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vendredi, 14 novembre 2014

Si la France ne livre pas le porte-hélicoptère Mistral, elle perd 20 milliards d'euros

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Si la France ne livre pas le porte-hélicoptère Mistral, elle perd 20 milliards d'euros

Auteur : Valentin Vasilescu
Ex: http://zejournal.mobi

Le 13 octobre 2014, la Russie a signé un contrat avec la Chine pour des sous-marins de classe Amur. Le contrat pour les systèmes S-400Triumph et les avions Sukhoi 35 sera signé dès 2015, selon la décision de la France en ce qui concerne les 4 porte-hélicoptères Mistral.

La déclaration du président Barack Obama selon laquelle la Russie est la principale menace pour l’humanité après l’épidémie d’Ebola, accompagnée de sanctions économiques imposées par les États-Unis et ses sbires (UE, Japon et Australie), a été suivie d’un dur avertissement lancé par la porte-parole du département d’Etat américain, Jen Psaki. Le gouvernement français a obtempéré et a relevé de ses fonctions le directeur du programme de Mistral qui avait fait entamer les préparatifs pour la livraison officielle du premier porte-hélicoptère à la Russie, le 14 novembre 2014.

Ces gestes hostiles ont conduit la Russie à prendre des mesures, en donnant les premiers coups indirects. La première urgence pour la Russie est de protéger sa frontière orientale du danger des flottes militaires des États-Unis et ses alliés dans la région : le Japon et la Corée du Sud. Protection assurée par un avant-poste puissant comme la Chine, le plus sûr allié de la Russie. La Chine, qui est devenue la première économie mondiale, possède les plus grandes réserves de devises étrangères au monde.

Sur le plan pratique, la Russie a signé un contrat avec la Chine pour la construction du sous-marin d’attaque de 4ème génération de classe Amur (projet 1650) le 13 octobre 2014. La Russie assurera le transfert de technologie pour la construction en Chine d’une série de 25-30 sous-marins extrêmement silencieux de cette classe, ce qui permettra à la marine chinoise de surclasser les groupes navals américains, japonais, et coréen opérant dans la région du Pacifique occidental.

Le sous-marin de classe Amur est équipé d’un système de propulsion indépendant de l’air atmosphérique (AIP), qui lui permet de naviguer sans avoir à remonter à la surface pendant un mois, suffisamment pour traverser d’un bout à l’autre l’océan Pacifique sans être dépisté. Le sous-marin Amur dispose de quatre tubes de lance-torpilles horizontaux de cal 533 mm et 10 VLS (système de lancement vertical) pour les missiles. Les lanceurs verticaux peuvent utiliser simultanément une vaste gamme de missiles de croisière (avec des rayons d’action allant jusqu’à 2 500 km), des missiles antinavires et des missiles AA de longue et moyenne portée.

La seconde urgence est la création des conditions pour briser le bloc monolithique créé autour des États de l’UE par les États-Unis pour imposer des sanctions économiques contre la Russie. Et la situation semble favorable à la Russie, sur le plan de la scène politique, préfigurée par la France, où le spectre du chômage atteindra dans quelques mois des niveaux dont la gravité pourrait paralyser le Président François .

En décembre 2010, Nicolas  rentre d’une visite officielle en  avec la plus grande commande de l’histoire de l’aéronautique commerciale, d’une valeur de 15 milliards de dollars, visant à livrer, pendant les 8 années à venir, 180 avions Airbus à la compagnie indienne IndiGo Airlines. Ce contrat s’est exécuté dans une proportion de 30 à 40 % et peut être annulé à tout moment. En 2012, toujours grâce à , le Rafale français de Dassault a été déclaré vainqueur devant son rival européen Eurofighter Typhoon en finale du concours MMRCA-126 de l’armée de l’air Indienne.

La compétition visait à sélectionner des types d’avions multi rôles pour remplacer les MiG-21 Bizon de l’Inde. Une des conditions du contrat initial, d’une valeur de 20-25 milliards d’euros étant que presque 100 des 126 appareils soient assemblés en Inde. Comme la France a établi une période de trois ans à compter de la signature du contrat-cadre jusqu’à la livraison du premier exemplaire au bénéficiaire, selon l’Ambassadeur de Russie à New Delhi, son Excellence Monsieur Alexander Kadakin: « l’Inde a toutes les raisons de ne plus être intéressée par les Rafales, d’ici la fin de 2014. »

La raison en est le contrat de la Russie avec la Chine pour la livraison de 28 systèmes anti-aériens anti-missiles de dernière génération, le S 400 Triumph, et 24 avions de chasse Sukhoi 35 S, approuvée par le Président Vladimir Poutine. Le Contrat doit être signé dans les premiers jours de l’année 2015. Si la France maintient la décision dictée par Washington de ne pas expédier les porte-hélicoptères Mistral déjà payés par la Russie, Poutine sera obligé d’offrir à la Chine des appareils Su-35 S, avec les pièces de rechange et 100 moteurs AL-41F1S à traction vectorielle (les plus puissants moteurs pour les avions multi rôles de génération 4 ++).

La Chine a surpris la planète entière en remplaçant récemment les radars PESA (Passive Electronically Scanned Array) par l’AESA moderne (Active Phased Array Radar) sur tous les cinq avions AWACS, appelé le KJ-2000. L’avion KJ-2000 (l’appareil russe IL-76 modifié), conçu comme un poste de commandement volant, est devenu plus puissant que le Boeing E-3C Sentry américain (équipé de radars PESA). Chaque KJ-2000 est capable de suivre 300 cibles aériennes ennemies, tout en dirigeant l’interception de chacune de ces cibles par 100 avions de chasse chinois.

Au lieu d’une antenne conique PESA, capable de tourner à 360 degrés pour pouvoir transformer les ondes radar en un faisceau étroit, l’antenne radar AESA est composé de 1 000 à 2 000 modules TR (émetteur-récepteur), qui fonctionnent indépendamment les uns des autres. La modélisation de la forme du faisceau radar et sa projection dans un secteur très étroit et très précisément délimité dans l’espace est réalisé numériquement par un ordinateur, en sélectionnant la puissance du signal émis par chacun des modules TR en quelques millionièmes de seconde. En outre, chaque module TR peut être programmé pour fonctionner soit comme émetteur, soit comme récepteur uniquement, avec des fonctions différentes en même temps.

Le radar AESA 50N6A est dérivé du complexes AA russe Tor-M2E (déjà installé en Biélorussie, c’est la première batterie russe de ce type) et S-350, ce qui signifie qu’il est venu en Chine pour une raison, fondée sur un accord russo-chinois. Mais le radar de 50N6A chinois a un plus grand gabarit que son frère N036 Byelka dont la portée est de 400 kilomètres, à bord des 22 avions Su-35 qui ont rejoint en 2014 la dotation de l’aviation  de la Fédération de Russie. Par conséquent, la Chine, qui a de l’argent, ne s’arrêtera pas au lot des 24 Su-35 S et a l’intention de commander plus de 100 appareils de ce type.

Ainsi, connaissant la servilité du président François Hollande vis-à-vis de Washington, l’option de la France est claire : pour l’instant les conditions de livraison des premiers navires de guerre Mistral ne sont pas remplies. Rafale, le meilleur avion de chasse français de tous les temps, devient, de manière imméritée, un simple enjeu, un trophée de chasse en conséquences du jeu politique dicté par les américains. Pour bien voir le coup porté à la France par le président Hollande, je vous propose de regarder une vidéo montrant en direct comment le rafale « descend » le meilleur avion américain, le F-22 Raptor, en manœuvres de combats aériens. Ensuite il « descend » quatre fois d’affilée, des avions Eurofighter Typhoon.

Par effet domino, l’Inde qui est la quatrième économie mondiale et espère étendre le gazoduc russe « power of Siberia » en Inde, a annoncé le 25 octobre qu’elle prévoit des réorientations en ce qui concerne ses contrats et qu’elle allouait un montant de 13 milliards de dollars pour certains nouveaux programmes militaires. L’Inde, qui est le plus gros importateur d’armes russes et qui a jusqu’à présent produit sous licence 200 avions Su-30MKI, se voit obligée de renoncer aux Rafales. L’avion français, équipé de radar PESA, même si c’est mieux que le Su-30MKI, est inférieur au Su-35, qui a également des moteurs de traction vectorielle que Rafale ne possède pas.

La seule conclusion que l’on peut tirer est qu’il semble que l’Inde va commander 126 avions Su-35 S, au lieu de Rafales, tandis que la Russie ne sentira en rien l’absence des Mistral.


- Source : Valentin Vasilescu

samedi, 01 novembre 2014

Google: vers la domination robotique globale?

Google: vers la domination robotique globale?

Auteur : Eric Pinzelle
Ex: http://zejournal.mobi

1) Qui connaît réellement l'empire de Google?

Les grandes choses ont de petits commencements. Il y a dix ans à peine, Google entrait en Bourse. Aujourd'hui, un analyste prédit que l'entreprise fondée par Larry Page et Sergey Brin serait la première a atteindre le billion de dollars de capitalisation boursière (NYPost du 10 octobre 2014). Selon l'analyste Colin Gillis employé par BCG Partners, "Google va croître aussi vite qu'une traînée de poudre grâce aux investissements dans des secteurs comme les voitures autonomes et la robotique". Évaluée à l'origine à 23 milliards de dollars, l'entreprise atteint aujourd'hui 366 milliards, devenant la 4e compagnie au monde, très proche de Microsoft et d'Exxon Mobil.

Depuis février 2001, Google a acquis 172 entreprises dans des secteurs extrêmement variés. Toutefois, ces derniers mois, la firme californienne a multiplié des achats qui intriguent inévitablement tous les observateurs. Entre octobre et décembre 2013, 8 firmes de robotiques étaient rachetées presque coup sur coup. Ensuite, ce furent 4 entreprises spécialisées dans l'intelligence artificielle, les deux dernières acquisitions dans ce domaine datant du 23 octobre. Sans compter les sociétés de drones de haute altitude et d'imagerie satellite. Qu'est-ce que Google pourrait vouloir en faire? Certains commentateurs se demandent ainsi si l'entreprise ne veut pas créer une armée de robots, et si c'était le cas, dans quel but? On peut penser qu'il s'agirait d'une chasse aux talents dans des domaines d'avenir, Google étant devenu un amalgame de technologies diverses. Il y a dix ans, Google était clairement un moteur de recherches. Aujourd'hui, les marchés et le grand public ne savent plus trop définir l'entreprise ni ne comprennent ce qu'elle est en train de devenir.

Les citoyens de la planète devraient peut-être se poser la question. Rappelons que Google a la mainmise sur une immense part des connaissances humaines, peut parler n'importe quelle langue, l'entreprise a cartographié l'ensemble des rues et chemins de la planète, elle en sait certainement plus sur vos données personnelles (votre localisation, où vous vous rendez, votre téléphone, ordinateur, vos amis, vos contacts, toute votre vie digitale...) que le système ECHELON lui-même. Ces éléments troublants interpellent de nombreux observateurs: Google serait-elle en train de se transformer en Skynet?

D'après les fondateurs de Google, les robots auront remplacé les humains vers 2035 pour un monde meilleur. Étrange vision de l'avenir dont on ne sait s'il faut s'en réjouir. Selon leur nouveau gourou Ray Kurzweil, (responsable de l'équipe d'ingénieurs, également conseiller de l'armée américaine dans les domaines scientifiques), dès 2029 les robots pourront faire tout ce que font les humains, de manière plus efficace. Cet inventeur touche à tout prédit qu'avant dix ans les ordinateurs auront atteint un certain niveau de "conscience" et qu'à l'horizon 2045 ils seront des milliards de fois plus puissants que tous les cerveaux humains sur Terre.

Perspective tout à fait sidérante et pour le mois effrayante d'un avenir de silicone et d'acier, d'un monde plus que jamais à deux vitesses. Heureusement que le slogan de Google: "Don't do evil", "ne faites pas le mal" est là pour nous rappeler que les dirigeants actuels de cet empire affichent des convictions pacifiques... Est-ce suffisant pour nous rassurer pour autant?

2) La robotisation dans le domaine militaire

La technologie robotique militaire est hautement classifiée et gardée secrète. Pour autant certains projets sont déjà connus, certains employés depuis des années, et d'autre ont reçu un certain éclairage médiatique. Google, depuis ses dernières acquisitions, y prend une part active.

Commençons par les drones, ces fameux avions sans pilotes, qui servent d'appareils de reconnaissance et parfois d'attaque. La toute première attaque lancée contre une cible au sol par un drone Predator eut lieu près de Khost au Pakistan le 4 février 2002. La CIA était aux commandes et des informations donnaient à penser que Ben Laden était présent sur les lieux. Un missile Hellfire fut tiré et trois civils innocents exécutés. On entrait dans une nouvelle ère: tuer devenait distant, sans risque, presque comme dans un jeu vidéo. Ces machines volantes mortelles sont devenues les "héros" de la guerre « propre et chirurgicale » pour ceux qui en possèdent et savent communiquer dans ce sens vis à vis des opinions publiques. Les opérateurs à distance, certains situés à des milliers de km, peuvent toujours déclarer qu'ils ne font qu'obéir aux ordres. Les victimes sont totalement déshumanisées.

De nos jours, des centaines de drones sont utilisés par de nombreuses nations dont la France. Notons au passage l'énorme retard de la France dans ce domaine: l'armée de l'air n'en possède pour l'instant que 6 pour plus de 400 dans l'arsenal américain! Nos drones ne sont d'ailleurs pas armés à ce jour par décision politique. Le gouvernement américain ayant franchi ce pas depuis longtemps, le sénateur Lindsey Graham estimait en février 2013 que plus de 4700 personnes avaient déjà été victimes de l'attaque des drones au Pakistan, en Irak, en Lybie, au Yemen, en Somalie, en Afghanistan... D'après le ministère de la défense pakistanaise, 80% des tués seraient des civils (voir: drones.pitchinteractive.com/).

Aujourd'hui mercredi 29 octobre, le ministre de l'intérieur Chaudhry Nisar Ali Khan exigeait l'arrêt définitif des attaques de drone au Pakistan lors de son entretien avec le représentant américain Daniel Feldman. Des drones patrouillent aussi le long de la frontière américano-mexicaine pour des missions de surveillance diurnes et nocturnes.

Du côté de l'espace, un petit véhicule orbital robotisé de 8m de long, le X-37 B de Boeing (Phantom Works division), utilisé par l'US Air Force, lancé en décembre 2012 a été récupéré sur la base de Vandenberg ce 17 octobre. Les missions précises de cet engin (il s'agissait déjà de la troisième) sont inconnues du grand public. L'appareil est lancé à l'aide d'une fusée et atterrit sur Terre comme la navette spatiale.

Pour la Navy et les Garde-côtes, des systèmes opérationnels sont à présent capables de mettre en place une "nuée" (swarm) d'embarcations rapides armées et autonomes afin d'assaillir et encercler tout ennemi ou danger potentiel de manière collective. La technologie à l’œuvre (programme CARACaS) a été développée par la NASA pour les rovers martiens. Testée en situation réelle le 14 août sur la rivière James en Virginie avec 13 embarcations robots, elle serait économique: le système était installé sur des bateaux déjà en service.

De son côté, l'entreprise privée Juliet Marine Systems a mis au point le GHOST, un bâtiment robotisé furtif. Rapide (50 nœuds) et pouvant être équipé de 90 missiles NEMESIS, la société de Portsmouth prétend qu'elle pourrait les vendre à seulement 10 millions de dollars l'unité. Jusqu'à présent, le Pentagone et la Navy ne sont pas montrés intéressés mais un contrat pour 25 bâtiments aurait été conclu avec un pays non dévoilé.

Vient ensuite la catégorie des robots utilisés pour le déminage, comme les PackBot de Irobot (qui furent utilisés dans la centrale de Fukushima après le tsunami de 2011) et le Talon de l'entreprise QinetiQ par exemple. Ce dernier, dans une version modifiée appelée SWORDS est capable de transporter toute une panoplie d'armements (mitrailleuses M 240, M 249, lance grenades de 40 min...). Ce sont d'ailleurs trois robots SWORDS qui furent pour la première fois employés en situation de combat en Irak en 2007. Les rapports concernant la mission sont contradictoires. L'armée les aurait finalement retiré du théâtre d'opérations sans les avoir utilisés. QinetiQ est déjà passé à l'étape suivante en développant le robot MAARS, décrit selon la firme comme "puissant, agile, modulaire et prêt au combat". Le HDT Global Protector est un engin à chenille assez similaire, capable de transporter 227 kg de matériels ou d'être équipé d'armes portatives, tout comme le Northrup Grumman CamMEL qui est lui désigné comme un rover multi-usage.

Les robots humanoïdes et ceux qui tentent de reproduire les animaux. Google a fait l'acquisition d'une panoplie d'entreprises travaillant dans la robotique dont Boston Dynamics qui a obtenu 140 millions de Dollars de contrats du Département d’état américain et de ses agences depuis l'an 2000. L'entreprise se vante d'ailleurs de conseiller et d’équiper l'Armée, la Marine et les Marines avec le développement des robots les plus avancés de la planète. Les robots PETMAN et ATLAS de taille humaine sont déjà capables de marcher et d'évoluer sur tous les terrains. BigDog est un robot évoluant sur 4 pattes capable de transporter 150 kg, lancer de lourds objets à distance, Cheetah détient le record mondial de vitesse pour un robot quadrupède avec ses 45 km/h. Tous ces projets ont été financés en grande partie par la DARPA, l'agence pour les projets de recherche avancée de défense à l'origine, par exemple d'ARPANET, l'ancêtre d'internet. En combinant toutes ces avancées sur l'autonomie, la mobilité, la puissance et la vélocité, Google détiendrait déjà les clefs du futur combattant robotisé de nos pires cauchemars. En parallèle, la DARPA continue également de diriger de nombreux projets dont le X-37 B, des travaux sur l'interface neuronale directe, les exosquelettes HULC et XOS...

La Directrice actuelle de la DARPA, l'ingénieur Arati Prabhakar, expliquait récemment que son agence investissait pour des raisons de sécurité nationale. Google, en tant qu'investisseur privé comptait bien honorer les contrats en cours, ce qui était perçu comme un "signe positif". En réalité, personne, pas même le Département d’état, ne connaît vraiment les intentions des dirigeants de la firme californienne à ce sujet, ni l'étendue des travaux en cours au sein du très secret laboratoire Google X supervisé par Sergey Brin en personne.

3) Robots et stratégie au sein de l'armée américaine

On n'arrête pas le progrès. Aussi, afin de se doter d'équipement adapté, l'armée américaine fait régulièrement un état des capacités robotiques et de leurs avancées. En octobre 2013, Northrop Grumman, 5D Robotics, HDT Robotics, iRobot, QinetiQ et Lockheed Martin ont présenté pendant plusieurs jours différents robots d'usage militaire. Déplacement, autonomie, transport de charges lourdes, franchissement de terrain étaient évalués à Fort Benning en Géorgie. L'événement visait à présenter à l'état major la "technologie réellement disponible" et comment elle pouvait être appliquée à la Défense. A cette occasion, 4 compagnies ont mis à disposition leurs robots armés, comme le Protector, monté d'une mitrailleuse M-240. D'autres engins robotisés ou autonomes furent testés au mois d'août de cette année à Fort Benning.

D'après Scott Hartley, co-fondateur de 5D Robotic, il pourrait y avoir 10 robots pour 1 soldat dans l'armée américaine d'ici une décennie. Ces robots pourraient déplacer matériels et équipements, effectuer des patrouilles de sécurité, suivre les soldats sur le champ de bataille pour un soutien logistique voire prendre part au combat.

Toutes ces évolutions vont dans le sens de la stratégie mise en place par le Commandement d’entraînement et de doctrine de l'armée (TRADOC). Ce haut commandement est chargé de modeler l'armée du future, de développer et de maintenir la doctrine militaire, mais aussi de la formation et de l’entraînement des soldats, la production de manuels militaires...etc. Le magazine Popular Science de janvier consacrait d'ailleurs un fascinant article à ce sujet. "Vers 2050 les soldats américains pourraient bien lutter aux côtés de collègues robots". Le général Robert Cone (alors Directeur du TRADOC) révélait que l'armée comptait ramener la taille des équipes de combat des brigades de 4000 à 3000 soldats, drones et robots servant de complément.

Pourquoi remplacer des hommes par des machines? Les hommes coûtent trop cher: il faut les entraîner, les nourrir, les équiper, et encore les suivre durant tout le reste de leur vie après leur retour à la vie civile. En 2012, un quart du budget du Pentagone était consacré à l'entretien et à la paie des soldats d'actives et les retraités.

Dans l'armée américaine, l'escouade de 9 hommes est la plus petite unité de combat opérationnelle. Les transports de troupes sont crées en prenant en compte ce format.

Les équipes de combat des brigades constituent les plus petites unités moyennes qui peuvent être envoyées au combat de manière indépendante. En réduisant les soldats dans les escouades, on réduit les effectifs de la brigade, ce qui entraîne des véhicules plus petits et moins chers. Pour ne pas diminuer la capacité opérationnelle en diminuant les effectifs, les brigades doivent pouvoir compter sur tout ce qui est nécessaire. En cela, le général Cone expliquait que l'armée américaine allait "devoir changer fondamentalement la nature de la force et qu'il fallait pour cela une avancée déterminante dans la science et la technologie". Ce qui, selon lui, devrait arriver vers 2030-2040.

Il existe encore un large fossé entre l'adoption de nouvelles technologies et la création des doctrines militaires d'application. Le programme Futur Combat Systems, en cours de 2003 à 2009 visait justement à la mise en place progressive de telles avancées au sein de l'armée: moins d'hommes, davantage de robots.

Ce mois-ci, Paul Scharre, Directeur du 20YY Warfare Initiative du «Centre pour une Nouvelle Sécurité Américaine» rendait public un rapport intitulé "Robotiques sur le champ de bataille, l'arrivée de la nuée" (Robotics on the Battlefield -The Coming Swarm). "Des équipes de robots interconnectés vont changer la manière de faire la guerre pour les Etats Unis et d'autres pays". Dans un futur proche, des "nuées de systèmes robotisés vont créer des changements considérables dans le cadre d'opérations militaires". "Les forces armées capables d'appréhender la meilleure façon d'employer ces nuées, les structures, la doctrine, la formation, le commandement et le controle nécessaires à leur soutien auront un avantage significatif par rapport à celles qui ne le maitriseront pas" conclut le rapport. La stratégie militaire est en perpétuelle mutation.

4) Quelles limites à la guerre robotisée?

Une foule de questions se posent ainsi déjà: quelles seront les limites de cette révolution robotique? Devons-nous donner la capacité de prendre la décision de tuer à des machines? L'avènement de ces nouvelles technologies entraînent la crainte de voir un jour les champs de bataille envahis par d'innombrables robots combattants.

Et si de puissants cyborgs militaires atteignaient un certain degré d'intelligence artificielle, la boite de Pandore serait ouverte. Des spécialistes tentent d’alerter l'opinion publique. Selon Elon Musk, le génial fondateur de SpaceX et de Tesla Motors: "jouer avec l'intelligence artificielle serait comme invoquer le démon". Particulièrement critique il déclarait dans le même sens: "Je pense que nous devrions être très prudents avec l'intelligence artificielle qui est potentiellement plus dangereuse que les armes nucléaires".

Contre cet univers militaro-technico-industriel la résistance s'organise déjà de manière dispersée. Un inventeur se propose ainsi de créer une armée de robots pour lutter contre les robots militaires ennemis: le Professeur du MIT Chris Csikszentmihalyi et son équipe crée depuis des années des machines destinées à lutter contre les machines pour s'opposer aux guerres et aux "puissants" qui menaceraient nos libertés.

Sur le plan éthique, la conférence donnée par le physicien Mark Gubrud, à Atlanta lundi 27 octobre portait sur la même thématique. Ce membre du Comité pour le contrôle des robots armés, a prévenu l'auditoire, parlant de la possibilité de plus en plus pressante "d'armées de robots luttant dans une guerre où les humains n'auraient aucun rôle".

Actuellement plus de 50 organisations militent contre les robots militaires. Une campagne active sur le net, intitulée "Stop Killer Robots" est en cours depuis avril 2013. Mardi 28 octobre, sa coordinatrice, Mary Wareham, a délivré un communiqué devant le Comité de désarmement et de la Sécurité internationale de l'Assemblée des Nations Unies.

"La vitesse actuelle des changements technologiques impose des délibérations urgentes et une action bien plus rapide" prévenait le rapport. « Nous avons de nombreuses préoccupations avec ces "robots tueurs", mais la plus importante préoccupation est sans doute la notion de permettre à une machine de sélectionner et de prendre une vie humaine sur le champ de bataille, dans le cadre du maintien de l'ordre, ou d'autres situations. Nous avons constaté que nombreux sont d'accord avec nous, c'est un pas de trop, c'est franchir une ligne qui ne devrait jamais l'être. Ce serait un affront à la dignité humaine. »

Dans ce monde de plus en plus cybernétique, Google est bel et bien en passe de devenir incontournable. Un empire est en train de se constituer sous nos yeux. Le Professeur Noel Sharkey, spécialiste en robotique et intelligence artificielle à l'Université de Sheffield déclarait aujourd'hui, jeudi 29 octobre, au journal The Independent: "J'aimerais penser que Google va en fait utiliser cette technologie avancée pour construire un extraordinaire robot civil – peut être un robot capable de livrer des colis ou pour l'aide à domicile, mais l'attractivité de contrats militaires de plusieurs millions de dollars pourraient les pousser du côté obscure. Espérons que cela n'arrivera pas".

Gageons que vous ne verrez plus jamais le moteur de recherches Google de la même manière...


- Source : Eric Pinzelle

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Destruction de l’Armée française et sacrifice de la Défense

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Destruction de l’Armée française et sacrifice de la Défense

Depuis maintenant près de trente ans, sous les gouvernements de droite de gauche, l’Armée française est sacrifiée. Dans ses effectifs, ses équipements, son budget. Analysons ce drame, le sacrifice de la Défense, son ampleur, ses causes, ses conséquences et ce qu’il faudrait faire pour y remédier. Bien entendu, les autres pays européens suivent la même voie funeste de diminution drastique des budgets de Défense. Ce qui donne l’impression que l’Europe, aux frontières ouvertes, baisse la garde.  Au moment même où les menaces intérieures et extérieures s’accroissent.

Sacrifier la Défense : une constante politique droite/gauche.

Chirac a été le premier à restreindre le budget militaire et a entamer la réduction du format des armées et même, à réduire les vecteurs de la dissuasion nucléaire aux composantes sous marines et aériennes en supprimant  les composantes  fixes et mobiles terrestres. Chirac, le pseudo-gaulliste, a entamé la démolition de l’armée française. Non pas tant en supprimant le service militaire qu’en inaugurant une diminution des effectifs et des budgets des armées professionnelles.

Aucune des LPM (lois de programmation militaire) n’a vraiment été respectée depuis trente ans. Non seulement on baisse régulièrement les crédits de l’armée française, mais les promesses de ”sanctuarisation” du budget de la défense n’ont jamais été tenues. Tous les gouvernements, adeptes du mensonge élastique,  se sont assis sur les besoins des armées. Avec à peine 1,9% du PIB, leur budget est ridiculement insuffisant.  

 Moins naïfs que les Européens et pas si bêtes, les Américains maintiennent leurs capacités militaires. Le budget du Pentagone représente 50% de tous les autres budgets militaires internationaux. Partout dans le monde, on réarme, sauf en l’Europe où l’on désarme. Depuis 30 ans,  l’armée ne cesse de fondre comme peau de chagrin ; un tiers des départements n’a plus de garnison ; cette désertification militaire provoque à la fois un délitement du tissu social et un recul de l’activité économique locale. Entre 2009 et 2019, au terme de la loi de programmation militaire en cours, l’armée professionnelle aura perdu 80.000 hommes, soit un quart des effectifs.  Beau suicide, accompli au nom de la ”rationalisation”. La loi de programmation militaire 2008-2014, votée par l’UMP et le PS, a sabré 54.000 postes. Les socialistes prévoient encore 23.500 suppressions d’ici 2019. Dissoudre des régiments, couper dans les budgets d’équipement ou les reporter, voici les principales missions des ministres de la Défense successifs. Aucun(e) n’a osé protesté, droite et gauche confondues, puisque leur carrière politicienne passe avant tout.

À la paupérisation des unités s’ajoute l’obsolescence des matériels. L’armée accomplit ses opérations dans des conditions acrobatiques. Les réformes successives de réduction du format des armées les ont affaiblies dans leurs capacités et minées dans leur solidité psychologique. On se dirige vers une situation de rupture, de la troupe comme de l’encadrement. L’armée est employée à 120% de ses capacités. Chaque année, la liste des régiments dissous s’accroit.. On s’attaque même maintenant à l’hôpital militaire du Val de Grâce ! Cette réduction globale des moyens et du format des trois armées avait commencé avec Chirac, preuve qu’il s’agit bien d’une politique (suicidaire) consensuelle partagée par la classe politicienne de droite comme de gauche.

Nos voisins et amis européens belges, néerlandais, italiens, espagnols, allemands,  scandinaves, portugais, etc. suivent la même politique de baisse des budgets de la Défense, négligeant leurs capacités militaires. La situation des armées allemandes, Bundeswehr, Luftwaffe et Bundesmarine, (seulement 1,4% du PIB ) est dramatique : plus de 50% des matériels des trois armes, déjà très réduits, sont hors d’usage, faute de crédits de renouvellement et de maintenance. Bien sûr, en tout, les Européens entretiennent 1,5 millions de militaires. Mais ces chiffres sont fallacieux et cachent une autre réalité : de moins en moins de soldats capables de se battre, des matériels hors d’usage, des moyens de transports déficients.  

Sacrifier la Défense : une ineptie économique.

 Sacrifier les dépenses et investissements de la Défense, en les considérant comme variables d’ajustement budgétaire est d’une stupidité économique totale à notre époque. Car le secteur de la Défense, porteur de hautes technologies aux retombées importantes multisectorielles, est capital pour les exportations et l’emploi. Restreindre les crédits d’achats et d’équipements pour l’Armée française induit une baisse des exportations de notre industrie de Défense, aéronautique, maritime,  terrestre, électronique, équipementière, etc. L’industrie de la Défense assure, de manière directe ou indirecte, par sous-traitance et retombées technologiques civiles, environ un million d’emplois. Et pas n’importe lesquels : des emplois hautement qualifiés, pas des balayeur ou des livreurs de pizzas. Sacrifier le budget de la Défense, c’est torpiller un peu plus l’industrie et la recherche françaises. Comme politique ”anti-croissance”, il n’y a pas plus efficace que de sabrer dans le budget de la Défense. Le programme spatial européen Ariane est la retombée directe de budgets militaires français sur les missiles.

Internet (dont la domination mondiale est américaine) est né grâce aux budgets de la défense du Pentagone. Les commandes du complexe militaro-industriel américain alimentent toujours le dynamisme des grands groupes américains, notamment informatiques et numériques. Idem en Chine. Le budget d’équipement de nos armées est le seul budget d’État qui soit  créateur, en termes de retombées technologiques dans tous les secteurs innovants. Et c’est le seul que l’on sacrifie. Cherchez l’erreur. Elle est le fruit de la bêtise idéologique.

Sacrifier la Défense : un ineptie idéologique et stratégique

Derrière cette diminution constante du budget de la Défense et de la réduction de la taille de l’outil militaire se cachent des relents d’idéologie antimilitariste et antipatriotique. Ainsi qu’une vision  pacifiste et irénique du monde, naïve et irréaliste. Mais il faut mentionner aussi une inconscience géopolitique : on s’imagine que le XXIe siècle sera pacifique, dominé par les négociations, les petites crises gérables, les interventions humanitaires des armées. Après l’effondrement de l’URSS, on s’est dit que toutes les guerres étaient finies et que seules ne compteraient plus sur une planète globalisée que les opérations de police ponctuelles. Or les conflits majeurs, les guerres de haute intensité ont autant de chance  de disparaître que le soleil de cesser de se lever chaque matin. 

Au moment où le monde s’arme, la France et l’Europe désarment. Très intelligent ! La Russie est le seul pays européen à accomplir un effort de défense et à essayer d’augmenter ses capacités. Mais on présente la Russie de Poutine comme agressive, comme un danger, un contre-exemple. C’est au contraire un exemple

Pour s’amuser, les chefs d’État (Sarkozy, puis Hollande) lancent des OPEX (Opérations extérieures), mini-guerres inefficaces, improvisées, en Afrique ou au Proche-Orient, avec de moins en moins de moyens, puisqu’ils coupent eux mêmes dans les budgets.  Pour ces OPEX, l’armée est à bout de souffle, en capacités ou en moral.  Moins on lui donne de moyens, plus on la sollicite sur des terrains extérieurs, et souvent pour des missions stupides et contre productives, lancées par des présidents de la République avides de se poser, de manière immature, en ”chefs de guerre”. Ces opérations inutiles et précipitées réduisent d’autant plus les budgets.

