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lundi, 11 août 2014

Elementos n°75: Ortega y Gasset y la Konservative Revolution

Elementos n°75

Ortega y Gasset y la Konservative Revolution alemana

 
 
 
Sumario
 
La recepción del pensamiento conservador-radical europeo en España (1913-1930), por Pedro Carlos González Cuevas
 
Un español en la Revolución Conservadora alemana. Ortega y Gasset y la «Konservative Revolution», por Jesús J. Sebastián
 
El ser y el no-ser de una Revolución Conservadora en Europa
La rehabilitación de la Revolución Conservadora por la Nueva Derecha
¿Existió realmente una “Revolución Conservadora” en España?
Ortega y Gasset y la Revolución Conservadora alemana
La recepción de Nietzsche en España: una aproximación
La impronta spengleriana: Ortega frente a Spengler
El tema de nuestro tiempo: la crisis de la modernidad
Meditación sobre Europa: la idea de la Nación Europa
La rebelión de las masas, las élites y el principio aristocrático
Meditación sobre el hombre y la técnica
La deshumanización del arte: manifiesto para su purificación
Ortega y Gasset o la oportunidad perdida para el conservadurismo revolucionario en España
 
Ortega y la «Revolución Conservadora» en Alemania, por Sabine Ribka
 
La Revolución conservadora
Un conservadurismo de nuevo cuño
La crítica al régimen weimariano
El rechazo selectivo de la modernidad
La relación con el nacionalsocialismo
Ortega y su diálogo con la cultura alemana
La «zona tórrida de Nietzsche»
Ortega ante la gran guerra
La necesidad de una política viril
Un diputado revolucionario-conservador
Las enseñanzas alemanas

jeudi, 07 août 2014

R.S.: Entretien sur la "révolution conervatrice"

 

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Robert Steuckers:

Entretien sur la "révolution conservatrice"

 

Propos recueillis par Monika Berchvok

 

Que recouvre le terme de "révolution conservatrice"? Quelles sont les origines de cette école de pensée?

 

Ce terme, à mon sens, revêt une triple signification: il inclut 1) les prolégomènes de cette pensée organique et vitaliste qui se déploient dans une Allemagne et une Europe en pleine ascension, entre 1870-1880 et 1914; 2) elle est aussi une réaction, diverse en ses expressions, de l'Allemagne et de l'Europe après l'effondrement moral et physique dû à la première guerre mondiale; tout en étant un vœu de revenir à une excellence culturelle, partagée mais perdue; 3) elle est la résultante de la nietzschéanisation esthétique de la culture européenne, repérable dans tous les pays de notre sous-continent. Les origines de ce phénomène, divers et prolixe, se repèrent certes dans cette culture partagée, empreinte de nietzchéisme, mais elle a aussi des origines plus anciennes: les "autres lumières", celles qui dérivent de Herder et non pas d'un Aufklärung figé, rationaliste, qui donnera les idées de 1789 et les principes rigides de gouvernement à la jacobine; du romantisme, de la contre-révolution, de l'anti-modernité et de l'anti-bourgeoisisme français repérable dans la sociologie de Bonald ou dans les œuvres poétiques et littéraires de Baudelaire et de Balzac.

 

niet.jpgQuels furent les courants idéologiques qui l'ont traversée?

 

Le 20ème siècle a été idéologique et notre après-guerre, depuis 1945, est marqué par les polarisations idéologiques de la Guerre Froide où l'on s'affirmait de "gauche" (communiste ou socialiste), libéral ou démocrate-chrétien. Ces distinctions ne sont pas vraiment de mise quand on observe les prolégomènes de la révolution conservatrice et ses expressions résolument anti-bourgeoises après 1918. Le socialisme d'avant 1914, dans l'espace intellectuel germanophone, est plus proche de ce nous pourrions définir comme "conservateur/révolutionnaire" que de la gauche actuelle: en effet, il est marqué par Schopenhauer et par Nietzsche plutôt que par Marx et par Engels. La rigidification idéologique des gauches est un phénomène qui date seulement des quelques petites années qui ont précédé la Grande Guerre. Après 1918, même la droite des diplomates, des entrepreneurs et des aristocrates admet un communisme pourvu qu'il soit national et permette une alliance tactique avec la nouvelle URSS, afin d'échapper au blocus que les alliés occidentaux imposent à l'Allemagne vaincue. Selon la définition de Destutt de Tracy, début du 19ème siècle, sous Napoléon, une idéologie est toujours une "construction" mentale, une "fabrication" (Joseph de Maistre) et non pas une expression de la vie,  qui, en tant que telle, échappe à toute définition figée puisqu'elle se modifie en permanence en tant qu'organisme vivant. Armin Mohler, qui a forgé le terme de "révolution conservatrice" tel qu'il nous interpelle aujourd'hui, distingue six courants idéologiques. C'est évidemment une classification universitaire. Il le savait. D'autant plus que dans la définition d'une "bonne politique" au sens de la révolution conservatrice, des hommes de gauche de la première décennie du 20ème siècle, comme le social-démocrate belgo-allemand Roberto Michels, vont critiquer le fonctionnement des démocraties partitocratiques en démontrant qu'elles se figent, se "bonzifient" et s'oligarchisent en perdant leur tonus nietzschéen, populaire et vital. Les déçus socialistes face à la dé-nietzschéanisation de la sociale démocratie allemande se retrouveront dans le camp fasciste en Italie (avec Michels) ou parmi les critiques "révolutionnaires/conservateurs" du fonctionnement partitocratique du système républicain de Weimar. Niekisch, lui, venait du communisme qui, comme Michels mais sous d'autres formes, refusait les "accommodements" des sociaux-démocrates. D'autres, comme les frères Jünger, seront totalement apolitiques ou viendront des ligues de la jeunesse contestatrices mais patriotes: ils refuseront toutefois, après 1918, un "système" dominé par des instances où, justement, l'oligarchisation et la bonzification, dénoncées par Michels, transformaient la société allemande (comme ailleurs en Europe) en un magma dominé par un éventail réduit, inamovible, de ritournelles idéologiques et partisanes, incapables d'apporter du neuf ou de résoudre les problèmes véritablement politiques de toute politie. Rien n'a changé, le festivisme des gay prides servant dorénavant d'addenda écoeurants à un fatras sans âme ni force.

 

La figure fascinante de Moeller van den Bruck incarne l'excellence de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur son parcours?

 

L'itinéraire d'Arthur Moeller van den Bruck est effectivement fascinant: il résume toutes les interrogations de la Belle Epoque, apogée de la culture européenne avant la catastrophe de 1914. A vingt ans, en 1896, il débarque à Berlin avec sa jeune épouse, Hedda Maase. Il fréquentera les clubs littéraires les plus en vue et, modeste, il amorcera, avec Hedda, une carrière de traducteur d'œuvres littéraires et poétiques essentielles. Berlin sera sa période française et anglaise: il traduira notamment Baudelaire, avec son esthétisme anti-bourgeois, Barbey d'Aurevilly, avec sa fougue catholique et Edgar Allan Poe, que Baudelaire avait déjà traduit en français. En 1902, il débarque à Paris où il rencontre sa deuxième épouse, Lucie Kaerrick, une Germano-Balte, sujette du Tsar Nicolas II. Avec elle, il deviendra l'insigne traducteur de Dostoïevski, dont les éditions en langue allemande se succéderont jusque dans les années 60. A Berlin, il était un dandy apolitique, à Paris sa conscience politique s'éveille, non seulement grâce à l'hyperpolitisation des Français, qui ne rêvent que de revanche, mais aussi et surtout grâce à la fréquentation de Dmitri Merejkovski, écrivain russe en rébellion contre les figements de l'Empire tsariste et de l'orthodoxie du Saint-Synode, parce que ces forces, qui structurent alors la Russie, étouffent les élans religieux et mystiques. L'orthodoxie figée est aussi un avatar de l'occidentalisation de la Russie depuis Pierre le Grand: Merejkovski est donc hostile à Nicolas II non pas au nom d'une option révolutionnaire libérale, hégélienne ou marxiste mais, bien au contraire, au nom d'un radicalisme hyperconservateur. Merejkovski attend le "Troisième Testament" de l'eschatologie chrétienne, notamment celle réactivée par Joachim de Flore dans l'Italie médiévale. La notion de "Troisième Reich" chez Moeller est donc une actualisation de la vision de Joachim de Flore qui prophétisait l'avènement, après les règnes du Père et du Fils, de celui du Saint-Esprit. Merejkovski annonce aussi, pendant son exil parisien, l'avènement de Cham, incarnation de l'homonculus dégénéré par la rationalité libérale que Dostoïevski déjà avait décrit dans son œuvre. Plus tard, la révolution de la lie de la population fera monter au pouvoir le "peuple-bête" : Merejkovski, on l’aura compris, sera hostile à la révolution bolchevique dès la première heure.

 

2252392855.jpgAprès quatre années passées à Paris, Moeller fait le voyage en Italie où il est fasciné par l'esthétique de la Ravenne byzantine du roi ostrogoth Théodoric, qu'il met en parallèle avec les créations des architectes allemands du "Deutscher Werkbund". Sa conscience politique allemande s'éveille progressivement quand éclate la première guerre mondiale, où il servira, vu sa santé fragile, dans les officines berlinoises chargées de contrer la propagande des alliés surtout en Flandre, aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Suisse et dans les Pays Baltes. Contre les 14 points du Président américain Wilson, Moeller et ses co-équipiers des officines de contre-propagande élaborent une charte du "droit des peuples jeunes". La pensée de Moeller est dès lors marquée par cette volonté de rejuvénilisation permanente des discours et pratiques politiques, exactement comme Merejkovski voulait un rajeunissement de la mystique russe, comme la bohème berlinoise et munichoise ­ ­-que Moeller avait fréquentée entre 1896 et 1902-  voulait une dynamisation continue de l'Allemagne wilhelminienne. Pour Merejkovski comme pour Moeller, l'Europe germanique et la Russie couraient toutes deux le risque d'un figement définitif sous l'emprise d'une pensée occidentale faite de rationalismes étriqués et de ritournelles sans substances, pareilles à celles qu'ânonne Settembrini, personnage de la Montagne magique de Thomas Mann. Le danger est permanent, comme nous le voyons encore de nos jours: le "jeune-conservatisme" doit dès lors être un militantisme permanent, visant à dissoudre les figements dans la sphère politique, artistique et littéraire.

 

Après 1918, Moeller s'active dans les clubs qui préparent un réarmement moral de l'Allemagne vaincue, dans une perspective très "juvénilisante", à défaut d'être révolutionnaire au sens marxiste du terme. L'Allemagne vit alors une période de crise sans précédent: défaite, effervescence révolutionnaire, république des conseils à Munich, inflation galopante, occupation française de la Ruhr, etc. Cet effondrement général laissait augurer une révolution extrême, capable de balayer toutes les structures vermoulues du passé, héritées du wilhelminisme, et toutes les institutions libérales de la République de Weimar. Pour Moeller, la disparition de ces scories hétéroclites et sans substance permettrait l'avènement du Règne du Saint-Esprit selon l'eschatologie de Joachim de Flore, règne qui serait marqué par l'effervescence, cette fois permanente, des fleurons culturels de la Belle Epoque et de certaines de ses avant-gardes. Quand la situation s'apaise, dès que le Traité de Locarno entre en phase de négociation au printemps 1925, Moeller est déçu, tout comme les frères Jünger, car un retour à la normalité perpétuera l'emprise des scories malfaisantes sur l'Allemagne et le Règne de l'Esprit saint sera remis aux calendes grecques. Moeller se suicide. Ernst Jünger opte pour un retrait hors des grouillements nauséeux de la politique.

 

Moeller van den Bruck connait une véritable renaissance en Allemagne depuis quatre ou cinq ans. Plusieurs thèses de doctorat lui ont été consacrées, alors que seules celles, excellentes, de H. J. Schwierskott (1962) et de Denis Goeldel (1984; en français) existaient jusqu'ici: aujourd'hui, nous avons les études fouillées d'André Schlüter (2010) et de Volker Weiss (2012). Le dossier Moeller n'est pas clos. Effectivement, l'avènement du Règne de l'Esprit Saint a été simplement postposé…

 

Personnalité marquante, Ernst Niekisch représente à lui seul l'originalité du courant national-bolchevique. Comment percevez-vous son rôle central et atypique dans cette époque?

 

Niekisch vient du camp marxiste mais cette personnalité attachante, cet instituteur, ne représente pas seul l'option dite "nationale-bolchevique". Il a fait partie du premier gouvernement des conseils de la république bavaroise, avant que celle-ci ne soit balayée par les Corps Francs de von Epp, chers à Dominique Venner. L'échec des Conseils bavarois va l'amener, comme d'autres, à rechercher une synthèse entre nationalisme et communisme qui puisera à des sources diverses: démocratie germanique archétypale (dont l'idée sort tout droit du texte intitulé Germania de Tacite), qui peut se marier aisément avec l'idée des Conseils chère au socialiste anarchisant Landauer (tombé face aux soldats de von Epp), alliance germano-russe contre Napoléon à partir de 1813, fusion des idéaux paysans et ouvriers des socialismes et communismes allemands et russes, hostilité à l'Occident (surtout catholique et français) et au capitalisme anglo-saxon, alliance avec des peuples d'Eurasie en rébellion contre l'Ouest (Inde, Chine, monde arabe, etc.). Le rôle de Niekisch a surtout été celui d'un éditeur de revues nationales-révolutionnaires, où se sont exprimés les frères Jünger, amorçant de la sorte leur carrière littéraire. Hostile à Hitler, en qui il percevait un "catholique bavarois" allié au fascisme italien, Niekisch sera poursuivi et persécuté après 1933 et, finalement, embastillé en 1937. Cet emprisonnement lui permettra d'écrire, à mon sens, le meilleur de ses livres, Das Reich der niederen Dämonen, où l'on peut lire des dialogues entre prisonniers, des marxistes mais aussi des conservateurs "austro-fascistes", véritables témoignages des marges non-conformistes des années 20 et 30, celles qui ont été vaincues par l'histoire mais qui demeurent, néanmoins, substantielles et intéressantes.

 

9782841004348.jpgErnst Jünger et Ernst von Salomon furent associés à la "révolution conservatrice". Quelle importance ont ces écrivains proches des nationalistes révolutionnaires pour cette génération d'activistes.

 

Jünger et Salomon sont des nationalistes révolutionnaires ou, du moins, des nationalistes "soldatiques". Cette définition leur vient de leurs écrits entre 1918 et 1928 où effectivement ils ont plaidé pour un bouleversement radical de la société, qui aurait dû être apporté par des phalanges impavides d'anciens soldats altiers de la première guerre mondiale. Le coup de force brutal, perpétré par des "cerveaux hardis" (Salomon), est la seule hygiène politique à leurs yeux, la seule façon de faire de la politique proprement. Mais, comme je viens de le dire, les Traités de Locarno (1925) et de Berlin (1926) mettent un terme au chaos en Allemagne et apaisent la situation instable de l'Europe post bellum. Jünger se retire progressivement de la politique et amorce la longue suite de ses voyages à travers le monde, à la recherche d'espaces et de sociétés intacts dans un monde de plus en plus soumis à l'accélération (Beschleunigung), à la connexion et à l'éradication. Jünger devient ainsi, pourrait-on dire, un "homme-yeux" (ein Augenmensch) qui repère partout les traces d'excellence naturelle qui subissent toutefois l'inéluctable érosion engendrée par la modernité. Le repérage, auquel il s'est livré jusqu'à son dernier souffle à la veille de ses 103 ans, est une attitude conservatrice et traditionnelle mais qui, simultanément, nie ce qui est établi car tout système établi ronge les racines anthropologiques, biologiques et ontologiques des hommes, des êtres vivants et des choses. A l'Est comme à l'Ouest au temps de la Guerre Froide, pensées et idéologies hégémoniques participaient, et participent toujours sous des oripeaux autres, à cet arasement planétaire. Comme pour Moeller, les livres sur les frères Jünger, sur les fondements de leur pensée, se succèdent à un rythme effréné en Allemagne aujourd'hui, démontrant, notamment, qu'ils ont été des précurseurs de la décélération (Entschleunigung) nécessaire de nos rythmes de vie. Une pensée qui, sous tous ses aspects, n'a pas pris une ride. 

 

La renaissance de la jeunesse allemande est un phénomène important de l'époque de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur la spécificité des Wandervögel et des ligues de jeunesse?

 

tusk.gifL'année 1896 est cruciale: Moeller arrive à Berlin et amorce sa quête dans la bohème littéraire de la capitale prussienne; Karl Fischer fonde le mouvement des lycéens randonneurs, le Wandervogel, qui cherche à arracher la jeunesse aux affres d'une urbanisation effrénée; Eugen Diederichs fonde à Iéna sa maison d'édition qui véhiculera les thèmes d'un socialisme organique et enraciné, d'une religion chrétienne adaptée aux terroirs germaniques, d'une esthétique proche des pré-raphaëlites anglais et de l'art nouveau (Jugendstil), etc. Tous cherchent à asseoir une société alternative basée sur des idéaux organiques et vivants plutôt que mécaniques et figés. Après le départ de Fischer pour les armées dans la garnison allemande de Tsing-Tao en Chine, le mouvement se structure, passe de la joyeuse anarchie contestatrice à un anti-conformisme intellectuellement bien charpenté, qui jettera les bases d'une pensée écologique profonde (avec le philosophe Ludwig Klages), d'une pédagogie avant-gardiste dans le sillage de la tradition lancée, fin du 18ème, par le Suisse Pestalozzi. Laminé par la première guerre mondiale, le mouvement de jeunesse renaît vite de ses cendres tout en se politisant davantage sous le signe du nationalisme révolutionnaire qui l'opposera, à partir de 1933, à la NSDAP qui cherchait à contrôler à son profit exclusif l'ensemble des ligues. Les mouvements des Nerother et du "dj.1.11" de Tusk (alias Eberhard Koebel) sont de loin les plus originaux, ceux qui auront organisé les raids les plus exotiques et les plus audacieux (Andes, Nouvelle-Zemble, Laponie, etc.).

 

Courant aux racines anciennes, le filon "folciste" (= völkisch) est une nébuleuse de groupes et d'organisations aux frontières de la religion, de l'ésotérisme et du politique. Comment expliquer la vivacité de cette conception du monde?

 

Il a cependant été peu cartographié, même en Allemagne, a fortiori dans l'espace linguistique francophone. Il faudra s'atteler à une telle cartographie car effectivement les manifestations de ce filon sont multiples, partant parfois de la pure bouffonnerie passéiste. Disons, pour faire simple, que ce courant vise à faire du peuple rural allemand le modèle d'une anthropologie politique, comme les Germains de Tacite et des renaissancistes italiens ou comme le moujik des slavophiles. Il peut être approfondissement de l'identité allemande ou repli sur soi, à la façon des Mennonites protestants. Hitler s'en moquait dans Mein Kampf, brocardait les manies d'Himmler qui, parmi les dignitaires du futur "Troisième Reich", était le plus sensible à ce filon. Aujourd'hui les nouveaux "jeunes conservateurs" allemands s'en moquent au nom d'idéaux étatistes ou schmittiens. Disons que le filon survit officiellement dans toute l'Europe avec l'engouement, fort intéressant au demeurant, pour les archéosites consacrés aux périodes pré-romaines, celtiques ou proto-historiques. C'était là des projets des pré-folcistes d'avant 1914, de Himmler et des archéologues SS et… sont aujourd'hui des projets proposés par les syndicats d'initiative!

 

L'émergence du national-socialisme sera un bouleversement sans précédent pour l'Allemagne. Quels furent les rapports de la révolution conservatrice avec ce phénomène sans précédent?

 

Il n'y a pas de rapport direct: la révolution conservatrice étant une nébuleuse de penseurs peu politisés, au sens où peu d’entre eux étaient encartés dans un parti. Généralement, les pères fondateurs ou les personnalités marquantes, mises en exergue par Mohler, dans sa thèse de doctorat sur la révolution conservatrice, n'adhèreront pas à la NSDAP (contrairement à Heidegger), sauf de très rares exceptions. Les gros bataillons de transfuges viennent plutôt des autres partis, surtout des sociaux-démocrates et, dans une moindre mesure, des démocrates-chrétiens du Zentrum. L'acceptation de la forme-parti, expression de l'ère des masses, est à mon sens déterminante pour une adhésion à la NSDAP, dès que celle-ci monte ou prend le pouvoir. Un Ernst Jünger, qui abominait la forme-parti, n'adhère pas, fidèle à son principe de jeunesse: les coups de force sont plus propres, comme ceux que préparait le Capitaine Ehrhardt, à qui il demeurera fidèle quand celui-ci sera poursuivi par la Gestapo dans les années 30. De même, le traditionaliste Edgar Julius Jung, hostile aux partis de la République de Weimar, demeure hostile à la NSDAP, alors qu'il a mené des actions musclées en 1923 contre les séparatistes rhénans quand les Français cherchaient à détacher les provinces occidentales du Reich. Seuls certains (mais pas tous!) théoriciens, économistes et sociologues du "Tat-Kreis", aux vues plus pragmatiques, passeront cum grano salis au service du nouvel Etat.

 

konservative.jpgLa "nouvelle droite" européenne, dans sa diversité, est-elle l'incarnation de la postérité de la révolution conservatrice?

 

Il faut éviter les anachronismes. Nous vivons depuis les années 50 dans un monde fondamentalement différent de celui que nous avions entre 1880 et 1945. Armin Mohler exhume, début des années 50, les idées oubliées de la "révolution conservatrice" lato sensu, dans une Allemagne fédérale mutilée qui raisonne en termes de technocratie, seule idéologie pragmatique apte à assurer la marche en avant vers le "miracle économique". Il effectue ce travail d'encyclopédiste avec l'accord d'Ernst Jünger. Mais Mohler veut réactiver les idéaux nationaux-révolutionnaires du Jünger des années 20 en les maquillant en surface. Cette volonté provoque une rupture (provisoire) entre les deux hommes. En France, Giorgio Locchi, qui connaît Mohler, suggère à la rédaction de Nouvelle école un résumé succinct et pertinent de la fameuse thèse sur la révolution conservatrice. Il paraîtra dans le n°23 de la revue. En Italie, avant son décès prématuré en 1973, Adriano Romualdi initie le public de la droite radicale italienne aux thèmes majeurs de la révolution conservatrice allemande, lesquels, de toutes les façons, sont déjà traités abondamment par les universitaires de la péninsule. Alain de Benoist publie un résumé du livre de Schwierskott (cf. supra) dans le n°34 de Nouvelle école, grâce aux talents de traducteur d'un embastillé de la République. Nouvelle école publiera ensuite deux numéros, sur Jünger et sur Spengler, sans qu'on ne puisse parler d'un travail systématique d'exploration, les collaborateurs germanophones de la revue étant très rares ou rapidement évincés, comme Locchi ou moi-même. Les éditions Pardès lanceront une collection d'ouvrages, malheureusement peu vendus, qui ont failli faire crouler la maison, car aucun travail systématique fait de monographies ou d'essais didactiques n'a préparé le lecteur français, et surtout le militant politique, à bien réceptionner ces thématiques d'un âge héroïque européen, hélas bien révolu. Les thèmes de la révolution conservatrice allemande, en France comme en Italie ou en Espagne, sont surtout approfondis par des universitaires non marqués politiquement ou métapolitiquement, comme Julien Hervier, Gilbert Merlio, etc.

 

(fait à Forest-Flotzenberg, juillet 2014).   

 

 

Cet entretien a été accordé à Monika Berchvok (Rivarol) suite à la parution de l'ouvrage

 

"La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis"

 

(éditions du Lore).

 

L'ouvrage est disponible sur le site des éditions du Lore : Editions du Lore

 

* * *

 

revolutionconservatriceallems.jpg

 

Table des matières

 


Les leçons de la « Révolution Conservatrice »

 


La « Révolution Conservatrice » en Allemagne (1918-1932)

 


Le mouvement métapolitique d’Engelbert Pernerstorfer à Vienne
à la fin du XIXe siècle, précurseur de la « Révolution Conservatrice »

 


Munich ou Athènes-sur-l’Isar : ville de culture et matrice
d’idées conservatrices-révolutionnaires

 


Les thèmes de la géopolitique et de l’espace russe
dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945
Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch

 


L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite

 


Les matrices préhistoriques des civilisations antiques
dans l’oeuvre posthume de Spengler :Atlantis, Kasch et Turan

 


Révolution Conservatrice, forme catholique et « ordo æternus » romain

 


Rudolf Pannwitz : « mort de la terre », imperium Europæum
et conservation créatrice

 


Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

 


Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923),
inspirateur du Cercle de Stefan George

 


Décision et destin soldatique durant la Première Guerre mondiale :
le cas Schauwecker

 


Annulation magique de la crise et « méthode physiognomique »
chez Ernst Jünger

 


Eugen Diederichs et le Cercle « Sera »

 


Boehm, Max Hildebert 1891-1968

 


Introduction à l’oeuvre de Ludwig Ferdinand Clauss (1892-1974)

 


Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962) :
le philosophe de la rénovation religieuse

 


Edgar Julius Jung (1894-1934)

 


Friedrich-Georg Jünger (1898-1977)

 


Erwin Guido Kolbenheyer (1878-1962)

 


Alfred Schuler (1865-1923)

 


Christoph Steding (1903-1938)

 


Herman Wirth (1885-1981)

 

 

mercredi, 06 août 2014

Elementos n°74: Maurras y Barrès

Elementos n°74

Maurras y Barrès: los padres franceses de la derecha Espanola

 
 
Sumario
 
Charles Maurras, por Alain de Benoist
 
Charles Maurras, padre de la Derecha moderna, por José Luis Orella
 
Charles Maurras: camino intelectual hacia la monarquía, por Rubén Calderón Bouchet
 
Charles Maurras: de la duda a la fe, por Germán Rocca
 
La recepción del pensamiento maurrasiano en España (1914-1930), por Pedro Carlos González Cuevas
 
Charles Maurras en España, por Ernesto Milá
 
Apuntes para un estudio de la influencia de Maurras en Hispanoamérica, por José Díaz Nieva
 
Charles Maurras. El caos y el orden, de Stéphane Giocanti, por Valentí Puig
 
Maurice Barrès y España, por Pedro Carlos González Cuevas
 
La visita a Barrès, por Michel Winock
 
Las Españas de Maurice Barrès, por Jean Bécarud
 
El arraigo y la energía, principios informadores del héroe en Maurice Barrès, por Adelaida Porras Medrano

lundi, 04 août 2014

Elementos n°73: Decadencia del arte

Elementos n°73

La decadencia del arte: autenticidad vs modernidad

 
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Sumario
 
La deshumanización del arte: manifiesto para su purificación, por Jesús J. Sebastián
 
Los ocho pecados capitales del arte contemporáneo, por José Javier Esparza
 
La simulacion en el arte, por Jean Baudrillard
 
Cuando se está en el vacío, ahí se queda uno: ex nihilo nihil, por Kostas Mavrakis
 
Etica y estética en el Arte contemporáneo, por Antonio Javier Fernández
 
La decadencia del arte occidental, por Eduardo Arroyo
 
Posmodernidad y obra de arte: de Heidegger a Vattimo, por Biviana Hernández
 
La emboscadura de lo bello. Breve historia de una prohibición vulnerada, por Herminio Andújar
 
Muerte u ocaso del arte. Un acercamiento desde Gianni Vattimo, por Esteban Antonio Bedoya Vergara
 
La verdad en la obra de arte: de Martin Heidegger a Jean Baudrillard, por Eliseo Ortíz Menchaca
 
La humanización del arte, por Ilia Galán
 
Ontología del Arte en Martin Heidegger, por Mauricio Alonso Enriquez Zamora
 
José Ortega y Gasset y La deshumanización del arte, por Constanza Nieto Yusta
 
Arte e identidad. Sobre la actualidad de la estética de Nietzsche, por Gianni Vattimo
 
Heidegger y la pregunta por el arte, por Alejandro Escudero Pérez

samedi, 02 août 2014

Elementos n°72: Niklas Luhmann

Elementos n°72

Pensar lo improbable:

Niklas Luhmann y su teoria de la sociedad

 
 
Sumario
 
La estela de Leipzig. La ideología del conservadurismo alemán como motivo fundacional de la sociología de Luhmann, por Juan Miguel Chávez
 
El problema luhmanniano, por Francisco Mujica
 
La teoría de sistemas de Niklas Luhmann, por Eguzki Urteaga
 
Niklas Luhmann: La compleja incertidumbre de un mundo secularizado, por Elvio A. Tell
 
La ilustración sociológica de Niklas Luhmann, por Daniel Innerarity,
 
La política desde la teoría de sistemas sociales de Niklas Luhmann, por Juan Pablo Gonnet
 
Hacia una formulación analítica de la sociedad mundial: de Rostow a Luhmann, por José Almaraz
 
La opinión pública, entre el sistema político y el sistema de medios. Contraste analítico entre Habermas y Luhmann, Mariano Fernández Constantinides
 
El caballo de Troya: una entrevista a Niklas Luhmann, por Heidie Rend y Marco Bruns

vendredi, 01 août 2014

De la "novlangue" aujourd'hui

 

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Robert Steuckers:

De la “novlangue” aujourd’hui

 

Conférence prononcée au “Club de la Grammaire”, Genève, 9 avril 2014

 

C’est à la demande de Maître Pascal Junod, Président du “Club de la Grammaire”, que j’ai composé tout récemment cette conférence sur la novlangue, suite à l’allocution que j’avais déjà prononcée, à cette même tribune en avril 2010, sur la biographie d’Orwell, sur les étapes successives de sa pensée. Cette conférence s’inscrivait dans le cadre d’un cycle consacré aux “romans politiques” (les political novels), où j’ai abordé aussi Soljénitsyne (en 2009) et Koestler (en 2011). A l’évidence, la notion orwellienne et romanesque de “novlangue” correspond aux pesanteurs actuelles de la “political correctness” ou “rectitude politique”, comme on le dit plus justement au Québec. Aborder ce thème de la manipulation systématique du langage, perpétrée dans le but de freiner toute effervescence ou innovation politiques, est, on en conviendra, un vaste sujet, vu le nombre d’auteurs qui se sont penchés sur ce phénomène inquiétant depuis la mort d’Orwell.

 

Le point de départ de cette conférence —car il faut bien en trouver un— reste le fonds orwellien, abordé en avril 2010. L’approche biographique et narrative que nous avions choisie, il y a quatre ans, permettait de pister littéralement les étapes de l’éveil orwellien, toutes étapes importantes pour comprendre la genèse de sa théorie du langage, laquelle est sans cesse réétudiée, remise sur le métier, notamment en France par un Jean-Claude Michéa, professeur de philosophie à Montpellier. Orwell, au cours de son existence d’aventurier et d’écrivain, est sorti progressivement de sa condition humaine, trop humaine, de ses angoisses d’adolescent, d’adulte issu d’une classe privilégiée un peu en marge du monde réel, en marge du monde de ceux qui peinent et qui souffrent, pour devenir, grâce à Animal Farm et à 1984, un classique de la littérature et, partant, de la philosophie, tant son incomparable fiction contre-utopique a été prémonitoire, a signalé des glissements de terrain en direction d’un monde totalement aseptisé et contrôlé.

 

Le fonds orwellien

 

Le fonds orwellien est donc incontournable, est un classique du 20ème siècle auquel on ne peut échapper si l’on veut s’armer pour faire face à un monde de plus en plus déraciné, de plus en plus contrôlé par des agences médiatiques et étatiques qui oblitèrent la luxuriance du réel, veulent empêcher les hommes de voir et d’aimer cette luxuriance et d’y puiser des recettes pour changer ou faire bouger les choses selon les rythmes d’une harmonie toute naturelle. Certes, le contexte, notamment le contexte technologique, mis en place dans l’oeuvre romanesque d’Orwell n’est plus le même. Les périodes du début du 20ème siècle, marquées par le militantisme virulent et les totalitarismes utopiques et messianiques, ne sont plus reproduisibles telles quelles. Néanmoins, la genèse de la situation actuelle, où tout est contrôlé via la NSA, les satellites et l’internet, Orwell l’a bien perçue, l’a anticipée conceptuellement. Notre réalité, plus surveillée que jamais, est un avatar mutatis mutandis d’une volonté politique de contrôle total, déjà mise en place au temps d’Orwell.

