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dimanche, 02 janvier 2022

La boussole de l'UE pointe vers l'Ouest

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La boussole de l'UE pointe vers l'Ouest

Par Claudio Mutti

Source: https://www.eurasia-rivista.com/la-bussola-dellue-indica-loccidente/

La Triple Entente anglo-saxonne

Le 15 septembre 2021, le Premier ministre australien Scott Morrison, le Premier ministre britannique Boris Johnson et le président américain Joe Biden ont annoncé conjointement la signature d'un pacte de sécurité trilatéral appelé AUKUS, en vertu duquel les États-Unis et le Royaume-Uni s'engagent à aider l'Australie à développer et à déployer des sous-marins à propulsion nucléaire dans la région du Pacifique afin de contrer l'influence chinoise.

Le "triple marché" anglo-saxon est une étape supplémentaire dans une stratégie américaine plus large visant à encercler l'Eurasie. Cette stratégie, qui vise à empêcher la puissance chinoise de contrôler les zones côtières du continent eurasien, trouve ses racines dans la doctrine géopolitique de Nicholas John Spykman (1893-1943), le "parrain de l'endiguement" de l'Union soviétique, qui a reformulé la pensée de Halford John Mackinder (1861-1947), en soulignant l'importance de la bande côtière (Rimland) de l'Eurasie par rapport au "cœur" du continent.

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Appliquant la doctrine de Spykman aux circonstances actuelles, les stratèges américains visent à contenir la puissance chinoise en l'enfermant dans les deux systèmes d'alliances sur lesquels Washington peut compter en Asie: l'AUKUS et la QUAD. Si l'AUKUS a été évoqué plus haut, le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), né en 2007 à l'initiative du Premier ministre japonais Shinzo Abe et relancé par Donald Trump en 2017, réunit les États-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde.

Les États-Unis ont désormais l'intention de construire une sorte d'OTAN asiatique qui, en déployant ses forces dans le Pacifique et l'océan Indien, formera une barrière contre la République populaire de Chine : à l'est, au sud-est et au sud.

Le 12 mars 2021, le président Joe Biden a ouvert une réunion au sommet avec les premiers ministres japonais, australien et indien, au cours de laquelle plusieurs projets représentant une alternative à la "nouvelle route de la soie" ont été examinés.

Puis, fin août, l'Inde et l'Australie ont mené des opérations conjointes avec les États-Unis et le Japon au large de Guam, l'île des Mariannes qui abrite des bases aériennes et navales américaines. Puis, début septembre, une opération conjointe indo-australienne appelée AUSINDEX 21 a eu lieu au large du port de Darwin, dans le nord de l'Australie. Au même moment, les ministres de la défense et des affaires étrangères de Delhi et de Canberra ont entamé leur premier dialogue stratégique. "En fait", commente "Defence Analysis", "c'est l'approche utilisée par les États-Unis pour contrer la montée en puissance de la Chine dans la région" [1].

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L'effet immédiat du pacte conclu peu après par l'Australie avec les États-Unis et la Grande-Bretagne a été l'annulation de l'accord (90 milliards de dollars australiens) conclu précédemment avec la société française Naval Group (anciennement DCNS) pour la fourniture de douze sous-marins nucléaires. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a qualifié la décision de M. Biden de "brutale, unilatérale et imprévisible" et a parlé d'un "coup de poignard dans le dos". Pour avoir une vision complète de la situation, il faut toutefois rappeler que " la diplomatie française, en intégrant la doctrine indo-pacifique américaine en 2018, s'est alignée sur les priorités des Anglo-Saxons sans les réserves nécessaires à la défense de son indépendance stratégique". Elle n'a pas obtenu de garanties préalables sur sa participation aux décisions, et se voit désormais évincée du triumvirat Etats-Unis-Australie-Royaume-Uni. Pourtant, en avril 2021, la France a participé à des manœuvres navales dans le golfe du Bengale (océan Indien) avec les pays du QUAD : États-Unis, Japon, Inde et Australie, et en mai 2021 dans le Pacifique avec les États-Unis, l'Australie et le Japon, suscitant les critiques de la Chine qui dénonce l'émergence d'une" OTAN indo-pacifique "sur le modèle de la guerre froide" [2].

Une "défense" complémentaire à l'OTAN

Le 22 octobre, dans un effort de normalisation des relations entre la France et les États-Unis, Biden et Macron ont eu une conversation téléphonique, au cours de laquelle, selon un communiqué du gouvernement américain rapporté par Le Monde, "ils ont discuté des efforts nécessaires pour renforcer la défense européenne en assurant sa complémentarité avec l'OTAN" [3].

Un mois plus tard, lors de ses entretiens avec Emmanuel Macron à Rome, à la veille de l'ouverture du G20, le président américain a réparé la rupture avec la France en reconnaissant que les États-Unis avaient agi de manière "maladroite" et inélégante. M. Biden a ensuite évoqué le "système de valeurs identique" des deux pays et a déclaré qu'"aucun allié n'est plus ancien et plus loyal que la France". Aux oreilles de Macron, ces mots ont dû sonner comme une évocation de son compatriote qui fut général de division dans l'armée continentale de George Washington: le marquis de La Fayette, à qui le Congrès a conféré la citoyenneté américaine honoraire il y a 20 ans (bien qu'il ait déjà été naturalisé américain de son vivant). Il suffisait que Biden répète le cri lancé par le général John J. Pershing le 4 juillet 1917, après le premier débarquement des libérateurs en Europe: "La Fayette, nous voila !".

Feu vert, donc, à la "défense européenne" invoquée par le président français ; mais, comme le précise également le communiqué officiel du Palazzo Chigi, "dans un rapport de complémentarité" [4] avec l'alliance "transatlantique". En fait, Macron lui-même, s'attardant sur la nouvelle collaboration entre les États-Unis et l'Union européenne, a noté la nécessité de "renforcer la coordination, la collaboration stratégique entre l'Union européenne et l'OTAN" [5]. Début octobre, le secrétaire d'État américain Tony Blinken avait déjà expliqué à M. Macron que les États-Unis étaient "certainement favorables aux initiatives européennes en matière de défense et de sécurité", mais comprises comme "un complément à l'OTAN", une question sur laquelle l'engagement de Joe Biden est "inébranlable" [6].

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M. Biden a également renforcé les relations avec Bruxelles en concluant un accord visant à alléger les droits d'importation américains sur l'aluminium et l'acier, et à suspendre les droits compensatoires de l'UE sur diverses marchandises en provenance des États-Unis. Selon une déclaration de Mario Draghi, cet accord "confirme le renforcement continu de la relation transatlantique déjà étroite" [7] - un adjectif utilisé par Biden et ses interlocuteurs européens à la place du vieil adjectif atlantique, sans doute pour souligner et réitérer le concept d'une "alliance" qui lie les deux côtés de l'océan éponyme. "Les États-Unis et l'UE inaugurent ensemble une nouvelle ère de coopération transatlantique qui profitera à tous nos citoyens, aujourd'hui et à l'avenir"[8]. C'est ce que Biden a déclaré lors d'une conférence de presse avec Ursula von der Leyen, qui, l'appelant confidentiellement "cher Joe", lui a fait écho avec ces mots: "Depuis le début de l'année, nous avons rétabli la confiance et la communication; c'est une autre initiative clé pour notre agenda transatlantique renouvelé avec les États-Unis " (9). En revanche, sur la question spécifique de la "défense européenne", la présidente de la Commission européenne s'était déjà exprimé le 5 octobre à Brdo, en Slovénie, en qualifiant l'OTAN de "parapluie de sécurité fondamental pour le Vieux Continent" (10).

Le leitmotiv de la solidarité transatlantique et de la complémentarité de la défense européenne avec l'OTAN a été réitéré par Josep Borrell. Illustrant le projet d'une "boussole stratégique" qui - significativement nommée dans le langage de la boussole stratégique de l'anglosphère - entend définir la voie à suivre pour l'avenir de l'Union européenne dans le domaine militaire et dans d'autres domaines, le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères a déclaré que "l'Europe est en danger" et qu'il est nécessaire de répondre aux "nouveaux défis et menaces", tels que ceux "à la frontière avec le Belarus" [11]. Selon le Haut représentant, la défense de ces "valeurs universelles" qui, selon lui, coïncident avec "nos valeurs libérales", exige une "responsabilité stratégique européenne" ; et celle-ci, a-t-il poursuivi en rassurant les alliés hégémoniques, non seulement "ne contredit en rien l'engagement européen envers l'OTAN, qui reste au cœur de notre défense territoriale", mais au contraire sera "la meilleure façon de renforcer la solidarité transatlantique" [12].

Apparemment, l'aiguille magnétique de la "boussole stratégique" produite par l'UE continue de pointer vers l'Occident.

La primauté de l'Italie

Dans le cadre de la réorganisation de la puissance occidentale, la fonction sous-impérialiste que Washington a assignée à l'Italie, qui a été placée aux commandes par l'ancien partenaire de Goldman & Sachs, est multiple. En ce qui concerne la Libye, lors de la Conférence internationale qui s'est tenue à Paris le 12 novembre 2021, le projet occidental était clair : l'Italie doit être le moteur d'un effort de stabilisation, à partager avant tout avec la France. L'objectif stratégique que l'Italie et la France doivent poursuivre en Libye est l'éviction de la Russie et de la Turquie: "pour Washington comme pour Rome (et donc pour Bruxelles), il est crucial que tant les unités turques déployées en Tripolitaine que celles du groupe russe Wagner et les autres contractants africains positionnés en Cyrénaïque quittent le pays" [13]; un point sur lequel "le président italien est tout à fait en phase avec la vice-présidente américaine Kamala Harris" [14]. En revanche, en ce qui concerne les élections qui doivent avoir lieu en Libye, "tant l'Italie que les États-Unis estiment qu'un président et un exécutif issus des urnes peuvent avoir plus d'influence et surtout recevoir un plus grand soutien politique et diplomatique de Rome et de Washington". La ligne italienne, et la ligne européenne, et la ligne américaine sont complètement superposables" [15].

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Mais la tâche que Draghi et Macron s'apprêtent à accomplir ne se limite pas à ramener la Libye dans l'orbite occidentale. Selon le professeur Giulio Sapelli, porte-parole accrédité dans les milieux atlantistes, "Draghi est maintenant appelé à jouer un autre rôle. Un rôle inhabituel pour lui, mais tout aussi important : endiguer les relations entre l'Allemagne et la Chine en créant un anti-monde pro-atlantique en Europe, en construisant (...) un lien encore plus étroit que celui que l'Italie et la France ont déjà entre elles" [16]. Après l'offense malencontreuse faite à la France par la triple entente anglo-saxonne, l'Italie est appelée à jouer le rôle de bâtisseur de ponts "transatlantiques" entre Paris et Washington. "Si ce nouvel ordre international - commente Sapelli - aura comme élément fondamental l'ascension au Quirinal de Draghi lui-même, la nouvelle configuration des rapports de force européens et de ces derniers avec les USA aura une disposition adéquate pour affronter les défis de la lutte contre l'hégémonie chinoise qui attendent la planète".

Le fait que l'Italie soit candidate pour devenir le pays de tutelle de Washington en Europe, notamment sur le plan militaire, a été affirmé par Loren Thompson dans le bi-hebdomadaire américain Forbes [17], qui fait autorité en la matière, en donnant plusieurs raisons pour soutenir cette thèse. Selon le directeur des opérations du Lexington Institute, l'Italie est un pion très précieux dans le scénario européen, non seulement parce qu'aujourd'hui elle se distingue plus que jamais par son engagement envers l'Occident et la démocratie [18], mais aussi et surtout parce que sa position géographique correspond merveilleusement aux besoins stratégiques de l'Alliance atlantique : à la fois en raison de la position centrale occupée en Méditerranée par la base de Sigonella, et parce que le nord de l'Italie, où sont notamment stockées les armes nucléaires tactiques de l'OTAN, abrite des F-35 qui peuvent se diriger rapidement vers la frontière biélorusse [19].

Le cabinet présidé par l'ancien associé de Goldman & Sachs a notamment consolidé le soutien de l'Italie à la politique américaine dans le monde. En effet, à rebours du gouvernement précédent, il a pris ses distances avec Pékin et s'est montré désireux de s'impliquer davantage dans l'alignement quadrilatéral des États-Unis, de l'Australie, de l'Inde et du Japon, mis en place pour contrer les ambitions chinoises en Asie [20]. De même, "le secteur militaire italien fait les bons investissements" [21], puisque, "comme la Pologne, (...) elle utilise son budget militaire limité pour acheter des armes avancées aux États-Unis" [22]. En bref, conclut le chroniqueur de Forbes, aujourd'hui "il est plus facile d'apprécier le bilan de l'Italie en tant que nation pro-démocratique et pro-américaine" [23], de sorte que les élites politiques de Washington ont une confiance totale dans celles de Rome.

NOTES

[1] “Analisidifesa”, 12 settembre 2021.

[2] Pierre-Emmanuel Thomann, AUKUS, un triumvirat anglo-saxon dans l’Indo-Pacifique pour conserver l’hégémonie mondiale: quelle riposte géopolitique pour la France? Non-alignement et Pivot vers la Russie, “Eurocontinent”, 29/09/2021.

[3] Relations franco-américaines: Emmanuel Macron et Joe Biden se sont entretenus par téléphone, lemonde.fr, 23 ottobre 2021.

[4] G20, il Presidente Draghi incontra il Presidente degli Stati Uniti d’America Biden, governo.it, 29 ottobre 2021.

[5] Riccardo Sorrentino, Biden tende la mano a Macron: “maldestri” sui sottomarini, ilsole24ore.com, 30 ottobre 2021.

[6] Stefano Pioppi, Tra Nato e Difesa europea, così l’Italia può essere protagonista, formiche.net, 6 ottobre 2021.

[7] Draghi: Grande soddisfazione per accordo Ue-Usa su dazi acciaio e alluminio, governo.it, 31 ottobre 2021.

[8] Biden, Usa e Ue combatteranno insieme sfide 21esimo secolo, swissinfo.ch, 31 ottobre 2021.

[9] Claudio Salvalaggio/ANSA, Pace sui dazi con l’Ue. Biden: “Nuova era transatlantica”, voce.co.ve, 1° novembre 2021.

[10] Von der Leyen rilancia l’idea di una forza militare europea: «Complementare alla Nato», it.geosnews.com, 6 ottobre 2021.

[11] www.ansa.it/europa/notizie/rubriche/altrenews/2021/11/10

[12] Josep Borrell, Una Bussola Strategica per l’Europa, 12 novembre 2021, www.project-syndicate.org

[13] Emanuele Rossi e Massimiliano Boccolini, Libia, Draghi porta la strategia italiana alla conferenza di Parigi, formiche.net 12-11-2021.

[14] Ibidem.

[15] Ibidem.

[16] Sapelli: ecco la missione anti-Cina e Germania affidata dagli Usa a Draghi, ilsussidiario.net, 23-10-2021.

[17] Loren Thompson, Italy Is Becoming More Important To U.S. Security. Here Are Five Reasons Why, www.forbes.com, 15-11-2021.

[18] “Italy stands out as a nation that is reliably committed to the Western alliance and to democracy” (Ibidem).

[19] “Italy’s geographical circumstances are ideal for shaping security conditions in the Mediterranean Sea—the most important body of water in Western history. The naval air station at Sigonella in Sicily, where long-range surveillance aircraft are deployed, is almost exactly equidistant from Beirut and Gibraltar at opposite ends of the sea. It is also a short hop by air to the most troubled countries in North Africa, most notably Libya. In the north, the country’s territory extends so far into central and eastern Europe that Italian F-35s stationed there are within unrefueled range of Poland’s border with Belarus. NATO stores tactical nuclear weapons at two bases in the north, comprising a powerful component of the alliance’s deterrent to Russian aggression” (Ibidem).

[20] “In recent months, the government of Prime Minister Mario Draghi has exhibited an interest in becoming more involved in the quadrilateral alignment of America, Australia, India and Japan established to counter Chinese ambitions in Asia. Draghi’s predecessor had a brief dalliance with China’s Belt and Road initiative, but Draghi has since distanced Italy from Beijing and shown great interest in developing closer ties to New Delhi—underscoring his country’s preference for democratic partners” (Ibidem).

[21] “Italy’s military is making the right investments” (Ibidem).

[22] “Like Poland, (…) Italy is leveraging its limited military budget to buy advanced U.S. weapons” (Ibidem).

[23] “it is easier to appreciate Italy’s track record as a pro-democratic, pro-American nation” (Ibidem).

mardi, 28 décembre 2021

Un nouvel axe géopolitique en devenir ? Arabie Saoudite - Iran - Pakistan - Chine

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Un nouvel axe géopolitique en devenir? Arabie Saoudite - Iran - Pakistan - Chine

par Peter Logghe

Source: Nieuwsbrief Knooppunt Delta - Nr. 164 - December 2021
 
Le programme nucléaire iranien a régulièrement fait la une de la presse par le passé ; le fait que les États-Unis soient à couteaux tirés avec l'Iran y est probablement pour beaucoup. La politique nucléaire saoudienne est beaucoup plus discrète. En 2008, les États-Unis et l'Arabie saoudite ont signé un accord sur l'utilisation non militaire de l'énergie nucléaire produite par l'Arabie saoudite. En novembre 2021, l'Arabie saoudite a annoncé qu'elle allait bientôt annoncer qui sera en charge du programme nucléaire, avec 4 candidats restants.

L'énergie nucléaire et l'Arabie saoudite continuent de provoquer des troubles, mais pas dans le monde occidental. En 2003, il y a déjà eu un tollé dans la région lorsqu'il est apparu que le royaume saoudien voulait fabriquer la bombe atomique. En 1988, les Saoudiens ont acheté aux Chinois des missiles qui peuvent atteindre n'importe quelle cible au Moyen-Orient. Et en 1984, une équipe militaire saoudienne, dont faisait partie le prince Sultan, alors ministre de la défense, a été reçue au Pakistan où elle a visité les installations nucléaires en compagnie de Nawaz Sharif, alors Premier ministre du Pakistan. Le scientifique pakistanais, Abdul Qadeer Khan, père spirituel de la bombe atomique pakistanaise, a fourni au prince saoudien des informations sur l'énergie nucléaire et la bombe atomique. En 2012, le Pakistan et l'Arabie saoudite ont signé un accord de coopération mutuelle sur l'énergie nucléaire.

La question a longtemps été minimisée par les États-Unis : l'Arabie saoudite n'a-t-elle pas été un allié privilégié des États-Unis pendant des décennies ? Les relations entre les États-Unis et l'Arabie saoudite semblent se détériorer sous l'influence de la nouvelle politique étrangère "idéaliste" de Biden. Le président John Biden a souligné que sa politique étrangère serait désormais déterminée par les droits de l'homme - même si ces droits sont interprétés de manière hypocrite par les États-Unis dans leurs relations avec certains pays comme la Colombie et le Maroc.

La politique étrangère "idéaliste" crée des tensions entre les États-Unis et l'Arabie saoudite. Par exemple, les rebelles houthis au Yémen (qui luttent contre le régime légal yéménite, soutenu par l'Arabie saoudite) ne sont plus considérés comme des terroristes par les États-Unis. Les États-Unis ont également annulé un contrat de vente d'armes à l'Arabie saoudite. 
 
La Chine exploite toutes les failles laissées par l'Occident

Le programme nucléaire saoudien a été lancé en 2018 avec le soutien de la Chine. Israël et les États-Unis ne sont pas à l'aise avec cela. Pékin a aidé à mettre en place une usine saoudienne pour extraire le yellowcake des minerais d'uranium. Se pourrait-il que Riad penche de plus en plus vers de bonnes relations diplomatiques avec Pékin plutôt que de poursuivre ses relations avec les États-Unis ?

Si ce scénario se vérifie, les autorités pakistanaises pourraient bien être la passerelle vers de nouvelles relations sino-saoudiennes élargies. Ce n'est peut-être pas sans importance que le royaume saoudien a décidé, début octobre, d'offrir au Pakistan - qui connaît de graves difficultés économiques - une enveloppe financière de 4,2 milliards de dollars.

Il n'est pas surprenant que des rumeurs fassent état d'un nouvel axe Chine-Arabie saoudite-Pakistan, dont la plaque tournante serait le port de Gwadar au Pakistan, sur les rives de la mer d'Oman. Islamabad a cédé le contrôle du port à une entreprise d'État chinoise en 2013. Le port revêt une importance stratégique pour la Chine, car plus de la moitié du pétrole importé par la Chine provient de la région du Golfe et passe par le détroit d'Ormuz, situé à 650 kilomètres à peine de Gwadar. Gwadar est l'un des principaux points économiques de la route chinoise "One Belt One Road"


Lors de sa visite au Pakistan au mois de février 2021, le prince saoudien Sultan a annoncé que le royaume allait investir dans la raffinerie de pétrole de Gwadar. La Chine et l'Arabie saoudite ont de lourds intérêts géoéconomiques dans les infrastructures pakistanaises.

À la lumière du partenariat entre la Chine, le Pakistan et l'Arabie saoudite, le partenariat entre la Chine et l'Iran revient également sur le devant de la scène. La Chine pourrait jouer le rôle de médiateur afin d'accélérer l'amélioration des relations entre l'Arabie saoudite et l'Iran.  Après tout, l'Arabie saoudite, qui est actuellement plutôt isolée sur le plan géopolitique, a besoin de nouveaux partenaires. Si le royaume saoudien parvient à optimiser ses relations avec la Chine et à mettre sur les rails ses relations avec l'Iran, alors les ambitions nucléaires de l'Arabie saoudite pourront également se concrétiser. En tout état de cause, elle ne favorisera pas le calme géopolitique au Moyen-Orient et en Asie centrale, mais elle modifie fondamentalement le cadre géopolitique de la région.
 
Peter Logghe

samedi, 25 décembre 2021

Biden atlantiste contre Poutine eurasien

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Biden atlantiste contre Poutine eurasien

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitica.ru/article/atlantist-bayden-vs-evraziec-putin

L'escalade des relations entre la Russie et les États-Unis après l'arrivée de Joe Biden à la présidence et l'aggravation de la situation autour de l'Ukraine, ainsi que la tension croissante sur le périmètre des frontières russes (actions provocatrices des navires de l'OTAN dans le bassin de la mer Noire, manœuvres agressives des forces aériennes américaines le long des frontières aériennes russes, etc.) - tout cela a une explication géopolitique tout à fait rationnelle. La racine de tout doit être recherchée dans la situation qui a émergé à la fin des années 80 du vingtième siècle, lorsque l'effondrement des structures du camp soviétique a eu lieu. En même temps que le socialisme en tant que système politique et économique, une construction géopolitique solide et de grande ampleur, qui n'a pas été créée par les communistes, mais représentait une continuation historique naturelle de la géopolitique de l'Empire russe, s'est effondrée. Il ne s'agissait pas seulement de l'URSS, qui était un successeur direct de l'Empire et comprenait des territoires et des peuples rassemblés autour du noyau russe bien avant l'établissement du pouvoir soviétique. Les bolcheviks - sous Lénine et Trotsky - en ont perdu une grande partie au début, puis avec beaucoup de difficultés - sous Staline - l'ont regagnée (avec davantage encore de territoires). L'influence de la Russie en Europe de l'Est n'a pas non plus été uniquement le résultat de la Seconde Guerre mondiale, poursuivant à bien des égards la géopolitique de la Russie tsariste. L'effondrement du pacte oriental et l'effondrement de l'URSS n'étaient donc pas seulement un événement idéologique, mais une catastrophe géopolitique (comme le président Poutine lui-même l'a déclaré sans équivoque).

Dans la Russie des années 1990, sous le règne d'Eltsine et de la toute-puissance des libéraux pro-occidentaux, le processus de désintégration géopolitique s'est poursuivi, avec en ligne de mire les territoires du Caucase du Nord (première campagne de Tchétchénie) et, à plus long terme, d'autres parties de la Fédération de Russie. Pendant cette période, l'OTAN s'étendait librement et rapidement vers l'Est, incorporant presque entièrement l'espace de l'Europe de l'Est (les anciens pays du Pacte de Varsovie) ainsi que les trois républiques baltes de l'URSS - Lituanie, Lettonie et Estonie. Ce faisant, tous les accords avec Moscou ont été rompus. Washington a promis à Gorbatchev que même une Allemagne unie gagnerait en neutralité après le retrait des troupes soviétiques de la RDA et, de plus, aucune expansion de l'OTAN n'avait été envisagée. Zbigniew Brzezinski a déclaré avec franchise et cynisme en 2005 lorsque je lui ai demandé directement comment il se faisait que l'OTAN se soit étendue au mépris de ces promesses faites à Gorbatchev : "nous l'avons trompé". Gorbatchev a également été trompé par l'Occident en ce qui concerne les trois républiques baltes.

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Le nouveau chef de la Russie, Boris Eltsine, s'est vu promettre une nouvelle fois qu'aucune des anciennes républiques soviétiques restantes ne serait admise dans l'OTAN. Immédiatement, l'Occident a commencé à créer, selon son habitude, divers blocs dans l'espace post-soviétique - d'abord le GUAM, puis le Partenariat oriental - avec un seul objectif : préparer ces pays à l'intégration dans l'Alliance de l'Atlantique Nord. "Nous avons triché, nous avons triché et nous continuerons à tricher", ont proclamé les atlantistes presque ouvertement, sans honte.

En Russie même, les cinquième et sixième colonnes au sein de l'État ont adouci le choc et contribué au succès de l'Occident à tous les coups. Poutine a récemment décrit comment il a éliminé les espions américains directs de la structure de gouvernance du pays, mais il est clair qu'il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg - il ne fait aucun doute que la majeure partie du réseau atlantiste occupe toujours des postes influents au sein de l'élite russe.

Ainsi, dans les années 1990, l'Occident a tout fait pour transformer la Russie, sujet de la géopolitique qu'elle était à l'époque de l'URSS et de l'Empire russe (c'est-à-dire presque toujours - à l'exception de l'époque des conquêtes mongoles), en objet. C'était la "grande guerre continentale", l'encerclement du Heartland, la constriction de "l'anaconda" autour de la Russie.

Dès son arrivée au pouvoir, Poutine a entrepris de sauver ce qui pouvait encore l'être. C'était opter pour la voie de la souveraineté. Dans le cas de la Russie - compte tenu de son territoire, de son histoire, de son identité et de sa tradition - être souverain signifie être un pôle indépendant de l'Occident (car les autres pôles sont soit très inférieurs à l'Occident en termes de puissance, soit, contrairement à l'Occident, ne prétendent pas étendre agressivement leur modèle civilisationnel). L'orientation même de Poutine vers la souveraineté et le retour de la Russie dans l'histoire impliquait une augmentation de la confrontation. Et cela a eu un effet naturel sur la diabolisation croissante de Poutine et de la Russie elle-même en Occident. Comme l'a déclaré Darya Platonova dans une émission de Channel One, "la ligne rouge pour l'Occident est l'existence même d'une Russie souveraine". Et cette ligne a été franchie par Poutine presque immédiatement après son arrivée au pouvoir. 

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L'Occident et la Russie sont comme deux vases communicants : s'il y a du flux vers l'un, il y a du flux hors de l'autre, et vice versa. Jeu à somme nulle. Les lois de la géopolitique sont strictes, et nous en étions convaincus sous Gorbatchev et Eltsine - ils voulaient être les amis de l'Occident et partager ensemble le pouvoir sur le monde. L'Occident a pris cela comme un signe de faiblesse et de capitulation. Nous gagnons, vous perdez, signez ici. Cette formule du néoconservateur Richard Perle ("nous gagnons, vous perdez, signez ici") a été la base des relations avec la Russie post-soviétique. Mais c'était comme ça avant Poutine.

Poutine a dit "stop". Doucement et tranquillement au début. Puis il n'a pas été entendu. Puis, dans le discours de Munich, il y a été plus fort. Et encore une fois, ses propos n'ont suscité que de l'indignation, semblant être une "farce inappropriée".

Les choses sont devenues plus sérieuses en 2008, et après le Maïdan atlantiste, la réunification ultérieure avec la Crimée, et le retrait du Donbass hors de l'orbite de Kiev et le succès des forces russes en Syrie - la situation est devenue plus grave que jamais. La Russie est redevenue un pôle souverain, s'est comportée comme tel et a parlé à l'Occident en tant que tel. Trump, davantage préoccupé par la politique nationale américaine, n'y a pas prêté beaucoup d'attention car il a adopté une position réaliste sur les Relations internationales. Et cela signifie prendre au sérieux la souveraineté et une erreur de calcul purement rationnelle - comme dans les affaires - des intérêts nationaux en dehors de tout messianisme libéral. De plus, Trump n'était apparemment pas du tout conscient de l'existence de la géopolitique.

Mais l'arrivée de Biden a aggravé la situation à l'extrême. Derrière Biden aux États-Unis se profilent les faucons les plus radicaux, les néoconservateurs (qui détestent Trump pour son réalisme) et les élites mondialistes qui diffusent fanatiquement une idéologie ultra-libérale. L'impérialisme atlantiste se superpose au messianisme LGBT. Un mélange détonnant de pathologie géo-idéologique et de gendérisme. La Russie indépendante et souveraine (polaire) de Poutine est une menace directe pour ces deux éléments. Ce n'est pas une menace contre l'Amérique, mais contre l'atlantisme, le mondialisme et le libéralisme gendériste. Mais la Chine actuelle est également de plus en plus souveraine.

C'est dans cette situation que Poutine informe l'Occident de ses "lignes rouges". Et ce n'est pas quelque chose de frivole. Il y a derrière cela un contrôle concret des réalisations spécifiques de la Russie. Jusqu'à présent, il n'est pas question que l'Europe de l'Est soit écartée de l'Eurasie. Le statu quo des États baltes est reconnu. Mais l'espace post-soviétique est une zone de responsabilité exclusive de la Russie. Cela concerne principalement l'Ukraine, mais aussi la Géorgie et la Moldavie. D'autres pays n'expriment pas ouvertement leur désir d'adopter une position agressive contre Moscou et de fusionner avec l'Occident et l'OTAN. 

Toute faux finit par trouver une pierre. Biden l'atlantiste contre Poutine l'eurasien. Il y a un choc entre deux points de vue totalement exclusifs l'un de l'autre - noir et blanc. "Le grand échiquier", comme l'a dit Brzezinski. L'amitié ne peut pas gagner dans une telle situation. Cela signifie deux choses : soit la guerre est inévitable, soit l'une des parties ne peut pas supporter la tension et abandonne ses positions sans se battre. Les enjeux sont extrêmement élevés : le sort de l'ordre mondial tout entier est en jeu.

L'Ukraine n'est qu'une figure mineure dans le Grand Jeu. Oui, c'est une pierre d'achoppement aujourd'hui. Pour la Russie, il s'agit d'une zone vitale en termes de géopolitique. Pour l'Occident, elle n'est qu'un des maillons de l'encerclement de la Russie-Eurasie par la "stratégie de l'anaconda" atlantiste. Laisser l'Ukraine adhérer à l'OTAN ou autoriser la présence de bases militaires américaines sur son sol est un coup fatal porté à la souveraineté de la Russie, qui annule la quasi-totalité des réalisations de Poutine. Insister sur les "lignes rouges", c'est se préparer à la guerre.

Dans une telle situation, le compromis est impossible. Certains perdent, d'autres gagnent. Avec ou sans guerre.

Il est évident que la sixième colonne (personne n'écoute la cinquième colonne au pouvoir aujourd'hui) perd tout en cas de confrontation directe avec l'Occident en Ukraine, ou simplement lorsque le conflit passe à la phase chaude. Un changement dans la politique russe est inévitable - et il est évident que les figures patriotiques vont passer au premier plan. C'est pourquoi aujourd'hui, non seulement les libéraux du système (presque officiellement enregistrés comme agents étrangers), mais aussi de nombreuses autres personnes, qui ne peuvent formellement pas être soupçonnées d'être occidentalisées, persuadent Poutine, au sein de l'élite russe, de se retirer. Toutes sortes d'arguments sont en jeu : le sort de Nord Stream 2, la déconnexion de SWIFT, le retard technologique imminent, l'isolement, etc. Les mêmes arguments ont été utilisés en 2008, et après Maidan, et en Syrie. Poutine en est probablement bien conscient, et il reconnaîtra immédiatement le pouvoir qui se cache derrière ces marcheurs d'élite de Bruxelles et de Washington. Donc ils feraient mieux de ne pas essayer.

La seule façon de gagner une guerre - de préférence sans combat - est de s'y préparer pleinement et de ne céder aucune des positions vitales.

L'espace post-soviétique ne devrait être sous le contrôle stratégique que de la Russie. Aujourd'hui, non seulement nous le voulons, mais nous pouvons le faire. Et qui plus est : nous ne pouvons pas faire autrement.  Mais le statut des États baltes (déjà membres de l'OTAN) et nos projets pour l'Europe de l'Est peuvent être discutés.  Cela va au-delà des "lignes rouges" - un compromis est également possible ici.

Notre bref aperçu géopolitique le montre : Poutine a changé la signification géopolitique même de la Russie, la transformant d'un objet (ce qu'était la Russie dans les années 1990) en un sujet. Le sujet, en revanche, se comporte très différemment de l'objet. Elle insiste sur les siens, découvre et désigne les tromperies, entraîne une réponse, marque sa zone de responsabilité, résiste et pose des exigences, des ultimatums. Et le plus important : le sujet a suffisamment de pouvoir, d'envergure et de volonté pour mettre tout cela en pratique.

