philosophie politique et la géopolitique, la théorie des civilisations, l'étude des langues modernes et anciennes. 

Puis, au cours de la quatrième année d'études, elle a effectué un stage d'échange universitaire de la MSU en France (Université de Bordeaux). 

En France, Daria a fait personnellement connaissance avec des traditionalistes de premier plan et des représentants de la Nouvelle Droite, un mouvement intellectuel surprenant qui combine (contrairement au nom inexact donné à ce mouvement par ses opposants idéologiques) des éléments à la fois de la critique conservatrice et de la stratégie sociale de gauche. La Nouvelle Droite identifie l'antithèse de la Tradition, c'est-à-dire l'image de l'ennemi, avec le libéralisme, convaincue que c'est en lui que le "monde moderne" (dans ce qu'il a de pire, comme opposé à la civilisation sacrée spirituelle) s'incarne pleinement. 

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Plus tard, Dasha trouve un emploi sur la chaîne de télévision Tsargrad - elle devient présentatrice de l'émission "Notre point de vue". 

Elle commence alors à se chercher dans différents domaines : journalisme, enseignement, théâtre. Au Théâtre d'art de Moscou, Darya supervise le projet Open Stages, qui devient une initiative importante dans la vie culturelle de Moscou : des dizaines de conférences, de séminaires, de spectacles, de productions théâtrales, de concerts, de soirées poétiques, de cours philosophiques et psychologiques, de conférences religieuses et de festivals sont organisés. Dasha a participé à nombre d'entre eux non seulement en tant qu'organisatrice, mais aussi en tant qu'âme du projet et en tant que participante directe - actrice, metteur en scène, conférencière, oratrice, modératrice. Mais l'essentiel, c'était l'âme. Une fois de plus, la tradition - culturelle, religieuse, russe, spirituelle, profonde - était au centre de tout. 

Ces dernières années, Daria s'est entièrement consacrée à l'art oratoire : les principales chaînes de télévision russes, d'innombrables flux et interviews (parfois en plusieurs langues), des conférences et des séminaires philosophiques, des cours entiers et le développement de théories indépendantes. Parallèlement, elle s'est rendue dans des forums internationaux prestigieux (elle a pris la parole lors d'une session de la Commission européenne des droits de l'homme sur le statut des femmes) et dans les territoires reconquis de la Novorossiya. Aujourd'hui, des rues de Donetsk et de Melitopol portent son nom. 

Bien que Dasha n'ait pas publié un seul livre de son vivant, il s'est avéré qu'elle a laissé un héritage étonnamment riche. Elle a édité certaines transcriptions de ses discours, textes et articles et les a préparés en vue de leur publication - sous forme de thèses, de livres et de cycles. Ces écrits sont aujourd'hui en cours de publication.

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Le grand héritage d'une courte vie

Il s'agit d'un véritable roman moderne dans le genre des messages sur les réseaux sociaux, avec un éventail complexe de pensées, d'expériences, de drames existentiels, de révélations, de remarques ironiques, d'études littéraires à part entière d'un spectre étonnamment large - des problèmes naïfs d'une jeune fille aux révélations métaphysiques élevées et vertigineuses. Un scénario complet des étapes de la formation d'une âme de jeune fille profonde et sublime. La dernière note, écrite le jour de sa mort, ne pouvait être lue sans larmes. Elle est consacrée à la façon dont Dostoïevski a compris les profondeurs du cœur russe. La dernière chose à laquelle Dasha a pensé, c'est au peuple russe. C'est ce qu'elle aimait vraiment, totalement, infiniment. 

Le deuxième livre, "L'optimisme eschatologique" [2], contient les écrits philosophiques de Daria Dugina. Des travaux de cours, des ébauches de thèses, des articles scientifiques, des impressions de conférences et d'interviews, rassemblés ensemble, révèlent l'image d'une philosophe traditionaliste à part entière, spécialiste du platonisme. En même temps, le platonisme n'était pas seulement un objet d'étude pour Daria, mais une source d'inspiration profonde. Elle a vu, en fait elle a découvert par elle-même, que le traditionalisme qui lui avait été inculqué depuis l'enfance - Guénon, Evola, le mysticisme orthodoxe - dans sa structure correspondait le plus étroitement aux enseignements de Platon et de ses disciples, les néoplatoniciens. Le platonisme est un traditionalisme qui affirme sans compromis la souveraineté radicale de l'esprit sur la matière, de l'éternité sur le temps, de Dieu sur la création. En partant des œuvres de Denys l'Aréopagite, vers lequel Dasha a d'abord été attirée par l'idée d'une interprétation apophatique de la Divinité, elle a rapidement découvert Proclus et toute la lignée néoplatonicienne jusqu'à son géniteur, Plotin. Et de là, en passant par les outils plotiniens, tout a conduit à Platon lui-même. 

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Il y a eu un épisode où Daria, alors étudiante, discutait lors d'un événement avec un vieil écrivain et philosophe, Youri Mamleev (photo), notre ami, notre idole et notre professeur de longue date. Il lui a demandé : "Que faites-vous, Dasha ?" Je dois dire que Dasha a toujours eu l'air très jeune et que, jusqu'à très récemment, on lui demandait son passeport lorsqu'elle achetait de l'alcool. Rien à dire sur les premières années d'université : elle avait l'air d'une enfant. Et là, l'enfant, pas du tout gênée, répond au célèbre écrivain - joyeusement et avec assurance : "Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la théologie apophatique et le concept d'ἐπέκεινα τῆς οὐσίας [3]." L'expression du visage de Mamleev était plutôt déconcertante -- comme s'il était pris dans les pages de ses propres écrits paradoxaux. Le thème de l'"abîme du haut", apophatique, et de l'"abîme du bas", tout aussi incommensurable et sans nom, a toujours été pour lui un mystère incompréhensible, un mystère, une quête autour de laquelle se nouaient et se dénouaient les intrigues de ses récits et de ses romans, naissaient et mouraient ses héros.  Et soudain, la jeune créature, sans la moindre hésitation, théorise sur l'apophatisme et l'indicible ! Mamleev aimait et respectait Dasha depuis lors.

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Outre le néoplatonisme, Darya se rapproche des fondements d'une philosophie indépendante, qu'elle appelle "l'optimisme eschatologique". Elle y attribuait ses auteurs préférés : Julius Evola, Ernst Jünger, Emil Cioran, Lucian Blaga. Il s'agit d'une approche particulière du monde moderne, qui est vécu comme une crise, une déchéance, une dégénérescence, un cauchemar continu et impénétrable. C'est ce que devient le monde après la perte du sacré. Un monde sans tradition. Et bien que ce monde soit exactement comme cela et d'une certaine manière sans espoir, incorrigible, sans espoir de correction, une personne fidèle à la Tradition ne baisse pas les bras. Il fait l'impossible, il va à contre-courant - contre le cours même, apparemment objectif, de l'histoire, contre la société, la culture, l'économie, la politique, les divertissements, la vie de tous les jours. Et bien qu'il s'agisse d'un chemin voué à l'échec (la modernité, hélas, est plus forte), celui qui est capable d'emprunter la voie de l'"optimisme eschatologique" devient un véritable héros, le dernier gardien de la frontière, un frontalier, fidèle à la Lumière, même lorsqu'il est abandonné et oublié sur un territoire que personne d'autre que lui ne défend, contigu à l'obscurité totale qui s'annonce. 

Ce faisant, Daria a également jeté un regard courageux sur les profondeurs du nihilisme du monde moderne. Elle a laissé des notes perspicaces et subtiles sur la philosophie postmoderne (en premier lieu sur Deleuze, qu'elle a particulièrement mis en valeur) et sur certains auteurs déjà purement infernaux du cercle des philosophes de l'Ontologie Orientée Objet (Nick Land, Reza Negarestani, etc.). 

Les traditionalistes voient dans le monde moderne la civilisation de la Grande Parodie, c'est-à-dire le royaume de l'Antéchrist. Les postmodernes et les réalistes spéculatifs, avec leur satanisme philosophique affiché, semblent illustrer cette thèse de manière éclatante. La modernité, malgré toute sa noirceur, ne doit pas seulement être rejetée, mais d'abord comprise. Cela fait également partie du programme de l'"optimisme eschatologique".

La frontière russe

Daria a toujours réfléchi à la frontière ou, plus précisément, à la "frontière" - la zone qui sépare les couches de l'existence, de la civilisation, de la culture et de la science. C'est le sujet de son troisième livre, qui est déjà terminé, mais qu'elle a elle-même réparti sur un certain nombre de cours, de séries de conférences, de discours et d'interviews. Il s'intitule et sera bientôt publié sous le titre "Frontière russe" [4]. 

Daria y parle aussi longuement des théories de la Nouvelle Droite, qu'elle a rencontrée en France et avec laquelle elle a gardé des liens personnels étroits jusqu'à la fin.

Là encore, c'est la Tradition qui est en cause.

Dasha applique le principe de la frontière, de la zone intermédiaire, du no man's territory, à l'interprétation du phénomène de la Novorossiya et de l'Ukraine dans son ensemble. Elle va plus loin et pose la question de la métaphysique de la frontière - comment se produit l'acte de distinction, de différenciation, de séparation entre l'un et l'autre, entre l'homme et l'ange, entre l'âme et le corps, entre le moi et le toi. Et le point essentiel de sa réflexion sur la frontière est que, contrairement à la conception habituelle de la frontière, celle-ci n'est pas une ligne, mais une bande, une ceinture, où les opposés coexistent, se disputent, se heurtent, s'essaient, passent de l'un à l'autre. Non seulement l'Ukraine s'avère être une grande frontière entre la Russie et l'Europe, mais les Russes, en tant que noyau de l'Eurasie, sont eux-mêmes une zone spéciale entre l'Est et l'Ouest. Notre identité profonde est la frontière, nous sommes la frontière russe. 

Là encore, il ne s'agit pas seulement d'une position géographique horizontale, nous sommes la Sainte Russie, et donc une frontière entre la terre et le ciel, entre l'humanité et Dieu. 

Daria parle de tout cela dans son nouveau livre, qui est en train d'être soigneusement élaboré à partir de notes, de conférences et de brouillons.  

Daria Dugina : le symbole personnel de chacun

Darya est devenue une "jeune fille de la tradition", et ce bien au-delà des frontières de la Russie. Elle est devenue un symbole de résistance à ce que le président russe Vladimir Poutine a appelé la "civilisation satanique occidentale". Cette civilisation renverse la culture et ses valeurs éternelles, détruit le sexe et la famille, cherche à déraciner les fondements de la religion et à détruire toute identité des peuples et des sociétés, à enlever aux gens leur humanité même. Dasha est née dans une famille de gens de la Tradition. Porter la Tradition comme une bannière est devenu sa mission, son message, son acte héroïque. "La tradition et ses ennemis" - cette paraphrase de "La société ouverte et ses ennemis" du philosophe libéral Karl Popper pourrait être une introduction à son destin. Elle-même aimait porter un T-shirt portant l'inscription "L'orthodoxie ou la mort". Après le début du SWO, le pays s'est habitué à la bannière noire portant ces mots dans les bulletins d'information de l'héroïque correspondant de guerre Vladlen Tatarsky, avec qui Dasha était amie. Mais ce tee-shirt est apparu à Dasha à un très jeune âge, quand on ne pense pas du tout à la mort et qu'on en comprend à peine la signification. L'orthodoxie était pour elle, au contraire, quelque chose de proche, de profondément intérieur et qui l'entourait de toutes parts. C'était la Tradition. Et ce qui la contestait, ce qui la rejetait, ce qui l'attaquait, la ridiculisait, c'était la mort. 

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La "Vierge de la Tradition" est une expression juste. C'est à ce titre - en l'honneur de la "jeune fille de la tradition" - que des rues et des parcs portent aujourd'hui le nom de Dasha. Des universités et de nombreux prix portent son nom. Des films et des pièces de théâtre lui sont consacrés.  Des monuments lui sont érigés dans les villes et capitales russes. Ses livres, compilés à partir de ses croquis, notes et impressions de conférences, sont publiés par les meilleures maisons d'édition et traduits dans de nombreuses langues étrangères. Des compositeurs européens (comme l'Italien Angelo Inglese) écrivent des opéras sur elle et sur ses textes. Des artistes peignent des portraits d'elle. Parce que Daria dit quelque chose de très important pour tout le monde, et en même temps quelque chose de différent pour tout le monde. 

Nombreux sont ceux qui se sont déjà forgé une image tout à fait unique - profondément personnelle pour chacun - d'elle. Ainsi, la princesse sicilienne Vittoria Alliata di Villafranca a appelé Daria Douguina "la nouvelle Béatrice" de tous les peuples du monde qui sont fidèles à la Tradition sacrée. Elle est commémorée dans les églises orthodoxes et catholiques, et sa mémoire est honorée par les musulmans et les hindous. 

L'importance d'un symbole réside dans le fait qu'on ne peut se l'approprier. Il conserve toujours son attrait et sa simplicité. Et il reste toujours quelque chose d'insaisissable, de caché, d'incompris. Il ne peut y avoir de monopole sur l'interprétation de Daria Douguina. Personne - ni ses parents, ni ses amis proches, ni ses condisciples et collègues, ni les observateurs et commentateurs détachés - ne peut prétendre détenir la seule véritable interprétation de sa personnalité. Chacun peut avoir sa propre Daria Douguina. Elle soutiendra une personne qui traverse une période difficile et douloureuse. 

Voici ce que nous a écrit une femme qui a perdu son fils dans la guerre en Ukraine : "Je sais que Dasha est vivante, qu'elle est au ciel. Tout comme mon fils, Vasily, tout comme son ami, également tué, Petya, tout comme tous nos saints soldats... Et en priant pour Dasha - peut-être, qui sait, en priant Dasha elle-même, en tant que notre nouvel intercesseur russe pour tous les héros, pour tous ceux qui ont été tués, pour nos garçons et nos filles - nous prions pour eux tous, et pour tout le monde, pour chaque âme russe..."

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Le mot "visage" en vieux russe est merveilleux. Il désigne également l'image d'un saint, d'un ange, voire de Jésus-Christ lui-même. Mais en même temps, les textes parlent du "visage des saints", du "visage des anges". Les prières demandent à Dieu de compter le défunt parmi les justes, parmi les sauvés, parmi la face céleste. Et il ne peut s'agir d'un individu. Une personnalité devient un visage lorsqu'elle se dépasse, s'élève jusqu'à son archétype, dont elle est le reflet, l'ombre, la promesse dans la vie terrestre. Dasha, par sa vie, par sa couronne de martyre, nous y croyons, a atteint l'apparence, l'est devenue. Sa personnalité s'est surpassée. C'est pourquoi la princesse sicilienne parle de "notre Béatrice", l'image de la Vierge, le guide vers les royaumes célestes, l'initiatrice, la consécratrice. 

Peut-être Dasha incitera-t-elle des jeunes hommes et des jeunes femmes à étudier les sciences, à aimer leur culture et leur philosophie, à se plonger dans les structures de notre conscience, à chercher les fondements de notre identité. 

Certains seront conduits à la foi et à l'église, à l'orthodoxie, à laquelle elle a été fidèle jusqu'au bout. Et il est dit : "Que celui qui persévère jusqu'à la fin soit sauvé." C'est si important et si effrayant - "jusqu'à la fin"....

Et quelqu'un ira au front de notre guerre sainte et se battra pour la patrie, pour l'Empire, pour le peuple et... pour Dasha, pour sa mémoire lumineuse. 

Et quelqu'un qu'elle poussera à s'immerger dans la culture russe, à attirer l'attention sur l'âge d'argent et la philosophie religieuse russe.

Un fonctionnaire et un citadin insouciant, se souvenant de Dasha, lisant à son sujet, rencontrant les signes de sa mémoire, ressentiront de manière aiguë leur responsabilité personnelle dans le fait que les Russes - filles, femmes, enfants, et même hommes - peuvent vivre en sécurité et librement, sans craindre à tout moment, sur leur terre, dans leur maison, d'être odieusement tués par des terroristes. Et les fils du crime contre Daria mènent à ces intermédiaires indifférents qui ont aidé à obtenir des informations sur elle et sa famille contre de l'argent, ont préparé de faux documents, ont donné des informations confidentielles. Certains ont même trouvé assez de colère pour se moquer de cette tragédie et de ce deuil. 

Si vous n'êtes pas du côté de Daria, vous êtes du côté de ses assassins. C'est ce que notre peuple a parfaitement compris. Il est important de noter que notre élite a également été gravement touchée par cette situation. Nous ne pouvons plus rester à l'écart et indifférents. Il n'y a plus de position neutre : nous sommes soit de ce côté-ci, soit de l'autre côté de la frontière. Dasha est le symbole de notre camp dans ce choix fondamental.

Les livres de Dasha

Dasha était plus qu'une personne, elle était une mission, une flèche lancée vers l'avenir, dont le vol a été interrompu par un ennemi cruel et cynique au tout début de son voyage. Elle n'a pas pu faire tout ce qu'elle aurait dû faire, tout ce qu'elle voulait faire, tout ce qu'elle avait prévu. Mais cela signifie qu'elle a laissé un plan d'action pour nous tous, et surtout pour les nouvelles générations. Et il est si important que le peuple de Russie - les jeunes hommes et les jeunes femmes auxquels elle s'adressait en premier lieu - lise les livres qu'elle a lus, reconnaisse les phénomènes philosophiques et culturels qui ont frappé son imagination, écoute la musique et regarde les pièces de théâtre qu'elle aimait. Mais ce n'est pas tout. 

La courte vie de Dasha Douguina n'est que les premières pages d'un livre qui n'a pas encore été écrit. C'est pourquoi sa bibliothèque, ses listes de lecture personnelles, ses auteurs et ses œuvres préférés doivent être constamment renouvelés. Elle voulait vivre non seulement sa vie, mais aussi l'esprit et l'âme de son peuple. La "bibliothèque de Dasha" n'est pas seulement ce qu'elle a lu et recommandé aux autres, mais aussi ce qu'elle n'a pas eu le temps de lire. Il s'agit également des œuvres non écrites qui émergent actuellement ou qui apparaîtront à l'avenir. C'est un champ complètement ouvert. C'est une bibliothèque que les nouvelles générations de Russes qui reviennent à la tradition, les garçons et les filles russes liront, comprendront, apprécieront, aimeront et même écriront eux-mêmes à l'avenir. 

On peut appeler "livres de Dasha" ceux qu'elle n'a pas lus elle-même, faute de temps. Mais vous les lirez, vous les comprendrez, vous les aimerez, vous les penserez plus que jamais....

Lieu de rencontre : le cœur du héros

Pourquoi commencer la série "La bibliothèque de Dasha" par les paroles héroïques de Nikolaï Gumilev ? Bien sûr, parce que c'était le poète préféré de Dasha. Dasha plaçait la figure du héros au-dessus de tout. Elle était infiniment dévouée à l'idée de dépassement de soi, de service sacrificiel au peuple, à la société, à l'État.

Dans son journal de la période de formation scientifique en France, Daria a écrit une phrase prophétique incroyable : "Un jour, je mourrai dans la grande guerre sainte et je deviendrai une héroïne". Elle vivait alors dans la prospère ville de Bordeaux, dans un petit appartement confortable qu'elle louait avec une Française qu'elle connaissait - une collègue du département de philosophie.

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Elle nourrit son héroïsme petit à petit. Au début, c'était terrible et presque impossible pour elle de se lever à 7 heures du matin, de courir plusieurs kilomètres par jour, de lire au moins une centaine de pages de livres philosophiques chaque jour, d'écrire deux ou trois articles, de participer à des flux spontanés et à des programmes télévisés. Travailler 16 heures par jour. Cela exigeait un timing, un chronométrage, un "non" catégorique à toute complaisance, un sursaut de volonté, un refus des normes ordinaires du dortoir humain: "Maman, j'ai pris un kilo de plus, je vais courir 12 km", disait-elle à sa mère, en sortant dans une tenue d'entraînement spéciale - dans le noir, la neige, la pluie, le froid. Elle s'entraînait à de petites choses, et lorsqu'elle échouait et ne respectait pas les règles qu'elle s'était fixées, elle était très contrariée. Elle entraînait sa volonté et pensait que c'était sa façon de se rapprocher de la dimension héroïque. Pour elle, un héros était quelqu'un qui prêtait attention à la dimension idéale de la vie, qui essayait de lier l'échelle horizontale à l'échelle verticale des mesures, de proportionner le quotidien à l'idéal, et qui, par un effort de volonté, essayait de mettre la marque de l'éternité sur le devenir et le chaos, la marque de l'ordre supérieur sur le quotidien et le banal. "Au loin, le banal !" Le héros ne se déploie pas horizontalement, il est crucifié sur la croix du céleste et du terrestre, de l'idéal et du charnel, il brise le rêve, s'éveille et s'élance dans un vol mystérieux. Le réveil est le premier pas vers l'héroïsme. 

Le monde ne semble plus qu'une morne routine. Le héros découvre des dimensions magiques.

Les baisers des étoiles

♪ se déversent des profondeurs sans fond ♪

♪ And turn like a cloud ♪

En distances tristes et sans horizon...

Comme un nuage sans horizon je suis

Autour du mystère, plein de mystère...[5]

Le héros est une figure très particulière. Il convient de dire encore quelques mots à son sujet. Après tout, ce livre comprend précisément la poésie héroïque de Nikolaï Gumilev. 

Le héros n'est pas un simple homme. Et en même temps, il n'est pas Dieu. En un sens, il est les deux à la fois. Le héros est la rencontre de la Terre et du Ciel.

Le héros est le chemin de Dieu vers l'homme, et de l'homme vers Dieu. Dans le héros, Dieu peut reconnaître ce qui ne lui est pas propre, comme la souffrance.

D'où l'idée que les âmes des héros sont les "larmes des dieux". Parce que Dieu est sans passion, calme, éternel, rien ne le rend fou, mais l'homme... -- lui est passionné, malade, souffrant, tourmenté, connaissant la pauvreté, l'humiliation, la faiblesse, le doute. Dieu ne connaîtra jamais la passion, la douleur, la perte, le deuil s'il ne connaît pas l'essence de l'homme, s'il n'a pas son propre fils ou sa propre fille héroïque qui permettra à Dieu de faire l'expérience du cauchemar, de l'horreur et de la profondeur de la pauvreté, de la privation inhérente à l'homme. Dieu ne s'intéresse pas aux hommes qui sont prospères et qui réussissent : leurs réalisations, comparées à Lui, sont insignifiantes. Mais un homme qui souffre, qui est tourmenté, qui lutte contre le destin est un mystère pour Dieu. 

Et Dieu peut vouloir se dépasser, dépasser sa propre impassibilité, sa propre béatitude, et goûter à la pauvreté - l'absence de béatitude, connaître la souffrance (πάθος en grec), la misère. C'est le héros qui permet à Dieu de ressentir la douleur et qui, au contraire, ouvre l'homme à l'expérience de la félicité, de la grandeur, de l'immortalité et de la gloire.

L'héroïsme est donc une instance ontologique et en même temps anthropologique, une verticale sur laquelle se déroule le dialogue entre le divin et l'humain (ou entre le céleste et le terrestre).

Et là où il y a un héros, il y a toujours une tragédie. Le héros est toujours porteur de souffrance et de rupture. Il n'y a pas de héros heureux, tous les héros sont nécessairement malheureux. Le héros, c'est le malheur. 

Pourquoi ? Parce qu'être à la fois éternel et temporel, sans passion et souffrant, céleste et terrestre, est la plus insupportable des expériences.

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Dans le christianisme, les héros de la Grèce antique ont été remplacés par des ascètes, des martyrs, des saints. De même, il n'y a pas de moines heureux, ni de saints heureux. Ils sont tous humainement profondément malheureux. Mais d'un autre point de vue, céleste, ils sont bénis. Comme sont bénis ceux qui pleurent, ceux qui sont chassés, ceux qui subissent la calomnie, ceux qui ont faim et soif dans le Sermon sur la Montagne. Heureux les malheureux.

Ce qui fait d'un homme un héros, c'est la pensée qui se dirige vers le ciel mais qui s'effondre sur la terre. Ce qui fait d'un homme un héros, c'est la souffrance, la misère qui le déchire, le tourmente, le torture et l'endurcit en même temps - et il en est toujours ainsi. Elle peut se produire dans la guerre ou dans la mort atroce, mais elle peut aussi se produire sans guerre ni mort....

Le héros cherche sa propre guerre, et s'il ne la trouve pas, il va dans sa cellule, dans l'ermitage, et y combat avec l'ennemi le plus vrai. Car le vrai combat est le combat spirituel. Artur Rimbaud l'a écrit dans "Illuminations" : "Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes". Le poète savait de quoi il parlait.

S'il n'y avait pas de héros, il n'y aurait pas de théâtre, pas de culture, pas d'art, pas de religion. Notre civilisation n'aurait pas existé. 

L'héroïsme, "optimisme eschatologique" et "malheur philosophique"

Par essence, l'héroïsme est l'"optimisme eschatologique" dont Dasha a été profondément inspirée et en même temps blessée. ... "Blessé" - par le fait que le monde moderne a misé sur "l'abîme de la terre", "l'abîme d'en bas", le dépotoir d'objectifs insignifiants, le festin cynique des choses matérielles : Dasha a été "inspirée" par le fait que, dans le même temps, des âmes solitaires choisies ont été jetées dans le monde, qui invariablement, contre toute attente, mettent leur espoir dans "l'abîme du ciel" et concluent un pacte désespéré avec le ciel, en allant se battre sur les champs de bataille ou dans des garnisons et des forteresses lointaines, aux frontières de territoires sinistres, d'où les hordes de Gogs et de Magogs de la fin des temps sont sur le point de s'abattre. Ces gardes élus sont appelés à protéger l'Homme, à s'opposer à l'écrasement des constructions spirituelles, des eidos de lumière, des paradigmes célestes et des échelles d'ascension, encore disséminés dans le monde, bien qu'ils soient devenus presque invisibles et illisibles. 

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Dasha a-t-elle inventé elle-même ce concept à double face et à voix différente - "l'optimisme eschatologique" - ou l'a-t-elle puisé dans le flot d'idées tristes et vivifiantes de ses penseurs préférés de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle : F. Nietzsche, Emil Cioran, Raymond Abellio, Julius Evola... ?

Dasha a suivi Platon, qui a tristement déclaré que le philosophe est condamné à une tentative douloureuse d'unir ce qui est difficile à unir - les plus hautes contemplations des idées divines et le monde terrestre, ordinaire, où tout est en désordre, où les exemples intelligents de vérité sont complètement effacés et comme recouverts de la poussière de la banalité mortelle.  Le mythe de Platon décrit paradoxalement une intrigue à la fois pleine d'espoir et tragique, dans laquelle le philosophe éveillé sort de la caverne obscure où la plupart des hommes se morfondent en contemplant le théâtre d'ombres. Dans ce cachot, les gens se sont volontairement détournés de la lumière et regardent un écran sur la paroi sombre de la caverne. On y projette une succession de simulacres et d'artifices de toutes sortes, reflets et résultats des activités pathétiques des cortèges de clowns, des propagandistes antiques et des vulgarisateurs de la doxa, de l'opinion momentanée sur les confins supérieurs de la caverne. Les habitants de cette casemate sont enchaînés et ne peuvent tourner la tête vers la lumière, se contentant des fausses images sur le mur. Celui qui résiste, brise l'ordre, fait un effort et tourne la tête vers la lumière, et émerge alors dans le vrai monde du soleil intellectuel, devient à la fois un philosophe et un héros. Mais le philosophe ne doit pas seulement s'élever dans le vrai monde, voir le vrai monde des idées, des modèles et des hiérarchies spirituelles, il est ensuite appelé à redescendre dans la caverne -- à "retourner".  Le "retour" signifie apporter la vérité au reste de l'humanité. 