 

Quel est-il, ce contexte, où émerge l’oeuvre orwellienne? Il est celui 1) du totalitarisme ambiant et 2) de la volonté d’aseptiser la langue pour contrôler les esprits.

◊ 1. Le totalitarisme ambiant.

L’époque d’Orwell est celle où viennent d’émerger en Europe continentale deux formes de totalitarisme, le communisme et le national-socialisme, qui sont, pour reprendre le vocabulaire de Guy Debord, des “sociétés du spectacle spectaculaire”, du spectacle hystérique. Le 1984 le reproduira tout en le caricaturant à l’extrême, lui donnant finalement une “coloration” plus communiste que nationale-socialiste, aussi parce que le communisme soviétique survit à l’élimination du national-socialisme, suite à la défaite allemande de 1945. Orwell ne connaît pas encore le “spectacle diffus”, dénoncé par Debord dans les années 60, ni le “festivisme”, fustigé par Philippe Muray dans les années 90 et les premières années du 21ème siècle, où l’essentiel, le “politique politique” (Julien Freund), est submergé par des “festivités” destinées à amuser, abrutir, décérébrer et dépolitiser les masses. Le monde fictif, né de l’imagination d’Orwell, est durablement marqué par l’agitprop communiste, qui avait d’abord séduit les avant-gardes artistiques (dada, surréalisme, André Breton) dans les années 20 et 30. Pour l’Orwell de la fin des années 40, cette “agitprop” est la quintessence même de ce totalitarisme dur, constat qu’il formule après avoir eu derrière lui une existence de militant de gauche, fidèle et inébranlable, qui a participé à toutes les mésaventures des gauches radicales anglaises, s’est engagé dans les milices anarchistes de Barcelone pendant la Guerre civile espagnole. Cette aventure espagnole le rapprochera d’Arthur Koestler, lui aussi protagoniste de la guerre civile espagnole (cf. Le testament espagnol). Koestler rompt ensuite avec les services du Komintern, qu’il avait pieusement servi, notamment sous l’égide de Willy Münzenberg, un communiste allemand exilé à Paris, chargé par les instances moscovites d’organiser en Occident une propagande soviétique bien conforme aux directives du “Politburo” dirigé par Staline.

 

Willy Münzenberg et la guerre civile espagnole

 

Munzenberg.jpgA Paris, Willy Münzenberg orchestre toute la propagande soviétique antinazie et antifasciste. Lors de l’incendie du Reichstag, il est chargé de propager la version communiste des faits, au besoin en travestissant la réalité. De même, lors de la guerre d’Espagne, il fait fabriquer par ses services des brochures de propagande où les faits sont enrobés d’inventions et de mensonges délibérés de manière à susciter des vocations militantes et à couvrir l’adversaire d’opprobre. Koestler, dans son autobiographie, décrit parfaitement l’atmosphère qui régnait dans les officines parisiennes du Komintern sous la direction de Münzenberg. L’objectif était de faire éclore, dans le vaste public, la vision d’un monde manichéen où une bonne gauche, parée de toutes les vertus, et dont les communistes étaient l’avant-garde, s’opposerait dans un combat planétaire à une méchante droite, dont la perversité culminerait dans les régimes dits “fascistes” d’Allemagne, d’Italie ou d’Espagne. Pourtant, ce tableau en noir et blanc n’a jamais correspondu à aucune réalité du conflit civil espagnol: les gauches, unies selon la propagande, vont au contraire s’entre-déchirer à Barcelone et faire crouler le front catalan du “Frente Popular”, scellant définitivement le sort de la République espagnole. Orwell a été un témoin direct des événements: il a vu et entendu les communistes espagnols et étrangers enclencher une propagande virulente et dénigrante contre les autres formations de gauche.

 

C’est dans ce contexte qu’est née la fameuse expression, qui a tant fait sourire, de “vipères lubriques hitléro-trotskistes”. Orwell, blessé après un combat contre les troupes franquistes, doit fuir la métropole catalane, à peine sorti de l’hôpital, pour échapper aux équipes d’épurateurs communistes, chassant les anarchistes, les militants du POUM et les trotskistes, qui formaient le gros des troupes irrégulières de la République espagnole et des autonomistes catalans. En posant l’équation entre hitlériens et trotskistes, le manichéisme propagandiste des communistes visait à faire passer les forces de la gauche non communiste dans le même camp que les adversaires les plus radicaux du Komintern: dans le mental de la propagande, comme dans celui de la “political correctness” actuelle, il ne peut y avoir de demies teintes. Il y a toujours des “gentils”, des “purs”, et des “affreux”, des “âmes noires”. La propagande communiste, hostile aux autres gauches, et le vocabulaire hystérique et dénigrant qu’elle utilisait, vont donner à Orwell l’idée du “quart d’heure de la haine”, qu’il mettra en scène dans 1984. Les historiens actuels de la guerre civile espagnole, comme Pio Moa et Arnaud Imatz, démontrent que la République a implosé, à cause de cette guerre civile dans la guerre civile: un fait d’histoire que toutes les gauches vont tenter de camoufler après la victoire des armées de Franco, renouant avec les lignes directrices de la propagande orchestrée par Münzenberg, avant le pacte germano-soviétique d’août 1939. Travestir et camoufler la réalité deviennent des agissements politiques courants, appelés à s’amplifier considérablement au fur et à mesure que les moyens techniques se perfectionnent, aboutissant à une oblitération de plus en plus accentuée des réalités concrètes.

 

1936: année cruciale

 

Pour Orwell, 1936 est une année cruciale. Simon Leys, dans son livre Orwell ou l’horreur de la politique, rappelle un extrait de Looking Back on the Spanish War, où Orwell se souvient avoir eu une conversation sur la guerre civile espagnole avec Arthur Koestler où il aurait dit: “L’Histoire s’est arrêtée en 1936”. Pourquoi? Parce que, pour la première fois, Orwell a vu des articles de journaux, relatant les événements du front, “qui n’avaient absolument plus aucun rapport avec la réalité des faits”. Et il ajoutait: “Je vis des descriptions de grandes batailles situées là où nul combat n’avait pris place, tandis que des engagements qui avaient coûté la vie à des centaines d’hommes étaient entièrement passés sous silence. Je vis des troupes qui avaient courageusement combattu, accusées de trahison et de lâcheté, et d’autres qui n’avaient jamais vu le feu, acclamées pour leurs victoires imaginaires”. Pire: “je vis (...) des intellectuels zélés édifier toute une superstructure d’émotions sur des événements qui ne s’étaient jamais produits. Je vis en fait l’Histoire qui s’écrivait non pas suivant ce qui s’était passé, mais suivant ce qui aurait dû se passer, selon les diverses lignes officielles”.

 

 

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Aujourd’hui, force est de constater que les techniques de propagande mises au point par Münzenberg pour le compte du Komintern dans les années 30 du 20ème siècle sont toujours les mêmes, sauf qu’elles ne sont plus diffusées par des communistes mais par les agences de presse américaines: on se souvient des “couveuses de Koweit City” en 1990, on se souvient des “quarts d’heure de haine” aboyés par Shea, le porte-paroles de l’OTAN à accent “cockney” lors de la guerre contre la Serbie en 1999; en Crimée, aujourd’hui, le ton est quelque peu édulcoré car aux Etats-Unis mêmes, l’opposition à toutes les guerres extérieures  déclenchées par le Pentagone est plus largement répandue, surtout sur la grande toile, que dans les années 20 et 30 où certains républicains, avec le Sénateur Taft, et les populistes, autour du père et du fils LaFollette, s’étaient opposés au bellicisme hypocrite des Présidents Wilson et Roosevelt, camouflé derrière un verbiage pacifiste, moraliste et “démocratique”.

 

Si Shea n’a jamais été qu’un acteur bien payé pour éructer son “quart d’heure de haine” contre les Serbes en 1999 puis a été congédié mission accomplie pour aller amorcer ailleurs une autre comédie dûment stipendiée, Münzenberg, lui, croyait au message communiste. Il a été broyé par la propagande qu’il avait lui-même mise en place. Münzenberg était pour l’union des gauches contre le fascisme, pour l’alliance Paris-Prague-Moscou de 1935 (qui, en Belgique, a suscité tant de craintes que les accords militaires franco-belges ont été rompus par le Roi, que la neutralité a été à nouveau proclamée en octobre 1936 et que de larges strates de l’opinion publique disaient préférer “Berlin” à “Moscou”), pour l’union de toutes les gauches dures contre Franco. Son propre parti va finir par refuser cette politique unitaire qu’il avait pourtant préconisée avec insistance et à laquelle Münzenberg avait voué toutes ses forces. Au lendemain de la guerre civile espagnole, le Pacte Ribbentrop-Molotov déstabilise complètement les communistes qui avaient confondu leur combat avec l’antifascisme et l’antinazisme, quitte à s’allier à des éléments gauchistes, considérés, dans les écrits de Lénine, comme les vecteurs de la “maladie infantile du communisme”. La direction stalinienne, au lendemain de la guerre d’Espagne et de la victoire de Franco, en vient à considérer l’antifascisme et l’antinazisme comme des positions immatures, propres du “gauchisme” stigmatisé par Lénine. Willy Münzenberg, qui avait plaidé pour un large front des gauches, englobant les socialistes et les gauchistes, se rebiffe et écrit un pamphlet intitulé “Le coup de poignard russe”, fustigeant, bien entendu, le retournement stalinien et l’alliance tactique (purement tactique) avec l’Allemagne nationale-socialiste. Il tombe en disgrâce, disparaît, sans doute enlevé par des agents du Komintern. On retrouvera son corps pendu à un arbre dans une forêt de la région de Grenoble.

 

Roubachov et la ferme des animaux

 

Darkness%20at%20noon.jpgArthur Koestler relate dans ses mémoires cet épisode où les militants internationalistes du Komintern tombent dans le désarroi le plus complet après les événements de Barcelone —la guerre civile dans la guerre civile— et le Pacte Ribbentrop-Molotov. Ce retournement a lieu au moment le plus fort et le plus tragique des purges de Moscou, où de vieux militants bolcheviques sont éliminés parce qu’ils ne sont plus au diapason de la politique nouvelle amorcée par l’Union Soviétique. Les purges staliniennes en Union Soviétique forment la toile de fond du plus célèbre roman de Koestler, Darkness at Noon (en français: Le Zéro et l’infini). Le personnage central et fictif de ce roman s’appelle Roubachov: il est emprisonné, attend son jugement, sa condamnation à mort (pour le bien de la révolution) et son exécution; il avait été un révolutionnaire naïf et enthousiaste, criminel à ses heures comme tous ses semblables mais toujours animé de bonnes intentions à l’endroit du prolétariat. Aucune révolution n’est toutefois possible sans militants de ce type dont la naïveté correspond parfois à celle de la common decency d’Orwell, à l’honnêteté foncière du bon peuple qui trime et qui souffre, à la bravoure naïve du cheval dans La ferme des animaux, incarnation du prolétariat qui donne son sang sans calculer, au contraire des intellectuels et des théoriciens qui aspirent à toujours plus de pouvoirs, comme les cochons d’Animal Farm.

 

Münzenberg dans la réalité, Roubachov dans la fiction, sont des personnalités broyées, des enfants de la révolution dévorés par elle qui, erratique, cherche sa voie dans les méandres d’un réel, qu’elle rejette et qu’elle critique toute en s’affirmant “matérialiste historique”, tout en énonçant des discours simplificateurs, réductionnistes et outranciers. Ces personnalités sont broyées parce que, quelque part, elles demeurent, ontologiquement, les réceptacles naturels et inévitables d’une diversité réelle, héritée de leur famille, de leurs proches, de leurs amis d’enfance et du patrimoine du peuple dont elles sont issues. Elles sont aussi le réceptacle de sentiments diffus ou réels de fidélité que ne comprennent pas, ne veulent pas ou plus comprendre, les langages propagandistes. Ceux-ci ne peuvent exprimer cette fidélité des anciens pour les autres anciens, qui se cristallise au-delà de la détention et de l’exercice d’un pouvoir arraché aux maîtres des vieux mondes, au paysan ivrogne de la Ferme des animaux. Qui dit fidélité dit souvenir d’un passé héroïque ou glorieux, tissé de souffrances et de combats, d’efforts et de deuils. Qui dit passé dit frein à la marche en avant vers un progrès certes hypothétique, pour tous ceux qui gardent lucidité, mais posé comme “telos” inévitable de la politique par les nouveaux maîtres du pays. Pour ne pas être broyées, les personnalités révolutionnaires ou politiques doivent OUBLIER. Oublier le passé de leur peuple, oublier leur propre passé personnel, oublier leurs amis et camarades, avec qui ils avaient combattu et souffert. Dans l’univers de la politique totalitaire du communisme de mouture soviétique ou même de la politique démocratique des partis triviaux et corrompus de l’univers libéral décadent, le militant, le permanent, le candidat doivent se mettre volontairement ou inconsciemment en état d’oubli permanent et cela, sans RETARD aucun par rapport aux décisions ou aux orientations formulées par un très petit état-major de chefs ou d’intrigants, inconnus de la base militante ou de l’électeur.

 

Malheur aux personnalités “retardatrices”!

 

Si une personnalité marque un retard, elle est aussitôt posée comme “retardatrice” de l’avènement du “télos” ultime ou comme un élément passéiste et redondant, “ringard”. Dans ce cas, elle est éliminée de la course aux pouvoirs ou aux prébendes, dans les démocraties partitocratiques comme les nôtres. Dans les systèmes totalitaires, elle est liquidée physiquement ou “évaporée” comme dans le 1984 d’Orwell. Dans la Russie stalinienne, on gommait sur les photos des temps héroïques de la révolution russe la personne de Trotski, comme on efface toute trace concrète de l’hypothétique Goldstein dans le roman d’Orwell pour n’en maintenir que l’image très négativisée, générée par la propagande. Dans les démocraties libérales, on houspille hors de portée des feux de rampe médiatiques les gêneurs, les esprits critiques, les candidats malheureux, les dissidents qui ne formulent pas d’utopies irréelles mais se réfèrent au seul réel tangible qui soit, celui que nous lègue l’histoire réelle et tumultueuse des peuples. Ils subissent la conspiration du silence.

 

◊ 2. Les manipulations de la langue:

Orwell s’est toujours méfié instinctivement des volontés d’aseptiser la langue, de l’enfermer dans la cangue des propagandes. Ce jeu pervers qui s’exerce sur la langue n’est pas nécessairement une stratégie mise en oeuvre par les totalitarismes politiques, ceux qui procèdent du totalitarisme spectaculaire et tapageur, mais aussi du démocratisme libéral, que l’on peut aujourd’hui, sans guère d’hésitation, camper comme un totalitarisme mou ou diffus, bien plus subtil que les régimes forts ou autoritaires.

 

La première forme de fabrication linguistique qui hérisse Orwell est l’esperanto du mouvement espérantiste qu’anime à Paris le mari de sa tante qui y réside et qui l’héberge parfois quand il enquête sur les bas-fonds de la capitale française, prélude à son oeuvre poignante Dans la dèche à Londres et à Paris. Orwell juge farfelue l’idée de “fabriquer une langue” car une telle fabrication n’aurait pas de passé, pas d’histoire, pas de mémoire et sa généralisation provoquerait un refoulement général de tous les legs de l’humanité, plus personne n’étant alors capable de les comprendre.

 

Esperanto et “basic English”

 

Mais si les efforts des espérantistes, observés avec ironie par Orwell, n’ont pas été couronnés de succès, la généralisation du “basic English”, sous l’impulsion du tandem anglo-américain à partir des années 40, réussira à créer une koinè d’abord pour les peuples de l’Empire britannique puis pour tous les peuples plus ou moins inféodés à la sphère d’influence anglo-saxonne. Le coup d’envoi pour promouvoir cet anglais simplifié est donné en 1940, quand Orwell a déjà derrière le dos deux expériences, importantes pour la maturation de son oeuvre et de sa pensée: les efforts dérisoires des espérantistes, dont son oncle par alliance, et les jeux langagiers pervers et violents de la propagande communiste anti-gauchiste de Barcelone pendant la guerre civile espagnole. Il retient que le langage ne peut procéder de simples fabrications et qu’il doit toujours dire le réel et non pas l’oblitérer par des affirmations propagandistes péremptoires.

 

Quand les autorités britanniques lancent le projet, leur but premier —et purement pragmatique— est d’instruire les soldats indiens et africains qui vont être enrôlés dans les armées britanniques pendant la seconde guerre mondiale, tout comme aujourd’hui ce “basic English” des armées sert à instruire les soldats d’Afrique francophone dans le cadre de l’Africom, instance militaro-civile visant à arracher les pays africains de toute influence non américaine, qu’elle soit française ou chinoise. Le Rwanda, ancienne colonie allemande, devenue protectorat belge après 1918 et donc francophone, est désormais inclus dans la sphère de l’Afrique anglophone. L’objectif du “basic English” est donc d’instruire des étrangers, d’abord des soldats puis des cadres civils ou des interlocuteurs commerciaux, non plus seulement dans l’Empire britannique mais dans les pays européens ou asiatiques libérés par les armées anglo-saxonnes et appelés à devenir des comptoirs commerciaux ou des débouchés pour les productions industrielles américaines surtout, britanniques dans une moindre mesure. Dès le départ, le projet de répandre un “basic English” reçoit l’appui de Winston Churchill, adepte et signataire de la “Charte atlantique” de 1941, laquelle visait à faire advenir à terme “an English speaking world”. Cette année-là, Orwell travaille à la BBC et, dans une première phase, semble adhérer à ce projet vu qu’il plaidait pour une langue littéraire et journalistique “limpide”, capable d’exprimer le réel sans détours, sans masques, sans fioritures inutiles, avec tout à la fois une simplicité et une densité populaires, dépourvues d’ornements pompeux ou de redondances gratuites, propres à une littérature plus bourgeoise. Au bout de quelques mois, Orwell est horrifié. Il exprimera son désaccord fondamental dans un texte intitulé Politics and the Englih language. Orwell constate que l’on cherche à réduire le vocabulaire à 850 mots, que l’on simplifie la syntaxe outrancièrement, projet qui est toujours d’actualité car les universités britanniques prestigieuses, comme Oxford et Cambridge, qui ont produit jusqu’ici les meilleurs manuels d’apprentissage de la langue anglaise, cherchent désormais, depuis début 2013, à lancer sur le marché des méthodes préconisant un enseignement de l’anglais “as it is really spoken”, englobant avec bienveillance les erreurs, parfois grossières, généralement commises par les étrangers, les Afro-Américains, les classes défavorisées du Royaume-Uni ou des Etats-Unis, les non anglophones du tiers-monde vaguement frottés à l’anglais. Le “basic English” des années quarante semble encore trop compliqué pour faire advenir l’English speaking world donc, pour favoriser plus rapidement son avènement, on est prêt à généraliser sur la planète entière un affreux baragouin imprécis et filandreux! Les écoles belges n’ont heureusement pas adopté ces nouvelles méthodes! Mais ce n’est sans doute que partie remise!

 

 

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Détruire la transmission intergénérationnelle

 

Pour Churchill, ce “basic English” était l’“arme la plus terrifiante de l’ère moderne” puisqu’elle allait faire imploser de l’intérieur les polities non anglophones et détruire les môles de résistance, appuyés sur les legs du passé, dans les pays de langue anglaise eux-mêmes. Trois professeurs, Ogden, Richards et Graham, et les services de l’Université de Harvard vont alors tenter de structurer ce projet politique et linguistique de grande envergure que la politique soviétique avait anticipé quand elle avait progressivement remplacé le russe impérial par une langue soviétisée et appauvrie ou quand le jargon politisé du Troisième Reich oblitérait la langue allemande par ce que Viktor Klemperer a nommé la LTI, la lingua terterii imperii, la langue du “Troisième Reich”. Soljénitsyne, emprisonné à Moscou après la seconde guerre mondiale, avait mesuré, avec ses co-détenus, l’ampleur de cet affadissement et de cette mutilation linguistique subie par sa langue maternelle. Son oeuvre ultérieure a visé, entre bien d’autres choses, à restaurer les espaces sémantiques mutilés par la soviétisation. Mais la vision d’un “basic English” comme “arme terrifiante” à appliquer au monde anglo-saxon et à tous les espaces qu’il allait satelliser, ne nous permet plus, objectivement, en tenant compte des démarches d’Orwell, de limiter aux seuls régimes totalitaires la volonté de mutiler et de travestir les langues. La soviétisation, la LTI de Klemperer et la mise en oeuvre planétaire du “basic English”, avec l’appui enthousiaste de Winston Churchill, démontrent une commune volonté (au bolchevisme et à l’américanisme) de redéfinir en permanence la langue quotidienne du peuple, la langue de la transmission intergénérationnelle, de façon à ce qu’une politie, portée normalement par le mos majorum, soit atomisée, pulvérisée donc subrepticement exterminée.

 

Ce type de démarche s’observe également dans les rédactions successives des dictionnaires usuels: si l’on lit les définitions proposées par des dictionnaires d’avant 1914, de l’entre-deux-guerres, des années 50 et 60, on constate, très souvent, qu’elles ne concordent plus exactement avec celles suggérées aujourd’hui. Par ailleurs, bon nombre de vocables ont disparu ou leur plage sémantique s’est réduite, un grand nombre d’expressions populaires, de tournures de phrases propres au langage coloré (argotique, dialectal ou patoisant) de la population se sont effacées, sont tombées en désuétude. Ce sont là les indices d’une volonté politique d’appauvrissement général de la langue mais qui échoue, en ultime instance, parce que la littérature existante rappelle sans cesse des notions anciennes, des nuances oubliées mais revenues, crée des nouveaux mots, recourt aux argots, aux anciens patois, aux dialectes. L’anglais et les autres langues soumises, elles aussi, à manipulations retorses, restent riches, se complexifient en dépit des prophètes de l’hyper-simplification: le “best-seller” international de l’an dernier, le livre intitulé The Sleepwalkers de l’historien australien Christopher Clark, consacré aux prolégomènes de la première guerre mondiale, est l’exemple même d’un livre clair au vocabulaire riche et varié, réintroduisant des termes absents voire évacués du “basic English”.

 

Du totalitarisme dur au totalitarisme mou

 

Le “basic English” d’Ogden n’est donc pas une entreprise communiste mais une entreprise libérale et démocratique prouvant que les régimes de cette sorte ne sont nullement immunisés contre la tentation de lobotomiser leurs citoyens en réduisant la portée sémantique de leurs langues quotidiennes. C’est l’indice du passage du totalitarisme dur et spectaculaire au totalitarisme diffus et “incontestable”, dans la mesure où il ne peut plus être contesté puisqu’il est derechef campé comme “boniste” (disent aujourd’hui nos amis italiens) et comme intrinsèquement “démocratique” au sens de la Charte de l’Atlantique de 1941, laquelle représenterait l’optimum d’entre les optima et ne saurait dès lors subir la moindre critique.

 

Orwell a encore cru, dans les années noires de l’immédiat après-guerre, que les politiques contrôlantes allaient déboucher, en Occident atlantique aussi, sur une langue comme celle de son roman 1984. Il craignait l’avènement d’un totalitarisme pareil à celui de son “Oceania” imaginaire. Non, les manipulateurs et les propagandistes ont introduit dans leur stratégie linguistique oblitérante, surplombant le réel jugé imparfait et donc mauvais, d’autres ingrédients que le jargon propagandiste soviétique, que la langue de bois communiste ou autres perversions sémantiques similaires. Ces ingrédients sont ceux qu’Aldous Huxley avait envisagés dans Brave New World et Brave New World Revisited où la lobotomisation des esprits s’effectue par les drogues et la promiscuité sexuelle, artifices destinés à faire oublier le rôle majeur et incontournable de l’homme en tant que zoon politikon. Le camé et le frénétique de la quéquette s’agitent de manière compulsive sans se soucier de la Cité, sans ressentir ce que Heidegger nommait la Sorge. Avec la mode hippy puis le festivisme (Muray), qui s’en suivirent à partir des années 60, l’emprise des instances contrôlantes s’est renforcée sans en avoir l’air, provoquant à terme l’implosion des polities non hégémoniques, ou réduisant à néant les contestations au sein de l’hegemon lui-même, et la ruine des “Etats profonds” en Europe. Nous avons aujourd’hui la juxtaposition d’un festivisme impolitique —où les faits de monde, dont tout zoon politikon attentif devrait se soucier, sont délibérément noyés sous un torrent de discours ou d’images ineptes mais amusants— et de propagandes hyper-simplificatrices, très souvent guerrières quand Oceania (ou, dans notre réel, la “Communauté atlantique des valeurs”) entre en guerre contre un ennemi quelconque, qu’il s’agit de décrire non pas tel qu’il est vraiment mais tel un croquemitaine chimérique véhiculant tous les aspects du “Mal” avec un grand M. Ces discours, images et propagandes doivent induire les masses à toujours ignorer les faits du monde réel, à ne pas percevoir les interstices qui permettraient la paix ou les négociations.

 

De l’amphibologie

 

75513497.jpgC’est en ce sens qu’il faut interpréter le slogan de la propagande d’Oceania dans le 1984 d’Orwell: l’IGNORANCE, c’est la FORCE. L’ignorance, donc la force puisqu’il y a équation entre les deux termes, est générée par l’éradication de tous les souvenirs du passé, par l’éradication de la mémoire parce que la mémoire peut toujours constituer un môle de résistance face aux propagandes. La mémoire est donc une force qu’il faut percevoir comme s’opposant en tout temps et en tout lieu aux propagandes éradicatrices et oblitérantes. L’ignorance est aussi générée par la création d’une langue épurée à l’extrême, qui cherche à réduire voire à effacer ce que le penseur espagnol Eugenio d’Ors (1) nommait l’amphibologie de tous les termes du vocabulaire d’une langue. L’amphibologie, c’est la richesse sémantique des mots, richesse largement extensible, dans la mesure où tout mot peut acquérir des significations nouvelles par l’art du poète ou du littérateur, par l’imagination truculente et gouailleuse des classes populaires et des titis déclassés. L’amphibologie est donc la marque majeure de la langue ancienne par rapport à la langue nouvelle fabriquée qu’Orwell nomme la “novlangue” (newspeak) et qu’il définit dans les chapitres 4 et 5 de 1984 et dans un appendice au livre qui lui est entièrement consacré. Orwell définit dans ces chapitres et cet appendice un langage contrôlé et fabriqué par un Etat totalitaire pour en faire un instrument qui limitera la liberté de pensée (qui passe par le maintien de l’amphibologie du vocabulaire) et qui jugulera la liberté politique, l’expression de soi, formatera les individualités et les personnalités et éradiquera la prédisposition des hommes quiets et normaux à vouloir la paix, c’est à dire à vouloir un pacifisme qui n’est autre que l’expression de leur bon sens.

 

Georges Orwell et Simone Weil

 

Encounter-with-Simone_Weil-Filmstill-06.jpgA ce propos deux remarques et digressions: 1) la “political correctness”, en tant qu’avatar non romanesque de la novlangue orwellienne, interdit tout renouvellement des champs politiques dans les pays qui s’y soumettent et interdit toute forme de pacifisme et de neutralité quand l’Oceania réelle de notre échiquier politique international, soit la “Communauté atlantique des valeurs”, décide de partir en guerre contre un Etat dont elle fait sa victime, et qui est alors immanquablement posé comme “voyou”; 2) à la suite d’Orwell, le formatage systématique des esprits est généralement prêté aux seuls régimes totalitaires et spectaculaires; pour Simone Weil, volontaire pour servir comme infirmière dans une ambulance anarchiste sur le front de Barcelone pendant la guerre civile espagnole, tous les partis politiques, quelle que soit leur obédience, quel que soit le signe idéologique sous lequel ils se placent, formatent les esprits qui, d’une manière ou d’une autre, se soumettent à leur bon vouloir. Simone Weil était très dure à l’endroit des partis politiques, plus dure même que certains théoriciens étiquetés autoritaires (2): elle réclamait leur suppression pure et simple, comme mesure de salut public, justement parce qu’ils enrégimentaient les âmes et ôtaient au citoyen son libre arbitre. Pour elle, l’ensemble des partis dans un pays force les citoyens à élire des “collectivités irresponsables” qui n’ont aucune relation tangible avec la volonté générale; citations: “les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice”; “en entrant dans un parti, on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice”; “chaque parti est une petite Eglise profane armée de la menace d’excommunication”. Le PC soviétique avait exclu et gommé Trotski, exécuté la vieille garde bolchevique (pour nostalgie gauchiste de la révolution), le parti fictif du roman de Koestler Darkness at Noon (Le Zéro et l’Infini) va tuer Roubachov: ce sont là, en dimension macroscopique et sanguinaire, les mêmes phénomènes que les petites épurations mesquines qui émaillent la vie quotidienne de nos partis politiques et trouvent leur point culminant dans les exclusions des listes électorales à la veille des élections, le PS et le CdH wallons viennent d’ailleurs d’en donner l’exemple juste avant le scrutin à venir de mai 2014. L’écrivain et journaliste anglais Orwell et la petite philosophe juive et française Weil ont tous deux servi sur le front républicain de Catalogne, l’un comme combattant anarchiste, l’autre comme infirmière volontaire. Tous deux sont sortis de cette aventure espagnole avec un dégoût profond de la politique politicienne et partisane, des outrances verbales de la propagande communiste. Tous deux nous lèguent aujourd’hui les recettes pour nous donner la force intérieure (Weil est très explicite à ce sujet) de résister aux sirènes des politicailleries sordides, quelles qu’elles soient. Avec leurs conseils et leurs constats, nous pourrons dans l’avenir construire le pôle de rétivité, nécessaire pour sortir des torpeurs du système, de ses enfermements et du pourrissoir auquel il nous condamne.

 

Organiser une “rétivité générale”

 

Mais organiser cette rétivité générale, voulue notamment par Michel Foucault (dans un contexte à la mode, soixante-huitard, festiviste, transgresseur et homosexuel), implique de commettre sans cesse le thoughtcrime, le crime de la pensée, d’énoncer et de pratiquer une “pensée-crime”. Cette pensée rétive, criminalisée par les chiens de garde du système, ne s’adresse plus à aucun parti totalitaire en place, car il n’y en a plus en place dans la sphère culturelle européenne ou russe, mais, comme le préconisait Simone Weil dans son exil londonien, à tous les partis, à la forme-parti. La political correctness —qui énonce ce qui est “bon”, et qu’il faut vénérer, et ce qui est thoughtcrime, et qu’il faut abhorrer— est une pensée dépourvue de rétivité, dépourvue de richesse sémantique permettant l’exercice de la rétivité, par les jeux de la langue, par la richesse du vocabulaire. Elle énonce et impose ce qu’il convient de penser et qui ne peut jamais être brocardé ou rejetté par une quelconque rétivité, fût-elle ludique à la façon des cabarets d’antan, sous peine d’excommunication ou de “correctionalisation”, de “mise en examen”. Tout thoughtcrime, toute pensée-crime, qui enfreint les règles et conventions langagières de la bienséance, de toute forme locale ou nationale de “rectitude politique”, est désormais hissé au plus haut sommet de l’inconvenance et est passible des tribunaux. En Allemagne, c’est trop souvent le délire quand on évoque des faits gênants relevant du régime national-socialiste ou des événements de la seconde guerre mondiale, alors que ces faits sont librement discutés dans d’autres pays, Russie comprise aujourd’hui. Il me paraît utile d’ajouter que dans les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde, ces faits d’histoire européenne, vieux de sept ou huit décennies, n’émeuvent personne. Armin Mohler et Caspar von Schrenck-Notzing ont fustigé les notions de Gehirnwäsche (le “lavage des cerveaux”) et de Vergangenheitsbewältigung (littéralement: de “maîtrise forcée du passé”) qui empoisonnaient tous les débats et toutes les réflexions politiques en RFA. Pour eux, ces stratégies d’effacement des traditions et du passé émanaient en droite ligne de la politique poursuivie par les autorités d’occupation américaines.