La crise des relations avec l'Occident, que nous connaissons aujourd'hui, est un signe sans équivoque de l'énorme succès de la géopolitique de Vladimir Poutine, qui, d'une main de fer, conduit la Russie vers le renouveau et le retour à l'histoire. Et dans l'histoire, nous avons toujours été capables de défendre nos "lignes rouges". Et sont souvent allés bien au-delà. En tant que vainqueurs, nos troupes ont visité de nombreuses capitales européennes, notamment Paris et Berlin. Bruxelles, Londres et... qui sait - peut-être même Washington un jour. À des fins purement pacifiques.

mardi, 30 novembre 2021

Pourquoi les États-Unis, la Chine et la Russie veulent s'emparer du Groenland

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Pourquoi les États-Unis, la Chine et la Russie veulent s'emparer du Groenland

Antonio Fernandez

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/35765-2021-10-31-12-06-59

En 1867, les États-Unis ont acheté l'Alaska à la Russie pour 7,2 millions de dollars. La soif de territoire émanant de Washington n'a pas cessé depuis. Il y a deux ans, le président Donald Trump a proposé au Danemark d'acheter le Groenland, la plus grande île du monde, de plus de 2 millions de kilomètres carrés, alors qu'elle ne compte que 60.000 habitants, pour la plupart des Inuits. La Chine et la Russie veulent également prendre le contrôle du Groenland dans une course qui rappelle la fièvre colonialiste de la fin du 19ème siècle.

Le Groenland est devenu un territoire contesté à la fois entre Pékin et Washington, dont l'offre d'achat lancée par Trump a été qualifiée d'"absurde" par le gouvernement danois. La région fait partie du Danemark, mais jouit d'une large autonomie depuis l'adoption d'un statut en 2009. Le Groenland n'appartient pas à l'Union européenne, mais ses relations diplomatiques et militaires, ainsi que la santé de son économie basée sur la pêche, dépendent de Copenhague.

Le potentiel de cette immense île se cache derrière le différend géopolitique actuel entre les grandes puissances. Le Groenland possède d'énormes richesses naturelles qui n'ont pas encore été exploitées, mais c'est sa situation géographique qui en fait un butin potentiel très alléchant. La recherche de nouvelles voies de communication à travers le pôle Nord a été alimentée ces dernières années par la fonte des océans, qui rend les distances de plus en plus courtes pour les États impliqués dans la lutte géostratégique, comme la Russie et la Chine. La fonte des glaces de l'Arctique facilite le transport entre l'Asie et l'Europe sans qu'il soit nécessaire de passer par des canaux tels que le canal de Suez ou de Panama, ce qui raccourcit les temps de transit de 15 jours. En termes simples, le secrétaire d'État à la marine américaine, Richard Spencer, a exprimé ce qui se passe dans cette partie de l'Arctique en disant que "toute cette maudite chose a fondu".

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Les experts estiment que près de 13 % des réserves mondiales de pétrole se trouvent sous la surface du Groenland, selon l'US Geological Survey, mais il n'est actuellement pas rentable de les extraire en raison des complexités techniques liées à l'exploitation de ce territoire au climat polaire et à la glace permanente. Le sous-sol contient également quelque 38,5 millions de tonnes de terres rares (néodyme, dysprosium, yttrium, ainsi que de l'uranium, du zinc et de l'or), dont l'exploitation est vitale pour la production de nouvelles technologies, domaine dans lequel la Chine devance les États-Unis dans l'extraction et la transformation de ces éléments.

Les États-Unis, qui disposent d'une base radar sur Thulé depuis 1941, ont récemment séduit les autorités de l'île avec un programme d'aide de 12,1 millions de dollars consacré à l'extraction de matières premières, au tourisme et à l'éducation. Les analystes considèrent essentiellement cette aide comme un moyen d'étendre la présence militaire américaine sur l'île et aussi comme un élément d'une stratégie visant à contrebalancer la présence russe et chinoise. En outre, la promesse d'argent frais a semé la division entre les autorités groenlandaises, favorables à un coup de pouce américain, et le Danemark, qui y voit une provocation.

La Chine souhaite également reproduire dans l'Arctique le succès de la route de la soie prévue pour l'océan Indien et la Méditerranée. Pour ce faire, elle doit conclure des accords avec les autorités régionales en échange de routes et d'infrastructures. Elle a déjà essayé avec l'Islande, lorsqu'elle a échoué dans sa tentative de construire un grand port qui n'a finalement pas été approuvé. Les entreprises chinoises sont présentes au Groenland depuis 2008.

La guerre des brise-glace

Mais l'acteur le plus puissant dans l'Arctique est sans aucun doute la Russie, qui, selon RT, a construit 10 stations polaires, 16 ports, 13 aérodromes et même 10 stations de défense aérienne. La Russie a sa propre stratégie globale pour l'Arctique et a créé il y a plusieurs années une structure militaire axée sur cette région, le "Commandement du Nord". Moscou a investi massivement dans la construction de sept bases dans l'océan Arctique, notamment dans la mer de Barents, à la frontière norvégienne. La Russie est également le pays qui possède le plus grand nombre de brise-glace pour aider les navires à naviguer dans ses eaux gelées. Ces grands navires sont essentiels car ils peuvent naviguer partout. Moscou en possède sept dotés de réacteurs nucléaires et 20 autres brise-glace conventionnels, contre deux aux États-Unis.

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Pour toutes ces raisons, l'amiral américain Paul Zukunft a conclu il y a longtemps que "nous ne jouons pas avec la Russie dans la même catégorie". Nous ne jouons même pas le jeu. Sur cet échiquier qu'est l'Arctique, les Russes nous ont mis échec et mat dès le départ", aurait-il déclaré dans le magazine Newsweek.

En 2008, les cinq pays possédant un territoire arctique (le Danemark, la Russie, les États-Unis, la Norvège et le Canada) ont signé la déclaration dite d'Ilulissat, dans laquelle ils s'engagent à maintenir la paix et la stabilité dans la région tout en respectant les conventions des Nations unies visant à protéger la zone contre les conflits. L'inquiétude grandit face à l'accélération de la concurrence entre les grandes puissances pour obtenir une part du gâteau convoité.

Source : La Razón

lundi, 29 novembre 2021

Vladislav Surkov : chaos politique ou retour des intérêts particuliers ?

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Vladislav Surkov: chaos politique ou retour des intérêts particuliers?

par Markku Siira

La menace d'une "instabilité irréversible" grandit en Russie, mais le pays doit veiller à ne pas lancer des "expériences de libéralisme" risquées qui pourraient facilement échouer, avertit Vladislav Surkov, ancien conseiller de Vladimir Poutine.

Dans un article récent, Surkov utilise l'analogie de l'entropie pour décrire comment le chaos se développe dans un système fermé. Il soutient qu'un État fort est nécessaire pour contenir ce qu'il appelle "l'entropie sociale".

Surnommé le "cardinal gris" du Kremlin, l'ancien personnage clé a servi sous Poutine à différents postes depuis 1999, jusqu'en février 2020. M. Surkov a souvent été considéré comme l'un des premiers instigateurs du "poutinisme" et comme un superviseur de la direction de l'organisation de jeunesse politique Nashi, par exemple.

Selon des sources occidentales, il a également été l'architecte de la campagne de propagande anti-Kiev et du mouvement séparatiste pro-russe dans la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine. Dès les premiers jours de la crise ukrainienne, les États-Unis ont également ajouté M. Surkov à leur première liste de sanctions dirigées contre des Russes de premier plan.

Selon M. Surkov, au cours des vingt premières années du 21ème siècle, la Russie a réussi à maintenir la stabilité "après le chaos social des années 1990" et à sortir "un pays traumatisé des ruines de la perestroïka". "On se souviendra certainement un jour de ces années comme d'un âge d'or", réfléchit M. Surkov.

Tôt ou tard, cependant, le pays connaîtra "davantage de chaos", car l'État ne parvient pas à répondre à toutes les aspirations de ses citoyens. Mais M. Surkov estime que le Kremlin ne doit pas tenter de faire face aux troubles en ouvrant le système politique, car cela pourrait conduire à une "explosion incontrôlée" de la colère publique et à une "instabilité irréversible".

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Le dernier rappel de Surkov sur la possibilité d'une entropie accrue n'est pas la première fois qu'il prend position contre une réforme politique radicale.

Dans une interview accordée au Financial Times au début de l'année, M. Surkov a affirmé que la société devait être gouvernée de manière à trouver "un bon compromis entre le chaos et l'ordre". Il a comparé Poutine à l'empereur romain Octave Auguste, "qui a combiné les aspirations des républicains qui avaient tué César avec celles des gens du peuple qui voulaient une dictature directe".

"Une overdose de liberté est la mort de l'État", a-t-il déclaré. "Tout ce qui est médicament peut aussi être poison, c'est juste une question de dosage", a expliqué M. Surkov à un journaliste stupéfait, travaillant pour un magazine économique dans un restaurant de Moscou. Mais la deuxième loi de la thermodynamique ne peut être renversée: le chaos et le désordre se cachent toujours derrière le développement et l'ordre.

Mais il est imprudent d'ignorer l'actuelle "absence de problèmes", avertit M. Surkov dans son article. L'idéologie des silencieux est désagréable car elle est "non dite et donc non structurée, sombre et incohérente". Si son heure vient (même si elle est éphémère), elle "s'effondrera dans l'ordre existant des choses, sans objectifs intelligibles".

Lorsque la majorité silencieuse des Russes a été attirée sur la scène politique à la fin des années 1980, personne n'a compris ce qu'elle voulait vraiment : "Comment pouvons-nous vous comprendre si vous ne dites rien ? Lorsque [l'élite politique] a essayé de faire parler les gens, ils ont tellement écouté qu'ils ont été étonnés et finalement complètement désorientés", écrit M. Surkov.

En conséquence, "les dirigeants confus de l'Union soviétique" ont tiré sans discernement et les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. En fait, avant le Comité central et le Gosplan, qui était chargé de la planification économique, mûrissait "une société non planifiée, non soviétique, incompréhensible et turbulente, prête à la première occasion à se précipiter follement et impitoyablement dans toutes sortes de problèmes".

Le fait que, en théorie, l'entropie tend à augmenter dans les systèmes fermés semble suggérer une approche simple de résolution des problèmes : ouvrir le système, "laisser sortir la vapeur" et le chaos recule à nouveau pendant un certain temps. Cependant, Surkov trouve cette simplicité trompeuse. Les expériences libérales en politique intérieure sont risquées.

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La pression exercée sur le système politique russe, "ce réacteur social qui fonctionne bien actuellement", risque d'entraîner "des explosions incontrôlées de troubles civils qui pourraient conduire à une instabilité irréversible, comme l'ont montré les exemples édifiants des années 1980 et 1990".

"Pendant des siècles, l'État russe n'a survécu, avec son cadre et avec sa politique intérieure bien implantée, qu'en se battant sans relâche au-delà de ses propres frontières", déclare l'idéologue du Kremlin. "Pour la Russie, l'expansion constante n'est pas seulement une idée, mais une condition existentielle de notre existence historique."

"Les techniques impériales sont toujours efficaces aujourd'hui, lorsque les empires sont rebaptisés superpuissances. Le consensus de Crimée est un exemple vivant de la consolidation de la société au détriment du chaos dans un pays voisin. Les plaintes de Bruxelles et de Washington concernant l'ingérence de Moscou et l'impossibilité de résoudre les conflits majeurs dans le monde sans l'implication de la Russie montrent que notre État n'a pas perdu son instinct impérial", se vante M. Surkov.

"Cependant, la plus grande cause des diverses perturbations sur les marchés politiques du monde est incarnée par les États-Unis", soupire le cardinal gris. Il admet sarcastiquement que "l'instabilité américaine" a été une "marque rentable" pour laquelle "la demande a été phénoménale".

"L'État compense les déséquilibres sauvages de son budget surréaliste par la circulation absurde du dollar, qui a depuis longtemps cessé d'être tant une monnaie qu'une unité d'entropie économique, un virus du chaos propageant une pandémie de bulles et de déséquilibres économiques à travers la planète", explique M. Surkov.

"L'exportation de révolutions de couleur et de guerres constructives, apparemment au point mort, reprendra immédiatement, dès que les importateurs de démocratie se seront un peu détendus. L'éthique expérimentale des Etats-Unis va soulever une tempête dans l'esprit des Africains, des Asiatiques et de nos Eurasiens et choquer l'esprit des traditionalistes", estime l'ancien conseiller.

Une autre grande puissance, la Chine, reçoit également un commentaire de Surkov, qui a également publié un livre de poésie, dans l'esprit de l'entropie. Selon lui, "la modération de la Chine masque les vastes réserves de chaos accumulées par une nation disciplinée". M. Surkov affirme que "si vous tendiez l'oreille à la Grande Muraille de Chine, vous pourriez entendre ce barattage".

L'idéologue russe, planant dans les sphères impériales, imagine-t-il la Chine, qui voyage déjà dans l'espace, s'effondrer comme l'Union soviétique ? Quoi que l'on pense de la politique interne et du système d'évaluation du crédit social de la superpuissance asiatique, le "communisme capitaliste" chinois sous Xi Jinping semble plus résistant et le système du pays plus stable que le socialisme soviétique ne l'a jamais été.

"Pékin se hisse régulièrement au sommet du monde et la situation géopolitique rappelle à de nombreuses personnes la vie près du volcan Vésuve : tout va bien, mais quand la Chine commencera à entrer en éruption, quel endroit deviendra Pompéi ?" spécule Surkov.

Le courant de conscience de Surkov atteint également l'Europe. L'Union, "dans un état quantique étrange, soit encore en formation, soit déjà désintégrée, pourrait à long terme être à la fois une source de chaos et un moyen de l'atténuer".

Pour M. Surkov, la dernière option - l'éclatement de l'UE - "semble plus probable, du moins à court terme, car la structure de gouvernance eurocratique est molle et complètement dysfonctionnelle". Si cette tendance se poursuit, l'UE deviendra "un dépotoir politique florissant où les vagabonds et les espions de toute la planète entasseront les haines de classe et de race qui s'envenimeront".

Les "émissions d'entropie sociale des systèmes politiques des grands États, telles que les émissions de carbone de leurs économies", peuvent en principe être contrôlées. Mais jusqu'à quel point les différences géopolitiques doivent-elles s'approfondir avant que les grandes puissances puissent s'entendre sur une nouvelle façon de vivre ensemble ?

Les exemples historiques déçoivent Surkov. "Tant les accords de paix de Münster que le congrès de Vienne et la conférence de Yalta n'ont été possibles et réussis qu'après que le chaos eut atteint le niveau de l'enfer."

Pour le Cardinal gris, une "redistribution de l'influence" serait nécessaire. Et "tôt ou tard, officiellement ou officieusement, secrètement ou ouvertement", cela se produira, dit-il, "inévitablement". Ce point de vue ne plaira certainement pas aux zélateurs de la politique de sécurité de l'Ukraine, des États baltes ou, disons, de la Finlande.

"S'il n'y a pas d'accord, les turbulences générées par les superpuissances vont commencer à entrer en collision et créer des tempêtes géopolitiques destructrices. Pour éviter de telles collisions, chaque courant doit être canalisé dans sa propre direction", imagine M. Surkov, comme s'il rédigeait un pacte Molotov-Ribbentrop d'un genre nouveau.

Pendant ce temps, le monde connaît un moment de "multipolarité, un défilé de nationalismes et de souverainetés post-soviétiques". Mais au cours du prochain cycle historique, la "globalisation et l'internationalisation", aujourd'hui oubliées, reviendront et dépasseront cette obscure multipolarité.

Il se peut alors, estime M. Surkov, que "la Russie ait sa part dans le nouvel ordre mondial des pays (ou plutôt des espaces), ce qui renforcera sa position en tant que l'un des rares globalisateurs, comme à l'époque de la Troisième Rome ou de la Troisième Internationale".

Pour M. Surkov, l'expansion de la Russie n'est ni une bonne ni une mauvaise chose, mais plutôt une loi de la physique. La délimitation de "sphères d'influence" entre les grandes puissances est urgente si l'on veut éviter des confrontations à grande échelle dans un monde multipolaire ou sans pôles où la bataille pour la suprématie de l'intelligence artificielle se poursuit.

Source: https://markkusiira.com/2021/11/24/vladislav-surkov-poliittinen-kaaos-vai-etupiirien-paluu/

Konrad Rękas : Jeder Tritt ein Britt ! - ou encore quelques lignes sur le système britannique

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Konrad Rękas : Jeder Tritt ein Britt ! - ou encore quelques lignes sur le système britannique

Source: https://myslkonserwatywna.pl/rekas-jeder-tritt-ein-britt-czyli-jeszcze-o-systemie-brytyjskim/?fbclid=IwAR1y9ZEev0wp8A_wUNMFC2cRuHcS2Bgr_KANm4LuHCmrk7U3p1jCL8zaLJI

Je ne suis en aucun cas un anglophobe. En fait, je ne suis même pas brittophobe, si l'on se souvient que la notion même de Royaume-Uni politique a été inventée pour renforcer le pouvoir des souverains écossais de la dynastie Stuart, par ailleurs sympathiques. En outre, depuis que j'ai posé le pied sur les îles, il y a une trentaine d'années, en y faisant mes études et en y retournant fréquemment, j'avoue aimer presque tout ce qui vient d'Angleterre, du Pays de Galles et surtout d'Écosse, y compris la ou les langues, la cuisine, les spiritueux, le style vestimentaire traditionnel, les bâtiments et l'ameublement, jusqu'à l'humour et, bien sûr, l'école de pensée politique et le système juridique, à mon humble avis une pratique bien plus efficace que le système continental à bien des égards. En un mot, j'imite bien involontairement tant d'amoureux de tous ces biens et valeurs avant moi, pour ne citer que Roman Dmowski lui-même.

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Le système de Mme Bucket

Et pourtant, pour les mêmes raisons que lui, je n'arrive parfois pas à me défaire de cet étrange mélange de fascination et de sympathie irrationnelle des Polonais pour l'Angleterre, et surtout pour les classes dirigeantes anglaises. Les mêmes classes qui (comme Cat l'a si bien écrit), de toute l'Europe, avaient parfois un peu de considération pour (certains) des Allemands, gardant un intérêt personnel doublé d'un sentiment de supériorité pour les Américains, et méprisant unanimement le reste du monde au point de ne plus tenir compte du néant des autres. Car, de même qu'il est impossible de ne pas apprécier les réalisations anglaises, et plus tard britanniques, elles ne peuvent en aucun cas inspirer la sympathie, elles ne le sont pas et n'ont jamais été destinées à le faire. "Que chacun fasse ce qu'il veut" - cet ordre enthousiaste du duc de Wellington à Waterloo décrit le mieux à la fois le caractère unique reconnu du système britannique et l'attitude extérieure la plus appropriée à son égard.

Quant aux questions sociales et organisationnelles elles-mêmes, plus encore que le système, pendant des siècles, le système politique de la Grande-Bretagne ressemblait à ceci : la monarchie et l'aristocratie concentraient sur elles les intérêts et les complexes des classes moyennes, tous les Bucketheads du monde. Dans le même temps, l'Église anglicane veille à l'obéissance des pauvres et de la classe ouvrière. Et la véritable gouvernance et les affaires avaient lieu à l'extérieur ou derrière cette crèche quasi-monarchique et pseudo-religieuse. Et grâce à cela, en fait, après Oliver Cromwell, la classe dirigeante de l'Angleterre n'a plus eu à se dévoiler, gouvernant derrière des rois faibles et figurants et des premiers ministres poussés au premier rang. La mort de Philip Battenberg n'a fait que rappeler ce rôle utilitaire de la maison britannique... au pouvoir. Le prince Philip lui-même - il est toujours bon de le rappeler - a couvert d'un manteau d'arrogance maladroite son rôle de leader, ou du moins de représentant, dans des initiatives qui ne révèlent leur pleine dimension civilisationnelle qu'après un demi-siècle. En bref, en nous concentrant sur la rusticité de l'aristocrate (quelle antinomie apparente, digne de Zorozh Ponimirski... !), nous n'avons pas vu qu'il était le porte-parole du climatisme précoce, de la dépopulation et d'une nouvelle stratification oligarchique à l'échelle mondiale.

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Le système de Mme Windsor

À propos, il convient peut-être de mentionner une curiosité à la jonction des questions qui nous intéressent - le système britannique, la position Battenberg-Sachs-Coburg-Gotha et le climatisme précisément. En effet, le système invisible du Royaume-Uni, récemment cité dans Mysl Konserwatywna (= Conservative Thought) par le Dr Adam Danek, conserve en fait ses freins législatifs, qui ont été mis en place par les occupants de Buckingham Palace. Quelques mois après que le Guardian ait rapporté que le gouvernement britannique consulte le tribunal sur la législation avant de la soumettre officiellement au Parlement, une pratique similaire a été révélée ( ?) en Écosse. Lors de la précédente législature du Parlement écossais, le parti au pouvoir, le Scottish National Party, négociant avec le soutien des Verts locaux (qui sont indépendantistes et fortement antimonarchistes), a proposé l'introduction d'une législation obligeant les propriétaires fonciers à vendre ou à louer les terrains nécessaires à l'installation d'équipements de transmission d'énergie renouvelable (éoliennes et fermes solaires). Et comme nous le savons - les plus grands propriétaires fonciers en Ecosse sont la Couronne et Elizabeth personnellement. Et il s'est avéré que le gouvernement écossais, qui ne recule devant aucun républicanisme, a accepté d'introduire, avant même la procédure parlementaire, des amendements exemptant de la nouvelle servitude uniquement les successions du monarque actuel. Insistons sur le fait qu'Elizabeth n'a pas bloqué, bien qu'elle aurait pu le faire, cette loi fondamentalement destructrice de la propriété, et qu'elle n'a pas non plus organisé d'exemptions pour ses copains aristocrates, mais qu'elle s'est contentée de rafistoler le bénéfice pour ses biens personnels. Le gouvernement autonome, à son tour, a dû admettre que cela avait été fait pour "assurer le bon fonctionnement de la nouvelle loi". Ainsi, avant que quelqu'un n'écrive quelque chose sur les "rois qui règnent, mais ne gouvernent pas", il serait préférable de vérifier ce que ces grands-pères-transquilles font réellement, ce qu'ils possèdent et à quoi ils servent...

Cette implication de la classe dirigeante britannique dans l'expansion du climatisme (qui, bien sûr, n'empiète sur aucun, même le plus petit, détail des intérêts des membres de cette élite) ne fait que confirmer la continuité de cette doctrine avec le courant plus large du libéralisme, principale matière d'exportation de la Grande-Bretagne depuis des siècles. Sans nous rappeler que ce ne sont nullement les États-Unis qui ont inventé l'impérialisme mondial sous la forme d'une propagation de leur propre système partout, il est également impossible de comprendre la spécificité systémique de la Grande-Bretagne. Et pourtant, c'est précisément de cette manière que Londres/City a neutralisé la concurrence européenne de la France et a finalement désintégré géopolitiquement l'Hispanidad. Alors - un autre paradoxe ! - une tentative similaire par rapport à la Russie, sous la forme de la révolution de février, a été katekhoniquement mais inconsciemment bloquée par les bolcheviks. Puis, à son tour, le parasite qui infeste la vieille Angleterre a commencé à se déplacer de l'autre côté de l'Atlantique, prenant la forme du démo-libéralisme, mais restant essentiellement le même ver solitaire qui se trouvait à Londres depuis au moins la bataille de Bosworth..... Et ce n'est en aucun cas une question indifférente pour l'anglophilie complaisante polonaise, car notre pays et notre nation - bien qu'en principe parfaitement moins qu'indifférents à Albion - ont langui quelque part en marge des intérêts de la City pour deux raisons seulement : la géopolitique/géoéconomie et l'idéologie qui les sert.

Pourquoi la Grande-Bretagne est l'ennemi de la Pologne

En ce qui concerne la première de ces questions, il convient de noter objectivement que les intérêts géopolitiques de l'Angleterre, puis de la Grande-Bretagne, aux alentours des 15ème/16ème siècles, étaient exclusivement opposés aux intérêts de la Pologne. Sans émotion ni sentiment, c'était et c'est toujours le cas. À partir du 15ème siècle, l'Angleterre commence à considérer la Moscovie naissante comme sa sphère d'influence, estimant qu'il est rentable d'acquérir une influence en Orient et de participer au commerce lucratif (notamment des fourrures) avec des perspectives d'expansion loin dans les steppes asiatiques et en Sibérie. C'est l'origine du conflit entre les intérêts anglais, puis britanniques, et les intérêts polonais, qui a duré pendant les trois siècles suivants. La Pologne/la Rzeczpospolita posait un problème, par exemple en faisant concurrence à Moscou pour les Inflants, c'est-à-dire l'accès aux ports de la Baltique, et en s'engageant périodiquement dans une compétition pour gagner de l'influence à l'Est. En un mot - se mettre en travers du chemin. Les Anglais ont donc essayé de manière pragmatique de lever l'obstacle polonais à plusieurs reprises, notamment dans le cadre d'un autre de leurs projets beaucoup plus vastes : le tissage de leur propre réseau d'internationalistes protestants, qui n'a même pas eu besoin d'une incitation spéciale des Anglais pour identifier correctement la République de Pologne comme le maillon faible du camp des États catholiques (traités comme un adversaire naturel). Et ce qui est caractéristique - de telles actions ont été prises par Elizabeth I, James VI, et dans la version améliorée surtout par Cromwell. Car c'est aussi l'un des éléments les plus importants du système anglo-britannique - l'immuabilité de la perception des intérêts géopolitiques/géo-économiques de la classe dirigeante, indépendamment de la gradation actuelle des objectifs et des nuances tactiques, sans parler des différences de politique interne qui sont alors reléguées au second plan. Comme on le sait, après des tentatives moins réussies - comme le Déluge et le traité de Radnot - la politique britannique a finalement triomphé lors des Partitions, dont Londres était l'auteur au moins complémentaire de Berlin. Il est toutefois important de noter que c'est à ce moment-là qu'un autre élément géopolitique important est apparu avec une clarté particulière, à savoir la contradiction croissante entre les intérêts britanniques et russes, déjà immanente bien sûr en raison de l'infériorité de cette dernière composante, mais tout juste perçue par les parties intéressées elles-mêmes.

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En fait, le premier dirigeant russe qui a tenté de limiter l'influence de Londres est Pierre III, et plus tard surtout son fils, l'empereur Paul (illustration, ci-dessus). De même, bien sûr, la contradiction existentielle absolument fondamentale entre la Grande-Bretagne et la Russie est devenue apparente avec l'émergence de la Russie dans les positions eurasiennes et, plus important encore, la prise de conscience mutuelle des implications que recelait cette situation. Dans le même temps, la contradiction entre les intérêts polonais et britanniques s'est poursuivie sans relâche, mais dans ce cas, malheureusement, elle est devenue de moins en moins claire et compréhensible pour ceux de nos ancêtres qui ne comprenaient pas qu'ils se battaient dans des soulèvements non pas pour la Pologne, mais pour l'exportation mondiale de l'idéologie libérale.

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Le 19ème siècle polonais a été une grande lutte entre le conservatisme polonais et un libéralisme intrinsèquement cosmopolite, bien que formellement britannique à l'époque et américain aujourd'hui, qui voulait une Pologne de non-conservatisme plutôt qu'une Pologne conservatrice. Malheureusement, au lieu des conservateurs polonais, ce sont nos défenseurs en réaction qui ont dû prendre part à ce combat. Principalement - des Russes, soutenus par moins de quelques Polonais conscients, qu'ils soient penseurs (comme Henryk Rzewuski et Michał Grabowski) ou praticiens (comme Aleksander Wielopolski et Kazimierz Krzywicki). Pour les besoins de l'argumentation, il convient d'ajouter que, bien que cela puisse difficilement être considéré comme une contribution indépendante - en tant que Polonais, nous avons également contribué au Grand Jeu géopolitique commun contre Albion, grâce auquel des noms tels que Jan Prosper Witkiewicz ou Bronisław Grąbczewski sont les rares parmi les dénominations polonaises que les Anglais conscients mentionnent avec appréciation, et certainement plus souvent que les Polonais eux-mêmes.

Gott strafe England

Ainsi, comme on peut le voir, l'ensemble du système britannique se compose à la fois de son côté formel et juridique (avec une monarchie usurpatrice loin d'être une façade et une forme distinctive de parlementarisme), d'un intérêt de classe très concret et conscient et des facteurs idéologiques qui le servent (autrefois sous la forme du libéralisme alternant avec une imitation libérale du conservatisme, aujourd'hui plus souvent sous la forme de diverses incarnations du libéralisme progressiste, y compris le climatisme) et, bien sûr, des facteurs géopolitiques et géoéconomiques. Tout cela constitue ensemble et inextricablement la britannicité politique, politique et sociale, ce qui devrait être instructif et un avertissement surtout pour la Pologne. Comme nous savons que depuis plusieurs centaines d'années, la Grande-Bretagne (même si elle occupe aujourd'hui une position beaucoup moins importante que son ancienne colonie américaine) n'est rien d'autre que l'hôte d'un parasite de la finance, un ver solitaire qui est le principal moteur du mondialisme, un phénomène qui n'est complété que par les phénomènes si infâmes du progressisme dans le monde occidental - nous devrions également comprendre que dans la réalité du triomphe du mondialisme, la finale de la Comédie non divine, il n'y a aucune place pour la Pologne.

Dans le même temps, cependant, nous n'avons aucune raison de rejeter a priori le scénario le plus improbable - l'apocastase géopolitique et idéologique. Puisque, selon Saint-Martin, même Satan peut être sauvé s'il se repent de ses péchés, même les États américains et l'Angleterre redevenus normaux mériteraient et deviendraient peut-être dignes d'un salut (pas seulement géopolitique). Bien que probablement ce n'est pas et ne sera pas le cours des événements appartenant à notre monde...

Konrad Rękas.

dimanche, 28 novembre 2021

"Le pouvoir des idées de l'unité russo-biélorusse"

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Le pouvoir des idées et l'unité russo-biélorusse

Daria Platonova

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/ideya-sila-rossiysko-belorusskogo-edinstva

En appliquant la doctrine géopolitique de Carl Schmitt, le processus de rapprochement Russie-Biélorussie que nous pouvons observer aujourd'hui, bien qu'à très faible vitesse, est la création d'un "Grand espace" (Großraum) - une alliance volontaire de plusieurs pays s'efforçant d'affirmer collectivement leur souveraineté. L'union des Etats en un seul bloc devient une "idée-puissance" (concept de G. Sorel).

Le 16 septembre, les manœuvres stratégiques des forces armées de Russie et de Biélorussie, baptisées "Ouest-2021" (Zapad-2021), se sont achevées avec la participation d'environ 200.000 militaires de Russie, de Biélorussie, ainsi que d'Inde, du Kazakhstan, de Kirghizie et de Mongolie. Un article du chroniqueur de la rubrique National Security, Mark Episcopos, publié dans la revue néoconservatrice américaine The National Interest, note que l'exercice démontre l'approfondissement des liens militaires entre la Russie et le Belarus. "Cela intervient à un moment où le président Lukashenko, qui se trouve dans une position difficile, subit une pression accrue des sanctions", note Episcopos.

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Dans un autre article, des observateurs de la société privée américaine de renseignement et d'analyse Stratfor (également appelée la "CIA de l'ombre") soulignent que les exercices confirment l'évolution de l'équilibre géopolitique du Belarus en faveur de la Russie ("l'exercice militaire West-2021 souligne la dépendance croissante du Belarus vis-à-vis de la Russie pour contenir l'opposition interne et les actions occidentales", et "pour la Russie, les exercices montrent son engagement à protéger le Belarus").

La plupart des analyses du partenariat russo-biélorusse, que l'on peut trouver dans le segment des médias russophones, se concentrent sur les relations économiques entre les deux pays : discussion sur la création de marchés communs du pétrole et de l'électricité, volumes des prêts russes, maintien des prix du gaz russe au niveau de l'année en cours, unification de la législation du travail et des principes de collecte des impôts indirects. Les libéraux, bien sûr, mettent en avant la "nature dictatoriale" du régime autoritaire de Loukachenko de toutes les manières possibles, et reprochent directement ou indirectement à Moscou son soutien.

Mais la plupart des commentateurs négligent le niveau et la signification sous-jacents des processus d'intégration des États alliés, ce qui est immédiatement remarqué par les publications occidentales dans leur analyse. Et ce n'est pas un hasard, car la géopolitique s'est formée dans le monde anglo-saxon (principalement aux États-Unis), et reste la principale discipline pour l'analyse des relations de politique étrangère.

En appliquant la doctrine géopolitique de Carl Schmitt, le processus de rapprochement entre la Russie et le Belarus que nous pouvons observer, bien qu'à très faible vitesse, est la création d'un "Grand espace" (Großraum) - une alliance volontaire d'un certain nombre de pays cherchant à affirmer collectivement leur souveraineté. L'"idée-puissance" (concept de G. Sorel) unit les États concernés en un seul bloc.  Dans le cas de la Russie et du Belarus, la question se pose de savoir quelle idéologie peut générer cette idée-puissance, ce qui peut lier les pays ensemble, alors qu'ils sont jusqu'ici divisés? Qu'est-ce qui, en dehors des intérêts économiques et des marchés communs, peut assurer l'unité civilisationnelle ? 

Le "pouvoir des idées" devrait se situer au-dessus du plan économique, car il ne s'agit pas d'une question de coopération situationnelle.  Le grand espace garantit une alliance durable des entités constitutives. En termes géopolitiques, la Russie et la Biélorussie visent cette alliance, en rétablissant la logique continentale en opposition à l'expansion de l'hégémonie des puissances atlantiques. Mais quelle idée-puissance se cachera derrière ce bloc géopolitique stratégique ? S'il n'y a pas de pouvoir des idées, tout peut s'écrouler, tout comme le Grand Espace de l'URSS s'est effondré lorsqu'il a perdu son "pouvoir des idées".