Prendre le budget militaire comme variable d’ajustement sacrificielle constitue une quadruple faute : sur le plan de la cohésion nationale, du rang international de la France (et de l’Europe), de la croissance économique et de la sécurité face aux menaces prévisibles et imprévisibles. Quand le ministre de la Défense, Le Drian, raconte qu’ « il faut faire porter aux armées leur part dans l’effort budgétaires du pays », il se moque du monde. Car, en réalité, seules les armées sont appelées à faire des efforts.

Où sont les efforts sérieux d’économie dans l’Éducation nationale pachydermique et impotente, les dépenses sociales délirantes de l’État Providence, les aides et allocations aux migrants clandestins, etc. ? En réalité, deux catégories ont été sacrifiées : les familles des classes moyennes (par hausses fiscales et coupes dans les allocations familiales) et les armées. Tout un symbole : la famille et l’armée. Tout ce que déteste sans l’avouer vraiment une oligarchie formatée selon certains dogmes idéologiques officialisés depuis Mai 68.

Les deux seuls secteurs qui ne devraient pas ”faire d’effort” dans la rigueur budgétaire mais au contraire bénéficier de crédits accrus sont précisément la politique familiale et la Défense ! Et c’est sur eux qu’on s’acharne ! Toujours ce suicide français. Les bla-blas politiciens flatteurs sur l’ ”armée, symbole de la République et de la Nation” ne doivent tromper personne.  Ils sont destinés à prévenir une possible révolte (sous forme de démissions d’officiers et de rébellion gréviste ?) des forces armées.

Questions polémologiques prédictives et inquiétantes

Il est facile de sacrifier le budget de la Défense, puisqu’on s’est habitué à ce les militaires (de tout rang) se taisent, obéissent, se sacrifient. Mais à un moment, trop c’est trop. La corde casse à partir d’un certain seuil de tension. Un risque d’implosion des armées existe, ce qui, depuis que nous connaissons ce qui s’est produit dans les légions romaines au IVe siècle, se nomme d’un terme dévastateur : la désobéissance. Les chefs militaires sont souvent tentés de créer un clash et de dire les choses clairement. Mais les dirigeants de la ”grande muette” renoncent et, en bons fonctionnaires obéissants, pratiquent la langue de bois ou se taisent. Pour combien de temps ?

L’armée est la colonne vertébrale de la Nation – de toute Nation pourvue d’une ambition de rang et de rayonnement, d’indépendance et de souveraineté –  parce qu’elle représente, d’un point de vue pratique et moral, l’organe de sa sécurité et de sa crédibilité. De plus, répétons-le, au XXIe siècle, les budgets de défense sont devenus des facteurs  centraux de cristallisation et de retombées technologiques et économiques de pointe dans la recherche et innovation (R&D) et les exportations. Les grandes et moyennes puissances mondiales l’ont parfaitement intégré.  Apparemment pas les gouvernements européens, ni les opinions publiques. Ce genre d’indifférence peut devenir dramatique. 

Au XXIe siècle, nous sommes entrés dans un monde ”plurimenaçant”. Les menaces sont polymorphes et viennent de partout.  La chute de l’URSS en 1991 a joué comme une gigantesque illusion pour les Européens. Qui peut savoir  – au delà de la ”menace terroriste” et de la ”cyberguerre” souvent exagérées – si l’Europe au XXIe siècle ne risque pas une guerre civile ethnique, une ”attaque intérieure” armée sur son propre territoire ? Voire même une agression extérieure sous une forme classique, voire nucléaire ? Les armées européennes seront-elles capables d’assurer la défense du territoire ? Au rythme actuel d’embâcle et de fonte des moyens, certainement pas. Et inutile de faire un dessin : la menace physique ne vient plus du tout de l’Est européen slavo-russe, mais du Sud et du Moyen-Orient. 

Et ce ne sont pas les Etats-Unis qui nous défendront. Notre seul véritable allié serait la Russie.

Faute d’une armée robuste et disciplinée, suffisamment nombreuse et équipée, la France ajoute encore un handicap aux autres. Pour l’instant, elle n’a pas encore, comme la Grande Bretagne, sacrifié sa dissuasion nucléaire, mais qui sait si nos politiciens pusillanimes ne vont pas être tentés de le faire ? La logique suicidaire est une pente savonneuse. D’autre part, un autre problème lourd se pose : le recrutement très important dans l’armée de personnels issus de l’immigration, notamment musulmane. Cette question, c’est le tabou absolu. Je n’aborderai pas ce point ici mais un parallèle éclairant doit être fait avec les légions romaines du Bas-Empire qui engageaient pour défendre Rome les frères de ceux qui l’assaillaient. On sait  comment la tragédie s’est terminée.  

La constitution d’une armée européenne, serpent de mer récurrent depuis la CED des années 50,  faussement revigorée depuis vingt ans par toutes les tentatives d’”euroforces”, franco-allemandes ou autres, est une impossibilité, qui s’appuie sur des gadgets. L’Europe n’a aucune politique étrangère commune, mis à part la blague des Droits de l’homme et la soumission volontaire à Washington et à l’OTAN.

Le Front National  a raison de protester contre le sacrifice du budget des armées. Il demande un minimum de 2% du PIB consacré à la Défense – ce qui est d’ailleurs encore insuffisant, il faudrait 3%. C’est un point positif dans son programme, par rapport à ses positions erronées socialo-étatistes dans l’économie. Mais il se méprend quand il affirme que c’est ”Bruxelles” qui oblige les pays européens à tailler dans leurs dépenses militaires ; même l’Otan incite au contraire à les augmenter !  Ce qui  pousse la classe politicienne française à tailler dans les budgets de Défense, c’est un mélange d’indifférence, de solutions de facilités à court terme et d’ignorance des enjeux stratégiques et économiques.  Il est tellement plus facile de sacrifier des régiments ou des commandes d’équipement que de s’attaquer à la gabegie de l’ État Providence.   

Les sept pistes à suivre

Examinons maintenant ce qu’il faudrait faire, dans l’absolu:

1) Rétablir le budget de la Défense à 3% du PIB minimum.

2) Honorer et augmenter les commandes de l’armée à l’industrie nationale de défense, dans les domaines terrestres, aéronautiques/spatiaux et  maritimes, mais aussi dans les budgets R&D.

3) Mettre en chantier un second porte-avion à propulsion nucléaire.

4) Rétablir les régiments dissous et durcir les conditions de recrutement.

5) Effectuer les commandes promises à la Russie de navires BPC.

6) Construire un ensemble techno-industriel européen de défense indépendant, avec obligation pour chaque pays de l’UE de pratiquer la préférence de commandes à l’industrie européenne et non plus américaine.   

7) Travailler  intelligemment à moyen terme, avec pragmatisme et  avec diplomatie à une dissolution de l’OTAN au profit d’une organisation militaire intra-européenne puis euro-russe. Sans que, bien entendu, les USA n’aient rien à craindre et ne soient désignés comme ennemis. Au contraire, ils pourraient être des alliés s’ils ont l’intelligence de comprendre qui sont les véritables ennemis communs.

Articles connexes:

vendredi, 03 octobre 2014

Profesor militar chino: "La tercera guerra mundial estallará por disputas marítimas"

En su artículo en el periódico estatal 'Global Times' el profesor Han Xudong ha expuesto la idea de que actualmente todas las naciones están viviendo "una era de nuevas formas de una guerra mundial".

Territorios que anteriormente eran indiscutibles —como el espacio exterior, Internet y los océanos— se han convertido en una parte del campo de batalla internacional, escribe Han en su artículo de opinión, señalando que "el número de países involucrados no tiene precedentes".

Han apunta las disputas marítimas en curso como una de las fuentes de un conflicto que pueda llegar a convertirse en una guerra mundial. "A juzgar por las controversias sobre el espacio global marítimo, el océano Ártico, el Pacífico y el océano Índico ya han visto una rivalidad feroz. Es probable que estalle una tercera guerra mundial para luchar por los derechos sobre mar".

"A medida que la rivalidad en el mar crece intensivamente, el desarrollo militar de China debe pasar de garantizar los derechos del país sobre la tierra a garantizar sus derechos en el mar", escribe el profesor. Debe desarrollarse "una fuerza militar a gran escala" con el fin de evitar ser "empujada a una posición pasiva" por potentes fuerzas militares como las de EE.UU., que cada vez más centra su atención en la región Asia-Pacífico, agrega Han.

China está actualmente implicada en una serie de disputas relacionadas con los derechos sobre el mar, sobre todo en el mar de China Meridional. Pekín reclama zonas marítimas que Vietnam, Filipinas, Brunéi, Taiwán y Malasia también reclaman.

En el mar de China Oriental, China insiste en que sus fronteras marítimas incluyen un grupo de islas ricas en recursos llamadas Diaoyu en chino y Senkaku en japonés. Japón, por su parte, dice que estas islas se encuentran en sus aguas territoriales. Basándose en el aumento de la presencia militar y la retórica política sobre estas y otras islas por parte de China, algunos analistas predicen que los reclamos marítimos representan una causa por la que China está dispuesta a ir a la guerra.

dimanche, 27 juillet 2014

Mistral russes et souveraineté nationale

 

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Mistral russes et souveraineté nationale

par Jean-Paul Baquiast
 
Ce matin 22 juillet, François Hollande (selon l'Elysée) et sur France Inter Xavier Bertrand, député UMP et candidat à l'élection présidentielle, ont confirmé leur volonté de voir la France ne pas tenir compte des inadmissibles injonctions américaines lui enjoignant de ne pas livrer à la Russie les deux BPC Mistral déjà acquis et en cours l'un de remise à son équipage russe et l'autre en finition. L'un et l'autre ont souligné, en termes quasi gaulliens, termes malheureusement sur d'autres sujets passés de mode aujourd'hui, que la souveraineté nationale, et pas seulement de futurs contrats militaires, était en jeu dans cette affaire.

 

Les pressions des Américains, relayés par leurs fidèles suiveurs les Britanniques, tiennent pour acquises les affirmations d'Obama selon lesquelles le crash de l'avion de la Malaysian avait été provoqué, directement ou indirectement, par Vladimir Poutine. Ceci non seulement alors que des causes différentes, pouvant impliquer l'Amérique, ont été évoquées, mais alors qu'une enquête internationale qu'il faut espérer objective est en cours, les boites noires de l'appareil étant désormais soumises à examen.

A supposer même que cette enquête montre une responsabilité des ukrainiens pro-russes, François Hollande et Xavier Bertrand ont à juste titre souligné qu'il n'appartient ni aux Etats-Unis ni à l'Otan ni à tout autre pays, de décider à la place de la France ce que doit être sa politique internationale, en cette occurrence comme en tous autres domaines.

Souhaitons que, malgré le véritable chantage s'exerçant sur la France pour la sommer de mettre fin à ses relations avec la Russie, le gouvernement comme l'opposition tiendront bon. Si ce n'était pas le cas, c'est alors qu'une manifestation bleu-blanc-rouge devrait se tenir sur les Champs Elysées pour rappeler nos dirigeants à leurs devoirs.

 
 

22/07/2014

vendredi, 16 mai 2014

Les Mistral pour la Russie : un enjeu stratégique majeur pour la France

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Les Mistral pour la Russie: un enjeu stratégique majeur pour la France

par Aymeric Chauprade

Ex: http://www.realpolitik.tv/2014/05/les-mistral-pour-la-russie-un-enjeu-strategique-majeur-pour-la-france/

En mars au journal de TF1, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius déclairait que « La France pourrait annuler les ventes des deux BPC si la Russie ne changeait pas de politique à l’égard de l’Ukraine et de la Crimée. »Les BPC, c’est-à-dire les Bâtiments de projection et de commandement, les deux navires militaires de type Mistral commandés en 2011 à la DCN (Direction des constructions navales).

Cette décision serait catastrophique à plusieurs égards. Pour le contrat lui-même bien sûr, qui pèse 1,2 milliards d’euros et qui conditionne un millier d’emplois à Saint-Nazaire. Il faudrait rendre l’argent déjà versé (la moitié), renvoyer la poupe des navires (construite en Russie) et s’acquitter d’importantes indemnités. En outre la France perdrait ses droits sur les plans du Mistral, déjà remis à la Russie, qui pourrait alors les construire elle-même. Une telle décision nous fermerait également la porte à tout futur contrat avec la Russie et notamment à son immense programme de réarmement naval (civil et militaire), estimé à plus de 50 milliards de dollars. Nos concurrents n’attendent que cela !

Mais au-delà, c’est la parole de la France qui est en jeu. Plusieurs contrats importants sont en cours de négociation, citons les 126 avions Rafale avec l’Inde pour un montant de 12 milliards d’euros, une série de contrats libanais financés par l’Arabie Saoudite pour 3 milliards de dollars, deux satellites espions avec les Emirats arabes unis… Mettons-nous à la place de ces pays, vont-ils s’engager plus loin sachant que ces méga-contrats peuvent être remis en cause du jour au lendemain pour des raisons diplomatiques ?

Car revenons à la source du problème : la Russie n’a pas militairement envahi la Crimée, auquel cas la question pourrait se poser, elle a simplement accepté le rattachement, après un référendum, de cette région très majoritairement peuplée de Russes et arbitrairement annexée à l’Ukraine en 1954. Si les différents diplomatiques, qui font partie de la vie des nations, même lorsqu’elles sont proches, doivent se traduire par des ruptures de contrats d’armement, autant faire une croix sur la capacité exportatrice de notre industrie de la défense ! Et au final sacrifier toute notre filière et perdre notre statut de puissance car, rappelons-le, ce secteur représente 165.000 emplois directs et autant d’emplois indirects, un chiffre d’affaire global de 17,5 milliards d’euros dont environ 30% est réalisé à l’exportation. La France est le quatrième exportateur d’armes mondial, derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie et ce résultat prouve l’excellence de nos industriels, que ce soit nos grands groupes ou notre réseau de PME. Se couper de cette compétition internationale à cause de revirements diplomatiques, perdre nos clients en rompant unilatéralement des contrats pourtant signés aurait des effets destructeurs sur l’ensemble de cet écosystème. Des milliers d’emplois seraient en jeu, mais aussi la place de la France dans le monde.

Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a fait savoir que « la question de la suspension se posera au mois d’octobre » (date de livraison du premier BPC), « à condition que ce soit dans un ensemble de mesures » prises notamment au niveau européen. Il soumet ainsi la France à une décision prise à Bruxelles, ce qui est tout à fait inacceptable. La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 ne suffit pas, il faut qu’en plus elle fasse dépendre ses décisions de nature militaire de l’Union européenne ! Une UE qui ne possède pas de politique claire au niveau stratégique et demeure surtout inféodée aux intérêts américains (cf le Traité transatlantique), qui est tiraillée entre les intérêts contradictoires de ses membres, et qui s’incarne dans une personnalité controversée, aussi transparente que maladroite, à savoir Catherine Ashton. Et il faudrait que Paris abandonne encore sa souveraineté et se détermine par rapport à cet attelage qui ne sait pas où il va.

Dans ce domaine comme dans les autres, la France doit retrouver son indépendance, défendre ses intérêts stratégiques, penser en termes géopolitiques, dans la longue durée et non pas en fonction des émois soulevés par les journaux télévisés. L’industrie de la défense joue un rôle capital dans notre économie, par la place importante qu’elle occupe, par sa capacité exportatrice, on l’a dit, également par ses recherches en haute technologie qui profitent au secteur civil. Remettre en cause la livraison des deux navires commandés par la Russie reviendrait à se tirer une balle dans le pied, et dans cette optique tous les patriotes doivent clairement signifier au gouvernement qu’il fait fausse route.

Aymeric Chauprade

mardi, 22 avril 2014

Cybergeopolitica

Cybergeopolitica

Desde nuestra red de alianzas con think-tanks acercamos el análisis del intelectual ruso Leonid Savin. Siguiendo el objetivo de acercar diferentes perspectivas desde diversas capitales del mundo, compartimos conceptos sobre la evolución de la geopolítica en la interpretación de Leonid Savin sobre “cybergeopolítica” y otro espacio para la disputa de intereses.

Este año se podría llamar un punto de inflexión para el surgimiento de una nueva tendencia que yo llamo cybergeopolítica. El impacto de las redes sociales es cada vez más palpable. La divulgación de Edward Snowden destacó la importancia y la instrumentalidad del cyberespacio para la seguridad nacional y los procesos de la política internacional.

Si la geopolítica ya tiene definiciones y aparatos científicos muy desarrollados, operados por los políticos, expertos y académicos, el cyberespacio ha sido la «terra incognita». Y para la posesión de este espacio, se despliega la lucha muy activa.

Es muy significativo la confrontación entre diferentes Estados en la regulación del espacio de Internet. Esta dicotomía literalmente reproduce el deslinde megacivilizacional que se ha operado entre los países y pueblos  pertenecientes al Poder Marítimo (Sea Power) y al Poder Terrestre (Land Power), según la geopolítica clásica. EE.UU., los países de la UE y sus satélites  velan por el “Internet libre”, lo que es una hipocresía evidente, mientras que Rusia, Irán, China, India, Brasil y algunos otros Estados requieren que Internet fuera soberano y estuviera bajo la jurisdicción del derecho internacional, o bien de la Unión Internacional de Telecomunicaciones en el sistema de las Naciones Unidas. En este caso, la distinción claramente encaja en el esquema de Carl Schmitt, indicador fiable de lo Político, -  las categorías duales “amigo” y “enemigo”. Estas categorías no son las morales, sino las características técnicas que se manifestaron en las posiciones acerca del funcionamiento del espacio de Internet.

El cyberespacio tiene una diferencia significativa respecto con la tierra, mar, aire y espacio cósmico, o sea, no es creado por la naturaleza sino es una construcción artificial que tiene componentes que pueden cambiarse con el tiempo.

Sin embargo, todas las vías de comunicación, servidores y sitios industriales que están relacionados con Internet tienen una ubicación geográfica. En segundo lugar, ciberáreas tienen cierta identidad nacional en el sentido de las zonas de dominio, del control estatal y del lenguaje utilizado. En tercer lugar, el cyberespacio hace hincapié en la geografía física de una manera especial – con sensores de diferentes servicios, dispositivos de navegación, dispositivos técnicos y dispositivos móviles que incorporan un mapa interactivo con los flujos cruzados de la información, la tecnología y las personas.

El cyberespacio arregla y homogeniza el espacio físico de modo especial -  con el uso de la tecnología GPS y otras herramientas, la globalización se mete en los rincones más recónditos del planeta.

¿Qué es la cybergeopolitica? Creo que tenemos que entender este neologismo en doble sentido:1) como la nueva disciplina científica que estudia lo que pasa con una interfaz hombre-máquina en el contexto de la política y la geografía, incluyendo, pero no limitándose, con la interacción interactiva de las redes sociales, el espacio virtual, la diplomacia web.2.0 y 2) como la actividad corriente que afecta e incluye los principios de relación retroactiva en los sectores sociales, políticos y militares, y donde el establecimiento y la propagación del poder, aunque sea en la forma más sofisticada, es el imperativo.

Es importante entender que el prefijo “cyber” significa algo más amplio que lo que algunos creen, o sea, la comunicación via Internet y el espacio virtual. Por supuesto, esta palabra se deriva de la cybernética. Como en el caso de la geopolítica, el surgimiento del término “cybernética” viene de la Grecia antigua. La palabra Κυβερνητική era mencionada por primera vez por Platón en su obra “Las Leyes”. Se traduce como “el arte del timonel”. En el tercer libro de aquel filósofo griego del período tarde, quizás el más sólido en la redacción y la estructura de la obra, el Estado se compara con el barco, y su timoneles son el Dios, el destino y el buen tiempo. La imagen del Estado-barco y el soberano-timonel se encuentra también en otras obras de Platón. Además, hay una expresión similar en la poesía griega de Alceo, utilizada más adelante por el poeta romano Horacio. El físico y matemático francés Andre-Marie Ampere en su estudio “Ensayo sobre la Filosofía de la Ciencia” llamó de cybernética a la ciencia sobre el gobierno, que debería proporcionar una variedad de beneficios a los ciudadanos. Ampere escribió: “(el gobierno) tiene que elegir constantemente entre las diversas medidas más adecuadas para lograr el objetivo, y sólo con el profundo estudio y comparación de los diferentes elementos aportados por los conocimientos de todo lo que tiene que ver con la nación, es capaz de gobernar de acuerdo con su propio carácter, costumbres, medios de vida y la prosperidad, las leyes de la organización, que pueden servir como las normas generales de conducta y que estaba actuando en cada caso particular. Así, sólo después de todas las ciencias que se ocupan de estos diferentes objetos, es necesario poner esta ciencia que ahora está en cuestión y que yo lo llamo de cybernética; la palabra tomada al principio en el sentido restringido del arte de navegación, en los mismos griegos ya cobró el contenido mucho más amplio del arte de gestión en el sentido general.
 

Stuart Umpleby destacó que la cibernética ha desarrollado los estudios relacionados con una amplia gama de procesos, incluyendo a las personas como organizadores activos, comunicadores, los que intercambian información y son personas responsables.
Como la geopolítica, la cybernética también se aplica a muchas áreas de la vida pública. Por lo menos, a ella se dedicaron y desarrollaron sus definiciones no sólo los físicos y matemáticos, sino también los políticos, sociólogos, teóricos de la gestión y la educación, antropólogos, lingüistas, filósofos y estrategas militares.

Alguien puede preguntar – ¿qué pasa con la política, también considerada por los filósofos griegos antiguos como el arte de la administración del Estado? Hay que señalar la diferencia fundamental. La cybernética trata más bién con la gestión eficaz (el timonel del barco, y en un sentido más amplio el gobernador  es el cibernético), pero no con todos los casos que involucran la participación de la gama mucho más amplia de los ciudadanos (residentes de la ciudad o los súbditos del imperio). El principio fundamental de la política es tener un oponente, y en el caso límite, el enemigo. No por casualidad, las palabras griegas antiguas «guerra» πόλεμος y “política” πολιτική tienen la misma raíz.

En 1987 el profesor Larry Richards, eminente estudioso norteamericano cibernético, dijo que la cybernética deben aprender algo “nuevo” de la interacción dinámica del sujeto y la práctica de la comunicación, independientemente de sus intereses en el campo de la electrónica, la vida, la sociedad, o lo que toman de la ciencia, el arte o la política.

Jeff Dooley sugirió el nombre “cybernética” para la ciencia sobre el comportamiento intencional. Nos ayuda a explicar el comportamiento como una acción continua de alguien (o algo) en el proceso, tal como lo vemos, manteniendo ciertas condiciones cercanas a la situación de la meta.

La cybernética se dedicó activamente a la ciencias políticas en los años 90 del siglo pasado. Se vio afectado por una serie de nuevos conceptos, como los de la evolución política, del ecosistema político, synergetics, biopolítica, etc. Peter Corning del Instituto del Estudio de Sistemas Complejos menciona que la característica más importante de un sistema cybernético es que está controlada por la relación entre tareas endógenas y medio ambiente externo… Cybernética habla de la viabilidad, los objetivos, los flujos de información, la toma de decisiones en la gestión y la retroalimentación (bien definido) en todos los niveles de los sistemas vivos. Hay muchas otras definiciones de la cybernética, que se interpreta incluso como “el estudio de la intervención bien fundada”.

Ya en estos ejemplos se puede encontrar mucho en común con la geopolítica: la forma de vida, el proceso de control, la propagación del poder, la dinámica del cambio político, el diseño de los objetivos y de su posterior aplicación, e incluso las circunstancias de fuerza mayor.

Sin embargo, en los últimos treinta años se ha vuelto más común la primera parte de la palabra – “cyber”, que se hizo la narrativa en la política, la cultura, los medios de comunicación y las distintas ciencias.

Daniel Coelho, profesor de la Universidad Nacional EE.UU. de Defensa, sugirió dividir esta palabra en tres elementos distintos. Primero, comunicación-red, segundo, el contenido -mensaje, y tercero, el concepto del efecto obtenido a partir del mensaje. Esta deconstrucción muestra cómo se diferencian las habilidades de individuos y organizaciones, que van desde las operaciones en una red informática hasta los asuntos públicos, que también están involucrados en la gestión de la información, ya que éste pasa entre la máquina y el hombre.
En consecuencia, no se trata tanto de las redes de información computarizada como de los procesos sociales más amplios. Y puesto que con el advenimiento de Internet, y más recientemente, debido a la disponibilidad de los aparatos técnicos para el público en general y la institucionalización de la cybergeopolitica, estos procesos se hicieron internacionales, podemos hablar con certeza de su escala geopolítica y global.
Así, la geopolítica cobró otra área, la cybernética, a la cual sus axiomas básicos se han extendido; al mismo tiempo, es la realidad de otro nivel, donde operan nuevas reglas, y existen otros niveles, zonas, límites y posibilidades.
 
*Jefe editor de revista Geopolítica, Moscu, Rusia.
 
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mardi, 18 mars 2014

Mutations et transformations dans l’armée américaine

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Bernhard TOMASCHITZ:

Mutations et transformations dans l’armée américaine

D’importantes transformations s’annoncent au sein de l’armée américaine. C’est le “New York Times” qui nous en informe, en faisant référence à des officiels du Pentagone, dont le journal ne révèle évidemment pas les noms. D’après ces informations le ministre de la défense Chuck Hagel est en train de planifier une réduction importante du personnel de l’US Army. Les effectifs seraient ainsi réduits à 490.000 militaires, au lieu du maximum de 570.000 hommes que l’armée avait comptés immédiatement après les attentats du 11 septembre 2001. En 2011, la moyenne avait été de 560.000. Pour l’avenir, Hagel souhaiterait encore une réduction, pour tomber à 450.000 ou 440.000 soldats: ces chiffres seraient les plus bas depuis 1940. Le ministère de la défense viserait essentiellement, par son plan d’épargne, les forces aériennes. Le budget général des forces armées américaines est de 600 milliards de dollars. Dans ce cadre, la mise en oeuvre d’une flotte d’avions de combat A-10 serait définitivement arrêtée.

Mais malgré cette réduction très importante du personnel militaire, les forces armées américaines resteraient parfaitement opérationnelles. Cependant, en cas de maintien de longue durée sur de multiples terrains d’opération, comme l’Afghanistan ou l’Irak, l’armée buterait rapidement sur des limites. “Il faut toujours être bien équipé mais cela n’a aucun sens de conserver d’importantes forces au sol si l’on ne mène pas une guerre sur le terrain”, écrit le “New York Times”, en citant un représentant du Pentagone. Il n’y aura cependant aucune modification dans la flotte des porte-avions (onze bâtiments), qui sera toujours prête à assumer des missions à l’étranger.

Le projet de Hagel reflète la ré-orientation de la politique de défense américaine après les guerres d’Afghanistan et d’Irak qui n’ont pas été de francs succès. C’est la raison pour laquelle, écrit le “New York Times”, il faut dorénavant “amorcer une nouvelle voie américaine”, qui pariera de plus en plus sur les forces spéciales et sur la guerre électronique. Barack Obama, a parié déjà depuis longtemps, depuis son accession à la présidence, sur l’utilisation de drones, surtout en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Cette évolution spécifique dans l’art de la guerre se poursuivra dans les années à venir. De même, on assistera, de plus en plus souvent, à des opérations subversives menées par les forces spéciales de l’US Army dans des pays comme la Syrie ou l’Iran.

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°9/2014, http://www.zurzeit.at ).

samedi, 15 mars 2014

Information Warfare: New Face of Cold War

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Information Warfare:

New Face of Cold War

Natalia MEDEN

Ex: http://www.strategic-culture.org

 
Today one could only guess what the recently started, unprecedented in scope, anti-Russian campaign may lead to as mainstream Western media outlets are getting more and more involved in the effort. Russia has taken resolute steps to defend its vital interests in Crimea and Ukraine as the West unleashed a new form of cold war – information warfare…   

The unanimity of German media condemning Russia evokes concern calling to mind historic precedents. A hundred years ago the Kaizer Germany unleashed the First World War; the German elite unanimously supported the government those days.   As the issue of war expenditure was put to Reichstag, Karl Liebknecht happened to be the only Member of Parliament to abstain. (1) Military hysteria spread on political elite and creative intelligentsia including such well-known personalities as Richard Strauss, Thomas Mann and Hermann Hesse.  Friedrich Meinecke, German historian who lived in the first half of last century, wrote that the people of Germany were deeply and irreversibly convinced that the war was imposed from outside and the people had their homes to defend in the most broad sense of the word. Reading these lines one can understand that the massive brainwashing campaign has made almost ¾ of Germans known to be frugal ready to support the new regime in Kiev while 12% believe it is acceptable to offer military aid. Over one third of respondents favor sanctions against Russia (1).

The Berlin’s stance on Crimea and on Ukraine in general by and large coincides with that of the United States, though a bit more restrained.  For instance, it took Germany some time to support the idea of excluding Russia from G8; it didn’t rush to make calls for urgent sanctions against Russia. With Germans obviously lacking fervor, Senator McCain started to rebuke them for being too passive. But don’t get taken in. Berlin sees Ukraine as a testing ground for the recently announced new, more assertive foreign policy.  Angela Merkel does not find it possible to go on with the preparations for G8 summit. The German government has adopted a phased plan of imposing sanctions against Russia.  Even German business elite hesitate when it comes to sanctions.  For instance, Martin Wansleben, Managing Director of the Association of German Chambers of Industry and Commerce (DIHK), told  Deutschlandfunk, «I don’t believe we can allow ourselves to impose any sanctions, it’s not our option. No matter that, the European Union must launch it».  (2)

It would be an exaggeration to say that Germans are under the spell of those who accuse Russia of committing an act of aggression. There are some things that prevent the mass psychosis, like new information technologies making it possible to watch footages showing the attacks by Maidan militants against Berkut soldiers or provocations by «unknown snipers»…Official media never post such video clips in Internet.  Frankfurter Allgemeine Zeitung has already adopted the rule to avoid the stories about Ukrainian right-wing radicals and anything that pours water on the mill of Russian propaganda (3). Bruno Gollnisch, a French National Front activist, said France should not repeat the mistakes of the 1953 Crimean war fighting against Russia to serve the interests of Great Britain striving for world dominance (4). 

The French right-wing National Front has no doubts that the fight for Ukraine contradicts the interests of the European Union. This view is shared by ultra-right parties of old Europe.   Bernhard Tomasitz, the editor-in-chief of the German People's Union’s media outlet, is sure that the new pro-Western regime has provoked the exacerbation of situation. One of its first steps was striking Ukraine’s Russian speakers by rescinding the law on the status of regional languages. The European Union normally defends the rights of minorities but this time it turned a blind eye. (Russians are not a «minority» in Ukraine) (5). The ultra-right in France and Austria believe that the federalization is quite an acceptable way to settle the Ukraine’s crisis. According to Andreas Meltzer, the leading candidate of Austrian People's Party at the elections to the European Parliament, the division of Ukraine the same way it was done in the case of Czechoslovakia would be a better alternative to civil war. (6)   Andreas Meltzer is sure that Europe could get rid of the US influence and establish normal relations with Russia.     

In France only left-oriented media has reported that Dmitry Yarosh, the leader of Ukraine’s nationalists, has decided to run for presidency.  Only left-wing media informs about recruitment centers for volunteers to man formations to be sent to Crimea. Yulia Timoshenko has threatened the peninsula with a guerilla war. Left Junge Welt tells about Pravy Sector’s absolute power in Lviv. It also tells about armed groups demanding recompense «for revolution» on the roads of western and central Ukraine (7). Tagesspiegel is not that candid, it shies away from calling a spade a spade telling about imposters who said they belonged to «people’s control» and tried seize two German factories (8) to the west of Kiev. 

It’s worth to pay special attention on the articles reflecting the point of view of big business. Such renowned economists as Michael Hutter and Hans-Werner Sinn warn about negative consequences of economic sanctions. The businessmen with direct interest in Russian economy are alarmed.  

Eckhard Cordes of the Committee on Eastern European Economic Relations and Volker Treier, Chief Economist for the German Chamber of Commerce and Industry, together voice their concern over the sanctions against Russia calling it a risky business which may cost dearly. E. Shoppe, chairman of machine building union in the East, expressed concern over negative affect of possible sanctions for German machine building competitivity. According to him, in case sanctions are imposed Russia will buy the machines and equipment it needs in China (9). 

Those down to earth reporters who specialize on economy go beyond strict ideological restrictions openly saying that for the majority of Germans Crimea is rather Russia than Ukraine (10).

