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mercredi, 11 mars 2020

Cyber-guerre/Souveraineté nationale : Arrogance, trahisons et résistance…

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Cyber-guerre/Souveraineté nationale: Arrogance, trahisons et résistance…

 
 
par Richard Labévière 
Ex: http://www.zejournal.mobi

A en croire certains journalistes pressés et analystes aux idées tranchées, la Russie serait aujourd’hui notre principale menace numérique. Ses « hackeurs1 » seraient en capacité de cibler – quotidiennement – nos entreprises les plus performantes, nos administrations les plus sensibles, nos secrets les mieux gardés, alors que nous serions pratiquement désarmés, incapables de nous protéger, sinon de riposter. Récurrentes, depuis que Vladimir Poutine a remis son pays sur les rails d’une politique de puissance, ces assertions réactivent toutes les raisons de détester la Russie2.

Ressurgissent les poncifs de la Guerre froide, mâtinés de cet anticommunisme qui s’enracine dans la Révolution d’octobre de 1917 ; du Communisme de guerre à la crise des missiles de Cuba (1962)3 jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 19894 et après…

Récurrente, cette figure de l’idéologie dominante marche sur trois jambes : 1) une appartenance au « monde libre », qui aurait définitivement affirmé sa supériorité avec l’effondrement du Bloc de l’Est ; 2) une suprématie économique, qui repose sur les mécanismes du libéralisme, néo-libéralisme et ultra-libéralisme imposés par les Etats-Unis et la Grande Bretagne ; 3) enfin, un racisme profond, dont on retrouve quelques racines, notamment dans Mein Kampf, qui assimilait les peuples slaves à des « sous-races incultes descendant des Tatar-Mongols, acquis à la juiverie bolchevique… ».

Ce type de figure « essentialiste » vide la réalité de toute dimension historique pour la transformer en une « essence », autrement dit une « nature » quasiment géologique, résultant davantage du « bon sens populaire » et de ses « mythes » que de toute espèce d’approche scientifique : « la privation d’histoire : le mythe prive l’objet dont il parle de toute Histoire. En lui, l’histoire s’évapore. C’est une sorte de domestique idéal : il apprête, apporte, dispose, le maître arrive, disparaît silencieusement. Il n’y a plus qu’à jouir sans se demander d’où vient ce bel objet »5. Il est plus simple de se réfugier dans quelque bouc-émissaire, et dans une vérité arbitraire…

Pour en revenir à la transformation numérique de notre monde, il s’agit justement de remonter le courant idéologique par l’Histoire, ses filiations, ses péripéties et ses acteurs, en posant quelques questions : pourquoi la France se trouve-t-elle aujourd’hui si démunie et vulnérable, si dépendante sur les fronts de la cyber-guerre ? Trop méconnue, cette histoire est pourtant instructive. Ensuite, il s’agit de bien prendre la mesure des rapports de force et de rappeler que les Etats-Unis et Israël disposent – aujourd’hui – de l’arsenal numérique le plus puissant du monde6. Enfin, dans ce rapport de force proprement asymétrique, comment réagissent la Russie et la Chine, voire l’Inde ? Sont-ils vraiment nos seuls et principaux ennemis ?

TRAGEDIE EN TROIS ACTES

Selon le pionnier du Web français Tariq Krim7, le fiasco du numérique français est une tragédie en trois actes : « il y eut d’abord les ‘30 honteuses du numérique’, où une petite élite arrogante et dénuée de vision stratégique a démantelé notre industrie informatique et électronique. Elle a débranché les travaux de recherches les plus intéressants et laissé nos meilleurs développeurs partir à l’étranger, faute de les associer à des projets ambitieux. Vient ensuite la capitulation vis-à-vis des grands acteurs américains. Ainsi, de nombreux politiques et hauts fonctionnaires français leur ont permis d’intégrer leurs technologies au cœur des prérogatives régaliennes de l’État : défense, renseignement, éducation, sécurité, mais aussi culture. Plusieurs d’entre eux quitteront leurs fonctions pour aller rejoindre ces sociétés. Le troisième acte se joue en ce moment. Alors que nos dirigeants se préparent à une vente à la découpe, il reste cependant un mince espoir d’inventer une autre manière d’utiliser le réseau plus en phase avec nos principes et nos valeurs »8.

La tragédie commence au CERN9, dans les années 1990, lorsque le chercheur Tim Berners-Lee invente le WorldWideWeb – premier navigateur web et premier éditeur HTML. Mais ces recherches ne sont pas encouragées par le CERN, ce qui pousse Tim Berners-Lee à proposer ses services au MIT10. En 1993, les États-Unis lancent le projet des « Autoroutes de l’information », faisant de l’Internet et du numérique le fer de lance de leur nouvelle stratégie de croissance. L’Europe et la France continuent de miser sur les industries traditionnelles. Vingt-cinq ans plus tard, les GAFAM11 dominent le monde.

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Tariq Krim : « la France ne voit pas les choses de la même manière, notre élite méprise ce qui est marginal, différent ou simplement trop petit. Le scénario de « dénumérisation » de la France suivra toujours le même schéma. Nous vendrons à la casse nos sociétés, ou les dilapiderons alors qu’elles possédaient en interne les technologies qui, si elles avaient été mieux valorisées, nous auraient permis d’influencer la direction prise par l’Internet ». Tout commence dans les années 70, avec l’abandon du réseau Cyclades de Louis Pouzin au profit du Minitel. Louis Pouzin en est le concepteur. Il est aussi l’inventeur de la segmentation des données en « Datagramme ». Il sera récompensé (avec Tim Berners-Lee et Vinton Cerf) par la reine d’Angleterre pour ses contributions essentielles à la création de l’Internet. En France – à ce jour encore – il reste un parfait inconnu du grand public.

Tout juste nommé Premier ministre en 1995, Alain Juppé explique – au journal de 20 heures – sa volonté de vendre Thomson Multimédia au coréen Daewoo : «  Thomson, ça ne vaut rien, juste un franc symbolique. » Obsédé par les revendications sociales de l’entreprise, il ignore que Thomson multimédia dispose d’une grande partie des brevets sur la musique (le fameux MP3) et la vidéo en ligne, qui seront utilisés quelques années plus tard dans tous les smartphones. Sa branche grand public sera démantelée et vendue au chinois TCL. Ses meilleurs ingénieurs partiront chez Google. Le champion européen du GSM – Nokia -, sera lui aussi vendu à Microsoft, ce qui s’est révélé à l’époque désastreux.

LE DESASTRE WANADOO 

En 1980, les équipes de recherche du CNET (Centre national d’études des télécommunications) lancent le Minitel qui hisse la France au premier rang de la télématique mondiale, grâce à ce premier service au monde de fourniture payante d’information. Grand succès : la petite boîte Minitel s’installe dans la plupart des foyers et concurrencera par la suite l’extension d’Internet.

En 1995, France Telecom lance Wanadoo pour développer les accès français à l’Internet, déjà très en retard par rapport aux Etats-Unis et à d’autres pays européens. Dans la même filiation, par manque de clairvoyance, après Juppé, Lionel Jospin déclare : « le Minitel, réseau numérique national, risque de constituer progressivement un frein au développement des applications nouvelles et prometteuses des technologies de l’information. Je souhaite donc que France Telecom provoque des solutions incitatives afin de favoriser la migration progressive du vaste patrimoine du Minitel vers l’Internet ». On aurait très bien pu jouer conjointement le Minitel et Internet. Simple question : qui conseille ces décideurs ?

En 1997, Wanadoo lance un moteur de recherche sous la marque Voilà.fr –destiné à faire face à l’Américain Yahoo – avantl’arrivée de Google en version française (septembre 2000). Les développements techniques de ce moteur étaient réalisés à Sophia Antipolis par Echo, une start-up française qui a coûté fort cher en investissements.En 1999, la France se lance dans l’accès gratuit à Internet. Sous la direction de Nicolas Dufourcq qui considère qu’Internet est un média à part entière – Wanadoo étant appelé à être le TF1 de l’Internet, disait-il – les métiers du contenu sont considérés comme les plus nobles, au détriment de ceux du réseau, concepteurs de tuyaux et de commodités. Dans le même état d’esprit, Wanadoo acquiert des sites éditoriaux et commerciaux comme GOA (plateforme de jeux en réseau) et Alapage, le concurrent français d’Amazon, qui sera aussi sacrifié.

