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dimanche, 19 juin 2022

OTAN, honte et ruine pour l'Europe

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OTAN, honte et ruine pour l'Europe

Ernesto Milà

Source: https://info-krisis.blogspot.com/2022/06/cronicas-desde-mi-retrete-otan.html

Les deux grandes guerres économiques du XXe siècle, la Première et la Seconde Guerre mondiale, ont été déclenchées par la politique britannique visant à empêcher toute puissance d'être hégémonique en Europe. Ni le Kaiser n'était un impérialiste irrécupérable, ni Hitler ne voulait conquérir une Europe dont il savait qu'elle orbiterait autour de 100 millions d'Allemands réunifiés en 1938 et qui, par le poids même de son économie, servirait de pôle autour duquel le "nouvel ordre européen" serait construit. Le résultat des deux guerres mondiales a été la défaite de l'Europe. Il ne reste rien de la paix de Versailles. De la conclusion de la Seconde Guerre mondiale, il reste l'OTAN, ce résidu infâme qui n'aurait jamais dû voir le jour et qui n'a été que la reconnaissance de la vassalité de l'Europe envers les États-Unis. Le problème, aujourd'hui, est que les États-Unis sont un "empire" en déclin, non viable à court terme, déstabilisé de l'intérieur et qui, à tout moment, pourrait s'effondrer, non pas en raison de menaces extérieures, mais en raison d'un effondrement interne. Rien de tout cela ne semble importer aux gouvernements européens. Toujours emprisonnée dans la dynamique de la guerre froide et émasculée par la gauche "altermondialiste", par les "éco-pacifistes" et par une droite qui se reconnaît dans le "modèle américain", l'Europe se meurt à la même vitesse que la "capitale impériale".

DE LA CECA A LA CED, DU CHARBON ET DE L'ACIER À LA DÉFENSE

En 1945, l'important était de reconstruire l'Europe et de prendre conscience du pourquoi et du comment des deux conflits mondiaux, de prendre conscience aussi qu'ils avaient été provoqués.

Tous les politiciens européens n'étaient pas aveuglés par les "opérations psychologiques" qui avaient présenté d'abord le Kaiser comme l'agresseur, puis Hitler comme une bête assoiffée de sang. Des gens comme Jean Monnet et Robert Schuman étaient conscients qu'il y avait un conflit entre l'Allemagne et la France au sujet du charbon et de l'acier, mais qu'il pouvait être réglé simplement en établissant des pactes mutuels durables et en réorganisant l'économie européenne.

C'est ainsi que la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) est née en 1951, réunissant la France, la République fédérale d'Allemagne, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Cet accord historique a mis fin à trois guerres qui avaient handicapé trois générations de Français et d'Allemands et qui avaient toujours été stimulées par la politique britannique traditionnelle depuis le XVIIIe siècle: empêcher toute puissance européenne d'être hégémonique sur le continent et torpiller toute tentative de formaliser un accord Paris-Berlin-Moscou.

La CECA a été "acceptée" par le président Truman. Après tout, à l'époque, les États-Unis étaient engagés dans la guerre de Corée et devaient maintenir leur alliance avec les États européens. Ce n'était pas le meilleur moment pour leur tirer les oreilles. Sans oublier qu'en 1951, l'URSS avait déjà effectué des essais nucléaires à Semipalatinks. Les États-Unis, à cette époque, ne pouvaient donc avoir aucune friction avec leurs "alliés" européens.

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Cependant, lorsque René Pleven, chef du gouvernement français, Jean Monnet et Robert Schuman proposent la création d'une "force armée européenne" l'année suivante, ni les États-Unis ni le Royaume-Uni n'y sont inclus. L'OTAN avait bien été créée en 1949, mais elle était trop dépendante des États-Unis, ce qui faisait du continent européen un théâtre d'opérations incontournable en cas de confrontation avec l'URSS. Dans un premier temps, les États-Unis ont soutenu l'initiative, estimant qu'elle leur épargnerait un nouveau déploiement en Europe, sans pour autant diminuer leur influence. La Communauté européenne de défense (CED), qui devait être la traduction militaire de la CECA, se heurte à une opposition inattendue du général de Gaulle, ancré dans son "nationalisme mesquin". Si la France peut être une puissance nucléaire à elle seule, si elle maintient encore un "empire" en Indochine (qu'elle perdra en 1954), en Algérie (qu'elle perdra en 1962), en Afrique (des colonies qui seront perdues au compte-gouttes des années 1960 jusqu'à l'indépendance de Djibouti en 1977), elle n'a pas besoin de coopérer militairement avec des "ennemis historiques".

En 1954, le projet CED est officiellement enterré. Donc, toute initiative militaire se fera dorénavant avec l'OTAN seule...

LA GRANDE ESCROQUERIE DU RÉFÉRENDUM SOCIALISTE SUR L'OTAN. MATIÈRE OUBLIÉE...

Depuis lors, l'OTAN n'a cessé de croître: elle compte aujourd'hui 30 États membres (le dernier ralliement est celui de la Macédoine du Nord en 2020). Elle n'est pas, et ne peut pas être, une association "paritaire" d'États: c'est celui qui paie le joueur de cornemuse qui décide, et les États-Unis paient (70 % du budget est fourni par les États-Unis) au point de n'être qu'un instrument aux mains de la politique étrangère américaine, dans laquelle les autres partenaires ne comptent que comme figurants, sans le moindre pouvoir de décision.

Certaines adhésions ont été faites en utilisant des mensonges et des tromperies de la plus basse espèce. Le résultat du référendum du 12 mars 1986, organisé en Espagne, s'est par exemple soldé par une victoire du OUI de 56,8 %, sur une participation de moins de 60 % de l'électorat : 9.054.509 voix pour (56,85 %), contre 6.872.421 voix contre (43,15 %), avec 1.127.673 votes blancs (6,54 %) et 191.849 votes nuls (1,11 %). Ainsi, sur un total de 29.024.494 électeurs, moins d'un tiers a décidé d'adhérer à l'OTAN, et, soit dit en passant, le pays était déjà membre de l'organisation depuis mai 1982 sur décision de Leopoldo Calvo Sotelo. L'arnaque est survenue parce que le bulletin de vote indiquait que l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN devait être établie dans les termes suivants: "1. La participation de l'Espagne à l'OTAN n'inclura pas son incorporation dans la structure militaire intégrée; 2. L'interdiction d'installer, de stocker ou d'introduire des armes nucléaires sur le territoire espagnol sera maintenue; 3. La présence militaire américaine en Espagne sera progressivement réduite". Eh bien, avec ce bulletin de vote inhabituel, qui ressemblait plutôt à un pamphlet en faveur de l'IS, le maintien de l'Espagne dans l'OTAN était justifié, malgré le fait que les trois conditions ont été violées dès le départ !

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L'Espagne était importante pour l'OTAN: elle fournissait une "profondeur stratégique" et les Pyrénées constituaient - du moins en théorie - une barrière pour les chars soviétiques et notre territoire une possibilité de regrouper des forces en cas d'invasion, de recevoir des matériaux et des troupes pour lancer une contre-offensive.