Captura-de-pantalla-2013-05-31-a-las-10.44.58.pngA Wirtschaftswoche weekly reporter believes the following conditions are crucial for normalization of the Ukraine’s situation: first, the country has to stand on its own feet so that the new election would not take place in the atmosphere of despair as a result of economic failure, second, emotions need to be cooled down, third, President Putin should not be demonized anymore (11). 

The concern of German entrepreneurs over the situation in Ukraine is understood, as well as their willingness to look for the ways to get things in order there.  Will it be enough to stop the further negative development of events? Striking Russia-Germany ties directly corresponds to the goals cherished by the initiators of Transatlantic Trade and Investment Partnership agreement being pushed through by Washington.

 
 
 
(1) The results of the poll published on March 7 2014
(3) www.faz.net/aktuell/politik/ausland/europa/ukraine-die-extremisten-vom-majdan-12816972-p2.html
(4) www.marinelepen.fr,.03.07. 2014.
(5) National Zeitung,.03. 07. 2014.  The Verhovna Rada of Ukraine voted to rescind the law of February 23. A commission to work out a new legislature on language has already been formed in Kiev. One of the options for consideration is to cancel Cyrillic script for Latin.  
(7) Reinhard Lauterbach. Rechte machen mobil/ Junge Welt, 08.03.2014.
(9) dpa, 03. 07.2014.
(10) www.wiwo.de/politik/ausland/krise-in-der-ukraine-moskaus-geopolitische-arroganz/9560642-2.html. 
(11) Bettina Röhl. Krim: Keine Eskalation herbeireden!/Wirtschaftswoche, 04.03.2014.
 

vendredi, 28 février 2014

Aux armes pour l’Europe?

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Aux armes pour l’Europe ?

Compte-rendu de la conférence-débat du 8 février 2014 à Paris

par LA LIGUE FRANCILIENNE

Dans une brasserie au cœur de Lutèce s’est déroulé un dîner-débat de fort belle facture organisé par la Ligue Francilienne et le Réseau-Identités autour d’un thème qui est cher à nombre d’entre nous, l’Europe. Pour évoquer notre continent-civilisation, deux acteurs de la mouvance européiste identitaire ont accepté de prêcher l’Europe à un public attentif, soucieux de son avenir, mais déçu par une construction « européenne », l’Union européenne actuelle, qui n’a pas été à la hauteur des enjeux.

 

Pour les deux intervenants, la première gageure n’était pas de réveiller des consciences, qui l’étaient déjà, mais de réveiller en eux l’espoir d’une Europe unie et puissante, d’une Europe qui préservera les identités nationales sans que ces dernières ne la divisent, mais au contraire la forgent.

 

Jacques Cordonnier, président d’Alsace d’Abord, et Thomas Ferrier, secrétaire général du P.S.U.N.E. (Parti socialiste pour l’union de la nation européenne), le « Parti des Européens », ont ainsi éclairé de leur expérience ce que devait être l’Europe, ce qu’elle était pour eux et la forme qu’elle devait prendre.

 

Jacques Cordonnier a remarquablement expliqué l’échec de l’Union européenne mais a montré aussi l’impasse que constituaient le « repli national » et l’usurpation représentée par les partis souverainistes. Il a déploré que parmi les amis du mouvement identitaire certains avaient préféré écouter les sirènes de l’euroscepticisme plutôt que de continuer le combat pour une Europe européenne. Sincère fédéraliste, il a regretté le manque d’approfondissement de la construction européenne en raison d’une ouverture hâtive à des pays qui n’étaient pas prêts.

 

Thomas Ferrier s’est davantage employé à susciter l’espoir d’une Europe renaissante et conquérante, mais par le biais d’une révolution européenne, dont il a tracé la prospective, révolution qui permettrait de rendre l’impossible possible sans passer par une phase de rétractation mais au contraire par une expansion maximale du continent européen jusqu’à ses frontières définitives.

 

Face à un vent contraire qui prône la fin de l’euro et la ruine de l’Union européenne, ils ont expliqué l’Europe authentique, celle des Européens, non l’Europe des gouvernements, des États, des oligarchies nationales et internationales.

 

Le public a été très réactif et a participé de manière soutenue à la série de questions, évoquant des interrogations pertinentes et sincères. A ainsi été clarifiée la position qu’on pouvait avoir sur le Front national, troquant la lutte contre l’immigration pour une croisade contre l’Union européenne, façon tactique de renoncer à ce qui est pourtant le principal motif de vote de son électorat. Jadis, en effet, le F.N. expliquait la crise économique et le chômage par l’afflux migratoire. Aujourd’hui, tout serait de la faute de l’euro, ce qui n’a pas empêché pourtant la ruine de l’Islande, la remontée de l’Irlande et la politique d’extrême rigueur budgétaire du Royaume-Uni.

 

La question de l’appartenance ou de la non-appartenance des D.O.M.-T.O.M. à la « communauté nationale » a également été évoquée. Jacques Cordonnier a dénoncé le rattachement de Mayotte à la France. Thomas Ferrier a prolongé cette réflexion en souhaitant l’indépendance de tous les D.O.M.-T.O.M.

 

En une belle complémentarité, les deux intervenants ont évoqué pour l’un l’importance de l’identité régionale et pour l’autre celle de l’identité européenne. Le public se sera chargé d’ajouter l’identité nationale dans l’équation à trois niveaux.

 

À certains partisans d’une Europe unie mais sous la forme d’une doctrine plus ancienne, Jacques Cordonnier et Thomas Ferrier ont insisté sur la terminologie moderne qu’il serait bon d’employer pour défendre le combat pour cette Europe véritable sans prendre le risque d’accusations faciles que des adversaires pourraient opposer.

 

L’euro a été défendu en expliquant l’extrême dangerosité de son abandon, en raison des interdépendances engendrées par l’adhésion passée. L’euro a évidemment amené à des réactions plus tendues de certaines personnes du public, qui sous-estimaient la difficulté et associaient le discours tenu à celui des « euro-mondialistes ». Des précisions ont été apportées et ont fait réfléchir, notamment la nécessité de s’approprier les symboles européens pour mieux les retourner contre les promoteurs d’une « Europe » libérale et mondialiste qui n’est qu’une Anti-Europe.

 

Une personnalité bien connue de la « mouvance nationale » a réagi aux propos tenus en manifestant son scepticisme quant au projet européiste évoqué, préférant une Europe restreinte à quelques pays et dans laquelle on procéderait à des convergences, et a aussi déploré l’absence d’une définition géographique claire de l’Europe. Sur ce point, Thomas Ferrier a surpris la salle en évoquant l’européanité des Albanais ou des Tchétchènes, malgré l’islamité qu’on leur associe généralement, ne réduisant pas l’Europe à une définition par trop religieuse, et insistant sur la profonde parenté entre Européens.

 

Thomas Ferrier a rappelé ainsi la définition de la nation, « ceux nés du même sang », et ce pourquoi il existait une nation bretonne, une nation française et une nation européenne. Il a aussi insisté sur la distinction entre la nation et l’État. Jacques Cordonnier a insisté sur le fait de désigner l’ennemi de tous, et a ciblé notamment Martin Schulz, « socialiste » allemand et futur probable président de la commission, dont la profonde nocivité a été révélée aux invités.

 

Il faut remercier fortement le public de sa participation, de son respect du temps de parole de chacun, et de l’esprit constructif qui a animé chaque personne présente. Elles ont fait preuve d’ouverture pour un discours nouveau qu’elles n’ont pas l’habitude d’entendre. Et ce discours a convaincu chacun de l’importance d’adopter une vision européenne du combat politique, dans le respect des particularismes et des identités, de toutes les identités.

 

La Ligue Francilienne

 

• D’abord mis en ligne sur Réseau-Identités, le 10 février 2014, puis repris par Synthèse nationale le jour même.

 


 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

 

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lundi, 17 février 2014

La guerre des drones d'Obama

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LE CHANGEMENT DE LA GUERRE

La guerre des drones d'Obama

Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr

Cinq drones supplémentaires Falco seront opérationnels début avril en Afrique pour l'observation militaire dans la région des grands lacs où se sont repliés les ex-rebelles du Nord-Kivu, aux confins orientaux de la République démocratique du Congo (RDC). Capables d'opérer , de jour comme de nuit, de voler à 14.000 pieds (4.200 m), de tenir 12 heures en l'air, les drones sont devenus de véritables multiplicateurs de force. Ces drones seront non armés car ils participeront à la force de paix onusienne au Congo, au Soudan du Sud, où 7 500 casques bleus sont débordés par la guerre civile et en République centrafricaine où tout indique qu'une mission onusienne devrait remplacer, au printemps prochain, les forces africaines de la Misca. Les frais d'exploitation de ces cinq drones semblent plus que raisonnables: 15 millions de dollars pour cinq aérodynes et leur maintenance. Mais les drones sont loin d'être pacifiques !

Le Washington Post a rapporté que les frappes de drones au Pakistan ont été "nettement réduites" à la demande du gouvernement pakistanais pendant que celui-ci poursuit des pourparlers de paix avec les Talibans. Le gouvernement américain a précisé qu’il continuerait d'effectuer des frappes contre des cibles d’Al-Qaïda. Pendant ce temps, les frappes de drones ont continué au Yémen où un missile tiré sur un convoi de mariage a tué 11 personnes au mois de décembre.


C'est le 23 janvier 2009 que le président Barack Obama autorisait sa première frappe de drone. L’attaque, lancée contre un camp au nord-ouest du Pakistan, tua entre 7 et 15 personnes mais manqua le repaire Taliban que la CIA pensait alors viser. Au cours des cinq années suivantes, la CIA a effectué plus de 390 frappes de drone connues au Pakistan, au Yémen et en Somalie. (L’Agence a effectué 51 frappes de drone entre 2004 et 2009, durant l’administration Bush.) Il y a donc bien une montée en puissance spectaculaire de ce genre d'attaques. Obama y a même fait une brève référence dans son discours de janvier 2014 sur l’Etat de l’Union, assurant le Congrès qu'il avait imposé ''des limites prudentes sur l’usage des drones''. 


Ce n’est pas la première fois que le président américain reconnait la nécessité d’une politique plus claire sur les bombardements par drones interposés, nouvelle forme de la guerre moderne et de l'interventionnisme américain appelée dans le jargon militaire la ''force létale''. En mai dernier, Obama faisait remarquer à l’Université de Défense nationale que "cette nouvelle technologie soulève de lourdes questions, à propos de qui est ciblé, et pourquoi". Les réponses fournies depuis restent toujours vagues. Effectivement, qui est réellement ciblé ? 


Selon l’administration Obama, la force létale ne peut être utilisée que contre "Al-Qaïda et ses groupes affiliés". Or, officiellement, le gouvernement américain n’a identifié publiquement aucun groupe affilié à Al-Qaïda en dehors des Talibans ! L’examen des rapports des renseignements étasuniens couvrant la plupart des frappes de drone au Pakistan entre 2006 et 2008 et entre 2010 et 2011, montre que "les opérateurs de drone n’étaient pas toujours certains de qui ils tuaient, malgré les garanties du gouvernement sur l’exactitude des renseignements de ciblage de la CIA". Plus de la moitié des 482 personnes tuées entre septembre 2010 et septembre 2011 n’étaient pas des hauts dirigeants d’Al-Qaïda, mais furent "évalués" comme des extrémistes afghans, pakistanais ou inconnus. En fait, les drones n’ont tué que six hauts dirigeants d’Al-Qaïda au cours de ces mois-là. La ''force létale'' implique pour son usage "une menace imminente et continue envers des ressortissants étasuniens" mais les recommandations militaires du Pentagone précisent que les États-Unis doivent toujours être capables "d’agir en légitime défense dans des circonstances où il y a des éléments d’attaques supplémentaires imminentes, même s’il n’y a pas d’éléments spécifiques sur le lieu d’une telle attaque ou sur la nature précise de l’attaque." Cette très large définition - c'est le moins qu'on puisse dire ! - semble donc permettre à l’administration Obama de frapper n’importe quand. En dehors d’une liste de cibles à éliminer, un élément clé de la guerre des drones est aussi l’utilisation américaine des fameuses ''signature strikes'' — attaques autorisées contre des cibles affichant une "signature" terroriste, telle que "des camps d’entraînement et des enceintes suspectes". Le gouvernement américain a refusé jusqu'alors de reconnaître l’utilisation de ces "signature strikes" ou d’en discuter les justifications légales. La CIA déclare qu'elle ne dévoile pas les critères qu’elle emploie pour identifier une "signature" terroriste et nous la comprenons : il est particulièrement difficile de le faire par exemple au nord-ouest du Pakistan, où les militants et les civils peuvent s’habiller de la même manière, et où il est coutumier de porter publiquement une arme.


Les Commissions du Congrès sur le renseignement surveillent le programme de drone. Cependant, leurs capacités à établir des limites sont sévèrement restreintes car le programme de la ''force létale'' est totalement classifié secret défense. Le gouvernement américain a systématiquement refusé de répondre aux demandes d’informations complémentaires de la part des législateurs. Par exemple, depuis 2011, 21 demandes de membres du Congrès sollicitant l’accès aux mémorandums du Bureau du conseil juridique qui fournissent les bases légales de l'usage des drones ont été refusées. Les ''frappes létales'' ne peuvent être réalisées seulement qu'avec "la quasi certitude que des non-combattants ne seront pas blessés ou tués". Cependant, les militaires américains comptent tous les individus masculins d’âge militaire tués par drones comme des militants. Le Bureau of Investigative Journalism estimait que le nombre total de victimes civiles depuis 2004 au seul Pakistan était passé de 416 à 951. Puis, se pose aussi la question de la frappe par des drones de citoyens américains. 


En septembre 2011, Anwar Al-Awlaki, un pasteur né aux États-Unis et donc citoyen américain a été tué lors d’une frappe de drone au Yémen. Un mémo secret du département de la Justice a fourni la justification légale pour cibler un citoyen étasunien. Le mémo, obtenu par NBC News, estimait qu’il était légal d’utiliser la force létale dans un pays étranger contre un citoyen étasunien qui est un haut dirigeant d’Al-Qaïda ou d’un groupe affilié si un haut représentant a déterminé que l’individu posait une menace imminente, que sa capture était impossible, et que l’opération était compatible avec les lois de la guerre. Le mémo note que de tels assassinats de citoyens étasuniens sont justifiés à condition que les victimes civiles ne soient pas "excessives". Le fils de 16 ans d’Al-Awlaki, Abdulrahman al-Awalki, également citoyen étasunien, a été tué dans une frappe séparée deux semaines plus tard. Lorsqu’il fut interrogé sur les justifications légales de sa mort, Robert Gibbs, conseiller d’Obama et ancien porte-parole de la Maison Blanche, a répondu qu’Abdulrahman al-Awlaki "aurait dû avoir un père beaucoup plus responsable".


En fait, de manière générale, les drones ont étendu la fluidité et l'indistinction au monde de la guerre. En somme, au Pakistan ou au Yémen, en Somalie ou au Sahel et demain dans la région stratégique des grands lacs, n'importe qui peut être attaqué par un drone, n'importe où et n'importe quand. Or, cette fluidité accélère le processus d'éparpillement des combattants. En fait, les attaques de drones amplifient la création de foyers de terrorisme diversifiés et autonomes, la dilution de la guerre, loin de toute stratégie clausewitzienne de concentration des forces. Le nouveau drone britannique de combat spectaculaire sélectionnera demain quasi automatiquement et de manière autonome ses cibles. Ce sera en fait le premier avion de chasse robot. Enfin, parce que les médias sans doute ne nous le diront pas, il faut savoir qu'à huis clos, le Congrès américain vient de voter l’autorisation d’armer de ''force létale'' Al Nosra (Al Quaïda) en Syrie. Là encore, on notera la double fonction permanente et militaire d'Al Qaeda : à la fois, épouvantail et en même temps, collaborateur, plus ou moins conscient, plus ou moins instrumentalisé par le service de l'intendance des armuriers américains.

 

jeudi, 06 février 2014

2013 : fin des rêves militaires

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2013 : fin des rêves militaires

par le Général Vincent Desportes

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Vincent Desportes sur les faiblesses de la politique militaire de notre pays... Le général Desportes est l'auteur de nombreux essais consacrés à la stratégie comme Comprendre la guerre (Economica, 2000) ou La guerre probable (Economica, 2008).

2013 aura été « très militaire ». Deux interventions majeures, Serval au Mali pour lancer l’année, Sangaris en République Centrafricaine pour l’achever, avec, à mi-parcours, une opération en Syrie restée sans nom pour avoir été bloquée au dernier instant. En miroir, deux textes fondateurs : le 29 avril, officialisation du Livre Blanc dont la traduction budgétaire - la Loi de Programmation Militaire -, est approuvée par les deux chambres au cours du dernier trimestre.

La puissante contradiction entre les faits – les interventions – et le discours – les deux textes – qui organisent parallèlement la dégradation progressive mais certaine de nos capacités militaires, ne peut que frapper les esprits. Interventionnisme, parfaitement légitime dans les trois cas, et incohérence… jusqu’à l’absurde. De cette « année stratégique » forgée de contradictions, plusieurs leçons peuvent être tirées.

Leçon n°1 : l’évidence des inadéquations. Inadéquation d’abord entre notre politique extérieure, qui s’appuie à juste titre sur nos capacités militaires, et notre politique militaire qui tend à réduire ces mêmes capacités selon des logiques parfaitement déconnectées de leurs raisons d’être. Inadéquation ensuite entre les modèles de forces vers lesquelles nous nous dirigeons inexorablement - des forces réduites de haute sophistication, de plus en plus aptes à remporter les batailles et de moins en moins capables de gagner les guerres, adaptées surtout aux conflits que nous ne voulons pas mener – et les guerres combattues qui exigent des formats et des moyens dont nous nous dépouillons allégrement.

Leçon n°2 : nous ne pouvons fuir nos responsabilités et nos intérêts, ils nous rattrapent. En particulier, nous ne pouvons pas échapper à l’Afrique. Cette politique, initiée dès les années 1990, n’a pas su se donner les moyens du succès. Le pire pour le monde, pour la France, serait une Afrique profondément déstabilisée, faible économiquement, qui aurait le plus grand mal à faire face à l’inexorable mais prochain  - 20 ans - doublement de sa population. Des Etats baroques que nous lui avons laissés, nous n’avons pas su l’aider à faire des Nations. Dès lors, pour un moment, nous devons nous réengager fermement, militairement en particulier, pour construire des structures fiables de sécurité panafricaines et rebâtir des armées qui constituent souvent l’indispensable ossature de ces Etats fragiles.

Leçon n°3 : la fin du rêve européen. Plus que beaucoup d’autres, les Français ont été européens, en matière militaire en particulier. 2013 nous contraint au réalisme. Allons vers l’Europe, mais arrêtons de nous départir des moyens nécessaires à l’exercice de nos responsabilités et à la protection de nos intérêts ; l’Europe elle-même en a besoin pour que soient remplies les missions dont seules les armées françaises sont capables. Tant qu’il n’y aura pas de vision stratégique commune il n’y aura pas de défense commune, car le sentiment de solidarité n’est pas assez fort pour imposer le risque politique. Alors, pour longtemps encore, ne pourront être partagées que les capacités, aériennes et navales, dont l’engagement ne constitue justement pas un risque politique. L’intervention de troupes au sol est trop dangereuse pour dépasser les égoïsmes nationaux : préservons les nôtres si nous voulons maîtriser notre action extérieure.

Leçons n°4 : nous ne pouvons pas commander à la guerre. Le rêve du politique, c’est l’intervention puissante, rapide, ponctuelle, qui sidère. C’est le mythe cent fois invalidé du « hit and transfer », du choc militaire qui conduirait directement au résultat stratégique et, dans un monde parfait, au passage de relais à quelques armées vassales immédiatement aptes et désireuses d’assumer elles-mêmes les responsabilités. Las ! Les calendriers idéaux sont toujours infirmés par la « vie propre » de la guerre. De la première bataille à « la paix meilleure » qu’elle vise, il y a toujours un long chemin chaotique qui ne produit le succès que dans la durée, l’effort et la persévérance.

Leçon n°5 : le volontarisme ne remplace pas les moyens. Dès lors que, pour de multiples raisons, le « paradigme de destruction » ne peut plus être le paradigme central de la guerre, dès lors qu’il faut agir dans des contextes où le facteur multiplicateur de la technologie est très réduit, dès lors que la légitimité de la bataille ne peut se mesurer, ex-post, qu’à l’aulne du résultat politique, l’instantanéité et la « foudroyance » ne fonctionnent plus. La capacité à durer, les volumes déployables, les contrôles des espaces, redeviennent des données essentielles, ce qui remet d’autant en cause les évolutions de nos armées et ce terrible « manque d’épaisseur stratégique » qui les caractérise aujourd’hui.

La France est, et se veut, à juste titre, une grande nation, ce qui suppose des capacités d’action, militaires en particulier. En nous montrant clairement à la fois ce que sait faire notre appareil militaire et ses évidentes limites, 2013 nous réveille et nous rappelle que le premier devoir du stratège est de proportionner l’enjeu et les moyens.

Vincent Desportes (Revue Défense Nationale, 28 janvier 2014)

lundi, 13 janvier 2014

Composants et caractéristiques de la stratégie de désinformation

Composants et caractéristiques de la stratégie de désinformation

L’utilisation de stratégies indirectes dans la guerre n’est pas nouvelle. En effet, dès le IVe siècle avant notre ère, le penseur chinois Sun Tzu souligne l’importance de l’application de différents moyens de la stratégie psychologique (1), en affirmant que « l‘arme suprême de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combat ».

La désinformation peut être définie comme la manipulation de l’opinion publique à des fins politiques, militaires ou économiques, à l’aide d’une information traitée par des moyens détournés. Elle désigne une technique qui consiste à fournir à des tiers des informations générales erronées, qui les conduisent à commettre des actes collectifs ou à diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs.(2)

Les composants principaux de la désinformation

Dans une stratégie de désinformation, il existe quatre composants principaux :

  • pouvoir émetteur de désinformation
  • thème
  • récepteur ciblé
  • transmission de la désinformation (3).

L’émetteur désigne ceux qui décident de pratiquer la désinformation pour influencer l’opinion publique dans la direction souhaitée par le désinformateur, afin d’atteindre des objectifs stratégiques cachés. L’émetteur se réfère donc à un pouvoir politique, militaire ou économique. Au début de la campagne de désinformation, il s’agit de choisir un thème et ensuite de le traiter. Le thème doit être simple, facile à comprendre par l’opinion publique. Par exemple, pendant la guerre froide le « désir de la paix de l’URSS », ou lors de la guerre d’invasion d’Irak en 2003, les « armes de destruction massive » ont été utilisé comme thèmes centraux de communication.

La stratégie de prétexte est souvent utilisée pour renforcer la crédibilité du thème. Il s’agit de créer un prétexte qui sert à justifier les prises de position politiques ou les opérations militaires. En 1941, les avions allemands portant des marquages soviétiques ont bombardé la ville hongroise de Kassa (NDLR : l’identité réelle des avions n’a pas été établie officiellement et fait encore aujourd’hui l’objet d’un débat). La propagande hongroise et allemande ont attribué cette attaque à l’Armée rouge. Le but était de mobiliser l’opinion publique hongroise en faveur de la guerre contre l’Union soviétique.

La désinformation peut traiter un thème de plusieurs manières :

  • l’omission, c’est-à-dire la non-diffusion d’une information
  • la diffusion d’une information incomplète
  • la diffusion d’une fausse information
  • la diffusion d’une information partiellement fausse et la surinformation.

L’opinion publique est le récepteur ciblé du pouvoir « désinformateur ». Il est très important de bien connaître la mentalité du groupe ciblé afin d’être en mesure de prévoir ses réactions à la campagne de désinformation. On peut considérer la mentalité d’un groupe humain comme l’expression de son identité culturelle. Le système de valeurs, les normes et la perception du monde sont à retenir en stratégie, car elles exercent une influence très importante sur le comportement. Dans ce contexte, la désinformation intègre certains éléments de la publicité. En effet, pour vendre un produit dans les pays différents, il faut prendre en considération les cultures respectives de chaque nation dans une stratégie de marketing.

La transmission de désinformation comporte trois éléments essentiels :

  • les agents d’influence ou sociétés privées de communication
  • les relais
  • les supports (4).

Le thème est généralement confié à un agent d’influence, ou une société privée de communication. Le premier cas était la norme durant la guerre froide, la seconde est devenue une pratique répandue depuis la fin de celle-ci. Leur rôle est de trouver le moyen de faire passer le thème au public. L’agent d’influence peut d’abord transmettre le message dans ses réseaux personnels, qui sont ses relais: journalistes, intellectuels, politiciens, amis etc. Les réseau personnels sont essentiels car ceux-ci peuvent assurer que la transmission du thème sera effectuée par des moyens détournés. Aussi est-il très difficile de démasquer la source, c’est-à-dire l’émetteur/désinformateur et l’agent d’influence. Les personnes participant à la transmission (réseaux primaires de l’agent d’influence) peuvent le faire à leur insu. Par exemple, un journaliste peu expérimenté envoyé dans une zone de conflit peut transmettre des informations « manipulées », tout en croyant à la justesse de la cause en question.

Depuis la fin de la guerre froide, les thèmes des stratégies de désinformation sont souvent confiés à des agences privées de communication ou de relations publiques. Par exemple, en 1991, avant le début des opérations militaires américaines au Kuwait, un reportage a été diffusé sur les grandes chaînes de télévision américaines. Une jeune et jolie femme en larmes racontait les exactions des soldats irakiens au Koweït. L’objectif visé a été de créer un certain esprit au sein de l’opinion publique américaine, afin de faciliter l’acceptation de l’engagement militaire américain.

Or on sait aujourd’hui que le film a été tourné par l’agence de relations publiques Hill and Knowlton et, plus grave: la jeune femme n’était autre que la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Nations Unies.

Dans un deuxième temps, il s’agit de la transmission et de la diffusion du message (le thème de la désinformation) du réseau primaire vers les médias, à savoir les journaux, la radio, la télévision, les partis politiques notamment. L’objectif recherché est de faire diffuser le message à un segment de la population le plus large possible. La concentration du pouvoir dans les réseaux médiatiques facilite la diffusion de l’information manipulée sur une grande échelle.

Les supports sont les faits mineurs qui sont vrais ou censés être vrais. L’utilisation d’une partie de la vérité dans un certain contexte peut amener le public à croire le message. Il s’agit de la transmission d’une information qui ne correspond que partiellement à la vérité au sujet du thème, mais qui est traitée de telle façon qu’elle devient le support de la désinformation. L’objectif de l’utilisation des supports est le renforcement de la crédibilité du thème.

Les caractéristiques de la stratégie de désinformation

1. Préparation de l’opinion publique avant le début d’opérations militaires

Nous l’avons dit, la guerre moderne est aujourd’hui avant tout psychologique (5). Une partie du processus de désinformation avec les autres moyens de la guerre psychologique se déroule avant le début du conflit armé pour préparer un certain état d’esprit dans l’opinion publique. Une première action consiste à créer des préjugés dans l’opinion publique qui seront favorables au déroulement de la future campagne de désinformation. Le conflit yougoslave et la guerre du Golfe illustrent d’ailleurs cette préparation psychologique de l’opinion publique. En effet, Slobodan Milosevic et Saddam Hussein ont fréquemment été comparés à la figure d’Adolf Hitler.

2. Personnalisation du conflit

Il s’agit de présenter les événements selon une vision réductionniste, en faisant une interprétation en « noir et blanc » du thème de la désinformation. En désignant le « bon » et le « méchant », l’objectif visé est d’empêcher une réflexion globale et approfondie sur les véritables motivations des acteurs qui ont lancé la campagne de désinformation. L’impact de cette technique peut conduire à un fanatisme intellectuel, caractérisé par la catégorisation des positions entre deux extrêmes. Il faut choisir son camp et se ranger, soit dans le camp des bons, soit dans celui des méchants. Une troisième voie n’existe pas. Le traitement des critiques émises à l’égard de la Guerre de Golfe et le bombardement de la Yougoslavie en 1999 par l’OTAN ont illustré ce phénomène. Les auteurs qui ont critiqué la position officielle de la prétendue communauté internationale ont été considérés comme des défenseurs de la position de Saddam Hussein ou de Slobodan Milosevic. La formule « avec nous ou contre nous » reflète bien cette polarisation, visée par le pouvoir émetteur de la désinformation.

3. Provocation de réactions immédiates

L’information transmise peut provoquer dans l’opinion publique de réactions émotionnelles immédiates. La transmission d’images est un élément important dans ce processus. L’objectif est la création d’un état d’irrationalité, voire de psychose dans l’opinion publique. L’émotion prime sur la rationalité. Un jugement influencé par les émotions réduit la capacité analytique des personnes. Comme le soulignait Gustave Le Bon il y a plus d’un siècle, dans son livre sur la psychologie des foules (6), la pensée et le comportement de ces dernières sont largement influencés par les images. Cette observation est également valable pour la désinformation contemporaine. Ainsi, on peut parler d’une véritable guerre d’images dans les mass média mondialisés. Il faut également prendre en considération la facilité qu’offre la technologie actuelle pour retoucher des images prises par satellite ou un appareil photo ou vidéo digital.

Après l’image, il faut mentionner le rôle du langage dans la désinformation. L’imposition d’un certain vocabulaire ou d’une structure linguistique visent à influer la structure cognitive et affective des gens, pour orienter leurs réactions. Ce phénomène a été exploré par George Orwell dans son livre 1984 (7), dans lequel l’auteur présente comment le « Novlangue », la langue officielle de l’Océanie, un État totalitaire, est utilisé dans l’endoctrinement idéologique des citoyens. Sur le bâtiment du parti unique de cet État totalitaire, les slogans suivants ont été affichés: « La guerre c’est la Paix , La Liberté c’est l’esclavage, L’Ignorance c’est la force. »

Vladimir Volkoff, dans son livre La Désinformation, Arme de Guerre (8), analyse l’utilisation répondue des logomachies dans les campagnes de désinformation. La puissance des mots liée aux images qu’ils évoquent sont tout à fait indépendants de leur signification réelle. Les mots comme « démocratie», « liberté », « réactionnaire », « ennemi du peuple », « anti-américain » « anti-européen » peuvent devenir des logomachies et susciter des réflexes pavloviens au sein de l’opinion publique, lorsque on utilise certains de ces mots dans un contexte particulier. Par exemple, on peut constater une véritable dérive intellectuelle sur la question de l’intégration européenne : critiquer la construction européenne de Maastricht, c’est être « contre l’Europe ». D’où l’amalgame entre l’Europe de Maastricht et l’Europe tout court. La signification réelle des mots n’a plus d’importance. Ce qui compte, c’est de faire passer le message au public en évoquant des images liées à ce mot.

L’utilisation fréquente de ces logomachies dans le processus de désinformation permet de faire passer le thème dans le public.

4. Maintien de l’ignorance et confusion

Le succès de la désinformation est inversement proportionnel au niveau de connaissance du public cible par rapport au sujet de la désinformation. Si l’on songe à la complexité des conflits contemporains, à la façon de les présenter dans le média et au conformisme intellectuel qui règne dans nos sociétés, on peut tirer certaines conclusions concernant l’efficacité de la désinformation. On peut noter le recul du journalisme d’investigation et du temps consacré aux commentaires politiques, la toute-puissance de l’image sur l’écrit et l’importance croissante du phénomène de « marketing politique » dans nos sociétés contemporaines.

5. Orientation des flux d’information conduisant à l’omission et surinformation

L’utilisation de la surinformation et de l’omission par l’orientation des flux d’information permettent de parler d’un sujet tout en passant les autres sous silence. L’agenda setting, c’est-à-dire la surreprésentation d’un événement dans les médias, combinée avec l’omission de l’information sur d’autres événements, sert cet objectif. L’opinion publique peut être bombardée par les images présentant la situation du Kosovo, Irak, Bosnie. En revanche, on n’a quasiment pas mentionné d’autres conflits se déroulant au même moment. Le génocide au Rwanda, qui a produit environ un demi-million de morts, n’a été filmé par aucune équipe de télévision. Il en est de même lorsque 300’000 Serbes ont été chassés de la Krajina par les Croates en été 1995. Cette orientation de flux d’information est facilitée par la puissance de certains réseaux mondialisés de télécommunication, à l’instar de chaînes d’information télévisées: CNN, Euronews, etc.

L’impact de la désinformation est renforcé par la capacité de transmission de l’information ou de la désinformation, par les moyens de télécommunication à l’échelle mondiale. Il faut également mentionner la question de la concentration de pouvoir dans les médias. Ces derniers sont souvent contrôlés par les pouvoirs économiques, politiques ou le complexe militaro-industriel.

Gyula Csurgai est Directeur du Centre international d’études géopolitiques (CIEG)

__________________________

(1) Sun Tzu, L’art de la guerre, Flammarion, 1972.

(2) Vladimir Volkoff, Petite Histoire de la désinformation, Rocher, Monaco, 1999, p.32.

