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vendredi, 11 octobre 2013

Face à la décadence des valeurs...

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Face à la décadence des valeurs...

par Yvan Blot

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une intervention d'Yvan Blot au colloque de l'Institut de la démocratie et de la coopération, qui s'est tenu le 10 juin 2013, à l'assemblée nationale, sur le thème "La Grande Europe des Nations : une réalité pour demain ?". Un point de vue qui peut faire débat quant à la place qu'il accorde au christianisme, notamment...

Fondateur du Club de l'Horloge, Yvan Blot, qui préside actuellement l'institut néo-socratique, est notamment l'auteur de L'héritage d'Athéna ou Les racines grecques de l'Occident (Presses bretonnes, 1996) ainsi que d'un essai intitulé L'oligarchie au pouvoir (Economica, 2011).

La Russie et l'Europe face à la décadence des valeurs

Le problème des valeurs

Les valeurs ne sont pas une connaissance. Le vrai, le bien et le beau sont des objectifs pour l’action. Leur origine n’est pas la création par un petit père des peuples, ou par une commission interministérielle mais elle est immémoriale.   L’Europe et la Russie partagent des valeurs communes parce qu’elles sont issues de la même civilisation, issue de la Grèce et de Rome, transfigurées par le christianisme. Refuser que l’Europe soit « un club chrétien » comme l’ont dit plusieurs politiciens comme Jacques Delors ou le premier ministre turc Erdogan revient à nier l’identité historique de l’Europe.

Les valeurs montrent leur importance sociale à travers leurs fruits. Le meurtre ou la malhonnêteté ne sont pas généralisables. La société s’effondrerait. L’honnêteté ou le respect de la vie sont généralisable. Le fait d’avoir des enfants aussi. C’est le signe qu’on est en présence de valeurs authentiques.

Le problème des valeurs est qu’elles ne sont pas issues de la raison comme l’ont montré des philosophes comme Hume ou le prix Nobel Hayek. Elles se situent entre l’instinct et la raison. Le 18ème siècle européen avec son culte de la raison et son éloge de la libération de la nature, donc des instincts a été une catastrophe pour les valeurs. La raison, cette « crapule » comme disait Dostoïevski, a servi à justifier les instincts. Or les hommes ont une vie instinctive chaotique à la différence des animaux. L’homme a par nature besoin des disciplines de la culture, de la civilisation, comme l’a écrit l’anthropologue Arnold Gehlen. Du 18ème siècle a nos jours, on a assisté en Occident à la destruction des valeurs traditionnelles issues du christianisme et du monde gréco romain. Quatre faux prophètes ont joué un rôle majeur : Voltaire, Rousseau, Marx et Freud. Au 20ème siècle, les idéologies scientistes totalitaires ont provoqué des meurtres de masse au nom de la raison.

Plus récemment, la révolution culturelle des années soixante, partie des universités américaines, a affaibli nos valeurs de façon décisive avec des slogans tels que « il est interdit d’interdire » ou « il n’existe pas d’hommes et de femmes mais des choix subjectifs d’orientation sexuelle ».

Le fait est que le nombre de crimes et de délits en France resté stable autour de 1, 5 millions d’actes entre 1946 et 1968  a monté depuis lors au chiffre de 4,5 millions. Le record des prisonniers est détenu de loin par les Etats-Unis d’Amérique où le nombre de meurtre par habitant est quatre fois celui de la France. Face à cette situation, les gouvernements n’ont guère réagi sauf celui de la Russie.

Si l’on reprend les quatre causes d’Aristote matérielle, formelle, motrice et finale, on a quatre groupes de valeurs culturelles qui sont le socle de la civilisation et de la société, on a les valeurs comme normes obligatoires incarnées par l’Etat et le droit, on a les valeurs familiales qui s’étendent aussi à l’économie et enfin les valeurs spirituelles incarnées par les religions. Dans quelle situation sommes-nous par rapport à ces quatre groupes de valeurs ? L’utilitarisme américain qui réduit l’homme à une matière première de l’économie remet en cause beaucoup de nos valeurs traditionnelles.

Les valeurs culturelles et morales

L’Europe et la Russie ont dans ce domaine un héritage majeur, celui de l’Empire romain et des anciens Grecs. Il s’agissait de la « paidéia », l’éducation de l’homme afin qu’il devienne « beau et compétent » de corps et d’âme (kaloskagathos). D’où la recherche de l’excellence morale par l’exemple des grands hommes de l’histoire. Cette éducation humaniste, qui était aussi bien catholique que laïque en France, a été reniée. On cherche à former des techniciens et des commerciaux sans culture générale et non des citoyens autonomes. L’homme doit devenir un simple rouage de la machine économique comme l’a montré le philosophe Heidegger. On assiste à un effondrement de la culture générale et de la lecture. En même temps, le sens moral s’affaiblit, à commencer chez les élites car « c’est toujours par la tête que commence à pourrir le poisson ». 

 

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Au nom des droits de l’homme, on sape la morale traditionnelle car on ignore la nature véritable de l’homme. Celui-ci a trois cerveaux, reptilien pour commander les instincts, mammifères pour l’affectivité (mesocortex) et intellectuel et calculateur (neocortex). En Occident, le cerveau affectif qui commande le sens moral n’est pas favorisé : il est considéré comme réactionnaire ! La morale est réactionnaire ! Seuls sont promus le cerveau reptilien (les instincts) et le cerveau calculateur (intelligence) mis au service du reptilien. Cela donne des personnalités au comportement déréglé comme un ancien directeur du FMI. Plus gravement, cette dégénérescence a produit aussi les criminels comme Hitler ou Pol Pot ! La raison au service de l’agression reptilienne, c’est la barbarie !

Il faut réaffirmer l’importance de la morale, notamment civique, laquelle n’est pas fondée sur la raison mais sur des traditions que l’on acquiert avec l’éducation du cœur, comme l’a toujours affirmé le christianisme. C’est essentiel pour l’Europe comme pour la Russie. Nous partageons l’idéal de la personne qui recherche l’excellence, idéal issu des anciens Grecs, de l’empire romain et du christianisme.

L’offensive contre les valeurs familiales

A partir de mai 1968  pour la France, les valeurs familiales se sont effondrées. Le mot d’ordre de mai 68  était « jouir sans entraves » comme disait l’actuel député européen Daniel Cohn Bendit accusé aujourd’hui de pédophilie. Depuis les années soixante dix, un courant venu des Etats-Unis, la théorie du genre, affirme que le sexe est une orientation choisie. Le but est de casser le monopole du mariage normal, hétérosexuel. Depuis les mêmes années, la natalité s’effondre dramatiquement en Europe. L’Europe ne se reproduit plus et sa démographie ne se maintient en quantité que par l’immigration du tiers monde. Le tissu social se déchire par les échecs familiaux et par l’immigration de masses déracinées. La France favorise la gay pride, autorise le mariage gay et réduit les allocations familiales. Par contre, la Russie créé pendant ce temps une prime de 7700 euros à la naissance à partir du deuxième enfant, et crée une fête officielle de l’amour de la fidélité et du mariage avec remises de décoration.

Une idéologie venue des Etats-Unis affirme le choix de vie « childfree » (libre d’enfants) opposé à « childless » sans enfants par fatalité. Avec une telle idéologie, l’Europe contaminée est en danger de mort démographiquement. Ce  fut le cas de la Russie après la chute de l’URSS  mais le redressement s’affirme depuis trois ans environ.

Il faut aussi lier les valeurs familiales et celles de la propriété et de l’entreprise. Dans le passé, la famille était la base de l’économie. Le système fiscal français démantèle la propriété et empêche les travailleurs d’accéder à la fortune par le travail. On sait grâce aux exemples allemand et suisse que les entreprises familiales sont souvent les plus efficaces et les plus rentables.  Or on est dans une économie de « managers » de gérants qui cherchent le profit à court terme pour des actionnaires dispersés. L’Etat est aussi court termiste dans sa gestion et s’endette de façon irresponsable, droite et gauche confondues. Une société sans valeurs familiales est aussi une société tournée vers le court terme, qui se moque de ce qu’elle laissera aux générations futures. Là encore, l’Europe pourrait s’inspirer de la récente politique familiale russe et la Russie avec son faible endettement est un bon contre-exemple par ailleurs.

La crise des valeurs nationales

Le socialiste Jaurès disait : « les pauvres n’ont que la patrie comme richesse » : on cherche aujourd’hui à leur enlever cette valeur. La patrie repose sur un certain désintéressement des hommes : mourir pour la patrie fut un idéal de la Rome antique à nos jours. La marginalisation des vocations de sacrifice, celle du soldat et celle du prêtre n’arrange rien. La classe politique est gangrenée par l’obsession de l’enrichissement personnel. La patrie est vue comme un obstacle à la création de l’homme nouveau utilitariste et sans racines. 

En outre en France surtout, on a cherché à dissocier le patriotisme de l’héritage chrétien, ce qui est contraire à tout ce que nous apprend l’histoire. L’Eglise dans beaucoup de pays d’Europe a contribué à sauver la patrie lorsque celle-ci notamment était occupée par l’étranger.

La patrie, du point de vue des institutions politiques, est inséparable de la démocratie. Or en Europe à la notable exception de la Suisse, on vit plus en oligarchie qu’en démocratie. Ce n’est pas nouveau. De Gaulle dénonçait déjà cette dérive. Il faut rétablir une vraie démocratie,  au niveau national comme de l’Union européenne, organisation oligarchique caricaturale, et ré enseigner le patriotisme aux jeunes pour retisser un lien social qui se défait. 

La marginalisation des valeurs spirituelles

L’Europe comme la Russie sont issues d’une même civilisation issue de l’Empire romain et du christianisme. Le christianisme est unique en ce qu’il est une religion de l’incarnation, du Dieu fait homme pour que l’homme puisse être divinisé comme l’ont dit Saint Athanase en Orient et saint Irénée en Occident. Le christianisme met donc l’accent sur le respect de la personne humaine que l’on ne peut séparer des devoirs moraux.

Cet équilibre est rompu avec l’idéologie des droits de l’homme où les devoirs sont absents. Dostoïevski, cité par le patriarche russe Cyrillel II  a montré que la liberté sans sens des devoirs moraux peut aboutir à des catastrophes humaines. De même l’égalité sans charité débouche sur l’envie, la jalousie et le meurtre comme les révolutions l’ont montré. Quant à la fraternité, sans justice, elle débouche sur la constitution de mafias, qui sont des fraternelles mais réservées aux mafieux  au détriment des autres.

 

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L’égalité en droit des différentes religions n’est pas en cause. Mais il n’y a rien de choquant à reconnaître le rôle du christianisme dans notre histoire commune et à en tirer des conséquences pratiques. Comme l’a dit l’ancien président Sarkozy, un prêtre peut être plus efficace pour redonner du sens moral et retisser le tissu social que la police ou l’assistance sociale. Il en appelait à une laïcité positive, non anti-religieuse.

Là encore, la Russie tente une expérience intéressante qu’il ne faut pas ignorer de collaboration entre l’Etat et l’Eglise. La destruction du rôle public des Eglises a mené au totalitarisme, à un Etat sans contrepoids moral ; il ne faut pas l’oublier.

Redressement culturel et démocratie authentique

Qui pousse en Occident à l’effondrement des valeurs traditionnelles ? Ce n’est certes pas le peuple mais plutôt les élites profitant de leur pouvoir oligarchique, médiatique, financier, juridique et en définitive politique sur la société. Si on faisait un référendum sur le mariage gay, on aurait sans doute des résultats différents du vote de l’Assemblée Nationale.

Ce qui caractérise l’Europe d’aujourd’hui est une coupure croissante entre les élites acquises à la nouvelle idéologie pseudo religieuse des droits de l’homme et le peuple attaché aux valeurs traditionnelles de la famille, de la morale classique et de la patrie.

Ce fossé, par contre, existe moins, semble-t-il en Russie où le président et le gouvernement reflètent bien la volonté populaire, quitte à être critiqués par quelques oligarchies occidentalisées. C’est pourquoi je pense, contrairement à une idée reçue, que la Russie d’aujourd’hui est sans doute plus démocratique que la plupart des Etats européens car la démocratie, c’est d’abord le fait de gouverner selon les souhaits du peuple. En Occident, les pouvoirs sont manipulés par des groupes de pression minoritaires. Ils négligent la volonté du peuple et la preuve en est qu’ils ont peur des référendums.

La démocratie russe est jeune mais est-ce un défaut ? Une démocratie trop vieille peut être devenue vicieuse et décadente, et perdre ses vertus démocratiques d’origine pour sombrer dans l’oligarchie. La Russie est donc peut-être plus démocratique car plus proches des valeurs du peuple que nos oligarchies occidentales dont de puissants réseaux d’influence souhaitent changer notre civilisation, la déraciner, créer de toutes pièces une morale nouvelle et un homme nouveau sans le soutien du peuple. Démocrates d’Europe et de Russie ont en tous cas un même héritage culturel à défendre et à fructifier face à ces réseaux.

Face au déclin des valeurs, déclin surtout importé d’Amérique depuis les années soixante, il appartient donc à l’Europe et à la Russie de faire front commun pour défendre les valeurs de la nation, de la démocratie, de la culture classique avec son héritage chrétien. Comme disait De Gaulle, il faut s’appuyer sur les peuples d’Europe de ‘Atlantique à l’Oural, ou plutôt à Vladivostok. Il a écrit dans les Mémoires de guerre : «  Les régimes, nous savons ce que c’est, sont des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas ». J’ajouterai qu’il en est de même de leurs valeurs éternelles car elles sont inscrites dans la nature humaine et dans la transcendance ».

Yvan Blot (Institut de la démocratie et de la coopération, 10 juin 2013)

mercredi, 09 octobre 2013

Les noyés de Lampedusa : quand on culpabilise les Européens

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Les noyés de Lampedusa : quand on culpabilise les Européens

Le 3 septembre, un navire de ”réfugiés” africains (Somaliens), en provenance de Libye (1) a fait naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa qui est devenue une porte d’entrée admise des clandestins en Europe. 130 noyés, 200 disparus. Ils ont mis le feu à des couvertures pour qu’on vienne les aider et le navire a coulé à cause de l’incendie. Les garde-côtes italiens, ainsi que des pêcheurs, ont sauvé les survivants. 

Immédiatement, le chœur des pleureuses a donné de la voix. Le maire de l’île, en larmes (réellement) a déclaré à l’agence de presse AFSA : « une horreur ! une horreur ! ». Le chef du gouvernement italien, M. Enrico Letta a parlé d’une « immense tragédie » et a carrément décrété un deuil national. Et, pour faire bonne mesure, le Pape François, qui était déjà allé accueillir des ”réfugiés” africains à Lampedusa, a déclaré : « je ne peux pas évoquer les nombreuses victimes de ce énième naufrage. La parole qui me vient en tête est la honte.[...] Demandons pardon pour tant d’indifférence. Il y a une anesthésie au cœur de l’Occident ». On croit rêver.

Sauf le respect dû au Saint-Père, il se trompe et il trompe. Et, en jésuite, pratique une inversion de la vérité. Car tout a été fait pour sauver ces Somaliens. Tout est fait pour les accueillir et ils ne seront jamais expulsés. Ils se répandront, comme tous leurs prédécesseurs, en Europe. (2) Comment interpréter cet épisode ?

Tout d’abord que le Pape François cherche à culpabiliser les Européens (la ”honte”, l’ ”anesthésie du cœur”, “indifférence”) d’une manière parfaitement injuste et par des propos mensongers. Cela semble tout à fait en accord avec la position suicidaire d’une partie des prélats qui sont objectivement partisans (souvenons-nous de l‘Abbé Pierre) d’une immigration invasive sans contrôle (l’accueil de l’Autre) sous prétexte de charité. Avec, en prime, l’islamisation galopante. On pourrait rétorquer à ces prélats catholiques hypocrites qu’ils ne font pas grand chose pour venir en aide aux chrétiens d’Orient (Égypte, Irak, Syrie…) persécutés, chassés ou tués par les musulmans. N’ont-ils pas ”honte“ ?

Deuxièmement, toutes ces manifestations humanitaristes déplacées des autorités européennes, tous ces larmoiements sont un signe de faiblesse, de démission. Ils constituent un puissant encouragement aux masses de migrants clandestins potentiels qui fuient leurs propres sociétés incapables pour venir en Europe, en parasites. Certains d’être recueillis, protégés et inexpulsables.

Troisièmement – et là, c’est plus gênant pour les belles âmes donneuses de leçons de morale – si  l’Europe faisait savoir qu’elle ne tolérera plus ces boat people, le flux se tarirait immédiatement et les noyades cesseraient. Les responsables des noyades des boat people sont donc d’une part les autorités européennes laxistes et immigrationnistes et d’autre part les passeurs. Et, évidemment, les clandestins eux-mêmes que l’on déresponsabilise et victimise et qui n’avaient qu’à rester chez eux pour y vivre entre eux et améliorer leur sort (3).

 Quatrièmement, et là gît le plus grave : les professeurs d’hyper morale qui favorisent au nom de l’humanisme l’immigration de peuplement incontrôlée favorisent objectivement la naissance d’une société éclatée de chaos et de violence. La bêtise de l’idéologie humanitaro-gauchiste et l’angélisme de la morale christianomorphe se mélangent comme le salpêtre et le souffre. Très Saint-Père, un peu de bon sens : relisez Aristote et Saint Thomas.

Notes:

(1) Avant le renversement de Khadafi par l’OTAN, et avant donc que la Libye ne devienne un territoire d’anarchie tribalo-islamique, il existait des accords pour stopper ces transits par mer.

(2) Depuis le début de 2013, 22.000 pseudo-réfugiés en provenance d’Afrique ont débarqué sur les côtes italiennes, soit trois fois plus qu’en 2012 . C’est le Camp des Saints…

(3) En terme de philosophie politique, je rejette l’individualisme. Un peuple est responsable de lui-même. Le fait de légitimer la fuite de ces masses d’individus hors de leur aire ethnique du fait de la ”pauvreté”, de la ”misère” ou de n’importe quoi d’autre, revient à reconnaître l’incapacité globale de ces populations à prendre en main leur sort et à vivre entre elles harmonieusement. C’est peut-être vrai, mais alors qu’elles n’exportent pas en Europe  leurs insolubles problèmes.

samedi, 28 septembre 2013

Vivir de acuerdo a la Tradición

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Vivir de acuerdo a la Tradición

Por Dominique Venner
Ex: http://elfrentenegro.blogspot.com

Todo gran pueblo posee una tradición primordial que es diferente de todas las demás. Ella está en el pasado y en el futuro, en el mundo de las profundidades, es la piedra angular que sirve de soporte, la fuente desde donde se puede extraer tanto como uno vea conveniente. Es el eje estable en el centro de la rueda del cambio. Tal como Hannah Arendt dijo, es la "autoridad que elige y nombra, transmite y conserva, indica donde se encuentran los tesoros y cual es su valor".

Esta concepción dinámica de la tradición es diferente de la noción guenoniana, de un única universal tradición hermética que se supone común a todos los pueblos y todos los tiempos, y que se origina en la revelación de un "más allá" no identificado. Que tal idea sea decididamente a-histórica no ha molestado a sus teóricos. En su punto de vista, el mundo y la historia, sea por tres o por miles de años, no es más que una regresión, una involución fatal, la negación del mundo de lo que ellos llaman "Tradición", la de una edad de oro inspirada en las cosmologías védicas y hesíodicas. Uno debe reconocer que el anti-materialismo de esta escuela es estimulante. Por otro lado, su sincretismo es ambiguo, hasta el punto de llevar a algunos de sus adeptos, y no a pocos de ellos, a convertirse al Islam. Además, su crítica de la modernidad sólo ha llevado a una confesión de impotencia. Incapaz de ir más allá de una crítica a menudo legítima y proponer una forma alternativa de vida, la escuela tradicionalista se ha refugiado en una espera escatológica de la catástrofe. (1) Aquello que es pensamiento de alto nivel en Guenón o en Evola, a veces se convierte en retórica estéril entre sus discípulos. (2) Mas pese a cualquier reserva que podamos tener con respecto a las afirmaciones de Evola, siempre estaremos en deuda con él por haber demostrado enérgicamente en su obra, que detrás de todas las específicas referencias religiosas, hay un camino espiritual tradicional que se opone al materialismo del que la Ilustración fue expresión. Evola no fue sólo un pensador creativo, él también puso a prueba, en su propia vida, los valores heroicos que desarrolló en su obra.

Con el fin de evitar toda confusión con el significado corriente de los antiguos tradicionalismos, más allá de que tan respetables sean, nosotros sugeriremos un neologismo, el de "tradicionismo".

Para los Europeos, así como para otros pueblos, la tradición auténtica sólo puede ser la suya propia. Esa tradición es la que se opone al nihilismo a través del retorno a las fuentes específicas del alma ancestral Europea. Contrariamente al materialismo, la tradición no da cuenta de lo superior a través de lo inferior, de la ética a través de la herencia, de la política a través de los intereses, del amor a través de la sexualidad. Sin embargo, la herencia tiene un papel en la ética y la cultura, el interés tiene su parte en la política y la sexualidad tiene su parte en el amor. Sin embargo, la tradición los ordena jerárquicamente y construye la existencia personal y colectiva desde arriba hacia abajo. Al igual que en la alegoría del Timeo de Platón, el espíritu soberano, recostado en la valentía del corazón, ordena los apetitos. Pero eso no quiere decir que el espíritu y el cuerpo puedan ser separados. De la misma manera, el amor auténtico es a la vez una comunión de almas y una una armonía carnal.

La tradición no es una idea. Es una manera de ser y de vivir, que sigue el precepto del Timeo: "el objetivo de la vida humana es establecer orden y armonía en el propio cuerpo y en la propia alma, a imagen del orden cósmico". Esto quiere decir que la vida es un camino hacia este objetivo.

En el futuro, el deseo de vivir de acuerdo con nuestra tradición se hará sentir cada vez con más fuerza, a medida que se exacerbe el caos nihilista. Con el fin de encontrarse a sí misma de nuevo, el alma Europea, tan a menudo tendiente hacia la conquista y el infinito, está destinada a retornar a sí misma a través de un esfuerzo de introspección y conocimiento. Su tan rico aspecto Griego y Apolíneo ofrece un modelo de sabiduría en la finitud, su ausencia se tornará cada vez más y más dolorosa. Pero este dolor es necesario. Uno ha de atravesar la noche si quiere alanzar el amanecer.

Para los Europeos, vivir de acuerdo a su tradición, ante todo, ha de suponer un despertar de la conciencia, una sed de verdadera espiritualidad, practicada a través de la reflexión personal mientras se está en contacto con un pensamiento superior. El nivel educativo no constituye una barrera para uno. "El aprendizaje de muchas cosas", dijo Heráclito, "no enseña el entendimiento". Y añadió: "A todos los hombres les es concedida la capacidad de conocerse a sí mismos y pensar correctamente." También uno debe practicar la meditación, aunque la austeridad no es necesaria. Jenófanes de Colofón proporcionó incluso estas amables instrucciones: "Uno debe tener esta conversación a la orilla del fuego en la temporada de invierno, acostado en un sofá suave, bien alimentado, bebiendo vino dulce y mordisqueando arvejas: "¿Quién eres tú entre los hombres, y de dónde eres?". Epicuro, que era más exigente, recomendó dos ejercicios: llevar un diario personal e imponerse a uno mismo un examen de conciencia todos los días. Eso mismo era lo que los estoicos practicaban también. Con las Meditaciones de Marco Aurelio, ellos nos legaron un modelo para todos los ejercicios espirituales.

Tomar notas, leer, releer, aprender, repetir diariamente algunos aforismos de un autor asociado a la tradición, es lo que proporciona a uno un punto de apoyo. Homero o Aristóteles, Marco Aurelio o Epicteto, Montaigne o Nietzsche, Evola o Jünger, poetas que nos elevan y memorialistas que incitan a la distancia. La única regla es elegir aquello que eleva mientras se disfruta la propia lectura.

Vivir de acuerdo a la tradición es ajustarse al ideal que encarna, cultivar la excelencia en relación a la propia naturaleza para encontrar nuestras raíces de nuevo, es transmitir la herencia y permanecer unido con la propia comunidad. Significa además expulsar el nihilismo de uno mismo, incluso cuando uno esté obligado a fingir rendir tributo a una sociedad que sigue siendo subyugada por el nihilismo a través de los vínculos de deseo. Esto implica una cierta frugalidad, imponerse límites con el fin de liberarse de las cadenas del consumismo. También significa encontrar el propio camino de vuelta a la percepción poética de lo sagrado en la naturaleza, en el amor, en la familia, en el placer y en la acción. Vivir de acuerdo con la tradición significa dar forma a la propia existencia, siendo un exigente juez para con uno mismo, volviendo la propia mirada hacia la despierta belleza de nuestro corazón, en lugar de hacia la fealdad de un mundo en descomposición.

(1) Hablando en general, el pesimismo intrínseco del pensamiento contra-revolucionario - con el que Evola se distingue a sí mismo - proviene de una fijación con las formas (de instituciones sociales y políticas) en detrimento de la esencia de la cosas (que persiste detrás del cambio).

(2) El académico Marco Tarchi, quien durante mucho tiempo ha estado interesado en Evola, ha criticado en él un discurso estéril poblado por sueños de "guerreros" y "aristócratas" (cf. revista "Vouloir", Bruselas, enero-febrero de 1991. Esta revista es editada por el filólogo Robert Steuckers).

* Extracto de la obra Histoire et traditions des Européens. Traducido de la versión inglesa Living in Accordance with Our Tradition de Giuliano Malvicini, por Augusto Bleda para El Frente Negro.

jeudi, 26 septembre 2013

Monothéisme et laïcité : un débat capital

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Monothéisme et laïcité : un débat capital

Guillaume Faye

Ex: http://www.gfaye.com

Le philosophe Luc Ferry a publié dans Le Figaro (22/08/2013) une chronique intitulée « De la place des religions » dans laquelle il développe l’opinion selon laquelle la laïcité (avec pour corollaire l’autonomie des lois par rapport à la sphère théologique) serait une idée essentiellement d’origine chrétienne, qui échapperait aux autres religions.  Son analyse, très brillante, souffre néanmoins de lacunes.  Mais tout d’abord, il faut résumer la forte thèse de Luc Ferry.

Pour lui, Jésus, rabbi se libérant du judaïsme traditionnel formaliste, met l’accent sur l’esprit plus que sur la lettre, sur la conscience plus que sur le rite. La sincérité, la loi du cœur (le ”forum intérieur”) fondent la vraie morale et la rectitude de conscience. « À la différence des autres grands monothéismes, le christianisme ne juridifie jamais la vie quotidienne » Pas d’obligations rituelles pour Jésus, concernant la vie quotidienne, sociale ou politique. L’impureté, le mal, proviennent d’abord de « ce qui sort de l’homme » ( Évangile de Marc, ”juger l’arbre à ses fruits”), d’une conscience pervertie et non point de l’inobservance de règles. Le Christ n’impose pas l’observance de règles extérieures formelles, se montre très tolérant, et sépare le politique de l’ordre religieux et théologique (”rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”). L‘intériorité, la « pureté du cœur » prévaut donc sur l’extériorité des obligations alimentaires, sexuelles, juridiques, etc.

Suivant en cela Châteaubriand, dans Le Génie du Christianisme, Luc Ferry admet implicitement que ce génie provient de ce que l’esprit chrétien laisse l’homme libre d’interpréter son comportement personnel ou politique en fonction de sa propre conscience éclairée par les principes moraux surplombants du Christ. À la différence des autres monothéismes, répressifs qui enferment l’esprit humain dans des grilles comportementales et intellectuelles. Pour Ferry, c’est cette place unique accordée à l’intériorité qui a permis la laïcité en Europe en rendant autonomes de la religion la sphère publique et politique. Mais il va plus loin, pensant que « la création des Parlements dans le sillage de la révolution française » est une « invention proprement inouïe dans l’histoire du monde de ces lieux où les représentants des peuples démocratiques fabriquent la loi sans référence à Dieu ». La loi n’est plus le dérivé de la théologie (textes sacrés, le ”Livre”, etc.) mais de la libre volonté délibérative humaine et de l’intérêt public. La laïcité comme la démocratie parlementaire seraient donc issues du christianisme.

Mais, à l’instar de la philosophe Hannah Arendt qui faisait naître le ”totalitarisme” au XXe siècle avec le communisme, le fascisme et le nazisme, de Thorstein Veblen et Baudrillard qui pensaient le consumérisme comme une spécificité moderne, de Heidegger qui envisageait la mentalité technicienne d’ « arraisonnement du monde » comme nouveauté radicale issue de la révolution industrielle, la thèse de Luc Ferry se souffrirait-elle pas de lacunes historiques ? De recours à l’”essentialisme”, c’est-à-dire à l’idée pure, d’origine platonicienne, déconnectée du réel notamment historique ?

En effet, on peut faire les remarques suivantes sans aucune hostilité envers le christianisme : 1) un des plus anciens parlements démocratiques attestés fut islandais à une époque pré-chrétienne. Sans parler des assemblées parlementaires de plusieurs Cités grecques antiques. Et sans oublier qu’Aristote ne fonde absolument pas l’organisation et la philosophie politiques sur l’obéissance à une quelconque religion.  2) Dans le monde antique gréco-romain, où régnait le paganisme polythéiste, les lois n’étaient pas décrétées par les dieux car la religion était une superstition et non point une morale. Le divin, dans le paganisme polythéiste, est intrinsèquement séparé, non pas du politique au sens des cérémonies rituelles souveraines, mais du législatif, domaine des hommes. Les Immortels, contrairement au Dieu des monothéismes, s’intéressent assez peu aux histoires humaines et à la morale de leurs législations…Ils préfèrent prendre parti dans les guerres (cf. l’Iliade)  3) Il faut attendre très longtemps, après la christianisation de l’Europe du IVe au IXe siècle, jusqu’à la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, pour que la sphère politique et juridique s’affranchisse de la religion.        

C’est pourquoi la spécificité européenne de la laïcité et de la démocratie, et de la liberté de conscience, ne me semblent pas issues de l’essence du christianisme mais d’un resurgissement inconscient d’un fond païen (1). Un fond païen qui a  toujours, chez les élites de l’Antiquité, privilégié l’athéisme de fait. C’est à dire le respect des dieux et des rites sacrés, tout en ménageant les superstitions du peuple, mais sans croire aux Immortels, pures inventions humaines. Relisez Aristote, pour qui Dieu était une sorte de mécanisme inconscient, loin de toute prescription morale. De même, les stoïciens ne fondaient pas leur éthique sur les dieux mais sur la réflexion humaine, ce logos rationnel très différent des vérités révélées des monothéismes. C’est là où le raisonnement de Luc Ferry trouve peut-être une limite.     

Les vérités révélées et les dogmes prescriptifs des monothéismes ont toujours été des désastres pour la pensée, pour la science, pour la liberté politique. Mais, à mon avis – qui est idéologiquement très incorrect – si les Européens se sont affranchis de cela, c’est peut-être pour des raisons intrinsèques, ethniques. Car les idées (idéologies ou religions) et les cultures n’expliquent pas tout. Les superstructures idéologiques, culturelles et religieuses reposent sur des infrastructures anthropologiques qui les produisent. Les notions de liberté individuelle, de laïcité, de démocratie parlementaire ne proviennent pas du christianisme  en tant que tel mais de la mentalité atavique des Européens portée à l’autonomie du jugement. 

Aussi, s’il est vrai que l’enseignement de Jésus, comme l’analyse Luc Ferry, comporte philosophiquement l’idée de laïcité, cette dernière est apparue difficilement et contre la volonté de l’Église (2). Ce n’est qu’ a posteriori qu’on peut trouver dans l’enseignement du Christ les éléments théologiques de la laïcité Mais cet enseignement n’est pas a priori la cause de la laïcité.  Celle-ci a résidé dans la déchristianisation des élites des XVIIIe et XIXe siècles, adeptes de la libre-pensée, du théisme intellectuel ou de l’athéisme. C’est là où Luc Ferry commet une erreur de raisonnement.

Notes:

(1) Les références aux modèles politiques antiques par opposition au modèle médiéval chrétien sont légions dans tous les courants révolutionnairse des XVIIIe et XIXe siècles. 

(2) Sans parler du cujus regio cujus religio, l’Eglise dans les royaumes catholiques n’envisageait pas, jusqu’au XIXe siècle, où elle fut contrainte et forcée, d’autre religion que le catholicisme. Cela vient de loin : de la lutte contre les hérésies dès l’Empire romain chrétien où le catholicisme était la religion officielle et où la sphère politique y était entièrement soumise.

mercredi, 25 septembre 2013

On the Essence of War

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On the Essence of War

By Guillaume Faye 

Translated by Greg Johnson

Ex: http://www.counter-currents.com/

We have read all the commentaries, pro and con, on punitive strikes against the Assad regime in Syria. (As of this writing, nothing has happened yet.) The pacifists who have become warmongers (the French Greens), the anti-Atlanticists who have aligned with Washington (the French Socialist Party), the Atlanticists who eschew the label (the British Parliament), and other strange cross-positions present us with an opportunity to reflect: What is war? War, that is to say the use of armed force between sovereign political units—as distinct from private violence[1]—has always been poorly understood, even in the minds of its protagonists. For example, the recent book on the outbreak of the First World War (1914–1918), an absolute disaster for Europe (Europe’s Last Summer: What Caused the First World War? by historian David Fromkin, a professor at Boston University), shows that this race into the abyss was produced not by any rational political calculation, and contrary to the interests of the belligerents, by a kind of agitated autonomous mechanism, which we can call “warmongering.” A mechanism that some will call tautological, irrational, “crazy.” No actor really wanted to “attack the other,” but more or less all wanted to fight to varying degrees, without any clear shared goals of the confrontation. Fromkin shows that long before the tragic sequence of events of Europe’s last happy summer, disparate forces wanted war for various reasons. And this is true of all future belligerents. Let us dive into history. The best historians of the Roman Empire[2] note that its wars of conquest in the pre-Imperial period obeyed neither a desire for economic hegemony (which already existed), nor a defensive engagement against the pacified Barbarians, nor a politico-cultural Roman imperialism (which too was imposed by soft power, without legions). The historian of Gaul, Jean-Louis Brunaux notes that Caesar himself, in his famous Commentaries, never logically explained the reasons for his engagement, particularly against the Belgians, northern Gauls (Celto-Germanics) who in no way threatened Rome, which required lethal operations condemned by the Senate for their strategic uselessness.[3] Nor could Augustus three generations later justify the loss of Varus’ three legions recklessly sent into Germany against the “traitor” Hermann (Arminius).[4]

History offers countless similar examples: wars or military operations that do not follow a rational logic, and whose goals could have been achieved by fundamentally easier means. The Marxist School (war = economic imperialism) or geopolitical school (war = securing control of space) or nationalist school (war = defending the national stock) are not wrong but do not answer the question: Why war? Because, according to Aristotelian reasoning, “Why pursue a goal the hard way when we could take an easier way?” Talleyrand thought, in this regard, that France could have easily dominated Europe through diplomacy, economic and cultural influence, and demography without—and much more securely than by—the bloody Napoleonic Wars, which propelled England and Germany to the top. As a rule, intra-European wars have not benefitted any of the protagonists but have weakened the whole continent. What, then, is war? The answer to this question is found not in political science but in human ethology. Robert Ardrey, Konrad Lorenz, and many others saw that the branch of primates called Homo sapiens was the most aggressive species, including in intraspecific matters. Violence in all its forms, is at the center of genetic impulses of the human species. It is impossible to escape. “Anti-violence” religions and moralities only confirm this disposition by opposition. War would be, in the words of Martin Heidegger about technology, “a process without a subject.” That is to say, a behavior that (a) escapes rational and volitional causality in the sense of Aristotle and Descartes, and (b) ignores factual consequences.

The essence of war is, therefore, not found on the level of logical thinking (e.g., should we invest or not in a particular energy source?) but on the level of the illogical, on the frontiers of the paleocortex and neocortex. The essence of war is endogenous; it contains its own justification within itself. I make war because it is war, and one must make war. We must show our strength. When the Americans—and, on a lower level, the French—engage in military expeditions, it is less a matter of calculation (the same would be achieved at lower cost and, worse, the result contradicts the objective) than of a drive. A need—not animal, but very human!—to use force, to prove to yourself that you exist. Vilfredo Pareto has quite correctly seen two levels in human behavior: actions and their justifications, with a disconnect between the two. Thus the essence of war lies in itself. This is not the case of other human activities such as agriculture, industry, animal husbandry, botany, computer science, technology research, architecture, art, medicine and surgery, astronomy, etc., which, to use Aristotelian categories, “have their causes and goals outside of their own essence.”[5] And what most resembles war as a self-sufficient human activity? It is religion, of course.

War, like religion, with which it is often associated (in that religion is theological or ideological), produces its own ambiance self-sufficiently. It emanates from a gratuity. It enhances and stimulates as it destroys. It is a joint factor of creation and devastation. It came out of the human need to have enemies at any cost, even without objective reason. This is why religions and ideologies of peace and harmony have never managed to impose their views and have, themselves, been the source of wars. It is that ideas expressed by man do not necessarily correspond to his nature, and it is the latter that is essential in the end.[6] Human nature is not correlated with human culture and ideas: it is the dominant infrastructure. Should we all embrace pacifism? History, of course, is not just war, but war is the fuel of history. War inspires artists, filmmakers, and novelists. Without it, that would historians talk about? Even proponents of the “end of history” show themselves to be warmongers. We deplore it, but we adore it. Feminist scholars have written that if societies were not chauvinistic and dominated by bellicose males, there would be no war but only negotiations. Genetic error: in higher vertebrates, females are as warlike as the males, even more so.

The paradox of war is that it may have an aspect of “creative destruction” (to use the famous category of Schumpeter), especially in economic matters. In addition, in techno-economic history from the earliest times to the present day, military technology has always been a major cause of civilian innovations. In fact, conflict and the presence of an enemy creates a state of happiness and desire in the private sphere (because it gives meaning to life), just as in the public sphere, war initiates a collective happiness, a mobilization, a rupture with the daily grind, a fascinating event. For better or for worse. So what to do? We cannot abolish the act of war. It is in our genome as a libidinal drive. War is part of the pleasure principle. It is tasty, attractive, cruel, dangerous, and creative. We must simply try to regulate it, direct it, somehow dominate it rather than do away with it.

The worst thing is either to refuse or to seek war at all costs. Those facing Islamic jihad who refuse to fight back will be wiped out. Like those who deceive themselves about the enemy—for example, proponents of strikes against the Syrian regime. Everything fits in the Aristotelian mesotes, the “mean”: courage lies between between cowardice and rashness, between fear and recklessness. That is why any nation that disarms and renounces military power is just as foolish as those who abuse it. War, like all pleasures, must be disciplined.

Notes

[1] Civil war is of the same nature: factional struggle to acquire a monopoly on the sovereignty of a political unit.
[2] See especially Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, les armes et les mots (Tallandier).
[3] Jean-Louis Brunaux, Alésia, la fin de l’ancienne Gaule (Gallimard).
[4]  Cf. Luc Mary, Rends-moi mes légions ! Le plus grand désastre de l’armée romaine (Larousse).
[5] In this sense the term “economic war” to describe competition is quite ill-considered. Not only because nobody dies, but because economic competitors are doing everything to avoid confrontation or restrictions (cartels, trusts, oligopolies, takeover bids, etc.), and because the goal of competition is not in itself but outside it: to maximize business performance. However, sport is closer to war.
[6] For example, theories of gender, feminist-inspired, are at odds with majority behavior. Source: http://www.gfaye.com [2]

 


 

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

 

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2013/09/greekhelmet.jpg

[2] http://www.gfaye.com: http://www.gfaye.com

 

Pour une critique positive

La première publication de Pour une critique positive est datée de 1962. Rédigé en détention (les prisons de la République hébergeaient alors de nombreux patriotes coupables d’avoir participé à la défense des Français d’Algérie), ce texte est un exercice d’autocritique sans comparaison « à droite ».
S’efforçant de tirer les enseignements des échecs de son action, l’auteur propose une véritable théorie de l’action révolutionnaire. Pour une critique positive a été une influence stratégique majeure pour de très nombreux militants, des activistes estudiantins des années 70 aux identitaires.
Pour une critique positive a été publié sous anonymat, comme c’est souvent le cas pour ce type de textes d’orientation, mais il est aujourd’hui communément admis que Dominique Venner en fut l’auteur. C’était avant qu’il quitte le terrain de l’action politique pour se consacrer à l’histoire.
Nous avons souhaité conserver l’œuvre originale dans son intégralité, les références ou le vocabulaire employés dans le texte pourront parfois surprendre ou choquer. S’il arrive que les mots soient durs, c’est que l’époque et les épreuves traversées l’étaient.

mardi, 24 septembre 2013

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

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Robert STEUCKERS:

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

Conférence prononcée à la tribune du “Cercle Proudhon”, à Genève, 12 février 2013

Pourquoi parler ou reparler de Moeller van den Bruck aujourd’hui, 90 ans après la parution de son livre au titre apparemment fatidique, “Le Troisième Reich” (= “Das Dritte Reich”)? D’abord parce que l’historiographie récente s’est penchée sur lui (cf. bibliographie) en Allemagne, d’une manière beaucoup plus systématique qu’auparavant. Il est l’apôtre raté d’un “Troisième Règne”, qui n’adviendra pas de son vivant mais dont le nom sera repris par le mouvement hitlérien, dans une acception bien différente et à son corps défendant. Il s’agit de savoir, aujourd’hui, ce que Moeller van den Bruck entendait vraiment par “Drittes Reich”. Il s’agit aussi de cerner ce qu’il entendait par sa notion de “peuples jeunes”. Comment il entrevoyait la coopération entre l’Allemagne et la Russie (devenue l’URSS) dans le cadre de la République de Weimar, dont il méprisait les principes et le personnel. Arthur Moeller van den Bruck a participé à la formulation d’un “nationalisme de rupture”, d’un “néo-nationalisme” qu’Armin Mohler, dans sa célèbre thèse, a classé dans le phénomène de la “révolution conservatrice”. Une chose est certaine: Arthur Moeller van den Bruck n’est ni un “libéral” (au sens où l’entendait la démocratie de la République de Weimar) ni un pro-occidental, dans la mesure où il entendait détacher l’Allemagne de l’Occident français, anglais et américain.

L’oeuvre politique d’Arthur Moeller van den Bruck est toutefois ténue. Il n’a pas été aussi prolixe qu’Oswald Spengler, dont le célèbre “Déclin de l’Occident” est fort dense, d’une épaisseur bien plus conséquente que “Das Dritte Reich”. De plus, la définition, finalement assez ambigüe, que donne Spengler de l’Occident ne correspond pas à celle que donnera plus tard Moeller van den Bruck. Sans doute la brièveté de l’oeuvre politique de Moeller van den Bruck tient-elle au simple fait qu’il est mort jeune et suicidé, à 49 ans. Son oeuvre littéraire et artistique en revanche est beaucoup plus vaste. Moeller van den Bruck, en effet, a écrit sur le théâtre de variétés, sur le théâtre français, sur l’esthétique italienne, sur la mystique allemande, sur les personnages-clefs de la culture germanique (ceux qui en font son essence), sur la littérature moderniste, allemande et européenne, de son temps. Son oeuvre politique, qui ne prend son envol qu’avec la Grande Guerre, se résume à un ouvrage sur le “style prussien” (avec un volet sur l’art néo-classique), à l’ouvrage intitulé “Troisième Reich”, au livre sur la “révolte des peuples jeunes”, à ses articles parus dans des revues comme “Gewissen”. Moeller van den Bruck a donc été un séismographe de son époque, celle d’un extraordinaire foisonnement d’idées, de styles, d’audaces.

Zeev Sternhell et la “droite révolutionnaire”, Armin Mohler et la “Konservative Revolution”

La question qu’il convient de poser est donc la suivante: d’où viennent ses idées? Quel a été son cheminement? Quelles rencontres, apparemment “apolitiques”, ont-elles contribué à forger, parfois à leur corps défendant, son “Jungkonservativismus”? Le fait d’être homme, dit-on, c’est mener une quête, sans jamais s’arrêter. Quelle a donc été la quête personnelle, unique et inaliénable de Moeller van den Bruck? Il convient aussi de resituer cette quête dans un cadre historique et social. Cette démarche interpelle l’historiographie contemporaine: Zeev Sternhell avait tracé la généalogie du fascisme français depuis 1870 environ, avant de se pencher sur les antécédents de l’Italie fasciste et du sionisme. Après la parution en France, au “Seuil” à Paris, du premier ouvrage “généalogique” de Sternhell, intitulé “La droite révolutionnaire”, Armin Mohler, auteur d’un célèbre ouvrage synoptique sur la “révolution conservatrice”, lui rendait hommage dans les colonnes de la revue “Criticon”, en disant que le cadre de sa propre enquête avait été fixé, par son promoteur Karl Jaspers, à la période 1918-1932, mais que l’effervescence intellectuelle de la République de Weimar avait des racines antérieures à 1914, plongeant finalement dans un bouillonnement culturel plus varié et plus intense, inégalé depuis en Europe, dont de multiples manifestations sont désormais oubliées, se sont estompées des mémoires collectives. Et qu’il fallait donc les ré-exhumer et les explorer. Exactement comme Sternhell avait exploré l’ascendance idéologique de l’Action Française et des autres mouvements nationaux des années 20 et 30.