L'OTAN GRANDIT, LES USA PROGRESSENT DANS LEUR CRISE INTERNE

Mais tout cela relevait d'un monde qui, en 1983, était déjà sur le point d'expirer. Huit ans plus tard, l'URSS était dissoute. Depuis lors, tout le problème de l'OTAN a été de construire un "ennemi" tangible pour justifier son existence: ce furent tour à tour "Milosevic et la Serbie", "l'axe du mal", "le terrorisme islamique", "Saddam", "Khaddafi", "les talibans" et maintenant Vladimir Poutine. Aucun, absolument aucun de ces ennemis n'était suffisamment important en soi pour justifier l'existence d'une alliance qui, par définition, n'aurait dû être active que dans l'"Atlantique Nord". Pourtant, sauf dans le cas de la guerre contre Saddam, aucun pays européen n'a jamais couiné lorsqu'il a été appelé à coups de sifflet par l'empire pour aider à abattre tel ou tel ennemi.

Mais il y a un problème; en fait, il s'agit d'une contradiction: plus l'OTAN avance ses lignes, plus l'"ami américain" montre des signes de faiblesse, moins les ralliements sont sûrs et moins ils peuvent contribuer à la "défense commune". Les États-Unis d'aujourd'hui ne sont plus les États-Unis de 1989, lorsque le mur de Berlin est tombé. Ce ne sont même plus les États-Unis qui ont envahi l'Irak et l'Afghanistan. Ce sont les Etats-Unis qui se sont retirés piteusement de Kaboul malgré le souvenir du retrait du Vietnam en 1975. Ils ne sont même pas ceux de 2000, où 75% des brevets internationaux étaient américains. Aujourd'hui, les États-Unis ne font guère preuve de "leadership mondial": ils sont en tête, certes, pour les fusillades de masse, les tueurs en série et les armes au centimètre carré. Mais dans rien d'autre.

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Même dans les domaines scientifiques les plus avancés, ils ont été dépassés par la Chine. Il est significatif que la course à la téléphonie mobile et à la connectivité, la 5G, soit menée par la Chine (qui teste déjà la 6G). Auparavant, la 4G avait été promue par les États-Unis (avec la participation de Samsung), tandis que la 3G était un "truc européen" (Siemens et Nokia en particulier). Les Chinois livrent également une concurrence féroce aux laboratoires américains dans les domaines de la biotechnologie et de l'informatique quantique, et sont à égalité avec eux dans la course à l'espace.

Dans ces circonstances, l'adhésion à l'OTAN présente tous les inconvénients possibles pour l'Europe et ne lui offre absolument aucun avantage. Ni la Russie ni Poutine n'ont montré le moindre intérêt pour la colonisation de l'Europe. Poutine est bien conscient de l'apathie de l'opinion publique européenne envers l'OTAN. Il a fallu l'impact des "opérations psychologiques" entourant le conflit ukrainien et le choc émotionnel des attentats pour que l'adhésion de la Suède et de la Finlande puisse se faire sans grandes protestations sociales (pour l'instant). Le conflit ukrainien a par ailleurs montré qu'il est une chose de donner un coup de siffler comminatoire pour imposer des "sanctions" à la Russie et une autre de s'engager militairement dans un conflit. Un homme politique qui lancerait son pays dans une guerre contre la Russie pour défendre des valeurs abstraites et des situations créées artificiellement risquerait de sombrer dans les intentions de vote dès le premier instant.

LA CLASSE POLITIQUE EUROPÉENNE : LE TALON D'ACHILLE DU CONTINENT

Le talon d'Achille de l'Europe est la médiocrité, l'absence de sens de l'État, les déficiences intellectuelles et culturelles de sa classe politique, qui ont fait que l'UE est sans défense et continue à devoir payer l'hypothèque et la subrogation de sa défense aux États-Unis. Sans parler du fait que le génie consistant à rejeter l'énergie nucléaire et à soutenir les "énergies propres" est suicidaire car l'Europe manque de matériaux stratégiques avec lesquels construire des batteries au lithium ou des panneaux solaires. En matière d'énergie, l'Europe est hyper-dépendante de la Russie et de ses approvisionnements en pétrole et en gaz. Les gouvernements européens, désireux d'échapper à cette dépendance, se sont placés sur le terrain encore plus fragile et instable des "énergies propres" et de la "transition énergétique", ce qui complique encore la question : l'Europe n'a pas de cérium, d'holmium, d'europium, de samarium, tous des lanthanides, dont 80% proviennent de Chine ! Et dans une moindre mesure de la Russie, de l'Inde, de l'Australie, du Canada et du Brésil... Les gouvernements européens parient aujourd'hui sur un modèle énergétique qu'ils ne peuvent eux-mêmes développer. Cependant, ces mêmes gouvernements ont précédemment accepté qu'une grande partie de leur industrie manufacturière soit délocalisée en Chine.

Les aspects énergétiques, commerciaux, technologiques et de défense montrent pourquoi l'Europe a décliné et pourquoi le continent est désormais un nain politique qui ne compte pour absolument rien, ignoré même par son "allié", en réalité son "suzerain impérial".

Mais la "mère de toutes les erreurs" de la classe politique européenne a été d'avoir abandonné l'idée d'une Communauté européenne de défense (qui aurait signifié le développement d'une industrie militaro-artistique et la recherche et le développement de nouvelles technologies, qui pourraient être aussi efficaces que le projet Airbus) et d'avoir renoncé à sa défense, face, hier, à l'URSS et, aujourd'hui, à la Russie. Les États-Unis n'ont fait que suivre plus de deux siècles de politique britannique sur le continent.

Et maintenant quoi ?

Le seul espoir maintenant est que l'effondrement interne des États-Unis rompe ce lien de dépendance. Dès que cela se produira - et tout Européen qui a voyagé aux États-Unis aura remarqué que s'il n'y a pas eu d'explosion sociale au cours des deux dernières années, c'est grâce aux prestations sociales qui ont fait qu'un dollar sur deux existant actuellement a été imprimé pendant les années de la pandémie, ce qui a fait grimper l'inflation - ce sera "l'Europe" qui devra se réinventer : mais cela se produra, avant tout, par l'enterrement définitif de la classe politique composée de "jeunes leaders mondiaux", forgée dans le nid douillet du Forum économique mondial, avec une partitocratie corrompue qui étouffe la société civile et s'en nourrit par le biais d'exactions diverses, de pression fiscale et de démagogie sociale, de bien-pensance verte et d'absurdités émanant de l'Agenda 2030.

Toute une vieille classe politique doit disparaître sans délai, pour que l'Europe puisse (re)vivre. Un système entier construit pour l'utilisation et la jouissance de la démocratie doit céder, volontairement ou par la force, la primauté à la société. Cette Europe formée par les von der Leyer et les Borrell doit être reformulée et repensée, et ceux qui ont conduit l'Europe à l'insignifiance doivent avoir leur Nuremberg, sommaire, expéditif et impitoyable. Regardez le continent, où leur négligence nous a menés, et vous conviendrez que, pour certains de ces vendus, quatre murs pour une sanction sont trois murs de trop.

Cinq réflexions en guise de résumé :

    - Paris-Berlin-Moscou, l'axe qui garantirait la paix sur le continent.