(3) Voir une analyse détaillée sur les composants de la désinformation dans Vladimir Volkoff, La désinformation arme de guerre, L’Age d’Homme, Lausanne, 1986, 2004.

(4) Vladimir Volkoff, Petite Histoire de la désinformation, Op.Cit., p. 143-149.

(5) A ce sujet l’ouvrage de Roger Mucchielli, La Subversion, CLC, 1972, présente une analyse fort intéressante.

(6) Gustave Le Bon, Psychologie des foules, PUF, Paris, 1995.

(7) George Orwell, 1984, Gallimard, Paris, 1950.

(8) Vladimir Volkoff, La désinformation arme de guerre, L’Age d’Homme, Lausanne, 1986, 2004.

Revue Militaire Suisse (via Theatrum Belli)

dimanche, 12 janvier 2014

Germany's military strategy

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Germany's military strategy

 
 
The NATO defense strategy during the Cold War must have been a real nightmare for some West-German officers. Even the former West-German chancellor Helmut Schmidt said in 2007 in an interview that he was shocked when he was informed about the NATO plans in 1969. Schmidt said that there was a belt of nuclear mines crossing West-Germany which would detonate in case of a Soviet invasion. West-Germany was seen as the future nuclear battlefield. The country formally known as “Germany” would have been turned into a giant ground zero in the center of Europe. The Germans in West and East Germany were in the nuclear death row of the Cold War. 
 
The West-German army, the Bundeswehr, was part of those plans. The NATO strategy was: In case of a Soviet aggression, the Eastern Block armies will carry out their most powerful ground attack of the so called “Iron Curtain” in central Europe on Germany. It would be almost impossible to stop the Eastern armies before the Rhine River. West-Germany was supposed to be the “death trap” for the enemy?s armies, and for the German civilians. The Bundeswehr didn't play a big strategic role in that horrible scenario, the West-German soldiers might have been killed or defeated by the overwhelming Eastern forces and by the Western nuclear response within days. 
 
Germany in 1945: After the unconditional surrender of the German Wehrmacht, the former Reich became split in Zones of Occupation  by the allied powers. In the West US-American, British and French forces established their zones, in the center the Soviet occupation zone was established, East Germany was occupied by Poland and the Soviet Union. The Reich was destroyed; huge cities as Berlin, Hamburg, Konigsberg or Dresden became just ruins. Millions of German refugees became strayed; the former most powerful nation on continental Europe was disarmed and weakened down, thus creating a vacuum of power. The allied conference of Potsdam in the summer of 1945 made clear that there is now a new confrontation: The Western block under Anglo-American leadership against the Eastern communist block under Soviet leadership. In 1949 two German states were created: In the Western Zones of Occupation the Federal Republic of Germany (Bundesrepublik Deutschland), in Middle Germany the German Democratic Republic (Deutsche Demokratische Republik). At the time when these states were founded they didn?t have any military force. 
 
Germany remained completely demilitarized and any plans for a German military were clearly forbidden by Allied regulations. Only some naval mine-sweeping units continued to exist, but they remained unarmed and under Allied control and did not serve officially as a defense force. Even the Federal Border Protection Force (Bundesgrenzschutz), a mobile and lightly armed police force of 10,000 men, was formed only in 1951 - two years after the founding of the Federal Republic of Germany. A first proposal to integrate West German troops with soldiers of France, Belgium, the Netherlands, Luxembourg and Italy in a so called “European Defense Community”, in reality a Western European Army , was proposed but never realized. It was especially France who opposed any plans to rearm West Germany for a long time. “German militarism” was blamed to have caused both World Wars. Germany should never become a continental super power again. And the best “medicine” against militarism seemed to be not to permit any military forces.
 
With growing tensions between the communist Soviet Union and the liberal capitalist West, especially after the Korean War (1950-1953), this policy was to be revised. While the German Democratic Republic was already secretly rearming, the plans of a new West German force started in 1950 when former high-ranking German officers of the Wehrmacht were tasked by Chancellor Konrad Adenauer to discuss the options for rearmament. The so-called “Amt Blank”, the predecessor of the later Federal Ministry of Defense (Bundesverteidigungsministerium), was formed in 1950 in Bonn. 
 
The West German “Bundeswehr” was officially established on the 200th birthday of the Prussian general Gerhard von Scharnhorst on November 12th, 1955. But the rearmament (“Wiederbewaffnung”) of West Germany was not easy at all. Huge protests raged against those plans. Not only traditional pacifists opposed to those plans, but also German neutralist politicians and intellectuals who campaigned for one united Germany were strongly against the rearmament. They saw in those plans the manifestation of the German partition. 
 
And there was another dilemma: Since the unconditional surrender of the German Wehrmacht, the allied powers put a lot of energy in the so called “denazificiation” of the Germans. The Wehrmacht was identified as one of the worst instruments of German militarism. The generals and officers of the Wehrmacht and the Waffen-SS were seen as bloodthirsty warmongers and war criminals. But all of a sudden the West asked especially for the Wehrmacht personnel. The reason for that political U-turn is easy: The Wehrmacht and the Waffen-SS were the only military forces with a certain experience in fighting the Soviet army during World War II. From the beginning, the new Bundeswehr suffered under an “identity conflict”. While the politics went on with stigmatizing the officers of the German World War II forces, the same officers had to build the new army. 
 
During the Cold War the Bundeswehr was the front line of NATO's conventional defense in Central Europe. The West German army had strength of 495,000 soldiers. The Cold War Historian John Lewis Gaddis assesses the Bundeswehr in his book “The Cold War - a New History” as “perhaps world?s best army”. But the Bundeswehr did not take part in any combat operations during the Cold War times. The West German armed forces were during the whole Cold War an integrated part of the NATO military strategy. 
 
After the reunification of Germany in 1990, the Bundeswehr was reduced to 370,000 military personnel in accordance with the Treaty on the Final Settlement with Respect to Germany between the two German governments and the Allies (2+4 Treaty). The former East German Nationale Volksarmee (NVA) was disbanded. About 50,000 Volksarmee personnel were integrated into the Bundeswehr on October 2nd, 1990. With the reduction, a large amount of the military hardware of the Bundeswehr, as well as of the Volksarmee was disposed. Most of the armored vehicles and fighter jet aircraft (Bundesluftwaffe - due to Reunification - was the only Air Force in the world that flew both Phantoms and MIGs) were dismantled under the international disarmament procedures. 
 
The re-united Germany didn?t quit the NATO membership. The NATO “reformed” itself after the official end of the Cold War. The North Atlantic alliance began an expansion with newly autonomous Eastern European states. For the Bundeswehr, the mission changed: It was transformed more and more into a force for international missions. Hopes that Germany will become a sovereign nation with an independent security and defense plan – of course within a European defense concept – were bitterly disappointed. The “homeland defense” doesn?t play a role anymore since the end of the Cold War – in the official “defense guidelines” (Verteidigungspolitische Richtlinien, VPR) from 1992 the term “homeland defense” was not even mentioned anymore. On the first glance the military idea of the Federal Republic of Germany seemed to have turned 180 degrees: Until 1990 there was the permanent danger of having a nuclear war on German soil, after 1990 the German ministry of defense was talking about the world wide mission of the German military.
 
The recent VPR from May 18th, 2011 were named “Safeguarding National Interests – Assuming International Responsibility – Shaping Security Together”. These VPR include confessions such as: “As an active member of the international community, Germany pursues its interests and is actively striving for a better and safer world.” 
 
And: “A direct territorial threat to Germany involving conventional military means remains an unlikely event. Over the past few years the strategic security environment has continued to change. Globalization has led to power shifts between states and groups of states as well as to the rise of new regional powers. Today, risks and threats are emerging above all from failing and failed states, acts of international terrorism, terrorist regimes and dictatorships, turmoil when these break up, criminal networks, climatic and natural disasters, from migration developments, from the scarcity of or shortages in the supply of natural resources and raw materials, from epidemics and pandemics, as well as from possible threats to critical infrastructure such as information technology.”
 
The German military mission is now completely detached from the German state. The official German understanding of the NATO membership turned from a defense alliance against a real existing threat into an abstract and conception alliance of transatlantic values and even to one of “Germany?s raisons d’etat”: 
 
“The North Atlantic Alliance remains the centerpiece of our defense efforts. Alliance solidarity and making a reliable and credible contribution to the Alliance are part of Germany’s raison d’etat. (…) The commitment of the United States to the security of Europe, as it is most prominently and effectively reflected in the North Atlantic Treaty Organization, remains a vital interest of Germany and its European allies. It is therefore our duty and our mission to preserve the unique quality of transatlantic relations, to strengthen our ties and our exchanges and to continue to develop the partnership with the United States by performing our tasks responsibly.”
 
The German Bundeswehr is today an international operation force, ready for action, “for a better world”. Of course the terms “security interest” and “national interests” are used until today, but also here the meaning changed: 
 
“German security interests include:
-preventing, mitigating and managing crises and conflicts that endanger the security of Germany and its allies;
-advocating and implementing positions on foreign and security policy in an assertive and credible way;
-strengthening transatlantic and European security and partnership;
-advocating the universality of human rights and principles of democracy, promoting global respect for international law and reducing the gap between the rich and the poor regions of the world;
-facilitating free and unrestricted world trade as well as free access to the high seas and to natural resources.”
 
The aspect of “advocating the universality of human rights and principles of democracy” especially became more and more dominant in German debates about security interests. This vision is assisted by the German Commissioner for Human Rights Policy and Humanitarian Aid: “It is in Germany’s own best interest to help make universal respect for human rights a reality. For enduring peaceful relations require stability, and there can be no long-term stability unless basic human rights are respected.”
 
Of course there is no explanation as to why the global enforcement of “human rights” should be German national security interest. But it became a type of magic mantra for German foreign politics, and the German Bundeswehr might become be more and more an armed force for those “human rights” missions. The end of the Cold War era changed the character of the Bundeswehr from a classical territorial army with a defensive character into an intervention force. Currently  there are Bundeswehr forces in Afghanistan and  Uzbekistan (ISAF), Kosovo (KFOR), in the Mediterranean Sea, at the Horn of Africa/Indian Ocean (Operation Atalanta), in Turkey (Operation Active Fence), Lebanon (UNIFIL), South Sudan (UNMISS), Sudan (UNAMID) and Mali. 
 

samedi, 11 janvier 2014

Défense européenne : les puissances ne se bâtissent pas sur du «Wishful thinking»

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Défense européenne : les puissances ne se bâtissent pas sur du «Wishful thinking»

par Philippe Migault
Ex: http://fr.rian.ru
 

Annoncé comme un évènement stratégique et diplomatique crucial, le Conseil européen qui aura lieu jeudi et vendredi prochains est censé marquer un progrès en matière de politique de défense et de sécurité européenne.

Il suffit pourtant de lire un récent document du conseil de l’Union européenne (1), pour se rendre compte que la montagne accouchera une fois encore d’une souris. Qu’il s’agisse de la phraséologie employée, des mesures proposées ou des orientations implicitement induites, tout indique qu’une fois encore l’Europe autoproclamée se prépare à une grande démonstration ostentatoire dont il ne sortira rien de concret.

Les objectifs stratégiques annoncés par Bruxelles prêtent en premier lieu à sourire. L’UE « est appelée à assumer des responsabilités accrues en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales (…) afin de garantir (…) la promotion de ses valeurs et intérêts », affirme le document. Jusqu’ici tout va bien. Mais puisqu’il s’agit ici de défense, d’intérêts vitaux communs, de ceux qui méritent qu’on se batte voire qu’on meurt pour eux, encore faudrait-il se montrer un peu plus précis. Quels sont ces valeurs et ces intérêts ? Démocratie, paix, droits de l’homme sont cités : Logique. C’est, théoriquement, l’ADN même du projet européen. La bonne gouvernance ensuite. Voilà qui prête à sourire de la part d’une organisation persistant à appliquer à la lettre les politiques d’austérité prônées par le Fonds Monétaire International alors que ce dernier a reconnu que les résultats de ces dernières étaient inefficaces, pour ne pas dire désastreuses sur le plan économique et social. Et ensuite ? Rien. En dehors des grandes valeurs « universelles » censées faire consensus parmi 500 millions d’Européens rejetant de plus en plus le modèle de société qui leur est proposé, il n’est nulle part fait précisément mention de nos intérêts vitaux.

De défense, c’est-à-dire de guerre pour sortir du politiquement correct, il n’est d’ailleurs  guère fait mention dans ce texte, qui est bien plus une déclaration d’intention diplomatique qu’une feuille de route stratégique. Tout au plus se borne-t-on à proposer une série de mesures très générales, qui ne sont que le prolongement des politiques engagées de longue date et qui toutes relèvent du vœu pieux.

L’UE, affirme ce document doit coopérer avec les Nations Unies, l’OSCE, l’Union Africaine, l’OTAN. On enfonce des portes ouvertes : Les Etats européens de l’UE sont membres de ces entités ou coopèrent avec elles depuis leur création. En revanche alors que Bruxelles affirme vouloir « assumer ses responsabilités accrues en tant que pourvoyeur de la sécurité (…) en particulier dans son voisinage », il n’est nulle part fait mention d’un éventuel dialogue avec l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), visiblement inconnue au bataillon. Il est vrai que selon les récents propos de l’ancien ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, la Russie n’est plus une puissance qui compte dans la mesure où elle ne conserve qu’«un pouvoir de nuisance périphérique et résiduel » et ne mérite donc guère qu’on s’y attarde que ce soit en Ukraine ou ailleurs…Cette déclaration ayant le mérite de signifier clairement que la guerre froide est terminée compte tenu de la disparition de l’ennemi principal ramené au rang de puissance régionale, encore faudrait-il savoir comment l’Europe va défendre ses intérêts –à identifier - en Afrique, au Moyen-Orient, ou en Asie-Pacifique…Or l’UE ne compte rien faire.

Avec un aplomb admirable, compte tenu de l’échec total de l’Europe de la défense jusqu’à ce jour, le document propose de « s’appuyer sur les résultats obtenus jusqu’à présent », se félicitant « des missions et opérations de gestion de crise menées dans le cadre de la PSDC » (2). L’UE claironne qu’elle est prête à renforcer ses moyens dans les Balkans occidentaux – où il n’existe plus aucune crise de haute intensité – et souligne qu’elle « déploie plus de 7 000 personnes réparties entre douze opérations civiles et quatre opérations militaires ». Le ratio, d’une opération militaire pour trois opérations civiles, atteste du très faible engagement armé européen. Quant aux effectifs évoqués ils parlent d’eux-mêmes : Entre le Mali, la République centrafricaine, l’opération Atalante, la République Démocratique du Congo (RDC) et ses forces prépositionnées, la France a presque 7 000 soldats en Afrique. Seuls nous faisons autant quantitativement, mieux qualitativement, que l’UE…Certes cette dernière a effectivement conduit des opérations de maintien de la paix dans des zones de conflit difficiles. Ce fût le cas en Ituri, province orientale de RDC, où l’UE a déployé 2 200 soldats en 2003 pour mettre fin à des massacres interethniques : 80% des effectifs étaient Français. Et tout le reste est à l’avenant : dans les faits les opérations engageant les troupes des nations européennes relèvent du trompe-l’œil. Entre des Allemands et des Suédois qui ne veulent plus se battre et n’acceptent de s’engager qu’en multipliant les caveats restreignant au strict minimum leurs règles d’engagement, le manque de moyens de la plupart des pays, Français et Britanniques, uniques nations-cadres de l’Union Européenne, se retrouvent toujours seuls aux commandes de coalitions Potemkine.

Paris et Londres ont déjà tiré toutes les conclusions de cet état de fait en matière de défense, notamment sur le plan industriel. Suite aux accords de Lancaster House, les deux pays entendent bien collaborer prioritairement sur un mode bilatéral et ne plus s’engager dans des coopérations multinationales avec des partenaires qui ne soient pas leurs égaux sur un plan financier, technologique et possédant une approche des opérations de combat similaire à la leur. Les programmes A400M et Eurofighter, menés sur un plan multilatéral entre partenaires inégaux souhaitant tous tirer les marrons du feu se sont traduits par trop de surcoûts et de délais. Il est hors de question de les reproduire.

A cette aune les propositions du document en matière de politique industrielle prêtent à sourire tant elles relèvent du « wishful thinking ». Il faut, assure le texte, « favoriser la mise en place d’une base industrielle et technologique de défense européenne plus intégrée, durable, novatrice et compétitive dans toute l’UE ». L’objectif est noble, mais il est déjà condamné. Il suffit d’en analyser les termes.

« Intégrée» ? EADS, le modèle tant vanté, vient d’annoncer qu’il comptait licencier 5 800 salariés de son pôle défense, actif qu’il n’a jamais réussi à développer à hauteur des ambitions initialement affichées. L’heure n’est plus aux fusions transnationales géantes, du Big is beautiful, l’échec du rapprochement EADS-BAE Systems le démontre. Certes les fusions permettent théoriquement de « rendre le secteur de la défense moins fragmenté (…) et (d’) éviter les doubles emplois ». Mais les entreprises préfèrent aujourd’hui mettre en place des joint-ventures ou des consortiums ad hoc correspondant à des programmes précis qu’elles gèrent de concert via des plateaux virtuels communs. Cette stratégie permet de sauvegarder l’emploi, toujours le grand perdant des fusions, ainsi que de garantir la pérennité des bureaux d’étude et leur diversité (3).

« Durable » ? S’il s’agit de « développement durable », il est toujours possible de produire des chars avec un bilan carbone moindre. S’il s’agit de faire durer, c’est-à-dire sauvegarder des entreprises dont la plupart des experts s’accordent à constater qu’elles sont trop nombreuses et provoquent des surcapacités sur la plupart des segments, ce sera difficile. Au demeurant pour maintenir le tissu industriel et créer de l’emploi, objectif affiché par le document alors que toutes les industries de défense sabrent dans leurs effectifs, il faudrait déjà que les Etats européens lancent des programmes d’armement pour que les industriels aient des contrats et embauchent…L’UE encourage ses Etats membres à investir. L’intention est louable. Mais avec quels moyens compte tenu de ceux que nous autorise notre modèle de gouvernance tant vanté ?

Quoi qu’il en soit ce débat est purement rhétorique. Car il faut savoir aussi lire entre les lignes. Les investissements dans la défense permettraient « de renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe et, par là même, sa capacité à agir avec des partenaires ».

Notons qu’il n’est pas question un seul instant pour l’UE d’agir seule, malgré la revendication d’un objectif d’autonomie stratégique. Cela reviendrait à se comporter comme une puissance, ce qu’elle refuse par nature. Un ADN de commerçant ne sera jamais un ADN de combattant. Non, mieux vaut « agir avec des partenaires. »  Or du point de vue militaire et politique il n’y en a qu’un qui réponde aux besoins européens en termes de crédibilité militaire et de conformité politique : l’OTAN, c’est-à-dire les Etats-Unis.

Le futur conseil européen n’a donc aucunement pour ambition de parler de défense européenne. Celle-ci est vouée à l’échec tant que l’OTAN existera. Il s’agira bien davantage d’une discussion de managers gérant la crise : Alors que tout le monde rogne ses budgets de défense la question sera de savoir comment il est possible d’intervenir à l’étranger à moindres frais et comment partager le maigre gâteau du marché de l’armement européen. Rien de plus. 

Notes: 

(1) « Conclusions du conseil sur la politique de sécurité et de défense commune »

(2)  Politique de Sécurité et de Défense Commune

(3) Au demeurant les fusions transnationales relèvent du fantasme pour de simples questions de modes de gouvernance. Les groupes Français, au capital majoritairement publics, ne séduisent aucunement leurs homologues allemands, à l’actionnariat privé, souvent familial. Et aucune fusion transnationale n’a été couronnée de succès hormis, sans doute, Eurocopter, dont l’activité est autant civile que militaire.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Philippe Migault est Directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (IRIS). Ses principaux domaines d’expertise sont les questions diplomatiques et stratégiques, les conflits armés et industries de l'armement.

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lundi, 23 décembre 2013

Brasil rechaza los Boeing y elige los aviones caza suecos

El Gobierno de Brasil ha elegido al avión caza sueco Gripen NG para reforzar su Fuerza Aérea, según informaron el ministro de Defensa del país, Celso Amorim, y el comandante de la Fuerza Aérea, Junti Saito.
 

Los caza fabricados por el constructor sueco Saab fueron elegidos en una licitación abierta para adquirir 36 aviones de combate de última generación por unvolumen de 4.500 millones de dólares para sustituir los Mirage 2000.

Los aviones de Saab competían con los Rafale de la empresa francesa Dassault y con los FA-118 Súper Hornet de la estadounidense Boeing en una licitación lanzada en 2001, en el Gobierno del entonces presidente Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), y que fue suspendida varias veces por problemas presupuestarios.

"Es un final sorprendente para la disputa" ya que el Gripen es "un avión criticado por ser menor que sus competidores y menos probado en combate", pero escogido por las FAB en su primer informe sobre la decisión, en 2009, indicó el diario 'Folha de São Paulo'.

"En la Fuerza Aérea, el Gripen siempre fue considerado favorito porque a pesar de tener muchos componentes estadounidenses es un proyecto a ser desarrollado en conjunto con Brasil", apuntó por su lado 'O Estado de São Paulo'.

El expresidente brasileño Luiz Inacio Lula da Silva llegó a anunciar en 2009 la compra de los aviones franceses, que fueron favoritos durante muchos años, aunque después dio marcha atrás y dejó la decisión para su sucesora Dilma Rousseff.

Uno de los principales requerimientos brasileños es la transferencia ilimitada de tecnología para poder fabricar los aviones y equipar la industria de defensa del país. Aunque las causas de la decisión no han sido reveladas, la noticia del rechazo de los aviones Boeing llega en pleno escándalo del espionaje de la NSA.

lundi, 09 décembre 2013

Europe to Boost its Defence Potential

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Europe to Boost its Defence Potential

Andrei AKULOV - Ex: http://www.strategic-culture.org
 
On November 20 Russian Deputy Defense Minister Yuri Borisov said that Russian government’s spending for procurement of military equipment will increase by 25 percent next year. The expenditure is to reach 1.7 trillion rubles ($52 billion) in 2014, up from the 1.35 trillion rubles allocated for state defense contracts this year. The decision reflects the trend of increased defense spending. Russia is currently implementing an ambitious 20 trillion ruble ($640 billion) rearmament program planned to run up until 2020. The program will see the share of modern weaponry in Russia’s armed forces reach 30 percent by 2015 and 70 percent by 2020. According to Borisov, a state arms procurement program for the decade up to 2025 is in works giving priority to qualitative edge, standardization and unification of weapons systems. Some say the effort is in contrast with the sequester in the USA and economic woes faced by NATO and EU members. The reality is that economic difficulties aside, the military capabilities are still very much at the top of US and European allies’ priority lists. The US programs have been described previously in the Strategic Culture Foundation publications (1) and (2). It is expedient to have at least a cursory look at the trends in Europe, especially before the EU December summit expected to address the security issues. 

The European Union 28 heads of state and governments come together in December for the Brussels summit to discuss security and defence matters at the highest level for the first time in five years. At present the organization is involved in 15 peacekeeping and conflict resolution operations around the world. European leaders agreed plans for greater defence co-operation at the December 2012 summit in Brussels with defence chiefs having to co-ordinate capabilities and procurement. The final communique calls for «a more systematic and longer term European defence co-operation». The activities are closely coordinated with NATO plans. The November 19 defence ministers’ meeting in Brussels is the last cornerstone in months of preparatory work that have been going on at many levels. The agenda is clearly defined as: «increasing the effectiveness, visibility and impact of the CSDP (Common Security and Diplomatic Policy); enhancing the development of defence capabilities; and strengthening Europe’s defence industry». The issues prevailing the discussions will be air-to-air refueling, remotely piloted aircraft systems and cyber defense. The process is gaining momentum proving the defense issues are still very much on the table in Europe no matter it faces economic woes. 

European military programs

Seven EU countries have formed what France calls a «club» to produce military drones from 2020 onward. The accord was reached in Brussels on November 19 at a meeting of the European Defence Agency (EDA), the EU’s defence think tank, by France, Germany, Greece, Italy, the Netherlands, Poland and Spain. The defence ministers signed a «letter of intent» to task the Agency to draw up a study on joint production of Medium Altitude Long Endurance (Male) craft used to strike military targets or for surveillance of migrant boats in the Mediterranean Sea. Peter Round, told media: «This is the starting pistol for us to be able to start work on a European Remotely Piloted Aircraft Systems». French defence minister, Jean-Yves Le Drian called the group of seven a «club of drone-using countries».

Three European arms firms – France’s Dassualt, Franco-German firm Eads and Italy’s Finmeccanica – agreed in June to launch their own European drone program. France, Greece, Italy, Spain, Sweden and Switzerland are working on what they call a «euro-Ucav,» or unmanned combat air vehicle, the Neuron, which made a test flight in December 2012. France and the UK are working on a «stealth» drone called Telemos to fly in 2018. The EDA meeting also called for «increased co-operation» by EU states on air-to-air refueling, satellite communications and cyber defence.

Speaking on November 4 to Greek daily Naftemporiki on the US snooping scandal, she said EU justice Commissioner Viviane Reding has said the Union should create its own intelligence service by 2020: «What we need is to strengthen Europe in this field, so we can level the playing field with our US partners». EU countries’ intelligence agencies already co-operate to some extent. They share classified information on conflicts and terrorist threats in IntCen, a branch of the EU Foreign Service. Counter-terrorism specialists also meet in the so-called CP931 working group in the EU Council. Outside EU structures, member states’ intelligence chiefs occasionally meet in what they call the Club de Berne and in a Club de Berne offshoot, the Counter Terrorism Group. The EU Foreign Service gets updates from its 13 civilian and military crisis missions, such as the Eulex police force in Kosovo or its border mission in Georgia. It also has 40-or-so Regional Security Officers, who file reports from EU embassies in risky places, such as Lebanon or Libya, and it is test-running a scheme to hire EU countries’ security experts as military attaches in a handful of delegations. The official noted that creating a European Intelligence Service would require an EU treaty change and that Reding’s notion, if it is taken up, would have to be dealt with after the EU elections in 2014.

France has taken a leading role in Europe since the election of Nicolas Sarkozy as president in May, 2007. By 2009 France had rejoined NATO’s military command, after a 40-year absence, and was soon led the NATO attack against Libya. Mr. Hollande continues the policy. Last May the French government released a sweeping review of its defence strategy. No great cuts on defense in the times of economic troubles, the «white paper» outlined a new emphasis in France’s foreign-policy interests. The paper observed that the U.S. is switching its attention toward Asia and retrenching from North Africa and the Middle East, opening up an opportunity for France to take a leadership role in this area. France has always had a keen interest in the region. It was French and British diplomats who carved up the Middle East into spheres of influence in 1916. Some question Mr. Hollande’s new aggressive stand on Syria and his attempts to push France into a more active position in Europe.

Franco-British defence cooperation is growing stronger. The two are the EU’s leading military powers spending together €92 billion on defence last year (more than Germany, Italy, the Netherlands, Poland and Spain put together), according to Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). In line with the 2010 Lancaster House Treaties, the UK and French military force regularly conduct joint exercises. The forces of the both countries have been deployed together in large-scale exercises. The plans include the establishment of a Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) by 2016. The CJEF’s air component has already gone through tests at exercises. 

There are joint equipment projects implemented, including nuclear missile testing. The countries plan to join efforts in developing a sea-launched missile and have joint projects to secure nuclear warhead stockpiles (in Valduc in France and Aldermaston in the UK). British defence contractor BAE Systems and France's Dassault Aviation were last year awarded a contract to develop next-generation unmanned drone aircraft. They are already building a «Future Combat Air System», due in 2030, with manufacturers to send in proposals this month. Shrinking budgets have bolstered the two countries' determination to work together. For the first time France has invited Britain's ambassador (along with a German diplomat) to help draft France's next long-term military plan, the Livre Blanc. «As shown from our joint operations in Libya and Mali, the UK and France are natural partners and have a key role to play in leading and shaping the defence and security of Europe», a British defence ministry spokesman told EUobserver on September 17.

No matter Europe faces tough economic times, military issues are very much on the agenda with plans to upkeep a potential going far beyond purely defensive requirements… 

jeudi, 05 décembre 2013

Demain l’autodéfense

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Demain l’autodéfense

par Georges FELTIN-TRACOL

 

Bernard Wicht est un universitaire helvète qui enseigne la stratégie. Auteur de plusieurs ouvrages dont L’O.T.A.N. attaque en 1999 ou Une nouvelle Guerre de Trente Ans en 2011, cet esprit curieux a depuis longtemps élargi sa réflexion à l’histoire, au politique et à la philosophie. Il perçoit dans ces domaines de connaissance de fortes similitudes au point qu’il est légitime de le considérer comme le fondateur d’une nouvelle discipline, la philosophie stratégique.

 

Avec Europe Mad Max demain ?, il développe d’une manière magistrale un point de vue détonnant. Fin observateur de la course folle du monde contemporain, Bernard Wicht devine les fractures essentielles d’un monde à venir. Contre les thèses en vogue, il explique que la mondialisation et le néo-libéralisme n’ont pas ruiné l’État-nation, mais l’affaiblissent durablement.

 

Le travail de sape des fondements stato-nationaux revient en réalité aux dernières avancées d’une « révolution militaire » dont l’affirmation des guérillas, des mafias, des diasporas militairement organisées et des S.M.P. (sociétés militaires privées) réactualisent la figure de l’entrepreneur de guerre de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Il y devine une revanche de l’Ordre des Templiers qui exerçait un pouvoir supranational déterritorialisé. Sa dissolution suite au « fameux procès du 22 mars 1312 apparaît […] comme un exemple caractéristique de transition et de mutation des formes d’organisation politique : l’effacement d’organisations militaires et financières souveraines, mais sans territoire, au profit de l’affirmation naissante de l’État territorial (p. huit) ». Ces moines-chevaliers s’opposaient aux ambitions centralisatrices du roi de France Philippe le Bel sans comprendre le phénomène de territorialisation politico-militaire. À la suite du sociologue Charles Tilly, Bernard Wicht estime que « c’est la logique des guerres modernes, à partir de la fin du XVe siècle, qui conduit à la création de l’appareil étatique moderne (p. 12) » parce que l’effort de guerre implique une mobilisation toujours croissante des ressources (généralisation de la fiscalité, centralisation administrative, essor de la colonisation et du commerce transocéanique). Les conflits deviennent conventionnels, ordonnés et limités entre puissances étatiques de même nature.

 

Guerres en mutation…

 

Le XXe siècle change toutefois la nature de ces guerres réglementées. La modification s’opère dès les guerres de la Révolution et de l’Empire (1792 – 1815), mais elle s’accélère à notre époque. Bernard Wicht en distingue trois grandes phases consécutives :

 

— La période militaire va de 1940 à 1945 et se caractérise par l’apport décisif de la guerre de partisans.

 

— La période politique s’étend des années 1945 à 1975 avec la prolifération des guerres révolutionnaires, soutenues et/ou financées par les deux Super-Grands ou leurs alliés.

 

— La période économique depuis 1980 connaît de profonds changements. Les organisations de partisans – parfois appelées « terroristes » comme l’I.R.A. ou l’O.L.P. – accèdent à l’indépendance financière et se dégagent de la tutelle de leurs premiers soutiens étatiques. Elles nouent une coopération fructueuse avec des milieux criminels et profitent de la mondialisation financière.

 

L’auteur signale aujourd’hui la « mutation ontologique et culturelle de l’art de la guerre (p. 33) ». Celle-ci doit composer avec les restrictions budgétaires, valorise désormais l’emploi de forces spéciales et promeut une sous-traitance tant officielle envers les S.M.P. qu’officieuse avec des unités paramilitaires. Ces bouleversements affectent le fondement régalien. Bernard Wicht assure que « la guerre fait l’État… ou toute autre organisation adaptée au conflit (p. 10) ». Or l’État – s’il veut perdurer au XXIe siècle – doit s’adapter à la « petite guerre », aux « conflits irréguliers », aux « guerres asymétriques » et à la « guérilla ».

 

Certes, « la guerre irrégulière est essentiellement le fait de combattants d’occasion et de groupes marginaux. Or ceux-ci répondent à un ordre qui leur est propre et qui ne correspond pas à celui des États (p. 14) ». Cela ne l’empêche pas d’être érigée en « mode de conflit de plus en plus utilisé, par les États d’abord, pour s’affirmer ensuite, de nos jours, comme la principale forme d’affrontement à travers le monde (p. 11) ». Cette forme spécifique de guerre correspond à l’esprit du temps, à ce « monde liquide » décrit par le philosophe Zygmunt Bauman. Voilà pourquoi « il faut constater que l’État moderne n’est pas en déclin mais beaucoup plus en recomposition (p. 46) ». La structure stato-nationale – ou manifestation moderne de l’État – a toutefois bien été contestée depuis une centaine d’années.