 

george-orwell-1984-fr.jpgEn France, on a également assisté à des procès du plus haut ridicule, voire à des procès d’intention complètement aberrants comme l’hystérie suscitée par les derniers écrits et la candidature à l’Académie Française d’Alain Finkielkraut, alors que celui-ci avait, de conserve avec d’autres têtes d’oeuf parisiennes, prescrit des règles de “rectitude politique”, imposé des conventions médiatiques par le truchement de quarts d’heure de haine lors des affrontements inter-yougoslaves des années 90, campant de braves philologues serbes du 19ème siècle (Vuk Karadzic et Ilya Garasanin), inspirés par le philosophe germano-balte Herder, comme des figures génératrices d’horreurs sans nom, alors que Wolfgang Libal, un journaliste israélite de Vienne, spécialiste des Balkans, considérait, au même moment, ces mêmes figures comme d’admirables humanistes en lutte contre la gestion cruelle des pays serbes et bosniaques par les autorités ottomanes (cf. Wolfgang Libal, Die Serben – Blüte, Wahn und Katastrophe, Europa Verlag, München/Wien, 1996). Deux sons de cloche... L’un de pure propagande, l’autre de pure scientificité: en effet, Garasanin, d’obédience grande-serbe, voulait une protection “européenne” et non pas exclusivement russe pour les peuples balkaniques soumis à la férule ottomane. En ce sens, Garasanin était un “libéral”, hostile aux traditionalistes russes et à toute forme d’autocratie, dont Leontiev, ultra-conservateur, sera au contraire le porte-parole le plus emblématique, dans la mesure où il préférait voir les Slaves des Balkans sous un joug traditionnel musulman que sous une protection occidentale/libérale. Pour le Finkielkraut d’il y a vingt ans, ce libéral balkanique Garasanin, adepte des “autres Lumières”, celles de Herder, était, bien entendu, un précurseur du “nazisme”. C’était à une époque, bien sûr, où Finkielkraut ne glosait pas encore sur le thème de l’identité, qui l’a propulsé tout récemment à l’Académie avec l’aura d’un martyr qui avait évoqué un sujet tabou et avait été vilipendé par la bien-pensance.

 

Du vocabulaire mouvant

 

Grosso modo, la novlangue de 1984, possède les mêmes structures que l’anglais, que le “basic English”, tout comme le russe soviétisé de l’ère stalinienne possédait les mêmes structures que le russe impérial. Ce qui fait sa spécificité profonde, en revanche, est le shifting vocabulary, le caractère mouvant du vocabulaire, où le mot ne désigne plus une chose tangible dont l’existence doit être considérée comme intangible, non mouvante. Dans la novlangue, un concept peut être d’abord investi d’une connotation positive, comme la paix que doivent apporter des instances comme la SdN ou l’ONU. Puis subitement ce concept positif peut, dans la bouche des mêmes dirigeants et médiacrates de l’hegemon, devenir un concept négatif, chéri seulement par des trouillards, des poules mouillées d’Européens, comme quand il s’est agi de bombarder la Serbie ou d’envahir l’Irak en 2003. Tout d’un coup, les règles édictées par Roosevelt dans l’immédiat après-guerre devenaient des vieilleries retardatrices, alliées de l’Axe du Mal, qu’il fallait détruire sans attendre. De même, la défense de l’identité des peuples slaves des Balkans, théorisée par Karadzic et Garasanin au 19ème siècle était campée dans les années 90 comme un sinistre prélude théorique du nazisme, tandis que dans la première moitié de la deuxième décennie du 21ème siècle, subitement, la notion d’identité redevenait, dans la bouche du même philosophe, la valeur à défendre par-dessus tout.

 

La novlangue et son vocabulaire mouvant expriment donc des variations récurrentes qu’il faut tout de suite saisir au vol. Il faut se mettre à leur diapason immédiatement, sous peine de subir le sort de Roubachov ou d’être fustigé par des hyènes médiatiques ou de subir une sorte de mort civile. Les exemples abondent: les droits de l’homme avaient été moqués par toutes les gauches innovatrices dans les années 60, qui voyaient en eux l’expression d’un subjectivisme individualiste et bourgeois désuet, qui devait être remplacé par des réflexes sociaux plus “groupaux” voire plus collectivistes. Dès que Carter, Président de l’hegemon, décide d’utiliser le discours sur les droits de l’homme pour faire avancer les pions de l’Oceania du réel, soit de l’hyperpuissance américaine dans le monde, une nouvelle gauche, qui se pose avec une emphase suspecte comme plus intelligente, plus humaniste et plus subtile que toutes les autres, embraye sur ce discours et en fait la nouvelle panacée qu’on ne peut plus critiquer. Ce fut le rôle de la “nouvelle philosophie” en France, de Habermas et de ses disciples en Allemagne. Pour Simon Leys, interprète de l’oeuvre d’Orwell, c’est la manipulation d’un vocabulaire mouvant chez les activistes politiques, totalitaires comme “démocrates”, c’est la succession arbitraire et erratique des variations sémantiques du vocabulaire usuel qui ont rendu Orwell profondément allergique à la politique politicienne, à la politique partisane des mouvements et partis les plus virulents et aux langages propagandistes. Ces inconstances manipulatrices, que devinent les simples citoyens soucieux de conserver la common decency, et qu’ils rejettent par instinct, nous ont conduit à honnir, nous aussi, toutes les cliques politiciennes, de quelle qu’obédience que ce soit.

 

Oldspeak, newspeak et common decency

 

Comment doit fonctionner la novlangue dans l’esprit de ses fabricateurs? Elle commence, dit Orwell, par un appauvrissement sémantique qui procède par suppression des synonymes et antonymes (surtout quand ces antonymes ont une autre forme, une autre étymologie). La novlangue dans son travail d’hypersimplification ne veut plus utiliser qu’un seul mot, alors que le vocabulaire hérité en utilisait parfois jusqu’à vingt ou trente. Les fabricateurs de la novlangue effacent donc la luxuriance et la variété du vocabulaire, l’amphibologie des mots, mise en exergue dans l’oeuvre d’Eugenio d’Ors. L’aire d’intersection entre plages sémantiques est réduite à néant, alors que, dans une langue normale, héritée, le thesaurus, avec les synonymies et les analogies qu’il nous présente, nous montre combien la richesse lexicale est luxuriante, combien le langage peut être riche en nuances subtiles, celles que toute novlangue ou tout discours “politiquement correct” veut faire disparaître. Orwell imaginait qu’en 2050, les élites au pouvoir, les cliques politiciennes héritières du langage propagandiste des communistes et de la BBC en temps de guerre, héritières aussi des fabricateurs du “basic English”, ne parleraient plus que le newspeak, tandis que les “proles”, exclus du pouvoir réel et des médias aux ordres, conserveraient la langue ancienne, l’oldspeak, capable de toujours exprimer l’idéal orwellien de la common decency. Dans la version originale anglaise, l’élite lobotomisante comprendrait 15% de la population de la future Oceania de 2050, tandis que les “proles” déclassés formeraient le reste (85%). Masse qui permet de conserver l’espoir. Dans la traduction française, rappellent Leys et Michéa, interprètes de l’oeuvre d’Orwell, ces chiffres sont inversés: la masse est du côté des locuteurs de la newspeak, de la novlangue, tandis que seule une minorité en récession constante conserverait l’oldspeak. Une vision plus pessimiste en découle. Jamais l’erreur de traduction n’a été corrigée dans les éditions françaises.

 

bakhtine.jpgL’idée d’une différence notable entre la langue des détenteurs du pouvoir et celle des strates soumises de la population se retrouve chez le philologue et romaniste russe, Mikhaïl Bakhtine, spécialiste de Rabelais, qui évoquait la “langue du peuple sur la place du marché”, une langue gouailleuse et truculente rappelant justement celle de Rabelais, un français d’avant l’ordonnance de Villers Cotterêt d’août 1539, qui a imposé une langue administrative et centralisatrice dépouillée, forcément, de toute verve populaire. Ainsi s’oppose en France, au 16ème siècle, une langue du peuple, plastique, à une langue des élites, figée, distinction qui, selon Robert Muchembled, implique aussi une différence “idéologique” entre strates élevées et strates basses de la société, flanquée, en ce 16ème si turbulent, d’une répression de la culture populaire sous le prétexte de lutter contre la sorcellerie. Pour Muchembled, une première mise au pas de la société, lors de la première phase de la modernité, s’effectue par l’imposition d’une langue épurée et administrative et par l’éradication des croyances populaires, présentées comme relevant de la sorcellerie. Le 1984 d’Orwell, en dénonçant les tentatives soviétiques et britanniques d’anémier la langue pour les besoins d’une propagande belliciste, stigmatise une entreprise nouvelle de mise au pas de la “populité” fondamentale.

 

Et dans la France contemporaine?

 

Force est de constater que les castes dirigeantes de la France actuelle articulent des discours non plus totalitaires/spectaculaires mais festivistes qui sont plus proches des méthodes hédonistes d’endormissement et d’assoupissement des instincts vitaux, imaginées par Huxley; elles participent ainsi à une entreprise hostile à la culture populaire, plus exactement hostile aux réflexes naturels d’une culture populaire fondée sur l’évidence des faits et toujours sur la common decency, qui, elle, refuse tout naturellement d’accepter comme signes d’excellence culturelle les spectacles vulgaires et sordides des femens ou des gay prides, lesquels ne sont, finalement, que des instruments destinés, une nouvelle fois, à bousculer et à marginaliser les réflexes sains du bon peuple, conformes au mos majorum, sans lequel aucune politie ne peut fonctionner, comme on le sait depuis les édits de l’Empereur Auguste. La France d’aujourd’hui est marquée par une césure mentale entre, d’une part, son peuple de base, sa populité intacte sans fioritures festivistes, et, d’autres part, ses intellocrates, médiacrates et journalistes qualifiés par Serge Halimi de “chiens de garde du système”, qui manipulent désormais la canaille crapuleuse et les dévoyés pathologiques pour se maintenir au service du pouvoir en dépit des échecs patents de celui-ci, en dépit de la faillite retentissante de ses projets idéologico-politiques. La rétivité nécessaire au maintien de toute politie —qui connait forcément l’usure du pouvoir et les affres d’un déclin inexorable, toujours à l’oeuvre, dû au facteur “temps”— vient en fait de quitter l’espace réduit des marginalités criminelles, sociales ou sexuelles où Genet et Foucault voulaient la confiner tout en voulant renforcer l’impact de ces marginalités et leur donner des micro-pouvoirs de remplacement, pour faire, pensaient-ils dès les années 60, de tous les marginaux possibles et imaginables une sorte de caste de nouveaux élus, tout en dénonçant les mises au pas antérieures, dont celles amorcées à l’âge des Lumières, à la fin du 18ème. La rétivité est désormais dans le camp de la common decency, du peuple rabelaisien qui jase et persifle sur les places publiques, une common decency qui avait été battue en brèche pendant de longues décennies. Le travail de sape et de subversion commis par des élites manipulatrices, pour briser les ressorts de la société porteuse d’Etat, s’est heurté in fine à des instincts inamovibles, qui, face aux agissements des “rétifs de cours”, des faux rétifs, des pseudo-rétifs tolérés et imposés, en appellent à la “rétivité pour tous”.

 

Rétivité pour tous!

 

Une “rétivité pour tous” —apte à subvertir un ordre (plutôt un “désordre”) établi qui, lui, parie sur des marginalités pathologiques ou incongrues ou inassimilables qu’il a délibérément hissées au rang d’avatars “sublimes” de porteurs désintéressés du “révolutionisme institutionnel”—, doit forcément recourir aux formes de “populité” prémodernes, prérévolutionnaires, antérieures au grand encadrement moderne, recourir aux langues plus colorées, plus plastiques, plus réellement amphibologiques que parlait le peuple quand il n’avait encore été ni dressé par la modernité ni oblitéré par les marginalités, mises bruyamment en exergue pour étouffer ses instincts naturels et spontanés. Jules Ferry, poursuivant le travail des “Lumières modernes”, du projet du “Panopticon” des “philanthropes anglais”, proposait un enseignement uniformisateur, au nom du principe révolutionnaire de l’égalité, qui prévoyait, au nom de ce miroir aux alouettes, l’éradication des dialectes de l’Hexagone, donc d’une immense richesse sémantique, où la langue savante ou juridique, littéraire ou médiatique, pouvait sans cesse puiser pour se rénover, pour décrire le réel tangible et échapper aux réductionnismes idéologiques.

 

Le retour et le recours aux populités refoulées de l’Hexagone est donc un acte de “rétivité fondamentale”, de rejet des “révolutionnismes institutionalisés”, soit de toute la mascarade “républicaine” qu’avancent les gauches devenues anachroniques et répressives et que défendent encore de piètres analystes dits “de droite” qui, finalement, camouflent leur variante néfaste du “révolutionnisme libéral” et leur néo-libéralisme subversif derrière un discours bancal qui n’évoque la “République” que pour stigmatiser des incongruités et des importations religieuses incompatibles avec les anciens droits coutumiers des populations hexagonales de souche et, ainsi, pour imposer des formes sociales et économiques qui ruineront les assises des populités charnelles avec autant d’efficacité que les délires des gauches. Ou pour réitérer une vieille hostilité voltairienne-jacobine, déracinante et “ritournellique”, à toutes les formes de la religiosité autochtone. La réhabilitation des parlers populaires, le recours aux anciens dialectes, à un vocabulaire riche mais refoulé, constitue dès lors une révolution plus profonde que si elle n’avait été que “politique”.

 

Un travail de retour aux sources vives de la langue

 

En effet, la prise en compte de la critique orwellienne dans son ensemble, conjointement avec la prise en compte des écrits de Simone Weil sur l’enracinement (nécessaire) du peuple dans son passé et ses traditions, et sur le caractère néfaste des partis politiques, comme vecteurs d’ahurissements collectifs et comme instances négatrices de la liberté personnelle de jugement, doivent très logiquement nous induire à amorcer un travail de retour aux sources vives de la langue, comme l’a fait aussi un Soljénitsyne, pour le russe, dès les premières années de son emprisonnement. Ce recours aux langages vivants, aux étymologies, doit s’accompagner d’un dressage des citoyens à la méfiance et à la vigilance à l’endroit de toutes les élites politiciennes, lesquelles —il faut sans cesse le rappeler— ne s’engagent que par ressentiment à l’encontre des réalités concrètes qui ne leur offrent rien: elles espèrent simplement que leurs artifices langagiers, leur phraséologie, leur sophistique et leurs manigances politiciennes vont leur apporter un pouvoir que la nature leur dénie, vu leur incompétence en tous domaines concrets. La sophistique des élites politiciennes ne procède pas, comme le souligne très justement Michéa, d’une “révolte du coeur” comme celle de Charles Dickens et ne mérite dès lors aucune considération, aucun respect, rien que le mépris le plus abyssal. Enfin, le philosophe, le moraliste, dans la perspective orwellienne/weilienne, qui est aussi celle de Michéa, doit faire confiance au bon sens populaire, au common sense des Britanniques (qui aujourd’hui l’ont bel et bien perdu), à la common decency d’Orwell.

 

Dans le nouvel engouement pour Orwell qui se dessine dans le paysage intellectuel français contemporain, c’est Bruce Bégout qui définit de la manière la plus juste et la plus précise la notion cardinale de la critique orwellienne de la politique et des médias, celle de “décence ordinaire”.

 

Des effets de la novlangue

 

Les effets de la novlangue, sont pour Orwell, 1) de gommer et donc de perdre les expressions idiomatiques les plus savoureuses, ce qui revient à réduire le vocabulaire donc à rendre les locuteurs de cette novlangue aveugles à la richesse et à la diversité du monde réel; 2) d’introduire dans les discours politiques une rhétorique pompeuse, soutenue par une diction prétentieuse, que d’aucuns, comme Nicolas Bourgeois, avaient nommé l’“hexagonal” où la célèbre tirade dans le Cid de Corneille, “ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie”, devenait “ô stress, ô breakdown, ô sénescence aliénante”; 3) d’épurer et/ou de modifier les dictionnaires pour faire correspondre les définitions qu’ils donnent aux lubies du “politiquement correct” ou aux variations induites par le shifting vocabulary; 4) de multiplier les termes creux ou rendus creux par usage abusif; ici, il faut mentionner les usages inflationnistes des termes péjoratifs que sont “fascisme”, “nazisme”, “totalitarisme”, etc; ou des termes posés comme positifs tels “liberté”, “démocratie”, “droits de l’homme” (sans que l’on ne procède jamais plus à un travail généalogique pour en comprendre l’origine et l’émergence dans l’histoire réelle des peuples européens). Ces termes sont tous désormais utilisés comme s’il n’y avait d’eux qu’une seule et unique définition fixe et immuable, fixité et immuabilité qui n’autorisent aucun travail de généalogie (d’historia, disait Foucault), aucun travail de redéfinition, de “nuanciation”, de complètement. On est dans la croyance, dans le monde aseptisé des “croyeux”, plus dans le réel.

 

Orwell reste toutefois optimiste. Pour lui, la langue est là pour refléter la réalité et celle-ci ne se laisse pas effacer, en dépit des efforts parfois démesurés dont on use pour l’oblitérer, l’estomper dans les mémoires et les perceptions. Le réel revient toujours, au grand galop. La réalité ne se laisse pas figer. On revient toujours à la case départ, au common sense, “à la langue du peuple sur la place du marché” (Bakhtine).

 

Ministère de la vérité

 

LTI.jpgRevenons aux différents aspects de la novlangue telle qu’elle a été imaginée par Orwell dans son 1984. Elle fourmille d’abréviations comme la langue soviétique ou, dans une moindre mesure, comme la langue de la NSDAP (cf. Klemperer). Les deux termes, “abréviés”, les plus connus sont l’Ingsoc (“English Socialism”) et le Minitrue (“The Ministry of Truth”, le “Ministère de la Vérité”). L’Ingsoc est l’idéologie officielle que l’on ne peut plus critiquer et le Minitrue est le ministère de la propagande qui fait triompher la vérité (mouvante selon les circonstances) de l’Ingsoc, même en cas de changement d’ennemi, de modification de la donne géopolitique (par exemple quand l’ennemi n’est plus l’Eurasia mais devient en un tournemain l’Eastasia). Il y a, dans la novlangue, produit de l’imagination romanesque d’Orwell, bien d’autres termes ou concepts révélateurs que l’on retient malheureusement un peu moins souvent malgré leur grande pertinence et leur réelle actualité. Ainsi le terme “bellyfeel”, à la fois verbe et substantif, qui désigne le sentiment d’adhésion viscéral que l’on peut ressentir à l’endroit de l’Ingsoc ou aujourd’hui à l’endroit de toutes les calembredaines hystériques de la “rectitude politique” ou des discours distillés par une gazette nauséabonde comme Le Soir à Bruxelles, spécialisé dans les discours haineux à l’endroit de la Flandre (sous tous ses aspects), de la Russie (sauf les oligarques), de l’Autriche, d’Israël, des militaires arabes, du Vatican, de l’archevêque de Malines, de la Syrie baathiste, de l’Arménie, du nazisme (imaginaire), des églises orthodoxes de Grèce, de Serbie, du monde slave ou de l’Orient, de la Chine ou de tout autre puissance ou fait social ou géopolitique qui déplait aux gauches de Washington, donc, en ultime instance, à la NSA. L’antonyme de bellyfeel est, selon les règles hypersimplificatrices de la novlangue, unbellyfeel, soit un sentiment de non-adhésion viscéral: de “feel”, “sentir” ou “ressentir”, et de “belly”, le “ventre” ou les “tripes”, les “viscères”. L’antonyme se forme par l’adjonction du préfixe “un”. Ce qui peut donner la phrase suivante: Oldthinkers unbellyfeel Ingsoc. Trois mots qui, pour Orwell, traduisent la longue phrase suivante: “Those whose ideas were formed before the Revolution cannot have a full emotional understanding of the principles of English socialism” (= “Ceux dont les idées se sont formées avant la Révolution ne peuvent comprendre émotionnellement les principes du socialisme anglais”). En bref: le bon citoyen d’Oceania (ou des pays formant la “Communauté Atlantique des Valeurs”) doit adhérer avec émotion, avec compassion (la “République compassionnelle”) aux idées que distillent les médias, sinon il est posé comme un Oldthinker, dont l’espèce est condamnée au silence ou à la disparition.

 

Aveuglement acquis et volontaire

 

Il y a ensuite le terme “blackwhite”, soit “penser en terme de tout blanc et tout noir”, de manière manichéenne et simplificatrice. Ce terme de la novlangue orwellienne recèle des connotations positives si la pensée manichéenne désignée correspond aux plans de l’Ingsoc; elle a des connotations négatives si elle contribue à rejeter les projets de l’Ingsoc. Le blackwhite est donc le contraire d’une pensée critique en adéquation avec le réel tel qu’il est, tel qu’il se présente extérieurement à nous. La présence ubiquitaire d’une pensée de type blackwhite entraîne un mécanisme, très actuel, de rejet du réel jugé incorrect (et qu’il faut corriger par des mesures coercitives ou par des appels pressants à une moralité “surréelle”). Ce rejet implique l’acceptation d’une pure fabrication irréelle laquelle doit être vue comme une “vérité” parce qu’elle est voulue telle par le pouvoir, par les médias, par le mainstream. Le blackwhite de la pensée officielle (et artificielle) fait émerger le doublethink, ou “double pensée”, soit une forme d’aveuglement acquis et volontaire vis-à-vis des contradictions contenues dans le système de pensée imposé. Le citoyen, dressé à penser de manière manichéenne (blackwhite) et émotionnelle (bellyfeel), ne perçoit plus, ne veut plus percevoir, à cause d’un processus insidieux de refoulement permanent, les contradictions du discours dominant (qui, aujourd’hui, par exemple, exalte un socialisme qui fait une politique néo-libérale ou un libéralisme soi-disant libre-penseur et dégagé de toute cangue religieuse mais qui accepte pour argent comptant toutes les dérives para-théologiennes du néo-conservatisme américain, etc.). Le réel est ainsi escamoté derrière un rideau de fumée médiatique, derrière un patchwork parfois contradictoire, tissé de brics et de brocs, présenté comme l’expression de la seule vérité vraie et acceptable, toute référence au réel concret étant assimilé à du oldthink ou à de la perversité émanant de Goldstein (ou d’un nazisme purement imaginaire ou d’un populisme mal défini mais voué d’office et a priori à devenir dangereux comme, par exemple, dans la Hongrie d’Orban).

 

Impostures intellectuelles

 

L’oldthink recèle la possibilité de tomber dans le crimethink, la pensée illicite et criminalisée, en contradiction avec les mots d’ordre du pouvoir. Le crimethink, dans le 1984 d’Orwell, est une pensée totalement incorrecte, en contradiction avec les directives du parti, des médias, de l’hegemon et de ses agences de presse chargées de faire l’opinion sur la planète entière. Toute voix critique de l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie en 1999 commettait un crimethink, dûment réprimé à l’époque comme l’atteste l’inadmissible matraquage du Professeur Jean Bricmont à Bruxelles, qui protestait contre cette agression à proximité du Quartier Général de l’OTAN à Evere. Qui plus est, Bricmont était l’auteur d’un ouvrage intitulé Les impostures intellectuelles, lequel entendait démontrer que la fabrication d’un vocabulaire soi-disant philosophique et indirectement idéologique sur base de vocables tirés des disciplines scientifiques, dérivés des sciences physiques ou biologiques, relevait de l’imposture et donc de la manipulation médiatique et idéologique. Cette démonstration logique et réaliste avait déplu: Bricmont n’est presque plus nulle part en odeur de sainteté (ce qui l’honore). Il a aggravé son cas en 1999: il a donc ramassé une volée de coups de matraques. Le même scénario de diabolisation des adversaires de conflits inutiles et néo-impérialistes s’est répété lors de l’intervention contre l’Irak en 2003, où contrairement à l’intervention de 1990, l’opération n’avait pas reçu l’aval de l’ONU et d’alliés arabes de la coalition pro-américaine. Les machines propagandistes américaines ont alors fustigé l’Axe Paris-Berlin-Moscou, à leurs yeux, une alliance informelle de lâches, de passéistes et d’efféminés incapables de percevoir le danger, figés dans les complications de la diplomatie —celle-ci étant rejetée comme un vestige inutile et encombrant du passé— et tous fils de Vénus plutôt que du dieu Mars.

 

Novlangue et monde arabe contemporain

 

En Syrie, la machine s’est d’abord mise en branle pour charger Béchar El-Assad de tous les péchés du monde, selon le même mode de diabolisation administré en 1990 puis en 2003 contre Saddam Hussein. L’intervention de djihadistes incontrôlables en Syrie a forcé ces bellicistes en chambre à mettre un bémol à leurs excitations artificielles, les péchés véniels d’El-Assad apparaissant tout d’un coup bien pardonnables face aux atrocités commises par les salafistes et tafkiristes stipendiés par l’Arabie Saoudite et le Qatar, comme en Libye post-khadafiste d’ailleurs. Pour Khadafi, l’acharnement médiatique a conduit à une mort particulièrement hideuse. En Ukraine, où les techniques de diabolisation appliquées aux pays musulmans ne fonctionnent pas, on découvre que même Bernard-Henri Lévy trouve des vertus à des nationalistes ukrainiens qui, par antisoviétisme à une époque où le soviétisme n’existe même plus, se réclament du Troisième Reich hitlérien, parce que ce Troisième Reich a failli vaincre l’URSS de Staline, responsable de l’Holodomor, de la mort par famine de centaines de milliers de paysans des terres noires d’Ukraine! On constate dès lors que les syncrétismes raisonnables, participant d’une sorte de “rationalisme vitaliste” (Ortega y Gasset), sont pour l’Oceania occidentale actuelle des “pensées criminelles”, du crimethink, tandis que le fondamentalisme, sous toutes ses facettes, les plus bigotes comme les plus atroces, se voit parfaitement valorisé, du moins dans ses actions concrètes sur les terrains libyen et syrien, se muant du même coup en goodthink, parce que les wahhabites saoudiens incitent à la haine contre l’ennemi iranien, non seulement dans les pays du Proche et du Moyen Orient mais aussi dans les mosquées et centres “culturels” de nos banlieues ensauvagées mais les représentants de cet ensauvagement généralisé n’étant plus critiquables sous peine d’être taxé de crimethink, le système médiatique mainstream, —dont les stupides et hideux p’tits salauds haineux du Soir de Bruxelles— fait d’une pierre deux coups: sous prétexte de lutter contre le “racisme” (plus imaginaire que réel), il laisse la bride sur le coup aux prédicateurs de haine qui servent l’hegemon et ses alliés saoudiens.

 

Le système lutte contre le crimethink en imposant par la virulence propagandiste et par une terreur psychologique sournoise le réflexe du crimestop, soit un refoulement bien intériorisé, pareil aux refoulements sexuels de la société victorienne fustigés par David Herbert Lawrence, un refoulement qui empêche de recourir encore à l’oldthink ou à développer une pensée alternative qui serait automatiquement du crimethink. L’individu, comme le citoyen d’Oceania, combat, d’abord à l’intérieur de lui-même, dans ses propres cogitations, tout recours à un réel vrai car un tel recours serait du crimethink et le mettrait en marge de la société existante. Le citoyen formaté de toute Oceania, la fictive d’Orwell comme la “réellement existante” d’aujourd’hui, combat les expressions du crimethink, le dénonce chez ses concitoyens, est prêt à tuer toute personne qui émettrait des idées jugées criminelles par le pouvoir. Le crimestop, c’est-à-dire les réflexes inculqués qui permettent l’intériorisation viscérale des discours officiels, génère une abominable humanité de délateurs, de cloportes gris et visqueux, qu’Alexandre Zinoviev, dans Le communisme comme réalité, avait d’ailleurs très bien décrite, tout en précisant, surtout dans la suite de son oeuvre, que cette humanité déchue, ce “peuple-bête” (narod-zver), était certes formatée “communiste” dans sa patrie soviétique mais que l’Occidentisme était sur le point d’en générer une autre, sous le signe du libéralisme cette fois. Nous y sommes.

 

 

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Duckspeak et oppositions inconsistantes

 

Orwell évoque aussi le duckspeak, qui consiste à débiter des discours insignifiants en caquetant comme un gallinacé ou en cancanant comme un canard. Emettre des sons et des vocables sur le mode du duckspeak signifie “parler pour ne rien dire”. Le duckspeak est bon s’il répète benoîtement ce que dit le parti ou Big Brother (ou les médias dans l’Oceania non fictive); il est “non-bon” en revanche s’il balbutie des idées contraires au mainstream. Mais ce dernier a intérêt à laisser se développer une opposition ou des oppositions qui ânonnent du duckspeak peu consistant: on perçoit d’ailleurs, dans l’Oceania actuelle qu’est la “communauté atlantique des valeurs” quantité d’oppositions débiles, bruyantes, parfois mises en exergue pour maintenir le pouvoir en place ou des oppositions qui ne sont jamais que des “négatifs photographiques” du pouvoir en place, comme certaines gauches radicales à la Mélanchon ou à la Hedebouw (qui bénéficient symptomatiquement de l’attention bienveillante des médias parce que ceux-ci savent bien que leurs programmes sont archaïques et irréalisables et qu’ils feront barrage, quand on le leur demandera, à l’émergence de toute véritable innovation révolutionnaire) ou certaines droites sans profondeur qui n’abordent jamais les problèmes de fond et se focalisent sur des détails abscons qu’elles mettent en exergue tout en finissant par lasser le public et... les électeurs.

 

Aucun critère de vérité objective

 

Cependant, quand Orwell a mis le phénomène du duckspeak en évidence, il a formulé l’essentiel de sa philosophie: le duckspeak n’exprime certes que des banalités, des absurdités, des mensonges ou des critiques sans fondement et est soit “bon”, s’il ne contrarie par le parti ou le mainstream (on peut dire tout ce qu’on veut sur facebook, à condition que ce soit des conneries ou des remugles de dessous la ceinture) soit “non-bon” s’il recèle encore quelques maigres résidus de crimethink ou d’oldthink mais il est “bon” ou “non-bon” de manière totalement indépendante du critère de vérité tangible (objective). C’est ce qu’Orwell redoutait le plus au monde: l’avènement d’un langage détaché de toute réalité objective; c’est pire, bien pire, que la bombe atomique, avait-il coutume de dire. Le goodthink dégénère souvent en duckspeak dans les discours de propagande (on songe à Shea en 1999). L’exemple le plus emblématique se lit dans le 1984 quand l’orateur du parti condamne les crimes d’Eurasia dans une longue litanie enflammée puis, pendant cette logorrhée, on lui glisse un billet; il remplace alors le mot “Eurasia” par “Eastasia” dans son discours, car, entretemps, “Eastasia” est devenue l’ennemie principale d’Oceania, sans que ses auditeurs ne bronchent et ne se rendent compte de la substitution. Sans référence au réel tangible, tout goodthink ou tout duckspeak (découlant du goodthink) est interchangeable.

 

L’ère de l’interchangeabilité des discours

 

thoughtcrime.jpgLes propagandes communiste et atlantiste ont inauguré l’ère de l’interchangeabilité des discours: Saddam Hussein, Khadafi, Hafez et Bachar El-Assad ont été tour à tour bons et mauvais (bien que plus souvent mauvais que bons) et, dans le club des puissances classées dans l’“Axe du Mal”, l’Iran est subrepticement en train de redevenir “bon” après avoir été un “Etat voyou” pendant plus de trois longues décennies. Hafez El-Assad, le père de Bachar, avait échappé à cette opprobre fabriqué en 1981-82, lors du premier soulèvement anti-baathiste des Frères Musulmans, perpétré d’abord avec l’assentiment de l’Occident puis condamné suite à l’assassinat d’Anouar El-Sadate par ces mêmes Frères Musulmans en Egypte en octobre 1981. Sadate était un allié des Etats-Unis: sa disparition tragique a induit les Etats-Unis et leurs alliés à ne plus soutenir le parti de ses assassins en Syrie (que l’on soutiendra toutefois trente ans plus tard contre Moubarak lors du “fameux printemps arabe” du Caire). La répression anti-Frères d’Hafez El-Assad s’est donc déroulée avec l’accord tacite de Washington. Avant de subir une révolte appuyée par l’Occident, Sarközy et BHL en tête, et financée par le Qatar et les Saoudiens, Khadafi avait connu quelques années de grâce pour redevenir subitement “mauvais”. Ce genre d’oscillation n’est pas nouveau dans la politique pétrolière des puissances anglo-saxonnes: William Engdahl, spécialiste de l’histoire et de la géopolitique du pétrole, rappelle qu’avant 1907, le Tsar Nicolas II, pour la presse londonienne et tous ceux qu’elle influençait, était un “tyran” pour redevenir tout d’un coup un “bon empereur” quand les divisions russes devaient à terme servir les desseins de l’Entente. Les leaders révolutionnaires mexicains des vingt premières années du 20ème siècle ont également été successivement de bons défenseurs républicains de leur peuple avant de devenir ou de redevenir de méchants révolutionnaires sanguinaires désireux, bien entendu, de s’emparer des richesses pétrolières du Mexique et de les nationaliser. Staline a connu une fortune analogue: de criminel sanguinaire, il est devenu ce “bon Uncle Joe” étrillant les divisions allemandes pour redevenir, dès le début de la Guerre Froide, un monstre infréquentable. Cette propagande anglo-saxonne relative à la Russie impériale, au Mexique ou à l’URSS stalinienne ne s’appuie pas sur des faits nécessairement objectifs ou sur une prise en compte exacte des projets concrets de la puissance dont question: elle varie au gré des fluctuations économiques et ses contenus (de pure fabrication) sont chaque fois interchangeables. Il n’y a plus, comme le constatait Orwell, de socle objectif, de vérité tangible qui compte ou qui tienne. Le subjectivisme délirant fait loi: c’est le règne de l’arbitraire et de la guerre permanente.