    - La Défense européenne commune, le projet CED abandonné en 1954 doit être relancé.

    - Liquider l'OTAN en raison de "l'absence d'ennemi" et parce qu'elle constitue un danger pour la paix (le conflit en Ukraine en est la preuve).

    - Attendez l'effondrement interne des USA pour briser définitivement le nexus transatlantique.

    - Mise en place d'une "nouvelle légalité" sur le continent découlant de la rupture avec l'ancienne classe politique et son concept de "partitocratie".

jeudi, 16 juin 2022

Comment est née la scission entre Beijing et Taipei

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Comment est née la scission entre Beijing et Taipei

Emanuele Pietrobon

SOURCE : https://it.insideover.com/storia/cina-taiwan-storia.html

Le passé ne passe jamais, il est donc essentiel de lire le présent avec les yeux de l'historien. Les événements d'aujourd'hui sont le résultat des événements d'hier, tout comme le futur est la conséquence du présent. Une répétition continue d'erreurs. Un éternel retour des antagonismes et des inimitiés. Une saṃsāra où les empires, les peuples et les civilisations vivent, meurent et renaissent encore et encore.

On ne peut pas comprendre la "troisième guerre mondiale en morceaux", pourquoi elle est apparue et comment elle pourrait évoluer, sans connaître l'histoire des derniers siècles. Histoire utile pour comprendre comment certaines des compétitions d'aujourd'hui, du Grand Jeu 2.0 à la nouvelle course à l'Afrique, ne sont que des remakes des grandes confrontations d'hier. Histoire fondamentale pour comprendre comment dans certains des théâtres les plus chauds du monde contemporain, par exemple Taïwan, nous nous approchons de l'inéluctable redde rationem des jeux qui ont commencé il y a longtemps.

Il n'y a pas de Chine sans Taïwan

Il y a deux catégories de pouvoirs, le post-historique et l'historique, mais il ne peut y avoir qu'un seul type d'empire, à savoir celui qui préserve jalousement le mythe fondateur et qui est voué à un horizon spatio-temporel extra-mondain et messianique, car l'histoire enseigne que la perte de mémoire et la temporalité sont les antichambres du déclin et de la mort.

Si la République populaire de Chine réécrit peu à peu la face du monde, avec l'ambition de toucher et d'altérer ses cordes sensibles, c'est parce que, prenant acte des erreurs commises par la dynastie Qing, elle s'est réapproprié cette propension à la transcendance qui remontant à l'époque perdue des Trois Augures et des Cinq Empereurs, avait placé la Cité interdite au centre du monde jusqu'au milieu du XIXe siècle - jusqu'à l'atterrissage malencontreux de l'Empire britannique dans la Sinosphère et le début consécutif de l'Âge de l'Humiliation (百年國恥).

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Remettre les lunettes de l'occidentalo-centrisme dans le tiroir, en utilisant à leur place les lentilles sobres de l'objectivité historique, c'est se rendre compte que dans le cas en question, celui de la Chine, il ne peut y avoir de transcendance, et donc aucune forma mentis apte à réintégrer l'histoire après le Siècle de l'Humiliation et la lente renaissance pendant la Guerre Froide, qui va au-delà de la sécurisation des cinq ventres mous traditionnellement infiltrés et incendiés par les puissances rivales - Hong Kong, Mongolie intérieure, Taïwan, Tibet, Xinjiang - et qui ne vise pas à surmonter la condition tellurocratique dans laquelle l'Empire céleste a été enfermé au moyen de la stratégie de la chaîne d'îles.

Après avoir déforesté Hong Kong, muselé les mouvements séparatistes au Tibet et au Xinjiang, et sécurisé la Mongolie intérieure, la direction prévoyante et patiente du Parti communiste chinois, qui se croit prête à accomplir le destin de l'Empire du Milieu renaissant, n'a plus qu'un dernier objectif : Capturer Taïwan parce que c'est ce que souhaitent les maîtres de la Cité interdite, pour qui le monde est trop petit pour deux Chine, et parce que c'est ce que réclament les stratèges, sachant que la survie de la mondialisation et du système asphyxiant de la chaîne insulaire dépend de l'État insulaire.

Tous fous pour Taïwan

Taïwan, également connue sous le nom de Formose ou de Taipei chinois, est et sera longtemps au centre du chapitre indo-pacifique de la compétition entre grandes puissances. Pour certains, à la lumière des intérêts en jeu - elle détient 92% de la capacité de production de semi-conducteurs avancés, ergo, elle est le cœur battant du Nord mondial, et est l'épine dorsale de la chaîne d'îles -, elle pourrait être l'Armageddon dans lequel, si Pékin tente une annexion manu militari, la troisième guerre mondiale éclatera.

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Beaucoup a été écrit et dit sur les raisons pour lesquelles Taïwan est cruciale pour les États-Unis, et l'histoire qui a conduit au désaveu d'une Chine en faveur de la reconnaissance de l'autre est également bien connue, mais il est nécessaire, pour des raisons d'objectivité et d'impartialité, d'examiner également celles de la République populaire de Chine.

Taïwan est ce que l'on appelle en géostratégie un "pivot" et en géophilosophie un "lieu de destin". Contrôler cet archipel revient à détenir les clés des mers entourant la Chine continentale, qui, de Taïwan, peuvent constituer une tête de pont pour l'obtention d'une profondeur stratégique dans le Pacifique, ou qui, de Taïwan, peuvent être maintenues dans une condition tellurocratique pour l'utilisation et la consommation de rivaux historiques - comme le Japon - ou récemment acquis - les États-Unis et leurs sœurs de l'anglosphère.

Le divorce jamais digéré

La nature géostratégique de Taïwan est la raison pour laquelle les dynasties successives sur le trône de la Cité interdite ont dû se battre continuellement et avec ténacité pour imposer leur autorité à l'ennemi du jour. Au début, ce sont les hordes de pirates qui ont fait de Taïwan une forteresse dans laquelle se réfugier pour échapper aux armées de l'Empire céleste. Plus tard sont venus les Espagnols, puis les Portugais et enfin les Hollandais. Les soldats de la dynastie Ming ont réussi à expulser les colons européens dans la seconde moitié du XVIIe siècle, établissant le royaume de Tungning sur l'île.

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En vert, au nord, les parties de Formose contrôlées par l'Espagne; en mauve, au sud, les parties contrôlées par la compagnie hollandaise des Indes orientales.

La dynastie Qing, s'appuyant sur l'héritage des Ming, tente de stabiliser l'autorité de la Chine continentale sur l'archipel jamais apprivoisé en en faisant une préfecture, puis une province distincte, mais des facteurs endogènes - le début du déclin - et exogènes - l'arrivée des grandes puissances dans la Sinosphère - vont contrarier le plan. En 1895, à la suite de leur défaite dans la première guerre sino-japonaise, les Qing ont été contraints de céder le contrôle de Taïwan au Japon. Un traumatisme national qui allait façonner des générations entières de nationalistes chinois.

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Soldats japonais à Formose.