Les Velikorosses et les Biélorusses sont les branches d'un arbre dont la racine commune est l'ethnicité slave orientale. Il ne faut pas oublier que la troisième branche est constituée par les Ukrainiens ; l'idée même d'unir les Slaves orientaux dans un seul Grand Espace est déjà assez forte et approfondie. Mais nous pouvons constater que les Ukrainiens, du moins aujourd'hui, sortent de cette logique. Et tout n'est pas si simple avec les Biélorusses. Contrairement à Kiev, Minsk a une attitude positive à l'égard de Moscou, mais plus modérément que les Ukrainiens, les Biélorusses veulent toujours préserver, renforcer et défendre leur identité. Si nous l'oublions, nous versons de l'eau au moulin des nationalistes bélarussiens, qui sont depuis longtemps devenus les outils de l'Occident et qui agissent aujourd'hui au Bélarus, avec les libéraux droits-de-l'hommistes, comme la principale force torpillant l'État d'union. Par conséquent, l'alliance russo-biélorusse doit être construite en tenant compte des particularités de l'identité biélorusse. Ensuite, l'intégration se fera.

L'ennemi commun face à l'Occident, qui impose des sanctions à la Russie et au Belarus, est également un argument important. Mais cette stratégie de résistance deviendra forte lorsque l'idée géopolitique de la civilisation continentale, confrontée à la civilisation maritime, prendra des contours plus nets en Russie même. C'est là que réside le problème. S'unir à la Biélorussie en tant qu'idée de la Russie elle-même exige une nouvelle esquisse, claire et imposante, de l'idée russe. Elle deviendra alors une unification des peuples et des idées, et l'intégration y gagnera en force et en dimension historique.

 

vendredi, 26 novembre 2021

Comment fonctionne la diplomatie africaine d'Israël

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Comment fonctionne la diplomatie africaine d'Israël

Marco Valle

Source : https://it.insideover.com/guerra/come-funziona-la-diplomazia-africana-di-israele.html?fbclid=IwAR0zZXykgsxgEyyyulrjC13Ez9kT-3cQ8ONXQFPRlLjAvMOSAat0l_bLlUY

Pour Israël, l'Afrique est une vieille passion. Dès 1957, Jérusalem ouvre sa première ambassade dans le Ghana nouvellement indépendant ; en 1962, Félix Houphouet-Boigny, premier président de la Côte d'Ivoire et pilier de France Afrique, s'envole vers la terre de David où il noue une solide alliance avec Ben Gourion et Golda Meir, la brillante architecte de la politique étrangère israélienne. Dans les années qui suivent, elle noue des relations fructueuses avec le président kenyan Jomo Kenyatta, avec le Sénégal de Léopold Senghor, l'Éthiopie d'Haïlé Sélassié et le Congo de Mobutu. Une stratégie gagnante et, bien que s'inscrivant dans le contexte de la guerre froide, suffisamment autonome par rapport aux politiques américaines et éloignée (sinon parfois opposée) aux intérêts anglo-français.

La guerre de 1973 marque un recul dans les relations afro-israéliennes. Sous la pression de l'Arabie saoudite et de l'Organisation de l'unité africaine, les pays subsahariens (à l'exception de l'Afrique du Sud de l'apartheid) ont été contraints de rompre leurs relations (du moins formellement). Le fossé a commencé à se refermer avec les accords de Camp David de 1979 entre l'Égypte et Israël, puis les accords de paix d'Oslo signés en 1993 par Rabin et Arafat. À la lumière de ces événements, de plus en plus de capitales africaines (à commencer par Abidjan, Kinshasa et Yaoundé) ont commencé à normaliser leurs relations avec Jérusalem. Au cours de la dernière décennie, ce processus a été accéléré par l'activisme panafricain de Benjamin Netanyahu. Au cours de son long mandat (2009-2020), l'ancien Premier ministre s'est rendu à plusieurs reprises sur le continent, établissant des relations diplomatiques avec 39 des 54 pays africains. Il y a actuellement 13 ambassades israéliennes en Afrique : Kenya, Éthiopie, Angola, Afrique du Sud, Cameroun, Côte d'Ivoire, Égypte, Érythrée, Ghana, Nigeria, Rwanda, Sénégal et Sud-Soudan (le Soudan et l'Ouganda devraient bientôt s'ajouter à la liste, si les troubles internes le permettent). À son tour, le Maroc, après l'accord de décembre 2020, se prépare à établir des relations diplomatiques "complètes" d'ici 2022.

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Le théâtre privilégié de l'expansion israélienne est la Corne de l'Afrique. Pas par hasard. Pour l'État juif, il est fondamental - compte tenu du caractère invasif de l'Iran en mer Rouge et dans l'océan Indien - de préserver la sécurité de la route maritime entre le détroit de Bab el Mandeb et Eilat et Suez. D'où son soutien discret mais substantiel à l'Éthiopie, à l'Érythrée et au Kenya et son intérêt marqué pour le Soudan. Les Israéliens sont également bien présents dans le quadrant ouest-africain (Sénégal, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Nigeria, Cameroun) ainsi qu'au Rwanda et en Afrique du Sud, avec de nombreuses entreprises actives dans l'agriculture, dans le domaine de l'énergie (l'énergie solaire en particulier), dans le secteur des technologies avancées et dans le commerce des pierres précieuses, principalement des diamants.

En plus des activités commerciales normales, il y a aussi le secteur militaire. Un réseau d'hommes d'affaires, de consultants de toutes sortes et d'entreprises a travaillé avec une détermination tranquille. Leurs noms ? Gaby Peretz, Didier Sabag, Orland Barak, Hubert Haddad, Eran Romano ou Igal Cohen, tous bien introduits dans les palais présidentiels africains et évidemment liés aux forces armées et aux services israéliens. Comme le confirme la participation toujours plus importante des entreprises à l'exposition Shield Africa d'Abidjan, Jérusalem offre aux différents pays du continent toutes sortes d'armes, des armes légères aux missiles et navires sophistiqués, mais surtout du renseignement, de l'écoute, de la cybersécurité et des blitz numériques. Les guerres du futur.

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Ce secteur est dominé par Nso, fondé par Shalev Hulio, producteur des redoutables systèmes Pegasus et Verint, puis il y a le groupe Mer et le système Elibit, Sapne Ltd et (peut-être sous des pavillons de complaisance) une myriade de petites entreprises. Le personnel est composé de vétérans de l'Unité 8200, l'équivalent de l'Agence nationale de sécurité américaine, tels que Yair Coehen, ancien commandant de l'unité qui est maintenant à la tête d'Elibit System, ou Aharon Zeevi Farkas, également ancien chef de l'Unité 8200. Une activité extrêmement rentable, mais pas seulement. Les seniors du 8200 - une véritable usine de millionnaires de la haute technologie - sont présents en force, surtout en Côte d'Ivoire, en tant que consultants du ministère de la Défense : en plus d'assurer la sécurité interne de la république africaine, les "grandes oreilles" contrôlent, grâce à un accord officieux entre les gouvernements, également l'importante communauté libanaise, avec une attention particulière pour les sympathisants du Hezbollah, l'ennemi juré d'Israël. Les cyber-guerriers ne se retirent jamais....

 L'effondrement de la chaine logistique dans le contexte géopolitique actuel

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L'effondrement de la chaine logistique dans le contexte géopolitique actuel

Enric Ravello Barber

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/11/la-caida-de-la-cadena-logistica-en-el.html?fbclid=IwAR0wcPTyIZm-9icZFkLh5tLNt3s481nJ31fn0ksPJvLaDB7fTIrNgO5w3Rs#.YZ0NcbrjKUl

Les besoins en logistique, communication et transport de matières premières suite aux invasions américaines après les attentats du 11 septembre 2001 et la nécessité d'un contrôle stratégique de l'Asie centrale ont incité la secrétaire d'État de l'époque, Hillary Clinton, à annoncer la mise en oeuvre de l'initiative de la nouvelle route de la soie en 2011.  Le projet bénéficierait du soutien et de la complicité de l'Inde, le grand rival stratégique de la Chine (et du Pakistan) dans la région.

Les aventures bellicistes délirantes des néocons avec les invasions de l'Irak et de l'Afghanistan et les activités de guerre constantes au Moyen-Orient et au Proche-Orient - qui se sont soldées par le plus retentissant des échecs - ont permis le redressement de la Russie et la montée en puissance de la Chine sur le plan géopolitique mondial.  Les États-Unis, qui avaient gagné la guerre froide et étaient devenus la seule et unique puissance mondiale hégémonique, ont perdu le pouvoir par leur propre incompétence et ont permis à ces deux puissances de devenir des acteurs majeurs et - dans le cas de la Chine - de contester leur hégémonie mondiale.

Deux ans plus tard, en 2013, XI Jinping a annoncé la création de la route de la soie terrestre chinoise au Kazakhstan, l'un des pays clés dans la construction de cette route. En octobre de la même année, Xi Jinping a annoncé la nécessité de créer, parallèlement à la précédente, une route de la soie maritime. Avec la route de la soie, la création de la plus grande route au monde pour le transport d'énergie dérivée d'hydrocarbures et de minéraux stratégiques a été annoncée. Une autre fonction importante de la route de la soie était d'être une voie de transport de marchandises, y compris une branche ferroviaire qui traverse toute l'Eurasie jusqu'à Madrid.

La chaîne logistique s'effondre

La pandémie de COVID-19 a eu un impact majeur sur la consommation et le commerce mondiaux. Pendant des mois, des milliers de personnes dans le monde sont restées chez elles, tandis que les voyages, les points de vente, les hôtels et les vols restaient fermés. Cela a eu une double conséquence : des économies ont été réalisées et il y avait moins d'offres sur lesquelles dépenser de l'argent, la demande d'articles ménagers a explosé. La somme de ces facteurs a conduit à un phénomène difficile à prévoir : l'effondrement de la chaîne logistique mondiale. Les épidémies de COVID dans le port de Los Angeles qui ont paralysé le déchargement et la libération des conteneurs en janvier dernier dans ce port nord-américain ou les grandes manifestations de dockers dans le port sud-coréen de Busan, un port crucial pour le trafic de marchandises entre l'Extrême-Orient et l'Europe, ont contribué à entraver le retour à la normale de la chaîne logistique mondiale.

Les médias préviennent déjà que cette année, les étagères seront moins remplies de jouets chinois et que les marchandises qui ne sont pas arrivées n'arriveront pas.  Les taux de fret entre la Chine et les ports européens sont restés stables, autour de 1500 dollars, dans les années qui ont précédé le COVID, lorsque le commerce mondial a atteint des niveaux record. Depuis septembre, les taux de fret ont grimpé en flèche pour atteindre des niveaux de 13.000 $, et si les taux pour novembre ont légèrement baissé, des hausses de prix sont déjà annoncées pour les taux de fret de décembre et janvier. Ce qui est plus grave, c'est que même à ces prix, il n'y a pas de conteneurs disponibles pour transporter des marchandises de la Chine vers l'Europe occidentale.

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Alors que plusieurs compagnies maritimes de taille moyenne s'étaient établies sur le marché dans les années précédant immédiatement le COVID, l'interruption des échanges pendant près d'un an a entraîné la disparition de nombre d'entre elles. Dans la situation actuelle, nous sommes confrontés à un oligopole où les grandes entreprises contrôlent totalement la logistique maritime : MSC (italien), Maersk (danois), CMA-CGM (français), Evergreen (taïwanais) et COSCO (chinois).  Ces entreprises ont pris la décision de mettre en œuvre leurs bénéfices en augmentant les taux de fret, au lieu de poursuivre la dynamique antérieure de construction d'énormes porte-conteneurs, où chaque année un nouveau record de tonnage était battu.  En fait, nous constatons qu'aujourd'hui encore, MSC et Maersk partagent les mêmes navires.

Aurelio Martinez, directeur du port de Valence, a déclaré que les taux de fret commenceraient à baisser à la mi-2022. Il est difficile de prévoir l'évolution des prochains mois et d'indiquer des dates concrètes pour le retour à la normale de la disponibilité des conteneurs.  Presque tous les experts affirment que le niveau actuel des prix sera maintenu jusqu'en septembre prochain, et qu'une baisse est prévisible après cette date.

La situation actuelle de pénurie et de fret onéreux, ainsi que la hausse des prix des produits fabriqués en Chine - due à l'augmentation des hydrocarbures et au contexte inflationniste généralisé - ont conduit de nombreux importateurs européens à envisager la possibilité de rechercher des fournisseurs sur des marchés plus proches (Europe de l'Est, Russie, Asie centrale), voire de délocaliser la production industrielle. Il convient de noter qu'il est peu probable que la Chine laisse ce déplacement du marché mondial se produire ; la nature de son régime, dans lequel la politique prime sur l'économie et les intérêts du parti communiste (compris comme un intérêt collectif) sur les intérêts commerciaux (compris comme individuel) lui donne les outils nécessaires pour renverser la situation, notamment en forçant sa grande compagnie maritime COSCO à baisser ses taux de fret. Il sera intéressant de voir comment le gouvernement de Pékin agira si la situation s'aggrave et s'il existe une possibilité que la Chine perde son leadership dans l'économie mondiale. Lors de la réunion du G-20 de cette semaine, M. Biden s'est engagé à faire pression pour une réponse à la perturbation de la chaîne d'approvisionnement, visant à agir sur les prix des carburants et à débloquer les goulets d'étranglement de la production et de la logistique tant aux États-Unis que dans les pays d'influence. Le contrôle des routes maritimes par l'administration américaine est l'un de ses plus grands atouts, mais l'inexistence d'une compagnie maritime américaine, ce qui est inexplicable pour une puissance navale-commerciale comme les États-Unis, est un défaut majeur à son encontre.

Les États-Unis et la Chine en lutte pour le contrôle de la logistique mondiale

Les États-Unis ont subi une défaite humiliante en Afghanistan. La Russie et la Chine ont toutes deux récemment testé avec succès des missiles hypersoniques, la tentative américaine en ce domaine a été un échec. La Chine a démontré que ses ordinateurs quantiques sont des millions de fois plus puissants que ceux des États-Unis. La tension au sujet de Taïwan augmente, avec la menace voilée de la Chine d'incorporer l'île en 2049 pour coïncider avec le centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine.

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Les États-Unis, qui restent la puissance hégémonique, refusent de perdre ce rôle et ont réagi dans plusieurs domaines. Dans le domaine stratégico-militaire, avec la signature d'une alliance militaire anglo-saxonne dans le Pacifique, AUKUS. Dans le domaine technologico-militaire, le Pentagone envisage d'impliquer l'entreprise de construction spatiale SpaceX pour développer une version militaire du Starship qui lui redonnerait sa suprématie dans ce domaine, mais il n'a pas encore l'approbation d'Elon Musk : encore une conséquence de la domination de l'économique-corporatif sur le politique-stratégique et dans les démocraties libérales-capitalistes.

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Dans le domaine de la logistique, M. Biden a annoncé ces dernières semaines la mise en œuvre du programme "Build Back Better", destiné à concurrencer la route de la soie chinoise.  M. Biden a indiqué que les États-Unis allaient déployer une réponse logistique en Amérique du Sud, face à l'intention de la Chine de procéder à un déploiement commercial dans son "arrière-cour". Il convient de noter que le commerce de l'Europe et de l'Asie vers l'Amérique du Sud a eu le port d'Algésiras comme point logistique clé. Pour la première fois en 2021, Tanger a dépassé Algésiras en nombre de conteneurs et s'en approche en nombre de tonnes totales. Tanger, par la profondeur de son port et surtout par l'engagement de Mohamed V pour son développement, remplacera dans quelques années Algésiras dans cette route logistique maritime de l'Eurasie à l'Amérique du Sud, qu'elle soit dominée par les USA ou la Chine ou en rivalité entre les deux.

La rupture de la chaîne logistique a montré que le transport terrestre ne peut pas remplacer ou concurrencer le transport maritime. Si les taux de fret maritime sont actuellement de 14.000 dollars, les taux de fret ferroviaire par conteneur sont de 22.000 dollars, mais plus grave encore, les trains ont une capacité de transport de conteneurs presque négligeable par rapport aux grands porte-conteneurs. Cela signifie que les Chinois devront poursuivre le développement de leur route de la soie maritime parallèlement à leur route de la soie terrestre. À cette fin, et en pensant à leur énorme trafic avec l'Europe, ils ont déjà pris des positions : dans le port du Pirée, que la Grèce a vendu en 2016 à la compagnie maritime chinoise COSCO ; et dans le port de Hambourg, où la présence et le contrôle de COSCO sont en hausse imparable. Là aussi, l'Europe perdra le jeu géostratégique.

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Le blocage logistique actuel entraînera sans aucun doute une plus grande exploitation de la route arctique en tant que nouvel élément permettant d'accélérer la distribution des marchandises mondiales. La Russie est aujourd'hui le principal acteur sur cette route, où elle est prête à déployer son potentiel militaire pour empêcher la concurrence d'autres puissances (notamment les États-Unis), qui arrivent tardivement dans la lutte pour le contrôle de l'Arctique. La Chine semble accepter le leadership de la Russie dans cette région ; l'amitié entre Moscou et Pékin facilitera le commerce chinois le long de cette nouvelle route. Toutefois, il convient de noter que l'utilisation de cette voie peut avoir des conséquences négatives. Comme le souligne Joan Membrado, professeur de géographie à l'université de Valence et spécialiste de l'analyse géographique régionale, plus l'Arctique sera praticable, plus il dégèlera rapidement, ce qui transformerait Valence - le plus grand port européen de la Méditerranée jusqu'en 2020, date à laquelle il a été dépassé par le Pirée sous contrôle chinois - en un port infranchissable.

L'effondrement de la chaîne logistique est une conséquence des contradictions internes de la mondialisation. Sa sortie sera un nouvel épisode de la guerre pour l'hégémonie mondiale entre le capitalisme d'État chinois nationaliste et suprématiste Han et le capitalisme financier spéculatif basé à Wall Street et à la City. 

mardi, 23 novembre 2021

Les Turcs conseillent à Kiev de ne pas se frotter à l'OTAN

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Les Turcs conseillent à Kiev de ne pas se frotter à l'OTAN

Doğu Perinçek

Source: https://www.geopolitica.ru/article/turki-rekomenduyut-kievu-ne-svyazyvtsya-s-nato

L'Alliance de l'Atlantique Nord est une menace pour la sécurité et non une organisation qui protège, le président du Parti de la mère patrie turque Doğu Perinçek en est convaincu.

L'Ukraine a été convoquée à un exercice de l'OTAN en mer Noire, près des frontières roumaines. La frégate roumaine Merăşesti, le destroyer américain Porter, le navire d'état-major Mount Whitney et le pétrolier John Lenthall, la frégate turque Yavuz ainsi que le navire de débarquement ukrainien Yuriy Olefirenko et le patrouilleur Slavyansk ont participé aux manœuvres.

Le but de l'exercice, selon l'armée roumaine, est de "renforcer la capacité de réaction de l'OTAN en mer Noire et d'accroître le niveau d'interaction entre les marines des pays participants". Bien que l'Ukraine n'ait pas encore été acceptée dans l'alliance, Kiev a dû prendre cette invitation comme un bon signe.

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Cependant, le président du parti turc de la mère patrie (Vatan), Doğu Perincek (photo), ne pense pas que ce soit une raison de se réjouir. Interrogé par PolitEkspert pour savoir si les autorités turques étaient prêtes à soutenir l'entrée de l'Ukraine dans ce bloc militaire, il a répondu :

"L'OTAN est une menace pour la sécurité. Ce n'est pas une organisation qui nous protège. Nous faisons partie de l'OTAN mais la position de l'Alliance a toujours été hostile à la Turquie. Les membres de l'OTAN ont toujours voulu utiliser la Turquie pour leurs propres intérêts, sans penser aux intérêts de notre pays. Tous les coups d'État qui ont eu lieu en Turquie ont été organisés par l'Occident".

Doğu Perinçek estime que "la Turquie quittera bientôt l'OTAN", et ne plaidera donc pas en faveur de l'adhésion de Kiev à l'alliance.

"Nos alliés sont les pays asiatiques, nos voisins - la Russie, l'Iran, la Syrie. Nous devons nous concentrer sur l'amélioration des relations avec eux. L'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ne menace pas seulement la Russie. Elle menace la sécurité de notre pays et la sécurité de toute la région. Je suis sûr que l'Iran et la Russie ne permettront pas que cela se produise. Erdogan devrait également bien peser le pour et le contre avant de soutenir l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN", a-t-il conseillé au site d'information et d'analyse".

La veille, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, dans une interview accordée à HBO, a réaffirmé que les pays du bloc n'étaient pas encore parvenus à un consensus sur l'adhésion de l'Ukraine à l'organisation.

lundi, 22 novembre 2021

Cousins, mais pas trop : l'Italie et l'Espagne, une rivalité systémique

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Cousins, mais pas trop : l'Italie et l'Espagne, une rivalité systémique

Par Vincenzo D'Esposito

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/progetto-italia/cugini-ma-non-troppo-italia-e-spagna-una-rivalita-sistemica/

L'Espagne est l'un des plus grands rivaux de l'Italie, tant en Europe que dans le reste du monde. Parce que, tous faits pris en considération, il n'y a pas de théâtre où notre cousin en latinité ne nous combat pas à coups de concurrence déloyale et de diplomatie antagoniste: des produits à base de vin et d'huile d'olive vendus à prix cassés sur les marchés italiens de référence au dynamisme des entreprises ibériques dans nos pays voisins.

Qu'il s'agisse de s'approprier des parts de marché ou de concurrencer notre primauté entrepreneuriale, le modus operandi est toujours le même: la concurrence déloyale. Parce que les Espagnols offrent des biens et des services similaires aux nôtres à des prix dérisoires. Ces biens et services sont théoriquement les mêmes, comme l'huile d'olive ou les centrales électriques, mais dans la pratique, ils sont différents, en raison de la qualité nettement inférieure garantie par les vendeurs espagnols. Et le fait que cette pratique n'est pas accidentelle, mais le résultat d'un dessein précis visant à profiter du moment de coma de la politique étrangère italienne, est suggéré par les faits: les Espagnols sont maintenant sur nos talons partout, de la Roumanie à l'Azerbaïdjan, en passant par l'Albanie et la Russie. Ils ne sont pas encore capables de nous nuire autant que la France, la Turquie et l'Allemagne, mais ils constituent une menace qu'il ne faut pas sous-estimer.

Comme les Français, les Espagnols ont historiquement cherché à réduire la marge de manœuvre de l'Italie, tant en Afrique du Nord qu'en Méditerranée. L'Italie, pour sa part, a su nouer des relations cordiales tant avec le Maroc qu'avec l'Algérie, surmontant ainsi la tentative de son cousin d'encercler le Maghreb et se construisant une image positive pour contrebalancer celle de l'Espagne, qui continue d'être perçue au Maghreb comme une puissance occupante en raison de la question de Ceuta et Melilla.

La rivalité est palpable et persistante, mais la collaboration est et sera toujours possible, car l'Espagne, contrairement à la France, ne cherche pas à vassaliser l'Italie, mais à récupérer l'influence et le prestige perdus en Amérique latine en se rattrapant dans l'espace occidental de l'Eurafrasie. 

L'immigration clandestine et le terrorisme pourraient être utilisés comme tremplins vers la formation d'un axe italo-espagnol consacré à une coopération élargie et renforcée dans le style du traité d'Aix-la-Chapelle. Et les risques - comme les tentatives de profiter de la détente pour appuyer sur l'accélérateur dans le dossier de la lutte sans quartier contre le Made in Italy - seraient largement compensés par les bénéfices : la possibilité de contenir et de redimensionner les ambitions hégémoniques françaises en Méditerranée et en Afrique du Nord, la consolidation d'un bloc géopolitique en Europe qui équilibre la puissance excessive du Nord et l'amélioration globale des agendas respectifs de profondeur stratégique.

La collaboration, encore une fois, est possible, car toutes les conditions préalables sont réunies, y compris la plus importante - l'Espagne et l'Italie ne sont pas deux puissances naturellement vouées à l'hégémonie et, surtout, il s'agit d'une rivalité de faible intensité -, mais la table des négociations pour l'établissement d'une entente durable de bon voisinage ne sera ouverte que lorsque notre classe politique reviendra à l'histoire, en préférant la Realpolitik à la Fantapolitik et en remettant l'intérêt national au centre de l'agenda extérieur.

Entre l'Algérie et le Maroc : le différend franco-espagnol en Méditerranée occidentale

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Entre l'Algérie et le Maroc : le différend franco-espagnol en Méditerranée occidentale

Par Vincenzo D'Esposito

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/dossier/il-triangolo-mediterraneo/tra-algeria-e-marocco-la-contesa-franco-spagnola-nel-mediterraneo-occidentale/

Son rôle de porte de l'Atlantique a fait du Maghreb l'une des zones les plus intéressantes pour les puissances méditerranéennes. Cette zone a été subjuguée à plusieurs reprises par l'Empire ottoman, la France et l'Espagne. Ces deux derniers ont déployé leur concurrence politique et économique dans deux États en particulier : l'Algérie et le Maroc.

Le Maghreb et la France coloniale

L'État dont l'influence est la plus importante au Maghreb est la France qui a pénétré en Algérie dès la première moitié du 19ème siècle; les raisons qui ont poussé Paris à s'ingérer dans les affaires du Maghreb sont principalement des questions de sécurité. Les pirates barbaresques présents dans la région représentaient un danger constant pour le commerce dans la zone et, d'autre part, pour détourner les tensions internes à la monarchie française de l'époque, il fut décidé de prendre possession de la rive sud de la Méditerranée, en face de la Provence.

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Depuis le 19ème siècle, Paris déplace de plus en plus de colons sur ce territoire dans le but d'assurer son contrôle et de pénétrer à l'intérieur des terres. Cela a conduit la France à la nécessité de consolider les frontières de la colonie tant à l'est, avec l'occupation de la Tunisie, qu'à l'ouest, avec l'entrée du Maroc. La décolonisation après la Seconde Guerre mondiale, qui s'est déroulée de manière traumatisante en raison de la volonté française d'intégrer les territoires coloniaux d'Afrique du Nord à la France métropolitaine, a laissé des traces dans les relations entre Paris et l'État nord-africain. Celles-ci sont restées volatiles en raison d'une amertume remontant au passé colonial et à la guerre d'Algérie. L'ancienne colonie voit Paris comme un ennemi historique auquel il ne faut pas se soumettre, tandis qu'Alger est perçu par l'Elysée comme un partenaire qui n'est pas totalement fiable.

La France a un intérêt pour l'Algérie en tant que jonction fondamentale pour atteindre le Sahel, qui est devenu central dans l'agenda français en raison des routes de migrants qui le traversent. Le maintien de bonnes relations avec l'État maghrébin permet à Paris de prendre des mesures plus fermes pour lutter contre le terrorisme et la traite des êtres humains. En outre, les énormes gisements d'hydrocarbures et de gaz d'Alger ont historiquement attiré l'attention de la plus grande compagnie pétrolière française, Total. Si l'on ajoute à cela le fait qu'une proportion importante de citoyens français a des liens directs avec les colons rapatriés après l'indépendance de l'Algérie, l'importance des relations avec cet État pour Paris apparaît très clairement.

Dans le cas du Maroc, les relations avec la France sont sensiblement différentes. Tout d'abord, par rapport à son voisin oriental, elle n'a jamais complètement perdu son administration locale, étant un protectorat avec son propre souverain pendant toute la période de la colonisation française. La colonisation française a également été beaucoup plus courte que celle de l'Algérie, laissant des cicatrices moins évidentes.

Bien que moins important économiquement que l'Algérie, reposant principalement sur le commerce du phosphate, le Maroc possède une base manufacturière croissante qui a attiré des entreprises françaises telles que Renault. Le rôle majeur que la France attribue au Maroc est de contribuer à la stabilité du Sahel et d'éviter un renforcement excessif de l'Algérie. Le soutien indirect apporté par la France à Rabat dans le dossier de l'annexion par le Maroc du Sahara occidental, dont le gouvernement, représenté par le Front Polisario, est en exil en Algérie, en est une illustration.

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Mouvements espagnols au Maroc et en Algérie

De l'autre côté, on trouve l'Espagne, qui est entrée très tôt dans cette partie de l'Afrique, mais qui n'a commencé à la contrôler sérieusement qu'à partir de la seconde moitié du 19ème siècle, pour éviter un renforcement excessif de la France. Concentrant son contrôle au nord-ouest, dans la région du Rif marocain et du Sahara occidental, l'Espagne a des liens historiques avec le Maroc actuel.

Les relations entre Madrid et Rabat sont de première importance pour l'Espagne, qui contrôle toujours un certain nombre d'enclaves sur le sol africain, Ceuta et Melilla étant les plus connues. Ces liens ne sont toutefois pas facilités par la question des migrants et de la souveraineté espagnole sur ses enclaves nord-africaines, qui voit souvent les deux gouvernements s'opposer, bien que l'attitude de base soit la coopération.

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Une autre question qui rend les relations entre les deux États difficiles est l'occupation marocaine du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole, alors que l'Espagne continue d'avoir des contacts avec les membres du Front Polisario. En témoigne, par exemple, le fait que le leader de ce mouvement, Brahim Ghali, s'est récemment rendu dans un hôpital espagnol pour y être soigné après avoir contracté le Covid-19, ce qui a suscité des protestations officielles de Rabat. Néanmoins, Madrid reste le principal partenaire économique du Maroc et son principal interlocuteur en Europe.

Contrairement à son voisin occidental, l'Algérie ne partage pas de liens coloniaux avec l'Espagne. Ce qui a poussé Alger et Madrid à collaborer, c'est la nécessité pour l'Espagne de diversifier ses sources d'approvisionnement en énergie, ainsi que la lutte contre l'immigration clandestine. Depuis le siècle dernier, des contacts commerciaux ont été établis entre les principales villes espagnoles de la côte méditerranéenne et l'Algérie, et l'Espagne est actuellement, avec la France, le principal pays de référence de l'État nord-africain dans l'Union européenne. Le rôle de l'Algérie, selon l'Espagne, n'est pas seulement d'approvisionner Madrid en combustibles fossiles et de repousser les migrants irréguliers, mais aussi de maintenir l'équilibre géopolitique en Afrique du Nord, en évitant un renforcement excessif du Maroc.

Quand la géographie l'emporte sur l'histoire

Sur la rive africaine de la Méditerranée occidentale, la France et l'Espagne sont les deux principales puissances européennes qui se disputent l'influence. Alors que Paris a longtemps pu compter sur les liens historiques et coloniaux qui unissent encore Alger et Rabat, Madrid a mené une politique fondée sur une lente pénétration commerciale.

La volonté française d'une plus grande présence au Maghreb est liée d'une part à l'affirmation du rôle prestigieux du pays, membre du G7 et du Conseil de sécurité de l'ONU, et d'autre part à la sécurisation du contrôle des routes migratoires et à la lutte contre les flux. Les objectifs de Paris comprennent également une présence significative dans les secteurs stratégiques de la région. Le poids du passé colonial limite toutefois considérablement la marge de manœuvre française en Algérie, tandis que le Maroc, bien que faisant partie de l'Afrique francophone, gravite depuis des années fermement dans la sphère d'influence espagnole. Par ailleurs, la laïcité excessive et délirante de la France et le droit d'asile accordé à de nombreux dissidents maghrébins constituent un obstacle dans les relations entre Paris, Alger et Rabat.

L'Espagne, pour sa part, entend profiter des tensions entre le Maroc et l'Algérie pour gagner des parts de marché dans ces deux États. Cela se fait d'une part en maintenant des relations très étroites avec le Maroc pour des raisons de sécurité intérieure, en bordant physiquement le pays par les enclaves espagnoles sur la côte africaine. D'autre part, Madrid soutient indirectement l'Algérie dans la question du Sahara occidental, bien que ces dernières années, l'orientation espagnole se tourne de plus en plus vers une solution politique de la question et non vers un référendum.

L'érosion de l'influence française dans cette zone est plus évidente que jamais, tandis que l'importance de l'Espagne dans les affaires politiques, économiques et de sécurité de la région s'accroît en raison de sa proximité avec le Maghreb. La géographie bat l'histoire.

A propos de l'auteur / Vincenzo D'Esposito

Diplômé en études internationales à l'université "L'Orientale" de Naples avec une thèse sur l'hydrohégémonie dans le bassin du Syr Darya. Il est actuellement inscrit au programme de maîtrise en développement durable, géopolitique des ressources et études arctiques au SIOI. Il a étudié et travaillé en Allemagne après avoir obtenu deux bourses Erasmus, qui l'ont conduit d'abord à étudier à Fribourg-en-Brisgau, puis à effectuer un stage à la Chambre de commerce italienne pour l'Allemagne. Passionné par l'Asie centrale et l'énergie, il collabore avec plusieurs groupes de réflexion en tant qu'analyste géopolitique.

Sur l'ingérence de la Grande-Bretagne en Amérique latine

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Sur l'ingérence de la Grande-Bretagne en Amérique latine

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-vmeshatelstve-britanii-v-dela-latinskoy-ameriki

Début novembre, des émeutes ont éclaté en Araucanie, au Chili. Les initiateurs étaient des membres d'une population indigène connue sous le nom de Mapuche. En cause: des attaques contre la police et l'armée; les autorités ont répondu par la force. Au cours d'une opération spéciale, plusieurs militants munis d'armes automatiques ont été arrêtés. L'état d'urgence a été déclaré dans la région. Mais cela n'a pas arrêté les manifestants, qui ont répondu par des barrages routiers et des incendies criminels.

De nombreux militants des droits de l'homme, notamment des pays occidentaux, ont immédiatement condamné les actions des autorités, soulignant le statut des Indiens Mapuche en tant que peuple indigène opprimé. Mais les Mapuches sont des citoyens à part entière au Chili et en Argentine voisine et ne sont donc pas privés de droits constitutionnels. Le problème, c'est que si les Mapuches sont des indigènes, il existe en outre un mouvement de Mapuches dont les membres se livrent depuis des années à des actes de sabotage, à la destruction des biens d'autrui et à des attaques contre d'autres citoyens, qu'ils appellent en quelque sorte des occupants.