En 2000 Wanadoo est côté en bourse. Cette cotation et ses actionnaires deviennent une véritable obsession. Mais en 2001, la bulle explose. La tendance est de revenir à l’accès, aux « métiers de tuyaux ». Trop tard ! C’est l’effondrement des valeurs boursières d’Internet alors que son usage se généralise mondialement.

En septembre 2006, France Telecom vend pour 3,3 milliards d’euros le groupe PagesJaunes aux fonds d’investissement américain KKR et Goldman Sachs basés à New York. En février 2009, selon France Telecom, le réseau de Minitel enregistrait encore 10 millions de connexions mensuelles sur 4 000 codes de services Vidéotex, dont un million sur le 3611 (annuaire électronique). En 2010, 2 millions de personnes utilisaient encore le Minitel-36, dégageant 200 000 euros de chiffre d’affaires.

Face à la concurrence d’Internet, France Telecom/Orange ferme le service Minitel le 30 juin 2012. En fait, Wanadoo n’a pas su utiliser la Recherche et Développement (R&D) de France Telecom. Nicolas Dufourcq se concentre exclusivement sur une « stratégie médias », au détriment de la recherche et de l’innovation technologique. Tout s’est joué durant la période 1998/2006 : Wanadoo se laisse distancer par Google, Amazon et les autres concurrents américains.

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Le désastre de Wanadoo et du numérique français continue après la réintégration de la filiale de l’Internet dans la maison-mère. A la tête de France Telecom dès 2002, Thierry Breton – ancien ministre de Nicolas Sarkozy et actuellement commissaire européen – est l’un des responsables de cette casse industrielle. Il a privilégié une stratégie de partenariats au détriment de celles du R&D interne aux industries françaises. En 2006, son successeur Didier Lombard signe avec Microsoft un partenariat en vue de développer produits et services communs dans le domaine du multimédia. Les centres de recherche ont été fermés et nos meilleurs ingénieurs ont été poussés au suicide ou à vendre leurs savoirs à l’étranger12. Ce polytechnicien – en principe au service des intérêts de la France- vient d’être jugé pour l’épidémie de suicides à Orange. Le virage du numérique a été complètement loupé : le CNET est devenu un musée…

« PALANTIR » : CHEVAL DE TROIE ET SERVITUDE VOLONTAIRE

Lancé par Jacques Chirac, le projet Quaero – qui devait servir de plateforme pour une réponse franco-européenne à Google, Amazon et Microsoft – sera revendu… au chinois Huawei ! Au final, c’est une génération entière d’ingénieurs, de chercheurs et d’entrepreneurs qui aura été délibérément sacrifiée.

Tariq Krim : « l’acte deux commence avec le quinquennat Hollande. Un changement d’attitude va s’opérer vis-à-vis des grandes plateformes. La défaite est désormais entérinée en coulisses. Il ne s’agit plus d’exister au niveau mondial, mais de négocier avec les GAFAM tout en faisant mine de s’indigner publiquement de leurs abus de position dominante. Place à la stratégie « Ferrero Rocher » : tapis rouge, petits fours, quasi-visites d’État et quasi-sommets diplomatiques avec les GAFAM. L’exigence de souveraineté numérique n’est plus un rempart. Un partenariat entre Cisco13 et l’Éducation nationale est mis en place par Manuel Valls. Ceci alors que cette société est au cœur du complexe militaro-industriel américain. Son patron sera d’ailleurs nommé par Emmanuel Macron ambassadeur mondial de la French Tech ».

Microsoft est devenue le partenaire de l’Éducation nationale et Google le parrain de la Grande École du numérique. Les agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et leurs homologues de la sécurité extérieure (DGSE) ont établi que quelque 4000 cadres et employés de la fonction publique, collaborateurs d’entreprises stratégiques et acteurs de cercles d’influence ont été ainsi ‘approchés’ via les réseaux numériques professionnels, en particulier LinkedIn14. Et comme ce sont toujours les cordonniers qui sont les plus mal chaussés, la DGSI, faute de pouvoir recourir à un système français ou européen, s’est adressée en 2016 à la société américaine Palantir-Technologies pour le traitement de ses données, un contrat s’élevant à plus de 10 millions d’euros.

Dès 2004, Palantir – société créée par Peter Thiel, Alex Karp et Nathan Gettings, proches du président Donald Trump, bénéficie de fonds importants de la CIA et multiplie différentes collaborations avec le renseignement, les forces armées et les services de police américains. Palantir a été associée à Cambridge-Analytica afin de collecter et d’exploiter, à leur insu, les données de millions d’abonnés au réseau numérique Facebook lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Pour une fois, la justice américaine via son régulateur de la concurrence est intervenue avec célérité, condamnant Facebook à une amende de 5 milliards de dollars.

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Et lorsqu’on questionne cet abandon flagrant de souveraineté directement auprès du représentant « français » de Palantir, – un certain Alexandre Papaemmanuel (ça ne s’invente pas !) -, celui-ci brandit aussitôt l’épouvantail du « souverainisme » (gros mot qui n’appelle pas de réponse), vitupérant qu’« on ne pouvait tout de même pas rester seuls à pianoter sur nos Minitel dans le massif central… »15. Même pas drôle, mais tellement français ! Si l’on ne se vend pas aux Américains, l’on est condamné, soit à demeurer de pauvres gaulois arriérés, soit suspecté de faire le jeu des Russes ou des Chinois. Malheureusement, cette mentalité de « servitude volontaire » est partagée par nombre de spécimens de nos élites économiques, politiques et administratives.

Directeur de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), Guillaume Poupart a multiplié les mises en garde à l’encontre des logiciels de Palantir, appelant de ses vœux une alternative française. Le 16 octobre 2018, le GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) annonce enfin que le ‘Cluster Data Intelligence’, un groupement réunissant 22 entreprises spécialisées, peut proposer une offre « cohérente, souveraine, modulaire, compétitive, répondant concrètement aux besoins, avec un coût de possession transparent, à disposition des services de renseignement et entreprises ayant des problématiques liées au Big Data ». Le communiqué conclut : « Cette offre souveraine peut répondre aux besoins et contraintes des administrations et entreprises françaises, mais elle peut également bénéficier à d’autres pays pour la recherche de solutions ‘indépendantes’, représentant ainsi une véritable opportunité à l’export pour les industriels français ».

Parallèlement, la DGA (Direction générale de l’armement) poursuit un autre programme visant à permettre le traitement massif de données. « Appelé Artemis, il est confié en novembre 2017 aux sociétés Capgemini et Athos-Bull, ainsi qu’au groupement Thales/Sopra-Steria. Il devrait être testé durant le premier semestre de cette année. Des déploiements pilotes devraient suivre courant 2020 à Brest, Rennes et en région parisienne, puis sur l’ensemble des réseaux du ministère des Armées », précise encore la DGA. A voir…

LA COLLABORATION HONTEUSE D’ORANGE

Aujourd’hui, rares sont ceux qui remettent en cause le monopole des GAFAM, même si l’affaire Snowden a ébranlé quelques certitudes. En février 2019, parait une petite brochure – « Israël, le 6ème GAFAM ? » – éditée avec l’aide de l’Ecole de guerre économique. Sur la quatrième de couverture, on peut lire : « Israël est un pays singulier par sa géographie, sa culture et son histoire. La culture israélienne s’est construite au rythme de conflits récurrents et autour de l’émergence d’un Etat démocratique et prospère dans le morceau de désert qu’est la Terre Promise ». Cocasse pied de nez de l’histoire que de voir ainsi le directeur de l’Ecole de guerre économique – ancien terroriste notoire – relayer la propagande de Tel-Aviv !16

Publiée avec l’aide de l’ambassade d’Israël à Paris, cette brochure de pure propagande a au moins un mérite : celui d’énumérer et de décrire (partiellement) les connexions organiques entre Israël-Valley et la Silicon Valley, les deux poumons planétaires des GAFAM. Le brûlot évoque plus discrètement la collaboration d’Orange avec plusieurs sociétés directement arrimées à la communauté israélienne du renseignement.