Le divorce entre Pékin et Taipei, contrairement à la croyance populaire, a commencé avec la cession de l'État archipélagique à Tokyo. C'est dans le contexte de la domination japonaise que les Taïwanais ont commencé à développer une identité propre, antithétique à celle de la Chine continentale, car ils ont été endoctrinés avec de nouveaux livres d'histoire, initiés aux coutumes japonaises et même élevés dès leur plus jeune âge à l'étude du japonais. Et tandis que Taïwan subit un processus de japonification, qui portera ses fruits dans les décennies à venir, l'Empire céleste sombre dans le chaos de la guerre civile.

Pékin allait oublier Taipei pendant longtemps, pendant toute la durée de la période républicaine, car elle était la proie d'assassinats politiques, de faux messies, d'émeutes et d'un crescendo de violence perpétré par deux extrêmes opposés: les nationalistes de Chiang Kai-shek et les communistes de Mao Tse Tung. Les premiers, malgré le soutien transversal des puissances capitalistes, communistes et fascistes, seront écrasés par le poids d'une insupportable guerre sur deux fronts: contre le Japon et contre les révolutionnaires.

Les ouvriers-guerriers de Mao, après avoir survécu à une série de manœuvres d'encerclement en se réfugiant à l'intérieur des terres - la fameuse Longue Marche (长征) -, allaient au début de la Seconde Guerre mondiale profiter des événements pour lancer une puissante attaque contre les centrales républicaines. La guerre civile ne s'achèvera qu'en 1949, avec la prise de la dernière ville aux mains des républicains et la fuite de Chiang Kai-Shek et de ses loyalistes vers Taïwan, qui entre-temps était redevenue indépendante. Et là, croyant qu'un renversement de l'ordre maoïste naissant avec l'aide des États-Unis était possible, Chiang Kai-Shek a mis en place une nouvelle république, croyant être le seul représentant légitime du peuple chinois, ce qui a donné naissance au conflit des deux Chines.

Les États-Unis, qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont hérité de l'Empire britannique un monde de routes et de goulets d'étranglement à contrôler et une riche expérience en matière de division et de conquête, n'auraient jamais eu de doute sur la marche à suivre. Ils avaient appris la valeur de Taïwan entre l'entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, en observant son utilisation multidimensionnelle par le Japon: comme grenier, comme usine et comme base d'opérations à partir de laquelle lancer des attaques aériennes et maritimes massives contre la Chine continentale. Des épisodes que les stratèges du futur gendarme mondial auraient étudiés avec zèle et qui les auraient incités à faire pression sur l'administration Truman pour qu'elle oublie la déclaration du Caire de 1943, cosignée par Franklin Delano Roosevelt, concernant la restitution de l'archipel à la Chine continentale à la fin de la guerre. Le reste appartient à l'histoire.

Emanuele Pietrobon

mercredi, 08 juin 2022

L'Inde est en passe de devenir une puissance géo-économique avec laquelle il faudra compter en Eurasie

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L'Inde est en passe de devenir une puissance géo-économique avec laquelle il faudra compter en Eurasie

Andrew Korybko

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37949-2022-06-07-15-00-03

L'un des résultats les plus inattendus de l'opération militaire russe en cours en Ukraine a été la montée en force de l'Inde en tant que grande puissance eurasienne. Delhi est intervenue de manière décisive pour devenir la soupape irremplaçable de Moscou face à la pression occidentale, ce qui a permis d'éviter de manière préventive une dépendance potentiellement disproportionnée du Kremlin vis-à-vis de Pékin dans ces nouvelles conditions difficiles et a ainsi renforcé mutuellement l'autonomie stratégique complémentaire de la Russie et de l'Inde.

Il s'agit d'un développement qui a changé la donne et qui a considérablement modifié le cours de la nouvelle guerre froide à ses débuts, influençant grandement la trajectoire stratégique de tous les acteurs clés à l'avenir.

Les doutes concernant les allégeances géopolitiques de l'Inde ont été dissipés une fois pour toutes: cet État-civilisation place ses propres intérêts au premier plan selon le ministre des Affaires étrangères Jaishankar, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il promeut ses intérêts au détriment des autres. L'Inde aspire plutôt à maintenir une équidistance entre l'ordre mondial unipolaire libéral-mondialiste (ULG/Unipolar-Liberal-Globalist) représenté par l'Occident dirigé par les États-Unis et l'ordre mondial multipolaire conservateur-souverainiste (MCS/Multipolar-Conservative-Souverainist) dirigé conjointement par la Russie et la Chine. Le premier partage les intérêts de l'Inde dans la "gestion" de la montée en puissance de la Chine, tandis que le second s'aligne sur la détermination de Delhi à réformer progressivement les relations internationales pour les rendre plus équitables, plus justes et plus stables.

Rien n'a changé en ce qui concerne les liens de l'Inde avec les ULG, puisqu'elle participe toujours au Quad, mais ce qui est nettement différent ces derniers mois, c'est le rôle qu'elle joue dans les efforts du MSC pour intégrer le cœur de l'Eurasie. Le corridor de transport Nord-Sud (NSTC) entre l'Iran et la Russie (où l'Azerbaïdjan représente la route terrestre continue entre eux, tandis que la mer Caspienne est la route maritime alternative) est devenu le seul corridor logistique viable pour l'économie mondiale selon le ministre des transports de ce pays à la fin du mois dernier. Ce fait géo-économique confère à l'Inde, ancrage méridional du NSTC, une importance sans précédent pour la Russie et donc pour le reste de l'Eurasie.

En outre, son partenaire iranien commun est également devenu la porte d'entrée de l'Inde en Afghanistan et en Asie centrale. Dans le premier cas, l'État-Civilisation d'Asie du Sud a récemment envoyé ses diplomates tenir sa première réunion officielle avec les Talibans depuis le retour au pouvoir de ce groupe en août, tandis que dans le second cas, l'Inde tombe de plus en plus sous la coupe économique de ses rivaux chinois. La Russie espère que l'accès à l'Afghanistan facilité par l'Iran pour l'Inde servira de tremplin à Delhi pour équilibrer géo-économiquement Pékin dans cette région plus vaste afin de permettre à Moscou d'y maintenir son influence traditionnelle, d'autant plus que le potentiel de projets communs est passionnant.

Si le lecteur jette un rapide coup d'œil à la carte, il constatera que ces deux couloirs de transit géo-économiques iraniens couvrent une grande partie du cœur de l'Eurasie, ce qui témoigne de l'influence croissante de l'Inde au sein du supercontinent. Cela ne serait pas possible si l'Iran ne coopérait pas étroitement avec l'Inde à cette fin, avec la bénédiction de la Russie. Ces trois grandes puissances réalisent à quel point elles ont besoin les unes des autres en ce moment crucial de la transition systémique mondiale vers la multipolarité. Les relations internationales se trouvent actuellement dans ce que l'on peut décrire comme une phase intermédiaire bi-multipolaire caractérisée par les superpuissances américaine et chinoise exerçant la plus grande influence sur le système mondial.