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Tout ceci est organisé dans le cadre du projet "Nation Mapuche". Il s'agit d'un projet séparatiste à la base, qui vise à séparer des parties du Chili et de l'Argentine et à créer un État indépendant sur leur base. Selon cette organisation, "la Nation Mapuche couvre tout le sud de Bio Bio (Chili) et le sud de Salado et Colorado (Argentine) jusqu'au détroit de Magellan". Fait révélateur, les Mapuchistes utilisent l'anglais plutôt que l'espagnol. Et leur siège social se trouve au Royaume-Uni, avec un bureau enregistré au 6 Lodge Street, Bristol, depuis 1996. Les Mapuchistes ont même leur propre prince autoproclamé appelé Frédéric 1er. La Royal Air Force promeut activement le sujet sous couvert de défense des droits de l'homme.

Leur site web affirme que le peuple Mapuche "n'a jamais renoncé" à ses droits souverains ou à la restitution de son territoire ancestral" et diffuse des allégations d'"invasion", de "génocide", de "répression" et d'"espionnage" par les États du Chili et de l'Argentine.

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Selon l'avocat chilien Carlos Tenorio, qui représente la famille des agriculteurs assassinés par les Mapuches, ces personnes n'expriment pas leurs revendications par les voies juridiques institutionnelles, mais par l'action directe. "Nous traversons la période la plus difficile depuis que j'ai travaillé sur ce dossier il y a deux décennies. Un manque total de contrôle qui va de pair avec le climat politique", a-t-il déclaré. L'avocat a fait une distinction entre les "demandes des communautés indigènes" qui sont faites "institutionnellement" et "d'autres groupes qui sont maintenant armés et ont déclaré la guerre à l'État chilien".

L'affaire qu'il défend a eu lieu en janvier 2013 dans un champ de 40 hectares situé dans le sud du Chili et appartenant à la famille Luchsinger. Ils ont été attaqués par une bande de 40 hommes qui ont brûlé la maison et ses habitants. En Amérique latine, on parle des Mapuchistas comme d'un réseau anglais inhabituel qui encourage le séparatisme dans le sud du Chili et en Argentine.

Compte tenu des relations tendues entre l'Argentine et la Grande-Bretagne au sujet des Malouines/Malvinas (îles Falkland), Londres a un intérêt évident à porter atteinte à la souveraineté de cet État.

La stratégie de la Grande-Bretagne semble plutôt astucieuse. Alors qu'à l'époque de la guerre froide, Londres a aidé les régimes de droite d'Amérique centrale à balayer les populations indigènes (notamment au Guatemala) et à fournir des armes à ces pays, la situation dans la partie sud du continent semble aujourd'hui tout à fait opposée. Mais la Grande-Bretagne continue le vieux système en Colombie, où elle a des intérêts économiques.

Selon le journalisme d'investigation, l'ambassade britannique à Bogotá investit massivement dans son réseau et mène une campagne de relations publiques visant à "améliorer la perception" de la Grande-Bretagne. Selon les documents du ministère britannique des Affaires étrangères, 6000 £ ont été dépensées en 2019-20 pour mener une "analyse de la perception du soft power du Royaume-Uni en Colombie" qui a aidé à "identifier les intérêts futurs pour l'association dans les messages publics et les médias sociaux". "L'objectif à long terme", note l'ambassade du Royaume-Uni à Bogota, est de "construire de nouveaux réseaux d'influence et de connexions avec des publics plus diversifiés en Colombie... ce qui conduira à une amélioration des perceptions et à un changement de comportement à l'égard du Royaume-Uni". L'ambassade a déclaré que le projet comprenait "un certain nombre de domaines de travail conjoint avec des parties prenantes colombiennes clés" par lesquels l'ambassade chercherait à "améliorer son profil" au cours de l'année 2021. Les domaines de coordination comprenaient "la sécurité et la défense".

En outre, 25.000 £ ont été allouées à la création d'une nouvelle "campagne de sensibilisation à l'environnement et à la biodiversité". Ces thèmes ont été identifiés à la suite d'une enquête.

Fait révélateur, plus de la moitié des meurtres d'écologistes dans le monde en 2020 ont eu lieu en Colombie, certains d'entre eux étant liés à ceux qui luttent contre les projets des entreprises britanniques dans le pays.

Un rapport publié l'année dernière a révélé que 44 % des attaques récentes liées à des entreprises en Colombie visaient des défenseurs des droits de l'homme qui avaient fait part de leurs préoccupations concernant cinq entreprises. Il s'agit notamment de la mine de charbon de Cerrejón, qui appartient aux sociétés minières cotées à Londres BHP, Anglo American et Glencore, ainsi qu'à AngloGold Ashanti, également enregistrée à Londres.

L'année dernière, David Boyd, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement, a déclaré que la mine de charbon de Cerrejón avait "gravement endommagé l'environnement et la santé de la plus grande communauté indigène du pays". Et en juin de cette année, UKCOL2021 a été lancé, ce qui permettra de continuer à établir l'influence britannique en Colombie.

Il est révélateur que, parallèlement à l'annonce de ce programme, la police colombienne réprimait des manifestations qui, selon Human Rights Watch, ont fait 63 morts. Mais l'ambassade britannique à Bogota est restée muette sur la question, ce qui n'a rien à voir avec le comportement des diplomates britanniques dans d'autres pays, comme la Russie, où toute bousculade des hooligans et des provocateurs qui narguent la police lors de manifestations non coordonnées est accueillie par des hurlements retentissants.

La raison est probablement que le Royaume-Uni est indirectement responsable de ces meurtres, car il a mis en œuvre deux programmes avec la police colombienne de 2015 à 2020, pour un coût de plusieurs millions de livres.

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Directement en Colombie, une équipe spéciale britannique est désormais stationnée pour aider les forces armées colombiennes, elles aussi accusées à plusieurs reprises de tuer des civils.

Londres est connu pour soutenir activement le président colombien Ivan Duque, au pouvoir depuis 2018 et représentant le Parti démocratique (PCD) de centre-droit. La proximité de la Colombie avec les territoires britanniques d'outre-mer dans les Caraïbes permet à Londres de suivre de près les processus politiques dans les Caraïbes. Il n'est pas exclu que de nombreuses provocations de la Colombie contre le Venezuela aient également été organisées avec l'implication directe de l'armée et des services de renseignement britanniques.

samedi, 20 novembre 2021

Le Japon selon le magazine Limes

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Le Japon selon la revue Limes

par Riccardo Rosati

Ex: https://www.barbadillo.it/76650-focus-il-giappone-secondo-il-periodico-limes-con-insofferenza-per-il-nazionalismo-al-governo/?fbclid=IwAR2iDgug2BU7isJXNpWRK6Jw5WoesNnc3BQFG5VXfbHElxcrpXjHMFlQ9y8

Une clarification et une orientation méthodologiques essentielles

Parler de Roland Barthes, c'est généralement parler de l'écriture, du texte, de la signification, et plus encore du sens. La question plus que légitime serait de savoir pourquoi cette référence au grand linguiste et homme de lettres français est faite dans une analyse de la monographie que le célèbre magazine géopolitique Limes a consacré au Japon en février dernier. À première vue, on pourrait penser à une référence au merveilleux texte que Barthes a adressé à ce pays, intitulé L'Empire des signes (1970), mais ce n'est pas le cas. La raison qui nous a poussés à commencer ces réflexions en parlant de l'écriture elle-même réside dans le fait que même un champ d'investigation et de recherche comme la géopolitique change de perspective, tout en révélant son identité, en fonction du lexique utilisé et de la manière dont les phrases sont formées. La première, qui est celle du Limes, tend à ne pas être hostile au global et au progrès d'une matrice technocratique; la seconde, suivie par moi-même, est au contraire encadrée par une position traditionaliste, pour laquelle, reprenant un concept cher au célèbre géopolitologue allemand Karl Haushofer (1869-1946), les nations sont toujours et avant tout: "le sang et le sol". 

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Nous avons ressenti le besoin de faire une telle introduction, car si, pour le volume que nous allons analyser, il nous arrive d'être en désaccord avec certaines des positions qui y sont exprimées, dans la plupart des cas, ce ne sera pas à cause de la qualité intrinsèque des articles individuels, qui sont pour la plupart d'un bon niveau, mais presque exclusivement à cause d'une distance méthodologique et intellectuelle insoluble. 

La contribution la plus intéressante du numéro de Limes est intitulée : La révolution japonaise, et se trouve probablement dans l'éditorial lui-même (7-29), dans son examen articulé qui ne se limite pas à anticiper synthétiquement, comme cela arrive souvent dans des écrits de ce genre, les thèmes abordés ensuite par les différents articles, mais se concentre à proposer, même avec une certaine conviction, la perspective que Limes a sur la situation politique actuelle de l'Archipel. Il n'y a pas d'objection à cela, si ce n'est l'absence de signature de la personne qui a écrit cet éditorial ; un défaut, à notre humble avis, qui dénote une vocation d'écriture plus journalistique qu'académique. Moins "neutre", en revanche, est la compréhension schématique et partielle du Premier ministre japonais Abe Shinzō, qui apparaît comme une sorte de "refrain" dans les différentes contributions, mais uniquement dans celles signées par des Italiens. Néanmoins, malgré l'intolérance habituelle de la gauche italienne envers les soi-disant "hommes forts" aux penchants nationalistes, l'honnêteté intellectuelle nous oblige à reconnaître une part de vérité dans le jugement suivant sur la politique du Premier ministre japonais: "Jouer la carte de l'accord entre les démocraties libérales à des fins de propagande [...]" (18-20). 

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Le Japon est un monde à part, comme le savent les spécialistes, et un aspect important de ce numéro est précisément l'utilisation des réflexions de divers chercheurs et professeurs japonais, afin d'offrir une perspective interne sur les changements en cours au Soleil Levant. Plus d'une de ces contributions traite de la manière dont l'Empire japonais a étendu son influence pendant des années brèves mais décisives, en essayant en vain d'ériger la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, jusqu'à son effondrement en 1945, lorsque les États-Unis, afin d'éviter une invasion directe du Japon, l'ont contraint à se rendre par un double bombardement atomique, criminel selon nous. Pour la première fois dans son histoire légendaire, l'Empire du Soleil est soumis au joug étranger, asservi à ceux que l'on appelle les "yeux bleus" (aoime), c'est-à-dire les Occidentaux. 

Depuis son formidable redressement d'après-guerre, le Japon est synonyme, pour le reste du monde, d'avant-garde technologique, de locomotive industrielle internationale et de puissance financière et commerciale qui, dans les années 1980, semblait sur le point de dépasser même les États-Unis, dont ce pays asiatique complexe a été pendant des années une sorte de "serviteur géopolitique", agissant comme un porte-avions naturel, gardant l'océan Pacifique. La Seconde Guerre mondiale a fait du Japon un cas rare de coexistence d'une puissance économique et d'une minorité politique. 

Bien que réduit à l'état de vassal des États-Unis, le Soleil Levant a su préserver son caractère, rester fidèle à sa mission patriotique supérieure en s'adaptant, par la force et non par le choix, et il faut toujours le garder à l'esprit, aux contraintes imposées par l'allié gênant.  Néanmoins, cette grande nation a vécu jusqu'à aujourd'hui, changeant de peau mais certainement pas d'âme. Et pourtant, comme le souligne à juste titre l'éditorial, le "problème américain" existe toujours, ou plutôt est encore plus grand que par le passé, pour le Japon, dans sa nécessité, qui n'est guère facile: "Mais les réalistes de tonalité modérée - faisons abstraction des nombreux pacifistes et autres idéalistes - tendent à constater que la contrainte américaine subie reste pour l'instant indispensable face à la résurgence de la puissance chinoise, à l'hypothèque nucléaire nord-coréenne [...]" (15).

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Deux écrits particulièrement intéressants

Comme mentionné, en général, toutes les contributions de la revue sont au moins intéressantes. Pour des raisons compréhensibles d'espace, nous nous attarderons ci-dessous sur ceux qui ont le plus retenu notre attention. 

Nous aimerions tout d'abord mentionner l'article de Dario Fabbri, intitulé : L'importanza di essere Giappone (33-45), qui est essentiellement un "écho" de ce qui a déjà été dit dans l'éditorial, mais dans lequel nous trouvons quelques indications valables sur la formidable capacité de résistance et d'innovation de l'Archipel et de son Peuple. 

Tōkyō réintègre la dimension géopolitique, sous le signe d'un ancien adage japonais : Keizoku wa chikara nari (継続は力なり, "Continuer, c'est pouvoir"). En fait, il n'y a aucun autre pays qui ait changé aussi radicalement, aussi rapidement et avec des effets aussi extrêmes au cours des deux derniers siècles que le Japon. D'un archipel isolé à une puissance coloniale en moins de trente ans ; d'une nation, bien que seulement formellement, historiquement vassale de la Chine, à un hégémon asiatique ; d'un ennemi juré des Américains à leur allié, tout en s'imposant comme l'avant-garde technologique de la planète. Des bouleversements effrayants qui auraient désintégré n'importe quelle communauté, démembré n'importe quel peuple, mais certainement pas les Japonais, telles sont les observations correctes de l'auteur.

Après tout, malgré l'ascension fulgurante du géant chinois au cours des quinze dernières années, le Japon reste la troisième économie mondiale. De même, la modernité obligatoire qui s'est emparée d'elle depuis la Seconde Guerre mondiale a sapé divers éléments: la langue, les coutumes et même le régime alimentaire, mais certainement pas sa véritable identité ethnique. En outre, au Pays du Soleil Levant, la confiance absolue dans la hiérarchie reste inchangée, ce qui a permis à la nation de se survivre et d'être essentiellement la culture unique qu'elle est. Un pays que l'on pourrait se risquer à résumer par un double axiome : la solidité en a fait un sujet ethnique incontournable ; tant de substance empêche ponctuellement sa compréhension à l'extérieur. 

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Le document de Fabbri, non pas en termes de style, mais en termes de contenu, nous trouve substantiellement en accord, sauf que la perspective que nous avons mentionnée au début nous oblige à reconnaître une erreur, et nous espérons qu'on nous pardonnera d'être draconien, ce qui est capital. C'est-à-dire définir le Japon comme une "thalassocratie" (33). Techniquement, une telle affirmation est correcte, mais seulement si l'on conçoit la géopolitique comme un réseau d'interactions économico-politiques; selon un point de vue moderne, donc dépourvu de la compréhension de l'essence spirituelle qui connote les lieux habités par les peuples, surtout dans le cas du Japon, puisque, comme l'explique encore Haushofer dans son texte extraordinaire: Il Giappone costruisce il suo impero (Parma, All'insegna Del Veltro, 1999), le Soleil Levant s'est effectivement déplacé dans la période de son expansionnisme en Asie à travers le vecteur maritime, mais pas du tout poussé par les vils objectifs mercantiles qui ont caractérisé d'abord l'Empire britannique et ensuite les Etats-Unis. Le Japon impérial était "en forme" une thalassocratie, mais dans la réalité historique, il s'est comporté comme une "tellurocratie". Ces différences de perspective peuvent sembler anodines, mais elles ne le sont pas ; au contraire, on mesure ici deux visions du monde absolument irréconciliables. 

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Fabbri a également édité une conversation très intéressante avec Tōmatsu Haruo (47-52), historien de la stratégie et doyen de la faculté des relations internationales de l'Académie de défense nationale (防衛大学校, Bōei Daigakkō) à Yokosuka. Nous considérons cette contribution comme la plus précieuse parmi celles incluses dans ce numéro de Limes. En effet, la précieuse perspicacité de Tōmatsu, notamment dans sa réflexion aiguë sur le dualisme entre Armée et Marine dans les hiérarchies militaires japonaises (48), constamment développé à partir de la restauration Meiji (1868), est une donnée historique cruciale pour la compréhension de la première période Shōwa (1926-1945) et que nous avons rarement eu la chance de retrouver dans les études des noms blasonnés - plus pour la gloire que pour la valeur tangible - de la yamatologie contemporaine. Cette rivalité acharnée entre l'armée et la marine s'accentue avec l'implication directe du Soleil Levant dans les affaires chinoises, faisant que la première, c'est-à-dire l'armée, gagne de plus en plus de poids politique, jusqu'à s'imposer comme le pouvoir du gouvernement proprement dit, inaugurant ce que les spécialistes ont l'habitude d'appeler le militarisme japonais, également défini comme: "Vallée sombre" (黒い谷, "Kuroi Tani").

Tōmatsu fait référence à un changement en cours au Japon, empreint de malaise, qu'il décrit comme: "Une phase délicate de suspension, en attente de devenir autre chose". D'un côté, il y a les bureaucrates, en charge de la politique étrangère depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui ont perdu toute sensibilité stratégique parce qu'ils sont habitués à compter sur les États-Unis. [Enfin, il y a des amiraux et des généraux, nostalgiques de l'empire, qui voudraient inaugurer une nouvelle saison expansionniste, sans envisager les graves conséquences que cela entraînerait. Le résultat est un pays qui oscille entre un nihilisme indolent et une agressivité réprimée [...]". (47). En répondant précisément à chacune des questions que Fabbri lui pose, l'érudit japonais offre de nombreuses pistes de réflexion non seulement sur le positionnement politique et stratégique actuel de son pays, mais surtout en le reliant à l'histoire récente de l'Archipel. Pour cette raison, nous considérons cet entretien comme un élément bibliographique qui devrait être constamment présent dans les futures études géopolitiques sur le Japon. 

Autres écrits plus utiles

Il y a cependant d'autres écrits d'un intérêt certain inclus dans ce volume. Par exemple, celle de Nishio Takashi: Long live the todōfuken (53-59), dans laquelle il aborde la question de savoir comment les préfectures du pays ne sont plus aujourd'hui de simples unités administratives, mais des "entités écologiques", linguistiques et culturelles, capables même de façonner l'identité individuelle des citoyens. 

Nishio explique comment, dans le système de gouvernance japonais actuel (un mot mal aimé, à juste titre, par le courant géopolitique traditionnel), le système des autonomies locales (todōfuken) est le plus ancien et le plus consolidé. On dénombre pas moins de 47 todōfuken dans l'archipel, dont les noms et les limites sont restés quasiment inchangés depuis la restauration Meiji. Cependant, si ces unités d'autonomie locale semblent être restées inchangées, leurs caractéristiques politiques et sociales ont, au contraire, changé de façon spectaculaire depuis l'établissement de l'État centralisé de la période Meiji. 

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Le thème est traité dans l'article intitulé The Demographic Crisis and a New Meiji Restoration (73-78) de Stephen R. Nagy et est d'une actualité brûlante. Il y aborde la question du vieillissement très rapide de la population au Japon, une situation qui crée d'énormes problèmes sociaux et, surtout, économiques. Résoudre ce problème, même si une véritable solution ne semble pas avoir été trouvée par les dirigeants du pays, est d'une importance vitale. Par exemple, on tente de "remplacer" les gens par des robots - l'automate a toujours été un élément de grande fascination dans cette culture - pour certains emplois sociaux, bien que cela semble un remède plus proche de la science-fiction que de la vie réelle. 

L'urgence démographique a incité le Parlement à adopter des politiques économiques, sécuritaires, migratoires et culturelles qui promettent de changer le visage du pays, même si dans le cœur des Japonais, à chaque grand changement, ils espèrent rester les mêmes. 

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Un thème que très peu de gens connaissent, et que presque aucun japonologue italien n'est coupable d'aborder, est celui que l'on trouve dans l'article de Ian Neary : Burakumin, the last ones will remain last (83-87), où il raconte la discrimination à l'égard des membres de la caste des exclus (en particulier les descendants des tanneurs de cuir), une forme de "racisme interne" qui révèle l'obsession toute japonaise de la pureté du sang. En fait, il existe même au Japon des agences d'enquête spéciales qui recherchent le passé des gens pour empêcher les mariages "mixtes". Toutefois, il convient de mentionner qu'en décembre 2016, la Diète (le Parlement japonais) a adopté une loi visant à promouvoir l'élimination de la discrimination à l'égard des burakumin (un terme que l'on peut traduire par "gens du village" ou "gens du canton"). C'est la première fois qu'un texte législatif fait référence à la ghettoïsation des communautés buraku. 

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Peu de pays ont lié leur histoire nationale à celle de leur marine autant que le Japon au cours des deux cents dernières années, comme nous le raconte Alberto de Sanctis dans son article : La rinascita della flotta nipponica nel nome delle antiche glorie (97-105). Au cours des quelques décennies entre les XIXe et XXe siècles, la flotte de combat japonaise (海軍, kaigun) a connu une croissance rapide et exponentielle qui lui a permis de jouer un rôle crucial dans l'histoire de l'Asie. Pendant des décennies, symbole incontesté du pouvoir impérial, la marine japonaise a contribué à faire du pays l'une des plus grandes puissances militaires de la première moitié du XXe siècle. 

Japan-South-Korea-Rising-Sun-Flag-Conflict-003.jpg

Il était bien sûr inévitable que la question de l'abdication prochaine du roi Akihito, prévue en 2019, soit abordée. Hosaka Yuji le fait dans : Le visage humain de l'empereur (121-125). Cet événement rappelle, bien qu'à distance, l'abdication du pape Benoît XVI le 28 février 2013, et fait prendre conscience au monde entier de la fragilité embarrassante, pour les Japonais, d'un souverain que, malgré les événements constitutionnels de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup dans l'Archipel n'ont jamais cessé de considérer comme divin. De plus, étant donné que le système actuel de l'empereur-symbole n'envisage pas un tel cas, la population japonaise a réagi avec une grande consternation à la décision de l'empereur (Tennō) d'abandonner essentiellement son rôle pour des problèmes personnels, comme si la nature humaine et divine de Tennō pouvait être séparée.

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Enfin, si nous pensons à l'évolution du scénario politique de l'Extrême-Orient, il est très utile d'avoir abordé l'occupation japonaise (de 1910 à 1945) de la péninsule coréenne ; un épisode colonial qui a vu les Japonais commettre parfois de véritables crimes, notamment le phénomène des femmes dites de réconfort : de jeunes Coréennes contraintes de satisfaire les besoins sexuels de l'armée impériale. Une blessure, comme le raconte Antonio Fiori dans son article: Le détroit de Corée est toujours plus large (227-234), qui continue de peser sur les relations entre Tōkyō et la Corée du Sud, tandis qu'à l'opposé, l'enlèvement jamais élucidé de citoyens japonais par des agents de Pyongyang crée toujours des tensions. À cet égard, en Occident également, le cas de Yokota Megumi, qui a été enlevée par des agents infiltrés par la Corée du Nord, en novembre 1977, et n'est jamais rentrée chez elle, a fait la une des journaux. A ce sujet, le texte du journaliste Antonio Moscatello a été récemment publié : MEGUMI. Histoires d'enlèvements et d'espions de Corée du Nord (Naples, Rogiosi, 2017).

Le Japon ne fait pas de révolution, mais renaît !

41voLvOoGlL._SX306_BO1,204,203,200_.jpgEn résumé, nous pouvons constater qu'il y a de nombreuses cartes et graphiques dans cet intéressant numéro de Limes, comme pour réitérer la primauté de la géographie sur la philosophie politique si chère à Haushofer lui-même. Ce n'est pas pour rien qu'il est à l'origine de la création de l'école géopolitique japonaise, qui a fortement orienté les choix du gouvernement pendant la période du militarisme. Certains des principes fondateurs du Nippon Chiseigaku (chi/terre [地], sei/politique [政], gaku/étude [学]) visaient à dénoncer la "brutalité des Blancs", dont Julius Evola fut le premier à parler dans son article, comme toujours prophétique: Oracca all'Asia. Il tramonto dell'Oriente (initialement publié dans Il Nazionale, II, 41, 8 octobre 1950 et maintenant inclus dans Julius Evola, Fascismo Giappone Zen. Scritti sull'Oriente 1927 - 1975, Riccardo Rosati [ed.], Rome, Pages, 2016). Pour les Japonais, leur expansion imparable en Asie était une "guerre de libération de la domination coloniale blanche" (23). Et, comme le rapporte à juste titre l'Editorial cité ici, l'apport de la pensée de Haushofer a été d'une énorme importance dans la structuration d'une haute idée de l'impérialisme japonais: "Le pan-continentalisme de l'école haushoferienne a contribué à structurer le projet de la Grande Asie orientale [...]" (26).

Le " Japon profond " dont on parle parfois n'est pas aussi connu qu'on le croit. Elle a été, et est encore, un noyau, essentiellement familier, au sommet duquel se dresse la figure du Souverain. L'américanisme de l'après-guerre a affaibli cette structure sociale exceptionnelle, exclusivement japonaise. Ce phénomène dissuasif de colonisation culturelle a été partiellement stoppé par la tragédie naturelle qui a frappé la région du Tōhoku le 11 mars 2011. Cet événement malheureux a cependant permis la renaissance du kizuna (絆, "lien"), recompactant toute une nation, alors hébétée par une aliénation de l'individu qui a atteint son apogée avec le phénomène des Hikikomori (引き篭り, littéralement: "ceux qui restent entre eux"), les jeunes qui s'enferment chez eux pendant des années, vivant une réalité faite uniquement d'Internet et de télévision, refusant tout contact direct avec les autres (à ce sujet, nous vous recommandons la série animée intelligente: Welcome to the N. H.K. [24 épisodes, 2006], réalisé par Yamamoto Yūsuke).

nhk-ni-youkoso_t33581_18.jpgAujourd'hui, c'est un devoir pour un japonologue qui n'est pas esclave du globalisme de parler d'un Japon très différent, peut-être même meilleur et plus fort que celui que nous aimions quand nous étions enfants, puisqu'il est redevenu un Pays/Peuple, ce dont nous, Italiens, ne parvenons jamais à comprendre l'importance. 

L'éditorial du Limes se termine par une sorte de provocation: "Parmi les survivances des anciennes gloires, le bushidō ne semble pas briller. Pour la tristesse, nous l'imaginons, des esprits samouraïs" (29); presque comme si nous voulions nous moquer de manière incompréhensible de l'héritage politique et moral du grand Mishima Yukio, encourageant ainsi ce "Japon perdant", auquel nous avons consacré il y a quelques années un volume spécialisé agile (voir Riccardo Rosati, Perdendo il Giappone, Roma, Armando Editore, 2005).  Nous ne pouvons certainement pas nous réjouir de cette position, car elle révèle précisément cette méconnaissance déjà stigmatisée du " Japon profond ". 

Il est nécessaire de réaliser que ce que certains dirigeants conservateurs de l'Archipel, comme Ozawa Ichirō, voulaient et veulent encore aujourd'hui, c'est un retour à un "Japon normal" (22). En effet, un message, pas trop voilé, que l'on peut voir courir sous la surface de cette publication, est que le "révisionnisme historique" au Japon a des racines vigoureuses et que l'Occident atlantiste, qui est un point de référence pour un magazine comme Limes, ne le voit pas d'un bon œil. Encore une fois, bien que nous soyons loin de ces positions, nous ne pouvons pas nier l'exactitude des données ; il suffit de rappeler une figure telle que l'homme politique et écrivain Ishihara Shintarō, qui était aussi un ami de Mishima, qui a toujours soutenu que le Massacre ou le Viol de Nankin, perpétré pendant les six semaines qui ont suivi l'occupation de la ville par les troupes japonaises en décembre 1937, n'était que le résultat de la propagande du gouvernement de Pékin.

L'éditorial confirme également que quelque chose est en train de renaître au Soleil Levant, qui fera peut-être reculer les mains de l'histoire: "D'où le caractère unique de la nation japonaise, qui change tout en restant elle-même. Capable de voir sans être vu. Offrir au "barbare" le visage commode (tatemae), pour lui-même garder la pensée intime, authentique (hon'ne). Garder l'harmonie (wa), le bien suprême" (8). Ceci dit, pour rappeler combien le lexique est aussi un élément géopolitique, nous pensons que le titre même de ce livre est conceptuellement incorrect, étant donné qu'associer ce pays au mot "révolution" est mystifiant, puisqu'il l'a toujours abhorré, voir la Restauration (ou Renouveau) Meiji de 1868. D'ailleurs, l'un des plus grands spécialistes du Japon au siècle dernier, l'Italien Fosco Maraini, ne pensait pas différemment de nous: "Le cas japonais est extraordinairement intéressant en ce qu'il offre un exemple classique d'imperméabilité obstinée aux interprétations marxistes, de transparence lumineuse aux interprétations wébériennes" (Fosco Maraini, Ore giapponesi, Milan, Corbaccio, 2000, p. 13).

* Merci à la collègue orientaliste Annarita Mavelli pour ses suggestions et sa révision du texte.

@barbadilloit
Riccardo Rosati

Le Japon selon le magazine Limes

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Le Japon selon la revue Limes

par Riccardo Rosati

Ex: https://www.barbadillo.it/76650-focus-il-giappone-secondo-il-periodico-limes-con-insofferenza-per-il-nazionalismo-al-governo/?fbclid=IwAR2iDgug2BU7isJXNpWRK6Jw5WoesNnc3BQFG5VXfbHElxcrpXjHMFlQ9y8

Une clarification et une orientation méthodologiques essentielles

Parler de Roland Barthes, c'est généralement parler de l'écriture, du texte, de la signification, et plus encore du sens. La question plus que légitime serait de savoir pourquoi cette référence au grand linguiste et homme de lettres français est faite dans une analyse de la monographie que le célèbre magazine géopolitique Limes a consacré au Japon en février dernier. À première vue, on pourrait penser à une référence au merveilleux texte que Barthes a adressé à ce pays, intitulé L'Empire des signes (1970), mais ce n'est pas le cas. La raison qui nous a poussés à commencer ces réflexions en parlant de l'écriture elle-même réside dans le fait que même un champ d'investigation et de recherche comme la géopolitique change de perspective, tout en révélant son identité, en fonction du lexique utilisé et de la manière dont les phrases sont formées. La première, qui est celle du Limes, tend à ne pas être hostile au global et au progrès d'une matrice technocratique; la seconde, suivie par moi-même, est au contraire encadrée par une position traditionaliste, pour laquelle, reprenant un concept cher au célèbre géopolitologue allemand Karl Haushofer (1869-1946), les nations sont toujours et avant tout: "le sang et le sol". 

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Nous avons ressenti le besoin de faire une telle introduction, car si, pour le volume que nous allons analyser, il nous arrive d'être en désaccord avec certaines des positions qui y sont exprimées, dans la plupart des cas, ce ne sera pas à cause de la qualité intrinsèque des articles individuels, qui sont pour la plupart d'un bon niveau, mais presque exclusivement à cause d'une distance méthodologique et intellectuelle insoluble. 

La contribution la plus intéressante du numéro de Limes est intitulée : La révolution japonaise, et se trouve probablement dans l'éditorial lui-même (7-29), dans son examen articulé qui ne se limite pas à anticiper synthétiquement, comme cela arrive souvent dans des écrits de ce genre, les thèmes abordés ensuite par les différents articles, mais se concentre à proposer, même avec une certaine conviction, la perspective que Limes a sur la situation politique actuelle de l'Archipel. Il n'y a pas d'objection à cela, si ce n'est l'absence de signature de la personne qui a écrit cet éditorial ; un défaut, à notre humble avis, qui dénote une vocation d'écriture plus journalistique qu'académique. Moins "neutre", en revanche, est la compréhension schématique et partielle du Premier ministre japonais Abe Shinzō, qui apparaît comme une sorte de "refrain" dans les différentes contributions, mais uniquement dans celles signées par des Italiens. Néanmoins, malgré l'intolérance habituelle de la gauche italienne envers les soi-disant "hommes forts" aux penchants nationalistes, l'honnêteté intellectuelle nous oblige à reconnaître une part de vérité dans le jugement suivant sur la politique du Premier ministre japonais: "Jouer la carte de l'accord entre les démocraties libérales à des fins de propagande [...]" (18-20). 

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Le Japon est un monde à part, comme le savent les spécialistes, et un aspect important de ce numéro est précisément l'utilisation des réflexions de divers chercheurs et professeurs japonais, afin d'offrir une perspective interne sur les changements en cours au Soleil Levant. Plus d'une de ces contributions traite de la manière dont l'Empire japonais a étendu son influence pendant des années brèves mais décisives, en essayant en vain d'ériger la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, jusqu'à son effondrement en 1945, lorsque les États-Unis, afin d'éviter une invasion directe du Japon, l'ont contraint à se rendre par un double bombardement atomique, criminel selon nous. Pour la première fois dans son histoire légendaire, l'Empire du Soleil est soumis au joug étranger, asservi à ceux que l'on appelle les "yeux bleus" (aoime), c'est-à-dire les Occidentaux. 

Depuis son formidable redressement d'après-guerre, le Japon est synonyme, pour le reste du monde, d'avant-garde technologique, de locomotive industrielle internationale et de puissance financière et commerciale qui, dans les années 1980, semblait sur le point de dépasser même les États-Unis, dont ce pays asiatique complexe a été pendant des années une sorte de "serviteur géopolitique", agissant comme un porte-avions naturel, gardant l'océan Pacifique. La Seconde Guerre mondiale a fait du Japon un cas rare de coexistence d'une puissance économique et d'une minorité politique. 

Bien que réduit à l'état de vassal des États-Unis, le Soleil Levant a su préserver son caractère, rester fidèle à sa mission patriotique supérieure en s'adaptant, par la force et non par le choix, et il faut toujours le garder à l'esprit, aux contraintes imposées par l'allié gênant.  Néanmoins, cette grande nation a vécu jusqu'à aujourd'hui, changeant de peau mais certainement pas d'âme. Et pourtant, comme le souligne à juste titre l'éditorial, le "problème américain" existe toujours, ou plutôt est encore plus grand que par le passé, pour le Japon, dans sa nécessité, qui n'est guère facile: "Mais les réalistes de tonalité modérée - faisons abstraction des nombreux pacifistes et autres idéalistes - tendent à constater que la contrainte américaine subie reste pour l'instant indispensable face à la résurgence de la puissance chinoise, à l'hypothèque nucléaire nord-coréenne [...]" (15).