Créée par des anciens du Mossad en 2014 et basée à Beer-Sheva – dans le sud d’Israël – la start-up MORPHISEC ouvre un bureau à Boston en 2016. Page 42 de la brochure : « en outre, sa croissance a été accélérée et financée notamment par le fonds JVP à Jérusalem, GE Capital, Deutsche Telekom. Depuis le 20 février 2018, ORANGE Digital Ventures a annoncé sa participation au financement de MORPHISEC ». Avec La Maison et Kodem Growth Partners, Orange rejoint ainsi les investisseurs historiques de la start-up et prend part à son développement.

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Morphisec.com (PRNewsFoto/Morphisec)

Page 43 : « l’investissement d’ORANGE Digital Ventures va permettre à MORPHISEC d’accélérer ses réductions de coûts et, en France, d’acquérir un positionnement dans le haut de gamme dans le mobile et l’Internet haut débit (40% du marché français) ». Question : comment MORPHISEC va-t-elle pouvoir suivre l’évolution potentielle de sa valeur, notamment au sein du groupe ORANGE dont il est dit de sa stratégie que « l’Etat français y exerce une forte intervention » ?

Réponse : « l’évolution des tensions avec TF1 à propos de la poursuite de la diffusion des chaînes du groupe TF1 sur les box Orange est un véritable enjeu ; la poursuite des acquisitions dans le secteur de la sécurité, après l’achat du français Lexsi ; le lancement de la banque mobile Orange Bank, avec pour objectifs deux millions de clients et 400 millions d’euros de produit net bancaire à fin 2018 ».

Chaque année à Tel-Aviv, dans la plus grande discrétion, le groupe ORANGE participe à une semaine de colloque consacré à la cybersécurité et au renseignement numérique, touchant évidemment à des secteurs sensibles de la défense nationale. Au sein du groupe ORANGE, cette politique est animée notamment par un certain Luc Bretones17 et Roseline Kalifa dont le profil LinkedIn indique qu’elle consacre principalement sa vie à des partenariats d’ORANGE en Israël. Interrogé par prochetmoyen-orient.ch sur ses activités en Israël, ORANGE n’a pas jugé utile de nous répondre, nous renvoyant aux bons soins de l’ambassade d’Israël à Paris ! Vive la téléphonie et la communication numérique…

RESISTER DANS UN « MONDE RVVD »

Il est vrai que le dos vous glace lorsqu’on peut voir des drones filocher des passants qui ont omis de dissimuler leur visage sous un masque anti-virus, le même drone s’adressant au « mauvais citoyen » en l’avertissant qu’il sera poursuivi jusqu’à son domicile ! Le « Crédit social » chinois délivre une note à chaque Chinois, qui détermine sa capacité à se déplacer ou à obtenir un crédit. C’est aussi ce qui se prépare dans certains cabinets ministériels lorsqu’il est question d’État plateforme et d’« applis » pour remplacer les fonctionnaires humains au guichet.

Les compagnies d’assurance aussi sont sur le coup pour moduler nos cotisations en fonction du nombre de nos pas effectués quotidiennement ou de celui des cigarettes ou cigares fumés dans la journée. La société Casino vient d’annoncer qu’elle allait supprimer les caissières de ses supermarchés, pour les remplacer par des machines, surveillées par des vigiles. Magnifique ! Après le monde VUCA (Vulnérable, incertain, complexe et ambigu), nous voici entrés de plein pied dans un monde encore bien plus merveilleux : le RVVD (Robots, vigils, virus, drones).

Dans ce nouveau monde et dans cette nouvelle géopolitique du Cyber, la Chine a – très tôt – construit sa muraille pour garantir et défendre son indépendance. Moins bien dotée, la Russie – comme d’autres pays – pratique les ruses de la guerre asymétrique, disposant de très bons ingénieurs et n’hésitant pas à recourir aux services rémunérés de certains des meilleurs hackeurs du monde. Comme les pays occidentaux n’ont cessé de le faire durant la Guerre froide, Moscou riposte sur le champ du soft-power et de l’information. Washington et Tel-Aviv ne sont pas en reste pour défendre leur quasi-monopole. France et Europe sont toujours très en retard…

On ne va pas rigoler tous les jours ! Mais tout n’est jamais complètement perdu, tant qu’il y a toujours du pouvoir qui échappe aux puissants. Antonio Gramsci nous a enseigné le pessimisme de l’intelligence, allié à l’optimisme de la volonté pour faire émerger de nouvelles formes de résistance technologique. Espérons que la France et ses élites – encore lucides et animées d’un patriotisme minimal – reprennent le dessus sur ces questions touchant directement à notre souveraineté, à notre indépendance nationale, donc à notre liberté !

Saluons au passage, et diffusons les travaux du penseur Bernard Stiegler. Fondateur et président d’un groupe de recherche – Ars industrialis, créé en 2005 -, il dirige également l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) qu’il a créé en 2006 au centre Georges-Pompidou.

Ses travaux concernent justement les alternatives technologiques, des pratiques et usages – tout aussi alternatifs – de l’Internet et des outils numériques. Les ouvrages18 de Bernard Stiegler et les travaux de ses équipes transdisciplinaires ouvrent des perspectives réelles de résistance…

Notes:

1 En sécurité informatique, un hacker (francisé : hackeur ou hackeuse – « mercenaire numérique »), est un spécialiste en technologies informatiques, qui recherche les moyens de contourner les protections logicielles et matérielles afin de pirater les données. Il agit par curiosité, défi technique, motivation politique, en quête de notoriété ou/et de rémunération.

2 Guy Mettan : Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne – Pourquoi nous aimons tant détester la Russie. Editions des Syrtes, 2015.
3 La crise des missiles de Cuba se déroule du 16 octobre au 28 octobre 1962. Elle oppose les États-Unis et l’Union soviétique au sujet des missiles nucléaires russes pointés en direction du territoire des États-Unis depuis l’île de Cuba.
4 La chute du mur de Berlin a lieu dans la nuit du 9 novembre 1989 lorsque des Berlinois de l’Est, avertis par les médias ouest-allemands de la décision des autorités est-allemandes de ne plus soumettre le passage en Allemagne de l’Ouest (RFA) à autorisation préalable, forcent l’ouverture des points de passage aménagés entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. 
5 Roland Barthes : Mythologies. Editions du seuil, 1957.
6 « Quand l’Ecole de guerre économique relaie la propagande israélienne » – prochetmoyen-orient.ch, 25 mars 2019.
7 Pionnier du Web français, Tariq Krim fondateur de Netvibes, Jolicloud et de la plateforme de Slow Web dissident.ai.
8 Le Point, 5 janvier 2019.
9 CERN : Conseil européen pour la recherche nucléaire, créé en 1952. Le CERN est le plus grand centre de physique des particules du monde.
10 MIT : le Massachusetts Institute of Technology (Institut de technologie du Massachusetts) est un centre de recherche américain et une université, spécialisé dans les domaines de la science et de la technologie. 
11 GAFAM est l’acronyme des géants du Web : GoogleAppleFacebookAmazon et Microsoft, qui sont les cinq grandes firmes américaines, dominant le marché du numérique, parfois également nommées les Big Five, ou encore « The Five ».
12 Sur le sujet, on peut lire l’excellent livre de Johann Chapoutot : Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui. Editions Gallimard, janvier 2020.
13 Cisco Systems est une entreprise informatique américaine spécialisée dans le matériel réseau, et depuis 2009 dans les serveurs. Elle est dirigée par Chuck Robbins depuis juillet 2015.
14 575 millions de personnes sont inscrites sur Linkedin dans le monde.
15 Echange avec l’auteur durant le colloque de la SONU sur « les mythes du renseignement » – 12 janvier 2020, Paris-Panthéon-Sorbonne.
16 « Quand l’Ecole de guerre économique relaie la propagande israélienne » – prochetmoyen-orient.ch, 25 mars 2019.
17 Luc Bretones a travaillé pour le groupe Orange depuis 1997. En juillet 2013, il prend la direction du Technocentre du groupe, puis en octobre 2013 d’Orange-Vallée. Il est administrateur des sociétés SoftAtHome et La cité de l’objet connecté d’Angers. Il est également président de l’association de bénévoles Orange/solidarité. Spécialisé dans le business des nouvelles technologies, Luc Bretones est administrateur de divers think tanks, comme l’institut G9+ ou encore Renaissance numérique. Il a quitté Orange en 2019.
18 Notamment, Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ? Editions Les liens qui libèrent, 2016.