La Russie, l'Inde et l'Iran ne veulent pas devenir les "partenaires juniors" de l'un ou l'autre de ces deux pays, mais cherchent à créer ensemble un troisième pôle d'influence au sein de cet ordre en évolution, d'où leur étroite coopération depuis le début de l'opération spéciale de Moscou et depuis les sanctions occidentales sans précédent prises par les États-Unis en réponse. La cheville ouvrière de ce paradigme est l'Iran, sans lequel les ambitions de ses partenaires proches, grandes puissances beaucoup plus influentes, seraient impossibles à réaliser. C'est pourquoi il est si important de prêter attention au voyage du ministre des Affaires étrangères Abdollahian en Inde la semaine prochaine, au cours duquel il devrait discuter des détails de sa stratégie géo-économique trilatérale visant à intégrer le cœur de l'Eurasie.

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Le public n'est peut-être pas au courant de tous les résultats de sa visite, mais personne ne devrait douter qu'il s'agira de l'un des engagements diplomatiques les plus importants pris entre l'Iran et l'Inde depuis des années, compte tenu du contexte mondial dans lequel il se déroule. Il ne s'agit pas de minimiser l'importance de la Chine et de la Turquie dans l'intégration du cœur de l'Eurasie par le biais du Corridor du Milieu, mais seulement de souligner que la République populaire n'est plus seule aux commandes. L'initiative "Belt & Road" (BRI) de Pékin restera toujours l'un des véhicules les plus puissants de la multipolarité, mais elle n'est désormais plus la seule, car le NSTC et son corridor complémentaire de Chabahar transforment également l'Inde en une puissance eurasienne majeure.

C'est cette tendance, plus que toute autre chose qui s'est développée depuis que la nouvelle guerre froide s'est réchauffée de façon spectaculaire après le début de l'opération spéciale de la Russie, qui constitue l'un des développements les plus inattendus de ces derniers mois. Il est difficile de surestimer l'importance de ce phénomène, car il se produit au début d'une nouvelle phase de la transition systémique mondiale, ce qui signifie que son impact est bien plus important que si tout cela se produisait progressivement. Peu de gens ont encore reconnu le rôle que l'Inde est sur le point de jouer dans l'intégration du cœur de l'Eurasie, mais plus tôt ils le feront, plus tôt ils pourront contribuer à aider le monde à mieux comprendre cette tendance fondamentale.

Division parmi les élites du Japon

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Division parmi les élites du Japon

Elena Panina

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/politica/37934-2022-06-06-16-02-44

Récemment, l'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe a fait une déclaration intéressante, évoquant la raison de l'opération spéciale russe en Ukraine et la justifiant par le refus de Zelensky de garantir la neutralité de Kiev et la non adhésion du pays à un bloc quelconque.

Shinzo Abe est l'un des hommes politiques les plus influents et les plus respectés du Japon. Pendant dix ans (de 2006 à 2007 et de 2012 à 2020), il a occupé le poste de premier ministre. De nombreuses réalisations sont associées à ses activités, principalement dans le domaine économique. C'est grâce aux politiques d'Abe que les Japonais ont pu surmonter le "choc de Fukushima", se relever après l'accident de la centrale nucléaire en 2011, qui a remis en question le succès du Japon d'après-guerre en matière de développement technologique, le statut de "superpuissance technologique" du Pays du Soleil Levant.

Jusqu'à la fin des années 2020, alors qu'Abe était au pouvoir, Tokyo avait également une position indépendante en matière de politique étrangère. Restant généralement fidèle à ses relations alliées avec les États-Unis, le Japon a agi dans son propre intérêt national.

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Toutefois, ces derniers mois, depuis que Fumio Kishida (photo) a pris le poste de premier ministre, la situation a radicalement changé. En peu de temps, le Japon est en fait devenu "garçon de courses", non seulement en suivant tous les ordres des États-Unis, mais aussi en essayant, comme on dit, d'être "en avance", de prendre une place à l'avant-garde du chœur anti-russe.

Les relations russo-japonaises, qui avaient été consolidées par Abe et ses prédécesseurs, Kishida a pu littéralement les réduire à néant en quelques semaines. La rhétorique de Kishida parle d'elle-même, appelant, par exemple, à "aider le monde à réaliser la dé-russification énergétique".

De telles déclarations sont courantes de la part des représentants de la Lituanie, de la Lettonie ou de tout autre nain politique agressif qui se retrouve dans un contexte de confrontation et décide de s'agiter dans l'intérêt de Washington. Pour le dirigeant japonais, cependant, un tel ton est tout à fait ridicule, induit une forte baisse du statut du Japon, le relègue à la position de vassal américain de second rang.

Tout cela a été pleinement ressenti lors du récent sommet QUAD à Tokyo, où l'événement principal était les négociations entre les États-Unis et l'Inde, et où le Japon s'est vu attribuer le rôle d'un satellite américain, avec lequel tout avait déjà été décidé depuis longtemps.

La question se pose raisonnablement : pourquoi, dans quel but, Kishida fait-il tout cela ? Le problème est que le Premier ministre japonais est convaincu que les partenaires américains remercieront généreusement Tokyo pour sa position anti-russe. Par exemple, ils lui donneront l'occasion de rester sur les marchés américains dans ses créneaux traditionnels (l'électronique, y compris la microélectronique, l'automobile), l'aideront à concurrencer les fabricants chinois, qui ont récemment houspillé de plus en plus les produits japonais.

Le problème du Japon est que Kishida est un fonctionnaire politique typique qui, au fil des années de sa carrière, s'est occupé de tout sauf d'économie. Toute son "expérience économique" s'épuise dans les années lointaines de sa jeunesse, lorsque le futur premier ministre a travaillé pendant plusieurs années comme employé de banque.

En fait, Kishida ne comprend pas les processus mondiaux et sa pensée économique est extrêmement primitive. Pour cette raison, Kishida ne comprend probablement pas que les États-Unis eux-mêmes connaissent aujourd'hui de graves problèmes économiques et que, par conséquent, tous les créneaux qui l'intéressent, même si la Chine les abandonne, seront occupés exclusivement et uniquement par des entreprises américaines. Aucune autre option n'est envisagée.

Au nom d'imaginaires gains futurs, parfaitement illusoires, Kishida prend des mesures qui aggravent encore davantage la situation de l'économie japonaise. La rupture totale des liens économiques avec la Russie, à laquelle conduit l'affaire Kishida, est porteuse d'énormes problèmes pour l'économie japonaise.

Des industries entières sont déjà menacées d'effondrement. Par exemple, la pêche qui, si la zone économique russe est fermée aux navires japonais, ne pourra plus approvisionner le pays en poissons et fruits de mer, privant ainsi les Japonais de leur alimentation habituelle, portera un coup sévère au mode de vie japonais. Au total, selon des études récentes, plus de 15.000 entreprises japonaises ont déjà subi les conséquences des sanctions anti-russes.

Et l'idée de Kishida de refuser de participer au projet Sakhaline-2 et au GNL des champs de Sakhaline sera un coup dur pour les plus grandes sociétés japonaises, Mitsui et Mitsubishi, des entreprises publiques qui participent depuis longtemps au projet. Et d'ailleurs, les géants chinois de l'énergie font déjà la queue pour acheter des parts d'entreprises japonaises dans Sakhalin Energy. En outre, les actions des entreprises japonaises peuvent être vendues avec une très forte décote. Nous parlons de pertes de plusieurs milliards de dollars.