 

Plutôt que reprendre l’expression de l’historien Ernst Nolte sur une nouvelle « Guerre de Trente Ans », Bernard Wicht préfère qualifier le « siècle de 1914 » de « Longue Guerre (p. 29) » (1914 -1991) aux effets dévastateurs pour les peuples européens. Verdun, Auschwitz, Hiroshima et le Goulag ont disqualifié l’État en tant que vecteur de puissance, détruit la psyché des sociétés européennes, remis en cause le sentiment national de leurs populations et banni tout quelconque idéal viril incarné par le triptyque « force, honneur, courage » (p. 30). Le diagnostic est accablant. Pis, l’après-Seconde Guerre mondiale a inauguré une soi-disant « Communauté internationale », censée empêcher toute nouvelle guerre, entériné  l’intervention armée contre n’importe quel « État voyou », fondé une justice planétaire et conçu un droit d’ingérence, cette « méthode de prédation visant notamment à criminaliser l’ordre juridique d’un État ou son gouvernement, à instrumenter ses dissensions internes pour en prendre le contrôle et le dépecer (les Révolutions oranges en Europe orientale en sont une des illustrations) (p. 38) ». Son objectif est simple : « En tant qu’autorité supra-étatique, la communauté internationale va développer une nouvelle forme de légitimité (droits de l’homme, protection des minorités, multiculturalisme, démocratie par le marché) remettant en cause les anciennes légitimités nationales fondées, entre autres, sur l’intangibilité des frontières et l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale. Cette évolution va contribuer à l’affaiblissement de la souveraineté étatique et, paradoxalement, faciliter le développement de toutes les formes de conflits de basse intensité à l’intérieur des États (guérillas séparatistes, révoltes, insurrections, émeutes révolutionnaires) (pp. 38 – 39). » La constitution d’un mondialisme moral et juridique d’essence occidentale fut longtemps freinée par la Guerre froide et l’antagonisme Est – Ouest. Dans un essai destiné à faire date, La grande séparation, Hervé Juvin constate cette inquiétante évolution (involution ?). « L’État n’émane plus du corps national, il procède de l’ordre international et du système de l’argent (1). »

 

Privatisation des conflits

 

La fin du duopole soviético-étatsunien n’a pas rendu le monde plus sûr. Elle a au contraire favorisé l’éclatement de certaines entités stato-nationales assez artificielles (U.R.S.S., Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Soudan…) et l’amoindrissement même de la fonction étatique. Alors que « l’Europe se tiers-mondise, l’État s’y affaiblit de manière dramatique : elle entre dans ce que Braudel appelle “ la zone des désordres prolongés ” (p. 42) ». Le maintien d’une armée aux effectifs imposants devient caduc tandis que la guérilla qui « d’un simple mode de combat en marge des grandes opérations militaires, […] se transforme en une véritable doctrine de libération politique. Le paradigme bouge en profondeur : le centre de gravité des conflits passe du militaire au civil. Il ne s’agit plus d’anéantir l’armée adverse mais de perdre le contrôle de la population par n’importe quel moyen (pp. 22 – 23) ». N’oublions pas que les guerres africaines des années 1990 – 2000 virent l’apparition d’« une alternative non bureaucratique à l’État-nation (p. 23) » que l’auteur définit comme des « complexes politiques émergents (p. 23) ». Le chef de bande dispose d’une clientèle armée, se lie au crime organisé et à l’économie grise, voire noire, et peut acquérir une dimension transnationale s’il bénéficie du soutien financier, internautique et moral, de la diaspora. Dans des régions où l’État se révèle incapable de garantir l’ordre public, ce maintien est de facto dévolu aux S.M.P., guérillas et autres mafias qui « protègent » les populations civiles en les rançonnant. Dorénavant, la guerre n’est plus un acte politique, mais une manœuvre économique liée au marché privé de la défense. Cet indice révèle la « désétatisation » de la violence réputée légitime. « Aujourd’hui […] on peut se demander si on n’assiste pas à un processus similaire, en sens inverse cependant : des organisations sans territoire, mais dotées d’une réelle puissance financière et militaire, ne sont-elles pas en train de supplanter l’État-nation ou, tout au moins, de le concurrencer de manière décisive ? (p. 9). » Partie d’Afrique, cette tendance s’étend au monde occidental, en particulier au Vieux Continent avec ses zones périphériques de non-droit. « Des banlieues des métropoles occidentales aux montagnes d’Afghanistan, les différentes formes de groupes armés défient les forces régulières et les tiennent en échec (p. 34). »

 

Elle modifie en profondeur la stratégie jusque-là enseignée. « Avec l’impossibilité croissante de la guerre entre États, la guerre elle-même s’est transformée, laissant la place à ce qu’on appelle souvent le “ conflit de basse intensité ” (de l’émeute à la guérilla, au terrorisme et au nettoyage ethnique). Désormais par conséquent, l’ennemi extérieur commun ciment de l’unité nationale est remplacé par un “ ennemi intérieur ”, légitimant le redéploiement de la coercition (terroristes, mafias, bandes et gangs) : d’où l’expression utilisée par certains de nord-irlandisation de l’État moderne, c’est-à-dire la généralisation des lois d’exception, de la surveillance électronique et de la présence militaro-policière (p. 49). » Il est inévitable que, la fin des hostilités inter-étatiques dévaluant le rôle du conscrit et relançant celui du mercenaire, « la citoyenneté s’affaiblit, de même que la souveraineté populaire qui n’est plus considérée comme le socle de la légitimité étatique (p. 48) ». Bref, « le citoyen […] s’en retrouve réduit à sa simple fonction de contribuable (p. 64) ». Sa « démilitarisation » confirme la privatisation de l’épée et du bouclier et la dénationalisation des forces militaires. « L’armée est en charge de la sécurité de la nation, qui signifie à la fois défense de sa souveraineté et protection de son identité. […] mais que défendre, s’il est impossible de s’identifier ? (2). »

 

femme-self-defense.jpgPour l’auteur, la citoyenneté se trouve « liée à la res publica, c’est-à-dire la participation effective à la gestion des affaires communes (p. 63) ». Sa minimisation augmente la distance toujours plus grande des gouvernants vis-à-vis de leurs gouvernés. « Si le citoyen paie toujours ses impôts, l’élite politique au pouvoir censée le représenter a d’ores et déjà quitté le cadre national pour rejoindre l’espace global de l’hyper-classe mondiale (p. 63) » et ignore volontiers les préoccupations des citoyens dorénavant quiritaires. Soucieuse de préserver ses intérêts et son influence, l’oligarchie globalitaire d’essence ploutocratique et d’appui médiatique met en place sous couvert de « lutte contre le terrorisme et l’extrémisme » un dispositif policier totalitaire qui accélère la fin de la démocratie et « la dynamique de fusion des États/fission des sociétés (p. 41) ». Bernard Wicht et Hervé Juvin se rejoignent, surtout quand le second affirme que « l’État se séparer de la nation et ne connaît plus les peuples, il devient le colon de la ferme mondialisée (3) ». Hervé Juvin confirme aussi les analyses de Bernard Wicht à propos du rôle délétère du multiculturalisme. « La société multiculturelle appelle les forces armées à ouvrir le front intérieur, et les subordonne à un ordre supranational qui les convertit en mercenaires, qui ne se battent plus au nom d’un peuple, d’une nation, mais de contrats à respecter ou d’intérêts à défendre ! (4). »

 

En guerre contre la « société décente »

 

Cette prévenance sécuritaire de la part des nantis transcontinentaux engendre une effervescence polémogène marquée par des formes d’organisation militaire irrégulière désormais mises en concurrence avec les armées nationales « classiques ». En outre, la révolution numérique facilite ce totalitarisme 2.0, bouleverse la répartition géographique des richesses produites et perturbe le cadre stato-national. Ce dernier assiste, impuissant, à une dislocation par le bas du corps social-politique. En distinguant soigneusement le chaos du désordre, Bernard Wicht estime que « dans les sociétés actuelles, on peut […] dégager la chaîne causale suivante : complexité = fragilité; fragilité = instabilité; instabilité = imprévisibilité (p. 65) ». Cet éclatement risque de déboucher en Europe sur un désordre généralisé qui inciterait peut-être à retrouver l’essence de la citoyenneté, c’est-à-dire avoir des droits politiques et en corollaire le devoir de mourir pour sa patrie.

 

L’obsolescence du citoyen-soldat ne témoigne cependant pas de la fin de l’État. « Il faut considérer l’État avant tout comme une machine de guerre; c’est sa raison d’être fondamentale (p. 25). » En examinateur lucide, Hervé Juvin pense que « la dernière technique de l’individu, la plus achevée aussi, le dernier dispositif à faire de l’un à partir du divers et du même à partir des autres ne s’est nulle part plus affirmée qu’en Europe; c’est l’État du socialisme antinational, c’est-à-dire l’État de la société des individus. L’État est la garant des droits illimités des individus, et d’abord contre la nation (5) ». Or, par puritanisme pacifiste convenu, le terme de « guerre » s’éclipse du vocabulaire au profit de celui de « sécurité ». Il n’en demeure pas moins vrai que son effacement favorise le surgissement post-moderne de « trois archétypes militaro-guerriers […] : le terroriste et ses adversaires désignés, le combattant des forces spéciales et le contractor – le premier en tant que nouveau guerrier souverain du monde globalisé, le deuxième comme prétorien du nouveau pouvoir impérial, le troisième comme l’entrepreneur militaire issu du marché global (pp. 60 – 61) ». Bernard Wicht y ajoute le partisan « qui se bat pour une cause que l’État n’est plus en mesure de lui donner (p. 61) », l’ancien des forces spéciales, le « soldat (homme de main du crime organisé) (p. 61) » et, pas encore décantée, une « nébuleuse  citoyenne » pour qui l’auteur porte de grands espoirs. Terroristes, combattants des forces spéciales et contractors travaillent peu ou prou pour les mêmes patrons de l’oligarchie. Leur existence justifie les mesures d’exception permanentes (U.S. Patriot Act, lois sécuritaires français, etc.) qui transforment les sociétés développées en sociétés panoptiques de surveillance totale. L’auteur souligne que « c’est la fonction coercitive de l’État qui se réoriente : le passage d’un État militaro-territorial tourné vers la guerre externe à un État pénal-carcéral accentuant son rôle répressif à l’intérieur (p. 46) ». Désormais, « l’État postmoderne [est devenu] cet espace post-étatique livré à la foule et aux réseaux de tous ordres sous la surveillance de milliers de caméras (p. 88) ». Loin d’aller vers une « paix perpétuelle » planétaire, on s’achemine vers de nouvelles guerres infra-étatiques. « Le court XXe siècle [ouvre] la transition vers l’âge global compris comme un nouveau Moyen Âge en raison de sa multipolarité, du retour de l’empire et de la pluralité des allégeances caractérisant dorénavant les groupes humains (p. 32). »

 

La réflexion de Bernard Wicht s’inscrit dans ce contexte « sécuritariste » et intègre les apports de la Toile numérique, fondateurs d’une pensée réticulaire. « C’est en fonction de ce nouveau paradigme qu’il faut penser les espaces d’autonomie et les autres formes d’organisation correspondantes (Web 2.0 = gouvernement 2.0, citoyenneté 2.0, armée 2.0) (p. 54). » Il espère ainsi dans « la rencontre entre la liberté et une structure appropriée autorisant la prise de décision collective et autonome (p. 35) ».

 

Comment refonder la politique à l’heure de l’« Âge global » ? À partir du citoyen-soldat, clame Bernard Wicht, « à la fois pilier institutionnel et système d’arme (p. 69) », car « une armée peut se reconstituer la cité (p. 71) ». Il faut survivre aux désordres et de « chevaucher le tigre » – il tient à citer Julius Evola (6) -, quitte à se référer au culte antique de Mithra quand un jeune homme se devait de dompter et de vaincre un taureau furieux. « Chevaucher le tigre » signifie « être capable de traverser une période de trouble et d’anarchie dans laquelle les éléments échappent à tout contrôle (le galop furieux du taureau), d’encaisser et de durer plus longtemps (jusqu’à l’épuisement du taureau), pour renaître ensuite et reprendre l’initiative (tuer le taureau) (p. 73) ».

 

Recours au peuple en arme

 

La résistance s’impose contre l’État aux mains de la coterie oligarchique. Ce combat présente un enjeu vital, car il en va de la liberté des hommes responsables. Bernard Wicht remarque à ce sujet que « depuis la fin de la guerre froide, le mot liberté a subitement disparu du discours politique au profit du vocable sécurité (p. 85) ». «  Le glissement de paradigme – de la liberté à la sécurité – est passé relativement inaperçu, pourtant son impact est immense pour la conception de la citoyenneté : dès lors que l’État n’est plus le garant des libertés de chacun mais (au contraire) de la sécurité de tous, le citoyen en armes n’est plus considéré comme une protection contre la tyrannie mais comme un criminel en puissance, comme une menace potentielle, comme un “ sauvage ” qui risquerait de retrouver à l’état de nature (p. 86) », ce qui signifie que « nous aurions donc quitté un âge de liberté pour entrer dans une ère sécuritaire (p. 85) ». Or « la philosophie occidentale semble contenir toute une culture de la légitime défense formant le socle des libertés politiques (p. 88) ». Mieux, dans la Grèce antique, « c’est […] un principe institutionnel qui veut que les armes appartiennent à ceux qui détiennent le pouvoir – les citoyens (p. 77) ». En cas d’effondrement durable des sociétés compliquées, « il n’est pas étonnant par conséquent que l’armée apparaisse comme une cité de substitution pouvant remplacer ou, le cas échéant, pallier la vacance de la cité proprement dite (p. 78) ». En effet, en citoyen suisse responsable attaché à l’armée de milice et au port d’arme légalisé (la Suisse occupe le troisième rang mondial derrière les États-Unis et le Yémen avec quarante-six armes à feu pour cent habitants), « l’élément déterminant de ce processus de restauration de la cité est la discipline et l’esprit de corps qui donnent à l’armée sa cohésion, qui fait d’elle une fraternité d’hommes en armes. Ainsi réglée, l’armée peut occuper la fonction de colonne vertébrale et devenir le principe réorganisateur d’un système politique ayant perdu sa cohérence. Discipline et esprit de corps permettent en effet l’exercice d’un mode de vie réglé où le désordre n’a pas sa place. C’est l’illustration concrète de la dimension politique et du rôle structurant du compagnonnage et de la fidélité personnelle (p. 79) ». Il suit la démarche de Machiavel qui fait de la milice de citoyens le facteur restaurateur du civisme à la condition d’y inclure des paysans libres et armés (7). Prenons garde cependant à ne pas verser dans un idéalisme quelque inadéquat. Éric Werner estime qu’« on assimile volontiers le système suisse de milice au “ peuple en arme (8) », ce qui n’est plus le cas du fait d’une puissante démobilisation spirituelle et d’un alignement éloquent des forces helvétiques sur les normes de l’O.T.A.N. Si le citoyen suisse montre son attachement à l’armée de milice, c’est parce que ce système « offre à n’importe quel citoyen qui le souhaite, homme ou femme, de s’initier à l’utilisation d’une arme, et même, aujourd’hui encore, d’en détenir une à domicile. C’est un avantage non négligeable, surtout à notre époque. Mais cela n’a plus rien à voir avec le “ peuple en armes ” (9) ».

 

Ce réveil civique armé peut néanmoins arriver sous la forme – novatrice – de mouvements militarisés (ou paramilitaires) plus ou moins informels. « De nos jours, le capital guerrier se situe de plus en plus au sein des groupes armés. Ceux-ci sont devenus les nouvelles machines de guerre capables de combiner efficacement capital et contrainte et, donc, de concurrencer, voire de remplacer l’État moderne dans cette fonction. Pour reprendre une métaphore cinématographique, les groupes armés sont les Fight Club de notre époque – des sociétés d’hommes, des fraternités de guerriers (pp. 119 – 120). » Bernard Wicht envisage clairement l’imminence d’un nouveau Moyen Âge, reformulateur radical des règles stratégiques et d’un nouvel « art de la guerre » qui ne serait plus celui des conflits classiques, inter-étatiques, mais qui correspondrait plutôt à une « guerre civile moléculaire » suivant l’expression du philosophe allemand Hans Magnus Enzensberger. Les nouvelles conditions d’existence feront que dans cette ère néo-médiévale globalisée, « ceux qui survivent ne sont pas les plus forts, mais ceux qui s’adaptent (p. 105) ».

 

Les premières moutures de ces groupes armés existent dès à présent dans le monde. Dans les années 1990, le Mexique connut les zapatistes altermondialistes du sous-commandant Marcos au Chiapas. Aujourd’hui, ce pays est ravagé par une quasi-guerre civile du fait des affrontements entre bandes de narco-trafiquants et les forces fédérales. Dans des régions reculées, ce sont des groupes d’autodéfense villageoise qui « pratiquent […] la culture du secret (p. 94) ». La journaliste Emmanuelle Steels évoque « la prolifération des groupes d’autodéfense qui assurent, dans plusieurs régions, une mission sécuritaire à laquelle les autorités semblent avoir renoncé. Durant les dix premiers mois de la présidence d’Enrique Peña Nieto, la formation de ces milices civiles s’est étendue à dix des trente États mexicains (10) ». Le président de la Commission nationale des droits de l’homme, Raúl Plascencia justifie leur présence parce que « l’abandon de l’État oblige les citoyens à se protéger et à lutter contre une criminalité qui est parfois encouragée par les autorités (11) ». Ce qui se déroule au Mexique donne un avant-goût de ce que subira l’Europe dans les prochaines années… L’autodéfense populaire n’est pas propre au peuple mexicain. Jadis « Suisse du Proche-Orient », le Liban, victime de violentes tensions inter-communautaires, sécréta les Kataeb phalangistes chrétiens, puis le Hezbollah chiite pro-iranien. En période exceptionnelle, « les organisations naissent et se développent en réponse à la défaillance de l’État et à l’incapacité de celui-ci de garantir la sécurité des populations (p. 126) ».

 

Quelque peu provocateur, Bernard Wicht parle alors de « Swissbollah », « contraction de Swiss – et de Hezbollah en référence respectivement, à l’élan communal insufflé à l’Europe par les Confédérés au XVe siècle et aux succès remportés de nos jours par ce groupe armé (le parti de Dieu, la milice chiite du Liban Sud) (p. 122) ». Le Hezbollah ou les forces d’autodéfense villageoises au Mexique n’en sont pas les seuls exemples. Pour contrer l’augmentation exponentielle de la délinquance dans les zones rurales de l’Hexagone (vol d’essence du tracteur, du matériel agricole, des récoltes…), gendarmes et syndicats d’agriculteurs « entendent développer des communautés “ d’exploitants vigilants ” [… et] prônent la mise en place de “ communautés d’alerte ” qui seraient informées par S.M.S. ou par Internet lors d’une attaque ou de l’apparition d’une bande dans une région (12) ». L’économiste Nicolas Baverez observe pour sa part avec une inquiétude non dissimulée que l’insécurité « conduit les citoyens à s’organiser en milices ou en forces d’autodéfense pour répondre à la disparition de l’ordre public. Il n’y a plus de liberté où la sûreté des personnes et des biens n’est plus assurée. Ceci est tout particulièrement vrai dans les zones qui jouxtent les ghettos urbains et dans les zones rurales que le retrait et la démobilisation de forces de gendarmerie ont transformées en vide de sécurité (13) ». Ces diverses initiatives démontrent que « le salut vient des marges… (p. 112) », ce qui signifie un recours inévitable aux communautés locales.

 

L’équilibre civique de la terreur

 

Fort de ce constat, l’auteur considère que le « Swissbollah symbolise le mariage de la liberté et de l’autonomie (des Confédérés) avec les nouvelles formes d’organisation militaire et, par là, une voie possible de restauration de la cité et de l’action stratégique (p. 122) ». La révolution mentale est gigantesque puisque « la substance remplace l’instance (p. 106) ». Très clairement, « les organisations apparaissent donc comme des unités hybrides (à la fois politiques, militaires et entrepreneuriales), autonomes, articulées autour d’une culture (références, valeurs, comportements) et d’une organisation (objectifs communs) (pp. 129 – 130) ». Ainsi l’équilibre de la terreur, naguère intercontinental, est-il devenu infra-étatique… Ce qui redonne « à la légitime défense, sa signification première, c’est-à-dire le droit fondamental de l’individu de garantir sa vie, ses biens et sa propriété en cas de défaillance de l’État (p. 132) ». Mieux encore, « tant dans la perspective du nouveau Moyen Âge, de l’ère numérique que de celle du Moment machiavélien, il apparaît non seulement nécessaire (autonomie, redondance), mais également légitime (libération civique) de prévoir des S.M.P. à “ petit budget ” au service des citoyens (p. 144) ». Cela suppose la redécouverte de la notion fondamentale de la solidarité communautaire d’autant que « le citoyen-soldat 2.0 doit pouvoir travailler dans la marge d’erreur du système. Il doit être en mesure d’agir de manière autonome et en suppléance de l’État (p. 140) ». Le temps de l’État-nation omnipotent s’avère révolu.

 

Bernard Wicht conçoit un nouveau paradigme philosophico-stratégique pour lequel, citant Jacques Derrida, « l’avenir de la démocratie [… est] celui d’une société secrète (p. 89) ». Il importe de comprendre cette réflexion d’une manière subversive et anti-moderne. « Lorsque le philosophe voit dans la démocratie une sorte de conjuration (au sens étymologique), il se rattache en quelque sorte au schéma des contre-sociétés tel que par exemple le mouvement communal du Moyen Âge, c’est-à-dire des groupes d’individus qui, en raison de leurs intérêts communs, décident de s’associer pour gérer leurs propres affaires et faire valoir leur point de vue vis-à-vis du cadre hiérarchique de l’époque (le féodalisme) (p. 89). » Et l’auteur se réfère volontiers à Platon et à Machiavel. On a vu que le second a profondément stimulé sa démarche intellectuelle. Quant au premier, il en retient une approche exprimée dans La République, à savoir « la cohésion supérieure d’un groupe – les Gardiens – pour rétablir la stabilité de la cité (p. 75) ». Bernard Wicht souligne que « la réflexion platonicienne se place après la chute, après l’effondrement (p. 76) »; il s’en explique. « Les Gardiens se voient confier non pas la tâche de dominer, mais bien celle d’ordonnancer la République, de lui redonner son principe d’organisation. […] Les Gardiens représentent un véritable noyau dur autour duquel viennent s’arrimer les autres composantes du corps social et dont ils assurent la stabilité (p. 80). » Or, au XXe siècle, ces « Gardiens » prirent la forme du parti unique totalitaire qui n’a pas convenu aux virtualités propres des sociétés modernes. Le système monopartiste a échoué. Mais le pluralisme libéral moderne ne convient pas non plus à la volonté de survivre aux événements en cas de faillite civilisationnelle. Puisque Bernard Wicht a lu des ouvrages de Julius Evola, on peut penser que la version post-moderne et/ou néo-médiévale des Gardiens platoniciens serait l’équivalent de l’Ordre de la Couronne de Fer et de l’Ordenstaat (ou État monastique) chère au modèle politique prussien.

 

« L’État teutonique est, à maint égard, unique en son genre. Contrairement aux autres, qui résultent de l’existence préalable d’une nation, cet État est créé, sur une sorte de tabula rasa, par le seul effet d’une volonté. Son peuple, il le compose lui-même : de Baltes, de Slaves, surtout d’Allemands venus de toutes les régions de l’Empire et dont la prépondérance germanise l’ensemble. Cet État ne suit pas son peuple, il le précède; il n’en résulte pas, il l’engendre. C’est pourquoi Hegel reconnaîtra plus tard dans l’État prussien l’État pur, l’État en soi. Outre son peuple, il invente entièrement sa constitution et son administration; celles-ci ne dépendent pas des hasards d’une longue histoire, mais d’une volonté rationnelle s’exerçant librement. Elles se fondent sur la vaste expérience des chevaliers de l’Ordre, qui, ayant connu les royaumes de Terre sainte, les principautés italiennes, la République de Venise, les divers États d’Europe, où ils possèdent de nombreux biens, ont pu mûrir leur réflexion sur l’économie idéale d’un État. L’organisation de leur État est la première organisation étatique rationnelle de l’Europe moderne; l’ordre qu’ils y font régner, générateur de paix et fondement de leur richesse, est absolu. Établi par la guerre sur un pays pauvre, donc dur aux hommes, il impose des mœurs sévères. Dans son essence enfin, le pouvoir en Prusse se distingue de ceux qui règnent sur le reste de l’Europe. Organisation à la fois militaire et religieuse, l’Ordre Teutonique ignore toute distinction entre pouvoir politique, pouvoir militaire et pouvoir religieux.  Chef de la politique de son État, le grand maître est aussi celui de son armée et de son église (14). » Le fait teutonique, à moins que ce soit l’idée même d’Ordre hautement fertile, est peut-être une solution possible dans les prochaines décennies. On comprend mieux pourquoi Bernard Wicht écrit qu’« il y a fort à parier que les Templiers soient de retour (p. 32) ».

 

Stratégies pour un nouvel Âge médiéval

 

À la fois spirituel, mystique et politique, un tel « Ordre des Gardiens » garantirait sa protection bienveillante aux communautés locales qui lui feraient allégeance, car, dans le même temps qu’il esquisse la vision d’un Ordre souverain, Bernard Wicht entend valoriser l’autonomie qui « implique, autant que faire se peut, de ne pas dépendre de facteurs que nous ne contrôlons pas ou, autrement dit, de conserver l’emprise sur son environnement immédiat (p. 90) », cette autonomie étant bien sûr plus collective, voire communautaire, qu’individualisée. Après l’évocation de la situation mexicaine, il se réfère aux Acadiens qui contrent la domination marchande anglaise au XIXe siècle en développant une logique socio-économique de solidarité mutuelle. « Le mouvement coopératif va jouer pour les Acadiens le rôle d’un véritable projet de société […] à la fois fédérateur et identitaire (p. 93). » Cependant, les Acadiens ne disposèrent pas du monopole de la violence légitime. Or « capacité économique + système d’arme = liberté d’action (p. 96) ». Force est de constater que cette liberté d’action est souvent bridée dans les États occidentaux obsédés par un tout-sécuritaire affolant. Si, « aux États-Unis, le premier devoir d’un citoyen est de défendre sa propriété, sa famille et les siens contre toute attaque; et la détention d’armes est la condition nécessaire de l’exercice de ce devoir. Un citoyen américain n’existe que s’il est armé – s’il peut participer à la défense de sa liberté. […] En France […] le devoir de l’État est d’interdire aux citoyens de se défendre; la première consigne donnée aux forces de l’ordre, lors de toute émeute comme celles qui régulièrement enflamment les banlieues, n’est-elle pas de réprimer toute constitution de milice d’autodéfense ? Et les plus lourdes peines attendent, non pas les valeurs, mais ceux qui aurait tenté de protéger leurs biens ou leurs personnes ! (15) ».

 

Retrouver cette liberté d’action pratique suppose au préalable d’encourager la constitution de petites communautés locales, souvent agricoles ou agrariens aptes à utiliser des semences illégales, quitte à faire la nique aux firmes multinationales agro-alimentaires. Depuis quelques années, des militants identitaires restaurent de vieilles fermes abandonnées dans un espace rural profond isolé afin de préparer des zones d’autosuffisance à vocation survivaliste (16). Mais il demeure primordial d’investir aussi en milieu urbain. De futurs territoires autarciques doivent éclore en ville. Que des familles identitaires habitent la même rue, le même quartier afin que le jour venu ces habitats deviennent des zones libérées de la République hexagonale, soit des communautés reliées entre elles par Internet ou une sorte d’Intranet à l’échelle locale, régionale, nationale ou continentale (en attendant les pigeons voyageurs quand la Toile sera définitivement contrôlée par les sbires de l’hyper-classe). « Nous devons être capables de produire progressivement une contre-société, que j’appelle “ fractionnaire ” pour indiquer que c’est plus qu’une dissidence, quasiment une sécession a-territoriale. C’est la voie de l’avenir, celle qui rendra possible la construction d’un rapport de force (17). » De pareilles communautés existent déjà en Amérique du Nord avec les Amish, nonobstant leur technophobie et leur rejet respectable de la violence, ou en France avec les Frères darbystes de Plymouth présents de façon très discrète sur le plateau du Vivarais – Lignon entre Haute-Loire et Ardèche (18).

 

Les États occidentaux peuvent encore s’extraire du déclin s’ils s’appliquent un véritable volontarisme politique, s’opposent enfin au Nouvel Ordre mondialiste et redéfinissent la participation effective de leurs citoyens à l’effort permanent de défense. Bernard Wicht mentionne des théoriciens français de l’« armée du peuple » : Jean Jaurès, auteur de L’Armée nouvelle en 1910 ou le général Étienne de Vaincre la guerre (1984). Dès avril 1964, dans L’Esprit public, Jean Mabire anticipait une armée populaire du XXIe siècle. « À une armée de métier, hautement technique et rigoureusement intégrée, vouée par essence aux tâches de dissuasion et de rupture, s’ajouteraient des forces, d’active comme de réserve, spécialisées dans la guerre révolutionnaire : occupation de l’espace, protection ou ralliement des populations, défense en surface. Ces unités au rôle finalement aussi politique que militaire, seraient dans le droit fil de la vieille infanterie reine des batailles et maîtresse du terrain. […] Ces troupes bénéficieraient d’une grande puissance de feu et d’une mobilité extrême, notamment par la généralisation de l’héliportage qui demeure, avec la télévision, un des atouts essentiels de la conduite d’une guerre subversive. Cette infanterie d’un nouveau style serait recrutée par le service militaire, obligatoire et universel, de la jeunesse européenne. Un service actif extrêmement bref (six à neuf mois par exemple) serait précédé d’une préparation militaire sérieuse et suivi de périodes de réserves fréquentes d’une durée de deux à trois semaines. Le système actuellement en vigueur dans l’armée suisse mériterait d’être tout particulièrement étudié en ce domaine (19). » Sinon ce sera le temps du Rebelle, ce Partisan qui « sait pourquoi il se bat et connaît ses chances de succès (p. 109) ». Dans une perspective convergente quoique plus sociologique et donc moins politisée, le bouillonnement post-moderniste des nouvelles tribus fomente d’étonnantes agrégations communautaires novatrices dont certaines s’inscriront, une fois les confrontations remportées, dans le temps et l’espace.

 

La défense doit toujours se territorialiser afin de réaliser des aires de liberté. Toutefois, « dans cette recherche des nouveaux espaces de liberté, il importe également de prendre en compte l’avènement de la société de l’information. Celle-ci vient apporter sa dimension à cette évaluation en favorisant les petites structures, les formes d’organisation plates et “ sans tête ” (p. 92) ». Bernard Wicht n’hésite pas à se référer à la T.A.Z. de l’anarchiste étatsunien Hakim Bey. La T.A.Z. présente le grand désavantage de se vouloir éphémère. D’ailleurs, les activistes alter-mondialistes et « T.A.Z.istes », conscients de la nécessité de marquer le territoire et d’enraciner leurs luttes dans un lieu précis, parlent d’ailleurs maintenant de Z.A.D. (zone à défendre). Si une Z.A.D. a tenté de s’opposer au projet dément de l’« O.L. Land », une calamiteuse construction d’un stade de foot dans la banlieue lyonnaise, une autre s’incruste près de Nantes à Notre-Dame-des-Landes où devrait s’élever un effroyable aéroport. Malheureusement, outre un antifascisme rabique et fantasmatique, les « Zadistes » sont surtout des défenseurs d’une « ZoFuC » (zone à fumer le cannabis). Militant écologiste courageux et limite anarcho-royaliste (il arbore un Sacré-Cœur du Christ-Roi vert), Éric Pétetin explique que dans cette Z.A.D. bretonne, « ça fume pas mal : 90 % des jeunes sont un peu accros au pétard, c’est net. Ça prend un peu trop de place. C’est vrai que c’est agréable de fumer dans la nature avec des copains, mais quand on passe les deux tiers de sa journée à faire ça, c’est un peu dommage. En ce sens, le cannabis est un peu anti-révolutionnaire (20) ». Cette Z.A.D. ressemble plus à un dépotoir à ciel ouvert avec son campement crasseux qu’à un village vivant de dissidents. À l’encontre de ces « enfants perdus de la modernité tardive », les résistants européens parient plutôt sur les B.A.D. (bases autonomes durables), seul action concrète propice à la reconstitution d’une légitimité nouvelle autour de l’équation suivante : « citoyen + T.A.Z. + Légitime défense = Swissbollah (p. 137) », car l’objectif final est « la restauration de la cité, c’est-à-dire non plus la défense de l’État en termes d’instance (souveraineté, frontières, territoire) mais de substance (population, civilisation, valeur) (p. 137) ».