Ascendance et jeunesse

Resituer un auteur dans son époque implique bien entendu de retracer sa biographie, de suivre pas à pas la maturation de son oeuvre. Arthur Moeller van den Bruck est né en 1876 à Solingen, dans une famille prussienne originaire de Thuringe. Dans cette famille, il y a eu des pasteurs, des officiers, des fonctionnaires, dont son père, inspecteur général pour la construction des bâtiments publics. Cette fonction paternelle induira, plus que probablement, l’intérêt récurrent de son fils Arthur pour l’architecture (l’architecture de la Ravenne ostrogothique, le style prussien et l’architecture de Peter Behrens et du “Deutscher Werkbund”, comme nous allons le voir). L’ascendance maternelle, la famille van den Bruck, est, comme le nom l’indique, hollandaise ou flamande, mais compte aussi des ancêtres espagnols. Le jeune Arthur est un adolescent difficile, en rupture avec le milieu scolaire. Il ne décroche pas son “Abitur”, équivalent allemand du “bac”, ce qui lui interdit l’accès à l’université. Il restera, en quelque sorte, un marginal. Il quitte sa famille et se marie, à 20 ans, avec Hedda Maase. Nous sommes en 1896, année où survienent deux événements importants pour l’idéologie allemande de l’époque, qui donnera ultérieurement un certain lustre à la future “révolution conservatrice”: la naissance du mouvement de jeunesse “Wandervogel” sous l’impulsion de Karl Fischer et la création des éditions Eugen Diederichs à Iéna. Le jeune couple s’installe à Berlin cette année-là et Moeller van den Bruck vit de l’héritage de son grand-père maternel.

Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Poe...

Les jeunes époux vont entamer leur quête spirituelle en traduisant de grands classiques des littératures française et anglaise. D’abord Baudelaire qui communiquera à coup sûr l’idée du primat de l’artiste et du poète sur le “philistin” et le “bourgeois”. Ensuite Hedda et Arthur traduisent les oeuvres de Barbey d’Aurevilly. Cet auteur aura un impact important dans le rejet par Moeller van den Bruck du libéralisme et du bourgeoisisme. Barbey d’Aurevilly communique une certaine foi à Arthur, qui ne la christianisera pas —mais ne l’édulcorera pas pour autant— vu l’engouement de l’époque toute entière pour Nietzsche. Cette foi anti-bourgeoise, anti-philistine, se cristallisera surtout plus tard, au contact de l’oeuvre de Dostoïevski et de la personnalité de Merejkovski. Barbey d’Aurevilly était issu d’une famille monarchiste. Jeune, par défi, il se proclame “républicain”. Il lit ensuite Jospeh de Maistre et redevient monarchiste. Il le restera. En 1846, il se mue en catholique intransigeant, partisan de l’ultramontanisme. Barbey d’Aurevilly est aussi une sorte de dandy, haïssant la modernité bourgeoise, cultivant un style qui se veut esthétisme et rupture: deux attitudes qui déteindront sur son traducteur allemand. Le couple Moeller/Maase traduit ensuite le “Germinal” de Zola et quelques oeuvres de Maupassant. C’est donc, très jeune, à Berlin, que Moeller van den Bruck connaît sa période française, où le filon de Maistre/Barbey d’Aurevilly est déterminant, beaucoup plus déterminant que l’idéologie républicaine, qui donne le ton sous la III° République.

Mais ses six années berlinoises sont aussi sa période anglaise. Avec son épouse, il traduit l’ensemble de l’oeuvre de Poe, puis Thomas de Quincey, Daniel Defoe et Dickens. La période “occidentale”, franco-anglaise, de Moeller van den Bruck, futur pourfendeur de l’esprit occidental, occupe donc une place importante dans son itinéraire, entre 20 et 26 ans.

Zum Schwarzen Ferkel

Moeller van den Bruck fréquente le local branché de la bohème littéraire berlinoise, “Zum Schwarzen Ferkel” (“Au Noir Porcelet”) puis le “Schmalzbacke”. Le “Schwarzer Ferkel” est le pointde rencontre d’intellectuels et de poètes allemands, scandinaves et polonais, faisceau de diversités européennes qui constitue un “unicum” dans l’histoire des idées. A côté des poètes, il y a aussi des médecins, des artistes, des juristes: les débats y sont pluridisciplinaires. Le nom du local est une invention du Suédois August Strindberg et du poète allemand Richard Dehmel.

Detlev von Liliencron

 

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Parmi les personnages qu’y rencontre Moeller, on trouve un poète, aujourd’hui largement oublié, Detlev von Liliencron. Il est un poète-soldat du 19ème siècle: il a fait les guerres de l’unification allemande, en 1864, en 1866 et en 1870, contre les Danois, les Autrichiens et les Français. Son oeuvre majeure est “Adjutantenritte und andere Geschichten” (“Les chevauchées d’un aide de camp et autres histoires”) qui parait en 1883, où il narre ses mésaventures militaires. En 1888, dans la même veine, il publie “Unter flatternden Fahnen” (“Sous les drapeaux qui claquent au vent”). C’est un aristocrate pauvre du Slesvig-Holstein qui a opté pour la vie de caserne mais qui s’adonne au jeu avec beaucoup trop de frénésie, espérant redorer son blason. Le jeu devient chez lui un vice persistant qui brisera sa carrière militaire. Sur le plan littéraire, Detlev von Liliencron est une figure de transition: les aspects néo-romantiques, naturalistes et expressionnistes se succèdent dans ses oeuvres de prose et de poésie. Il refuse les étiquettes, refuse aussi de s’encroûter dans un style figé. Simultanément, ce reître rejette la vie moderne, proposée par la nouvelle société industrielle de l’Allemagne post-bismarckienne et wilhelminienne. Il entend demeurer un “cavalier picaresque”, refuse d’abandonner ce statut, plus exaltant qu’une carrière de rond-de-cuir inculte et étriqué. Il influencera Rilke et von Hoffmannsthal. Le destin de poète et de prosateur picaresque de Detlev von Liliencron a un impact sur Moeller van den Bruck (comme il en aura un aussi, sans doute, sur Ernst Jünger): Moeller, comme von Liliencron, voudra toujours aller “au-delà du donné conventionnel bourgeois”, d’où l’idée de “jouvance”, l’utilisation systématique et récurrente du terme “jeune”: est “jeune” qui veut conserver le fond sans les formes mortes, dans la mesure où les fonds ne meurent jamais et les formes meurent toujours. Il y a là sans nul doute un impact du nietzschéisme qui prend son envol: l’homme supérieur (dont le poète selon Baudelaire) se hisse très haut au-dessus des ronrons inlassablement répétés des philistins. Depuis les soirées du “Schwarzer Ferkel” et les rencontres avec von Liliencron, Moeller s’intéresse aux transitions, entendra favoriser les transitions, au détriment des fixités mentales ou idéologiques. Etre actif en ère de transition, aimer cet état de passage, vouloir être perpétuellement en état de mouvance et de quête, est la tâche sociale et nationale du littérateur et du séismographe, figure supérieure aux “encroûtés” de tous acabits, installés dans leurs créneaux étroits, où ils répétent inlassablement les mêmes gestes ou assument les mêmes fonctions formelles.

Richard Dehmel

mvb4.jpgDeuxième figure importante pour l’itinéraire de Moeller van den Bruck, rencontrée dans les boîtes de la nouvelle bohème berlinoise: Richard Dehmel (1863-1920). Cet homme a de solides racines rurales. Son père était garde forestier et fonctionnaire des eaux et forêts. Contrairement à Moeller, il a bénéficié d’une bonne scolarité, il détient son “Abitur” mais n’a pas été l’élève modèle que souhaitent tous les faux pédagogues abscons: il s’est bagarré physiquement avec le directeur de son collège. Après son adolescence “contestatrice” au “Gymnasium”, il étudie le droit des assurances, adhère à une “Burschenschaft” étudiante puis entame une carrière de juriste auprès d’une compagnie d’assurances. Simultanément, il commence à publier ses poèmes. Il participe au journal avant-gardiste “Pan”, organe du “Jugendstil” (“Art Nouveau”), avec le sculpteur et peintre Franz von Stuck et le concepteur, architecte et styliste belge Henri van de Velde. Cet organe entend promouvoir une esthétique nouvelle, fusion du naturalisme et du symbolisme. Moeller van den Bruck s’y intéresse longuement (entre 1895 et 1900), avant de lui préférer l’architecture ostrogothique de l’Italie de Théodoric (à partir de 1906) et, pour finir, le classicisme prussien (entre 1910 et 1915).

mvb5.jpgRichard Dehmel est d’abord un féroce naturaliste, qui ose publier en 1896, deux poèmes, jugés pornographiques à l’époque, “Weib und Welt” (“Féminité et monde”) et “Venus Consolatrix”. La réaction ne tarde pas: on lui colle un procès pour “pornographie”. Dans les attendus de sa convocation, on peut lire la phrase suivante: “Atteinte aux bons sentiments religieux et moraux”. Il n’est pas condamné mais censuré: le texte peut paraître mais les termes litigieux doivent être noircis! Dehmel est aussi, avec Stefan Zweig, le traducteur d’Emile Verhaeren, avec qui il était lié d’amitié, avant que la première guerre mondiale ne détruisent, quasi définitivement, les rapports culturels entre la Belgique et l’Allemagne. Pour Zweig, qui connaissait et Dehmel et Verhaeren, les deux poètes étaient les “Dioscures d’une poésie vitaliste d’avenir”. Dehmel voyagera beaucoup, comme Moeller. Lors de ses voyages à travers l’Allemagne, Dehmel rencontre Detlev von Liliencron à Hambourg. Cette rencontre avec le vieux reître des guerres d’unification le poussera sans doute à s’engager comme volontaire de guerre en 1914, à l’âge de 51 ans. Il restera deux ans sous les drapeaux, dans l’infanterie de première ligne et non pas dans une planque à l’arrière du front. En 1918, il lance un appel aux forces allemandes pour qu’elles “tiennent”. Le “pornographe” a donc été un vibrant patriote. En 1920, il meurt suite à une infection attrapée pendant la guerre. L’influence de Dehmel sur ses contemporains est conséquente: Richard Strauss, Hans Pfitzner et Arnold Schönberg mettent ses poèmes en musique. Par ailleurs, il a contribué à l’élimination de la pudibonderie littéraire, omniprésente en Europe avant lui et avant Zola: la sexualité est, pour lui, une force qui va briser le ronron des conventions, sortir l’humanité européenne de la cangue des conventions étriquées, d’un moralisme étroit et étouffant, où la joie n’a plus droit de cité. C’est l’époque d’un pansexualisme/panthéisme littéraire, avec Camille Lemonnier, le “Maréchal des lettres belges”, son contemporain (traduit en allemand chez Diederichs), puis avec David Herbert Lawrence, son élève, quand celui-ci pourfend le puritanisme de l’ère victorienne en Angleterre. Il me paraît utile de préciser ici que Dehmel s’est plus que probablement engagé dans les armées du Kaiser parce que l’effervescence culturelle, libératrice, de l’Allemagne de la Belle Epoque devait être défendue contre les forces de l’Entente qui ne représentaient pas, à ses yeux, une telle beauté esthétique; celle-ci ne pourra jamais se déployer sous les platitudes de régimes libéraux, de factures française ou anglaise.

Max Dauthendey

mvb6.jpgTroisième figure rencontrée dans les cafés littéraires de Berlin, plutôt oubliée aujourd’hui, elle aussi: Max Dauthendey (1867-1918). Il est le fils d’un photographe et daguerrotypiste. Il a vécu à Saint-Pétersbourg où il représentait les affaires de son père. C’était le premier atelier du genre en Russie tsariste. Le jeune Max est le fils d’un second mariage et le seul héritier d’un père qu’il déteste, parce qu’il lui administrait un peu trop souvent la cravache. Ce conflit père/fils va générer dans l’âme du jeune Max une haine des machines et des laboratoires, lui rappelant trop l’univers paternel. Il fugue deux fois, à treize ans puis à dix-sept ans où il se porte volontaire dans un régiment étranger des armées néerlandaises en partance pour Java. Après cet intermède militaire en Insulinde, il se réconcilie avec son père et travaille à l’atelier. En 1891, il s’effondre sur le plan psychique, séjourne dans un centre spécialisé en neurologie et, avec la bénédiction paternelle, cette fois, s’adonne définitivement à la poésie, sous la double influence de Dehmel et du poète polonais Stanislas Przybyszewski (1868-1927). Il fréquente les cafés littéraires et voyage beaucoup, en Suède, à Paris, en Sicile (comme Jünger plus tard), au Mexique (comme D. H. Lawrence), en Grèce et en Italie. Cette existence vagabonde le plonge finalement dans la misère: il est obligé de vivre aux crochets de toutes sortes de gens. Il décide toutefois, à peine renfloué, de faire un tour du monde. Il embarque à Hambourg le 15 avril 1914 et arrive pour la deuxième fois de sa vie à Java, où il restera quatre ans. Impossible d’aller plus loin: la guerre le force à l’immobilité. Il meurt de la malaria en Indonésie en août 1918. Peu apprécié des autorités nationales-socialistes qui le camperont comme un “exotiste”, son oeuvre disparaîtra petit à petit des mémoires. Sa femme découvre dans son appartement de Dresde 300 aquarelles, qui disparaîtront en fumée lors du bombardement de la ville d’art en février 1945.

Stanislas Przybyszewski

mvb7.jpgQuatrième figure: Stanislas Przybyszewski, un Polonais qui a étudié en allemand à Thorn en Posnanie. Lui aussi, comme Moeller et Dehmel, a eu une scolarité difficile: il a multiplié les querelles vigoureuses avec ses condisciples et son directeur. Cela ne l’empêche pas d’aller ensuite étudier à l’université la médecine et l’architecture. Il adhère d’abord au socialisme et fonde la revue “Gazeta Robotnicza” (= “La gazette ouvrière”). En deuxièmes noces, il épouse une figure haute en couleurs, Dagny Juel, une aventurière norvégienne, rencontrée lors d’un voyage au pays des fjords. Elle mourra quelques années plus tard en Géorgie où elle avait suivi l’un de ses nombreux amants. Lecteur de Nietzsche, comme beaucoup de ses contemporains, Przybyszewski est amené à réfléchir sur les notions de “Bien” et de “Mal” et, dans la foulée de ces réflexions, à s’intéresser au satanisme. Il fonde en 1898 la revue “Zycie” (= “La Vie”), couplant, Zeitgeist oblige, l’intérêt pour le mal (inséparable du bien et défini selon des critères étrangers à toute morale conventionnelle et répétitive), l’intérêt pour l’oeuvre de Nietzsche et de Strindberg et pour le vitalisme. Avant que ne se déclenche la première grande conflagration inter-européenne de 1914, il devient le chef de file du mouvement artistique, littéraire et culturel des “Jeunes Polonais” (“Mloda Polska”), fondé par Artur Gorski (1870-1959), quand la Pologne était encore incluse dans l’Empire du Tsar. La préoccupation majeure de ce mouvement culturel, partiellement influencé par Maurice Maeterlinck (1862-1949), est de s’interroger sur le rapport entre puissance créatrice et vie réelle. En ce sens, la tâche de l’art est de saisir l’“être originel” des choses et de le présenter sous forme de symboles, que seul une élite ténue est capable de comprendre (même optique chez l’architecte Henri van de Velde). Mloda Polska connaît un certain succès et s’affichera pro-allemand pendant la première guerre mondiale, tout comme le futur chef incontesté de la nouvelle Pologne, le Maréchal Pilsudski.

Après 1918, comme Moeller van den Bruck, Przybyszewski s’engage en politique et travaille à construire le nouvel Etat polonais indépendant, tout en poursuivant sa quête philosophique et son oeuvre littéraire. Pour Przybyszewski, comme par ailleurs pour le Moeller van den Bruck du voyage en Italie (1906), l’art dévoile le fond de l’être: la part ténue d’humanité émancipée des pesanteurs conventionnelles (bourgeoises) atteint peut-être le sublime en découvrant ce “fond” mais cette élévation et cette libération sont simultanément un plongeon dans les recoins les plus sombres de l’âme et dans le tragique (on songe, mutatis mutandi, au thème d’“Orange mécanique” d’Anthony Burgess et du film du même nom de Stanley Kubrik). Les noctambules, les dégénérés et les déraillés, ainsi que la lutte des sexes (Strindberg, Weininger), intéressent notre auteur polonais, qui voulait devenir psychiatre au terme de ses études inachevées de médecine, comme ils avaient intéressé Dostoïevski, observateur avisé du public des bistrots de Saint-Pétersbourg. En 1897, leur sort, leurs errements sont l’objet d’un livre qui connaîtra deux titres “Die Gnosis des Bösen” et “Die Synagoge Satans”.

Figure plus exubérante que Moeller, Przybyszewski fait la jonction entre l’univers artistique d’avant 1914 et la nécessité de reconstruire le politique après 1918. La trajectoire du Polonais a sûrement influencé les attitudes de l’Allemand. Des parallèles peuvent aisément être tracés entre leurs deux itinéraires, en dépit de la dissemblance entre leurs personnalités.

Les cabarets

Parmi tous les clubs et lieux de rencontre de cette incroyable bohème littéraire, il y a bien sûr les cabarets, où les animateurs critiquent à fond les travers de la société wilhelminienne, qui, par son fort tropisme technicien, oublie le “fonds” au profit de “formes” sans épaisseur temporelle ni charnelle. A Berlin, c’est le cabaret “Überbretteln” qui donne le ton. Il s’est délibérément calqué sur son homologue parisien “Le Chat noir” de Montmartre, créé par Rodolphe Salis. Sous la dynamique impulsion d’Ernst von Wolzogen, il s’ouvre le 18 janvier 1901. A Munich, le principal cabaret contestataire est “Die Elf Scharfrichter”, où sévit Frank Wedekind. Celui-ci est maintes fois condamné pour obscénité ou pour lèse-majesté: il a certes critiqué, de la façon la plus caustique qui soit, l’Empereur et le militarisme mais, Wedekind, puis Wolzogen, qui l’épaulera, ne sont pas des figures de l’anti-patriotisme: ils veulent simplement une “autre nation” et surtout une autre armée. Leur but est de multiplier les scandales pour forcer les Allemands à réfléchir, à abandonner toutes postures figées. Dans ce sens, et pour revenir à Moeller van den Bruck, qui vit au beau milieu de cette effervescence, inégalée en Europe jusqu’ici, ces cabarets sont des instances de la “transition”, vers un Reich (ou une Cité) plus “jeune”, neuf, ouvert en permanence et volontairement à toutes les innovations ravigorantes.

L’époque berlinoise de Moeller van den Bruck a duré six ans, de 1896 à 1902. Dans ces cercles, il circule en affichant le style du dandy, sans doute inspiré par Barbey d’Aurevilly. Moeller est quasi toujours vêtu d’un long manteau de cuir, coiffé d’un haut-de-forme gris, l’oeil cerclé par un monocle. Il parle un langage simple mais châtié, sans doute pour compenser son absence de formation post-secondaire. Il est un digne et quiet héritier de Brummell. En 1902, sa femme Hedda est enceinte. La fortune héritée du grand-père van den Bruck est épuisée. Il abandonne sa femme, qui se remariera avec un certain Herbert Eulenberg, appartenant à une famille qui sera radicalement anti-nazie. Elle continuera à traduire des oeuvres littéraires françaises et anglaises jusqu’en 1936, quand le pouvoir en place lui interdira toute publication.

Arrivée à Paris

Moeller van den Bruck quitte donc l’Allemagne pour Paris où il arrive fin 1902. On dit parfois qu’il a cherché à échapper au service militaire: les patriotes, en effet, ne sont pas tous militaristes dans l’Allemagne wilhelminienne et Moeller n’a pas encore vraiment pris conscience de sa germanité, comme nous allons le voir. Les patriotes non militaristes reprochent à l’Empereur Guillaume II de fabriquer un “militarisme de façade”, encadré par des officiers caricaturaux et souvent incompétents, parce qu’il a fallu recruter des cadres dans des strates de la population qui n’ont pas la vraie fibre militaire et compensent cette lacune par un autoritarisme ridicule. C’est ainsi que Wedekind dénonçait le militarisme wilhelminien sur les planches du cabaret “Die Elf Scharfrichter”. Son anti-militarisme n’est donc pas un anti-militarisme de fond mais une volonté de mettre sur pied une armée plus jeune, plus percutante.

Dès son arrivée dans la capitale française, une idée le travaille: il l’a puisée dans sa lecture des oeuvres de Jakob Burckhardt. On ne peut pas être simultanément une grande culture comme l’Allemagne et peser d’un grand poids politique sur l’échiquier planétaire comme la Grande-Bretagne ou la France. Pour Moeller, lecteur de Burckhardt, il y a contradiction entre élévation culturelle et puissance politique: nous avons là l’éclosion d’une thématique récurrente dans les débats germano-allemands sur la germanité et l’essence de l’Allemagne; elle sera analysée, dans une perspective particulièrement originale par Christoph Steding en 1934: celui-ci fustigera l’envahissement de la culture allemande par tout un fatras “impolitique” et esthétisant, importé de Scandinavie, de Hollande et de Suisse. En ce sens, Steding dépasse complètement Moeller van den Bruck, encore lié à cette culture qu’il juge “impolitique”; toutefois, c’est au sein de cette culture impolitique qu’ont baigné ceux qui, après 1918, ont voulu oeuvrer à la restauration “impériale”. Le primat du culturel sur le politique sera également moqué dans un dessin de Paul A. Weber montrant un intellectuel binoclard, malingre et macrocéphale, jetant avec rage des livres de philo contre un tank britannique (de type Mk. I) qui défonce un mur et fait irruption dans sa bibliothèque; le chétif intello “mitteleuropéen” hurle: “Je vous pulvérise tous par la puissance de mes pensées!”.

Récemment, en 2010, Peter Watson, journaliste, historien, attaché à l’Université d’Oxford, campe l’envol vertigineux de la pensée et des sciences allemandes au 19ème siècle comme une “troisième renaissance” et comme une “seconde révolution scientifique”, dans un ouvrage qui connaîtra un formidable succès en Angleterre et aux Etats-Unis, malgré ses 964 pages en petits caractères (cf. “The German Genius – Europe’s Third Renaissance, the Second Scientific Revolution and the Twentieth Century”, Simon & Schuster, London/New York, 2010). Ce gros livre est destiné à bannir la germanophobie stérile qui a frappé, pendant de longues décennies, la pensée occidentale; il réhabilite la “Kultur” que l’on avait méchamment moquée depuis août 1914 mais cherche tout de même, subrepticement, à maintenir la germanité contemporaine dans un espace mental impolitique. La culture germanique depuis le début du 19ème, c’est fantastique, démontre Watson, mais il ne faut pas lui donner une épaisseur et une vigueur politiques: celles-ci ne peuvent être que de dangereux ou navrants dérapages. Watson évoque Moeller van den Bruck (pp. 616-618). L’interrogation de Moeller van den Bruck demeure dont d’actualité: on tente encore et toujours d’appréhender et de définir les contradictions existantes entre la grandeur culturelle de l’Allemagne et son nanisme politique sur l’échiquier européen ou mondial, entre l’absence de profondeur intellectuelle et de musicalité de la France républicaine et du monde anglo-saxon et leur puissance politique sur la planète.

Moeller van den Bruck découvre la pensée russe à Paris

Les quatre années parisiennes de Moeller van den Bruck ne vont pas renforcer la part française de sa pensée, acquise à Berlin lors de ses travaux de traduction réalisés avec le précieux concours d’Hedda Maase. A Paris —où il retrouve Dauthendey et le peintre norvégien Munch à la “Closerie des Lilas”— c’est la part russe de son futur univers mental qu’il va acquérir. Il y rencontre deux soeurs, Lucie et Less Kaerrick, des Allemandes de la Baltique, sujettes du Tsar. Lucie deviendra rapidement sa deuxième épouse. Le couple va s’atteler à la traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski (vingt tomes publiés à Munich chez Piper entre le séjour parisien et le déclenchement de la première guerre mondiale). Pour chaque volume, Moeller rédige une introduction, qui disparaîtra des éditions postérieures à 1950. Ces textes, longtemps peu accessibles, figurent toutefois tous sur la grande toile et sont désormais consultables par tout un chacun, permettant de connaître à fond l’apport russe au futur “Jungkonservativismus”, à la “révolution conservatrice” et à l’“Ostideologie” des cercles russophiles nationaux-bolcheviques et prussiens-conservateurs. Moeller est donc celui qui crée l’engouement pour Dostoïevski en Allemagne. L’immersion profonde dans l’oeuvre du grand écrivain russe, qu’il s’inflige, fait de lui un russophile profond qui transmettra sa fascination personnelle à tout le mouvement conservateur-révolutionnaire, “jungkonservativ”, après 1918.

L’anti-occidentalisme politique et géopolitique, qui transparaît en toute limpidité dans le “Journal d’un écrivain” de Dostoïevski, a eu un impact déterminant dans la formation et la maturation de la pensée de Moeller van den Bruck. En effet, ce “Journal” récapitule, entre bien d’autres choses, l’anthropologie de Dostoïevski et énumère les tares des politiques occidentales. L’anthropologie dostoïevskienne dénonce l’avènement d’un homme se voulant “nouveau”, un homme sans ancêtres qui se promet beaucoup d’enfants: un homme qui a coupé le cordon invisible qui le liait charnellement à sa lignée mais veut se multiplier, se cloner à l’infini dans le futur. Cet homme, auto-épuré de toutes les insuffisances qu’il aurait véhiculées depuis toujours par le biais de son corps créé par Dame Nature, s’enfermera bien vite dans un petit monde clos, dans des “clôtures” et finira par répéter une sorte de catéchisme positiviste, pseudo-scientifique, intellectuel, sec, mécanique, qui n’explique rien. Il ne vivra donc plus de “transitions”, de périodes où l’on innove sans trahir le fonds, puisqu’il n’y aura plus de fonds et qu’il n’y aura plus besoin d’innovations, tout ayant été inventé. Nous avons là l’équivalent russe du dernier homme de Nietzsche, qui affirme ses platitudes “en clignant de l’oeil”. L’avènement de cet “homunculus” est déjà, à l’époque de Dostoïevski, bien perceptible dans le vieil Occident, chez les peuples vieillissants. Et la politique de ces Etats vieillis empêche la vigoureuse vitalité slave (surtout serbe et bulgare) de vider “l’homme malade du Bosphore” (c’est-à-dire l’Empire ottoman) de son lit balkanique, et surtout de la Thrace des Détroits. L’Occident est resté “neutre” dans le conflit suscité par la révolte serbe et bulgare (1877-78), trahissant ainsi la “civilisation chrétienne”, face à son vieil ennemi ottoman, et ne s’est manifesté, intéressé et avide, que pour s’emparer des meilleures dépouilles turques, disponibles parce que les peuples jeunes des Balkans avaient versé leur sang généreux. Phrases qu’on peut considérer comme prémonitoires quand on les lit après les événements de l’ex-Yougoslavie, surtout ceux de 1999...

Rencontre avec Dmitri Merejkovski et Zinaïda Hippius

mvb8.jpgMoeller refuse donc l’avènement des “homunculi” et apprend, chez Dostoïevski, à respecter l’effervescence des révoltes de peuples encore jeunes, encore capables de sortir des “clôtures” où on cherche à les enfermer. Mais un autre écrivain russe, oublié dans une large mesure mais toujours accessible aujourd’hui, en langue française, grâce aux efforts de l’éditeur suisse “L’Age d’Homme”, aura une influence déterminante sur Moeller van den Bruck: Dmitri Merejkovski. Cet écrivain habitait Paris, lors du séjour de Moeller van den Bruck dans la capitale française, avec son épouse Zinaïda Hippius (ou “Gippius”). L’objectif de Merejkovski était de rénover la pensée orthodoxe tout en maintenant le rôle central de la religion en Russie: rénover la religion ne signifiait pas pour lui l’abolir. Merejkovski était lié au mouvement des “chercheurs de Dieu”, les “Bogoïskateli”. Il éditait une revue, “Novi Pout” (= “La Nouvelle Voie”), où notre auteur envisageait, conjointement au poète Rozanov, de réhabiliter totalement la chair, de réconcilier la chair et l’esprit: idée qui se retrouvait dans l’air du temps avec des auteurs comme Lemonnier ou Dehmel et, plus tard, D. H. Lawrence. Par sa volonté de rénovation religieuse, Merejkovski s’opposait au théologien sourcilleux du Saint-Synode, le “vieillard jaunâtre” Pobedonostsev, intégriste orthodoxe ne tolérant aucune déviance, aussi minime soit-elle, par rapport aux canons qu’il avait énoncés dans le but de voir régner une “paix religieuse” en Russie, une paix hélas figeante, mortifère, sclérosant totalement les élans de la foi. Comme le faisait en Allemagne, dans le sillage de tout un éventail d’auteurs en vue, l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna depuis 1896, Merejkovski recherche, dans le monde russe cette fois, de nouvelles formes religieuses. Il rend visite à des sectes, ce qui alarme les services de Pobedonostsev, liés à la police politique tsariste. Son but? Réaliser les prophéties de l’abbé cistercien calabrais Joachim de Flore (1130-1202). Pour cet Italien du 12ème siècle, le “Troisième Testament” allait advenir, inaugurant le règne de l’Esprit Saint dans le monde, après le “Règne du Père” et le “Règne du Fils”. Cette volonté de participer à l’avènement du “Troisième Testament” conduit Merejkovski à énoncer une vision politique, jugée révolutionnaire dans la première décennie du 20ème siècle: Pierre le Grand, fondateur de la dynastie des Romanov, est une figure antéchristique car il a ouvert la Russie aux vices de l’Occident, l’empêchant du même coup d’incarner à terme dans le réel ce “Troisième Testament”, que sa spiritualité innée était à même de réaliser. En émettant cette critique hostile à la dynastie, Merejkovski se pose tout à la fois comme révolutionnaire dans le contexte de 1905 et comme “archi-conservateur” puisqu’il veut un retour à la Russie d’avant les Romanov, une contestation qui, aujourd’hui encore, brandit le drapeau noir-blanc-or des ultra-monarchistes qui considèrent la Russie, même celle de Poutine avec son drapeau bleu-rouge-blanc, comme une aberration occidentalisée. En 1905 donc, la Russie qui s’est alignée sur l’Occident depuis Pierre le Grand subit la punition de Dieu: elle perd la guerre qui l’oppose au Japon. L’armée, qui tire dans le tas contre les protestataires emmenés par le Pope Gapone, est donc l’instrument des forces antéchristiques. Le Tsar étant, dans un tel contexte, lui aussi, une figure avancée par l’Antéchrist. La monarchie des Romanov est posée par Merejkovski comme d’essence non chrétienne et non russe. Mais en cette même année 1905, Merejkovski sort un ouvrage très important, intitulé “L’advenance de Cham” ou, en français, “L’avènement du Roi-Mufle”.

L’advenance de Cham

Cham est le fils de Noé (Noah) qui s’est moqué de son père (de son ancêtre direct); à ce titre, il est une figure négative de la Bible, le symbole d’une humanité déchue en canaille, qui rompt délibérément le pacte intergénérationnel, brise la continuité qu’instaure la filiation. C’est cette figure négative, comparable à l’“homme sans ancêtres” de l’anthropologie dostoïevskienne, qui adviendra dans le futur, qui triomphera. Le Cham de Merejkovski est un cousin, un frère, une figure parallèle à cet “homunculus” de Dostoïevski. Dans “L’advenance de Cham”, Merejkovski développe une vision apocalyptique de l’histoire, articulée en trois volets. Il y a eu un passé déterminé par une église orthodoxe figée, celle de Pobedonostsev qui a abruti les hommes, en les enfermant dans des corsets confessionnels trop étriqués, jugulant les élans créateurs et bousculants de la foi et, eux seuls, peuvent réaliser le “Troisième Testament”. Il y a un présent où se déploie une bureaucratie d’Etat, dévoyant la fonction monarchique, la rendant imparfaite et lui inoculant des miasmes délétères, tout en conservant comme des reliques dévitalisées et le Saint-Synode et la monarchie. Il y aura un futur, où ce bureaucratisme se figera et donnera lieu à la révolte de la lie de la société, qui imposera par la violence la “tyrannie de Cham”, véritable cacocratie, difficile à combattre tant elle aura installé des “clôtures” dans le cerveau même des hommes. Merejkovski se veut alors prophète: quand Cham aura triomphé, l’Eglise sera détruite, la monarchie aussi et l’Etat, système abstrait et contraignant, se sera consolidé, devenant un appareil inamovible, lourd, inébranlable. Et l’âme russe dans ce processus? Merejkovski laisse la question ouverte: constituera-t-elle un môle de résistance? Sera-t-elle noyée dans le processus? Interrogations que Soljénitsyne reprendra à son compte pendant son long exil américain.

Itinéraire de Merejkovski

En 1914, Merejkovski se déclare pacifiste, sans doute ne veut-il ni faire alliance avec les vieilles nations occidentales, ennemies de la Russie au 19ème siècle et qui se servent désormais de la chair à canon russe pour broyer leur concurrent allemand, ni avec une Allemagne wilhelminienne qui, elle aussi, ne correspond plus à aucun critère traditionnel d’excellence politique. En 1917, quand éclate la révolution à Saint-Pétersbourg, Merejkovski se proclame immédiatement anti-communiste: les soulèvements menchevik et bolchevique sont pour lui les signes de l’avènement de Cham. Ils créeront le “narod-zver”, le peuple-Bête, serviteur de la Bête de l’Apocalypse. Ces révolutions, ajoute-t-il, “feront disparaître les visages”, uniformiseront les expressions faciales; le peuple ne sera plus que de la “viande chinoise”, le terme “chinois” désignant dans la littérature russe de 1890 à 1920 l’état de dépersonnalisation totale, auquel on aboutit sous la férule d’une bureaucratie omni-contrôlante, d’un mandarinat à la chinoise et d’un despotisme fonctionnarisé, étranger aux tréfonds de l’âme européenne et du personnalisme inhérent au message chrétien (dans l’aire culturelle germanophone, le processus de “dé-facialisation” de l’humanité sera dénoncé et décrit par Rudolf Kassner, sur base d’éléments préalablement trouvés dans l’oeuvre du “sioniste nietzschéen” Max Nordau). En 1920, Merejkovski appelle les Russes anti-communistes à se joindre à l’armée polonaise pour lutter contre les armées de Trotski et de Boudiénny. Fin juin 1941, il prononce un discours à la radio allemande pour appeler les Russes blancs à libérer leur patrie en compagnie des armées du Reich. Il meurt à Paris avant l’arrivée des armées anglo-saxonnes, échappant ainsi à l’épuration. Son épouse, éplorée, entame, nuit et jour, la rédaction d’une biographie intellectuelle de son mari: elle meurt épuisée en 1946 avant de l’avoir achevée. Ce travail demeure néanmoins la principale source pour connaître l’itinéraire exceptionnel de Merejkovski.

Traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski, fréquentation de Dmitri Merejkovski: voilà l’essentiel des années parisiennes de Moeller van den Bruck. Les années berlinoises (1896-1902) avaient été essentiellement littéraires et artistiques. Moeller recherchait des formes nouvelles, un “art nouveau” (qui n’était pas nécessairement le “Jugendstil”), adapté à l’ère de la production industrielle, exprimant l’effervescence vitale des “villes tentaculaires” (Verhaeren). De même, il s’était profondément intéressé aux formes nouvelles qu’adoptait la littérature de la Belle Epoque. A Paris, il prend conscience de sa germanité, tout en devenant russophile et anti-occidentaliste. Il constate que les Français sont un peuple tendu vers la politique, tandis que les Allemands n’ont pas de projet commun et pensent les matières politiques dans la dispersion la plus complète. Les Français sont tous mobilisés par l’idée de revanche, de récupérer deux provinces constitutives du défunt “Saint-Empire”, qui, depuis Louis XIV, servent de glacis à leurs armées pour contrôler tout le cours du Rhin et tenir ainsi tout l’ensemble territorial germanique à leur merci. Barrès, pourtant frotté de culture germanique et wagnérienne, incarne dans son oeuvre, ses discours et ses injonctions, cette tension vers la ligne bleue des Vosges et vers le Rhin. Rien de pareil en Allemagne, où, sur le plan politique, ne règne que le désordre dans les têtes. Les premiers soubresauts de la crise marocaine (de 1905 à 1911) confirment, eux aussi, la politisation virulente des Français et l’insouciance géopolitique des Allemands.

“Die Deutschen”: huit volumes

Moeller tente de pallier cette lacune dangereuse qu’il repère dans l’esprit allemand de son époque. En plusieurs volumes, il campe des portraits d’Allemands (“Die Deutschen”) qui, à ses yeux, ont donné de la cohérence et de l’épaisseur à la germanité. De chacun de ces portraits se dégage une idée directrice, qu’il convient de ramener à la surface, à une époque de dispersion et de confusion politiques. L’ouvrage “Die Deutschen”, en huit volumes, parait de 1904 à 1910. Il constitue l’entrée progressive de Moeller van den Bruck dans l’univers de la “germanité germanisante” et du nationalisme, qu’il n’avait quasi pas connu auparavant —von Liliencron et Dehmel ayant eu, malgré leur nationalisme diffus, des préoccupations bien différentes de celles de la politique. Ce nationalisme nouveau, esquissé par Moeller en filigrane dans “Die Deutschen”, ne dérive nullement des formes diverses de ce pré-nationalisme officiel et dominant de l’ère wilhelminienne dont les ingrédients majeurs sont, sur fond du pouvoir personnalisé de l’Empereur Guillaume II, la politique navale, le mouvement agrarien radical (souvent particulariste et régional), l’antisémitisme naissant, etc. Le mouvement populaire agrarien oscillait —l’ “oscillation” chère à Jean-Pierre Faye, auteur du gros ouvrage “Les langages totalitaires”— entre le Zentrum catholique, la sociale-démocratie, la gauche plus radicale ou le parti national-libéral d’inspiration bismarckienne. Les expressions diverses du nationalisme (agrarien ou autre) de l’ère wilhelminienne n’avaient pas de lieu fixe et spécifique dans le spectre politique: ils “voyageaient” transversalement, pérégrinaient dans toutes les familles politiques, si bien que chacune d’elles avait son propre “nationalisme”, opposé à celui des autres, sa propre vision d’un futur optimal de la nation.

Les transformations rapides de la société allemande sous les effets de l’industrialisation généralisée entraînent la mobilisation politique de strates autrefois quiètes, dépolitisées, notamment les petits paysans indépendants ou inféodés à de gros propriétaires terriens (en Prusse): ils se rassemblent au sein du “Bund der Landwirte”, qui oscille surtout entre les nationaux-libéraux prussiens et le Zentrum (dans les régions catholiques). Cette mobilisation de l’élément paysan de base, populaire et révolutionnaire, fait éclater le vieux conservatisme et ses structures politiques, traditionnellement centrées autour des vieux pouvoirs réels ou diffus de l’aristocratie terrienne. Le vieux conservatisme, pour survivre politiquement, se mue en d’autres choses que la simple “conservation” d’acquis anciens, que la simple défense des intérêts des grands propriétaires aristocratiques, et fusionne lentement, dans un bouillonnement confus et contradictoire s’étalant sur deux bonnes décennies avant 1914, avec des éléments divers qui donneront, après 1918, les nouvelles et diverses formes de nationalisme plus militant, s’exprimant cette fois sans le moindre détour. Le but est, comme dans d’autres pays, d’obtenir, en bout de course, une harmonie sociale nouvelle et régénérante, au nom de théories organiques et “intégrationnistes”. Cette tendance générale —cette pratique moderne et populaire d’agitation— doit faire appel à la mobilisation des masses, critère démocratique par excellence puisqu’il présuppose la généralisation du suffrage universel. C’est donc ce dernier qui fait éclore le nationalisme de masse, qui, de ce fait, est bien —du moins au départ— de nature démocratique, démocratie ne signifiant a priori ni libéralisme ni permissivité libérale et festiviste.

Bouillonnement socio-politique

Moeller van den Bruck demeure éloigné de cette agitation politique —il critique tous les engagements politiques, dans quelque parti que ce soit et ne ménage pas ses sarcasmes sur les pompes ridicules de l’Empereur, “homme sans goût”— mais n’en est pas moins un homme de cette transition générale et désordonnée, encore peu étudiée dans les innombrables avatars qu’elle a produits pendant les deux décennies qui ont précédé 1914. Ce n’est pas dans les comités revendicateurs de la population rurale —ou de la population anciennement rurale entassée dans les nouveaux quartiers insalubres des villes surpeuplées— que Moeller opère sa transition personnelle mais dans le monde culturel, littéraire: il est bien un “Literatentyp”, un “littérateur”, apparemment éloigné de tout pragmatisme politique. Mais le bouillonnement socio-politique, où tentaient de fusionner éléments de gauche et de droite, cherchait un ensemble de thématiques “intégrantes”: il les trouvera dans les multiples définitions qui ont été données de l’“Allemand”, du “Germain”, entre 1880 et 1914. De l’idée mobilisatrice de communisme primitif, germanique ou celtique, évoquée par Engels à l’exaltation de la fraternité inter-allemande dans le combat contre les deux Napoléon (en 1813 et en 1870), il y a un dénominateur commun: un “germanisme” qui se diffuse dans tout le spectre politique; c’est le germanisme des théoriciens politiques (marxistes compris), des philologues et des poètes qui réclament un retour à des structures sociales jugées plus justes et plus équitables, plus conformes à l’essence d’une germanité, que l’on définit avec exaltation en disant sans cesse qu’elle a été oblitérée, occultée, refoulée. Moeller van den Bruck, avec “Die Deutschen”, va tenter une sorte de retour à ce refoulé, de retrouver des modèles, des pistes, des attitudes intérieures qu’il faudra raviver pour façonner un futur européen radieux et dominé par une culture allemande libertaire et non autoritaire, telle qu’elle se manifestait dans un local comme “Zum schwarzen Ferkel”. Toutefois, Moeller soulignera aussi les échecs à éviter dans l’avenir, ceux des “verirrten Deutschen”, des “Allemands égarés”, pour lesquels il garde tout de même un faible, parce qu’ils sont des littérateurs comme lui, tout en démontrant qu’ils ont failli malgré la beauté poignante de leurs oeuvres, qu’ils n’ont pu surmonter le désordre intrinsèque d’une certaine âme allemande et qu’ils ne pourront donc transmettre à l’homme nouveau des “villes tentaculaires” —détaché de tous liens fécondants— cette unité intérieure, cette force liante qui s’estompent sous les coups de l’économisme, de la bureaucratie et de la modernité industrielle, camouflés gauchement par les pompes impériales (le parallèle avec la sociologie de Georg Simmel et avec certains aspects de la pensée de Max Weber est évident ici).

Le voyage en Italie

Après ses quatre années parisiennes, Moeller quitte la France pour l’Italie, où il rencontre le poète Theodor Däubler et lui trouve un éditeur pour son poème de 30.000 vers, “Nordlicht” qui fascinera Carl Schmitt. Il se lie aussi au sculpteur expressionniste Ernst Barlach, qui s’était inspiré du paysannat russe pour parfaire ses oeuvres. Ce sculpteur sera boycotté plus tard par les nationaux-socialistes, en dépit de thématiques “folcistes” qui n’auraient pas dû les effaroucher. Ces deux rencontres lors du voyage en Italie méritent à elles seules une étude. Bornons-nous, ici, à commenter l’impact de ce voyage sur la pensée politique et métapolitique de Moeller van den Bruck. Dans un ouvrage, qui paraîtra à Munich, rehaussé d’illustrations superbes, et qui aura pour titre “Die italienische Schönheit”, Moeller brosse une histoire de l’art italien depuis les Etrusques jusqu’à la Renaissance. Ce n’est ni l’art de Rome ni les critères de Vitruve qui emballent Moeller lors de son séjour en Italie mais l’architecture spécifique de la Ravenne de Théodoric, le roi ostrogoth. Cette architecture, assez “dorienne” dans ses aspects extérieurs, est, pour Moeller, l’“expression vitale d’un peuple”, le “reflet d’un espace particulier”, soit les deux piliers —la populité et la spatialité— sur lesquels doit reposer un art réussi. Plus tard, en réhabilitant le classicisme prussien, Moeller renouera avec un certain art romain, vitruvien dans l’interprétation très classique des Gilly, Schinckel, etc. En 1908, il retourne en Allemagne et se présente au “conseil de révision” pour se faire incorporer dans l’armée. Il effectuera un bref service à Küstrin mais sera rapidement exempté, vu sa santé fragile. Il se fixe ensuite à Berlin mais multiplie les voyages jusqu’en 1914: Londres, Paris, l’Italie (dont plusieurs mois en Sicile), Vienne, les Pays Baltes, la Russie et la Finlande. En 1914, avant que n’éclate la guerre, il est au Danemark et en Suède.

Style prussien et “Deutscher Werkbund”

 

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mvb16.jpgQuand la Grande Guerre se déclenche, Moeller est en train de rédiger “Der preussische Stil”, retour à l’architecture des Gilly, Schinckel et von Klenze mais aussi réflexions générales sur la germanité qui, pour trouver cette unité intérieure recherchée tout au long des huit volumes de “Die Deutschen”, doit opérer un retour à l’austérité dorienne du classicisme prussien et abandonner certaines fantaisies ou ornements prisés lors des décennies précédentes: même constat chez l’ensemble des architectes, qui abandonnent la luxuriance du Jugendstil pour une “Sachlichkeit” plus sobre. La réhabilitation du “style prussien” implique aussi l’abandon de ses anciennes postures de dandy, une exaltation des vertus familiales prussiennes, de la sobriété, de la “Kargheit”, etc. Le livre “Der preussische Stil” sera achevé pendant la guerre, sous l’uniforme. Il s’inscrit dans la volonté de promouvoir des formes nouvelles, tout en gardant un certain style et un certain classicisme, bref de lancer l’idée d’un modernisme anti-moderne (Volker Weiss). Moeller s’intéresse dès lors aux travaux d’architecture et d’urbanisme de Peter Behrens (1868-1940; photo), un homme de sa génération. Behrens est le précurseur de la “sachliche Architektur”, de l’architecture objective, réaliste. Il est aussi, pour une large part, le père du “design” moderne. Pas un objet contemporain n’échappe à son influence. Behrens donne un style épuré et sobre aux objets nouveaux, exigeant des formes nouvelles, qui meublent désormais les habitations dans les sociétés hautement industrialisées, y compris celles des foyers les plus modestes, auparavant sourds à toute esthétique (cf. H. van de Velde).