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A propos, il est bon de rappeler que l'histoire de ce projet a commencé en 1994. Les propriétaires de Sakhalin LNG sont alors devenus l'anglo-néerlandais Shell (55%) et les japonais Mitsui (25%) et Mitsubishi (20%). En d'autres termes, ces dépôts sont détenus à 100% par des sociétés étrangères.

Cependant, en 2007, la situation a changé. Les dirigeants du pays ont liquidé les accords de partage de la production et ont proposé de vendre la moitié des actions de la société russe Gazprom. Dans le même temps, Sakhalin Energy s'est vu infliger une amende de 30 milliards de dollars pour des dommages environnementaux.

C'est ainsi qu'a commencé la décolonisation du sous-sol russe, grâce à laquelle la majorité des parts de Sakhalin Energy appartient aujourd'hui à Gazprom (50% des parts plus une action), Shell a 27,5% des parts moins une action, Mitsui et Mitsubishi ont respectivement 12,5% et 10% des parts. Et maintenant, la Russie a la possibilité de remplacer sans douleur un participant au projet par un autre sans nuire au processus.

En particulier, Shell est contraint, sous la pression politique des autorités britanniques, de vendre sa participation à des entreprises chinoises en acceptant une perte énorme. Et si les dirigeants japonais ne changent pas de position, le même sort sera réservé à Mitsui et Mitsubishi. Dans une large mesure, c'est ce qui a motivé la déclaration d'Abe.

Il faut dire que la position de Kishida avait été soigneusement remise en question auparavant par le ministre des Finances, Koichi Hagiuda, qui avait clairement indiqué qu'il serait difficile de mettre en œuvre les idées du premier ministre concernant les sanctions économiques contre la Russie. Et, en principe, la culture politique japonaise repose sur le fait que tout désaccord au sein du parti au pouvoir, le LDP, est résolu en coulisses et n'est pas rendu public.

Aujourd'hui, cependant, une partie importante des hommes d'affaires et des politiciens japonais comprend que la confrontation avec Moscou est allée trop loin à cause des positions bancales de Kishida, que les choses ont pris une tournure trop dangereuse pour le Japon. Et dans ce contexte, les déclarations de Shinzo Abe ne représentent pas seulement son opinion personnelle, mais aussi la position d'une partie importante de l'establishment japonais.

Cela témoigne d'une division évidente au sein des élites dirigeantes japonaises sur la question des relations avec la Russie, qui sont vitales pour Tokyo. Et il y a des raisons de croire qu'avec le temps, cette division ne fera que s'accentuer.

*directeur de l'Institut RUSSTRAT

 

Les États-Unis mènent en Ukraine une guerre aux frais de l'Union européenne contre... l'Union européenne

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Les États-Unis mènent en Ukraine une guerre aux frais de l'Union européenne contre... l'Union européenne

Alexander Gorokhov

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/politica/37922-2022-06-05-15-47-02

Ce n'est un secret pour personne que l'opération militaire spéciale (OMS) actuellement en cours en Ukraine est en réalité une confrontation non pas tant des troupes russes contre les troupes ukrainiennes, mais plutôt une confrontation des grands projets du monde russe, d'une part, et de l'union euro-américaine, d'autre part. Guerre par procuration classique, lorsque quelqu'un tente de protéger ses intérêts mondiaux par procuration sur un territoire étranger aux dépens de quelqu'un d'autre, affaiblissant ainsi l'ennemi.

Les marionnettistes dans les plans des marionnettistes

À première vue, la situation donne l'impression que la guerre est menée contre la Russie par l'entremise de l'Ukraine sur le territoire de celle-ci et à ses dépens. Mais la définition même d'une guerre par procuration, que nous avons prise comme point de départ, nie le rôle de l'Ukraine en tant que véritable partie dans le conflit. Et une étude plus approfondie de la question confirme cette conclusion.

Commençons par le fait que l'Ukraine a cessé d'être un sujet des relations internationales pour devenir un objet des relations internationales après le coup d'État de février 2014. Et cela est confirmé par la discussion publique de l'assistante du chef du Département d'État, Victoria Nuland, avec l'ambassadeur américain en Ukraine sur la candidature du futur premier ministre "carré". Et plus tard, la nomination, à la suggestion des États-Unis, d'étrangers comme membres du gouvernement ukrainien, diverses "réformes" et remaniements de personnages clés sous la pression des États-Unis.

Et si pendant près de sept ans, l'objectivité de l'Ukraine a été diplomatiquement réduite au silence, au cours de la dernière année avant l'opération militaire russe, les dirigeants russes n'ont plus caché le fait que toute négociation sur les affaires ukrainiennes ne devait pas être menée avec Kiev, mais avec Washington, qui décide de tout ce que l'Ukrainien est autorisé à faire.

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En outre, les événements précédant le début du conflit démontrent que les Etats-Unis ont ouvertement poussé l'Ukraine à opter pour une solution militaire dans la question de la propriété du Donbass et de la Crimée. En outre, les dirigeants militaro-politiques de l'Ukraine ont même essayé pendant un certain temps d'éviter la "phase chaude", réalisant que le potentiel militaire de l'Ukraine n'était en rien comparable à celui de la Russie. Mais, étant a priori dépendante, elle a été contrainte de se préparer à une attaque suicide dans le Donbass. Les documents trouvés confirment les plans visant à lancer une "opération de restitution des territoires temporairement saisis" à partir du 8 mars 2022. En outre, les plans dont ont hérité les militaires russes et ceux de Donetsk à Mariupol indiquent que le but de l'opération dans le Donbass était d'obtenir un accès ultra-rapide à la frontière russe.

La thèse selon laquelle les hostilités actuelles sont menées aux dépens des fonds ukrainiens n'est pas vraie du tout. Oui, une partie du financement provient bien sûr des poches des contribuables ukrainiens. Mais le transfert massif d'armes, de munitions et d'équipements militaires à l'Ukraine par les pays de l'OTAN, ainsi que d'autres aides militaires (y compris la fourniture de renseignements en ligne), ont approché, s'ils ne les ont pas encore dépassés, les coûts de la guerre pour l'Ukraine. Et le fait que la loi Lend-Lease pour l'Ukraine (rappelez-vous que le concept même de Lend-Lease implique une assistance aux États menant des hostilités dans l'intérêt des États-Unis) ait été introduite plus d'un mois avant le début du conflit, témoigne d'un conflit militaire planifié par les États-Unis entre l'Ukraine et la Russie.

Ainsi, l'Ukraine est un outil et un champ de bataille pour les États-Unis afin de défendre leurs propres intérêts. Mais ce n'est qu'une première approche pour comprendre la situation. Avec la deuxième approche, tout est encore plus intéressant.

Si la Russie n'est pas un concurrent des États-Unis, qui l'est ?