 

Autre concept de la novlangue mis en évidence par Orwell: l’ownlife, le fait d’avoir une vie propre dégagée des impératifs du parti. Il est subversif, dans le 1984, d’être solitaire et individualiste. Aujourd’hui, l’idéologie du mainstream ne raisonne plus de cette façon, qui était le propre des systèmes totalitaires spectaculaires comme le communisme et le national-socialisme (Du bist nichts, dein Volk ist alles). Christian Salmon souligne, dans son excellent ouvrage intitulé Verbicide, que le contrôle total par déréalisation s’opère non pas par une sorte de coercition collectiviste tambourinée par la propagande, mais par le storytelling. De quoi s’agit-il?

 

Grands récits et narrations alternatives

 

Les “grands récits”, d’origine hégélienne, qui avaient façonné les discours du mainstream de gauche, et la vulgate “progressiste”, ne mobilisent plus, ont cessé de séduire, suite à la répression du soulèvement de Budapest en 1956, à l’effervescence plus dionysiaque de mai 68, à l’amplification des pensées relativistes post-modernes, etc. Il a donc fallu inventer et promouvoir des narrations alternatives comme celles du féminisme, de l’altérité immigrée soi-disant persécutée par le racisme ambiant, du néo-libéralisme hostile à toute “régulation” et vainqueur de l’histoire (Fukuyama), des droits de l’homme (et non pas du citoyen) imparfaitement appliqués, de la “différence” homosexuelle à laquelle les blocages de la “common decency” ne donnent pas un droit de cité plein et entier, etc. Ces narrations alternatives vont, avec la rectitude politique induite depuis les projets de “Grand Society” de Lyndon B. Johnson, servir la promotion d’un goodthink de nouvelle mouture, en apparence pluriel et pluraliste.

 

Mais ces narrations alternatives ne séduisent pas le gros de la population: quand, comme la majorité des citoyens des pays de la “communauté atlantique des valeurs”, on n’est ni une névrosée hystérique ni un immigré en difficulté d’assimilation ou d’intégration ni un spéculateur en bourse frénétique ni un juriste besogneux en quête de causes perdues ni un homosexuel revendicateur, on ne s’intéresse pas à ces narrations alternatives, désintérêt qui freine, bien entendu, le déploiement planétaire du nouveau goodthink revu par les femens, Harlem Désir, Francis Fukuyama, le Président Carter et Hilary Clinton, BHL ou le lobby gay. Ces narrations n’intéressent finalement pas grand monde, n’intéressent pas ceux qui oeuvrent et peinent dans la vie quotidienne (et que défendent Péguy, Orwell et Michéa). Comment impliquer dès lors cette masse, comment la contrôler? Comment faire en sorte qu’elle s’insère volontairement dans le cadre du nouveau goodthink? On va, via Facebook notamment, la faire basculer dans la narratomanie, et contourner ainsi Orwell, qui raisonne comme à l’âge des totalitarismes anti-individualistes, en présentant aux lecteurs de son 1984 l’ownlife comme une première étape dans le glissement progressif d’un individu vers le crimethink. Le système, suite à l’effondrement des “grands récits” théorisé jadis par Jean-François Lyotard, va tout à la fois déployer des narrations alternatives, celles que nous avons évoquées ici, et multiplier à l’infini les petites narrations individuelles pour briser et la common decency, partagée par tous les hommes sains d’esprit, et la cohésion des sociétés encore composées de zoon politikon, rétifs aux embrigadements des grands ou des petits récits et surtout des récits alternatifs. Le système et ses psychologues savent que le cerveau humain est capable d’absorber une bonne histoire donc aussi de bonneS histoireS. On va donc faire en sorte qu’elles se multiplient à l’infini via des instruments comme Facebook ou Twitter, où le sujet va irrésistiblement, de son plein gré, se dépouiller de sa “ownlifeness”, jusqu’ici tenue secrète en son for intérieur par manque de moyens adéquats pour la projeter vers l’extérieur, l’Unique de Stirner va abandonner son “propre” (Der Einzelne und seine Eigenschaft). Il va le partager. Il va l’offrir aux “services” pour qu’ils fabriquent des “stories” qui vont complètement oblitérer le réel, avec une efficacité encore plus redoutable que les sbires de Big Brother qui, finalement, ne contrôlent complètement que 15% de la société d’Oceania.

 

Un délit de “sale gueule” politiquement correct

 

ThoughtSearch.jpgPour Orwell, il n’y avait pas que le thoughtcrime, il y avait aussi le facecrime, soit l’expression faciale qui trahit la présence intérieure d’un crimethink. En Allemagne, en effet, un traducteur-interprète a été condamné pour avoir traduit, avec un air, un ton et une expression faciale considérés comme approbateurs, le discours d’un non conformiste américain, peut-être un peu révisionniste (mais aux Etats-Unis de telles positions ne sont pas considérées comme illégales et qu’en sa qualité de citoyen des Etats-Unis, il a le droit, protégé par son ambassade, d’exprimer ses opinions partout dans le monde sans avoir à craindre les foudres d’un juriste obtus, hargneux et hystérique, au service d’un Etat-croupion ou d’une quelconque république bananière). Ce cas allemand est la variante, agréée par la “rectitude politique”, du “délit de sale gueule”. A quand la condamnation d’un obèse amateur de mets gras qui ferait la moue lors d’un colloque de végétariens?

 

La notion “novlanguiste” de prolefeed, littéralement de “pitance de prolo”, désigne l’ensemble des spectacles sans substance, la plupart du temps cinématographiques, qu’un régime politique contrôleur produit pour distraire les classes laborieuses, pour oblitérer leur common decency ou ce qu’il en reste. Depuis les années 50, les pays occidentaux ont subi, bien plus que les pays communistes du temps de la guerre froide, une avalanche continue de variétés dépourvues de valeur culturelle: films idiots, revuettes ineptes, romans sans envergure, pornographie à deux balles ont envahi le quotidien des classes non dominantes dans toutes les sociétés occidentales, lesquelles ne peuvent plus faire la distinction entre ce qui est valable (et sérieux) et ce qui est dépourvu de valeur culturelle (mais est amusant). Cette irruption ininterrompue de junk thought, selon l’expression de Susan Jacoby, auteur de The Age of American Unreason, a fait basculer nos sociétés dans la médiocrité intellectuelle, dans l’incapacité à transmettre des valeurs héritées, et, par voie de conséquence, met en danger l’avenir de toute démocratie réelle, laquelle, pour pouvoir fonctionner, doit être composée de zoon politikon, dotés de la plus longue mémoire possible, et non pas de décérébrés et d’amnésiques. De son côté, Benjamin R. Barber, auteur d’un ouvrage célèbre, Jihad vs. McWorld, démontre, dans Consumed. How Markets Corrupt Children, Infantilize Adults and Swallow Citizens Whole, que le marché transforme bien plus sûrement les citoyens des pays à économie libérale en des êtres sans consistance que le totalitarisme dur, porté par un parti ubiquitaire, imaginé par Orwell dans 1984. Les citoyens de l’Oceania réelle et non pas fictive sont désormais des “kidults” (de “kid”, gamin, et “adult”, adulte) qui ne s’identifient plus à une politie, dotée d’une histoire et d’une mémoire, mais, entre autres choses, à des marques d’objets divers offerts par le marché. Ce processus donne l’illusion de la pluralité, chère à Hannah Arendt, mais elle “totalise” la société, l’uniformise bien plus sûrement que les totalitarismes d’avant la seconde guerre mondiale ou que le soviétisme de Staline à Andropov ou que le sino-communisme de Mao, pour la simple et bonne raison que des cerveaux occupés par des choix entre marques, par une hyper-consommation et par le paraître qu’elle induit, par des variétés innombrables, etc. ne focalisent plus leur attention sur les ressorts vivants d’une Cité et, ipso facto, se font confisquer subrepticement leurs droits fondamentaux, en dépit des rituels électoraux, organisés à intervalles réguliers. Le prolefeed ou junk thought ou kidult culture sont des armes redoutables, comme le basic English soutenu par Churchill, qui permettent de réduire à néant une politique, plus sûrement que la bombe atomique.

 

“Rectifier” les archives

 

Autre terme intéressant dans la novlangue d’Orwell, le recdep, ou “Departement of Records”, le “département des souvenirs” ou “des archives”. Il s’agit d’utiliser celles-ci, en mettant tantôt quelques faits en exergue, après les avoir longtemps conservés dans le frigo de l’oubli, tantôt en les occultant, en les arrachant à la mémoire collective. Le recdep n’a pas vraiment la tâche facile: les traces subsistent dans les mémoires, elles reviennent après avoir été refoulées ou occultées, elles demeurent dans l’ombre du junk thought: l’instinct de la figure centrale du 1984 la porte à aimer, à bellyfeel, les choses anciennes et vénérables, à les palper, à imaginer le monde où elles ont émergé et servi. Le pouvoir peut certes “rectifier les archives”, comme les Soviétiques staliniens rectifiaient celles qui montraient ou évoquaient Trotski, il ne peut pas entièrement les gommer.

 

En Belgique, il a fallu attendre avril 2012 pour que l’université organise enfin un colloque sur l’homme-orchestre du non-conformisme des années trente, Raymond De Becker. Sans une analyse méticuleuse de son itinéraire et de ses fréquentations multiples, l’histoire du royaume et les prolégomènes de la question royale demeurent incompréhensibles. De 1945 à 2012, il fallait évidemment qu’elle le demeurât pour ôter auprès des générations nouvelles de l’après-guerre un patrimoine idéologique complexe, varié, chatoyant et riche en potentialités diverses pour déverser dans les cerveaux le junk thought occidental, celui de l’Oceania réelle. Cette réhabilitation tardive, quand tous les témoins directs sont passés de vie à trépas, va sans doute donner, pour le futur, une image à jamais incomplète de cet homme-orchestre, de ce “passeur” étonnant, actif au point d’intersection de toutes les idéologies qui se télescopaient pendant les années 30, dans l’espoir de faire germer puis éclore une synthèse nouvelle. Il a fallu l’insistance opiniâtre de l’écrivain Henry Bauchau, heureusement devenu quasi centenaire, pour que des professeurs se mobilisent pour connaître enfin le contexte idéologique réel des années 30, pour juger correctement l’histoire des idées en Belgique pendant l’entre-deux-guerres, histoire qui montre à côté de quels possibilités sublimes nous sommes passés, alors que nous nous vautrions dans l’horreur technocratique, l’horreur économique, le festivisme imbécile, l’écophobie pathologique, la haine de soi assortie d’une xénophilie d’écervelé, la plomberie d’un être veule comme Jean-Luc Dehaene, les corruptions les plus écoeurantes des socialistes dévoyés et de la bêtise intrinsèque et incurable des libéraux pour qui toute forme de culture doit disparaître au nom des lubies acquisitives des analphabètes friqués.

 

Seberechts interdit d’archives!

 

Ainsi, dans un centre de documentation destiné à recueillir les témoignages des Juifs de Belgique sur les événements des années 30 et 40, les manuscrits apportés par des gens simples qui souhaitaient que l’on conservât leur histoire personnelle étaient systématiquement jetés à la poubelle et donc non archivés par ce mini-recdep, tout simplement parce que ces histoires réelles, pourtant toutes de souffrance, ne correspondaient pas à l’image de ces tragédies que l’on voulait promouvoir dans les médias. Plus récemment, l’historien flamand Frank Seberechts, qui a pignon sur rue, qui n’en est pas à ses premières publications, a sorti un ouvrage bien documenté sur les déportations de citoyens belges et non belges de confession israélite, de ressortissants du royaume de convictions communiste, rexiste ou nationaliste flamande, vers les camps de concentration pyrénéens de la Troisième République. Seberechts prouvait que les listes de proscription puis la déportation, qui s’ensuivit, des juifs antifascistes réfugiés en Belgique et originaires d’Allemagne ou d’Autriche, d’abord ordonnée par les Belges ensuite exécutée par les Français de la Troisième République, avaient permis, ultérieurement, aux autorités nationales-socialistes de mettre la main sur ces personnes et de les déporter à leur tour. Cette thèse déplaisait: on a refusé à Seberechts l’accès aux archives du ministère de l’intérieur, du ministère des affaires étrangères et d’autres centres de documentation officiels, comme s’il y avait beaucoup de choses gênantes à dissimuler. Ce ne fut pas le cas en France, où les services officiels ont accueilli le chercheur flamand sans rechigner, alors qu’il prouvait l’existence d’un système concentrationnaire français particulièrement mortifère, attesté notamment par les mémoires d’Arthur Koestler ou d’Hannah Arendt (cf. Frank Seberechts, De weggevoerden van mei 1940, De Bezige Bij, Antwerpen, 2014).

 

La novlangue prévoit également la notion de rectify, de rectifier le passé, c’est-à-dire de procéder à son altération délibérée pour servir des desseins présents. Dans le royaume de Belgique, on procède, ou on a longtemps procédé, à ce type de “rectification”, en “oubliant” ou en diabolisant des personnages clefs de l’histoire intellectuelle du royaume (comme De Man, De Becker ou Colin), en jetant au rebut les mémoires de petites gens honnêtes ou en barrant l’accès aux archives à des historiens qui n’ont rien de “fasciste”.

 

Transformer les citoyens en pions crédules

 

La novlangue sert donc à transformer chaque citoyens en pion crédule dans un contexte où 15% adhèrent à l’équivalent local de l’Ingsoc (l’UMPS de la France actuelle, les partis traditionnels en Belgique ou en Allemagne, les “Republicrats” aux Etats-Unis,...) et 85% de la population demeurent d’une certaine façon fidèle à l’oldthink ou à des bribes d’oldthink, tout en étant au maximum neutralisés. Elle sert également à isoler les dissidents, à leur infliger la conspiration du silence, même avec internet, où, par exemple, en Allemagne, récemment, les éditions Antaios, néo-conservatrices, ont été chassés des rayons virtuels du distributeur mondial “amazon.com”. Façon de tuer une maison d’édition publiant des essais d’une grande pertinence. Elle sert aussi à promouvoir des politiques réalisables (p. ex. l’Obamacare aux Etats-Unis) en même temps qu’à poursuivre des objectifs démesurés, pareils à ceux d’Oceania, notamment la poursuite des guerres lancées par les néo-conservateurs des père et fils Bush, des guerres voulues par ce que le Prof. Peter Dale Scott nomme la “politique profonde” de Washington que déterminent les manigances des pétroliers et des narcotrafiquants et à augmenter l’ampleur planétaire de la surveillance totale par la NSA. La novlangue actuelle, sous Obama, sert donc une politique de promesses sociales, qu’on ne tiendra pas, pour mieux poursuivre les buts de la “politique profonde” analysée et dénoncée par Dale Scott. Elle sert enfin à imposer l’autodiscipline dans les rangs des démocrates, des décideurs américains, des alliés et vassaux européens (et autres) et des instances du soft power médiatique. Les “lanceurs d’alerte” (ou whistleblowers) comme Snowden prouvent que la novlangue a donc pour fonction principale la DISSIMULATION de ce qu’est réellement l’Etat profond ou les intentions d’un parti (totalitaire ou non). Cette novlangue dissimulatrice indique la présence d’un système plus fort que les dictatures classiques ou que les totalitarismes de la première moitié du 20ème siècle, qui visibilisaient outrancièrement leurs buts, stratagèmes et intentions.

 

Verbicide et linguicide

 

Deux pistes complémentaires me semblent utiles à explorer pour compléter l’appareil critique, celui de la “rétivité pour tous” en gestation, que cette conférence appelle de ses voeux. Ces pistes sont celles que Jacques-Olivier Granjouan et Christian Salmon ouvrent en définissant l’un la notion de “linguicide”, l’autre la notion de “verbicide”. Grandjouan appelle “linguicide” les processus qui conduisent à faire émerger une vulgate médiatique truffée de fautes de langage, de barbarismes et d’incongruités. Ces fautes participent à la destruction de la précision de la langue, de l’idiomatie. Les traducteurs (surtout de l’anglais) et les journalistes transposent des vocables anglais en français, sans tenir compte ni des subtiles différences sémantiques entre les deux langues ni des “faux amis”, les traductions d’Euronews étant, à l’heure actuelle, emblématiques pour illustrer ce genre de dérives. Grandjouan relève, dans son livre (cf. bibliographie) un nombre impressionnant d’erreurs de ce type: bornons-nous à citer le terme “escalade” qui sert, depuis la guerre du Vietnam, à décrire une augmentation ou une aggravation voire une intensification dans un conflit armé; les médias nous parlent de l’“Administration Clinton”, alors qu’il faudrait dire le “gouvernement de Clinton”; quand les médias évoquent la représentation parlementaire américaine, ils parlent du “Congrès”, ce qui est inapproprié en français, etc.

 

Plus intéressante pour notre propos est la notion de “verbicide”, telle que nous la propose Christian Salmon. Orwell avait posé l’écrivain comme le gardien du vocabulaire, immédiatement après 1944, après son expérience à la BBC, après son bref engouement pour le basic English. Salmon ressort un texte d’André Breton, datant de 1949. Dans ce texte, le chef de file des surréalistes français disait que l’écrivain doit veiller à ce que le sens des mots ne se corrompe pas, dénoncer impitoyablement ceux qui font profession de le fausser, s’élever avec force contre le monstrueux abus de confiance que constitue la propagande d’une certaine presse. Ces injonctions de Breton sortent donc de ce texte exhumé par Salmon et significativement intitulé Pour un dégagement des intellectuels, ce qui revenait à prendre le contre-pied de Sartre, qu’Orwell traitait par ailleurs de bag of wind (“sac de vent”). Ce texte est resté inédit jusqu’en 1999!! Salmon, fort de la lecture de ce texte peu connu de Breton, écrit, page 64, que “l’intellectuel engagé s’est rangé désormais aux côtés de ceux qui exercent le pouvoir et non plus de ceux qui le subissent, aux côtés de ceux qui déclenchent des guerres” (Finkielkraut en Serbie, BHL partout ailleurs). Dans un tel contexte, “l’intello de gauche s’empresse de se montrer réceptif aux codes médiatico-marchands, docile à l’air du temps” (p. 65). Ensuite, la censure, qui était défensive au 19ème siècle, devient offensive: elle ne s’occupe plus vraiment des droits individuels, elle opère par inondation, répétition, saturation. L’espace culturel en devient standardisé, homogénéisé, dominé par les agences médiatiques. Les voix dissidentes sont noyées, comme l’avait constaté Soljénitsyne, quasiment dès son arrivée en Occident (le communisme, c’est “Ferme ta gueule!”, l’occidentisme, c’est “Cause toujours tu m’intéresses!”). La censure n’est plus le fait d’officines policières et étatiques mais est exercée par les médias publics et privés, par le “quatrième pouvoir”, par les “chiens de garde” du système (Serge Halimi). Elle revêt ensuite, surtout en France, une dimension judiciaire. En effet, le code pénal depuis 1994 autorise les poursuites par de simples citoyens, ce qui implique que le juge peut intervenir dans des productions littéraires ou artistiques, alors que droit et art sont deux domaines foncièrement différents et où le juriste n’a pas à s’immiscer dans le travail de l’artiste ou de l’écrivain et où l’artiste ne doit pas intervenir dans le domaine du droit.

 

LQR et “experts”

 

Toujours dans le contexte du néo-orwellisme français, Eric Hazan rappelle, avec un clin d’oeil à Klemperer, que les novlangues de bois du communisme ou de la LTI ont fait place en France, et par ricochet dans tout l’espace politico-médiatique de la francophonie, à la LQR, la Lingua Quintae Respublicae, la “Langue de la Cinquième République”. Celle-ci s’est amorcée dès les années soixante, où émergeait le phénomène de la télévision (analysé avec brio tant par Martin Heidegger à Messkirch en 1961 que par mon compatriote Raymond De Becker, réprouvé et proscrit, dans les colonnes de Planète). Elle était marquée en cette première période par le paternalisme gaulliste mais au fil des temps elle s’est faite le véhicule du prêchi-prêcha mitterandien, souvent pur cynisme, pour déboucher, comme le dénonce très justement Hazan, sur un discours justifiant les folies du néo-libéralisme. Hazan: “La LTI visait à galvaniser, à fanatiser; la LQR s’emploie à assurer l’apathie, à prêcher le multi-tout-ce-qu’on-voudra du moment que l’ordre libéral n’est pas menacé” (p. 14). Il ne s’agit plus, ajoute-t-il, de remporter la guerre civile comme le voulaient les staliniens à Barcelone en 1936-37 mais “d’escamoter les conflits, de les rendre invisibles et inaudibles”. Cette tâche est parachevée par les “experts”, qui segmentent les affaires de la collectivité en “séries de problèmes techniques”, sans avoir la moindre légitimité démocratique et sans être le moins du monde en phase avec la common decency.

 

Dans Verbicide, Christian Salmon comme Orwell constate que les pouvoirs en place, qu’ils soient totalitaires ou soi-disant “démocratiques”, sont animés par une logophobie tenace. Les pouvoirs et les idéologies ultra-simplificatrices, abrutissantes et bêtifiantes, qui les sous-tendent sont marqués par une haine du langage, du parler vrai, par une haine du langage que Heidegger définissait comme “la maison de l’Etre”. La langue d’un peuple est effectivement le conteneur de sa mémoire, le réceptacle de recettes potentielles pour faire advenir des alternatives de toutes natures, dont, bien sûr, des alternatives politiques: voilà pourquoi il faut en permanence et avec un acharnement frénétique le rectifier, pourquoi il faut organiser l’amnésie collective, pourquoi il faut laisser s’abâtardir et s’ankyloser le parler quotidien, pourquoi il faut tolérer, au nom de la “tolérance”, l’effondrement calamiteux de toute syntaxe ordonnante. L’objectif de tous ces pouvoirs figeants et crispés est de maintenir partout et toujours des majorités et des oppositions politiques conformes, tout comme Goldstein ou le nazisme imaginaire de nos médias sont de pure fabrications propagandistes et des croquemitaines sempiternellement inchangés, répétés à satiété selon la méthode Coué. L’objectif, pour nous, doit être de s’opposer avec constance et fermeté à cette avalanche permanente et médiatique de conformismes fabriqués, de défendre ce qu’Orwell appelait l’oldspeak ou l’oldthink. Maintenir leur richesse sémantique, leur luxuriance lexicale envers et contre tout, afin d’être toujours les derniers d’hier et de s’apprêter à devenir les premiers de demain.

 

Robert Steuckers

(Forest-Flotzenberg, Fessevillers, Genève, mars-avril 2014).

 

Notes:

 

  1. Robert STEUCKERS, “L’ironie contre la political correctness”, cf/ http://robertsteuckers.blogspot.com

  2. Simone WEIL, Oeuvres complètes, V, Ecrits de New York et de Londres, vol. 2, Gallimard, Paris, 2013.

     

Bibliographie

(à l’exception de l’oeuvre d’Orwell elle-même):

 

    • Fernando ARRABAL, “Le grand théâtre du monde totalitaire”, in: Le magazine littéraire, n°202, décembre 1983.

    • Benjamin BARBER, De infantiele consument. Hoe de markt kinderen bederft, volwassenen klein houdt en burgers vertrapt, Ambo/Manteau, Amsterdam, 2007.

    • Bruce BEGOUT, De la décence ordinaire, Editons Allia, Paris, 2008.

    • François BORDES, “French Orwellians? La gauche hétérodoxe et la réception d’Orwell en France à l’aube de la guerre froide”, in: Orwell entre littérature et politique, Agone, n°45, 2011.

    • Paul CHILTON, “Orwell’s opvattingen over taal”, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

    • James CONANT, Orwell ou le pouvoir de la vérité, Agone, Marseille, 2012.

    • John CROWLEY & S. Romi MUKHERJEE, “Le peuple d’Orwell”, in: Orwell entre littérature et politique, Agone, n°45, 2011.

    • Eric DIOR, “George Orwell – L’enragé de la lucidité”, in: Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009.

    • Jacques-Olivier GRANDJOUAN, Les linguicides, Martorana Editions, Les Milles/Aix-en-Provence, 1989.

    • Eric HAZAN, LQR – La propagande au quotidien, Ed. “Raisons d’Agir”, Paris, 2006.

    • Karel HELLEMANS, “Always the eyes watching you – Conditionering in “1984””, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

    • Susan JACOBY, The Age of American Unreason – Dumbing Down and the Future of Democracy, Old Street Publishing, London, 2008.

    • Dr. Mario KANDIL, “George Orwells “1984” – von der Realität überholt”, in: Neue Ordnung, Graz, III/2013.

    • Simon LEYS, Orwell ou l’horreur de la politique, Plon, Paris, 2006.

    • Jean-Claude MICHEA, Orwell éducateur, Climats, Paris, 2003-2009.

    • Jean-Claude MICHEA, Orwell anarchiste tory, Climats, Paris, 1995-2008.

    • Martha NUSSBAUM, “Un monde sans pitié”, in: Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009.

    • Jean-Jacques ROSAT, “Ni anar ni tory: socialiste”, in: Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009.

    • Jean-Jacques ROSAT, “Ni anarchiste ni tory. Orwell et “la révolte intellectuelle”’, in: Orwell entre littérature et politique, Agone, n°45, 2011.

    • Frédéric ROUVILLOIS, “Mieux qu’un bâillon, la langue de bois”, in: Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009.

    • Christian SALMON, Verbicide. Du bon usage des cerveaux humains disponibles, Actes Sud, Paris, 2007.

    • Eberhard STRAUB, Die Götterdämmerung der Moderne – Von Wagner bis Orwell, Manutius Verlag, Heidelberg, 1987.

    • Samuel TODEDANO BUENDIA, “La neolengua de Orwell en la prensa actual. La literatura profetiza la manipulacion mediatica del lenguaje”, in: Revista Latina de Comunicacion Social, enero-diciembre de 2006, La Laguna/Tenerife/Canarias.

    • Lyman TOWER SARGENT, “Sociale controle in de eigentijdse dystopie”, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

    • General Dr. Franz UHLE-WETTLER, “Geschichtsfälschung – Der Einfluß der “political correctness” auf unser Geschichtsbild”, in Neue Ordnung, Graz, I/2006.

    • Chris van der HEIJDEN, “Op zoek naar kristal – Orwell in Spanje achterna”, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

    • Michael WALZER, “La défense d’une démocratie radicale” (entretien), in: Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009.

    • Raymond WILLIAMS, “Schrijver zijn in Orwells tijd”, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

    • Frank WINTER, “Nieuwspraak en de proles – de politieke revolutie in Orwells 1984”, in: Bzzlletin, n°111, december 1983.

       

samedi, 19 juillet 2014

In memoriam Maurits De Maertelaere

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jeudi, 17 juillet 2014

« L'EFFACEMENT DU POLITIQUE » DE PIERRE LE VIGAN

«L'EFFACEMENT DU POLITIQUE» DE PIERRE LE VIGAN

Un livre indispensable de réflexion pour l'été

Michel Lhomme 
Ex: http://metamag.fr 

L’Union européenne traverse une crise grave. Le nier et poursuivre une politique de fuite en avant vers l'Est ou le Sud - « plus d’Europe ! » – ne fait qu'accentuer davantage le rejet de l’Europe mais il y a  pire : la dépolitisation de l'homme européen.

L'Union européenne s’est bâtie contre les Etats. Elle se veut l'amorce de l'Etat universel rêvé par Kant, la concrétisation du cosmopolitisme politique. Nous le rêvions humain et démocratique, il se révèle technocratique et totalitaire. L’attitude du Parlement européen est typique à cet égard. Une étude de la Diète fédérale allemande a établi récemment que 85 % de nos lois et règlements proviennent désormais de Bruxelles, ce qui vide de sens le principe même de subsidiarité et les délibérations de nos Parlements nationaux. Le mode d'être de la politique est la gouvernance à savoir la gestion des « affaires courantes », l'absence de toute autorité. 

 
C'est ce que Pierre Le Vigan appelle « l'effacement du politique », la dépolitisation du monde. Elle est le règne du droit, la dictature du droit, la république des juges au cœur du grand marché. « Toute société a un  droit oral ou écrit », nous rappelle Le Vigan mais « notre société se veut régie par le droit » (p.126). Ce n'est effectivement pas la même chose. Il faut dix ans pour rédiger un règlement ou une directive européenne, dix ans pour la modifier.
 
La directive, résultat de la réflexion des experts vaut alors force de loi. Le peuple, même par ses représentants, n'est jamais consulté. On comprend, par l'analyse, que Pierre Le Vigan brosse du néo-constitutionnalisme contemporain ce sentiment que nous avons de ne plus pouvoir rien faire au quotidien. Ce sentiment d'absence de liberté n'est pas indépendant du processus de marchandisation extrême qui est à l'œuvre. Il en est au contraire sa logique même. On ne nous prive pas de notre liberté individuelle mais de toute liberté collective. Le pouvoir judiciaire est ainsi la nouvelle religion du temps ( p.136 ), les directives et les décrets arbitraires, le mode quotidien de gouvernement. Cela illustre le passage de la démocratie représentative à la démocratie procédurale, analysée aussi par les argentins Alberto Buela et Luis Maria Bandieri. Le droit est vidé, marchandisé, privatisé. Pierre Le Vigan fait la généalogie de ce processus, de Machiavel et Hobbes à Habermas,  et c’est le grand apport de ce livre que de mettre à jour les racines profondes de la dépolitisation de l’Europe.

Chez les économistes, on avancera que la zone euro est en crise, que la monnaie unique est inadaptée à des économies divergentes. On ne fait pas vivre en effet dans la même zone monétaire un marchand de machines-outils ou de voitures de luxe, l’Allemagne, et un marchand d’olives ou un armateur sans pavillon national, la Grèce, sauf à instituer une union de transfert des riches vers les pauvres. Mais Pierre Le Vigan va plus loin et rappelle l'essentiel, l'erreur européenne :  vouloir construire une unité politique par l'économique.

On sait que Jacques Delors ne lira pas Pierre Le Vigan. C'est un hommage. Delors a raillé plusieurs fois le concept, selon lui « bien français », de l' «  Europe puissance ». A deux reprises en Commission des Affaires Etrangères et en Commission des Affaires Européennes, il a martelé l’utopie de l’Europe puissance, ajoutant qu’il n’y aurait jamais de politique étrangère commune. Pourtant, l’Union européenne a été pensée comme un bloc et construite comme tel dans les années 1950/60 pour faire pièce à la Guerre Froide et aux deux blocs, les Etats-Unis et l’U.R.S.S. S'il est illusoire de croire qu’une organisation de vingt-huit, bientôt trente Etats-nations, puisse constituer une force homogène, l'Europe n'existera pas non plus comme un agrégat de nations ou un galimatias d'Etats. De plus, il n'y a pas accord sur l'Europe culturelle ( malgré l'Homère de Dominique Venner ), sur l'Europe religieuse ( malgré la chrétienté de François ), sur l'Europe linguistique ( malgré le mythe indo-européen de Nouvelle Ecole ), sur l'Europe ethnique ( malgré l'homme blanc de Terre et Peuple ). Alors n'y aurait-il pas ou plus de substance européenne ? Mais alors quelle Europe  ? Pierre Le Vigan en appellerait-il à un nouveau monde politique : l’ère des puissances relatives ? 