Mvb11.jpgLe style préconisé par Behrens, pour les objets nouveaux, n’est pas chargé, floral ou végétal, comme le voulait l’Art Nouveau (Jugendstil) mais très dénué d’ornements, un peu à la manière futuriste, le groupe futuriste italien autour de Marinetti ayant appelé, avec virulence, à rejeter toutes les ornementations inutiles prisées par l’académisme dominant. On trouve encore dans nos magasins, aujourd’hui, bon nombre de théières, de couverts, de téléphones, d’horloges ou de pièces de vaisselle qui proviennent en droite ligne des ateliers de Behrens, avec très peu de changements. Le mouvement d’art et de design, lancé par Behrens, s’organise au sein du “Deutscher Werkbund”, où oeuvrent également des célébrités comme Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe ou Le Corbusier. Le “Werkbund” travaille pour l’AEG (“Allgemeine Elektrische Gesellschaft”), qui produit des lampes, des appareils électro-ménagers à diffuser dans un public de plus en plus vaste. Le “Werkbund” préconise par ailleurs une architecture monumentale, dont les fleurons seront des usines, des écoles, des ministères et l’ambassade allemande à Saint-Pétersbourg. Pour Moeller, Behrens trouve le style qui convient à l’époque: le lien est encore évident avec le classicisme prussien, il n’y a pas rupture traumatisante, mais le résultat final est “autre chose”, ce n’est pas une répétition pure et simple.

Henry van de Velde

Après 1918, la recherche d’un style bien particulier, d’une architecture majestueuse, monumentale et prestigieuse n’est, hélas, plus de mise: il faut bâtir moins cher et plus vite, l’art spécifique du “Deutscher Werkbund” glisse rapidement vers la “Neue Sachlichkeit”, où excelleront des architectes comme Gropius et Mies van der Rohe. L’évolution de l’architecture allemande est typique de cette époque qui part de l’Art Nouveau (Jugendstil), avec ses ornements et ses courbes, pour évoluer vers un abandon progressif de ces ornements et se rapprocher de l’austérité vitruvienne du classicisme prussien du début du 19ème, sans toutefois aller aussi loin que la “neue Sachlichkeit” des années 20 dans le rejet de toute ornementation. L’architecte Paul Schulze-Naumburg , qui adhèrera au national-socialisme, polémique contre la “Neue Sachlichkeit” en l’accusant de verser dans la “Formlosigkeit”, dans l’absence de toute forme. Dans cette effervescence, on retrouve l’oeuvre de Henry van de Velde (1863-1957), partie, elle aussi, du pré-raphaëlisme anglais, des idées de John Ruskin (dont Hedda Maase avait traduit les livres), de William Morris, etc. Fortement influencé par sa lecture de Nietzsche, van de Velde tente de traduire la volonté esthétisante et rénovatrice du penseur de Sils-Maria en participant aux travaux du Werkbund, notamment dans les ateliers de “design” et dans la “colonie des artistes” de Darmstadt, avant 1914. Revenu en Belgique peu avant la seconde guerre mondiale, il accepte de travailler au sein d’une commission pour la restauration du patrimoine architectural bruxellois pendant les années de la deuxième occupation allemande: il tombe en disgrâce suite aux cabales de collègues jaloux et médiocres qui saccageront la ville dans les années 50 et 60, tant et si bien qu’on parlera de “bruxellisation” dans le jargon des architectes pour désigner la destruction inconsidérée d’un patrimoine urbanistique. Le procès concocté contre lui n’aboutit à rien, mais van de Velde, meurtri et furieux, quitte le pays définitivement, se retire en Suisse où il meurt en 1957.

Les figures de Peter Behrens, Henry van de Velde et Paul Schulze-Naumburg méritent d’être évoquées, et situées dans le contexte de leur époque, pour montrer que les thèmes de l’architecture, de l’urbanisme et des formes du “design” participent, chez Moeller van den Bruck, à l’élaboration du “style” jungkonservativ qu’il contribuera à forger. Ce style n’est pas marginal, n’est pas l’invention de quelques individus isolés ou de petites phalanges virulentes et réduites mais constitue bel et bien une synthèse concise des innovations les plus insignes des trois premières décennies du 20ème siècle. La quête de Moeller van den Bruck est une quête de formes et de style, de forme pour un peuple enfin devenu conscient de sa force politique potentielle, équivalente en grandeur à ses capacités culturelles, pour un peuple devenu enfin capable de bâtir un “Troisième Règne” de l’esprit, au sens où l’entendait le filon philosophique, théologique et téléologique partant de Joachim de Flore pour aboutir à Dmitri Merejkovski.

La guerre au “Département de propagande”

Pendant que Moeller rédigeait la première partie de “Der preussische Stil”, l’Allemagne et l’Europe s’enfoncent dans la guerre immobile des tranchées. Le réserviste Moeller est mobilisé dans le “Landsturm”, à 38 ans, vu sa santé fragile, la réserve n’accueillant les hommes pleinement valides qu’à partir de 39 ans. Il est affecté au Ministère de la guerre, dans le département de la propagande et de l’information, l’“Auslandsabteilung”, ou le “MAA” (“Militärische Stelle des Auswärtigen Amtes”), tous deux chargés de contrer la propagande alliée. En ce domaine, les Allemands se débrouillent d’ailleurs très mal: ils publient à l’intention des neutres, Néerlandais, Suisses et Scandinaves, de gros pavés bien charpentés sur le plan intellectuel mais illisibles pour le commun des mortels: à l’ère des masses, cela s’appelle tout bonnement rater le coche. Cette propagande n’a donc aucun impact. Dans ce département, Moeller rencontre Max Hildebert Boehm, Waldemar Bonsels, Herbert Eulenberg (le nouveau mari de sa première femme), Hans Grimm, Friedrich Gundolf et Börries von Münchhausen. Tous ces hommes constitueront la base active qui militera après guerre, dans une Allemagne vaincue, celle de la République de Weimar, pour restaurer l’autonomie du politique et la souveraineté du pays.

Dans le double cadre de l’“Auslandsabteilung” et du MAA, Moeller rédige “Belgier und Balten” (= “Des Belges et des Baltes”), un appel aux habitants de Belgique et des Pays Baltes à se joindre à une vaste communauté économique et culturelle, dont le centre géographique serait l’Allemagne. Il amorce aussi la rédaction de “Das Recht der jungen Völker” (= “Le droit des peuples jeunes”), qui ne paraîtra qu’après l’armistice de novembre 1918. Le terme “jeune” désigne ici la force vitale, dont bénéficient encore ces peuples, et la “proximité du chaos”, un chaos originel encore récent dans leur histoire, un chaos bouillonnant qui sous-tend leur identité et duquel ils puisent une énergie dont ne disposent plus les peuples vieillis et éloignés de ce chaos. Pour Moeller, ces peuples jeunes sont les Japonais, les Allemands (à condition qu’ils soient “prussianisés”), les Russes, les Italiens, les Bulgares, les Finlandais et les Américains. “Das Recht der jungen Völker” se voulait le pendant allemand des Quatorze Points du président américain Woodrow Wilson. Le programme de ce dernier est arrivé avant la réponse de Moeller qui, du coup, n’apparait que comme une réponse tardive, et même tard-venue, aux Quatorze Points. Moeller prend Wilson au mot: ce dernier prétend n’avoir rien contre l’Allemagne, rien contre aucun peuple en tant que peuple, n’énoncer qu’un programme de paix durable mais tolère —contradiction!— la mutilation du territoire allemand (et de la partie germanique de l’empire austro-hongrois). Les Allemands d’Alsace, de Lorraine thioise, des Sudètes et de l’Egerland, de la Haute-Silésie et des cantons d’Eupen-Malmédy n’ont plus le droit, pourtant préconisé par Wilson, de vivre dans un Etat ne comprenant que des citoyens de même nationalité qu’eux, et doivent accepter une existence aléatoire de minoritaires au sein d’Etats quantitativement tchèque, français, polonais ou belge. Ensuite, Wilson, champion des “droits de l’homme” ante litteram, ne souffle mot sur le blocus que la marine britannique impose à l’Allemagne, provoquant la mort de près d’un million d’enfants dans les deux ou trois années qui ont suivi la guerre.

La transition “jungkonservative”

L’engagement politique “jeune-conservateur” est donc la continuation du travail patriotique et nationaliste amorcé pendant la guerre, en service commandé. Pour Moeller, cette donne nouvelle constitue une rupture avec le monde purement littéraire qu’il avait fréquenté jusqu’alors. Cependant l’attitude “jungkonservative”, dans ce qu’elle a de spécifique, dans ce qu’elle a de “jeune”, donc de dynamique et de vectrice de “transition”, est incompréhensible si l’on ne prend pas acte des étapes antérieures de son itinéraire de “littérateur” et de l’ambiance prospective de ces bohèmes littéraires berlinoises, munichoises ou parisiennes d’avant 1914. Le “Jungkonservativismus” politisé est un avatar épuré de la grande volonté de transformation qui a animé la Belle Epoque. Et cette grande volonté de transformation n’était nullement “autoritaire” (au sens où l’Ecole de Francfort entend ce terme depuis 1945), passéiste ou anti-démocratique. Ces accusations récurrentes, véritables ritournelles de la pensée dominante, ne proviennent pas d’une analyse factuelle de la situation mais découlent en droite ligne des “vérités de propagande” façonnées dans les officines françaises, anglaises ou américaines pendant la première guerre mondiale. L’Allemagne wilhelminienne, au contraire, était plus socialiste et plus avant-gardiste que les puissances occidentales, qui prétendent encore et toujours incarner seules la “démocratie” (depuis le paléolithique supérieur!). Les mésaventures judiciaires du cabaretier Wedekind, et la mansuétude relative des tribunaux chargés de le juger, pour crime de lèse-majesté ou pour offense aux bonnes moeurs, indique un degré de tolérance bien plus élevé que celui qui règnait aileurs en Europe à l’époque et que celui que nous connaissons aujourd’hui, où la liberté d’opinion est de plus en plus bafouée. Mieux, le sort des homosexuels, qui préoccupe tant certains de nos contemporains, était enviable dans l’Allemagne wilhelminienne, qui, contrairement à la plupart des “démocraties” occidentales, ne pratiquait, à leur égard, aucune forme d’intolérance. Cet état de choses explique notamment le tropisme germanophile d’un écrivain flamand (et homosexuel) de langue française, Georges Eeckoud, par ailleurs pourfendeur de la mentalité marchande d’Anvers, baptisée la “nouvelle Carthage”, pour les besoins de la polémique.

“Montagstische”, “Der Ring”

Les anciens du MAA et des autres bureaux de (mauvaise) contre-propagande allemande se réunissent, après novembre 1918, lors des “Montagstische”, des “tables du lundi”, rencontres informelles qui se systématiseront au sein d’un groupe nommé “Der Ring” (= “L’Anneau”), où l’on remarquait surtout la présence de Hans Grimm, futur auteur d’un livre à grand succès “Volk ohne Raum” (“Peuple sans espace”). Les initiatives post bellum vont se multiplier. Elles ont connu un précédent politique, la “Vereinigung für nationale und soziale Solidarität” (= “Association pour la solidarité nationale et sociale”), émanation des syndicats solidaristes chrétiens (surtout catholiques) plus ou moins inféodés au Zentrum. Le chef de file de ces “Solidarier” (“solidaristes”) est le Baron Heinrich von Gleichen-Russwurm (1882-1959), personnalité assez modérée à cette époque-là, qui souhaitait d’abord un modus vivendi avec les puissances occidentales, désir qui n’a pu se concrétiser, vu le blocus des ports de la Mer du Nord qu’ont imposé les Britanniques, pendant de longs mois après la cessation des hostilités. Heinrich von Gleichen-Russwurm réunit, au sein du “Ring”, une vingtaine de membres, tous éminents et désireux de sauver l’Allemagne du naufrage consécutif de la défaite militaire. Parmi eux, l’Alsacien Eduard Stadtler et le géopolitologue Adolf Grabowski (qui restera actif longtemps, même après la seconde guerre mondiale).

Eduard Stadtler

mvb9.jpgL’objectif est de penser un “nouvel Etat”, une “nouvelle économie” et une “nouvelle communauté des peuples”, où le terme “nouveau” est équivalent à celui de “jeune”, proposé par Moeller. Ce cercle attire les révolutionnaires anti-bolchéviques, anti-libéraux et anti-parlementaires. D’autres associations proposent les mêmes buts mais c’est incontestablement le “Ring” qui exerce la plus grande influence sur l’opinion publique à ce moment précis. Sous l’impulsion d’Eduard Stadtler (1886-1945, disparu en captivité en Russie), se crée, en marge du “Ring”, la “Ligue anti-bolchevique”. Natif de Hagenau en Alsace, Eduard Stadtler est, au départ, un militant catholique du Zentrum. Il est, comme beaucoup d’Alsaciens, de double culture, française et allemande. Il est détenteur du “bac” français mais combat, pendant la Grande Guerre, dans les rangs de l’armée allemande, en tant que citoyen allemand. En 1917 et en 1918, il est prisonnier en Russie. Après la paix séparée de Brest-Litovsk, signée entre les Bolcheviques et le gouvernement impérial allemand, Stadtler dirige le bureau de presse du consulat allemand de Moscou. Il assiste à la bolchévisation de la Russie, expérience qui le conduit à honnir l’idéologie léniniste et ses pratiques. Revenu en Allemagne, il fonde la “Ligue anti-bolchevique” en décembre 1918 puis rompt début 1919 avec le Zentrum de Matthias Erzberger, qui sera assassiné plus tard par les Corps Francs. Il est un de ceux qui ordonnent l’exécution des deux leaders communistes allemands, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. La “Ligue” est financée par des industriels et la Banque Mankiewitz et reçoit l’appui du très influent diplomate Karl Helfferich (1872-1924), l’ennemi intime de Walther Rathenau. Stadtler est un orateur flamboyant, usant d’une langue suggestive et colorée, idéale pour véhiculer un discours démagogique. Entre 1919 et 1925, il participe activement au journal hebdomadaire des “Jungkonservativen”, “Das Gewissen” (= “Conscience”), auquel Moeller s’identifiera. Après 1925, la République de Weimar se consolide: le danger des extrémismes virulents s’estompe et la “Ligue anti-bolchevique” n’a plus vraiment raison d’être. Stadtler en tirera le bilan: “Les chefs [de cette ligue] n’étaient pas vraiment animés par un “daimon” et n’ont pu hisser de force l’esprit populaire, le tirer des torpeurs consécutives à l’effondrement allemand, pour l’amener au niveau incandescant de leurs propres volontés”. Stadtler rejoindra plus tard le Stahlhelm, fondera l’association “Langemarck” (structure paramilitaire destinée aux étudiants), sera membre de la DNVP conservatrice puis de la NSDAP; il participera aux activités de la maison d’édition Ullstein, après le départ de Koestler, quand celle-ci s’alignera sur le “renouveau national” mais Stadtler se heurtera, dans ce cadre, à la personnalité de Joseph Goebbels. Stadtler reste chrétien, fidèle à son engagement premier dans le Zentrum, fidèle aussi à son ancrage semi-rural alsacien, mais son christianisme est social-darwiniste, mâtiné par une lecture conjointe de Houston Stewart Chamberlain et des ouvrages du géopolitologue suédois Rudolf Kjellén, figure de proue des cercles germanophiles à Stockholm, et créateur de la géopolitique proprement dite, dont s’inspirera Karl Haushofer.

Du “Jungkonservativismus” au national-bolchevisme

Après le ressac de la “Ligue anti-bolchevique”, les “Jungkonservativen” se réunissent au sein du “Juni-Klub”. Dans le paysage politique allemand, le Zentrum est devenu un parti modéré (c’est pour cela que Stadtler le quitte en dénonçant le “modérantisme” délétère d’Erzberger). La gauche libérale et nationale de Naumann, théoricien de l’union économique “mitteleuropéenne” pendant la première guerre mondiale, ne se profile pas comme anti-parlementaire. Naumann veut des partis disciplinés sinon on aboutit, écrit-il à ses amis, à l’anarchie totale. Les “Jungkonservativen”, une fois le danger intérieur bolchevique éliminé en Allemagne, optent pour un “national-bolchevisme”, surtout après l’occupation de la Ruhr par les Français et l’exécution d’Albert-Leo Schlageter, coupable d’avoir commis des attentats en zone occupée. Le martyr de Schlageter provoque l’union nationale en Allemagne: nationalistes et communistes (avec Karl Radek) exaltent le sacrifice de l’officier et fustigent la “France criminelle”. Les “Jungkonservativen” glissent donc vers le “national-bolchevisme” et se rassemblent dans le cadre du “Juni-Klub”. Ce club est composé d’anciens “Solidarier” et de militants de diverses associations patriotiques et étudiantes, de fédérations d’anciens combattants. Max Hildebert Boehm y amène des Allemands des Pays Baltes, qui seront fort nombreux et y joueront un rôle de premier plan. Arthur Moeller van den Bruck y amène, lui, ses amis Conrad Ansorge, Franz Evers, Paul Fechter, Rudolf Pechel et Carl Ludwig Schleich. L’organisateur principal du club est von Gleichen. Le nom de l’association, “Juin”, vient du mois de juin 1919, quand le Traité de Versailles est signé. A partir de ce mois de juin 1919, les membres du club jurent de lutter contre tous les effets du Traité, du “Diktat”. Ils s’opposent au “November-Klub” des socialistes, qui se réfèrent au mois de la capitulation et de la proclamation de la république en 1918. Ce “Juni-Klub” n’a jamais publié de statuts ou énoncé des principes. Il a toujours gardé un caractère informel. Ses activités se bornaient, dans un premier temps, à des conversations à bâtons rompus.

Dictionnaire politique et revue “Gewissen”

La première initiative du “Juni-Klub” a été de publier un dictionnaire politique, tiré à 125.000 exemplaires. Les membres du club participent à la rédaction de l’hebdomadaire “Gewissen”, fondé le 9 avril 1919 par Werner Wirth, ancien officier combattant. Après la prise en charge de l’hebdomadaire par Eduard Stadtler, le tirage est de 30.000 exemplaires déclarés en 1922 (on pense qu’en réalité, il n’atteignait que les 4000 exemplaires vendus). La promotion de cette publication était assurée par la “Société des Amis de Gewissen”. Moeller van den Bruck, homme silencieux, piètre orateur et timide, prend sur ses épaules tout le travail de rédaction; la tâche est écrasante. Une équipe d’orateurs circule dans les cercles d’amis; parmi eux: Max Hildebert Boehm, le scientifique Albert Dietrich, le syndicaliste Emil Kloth, Hans Roeseler, Joachim Tiburtius et l’ancien communiste devenu membre du “Juni-Klub”, Fritz Weth. Le public qui assiste à ces conférences est vaste et élitaire mais provient de tous les horizons politiques de l’Allemagne de la défaite, socialistes compris. Un tel aréopage serait impossible à reconstituer aujourd’hui, vu l’intolérance instaurée partout par le “politiquement correct”. Reste une stratégie possible dans le contexte actuel: juxtaposer des textes venus d’horizons divers pour mettre en exergue les points communs entre personnalités appartenant à des groupes politiques différents et antagonistes mais dont les réflexions constituent toutes des critiques de fond du nouveau système globalitaire et du nouvel agencement du monde et de l’Europe, voulu par les Bush (père et fils), par Clinton et Obama, comme le nouvel ordre de la victoire avait été voulu en 1919 par Wilson et Clémenceau.

Diverses initiatives

Les années 1919 et 1920 ont été les plus fécondes pour le “Juni-Klub” et pour “Gewissen”. Dans la foulée de leurs activités, se crée ensuite le “Politisches Kolleg” (= “Collège politique”), dont le modèle était français, celui de l’“Ecole libre des sciences politiques”, fondé à Paris en 1872, après la défaite de 1871. Le but de cette “Ecole libre” était de faire émerger une élite revencharde pour la France. En 1919, les Allemands, vaincus à leur tour, recourent au même procédé. L’idée vient de Stadtler, qui connait bien la France, et de son professeur, le catholique, issu du Zentrum comme lui, Martin Spahn (1875-1945), fils d’une des figures fondatrices du Zentrum, Peter Spahn (1846-1925). Le national-libéral Friedrich Naumann fonde de son côté la “Staatsbürgerschule” (= “L’école citoyenne”), tandis qu’Ernst Jäkh, qui fut également propagandiste pendant la première guerre mondiale et spécialisé dans les relations germano-turques, crée la “Hochschule für Politik” (= “Haute Ecole de Politique”). Les passerelles sont nombreuses entre toutes ces initiatives. Le 1 novembre 1920 nait, sous la présidence de Martin Spahn, le “Politisches Kolleg für nationalpolitische Schulungs- und Bildungsarbeit” (= “Collège politique pour l’écolage et la formation nationales-politiques”). Les secrétaires sont von Gleichen et von Broecker. Mais c’est Moeller van den Bruck, une fois de plus, qui est la cheville ouvrière de l’ensemble: il garde la cohérence du “Juni-Klub”, du “Politisches Kolleg” et du “Ring”, qui tous prennent de l’extension et nécessitent un financement accru. Ecrasé sous le travail, Moeller s’effondre, tombe gravement malade. Du coup, les liens entre membres et entre structures similaires se disloquent. En décembre 1924, le “Juni-Klub” se transforme en “Herren-Klub”, glissement que Moeller juge “réactionnaire”, contraire aux principes fondamentaux du “Jungkonservativismus” et à la stratégie “nationale-bolchevique”. La maladie, la déception, l’épuisement physique et moral, la mort de son fils Wolfgang souffrant de tuberculose (il était né de son premier mariage avec Hedda Maase) sont autant de coups durs qui l’amènent à se suicider le 30 mai 1925.

Immédiatement après la mort de Moeller van den Bruck, Max Hildebert Boehm quitte le “Politisches Kolleg” et fonde une organisation nouvelle, l’“Institut für Grenz- und Auslandsstudien” (= “Institut pour les études des frontières et de l’étranger”). L’ensemble des structures supervisées par Moeller van den Bruck se disloque. Une partie des membres se tourne vers la “Hochschule für Politik” d’Ernst Jäkh. Le corporatiste moderne issu du Zentrum Heinz Brauweiler et l’Alsacien Eduard Stadtler rejoignent tous deux le Stahlhelm, puis la DNVP.

“Altkonservativismus” et “Jungkonservativismus”

Quelles ont été les idées de cette nébuleuse patronnée par Moeller van den Bruck? Comment se sont articulées ces idées? Quelle est la teneur du “Jungkonservativismus”, parfois appelé “nouvelle droite” ou “jeune droite”? Sa qualité de “jung”, de “jeune”, le distingue forcément du “Konservativismus” tout court, ou de l’“Altkonservativismus” (le “vieux-conservatisme”). On peut définir le “Konservativismus” comme l’ensemble des réactions politiques à la révolution française et/ou aux effets de cette révolution au cours du 19ème siècle. Comme l’a un jour souligné dans les colonnes de “Criticon” et de “Vouloir” le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, la contre-révolution est un véritable kaléidoscope d’idées diverses, hétérogènes. On y trouve évidemment la critique de l’Anglais Edmund Burke qui déplore la rupture de continuité provoquée par la révolution mais, comme le signalait naguère, à son propos, le Prof. Claude Polin à Izegem lors d’un colloque de la “nouvelle droite” flamande, si les forces qui ont provoqué la rupture parviennent à assurer une continuité nouvelle, cette continuité, parce qu’elle est continuité, mérite à son tour d’être conservée, puisqu’elle devient “légitime”, tout simplement parce qu’elle a duré quelques décennies. Pour Polin, cette sacralisation d’idées révolutionnaires, tout simplement parce qu’elles ont duré, prouve qu’il n’y a pas véritablement de “conservatisme” britannique et burkéen: nous avons alors affaire à une justification du “révolutionarisme institutionalisé”, ce que confirme le folklore de la république française actuelle et l’usage immodéré des termes “République”, “républicain”, “idéal républicain”, “valeurs républicaines”, etc. que l’on juxtapose à ceux de “laïcisme” et de “laïcité”. Cet usage est inexportable et ne permet pas de forger une “Leitkultur” acceptée de tous, surtout de la majorité autochtone, tandis que les communautés immigrées musulmanes rejettent également ce fatras laïciste, dégoûtées par l’écoeurante platitude de ce discours, partagé par toutes les gauches, mêmes les plus intéressantes, comme celles de Régis Debray ou Elizabeth Lévy (cf. le mensuel “Le Causeur”).

Dans le kaléidoscope de la contre-révolution, il y a ensuite l’organicisme, propre du romantisme post-révolutionnaire, incarné notamment par Madame de Staël, et étudié à fond par le philosophe strasbourgeois Georges Gusdorf. Cet organicisme génère parfois un néo-médiévisme, comme celui chanté par le poète Novalis. Qui dit médiévisme, dit retour du religieux et de l’irrationnel de la foi, force liante, au contraire du “laïcisme”, vociféré par le “révolutionarisme institutionalisé”. Cette revalorisation de l’irrationnel n’est pas nécessairement absolue ou hystérique: cela veut parfois tout simplement dire qu’on ne considère pas le rationalisme comme une panacée capable de résoudre tous les problèmes. Ensuite, le vieux-conservatisme rejette l’idée d’un droit naturel mais non pas celle d’un ordre naturel, dit “chrétien” mais qui dérive en fait de l’aristotélisme antique, via l’interprétation médiévale de Thomas d’Aquin. Ce mélange de thomisme, de médiévisme et de romantisme connaîtra un certain succès dans les provinces catholiques d’Allemagne et dans la zone dite “baroque” de la Flandre à l’Italie du Nord et à la Croatie.

“Fluidifier les concepts”

Tels sont donc les ingrédients divers de la “vieille droite” allemande, de l’Altkonservativismus. Pour Moeller, ces ingrédients ne doivent pas être rejetés a priori: il faut plutôt les présenter sous d’autres habits, en les dynamisant par la volonté (soit par l’idée post-nietzschéenne d’“assaut” chez Heidegger, formulée bien après après le suicide de Moeller, qui la devinait, chez qui elle était en germe). L’objectif philosophique fondamental, diffus, des courants de pensée, dans lesquels Moeller a été plongé depuis son arrivée à Berlin, à l’âge de vingt ans, est, comme le dira Heidegger plus tard, de “fluidifier les concepts”, de leur ôter toute rigidité inopérante. Le propre d’un “jeune-conservatisme” est donc, en fait, de briser les fixismes et de rendre un tonus offensif à des concepts que le 19ème siècle avait contribué à rendre désespérément statiques. Cette volonté de “fluidifier” les concepts ne se retrouvait pas qu’à droite de l’échiquier politique, à gauche aussi, on tentait de redynamiser un marxisme ou un socialisme que les notables et les oligarques partisans avaient rigidifié (cf. les critiques pertinentes de Roberto Michels). La politique est un espace de perpétuelles transitions: les vrais hommes politiques sont donc ceux qui parviennent à demeurer eux-mêmes, fidèles à des traditions —à une “Leitkultur” dirait-on aujourd’hui— mais sans figer ces traditions, en les maintenant en état de dynamisme constant, bref, répétons-le une fois de plus, l’état de dynamisme d’une anti-modernité moderniste.

De même, le regard que doivent poser les hommes politiques “jeunes-conservateurs” sur les peuples voisins de l’Allemagne est un regard captateur de dynamiques et non un regard atone, habitué à ne voir qu’un éventail figé de données et à le croire immuable. Pour Moeller, l’homme politique “jeune-conservateur” cherche en permanence à comprendre l’existence, les dimensions existentielles (et pas seulement les “essences” réelles ou imaginaires) des peuples et des nations ainsi que des personnalités marquantes de leur histoire politique, tout cela au départ d’un donné historique précis (localisé dans un espace donné qui n’est pas l’espace voisin ou l’espace éloigné ou l’espace du globe tout entier, comme le souhaiteraient les cosmopolites).

L’ordre naturel n’est pas immuable

Le “Jungkonservativismus” se démarque de l’“Altkonservativismus” en ne considérant pas l’ordre naturel comme immuable. Une telle vision de l’ordre naturel est jugée fausse par les “jeunes-conservateurs”, qui n’entendent pas retenir son caractère “immuable”, l’observation des faits de monde dans la longue période de transition que furent les années 1880-1920 n’autorisant pas, bien entendu, un tel postulat. De plus, la physique de la deuxième révolution thermodynamique ne retient plus la notion d’un donné physique, géographique, naturel, biologique stable. Au contraire, toutes les réalités, fussent-elles en apparence stables dans la durée, sont désormais considérées comme mouvantes. L’attitude qui consiste à se lamenter face à la fluidification des concepts, à déplorer la disparition de stabilités qu’on avait cru immuables, est inepte. Vouloir arrêter ou ralentir le flux du réel est donc une position inféconde pour les “jeunes-conservateurs”. Arthur Moeller van den Bruck exprime le sentiment de son “Jungkonservativismus” en écrivant que “les conservateurs ont voulu arrêter la révolution, alors qu’ils auraient dû en prendre la tête”. Il ne s’agit plus de construire des barrages, d’évoquer un passé révolu, de faire du médiévisme religieux ou, pour s’exprimer comme les futuristes dans la ligne de Marinetti, de se complaire dans le “passatisme”, dans l’académisme répétitif. Moeller ajoute que le piétisme des protestants prussiens est également une posture devenue intenable.

Troisième Voie

Vers 1870, les premiers éléments de nationalisme s’infiltrent dans la pensée conservatrice, alors que les vieux-conservateurs considéraient que toute forme de nationalisme était “révolutionnaire”, située à gauche de l’échiquier politique. Le nationalisme était effectivement une force de gauche en 1848, organisé qu’il était non en partis mais en associations culturelles ou, surtout, en ligues de gymnastique, en souvenir de “Turnvater Jahn”, l’hébertiste allemand anti-napoléonien. Les “vieux-conservateurs” considéraient ce nationalisme virulent et quarante-huitard comme trop dynamique et trop “bousculant” face aux institutions établies, qui n’avaient évidemment pas prévu les bouleversements de la société européenne dans la seconde moitié du 19ème siècle. Arthur Moeller van den Bruck propose une “troisième voie”: la répétition des ordres metternichien, bismarckien et wilhelminien est devenue impossible. Les “Jungkonservativen” doivent dès lors adopter une position qui rejette tout à la fois la réaction, car elle conduit à l’immobilisme, et la révolution, parce qu’elle mène au chaos (au “Règne de Cham” selon Merejkovski). Cette “troisième voie” (“Dritter Weg”) rejette le libéralisme en tant que réduction des activités politiques à la seule économie et en tant que force généralisant l’abstraction dans la société (en multipliant des facteurs nouveaux et inutiles, dissolvants et rigidifiants, comme les banques, les compagnies d’assurance, la bureaucratie, les artifices soi-disant “rationnels”, etc., dénoncés par la sociologie de Georges Simmel); le libéralisme est aussi le terreau sur lequel s’est développé ce que l’on appelait à l’époque le “philistinisme”. Carlyle, Matthew Arnold et les Pré-Raphaëlites anglais autour de Ruskin et de Morris avaient dénoncé l’effondrement de toute culture vraie, de toute communauté humaine saine, sous les coups de la “cash flow society”, de l’utilitarisme, du mercantilisme, etc. dans l’Angleterre du 19ème, première puissance libérale et industrielle du monde moderne. Comme l’avait envisagé Burke, ce libéral-utilitarisme était devenu une “continuité” et, à ce titre, une “légitimité”, justifiant plus tard l’alliance des libéraux (ou des “vieux-libéraux”) avec le vieux conservatisme. Les “Jungkonservativen” allemands d’après 1918 ne veulent pas d’une telle alliance, qui ne défend finalement rien de fondamental, uniquement des intérêts matériels et passagers, au détriment de tout principe (éternel). Pour défendre ces principes éternels, battus en brèche par le libéralisme, il faut recourir à des réflexes nationalistes et/ou socialistes, lesquels bousculent les concepts impassables du conservatisme sans les nier et en les dynamisant.

Critique du libéralisme

Le libéralisme, dans l’optique “jungkonservative”, repose sur l’idée d’un progrès qui serait un cheminement inéluctable vers du “meilleur”, du moins un “meilleur” quantitatif et matériel, en aucun cas vers une amélioration générale du sort de l’humanité sur un plan qualitatif et spirituel. L’idée de progrès, purement quantitative, dévalorise automatiquement le passé, les acquis, les valeurs héritées, tout comme l’idéal marchand, l’idéal spéculateur, du libéralisme dévalorise les valeurs éthiques et esthétiques, qui seules donnent sel au monde. Pour Moeller van den Bruck, c’est là la position la plus inacceptable des libéraux. Ignorer délibérément le passé, dans ce qu’il a de positif comme dans ce qu’il a de négatif, est une posture à rejetter à tout prix. Le libéral veut donc que l’on ignore obligatoirement tous les acquis du passé: son triomphe dans les premières années de la République de Weimar fait craindre une éradication totale et définitive des mémoires collectives, de l’identité allemande. Face à cette attitude, le “Jungkonservativismus” doit devenir le gardien des formes vivantes, des matrices qui donnent vie aux valeurs, pour ensuite les conduire jusqu’à leur accomplissement, leur paroxysme; il doit appeler à la révolte contre les forces politiques qui veulent que ces formes et matrices soient définitivement oubliées et ignorées; il doit également dépasser ceux qui entendent garder uniquement des formes mortes, relayant de la sorte le message des avant-gardes naturalistes, symbolistes, expressionnistes et futuristes. Ce recours implicite aux audaces des avant-gardes fait que le “Jungkonservativismus” n’est pas un “cabinet des raretés” (“eine Raritätenkammer”), un musée exposant des reliques mortes, mais un atelier (“ein Werkstatt”), où l’on bâtit l’avenir, n’est pas un réceptacle de quiétisme mais une forge bouillonnante où l’on travaille à construire une Cité plus conforme au “Règne de l’Esprit”. Pour les “jeunes-conservateurs”, les formes politiques sont des moyens, non des fins car si elles sont de simples fins, elles butent vite, à très court terme, contre leur finitude, et deviennent stériles et répétitives (comme à l’ère du wilhelminisme). Il faut alors trouver de nouvelles formes politiques pour lutter contre celles qui ont figé les polities, après avoir été, le temps de trouver leur “fin”, facteurs éphémères de fluidification des concepts.

Monarchiste ou républicain?

Alors, dans le contexte des années 1919-1925, le “Jungkonservativismus” est-il monarchiste ou républicain? Peu importe! L’idéal dynamique du “Jungkonservativismus” peut s’incarner dans n’importe quelle forme d’Etat. Comment cette perspective s’articule-t-elle chez Moeller van den Bruck? Son “Troisième Reich” pourra être monarchiste mais non pas wilhelminien, non pas nécessairement lié aux Hohenzollern. Il pourra viser l’avènement d’un “Volkskaiser”, issu d’une autre lignée aristocratique ou issu directement du peuple: cette idée est un héritage des écrits révolutionnaires de Wagner à l’époque des soulèvements de 1848. L’Etat est alors, dans une telle perspective, de forme républicaine mais il a, à sa tête, un monarque plébiscité. En dépit de son anti-wilhelminisme, Moeller envisage un Volkskaiser ou un “Jugendkaiser”, un empereur de la jeunesse, idée séduisante pour les jeunes du Wandervogel et de ses nombreux avatars et pour bon nombre de sociaux-démocrates, frottés de nietzschéisme. Contrairement à ce que voulaient les révolutionnaires français les plus radicaux à la fin du 18ème siècle, en introduisant leur calendrier révolutionnaire, l’histoire, pour Moeller, ne présente pas de nouveaux commencements: elle est toujours la continuité d’elle-même; les communautés politiques, les nations, sont immergées dans ce flot, et ne peuvent s’y soustraire. Il paraît par ailleurs préférable de parler de “continuité” plutôt que d’ “identité”, dans un tel contexte: les “jungkonservativen” sont bel et bien des “continuitaires”, en lutte contre ceux qui figent et qui détruisent en rigidifiant. Moeller van den Bruck préconise donc une sorte d’archéofuturisme (le néo-droitiste Guillaume Faye, à ce titre, s’inscrit dans sa postérité): les forces du passé allemand et européen sont mobilisées en des formes nouvelles pour établir un avenir non figé, en perpétuelle effervescence constructive. Moeller mobilise les “Urkräfte”, les forces originelles, qu’il appelle parfois, avec un lyrisme typique de l’époque, les “Urkräfte” barbares ou les “Urkräfte” de sang, destinées à briser les résistances “passatistes” (Marinetti).

De Novalis au wagnérisme

Les positions “bousculantes” du “Jungkonservativismus” interpellent aussi le rapport au christianisme. La révolution française avait appelé à lutter contre les “superstitions” de la religion traditionnelle de l’ancien régime: les réactions des révolutionnaires déçus par la violence jacobine et des contre-révolutionnaires, à l’époque romantique du début du 19ème siècle, vont provoquer un retour à la religion. Le romantisme était au départ en faveur de la révolution mais les débordements et les sauvageries des révolutionnaires français vont décevoir, ce qui amènera plus d’un ex-révolutionnaire romantique à retourner au catholicisme, à se convertir à l’idée d’une Europe d’essence chrétienne (Novalis). Dans une troisième étape, les ex-révolutionnaires et certains de leurs nouveaux alliés contre-révolutionnaires vont parfois remplacer Dieu et l’Eglise par le peuple et la nation: ce sera le romantisme nationalitaire, révolutionnaire non pas au sens de 1789 mais de 1848, celui de Wagner, qui, plus tard, abandonnera toutes références au révolutionarisme pour parier sur l’univers mythologique et “folciste” de ses opéras, censés révéler au peuple les fondemets mêmes de son identité, la matrice de la continuité dans laquelle il vit et devra inéluctablement continuer à vivre, sinon il court le risque d’une disparition définitive en tant que peuple. La fusion d’une volonté de jeter bas le régime metternichien du début du 19ème siècle et du recours aux racines germaniques les plus anciennes est le legs du wagnérisme.

Déchristianisation et nietzschéanisation

Après 1918, après les horreurs de la guerre des tranchées à l’Ouest, on assiste à un abandon généralisé du christianisme: peuples protestants et catholiques abandonnent les références religieuses piétistes ou sulpiciennes, impropres désormais à apaiser les âmes ensauvagées par une guerre atroce. Ou ne retiennent plus du christianisme que la virulence de certains polémistes comme Léon Bloy ou Jules Barbey d’Aurevilly, comme ce sera le cas dans les filons pré-rexistes en Belgique francophone ou chez les adeptes conservateurs-révolutionnaires du prêtre Wouter Lutkie aux Pays-Bas. Sans nul doute parce que la fougue de Bloy et de Barbey d’Aurevilly marche au vitriol, qui dissout les certitudes des “figés”. La déchristianisation d’après 1918 est tributaire, bien évidemment, de l’influence, de plus en plus grande, de Nietzsche. Le processus de sécularisation et de nietzschéanisation s’infiltre profondément dans les rangs “conservateurs”, les muant en “conservateurs-révolutionnaires”. On en vient à rejeter la promesse chrétienne d’un monde meilleur, “quiet” (dépourvu d’inquiétude incitant à l’action) et “bonheurisant”. Cette promesse est, aux yeux des nietzschéens, la consolation des faibles (cf. les thèses de Nietzsche dans “L’Antéchrist” et “La généalogie de la morale”). Moeller n’a pas une position aussi tranchée que les nietzschéens les plus virulents. Il demeure le lecteur le plus attentif de Dostoïevski, qui ne partageait pas l’anti-christianisme farouche de Nietzsche. Il garde sans doute aussi en mémoire les positions de Barbey d’Aurevilly, qu’il a traduit avec Hedda Maase à Berlin entre 1896 et 1902. Pour Moeller la culture allemande (et européenne) est le produit d’une fusion: celle de l’antiquité hellénique et romaine et du christianisme. Pour lui, il n’est ni pensable ni souhaitable que nous ne soyons plus l’incarnation de cette synthèse. L’objectif de la germanité innovante qu’il a toujours appelé de ses voeux est de forger une “Wirklichkeitsreligion”, une “religion du réel”, comme le suggéraient par ailleurs bon nombre d’ouvrages parus chez l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna.

Cependant le christianisme n’est pas “national”, c’est-à-dire ne cherche pas à s’ancrer dans un humus précis, inscrit dans des limites spatio-temporelles repérables. Il est même anti-national sauf quand certaines forces de l’Eglise cherchent à protéger des catholiques vivant sous un statut de minorité opprimée ou marginalisée comme les Irlandais au Royaume-Uni, les Croates dans le nouveau royaume de Yougoslavie à dominante serbe ou les Flamands dans la Flandre des “petits vicaires” en rébellion contre leur hiérarchie francophile (Mercier), face aussi à un Etat à dominante non catholique ou trop prompt à négocier des compromis avec la part laïque, voire maçonnique, de l’établissement belge. Même scénario dans la sphère orthodoxe: les églises auto-céphales s’épaulent contre les offensives catholiques ou musulmanes. Mais une chose était désormais certaine, entre 1918 et 1925: depuis la révolution française, le christianisme a échoué à donner forme au cosmopolitisme dominant, qui est de facture libérale et laïque ou révolutionnaire et communiste (trotskiste). Le christianisme ne peut se sauver du naufrage que s’il adopte des contenus nationaux: c’est à quoi s’était employé le programme des éditions Eugen Diederichs, en rappelant que la conversion des Germains d’Europe centrale ne s’était pas faite par l’Evangile tel qu’on nous le lit encore lors des offices religieux mais par une version aujourd’hui oubliée, l’Heliand, le Sauveur, figure issue de la religiosité iranienne-sarmate importée en Europe par les cavaliers recrutés par Rome dans les steppes est-européennes et dont l’archéologie contemporaine révèle le rôle crucial dans l’émergence de l’Europe médiévale, non seulement autour du mythe arthurien mais aussi dans la geste des Francs et des Sicambres. Le Christ y est effectivement un homme à cheval qui pérégrine, armé et flanqué d’une douzaine de compagnons bien bâtis.

Ensuite, la conversion d’une vaste zone aujourd’hui catholique, de Luxueil-les-Bains au Tyrol autrichien, a été l’oeuvre de moines irlandais, dont le christianisme était quelque peu différent de celui de Rome. Le christianisme doit donc se “nationaliser”, comme il s’était germanisé (sarmatisé?) aux temps de la conversion, pour être en adéquation avec la spécificité “racique” des nouvelles ouailles nord-européennes ou issues de la cavalerie des Légions de l’Urbs. De même, le socialisme, lui aussi, doit puiser ses forces bousculantes dans un corpus national, religieux ou politique voire esthétique (avec impulsion nietzschéenne). L’apport “belge” (flamand comme wallon) est important à ce niveau: Eugen Diederichs avait fait traduire De Coster, Maeterlinck, De Man, Verhaeren et bien d’autres parce qu’ils apportaient un supplément de tonus à la littérature, à la religiosité “réalitaire” et à un socialisme débarrassé de ses oeillères matérialistes donc de ses cangues aussi pesantes que les bigoteries sulpiciennes de la religion conventionnelle, celle des puritains anglais ou suédois, fustigés par Lawrence et Strindberg, celle de Pobedonostsev, fustigée par Merejkovski et Rozanov.

Théologie et politique en Europe occidentale de 1919 aux années 60

Parce que les “Jungkonservativen” abandonnent les formes mortes du protestantisme et du catholicisme du 19ème siècle, les “Altkonservativen” subsistants ne les considèrent plus comme des “Konservativen” et s’insurgent contre l’audace jugée iconoclaste de leurs affirmations. Moeller van den Bruck rétorque: “Si le conservatisme ne signifie plus le maintien du statu quo à tout prix mais la fusion évolutionnaire du neuf avec la tradition vivante et, de même, induit le don de sens à cette fusion, alors il faut poser la question: un conservatisme occidental est-il possible sans qu’il ne soit orienté vers le christianisme?”. Moeller répond évidemment: “Oui”. Il avait d’abord voulu créer un mythe national, avec les huit volumes de “Die Deutschen”, incluant des éléments chrétiens, surtout luthériens. C’était le mythe de l’Allemand en perpétuelle rébellion contre les pesanteurs d’une époque, de son époque, dominée politiquement ou intellectuellement par l’étranger roman, celui-ci étant, alors, par déduction arbitraire, le vecteur de toutes les pesanteurs, de toutes les lourdeurs qui emprisonnent l’âme ou l’esprit, comme l’Asiatique, pour les Russes, était vecteur d’“enchinoisement”. Après la mort de Moeller, et dans le sillage des livres prônant un renouveau religieux réalitaire et enraciné, une théologie germanisée ou “aryanisée” fera florès sous le national-socialisme, une théologie que l’on analyse à nouveau aujourd’hui en la dépouillant, bien entendu, de toutes les tirades simplificatrices rappelant lourdement la vulgate du régime hitlérien. L’objectif des théologiens contemporains qui se penchent sur les oeuvres de leurs homologues allemands alignés sur le nouveau régime des années 30 vont au fond de cette théologie, ne se contentent pas de critiquer ou de répéter le vocabulaire de surface de ces théologies “aryanisées” ou germanisées, qui peut choquer aujourd’hui, mais veulent examiner comment on a voulu donner une substance incarnée à cette théologie (au nom du mythe chrétien de l’incarnation); il s’agit donc là d’une théologie qui réclame l’ancrage du religieux dans le réel politique, ethnique, linguistique et l’abandon de toute posture déréalisante, “séraphique” serait-on tenté de dire.