Le Pentagone veut déployer des micro-réacteurs nucléaires sur ses bases à l’étranger

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Le Pentagone veut déployer des micro-réacteurs nucléaires sur ses bases à l’étranger

09:52 Publié dans Actualité, Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : états-unis, défense, armes nucléaires | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Quelle cible après la Syrie ?

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Quelle cible après la Syrie ?

par Thierry Meyssan

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Les événements qui se sont produits au « Moyen-Orient élargi » depuis 2001 suivent une logique implacable. La question actuelle est de savoir si le moment est arrivé d’une nouvelle guerre en Turquie ou en Arabie saoudite. La réponse dépend notamment de la relance des hostilités en Libye. C’est dans ce contexte que doit être interprété le Protocole additionnel négocié par les présidents Erdogan et Poutine pour résoudre la crise d’Idleb.

19 ans de « guerre sans fin »

Le président George W. Bush décida de transformer radicalement les missions du Pentagone, ainsi que l’expliqua, le 13 septembre 2001, le colonel Ralph Peters dans la revue de l’Armée de Terre, Parameters. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, nomma l’amiral Arthur Cebrowski pour qu’il forme les futurs officiers. Celui-ci passa trois ans à faire le tour des universités militaires de sorte qu’aujourd’hui, la totalité des officiers généraux ont suivi ses cours. Sa pensée a été vulgarisée pour le grand public par son adjoint, Thomas Barnett.

Les zones touchées par la guerre US seront livrées au « chaos ». Ce concept doit être compris au sens du philosophe anglais Thomas Hobbes, c’est-à-dire comme l’absence de structures politiques capables de protéger les citoyens de leur propre violence (« L’homme est un loup pour l’homme »). Et non pas au sens biblique de faire table rase avant la création d’un ordre nouveau.

Cette guerre est une adaptation des Forces armées US à l’ère de la mondialisation, au passage du capitalisme productif au capitalisme financier. « La guerre est un racket » (War is a racket), disait avant la Seconde Guerre mondiale le général le plus décoré des États-Unis, Smedley Butler [1]. Désormais, les amis et les ennemis ne compteront plus, la guerre permettra une simple gestion des ressources naturelles.

Cette forme de guerre suppose de nombreux crimes contre l’humanité (notamment des nettoyages ethniques) que les Forces armées US ne peuvent pas commettre. Le secrétaire Donald Rumsfeld engagea donc des armées privées (dont Blackwater) et développa des organisations terroristes tout en prétendant les combattre.

Les administrations Bush et Obama ont suivi cette stratégie : détruire les structures étatiques de régions entières du monde. La guerre US n’a plus pour objectif de vaincre, mais de durer (la « guerre sans fin »). Le président Donald Trump et son premier conseiller de Sécurité nationale, le général Michael Flynn, ont remis en cause cette évolution sans parvenir à la changer. Aujourd’hui, les tenants de la pensée Rumsfeld/Cebrowski poursuivent ses objectifs non pas tant au travers du secrétariat à la Défense que de l’Otan.

Après que le président Bush a lancé la « guerre sans fin » en Afghanistan (2001) et en Iraq (2003), une forte contestation surgit au sein des élites politiques de Washington à propos des arguments qui avaient justifié l’invasion de l’Iraq et du désordre qui y régnait. Ce fut la Commission Baker-Hamilton (2006). Jamais, la guerre ne cessa ni en Afghanistan ni en Iraq, mais il fallu attendre cinq ans pour que le président Obama ouvre de nouveaux théâtres d’opération : la Libye (2011), la Syrie (2012) et le Yémen (2015).

Deux acteurs extérieurs ont interféré avec ce plan.
- En 2010-11, le Royaume-Uni a lancé le « Printemps arabe », une opération calquée sur la « Révolte arabe » de 1915 qui permit à Lawrence d’Arabie de placer les wahhabites au pouvoir dans la péninsule arabique. Il s’agissait cette fois de placer les Frères musulmans au pouvoir avec l’aide non pas du Pentagone, mais du département d’État US et de l’Otan.
- En 2014, la Russie est intervenue en Syrie, dont l’État ne s’était pas effondré et qu’elle a aidé à résister. Depuis lors, les Britanniques —qui y avaient tenté d’en changer le régime durant le « Printemps arabe » (2011-début 2012),— puis les États-Uniens —qui cherchaient à y renverser non pas le régime, mais l’État (mi-2012 à aujourd’hui)— ont dû s’en retirer. La Russie, qui poursuit le rêve de la Tsarine Catherine, se bat aujourd’hui contre le chaos, pour la stabilité —c’est-à-dire pour la défense des structures étatiques et le respect des frontières—.

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Le colonel Ralph Peters, qui avait révélé en 2001 la nouvelle stratégie du Pentagone, publia en 2006 la carte des objectifs de l’amiral Cebrowski. Elle montrait que seuls Israël et la Jordanie ne seraient pas atteints. Tous les autres pays du « Moyen-Orient élargi » (c’est-à-dire du Maroc au Pakistan) seraient progressivement privés d’État et tous les grands pays (dont l’Arabie saoudite et la Turquie) disparaîtraient.

Constatant que son meilleur allié, les États-Unis, prévoyait de couper son territoire en deux afin de créer un « Kurdistan libre », la Turquie tenta vainement de se rapprocher de la Chine, puis adopta la théorie du professeur Ahmet Davutoglu : « Zéro problème avec ses voisins ». Elle se distancia d’Israël et commença à négocier la paix avec Chypre, la Grèce, l’Arménie, l’Iraq, etc. Malgré le différend territorial sur le Hatay, elle créa un marché commun avec la Syrie. Cependant, en 2011, alors que la Libye était déjà isolée, la France convainquit la Turquie qu’elle pourrait échapper à la partition si elle se joignait aux ambitions de l’Otan. Le président Recep Tayyip Erdogan, un islamiste politique de la Milli Görus, adhéra à la Confrérie des Frères musulmans dont il ne faisait pas partie, en espérant récupérer à son profit les fruits du « Printemps arabe ». La Turquie se retourna contre l’un de ses principaux clients, la Libye, puis l’un de ses principaux partenaires, la Syrie.

En 2013, le Pentagone adapta la « guerre sans fin » aux réalités rencontrées sur le terrain. Robin Wright publia deux cartes rectificatives dans le New York Times. La première portait sur la division de la Libye, la seconde sur la création d’un « Kurdistan » ne touchant que la Syrie et l’Iraq et épargnant la moitié orientale de la Turquie et l’Iran. Elle annonçait aussi la création d’un « Sunnistan » à cheval sur l’Iraq et la Syrie, la partition de l’Arabie saoudite en cinq et du Yémen en deux. Cette dernière opération débuta en 2015.

Très heureux de ce rectificatif, l’état-major turc se prépara aux événements. Il conclut des accords avec le Qatar (2017), Koweït (2018) et le Soudan (2017) pour y installer des bases militaires et encercler le royaume saoudien. Lequel finança en 2019 une campagne de presse internationale contre le « Sultan » et un coup d’État au Soudan. Simultanément, la Turquie soutint le nouveau projet de « Kurdistan » épargnant son territoire et participa à la création du « Sunnistan » par Daesh sous le nom de « Califat ». Cependant, les interventions russe en Syrie et iranienne en Iraq firent échouer ce projet.

En 2017, le président régional Massoud Barzani organisa un référendum d’indépendance au Kurdistan iraquien. Immédiatement, l’Iraq, la Syrie, la Turquie et l’Iran comprirent que le Pentagone, revenant à son plan initial, s’apprêtait à créer un « Kurdistan libre » en charcutant leurs territoires respectifs. Ils se coalisèrent pour y faire échec. En 2019, le PKK/PYG annonça qu’il préparait l’indépendance du « Rojava » syrien. Sans attendre, l’Iraq, la Syrie, la Turquie et l’Iran se concertèrent à nouveau. La Turquie envahit le « Rojava », pourchassant le PKK/YPG, sans grande réaction des armées syrienne et russe.