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Deux écrits particulièrement intéressants

Comme mentionné, en général, toutes les contributions de la revue sont au moins intéressantes. Pour des raisons compréhensibles d'espace, nous nous attarderons ci-dessous sur ceux qui ont le plus retenu notre attention. 

Nous aimerions tout d'abord mentionner l'article de Dario Fabbri, intitulé : L'importanza di essere Giappone (33-45), qui est essentiellement un "écho" de ce qui a déjà été dit dans l'éditorial, mais dans lequel nous trouvons quelques indications valables sur la formidable capacité de résistance et d'innovation de l'Archipel et de son Peuple. 

Tōkyō réintègre la dimension géopolitique, sous le signe d'un ancien adage japonais : Keizoku wa chikara nari (継続は力なり, "Continuer, c'est pouvoir"). En fait, il n'y a aucun autre pays qui ait changé aussi radicalement, aussi rapidement et avec des effets aussi extrêmes au cours des deux derniers siècles que le Japon. D'un archipel isolé à une puissance coloniale en moins de trente ans ; d'une nation, bien que seulement formellement, historiquement vassale de la Chine, à un hégémon asiatique ; d'un ennemi juré des Américains à leur allié, tout en s'imposant comme l'avant-garde technologique de la planète. Des bouleversements effrayants qui auraient désintégré n'importe quelle communauté, démembré n'importe quel peuple, mais certainement pas les Japonais, telles sont les observations correctes de l'auteur.

Après tout, malgré l'ascension fulgurante du géant chinois au cours des quinze dernières années, le Japon reste la troisième économie mondiale. De même, la modernité obligatoire qui s'est emparée d'elle depuis la Seconde Guerre mondiale a sapé divers éléments: la langue, les coutumes et même le régime alimentaire, mais certainement pas sa véritable identité ethnique. En outre, au Pays du Soleil Levant, la confiance absolue dans la hiérarchie reste inchangée, ce qui a permis à la nation de se survivre et d'être essentiellement la culture unique qu'elle est. Un pays que l'on pourrait se risquer à résumer par un double axiome : la solidité en a fait un sujet ethnique incontournable ; tant de substance empêche ponctuellement sa compréhension à l'extérieur. 

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Le document de Fabbri, non pas en termes de style, mais en termes de contenu, nous trouve substantiellement en accord, sauf que la perspective que nous avons mentionnée au début nous oblige à reconnaître une erreur, et nous espérons qu'on nous pardonnera d'être draconien, ce qui est capital. C'est-à-dire définir le Japon comme une "thalassocratie" (33). Techniquement, une telle affirmation est correcte, mais seulement si l'on conçoit la géopolitique comme un réseau d'interactions économico-politiques; selon un point de vue moderne, donc dépourvu de la compréhension de l'essence spirituelle qui connote les lieux habités par les peuples, surtout dans le cas du Japon, puisque, comme l'explique encore Haushofer dans son texte extraordinaire: Il Giappone costruisce il suo impero (Parma, All'insegna Del Veltro, 1999), le Soleil Levant s'est effectivement déplacé dans la période de son expansionnisme en Asie à travers le vecteur maritime, mais pas du tout poussé par les vils objectifs mercantiles qui ont caractérisé d'abord l'Empire britannique et ensuite les Etats-Unis. Le Japon impérial était "en forme" une thalassocratie, mais dans la réalité historique, il s'est comporté comme une "tellurocratie". Ces différences de perspective peuvent sembler anodines, mais elles ne le sont pas ; au contraire, on mesure ici deux visions du monde absolument irréconciliables. 

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Fabbri a également édité une conversation très intéressante avec Tōmatsu Haruo (47-52), historien de la stratégie et doyen de la faculté des relations internationales de l'Académie de défense nationale (防衛大学校, Bōei Daigakkō) à Yokosuka. Nous considérons cette contribution comme la plus précieuse parmi celles incluses dans ce numéro de Limes. En effet, la précieuse perspicacité de Tōmatsu, notamment dans sa réflexion aiguë sur le dualisme entre Armée et Marine dans les hiérarchies militaires japonaises (48), constamment développé à partir de la restauration Meiji (1868), est une donnée historique cruciale pour la compréhension de la première période Shōwa (1926-1945) et que nous avons rarement eu la chance de retrouver dans les études des noms blasonnés - plus pour la gloire que pour la valeur tangible - de la yamatologie contemporaine. Cette rivalité acharnée entre l'armée et la marine s'accentue avec l'implication directe du Soleil Levant dans les affaires chinoises, faisant que la première, c'est-à-dire l'armée, gagne de plus en plus de poids politique, jusqu'à s'imposer comme le pouvoir du gouvernement proprement dit, inaugurant ce que les spécialistes ont l'habitude d'appeler le militarisme japonais, également défini comme: "Vallée sombre" (黒い谷, "Kuroi Tani").

Tōmatsu fait référence à un changement en cours au Japon, empreint de malaise, qu'il décrit comme: "Une phase délicate de suspension, en attente de devenir autre chose". D'un côté, il y a les bureaucrates, en charge de la politique étrangère depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui ont perdu toute sensibilité stratégique parce qu'ils sont habitués à compter sur les États-Unis. [Enfin, il y a des amiraux et des généraux, nostalgiques de l'empire, qui voudraient inaugurer une nouvelle saison expansionniste, sans envisager les graves conséquences que cela entraînerait. Le résultat est un pays qui oscille entre un nihilisme indolent et une agressivité réprimée [...]". (47). En répondant précisément à chacune des questions que Fabbri lui pose, l'érudit japonais offre de nombreuses pistes de réflexion non seulement sur le positionnement politique et stratégique actuel de son pays, mais surtout en le reliant à l'histoire récente de l'Archipel. Pour cette raison, nous considérons cet entretien comme un élément bibliographique qui devrait être constamment présent dans les futures études géopolitiques sur le Japon. 

Autres écrits plus utiles

Il y a cependant d'autres écrits d'un intérêt certain inclus dans ce volume. Par exemple, celle de Nishio Takashi: Long live the todōfuken (53-59), dans laquelle il aborde la question de savoir comment les préfectures du pays ne sont plus aujourd'hui de simples unités administratives, mais des "entités écologiques", linguistiques et culturelles, capables même de façonner l'identité individuelle des citoyens. 

Nishio explique comment, dans le système de gouvernance japonais actuel (un mot mal aimé, à juste titre, par le courant géopolitique traditionnel), le système des autonomies locales (todōfuken) est le plus ancien et le plus consolidé. On dénombre pas moins de 47 todōfuken dans l'archipel, dont les noms et les limites sont restés quasiment inchangés depuis la restauration Meiji. Cependant, si ces unités d'autonomie locale semblent être restées inchangées, leurs caractéristiques politiques et sociales ont, au contraire, changé de façon spectaculaire depuis l'établissement de l'État centralisé de la période Meiji. 

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Le thème est traité dans l'article intitulé The Demographic Crisis and a New Meiji Restoration (73-78) de Stephen R. Nagy et est d'une actualité brûlante. Il y aborde la question du vieillissement très rapide de la population au Japon, une situation qui crée d'énormes problèmes sociaux et, surtout, économiques. Résoudre ce problème, même si une véritable solution ne semble pas avoir été trouvée par les dirigeants du pays, est d'une importance vitale. Par exemple, on tente de "remplacer" les gens par des robots - l'automate a toujours été un élément de grande fascination dans cette culture - pour certains emplois sociaux, bien que cela semble un remède plus proche de la science-fiction que de la vie réelle. 

L'urgence démographique a incité le Parlement à adopter des politiques économiques, sécuritaires, migratoires et culturelles qui promettent de changer le visage du pays, même si dans le cœur des Japonais, à chaque grand changement, ils espèrent rester les mêmes. 

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Un thème que très peu de gens connaissent, et que presque aucun japonologue italien n'est coupable d'aborder, est celui que l'on trouve dans l'article de Ian Neary : Burakumin, the last ones will remain last (83-87), où il raconte la discrimination à l'égard des membres de la caste des exclus (en particulier les descendants des tanneurs de cuir), une forme de "racisme interne" qui révèle l'obsession toute japonaise de la pureté du sang. En fait, il existe même au Japon des agences d'enquête spéciales qui recherchent le passé des gens pour empêcher les mariages "mixtes". Toutefois, il convient de mentionner qu'en décembre 2016, la Diète (le Parlement japonais) a adopté une loi visant à promouvoir l'élimination de la discrimination à l'égard des burakumin (un terme que l'on peut traduire par "gens du village" ou "gens du canton"). C'est la première fois qu'un texte législatif fait référence à la ghettoïsation des communautés buraku. 

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Peu de pays ont lié leur histoire nationale à celle de leur marine autant que le Japon au cours des deux cents dernières années, comme nous le raconte Alberto de Sanctis dans son article : La rinascita della flotta nipponica nel nome delle antiche glorie (97-105). Au cours des quelques décennies entre les XIXe et XXe siècles, la flotte de combat japonaise (海軍, kaigun) a connu une croissance rapide et exponentielle qui lui a permis de jouer un rôle crucial dans l'histoire de l'Asie. Pendant des décennies, symbole incontesté du pouvoir impérial, la marine japonaise a contribué à faire du pays l'une des plus grandes puissances militaires de la première moitié du XXe siècle. 

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Il était bien sûr inévitable que la question de l'abdication prochaine du roi Akihito, prévue en 2019, soit abordée. Hosaka Yuji le fait dans : Le visage humain de l'empereur (121-125). Cet événement rappelle, bien qu'à distance, l'abdication du pape Benoît XVI le 28 février 2013, et fait prendre conscience au monde entier de la fragilité embarrassante, pour les Japonais, d'un souverain que, malgré les événements constitutionnels de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup dans l'Archipel n'ont jamais cessé de considérer comme divin. De plus, étant donné que le système actuel de l'empereur-symbole n'envisage pas un tel cas, la population japonaise a réagi avec une grande consternation à la décision de l'empereur (Tennō) d'abandonner essentiellement son rôle pour des problèmes personnels, comme si la nature humaine et divine de Tennō pouvait être séparée.

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Enfin, si nous pensons à l'évolution du scénario politique de l'Extrême-Orient, il est très utile d'avoir abordé l'occupation japonaise (de 1910 à 1945) de la péninsule coréenne ; un épisode colonial qui a vu les Japonais commettre parfois de véritables crimes, notamment le phénomène des femmes dites de réconfort : de jeunes Coréennes contraintes de satisfaire les besoins sexuels de l'armée impériale. Une blessure, comme le raconte Antonio Fiori dans son article: Le détroit de Corée est toujours plus large (227-234), qui continue de peser sur les relations entre Tōkyō et la Corée du Sud, tandis qu'à l'opposé, l'enlèvement jamais élucidé de citoyens japonais par des agents de Pyongyang crée toujours des tensions. À cet égard, en Occident également, le cas de Yokota Megumi, qui a été enlevée par des agents infiltrés par la Corée du Nord, en novembre 1977, et n'est jamais rentrée chez elle, a fait la une des journaux. A ce sujet, le texte du journaliste Antonio Moscatello a été récemment publié : MEGUMI. Histoires d'enlèvements et d'espions de Corée du Nord (Naples, Rogiosi, 2017).

Le Japon ne fait pas de révolution, mais renaît !

41voLvOoGlL._SX306_BO1,204,203,200_.jpgEn résumé, nous pouvons constater qu'il y a de nombreuses cartes et graphiques dans cet intéressant numéro de Limes, comme pour réitérer la primauté de la géographie sur la philosophie politique si chère à Haushofer lui-même. Ce n'est pas pour rien qu'il est à l'origine de la création de l'école géopolitique japonaise, qui a fortement orienté les choix du gouvernement pendant la période du militarisme. Certains des principes fondateurs du Nippon Chiseigaku (chi/terre [地], sei/politique [政], gaku/étude [学]) visaient à dénoncer la "brutalité des Blancs", dont Julius Evola fut le premier à parler dans son article, comme toujours prophétique: Oracca all'Asia. Il tramonto dell'Oriente (initialement publié dans Il Nazionale, II, 41, 8 octobre 1950 et maintenant inclus dans Julius Evola, Fascismo Giappone Zen. Scritti sull'Oriente 1927 - 1975, Riccardo Rosati [ed.], Rome, Pages, 2016). Pour les Japonais, leur expansion imparable en Asie était une "guerre de libération de la domination coloniale blanche" (23). Et, comme le rapporte à juste titre l'Editorial cité ici, l'apport de la pensée de Haushofer a été d'une énorme importance dans la structuration d'une haute idée de l'impérialisme japonais: "Le pan-continentalisme de l'école haushoferienne a contribué à structurer le projet de la Grande Asie orientale [...]" (26).

Le " Japon profond " dont on parle parfois n'est pas aussi connu qu'on le croit. Elle a été, et est encore, un noyau, essentiellement familier, au sommet duquel se dresse la figure du Souverain. L'américanisme de l'après-guerre a affaibli cette structure sociale exceptionnelle, exclusivement japonaise. Ce phénomène dissuasif de colonisation culturelle a été partiellement stoppé par la tragédie naturelle qui a frappé la région du Tōhoku le 11 mars 2011. Cet événement malheureux a cependant permis la renaissance du kizuna (絆, "lien"), recompactant toute une nation, alors hébétée par une aliénation de l'individu qui a atteint son apogée avec le phénomène des Hikikomori (引き篭り, littéralement: "ceux qui restent entre eux"), les jeunes qui s'enferment chez eux pendant des années, vivant une réalité faite uniquement d'Internet et de télévision, refusant tout contact direct avec les autres (à ce sujet, nous vous recommandons la série animée intelligente: Welcome to the N. H.K. [24 épisodes, 2006], réalisé par Yamamoto Yūsuke).

nhk-ni-youkoso_t33581_18.jpgAujourd'hui, c'est un devoir pour un japonologue qui n'est pas esclave du globalisme de parler d'un Japon très différent, peut-être même meilleur et plus fort que celui que nous aimions quand nous étions enfants, puisqu'il est redevenu un Pays/Peuple, ce dont nous, Italiens, ne parvenons jamais à comprendre l'importance. 

L'éditorial du Limes se termine par une sorte de provocation: "Parmi les survivances des anciennes gloires, le bushidō ne semble pas briller. Pour la tristesse, nous l'imaginons, des esprits samouraïs" (29); presque comme si nous voulions nous moquer de manière incompréhensible de l'héritage politique et moral du grand Mishima Yukio, encourageant ainsi ce "Japon perdant", auquel nous avons consacré il y a quelques années un volume spécialisé agile (voir Riccardo Rosati, Perdendo il Giappone, Roma, Armando Editore, 2005).  Nous ne pouvons certainement pas nous réjouir de cette position, car elle révèle précisément cette méconnaissance déjà stigmatisée du " Japon profond ". 

Il est nécessaire de réaliser que ce que certains dirigeants conservateurs de l'Archipel, comme Ozawa Ichirō, voulaient et veulent encore aujourd'hui, c'est un retour à un "Japon normal" (22). En effet, un message, pas trop voilé, que l'on peut voir courir sous la surface de cette publication, est que le "révisionnisme historique" au Japon a des racines vigoureuses et que l'Occident atlantiste, qui est un point de référence pour un magazine comme Limes, ne le voit pas d'un bon œil. Encore une fois, bien que nous soyons loin de ces positions, nous ne pouvons pas nier l'exactitude des données ; il suffit de rappeler une figure telle que l'homme politique et écrivain Ishihara Shintarō, qui était aussi un ami de Mishima, qui a toujours soutenu que le Massacre ou le Viol de Nankin, perpétré pendant les six semaines qui ont suivi l'occupation de la ville par les troupes japonaises en décembre 1937, n'était que le résultat de la propagande du gouvernement de Pékin.

L'éditorial confirme également que quelque chose est en train de renaître au Soleil Levant, qui fera peut-être reculer les mains de l'histoire: "D'où le caractère unique de la nation japonaise, qui change tout en restant elle-même. Capable de voir sans être vu. Offrir au "barbare" le visage commode (tatemae), pour lui-même garder la pensée intime, authentique (hon'ne). Garder l'harmonie (wa), le bien suprême" (8). Ceci dit, pour rappeler combien le lexique est aussi un élément géopolitique, nous pensons que le titre même de ce livre est conceptuellement incorrect, étant donné qu'associer ce pays au mot "révolution" est mystifiant, puisqu'il l'a toujours abhorré, voir la Restauration (ou Renouveau) Meiji de 1868. D'ailleurs, l'un des plus grands spécialistes du Japon au siècle dernier, l'Italien Fosco Maraini, ne pensait pas différemment de nous: "Le cas japonais est extraordinairement intéressant en ce qu'il offre un exemple classique d'imperméabilité obstinée aux interprétations marxistes, de transparence lumineuse aux interprétations wébériennes" (Fosco Maraini, Ore giapponesi, Milan, Corbaccio, 2000, p. 13).

* Merci à la collègue orientaliste Annarita Mavelli pour ses suggestions et sa révision du texte.

@barbadilloit
Riccardo Rosati

La prochaine guerre des sables

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La prochaine guerre des sables

par Georges FELTIN-TRACOL

Le 17 février 1989 à Marrakech, Hassan II du Maroc, le Guide libyen Kadhafi et les présidents algérien Chadli Bendjedid, tunisien Ben Ali et mauritanien Sid'Ahmed Taya lançaient l’Union du Maghreb arabe (UMA). Cette nouvelle organisation internationale à vocation régionale entendait favoriser un espace économique commun, une union douanière et une zone de libre circulation des biens et des personnes. Cette imitation maghrébine du processus européen resta néanmoins inachevée, car ce projet ambitieux fut très tôt miné par la vieille rivalité entre le Maroc et l’Algérie.

Cinq ans plus tard, le 24 août 1994, suite à un attentat commis contre l’hôtel Atlas - Asni à Marrakech, le Maroc imposait le visa pour les Algériens. Soutien indéfectible du Front Polisario, l’Algérie répondait par la fermeture de sa frontière terrestre avec son voisin occidental. Les contentieux ne manquent plus entre Alger et Rabat.

Outre la question du Sahara occidental annexé par le Maroc, l’Algérie se méfie depuis soixante ans des revendications territoriales de son voisin. Dès la fin du protectorat français en 1956, l’Istiqlal, le parti indépendantiste, évoque un « Grand Maroc », soit un royaume qui engloberait non seulement le Sahara occidental à l’époque espagnol, mais aussi toute la Mauritanie, l’Ouest sahélien du Mali jusqu’aux portes de Tombouctou et l’Ouest algérien avec les régions de Tindouf, de Béchar, d’In Salah et de Figuig.

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Ces dissensions frontalières suscitent d’ailleurs entre septembre 1963 et février 1964 un conflit armé entre le jeune État algérien et le royaume alaouite : la « Guerre des Sables ». Ni l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, ni le président tunisien Habib Bourguiba ne parviennent à arrêter les combats. Le cessez-le-feu entre les belligérants revient finalement à la médiation conjointe de l’empereur éthiopien Hailé Sélassié et du président malien Modibo Keïta. Sur le terrain, l’armée royale marocaine a nettement triomphé de l’Armée de libération nationale. La victoire de Rabat contribue à affaiblir Ahmed Ben Bella et permet en 1965 le coup d’État de Houari Boumédiène. En janvier 1976, soldats algériens et marocains s’affrontent encore pendant deux jours à Amgala. Le 13 novembre 2020, l’armée marocaine intervient en force contre le Polisario afin de débloquer un axe routier près de Guerguerat. Il en découle une reprise d’intenses combats entre les Marocains et la rébellion sahraouie.

Depuis cet été 2021, on assiste à une escalade entre les deux États. Fragilisé par le Hirak, la forte contestation de la société civile lasse de subir la corruption et l’incompétence du FLN, de ses avatars politiciens et d’une clique militaire, ainsi que par les revendications autonomistes croissantes de la Kabylie, le gouvernement algérien rompt, le 24 août 2021, ses relations diplomatiques avec le Maroc. La mort, le 1er novembre dernier, de trois chauffeurs routiers qui effectuaient le trajet entre la Mauritanie et l’Algérie par des drones marocains crispent encore plus les relations bilatérales.

Les griefs de l’Algérie contre le Maroc sont variés. Alger dénonce la mainmise marocaine sur le Sahara occidental. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, désigne le représentant du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, comme un soutien actif au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie interdit, clandestin et classé comme terroriste. Les incendies de cet été qui ont ravagé les forêts algériennes seraient des actions subversives marocaines. Enfin, l’Algérie n’apprécie pas que son voisin ait rallié les « accords d’Abraham » et établi des relations diplomatiques avec l’État d’Israël. En septembre dernier, l’Algérie a aussi fermé son espace aérien à tout aéronef entrant et sortant du Maroc…

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L’accord entre Israël et le Maroc n’est pas une surprise. En échange de cette reconnaissance, les États-Unis de Donald Trump valident les droits légitimes de Rabat sur le Sahara occidental. Une importante communauté juive a longtemps vécu au Maroc. Sous le protectorat français, le drapeau marocain portait parfois en son centre une étoile à six branches. Descendant du prophète Mahomet et  « Commandeur des croyants », le roi du Maroc, apte à contenir les poussées islamistes, peut se permettre de telles initiatives. À la fin des années 1970, Hassan II fit condamner par ses oulémas et ses cadis les écrits de l’ayatollah Khomeiny jugés « hérétiques ». La dynastie marocaine entretient enfin de nombreux liens familiaux avec les principales tribus berbères si bien que le Maroc est un royaume de langue arabe avec un fort substrat ethnique berbérophone.

Tous ces faits agacent l’Algérie, adepte depuis l’indépendance d’un centralisme arabo-musulman à l’encontre des Kabyles et des Touaregs. Incapable de résoudre les crises économique et sociale, le gouvernement a interdit à compter du 1er novembre dernier l’usage du français dans les administrations et dans l’enseignement. Si le pouvoir algérien avait utilisé au cours des précédentes décennies une partie de l’argent des hydrocarbures à constituer un corps d’enseignants du premier degré dévoué à l’«algérianité» à l’instar des tristement célèbres «Hussards noirs» de la IIIe République française, une « assimilation » au modèle stato-national algérien aurait peut-être pu se réaliser. Mais c’était sans compter sur l’avidité matérielle illimitée de la caste et de ses factions.

Une nouvelle « guerre des sables » pourrait survenir dans les prochaines semaines, sinon dans les prochains mois. Fortement appuyée par la Russie et la Turquie, l’Algérie dispose dorénavant, avec l’Afrique du Sud et le Rwanda, de l’armée la plus puissante du continent africain. Une guerre à la fois cybernétique et conventionnelle telle qu’elle vient d’être pratiquée par l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh et l’Arménie, montrerait sa supériorité technique et tactique sur les troupes marocaines. On a oublié qu’au début de ce siècle, des cénacles néo-conservateurs étatsuniens envisageaient l’adhésion de l’Algérie à l’OTAN…

Il faut par conséquent suivre avec la plus grande attention tout ce qui se trame au Maghreb. Plusieurs foyers d’instabilité (la Tunisie, la Libye, le Sahel malien et nigérien, et maintenant le Maroc) entourent l’Algérie. Une guerre entre l’Algérie et le Maroc aurait de graves répercussions en France, en Belgique et en Allemagne où vivent des communautés immigrées originaires de ces États. Rien n’empêcherait qu’elles y importent une violence exacerbée.

Plus que jamais, en proie à des turbulences historiques, la rive Sud de la Méditerranée est à surveiller avec la plus grande attention possible.

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 10, mise en ligne sur Radio Méridien Zéro du 16 novembre 2021.

mercredi, 17 novembre 2021

Les Américains nous visent tous : l'alliance eurasienne doit être renforcée

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Les Américains nous visent tous : l'alliance eurasienne doit être renforcée

Leonid Savin

Source : https://www.geopolitica.ru/it/article/gli-americani-ci-prendono-tutti-di-mira-lalleanza-eurasiatica-deve-essere-rafforzata

Au cours de la dernière décennie, le rapprochement croissant entre la Turquie et la Russie a déclenché un vaste débat sur l'émergence d'un monde multipolaire dans les grands médias occidentaux. C'est pourquoi, afin de bien comprendre la dynamique du débat actuel, le juriste et journaliste turc de renom Ali Göçmen a interrogé l'expert politique russe et chef adjoint du Mouvement international Eurasia, le Dr Leonid Savin.

Ali Göçmen : Bonjour M. Savin, je voudrais tout d'abord commencer par une question sur l'évolution de la situation en Afghanistan. S'exprimant devant le Congrès américain le 7 novembre 2007, le nouveau président français, Nicolas Sarkozy, a déclaré : "La France restera en Afghanistan aussi longtemps que nécessaire parce que ce qui est en jeu là-bas, ce sont nos valeurs et les valeurs de l'Alliance atlantique. Je le dis sérieusement devant vous : l'échec n'est pas une option". Dans le contexte de cette conversation, peut-on dire que non seulement l'Amérique, mais aussi les valeurs atlantiques ont été perdues en Afghanistan ?

Leonid Savin : Absolument. Cela s'est également reflété dans les discours de plusieurs politiciens américains. Les valeurs comptent, certes. Et c'est là l'échec du libéralisme occidental, non seulement en Afghanistan mais aussi sur la scène mondiale. Mais c'est aussi un manque de confiance dans l'Occident. Même les partenaires des États-Unis ont commencé à discuter de la manière de modifier les relations avec Washington à l'avenir en raison de son comportement en Afghanistan. La frustration suscitée par la création de l'AUKUS et la décision de la France d'annuler le contrat portant sur les sous-marins australiens est un autre signe des problèmes de confiance au sein de la communauté transatlantique.

La Turquie en tant que leader et décideur régional

Ali Göçmen : Vous dites depuis longtemps que l'ordre mondial unipolaire est arrivé à son terme. De nombreux analystes affirment que le retrait américain d'Afghanistan est une proclamation symbolique d'un monde multipolaire. Le monologue est maintenant terminé et le nombre d'intervenants augmente. Quel rôle la Turquie peut-elle jouer en tant que pôle important, notamment dans le monde islamique, dans la nouvelle période ?

Leonid Savin : La Turquie s'est déjà déclarée leader et décideur régional. Toutefois, il subsiste quelques tensions avec les pays arabes et les réactions négatives de certaines forces à la présence turque en Syrie et en Irak. Les États-Unis comprennent les vulnérabilités de la Turquie, telles que la question kurde, et sont susceptibles de manipuler ce facteur pour leurs propres intérêts dans la région. L'Iran est également une puissance émergente avec un agenda spécifique et Ankara (surtout à cause de l'Azerbaïdjan) devra coordonner ses activités avec Téhéran. De notre point de vue, la Turquie peut être l'un des centres du nouvel ordre mondial polycentrique et un défenseur des valeurs traditionnelles. Il est très positif que la Turquie ait rompu certains des accords pro-occidentaux qui constituent des bombes à retardement pour la société turque. Mais la Russie, la Chine, etc. en Eurasie, devraient avoir de bonnes relations pragmatiques avec d'autres centres de pouvoir comme la Turquie.

Ali Göçmen : Début septembre, le philosophe russe Alexandre Douguine a écrit un article intitulé "La fin du monde unipolaire au lieu de la fin de l'histoire": "Selon certaines rumeurs, l'administration Biden prévoit d'utiliser des extrémistes contre la Chine et la Russie, libérant ainsi les mains des talibans (considérés comme une organisation terroriste interdite en Russie)", écrit Douguine dans son article. Pensez-vous que cela soit possible ?

Leonid Savin : Ils provoquent et attaquent la Russie à chaque fois et continueront à le faire à l'avenir. [Nous devons combattre la pression exercée par l'Occident sur Moscou par d'autres moyens que la désinformation, les opérations spéciales, la guerre par procuration (où le terrorisme est utile), les lois, les sanctions, la diplomatie préventive...]. Et pas seulement à Moscou. N'oublions pas que certaines sanctions ont également été imposées par les États-Unis et leurs alliés à la Turquie ! Cependant, l'Afghanistan a un impact sur certains pays d'Asie centrale dans le domaine des intérêts russes. Moscou doit donc réagir là aussi. Et la Russie est prête.

En Syrie : les mesures à prendre

Ali Göçmen : Comme je l'ai dit, au début du mois de septembre, le philosophe russe Alexandre Douguine a écrit un article intitulé "La fin du monde unipolaire au lieu de la fin de l'histoire". Bien qu'il y ait eu quelques désaccords au cours de l'histoire, la Russie et la Turquie sont fondamentalement des amis proches. Récemment, ces relations amicales se sont encore renforcées. Enfin, les efforts désintéressés des pilotes russes lors des grands incendies de forêt du mois d'août ont été accueillis avec gratitude par la nation turque. La tension actuelle entre la Turquie et la Russie se concentre sur la Syrie. Comment la Turquie et la Russie, les deux acteurs importants du monde multipolaire, peuvent-ils surmonter la crise en Syrie ?

Leonid Savin : Le fait est que la Russie a été invitée en Syrie par le gouvernement légal. Et après dix ans de conflit, le gouvernement syrien est toujours au pouvoir. La présence russe était fixée par des traités. D'un point de vue rationnel, le soutien continu de la Turquie aux groupes militants aura l'effet inverse. Les tensions se situent maintenant autour de la province syrienne d'Idlib. Les Kurdes sont aussi là. La situation est complexe. Mais la Turquie a entamé le processus de normalisation avec les pays arabes et nous en voyons les fruits. Par exemple, l'activité d'opposition des médias égyptiens est désormais interdite en Turquie. Le même processus est requis pour la Syrie. Et la Russie accueillera toujours favorablement de telles mesures.

Ali Göçmen : Je veux maintenant parler de la politique eurasienne. L'idéal de l'eurasisme n'est pas seulement une question de relations internationales, il a pour base une forte philosophie. Nous le savons. L'un d'eux est la préservation de la famille et des valeurs traditionnelles pour la réhabilitation des institutions sociales corrompues par l'hégémonie libérale. Que peut-on faire pour raviver la tradition dans un monde multipolaire ? Par exemple, que pensez-vous du mariage gay, du féminisme radical, de la lutte contre l'euthanasie ?

Leonid Savin : Vous voyez, la plupart des problèmes liés à l'érosion de nos sociétés traditionnelles viennent de l'Occident. Les déviations existent dans toutes les sociétés. La question est de savoir comment y faire face. Dans les tribus amérindiennes des Amériques, l'homosexualité était définie comme la faute de la coordination du corps et de l'âme. Si le corps est mauvais, le comportement pervers commence dans l'âme (avec le sexe opposé). Il s'agit donc de spiritualité. On peut trouver des réponses à ces questions dans les religions car elles concernent Dieu, l'éternité, notre destin et les ennemis spirituels tels que les démons. Il n'y a pas de réponses à ces questions dans la culture occidentale matérielle, la psychanalyse seule est destructrice. C'est pourquoi ces activités sont exaltées politiquement en Occident. Le fondement spirituel est détruit, les problèmes s'amplifient. C'est pourquoi nous sommes dans le multiculturalisme, le transhumanisme, les LGBT, etc. Ils ont décidé de se convertir.

Le virus qui fuit vers la gauche

Ali Göçmen : Je voudrais vous faire part d'une anecdote qui est restée gravée dans ma mémoire : le clocher d'une église de village figurait en arrière-plan sur les affiches électorales de Mitterrand, l'ancien président de la France... Cela signifie : "Je suis français, pas américain. On est en France, pas à Disneyland ! Je suis dans l'ère classique de la maçonnerie de pierre, pas des tours d'acier". Mitterrand était un socialiste. Mais aujourd'hui, à gauche, les partis socialistes mettent les bannières LGBT derrière eux. Pensez-vous qu'une orientation de gauche nationale et traditionnelle soit possible dans un monde multipolaire ?

Leonid Savin : L'idée la plus forte au sein des organisations et des partis de gauche était la justice. Mais la justice n'est pas le monopole de la gauche. Elle est au cœur des deux principales religions du monde, le christianisme et l'islam. Il est intéressant de constater que certains partis socialistes utilisent le christianisme à des fins politiques (comme au Venezuela sous Hugo Chávez ou en Amérique latine en général, où est née la doctrine catholique de la théologie de la libération). Mais l'application des perversions homosexuelles et autres à la politique de gauche leur semble également dévastatrice. De plus, l'école néo-marxiste de Francfort, développée avec le soutien de la CIA, a une forte influence en tant qu'attaque idéologique contre l'Union soviétique. Le vieux poison est toujours efficace même après que la cible ait été éliminée il y a plusieurs décennies. Parallèlement, Karl Marx a utilisé les idées d'Adam Smith dans son "Capital", de sorte que les idées de la gauche y trouvent leurs racines. Bien sûr, nous devons adapter notre approche à la vision économique et réorganiser nos théories. L'économie ne peut être une fin en soi, elle est une sorte d'environnement, un processus de construction d'une maison dans nos cultures. J'ai d'ailleurs attiré l'attention sur ce problème dans mon livre Ordo Pluriversalis : Revival of the Multipolar world order, qui traite du lien entre les différentes religions et les modèles économiques.

Ali Göçmen : J'espère que votre livre sera traduit en turc et qu'il rencontrera bientôt des lecteurs turcs. Merci pour votre temps, M. Savin.

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Article original de Leonid Savin :

https://www.geopolitica.ru/en/article/usa-targeting-us-all-eurasian-alliance-must-be-strengthened

Traduction par Costantino Ceoldo

 

Alexandre Douguine: et s'il n'y a pas de guerre demain...

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S'il n'y a pas de guerre demain...