 

Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne expose les défis de l’inévitable remilitarisation des peuples européens. Cet ouvrage est un maître-livre qui bouscule les convenances habituelles du prêt-à-penser. Plus que jamais au XXIe siècle, la guerre, qu’elle soit mondiale ou métalocale, sera accoucheuse d’histoire et de politique.

 

Georges Feltin-Tracol

 

Notes

 

1 : Hervé Juvin, La grande séparation. Pour une écologie des civilisations, Gallimard, coll. « Le débat », 2013, p. 292.

 

2 : Idem, pp. 281 – 282.

 

3 : Id., p. 268.

 

4 : Id., p. 282.

 

5 : Id., p. 179.

 

6 : Julius Evola, « Chevaucher le tigre », Guy Trédaniel – Éditions de la Maisnie, Paris, 1982.

 

7 : Il n’est pas anodin de savoir que le premier ouvrage de Bernard Wicht portait sur L’idée de milice et le modèle suisse dans la pensée de Machiavel, L’Âge d’Homme, Lausanne – Paris, 1995.

 

8 : Éric Werner, « La face cachée du modèle suisse », dans Éléments, n° 149, octobre – décembre 2013, p. 40.

 

9 : Idem, p. 41.

 

10 : Emmanuelle Steels, « Mexique : les milices populaires, dernier rempart contre les cartels », Libération, 7 octobre 2013.

 

11 : Idem.

 

12 : Christophe Cornevin, Le Figaro, 16 octobre 2013.

 

13 : Nicolas Baverez, « La grande jacquerie », Le Figaro, 21 octobre 2013.

 

14 : Pierre Béhar, Du Ier au IVe Reich. Permanence d’une nation, renaissance d’un État, Éditions Desjonquères, coll. « Le bon sens », Paris, 1990, pp. 87 – 88. Lire aussi Sylvain Gougenheim, Les chevaliers Teutoniques, Tallandier, Paris, 2007.

 

15 : Hervé Juvin, op. cit., pp. 78 – 79.

 

16 : Cf. Piero San Giorgio, Survivre à l’effondrement économique. Manuel pratique, Le retour aux sources, Paris, 2011; Rues barbares : survivre en ville (co-écrit avec Vol West), Le retour aux sources, La Fenderie (Aube), 2012.

 

17 : Michel Drac, Entretiens avec des hommes remarquables, réalisés par Le Cercle Curiosa, Alexipharmaque, coll. « Les Réflexives », Billère, 2012, p. 95.

 

18 : Les darbystes sont des protestants évangéliques apparus dans les années 1830, d’abord en Grande-Bretagne.

 

19 : Jean Mabire, « L’épée », dans La torche et le glaive. La politique, l’espérance et l’écrivain, Éditions Libres Opinions, Paris, 1994,  pp. 208 – 209.

 

20 : dans Charlie Hebdo, 21 août 2013.

 

• Bernard Wicht, Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne, Favre, Lausanne (Suisse), 2013, 148 p., 14 €.

 


 

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La Garde nationale : institution du passé et projet d’avenir ?

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La Garde nationale : institution du passé et projet d’avenir ?

par Rémy VALAT

 

Le 20 mars 2012, le groupe Janus a fait paraître dans la revue Le Point une lettre ouverte appelant à la création d’une « garde nationale » aux missions citoyennes multiples : réserve de l’armée, auxiliaire des forces de l’ordre et partenaire des unités de Sécurité civile et des organisations humanitaires (1). Mais cette idée n’est pas neuve, elle figure notamment au programme du Front national, ou émane d’associations (Anciens des Missions extérieures), de personnalités politiques (Philippe de Villiers) ou de militants (Laurent Latruwe).

 

L’intérêt porté sur cette question témoigne d’un désir de réformer les moyens de défense de notre pays. Il mérite aussi d’être examiné avec attention, car ce projet est porté par un parti politique susceptible (et il est bien partie pour) de remporter les prochaines élections présidentielles. Il ne s’agit pas de faire du neuf avec de l’ancien, mais au contraire d’innover. Si la Garde nationale, première version, a été dissoute en 1871, c’est parce que cette institution était intimement liée à une conception ancienne de la citoyenneté associant le droit de vote et de porter une arme : elle était intrinsèquement liée aux processus insurrectionnels et révolutionnaires. Aussitôt cette institution dissoute, la contestation sociale et les procédés du maintien de l’ordre vont peu à peu évoluer.

 

Cet « échec » ne doit pas remettre en question la pertinence de la résurgence d’une telle institution sous une forme moderne et dépolitisée. La nature même des conflits contemporains l’exigerait : la guerre ne connaît plus de limites, et le rôle des acteurs sociaux, économiques et politiques est aussi prépondérant que celui des forces de l’ordre et de l’armée. La Garde nationale serait une solution d’avenir pour assurer la défense et la cohésion sociale de notre pays. Historiquement, elle a été créée en 1789 et s’est éteinte sur les barricades de Paris en 1871 : elle est l’héritière des milices de l’Ancien Régime. Les hommes qui y étaient enrôlés ont rempli selon les périodes d’agents du maintien de l’ordre ou soldats de réserve de l’armée de ligne. C’est surtout la mission de sûreté intérieure et son impact dans la vie politique française qui intéresse en premier chef cet article, c’est pourquoi nous attardons à présent et brièvement sur sa compétence en matière de défense du territoire national.

 

Une force de réserve imparfaite, parce que mal préparée

à la réalité de la guerre

 

Quelques semaines avant le vote de la loi constitutive sur la Garde nationale (14 octobre 1791), les 11 et 13 juin précédents, alors que le roi Louis XVI est en fuite, une première conscription libre de 110 000 gardes nationaux de bonne volonté a été décrétée par l’Assemblée pour répondre à l’imminence d’un conflit avec les monarchies européennes. Cet appel, prémisse à la levée des bataillons de gardes nationaux volontaires de 1792, est l’acte fondateur du rôle militaire de l’institution. Ultérieurement, en 1809, les gardes nationales seront mobilisées pour contrer l’expédition britannique dans l’île hollandaise de Walcheren. Plus tard, en 1832, sera voté le principe des corps détachés pour le service de guerre, mais cette idée théorique n’aura aucune réalisation concrète.

 

L’armée s’appuie encore sur la conscription par tirage au sort et ce procédé unique ne sera pas remis en question jusqu’en 1868. C’est sous le Second Empire, en réponse au danger que représente la Prusse et ses alliés, que s’impose l’idée d’une armée auxiliaire. Se remémorant peut-être la défaite de son oncle face à la Prusse en 1813, Napoléon III reprend à son compte le principe de la Landwehr. Le 1er février 1868, la loi Niel crée une Garde nationale mobile. Celle-ci regroupait tous les citoyens ayant échappé au service militaire lors du tirage au sort et sa mission consisterait en la défense des villes fortifiées des frontières (mais aussi de l’intérieur) et de force de réserve. La Garde nationale mobile qui se battra avec héroïsme pendant l’« Année terrible », formera une armée auxiliaire aux côtés des gardes nationaux mobilisés (2) à compter du 14 octobre 1870. Dans la capitale, la Garde nationale mobile sera dissoute après l’armistice de janvier 1871 et bon nombre de gardes intégreront les bataillons sédentaires et se battront sur les barricades pour défendre la Commune.

 

Cette succession de mobilisations dictées par l’urgence, et en particulier la dernière (1870) démontre l’utilité d’un tel corps de troupes permanent et régulièrement entraîné : c’est par l’amalgame avec les unités de ligne que les volontaires nationaux se sont formés et aguerris, au point de devenir l’ossature des armées révolutionnaires puis napoléoniennes. L’échec relatif des levées de « moblots » en 1870 et 1871 s’explique par la carence de leur formation militaire, mais ces faiblesses se sont estompées pour les unités ayant eu une expérience du feu. La garde nationale fédérée, servant d’armée à la Commune, a été vaincue en raison de son manque d’entraînement et des dysfonctionnements internes (le refus d’un commandement unique, pouvoir excessifs des chefs de légions et une tendance à l’insubordination, etc.) : l’idéal politique s’est avéré insuffisant face à une armée de ligne, mieux entraînée et idéologiquement conditionnée. En un mot, le garde national raisonnait et actait comme un civil et le soldat comme un militaire.

 

La Garde nationale : une institution entre conservatisme et contestation révolutionnaire

 

Fille de la Révolution française, la Garde nationale disparaît avec la Commune de Paris. Son histoire est une succession d’implications dans les processus révolutionnaires, suivies de courtes étapes de transition, où l’outil insurrectionnel se mue progressivement en force publique active de maintien de l’ordre. Aussitôt la paix sociale acquise, elle opère ensuite, lorsqu’elle n’est pas dissoute, en qualité de force publique représentative et symbolique. Pendant ces périodes, les plus longues, elle est momentanément réactivée lorsque surgissent de nouveaux désordres intérieurs ou des périls extérieurs. Selon l’historien Louis Girard, deux tendances centrifuges animent la milice. Ces orientations opposées reposent sur l’acceptation ou la contestation de la loi. Force est de constater que la Garde nationale n’est radicalement impliquée dans le processus révolutionnaire que lorsque son recrutement se démocratise, s’élargit à tous les citoyens mâles en âge de porter une arme. C’est pourquoi, la limitation ou l’élargissement des engagements revêt une importance politique. Le flux du recrutement est matériellement réduit par le critère financier. La rémunération du garde réquisitionné facilite le recrutement populaire, voire d’individus nécessiteux. Les convulsions révolutionnaires de 1792 – 1793, de 1848 – 1851 et de 1870 – 1871, avalisent totalement cette assertion. La stabilité de la milice ne semble garantie que par le contrôle quantitatif et qualitatif des inscrits. La théorie du citoyen-propriétaire est rémanente de 1791 à 1870. La distinction entre les citoyens actifs et passifs se traduit au sein de la Garde nationale par le distinguo entre gardes nationaux en service ordinaire et gardes nationaux de réserve. Cette différenciation civique vise à éloigner du bulletin de vote et du maintien de l’ordre les classes perçues comme dangereuses. Même le décret de l’Assemblée législative du 30 juillet 1792 qui autorise l’admission des « citoyens passifs » dans la Garde nationale – décret préliminaire à celui du 11 août 1792 supprimant totalement la « citoyenneté passive » – est certes « inclusif » pour l’ensemble des citoyens mâles sédentaires de 21 à 60 ans, mais toujours « exclusif » pour les populations flottantes et le personnel ancillaire. Les conceptions de l’engagement civique dans la milice et du droit électoral se rejoignent par leur rejet des mêmes catégories sociales, d’âge et de sexe; mais s’opposent radicalement sur l’exclusion d’une partie des individus se considérant comme partie intégrante du corps social, sans pour autant appartenir aux groupes sociaux jugés « infamants ». Cette lutte devient le programme des Républicains jusqu’en 1848. Avec l’avènement du suffrage universel, l’accès du citoyen à la Garde nationale se généralise. Entre 1852 et 1870, l’empereur Napoléon III, ancien président de la Deuxième République, ne pourra plus porter atteinte à l’universalité de la citoyenneté. Il optera seulement pour une organisation sélective des bataillons. Tous les citoyens deviennent des gardes nationaux potentiels, seul le nombre des bataillons est sensiblement réduit. Ce mode de recrutement coïncide totalement avec l’esprit du régime. Napoléon III estime puiser la source de son pouvoir par l’acceptation de son peuple. Mais, son mode de gouvernement – autoritaire – n’est officiellement qu’un moyen mécanique de gestion de l’État. Seul le caractère exceptionnel de la crise politico-militaire de 1870 favorisera le retour d’une garde nationale républicaine et démocratique.

 

Du potentiel symbolique et légitimant du garde national au rôle politique des fédérations de gardes nationaux

 

Le garde national a, comme l’écrit Pierre Rosanvallon (dans son ouvrage Le sacre du Citoyen), « hâté l’avènement de l’individu citoyen ». Le garde national, devenu le citoyen-soldat, peut jouir de ses droits civiques en contrepartie de sa contribution à la défense de la Nation. Cette nouvelle équation, individu-citoyen, plutôt du citoyen en armes, est à l’origine du potentiel symbolique de l’institution qui représenterait la Nation tout entière : or, les critères d’exclusion d’une partie des résidents français et indigènes atteste de l’inexactitude de cette assertion. Cette transformation renforce le rôle politique de la milice initié lors de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Ce pacte entre l’Assemblée constituante et 14 000 gardes nationaux venus de tout le pays, servît grâce à la propagande officielle, d’acte fondateur de l’identité nationale. Les délégations des bataillons de province vinrent apporter au Champ de Mars, leur soutien au gouvernement révolutionnaire, le légitimant de leur potentiel militaire et politique. Toutefois, cette cérémonie masque une toute autre réalité : elle est un détournement des initiatives locales de fédérations de municipalités et de gardes nationales, qui sont l’expression d’un réflexe d’autodéfense consécutif à la « Grande Peur » et d’un désir d’affirmation d’une appartenance communautaire à l’échelon local. Cette méfiance est partiellement infondée puisque dans certains départements la Garde a été le vecteur du développement de l’idéal révolutionnaire, grâce à la crainte répressive qu’elle inspirait. Le mouvement des fédérations fût d’ailleurs précoce : la première eut lieu à l’Étoile près de Valence le 29 novembre 1789 et réunît 12 000 gardes du Vivarais et du Dauphiné. Les Constituants, après avoir constaté l’ampleur du mouvement, le fédère au bénéfice de la représentation nationale siégeant à Paris. En outre, cette cérémonie a également mis en évidence neuf années avant le coup d’État de Napoléon Bonaparte, la menace du césarisme (3) et souligne l’existence de deux légitimités : celle des représentants élus et celle du chef, ou du parti, appuyé par la communauté des citoyens de la Garde nationale. Deux légitimités, presque équivalentes en valeur représentative – en raison du caractère charismatique de l’élection selon l’expression de Max Weber. En 1815, 1830 et surtout en 1871, de nouvelles fédérations, certes d’une moindre ampleur, viendront valider, a posteriori, la légitimité des nouveaux gouvernements. Le phénomène fédératif, propre aux périodes révolutionnaires, est la manifestation du potentiel légitimant de la Garde nationale. Dans la capitale, lors des périodes de paix sociale, la Garde nationale a aussi une fonction de renforcement de la légitimité du Souverain. Cette propension a été particulièrement décrite pour la période de la Monarchie de Juillet (thèse de doctorat de Mathilde Larrere-Lopez) : pendant ce règne, les cérémonies parisiennes auxquelles participe la milice ont pour fonction de symboliser la cohésion du peuple autour du roi-citoyen Louis-Philippe, dont la légitimité est contestée (comme en témoigne les multiples tentatives d’attentats contre sa personne).

 

Surtout, l’héritage républicain et démocratique de la Révolution française a perduré au sein de la Garde nationale parisienne. La vie politique et délibérative a continué, même pendant les périodes des régimes autoritaires, la monarchie constitutionnelle et les deux empires. Les fonctions électives et délibératives légales internes à la Garde, principalement les conseils de famille, ainsi d’ailleurs que les réunions informelles et les tours de garde – favorisaient la circulation des opinions et servent d’appui à l’opposition républicaine, notamment sous la monarchie de Juillet, mais aussi très probablement entre 1789 et 1792. Organisme interne, le conseil de famille participe à cette vie. Ces structures, établies vraisemblablement depuis la Révolution, sont chargées de l’administration à l’échelon des compagnies. Traditionnellement présidés par le capitaine de la compagnie, ces conseils veillent au règlement des affaires courantes, au paiement de la solde et à la sanction des infractions légères. L’implication directe des gardes aux décisions du conseil fait de cette structure un lieu de sociabilité pouvant être politique. Parfois, les foyers d’opposition se regroupent au sein d’une compagnie, ou dans les batteries d’artillerie, réputées républicaines (1830-1831) (4). Ces structures sont les embryons permanents du modèle organisationnel des Gardes nationales démocratiques. Celles-ci ont leurs caractéristiques propres. Fruits de l’amoindrissement de l’étreinte du pouvoir central, elles ont une forte tendance à la décentralisation et, comme l’écrit Richard Cobb, au fédéralisme populaire et jacobin, et conduisent à la constitution d’un contre-pouvoir. Ce phénomène est récurrent pour les formations citoyennes du modèle que nous pourrions qualifier de « communal », c’est-à-dire celui des formations citoyennes formées lors des deux Communes de Paris. Le modèle communal de la Garde nationale est historiquement impliqué au processus de démocratisation et surtout de radicalisation prononcée de ces événements, ce qui donne, à l’échelle macro-historique, l’impression d’une ressemblance entre les armées révolutionnaires et la garde nationale parisienne de 1870-1871. Le modèle communal révèle l’ambiguïté de la Garde nationale de Paris. Le rôle unique de la capitale donne à cette formation de maintien de l’ordre territoriale une ambiguïté et un potentiel politique considérable : elle est la convergence du national et du parisien. Nous reviendrons sur cet aspect dans notre analyse. Enfin, soulignons qu’un recrutement populaire ne coïncide pas mécaniquement avec le processus révolutionnaire et insurrectionnel : le contre-exemple le plus significatif est celui des gardes nationaux mobiles de 1848. La Garde nationale mobile du ministère de l’Intérieur créée le 25 février 1848, était une unité de 25 000 baïonnettes, répartie en 24 bataillons. Ses hommes étaient jeunes (les volontaires avaient entre 16 et 30 ans) et soldés (1,50 F/jour). Ces jeunes gardes étaient, selon l’expression du préfet de police Caussidière, chargés « de faire de l’ordre avec le désordre ». Les mobiles recrutés parmi les hommes les plus pauvres de la capitale et majoritairement dans le monde ouvrier feront néanmoins le feu contre les insurgés de juin 1848. Le clivage reposait sur un antagonisme préexistant entre les jeunes provinciaux et les Parisiens. Moins payés tout en étant parfois mieux qualifiés et premières victimes du chômage, ils étaient fréquemment déconsidérés par les autres ouvriers ou artisans plus âgés et résidant à Paris depuis plusieurs années. Ce contre modèle souligne ici l’importance du réseau des sociabilités de quartier et de l’enracinement de la population insurgée, dans les révolutions parisiennes. L’appartenance aux classes populaires n’était donc pas l’unique facteur insurrectionnel.

 

L’histoire nous donne un enseignement : une garde nationale politisée et armée sans un contrôle étroit est un réel danger pour l’ordre public, même en période de crise majeure.

 

Quelques projets de création d’une milice citoyenne : entre recherche de cohésion sociale et efficacité opérationnelle en matière de défense et de sécurité civile

 

Le groupe Janus serait un groupe de réflexion informel de militaires et de chercheurs. Leur idée est la création d’une garde nationale, composée de cadres d’active et de réservistes. Cette Garde nationale interarmes de 75 000 hommes et femmes seraient subordonnée à ‘état-major des armées ayant autorité sur des « divisions territoriales » commandées par des officiers généraux issus des trois armées : les gardes nationaux bénéficieraient d’avantages sociaux (5) et de possibilités de formation, c’est-à-dire autant de moyens de lutte contre le chômage, la précarité et le désœuvrement. Sa finalité est avant tout sociale et vise « à répondre à la demande des jeunes Français volontaires pour des actions au profit de la collectivité, à valoriser ce volontariat, à compenser les pertes en effectifs des armées, à avoir une organisation et les forces effectives pour de nouvelles missions comme la protection civile (catastrophes naturelles, accident nucléaire, sauvetage en mer, etc.), les actions humanitaires de tous types, l’assistance aux forces de sécurité en cas d’événements importants et l’opération Vigipirate. Les gardes seraient, si nécessaires, armés. Éventuellement, cette force pourra être considérée comme un vivier de forces disponibles pour des opérations militaires ». Comme jadis, la Garde nationale aurait une base territoriale : elle serait organisée en divisions territoriales de 10 000 hommes pour le Nord-Est, le Sud-Est, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du pays (avec pour cas particuliers, la région parisienne 20 000 hommes et l’Outre-mer de 15 000 hommes). Le groupe Janus propose l’intégration de la brigade franco-allemande à cet ensemble. La Garde nationale n’empiéterait pas sur les compétences spécifiques des forces de l’ordre ou de la défense nationale, elle les renforcerait numériquement en cas de nécessité. L’engagement serait volontaire, d’une durée libre de 1 à 2 ans, à temps partiel, serait réquisitionnables une durée fixée à la discrétion des autorités (la durée d’une mission spécifique) et seraient rémunérées (avec possibilité de cumul avec les prestations sociales ou des indemnités de chômage).

 

L’association des Anciens des Missions Extérieures défend également l’idée de résurrection d’une garde nationale, et propose une réforme en profondeur, qui réorganiserait l’armée française sur un modèle amalgamant le modèle contemporain suisse et l’armée française d’Ancien Régime. Le président William Navarro précise que « chaque militaire ayant achevé son obligation de servir son pays se doit d’emporter à son domicile son équipement personnel » et que son « arme doit être remisée, soit à la caserne, soit au Commissariat, soit à la gendarmerie ». La durée du service serait de 260 jours (ou de 300 jours, si les recrues décident d’effectuer leur temps en une seule fois) et ouvert aux hommes déclarés aptes au service et âgés de 18 à 35 ans; les femmes seraient retenues sur le critère du volontariat. L’association insiste sur la formation permanente des gardes nationaux. Laurent Latruwe (6) propose un projet avec une dimension sociale : les volontaires, sélectionnés sur leurs aptitudes physiques et leurs motivations, bénéficieraient d’aides sociales ou des déductions d’impôts en contrepartie de leur service. Le projet est particulièrement intéressant, puisqu’il propose en sus d’unités de sécurité civile la constitution d’unités de gardes nationaux des trois armes avec des missions de défense stricto sensu (infanterie, infanterie mécanisée, un corps de défense sol-air au service de batteries lance-missiles, une flottille d’aviation tactique légère et des gardes frontières).

 

La Garde nationale française du XXIe siècle serait une institution citoyenne sous tutelle et dépolitisée

 

Toutes ces propositions vont dans le sens d’une Garde nationale française qui serait une institution citoyenne sous tutelle et dépolitisée.

 

Une institution citoyenne par son recrutement (participations aux scrutins électoraux, casier judiciaire vierge, un désir de servir sans être un assisté social, etc.), mais aussi et surtout dans les missions assignées à ces unités. Les gardes nationaux partageraient leur temps entre la vie civile et leur engagement citoyen. Ce recrutement donnerait une légitimité supérieure aux interventions des forces de l’ordre et de l’armée, en particulier en cas de trouble intérieur (émeutes dans les banlieues) ou de menace extérieure majeure (actions terroristes). Il paraît important d’assurer une formation régulière des volontaires, car les services qui leur seront demandés répondront à des besoins spécifiques. Leur action en matière de sécurité civile, en particulier, symboliserait un désir citoyen d’assistance mutuelle (que renforcerait, entre autre idée, l’instauration d’une épreuve de secourisme obligatoire pour l’obtention du baccalauréat).

 

Une institution sous tutelle des pouvoirs civils (et du préfet de police pour la région parisienne) : les gardes nationaux dépendraient d’un point de vue opérationnel des Zones de Défense et de Sécurité dont les compétences administratives recouvrent les domaines et ressorts administratifs qui seraient dévolues aux formations citoyennes.

 

Enfin et surtout, une institution dépolitisée : les gardes seraient assermentés, soumis aux droits et devoirs des militaires pendant la durée de leur service; l’appartenance à un parti politique (tous horizons confondus), à un groupement religieux radical ou à une association à l’origine de troubles publics pourrait être un critère d’exclusion du port de l’arme en cas de crise majeure.

 

La Garde nationale a de l’avenir, si les décideurs politiques en prenaient conscience en évitant les écueils du passé.

 

Rémy Valat

 

Notes

 

1 : Cf. sa mise en ligne sur le site du Point, Jean Guisnel, 20 mars 2012.

 

2 : La Garde nationale sédentaire mobilisée est créée le 29 septembre 1870. Son recrutement est élargi à tous les hommes de 21 à 40 ans, mariés ou veufs sans enfants. Ces hommes font partie de la nouvelle armée républicaine levée en masse contre les alliés allemands.

 

3 : La Fayette, commandant général des Gardes nationales de France a tenté de bénéficier du capital symbolique et politique de la milice dans la perspective de s’assurer le pouvoir personnel. Dans la réalité, les coups d’État ne furent jamais le fait de la Garde nationale, mais de l’armée (à l’exception de la tentative avortée du général Malet en 1812).

 

 

4 : Ces dernières seront d’ailleurs dissoutes sous le règne de Louis-Philippe et le Second Empire. Les canonniers et le canon, symbolisent pour les républicains radicaux, le pouvoir des sections du Paris révolutionnaire de 1792 – 1793.

 

5 : « Les gardes nationaux, non d’active, auront un statut de civils faisant des périodes entre 30 et 100 jours par an rémunérés au taux de leur grade. Ils pourront bénéficier de certains avantages fiscaux, de stages et d’emplois “ réservés ”, mais aussi de possibilités d’intégration rapide au sein des forces d’actives. Dans tous les cas, cette activité pourra être considérée comme un emploi même temporaire et sera un outil supplémentaire de lutte contre le chômage, des jeunes particulièrement. »

 

6 : Nous n’avons pas reproduit d’extraits du texte de Laurent Latruwe,« Projet de Garde nationale : l’élite de la France au service de la nation », soumis à une autorisation pour la reproduction ou la citation d’extraits. Le texte est logé à l’adresse suivante : http://uniondespatriotes.hautetfort.com/files/La_Garde_nationale.pdf

 


 

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samedi, 16 novembre 2013

Quel avenir pour l’industrie navale militaire européenne ?

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Quel avenir pour l’industrie navale militaire européenne ?

Ex: http://alliancgeoestrategique.org

Par ce billet, il est proposé de prolonger la réflexion initiée par ma première collaboration avec un « agsien » (Mon Blog Défense) en novembre 2009 : « Consolidation du secteur terrestre en Europe : scénarios possibles« . Récemment, un autre allié m’a gracieusement donné quelques retours du colloque « Quelle consolidation pour notre industrie d’armement et de Défense ? » organisé par le Club Participation et Progrès et la Revue de Défense Nationale. Revenons, si vous le voulez bien, sur le cas de l’industrie navale.

Trois grandes options ?

L’industrie navale européenne, en général, et française en particulier, pourrait être restructurée selon deux ou trois grandes hypothèses :

  • l’EADS naval,
  • le projet du groupe Dassault de devenir un « French BAE » à travers Thales,
  • un projet alternatif qui pourrait être un groupe mi-civil, mi-militaire.

En ce qui concerne la seconde hypothèse, Thales a d’ores et déjà un pied dans DCNS (35%) et souhaite en faire de même dans Nexter. Thales voudrait continuer à monter au capital de DCNS, ce qui n’enlève en rien le besoin de former une ou des alliances.

L’EADS naval

Le partage industriel est d’une particulière complexité dans l’industrie navale par rapport à ce qui peut se faire dans d’autres industries d’armement. Il n’est pas de ma compétence d’expliquer le pourquoi du comment, néanmoins, quelques exemples et remarques peuvent, au moins, illustrer cette difficulté.

Premièrement, un chantier naval est une somme de compétences humaines comme n’importe quelle entreprise. A la remarque près qu’il y a des compétences que l’on ne trouve que dans des chantiers navals. Certains travaux de soudure ne se réalisent que sur des chantiers bien précis (comme par exemple la soudure de tôles d’acier à haute limite élastique pour les sous-marins). Le temps est nécessaire pour acquérir ces compétences et il faut un volume de travail continu pour les préserver et les renouveler (ceux qui ne respectent pas cet ordre des choses ont bien des difficultés). C’est pourquoi seuls les chantiers qui répètent les mêmes travaux parviennent à rentabiliser ces investissements humains.

Deuxièmement, il est tout aussi difficile de partager la construction du « flotteur », c’est-à-dire le navire en lui-même. Nous parlons d’un EADS naval et peut être avons-nous en tête l’image des éléments des Airbus qui transitent en Europe par la mer, la route ou les air. Cette mobilité est difficile à reproduire dans le naval. Par exemple, la construction des frégates La Fayette a été modulaire, en ce sens où le navire était un assemblage de blocs pré-armés. Et le plus gros de ces blocs atteignait 300 tonnes ! Mais il n’est pas impossible d’échanger des blocs de bateaux entre chantiers navals comme en témoignent les programmes Scorpène, FREMM et BPC pour ne citer qu’eux.

Troisièmement, si la mobilité n’est pas un frein au partage des tâches industrielles, il se heurte à la question de la rentabilité. L’ouvrage « Les frégates furtives La Fayette » (éditions Addim) nous apprend que c’est parce qu’il était question de construire et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et douze frégates La Fayette que la DCN a pu investir dans de nouvelles grues. La construction modulaire générait donc plus de gains si les blocs étaient moins nombreux, mais donc plus lourds. C’est donc pourquoi l’administration avait investi dans des engins de levage ayant une capacité de 1000 tonnes. Finalement, il faut donc avoir un minimum de volume à construire pour rentabiliser la modernisation de l’outil. A titre d’illustration, la première La Fayette a été construite en dix-huit mois, contre une trentaine de mois onze années avant ce chantier pour un bâtiment de combat. Le Courbet, troisième unité de la série, fut assemblé en six mois…

Quatrièmement, et quand bien même nous voudrions atteindre une telle organisation industrielle, il faudrait que les classes de frégates soient communes. La construction modulaire n’interdit pas de changer les senseurs et les vecteurs. A priori, si nous devions exagérer un peu, il faudrait dire alors que le seul bâtiment en construction entre plusieurs chantiers qui soit d’un modèle vraiment commun est le SNA Virginia dont deux chantiers américains se partagent la construction ou les Scorpène du temps où ils étaient construit entre la France et l’Espagne…

Cinquièmement, même le partage des études de développement des bateaux et l’achat de gros équipements en commun a été une source de déceptions. Le programme FREMM en est la parfaite illustration malheureusement. Patrick Boissier, lors de son audition devant la commission de la Défense et des forces armées à l’Assemblée nationale en mars 2013, précisait notamment que :

  • « Le programme FREMM prévoit une conception commune en amont, et l’achat en commun de la turbine, du système de stabilisation, du système de guerre électronique et du sonar. Ces matériels représentant environ 10 % du coût du navire, l’opération permet d’économiser à peu près 1 million d’euros par bâtiment« .
  • « Moins de 10 % du coût des études a été mutualisé, ce qui représente une économie apparente de 50 millions d’euros pour chacun des partenaires. En fait, si l’on tient compte du coût supplémentaire des études spécifiques relatives aux plateformes différentes pour chaque pays, et du surcoût lié à la coordination, le montant économisé est ramené à une quinzaine de millions d’euros. En définitive, grâce à cette coopération, la France aura donc économisé environ 30 millions d’euros, soit 1 % à 1,5 % du coût total du programme« .

De ce que nous pouvons constater c’est que nous sommes passés d’un cycle à l’autre, d’une tendance à une autre. Dans les années 90 il était question de grands programmes multilatéraux communs, comme la frégate NFR90 otanienne.

Néanmoins, de la fin des années 90 aux premières années 2000, le multilatéralisme a disparu. Il est apparu que les européens ne lançaient plus que des programmes à deux ou trois dans le domaine naval. Par exemple, la frégate NFR 90 a donné naissance à trois projets antagonistes :

  • le programme Horizon centré sur le PAAMS,
  • les frégates AEGIS européennes,
  • la frégate Charles Quint entre l’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas.

Surtout, ce qui a changé c’est que la coopération se fait beaucoup plus sur les équipements et les systèmes (typiquement le PAAMS) que sur les bateaux eux-mêmes. C’est une évolution tout à fait étonnante car le programme de Chasseurs de Mines Tripartite (France, Belgique et Pays-Bas) avait été une vraie réussite, même la modernisation avait été commune (sauf la construction). Enfin, et c’est peut être le plus contraignant, les chantiers navals européens ont développé des solutions nationales à proposer à l’exportation.

C’est pourquoi l’EADS naval semble bien difficile à imaginer car tant le partage industriel que la concurrence actuelle entre les chantiers supposent… moins de chantiers. Est-ce pour cela que les chantiers ne se lancent plus que dans des produits nationaux et que les gouvernements ne coopèrent plus dans le domaine naval ?

Le chantier naval est-il encore facteur de la puissance navale ?

C’est la question douloureuse : qui accepterait de ne plus assembler un navire dans son pays ? De tous les temps, quand une puissance navale émerge c’est à partir d’un outil industriel capable de construire les vaisseaux qui porteront ses ambitions. La mise en construction d’unités à l’étranger n’avait alors pour but, non pas de réaliser des économies, mais bien d’accélérer un mouvement. C’est ce que fit en France Colbert pour hâter l’émergence de la Marine royale comme première force navale mondiale.