En 2019, l’état-major turc acquit la conviction que le Pentagone, ayant renoncé provisoirement à détruire la Syrie, du fait de la présence russe, s’apprêtait désormais à détruire l’État turc. Pour repousser l’échéance, il tenta de réactiver la « guerre sans fin » en Libye, puis de menacer les membres de l’Otan des pires calamités : l’Union européenne de subversion migratoire et les États-Unis d’une guerre avec la Russie. Pour ce faire, il ouvrit aux migrants sa frontière avec la Grèce et attaqua les armées russe et syrienne à Idleb où elles bombardaient les jihadistes d’Al-Qaïda et de Daesh. qui s’y étaient réfugiés. C’est cet épisode que nous vivons aujourd’hui.

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La carte rectificative du projet de « remodelage du Moyen-Orient élargi », publiée par Robin Wright.

Le Protocole additionnel de Moscou

L’armée turque a occasionné des pertes russes et syriennes en février 2020, tandis que le président Erdo?an multipliait les coups de téléphone à son homologue russe, Poutine, pour faire baisser d’une main la tension qu’il provoquait de l’autre.

Le secrétaire d’État US, Mike Pompeo, s’est engagé à contenir les appétits du Pentagone si la Turquie aidait ce dernier à relancer la « guerre sans fin » en Libye. Ce pays est divisé en un millier de tribus qui s’affrontent autour de deux leaders principaux, agents patentés de la CIA, le président du Conseil présidentiel, Fayez el-Sarraj, et le commandant de l’Armée nationale, Khalifa Haftar.

La semaine dernière, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour la Libye, le professeur Ghassan Salamé, a été prié de démissionner pour « raison de santé ». Il a obtempéré, non sans avoir exprimé sa mauvaise humeur lors d’une conférence de presse. Un axe a été constitué pour soutenir al-Sarraj par la Confrérie des Frères musulmans autour du Qatar et de la Turquie. Une seconde coalition est née autour d’Haftar avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, mais aussi l’Arabie saoudite et la Syrie.

C’est le grand retour de cette dernière sur la scène internationale. La Syrie est auréolée de ses neuf années de Résistance victorieuse à la Confrérie et aux États-Unis. Deux ambassades libyenne et syrienne ont été ouvertes en grande pompe, le 4 mars, à Damas et à Benghazi.

Par ailleurs, l’Union européenne, après avoir solennellement condamné le « chantage turc aux réfugiés », envoya la présidente de la Commission observer le flux de réfugiés à la frontière gréco-turque et le président du Conseil sonder le président Erdogan à Ankara. Celui-ci confirma qu’un arrangement était possible si l’Union s’engageait à défendre l’« intégrité territoriale » de la Turquie.

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Avec un malin plaisir, le Kremlin a mis en scène la reddition de la Turquie : la délégation turque se tient debout, contrairement à l’habitude où l’on fournit des chaises aux invités ; dans son dos, une statue de l’impératrice Catherine la Grande rappelle que la Russie était déjà présente en Syrie au XVIIIème siècle. Enfin, les présidents Erdo?an et Poutine sont assis devant une pendule commémorative de la victoire russe sur l’Empire ottoman.

C’est donc sur cette base que le président Vladimir Poutine a reçu au Kremlin, le président Recep Tayyip Erdogan, le 5 mars. Une première réunion, restreinte, de trois heures a été consacrée aux relations avec les États-Unis. La Russie se serait engagée à protéger la Turquie d’une possible partition à la condition qu’elle signe et applique un Protocole additionnel sur la stabilisation de la situation dans la zone de désescalade d’Idleb [2]. Une seconde réunion, également de trois heures mais ouverte aux ministres et conseillers, a été consacrée à la rédaction de ce texte. Il prévoit la création d’un corridor de sécurité de 12 kilomètres de large autour de l’autoroute M4, surveillé conjointement par les deux parties. En clair : la Turquie recule au Nord de l’autoroute qui est rouverte et perd la ville de Jisr-el-Chogour, bastion des jihadistes. Surtout, elle doit appliquer enfin le mémorandum de Sotchi qui prévoit de ne soutenir que l’opposition armée syrienne, censée être démocratique et non pas islamiste, et de combattre les jihadistes. Or, cette « opposition armée démocratique » n’est qu’une chimère imaginée par la propagande britannique. De fait la Turquie devra soit tuer elle-même les jihadistes, soit poursuivre et terminer leur transfert d’Idleb (Syrie), vers Djerba (Tunisie), puis Tripoli (Libye) comme elle avait commencé de le faire en janvier.

En outre, le 7 mars, le président Poutine a contacté l’ancien président Nazerbayev pour étudier avec lui la possibilité de déployer sous les auspice de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) des « chapkas bleues » kazakhs en Syrie. Cette option avait déjà été envisagée en 2012. Les soldats kazakhs ont la particularité d’être musulmans et non pas orthodoxes.

L’option de s’en prendre désormais à l’Arabie saoudite plutôt qu’à la Turquie a été activée par le Pentagone, croit-on savoir à Riyad, bien que le président Trump lui impose de délirantes commandes d’armement en échange de sa protection. La dissection de l’Arabie saoudite avait été envisagée par le Pentagone dès 2002 [3].

Des missiles ont été tirés cette semaine contre le palais royal à Riyad. Le prince Mohamed ben Salmane (dit « MBS », 34 ans) a fait arrêter son oncle, le prince Ahmed (70 ans), et son ancien concurrent et ex-prince héritier, le prince Mohamed ben Nayef (60 ans), ainsi que divers autres princes et des généraux. La province chiite de Qatif, où plusieurs villes ont déjà été rasées, a été isolée. Le prix du baril de pétrole a chuté à 31 dollars, menaçant la viabilité de l’industrie du pétrole de schiste aux USA. Les explications officielles sur les querelles de succession et le coronavirus ne suffisent pas [4].

Notes:

[1] « J’ai effectué 33 ans et 4 mois de service actif, et durant cette période, j’ai passé la plupart de mon temps en tant que gros bras pour le monde des affaires, pour Wall Street, et pour les banquiers. En bref, j’étais un racketteur, un gangster au service du capitalisme. J’ai aidé à sécuriser le Mexique, plus particulièrement la ville de Tampico, au profit des groupes pétroliers américains en 1914. J’ai aidé à faire de Haïti et de Cuba un endroit convenable pour que les hommes de la National City Bank puissent y faire des profits. J’ai aidé au viol d’une demi-douzaine de républiques d’Amérique centrale au bénéfice de Wall Street. J’ai aidé à purifier le Nicaragua au profit de la banque américaine Brown Brothers de 1902 à 1912. J’ai apporté la lumière en République dominicaine au profit des entreprises sucrières américaines en 1916. J’ai livré le Honduras aux entreprises fruitières américaines en 1903. En Chine, en 1927, j’ai aidé à ce que l’entreprise Standard Oil fasse ses affaires en paix. » in War Is a Racket, Smedley Butler, Feral House (1935)

[2] “Additional Protocol to the Memorandum on Stabilization of the Situation in the Idlib De-Escalation Area”, Voltaire Network, 5 March 2020.

[3] "Taking Saudi out of Arabia", Powerpoint de Laurent Murawiec pour une réunion du Défense Policy Board (July 10, 2002).

[4] “Two Saudi Royal Princes Held, Accused of Plotting a Coup”, Bradley Hope, Wall Street Journal ; “Detaining Relatives, Saudi Prince Clamps Down”, David Kirkpatrick & Ben Hubbard, The New Yok Times, March 7, 2020.


- Source : Réseau Voltaire

Apocalypse Cochet

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Apocalypse Cochet

par Georges FELTIN-TRACOL

Ancien député Vert du Val-d’Oise, puis de Paris entre 1997 et 2011, Yves Cochet fut ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement dans le gouvernement de cohabitation du socialiste Lionel Jospin de 2001 à 2002. Il s’est maintenant retiré de la vie politicienne. Il continue néanmoins à participer au débat public.