Après 1945, les discours officiels des églises protestantes et catholique s’alignent sur l’“humanisme” ou du moins sur ce qu’il est convenu de définir comme tel depuis les réflexions et les “aggiornamenti” de Jacques Maritain. Cet humanisme a été l’idéologie officielle des partis démocrates-chrétiens en Europe après 1945: on avait espéré, de cet humanisme, aligné sur Gabriel Marcel ou Jacques Merleau-Ponty, qu’il soit un barrage contre l’envahissement de nos polities par tous les matérialismes privilégiant l’avoir sur l’être. L’offensive néo-libérale, depuis la fin des années 70 du 20ème siècle, a balayé définitivement ces espoirs. L’“humanisme” des démocrates-chrétiens a été pure phraséologie, pure logorrhée de jongleurs politiciens, ne les a certainement pas empêchés de se vautrer dans les pires des corruptions, à l’instar de leurs adversaires (?) socialistes. Ils n’ont pas été capables de donner une réponse au néo-libéralisme ou, pire, les quelques voix qui se sont insurgées, même depuis les hautes sphères du Vatican, se sont perdues dans le tumulte cacophonique des médias: l’analyse de Moeller van den Bruck est donc la bonne, le libéralisme dissout tout, liens communautaires entre les hommes comme réflexes religieux.

Le jugement d’Armin Mohler

Armin Mohler, ancien secrétaire d’Ernst Jünger et auteur du manuel de référence incontournable, “Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932”, dresse le bilan de la déchristianisation graduelle et irréversible de la sphère politique, y compris en milieux “conservateurs”, toutes tendances confondues. Pour Mohler, le christianisme s’est effiloché et ne se maintient que par la “Trägheit der Wirklichkeit”, par la lenteur et la pesanteur du réel. Mohler: “Le christianisme, dans l’espace où tombent les décisions, a perdu sa position jadis englobante et, depuis lors, il n’est plus qu’une force parmi d’autres, y compris sous les oripeaux de ses traditions les plus fortes ou de ses ‘revivals’, tels le néo-thomisme ou la théologie dialectique”. Pire: “Ce processus [d’effilochement] s’est encore accéléré par l’effondrement de l’héritage antique, qui avait aidé le christianisme au fil des siècles à se donner forme. Les éléments de jadis sont donc encore là mais isolés, sans centre fédérateur, et virevoltent littéralement de manière fort désordonnée dans l’espace (politique/idéologique). Le vieux cadre de l’Occident comme unité nourrie par la migration des peuples [germaniques] en tant qu’éléments neufs dans l’histoire, est détruite et il n’y a pas encore de nouvelle unité en vue”. Mohler annonçait, par ces constats, la rupture entre la “nouvelle droite” et l’espace théologico-politique chrétien. Eugen Diederichs et Moeller van den Bruck ont également eu raison de dire que le christianisme devait être étoffé d’éléments réalitaires, comme a tenté de le faire à sa manière et sans générer d’“hérésie”, le Prof. Julien Ries, à l’Université de Louvain, notamment dans “Les chemins du sacré dans l’histoire” (Aubier, 1985): dans cet ouvrage, comme dans d’autres, il cherchait à cerner la notion de sacré dans le monde indo-européen suite aux travaux de Mircea Eliade. La mise en exergue de ces multiples manières indo-européennes d’appréhender le sacré, permetterait d’incarner celui-ci dans les polities et les “Leitkulturen” réelles et de les innerver sans les meurtrir ou les déraciner, barrant ainsi la route à l’envahissement de ces “laïcismes” sans substance ni profondeur temporelle qui se veulent philosophèmes de base du “révolutionarisme institutionalisé”.

Premier, Deuxième et Troisième Reich

Vu l’“effilochement” du christianisme, dès la fin du 19ème siècle, vu son ressac encore plus net après les boucheries de 1914-1918, les forces nouvelles dans la nouvelle Allemagne républicaine devaient créer un “cadre nouveau”, qui ne devait plus nécessairement être innervé d’apports chrétiens, du moins visibles, car, il ne faut pas l’oublier, toute idée politique possède un modèle théologique qu’elle laïcise, consciemment ou inconsciemment, comme le constatait Carl Schmitt. Pour Moeller van den Bruck, ce sera, à son corps défendant comme nous le verrons, un “Troisième Reich”; pour Mohler —désobéissant sur ce plan à Ernst Jünger, résigné et conscient qu’aucune politique féconde n’était encore suggérable à l’ère atomique, à partir de 1960, année où paraît son livre “L’Etat universel”— il fallait, dès la fin des années 50 du 20ème siècle, instaurer une Europe nouvelle, capable de décision, centrée autour du binôme franco-allemand du tandem De Gaulle-Adenauer, qui devait chercher systématiquement à s’allier aux Etats que les Etats-Unis décrétaient “infréquentables” (Chine, monde arabe,...). Au temps de Moeller van den Bruck, les cercles qu’il animaient font dès lors recours au mythe du “Reich” dans l’histoire germanique et lotharingienne. Dans cet espace germano-lotharingien, défini par les cartographes français contemporains, Jean et André Sellier comme étant l’addition des héritages de Lothaire et de Louis le Germanique lors du Traité de Verdun de 843, il y a eu un Premier Reich, celui d’Othon I qui va survivre vaille que vaille jusqu’à sa dissolution en 1806. Le Deuxième Reich est le Reich petit-allemand de Bismarck et de Guillaume II, qui ne comprend pas l’espace autrichien ni les anciens Pays-Bas ni la forteresse alpine qu’est la Suisse. Ce Reich, très incomplet par rapport à celui, par exemple, de Conrad II au 11ème siècle, n’englobe pas tous les Allemands d’Europe, ceux-ci sont disséminés partout et une émigration de grande ampleur conduit des masses d’Allemands à s’installer aux Etats-Unis (où leurs descendants constituent à peu près un quart de la population actuelle et occupent plus de la moitié des terres en zones non urbaines). Ce “Deuxième Reich” s’effondre en 1918, perdant encore des terres à l’Est comme à l’Ouest, créant de nouvelles minorités allemandes au sein d’Etats slaves ou romans. Un “Troisième Reich” doit prendre dès lors la relève mais il serait hasardeux et fallacieux de dire que les projets, formulés entre 1918 et 1925, aient tous anticipé le “Troisième Reich” de Hitler.

Origine théologienne des concepts politiques

Le “Premier Reich” est la promesse d’un Empire terrestre de mille ans, qui prend le relais d’un Empire romain, de l’Ordo Romanus, désormais assumé par les Francs (Charles Martel, Pépin de Herstal, Pépin le Bref, Charlemagne) puis par l’ensemble des peuples germaniques (Othon I et ses successeurs). Il est dès lors un “Saint-Empire” christianisé et porté par la nation germanique, un “Sacrum Imperium Romanum Nationis Germaniae”, un “Saint-Empire romain de la nation germanique”. Le concept d’Empire, de “Reich”, revêt une double signification: il est la structure politique impériale factuelle que l’on a connue à partir d’Othon I puis à partir de Bismarck. Il est aussi le “Regnum”, le “Règne” religieux, défini par la théologie depuis Augustin. Comme Moeller van den Bruck a fréquenté de très près Dmitri Merejkovski, il est évident que la notion de “Reich” qu’il utilise dans ses écrits est plus proche de la notion théologique de “Règne” que de la notion politique, mise en oeuvre par Bismarck d’abord, par Hitler ensuite (qui sont des imitateurs de Napoléon plutôt que des disciples d’Augustin). Moeller n’a donc pas de discours religieux en apparence mais est subrepticement tributaire de la théologie sollicitée par Merejkovski. Dans son étude patronnée par Karl Jaspers, Armin Mohler —schmittien conscient de l’origine théologienne de tous les concepts politiques modernes— rappelle justement l’origine théologienne des notions d’“Empire de l’Esprit Saint” et de “Troisième Règne”. Il rappelle la vision de Montanus, chef d’une secte chrétienne de Hierapolis en Phrygie au 2ème siècle après J. C., dont le prophétisme s’était rapidement répandu dans le bassin méditerranéen, y compris à Rome où deux écoles “montanistes” cohabitaient, dont celle de Proclos, qui influencera Tertullien. Ce dernier prendra fait et cause pour le prophétisme montaniste, qu’il défendra contre les accusations d’un certain Praxeas. Le montanisme et les autres formes de prophétisme, décrétées hérétiques, puisent leurs inspirations dans l’Evangile de Jean. Toute une littérature johannite marque le christianisme jusqu’au moyen âge européen. Elle a pour dénominateur commun d’évoquer trois visions du monde qui se succéderont dans le temps. La troisième de ces visions sera entièrement spiritualisée. Ce sera le “Règne de l’Esprit”.

Joachim de Flore

Joachim_de_flore.jpgJoachim de Flore développe une sorte de “mythe trinitaire”, où le “Règne du Père” constitue la “vieille alliance”, le “Règne du Fils”, la “nouvelle alliance” et le “Règne” à venir, celui de l’esprit saint. La “vieille alliance”, procédant de la transmission de la “Loi” à Moïse, débouche involontairement, par “hétérotélie”, sur un esclavage des hommes sous la férule d’une Loi, devenue trop rigide au fil du temps; le “Règne du Fils” vient délivrer les hommes de cet esclavage. Mais entre les divers “Règnes”, il y a des périodes de transition, d’incubation. Chaque “Règne” a deux commencements: celui, initial, où ses principes se mettent progressivement en place, tandis que le “Règne” précédent atteint sa maturité et amorce son déclin, et celui où il commence vraiment, par la “fructification”, dit Joachim de Flore, le précédent ayant alors terminé son cycle. Il existe donc des périodes de transition, où les “Règnes” se chevauchent. Celui du Fils commence avec l’arrivée du Christ et se terminera par le retour d’Elie, qui amorcera le “Règne de l’Esprit Saint”, celui-ci hissera alors, après la défaite des Mahométans, l’humanité au niveau supérieur, celui de l’amour pur de l’esprit saint, message de l’Evangile éternel, bref, le “Troisième Règne” ou le “Troisième Reich”, les termes français “Règne” et “Empire” se traduisant tous deux par “Reich” en allemand. De Joachim de Flore à Merejkovski, le filon prophétique et johannite est évident: Moeller van den Bruck le laïcise, le camoufle derrière un langage “moderne” et a-religieux, avec un certain succès dû au fait que le terme était prisé par une littérature subalterne, ou une para-littérature, qui, entre 1885 et 1914, présente des utopies ou des Etats idéaux de science-fiction qui évoquent souvent un “Troisième Reich”, société parfaite, débarrassée de toutes les tares du présent (wilhelminien); parmi ces ouvrages, le plus pertinent étant sans doute celui de Gerhard von Mutius, “Die drei Reiche” (1916).

Quand paraît “Das Dritte Reich”...

En 1923, quand son manuscrit est prêt à l’impression, Moeller ne choisit pas pour titre “Das Dritte Reich” mais “Die dritte Partei” (= “Le tiers-parti”), formation politique appelée à se débarrasser des insuffisances révolutionnaires, libérales et vieilles-conservatrices. On suggère à Moeller de changer de titre, d’opter par exemple pour “Der dritte Standpunkt” (= “La troisième position”). Finalement, pour des raisons publicitaires, on opte pour “Das Dritte Reich”, car cela a des connotations émotives et eschatologiques. Cela rappelle quantité d’oeuvres utopiques appréciées des contemporains. Du vivant de Moeller, le livre est un vrai “flop” éditorial. Ce n’est qu’après sa mort que ce petit volume programmatique connaîtra le succès, par ouï-dire et par le lancement d’une édition bon marché auprès de la “Hanseatische Verlagsanstalt”. L’idée de “Reich” n’apparaît d’ailleurs que dans le dernier chapitre, ajouté ultérieurement! Les cercles et salons fréquentés et animés par Moeller ne doivent donc pas être considérés comme les anti-chambres du national-socialisme, même si des personnalités importantes comme Stadtler ont fini par y adhérer, après le suicide du traducteur de Baudelaire et de Dostoïevski. Grâce à un travail minutieux et exhaustif du Prof. Wolfgang Martynkiewicz (“Salon Deutschland – Geist und Macht 1900-1945”, Aufbau Verlag, 2011), on sait désormais que c’est plutôt le salon des époux Hugo et Elsa Bruckmann, éditeurs à Munich et animateurs d’un espace de débats très fréquenté, qui donnera une caution pleine et entière au national-socialisme en marche dès la fin des années 20, alors que ce salon avait attiré les plus brillants esprits allemands (dont Thomas Mann et Ludwig Klages), conservateurs, certes, mais aussi avant-gardistes, libéraux, socialistes et autres, inclassables selon l’étiquettage usuel des politistes “normalisés” d’aujourd’hui, notamment les “anti-fascistes” auto-proclamés.

Un état de tension militante permanente

Pour Moeller van den Bruck, préfacé en France par Thierry Maulnier, post-maurrassien et non-conformiste des années 30 (cf. Etienne de Montety, “Thierry Maulnier”, Perrin-Tempus, 2013), l’idée de “Reich”, c’est-à-dire, selon son mentor Merejkovski, l’idée d’un “Règne de l’Esprit Saint”, est aussi et surtout —avant d’être un état stable idéal, empreint de quiétude— un état de tension militante permanente. Ce “Troisième Empire”, qui n’est évoqué que dans le dernier chapitre du livre du même nom, et constitue d’ailleurs un addendum absent de la première édition, n’adviendra pas nécessairement dans le réel puisqu’il est essentiellement une tension permanente qu’il s’agit de ne jamais relâcher: les élites, ou les “élus”, ceux qui ont compris l’essence de la bonne politique, qui n’est ni le fixisme déduit de l’idée d’un ordre naturel immuable ni le chaos du révolutionnarisme constant, doivent sans cesse infléchir les institutions politiques dans le sens de ce “Troisième Règne” de l’Esprit, même s’ils savent que ces institutions s’usent, s’enlisent dans l’immobilité; il y a donc quelque chose du travail de Sisyphe dans l’oeuvre des élites politiques constantes.

Dans les écrits antérieurs de Moeller van den Bruck, on peut repérer des phrases ou des paragraphes qui abondent déjà dans ce sens; ainsi en 1906, il avait écrit: “L’Empire de la troisième réconciliation va combler le fossé qu’il y a entre la civilisation moderne et l’art moderne”. Dans les années 1906-1907, Moeller évoque la “Sendungsgedanke”, l’idée de mission, religieuse et forcément a-rationnelle, dont les racines sont évidemment chrétiennes mais aussi révolutionnaires: le christianisme a apporté l’idée d’une mission “perfectibilisante” (mais c’est aussi un héritage du mithraïsme et de ses traductions christianisées, archangéliques et michaëliennes); quant aux révolutionnaires français, par exemple, ils font, eux aussi, montre d’une tension militante dans leur volonté de promouvoir partout l’idéal des droits de l’homme. Pour parvenir à réaliser cette “Sendungsgedanke”, il faut créer des communautés pour les porteurs de l’idée, afin que la dynamique puisse partir d’en haut et non de la base, laquelle est plongée dans la confusion; ces communautés doivent se développer au-delà des Etats existants, que ceux-ci soient les Etats allemands (Prusse, Bavière, Baden-Würtemberg) ou soient les pays autrichiens ou les nouveaux Etats construits sur les débris de l’Empire austro-hongrois, où vivent des minorités allemandes, ou soient des Etats quelconques dans le reste de l’Europe où vivent désormais des populations allemandes résiduaires ou très minoritaires. Les porteurs de l’idée peuvent aussi appartenir à des peuples proches de la culture germanique (Baltes, Flamands, Hollandais, Scandinaves, etc.). Ces communautés de personnalités chosies, conscientes des enjeux, formeront le “parti de la continuité” (Kontinuität), celui qui poursuivra donc dans la continuité l’itinéraire, la trajectoire, de l’histoire allemande ou germanique. Ce parti rassemblera des Allemands mais aussi tous ceux qui, indépendamment de leur ethnicité non germanique, partageront les mêmes valeurs (ce qui permet de laver Moeller de tout soupçon d’antisémitisme et, forcément, d’antislavisme).

De Moeller à la postmodernité

Nous constatons donc que, dans le sillage de Dostoïevski et Merejkovski, Moeller van den Bruck parie résolument sur le primat de l’esprit, des valeurs. Ces communautés et ce futur parti constituent dès lors, à eux tous, une “Wertungsgemeinschaft” (une communauté de valeurs), Moeller étant le seul à avoir utilisé cette expression dans ses écrits à l’époque. Autre aspect qui mérite d’être souligné: Moeller anticipe en quelque sorte les bons filons aujourd’hui galvaudés de la postmodernité; c’est en ce sens qu’Armin Mohler —qui avait la volonté de perpétuer la “révolution conservatrice”— avait voulu embrayer sur le discours postmoderne à la fin des années 80 du 20ème siècle; en effet, Moeller avait écrit: “Wir müssen die Kraft haben, in Gegensätzen zu leben”, “Nous devons avoir la force de vivre au beau milieu des contradictions (du monde)”. Moeller avait vécu très intensément l’effervescence culturelle de la Belle Epoque, avant l’emprise sur les âmes des totalitarismes d’après 1917, magnifiquement mise en scène dans les romans noirs de Zamiatine et Mikhaïl Boulgakov. L’oeuvre de Moeller van den Bruck est le résultat de cette immersion. La Belle Epoque acceptait ses contradictions, les confrontait dans la convivialité et la courtoisie. Les totalitarismes ne les accepteront plus. Après l’effondrement du “grand récit” communiste (hégélo-marxiste), suite à la perestroïka et la glasnost de Gorbatchev, le monde semble à nouveau prêt à accepter de vivre avec ses contradictions, d’où la pensée “polythéiste” d’un Jean-François Lyotard ou d’un Richard Rorty. Mais l’espoir d’un renouveau tout à la fois postmoderne et révolutionnaire-conservateur, que nous avions cultivé avec Mohler, s’effondrera dès le moment où le néo-libéralisme niveleur et le bellicisme néo-conservateur américain, flanqués des “idiots utiles” de la “nouvelle philosophie parisienne” (avec Bernard-Henri Lévy), auront imposé une “political correctness”, bien plus homogénéisante, bien plus arasante que ne l’avait été le communisme car elle a laissé la bride sur le cou, non seulement à l’engeance des spéculateurs, mais aussi à tout un fatras médiatique festiviste et à un “junk thought” ubiquitaire, qui empêche les masses d’avoir un minimum de sens critique et qui noie les rationalités du “zoon politikon” dans un néant de variétés sans fondements et de distractions frivoles.

Le peuple portera l’idée de “Reich”

En termes politiques, l’acceptation moellerienne des contradictions du monde le conduit à esquisser la nature du “Reich” à venir: celui-ci ne pourra pas être centralisé car toute centralisation excessive et inutile conduit à un égalitarisme araseur, qui brise les continuités positives. Le “Troisième Reich” de Moeller entend conserver les diverses dynamiques, convergentes ou contradictoires, qui ont été à l’oeuvre dans l’histoire allemande (et européenne) et la nouvelle élite “jungkonservativ” doit veiller à maintenir une “coïncidentia oppositorum”, capable de rassembler dans l’harmonie des forces au départ hétérogènes, à l’oeuvre depuis toujours dans la “continuité” allemande. C’est le peuple, le Volk, qui doit porter cette idée de “Reich”, dans le même esprit, finalement, que le “populus romanus” portait les “res publicae” romaines puis, en théorie, l’Empire à partir d’Auguste. Ou du moins l’élite consciente de la continuité qui représente le peuple, une continuité qui ne peut se perpétuer que si ce peuple demeure, en évitant, si possible, toute “translatio imperii” au bénéfice d’une tierce communauté populaire, dont le moment historique viendra ultérieurement. Le Sénat romain —l’assemblée des “senes”, homme plus âgés et dotés, par la force de l’âge, d’une mémoire plus profonde que les “adulescentes” (hommes de 15 à 35 ans) ou même que les “viri” (de 35 à 50 ans)— était le gardien de cet esprit de continuité, qu’il ne fallait pas rompre —en oubliant les rituels— afin de préserver pour l’éternité le “mos majorum”, d’où l’expression “Senatus PopulusQue Romanus” (SPQR), la longue mémoire étant ainsi accolée à la source vive, vitale, de la populité romaine. La Belle Epoque subit, elle, de plein fouet une remise en question générale de l’ordre, qui ne peut plus être perçu comme figé: avec des personnalités comme Moeller, elle parie pour les “adulescentes” et les “viri”, à condition qu’ils fassent éclore des formes nouvelles, pour remplacer les formes figées, qui exprimeront mieux le “mos majorum”, germanique cette fois, car le germanisme d’avant 1914 était, selon l’étude magistrale et copieuse de Peter Watson (cf. supra), une “troisième renaissance” dans l’histoire culturelle européenne, après la renaissance carolingienne et la renaissance italienne. Toute renaissance étant expression de jouvence, d’où l’usage licite des termes “jung” et “Jungkonservativismus”, si l’on veut agir et oeuvrer dans le sens de cette “troisième renaissance” qui n’a pas encore déployé toutes ses potentialités.

Moeller parle donc d’un Empire porté par le peuple et par la jeunesse du peuple, instances vitales, et non par l’Etat puisque la machine étatique wilhelminienne a figé, donc tué, l’énergie vitale que nécessité la mission impériale de la jeunesse, en multipliant les formes abstraites, en oblitérant le vivant populaire par toute sorte d’instances figeantes, appelées à devenir tentaculaires: dénoncer cette emprise croissante des rationalités figées sera la leçon du sociologue Georg Simmel et de sa longue postérité (jusqu’à nos jours), ce sera aussi le message angoissé et pessimiste du “Château” de Franz Kafka. Parmi les instances figeantes, il faut compter les partis qui, comme le soulignait un socialiste engagé puis déçu tel Roberto Michels, finissaient par ne plus représenter le peuple des électeurs mais seulement des oligarchies détachées de celui-ci. La démocratie nécessaire au bon fonctionnement du nouveau “Reich” ne doit pas représenter la base par des partis mais, explique Moeller van den Bruck, par des corporations (expressions de métiers réels), des ordres professionnels, des conseils ou des soviets ouvriers, des syndicats. Indirectement, peut-être via Thierry Maulnier, préfacier du “Troisième Reich” de Moeller et chroniqueur du “Figaro” après 1945, ces idées de Moeller (mais aussi de Heinz Brauweiler) auront un impact sur les idées gaulliennes des années 60, celles de la participation et de l’intéressement, celle aussi du Sénat des Régions et des Professions. Le rôle des “non-conformistes” français des années 30 et des néo-socialistes autour de Marcel Déat, lui-même inspiré par Henri De Man, a sans nul doute été primordial dans cette transmission, malgré tout incomplète. Le Sénat, envisagé par les gaullistes après la rupture avec l’OTAN, était appelé, s’il avait été instituté, à représenter un tissu social réel et performant au détriment de politiciens professionnels qui ne produisent que de la mauvaise jactance et finissent par se détacher de toute concrétude.

“Ostideologie”

Ces spéculations sur le “Troisième Règne” à venir, sur le “Règne de l’Esprit” débarrassé des pesanteurs anciennes, s’accompagnaient, dans l’Allemagne des premières années de la République de Weimar, par une volonté de lier le destin du pays à la Russie, fût-elle devenue soviétique. Lénine était d’ailleurs revenu de Suisse dans un wagon plombé avec la bénédiction du Kaiser et de l’état-major général des armées allemandes. Sans cette bénédiction, on n’aurait sans doute jamais entendu parler d’une Russie bolchevisée, tout au plus d’une pauvre Russie qui aurait sombré dans le chaos de la pusillanimité menchevik (cf. Soljénitsyne) ou serait revenue à un tsarisme affaibli, après la victoire des armées blanches, soutenues par l’Occident. Cette volonté de lier l’Allemagne vaincue à la nouvelle puissance de l’Est s’appelle, dans le langage des historiens et des politologues, l’“Ostideologie” ou le national-bolchevisme. L’Ostideologie n’est ni une idée neuve en Allemagne, et en particulier en Prusse, ni une idée dépassée aujourd’hui, les liens économiques de l’Allemagne de Schröder et de Merkel avec la Russie de Poutine attestant la pérennité de cette option, apparemment indéracinable. La permanence de cette volonté d’alliance prusso-russe depuis Frédéric II et depuis les accords de Tauroggen contre Napoléon I explique le succès que le “national-bolchevisme” a connu au début des années 20, y compris dans des cercles peu propices à applaudir à l’idéologie communiste. Depuis la Guerre de Sept Ans au 18ème siècle, depuis le retournement de la Prusse après le désastre napoléonien de la Bérézina, nous avons eu plus de 150 ans d’Ostpolitik: Willy Brandt, ancien des Brigades Internationales lors de la Guerre d’Espagne, la relance sur l’échiquier politique européen dès la fin des années 60, dès la fin de l’ère Adenauer et de la Doctrine Hallstein. Elle se poursuivra par les tandems Kohl/Gorbatchev et Schröder/Poutine, visant surtout des accords énergétiques, gaziers. La chute de Bismarck a mis un terme provisoire à l’alliance implicite entre l’Allemagne et la Russie tsariste, colonisée par les capitaux français. En 1917, la révolution russe reçoit le soutien de l’état-major allemand, puisqu’elle épargne à l’Allemagne une guerre sur deux fronts, tout en lui procurant un apport de matières premières russes. Seule l’intervention américaine a sauvé les Français et les Britanniques d’une défaite calamiteuse.

L’option pro-soviétique

En novembre 1918, les Soviets proposent d’envoyer deux trains de céréales pour rompre le blocus anglais qui affame les grandes villes allemandes. Les sociaux-démocrates, vieux ennemis de la Russie tsariste d’avant 1914, contre laquelle ils avaient voté les crédits de guerre, refusent cette proposition car, même après novembre 1918, ils demeurent toujours, envers et contre tout, des ennemis de la Russie, malgré qu’elle soit devenue bolchevique . Ils avancent pour argument que les Etats-Unis ont promis du blé pour tenir une année entière. Ce refus est un des faits les plus marquants qui ont suscité les clivages des premières années de Weimar: la gauche sociale-démocrate au pouvoir reste anti-russe et devient donc, dans un esprit de continuité et par le poids des habitudes, anti-bolchevique, tandis que la droite, divisée en plusieurs formations partisanes, adopte des positions favorables à la nouvelle Russie soviétique, sans pour autant soutenir les communistes allemands sur le plan intérieur. Lloyd George perçoit immédiatement le danger: la sociale-démocratie risque de perdre sa base électorale et la droite musclée risque bel et bien de concrétiser ses projets d’alliance avec les Soviets. Il demande à Clémenceau de modérer ses exigences et écrit: “The greatest danger that I see in the present situation, is that Germany may throw her lot with Bolshevism and place her resources, her brains, her vast organizing power at the disposal of the revolutionary fanatics whose dreams it is to conquer the world for Bolshevism by force of arms”. En dépit de cet appel britannique à la modération, Versailles, en juin 1919, consacre le triomphe de Clémenceau. D’où l’option pro-soviétique demeure le seul moyen de s’en sortir pour l’Allemagne vaincue.

Hugo Stinnes, pour le cartel industriel, les généraux von Seeckt et von Schleicher pour l’état-major, joueront cette carte. D’une part, les Britanniques avaient imposé un blocus de longue durée à l’Allemagne, provoquant une famine désastreuse et des centaines de milliers de morts. Après avoir infligé ce sort à l’Allemagne, les deux puissances occidentales de l’Entente l’appliquent ensuite à la Russie soviétique. Sous l’impulsion des élites industrielles et militaires, désormais russophiles, l’Allemage refuse de participer au blocus anti-soviétique. En juillet 1920, l’armée rouge entre en Pologne: les Allemands restent neutres et refusent qu’armes et appuis logistiques transitent par leur territoire. Les ouvriers du port de Dantzig se mettent en grève, privant la Pologne de tous approvisionnements. C’est à ce moment-là que l’on commence aussi à parler de “Dritte Kraft”, de “Troisième Force”: il ne s’agit alors nullement du KPD communiste ou d’éléments précurseurs de la NSDAP mais de la KAPD, une dissidence communiste et nationale, née à Hambourg en avril 1920 et dirigée par Lauffenberg et Wolfheim. Ce parti, somme toute groupusculaire, fera long feu mais sa courte existence donne naissance au vocable “national-bolchevisme”, vu qu’il avait essayé d’harmoniser en son sein éléments nationalistes et éléments communistes radicaux. Le “Solidarier” et membre du “Ring” Ernst Troeltsch, dans un article du 12 novembre 1920, résume la situation: “La pression de l’Entente détruit toutes les conditions de vie et radicalise les masses affamées; le succès du bolchevisme en Allemagne encourage l’Entente à cultiver d’autres projets de destruction, tant et si bien que les croisements idéologiques les plus étonnants verront le jour: une partie du monde ouvrier va devenir radicalement nationaliste et une partie de la bourgeoisie se fera bolchevique; quant aux adversaires les plus rabiques de l’Entente, ils se placeront aux côtés du capitalisme de l’Entente pour se sauver du bolchevisme et les adversaires les plus radicaux de la classe ouvrière se convertiront à une sorte de bolchevisme du désarroi”. Les repères habituels sont dès lors brouillés et les extrêmes se rejoignent, en dépit de ce qui les a différenciées (cf. Jean-Pierre Faye, qui a démontré qu’en de tels moments, “les extrémités du fer à cheval idéologico-politique se touchent”).

Rapallo

 

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Le résultat le plus tangible de ce national-bolchevisme diffus, partagé par les ouvriers de Hambourg comme par les généraux de l’état-major ou les dirigeants des gros cartels industriels de l’Allemagne, est le Traité de Rapallo (1922) signé entre Rathenau et Tchitchérine, inaugurant ainsi la phase évolutionnaire et non plus révolutionnaire du national-bolchevisme.

mvb10.jpgLes milieux déplomatiques le reprennent à leur compte sous la houlette du Comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau, ancien ministre des affaires étrangères de la République de Weimar (cabinet Scheidemann), démissionnaire pour ne pas avoir à signer le Traité de Versailles, puis ambassadeur allemand à Moscou (en 1922). Avec deux autres diplomates, Rudolf Nadolny et Richard von Kühlmann, il avait mis au point la stratégie de “révolutionner” la Russie en 1917, pour que le Reich n’ait plus à lutter sur deux fronts. Les trois diplomates s’étaient assuré le concours du banquier Alexander Parvus, artisan financier de la révolution bolchevique (cf. Gerd Koenen, v. bibliographie). Malgré son passé d’artisan majeur de la prise du pouvoir par Lénine en Russie, von Brockdorff-Rantzau, aristocrate favorable à un régime populaire et démocratique, favorable aussi à des liens limités avec l’URSS, n’acceptera pas les clauses du Traité de Rapallo, jugé trop bénéfique aux Soviétiques. Il sera en revanche l’artisan du Traité de Berlin (cf. infra). De même, le principal soutien de Stadtler et de sa “Ligue anti-bolchevique”, Karl Helfferich, intriguera contre le Traité de Rapallo et contre Walther Rathenau, qui finira assassiné par des éléments issus des Corps Francs, dont l’écrivain Ernst von Salomon.

Débat: Radek, Moeller, Reventlow

En cessation de paiement, la République de Weimar doit accepter en 1923 l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges qui se paieront en nature pour honorer les réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles. Les communistes s’insurgent contre cette occupation. Karl Radek prononce un discours contre les occupants, suite à l’exécution, par les Français, de l’officier nationaliste Albrecht Leo Schlageter, qui avait organisé des opérations de sabotage pour entraver la logistique des troupes d’occupation ou pour éliminer les séparatistes rhénans, stipendiés par Paris. Radek pose Schlageter comme une “victime des capitalistes de l’Entente”. Le Comte Ernst zu Reventlow, nationaliste, rédige même un article en faveur de Schlageter dans le journal communiste “Die Rote Fahne”. Pour répondre directement aux questions que lui avait posées Radek dans les colonnes de “Die Rote Fahne”, Moeller entre, à son tour, dans le débat, où nationalistes et communistes conjugueront leurs efforts pour mettre fin à l’occupation de la Ruhr. Il rédige trois articles dans “Gewissen”, en réponse à Radek. Il précise que sur le plan de la “politique spatiale”, de la “Raumpolitik”, les destins de l’Allemagne et de la Russie sont unis, inexorablement unis, mais il réfute le centralisme bolchevique et s’oppose à toute politique communiste visant à tout centraliser autour du PCUS.

Pour Arthur Moeller van den Bruck, l’URSS doit renoncer à son agitation en Allemagne, ne plus faire du communisme un instrument de subversion et laisser éclore et se développer un “socialisme allemand”, qui serait son allié et non son “clone”, se défaire d’un radicalisme inopérant sur le long terme (Gorbatchev!) et développer un socialisme véritablement démocratique. Moeller précise aussi que le prolétariat allemand peut certes être l’instrument d’une révolution aussi bien communiste que nationaliste, d’une révolution libératrice; toutefois, ce prolétariat, rappelle le Prof. Louis Dupeux en citant Moeller, forme bien sûr la “majorité arithmétique” de la nation mais il “n’est pas capable d’administrer la très complexe économie allemande”, bien différente et bien plus ancienne et diversifiée que l’économie russe. Pour Moeller, uniquement les “travailleurs intellectuels” peuvent remédier aux lacunes et aux insuffisances politiques du prolétariat parce qu’ils sont conscients des enjeux: les entrepreneurs allemands ne sont pas des capitalistes mais d’autres “travailleurs intellectuels” —différents des littérateurs et des philosophes aux regards plus perçants et dépositaires de la “longue mémoire”— car, contrairement à leurs homologues occidentaux, ils créent des valeurs (matérielles et exportables), ne sont pas des spéculateurs mais les administrateurs du génie productif des ingénieurs innovateurs, eux aussi expression du génie populaire. Géopolitiquement, l’Allemagne et la Russie, devenue bolchévique, sont liées par un “destin tellurique” —elles se procurent mutuellement une liberté de mouvement en politique étrangère— mais l’alliance potentielle et indéfectible entre les deux puissances ne peut se faire sous le signe du seul bolchevisme léniniste car celui-ci conduira au blocage de l’économie russe. Seulement aux conditions énoncées par Moeller dans “Gewissen” en réponse à Radek, une coopération entière et permanente est possible. Moeller garde donc une vision particulière, non bolchévique et véritablement “jungkonservativ” de la Russie, héritage direct de son mariage avec Lucie Kaerrick, de son travail de traducteur avec Less Kaerrick et de son amitié pour Merejkovski. Reste à constater que Moeller est prophète: la perestroïka de Gorbatchev et les accords Poutine/Schröder et Poutine/Merkel, bien analysés par le diplomate contemporain Alexander Rahr, sont autant de faits politiques et géopolitiques contemporains qui démontrent que le dialogue germano-russe est possible et fécond mais sans bolchevisme pétrifiant, avec toutefois un système russe plus dirigiste, non occidental, non influencé par le manchestérisme et la spéculation financière, et un système allemand, fidèle à ce que l’économiste français Michel Albert appelait le “capitalisme patrimonial rhénan”.

Jouvence russe et allemande

L’immersion profonde de Moeller dans l’univers romanesque de Dostoïevski le conduit à croire que la spiritualité russe est un ingrédient nécessaire à la renaissance allemande, idée partagée aussi par Eugen Diederichs qui avait fait traduire de nombreux auteurs russes et slaves. Cette spiritualité russe et dostoïevskienne, ainsi que l’apport de Merejkovski, est appelée à faire contre-poids à l’influence occidentale, qui distille dans l’Allemagne les idées délétères de la révolution française et du manchestérisme anglais. Cette spiritualité est aussi perçue comme un élément d’éternelle jouvence, comme un barrage sûr contre la sénescence à laquelle l’occidentalisme conduit les peuples (idée réactualisée par Edouard Limonov qui décrit l’Occident contemporain comme un “Grand Hospice”). Les Slaves —avec les idéologues panslavistes, qui se font les véhicules des idées lancées par Nikolaï Danilevski au 19ème siècle— se considèrent comme des peuples jeunes, parce qu’ils sont plus spiritualisés que les Occidentaux laïcisés et trop rationalisés, parce qu’ils ont une démographie plus prolifique. Immédiatement après la première guerre mondiale, Moeller van den Bruck mobilise l’idée de “peuple jeune” dans une polémique anti-française: la France est alors campée comme une “vieille nation”, à la démographie défaillante depuis plusieurs décennies, qui n’a pu vaincre l’Allemagne que parce qu’elle s’était alliée à deux peuples jeunes, les Américains et les Russes. Si l’Allemagne avait été alliée à la Russie, elle aurait incarné un principe de “plus grande jouvence” et les soldats allemands et russes, portés par l’élan putatif de leur jeunesse intrinsèque, se seraient promenés sur les Champs Elysées et sur la Canebière; un facteur de sénescence particulièrement dangereux pour l’Europe aurait été éliminé, pensaient Moeller van den Bruck et son entourage. Pour faire charnière entre l’idée russe d’une jouvence slave et l’injection (ou la ré-injection) d’idéologèmes de jouvence dans l’espace politique allemand, il faut raviver le “mythe prussien”, pense Moeller. La Prusse est effectivement un mélange d’ingrédients germaniques, vénètes (“wendisch”), slaves et baltes. Ce cocktail interethnique, réussi selon Moeller van den Bruck, doit devenir l’élément de base, l’élément essentiel, du futur Reich, et le territoire sur lequel il s’est constitué devenir son centre de gravitation historique, situé plus à l’Est, dans une région non soumise aux influences françaises et anglaises. L’esthétique visibilisée, l’urbanisme nouveau et l’architecture de prestige de l’Etat seront alors les signes de cette prussianisation de l’Allemagne: ils seront autant de réactualisations de l’esprit de l’architecture du classicisme prussien, des réactualisations à peine modifiées des oeuvres de Gilly, Schinckel,etc.

Dans le “Dictionnaire politique”, édité par le “Juni-Klub”, Max Hildebert Boehm écrivait: “La jeunesse de gauche et de droite trouve un terrain d’entente quand il s’agit de rejeter l’occidentalisme bourgeois et perçoit dans la contamination morale qu’irradie l’Occident vieillissant, surtout par le biais de l’américanisation, le pire des dangers pour la germanité. Contre les miasmes empoisonnés qui nous viennent de l’Occident, il nous faut constituer un front intellectuel contre l’Ouest...”. On notera ici que Boehm considère l’Amérique comme facteur de sénescence ou de contamination morale, alors que Moeller la considérait comme un élément de jouvence.

Nous avons surtout insisté, dans ce bref essai, sur trois aspects du livre le plus célèbre de Moeller van den Bruck, à défaut d’être le plus original et le plus profond: la définition du “Jungkonservativismus” (incompréhensible sans dresser le bilan des années littéraires de Moeller), le mythe du “Reich” (avec ses racines religieuses prophétiques) et l’“Ostideologie” (tributaire de Merejkovski et Dostoïevski).

En 1925, le Traité de Locarno instaure un modus vivendi avec l’Ouest: un certain rapprochement franco-allemand devient possible, sous la double impulsion de Briand et Stresemann. En 1926, le Traité de Berlin, signé entre la République de Weimar et l’URSS, reconduit bon nombre de clauses du Traité de Rapallo, cette fois flanqué d’un apaisement à l’Ouest par le truchement du Traité de Locarno. Le Traité de Berlin signale au monde que l’Allemagne entend encore et toujours coopérer avec l’Union Soviétique, sur les plans économique et militaire, en dépit d’un rapprochement avec l’Ouest et la SdN, que l’URSS avait voulu éviter à tout prix au début des années 20. Les Allemands, dans les clauses de ce Traité de Berlin, déclarent qu’ils resteront neutres —et non belligérants actifs aux côtés des Soviétiques— en cas de conflit entre l’URSS et une tierce puissance, en l’occurrence la Pologne, rendant de la sorte impossible toute intervention française dans le conflit en faveur de Varsovie. Simultanément, l’Allemagne des nationalistes espérait affaiblir la Pologne, allié de revers de la France. Quant à Stresemann, l’homme de Locarno avec Briand, il entendait plutôt “modérer” l’URSS, l’Allemagne, aux yeux de ce social-démocrate, devant servir d’interface entre l’Ouest et l’URSS, dans le but d’assurer paix et stabilité sur le continent européen. Le Traité de Berlin devait rester en vigueur pendant cinq ans: le gouvernement Brüning le prolongera pour cinq nouvelles années en 1931 mais l’URSS ne le ratifiera qu’en mai 1933, cinq mois après la prise de pouvoir par la NSDAP d’Hitler!

Modus vivendi en Europe

Les traités de Locarno et de Berlin instaurent de ce fait un modus vivendi en Europe, où plus aucune révolution régénérante —poussant les peuples, et le peuple allemand en particulier, vers un “Règne de l’Esprit”— n’est envisageable: le vieux monde est sauvé. Pour les activistes les plus audacieux, c’est la déception. Pour Moeller, en effet, la défaite de novembre 1918 avait été une aubaine: une victoire de l’Allemagne wilhelminienne ou une paix de compromis, comme le projet de “partie nulle” soutenu par le Pape Benoit XV, aurait maintenu le Reich dans une misère intellectuelle similaire à celle du wilhelminisme que brocardaient les “cabaretistes” autour de Wedekind et Wolzogen. La révolution esthétique et politique, rêvée par Moeller, n’était plus possible. La défaite et le marasme, dans lequel l’Allemagne avait été plongée depuis la défaite et Versailles, rendaient plausible la perspective d’un grand bouleversement salutaire, capable de faire advenir le “Troisième Règne de l’Esprit”. Rien d’aussi glorieux n’était plus envisageable sous les clauses des nouveaux traités et, pire, sous les conditions du Plan Dawes de refinancer l’Allemagne par des capitaux américains. L’ère des masses sans conscience s’annonçait, obligeant les “nationaux-révolutionnaires”, qui avaient tous espéré le déchaînement proche d’une révolution purificatrice, à quitter la scène politique, à abandonner tout espoir en l’utilité révolutionnaire des petites phalanges ultra-politisées de “cerveaux hardis”: le retrait d’Ernst Jünger étant, après la mort de Moeller, le plus emblématique; surtout, Ernst Jünger et son frère Friedrich-Georg Jünger sont ceux qui nous laissent les témoignagnes littéraires les plus complets de cette époque où l’on attendait une révolution régénérante. Pour Jünger, dorénavant, l’écriture est la seule forme possible de résistance contre l’avancée arasante de la modernité. Le Règne de Cham pouvait alors commencer, sous des formes multiples, utilisant les élans de l’âme à mauvais escient, étouffant cette “Glut”, signe de jouvence évoqué maintes fois par Moeller, soit cette incandescence des âmes fortes, des âmes qui brûlent. Cham nous a menés tout droit à l’étouffoir dans lequel nous survivons péniblement aujourd’hui. Voilà pourquoi, pour vivre au milieu des ruines, il faut se rappeler l’itinéraire si riche d’Arthur Moeller van den Bruck et raviver sans cesse les flammèches allumées jadis par les auteurs et les activistes qu’il a côtoyés, afin de ne pas se laisser submerger par les fadaises de notre époque, la plus triviale que l’histoire européenne ait jamais connue, celle d’une “Smuta”, dont on ne perçoit pas encore la fin, afin aussi d’être les premiers lorsque prendra fin cette ère de déclin.

Robert STEUCKERS.

Fait à Forest-Flotzenberg, Fessevillers et Genève, de février à septembre 2013.

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-          Panajotis KONDYLIS, Konservativismus – Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986.

-          Mircea MARGHESCU, Homunculus – Critique dostoïevskienne de l’anthropologie, L’Age d’Homme, Lausanne, 2005.

-          Fritz MARTINI, Duitse letterkunde, I & II, Prisma-Compendia, Het Sprectrum, Utrecht/Antwerpen, 1969.

-          Wolfgang MARTYNKIEWICZ, Salon Deutschland – Geist und Macht – 1900-1945, Aufbau-Verlag, Berlin, 2011.

-          Nicolas MILOCHEVITCH, Dostoïevski penseur, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Georges MINOIS, Die Geschichte der Prophezeiungen, Albatros, 2002.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Das Ewige Reich, Bd. I & II, W. G. Korn Verlag, Breslau, 1933.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Le Troisième Reich, Alexis Redier, Paris, 1933 (préface de Thierry Maulnier).

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, La révolution des peuples jeunes, Pardès, Puiseaux, 1993.

-          Armin MOHLER, Die Konservative Revolution in Deutschland – 1918-1932, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989.

-          Georges NIVAT, Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Karl O. PAETEL, Versuchung oder Chance? Zur Geschichte des deutschen Nationalbolschewismus, Musterschmidt, Göttingen, 1965.

-          Birgit RÄTSCH-LANGEJÜRGEN, Das Prinzip Widerstand – Leben und Wirken von Ernst Niekisch, Bouvier Verlag, Bonn, 1997.

-          Wilhelm SCHERER & Oskar WALZEL, Geschichte der deutschen Literatur, Otto Eichler Verlag, Leipzig/Berlin, s.d. (1928?).

-          André SCHLÜTER, Moeller van den Bruck – Leben und Werk, Böhlau, Köln, 2010.

-          Otto-Ernst SCHÜDDEKOPF, National-bolschewismus in Deutschland 1918-1933, Ullstein, Berlin, 1972.

-          Hans-Joachim SCHWIERSKOTT, Arthur Moeller van den Bruck und der revolutionäre Nationalismus in der Weimarer Republik, Musterschmidt, Göttingen, 1962.

-          Kurt SONTHEIMER, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, DTV, 1978.

-          Fritz STERN, Kulturpessimismus als politische Gefahr – Eine Analyse nationaler Ideologie in Deutschland, DTV, München, 1986.

-          Peter WATSON, The german Genius – Europe’s Third Renaissance, The second Scientific Revolution and the Twentieth Century, Simon & Schuster, London, 2010.

-          Volker WEISS, Moderne Antimoderne – Arthur Moeller van den Bruck und der Wandel des Konservatismus, F. Schöningh, Paderborn, 2012.

 

Dette abyssale : pourquoi ?

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Dette abyssale : pourquoi ? Que risque-t-il de se passer ?

par Guillaume Faye

Ex: http://www.gfaye.com

La dette souveraine française va bientôt atteindre les 2000 milliards d’euros, c’est-à-dire 95,1% du PIB fin 2014, soit 30.000 € par Français. Bombe à retardement. Il y a dix ans, elle atteignait 1.000 milliards et l’on criait déjà à la catastrophe. Mais personne n’a rien fait. Depuis 1974 ( !) aucun budget n’a été en équilibre : tous déficitaires. Les multiples rapports, comme ceux de la Cour des Comptes, ont tous été jetés au panier. Chaque année, il faut rembourser 50 milliards d’euros d’intérêts, deuxième budget de l’État.