Au cours des cent dernières années, l'Union soviétique et la Fédération de Russie, malgré des périodes de rapprochement et même de relations d'alliance avec les États-Unis, ont vécu sans sanctions américaines... moins d'un mois : entre l'abrogation de l'amendement Jackson-Vanik et l'adoption de la loi Magnitsky. Même pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'aide Lend-Lease était fournie à la Russie soviétique, il existait des listes de matériaux, d'équipements et d'armes dont la fourniture à l'URSS était interdite. Sans surprise, l'ancien commandant de l'OTAN en Europe, Philip Breedlove (photo), a admis que la Russie constitue une menace existentielle durable pour les États-Unis et leurs alliés. Et la menace implique son élimination ou du moins son affaiblissement. Et mieux, par les mains d'une puissance ou un acteur tiers.

"Au cœur de toute stratégie en Europe doit se trouver la prise de conscience que la Russie constitue une menace existentielle durable pour les États-Unis, leurs alliés et l'ordre international".

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Malgré cette déclaration tapageuse, la "menace russe" n'est que militaire pour les États-Unis. Et Washington est bien conscient que la puissance militaire russe est nettement inférieure à la puissance militaire des États-Unis, sans parler de la puissance combinée des États membres de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Et puisque Moscou est également consciente de cette vérité immuable, il ne faut pas s'attendre à ce que la Russie fasse la guerre. Ni une guerre avec des armes conventionnelles, encore moins une attaque suicidaire avec des armes nucléaires. La domination économique mondiale est bien plus importante pour les États-Unis. Et dans cette affaire, la Russie n'est pas du tout un concurrent des États-Unis.

Et qui sont les concurrents ? Il y en a deux : la Chine et l'Union européenne. En outre, l'affaiblissement économique de l'un entraînera automatiquement l'affaiblissement de l'autre : les fabricants chinois et les consommateurs européens sont fortement interconnectés. Et leur affaiblissement conduit inévitablement au renforcement d'"un singe rusé assis dans un grand arbre, au pied duquel deux tigres se battent". De plus, il est également saturé de bananes qui sont soudainement devenues disponibles pour lui. Après tout, avec le début de l'opération militaire des forces armées russes en Ukraine, les actions du complexe militaro-industriel américain ont considérablement augmenté. Et ceci avant même le début du plan proposé par la Pologne pour remplacer l'équipement militaire obsolète datant de l'époque de l'URSS, qu'elle se proposait de livrer à l'Ukraine, par un équipement américain plus récent et plus coûteux.

En d'autres termes, en incitant les marionnettes polonaises à faire un tel pas dans le temps, les États-Unis ne tuent pas deux, mais beaucoup d'oiseaux d'une seule pierre. Premièrement, elle soutient sa propre économie, deuxièmement, elle oblige les Européens à acheter des armes américaines, ce qui affaiblit l'un des deux principaux concurrents économiques et, troisièmement, elle affaiblit délibérément la Russie, la forçant à dépenser des fonds supplémentaires pour "éliminer" la "ferraille" fournie à l'Ukraine, quatrièmement, elle augmente la saturation de l'OTAN en systèmes d'armes modernes et, cinquièmement, elle prolonge l'agonie de la "guerre pour les intérêts américains jusqu'au dernier Ukrainien".

Mais ce n'est pas tout. Les Américains eux-mêmes admettent déjà que la Russie, à leur indescriptible surprise, s'en sort bien avec des sanctions record en termes quantitatifs et qualitatifs. En outre, les réserves financières de la Russie non seulement n'ont pas diminué suite à leur introduction, mais ont augmenté après le début de l'opération militaire d'environ 12 milliards de dollars en raison de la hausse des prix de l'énergie. Dans le même temps, pour la même raison, l'économie de l'UE subit d'énormes pertes, la production la plus importante est arrêtée à cause de la hausse des prix du gaz, et en raison de l'embargo sur l'importation d'engrais russes et biélorusses, le spectre de la pénurie alimentaire plane aux portes de l'Europe. Bien sûr, ils essaient de régler ce dernier problème en exportant à la hâte quelques dizaines de millions de tonnes de céréales d'Ukraine, condamnant le pays à la famine : en raison de la pénurie de carburant et des hostilités, la saison des semailles en Ukraine a en fait été interrompue. Le pain de la prochaine récolte, semble-t-il, les Européens devront l'acheter à un prix plus élevé aux États-Unis.

Faut-il s'étonner que les alliés américains de la coalition anti-russe souffrent de la guerre en Ukraine ? Dans le paradigme de la guerre par procuration, il n'est non seulement pas étrange, mais naturel : que la guerre soit menée sur le territoire ukrainien, mais principalement aux frais de l'Union européenne contre... l'Union européenne. Et le fait que les querelles des Ukrainiens et des Russes ne soient pas non plus un problème : l'essentiel est que ce sont les Américains qui sont les principaux bénéficiaires de cette guerre hybride par procuration.

Que devons-nous faire, comment devons-nous être ?

Dans une guerre, même s'il s'agit d'une guerre hybride contre la Russie et non associée à des hostilités "chaudes", cela signifie que la question aiguë est de savoir comment traiter ceux qui se sont impliqués du côté de nos adversaires. En fait, ils se sont maintenant tirés une balle dans le pied en Europe : dans le contexte des sanctions anti-russes imposées, le taux d'inflation dans tous les pays de l'UE et de l'OTAN, y compris les États-Unis, a fortement augmenté.

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La "guerre du gaz" a entraîné un bond sans précédent des prix du "combustible bleu" et, par exemple, en Allemagne, les industriels disent déjà franchement qu'il est moins cher de fermer de nombreuses entreprises que de poursuivre leur production. Les tentatives de limiter l'approvisionnement en pétrole russe ont déjà entraîné une forte hausse des prix du carburant en Europe et aux États-Unis. Qui, soit dit en passant, n'a rien pour remplacer le pétrole de l'Oural dans un certain nombre de raffineries qui sont prêtes à le traiter. Il y a une forte probabilité de crise alimentaire en raison des restrictions sur les importations d'engrais russes. En outre, une hausse des prix du blé a déjà été observée. Et que se passera-t-il après la récolte, qui n'est évidemment pas suffisante sans l'approvisionnement en blé russe ? Après tout, la pénurie de céréales qui se profile en Inde aura également une incidence sur le prix.

Je ne veux pas hausser les épaules, en répondant de manière absolument symétrique, comme pour l'expulsion mutuelle des diplomates. Dites ce que vous voulez, mais le gaz, le pétrole, les engrais, les matières premières industrielles, la nourriture, c'est aussi de l'argent qui sert à renflouer le budget russe. Oui, il existe un certain nombre de pays qui peuvent théoriquement acheter littéralement tous les volumes de ces biens, ce que l'Europe et les États-Unis refusent à leur propre détriment.

Ce qui se passe aujourd'hui avec les prix, en fait, est une répétition, un avertissement aux ennemis de ce qui les attend s'ils entrent dans une confrontation militaire ouverte avec la Russie sous la pression de Washington.

Et ce n'est que le début. Une proposition a déjà été soumise à la Douma d'État pour que la Russie se retire de l'OMC, ce qui permettra une réponse plus ciblée à la pression des sanctions. Par exemple, en modifiant le montant des droits d'importation et d'exportation des pays, en fonction de leur degré de loyauté envers la Russie.