Le cas du Nord de l’Europe est particulièrement central dans le débat. Dans « De la Mer et de sa Stratégie » (aux éditions Tallandier), l’historien Philippe Masson nous retrace le passage du centre de gravité du monde de la Méditerranée à l’Atlantique. A cette fin, il fallait des bateaux hauturiers capables d’affronter l’Atlantique. Et justement, ce sont les puissances maritimes émergentes du Nord de l’Europe qui inventèrent les vaisseaux de haut bord : cogue, carraque, etc…

Est-ce que ces puissances maritimes sont arrivées au bout du cycle à l’occasion du basculement du centre de gravité du monde de l’Atlantique au Pacifique ? Si nous devions adopter cette lecture alors cela expliquerait deux mouvements. Le premier est que un programme comme le Littoral Combat Ship américain trouve ses racines dans les programmes de corvettes du Nord de l’Europe. Ainsi, l’Europe du Nord serait parvenu au terme d’un cycle technologique sur le plan historique.

C’est donc un revirement historique complet. Il est à modérer car ces puissances maritimes du Nord-Est gardent un fort investissement technologique. Mais le volume de leur flotte se réduit inexorablement.

La survie par le sous-marin ?

Dans ce contexte, il y a ceux qui veulent survivre et il y a les autres. L’industrie navale civile a montré que l’innovation n’avait pas révolutionné le secteur : quand le tonnage à construire diminue trop cela implique que des chantiers ferment. Et des chantiers ferment à l’image de Rauma en Finlande ou de Brest qui a tourné la page de la construction navale militaire. Autre signe que la bataille est intense c’est la course aux commandes qui implique de plus en plus les gouvernements.

Si bien que il convient de remettre sur le devant de la scène que pour les industriels de la navale militaire, le graal n’est nullement la frégate mais bien le sous-marin. La majeure partie des bénéfices est tirée de l’activité sous-marine. Pour la construction d’un sous-marin, la part de la coque dans le coût unitaire de production est significativement supérieur à ce qu’elle peut représenter pour un navire de surface. A titre d’exemple, pour le PA2, la coque c’était 982 millions d’euros pour 2500 millions d’investissement. Et la part du flotteur dans le coût d’une frégate est bien moindre.

Le cas des programmes de sous-marins à propulsion classique peut donc être éclairant sur la situation de la navale militaire européenne :

  • l’entreprise Allemande TKMS n’aurait racheté le Suédois Kockums que pour mieux le torpiller (un comble). En obtenant le contrôle de l’entreprise, les allemands se donneraient les moyens d’empêcher le développement d’un nouveau sous-marin (l’A-26) et empêcherait l’entreprise suédoise de concourir à l’export (que les suédois doivent regretter le grand temps du projet Viking…).
  • Navantia, entreprise espagnole avait un avenir radieux du temps de la coopération avec la France centrée sur un sous-marin, le Scorpène, qui entamait une carrière commerciale plus que prometteuse. Depuis que Madrid a choisi de nationaliser le Scorpène et de le produire sous le nom de S-80, tout va mal. L’attente du nouveau sous-marin occasionne des surcoûts (30 millions pour le carénage du Tramontana) et les problèmes rencontrés dans son développement engendrent des surcoûts non-négligeables : 200 millions d’euros. Ajoutez à cela que Bruxelles a récemment demandé aux chantiers navals espagnols de rembourser les subventions perçues de Madrid (3 milliards d’euros) et vous comprendrez mieux pourquoi l’entreprise ne serait pas loin de la faillite à l’heure actuelle.
  • Fincantieri, société italienne, a construit sous licence quatre U-212 de conception allemande pour le compte de la Marina militare. Alors que l’Italie concevait ses sous-marins. Rome tente de renouer sur le marché de l’exportation grâce à une coopération avec les Russes sur un sous-marin côtier de la classe des 1000 tonnes (à moins que Moscou ne fasse que piéger les Italiens comme les américains l’ont fait avec le C-27J pour que les Italiens se retirent de l’A400M).
  • BAE Systems conçoit les SNA et SNLE au service de Sa Majesté. Néanmoins, le trou entre les classes Vanguard et Astute a créé une telle perte de compétences que ce sont les américains qui ont rattrapé les Astute. BMT essaie bien de relancer un sous-marin classique de conception anglaise pour l’exportation mais il ne semble pas réussir à quitter les Power point. Et il y a cette affreuse affaire des sous-marins vendus au Canada.
  • TKMS vit grâce à des succés considérables (U-209 et U-212/214). Les Allemands sont peut être arrivés au bout d’un cycle. Espagnols et français les ont quasiment évincé d’Amérique du Sud grâce au Scorpène, même pour la modernisation d-U-209. L’Asie est un grand marché, mais l’est-il encore pour les sous-marins ? La Corée du Sud tente l’aventure du sous-marin de conception nationale après avoir longtemps acheté allemand. Et Séoul a tenté de vendre des U-209 pour l’Indonésie. Ce qui gêne Berlin, c’est que les coréens n’avaient la licence que pour construire pour la marine sud-coréenne… Et la concurrence s’annonce féroce pour les autres marchés.
  • Les Russes sont un cas à part car ils gardent un grand plan de charge industriel, d’une part, et ils doivent restructurer un outil industriel qui n’est pas parvenu à maturation malgré tous les efforts entreprises depuis 10 ou 15 ans. Entre les difficultés rencontrées sur le Lada, qui devait prendre la succession des Kilo, et ce fâcheux incendie sur un Kilo indien qui revenait d’un grand carénage en Russie, d’autre part.

Les deux « contrats du siècle » viendraient de l’Australie (12 unités) et de la Norvège (4 à 6 unités). Ce ne serait pas les seuls grands contrats. Mais ce sont les deux prochains dans un contexte de rationalisation européenne.

France : un outil industriel exceptionnel

Au milieu de cet océan de marasme, la France rayonne. Son industrie navale militaire, et en particulier dans le cas des sous-marins, bénéficie de deux avantages stratégiques décisifs :

  • la chaîne de production de sous-marins tourne en continue depuis… les débuts du sous-marin en France il y a 120 ou 130 ans (moins les années de guerre). L’alternance dans les constructions et conceptions de SNLE et SNA permettent à l’entreprise de tirer les bateaux vers le haut (n+1), de réutiliser ses investissements sur les SNA et donc, de vendre à l’export ce qui est « n-1″.
  • La France n’a jamais cessé de vendre des sous-marins sur le marché de l’exportation : le moindre problème de tuilage entre SNLE et SNA pouvait être compensé totalement ou partiellement par l’exportation.Sur

Sur un plan plus général, il convient d’être réaliste : nous disposons d’un outil industriel exceptionnel. Il est le fruit d’un long travail. Au début du XXe, notre outil industriel naval était inefficace :

  • quand la construction du cuirassé Dreadnought coûtait 35 milliards de livres à Londres,
  • la France construisait des cuirassés pré-Dreadnought pour 45 milliards de livres.

Depuis les années 60, la productivité de l’outil s’est redressé jusqu’aux succès éclatant des programmes La Fayette, BPC et FREMM (même si pour ce dernier programme, l’efficacité n’a pas pu être atteinte du fait de la casse du programme).

France : la question des capitaux

Le problème français touche, justement, les sous-marins. Nous avions formé une alliance avec les Espagnols car Madrid pouvait financer le coût de développement d’un nouveau sous-marin à propulsion classique quand l’administration DCN et l’Etat ne le pouvaient pas en France. Nous n’avions pas les moyen de financer l’après Agosta. Il en est résulté le Scorpène.

Cette difficulté existe-t-elle encore aujourd’hui depuis que DCN est devenue DCNS et que l’entreprise peut se constituer des fonds propres ? L’exemple de l’Adroit montre qu’il y a peut être espoir que l’entreprise puisse se développer « seule ». Et le cas du Scorpène était assez emblématique puisque le Chili était le client de lancement alors que ni la France, ni l’Espagne n’avait commandé ou mis en service ce sous-marin… Ce qui défi les « règles » en la matière.

Quelles alliances ?

Le nein allemand

Le rapprochement naval franco-allemand est suffisamment ancien pour être devenu un serpent de mer et constituer le coeur du projet d’un EADS naval. Typiquement, aujourd’hui, DCNS cherche à acquérir son concurrent allemand, TKMS. Berlin est si opposé à la chose que le pouvoir allemand a ouvert le capital de l’entreprise à des investisseurs du Golfe plutôt que de laisser le Français prendre le contrôle. Quelque part, cela est peut être lié au destin de l’électronicien naval Atlas Elektronik qui était passé sous le nez de Thales, pourtant favori, pour être racheté par EADS et TKMS.

Le divorce franco-espagnol

La France a vendu des sous-marins de classe Daphné à l’Espagne. Elle a ensuite transférer le savoir-faire nécessaire aux espagnols pour qu’ils puissent assembler sur place les sous-marins de classe Agosta acheté par Madrid. Et enfin, Français et Espagnols ont coopéré pour concevoir ensemble le Scorpène. L’Espagne pris dans la folie des grandeurs de ses ambitions industrielles a préféré tourné le dos aux français pour tenter l’aventure d’un sous-marin de « coneption » nationale avec le choix d’équipements et de systèmes américains. A priori, l’affaire est entendue pour DCNS qui ne semblerait pas enclin à pardonner.

Les autres ?

Les Hollandais semblent abandonner construction et conception de sous-marins. Les Italiens n’ont plus rien conçu depuis bien longtemps . Si les Suédois ne réagissent pas et que l’A-26 ne voit pas le jour ils risquent également le naufrage.

Des surprises ?

Pour en revenir à l’industrie navale civile, il faut rappeler combien le raid du Sud-Coréen STX avait été une surprise. L’entreprise est accusée d’avoir racheté des chantiers navals européens, autrefois détenu par (autre signe du périclitement du Nord de l’Europe) pour piller les savoir-faires. Aujourd’hui, ses actionnaires lui demande de quitter le continent européen : que vont devenir tout ces chantiers civils ?

Cela nous amène à deux options :

  • la première est que les Coréens, et d’autres, ne se contentent plus de construire es navires logistiques pour les marines européens mais bien les coques de navires de combat. C’est déjà le cas de tel ;
  • la seconde option consiste à un nouveau raid d’une entreprise étrangère en Europe pour prendre le contrôle d’un ou plusieurs chantiers : n’est-ce pas ce qui s’était passé avec STX et les entreprises d’armement terrestre européennes rachetées par des sociétés américaines ?

Enfin, nous pourrions aussi assisté à des achats pur et simple de navires de combat à l’étranger, sans même l’ombre d’une conception de quoi que ce soit en Europe. Par exemple, les marines nord-européennes ont développé des frégates de défense aérienne apte à servir d’élément d’un bouclier anti-missiles. La Corée du Sud et le Japon conçoivent bien des destroyers (Kongo et KDX-3) aptent à la lutte anti-missile balistique.

Conclusion

Notre industrie navale est, comme le reste des industries de défense nationale, fondée sur un amortissement des dépenses d’armement par l’export. L’Asie nous concurrence déjà. L’Amérique va tenter de le faire mais elle souffre de deux maux : des produits inadaptés au marché et un manque de productivité savamment caché.

En plus de voir le marché de l’exportation se réduire par accroissement de la concurrence (alors que les volumes devraient encore augmenter), nous devons anticiper une réduction de la demande européenne. Cette restructuration passera inévitablement par la fermeture de chantiers et de bureaux d’études dans la douleur.

Nous pourrions croire que les chantiers européens qui resteront bénéficieront donc d’une sorte de report de charge, même amoindri. Néanmoins, comment ne pas imaginer que dans une perspective de soutien à des politiques commerciales, l’achat de navires de combat constitue un nouveau moyen de négociation commercial ? Dans un autre ordre d’idée, la course à la technologie européenne dans les navires de combat pourrait également rencontrer quelques programmes navals « modérés » américains. Le Joint Strike Fighter illustre assez bien ce qui pourrait se produire.

Il reste la question des alliances, mais avec qui ? Les allemands sont fuyant et un bon accord commercial pour eux, c’est un produit à 80% allemand : du char Napoléon aux coupes allemandes d’aujourd’hui dans les programmes internationaux, cela est assez clair. De plus, nous ne savons pas si les autres chantiers européens vont tomber et s’ils tomber, combien de temps cela prendra.

La surprise pourrait peut être venir de l’Angleterre si Londres se révèle incapable de restructurer son outil naval. Un syndicat anglais avait brandi la menace que les futurs porte-aéronefs Queen Elizabeth soient construit et entretenus en France. Etait-ce de la pure provocation ? Néanmoins, entre les accords de Nassau et le fait que Londres reprennne le large en cherchant à s’affranchir de l’Europe, il y a actuellement un grand pas à franchir.

Une dernière option ?

Elargissons avec une dernière hypothèse. Tout au long du XXe siècle, notre industrie navale s’est restructurée « intelligemment ». L’outil s’est progressivement rationalisé autour de trois chantiers :

  • Cherbourg qui fabrique des sous-marins,
  • Lorient des frégates,
  • St Nazaire tout ce qui est plus gros qu’une frégate.

L’échec du programme FREMM illustre la difficulté française à maintenir de grands programmes de navires de surface (ce qui était une des leçons de l’époque colbertienne et qui est bien mise en oeuvre aux Etats-Unis avec les destroyers Arleigh Burke). Les frégates sont construites en série car il faut maintenir toute une chaîne industrielle à Lorient. Il y aurait alors deux autres manières de faire pour contourner la difficulté :

  • externaliser les activités de chaudronnerie à d’autres entreprises de chaudroneries ; le chantier naval se conteraient d’armer les blocs et de les assembler (ce qui était un peu le cas de la construction des U-Boat pendant la seconde guerre mondiale) ; ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés pratiques ; ou bien faire assembler les coques conçues par des bureaux d’études européens par des chantiers à bas coût et les faire armer en Europe : c’est peu ou prou le cas des bâtiments logistiques anglais ;
  • ne plus construire les frégates en série mais en lot au sein d’un chantier vivant de programmes civiles lui permettant de conserver tout ou partie des compétences sans avoir besoin de construire continuellement des navires militaires un autre chantier préserve toute ou partie de ces compétences sur une multitude de classes de navires. Lorient fermerait alors au profit de St Nazaire.

La possible vente des chantiers de STX en Europe pose la question du devenir de St Nazaire, seul chantier français capable de construire porte-avions, navires amphibies et unités logistiques…

Le marquis de Seignelay

jeudi, 24 octobre 2013

Le temps des guerres non conventionnelles

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Le temps des guerres non conventionnelles

par Georges FELTIN-TRACOL

Les guerres de la Révolution et de l’Empire de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe achèvent la « guerre en dentelles » et bouleverse la réflexion stratégique européenne. De ces grandes transformations sort un abondant corpus théorique avec les écrits de Clausewitz et de Jomini. Les états-majors tant d’Europe qu’Amérique (pensons aux généraux de la Guerre U.S. de Sécession ou aux officiers chiliens de la Guerre du Pacifique contre le Pérou et la Bolivie) y puisent les moyens de remporter une victoire éclatante.
 
La guerre s’organise de manière dite conventionnelle avec l’affrontement de deux armées sans atteindre les non-combattants. Or, dès le commencement du XXe siècle, la nature du conflit évolue du fait de l’implication croissante des populations civiles et du surgissement de la « guerre totale », mobilisatrice de tout le potentiel économique, financier, humain des États belligérants. Les deux guerres mondiales confirment la montée technique aux extrêmes. Après 1945, la menace de l’arme nucléaire fige les protagonistes dans un équilibre de la terreur qui favorise des conflits locaux de basse ou de moyenne intensité (Corée, Viêtnam, Afghanistan). En dépit de la multiplication des théâtres d’opération, les militaires des deux blocs formulent toujours leurs prévisions – offensives et défensives – dans un schéma conventionnel de chocs entre armées utilisant, le cas échéant, des armements nucléaires tactiques, chimiques et/ou bactériologiques.
 
La fin de la « Guerre froide » remet en cause toutes ces considérations et l’Occident, après avoir parié (et perdu) sur les « dividendes de la paix », se lance dans des opérations extérieures pour lesquelles les critères habituels de la guerre conventionnelle deviennent au mieux inopérants, au pis facteurs certains de défaite.
 
Installées en Lorraine, les éditions Le Polémarque publient deux essais qui remettent en cause le conservatisme des stratèges occidentaux. Le lieutenant français Pierre-Marie Léoutre explique Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres. Quant à l’universitaire suisse Bernard Wicht, il s’interroge sur l’avenir incertain du continent européen avec le risque de déboucher sur Une nouvelle Guerre de Trente Ans ?.
 
Malgré des centres d’intérêt différents, ces deux ouvrages présentent d’indéniables convergences, à savoir la mutation en cours de l’art de la guerre. Certes, le livre de Pierre-Marie Léoutre est plus concret, plus tactique, plus optimiste aussi alors que l’essai de Bernard Wicht, plus pessimiste, se veut d’abord une réflexion philosophique.

Penser les guerres asymétriques
 
Pierre-Marie Léoutre entame sa réflexion à partir du bilan désastreux des interventions occidentales en Afghanistan et en Irak. Il constate que « l’arme nucléaire, si elle est efficace dans son rôle de dissuasion contre les États, apparaît inutile contre des organisations terroristes ou des mouvements de guérilla sans réelle assise territoriale (p. 11) ». La forme conventionnelle de la guerre restée au face-à-face de deux armées a été d’urgence remplacée dans les montagnes du Pamir et de l’Hindou Kouch et en Mésopotamie par de nouveaux types de conflits appelés « asymétriques » qui « mettent en exergue une des difficultés du mode de pensée occidental : il n’est plus possible dans certains cas de l’emporter par un choc décisif, car l’adversaire l’évite (p. 17) ». Ce nouveau genre de guerre rend les armées occidentales très fragiles d’autant qu’« un autre élément particulièrement visible du modèle occidental de la guerre est la recherche de la supériorité technologique (p. 23) », ce que les guérillas n’ont pas. En outre, les sévères restrictions budgétaires font que les armées occidentales ne disposent plus d’unités complètement autonomes, ce qui accroît leur handicap.
 
Non préparées aux terrains irakien et afghan, les forces occidentales ne pourraient qu’échouer, elles qui « s’entraînèrent […] pendant cinquante ans à une guerre qui n’eut pas lieu et ne risquait guère d’advenir… et elles allèrent, hors de cette Europe qui monopolisait toutes les attentions mais était totalement gelée, de défaite en défaite car “ non adaptées ” aux guerres non conventionnelles qu’elles menaient sur le reste de la planète (p. 42) ». Préfigurations de l’Afghanistan et de l’Irak, ces défaites cinglantes s’appellent l’Indochine, l’Algérie, le Viêtnam. L’auteur aurait pu y ajouter les guerres africaines du Portugal. loin de réadapter le format des armées au lendemain de la fin de la Guerre froide, les responsables militaires ont gardé de vieux schémas en accordant une plus grande attention aux « Forces Spéciales (F.S.) [qui] sont devenues une véritable obsession des états-majors occidentaux (p. 29) ». Mais leur emploi dans une guerre asymétrique se doit d’être ponctuel. Les F.S. ne peuvent pallier les déficiences matérielles et morales des autres troupes. Elles n’arriveront jamais à vaincre les partisans de la « petite guerre », car leur logique ne correspond pas à celle de l’ennemi. Pour Pierre-Marie Léoutre, « l’objectif d’une guérilla au XXIe siècle n’est […] plus de libérer le pays uniquement par les armes. L’objectif actuel est de parvenir à l’abdication du pouvoir loyaliste (p. 49) ». Malgré leur professionnalisme, leur vaillance et leur abnégation, les unités spéciales n’arrêteront jamais une guérilla qui se fond dans la population. Cette dernière est son « biotope » qui lui sert à la fois de refuge, de centre de recrutement, de milieu de renseignement et de source de financement. L’appui qu’elle lui procure peut être contraint par la terreur ou volontaire grâce à une « contagion idéologique », fruit d’un long travail d’encadrement psychologique de masse. Toute guérilla véritable s’organise autour de structures militaires souples et une O.P.A. (organisation politico-administrative) en prise sur la société. Dans le monde musulman, « l’O.P.A. a un avatar : il s’agit des personnes qui soutiennent activement la rébellion en lui fournissant des renseignements, des caches, des notables qui poussent la population civile à aider les djihadistes, à les cacher, de djihadistes qui habitent tel ou tel village et servent de contact pour les bandes en maraude, les informant, les guidant, leur indiquant les représailles à effectuer pour s’assurer la collaboration, bien souvent forcée, des habitants de la zone (p. 57) ».
 
Paul-Marie Léoutre rapporte l’embarras des militaires occidentaux face à des situations singulières. Pourtant, ce ne devrait pas être une nouveauté pour eux. Leurs prédécesseurs avaient trouvé une réponse appropriée à cet enjeu : « La guerre révolutionnaire encore appelée guerre subversive ou guerre psychologique (p. 11). » Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres évoque explicitement des praticiens, souvent français, de cette forme spécifique de lutte : le général Jacques Hogard (1918 – 1999) et les colonels Charles Lacheroy (1906 – 2005) et Roger Trinquier (1908 – 1986). On ignore en effet que « la France dispose […] si ce n’est d’un savoir-faire, du moins d’une expérience particulièrement intéressante de la guerre révolutionnaire et de l’arme psychologique. Elle doit pouvoir s’appuyer sur celle-ci pour relever les nouveaux défis du monde actuel (pp. 43 – 44) ».
 
Il ne s’agit surtout pas de répéter la guerre d’Algérie, mais de s’en inspirer. La guerre psychologique implique une grande flexibilité au sein de l’armée. Or, depuis quelques années, elle s’ouvre au monde marchand et en adopte les règles. L’auteur observe qu’« en voulant faire du combattant un professionnel avant tout, en livrant le monde militaire aux méthodes entrepreneuriales, on a, finalement, ouvert le marché (p. 77) », d’où le rôle croissant des S.M.P. (sociétés militaires privées) qui méconnaissent le plus souvent le b.a.-ba de la contre-guérilla…
 
L’Occident a beau mené, avec l’intégration de ses systèmes d’armes, d’information et de communication, une « guerre en réseau », il se révèle incapable de gagner une guerre subversive. S’imposerait une remise en cause des décisions prises. Déjà, partant des cas afghan et irakien et de la valorisation des unités spéciales qui « ont un entraînement plus poussé, jamais sacrifié à des tâches indues, et plus spécifique que les autres unités des forces armées occidentales. Leurs crédits sont bien plus élevés. Les F.S. disposent donc d’une polyvalence extrême et d’une importante capacité au combat interarmes et interarmées. À l’opposé, les forces “ régulières ” n’ont plus l’habitude de travailler avec toute la gamme des outils militaires (p. 30) », Pierre-Marie Léoutre estime que « la guerre subversive oblige l’armée à s’adapter en modifiant profondément sa structure interne (p. 60) ».

Les nouvelles formes de guérilla
 
Il suggère par conséquent la constitution d’une armée à deux niveaux opérationnels. D’une part, des unités mobiles, si possible héliportées, qui pourchassent les guérilleros. De l’autre, des unités territoriales ou de secteur qui amalgament Occidentaux et autochtones et dont le rôle n’est pas que militaire : il est aussi caritatif, sanitaire et éducatif. Les liens noués avec la population par ces soldats parlant la langue locale et fins connaisseurs des coutumes favorisent le contact, puis la récolte de renseignements et, au final, la réussite de la contre-guérilla. Cette mise en œuvre exige aussi de rendre les frontières imperméables à la logistique de la guérilla afin d’étouffer les maquis. Si « dans la lutte contre-insurrectionnelle, le renseignement joue un rôle crucial (p. 67) », l’auteur jongle avec les échelles et remarque que « la société du XXe siècle est celle de l’information et l’information est une des armes de la guerre psychologique (p. 86) ». C’est un point déterminant de sa réflexion. « La redécouverte de la doctrine de la guerre révolutionnaire doit également permettre de se réapproprier l’arme psychologique : elle est nécessaire à toute victoire puisqu’elle conditionne l’efficacité de toute opération militaire au niveau des esprits (p. 99). »
 
Pierre-Marie Léoutre évoque à cette occasion la nécessité de maîtriser l’opinion publique et mentionne la portée subversive des célèbres « révolutions de couleur » préparées via les médiats de masse par quelques officines perturbatrices d’outre-Atlantique (Open Society Institute de George Soros, International Republican Institute ou National Endowment for Democracy, U.S.Aid aussi, etc.). À côté de la terre, de la mer, de l’air, de l’espace et du cyberespace, un sixième champ théorique d’affrontement s’offre aux stratèges militaires : le contrôle de la population et de ses représentations. Citant Gustave Le Bon, Serge Tchakhotine ou Jacques Ellul, il pense que la nouvelle guerre psychologique est tout autant contre-insurrectionnelle que médiatique. Elle suppose toutefois au préalable que l’État qui l’utilise ait la volonté de réaliser ses objectifs. Mais la structure stato-nationale est-elle toujours pertinente ?
 
Bernard Wicht pose cette question implicite dans son bref essai. Il constate d’abord « la faillite au XXe siècle du système interétatique européen, source jusque-là de compétition et d’émulation à la base du dynamisme de l’Occident (p. 13) ». Ce nouveau contexte peut susciter des troubles internes, voire des guerres. Mais, rassure-t-il, « une Troisième Guerre mondiale semble peu probable, les États européens n’en ayant plus les capacités ni économiques ni militaires. Pour faire court, les armées d’Europe occidentale ne sont plus aujourd’hui que des échantillonnages d’unités relativement disparates, essentiellement orientées vers les missions de maintien de la paix à l’extérieur et manquant généralement de la chaîne logistique nécessaire à des opérations de longue durée (p. 9) ». Cela ne l’empêche pas d’examiner la macro-histoire et de remarquer que « l’hypothèse d’une guerre en Europe a été abandonnée avec la fin de la Guerre froide (p. 7) ». Néanmoins, « nos sociétés sont devenues très complexes, et que les sociétés complexes sont fragiles, que les sociétés fragiles sont instables et que les sociétés instables sont imprévisibles ! (pp. 21 – 22) ». Il craint par conséquent que le naufrage de la zone euro engendre des désordres dans toute l’Europe qui plongerait dès lors dans un long chaos comme le fut pour la Mitteleuropa et le monde germanique la Guerre de Trente Ans (1618 – 1648).

L’Europe en phase instable
 
mad-max.jpgLe raisonnement de Bernard Wicht repose sur une probabilité économique : la fin de la monnaie unique. « La crise de la zone euro est sans doute le chant du cygne de la Modernité occidentale, l’U.E. représentant l’ultime avatar de la construction étatique moderne avec sa bureaucratie supra-étatique et son centralisme à l’échelle continentale. Et dans l’immédiat, la crise devrait encore renforcer ce centralisme bureaucratique; la Commission s’est fait donner le mandat (certes temporairement limité) d’un contrôle économique des États membres. Ceci signifie un renforcement considérable du pouvoir supra-étatique de l’U.E. Mais paradoxalement, ce renforcement représente probablement l’épilogue de l’histoire de l’État moderne, le dernier acte d’une pièce qui s’est jouée pendant environ 500 ans, le dernier coup d’éclat d’un institution sur le déclin (p. 27). » L’affirmation de ce despotisme technocratique provoquerait certainement de vives résistances nationales, populaires et sociales, aboutissant par des tentatives armées de sécession. Les gouvernants ont dès à présent envisagé ce scénario en prévoyant dans le traité de Lisbonne une Eurogendfor (European Gendarmerie Force), une police militaire européenne composée de détachements français, italiens, néerlandais, portugais, espagnols et roumains, destinée à intervenir dans un État-membre en cas de grandes instabilités intérieures. On peut aussi imaginer que le maintien de l’« ordre » marchand s’exercerait aussi grâce aux S.M.P. On assiste au grand retour sur le vieux continent des condottiere sous la forme de contractors. Bernard Wicht souligne que la place de Londres, haut-lieu thalassocratique, héberge la plupart de ces entreprises régulièrement payées en prestations versées par d’autres compagnies appartenant à la même holding
 
La séparation armée de pans entiers de l’Europe déboucheraient-elles sur une guerre généralisée et le renversement des États inaptes à garantir la sûreté des populations civiles ? L’auteur le pense. Assez optimiste sur ce point, il espère qu’« une nouvelle Guerre de Trente Ans jouerait le rôle de sas de décompression d’une Europe post-moderne, bureaucratique et supra-étatique vers un nouveau Moyen Âge global […] (p. 31). » Afin d’appuyer sa thèse, il fait référence à une histoire peu connue en France liée à ce long conflit, la « Guerre de Dix Ans (1634 – 1644) » qui ravagea la Franche-Comté alors possession des Habsbourg d’Espagne.

Vers l’auto-gestion armée ?
 
La présence de « grandes compagnies de routiers » brigands, les raids incessants et l’incapacité des institutions franc-comtoises à protéger les civils obligèrent le peuple à s’armer, à se donner des chefs et à combattre ! « Deux priorités semblent cependant guider l’ensemble de ces mesures : protéger la population des pillages et des exactions, harceler l’adversaire à chaque fois que possible (p. 44). » Ce conflit local au sein de la grande guerre européenne ne présente aucune facture conventionnelle, ni même la marque d’une quelconque guerre asymétrique. « Il s’agit ainsi d’une guerre sans front, se déroulant sur l’ensemble du pays en même temps (forçant le défenseur à constituer des réduits et des sanctuaires), mêlant étroitement jusqu’à la confusion des genres combattants et population (les chefs de bande devenant avec le temps des chefs politiques), mettant en œuvre à la fois les procédés de la guerre classique (sièges, batailles), la terreur, le massacre de civils, la destruction des récoltes, le tout conjugué à ces armes de destruction massive que sont alors la peste et la famine (p. 36). » Cette configuration propre aux guerres civiles a frappé le Liban entre 1975 et 1990 et frappe, à l’heure actuelle, la Syrie où des territoires en guerre cohabitent avec des havres pacifiés ou en paix.
 
En citoyen helvète, Bernard Wicht ne croit pas en l’avenir de l’armée professionnelle, ni en sa pérennité, y compris si disparaissaient les autorités officielles. Il souscrit en revanche au citoyen en arme qui défend son espace de vie à côté de ses voisins. Il juge surtout indispensable de « réussir à réduire la complexité de nos formes d’organisation, parvenir à se recomposer en fonction des besoins de l’autodéfense et de la survie, se réarmer pour finalement se libérer (p. 47) ». désireux de développer cette nouvelle considération, Bernard Wicht évoque la T.A.Z. (zone autonome temporaire) théorisée par l’anarchiste Hakim Bey. Or la T.A.Z. correspond parfaitement aux modalités du monde ultra-moderne, à sa fluidité et à sa fugacité. On ne construit pas du solide sur des actions éphémères. Il faut rapprocher les intentions de Bernard Wicht de la notion de B.A.D. (base autonome durable) qui a l’avantage de cumuler une « conception de la liberté (de contournement plutôt que de confrontation), d’un tel état d’esprit (le salut vient des marges), de telles attitudes (agir dans la marge d’erreur du système) et associations d’idées (créer la culture, laisser faire le travail) que pourrait naître l’élément dynamique de la nouvelle donne stratégique, c’est-à-dire une volonté de découvrir de “ nouveaux territoires ”, d’agir par soi-même hors des appareils complexes et des modèles dominants (pp. 53 – 54) ».
 
Si Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres contredit Une nouvelle Guerre de Trente Ans ?, ces deux livres n’en sont pas moins complémentaires. Le second imagine une situation désordonnée complexe surtout si les conseils du premier n’ont pas été assimilés, ce qui pourrait entraîner la déflagration des régimes en place. De la sophistication technologique, l’art de la guerre deviendra-t-il bientôt rudimentaire, psychologique et populaire ? On peut soit le redouter, soit l’espérer…

Georges Feltin-Tracol
 
• Pierre-Marie Léoutre, Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres, Le Polémarque, Nancy, 2013, 123 p., 10 €.
• Bernard Wicht, Une nouvelle Guerre de Trente Ans ? Réflexions et hypothèse sur la crise actuelle, Le Polémarque, Nancy, 2013, 57 p., 8 €.

 


 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

 

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mardi, 22 octobre 2013

Vers un chasseur russo-brésilien?

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Résilience de la NSA ...

Vers un chasseur russo-brésilien?