51NruVuNQeL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgSon nouvel ouvrage, Devant l’effondrement, ne peut que déplaire aux hiérarques d’Europe Écologie – Les Verts (EE-LV) et à leurs potentiels électeurs bo-bo prêt à tout pour sombrer une nouvelle fois dans l’hédonisme « éthique ». Avec cet « essai de collapsologie », Yves Cochet « avoue avoir rédigé cet ouvrage d’une main tremblante (p. 120) ». Son propos sciemment pessimiste contrarie les desseins merveilleux d’EE – LV au moment où leurs homologues autrichiens et bientôt allemands gouvernent et vont gouverner en partenariat avec les conservateurs chrétiens-démocrates. Il s’agace du réformisme radieux qui émane de son parti. « Collés à l’actualité, obsédés par la rivalité pour les places – comme dans les autres partis, en somme -, la quasi-totalité des animateurs Verts se bornent à décliner les clichés rassurants du développement durable, aujourd’hui renommé “ Green New Deal ” ou “ transition écologique ” (p. 221). »

Catastrophiste assumé

En effet, à la différence de la nouvelle pasionaria de la « Planète » et du « Climat », Greta Thunberg, l’auteur qui avait déjà publié en 2005 un Apocalypse Pétrole n’est pas alarmiste. Bien qu’il ne croit pas au scénario du film de Richard Fleischer, Soleil vert (1974), Yves Cochet présente son catastrophisme. « Au contraire de mes camarades de parti, j’aspire depuis une quinzaine d’années à une refondation idéologique catastrophiste de l’écologie politique dans le cadre de l’Anthropocène (p. 222). »

Il s’en prend à « une partie des activistes écologistes [qui] considèrent encore que le combat principal se nomme anticapitalisme et que, conséquemment, la disparition espérée de ce système-là suffirait à résoudre la plupart des problèmes sociaux et environnementaux (p. 9) ». Il trouve ce combat d’arrière-garde et même vaine. Il écrit, provocateur : « Quand bien même les 450 réacteurs nucléaires en service dans le monde seraient tous autogérés par des coopératives ouvrières à but non lucratif, cela n’enlèverait strictement rien à l’aberration politique et environnementale que constituent de tels outils de production massive d’électricité (pp. 9 – 10). » Rejetant la « croissance verte », le « développement durable » et l’embourgeoisement de l’écologie, Yves Cochet veut « décoloniser l’imaginaire contemporain sur toutes ses formes et construire une rationalité et une imagination nouvelles afin de penser l’impensable (p. 14) ». Ainsi prône-t-il implicitement le retour du Mythos aux dépens du Logos. Bien qu’il ne le cite pas, on devine l’influence prégnante du « pape » français de la décroissance, Serge Latouche.

L’auteur s’élève contre le modèle productiviste et « les mythologies populaires du progrès (p. 44) ». Ce tenant de l’alliance entre les Verts et le PS apporte une analyse sur le productivisme que ne renieraient pas ses frères ennemis, les écologistes indépendants. « Le productivisme n’est pas spécifiquement libéral. L’URSS d’hier était aussi productiviste que les États-Unis. La Chine communiste d’aujourd’hui l’est autant que le Japon. La soumission du politique à l’économique est inhérente aux doctrines libérale et marxiste (p. 49). » Il y inclut le transhumanisme et « la volonté de refabrication du monde (p. 51) ». Il assume volontiers contester les projets spatiaux vers Mars ainsi que l’ambition prométhéenne de terraformer la planète rouge. Par productivisme, il entend « toute structure sociale recherchant la production et la productivité maximales sans égard pour leur contenu ou leur environnement social, culturel ou environnemental (p. 50) ».

Il veut faire comprendre au lecteur l’urgente nécessité de s’extraire du système productiviste s’il veut avoir une (modeste) chance de survivre. Il condamne par conséquent toutes les démarches de repeindre en vert ce même productivisme. Yves Cochet ne croit pas possible que l’actuelle société moderne puisse se dégager de l’emprise socio-économique du pétrole et des énergies fossiles. « Le remplacement éventuel de la filière pétrolière par une autre de même puissance et de même volume exigerait plusieurs décennies d’investissements considérables dans les infrastructures, alors que le peak oil est imminent (pp. 82 – 83). » Il dénonce la construction de nouvelles infrastructures routières et voit dans l’hydrogène, le carburant de déplacement de demain, un leurre. « Les constructeurs prétendent pouvoir y parvenir grâce à l’arrivée des moteurs électriques, hybrides ou à hydrogène. Selon nous, cet objectif est irrationnel (p. 141). » Sans citer Guillaume Pitron et son excellent ouvrage sur La guerre des métaux rares paru en 2018 chez le même éditeur, Yves Cochet voit la « transition écologique » comme une belle escroquerie intellectuelle. « En 2050, zéro énergie fossile, et même zéro nucléaire pour les plus radicaux, mais nous roulerons électrique, renouvelable et “ smart ” – avec l’intelligence artificielle et le monde numérique qui croissent. En voiture électrique, en bus, en tramway, en train et en vélo. Autrement dit, il y aura de l’électricité en 2050 (pp. 200 – 201). »

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Le défi des naissances

L’auteur soutient une décroissance globale. Il revient sur l’épineuse question démographique. Il y a plus d’un an, dans un entretien accordé à L’Obs (du 3 janvier 2019), il proposait « de renverser notre politique d’incitation à la natalité, en inversant la logique des allocations familiales. Plus vous avez d’enfants, plus vos allocations diminuent jusqu’à disparaître à partir de la troisième naissance ». Relevons que si cette proposition avait été acceptée, l’ancienne dirigeante Verte et ministre de l’Égalité des territoires et du Logement entre 2012 et 2014, Cécile Duflot, aurait été pénalisée en tant que mère de quatre enfants. Yves Cochet estime que « faire des enfants n’est plus simplement une question personnelle. C’est devenu un choix politique ». Ainsi faut-il comprendre l’« inversion de l’échelle des allocations familiales (p. 61) ». Il va même plus loin en souhaitant la « grève du troisième ventre européen (p. 61) ». Il se justifie dans L’Obs : « Je ne vise pas les pays les plus pauvres, qui font plus d’enfants que les autres. Au contraire. Les pays riches sont les premiers à devoir décroître démographiquement. » Pour ce néo-malthusien assumé, « la question de la surpopulation ne se réduisait donc pas au nombre de personnes, mais à la multiplication de ce nombre par l’empreinte moyenne de la population sur le territoire considéré (p. 61) ». « Par ailleurs, poursuit-il dans cet entretien, limiter nos naissances nous permettrait de mieux accueillir les migrants qui frappent à nos portes. » De pareils arguments auraient horrifié le professeur Pierre Chaunu…

Son raisonnement ne s’exempte pas de quelques contradictions. L’ancien ministre envisage « la possibilité précaire de diminuer le flux de migrants vers l’Europe par une politique de décroissance matérielle ici, tout en encourageant l’évolution endogène là-bas (p. 64) ». Doit-on comprendre qu’il se montre hostile à la thèse développementaliste en faveur de l’ex-Tiers Monde et qu’il rejoint les conclusions de l’économiste hétérodoxe François Partant (1926 – 1987) ? Il pose mal les termes du débat. Ce n’est pas la quantité qui prime, mais la qualité. Si l’Afrique doit se plier à une politique anti-nataliste contraignante et draconienne, l’Europe, elle, doit appliquer une véritable politique d’eugénisme aussi bien positif que négatif. La PMA, voire l’usage de mères porteuses, peut être un moyen parmi d’autres comme les permis de procréation et/ou de parentalité délivrés ou non aux jeunes couples par un État qui adopterait les valeurs du Dr. Alexis Carrel, ce grand précurseur de l’écologie.

On sent ici l’enfant des Lumières, l’homme de gauche et le docteur en mathématiques tiraillé. « Si l’on respecte le principe d’égalité entre tous les humains, règle d’or de la morale politique, et si l’on estime que le mode de vie occidental est le plus désirable de tous – ce qui est contestable, mais qui le conteste ? -, on en déduit que nos sœurs et frères chinois, indiens, africains et sud-américains devraient eux aussi pouvoir vivre à l’occidentale en bénéficiant des joies du consumérisme de masse (p. 62). » Si l’on peut s’accorder sur la non-inéluctabilité de l’« occidentalisation » du monde, on doit cependant lui rétorquer que des militants écologistes, situationnistes, traditionalistes ou identitaires œuvrent depuis longtemps contre cette pesante inclination. Mentionnons aussi une certaine naïveté quand il évoque la « moralité politique ». L’essence du politique ne saurait se confondre avec celle de la morale. Quant à l’égalité entre tous les humains, elle est sujette à caution. L’« égalité » en soi n’existe pas. Elle correspond à des critères subjectifs, politiques par exemple. La sortie concomitante du productivisme et de l’occidentalisation passera par l’instauration impérative de la préférence régionale, nationale et continentale, soit des discriminations salutaires.