Mais pourquoi s’endette-t-on ? Certainement pas pour investir (et donc pouvoir rembourser par les gains escomptés) (1), mais pour les raisons suivantes : A) Payer une fonction publique pléthorique et surnuméraire, qui ne cesse d’enfler. B) Régler les prestations sociales d’un État Providence qui suit (droite et gauche confondues) les préceptes absurdes du collectivisme (2). Parmi ces prestations, on note les allocations chômage les plus généreuses au monde qui, paradoxalement, provoquent l’accroissement du chômage et dissuadent les embauches ; le coût croissant des allocations aux immigrés d’origine et aux étrangers les plus divers, y compris clandestins et fraudeurs (type AME), pris en charge comme nulle part ailleurs au monde ; l’absurdité totale des emplois aidés – pour les mêmes populations – qui ne créent aucune valeur ajoutée. C) L’endettement sert aussi à payer les intérêts de la dette ! Absurdité économique totale, qui ne choque pas la cervelle de nos énarques. On creuse un trou pour en boucher (sans succès d’ailleurs) un autre.(3) 

L’Allemagne, elle, a rééquilibré son budget et voit décroître sa dette. Elle mène une politique d’austérité d’expansion, incompréhensible pour les dirigeants français, incapables d’envisager le moindre effort et abonnés au déni de réalité. Et, contrairement à une certaine propagande, pas du tout au prix d’une paupérisation de la société par rapport à la France. Je parlerai du cas de l’Allemagne dans un prochain article. Maintenant, quels risques majeurs font courir à la France cet endettement colossal et croissant (4) ?

A) L’agence France Trésor qui emprunte actuellement à taux bas va automatiquement se voir imposer très bientôt des taux à plus de 5%. Donc on ne pourra plus emprunter autant. B) Il semble évident que, si l’on peut encore rembourser les intérêts, on ne pourra jamais rembourser le ”principal”, même en 100 ans. Point très grave. Un peu comme les  emprunts russes d’avant 1914. C) Cette situation aboutira à la ”faillite souveraine”, avec pour conséquence l’effondrement mécanique, brutal et massif, de toutes les prestations sociales de l’État Providence, des salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite, etc. D) La France sera donc soumise au bon vouloir de ses créanciers et contrainte de solliciter l’aide d’urgence du FMI, de la BCE et, partant de l’Allemagne, voire de la Fed américaine… Indépendance nationale au niveau zéro, mise sous tutelle. (5) E) Une position débitrice insolvable de la France, seconde économie européenne, provoquera un choc économique international d’ampleur lourde – rien à voir avec la Grèce. F) Paupérisation et déclassement dans tous les domaines : plus question d’entretenir les lignes SNCF ou d’investir dans la recherche et les budgets militaires, etc. G) Enfin, surtout avec des masses d’allogènes entretenues et qu’on ne pourra plus entretenir, cette situation pourra déboucher sur une explosion intérieure qu’on n’a encore jamais imaginée – sauf votre serviteur et quelques autres.

Et encore, on n’a pas mentionné ici la dette de la Sécurité sociale et celles des collectivités locales, en proie à une gestion dispendieuse, irresponsable, incompétente. L’impôt ne pourra plus rien compenser car il a largement atteint son seuil marginal d’inversion de rendement. Mais enfin, le mariage des homos, la punition contre le régime syrien, la suppression des peines de prison pour les criminels, ne sont-ils pas des sujets nettement plus urgents et intéressants ? Un ami russe, membre de l’Académie des Sciences de son pays, me disait récemment, à Moscou : « je ne comprends plus votre chère nation. Vous n’êtes pas dirigés par des despotes, mais par des fous ».

(1) Depuis Colbert jusqu’aux enseignements basiques de toutes les écoles de commerce, on sait qu’un endettement ne peut être que d’investissement et surtout pas de fonctionnement ou de consommation. Qu’il s’agisse d’entreprises, de ménages, de communes, de régions ou d’États. Autrement, on ne pourra jamais le rembourser et ce sera la faillite. Une célèbre Fable de La Fontaine l’avait expliqué aux enfants : La cigale et la fourmi. La fourmi refuse de lui prêter pour consommer pendant l’hiver car elle sait qu’elle ne sera jamais remboursée puisque la cigale chante gratuitement et ne travaille pas. En revanche, si la cigale lui avait demandé un prêt pour organiser une tournée de chant payante, la fourmi aurait accepté. Logique économique basique, hors idéologie.

(2) Le collectivisme peut fonctionner plusieurs décennies dans une économie entièrement socialisée, sans secteur privé, comme on l’a vu en URSS et dans le défunt ”bloc socialiste”. Au prix, évidemment, d’un système de troc autarcique. Pourquoi pas ? Mais l’expérience (plus forte que les idées pures des idéologues) a démontré que ce système est hyperfragile sur la durée car il nécessite un système politique pyramidal et de forte contrainte, et provoque une austérité générale que les populations ne supportent pas objectivement, en dépit de tous les discours et utopies des intellectuels. Mais l’aberration française, c’est d’entretenir un système intérieur collectiviste dans un environnement européen et international mercantile et ouvert. Du socialisme à l’échelle d’un petit pays dans un énorme écosystème libéral. Cette contradiction est fatale : c’est un oxymore économique. Ça ne pourra pas durer. L’énorme Chine elle, peut surmonter ce paradoxe : un régime pseudo-communiste, anti-collectiviste, mais animé par un capitalisme d’État. Mais c’est la Chine…Inclassable.

(3) Aberration supplémentaire: la France s’endette pour prêter aux pays du sud de l’UE endettés afin qu’ils puissent payer les intérêts de leur dette ! On creuse des trous les uns derrière les autres pour pouvoir reboucher le précédent. Le « Plan de soutien financier à la zone euro » à augmenté la dette française de 48 milliards d’euros et culminera en cumulé à 68,7 milliards en 2014. Emprunter pour rembourser ses dettes ou celles de ses amis, ou, pire les intérêts desdites dettes, cela à un nom : la cavalerie.

(4) Contrairement à qu’on entend un peu partout, la dette ne peut que croître en volume principal, même si le déficit passe en dessous du chiffre pseudo-vertueux des 3% négocié avec Bruxelles. La créance brute ne décroît que si le budget du débiteur est définitivement à l’équilibre, voire excédentaire, pendant plusieurs années – et encore cet excédent doit-il est majoré en fonction des taux d’intérêt. Arithmétique de base, qu’on n’enseigne probablement pas à l’ENA. 

(5) La solution du Front national – sortir de l’Euro, reprendre le Franc, retrouver une politique monétaire indépendante, pouvoir dévaluer (bon pour l’exportation), pouvoir faire fonctionner la planche à billets librement comme la Fed, s’endetter par des émissions auprès de la Banque de France et non plus des marchés – est irréaliste. Pour deux raisons techniques : d’abord parce que l’économie française n’a pas la taille mondiale de l’économie américaine qui est en situation de ”monétarisation autonome” (self money decision) ; ensuite, et pour cette raison, parce qu’une telle politique, même si elle ferait baisser la charge de la dette, aurait pour conséquence mécanique un effondrement de l’épargne et des avoirs fiduciaires des Français, en termes non pas nominaux mais marchands. ”Vous aviez 100.000 € en banque, le mois dernier, avant le retour au Franc ? En compte courant, assurance vie, épargne populaire, etc ? Désolé, en Francs, il ne vous reste plus que l’équivalent de 50.000.” Politiquement dévastateur. La seule solution (voir mon essai Mon Programme, Éd. du Lore) est de bouleverser le fonctionnement de la BCE, dont l’indépendance est une hérésie, et d’envisager une dévaluation de l’Euro.

lundi, 23 septembre 2013

Réflexion sur l’État dans l’économie

Qu’est-ce que le vrai colbertisme?

Réflexion sur l’État dans l’économie

Par Guillaume Faye

Ex: http://www.gfaye.com

Colbert_mg_8446.jpgPar manque de formation historique et économique, on présente le « colbertisme » comme de l’interventionnisme étatique à la façon de l’État Providence ou des velléités de notre bruyant ministre du ”Redressement productif ”, M. Montebourg. Première erreur. On s’imagine aussi que le colbertisme est un dirigisme anti-libéral, le choix d’une économie bureaucratique et administrée, sous prétexte de ”volontarisme” anti-marché.  Seconde erreur. Le colbertisme n’a rien à voir avec ces clichés, bien au contraire. Dans l’histoire de France récente, les véritables politiques colbertistes ont été menées par De Gaulle et Pompidou, mais certainement pas par les socialistes. Explications.

Colbert, homme pragmatique, principal ministre de Louis XIV, était révulsé par l’économie corporatiste, héritée de la période médiévale, avec ses corsets réglementaires, coutumiers, paralysants, fiscalistes. Un type d’économie archaïque que défendent, en fait, aujourd’hui les socialistes au pouvoir et les féodalités syndicales. Colbert était un adepte du mercantilisme anglais : il ne faut pas entraver le commerce, même avec les meilleures mais stupides intentions,  mais le favoriser, afin d’augmenter la richesse et la prospérité. Mais Colbert ajouta une french touch, comme on dit : l’État ne doit pas seulement veiller à laisser en paix les acteurs économiques, à ne pas les assommer de règlements, les imposer, les contraindre, mais aussi à les aider et à leur construire un environnement favorable et à mener de grands projets d’investissement ciblés, et énormes pour l’époque : la manufacture de Saint-Gobain,  celle des Gobelins, celle de Sèvres, le canal du Midi, les grandes routes royales (1), le pavage de Paris, les grands chantiers et commandes artistiques somptueuses, vitrines de la France, etc.

Colbert développa ainsi l’idée d’investissements d’État productifs : les manufactures, les infrastructures et les comptoirs coloniaux. Ces ”grands projets” constituaient à la fois un appel d’offre pour les entrepreneurs privés mais s’inscrivaient dans la doctrine mercantiliste anglo-hollandaise : créer un environnement propice à l’expansion commerciale et à l’exportation – plus d’ailleurs qu’à l’industrie. Loin de lui l’idée de faire de l’État royal  un acteur interventionniste, mais plutôt un ”facilitateur”. Pour Colbert, l’État devait être économe, avec des comptes équilibrés, d’où son conflit avec le dispendieux Louvois. L’État colbertiste est libéral et initiateur à la fois. Il limite les impôts. Il favorise le commerce maritime avec les comptoirs.   

Le bricolage économique et industriel des socialistes n’a donc rien à voir avec le colbertisme dont l’approximatif M. Montebourg se réclame. Le gouvernement socialiste veut au contraire (mythe marxiste de la ”nationalisation”) que l’État bureaucratique se substitue aux entreprises,  les dirige avec prétention et incompétence, tout en les assommant de charges par ailleurs. D’où par exemple le prétentieux et inutile programme étatique en 34 plans techno-industriels (septembre 2013) qualifié avec cuistrerie de « troisième révolution industrielle », par lequel l’État  va « faire naître les inventions de demain, les usines de demain, les produits de demain ».  Les dirigeants de Google ou de X Space doivent bien rigoler. Ce projet coûtera 3,7 milliards d’euros. Ce sera un coup d’épée dans l’eau. Car les élus et les fonctionnaires sont les plus mal placés pour définir les axes de recherche-développement du secteur industriel marchand. Ce dernier sait faire son job tout seul. À ce propos, Yves de Kerdrel écrit (2) : « à quoi bon mettre l’accent sur la production de textiles intelligents lorsque dans le même temps des industriels de ce secteur se voient refuser l’autorisation d’ouvrir un site de production dans telle friche industrielle sous prétexte qu’on y aurait aperçu une espèce protégée d’escargots. » (3)

De même, la création de la récente banque publique d’investissements est une usine à gaz bureaucratique et coûteuse. L’État ferait mieux non pas de se mêler de créer des emplois, mais de faciliter leur création, non pas de subventionner ça et là des entreprises de pointe mais de cesser de pressurer de taxes, de paralyser par des règlementations l’ensemble des entreprises, d’assouplir le marché du travail, etc. L’État français socialisé est un fossoyeur qui se fait passer pour un infirmier, un destructeur d’industries qui se pose en sauveur de l’industrie. (4) 

Tout autre est le véritable colbertisme, ou plutôt le néo-colbertisme de l’ère gaullo-pompidolienne. En ce temps-là (1958-1974), le budget était en équilibre. Ce qui n’empêchait l’État d’aider au financement (lui seul pouvait le faire) de grands projets structurants pour l’avenir, avec une vraie vision, pour la France et pour l’Europe. Nous sommes toujours les héritiers de ces projets, qui n’ont plus de successeurs à la hauteur.

Mentionnons pour mémoire : le programme nucléaire des 58 réacteurs (indépendance énergétique et électricité propre), le Concorde (échec commercial franco-britannique mais énormes retombées technologiques), le programme spatial (Arianespace, leader mondial), le TGV, le réseau autoroutier, Airbus, l’avionique militaire française et tant d’autres initiatives. Bien sûr il y eut des échecs cruels. (5) Le néo-colbertisme se caractérise donc par une action de l’État dans deux domaines essentiels : fournir aux entrepreneurs, forces vives d’une nation, les infrastructures nécessaires à grande échelle ; passer des commandes d’État ou proposer des partenariats dans des domaines stratégiques. Pas ”bricoler” avec des boîtes à outils socialistes, avec de la ”com” (propagande mensongère) à la rescousse.    

Maintenant, pour conclure, n’oublions pas que l’État américain fédéral   pratique le néo-colbertisme dans certains domaines, avec la NASA ou le pilotage du complexe militaro-industriel. L’Union européenne, elle, adepte d’un fédéralisme mou, bureaucratique, ”libéral” au mauvais sens du terme, n’a aucun projet techno-industriel de grande ampleur, et mobilisateur. Le colbertisme suppose une volonté nationale et l’Union européenne ne se pense toujours pas véritablement comme nation. Très probablement – c’est l’enseignement de l’Histoire – elle ne le fera que si  l’alchimie explosive se fait entre une menace et un leader. La menace existe, et le leader européen pas encore.

Notes:

(1) Au début du XVIIe siècle, il fallait trois fois plus de temps pour aller de Paris à Marseille ou à Bordeaux que du temps de l’Empereur Trajan, à la fin du Ier siècle, lorsque les voies romaines étaient entretenues. Après les investissements routiers de Colbert, cette différence n’existe plus. Dans le Paris de Henri IV, le confort urbain était inférieur à celui de Rome ou de Pompéi : pas de rues pavées, pas d’égouts, très peu d’apports hydrauliques non phréatiques.

(2) Le Figaro, 18/09/2013, in « Colbert, reviens ! Ils sont devenus fous », p. 15, article stimulant qui m’a donné l’idée d’écrire celui-ci. 

(3) Toujours le principe de précaution, frilosité écolo, que Claude Allègre a dénoncé. Voir l’interdiction, en France, même des recherches sur l’exploitation propre des gaz et huiles de schiste. Les escargots valent mieux que les emplois. Le lobby écologiste (même fanatisme que les islamistes) est dans l’utopie contre le réel. Hélas, il est écouté.

(4) La cause principale de la désindustrialisation de la France est la perte de compétitivité des entreprises industrielles, du fait du fiscalisme pseudo-social étatique, et non pas la recherche de la maximisation des profits par les ”patrons”, contrairement au discours paléo-marxiste. 

(5). Par exemple, le “Plan Calcul“ gaulliste des années soixante, maladroit et trop étatiste, qui n’a pas empêché l’informatique mondiale d’être dominée par les Américains. Ou encore notre bon vieux Minitel, lui aussi trop piloté par l’État (sub regnum Mitterrandis), trop cher, balayé par l’Internet US, en dépit de ses innovations et de ses avantages.

dimanche, 22 septembre 2013

Technopol und Maschinen-Ideologien

 

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Robert Steuckers:

Technopol und Maschinen-Ideologien

Analyse: Neil POSTMAN, Das Technopol. Die Macht der Technologien und die Entmündigung der Gesellschaft, S. Fischer Verlag, 1991, 221 S., ISBN 3-10-062413-0.

Neil Postman, zeitgenößischer amerikanischer Denker und Soziolog, ist hauptsächlich für seine Bücher über die Fernsehen-Gefahren bei Kindern bekannt. In seinem Buch Das Technopol klagt er den Technizismus an, wobei er nicht die Technik als solche ablehnt, sondern die Mißbräuche davon. In seiner Einleitung, spricht Postman eine deutliche Sprache: Die Technik ist zwar dem Menschen freundlich, sie erleichtert ihm das Leben, aber hat auch dunkle Seiten. Postman: «Ihre Geschenke sind mit hohen Kosten verbunden. Um es dramatisch zu formulieren: man kann gegen die Technik den Vorwurf erheben, daß ihr unkontrolliertes Wachstum die Lebensquellen der Menschheit zerstört. Sie schafft eine Kultur ohne moralische Grundlage. Sie untergräbt bestimmte geistige Prozesse und gesellschaftliche Beziehungen, die das menschliche Leben lebenswert machen» (S. 10). Weiter legt Postman aus, was die Maschinen-Ideologien eigentlich sind und welche Gefahren sie auch in sich tragen. Postman macht uns darauf aufmerksam, das gewisse Technologien unsichtbar sein können: so Postman: «Management, ähnlich der Statistik, des IQ-Messung, der Notengebung oder der Meinungsforschung, funktionniert genau wie eine Technologie. Gewiß, es besteht nicht aus mechanischen Teilen. Es besteht aus Prozeduren und Regeln, die Verhalten standardisieren sollen. Aber wir können ein solches Prozeduren- und Regelsystem als eine Verfahrensweise oder eine Technik bezeichnen; und von einer solchen Technik haben wir nichts zu befürchten, es sei denn, sie macht sich, wie so viele unserer Maschinen, selbstständig. Und das ist der springende Punkt. Unter dem Technopol neigen wir zu der Annahme, daß wir unsere Ziele nur erreichen können, wenn wir den Verfahrensweisen (und den Apparaten) Autonomie geben.

neilpost.gifDiese Vorstellung ist um so gefährlicher, als sie niemand mit vernünftigen Gründen gegen den rationalen Einsatz von Verfahren und Techniken stellen kann, mit denen sich bestimmte Vorhaben verwirklichen lassen. (...) Die Kontroverse betrifft den Triumph des Verfahrens, seine Erhöhung zu etwas Heiligem, wodurch verhindert wird, daß auch andere Verfahrensweisen eine Chance bekommen» (S. 153-154). Weiter warnt uns Postman von einer unheimlichen Gefahr, d. h. die Gefahr der Entleerung der Symbole. Wenn traditionnelle oder religiöse Symbole beliebig manipuliert oder verhöhnt werden, als ob sie mechanische Teilchen wären, entleeren sie sich. Hauptschuldige daran ist die Werbung, die einen ständig größeren Einfluß über unseres tägliche Denken ausübt und die die Jugend schlimm verblödet, so daß sie alles im Schnelltempo eines Werbungsspot verstehen will. Um Waren zu verkaufen, manipulieren die Werbeleute gut bekannte politische, staatliche oder religiöse Symbole. Diese werden dann gefährlich banalisiert oder lächerlich gemacht, dienen nur noch das interressierte Verkaufen, verlieren jedes Mysterium, werden nicht mehr mit Andacht respektiert. So verlieren ein Volk oder eine Kultur ihren Rückengrat, erleben einen problematischen Sinnverlust, der die ganze Gemeinschaft im verheerenden Untergang stoßen. Postmans Bücher sind wichtig, weil sie uns ganz sachlich auf zeitgenößischen Problemen aufmerksam machen, ohne eine peinlich apokalyptische Sprache zu verwenden. Zum Beispiel ist Postman klar bewußt, daß die Technik lebenswichtig für den Menschen ist, denunziert aber ohne unnötige Pathos die gefährliche Autonomisierung von technischen Verfahren. Postman plädiert nicht für eine irrationale Technophobie. Schmittianer werden in seiner Analyse der unsichtbaren Technologien, wie das Management, eine tagtägliche Quelle der Delegitimierung und Legalisierung der politischen Gemeinschaften. Politisch gesehen, könnten die soziologischen Argumente und Analysen von Postman eine nützliche Illustration der Legalität/Legitimität-Problematik sein (Robert STEUCKERS).

samedi, 21 septembre 2013

Kerry Bolton: Revolution from Above

Kerry Bolton: Revolution from Above

By Manfred Kleine-Hartlage

Ex: http://www.sezession.de

revolution-from-above-cover.jpgJeder, der einmal versucht oder auch nur theoretisch erwogen hat, einen größeren geistig-politischen Umschwung herbeizuführen – von einer Revolution ganz zu schweigen –, weiß, daß dazu vor allem eines erforderlich ist: Geld.

Geld bringt Journalisten dazu, bestimmte Themen hoch- oder niederzuschreiben, Geld veranlaßt Professoren, ihre Erkenntnisinteressen denen ihrer Drittmittelgeber anzupassen, Geld ermöglicht es, Zeitungen und Fernsehsender zu kaufen, mit Geld kann man Kurse für Agitatoren und solche, die es werden wollen, bezahlen, mit Geld eine Infrastruktur von „Nichtregierungsorganisationen“ unterhalten, und wenn all dies nicht reicht, kann man mit Geld Waffen kaufen.

Obwohl dies so offenkundig ist, daß man es schon banal nennen muß, ist es zugleich ein Tabuthema. Jeder weiß zwar, daß etwa die Bolschewiki eine Organisation von „Berufsrevolutionären“ waren; und jeder, der darüber nachdenkt, könnte sich sagen, daß Berufsrevolutionäre – wie alle anderen Berufstätigen auch – auf Arbeitgeber oder Kunden angewiesen sind, die sie bezahlen. Und doch gilt die Oktoberrevolution bis heute als das Werk eines gewissen Lenin, nicht etwa als das seiner Geldgeber. Allenfalls gesteht man zu, daß die Millionensummen, die die deutsche Regierung während des Ersten Weltkriegs zur Verfügung stellte, eine gewisse Rolle gespielt haben mögen. Daß entsprechende Summen aber schon lange vor dem Ersten Weltkrieg an die Bolschewisten und andere revolutionäre Organisationen flossen, und daß sie keineswegs aus Deutschland stammten, sondern aus amerikanischen Finanzkreisen: Das ist zwar kein Geheimnis, sondern wohldokumentiert; im offiziösen Geschichtsbild kommt es aber nicht vor.

Dabei ist die Russische Revolution noch dasjenige Thema, bei dem der kausale Zusammenhang zwischen den Interessen schwerreicher Finanziers und der Entfesselung der Revolution am ehesten thematisiert werden kann. Wer dagegen fragt, warum 1789 wie auf Kommando in ganz Frankreich Agitatoren auftauchten, die ein gar nicht so unzufriedenes Volk aufzuhetzen verstanden, sieht sich schnell als „Verschwörungstheoretiker“ abgestempelt, und erst recht gilt dies für den, der den ominösen „Zeitgeist“ hinterfragt, der – man weiß nicht wie – seit rund hundert Jahren, spätestens aber seit dem Zweiten Weltkrieg, grundsätzlich nur von links zu wehen scheint.

Wiederum ist es nicht wirklich ein Geheimnis, daß dieser Zeitgeist keineswegs von selbst entstanden ist, und es ist auch kein Geheimnis, wer seine Entstehung organisiert und finanziert hat: Die verantwortlichen Akteure rühmen sich dessen sogar und geben in ihren Veröffentlichungen detailliert Auskunft darüber. Und doch haben diese allgemein zugänglichen Informationen kaum Eingang ins herrschende politische Bewußtsein gefunden.

In seinem Buch „Revolution from Above“ [2], das zur Zeit leider nur auf Englisch verfügbar ist, hat der neuseeländische Autor Kerry Bolton diese Informationen zusammengetragen und zu einem theoretisch überzeugenden und empirisch unanfechtbar untermauerten Ganzen zusammengefügt. Er weist überzeugend – und dies ausschließlich auf der Basis von Selbstzeugnissen der einschlägigen Akteure! – nach, daß praktisch alle intellektuellen und politischen Strömungen der Linken im 20. Jahrhundert, soweit sie nicht von der UdSSR finanziert wurden, nur aufgrund der milliardenschweren Unterstützung durch eine winzige Schicht von amerikanischen Superreichen und deren Stiftungen zum Zuge kommen konnten. Zumindest hätten sie ohne diese Unterstützung bei weitem nicht die Durchschlagskraft haben können, die sie haben.

Ein solcher Befund mag denjenigen überraschen, der den Gegensatz von Kapitalisten und Sozialisten immer noch für unüberbrückbar hält. Tatsächlich war er das nie. Die Linke leistet dem Kapital vielmehr gute Dienste bei der Zerstörung hergebrachter Strukturen, Bindungen und Werte. Sie planiert damit das Gelände, auf dem der globale Kapitalismus errichtet wird. Sie zerstört reale, gewachsene Solidarität im Namen einer fiktiven und bloß ideologisch postulierten, und sie erzeugt damit die Gesellschaft von atomisierten Einzelnen, die auf ihre Rolle als Produzenten und Konsumenten zurückgeworfen werden und als Masse so lenkbar und nutzbar sind wie eine Viehherde. Das gilt für die russischen und chinesischen Kommunisten, die eine traditionelle agrarische Gesellschaft ins Industriezeitalter katapultierten und schließlich in den Weltmarkt einbanden; es gilt genauso für die westliche Linke mit ihrem Kampf gegen Nation, Tradition, Religion und Familie.

Boltons Buch ist die passende Ergänzung zu meinen eigenen Ausführungen zu diesem Thema (in „Die liberale Gesellschaft und ihr Ende“ [3]). Wo ich die Zusammenhänge abstrakt analysiere, nennt er konkrete Namen, Summen, Profiteure und Strategien. Steinchen für Steinchen entsteht dabei das Mosaik einer langfristigen Strategie der amerikanischen Plutokratie, die auf nicht mehr und nicht weniger hinausläuft als auf eine Weltrevolution – eben auf die Revolution von oben, der das Buch seinen Titel verdankt.

Solche Bücher können auch entmutigen: Wie will man denn, so mag mancher Leser fragen, einem Feind entgegentreten, der an allen Fronten unter Einsatz schier unbegrenzter Mittel auf dem Vormarsch ist? Ist da nicht jeder Widerstand von vornherein zumm Scheitern verurteilt?

Ich selbst ziehe den umgekehrten Schluß: Wenn der Feind Milliardensummen einsetzt, dann deshalb, weil er es nötig hat. Wer ganze Völker mit einem geschlossenen System von Lügen indoktrinieren muss, muß wesentlich mehr investieren als der, der es sich leisten kann, mit Wahrheiten zu operieren. Freilich rechtfertigt auch diese Feststellung nicht eine in manchen Kreisen immer noch verbreitete naive rechte Sozialromantik, die ohne professionelle Strukturen auszukommen glaubt, weil die Wahrheit sich allein durch den Idealismus ihrer Verfechter durchsetzen werde.

Kerry Boltons Buch ist insofern kein Anlaß zu Resignation, wohl aber zu produktiver Ernüchterung: Wir kommen mit weniger Geld aus als der Gegner, aber auch wir werden viele Millionen Euro benötigen, um einen spürbaren politischen Effekt zu erzielen. Es wird Zeit, daß diese Einsicht sich unter den besser betuchten Sympathisanten der politischen Rechten herumspricht.


Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de

URL to article: http://www.sezession.de/40908/kerry-bolton-revolution-from-above.html

URLs in this post:

[1] Image: http://www.sezession.de/wp-content/uploads/2013/09/kerry-bolton-revolution-from-above.jpg

[2] „Revolution from Above“: http://www.arktos.com/revolution-from-above.html

[3] „Die liberale Gesellschaft und ihr Ende“: http://antaios.de/detail/index/sArticle/314/sCategory/13

jeudi, 19 septembre 2013

Silvio Gesell: der “Marx” der Anarchisten

Robert STEUCKERS:

Silvio Gesell: der “Marx” der Anarchisten

Analyse: Klaus SCHMITT/Günter BARTSCH (Hrsg.), Silvio Gesell, “Marx” der Anarchisten. Texte zur Befreiung der Marktwirtschaft vom Kapitalismus und der Kinder und Mütter vom patriarchalischen Bodenunrecht, Karin Kramer Verlag, Berlin, 1989, 303 S., ISBN 3-87956-165-6.

silvio_gesell.jpgSilvio Gesell war ein nonkonformistischer Ökonom. Er nahm zusammen mit Figuren sowie Niekisch, Mühsam und Landauer an der Räteregierung Bayerns teil. Der gebürtige Sankt-Vikter entwickelte in seinem wichtigsten Buch “Die natürliche Ordnung” ein Projekt der Umverteilung des Bodens, damit ein Jeder selbständig-autonom in totaler Unabhängigkeit von abstrakten Strukturen leben konnte. Günter Bartsch nennt ihn ein “Akrat”, d.h. ein Mensch, der frei von jeder Bevormündung ist, sei diese politischer, religiöser oder verwaltungsartiger Natur. Für Klaus Schmitt, der Gesell für die deutsche nonkonforme Linke wiederentdeckt (aber nicht kritiklos), ist der räterepublikanische Akrat ein der schärfsten Kritiker der “Macht Mammons”. Diese Allmacht wollte Gesell mit der Einführung eines “Schwundgeldes” bzw. einer “Freigeld-Lehre” zerschmettern. Unter “Schwundgeld” verstand er ein Geld, das man nicht thesaurisieren konnte und für das keine Zinsen gezahlt wurden. Im Gegenteil war für Gesell die Hortung von Geldwerten die Hauptsünde. Geld, das nicht in Sachen (Maschinen, Geräte, Technik, Erziehung, Boden, Vieh, usw.) investiert wird, mußte durch moralischen und ökonomischen Zwang an Wert verlieren. Solche Ideen entwickelten auch der Vater des kanadischen und angelsächsichen Distributismus, C. H. Douglas, und der Dichter Ezra Pound, der in den amerikanischen Regierung ein Instrument des Teufels Mammon sah. Douglas entwickelte distributistische Bauern-Projekte in Kanada, die teilweise noch heute existieren. Pound drückte seinen Dichterhaß gegen Geld- und Bankwesen, indem er die italienischen “Saló-Republik” am Ende des Krieges unterstütze. Pound versuchte, seine amerikanische Landgenossen zu überzeugen, keinen Krieg gegen Mussolini und das spätfaschistischen Italien zu führen. Nach 1945, wurde er in den VSA zwölf Jahre lang in einer Irrenanstalt eingesperrt. Er kam trotzdem aus dieser Hölle ungebrochen zurück und ging bei seiner Dochter Mary de Rachewiltz in Südtirol wohnen, wo er 1972 starb.

silvio gesell,anarchisme,allemagne,histoire,nouvelle droite,théorie politique,sciences politiques,politologieNeben seiner ökonomischen Lehren über das Schwund- und Freigeld, theorisierte Gesell einen Anarchofeminismus, wobei er besonders die Kinder und die Frauen gegen männliche Ausbeutung schützen wollte. Diese Interpretation des matriarchalischen Archetyp implizierte eine ziemlich scharfe Kritik des Vaterrechts, der in seinen Augen die Position der Kinder in der Gesellschaft besonders labil machte. Insofern war Gesell ein Vorfechter der Kinderrechte. Praktish bedeutete dieser Anarchofeminismus die Einführung einer “Mutterrente”. «Gesell und sein Anhänger wollten den gesamten Boden den Müttern zueignen und ihnen bzw. ihren Kinder die Bodenrente bis zum 18. Lebensjahr der Kinder als “Mutter-” bzw. “Kinderrente” zukommen lassen. Ein “Bund der Mütter” soll den gesamten nationalen und in ferner Zukunft den gesamten Boden unseres Planeten verwalten und (...) an den oder die Meistbietenden verpachten. Nach diesem Verfahren hätte jeder einzelne Mensch und jede einzelne Gruppe (z. B. eine Genossenschaft) die gleichen Chancen wie alle anderen, Boden nutzen zu können, ohne von privaten oder staatlichen Parasiten ausgebeutet zu werden» (S. 124). Wissenschaftliche Benennung dieses Systems nach Gesell hieß “physiokratische Mutterschaft”.

Neben den langen Aufsätzen von Bartsch und Schmitt enthält das Buch auch Texte von Gustav Landauer (“Sehr wertvolle Vorschläge”) und Erich Mühsam (“Ein Wegbahner. Nachruf zum Tode Gesells 1930”).

Fazit: Das Buch hilft uns, die Komplexität und Verwicklung von Ideen zu verstehen, die in der Räterepublik anwesend waren. Ist Niekisch wiederentdeckt und breit kommentiert, so ist seine Nähe zu Personen wie Landauer, Mühsam und Gesell kaum erforscht. Auch interressant wäre es, die Beziehungspunkte zwischen Gesell, Douglas und Pound zu analysieren und zu vergleichen. Letztlich wäre es auch, die Lehren Gesells mit den national-revolutionären Theorien eines Henning Eichbergs in den Jahren 60 und 70 und mit dem Gedankengut, das eine Zeitschrift wie Wir Selbst verbreitet hat. Eichberg hat ja auch immer den Akzent auf das Mütterliche gelegt. Er sprach eher von einem mütterlich-schützende Mutterland statt von einem patriarchalisch-repressive Vaterland. Ähnlichkeiten, die der Ideen-Historiker nicht vernachlässigen kann (Robert STEUCKERS).

G. Faye: de l'essence de la guerre

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Guillaume Faye:

De l’essence de la guerre

Ex: http://www.gfaye.com

On a lu tous les commentaires sur les frappes punitives contre le régime du Syrien Assad (au jour où j’écris, rien ne s’est encore produit) avec tous les arguments pour ou contre. Avec des pacifistes (les Verts français) qui deviennent bellicistes ; des anti-atlantistes qui s’alignent sur Washington (le PS français) ; des atlantistes qui s’en démarquent (The British Parliament) et autres étranges positions croisées. Voilà qui donne l’occasion de réfléchir. Qu’est-ce la guerre ?

La guerre, c’est-à-dire le recours à la force armée entre unités politiques souveraines – à distinguer de la violence privée – (1) a toujours eu des motifs assez troubles dans l’esprit même de ses protagonistes. Par exemple, l’essai récent sur le déclenchement de la Première guerre mondiale (1914-1918), catastrophe absolue pour l’Europe, Le dernier été de l’Europe. Qui a provoqué la première guerre mondiale ? (Pluriel) par l’historien David Fromkin, professeur à l’Université de Boston, démontre que cette course à l’abîme s’est produite hors de toute logique d’État rationnelle, et contre l’intérêt des belligérants, par une sorte de mécanisme autonome emballé, qu’on peut appeler le  ”bellicisme”. Un mécanisme tautologique, irrationnel,  “fou”, dira-t-on. Aucun acteur ne veut réellement ”attaquer l’autre”, mais tous veulent plus ou moins se battre à des degrés divers, sans que les buts de l’affrontement soient clairs et partagés. Fromkin démontre que, bien avant l’enchaînement tragique de ce dernier été de l’Europe heureuse, des forces disparates voulaient la guerre, avec des motivations polysémiques. Et ce, chez tous les futurs belligérants.  

Plongeons dans le temps. Les meilleurs historiens spécialistes de l’Empire Romain (2) notent que ses guerres de conquête dans la période pré-impériale n’obéissaient ni à une volonté d’hégémonie économique (celle-ci existait déjà) ni à une volonté défensive contre des Barbares alors calmes, ni à un impérialisme politico-culturel romain (qui, lui aussi, s’installait par la soft power, sans les légions). L’historien de la Gaule Jean-Louis Brunaux (3) note que César lui-même, dans ses célèbres Commentaires, n’a jamais expliqué logiquement les raisons de son engagement, notamment contre les Belges, Gaulois du nord (Celto-germains), qui ne menaçaient en rien Rome et a nécessité des opérations meurtrières, réprouvées par le Sénat pour leur inutilité stratégique. Pas plus qu’Auguste n’a pu justifier, trois générations plus tard, la perte des trois légions de Varus imprudemment engagés dans la Germanie ultérieure face au « traître » Hermann (Arminius) (4).  L’histoire offre d’innombrables exemples semblables. Des guerres ou des opérations militaires qui n’obéissent pas à une logique rationnelle ; et dont les buts auraient pu être atteints par d’autres moyens au fond plus faciles.

L’école marxiste (la guerre = impérialisme économique) ou l’école géopolitique (la guerre = contrôle sécuritaire de l’espace) ou encore l’école nationaliste (la guerre = défense du germen national) n’ont pas tort mais ne répondent pas à la question : pourquoi la guerre ? Car, selon le raisonnement aristotélicien logique, « pourquoi parvenir à un but par un moyen difficile alors qu’on le pourrait par un moyen plus facile ? »  Talleyrand pensait, à ce propos, que la France aurait pu dominer l’Europe aisément par sa diplomatie, son rayonnement  économique et culturel, sa démographie sans (et bien plus sûrement que par) les sanglantes guerres napoléoniennes, qui ont propulsé Anglais et Allemands au sommet. Au total, les guerres intra-européennes n’ont rien amené à aucun protagoniste mais ont affaibli l’ensemble du Continent.

Qu’est-ce que la guerre, donc ? La réponse à cette question ne se trouve pas dans les sciences politiques mais dans l’éthologie humaine. Robert Ardrey, Konrad Lorenz et bien d’autres ont vu que la branche des primates nommée homo sapiens était l’espèce la plus agressive, notamment en matière intraspécifique. La violence, sous toutes ses formes, est au centre des pulsions génétiques de l’espèce humaine. Impossible d’y échapper. Les religions et les morales “anti-violence“ ne font que confirmer, en creux, cette disposition. La guerre serait donc, pour reprendre l’expression de Martin Heidegger à propos de la technique, un « processus sans sujet ». C’est-à-dire un comportement qui A) échappe à la volition rationnelle et causale au sens d’Aristote et de Descartes ; B) ignore ses conséquences factuelles. L’essence de la guerre ne se situe donc pas dans le registre de la réflexion logique (p.ex. : devons-nous investir ou pas dans telle ou telle source d’énergie ?) mais dans l’illogique, aux frontières du paléo-cortex et du néo-cortex.

L’essence de la guerre c’est qu’elle est endogène, qu’elle recèle en elle-même sa propre justification. Je fais la guerre parce que c’est la guerre et qu’il faut faire la guerre. Il faut montrer sa force. Quand les Américains – et à une plus faible échelle les gouvernements français–  s’engagent dans des expéditions militaires, il s’agit moins d’un calcul (le même but serait atteint à moindre coût et, pire, le résultat contredit l’objectif) que d’une pulsion. Un besoin (non pas animal ! mais très humain) d’exercer la force, pour se prouver à soi-même qu’on existe. Vilfredo Pareto avait très bien vu, dans les comportements humains, ces deux niveaux : les actes et leurs justifications ; avec une déconnection  entre les deux. 

 Donc l’essence de la guerre, c’est elle-même. Ce qui n’est pas le cas d’autres activités humaines comme l’agriculture, l’industrie, l’élevage, la botanique, l’informatique, la recherche technologique, l’architecture, l’art, la médecine et la chirurgie, l’astronomie, etc. qui, pour reprendre les catégories aristotéliciennes, « ont des causes et des buts indépendants  de leur essence propre ». (5)  Et qu’est-ce qui ressemble le plus à la guerre, comme activité humaine auto-suffisante ? C’est la religion, évidemment.

La guerre, comme la religion, à laquelle elle est souvent associée (que la religion soit théologique ou idéologique), produit sa propre ambiance, autosuffisante. Il émane d’elle une gratuité. Elle exalte et stimule autant qu’elle détruit. Elle est un facteur conjoint de création et de dévastation. Elle ressortit du besoin humain d’avoir des ennemis à tout prix, même sans raison objective. C’est pourquoi les religions et les idéologies prônant la paix et la concorde n’ont jamais réussi à imposer leurs vues et ont, elles-mêmes, été la source de guerres. C’est que les idées émises par l’homme ne correspondent pas forcément à sa nature, et c’est cette dernière qui s’impose au final. (6)  La nature humaine n’est pas corrélée à la culture et aux idées humaines : elle est l’ infrastructure dominante. 

Faut-il pour autant verser dans le pacifisme ? L’Histoire, certes, ne se résume pas à la guerre, mais la guerre est le carburant de l’Histoire. La guerre inspire les artistes, les cinéastes comme les romanciers. Sans elle, que raconteraient les historiens ? Même les tenants de la ”fin de l’Histoire” peuvent se montrer bellicistes. On la déplore mais on l’adore. Des intellectuels féministes ont écrit que si les sociétés n’étaient pas machistes et dominées par les mâles belliqueux, il n’y aurait plus de guerre mais uniquement des négociations. Erreur génétique : chez les vertébrés supérieurs, les femelles sont aussi belliqueuses, voire plus, que les mâles.

Le paradoxe de la guerre, c’est qu’elle peut avoir un aspect de destruction créatrice (pour reprendre la fameuse catégorie de Schumpeter), notamment en matière économique . De plus, dans l’histoire techno-économique, depuis la plus haute Antiquité jusqu’à nos jours, la technique militaire a toujours été une cause majeure des innovations civiles. 

En réalité, de même que le conflit et la présence de l’ennemi crée un état de bonheur et de désir dans la sphère privée (parce que cela donne un sens à la vie), de même, dans la sphère publique étatique, la guerre initie un bonheur collectif, une mobilisation, une rupture de la grisaille du quotidien, un événement fascinant. Pour le meilleur ou pour le pire. Alors que faire ? Il ne faut pas abolir le fait de guerre. Il est dans notre génome comme la pulsion libidinale. La guerre fait partie du principe de plaisir. Elle est savoureuse, attirante, cruelle, dangereuse et créatrice. Il faut simplement la normer, l’orienter, essayer tant bien que mal de la dominer sans l’écarter.

La pire des choses est soit de refuser à tout prix la guerre, soit de la rechercher à tout prix. Ceux qui, face au djihad islamique, refusent une contre-guerre, seront balayés. Comme ceux qui se trompent d’ennemi – par exemple les partisans des frappes contre le régime syrien. Tout se tient dans le mésotès d’Aristote, le ”juste milieu”, qui se tient entre la lâcheté et la témérité, entre la peur et l’imprudence, dans le courage. C’est pourquoi toute nation qui désarme et renonce à la puissance guerrière est aussi inconstante que celles qui en abusent. La guerre est comme tous les plaisirs, elle doit être disciplinée.  

Notes:

(1) La guerre civile est de même nature : lutte de factions pour acquérir le monopole de la souveraineté d’une unité politique.

(2) Cf  notamment Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, les armes et les mots, Tallandier.

(3) Jean-Louis Brunaux,  Alésia, la fin de l’ancienne Gaule, Gallimard

(4)  Cf.  Luc Mary, Rends-moi mes légions ! Le plus grand désastre de l’armée romaine. Larousse.

(5) En ce sens le terme de « guerre économique » pour qualifier la concurrence est très malvenu.  Non seulement parce qu’il n’y a pas de morts mais parce que les compétiteurs économiques font tout pour éviter l’affrontement ou le limiter (ententes, trusts, oligopoles, OPA, etc.), et parce que le but de la compétition n’est pas elle-même mais est extérieur à elle : maximiser les performances de l’entreprise. En revanche, le sport se rapproche davantage de la guerre.

(6) Par exemple, les théories du genre, d’inspiration féministe, sont en contradiction avec les comportements majoritaires.

dimanche, 15 septembre 2013

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

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Archives, 1997

Robert STEUCKERS:

Introduction au thème de l'ironie:

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

Dans la philosophie grecque et européenne, toute démarche ironique trouve son point de départ dans l'ironie socratique. Celle-ci vise à aller au fond des choses, au-delà des habitudes, des conventions, des hypocrisies ou des vérités officielles. Les conventions et les vérités officielles sont bourrées de contradictions. L'ironie consiste d'abord à laisser discourir le défenseur des vérités officielles, un sourire aux lèvres. Ensuite, lui poser des questions gênantes là où il se contredit; faire voler en éclats son système de dogmes et d'idées fixes. Amener cet interlocuteur officiel à avouer la vanité et la vacuité de son discours. Telle est l'induction socratique. Son objectif: aller à l'essentiel, montrer que le sérieux affiché par les officiels est pure illusion. Nietzsche, pourtant, autre pourfendeur de conventions et d'habitudes, a raillé quelques illusions socratiques. Ce sont les suivantes: croire qu'une vertu est cachée au fond de chaque homme, ce qui conduit à la naïveté intellectuelle (a priori: nul n'est méchant); imaginer que la maïeutique et l'induction peuvent tout résoudre (=> intellectualisme); opter pour un cosmopolitisme de principe (Antisthène, qui était mi-Grec, mi-Thrace, donc non citoyen de la ville, disait, moqueur, que les seuls Athéniens pures, non mélangés, étaient les escargots et les sauterelles). Il n'empêche que ce qui est vérité ici, ne l'est pas nécessairement là-bas.

Pour nous, le recours à l'ironie socratique n'a pas pour objet d'opposer une doctrine intellectuelle à une autre, qui serait dominante mais sclérosée, ou de faire advenir une vertu qui se généraliserait ou s'universaliserait MAIS, premièrement, de dénoncer, démonter et déconstruire un système politique et un système de références politiques qui sont sclérosés et répétitifs; deuxièmement, d'échapper collectivement à toutes les entreprises de classification et, partant, d'homologation et de sérialisation; troisièmement, d'obliger les hommes et les femmes qui composent notre société à retrouver ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes.

Nietzsche critique Socrate

Mais comme Nietzsche l'avait vu, la pensée de Socrate peut subir un processus de fixation, à cause même des éléments d'eudémonisme qu'elle recèle et à cause des risques d'intellectualisation. Après Socrate viennent justement les Cyniques, qui échappent à ces écueils. Le terme de “Cyniques” vient de kuôn (= chien). Le chien est simple, ne s'encombre d'aucune convenance, aboie contre l'hypocrisie, mord à pleines dents dans les baudruches de la superstition et du conformisme.

Première élément intéressant dans la démarche des Cyniques: leur apologie de la frugalité. Pour eux, le luxe est un “bagage inutile”, tout comme les richesses, les honneurs, le plaisir et la science (le savoir inutile). La satisfaction, pour les Cyniques, c'est l'immédiateté et non un monde “meilleur” qui adviendra plus tard. Le Cynique refuse dès lors de “mettre sa sagesse au service des sots qui font de la politique”, car ces sots sont 1) esclaves de leurs passions, de leurs appétits; 2) esclaves des fadaises (idéologiques, morales, sociales, etc.) qui farcissent leurs âmes. Les Cyniques visent une vie authentiquement naturelle, libre, individualiste, frugale, ascétique.

La figure de proue des Cyniques grecs à été Diogène, surnommé quelquefois “le Chien”. On retient de sa personnalité quelques anecdotes, comme sa vie dans un tonneau et sa réplique lors du passage d'Alexandre, qui lui demandait ce qu'il pouvait faire pour lui: «Ote-toi de mon soleil!». Le Maître de Diogène a été Antisthène (445-365). Antisthène rejetait la vie mondaine, c'est-à-dire les artifices conventionnels et figés qui empêchent l'homme d'exprimer ce qu'il est vraiment. Le danger pour l'intégrité intellectuelle de l'homme, du point de vue d'Antisthène, c'est de suivre aveuglément et servilement les artifices, c'est de perdre son autonomie, donc le contrôle de son action. Si l'on vit en accord avec soi-même, on contrôle mieux son action. Le modèle mythologique d'Antisthène est Héraklès, qui mène son action en se dépouillant de toutes les résistances artificielles intérieures comme extérieures. L'eucratia, c'est l'autarkhia. Donc, avec Antisthène et Diogène, on passe d'une volonté (socratique) de gouverner les hommes en les améliorant par le discours maïeutique, à l'autarcie des personnes (à être soi-même sans contrainte). L'objectif d'Antisthène et de Diogène, c'est d'exercer totalement un empire sur soi-même.

Contre les imbéciles politisés, l'autarcie du sage

Diogène va toutefois relativiser les enseignements d'Antisthène. Il va prôner:

- le dénuement total;

- l'agressivité débridée;

- les inconvenances systématiques.

Le Prof. Lucien Jerphagnon nous livre un regard sur les Cyniques qui nous conduit à un philosophe français contemporains, Michel Onfray.

Première remarque: le terme “cynique” est péjoratif aujourd'hui. On ne dit pas, explique Jerphagnon: «Il a dit cyniquement qu'il consacrait le quart de ses revenus à une institution de charité»; en revanche, on dit: «Il a dit cyniquement qu'il détournait l'argent de son patron». Dans son ouvrage d'introduction à la philosophie, Jerphagnon nous restitue le sens réel du mot:

- être spontané et sans ambigüité comme un chien (pour le meilleur et pour le pire).

- voir l'objet tel qu'il est et ne pas le comparer ou le ramener à une idée (étrangère au monde).

Soit: voir un cheval et non la cabbalité; voir un homme et non l'humanité. Quand Diogène se promène en plein jour à Athènes, une lanterne à la main et dit aux passants: «Je cherche un homme», il ne dit pas, pour “homme”, anèr (c'est-à-dire un bonhomme concret, précis), mais anthropos, c'est-à-dire l'idée d'homme dans le discours platonicien. Diogène pourfend ainsi anticipativement tous les platonismes, toutes les fausses idées sublimes sur lesquelles vaniteux, solennels imbéciles, escrocs et criminels fondent leur pouvoir. Ainsi en va-t-il de l'idéal “démocratique” proclamé par la démocratie russe actuelle, qui n'est qu'un paravent de la mafia, ou des idéaux de démocratie ou d'Etat de droit, couvertures des mafiacraties belge, française et italienne. Dans les démocraties modernes, les avatars contemporains de Diogène peuvent se promener dans les rues et dire: «Je cherche un démocrate».

Jerphagnon: «La leçon de bonheur que délivrait Diogène (...): avoir un esprit sain, une raison droite, et plutôt que de se laisser aller aux mômeries des religions, plutôt que d'être confit en dévotion, mieux vaut assurément imiter les dieux, qui n'ont besoin de rien. Le Sage est autarkès, il vit en autarcie» (p. 192).

Panorama des impertinences d'Onfray

Cette référence au Cyniques nous conduit donc à rencontrer un philosophe irrévérencieux d'aujourd'hui, Michel Onfray. Dans Cynismes. Portrait d'un philosophe en chien (1990), celui-ci nous dévoile les bases de sa philosophie, qui repose sur:

- un souci hédoniste (en dépit de la frugalité prônée par Antisthène, car, à ses yeux, la frugalité procure le plaisir parce qu'elle dégage des conventions, procure la liberté et l'autarcie).

- un accès aristocratique à la jouissance;

- un athéisme radical que nous pourrions traduire aujourd'hui par un rejet de tous les poncifs idéologiques;

- une impiété subversive;

- une pratique politique libertaire.

Dans La sculpture de soi. La morale esthétique (1993), Onfray parie pour:

- la vitalité débordante (on peut tracer un parallèle avec le vitalisme!);

- la restauration de la “virtù” de la Renaissance contre la vertu chrétienne;

- l'ouverture à l'individualité forte, à l'héroïsme;

- une morale jubilatoire.

Dans L'Art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste (1991), Onfray s'insurge, avec humour et sans véhémence, bien sûr, contre:

- la méfiance à l'égard du corps;

- l'invention par l'Occident des corps purs et séraphiques, mis en forme par des machines à faire des anges (=> techniques de l'idéal ascétique). Le parallèle est aisé à tracer avec le puritanisme ou avec l'idolâtrie du sujet ou avec la volonté de créer un homme nouveau qui ne correspond plus à aucune variété de l'homme réel.

gourm.jpgIl démontre ensuite que ce fatras ne pourra durer en dépit de ses 2000 ans d'existence. Onfray veut dépasser la “lignée morale” qui va de Platon à nos modernes contempteurs des corps. Onfray entend également réhabiliter les traditions philosophiques refoulées: a) les Cyrénaïques; b) les frères du Libre-Esprit; c) les gnostiques licencieux; d) les libertins érudits; etc.

Dans La raison gourmande (1995), Onfray montre l'incomplétude des idéaux platoniciens et post-platoniciens de l'homme. Cet homme des platonismes n'a ni goût ni olfaction (cf. également L'Art de jouir, op. cit.). L'homme pense, certes, mais il renifle et goûte aussi (et surtout!). Onfray entend, au-delà des platonismes, réconcilier l'ensemble des sens et la totalité de la chair.

Conclusion: nous percevons bel et bien un filon qui part de Diogène à Onfray. Un étude voire une immersion dans ce filon nous permet à terme de détruire toutes les “corrections” imposées par des pouvoirs rigides, conventionnels ou criminels. Donc, il faut se frotter aux thématiques de ce filon pour apprendre des techniques de pensée qui permettent de dissoudre les idoles conceptuelles d'aujourd'hui. Et pour organiser un “pôle de rétivité”.

Robert STEUCKERS.

samedi, 14 septembre 2013

Monothéismes et paganismes

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Monothéismes et paganismes

Le numéro 56 de TERRE & PEUPLE Magazine est presque tout entier consacré aux monothéismes et aux paganismes.

Pierre Vial consacre son éditorial à un pieux hommage qu’il rend à ‘l’âme altière’ de Dominique Venner, derrière qui il a lui-même marché depuis ses quinze ans, car il n’a jamais suivi d’autre chef que lui. Il nous engage ‘à nous orienter sur cette ‘étoile polaire’. Il cite Bruno de Cessole, pour qui le dernier geste de Dominique Venner n’a rien du désespoir. C’est au contraire un sacrifice accompli pour réveiller nos consciences.

 Pierre Vial ouvre ensuite le dossier ‘Monothéismes et paganismes’ pour souligner que l’islam se trouve dans un rapport de filiation avec les deux autres monothéismes et qu’un gouffre sépare ces trois religions du désert des religions de la forêt. Il se réfère aux archéologues israéliens Finkelstein et Silbermann, pour qui la saga biblique n’est qu’un produit de l’imagination, conçu sous la dynastie davidique, et à Jean Soler, qui a démontré que les épisodes d’Abraham et de Moïse ne peuvent plus être considérés comme historiques. Les dominations étrangères, assyrienne et perse, et les déportations des Hébreux ont alors été interprétées comme une punition pour leur tolérance à l’égard de dieux étrangers, ce qui doit les faire passer à la monolâtrie (pour un Dieu national), qui se muera bientôt dans une alliance privilégiée avec le Dieu unique et universel et justifiera une réécriture de la Bible à la fin du IVe siècle seulement.

Pour les Indo-Européens, Jean Haudry souligne que leur polythéisme s’est accommodé d’accumuler la tradition, sans jamais en retrancher ni craindre les contradictions et les paradoxes. Avec les temps historiques, les dieux, frères des hommes, ont tendance à s’en éloigner, peut-être suite au feu qui leur a été volé par Prométhée, et suite aux comportements inamicaux des héros, ‘contempteurs des dieux’. En Grèce, l’athéisme va apparaître avec l’atomisme matérialiste et l’épicurisme. Chez les Iraniens, le mazdéisme, avec son dieu suprême Ahura Mazda (Seigneur Sagesse), est une tentative avortée de monothéisme. Dans l’hindouisme, la recherche de l’unité fait évoluer le polythéisme en panthéisme. Toutefois, Brahma et Civa forment avec Vishnu le Trimurti ou Trinité, mais les trois composantes de la triade (avec les trois couleurs, blanche, rouge, noire qui leur sont associées) leur sont préexistantes.

Traitant la distinction entre monothéisme et polythéisme, Robert Dragan remarque que la Bible désigne paradoxalement le Dieu unique par le pluriel Eloïm, alors que Aristote (sur qui saint Thomas d’Aquin appuiera largement sa Somme théologique) pose les preuves d’un Dieu créateur qui est de nature différente des autres dieux, qui ne sont que représentation du monde, donc des créations des hommes. La clé métaphysique des païens n’est pas la révélation dogmatique, mais la contemplation muette qu’on n’atteint par recherche par ascèse, notamment celle des mystiques chrétiens.

Claude Perrin rappelle que les juifs sont passés du polythéisme à la monolâtrie d’un Dieu réservé au seul peuple juif. Les chrétiens en feront le Dieu de tous les peuples, notamment tous les peuples conquis par l’Empire romain, ce qui ne pouvait que séduire l’Empereur Constantin. Tard venu, le monothéisme a fait d’innombrables emprunts au polythéisme. Rare substitut qui subsiste aux dieux anciens : le Père Noël.

Claude Valsardieu dresse une fiche ‘théométrique’ extraordinairement fouillée d’Apollon, divinité solaire de la conscience éclairée, qui surclasse l’intelligence mercurienne, de l’esprit prophétique, qui transcende la raison logique, de l’harmonie supérieure, de la beauté radieuse, de l’espérance. Dieux guérisseur pourfendeur du Python, il dirige ses flèches contre la maladie. D’origine hyperboréenne, ses premières représentations sont égyptiennes.

Pierre Vial esquisse les traits les plus marquants de notre néo-paganisme : le ré-enchantement d’un monde qui a été diabolisé, méprisé et honteusement maltraité. Notre paganisme est une réalité charnelle et vécue, c’est le rejet de l’intolérance des religions fanatiques, c’est la revendication de la dignité des hommes libres et responsables d’eux-mêmes. C’est un paganisme de méditation, de sagesse, de combat, de fécondité, d’enracinement, de sublimation par le culte du sacré, un paganisme de fidélité, à la tradition de nos anciens, à notre sang et à notre terre.

Alain Cagnat retrace la voie qui a mené du monothéisme à l’universalisme mondialiste. On attribue à Aménophis IV Akhenaton,  pharaon de la XVIIIe dynastie (XIIIe AC) la paternité d’un monothéisme qui a été sans lendemain. Moïse ne remonterait qu’au VIIIe siècle AC, mais le monothéisme juif serait en fait beaucoup plus récent. Yahveh, dieu unique n’est au départ qu’un dieu national qui ne tolère pas le culte d’autres divinités par les juifs. C’est la condition contractuelle de leur suprématie, voire de leur surhumanité. Le christianisme est le même monothéisme étendu par saint Paul à tous les peuples du monde. Adopté par Constantin, le monothéisme chrétien est imposé à tous les peuples de l’Empire romain. Cette adoption lui assure un triomphe sur ces peuples jusqu’à la fracture interne de la réforme des protestants et la contestation. Celle des humanistes d’abord et ensuite celle des Lumières d’un esprit sanctifié par une influence maçonnique évidente, qui édifie un nouvel universalisme, avec une nouvelle métaphysique du progrès illimité, poursuivi dans le cadre d’un Contrat social régi par des Droits de l’Homme, révélés eux aussi par le même esprit saint laïc. Les Droits de l’Homme sont le credo insurpassable de la tolérance, lequel prescrit l’intolérance contre les ennemis de la liberté obligatoire. Comme il prescrit le droit et bientôt le devoir d’ingérence pour sanctionner les dissidents. Engendré par le libéralisme, l’individu doit pouvoir se libérer de tout lien qui l’attache à un groupe, fût-ce sa famille et rien ne peut entraver son activité économique sur un marché de libre concurrence. En soignant son propre bien, il fait le bien de tous, de toute l’humanité car le marché de doit pas connaître de frontières, surtout pas nationales, car il y a une équation entre nation et shoah. Il ne peut y avoir d’autre règle que l’auto-régulation du marché par l’équilibre de l’offre et de la demande. Elle s’impose aussi bien au travail qu’aux marchandises et services et le chômage exerce sur le prix du travail une pression bénéfique pour le prix des produits, qu’elle s’exerce par la concurrence des travailleurs des pays à bas salaires ou des travailleurs immigrés, dessinant avec les délocalisations le spectre d’un nouvel esclavagisme. Le mondialisme a connu un grand essor avec l’effondrement de l’URSS et la disparition du monde bipolaire et avec l’intégration des pays BRIC (Brésil/Russie/Inde/Chine) dans le grand marché sans nations. Celui-ci favorise la consolidation de quelques dizaines de multinationales, Certaines de ces ‘majors’, avec les banques qui leur sont associées par participations croisées, sont plus puissantes qu’un état comme la France et nombre de dirigeants politiques démocratiques sont issus de leur sérail (Goldman Sachs). Cette maffia a eu l’habileté d’inciter les états à s’endetter, non plus auprès de leurs administrés, mais auprès du capitalisme apatride. Marx, qui dénonçait cette dictature de la troisième fonction promettait de la renverser par la dictature du prolétariat, non moins matérialiste ni non moins mondialiste. L’Eglise catholique, mondialiste par définition même, avait vu ses prêtres ouvriers attirés par le marxisme, se syndiquer à la CGT, voire adhérer au parti. Dans les colonies, les missionnaires ont alors ressuscité la Controverse de Valladolid (sur la légitimité de la colonisation), et se sont plus préoccupés du bien temporel des indigènes que de leur bien spirituel. Pie XII intimera aux missionnaires l’ordre de ne plus occidentaliser les indigènes, mais de respecter leur identité et de promouvoir leur indépendance. Nombre de chrétiens soutiendront activement le Vietminh et les égorgeurs du FLN. La théologie de la libération fait la synthèse du marxisme et du message chrétien.  C’est la cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, qui condamnera la trop grande implication du clergé dans la révolution politique. Délaissant le marxisme moribond, les tenants de la théologie de la libération vont s’engager dans les combats modernes de l’altermondialisme et de l’antiracisme, lequel va notamment obtenir que le mot ‘race’ soit supprimé » de tous les textes officiels français. Toute recherche d’identité est condamnée comme discriminatoire. Jusque là, on reconnaissait communément les races bibliques issues des trois fils de Noé, avec une multitude de subdivisions. Le mythe de l’ancêtre commun né en Afrique, rapidement invalidé par les découvertes scientifiques, n’est plus reçu que par les Noirs. L’antiracisme s’est rapidement étendu à toute discrimination, physique, sexuelle, religieuse. Le mixage que poursuit le multiculturalisme est une machine à tuer les peuples. Il ne débouche pas du tout sur un mélange généralisé des races, mais sur le communautarisme ou repli de chaque groupe dans des ghettos, avec une sérieuse perspective de guerre interethnique. La fin du cycle est proche.

Sous le titre ‘Gouverner par le chaos’, Thibault, membre de la rédaction du scriptoblog, répond à la question que posait, en 1929 déjà, le Dr Edward Bernays, l’auteur de ‘Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie’ : « Ne pourrait-on pas mobiliser les masses sans qu’elles s’en rendent compte ? ». Neveu de Freud, Bernays est avec Walter Lippmann, un des fondateurs de l’ingénierie sociale, technique scientifique qui prétend par le contrôle de toutes les sphères du vivant pouvoir écraser toute déviance à la pensée correcte. Notamment par l’association d’idées (le chien de Pavlov qui salivait au seul tintement de la sonnette qui accompagnait tous ses repas ou la diabolisation des contestataires d’aujourd’hui par leur reductio ad hitlerum). L’institut Tavistock, financé par Rockefeller, a théorisé ces méthodes dites de contre-insurrection. Le projet exprimé est de mettre en place « un fascisme à visage démocratique », en affaiblissant notre moral, par des crises suscitées, des désordres entretenus, un management négatif, l’immigration de remplacement et le communautarisme, la discrimination positive de minorités ethniques, religieuses, sexuelles, la déstabilisation par l’affolement dans la submersion dans une surabondance d’information, le neuro-marketing. Les ingénieurs sociaux analysent et mesurent les réactions chimiques aux stimuli qu’ils administrent à leurs cobayes humains, rythmes, couleurs, poses, gestuelle. Un des objectifs à terme de cette guerre cognitive serait la cybernétisation de l’humanité.      

 

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

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Robert Steuckers:

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

Université d'été de "Synergies Européennes", lundi 28 juillet 1997

Cercle Proudhon, Genève, décembre 1997

Organiser un atelier de l'Université d'été sur l'ironie comme “arme” contre la “political correctness” est politiquement et métapolitiquement justifié.

En effet, quelle est l'origine de la “political correctness” (dorénavant en abrégé: PC)?

Aux Etats-Unis, dès la fin des années 70, le relativisme, la ruine des idéaux et des ressorts communautaires provoquent une réaction qui prend forme dans le livre de John Rawls, A Theory of Justice (1979).

Pour atteindre l'idéal de la justice, pour le concrétiser, il faut, entre autres choses:

- une philosophie normative

- des normes capables de revigorer les ressorts coopératifs et communautaires de la société.

- Or, la tendance générale de la philosophie anglo-saxonne avait été de dire que les normes n'avaient pas de sens.

Donc, à la veille de l'accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, on dit: «Il faut des normes».

Pour avoir des normes, deux solutions:

1. Adopter les idées de Rawls, et ainsi promouvoir la justice, la coopération, la communauté. Mais c'est incompatible avec le programme néo-libéral de Reagan.

2. Déclarer indépassables, les “valeurs” du libéralisme telles qu'elles avaient été fixées par Locke à la fin du 17ième siècle. C'est Nozick qui offre cette option dans son livre Anarchy, State, Utopia (1974). Pour Nozick, l'Etat doit protéger ces valeurs libérales anglo-saxonnes contre toutes les autres.

Toutes les autres? Cela fait beaucoup de choses! Beaucoup de choses à rejeter!

Avec Hobbes, la philosophie politique anglaise avait rejeté hors de son champs les controverses religieuses parce qu'elles menaient à la guerre civile (ère des neutralisations disait Carl Schmitt).

Avec les déistes (Charles Blount, John Toland, Matthew Tindal, Thomas Woolston), la raison doit oblitérer les parts obscures de la religion, pour qu'elles ne deviennent pas subitement incontrôlables.

Comme on est en Europe, les déistes acceptent le christianisme par commoditié (sans y croire), mais ce christianisme signifie:

- un christianisme raisonnable (sans excès, sans fanatisme, etc.);

- le déisme a pour objectif de "raisonnabiliser" le christianisme (et toute la sphère religieuse);

- religion et "bon sens" doivent coïncider;

- il ne peut pas y avoir d'opposition entre religion et “bon sens ";

- il faut évacuer les mystères, car ils sont incontrôlables.

- les institutions religieuses doivent être "tranquilles”;

- miracles et autres "absurdités" du Nouveau Testament sont purement "symboliques".

John Butler, issu du filon aristotélo-thomiste médiéval répond à l'époque aux déistes:

- l'homme est un "être insuffisant", "imparfait", il présente donc ontologiquement des lacunes, il est quelques fois ontologiquement "absurde";

- l'homme a besoin de béquilles culturelles, dont, surtout, un système de normes, de fins. Ce système doit certes être logique, mais pas complètement accessible à notre raison.

C'est dans le contexte de cette disputatio  entre les déistes et Butler qu'il faut replacer deux grands maîtres de l'ironie:

- John Arbuthnot (1667-1735) et

- Jonathan Swift (1667-1745).

John Arbuthnot, ami et inspirateur de Swift est médecin et mathématicien. Il n'écrira pas de livre qui fera date, sauf peut-être son Martinus Scliberus, satire exagérant les défauts des hommes réels. Qui souligne l'inadéquation entre la théorie idéale de l'homme et l'homme de chair, de sang, de vice et de stupre.

L'ironie d'Arbuthnot se retrouvera dans le maître-ouvrage de Swift: Gulliver's Travels  (= Les voyages de Gulliver).

Première remarque sur les “Voyages de Gulliver": on croit que c'est un livre pour les enfants; effectivement une masse de versions édulcorées de ce livre existent à l'usage des enfants. Mais faisons nôtre cette remarque de Maurice Bouvier-Ajam: «Que d'éditions abêties, mutilées, trahies pour "plaire" au jeune lecteur! Et de quelles joies cette mutilation de l'œuvre ne prive-t-elle pas l'adulte, trompé et blasé prématurément... et frauduleusement...».

D'Arbuthnot, Swift reprend:

- la pratique de la physiognomie, c'est-à-dire un mode d'arraisonnement du réel et plus particulièrement du grotesque qui lui est inhérent (à mettre en parallèle avec les “Caractères” de La Bruyère et avec le "regard physiognomique" de Jünger);

- la pratique de l'humour et du sarcasme;

- un point de vue physique (physiologique au sens nietzschéen, participant de la “révolte des corps" et de la Leiblichkeit).

- un rationalisme moqueur et non constructiviste, moralisateur, pédant;

- l'idée d'un rationalisme comme "humilité de l'intelligence".

 

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Souvent, la "raison", dans le contexte de la modernité européenne, est "révolutionnaire" parce qu'elle abat les irrationalités stabilisantes de la société en place, pour les remplacer par de nouveaux édifices raisonnables mais rigides (querelle des déistes).

Face à cette rationalité moderne, la rationalité de Swift:

- n'est pas un irrationalisme conservateur articulé pour répondre aux déistes ou aux rationalistes

- mais une moquerie qui fragilise toutes les conventions, y compris anticipativement, celles des rationalistes.

Swift:

- raille les fanatismes des catholiques et des sectes protestantes "non conformistes";

- se révolte contre les ambitions constructivistes des déistes;

- dresse une pathologie des "Etats mystiques", qui ne camouflent, derrière leurs discours sublimes, que des turpitudes, des désirs inavoués de stupre ou de richesse.

- démontre que les discours des sectes protestantes (Quakers, Rauters, Huguenots extrémistes) sont des "convulsions", des "fermentations troubles de l'animalité" (Cf. A Tale of a Tub. Discourse Concerning the Mechanical Operation of the Spirit).

Dans The Battle of Books, on trouve une critique acerbe du rationalisme car celui-ci est:

- ambitieux;

- insolent;

- inacceptablement hostile à l'égard de la "gloire des Anciens";

- une activité théorique stérile (Cf. le Royaume de Laputa).

Swift prévoit déjà: «La fièvre de la spéculation, de l'enquête rationnelle, et, déjà, du progrès mécanique, que la société qui lui est contemporaine exhibe déjà; il la présente comme l'ardeur agitée de cerveaux surchauffés, dans lesquels se bousculent toutes sortes de "projets" et d'inventions, autant de chimères sans queue ni tête» (Legouis/Cazamian, p. 762).

L'homme est par essence vil et corrompu. Pour y remédier:

- Hobbes avait prévu un contrat et l'érection du Léviathan;

- Locke avait forgé l'idée du contrat démocratique moderne et préconisé, à la suite des déistes, d'"expurger les mystères";

- Swift reste un pessimiste fondamental:

- le contrat ne changera pas la nature humaine;

- le contrat ne sera toujours que provisoire;

- ni mystères de la religion ni noirceurs de l'âme humaine ne sont éradicables.

Chez Swift, nous découvrons un rejet de toutes les affirmations générales [qui prendra ultérieurement des formes très diverses: chez Herder, chez les Romantiques allemands, chez Jünger (cf. sa définition du "nationalisme" comme révolte du particulier contre le général), dans la révolte diffuse depuis Foucault contre les affirmations générales actuelles].

Avec Swift démarre aussi la tradition littéraire anglaise de la "contre-utopie”.

- L'utopie est un lieu idyllique, une île merveilleure ou la lune chez Cyrano de Bergerac.

- Mais la tradition utopique draine en elle-même sa propre réfutation. Le projet idéal de l'utopiste est trop souvent froid et sec, pur projet de législation alternative visant à CORRIGER LE RÉEL. Dans ce cas, écrit le Prof. Raymond Trousson dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique:  «il n'est pas possible d'évoquer un possible latéral, mais de peser sur l'histoire».

Cette tradition contre-utopique trouvera son apogée dans le 1984 d'Orwell, où le futur devient cauchemar (Future as Nightmare). Le futur est alors le fruit, le résultat d'une volonté de transposer dans le réel les idées:

- des déistes/des rationalistes;

- de Locke;

- des projets de sociétés parfaites;

Nous retrouvons l'intention de Nozick.

Pour Rainer Zitelmann, la pensée utopique s'articule autour de trois idées majeures:

- La "fin de l'histoire", après la généralisation planétaire du "projet" ou du "code".

- La croyance en la possibilité d'émergence d'un "homme nouveau", par dressage ou rééducation.

- La croyance aux effets "eudémoniques" de l'égalité.

Ces trois idées marquent fortement la "political correctness" actuelle. C'est contre elles qu'il faut déployer ironie, sarcasmes et moqueries.

Les recettes de cette stratégie du rire sont multiples.

Examinons-en deux:

- L'œuvre de l'Espagnol Eugenio d'Ors.

- L'œuvre du sociologue néerlandais Anton Zijderveld.

Puis replaçons leurs arguments dans un contexte philosophique contemporain plus général.

EUGENIO D'ORS (1881-1954):

dors.jpgCe philosophe catalan a été défini comme: un "Socrate nordique", un "Goethe méditerranéen", un "personnage de théâtralité baroque".

A 25 ans en 1906, il décide: «Je serai ironique». Option première qui ne sera jamais démentie.

Sa réflexion sur l'ironie part du constat suivant:

- Présence de l'ironie dans la philosophie grecque, où l'ironie est jugée négative par Aristophane et Platon, mais jugée intéressante par Socrate (qui déploie son "ignorance méthodique" et sa "maïeutique") et par Aristote pour qui l'ironie est une modestie intellectuelle (Butler, Swift).

D'où d'Ors retient de l'ironie grecque qu'elle est "une sorte d'humilité courtoise qui suscite la confiance, une façon de se comporter qui est altruiste". Retenons cette définition, mais ajoutons-y celle de Cicéron: «L'ironie est une habilité polémique». Dans ce cas, elle est une stratégie du dialogue, de la polémique politique.

Mais d'Ors va plus loin que le dialogue:

- La présence de l'interlocuteur finit par n'être plus nécessaire chez lui.

- d'Ors applique l'ironie au monologue intérieur (Céline) du penseur solitaire.

- d'Ors prend distance par rapport à son objet;

- d'Ors dépassionne les débats philosophiques et politiques;

- d'Ors dévalue ainsi tactiquement son objet (précisons: tactiquement et non pas fondamentalement);

- d'Ors aborde tout objet de façon oblique (pas d'affrontement frontal: stratégie intelligente de l'esquive qui s'avère bien utile quand on est quantitativement, numériquement inférieur).

- pour d'Ors, l'ironiste aborde l'objet du débat sans avoir l'air de s'impliquer, ni même de la connaître vraiment.

- Avec cette position détachée, il va opter pour une stratégie de hit and run; il va soulever tantôt tel aspect, tantôt tel autre, frapper, se retirer, obliger l'ennemi à se fixer sur tel front et alors il attaquera sur un autre front, pour revenir au premier comme par hasard.

- l'ironie de d'Ors ne vise pas une connaissance globale, totale, mais reste ouverte à toutes les additions et les soustractions; ainsi elle ne divise pas, mais intègre au départ du divers, de la fragmentation.

- Mieux: l'ironie de d'Ors intègre la contradiction; elle admet qu'il y a des contradictions insurmontables dans le monde.

Avec Eugenio d'Ors, l'ironie devient synonyme d'"esprit philosophique" et même de "dialectique". Elle cherche à éviter l'écueil d'une philosophie trop préceptive.

Il y a là un parallèle évident avec notre propre démarche: refuser les préceptes du "nouvel ordre mondial", issu des affirmations de Locke, réactualisées et figées hors contexte  —et anachroniquement—  par Nozick et Buchanan.

L'objectif de d'Ors est:

- d'observer la réalité, de l'accepter dans ses diversités;

- d'éviter l'écueil d'un normativisme sec (que la philosophie relativiste avait jugé dénué de sens);

- de faire de la philosophie ironique la fidèle interprète de la réalité:

- de baigner à nouveau la philosophie dans les eaux vives de la curiosité;

- de s'inscrire dans la tradition vitaliste hispanique (Cf. le "ratiovitalisme" d'Ortega y Gasset).

- d'affirmer que les contradictions sont toujours déjà là, non comme dans la vulgate hégélienne, où la contradiction est perçue comme une forme ultérieure dans le temps. Eugenio d'Ors affirme la simultanéité du réel et des contradictions, sans vectorialité ni téléologie.

Ensuite:

1. L'ironie correspond à la plasticité du monde:

- mots-clefs: activité, flexibilité, dynamisme, élasticité.

- l'ironie respecte la "malléabilité" de tout objet (jamais elle ne le pose comme a priori rigide et fermé).

- l'ironie vise l'adéquation de l'intellect à un monde de lignes "estompées": fluides, fuyantes, diffuses (cf. Hennig Eichberg, in Vouloir n°8).

2. L'ironie correspond à l'ambigüité du langage:

Cet aspect de la philosophie de d'Ors est très important dans la lutte contre toute orthoglossie (contre toute prétention à imposer un langage unique, pour une pensée unique).

Première chose à retenir:

- Toute langue est la forme nécessaire que doit revêtir le savoir humain.

- Cependant, dit d'Ors, dans tout lexique, et plus particulièrement dans tout lexique philosophique, il y a toujours un "minimum d'équivoque" ou d'"inévitables imprécisions".

Pour d'Ors comme pour nous, ce n'est pas une tare mais "une garantie de vivacité, ce qui est hautement désirable", car le langage est alors bien le reflet du dynamisme du monde et du savoir.

Tout mot, toute parole, est dans une telle optique un ÉVENTAIL de possibilités créatrices ouvertes, un mouvement, une impulsion pour la pensée, une potentialité active d'enchaînements, de sources et de MÉTAPHORES.

D'Ors s'appuie sur la définition du langage de HUMBOLDT:

«Le langage n'est pas un résultat, tout de quiétude et de repos, mais une énergie, une création continue».

L'amphibologie (double sens que revêt ou peut revêtir toute phrase) et l'inexactitude du langage font de celui-ci une RAMPE DE LANCEMENT pour l'innovation: tout vrai écrivain écrit de perpétuels NÉOLOGISMES. (L'écrivain donne des sens nouveaux aux mots, les enrichit, les complète, complète leur champ sémantique, révèle des facettes occultées, oubliées ou refoulées du vocabulaire).

Par leur ambigüité constitutive, les langues ne résistent pas à l'exactitude quantitative et à la rigueur terminologique des symboles mathématiques. Pour les tentatives de construire une philosophie more geometrico  est condamnée à l'échec (mais aussi de construire une orthoglossie où les mots seraient tous absolument UNIVOQUES).

- L'ironie consiste à reconnaître cet incontournable fait de la linguistique: l'amphibologie.

- L'ironie reconnait le caractère irrécusablement métaphorique de toute parole, reconnait la dualité ou la pluralité inhérente à toute formulation. D'Ors: «Ley más laxa, más inteligente».

Conclusion de ce point 2:

«L'équivocité polysémique, que la philosophie conventionnelle (et partant, toute orthoglossie ou toute "novlangue" à la Orwell), ont considéré comme une malédiction babelienne, devient par le travail et la grâce, la légèreté, la flexibilité et la souplesse de l'ironie d'orsienne, une chance de comprendre davantage de choses dans ce qui est dit, de ne pas réduire le contenu du discours et de la pensée à des univocités rigides. Et surtout l'ironie d'orsienne nous permet toujours de compter avec la collaboration créatrice de l'autre, de l'interlocuteur potentiel (remarquons que la bonne formule pour désigner le dialogue avec l'Autre, venu d'une autre civilisation ou d'une autre culture est: “dialogue interculturel”).

Contre toutes les orthoglossistes fanatiques, présents et à venir, d'Ors sanctifie le PÉCHÉ ORIGINEL des langages, c'est-à-dire leur plurivocité. On ne peut pas renoncer aux contradictions et aux ambigüi­tés.

3. L'ironie correspond à la nature inépuisable de la vérité:

Comme l'ironie est MODESTIE INTELLECTUELLE, elle accepte qu'il reste des secrets, des mystères, dans le ciel et sur la terre (contrairement aux déistes). Il est impossible d'interpréter de façon EXHAUSTIVE les faits du monde. Ce serait aller à l'encontre de la nature.

4. L'ironie correspond à un monde où l'on travaille et l'on joue:

Dès 1911, d'Ors dit: «je vais énoncer la philosophie de l'homme en activité, de l'homme qui travaille et qui joue» (En 1914 paraît son livre: Filosofia del hombre que trabaja y juega).

L'existence humaine, c'est certes la lutte pour la vie, mais c'est aussi la fête et la joie. Ignorer l'aspect ludique, c'est mutiler cruellement l'humanité. Car le jeu est souvent, plus que le travail, le “lieu de la créativité”.

5. L'ironie correspond à l'aspect contradictoire du réel:

6. L'ironie correspond à l'expression catalane de “SENY":

- Quand les Catalans parlent de "Seny", ils entendent un mélange de sagesse, de savoir, de maturité, de prudence, de bon sens et d'intelligence.

- Pour le Catalan Eugenio d'Ors, l'ironie est la méthode du philosophe doué de "seny".

- Eugenio d'Ors replace ainsi l'ironie dans l'éthique, refuse de faire de l'ironie une pure arme de destruction.

- L'ironie ramène les choses à leurs justes proportions, qui ne sont jamais figées mais toujours en mouvement.

- L'ironie est donc une "position de liberté" vis-à-vis des axiomes rigides.

- L'ironie, en tant que position de liberté, donne à celui qui la pratique une position souveraine, libre de toute entrave, indépendante face au monde (mundanus),  aux contingences frivoles ou éphémères.

- Le philosophe ironique est davantage libre-penseur que le philosophe dogmatique.

La SOCIOLOGIE D'ANTON ZIJDERVELD:

Anton_Zijderveld_-_2012.jpgAprès le philosophe catalan Eugenio d'Ors, abordons la sociologie du Néerlandais Anton Zijderveld (disciple d'Arnold Gehlen).

Pour lui:

- L'humour est spontanéité et authenticité;

- L'humour est une fonction sociale oblitérée et traquée par la modernité;

- L'humour est une fonction sociale qu'il convient impérativement de réhabiliter. Dans cette optique, il faut, dit-il, retrouver le sens des fêtes, du carnaval, de la Fête des Fous où se conjuguent ébats de toutes sortes, dérision ritualisée du pouvoir et des édiles.

Le point de vue de Zijderveld n'est pas destructeur ou dissolvant: il dit que l'humour ne détruit pas les institutions (au sens de Gehlen), il les maintient en les remettant en question à intervalles réguliers, il évite qu'elles ne tournent à vide ou dérivent dans l'absurbe de la répétition.

Zijderveld s'oppose à ce qu'il appelle une “gnose sociale”, ou plus spécifiquement, le “nudisme social”. Selon le “nudisme social”, l'homme moderne est porté par l'obsession consistant à dire que l'homme n'est authentique que s'il a abjuré tous les rôles qu'il a joués, joue ou pourrait jouer au sein des institutions.

Rôles et institutions sont considérés par les “nudistes sociaux” comme des vecteurs d'aliénation oblitérant le véritable "moi" (fiction).

La fête médiévale, la Fête des Fous, les esbaudissements des Goliards, les confréries carnavalesques impliquent justement le port du masque: cela signifie qu'un homme authentique, qu'il soit boucher, boulanger, architecte ou médecin, adopte une inauthenticité fictive dans un segment limité du temps, le temps du carnaval, où est restitué brièvement le chaos originel.

Pour Zijderveld, la “gnose”, le “nudisme social”, l'obsession de l'homme authentique sans rôle ni profession ni béquille institutionnelle, est un apport du christianisme.

Mais l'histoire du moyen-âge européen, de la Renaissance, nous révèle que ce christianisme n'est qu'un mince vernis.

Preuve: la persistance des Saturnales ro­maines sous la forme du FESTUM STULTORUM ou du FESTUM FATUUM, pendant lequel blasphèmes et moqueries sont pleinement autorisés: il s'agit ni plus ni moins d'une INVERSION SALUTAIRE DE LA NORMALITÉ QUOTIDIENNE, qui permet de recréer brièvement le chaos originel, pour montrer son impossibilité dans le quotidien, la nécessité des institutions et, en même temps, leur fragilité.

 

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Autre signe que le christianisme médiéval n'est que vernis: la présence permanente dans cette société médiévale des GOLIARDS et des VAGANTES, qui ne cessent de blasphémer dans leurs chansons et de véhiculer des idées anti-cléricales (Cf. Les Chants de Cambridge  de 1050 et les Carmina Burana  de 1250, mis en musique en ce siècle par Carl Orff).

A partir du Concile de Bâle en 1431, de la Condamnation des fêtes par la faculté de théologie de Paris en 1444 (Charles VII doit constater que les mesures prises n'ont aucun effet!), à partir de la Renaissance, la Fête des Fous est plus réglementée (Ordonnance du Parlement de Dijon en 1552), de même que les charivaris, dont la fonction devient la moralisation de la société (moqueries contre les adultères, les filles volages, etc.).

La Bazoche des étudiants juristes de Paris, Lyon et Bordeaux organise des théâtres caricaturants et satiriques, se mue ensuite en club littéraire (dans les Pays-Bas méridionaux, on parle de "Chambre de Rhétorique” ou "Kamers der Rederrijkers", plus audacieuses que dans les grands royaumes modernes).

Zijderveld cite deux auteurs:

- Rabelais (nous y revenons)

- Erasme (Laus Stultitiae: Eloge de la folie).

Conclusion de Zijderveld:

- Battre en brèche l'arrogance de l'Aufklärung

- Démontrer que le moyen-âge est moins "obscurantiste" qu'on ne l'a écrit

- Démonter que le moyen-âge était bien davantage anti-répressif que la modernité (Foucault), du moins dans les espaces-temps réservés à la fête.

- Montrer que l'INVERSION des règles quotidiennes doit pouvoir exister dans toute société, pour assurer une convivialité féconde.

Mais quid de l'humour dans la modernité selon Zijderveld?

- L'humour de la Fête des Fous, des Saturnales, est régulateur, naturel.

- L'humour n'y est pas simple "soupape" de sécurité.

Aujourd'hui:

- L'humour est rejeté parce qu'il serait AGRESSIF (arguments psychanalytiques). Cette agression latente doit être systématiquement "punie" (“Surveiller et punir” selon Foucault).

La réponse de Zijderveld:

- L'humour permet à tous d'entrevoir la fragilité des choses, même les plus sublimes;

- L'humour permet la communication sociale de manière optimale.

- L'humour soude la solidarité du groupe.

- L'humour permet la résistance passive contre la tyrannie ou l'occupation.

RICHARD RORTY: CONTINGENCE, IRONIE ET SOLIDARITÉ

Quelle position la philosophie actuelle laisse-t-elle à l'ironie?

Quelle est la place de l'ironie dans le contexte du "nouvel ordre mondial", après la concrétisation des projets de Nozick et Buchanan?

rorty.JPGLe corpus le plus significatif, le plus souvent évoqué à l'heure actuelle est l'œuvre de RICHARD RORTY (Contingency, Irony and Solidarity).

Rappelons quelques points essentiels de l'œuvre de Rorty:

- La philosophie ne peut évoluer si elle s'en tient à des critères délibérément soustraits au temps.

- Une démarche philosophique doit toujours être replacée dans son contexte historique.

- Il faut parier pour une philosophie plus formatrice (bildende) que préceptive.

- Il faut refuser la réduction de tous les discours à un seul discours universel.

- Il faut proclamer la légitimité des discours "contingents" à deux niveaux: au niveau individuel (autopoiésis; Selbsterschaffung)  et au niveau communautaire (consolider la solidarité).

La place du philosophe ironique (comme d'Ors) se justifie par:

- la réponse au double défi qu'il apporte, double défi de l'autopoiésis et de la solidarité.

- son savoir modeste qui veut que ses convictions, ses espoirs et ses besoins sont toujours CONTINGENTS.

- son souci d'éviter d'ériger un MÉTA-DISCOURS.

- sa volonté de comprendre et de faire comprendre que la raison pure de Kant et son avatar actuel “la raison communicationnelle” de Habermas sont devenus obsolètes, dans le sens où elles sont universalistes, métadiscours, se méfient de la contingence et de l'histoire.

- Nous n'avons plus besoin de "méta-discours" mais d'un RECOURS à la multiplicité des faits contingents.

- La solidarité ne dérive plus de l'adhésion à un méta-discours partagé par tous obligatoirement, mais par respect "nominaliste" et "historique" des multiples contingences qui font le monde.

- Rorty réhabilite la PHRONESIS grecque, soit la sagesse et l'intelligence pratiques.

- Rorty rejette les philosophie, les théories qui se posent comme purement spectatrices (sa différence d'avec d'Ors) et refusent l'IMMERSION dans la contingence concrète d'un contecxte historique qui réclame implicitement la solidarité.

- Rorty réclame l'abolition des représentations figées.

- Rorty n'est pas relativiste, puisqu'il ne nie pas les valeurs propres à une contingence particulière.

- Rorty développe un ethno-centrisme axiologique ET pragmatique qui n'est nullement missionnaire. Il ne cherche pas à imposer ailleurs dans le monde les valeurs (ou les non-valeurs) de la “culture nord-atlantique".

Conclusion:

Rorty se base sur NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN et HEIDEGGER (dont il ne reprend pas la définition de l'“Etre”), pour affirmer que les sociétés sont des contingences, pour rejeter le filon philosophique platonicien, pour dire que le philosophe doit se pencher sur la littérature, dont ORWELL et NABOKOV, parce que tous deux nous montrent l'effet de la CRUAUTÉ des métadiscours en acte à l'égard des contingences réelles de la vie et du monde.

Réel, vous avez dit "réel"?

Ce qui nous amène à Rabelais, Nietzsche, Foucault et Bataille.

RABELAIS:

rab.jpgRabelais (1494-1553), pourquoi Rabelais?

Au XXième siècle son exégète le plus intéressant est le Russe Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), linguiste et philosophe, historien des mentalités comme Michel Vovelle en France, Nathalie Davis dans l'espace linguistique anglo-saxon et Carlo Ginzburg en Italie.

La langue pour Bakhtine comme pour Foucault est:

- l'atelier où se forgent les instruments et les stratégies du pouvoir;

- mais elle est AUSSI le socle sur lequel se constitue une nouvelle communauté.

La langue de Rabelais, dans ses dimensions grotesques, ramène au CORPS, à ses limites et à ses capacités.

Les sources de l'écriture rabelaisienne sont les RÉCITS POPULAIRES, les CONTES et les LÉGENDES, dont les thèmes sont l'existence de sympathiques canailles, de simplets, de fous.

L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle hisse au niveau de la littérature universelle la dimension PARODIQUE des récits populaires.

Rabelais a vécu la rue, les marchés, les auberges et les tavernes de son temps, mais, simultanément, il a occupé de hautes fonctions.

Il fait ainsi charnière entre la culture populaire (encore largement païenne) et la culture des élites (christianisée).

Rabelais perçoit la différence entre:

- la langue des marchés, HÉTÉROGÈNE et NON FIGÉE et la langue des institutions, HOMOGÈNE et FIGÉE. Il perçoit très bien, avant la normalisation moderne, qu'il y a à la base, dans le peuple, pluralité et polysémie, tandis qu'au sommet il n'y a plus qu'univocité.

Bakhtine parlera de "réalisme grotesque" et pourra développer une critique subtile des rigidités soviétiques sans encourir les foudres du régime.

rabelais.jpgBakhtine en mettant en parallèle son réalisme grotesque et le réalisme socialiste officiel, revalorisera “LE PEUPLE RIANT SUR LA PLACE DU MARCHÉ”.

A partir de la Renaissance, l'église, la cour, l'Etat absolutiste, puis l'Etat sans monarque mais porté par l'Aufklärung, vont tenté de réduire au silence ce rire populaire, véhicule d'une formidable polysémie.

Pour Bakhtine, il s'agit d'une COLONISATION DE LA SPHÈRE VITALE (à mettre en parallèle avec les thèses analogues d'Elias, de Huizinga et de Simmel).

A la verticalité imposée d'en haut, il oppose la convivialité horizontale de la place publique.

Cette revalorisation de la convivialité et de l'humour corsé du peuple lui vaudra la critique négative de Tzvetan Todorov (auteur de Nous et les autres). Todorov accuse Bakhtine de “prendre parti pour le peuple sans esprit critique”.

Simone Périer (professeur à Paris VII) rend hommage, elle, à Bakhtine pour:

- sa biographie difficile (handicap, refus de lui accorder un doctorat)

- pour son hymne à la joie, sa profession de foi dans l'énergie collective («La sensation vivante qu'a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l'histoire»).

Que veut Bakhtine?

1. Transcender l'individuel: Bakhtine refuse de réduire l'humain à l'être biologique isolé ou à l'individu bourgeois égoïste.

2. Restaurer le carnaval (rabelaisien) en tant qu'antidote à l'“individuation malfaisante”.

3. Restaurer le PARLER HARDI, expression de la conscience nouvelle, libre, critique et historique.

4. Restaurer “la PROXIMITÉ rude et directe des choses désunies par le mensonge et le pharisaïsme”.

Il y a donc chez Rabelais une affirmation sans faille de la CORPORÉITÉ (de la LEIBLICHKEIT).

FOUCAULT:

Michel-Foucault.jpgNietzsche voit dans le corps le site d'une complexité née de multiples et diverses intersubjectivités et interactions, le lieu de passage de l'expérience, toujours diverse, chaque fois unique.

Foucault va systématiser ce filon corporel qui part du paganisme, de Rabelais et de Nietzsche.

Pour Foucault:

- l'homme est figure de sable, passagère et contingente, créée par des savoirs et des pratiques, tissés de hasard.

- si l'homme est CORPS, ce corps en tant que surface est lieu, site, évoluant dans un lieu spatial concret. C'est là que l'homme se situe et non dans un monde d'idées: par conséquent, toute lutte réelle est LOCALE.

- ce lieu doit être connu, sans cesse exploré, par enquête et historia  (= enquête en grec). L'enquête sur le lieu de notre vécu doit équivaloir à l'enquête lors d'un procès en droit. S'il y a enquête, il n'y a pas d'arbitraire, il y a liberté (et démocratie).

- mais le quadrillage de la modernité surplombe les enquêtes, distrait les hommes concrets de l'attention minutieuse qu'ils doivent apporter à leur lieu, à leur contingence.

- le quadrillage déclare apporter la démocratie et la transparence, mais pour s'imposer, il doit contrôler, CORRIGER, discipliner les corps (la "political correctness” est l'aboutissement de cette frénésie).

- dans un tel univers, le droit donne formellement l'égalité et la liberté, mais dans la concrétude quotidienne s'instaurent les micro-pouvoirs disciplinants, essentiellement inégalitaires et dyssimétriques.

- face à ces micro-pouvoirs, il n'est pas possible d'opérer un renversement global (le "tout ou rien" de la révolution fasciste ou communiste): on ne peut opposer que des résistances à un pouvoir "capillaire", des résistances multiformes, sans totalisation, une série de CONTRE-FEUX.

- l'objectif de la modernité: le PANOPTISME de l'architecture carcérale. Les grands mythes des Lumières recèlent le danger d'un espace transparent sans échappatoire (cf. 1984 + toute la veine contre-utopique de la littérature anglaise).

- pour Foucault, la VISIBILITÉ voulue par la modernité panoptique est un PIÈGE (les déistes déjà voulaient éliminer les "mystères"). «NOTRE SOCIÉTÉ N'EST PAS CELLE DU SPECTACLE MAIS DE LA SURVEILLANCE».

- le droit et la justice modernes sont les instruments de cette surveillance ubiquitaire: d'où la nécessité, pour Foucault, de rejeter radicalement le droit et de se montrer extrêmement sceptique à l'égard de la notion moderne de justice. Foucault développe un ANTIJURIDISME radical.

Mais la contestation du droit est restée dans l'orbe du droit; ses efforts se sont annulés. Il aurait fallu animer un PÔLE DE RÉTIVITÉ (exemple: les chahuts du 1 mai 96 organisés par les socialistes belges contre leurs dirigeants, les manifestations devant les palais de justice en Belgique en octobre 96, la suite, les "marches blanches" ayant été trop polies).

Foucault a plutôt parié pour les VIOLENCES MASSIVES, ce qu'on lui reproche aujourd'hui, de même que sa volonté de mettre la Vie au-dessus du droit (cf. Renaut, Ferry et même son biographe Jean-Claude Monod).

Conclusion:

La sextuple lecture de Swift, d'Ors, Rorty, Zijderveld, Bakhtine et Foucault doit nous conduire tout d'abord à

- ORGANISER CE PÔLE DE RÉTIVITÉ réclamé par Foucault.

Puis:

- de rejeter tout utopisme construit more geometrico.

- de tenir compte de l'extrême fragilité du matériel humain;

- de se maintenir dans la contingence, seul lieu possible de notre action;

- de chercher à restaurer la fête, comme espace virtuel d'inversion des valeurs;

- d'organiser une résistance ludique, difficilement dénonçable comme "totalitaire";

- de dénoncer la modernité et ses institutions politiques et judiciaires, de même que tous ses micro-pouvoirs comme une volonté obsessionnelle de SURVEILLER et PUNIR.

- de dire que l'orthoglossie obligatoire, la pensée unique et la "political correctness" sont des aboutissements de cette obsession de surveiller et de punir. Elles doivent être considérées puis traitées comme telles.

En conséquence, sur le plan philosophique qui doit précéder toute démarche pratique, nous devons allumer les CONTRE-FEUX du GRAND REFUS, impulser les synergies du PÔLE DE RÉTIVITÉ voulu par Foucault.

Bibliographie:

A. Généralités:

- ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.

- Julio CARO BAROJA, Le carnaval, Gallimard, Paris, 1979.

- Jacques HEERS, Fêtes des fous et carnavals, Fayard, Paris, 1983.

B. Sur Swift:

- Michael FOOT, «Introduction» to Jonathan Swift's Gulliver's Travels, Penguin, Harmondsworth, 1967.

- Emile LEGOUIS, Louis CAZAMIAN, Raymond LAS VERGNAS, A History of English Literature, J.M. Dent & Sons Ltd, London, 1971.

- Ernest TUVESON, Swift. A Collection of Critical Essays, Spectrum/Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1964.

- Ernest TUVESON, «Swift: The dean as Satirist», in E. TUVESON, Swift..., op. cit.

- Irvin EHRENPREIS, «The Meaning of Gulliver's Last Voyage», in E. TUVESON, op. cit.

- John TRAUGOTT, «A Voyage to nowhere with Thomas More and Jonathan Swift: Utopia and The Voyage to the Houyhnhnms», in E. TUVESON, op. cit.

- Maurice BOUVIER-AJAM, «Swift et son temps», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- Robert MERLE, «L'amère et profonde sagesse de Swift», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- M. Louise COUDERT, «Les trois rires: Rabelais, Swift, Voltaire», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Jonathan Swift», in: Lexikon des Konservativismus, Stocker Verlag, Graz, 1996.

C. Sur Eugenio d'Ors:

- Alfons LOPEZ QUINTAS, El pensamiento filosofico de Ortega y d'Ors. Una clave de interpretación, Ediciones Guadarrama, Madrid, 1972.

- Gonzalo FERNANDEZ DE LA MORA, Filósofos españoles del siglo XX, Planeta, Madrid, 1987.

D. Sur Foucault:

- Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.

- Michel FOUCAULT, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971.

- Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966. 

- Michel FOUCAULT, «Omnes et singulatim. vers une critique de la raison politique», in: Le Débat, n°41, sept.-nov. 1986.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, 68-86. Itinéraires de l'individu, Gallimard, Paris, 1987.

- Gilles DELEUZE, Foucault, Editions de Minuit, Paris, 1986.

- Henk OOSTERLING, De opstand van het lichaam. Over verzet en zelfervaring bij Foucault en Bataille, SUA, Amsterdam, 1989.

- Angèle KREMER-MARIETTI, Michel Foucault. Archéologie et généalogie, Livre de poche, coll. biblio-essais, Paris, 1985.

- François EWALD, «La fin d'un monde», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984. 

- François EWALD, «Droit: systèmes et stratégies», in: Le Débat, n°41, op. cit.

- François EWALD, «Une expérience foucaldienne: les principes généraux du droit», in: Critique, Tome XLII, n°471-472, août-septembre 1986.

- Jürgen HABERMAS, «Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault», In: Le Débat, n°41, op. cit.

- Jürgen HABERMAS, «Une flèche dans le cœur du temps présent», in Critique, Tome XLII, n°471-472, op. cit.

- Katharina von BÜLOW, «L'art du dire-vrai», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

- Pasquale PASQUINO, «De la modernité», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

- Danièle LOSCHAK, «La question du droit», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

- Guy LARDREAU, «Une figure politique», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

- Henri JOLY, «Retour aux Grecs», in Le Débat, n°41, op. cit.

- Michel de CERTEAU, «Le rire de Michel Foucault», in: Le Débat, n°41, op. cit.

- Joachim LAUENBURG, «Foucault», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.

- Frédéric GROS, Michel Foucault, PUF, Paris, 1996.

- Jean-Claude MONOD, Foucault: la police des conduites, Michalon, coll. «Le bien commun», Paris, 1997.

E. Sur Rorty:

- Richard RORTY, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge University Press, Cambridge, 1989-91 (3°ed.).

- Richard RORTY, La filosofia dopo la filosofia. Contingenza, ironia e solidarietà, Prefazione di Aldo G. Gargani, Editori Laterza, Roma/Bari, 1989.

- G. HOTTOIS, M. VAN DEN BOSSCHE, M. WEYEMBERGH, Richard Rorty. Ironie, Politiek en Postmodernisme, Hadewijch, Antwerpen/Baarn, 1994.

- Joachim LAUENBURG, «Rorty», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.

- Walter REESE-SCHÄFER, Richard Rorty, Campus, Frankfurt/New York, 1991.

F. Sur la problématique utopie/contre-utopie:

- Richard SAAGE (Hrsg.), Hat die politische Utopie eine Zukunft?, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.

- Ernst NOLTE, «Was ist oder was war die “politische” Utopie?», in R. SAAGE, op. cit.

- Rainer ZITELMANN, «Träume vom neuen Menschen», in R. SAAGE, op. cit.

- Iring FETSCHER, «Was ist eine Utopie? Oder: Zur Verwechslung utopischer Ideale mit geschichtsphilosophischen Legitimationsideologien», in: R. SAAGE, op. cit.

- Raymond TROUSSON, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1975.

- Mark R. HILLEGAS, The Future as Nightmare. H. G. Wells and the Anti-Utopians, Southern Illinois University Press, Carbondale and Edwardsville, Feffer & Simons, Inc., London/Amsterdam, 1967.

G. Sur Rabelais et Bakhtine:

- Anton SIMONS, Het groteske van de taal. Over het werk van Michail Bachtin, SUA, Amsterdam, 1990.

- Michel ONFRAY, «Reviens, François», in Le magazine littéraire, n°319, mars 1994.

- Michel RAGON, «Rabelais le libertaire», propos recueillis par J.J. Brochier, in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Michel JEANNERET, «Et tout pour la tripe», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Pascal DIBIE, «Une ethnologie de la Renaissance», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Simone PERRIER, «Démesure pour démesure: le Rabelais de Bakhtine», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

H. Ouvrages d'Anton Zijderveld:

- Anton C. ZIJDERVELD, The Abstract Society. A Cultural Analysis of Our Time, Penguin/Pelican, Harmondsworth,1974.

- Anton C. ZIJDERVELD, Humor und Gesellschaft. Eine Soziologie des Humors und des Lachens, Styria, Graz, 1971.

jeudi, 12 septembre 2013

Alexander Dugin on Syria and the New Cold War

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Alexander Dugin on Syria and the New Cold War

Alternative Right

An interview with Alexander Dugin on the Syrian crisis.

 

Prof. Dugin, the world faces right now in Syria the biggest international crisis since the downfall of the Eastern Block in 1989/90. Washington and Moscow find themselves in a proxy-confrontation on the Syrian battleground. Is this a new situation?

Dugin: We have to see the struggle for geopolitical power as the old conflict of land power represented by Russia and sea power represented by the USA and its NATO partners. This is not a new phenomenon; it is the continuation of the old geopolitical and geostrategic struggle. The 1990s was the time of the great defeat of the land power represented by the USSR. Mikhail Gorbachev refused the continuation of this struggle. This was a kind of treason and resignation in front of the unipolar world. But with President Vladimir Putin in the early years of this decade, came a reactivation of the geopolitical identity of Russia as a land power. This was the beginning of a new kind of competition between sea power and land power.

How did this reactivation start?

Dugin: It started with the second Chechen war (1999-2009). Russia by that time was under pressure by Chechen terrorist attacks and the possible separatism of the northern Caucasus. Putin had to realize all the West, including the USA and the European Union, took sides with the Chechen separatists and Islamic terrorists fighting against the Russian army. This is the same plot we witness today in Syria or recently in Libya. The West gave the Chechen guerrillas support, and this was the moment of revelation of the new conflict between land power and sea power. With Putin, land power reaffirmed itself. The second moment of revelation was in August 2008, when the Georgian pro-Western Saakashvili regime attacked Zchinwali in South Ossetia. The war between Russia and Georgia was the second moment of revelation.

Is the Syrian crisis now the third moment of revelation?

Dugin: Exactly. Maybe it is even the final one, because now all is at stake. If Washington doesn´t intervene and instead accepts the position of Russia and China, this would be the end of the USA as a kind of unique superpower. This is the reason why I think Obama will go far in Syria. But if Russia steps aside and accepts the US-American intervention and if Moscow eventually betrays Bashar al-Assad, this would mean immediately a very hard blow to the Russian political identity. This would signify the great defeat of the land power. After this, the attack on Iran would follow and also on northern Caucasus. Among the separatist powers in the northern Caucasus there are many individuals who are supported by the Anglo-American, Israeli and Saudi powers. If Syria falls, they will start immediately the war in Russia, our country. Meaning: Putin cannot step aside; he cannot give up Assad, because this would mean the geopolitical suicide of Russia. Maybe we are right now in the major crisis of modern geopolitical history.

So right now both dominant world powers, USA and Russia, are in a struggle about their future existence…

Dugin: Indeed. At the moment there is no any other possible solution. We cannot find any compromise. In this situation there is no solution which would satisfy both sides. We know this from other conflicts, such as the Armenian-Azeri or the Israeli-Palestinian conflict. It is impossible to find a solution for both sides. We witness the same now in Syria, but on a bigger scale. The war is the only way to make a reality check.

Why?

Dugin: We have to imagine this conflict as a type of card game like Poker. The players have the possibility to hide their capacities, to make all kinds of psychological tricks, but when the war begins all cards are in. We are now witnessing the moment of the end of the card game, before the cards are thrown on the table. This is a very serious moment, because the place as a world power is at stake. If America succeeds, it could grant itself for some time an absolutely dominant position. This will be the continuation of unipolarity and US-American global liberalism. This would be a very important moment because until now the USA hasn´t been able to make its dominance stable, but the moment they win that war, they will. But if the West loses the third battle (the first one was the Chechen war, the second was the Georgian war), this would be the end of the USA and its dominance. So we see: neither USA nor Russia can resign from that situation. It is simply not possible for both not to react.

Why does US-president Barrack Obama hesitate with his aggression against Syria? Why did he appeal the decision to the US-Congress? Why does he ask for permission that he doesn´t need for his attack?

Dugin: We shouldn´t make the mistake and start doing psychological analyses about Obama. The main war is taking place right now behind the scenes. And this war is raging around Vladimir Putin. He is under great pressure from pro-American, pro-Israeli, liberal functionaries around the Russian president. They try to convince him to step aside. The situation in Russia is completely different to the situation in USA. One individual, Vladimir Putin, and the large majority of the Russian population which supports him are on one side, and the people around Putin are the Fifth column of the West. This means that Putin is alone. He has the population with him, but not the political elite. So we have to see the step of the Obama administration asking the Congress as a kind of waiting game. They try to put pressure on Putin. They use all their networks in the Russian political elite to influence Putin´s decision. This is the invisible war which is going on right now.

Is this a new phenomenon?

Dugin: (laughs) Not at all! It is the modern form of the archaic tribes trying to influence the chieftain of the enemy by loud noise, cries and war drums. They beat themselves on the chest to impose fear on the enemy. I think the attempts of the US to influence Putin are a modern form of this psychological warfare before the real battle starts. The US-Administration will try to win this war without the Russian opponent on the field. For this they have to convince Putin to stay out. They have many instruments to do so.

But again: What about the position of Barrack Obama?

Dugin: I think all those personal aspects on the American side are less important than on the Russian side. In Russia one person decides now about war and peace. In the USA Obama is more a type of bureaucratic administrator. Obama is much more predictable. He is not acting on his behalf; he simply follows the middle line of US-American foreign politics. We have to realize that Obama doesn´t decide anything at all. He is merely the figurehead of a political system that makes the really important decisions. The political elite makes the decisions, Obama follows the scenario written for him. To say it clearly, Obama is nothing, Putin is everything.

You said Vladimir Putin has the majority of the Russian population on his side. But now it is peace time. Would they also support him in a war in Syria?

Dugin: This is a very good question. First of all, Putin would lose much of his support if he does not react on a Western intervention in Syria. His position would be weakened by stepping aside. The people who support Putin do this because they want to support a strong leader. If he doesn´t react and steps aside because of the US pressure, it will be considered by the majority of the population as a personal defeat for Putin. So you see it is much more Putin´s war than Obama´s war. But if he intervenes in Syria he will face two problems: Russian society wants to be a strong world power, but it is not ready to pay the expenses. When the extent of these costs becomes clear, this could cause a kind of shock to the population. The second problem is what I mentioned already, that the majority of the political elite are pro-Western. They would immediately oppose the war and start their propaganda by criticizing the decisions of Putin. This could provoke an inner crisis. I think Putin is aware of these two problems.

When you say the Russians might be shocked by the costs of such a war, isn´t there a danger that they might not support Putin because of that?

Dugin: I don´t think so. Our people are very heroic. Let us look back in history. Our people were never ready to enter a war, but if they did, they won that war despite the costs and sacrifices. Look at the Napoleonic wars or World War II. We Russians lost many battles, but eventually won those wars. So we are never prepared, but we always win.

mercredi, 11 septembre 2013

Dominique Venner, lecteur de Céline

 

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Dominique Venner, lecteur de Céline

par Marc LAUDELOUT


Dans son livre-testament ¹, Dominique Venner évoque Céline et plus particulièrement Les Beaux draps, « ce curieux livre qui délivrait un message furibard à l’encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu’il méprisait ». Et de citer la fameuse sortie de Céline visant « la religion de “Pierre et Paul” [qui] fit admirablement son œuvre, décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race. (…) Ainsi, la triste vérité, l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche. Ce qu’il adore, son cœur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis. »


Venner observe avec pertinence que, dans un langage différent, Nietzsche n’avait pas dit autre chose. Cet été, Anne Brassié, dans un quotidien fervemment catholique, a adressé une lettre post-mortem  à Venner ². N’ayant jamais lu Les Beaux draps, la biographe de Brasillach précise qu’elle ne connaissait pas ce texte et s’insurge contre cette attaque frontale de la religion chrétienne, d’autant  que le païen Venner  la faisait  sienne  mutatis mutandis.


Encore faut-il préciser ce qui, pour Céline, constituait le crime des crimes : « La religion catholique fut à travers toute notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée contaminatrice ».


Céline, défenseur résolu du génie de la race et de son intégrité, reprochait à l’Église de favoriser le métissage par sa doctrine égalitaire. Après avoir vu un de ses textes censuré par la presse doriotiste, il tint à faire connaître la phrase caviardée :  « L’Église, notre grande métisseuse, la maquerelle criminelle en chef, l’antiraciste par excellence. » L’antienne n’était pas nouvelle. Quatre ans plus tôt, dans L’École des cadavres, il vouait aux gémonies les « religions molles ».  Et précisait déjà  : « Vive la Religion qui nous fera nous reconnaître, nous retrouver entre Aryens, nous entendre au lieu de nous massacrer, mutuellement, rituellement, indéfiniment. »


Anne Brassié admet que « la violence de Céline est née de sa terrible clairvoyance, l’Europe s’engageant dans une seconde guerre civile après le premier suicide de la guerre de 14-18 ». Cela étant, elle rétorque : « Sont-ce vraiment les chrétiens qui ont préparé ces guerres ? Qui furent envoyés au front pour mourir, dès 1914, en première ligne ? Les paysans bretons, catholiques, les officiers français catholiques et le premier d’entre eux, Péguy. » Mais pour Céline, la religion chrétienne est une religion juive facilitant les grands massacres en anesthésiant les peuples ainsi aliénés ³. Si Céline est antinationaliste c’est parce qu’il considère que les nations sont manipulées et génératrices de guerre. Pour lui seule la race est capable d’éradiquer la nation, d’où cette vision du « racisme » perçu comme antidote au nationalisme. Cette conviction peut aujourd’hui être ignorée et dissociée de son esthétique. Il n’en demeure pas moins qu’elle fut sienne.


 

Marc LAUDELOUT

 

 

1. Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2013.

2. Anne Brassié, « Un samouraï d’Occident », Présent, n° 7899, 20 juillet 2013, p. 5a-e.

3. Nietzsche considère que le christianisme représente le judaïsme « à la puissance deux » (La Volonté de puissance, 1887) dans la mesure où l’esprit judaïque s’y est universalisé.

 

© Extrait du Bulletin célinien, septembre 2013.

Abonnement 1 an : 55 euros.

Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, 1200 Bruxelles.

samedi, 07 septembre 2013

Jean-Yves Le Gallou à Nantes

Conférence de Jean-Yves Le Gallou à Nantes le vendredi 20 septembre :

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A Breviary for the Unvanquished

A Breviary for the Unvanquished

By Michael O'Meara 

A propos of Dominique Venner
Un Samouraï d’Occident: Le Bréviaire des insoumis [2]
Paris: PGDR, 2013

samocc.jpgIn his commentaries on the Gallic Wars, Julius Caesar claimed the ancient Celts were ruled by two principles: to fight well and to speak well. By this standard, the now famous essayist, historian, and former insurgent, Dominique Venner, who frequently identified with his Gallic ancestors, was the epitome of Caesar’s Celt—for with arms and eloquence, he fought a life-long war against the enemies of Europe. 

Like much else about him (especially his self-sacrifice on Notre Dame’s high altar, which, as Alain de Benoist writes, made him un personage de l’histoire de France), Venner’s posthumously published Un Samuraï d’Occident bears testament not just to his rebellion against the anti-European forces, but to his faith in the Continent’s tradition and the restorative powers this tradition holds out to a Europe threatened by the ethnocidal forces of the present American-centric system of global usury.

His “samurai” (his model of resistance and rebellion) refers to the “figure” of the aristocratic warrior, once honored in Japan and Europe. Such a figure has, actually, a long genealogy in the West, having appeared 30 centuries ago in Homer’s epic poems. And like a re-occurring theme, this figure continued to animate much of Western life and thought—up until at least 1945.

An especially emblematic illustration of Venner’s warrior is Albrect Dürer’s 1513 engraving of “The Knight, Death, and the Devil.” In the daunting Gothic forest sketched by Dürer, where his solitary knight encounters both the devil and time’s relentless march toward death, the figure of the noble warrior is seen serenely mounted on his proud horse, with a Stoic’s ironic smile on his lips, as he patrols the lurking dangers, accompanied by his dog representing truth and loyalty.

For Venner, Dürer’s timeless rebel does what needs doing, knowing that however high the price he must pay to defend the cosmic order of his world, it will be commensurate with whatever “excellence” (courage and nobility) he finds in himself. It is, in fact, the intensity, beauty, and grandeur of the knight, in his struggle with the forces of death and disorder, that imbue him with meaning. The crueler the destiny, it follows, the greater it is—just as a work of art is great to the degree it transcends tragedy by turning it into a work of beauty.

Contemporary “conservatives” and libertarians struggling with the crisis-ridden economic imperatives of our globalized/miscegenated consumer society, will undoubtedly think Venner’s warrior irrelevant to the great challenges facing it—but this is not the opinion of the “European Resistance” (and it will not likely be the opinion of the European-American Resistance, if one should arise). For between those forming the fake, system-friendly opposition to the liberal nihilism programming our global electronic Gulag—and those European rebels defending the Continent’s millennial tradition and identity—there stretches a gaping ontological abyss.

***

Venner’s book begins with an account of a not uncommon situation in today’s France, especially among the so-called petit blancs—the little people. He cites the case, reported by Le Monde, of one “Catherine C.,” who is what France’s black and brown invaders refer to as a Gauloise: a French native (i.e., someone whose Celtic ancestors fought Caesar’s legions).

All her life Catherine C. has lived in the suburbs of Paris, in a housing estate originally designed to lodge French workers, but now occupied almost exclusively by the invaders. She has hence become a “minority,” a stranger in her own land, abandoned to the whim and rule of the non-Europeans dominating her environment. As such, she rarely leaves her apartment, feeling alienated not just from her “neighbors,” but from the established institutions and authorities favoring the invaders. Even her son, who lacks her sense of French identity, has converted to Islam and wants “to be black or beur [Arab] like everyone else.” But however isolated and threatened, this Gauloise refuses—out of pride—to abandon her home or identity.

We know from other sources that Venner’s resistance to the present anti-white regime began long ago, in his late adolescence, when he took up arms to defend “French Algeria.” His resistance – then on the field of battle (against the outer enemy), later in Parisian street skirmishes (against the inner traitor), and finally on the printed page – has shaped the course of his entire life. Though a “tribal solidarity” and “rebel heart” motivated his initial resistance, the cause of France’s “little people”—the Catherine C.’s—constituting the majority of the nation—became a no less prominent motive for him, especially in that the “little people” of French France are the principal victims of the elites’ criminal system of governance and privilege.

***

“To exist,” Venner argues, “is to struggle against that which denies me.” Since 1945, the whole world has “denied” the European (allegedly “responsible” for the Shoah, slavery, colonization, etc.) the right to exist. At the most fundamental level, this implies that Europeans have no right to an identity: no right to be who they are (given that they are a scourge to humanity). Venner, of course, refused to submit to such tyranny, which has made him a “rebel”: someone who not only refuses to accommodate the reigning subversion, but who remains true to himself in the name of certain higher principles.

Venner’s rebel—the “unvanquished” to use Faulkner’s term—is an offspring of indignation. In face of imposture or sacrilege, the rebel revolts against a violated legitimacy. His rebellion begins accordingly in the conscience before it occurs in arms. Our earliest example of such a rebellion is Sophocles’ Antigone, who rebelled against King Creon’s violation of the sacred law. Like Antigone, Venner’s rebel warrior obeys a transcendent “legitimacy” and resists all that transgresses it; similarly, he never calculates the prospect of success or refuses to pay the often terrible price of rebellion—because a higher defining duty with which he identifies impels him to do so.

Since such rebellion arises from an offended spirit, it often breaks out where least expected. In a life spanning the 20th century’s great catastrophes (World War II, the German Occupation of France, the so-called “Liberation” and its murderous left-wing purges, the Cold War, Decolonization, etc.), Venner has known a Europe paralyzed by dormition (sleep)—too traumatized by the great bloodlettings and destructions of earlier decades to counter her ongoing de-Europeanization. The present “shock of history,” he contends, may change this.

A historical figure (in the form of a revolutionary opponent of De Gaulle’s Fifth Republic, then as a founder of the European New Right, and finally as a proponent of a “revolutionary nationalist” Europe) before he became a historian, Venner holds that there are no fatalities in history (“the trace men leave on their destiny”) and that Europeans, with their incomparable legacy, will eventually awake to resume their destiny. Their history and tradition weighs thus in their favor.

In the last year of his life, Venner thought the forces of French indignation had finally begun to stir. The massive, spontaneous upsurge of outraged opinion in early 2013 against the Taubira Law legalizing homosexual marriage had set it off. (What was so unexpected in this was that earlier, “Catholic” Spain had passed a similar law without mass protest.) Everywhere in French France, however, this perverted law was experienced as the last straw, for in denaturalizing the family it assaulted the very foundation of Continental life.

***

When a régime contemptuous of popular opinion provokes a “rebellion of the mothers,” as François Hollande’s Socialist/African government had, Venner thought it sign that an unpardonable transgression had occurred. For once middle-class Catholic house wives, with their children and strollers, joined militant identitarians and other rebels, in pouring onto French streets in unprecedented numbers to protest the Soviet-style desecrations, it was if another age had suddenly dawn— sign, perhaps, that the awakening had commenced.

Venner also reminds us that the founding work of European civilization, Homer’s Iliad, is all about what happens when the marriage law is violated. Though Homer believed a civilization could not exist in face of such violation, today’s elites know better—which suggests not just the advanced degree of decay among the latter, but the future-significance of the former.

The young identitarian and revolutionary nationalist rebels, who share Venner’s faith in the ongoing significance of the European tradition and follow him in resisting the violators, are the ones in whose hands the Continent’s future now lies—if Europeans are to have a future. The course of history in any case remains endless and open-ended: which means that the sons and daughters of Odysseus and Penelope, however denied they have become, may one day get another chance to re-conquer their lands and lives.

Venner’s last work (and he was always conscious that words are arms) addresses these awakening forces of resistance—preeminently those opposing the denaturalization of the nation (la Grande Replacement)—for the “prayers and hymns” of his breviary revere an alternative to liberal nihilism that re-grounds Europeans in themselves and in their unique heritage.

***

This European heritage is key to everything, for a people or civilization lacking a memory of its past and a stake in its continuation, is a people or civilization that no longer exists as such. Contrary to the tabula rasa suppositions of the moneychangers, Europeans were not born yesterday. Whatever future they have is unlikely to come from the deranged utopias planned for them, but rather from the memory of their past—and thus from the recognition of who they are in this period and of what is expected of them. Faithful to Europe, Venner’s rebel warrior fights for a future he sees sanctioned in everything that has gone before.

The hubristic course of the 20th century—with its great civil wars and wanton destruction, its world crusades and diseased, mercantile, technological metaphysics—has created a situation in which for the first time in history the Continent’s peoples have been denied their tradition (the soul of their culture) and compelled to find themselves in everything alien to who they are. As a historian and as one of Nietzsche’s “good Europeans,” Venner’s life work might be characterized as a struggle to recover Europe’s memory and the relevance of her sacred wisdom.

If Europeans, then, are to escape the great abyss of nothingness the money powers in Washington and New York plan for them, they will need to recover their identity as a people and a civilization. This means returning (not literally, but spiritually) to their roots, to those authentic sources that created them at the beginning of their history, distinguished their destiny from others, and sustained them over the millennia.

There is, as such, nothing antiquarian or nostalgic in this privileging of history’s longue durée, for the tradition and culture animating a people’s millennial history are ultimately never things of the past per se, but of the future—given that the aesthetic values and living spirituality inherent in them nourish the Europeans’ representations, structure their behavior, and lend meaning to their endeavors.

***

Venner claims the preeminent source for the spiritual re-conquest of Europe’s identity (given that the Catholic Church has abandoned its European roots for the sake of becoming a truly universal religion) is Homer, for his sacred poems reveal the “secret permanences” distinct to the Continent’s family of closely related nations and peoples. Though written at the dawn of our civilization, there is nothing in the Homerian epics that is not intimately familiar to the European of today. For in giving form to the European soul, Homer articulated a conception of the world that is entirely unique to the West—a conception, as Georges Dumézil demonstrated, that was rooted in the earlier Indo-European or Borean antecedents of pre-Hellenic Europe, and one that would shape the subsequently Latin, Celtic, Slavic, and Germanic expressions of European life. In Homer, the true European encounters a mirror of his soul.

Virtually every figure and sentiment distinct to European man is to be found in the civilization-creating monuments of the blind poet—for his epics articulated archetypes that will always be timeless and timely for “the white men of the West.” This seems especially the case in respect to Homer’s model of life, which makes “nature the base, excellence the goal, and beauty the horizon.” Above all, Homer’s virile concept of the warrior and his affirmation of the European tradition (which never actually changes, only adapts) offer Europeans the sole alternative to their impending extinction.

***

Those acquainted with Venner’s vast opus will find Un Samuraï d’Occident an eloquent summation of his identitarian postulates. Those unfamiliar with it may find a door opening to an entirely different future. Finally, for Venner’s fellow rebels—the unvanquished—his breviary is certain to impart new vigor to the hours and offices of their already endless sacrifices to remain true to themselves.

More on Dominique Venner

• “The Rebel [3]

• “From Nihilism to Tradition [4]

• “The Foundations of the 21st Century [5]

• “Another European Destiny [6]

• “The Shock of History [7]

• “Arms and Being [8]

Source: http://www.wermodandwermod.com/newsitems/news310820131249.html [9]

 


Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2013/08/Venner-Dominique-Un-samourai-dOccident.jpg

[2] Un Samouraï d’Occident: Le Bréviaire des insoumis: http://www.amazon.fr/Un-samoura%C3%AF-dOccident-br%C3%A9viaire-insoumis/dp/2363710738

[3] The Rebel: http://www.counter-currents.com/2010/06/the-rebel/

[4] From Nihilism to Tradition: http://www.counter-currents.com/2010/06/from-nihilism-to-tradition/

[5] The Foundations of the 21st Century: http://www.counter-currents.com/2010/06/foundations-of-the-twenty-first-century/

[6] Another European Destiny: http://www.counter-currents.com/2010/06/another-european-destiny/

[7] The Shock of History: http://www.counter-currents.com/2011/11/the-shock-of-history/

[8] Arms and Being: http://www.counter-currents.com/2013/07/arms-and-being/

[9] http://www.wermodandwermod.com/newsitems/news310820131249.html: http://www.wermodandwermod.com/newsitems/news310820131249.html

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vendredi, 06 septembre 2013

Les nouveaux visages du mondialisme

Les nouveaux visages du mondialisme

par Georges FELTIN-TRACOL

 

Suite à ma brève étude consacrée à l’U.K.I.P. (Parti de l’Indépendance de la Grande-Bretagne) de Nigel Farage, « Poussée souverainiste outre-Manche » dans le mensuel en ligne Salut public, n° 16 de juin 2013, des lecteurs se sont étonnés que je qualifie ce mouvement souverainiste britannique de « national-mondialiste ». Il est vrai que le qualificatif paraît osé, mais cette provocation voulue entend signaler une tendance nouvelle qui témoigne de la mue du mondialisme afin de contourner et de neutraliser les réactions souvent défensives qu’il suscite.

 

Le mondialisme « classique » se présente sous deux formes souvent antagonistes tant au sujet des moyens que des finalités dernières. Le premier mondialisme demeure le plus connu puisqu’il regroupe les cénacles de l’hyper-classe oligarchique planétaire et domine les médiats, la finance, la politique et les grands groupes transnationaux. Ces mondialistes-là se retrouvent régulièrement lors des réunions à Davos,  de la Commission Bilderberg ou de la Trilatérale, etc. Ces chantres de la mondialisation globale ne revendiquent pas publiquement, sauf exceptions notables, un État mondial. Ils préfèrent soutenir une « communauté internationale » régie par des normes occidentales, libérales et « démocratiques de marché » (en fait ploutocratiques et oligarchiques) qui écrase le politique au profit d’un économicisme. Pour eux, la paix universelle garantit le maximum d’affaires donc de profits. Le second mondialisme, bien plus récent, apparaît à la fin des années 1990. C’est l’« altermondialisme ». Prétextant des préoccupations sociales, environnementales et sociétales, les altermondialistes imaginent une structure politique inter-continentale dans laquelle les citoyens du monde sur-connectés exprimeraient leurs avis à des dirigeants révocables sur le champ grâce à la grande Toile numérique mondiale. Si les altermondialistes mènent souvent des combats sympathiques et nécessaires, leur dessein final d’évacuation définitive du politique et du conflit les dessert, d’où l’amenuisement perceptible depuis cinq – six ans de leur activisme.

 

Ces deux versions mondialistes ne cachent pas leur objectif ultime, ce qui explique probablement la méfiance immédiate des peuples. Suite à cette défiance véritable, tel un organisme confronté à un problème de survie, l’idéologie mondialiste a commencé une entreprise de diversification morphologique, à un travestissement des idées, voire à une infiltration, avec le secret espoir de favoriser une large confusion. Le phénomène est particulièrement notable avec le régionalisme.

 

En Bolivie, l’élection en 2006 de l’Amérindien révolutionnaire Evo Morales à la présidence de la République stimula le séparatisme de cinq départements amazoniens du pays. Il fallut toute l’autorité présidentielle d’Evo Morales pour éteindre ces velléités centrifuges. Ces séparatistes, souvent d’origine créole, proche des riches propriétaires des latifundia et financés par les États-Unis, défendaient-ils une culture particulière, une autonomie linguistique ou une spécificité historique ? Nullement ! Leurs motivations premières étaient la défense de leur fortune agrarienne et leur refus d’obéir à un président à la peau cuivrée. Il est intéressant de relever que certains de ces indépendantistes rêvaient que leur hypothétique État adhérât à l’A.L.E.N.A. …

 

On retrouve cet exemple de « régional-mondialisme » d’une manière moins nette, plus diffuse, en Europe de l’Ouest. probable grand vainqueur aux élections législatives, régionales et communautaires l’année prochaine en Belgique, la Nouvelle Alliance flamande de Bart De Wever doit être désignée comme une formation « nationale-centriste ». Si son seul député européen siège dans le groupe commun des Verts – A.L.E. (Alliance libre européenne – régionaliste), son meneur principal et actuel maire d’Anvers ne cache pas son admiration pour le libéral-conservateur anglais Edmund Burke. Se focalisant sur la question linguistique qui exclut les minorités francophones albo-européennes et qui accepte des populations étrangères non européennes néerlandophones, la N.V.A. soutient un regrettable point de vue assimilationniste et réducteur.

 

En Catalogne, l’année 2014 risque d’être décisive puisque le gouvernement autonome catalan démocrate-chrétien, encouragé par l’extrême gauche républicaine indépendantiste, prévoit un référendum d’auto-détermination par avance rejeté par le gouvernement conservateur de Madrid. Le chef de la Généralité catalane, Artùr Mas, développe une démagogie intense en faveur de l’indépendance alors que la région très autonome croule sous un endettement public faramineux. Indépendante, la Catalogne deviendrait une proie facile pour les jeunes requins friqués d’Asie et du Moyen-Orient. Comme pour les Flamands d’ailleurs, les indépendantistes catalans rêvent d’adhérer à l’Union européenne et de se maintenir dans l’Alliance Atlantique.

 

Le phénomène est plus frappante en Écosse. En 2014 se tiendra un référendum sur l’indépendance validé par le Premier ministre conservateur britannique, David Cameron, et son homologue écossais, Alex Salmond, chef du S.N.P. (Parti nationaliste écossais) indépendantiste d’orientation sociale-démocrate. Dans le cas d’une Écosse libérée d e la tutelle londonienne, le nouvel État serait toujours une monarchie parlementaire avec pour reine Elisabeth II et ses successeurs. Quant à la monnaie, ce serait soit l’euro, soit la livre sterling.

 

Il faut oublier les belles images du film de Mel Gibson Braveheart. Hormis une minorité indépendantiste identitaire réunie au sein d’un Front national écossais (1), les indépendantistes écossais – en tout cas leurs responsables – communient eux aussi dans le « multiculturalisme ». Dans la perspective de la consultation référendaire, le S.N.P. dispose du soutien de la communauté pakistanaise. D’ailleurs, le ministre écossais des Affaires étrangères et du Développement internationale, Humza Yousaf, est un Pakistano-Kényan. Alex Salmond déclare ainsi que « nous avons une identité attrayante, d’autant plus que nous ne mettons pas en avant un caractère exclusif. Les gens ont droit à la diversité et l’écossité en fera partie à coup sûr (2) ».

 

À quoi bon dès lors une Écosse indépendante si la population n’est plus écossaise à moyen terme ? Un néo-mondialisme investit donc le champ régional sans trop de difficultés d’autant que maints régionalistes récusent toute connotation identitaire.

 

Ce néo-mondialisme s’invite même chez les souverainistes anti-européens du Vieux Continent. Le cas du Parti pour la liberté (P.V.V.) néerlandais de Geert Wilders reste le plus exemplaire. Ce parti néo-conservateur et libéral défend les droits de la minorité homosexuelle face à l’affirmation d’un islam rigoriste assumé. Dans une logique de confrontation entre l’Occident, perçu comme la patrie universelle des droits de l’homme, et l’Islam, considéré comme une civilisation arriérée, le P.V.V. s’aligne sur des positions atlantistes et sionistes avec la secrète espérance de ne pas être diabolisé par les médiats. Cette démarche similaire se retrouve en Allemagne où règne depuis 1945 une incroyable terreur mémorielle. Des formations d’audience régionale comme Pro Köln (Pour Cologne) ou Pro N.R.W. (Pour la Rhénanie du Nord – Westphalie) tiennent un discours anti-musulman grossier qui confond Al-Qaïda et le Hezbollah libanais. On devine une argumentation néo-conservatrice et atlantiste du choc des civilisations…

 

En France, le néo-mondialisme ne parie pas encore sur le F.N. dédiabolisé de Marine Le Pen. Outre le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, il encourage plutôt l’ancien Young Leader de la French American Foundation, Nicolas Dupont-Aignan de Debout la République. Comme d’ailleurs Mélenchon, le député-maire d’Yerre suggère comme alternative au projet européen une union méditerranéen France – Afrique du Nord ! Remarquons aussi qu’il envisagea de coopérer avec le F.N. à la condition que celui-ci abandonne son positionnement identitaire. Or c’est précisément ce choix fondamental qui permet au part frontiste d’être la troisième force politique de l’Hexagone.

 

Le néo-mondialisme a enfin pris le visage du populisme en Italie avec Beppe Grillo et son Mouvement Cinq Étoiles. L’extraordinaire succès de cette force « anti-politique » aux législatives anticipées de février 2013 a mis en lumière le rôle de gourou de Gianroberto Casaleggio. Ce riche patron d’une entreprise d’informatique rêve d’un État mondial numérisé d’influence New AgeGaïa – dans lequel seraient proscrites les religions et les idéologies (3). Par certains égards, on peut considérer que Casaleggio représente le versant populiste d’un néo-mondialisme comme Wilders en incarne le versant néo-conservateur atlantiste. Dernièrement, Nigel Farage a considéré comme « épouvantable » une campagne du ministère britannique de l’Intérieur destinée à dégoûter les immigrés illégaux de venir en Grande-Bretagne (4). Farage précise même qu’il trouve cette opération publicitaire « très “ Big Brother ” […], très Allemagne de l’Est dans les années 1980, une horrible façon de lutter contre l’immigration (5) ».

 

Il est intéressant de remarquer que ces partis dits « populistes » et « eurosceptiques » mésestiment, minorent ou ignorent délibérément – peut-être pour satisfaire le politiquement correct des gras médiats – la thématique identitaire. L’U.K.I.P. dénonce plus la présence de Polonais ou de Grecs que l’immigration venue du Commonwealth. Quant aux critiques du P.V.V., elles se focalisent sur l’islam et non sur l’immigration (6). Finalement, au jeu des comparaisons, l’Aube dorée grecque et le Jobbik hongrois témoignent d’un sens plus développé de l’identité ancestrale autochtone, ce qui par ces temps troublés n’est pas négligeable.

 

Georges Feltin-Tracol

 

Notes

 

1 : Cette formation est évoquée par l’excellent blogue de Lionel Baland, le 21 juin 2013 : http://lionelbaland.hautetfort.com/

 

2 : dans The Observer cité par Courrier International du 18 au 24 juillet 2013.

 

3 : Lire l’excellente analyse de Patrick Parment, « Le présent italien annonce-t-il le futur italien ? », Synthèse nationale, n° 31, mars – avril 2013.

 

4 : Julien Laurens, « Shocking, la pub anti-clandestins ! », Aujourd’hui en France, 1er août 2013.

 

5 : dans Le Nouvel Observateur, 29 août 2013.

 

6 : À la décharge de l’U.K.I.P. et du P.V.V., reconnaissons-leur qu’ils viennent de s’opposer officiellement – et avec raison – à toute intervention militaire occidentale en Syrie. Ils rejoignent de ce fait le B.N.P., l’Aube dorée, le F.N. et les Republikaner allemands.

 


 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

 

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jeudi, 05 septembre 2013

Le Midi

Le Midi...

La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 68, septembre - octobre 2013).

Le dossier central est consacré au Midi des troubadours et des cathares. On peut y lire, notamment,  des articles de Sophie Cassar ("Le comté de Toulouse"), de Rémi Soulié ("La civilisation de Midi languedocien au XIIe siècle" ; "De Frédéric Mistral au Larzac"), de Bernard Fontaine ("L'implantation de l'hérésie en Languedoc" ; "Le siège de Montségur"), de Martin Aurell ("1213 : Muret, la bataille décisive"), de Pierre de Meuse ("L'inquisition, mythe et réalité" ; "Le catharisme au risque de l'histoire"), de François Fresnay ("Simon de Montfort ") et de Philippe Conrad ("L'hérésie cathare revisitée" ; "Le Midi languedocien, des origines au XXe siècle").

Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec le général Maurice Faivre ("Du Renseignement à l'Histoire") ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Le Tsar Alexandre II ou la réforme impossible"), de Michel Lentigny ("La résurrection des Etrusques"), de Michel Ostenc ("Verdi et le Risorgimento") et de Philippe d'Hugues ("L'Europe médiatrice") et la chronique de Péroncel-Hugoz.

 

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Identitäre Meditationen über Triest

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Identitäre Meditationen über Triest

Martin Lichtmesz

Ex: http://www.sezession.de

Bei der Recherche für einen Beitrag zum geplanten „Ortslexikon“ des Instituts für Staatspolitik [2] fiel mir eine sehr schöne, zu Unrecht verschollen gegangene Anthologie über Triest in die Hände, der ich die Informationen für diesen Artikel entnehme. An dem Band „Triest Trst Trieste“ (Mödling/Wien 1992) hat unter anderem mein ehemaliger grüner Geschichtslehrer aus Gymnasialzeiten mitgearbeitet, an den ich recht gute Erinnerungen habe.

Er gehörte zum durchaus sympathischen Typus eines Grünen, den man heute leider nur mehr selten findet. Sein biographisch-familiärer Hintergrund war recht abenteuerlich, und er hatte ein Flair von Globetrottertum um sich, das er freilich auch bewußt kultivierte. Besonders gern erzählte er von seinen kulinarischen Entdeckungsreisen in seiner zweiten Heimat Italien, wo er stets auf der Suche nach seltenen und exquisiten Perlen abseits der touristischen Trampelpfade war.

Im Gegensatz zu den heutigen „Diversity“- [3]Narren hatte er eine echte Liebe zur Vielfalt (man kann dieses geschändete Wort leider kaum mehr benutzen) insbesondere europäischer und mediterraner Kulturen. Er war Mitglied in einer kleinen Folklore-Band, die traditionelle Volkslieder aus ganz Europa sammelte und deren Stilelemente in ihren eigenen Songs zu recht ansprechenden Potpourris vermischte.  Dabei liebte er auch alpine und österreichische Volksmusik, mit einem gewichtigen Vorbehalt allerdings: sie mußte „authentisch“ sein und nicht verseucht durch die Kommerzentartungen des „Musikantenstadl“ und ähnlicher Frevel.

So war seine „multikulturelle“ Leidenschaft eng verwandt mit seiner kulinarischen: sie hatte etwas zu tun mit einer Sehnsucht nach dem „Echten“, Anderen, Bodenständigen, Unverwässerten, Vitalen, Urwüchsigen, Noch-nicht-Genormten, noch nicht durch die Konsumgesellschaft platt- und banal- und schalgemachten.

Ich mußte viele Jahre später an meinen Geschichtelehrer denken, als mir ein listiger Aphorismus von Gómez Dávila unterkam:

Die nationalistische Xenophobie bewahrt die Unversehrtheit köstlicher Speisen für die, die weder Nationalisten noch xenophob sind.

Das ist ein tragisches Dilemma, das leider kaum aufzulösen ist: wenn eine Kultur oder Volksgruppe ihre Eigenart bewahren will, muß sie sich bis zu einem gewissen Grad nach außen hin abgrenzen. Wenn sie aber nicht mehr imstande ist, bis zu einem gewissen Grad „durchlässig“ zu sein und fremde Einflüsse aufzunehmen, dann stagniert und versteinert sie. Kleinere Indianervölker, die keine Möglichkeit des Anschlusses an eine größere, stützende Kultur oder Nation haben, sitzen hier besonders in der Zwickmühle.

Ein „Muß“ für die Grünen der Neunziger Jahre (ob das heute auch noch so ist, weiß ich nicht), war die Leidenschaft für die Rechte diverser Minderheiten in Österreich: Zigeuner, Kroaten im Burgenland, Slowenen in Kärnten – besonders letztere ließen sich trefflich gegen das traditionell „blaue Gau“ der FPÖ ausspielen. Hier spielten natürlich oft eher sinistre nationalpsychologische Motive eine Rolle, ein nachgeholter Surrogat-Antifaschismus und eine Buße für die NS-Verbrechen.

Man konnte sich für den „Volkstumskampf“ (denn um etwas anderes ging es schließlich nicht) der Slowenen begeistern, zeigte aber keinerlei Interesse etwa am Schicksal der deutschen Minderheit in Slowenien, oder überhaupt der Vertriebenen des Weltkrieges aus Böhmen und Mähren, Schlesien und Pommern, Siebenbürgen und Ostpreußen. Denn deutsches Volkstum war eben „böse“, alles andere aber gut und unterstützenswert. Immerhin dachte mein grüner Geschichtslehrer nicht so.

Seine Faszination für Triest hing eng mit seinen multikulturellen Neigungen zusammen. Als typische Grenz- und Knotenpunktstadt war und ist Triest eine einzigartige Mischung aus romanischen, slawischen und germanischen Einflüssen. Sie stand rund fünfeinhalb Jahrhunderte unter der Herrschaft der Habsburger, die dort unverkennbare Spuren hinterlassen haben. Ganze Stadtviertel sind von theresianischen und josefinischen Bauten geprägt, Doppeladler prangen noch auf vielen Gebäuden und zuweilen wähnt man sich auf der Ringstraße oder in Znaim und Budapest. Nur ein paar Kilometer auswärts findet sich das eigenartige, märchenhafte Schloß Miramare, das für den späteren unglückseligen „Kaiser von Mexiko“ Maximilian erbaut wurde.

Auf dem nicht minder romantischen Schloß Duino schrieb Rainer Maria Rilke seine berühmten „Duineser Elegien“.  Sowohl Italo Svevo [4], der eigentlich Aron Hector Schmitz hieß, Autor des Jahrhundertromans „Zenos Gewissen“, als auch der Jugendbewegung-Jupiter Theodor Däubler [5] wurden in Triest geboren und nachhaltig von der Stadt geprägt. Egon Schiele malte hier Fischerboote und Hafenszenerien, Adalbert Stifter erblickte hier zum ersten Mal das Meer.

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Däublers Freund Hans Blüher [6] schrieb in seiner Autobiographie „Werke und Tage“ (1920) über seine einsamen Jugendwanderungen von Deutschland nach Italien, die ihn nach Triest, Venedig und Neapel führten. Er gedachte darin der „großen Züge der deutschen Könige und Kaiser über die Alpen“, in denen er einen tieferen Drang als nach bloßer profaner Beutelust am Werke sah:

Wer es je gespürt hat, wie scharf die Grenze zwischen der germanischen und der italienischen Landschaft gezogen ist, wer je den Gratzauber in sich aufgenommen hat, der einem ankommt, wenn man wieder beginnt, bergab zu steigen, wer auch gewohnt ist, auf die Dinge zu achten, die Vegetation, veränderter Sternenhimmel, Bodenduft und solches mehr bei einem Menschen erwirkten, dem wird das lediglich Hinzugekommene der ökonomischen Motivierungen, besonders jener Zugrichtung Deutschland-Italien ohne weiteres klar.

Ich fühlte mich jedenfalls durchaus als Deutscher und spürte den Zug der Geschichte meines Volkes in mir, als es mich mit völlig unwiderstehlicher, geradezu fanatischer Gewalt nach dem Süden zog, nach jenem Süden, der mir immer unerträglich war, dessen Waldlosigkeit eine Beleidigung meiner ganzen Natur enthielt, dessen Menschen so durchaus anders waren als ich: dieser Süden, den ich jedesmal mit einem schluchzenden Gefühlvon Heimweh nach den deutschen Landen verließ, den ich jedes Jahr abschwor mit den Worten: „Es war das letztemal!“ – und der mich fünf Jahre mit unausweichbarer Beständigkeit in seinen Bann zog. Es muß wohl das Schicksal des deutschen Menschen sein.

Unterwegs nach Triest war Blüher auch bei den Slowenen eingekehrt, die ihm als arm, „gütig“ und gottesgläubig erschienen. Nur eines ging ihm gegen den Strich:

Aber was mir an diesem Volke unterträglich war, das war die Entvokalisierung der Sprache. Wer in der Lautwelt der Antike groß wurde, dem klingen konsonantenreiche Sprachen barbarisch, und so bekam ich eine immer mehr unbezwingbar werdende Sehnsucht nach Italien, dessen Sprache mir vertraut war und meinen lateinischen Ohren wohltat.

James Joyce verbrachte in Triest seine Jugendjahre, zur genau gleichen Zeit, als Blüher seine Wanderungen unternahm. Joyce war zeitlebens ein freiwilliger irischer Exilant, und er war um so mehr Ire, umso mehr Exilant er war – dazu paßt eine Stadt, die auf ihre Weise eine seltsame Lage im „Exil“ hat, als überwiegend italienische Stadt,die fast gänzlich von slowenischem Hinterland ummantelt ist.

Hilde Spiel schrieb in 1980 in der Novelle „Mirko und Franca“ über die „vielgesichtige Stadt“:

Es gibt Tage und Orte, an denen Triest nur eine seiner Facetten hervorkehrt, nur venezianisch oder nur slawisch erscheint, nur österreichisch oder nur ungarisch, aber auch, unter gewissen Umständen, nur jüdisch, nur griechisch, levantinisch, oder sogar französisch (…).

Im Jahr 1910 zählte Triest etwa 225.000 Einwohner, darunter 120.000 Italiener, 60.000 Slowenen, 12.000 Deutsch-Österreicher, 2.500 Kroaten sowie 30.000 Ausländer aus aller Welt: Levantiner aller Art, Griechen, Armenier, Juden, Türken, Engländer oder Franzosen.

Die unwiderstehliche Anziehungskraft, die eine Stadt wie Triest auf meinen Lehrer hatte, liegt also auf der Hand. Der erwähnte Sammelband „Trieste Trst Triest“ zeichnet allerdings nicht das Bild eines Idylls. Immer wieder wird deutlich, daß die Reize und Spannungen „multikultureller“ Gebilde nicht voneinander zu trennen sind, daß vor allem immer wieder die Frage auftaucht, was solche Gebilde überdachen und zu einer friedlichen und funktionierenden Einheit fügen kann.

Historisch gesehen ist es nun leider so, daß Demokratien für diesen Zweck die denkbar ungünstigsten Staatsformen [7] sind. In der Tat sind sie häufig Zerfallsprodukte größerer Imperien, Antithesen „multikultureller“ Staatsformen. Demokratie und Nationalismus sind in der Neuzeit eng verwoben gewesen.

Unbestritten ist, daß die wirtschaftliche und kulturelle Glanzzeit der Stadt in die Zeit der Habsburger-Herrschaft fällt, insbesondere in die drei Jahrzehnte vor dem 1. Weltkrieg, als Triest der leistungsstärkste Hafen des Mittelmeers war und seine Bahnlinien bis nach Bombay gingen. In den Beiträgen des Bandes erscheint die k.uk.-Monarchie daher auch in einem überwiegend positiven Licht.

Bis heute ist das „Image“ der Österreicher in Triest relativ positiv besetzt. Die Identität der Stadt ist ohne diese Prägung eben nicht denkbar. Als ich sie mit zwölf Jahren zum ersten Mal besuchte, bot mir ein gleichaltriger italienischer Junge Verbrüderung an, als er erfuhr, woher ich komme. Das hat einen großen Eindruck auf mich gemacht, und mir ein erhabenes und freudiges „paneuropäisches“ Gefühl gegeben.

Historisch gesehen war die Beziehung der Italiener zu den Österreichern aber alles andere als harmonisch. Österreich-Ungarn war der große Gegner in den heroischen Freiheitskämpfen der Epoche von Garibaldi und Cavour. Seit den 1840er Jahren war auch in Triest der „Irredentismus“ gewachsen und seit 1866 geradezu explodiert. Wobei sich die italienischen Nationalisten in einer paradoxen Lage befanden, denn die Blüte der Stadt verdankte sich nunmal der verhaßten Habsburger Fremdherrschaft.

Der Triester Schriftsteller Scipio Slapater [8] beschrieb das Dilemma so: „Alles, was dem Handel dient, bedeutet Vergewaltigung der Italianità – und was diese wirklich fördert, schadet jenem.“ Dazu paßt auch die ironische Wendung, daß der große Märtyrer der Nationalbewegung, Guglielmo Oberdan, als Wilhelm Oberdank und Sohn einer deutschstämmigen Slowenin und eines Österreichers geboren wurde. Oberdan hatte 1882 versucht, Kaiser Franz Joseph zu ermorden. Seinen Henkern soll er noch heroisch entgegengeschrien haben: „Es lebe Italien! Es lebe das befreite Triest!“

Slataper selbst war ein glühender Bewunderer Oberdans und zunächst Anhänger der irredentistischen Bewegung, obwohl er halber Slowene war, und sich, wie er in einem Brief an seine Frau bekannte, als „Slawe, Deutscher und Italiener“ zugleich sah. Vom Slawen habe er die „seltsame Sehnsucht“, den „Wunsch nach Neuem, nach verlassenen Wäldern“, die „Sentimentalität“, und „ein endloses Träumen ohne Grenzen“. Vom „deutschen Blut“ habe er die „eselköpfige Sturheit“ und den „dikatorischen Willen und Ton“, ein „Verlangen nach Herrschaft und Kraft“: „Diese Elemente sind im italienischen Blut verschmolzen.“

Zuweilen erschien ihm sein slawisches Erbe noch mächtiger als seine „Italianità“. In seinem Buch „Mein Karst“ [9](1912) schrieb er:

Ich möchte euch sagen: ich bin im Karst geboren… ich möchte euch sagen: ich bin in Kroatien geboren… ich möchte euch sagen: ich bin im mährischen Tiefland geboren…

Dementsprechend kritisierte Slataper die anti-slawische Stoßrichtung der Irredentisten, wandte sich schließlich überhaupt vom Nationalismus ab und sozialistischen Ideen zu.  Er fiel 1915 in der 4. Isonzoschlacht als Freiwilliger auf italienischer Seite. Er war erst 27 Jahre alt.

Robert Musil beschrieb im „Mann ohne Eigenschaften“ das illoyale Verhalten der „Reichsitaliener“, der Figur des Grafen Leinsdorf in den Mund gelegt: an Kaisers Geburtstag habe er keine einzige Fahne in ganz Triest gesehen, aber am Tag des Geburtstags des Königs von Italien laufe alle Welt mit Blumen im Knopfloch herum. Und was die Slowenen betrifft, so lägen sie sich zwar dauernd mit den Italienern in den Haaren, aber solidarisieren sich sofort mit ihnen, „sobald es heißt, daß wir germanisieren.“

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Die Spannungen zwischen den italienischen Triestinern und den Österreichern schilderte auch Hermann Bahr 1909 in seiner „Dalmatinischen Reise“. Man mag darin auch das Muster heutiger „Integrationsprobleme“ wiedererkennen. Bahr glaubte, das Problem sei durch eine Art „Willkommenskultur“ zu lösen:

Die Italiener wollen eine italienische Universität, um ihre Söhne auszubilden, und sie wollen sie in Triest, weil sie Triest nahe haben und weil ihre Söhne in fremden Städten unglücklich sind. Nein, sagt die Regierung: sie wollen sie, um Irredentisten zu züchten! Worauf zu antworten wäre: Irredentisten züchtet ihr, ihr, weil jeder österreichische Italiener ein Irredentist sein wird, solange er sich in Österreich fremd fühlt, weil jeder sich in Österreich fremd fühlen muß. Solange man ihm mißtraut! Die Heimat des Menschen ist dort, wo er sich bei sich zu Hause fühlt. Sorgt dafür!

Und ferner: eine bessere Zucht von Irredentisten als in Wien gibt es gar nicht. In Wien fühlt sich der italienische Student fremd, er versteht die Sprache nicht, er ist von Feindschaft umgeben, niemand nimmt sich seiner an, Heimweh quält ihn, so sitzt er den ganzen Tag mit den anderen im Café beisammen, um nun doch seine Sprache zu hören, und wenn er unter diesen nun ein einziger ist, den die Not oder die Sehnsucht zum Irredentisten macht, so sind es nach einem Monat alle; seelische Kontagion nennt man das.

Und endlich: Ihr treibt jeden Italiener aus Österreich heraus, dem ihr die Wahl stellt, ein Italiener oder Österreicher zu sein! Es muß ihm möglich werden, als Italiener ein Österreicher zu sein. Wie denn unser ganzes österreichisches Problem dies ist, daß es uns möglich werden muß, Österreicher deutscher oder slawischer oder italienischer Nation zu sein.

Ähnliche Probleme und Gedankengänge finden wir heute wieder, mit einem gravierenden Unterschied: der heutige Nationalstaat Österreich ist eben, auch wenn man es schon vergessen hat, „Deutsch-Österreich“, der klägliche Rest auf ethnischer Basis, der übriggeblieben ist, nachdem das Kaiserreich Österreich an den von Bahr benannten Problemen gescheitert ist. Schon allein darum ist Bahrs Rhetorik der „Willkommenskultur“ nicht auf heutige Verhältnisse übertragbar. Wo er von „Österreichern“ spricht, meint er nicht allein die  ethnischen Deutsch-Österreicher. Was der Bogen der k.u.k.-Monarchie nicht geschafft hat, soll heute eben ein Reisepaß und ein Bekenntnis zu „freiheitlich-demokratischen Grundwerten“ und „Menschenrechten“ ähnlichem bewerkstelligen. Es ist zu erwarten, daß das erst recht nicht funktionieren kann.

Wir sind hier auch mitten in der Atmosphäre von Joseph Roths „Radetzkymarsch“. Leser des Romans werden sich noch an den „reaktionären“, trinkfesten polnischen Grafen Chojnicki aus Galizien erinnern, der gegen Nationalisten, Sozialisten, progressive Juden und sonstige Demokraten wettert, die die Monarchie in Stücke reißen wollen. Zugleich weiß er, daß die Seele des Reiches bereits gestorben ist und keine Integrationskraft mehr besitzt.

Joseph Roth, wie viele galizische Juden glühend kaisertreu, hatte diese Welt des habsburgischen Reiches geliebt. An ihrem Verlust ist er schließlich zugrunde gegangen, als Heimatloser und Exilant. In der Tat ist wohl nie das Ideal einer zugleich vielgestaltigen und zugleich einheitlich gebündelten Zivilisation so greifbar nahe gewesen. So zumindest schien es manchem Sproß der „Welt von Gestern“ (wie Stefan Zweig formulierte) im nostalgischen Rückblick.

Mir liegt etwa ein 1967 im katholischen Wiener Herold-Verlag erschienenes  Bändchen vor, „Abgesang auf eine große Zeit“, das von einem Mann mit dem unwahrscheinlichen Namen Otto Forst de Battaglia (1889-1965) verfaßt wurde. Es handelt sich um einen Seelenverwandten des Grafen Chojnicki: ein altösterreichischer Pole, aus Galizien stammend, in Wien geboren, der den Namen einer italienischen Adelsfamilie trug. In dem Aufsatz „Österreich, ein Reich der Mitte“, schreibt er:

Ostische, alpine, mittelmeerische, dinarische, nordische und sogar ein nicht übersehbarer Einschlag vorderasiatischer, westischer und mongoloider Rasse, sodann – nicht mehr aufspürbarer Vorbewohner zu vergessen – Illyrer, Thraker, Italiker, Kelten, Römer samt dem Kaleidoskop der unter deren Adlern in Vor-Österreich garnisonierenden Legionäre, hernach Germanen und Slawen und wieder Germanen: das alles hat sich zu einem Ganzen vermengt.

Und jeder Bestandteil des Amalgams steuerte etwas zu dessen Eigenart bei. Daran änderte auch die sprachliche und kulturelle Überdachung durch das Deutschtum nichts. Und dem sich auch starke, von hoher Kultur gesättigte Elemente einfügten, die später ins Land einströmten: Italiener, Spanier, französische Emigranten, assimilierte Juden und andere sporadische Einwanderer aus allen Zonen, von Portugal und Irland bis Armenien und Hellas.

Und in einem Aufsatz über Joseph Roth schreibt Forst de Battaglia über dessen Heimatstadt Brody in Galizien an der russisch-österreichischen Grenze:

Es war weniger das deutsche Wesen, am dem die sich Weltleute Dünkenden hier zu genesen suchten, denn das österreichische, schwarzgelbe, kaiserliche, habsburgische, für das die deutsche Sprache ein verbindendes Glied zwischen einem Dutzend Nationen bedeutete und dem die deutsche Kultur ein Kleid sein mochte, in das gehüllt man Einlaß in den vornehmen Kreis der europäischen Völkerfamilie fand.

Heute ist davon wenig bis gar nichts mehr übrig. In ganz Tschechien kommt man heute allenfalls mit Englisch durch, dafür lebt das Land touristisch hauptsächlich vom Glanz der böhmisch-mährisch-habsburgischen Zeit, unter wohlfeiler Verleugnung und Vertuschung des vorwiegend deutschen Charakters dieser Kultur von Gestern, wovon ich mich neulich anläßlich eines Besuches in Brünn wieder überzeugen konnte. Das ist ein Gedanke, den ich auf Reisen durch Tschechien nie ganz abwehren kann: Da haben sie nun also endlich ihren popeligen, ethnisch homogenen Nationalgurkenstaat, für den soviel Blut, vor allem der Sudetendeutschen, geflossen ist. Und für was?

Das Konzept des demokratischen Nationalstaats im Sinne der „Selbstbestimmung der Völker“ galt nach 1918 als die große Lösung der von Bahr bezeichneten Probleme. Sie waren in manchen Ländern allerdings erst dann so richtig „gelöst“, als mit ethnischen Säuberungen nachgeholfen wurde – die traurige Geschichte der Tschechoslowakei und Jugoslawiens sind Beispiele für eine solche Zuspitzung.

Auf dem Spielberg in Brünn, wo sich einst einer der größten Kerker der Monarchie befand, stehen übrigens heute noch Denkmäler, die von Mussolinis Regime in den Zwanziger Jahren gestiftet wurden: Erinnerungen an all die Märtyrer des italienischen Freiheitskampfes, die in der Festung inhaftiert waren. Zur gleichen Zeit unterdrückten und italianisierten die Italienern die Südtiroler, während die Tschechen unter Masaryk und später Benesch eine analoge Politik wider die deutsche Bevölkerungsgruppe in der Tschecho-Slowakei betrieben, die immerhin 3 Millionen Menschen umfaßte, nicht weniger als ein Viertel der Gesamtbevölkerung.

Eine ähnliche Politik wie die Südtiroler bekamen die Triestiner Slowenen ab 1919 zu spüren. Nun hatten die Irredentisten endlich bekommen, was sie sich gewünscht hatten: ein italienisches Triest, das freilich seine Geltung als Weltstadt verloren hatte. Aber die „Italianità“ war in ihren Augen immer noch nicht umfassend genug. Bereits 1920, zwei Jahre vor dem Marsch nach Rom, setzte nationalistisch-faschistischer Terror gegen slowenische Einrichtungen ein; so wurde im Sommer des Jahres das Kulturzentrum „Narodni dom“ abgebrannt. Unter Mussolini wurde eine zum Teil äußerst brutale Italianisierungspolitik betrieben.

Der Triester Schrifsteller Giani Stuparich, ein Freund Scipio Slatapers und dessen Kampfgefährte an der Front (auch er, wie der Name verrät, von slawischer Herkunft), protestierte:

Ist es rechtens, die Felder, die Kirchen dieser Slawen heimzusuchen und ihnen mit dem Revolver in der Hand zu befehlen, nicht mehr auf slawisch zu lieben, zu denken und zu beten?

Das Drama eskalierte im Laufe der folgenden Jahrzehnte und füllte am Ende des zweiten Weltkriegs auch die Karsthöhlen bei Triest mit Massengräbern von Italienern, Deutschen und Kroaten. Man kann alles in allem nicht sagen, daß der Nationalismus seinen schlechten Ruf unverdient erhalten habe.

Dennoch will ich mit einem Plädoyer von Nicolás Gómez Dávila schließen:

Reden wir nicht schlecht über den Nationalismus.
Ohne die nationalistische Virulenz würde über Europa und die Welt schon ein technisches, rationales, uniformes Imperium herrschen.
Rechnen wir dem Nationalismus mindestens zwei Jahrhunderte geistiger Spontanität, freien Ausdrucks der Volksseele, reicher historischer Mannigfaltigkeit zum Verdienst an.
Der Nationalismus war die letzte Verkrampfung des Individuums angesichts des grauen Todes, der seiner harrt.

mercredi, 04 septembre 2013

Elementos no. 49-50-51-52-53-54

ELEMENTOS Nº 54. LA FALSA IDEOLOGÍA DE LOS DERECHOS HUMANOS
 
 
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Sumario.-


Más allá de los Derechos Humanos. Defender las Libertades, por Alain de Benoist


Reflexiones en torno a los Derechos Humanos, por Charles Champetier


El Derecho de los Hombres, por Guillaume Faye


Derechos Humanos: una ideología para la mundialización, por Rodrigo Agulló


En torno a la Doctrina de los Derechos Humanos, por Erwin Robertson


¿Derechos del hombre?, por Adriano Scianca


¿Son universales los Derechos Humanos?, por François Julien


Los Derechos Humanos  como derechos de propiedad, por Murray Rothbard


La religión de los Derechos Humanos, por Guillaume Faye


Derechos comunes y Derechos personales en Ortega y Gasset, por Alejandro de Haro Honrubia



Derechos Humanos: disyuntiva de nuestro tiempo, por Alberto Buela
 

ELEMENTOS Nº 53.

MISCELÁNEA DE AUTORES DE LA KONSERVATIVE REVOLUTION (Vol. II)

 
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Sumario.-



Gottfried Benn. El doloroso calvario de un inconformista descreído, por Alain de Benoist

“Consideraciones de un apolítico” de Thomas Mann, por Nicolás González Varela

Friedrich Reck, el solitario elitista, por Christine Zeile

Edgar J. Jung, la ambigüedad de la Revolución Conservadora, por Jean-Pierre Faye

Hugo von Hofmannsthal, la voz del simbolismo vienés, por Francisco Arias Solis

El vitalismo e historicismo de Ludwig Klages, por César Águila Cázarez

Edwin Erich Dwinger: dar sentido al sufrimiento, por Ulli Baumgarten

Homenaje a Ernst von Salomón, por Ernesto Milá

Apuntes sin sombra de Hugo von Hofmannsthal, por Otto Cázares

Thomas Mann y el desencantamiento de las tradiciones alemanas, por Fernando Bayón

Friedrich Reck: el hombre que pudo matar a Hitler, por Peio H. Riaño

Otto Strasser y el Frente Negro, por Erik Norling

Ernst Forsthoff y el Estado Total, por Jean-Pierre Faye

Carl Schmitt, ¿teórico del Reich?, por Alejandro Vergara Blanco

 
Oswald Spengler ¿precursor del nacionalsocialismo?, por Javier R. Abella Romero
 

ELEMENTOS Nº 52. LA UTOPÍA IGUALITARIA. CONTRA EL IGUALITARISMO

 
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SUMARIO.-



El totalitarismo igualitario, por Alain de Benoist

Tradición e Igualitarismo, por Laureano Luna

Las falacias del igualitarismo, por Carlos Alberto Montaner

La naturaleza subversiva del igualitarismo, por El Emboscado

Igualitarismo y las élites, por Murray N. Rothbard

La dogmática del igualitarismo, por José María Benavente Barreda

Acerca de la democracia: el igualitarismo, por Eduard Alcántara

Ciencia y desigualdad, por Denes Martos

El igualitarismo democrático como triunfo de la moral cristiano-nihilista en Nietzsche, por Verónica Rosillo Pelayo

Igualitarismo, democracia y plebeyismo en Ortega y Gasset, por Alejandro de Haro Honrubia

Las paradojas vinculadas al igualitarismo y la utopía, por H.C.F. Mansilla

Igualitarismo e Imperio, por William Marina

El igualitarismo es una revuelta contra la Naturaleza, por Murray N. Rothbard

El mito del igualitarismo, por Eugenio Vegas Latapie

El igualitarismo de las masas, según Sloterdijk, por Juan Malpartida
 

ELEMENTOS Nº 51. BICENTENARIO DE SU NACIMIENTO II. WAGNER vs. NIETZSCHE y viceversa

 
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SUMARIO.-


Nietzsche contra Wagner, por Andrés Gómez


Wagner contra Nietzsche. Meditaciones sobre dos mundos enfrentados, por Ramón Bau


Nietzsche y Wagner, por Rüdiger Safranski


Wagner según Nietzsche, por Sergio Méndez Ramos


Nietzsche-Wagner, por Heinrich Köselitz y Ferdinand Avenarius

El desvío nietzscheano de Wagner, por Joseph Victor Widmann


Nietzsche contra Wagner, Wagner contra Offenbach. Una contribución estética al “Caso Wagner”, por Gerardo Argüelles Fernández


Wagner y Nietzsche: la trascendencia nacional o filosófica, por Daniel Alejandro Gómez


Nietzsche-Wagner: Preeminencia de la poesía en la obra de arte total, por Gonzalo Portales

 

ELEMENTOS Nº 49. EMILE CIORAN: LIRISMO FILOSÓFICO

 
 

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SUMARIO


Un hombre asombrado...   y asombroso, por Fernando Savater
 
La revelación de Emile Cioran, por Abel Posse
 
Cioran y la ética de la introspección, por Luis Ochoa Bilbao
 
Cioran: apasionado por la existencia, por Sergio Rivas Salgado
 
Cioran: el alarido lúcido, por Luis Fraga
 
Emile Cioran, el ateo creyente, por Gianfranco Ravasi
 
Sobre E. M. Cioran, por Fernando Savater
 
¿Es Cioran un filósofo?, por Luis Roca Jusmet
 
El inconveniente de ser Cioran, por Augusto Isla
 
Cioran y Eminescu. La plegaria de un dacio, por Vasilica Cotofleac
 
Homenaje a Nicole Parfait, lectora de Cioran, por Rosemary Rizo-Patrón
 
Nicole Porfait y Émile Cioran: el desafío del ser, por Nelson Vallejo-Gómez
 
Emil Cioran y la Revolución Conservadora en Rumanía, por Claudio Mutti
 
Cioran y el fascismo, por José Ignacio Nájera
 
Cioran y la España del desengaño, por Manuel Arranz
 
El concepto de la historia  en Cioran, por Rafael Rattia
 
Entrevista a Simone Boué, esposa de Cioran, sobre Cioran, por Maite Grau
 
Emil Cioran: un escéptico apasionado por la lucidez, por Mijail Malishev
 


Cioran, del rumano al francés, por Edgardo Cozarinsky

mardi, 03 septembre 2013

Lage und Möglichkeiten der intellektuellen Rechten

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Geduld! – Lage und Möglichkeiten der intellektuellen Rechten

Karlheinz Weißmann

Ex: http://www.sezession.de

pdf der Druckfassung aus Sezession 55/ August 2013 hier herunterladen [1]

Im Zusammenhang mit der Klärung der Frage, ob die AfD ein für uns nicht nur interessantes, sondern sogar wichtiges Projekt sein könnte, bat Sezession Karlheinz Weißmann um einen grundlegenden Beitrag über die politische Rolle der metapolitisch ausgerichteten intellektuellen Rechten. Dieser Beitrag erschien in der 55. Sezession. Wir bringen ihn nun im Netz-Tagebuch, weil er die Debatte unterfüttert, die Kleine-Hartlage, Kubitschek und Lichtmesz angestoßen haben.

Es gibt verschiedene Gründe, einer weltanschaulichen Minderheit zuzugehören: Erbteil, Phlegma, Geltungsbedürfnis, Überzeugung. Tatsächlich erben manche Menschen Glauben oder Ideologie wie man ein Haus, ein Aktienpaket, ein Klavier oder eine alte Puppe erbt. Das hat damit zu tun, daß sie in einer Umwelt großgeworden sind, in der entsprechende Auffassungen vorherrschen. Sie haben sie angenommen, meistens schon als Kind, und früh als selbstverständlich zu betrachten gelernt. Ihre Überzeugungen sind Gewohnheiten.

Ein entsprechend geprägtes Milieu zu verlassen, ist schwierig, schon wegen des Trägheitsmoments, und erst recht, wenn man auf Grund von Schichtzugehörigkeit oder sektenartigem Einschluß mit Sanktionen für den Fall der Abtrünnigkeit zu rechnen hat. Es wird deshalb an der Mitgliedschaft festgehalten, trotz der unangenehmen Folgen, die das nach sich zieht, etwa der Feindseligkeit der Mehrheit. Minderheiten suchen den dadurch entstehenden Druck aufzufangen, indem sie Paral­lelkarrieren anbieten und (seltener) materielle oder (häufiger) immaterielle Prämien ausloben: das Spektrum solcher Kompensationen reicht vom Auserwähltheitsglauben aller über die Posten weniger bis zur Spitzenfunktion des einzelnen als »Meister«.

Derartige Möglichkeiten erklären bis zu einem gewissen Grad die Anziehungskraft von Minderheiten auf gescheiterte Existenzen, die in der Welt nicht Fuß fassen konnten, die tatsächlichen Ursachen ihres Versagens aber nicht wahrhaben wollen. Zur sozialen Realität von Klein- und Kleinstgruppen gehört außerdem der Mißbrauch herausgehobener Stellungen, deren Inhaber nur das zynische Kalkül treibt und die das Fehlen von Korrektiven nutzen. Es gibt aber selbstverständlich auch das echte Sendungsbewußtsein, das einhergeht mit jenem Einsatz und jener Opferbereitschaft, die die Anhänger begeistern und sie dazu bringen, trotz aller Widrigkeiten an der eigenen Überzeugung festzuhalten.

Eine Führer-Gefolgschaft-Struktur ist an vielen historischen Minoritäten nachzuweisen, aber nicht unabdingbar. Weltanschauliche Minderheiten existieren auch akephal, vor allem dann, wenn es sich um Denkfamilien handelt, also Gruppierungen, die in erster Linie eine Menge gemeinsamer Ideologeme und Konzepte zusammenhält. Bei der intellektuellen Rechten handelt es sich um so eine »kopflose« Minderheit. Aber das ist keineswegs ihre natürliche Verfassung. Der Status als Minderheit erklärt sich vielmehr aus einem Prozeß des Abstiegs, der mit der Niederlage von 1945 begann, die eben auch als Niederlage der Gesamtrechten im Kampf gegen die Gesamtlinke verstanden wurde. Sie schien aufgehalten durch die besonderen Bedingungen des Ost-West-Konflikts, setzte bei der Entspannung zwischen den Supermächten wieder ein und endete schließlich im Siegeszug der großen Emanzipation.

Eine rechte Strukturmehrheit war damit durch eine linke Strukturmehrheit ersetzt, was erklärt, warum sich in der rechten Minderheit nur noch diejenigen finden, die durch Erbteil, Phlegma, Geltungsbedürfnis oder Überzeugung hierher geraten sind. Denn alle Erwartungen eines »Rechtsrucks«, einer »Tendenzwende«, einer »Kulturrevolution von rechts«, eines »Rückrufs in die Geschichte«, einer »Gegenreformation« haben sich als vergeblich erwiesen, während die Substanz immer weiter schwand und mit ihr die Einflußmöglichkeiten, Karrierechancen oder wenigstens komfortablen Nischenexistenzen, die in einer Übergangsphase möglich waren.

Das hat die Zahl der »geborenen« Rechten wie der Phlegmatiker und Geltungsbedürftigen stark reduziert, und für die Intransigenten die Wahlmöglichkeiten drastisch eingeschränkt; es bleiben:

1. Resignation, sprich Aufgabe der bisher verfochtenen Meinung, Anpassung an die der Mehrheit,

2. Dekoration, das heißt Entwicklung eines wahlweise esoterischen oder ästhetischen Modells, das es erlaubt, im Verborgenen oder privatim die bisherigen Auffassungen festzuhalten, ohne daß deren Geltung noch nach außen vertreten würde,

3. Akzeleration, also Beschleunigung der Prozesse in dem Sinn, daß die bisher eingenommene Stellung verschärft und nach radikaleren Lösungswegen gesucht wird,

4. Konzeption, das heißt Aufrechterhaltung der Grundpositionen und deren Fortentwicklung bei dauernder Kritik und Korrektur der getroffenen Vorannahmen in der Erwartung, künftig doch zum Zug zu kommen.

Scheidet man die Varianten 1 und 2 aus, die im Grunde nur individuelle, keine politischen Lösungen bieten, bleiben die Möglichkeiten 3 und 4. Was die Radikalisierung angeht, schimmert bei ihren Protagonisten immer die Auffassung durch, daß die Probleme, die bestehen, nicht als vermeidbare Defekte zu betrachten sind, sondern als Konstruktionsfehler, wahlweise der Massengesellschaft, des Amerikanismus, des Parlamentarismus, der Demokratie. Um die zu beseitigen, müsse das »System« beseitigt werden. Einigkeit darüber, was an seine Stelle treten solle, besteht allerdings nicht, das Spektrum reicht vom Anarchokapitalismus bis zum Staatssozialismus, von der naturgebundenen Volksgemeinschaft bis zu irgend etwas Preußischem.

Nun ist solche Undeutlichkeit bei Alternativentwürfen eher Norm als Ausnahme und prinzipiell kein Einwand gegen sie. Etwas mehr Klarheit muß man aber erwarten bei Beantwortung der Frage, wie ans Ziel gekommen werden soll. Soweit erkennbar, versprechen sich die Befürworter der Akzeleration wenig von der Mitarbeit in einer bestehenden oder Gründung einer neuen Partei, aber auch die Schaffung irgendwelcher »Bünde« oder geheimer »Logen« scheint kaum Anhänger zu haben. Dagegen geistert immer wieder die Idee einer »Bewegung« durch die Köpfe, vor allem einer »Jugendbewegung«. Ist damit nicht gemeint, daß man die Fehlschläge von »Jungenstaat« oder »rotgrauer Aktion« nachspielen möchte, bliebe nur die Bedeutung von Jugendlichen und jungen Erwachsenen in historischen Revolutionen als Bezugspunkt.

Tatsächlich kann man sowohl die Jakobiner wie auch die Bolschewiki und auch die Faschisten oder die Träger der Arabellion als Jugendbewegungen beschreiben, aber es steht auch außer Frage, daß ihre Erfolge sich nicht aus diesem Charakteristikum erklärten. Schon die natürliche Unreife der Trägergruppen spricht dagegen, vor allem aber, daß Bewegungen als solche überhaupt keine Chance auf dauerhafte Wirkung haben. Sie können ein erster Aggregatzustand einer politischen Organisation sein, aber sie müssen in etwas anderes – gemeinhin eine Partei – übergehen. Wenn eine Partei versucht, ihren Bewegungscharakter auch nach der Institutionalisierung aufrechtzuerhalten, bedingt das zwangsläufig ihr Scheitern, oder es kommt zu politischem Mummenschanz. Der Erfolg der Grünen im Gegensatz zu allen möglichen Gruppierungen links der SPD hing ganz wesentlich mit deren Bereitschaft zusammen, den notwendigen Schritt zu machen und sich von allen zu trennen, die Reinheit und Zauber der Anfänge nicht losließen.

Um das Gemeinte noch an einem weiteren Beispiel zu illustrieren: Wer die Entwicklung der Identitären in Frankreich schon etwas länger beobachtet hat, registrierte das Irrlichternde dieser Bewegung, die Abhängigkeit von einzelnen Initiatoren, die ideologische Unklarheit, das Schwanken zwischen Zellen- oder Parteibildung, Kampf um die kulturelle Hegemonie oder Anlehnung an den Front National. Die Aufmerksamkeit, die man Ende vergangenen Jahres nach der Besetzung des Moscheeneubaus in Poitiers fand, erklärt sich denn auch nicht aus dem eigenen Potential der Identitären, sondern aus der Tatsache, daß der Vorfall von Marine Le Pen in einem Fernsehinterview erwähnt wurde. Erst dieses Zusammenwirken von Faktoren – Aktion, Hinweis durch eine Prominente, in einem bedeutenden Medium – zeigte Wirkung.

Allerdings hat auch das keine Initialzündung ausgelöst, was damit zusammenhängt, daß die für einen Durchbruch nötige Disziplin gerade den Bewegungsorientierten regelmäßig fehlt. Hinzugefügt sei noch, daß der FN nach einem kurzen Liebäugeln mit dem Thema »Identität« die Sache wieder fallengelassen hat: zu kopflastig, nichts für die breite Anhängerschaft und die militants, die die Arbeit an der Basis machen, zu uneindeutig, letztlich zu unpolitisch, das heißt zu unklar in bezug auf die Frage »Wer wen?« (Lenin dixit).

Eine Symbolpolitik, die sich, wie die der Identitären, an den Aktionsformen der Achtundsechziger orientiert, hat nur dann einen politischen Gehalt, wenn sie ein geeignetes Publikum – also eines, das mindestens interessiert, besser noch wohlwollend ist – findet. Wenn nicht, dann bleibt eine solche Strategie kontraproduktiv und bindet sinnlos Kräfte. Denn selbst wenn es auf diesem Weg gelingen sollte, den Kreis der Unbedingten zu erweitern, auf die »Mitte« kann man keinen Einfluß ausüben, und auf diesen Einfluß kommt es an. Das zu akzeptieren fällt dem Befürworter der Akzeleration natürlich schwer, weil er von der Notwendigkeit der Tat mit großem »T« überzeugt ist, weil er den Schmerz über die Dekadenz unerträglich findet und seine Verachtung der Unbewegten einen Grad erreicht hat, der ihn deren Haltung moralisch verwerflich erscheinen läßt. Umgekehrt traut er der Einsatzbereitschaft und der Willensanstrengung seiner Minderheit fast alles zu.

Vor allem dieser Voluntarismus ist dem Konzepter suspekt. Er vermutet dahinter den gleichen utopischen Wunsch, der auch den Gegner beherrscht, nämlich, »daß das Leben keine Bedingungen haben sollte« (Gehlen dixit). Für diese Bedingungen interessiert sich die vierte Gruppe am stärksten, was auch eine Temperamentsfrage sein mag, aber nicht nur. Es sind zuerst einmal in der Sache selbst liegende Ursachen, die es nahelegen, die Arbeit an den Grundlagen fortzusetzen. Dazu gehört vor allem die theoretische Schwäche der intellektuellen Rechten. Gemeint ist nicht, daß man es hier mit Dummköpfen zu tun hat, aber eben mit einer unliebsamen Konsequenz jener »nominalistischen« (Mohler dixit) Lagerung des konservativen Denkens, das lieber das Konkrete-Einzelne angeht als das Große-Ganze.

Faktisch hat es seit den 1960er Jahren keine umfassende Anstrengung von dieser Seite gegeben, so etwas wie einen ideologischen Gesamtentwurf zu schaffen, und selbst wenn man von den Problemen absieht, die es aufwirft, daß Generation für Generation durch die Begrifflichkeit des Gegners in ihren Vorstellungen bestimmt wird und die Faktenkenntnisse in einem dramatischen Tempo schwinden, bleibt es doch dabei, daß das Hauptproblem an diesem Punkt liegt: Wir haben keine »Politik«, kein Manual, auf das man jeden hinweisen, das man dem Interessierten in die Hand drücken kann und das den Schwankenden überzeugen würde.

Immerhin haben wir eine Zeitung, die als aktuelles Nachrichtenorgan unverzichtbar ist und die Geschehnisse aus unserer Sicht kommentiert, und ein Institut, das aus eigener Kraft mehr zustande gebracht hat, als sämtliche Stiftungen, Vorfeldorganisationen und Gesprächszirkel im Umfeld der bürgerlichen Parteien. Aber das sind nur erste Schritte, mühsam genug, dauernd gefährdet, nicht zuletzt durch die Mühsal und den Mangel an eindrücklichen Erfolgen. Es ist verständlich, daß das den einen oder anderen irre werden läßt an dem eingeschlagenen Weg und er nach Abkürzungen sucht, aber Metapolitik – denn darum handelt es sich für die vierte Fraktion – ist nur so und nicht anders zu treiben.

In Abwandlung einer berühmten Formel Max Webers kann man sagen »Metapolitik ist das langsame, geduldige Bohren dicker Bretter«. Selbstverständlich ist das nicht jedermanns Sache, begeistert das nur wenige, möchten die anderen »etwas machen«, wollen es »spannend«, »prickelnd« oder »sexy«, aber die Erfahrung, die große konservative Lehrerin, zeigt doch, daß nur die Verfügung über eine hinreichend gesicherte Faktenbasis und Klarheit der Kernbegriffe etwas bewirken kann. Etwas bewirken kann, nicht muß, das heißt: eine solche Arbeit setzt die Auffassung voraus, daß das, was da getan wird, in jedem Fall getan werden sollte, weil es das Richtige zur Kenntnis bringt und zu verbreiten sucht.

Selbstverständlich wird diese Tätigkeit nicht als Selbstzweck betrachtet, es bleibt das Ziel, mit den eigenen Überzeugungen auf die der anderen zu wirken. Der Linken ist das mehrfach gelungen – 1789 genauso wie 1968 –, aber nicht wegen der Macht ihrer Verschwörungen oder der Güte ihrer Einfälle, sondern weil die Lage günstig war. »Erkenne die Lage« (Schmitt dixit) ist die erste Forderung, die erfüllen muß, wer Einfluß gewinnen will. Und die Lage, die deutsche Lage, spricht jedenfalls dagegen, daß irgendeine schweigende Mehrheit nur auf die Einrede oder Ermutigung der rechten Minderheit wartet, um endlich zu sagen, was sie immer sagen wollte.

Die Stellung einer Partei wie der »Alternative für Deutschland« ist insofern symptomatisch. Dieser Versuch, den gesunden Menschenverstand zu organisieren, setzt auf die Mobilisierung der oben erwähnten Mitte, was angesichts der bestehenden Kräfteverhältnisse die einzig denkbare Option für ein anderes politisches Handeln ist. Was passiert, sobald diese Mobilisierung gelingt, steht auf einem ganz anderen Blatt, hängt wesentlich davon ab, ob sich die Entwicklung zuspitzt oder nicht. Sollte eine Zuspitzung erfolgen, wird das zwangsläufig zu einer Polarisierung führen und das heißt notwendig dazu, daß der Blick auch wieder auf die Rechte fällt und die Frage gestellt werden wird, ob sie etwas anzubieten hat, jenseits von Nostalgie, apokalyptischer Sehnsucht, Wünschbarkeiten und Parolen.

Der Konservative als »Mann der Krise« (Molnar dixit) kann dann Gehör finden, aber den Prozeß, der bis zu diesem Punkt führt, kann er nicht selbst einleiten und nur bedingt vorantreiben, denn es handelt sich um das Ergebnis des Handelns und Unterlassens der Mächtigen, mithin seiner politischen und ideologischen Gegner. Deshalb wird man sich in Geduld fassen müssen. – Daß Geduld eine konservative Tugend ist, liegt auf der Hand, aber man unterschätze nicht ihr Umsturzpotential.

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