Ex: http://www.dedefensa.org

Ce qui paraît à la fois logique et inévitable depuis le début des sidérantes aventures de la NSA au Brésil, révélées par Greenwald & Cie, se concrétise. Les premiers jalons sont posés pour une éventuelle coopération entre le Brésil et la Russie pour un avion de combat, disons russo-brésilien, qui pourrait être considéré à partir de l’hypothèse d’un développement du modèle russe de cinquième génération (le Soukhoi T-50, programme russe avec déjà une coopération indienne), ou d’une extrapolation de ce programme. La chose (l’exploration d’une coopération) a été dévoilée après une rencontre entre le ministre russe de la défense et le ministre brésilien de la défense. Le ministre russe a fait une visite fructueuse en Amérique du Sud, continent d’ores et déjà antiaméricaniste où la Russie voudrait renforcer ses ventes stratégiques d’armement. De façon plus concrète pour un autre domaine, la rencontre au Brésil devrait déboucher sur la finalisation, début 2014, d’un contrat entre le Brésil et la Russie pour un ensemble de missiles sol-air pour une valeur annoncée de un $milliard, avec transfert de technologies.

Pour ce qui concerne l’avion de combat, une dépêche AFP du 16 octobre 2013 dit ceci, en y ajoutant un cas hors-domaine où un geste des Russes pourrait faire avancer le dossier : «Brazil said Wednesday it hopes to develop state-of-the-art combat aircraft with Russia, and purchase surface-to-air missile batteries from Moscow. [...] “We are very interested in discussing projects relating to fifth generation (combat) aircraft with new partners,” Defense Minister Celso Amorim told reporters after talks here with his Russian counterpart Sergei Shoigu. “The issue was mentioned as a basis for discussion, but it is for the medium term.” [...]

» [Shoigu] stop in Brazil also coincides with Rousseff pressing for the release of a Brazilian biologist detained in Russia along with 29 other Greenpeace activists after protesting Arctic oil drilling. Ana Paula Maciel was one of 30 activists from 18 countries arrested by Russia in late September and charged with piracy after authorities said they had found “narcotic substances” on the Dutch-flagged Arctic Sunrise, used in their protest.»

La même dépêche mentionne évidemment le contrat actuellement en cours, pour 36 avions de combat pour le Brésil, dits de “quatrième génération”. (Ce concept de “générations” est douteux dans sa signification opérationnelle. Son développement argumentaire constitue plus une manœuvre de relations publiques des USA d’il y a quelques années, pour verrouiller le JSF dans la présentation de son exceptionnalité supposée. L’exceptionnalité du JSF est d’ores et déjà admise, dans le domaine de la catastrophe technologique proche de l’impasse bien entendu, mais le mythe de la “génération” comme facteur rupturiel de progrès survit, de la quatrième des chasseurs actuels à la cinquième des chasseurs nouveaux “du futur”. L’argument de RP s’insère du fait de la catastrophe-JSF dans l’image d’un mythe de plus en plus érodé et de plus en plus contestable, cela dans un contexte de mise en cause générale de la fiabilité fondamentale de l’avancement technologique à ce stade, voire d'une impasse pure et simple du technologisme.)

Le contrat 36 avions/4ème génération a connu bien des vicissitudes. Le Rafale était en 2009 un énorme favori, quasiment choisi selon une cohérence française stratégique prometteuse où même la Russie était incluse (voir le 4 septembre 2009) ; il devint bientôt un favori perdu et sans doute sans plus aucune chance à cause de l’effondrement du sens stratégique indépendant de la France (voir le 24 mai 2011). Le F-18 lui a succédé comme favori, selon la logique habituelle des pressions US sur une nouvelle présidente (Rousseff), soucieuse d’améliorer ses relations avec les USA. Tout cela été pulvérisé par la crise Snowden/NSA, touchant d’abord directement le F-18 (voir le 13 août 2013), puis, d’une façon radicale, les relations du Brésil avec les USA (voir le 25 septembre 2013).

... Ainsi tiendra-t-on les assurances du ministre brésilien de la défense sur la poursuite de ce contrat plutôt comme un vœu pieux de l’establishments militaire brésilien que comme une prévision assurée. D’ailleurs, la partie américaniste, comme indiqué également ci-dessous, ne prend plus de gants pour signifier sa position désespérée.

«Amorim said he hoped the fourth-generation aircraft bidding process would be “finalized soon.” But Boeing's bid to win the contract appears to have been damaged by reports of extensive US spying on Brazil. The allegations, based on documents leaked by fugitive US intelligence analyst Edward Snowden, led President Dilma Rousseff to cancel a state visit to Washington, putting Boeing's bid on hold, Boeing Brazil chief Donna Hrinak said last week. “The postponement of the visit means that any progress about the issue (aircraft contract) was also postponed,” Hrinak, a former US ambassador to Brazil, said during a seminar on the Brazilian economy.»

En effet, la perspective de ce contrat 36 avions de combat/quatrième génération nous paraît extrêmement réduite. Elle est aujourd’hui réduite de facto au seul Gripen si l’on tient compte de l’effondrement successif probable des offres Rafale et F-18. Un tel achat d’un avion suédois tenu par des contraintes US draconiennes interdisant tout transfert de technologies sur près de 50% de l’avion (moteurs et électronique sont US) n’a plus guère de sens politique ni industriel dans le contexte actuel, alors que le Brésil est dans une position socio-économique tendue, avec une agitation de rue qui rend impopulaire toute dépense publique qui n’est pas vitale. Bien entendu, le climat politique général (la Suède est dans le bloc BAO et sous obédience US affirmée) est un facteur très important allant contre ce choix. Bref, c’est tout le marché des 36 avions de combat/quatrième génération, entièrement appuyé sur des offres du bloc BAO alors qu’il était au départ diversifié par la perception d’une stratégie française indépendante, qui est menacé d'effondrement par la politique du bloc BAO.

La démarche russe a ainsi tout son sens et sa logique, et la probabilité est que le contexte politique va pousser au développement de l’examen du projet envisagé, sinon à son accélération, le moyen terme pouvant notablement se raccourcir. Le vrai problème est d’ordre de la politique industrielle. Le programme russe de cinquième génération, le T-50, est largement orienté vers une coopération avec l’Inde, avec les transferts de technologie qui vont avec, et déjà largement avancé. Le Brésil pourrait-il s’y insérer ? Pourrait-on envisager une version spéciale de coopération pour le Brésil, ou une coopération à deux passant à trois ? La politique dit “oui”, d’autant qu’il s’agit de trois pays-BRICS et que la Russie veut donner une dimension stratégique au BRICS. Les domaines industriel et technologique, avec une bureaucratisation touchant parfois à la paralysie (surtout dans le cas de l’Inde) suggèrent bien plus de réserves alors qu’un tel domaine de la coopération à ce niveau nécessite une très grande souplesse. Plus encore, les problèmes fondamentaux de blocage technologique des projets avancés, illustré magnifiquement par le JSF, jettent une ombre universelle sur tous les projets de cet ordre. Quoi qu’il en soit, il reste que la question est non seulement posée mais ouverte.

Elle est aussi ouverte que la question précédente semble se fermer. La question qui concernait la pénétration stratégique du Brésil par un pays occidental au travers du contrat de quatrième génération actuellement en discussion, semble effectivement avoir obtenu une réponse catastrophique. L’orientation politique des pays concernés ayant évolué vers le standard bloc BAO, on a pu mesurer la profondeur de la catastrophe de la politique française avec Sarkozy à partir de 2009/2010, avec Hollande suivant fidèlement ces traces. Il n’y a guère de commentaire à faire devant l’évidence du constat, sinon à observer une fois de plus que l’“intelligence française” est capable d’accoucher en période de basses eaux son double inverti absolument radical, dans le chef de l’aveuglement et de la fermeture de l’esprit. Quant à la partie américaniste, l’aventure en cours de la désintégration de la NSA, avec ses effets collatéraux colossaux dont celui du Brésil est le fleuron, ne fait que confirmer dans le sens du bouquet de la chose la constance d’un aveuglement qui doit tout, lui, à la sottise profonde d’une politique US de brute force malgré les atours du soft power dont elle prétend se parer (voir le 9 octobre 2013).

Cette affaire des chasseurs brésiliens est exemplaire, quatrième et cinquième générations confondues, ou même sixième pour les experts rêveurs qui pensent, les braves gens pleins d’espoir, à la situation d’ici 10-15 ans... Elle est exemplaire de l’effondrement de la politique de la civilisation occidentale prise comme un bloc (bloc BAO), et dans un temps incroyablement court. Elle est exemplaire aussi de l’affirmation diversifiée et très puissante, et aussi rapide, des pays qu’on a peine à qualifier encore d’“émergents”, notamment les BRICS, et la Russie et la Brésil dans ce cas, dans ce cadre spécifique des renversements politiques. Elle est exemplaire enfin, – cela ne peut être dissimulé car c’est finalement le principal, – de la rapide détérioration de tous les attributs de la “contre-civilisation”, que ce soit les conditions stratégiques, le technologisme, les conditions courantes de la “gouvernance”, etc., et cela aux dépens des principaux producteurs de la chose (le bloc BAO) mais aussi des autres (y compris les BRICS), l’ensemble du monde étant simplement confronté à la réalité terrible d’un effondrement civilisationnel sans aucun précédent historique dans son ampleur et sa rapidité.

mercredi, 16 octobre 2013

Un retour vers la défense citoyenne ?

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Un retour vers la défense citoyenne ?...

Entretien avec Bernard Wicht

Propos recueillis par Stéphane Gaudin

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Bernard Wicht, chercheur spécialisé dans les questions stratégiques et militaires, réalisé par Theatrum Belli à l'occasion de la sortie de son dernier essai intitulé Europe Mad Max demain ? - Retour à la défense citoyenne.

Bernard Wicht est également l'auteur de plusieurs autres essais stimulants, notamment  L’idée de milice et le modèle suisse dans la pensée de Machiavel (L’Age d’Homme, 1995), L’OTAN attaque (Georg, 1999), Guerre et hégémonie (Georg, 2002) et Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011). Il a aussi contribué à Gagner une guerre aujourd'hui (Economica, 2013), ouvrage collectif dirigé par le colonel Stéphane Chalmin.

 

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Un retour vers la défense citoyenne ?

A l’heure où les autorités politiques, de droite comme de gauche, transforme l’armée française en une armée de poche ; où la criminalité s’amplifie et devient toujours plus violente dans les zones urbaines, que le citoyen est victime d’une surveillance généralisée étatique et extra-étatique, qu’il subit une pression fiscale de plus en plus lourde, THEATRUM BELLI se tourne vers Bernard Wicht, qui dans son dernier livre « Europe Mad Max demain ? le retour de la défense citoyenne » prône « un retour à l’initiative individuelle » et « la formation de petites communautés organisées » pour à nouveau prendre son destin en main et assurer soi-même sa propre sécurité…en s’appuyant sur la figure du « citoyen-soldat ».

THEATRUM BELLI : Les électeurs helvétiques viennent massivement de voter à 73% pour le maintien du concept démocratique de citoyen-soldat ? Quel est votre sentiment sur résultat de ce vote ?

Bernard WICHT : C’est réjouissant ! Selon mon analyse, l’argument qui a eu le plus d’impact est celui de l’ « obligation » (pas nécessairement militaire), c’est-à-dire l’opinion – y compris dans les milieux peu sensibles aux questions militaires – qu’une société ne peut exister « sans obligation », que le citoyen se doit d’accomplir une activité au service de la communauté. L’unanimité des cantons (26) en faveur de l’obligation de servir est également particulièrement frappante dans ce sens-là. En revanche, la notion de liberté républicaine (les citoyens participant à la gestion des affaires communes) est peu apparue dans les débats. J’y vois un déficit de culture politique faisant que l’on peine à exprimer et à expliquer les concepts fondamentaux sur lesquels reposent l’Etat dans notre pays. Il faut également ajouter un autre facteur : la situation socio-économique difficile que connaît l’Europe actuellement ainsi que les pressions que subit la Suisse dans ce contexte ont certainement eu une influence sur la décision – l’ère de la « paix éternelle » promise à la fin de la Guerre froide est terminée. Le scénario des récentes manœuvres militaires de notre armée illustre bien ce changement de perception (une défense des frontières face à des bandes armées provenant d’une Europe en plein effondrement).

TB : Vous avez publié en mai dernier un livre au titre quelque peu provocateur « Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne ».  Pourquoi un tel titre ?

BW : Le titre n’est pas moi, c’est le choix de l’éditeur qui souhaitait quelque chose de percutant ! C’est le sous-titre qui indique l’orientation de ma réflexion, à savoir un travail sur le citoyen-soldat à l’âge de la globalisation et du chaos.

TB : En prônant le concept de défense citoyenne, vous mettez en relief, sans le nommer, le concept de subsidiarité ascendante qui, à l’origine, est un concept militaire : Durant l’époque romaine : le « subsidium » qui était une ligne de troupe se tenant en alerte, derrière le front de bataille, prête à porter secours en cas de défaillance… Cette philosophie politique antique peut-elle être à nouveau d’actualité au XXIe siècle ?

BW : Ma référence principale n’est pas tant l’Antiquité romaine, mais plutôt les républiques urbaines de la Renaissance italienne. Celles-ci sont déjà modernes, en particulier en raison de leurs activités commerciales et de la naissance du premier capitalisme. Ce dernier élément est très important à mes yeux et n’apparaît que peu dans l’empire romain (où l’économie est encore peu développée) : d’où mon intérêt pour les cités italiennes du Quattrocento. De nos jours en effet, je pense que toute réflexion politico-stratégique doit sous-entendre l’existence prédominante du capitalisme globale, au risque sinon de retomber dans de « mauvais remake » de l’Etat-nation et des armées de conscription. De mon point de vue à cet égard, lorsqu’on réfléchit à l’outil militaire, il faut avoir bien présent à l’esprit que nous avons perdu le contrôle de l’échelon national (sans parler de ceux situés au-dessus) et, par conséquent, des armées et gouvernements nationaux. C’est pourquoi dans ma démarche sur la défense citoyenne aujourd’hui, j’ai pris comme point de repère notamment la notion de chaos qui nous « délivre » en quelque sorte d’un cadre politique préconçu. Dans le même sens, je me suis penché attentivement sur l’affirmation des groupes armés (de tous ordres) comme nouvelles « machines de guerre » en ce début de XXIe siècle. J’ai ainsi émis l’hypothèse que ceux-ci étaient en train de supplanter les forces armées régulières des Etats, ceci au même titre que les armées mercenaires de la Renaissance ont supplanté la chevalerie médiévale et, plus tard, les armées nationales issues de la Révolution française ont supplanté celles de l’Ancien Régime. Cela signifie que je considère que le tournant est non pas seulement stratégico-militaire mais aussi, et surtout, historique.

TB : Comment analysez-vous le fossé qui se creuse entre l’Etat et la nation ?

BW : Je considère qu’il n’y a d’ores et déjà plus adéquation entre les deux. La nation avec ses valeurs et son idéal de solidarité est morte dans les tranchées de Verdun, les ruines de Stalingrad, les crématoires d’Auschwitz et les rizières du Vietnam. On oublie un peu vite le traumatisme des deux guerres mondiales, la destruction morale de notre civilisation que cela a signifié, et le fait que des sociétés ne peuvent se relever facilement d’un tel choc. J’analyse le délitement actuel de nos sociétés (de la chute de la natalité au renversement des valeurs que nous vivons notamment dans le domaine de la sexualité) comme provenant fondamentalement de ces séismes à répétition. Les travaux de l’historien britannique Arnold Toynbee sur la « grande guerre destructrice », la « sécession des prolétariats » – autrement dit sur les formes que prend le déclin d’une civilisation – trouvent ici toute leur pertinence.

Basel_Tattoo_(6).jpgTB : Dans des nations européennes qui se communautarisent, ne pensez-vous pas que ce concept de défense citoyenne puisse être appliqué par des communautés ethnico-religieuses aux intérêts antagonistes ?

BW : C’est déjà le cas ; pensons aux diasporas politiquement encadrées, aux gangs contrôlant certains quartiers urbains, aux réseaux mafieux, etc. A la fois la destruction des nations à laquelle je viens de faire référence, la globalisation financière amenant l’explosion de l’économie grise, ainsi que la fin de l’ère industrielle ont créé un terreau très favorable à la fragmentation de nos sociétés, à leur recomposition en sous-groupes pris en main par les nouveaux prédateurs susmentionnés. Il ne faut pas oublier non plus que des pans entiers de l’économie régulière ne pourraient plus fonctionner sans les travailleurs clandestins, que l’économie parallèle représente en outre environ 15% du PIB des grands Etats européens, etc., etc., etc. Il est donc urgent de se poser la question de la défense citoyenne parce que les communautés auxquelles vous faites allusion ont « fait le pas » (bon gré – mal gré) depuis longtemps : c’est le citoyen qui est « en retard », c’est lui qui est désarmé. Si nous faisons brièvement le catalogue des catégories de combattants existant de nos jours (partisans, forces spéciales, contractors, terroristes, shadow warriors), nous constatons immédiatement que le citoyen est absent; il reste donc sans défense dans une monde où la violence a retrouvé son état anarchique. En ce sens, ma contribution demeure bien modeste compte tenu de l’urgence de la situation.

TB : La défense citoyenne peut-elle être considérée comme une réponse « localiste » au phénomène de la mondialisation ?

BW : Comme je l’ai dit plus haut, je pense que nous avons perdu le contrôle de l’échelon national. Donc, oui, la réponse est sans doute plutôt « local ». Mais, selon moi, ce n’est pas tant dans l’opposition local/global qu’il faut travailler : la société de l’information nous offre l’opportunité de travailler en réseau open source, de manière coopérative… au-delà du local au sens strict. De mon point de vue, le facteur déterminant n’est donc pas tant le local que l’autonomie, c’est-à-dire la capacité de contrôler ses propres processus de fonctionnement (dont en priorité la sécurité). Car, si au niveau local nous restons totalement dépendant du niveau global, rien ne change ! J’ai insisté précédemment sur l’importance de prendre en considération la dynamique du capitalisme parce que, précisément, toute initiative qui n’est pas en mesure de développer une certaine marge de manœuvre vis-à-vis de cette dynamique est vouée à l’échec. Nous y reviendrons plus loin à propos des coopératives. Revenons à la dialectique local/global que vous évoquez, il n’est cependant pas possible d’agir localement si l’on ne dispose pas d’un discours global ; le cas du mouvement néo-zapatiste au Chiapas est particulièrement parlant à cet égard – une faible rébellion pratiquement sans impact militaire qui parvient en revanche à développer un discours de portée mondiale. Cet exemple tendrait à montrer qu’aujourd’hui aucune action locale (ou autre) ne peut s’inscrire dans la durée sans un discours adéquat. Je dis un « discours » et non pas du « storytelling », c’est-à-dire non pas du marketing mais une véritable mise en forme de la réalité apte à se démarquer des deux discours dominant que sont celui de l’empire (la mondialisation néo-libérale) et celui de l’apocalypse (l’épuisement des ressources, le réchauffement climatique et la fin des temps)…. faute de mieux, j’ai appelé pour le moment cette troisième voie le « discours du rebelle ». La notion de rebelle en lien avec celle d’autonomie (y compris le concept anarcho-punk de TAZ) ouvrent ici des perspectives prometteuses telles que le refus de la réquisition techniciste, la réappropriation de sa propre histoire ou encore le lien con-substanciel entre résistance et renaissance. Vous comprenez dès lors pourquoi je trouve la réduction de la réponse au rapport local/global un peu « courte ».

TB : Julien Freund a écrit qu’« une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique ». La Défense citoyenne peut-elle régénérer les concepts de patrie et de souveraineté ?

BW : Certainement, la Défense citoyenne se comprend dans cette perspective, mais pas dans le sens d’une restauration de l’état antérieur. Comme je viens de le dire, nous ne retrouverons pas la Nation : « l’histoire ne repasse pas les plats » ! C’est là que se situe le premier enjeu de toute réflexion prospective : ne pas vouloir « re-bricoler le passé », s’efforcer de penser en fonction des nouveaux paramètres en vigueur (d’où l’importance de prendre en compte la société de l’information).

TB : Vous voyez le développement possible de SMP à travers le système de la coopérative. Cette idée ne pourrait-elle pas être développée au sein des mutuelles (comme services) étant donné que leur philosophie d’origine était centrée sur le secours et l’entraide avant d’être focalisée sur la dimension santé ?

BW : Sans aucun doute. Toute démarche de reconstruction passe obligatoirement par là…. la forme peut toutefois varier. L’essentiel dans le système coopératif (ou mutualiste) est de donner au groupe une certaine autonomie – nous y revoilà – notamment dans le domaine économique (une marge de manoeuvre par rapport à la dynamique du capitalisme global). A travers la coopérative, il est possible d’échapper quelque peu au diktat du marché et des grands acteurs mondiaux. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les coopératives ne fonctionnent bien que dans un tel contexte; en période de « vaches grasses » l’idée ne fait généralement pas recette. Dans mon livre j’ai donné l’exemples des Acadiens au Canada qui, par ce biais, dès la fin du XIXe siècle ont pu se soustraire à la tutelle des grandes entreprises anglaises qui les exploitaient. De nos jours, il ne faut pas oublier non plus que le mouvement anarcho-punk a d’ores et déjà ouvert des pistes en la matière : hormis le concept de TAZ déjà évoqué, il y aussi la philosophie do it yourself (DIY) avec ses formules choc telles que « ne haïssez pas les médias, devenez les médias » ! Or aujourd’hui, d’après mon appréciation, la sécurité serait un bon point de départ : prendre en main sa propre sécurité, c’est prendre conscience que JE suis le premier responsable de mon propre destin ! En effet, comme dans toute grande transformation, la « reconnaissance précède la connaissance » (Th. Gaudin); en d’autres termes c’est la prise de conscience qui est le prérequis de l’action (qui, à son tour, a besoin ensuite d’un discours pour se légitimer dans la durée).

TB : Comment voyez-vous la Défense citoyenne comme réponse au tout sécuritaire centralisé (de plus en plus liberticide) par l’Etat ?

BW : Comme je l’ai dit plus haut à propos de la Renaissance italienne, ma démarche est foncièrement machiavélienne : je me préoccupe de la liberté républicaine (au sens de participation effective à la gestion des affaires communes). Dans cette optique, la dérive sécuritaire de l’Etat moderne est très préoccupante; les criminologues parlent désormais à ce sujet du passage à un Etat pénal-carcéral, c’est-à-dire une réorientation du monopole de la violence légitime non plus vers l’ennemi extérieur commun, vers la guerre extérieure mais vers l’intérieur, vers la population en général. L’Etat pénal-carcéral tend ainsi à déployer un dispositif sécuritaire ne visant plus à réprimer le crime et les criminels mais ciblant tout citoyen quel qu’il soit, au prétexte qu’il pourrait, un jour, avoir un comportement déviant. On parle aussi à cet égard de « nord-irlandisation » de l’Etat moderne avec la mise en place de lois d’exception, d’un système de surveillance omniprésent (caméras, portiques de sécurité, etc.) et d’une militarisation des forces de police. On le constate, l’Etat pénal-carcéral a besoin d’un « ennemi intérieur » pour fonctionner, pour pouvoir cristalliser les peurs et justifier de la sorte le renforcement des mesures coercitives… il y a risque que le citoyen ne devienne cet ennemi. Rappelons au passage que l’Etat moderne n’est pas démocratique par essence; la citoyenneté, la représentation, la souveraineté populaire sont le fruit d’une négociation, voire d’une lutte dans laquelle les populations ont été en mesure de « faire le poids » dans ce rapport de force avec l’Etat. Le citoyen-soldat a été un élément clef de ce marchandage, de cette affirmation démocratique…. qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

C’est vis-à-vis de cette réalité que le cadre de raisonnement élaboré par Machiavel m’interpelle si fortement. Le Chancelier florentin s’est trouvé confronté à une situation très similaire avec les menaces qui pesaient sur la liberté à son époque (les oligarchies en place et le recours à des mercenaires). Dans sa réflexion, il établit à ce sujet un champ d’oppositions paradigmatiques qui se révèle très précieux : liberté/tyrannie; armée de citoyens/prétoriens; république/empire; vertu/corruption. Un tel cadre permet de répondre aux objections que j’entends souvent – « hors de l’Etat point de salut ! ». Machiavel nous indique ainsi que la communauté doit s’organiser avant tout en fonction de la liberté et de ses présupposés plutôt que selon un principe étatique moderne qui peut se révéler liberticide !

TB : Monsieur Wicht, nous vous remercions pour cet entretien.

Bernard Wicht, propos recueillis par Stéphane GAUDIN (Theatrum Belli, 7 octobre 2013)

dimanche, 06 octobre 2013

L'A400M : UN PROGRAMME EMBLEMATIQUE POUR L'EUROPE

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L'A400M : UN PROGRAMME EMBLEMATIQUE POUR L'EUROPE
Optique américaine VS optique européenne

Hajnalka VINCZE*
Ex: http://metamag.fr
L'A400M dans une optique américaine

Certes les Etats-Unis ne pourront pas ne pas se réjouir officiellement, en voyant leurs alliés commencer à combler l'une des principales lacunes capacitaires qu'ils leur reprochent depuis si longtemps. Mais ce n'est que la façade. L'A400M est un concurrent et un outil d’autonomie européenne comme ils ne les aiment pas. Un article du Washington File du Département d’Etat datant de 2006 précise déjà que « Les US recommandent aux alliés OTAN de mettre en commun de l’argent pour acheter des C-17 ». Une solution présentée comme bénéfique pour les affaires de Boeing et qui serait du même coup la meilleure façon de pallier les carences des Européens en matière de transport stratégique. 

Dans l’espoir d’écarter d’avance l’option A400M, l’article tient à souligner que la capacité de transport de l’avion européen n’est qu’un tiers de celle de son concurrent américain. Et pour ceux qui n’auraient pas compris la consigne, il précise également que « l’Airbus européen et le Boeing américain sont des rivaux commerciaux ». Comme argument de vente, on cite aussi la Représentante US à l’OTAN qui se fait un plaisir de remarquer que « Si le prix est si bas, c’est parce que l'Amérique en achète beaucoup ». Dernière petite touche : un sentiment d’urgence. Vite, il faut s’y engager sinon l’offre disparaît et/ou le prix augmente.

Episode révélateur en octobre 2008: quand les ministres de la défense de l’UE se réunissent à Deauville, pour parler du partage des futurs A400M, l’OTAN choisit d’annoncer au même moment le lancement de son programme de « capacité de transport stratégique », qui regroupe alors 11 pays européens autour de l'Amérique et du C-17 de Boeing, justement. C’était aussi la période pendant laquelle le programme A400M traversait de sérieuses turbulances… 

Comme toujours, Washington voulait d’abord convaincre les Etats européens un par un de ne pas participer du tout à un projet européen d’importance stratégique (et il y a réussi, cette fois-ci pour le Portugal et l’Italie). Ensuite il s’est employé sans relâche à montrer qu’il existe à portée de main une séduisante alternative transatlantique. Logiquement, une fois devant le fait accompli, l’étape prochaine sera d’encourager le rapprochement/fusion entre les structures européennes de coordination en matière transport aérien militaire et celles d’OTAN. De manière à s’assurer un droit de regard et préserver son contrôle au maximum sur d’éventuels futurs développements. 


L'A400M dans une optique européenne

Comme l'a dit Hervé Morin, ministre de la défense en 2010: «L'A400M est un programme emblématique sur lequel les Européens ne pouvaient pas renoncer ». En effet, son arrivée signifie plus pour la « défense européenne » que n'importe quelle déclaration pompeuse à l'issue d'une quelconque réunion au sommet. Premièrement, parce que la nouvelle flotte d'avions de transport stratégique (et tactique, l'A400M étant hautement polyvalent) va résorber ce qui fut identifiée comme l'une des lacunes capacitaires majeures de l'Europe de la défense, dès le lancement de celle-ci il y a déjà quinze ans. 

Deuxièmement, parce que c’est un outil de notre autonomie. Les Américains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés quand ils avaient exercé de constantes pressions pour que l’Europe y renonce. Avec succès dans le Portugal de Barroso et dans l’Italie de Berlusconi mais, une fois n’est pas coutume, pas au Royaume-Uni. Surpris, l’ambassadeur US à Londres s’est dit « profondément déçu » à l’annonce du choix britannique. Et c’est clairement « dans un objectif de souveraineté » que les Etats du programme ont finalement préféré un motoriste européen à l’américain Pratt & Whitney.

Troisièmement, parce que la principale structure d'accueil des nouveaux avions, l'EATC (le Commandement de transport aérien européen) incarne la seule option viable pour la fameuse « mutualisation et partage » en Europe. L'EATC réalise notamment une mise en commun réelle, avec ses nombreux avantages, mais assorti d'un mécanisme dit de « red card » (carton rouge). Celui-ci permet à un Etat participant de reprendre le contrôle opérationnel de ses appareils à n'importe quel moment. Il s'agit donc de respecter le principe de la réversibilité en matière de partage de souveraineté. Ce qui est par ailleurs la seule manière légitime d'y procéder.

*analyste en politique de défense et de sécurité, spécialisée dans les affaires européennes et transatlantiques. Animatrice du site hajnalka-vincze.com.

samedi, 28 septembre 2013

Secrets à l'ère numérique

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Secrets à l'ère numérique

Ex: http://www.huyghe.fr

Pas de société sans secret. Il est le contrepoint de la confiance et de l’interdépendance entre membres du groupe, comme le conflit est celui de la coopération.

Dans le domaine du sacré, il y a forcément des mystères et des initiations, des confessions et des révélations, de l'ésotérisme et du sens hermétique réservé à quelques élus.
En politique, le secret est une arme, un enjeu, une protection, un rapport de force, un pouvoir latent, parfois une obligation démocratique comme l'est, en corolaire, une certaine transparence. C’est un processus menacé et maintenu à grand effort. Un des rôles cruciaux du politique devient de contrôler les voies et moyens de le maintenir et d'y accéder. L'État alloue du secret (confidentialité de données, vie privée, secret des transactions, limites de la traçabilité et de la transparence…) et se dote de moyens de violer les secrets suspects (pour lutter contre le crime et le terrorisme, dit-il).

Nous vivons désormais bardés de codes, obsédés de confidentialité, menacés par toutes sortes de délits d’information ou d’outils de fichage. Comme citoyens nous haïssons le secret, celui de l’État, ce que nous cachent les puissants, ce que nous taisent les médias..., comme particuliers nous le réclamons : nous ne voulons plus être filmés, écoutés, décryptés... Mais, double contradiction, nous étalons notre intimité sur les réseaux sociaux et nous exhibons en ligne.

L’économie, qui est affaire de rareté, repose sur le monopole de procédés techniques ou simplement sur une meilleure connaissance que 
le concurrent de données cruciales.  Voire sur le paradoxal secret des "big data" :  des informations  individuellement très banales, traitées à l'échelle des millions de données confèrent un singulier pouvoir pour prédire des comportements de masse et profiler des individus.

Quant à notre vie intime et nos rapports avec nos proches et nos communautés, ils sont régis par le jeu de ce que nous dissimulons avouons, partageons avec les uns et non avec les autres.

Le fait que nous adhérions à une idéologie démocratique de la transparence ou que le citoyen possède bien davantage qu'hier de moyens de dénoncer ce que font les dirigeants ou les voisins, ne change rien à l’affaire. Plus la technologie progresse, plus les secrets et contre-secrets prolifèrent. Leur histoire est l’envers de celle des inventions. Leur désirabilité s’accroît tandis augmente l'enjeu de l'accès à des informations confidentielles. Ces dernières sont stockées et traitées par des prothèses technologiques, lisibles à distance, modifiables et reproductibles en leurs moindres parties, la compétition pour dissimuler ou percer se généralise.

L'extension du domaine du secret traduit donc un rapport de force militaire, politique, économique, technique et idéologique. Il se pourrait que la puissance se confonde désormais avec la faculté de savoir ou de dissimuler et que la part du caché augmente à proportion du développement des techniques dites de l’intelligence et de la connaissance. Le numéro 37 de Médium (parution en octobre, dirigé par Paul Soriano et moi-même) traitera précisément de ce paradoxe : à l'ère numérique la société qui devait être de l'information est obsédée par le code qui protège et la surveillance qui se dissimule (y compris à l'échelle gigantesque de Prism & co.),  les manœuvres occultes (vraies ou fantasmées), zones inconnues du Net, peur de Big Brother et obsession du complot, questions d'anonymat et de vie privée, découverte du pouvoir paradoxal des "porteurs d'alerte" (ils espionnent les espions),  multiplication des secrets de Polichinelle, problèmes de l'intime et de la surveillance.  

Notre thèse est que le secret est l'arme, la cible, l'enjeu au cœur de tous nos affrontements.

Secret d'État, diplomatie de l'ombre,  professions du secret, filiation, psychanalyse, littérature et philosophie, impératif politique de la transparence, stratégies d'anoymisation des internautes,  arcanes du pouvoir, réseaux et affrontements : nous avons tenté d'explorer quelques facettes d'un domaine par définition inépuisable et obscur.

00:10 Publié dans Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : secret, défense, ère numérique, philosophie, polémologie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook