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mercredi, 03 février 2021

A propos de Gustave Thibon - L'Île Verte sise dans la  Mer Blanche

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A propos de Gustave Thibon

L'Île Verte sise dans la  Mer Blanche

par Luc-Olivier d'Algange

Sous le titre Ils sculptent en nous le silence, et précédé d'une préface de Philippe Barthelet, a paru un de ces livres rares qui témoignent d'une pensée fondée sur l'expérience intérieure. Ces essais, qui n'étaient pas destinés tout d'abord à être réunis, se répondent à la perfection. Leur cohérence n'est point artificieuse mais essentielle: elle témoigne d'une aventure de l'esprit où l'admiration et la générosité eurent la plus grande part. « Une admiration, écrit Philippe Barthelet, est toujours un aveu, et ces essais critiques esquissent entre les lignes un involontaire autoportrait. »

000865447.jpgIl n'est point de meilleure façon de parler de soi que de parler d'autrui. Les Modernes ergotent à l'envie sur la « philosophie de l'Autre », l'exotisme fait leurs délices et il ne tarissent pas d'éloge sur la « différence », sous condition qu'elle soit lointaine, abstraite, ou, au mieux, incarnée par des « minorités » avec lesquelles leur commerce est nul et dont ils contemplent les ébats et les émois, les désemparements et les colères du haut de l'éditorial de leur journal bien-pensant préféré. Mais si l'Autre se présente à eux sous l'espèce d'un auteur qui pense autrement ou mieux qu'eux-mêmes, leur unanimisme promptement défaille et il retrouvent, avec une rapidité reptilienne, ce goût de l'exclusion qu'ils feignent de condamner. « Les hommes, écrit Gustave Thibon, ont l'habitude immémoriale de nous faire payer très-cher la difficulté où nous les mettons de nous comprendre » 

A cette immémoriale bêtise, il n'y a guère que l'admiration qui puisse faire contrepoids. Là se joue le mystère même de l'équité divine. L'équité n'est point à proprement parler un « attribut » de Dieu: elle est ce contrepoids que certains hommes font, par leur admiration, qui est le nom pudique de l'amour, au décri incessant que les foules opposent à la beauté et à la sagesse. Ce Grand-Oeuvre théologique, dont le dessein fut de nous arracher à l'animalité, les Modernes le saccagent avec jubilation. « L'homme des foules (...) n'évolue plus parmi des signes qui l'invitent à la réflexion, il répond à des signaux par des réflexes. ». L'animalité même semble de la sorte dépassée par le bas et la machine prendre le pas sur le mammifère. « La voie la mieux frayée, disait Sénèque, est aussi la plus trompeuse. ». Or l'admiration, qui est au commencement de tout amour et de toute sagesse, est cette alchimie secrète qui change, dans la solitude de la méditation, la lourdeur opaque et plombée du « moi » qui s'agrège aux autres en s'uniformisant, en l'or irradiant d'un Soi qui se distingue et se détache.  « Le nom de Dieu, écrit Gustave Thibon, ne sera sanctifié que lorsque Dieu seul habitera en nous, c'est-à-dire lorsque nous serons dépouillés de tout ». C'est ainsi qu'il faut entendre le titre même du recueil: la parole sculpte en nous ce silence qui est antérieur à toute parole, et la sauve ainsi de l'insignifiance, du bavardage et de l'oubli.

Ce que Gustave Thibon, par exemple, dit de Kierkegaard, vaut pour l'auteur lui-même. Il appartient bien « à cette lignée de penseurs qui, comme Pascal et Nietzsche, se défient de toute vérité qui se présente seulement à l'état d'évidence abstraite. » L'abstraction est, avec l'optimisme, la plus funeste tentation du Moderne dont le matérialisme lui-même n'est, dans son platonisme parodique, qu'une soumission à l'idée de la Matière. Quant à l'optimisme, qui nous précipite aux désastres, Gustave Thibon, retenant la leçon de Maurras et la dépassant, lui opposera l'espérance, qui ne s'aveugle, ni ne dévie, et n'espère pas seulement pour soi-même ou pour les siens: « Je dis l'espérance et non l'optimisme, cette philosophie de l'autruche satisfaite ou ce refuge de l'autruche traquée. » N'ayant jamais été le moins du monde « maurrassien », Gustave Thibon sait ainsi parler de l'auteur de L'Avenir de l'intelligence avec cette distance bienveillante, et judicieuse à l'égard d'une œuvre qui excelle dans la diction du passé et de l'avenir autant qu'elle se fourvoie, parfois, dans l'analyse du présent. Le présent de Maurras étant notre passé, et son avenir notre présent, son œuvre s'avère cependant être de celles dont la pertinence ne cesse de croître. Ce qu'elle annonce nous est arrivé: « C'en sera fait dès lors de la souveraine délicatesse de l'esprit, des recherches du sentiment, des graves soins de la logique et de l'érudition, un sot moralisme jugera de tout ».

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Autruches traquées ou autruches satisfaites, les Modernes se sont lourdement acharnés, ces derniers temps, à proposer des définitions du « totalitarisme », qui est leur propre, sans pour autant renoncer à être « progressistes », sans voir que le progressisme et le totalitarisme sont une seule et même chose, à savoir un « sot moralisme ». La « morale citoyenne », sur fond de parades festives et de « communication de masse » et l'embrigadement des totalitarismes de naguère possèdent d'évidentes affinités qui ne sont pas seulement de forme, à supposer que les ressemblances de forme ne soient pas toujours des ressemblances fondamentales. Pour les hommes de cette espèce (les progressistes) « l'avenir n'est pas une promesse dont il faut mériter l'accomplissement par un effort clairvoyant et rigoureux, c'est un talisman qui les dispense de cet effort; ils se cramponnent à l'idée d'un progrès inévitable comme un coupable à un alibi frauduleux ». A ces simplificateurs, ces planificateurs, Gustave Thibon n'oppose pas une simplification contraire qui céderait, elle aussi, « à la tentation de faire l'Un trop vite », mais un retour à l'inquiétude, à la complexité, à la nuance, c'est-à-dire aux commencements de la pensée, en accord avec cette admirable phrase patristique: « On va à Dieu par des commencements sans fin ».

Ces « commencements sans fin » témoignent à la fois de nos limites et de nos plus hautes possibilités. « L'époque actuelle a profondément perdu le sens des possibilités et des limites de l'homme. On ne sait plus très-bien ce que l'homme peut et ce que l'homme ne peut pas: d'où un mélange paradoxal d'activisme orgueilleux et de lâche passivité. » Là même où il devrait consentir aux limites, c'est-à-dire dans l'ordre de la puissance matérielle, -qui s'avère être toujours, au bout du compte à rebours, une puissance de destruction -, le Moderne pratique l'hybris la plus folle, mais quant à croire aux puissances du vrai, du beau et du bien, c'est trop lui demander: il préfère le plus veule relativisme. Si tout vaut n'importe quoi, tout peut être subi; il suffit de nommer « liberté » la plus odieuse servitude ou « égalité » la guerre de tous contre tous, ou encore « fraternité » l'abandon au grégarisme le plus vil ou l'obligation aux promiscuités les plus humiliantes. « Ce que les tyrans d'autrefois nous imposaient par la contrainte s'obtient aujourd'hui sans violence par un maniement approprié de la marionnette humaine. » Que les marionnettistes soient eux-mêmes des marionnettes est une piètre consolation. Les mystificateurs sont toujours les premiers mystifiés et ceux qui jouent aux démiurges technologiques les premières victimes de leurs tours. Cela ne change rien, hélas, à l'assombrissement qu'ils promeuvent, à l'extinction de l'imagination et de la raison à laquelle ils travaillent, au nihilisme rigolard qui se propose, par la bouche des chansonniers, comme le fin du fin de la sagesse humaine.

001063939.jpgD'autres autruches satisfaites reprochèrent à Gustave Thibon, comme à Heidegger, sa méfiance à l'égard de la technique et sa préférence, qui transparaît çà et là, pour un monde aux couleurs des saisons, des constellations, des vendanges. Est-ce un crime de préférer les bruissements des feuillages, le roulement des océans et des mers aux fracas des machines et le bourdonnement des abeilles à celui des ordinateurs ? « Chacun ses goûts » proclame pourtant le relativisme invétéré du Moderne, mais certaines préférences lui semblent tout de même plus suspectes que d'autres. Nous vivons ces temps étranges où l'on traite d'obscurantiste et de passéiste celui qui s'interroge, qui doute et affronte son doute aux ténèbres lumineuses de sa foi non moins qu' à ce monde lisse et dur qui se veut « moderne ».

D'autres encore se sont évertués à nous présenter l'œuvre de Gustave Thibon comme celle d'un « intégriste catholique ». Quoiqu'ils veuillent entendre sous cette appellation controversée, et vague, je présume qu'elle n'a, dans leur bouche, rien d'aimable. Il y a bien quelque chose, en notre temps, et je ne sais si on le peut nommer « intégrisme » qui privilégie l'écorce morte, le simple savoir historique des rites et des commandements au détriment de la flamme. S'il est vrai que « ce qui marque sur l'éternité, ce n'est pas de brûler un jour, mais de rester fidèle aux cendres de l'ivresse éteinte », cette fidélité signifie-t-elle l'abandon de l'Esprit, le dédain de toute herméneutique des signes et les intersignes d'une sophia perennis ?

Cette sophia, cette « tradition éternelle »* loin d'être le plus petit dénominateur commun entre les religions est exactement le cœur de chacune ou son âme, c'est-à-dire ce qui, en elle, est le plus profond et le plus léger. Loin d'abonder dans le sens d'un œcuménisme incertain, d'une confusion ou d'un syncrétisme des formes, cette tradition suppose la tension entre l'archéon et l'eschaton, l'Origine et le Retour, et « l'ardente amitié » de l'herméneutique spirituelle. Le texte intitulé Saint-Jean de la Croix et le monde moderne éclaire admirablement le sujet: « il n'est pas de pire culte du Moi, d'égoïsme plus subtil et plus profond que le narcissisme religieux. »

Nos époques déroutées favorisent à l'extrême ce narcissisme qui permet aux individus de tirer vanité d'une appartenance religieuse qui devrait d'abord leur enseigner l'humilité et le sens de l'héritage spirituel : « C'est un fait d'expérience journalière qu'il n'est pas de vies plus desséchées ni plus rétrécies, plus fermées à la vraie vie, plus captives d'un rêve intérieur, que celles de certaines âmes qui se croient vouées à Dieu. Il est si facile de recouvrir n'importe quoi du nom de Dieu, le grand invisible et le grand muet.» Le drame qui se joue est celui de la parole perdue. Sitôt le narcissisme religieux nous emprisonne dans la pure répétition, Dieu est « ravalé au rôle de masque ou d'alibi » et ce ne sont plus alors que des hommes qui parlent pour lui en leur propre faveur : « Le dévot, en effet, s'il ne cherche pas Dieu de tout son cœur et ne vit pas au-delà de lui-même, n'aboutit qu'à des raffinements d'égoïsme. »

9782213003979-G.JPG« Chercher de tout son cœur », cette quête essentielle, qui est celle de toute herméneutique spirituelle, de toute attente vraie devant le buisson ardent du Sens, est le voyage même, la vocation de l'homo viator, du pèlerin, du chevalier, du navigateur dont le voyage immobile débute avec l’aube du monde. De cette mer de la vérité métaphysique où nous jette la recherche, la quête, la chevalerie spirituelle sera l'île salvatrice sans laquelle nous serions perdus. Elle est l'Île Verte sise dans la Mer Blanche. Elle est le Graal dont parle Wolfram von Eschenbach. Elle est le Haut-Pays qu'évoquent les Mystiques Rhénans. De cela, les poètes témoignent sans doute avec une plus grande justesse que les dévots, les théoriciens ou les dogmatiques. Il resterait encore à définir en quoi la poésie et la métaphysique, indissolublement liées, peuvent faire contrepoids aux mensonges et aux alibis narcissiques: tâche immense qui incombe non plus aux « docteurs de la Loi » mais aux « Amis de Dieu » c'est-à-dire à cette chevalerie spirituelle qui témoignera « de la convergence de tous les vrais génies religieux de tous les pays et de tous les temps ».                                                                     

Luc-Olivier d’Algange

* Extrait d'une lettre de Gustave Thibon adressée à l'auteur: « Laissez- moi vous dire avec quelle ferveur je me sens en communion avec vous dans ce qui concerne la tradition éternelle. Cette convergence de tous les vrais génies religieux de tous les pays et de tous les temps en fournit la preuve irrécusable et seuls les esprits encrassés de modernité peuvent passer à côté de cette évidence »

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Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik

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Bespreking van: Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik

Björn Roose

Wie zich ook maar voor een uurtje in geopolitiek verdiept – en dat zijn er sinds die tak van de wetenschap de laatste decennia weer enigszins gededouaneerd is geraakt toch niet weinig –, komt hoe dan ook bij de naam Karl Haushofer terecht. Het is dan ook enigszins spijtig dat Perry Pierik het woord “geopolitiek” niet eens vernoemt op de cover van dit boek, zodanig dat wie nog nooit gehoord heeft van geopolitiek niet door dat woordje kan aangetrokken worden om het boek ter hand te nemen. Nah ja, “nationaal-socialisme” zal een belangrijker verkoopsargument geweest zijn en Pierik is per slot van rekening niet alleen schrijver, maar ook uitgever (dit boek is uitgegeven bij Aspekt, waarvan hij de eigenaar is) en boeken over het nationaal-socialisme en aanverwanten zijn zo’n beetje de specialiteit van zijn uitgeverij. “Als de nationaal-socialisten niet hadden bestaan, dan hadden ze ze moeten uitvinden”, zei een Franstalige kennis van me wel eens en hij had voor de wereld van uitgevers, documentairemakers en cineasten zeker gelijk.

frontImagesLink.jpgNu, los daarvan, dit Karl Haushofer en het nationaal-socialisme is een redelijk sterk boek. Ook voor wie meer wil weten over geopolitiek, want Pierik gaat uitgebreid op het vakgebied in in het derde hoofdstuk Geopolitik: de mores van het vak. De ideeën van Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén, Halford Mackinder en uiteraard Karl Haushofer en de andere geopoliticus in de familie, zijn zoon Albrecht passeren, samen met die van een aantal mindere goden, uitgeverijen, begunstigers, enzovoort, de revue. Bovendien zijn in het boek 35 bladzijden aan voetnoten opgenomen en 20 bladzijden aan literatuurregister. Daarin zit héél veel over de geopolitiek, zodat wie zich verder wil verdiepen in die wetenschap zich nog lang niet zal gaan vervelen.

Maarreuh, geopolitiek, was dat niet iets van de nationaal-socialisten? Was dat niet de semi-wetenschappelijke uitleg die ze gaven aan hun drang naar Lebensraum (en nach Osten)? Zou zoiets niet beter in de hoek blijven liggen waarin het na WOII geschopt is? Wel, dat soort vragen zal allicht ook de reden geweest zijn waarom Pierik dit boek geschreven heeft.

Mijn mening: politici (en dat zijn nationaal-socialisten net zo goed al communisten en “democraten”) maken altijd, net zoals “gewone” burgers (én een groot deel van de wetenschappelijke wereld), misbruik van die conclusies die de wetenschap (tijdelijk) trekt en stofferen er hun eigen aannames mee. Dat dat zal gebeuren, mag geen reden zijn om niet verder te streven naar kennis. En als iemand streeft naar kennis, zal hij doorgaans niet zoveel zelfbeheersing aan de dag leggen dat hij die voor zich houdt tot ze “volledig” is. Wetenschappers hebben een ego, willen niet dat een ander hen vóór is, en verdienen óók graag hun boterham.

Dat er zelfs in de definitie van geopolitiek nogal verschillen zitten van persoon tot persoon, van instelling tot instelling, maakt het er uiteraard niet makkelijker op. Dat er héél veel factoren meespelen óók niet. En dat iedereen er mee doet wat hem zint al evenmin. David Criekemans definieerde geopolitiek in 2005 als “het wetenschappelijk studieveld behorende tot zowel de Politieke Geografie als de Internationale Betrekkingen, die de wisselwerking wil onderzoeken tussen de politiek handelende mens en zijn omgevende territorialiteit (in haar drie dimensies; fysisch-geografisch, menselijk-geografisch en ruimtelijk)”, wat het wel zo’n beetje samenvat, maar ook meteen duidelijk maakt dat geopolitiek over álles kan gaan en overal heen kan.

md1367120941.jpgIs het dan eigenlijk wel een wetenschap, kan je je afvragen? En, weerom mijn mening, dat is het en dat is het niet. Is filosofie een wetenschap? Is psychologie een wetenschap? Is economie een wetenschap? Die eerste twee vragen zullen veel mensen meteen met een “nee” beantwoorden, al zullen de beoefenaars van de wetenschap in kwestie daar wellicht een andere mening over hebben, maar economie wordt algemeen gezien als wetenschap. Ik, als economist, zeg dat het dat niet is. Op basis van de economische “wetenschap” zijn systemen gevestigd die zo ver uiteenlopen als communisme en kapitalisme, verdedigt de ene een “miljardairstaks” en de andere een “flat tax”, is de ene in crisistijden voor zware overheidsinvesteringen terwijl de andere pleit voor het buiten de economie blijven van de staat. En elke politicus én elke economist heeft “wetenschappelijke” bewijzen die zijn gelijk staven. En stuk voor stuk zijn ze van oordeel dat hun tegenstanders onwetenschappelijke klungelaars zijn. Of ze negeren die tegenstanders volkomen. Ergo: als we economie als een wetenschap beschouwen, kunnen we geopolitiek óók als een wetenschap beschouwen.

Sterker nog: er is eigenlijk véél meer overeenstemming in de geopolitieke wereld dan er in de economische wereld is. Zonder dat die overeenstemming met de macht van de straat afgedwongen wordt (cfr. de zogenaamde consensus in de wetenschappelijke wereld over klimaatopwarming, afgedwongen door activistische politieke instellingen en dito van mediatieke roeptoeters voorziene burgers). Er zijn een aantal verschillende verklaringsmodellen, geen daarvan is volledig, en er is sprake van voortschrijdend inzicht, maar de voorlopige conclusies gaan geen radicaal verschillende richtingen uit. Én het is ook gewoon een razend interessant kennisdomein, zeker in tijden waarin grotendeels gedaan wordt alsof grenzen voor eeuwig vastliggen, handels- en andere oorlogen zich bedienen van flauwe excuses, en gedateerde internationale instellingen hun leven proberen te rekken.

51MI6LAnouL._SX339_BO1,204,203,200_.jpgNu, ook los van de rol van Karl Haushofer in de geopolitiek – een rol die eigenlijk nauwelijks kan overschat worden – is dit een interessant boek. De naam van Haushofer zal namelijk zelden genoemd worden zonder ook die van Rudolf Hess te noemen. Rudolf Hess, de gevangene en gehangene van Spandau, de plaatsvervanger van Adolf Hitler, de man met een vredesmissie, is ondanks alle literatuur die over hem gepleegd is nog steeds een van de enigma’s van de twintigste eeuw (daar kom ik bij een latere boekbespreking nog op terug). En hij was jaren een leerling en vriend van Karl Haushofer en diens zoon Albrecht. Hij had hun naamkaartje op zak toen hij naar Schotland vloog. De Haushofers wisten (de zoon in verschillende hoedanigheden) naar alle waarschijnlijkheid van zijn plannen. Al die zaken komen aan bod in Karl Haushofer en het nationaal-socialisme – Tijd, werk en invloed, wat toch veel meer is dan wat Wikipedia ter zake vermeldt. Dat spreekt namelijk alleen van Hess die Haushofers ideeën zou geïntroduceerd hebben bij Hitler en van Hess die Haushofers “joodse familie” (Haushofers vrouw was joods) beschermde tegen diezelfde Hitler, maar vertikt het het ook maar met een woord te hebben over de invloed die de Haushofers (zowel Karl als Albrecht) gehad hebben op zijn “vlucht”.

En dan is er natuurlijk ook nog Karl als vader van Albrecht. De twee kwamen na de “vlucht” van Hess in een neerwaartse spiraal terecht (het nationaal-socialistische regime was zich wél bewust van het feit dat er een samenhang was tussen Hess en de Haushofers die véél verder ging dan het promoten van geopolitieke ideeën), maar zelfs binnen die spiraal bleven ze een merkwaardig evenwicht bewaren. Een evenwicht tussen afkeuring en goedkeuring van de Führer, tussen conservatisme en nationaal-socialisme, tussen oost en west, tussen esoterisme en wetenschap. Een evenwicht dat kennelijk heel moeilijk te begrijpen is in hysterische tijden als de onze en dat daarom steeds weer afgedaan wordt als onzin. Een evenwicht dat Karl Haushofer niet kon redden van een gevangenschap in Dachau en Albrecht Haushofer van executie in de nasleep van het conservatieve von Stauffenberg-complot. Een evenwicht dat Karl Haushofer en zijn echtgenote Martha definitief verloren toen ze zich op 10 maart 1946 achtereenvolgens vergiftigden en ophingen (al lijkt me dat, in combinatie met het lot van Hess, sowieso ook weer een eigenaardigheid).

Voeg aan dit alles een een hoofdstuk toe over de Duitse Sonderweg, een gedegen uitleg over de revolutionaire toestand die uiteindelijk Hitler aan de macht bracht, een stavaza van de geopolitiek op het moment van publicatie (2006) en zelfs – al hoefde dat voor mij niet – een hoofdstuk over wat er van Karl Haushofer gemaakt is in de esoterische literatuur, en je weet dat dit boek van Perry Pierik een aanrader is. Lezen dus !

Epuisement de l'Europe?

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Epuisement de l'Europe?

René Girard

Achever Clausewitz

Editions Champs, 2007

(extraits)

« [En 1940] l’esprit guerrier n’était plus là du tout. L’histoire était devenue implacable. En fait, les Français avaient, à leur tour, l’idée que l’esprit allemand était essentiellement tourné vers la guerre, que c’était dorénavant leur culture à eux (…). Mais ce n’était plus du tout la culture des Français. Il faut penser cette situation comme l’inverse exact de celle de 1806, qui faisait croire à Clausewitz et Germaine de Staël que les guerriers par excellence étaient les Français. Ces derniers ont en effet pris acte, en 1940, que les siècles de la prépondérance française était derrière eux, qu’ils allaient assister au retour des Germains et de l’empire. Quand la culture de la guerre change de camp, la vision de l’histoire change, elle aussi. (…) la France du Second Empire, et surtout celle de la IIIe République, s’est bâtie sur un mythe napoléonien qui l’a littéralement achevée en l’obligeant à vivre au-dessus de ses moyens. Notre dénégation de la réalité est allée croissant, au fur et à mesure que montait, de son coté, le ressentiment allemand. Mais c’est toujours la puissance déclinante qui vit au-dessus de ses ressources. En 1806, c’était la Prusse ; en 1940, c’était la France, mais dans des proportions évidemment incomparables, car la montée aux extrêmes avait progressé. On peut dire de la même façon que l’esprit guerrier a quitté l’Allemagne (…). Là aussi, c’est fini, quelque chose a été cassé. Chaque pays européen a été brisé à son tour par cette tornade. »

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« Il y a de formidables tabous en France, beaucoup de sujets qui fâchent, et dont on ne veut pas parler. (…) Napoléon est littéralement divinisé, comme Jules César. Mais sa mort n’a rien fondé. L’Empire français est mort avec lui. Alors son petit neveu a reconstruit Paris pour essayer de le faire oublier : Iéna, Wagram, Austerlitz, Caulaincourt évoquent plus des avenues, des gares ou des rues, que les batailles ou les généraux qui ont conduit la France à sa ruine. Nous étions encore, il y a peu de temps, dans le mythe de la ‘grandeur française’, dans Louis XIV et dans Napoléon. De Gaulle a porté ce mythe à sa manière. Nous avons changé d’époque. C’est sans doute une bonne chose. Cela indique une sortie de la religion nationale. La continuation de ce qu’il y avait de meilleur dans le gaullisme consistera à renoncer à certains mythes gaulliens, comme un nationalisme trop étroit, par exemple. »

« …l’Europe (…) est un continent fatigué, qui n’oppose plus beaucoup de résistance au terrorisme. D’où le caractère foudroyant de ces attaques, menées souvent par des gens ‘de l’intérieur’. (…) L’Europe était moins malléable du temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. »

Addendum à

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/01/31/la-roue-des-civilisations-le-zodiaque-a-t-il-une-influence-sur-la-successio.html

Citation oubliée dans la compilation « La ‘Roue’ des civilisations » (astro-histoire, etc.) :

« L’entrée dans l’ère du Verseau est bien plus tragique que les changements d’ères précédents. Le passage du Taureau au Bélier n’a vu que l’affaiblissement de l’empire égyptien, celui du Bélier aux Poissons la décadence romaine. Mais le début du Verseau contient la liquidation apocalyptique évoquée par le mythe de Babel… »

(Robert Dun, Le message du Verseau, 1977)

Une autre citation coïncidant partiellement avec le thème de l’astro-histoire, mais qui peut être placée en « Additif » :

« …depuis Alexandre, aucun conquérant n’a réussi à triompher lorsqu’il s’est dirigé vers l’Orient. Toutes les grandes invasions ont eu lieu dans l’autre sens, qui correspond à la course du soleil sur l’horizon, de l’Est vers l’Ouest, l’Occident, le ‘bout du monde’ qui se termine avec les rivages de l’Océan et les caps finis-tère (Irlande, Bretagne, Galice).

Voici les vainqueurs : Jules César, Attila, Tamerlan, Gengis-Khan : ils marchaient vers l’ouest, comme les conquistadors ibériques du Nouveau Monde et ceux du Far West.

Voici les vaincus, marchant vers l’Est : l’empereur Julien, Charles XII, Napoléon, Hitler. 

Hitler aurait dû comprendre le sens cosmique de la marche des peuples migrateurs vers l’Occident : Ases, Scythes, Germains, Celtes. On ne renverse pas le cours du destin, serait-ce pour rejoindre la ‘Horde d’Or’. On ne boit jamais deux fois à la même source. »

(article dans la revue « Nostra », hors-série n° 2, 1983)

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Imbolc et la fête de l'Ours

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Imbolc et la fête de l'Ours

Llorenç Perrié Albanell

Ex: https://www.terreetpeuple.com

Catalogne du Nord : La fête de l’ours, une survivance païenne restée intacte

Nombreuses sont les fêtes païennes qui ont été récupérées, faute de mieux, par la religion chrétienne lors de son implantation. Cette dernière s’est heurtée à l’univers mental et spirituel des européens de jadis dont le style de vie était rythmé par le cycle des saisons. Des fragments des anciennes pratiques nous sont parvenus par le biais de ces syncrétismes et rares sont les fêtes qui sont restées intactes. C’est le cas de la fête de l’ours en Catalogne du Nord qui se déroule en février.

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La fête de l’ours, quelles correspondances ?

Imbolc, le 1er février, est chez les Celtes une fête d’ouverture vers la lumière. Un mois après la période sacrée du solstice d’hiver on constate déjà l’allongement des jours. Le nom d’Imbolc est lié à l’allaitement des agneaux nouveaux-nés, en correspondance avec la montée du lait des brebis et le réveil des végétaux. Le soleil annonce son retour, c’est donc l’arrivée prochaine du printemps qui est célébrée, aussi bien chez les Celtes que chez les Germains. Le 1er février est également le jour de Brigit, déesse mère, bienfaitrice et protectrice, notamment des troupeaux. Un texte irlandais du Xe siècle décrit Brigit comme la fille du grand dieu Dagda. Citons également pour la même période la fête romaine des Lupercales célébrée le 15 février, en l’honneur de Lupercus, dieu protecteur des troupeaux, assimilé à Pan1.

Dimension symbolique de la fête de l’ours

Les fêtes en Catalogne du Nord sont nombreuses, goigs dels ous (cantiques des œufs, fête qui se déroule à Pâques, à mettre en relation avec Ostara), les focs de la Sant Joan (les feux de la Saint Jean, à mettre en relation avec le solstice d’été), etc... son folklore est aussi riche que varié, le choix ici, comme le titre de l’article l’indique, va se porter sur une des plus anciennes des fêtes, la fête de l’ours. Les fêtes traditionnelles, généralement religieuses, pagano-chrétiennes,  agraires ou historiques, ont la particularité et l’avantage d’être cycliques. L’action s’inscrit dans le temps à date fixe, demande une préparation et par conséquent une immersion dans le monde de la tradition. Ce qui permet le maintien d’un lien intergénérationnel et une catalanisation constante des esprits, le sentiment d’appartenance à la communauté villageoise, provinciale ou nationale est permanent. La fête de l’ours puise ses origines dans les rites païens de fécondité, la lutte de la vie ( renaissance printanière) contre la mort hivernale. Elle est présente à Céret, Prats de Mollo et Saint Laurent de Cerdans. Généralement elle a lieu entre janvier et février, à noter un rapprochement avec la fête du carnaval. La fête du carnaval s’inscrit dans la logique de l’antique fête païenne d’Imbolc (ancien nom celte, ère pré-chrétienne) où il fallait célébrer la défaite de l’hiver face au printemps par des réjouissances quelque peu débridées d’où la forme ancienne qui consistait à simuler une chasse, le gibier, personnifiant l’hiver mis à mort. Les villageois représentant le camp de l’hiver devaient être affublés de peaux de bêtes et de caparaçons de paille2. En Vallespir l’image de l’hiver est personnifiée par l’ours. De nos jours cette fête est toujours d’actualité et bénéficie d’un large succès. Le déroulement de la fête peut sembler, pour les visiteurs tranquilles, un peu brutal. Les hommes du village, des chasseurs, partent réveiller ce fameux ours, endormi dans sa grotte.  Il est incarné généralement par un ou plusieurs participants, de préférence robustes, vêtus comme dans les temps anciens d’une peau de bête, la figure et les mains enduites de suie, détail important lors des attaques.  Une fois réveillé notre faux plantigrade se rue sur tout le monde, sans distinction, ou presque, puis les enduit de cette fameuse suie, les femmes généralement par ce geste sont considérées comme fécondées. La fête est généralement accompagnée par des musiques  traditionnelles, une chanson revient souvent, c’est évidemment celle de l’ours. Musique, cris, poursuites dans les rues, bruits de bâtons qui s’entrechoquent, pétards et autres instruments dédiés au chaos sonore mettent le village dans une ambiance d’émeute ! La légende est contée en catalan, heureusement car le rituel conserve donc tout son sens. Bien évidemment les villageois sont les grands vainqueurs de ce combat. L’ours est tondu avec une hache en place publique, et comme par magie il redevient un homme, le printemps, la vie en définitif a eu raison de la noirceur de l’hiver3.

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Pour conclure : Outre le fait de chasser l’hiver qui affame, le rituel de la fête de l’ours selon Robert Bosch évoque une seconde hypothèse complémentaire4 : « Il symbolise le printemps, la renaissance de la nature et des êtres. De plus, l’ours permet aux villageois d’enrayer le problème de la consanguinité qui menace la conservation de l’ethnie. Les dimensions symboliques de l’ours suffisent au maintien des communautés villageoises vallespiriennes qui n’ont besoin de personne d’autre pour subsister ! »

Llorenç Perrié Albanell

A suivre sur Ronde Païenne des Quatre saisons :

https://www.youtube.com/channel/UClUqxeW0YiW87JnHZkGbVnQ

https://www.facebook.com/Ronde-païenne-des-quatre-saisons-105804574440226/?comment_id=Y29tbWVudDoxODE1NjgyNTY4NjM4NTdfMTgxNjIwMDcwMTkyMDA5

Notes:

1 Vial, Pierre, Fêtes païennes des quatre saisons, Les Éditions de la forêt, Saint-Jean-des-Vignes, 2008.

2Ibib.

3Perrié Albanell, Llorenç, Nationalismes irlandais et catalans, convergences, similitudes et différences, Les Éditions de la forêt, Forcalquier, 2014,

4Pagès, Magalie, Culture populaire et résistance culturelle régionale, Paris, L’Harmattan, 2010.

mardi, 02 février 2021

Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

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Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it

L'OTAN se tourne vers l'avenir. C'est pourquoi le secrétaire général Jens Stoltenberg a invité des étudiants et de jeunes dirigeants des pays de l'Alliance à proposer "de nouvelles idées pour l'OTAN 2030". Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'implication croissante des universités et des écoles, avec également un concours sur le thème : "Quelles seront les plus grandes menaces pour la paix et la sécurité en 2030 et comment l'OTAN devra-t-elle s'adapter pour les contrer ?

Pour réaliser ce thème, les jeunes ont déjà le manuel : "OTAN 2030 / Unis pour une nouvelle ère". Ce rapport est présenté par un groupe de dix experts nommés par le Secrétaire général. Parmi eux, Marta Dassù qui, après avoir été conseillère en politique étrangère du Premier ministre D'Alema pendant la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, a occupé des postes importants dans les gouvernements successifs et a été nommée par le Premier ministre Renzi au conseil d'administration de Finmeccanica (aujourd'hui Leonardo), la plus grande industrie de défense italienne.

Quelle est la "nouvelle ère" que le groupe d'experts envisage ? Après avoir défini l'OTAN comme "l'alliance la plus réussie de l'histoire", qui a "mis fin à deux guerres" (celles contre la Yougoslavie et la Libye, mais que l'OTAN a déclenchées), le rapport brosse le tableau d'un monde caractérisé par "des États autoritaires cherchant à étendre leur pouvoir et leur influence", posant aux alliés de l'OTAN "un défi systémique dans tous les domaines de la sécurité et de l'économie".

Retournant les faits, le rapport affirme que si l'OTAN a tendu une main amicale à la Russie, celle-ci a répondu par une "agression dans la zone euro-atlantique" et, en violant les accords, a "provoqué la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires". La Russie, soulignent les dix experts, est "la principale menace à laquelle l'OTAN doit faire face au cours de cette décennie".

En même temps, affirment-ils, l'OTAN est confrontée à des "défis sécuritaires croissants de la part de la Chine", dont les activités économiques et les technologies peuvent avoir "un impact sur la défense collective et la préparation militaire dans la zone de responsabilité du commandant suprême des alliés en Europe" (qui est toujours un général américain nommé par le président des États-Unis).

Après avoir tiré la sonnette d'alarme sur ces "menaces" et d'autres, qui viendraient également du Sud, le rapport des dix experts recommande de "cimenter la centralité du lien transatlantique", c'est-à-dire le lien de l'Europe avec les États-Unis dans l'alliance sous commandement américain.

Dans le même temps, il recommande de "renforcer le rôle politique de l'OTAN", en soulignant que "les Alliés doivent renforcer le Conseil de l'Atlantique Nord", le principal organe politique de l'Alliance qui se réunit au niveau des ministres de la défense et des affaires étrangères et au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Puisque, selon les règles de l'OTAN, il prend ses décisions non pas à la majorité mais toujours "à l'unanimité et d'un commun accord", c'est-à-dire fondamentalement en accord avec ce qui est décidé à Washington ; renforcer encore le Conseil de l'Atlantique Nord signifie affaiblir encore plus les parlements européens, en particulier le parlement italien, qui sont déjà privés de réels pouvoirs de décision en matière de politique étrangère et militaire.

Dans ce cadre, le rapport propose de renforcer les forces de l'OTAN, en particulier sur le flanc Est, en les dotant de "capacités nucléaires militaires adéquates", adaptées à la situation créée par la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (traité déchiré par les États-Unis). En d'autres termes, les dix experts demandent aux États-Unis d'accélérer le déploiement en Europe non seulement des nouvelles bombes nucléaires B61-12, mais aussi des nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée similaires aux euro-missiles des années 80.

Ils demandent en particulier de "poursuivre et de revitaliser les accords de partage nucléaire", qui permettent à des pays officiellement non nucléaires, comme l'Italie, de se préparer à l'utilisation d'armes nucléaires sous le commandement des États-Unis. Les dix experts rappellent enfin qu'il est essentiel que tous les alliés maintiennent l'engagement, pris en 2014, d'augmenter leurs dépenses militaires d'ici 2024 d'au moins 2% du PIB, ce qui signifie pour l'Italie de les faire passer de 26 à 36 milliards d'euros par an. C'est le prix à payer pour profiter de ce que le rapport définit comme "les avantages d'être sous l'égide de l'OTAN".

L'histoire de la tradition européenne selon le rebelle Dominique Venner

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L'histoire de la tradition européenne selon le rebelle Dominique Venner

La maison d'édition l'Arco e la Corte a publié l'essai de l'intellectuel français Histoire et tradition des Européens". 30 000 ans d'identité.

par Francesco Marotta

Ex: https://www.barbadillo.it

    "[...]L'histoire est une créatrice de sens. A l'éphémère de la condition humaine, elle oppose le sentiment de l'éternité des générations et des traditions [...]". (Dominique Venner)

510AY7pYSFL._SX355_BO1204203200_-310x433.jpgL’ouvrage est désormais disponible dans toutes les librairies italiennes. Histoire et tradition des Européens. 30.000 ans d'identité de Dominique Venner se trouve donc partout en Italie. Cet essai, publié par L'arco e la Corte, édité par Manlio Triggiani et traduit par Gaetano Marabello, est passé presque inaperçu. Une chose inexplicable, surtout dans ces milieux "culturels" qui devraient lire les écrits de Venner avec plus d'attention, au lieu d'exalter seulement la magniloquence des samouraïs d'Occident. En bref, analyser soigneusement ses œuvres et comprendre sa personnalité est une toute autre chose. Mais comme souvent, pour eux, construire autour de la fin tragique de Dominique le panégyrique habituel qui heurte même sa mémoire, passe avant tout. Mais c'est un essai dans lequel il n'y a presque aucune trace du dernier acte, de "secouer les consciences anesthésiées et de réveiller la mémoire de nos origines". C'est un écrit que nous recommandons en particulier à ceux, nombreux, qui ne connaissent pas ses œuvres, sa passion pour l'histoire et, en même temps, les nuances de l'historien avec son talent descriptif et narratif peu commun.

Dans l'introduction de Gaetano Marabello, sur la base d'un article de Francesco Borgonovo publié dans le journal La Verità du 1er octobre 2018, intitulé "Défendons maintenant les hommes doux et assez de la rhétorique du rebelle", la querelle habituelle se détache : Dominique Venner, le rebelle ou le révolutionnaire ? Borgonovo semble n'avoir aucun doute. Selon le journaliste, l'historien français fait partie du grand groupe catalogué à droite, selon un étiquetage facile, l'inscrivant de plein droit dans le seul rôle du révolutionnaire. Dommage que Venner, quiétait conscient des vicissitudes troublantes de notre époque, qu’il lisait notamment avec les yeux clairs, dépourvus des préoccupations idéologiques de la modernité : il y flairait l'humus des révolutions du Petit Siècle. L'un des traits distinctifs de Venner était son rejet de l'ordre dominant. Ses valeurs ne coïncident pas avec celles de la modernité. Sa conduite humaine dépeignait son intériorité. Pour preuve, il suffit de considérer comment il a été ostracisé pendant longtemps parce qu'il était contre toute orthodoxie. Anticonformiste et lucide dans l'exposé des particularités de la "pensée unique", interdite et souvent raillé par les scribes bien intentionnés, il dédaigne tout ce que les autres recherchent. Dominique Venner, le cœur rebelle, savait dire "Non".

Après avoir terminé ce petit et consciencieux préambule, il est maintenant temps d'aborder l'essai en question. Publié en France en février 2002 par les Éditions du Rocher, Histoire et tradition des européens : 30 000 ans d'identité, montre clairement dès les premières pages qu'il n'y a pas de "Tradition" des peuples européens mais des traditions. Ceux-ci font partie de la notion d'Ethnos, comprise comme une communauté caractérisée par l'homogénéité de la civilisation, de la langue, de l'histoire, de la culture, des coutumes, des traditions et des mémoires historiques, traditionnellement installée sur un territoire donné. Le point de vue de Venner, imprimé dans son exposition captivante, est celui d'un "historien témoin de son temps". Par conséquent, l'histoire et les traditions européennes font inévitablement partie d'une communauté de culture qui ne peut être trouvée "en aucune façon ailleurs". Ses examens font une brèche dans une époque dont la caractéristique principale est le désaveu total des particularités de tout un continent, victime du déracinement, de la pathologie sociale de notre temps. Mais pour comprendre le chaos dans lequel nous vivons, il est nécessaire d'observer les choses en posant des questions importantes.

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En bon Français qu'il était, la question qu’il se posait était évidente : qu'est-ce que la France ? Du point de vue de quelqu'un qui croit en une Europe très différente de la bureaucratisation et de la financiarisation de l'économie : qu'est-ce que l'Europe ? Mais le point central, la hantise, était avant tout la question de savoir ce que nous sommes et où nous allons. Pour Dominique Venner, soit l'Europe s'élève par une volonté de puissance, soit elle est condamnée à périr aux mains d'hommes "dénaturés", ne tirant plus ses richesses des peuples qui la constituent. Et la seule façon qu'il a connue d'exprimer sa pensée a été de voyager à travers l'histoire, en mettant en évidence un héritage spirituel à la merci de l'idéologie de la mondialisation qui se moque de la poésie homérique, des légendes celtiques et nordiques, de l'héritage romain, de l'imagination médiévale et de l'amour courtois. L'objectif de Dominique Venner, on peut le résumer à ceci : apporter des éléments utiles pour ne pas exclure la possibilité pour quiconque d'entreprendre une recherche authentique de nos traditions, en réaffirmant la seule façon que nous connaissons d'"être face à la vie, à la mort, à l'amour et au destin".

Poussant ses investigations dans les méandres de la mythologie grecque, de la mythologie romaine et de la mythologie nordique, son livre ressemble beaucoup à une invitation à faire pleinement l'expérience d'une "certaine humanité" qui est profondément ancrée dans les peuples d'Europe. D'Achille à Ulysse, nous avons des héros qui "expriment un monde intérieur" bien au-delà des contextualisations fournies par une certaine historiographie. Discuter longuement des deux héros, aux passions opposées mais à la même volonté, qui "traversent le temps depuis les poèmes homériques", sans rien faire d'autre que de nous dire comment ils ont consacré leur existence à "se construire par l'exercice du corps et de l'esprit" ; nous parler, de l'Histoire telle que nous la comprenons, le "théâtre de la volonté" qui est alors "une invention européenne" et non le fruit de l'héritage de l'exotisme des XVIIIe et XIXe siècles ; continuellement mis à jour, avec de nouveaux traits stylistiques universels teintés de naïveté. Mais dans cet essai, l'Orient a toute sa place, dépouillé des pièges et assimilant les particularités des autres : "Nous disons Orient, mais l'Orient a tous les visages. L'Égypte n'est pas la Chine, le monde sémitique n'est pas l'Inde", car le substrat des peuples de la Terre est formé par la pluralité des peuples et des cultures particulières. Caché par cette civilisation universelle d'abord, puis par les "cultures multiples", tant vantées par Lévi-Strauss et par l'ethnocentrisme qui imprègne l'idéologie du progrès.

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Dans un paragraphe auquel il a donné un titre sans équivoque, "Tendances suicidaires contemporaines", comme s’il avait eu une vision anticipatrice du désastre que nous vivons aujourd'hui, Venner met l'accent sur ces pulsions autodestructrices des peuples européens, qui essaient de se donner la mort par un suicide collectif tout en aigreur et en fureur : "Il n'y a pas d'exemple historique de civilisation qui ait poussé à un tel degré le refus de survivre et la volonté de se supprimer". Un des héritages des deux guerres mondiales qui est lié au développement bourgeois d'un certain protestantisme (voir aussi les postulats d'un certain catholicisme), ainsi que le mantra d'une sotériologie d'absolution des péchés commis par le biais de l'expiation perpétuelle, en vue d'une possible rédemption et d'un salut. Mais pour sortir de cette dépendance et des résidus des utopies universalistes, "nous sommes obligés de faire un effort intellectuel et spirituel à la hauteur du défi", en prenant soin de toutes ces nuances auxquelles nous n'avons même pas pensé. En particulier, approfondir et élaborer avec de nouvelles synthèses aussi cette herméneutique créative déjà traitée par Mircea Eliade, une source d'inspiration pour la raison qu'"elle révèle des interprétations qui n'étaient pas saisies auparavant" en raison de la tendance à traiter les problèmes avec des grilles interprétatives-idéologiques sur l'état des choses.

Mais le long voyage accompli par Venner, pour rédiger cet ouvrage, tient compte des 30.000 ans de culture européenne, de l'espace géographique où elle s'est développée, avant même les preuves symboliques et esthétiques que l'on trouve dans la grotte Chauvet, en Ardèche, dans le sud de la France. Un fil conducteur qui relie l'histoire des peuples indo-européens aux spécificités de la personnalité des protagonistes de l'Iliade et de l'Odyssée, ou, en termes de linguistique : d'Émile Benveniste à Georges Dumézil, de la Túatha Dé Danann irlandaise au chaudron celtique, du voyage des Pythies au mystère des Hyperboréens, etc. A la fin de son tour du monde à des époques plus récentes, il en vient à comparer les vicissitudes des "poèmes fondateurs" de la culture européenne. Comme La Chanson de Roland écrite dans la seconde moitié du XIe siècle avec Homère, Achille, Priam, Siegfried, Hector, "du héros avant la Destinée", illustrant son essence et le fameux "sentiment d'une communauté de destin". Fournir une clé de lecture qui ressemble à la continuation d'un long voyage, en compagnie de Télémaque, un encouragement pour le lecteur à redécouvrir les expériences et la valeur du voyage : les différentes significations de l'"être" par rapport à nous mais certainement pas "univoque".

Rome est morte à cause de ses conquêtes, lorsque "ses empereurs ont cessé d'être d'origine romaine" et que les Romains eux-mêmes ont été supplantés par des masses d'immigrants de tous les peuples conquis, assimilant leurs traditions, leurs identités, leurs cultures et leur sens du "Sacré". Sans s'en rendre compte, ils sont passés de l'ordre du cosmos à la mortification radicale de l'autosuffisance de l'homme (unicum peccatorum), sanctionnant ainsi l'inversion des pôles, de la mesure à l'excès. Dans ce travail de Venner, l'un des plus importants de sa mouvance, on distingue l'interlocuteur très préoccupé par les dynamiques négatives qui ont investi le Vieux Continent. Il est également une invitation à relire attentivement l'injonction delphique qui dit "Connais-toi toi-même". Dominique, l'historien qui a exploré avec prudence mais grande conscience les secrets de la chevalerie, du sens de la dignité et de l'honneur, de la loyauté et de la générosité, de la courtoisie et de l'éthique du service, avait sans doute une vision verticale des choses dans le monde. Il a parfaitement réussi à combiner ses examens sur le nihilisme et le pillage de la nature avec l'étude des œuvres de Huxley et Orwell, de Guy Debord et des écrits de Flora Montcorbier. Un amateur de longues réflexions qui a lu attentivement "Le Communisme de Marché" : De l'Utopie Marxiste à l'Utopie Mondialiste" du philosophe et économiste, insérant dans cet ouvrage certaines de ses idées sur "la fabrication des zombies", la religion de l'Humanité de l'Occident et l'homo œconomicus du futur, pour une métaphysique renouvelée de l'histoire. On peut comprendre que Dominique, ait pu voir la descente d'Hypnos et de Thanatos, le sommeil et la mort, prêts à conduire l'esprit de l'Europe devant le destin ultime.

*Storia e tradizione degli europei. 30.000 anni d’identità I Dominique Venner (traduzione a cura di Gaetano Marabello e con postfazione di Manlio Triggiani, L’arco e la Corte, Collana “Historiae”, pp. 278, euro 18)

L'histoire d'Imbolc (et de la marmotte!)

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L'histoire d'Imbolc (et de la marmotte!)

par Catherine Bentley

https://www.truehighlands.com

Traditions saisonnières et culture dans les Highlands écossais

En tant que (vrais) Highlanders, nous sommes façonnés par de nombreuses choses. Notre histoire, nos traditions et notre culture communes ont, pour le meilleur ou pour le pire, largement contribué à définir qui nous sommes vraiment. À la veille d'Imbolc, lorsque nous regardons derrière nous et que nous considérons les rituels du passé, il est tout à fait naturel de se demander si ces anciennes traditions ont une place dans le monde moderne. Les étudiants en histoire font souvent remarquer qu'ils étudient le passé afin de mieux comprendre le présent. Ainsi, si nous regardons Imbolc, que nous dit-il sur notre situation actuelle ?

Le 1er février, c'est Imbolc

Imbolc, qui tombe le 1er février, est l'une des pierres angulaires du calendrier celtique. Pour les habitants des Highlands, le succès de la nouvelle saison agricole était d'une grande importance. Comme les réserves d'hiver devenaient insuffisantes, les rituels d'Imbolc étaient effectués pour assurer un approvisionnement régulier en nourriture jusqu'à la récolte six mois plus tard. Au fil du temps, l'église a assimilé de nombreuses facettes de cette fête, principalement en raison de la réticence des Highlanders à perdre une partie aussi importante de leur culture et du pragmatisme des églises à adapter des idéologies apparemment contradictoires quand cela leur convenait.

Ainsi, Imbolc devint la Chandeleur et la déesse païenne Bridhe qui lui était associée devint Sainte-Bride, soit la Sainte Epouse (de Bride = la mariée, l’épousée, ndt). Dans les Hébrides extérieures, cependant, les populations locales se sont raccrochées un peu plus à leurs traditions et les coutumes ont évolué pour devenir un hybride spirituel unique, à mi-chemin entre la fête chrétienne moderne qui se tient le premier février et le paganisme traditionnel de nos ancêtres.

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Sainte-Bride et la Chandeleur

La Chandeleur elle-même a des origines très alambiquées. Dans ses efforts pour christianiser la divinité païenne populaire de la terre, Bridhe, l'église l'a rebaptisée Sainte Épouse et lui a donné une histoire colorée, où elle a été miraculeusement transportée à Bethléem pour assister à la naissance du Christ. L'église a également emprunté à la Rome antique, où un rite similaire, à cette époque de l'année, honorait la déesse Juno Februata (à l'origine du nom de ce mois) dont les adorateurs, ce jour-là, portaient des bougies allumées pour l'honorer. Dans les régions de langue gaélique d'Écosse en particulier, la déesse Brighid était toujours tenue en haute estime et c'est là que les coutumes et les rituels associés ont mis le plus de temps à disparaître.

Le 31 janvier Óiche Fheil Bhrighide, qui signifie la veille de la fête de Brighid en gaélique, la dernière gerbe de blé de la récolte précédente était habillée en Brighid et emmenée de maison en maison par des jeunes filles. Elles habillaient et décoraient cette effigie avec des coquillages et des cristaux étincelants ainsi qu'avec toutes les petites fleurs et la verdure qui poussaient à cette époque de l'année. Un coquillage ou un cristal très brillant était placé sur son cœur. On l'appelait reul iuil Brighde, l'étoile directrice de Bride. Les jeunes filles, vêtues de blanc avec les cheveux tombés, portaient la mariée en procession, lui chantaient une chanson et visitaient chaque maison. Tout le monde devait la vénérer et lui faire une offrande. Les mères lui donnaient un bannock, du fromage ou un petit pain au beurre. Enfin, elles se rendaient dans une maison pour faire un festin, les hommes étant autorisés à entrer après un certain temps. Une grande partie de la nourriture était conservée et distribuée plus tard aux pauvres.

Le lit de berceau de la mariée

Dans une autre tradition, les femmes âgées de chaque foyer fabriquaient un berceau appelé le lit de la mariée. Elles en faisaient une figure à partir d'une gerbe d'avoine décorée de rubans, de coquillages et de cristaux. La femme se dirigeait vers la porte et appelait doucement en gaélique "le lit de la mariée est prêt" ou "Brighde, entre, ton accueil est vraiment fait". Ce faisant, ils invoquaient l'esprit de Brighde et elle était vraiment présente dans la figure qu'elles avaient faite. Elles ont ensuite placé Brighde dans le lit avec un bâton droit à côté d'elle (le slachdan Brighde).  Puis elles l'ont lissée sur les cendres de l'âtre, la protégeant des courants d'air. Le matin, elles les examinaient avec empressement. Elles étaient très heureuses si elles trouvaient la marque de la baguette de Brighde, mais elles étaient ravies si elles trouvaient sa véritable empreinte de pas, car cela prouvait qu'elle était vraiment avec eux cette nuit-là et qu'elles auraient de la chance tout au long de l'année à venir.

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Les croix de St Bride

Une coutume plus courante, qui a survécu dans de nombreuses zones rurales, est le tissage de croix de St Bride à partir de joncs. Ces croix étaient construites la veille au soir et accrochées autour de la maison pour porter chance.

Contrairement à la fête du Samhain, et peut-être en raison d'un festival initialement consacré à une déesse, la plupart des activités rituelles étaient centrées sur les femmes et les filles du village. Il s'agissait également d'une célébration plus personnelle et localisée plutôt que d'une affaire de communauté. Cet aspect a également été repris à l'époque chrétienne, lorsque la fête avait tendance à être célébrée en famille à la maison, par opposition à un acte de culte communautaire à l'église.

Il existe également un lien étroit avec l'huîtrier dont le nom gaélique est gille bridhe, ou serviteur de Bridhe. Dans la tradition ancienne, Bridhe les appelait de sa main et les envoyait guider les marins vers le rivage par mer agitée. Entendre leur appel distinctif pour beaucoup est le signe que le printemps est en route.

Holy Wells (puits sacrés) en Écosse

Les puits sacrés étaient aussi traditionnellement visités ce jour-là, les visiteurs priaient pour la santé en marchant au soleil autour d'eux et laissaient des bouts de tissu trempés dans l'eau sur les arbres voisins. Depuis l'arrivée de l'Église réformée aux Hébrides, il y a peu de puits avec des dédicaces saintes ; cependant, pour les curieux, il en existe encore un à côté d'une chapelle en ruine sur une ferme de Melbost. Noté par l'Ordnance Survey comme Teampull Bhrighid, c'est un lien concret avec les histoires passées. Qui sait avec certitude quel genre de rituels auraient eu lieu en ce jour, ici, il y a des centaines d'années.

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À Barra, le jour de la mariée, on tirait au sort les meilleurs iolachan iasgaich ou bancs de pêche. Après l'église et un sermon sur les vertus et les bénédictions de la mariée, le prêtre exhortait la congrégation à éviter les disputes et les querelles concernant la pêche. Après être sortis de l'église, les hommes tiraient au sort les bancs de pêche des années suivantes, juste à la porte de l'église.

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Aucune mention d'Imbolc ne serait complète sans une mention de la tradition contemporaine. Les rituels évoluent avec le temps et souvent, lorsque les gens partent à la découverte du monde, ils s’adaptent à de nouveaux foyers et à de nouvelles circonstances. Comme nous l'avons vu avec les colons américains sculptant des citrouilles plutôt que des navets lors de cette autre fête païenne importante qu’est le Samhain ; nous pouvons également faire remonter les origines du « Jour de la marmotte » (Groundhog Day) en Europe. Ce jour-là, chaque année, les yeux de l'Amérique se tournent vers une petite ville de Pennsylvanie popularisée par un film de 1993 intitulé Groundhog Day. Lorsque Punxsutawney Phil sort de son terrier, si le ciel est nuageux, le printemps arrivera tôt mais s'il est ensoleillé, la marmotte verra soi-disant son ombre et se retirera dans sa tanière, et le temps hivernal persistera pendant six semaines encore.

Rituels de purification païens romains

Les origines de cette coutume spécifique sont enregistrées sous le nom de Lupercalia, un rituel romain païen de purification qui avait lieu le 15 février sur l'ancien calendrier romain, lorsqu'un hérisson était chargé de la divination du temps. Ces croyances ont survécu à la christianisation de l'Europe et se sont plutôt rattachées à la Chandeleur en tant que folklore. Les colons européens en Amérique du Nord ont maintenu la tradition païenne, mais avec la marmotte indigène. La tradition, bien qu'elle ne soit plus observée en Écosse, fait l'objet d'un proverbe gaélique :

Thig an nathair as an toll
Là donn Brìde,
Ged robh trì troighean dhen t-sneachd
Air leac an làir.

The serpent will come from the hole
On the brown Day of Bríde,
Though there should be three feet of snow
On the flat surface of the ground

Le serpent sortira du trou

Le jour brun de Bríde,

Bien qu'il devrait y avoir trois pieds de neige

Sur la surface plane du sol

C'est une sorte de victoire des anciennes coutumes sur les nouvelles, alors que des millions de personnes savent ce qu'est le « Jour de la marmotte » mais ne connaissent pas la Chandeleur. Mais plus que cela, cela montre l'attrait durable de la tradition et du paganisme. En ces temps incertains où quelques personnes luttent pour donner un sens au monde qui les entoure, le rituel peut donner un sens à la vie. Que vous regardiez le Phil de Punxsutawney en direct sur Internet, que vous allumiez une bougie ou que vous tissiez une croix de St Bride ce soir, vous faites partie de quelque chose de plus grand, de général, c’est plus pertinent que jamais.

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De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

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De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

Emanuel Pietrobon

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L'Albanie est la clé de voûte de l'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation euro-balkanique revient à hypothéquer le contrôle de ce qu’il est convenu d’appeler la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, qui équivaut à un tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

L'Albanie est d'ailleurs une économie florissante et en fort développement, une terre ouverte aux investissements étrangers, mais elle est aussi et surtout en attente d'adhésion à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique. L'Allemagne, en raison de son rôle de première puissance européenne et à cause des éléments factuels et géographiques mentionnés ci-dessus, fait un pari important sur l'avenir du cœur territorial de la « ceinture des Aigles ».

Rome se retire, Berlin avance

L'Italie reste le premier marché de référence de l'Albanie en termes d'import-export, mais la position de domination commerciale, résultat de la proximité géographique et du passé historique, s'effrite au fil du temps au profit d'une situation plus variée reflétant l'émergence de nouvelles polarités et de nouveaux équilibres entre les Balkans et l'Adriatique.

Les chiffres sont éloquents : le tandem italo-albanais est en déclin constant depuis 2017, tandis que la présence de la Turquie et de la Chine augmente de façon ininterrompue, sans intervalles, pauses ou ralentissements, depuis 2005. Entre 2018 et 2019, alors que les importations en provenance de Rome ont diminué de 6,3 %, celles en provenance d'Ankara et de Pékin ont augmenté respectivement de 14 % et 11 %. Si la tendance se poursuit et se cristallise, d'ici le milieu des années 20, l'Italie pourrait perdre son titre de premier collaborateur commercial de l'Albanie.

L'Allemagne joue un rôle clé dans ce processus d'érosion : elle est entrée dans le classement des cinq premiers collaborateurs commerciaux de l'Albanie en 2015, occupant la quatrième position, et, depuis lors, elle a montré sa volonté de défendre avec ténacité ce statut de domination ascendante. L'année dernière, ce fut le tournant : l'augmentation exceptionnelle des exportations de produits albanais vers le marché allemand - +12,8% par rapport à 2019 ; la plus forte augmentation jamais enregistrée parmi tous les partenaires commerciaux de Tirana - accélère l'inéluctable ascension de Berlin, qui passe de la quatrième à la troisième place.

Investissements

Outre les échanges commerciaux, l'Allemagne utilise les investissements et la diplomatie culturelle pour accroître son poids sur la scène albanaise. En termes d'importance, Berlin est le onzième investisseur direct dans le système du pays des Aigles, où il est particulièrement présent dans l'énergie, les infrastructures et le tourisme, trois secteurs qui, le 27 janvier, ont fait l'objet d'une série d'accords.

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A la fin du mois, en effet, une réunion bilatérale a eu lieu à Tirana entre l'ambassadeur allemand in loco, Peter Zingraf, et la ministre albanaise de l'énergie et des infrastructures, Belinda Balluku, au cours de laquelle trois documents importants ont été signés dans les domaines de l'énergie - la restauration de la centrale hydroélectrique de Fierza, la plus grande du pays, par des spécialistes allemands -, l'investissement allemand de cinquante millions d'euros sur quatre ans pour promouvoir le développement régional intégré et le tourisme par le renforcement du réseau d'infrastructures - et pour conserver l'environnement - c'est-à-dire le soutien à la "gestion durable des déchets".

A Tirana, on parle allemand (de plus en plus)

Enfin, il y a la culture, un domaine sur lequel l'Allemagne parie beaucoup. Complice du mouvement migratoire de Tirana vers Berlin, à partir de 2018, les universités allemandes reconnaissent officiellement les diplômes du système d'enseignement supérieur albanais et la mobilité des étudiants a été renforcée par des programmes d'échange.

La promotion de la langue allemande : celle-ci est devenue une matière d'enseignement officielle dans six écoles participant à l'initiative "Partenaires pour l'avenir" ; elle est désormais une branche qui suscite un intérêt croissant chez les jeunes Albanais. Cette promotion est liée à la nouvelle donne économique/géopolitique. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, considérons que le Goethe-Institut de Tirana en 2016 a dû transférer ses activités dans un bâtiment plus grand pour faire face de manière adéquate à une demande en pleine explosion : quatre mille étudiants se sont inscrits à l'époque, soit une augmentation de 22 % par rapport à l'année précédente.

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Il est fondamental de traiter le facteur linguistique avec toute l’attention voulue : en matières géopolitiques, les sphères d'influence sont également préservées par des travaux de conditionnement et de contagion culturelle, et l'intérêt et la fascination d'un peuple pour une langue sont révélateurs de la santé d'un lien entre les nations. La situation actuelle, une fois de plus, devrait inquiéter Rome : alors que des langues telles que l'anglais, l'allemand et le turc gagnent en popularité et en crédit, ces dernières années ont vu les étudiants protester contre l'imposition de l'enseignement obligatoire de l'italien.

L'importance de l'Albanie

L'Albanie est la clé de voûte pour asseoir toute stratégie d'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation signifie hypothétiquement prendre le contrôle de la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, le tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

Celui qui contrôle la « ceinture des Aigles » décuple la probabilité de pouvoir construire une position hégémonique dans les Balkans qui, à leur tour, étant le talon d'Achille historique de l'Europe, sont fondamentaux pour conditionner la dynamique politique du Vieux Continent. C'est pour cette raison, souvent et volontairement incomprise et/ou négligée dans le monde de l'analyse géopolitique, que les grandes puissances régionales et extra-régionales s'intéressent au sort de Tirana, et de sa sœur Pristina, depuis la fin de la guerre froide, profitant des événements en Yougoslavie et de la perte de pouvoir et d'influence du garant historique qu’était l'Italie.

La Turquie et les États-Unis sont les acteurs qui ont su tirer parti de la dynamique des guerres post-yougoslaves, la première dans le cadre de l'expansion néo-ottomane dans les Balkans et la seconde dans le cadre de l'élargissement de l'Alliance atlantique et de l'endiguement de la Serbie (c'est-à-dire de la Russie), mais la compétition pour le contrôle du cœur géographique de la ceinture des Aigles est l’intention d'une multitude de nouveaux acteurs : la Chine, Israël, l’Iran, les pétromonarchies du Golfe, la France, l’Allemagne, le Vatican.

L'avenir du peuple albanais ne semble pas parler italien, aussi et surtout, à cause de mauvais choix, de négligence et de manque de clairvoyance de la part de la classe dirigeante du Bel Paese ; le fait est, cependant, que négliger de courtiser Tirana, c'est perdre un précieux avant-poste dans l'Adriatique et dans les Balkans occidentaux : Rome est avertie.

lundi, 01 février 2021

Jean Parvulesco: Cantos pisanos - Fragments, notes de mes carnets du Bunker Palace Hôtel

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Jean Parvulesco

Cantos pisanos

Fragments, notes de mes carnets du Bunker Palace Hôtel

 

«  Tout ne doit-il pas se retrouver à la fin du Manvantara, pour servir de point de départ à l'élaboration du cycle futur ?  »

René Guénon

 

«  Et si tu trouves des traits gravés dans les pierres, sous la poussière des routes, foulées par des pas innombrables - nul ne sait plus que ce sont des Runes Sacrées, elles avaient jadis grande signifiance et maintenant tous ont désappris le chant qui donnait à ces signes une vivante puissance magique - alors ne montre pas tes larmes !

Recueille ces trouvailles et consacre-les silencieusement au Royaume des Mères. Là ce qui fut abandonné peut se reposer dans l'attente d'une forme nouvelle, jusqu'au jour où une autre jeunesse en rêve de nouveau.

Cacher et conserver, c'est aux sombres époques de renversement l'unique office sacré  »

Hans Carossa

 

«  Où sont les douces pelouses avec le clair ruisseau, entre elles, les séparant  ».

Ezra Pound, Canto LXXXIV

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Comme nous approchons des temps de la conclusion manvantarique du grand cycle dont nous assumons l' ultime fond de lie tout en assurant, aussi, les premières relevailles, bien des choses qui s'eussent voulues cachées jusqu'à la fin se laissent à présent surprendre dans la transparence à la fois tragique et fragilisante d'une mise-à-nu qui, ne fût-ce que symboliquement, les apparente, soudain, aux prestations liturgiques de la mort, aux obscures ordalies de ce passage des êtres et des choses par le vide de leur autodissolution initiatique où tout finit et tout recommence et où leur part d'éternité leur est instituée intacte, et plus limpide, terrible et mystérieuse chrysopée philosophique dont parlent à couvert les textes hermétiques occidentaux et que la grande Savitri Dêvi rapprochait, précisément, de ce passage de l'or par l'épreuve royale de la fournaise, the gold in the furnace disait-elle, qu'aura été aussi, en dernière analyse, la fin historique d'une civilisation brisée, anéantie par la trahison intérieure, par les flammes et par le feu mais, de par cela même, vouée imprescriptiblement à la spirale de son assomption transhistorique finale.

Ainsi en est-il, aujourd'hui, de l'aventure spirituelle de l'exil. A l'heure où des êtres et les choses risquent d'avoir à se laisser surprendre, d'un instant à l'autre, dans leur plus extrême nudité intérieure, l'exil n'est plus une nostalgie, et bien moins encore la péripétie d'un quelconque déchirement dramatique de la vie, aussi atroce fût-il ce déchirement et périclitée cette vie, mais la marque brûlante et l'engagement accepté d'une prédestination secrète, puisque l'exil représente et n'en finit plus d'établir les états d'une situation ontologique de limite, et de limite ultime, la condition même d'un état de rupture ontologique totale: c'est l'exil, la conscience de l'exil et la conscience de cette conscience elle-même qui fondent la spacialité lumineuse et vide, l'immaculée conception de tout recommencement poétique de soi-même et du monde, de tout retour existentiel et historique à l'être.

Car c'est dans la mesure même où elle implique et donne refuge en elle, ne fût-ce que d'une manière figurative, liturgique, à l'exil ontologique de l'être perdu dans les nuits de son propre obscurcissement, que toute expérience existentielle de l'exil annonce l'avènement de l'être avenir, l'imminence à la fois solaire et tragique de l'avènement occulte de ce qui vient, voire de celui qui vient, avènement si prophétiquement invoqué par Hans Carossa dans son Geheimnisse des reifen Lebens, où le regard transcendantal du visionnaire entrevoit les temps du salut er de la délivrance à venir par-delà les résurgence historiques actuelle de l'Anti-Règne des puissances négatives au service du «  chaos intérieur  » ou, comme le disait un autre grand américain réduit à l'exil, et même à l'exil intérieur, P.H Lovecraft, le «  Chaos rampant  ».

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Une autre chose aussi me semble absolument certaine: c'est qu'il n'y a pas, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais une vraie grande poésie, une grand pensée ni une grande littérature, une grande culture de droite.

Toute vraie poésie, vivante et agissante, orphiquement opératoire, donneuse de vie et de souffle vivifiant, toute grande pensée salvatrice, toute grande littérature, toute culture grande, totale, véritablement et profondément grande, seront, toujours, ne sont ni ne puissent être absolument ne pas être qu'une poésie, une pensée, une littérature, une culture d'extrême-droite.

C'est que, depuis les architecture cyclopéennes des saisons supra-historiques médiumniquement entrevues par P.H Lovecraft jusqu’aux créations métacosmiques d'un Constantin Brancusi, depuis Empédocle jusqu'à Heidegger et depuis Virgile et Dante jusqu'à Hölderlin, Ezra Pound et Joyce, le dire total, le dire totalitaire du dire a eu partie abyssalement liée avec l'être, alors que les tenant avoués ou occultes du non-être, les partisans des puissances de la négation et du chaos pré-ontologique se trouvent infailliblement empêchés d'avoir recours à la parole vivante, et cette infaillible interdiction étant, en elle-même, ce par quoi s'affirme et se donne à dévoiler, se donne à reconnaître la présence même de l'être, sa présence vivante, la présence réelle de l'être dans l'être même de son unique parole de vie. L'être est, le non-être n'est pas.

Si seules les réappropriations de l'être, fussent-elles nocturnes, et même nocturnissimes, données en attente, en absence, en immémoire agissante, parviennent jusqu'aux fondations de leur propre remise en état impériale, régnante et rayonnante à nu dans leur propre dire de soi-même, c'est que tout projet du non-être est exclu d'avance, irrémédiablement, du domaine de la parole et de la vérité de l'être, qui, seule vivante, est seule à dénominer, à élucider, à délivrer ce qui n'attend que de l'être.

Dans les saisons de l'occultation métacosmique de l'être, le seul jugement est celui de la poésie, et peut-être aussi le seul salut, et la seule délivrance. Tout est perdu, mais non le chant de la détresse de qui, dans la perdition, se dédouble par le chant de détresse de sa perdition.

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La poésie donc, état à la fois ultime et originel, ne parvient à fonder l'histoire engagée dans ses recommencements ni, dans les étapes nocturnes de son devenir, à en assumer et sauver le tout dernier souffle, que si elle-même, la poésie, tournée vers les développements voilés de sa propre essence, y instruit et proclame le mystère virginal de ses propres fondations mises à nu et rien d'autre, fondations vivantes et agissantes de la poésie en tant de poésie dont l'unique espace d'intériorité et d'influence souterraine est, depuis toujours, l'espace à la fois fermé et ouvert de l'exil. Espace fermé à jamais sur lui-même, mais ouvert indéfiniment à tout ce qui participe de ce clair-obscur, de cette désespérance lucide de la conscience séparée pour laquelle le jour se veut nuit et la nuit est comme le jour, espace entre chien et loup où naissent et viennent s'affirmer, révolutionnairement, tous les pouvoirs nouveaux. «  Nous autres, fils du clair-obscur, écrivait Hans Carossa, nous servons aussi fidèlement la nuit que le jour.  »

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Située dans la clair-obscur ontologique où il lui est demandé de servir également la nuit et le jour, l'être et le non-être, l'histoire dans ses périodes d'ensoleillement et dans ses détours crépusculaires, la poésie se maintient néanmoins au-delà du jour et au-delà de la nuit, au-delà de l'être et du non-être, au-delà des clartés et des ténèbres de l'histoire dans un endroit originellement hors d'atteinte qui est, précisément, le lieu même de ce qui fait  qu'au-delà de l'histoire il y ait une transitoire, que le jour et la nuit, que l'être et le non-être, perpétuellement en devenir, se trouvent perpétuellement appelés à se dépasser suivant la spirale ascendante de ce devenir lui-même, qui apparaît comme étant, en lui-même, occultement, un troisième état ontologique. J'entends l'état de clair-obscur où seule règne la poésie, règne totalitaire de ce qui se refuse à toute division, à toute séparation de cet Empire de la Totalité où se laisse approcher le Troisième Etat de l'être, l'Abgründ de Meister Eckhart, le mystérieux Anschau de Wolfram Von Eschenbach.

Cependant, l'inspiration poétique - m'aventurerais-je à dire la dictée poétique - ne parvient plus, ici, ou plutôt à partir d'ici, à se conceptualiser sans dommages, sans les infiltrations obstruantes, les pièges et les empêchements de sa propre résistance intérieure à un dire de soi-même de plus en plus périclitant, dangereux pour ses derniers retranchements, et j'insiste encore, comme déjà sur les lisières de l'équivoque, du mal dit, ce n'est que pour assurer les lieux de convenance où vont avoir à se porter toutes nos interventions au sujet des Cantos Pisanos.

Car le secret des Cantos Pisanos est celui du dépassement de l'histoire immédiate par l'action poétique, ou plutôt par l'Action Directe de la Poésie Absolue, le secret, donc, de la reconstitution indéfinie de l’Anschau impérial de la poésie en action sur les étendues de ruines chaotiques où n'en finit plus de ne pas se faire ou de se défaire avant de se refaire le Troisième Empire de la Fin, jusqu'à ce que l'heure vienne.

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Ainsi comprendra-t-on que ce n'est pas la poésie qui est en exil, et bien moins encore en exil par rapport au monde, à l'histoire, mais que ce sont l'histoire dans sa totalité et le monde lui-même qui sont en exil par rapport à la poésie.

Tout exil est poésie et toute poésie exil, mais l'exil que l'on vit dans la poésie n'est plus l'exil, ni obscurcissement, ni désespérance de l'exil quand il se dévoile, au détour d'une soudaine fulguration, l'espace d'ensoleillement et de puissance totalitaire où se dressent vertigineusement dans l'air limpide du chant les remparts étincelants du Troisième Etat de l'être, la fulguration préontologique de la Turning Island qui hante le grand rêve celtique, la mystérieuse Wagadu invoquée par Ezra Pound, ombre de l'ombre de l'Atlantide engloutie par les abîmes, et de toutes les Atlantides, y inclus les plus récentes. Regarde ! Regarde-moi, avant que je retourne dans la nuit. Là où rayonne la Tête de Mort, revivront à nouveau les soldats, retourneront les étendards, Cantos LXXII.

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Après la clôture du cycle indo-germanique des Védas Sacrés, dernière réminiscence, dernière anamnesis voilée des temps du chant hyperboréen antérieur, commencent les chemin crépusculaires du grand cycle historique actuel, qui est, originellement, une fin de cycle, une longue entrée dans la nuit et dans les ténèbres de l'exil ontologique d'une histoire, d'une civilisation, d'une race appelées à traverser l'épreuve royale du feu qui anéantit tout, l'épreuve du gold in the furnace. Aussi le devenir de ce cycle s'identifie-t-il avec l'histoire même de l'Occident, et les quatre étapes de son entrée dans la nuit reproduisent les quatre étapes fondamentales de sa poésie qui établit et renouvelle, d'une manière à chaque fois moins lumineuse, moins transparente, la situation en devenir de son exil d'origine, jusqu'à la fin. Mais, ainsi que l'écrivait Hölderlin en conclusion à l'un de ses plus grands hymnes, «  ce qui demeure toutefois, c'est ce que fondent les poètes  ».

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Chaque grand cycle historique occidental se reconnaît dans le chant de sa propre poésie fondationnelle. Virgile, Dante, Hölderlin, Ezra Pound: la constellation suprême de la poésie occidentale dans son devenir transhistorique propre, reconstitue, à travers le chant continuel mais de plus en plus désensoleillé de ses témoins prédestinés, de ses témoins chaque fois sacrifiés, immolés par le feu de la poésie absolue, par le Brasier Ardent de la continuité du chant occidental, la figure héraldique du désastre historique l'Occident, l'exil transcendantal dont se nourrissent souterrainement les aliénations et la mise-en-ténèbres de son espace de probation tragique, de son sang et de sa conscience prisonniers d'une dialectique d'obscurcissement désormais et depuis si longtemps déjà sans issue ni salut.

La poésie, dialectique agissante de la transhistoire à travers laquelle elle naît et se renouvelle indéfiniment dans l'histoire, apparaît ainsi comme la politique occulte d'un cycle transhistorique, comme la métapolitique en action de son propre devenir transcendantal.

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Ce que Virgile, Dante, Hölderlin et Ezra Pound ont invoqué et fait naître dans leur chant ininterrompu, c'est le lamento hyperboréen, l'anamnesis ensoleillante d'une race spirituelle  qui ne peut pas ne pas se souvenir , et jusqu'au plus interdit de son oubli préventionnel - et quel oubli profond est à présent son grand oubli, son refuge, son dernier refuge, son sommeil dogmatique et son Kiffhauser mental enseveli sous les cendres - qui ne peut pas souvenir, dis-je, des temps historiques, des saisons métahistoriques où l'espace de liberté ontologique réelle n'était pas encore exclue de sa propre histoire, de son propre espace d'être, et jusque de son propre sang et de sa propre conscience d'elle-même.

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A mesure, cependant, que la grand aliénation occidental de la fin avance dans l'histoire et se développe négativement, son mystère originel, et même, en quelque sorte, sa raison agissante, deviennent de plus en plus patent, de plus en plus manifeste: la poésie d'Ezra Pound, qui en rend compte tout en essayant de le dépasser, finit, dans ses Cantos Pisanos, par faire, de ce mystère d'aliénation lui-même, l'espace intérieur de son agir, tout en l'assumant comme sa blessure de mort et comme la raison voilée de ses rhétoriques d'éclatement et d'agonie sans fin, d'insoutenable dégoût face comme dans le Canto LXXII, au grand usurier Satan-Géryon, prototype des patrons de Churchill.

Que j'entonne le chant de la guerre éternelle, entre la boue et la lumière,

s'intimera-t-il, doctrinalement, au milieu du Canto LLXXII. Ainsi, ce que l'histoire occidentale du monde n'en finit plus de vouloir dissimuler, va transparaître dans les Cantos d'Ezra Pound avec l'intolérable évidence d'une révélation arrachée de haute lutte à la grande nuit déjà régnante, récupérée subversivement sur les établissements des ténèbres en place, sur les avant-postes ennemis marquant la ligne de front des multiples dialectiques de diversion et de crime mobilisés pour aliéner, pour obscurcir comme de l'intérieur tout entendement éveillé des nôtres.

Mais cette poésie de la fin, de l'éclatement crépusculaire et de l'agonie d'une civilisation - celle-ci symbole actuel, elle-même, de toute la succession nocturne de civilisations engagées sur la spirale descendante de la fin négative d'un cycle - comportera aussi, et cachera en elle - souterrainement, très-souterrainement - comme un mince et frais Sunion de dédoublement visionnaire. Car sa mission est non seulement celle de récapituler et de conclure un cycle lui-même en état de conclusion, mais aussi celle de projeter, par-delà les gouffres et comme par réverbération - réverbération cosmique, en réverbération médiumnique aussi - la part secrète de ce qui ne doit pas périr, en aucun cas périr, l'espérance à peine entrouverte d'un autre recommencement, au-delà de Léthé.

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Une chose en tout cas m'apparaît encore comme à retenir: personne, et ce surtout dans les temps de la fin, personne ne saurait plus respirer l'air raréfié des hauteurs vraiment ultimes, ni donner asile en soi à ce que Hölderlin appelait, dans Brot und Wein, «  la plénitude divine  », la Göttliche Fülle, sans que celle-ci ne vienne à y laisser ses aveuglante brûlures solaires, ses lissons ardents et son souvenir sans merci, inextinguible et silencieux, extatique.

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Si déjà, «  au bord de l'abîme  », Hölderlin faisait, en écrivant à un ami, sa terrible confession d'état, «  maintenant je peux bien le dire, moi aussi Apollon m'a frappé  » dans son Canto LXXIV, Ezra Pound ne se définissant-il pas lui-même comme «  l'homme sur qui le soleil est descendu  » ?

Mais, pareil à Sémélé, rendue incandescente et amoureusement consommée par le feu du ciel, Ezra Pound, frappé lui aussi, par le soleil, transforme ce feu en lumière et devient lui-même lumière, chant ininterrompu célébrant les noces à la fois sauvages et extatiques du ciel et de la terre et la naissance théurgique du troisième terme, du troisième état apollinien de l'être. La poésie, comme Artémise, n'appartient-elle pas entièrement à Apollon ? Et comme Orphée, Apollon n'est-il pas, aussi, un Dieu Noir ?

Ainsi, marquée par «  la lumière noire d'Apollon  » qu'avait entrevue, un jour Aimé Patri, par cette mystérieuse et troublante «  lumière des loups  » dont parlent les traditions hyperboréenne de la Grèce antérieure, l'existence d'Ezra Pound n'aura été qu'un long et terrible vertige d'écartèlement au-dessus des gouffres intérieurs de l'état d'exil, de l'état de loup-garou dans l'appartenance occulte du Dieu Noir, de l'Apollon lui-même crucifié sur les ténèbres intérieurs du soleil, au-dessus du Puits du Soleil ?

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Né en 1885, dans l'Idaho, terre de l'Ouest profond traversée, sur ses hauts plateaux désertiques, par la rivière Snake, l'ancienne Rivière des Sorciers, Ezra Pound s'exilait des Etats-Unis en 19O7, où il ne devait retourner qu’en 1945, quarante ans plus tard, pour être jugé sous le chef d'accusation de «  haute trahison en temps de guerre  »,  haute trahison perpétrée en faveur des puissance de l'Axe et principalement en faveur de l'Italie, et pour se voir, éventuellement, condamné à mort. Cependant, reconnu comme «  dément  », dans «  l'impossibilité d'être jugé  » et nécessitant d'être «  interné et soigné  », jusqu'à nouvel ordre dans un «  établissement spécialisé  », dans un «  asile d'aliénés fédéral  », Ezra Pound échappa de justesse - miraculeusement même - à la corde, pour être interné à l'hôpital Saint-Elisabeth, à Washington.

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Ainsi, après treize ans de «  détention psychiatrique  » - ce qui précède et pulvérise tous les records soviétiques en la matière - l'immense visionnaire occidental et roman des Cantos Pisanos quittait les Etats-Unis en 1959 pour ne plus jamais y retourner, puisqu’il est mort à Venise et 1972 - le jour du 1er novembre - et enterré dans une petite île au large de Venise, en terre adriatique.

Pendant la dernière guerre mondiale, en effet, Ezra Pound avait assuré une série d'émissions américaines à Radio-Rome, dans laquelle il exhortait la nation américaine à se ressaisir, à prendre conscience de la signification cachée, interdite et prohibitionniste, dévoyée à dessein, d'une guerre allant fondamentalement contre le destin profond et les intérêts les plus vitaux des Etats-Unis dans le monde, d'une guerre d'aliénation nationale et servant des buts étrangers si ce n'est subversivement antagonistes à la vocation, au souffle et à l'être supérieur de ses peuples.

Dans un témoignage intitulé Tombeau pour Ezra Pound, Dominique Jamet écrivait, le 3 juin 1986, dans les colonnes du Quotidien de Paris:

«  La décision de l'incarcérer postulait qu'une autorité supérieure à la sienne le rangeait, en toute connaissance de cause, au nombre des individus dangereux, pour lui-même et pour les autres. Pour avoir été fasciste, il fallait que Pound eût été fou. C'était faire bon marché de la santé mentale de quelques centaines de millions d'êtres humains qu'avait séduits l'idéologie dominante du deuxième tiers du siècle.  »

«  Fallait-il être fou pour se proclamer indifférent à la guerre suicidaire, absurde, qu'engageait une moitié de l'humanité contre l'autre ? Fallait-il être foi pour crier que dans cette guerre allaient s'engloutir les vestiges de la civilisation ? Il fallait sans doute l'être, ou aveugle, ne fût-ce qu'à ses intérêts, pour parler à la radio italienne alors que les Américains étaient entrés en guerre contre l'Italie fasciste. Il fallait être fou ou aveugle, pour ne pas renier les idéaux défaits alors même que la défaite emportait le Reich millénaire et le nouvel Empire romain. Mais était-ce folie que de dénoncer la nouvelle barbarie qui déferlait sur le monde ?  »

20

Arrêté en Italie par les forces américaines d'invasion à la fin du printemps fatal de 1944, ou plutôt «  livré par les partisans  », Ezra Pound, avant qu'on ne l'expédie par avion à Washington, devait passer six semaines - les quarante jours et les quarante nuits des grandes épreuves initiatiques, des grandes descentes infernales, - dans l'enceinte du DTC américain de Pise.

Jean-Parvulesco-Ezra-Pound.jpgExposé au milieu du camp, ses compatriotes - ses soi-disant compatriotes - l'avaient enfermé, seul, dans une «  cage à gorille  » en poutrelles métalliques, entièrement à l'air libre et sans toit, en plein hiver et la nuit un projecteur aveuglant - à dessein - braqué en permanence sur lui. Ce fut ainsi.

Photo: Jean Parvulesco et Ezra Pound à Paris

Ezra Pound, instance supremissime du cycle fondationnel d'une civilisation occidentale finale, démiurge de la saison poétique - de la grande saison ontologique - appelée à conclure et à recommencer apocalyptiquement ce qui, avant lui, eut à instruire, et depuis quels abîmes, le chant originel de Virgile, de Dante, de Hölderlin, Ezra Pound, «  l'homme sur qui le soleil est descendu  », avait à ce moment-là soixante ans, et les deux derniers vers des Cantos Pisanos, écrits dans sa «  cage à gorille  », ne sont qu'un insondable cri de désespoir, de honte terrifiante et nue:

«  Si le gel te mord sous la bâche

Tu crieras "pitié" à la fin de la nuit.  »

21

Ayant eu moi-même le privilège, que j'estime des plus extraordinaires, d'approcher personnellement, et de la façon la plus conséquente, l'auteur des Cantos Pisanos lors de ses derniers passages à Paris, je peux témoigne directement de son appartenance à un autre niveau d'être - un autre niveau de l'être - tout autant que de la réalité magnétique, du rayonnement intolérablement paroxystique de sa présence immédiate, de son influence charismatique directe, qui n'en finissaient plus d'agir sous le vœu orphique du silence total , de la renonciation acharnée à la parole, à toute parole, vœu et barrière par lesquels il manifestait sa volonté d'absence d'un monde irrémédiablement en proie, depuis «  le printemps fatal de 1945  », aux puissances du chaos et du néant. (...)

Que ta clémence, Perséphone, se maintienne,

priait, au début du siècle, le jeune Ezra Pound, dans un sonnet aux cadences, aux implications extraordinaires proches de celles des plus occultes confréries de Fidèles d'Amour.

Et ces implications détenant, je ne suis pas très-loin de le penser, la clef décisive de toute intelligence amoureuse de l'œuvre d'Ezra Pound, je veux dire de toute intelligence concernant les pouvoir cachés et la lumière cachée se dégageant d'une certaine expérience amoureuse, aussi spéciale qu'elle dût avoir été totale, et dont le parcours, dont l'action souterraine semblant avoir secrètement contrôlé, et de quelle dramatique manière, la vie et l'œuvre d'Ezra Pound. Et quand je parle de pouvoirs cachés, comment ne pas se demander, aussi, quelles peuvent bien avoir été les origines cachées de ces pouvoirs ?