L’approche économique biophysique

41M-tZ4LOnL._SX306_BO1,204,203,200_.jpgSi Yves Cochet oppose trois modèles : le productiviste, l’augustinien et le modèle discontinuiste qui « pourrait être compatible avec l’un et l’autre, puisqu’il se focalise surtout sur la forme de l’évolution du monde, et non sur sa substance (p. 55) », on remarque qu’il se réfère à un sermon de Saint-Augustin de décembre 410 qui aurait inspiré Oswald Spengler et le vitalisme civilisationnel… Suite aux travaux précurseurs de Nicholas Georgescu-Roegen et à la prise en compte de la non-linéarité des systèmes complexes, il distingue l’économie biophysique de l’économie écologique qui « tente d’évaluer le prix des services des écosystèmes en intégrant la finitude des ressources et la pollution dans le cadre de l’économie néo-classique (p. 73) ». À l’économie néo-classique, il propose l’« économie biophysique [qui] se concentre explicitement sur les relations de puissance, à la fois dans le sens physique d’énergie par unité de temps et dans le sens social de contrôle sur les autres (p. 71) ». À la jonction des sciences exactes et des sciences humaines, l’économie biophysique se base « sur les stocks et les flux de matière et d’énergie plutôt que sur les comportements individuels (les “ préférences des consommateurs ”). L’accent est mis sur la qualité de l’énergie, ainsi que sur la quantité d’énergie disponible (p. 71) ». Il parie que « l’économie biophysique, qui envisage un monde au climat déréglé et à l’énergie rare, est une meilleure base d’orientation pour la construction d’une société soutenable que les formes individualiste et croissanciste de la théorie économique néo-classique (p. 91) » parce que « plutôt que de prendre la rareté relative comme point de départ, [elle] se concentre sur le surplus économique et la pénurie absolue (p. 86) ».

Soulignant que « notre démarche est holistique et systémique (p. 145) », Yves Cochet pense que la crise économique sera d’abord d’ordre énergétique à partir des années 2020 – 2030 ! Il assure en outre que « l’économie biophysique est une économie pour l’ère de la décroissance (p. 76) ». Il imagine d’une manière impressionniste et sans s’y attarder, un monde post-catastrophique qui rappelle l’avenir décrit dans La Route (2008) de Cormac McCarthy ou, moins pessimiste, dans Malevil (1972) de Robert Merle. Yves Cochet prévient toutefois ses contemporains qu’ils connaîtront dans les prochaines années un choc violent comparable aux désastres de la grande peste noire en Europe en 1348 – 1349 ! « Appelons “ effondrement ” de la société mondialisée contemporaine le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne seont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi (pp. 29 – 30). » Il ajoute que « par effondrement, j’entends un phénomène qui, en matière démographique, verrait environ la moitié de la population mondiale disparaître en moins de dix ans (p. 12) ». L’auteur prévoit trois milliards de survivants sur Terre dont environ une trentaine de millions en France, un monde à mi-chemin entre Mad Max I (1979) et II (1982) et l’utopie libertaire chère aux anarchistes. Il tient des propos très proches de La convergence des catastrophes (2007) de Guillaume Corvus alias Guillaume Faye. En revanche, il ignore tout des écrits du philosophe suisse en stratégie Bernard Wicht ! C’est regrettable, car les ouvrages de ce Suisse pourraient lui apporter des solutions capables de supporter la période immédiate qui suivra l’effondrement.

L’ère des biorégions

En bon écologiste anti-étatiste et peut-être en lecteur de l’éco-communaliste Murray Bookchin, le président de l’Institut Momentum parie sur le dépérissement de l’État. Or, comme « les populations les moins “ développées ”, les plus habituées à une certaine rusticité dans leur vie courante, seront moins touchées par la chute de la civilisation thermo-industrielle, parce qu’elles dépendent moins, pour leur survie, de la mondialisation contemporaine et de toute sa quincaillerie technologique (p. 13) », il est probable que certains États actuellement soumis à des embargos internationaux s’en sortent mieux que les États occidentaux, car ils ont l’habitude de résister à la dureté du temps. Dans ces circonstances tragiques, il serait possible que ces États survivants – pensons à la Corée du Nord – deviennent les nouvelles puissances mondiales.

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La vision de l’État chez Yves Cochet reste trop formaliste. L’État porte en lui une acception polysémique. Polis grecque, civitas romaine, féodalités médiévales, tous ces termes politiques désignent dans l’histoire européenne des communautés politiques inscrites dans un territoire déterminé après coup par l’histoire. Une tribu, voire un clan, est un État en devenir ou l’embryon d’une future structure étatique complexe, c’est néanmoins un ensemble communautaire politique. Il le devine sans vouloir vraiment l’admettre, lui qui dénonce la « topologie isotropique » du territoire républicain français, soit la centralisation excessive propice à l’homogénéisation des populations et à l’éradication des cultures vernaculaires.

Une fois l’effondrement survenu et les États modernes (les États-nations ?) disparus, « on assistera à la naissance d’une mosaïque de petites biorégions politiques, à l’image, peut-être, de ce qu’étaient les cités-États germaniques ou italiennes au XVIIIe siècle (p. 127) ». Yves Cochet intègre dans sa réflexion le concept bien méconnu en France de « biorégions ». La fin violente des États actuels favorisera en réaction la constitution d’entités bio-régionales, capables d’organiser auprès des populations survivantes l’apport essentiel d’énergie et de nourriture. Il y voit même une chance pour une certaine concorde sociale, car ces entités bio-régionales seraient plus égalitaires, plus homogènes d’un point de vue social, moins touchées par la lutte des classes. Moins spécialisées dans leurs tâches quotidiennes et a fortiori moins difficiles à diriger, elles pratiqueront selon l’auteur une différenciation géographique et non pas ethno-culturelle, ce qui reste à prouver. En Seine – Saint-Denis « ensauvagée » apparaîtront ici des émirats islamistes, là des caïdats afro-européens et des Gaylands ailleurs.

Ces biorégions développeraient un sens plus grand du partage au sein de leurs communautés respectives, mot qu’évite Yves Cochet alors que le communautarisme est bien une solution d’avenir. Il cite Marcel Mauss, Georges Bataille, le potlach et la dépense festive.

Violence et « spécularité »

Malgré des allusions à La notion de politique et au Nomos de la Terre de Carl Schmitt, l’auteur valorise surtout la coopération et sous-estime le conflit inhérent à tout groupe humain. Il s’appuie sur les travaux de Jean-Louis Vullierme sur l’« interaction spéculaire ». Ce concept « émerge nécessairement lorsque des individus se rencontrent et qui constitue simultanément leur être-au-monde par une boucle incessante entre l’individu et son environnement. L’être humain est tout à la fois modelé par le monde qui lui préexiste et modélisateur du monde par les actions qu’il entreprend. […] La spécularité concerne les entrecroisements des représentations du monde que chacun élabore progressivement dans l’intersubjectivité avec autrui. L’enfant (et l’adulte !), doté de cette faculté de modéliser le monde, apprend aussi bien à imiter les autres qu’à s’en distinguer. Il possède ainsi un ensemble de représentations du monde, et notamment une représentation de lui-même aux yeux des autres (les autres sont nos miroirs, ce qu’indique le qualificatif “ spéculaire ”) (p. 25) ».