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/esli-zavtra-ne-budet-voyny

Il y a clairement eu une escalade dans les relations américano-russes ces derniers temps. C'est le deuxième épisode depuis le printemps 2021, lorsque le mondialiste Biden, soutenu par les néoconservateurs, était largement censé avoir donné le feu vert à Kiev pour une offensive dans le Donbass. Mais elle s'est limitée à la visite risible de Zelensky dans la zone ATO et aux manœuvres convaincantes des forces armées russes sur le territoire russe. C'était suffisant. 

Ensuite, Washington a tenté de faire dérailler le lancement de Nord Stream 2, mais a échoué une nouvelle fois, car les partenaires européens ont tout simplement rejeté cette politique.

Biden a ensuite mis l'accent sur le retrait des forces américaines et de leurs complices d'Afghanistan et sur la création d'une coalition anglo-saxonne (AUKUS) contre la Chine, ainsi que sur le bloc quadripartite QUAD, où les Etats-Unis incluent le Japon et l'Inde. Une fois de plus, tout s'est joué contre la Chine.

En retirant les troupes d'Afghanistan et en commençant à retirer les troupes de Syrie (jusqu'à présent elles se retirent en Irak), Biden a signalé son pacifisme, mais les alliances AUKUS et QUAD sont plutôt une concession aux néo-cons et aux faucons. Cependant, le retrait des troupes est un fait, et les coalitions créées ne sont jusqu'à présent qu'une simple possibilité, une menace, un swing, pas une frappe.

Apparemment, cela a sérieusement déplu aux néo-conservateurs et ils ont exigé des mesures décisives de la part d'un président qui glisse de plus en plus vers la démence sénile.

Cela s'est traduit par une escalade des relations - non pas avec la Chine cette fois, mais avec la Russie, comme nous le voyons aujourd'hui. Les tensions sont montées d'un cran dans tout le périmètre autour de la Russie. Trois zones de conflit croissant sont clairement visibles ici.

Le Belarus et la crise des migrants à la frontière polonaise. La logique du comportement de Loukachenko est ici tout à fait rationnelle, lui qui accepte calmement les migrants dans son pays, désireux d'adhérer à l'Union européenne, ignorant la Pologne, qui, à son tour, après les élections de Minsk et les manifestations libérales de masse, a refusé de nouer des relations constructives avec Loukachenko. Les tensions à la frontière et le retrait des troupes polonaises ont créé un foyer de tension entre le Belarus, allié de la Russie, et les États-Unis, l'UE et l'OTAN. Mais Lukashenko n'a rien à voir avec cela, il ne fait que répondre symétriquement à la grossièreté de l'OTAN et à la tentative des mondialistes de changer la situation.

Parallèlement à cela, le mouvement de l'AFU dans le Donbass a commencé. Les accords de Minsk ont, en fait, été complètement ignorés par Kiev. Les forces répressives ont commencé à saisir les colonies situées sur le territoire de la République populaire de Donetsk. Les discours de certains politiciens ukrainiens, qui demandent à leurs partenaires américains d'intervenir dans la situation, de soutenir la restauration du contrôle de Kiev sur le Donbass et, si nécessaire, de s'engager dans une confrontation militaire directe avec la Russie, sont révélateurs à cet égard. Cette confrontation est inévitable, car il est désormais clair pour tous que si Kiev lance une opération militaire de grande envergure, Moscou n'abandonnera pas à leur sort ses citoyens de la DNR et de la LNR, qui ont reçu des passeports russes en masse il y a longtemps. Une fois de plus, la situation s'envenime, et Washington fait clairement savoir que, cette fois, il est déterminé et prêt à soutenir Kiev.

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Enfin, les exercices militaires de l'OTAN en mer Noire et l'escale des navires de guerre de la sixième flotte américaine dans le port de Batoumi visent à démontrer que les États-Unis sont bien conscients de l'urgence et sont prêts à soutenir l'Ukraine dans un éventuel conflit avec la Russie. Le bassin de la mer Noire - Washington le dit clairement - serait alors utilisé pour attaquer la Russie - ou du moins pour la contenir. 

Pour soutenir la stratégie globale des États-Unis, l'ancien président Mikheil Saakashvili, un provocateur professionnel dans les domaines de la géopolitique et de la politique, a récemment été introduit clandestinement en Géorgie dans l'intérêt des mondialistes - avant tout George Soros et ses réseaux.  La force dirigeante neutre de la Géorgie, Rêve géorgien, n'est pas prête à s'engager dans une nouvelle aventure - pour cela, il fallait Saakashvili, qui a été arrêté en toute sécurité par les autorités. Mais une mine terrestre a été posée.

Ainsi, pour la deuxième fois sous la présidence de M. Biden, les relations entre la Russie et les États-Unis ont atteint un point critique. Cela peut expliquer le dialogue direct du président russe Vladimir Poutine avec le directeur de la CIA William Burns, qui est arrivé récemment à Moscou. Un tel dialogue asymétrique ne se déroule que dans des conditions extrêmes. 

En d'autres termes, nous sommes au bord de la guerre, et elle peut commencer dans l'une des trois zones d'escalade suivantes:

    - à la frontière biélorusse-polonaise, 
    - dans le Donbass ou 
    - dans la mer Noire. 

Ou bien cela peut se produire simultanément dans les trois régions.

Le prétexte au premier coup de feu dans une telle situation est assez facile à deviner: le statut juridique de la Crimée russe ou du Donbass indépendant, ainsi que la reconnaissance de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, sont des problèmes dont les points de vue  sont diamétralement opposés pour la Russie, d'une part, et pour l'Occident, d'autre part. Ce que Moscou percevrait comme un acte d'agression directe (et ce sont les "lignes rouges" de Poutine), pour les États-Unis, leurs alliés et leurs satellites, pourrait bien ressembler à une "opération légitime visant à rétablir le contrôle des territoires nationaux" ou à une action visant à "imposer la paix à un dictateur" (dans le cas de Loukachenko et de la fantomatique opposition biélorusse incarnée par Tikhanovskaya). 

La guerre est plus probable que jamais

Toutefois, un certain nombre d'arguments permettent d'espérer que, cette fois encore, tout rentrera dans l'ordre et que le statu quo sera rétabli.

L'argument le plus important expliquant pourquoi une guerre est peu probable est que Biden n'a pas de mandat pour le faire. Sa cote de popularité est en baisse, tout le monde est mécontent de lui - pas seulement les partisans de Trump et les républicains, mais ses propres camarades de parti et ses électeurs. Biden ne peut rien faire. Tout lui tombe des mains, il oublie des mots, dit bonjour à un fantôme, s'endort partout où il peut. Pour entrer en guerre contre la Russie nucléaire, militairement et psychologiquement très en éveil sous Poutine - bien que partiellement aux mains d'autres personnes - il faut une légitimité à toute épreuve. Cela doit être justifié car cela met l'humanité entière au bord de l'anéantissement. Les armes nucléaires sont justement des armes nucléaires. Et ici, la parité est toujours inconditionnelle. 

Personne au monde ne doute de la détermination de M. Poutine à défendre jusqu'au bout la liberté et l'indépendance de la Russie. Et imaginez un peu: dans une telle situation, un grand-père presque complètement fou donne des ordres: "allez-y, attaquez !, suivez-nous..."... et qu'est-ce qu'il y a derrière nous? Soros, le mouvement LGBT+, la gay pride, l'intelligence artificielle remplaçant l'humanité, la censure et la surveillance du web mondial, Zuckerberg qui a perdu la tête et pense qu'il vit déjà dans un film fantastique... Et pour ça il faut combattre Poutine ?

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Une autre fois. C'est ce que pensent non seulement l'adversaire de Biden, l'Américain moyen, mais aussi la plupart de ses partisans. Sauf peut-être les néocons, mais eux aussi ne sont pas des maniaques complets et des suicidaires. Ils étudient la géopolitique et sont (espérons-le) bien conscients des réalités du véritable équilibre des forces.

Il est donc probable que cette escalade du périmètre ne soit rien d'autre que le bluff numéro 2.

Si c'est le cas, l'intimidation de la Russie connaîtra ses limites, une fois la situation revenue à la normale, le ferveur belliciste sera épuisée. Se balancer deux fois et ne jamais frapper ne signifie qu'une chose : l'agresseur n'est pas capable de frapper du tout. C'est-à-dire qu'il n'est pas l'agresseur, mais un pantin.

Le résultat sera ce qu'il était, l'AFU retournera dans ses casernes, les migrants se frayeront un chemin à travers les forêts jusqu'en Allemagne, et les navires de guerre américains navigueront vers leurs emplacements habituels en mer Méditerranée, mais ce ne sera pas comme avant. Biden sera dorénavant traité comme un paillasson. Il ne réagit pas, le vieux sénile. Il pourrait même mourir de honte. Kamala Harris, sur laquelle les mondialistes avaient aussi tant d'espoir, pourrait disparaître car elle s'est révélée n'être qu'une idiote et tout le monde lui a tourné le dos.

Mais malgré tout, lorsqu'une situation est si aiguë, on ne peut pas être totalement sûr que rien ne se passera. La probabilité d'une guerre doit donc être prise au sérieux. Or, c'est exactement ce que démontrent les dirigeants russes - Poutine, Shoigu, Lavrov. D'où nos exercices symétriques, nos réactions vives aux provocations des militaires américains près de nos frontières et les gestes agressifs de Kiev. La Russie est prête pour la guerre. Il est clair que tout sera fait pour l'éviter, mais si ces lignes rouges sont franchies, la Russie acceptera la situation avec courage et dignité. 

Et là, il y a une différence très intéressante: Poutine a un mandat pour une guerre défensive. Le sentiment patriotique dans la société russe est déjà extrêmement élevé, et après le premier coup de feu (que Dieu nous en préserve), il atteindra des sommets. Et Poutine a une légitimité totale en politique intérieure. Et il faut espérer que le potentiel technologique de l'armée russe sera suffisant (bien que personne ne sache quelle est la situation réelle dans le domaine des armements et des nouvelles technologies militaires, et si c'est le cas, il s'agit de secrets d'État, de sorte qu'il est inutile de deviner si nous sommes prêts pour une guerre totale ou non - il semble que nous le soyons).

En résumé, la Russie est dans une meilleure position de départ que les États-Unis dans cette escalade. De plus, Moscou a une chance d'améliorer sa position géopolitique qualitativement et d'un seul coup en cas de conflit direct - et dans les trois directions.

Dans une situation critique=

    - l'unification avec la Biélorussie se fera rapidement,
    - la Novorossia (d'Odessa à Kharkov) sera finalement libérée, puis deux Ukraine émergeront, dont l'une paiera pour tout - du Maidan aux raids punitifs, 
    - et en Géorgie, si Dieu le veut, un régime national neutre sera consolidé, avec lequel les relations pourront être développées positivement.

Oui, le prix est important. Mais toutes les grandes choses sont payées avec du sang.

Et qu'est-ce que les États-Unis obtiennent ? Il est impossible de détruire les Russes directement. La position de Poutine est absolument ferme. Aucune personne saine d'esprit ne peut compter sur une occupation directe de la Russie, et encore moins sur le soutien d'un mandataire incompétent, l'Ukraine.

C'est-à-dire, en un mot : il n'y aura pas de guerre. Pas encore. Pour Moscou, bien sûr, c'est déjà une victoire. Mais pas autant qu'une vraie victoire... 

dimanche, 07 novembre 2021

L'Ile et le Continent

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L'Ile et le Continent

Par Marco Ghisetti

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente-2/

L'île et le continent à l'époque colombienne (XV-XIX)

Le géographe français Yves Lacoste définit la géopolitique comme "la situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs politiques se disputent un territoire" (1) et, par ailleurs, comme l'étude du conditionnement géographique de l'action de l'État. Le conditionnement du facteur géographique et du facteur interprétatif peut facilement être vérifié à l'aide d'un cas exemplaire. La France a été unifiée avant l'Allemagne parce que le réseau fluvial français s'est développé selon une forme radiale dont l'épicentre était Paris. Cela a permis à un centre de pouvoir basé à Paris d'étendre son pouvoir et d'absorber les autres entités politiques présentes dans l'espace français ; cette unification a eu lieu pendant l'ère moderne post-médiévale, car il y avait eu des développements technologiques qui rendaient possible l'unification politique de territoires plus vastes que la taille des entités politiques du Moyen Âge. En revanche, l'unification de l'Allemagne par la Prusse n'a pas eu lieu en même temps que l'unification française, car le réseau fluvial allemand s'est développé de manière parallèle, ce qui a entravé l'unification politique. La Prusse n'a pu organiser autour d'elle les différentes entités politiques allemandes qu'à la suite de nouveaux développements technologiques, notamment dans le secteur ferroviaire, qui lui ont permis de surmonter ses contraintes géographiques.

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Lacoste a ensuite enrichi sa définition en y ajoutant une composante interprétativiste, selon laquelle une connaissance approfondie de son propre espace géographique et de la manière dont un acteur politique interprète son espace influence la manière dont cet acteur politique oriente son action dans le monde. Il est également possible ici de le montrer à travers un cas exemplaire. Vers le 15ème siècle, les Anglais et les Chinois disposaient de technologies assez similaires dans le domaine naval. Cependant, les Anglais, comme l'écrit Carl Schmitt, sont passés d'un "peuple d'éleveurs de moutons" à un "peuple d'écumeurs de mer et de corsaires, [de] fils de la mer" (2), tandis que les Chinois, comme le souligne Friedrich Hegel, sont restés un peuple qui considérait la mer comme le lieu où la terre se terminait, tout simplement (3). L'Angleterre devient une puissance maritime et fonde un empire transocéanique, tandis que la Chine reste une puissance continentale, sans révolutionner son image de l'espace, même si le niveau de développement technologique naval en Chine et en Angleterre était,à l'époque, très similaire.

La révolution spatiale anglaise du 15ème siècle est décrite par Schmitt comme une transformation qui a fait de l'Angleterre "une île", un territoire qui "est devenu le sujet et le centre du retournement élémentaire du continent vers la haute mer [...] héritier de toutes les énergies maritimes alors libérées [...] il est devenu une île dans un sens nouveau et jusqu'alors inconnu" (4), détachant "son regard du continent" et l'élevant même "jusqu'aux grandes mers du monde" (5), et générant un conflit entre la Mer (l'île anglaise, puissance maritime) et la Terre (les Etats européens, puissances continentales).

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Antonio Zischka, contemporain de Schmitt, porte un jugement similaire en affirmant que "pendant l'époque romaine et le Moyen Âge, l'Angleterre n'avait aucune importance", mais qu'avec la guerre de Cent Ans (1337-1453), elle a "coupé, pour ainsi dire, le cordon ombilical" qui la reliait à l'Europe et, ce faisant, "sa nature insulaire s'est clairement affirmée" (6). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Johann von Leers a écrit que "pendant tout le Moyen Âge, les îles britanniques ont eu peu d'importance pour l'histoire de l'Europe", alors qu'après la conquête normande (1090), les Anglais "appréciaient l'insularité anglaise, l'avantage d'être dans une terre sans voisins et inattaquable, comme une politique de puissance" (7).

L'Anglais et contemporain de ces auteurs, Halford Mackinder, définit cette transformation spatiale comme celle qui a ouvert une période historique différente de la période médiévale, la "période colombienne". Il s'agit d'une période historique au cours de laquelle les "découvertes colombiennes" ont fait de "l'Atlantique Nord [...] un bassin arrondi" et au cours de laquelle la "Grande-Bretagne", en raison de la "position centrale" dont elle a commencé à jouir dans ce bassin, combinée à sa "position insulaire [...] au large du grand continent [...] est progressivement devenue la terre centrale, plutôt que marginale, du monde" (8). Ayant atteint cette centralité dans le bassin atlantique, Mackinder souligne comment l'Angleterre a atteint la "dominance sur la mer", c'est-à-dire qu'elle a pu dominer, grâce à sa flotte, sa puissance économique et les différentes bases navales et transocéaniques qu'elle a installées tout au long de "la grande route océanique": l'Angleterre est devenue une puissance maritime qui, par rapport au grand continent dont elle s'est détachée en se donnant à la mer, maintient la " politique traditionnelle [de] faire des alliances avec des États plus petits en opposition à tout grand État qui menace de bouleverser l'équilibre des forces en Europe" (9).

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Claudio Mutti, en reconstituant ce en quoi consistait la politique d'équilibre des forces, écrit qu'il s'agissait davantage de "monter les nations européennes les unes contre les autres" en vue d'"empêcher l'unification politique de l'espace continental" (10) (d'où le choix anglais de soutenir la nation faible contre la nation forte) que d'une véritable défense des faibles. Tiberio Graziani a résumé la politique de puissance anglaise envers le continent pendant la période colombienne comme une "politique de puissance séculaire visant à contenir et à contrecarrer les accords d'amitié et/ou d'intégration entre les nations du continent européen" (11). C'était la stratégie britannique car, écrit Jean Thiriart, "la formation d'une Europe unifiée [...] entraînerait la création d'une force capable de l'envahir" (12).

En affirmant son insularité, la stratégie générale anglaise était donc de maintenir sa domination maritime et, en même temps, de garder le continent divisé. Cette stratégie est aussi généralement qualifiée d'"isolationnisme" dans la littérature, mais il convient de préciser qu'elle ne doit pas être assimilée, par exemple, à la politique fermée du Sakoku du Japon, par laquelle l'Empire de la Fleur de Cerisier (également un groupe d'îles flanquant un continent) entendait minimiser toute forme de contact avec les autres puissances. L'isolationnisme britannique, en revanche, était une véritable politique de puissance, un isolationnisme qui "était en fait très extraverti" (13). Pendant la période colombienne, la puissance hégémonique était donc l'Angleterre, l'île hégémonique face au continent.

L'île et le continent à l'époque postcolombienne (XX-)

Cependant, entre le 19ème et le 20ème siècle, il y a eu des changements et des développements technologiques qui, comme ceux qui avaient provoqué le passage du monde médiéval au monde colombien (qui était caractérisé à la fois par l'ouverture européenne au monde et par l'unification des microstructures politiques médiévales en États modernes), ont conduit à la naissance du monde post-colombien, dans lequel il n'y avait plus de terrae nullius et qui était caractérisé par l'unification des empires continentaux. Ces transformations ont fait de l'Angleterre une "petite île [qui n'a pas] une productivité suffisante pour établir un empire capable de tenir tête aux grands empires continentaux qui émergent" (14) (la Russie, les États-Unis, et potentiellement la Chine, l'Inde et le Brésil).

En outre, écrit Mackinder, "le continent combiné de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique" est devenu "effectivement et pas seulement théoriquement une île : [...] le monde insulaire" (15). Les autres macro-régions du monde (Amérique du Nord et du Sud, Australie, dominions britanniques), étant des terres beaucoup plus petites avec beaucoup moins de ressources naturelles et de population que l'île-monde, sont considérées par Mackinder comme des "satellites" de l'île-monde. Pour Mackinder, l'île-monde est constituée d'un centre appelé "cœur de la terre" (heartland) et de quatre appendices (le croissant intérieur/inner crescent) qui se développent autour de lui: l'Europe péninsulaire, l'Asie du Sud-Ouest (Proche et Moyen-Orient, Afrique du Nord), l'Inde et la Chine ; ces quatre zones sont des appendices mais font néanmoins partie intégrante de l'île-monde. Les appendices seront plus tard appelés "rimlands" par Nicholas Spykman. Le potentiel de puissance de la World Island est tel que si une puissance ou un concert de puissances locales parvenait à organiser cette World Island, elle ou ils auraient à leur disposition "l'utilisation de vastes ressources continentales pour la construction de flottes, avec la possibilité conséquente de conquérir la domination du monde" (16) . L'ère post-colombienne est devenue, pour Mackinder, l'ère des "empires continentaux", dans laquelle les structures politiques modernes s'unissent en États de dimensions continentales.

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Les changements radicaux survenus entre le 19ème et le 20ème siècle ont également été identifiés par Alfred Thayer Mahan, "le premier à théoriser la stratégie maritime [et] à souligner l'importance, dans la géopolitique contemporaine, de la "domination maritime"" (17) et celui qui allait devenir le père de la doctrine géopolitique américaine. Il est le père de la doctrine militaire américaine parce qu'il est celui qui a systématisé la stratégie maritime américaine pour le monde post-colombien et indiqué les constantes stratégiques que les États-Unis devaient suivre pour devenir la "véritable île contemporaine", l'"île continentale" du 20ème siècle et au-delà. Mahan écrit :

"Les États-Unis sont à toutes fins utiles une puissance insulaire, comme la Grande-Bretagne. Nous n'avons que deux frontières terrestres, le Canada et le Mexique. Ce dernier pays dernière est désespérément inférieure à nous dans tous les éléments de la force militaire. Quant au Canada [...] les chiffres indiquent clairement que l'agression ne sera jamais sa politique. [...] Nous sommes, répétons-le, une puissance insulaire, donc dépendante de la marine. En outre, une puissance navale durable dépend en fin de compte des relations commerciales avec les pays étrangers" (18).

Suivant l'étoile polaire indiquée par Mahan, les États-Unis ont promu une double ligne d'expansion, verticale et horizontale, afin de devenir la véritable puissance insulaire contemporaine. Avec le percement du canal de Panama, fortement préconisé par Mahan, les États-Unis ont obtenu la condition du bi-océanisme avec les côtes reliées par la mer. Au sud, les États-Unis ont promu l'expulsion des puissances européennes, faisant de la mer des Caraïbes et de la mer du Mexique une mer intérieure américaine, hégémonisée par les États-Unis, et, par une déclinaison agressive de la doctrine Monroe, ont favorisé, comme l'écrit Tiberio Graziani, "l'unité géopolitique pour [l'Amérique du Nord] [et] la fragmentation excessive pour l'Amérique centrale et du Sud" (19).

En ce qui concerne l'expansion horizontale, Mahan insiste sur l'unité de la puissance marchande et militaire des puissances maritimes, plaide pour la nécessité d'hériter de l'empire maritime britannique, de maintenir l'équilibre des forces en Europe afin qu'un challenger ne se présente pas, maintenir l'équilibre des forces en Méditerranée afin de disposer d'un "libre accès au canal de Suez", le "chemin de fer maritime" (20) qui relie la mer Méditerranée au golfe Persique car, à travers lui, on accède par mer à l'océan Indien, au Pacifique et, par le canal de Panama, à l'Atlantique à nouveau. En exerçant l'hégémonie maritime sur ces routes, on crée ce que Mahan appelle "l'océan uni", qui selon l'amiral est le siège principal de la puissance mondiale; une hégémonie qui peut être partiellement soulagée et partagée avec des puissances maritimes secondaires. Le Moyen-Orient et l'Asie doivent être maintenus dans un équilibre des forces, comme c'est le cas en Europe.

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Les conclusions maritimes de Mahan ont été développées par Isaiah Bowman, qui renforce la thèse de l'interconnexion de l'Amérique latine avec les États-Unis en vue d'augmenter les débouchés commerciaux américains en Amérique du Sud et de diminuer les débouchés européens sur le "continent vertical" et, d'autre part, développe l'analyse des processus géoéconomiques et des opérations financières de contrôle du marché sur les relations politiques interétatiques en vue d'élire les États-Unis au rôle de garant de l'équilibre mondial, liant ainsi doublement la puissance navale américaine à la puissance financière (21).

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la géopolitique de Mahan a été développée par Nicholas Spykman, un auteur qui a réalisé "l'achèvement de la géopolitique anglo-saxonne classique" (22), qui a déplacé le siège de la puissance mondiale de l'océan Indien vers les zones frontalières eurasiennes (rimlands) et a ajouté un "conflit permanent" entre le "nouveau monde", c'est-à-dire l'Amérique, et le "vieux monde", qui, ayant un potentiel de puissance plus important que le nouveau monde, doivent être maintenus dans un équilibre neutralisant par les Etats-Unis en y installant des bases militaires américaines et en liant l'économie de ces zones à l'économie américaine, afin qu'elles ne regardent pas vers le cœur de la terre eurasienne (23). Selon Spykman, dans la période post-colombienne, les États-Unis font face à l'Eurasie de la même manière que l'Angleterre faisait face à l'Europe pendant la période colombienne.

51aM98bqsCL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgLes travaux de Mackinder, Mahan et Spykman constituent toujours le pivot de la doctrine géopolitique américaine, l'étoile polaire qui guide l'action des États-Unis dans l'ère post-colombienne (24) toujours en cours.  

Henri Kissinger écrit :

Géopolitiquement, l'Amérique est une île au large du grand continent eurasien. La domination par une seule puissance de l'une des deux sphères principales de l'Eurasie - Europe ou Asie - est une bonne définition d'un danger stratégique pour les États-Unis, guerre froide ou pas. Ce danger doit être écarté même si cette puissance ne manifeste pas d'intentions agressives, car si cette puissance devait devenir agressive par la suite, l'Amérique se retrouverait avec une capacité de résistance efficace très réduite et une incapacité croissante à influencer les événements (25).

Zbigniew Brzezinski écrit :

L'Eurasie est le supercontinent axial du monde. Une puissance dominant l'Eurasie exercerait une influence décisive sur deux des trois régions les plus productives économiquement du monde: l'Europe occidentale et l'Asie orientale. Un coup d'œil à la carte suggère également qu'un pays dominant en Eurasie commanderait presque automatiquement le Moyen-Orient et l'Afrique [...] la puissance potentielle de l'Eurasie éclipse même celle de l'Amérique. [La stratégie américaine consiste donc à] s'assurer qu'aucun État ou combinaison d'États n'acquiert la capacité d'expulser les États-Unis ou même de diminuer leur rôle [...] en Eurasie (26).

Phil Kelly écrit, en résumant les études géopolitiques américaines :

Toutes les visions stratégiques géopolitiques présentent l'Eurasie comme le facteur central. Tout comme pour l'Angleterre, pour les États-Unis, c'est de là que vient la principale (bien que plus lointaine) menace pour la sécurité. [La conscience de la vulnérabilité de l'Eurasie a longtemps été présente dans la pensée géopolitique américaine, et continue de l'être aujourd'hui. [...] La géopolitique américaine est étroitement liée aux principes de base des doctrines classiques des Britanniques [...] Tous deux se dépeignent comme une "île", flanquée d'une masse continentale menaçante qui doit être maintenue divisée pour protéger leur propre sécurité (27).

Kissinger lui-même résume ainsi toute la signification des interventions militaires américaines au cours du 20ème siècle : "Dans la première moitié du 20ème siècle, les États-Unis ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l'Europe par un adversaire potentiel [...] Dans la seconde moitié du 20ème siècle (en fait à partir de 1941), ils ont mené trois guerres pour défendre le même principe en Asie - contre le Japon, en Corée et au Vietnam" (28). Nous constatons qu'en deux phrases seulement, Kissinger révèle le sens des guerres menées par les États-Unis tout au long du 20ème siècle, en les dépouillant de toute justification idéologique qui leur est habituellement attachée (guerres antifascistes, anticommunistes, guerre pour la liberté, pour la démocratie, pour la civilisation, etc.).

9782869595781_internet_w290.jpgAlors que cela était vrai au 20ème siècle, François Thual note avec le début du troisième millénaire un paradoxe apparent dans l'évolution historique : là où la modernité se caractérisait par l'unification des microstructures politiques médiévales, l'époque contemporaine se caractérise par la multiplication des "impuissances géopolitiques", c'est-à-dire par la fragmentation, selon des lignes ethnoculturelles plus ou moins artificielles, des empires et des États de taille moyenne en petits États, donc en États qui ne sont que nominalement souverains. L'"éclatement de la planète" comme "stade suprême de la mondialisation", écrit Thual, s'explique par le fait que le "morcellement de la planète est le résultat de manipulations génétiques [...] l'expression d'un volontarisme [...] avec des États réels et des États que l'on pourrait qualifier d'"effacés" et qui sont généralement des "États dominés"" (29).

Les considérations de Thual ont été développées par Tiberio Graziani, qui affirme que la politique de fractionnement de la planète est menée par les États-Unis, qui, après avoir réussi au 20ème siècle à devenir - dans le langage de John Mearsheimer - le seul "hégémon régional" du monde, font maintenant "tout pour affaiblir, voire détruire" (30) un État qui se propose de faire de même. Le "processus de déstabilisation [...] de l'espace eurasiatique", lancé par les États-Unis après l'échec de la fonction d'équilibrage de l'Union soviétique, visait à exploiter les deux piliers de la puissance américaine - "le rôle de Wall Street en tant que centre financier incontesté du monde [et] la puissance de guerre nord-américaine du Pentagone" (31) - afin de diviser ce que Brzezinski avait appelé le "grand échiquier eurasiatique" (l'Île-Monde) et de hisser les États-Unis au rang de "première, unique et vraiment dernière superpuissance mondiale" (32). En bref, réaliser ce qu'un "employé du Département d'État américain" (33), Francis Fukuyama, avait appelé la "fin de l'histoire" (34).

Toutefois, le processus de fractionnement des États-Unis s'est accompagné d'un autre processus égal et opposé: celui des intégrations continentales, promu principalement par la Russie post-soviétique - qui "tente d'endiguer la marche des États-Unis vers l'Est par le tissage méthodique d'un système d'alliances stratégiques avec la Chine, le sous-continent indien et l'Iran" (35) - et par la Chine - qui, ayant survécu au "projet de transformer la République populaire de Chine en colonie économique américaine" (36) - tente de se présenter comme un hégémon régional en Asie. Les frictions générées par les deux tendances divergentes de l'intégration et de la fragmentation transforment les quatre annexes de l'île-monde en "décharges" (37) de tensions internationales, où se dérouleront les prochaines batailles pour la domination mondiale. Le succès ou non de la création d'un monde multipolaire ou, inversement, le succès des États-Unis à rester le Léviathan hégémonique, dépendra de la preuve et de la solidité de la collaboration intégrationniste sino-russe.

Claudio Mutti, commentant les projets d'intégration sino-russes, écrit: "La perspective d'un rapprochement entre l'Europe et la Russie, qui inquiète tant les États-Unis, devient un véritable cauchemar à Washington si l'on considère qu'au terme du parcours d'intégration représenté par la nouvelle route de la soie, la Russie et l'Europe pourraient être rejointes par la Chine; dans ce cas, en effet, l'Eurasie deviendrait le siège du pouvoir géopolitique mondial. Les "analyses" préconisant un nouveau renforcement des relations entre les États-Unis et l'Europe découlent de cette "anxiété américaine" (38).

Alain de Benoist écrit, en établissant un parallèle entre l'Angleterre de la période colombienne et les Etats-Unis d'aujourd'hui: "comme l'Angleterre d'hier, l'hégémonie américaine repose sur la domination mondiale des mers, prolongée par la domination des airs, et sur l'absence d'unité dans l'espace eurasien. L'axe Madrid-Paris-Berlin-Moscou acquiert toute son importance, aux côtés de l'axe Moscou-Téhéran-New Delhi [tandis que] l'inconnu chinois domine tout le reste" (39). Ainsi, comme dans la période colombienne et au 20ème siècle, l'histoire du 21ème siècle sera très probablement celle du choc entre deux tendances opposées: celle de la tentative d'unification et d'organisation de l'espace eurasiatique, voulue par les grandes puissances eurasiatiques, et celle de la tentative de l'empêcher, poursuivie par les États-Unis. Aujourd'hui comme hier, en utilisant les catégories géo-historiques de Mackinder et Schmitt, nous assistons à l'affrontement entre les loups de la mer et les loups de la terre, entre la Mer et la Terre, entre Poséidon et Antée, entre l'Île et le Continent.

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Notes:

  1. (1) Yves Lacoste, “Che cos’è la geopolitica”, eurasia-rivista.com, 17 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/yves-lacoste-che-cose-la-...
  2. (2) Carl Schmitt, Terra e mare: una considerazione sulla storia del mondo,  Milano, Giuffrè, 1986, p. 54-5.
  3. (3) Friedrich Hegel, Lezioni sulla filosofia della storia, Bari, Laterza, 2003.
  4. (4) Carl Schmitt, op. cit., p. 17.
  5. (5) Ibid, p. 99.
  6. (6) Antonio Zischka, Le alleanze dell’Inghilterra. Sei secoli di guerre inglesi combattute con le armi altrui, Roma, Mediterranea, 1941-XIX, p. 41.
  7. (7) Johann Von Leers, L’Inghilterra: il nemico del continente europeo, Parma, Insegna del Veltro, 2004, p. 41-2
  8. (8) Halford Mackinder, Britain and the British Seas, Londra, William Heinemmann, 1902, pp. 3-4.
  9. (9) Halford Mackinder, Nations of the Modern World: An Elementary Study in Geography, Londra, Philip and Son, 1911, p. 291.
  10. (10) Claudio Mutti, “L’isola e il continente”, eurasia-rivista.com, 18 luglio 2017, https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente/
  11. (11) Tiberio Graziani, “Il Patto atlantico nella geopolitica Usa per l’egemonia globale”, eurasia-sito.com, 1 gennaio 2009, https://www.eurasia-rivista.com/patto-atlantico-nella-geo...
  12. (12) Jean Thiriart, Il fallimento dell’impero britannico, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, Vol. 3/2019, 2019, pp. 183-191.
  13. (13) Daniele Scalea, “Come nacque un ‘impero’ (e come finirà presto)”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 49.
  14. (14) Halford John Mackinder, Geographical Conditions Affecting the British Empire. I. The British Islands’, in “Geographical Journal”, Vol. 33, 1909, p. 474.
  15. (15) Halford Mackinder, Democratic Ideals and Reality, Washington, National Defence, 1996, 45.
  16. (16) Halford Mackinder, “Il perno geografico della storia”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2018, 40.
  17. (17) Pascal Lorot, Storia della geopolitica, Trieste, Asterios, 1995, 35.
  18. (18) Alfred Mahan, The Interest of America in Sea Power: Present and Furure, Boston, 1917.
  19. (19) Tiberio Graziani, “Il risveglio dell’America indiolatina”, eurasia-sito.com, 1 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/il-risveglio-dellamerica-...
  20. (20) Alfred Mahan, The Problem of Asia and its Effects upon International Politics,  Boston, 1900, 191.
  21. (21) Isaiah Bowman, The New World: Problems in Politics Geography, Nuova York, World Book, 1921.
  22. (22) Federico Bordonaro, La geopolitica anglosassone, Milano, Guerini, 2012, 116.
  23. (23) Nicholas Spykman, America’s Strategy in World Politics. The United States and the Balance of Power, Yale, 1942.
  24. (24) Marco Ghisetti, Talassocrazia: I fondamenti della geopolitica anglo-statunitense, Cavriago, Anteo, 2021.
  25. (25) Henry Kissinger, L’arte della diplomazia, Milano, Sperling & Kupfer, 634-5.
  26. (26) Zbigniew Brzezinski, “A Geostrategy for Eurasia”, in Foreign Affairs, Vol. 76, No. 5, Sep.-Oct., 1997, 50-1.
  27. (27) Phil Kelly, “Geopolitica degli Stati Uniti d’America”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 31.
  28. (28) Henri Kissinger, Does America Need a Foreign Policy?, Simon & Schuster, 2002, 110.
  29. (29) François Thual, Il mondo fatto a pezzi, Parma, Insegna del Veltro, 2008, 113.
  30. (30) John Mearsheimer, La logica di potenza. L’America, le guerre e il controllo del mondo, Milano, UBE, 2008, 39.
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  32. (32) Zbigniew Brzezinski, La grande scacchiera: il mondo e la politica nell’era della supremazia americana, Longanesi, 1998, 284.
  33. (33) Costanzo Preve, Elogio del comunitarismo, Napoli, Controcorrente, 2006, 182.
  34. (34) Francis Fukuyama, La fine della storia e l’ultimo uomo, Milano, Rizzoli, 1992.
  35. (35) Tiberio Graziani, “Editoriale”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2005, 5.
  36. (36) Claudio Mutti, “Guerra senza limiti”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/guerra-senza-limiti-2/
  37. (37) Zona di scaricamento è un’espressione coniata da Karl Haushofer.
  38. (38) Claudio Mutti, “Editoriale”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/negozio/lx-guerra-senza-l...
  39. (39) Alain de Benoist, “Géopolitique”, in Nouvelle Ecole, No. 55, 2005, 1.
 
Marco Ghisetti est docteur en "Politique mondiale et relations internationales" et en Philosophie. Il a travaillé et étudié en Europe, en Russie et en Australie. Il s'occupe essentiellement de géopolitique, tant pratique que théorique, de théorie politique et de philosophie politique. Parmi les divers centres d'études auprès desquels il a publié ses articles, outre Eurasia, il y a l'Osservatorio Globalizzazione et Geopolitial News PR.
 
 

Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen

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Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen

par Alessandro Sansoni

Ex: https://www.lavocedelpatriota.it/erdogan-continua-a-gettare-benzina-sul-fuoco-del-conflitto-libico/?fbclid=IwAR1eql9a2imoe7z0Pg2UZdKtsmv0T4YC7N6wHrH2SHZB18VPSJavJUz4JSc

Les reportages triomphalistes des médias nous ont empêchés d'y prêter toute l'attention nécessaire, mais un développement dangereux a émergé du G20 à Rome. Au cours du sommet, en effet, le président turc Recep Erdogan a déclaré officiellement, et en termes non équivoques, qu'Ankara refuse de retirer ses troupes de Libye. Cette déclaration intervient alors que l'ONU s'est engagée à organiser et à mener à bien le retrait de toutes les troupes étrangères présentes dans le pays, condition préalable indispensable à la célébration des élections censées ramener la paix dans le pays.

Par sa position, la Turquie jette de l'huile sur le feu et menace de porter à un niveau très élevé le conflit entre les factions qui se disputent le pouvoir en Libye, mettant ainsi en péril le processus électoral. Une situation qui aurait des répercussions graves et dangereuses pour l'Italie et l'ensemble de l'Union européenne.

Premier problème : le retrait des mercenaires

La Libye devrait organiser ses élections présidentielles tant attendues le 24 décembre, tandis que les élections législatives sont prévues pour le début de 2022.

L'espoir est de mettre ainsi fin à la longue période d'anarchie et de guerre civile dans laquelle le pays a plongé depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, en sauvegardant éventuellement l'unité du territoire libyen, aujourd'hui effectivement divisé en une partie occidentale sous le contrôle du gouvernement de Tripoli et une partie orientale aux mains du général Khalifa Haftar et de son Armée nationale libyenne (ANL), engagés depuis des années dans un dur conflit non seulement avec les milices tripolitaines, mais aussi avec des groupes islamistes, alliés des Turcs. La situation est encore compliquée par le nombre élevé de mercenaires et de forces étrangères présents sur le terrain pour soutenir les deux prétendants.

C'est précisément pour cette raison que la feuille de route élaborée par les Nations unies prévoit, avant tout, l'élimination des groupes armés étrangers, qui doit être définie dans le cadre d'un format de négociation "5+5", dans lequel toutes les factions belligérantes sont présentes à la table des négociations, sous les auspices des Nations unies. Le 8 octobre, le Comité militaire conjoint "5+5" s'est réuni pendant trois jours au Palais des Nations à Genève et s'est conclu par la signature d'un plan d'action prévoyant un retrait progressif, équitable et coordonné de tous les mercenaires et forces étrangères de Libye.

La réunion de Genève s'est tenue conformément aux pistes définies dans l'accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 et aux résolutions connexes émises par le Conseil de sécurité des Nations unies. La réunion faisait partie intégrante des diverses négociations intra-libyennes promues par l'ONU, ainsi que des efforts déployés par la communauté internationale à travers la conférence de Berlin.

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Début novembre, le Comité 5+5 a tenu une autre réunion, cette fois au Caire, toujours organisée par l'ONU, à laquelle ont également participé des représentants du Soudan, du Tchad et du Niger. À cette occasion, tous les pays voisins de la Libye ont exprimé leur volonté de coopérer au processus d'expulsion des combattants étrangers et des mercenaires, tandis que les délégués du Soudan, du Tchad et du Niger se sont engagés à coopérer pour assurer le retrait des hommes armés de leurs pays, en coordonnant leurs actions pour éviter qu'ils ne reviennent en Libye et ne déstabilisent les États voisins.

Cependant, le refus de la Turquie de s'aligner sur les accords généraux ouvre un problème gigantesque. En fait, près de la moitié des forces étrangères présentes en Libye sont liées à Ankara : selon le SOHR (Observatoire syrien des droits de l'homme), le nombre total de mercenaires syriens soutenus par la Turquie dans le pays d'Afrique du Nord est d'environ 7000, tandis que les Nations unies ont estimé la présence de 20.000 combattants étrangers sur le territoire libyen. Les sources de SOHR ont également confirmé qu'en dépit des tentatives de négociation de leur retrait début octobre, des miliciens islamistes vétérans du conflit syrien continuent d'être stationnés dans des bases turques en Libye, tandis qu'un nouveau contingent de 90 personnes en provenance de Syrie est arrivé en Libye transporté par des avions turcs.

G20 : la diplomatie à la turque

Lors du G20, Erdogan a non seulement confirmé son intention de ne pas démobiliser ses troupes en Libye, mais a également réaffirmé au président français Emmanuel Macron que la présence turque est légitimée par un accord de coopération militaire signé avec le gouvernement libyen.

"Nos soldats sont là en tant qu'instructeurs", a-t-il réitéré, niant que leurs activités puissent être assimilées à celles de mercenaires illégaux.

Or, ce n'est pas exactement le cas. Tout d'abord, ses propos peuvent s'appliquer au contingent militaire officiellement envoyé par l'armée turque début janvier 2020, et certainement pas aux mercenaires syriens qui continuent à être stationnés dans les bases militaires d'Ankara.

Par ailleurs, les accords conclus lors du sommet du 8 octobre à Genève font explicitement référence au retrait des "mercenaires, combattants étrangers et forces étrangères", les "forces étrangères" étant comprises comme incluant les troupes régulières et les instructeurs.

Enfin, les "instructeurs" turcs ont débarqué en Libye dans le cadre d'un accord signé par Ankara en novembre 2019 avec le gouvernement d'entente nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, un gouvernement intérimaire auquel a succédé en mars dernier le nouveau gouvernement d'union nationale dirigé par Abdul Hamid Dbeibah. Le point crucial, cependant, est qu'au moment où le traité a été signé, le mandat du GNA avait déjà expiré et donc, en tant que gouvernement intérimaire, il n'avait pas le droit de signer un tel traité de coopération militaire. C'est pour la même raison que tous les voisins de la Libye et de la Turquie ont désavoué le traité sur les frontières maritimes (et les zones économiques exclusives correspondantes) signé par Tripoli et Ankara au même moment. Ce dernier accord a considérablement étendu les revendications turques sur la Méditerranée et ses riches gisements de pétrole et de gaz.

C'est pour ces raisons que la présence militaire turque en Libye doit être considérée comme illégale au regard du droit international, car elle constitue un avant-poste des ambitions néo-impérialistes d'Erdogan. Ce n'est pas une coïncidence si Erdogan, pendant le G20, a annoncé son refus de participer au sommet sur la Libye à Paris (ce qui l'a fait couler), confirmant ainsi qu'il n'a aucune intention de soutenir les efforts internationaux visant à stabiliser le pays.

Nous avons notifié au président Macron, a déclaré Erdogan, notre refus de participer à une conférence à Paris à laquelle participent la Grèce, Israël et l'administration chypriote grecque. Pour nous, il s'agit d'une condition absolue. Si ces pays sont présents, cela n'a aucun sens pour nous d'envoyer des délégués".

À Rome, Erdogan a également eu une réunion séparée avec le Premier ministre Mario Draghi, mais celle-ci n'a donné aucun résultat concret. Aucun progrès n'a été enregistré dans les relations italo-turques, y compris en ce qui concerne le système de défense antimissile italo-français SAMP-T, pour lequel la Turquie avait précédemment manifesté son intérêt. Malgré l'annonce générale de développements futurs à cet égard, il est peu probable que la Turquie reprenne ce projet, à moins que ses relations avec Paris ne s'améliorent. Et Erdogan ne semble avoir aucune envie de poursuivre dans cette direction.

Tensions en Libye

Entre-temps, la situation politique en Libye devient de plus en plus précaire, surtout depuis que la Chambre des représentants (le parlement de Tobrouk) a remis en cause en septembre dernier, à l'instigation de Haftar, le gouvernement d'unité nationale.

D'un point de vue militaire, les tensions augmentent également, à tel point que ces derniers jours, les chefs de deux milices tripolines - Muammar Davi, chef de la Brigade 55, et Ahmad Sahab - ont été victimes d'attaques visant à les tuer.

À ce stade, il est difficile d'être sûr que les élections présidentielles auront lieu en décembre, tandis que les élections parlementaires ont déjà été reportées à 2022.

Le chantage d'Erdogan : géopolitique, énergie, flux migratoires

Si la Turquie a pu renforcer considérablement son influence en Libye, une part considérable de la responsabilité doit être attribuée aux gouvernements dirigés par Giuseppe Conte (surtout le second), caractérisés par un manque d'incisivité sur la question libyenne. Bénéficiant de facto d'une carte blanche, Ankara a pu, en quelques années seulement, débarquer des centaines de "conseillers militaires" dans le pays d'Afrique du Nord.

Avec le traité sur les frontières maritimes et la délimitation des zones économiques exclusives respectives, la Turquie a pris le contrôle du littoral de la Tripolitaine ainsi qu'une sorte de patronage sur les gisements de gaz et de pétrole de la Méditerranée centrale. Son influence politique sur le gouvernement d'accord national, puis sur le gouvernement d'unité nationale, est énorme.

La guerre civile entre Tripoli et Benghazi a permis à Ankara de fournir des troupes et des armes au camp ouest-libyen, de redéployer ses milices mercenaires précédemment actives en Syrie et d'obtenir la gestion du port et de l'aéroport de Misurata pour les 99 prochaines années.

Aujourd'hui, Erdogan, grâce à la forte influence qu'il est en mesure d'exercer sur l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde, dispose d'une arme supplémentaire pour faire pression sur l'Europe, celle de l'approvisionnement énergétique, en plus de l'arme déjà largement utilisée du contrôle des flux migratoires, qu'il est désormais en mesure de réguler non seulement sur la route des Balkans, mais aussi sur celle de la Méditerranée centrale. La route la plus empruntée par les trafiquants d'êtres humains, selon les chiffres officiels, selon lesquels, au 22 octobre, 51.568 migrants sont déjà arrivés en Italie cette année, contre 26.683 en 2020.

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Les demandes de Draghi à l'Union européenne d'allouer des fonds pour protéger "toutes les routes" sont du miel aux oreilles turques. Ils font en effet référence aux 6 milliards que Bruxelles a déjà versés à la Turquie pour gérer la route des Balkans et à ceux qu'elle versera encore. Il y a actuellement 3,7 millions de Syriens vivant sur le sol turc, auxquels il faut ajouter 300.000 Afghans. Une bombe à retardement qu'Ankara menace de faire exploser à tout moment si ses exigences ne sont pas satisfaites.

En bref, les crises humanitaires - de l'Afghanistan à la Syrie, auxquelles s'ajoute désormais la crise libyenne - sont devenues une occasion extraordinaire pour la Turquie d'obtenir des ressources de l'Europe et de la maintenir sous pression. C'est pourquoi le maintien d'un gouvernement pro-turc à Tripoli est si important pour Erdogan : il lui permet de jouer un jeu géopolitique complexe contre l'UE qui combine énergie et flux migratoires.

Reconstruire un équilibre en Méditerranée et redimensionner les ambitions turques en adoptant une attitude plus ferme à l'égard du nouveau sultan est le véritable défi que l'Italie doit relever, plutôt que de s'aventurer dans des aspirations improbables et irréalistes à diriger l'UE ou à renforcer les relations transatlantiques.

Alessandro Sansoni
Directeur du magazine mensuel CulturaIdentità

jeudi, 04 novembre 2021

La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez   

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La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez   

Valerij Kulikov

Ex: http://aurorasito.altervista.org/?p=20674

Après que le porte-conteneurs Ever Given s'est retrouvé coincé dans le canal de Suez en 2020, le commerce mondial a dû faire face aux conséquences d'une crise qui était auparavant considérée comme improbable. Cet incident a mis en évidence la nécessité, à tout le moins, d'améliorer les infrastructures pour répondre aux exigences de la chaîne d'approvisionnement mondiale en marchandises, qui ne cesse de croître. Cependant, d'autres risques croissants dans la région peuvent affecter la sécurité et la stabilité de la route, ce qui a conduit à la recherche initiale d'une alternative au canal de Suez.

Le récent réchauffement climatique a progressivement érodé la calotte glaciaire de l'Arctique, ouvrant l'accès à une activité économique tout au long de l'année dans cette région. Dans ce contexte, on peut parier que la route de la mer du Nord (NSR), longue de 5600 km, reliant l'Asie à l'Europe, sera la principale alternative maritime au canal de Suez.

Si la route de la mer du Nord est accessible toute l'année, elle deviendra un lien logistique et géostratégique essentiel qui, pour beaucoup, changera la donne. La route maritime du Nord désigne la route qui longe les territoires du nord de la Russie, à l'est de l'archipel de Novaja Zemlya dans l'océan Arctique, dans la région d'Arkhangelsk de la Fédération de Russie. La route se poursuit le long de la côte arctique russe de la mer de Kara, dans l'océan Arctique au nord de la Sibérie, entre la mer de Barents à l'ouest et la mer de Laptev à l'est, puis le long de la côte sibérienne jusqu'au détroit de Béring (entre le point le plus à l'est de l'Asie et le point le plus à l'ouest de l'Amérique, avec la Russie à l'est et les États-Unis et l'Alaska à l'ouest). La route de la mer du Nord relie les ports d'Europe et d'Extrême-Orient en Russie, ainsi que les estuaires des fleuves navigables de Sibérie en un seul système de transport, à travers les océans Arctique et Pacifique (mer de Barents, mer de Kara, mer de Laptev, mer de Sibérie orientale, mer des Tchouktches et mer de Béring).

Il s'agit d'une route maritime avantageuse car elle réduit considérablement la distance entre l'Europe et l'Asie par voie maritime, par rapport au passage "traditionnel" par le canal de Suez. Par exemple, le passage d'un cargo par le canal de Suez d'Amsterdam, aux Pays-Bas, à Dalian, en Chine, prend 48 jours. La route de la mer du Nord raccourcit le voyage de 13 jours. Il est inutile de rappeler ici l'importance de cet aspect pour la logistique, d'autant plus que le volume de marchandises transportées sur les chaînes logistiques mondiales a énormément augmenté. Jusqu'à présent, seuls quelques dizaines de navires marchands traversent la route de la mer du Nord. En effet, pour l'instant, elle n'est pas toujours ouverte. Elle n'est que partiellement accessible de juillet à novembre et, le reste de l'année, ses sections les plus importantes sont bloquées par la glace. Même pendant les mois les plus chauds, un simple cargo ne peut pas passer à cause de la menace de la glace. Heureusement, la situation change rapidement, ce qui rend la route de la mer du Nord accessible.

Compte tenu de la nécessité d'ouvrir cette route le plus rapidement possible, des cargos spéciaux sont construits pour pouvoir naviguer sur cette route sans brise-glace. La Russie, qui peut tirer le plus grand profit de la route de la mer du Nord, prévoit de créer un véritable corridor maritime dans les cinq prochaines années, permettant aux marchandises de contourner le canal de Suez et de naviguer toute l'année sur cette route dès 2022 ou 2023. C'est ce qu'a déclaré Jurij Trutnev, vice-premier ministre de la Fédération de Russie et envoyé plénipotentiaire du président dans le district fédéral de l'Extrême-Orient. À cette fin, les infrastructures nécessaires, les systèmes de sauvetage, les ports maritimes, les stations radar météo et glace, les ports et les infrastructures énergétiques sont activement construits le long de la route.

D'ici 2026, la Russie prévoit de doubler le nombre de brise-glace assurant le passage ininterrompu des cargos sur la route de la mer du Nord et de construire de nouveaux navires qui transporteront des marchandises le long de cette route. En particulier, "la flotte de fret de classe glace sera multipliée par plus de trois d'ici à 2030. Il est nécessaire de construire plus de 30 pétroliers, 40 vraquiers et 22 porte-conteneurs", a précisé M. Trutnev. La Russie prévoit de construire des brise-glace à propulsion nucléaire ou au GNL pour maintenir le passage toute l'année. Sont également en construction des patrouilleurs brise-glace multi-rôles de la classe Ivan Papanin, développés par la société Jugreftransflot basée à Saint-Pétersbourg. Il s'agit d'un navire de transport arctique doté d'une coque renforcée et de moteurs électriques qui n'aura pas besoin d'être escorté par un brise-glace. Grâce au nouveau système de propulsion Azipod et au renforcement de la poupe, le navire pourra briser des glaces de 2,1 m d'épaisseur. Il pourra également avancer depuis la poupe. Le navire sera équipé d'une station radar pour un acheminement optimal à travers la glace.

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La Russie investit massivement dans les infrastructures de la route de la mer du Nord et souhaite qu'elle devienne accessible le plus rapidement possible. Avec une population de trois cent mille habitants, Mourmansk, proche de la frontière norvégienne, dispose déjà d'un port commercial moderne, avec de bonnes liaisons ferroviaires et routières avec Moscou et le reste de la Russie. La route de la mer du Nord donnera à la ville une connexion mondiale. JSC Vanino Commercial Sea Port (Port Vanino) va reprendre ses opérations de chargement de conteneurs. Actuellement, le port de Vanino peut recevoir des porte-conteneurs d'une capacité de 1000 EVP. En outre, les ports de Primorye augmentent également leur activité en redirigeant le trafic de marchandises de la Chine vers la Russie. En raison de l'utilisation limitée de la route de la mer du Nord, le système ferroviaire russe est plus actif. Le transport via Vladivostok et Nakhodka et au-delà par le Transsibérien s'est avéré 30 à 40 % moins cher que la voie maritime par le canal de Suez. Bien qu'il soit impossible de remplacer complètement le canal de Suez, une alternative viable peut être créée et prendra de plus en plus d'importance. Si la route de la mer du Nord devait desservir ne serait-ce qu'une petite partie de ceux qui expédient aujourd'hui des marchandises par le canal de Suez, cela transformerait en soi la logistique mondiale, qui, comme l'économie, connaît une croissance implacable.

Valerij Kulikov, expert politique, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

Le monde hispanique subit la géopolitique du chaos : séparatisme et terrorisme, de la Catalogne à la Patagonie

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Le monde hispanique subit la géopolitique du chaos : séparatisme et terrorisme, de la Catalogne à la Patagonie

Par Cristian Taborda

Ex: https://kontrainfo.com/hispanoamerica-bajo-la-geopolitica-del-caos-separatismos-y-terrorismo-de-cataluna-a-la-patagonia-por-cristian-taborda/

Récemment, en Argentine, le conflit en Patagonie a été ravivé par un groupe terroriste de "Mapuches" (autoproclamés), dont les noms de famille et les traits de caractère suscitent de nombreuses inquiétudes quant à leur origine ethnique supposée, comme dans le cas du chef du groupe terroriste RAM (Resistencia Ancestral Mapuche) Jones Huala, qui encourt une peine au Chili et qui a la chance d'avoir été défendue par l'avocate Elizabeth Gómez Alcorta, aujourd'hui en charge du ministère de la Femme, du Genre et des Diversités, et ce avec l'accord de l'ambassadeur argentin au Chili, Rafael Bielsa, qui a un passé lié au groupe terroriste Montoneros. La collaboration politique, les liens idéologiques et la fourniture de services par des progressistes et d'anciens membres de groupes d'extrême gauche, qui, dans le passé, ont opéré clandestinement contre des gouvernements populaires, démocratiques et constitutionnels, comme celui de Juan Domingo Peron, commettant également des attentats tout comme les groupes qu'ils défendent aujourd'hui, sont explicites.

Mais la dimension du conflit va au-delà de l'Argentine et si on l'analyse attentivement, on peut noter la répétition de ces pratiques dans toute l'Amérique latine, ici liées au fondamentalisme indigéniste, en Espagne avec l'exacerbation du nationalisme indépendantiste, mais la modalité et la finalité sont les mêmes : terrorisme et séparatisme, attaque du patrimoine commun et fragmentation du territoire sous des hypothèses ethniques et des prérogatives indigénistes.

Sous de prétendues proclamations d'autodétermination, ils cherchent à briser l'unité des nations, mais surtout à empêcher l'unité de l'Amérique latine à un moment où, pour la première fois depuis des décennies, le pouvoir anglo-saxon est remis en question et où des propositions émergent pour unir le monde hispanique en tant qu'Ibérophère.

Le séparatisme catalan et le récent séparatisme "mapuche" présentent des similitudes et révèlent des points communs, non seulement dans leur mode d'action mais aussi dans leurs objectifs : briser l'unité nationale, détruire la souveraineté politique et nier la culture (politique) de la patrie. Ceci est beaucoup plus accentué en Espagne avec des formations politiques qui expriment explicitement leur sentiment anti-espagnol, et qui en Argentine commencent à se voir dans diverses propositions faites par des forces progressistes et de gauche, comme la proposition d'un état "plurinational", ou des propositions libérales de sécession pour des raisons économiques, comme dans le cas de Cornejo à Mendoza.

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Le lien entre les groupes terroristes et séparatistes, ainsi qu'entre ceux-ci et la gauche, et le pouvoir de l'argent et des puissances étrangères, dont la main la plus visible est britannique, comme le Mapuche International Link, basé au Royaume-Uni, ou la défense par des ONG internationales comme Amnesty International, également basée à Londres, ne manque pas non plus d'attirer l'attention. Les organismes supranationaux, tels que les Nations unies, protègent également, en vertu du droit international, les intentions séparatistes de nations inexistantes qui font fi de la souveraineté des États, un principe fondamental du droit international.

Ce n'est pas une coïncidence si le séparatiste Puigdemont a trouvé l'asile politique à Bruxelles, siège de l'Union européenne, et si les "Mapuches" autoproclamés se tournent vers les Nations unies en quête de la reconnaissance d'une autonomie et d'une nation hypothétique. Les organismes supranationaux qui tentent de s'ériger en juges s'opposent toujours arbitrairement à la souveraineté des nations existantes dotées d'États reconnus.

Mais ce n'est pas la première fois dans l'histoire que les villes financières, le pouvoir de l'argent, jouent un rôle majeur dans l'éclatement des nations et leur dissolution, réduisant leur pouvoir en tant qu'unité continentale en fragments, comme cela s'est produit dans le passé en Amérique latine avec sa division en de multiples républiques contrôlées économiquement et financièrement par la Grande-Bretagne, qui maintenant, sous l'influence idéologique des États-Unis, a l'intention de reconfigurer la région afin de l'insérer dans un nouvel ordre international post-national et transnational. La subordination des États-nations aux niveaux supérieurs des bureaucraties internationales, toujours sous la subtile domination politique de la diplomatie.

La théorie du chaos

La fragmentation sociale, d'abord dans la sphère économique en raison de l'inégalité, la fragmentation politique dans le cadre idéologique, et maintenant les actions visant à la fragmentation territoriale, nous amènent à penser que le chaos et le désordre sont une cause et non une conséquence, que la configuration politique semble être une question géostratégique afin d'insérer l'Amérique latine dans le nouveau cadre international subordonné au globalisme.

Steven Mann est un politologue et un expert en politique étrangère américaine qui a développé la "théorie du chaos contrôlé" visant à sécuriser et à promouvoir les intérêts nationaux américains. Dans un article intitulé "Théorie du chaos et pensée stratégique /Paramètres", il affirme que :

    "Chaque acteur dans les systèmes politiquement critiques crée une énergie de conflit,... qui provoque un changement dans le statu quo participant ainsi à la création d'une situation critique... et tout cours d'action amène l'état des choses à une réorganisation cataclysmique inévitable."

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L'idée fondamentale qui se dégage de la pensée de Mann (photo) est d'amener le système à un état de "criticité politique". Ensuite, le système, sous certaines conditions, entrera inévitablement dans le chaos et la "transformation". Mann écrit également que :

    "Compte tenu de l'avantage des États-Unis en matière de communications et de la capacité croissante de mobilité mondiale, le virus (au sens d'une infection idéologique) s'auto-reproduira et se propagera de manière chaotique. Par conséquent, notre sécurité nationale sera préservée".

Il ajoute : "C'est la seule façon d'établir un ordre mondial à long terme. Si nous ne parvenons pas à provoquer un changement idéologique à l'échelle mondiale, nous n'aurons que des périodes de calme sporadiques entre les transformations catastrophiques".

"Un virus auto-réplicatif qui se répandra de manière chaotique" est l'un des moyens indiqués par Mann pour préserver la sécurité nationale américaine. La propagation du terrorisme dans la région, dans des pays qui semblaient avoir laissé ces problèmes derrière eux, comme l'Argentine et le Chili, refait surface et se reproduit au-delà des frontières, créant chaos et désordre.

Le texte de Steven Mann en pdf: https://fr.scribd.com/document/370467108/Steve-Mann-Chaos-theory-and-strategic-thought-pdf

La "libanisation", selon Kissinger

Les explosions de chaos qui émergent puis plongent les États dans l'anomie préparent le terrain pour une reconfiguration politique, les puissances se disputant les ressources naturelles et le contrôle stratégique.

Cette attaque contre les nations se fait par le biais de groupes terroristes et séparatistes, qui sapent la souveraineté. L'attaque est le fait de ceux qui ne reconnaissent pas la loi et l'État-nation, les gouvernements étant complices des mouvements sécessionnistes, défendant avec des avocats militants ceux qui vont à l'encontre de la loi et attaquent notre patrimoine commun au nom d'intérêts étrangers.

Il ne s'agit pas seulement d'un différend géopolitique mais d'une conception plus profonde, la négation d'une manière d'être, de l'existence hispanique, la négation de nos valeurs spirituelles, de notre histoire, de nos traditions et d'une culture authentique qui a enrichi le monde par la connaissance et la foi.

L'Argentine a proposé dans le passé, dans des cas beaucoup plus violents, la revendication inébranlable de l'unité nationale et de la souveraineté politique pour défendre le territoire, l'ordre constitutionnel et la paix sociale, les groupes ennemis de l'Argentine, de gauche et de droite, ont atteint leur objectif à l'époque : briser l'ordre constitutionnel et générer le chaos. Aujourd'hui, ils proposent de terminer leur tâche, de libaniser l'Argentine, comme l'a proposé Henry Kissinger lors de la Commission trilatérale de 1985 :

    "L'Argentine, tout au long de son histoire, a fait preuve d'une conduite déterminée vis-à-vis des intérêts internationaux en jeu. Ce pays a été un obstacle permanent dans le monde tout au long de l'histoire (...) Nous pensons que la situation est sous contrôle, mais nous devons en être sûrs. Soit l'Argentine accepte son rôle d'exportateur de matières premières, soit nous procédons à sa libanisation".

 

Le nouvel axe géopolitique Russie/Chine/Allemagne/Iran pourrait reléguer la domination mondiale des États-Unis aux oubliettes de l'histoire

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Le nouvel axe géopolitique Russie/Chine/Allemagne/Iran pourrait reléguer la domination mondiale des États-Unis aux oubliettes de l'histoire

Par Alfredo Jalife Rahme

Ex: https://kontrainfo.com/nuevo-eje-geopolitico-entre-rusia-china-alemania-iran-podria-enviar-el-dominio-global-estadunidense-al-basurero-de-la-historia-por-alfredo-jalife-rahme/

Le géopoliticien brésilien Pepe Escobar - l'un des meilleurs au monde pour la région eurasienne et bien supérieur à l'israélo-américain Robert Kaplan, devenu un vulgaire propagandiste du Pentagone - lance une théorie prospective téméraire sur le nouvel axe Russie/Chine/Allemagne/Iran (cf. https://bit.ly/2Vl1BXV).

Après 117 ans, la thèse du géographe Sir Halford John Mackinder (https://amzn. to/3yqgPsV) - énoncée en soutien à la thalassocratie britannique - sur l'Eurasie comme "heartland" - alors qu'il imaginait au départ que les États-Unis risquaient fort de se confiner sur une "île" marginalisée - est de retour avec vigueur, ayant rempli sa mission téléologique de domination universelle par l'Anglosphère depuis la Première Guerre mondiale jusqu'à la grave crise financière de 2008 - pour d'autres, depuis la mise en scène hollywoodienne du 11 septembre - or ce scénario mackindérien revient maintenant en "sens inverse" : lorsque les Eurasiens, posés comme "isolés" selon les héritiers de cette perspective mackindérienne, reprendront le flambeau géostratégique, ce sera au détriment du déclin indéniable des États-Unis.

Dans son style très sympathique d'optimisation des "hard data" au rythme de la samba, Escobar déclare: "Aujourd'hui, ce n'est pas l'axe Allemagne-Japon, mais le spectre d'une entente Russie-Chine-Allemagne qui terrifie [sic] l'hégémon en tant que trio eurasien capable d'envoyer la domination mondiale des États-Unis dans les poubelles [sic] de l'histoire".

Il explique que la Russie et la Chine ont cessé de faire preuve de leur "infinie patience taoïste (note : philosophie chinoise de l'harmonie et de la "voie spirituelle")" dès que les "acteurs majeurs" du cœur de l'Eurasie (Mackinder dixit) "ont clairement vu à travers le brouillard de la propagande impériale".

En effet, l'empire américain désormais décadent, étendu à l'anglosphère thalassocratique et financiariste, détient encore un leadership inégalé avec sa puissante machine de "propagande noire", à l'unisson avec le dollaro-centrisme, lequel est cependant ébranlé par le projet du yuan numérique et le retour triomphal des métaux précieux (or et argent).

Escobar ne cache pas que la route sera "longue et sinueuse, mais l'horizon [sic] finira par dévoiler une alliance Allemagne/Russie/Chine/Iran [sic] qui remaniera l'échiquier mondial"; il énonce cette thèse en référence au livre de feu le russophobe obsessionnel et compulsif Zbigniew Brzezinski (https://amzn.to/3xt1C9q). Alors que les États-Unis - qu'il décrit comme un "empire du chaos (https://amzn.to/3rR6jII)" - sont "progressivement et inexorablement expulsés (sic) du cœur de l'Eurasie, la Russie et la Chine gèrent conjointement les affaires de l'Asie centrale", comme en témoigne la récente conférence de Tachkent (Ouzbékistan), pays d'Asie centrale.

Escobar expose la collision de la Route de la Soie contre la QUAD -USA/Inde/Japon/Australie-, et le leadership régional de la Russie, qui pousse au "grand partenariat eurasien", et qui, par ailleurs, a renouvelé avec la Chine pour cinq années supplémentaires le Traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, signé en 2001 (https://bit.ly/37g7B6P).

Il est clair qu'au cours des six premiers mois de Biden, peut-être dans le but de séduire Berlin pour créer une sainte alliance européenne contre la Chine, les États-Unis ont renié les affects antirusses de l'Ukraine, de la Pologne et des États baltes ("Le gazoduc Nord Stream 2 : l'Allemagne et la Russie gagnent ; l'Ukraine et les États-Unis perdent ; cf. https://bit.ly/3AamvaO), tandis qu'ils se retirent d'Afghanistan et d'Irak.

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Pepe Escobar décrit l'affrontement à Tianjin entre les États-Unis et la Chine comme un "séisme géopolitique", comme je l'ai déjà signalé à propos des "trois commandements" avec lesquels le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a damé le pion à la sous-secrétaire d'État américano-israélienne Wendy Sherman (https://bit.ly/3ymLRBT).

Escobar se moque du niveau avilissant des think tanks américains, lorsque le Carnegie Endowment, avec 11 auteurs - dont le conseiller à la sécurité nationale (https://bit.ly/3jh4DEB), l'israélo-américain Jake Sullivan - soutient comment "la politique étrangère américaine fonctionnera mieux pour la classe moyenne". Sans commentaire !

Escobar conclut que "c'est maintenant le début d'un nouveau monde géopolitique et le préquel" - le contexte qui mène aux événements - "d'un requiem impérial" où "de nombreuses suites suivront".

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mercredi, 03 novembre 2021

La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"

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La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"

par Cristi Pantelimon*

Source: article paru dans „Eurasia. Rivista di Studi geopolitici”, Anno XIV – n. 4, Ottobre-Dicembre 2017


L'année 2016 avait enregistré les débuts d'une nouvelle opération géopolitique sur le sol européen, sous l'appelation d'Intermarium. Tout le scénario de cette opération montre que l'Intermarium, vieille nostalgie impériale polono-lituanienne du Moyen Âge, est aujourd'hui une construction artificielle, anti-européenne, contraire aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne. Elle constitue un instrument américain de contrôle de la périphérie orientale de l'Union européenne, c'est-à-dire de l'espace de contact entre le monde allemand (et plus généralement ouest-européen) et le monde russe. La Roumanie ne semble pas intéressée à jouer le rôle que les Etats-Unis ont attribué à la Pologne et à l'Ukraine; les déclarations de ses représentants suggèrent qu'elle n'a pas l'intention de se distancer du noyau franco-allemand de l'Europe.

L'été dernier, la présentation du groupe d'assistance dit Intermarium a eu lieu à Kiev, à l'hôtel Radisson Blue, qui, selon un article de presse ouvertement favorable au projet Intermarium, préfigurerait un bloc géopolitique compact, doté de tous les attributs nécessaires, et serait une "initiative de l'Est" (1). La carte qui accompagne l'article en question est vraiment audacieuse: elle indique la zone de la nouvelle construction géopolitique, en partant de la zone de l'ex-Yougoslavie, avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Slovénie ; il est curieux qu'elle n'inclue pas l'Albanie, qui est par ailleurs un client fidèle de l'OTAN ; elle inclut la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, l'Ukraine, la Roumanie et aussi, ce qui est extrêmement intéressant, le Belarus. Cerise sur le gâteau: la Crimée apparaît sur la carte, probablement comme une partie de l'Ukraine. L'article fait un long excursus dans la protohistoire de ce projet géopolitique, en commençant par l'union polono-lituanienne de 1569 à Lublin. En réalité, les racines du royaume polono-lituanien sont encore plus anciennes, puisque dès 1385, l'histoire rapporte l'accord politico-dynastique de Krewo, entre la reine polonaise Jadwiga et le grand-duc de Lituanie Jogaila, avec lequel les bases du futur État polono-lituanien (2) ont été posées. Si nous examinons la carte de la fédération polono-lituanienne au Moyen Âge (3), nous pouvons constater que ses territoires correspondaient plus ou moins à ceux de la Pologne actuelle, partiellement à ceux de l'Ukraine et du Belarus et aux territoires baltes, mais n'avaient aucun lien avec les régions balkaniques et roumaines. On peut en dire autant des territoires correspondant à la Hongrie, à la République tchèque et à la Slovaquie d'aujourd'hui. La vie assez courte de ce royaume polono-lituanien s'est terminée au XVIIIe siècle par le partage de la Pologne en 1772-1775 entre la Prusse, l'Autriche et la Russie.  

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Si l'on laisse de côté l'histoire dramatique et troublée de la Pologne et des Polonais et que l'on revient à notre époque, une question se pose: qu'est-ce qui rend possible la relance de ce projet ? De même, nous devons répondre à une autre question: dans quelle mesure le projet actuel est-il important pour la Roumanie ?

L'article cité répond très clairement à la première question: "L'Intermarium, en sa qualité d'alliance d'Etats post-soviétiques, voudrait être le stimulus d'un projet plus ambitieux, qui irait jusqu'à mettre en commun, sur une plus grande échelle, les forces militaires de l'ensemble des pays en question", afin de créer une sorte d'alliance complémentaire à l'OTAN qui s'opposerait à l'impérialisme russe. L'article précise ensuite les éléments économiques communs de cet espace, mais aussi les éléments culturels.

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Mais l'essentiel a été dit lorsqu'il s'agit d'énoncer la finalité militaire de cette nouvelle construction géopolitique. Un autre article en faveur de l'Intermarium apporte une petite contribution: cette première conférence tenue à Kiev s'est déroulée sous les auspices du mouvement ukrainien Azov, qui a donné son nom au célèbre bataillon qui a combattu les séparatistes dans le Donbas et dont le chef suprême, Andrij Biletski, est député à la Rada ukrainienne (4). L'Intermarium serait, ni plus ni moins, "un vecteur alternatif de l'intégration européenne". En effet, les initiateurs de ce projet espèrent, même s'il s'agit pour l'instant d'une hypothèse lointaine, dans la "possibilité d'avoir des alliés au sein de la Fédération de Russie, avec le projet d'autonomie de la région de Kaliningrad, connue pour son importance stratégique dans le domaine nucléaire". Les critiques d'Andrij Biletski à l'égard de l'Union européenne, de la France, de l'Allemagne et des États d'Europe occidentale, accusés de détruire bureaucratiquement l'Europe, y furent largement exposées. Il est vrai qu'il existe une tendance à revenir aux valeurs traditionnelles dans le cadre des nations européennes. Enfin, l'homme politique ukrainien estime que l'ère des États-nations puissants dans le cadre de l'Europe est revenue et que l'Ukraine peut être un modèle dans cette perspective. L'article sur cette première conférence de présentation de l'Intermarium a également été repris et traduit en anglais (5). L'impression que l'on a est celle d'un programme de propagande.

Qui dirige l'orchestre d'Intermarium ?

Pour comprendre qui sont les "ténors" de cette partition, qui contient ici et là quelques notes alléchantes (pour un spécialiste de la géopolitique faisant autorité comme Robert Steuckers, l'initiative Intermarium peut être positive en principe, mais elle est aujourd'hui mise en œuvre par ceux qui cherchent à empêcher l'accord russo-allemand, qui redonnerait sa gloire au Heartland dont parlait Halford Mackinder) (6), il sera utile de citer un prestigieux analyste américain, expert dans le domaine dont nous parlons, à savoir George Friedman. Dans un article du 7 juillet 2017, l'analyste américain affirme que l'Intermarium n'est rien d'autre que l'instrument avec lequel les États-Unis tentent d'empêcher toute initiative de la Russie de se déplacer vers l'ouest: "Son but serait de contenir tout mouvement potentiel de la Russie vers l'ouest. Les États-Unis la soutiendraient. Le reste de l'Europe s'en inquiéterait" (7). En d'autres termes, l'Intermarium sera un problème tant pour la Russie que pour le reste de l'Europe. Friedman inclut également la Turquie dans ce périmètre (aux côtés de la Pologne et de la Roumanie, qu'il considère - préférence personnelle ? - états de référence de la nouvelle construction) (8). D'un point de vue économique, Friedman voit dans l'Intermarium un potentiel de réplique à petite échelle du modèle économique américain, plus "entrepreneurial" que celui de l'Europe occidentale (c'est-à-dire plus conforme aux règles du marché, donc plus proche des intérêts américains), un potentiel de perturbation pour l'Union européenne, qui a de toute façon suffisamment de raisons d'être perturbée....

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La Pologne, qui est peut-être l'acteur le plus important de ce projet géopolitique, a certainement son propre intérêt à être attirée par celui-ci. Les raisons ne sont pas seulement liées aux relations historiques de la Pologne avec ses voisins orientaux et occidentaux. La Pologne a des ambitions régionales, qui, selon nous, ne seront pas diminuées par l'échec relatif de l'Ukraine, bien au contraire. L'historien polonais Tomasz Szczepanski (photo) le dit franchement: "Le fondement du projet Intermarium est l'objectif de créer en Europe de l'Est (ou Europe centrale et orientale), comprise comme la région entre la Russie et l'Allemagne, un pôle de puissance capable de contrebalancer la puissance des deux voisins. Le but de la création d'un tel pôle est de sécuriser la région contre les tentatives impériales de la Russie et de l'Allemagne et de créer les conditions du libre développement des nations de la région" (9). Le même historien affirme que si, d'un point de vue politique, l'Intermarium est un élément d'équilibre face à l'impérialisme russe, d'un point de vue culturel, il est plutôt opposé à l'occidentalisme. Dans cette approche, nous entendons déjà un autre niveau de discours, plus sophistiqué, bien loin de la propagande anti-russe ou anti-allemande à bon marché.

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L'auteur polonais met les points sur les i lorsqu'il affirme que les nations de la région d'Europe de l'Est, qui ont connu l'hégémonie russe, ont davantage confiance dans une alliance avec les États-Unis (qui est loin d'être parfaite) que dans une Union européenne qui viserait géopolitiquement à évincer les États-Unis d'Europe. Les craintes de la Pologne doivent être prises en compte (l'historien polonais rappelle que, juridiquement, la constitution allemande stipule que les frontières de l'Allemagne sont celles de 1937) dans la nouvelle architecture de sécurité européenne, car les ignorer ne pourrait que conduire à une aggravation de la situation générale en Europe. Avec tous les mérites de ses observations, l'auteur polonais démontre une compréhension limitée du contexte politique global lorsqu'il met sur la table (cela semble être un leitmotiv de l'approche politique liée à l'Intermarium) le problème de Kaliningrad, qui lui semble une aberration géopolitique et une menace pour la Pologne. Il propose, sic et simpliciter, la "solution" de ce problème à l'avantage de l'État polonais...

Ces remarques montrent comment les différends historiques intra-européens empêchent une possible construction européenne avec de réelles valeurs géopolitiques, débarrassée de toutes ces querelles plus ou moins dépassées. Une telle entreprise devrait se détacher des idiosyncrasies historiques, des égoïsmes nationaux (sans ignorer les vertus et les besoins naturels des nations européennes), afin de faire de l'Europe un véritable acteur sur la scène géopolitique mondiale. Grâce à la vision de Thiriart d'une Europe de Lisbonne à Vladivostok (difficile à imposer, reconnaissons-le, au niveau mental collectif des "tribus" européennes, comme Thiriart appelait les nations comme de simples entités morales et culturelles, dépourvues de ferveur politique), nous arrivons à comprendre ce que chaque nation européenne devrait sacrifier dans le cadre d'un projet géopolitique d'intégration du continent. Voici ce qu'écrit Thiriart : "Au début du XXIe siècle, les États comptant moins de 400 ou 500 millions d'habitants seront éliminés de l'histoire. (...) La plus grande absurdité que j'ai pu lire ces dernières années est celle de "l'Europe aux cent drapeaux" (...). Les grands États, les seuls qui survivront au XXIe siècle, devront nécessairement être politiques et devront nécessairement réprimer, écraser et éradiquer toutes ces vagues identités "raciales", linguistiques et religieuses qui pourraient interférer avec l'Imperium. Seul l'État-nation politique permet la construction de grands États libres, historiquement autonomes. Hobbes a dit à juste titre: "La liberté, c'est la puissance". Aujourd'hui, pour nous, la puissance serait une république impériale qui s'étend de Dublin à Vladivostok, dans les structures d'un État unitaire et centralisé" (10).

Les idées de Tomasz Szczepanski sont également pertinentes pour le cas roumain. Un géopoliticien et homme de culture de la stature d'Alexandre Douguine a récemment déclaré à Bucarest, lors de la présentation de son livre Destin eurasien, que la Russie a commis de nombreuses erreurs à l'égard de la Roumanie, ainsi que de l'Ukraine (11). Un tel discours, orienté vers l'avenir et non vers le passé des relations avec la Russie, est beaucoup plus approprié à la situation actuelle de l'Europe, qui doit faire face aux plus grandes provocations géopolitiques de l'après-Seconde Guerre mondiale (peut-être plus grandes que celles des années 1990, lorsque l'empire soviétique s'est effondré). Dans une telle perspective, le projet Intermarium est sans valeur. Elle ne fait que remplacer une relative (inévitable ?) hégémonie interne européenne par une hégémonie ou une ingérence géopolitique non européenne (États-Unis). Toute puissance géopolitique spatialement étrangère peut spéculer sur les différences de potentiel géopolitique entre les États européens afin de déstabiliser l'unité européenne. L'alternative à l'intégration européenne sera appelée désintégration européenne. D'autre part, l'auteur polonais cité ci-dessus souligne que les relations entre l'Intermarium (dont le noyau est posé en Pologne et en Ukraine) et la Russie ne doivent pas être inévitablement conflictuelles, au contraire. Une Russie plus "pacifique" sur le plan géopolitique serait souhaitable. À notre avis, une Russie "impérialiste" (au sens large) serait également acceptable, à condition qu'elle joue le rôle de l'hégémon idéal envisagé par Carl Schmitt (12).

Dans le même sens, toujours dans une perspective allemande (cette fois-ci celle de Jordis von Lohausen), la géopolitique d'une Europe unie devra devenir la géopolitique d'un Reich idéaliste, c'est-à-dire d'un Empire qui, en tant que tel, reconnaît la valeur et la validité de toutes les nations qui acceptent de le rejoindre. Qu'une telle Europe puisse avoir plusieurs moteurs (Russie, Allemagne, France, etc.) est moins important. Il est plus important que, au-dessus de toutes ses composantes, l'intérêt général du continent prévale (13). 

Le fait que l'Intermarium soit un élément dangereux pour l'unité européenne est déjà évident au vu des nouvelles concentrations de troupes russes... à la frontière de cette construction géopolitique (pour l'instant) fictive. Si la Pologne et l'Ukraine sont les piliers militaires de cette construction (à notre avis la Roumanie a un rôle moins important et nous verrons pourquoi), de nouvelles unités militaires russes apparaissent dans la zone de démarcation de ce nouvel espace, en réponse aux manœuvres de l'OTAN dans la partie orientale de l'Europe. La coagulation des sous-unités géopolitiques au sein de l'Europe prévue par Thiriart entraîne une nouvelle séparation, un nouveau rideau géopolitique, cette fois peut-être plus dangereux, car il ne s'agit plus d'une frontière idéologique, mais d'une frontière purement militaire, déplacée de Berlin à Kiev (14). 

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La place de la Roumanie dans la matrice Intermarium

Toutes les déclarations officielles roumaines montrent que la Roumanie essaie de ne pas se distancer du soi-disant noyau dur européen, formé par l'Allemagne et la France. C'est précisément contre ce noyau dur que l'Intermarium se formera, si tant est qu'il se forme. Avec un président d'origine allemande et une histoire francophile au cours du siècle dernier, la Roumanie n'a aucune raison de jouer la carte anti-européenne choisie par la Pologne. Relativement indépendante du point de vue de la production d'hydrocarbures (les importations de gaz russe ne représentant que 15% des besoins), la Roumanie, contrairement à la Pologne, avec laquelle elle entretient de bonnes relations (l'épisode le plus marquant de la solidarité entre les deux nations est l'asile donné en 1939 par la Roumanie au gouvernement polonais), ne semble pas intéressée par le rôle de petite hégémonie locale que lui propose la Pologne avec l'Intermarium. On pourrait même dire que la Roumanie tente de concilier les deux camps, le pro-atlantique et le pro-européen, en préférant une politique attentiste. Un épisode récent important est lié à la politique d'équipement de l'armée roumaine, un domaine extrêmement sensible, à partir duquel on peut deviner l'orientation géopolitique plus générale du pays. Ainsi, la Roumanie s'est engagée à acheter des batteries de missiles Patriot et la presse a parlé d'un "accord de principe" du département d'État américain pour la transaction. Parallèlement, dans le cadre de la récente visite du président français Macron en Roumanie, les spécialistes de la défense ont entamé des discussions avec l'entreprise française concurrente, MBDA, dont l'offre semble être meilleure que celle des Américains !(15).

De cette manière, la Roumanie s'ouvre à une orientation géopolitique que nous pourrions définir, bien que timidement, comme multipolaire, sentant que le rôle hégémonique des Etats-Unis en Europe et dans le monde commence à s'affaiblir. En ce sens, on constate des efforts clairs de régulation des relations avec la Russie, mais aussi une (ré)ouverture d'importantes voies de collaboration avec la Chine, un acteur géo-économique et géopolitique qui, jusqu'à récemment, était " bloqué " aux portes de la Roumanie pour des raisons de pro-atlantisme exacerbé. Récemment, la Roumanie a entamé des discussions importantes pour la construction de deux réacteurs nucléaires avec la Chine ; cela montre une volonté de transgresser les inhibitions géopolitiques inspirées par les États-Unis. Dans ces conditions, avec toute la publicité qui lui est faite, l'Intermarium ne peut apparaître que comme une construction artificielle, anti-européenne et régressive par rapport aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne.

Notes:

[1] http://hajde.fr/2017/03/21/lunion-baltique-mer-noire-une-...

[2] Ion Constantin, Din istoria Poloniei și a relațiilor româno-polone, Ed. Biblioteca Bucureștilor, 2005, p. 18.

[3] https://ro.wikipedia.org/wiki/Uniunea_statal%C4%83_polono...

[4]http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2016/07/2...

[5] http://reconquista-europe.tumblr.com/post/146993199731/th...

[6] http://robertsteuckers.blogspot.ro/search?q=Intermarium

[7] https://geopoliticalfutures.com/intermarium-three-seas/

[8] George Friedman s'est fait remarquer pour l'attention qu'il porte à la Roumanie. A sa façon, il est un observateur attentifdes relations entre la Roumanie et la Fédération de Russie. Il était présent à Chisinau (avec ses conseillers, bien entendu), pour présenter une fondation de nature géopolitique. Il est intéressant de souligner le fait que Friedman est considéré proche des intérêts de Moscou par les unionistes roumains les plus résolus. Sa prudence lors des déclarations de Chisinau pourrait aussi être le reflet dela situation générale dans laquelle se trouve la République de Moldavie, un Etat qui, manifestement, ne désire par suivre la voie de l'Ukraine voisine, étant bien plus prudent dans sa politique d'équilibre entre l'Est et l'Ouest. 

[9] http://www.europemaxima.com/l%E2%80%99autre-europe-un-ent...

[10] V. http://www.leblancetlenoir.com/2015/04/europe-l-etat-nati...

[11]http://adevarul.ro/news/politica/reportaj-ideologul-putin...

[12] V. Carl Schmitt, The Concept of Reich in International Law, în Carl Schmitt, Writings on War, Polity Press, 2011, pp. 101-110. Pour développer utilement cette thématique, en réfénrenceplus particulièrement à Carl Schmitt, on se réfèrera à Günter Maschke:  http://www.archiveseroe.eu/maschke-a112853978

[13] Jordis von Lohausen,  Les empires et la puissance, Ed. du Labyrinthe, 1996, pp. 196-197.

[14] http://www.limesonline.com/lanakonda-della-nato-alle-port...

[15] http://www.cotidianul.ro/cum-au-marcat-francezii-in-lupta...

 

lundi, 01 novembre 2021

La Roumanie et les fausses alliances stratégiques

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La Roumanie et les fausses alliances stratégiques

par Cristi Pantelimon*

La Roumanie se trouve dans une situation géopolitique ambiguë, que l'on pourrait considérer comme celle des "fausses alliances". Elle privilégie la relation stratégique avec les puissances atlantistes afin de se défendre contre une prétendue agressivité de la Russie. Une telle vision et la géopolitique qui en découle n'ont aucun fondement dans la situation géo-historique de la Roumanie, un État continental par définition. Une telle alliance peut fonctionner pendant un certain temps, mais elle ne sera que conjoncturelle et opportuniste. On peut dire la même chose des États occidentaux. La seule stratégie géopolitique à long terme qui se fonde sur l'histoire du continent est la stratégie eurasiste, c'est-à-dire une tentative de consolidation du Grand Continent de Lisbonne à Vladivostok.

5y_AF3GZO1JL8fAI_h8i7-pryXM.jpgLa Roumanie, comme d'autres États européens, est clairement confrontée au problème des fausses alliances. Ce syntagme a été utilisé dans la longue réflexion que le géopolitologue et général autrichien Jordis von Lohausen a consacrée au destin géopolitique de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale dans son ouvrage Mut zur Macht. Denken in Kontinenten (1). Lohausen est un chercheur d'autant plus intéressant qu'il propose souvent une solution aux conflits géopolitiques passés sur le mode d'une histoire contrefactuelle, étant extrêmement crédible dans ce registre. Ses réflexions et ses solutions géopolitiques visent à renforcer une conception qui n'était pas pleinement réalisée au moment historique où les événements ont eu lieu, mais qui est encore plus évidente après la fin de ces événements. Ainsi, son continentalisme et son eurasianisme sont d'autant plus crédibles qu'au moment de la Seconde Guerre mondiale (et aussi de la Première), ils n'ont pas été pleinement soutenus par les puissances européennes, avec les conséquences qui sont sous nos yeux aujourd'hui : une Europe qui se trouve, pratiquement, à la discrétion des puissances thalassocratiques (surtout les États-Unis) et de l'OTAN (où l'influence des États-Unis est presque totale) ; une Europe qui ne peut pas résoudre ses problèmes, non pas à cause d'un manque de capacité bureaucratique, mais à cause d'un manque de vision globale d'un point de vue géopolitique et géostratégique. Le moment est venu pour l'Europe de choisir entre des alliances conjoncturelles et souvent opportunistes (celles avec les puissances thalassocratiques) et des alliances durables et logiques (peut-être plus difficiles à articuler pour le moment) avec les puissances continentales, en particulier la Russie.

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La géopolitique : une science traditionnelle ?

Cette provocation est également manifeste dans le cas de la Roumanie, traversée par une véritable ligne de fracture géopolitique, quoique non déclarée, entre les adeptes de l'atlantisme d'une part et les adeptes (de plus en plus nombreux et déterminés) d'un continentalisme que la crise actuelle de l'Europe semble sortir de sa léthargie.

La géopolitique est souvent une science romantique. En d'autres termes, elle est pratiquée, en dehors de ceux qui, à un moment donné, semblent avoir la décision politique, par une série de personnes qui restent en dehors des véritables jeux de pouvoir, mais dont la mission est de créer, avec leurs idées, de véritables "états d'esprit", pour reprendre la notion de René Guénon. Ainsi, à côté de la dimension que nous avons appelée romantique (pour souligner le caractère gratuit, culturel et désintéressé de la géopolitique), ce secteur de la pensée humaine fait également ressortir son caractère profondément traditionnel, peut-être le moins mis en évidence jusqu'à présent. Si nous acceptons cette perspective, la géopolitique devient brusquement un territoire de liberté d'esprit, où ce qui n'est pas possible dans la réalité immédiate peut être considéré comme une probabilité ou une alternative créative dans le futur. Ce n'est qu'en ce sens que la géopolitique peut revendiquer une dimension créative; c'est-à-dire que ce n'est que dans la lutte avec la réalité à partir d'un certain moment qu'elle peut manifester ses qualités profondes. Une géopolitique des données concrètes et immuables, une géopolitique des faits achevés, des décisions déjà prises et du présent déjà transformé en un passé inerte est une fausse géopolitique, une géopolitique dépourvue de sens. Comme l'histoire humaine, la géopolitique est aussi une agonie (agonie comme lutte) pour la transformation des données réelles du monde, une lutte pour la revitalisation de l'humanité et son équilibre perpétuel.

Il découle de ces considérations que la géopolitique, parmi de nombreuses autres possibilités d'affirmation, a pour destin essentiel la critique et la négation des états de fait apparemment établis, la critique et la négation des évidences imposées par l'idéologie, de la pensée unique, du confort dans l'acte de réflexion.

En tant que science traditionnelle, la géopolitique doit chercher, tout d'abord, à découvrir quelles sont les sources de la force géopolitique. Qu'est-ce qu'une force géopolitique ? C'est cette force qui s'oppose à la domination injuste, non traditionnelle, non naturelle d'un peuple ou d'un espace donné. Il existe une domination géopolitique naturelle et une domination géopolitique non naturelle. La domination géopolitique naturelle est celle qui se déroule dans un esprit traditionnel. Selon le géopoliticien Jordis von Lohausen, la force géopolitique doit protéger la vie. Si elle ne le fait pas et commence à protéger les aspects superficiels de la vie, la force s'ankylosera et deviendra nuisible: "Tout pouvoir provient de la vie et est soumis au devoir de protéger la vie. Si elle perd ce sens originel, si elle se perd dans des objectifs superficiels, si elle ne cherche que le succès, alors elle se corrompt (...) Comme la flamme de la lanterne qui émet une dernière lumière avant de s'éteindre, ainsi la course à la superficialité célèbre ses triomphes, qui ne sont que la confirmation d'une réelle extinction" (2).

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La Roumanie et les "tentations" stratégiques

La géopolitique de la Roumanie actuelle est, malheureusement, tributaire des aspects non traditionnels et donc, à notre sens, non géopolitiques de l'Europe occidentale. Une Europe occidentale qui se complaît dans une "fausse alliance" (ce syntagme appartient aussi à Lohausen) avec la thalassocratie mondiale américaine. Une alliance qui, sous couvert de protection (aujourd'hui contre le "danger russe") ne fait que débiliter l'esprit vital du continent et lui rendre un mauvais service à long terme.

L'aperçu de cette débilitation européenne dirigée par les États-Unis est bien illustré par Lohausen dans une postface de l'ouvrage cité. Lohausen s'exprime de la manière la plus directe qui soit: "Cinquante ans de croissance ininterrompue de la richesse sous le parapluie nucléaire américain n'ont pas seulement érodé la conscience de soi des Européens, ils ont aussi engourdi leur vigilance et détruit leur volonté de se défendre. La richesse sans défense est toujours une invitation au vol et au pillage. Le pouvoir est comme l'eau: il ne connaît pas d'espaces vides (3). Comme dans le cas de l'Europe occidentale, l'alliance stratégique de la Roumanie avec les États-Unis est un piège caché par le besoin de protection totale.

La première idée exprimée à propos de cette alliance est qu'elle fonctionne comme une protection contre la résurgence de l'esprit agressif de la Russie. Mais ce qui apparaît de ce point de vue est une situation et une idée contradictoires. D'une part, la Russie décrite comme un État agresseur doit intensifier sa vigilance militaire et géopolitique sur la Roumanie et dès lors renforcer la fameuse alliance (le "partenariat stratégique") avec les États-Unis. En revanche, ce qui est étrange, c'est que la Russie se voit refuser la puissance géopolitique dans la même mesure, ce qui la réduit au statut d'"acteur" sur la scène internationale. On fait souvent des comparaisons qui se veulent humiliantes, en comparant le produit intérieur brut des États-Unis à celui de la Russie, ou le niveau des dépenses en armement des premiers à celui des seconds. A l'évidence, ces comparaisons aboutissent à une Russie presque caricaturale en tant que poids géopolitique.

Le premier geste géopolitique naturel de la Roumanie serait de reconnaître la puissance géopolitique de la Russie et de tenter de la "capturer" dans l'esprit d'une collaboration stratégique continentaliste. En effet, dans l'hypothèse d'un affaiblissement géopolitique de la Russie, la Roumanie, contrairement à ce que préconise la recette atlantiste officielle, devrait contribuer à accroître cette puissance géopolitique. Nonobstant certaines contradictions historiques entre la Roumanie et la Russie, l'intérêt du Continent, qui n'est pas occasionnel et qui n'est pas opportun, serait celui d'une collaboration mutuellement bénéfique.

Toutefois, cette recette de collaboration présupposerait une image globale du continent européen qui ne correspond pas à la vision actuelle (4). Malheureusement, l'élite politique et militaire de la Roumanie actuelle semble être prisonnière d'une idée préconçue anti-russe, souvent subtilement, mais continuellement, alimentée par la "mémoire" d'épisodes historiques embarrassants dans les relations entre les deux pays (5). L'idée qu'à l'heure actuelle, la Roumanie a les mêmes intérêts géopolitiques que les États-Unis a infiltré la mentalité collective de l'élite intellectuelle roumaine. Une telle idée ne résiste toutefois pas à une analyse approfondie.

indexMV.jpgDans l'entre-deux-guerres, un célèbre sociologue et philosophe roumain (martyr du changement brutal de la situation géopolitique européenne en 1945), Mircea Vulcănescu (1904-1952), a proposé une vision intéressante des forces qui ont façonné en profondeur la civilisation roumaine. Sa théorie peut être appelée "théorie des tentations historiques" et consiste principalement en la théorisation subtile d'un mécanisme d'"éternel retour" aux origines du peuple roumain à travers le souvenir (plus ou moins une anamnèse de type platonicien) des éléments constitutifs de son ethnogenèse. Vulcănescu, cependant, ne privilégie pas l'aspect ethnique ou anthropologique au sens biologique, mais plutôt l'aspect strictement culturel et civilisationnel. "Chaque peuple, chaque âme populaire peut être caractérisée par un certain dosage de ces tentations, qui reproduisent dans son architecture interne l'interpénétration dans l'actualité spirituelle des vicissitudes historiques par lesquelles le peuple respectif est passé" (6).

En bref, il s'agit d'une série d'attractions irrésistibles, de forces configurantes que l'on retrouve non seulement dans les périodes d'épanouissement historique, mais surtout dans les périodes de bouleversement et de provocation historiques. Les influences extérieures s'accompagnent toujours d'un douloureux processus de reconfiguration morphologique ou, peut-être, de pseudomorphose. Mais ces influences, une fois subies, deviennent des tentations ou des facteurs générateurs d'énergies historiques, des éléments de nature vitale dans l'affirmation historique d'une communauté.

Selon Vulcănescu, les plus importantes tentations historiques des Roumains sont la tentation grecque, la tentation romaine, la tentation byzantine, la tentation russe, la tentation germanique, la tentation française et la tentation thrace (que l'auteur roumain considère comme la plus importante de toutes, étant de nature "résiduelle", c'est-à-dire liée au noyau). Ces "tentations" correspondent à certaines tendances qui façonnent le cadre global de la civilisation roumaine. Comme on le voit, les Roumains, peuple profondément continental (qui, selon Marija Gimbutas (7), réside précisément dans le "foyer" de l'Europe ancienne), n'ont pas de liens spirituels profonds avec le monde d'où vient aujourd'hui leur "salut" géopolitique, le monde atlantique. Au contraire, toutes les références anciennes ou récentes de la spiritualité roumaine sont d'ordre continental. Dans ces conditions, même si l'on peut spéculer sur le fait que la géopolitique a des règles différentes de l'histoire, il n'en est pas moins vrai que l'histoire et la géographie, ensemble, fournissent les orientations les plus sûres pour la géopolitique, comprise, comme nous l'avons dit plus haut, comme une science de l'empreinte traditionnelle.

Les alliances actuelles de la Roumanie et de l'Europe occidentale peuvent fonctionner. Mais ce fonctionnement n'aura jamais qu'un sens conjoncturel et opportuniste.


* Cristi Pantelimon, sociologue, est l'auteur des ouvrages suivants : Corporatisme şi economie. Critica sociologică a capitalismului, Ed. Academiei Române, Bucureşti, 2009 ; Prin cenuşa naţiunii, Ed. Etnologică, Bucureşti, 2006 ; Sociologie politică, Ed. Fundaţiei România de Mâine, Bucureşti, 2005. Il a coordonné les volumes collectifs suivants : Modernităţi alternative, Ed. Institutului de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, 2013 ; (avec Antoine Heemeryck), La globalisation en perspective. Elites et normes, Ed. Niculescu, 2012 ; Ideea naţională şi ideea europeană, Ed. Institutului de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, Bucureşti, 2009. Il a édité : Emile Durkheim, Diviziunea muncii sociale, Ed. Antet, Bucureşti, 2007 et Donoso Cortés, Eseu asupra catolicismului, liberalismului şi socialismului, Ed. Antet, Bucureşti, 2007. Il est l'auteur de traductions et d'articles sur divers sujets d'actualité pour le blog www.estica.eu. En italien : Vasile Gherasim e l'Eurasia spirituale, "Eurasia" 4/2015.  

Article paru dans: EURASIA. Revue d'études géopolitiques, Année XIII - Numéro 1, Janvier-mars 2016

Notes:

1. Kurt Vowinckel, Berg am See, 1979 și 1981. Nous citons l'édition française : Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourdʼhui, Éd. du Labyrinthe, 1996.
2. Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourdʼhui, Éd. du Labyrinthe, 1996, p. 78.
3. Ibid, p. 320.
4. De notre point de vue, ces dernières années, la vision concernant le continent européen a de nouveau subi une distorsion qui rappelle la guerre de l'information de la période de la guerre froide. Cette fois, le mal axial du monde n'est pas l'URSS, mais tout ce qui est sous l'influence de la Russie, à commencer bien sûr par la Russie elle-même. L'Europe n'est l'Europe que si la Russie en est éliminée. Une telle perception coïncide avec les plans atlantistes et maximalistes du pouvoir à Washington, mais est évidemment désastreuse pour l'ensemble du continent (que tout géographe non régenté idéologiquement voit s'étendre non pas jusqu'à l'Oural, mais au-delà... jusqu'à Vladivostok). 
5. Bien sûr, cette "mémoire" n'est pas seulement présente dans l'espace roumain. La logique de la situation fait que les forces anticontinentales de l'espace russe agissent dans le même sens : le "fascisme" roumain reste, semble-t-il, une cible privilégiée pour un nationalisme russe dépourvu de véritable horizon géopolitique. 
6. Mircea Vulcănescu, Dimensiunea românească a existenței, Ed. Fundației Culturale Române, București, 1991, p. 43.
7. " La Roumanie est le foyer de ce que nous avons appelé l'Europe ancienne, une entité culturelle située chronologiquement entre 6500 et 3500 av. J.-C., fondée sur une société matriarcale, théocratique, pacifique, amoureuse de l'art et créative, qui a précédé les sociétés guerrières patriarcales indo-européennes des âges du bronze et du fer " (Marija Gimbutas, Civilizație și cultură, Ed. Meridiane, București, 1989, p. 49).