La mondialisation des échanges dépasse le cadre des organisations régionales et singulièrement celui de l’Union européenne en pleine récession. En matière de politique étrangère, notre destin ne se joue plus sur la Vistule et l’Oder-Neisse, mais en Méditerranée, en Afrique, dans les pays du Levant, en Chine et dans tout le Pacifique. Mais peut-on encore parler d'une hyperpuissance capable d’imposer unilatéralement ses choix au monde ? Les Etats-Unis commencent de plus en plus à coaliser désormais les autres contre lui. A chaque tentative hégémonique correspond une nouvelle coalition qui se constitue et se défait : l’Irak, la Syrie, la Libye, le réchauffement climatique  (Paris sera le siège, au mois de décembre, de la conférence sur le climat ). L’ancien Secrétaire à la Défense américaine, Donald Rumsfeld utilisait une formule juste: selon lui, aujourd'hui, « c’est la mission qui commande la coalition ». Alors, de quelle Europe avons-nous besoin ? De quelle mission ? Il faut poser la question. D'une Europe populaire ? D'une Europe de la puissance ? D'une Europe politique mais de quelle politique, pour quelle politique ? 

Le bon sens cartésien nous guide : l’Union européenne s’est élargie, elle doit s’amaigrir. 80 % des compétences doivent redescendre au niveau des Etats. Il faut réconcilier la souveraineté nationale et la coopération européenne. Si les formes cité, nation, empire sont obsolètes, si l'Etat de  droit se trouve dissous dans le droit et le tout juridique, l'état universel n'en est pas moins impossible parce qu'il contredit la nature politique de l'homme, empêche la dialectique de la reconnaissance et donc la réalisation de l'Histoire. Mais quelle unité politique défendre alors à l'échelon européen ? De fait, la Cour fédérale allemande a fermement rappelé en juin 2010 qu’il n’y avait pas de peuple européen, mais des peuples allemand, français, italien, etc. Et qu’en tout état de cause, pour l’Allemagne, le dernier mot appartenait à la seule Diète fédérale ! Le meilleur moyen, dès lors, est de constituer un Parlement européen à partir des Parlements nationaux – des Commissions aux Affaires européennes – qui siégerait ponctuellement dans une Union européenne fortement recentrée ou d'accepter la suzeraineté de la puissance allemande en Europe (ce qui ne se peut).

Ces mois prochains, la question de l’Union européenne se reposera par l'attitude du Royaume Uni, l'indépendance possible de l'Ecosse, un référendum britannique à venir. La Grande-Bretagne devrait sortir de l'Union européenne mettant alors l'Union Européenne au bord d'une implosion à la soviétique. Depuis des décennies, de Rome à Lisbonne, la petite Europe des Traités a vécu dans la contradiction entre une idéologie fédéraliste sous-jacente et la pratique intergouvernementale. Elle a tenté d'ignorer la confusion antidémocratique de ses institutions par la « gouvernance » oligarchique et un surcroît d’ultralibéralisme. L'Union européenne a nié radicalement la souveraineté populaire. S'agit-il donc de retrouver le nationalisme, l'identité collective de base, le citoyen européen ?
 
Pour Pierre Le Vigan, non, il s'agit de penser une refondation européenne mais sans nationalisme. Mais alors, de quel modèle politique peut éclore la refondation européenne ? De l'idée de confédération, la forme d’une confédération des Etats européens pouvant inclure la Fédération de Russie et la Turquie pour la simple raison que ces deux Etats participent et ont toujours participé à l’équilibre européen. Mais, il s'agit de confédérer par en bas (la généralisation de la démocratie participative au niveau local) et par en-haut, en posant les conditions de la coopération diplomatique des différentes nations européennes. Il est donc bien question de retrouver en interne le vieux principe fédératif (Proudhon ?), le solidarisme (Léon Bourgeois), l'associationnisme (Louis Blanc ?) et en externe, la coopération et le consensus diplomatique sans l’uniformité.
 
Tout reposerait donc sur un principe de subsidiarité bien compris. Comme le souligne à la fin de son ouvrage au style clair, concis et largement référencé, c’est vers l'idée d'Empire, de « confédération des peuples d’Europe » que s'oriente Pierre Le Vigan. Dans la conclusion d'un commentaire judicieux, Bruno Guillard pose les bonnes questions : fédération, empire, confédération, état fédéral ou alliance inter étatique ?... C'est effectivement tout un programme et nous attendons avec impatience l'analyse plus poussée des formes politiques impériales qui éclairerait sa proposition. Pourquoi ? Parce que Pierre Le Vigan est un autodidacte (« personne ne me fascine davantage que les autodidactes » dit Jacques Attali !) de la philosophie et que c'est, comme pour les artistes ou les écrivains, chez eux, qu'on retrouve le plus la créativité des concepts, chère à Deleuze.

On comprend en tout cas entre les lignes pourquoi, par exemple, il n'y aura pas de dissolution en France. C'est que la classe dirigeante française et l'équipe Valls sont les grands prêtres du « nouvel ordre mondial », spécifiquement désignés pour mener au nom de la Liberté, la révolution du Droit destinée à transformer les communautés nationales en un magma humain, une poussière d’hommes dépolitisées dont la seule issue ontologique sera l'immanence, le carpe diem, l'immédiateté épicurienne ou le réalisme-sceptique à la Clément Rosset. À ce titre, les corps désertés du bien commun et de la politique seront voués à n’être plus que des hommes banaux, normaux comme l'aime à le dire si bien François Hollande c'est-à-dire des non-citoyens. Las, ce beau programme qui a en fait énormément progressé depuis deux ans transformera les cours d'Education civique en « moraline », l'autorité en totalitarisme de l'édredon. Sans nuances, le modèle européen entraîne le chaos civil sous le « talon de fer » de Big Brother. Cette déconstruction et remodelage juridique est sans doute l’aspect le plus inquiétant de la grande transformation en cours. Celle pour laquelle nos dirigeants sont mandatés en tant qu’exécutants de missions géographiques sectorielles, État par État. Leur tâche essentielle, celle à laquelle ils ne peuvent ni ne doivent renoncer, vise la fusion en un même espace tricontinental du libre-échange généralisé et de la marchandisation de tous les aspects de la vie. C'est cette mission qui cet été et est en train de se mettre en place dans l'opacité la plus absolue et l'absence de toute contestation à travers le méga traité transatlantique en cours de négociation. 

Rappelons que pour le « Pacte commercial transatlantique » applicable entre l’Union Européenne et les deux Amériques (un traité similaire relie déjà le Canada et les Etats-Unis), le gouvernement de Valls a accepté de signer une clause de secret relative au contenu des négociations, lesquelles se déroulent au niveau de la Commission européenne à l’exclusion des membres du Parlement européen. Ainsi, le gouvernement ira jusqu'au bout de ses réformes en entretenant à sa guise le brouillard démocratique par de fausses concertations parce que sa mission est justement  de dépolitiser la France, d'effacer le politique chez des citoyens à la réputation tellement récalcitrante qu'on rêve outre-Atlantique d'en changer la nature et, à Paris de les remplacer. Nonobstant, ils semblent oublier une réalité essentielle : l'« esprit français » déteint aussi chez ses « invités » fussent-ils sans papiers !

Pierre Le Vigan, L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Eric Maulin, éditions La Barque d’Or, 15 € (+ 4 € de frais de port), 164 pages, labarquedor@hotmail.fr

Du même auteur:
Inventaire de la modernité avant liquidation, Avatar éditions 2007.
Le front du cachalot. Carnets de fureur et de jubilation, Dualpha 2009.
La tyrannie de la transparence. Carnets II, L’Aencre 2011.
Le malaise est dans l’homme. Psychopathologie et souffrances psychiques de l’homme moderne, Avatar éditions 2011.
La banlieue contre la ville. Comment la banlieue dévore la ville, La Barque d’Or, 2011.
Ecrire contre la modernité, précédé d’Une étude sur la philosophie des Lumières, La Barque d’Or, 2012.. 

dimanche, 13 juillet 2014

La Troisième guerre mondiale: prédictions

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La Troisième guerre mondiale: prédictions

Une Troisième guerre mondiale, d’une ampleur probablement égale ou supérieure aux deux précédentes est en préparation et éclatera dans la première moitié de ce siècle. Voici pourquoi et voici quels seront ses protagonistes.

La guerre de 1914-1918 dont nous fêtons le centenaire et qui fut une catastrophe majeure pour l’Europe était prévisible bien des années auparavant. La Seconde guerre mondiale ne fut que son prolongement et, elle aussi, était prévisible dès la signature du Traité de Versailles et surtout dès l’arrivée de Hitler au pouvoir et du parti belliciste au Japon.

La ”Guerre froide” (1945-1991) qui opposa les Alliés, sous direction américaine, au camp soviétique (et, partiellement communiste chinois) ressembla à un avortement. Parce que c’était un affrontement sans enjeux forts. L’Urss s’est effondrée comme un soufflet, sans violences. Pourquoi la guerre froide, communisme contre monde libre, n’a-t-elle jamais débouché sur une guerre chaude ? Parce qu’elle était idéologique et non ethnique, religieuse ou économique. Les trois ressorts passionnels et belliqueux de l’humanité, ceux qui donnent naissance aux guerres, sont le nationalisme ethnique, la religion et l’intérêt économique sous toutes ses formes. La sacralité et le matérialisme vital. L’affrontement communisme/capitalisme, purement idéologique, relevait d’une forme froide de conflit qui n’a jamais débouché sur une confrontation générale, mais seulement sur des guerres limitées (Corée, Vietnam). C’est cette raison, et non pas la crainte d’une apocalypse nucléaire, qui a évité la guerre généralisée entre l’Otan et l’Urss.

Dans l’Antiquité, les guerres puniques étaient prévisibles parce que Rome et Carthage étaient dans une rivalité économique vitale pour le contrôle des circuits économiques de la Méditerranée occidentale. La Première guerre mondiale était prévisible (et tout le monde s’y préparait ) à cause de l’exacerbation nationaliste des États européens et de leurs peuples, opinions publiques chauffées à blanc. De même, aujourd’hui, une troisième grande confrontation mondiale est prévisible, nous allons le voir.

Depuis l’Antiquité, le déclenchement des guerres est, au fond, prévisible. Il repose sur les mêmes mécanismes que les lois de la physique : une tension finit toujours par éclater en déflagration. La montée en température d’un gaz donne lieu à une explosion, la poussée de plaques tectoniques se termine en séisme, l’accumulation de cumulo-nimbus finit par provoquer un orage, des précipitations trop fortes provoquent des inondations, etc. On peut parfaitement prévoir, donc, le déclenchement des guerres. En revanche, on ne peut pas pronostiquer la forme qu’elles prendront.

Comme l’éthologie humaine le démontre, l’état de paix ne correspond pas à la nature humaine. L’agressivité intraspécifique est la règle dans notre espèce. L’idéal kantien ou chrétien moderne de la ”paix perpétuelle”, n’a jamais fonctionné. L’histoire humaine est véritablement structurée par la guerre. L’état de paix n’est qu’une transition passagère entre deux états de guerre. La guerre est très ambiguë, ambivalente plutôt, comme la fameuse ”innovation destructrice” de Schumpeter. Elle est à la fois un facteur de destruction et d’évolution. Contrairement à une idée reçue, depuis la fin du néolithique les guerres n’ont représenté qu’une cause marginale de la mortalité. Vouloir éliminer la guerre (idéologie pacifiste), c ‘est aussi stupide que de vouloir éliminer la sexuation (idéologie du genre), la religion et l’économie privée (idéologie marxiste) ou le sentiment d’appartenance et d ‘identité ethniques (idéologie cosmopolite).

Le problème n’est pas d’ éliminer les guerres, c’est de les gagner ; et le plus rapidement possible, pour que les effets positifs de la victoire l’emportent sur les effets négatifs de l’effort guerrier trop prolongé. L’auteur de cette vision de la guerre n’est ni Sun-Tzu ni Clausewitz, c’est un certain Jules César.

Pourquoi parler de ”guerre mondiale” ? Depuis 1945, on s’imagine qu’il n’y aura plus jamais de guerre mondiale, mais seulement des guerres locales et régionales, et que l’ONU parviendra à éviter une Troisième guerre mondiale. On avait commis la même grave erreur après 14-18 – qu’on appelait d’ailleurs la ”Der des Ders” – et la création de la SDN. Or, dans un environnement mondialisé, ce qui est le cas, en gros, depuis 1880, il est inévitable qu’éclatent des guerres mondiales. Dire ” il n’y aura plus jamais de guerre mondiale”, c’est comme dire ” je ne mourrai jamais” ou ”l’été durera éternellement”.

Étudions maintenant le scénario de la future Troisième guerre mondiale, la TGM.

Les foyers de tensions sont multiples et ne cessent de s’aggraver. Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, d’une humanité devenue globalisée et de plus très nombreuse (9,5 milliards bientôt), sur une planète rapetissée, les risques d’un incendie général n’ont été aussi forts. La globalisation est un facteur de confrontation géante, plus que de création d’un État universel qui n’aurait que des problèmes de police à régler. Cette globalisation (ou mondialisation poussée au maximum) n’est pas un facteur de paix, mais de guerre généralisée.

Voici quels sont les foyers de tension qui risquent d’interagir et de provoquer un embrasement général :

1) L’immigration massive en Europe (surtout de l’Ouest) sous la bannière de l’islam va progressivement dériver vers une guerre civile ethnique. L’incapacité de l’Europe à endiguer l’immigration invasive en provenance du Maghreb et de l’Afrique continentale en explosion démographique débouchera inévitablement sur un conflit majeur. (1) La présence en Europe de très fortes masses de manœuvres jeunes, d’origine arabo-musulmane, de plus en plus islamisées, avec une minorité formée militairement et voulant en découdre dans un djihad d’émeutes insurrectionnelles et de terrorisme, sera le facteur déclencheur d’une spirale incontrôlable.

2) La confrontation globale entre islam et Occident (y compris Russie) en dépit de la guerre de religion entre sunnites et chiites va peu à peu dominer le paysage et prendre une forme militaire, avec conflits interétatiques. Impossible actuellement de prévoir leur forme. À l’échelle du monde, l’islam – qui est une idéologie-religion, ou idéoreligion fortement ethnicisée – ne cesse de se renforcer et de s’extrémiser dans le monde entier. L’islam est un facteur majeur de l’explosion mondiale inévitable.

3) Le problème d’Israël, insoluble, va inévitablement déboucher sur une nouvelle guerre entre l’État hébreu et ses voisins, avec, en toile de fond la révolte contre les colons juifs intégristes de Cisjordanie et la montée en puissance des organisations terroristes islamistes. Sans oublier que l’Iran réussira très probablement à se doter de quelques têtes nucléaires. L’éradication d’Israël est une idée fixe de tous les musulmans. Y compris du régime turc d’Erdogan, néo-islamiste et néo-ottoman. L’embrasement est programmé et les USA ne pourront pas ne pas intervenir.

4) Le monde arabo-musulman (à l’exception du Maroc) est entré dans une spirale de chaos qui ne va que s’accentuer, avec deux fronts entremêlés : sunnites contre chiites et dictatures militaires contre islamistes. Sans oublier la volonté de liquider tous les chrétiens. D’où l’accentuation des désordres qui ne peuvent qu’amplifier l’immigration vers l’Europe. Les actuels événements guerriers de Syrie et d’Irak qui voient la naissance d’un État islamique ”sauvage” (le ”califat”) sont un pas de plus vers une confrontation

5) Le conflit Chine-Usa dans le Pacifique, choc entre deux impérialismes de nature essentiellement économique, va déboucher sur un heurt géopolitique majeur. La Chine veut ravir aux Usa le statut de première puissance mondiale. Circonstance aggravante : la tension Chine–Japon (allié des Usa) ne fait que croître et ce dernier pays, travaillé par un néo-nationalisme, vient de lever l’obstacle constitutionnel aux interventions armées.

6) Les conflits en latence Inde-Pakistan et Inde-Chine (toutes puissances nucléaires) doivent aussi être pris en compte.

Il faut mentionner les facteurs aggravants, essentiellement économiques et écologiques, qui vont peser sur le climat, sur les ressources énergétiques fossiles, sur l’eau (le bien rare par excellence), sur les ressources minières. Le point de rupture physique se situe dans la première moitié de ce siècle. Sans oublier évidemment le terrorisme de grande ampleur, notamment avec des moyens nucléaires ”artisanaux”, ce à quoi nous n’échapperons pas.

L’islam est le principal facteur de déclenchement d’une TGM, dans la mesure où l’on assiste partout à la montée du radicalisme islamiste, en partie financé par l’Arabie et le Qatar, avec un ennemi implicite mais très clairement présent dans les esprits : la ”civilisation occidentale”, à laquelle la Russie est d’ailleurs assimilée. En gros, dans l’esprit des islamistes du monde entier, dont l’idéologie se répand comme un virus, l’ennemi c’est ”le monde blanc et chrétien”, même si cela ne correspond à aucune réalité sociopolitique. (2)

Les lignes de force des confrontations et des alliances seront complexes, plus encore que pendant la précédente guerre mondiale. Les zones majeures géopolitiques d’explosion sont l’Europe, l’Afrique du Nord, le Moyen Orient et, éventuellement le Pacifique. La forme de cette guerre : elle sera à foyers multiples et additionnera les guerres civiles, les affrontements interétatiques, les guérillas et les frappes nucléaires. À ce propos, l’État d’Israël est en grand danger. Bien qu’il dispose de la dissuasion nucléaire, cela n’empêchera pas certains de ses voisins, probablement bientôt dotés de la même arme, de jouer les kamikaze et de le frapper. On imagine le carnage…Il faut bien comprendre que les fanatiques islamisés ne raisonnent absolument pas comme les Russes et les Américains pendant la guerre froide, avec la retenue de la dissuasion mutuelle. Israël peut parfaitement être l’amorce de l’explosion générale.

Contrairement à ce rabâchent tous les perroquets, la Russie ne sera absolument pas un facteur de troubles. L’impérialisme russe orienté vers l’Europe orientale et qui constituerait un danger d’agression est un mythe construit par la propagande de certains cercles de Washington. En revanche, la Russie, elle aussi, est aux prises avec l’islam.

La prévisible confrontation mondiale produira bien entendu une catastrophe économique, notamment à cause de la rupture des approvisionnements pétrogaziers de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Une économie mondialisée, très fragile parce que très complexe, fondée sur les flux intenses (maritimes, aériens, numériques, etc.) tombera comme un jeu de dominos en cas de perturbation conflictuelle de grande ampleur.

La principale faiblesse des Occidentaux, surtout des Européens de l’Ouest, réside dans leur vieillissement démographique et dans leur ramollissement mental, leur passivité, leur crainte de se défendre, un syndrome qui avait frappé les Romains à partir du IIe siècle. La TGM, comme la Première guerre mondiale, pourra commencer par un événement localement limité et se poursuivre par un enchaînement de faits incontrôlables, comme une avalanche. La TGM verra très probablement des échanges de coups nucléaires. Mais ils ne seront pas plus graves qu’Hiroshima et Nagasaki. Leurs effets seront plus destructeurs sur le plan psychologique que physique.

On pourra assister à un recul global de l’humanité, sur les plans technique et démographique, pendant plusieurs siècles. Pas du tout du fait des morts de la TGM, mais à cause de l’effondrement économique et sanitaire qu’elle provoquera. L’embrasement risque de se produire vers 2025-2035. Après, les choses pourront mettre plusieurs siècles à se rétablir. Le recul de civilisation s’est déjà produit au Ve siècle quand Rome s’est effondrée. On a mis mille ans à s’en remettre. Une pichenette à l’échelle de l’histoire. Simplement, au moment où l’on va fêter, dans une euphorie feinte, le centenaire de la Première guerre mondiale, il serait bon de se préparer à la Troisième qui se profile.

NOTES.

(1). Thèse défendue par l’économiste Jean-Hervé Lorenzi dans son récent essai Un monde de violences, l’économie mondiale 2015-2030. (Eyrolles). Pour lui, les fortes migrations en Europe occidentale, tendant à un véritable remplacement de populations, associées à un vieillissement des autochtones et à une stagnation économique, déboucheront sur le retour du populisme et de la guerre. Il écrit : « ce scénario, qui paraît utopique aujourd’hui, est inéluctable et doit donc être pris en compte comme un invariant ». Cf. aussi La convergence des catastrophes. Guillaume Corvus. Voir référencements net.

(2). N’oublions pas ce qu’expliquait Carl Schmitt : ce qui compte le plus en politique et en polémologie, ce n’est pas la définition que l’on se donne de soi-même mais celle que donne l’ennemi de nous-mêmes, selon ce qu’il perçoit.

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samedi, 12 juillet 2014

Entretien avec Philippe Conrad, Président de l'Institut ILIADE

 

 

Entretien avec Philippe Conrad, Président de l'Institut ILIADE

(Breizh-info.com) - A la veille du 21 juin 2014, au sommet du Mont Olympe, a été fondé l’Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne. Souhaité par Dominique Venner, cet Institut a pour vocation de transmettre les traditions de la civilisation européenne et de former à sa connaissance et à son histoire.
L’Institut accompagnera tous ceux qui refusent le grand effacement, matrice du grand remplacement. Son président est Philippe Conrad, que Breizh-info.com a interrogé en exclusivité afin qu’il présente les fondements de cette nouvelle université des Européens.

Breizh-info.com : Pouvez-vous présenter les évènements qui ont conduit à la création de l’Institut Iliade ?

Philippe Conrad : Par son sacrifice volontaire, le 21 mai 2013 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, Dominique Venner entendait faire de son geste une protestation, mais également une fondation. Une protestation contre l’assoupissement des consciences face aux tentatives d’effacement de notre mémoire et de nos identités, et en particulier au « grand remplacement» justement dénoncé par l’écrivain Renaud Camus. « Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je m’insurge aussi contre le crime visant au remplacement de nos populations« , écrivait Dominique dans sa dernière lettre. Il s’y insurgeait également « contre les poisons de l’âme et contre les désirs individuels envahissants qui détruisent nos ancrages identitaires et notamment la famille, socle intime de notre civilisation multimillénaire« .

Mais son geste se voulait également une fondation, pour contribuer au maintien de l’identité de la France et de l’Europe, au réveil de nos peuples et de notre civilisation. Il avait d’ailleurs exprimé plus explicitement la volonté que se continue son œuvre, à savoir un travail de réflexion, de méditation sur la longue histoire de l’Europe, en tant que prise de conscience indispensable au réveil civilisationnel. C’est cette volonté que nous confirmons aujourd’hui en créant l’Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne. Au-delà de l’œuvre de Dominique Venner, il s’agit d’inscrire son travail dans la durée, notamment chez les jeunes générations, avec la certitude que Nietzsche avait raison : « Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire« . Notre mémoire, notre histoire, nos valeurs constituent la matrice du nécessaire réveil européen. Encore faut-il les connaître et les transmettre !

Breizh-info.com : Quels sont vos objectifs? Quand l’institut va-t-il ouvrir ses portes?

Philippe Conrad : L’Institut ILIADEa pour vocation principale la transmission de la longue mémoire européenne. Cette transmission est de nature « verticale », en direction prioritaire des jeunes Européens qui souhaitent retrouver les racines de leur identité dans un monde en crise. Car les « temps de confusion » dont parle notamment Christophe Levallois pour caractériser la fin d’une certaine forme de Modernité appellent un réarmement intellectuel et moral qui passe par la réappropriation de ce que nous sommes. Cet objectif de transmission ne relève pas seulement de la formation. Il est également horizontal, basé sur la communication, la diffusion de toute information ou analyse utile à cette démarche d’ordre didactique. Il existe beaucoup d’initiatives, revues, cercles de réflexion qui participent de cet effort de réveil de la conscience européenne, et qui méritent d’être mieux connus. Une place essentielle sera bien sûr accordée à l’histoire, dont Dominique Venner faisait à juste titre la matrice d’une méditation profonde de l’à-venir et le lieu de l’imprévu, où tout reste possible. Mais notre approche se veut aussi plus large, en abordant les autres aspects de la civilisation européenne, comme le renouveau des traditions populaires ou la promotion de notre patrimoine.

C’est pourquoi, à côté de cycles de formation, de réunions que nous organiserons ou conseillerons à nos amis au regard de leur intérêt, et de commissions de travail interne sur des sujets particuliers, comme l’éducation, nous proposerons un site Internet qui sera à la fois une plateforme de diffusion, de relais des meilleures initiatives, et un centre de ressources où seront notamment mis en ligne une « bibliothèque idéale », un recueil de citations choisies, des suggestions de parcours « clé en mains » sur les hauts lieux de la culture et de la mémoire européennes… Le chantier est vaste ! Nous tablons sur un lancement de ce site Internet, comme du premier cycle de formation, au début de l’année 2015.

Breizh-info.com : Le faible engouement de la jeunesse notamment pour la lecture et pour l’apprentissage de son histoire vous inquiète-t-il? Comment y remédier?

Philippe Conrad : On ne soulignera jamais assez, de ce point de vue, la responsabilité du naufrage du système éducatif français. En particulier l’abandon de l’enseignement des Humanités, qui avait façonné l’univers mental, culturel, des Européens depuis plusieurs siècles, et dont on mesure aujourd’hui les conséquences délétères. En attendant celles que ne va pas manquer de produire le sacrifice de l’histoire de France dans les programmes du collège et du lycée… Mais la jeunesse est la première aujourd’hui à manifester un besoin de retour aux fondamentaux. J’en veux pour preuve, par exemple, son engagement résolu au sein du mouvement d’opposition au « mariage homosexuel », et plus largement aux réformes « sociétales » promues par le pouvoir politique. Ce mouvement générationnel atteste de nouveaux questionnements parfaitement en phase avec notre projet. Il porte en germe un renouveau possible.

Il y a d’autres signaux encourageants, comme la bonne santé de la littérature de jeunesse, d’où émergent des ouvrages et des auteurs tout à fait intéressants, et qui laissent à penser que le terreau est paradoxalement peut-être plus fertile aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans. Ce qui nous oblige à être les plus performants possible en matière de transmission, en utilisant davantage les nouveaux moyens de communication propres aux nouvelles générations – même si le livre reste indispensable à la fois comme outil (de travail) et comme objet (culturel).

Breizh-info.com : Comment vous contacter? Vous aider? Quels sont vos besoins?

Philippe Conrad : D’ores et déjà, les internautes peuvent nous contacter via contact@institut-iliade.com, ne serait-ce que pour être tenu au courant des premières activités. Nous aurons bien sûr besoin de moyens financiers pour assurer le développement du site Internet, organiser les manifestations prévues et les sessions de formation – notamment pour parrainer des auditeurs qui ne disposeraient pas de ressources suffisantes pour se déplacer ou acheter les ouvrages et revues nécessaires. A rebours des dérives actuelles, nous entendons que l’argent ne constitue pas un critère de sélection des meilleurs !

Mais dans cette phase de fondation, l’essentiel est sans doute de diffuser l’information, notamment auprès des jeunes – mais pas seulement – qui pourraient être intéressés par les projets de formation. Transmettre la mémoire et la tradition européennes est une nécessité vitale, qui s’imposera encore davantage pour les générations à venir. Il revient à chacun que la flamme se transmette, et avec elle non seulement l’espoir mais la possibilité du réveil de notre civilisation !


[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

vendredi, 11 juillet 2014

Fondation de l'Institut ILIADE

 

Fondation de l’Institut ILIADE:

A la veille du 21 juin 2014, au sommet du Mont Olympe, a été fondé l’Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne.

Souhaité par Dominique Venner, cet Institut a pour vocation de transmettre les traditions de la civilisation européenne et de former à sa connaissance et à son histoire.

Son président est Philippe Conrad.

L’Institut accompagnera tous ceux qui refusent le grand effacement, matrice du grand remplacement.

Quand l’esprit se souvient, le peuple se maintient !

samedi, 28 juin 2014

Conférence à Marseille

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jeudi, 26 juin 2014

Eurosibérie ou Eurasie ? Ou comment penser l’organisation du « Cœur de la Terre »…

 

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Eurosibérie ou Eurasie ? Ou comment penser l’organisation du « Cœur de la Terre »…

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

 

Europe Maxima met en ligne la conférence de Georges Feltin-Tracol prononcée le 17 mai 2014 à Lyon dans le cadre du colloque « Réflexions à l’Est » à l’invitation de l’association Terre & Peuple.

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Amis,

 

Avec les développements inquiétants de la crise ukrainienne, la presse officielle de l’Hexagone insiste lourdement sur l’influence, réelle ou supposée, d’Alexandre Douguine, le théoricien russe du néo-eurasisme, sur les gouvernants russes. Ainsi, Bruno Tertrais l’évoque-t-il dans Le Figaro du 25 avril 2014. Puis c’est au tour du quotidien Libération du 28 avril d’y faire référence. Toujours dans Le Figaro, mais du 20 avril, c’est la philosophe catholique, libérale et néo-conservatrice Chantal Delsol de le citer… mal. Mieux, Le Nouvel Observateur du 1er mai lui consacre quatre pages sous la signature de Vincent Jauvert qui le qualifie de « Raspoutine de Poutine ». Même la livraison mensuelle de mai du Monde diplomatique en vient à traiter de l’eurasisme (1).

 

Cette notoriété médiatique tranche avec leur discrétion habituelle sur le sujet. Jusqu’à ces dernières semaines, et à part les périodiques de notre large mouvance rebelle, Alexandre Douguine était parfois évoqué par les correspondants permanents du journal Le Monde à Moscou (2). Certes, si ses œuvres complètes ne sont pas accessibles aux lecteurs francophones, ceux-ci disposent néanmoins de quelques ouvrages et textes essentiels traduits (3).

 

L’engouement des plumitifs du Système altantique-occidental pour le penseur polyglotte du néo-eurasisme témoigne en tout cas de l’intérêt qu’on porte à ses idées. Plus largement, la question de l’Eurasie suscite une réelle curiosité. Outre le n° 59 du magazine Terre et Peuple de ce printemps 2014, signalons que le dossier du nouveau trimestriel de géopolitique animé par Pascal Gauchon, Conflits, concerne « L’Eurasie. Le grand dessein de Poutine ».

 

Fins connaisseurs des thèses eurasistes, les rédacteurs du Terre et Peuple n° 59 préfèrent pour leur part se rallier à la thèse de l’Eurosibérie. De quoi s’agit-il donc ? C’est en 1998, soit plus d’une dizaine d’années après avoir quitté la métapolitique, que Guillaume Faye y revient avec un essai magistral, L’archéofuturisme. Cet ouvrage qui fit date dans nos milieux, bouscule maintes certitudes tenaces et balance quelques bombes idéologiques dont le fameux concept d’Eurosibérie. Guillaume Faye écrivait qu’« il faudra bien un jour intégrer la Russie et envisager l’avenir sous les traits de l’Eurosibérie. Les déboires actuels de la Russie ne sont que d’ordre transitoire et conjoncturel. Il s’agit simplement de contrer la (naturelle et explicable) volonté des États-Unis de contrôler l’Eurosibérie et de placer la Russie sous un protectorat et une assistance financière, prélude à sa vassalisation stratégique et économique (4) ».

 

Le concept d’Eurosibérie se réfère explicitement à la « Maison commune » du Soviétique Mikhaïl Gorbatchev exprimée en juillet 1989, et de la « Confédération européenne » esquissée le 31 décembre 1989 par François Mitterrand (5) avant que ces deux projets soient torpillés par les nouveaux agents de l’atlantisme en Europe centrale et orientale parmi lesquels le déplorable théâtreux tchèque Vaclav Havel.

 

L’Eurosibérie correspond à un espace géographique déterminé. « Notre frontière est sur l’Amour. Face à la Chine. Sur l’Atlantique et le Pacifique, face à la république impériale américaine, unique super-puissance mais dont le déclin géostratégique et culturel est déjà “ viralement ” programmé pour le premier quart du XXIe siècle – dixit Zbigniew Brzezinski, pourtant apologiste de la puissance américaine. Et, sur la Méditerranée et le Caucase, face au bloc musulman (moins divisé qu’on ne le pense) qui ne nous fera surtout jamais de cadeaux et peut constituer la première source de menaces mais aussi, si nous sommes forts, un excellent partenaire… (6) » Alors, éventuellement, « demain, poursuit Faye : de la rade de Brest à celle de Port-Arthur, de nos îles gelées de l’Arctique au soleil victorieux de la Crète, de la lande à la steppe et des fjords au maquis, cent nations libres et unies, regroupées en Empire, pourront peut-être s’octroyer ce que Tacite nommait le Règne de la Terre, Orbis Terræ Regnum (7) ».

 

En lisant L’archéofuturisme, on remarque que Guillaume Faye écarte la notion même d’Occident. Rappelons qu’il fut l’un des premiers en 1980 à dissocier et à opposer l’Occident – dominé par Washington -, de l’Europe dont nous sommes les paladins (8). Préoccupé par la montée démographique rapide des peuples du Sud, Faye imagine l’Eurosibérie intégrer une « solidarité globale – ethnique, fondamentalement – du Nord face à la menace du Sud. Quoi qu’il en soit, la notion d’Occident disparaît pour céder la place à celle du Monde du Nord, ou Septentrion (9) ». Après l’avoir combattu (10), il se rallie en fin de compte à l’avis de Jean Cau. Parce que « nous ne pouvons pas compter sur les États-Unis pour s’opposer à un mondialisme dont le monde-race blanc ferait seul les frais (11) », son célèbre Discours de la décadence n’excluait pas « ce qui me paraît essentiel pour notre salut : un nationalisme (et donc par là même un refus du mondialisme) qui, quelles que soient les rigueurs qu’il implique et les répugnances qu’il peut inspirer aux décadents que nous sommes (et qui ont lié les idées de liberté à la réalisation de ce mondialisme en lequel elles n’auront plus de contenu et de sens) est notre seul possible Destin (12) ». En effet, « par son action, continue Jean Cau, la Russie a plus le souci de défendre son empire que de “ libérer ” les peuples. C’est en vertu d’une vocation impériale, afin de rester intacte et non par idéalisme moralisant et mondialiste qu’elle agit (13) ». « Telle est, en ces années 70 – et bientôt 80 – ma “ vue de l’esprit ”, poursuit-il. Ô paradoxe n’est-ce pas, que de déclarer qu’une Russie nationale, de par sa résistance à l’Américanisme mondialiste, est peut-être la seule chance de nos nations et de notre monde-race blanc ? Paradoxe apparent, je le crains. Et vérité d’Histoire, je le crois (14). »

 

Dans Pourquoi nous combattons, publié en 2001, Guillaume Faye revient sur l’Eurosibérie qu’il définit comme un exemple d’« ethnosphère (15) ». Bloc continental à l’économie auto-centrée, c’« est l’espace destinal des peuples européens enfin regroupés, de l’Atlantique au Pacifique, scellant l’alliance historique de l’Europe péninsulaire, de l’Europe centrale et de la Russie (16) ». Il s’agit, dans son esprit, d’une « forteresse commune, la maison commune, l’extension maximale et l’expression naturelle de la notion d’« Empire européen ». Elle serait véritablement la “ Troisième Rome ”, ce que ne fut jamais la Russie (17) ».

 

Relevons en revanche l’absence dans ce manifeste du Septentrion. Est-ce parce qu’en 1989, on évoquait déjà une communauté euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok ? Le 25 septembre 2001, Vladimir Poutine s’adressa en allemand au Bundestag. Il voyait alors la Russie comme un pays européen et occidental. C’était le temps où Moscou tentât d’adhérer à l’Alliance Atlantique. Aux États-Unis, certains cénacles de pensée stratégique proches des paléo-conservateurs, ces adversaires farouches du néo-conservatisme, approuvaient cette démarche destinée in fine à contrer l’ascension chinoise. L’auteur de thriller-fictions, Tom Clancy, en fit un roman, L’Ours et le Dragon (18). Une approche assez similaire se retrouve chez l’écrivain Maurice G. Dantec dans les trois volumes de son Journal métaphysique et polémique. Ainsi écrit-il dans Laboratoire de catastrophe générale que « l’O.T.A.N. doit donc non seulement intégrer au plus vite toutes les anciennes républiques populaires de l’Est européen, mais prévoir à moyen terme une organisation tripartite unifiant les trois grandes puissances boréales : Amérique du Nord, Europe Unie (quel que soit son état, malheureusement) et Russie, plus le Japon, au sein d’un nouveau traité Atlantique – Pacifique Nord, qui puisse faire contrepoids à l’abomination onuzie et aux menaces sino-wahhabites. […] La seule issue pour l’Occident est donc bien de définir un nouvel arc stratégique panocéanique, trinitaire, avec l’Amérique au centre, l’Europe du côté atlantique, et la Fédération de Russie, assistée du Japon, pour l’espace pacifique – sibérien (19) ».

 

Dénoncé par le national-républicain Régis Debray (20), l’option pan-occidentaliste a trouvé en Maurice G. Dantec son chantre décomplexé. Toutefois, à part l’implication du Japon, le cadre pan-occidental (ou Hyper-Occident) correspond déjà à l’O.C.D.E. (Organisation de coopération et de développement économique) et à l’O.S.C.E. (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). « Issue en 1994 de la transformation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe d’Helsinki (1975), note Jean-Sylvestre Mongrenier, l’O.S.C.E. est une organisation régionale de sécurité juridiquement reliée à l’O.N.U. Ce forum regroupe les États d’Europe (Russie comprise), d’Asie centrale (les anciennes républiques musulmanes d’U.R.S.S.) et d’Amérique du Nord, soit 51 États membres. L’O.S.C.E. est tournée vers la maîtrise des armements et la diplomatie préventive (21). » Aujourd’hui, l’O.S.C.E. compte 57 membres ainsi que six partenaires méditerranéens pour la coopération (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Maroc, Tunisie), et cinq partenaires asiatiques (Japon, Corée du Sud, Thaïlande, Afghanistan et Australie). Par ailleurs, l’orientation nord-hémisphérique que préfigure imparfaitement l’O.S.C.E., ne se confine pas au seul cénacle littéraire. « J’ai aussi été l’un des tout premiers, à l’époque de l’effondrement soviétique, à lancer l’idée de la construction politique d’un “ continent boréal ”, de Brest à Vladivostok, affirme Jean-Marie Le Pen (22). » En 2007, son programme présidentiel mentionnait de manière explicite une « sphère boréale » de Brest à Vladivostok.

 

Dans son dernier tome du Journal métaphysique et polémique, Maurice G. Dantec, converti, suite à ses lectures patristiques et philosophiques, au catholicisme traditionaliste, vomit l’Union européenne, l’O.N.U., le multiculturalisme, et en appelle à l’avènement d’« États continentaux – fédéraux, vagues souvenirs des empires d’autrefois (23) ». Exigeant une « Grande Politique » pour le pâle mécanisme européen qu’il surnomme « Zéropa-Land », il croit toutefois que « véritable fondation politique du continent, car seule capable historiquement de fonder quelque chose, l’O.T.A.N., ce vénérable Anneau de Pouvoir, est seule habilitée à le refondre. Elle va s’auto-organiser dans le développement tri-polaire de l’Occident futur : Russie/Europe de l’Est – Grande-Bretagne + Commonwealth – Amérique hémisphérique (24) ». Enthousiasmé par l’American way of life, l’auteur de Babylon Babies prétend que « les Américains, sous peu, auront encore plus besoin des Russes que ceux-ci des Américains; un peu comme avec la Deuxième Guerre mondiale, la Quatrième Guerre mondiale, qui est le régime international – pacifié de la guerre comme continuation du terrorisme par d’autres moyens, va fournir le décor pour un basculement d’alliance stratégique comme jamais il n’y eut dans l’histoire des hommes. Le dollar U.S. intronisé monnaie en Sibérie. Les ressources humaines et naturelles de la Russie, les ressources humaines et financières des États-Unis. À elles deux, ces deux nations l’ont montré, elles seraient capables de mettre en place un véritable condominium planétaire, basé sur les technologies de la conquête spatiale et un partage des responsabilités qui équivaudraient à une win-win situation, comme aiment le dire ces salauds de capitalistes yankees (25) ». Acquis à l’Occident génétiquement survitaminé, Dantec balaie sans aucune hésitation toute Eurosibérie possible. « Poutine devrait y réfléchir à deux fois avant de s’engager avec les Franco-boches, contre le Nouvel Occident, avertit Dantec. Malgré les délires de certains “ penseurs ” de la “ droite révolutionnaire ”, les Sibériens n’ont strictement rien à battre des pantins qui s’agitent à Strasbourg ou à Bruxelles, c’est-à-dire à leurs antipodes sur tous les plans. Quand je lis, de-ci de-là, de telles avanies sur une sorte de bloc euro-continental qui s’étendrait de Paris – Ville lumière jusqu’à Vladivostok, et sous le nom d’Europe, rien ne peut retenir mon rire d’éclater à la face de ces bidules prophétologiques dérisoires, et même pas vraiment criminels. Imaginent-ils donc qu’un marin russe qui pêche dans les eaux du Kamtchatka puisse se sentir en quelque façon “ européen ”, à quelques encablures du Japon? Anchorage sera toujours plus près d’Irkoutsk que n’importe laquelle des capitales de l’union franco-boche (26). »

 

Bien que réfractaire au concept eurosibérien, Dantec n’en demeure pas moins le défenseur d’un monde – race blanc, d’un Septentrion sous une forme déviante et identitairement inacceptable. D’autres font le même constat mais en lui donnant une formulation plus convaincante. Co-fondateur du site Europe Maxima, mon camarade et vieux complice Rodolphe Badinand promeut un Saint-Empire européen arctique. « La maîtrise du pôle Nord est une nécessité géopolitique et mythique, note-t-il. Outre qu’il est impératif que l’Empire s’assure du foyer originel de nos ancêtres hyperboréens, le contrôle du cercle polaire revêt une grande valeur stratégique. Si le réchauffement planétaire se poursuit et s’accentue, dans quelques centaines d’années, la banquise aura peut-être presque disparu, faisant de l’océan polaire, un domaine maritime de toute première importance. En s’étendant sur les littoraux des trois continents qui la bordent, le Saint-Empire européen arctique, dans sa superficie idéale qui comprendrait […] l’Eurosibérie et les territoires septentrionaux de l’Amérique du Nord (Alaska, Yukon, Territoire du Nord-Ouest, Nunavut, Québec, Labrador, Terre-Neuve, Acadie, Provinces maritimes de l’Atlantique), le Groenland et l’Islande, détiendrait un atout appréciable dans le jeu des puissances mondiales. C’est enfin la transposition tangible dans l’espace du symbole polaire. Comme l’Empereur est la référence de l’Empire, notre Empire redeviendra le pôle du monde, le référent des renaissances spirituelles et identitaires de tous les peuples, loin de tout universalisme et de tout mondialisme (27). »

 

Guillaume Faye, Jean Cau, Maurice G. Dantec, Rodolphe Badinand réfléchissent au fait politique à partir du critère géographique de grand espace. Ils poursuivent, consciemment ou non, les travaux du philosophe euro-américain Francis Parker Yockey (28), du géopoliticien allemand Karl Haushofer et du théoricien géopolitique belge Jean Thiriart (29). Dès la décennie 1960, ce dernier pense à un État-nation continental grand-européen qui s’étendrait de Brest à Vladivostok. Puis, au fil du temps et en fonction des soubresauts propres aux relations internationales, il en vient à soutenir dans les années 1980 un empire euro-soviétique. La fin de l’U.R.S.S. en 1991 ne l’empêche pas d’envisager une nouvelle orientation géopolitique paneuropéenne totale. Influencé, au soir de sa vie, par son compatriote Luc Michel, Jean Thiriart suggère « une République impériale allant de Dublin à Vladivostok dans les structures d’un État unitaire, centralisé (30) ». Le fondement juridique de cet État grand-européen reposerait sur l’« omnicitoyenneté ». « Né à Malaga, diplômé à Paris, médecin à Kiev, plus tard bourgmestre à Athènes le seul et même homme jouira de tous les droits politiques à n’importe quel endroit de la République unitaire (31). » Mais quelles frontières pour cet espace politique commun ? « Les limites territoriales vitales de l’Europe “ Grande Nation ”, écrit Thiriart, vont ou passent à l’Ouest de l’Islande jusqu’à Vladivostok, de Stockholm jusqu’au Sahara-Sud, des Canaries au Kamtchaka, de l’Écosse au Béloutchistan. […] L’Europe sans le contrôle des deux rives à Gibraltar et à Istanbul traduirait un concept aussi risible et dangereux que les États-Unis sans le contrôle de Panama et des Malouines. Il nous faut des rivages faciles à défendre : Océan glacial Arctique, Atlantique, Sahara (rivage terrestre), accès aux détroits indispensables, Gibraltar, Suez, Istanbul, Aden – Djibouti, Ormuz (32). » La Grande Europe selon Thiriart intègre non seulement l’Afrique du Nord, mais aussi la Turquie, le Proche-Orient et l’Asie Centrale, Pakistan inclus ! La capitale de cette Méga-Europe serait… Istanbul !

 

On doit reconnaître que les thèses exposées ici dépassent largement ce que François Thual et Aymeric Chauprade désignent comme des « panismes ». « On appelle panisme, ou pan-idée, une représentation géopolitique fondée sur une communauté d’ordre ethnique, religieuse, régionale ou continentale. Le “ ou ” ici n’étant pas exclusif. Le concept forgé dès les années 1930 par la géopolitique allemande de Karl Haushofer sous le vocable Pan-Idee, est repris et développé par François Thual dans les années 1990 (33). »

 

Nonobstant l’inclusion de l’Afrique du Nord dans l’aire politique grande-européenne, l’ultime vision de Jean Thiriart correspond imparfaitement à l’eurasisme dont Alexandre Douguine est l’une des figures les plus connues. Or la réflexion eurasiste ne se réduit pas à cette seule personnalité.

 

Pour faire simple et court, car il ne s’agit pas de retracer ici la généalogie et le développement tant historique qu’actuel de l’eurasisme (34), ce courant novateur résulte, d’une part, du panslavisme, et, d’autre part, du slavophilisme. Inventé à la Renaissance par un Croate, Vinko Pribojevitch, le panslavisme entend restaurer l’unité politique des peuples slaves à partir de leur héritage historique et linguistique commun retracé par des philologues et des poètes. Le panslavisme se politise vite. En 1823 – 1825 existe en Russie une Société des Slaves unis liée au mouvement libéral décabriste. Contrairement à ses prolongements ultérieurs, le premier panslavisme est plutôt libéral, voire révolutionnaire – l’anarchiste Michel Bakounine participe en 1848 au Ire Congrès panslave à Prague. Cette réunion internationale en plein « Printemps des Peuples » est un échec du fait de son éclatement en trois tendances antagonistes :

 

— un courant libéral et démocratique représenté par la Société démocratique polonaise, fondée en 1832, qui s’oppose surtout aux menées russes et veut rassembler les Slaves de l’Ouest catholiques romains ou réformés;

 

— une tendance plus attachée à la foi orthodoxe et donc plus alignée sur la Russie impériale, qui agite les Slaves du Sud (Monténégrins, Serbes, Macédoniens, Bulgares) vivant dans des Balkans soumis au joug ottoman et qui rêve d’une libération nationale grâce à l’intervention de Saint-Pétersbourg, le seul État slave-orthodoxe indépendant (c’est le « russo-slavisme »);

 

— une faction austro-slaviste prônée par des Tchèques, des Polonais de Galicie, des Slovaques et des Croates qui essaye de fédérer des Slaves de l’Ouest, des Balkans et de l’espace danubien sous l’autorité des Habsbourg.

 

La postérité du panslavisme dans la seconde moitié du XIXe siècle suit des prolongements inattendus. Le « russo-slavisme » vire en un « pan-orthodoxisme » impérialiste qui n’hésite pas à exclure Polonais et Tchèques jugés trop occidentaux et « romano-germains » quand il ne les russifie pas. Encouragé par de brillants publicistes dont le Russe Nicolas Danilevski, ces panslavistes pro-russes approuvent la guerre russo-turque de 1877 – 1878 dont la victoire militaire russe se solde au Congrès de Berlin en défaite diplomatique à l’initiative des puissances occidentales.

 

 

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Opposé à la présence russe, les panslavistes polonais évoluent vers des positions nationalistes plus ou moins affirmées. La Démocratie nationale de Dmovski œuvre avant 1914 pour un royaume de Pologne en union personnelle avec le tsar tandis que le militant socialiste et futur maréchal polonais, Joseph Pilsudski, récuse toute collaboration avec la Russie. Ayant en tête l’âge d’or de l’Union de Pologne – Lituanie entre les XIVe et XVIIIe siècles, ce Polonais natif de la ville lituanienne de Vilnius envisage un glacis anti-russe de la Baltique à la Mer Noire, soit la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine : la Fédération Intermarum ou Fédération Entre Mers. Cette aspiration fédéraliste demeurera le cœur nucléaire du prométhéisme de Pilsudski. Ce projet de Fédération Entre Mers (avec les États baltes) vient de réapparaître dans le programme électoral présidentiel du mouvement ultra-nationaliste ukrainien Pravyï Sektor (Secteur droit) de Dmytro Yaroch (35).

 

Le conservatisme de la Double-Monarchie déçoit l’austro-slavisme qui laisse bientôt la place à des panismes partiels (ou panslavismes régionaux). En 1914, la Serbie encourage l’irrédentisme des Serbes de Bosnie au nom du yougoslavisme. Mais ce yougoslavisme, orthodoxe et russophile, à forte tonalité panserbe, diffère tant du yougoslavisme de l’archevêque croate Joseph Strossmayer qui souhaite rassembler autour des Habsbourg les peuples slaves du Sud que du yougoslavisme libertaire et socialiste favorable à une large fédération balkanique, concrétisé en août 1903 par l’éphémère république socialiste macédonienne de Kroutchevo. On sait que l’archiduc François-Ferdinand, époux d’une aristocrate tchèque, préconisait une Triple-Monarchie avec un pilier slave, ce que ne voulaient pas les Hongrois d’où peut-être une connivence objective entre certains services serbes et quelques milieux républicains magyars…

 

Faut-il pour autant parler du naufrage du panslavisme ? Sûrement pas quand on examine la politique étrangère de l’excellent président du Bélarus, Alexandre Loukachenko. Depuis 1994, date de l’arrivée au pouvoir de cet authentique homme d’État dont l’action contraste avec la nullité des Cameron, Merkel, l’« Écouté de Neuilly » ou notre Flamby hexagonal !, le président bélarussien a à plusieurs reprises encouragé le renouveau panslaviste. Permettez-moi par conséquent de m’inscrire ici en faux avec l’affirmation d’Alain Cagnat qui qualifie le Bélarus de « musée du stalinisme. [… Cet État] n’a aucune existence internationale. Quant au pseudo-particularisme linguistique ou culturel biélorusse, cela tient au folklore. On peut logiquement penser que, une fois refermée la parenthèse Loukachenko, les Biélorussiens se hâteront de rejoindre le giron russe (36) ». Que le russe soit depuis 1995 la langue co-officielle du Bélarus à côté du bélarussien n’implique pas nécessairement une intégration future dans la Russie sinon les Irlandais, tous anglophones, demanderaient à rejoindre non pas la Grande-Bretagne (ils ont largement donné), mais plutôt les États-Unis, ou bien les Jurassiens suisses la République française. La présidence d’Alexandre Loukachenko a consolidé l’identité nationale bélarussienne qui s’enracine à la fois dans les traditions polythéistes slaves et  l’héritage chrétien. Lors du solstice d’été, le Bélarus célèbre la fête de Yanka Koupali. Ce rite très ancien témoigne de l’attachement de la population à ses racines ainsi qu’à la nature. Il s’agit d’invoquer les éléments naturels pour que les récoltes soient bonnes. De nombreuses danses folkloriques sont alors exécutées par des jeunes femmes aux têtes couronnées de fleurs.

 

Par ailleurs, membre du Mouvement des non-alignés et allié du Venezuela de feu le Commandante Hugo Chavez, le Bélarus se trouve à l’avant-garde de la résistance au Nouveau désordre mondial propagé par l’Occident américanomorphe. Les projets d’union Russie – Bélarus sont pour l’heure gelés. Pour s’unir, il faut un consentement mutuel. Or le peuple bélarussien se sent autre par rapport à ses cousins russes. La revue en ligne, Le Courrier de la Russie, rapporte une certaine méfiance générale envers le grand voisin oriental. Une esthéticienne de Minsk déclare au journaliste russe : « Si la Russie et la Biélorussie se réunissent, ce sera du grand n’importe quoi. En Biélorussie, il y a de la discipline et de l’ordre, mais en Russie, il y a trop d’injustice, c’est le désordre (37). » Quelques peu dépités par les témoignages recueillis, les auteurs de l’article soulignent finalement que « pour les Biélorusses, la langue russe n’est pas associée directement avec la Russie », que « la Russie est perçue plutôt comme une force politique, du reste à l’esprit impérial assez désagréable » et quand « nous avons proposé à des étudiants de passer une sorte de test projectif – dessiner leur pays sur la carte du monde en s’orientant non sur les connaissances géographiques mais sur les associations personnelles, la majorité des Biélorusses ont fourni une image très semblable. Leur pays au centre et, autour, comme des pétales de marguerite et avec une importance équivalente, la Russie, la Pologne, la Lituanie, le Venezuela… (38) »

 

Sur la crise ukrainienne, le Président Loukachenko rejette toute fédéralisation du pays. Il a aussi reconnu et reçu le gouvernement provisoire de Kyiv et condamne les tentatives de sécession. Déjà en 2008, ce fidèle allié de Moscou n’a jamais reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Mieux, il n’hésite pas à contrarier les intérêts russes. Le 26 août 2013, un proche de Poutine, Vladislav Baumgertner, directeur général d’Uralkali, une importante firme russe spécialisée dans la potasse, est arrêté à Minsk et incarcéré. « Quels que soient les sentiments qu’il inspire, le président biélorusse Alexandre Loukachenko entretient avec le Kremlin des relations qui sont plus d’égal à égal que celles des Grecs avec Merkel : imaginez ce qui se passerait si le patron d’une grosse entreprise allemande était arrêté en Grèce (39). » Minsk peut donc se montrer indocile envers Moscou qui respecte bien plus que les donneurs de leçons occidentaux la souveraineté étatique. En outre, contrairement encore à l’État-continent, le Bélarus n’appartient pas à l’O.M.C. et applique encore la peine de mort.

 

À la fin des années 1830 apparaissent en Russie les slavophiles (Alexis Khomiakov, Constantin Léontiev, Ivan Kireïevski, Constantin Aksakov, Fiodor Dostoïevski, etc.) dont la dénomination était à l’origine un sobriquet donné par leurs adversaires. Si ces romantiques particuliers ne sont pas toujours panslavistes, ils s’accordent volontiers sur l’exaltation des idiosyncrasies de leur civilisation, en particulier sa foi orthodoxe, sa paysannerie et son autocratie. Hostiles aux occidentalistes qui célèbrent un monde occidental romano-germanique hérétique en constante modification, les slavophiles s’associent trop au pouvoir tsariste et s’étiolent à l’orée de la Grande Guerre.

 

On a pu dire que leur dernier représentant fut Alexandre Soljénitsyne. Quand sombre l’Union Soviétique, l’ancien dissident envisage une « Union des peuples slaves » avec la Russie, l’Ukraine, le Bélarus et les marches septentrionales du Kazakhstan fortement russophones. Cependant, Soljénitsyne ne nie pas la réalité des langues, cultures et identités bélarussienne et ukrainienne. Il les admet et veut même les valoriser ! Il prévient néanmoins que « si le peuple ukrainien désirait effectivement se détacher de nous, nul n’aurait le droit de le retenir de force. Mais divers sont ces vastes espaces et seule la population locale peut déterminer le destin de son petit pays, le sort de sa région (40) ».

 

eura2148253926.jpgLa Première Guerre mondiale, les révolutions russes de 1917, le renversement du tsarisme et la guerre civile jusqu’en 1921  bouleversent les héritiers du slavophilisme. C’est au sein de l’émigration russe blanche qu’émerge alors l’eurasisme. Exilés à Prague et à Paris, les premiers eurasistes, Nicolas Troubetskoï, Pierre Savitsky, Georges Vernadsky, Pierre Suvchinskiy, redécouvrent le caractère asiatique de leur histoire et réhabilitent les deux cent cinquante ans d’occupation tataro-mongole. Saluant l’œuvre des khan de Karakorum, ils conçoivent l’espace russe comme un troisième monde particulier. S’ils proclament le caractère eurasien des régions actuellement ukrainiennes de la Galicie, de la Volhynie et de la Podolie, ils se désintéressent superbement des Balkans, du Caucase et de la Crimée. Parfois précurseurs d’une troisième voie, certains d’entre-eux approuvent le renouveau soviétique sous la férule de Staline si bien que quelques-uns retournent en U.R.S.S. pour se retrouver envoyés au Goulag ou exécutés.

 

Pensée « géographiste », voire géopolitiste, parce qu’elle prend en compte l’espace steppique, l’eurasisme ne dure qu’une dizaine d’années et semble disparu en 1945. Remarquons que le numéro-culte d’Éléments consacré à la Russie en 1986 ignore l’eurasisme pourtant présent en filigrane dans certains milieux restreints du P.C.U.S. (41). Cependant, la transmission entre le premier eurasisme et l’eurasisme actuel revient à Lev Goumilev qui sut élaborer un nouvel eurasisme à portée ethno-biologico-naturaliste. Le néo-eurasisme resurgit dans les années 1990 et prend rapidement un ascendant certain au sein du gouvernement. Dès 1996, un eurasiste connu, l’arabophone Evgueni Primakov, devient ministre des Affaires étrangères avant d’être nommé président du gouvernement russe entre 1998 et 1999.

 

Aujourd’hui, le néo-eurasisme russe se structure autour de trois principaux pôles. Activiste métapolitique de grand talent, Alexandre Douguine ajoute aux travaux des précurseurs et de Goumilev divers apports d’origine ouest-européenne comme l’école de la Tradition primordiale (Guénon et Evola), de la « Révolution conservatrice » allemande, des « Nouvelles Droites » françaises, thioises et italiennes, et des approches marxistes hétérodoxes d’ultra-gauche (42). Un autre « courant, autour de la revue Evrazija (Eurasie) d’Édouard Bagramov, est plus culturel et folkloriste, explique Marlène Laruelle. Son thème central est la mixité, l’alliance slavo-turcique, qu’il illustre par la réhabilitation de l’Empire mongol et des minorités turco-musulmanes dans l’histoire russe, par une comparaison entre religiosité orthodoxe et mysticisme soufi : la fidélité à la Russie serait ainsi le meilleur mode de protection de l’identité nationale des petits peuples eurasiens. Sur le plan politique, Evrazija appelle à la reconstitution d’une unité politique et économique de l’espace post-soviétique autour du projet du président Nazarbaev, qui finance en partie la revue. Le troisième et dernier grand courant eurasiste, celui d’Alexandre Panarine et de Boris Erassov, est le plus théorique puisqu’il tente de réhabiliter la notion d’« empire » : l’empire ne serait ni un nationalisme étroit ni un impérialisme agressif mais une nouvelle forme de citoyenneté, d’« étaticité » reposant sur des valeurs et des principes et non sur le culte d’une nation. Il incarnerait sur le plan politique la diversité nationale de l’Eurasie et annoncerait au plan international l’arrivée d’un monde dit “ post-moderne ” où les valeurs conservatrices, religieuses et ascétiques gagneraient sur les idéaux de progrès de l’Occident (43) ». Treize ans plus tard, en dépit du décès de Goumilev et de Panarine, cette répartition théorique persiste avec l’apparition d’« un courant néo-eurasiste sinophile, incarné par Mikhaïl Titarenko, le directeur de l’Institut d’Extrême-Orient de l’Académie des Sciences (44) ». Quoique balbutiante, cette orientation tend à s’affirmer progressivement. « Les cinq cents ans de domination de l’Occident sur le monde sont en train de s’achever, assurait en 2007 Anatoli Outkine, historien à l’Institut des États-Unis et du Canada de l’Académie des Sciences, et, in extremis, la Russie a réussi à prendre le train des nouveaux pays qui montent, aux côtés de la Chine, de l’Inde et du Brésil. […] L’Europe aurait pu être le centre du monde si seulement la Russie avait été acceptée dans l’O.T.A.N. et l’Union européenne. […] En 2025, c’est Shanghai qui sera le centre du monde, et la Russie sera dans le camp de l’Orient. Aujourd’hui, nous n’attendons plus rien de l’Occident (45). » « L’Extrême-Orient est systématiquement valorisé dans les discours officiels russes comme une région d’avenir, signale Marlène Laruelle. Son évocation participe en effet de l’idée que la Russie est une puissance asiatique ayant un accès direct à la région la plus dynamique du monde, l’Asie – Pacifique dont elle est partie intégrante. Si tel est le cas sur le plan géographique – bien que l’Asie du Nord soit marginale, économiquement, comparée à l’Asie du Sud, qui concentre le dynamisme actuel -, il n’en est rien au niveau économique. Le commerce transfrontalier avec la Chine est bel et bien en pleine expansion, et des projets de zone de libre-échange entre la Russie, la Chine et la Corée du Sud sont à l’ordre du jour. Mais, globalement, l’économie russe est encore peu tournée vers l’Asie et peu intégrée à ses mécanismes régionaux (46). »

 

ad1609207631.pngL’eurasisme n’est pas propre à la Russie. Le Kazakhstan de Nursultan Nazarbaïev assume, lui aussi, cette idéologie. Inquiet des revendications territoriales de Soljénitsyne, il a transféré la capitale d’Almaty à une ville créée ex-nihilo, Astana, dont l’université d’État s’appelle officiellement Lev-Goumilev… Dans le n° 1 de Conflits, Tancrède Josserand traite avec brio de l’eurasisme turc (47). L’eurasisme est aussi présent en Hongrie via le pantouranisme dont le Jobbik se veut le continuateur. Mais, dans ce dernier cas, l’idéocratie eurasiste exprimée en Mitteleuropa apparaît surtout comme un cheval de Troie pro-turc. Le Jobbik souhaiterait que l’Union européenne s’ouvre à Ankara. Avec lucidité, Jean-Sylvestre Mongrenier estime que « lorsque ce type de production n’est pas destiné à promouvoir la candidature turque à l’Union européenne, l’« eurasisme » européen accorde une place centrale à l’alliance russe, la mission historique de la “ Troisième Rome ” consistant faire de l’Asie du Nord le prolongement géopolitique de l’Europe. Aussi serait-il plus adéquat de parler d’« Eurosibérie »  (48) ».

 

Existe-t-il en Chine une pensée eurasiste ? Impossible en l’état de répondre à cette question. Ces derniers jours, les médiats ont rapporté que Pékin aimerait construire une ligne à grande vitesse de 13 000 km qui relierait le Nord-Ouest de la Chine aux États-Unis en deux jours par un train roulant à 350 km/h. Cette hypothétique L.G.V. traverserait la Sibérie, l’Alaska et le Canada et franchirait le détroit de Béring par un tunnel de 200 km (49). En revanche existe au Japon jusqu’en 1941 une mouvance eurasiste. Entre 1905 et 1940, les milieux cultivés de l’archipel débattent avec vigueur de deux orientations géopolitiques contradictoires : le Nanshin-ron ou « Doctrine d’expansion vers le Sud » (l’Asie du Sud-Est et les îles du Pacifique, ce qui implique d’affronter les puissances européennes et étasunienne) et le Hokushin-ron ou « Doctrine d’expansion vers le  Nord » (à savoir combattre l’U.R.S.S. – Russie afin de s’emparer de la partie Nord de Sakhaline, de la Mongolie, de Vladivostok, du lac Baïkal et de la Sibérie centrale). Adversaire de la Faction du contrôle (Toseiha) de Tojo, le Kodoha (ou Faction de la voie impériale) du général Sadao Araki a en partie défendu l’Hokushin-ron. La synthèse revient à Tokutomi Sohô qui se prononce en faveur d’une invasion simultanée du Nord et du Sud, d’où l’affirmation dans un second temps d’une visée pan-asiatique. On sait cependant que la poussée vers le Nord est brisée lors de la défaite nippone de Khalkin-Gol en 1939 (50). Cette digression extrême-orientale n’est pas superflue. Robert Steuckers rappelle que le Kontinentalblock de Karl Haushofer a été « très probablement repris des hommes d’État japonais du début du XXe siècle, tels le prince Ito, le comte Goto et le Premier ministre Katsura, avocats d’une alliance grande-continentale germano-russo-japonaise (51) ».

 

Éclectique au Japon, en Turquie, en Hongrie, l’eurasisme l’est aussi en Russie. « L’idéologie néo-eurasiste, précise Marlène Laruelle, peut ainsi se présenter comme une science naturelle (Goumilev), une géopolitique et un spiritisme (Douguine), une intégration économique (Nazarbaev, organes de la C.E.I.), un mode de gestion des problèmes internes de la Fédération (eurasisme turcique), une philosophie de l’histoire (Panarine), une “ culturologie ” (Bagramov), un nouveau terrain scientifique (Vestnik Evrazii) (52) », d’où une multiplicité de contentieux internes : Panarine et Bagramov ont par exemple critiqué les approches biologisantes, ethnicisantes et métapolitiques de Goumilev et de Douguine.

 

L’eurasisme reste un pragmatisme géopolitique qui, à rebours de l’idée eurosibérienne, prend en compte la diversité ethno-spirituelle des peuples autochtones de Sibérie. Quid en effet dans l’Eurosibérie ethnosphérique de leur existence ? Le territoire sibérien n’est pas un désert humain. Y vivent des peuples minoritaires autochtones tels les Samoyèdes, les Bouriates, les Yakoutes, etc. Il ne faut pas avoir à ce sujet une volonté assimilatrice comme l’appliquèrent les Russes tsaristes et les Soviétiques. La nature de la Russie est d’être multinationale. Entre ici les notions complémentaires d’ethnopolitique et de psychologie des peuples. « Il convient d’attacher la plus grande importance à l’étude de ces unités secondaires qu’en France on appelle régions et pays, déclare Abel Miroglio […]. Une bonne psychologie nationale ne peut se dispenser de s’appuyer sur la connaissance des diverses régions; bien sûr, elle la domine, elle ne s’y réduit pas; et pareillement la psychologie de la région exige, pour être bien conduite, l’étude de ses divers terroirs (53). » Par conséquent, si la société russe adopte une solution nationaliste telle que la défendent des « nationaux-démocrates » anti-Poutine à la mode Alexeï Navalny, elle perdra inévitablement les territoires sibériens. Or ce vaste espace participe pleinement à la civilisation russe. « La civilisation est un ensemble plus large qui peut contenir plusieurs cultures, juge Gaston Bouthoul. Car la civilisation est un complexe très général dont les dominantes sont les connaissances scientifiques et techniques et les principales doctrines philosophiques. Les cultures, tout en participant de la civilisation à laquelle elles appartiennent, présentent surtout des différences de traditions esthétiques, historiques et mythiques (54). » La civilisation russe est polyculturaliste qui est l’exact contraire radical du multiculturalisme marchand.

 

Voilà pourquoi Douguine assigne à l’Orthodoxie, au judaïsme, à l’islam et au chamanisme – animisme le rang de religions traditionnelles, ce que n’ont pas le catholicisme et les protestantismes représentés dans l’étranger proche par une multitude de sectes évangéliques d’origine étatsunienne. C’est ainsi qu’il faut comprendre son fameux propos : « Le rejet du chauvinisme, du racisme et de la xénophobie procède d’abord chez moi d’une fidélité à la philosophie des premiers Eurasistes, qui soulignaient de façon positive le mélange de races et d’ethnies dans la formation et le développement de l’identité russe et surtout grand-russe. Il est par ailleurs une conséquence logique des principes de la géopolitique, selon lesquels le territoire détermine en quelque sorte le destin de ceux qui y vivent (le Boden vaut plus que le Blut) (55) ». Rien de surprenant de la part d’Alexandre Douguine, traditionaliste de confession orthodoxe vieux-croyants. Il ajoute même que, pour lui, « le traditionalisme est la source de l’inspiration, le point de départ. Mais il faut le développer plus avant, le vivre, le penser et repenser (56) ».

 

Alexandre Douguine, en lecteur attentif de Carl Schmitt, systématise l’opposition entre la Terre et la Mer (57), entre les puissances telluriques et les puissances thalassocratiques. Alors que triomphe une « vie liquide » décrite par Zygmunt Bauman (58), sa démarche nettement tellurocratique est cohérente puisqu’elle s’appuie sur le Sol et non sur le Sang dont la nature constitue, en dernière analyse, un liquide. Et puis, en authentique homme de Tradition, Douguine insiste sur le fait, primordial à ses yeux, qu’ « un Eurasiste n’est donc nullement un “ habitant du continent eurasiatique ”. Il est bien plutôt l’homme qui assume volontairement la position d’une lutte existentielle, idéologique et métaphysique, contre l’américanisme, la globalisation et l’impérialisme des valeurs occidentales (la “ société ouverte ”, les “ droits de l’homme ”, la société de marché). Vous pouvez donc très bien être eurasiste en vivant en Amérique latine, au Canada, en Australie ou en Afrique (59) ». Marlène Laruelle considère néanmoins que « si l’eurasisme est bien un nationalisme, il se différencie des courants ethnonationalistes plus classiques par sa mise en valeur de l’État et non de l’ethnie, par son assimilation entre Russie et Eurasie, entre nation et Empire, et emprunte beaucoup au discours soviétique (60) ». Il est évident que les eurasistes pensent en terme d’empire et non en nation pourvue de « frontières naturelles » établies et reconnues. Guère suspect de cosmopolitisme, l’écrivain Vladimir Volkoff fait dire dans son roman uchronique, Alexandra, à Ivan Barsoff, l’un des personnages principaux qui emprunte pas mal des traits de l’auteur, qui est le Premier ministre de cette tsarine, que son empire russe « n’a pas de limites naturelles (à moins que ce soient les océans Arctique et Indien, Pacifique et Atlantique), il n’a pas d’unité linguistique, ni raciale, ni même religieuse : il est tissu autour d’une triple colonne torsadée constituée par l’orthodoxie, la monarchie et l’idéalisme du peuple russe servant de noyau aux autres (61) ». 

 

Par-delà les écrits de Guillaume Faye, de Jean Thiriart, de Maurice G. Dantec, des eurasistes ou des officiers nippons, tous veulent maîtriser le Heartland, ce « Cœur de la Terre ». Correspondant à l’ensemble Oural – Sibérie occidentale, cette notion revient au Britannique Halford Mackinder qui l’écrit en 1904 dans « Le pivot géographique de  l’Histoire ». Pour Mackinder, le Heartland est un espace inaccessible à la navigation depuis l’Océan. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, « le concept de Heartland et celui d’Eurasie […] se recoupent partiellement (62) ». Il entérine ce qu’avance Zbignew Brzezinski à propos de cette zone-pivot : « Passant de l’échelle régionale à l’approche planétaire, la géopolitique postule que la prééminence sur le continent eurasien sert de point d’ancrage à la domination globale (63) ». Le grand géopolitologue étatsunien se réfère implicitement à la thèse de Mackinder pour qui contrôler le Heartland revient à dominer l’Île mondiale formée de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, et donc à maîtriser le monde entier. Cette célèbre formulation ne lui appartient pas. L’historien François Bluche rapporte qu’en novembre 1626, le chevalier de Razilly adresse à Richelieu un mémoire dans lequel est affirmé que « “ Quiconque est maître de la mer, a un grand pouvoir sur terre ”. [Cette trouvaille] poursuivra le Cardinal, l’obsédera, inspirera directement le Testament politique (64) ». « L’Eurasie demeure, en conséquence, l’échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale (65). » Il faut toutefois se garder des leurres propres au « géopolitisme ». Ce dernier « est venu combler le vide provoqué par les basses pressions idéologiques. Il ne s’agit pas de recourir à la géographie fondamentale – comme savoir scientifique et méthode d’analyse – pour démêler l’écheveau des conflits et tenter d’apporter des réponses aux défis des temps présents, mais d’une vision idéologique qui se limite à quelques pauvres axiomes : la Russie est située au cœur du Heartland et elle est appelée à dominer (66) ».

 

Attention cependant à ne pas verser dans le manichéisme géopolitique ! Toute véritable puissance doit d’abord se penser amphibie, car, à la Terre et à la Mer, une stratégie complète s’assure maintenant de la projection des forces tout en couvrant les dimensions aérienne, sous-marine, spatiale ainsi que le cyberespace et la guerre de l’information. C’est ainsi qu’il faut saisir qu’à la suite de Robert Steuckers, « l’eurasisme, dans notre optique, relève bien plutôt d’un concept géographique et stratégique (67) ».

 

appel_eurasie_cov_500.jpgDe nouvelles études sur les écrits de Mackinder démontrent en fait qu’il attachait une importance cruciale au Centreland, la « Terre centrale arabe », qui coïncide avec le Moyen-Orient. Et puis, que se soit l’Eurosibérie ou l’Eurasie, l’autorité organisatrice de l’espace politique ainsi créé doit se préoccuper de la gestion des immenses frontières terrestres et maritimes. Actuellement, les États-Unis ont beau avoir fortifié leur mur en face du Mexique, ils n’arrivent pas à contenir les flux migratoires clandestins des Latinos. L’Union pseudo-européenne est incapable de ralentir la submersion migratoire à travers la Méditerranée. Même si toutes les frontières eurosibériennes étaient sous surveillance électronique permanente et si était appliquée une préférence européenne, à la rigueur nationale, voire ethno-régionale, il est probable que cela freinerait l’immigration, mais ne l’arrêterait pas, à moins d’accepter la décroissance pour soi, une économie de puissance pour la communauté géopolitique et la fin de la libre circulation pour tous en assignant à chacun un territoire de vie précis.

 

Vu leur superficie, l’Eurosibérie ou l’Eurasie n’incarnent-elles pas de véritables démesures géopolitiques ? Si oui, elles portent en leur sein des germes inévitables de schisme civilisationnel comme l’a bien vu en poète-visionnaire le romancier Jean-Claude Albert-Weill. Dans Sibéria, le troisième et dernier volume de L’Altermonde, magnifique fresque uchronique qui dépeint une Eurosibérie fière d’elle-même et rare roman vraiment néo-droitiste de langue française (68), on perçoit les premières divergences entre une vieille Europe, adepte du Chat, et une nouvelle, installée en Sibérie, qui vénère le Rat.

 

Le risque d’éclatement demeure sous-jacent en Russie,  particulièrement en Sibérie. Dès les années 1860 se manifestait un mouvement indépendantiste sibérien de Grigori Potanine, chantre de « La Sibérie aux Sibériens ! ». Libéral nationalitaire, ce mouvement fomenta vers 1865 une insurrection qui aurait bénéficié de l’appui de citoyens américains et d’exilés polonais. Quelques années plus tôt, vers 1856 – 1857, des entreprises étatsuniennes se proposaient de financer l’entière réalisation de voies ferrées entre Irkoutsk et Tchita. La Russie déclina bien sûr la proposition. Pendant la guerre civile russe, Potanine présida un gouvernement provisoire sibérien hostile à la fois aux « Rouges » et aux « Blancs ». Ce séparatisme continue encore. En octobre 1993, en pleine crise politique, Sverdlovsk adopta une constitution pour la « République ouralienne ». Plus récemment, en 2010, le F.S.B. s’inquiéta de l’activisme du groupuscule Solution nationale pour la Sibérie qui célèbre Potanine… Il est à parier que des officines occidentales couvent d’un grand intérêt d’éventuelles séditions sibériennes qui, si elles réussissaient, briseraient définitivement tout projet d’eurasisme ou d’Eurosibérie.

 

L’Eurosibérie « est un “ paradigme ”, c’est-à-dire un idéal, un modèle, un objectif qui comporte la dimension d’un mythe concret, agissant et mobilisateur, annonce Guillaume Faye (69) ». Il s’agit d’un mythe au sens sorélien du terme qui comporte le risque de remettre à plus tard l’action décisive. Pour y remédier, faisons nôtre le slogan du penseur écologiste Bernard Charbonneau : « Penser global, agir local ». Si le global est ici l’idéal eurosibérien, voire eurasiste, l’action locale suppose en amont un lent et patient travail fractionnaire d’édification d’une contre-société identitaire en sécession croissante de la présente société multiculturaliste marchande avariée. Par la constitution informelle mais tangibles de B.A.D. (bases autonomes durables), « il faut, en lisière du Système, construire un espace où incuber d’autres structures sociales et mentales. À l’intérieur de cet espace autonomisé, il sera possible de reconstituer les structures de l’enracinement (70) ».

 

Les zélotes du métissage planétaire se trompent. L’enracinement n’est ni l’enfermement ou le repli sur soi. Soutenir un enracinement multiple ou plus exactement un enracinement multiscalaire – à plusieurs échelles d’espace différencié – paraît le meilleur moyen de concilier l’amour de sa petite patrie, la fidélité envers sa patrie historique et l’ardent désir d’œuvrer en faveur de sa grande patrie continentale quelque que soit sa désignation, car « l’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie (71) ». N’oublions jamais qu’au-delà des enjeux géopolitiques, notre combat essentiel demeure la persistance de notre intégrité d’Albo-Européen.

 

Je vous remercie.

 

Georges Feltin-Tracol

 

Notes

 

1 : Cf. la tribune délirante, summum de politiquement correct, de Thimothy Snyder, « La Russie contre Maïdan », in Le Monde, 23 et 24 février 2014; « Poutine doit écraser le virus de Maïdan… Entretien avec Lilia Chevtsova par Vincent Jauvert », in Le Nouvel Observateur, 27 février 2014; Bruno Tertrais, « La rupture ukrainienne », in Le Figaro, 25 avril 2014; Chantal Delsol, « Occident – Russie : modernité contre tradition ? », in Le Figaro, 30 avril 2014; Jean-Marie Chauvier, « Eurasie, le “ choc des civilisations ” version russe », in Le Monde diplomatique, mai 2014; Vincent Jauvert, « Le Raspoutine de Poutine », in Le Nouvel Observateur, 1er mai 2014; Isabelle Lasserre, « Grande serbie, Grande Russie, une idéologie commune », in Le Figaro, 6 mai 2014, etc.

 

2 : Ainsi, dans Le Monde du 18 janvier 2001, Marie Jégo évoquait-elle le projet poutinien de restauration d’un ensemble néo-soviétique en se référant aux Fondements de géopolitique (non traduit) de Douguine.

 

3 : Sur les œuvres de Douguine disponibles en français, se reporter à Georges Feltin-Tracol, « Rencontre avec Alexandre Douguine », in Réflexions à l’Est, Alexipharmaque, coll. « Les Réflexives », Billère, 2012, note 5 p. 220. On rajoutera depuis la parution de cet ouvrage : Alexandre Douguine, L’appel de l’Eurasie. Conversation avec Alain de Benoist, Avatar, coll. « Heartland », Étampes, 2013; Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXIe siècle, Ars Magna Éditions, Nantes, 2012; Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Ars Magna Éditions, Nantes, 2013.

 

4 : Guillaume Faye, L’archéofuturisme, L’Æncre, Paris, 1998, p. 192.

 

5 : Sur ce projet mitterrandien méconnu, cf. Roland Dumas, « Un projet mort-né : la Confédération européenne », in Politique étrangère, volume 66, n° 3, 2001, pp. 687 – 703.

 

6 : Guillaume Faye, L’archéofuturisme, op. cit., p. 192.

 

7 : Idem, p. 194.

 

8 : cf. Guillaume Faye, « Pour en finir avec la civilisation occidentale », in Éléments, n° 34, avril – mai 1980, pp. 5 – 11.

 

9 : Guillaume Faye, L’archéofuturisme, op. cit., p. 75, souligné par l’auteur.

 

10 : cf. Guillaume Faye, « Il n’y a pas de “ monde blanc ” », in Éléments, n° 34, avril – mai 1980, p. 6.

 

11 : Jean Cau, Discours de la décadence, Copernic, coll. « Cartouche », Paris, 1978 pp. 164 – 165.

 

12 : Idem, p. 175, souligné par l’auteur.

 

13 : Id., p. 182, souligné par l’auteur.

 

14 : Id., p. 183, souligné par l’auteur.

 

15 : Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la résistance européenne, L’Æncre, Paris, 2001, p. 119.

 

16 : Id., p. 123, souligné par l’auteur.

 

17 : Id., p. 124.

 

18 : Tom Clancy, L’Ours et le Dragon, Albin Michel, Paris, 2001 (1re édition originale en 2000), deux tomes.

 

19 : Maurice G. Dantec, Le théâtre des opérations 2000 – 2001. Laboratoire de catastrophe générale, Gallimard, Paris, 2001, pp. 594 – 595.

 

20 : L’Édit de Caracalla ou Plaidoyer pour des États-Unis d’Occident, par Xavier de C***, traduit de l’anglais (américain), et suivi d’une épitaphe par Régis Debray, Fayard, Paris, 2002.

 

21 : Jean-Sylvestre Mongrenier, Dictionnaire géopolitique de la défense européenne. Du traité de Bruxelles à la Constitution européenne, Éditions Unicomm, coll. « Abécédaire Société – Défense européenne », Paris, 2005, p. 235.

 

22 : « Contre le communisme ou l’islamisation, je me suis toujours battu pour préserver notre identité. Entretien avec Jean-Marie Le Pen », in Minute, 28 décembre 2011, p. 5.

 

23 : Maurice G. Dantec, American Black Box. Le théâtre des opérations 2002 – 2006, Albin Michel, Paris, 2007, p. 174.

 

24 : Idem, p. 119.

 

25 : Id., p. 66.

 

26 : Id., p. 122.

 

27 : Rodolphe Badinand, Requiem pour la Contre-Révolution. Et autres essais impérieux, Alexipharmaque, coll. « Les Réflexives », Billère, 2009, pp. 123 – 124.

 

28 : Cf. Francis Parker Yockey, Le prophète de l’Imperium, Avatar, coll. « Heartland », Paris -  Dun Carraig, 2004; Francis Parker Yockey, Imperium. La philosophie de l’histoire et de la politique, Avatar, coll. « Heartland », Paris -  Dun Carraig, 2008 (1re édition originale en 1948); Francis Parker Yockey, L’Ennemi de l’Europe, Ars Magna Éditions, Nantes, 2011 (1re édition originale en 1956).

 

29 : cf. Jean Thiriart, Un Empire de quatre cents millions d’hommes, l’Europe. La naissance d’une nation, au départ d’un parti historique, Avatar, coll. « Heartland », Paris -  Dublin, 2007 (1re édition originale en 1964).

 

30 : Jean Thiriart, « Europe : l’État-nation politique », in Nationalisme et République, n° 8, 1er juin 1992, p. 3.

 

31 : Jean Thiriart, art. cit., p. 5.

 

32 : Idem, p. 6, souligné par l’auteur.

 

33 : Aymeric Chauprade, Géopolitique. Constantes et changements dans l’histoire, Ellipses, Paris, 2003, p. 475.

 

34 : Sur l’histoire et les principales lignes de force de l’eurasisme, on  consultera avec un très grand profit de Marlène Laruelle, L’idéologie eurasiste russe. Ou comment penser l’empire, L’Harmattan, coll. « Essais historiques », Paris, 1999; Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du XXIe siècle, C.N.R.S. – Éditions, coll. « Mondes russes. États, sociétés, nations », Paris, 2005; La quête d’une identité impériale. Le néo-eurasisme dans la Russie contemporaine, Petra Éditions, 2007; Le nouveau nationalisme russe. Des repères pour comprendre, L’Œuvre Éditions, Paris, 2010; de Lorraine de Meaux, La Russie et la tentation de l’Orient, Fayard, Paris, 2010; de Georges Nivat, Vers la fin du mythe russe. Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours, L’Âge d’Homme, coll. « Slavica », Lausanne, 1982, en particulier « Du “ panmongolisme ” au “ mouvement eurasien ” », pp. 138 – 155; Vivre en russe, L’Âge d’Homme, coll. « Slavica », Lausanne, 2007, en particulier « Les paradoxes de l’« affirmation eurasienne » », pp. 81 – 102.

 

35 : Cf. sur le blogue de Lionel Baland, « Secteur droit entre en   politique », mis en ligne le 6 mars 2014.

 

36 : Alain Cagnat, « Europe, Eurasie, Eurosibérie, l’éclairage géopolitique », in Terre et Peuple, n° 59, Équinoxe de Printemps 2014, p. 18.

 

37 : « La Russie vue par les Biélorusses », mis en ligne sur Le Courrier de la Russie, le 13 décembre 2013, cf. http://www.lecourrierderussie.com/2013/12/la-russie-vue-par-les-bielorusses/

 

38 : « La Russie vue par les Biélorusses. En coulisses… », mis en ligne sur Le Courrier de la Russie, le 13 décembre 2013, cf. http://www.lecourrierderussie.com/2013/12/la-russie-vue-par-les-bielorusses/2/

 

39 : Alexandre Baounov, « Entre Kiev et Moscou », in La Russie d’aujourd’hui, supplément du Figaro, le 18 décembre 2013.

 

40 : Alexandre Soljénitsyne, Comment réaménager notre Russie ? Réflexions dans la mesure de mes forces, Fayard, Paris, 1990, traduit par Geneviève et José Johannet, p. 23, souligné par l’auteur.

 

41 : cf. Éléments, « La Russie : le dernier empire ? », n° 57 – 58, printemps 1986, pp. 19 – 41.

 

42 : cf. Alexandre Douguine, « Evola entre la droite et la gauche », collectif, Evola envers et contre tous !, Avatar, coll. «Orientation», Étampes -  Dun Carraig, 2010.

 

43 : Marlène Laruelle, « Le renouveau des courants eurasistes en Russie : socle idéologique commun et diversité d’approches », in Slavica occitania, n° 11, 2000, p. 156.

 

44 : Marlène Laruelle, « De l’eurasisme au néo-eurasisme : à la recherche du Troisième Continent », in sous la direction de Hervé Coutau-Bégarie et Martin Motte, Approches de la géopolitique. De l’Antiquité au XXIe siècle, Économica, coll. « Bibliothèque Stratégique », Paris, 2013, p. 664.

 

45 : in Libération, 15 août 2007.

 

46 : Marlène Laruelle, « L’Extrême-Orient russe : la carte asiatique », in Questions Internationales, n° 57, septembre – octobre 2012, pp. 67 – 68.

 

47 : Tancrède Josserand, « L’eurasisme turc. La steppe comme ligne d’horizon », in Conflits, n° 1, avril – mai 2014, pp. 62 – 64.

 

48 : Jean-Sylvestre Mongrenier, Dictionnaire géopolitique de la défense européenne, op. cit., pp. 135 – 136.

 

49 : cf. Cécile de La Guérivière, « La Chine veut faire rouler un T.G.V. jusqu’aux États-Unis », in Le Figaro, 10 et 11 mai 2014.

 

50 : Jacques Sapir, La Mandchourie oubliée. Grandeur et démesure de l’art de la guerre soviétique, Éditions du Rocher, coll. « L’art de la guerre », Monaco, 1996.

 

51 : Robert Steuckers, La Révolution conservatrice allemande. Biographies de ses principaux acteurs et textes choisis, Les Éditions du Lore, Chevaigné, 2014, p. 131.

 

52 : Marlène Laruelle, « Le renouveau des courants eurasistes en Russie », art. cit., p. 159.

 

53 : Abel Miroglio, La psychologie des peuples, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 798, Paris, 1971, p. 7, souligné par l’auteur.

 

54 : Gaston Bouthoul, Les mentalités, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 545, Paris, 1952, p. 76, souligné par l’auteur.

 

55 : « Qu’est-ce que l’eurasisme ? Une conversation avec Alexandre Douguine », in Krisis, n° 32, juin 2009, p. 153.

 

56 : « La quatrième théorie politique d’Alexandre Douguine. Entretien », in Rébellion, n° 15, mars – avril 2012, p. 16.

 

57 : cf. Carl Schmitt, Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Le Labyrinthe, coll. « Les cahiers de la nouvelle droite », 1985, introduction et postface de Julien Freund, traduit par Jean-Louis Pesteil.

 

58 : cf. Zygmunt Bauman, La vie liquide, Éditions du Rouergue / Chambon, coll. « Les incorrects », Arles, 2006.

 

59 : « Qu’est-ce que l’eurasisme ? », art. cit., p. 127.

 

60 : Marlène Laruelle, « De l’eurasisme au néo-eurasisme : à la recherche du Troisième Continent », op. cit., p. 681.

 

61 : Jacqueline Dauxois et Vladimir Volkoff, Alexandra, Albin Michel, Paris, 1994, p. 444.

 

62 : Jean-Sylvestre Mongrenier, La Russie menace-t-elle l’Occident ?, Choiseul, Paris, 2009, p. 100.

 

63 : Zbignew Brzezinski, Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2010 (1re édition originale en 1997), traduction de Michel Bessière et Michelle Herpe-Voslinsky, pp. 66 – 67.

 

64 : François Bluche, Richelieu, Perrin, Paris, 2003, p. 136.

 

65 : Zbignew Brzezinski, op. cit., pp. 59 et 61.

 

66 : Jean-Sylvestre Mongrenier, La Russie menace-t-elle l’Occident ?, op. cit., pp. 97 – 98.

 

67 : Robert Steuckers, « Eurasisme et atlantisme : quelques réflexions intemporelles et impertinentes », mis en ligne sur Euro-Synergies, le 20 mars 2009.

 

68 : Jean-Claude Albert-Weill, L’Altermonde, Éditions Gills Club La Panfoulia, Paris, 2004.

 

69 : Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons, op. cit., p. 124, souligné par l’auteur.

 

70 : Serge Ayoub, Michel Drac, Marion Thibaud, G5G. Une déclaration de guerre, Les Éditions du Pont d’Arcole, Paris, 2012, p. 18.

 

71 : Simone Weil, L’enracinement, Gallimard, coll. « Folio – Essais », Paris, 1949, p. 61.


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mercredi, 25 juin 2014

Sezession 60, Juni 2014

Sezession 60, Juni 2014
 
Bestellungen: http://www.sezession.de

 

heft60 gross Aktuelle Druckausgabe: Sezession 60, Juni 2014 Editorial

Bild und Text
Positionen und Begriffe im Ukraine-Konflikt
Michael Paulwitz

Grundlagen
Autorenporträt Max Weber
Erik Lehnert

Demokratie von rechts
Martin Grundweg

Demokratie in Deutschland – ein
doppeltes Spiel
Stefan Scheil

Chinas Volksdemokratie
Peter Kuntze

Wie demokratisch war Athen?
Harald Seubert

Die direkte Demokratie in der Schweiz
Volker Mohr

Bildinnenteil
Demokratische Architektur
Norbert Borrmann

Der Jargon der Demokratie
Ein Gespräch mit Frank Böckelmann

Das Unwörterbuch (Buchstaben A und B)
Manfred Kleine-Hartlage

Bücher
Pirinçci und Jünger, Céline und Pound
Martin Lichtmesz

Pirinçci? Wir tun, was wir
für richtig halten!
Ein Gespräch mit Andreas Lombard

Martin Heideggers »Schwarze Hefte«
Erik Lehnert

15 Hefte, 1200 Seiten, 3 Fundstücke
Ein Gespräch mit Hermann Heidegger

Rezensionen

Vermischtes
Wilhelm Hennis – 150 Jahre Ricarda
Huch und Richard Strauss – Ausstellungen
Erster Weltkrieg

1914: pourquoi le suicide de l'Europe?...

1914: pourquoi le suicide de l'Europe?...

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Le huitième numéro hors-série de La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque. Il est consacré au déclenchement de la première guerre mondiale à l'été 1914.

Au sommaire de ce numéro :

Éditorial : L'Eté tragique de 1914
Par Philippe Conrad

France-Allemagne, un antagonisme insurmontable
Par Philippe Conrad

La Grande Guerre est-elle née des réalités économiques?
Par Pascal Cauchon

Les impérialismes coloniaux fauteurs de guerre
Par RémyPorte

Une guerre née de l'engrenage des alliances ?
Par RémyPorte

La course aux armements en Europe de 1880 à 1914
Par Olivier Lahaie

La Royal Navy face au défi allemand
Par MartinMotte

Les états-majors ont-ils poussé à la guerre?
Par le généralAndré Bach

Sarajevo. L'attentat du 28 juin 1914
Par Frédéric Le Moal

Le gouvernement de Vienne face à la crise
Par Max Schiavon

Poincaré en Russie
Par Philippe Conrad

La Serbie en juillet 1914
Par Alexis Troude

Guillaume Il et l'Europe d'avant 1914
Par Henry Bogdan

Les hésitations britanniques face à la crise européenne
Par Gérard Hocmard

Août 1914. L'échec du pacifisme socialiste
Par Maurice Martin

Été 1914. La papauté face-à la guerre .
Par Martin Benoist

Exposition : 1914, 100 affiches pour un centenaire
ParVirginie Tanlay

La mémoire de la Grande Guerre
Entretien avec J. - P. Tubergue
Propos recueillis par V. Tanlay

La Grande Guerre dans les livres
ParJean Kappe
!

dimanche, 22 juin 2014

«L’Effacement du politique» de Pierre Le Vigan

«L’Effacement du politique» de Pierre Le Vigan

par Bruno Guillard

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

 

http://la-barque-d-or.l.a.pic.centerblog.net/0ee122e5.jpg

 

Impuissance et inexistence de l’Union européenne

Le livre de Pierre Le Vigan est consacré au nihilisme qui sévit dans l’Union européenne à un tel point que toute référence à une identité autre qu’individuelle y est interdite ; or, comme l’écrit l’auteur, il ne peut y avoir de politique en l’absence d’identité collective. C’est sans doute la raison pour laquelle cette Union, qui se veut la seule patrie des droits de l’homme, est incapable d’avoir quelque politique que ce soit :

« Partons de la situation que nous connaissons, en Europe. Notre continent est sans existence politique, sans volonté, sans défense. Un embryon de gouvernement européen existe, mais en fait, ce sont des équipes de technocrates. Le pouvoir européen n’a pas de légitimité démocratique. Il n’a pas non plus acquis une légitimité par son efficacité. Il a beaucoup réglementé mais n’a guère construit. Il est de plus en plus contesté par les peuples (…) Le pouvoir européen prétend faire de l’économie, mais pas de politique. En conséquence, en politique internationale l’Europe n’existe pas. Elle agit, quand elle agit, en éclaireur de la superpuissance américaine. »

Et il ajoute :

« Elle n’existe pas pour plusieurs raisons. Pour exister, il faut être porteur d’une certaine idée de soi. Or, l’Europe actuelle se veut d’abord universaliste. Sa seule identité serait d’être le réceptacle des identités des autres. »

C’est le politique qui doit trancher

Pour Pierre Le Vigan, il n’y a pas d’essence de la culture européenne :

« Il n’y a pas d’essence de la culture européenne. Il y a certes des traits communs à l’Europe : ce n’est pas une terre où l’islam ne s’est imposé autrement que par la force, lors des conquêtes de l’Empire ottoman, mais c’est aussi une terre où la christianisation ne s’est pas faite sans violence. L’Europe est une terre de grands philosophes, mais qui n’étaient en général d’accord sur rien. Ils n’ont en aucune façon développé une “philosophie européenne”, à moins d’appeler ainsi un champ de bataille intellectuelle. Il y a eu certes des créations littéraires spécifiques à l’Europe, telles celles d’Homère, mais sont-elles d’abord grecques ou d’abord européennes ? C’est là toute la question. N’est-il pas abusif (bien que séduisant) d’en faire l’emblème de l’Europe ?’ »

En effet, s’il est vrai qu’il n’y a pas plus proche d’un peuple européen qu’un autre peuple européen, il n’en reste pas moins vrai qu’il n’y a pas plus de culture européenne que de peuple européen. Les cultures des peuples européens se sont différenciées depuis fort longtemps (au moins depuis l’expansion des peuples indo-européens) mais elles ont conservé un air de famille parce qu’elles se sont influencées mutuellement quoique de manière inégale et partielle ; ce qui fait que les cultures européennes forment un patchwork assez harmonieux malgré l’existence de différences parfois importantes.

« Revenons à la définition de l’Europe par la “culture européenne”, c’est-à-dire à la thèse que les Européens sont tout d’abord des Européens, puis des Croates, des Finlandais, des Ecossais, des Danois, etc. Qu’est-ce qui caractérise cette culture européenne ? Nos “ancêtres” indo-européens ? Mais “indo-européen” désigne un groupe de langues bien plus qu’une race ou un groupe de peuples. Si l’appartenance au rameau (ethnique ou linguistique, qu’importe à ce stade) indo-européen est le critère, alors pourquoi ne pas intégrer à l’Europe Indiens, Sri-lankais (sauf les Tamouls), Afghans, Arméniens, et bien sûr Kurdes et Tziganes (Roms) ? Notons encore que l’un des principaux foyers des langues indo-européennes fut l’Anatolie, dans l’actuelle Turquie, ce qui décidément ne plaide pas pour une Turquie hors d’Europe. On se demande d’ailleurs pourquoi cette origine culturelle commune, puisqu’elle est censée exister et influer, ne produit pas une grande facilité d’intégration des Roms, authentiques indo-européens ? Tandis que nous constaterions d’incessantes difficultés d’intégration avec les Basques ou les Hongrois qui ne sont pas indo-européens ? A moins que ce critère d’indo-européanité n’ait finalement aucun sens actuel, et ne relève du simple plaisir de l’érudition. »

Il n’y a pas non plus d’essence religieuse de l’Europe, car s’il est vrai que le christianisme a marqué profondément la culture européenne, il n’en est pas moins vrai qu’il a éclaté en plusieurs rameaux qui se sont très souvent opposés de manière très violente. De plus, le christianisme n’est plus une caractéristique propre aux Européens parce qu’il a été adopté par de nombreuses populations dans le reste du monde ; il est impossible de le considérer comme étant la base d’une identité européenne et ce, d’autant plus que la déchristianisation progresse très régulièrement sur notre continent.

« Cette religion par définition universelle a essaimé hors d’Europe, sachant au demeurant qu’elle n’est pas née en Europe, et dès lors on ne voit pas très bien comment une culture européenne pourrait se définir principalement par rapport au christianisme devenu largement non européen. »

Existe-t-il une essence géographique de l’Europe qui imposerait l’union de tous les peuples vivant dans le territoire bordé par l’Atlantique, la mer du Nord, l’océan Arctique, l’Oural, le Caucase, les détroits et la Méditerranée ? Si oui, il faut considérer alors qu’une partie de la Turquie est européenne et que la partie de la Russie située au-delà de l’Oural ne l’est pas ; ce qui n’est pas très pertinent.

De même, il est impossible de faire de la démocratie, de l’idéologie des droits de l’homme ou des Lumières des éléments d’une essence européenne, car dans ce cas il faudrait considérer que les Turcs inspirés par la Révolution française, les Australiens et les Africains du Sud qui vivent dans des pays démocratiques sont aussi des Européens.

Pierre Le Vigan conclut très justement en disant que l’Europe ne peut être qu’une construction politique alors que la création de la CEE, puis celle de l’UE, ont été conçues dès l’origine comme une sortie du politique :

« On a en quelque sorte voulu faire l’Europe non seulement pour sortir des guerres intra-européennes (et on n’y est même pas arrivé – voir les Balkans) mais pour sortir du politique. On constate au contraire que si l’Europe se fait, elle se fera par la politique et ni par l’économie ni par la culture. »

Vers l’Empire ?

Pierre Le Vigan conclut son livre en plaidant pour la création d’un « Empire européen » mais la notion d’Empire présente l’inconvénient de manquer de précision et de recouvrir des réalités très différentes. De l’Empire romain à l’Empire américain en passant par l’Empire de Charlemagne, le Saint-Empire romain germanique, l’Empire des Habsbourg, le deuxième et le troisième Reich, l’Empire napoléonien, celui de Napoléon III et les empires coloniaux, il y en a pour tous les goûts. Pierre Le Vigan conclut son livre en écrivant :

 « L’Empire c’est le nom ancien, et, pour mieux dire, c’est le nom de toujours du principe fédératif (…) Il faut ouvrir la voie à autre chose : l’association entre nos patries, la coopération sans l’uniformité, la souveraineté commune. Cela porte un nom, et c’est l’idée d’Empire, et cela repose sur un principe, c’est la subsidiarité, et c’est donc la fédération des peuples d’Europe. »

Pierre Le Vigan ne précise pas ce qu’il entend par fédération ni d’ailleurs s’il pense à une fédération de tous les peuples (ce qui semble ambitieux) ou de certains d’entre eux seulement (ce qui serait plus raisonnable). Par ailleurs, que la notion d’empire et celle de fédération soient synonymes ne va pas de soi. Ainsi Olivier Beaud a écrit que ce sont des notions radicalement différentes parce que les empires ont toujours été coercitifs :

 « Par là, elle se distingue de la notion d’empire, qui agrège des unités politiques par la force et non par un consentement mutuel. »

Olivier Beaud distingue aussi la fédération, dans laquelle les peuples ne se fusionnent pas, de l’Etat fédéral qui est un Etat unitaire (dans lequel il n’y a pas une pluralité de communautés souveraines) respectant le principe « althusien » selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus « bas » possible. Pierre Le Vigan écrit que l’Empire devra reposer sur le principe de subsidiarité et que la souveraineté deviendra commune mais Althusius, qui est le grand penseur de la subsidiarité, considérait que dans ce qu’il a appelé la « consociatio symbiotica », chacune des communautés associées conserve son entière souveraineté et délègue, sous condition, une partie seulement de celle-ci tout en en demeurant la seule détentrice (elle ne la partage pas) ; en conséquence, elle conserve la possibilité de mettre un terme à cette délégation.

Alors, fédération, empire, confédération, état fédéral ou alliance interétatique ? Il y a là un sujet pour un ouvrage passionnant.

Bruno Guillard
10/06/2014

Pierre Le Vigan, L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Eric Maulin, éditions La Barque d’Or, 164 pages.

Source et compléments: Polémia

samedi, 21 juin 2014

La tragique méprise de la russophobie

La Russie : un ennemi?

La tragique méprise de la russophobie

economist-russophobia.jpgDans son interview à TF1 et à Europe 1, (4 juin) interrogé par deux  journalistes agressifs, Vladimir Poutine, président élu de la Fédération de Russie, a calmement rappelé trois évidences : 1) le budget militaire des USA (Pentagone) est supérieur à la somme de tous les budgets militaires du monde ; 2) les USA, depuis la fin de la  Seconde guerre mondiale,  sont le pays qui a mené le plus de guerres  extérieures, en général dans l’illégalité internationale et sans mandat de l’ONU ; 3) la France a abandonné sa politique gaulliste d’indépendance et de souveraineté  vis-à-vis des USA.

Rappelons maintenant quelques faits : 1) La Russie a retiré ses troupes positionnées à la frontière ukrainienne, démentant les accusations ridicules selon lesquelles une invasion de l’est de l’Ukraine était projetée. 2) La Crimée a-t-elle « annexée » par la Russie, selon le vocabulaire officiel ? La Russie a récupéré la Crimée mais ne l’a pas annexée, à la suite d’un référendum démocratique.  3) À Odessa, 40 pro-russes sont morts dans l’incendie de la Maison des Syndicats provoqué par des nationalistes ukrainiens Imaginons que les pro-russes aient fait pareil dans l’est de l’Ukraine… 4) M. Poutine a admis l’élection du président ukrainien et a accepté de le rencontrer. 5) Cela fait maintenant  plus de dix ans que la CIA travaille en Ukraine (et dans d’autres pays de l’est de l’Europe) pour fomenter une  révolte anti-russe. Est-ce que le FSB, héritier du KGB selon les journalistes, mène des opérations de déstabilisation contre les USA au Canada, au Mexique ou en Amérique latine ?

L’accusation – formulée par exemple par David Cameron – selon laquelle la Russie enverrait des combattants camouflés et des armes aux sécessionnistes russophones de l’est de l’Ukraine ne repose sur aucun fait tangible. Les brillants services de renseignement britanniques, le M6, auraient-ils des preuves ?  Et la CIA ? Des preuves aussi sérieuses que celles concernant les ”armes de destruction massive” de Saddam Hussein ? 

Le provocateur, habile et dissimulé, dans toute cette affaire ukrainienne, n’est pas du tout M. Obama mais l’administration néo-conservatrice en place depuis Bush junior, celle qui a déjà déstabilisé tout le Proche Orient et qui entend maintenant semer le trouble en Europe orientale. Il s’agit, par un réflexe géopolitique classique, d’empêcher la Russie de redevenir une puissance globale et surtout de construire un partenariat avec l’Europe, cette dernière hypothèse étant un cauchemar pour Washington. L’arme économique – exclure la Russie du G8 et établir des sanctions – est aussi un moyen d’affaiblir l’Europe, de même que les pressions exercées sur la France pour faire annuler le contrat  de vente des BPC de la classe Mistral à la marine russe. Le Canada, poussé par Washington, est même allé jusqu’à proposer au gouvernement français de racheter les navires, dont il n’a pourtant nul besoin ! 

 Des arguments fallacieux sont utilisés pour faire peur aux Européens, Polonais et Baltes en tête, par exemple un ”chantage” russe sur les livraisons de gaz. C’est oublier que si la Russie risque de ne plus livrer l’Ukraine, c’est parce que cette dernière, dont l’économie est très mal gérée, n’a pas honoré son contrat et doit de gros arriérés à son fournisseur. En visite à Varsovie, Obama a comparé la résistance de Solidarnosc au communisme à la « résistance ukrainienne à l’agression russe ».  Il a déclaré : « la Pologne ne sera jamais seule ». Le but est de faire croire aux Polonais qu’il existerait un danger d’une agression russe. Pourquoi pas une agression des extra-terrestres ? La Pologne bénéficie  d’une ligne de crédits militaires alloués par Washington d’un milliard de dollars, et l’Otan se renforce dans les pays baltes. N’oublions pas que, contrairement à ce qui avait été promis et juré à Gorbatchev en échange de la réunification de l’Allemagne, l’Otan a été étendu à tous les pays d’Europe orientale.

L’Américain Nicholas Burn, grand diplomate et professeur à Harvard, ancien ambassadeur auprès de l’Otan, a déclaré, à l’occasion de l’anniversaire du débarquement  allié en Normandie, le 6 juin, qu’il fallait revitaliser le lien transatlantique contre la Russie (Forum sur les valeurs transatlantiques, organisé par la Chambre de Commerce américaine en France).  Il expliquait : « Notre liberté est indivisible. Aujourd’hui, tandis que l’on voit se recréer des lignes de fracture sur le continent à cause de Vladimir Poutine, nous devons resserrer les rangs autour de nos valeurs, pas pour nous battre mais pour montrer notre force. C’est ce que nous avons fait le jour J » Autrement dit, la Russie de Poutine est une menace, mise subrepticement en parallèle avec l’Allemagne nazie. Bien sur, au nom des « valeurs démocratiques ». Il s’agit d’un appel à un retour à la guerre froide. La crise ukrainienne n’est qu’un prétexte pour certains milieux de Washington : empêcher à tout prix un lien stratégique euro-russe, isoler la Russie, empêcher son retour possible comme grande puissance.       

Une entreprise de propagande globale nous fait croire que nous avons de nouveau  à craindre une ”menace russe”.  C’est un excellent détournement d’attention. Qui espionne, même les dirigeants européens, jusqu’à Angela Merkel ? La NSA ou le FSB ? Le drame, dans cette crise ukrainienne, c’est que l’Europe se trompe complètement d’ennemis. Comme si les divisions blindées russes (ex-soviétiques) allaient déferler sur l’Ukraine, la Pologne, les pays baltes, et pourquoi pas ? l’Allemagne et la France ?  La peur de la Russie est  fabriquée par la propagande pour occulter la véritable invasion, visible chaque jour dans nos rues.  Le peuple le sait, les élites le taisent.

Le danger le plus fondamental pour l’Europe – soyons sérieux– , qui est aveuglant et que les élites font semblant de ne pas voir, ce n’est pas la ”menace russe” . Le danger mortel, à l’œuvre chaque jour, c’est le déversement de la colonisation de peuplement en provenance du Sud, complètement incontrôlée et massive, et l’islamisation.

 La russophobie est devenue un argument central de l’idéologie dominante. Pourtant, c’est un suicide pour l’Europe que de considérer son principal allié comme un ennemi. L’idée que la Russie nous menace est très divulguée dans la propagande. Mais il est peu probable que le peuple français croie à cette fable. L’intérêt d’une Europe libre et indépendante est la coopération globale, stratégique, économique, scientifique, énergétique etc. avec la Russie, qui n’est pas une menace mais notre principal partenaire naturel, avant les USA ou n’importe qui d’autre. Les dirigeants américains savent parfaitement – et c’est ce qui les inquiète –  que la ligne stratégique russe est celle de la Grande Europe « de Lisbonne à Vladivostok » selon l’expression de Poutine. Une telle alliance serait beaucoup plus souhaitable et naturelle pour la Russie qu’un partenariat avec la Chine, auquel elle est contrainte par la soumission des Européens à Washington. Alliée avec la Russie, l’Europe ne serait pas soumise, mais partenaire égal. Alliée principalement avec les Etats-Unis, l’Europe est soumise, par sa faute, liée à un partenaire transatlantique qui ne la respecte pas, qui joue un double jeu (voir l’incroyable amende de 12 milliards de dollars contre BNP Paribas ; voir le renoncement de l’Europe à sa souveraineté numérique face aux opérateurs géants américains ; voir le projet de libre-échange transatlantique, véritable traité inégal ; voir la préférence nationale américaine pour toutes les commandes publiques ; voir la compétence mondiale auto-attribuée des tribunaux américains ).

La priorité de l’administration américaine est de rallier une Europe sans volonté à une opposition à la Russie. Les USA jouent leur jeu dans  la partie d’échec mondiale. On ne peut pas leur reproche leur militarisme camouflé par le pacifisme, ni leur impérialisme visant à soumettre l’Europe comme protectorat et à neutraliser la Russie. Cela fait partie de leur position géostratégique depuis la Seconde guerre mondiale et, de leur point de vue, ils ont raison, ils ne peuvent pas jouer une autre carte. D’autant plus que la Chine est entrée dans la partie, comme challenger…  

Pour résumer, la russophobie, organisée par l’oligarchie, sert à masquer les deux véritables dangers qui menacent l’Europe : 1) l’invasion migratoire massive, accompagnée de l’islamisation ; 2) la soumission à la puissance américaine.

jeudi, 19 juin 2014

Métropole lilloise: révolution conservatrice

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D. Venner: "Que faire?"

Dominique Venner:

Que faire?

Dominique Venner, répondant à un de ses lecteurs de 21 ans qui, dans le dernier numéro de la NRH, lui demande : « Que faire ? »

« N’attendez pas de moi des recettes pour l’action. Attendez de moi que je dise ce qu’est la vocation de votre génération. Si vous éprouvez le désir d’une action politique, engagez-vous, mais en sachant que la politique a ses propres règles qui ne sont pas celles de l’éthique. Quelle que soit votre action et tout simplement votre existence, il est vital de cultiver en vous, chaque jour, comme une invocation inaugurale, ce qui doit devenir, par répétition, une foi indestructible. Une foi indestructible dans le devenir européen au-delà de la période présente.

Je songe souvent au désespoir de Symmaque, appelé “le dernier Romain”», l’un de nos ancêtres spirituels. J’ai évoqué ce personnage bien connu dans Histoire et tradition des Européens (p. 39-41). Symmaque, grand aristocrate romain, vivait à la fin du IVe siècle, époque sinistre entre toutes. Il est mort en témoin désespéré de la fin de l’ancienne romanité. Il ignorait que l’esprit de la romanité, héritier lui-même de l’hellénisme, renaîtrait par la suite perpétuellement sous des formes nouvelles. Il ignorait que l’âme européenne, autrement dit l’esprit de l’Iliade, est éternel à l’échelle humaine (qui n’est pas celle de la physique astrale).

Nous qui connaissons l’histoire sur quelques milliers d’années et l’explorons avec le regard interrogateur qui pouvait être celui de Symmaque, nous savons ce qu’il ne savait pas. Nous savons qu’individuellement nous sommes mortels, mais que l’esprit de notre esprit est indestructible, comme celui de tous les grands peuples et de toutes les grandes civilisations. Pour les raisons que j’ai souvent expliquées (conséquences du Siècle de 1914), ce n’est pas seulement l’Europe de la puissance qui est en sommeil. C’est avant tout l’âme européenne qui est en dormition. Quand viendra le grand réveil ? Je l’ignore et certainement je ne le verrai pas. Mais de ce réveil je ne doute pas une seconde. L’esprit de l’Iliade est comme une rivière souterraine toujours renaissante et intarissable. Parce que cela est vrai, mais invisible, il faut se le répéter soir et matin. Et ce secret (l’éternité de l’esprit de l’Iliade), personne ne pourra jamais nous le voler. »

Ex: http://www.zentropaville.tumblr.com

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mardi, 10 juin 2014

Sunic: la ND europea

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Contra la democracia y la igualdad.

La Nueva Derecha Europea.

de Tomislav Sunic

NOVEDAD
1ª edición, Tarragona, 2014.
21×15 cms., 202 págs.
Cubierta a todo color, con solapas y plastificada brillo.
 
PVP: 18 euros
 
Índice
 
Prólogo del traductor 9
 
Primera parte: Presentación de la Nueva Derecha 13
 
Introducción 15
 
Capítulo I: Entrando en la Nueva Derecha 23
Capítulo II: El “Gramcianismo” de la Derecha 45
Capítulo III: ¿La izquierda conservadora o la derecha revolucionaria? 53
Capítulo IV: Carl Schmitt y la política de destino 63
Capítulo V: Oswald Spengler y la historia como destino 73
Capítulo VI: Vilfredo Pareto y la patología política 83
Capítulo VII: La Derecha pagana 93
 
Segunda parte: La mística igualitaria. Las raíces de la crisis moderna 111
 
Introducción 113
 
Capítulo I: La metafísica de la igualdad 121
Capítulo II: La Nueva Derecha y la igualdad inalcanzable 133
Capítulo III: Homo Economicus: La Batalla de Todos Contra Todos 153
Capitulo IV: Totalitarismo e igualitarismo 165
Capítulo V: Homo Sovieticus: El Comunismo como entropía igualitaria 187
Conclusión 199
 

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Orientaciones
Éste es el primer libro que se publicó en lengua inglesa sobre la Nueva De­recha Europea, y a día de hoy sigue siendo una introducción imprescindi­ble a esta escuela de pensamiento fundamental para la comprensión de la política europea. Tomislav Sunic examina las cuestiones principales que han preocupado a los pensadores de la Nueva Derecha desde su fundación por Alain de Benoist en 1968, así como la naturaleza problemática de la etiqueta “Nueva Derecha” para una corriente que se ve a si misma más allá de los conceptos tradicionales de izquierda y derecha: su revolucionaria filosofía política; su concepción cíclica de la historia; su actitud hacia la democracia, el capitalismo y el socialismo; y su defensa de la espirituali­dad “pagana”. El autor también analiza el papel de algunos autores ante­riores que han sido especialmente influyentes en el desarrollo del movi­miento, como es el caso de Oswald Spengler, Carl Schmitt y Vilfredo Pareto.
 
Tomislav Sunic nació en Zagreb (Croacia) en 1953. Es doctor en Ciencias Políticas por la University of California at Santa Barbara. El doctor Sunic da conferencias por todo el mundo y dirigía su propio programa de radio, The Sunic Journal, emitido a través de Voice of Reason Network, una emisora de radio online. Es autor de varios libros, incluyendo Homo Americanus: Hijo de la Era Postmoderna (publicado en español por Ediciones Nueva Re­pública), y Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity (Collected Essays), los cuales profundizan en cuestiones planteadas en este libro. Recientemente ha publicado en lengua francesa Chroniques des Temps Postmodernes (marzo, 2014), una obra que ha generado gran expec­tación en Francia
 
 
 
Pedidos:
edicionesfides@yahoo.es
 
Tlf: 682 65 33 56
 

La leçon de la chute de l’Empire romain

La leçon de la chute de l’Empire romain

perkroma22.gifLisez d’urgence La chute de Rome, fin d’une civilisation, de Bryan Ward-Perkins, traduit de l’anglais chez Alma Éditeur.  Cet ouvrage de l’historien, universitaire et archéologue britannique, est un pavé dans le jardin de l’idéologie dominante. La thèse défendue, avec toutes les précautions de langage d’un éminent professeur à Oxford, au rebours de toute l’historiographie bien pensante contemporaine, est que la chute de l’Empire romain, de la romanité, fut un recul de civilisation, une régression qu’il faudra plus de dix siècles pour rattraper. Et encore…

La thèse de Ward-Perkins renoue avec le sentiment d’admiration qu’on avait pour l’Antiquité gréco-romaine, pensée comme supérieure, du Moyen-Âge nostalgique au XIXe siècle. Selon l’auteur la « post-romanité », à partir du catastrophique Ve siècle, c’est-à-dire le début du Moyen-Âge, fut une régression de la civilisation dans pratiquement tous les domaines. Voire même, dans certaines régions, comme la Grande-Bretagne, un retour à l’âge de fer… 

Les conclusions de Ward-Perkins, essentiellement fondées sur les plus récentes recherches archéologiques, mais aussi sur l’épigraphie et le décryptage des textes du Bas-Empire, ont de quoi choquer. On les croyait oubliées, tant l’idéologie pollue la recherche historique. Les historiens médiévistes (” la grande clarté du Moyen-Âge ”) essaient de nous persuader que leur période fut la naissance d’une ”autre” civilisation, qu’il n’y eut pas recul et déclin, mais transition progressive. Non, pour l’historien d’Oxford, il y eut un effondrement dans tous les domaines, dont on mettra plus de dix siècles à se remettre. 

En réalité, le haut Moyen-Âge fut pour lui une période de régression de civilisation dans pratiquement tous les secteurs : technique, économique, démographique, sanitaire, culturel … Le niveau de vie et de confort de la ” bourgeoisie” de l’Empire romain, de la cour impériale aux casses moyennes, (par exemple, chauffage central, égouts et eau courante) ne sera retrouvé qu’à l’aube des temps modernes. En l’an 100, 50% de la population des Gaules savait lire et écrire, même imparfaitement ;  en l’an mil, à peine 1%. Les techniques architecturale, sculpturale, picturale de l’Empire ne furent retrouvées progressivement qu’entre le XIIe et le XVIe siècle. Les infrastructures routières et les vitesses de transports terrestres du IIe siècle ne seront égalées qu’au XVIIIe siècle.  Il fallut attendre le début du XIXe siècle pour que des villes, comme Londres, dépassent le million d’habitant, alors que Rome et Alexandrie atteignaient les deux millions à l’apogée de l’Empire, au IIe siècle. 

perkins.jpgMême Charlemagne, auteur de la ”renaissance carolingienne”, qui voulut succéder aux Empereurs romains en se faisant couronner en 800 dans une Rome en ruine et dépeuplée, et rétablir l’éducation de la jeunesse, était un semi illettré. Le Moyen-Âge (du Ve au XVe siècles, mille ans) fut, pour l’historien et archéologue, un âge de déclin brutal et de très lente renaissance.

Les causes de cette chute de l’Empire romain, c’est-à-dire d’une civilisation supérieure, furent provoquée non pas tant par des facteurs endogènes (crise économique, christianisation et abandon du paganisme) que par les invasions barbares, notamment germaniques, qui désorganisèrent et ravagèrent la complexe organisation de l’immense Empire, qui s’étendait des marches de l’Écosse au Moyen-Orient. Dans la partie occidentale de l’Empire, ce furent les invasions germaniques qui s’avérèrent responsables de la régression, et dans la partie orientale, un peu plus tard, les invasions arabo-musulmanes. La catastrophe s’étala du IVe au VIIIe siècle.    

À notre époque où la notion de progrès est intouchable, quoi qu’on en dise, Ward-Perkins se demande pourquoi la notion de déclin est rejetée. Pour lui, c’est le signe d’un aveuglement et d’un optimisme obtus. Le mérite de l’historien anglais est aussi  de réhabiliter la notion de ”civilisation” face à celle de barbarie, ce qui est un scandale face à l’idéologie actuelle, égalitariste, ”ethnopluraliste”, pour laquelle toutes les ”cultures” se valent.

En cela, Ward-Perkins conteste donc le concept germanique et égalitaire de kultur, selon lequel tous les peuples sont égaux dans leurs productions historiques, pour lui opposer le concept de civilisation, fondamentalement gréco-romain, selon quoi les peuples sont inégaux. Vaste débat.   

Bien sûr, l’essai de Ward-Perkins peut choquer parce qu’il réhabilite l’image de ”la grande nuit du Moyen-Âge”, qui n’est pas acceptée par les historiens actuels. Il peut aussi inspirer les auteurs d’uchronie qui pourraient penser que si l’Empire romain  ne s’était pas  effondré, au Ve siècle, Louis XIV aurait surfé sur Internet. On ne refait pas l’histoire. Si la civilisation antique gréco-romaine ne s’était pas écroulée du IVe au VIIe siècles sous le double choc des invasions germaniques et arabes, le niveau technologique des XXe et XXIe siècles aurait peut-être été atteint dès l’an mil.

Citons, pour conclure, sans commentaires, le diagnostic de l’historien britannique :

 « J’affirme que les siècles post-romains connurent un déclin spectaculaire de la prospérité économique et de modèles élaborés, et que ce déclin frappa l’ensemble de la société, de la production agricole à la haute culture et des paysans jusqu’aux rois. Un effondrement démographique se produisit très probablement, et l’ample circulation des marchandises de qualité cessa tout à fait. Des outils culturels de haut niveau, tels que l’écrit, disparurent de certaines régions et se restreignirent dans toutes les autres. » Pour l’auteur, « l’hypertrophie que prennent les thématiques religieuses » participent du déclin intellectuel de l’Antiquité tardive et du haut Moyen-Âge.

Il lui semble très nocif « d’éliminer toute notion de crise grave et de déclin dans la vision que l’on a du passé. Cela me semble dangereux, aujourd’hui et maintenant ». Il s’en prend en ces termes à l’aveuglement des élites contemporaines :

« La fin de l’Occident romain s’accompagna d’un grand nombre d’horreurs et d’un processus de dislocation tel que j’espère sincèrement ne jamais m’y trouver confronté dans ma vie présente. Une civilisation complexe fut détruite, ramenant les habitants de l’Occident à des manières de vivre telles qu’aux temps préhistoriques. Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que nous le sommes, nous aujourd’hui, que leur monde resterait, pour l’essentiel, tel qu’il était. Ils avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d’une fallacieuse assurance. »   

lundi, 09 juin 2014

Omaggio a Dominique Venner

mardi, 03 juin 2014

Méridien Zéro: révolution conservatrice

mz3204159058.jpgMéridien Zéro: Emission n°191

"LA REVOLUTION CONSERVATRICE ALLEMANDE"

 

Ce vendredi, Méridien Zéro vous propose un entretien avec Robert Steuckers, largement soutenu par Olivier François, sur la Révolution Conservatrice allemande, phénomène polymorphe encore largement méconnu en France.

A la barre, monsieur PGL ; à la technique, JLR et son studio volant.

Pour écouter: http://www.meridien-zero.com/archive/2014/05/30/emission-...  

ATTENTION ! A notre très vif désagrément, il semble que notre studio volant ait dysfonctionné, n'enregistrant pas le début de notre émission consacrée aux origines de la RC, en particulier le romantisme allemand. Nous avons tout de même fait le choix de diffuser cet enregistrement amputé puisque Robert Steuckers y traite des manifestations et de la postérité de la RC. Nous vous prions d'accepter toutes nos excuses pour ce désagrément et nous espérons pouvoir réinviter Robert pour compléter ce sujet.

 

Entretien radiophonique avec Robert Steuckers

au sujet de la sortie de son ouvrage

"La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis"

(éditions du Lore).

L'ouvrage est disponible sur le site des éditions du Lore : Editions du Lore

* * *

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Table des matières


Les leçons de la « Révolution Conservatrice »


La « Révolution Conservatrice » en Allemagne (1918-1932)


Le mouvement métapolitique d’Engelbert Pernerstorfer à Vienne
à la fin du XIXe siècle, précurseur de la « Révolution Conservatrice »


Munich ou Athènes-sur-l’Isar : ville de culture et matrice
d’idées conservatrices-révolutionnaires


Les thèmes de la géopolitique et de l’espace russe
dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945
Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer & Otto Hoetzsch


L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite


Les matrices préhistoriques des civilisations antiques
dans l’oeuvre posthume de Spengler :Atlantis, Kasch et Turan


Révolution Conservatrice, forme catholique et « ordo æternus » romain


Rudolf Pannwitz : « mort de la terre », imperium Europæum
et conservation créatrice


Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck


Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923),
inspirateur du Cercle de Stefan George


Décision et destin soldatique durant la Première Guerre mondiale :
le cas Schauwecker


Annulation magique de la crise et « méthode physiognomique »
chez Ernst Jünger


Eugen Diederichs et le Cercle « Sera »


Boehm, Max Hildebert 1891-1968


Introduction à l’oeuvre de Ludwig Ferdinand Clauss (1892-1974)


Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962) :
le philosophe de la rénovation religieuse


Edgar Julius Jung (1894-1934)


Friedrich-Georg Jünger (1898-1977)


Erwin Guido Kolbenheyer (1878-1962)


Alfred Schuler (1865-1923)


Christoph Steding (1903-1938)


Herman Wirth (1885-1981)

lundi, 02 juin 2014

Histoire de la Belgique par Robert Steuckers

Histoire de la Belgique, par Robert Steuckers | 1/4 |

Antiquité et Moyen-Âge 

Histoire de la Belgique, par Robert Steuckers 2/4

Le contexte de 1830

Histoire de la Belgique par Robert Steuckers 3/4

Le 20ème siècle

Histoire de la Belgique par Robert Steuckers 4/4

La situation actuelle

 

Emission réalisée

par Parrhésia-Belgique & le "Cercle des Volontaires"

(février 2014)

samedi, 31 mai 2014

LA NUEVA DERECHA RUSA EURASIÁTICA

ELEMENTOS Nº 70:

ALEXANDER DUGIN Y LA CUARTA TEORÍA POLÍTICA

LA NUEVA DERECHA RUSA EURASIÁTICA

 

 
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Sumario
 

Alexander Dugin: la Nueva Derecha rusa, entre el Neo-Eurasianismo y la Cuarta Teoría Política, por Jesús J. Sebastián
 
 
Más allá del liberalismo: hacia la Cuarta Teoría Política, por Alexander Dugin


Necesidad de la Cuarta Teoría Política, por Leonid Savin


La Cuarta Teoría Política y la “Otra Europa”, por Natella Speranskaya


El Liberalismo y la Guerra Rusia-Occidente, por Alexander Dugin


Alexander Dugin, o cuando la metafísica y la política se unen, por Sergio Fritz


La Cuarta Teoría Política, entrevista a Natella Speranskaya, por Claudio Mutti

 
El quinto estado: una réplica a Alexander Dugin, por Marcos Ghio


La Tercera Teoría Política. Una crítica a la Cuarta Teoría Política, por Michael O'Meara


La gran guerra de los continentes. Geopolítica y fuerzas ocultas de la historia, por Alexander Dugin


La globalización para bien de los pueblos. Perspectivas de la nueva teoría política, por Leonid Savin


Alianza Global Revolucionaria, entrevista a Natella Speranskaya


Contribución a la teoría actual de la protesta radical, por Geidar Dzhemal

 
El proyecto de la Gran Europa. Un esbozo geopolítico para un futuro mundo multipolar, por Alexander Dugin


Rusia, clave de bóveda del sistema multipolar, por Tiberio Graziani


La dinámica ideológica en Rusia y los cambios del curso de su política exterior, por Alexander Dugin


Un Estado étnico para Rusia. El fracaso del proyecto multicultural, por Vladimir Putin


Reportaje sobre Dugin (revista alemana Zuerst!), por Manuel Ochsenreiter

 
Dugin: de la Unión Nacional-Bolchevique al Partido Euroasiático, por Xavier Casals Meseguer