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Ce double caractère du philosophe comme médiateur entre les mondes, comme messager, comme messager de lumière, Daria l'a parfaitement ressenti et compris. Elle avait sans doute elle-même connu des illuminations de la pensée vraie et avait été touchée par des états de contact avec le côté secret des choses. Dans le mythe de la caverne, après avoir quitté le sol et s'être glissé hors de la prison sordide, le philosophe, selon Platon, contemple des amas de significations lorsque des séquences d'événements sont comprimées et apparaissent comme une simultanéité instantanée, comme la projection sur un plan de perles sur un fil tendu verticalement. "Le jeu des perles de verre"... l'idée magique d'Hermann Hesse. Mais le philosophe ne se contente pas de scruter les perles, il s'élève le long de la chaîne des significations. Le philosophe est un pèlerin vers les mondes supérieurs du logos, de l'esprit. En même temps, du connu, nommé et compréhensible (kataphatique), le philosophe doit passer à l'inconnu et à l'indescriptible. Chez Platon, ce rêve est appelé "épistrophe" (ἑπιστροφή) -- une ascension dans l'échelle des vertus, des sciences, des rites, des prières offertes aux dieux [6]. Mais cela " implique une fuite des contours de sa propre finitude, implique une expérience de rupture avec l'histoire individuelle, une expérience de rupture mystique, une rencontre du moi comme finitude avec quelque chose d'inconnu qui est infini" [7]. 

N'est-ce pas là le lieu du héros ? Mais suivons Platon et Daria Platonova-Douguina plus loin. Après les sommets brillants du philosophe dans l'état juste platonicien, il doit à nouveau se rendre dans la caverne du non-sens et de la futilité. Il est contraint de descendre dans la demeure des ombres et de contempler à nouveau les côtés sombres de la vie. Plus haut, il a contemplé la vérité, et son but est maintenant de se rebeller contre l'illusion, de détruire la stabilité douteuse de la Nef des fous, le confort du palais souterrain des rêves. Il est prêt à raconter ce qu'il a vu au ciel, à expliquer, à interpréter, à appeler à la transformation d'un homme perdu. Pour cela, le philosophe peut être exécuté par des philistins bêtes et méchants. Les gens ne veulent surtout pas éteindre leur téléviseur.

C'est au point de conjonction dialectique de l'ascension vers la lumière et de la descente dans l'enfer des souterrains que Daria a vu la conjonction magique de l'héroïsme, de la philosophie, de l'exploit philosophique et de l'"optimisme eschatologique".

Une autre façon de décrire l'héroïsme multidimensionnel est liée, chez Daria, à la problématisation de l'esclave et du maître par Hegel. Là où l'un est prêt à professer la liberté du Maître, qui est capable d'accepter le risque d'affronter la mort, "de lancer sa flèche de désir vers l'autre rive" [8] (F. Nietzsche). Un autre type de héros naît. Le héros ne cherche pas le bonheur et ne le trouve pas. Seuls les "derniers hommes" de Nietzsche recherchent servilement le bonheur, qui disent "le bonheur, c'est nous qui le trouvons... et qui clignent de l'oeil" [9]. Le héros accomplit un acte de volonté, repoussant "cette rive" de l'illusoire et dirigeant son geste, son intention vers une autre rive dont il ne sait rien [10] Il n'y a jamais de certitude ni de garantie dans cet acte. C'est un jet désespéré, un geste tourné vers le néant, dirigé vers un lieu "où il n'y a ni parallèles ni pôles" [11]. Ce jet se révélera-t-il être un passage dans le néant par le haut, dans la dimension apophatique du Suprême ? Peut-on même dire qu'il s'agit d'une volonté vers l'Un suprême, qui (dans la tradition platonicienne) n'a même pas d'être, puisqu'il est préexistence, c'est-à-dire au-dessus de l'être, avant l'être, avant l'être ? Un exercice aussi libre et risqué peut conduire à tomber dans le piège d'une sorte de parodie du Suprême - le "d'en bas", qui se cache sous le revêtement des choses, derrière le voile de la matière. Et il semble que c'est à cette unité inférieure que les ontologues modernes orientés vers l'objet se sont intéressés, plongeant l'humanité dans le dernier néant.

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L'héroïsme, si l'on suit la pensée et le sentiment de Daria, est un optimisme eschatologique qui s'exprime dans le fait que nous sommes dans un monde condamné, où nous sommes victimes et ne pouvons échapper à ce cercle vicieux. Mais même crucifiés, nous sommes encore obligés, et suprêmement tenus, de maintenir le statut de cet univers en le constituant, en le complétant, en le reconstruisant et en le rafistolant. Et même s'ils ne se lancent pas volontairement dans la direction de l'Absolu, les gens fatigués dans un monde vide de sens se tiennent d'une certaine manière sur la dernière frontière de la défense de l'esprit contre les ténèbres d'en bas, de la lumière céleste contre l'insignifiance et la matérialité. Les porteurs de l'optimisme eschatologique sont encore un peu comme les derniers défenseurs de ce monde, sur ses dernières frontières, comme les soldats d'un avant-poste abandonné dans le désert sans fin d'un pays inconnu, ce qui est parfaitement illustré dans le film Le désert des Tartares de Valerio Zurlini.

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Un idéal trop élevé : ravissements et risques

Nikolaï Gumilev était pour Dasha l'idéal du héros et le type le plus rare de guerrier patriarcal-masculin russe. À l'école, elle aimait Maïakovski pour la même raison, prenant sa voix tonitruante pour du courage. Plus tard, son goût s'est affiné et sophistiqué.  

La poésie de Gumilev présente toute une chaîne de figures héroïques. Par exemple, le poème "Barbares" décrit l'invasion de guerriers ascétiques du nord dans la capitale du sud choyé, prise d'assaut brutalement. Au centre de la description se trouve une reine alanguie sur un lit, prête à se donner au chef victorieux des barbares, mais dans le but secret de le noyer sous l'emprise de sa chair invitante, de le dissoudre, de le dompter comme Circé, puis... (probablement) de le transformer en cochon. Mais le poème de Gumilev se termine ainsi :

La grande place était en ébullition, étincelante de monde,

Et le ciel du sud ouvrait son éventail enflammé,

Mais le chef renfrogné a retenu le cheval en état d'ébriété,

et avec un sourire hautain, il tourna ses troupes vers le nord.

"Avec un sourire hautain, il tourna ses troupes vers le nord". Les problèmes de Dasha dans sa vie personnelle proviennent de son amour pour cette lignée de Gumilev. Il est là, son homme idéal : "le chef renfrogné des barbares", indifférent à l'attraction méridionale sans fin de la prostituée de Babylone. Et bien sûr, l'auteur de ce brillant manifeste de la vraie masculinité lui-même.

L'autre héros de Dasha est un intrépide explorateur des profondeurs interdites qui a reçu un cadeau risqué de Lucifer lui-même.

Cinq chevaux que mon ami Lucifer m'a offerts.

Et un anneau d'or et de rubis,

pour que je puisse descendre dans les profondeurs des grottes

Et voir le jeune visage du ciel.

De tels voyages n'augurent rien de bon, mais c'est la voie de la civilisation satanique moderne. Et si l'humanité est condamnée à l'emprunter, elle doit le faire avec honneur : jamais, même dans des situations extrêmes, sans renoncer à Dieu. Le poème se termine ainsi : 

Et, se moquant de moi, me méprisant,

Lucifer m'ouvrit les portes des ténèbres,

Lucifer me donna un sixième cheval -

Et le désespoir était son nom. 

Le désespoir est une chose à exclure catégoriquement. Daria aimait beaucoup répéter la célèbre formule de Silouan d'Athos (icöne) : "Gardez votre esprit en enfer et ne désespérez pas". C'est la formule la plus profonde et la plus précise de l'optimisme eschatologique.

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Pour Daria, Nikolaï Gumilev est un optimiste eschatologique russe. Son peloton d'exécution, son mépris froid de la mort, son amour pour l'Empire et, en même temps, pour l'Afrique exotique, la terreur d'un petit violoniste, le tramway qui vole à travers l'éternité et les continents.....  C'est la somme d'une histoire russe finissante et une anticipation poignante des ravissements et des horreurs à venir. 

L'âge d'argent et sa topologie

Dasha aimait l'âge d'argent russe dans son ensemble, se délectait de sa philosophie, de sa sophiologie, de ses paradoxes. Après tout, c'est en lui que s'est concentrée, pour la dernière fois dans le temps, la plus haute concentration de notre conscience historique - le véritable esprit russe. 

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De haut en bas: Pavel Florensky, Vassily Rozanov et Alexander Blok.

Il y a la compréhension profonde de l'âge d'or (A.S. Pouchkine, A.V. Gogol, F. Dostoïevski), la volonté d'un nouveau Moyen Âge (P. Florensky, N. Berdiaev), l'union de la troisième renaissance slave (F. Zelinsky, I. Annensky), l'existentialisme stupéfiant de V. Rozanov et l'existentialisme anticipé du même V. Rozanov. L'existentialisme de V. Rozanov, l'anticipation de l'événement (comme chez D. Merejkovsky), la présence intense de l'apocalypse (comme chez N. Kliouïev), les paradoxes du Logos russe (chez A. Beliei et A. Blok) et le sentiment d'un abîme proche (chez L. Tikhomirov et Jean de Cronstadt). En général, c'était une époque d'"optimisme eschatologique".

L'âge d'or de la poésie et de la littérature russes est le 19ème siècle. La classe cultivée russe a découvert à cette époque "le grand inconnu" - le peuple qui semblait être resté silencieux pendant tant de siècles. Ils labouraient la terre, fondaient des familles, donnaient naissance à des enfants, peuplaient l'espace, allaient à l'église, menaient des rondes, gagnaient des guerres. Mais l'élite dirigeante - tout comme aujourd'hui - n'a tout simplement pas remarqué son existence. Et le peuple s'est replié sur lui-même, dans les ermitages des vieux croyants, dans les discussions somnolentes, dans l'attente d'un miracle inconnu, dans la soumission trompeuse et la rapine indomptable. Et lorsque Pouchkine et les slavophiles ont remarqué le peuple, ils ont entamé le difficile processus de compréhension. Cela a donné Khomyakov, Kireïevsky, les frères Aksakov, Samarin, Leontiev, Gogol, Dostoïevsky, Danilevsky, Tolstoï. L'affaire était entendue : le peuple apparaissait à l'horizon de l'histoire russe comme un sujet indépendant. Et tout le monde s'est figé.

L'âge d'argent s'ensuivit. Une tentative de compréhension de la grande découverte de l'âge d'or. Comment le peuple découvert se comportera-t-il ? Comment utilisera-t-il sa liberté et sa reconnaissance de lui-même ? Qui croiront-ils ? Qui suivra-t-il ? Quelle foi choisiront-ils - l'ancienne ou la nouvelle ? C'est ainsi que l'ancienne croyance se mêle ici au sectarisme, le monarchisme au nationalisme et à la révolution, les dernières théories occidentales à l'explosion de l'intérêt pour l'Antiquité. Le peuple a commencé à prendre conscience de lui-même, à s'agiter, à se réveiller de son sommeil bogatyrique séculaire. Et l'État commença à se fissurer et à trembler.

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Dasha aimait beaucoup cette époque, à la fois si semblable à la nôtre et si différente. À cette époque, la Russie a connu une explosion d'esprit sans précédent, une explosion de génie, une épiphanie - à la fois ravissante et terrifiante - comme le phénomène même du sacré (ravissement et horreur infinie). Dasha était profondément imprégnée de cette époque, de sa culture, de sa pensée, de son thème. 

Elle associait l'âge d'argent à Saint-Pétersbourg, sa ville préférée. Dasha a vécu une véritable histoire d'amour avec Saint-Pétersbourg, difficile, déchirée, parfois douloureuse. Parfois, désespérée, en revenant de cette ville difficile et non linéaire (malgré les avenues tracées à la règle), elle disait : "Je n'y retournerai plus jamais"... Et... elle y est retournée. Pour Dasha, Saint-Pétersbourg était l'expression spatiale de l'âge d'argent. Elle s'y est fait des amis, principalement des gens qui n'étaient manifestement pas de notre époque - des poètes, des intellectuels, des philosophes, des musiciens. Elle a participé à des soirées créatives et à des représentations théâtrales, notamment à la Maison de la radio de Theodor Kurentzis. Les productions étaient parfois profondément sinistres. Parfois, elles étaient aériennes et transparentes. 

Dasha considérait l'âge d'argent non pas comme le passé, mais comme l'éternel présent russe. Elle voulait que la Russie entame un âge de bronze, un âge de héros. Et elle se voyait comme la muse de l'âge de bronze. Mais il n'a pas commencé... Dasha était et est toujours la muse de cet âge de bronze (jusqu'à présent) qui a échoué. 

Le destin est tragique, déchirant, mais en même temps si beau. Le destin d'une jeune dame de la tradition, fidèle à celle-ci jusqu'à la fin.

Notes:

[1] Dugina D.A. Topi et les hauteurs de mon cœur. M. : AST, 2023. 

[2] Dugina D.A. Optimisme eschatologique. M. : AST, 2023.

[3] Concept néoplatonicien de transcendance pure - littéralement "de l'autre côté de tout".

[4] Dugina D.A. Russian Frontier. MOSCOU : AST, 2024.

[5] Groupe Yuri Orlov, "Nicolaus Copernicus". Baisers d'étoiles. https://songspro.pro/13/Nikolay-Kopernik/tekst-pesni-Potselui-zvezdnye?y....

[6] Dugina D.A. Optimisme eschatologique. С. 49. 

[7] Dugina D.A. Optimisme eschatologique. С. 52. 

[8] Nietzsche F. Ainsi parlait Zarathoustra/Nietzsche F. Œuvres en 2 volumes. Т. 2. M. : Mysl, 1996. С. 10.

[9] Nietzsche F. Ainsi parlait Zarathoustra. С. 11.

[10] Dugina D.A. L'optimisme eschatologique. С. 34. 

[11] Là où il n'y a ni parallèles ni voiles. À la mémoire d'Evgeny Golovin. Moscou : Langues de la culture slave, 2015.

 

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mercredi, 29 novembre 2023

Interview de Daria Douguina (2013): "Nous vivons à l'ère de la fin"

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Interview de Daria Douguina (2013):

"Nous vivons à l'ère de la fin"

Le site en langue anglaise "Open Revolt" avait été très heureux de présenter, en 2013, une conversation entre Daria Dougina, de l'Union de la jeunesse eurasienne, et James Porrazzo. Nous vous offrons aujourd'hui une première traduction française de cet entretien.

Daria, la fille d'Alexandre Douguine, outre son travail au sein de l'Union de la jeunesse eurasienne, est également directrice du projet Alternative Europe pour l'Alliance révolutionnaire mondiale.

Daria, vous êtes une eurasienne de la deuxième génération, la fille de notre penseur et leader le plus important, Alexandre Douguine. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur le fait d'être une jeune militante au cœur du Kali Yuga ?

Nous vivons dans l'ère de la fin, c'est-à-dire la fin de la culture, de la philosophie, de la politique et de l'idéologie. C'est une époque sans véritable mouvement; la sombre prophétie de Fukuyama sur la "fin de l'histoire" devient une sorte de réalité. C'est l'essence de la modernité, du Kali Yuga. Nous vivons dans l'élan du Finis Mundi. L'arrivée de l'Antéchrist est à l'ordre du jour. Cette nuit profonde et épuisante est le règne de la quantité, masqué par des concepts tentants tels que le Rhizome de Gilles Deleuze: les morceaux du Sujet moderne se transforment en "femme-chaise" du "Tokyo Gore Police" (film japonais post-moderne) - l'individu du paradigme moderne se transforme en morceaux de dividuum.

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"Dieu est mort" et sa place est occupée par les fragments de l'individu. Mais si nous procédons à une analyse politique, nous découvrirons que ce nouvel état du monde a bel et bien toujours été le projet du libéralisme. Les idées extravagantes de Foucault, apparemment révolutionnaires dans leur pathos, sont analysées avec plus de scrupule pour montrer leur fond conformiste et (secrètement) libéral, qui va à l'encontre de la hiérarchie traditionnelle des valeurs, établissant un "nouvel ordre" pervers où le sommet est occupé par l'individu qui s'adore lui-même, la décadence atomistique. 


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Il est difficile de lutter contre la modernité, mais il est insupportable d'y vivre, d'accepter cet état des choses, où tous les systèmes sont modifiés et où les valeurs traditionnelles sont devenues une parodie, purgées et moquées dans toutes les sphères de contrôle des paradigmes modernes. C'est le règne de l'hégémonie culturelle.
 Cet état du monde nous dérange. Nous luttons contre lui - pour l'ordre divin - pour la hiérarchie idéale. Dans le monde moderne, le système de castes est complètement oublié et transformé en parodie. Mais il y a un point fondamental.

61WoIkyE5XL._SL1051_.jpgLa République de Platon contient une idée très intéressante et importante : les castes et la hiérarchie verticale en politique ne sont rien d'autre que le reflet du monde des idées et des biens supérieurs. Ce modèle politique manifeste les principes métaphysiques fondamentaux du monde normal (spirituel). En détruisant le système de castes primordial dans la société, nous nions la dignité de l'être divin et de son ordre. En démissionnant du système des castes et de l'ordre traditionnel, brillamment décrit par Dumézil, nous endommageons la hiérarchie de notre âme. Notre âme n'est rien d'autre que le système des castes avec une large harmonie de justice qui unit trois parties de l'âme (la philosophique - l'intellect, la gardienne - la volonté, et les marchands - la convoitise). 
En luttant pour la tradition, nous luttons pour notre nature profonde en tant que créature humaine. L'homme n'est pas un acquis, c'est un but. Et nous nous battons pour la vérité de la nature humaine (être humain, c'est aspirer à la surhumanité). C'est ce que l'on peut appeler une guerre sainte.

Que signifie pour vous la quatrième théorie politique ?

C'est la lumière de la vérité, de quelque chose de rarement authentique dans les temps post-modernes. C'est l'accent juste sur les degrés de l'existence - les accords naturels des lois du monde. C'est quelque chose qui grandit sur les ruines de l'expérience humaine. Il n'y a pas de succès sans premières tentatives - toutes les idéologies passées contenaient en elles quelque chose qui a causé leur échec.

La quatrième théorie politique - c'est le projet des meilleurs aspects de l'ordre divin qui peuvent se manifester dans notre monde - du libéralisme nous prenons l'idée de la démocratie (mais pas dans son sens moderne) et de la liberté au sens évolien ; du communisme nous acceptons l'idée de la solidarité, de l'anticapitalisme, de l'anti-individualisme et l'idée du collectivisme ; du fascisme nous prenons le concept de la hiérarchie verticale et la volonté de puissance - le codex héroïque du guerrier indo-européen.

Toutes ces idéologies passées ont souffert de graves lacunes - la démocratie, à laquelle s'est ajouté le libéralisme, est devenue une tyrannie (le pire régime d'État selon Platon), le communisme a défendu le monde technocentrique sans traditions ni origines, le fascisme a suivi la mauvaise orientation géopolitique, son racisme était occidental, moderne, libéral et antitraditionnel.

41OH5KGk9yL.jpgLa quatrième théorie politique est la transgression globale de ces défauts - la conception finale de la future histoire (ouverte). C'est le seul moyen de défendre la vérité.

Pour nous, la vérité est le monde multipolaire, la variété florissante des différentes cultures et traditions.

Nous sommes contre le racisme, contre le racisme culturel et stratégique de la civilisation moderne occidentale, promue par les États-Unis, parfaitement décrit par le professeur John M. Hobson dans "The Europocentric conception of world politics". Le racisme structurel (ouvert ou subliminal) détruit la charmante complexité des sociétés humaines - primitives ou complexes.

71YsYIsgO6L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgRencontrez-vous des défis particuliers en tant que jeune femme et activiste à notre époque ?

Cette guerre spirituelle contre le monde (post)moderne me donne la force de vivre.

Je sais que je me bats contre l'hégémonie du mal pour la vérité de la Tradition éternelle. Elle est aujourd'hui obscurcie, mais pas complètement perdue. Sans elle, rien ne peut exister.

Je pense que chaque sexe et chaque âge a ses formes d'accès à la Tradition et ses moyens de défier la Modernité.

Ma pratique existentielle consiste à abdiquer la plupart des valeurs de la jeunesse mondialiste. Je pense que nous devons être différents de ce thrash. Je ne crois en rien à la modernité. La modernité a toujours tort.

Je considère l'amour comme une forme d'initiation et de réalisation spirituelle. Et la famille devrait être l'union de personnes spirituellement semblables.

Outre votre père, évidemment, qui conseillez-vous aux jeunes militants désireux d'apprendre nos idées d'étudier ?

Je recommande de faire connaissance avec les livres de René Guenon, Julius Evola, Jean Parvulesco, Henri Corbin, Claudio Mutti, Sheikh Imran Nazar Hosein (traditionalisme) ; Platon, Proclus, Schelling, Nietzsche, Martin Heidegger, E. Cioran (philosophie) ; Carl Schmitt, Alain de Benoist, Alain Soral (politique) ; John M. Hobson, Fabio Petito (IR) ; Gilbert Durand, G. Dumézil (sociologie). Le kit de base de la lecture pour notre révolution intellectuelle et politique.

Vous avez vécu quelque temps en Europe occidentale. Comment compareriez-vous l'état de l'Occident à celui de l'Orient, après une expérience de première main ?

En fait, avant mon arrivée en Europe, je pensais que cette civilisation était absolument morte et qu'aucune révolte n'était possible. Je comparais l'Europe libérale moderne à un marécage, sans possibilité de protester contre l'hégémonie du libéralisme.

En lisant la presse étrangère européenne, en voyant les articles avec des titres comme "Poutine - le satan de la Russie" / "la vie de luxe du pauvre président Poutine" / "pussy riot - les grands martyrs de la Russie pourrie" - cette idée était presque confirmée. Mais au bout d'un moment, j'ai découvert des groupes et des mouvements politiques antimondialistes en France - comme Egalité & Réconcilation, Engarda, Fils de France etc - et tout a changé.

Les marécages de l'Europe se sont transformés en quelque chose d'autre - avec la possibilité cachée de se révolter. J'ai trouvé "l'autre Europe", l'empire caché "alternatif", le pôle géopolitique secret.

La véritable Europe secrète devrait être réveillée pour combattre et détruire son double libéral.

Maintenant, je suis absolument sûr qu'il y a deux Europe ; absolument différentes - l'Europe libérale décadente atlantiste et l'Europe alternative (antimondialiste, antilibérale, orientée vers l'Eurasie).

Guénon a écrit dans "La crise du monde moderne" que nous devons diviser l'état d'être anti-moderne et anti-occidental. Être contre la modernité, c'est aider l'Occident dans sa lutte contre la modernité, qui est construite sur des codes libéraux. L'Europe a sa propre culture fondamentale (je recommande le livre d'Alain de Benoist - "Les traditions de l'Europe"). J'ai donc trouvé cette autre Europe, alternative, secrète, puissante, traditionaliste et j'ai mis mes espoirs dans ses gardiens secrets.

Nous avons organisé avec Egalité & Réconcilation une conférence à Bordeaux en octobre avec Alexandre Douguine et Christian Bouchet dans une salle immense mais il n'y avait pas de place pour tous les volontaires qui voulaient assister à cette conférence.

Cela montre que quelque chose commence à bouger...

En ce qui concerne mon opinion sur la Russie, j'ai remarqué que la plupart des Européens ne font pas confiance aux informations diffusées par les médias et que l'intérêt pour la Russie grandit, comme en témoigne le fait d'apprendre le russe, de regarder des films soviétiques et de comprendre que les médias européens sont totalement influencés par le Léviathan hégémonique, la machine à mensonges libérale et mondialiste.

Les graines de la protestation sont donc en terre, et avec le temps, elles grandiront, détruisant la "société du spectacle".

Toute votre famille est une grande source d'inspiration pour nous, ici à Open Revolt and New Resistance. Avez-vous un message pour vos amis et camarades d'Amérique du Nord ?

010716200.jpgJe ne peux m'empêcher d'admirer votre travail révolutionnaire intensif ! La façon dont vous travaillez - dans les médias - est la façon de tuer l'ennemi "avec son propre poison", en utilisant la stratégie de la guerre des réseaux. Evola en a parlé dans son excellent livre "Chevaucher le Tigre".

L'Uomo differenzziato (l'homme différencié) est quelqu'un qui reste au centre de la civilisation moderne mais qui ne l'accepte pas dans l'empire intérieur de son âme héroïque. Il peut utiliser les moyens et les armes de la modernité pour causer une blessure mortelle au règne de la quantité et de ses golems.

Je peux comprendre que la situation actuelle aux États-Unis soit difficile à supporter. C'est le centre de l'enfer, mais Hölderlin a écrit que le héros doit se jeter dans l'abîme, au cœur de la nuit et ainsi vaincre les ténèbres.

Avez-vous des réflexions à formuler en guise de conclusion ?

En étudiant la philosophie à la faculté et en travaillant sur Platon et le néo-platonisme, je peux remarquer que la politique n'est rien d'autre que la manifestation des principes métaphysiques fondamentaux qui sont à la base de l'être.

En faisant la guerre politique pour la quatrième théorie politique, nous établissons également l'ordre métaphysique - en le manifestant dans le monde matériel.

Notre lutte n'est pas seulement pour l'état humain idéal - c'est aussi la guerre sainte pour rétablir la bonne ontologie.

Source: http://openrevolt.info/2013/01/23/we-live-in-the-era-of-the-end-a-interview-with-dari-dougina/

mardi, 05 septembre 2023

Porcs et aristocrates - Discours à la conférence "En mémoire de Daria Douguina" (Vienne, Autriche)

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Porcs et aristocrates

Marco Malaguti

Source: https://www.geopolitika.ru/de/article/schweine-und-aristokraten

Discours à la conférence "En mémoire de Daria Douguina" (Vienne, Autriche)

1) L'Europe est en guerre, c'est un fait.  Comme dans de nombreux exemples du passé, la guerre qui oppose actuellement l'Ukraine à la Russie n'est rien de plus qu'un rouage dans une lutte plus vaste qui implique des économies lointaines, des empires qui montent et qui descendent et des destins qui, jusqu'à récemment, semblaient avoir peu de choses en commun. Pour tous les croyants, les plans impénétrables du ciel sont également impliqués dans cette guerre. Comme dans les mythes anciens, des forces mystérieuses entrent sur le terrain des deux côtés.

2) Daria Douguina est tombée dans cette guerre, c'est là également un fait. Daria Douguina est morte dans une guerre que l'Occident avait déjà commencée en 2014, une année déjà bien lointaine, mais à laquelle elle avait en fait participé il y a bien plus longtemps, seule et avec peu d'alliés, alors que le front semblait encore éloigné et que les canons se taisaient toujours.

3) Cette guerre, dont l'Ukraine n'est que la proverbiale partie émergée de l'iceberg, se déroule partout. Non seulement sur les champs de bataille ukrainiens, mais aussi en Occident même, autour de tous ceux qui tentent de s'opposer à la sédimentation idéologique gluante de l'Occident lui-même, et aussi de s'insinuer en eux-mêmes, sous la forme de déchets toxiques qui tuent les anciennes civilisations qui en sont victimes.

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4) Daria Douguina était une aristocrate et elle a quitté ce monde en tant que telle. Aristocrate de l'esprit, née dans un contexte où l'on est éduqué au combat dès le premier jour de sa vie, elle a savouré, étudié et vécu les plus hauts fruits de la culture humaine et, comme pour beaucoup d'aristocrates du passé, les honneurs de la vie réelle supposent le fardeau de la mort.

5) Le fait que la bombe qui l'a touchée était probablement destinée à son père ne fait aucune différence. C'est ainsi que fonctionne la guerre et que meurent ceux qui ont choisi de se battre, frappés par le caprice du destin. Parfois, il s'agit d'un choix délibéré, comme les guerriers kamikazes japonais il y a 70 ans ou le héros italien Pietro Micca, qui s'est suicidé dans la poudrière de Turin pour sauver sa ville des assiégeants du Roi Soleil en 1706.

6) Pour beaucoup de ceux qui meurent aujourd'hui en Ukraine, la guerre n'a pas été un choix volontaire, mais un devoir, un goulot d'étranglement dangereux dont certains ne sortiront pas, pris dans le ravin de leur propre destin. Pour Daria Douguina, il s'agissait au contraire d'un choix qu'elle avait elle-même fait. Beaucoup ont répondu à l'appel aux armes de leur président, Daria a répondu à son appel, ce qui a fait d'elle une aristocrate même dans la mort.

7) Son voyage terrestre, qui s'est achevé aux portes orientales de l'Europe, ressemblait beaucoup à celui d'un homme très différent, Dominique Venner, un autre aristocrate européen qui a terminé sa vie par un acte héroïque, même s'il s'agissait d'un acte d'un autre type en termes d'événement et de contexte. L'essence de son action reste toutefois comparable à celle de Daria Douguina.

8) Les anciens Romains, fondateurs de la première Rome et par conséquent ancêtres spirituels de la troisième Rome, connaissaient depuis leurs débuts les plus archaïques un rituel appelé "devotio" qui leur conférait l'invulnérabilité sur le champ de bataille et qui, selon les chroniques, chaque fois qu'il était célébré, assurait la victoire. Il s'agissait d'un rite obscur lié aux divinités des enfers, qui consacrait le célébrant, un aristocrate romain, aux divinités infernales. Après avoir accompli les rites prescrits, le célébrant, appelé "homo sacer", se jetait dans la bataille en dehors de l'ordre de bataille avec une rage inextinguible et prêt à être tué par l'ennemi. Les ennemis qui le tuent font donc un sacrifice humain aux dieux auxquels le prêtre s'était adressé, menant ainsi le rite à sa conclusion la plus heureuse. Les batailles tournent ensuite à l'avantage du peuple romain qui, contre vents et marées, parvirnt à s'imposer face à des ennemis bien supérieurs en nombre.

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9) Venner a laissé sa vie aux portes occidentales de l'Europe d'une manière qui n'est pas si éloignée de celle des prêtres guerriers romains. Bien que leur fin ait été différente, les parcours terrestres de Dominque Venner et  de Daria Douguina ont tous deux été volontairement achevés et, par conséquent, aristocratiques. La même essence se manifeste dans les deux actes et montre une matrice commune qui ne meurt pas, malgré les millénaires et les catastrophes.

10) La civilisation guerrière européenne millénaire, produit d'aristocraties guerrières, continue à se manifester par l'intermédiaire d'aristocrates du combat. Venner et Daria Douguina sont deux de ces aristocrates: le premier se suicide derrière les lignes ennemies, la seconde tombe au combat dans les tranchées, face au même ennemi.

11) L'aristocratie du combat et du libre choix, à la fois matrice et origine de la civilisation européenne, est illustrée par la pratique féconde du combat. Thomas Carlyle, un autre partisan posté derrière les lignes ennemies, a décrit en détail qui était l'ennemi idéologique de l'aristocratie. En décrivant l'idéologie de ses ennemis, il l'a appelée "l'idéologie du cochon", qui consacre toute son attention à la matière et ne cherche rien d'autre qu'à "augmenter la quantité de biens accessibles et à diminuer ce qui est hors de portée".

12) Daria Douguina et Dominique Venner savaient très bien que leur choix obéissait à des principes plus élevés que ceux du matérialisme qui a mis fin à leur existence. Le choix de brandir la bannière qui s'oppose au matérialisme est en soi un choix aristocratique qui s'oppose à l'idéologie du cochon et à tout intérêt individuel.

13) Se rapprocher de deux géants comme Daria Douguina et Dominique Venner ne peut pas être une obligation pour tout le monde, les exigences de l'aristocratie ne peuvent pas, par définition, être transmises à la masse. Cependant, répondre à cette exigence devient un devoir pour tous ceux qui, comme ceux qui sont ici, aspirent à devenir l'avant-garde et les porte-étendards de ceux qui s'opposent à l'idéologie du cochon.

Faire partie de l'avant-garde et être porte-étendard est le seul privilège accordé à l'aristocratie dans une société honnête. Tout le reste découle du sacrifice, comme le démontre l'histoire des deux héros que j'ai mentionnés. Pas seulement les sacrifices les plus extrêmes, qui n'arriveront peut-être jamais, mais plutôt une forêt d'offrandes souvent très éloignées de l'héroïsme du champ de bataille, mais tout aussi frustrantes dans la vie quotidienne. Une vie quotidienne qui, en Occident, s'éloigne chaque jour un peu plus de nos idéaux. Nous entendons tous ici, j'en suis sûr, une voix qui nous invite chaque jour à suivre, au nom de nos propres intérêts, ce que Carlyle appelle "l'idéologie du cochon". Daria Douguina est toujours vivante, à la fois dans les bras du Père éternel et dans nos cœurs, et sa voix nous dit chaque jour que nous ne sommes pas des porcs, et que nous ne voulons jamais le devenir. Merci beaucoup.

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mercredi, 08 mars 2023

Le roman Laurus comme manifeste du traditionalisme russe

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Le roman Laurus comme manifeste du traditionalisme russe

Darya Douguina

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/il-romanzo-laurus-come-manifesto-del-tradizionalismo-russo?fbclid=IwAR3bjfqyRle2zNK5MTtsiH4xkgwSEzzY0y7qKWGn6PyInd43KLWw5kaaz7s

Le roman-vie, un "roman non-historique" comme l'appelle l'auteur Evgeny Vodolazkine (docteur en philologie, spécialiste de la littérature russe ancienne), est une description du destin et du développement intérieur d'Arséni le guérisseur. Après avoir reçu une formation médicale de son grand-père Christophe, Arséni entre dans la vie qui recèle toutes ses complexités, ses tentations et ses épreuves. Dès le début, le profil d'Arséni trahit un homme appelé en esprit et marqué par un don particulier, par un charisme inhabituel. Il est mobilisé par une puissance supérieure pour servir les gens. Il n'est pas de ce monde, mais il sert les gens de ce monde. Déjà en cela, nous pouvons voir la trame de la souffrance et de la douleur.

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Pendant une épidémie, Ustina, une jeune fille pauvre dont le village a été frappé par une épidémie, arrive chez Arséni. Le jeune guérisseur l'accueille comme il accueille tous ceux qui ont besoin d'aide et de secours, ceux qui sont en détresse et n'ont nulle part où aller et personne vers qui se tourner. Arséni la laisse entrer chez lui, la recueille, lui donne un abri et... ils grandissent ensemble. Trop. Et surtout - sans le sacrement de l'église, obligatoire pour un homme de la Vieille Russie. Cela signifie que leur union est un péché et qu'elle entraîne la douleur, la souffrance, la mort et une fin sombre. Ustina tombe enceinte, mais par peur de la censure et des reproches, Arséni ne l'emmène pas au mariage. De plus, il ne sait pas comment expliquer qu'elle a été sauvée de la peste. L'amour s'avère donc être un péché, l'enfant est le résultat d'une chute, et en plus de la situation sanitaire compliquée avant l'accouchement, qu'Arséni lui-même est obligé de soigner, Ustina ne reçoit pas la communion, car comment expliquer sa situation au confesseur ?

Et c'est ainsi que le pire se produit. Ustina meurt pendant un accouchement atroce, le bébé est mort-né. Arséni perd presque la raison à cause de son chagrin et de la connaissance de sa complicité dans l'horreur qui s'est produite. Ustina et son enfant mort-né, qui n'a pas été baptisé, ne méritent même pas des funérailles correctes selon les normes de l'époque ; la femme en douleurs n'était pas mariée et l'enfant est mort non baptisé. Tous deux sont enterrés dans le Bogedomk, un endroit spécial en dehors des cimetières chrétiens où sont jetés les cadavres des vagabonds, des ophi, des sorciers et des clowns. Avec Ustina, le premier Arséni meurt et un nouveau est né, qui s'appelle Ustin cette fois: il prend pour nom la version masculine du nom de sa bien-aimée, de sa victime et de son péché. C'est ainsi que le héros commence sa route : la route du repentir, des actes héroïques et de la souffrance pour surmonter la douleur spirituelle et métaphysique persistante de sa jeunesse, détachée de l'axe.

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Arséni-Ustin devient plus tard un herboriste et un guérisseur célèbre, sa renommée s'étendant à toute la Russie. Mais ce n'est qu'une étape. Puis vient le temps d'une nouvelle "transition". Et il avance dans la chaîne des anciennes figures spirituelles russes: fou, vieillard, prophète.  Le fou Thomas donne un nouveau nom au héros - désormais, c'est Amvrosy, et à son tour, il entreprend l'exploit de traverser la folie, atteignant la sainteté et l'impassibilité dans l'humiliation volontaire et un comportement atypique - parfois provocateur.

S'ensuit un pèlerinage à Jérusalem avec le moine italien Ambroise et, au retour de ce pénible voyage, l'accession au rang de moine et se qui généralement s'ensuit, jusqu'à l'ordre monastique le plus élevé, le schema. Ainsi, d'Arséni-Ustin est né Laurus - de la douleur de l'âme, qui a vu le corps de la bien-aimée Ustina jeté dans la géhenne ; du témoignage de la mort du moine Ambroise ; de l'observation des éléments pendant les tempêtes, dans lesquelles les marins périssaient ; de l'injustice générale du monde et du bourbier qui couvrait les terres russes (et non-russes) ; de l'infinité des espaces et des âmes russes, au-delà de la compréhension des étrangers et des Russes eux-mêmes.

Quel genre de personnes vous êtes, dit le marchand Siegfried. - Un homme se soucie de vous, il vous consacre toute sa vie, vous le tourmentez toute sa vie. Et quand il meurt, vous lui attachez une corde aux pieds et le traînez, et vous êtes en larmes.

- Vous êtes dans notre pays depuis un an et huit mois déjà, dit le forgeron Averky, et vous n'en avez rien compris.

- Et vous, vous le comprenez ? - demande Siegfried.

- Le comprenons-nous ? - Le forgeron hésite et regarde Siegfried. - Nous non plus, bien sûr, nous ne le comprenons pas.

Jalons de la vie humaine Traditions

Arséni - Ustin - Amvrosi - Laurus

La vie de Laurus, qui dans son hagiographie est divisée en plusieurs cycles - enfance/jeunesse/maturité/vieillesse et "sannyasa" (la vie d'un ermite qui renonce complètement au monde) soit la vie d'un homme de la Tradition.

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Dans la description de la vie ascétique de Laurus, le canon indo-européen de la vie d'un homme de la Tradition (décrite de manière vivante dans le Manu-smriti et d'autres écrits hindous) luttant pour la libération, composée de quatre cycles, se manifeste. Le roman, comme la vie de Laurus, est divisé en quatre parties: "Le livre de la connaissance", "Le livre du renoncement", "Le livre de la voie" et "Le livre du repos". Selon les Upanishads, la libération devient possible si l'on vit dignement les trois ashrams (les trois étapes de la vie):

1) L'étude des Vedas, le discipulat (brahmacharya) - la première étape de la vie d'Arséni - apprendre de la sagesse de son grand-père Christophe.

2) Le foyer et le sacrifice pour l'épouse et la famille (grihastha) - la famille d'Arséni, la mort d'Ustina et l'acceptation ultérieure de celle-ci en elle-même - le dialogue constant avec l'amante décédée.

3) Les années d'ermitage dans la forêt (vanaprastha) - à la fois l'herculéanisme et l'errance et le voyage à Jérusalem

4) La dernière période d'ashram (sannyasa) - associée dans l'hindouisme au retrait des affaires mondaines et à la dévotion totale au développement spirituel, c'est une période de méditation et de préparation à la mort. Dans la tradition hindoue, il était très important de mourir sans abri, nu, seul, un mendiant inconnu. C'est ainsi que meurt Laurus, après avoir été calomnié.

Il est important de noter qu'à chacune de ces étapes de la vie dans la Tradition, il y avait un changement de nom. Ainsi, nous, lecteurs, assistons à une séquence de quatre personnages - Arséni, Ustin, Ambrosi et Laurus - chacun manifestant quatre étapes différentes de la formation humaine dans la tradition indo-européenne.

"J'ai été Arséni, Ustin, Ambrosi, et maintenant je suis Laurus. Ma vie est vécue par quatre personnes différentes qui ont des corps différents et des noms différents. La vie est comme une mosaïque et elle se désagrège", dit Laurus.

Être une mosaïque ne signifie pas tomber en morceaux, réplique Innocent. Tu as brisé l'unité de ta vie, tu as renoncé à ton nom et à ton identité. Mais même dans la mosaïque de ta vie, il y a quelque chose qui unit toutes ses parties séparées, c'est l'aspiration à Lui (à Dieu - note de l'auteur). En Lui, elles seront réassemblées", répond le vieil homme Innocent.

Quatre vies, étapes, images, visages-personnalités différents fusionnent en un seul visage. Le passage des quatre étapes de la vie dans le roman est l'ascension successive de l'homme du plus bas au plus haut, de la manifestation matérielle à la plus haute réalisation - le sacrement théurgique. Ce qui est décrit dans Laurus est l'expérience néo-platonicienne du retour de l'âme à sa source, le Bien, l'Un. Le roman peut être considéré dans le schéma néoplatonicien de l'ascension de la création vers sa source ineffable.

Ces quatre périodes de la vie du protagoniste ont également une dimension sociale, de caste : l'ascension d'une étape à l'autre est aussi un changement de statut social. Du disciple au "mari", du "mari" à l'ermite, de l'ermite au moine et à l'ermite. Tout ceci est un mouvement le long de l'axe vertical des strates sociales : alors que dans la première partie, Arséni possède une maison, des livres, des herbes et un petit territoire, à la fin du livre, il n'a plus de murs et ses refuges sont les voûtes de pierre, les arbres et la forêt. Ainsi, en passant à une nouvelle phase, Arséni s'est également séparé des livres de Christophe. Le nouveau héros, le philosophe et le gardien, n'est pas apte à posséder une quelconque propriété privée. Il ne peut rien avoir, car la possession de quelque chose signifie l'affaiblissement de la tension de la contemplation du haut. A la fin du roman, Laurus ne possède rien, toute sa nourriture est celle des oiseaux et des bêtes, il n'appartient même plus à lui-même. Il appartient à l'Absolu.

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Le problème du temps et de l'éternité dans le roman Laurus

L'un des principaux thèmes du roman est le problème de l'interprétation du temps: le temps matériel dans Laurus, suivant les thèmes platoniciens, est compris comme "le simulacre mobile de l'éternité". Deux dimensions semblent coexister dans le roman : un temps linéaire menant à la fin (la ligne eschatologique du roman vient de l'Occident - Ambroise vient en Russie pour trouver la réponse à la question de la date de la fin du monde), une dimension judéo-chrétienne et une dimension pérenne-mythologique, issue de la tradition antique, qui dans le christianisme est devenue une dimension du cycle circulaire du culte, qui apparaît simultanément comme une spirale et se transforme en paradoxe : les événements reproductibles - les fêtes de l'Église - qui se reproduisent à chaque fois, se réalisent comme s'ils n'avaient jamais eu lieu auparavant. Chaque fois, des événements similaires en termes de signification apparaissent différents (une conversation entre Laurus et le vieil Innocent : "Parce que j'aime la géométrie, je compare le mouvement du temps à une spirale. C'est une répétition, mais à un niveau nouveau et plus élevé'). Même le récit lui-même, la vie d'Arséni, reproduit la spirale - de nombreux événements du roman sont similaires, mais ils se produisent chaque fois à un nouveau "niveau supérieur" (par exemple, à la fin de sa vie - Arséni, anciennement Laurus, fait accoucher à nouveau, cette fois la mère en douleurs ne meurt pas, et le bébé survit).

"Il existe des événements similaires", poursuit l'aîné, "mais de cette similitude découle le contraire. L'Ancien Testament est inauguré par Adam, mais le Nouveau Testament est inauguré par le Christ. La douceur de la pomme mangée par Adam se révèle être l'amertume du vinaigre bu par le Christ. L'arbre de la connaissance conduit l'homme à la mort, mais l'arbre de la croix lui donne l'immortalité. Souviens-toi, Amvrosi, que la répétition nous est donnée pour vaincre le temps et notre salut.

La coexistence des deux dimensions - temporelle et éternelle - est également évidente dans la structure même du récit : dans Laurus, les descriptions de la vie russe médiévale sont étroitement imbriquées avec des épisodes contemporains, le protagoniste vit avec les morts - il leur parle constamment, discute avec eux, parle de ses expériences. Cette structure est largement apparentée aux romans postmodernes. Vodolazkin est certainement un postmoderne dans sa technique. Cependant, en remplissant le "collage" d'intrigues de différentes étapes, il place les significations traditionalistes profondes au-dessus de la technique. Dans le roman, la coexistence de plusieurs époques est montrée de manière particulièrement subtile et vivante : nous nous trouvons dans la Russie médiévale, puis nous passons dans le monde moderne avec les chercheurs, les amateurs de livres et les historiens, puis nous nous retrouvons témoins de la terminologie soviétique - Vodolazkin a réussi de manière très intelligente et organique à montrer le synchronisme, l'existence parallèle de plusieurs époques et dimensions. Tout comme différentes tranches de temps coexistent dans le roman, il y a en nous aujourd'hui à la fois l'archaïque et le futur. Nous sommes aujourd'hui nos ancêtres, qui observent le monde en pleine mutation à travers nos yeux, et nos futurs enfants.

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Le roman Laurus est un manifeste à grande échelle du traditionalisme russe, une incarnation du paradoxe russe de la coexistence du temps et de l'éternité en nous, de ce canon indo-européen de l'hagiographie déguisé en znakhar médiéval, de ce mythe de l'éternel retour et de la découpe de ce mythe avec la flèche du temps, en direction de la fin du monde. Laurus est un manifeste du mouvement vertical. Celui que nous avons oublié derrière la frénésie du quotidien. Et il se manifeste si clairement en temps de peste. Hier et aujourd'hui.

"Le Christ n'est-il pas la direction générale ?" demande le vieux. Quelle direction cherchez-vous encore ? Et ne vous laissez pas emporter par le mouvement horizontal au-delà de toute mesure. Et de quoi ? demanda Arséni. Le mouvement vertical, répondit l'ancien en pointant vers le haut. 

mardi, 10 janvier 2023

La métaphysique de la guerre

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La métaphysique de la guerre

Daria Douguina

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/metafisica-da-guerra

La guerre est une réalité, et une réalité multidimensionnelle de surcroît. Nous avons exploré ses dimensions stratégiques, géopolitiques, économiques et sociales, mais elle est aussi métaphysique. Daria Dugina nous rappelle l'essence métaphysique de la guerre, et pourquoi nous en avons besoin.

Aujourd'hui, je voudrais partager mon point de vue sur la métaphysique de la guerre et la compréhension philosophique de ce qui se passe. Sans cette compréhension, nous ne serons pas en mesure d'appréhender toute la profondeur de la confrontation actuelle. Inutile de dire que je surveille de près l'espace d'information et que je le commente en direct. Cependant, aujourd'hui, je voudrais examiner les événements actuels d'un point de vue philosophique.

Fondamentalement, la guerre a toujours été perçue comme quelque chose de nécessaire. Héraclite l'appelle "le père et le roi de toutes choses". La guerre a toujours constitué la paix. S'il n'y a pas de guerre, il n'y a pas de division, mais pas de paix non plus. Ainsi, en un sens, la guerre est comprise comme un acte cosmologique. Les théoriciens de la guerre, Thucydide et Socrate, ont romancé la guerre. En même temps, une division très intéressante se produit. Il me semble qu'elle est cruciale pour nous lorsque nous analysons les conflits aujourd'hui. Les guerres sont divisées en bonnes et mauvaises guerres.

Les bonnes guerres sont des guerres contre un ennemi extérieur. Elles sont acceptables selon Thucydide ou Socrate ou Xénophon. En outre, il existe des guerres mutuellement destructrices qui sont perçues de manière négative. Plus tard, dans les Lois de Platon, elles seront caractérisées comme des guerres extérieures. Platon utilise le terme grec "polemoi", par opposition à guerre interne - discorde. Naturellement, les Grecs de l'antiquité justifiaient les guerres menées contre un ennemi extérieur. Une guerre extérieure était considérée comme une guerre avec les autres, avec des étrangers, avec des barbares, qui pouvaient généralement être soumis. En revanche, une guerre de discorde, que les cités grecques avaient également l'habitude de mener, comme la guerre entre Athènes et Sparte, selon Platon et ses prédécesseurs, aurait dû conduire à la réconciliation, mais en aucun cas à la destruction.

En parlant du conflit d'aujourd'hui, de la confrontation entre la Russie et l'Ukraine, la question se pose. S'agit-il d'une guerre extérieure ou d'une guerre intérieure? C'est une question très compliquée. Hier encore, je me suis exprimé sur la chaîne de télévision République. Mon adversaire, une collègue ukrainienne, Polina, de Kiev, ancienne conseillère du ministre de la Défense, a déclaré, je cite : "Il n'y a pas de gens comme les Russes, mais s'ils existent, il faut les tuer". Après l'avoir écoutée, j'en ai conclu que cette guerre (bien qu'on pourrait plutôt dire qu'il ne s'agit pas d'une guerre mais de l'imposition de la paix) n'est plus interne, elle est menée contre un ennemi extérieur. C'est-à-dire que ceux qui s'opposent à nous, qui ont commis des actes d'agression contre le peuple russe pendant huit ans et qui ont interdit aux Russes de vivre, leur ont interdit de parler leur langue, leur ont interdit d'avoir leur culture propre, ne sont plus nos frères slaves. Il s'agit d'une autre entité.

J'étais occupé par cette pensée, c'est-à-dire une tentative de comprendre le conflit comme une lutte contre un ennemi extérieur, comme un "polémos". Et cet "polémos", selon Platon, doit être combattu avec un grand courage. De plus, la guerre, selon Platon, est à bien des égards une conséquence de l'imperfection humaine. Cependant, elle doit être menée de manière équitable et doit établir le bon ordre. Le plus élevé est le principe contemplatif, et le plus bas, le principe luxurieux.

Si nous examinons la structure du pouvoir ukrainien, nous verrons qu'au cours des huit dernières années, depuis 2014, les subventions militaires américaines ont totalisé 20,5 milliards de dollars en équivalents de gros équipements militaires. Il en va de même dans d'autres domaines. Si l'on parle du volume total des investissements dans la société civile par les fondations américaines, de la manière dont je vois les choses, la somme totale était beaucoup plus faible là-bas, jusqu'à 1,5 milliard de dollars, je pense. Mais c'est quand même beaucoup d'argent.

Si vous prenez ces proportions en considération, la question se pose de savoir si l'Ukraine est un État fantoche dirigé par un comédien, ce qui, soit dit en passant, est déjà ridicule. Quel intéressant symbole sacré que celui-ci. Par exemple, Héraclite était appelé "le philosophe qui pleure" parce qu'il ne riait jamais. Démocrite, quant à lui, était appelé le "philosophe rieur" car il riait tout le temps et était une sorte d'homme maudit par l'Antiquité. Ce n'est pas un hasard si ses livres ont été brûlés par les platoniciens et les pythagoriciens. Et par Platon lui-même, selon la légende.

L'anti-Russie et son front n'est pas seulement un front politique mais un pôle géopolitique oppositionnel. C'est une sorte d'acteur mandataire du principe américain, de la civilisation américaine, de l'ordre américain, c'est-à-dire d'un ordre mondialiste. Il sert également d'autre modèle anti-russe, à la fois existentiel et métaphysique. C'est un modèle où les valeurs sont chamboulées. La luxure y règne, c'est-à-dire le principe inférieur luxurieux qui est associé à l'idée de "ventre" chez Platon. Le ministère russe de la Défense a annoncé aujourd'hui que notre pays n'a pas engagé les hostilités, mais qu'au contraire, la Russie y met fin. Et la fin de ces hostilités est en fait le rétablissement de la justice.

Vous vous souvenez peut-être aussi, puisque vous avez déjà mentionné des concepts philosophiques, du concept de "guerre juste". Cela s'applique ici. Et d'ailleurs, cette guerre juste est prise comme argument par de nombreux néo-conservateurs lorsqu'ils mènent des opérations militaires dans le monde. Regardez comme nous agissons différemment. Ils réduisent simplement chaque quartier en ruines, comme ils l'ont fait en Irak. Déforestation massive de zones résidentielles et non résidentielles. Leurs sociétés militaires privées tirent sur des civils. Au contraire, nous agissons pour le bien des vivants. Malgré les gaffes et les erreurs, malgré le fait que le peuple ukrainien ait été fasciné et même hypnotisé par le récit, un Logos différent, qui lui est étranger, les casques bleus russes ne veulent pas leur mort.

Tout le monde dit maintenant que cette opération aurait dû être réalisée en un jour. Non, ça n'aurait pas dû l'être. Parce que c'est un processus très complexe. Cependant, dans l'ensemble, nous constatons que les Russes se comportent de manière très humaine en établissant cet ordre sacré. Pas de la manière dont le principe de luxure fonctionne. Pas en commettant des crimes de guerre.

En principe, ce sont les principaux points que je voulais partager avec vous. Il y a matière à réflexion et à discussion. Il s'avère que, d'une part, les Russes font la guerre à un ennemi extérieur, les États-Unis. D'autre part, ils comprennent que les corps des personnes de l'autre côté sont extérieurs à nous. Les corps et les âmes de ces personnes sont notre propre reflet. Mais il s'agit d'une réflexion qui s'est égarée dans un monde lointain et complètement faux, d'une ontologie différente, avec une hiérarchie de valeurs différente. D'une part, il s'agit donc d'une guerre extérieure, la guerre avec un ennemi extérieur, avec des civilisations extérieures, avec le Logos de Cybèle, avec le Logos de la luxure, voire avec le mythe de la luxure, avec l'obsession. Avec la consommation, aussi. Ce que nous voyons en Ukraine est une véritable société du spectacle. Comme mon collègue vient de le noter avant moi, il y a une asymétrie dans la guerre de l'information. D'autre part, il s'agit également d'une guerre interne. C'est une sorte de discorde qui devrait mener à la paix. En fait, il s'agit d'une discorde entre les deux principes d'une même âme, comme le disait Platon. Il existe deux principes de l'âme : un berger et un cheval. Notre armée russe est donc semblable à un berger qui tente d'apaiser ce cheval noir en colère.