Vertige solaire final, à partir des vertiges solaires des commencements. Quel aura donc été le plus profond secret de vie d'Ezra Pound ? Dans son œuvre, il faut se résigner à la reconnaître, il n'y en a pas la moindre trace: pour y être quelque peu admis à en connaître, il faut avoir eu accès à la part confidentielle de son existence, et celle-ci, je peux l'affirmer avec force, se trouve à jamais hors d'atteinte, sauvegardée d'avance de toute ingérence extérieure à ce qu'avait été son excellence propre, sa «  plus haulte vertu  ».

Et ce que moi j'avais été reçu à savoir, initiatiquement parlant, sur la «  carrière amoureuse  » d'Ezra Pound, personne d'autre que moi ne le sait aujourd'hui.

L'amour absolu conduit au pouvoir absolu, dont la poésie absolue n'est que l'aura irradiante, la lumière à l'extérieur, le resplendissement boréal.

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Le soir du Décameron, quand Olga Rudge me disait: «  Je crois que le vieil oncle Ezra est dans les vignes du Seigneur  ».

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Dans la vie du vieil oncle Ezra, deux femmes, Dorothy Shakespear, et Olga Rudge. Quand Mircea Eliade me confiait que, suivant un ancien secret gnostique redécouvert par lui, la seule voie de divinisation - la seule expérience divinisatrice - restant ouverte aujourd’hui, pour l'humain, est celle d'aimer deux femmes.

On a compris qu'il s'agit en fait d'une voie tantrique. La plus grande sainteté «  pouvoir aimer deux femmes à la fois  ». C'est l'échec de parcours de cette expérience qui va mener le héros d'un des romans roumains de Mircea Eliade, Paul Anicet, à la résolution du suicide, du «  suicide mystique  ». Ce roman, non encore traduit en français, s'intitule Le Retour du Paradis. Sans aucun doute le plus important des romans de Mircea Eliade.

Quelle vertigineuse fulguration gnostique Ezra Pound est-il parvenu à établir entre Dorothy Shakespear et Olga Rudge, et quelle fut l'incarnation du troisième terme s'établissant gnostiquement entre elles ? Tre donne intorno alla mia mente, est-il dit dans le Canto LXXXVIII. Confession ? Et quelle fut la Troisième, l'inconnue des gouffres du Feu Sulamitique, le «  quatrième feu  », et elle-même faisant l'objet, dans la vie de son corps et dans le corps de sa vie, des feux de la très-occulte «  clémence de Perséphone  » ? Quant aux mystères agissants du «  quatrième feu  », voir aussi le long chapitre que je consacre à ce sujet dans La Spirale Prophétique.

D'autre part, je relève les «  accointances galactiques  » dont il faut sans doute créditer Olga Rudge. Des «  accointances galactiques  » dans le sens même où l'eût entendu H.P. Lovecraft. Dans un sens, je veux dire, immédiatement conspirationnel et métacosmique.

Ainsi que les fort énigmatiques relations tibétaines de Dorothy Shakesear. D'ailleurs, les dix dernières années de la vie d'Ezra Pound furent entièrement situées sous une certaine lumière tibétaine. A travers le mariage de sa fille, des liens d'étroit rapprochement s'établissent, pour Ezra Pound, avec le Tibet, et avec certaine mouvance tibétaine en Europe, parmi les plus discrètes.

Ezra Pound, «  figure solaire  » de Dionysos. S'identifiant au grand chat sauvage des Montagne Rocheuses de son enfance, Ezra Pound en reproduit les feulements enragés quand il donnera personnellement lecture de ses Cantos. On y reconnaît l'identification dionysiaque par excellence, celle de «  l'homme léopard  ».

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Sur ce que, refermées sur elles-mêmes, les anciennes confréries dionysiaques appelaient le «  pacte du silence  ». Ezra Pound, on l'a dit ici-même, s'était complètement tu pendant une dizaine d'année, jusqu'à devenir «  dépourvu de parole  ». Il n'avait accepté de «  reprendre parole  » que la nuit du diner chez Dominique de Roux, rue boulevard Saint-Germain, quand il avait cru qu'il lui fallait me dire, coûte que coûte, ce qu'il pensait du livre que je venais de lui consacrer, livre qui, depuis, s'est perdu. Et la suite hallucinée de ses confidences, axées, pour la plupart, sur la Sicile.

(...)

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Et pourtant, malgré la distance peut-être infranchissable entre les autres, quels qu'ils fussent, et son exil à l'intérieur même de l'exil, il était impossible d'approcher Ezra Pound sans se rendre compte de ce que je devrais appeler sa bonté, une bonté qui, chez lui, se manifestait pas une disponibilité enthousiaste et sans cesse renouvelée pour le génie des autres, pour tout ce qui lui paraissait pouvoir participer d'une intelligence authentiquement révolutionnaire de la conscience occidentale du monde au moment où celle-ci était appelée à faire face en catastrophe à la première lame de fond de la montée finale des forces négative du chaos et du néant. «  Tout aux autres  ». Elingue prédestiné, qui n'a-t-il pas soulevé de terre ?

Joyce, Brancusi, Cummings, Eliot, les plus grands noms de la littérature et de l'art occidental modernes restent profondément redevables, dans leurs manifestations ultérieures, de l'attention active, de la volonté enthousiaste et stratégiquement efficace, volonté d'intelligence et de soutien immédiat, avec lesquelles Ezra Pound s'était tourné, au moment le plus critique, vers le devenir, vers la situation de leur œuvre en marche. C'est sur l'intervention personnelle d'Ezra Pound que Harriet Weaver s'était décidée à «  donner à Joyce  », écrit G.S Fraser, «  tout l'argent qu'il lui fallait pour qu'il puisse terminer Ulysses sans être gêné dans sa vie  ». Et ce n'est là qu'un seul exemple entre bien d'autres, innombrables. Non point une poussée exceptionnelle, mais la conduite permanente de toute une vie. Une vocation illuminée, une forme de destin et de grandeur. La cristallisation en lui d'une vibration éternelle.

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Apollon est un Dieu Noir, Apollon est aussi le Destructeur, le Dévastateur: son nom vient d'apollunai, défaire, détruire.

«  Nul ne saurait aller au Père si ce n'est par moi  ». Nul ne saurait être admis à la vision solaire totale, impériale, à la fois ardente et limpide, d'Apollon Phoibos, le «  resplendissement  », s'il n'est pas descendu, avant, lui-même, jusqu'à ces tréfonds interdits et obscurs où veille l'Apollon Noir, instructeur et maître de la lumière hyperboréenne du «  soleil des loups  ». Regarder en face le soleil du jour, c'est avoir su - et surtout pu - neutraliser en soi-même tous les pouvoirs, et jusqu'à la réalité même du soleil noir de la nuit et de la mort, c'est avoir tué la mort par la mort, anéanti la négation fondamentale par une négation trans-fondamentale, une négation d'au-delà de toute négation: c'est réduire l'Urgrund nocturne des origines ontologiques par l'Abgrund préontologique et intransitif, qui n'est ni d'avant ni d'après le lieu originel, mais du non-lieu sans origine aucune d'où tout vient et où tout va. Sans origine ni devenir, exil de l'exil dans l'exil, seule la poésie, le «  sentier aryen oublié  », livrera l'ouverture occulte vers les chemins qui portent à la délivrance absolue, au salut absolu et aux pouvoirs absolus de l'existence en tant que «  concept absolu  ».

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Ce sentier aryen oublié, qui est peut-être aussi le sentier védique de la poésie la plus grande, est essentiellement un sentier d'exil, de rupture totale, de départ sans retour.

La voie secrète de la poésie la plus grande sera toujours la voie des éternels adieux.

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Ainsi, «  Frères Illuminés de l'Asie  », «  Fraternité Secrète d'Héliopolis  », que sais-je encore, tous les noms sont bons pour monter ce qui ne doit absolument pas être montré: Ezra Pound voyait dans tous ceux qui, comme lui, concouraient à la mise-en-place d'un appareil clandestin de sauvegarde poétique et métahistorique d'une civilisation menacée, happée par la décadence et condamnée à l'anéantissement, les combattants héroïque d'une même cause ontologique, les héros sacrifiés d'avance d'une cause qui n'eût en aucun cas pu prétendre à l'emporter sans être passée par l'épreuve royale de l'or dans la fournaise, sans connaître la ruine finale de son propre temps historique et parcourir liturgiquement l'espace nocturne du mystère de sa défaite la plus irrémédiablement consumée.

Ainsi toute décadence dépassée devient-elle une conspiration active, dont les buts secret n'en finiront plus de se retourner contre elle-même.

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- Dépassement, aussi, des tout derniers états de la conscience nationale par la conscience naissante, par le pressentiment hypnotique de la catastrophe générale.

- Déchéance américaine, déchéance occidentale, européenne, planétaire. L'obscurcissement intérieur d'un cycle à sa fin, le vertige en marche de la spirale intérieure d'une civilisation crépusculaire, de plus en plus nocturne.

- Déchéance d'une nation, d'une race, d'un sang, d'une souche métacosmique dévaluée, en voie d'auto-anéantissement - (H.P Lovecraft, «  Insmouth  »).

- Conclusion apocalyptique d’un cycle, inventaire de ce qui ne doit pas périr, de ce qui passera par-dessus les tumultes, les cauchemars de ka ligne du partage apocalyptique des «  eaux de la fin  » qui seront, surtout, des «  eaux de feu  ».

- Le ministère final de cet inventaire apocalyptique revenant, pour Ezra Pound, comme une prédestination de droit, aux tenants de la poésie en action, aux sacrifiés extatiques de la grande poésie.

- Au commencement et à la fin: c'est la poésie qui commence, c'est la poésie qui juge et qui anéantit, c'est la poésie qui juge et qui sauve.

- Clandestinité historique du Logos en action, la poésie est essentiellement guerre occulte, subversion et pétition permanente d'un renversement métahistorique total dont l'achèvement - quand viendra-t-il, quand, quand, quand - l'accomplit tout en la détruisant et la détruit tout en l'accomplissant, glorieuse et sereine.

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Or, toute sa vie d'homme Ezra Pound l'a vécue hors de la terre humble et sauvage qui l'a vu naître et ses treize dernières années de séjour dans les établissement gouvernementaux de détention et de contrôle psychiatrique de Washington représentent sans doute la forme la plus tragiquement noire et destituante de l'être engagé dans l'escalade de l'exil intérieur, qui est à la fois l'exil dans l'exil et l'exil à l'intérieur, dans le sens où, jadis, on parlait d'  «  émigrés de l'intérieur  »: le renversement dialectique finale qui fait, comme dans le cas d'Ezra Pound ramené de force aux Etats-Unis, le dernier état de l'exil de la terre même du retour, n'est pas le dédoublement de l'exil, mais l'annulation définitive de tout espoir de retour dans la mesure même où la liberté, la salut et l'honneur ne sont plus donnés, et encore moins rendus par les retrouvailles de l'exilé avec sa terre originelle. Et d'autre part, quelle est la terre originelle de notre actuel exil ontologique à nous tous ?

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Ainsi se fait-il qu'en cette extrémité dernière de notre expérience crépusculaire de l'histoire et du monde, le salut, la liberté et l'honneur ne sont plus à chercher que dans le départ à nouveau, que dans le deuxième départ et dans le départ sans fin de celui pour qui désormais l'origine se confond avec la fin, le désastre avec la gloire et l'oubli le plus total de soi-même et du monde avec la mémoire totale d'au-delà toute mémoire. Mais il s'agit d'une mémoire immémoriale, antérieure à tout oubli, à tout désastre et toute fin obscure, et dont l'antériorité ne se pose plus dans le temps, mais hors du temps, ontologiquement: chaque fois que quelqu'un se souvient de ce qui se situe indéfiniment au-delà de l'oubli, le monde de l'oubli disparaît comme par enchantement, et c'est bien là, dans la soudaine rupture des interdits, que réside et se lève le souffle vivant de la part à jamais hors d'atteinte du double mystère  hyperboréen - mystère de la glace et mystère du feu - agissant à travers la spirale ascendante de l'  «  éternel retour  » du Sang Majeur.

Et qu'est-ce que la grande poésie, ce que nous appelons la grand poésie, si ce n'est le chant du Sang Majeur ?

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Car c'est bien par le départ que l'exil se déclare et, tout comme l'os qui blanchit au fond de la blessure ouverte, c'est dans le départ que le destin se laisse, ou plutôt se donne à dévoiler: mais, si le destin le plus monolithique n'est jamais que le retour à l'être et, de par ce retour même, fondation nouvelle et nouveau commencement, et si c'est dans la rupture des digues et dans la dévastation des anciennes fondations, dans le déracinement et dans le désespoir que tout renouveau prend ainsi naissance, combien plus profond encore ne sera-t-il donc alors le destin enraciné dans le déracinement même, l'exil dont l'espérance n'est plus tournée vers le retour mais vers l'horizon agonique, vers la remise en question infinie d'un exil plus éloignant que tout exil, l'exil de l'exil dans l'exil ? Or c'est bien ainsi que se pose le problème de l'exil d'Ezra Pound, dont la poésie est aussi ce par quoi tout nous est désormais devenu exil, et exil à jamais.

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La poésie fondationnelle des cycles métahistoriques, celle de Virgile, de Dante, de Hölderlin ou d'Ezra Pound, n'interpelle jamais la réalité immédiate, ne traite jamais directement de la réalité immédiate du monde qui est supposé être le leur, mais uniquement - toujours et jamais autrement - des figurations mythologiques particulières de cette réalité, qu'elles fussent religieuses, existentielles et tragique ou, lors des grandes saisons de désertification spirituelle, des figurations rhétoriques se suffisant à elles-mêmes, des «  figurations de figuration  », des figurations «  culturelles  », plutôt honteuses, «  post-créationnelles  », savantes.

Encore une fois: pour trouver et se donner le matériau de travail nécessaire à son affirmation, cette poésie des sommets et de l'agonie n'interpellera chaque fois que seule la culture de son époque, la culture seule dont elle est tenue d'établir la conclusion, la figure assomptionnelle suprême, et non la réalité directe du monde dont cette culture veut s'imposer comme la conscience vivante, comme l'interpellation chiffrée par les signes  de ses rhétoriques en action, et finalement, et toujours, comme le masque d'or théologique. A la fin seules les théologies l'emportent.

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Le cas de Hölderlin serait-il différent, dont les échappées lyriques l'emportent souvent - mais là aussi n'est-ce pas apparence, seule apparence - sur la sommation prophétiques de ses grands hymnes supra-historiques, de son hymnein ontologique ? La preuve qu'il n'en n'est rien, on la trouvera dans la tragédie de l'autodissolution de son moi dans l'ensemble de la vision sémiologique de la vision qui fut la sienne, qui lui appartint avant qu'il ne finisse lui-même par lui appartenir: c'est quand il parlait apparemment le plus de lui-même, au paroxysme ultime de l'incandescence lyrique du «  chant enclos  », que Hölderlin ouvrait les vannes de la remontée dévastatrice de l'être, de l'être - on me comprend - conçu dans les dissimulation tragiques et nocturnes - nocturnissimes - que l'on sait préposées aux temps de l'impuissance, de la sècheresse et de l'oubli. Les temps, autant le dire, de notre propre impuissance, de notre propre dessèchement, de notre propre oubli. C'est quand s'effaçait de plus en plus irrévocablement devant le ministère mythologique et fondationnel de son chant prédestiné, le chant d'un monde dont il devait ainsi devenir, en cessant totalement d'être lui-même, le vertige occulte de l'impersonnalisation absolue et le «  concept absolu  », que Hölderlin accédait à son identité ultime, supra-personnelle et supra-historique, à son identité dogmatique, mythologique et «  divine  ».

Longtemps, très-longtemps, à Tübingen, sur les rives du Neckart, Hölderlin sut montrer qu'il n'était plus lui-même, qu'il était devenu - définitivement - cette Allemagne éternelle dont la figure préontologique était censée illuminer, depuis les hauteurs, la totalité du cycle de destin continental qu'il avait ramené, lui-même, à ses principes, à son être eidétique, où la Garonne s'identifiait visionnairement - hypnagogiquement - avec le Rhin, avec l'Oxus, avec l'Indus, avec la rivière éternelle de l'être se rejoignant lui-même à travers le lointain des terres, des sables, des gouffres occultes du non-être et de ses dominations d'ombre.

Mais, d'autre part, le long sommeil dogmatique de son engouffrement dans le mystère orphique de la dépersonnalisation, Hölderlin ne l'a-t-il vécu, aussi, comme l'élévation extatique et pacifiée, infiniment pacifiante de ce qui, en lui, et par lui, avait ainsi établi, encore une fois, et combien secrètement, la gloire de son règne ?

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Or ce même processus de dépersonnalisation existentielle apparaîtra aussi en des temps encore plus obscurs, et hypnagogiquement, avec le chuchotement mythologique de la romance de James Joyce, le Finnegan's Wake.

Ici, qui chante ? Et les abîmes lumineux du sommeil dogmatique de la dépersonnalisation, de la dépersonnalisation qui définit et dénonce, qui démantèle sans fin la «  personnalité  » supposée de l'écrivain James Joyce ainsi vertigineusement dissoute dans son propre chant avançant à travers le songe et avec tourbillons écumants de la rivière Anna-Livia Plurabelle, ces abîmes du sommeil de l'auto-dépersonnalisation mythologique de quelqu'un, mais de qui - de qui désormais - ces abîmes de la plus abyssale mémoire celtique de la plus grande immémoire du cycle, ne sont-ils finalement pas les mêmes - quelque part - dans l'œuvre poétique d'Ezra Pound, quand ils y apparaissent ?

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La conscience totale et totalisante, polaire, la conscience littéralement totalitaire qui est celle des Cantos d'Ezra Pound par rapport aux vastes ensembles de ratissage «  culturel  » constituant - et sans cesse reconstituant - leur charge d'ouverture domaniale, vouée, celle-ci, exclusivement, à fournir l'exaltation réverbérante, le pathos déchirant du chant unique œuvrant comme pour son propre compte alors qu'il n'y œuvre que pour le compte de cela même dont le destin est de tout lui prendre, cette conscience ainsi réputée totalitaire n'est-elle pas, de par cela même, une conscience intemporelle, fondamentalement dépersonnalisée, où tout se doit, où tout est ramené - se doit d'être ramené - au seul présent dévotionnel de cette parousie ininterrompue dont les Cantos se nourrissent et vivent, parousie de leurs propres entrailles solaires, saisissables uniquement dans, et, surtout, par l'ensemble des chants en action, et jamais aux stations, aux étapes intérieures de cet ensemble, jamais au niveau d'un seul Canto ? Et là le mot à retenir est celui de parousie.

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Car, à l'instant même où, dans l'aventure d'une lecture - d'une récitation - intérieurement liturgique des Cantos d'Ezra Pound, on cesse de regarder en face le terrifiant soleil blanc de leur unité ontologique, le chant s'en trouve suspendu, et cesse, devient lettre suspecte d'un ensemble expirant, comateux, et comme lettre morte, à peine non-signifiante, cadavre dépecé et vertige obscurantiste, «  culturel  », de mots en interruption d'œuvre vive, voire, comme disaient les autres, «  cadavre exquis  ».

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Dans un certain sens, les rapports situant l'émergence de la non-identité personnelle du porteur du chant dans les Cantos d'Ezra Pound - ou dans le Finnegan's Wake, ou dans les hymnes hölderlinien de la série prophétique et mythologique finale - face à l'ensemble de l'œuvre en action et souverainement régie, dans sa marche, par cette même émergence précisément, sont les mêmes rapports que ceux dont on entend qu’ils établissent , dans la phénoménologie husserlienne, l'élévation d'un Je transcendantal au centre et au-dessous - élévation à vrai dire combien mystérieuse quand elle parvient à se faire agissante - de la conscience qui, de conscience en conscience passe illégalement, gnostiquement, à l'état de conscience des consciences.

Qui l'eût cru ? Des noces clandestines de Meister Eckhart et de la Kabbale Juive, une lumière gnostique émane, qui sert, aussi, à illuminer en profondeur le secret institutionnel des Cantos Pisanos.

La répugnance que j'ai toujours ressentie à l'égard de la phénoménologie husserlienne en vase clos ne m'empêchera quand même pas d'y reconnaître les fers de l'ancienne griffe gnostique alexandrine, les feux spirituels qu'une gloire judaïque aussi clandestine qu'illégale religieusement, mais illuminée, opératoire, surpuissante et sainte très-certainement, que l'autre judaïsme n'a jamais voulu reconnaître et moins encore s'en concéder les fruits ardents, d'outre-monde, salvateurs et de maniement extrêmement périlleux. Encore que là-dessus, bien des choses resteraient à redire. Et des plus excitantes. Canto LXXVI, évoquant ces briques que l'on croit nées ex nihil.

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Dans ses Cantos Pisanos - j'ai décidé d'appeler, désormais, tous ses Cantos du nom coronaire final de Cantos Pisanos, en souvenir très précisément, de ce qui lui fut fait à Pise - dans ses Cantos Pisanos, dis-je, Ezra Pound procèdera toujours par la dialectique opératoire - essentiellement gnostique, et je dirais même alexandrine - des accumulations, mais la mission de ses accumulations n'est pas celle d'épuiser exhaustivement le domaine de la matière culturelle occidentale de la fin ( disons, aussi, que j'utilise ici le terme de manière occidentale comme certains celtisant arthurien parlaient de la «  matière de Bretagne  »).

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La mission propre des accumulations culturelles occidentale dans ses Cantos Pisanos, Ezra Pound la conçoit sur un mode en quelque sorte héraldique, destiné à établir comme une micronésie aussi éclatée qu'ardente, comme une grille sémiologique s'ensemble, engagée à mobiliser et à annoncer, à dénominer - et cette dénomination sera très hautement opératoire, gnostique et métacosmique dans ses œuvres ultimes - une accumulation sérielle d'accumulation dont les habilitation intimes se proposeront en effet de feindre de disposer - je veux dire de disposer symboliquement, voire magiquement - de la totalité culturelle de la «  matière d'Occident  » émergeant en cette fin occidentale du cycle de la fin, du grand Cycle de la Fin.

Les accumulations opératoires de la poésie des Cantos Pisanos ne prétendent en rien absolument à procéder à des amoncellements, à des bancs de données culturelles se donnant je ne sais quelle mission secrète préservatrice, désespérée par le tour que prennent les choses, ses accumulations n'ont d'autre identité que celle du pathos magicien et héraldique destiné à les porter vers ce qu'il faudrait peut-être convenir d'appeler leur réalité idéale, dodécaphonique.

Rien, absolument rien n'existe dans les Cantos Pisanos au niveau de la partie, tout y est accumulation et toute accumulation est engagée à s'auto-anéantir à l'instant même où elle se constitue en vue d'être admise à soutenir l'unique chant, le chant transcendantal qui émane - dans le sens gnostique du terme - de la seule totalité constituante et constituée des Cantos Pisanos dans leur ensemble dit et non-dit, et cette totalité elle-même se rompant, éclatant sans fin, une fois ainsi instituée, pour redescendre ders le gravier non-intentionné de ses parties, là où elles de trouvent et come elles s'y trouvent, de ses parties qui la soutiennent secrètement tout comme le gravier soutient la courant étincelant, limpide, de la rivière qui va, vers où elle va.

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Il est à relever, d'autre part, que le traitement des parties extrême-orientale des Cantos Pisanos - ou de je ne sais quelles négritudes données pour transcendantales, fiction symbolique où Ezra Pound suit les obsessions atalantes de Léo Frobenius - appartient à une politique d'exploitation exclusivement culturelle de la matière d'occident, où les appellations extra-occidentale, quelles qu'elles fusent, ne sont admises à être utilisées que dans la seule mesure où elles peuvent justifier d'un intérêt que leur eût port" quelqu’un des nôtres et à l'intérieur d'une aire d'habilitation réellement occidentale. Tout compte fait, ce n'est pas tellement l'écriture chinoise qu'intéressera Ezra Pound, mais l'intérêt que Fenollos avait porté à celle-ci, etc.

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Le dessein occulte à l'œuvre dans les Cantos Pisanos prétend-t-il mobiliser, embrasser poétiquement la totalité de la culture occidentale concernée par la conclusion catastrophique de ce cycle final du Kali-Yuga, à elle seule cette prétention - ne fût-ce qu'en tant que prétention seule, et rien qu'une prétention avouée, proclamée subversivement - va aussitôt substantialiser la mise en symbole du processus ainsi déclenché, entamer la dialectique de son auto-transcendance, de la soudaine émergence en son sein du chant totalisateur, du pôle d'attraction active d'où procède la mystère du chant unique. Ne bougez point, laissez parler le vent: le Paradis est là, Canto CXX.

Comme le feu courant dans la plaine embrasée, et qui flambe haut, l'œcuménicité d'état du symbole de la totalité de l'aire culturelle à laquelle Ezra Pound en appelle ainsi fera que les choses apparaissent d'avance comme si elles étaient ainsi, et c'est cette apparence même - et sa substantialisation, sa mise-en-chant - qui constituait le but caché de l'opération menée, par lui, de main de maître. Une apparence acceptée comme symbole abyssal de ce qu'elle représente devenant, de par cela même, le noyau vivant de ce qui s'y trouve représenté, son "Je transcendantal". «  Qui t'a fait roi ?  » «  La royauté  », ou, plutôt, «  ma propre royauté  ».

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Ainsi en viendra-t-on à comprendre qu'une lecture doctrinalement et philosophiquement légitimée des Cantos Pisanos équivaut réellement à une expérience gnostique en profondeur, que les pouvoirs supérieurs d'une certaine poésie secrètement comprise - conduisent à l'intelligence existentielle, autrement dit la participation liturgique directe et immédiate aux mystères fondationnels d'une civilisation accédant à la conscience dépersonnalisante de soi-même à l'instant précis où - or tout est dans cet instant - le processus dialectique final est entamé qui, d'une part, doit en prévoir l'auto-anéantissement à brève échéance mais, qui, d'autre part, ne doit pas moins veiller à ce qu'il y ait passage vers l'imprépensable des recommencements, de la reprise du souffle en vue des prochains grands cycles métacosmiques à maîtriser.

Je dois signaler que le concept d'imprépensable je l'emprunte, dans son acception ontologique, à Martin Heidegger.

shih-ching-ezra-pound-9780674133976.jpgEnfin, chose également à ne pas passer sous silence, la poésie vivante et agissante des Cantos Pisanos n'est pas seulement à proposer l'institution accélérée de l'Arche Métasymbolique de nos temps voués à l'auto-anéantissement, elle est elle-même, ontologiquement - et de par elle-même, révolutionnairement - cette Arche Métasymbolique.

Ainsi les armes de la poésie des Cantos Pisanos doivent-elles exhiber, comme devise, l'ancien mot diplomatique des nôtres, et in Arcadia ego.

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Ezra Pound: «  L'ingenio est immortel, le temps n'en a pas fait sa proie  ». Récapitulations actives:

- au commencement, le ministère de la poésie accuse la transparence, le pathos royal et orphique, le mystère du nommer, le mystère du fonder (" Ce qui demeure, les poètes le fondent").

- à la fin du cycle: reconnaître le sien, redire, rappeler hypnagogiquement, s'utiliser à choisir ce qui doit rester, parvenir à emprunter une voie de passage vers le cycle suivant, par-delà l'abîme final.

Dans la poésie d'Ezra Pound, intercepter intérieurement le chant d'un monde solaire soigneusement dissimulé, va vibration intérieure, son «  rayon vert  » : le chant mémoire d'une monde solaire devenant, à son crépuscule, la mémoire ce chant, la mémoire qui chant qui s'éteint, du «  chant perdu  ».

-  certitude du retour, certitude gnostique du retour du soleil, du Sol Invictus.

- «  vertige solaire final, à partir des éclats du vertige solaire des commencement  ».

- or, à présent, la dernière interrogation accédant, à bout de souffle, à la formulation apocalyptique par excellence, quel sera son nom, qui sera le Sol Invictus, le demander à Gala Placidia, comme dans le Canto LXXII:

J'entendis alors

Des voix confuses et des bribes de phrases

Et le chant des oiseaux en contrepoint -

Dans le matin d'été et dans l'aigre refrain

D’une voix si douce:

          Moi Placidia, j'ai dormi sous une voûte d'or

Chanson comme les notes d'une corde bien tendue

         Mélancolie de femmes, et quelle tendresse, commençais,

Cependant que ...  »

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Cinquante ans et plus après le départ de son Idaho natal, l'homme a été choisi et s'est choisi lui-même pour rendre compte des derniers états d'un cycle méta-historique déjà révolu, et révolu dans sa totalité intemporelle même, pour suivre les affres d'une civilisation s'engouffrant, agonisante, dans les souterrains métapsychiques, dans les "souterrains indiens" de la phase finale de son devenir obligé et de ses plus occultes enfers, le '"vieil oncle Ezra", l'ancien proscrit du collège d'Indiana, gardait encore, parfaitement intact, et quelle plus admirable preuve matérielle de son enracinement transcendantal dans le mystère pélasgien de la «  terre des origines  », l'accent et le parler de l'Idaho forestier, sauvage et chaotique, de l'Idaho magique et si puissamment magicien de son adolescence illuminée: à l'intérieur de lui-même, dans l'exil de l'exil de son exil, «  l'homme sur qui le soleil est descendu  » n'a jamais quitté les forêts de noirs sapin sous la brume, les rochers éclatés, les clairières pleines de silence, d'ombres indigo et de neige de ses Montagnes Rocheuses.

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Si le parler américain d'Ezra Pound charriait  des résonances, produisait une diction, des cadences et un souffle intérieur extrêmement différent - et lointains - de l'américain tel qu'on le parle aujourd'hui, c'est qu'en quittant les rives empoisonnées de la Snake, homme sur le soleil est descendu avait emporté avec lui ce que Donald Hall, en commentant les émissions de celui-ci à la radio - des lectures de ses Cantos - appelait «  l'ancien accent américain  ». Et le critique G.S Fraser, en évoquant, lui aussi, l'américain personnel d'Ezra Pound: «  c'est l’Idaho de 1880 qui, mystérieusement, nous parle  ».

Car ce n'est pas Ezra Pound qui a quitté les Etats-Unis, ce sont les Etats-Unis qui se sont à jamais quittés eux-mêmes à travers l'exil d'Ezra Pound, à travers l'exil planétaire et métacosmique, à travers l'exil ontologique de cet exil désormais s'accomplissant sans fin, sans espoir ni merci dans l'exil de son propre exil.

The world o'ershadowed, soiled and overcast,

Void of all joy and full of ire and sadness.

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Mais comment la dit-il, dans son LXXVII Canto Pisan, comment la dit-il sa très nuptiale vision de l'Italie, de l'Italie Secrète ? Il dit que la brume recouvre les seins de Telus-Helena et remonte l'Arno.

Et s'est-on vraiment demandé - ne fut-ce qu'entre nous autres - pour quelle raison Ezra Pound avait fait de l'Italie - bien au-delà de tout choix politique - sa fulgurante patrie intérieure, sa patrie prophétique et amoureuse, la patrie secrète de son espérance et de son salut, la patrie, aussi, de sa foi perdue et de son grand amour perdu, la patrie ardente de la secretissima ? Je dis qu'une certaine lumière - songerions-nous à la Toscane, à l'Ombrie - pourra bien répondre à cette interrogation, et le faire silencieusement, comme de par sa seule présence-là. Nous approchons du rebord des confessions ultimes, face au vide, face à l'azur, face à la mer écumante et sombre, face à la mort en pleine lumière. Je le sais, la secretissima était une lumière, à midi.

La mer n'est pas plus claire dans l'azur

Ni les Héliades porteurs de lumière

écrit-il dans son sublime LLXXIX Canto Pisan, le grand chant des lynx et du mystère solaire du lynx et des roses, sous l’irradiation embrasante du feu vivant de la grenade, sous la protection des vignes, la protection la plus ancienne. Et la nôtre aussi, car nous le connaissons, nous autres, le Seigneur du Fruit de la Vigne.

Cythèrée, voici des lynx

Le chêne nain va-t-il se couvrir de fleurs ?

Il y a une vigne rose dans ces broussailles

Rouge ? Blanche ? Non, mais une couleur entre les deux

Quand la grenade est ouverte et qu'un rayon de lumière

La pénètre à demi

 

écrit-il, toujours dans le Canto LXXIX, où il dira aussi, brûlé par le secret rougeoyant de Pomone:

Ce fruit est rempli de feu

Pomone, Pomone

Il n'y a pas de verre plus clair

Que les globes de cette flamme

Quelle mer est plus claire que

Ce corps de grenade

Tenant la flamme ?

Pomone, Pomone

Lynx, garde bien ce verger

Qui a pour nom Mel grana

Ou le champ de Grenade

 

La traduction française de ces fragments des Cantos Pisanos appartient à Denis Roche (l’Herne, 1965)

Ce qu'Ezra Pound, l'homme sur qui le soleil est descendu, cherchait en Italie, on l'a compris, c'est le Paradis. Toscane, Ombrie, Ezra Pound avait accédé à la certitude inspirée, initiatique, abyssale, que le Paradis était descendu, en Italie, pendant le haut moyen-âge, et que très occultement, il s'y trouvait encore. Pour en trouver la passe interdite, il suffisait de se laisser conduire en avant, aveuglément - et nuptiale ment aveuglé - par la secretissima, par une certaine lumière italienne de toujours.

Jean Parvulesco

(Extrait du Cahier Jean Parvulesco publié en novembre 1989, aux éditions des Nouvelles Littératures Européennes, sous la direction d’André Murcie et Luc-Olivier d’Algange.)

 

Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

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Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

Par Daniele Perra

Ex : https://www.lintellettualedissidente.it

Plusieurs médias ont décrit le début de l'ère Biden comme le retour de l'Amérique sur la scène internationale. En réalité, la prétendue discontinuité géopolitique entre les deux administrations (sauf exceptions stratégiques spécifiques) ne semble être qu'une construction journalistique.

Le début de l'ère Biden a été marqué par un certain nombre de mesures de politique étrangère en hypothétique contradiction avec les derniers coups de gueule de l'administration Trump. Ces mesures concernaient en particulier la région du Proche et du Moyen-Orient. Une région sur laquelle s'est construite, au moins au cours des vingt dernières années, la perception globale des États-Unis comme une puissance "impérialiste" ou comme un "exportateur de démocratie et de liberté" qui défend l'"Occident" et ses "valeurs" contre la barbarie orientale.

Le prétendu isolationnisme de l'administration Trump entrecoupait des démonstrations extrêmes de force (l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani, le lancement de la "Mère de toutes les bombes" en Afghanistan) avec des actions diplomatiques unilatérales (la sortie de l'accord nucléaire iranien et l'imposition de nouvelles sanctions contre Téhéran et Damas, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et de la souveraineté israélienne sur le Golan occupé),y ajoutant des déclarations à la dérive plus propagandiste que realpolitisch sur le retrait progressif des États-Unis de la région. Ce prétendu isolationnisme a sans doute jeté la confusion dans les médias "occidentaux" qui continuent à construire leur système de communication sur les apparences et sur une étude des sources plutôt pauvre. Depuis 2016, je soutiens que l'administration Trump ne ferait rien d'autre que de montrer le vrai visage de l'Amérique jusqu'alors caché par le voile humanitaire du double mandat démocrate de Barack Obama. Cependant, si précisément les peuples du Proche et du Moyen-Orient ont pu regarder cette réalité en face (l'imposition de sanctions à la Syrie par le Caesar Act, par exemple, a fait plus de morts que le terrorisme), en "Occident", également grâce à une information complice, on a préféré, d'une part, soutenir la thèse isolationniste et, d'autre part, critiquer les aspects aussi grotesques qu'essentiellement inoffensifs de l'administration Trump, qui appartient désormais au passé.

Biden à Bagdad

Maintenant, dans ce contexte, nous n'entrerons pas dans le détail du mouvement des troupes nord-américaines entre la Syrie et l'Irak ou de l'entrée des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale. Ces opérations se déroulent dans le silence des médias occidentaux depuis plusieurs années. C'est pourquoi, sur cette base, quelques jours après l'entrée en fonction de la nouvelle administration, il n'est en aucun cas possible de tracer des lignes de discontinuité avec le passé. Il suffit de dire que dans l'instant qui a suivi l'annonce du retrait de Syrie par Donald J. Trump, plusieurs colonnes de véhicules blindés américains sont entrées dans ce pays du Levant via l'Irak pour "sécuriser" les puits de pétrole. En fait, le retrait susmentionné n'a jamais eu lieu et, selon toute probabilité, la nouvelle administration ne fera que renforcer les positions nord-américaines sur la rive orientale de l'Euphrate pour empêcher également toute reconstruction éventuelle du pays par l'exploitation de ses ressources.

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On pensait qu'il y avait une ligne de discontinuité avec l'ère Trump dans la relance du programme d'aide à la Palestine coupé par le précédent locataire de la Maison Blanche. À cet égard, le discours devient, du moins en théorie, plus complexe. Yara Hawari, chercheuse au centre de recherche palestinien Al-Shabaka, a expliqué qu'il est pour le moins optimiste d'espérer un changement de la politique nord-américaine à l'égard de la question israélo-palestinienne. La position extrémiste de l'administration Trump, une fois de plus, ne serait rien d'autre que la position américaine traditionnelle sans les fioritures de l'hypocrisie humanitaire. En fait, les deux principaux camps politiques nord-américains n'ont jamais manqué d'apporter un soutien inconditionnel à Israël. Joe Biden lui-même, en son temps, a eu l'occasion de souligner que l'aide américaine à Israël était le meilleur investissement pour la politique étrangère de Washington et que s'il n'y avait pas d'État juif, les États-Unis auraient dû en créer un pour garantir leurs propres intérêts dans la région. Le vice-président Kamala Harris et le nouveau secrétaire d'État, le "faucon" Antony Blinken, sont plus ou moins du même avis. Ce dernier, déjà partisan convaincu de l'agression contre la Syrie sous l'ère Obama, a également garanti que l'administration Biden suivrait les traces de ses prédécesseurs, tant en ce qui concerne la volonté de maintenir l'ambassade américaine à Jérusalem (un autre choix imaginé même sous l'ère Clinton et concrétisé par Trump) que les accords dits "Abrahamiques". Ceux-ci sont en effet fondamentaux pour la stratégie géopolitique américaine de construction de blocs d'interposition entre l'Est (Russie, Iran et Chine notamment) et l'Europe, qui comprend également l'Initiative des trois mers dans la partie orientale du Vieux continent.

Par conséquent, le "retour aux affaires" entre Washington et les institutions palestiniennes (entre autres choses largement corrompues et corruptibles lorsqu'elles ne sont pas directement otages des monarchies du Golfe) ne peut être considéré comme essentiellement positif. Si, d'une part, elle peut apporter un soulagement à au moins une minorité de la population palestinienne, d'autre part, elle continuera à fonctionner sur le mode de l'échange entre l'argent et de nouvelles concessions politiques unilatérales visant toujours à favoriser les revendications sionistes au détriment des revendications palestiniennes. Un discours similaire peut facilement être appliqué à l'accord nucléaire avec l'Iran. Les théoriciens des relations internationales comme le "réaliste" John Mearsheimer ont réitéré la nécessité pour les États-Unis de tenter un hypothétique retour à l'accord ou, du moins, une nouvelle approche de Téhéran. Il va sans dire que, dans ce cas également, les concessions économiques garanties à l'Iran par l'accord ont été étudiées à la fois pour empêcher le développement de la capacité de dissuasion nucléaire et antimissile de Téhéran, et pour garantir une pénétration occidentale dans le pays qui aurait pu permettre (au moins, à long terme) une déconstruction depuis l'intérieur de la République islamique. Il n'est pas surprenant que, déjà avant la signature de cet accord, un centre de recherche stratégique israélien ait produit un plan de déstabilisation interne de l'Iran, exploitant les minorités ethniques et religieuses : en d'autres termes, une sorte de plan Yinon appliqué à la République islamique, avec le titre emblématique "Comment faire mal à l'Iran sans frappes aériennes".

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Les renseignements selon Joe Biden

Maintenant, outre le fait que les termes de l'accord n'ont déjà pas été respectés dans les dernières périodes de l'administration Obama, il sera important de comprendre comment Joseph Biden peut tenter un rapprochement avec l'Iran. Pour la stratégie américaine, cela serait fondamental en premier lieu pour pouvoir se concentrer sur les principaux ennemis : la Russie (l'accélération soudaine du cirque d'information atlantiste sur l'affaire Navalny est en ce sens emblématique) et la Chine avec ses projets de coopération eurasienne qui doivent être constamment sabotés. Et, deuxièmement, garantir une plus grande concentration des forces de renseignement également sur la dynamique interne aux Etats-Unis mêmes, dynamique devenue plutôt turbulente. Cette tentative de rapprochement ne peut donc être que progressive. Toutefois, un signe important dans ce sens a déjà été lancé avec la réduction partielle du régime de sanctions imposé dans les derniers jours de la présidence Trump aux forces yéménites d'Ansarullah (proches de Téhéran) et avec la promesse d'interrompre le soutien logistique à l'agression saoudienne contre le Yémen lui-même et de réduire la vente d'armes aux monarchies du Golfe (un autre héritage des précédentes administrations Obama et Trump). Il faut dire qu'il est difficile (et à juste titre) pour l'Iran, quelle que soit la pression exercée, d'accepter sans garanties réelles de suppression complète du régime de sanctions à son encontre un accord avec un homologue qui s'est avéré largement peu fiable. Par conséquent, il ne serait pas du tout surprenant que des opérations de guerre hybride contre la République islamique soient également menées de manière constante par la nouvelle administration, bien que de manière moins ouverte et moins ouvertement propagandiste que dans le cas de Trump.

Face à une situation intérieure plutôt instable, de nombreux théoriciens et stratèges nord-américains ont souligné la nécessité d'une reconstruction interne à travers le seul ciment idéologique de la société américaine : l'idée exceptionnaliste de "destin manifeste", de supériorité morale par rapport aux autres nations du globe. Cependant, pour raviver ce sentiment, il faut un ennemi (ou la création d'un ennemi). Cet ennemi est et reste (comme pour l'administration Trump) la Chine : la seule puissance réellement capable de représenter une menace et une alternative au système mondial décadent de l'Amérique du Nord. En fait, même parmi les démocrates, le parti de ceux qui ont commencé à considérer la Russie comme un "allié" stratégique potentiel dans une perspective anti-chinoise se développe, si Poutine et son entourage devaient quitter la scène à court terme, laissant la place à une "cinquième colonne" occidentale assez importante composée d'oligarques et de politiciens de diverses orientations libérales (une solution qui reste peu probable à court terme).

Ne pouvant cependant pas se permettre un affrontement militaire direct avec la Chine, il reste à comprendre quelle solution sera adoptée pour contenir et éviter la projection géopolitique de cette dernière. L'une des caractéristiques fondamentales du projet d'infrastructure de la nouvelle route de la soie est le corridor sino-pakistanais. Les relations entre les États-Unis et le Pakistan se sont rapidement détériorées ces dernières années, également en raison d'un engagement américain notable dans le renforcement technologique et militaire de l'Inde, déjà considérée à l'époque d'Obama comme un "partenaire majeur en matière de défense". Joseph Biden, alors qu'en 2007 il était encore candidat aux primaires du parti démocrate, a déclaré que le Pakistan est l'État le plus dangereux du monde. Toujours à la lumière de la tentative de détente avec l'Iran, il ne serait pas du tout surprenant qu'une guerre sur commande soit préparée précisément dans une région qui reste la jonction cruciale entre les axes Nord-Sud et Ouest-Est du continent eurasiatique.

Hommage au philosophe argentin Carlos Alberto Dufour (1950-2020)

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Hommage au philosophe argentin Carlos Alberto Dufour (1950-2020)

par le Dr. Pierre Krebs

Le Dr. Carlos Alberto Dufour est né à Buenos Aires en 1950. Il y a étudié la philosophie et les sciences économiques pour obtenir en 1973 sa licence en philosophie (Magister Artium) avec une thèse concernant les controverses sur la liberté à l'époque baroque. Tout en enseignant dans son université, il s’est adonné principalement à des recherches sur la logique et la philosophie des sciences.

Après avoir publié son premier livre Relaciones y Contenidos, Ergon, Buenos Aires, 1977, il a bénéficíé d’une bourse à l’université d’Erlangen, en Allemagne, pour préparer son doctorat.

Après de nouvelles études sur la philosophie, les mathématiques et la philologie ibéro-romane , il a été reçu en 1985 à son doctorat  avec mention „summa cum laude".

Sa thèse sur la logique médiévale a été publiée en 1989 sous le titre Die Lehre der Proprietates Terminorum. Sinn und Referenz in mittelalterlicher Logik, (L’enseignement du Proprietates Terminorum. Signification et référence dans la logique médiévale, Philosophia, Munich.)

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Carlos Dufour a fait connaissance à Erlangen de l'historien et écrivain Hellmut Diwald. Il a visité et participant  à plusieurs de ses séminaires et conférences. C’est ainsi que s’était établie  entre les deux chercheurs une relation réciproque d'estime mutuelle. Dufour a ensuite continué à enseigner en Allemagne, en Argentine ainsi que dans des universités étrangères tout en rédigeant en espagnol de nombreux essais, la plupart portant sur l’histoire de la culture; outre l'anglais, l'allemand est toujours restée sa langue de travail et d’étude.

Lors d'une recherche sur les reconstitutions du système de Frege (lois fondamentales de l'arithmétique), le professeur Héctor-Neri Castañeda attira une fois de plus son attention sur l'ontologie et les paradoxes de l'identité.

Peu de temps après, il devint referee de la revue philosophique américaine Nous. A cette époque, Dufour considérait les expériences intentionnelles comme un modèle à suivre dans les relations de base de l'ontologie générale ; il y travailla pendant plusieurs années avec une bourse postdoctorale de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Son habilitation en philosophie, bloquée pour des raisons bassement politiques, ne l’a pas autorisé à continuer son enseignement à l’université.

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En 2005 est paru son ouvrage Inhärenz. Ontologische Untersuchungen zu Eigenschaften und Inhärenz, Philosophia, Munich. Ce travail ne rend compte qu’incomplètement de ses derniers points de vue car il s’était adonné, à partir de 2005, à un approfondissement de sa philosophie. Il n’aura pas eu le temps d’y consacrer de nouvelles publications.

En 2017 est paru dans notre maison d’édition sa monographie Wesen Das des Systems. Politische Radiographie, Ahnenrad der Moderne, Thule-Bibliothek, Kassel-Horn-Bad Wildungen. Carlos Dufour vivait à Munich, la ville où il nous a quittés, le 15 octobre de cette année. Son décès laisse dans nos rangs un trou béant. Mais nous savons qu’il marche avec nous en esprit. 

En français: on trouvera un texte très dense du Dr.Dufour dans le dossier Heidegger, publié dans les archives EROE/Vouloir: http://www.archiveseroe.eu/heidegger-a48483364

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Romain D'Aspremont répond aux questions de la"Nietzsche Académie"

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Romain D'Aspremont répond aux questions de la"Nietzsche Académie"

Romain D'Aspremont est l'auteur de The Promethean Right (La Droite Prométhéenne) et de Penser l'Homme nouveau.

 Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Il est moins le penseur qui m'a le plus influencé que celui dans lequel je me suis le plus retrouvé. Un auteur qui nous influence transforme nos opinions ; Nietzsche les a affinées, perfectionnées.

L'auteur qui a réellement transformé ma vision du monde est le philosophe idéaliste Bernardo Kastrup, pour lequel la matière n'est que la projection, l'apparence de la conscience. Tout comme Nietzsche, Kastrup est influencé par la métaphysique de Schopenhauer (la nature de la réalité est la volonté, non pas rationnelle mais instinctive).

indexbk.jpgKastrup m'a toutefois permis de réaliser que la vision cosmologique de Nietzsche, selon laquelle la nature de la réalité est la volonté de puissance qui gouverne le vivant comme l'inerte, est compatible avec les dernières découvertes dans le domaine de la physique quantique (qui rendent le matérialisme et le dualisme intenables).

Nietzsche est toutefois le seul penseur idéaliste (le “volontarisme métaphysique” de Schopenhauer et de Nietzsche est une forme d'idéalisme) à ne pas sombrer dans une vision de type bouddhiste : le cosmos ne reflète aucun “amour universel” venant apaiser le coeur des êtres maladifs pour lesquels l'existence n'est que souffrance dont il faut se libérer.

Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

Viser le dépassement de soi, du groupe, de l'espèce. Ne pas se complaire dans une nostalgie morbide, mais créer les conditions propices à l'éclosion d'une nouvelle espèce, plus énergique et créative qu'Homo Sapiens, délivrée du ressentiment, du nihilisme et de la haine de soi. Nietzsche a compris que l'Homme était une espèce maladive, qui s'est issée trop rapidement au sommet de la chaîne alimentaire, sans avoir eu le temps de développer la confiance en soi propre à tout prédateur. Notre conscience est « notre organe le plus faible et le plus faillible »; y voir un accomplissement de l'évolution darwinienne est une erreur. La nature humaine n'est qu'une ébauche, une construction branlante.

Le plus grand crime contre l'espèce serait de vouloir figer son évolution et, par là même, l'empêcher de prendre le contrôle de son avenir biologique. Voir en Nietzsche un penseur conservateur et anti-transhumaniste est erreur. Nietzsche est l'inverse d'un penseur de l'impuissance et de l'auto-limitation. Il nous intime d'affronter le danger qu'implique toute entreprise de dépassement : « L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme.» Ce fil au-dessus au-dessus de l'abîme, c'est le transhumanisme ; c'est précisément la raison pour laquelle il nous faut nous y aventurer. Le dysgénisme est un abîme plus effroyable encore.

Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

Généalogie de la morale est son livre majeur car il dévoile la nature du poison qui ronge l'Occident : le Christianisme, la matrice de la gauche, de l'égalitarisme, du pacifisme, de la haine de soi. Les personnes de droite attachées à la défense du christianisme se doivent de lire ce texte, qui leur permettra de réaliser leur formidable incohérence intellectuelle. La droite se sent l'obligation de tout conserver du passé. Nietzsche souligne l'importance de l'oubli, de la purge – nécessité biologique et civilisationnelle. La mauvaise conscience faite religion ne saurait être conservée. Généalogie de la morale doit toutefois être complété par les Ecrits posthumes dans lesquels Nietzsche esquisse sa vision du Surhomme.

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Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ? 

Nietzsche est le père de la droite prométhéenne (révolutionnaire ou faustienne). Ses valeurs sont  de droite (hiérarchie, amour de la lutte) mais anti-conservatrices. Il considère les conservateurs comme une version appauvrie de la volonté de puissance : ils se contentent de conserver au lieu de croître. C'est là notre droite : une droite du juste-milieu, de la juste-limite, à taille humaine. Une droite-bonsaï. Tandis que la droite conservatrice s’interroge sur « comment conserver l’homme […], Zarathoustra demande […] comment l’homme sera-t-il surmonté [1]? »

La droite est tellement sclérosée dans son conservatisme que la volonté nietzschéenne de forger un homme nouveau – le Surhomme – est parfois assimilée à une entreprise gauchiste. Depuis la défaite du fascisme, le concept de progrès est tout entier assimilé à la gauche : que l'on ne cherche pas plus loin la cause profonde de la mort de l'Occident et de la suprématie  idéologique de la gauche. Nietzsche nous permet de comprendre, ou plutôt de redécouvrir, que la volonté de dépassement et de progrès (osons nous emparer de ce concept !) est intrinsèquement de droite, car elle est le moteur même du vivant. La gauche est le royaume de l'égalitarisme, de la conservation, c'est-à-dire de la mort. La droite doit être celui du dépassement, de la rupture : « L’homme est le prétexte à quelque chose qui n’est plus l’homme ! C’est la conservation de l’espèce que vous voulez ? Je dis : dépassement de l’espèce[2]. » 

unnamedfnz.jpgPour notre époque, cela signifie embrasser le transhumanisme, au moins dans sa dimension génétique (plutôt que cybernétique). Dans Zarathoustra, la dimension eugéniste est explicite, avec cet appel à améliorer l’espèce : « C’est un corps supérieur que tu dois créer (...) – c’est un créateur que tu dois créer. Mariage : ainsi je nomme de deux être le vouloir de créer un seul être qui soit plus que ses créateurs. »

Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

Trop peu parmi les auteurs majeurs. Spengler s'en approche, mais il demeure hélas trop conservateur. Pour Nietzsche, l'âge d'or est à venir tandis que Spengler demeure désespérement décliniste.

La Doctrine du Fascisme, co-écrit par Giovanni Gentile et Mussolini, est une remarquable tentative de transformer l'individualisme de Nietzsche en une idéologie du dépassement collectif, dans le cadre d'un Etat totalitaire. Si cette oeuvre semble trahir la pensée de Nietzsche (penseur de l'individu, aux antipodes d'un Etat totalitaire), il faut garder à l'esprit qu'il nous exhorte souvent à ne pas concevoir ses écrits comme formant une doctrine.

Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

 Par-delà le bien et le mal, il est créateur de valeurs nouvelles, c'est pourquoi il est si délicat à définir. Il est un processus de dépassement permanent vers un surplus maîtrisé de vitalité, d'instincts, de sensibilité et de chaos intérieur.

L’élitisme nietzschéen, qui affirme qu’ « un peuple est le détour que prend la nature pour produire six ou sept grands hommes – et ensuite pour s’en dispenser » est individualiste, ce qui le rend difficile à traduire politiquement. Ses surhommes semblent des demi-dieux solitaires et nomades, hermétiques les uns aux autres ; dans ces conditions, la société est à peine possible. Il semble qu’il n’y ait pas un seul type de surhomme, mais une infinité.

Le rapport entre les surhommes et les hommes du troupeau n’est pas non plus hiérarchique. Nulle volonté de gouverner la masse, ni même de l’élever : « Le but n’est absolument pas de comprendre [les Surhommes] comme maîtres des premiers, mais au contraire : il doit y avoir deux espèces qui coexistent : les uns comme les dieux épicuriens, ne se souciant pas des autres ». C’est un élitisme de la frontière, de l’éloignement. Toute relation entre les surhumains et le troupeau est synonyme d’abaissement des premiers.

Si l’homme fasciste se sacrifie pour la communauté, Nietzsche préfère sacrifier la communauté pour qu’advienne le surhumain. Cet individualisme est séduisant pour la jeunesse, mais il est également la raison pour laquelle la pensée de Nietzsche ne saurait, telle quelle, régénérer l'Occident, enferré dans un individualisme jouisseur. Il nous faut penser un juste milieu entre Nietzsche et Mussolini.

Votre citation favorite de Nietzsche ?

« L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme.»

Notes:

[1]Zarathoustra, livre IV, « De l'homme supérieur ».

[2]Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, IX, Gallimard. p. 214.  

Pierre Bérard : « Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain »

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Pierre Bérard : « Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain »

Entretien

Ex: https://www.breizh-info.com

Les éditions de la Nouvelle Librairie ont publié récemment Le Politique ou l’art de désigner l’ennemi, de Julien Freund (1921-1993). Ce dernier est l’un des plus grands penseurs français du politique. Les éditions de la Nouvelle Librairie lui rendent hommage en publiant quatre longues études qu’il a signées dans le cadre des travaux de la Nouvelle Droite, présentées par Alain de Benoist et Pierre Bérard. Le premier préface l’ouvrage et publie la correspondance qu’il a échangée avec Freund. Le second présente la figure de Freund à travers une centaine de pages, entre le dialogue philosophique et les « propos de table ».

Pierre Berard est professeur agrégé d’histoire désormais à la retraite. Lorsqu’il était étudiant à Nantes il a participé en mai 1968 à la fondation du Groupe de Recherche sur la Civilisation Européenne plus connu sous son
acronyme de GRECE ou son étiquette publicitaire de Nouvelle Droite. Nous l’avons interrogé au sujet de cet ouvrage, majeur.

Pour commander l’ouvrage, c’est ici 

Breizh-info.com : Qui était Julien Freund ? À quelle occasion l’avez vous rencontré ? Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette rencontre ?

Pierre Berard : Julien Freund (1921-1993) était un personnage tout à fait singulier. Né à Henridorff en Moselle, tout près de l’Alsace, dans un milieu de paysans et d’ouvriers, il a du interrompre ses études après le baccalauréat pour subvenir aux besoins de sa famille. Il est instituteur quand survient la seconde guerre mondiale. Détenu comme otage par les Allemands, il s’évade et rejoint Clermont-Ferrand en zone libre où se trouve repliée l’université de Strasbourg.


51-By5IxuRL.jpgIl y poursuit sa licence de philosophie puis entre en résistance dès janvier 1941 dans les groupes-francs de Combat dirigés par Henri Frenay. Arrêté deux fois, il s’évade deux fois et termine la guerre dans les maquis FTP de la Drome. Après le conflit il tâte brièvement de la politique, puis muni de son agrégation de philosophie se lance dans la rédaction de sa thèse qu’il soutient en 1965 sous la direction de Raymond Aron. Ses 765 pages sont éditées la même année sous le titre L’essence du politique chez Sirey. Elle a connu depuis plusieurs rééditions et demeure l’oeuvre la plus considérable de ce penseur hors pair, que Pierre-André Taguieff considère comme « l’un des rares penseurs du politique que la France a vu naître au XX siècle ».

J’ai rencontré Freund pour la première fois en janvier 1975 à Paris lors d’un colloque du GRECE où il s’était fait chaleureusement applaudir à la suite d’une conférence au titre assez provocateur « Plaidoyer pour l’aristocratie ».

« Aristocratie » devant être pris dans son sens étymologique du gouvernement des meilleurs, c’est à dire les plus aptes à diriger la cité pour le bien commun de ses nationaux. Dès les années suivantes mes relations avec lui sont passées du stade courtois à la franche complicité. Moi-même strasbourgeois, j’ai pu le fréquenter tant chez lui, à Villé, que dans les winstub alsaciennes ou dans les colloques où je me trouvais invité avec lui.

Ce qui marquait chez lui en dehors de son érudition phénoménale était sa simplicité et sa propension à parler avec tout le monde. Il était aussi rieur et souvent effronté, chose que j’ai tenu à mettre en scène dans les longues conversations que j’ai eu la chance de pouvoir entretenir avec lui jusqu’à sa mort. Il faut dire aussi que son espièglerie parfois persifleuse s’accommoderait fort mal avec le progressisme ou le salafisme dont notre époque est farcie jusqu’à la moelle.

Les imprécateurs de ces nouveaux dogmes sont trop imbus de leurs certitudes et ne savent en conséquence pratiquer ni l’humour ni le second degré. Oui, de toute évidence Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain. Un homme qui savait douter, y compris de ses propres opinions; il n’avait pas la prétention des sectaires.

Breizh-info.com : En quoi le livre « Le politique ou l’art de désigner l’ennemi » est essentiel, d’autant plus à notre époque ?

Pierre Berard : Le livre Le politique ou l’art de désigner l’ennemi est composé d’une brillante introduction d’Alain de Benoist qui souligne les grands thèmes qui ont agité la pensée de Freund et les propos de table échangés entre lui et moi durant une bonne quinzaine d’années, puis de quatre longs articles que Freund avait confié aux revues de la Nouvelle Droite. Successivement, Propos sur le politique, Plaidoyer pour l’aristocratie, Les lignes de force de la pensée politique de Carl Schmitt et de Prolégomènes à une étude scientifique du fascisme. Ainsi ce livre constitue-il une bonne approche d’une oeuvre marquée par un réalisme que n’encombre aucun des multiples tabous et censures qui caractérisent notre présent et rendent impossibles la libre discussion.

Freund est aujourd’hui un auteur injustement oublié. Il ne faut pas s’en étonner car c’est le lot de nombreux penseurs non-conformistes qui n’ont pas l’heur de satisfaire une université en proie à une idéologie qui s’attache à déconstruire ce qui faisait tout l’héritage du savoir européen. Freund avait d’ailleurs pressenti ce nouveau climat fait de lâcheté pour les uns et d’activisme forcené pour une minorité d’autres. Il démissionna de toutes ses fonctions académiques en 1972, à 51 ans, pour se retirer dans son village où il continua dans la sérénité à poursuivre son travail.

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Le livre est d’autant plus essentiel qu’à l’époque présente nous sommes inondés par les médias de grand chemin qui font la promotion incessante de minorités victimes de méchants « hommes blancs, hétérosexuels de plus de cinquante ans ».

À l’heure présente, celle des basses eaux, les victimes ont remplacé les héros, du moins dans notre Panthéon. À cette avalanche ininterrompue qui agit comme un formatage de l’opinion, il nous appartient de réagir sous peine de disparaître d’un continent qui a vu notre civilisation s’élaborer et s’épanouir et entreprendre la rude tâche de déconstruire les déconstructeurs.

Comme Max Weber, dont Freund fut un des passeurs en France, celui-ci affirme que le politique est affaire de puissance. Agir politiquement c’est exercer une puissance de même que renoncer à l’exercer c’est se soumettre d’emblée à la volonté et à la puissance des autres. Or sur le théâtre des opérations il y a bien des candidats à la puissance, à commencer par le plus visible, celui des États Unis, toujours aussi impérialistes et dont le soft power écrase nos identités, la Chine ou la Turquie d’Erdogan. Or nous ne pouvons que constater, sans être va-t-en-guerre pour autant, l’étonnante pusillanimité de l’Union européenne sur ces fronts là. Les lecteurs trouveront dans ce livre non seulement matière à se rasséréner mais surtout des arguments pour engager la contre-offensive nécessaire afin d’assurer notre survie. Dans cet ordre d’idées le raisonnement de Freund s’apparente à celui du grand juriste allemand Carl Schmitt.

418Xi+vyEML._SX332_BO1,204,203,200_.jpgPosons nous la question; est-il bien raisonnable de penser que tous les hommes ont vocation à s’entendre et de postuler l’avènement d’une paix universelle ? Ou bien ne s’agit-il là que d’une illusion angélique ? Le monde en effet n’est pas une unité politique, il n’est pas un universum mais bien plutôt un pluriversum politique. Freund incontestablement influencé par Carl Schmitt dans ce registre pose alors la question : ne convient-il pas de regarder la réalité en face et assumer le fait que le monde est composé d’ennemis potentiels et que seule une prise de conscience politique réaliste, dépourvue d’arguments moralisateurs peut engager une action responsable. Ceci est la base de la dialectique ami-ennemi. Penser la guerre comme actualisation ultime de l’hostilité n’est pas faire preuve de militarisme ou de bellicisme outrancier mais d’une prudence qui doit animer le politique.

Imaginons un peuple qui voudrait échapper à cette loi de l’ami et de l’ennemi et qui se convaincrait à grands coups de déclamations incantatoires qu’il n’a aucun ennemi et même qu’il déclare la paix au monde entier, il ne supprimerait pas pour autant la polarité ami-ennemi, puisque un autre peuple peut fort bien le désigner comme ennemi. C’est l’ennemi qui vous désigne dit Freund. Et Schmitt de surenchérir : « Qu’un peuple faible n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique, ce n’est pas la fin du politique dans le monde. C’est seulement la fin d’un peuple faible ».

La guerre n’est ni l’objectif ni la fin du politique mais elle demeure ce moment d’acmé dont tout homme d’État doit avoir l’hypothèse en tête. Freund ne croyait pas du tout à la disparition possible de la catégorie politique, raison pour laquelle il n’était pas libéral. En effet la pensée libérale mise sur la cessation des conflits, la fin de l’histoire et la dépolitisation de l’État en décrétant que le but des communautés humaines est la recherche du bonheur individuel en attribuant à l’instance dirigeante une simple posture de gestion, ce qui pour lui représentait une fiction délétère.

Breizh-info.com : « Rien n’est plus éloigné du politique que la morale » écrit Alain de Benoist évoquant l’oeuvre de Freund. Pourtant aujourd’hui, toute la vie politique se résume à des leçons de morale, qui intègre même les décisions pénales. Que faut-il alors retenir de Freund pour l’appliquer ensuite à la vie politique, judiciaire de ce pays ?

Pierre Berard : Pour Freund chaque activité est dotée d’une rationalité propre qui n’appartient qu’à elle. Il souligne à ce propos que l’erreur commune d’un certain marxisme (léniniste) et du libéralisme est de faire de la rationalité économique le
modèle de toute rationalité.

Il écrit à ce propos : « La pensée magique consiste justement en la croyance que l’on pourrait réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre ». Il insiste tout particulièrement sur la confusion de la morale et du politique et conseille d’en finir avec cet imbroglio. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la morale regarde le for intérieur privé tandis que le politique est une nécessité de la vie sociale. Aristote, l’un de ses maître, distinguait déjà vertu morale et vertu civique concluant que l’homme de bien est le bon citoyen. Un homme irréprochable du point de vue de la morale fait rarement un bon politique et d’autre part parce que la politique ne se fait pas avec de bonnes intentions morales, mais en s’attachant à ne pas faire de choix malheureux entrainant la perte de la cité.

Agir moralement ou prétendre le faire peut conduire à mener des guerres « humanitaires » (l’expression est de Carl Schmitt) et déclencher des catastrophes en chaîne comme on l’a vu avec l’opération occidentale en Libye, où nous avons été entrainés par l’imposteur Bernard-Henri Lévy et le narcissisme du président Sarkozy. Qui dit humanité veut tromper proclamait Proudhon. Cette déclaration s’est rarement démentie ! La politique n’est pas pour autant amorale ou immorale. Elle possède même sa dimension morale pour autant qu’elle poursuit le bien commun. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels mais ce que Tocqueville appelait le « bien du pays ».

Breizh-info.com : Désigner l’ennemi, c’est déjà forcément discriminer. Finalement, les lois qui aujourd’hui encadrent la liberté d’expression, et qui interdisent toute discrimination en France, ne sont-elles pas des lois qui vont à l’encontre du principe même de la vie de la cité, c’est à dire de la politique ?

Pierre Berard :  Discriminer est une obligation dans l’ordre intellectuel sous peine de sombrer dans le confusionnisme. Il en va de même dans l’ordre politique où la première des discrimination doit distinguer le citoyen du non citoyen. La mode actuelle
est à l’anti-discrimination sur le plan politique et pourtant l’État doit bien s’y résoudre quoi qu’il dise.

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Par exemple l’Éducation nationale ne peut recruter que des citoyens tout comme l’armée, à l’exception de la légion étrangère. Il est interdit en France d’être anti-islamiste mais bien vu d’être russophobe et ainsi de suite. En bonne logique les lois anti-discrimination sont inapplicables mais la logique est absente du système…Par exemple, comment est qualifiée une information ?

Selon qu’elle plait ou non aux censeurs omniprésents ils la qualifieront de « complotiste » ou d’avérées. Dans le premier cas elle sera envoyée au pilon par les plateformes des oligarques la Silicon valley, dans le second elle aura droit à tous
les égards comme information fiable. Dans son livre Athéna à la borne (éditions Pierre-Guillaume de Roux) maître Thibault Mercier a tout dit dans son seul sous titre Discriminer ou disparaître.

Breizh-info.com : Quels sont, outre ce livre, les autres travaux de Freund que vous jugez important à lire et à comprendre ?

Pierre Berard : Outre nombre d’études spécialisées je vois deux livres qui me paraissent importants. Le premier intitulé La décadence est paru chez Sirey en 1984. Il passe en revue toute les théories du déclin des civilisations et déclare dans son avant- propos que « tant qu’une civilisation demeure fidèle à l’impératif de ses normes, on ne saurait parler de décadence. Elle s’y embarque, dès qu’elle rompt avec elles ». C’est dire si il croyait que nous étions engagés sur cette voie. Il voyait dans l’aboulie de l’Europe et dans l’abolition progressive du politique au profit de l’économie et de la morale le signe de ce déclin. Il disait aussi que la culpabilité et que le sentiment de mauvaise conscience entretenus par de pseudos élites chez les Européens relevait d’un ethno-masochisme dont on ne voit nulle trace ailleurs.

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Certes la capacité des Européens à sans cesse se remettre en question fut longtemps une force dans la mesure ou elle aboutissait à de nouvelles synthèses mais au point où nous en sommes arrivés on ne voit rien surgir de tel, qu’un affaiblissement morbide et général. Tous les peuple ont commis l’esclavagisme, le colonialisme etc; n’est-il pas stupide que nous devions en porter seuls le poids historique et faire seuls repentance ad libitum ?

Le deuxième livre que l’on peut conseiller aux lecteurs curieux est Politique et impolitique (toujours chez Sirey), un ample recueil d’articles dans lequel Freund définit ce qu’il entend par l’impolitique. Ce n’est ni l’apolitique ni l’antipolitique ni encore le non-politique. Une politique basée sur les droits de l’homme, par exemple, équivaudrait à une impolitique parce qu’elle serait à prétention morale. C’était aussi la conviction de Marcel Gauchet. Nous retrouvons là la confusion dénoncée par ailleurs qui consiste à réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre. Nous vivons en Europe une phase de confusion entre les essences qui correspond à une intense dépolitisation qui nous conduit à l’impuissance, aussi bien dans sur le plan intérieur qu’au plan diplomatique et géostratégique. Cela hérissait le poil de Julien Freund qui avait lu et retenu les leçons de Machiavel et de Thomas Hobbes, des apôtre de la politique réaliste.

D’ailleurs on pourrait résumer Julien Freund à un seul postulat, l’adage romain et machiavélien Salus populi suprema lex qu’on peut traduire ainsi « Que le salut du peuple soit la loi suprême ». Malheureusement on est en droit de se demander si nous constituons toujours un peuple quoi qu’en disent certains intellectuels qui vivent dans des catégories autres que celles dans lesquelles ils pensent.

Breizh-info.com : Peut-on dire que Freund était un disciple de Carl Schmitt ?

Pierre Berard : Bien sûr qu’il a été, sinon son disciple, du moins très inspiré par lui. Mais alors que la polarité ami-ennemi joue un rôle clé dans la définition du politique par Schmitt, elle n’en est qu’un des éléments pour Freund. Celui-ci
distingue des présupposés inhérents à toutes les sociétés humaines depuis toujours et opérant en couple.

L’économique tout d’abord qui articule rareté et abondance, l’utile et le nuisible, le lien du maître à l’esclave. Le religieux ensuite qui fait la discrimination entre le sacré et le profane, du transcendant et de l’immanent. Viennent encore successivement l’esthétique qui fait la différence entre ce que l’on trouve beau et ce que l’on trouve laid, l’éthique dans laquelle se trouvent opposés la décence et l’indécence etc… Ces couples sont permanents indépendamment de ce qu’on y loge. Le couple ami-ennemi ne constituant que l’ultime clé de voute de tout cet appareillage puisqu’il met en scène la concorde intérieure et la sécurité extérieure dont dépend la bonne marche de tout le reste. En tant que catégorie conceptuelle, l’essence désigne chez Freund l’une de ces « activité originaires » ou orientations fondamentales de l’existence.

Avancer l’idée selon laquelle il y a une essence du politique, c’est dire que le politique est un activité consubstantielle de notre être au monde. Mais cela signifie également que l’on ne saurait l’éliminer ainsi que l’ont tentés les marxistes pour qui le politique était synonyme d’aliénation et instrument de la domination de classe et aujourd’hui les libéraux qui le conçoivent comme une activité irrationnelle appelée à être remplacé par les lois du marché, bien entendu « libre et non faussé ». Le politique étant de tout temps il ne dérive pas d’un état antérieur, d’un état de nature non social. Fiction inventée par les théoriciens du contrat et reprise par les Lumières. L’essence selon Freund est « la part d’invariant existant dans une activité appelée dans la vie concrète à revêtir les figures les plus diverses » comme le rappelle Alain de Benoist dans son introduction.

Propos recueillis par YV

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

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Giusepppe Gagliano:

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, la découverte de grands gisements de gaz au large des côtes d'Israël, de Chypre, d'Égypte et du Liban, a fait que la Méditerranée orientale joue désormais un rôle beaucoup plus important dans la géopolitique de l'énergie. Dans les eaux de l’offshore profond, elle n'est rentable qu'à long terme et présente des défis techniques et économiques importants. De plus, le pouvoir politique qui régit cette zone de la Méditerranée orientale repose sur trois autorités avec lesquelles il est nécessaire de traiter, dont les intérêts économiques peuvent diverger dans le temps. Cette réalité pèse sur les perspectives d'avenir de cette zone, du moins jusqu'à ce que la dimension politique soit résolue de manière sûre.

D'importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans les ZEE de l'Égypte, d'Israël et de Chypre. Les ZEE plus petites de la Syrie et du Liban doivent encore être explorées ou confirmées. Ces découvertes en Méditerranée orientale seraient constituées de réserves potentielles de l'ordre de 3,5 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié environ sont des réserves prouvées équivalentes à celles encore disponibles pour la Norvège après trente ans d'approvisionnement par l'Union européenne. En particulier, presque à la même distance des côtes de leur pays, se trouvent les trois gisements de Zohr (Egypte), Leviathan (Israël) et Aphrodite (Chypre) avec respectivement des réserves prouvées de 850, 450 et 140, pour un total de 1.440 milliards. de mètres cubes. Les dirigeants de ces trois pays se sont réunis pour envisager une solution commune afin de commercialiser ce gaz pour l'exportation. Il a été question de la construction d'un gazoduc sous-marin vers la Grèce et l'Italie, qui serait un concurrent direct du gaz azerbaïdjanais qui traverse la Turquie.

Dans le même temps, les gouvernements de Turquie et de Libye ont délimité les frontières de leurs ZEE, envahissant les ZEE des pays cités ci-dessus, créant ainsi des sources supplémentaires d'incertitude et de complications juridiques. Enfin, la démonstration de force de la Turquie en envoyant des navires sismiques en préparation des opérations d'exploration dans la ZEE grecque n'a fait qu'ajouter à un climat géopolitique déjà tendu. Tous ces facteurs d'incertitude et de conflits potentiels ne sont pas propices au développement de la production de gaz dans cette zone de la Méditerranée orientale. Cette situation n'empêche pas l'Égypte et Israël de produire, de consommer et d'exporter du gaz provenant de gisements proches de leurs côtes, dont la propriété n'est pas remise en question.

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Nous en venons maintenant à la Turquie. Il faut souligner qu'il existe un malentendu géographique : la grande découverte annoncée le 21 août 2020 par le président Erdogan ne se situe pas en Méditerranée, mais en mer Noire. Il s'agit du champ de Sakarya, situé à environ 170 kilomètres au nord de la côte turque. Il a une profondeur d'eau de 2 110 mètres et une profondeur totale de 4 775 mètres. Selon les informations publiques, il a été découvert en forant un seul puits, le Tuna-1, réalisé par le navire d'exploration Fatih ("le conquérant", en turc). Les réserves, initialement annoncées à 800 milliards de mètres cubes, ont été réévaluées par l'opérateur TPAO (Turkish Petroleum Corporation) à 320 puis à 405 milliards de mètres cubes le 17 octobre 2020. Un second forage de Turkali 1 est prévu en novembre. Un deuxième navire d'exploration, le Kanuni ("le législateur" en turc) est sur le point d'atteindre la mer Noire.

Le Sakarya a l'avantage d'être proche du marché turc. S'il est produit, son gaz approvisionnera le marché turc, renforcera la sécurité d'approvisionnement du pays et améliorera sa balance commerciale.

Cependant, la mise en production de Sakarya en 2023 est un objectif qui ne tient pas compte du calendrier de l'industrie gazière. Cette constatation devra être confirmée avant de passer à la conception et à la construction des installations de la phase de production du projet.

N'oublions pas que les ambitions de la Turquie sont multidimensionnelles et à multiples facettes. Elles ont un impact direct sur l'Europe, de l'Atlantique au Caucase en passant par la Méditerranée et le Moyen-Orient. Il est évident que les dimensions géopolitiques et religieuses priment sur les autres et il n'est pas clair si elles ont leur propre dimension stratégique ou si elles sont simplement tactiques. Cela dit, les ambitions énergétiques sont très légitimes pour tout pays, surtout lorsqu'il s'agit de la sécurité de l'approvisionnement en gaz.

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L'approvisionnement en gaz de la Turquie se situe entre 45 et 50 milliards de mètres cubes par an ; il est bien diversifié. Le gaz arrive à l'ouest par le Turk Stream, qui remplacera progressivement l'itinéraire historique à travers l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, au nord par le Blue Stream à travers la mer Noire à une profondeur de 2 000 mètres, à l'est par la frontière avec l'Iran et au nord-est par la frontière avec la Géorgie pour le gaz azerbaïdjanais. En outre, deux terminaux GNL terrestres (Izmir Aliaga, Marmara Ereglesi) et deux terminaux GNL flottants (Etki et Dörtyol) ont une capacité de réception totale d'environ 25 milliards de mètres cubes, dont la moitié seulement est utilisée, ce qui laisse une grande flexibilité ; ils reçoivent du gaz naturel liquéfié (GNL) d'Algérie, du Nigeria, du Qatar et d'autres sources, en dernier lieu du gaz de schiste des États-Unis.

Quant au TANAP (Trans Anatolian Pipeline) récemment mis en service, 6 milliards de mètres cubes par an de gaz azerbaïdjanais transiteront dans une première phase vers la Grèce, ce qui représente un peu plus de 1% des besoins de l'Union européenne. C'est ce qui reste du projet "Corridor Sud", autrefois étudié sous le nom de "Nabucco", promu par l'Union européenne pour réduire l'influence russe dans l'approvisionnement en gaz.

En bref, ces découvertes de grands gisements de gaz naturel ont déterminé un conflit évident, exacerbant les problèmes géopolitiques déjà existants dans une région qui n'est certainement pas simple d'un point de vue géopolitique.

Nous pensons au fait qu'Israël est en guerre avec le Liban et que les deux pays ne s'accordent pas sur le tracé de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives ; la Syrie est en ruine, le conflit israélo-palestinien se poursuit et la question d'une éventuelle ZEE pour Gaza demeure ; la Turquie occupe toujours la partie nord de Chypre, refuse à l'île le droit d'avoir une ZEE et remet en cause le traité de Lausanne qui a établi, en 1923, les frontières gréco-turques et enfin, la Libye est déstabilisée et en guerre civile, avec des interventions étrangères qui compliquent encore la stabilité de la région.

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Ces découvertes modifient considérablement le destin énergétique des Etats riverains du bassin du Levant. Israël devient une puissance exportatrice de gaz naturel, l'Égypte répond dans un premier temps à ses besoins et envisage de devenir un pôle énergétique régional, Chypre s'appuie sur ses ressources naturelles pour réaliser la réunification de l'île. De même, le Liban et la Syrie pourraient envisager d'exploiter leurs ressources respectives ; le Liban a accordé les premières licences de recherche/exploitation et la Syrie a fait de même au profit, sans surprise, des entreprises russes. Et une fois de plus, la Turquie joue un rôle décisif dans ce jeu.

Mais pour revenir à la Turquie, l'occupation de la partie nord de Chypre (depuis 1974) est l'une des composantes de la question. La nouveauté vient de la réaction de la Turquie face à la possibilité pour Chypre d'exploiter les ressources naturelles situées dans sa ZEE. Rappelons que Chypre a délimité sa ZEE avec l'Égypte et Israël, a signé un traité avec le Liban et était en pourparlers avec la Syrie (avant le conflit) sur la base de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). L'île a ensuite accordé des accords de recherche/exploitation à diverses entreprises. La société américaine Noble Energy, le consortium italo-coréen ENI-Kogas, le français Total, seul ou en joint-venture avec ENI, et l'américain ExxonMobil allié de Qatar Petroleum ont obtenu les licences.

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La Turquie, pour sa part, affirme que Chypre, comme toutes les îles de la Méditerranée, n'a pas de ZEE. Ankara, qui ne reconnaît pas la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, a une position arbitraire sur le sujet, une position qui lui est propre : elle estime que les îles n'ont pas de ZEE dans les mers fermées ou semi-fermées. .

Malgré les menaces turques à l'encontre des compagnies pétrolières travaillant avec Chypre, de nombreux forages exploratoires ont été réalisés dans la ZEE du pays et d'importantes découvertes de gaz naturel en quantités exploitables ont été faites : Noble Energy (découverte d'un champ contenant 100 à 170 milliards de mètres cubes de gaz naturel dans le bloc 12), ExxonMobil avec Qatar Petroleum (de 170 à 230 milliards de mètres cubes dans le bloc 10) et ENI avec Total (grand champ non encore quantifié dans le bloc 6).

Face à ces constats, la Turquie est devenue encore plus agressive, envoyant des navires d'exploration et de forage dans les eaux chypriotes, accompagnés de navires de guerre. La Turquie a effectué huit sondages illégaux dans la ZEE de Chypre. Appliquer la tactique d'encerclement à Chypre en maintenant constamment la pression sur cet Etat insulaire, avec, en fin de compte, le contrôle total de l'île. Sa dernière provocation, outre l'invasion quasi constante de sa ZEE, a été l'ouverture à l'exploitation et enfin la colonisation, le 8 octobre, du quartier fermé de Famagouste, ville portuaire vidée de sa population en 1974 et laissée auparavant pour une ville fantôme.

Parallèlement à la menace qui pèse sur Chypre, une menace croissante pèse sur la Grèce. Depuis le 10 août 2020, la Turquie a déployé son navire sismique Oruç Reis, accompagné de forces militaires navales, dans l'espace maritime grec, jusqu'aux côtes de Crète, obligeant la Grèce à faire de même. La Grèce, la France, l'Italie et Chypre ont mené un exercice militaire conjoint en Méditerranée orientale du 26 au 28 août, envoyant ainsi un message clair sur la volonté de ces pays de faire respecter le droit international.

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Selon une déclaration du ministère français des forces armées, "Chypre, la Grèce, la France et l'Italie ont décidé de déployer une présence commune en Méditerranée orientale dans le cadre de l'initiative de coopération quadripartite". La ministre française des forces armées, Florence Parly, a en outre précisé que la Méditerranée "ne doit pas être un terrain de jeu pour les ambitions de certains, c'est un bien commun".

Le président turc a précisé de sa part : "Nous ne ferons absolument aucune concession sur ce qui nous appartient. Nous invitons nos homologues à [...] se méfier de toute erreur qui pourrait ouvrir la voie à leur perte. Il a ensuite ajouté : "La Turquie prendra ce qui lui revient de droit dans la mer Noire, la mer Égée et la Méditerranée [...]. Pour cela, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est nécessaire politiquement, économiquement et militairement". Le discours a été prononcé lors d'une cérémonie commémorant la bataille de Manzikert en 1071, qui marque l'entrée des Turcs en Anatolie, suite à la victoire du sultan seldjoukide Alp Arslan sur les Byzantins. Les marines des deux pays sont sur le point de s'affronter. Août : un navire grec entre en collision avec un navire turc.

A la situation déjà compliquée, la Turquie a ajouté un nouvel élément lié au conflit libyen. Depuis la chute du colonel Kadhafi, la Libye est entrée dans une zone d'instabilité dans laquelle de nombreux acteurs aux intérêts divergents se sont immergés. L'Egypte, soutenue par les Emirats et l'Arabie Saoudite, soutient le maréchal Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque. La Russie est également présente dans cette région. Au contraire, la Turquie, soutenue par le Qatar, soutient le gouvernement de Sarraj, qui contrôle la région de Tripoli. Profitant de ce soutien, la Turquie a signé deux accords (le 27 novembre 2019) avec le maître de Tripoli. L'un militaire, l'autre maritime. L'accord de délimitation du plateau continental maritime entre les deux pays ignore complètement l'existence de Chypre, de la Crète et d'autres îles grecques de la mer Égée. De plus, la volonté d'Erdogan de prendre pied sur le continent africain et de changer la situation géopolitique dans cette région bouleverse de nombreux autres acteurs internationaux. La Libye est pour la Turquie, une des "entrées" de cet espace, d'où son désir d'établir des bases permanentes dans ce pays.

Cette situation géopolitique explosive montre la nécessité de développer la coopération dans cette région troublée. La coopération entre Chypre, la Grèce et Israël a rapidement pris forme. D'autres ont suivi, impliquant l'Égypte et la Jordanie, toujours avec la participation de Chypre et de la Grèce. L'Italie et la France sont également très présentes pour l'implication de l'ENI et de Total, mais aussi pour protéger cet espace vital commun qu'est la Méditerranée.

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La signature, début janvier 2020, d'un accord interétatique entre Israël, Chypre et la Grèce, pour la construction du pipeline sous-marin EastMed, est l'un des projets ambitieux de cette coopération. D'un coût d'environ 7 milliards d'euros, ce gazoduc permettrait d'acheminer le gaz chypriote et israélien vers la Grèce continentale, via la Crète, et au-delà vers l'Italie et l'Europe occidentale (entre 9 et 11 milliards de mètres cubes/an, ce qui correspond à environ 15 % de la consommation européenne de gaz naturel). Bien que ce projet soit coûteux sur le plan économique, il est de la plus haute importance sur le plan géopolitique pour la construction de l'indépendance énergétique de l'Europe. Il convient également de noter qu'en janvier 2019, les pays de la région ont créé le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui vise à gérer le futur marché du gaz - une coalition qui comprend Chypre, la Grèce, Israël, l'Égypte, l'Italie, la Jordanie et la Palestine. La Turquie dénonce le fait que cela pourrait menacer ses intérêts. Toutefois, trois autres développements positifs sont intervenus au cours de l'été 2020 : La Grèce a procédé à la délimitation de sa ZEE avec l'Italie et l'Égypte et cette délimitation, basée sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, reconnaît évidemment une ZEE pour les îles.

Enfin, le Conseil européen réaffirme dans ses conclusions du 2 octobre 2020 sa solidarité avec Chypre et la Grèce, en précisant que des sanctions seraient adoptées contre la Turquie si cette dernière continuait à violer les ZEE des deux pays membres de l'UE ; Ankara a immédiatement rejeté cette décision, déclarant que son programme de recherche en Méditerranée orientale se poursuivrait. D'autant plus que l'Oruç Reis est toujours dans les eaux chypriotes et que la Turquie a décidé d'ouvrir le district fermé de Famagouste à l'exploitation, certainement dans le but d'une colonisation imminente, et ce en violation de toutes les résolutions des organisations internationales. Non seulement la pression continue de la Turquie sur Chypre s'intensifie dangereusement, mais la Turquie s'engage dans une projection politique lucide de la puissance maritime.