51DmeGJbqVL._SX344_BO1,204,203,200_.jpgYves Cochet évacue bien trop rapidement la violence humaine. La grève contre la réforme des retraites déclenchée le 5 décembre 2019 a déjà démontré la sauvagerie sous-jacente des Franciliens et des Parisiens qui essayaient de monter dans le seul train de banlieue ou dans l’unique rame de métro. Certains n’hésitèrent pas à se battre. Et ne parlons pas des rapports conflictuels en ville entre piétons, automobilistes, cyclistes, patineurs à roulettes et « trottinettistes ». Cette agressivité propre à la nature humaine, accentuée par la modernité tardive pourrait atteindre rapidement son paroxysme au moment de l’effondrement social. La vie en zone urbaine après la « Grande Déflagration » sera certainement plus difficile que dans la France périphérique déjà habituée aux privations. « Il faudra réapprendre à maîtriser une agro-écologie alimentaire, énergétique et productrice de fibres pour les vêtements, cordes et papiers, la production de matériaux de construction indigènes, voire la fabrication de quelques substances secondaires, mais utiles, telles que l’alcool, l’ammoniac, la soude, la chaux… Tous ces domaines étant équipés en outils low tech aptes à êtres fabriqués, entretenus et réparés par des ouvriers locaux (p. 118). » En pratique, on utilisera le bois de chauffage, le charbon de bois et les biogaz dont le méthane.

Terminés Facebook, Twitter et ces saloperies de réseaux sociaux. Faute d’électricité et/ou de câbles entretenus, plus d’Internet. La nouvelle de George R. R. Martin, «… Pour revivre un instant » (1972), dans Des astres et des ombres (1977) anticipe le monde d’après vu par Yves Cochet. Quant aux déplacements, « les moyens de mobilité du futur sont plutôt à envisager du côté de la marche à pied, de la bicyclette et de la traction animale, de la voile et des embarcations à rames (p. 143) ». En lisant cet essai, le lecteur devrait avoir la curiosité de s’intéresser à la vie quotidienne des Français sous l’Occupation ainsi qu’à la Corée du Nord. L’auteur espère que « les habitants de France expérimenteront bientôt sous la forme d’une alimentation plus végétale, plus locale, plus saisonnière, grâce à la multiplication des jardins en permaculture et des paysages comestibles (p. 138) ».

Dans un contexte chaotique, « au milieu du [XXIe] siècle, mille formes d’organisations politiques locales nouvelles et différentes émergeront de la barbarie, révolue dans la plupart des sous-continents. En France, chaque bio-région sera munie d’un micro-État simple. Nous entendons par là qu’une communauté humaine autonome, c’est-à-dire un niveau d’organisation territoriale qui ne sera subordonné à aucun autre qui lui soit supérieur, se sera formée autour des trois valeurs républicaines précitées – en fait, surtout la fraternité – et aura institué une “ assemblée ” et un “ gouvernement ”, lequel détiendra le monopole de la violence physique légitime (p. 127, souligné par l’auteur) ». Yves Cochet invite à la rotation civique de la police et de l’armée : chacun occuperait à tour de rôle pour un temps précis des fonctions policières et militaires, d’où l’importance de connaître l’œuvre de Bernard Wicht. Cette proposition rejoint en partie certaines thèses libertariennes.

Yves Cochet a vu ses prévisions contredites par les faits. Le peak oil n’arrive pas. On peut penser que son catastrophisme est exagéré. Devant l’effondrement insiste pourtant sur la réalisation de bases autonomes durables (BAD) tout en gardant à l’esprit que l’éclatement territorial envisagé des États modernes signifiera aussi un regain de puissance chez des voisins moins sévèrement frappés. Dans les ruines du monde moderne rejailliront alors les enjeux tragiques du politique et de l’histoire.

Georges Feltin-Tracol

• Yves Cochet, Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Les Liens qui Libèrent, 2019, 252 p., 18,50 €.

La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck

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par Denis BILLAMBOZ
Ex: https://interligne.over-blog.com
 
Pour clore la trilogie qu’il a consacrée aux insectes vivant en société organisée, Maurice Maeterlinck, après avoir étudié la vie des abeilles et des termites, s’est intéressé à celle des fourmis qui est encore plus complexe car il existe une diversité énorme de fourmis, différentes d’une espèce à l’autre, vivant selon des principes, des règles et des mœurs complexes eux aussi. « On en a décrit à ce jour six mille espèces qui toutes ont leurs mœurs, leurs caractères particuliers ». Il n’a pas étudié lui-même les fourmis comme il n’avait pas auparavant étudié la vie des termites, il a compulsé les meilleurs auteurs parcourant la presque totalité de la production sur le sujet à la date de la publication de son ouvrage. Rappelons que s’il a publié « La vie des abeilles » en 1901, « La vie des termites » n’est paru qu’en 1926 et  « La vie des fourmis » en 1930.
 

Maurice_de_Maeterlinck,_crop.jpgLa fourmilière est peuplée par des reines, des femelles fécondées, vivant une douzaine d’années, d’innombrables cohortes d’ouvriers (ou ouvrières ) asexués vivant trois ou quatre ans et de quelques centaines de mâles qui disparaissent au bout de cinq à six semaines. Dans une fourmilière peuvent cohabiter plusieurs colonies avec plusieurs reines et même parfois différentes espèces en plus ou moins bonne harmonie. La fourmilière héberge aussi une quantité de parasites, l’auteur écrit qu’on en comptait, au moment de la rédaction de son ouvrage, « plus de deux milles espèces, et d’incessantes découvertes accroissent journellement ce nombre ». Je n’ai pas eu la curiosité de vérifier cette donnée auprès d’autres sources, la vie et l’histoire de ce monde en miniature sont pourtant fascinantes et permettent de formuler moult élucubrations plus ou moins fantaisistes mais, pour certaines, tout à fait plausibles. L’auteur s’est penché sur cette vie grouillante et pourtant très organisée qui peut évoquer l’humanité à une échelle réduite et peut-être même dotée d’une intelligence au moins comparable. C’est là un vaste champ d’investigation, de réflexion, d’imagination et  de recherche qui ne sera sans doute jamais exploré jusqu’à ses ultimes limites.

Pour suivre le préfacier, Michel Brix, nous retiendrons que l’auteur formule deux interrogations à travers cette trilogie : « les insectes sont-ils heureux ? Et quelle spiritualité serait susceptible d’éclairer et de conforter les humains dans leur marche vers une existence plus « sociale », marquée par le renoncement à l’intérêt individuel ?» Ainsi, la trilogie est-elle empreinte de cette double question et principalement ce troisième opus consacré aux fourmis qui sont plus dévouées au collectif que les abeilles et les termites, leur l’esprit de sacrifice étant absolu. Maeterlinck les considère comme les infimes parties d’un tout vivant, à l’exemple d’une cellule d’un corps humain.

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Certaines espèces de fourmis sont extrêmement évoluées, elles peuvent cultiver des champignons, élever des parasites, moissonner, elles sont encore plus ingénieuses et mieux organisées que les abeilles et les termites. Mais, comme si toute évolution impliquait un esprit hégémonique et conquérant, « seules, entre tous les insectes, les fourmis ont des armées organisées et entreprennent des guerres offensives ». Nombre d'entre elles peuvent aussi causer des dégâts cataclysmiques dans la végétation, dans les villages, partout où leur énorme flot se déverse en un  fleuve tranquille mais dévastateur. Elles ont aussi inventé l’esclavage en contraignant les espèces les moins solides, les moins débrouillardes, à les servir.

L’étude de la vie des fourmis bute néanmoins sur de nombreux mystères que la science n’a pu élucider avant la publication de cet ouvrage et pas davantage aujourd’hui, même si la connaissance a probablement évolué depuis la publication de l'opus. Un des problèmes fondamental réside dans l’expansion incessante du nombre des individus, la reine pond sans cesse à un rythme effréné sans qu’aucun système de régulation ne freine le processus de reproduction. Quel pourrait être le but d’une telle frénésie reproductrice ? L’auteur laisse cette question en suspens. Pour clore la trilogie, nous resterons sur une autre interrogation formulée également par Maeterlinck : « Les fourmis iront-elles plus loin ? » Rien ne permet de le dire mais rien n’est impossible, l’accroissement exponentiel du nombre des individus reste une hypothèse plausible et, dans ce cas, l’étendue des dégâts qu’elles causent peut croître elle aussi de façon extraordinaire. Et si cette question n’appartenait pas au seul domaine de la science ? A la lecture de la trilogie, on constate que Maeterlinck n'a pas craint de se la poser.


Denis BILLAMBOZ


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