C'est l'interprétation que je suggère, en tant qu'historienne de la philosophie et du platonisme. J'espère que ce sujet sera développé davantage. C'est nécessaire, car nos collègues américains, par exemple les néoconservateurs, fondent leurs théories sur le platonisme. Prenez Leo Strauss, l'inspirateur idéologique de tout le néoconservatisme. Il est un expert unique de la philosophie de Platon. Ou, par exemple, l'idée de faux qu'il justifie. Leo Strauss affirme que Platon avait l'idée d'une "noble tromperie". Par conséquent, pour établir un ordre mondial juste, c'est-à-dire l'ordre mondial américain, il est tout à fait acceptable d'utiliser certaines formes de cette "noble tromperie".

indexlsplpro.jpgSans doute pouvons-nous décrire le conflit sans métaphysique, sans philosophie, mais dans ce cas, il manquera quelque chose d'essentiel. Pour en revenir à votre question, Nikolay, à savoir si cette guerre est une expiation. Je suppose que oui. En gros, la guerre est menée par les Russes afin d'établir la paix. En russe, il existait deux orthographes du mot "мир" ("monde") : avec un "i" décimal, avec un point, et dans la version moderne - avec un "и" octal. L'un n'est qu'une donnée, et l'autre est le résultat d'une guerre, une sorte de pacte conclu après la séparation. Cette façon de penser est donc typique pour nous : d'abord vient la séparation, puis suivent les retrouvailles. Et les Russes veulent définitivement la paix. Dans la philosophie russe de la fin du 19ème - début du 20ème siècle, il y avait une idée de conciliarité. Cette conciliarité devrait se manifester dès maintenant dans les relations avec le peuple ukrainien. Nous essayons de surmonter cette séparation. Je souhaite à notre armée un réel succès ; je crois que l'histoire va se réaliser maintenant. Pour le dire à la manière de Heidegger, ce qui se passe maintenant est une "Ereignis" ou une "occurrence". Manifestation de l'être russe dans l'histoire.

Et je crois que nous devrions sincèrement prier pour ceux qui sont là, sur la ligne de front. Certes, j'aimerais beaucoup appeler à la prière pour les ennemis, afin qu'ils reprennent leurs esprits. Mais pour l'instant, je ne suis pas encore prêt à me l'avouer. C'est dur pour moi, c'est dur après avoir vu toutes les vidéos, après les menaces qui arrivent. Je crois que nous devrions nous en tenir à cela pour le moment et prier pour nos artisans de la paix.

Nous devons réfléchir à qui nous sommes. Car lorsque nous rencontrons de l'autre côté, les Slaves de l'Est, nous voyons qu'ils ont des contours de leur propre identité. Oui, c'est complètement artificiel. Oui, elle n'est pas fondée sur l'histoire. Il s'agit d'images éparses et de combinaisons du nazisme libéral et du mondialisme. Il est intéressant de noter qu'il s'agit d'un projet financé par Soros. Il a soutenu les nazis ukrainiens et les nationalistes. Le principal critère pour lui était la haine du monde russe. En d'autres termes, ils ont une identité. C'est artificiel, ils ne peuvent y adhérer, cela tourne à la folie, mais au moins cela s'exprime d'une manière ou d'une autre.

Nous devons nous demander quelle est notre identité. Dans le Northern Sun, Nikolay et moi avons parlé de la question des valeurs traditionnelles et du projet de décret, dont la discussion a été temporairement suspendue, mais qui est toujours à l'ordre du jour. C'est essentiel. Je crois que la question de la réflexion sur nos valeurs traditionnelles, notre identité, notre idéologie, la compréhension de la nouvelle situation géopolitique est pour nous la priorité numéro un. Si l'opération d'imposition de la paix se termine avec succès, nous devons savoir comment procéder. Comment contrôler ce "Grossraum" en termes d'idéologie, et non de forces militaires, de politique ou d'économie ? C'est exactement ce que Carl Schmitt appelle le "Grossraum".

Sur quoi repose ce "Grossraum" ? C'est une question ouverte. Je suppose que la réponse vient du mot clé, qui serait "valeurs traditionnelles". Cependant, nous devons étudier et définir ces valeurs de manière très précise car l'histoire évolue beaucoup plus vite qu'auparavant. Et maintenant, nous devons saisir ces significations, ces mythologèmes, les nœuds sémantiques de notre histoire, à une vitesse cent fois plus rapide que ces huit dernières années.

Nous devons de toute urgence nous faire une idée, une vision de cette idéologie et comprendre à qui faire confiance. Chez les slavophiles ? Je pense que oui, ils sont nécessaires ici. Sur les idées des panslavistes ? Bien sûr. Vous vous demandez peut-être pourquoi. Ils sont incompatibles avec l'eurasisme, n'est-ce pas ? Rendons-les compatibles. Voyons comment ces concepts peuvent être combinés. Eurasianisme ? Absolument. Je crois que l'eurasisme est l'idéologie permettant d'unir le vaste espace de l'Eurasie.

Que faut-il de plus ? Nous avons également besoin d'une dimension religieuse, d'une dimension traditionaliste, d'une dimension géopolitique et d'une dimension métaphysique, que nous venons d'évoquer aujourd'hui. C'est la tâche numéro un.

Je m'adresse maintenant à tous ceux qui nous regardent et qui écoutent les programmes du Northern Sun. Je vous encourage à réfléchir dans cette direction. Parce que ce que nous avons maintenant est un déséquilibre. L'autre camp a des arguments, une idéologie et une obsession. Et nous avons aussi tout cela... Mais cela ne se manifeste pas de la même manière. Cela signifie que nous ignorons quelque chose. À un moment donné au cours de cette période de huit ans, nous n'avons pas avancé alors que nous aurions dû le faire. Peut-être avons-nous manqué quelque chose. Mais rien n'est perdu tant que tout n'est pas perdu. Je pense que tout ce travail peut être fait rapidement.

Il existe de nombreuses conditions préalables. Je me contenterai de désigner les petits points clés. Il s'agit de l'eurasianisme, du néo-eurasianisme, de la quatrième théorie politique, de la théorie du dépassement de la modernité et du traditionalisme. De plus, il ne faut pas oublier tout le condensé de la philosophie russe, depuis les Slaves et jusqu'à la philosophie de l'âge d'argent. Elle doit être étudiée et être une source d'inspiration. Très probablement, l'idée de conciliation et, peut-être, la sophiologie sont les repères les plus importants de l'âge d'argent. Il en va de même pour les œuvres de Pavel Florensky.

Je pense que ce sont les points clés, ou les clés qui nous aideront à ouvrir la porte de l'avenir russe que nous devons construire.

vendredi, 25 novembre 2022

L'exemple de Daria Douguina: discours à la jeunesse dissidente

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L'exemple de Daria Douguina: discours à la jeunesse dissidente

Lucas Leiroz & Catarina Leiroz

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/o-exemplo-de-daria-dugina-discurso-juventude-dissidente

Discours préparé par nos camarades Lucas et Catarina Leiroz pour le Ier Congrès régional Sud-Sud-Est, en hommage à nos camarades tombés au champ d'honneur et pour que nous puissions les avoir comme exemple permanent de résilience et d'abandon total à notre objectif dissident ultime, celui de la victoire, celui du triomphe du Bien.

Camarades et amis,

aujourd'hui est un jour très spécial. La Nouvelle Résistance est réunie pour célébrer une nouvelle année d'activités incessantes pour la Cause de la Multipolarité. L'année la plus prospère pour notre Organisation, mais aussi la plus ardue - avec seulement un avant-goût des difficultés que nous aurons désormais.

Cependant, nos rangs sont incomplets. Certains camarades ne sont plus physiquement parmi nous, mais ils veillent sur notre Cause depuis un endroit meilleur. Au cours de ces sept années d'existence, la Nouvelle Résistance a perdu pour cause de mort physique deux de ses membres : le camarade André Nogueira, qui a milité dans nos rangs à Ceará en 2016, et la camarade Daria Douguina, reconnue à titre posthume comme membre honoraire de notre Organisation.

André et Daria ont tous deux été tués par l'ennemi. Le premier abattu par nos ennemis internes et la seconde par les parias et ennemis universels de la race humaine. André, dans l'accomplissement de son devoir légal, a été pris en embuscade et lâchement massacré par de vulgaires criminels à Ceará. Daria, elle aussi, a été lâchement tuée dans un attentat terroriste dans la banlieue de Moscou, opéré toutefois par des saboteurs professionnels liés aux services secrets ukrainiens.

Contrairement à Nogueira, homme d'armes et professionnellement apte au combat, Daria n'était qu'une jeune philosophe et journaliste, non armée et non protégée, tuée exclusivement parce qu'elle excellait dans ce qu'elle faisait, comme l'a bien rappelé mon cher Maram Susli lors d'une récente conversation avec nous.

Une bonne philosophe, dont les idées, profondément chrétiennes et platoniciennes, sonnaient trop subversives pour un Occident que l'on peut qualifier non seulement de libéral et de matérialiste, mais aussi, sans euphémisme, de satanique. Et une bonne journaliste, dont les enquêtes ont conduit à des découvertes qui ont profondément dérangé les élites occidentales.

Dans un récent discours au peuple russe, le président Vladimir Poutine a fait remarquer que les laquais ukrainiens de l'OTAN "tuent nos philosophes". Je crois que ses mots n'auraient pas pu être plus directs pour comprendre ce qui a conduit à la mort de Daria. Daria est morte parce qu'elle avait des idées trop dangereuses pour l'Occident. Mais tout ne se résume pas ici.

Daria était une Femme d'Idées, une amoureuse de la connaissance, mais elle était aussi une Femme d'Action. Pas une simple universitaire contemporaine comme tant d'autres qui passent leur vie à s'appesantir sur des livres sans perspective d'action et de changement réel dans le monde. Mais une Philosophe dans la perspective classique, au sens plein du terme. Consciente et active.

Et c'est précisément ici que son visage journalistique et militant a trouvé sa place. Daria était une correspondante de guerre. Elle était sur le champ de bataille. Elle était l'amie des héros de son peuple et parlait "de l'intérieur". Elle a été dans les tranchées lors de tous les grands moments de son pays ces dernières années, que ce soit en tant que reporter ou en tant que membre important du Mouvement international eurasien.

Daria a donc été conduite au Sacrifice Suprême par la sommation générale des dangers qu'elle faisait courir à nos ennemis. Elle dénonçait les maux de notre monde et proposait des solutions. Elle était l'héritière légitime de l'héritage de son père - qu'ils ont également essayé de tuer. Elle était, en somme, l'exemple vivant de ce que signifie être dissident : une femme d'idées, d'action et de foi - élevée dans la plus pure piété orthodoxe.

Chers compatriotes, nous savons tous que l'Homme est guidé par l'exemple, que notre nature exige des icônes, des saints, des héros et des notables. Et le plus grand malheur de notre époque est peut-être de vivre à un moment où ces personnes semblent souvent ne plus exister. Les saints et les héros ont disparu. Les génies et les notables ont disparu.

Et, en y réfléchissant, je réalise à quel point nous sommes privilégiés d'avoir vécu aux côtés de Daria Aleksandrovna Douguina. Le génie des idées. Remarquable dans son travail. Et sanctifiée par le sang, car le Royaume des Cieux est le destin des Héros qui donnent leur vie pour la Patrie.

Vous voyez, camarades, qu'au milieu de tous les malheurs de notre monde, nous avons été gratifiés de la compagnie de Daria. Nous pouvons manquer de tout dans la vie, mais nous ne pourrons jamais dire que nous manquons d'Exemple. Et si nous avons cet exemple, nous ne pouvons nous plaindre de rien d'autre.

L'homme est imparfait et faible. L'homme se trompe et trahit. Beaucoup de ceux qui sont dans nos rangs aujourd'hui nous abandonneront dans les moments de douleur. Et beaucoup de ceux qui nous tiennent la main aujourd'hui s'enfuiront loin lorsque le pas de l'ennemi s'approchera. Ne commettons donc pas l'erreur de nous inspirer les uns les autres. Soyons des frères, pas des gourous et des suiveurs.

Par Maîtres, prenons ceux qui ont saigné pour la Cause et validé par leur existence physique les convictions qu'ils portaient dans la vie. En d'autres termes, pour l'exemple dans tout ce qui concerne la cause dissidente, prenons Daria.

Je vous exhorte, camarades : si vous voulez être des dissidents, soyez comme Daria.

Et avant de clore ce simple hommage, j'insiste encore sur un autre point. Je me souviens encore aujourd'hui de cette fin d'après-midi où j'ai reçu la nouvelle de l'attentat commis contre Daria. Sans arrière-pensée, j'ai rédigé un texte lui décernant à titre posthume, en tant que responsable des relations extérieures de la NR, le titre de membre honoraire et lui promettant des moments de ce silence sacré avant nos événements officiels.

Peu de gens ont compris mon attitude à ce moment-là, mais j'espère que la raison est maintenant claire pour tout le monde : Daria était l'une des nôtres. Elle a vécu et milité avec nous. Elle a parlé avec nous. Elle a tenu notre drapeau et a contribué autant qu'elle le pouvait à notre triomphe.

Et maintenant la question demeure : comment réagir au meurtre brutal et lâche d'un Camarade ? Nous avons de nombreux exemples lointains, de notabilités qui sont mortes pour leurs causes dans d'autres réalités que la nôtre. Mais comment gérer cela par rapport à quelqu'un de si proche ?

C'est peut-être là que se trouve la grande question à laquelle nous devons répondre dans nos cœurs. À mon avis, être membre de la Nouvelle Résistance à l'aube de la Troisième Guerre mondiale consiste précisément à réfléchir chaque jour : qu'ai-je fait aujourd'hui pour la mémoire de Daria ? Quelle a été ma contribution à la recherche de la Justice ? Dans quelle mesure ai-je honoré l'héritage de notre camarade ?

Et, plus encore, ayons clairement à l'esprit la certitude que nous sommes conduits au même abattoir que Daria. Beaucoup en sortiront vivants, mais aussi beaucoup d'entre nous se feront exploser dans les embuscades de l'ennemi. Et si nous sommes vraiment des Dissidents, si nous sommes vraiment des Traditionalistes, si nous sommes vraiment comme Daria, cette conscience de la mort à venir n'est pas un motif de peur ou d'angoisse, mais un encouragement incommensurable dans notre lutte.

La mort ne nous détruira pas, mais elle nous unira à Daria Douguina, à André Nogueira et à tous les Martyrs de la Cause des Peuples, qu'ils soient membres de la Nouvelle Résistance ou des organisations partenaires dans le monde. C'est ce que nous devons rechercher.

São Paulo, 13 novembre 2022,

Lucas Leiroz, secrétaire des relations internationales de la Nouvelle Résistance ;

Catarina Leiroz, leader du secteur féminin de la Nouvelle Résistance.

* * *

    - André Nogueira était membre de la Nouvelle Résistance dans l'État de Ceará, au Brésil. Il était agent pénitentiaire et a été brutalement assassiné par des trafiquants de drogue en 2016.

    - Daria Douguina a toujours été proche des membres de Nouvelle Résistance et a rencontré la délégation de l'organisation envoyée au Festival mondial de la jeunesse à Sochi, en 2017. Elle a été honorée à titre posthume du titre de membre honoraire de la Nouvelle Résistance et sa mémoire est vénérée lors de tous les événements officiels de l'Organisation.

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lundi, 24 octobre 2022

Le concept du sujet pauvre

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Le concept du sujet pauvre

par Darya Platonova Douguina

Source: https://www.ideeazione.com/il-concetto-di-soggetto-povero/

"Ne regardez pas ce que fait notre homme. Regardez ce qu'il s'efforce de faire".

F. M. Dostoïevski

Un trait caractéristique de la philosophie russe, selon certains historiens de la philosophie russe, est l'ontologisme de la pensée. La position de l'ontologisme en philosophie, contrairement à la position opposée du gnoséologisme, implique la considération primordiale non pas du processus de la pensée, mais de l'objet de la compréhension. Étant du côté de l'ontologique, nous cherchons avant tout à identifier et à répondre à la question : "QUOI est, QUOI est l'objet de notre connaissance, QUOI est le centre de notre intuition intellectuelle". Les adeptes du modèle ontologique cherchent avant tout à trouver, parmi tout ce qui "coule et change", un certain point fondamental, un point fixe, comme une grosse pierre dans une rivière de montagne au débit rapide. Et ce n'est qu'après avoir trouvé et saisi ce point d'appui, l'instance de l'être, que nous pouvons envisager notre processus de recherche intentionnelle de cette chose. Par conséquent, nous ne commençons pas à réfléchir à la pensée avant d'avoir défini ce qu'elle est et ce que nous pouvons comprendre. Les adeptes de cette méthode sont Parménide (idée de l'identité de l'être et de la pensée), Platon (recherche des idées en tant qu'instances réellement existantes) - qui ont tourné leur raisonnement vers la recherche d'une base immuable, porteuse d'être.

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Contrairement à l'ontologie, l'épistémologie cherche à comprendre le cours même de notre pensée depuis le tout début. Les adeptes de cette position (et la position elle-même a commencé à se développer activement après Immanuel Kant) portent leur attention sur la réflexion propre au processus de pensée. Dans ce modèle, la possibilité d'identifier un point de référence qui a son propre statut ontologique et devient une "chose en soi", incompréhensible pour la cognition, est remise en question. La seule chose qui reste à faire est d'étudier le processus de cognition lui-même. Dans cette méthode, le Sujet est extrêmement important, c'est lui qui devient le centre, son rôle est extrêmement grand.

Les philosophes russes sont loin de la position du gnoséologisme. Ceci est conditionné par le fait que l'idée même de Sujet et d'instance cognitive dans l'esprit russe est extrêmement vague et obscure. La culture russe, l'histoire russe et la religion russe n'acceptent pas le concept d'"individu", qui est un concept purement occidental, froid et détaché. Le collectivisme du peuple russe, visible même dans les plus petits détails du discours écrit (par exemple, dans le "I" minuscule par opposition au "I" majuscule en anglais), a une notion du sujet complètement différente. Et ce sujet est non-individuel, commun et unique à une multitude de personnes. C'est un esprit national, qui n'est jamais divisé en parties et qui pense, croit, comprend, écoute et comprend d'une manière tout à fait particulière.

Le sujet russe est absolument pauvre. Il est pratiquement inexistant, il est si grand qu'il commence à sembler trop petit. Il s'agit d'une pauvreté, non pas au sens classique de manque ou de besoin, mais d'une pauvreté qui surpasse les richesses et les émeraudes, comme la pauvreté d'un moine qui surpasse tous les trésors et les accumulations par son essence intérieure. Et le sujet est si pauvre qu'il est presque absent, que sa volonté, ses intentions pénètrent à peine à travers le brouillard de l'indistinction. Ce n'est pas seulement qu'il n'y a pas d'orientation vers quelque chose, mais qu'il n'y a pas de point d'origine initial, l'initiateur de cette orientation.

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Notre pauvre sujet russe est, en fait, la chose la plus secrète et la plus magique qui existe. C'est un être subtil. C'est l'être véritable. C'est un espoir qui n'est pas converti, mais qui est en train d'être.

Le peuple russe est pauvre. C'est une personne qui souffre, comme Job. Le peuple porte la bannière du Christ, la vérité fidèle, à laquelle il abandonne totalement son simulacre de réflexion, et il la porte héroïquement, à travers l'obscurité des âges et des menaces, de la douleur et de la souffrance... Sans trahir l'être authentique.

L'homme russe est trop large pour être un sujet. Et il a l'air pauvre. Mais cette pauvreté est la plus grande richesse - et cette ampleur - qui donne au monde son indéniable colonne vertébrale.

Et cette pauvreté, précisément cette pauvreté, douce, humble, non dirigée, parfois confuse et à peine comprise, est la véritable richesse russe. Celui qui est déjà, sans le savoir, au centre de l'être.

Au centre, où la richesse et la pauvreté ne sont que des catégories verbales. Au centre de la vérité absolue. Au centre de la lumière éternelle de la bonté, dans ce coin de l'âme où les mots sont trop épuisés pour exprimer l'infinité et les superlatifs de Dieu...

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dimanche, 09 octobre 2022

Le paradis ici sur terre: réflexions en marge du premier livre en italien de Darya Douguina

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Le paradis ici sur terre: réflexions en marge du premier livre en italien de Darya Douguina

René-Henri Manusardi

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/il-cielo-qui-sulla-terra-riflessioni-ai-margini-del-primo-libro-di-darya-dugina-lingua

Darya meurt, Darya vit !

Darya est morte. Elle est une martyre de la politique. La politique aussi a ses martyrs dans l'Histoire. Darya est une martyre de la Cause eurasiste qui affirme la nécessité de la Tradition, qui s'exprime métapolitiquement dans la formation de civilisations multipolaires en équilibre et en harmonie les unes avec les autres, qui résistent et luttent contre l'anti-civilisation du nouvel ordre mondial. Darya vit maintenant. Elle vit dans nos cœurs et nous incite sans cesse à lutter pour le Bien contre le Mal, pour la Vérité contre l'erreur, pour la Civilisation contre le chaos satanique des seigneurs de l'or de Davos.

Frapper Darya pour détruire Douguine

Ils ont frappé Darya pour frapper son père Aleksandr Douguine. Je pense personnellement que la cible n'était pas Douguine mais bien sa fille. Si vous tuez Douguine, vous en faites le héros suprême de la tradition eurasienne, mais vous trouverez des personnes prêtes à reprendre son flambeau dans chaque pays. Parce que Douguine a semé, structuré et récolté beaucoup au niveau planétaire, formant des pôles et des sections sur les cinq continents, exportant la Tradition permanente du multipolarisme avec la même ténacité russe avec laquelle Trotsky avait exporté la révolution permanente des Soviets dans le monde.

Si vous tuez plutôt sa fille, vous le démotiver, ou vous croyez le démotiver, et dans son effondrement psychologique et existentiel en tant que lion de la Tradition, vous espérez aussi l'effet domino, c'est-à-dire l'effondrement du monde multipolaire planétaire qu'il a construit dans sa pensée qui essaime partout. C'est ce que les seigneurs de l'or espéraient, mais cela ne s'est pas produit. Au contraire, le martyre de Darya incite son père et ses pairs à se serrer les coudes et à poursuivre avec ténacité le combat usque ad finem.

Qui a tué Darya ?

La mort de Darya crée des soupçons. Des soupçons qui pèsent également sur le FSB, les services secrets russes, vu leur capacité à faire mijoter leurs adversaires en effondrant petit à petit tout autour d'eux, leur monde d'affection et d'amitié avant de leur porter le coup de grâce. Il est possible qu'il y ait eu cette probable interférence d'un quelconque infiltré, étant donné que Douguine, en Russie, pour la crudité de ses déclarations, a de nombreux ennemis parmi les dirigeants libéraux du parlement, de l'État et du gouvernement.

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Cependant, ici, les enjeux étaient plus élevés, à savoir la tentative du Nouvel Ordre Mondial de dissoudre la réalité mondiale multipolaire. C'est pourquoi une stratégie mortelle typiquement soviétique a certainement été appliquée par les services secrets atlantistes pour "faire terre brûlée" autour de Douguine, croyant qu'après son effondrement psychologique et son anéantissement existentiel, ses collègues dirigeants de groupes "multipolaristes" dissoudraient leurs structures et les feraient disparaître dans le brouillard du néant, mais ce ne fut pas le cas.

Douguine et le coût humain de l'intransigeance

Enfin, on peut se demander ce qu'Aleksandr Douguine paie humainement dans le martyre de sa fille Darya. Douguine est un Russe à l'ancienne, donc un intransigeant, un homme de souche aux racines solides et voué au martyre pour ses idéaux, une âme russe authentique au même titre que Bakounine, Tolstoï et Soljenitsyne. Bien que né à l'apogée de l'ère soviétique, Douguine n'a pas appris l'art de la guerre psychologique et de la dissimulation, typique du style du KGB de Vladimir Poutine. Comme les vieux Russes, il utilise toute la puissance de son intransigeance, de son radicalisme, de sa vocation au martyre pour secouer les consciences et les éveiller à la vérité de la Tradition.

Et c'est précisément son intransigeance - à mon humble avis - qui est la cause de tous ses ennuis, y compris la mort de Darya, qu'il n'a pas pu prévoir et que l'Occident lui a fait payer amèrement. Une intransigeance qui est plus religieuse que métapolitique, comme celle du Christ dans le Temple de Jérusalem.

Alors que la Tradition métapolitique envisage ordinairement la connaissance et la proclamation des vérités par degrés et à différents niveaux, suivant la coutume philosophique grecque sans verser dans le gnosticisme, qui a également été adopté par l'art politique et la diplomatie occidentaux.

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Mais Aleksandr Douguine incarne l'esprit russe. Et l'esprit russe envisage évangéliquement la Vérité toute entière et tout de suite sans compromis: le Paradis ici sur Terre, où les hommes de tradition cheminent continuellement vers le Paradis. Qui donc peut le juger ? Seulement notre Père qui est dans les Cieux. Car : "Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres" (Évangile de Jean 8:32). Imitons donc sa Liberté, jusqu'à la Victoire !

A qui Aleksandr Douguine ressemble-t-il politiquement ?

Le courant dominant occidental accuse souvent Aleksandr Douguine d'être le nouveau Raspoutine du Kremlin, au service du nouveau tsar Poutine.

Le monde de la Tradition compare souvent la figure d'Aleksandr Douguine à celle de Merlin de Camelot, l'éminence grise du roi Arthur.

L'ensemble de l'espace métapolitique du Mouvement Eurasianiste International reconnaît la grande influence de René Guenon et de Julius Evola dans la formation et le développement de la pensée impériale et multipolaire d'Aleksandr Douguine.

Cependant, ce n'est que dans l'histoire de la pensée russe que nous pouvons trouver les signes indubitables du caractère politique d'Aleksandr Douguine.

Un caractère politique vécu comme une tension métaphysique permanente entre le "réalisme concret de l'Idée" et les veines de "l'utopie idéologique" typique de l'esprit rêveur vivant dans l'âme russe, projeté vers les sphères célestes de l'inconnu, dans lequel la fin se réalise souvent dans la perpétuité d'un voyage sans fin vers la perfection inaccessible de l'Absolu, rappelant l'agitation mystique des Contes d'un pèlerin russe.

Cette agitation sous-jacente, cette tension permanente entre l'Idée et l'idéologie, combinée à l'immensité des connaissances intellectuelles, à la capacité stratégique et organisationnelle, à la vision profonde de l'avenir géopolitique du monde et à la capacité de conclure des alliances internationales à grande échelle, ne trouve une affinité de caractère et une ténacité politique obstinée qu'en comparant et en contrastant la figure d'Alexandre Douguine avec celle d'un autre géant politique controversé de la révolution russe dont le nom est Lev Trotsky.

Bien que totalement et radicalement différents dans leur pensée, Douguine et Trotsky sont comme deux fèves dans une même gousse politique, des jumeaux nés à des époques historiques différentes, dont l'admirable intransigeance à l'endroit de tout compromis, de toute trahison, et pour la victoire de la Cause, doit nous inciter à imiter et à suivre.

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Espérons d'ailleurs qu'en Alexandre Douguine, l'Idée l'emportera toujours sur l'idéologie et la réalité sur l'utopie, mais que cette dernière apportera au moins du rêve, de la couleur, du parfum, de la vision et de la force d'esprit à l'aridité que la réalité politique elle-même nous impose souvent au quotidien, lorsqu'elle descend des hauteurs de la métapolitique pour s'enfoncer dans la gestion concrète du bien commun, avec ses inévitables médiations.

En effet, les intuitions de Douguine éclairent les esprits mais, en même temps, troublent les cœurs et ébranlent les âmes, provoquant dans de nombreux cas un rejet clair en raison de leur portée apocalyptique qui marque la fin lente et sanglante de l'unipolarisme et la naissance simultanée de la liberté multipolaire pour tous les peuples de la planète.

Puissions-nous recevoir d'en haut la grâce de nous battre, de vivre, de mourir et de gagner pour cette Liberté, seule alternative au futur transhumaniste évoqué, planifié et réalisé par les seigneurs de l'or à Davos.

Mais demain nous appartient...

 

dimanche, 25 septembre 2022

Darya Dugina à la 16ème conférence internationale sur "L'univers de la pensée platonicienne"

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Darya Dugina à la 16ème conférence internationale sur "L'univers de la pensée platonicienne"

par Darya Platonova Douguina

Source: https://www.ideeazione.com/darya-dugina-alla-xvia-conferenza-internazionale-luniverso-del-pensiero-platonico/

Nous publions le discours de Darya Platonova Dugina, qui fut chercheuse en philosophie politique à l'Université d'État de Moscou, prononcé lors de la 16ème conférence internationale sur "L'univers de la pensée platonicienne" à Saint-Pétersbourg du 28 au 30 août 2018.

La philosophie politique s'est toujours vu refuser une pleine reconnaissance, quand elle concentrait ses efforts sur l'analyse des aspects métaphysiques du néoplatonisme. Les concepts néo-platoniciens tels que la "permanence" (μονή), l'"émanation " (πρόοδος), le "retour" (ὲπιστροφή), etc. étaient traités dans les ouvrages historico-philosophiques séparément de la sphère du Politique (1). Ainsi, la Politie n'a été interprétée que comme une étape dans l'ascension vers le Bien, intégrée dans le modèle hiérarchique rigide de la pensée philosophique néo-platonicienne, mais pas comme un pôle indépendant du modèle philosophique.

Cette vision de l'héritage philosophique néo-platonicien nous semble insuffisante. Nous voudrions prendre l'exemple des œuvres de Proclus/Proklos pour montrer que, dans le néo-platonisme, le politique est interprété comme un phénomène important et indépendant intégré dans un contexte général philosophique, métaphysique, ontologique, épistémologique et cosmologique.

Alors que dans le platonisme classique et chez Platon lui-même la philosophie politique est explicitement exprimée (cf. les dialogues intitulés 'État/République', 'Politique', 'Lois', etc.), dans le néo-platonisme et surtout chez Proclus nous ne pouvons juger de la philosophie qu'indirectement etn surtout, dans les seuls commentaires des dialogues de Platon. Cela est également dû au contexte politico-religieux de la société dans laquelle les néo-platoniciens ultérieurs, y compris Proclus lui-même, opéraient.

À l'heure actuelle, les idées politiques des néo-platoniciens n'ont pas fait l'objet de recherches suffisantes et, en outre, le fait même de l'existence d'une philosophie politique néo-platonicienne (du moins chez les néo-platoniciens grecs tardifs) n'a pas été prouvé et ne fait pas l'objet de recherches scientifiques et historico-philosophiques. Cependant, les systèmes néo-platoniciens de philosophie politique ont été largement développés dans le contexte islamique (d'al-Farabi à la gnose politique chiite) (2), et le néo-platonisme chrétien dans les versions d'auteurs occidentaux (en particulier, le bienheureux Augustin (3) a largement influencé la culture politique de l'Europe médiévale.

A l'heure actuelle, le sujet est peu développé. En russe, il n'existe pratiquement aucun travail de recherche consacré spécifiquement à la philosophie politique de Proclus. Parmi les sources étrangères, les seules études spécialisées sont "Platonopolis" de Dominic O'Meara, le spécialiste anglais de la philosophie néo-platonicienne (4), "Founding Platonopolis : Platonic Polytheism in Eusebius, Porphyry and Iamblichus" (5), des chapitres séparés dans "Proclus. Philosophie néoplatonicienne et science" (6) et commentaires de A.-J. Festugière aux traductions françaises des œuvres majeures de Proclus, en particulier les Commentaires sur le Timée en cinq volumes (7) et les Commentaires sur l'État en trois volumes (8).

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En haut, le Père Festugière, helléniste français de très haut vol.

Proclus Diado (412-485 ap. J.-C.) est l'un des plus importants penseurs de l'Antiquité tardive, un philosophe dont les œuvres expriment toutes les principales idées platoniciennes développées au cours de nombreux siècles. Ses écrits combinent le platonisme religieux et le platonisme métaphysique ; dans une certaine mesure, il est une synthèse de tous les platonismes précédents - à la fois le platonisme classique (Platon, Academia), le platonisme "moyen" (décrit dans J. Dillon) (9) et le néo-platonisme (Plotin, Porphyre, Jamblique/Iamblichus). Proclus était probablement le troisième savant de l'école athénienne de néo-platonisme (après Plutarque d'Athènes et Syrianos, le professeur de Proclus), qui a existé jusqu'en 529 (jusqu'à sa fermeture par Justinien, qui a émis des édits contre les païens, les juifs, les ariens et de nombreuses sectes, et a dénoncé l'enseignement du platonicien chrétien Origène).

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L'herméneutique philosophique de Proclus est un événement absolument unique dans l'histoire de la philosophie de l'Antiquité tardive. Les œuvres de Proclus représentent l'aboutissement de la tradition exégétique du néo-platonisme. Ses commentaires partent des œuvres originales de Platon, mais prennent en compte le développement de ses idées, y compris les critiques d'Aristote et des philosophes stoïciens, dans les moindres détails. À cela s'ajoutait la tradition du platonisme moyen, dans laquelle un accent particulier était mis sur les questions théistes religieuses (10) (Numénius, Philon d'Alexandrie). Plotin a introduit la thématisation de l'apophatique dans l'exégèse. Porphyre a attiré l'attention sur la doctrine des vertus politiques et des vertus qui font appel à l'esprit. Jamblique (11) a introduit une différenciation dans la hiérarchie plotinienne des séries ontologiques et eidétiques de base représentées par les dieux, les anges, les démons, les héros, etc. Si chez Plotin nous voyons la triade principale des Éléments - l'Unité, l'Esprit et l'Âme, chez Jamblique la série eidétique à plusieurs étapes séparant les gens de l'Âme du monde et des royaumes spéculatifs de l'Esprit. Jamblique fait également sienne la pratique consistant à commenter les dialogues de Platon en termes ésotériques.

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Pour une reconstruction précise de la philosophie politique de Proclus, il est nécessaire de prêter attention au contexte politique et religieux dans lequel il opérait.

Sur le plan politique, l'époque de Proclus est très mouvementée : le philosophe est témoin de la destruction des frontières occidentales de l'Empire romain, des grandes migrations de peuples, de l'invasion des Huns, de la chute de Rome, d'abord aux mains des Wisigoths (410), puis des Vandales (455), et de la fin de l'Empire d'Occident (476). L'un des visiteurs choisis par Proclus, Anthemius, un patricien de Byzance, a pris une part active aux activités politiques.

Proclus (selon les règles traditionnelles d'interprétation des dialogues de Platon) commence son commentaire de la République et du Timée par une introduction dans laquelle il définit le sujet (σκοπός) ou l'intention (πρόθεσις) du dialogue ; il en décrit la composition (οἷκονομία), le genre ou le style (είδος, χαρακτήρος) et les circonstances dans lesquelles le dialogue a eu lieu : la topographie, l'époque, les participants au dialogue.

En déterminant le sujet du dialogue, Proclus souligne l'existence dans la tradition philosophique de l'analyse de Platon de l'"État"/de la "République" des différents points de vue (12):

1) certains sont enclins à considérer le sujet du dialogue comme une étude du concept de justice, et si une considération du régime politique ou de l'âme est ajoutée à la conversation sur la justice, ce n'est qu'un exemple pour mieux clarifier l'essence du concept de justice ;

2) D'autres considèrent l'analyse des régimes politiques comme l'objet du dialogue, alors que l'examen des questions de justice, selon eux, dans le premier livre n'est qu'une introduction à l'étude plus approfondie du Politique.

Nous rencontrons donc une certaine difficulté à définir l'objet du dialogue : le dialogue vise-t-il à décrire la manifestation de la justice dans la sphère politique ou dans la sphère mentale ?

Proclus estime que ces deux définitions du sujet du dialogue sont incomplètes et soutient que les deux objectifs de l'écriture dialoguée partagent un paradigme commun. "Car ce qu'est la justice dans la psyché, la justice est la même dans un État bien gouverné" (13), dit-il. En définissant le sujet principal du dialogue, Proclus note que "l'intention [du dialogue] est de [considérer] le régime politique, puis [de considérer] la justice. On ne peut pas dire que le but principal du dialogue est exclusivement de tenter de définir la justice ou exclusivement de décrire le meilleur régime politique. Ayant admis que le politique et la justice sont interconnectés, nous noterons que dans le dialogue, il y a également une considération détaillée de la manifestation de la justice dans la sphère du mental. La justice et l'État ne sont pas des phénomènes indépendants. La justice se manifeste à la fois au niveau politique et au niveau psychique (ou cosmique).

Une fois ce fait établi, la question suivante se pose : lequel est le plus primaire - l'âme (ψυχή) ou l'état (πολιτεία) ? Existe-t-il une relation hiérarchique entre les deux entités ?

La réponse à cette question se trouve dans le dialogue "L'État/la République" (15), lorsque Platon introduit l'hypothèse de l'homologie (ὁμολογία) de l'âme et de l'État, de la sphère du mental et du politique. Cela nous oblige à réfléchir attentivement à ce que l'on entend par homologie chez Platon et les néo-platoniciens qui ont poursuivi sa tradition. Dans la philosophie moderne ultérieure, le paradigme (réel) est surtout une chose ou un objet, et l'ontologie et l'épistémologie sont construites de manière hiérarchique : pour les objectivistes (empiristes, réalistes, positivistes, matérialistes), la connaissance sera comprise comme un reflet de la réalité extérieure, pour les subjectivistes (idéalistes), la réalité sera interprétée comme une projection de la conscience. Ce dualisme sera la base de toutes sortes de relations dans les domaines de l'ontologie et de l'épistémologie. Mais appliquer une telle méthode (objectiviste ou subjectiviste) au néo-platonisme serait anachronique: ici, ni l'état, ni l'âme, ni leurs concepts ne sont primaires. Chez Platon et les néo-platoniciens, l'ontologie primaire est dotée d'idées, de paradigmes, tandis que l'esprit et l'âme et la sphère du politique et du cosmique représentent des reflets ou des copies, des icônes, des résultats de l'eikasia (εικασία). Par conséquent, face à l'exemplaire, toute sorte de copie, qu'elle soit politique, mentale ou cosmique, possède une nature égale, un degré égal de distance par rapport à l'exemplaire. Ils ne sont pas vus par comparaison avec l'autre, mais par comparaison avec leur prototype eidétique.

La réponse à la question de la primauté du Politique sur le psychique ou vice versa devient alors claire : ce n'est pas le Politique qui copie le psychique ou vice versa, mais ils sont homologues l'un à l'autre dans leur secondarité par rapport à une image/eidos commune.

La reconnaissance de cette homologie est la base de la méthode herméneutique de Proclus. Pour lui, l'État, le monde, l'esprit, la nature, la théologie et la théurgie représentent des chaînes eidétiques de manifestations d'idées. Par conséquent, ce qui est vrai de la justice dans la sphère du Politique (par exemple, l'organisation hiérarchique, le placement des philosophes-tuteurs à la tête de l'État, etc.) est en même temps vrai de l'organisation de la théologie - la hiérarchie des dieux, des daimons, des âmes, etc. L'existence d'un modèle (paradigme, idée) garantit que tous les ordres de copies ont une structure unifiée. C'est ce qui permet de déduire sans risque la philosophie politique de Proclus de son vaste héritage, dans lequel peu de place est accordée à la politique proprement dite. Proclus implique le Politique de la même manière que Platon, mais contrairement à ce dernier, il fait du Politique le thème principal de ses réflexions beaucoup moins fréquemment. Néanmoins, toute interprétation des concepts de Platon par Proclus contient presque toujours implicitement des analogies dans le domaine du Politique.

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L'homologie générale ne nie cependant pas le fait qu'il existe une certaine hiérarchie entre les copies elles-mêmes. La question de la hiérarchie des copies entre elles a été abordée différemment par différents commentateurs de Platon. Pour certains, plus proches du paradigme, le modèle est le phénomène de l'âme, pour d'autres le phénomène du niveau de l'état, et pour d'autres encore le niveau cosmique. La construction de cette hiérarchie est l'espace de liberté dans l'interprétation et la hiérarchisation des vertus. Ainsi, par exemple, dans Marin (16), la vie de Proclus lui-même est présentée comme une ascension d'une échelle hiérarchique de vertus : du naturel, du moral, du social au divin (théurgique) et encore plus haut, sans nom, en passant par le purificateur et le spéculatif. Les vertus politiques sont généralement considérées comme intermédiaires.

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À partir du fragment que nous avons cité plus haut, dans lequel Proclus aborde le sujet du dialogue sur l'État, nous pouvons voir sa volonté de souligner que la hiérarchisation des interprétations est toujours secondaire par rapport à la structure ontologique et épistémologique de base du platonisme en tant que méthode contemplative. Ainsi, la construction d'un système de hiérarchies au cours des interprétations et des commentaires s'avère être secondaire par rapport à la construction d'une topologie métaphysique générale reflétant la relation entre l'exemplaire et la copie. Et même si Proclus lui-même, au cours du développement de son commentaire, accorde plus d'attention situationnelle aux interprétations mentales, contemplatives, théurgiques, théologiques, cela ne signifie nullement que l'interprétation politique est exclue ou d'importance secondaire. Peut-être que dans d'autres circonstances politico-religieuses, dont nous avons parlé dans la première partie de notre travail, décrivant la situation politique de l'époque de Proclus dans le contexte de la société chrétienne, Proclus aurait pu se concentrer davantage sur l'herméneutique politique, sans violer la structure générale et la fidélité à la méthodologie platonicienne. Mais dans cette situation, il a été contraint de parler de politique de manière moins détaillée.

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L'interprétation par Proclus du dialogue sur "La République", où le thème de Platon est l'organisation optimale de l'État (polis), représente une polyphonie sémantique, une polyphonie qui contient implicitement des chaînes entières de nouvelles homologies. Chaque élément du dialogue interprété par Proclus, du point de vue de la psychologie ou de la cosmologie, correspond à un équivalent politique, parfois explicitement, parfois seulement implicitement. Ainsi, les commentaires du dialogue de Platon, qui thématisent précisément la "polythéia", ne représentent pas pour Proclus un changement du registre habituel de considération des dimensions ontologiques et théologiques dans la plupart de ses autres commentaires. En vertu de son homologie, Proclus peut toujours agir en fonction des circonstances et compléter librement son schéma herméneutique, en le déployant dans n'importe quelle direction.

Notes:

(1) Terme de Carl Schmitt pour souligner qu'il ne s'agit pas d'une organisation technique du processus de gouvernement et de pouvoir, mais d'un phénomène métaphysique avec sa propre structure métaphysique interne, une ontologie et une "théologie" autonomes, dont est issue la formule de C. Schmitt "théologie politique". Voir Schmitt C. Der Begriff des Politischen. Texte de 1932 avec un rapport et trois corollaires. Berlin : Duncker & Humblot, 1963 ; Schmitt C. Théologie politique. М :. Canon Press-C, 2000.

(2) Corbin Henri. Histoire de la philosophie islamique. M : Progress-Tradition, 2010.

(3) Mayorov G.G. La formation de la philosophie médiévale (patristique latine). M : Mysl, 1979 ; Augustine. Sur la Cité de Dieu. Mn : Harvest, M. : Astra, 2000.

(4) O'Meara D. J. Platonopolis. La philosophie politique platonicienne dans l'antiquité tardive. Oxford : Clarendon Press, 2003.

(5) Schott J. M. Founding Platonopolis : The Platonic Polity in Eusebius, Porphyry, and Iamblichus/Journal of Early Christian Studies, 2003.

(6) Siorvanes Lucas. Proclus. Philosophie néoplatonicienne et science. Edinburgh, Edinburgh University Press, 1996.

(7) Proclus. Commentaires sur le temps. Tome 1, Livre I ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1966 ; Idem. Commentaires sur le temps. Tome 2, Livre II ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1967 ; Idem. Commentaires sur le temps. Tome 3, Livre III ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1967 ; Idem. Commentaires sur le temps. Tome 4, Livre IV ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1968 ; Idem. Commentaires sur le temps. Tome 5, Livre V ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1969.

(8) Proclus. Commentaires sur la République. Tome 1, Livres 1-3 ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1970. Idem. Commentaires sur la République. Volume 2, Livres 4-9 ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1970 ; Idem. Commentaires sur la République. Tome 3, Livre 10 ; tr. André-Jean Festugière. Paris : J. Vrin-CNRS, 1970.

(9) Dillon J. Les Platoniciens du milieu de 80 av. J.-C. à 220 ap. Saint-Pétersbourg. Aletheia, 2002.

(10) Dans l'enseignement éthique des platoniciens du milieu, l'idée centrale proclamée est le but d'être assimilé au divin.

(11) Jamblique systématise également la méthode de commentaire des dialogues de Platon, en introduisant la division en différents types d'interprétation : éthique, logique, cosmologique, physique, théologique. C'est sa méthode de commentaire qui servira de base à celle de Proclus. Il distinguait les douze dialogues platoniciens en deux cycles (la "canne de Jacques") : le premier cycle comprenait des dialogues sur des problèmes éthiques, logiques et physiques, le second - les dialogues platoniciens plus complexes, qui étaient étudiés dans les écoles néo-platoniciennes aux derniers stades de l'éducation ("Timée", "Parménide" - dialogues sur des problèmes théologiques et cosmologiques). L'influence de Jamblique sur l'école athénienne de néo-platonisme est extrêmement grande.

(12) Proclus. Commentaire sur la République. Trad. par A.J. Festugière. Op. cit. P. 23-27.

(13) Proclus. Commentaire sur la République. Trad. par A.J. Festugière. Op. cit. P. 27

(14) Proclus. Commentaire sur la République. Trad. par A.J. Festugière. Op. cit. P. 26.

(15) Platon. L'État/Plato. Œuvres en quatre volumes. Volume 3. Part 1, St. Petersburg : St. Petersburg University Press ; Oleg Abyshko Publishing, 2007.

(16) Marin. Proclus, ou sur le bonheur / Diogène Laërce. Sur la vie, les doctrines et les dires du célèbre philosophe. M. : Thought, 1986. С. 441-454.

mercredi, 14 septembre 2022

Post-politique vs. politique existentielle

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Post-politique vs. politique existentielle

Darya Platonova Douguina

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/post-politics-vs-existential-politics?fbclid=IwAR2JunF6yn5IUsupqgrlyBzbclznJcOqVCWNtCvSvYpaVxKxi0DOFemrUB0

Le 20ème siècle a été un siècle de rivalité entre trois idéologies. Certaines ont réussi à régner pendant plusieurs siècles (le libéralisme), d'autres pendant des décennies ou seulement quelques années (le communisme et le national-socialisme). Mais leur disparition nous semble évidente. Ces trois idéologies, filles de la philosophie des Temps Modernes, ont quitté l'espace de la politique. L'ère de la modernité a pris fin.

La fin de l'ère de la modernité

La mort du libéralisme ne semble pas aussi évidente que celle du communisme ou du national-socialisme. Francis Fukuyama proclame "la fin de l'histoire", c'est-à-dire la fin de la rivalité entre les trois idéologies et la victoire finale de la doctrine libérale. Mais le libéralisme n'a pas encore gagné... On peut s'en rendre compte en prêtant attention à la politique aujourd'hui. Si, dans le libéralisme classique, le sujet de la politique était l'individu (sa principale vertu était la liberté au sens négatif : décrite avec précision par Helvétius, "Un homme libre est un homme qui n'est pas enchaîné, n'est pas emprisonné, n'est pas intimidé comme un esclave par la peur du châtiment..."), aujourd'hui cet individu-là n'existe plus. Le sujet du libéralisme classique est éliminé de toutes les sphères, on se méfie de sa globalité; son identité, même si elle est posée négativement, est caractérisée comme une défaillance dans le fonctionnement du système virtuel global de la modernité. Le monde est entré dans le domaine de la post-politique et du post-libéralisme.

La politique rhizomique

L'individu s'est transformé en rhizome, le contour du sujet s'est dissous en même temps que la foi en un Nouvel Âge ("Il n'y a pas eu de Nouvel Âge/de Temps Modernes !" proclame Bruno Latour, constatant dans la modernité les nombreuses contradictions et le non-respect de ses propres règles de fonctionnement - la constitution). "On est fatigué de la langue de bois", le logos de la modernité est moqué par la société liquide et fusionnelle de la postmodernité. Un nouvel acteur de la politique émerge : le post-sujet. Il pense de manière chaotique : les diapositives se succèdent dans sa tête à la vitesse de la lumière, interférant avec les stratégies classiques de pensée logique. La nouvelle pensée est celle d'un têtu chaotique, la pensée glitch. La politique se transforme en un pays des merveilles dans lequel l'acteur-Alice tantôt augmente, tantôt diminue dans le schéma psychédélique de la nouvelle post-rationalité.

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La gauche et la droite contemporaines sont un exemple de ce schéma. La récente coalition de la gauche et de la droite contre le Rassemblement National en France après le premier tour des élections régionales a montré la fin du modèle politique de la modernité. Nous assistons à la fusion des valeurs de la gauche et de la droite, désormais unies par un virus libéral d'un nouveau genre. La gauche moderne commence à flirter avec le capital, défend activement les valeurs politiques de la droite (l'écologie par exemple) et la droite prend le visage comique des faux nationalistes.

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Une caractéristique de la post-politique est le brouillage des contours de l'échelle de l'"événement". L'échelle se déplace de façon spectaculaire ("Alice grandit, Alice rétrécit"). La confrontation moderne entre le système et le terrorisme a été appelée par Baudrillard la Quatrième Guerre mondiale. Contrairement aux guerres précédentes - l'échelle mondiale 1-2, la troisième guerre mondiale - l'affrontement des deux pôles géopolitiques clés (États-Unis et URSS) - une guerre softpower, semi-médiévale, prête à devenir une guerre avec de nouvelles armes à tout moment ; la quatrième guerre mondiale - une guerre post-moderne dans laquelle l'ennemi et l'ami sont habilement imbriqués (le terrorisme devient une partie du système politique). La 4ème GM flirte avec l'échelle : sa principale caractéristique est le hasard, le chaos et l'arbitraire dans la définition de l'échelle de l'événement (le micro-narratif devient l'événement, les macro-narratifs sont ignorés). Un acte terroriste occupe une petite surface : un bâtiment, un couloir, quelques pièces ou quelques terrasses (micro-narration). Mais son importance est aussi grande que la bataille de Stalingrad (macro-narration).

Dans les guerres classiques, il existait des points de référence auxquels nous pouvions rattacher l'événement et sa signification. Dans le monde politique moderne, il n'y a pas de points de référence : c'est comme Alice au pays des merveilles. Il diminue, puis augmente, mais sa croissance "normale, idéale" est impossible à identifier (le chaos décrit par Deleuze dans La logique du sens). La logique du politique est abolie.

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Les attentats terroristes (130 morts - Paris, vendredi 13 novembre 2015) ébranlent le "politique" plus que les guerres à grande échelle (Syrie). Cela montre que le monde entre dans une nouvelle phase : celle de la politique rhizomique. Pour comprendre la politique contemporaine, nous devons apprendre à penser en termes rhizomiques. Absorber le chaos.

La post-politique est un monde de technologie politique, 5 secondes de gauche, socialiste - 5 secondes de droite, républicain. L'identité change avec le clic d'une télécommande de télévision, la technologie. (Seule la question se pose : qui contrôle la télécommande, qui décide de changer la diapositive). Dans les termes de Martin Heidegger, la force principale de la post-politique moderne : la Machenschaft und Technè.

Une alternative à la politique rhizomique dans une situation où les idéologies sont mortes

Les écrits de Heidegger offrent une perspective particulière sur l'organisation du politique. Dans la société occidentale libérale, l'œuvre de Heidegger et surtout sa philosophie politique (qui ne nous est pas livrée explicitement) n'ont pas été suffisamment explorées. En règle générale, l'étude de la philosophie politique de Heidegger se réduit à une tentative de trouver chez le philosophe une apologie du fascisme et de l'antisémitisme (un exemple en est la réaction de la communauté philosophique à la récente publication des Cahiers noirs, particulièrement éloquente de la part de l'historien français de la philosophie Emmanuel Faye). Une telle interprétation ignore la dimension métaphysique de la philosophie de Heidegger et semble inutilement superficielle et déformer l'enseignement de Heidegger.

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Martin Heidegger ne peut être interprété dans le contexte d'aucune théorie politique du 20ème siècle. Sa critique de la Machenschaft ne s'applique pas seulement aux Juifs (et non pas sur un principe biologique, mais métaphysique), mais aussi, dans une bien plus large mesure, au national-socialisme. En ce sens, nous pouvons dire que Heidegger représente une critique fondamentale du national-socialisme, dans lequel il voit des manifestations de la Machenschaft (par opposition au national-socialisme "spirituel", authentique - qui, selon Heidegger, ne s'est pas réalisé sous le régime d'Hitler).

Heidegger reconnaît une crise profonde des systèmes politiques. Appliquant l'histoire de l'être à l'histoire du politique, la politique apparaît comme un processus d'oubli progressif de l'être et d'approche de l'être. Le politique moderne n'a pas de dimension existentielle, il existe de manière inauthentique. Politique et ontologie sont inséparables, Platon l'avait déjà souligné dans la République en introduisant l'homologie entre le politique et l'ontologique ("la justice dans l'âme est la même que la justice dans l'État").

En appliquant la Fundamentalontologie au domaine du politique, nous pouvons suggérer que le politique peut exister de manière authentique et inauthentique. L'existence authentique de l'homme politique est son engagement envers l'être, l'inauthentique est sa préoccupation excessive de l'être, son oubli de l'être. L'état dans lequel l'homme politique devient authentiquement existentiel est hiérarchique. L'ontologique se tient au-dessus de l'ontique. L'authentique au-dessus de l'inauthentique. Les types de domination se situent sur une ligne verticale stricte : de la Machenschaft à la Herrschaft.

Dans la situation actuelle de crise du "politique", la politique existentielle mérite une attention particulière et nous semble une véritable alternative à la politique rhizomique. Elle nécessite une étude approfondie et un développement plus poussé.

 

jeudi, 08 septembre 2022

Pour le bien de la cause. Une exhortation à la lutte pour une civilisation multipolaire - In memoriam de Darya Dugina

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Pour le bien de la cause. Une exhortation à la lutte pour une civilisation multipolaire

In memoriam de Darya Dugina

René-Henri Manusardi

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/il-bene-della-causa-una-esortazione-alla-lotta-la-civilta-multipolare-memoriam-di-darya

"Cette guerre spirituelle contre le monde postmoderne me donne la force de vivre. Je sais que je lutte contre l'hégémonie du mal pour la vérité de la Tradition éternelle". Darya Dugina

Les racines d'une continuité idéale

L'adhésion à la pensée politique d'Alexandre Douguine est la conséquence cohérente et l'accomplissement actuel de la voie politique lancée jadis en Italie par l'Ordinovisme, qui depuis ses origines a fait de la Tradition, de la structure métapolitique impériale et de la pensée de Julius Evola ses fondements. Dans une vision du monde qui, déjà dans les années 1950, dépassait le mythe du sang du national-socialisme et la conception fasciste de l'État, pour donner un nouveau visage à l'idée impériale en tant que vaste réalité géopolitique naturelle et sacrée, portée par une confédération de peuples et d'ethnies.

C'est une réalité qui, au fond, est déjà née historiquement et militairement pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l'adhésion de nombreux jeunes d'Europe et d'Asie aux forces armées allemandes (Wehrmacht et Waffen SS) en tant qu'identité guerrière supranationale et multiethnique avec une fonction principalement anticommuniste ou, comme dans le cas des unités combattantes sur la base du volontariat de la RSI, avec un rôle fortement anti-ploutocratique et anticapitaliste.

Par conséquent, accuser aujourd'hui cette partie historiquement pertinente de l'espace politique national-populaire en Europe - vulgairement et injustement appelée "droite" - de traîtresse aux valeurs européennes, parce qu'elle a ouvertement soutenu Poutine et l'opération militaire spéciale russe, considérée comme un affrontement entre le nouvel ordre mondial unipolaire et une nouvelle civilisation d'empires multipolaires, revient à ne connaître ni son histoire ni son parcours politique. C'est aussi être relégué à une ignorance de l'actualité géopolitique ancrée dans des schémas obsolètes ou être confiné à l'utopie d'un tiers-positionnisme anti-historique de type euclidien, toujours plus élucubrant, et toujours aussi incapable de résoudre la quadrature du cercle.

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Seule la tradition génère le rebelle

"Quelque chose d'autre apparaît dans la Modernité: un individu hybride. Pas un héros, un aristocrate, un prêtre-guerrier qui a une relation personnelle avec la mort. Ni un cultivateur de blé, ni un paysan, ni un groupe ethnique, avec un Ancêtre collectif et une identité communautaire. Le bourgeois est un mutant, un croisement entre un guerrier lâche, un chevalier avide et un paysan paresseux et effronté. C'est l'archétype du laquais. L'individu est un bâtard. Au début, ce bâtard a détruit l'Empire, l'Église et les communautés rurales et, sous la forme du Tiers-État, a créé une nation. Une nation est une agglomération d'individus, de bourgeois abâtardis, de vils marchands. Par conséquent, dans une telle optique, le nationalisme est toujours une abomination. Il repose sur les considérations suivantes: "j'ai peur de me battre et je ne travaillerai pas; je vais spéculer et faire du commerce". Une nation n'est pas un groupe ethnique, ce n'est pas un peuple, ce n'est pas une société archaïque, ce n'est pas une société traditionnelle, ce n'est pas une aristocratie. C'est la modernité" (Aleksandr Douguine).

Ce qu'Alexandre Douguine dit de l'élite russe actuelle qui souffre d" l'occidentalisme, nous pouvons également le comprendre pour notre propre zone nationale-populaire. Suivre la Tradition est en fait un choix douloureux car il implique de désembrigader nos habitudes consuméristes et de quitter nos pseudo-valeurs en tant que victimes du capitalisme occidental.

Nous sommes tous pour la Tradition, en paroles, en actes, mais beaucoup d'entre nous restent dans leur coquille bourgeoise et en viennent même à vous dire, avec conviction, "que la métapolitique ne nourrit pas les Italiens et ne permet pas de joindre les deux bouts". Sauf qu'ils vivent et continuent de vivre sous les diktats de la métapolitique consumériste et transhumaniste de ceux qui nous gouvernent depuis 1789. Mais cela leur convient, cachés dans les canaux multimédias des médias sociaux comme des lions du clavier, dans les méandres de la Mamma RAI, de Mediaset, de Sky, etc., ils deviennent ensuite des moutons dans l'isoloir, car le "recpours aux forêts" est une utopie pour eux, tandis qu'eux-mêmes continuent à vivre dans cette utopie mortifère du totalitarisme libéral qui détruit l'Europe de nos Pères.

Je pense que beaucoup parmi ceux qui ont préféré le carriérisme politique confortable à la rébellion systématique ont été corrompus par le désir de tranquillité humaine et d'épanouissement personnel - choses légitimes pour le commun des mortels -, mais la plus grande douleur pour moi est de me rendre compte que certains parmi ceux qui partagent les mêmes idées, naturellement structurés dans le canon de l'hymnatisme héroïque évolien, avec immolation sanglante ou non sur les barricades de l'Histoire et avec celle encore plus éprouvante par le sacrifice quotidien et l'anonymat militant qui fait l'humus d'une mouvance, ont préféré les feux de la rampe, l'argent facile, la trahison continue et constante de leurs propres idéaux.

À ceux-ci s'ajoutent - selon les mots de Maurizio Murelli - ceux qui sont soi-disant troublés parce qu'ils ne peuvent pas partagé le pouvoir politique et qui, déçus par ce manque d'épanouissement personnel, continuent à se revendiquer d'une belle pureté révolutionnaire et s'obstinent à vivre dans le passé, incapables de saisir les méandres et les nouveaux horizons de la Tradition purifiée par les idéologies folles du XXe siècle, filles de la première guerre civile européenne, de l'échec du parlementarisme démocratique du premier après-guerre et proposent cet "Homme Nouveau" qui sans Tradition n'est qu'un monstre totalitaire.

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Hommage à Daria Douguina à Nice.

Que pouvons-nous dire, finalement, de tous, des premiers et des seconds? ... si ce n'est qu'ils étaient avec nous mais ne sont pas des nôtres... seule la Tradition engendre le Rebelle et les rebelles ne se battent que pour le retour à l'Ordre divin comme le Roi Arthur et pour la Justice sociale comme Robin des Bois dans le recours aux forêts, tertium non datur...

Au cœur de la lutte

"En tant que traditionaliste (c'est-à-dire fondant ma compréhension du monde sur les œuvres de René Guénon et de Julius Evola), l'Empire, l'idée d'Empire, me semble la forme positive et sacrée de l'État traditionnel. Au contraire, je crois que le nationalisme n'est qu'une tendance idéologique de la modernité, subversive, séculière, dirigée contre l'unité qu'est l'ordre supranational de l'Empire dans sa forme œcuménique. En revanche, en tant que Russe, l'Empire me semble le mode de souveraineté le plus adapté à mon peuple et à ses frères européens, le plus naturel au fond. Peut-être que nous, les Russes, sommes le dernier peuple impérial du monde. C'est parce que l'idée d'un peuple est étroitement liée à l'idée d'un empire. Lorsque nous disons 'les Russes', nous voulons généralement dire 'notre peuple' et inclure la grande multitude de peuples qui habitent nos terres et partagent avec nous l'immense espace géopolitique qu'est la Russie" (Aleksandr Douguine).

Je crois que la Weltanschauung de Douguine est la plus appropriée pour jeter les bases non pas tant d'une lutte "anti-système", un nom désormais métapolitiquement obsolète, mais d'un nouveau monde multipolaire. A mon humble avis, jamais la critique du libéralisme n'a touché des profondeurs aussi abyssales de démasquage épistémologique, méthodologique et technologique qu'avec Douguine, qui est un puits d'intuitions continuelles à cet égard. La guerre de propagande que l'élite mondiale de Davos mène depuis des années contre Alexandre Douguine, contre le mouvement eurasiste et contre la vision multipolaire semble enfin avoir atteint une symétrie des forces inimaginable auparavant. Cette nouvelle phase de rééquilibrage de la guerre psychologique au sens symétrique a été mise en œuvre et accélérée de manière décisive par l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, ainsi que par l'opinion non conforme que, par le biais des médias sociaux, de nombreux citoyens se sont forgée à son sujet, contournant la pensée unique des médias et le ridicule d'une propagande souvent si fausse qu'elle a jeté le discrédit le plus total sur le courant dominant lui-même - avec ses agences d'information téléguidées par l'OTAN et les services de renseignement occidentaux.

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L'équation des médias consistant à établir, afin de la discréditer, une continuité entre les "no vax" et les pro-russes n'a servi à rien. Ce parallèle n'a fait que mettre davantage en évidence le fait que dans notre pays, il existe désormais une conscience populaire répandue - et un pourcentage très élevé de personnes opposées à la participation de l'Italie à l'incitation à la guerre en cours le prouve - qui perçoit clairement que le pouvoir politique ne suit plus qu'une direction non plus tant cachée qu'éhontée. Une direction dans laquelle l'influence du pouvoir financier et pragmatique des multinationales s'ajoute au pouvoir stratégique, réel et effectif des nouveaux maîtres du monde, adeptes de la fin de l'histoire, finis storiae, transhumanistes et gros bonnets de Davos.

Toutefois, cette guerre de propagande a connu deux phases précédentes, totalement asymétriques et au détriment de la vision multipolaire antagoniste à la pensée unique et au politiquement correct, propre de l'unipolarisme piloté par les États-Unis. Comme Rainaldo Graziani l'a récemment expliqué à quelques sympathisants de la Communauté organique du Destin présents à la "Cour du Brut" (en Lombardie), les deux asymétries précédentes concernaient, la première, le silence de la presse, aussi muette qu'une pierre tombale, sur le mouvement eurasiste multipolaire et son leader mondial, la seconde, la propagande mensongère des médias à son encontre, truffée d'erreurs, de calomnies, de déviations et de diabolisation de l'ennemi. De cette façon, la vaste profondeur humaine, culturelle et scientifique d'Alexandre Douguine a été réduite et exorcisée, pour en faire une caricature, celle d'un nouveau Raspoutine du Kremlin.

Dans l'équilibre actuel de la guerre psychologique symétrique, certes plus qualitative que quantitative entre unipolarisme et vision multipolaire, si, selon les mots de Douguine, l'idée de "Grand Réveil", opposée à celle de la Grande Réinitialisation imposée par Davos, est encore largement une  grandiose aspiration populaire plutôt qu'une réalisation politique concrète, le "Que faire ?" reste à comprendre concrètement. C'est-à-dire, quel est concrètement cet élément d'actualité, cet amadou, ce silex capable de déclencher l'étincelle du changement de Weltanschauung, de la tension métapolitique, de la réalisation pratique micro-sociale capable de propulser ensuite le changement macro-social ?

Si pour Evola la révolte contre le monde moderne passait par l'acte de "chevaucher le tigre", par l'individu absolu, si pour Douguine la révolte contre le monde postmoderne passe par l'avènement du sujet radical qui incarne en lui la Tradition sans la Tradition pour construire la réalité concrète et non idéologique de l'Idée impériale, il s'ensuit que - du moins pour notre chère Europe - l'agrégation dans la Tradition doit nécessairement se faire entre "semblables" et doit absolument passer par l'édification conséquente au niveau métapolitique et socio-économique de "Communautés organiques de destin". Le sens du "travail social missionnaire", partant à la recherche de personnes partageant les mêmes idées, afin de les convaincre du bien-fondé de la lutte multipolaire et de les inciter à créer ou à rejoindre les "Communautés Organiques du Destin", représente à notre humble avis le point de départ de la politique organisationnelle micro-sociale des prochaines années, une politique capable de réactiver le tissu de solidarité et de camaraderie à travers l'agrégation sociale et la lutte culturelle contre le nouvel ordre mondial imposé par l'impérialisme occidental et en faveur d'une vision réaliste impérialiste multipolaire.

La purification de cette phase totalitaire du libéralisme doit être radicale et sans compromis : par exemple, retour à la terre, à la nature, à la solidité des relations face à face et non strictement virtuelles, déconditionnement du tsunami multimédia et transhumaniste qui submerge et tue nos âmes, et bien plus encore. Par conséquent, nous ne devons pas seulement être des hommes se tenant au milieu d'un monde de ruines, mais nous devons commencer à devenir des bâtisseurs de cathédrales, en particulier la cathédrale intérieure et celle des "Communautés organiques du destin".

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Le Grand Réveil : une bataille pour la liberté des civilisations contre le Nouvel Ordre Mondial

"L'Occident croit que son parcours historique est un modèle pour toutes les autres civilisations destinées à suivre exactement la même direction. C'est son racisme de civilisation, sa culture raciste. Cette approche a conduit l'Occident dans une impasse, dans un labyrinthe de nihilisme et d'anti-humanisme. L'Occident, croyant être fermement engagé sur la voie du progrès, a détruit la famille, légalisé tous les vices possibles, et abandonné la religion, la tradition et l'art qui incarnaient sa volonté vers le sublime et l'idéal. Il est englué dans la matière, dans l'argent, dans la technologie, dans le mensonge. Et il appelle cyniquement cette dégénérescence,  "développement" et "progrès". En écartant la modernité occidentale, il nous reste une Tradition commune dans ses racines chez les Romains et les Grecs, chez les premiers chrétiens, dans le contexte du premier empire chrétien, dont nous avons conservé la loyauté plus longtemps que d'autres, luttant contre la "modernité"" (Aleksandr Douguine).

Aujourd'hui, par "camarades", on entend tous les adhérents des "Communautés organiques du destin", issus pour la plupart de l'Ordinovisme et d'autres franges de l'espace idéologico-culturel national-populaire, qui ont fait leur la vocation eurasiste de la Tradition multipolaire des civilisations et des peuples, telle que proposée par la philosophie métapolitique d'Alexandre Douguine. D'où une nouvelle camaraderie militante élargie à toutes les réalités désireuses de lutter contre le totalitarisme libéral, aux organisations de même sensibilité nées pour lutter contre l'unipolarisme piloté par les États-Unis, qui utilise tous les moyens légaux et illégaux pour mettre en œuvre dans le monde entier : la pensée unique, le politiquement correct, le fantasme de la fin de l'histoire (finis Storiae), le grand Reset, le transhumanisme, l'anéantissement de ce qui est social et sain dans l'être humain qui existe encore.

Cependant, tout l'espace idéologique nationale-populaire n'adhère pas ou n'est pas favorable à ce projet de Grand Réveil. Il y a ceux qui ont trop payé en termes judiciaires et qui ont dit "Stop!" à tout autre militantisme susceptible de recréer un climat de judiciarisme russophobe de la part de l'exécutif et du judiciaire ; ceux qui, par contre, tout en restant fortement anticommunistes, sont incapables de dissocier l'Histoire de la Russie de son passé bolchevique ; ceux qui vivent encore dans l'utopie du racisme blanc qui doit lutter contre l'invasion multiraciale de l'Est et promouvoir une Europe aryenne ; ceux qui finalement ne prennent pas position afin de ne pas détruire les relations sociales que la mouvance a construites laborieusement au fil des ans et qui craignent maintenant l'isolement social. Si tels sont les faits, le plus grave pour ces Amis est qu'ils ont été distancés par l'horloge de l'Histoire et qu'ils pensent lire les événements actuels avec les paramètres du 20ème siècle : ceux du Ventennio fasciste ou des "mille ans" de l'hitlérisme, ceux de la Guerre froide ou ceux de l'alliance USA/Russie visant à la destruction totale de l'Europe.

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Aujourd'hui, le front de la Lutte a changé et apparaît de plus en plus dans sa véritable forme comme une lutte spirituelle entre la Tradition et l'Anti-Tradition, entre la Civilisation résiduelle et l'Anti-Civilisation, entre le Katechon et l'Antéchrist, et l'attaque directe contre l'être humain dans sa dimension individuelle, familiale et sociale naturelle le démontre amplement, à un moment où nous verrons bientôt émerger une légalisation favorable à la pédophilie, après qu'elle ait déjà été innocentée d'un point de vue médico-psychiatrique où elle n'est plus qu'une légère perversion à tendance sexuelle.

Pour ces raisons, nous exhortons nos Amis à être forts, à avoir le courage d'embrasser cette Lutte, qui n'est même plus un choix métapolitique mais une guerre spirituelle urgente. Qu'ils sachent regarder en eux-mêmes - comme le postulait Julius Evola - pour voir s'il y a en eux cet innéisme aristocratique, cet ADN de l'Arya, cet élan des clans héroïques indo-européens, sur lequel greffer l'appel avec lequel aujourd'hui le divin, le Très Haut, nous enjoint à passer à l'acte dans ce crépuscule apocalyptique où tout n'est pas encore perdu, car c'est l'homme qui offre son épée, mais c'est Dieu qui accorde la victoire.

Consolider les relations entre les personnes libres et reconstruire les relations sociales en "communautés de destin organiques" inspirées par la camaraderie est le seul avenir possible pour la grandeur d'un nouvel Empire confédéré européen. Se tourner vers le passé pour trouver les racines spirituelles de la lignée, vivre dans le présent sa puissance atavique et la projeter dans le futur vers les générations à venir. C'est l'essence, c'est le pouvoir, c'est la vision du monde des castes des Indo-Européens : un monde de prêtres, de guerriers, d'artisans et de paysans. Trois en un et un en trois à la ressemblance de Dieu. Tous pour un et Un pour tous. "La vision du monde ne repose pas sur des livres, mais sur une forme et une sensibilité intérieures ayant un caractère non pas acquis mais inné" (J. Evola Intellectualisme et Weltanschauung).

La "Communauté organique de destin" peut rester une simple utopie de la "Quatrième théorie politique multipolaire" et l'Empire un mirage de celle-ci, si l'on ne devient pas à toutes fins utiles "Tous pour un, Un pour tous !", sans se lasser. Par exemple, la "Communauté organique du Destin", présente à la "Cour du Brut" (Lombardie), avec ses activités philosophiques, artistiques, culturelles et de sciences humaines, est aujourd'hui l'équivalent d'un petit monastère bénédictin du début du Moyen Âge. Elle représente cette bonne graine, cet humus, ce sol fertile, ce laboratoire spirituel qui a patiemment contribué au cours des siècles à la naissance du Saint Empire romain germanique des peuples d'Europe qui a déjà été et sera à nouveau établi, dans la perspective d'un nouveau monde multipolaire structuré en civilisations souveraines, indépendantes et enfin libres de l'agression du mondialisme unipolaire dans la traction des États-Unis et de l'OTAN.

Pour le bien de la Cause, dans l'attente de l'Eveil

"Aux yeux des mondialistes, les autres civilisations, cultures et sociétés traditionnelles doivent également être démantelées, reformatées et transformées en une masse cosmopolite mondiale indifférenciée et, dans un avenir proche, être remplacées par de nouvelles formes de vie, des organismes post-humains, des mécanismes ou des êtres hybrides. Par conséquent, le renouveau impérial de la Russie est appelé à être le signal d'une révolte universelle des peuples et des cultures contre les élites libérales mondialistes. En renaissant en tant qu'empire, en tant qu'empire orthodoxe, la Russie donnera l'exemple aux autres empires : chinois, turc, perse, arabe, indien, ainsi que latino-américain, africain... et européen. Au lieu de la domination d'un seul "empire" mondialiste, celui de la Grande Réinitialisation, le réveil russe devrait être le début d'une ère de nombreux empires, reflétant et incarnant la richesse des cultures, traditions, religions et systèmes de valeurs humains" (Alexandr Douguine).

Je pense sincèrement qu'en Italie - avec la montée au ciel de Darya Douguina - l'art, la culture, les initiatives éditoriales et les conférences sont désormais insuffisants pour affirmer la vérité de la nouvelle civilisation multipolaire promue par les "Communautés Organiques du Destin".

Ce qu'il faut, c'est un coup de reins pour ne pas disperser le mouvement eurasiste dans les méandres de la peur et de l'hésitation face à un ennemi apparemment invincible qui utilise tous les moyens licites et illicites du pouvoir pour écraser la dissidence. Une dissidence qui devra devenir une formation intégrale orientée vers une action organique et diversifiée, capable d'englober le corps, l'esprit, l'âme, les relations interpersonnelles et communautaires, mais surtout une action métapolitique fortement présente dans la sphère sociale et capable d'influencer la politique parlementaire et locale comme un grand think tank pour avoir un écho dans les médias, étant donné que nous sommes entrés dans une phase de lutte plus virulente et impitoyable.

Au-delà de la proximité consciencieuse et de l'affection sans bornes que l'on doit à Alexandre Douguine pour la perte de sa fille bien-aimée Darya, ce n'est cependant pas le moment de se lamenter, de se plaindre, de dire qu'ils ont tué arbitrairement idées et personnes pures, de dire aussi que tuer des philosophes, des artistes est la pire des choses. Ces perversions, tout pouvoir injuste les a toujours commises. À quoi servent donc les lamentations ? A quoi bon l'affliction alors ? Seulement pour dénaturer l'esprit de la lutte contre le pouvoir mondial illégitime et pervers, pervertissant.

La mort de Darya ne fait qu'ouvrir notre conscience et l'éclairer de la vérité et de la réalité, nous sortons de notre sommeil consumériste et social en découvrant l'amère vérité que seuls quelques-uns d'entre nous étaient déjà capables de saisir et de vivre au plus profond d'eux-mêmes : nous sommes en guerre ! Une guerre totale ! Alors réveillons-nous, déclenchons par nos vies et par nos efforts organisés le Grand Réveil de la Tradition contre la Grande Réinitialisation transhumaniste des seigneurs de l'or de Davos. Si l'adage selon lequel "celui qui sème le vent récolte la tempête" est vrai, semons sans crainte le vent de la vérité et nous récolterons sûrement la tempête que l'ennemi mondialiste soufflera contre nous. Mais n'ayons pas peur, car il vaut mieux vivre un jour comme un lion que cent ans comme une brebis, il vaut mieux mourir dans cette guerre, dans cette lutte, dans ces batailles quotidiennes que de mourir dans un lit de vieillards et à la fin de nos jours terrestres en regrettant et en pleurant d'avoir vécu une vie d'esclavage. Darya nous enseigne la Voie, Dieu nous accordera la Victoire. Avec l'aide de Dieu, que Darya nous bénisse d'en haut et donne l'intrépidité aux forts, le courage aux hésitants et la volonté aux agités.

mercredi, 07 septembre 2022

Deux réactions polonaises à l'assassinat de Daria Douguina

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Deux réactions polonaises à l'assassinat de Daria Douguina

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Sur les réactions polonaises et occidentales à la mort de Daria Douguina

Ronald Lasecki

Source: https://www.geopolitika.ru/pl/article/o-reakcjach-na-smierc-darii-dugin

Daria Dugin était une militante de l'Anti-Système, et donc son assassinat est une frappe contre l'Anti-Système, très précisément. Si l'on s'en réjouit, si l'on "exprime sa compréhension" ou si l'on adopte simplement une position ambivalente, cela signifie que l'on n'a rien à voir avec l'antisystème.

Du point de vue de l'antisystème (donc aussi du mien), une telle personne, qui relativise ou tergiverse, est un ennemi politique, quelles que soient les fascinations idéologiques ou historiques qu'elle peut invoquer.  Je ne me prononce pas sur les auteurs de ces actes, car nous ne les connaissons pas encore. Le FSB affirme qu'ils sont ukrainiens. Il sera intéressant de voir si l'agence russe attrape les coupables, ou si cela ressemblera au meurtre de Bohdan Piasecki.

La réaction de l'opinion publique polonaise montre le vrai visage de la civilisation latine/occidentale, dont les idéologues tentent de la présenter comme le couronnement de l'humanité, alors qu'il s'agit en fait d'un cloaque moral dégoûtant, car quelle est la joie à manifester face à la mort d'une jeune femme qui devrait être une épouse et une mère, une nourricière au foyer, mais qui a été déchiquetée dans une attaque terroriste ?

Ce qui précède devrait également s'appliquer à la dégénérescence morale incontestable de la nation polonaise ; aujourd'hui, le sens que se donnent les Polonais est une haine raciste des Russes, qui prend la forme d'une monomanie psychotique et est indifférente à toute considération éthique. La responsabilité directe de cette situation incombe au PiS en tant que force dirigeante, sous le règne duquel cette haine morbide a atteint un niveau véritablement grotesque. Le problème, cependant, est plus vaste et concerne la déformation de l'ensemble de l'idéo-matrice polonaise - les raisons de cet état de fait, je les ai indiquées dans mon ancienne interview avec M. Oleg Hawicz.

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Cependant, le problème est peut-être encore plus universel. J'ai récemment lu le livre de Jared Diamond, Upheaval : How Nations Cope with Crisis and Change (j'essaierai d'en rédiger une critique dans les prochains jours). L'auteur y analyse, entre autres, les phénomènes générateurs de crise dans la vie publique américaine. Parmi ceux-ci, il mentionne la disparition de la capacité de compromis. Il illustre cela, entre autres, avec les exemples de l'administration Reagan, qui était capable de coopération politique avec la majorité démocratique du Congrès, et de la situation contemporaine, dans laquelle le conflit politique devient de plus en plus un conflit à somme nulle, dans lequel les adversaires n'ont que de la haine l'un pour l'autre. Il y a d'autres exemples dans le livre, d'ailleurs, et ils concernent, par exemple, la "sauvagerie" des relations dans la communauté scientifique.

En lisant ce chapitre, la pensée m'a traversé l'esprit qu'au lieu de quelques faits géopolitiques, économiques, militaires ou civilisationnels "durs" (nombre de brevets, prix Nobel ou quelque chose comme ça), ce que j'ai obtenu était "le discours d'un vieil homme sentimental et enfantin". Mais il y a probablement quelque chose à dire, comme en témoignent les commentaires susmentionnés des Polonais sur le coup d'État. Les auteurs de ces commentaires sont aussi bien des sociaux-démocrates que des progressistes de gauche (le manque de moralité ne me surprend pas du tout - Remigiusz Okraska, par exemple, a récemment soutenu le largage de bombes atomiques sur le Japon et le bombardement en tapis de Dresde par les Britanniques et les Américains), des catholiques de droite conservateurs (dans l'ensemble, cela ne me surprend pas non plus), des va-nu-pieds (qui essaient juste de faire de la lèche au Système), et aussi des personnes qui, semble-t-il, gardent une certaine distance émotionnelle.

Il est clair, pour toute personne normale, que dans les guerres, les gens s'entretuent en combattant avec des armes. Parfois, bien sûr, des civils, des femmes, sont également tués accidentellement. Lorsqu'ils meurent de façon non accidentelle, c'est un crime et un déshonneur pour les tueurs.

Daria Douguina était, pourrait-on dire, une combattante de la parole et de la plume. Elle s'est battue par la parole et la pensée, d'une manière qui n'est pas en contradiction avec la dignité d'une femme. Nous n'avons aucune preuve qu'elle ait combattu avec des armes ou qu'elle ait physiquement blessé quelqu'un, il serait donc inutile de discuter de telles éventualités. Si, par contre, elle se battait avec des mots, sur le front de la "guerre de l'information", ou était une "propagandiste" comme d'autres le disent, alors une réponse adéquate serait de la combattre précisément sur son propre front, celui des idées, de l'information et de la propagande.

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Tuer dans une attaque terroriste va clairement au-delà de ce "compromis" civilisationnel non écrit, selon lequel nous tuons ceux qui tuent et non ceux qui donnent des conférences ou produisent des émissions à la télévision, et nous n'utilisons pas du tout la violence armée contre les femmes. Et il est sans importance que Douguine lui-même, et non sa fille, ait été prétendument visé dans la tentative d'assassinat, car nous ne parlons pas des assassins (nous ne savons encore rien d'eux), mais de la réaction des Polonais à cette mort (une réaction de joie malveillante). Et si l'on voulait invoquer les mots de Douguine sur la "justice historique immanente" après la catastrophe de Smolensk, la comparaison serait également déplacée, car Lech Kaczynski était un homme politique actif, un chef d'État, et de plus, il est mort dans un accident et non dans une attaque terroriste. Daria Dougina, en revanche, était une civile et elle a été assassinée.

Cette dérogation au "compromis" civilisationnel non écrit selon lequel ceux qui se battent avec des mots et des stylos sont combattus avec des mots et des stylos et non avec des kalachnikovs, des bombes ou des drones n'est caractéristique que de la civilisation latine/occidentale. Le patriarche Kirill a présenté ses condoléances à Douguine. Un beau commentaire, plein de références aux valeurs familiales et au christianisme, a été écrit par Maria Zakharova. Au contraire, les sommités du conservatisme catholique en Pologne sautent de joie et applaudissent (bien qu'ils ne sachent pas encore qui).

Autrefois, il était clair qu'au-dessus des conflits politiques, il y avait un niveau de dialogue plus fondamental "tout humain". Le chef de l'opposition pouvait se battre contre le chef du gouvernement, mais en coulisses, ils pouvaient discuter de manière amicale. Les chevaliers pouvaient cesser de se battre du mercredi au dimanche. Les écrivains nationalistes pouvaient se rencontrer après la guerre lors de célébrations d'anniversaire ou aller boire une bière ensemble (un cas authentique de jeunes nationalistes croates et serbes que je connais ces dernières années).

L'homme de l'Occident d'aujourd'hui, cependant, mène une guerre totale contre tout ce qui ne fait pas partie de cet Occident, détruisant tout terrain commun de dialogue et d'éthique. C'est pourquoi la Pologne a coupé tout contact avec la Russie, bloque les médias russes et tente d'éradiquer toute connaissance de la langue russe, de sorte que personne ne puisse non seulement parler aux Russes, mais même les écouter ou les lire. C'est pourquoi l'IPN et les nationalistes qu'il a suscités creusent une tranchée de haine dans nos relations avec la Biélorussie, alimentant le culte de "Bury" à Hajnówka. C'est pourquoi les Polonais se réjouissent maintenant de la mort d'une jeune femme, simplement parce qu'elle était russe et fille d'un penseur diabolisé en Pologne.

Jared Diamond, cité plus haut, voit les raisons de la disparition de la culture du dialogue et du compromis dans la disparition des contacts interpersonnels directs, entre autres en raison de l'expansion des médias sociaux, qui, en donnant (illusoirement - du moins dans les relations avec le Système) le sentiment d'anonymat et d'impunité, ouvrent un espace pour l'escalade dans l'agression, créent les conditions pour déshumaniser l'adversaire, le retirant de l'espace éthique commun, au sein duquel nous réglons les relations mutuelles selon des droits et des devoirs spécifiques.

Ce n'est donc probablement pas une coïncidence si les Facebook et Twitter polonais ressemblent à ce qu'ils sont aujourd'hui (dans un statut, j'ai lu que Douguina était "une force vivante de l'adversaire qui devrait être anéantie" - c'est ainsi que les gens sont déshumanisés "de l'autre côté"). En manipulant habilement la censure et les algorithmes d'affichage, les campagnes de haine peuvent être efficacement filmées dans ces médias, ou plutôt, on peut simplement les laisser se développer spontanément, librement. (Nota bene, cela me rappelle un des épisodes de la série "Black Mirror", où le protagoniste, habillé par le Système d'un costume spécial et de lunettes, voyait dans les adversaires qu'il tuait des "orcs" dégoûtants, alors qu'en réalité il s'agissait de personnes normales, seulement celles de la "sous-classe" exclue par le Système).

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Je ne prétends pas que l'Occident a délibérément conçu les médias sociaux pour provoquer une atomisation sociale et une atrophie morale. Je soutiens que les médias sociaux sont occidentaux et que, dans la pratique, ils mènent à cela. La civilisation occidentale est donc un cloaque moral. La Pologne, en tant qu'état transformé par l'occidentalisation mimétique, en est la victime la plus grotesque. Nous en avons maintenant la preuve évidente.

Ronald Lasecki

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Daria Douguina-Platonova (1992-2022)

Konrad Rekas

Source: https://www.geopolitika.ru/pl/article/daria-dugina-platonowa-1992-2022

L'association de l'assassinat de Daria Douguina-Platonova avec le meurtre de Bohdan Piasecki est autoréflexive pour tout Polonais conscient. La punition du père par la mort de l'enfant, de l'héritier, a le caractère d'une vengeance biblique, voire rituelle, plus cruelle encore que de poignarder directement le parent. Et pourtant, on peut douter que ce fut la seule intention des assassins. Daria avait toutes les caractéristiques pour être une bonne cible. Elle n'était pas seulement ( ?) "la fille de Douguine", mais l'un des esprits les plus remarquables du slavisme contemporain, une personne au potentiel énorme, bien au-delà de l'héritage historique d'Alexandre Douguine et de l'eurasisme, noble cause, mais ghettoïsée après tout.

Une personnalité indépendante

Il ne sert pas à grand-chose d'essayer de deviner qui furent les auteurs de cet attentat aujourd'hui ; de plus, même l'exécution de ceux qui posent directement la bombe ne conduit pas nécessairement à l'identification des donneurs d'ordre. Ce dont nous sommes sûrs, en revanche, c'est que Daria était considérée comme une véritable menace par les puissances anglo-saxonnes. Et si une telle déclaration pouvait sembler exagérée à quiconque, ce n'était que jusqu'à la nuit du 20 au 21 août 2022.

Lorsque j'ai été interrogé par les services de sécurité britanniques, mes contacts et ma coopération avec Daria ont intéressé les agents bien plus que mes rencontres avec son père. L'œuvre d'Alexandre Douguine, la pensée eurasienne, la Quatrième théorie politique - tout cela a sans aucun doute une valeur intemporelle. Mais c'est Daria qui a construit des plates-formes viables pour la coopération internationale et l'échange d'idées, qui a soutenu le renouveau de la pensée nationale turque, qui a aidé la Moldavie, et qui s'est sentie particulièrement à l'aise dans sa France, sa destination préférée, où elle savait trouver les traces de sa gloire passée et... de sa raison. Elle-même était également sensible, pratique, honnête et sincère au point d'en souffrir. Aujourd'hui, il reste la douleur de ses proches. Car, aussi, presque aucun de ceux qui font des déclarations, commentent, échafaudent des théories, pondent des phrases et surtout expriment leur joie ne se rappelle qu'elle n'était pas seulement une fille, mais aussi une épouse. Un être humain, pas une entité politique.

Les héros vivent pour voir des monuments

Nota bene, elle était un être humain exceptionnel. Daria a soutenu son doctorat sur le platonisme à l'âge de 23 ans. Ses propres écrits et discours forment une entité distincte, s'inspirant de manière créative non seulement de la pensée d'Alexandre Douguine, mais aussi de toute la tradition humaniste d'Europe et d'Asie. Cela aussi restera dans les mémoires, car ces capacités et ces potentialités ont été notées et appréciées. Aussi, sans doute, dans ce qui a conduit à utiliser le moyen ultime....

Il y a une guerre en cours. Ainsi, personne n'attend de sympathie, surtout pas de la part d'ennemis, et encore moins de la part d'imbéciles. Daria est morte sur le champ de gloire, luttant avec ses pensées, sa parole et elle l'a fait pendant toute sa vie.  Il ne sert à rien de promettre quoi que ce soit aujourd'hui, de menacer, de déclarer. La guerre sera gagnée, des monuments seront érigés aux héros et aux victimes, la pensée sera laissée à ceux qui sont capables de la comprendre.

Et prions pour Daria Alexandrovna. Pour elle, prions le Tsar du Ciel.

Konrad Rękas

lundi, 05 septembre 2022

Existe-t-il une philosophie politique dans la tradition néo-platonicienne?

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Existe-t-il une philosophie politique dans la tradition néo-platonicienne?

par Darya Platonova Dugina

Source: https://www.ideeazione.com/esiste-una-filosofia-politica-nella-tradizione-neoplatonica/?fbclid=IwAR2YJrkwCl_PayjJWpLnLQkvGQWMTXaIrBQF6C5qgdYDz0XSecdHu-xi8tQ

"Car l'État est l'homme en grand format et l'homme est l'État en petit format".

F. Nietzsche

Friedrich Nietzsche, dans ses conférences sur la philosophie grecque, a qualifié Platon de révolutionnaire radical. Platon, dans l'interprétation de Nietzsche, est celui qui dépasse la notion grecque classique du citoyen idéal: le philosophe de Platon se place au-dessus de la religiosité, contemplant directement l'idée du Bien, contrairement aux deux autres catégories (guerriers et artisans).

Cela fait plutôt écho au modèle de théologie platonique du néo-platonicien Proclus, où les dieux occupent la position la plus basse dans la hiérarchie du monde. Rappelons que dans la systématisation de Festugier, la hiérarchie des mondes de Proclus est la suivante :

- Le supra-substantiel (dans lequel il y a deux commencements : la limite et l'infini),

- le mental (être, vie, esprit),

- l'intermédiaire (esprit-pensée : au-delà, céleste, en-deçà),

- la pensée (Chronos, Rhéa, Zeus),

- Déité (têtes divines, détachées, intra-cosmiques).

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Plotin place les formes au-dessus des dieux. Les dieux ne sont que des contemplateurs de formes absolument idéales.

"Amené sur son rivage par la vague de l'esprit, s'élevant vers le monde spirituel sur la crête de la vague, on commence immédiatement à voir, sans comprendre comment ; mais la vue, s'approchant de la lumière, ne permet pas de discerner dans la lumière un objet qui n'est pas lumière. Non, alors seule la lumière elle-même est visible. L'objet accessible à la vue et la lumière qui permet de le voir n'existent pas séparément, tout comme l'esprit et l'objet-pensée n'existent pas séparément. Mais il y a la lumière pure elle-même, dont découlent ensuite ces opposés".

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Le Dieu-Démiurge du Timée crée le monde selon les modèles du monde des idées, occupe une position intermédiaire entre le monde sensible et le monde intelligible - tout comme le philosophe, qui établit la justice dans l'État. Il s'agit d'un concept plutôt révolutionnaire pour la société grecque antique. Elle place une autre essence au-dessus des dieux, une pensée supra-religieuse et philosophique.

La République, dialogue de Platon, construit une philosophie psychologique et politique non classique. Les types d'âme sont comparés aux types de structure étatique, dont découlent différentes conceptions du bonheur. L'objectif de chaque personne, dirigeant et subordonné, est de construire un état juste et cohérent avec la hiérarchie ontologique du monde. C'est ce concept d'interprétation de la politique et de l'âme en tant que manifestation de l'axe ontologique que Proclus Diadochos développe dans son commentaire des dialogues de Platon.

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S'il est facile de parler de la philosophie politique de Platon, il est beaucoup plus difficile de parler de la philosophie politique de la tradition néo-platonicienne. Le néo-platonisme était généralement perçu comme une métaphysique visant à la déification de l'homme ("l'assimiler à une divinité"), considérée séparément de la sphère politique. Toutefois, cette vision de la philosophie néo-platonicienne est incomplète. Le processus d'"assimilation à la divinité" de Proclus, qui découle de la fonction métaphysique du philosophe chez Platon, implique également l'inclusion du politique. La déification se produit également à travers la sphère politique. Dans le livre VII du dialogue intitulé République, dans le mythe de la caverne, Platon décrit un philosophe qui s'échappe du monde des lances et s'élève dans le monde des idées, pour ensuite retourner à nouveau dans la caverne. Ainsi, le processus de "ressemblance avec une divinité" va dans les deux sens : le philosophe tourne son regard vers les idées, dépasse le monde de l'illusion et s'élève au niveau de la contemplation des idées et, donc, de l'idée du Bien. Toutefois, ce processus ne s'achève pas avec la contemplation de l'idée du Bien comme étape finale - le philosophe retourne à la caverne.

Quelle est cette descente du philosophe, qui a atteint le niveau de la contemplation des idées, dans le monde mensonger des ombres, des copies, du devenir ? N'est-ce pas un sacrifice du philosophe-réalisateur pour le peuple, pour son peuple ? Cette descente a-t-elle une apologie ontologique ?

Georgia Murutsu, spécialiste de l'État chez Platon, suggère que la descente a un double sens (un appel à la lecture du platonisme par Schleiermacher) :

1) l'interprétation exotérique explique la descente dans la grotte par le fait que c'est la loi qui oblige le philosophe, qui a touché le Bien par le pouvoir de la contemplation, à rendre la justice dans l'État, à éclairer les citoyens (le philosophe se sacrifie pour le peuple) ;

2) Le sens exotérique de la descente du philosophe dans le monde inférieur (dans le domaine du devenir) correspond à celui du démiurge, reflétant l'émanation de l'esprit du monde.

Cette dernière interprétation est très répandue dans la tradition néo-platonicienne. Le rôle du philosophe est de traduire ce qu'il contemple de manière éidétique dans la vie sociale, les structures de l'État, les règles de la vie sociale, les normes de l'éducation (paideia). Dans le Timée, la création du monde est expliquée par le fait que le Bien (transsubstantiant "sa bonté") partage son contenu avec le monde. De même, le philosophe qui contemple l'idée du Bien, en tant que ce Bien lui-même, répand la bonté sur le monde et, dans cet acte d'émanation, crée l'ordre et la justice dans l'âme et dans l'État.

"L'ascension et la contemplation des choses supérieures est l'ascension de l'âme dans le domaine de l'intelligible. Si vous admettez cela, vous comprendrez ma chère pensée - si vous aspirez bientôt à la connaître - et Dieu sait qu'elle est vraie. Voici ce que je vois : dans ce qui est perceptible, l'idée de bien est la limite et est à peine perceptible, mais dès qu'elle y est perceptible, il s'ensuit qu'elle est la cause de tout ce qui est juste et beau. Dans le domaine du visible, elle donne naissance à la lumière et à sa règle, mais dans le domaine du concevable, elle est elle-même la règle dont dépendent la vérité et la raison, et c'est vers elle que doivent se tourner ceux qui veulent agir consciemment dans la vie privée et publique".

Il convient de noter que le retour, la descente dans la grotte, n'est pas un processus unique, mais un processus qui se répète constamment (royaume). C'est l'émanation infinie du Bien dans l'autre, de l'un dans le multiple. Et cette manifestation du Bien est définie par la création de lois, l'éducation des citoyens. C'est pourquoi, dans le mythe de la grotte, il est très important de mettre l'accent sur le moment où le souverain descend au fond de la grotte - la "cathode". La vision des ombres après la contemplation de l'idée du Bien sera différente de leur perception par les prisonniers, qui sont restés toute leur vie dans l'horizon inférieur de la caverne (au niveau de l'ignorance).

L'idée que c'est la déification et la mission kénotique particulière du philosophe dans l'État de Platon, dans son interprétation néo-platonicienne, qui constitue le paradigme de la philosophie politique de Proclus et d'autres néo-platoniciens ultérieurs, a été exprimée pour la première fois par Dominic O'Meara. Il reconnaît l'existence d'un "point de vue conventionnel" dans la littérature critique sur le platonisme, selon lequel "les néo-platoniciens n'ont pas de philosophie politique", mais exprime sa conviction que cette position est erronée. Au lieu d'opposer l'idéal de la théosis, la théurgie et la philosophie politique, comme le font souvent les universitaires, il suggère que la "théosis" doit être interprétée politiquement.

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La clé de la philosophie implicite de la politique de Proclus est donc la "descente du philosophe", κάθοδος, sa descente, qui répète, d'une part, le geste démiurgique et, d'autre part, est le processus d'émanation de l'Élément, πρόοδος. Le philosophe descendant des hauteurs de la contemplation est la source des réformes juridiques, religieuses, historiques et politiques. Et ce qui lui donne une légitimité dans le domaine du Politique, c'est précisément la " ressemblance avec la divinité ", la contemplation, le "lever" et le "retour" (ὲπιστροφή) qu'il effectue dans la phase précédente. Le philosophe, dont l'âme est devenue divine, reçoit la source de l'idéal politique de sa propre source et est obligé de porter cette connaissance et sa lumière au reste de l'humanité.

Le philosophe-roi chez les néo-platoniciens n'est pas spécifique au sexe. Une femme philosophe peut également se trouver dans cette position. O'Meara considère les figures hellénistiques tardives d'Hypatie, d'Asclepigenia, de Sosipatra, de Marcellus ou d'Edesia comme des prototypes de ces souverains philosophes loués par les néo-platoniciens. Sosipatra, porteuse du charisme théurgique, en tant que chef de l'école de Pergame, apparaît comme une telle reine. Son enseignement est un prototype de l'ascension de ses disciples sur l'échelle des vertus vers l'Unique.

Hypatie d'Alexandrie, reine de l'astronomie, présente une image similaire dans son école d'Alexandrie. Hypatie est également connue pour avoir donné aux dirigeants de la ville des conseils sur la meilleure façon de gouverner. Cette condescendance dans la caverne des gens du haut de la contemplation est ce qui lui a coûté sa mort tragique. Mais Platon lui-même - voyant l'exemple de l'exécution de Socrate - prévoyait clairement la possibilité d'une telle issue pour un philosophe qui était descendu dans le Politique. Il est intéressant de noter que les platoniciens chrétiens y ont vu un prototype de l'exécution tragique du Christ lui-même.

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Platon s'est préparé une descente similaire, en se lançant dans la création d'un État idéal pour le souverain de Syracuse, Dionysius, et en étant traîtreusement vendu comme esclave par le tyran adultère. L'image néo-platonicienne de la reine-philosophe, fondée sur l'égalité des femmes supposée dans la République de Platon, est une particularité dans l'idée générale du lien entre la théurgie et le domaine du Politique. Il est important pour nous que l'image de Platon de la montée/descente du philosophe de la caverne et de son retour à la caverne ait une interprétation étroitement parallèle dans le domaine du Politique et du Théurgique. Ce point est au cœur de la philosophie politique de Platon et ne pouvait être manqué et développé par les néo-platoniciens. Une autre question est que Proclus, se trouvant dans les conditions de la société chrétienne, n'a pas pu développer pleinement et ouvertement ce thème, ou alors ses traités purement politiques ne nous sont pas parvenus. L'exemple d'Hypatie montre que la mise en garde de Proclus n'était pas superflue. Cependant, en étant conscient que l'ascension/descension était initialement interprétée à la fois métaphysiquement, épistémologiquement et politiquement, nous pouvons considérer tout ce que Proclus a dit sur la théurgie dans une perspective politique. La déification de l'âme du contemplatif et du théurge fait de lui un véritable homme politique. La société peut l'accepter ou non. Ici, le destin de Socrate, les problèmes de Platon avec le tyran Dionysius, et la mort tragique du Christ, sur la croix duquel était écrit "INRI - Jésus le Nazaréen, roi des Juifs". Il est le Roi qui est descendu du ciel et qui est monté au ciel pour les hommes. Dans le contexte du néo-platonisme païen de Proclus, cette idée d'un pouvoir politique véritablement légitime aurait dû être présente et construite sur exactement le même principe : seul celui qui est "descendu" a le droit de gouverner. Mais pour descendre, il faut d'abord monter. Par conséquent, la théurgie et le fait de "ressembler à une divinité", bien que n'étant pas des procédures politiques en soi, contiennent implicitement la politique et, de plus, la politique ne devient platoniquement légitime qu'à travers elles.

La "ressemblance avec une divinité" et la théurgie des néo-platoniciens contiennent en elles une dimension politique, qui s'incarne au maximum au moment de la "descente" du philosophe dans la caverne.

samedi, 03 septembre 2022

Hommage à Daria Douguine: “Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité”

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Hommage à Daria Douguine: “Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité”

Source: https://rebellion-sre.fr/hommage-a-daria-douguine-dans-sa-vie-daria-a-choisi-la-lumiere-elle-la-egalement-choisi-dans-leternite/?fbclid=IwAR2d59NpWudMtfdbKE1JDgqwKl16KLvhFk9cZjNzdoadAW-NxH3wQdZXi0Y

Suite à l’assassinat de Daria Douguina le 20 août dernier, une quinzaine de camarades et amis qui l’avaient bien connue durant ses études à Bordeaux, se sont réunis le samedi 27 août afin de dédier cette journée à son souvenir et être près de sa famille par la pensée et pour certains par la prière. A cette occasion, une messe en la mémoire de Daria a été célébrée en l’église Saint-Siméon de Bouliac. Nous voulons également vous faire partager le témoignage que Thomas, un des amis présents, nous a livré ce même jour à propos de Daria.

Le 20 août dernier, c’est un drame qui s’est abattu sur la Russie. A l’issue d’un festival musical portant sur la Tradition, notre amie Daria Douguine a été lâchement assassinée, victime d’un attentat à la voiture piégée. Cet attentat visait les Douguine, père et fille, et il a réussi : il a ôté à un père la vie de sa propre fille. 

Alors qu’ils venaient de passer ensemble une heureuse journée, c’est sous les yeux de son père qu’est décédée Daria Douguine, à l’âge de 29 ans. 

C’est un drame qui s’est abattu sur la Russie et c’est un drame qui s’est abattu sur nous, en France. Ici à Bordeaux, nous avons bien connu Daria Douguine. Elle était venue passer une année universitaire en 2012-2013 pour étudier la philosophie. 

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Nous nous souvenons du premier repas que nous avions organisé pour sa venue, dans notre petite colocation, notre « Casa Pound » bordelaise. C’était très simple : du vin, du bon pain, un plateau de fromage, un plateau de charcuterie. Daria était ravie de ce petit repas franchouillard, et bien souvent nous avons remis ça tant c’était une joie de se voir. 

Comment vous décrire Daria ? C’était à l’époque une belle fille de 20 ans, avec un visage parfaitement slave, un regard pétillant d’intelligence et de bonté. Belle, intelligente et pleine de bonté, elle l’est d’ailleurs restée jusqu’au bout. 

Nos camarades bordelais peuvent témoigner des nombreux échanges que nous avons eu avec elle, à tout propos : philosophie, son sujet de prédilection, mais aussi politique, littérature, cinéma… 

Elle était curieuse de tout et avait le don de poser un regard ferme et lucide sur toutes choses. 

Elle avait également beaucoup d’humour. L’auteur de ces lignes se souvient d’un jour où la conversation, entre deux verres de rouquin, s’était portée sur le mythe de l’androgyne chez Platon. Daria rappelait que Platon décrivait les premiers hommes comme des créatures sphériques et que leur cou était arrondi comme leurs flancs. Et Daria, s’adressant alors, pleine de gentillesse, à un camarade bien-portant, de lui dire : « Tu vois, tu es important pour moi car tu es un homme primordial ! » 

Mais, au-delà de sa bonté, de son sens de l’humour, de son intelligence, Daria nous a marqué pour une chose précise : elle incarnait des valeurs que nous chérissons. 

Elle aimait la Russie d’un amour, propre à faire rougir de honte le plus patriote d’entre nous. Elle aimait la tradition – dans son cas c’était bien sûr l’orthodoxie – avec une humilité et une simplicité que beaucoup pourraient lui envier, en particulier chez nous qui avons parfois un rapport compliqué et distant avec nos propres traditions. 

C’est peut-être ça qui nous a le plus marqué chez Daria : sa simplicité. Tous ceux qui ont un jour échangé quelques mots avec elle s’accordent à souligner sa gentillesse. Ce n’est pas qu’elle était gentille, c’est qu’elle avait le don de poser un regard pur sur les choses. Comme un enfant. Un regard à la fois ferme et extrêmement bon. 

C’est cette bonté d’âme, cette simplicité de cœur qui la rendait tout aussi combative. Dans son activité de journaliste en Russie, Daria défendait brillamment une idée avec laquelle nous avons du mal dans notre Europe nihiliste : celle de vérité. 

A nous, Occidentaux, qui avons tendance à penser que la vérité n’existe pas ou que chacun doit avoir sa propre vérité, elle n’avait pas peur de dire : il y a des choses vraies et il y a des choses fausses. Il y a la vérité et il y a les erreurs ou les mensonges. Elle ne craignait pas de dire qu’il y a des choses normales, et des choses qui ne le sont pas. 

C’était sa manière de lutter contre ce que Vladimir Poutine a récemment appelé l’Empire du mensonge. Et c’est d’ailleurs cet Empire du mensonge qui l’a lâchement assassinée. 

Daria n’a jamais travaillé dans l’ombre. Elle n’a jamais caché ses convictions. Ses vertus ? Le courage, l’honnêteté, la rigueur, la bonté. Et le monde qui l’a assassiné, c’est celui de la lâcheté, du mensonge, de la dissimulation, du vice. 

Je voudrais souligner un parallèle important : la femme qui a commis l’attentat à la voiture piégée contre les Douguine, outre que cela s’appelle purement et simplement du terrorisme, a également utilisé sa propre fille, une adolescente, pour espionner Daria et assister au festival auquel les Douguine participaient. Autrement dit, ce qu’a montré cette mère à sa propre fille, c’est la dissimulation, la duplicité et la violence. 

A l’inverse, Alexandre Douguine assistait en compagnie de sa fille à un festival dans lequel il était aussi accessible que n’importe lequel d’entre nous. Ils n’avaient rien à cacher. Ils étaient là, présents, très simplement. 

Les amis bordelais qui ont eu la joie de rencontrer Daria et de rencontrer son père Alexandre peuvent en témoigner : Daria était une aussi grande intellectuelle que son père, mais des intellectuels accessibles. Des braves gens. Des gens qui ont l’amour des choses simples. 

Lors de sa participation à la Manif pour tous à Bordeaux, Daria nous avait simplement dit : « C’est beau de voir tous ces gens qui veulent juste défendre la famille et la tradition ». Ces mots très simples résumaient tout. 

Manif pour tous, études de philosophie politique, activités de journaliste, analyses sur l’Euro Maïdan puis, plus récemment, sur le conflit ukrainien : Daria n’a jamais cessé d’être une combattante acharnée de la vérité. 

Elle le disait elle-même à son père quelques instants avant de quitter ce bas-monde : « Papa, je me sens comme un guerrier, je me sens comme un héros. Je veux être comme ça, je ne veux pas d’autre destin, je veux être avec mon peuple, avec mon pays. Je veux être du côté des forces de la lumière. ». 

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Voilà qui résume bien ce que Daria a été pour nous dans cette époque de ténèbres : une lumière. 

Cette lumière a été pour nous un véritable rafraîchissement, un véritable ressourcement. On se souvient tous avec une grande joie de l’année que nous avons passé auprès d’elle. Nous la pleurons aujourd’hui parce qu’elle était une militante, mais aussi une amie. 

Mais, il faut l’avouer, Daria a été aussi pour nous comme un miroir de nos insuffisances. Voilà une fille qui aimait la culture, qui aimait les siens, qui aimait son pays, qui aimait ses traditions, et qui nous par sa seule présence nous demandait : et vous, qu’aimez-vous ? 

Fréquenter Daria Douguine, c’était sans cesse se poser la question : qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que je veux défendre ? Pour quoi suis-je prêt à donner ma vie ? Pour qui suis-je prêt à  donner ma vie ? Quelles valeurs est-ce que je veux défendre ? Quelles vertus est-ce que je veux incarner ? Est-ce que je veux être du côté de la lumière ? Est-ce que je veux être avec les ténèbres ? 

Ce sont des questions radicales. Mais c’est là tout le sens de la vie de Daria et tout le sens de la vision néo-eurasiste qu’elle défendait. Ce sont des questions auxquelles son parcours et sa mort prématurée ont apporté une réponse. 

Daria a vécu pour les valeurs qu’elle défendait. Daria est morte pour les valeurs qu’elle défendait. Elle est morte pour ce père qu’elle aimait profondément, pourfendeur de l’Empire du mensonge et ardent défenseur de la chrétienté. Elle est morte pour la Russie. Elle est morte pour les siens. 

Elle est morte pour nous. 

Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité. 

La plus belle manière que nous avons de saluer notre amie Daria, c’est de continuer à porter en nous et autour de nous un peu de cette lumière qu’elle nous a apportée. 

(Ci-dessous: Hommage à Daria Douguina devant la cathédrale russe-orthodoxe de Nice).

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jeudi, 01 septembre 2022

Réflexions sur "La métaphysique de la frontière" de Daria Platonova

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Réflexions sur La métaphysique de la frontière de Daria Platonova

Pavel Kiselev

En mémoire de Daria Dugina, assassinée le 20 août 2022 par les ennemis de la Russie

"Les frontières pensent vassal, les frontières pensent seigneur", Daria Dugina

Lors de l'école eurasienne du 13 août, Dasha a lu son article "La métaphysique de la frontière". Certains Eurasiens, ou de jeunes gens aspirant à le devenir, l'ont vue et entendue pour la première et, à leur grand chagrin, la dernière fois. Dasha parlait avec vivacité, énergie et éloquence, ce qui ne pouvait manquer d'impressionner des jeunes gens dont l'âge n'était pas très différent de celui de Dasha. Sa clarté d'esprit, sa capacité à articuler ses arguments et à communiquer facilement son message au public, étant donné qu'une telle énergie et une incroyable force de persuasion proviennent d'une jeune fille, ont influencé positivement la dynamique de l'école et, espérons-le, ont également motivé de nombreux participants à consacrer leur force et leur volonté à notre cause commune.

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Daria Douguina et son père lors des journées eurasistes du 13 août 2022.

La mort tragique de Dasha une semaine plus tard a laissé une blessure indélébile dans l'âme de tous ceux d'entre nous qui la connaissaient intimement, qui étaient constamment à ses côtés, qui l'écoutaient et étaient inspirés par son courage et son énergie. Et chacun d'entre nous qui a été profondément blessé par sa mort inattendue a conservé un peu de ce courage, de cette énergie pour œuvrer avec nous à la mémoire de notre ange, Daria, et pour porter sa bannière dans la bataille vers la victoire.

Pour ma part, je voulais écrire cette critique du rapport de Dasha dès mon retour de l'école, tant il m'a impressionnée et fait réfléchir. À cette époque, je supposais que nous allions tous souvent coopérer avec Dasha au sein de l'Union eurasienne de la jeunesse, je voulais écrire ce texte immédiatement et le lui envoyer, discuter et obtenir des conseils, mais ensuite, comme toujours, je me suis appuyé sur le fait qu'il y a encore assez de temps, nous aurons le temps...

Maintenant, je pense qu'il est juste et important d'écrire mes pensées nées de l'un de ses derniers discours, qui m'a poussé à franchir une nouvelle étape dans mon étude de la géopolitique et des relations internationales. "La métaphysique de la frontière" est une perspective tout à fait unique sur la confrontation entre la Russie et les pays occidentaux, quelque chose qui n'est pas issu de la terminologie d'Alexandre G. Douguine, qui peut et doit être poursuivi dans la pensée géopolitique. C'est maintenant la tâche et la mission de ses disciples, de ses associés et de l'Union eurasienne de la jeunesse de comprendre et de poursuivre les recherches scientifiques de Dasha. Et ce sera la meilleure façon d'honorer la mémoire de Daria qui vit à jamais dans nos cœurs.

"Les frontières pensent vassal, les frontières pensent maître". Cette phrase de Dasha est mémorable depuis la première fois. Pour le clarifier pour les lecteurs, on peut le paraphraser comme suit : "Aujourd'hui, un homme ordinaire pense aux frontières des États, et un homme politique pense aux frontières". Les frontières, au sens où elles sont marquées sur une carte physique dans les manuels de géographie, ont disparu après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, nous avons affaire à des entités supranationales qui étendent leur présence et leur influence à travers le monde. La ligne où se terminent leurs capacités et leurs intérêts (ou qui constitue une barrière temporaire à l'expansion) est la frontière. Nous ne sommes pas toujours en mesure de délimiter cette ligne physiquement ; elle n'existe souvent que métaphysiquement.

La plus grande entité supranationale menaçant les intérêts de la Russie et du monde russe est l'OTAN. Alors que les zones de l'UE ou de l'ANASE ont des limites assez claires (leur statut ne relève très probablement plus de la définition de la frontière), la ligne conventionnelle de l'OTAN peut être délimitée en pointillés. L'Alliance de l'Atlantique Nord a promis de ne pas s'étendre vers l'Est en 1990, mais après l'effondrement de l'URSS, elle a décidé de ne pas tenir compte des arrangements et des intérêts de la Russie dans les anciens pays du Pacte de Varsovie. Dans la situation géopolitique actuelle, ce à quoi nous avons affaire dans le Donbass et en Ukraine est le résultat du déplacement de cette ligne de front de l'OTAN dans une zone où elle ne peut plus s'enraciner historiquement et géopolitiquement.

La guerre dans le Donbass et l'Opération militaire spéciale en Ukraine relèvent d'une bataille de fronts. Mais si le mouvement de l'OTAN vers l'est est clair pour nous - l'expansion de la présence commerciale américaine, le contrôle total de l'activité économique et militaire, la pression géopolitique sur la Russie et, enfin, la victoire idéologique complète du libéralisme et du capitalisme dans les territoires où prévalent les idées antilibérales et traditionnelles - alors comment définir la frontière de la Russie ? Où s'arrêtent les intérêts de la Russie, et jusqu'où doit aller "l'idée russe" ?

On peut rappeler ici la célèbre phrase de Vladimir Poutine (dite en plaisantant) : "La Russie ne s'arrête nulle part". Non, cela ne signifie pas que la Russie devrait envahir l'Europe après le renversement du régime criminel de Kiev - nous n'avons pas besoin de ses territoires, nous n'avons pas et n'aurons jamais aucun droit sur eux, car il s'agit d'une culture complètement différente, d'une nature humaine différente, d'une civilisation différente. Mais nous devons travailler avec l'Europe à un autre niveau. Nous ne pouvons pas qualifier ce niveau d'idéologique, car les idées de la Sobornost russe ou du socialisme russe (dans la compréhension, par exemple, de Berdiaev) ne sont pas proches d'eux.

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Le livre "La grande Europe de l'Est" d'Alexandre Bovdunov (photo), expert en géopolitique et membre du Mouvement international eurasien, affirme que l'Europe de l'Est est désormais une frontière entre la Russie et l'Occident - les deux parties tentent d'influencer les décisions politiques dans cette région, et malheureusement l'avantage est toujours en faveur de nos rivaux (à l'exception de situations dans plusieurs pays comme la Serbie). Mais la tâche de la Russie en Europe de l'Est est d'établir une coopération dans la région, basée sur des valeurs communes : orthodoxie, philosophie, langue, racines slaves (dans le cas de la Pologne, de la Slovénie, de la Slovaquie, de la Serbie).

Bien sûr, nous avons beaucoup de choses en commun avec les pays d'Europe de l'Est ; il est beaucoup plus facile d'établir des relations amicales et mutuellement bénéfiques avec eux qu'avec le reste de l'Europe. Cependant, tout est possible, et c'est précisément pour la possibilité de survie de notre civilisation, d'une existence sûre aux côtés d'autres civilisations et de l'établissement d'un monde multipolaire, que les soldats russes se battent actuellement en Ukraine. Les frontières de la Russie seront fixées là où l'Opération militaire spéciale se terminera, mais la lutte pour la frontière se poursuivra. Dans le choc sur les fronts, il existe déjà une question plus fondamentale que celle de l'incorporation de l'Ukraine à la Russie. Voici la question de l'existence des civilisations.

Les politiques libérales américaines destructrices sapent l'indépendance culturelle, économique et géopolitique de l'Europe. Dans sa conférence, Dasha parlait justement du fait que plus la ligne de front de la Russie se déplace, plus les partis et organisations en Europe se font plus substantiels et plus indépendants de l'influence américaine. Dasha pense que l'avenir de la France est entre les mains de Marine Le Pen, que l'avenir de la Hongrie est entre les mains de Viktor Orban, et que même aux États-Unis, le trumpisme est idéologiquement plus fort que les politiques néolibérales corrosives de Biden (ou plutôt de ceux qui sont derrière sa figure).

Plus la situation économique et politique de l'Europe, qui dépend directement des centres de décision américains, est vulnérable, plus la frontière russe est forte. Et où s'arrête la frontière russe ? Si la ligne de l'OTAN est transparente et en pointillés, la frontière russe n'est pas du tout visible. C'est pourquoi nous parlons de la "métaphysique" plutôt que de la "physique" de la frontière. L'expansion de l'OTAN est la domination du capitalisme américain sur toutes les structures des autres pays et civilisations, la subordination militaire et économique complète aux grands hommes d'affaires et idéologues américains, les Ford, Rothschild, Rockefeller et Soros d'aujourd'hui.

L'expansion de la frontière russe concerne la coopération dans la sphère des intérêts communs, sur les principes communs des civilisations russe et européenne. Si elle peut fonctionner avec les peuples d'Europe de l'Est, elle fonctionnera avec tous les autres. Et ces principes sont les plus simples - indépendance culturelle, sécurité économique, intégrité politique et respect mutuel des peuples.

Et cette nouvelle frontière géopolitique se durcit actuellement dans le Donbass, où deux grandes civilisations s'affrontent. Une civilisation se bat pour l'hégémonie mondiale, l'autre pour le salut et la liberté du monde. Le philosophe russe Evgeny Nikolaevich Trubetskoy a déclaré dans un article : "La vocation de la Russie est d'être le libérateur des peuples". Et il avait des raisons historiques de le croire, car l'Empire russe libérait les peuples qui le composaient de l'oubli et du néant. Puis la guerre contre Napoléon a véritablement porté la mission historique de libération des peuples à un nouveau niveau supranational. Et le peuple russe a prouvé son droit de mener à bien cette mission pendant la Seconde Guerre mondiale et le prouve aujourd'hui dans le Donbas.

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Pourquoi la Russie ? Récemment, dans l'un de ses discours, l'archiprêtre Andrey Tkachev (photo) a exprimé une idée intéressante. En bref, il se lit comme suit: "L'homme russe n'est pas fini. L'Allemand est fini, le Français est fini, l'Anglais est fini, mais "le Russe est ouvert sur l'avenir". Qu'est-ce que cela signifie ? La personne russe est complexe, à multiples facettes, large (nous nous souvenons de Dostoïevski), profonde (nous nous souvenons de la conférence d'Alexandre Douguine à la même École eurasienne). Il est impossible de comprendre l'homme russe jusqu'au bout. Le Russe comprend un Allemand, un Français, "un petit-fils fier des Slaves, un Finlandais, un Toungouze, un ami des steppes, un Kalmouk". La complexité et la polyvalence de l'homme russe peuvent absorber les significations et l'esprit d'autres peuples. Je me souviens ici des lignes d'Alexander Blok :

Nous aimons tout - et la chaleur des chiffres froids,

Et le don des visions divines,

Le sens aigu des Gaulois pour tout,

Et le sombre génie allemand...

Donc, à la question de la frontière. La frontière est à la fois quelque chose qui existe et quelque chose qui ne peut être compris en utilisant uniquement des notions spatiales physiques. La frontière américaine correspond à bien des égards aux frontières de l'OTAN et la tâche de notre lutte idéologique est de la réduire aux frontières civilisationnelles de l'Amérique. La géographie est étudiée à l'intérieur des frontières nationales, la géopolitique à l'intérieur des frontières civilisationnelles, ce que nous pouvons trouver dans les livres de Douguine, Huntington et McKinder. Mais il n'existe pas de carte des frontières métaphysiques.

Alors, où s'arrête la frontière russe ? Cette question est identique à une autre question ontologique : "Où s'arrête l'homme russe ?" Pour paraphraser Vladimir Vladimirovitch : "L'homme russe ne s'arrête nulle part". La Russie, oui, est finie. Elle a des frontières, et historiquement, ces frontières se sont rétrécies et élargies jusqu'à la limite permise par la civilisation. Mais la frontière véritablement russe est une valeur métaphysique. Elle s'étend lentement dans l'espace et s'échappe progressivement dans l'infini, dans la lumière des montagnes, dans le monde des idées platoniciennes.

Merci à Dasha d'avoir introduit cette question dans notre discours philosophique et politique général. Ce sera difficile pour nous sans son esprit lucide, sans son raisonnement. Personne ne prendra sa place - elle est maintenant dans nos cœurs. Elle restera à jamais pour nous une amie, un mentor, une sœur et une étoile brillante dans notre firmament eurasien, éclairant le chemin des jeunes philosophes dans ce monde d'ombres.

jeudi, 25 août 2022

Le meurtre de Daria Douguina ou l'Holocauste de l'Europe

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Le meurtre de Daria Douguina ou l'Holocauste de l'Europe

Aladdin Yáñez-Valdés 

Source: http://adaraga.com/el-asesinato-de-daria-duguina-o-el-holocausto-de-europa/

Les peuples d'Europe assistent au spectacle macabre de leur auto-anéantissement. Ils ont payé, et paient encore, un siège confortable pour assister au processus d'extermination de leur propre patrie en mâchonnant du pop-corn.

Ils changeront bientôt de rôle : de leur fonction passive et consumériste de spectateurs (et il s'agit bien de la "société du spectacle"), ils passeront rapidement et inaperçus à d'autres espaces fonctionnels plus douloureux : esclaves et victimes d'un horrible holocauste. L'holocauste de l'Europe.

Des choses sérieuses sont en train de se produire. Au milieu du bombardement de bobards, de nouvelles insipides et de manipulations, le monde change et nous avons en fait déjà franchi le seuil d'une autre ère. L'Européen moyen, l'Espagnol moyen, ne le sait pas. Il s'assied et observe et tente de s'adapter à l'anti-moralité orwellienne: la vérité est un mensonge, le mensonge est la vérité. La guerre, c'est la paix... et ainsi de suite.

L'anti-moralité des médias et le jeu pervers du langage ne sont que trop familiers dans notre coin de monde. Les victimes brutalement et froidement assassinées par l'ETA "sont mortes". Comme ceux qui meurent d'un cancer ou d'un accident de la route. C'était le gros titre des journaux basques "patriotiques", les séparatistes. Le crime de sang était la "lutte armée". L'autre jour, de la même manière, les principaux journaux et chaînes du système mondialiste ont parlé de la "mort", et non du meurtre, d'une jeune femme d'à peine 30 ans, Daria, fille du philosophe Alexandre Douguine.

Cette fille, philosophe comme son père, militante convaincue de la cause eurasienne et altermondialiste, est morte pour ses idées. Personne en Occident ne pourra, sans être marqué du signe de l'opprobre, condamner ce crime. La ligne officielle, otaniste et yankee, est la suivante : les idées de son père, Alexandre (les mêmes que celles de sa fille) étaient intrinsèquement jugées criminelles. Amen. La ligne officielle veut nous faire admettre que le philosophe russe, le supposé "Raspoutine de Poutine", l'a bien cherché. Il l'a demandé en allant à l'encontre du seul empire qui soit "bon", les États-Unis ou, plus précisément, l'empire néolibéral turbo-capitaliste. Il le voulait pour avoir donné une couverture idéologique à l'invasion de l'Ukraine. Il était marqué pour avoir éduqué une fille de cette manière. Il la recherchait pour donner un fondement métaphysique et géopolitique à son impérialisme pan-russe, et ainsi de suite.

En bref. Il y a le terrorisme condamnable et le terrorisme non condamnable, semble-t-il. L'histoire semble bien trop familière. En Espagne (et au Pays basque en particulier), nous devrions être guéris de cela à présent. Combien de progressistes ont détourné le regard chaque fois que les corps d'innocents ont été réduits en miettes grâce aux actions "patriotiques" de gudaris en quête d'autodétermination... et combien de philistins ont accepté de rencontrer et de pactiser avec des gens qui ont échangé le mot "meurtre" contre le mot aseptisé et cynique de "mort" ou même "d'exécution".

L'Occident est essentiellement anti-moralité. Sur la manipulation de sa propre histoire et de ses souffrances, il a construit son mythe de maître de l'humanité. Ce mythe est tombé en disgrâce dans les trois quarts du monde. L'Occident, c'est-à-dire l'empire turbo-capitaliste et néo-libéral, tente de le soumettre, mais il devient déjà évident que son impuissance et sa dégradation sont imparables. Avec les dernières campagnes de russophobie et de sinophobie dans les médias, et avec le néocolonialisme dans le monde entier, y compris en Europe occidentale elle-même, nous ne pouvons manquer de remarquer, si nous gardons la tête froide, une chose qui est claire : l'époque est différente. Leurs jours sont comptés. Un monde multipolaire, comme l'est déjà le nôtre, ne peut pas résister à l'anti-moralité des États-Unis et de l'OTAN. Ôter la vie d'une jeune fille par une bombe ou tenter d'assassiner son père pour ses "crimes idéologiques" (penser "incorrectement" ou combattre ses idées pour sa patrie, la Russie) ne peut constituer la base d'un empire civilisé. Les médias otanistes ont sombré dans le terrorisme pur et dur, le plus grossier et le plus insupportable.

Maintenant, ils vont réactiver le djihad tchétchène, le "néonazisme" interne, les "oligarques" mécontents, les loges et les Sanhedrins, les opposants dûment oints. Ils vont maintenant continuer à fabriquer de nouveaux Hitler, et à en juger par leur apparence, Poutine et Douguine sont déjà sur la liste. L'empire turbo-capitaliste raisonne déjà de la même manière que les "antifas" victimes de leur acné d'adolescents : "le fascisme ne doit pas être discuté, il doit être exterminé". Biden, ainsi que son empire génocidaire (rappelez-vous en Espagne notre 1898) n'ont plus rien d'adolescents. Leur truc de traverser la vie en se faisant passer pour des "antifas", sachant comme nous tout de leurs révolutions colorées, de leurs coups d'état militaires, de leurs centres de torture, de leurs expériences sociales, de leurs bombes nucléaires et biochimiques... Ils n'ont pas l'air de bons enfants idéalistes et "antifas". C'est un empire déjà trop vieux et un ennemi de l'humanité.

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Il y a de bons éditeurs espagnols qui traduisent et publient Douguine : Fides, Letras Inquietas, EAS, Hipérbola Janus... Désolé si j'en oublie. Achetez leurs livres et lisez-les. Et découvrir qui était Daria. Comparez sa biographie à celle de nombreuses jeunes femmes espagnoles conçues, comme des produits de série, par l'empire du dollar. Regardez autour de vous et comparez. Recherchez ce degré d'engagement et ce désir d'exceller chez les femmes espagnoles et d'Europe occidentale de son âge. Ce n'est pas facile... Alors que tout pourrit autour de vous, défendez-vous en lisant. Et sauvez-vous en condamnant toujours la mort d'innocents. Et épargnez-vous des idées condamnables. Vous n'êtes pas obligé d'aimer la philosophie de Douguine, mais ne condamnez pas cet homme à mort pour cela. Avec des maximes aussi simples, nous sauvons l'Europe et nous nous débarrassons de l'Occident.

 

mercredi, 24 août 2022

Adieu à Daria Dugina à Ostankino - l'allocution de son père

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Adieu à Daria Dugina à Ostankino - l'allocution de son père

Le père de la journaliste et philosophe Daria Platonova (Dugina) a prononcé un discours d'adieu lors du service funèbre civil de sa fille, qui a été tragiquement tuée dans une attaque méprisable des services de sécurité ukrainiens.

Le texte intégral du discours difficile d'Alexandre Douguine pour nous tous est devenu disponible pour être partagé lors de la diffusion en direct organisée par la chaîne Tsargrad TV :

"Je voulais élever ma fille de la manière dont je vois l'idéal d'un homme. C'est avant tout la foi, elle a passé toute son enfance dans des camps orthodoxes, elle allait à l'église. Et c'est important, mais je voulais aussi qu'elle soit une personne orthodoxe intelligente. Sa mère et moi lui avons donc conseillé de devenir philosophe. Et elle l'est devenue.

Je ne peux pas dire si elle est profonde comme un philosophe.

Mais elle a essayé d'aller dans cette direction. Maintenant, peut-être que cela révélera des choses que nous n'avons pas vues, que nous n'avons pas remarquées.

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Et depuis son enfance, ses premiers mots, que nous ne lui avons bien sûr pas appris, étaient "Russie", "notre puissance", "notre peuple", "notre empire". Et c'est ce qui la rendait si parfaite. En traversant des épreuves difficiles, elle n'a fait que devenir une personne bien meilleure que nous.

Dans notre famille, c'était toujours, dès le début, gravé dans le marbre : tu dois devenir meilleur, tu dois devenir supérieur, tu dois devenir plus courageux, tu dois devenir plus intelligent, tu dois devenir plus parfait. Nous ne l'avons pas félicitée et elle en a manqué. Nous disions : c'est un défaut, soyez meilleur, plus haut. Et on en a peut-être trop fait.

Elle n'avait pas peur, vraiment. Et la dernière fois qu'elle et moi avons parlé au Festival de la Tradition, elle m'a dit :

"Papa, je me sens comme un guerrier, comme un héros, je veux être comme ça, je ne veux pas d'autre destin, je veux être avec mon peuple, avec mon pays, je veux être du côté des forces de la lumière, c'est le plus important".

Lors de ma dernière conférence avec elle, je lui ai dit que l'histoire est une bataille de la lumière et des ténèbres, de Dieu et de son adversaire. Et même notre situation politique, notre guerre en Ukraine, mais pas avec l'Ukraine, fait également partie de cette guerre. De la lumière et de l'obscurité. Pas plus, pas moins. Et lorsque nous sommes partis, une minute avant sa mort, la mort qui s'est produite sous mes yeux, la chanson d'Akim Apachev "At Azovstal they bury demons" était diffusée. Elle voulait l'entendre, mais nous sommes partis plus tôt. Cela n'aurait rien changé.

Le sens de sa vie - c'est ce qui est frappant, elle était significative, elle était difficile, malgré le fait qu'elle soit encore une jeune fille, elle n'a même pas vécu trente ans, elle est partie, mais elle a avancé sur la ligne de cette logique, qui est devenue sa logique. Et donc je suis très reconnaissant et touché - je ne pensais pas qu'elle était connue et traitée de cette façon.

Elle était ce qu'elle était. Combien de duplicité il y a dans nos vies, combien de lâcheté, et elle n'était pas comme ça, elle était entière, elle a été élevée de cette façon, et sa façon d'être est un argument incroyable, l'argument le plus effrayant, peut-être monstrueux, déchirant pour nous dire qu'elle avait raison. Que c'est la voie à suivre. C'est ainsi qu'elle n'aurait pas voulu d'un autre destin, d'une autre vie.

Elle aimait la célébrité qui lui manquait, elle était peu encensée. Et maintenant, lorsque le président lui a remis l'Ordre du courage, je peux directement sentir sa joie, car elle dit : "Tu vois, papa, comme je suis bonne, et tu l'as dit". Vous savez, aimer la célébrité pour son bon côté - qu'y a-t-il de mal à cela si tout est question de lumière. Pas pour l'autre côté. Si vous vous portez sur l'autel de votre pays, de votre foi, de votre vérité, qu'y a-t-il de mal à cela, si on vous en donne le crédit, c'est très bien.

Je suis désolé, je ne peux pas parler, je suis juste très reconnaissant envers vous, je suis reconnaissant envers tout le monde, tous nos gens, je ne savais pas que cela pouvait être comme ça, et envers tous ceux qui sont venus, et tous ceux qui ont répondu, tous ceux qui ont écrit. Il s'avère que je ne savais pas qui était ma personne la plus proche et mon ami le plus proche des autres.

Désolé, je pense que la dernière chose que je veux dire est que pour elle, la vie avait un sens, le sens était la chose la plus importante pour elle, elle vivait selon ce sens. Et si cela touchait quelqu'un, sa mort tragique, sa personnalité, son intégrité, elle n'aurait qu'un seul souhait : ne vous souvenez pas de moi, ne me glorifiez pas, battez-vous pour notre grand pays, défendez notre foi, notre sainte orthodoxie, aimez notre peuple russe, car elle est morte pour le peuple, elle est morte pour la Russie au front, et le front est ici. Pas seulement là-bas - ici, en chacun de nous.

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Et le prix le plus élevé que nous devons payer ne peut être justifié que par l'accomplissement ultime, par la victoire. Elle a vécu au temps de la victoire, et elle est morte au temps de la victoire. Notre victoire russe, notre vérité, notre orthodoxie, notre pays, notre puissance."

Les proches de Daria Dugina, ses collègues ainsi que des militants sont venus lui faire leurs adieux.

Les leaders des factions de la Douma, Russie Unie (Sergei Neverov), LDPR (Leonid Slutsky) et Russie Juste - Pour la Vérité (Sergei Mironov), ont également pris la parole lors de l'adieu. Dans leurs discours, les parlementaires ont souligné que la jeune fille serait vengée et que des rues et des places en Russie porteraient son nom.

21:34 Publié dans Actualité, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : daria douguina, alexandre douguine, hommage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 21 août 2022

Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

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Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

Une grande partie de notre vie est marquée par la rencontre. Sur le chemin que nous parcourons depuis la matrice où nous étions en gestation jusqu'à l'instant de notre dernier souffle, le Destin, au fil des rencontres, façonne notre âme. Des rencontres tragiques, des rencontres porteuses de chagrins, des rencontres terrifiantes qui mettent nos démons en duel, mais aussi des rencontres avec des personnes solaires qui vous enrichissent, vous élèvent et éclairent votre chemin même lorsque tout devient sombre, tellement leur lumière nous illumine. Sur mon chemin, j'ai rencontré Daria, qui est la fille de celui que je considère comme l'un des plus grands penseurs de ce siècle, la réincarnation d'un philosophe antique, mais Daria était une femme qui ne vivait pas d'une lumière réfléchie. Philosophe elle-même, intellectuelle raffinée, journaliste et militante qui, pour cette seule raison, a été sanctionnée par les Anglo-Saxons, elle était dotée d'une grâce incomparable, d'un sourire désarmant. Une beauté intégrale, physique et spirituelle. Je suis donc reconnaissant à ma Destinée de me l'avoir fait connaître.

Sa mort m'a rappelé un beau poème cher à une autre personne que j'ai rencontrée il y a des années, une personne qui était ma compagne et qui, depuis plus de vingt ans, habite dans l'autre monde où j'aime à penser qu'elle attend constamment de recevoir, de "poétiser" et de "philosopher" des âmes comme celle de Daria. 

Voici cette poésie.

Vous aurez la transparence
de la lumière, votre voix aura de la place 
dans l'univers, votre visage sera clair.

Vous allez voler 
serein du paradis parmi les mortes 
choses, dans la mort 
qui nous a séparés.

Nous reviendrons parmi les rêves 
de nous rejoindre, parmi les lacs 
au coucher du soleil, parmi les lumières 
sépulcrales.

Nous allons percer
les nuages, nous violerons les horizons. 
Nous écouterons les mots,
les palpitations brisées; nous nous connaîtrons 
vivant dans la vie qui meurt.

La mort nous a séparés. 
Mais des mots silencieux nous ont unis. 

* * *

Quant à l'attentat lui-même, je pense que personne parmi les êtres humains n'est plus abject, plus répugnant et ne mérite aucune pitié que ceux qui attaquent la vie des poètes et des philosophes. Et je dis que si le démon de l'abandon prenait le dessus en moi, me poussant à m'isoler, à me retirer, à me mettre au repos, ce soir ce démon a été transpercé par l'arme la plus tranchante en ma possession. Mon sac à dos est rempli d'instruments recueillis en cours de route. Il y a tant de croix sur le bord de mon chemin que j'ai dû affronter, mais celle qui se dresse aujourd'hui sur le corps de Daria est la plus ardente. Ils ont attaqué la Grâce, la Beauté, et j'ai le devoir de l'honorer en assumant une part de son héritage. Je suis vieux, mais je suis toujours en armes... et le serai d'autant plus pour Daria que le destin m'a fait connaître.

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lundi, 05 septembre 2016

Daria Douguine : "le concept de tolérance a été créé pour détruire l'identité européenne"

Daria Douguine : "le concept de tolérance a été créé pour détruire l'identité européenne"

Entretien avec Daria Douguine, journaliste russe et fille du penseur Alexandre Douguine.

Réalisé le 9 juillet par Nicolas de Lamberterie pour le Visegrád Post .

jeudi, 24 décembre 2015

Daria Douguina: la Troisième Rome contre le globalisme

Daria DOUGUINA:

La Troisième Rome contre le globalisme

La jeune philosophe Daria Douguine évoque pour nous l'arrière plan spirituel et philosophique des rapports entre la Russie et l'Occident.

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