Oui, les revenus de la Russie provenant des hausses de prix "sanctionnées" aujourd'hui battent des records: selon les analystes de Citi, Gazprom reçoit environ 200 millions de dollars par jour, et ses revenus cette année pourraient être le double de ceux de l'année dernière. Mais aujourd'hui, l'Occident discute de plans visant à créer un cartel pour "contrôler" le prix du pétrole russe. Et cela a-t-il un sens de continuer à "gronder gentiment" les pays que nous considérons toujours comme nos "alliés", malgré leurs mesures véritablement anti-russes ? Après tout, comme vous le savez, la Russie n'a que trois alliés : l'armée, la flotte et les forces spatiales nouvellement créées.

Bien sûr, il ne faut pas prendre de décisions drastiques, créant des difficultés pour notre économie avec des contre-mesures. Mais c'est pour cela que le gouvernement existe, pour évaluer et calculer soigneusement les conséquences de ces mesures. Que les circonstances évoluent de telle sorte que notre pays soit devenu un instrument de la guerre géopolitique par procuration menée par les États-Unis contre l'Europe et la Chine, mais il est en notre pouvoir de faire en sorte que cet instrument ne soit pas aveugle, afin que nous ayons la possibilité de tirer le maximum de profit de notre position, et que la Russie en sorte renforcée. L'essentiel est de comprendre la véritable nature du conflit actuel, dans lequel nous avons été poussés avec tant de force : avertis, nous sommes donc armés.

dimanche, 05 juin 2022

La Turquie ébranle l'OTAN

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La Turquie ébranle l'OTAN

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-turchia-scuote-la-nato

La relation de la Turquie avec l'OTAN met en évidence l'incompatibilité entre la préservation de sa souveraineté et le fait d'être un allié des États-Unis.

Les défis des Américains en Syrie, en mer Noire et en mer Égée

Le 1er juin, le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé le début d'une opération militaire en Syrie. "Une nouvelle phase commence avec la formation (en Syrie) d'une 'zone de sécurité' à 30 kilomètres à l'intérieur de la frontière avec la Turquie. Nous enleverons Tall Rifat et Manbij aux terroristes", a déclaré l'agence de presse Anadolu citant le dirigeant turc. Sont visées des formations de Kurdes syriens fidèles au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui constituent l'épine dorsale des "Forces démocratiques syriennes" (FDS) soutenues par les États-Unis.

Officiellement, l'opération se déroulera dans la zone où la Russie et la Turquie ont précédemment convenu de retirer les formations séparatistes kurdes de la frontière turque. Cependant, ces formations sont étroitement liées aux États-Unis et font preuve de loyauté, avant tout, envers les États-Unis. Cela rend leur protection officielle par la Russie et Damas inappropriée.

Selon des sources de l'opposition syrienne, les troupes russes ont quitté cette zone plus tôt que prévu.

Les États-Unis se sont liés si étroitement aux séparatistes qu'une attaque contre les forces syriennes dans n'importe quelle zone de responsabilité sera considérée comme une preuve de l'impuissance américaine. Cela affectera les relations avec d'autres alliés au Moyen-Orient, en premier lieu avec les pays du golfe Persique, qui deviennent de moins en moins dépendants des États-Unis et développent des contacts intensifs avec la Russie et la Chine.

La veille, le 30 mai, une conversation téléphonique a eu lieu entre les présidents de la Russie et de la Turquie, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. La veille, le 29 mai, le président Erdogan a accusé les États-Unis d'aider les terroristes kurdes.

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"Les États-Unis continuent de fournir des armes à des organisations du nord de la Syrie que la Turquie considère comme terroristes", a déclaré Erdogan. Le président a noté que la Turquie est déterminée à "éradiquer le terrorisme" dans le nord de l'Irak et en Syrie, tandis que le pays n'a pas l'intention d'obtenir la permission de quiconque, y compris des États-Unis, pour mener une éventuelle nouvelle opération en Syrie.

Plus récemment, le 12 mai, le Trésor américain a publié sur son site Internet une licence permettant d'opérer dans 12 secteurs différents de l'économie dans les zones occupées par les États-Unis et les zones séparatistes kurdes du nord-est de la Syrie. La licence ouvre également la possibilité d'un commerce gris de produits pétroliers, "destinés à être utilisés en Syrie". Auparavant, les États-Unis avaient imposé un embargo sur le commerce du pétrole syrien. Toutefois, une exception a maintenant été faite pour les zones contrôlées par les Kurdes.

Les intentions d'Ankara de mener une nouvelle opération militaire dans les zones contrôlées par les Kurdes, réitérées à plusieurs reprises ces derniers jours, compliquent une fois de plus ses relations avec Washington.

"Nous sommes profondément préoccupés par les rapports et les discussions concernant une éventuelle escalade de l'activité militaire dans le nord de la Syrie et, en particulier, par son impact sur la population civile", a déclaré la veille le porte-parole du département d'État, Ned Price, aux journalistes. "Nous condamnons toute escalade. Nous soutenons le maintien des lignes de cessez-le-feu existantes."

Le 1er juin, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a déclaré que les États-Unis étaient opposés à une éventuelle opération militaire de la Turquie. Lors d'une conférence de presse conjointe avec le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, le chef de la diplomatie américaine a déclaré que "nous nous opposerons à toute escalade dans le nord de la Syrie", soulignant que Washington soutient "le maintien des lignes de cessez-le-feu existantes".

La Russie, en revanche, comprend les préoccupations turques. "Jusqu'à présent, l'armée américaine, qui a occupé une partie importante de la rive orientale de l'Euphrate, y a ouvertement créé une formation quasi-étatique, encourageant directement le séparatisme, utilisant à cette fin l'humeur d'une partie de la population kurde d'Irak. Ici, les problèmes surgissent entre les différentes structures qui unissent les Kurdes irakiens et syriens. Tout ceci affecte la tension dans cette partie de la région. La Turquie, bien sûr, ne peut pas rester à l'écart", a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, dans une interview accordée à RT Arabic.

Dans le contexte de la déclaration du Royaume-Uni sur la nécessité d'envoyer des navires de guerre pour exporter des céréales depuis les ports ukrainiens, Ankara a annulé le passage des navires de guerre de l'OTAN dans la mer Noire, se référant à la convention de Montreux.

Un nouveau conflit turco-grec éclate. Ankara accuse Athènes de violer ses obligations internationales de démilitarisation des îles de la mer Égée. La Grèce a reçu le soutien du président français Emmanuel Macron. Les traditionnelles contradictions turco-grecques ont déjà dépassé le conflit bilatéral au sein de l'OTAN, certes désagréable, mais non critique pour la structure de l'Alliance. Si les États-Unis étaient auparavant perçus comme au-dessus de la mêlée, la Turquie ne le voit plus de cette façon maintenant.

Le 31 mai, l'allié politique d'Erdogan, le nationaliste Devlet Bahceli, a de nouveau publié une déclaration anti-américaine, affirmant que les neuf bases militaires établies par les États-Unis en Grèce constituent une menace pour la sécurité nationale de la Turquie. Le leader du Parti du mouvement nationaliste (MHP) a déclaré que les Etats-Unis utilisent la Grèce comme un "pion" et entraînent la Turquie "dans l'abîme des préoccupations stratégiques et tentent de la pousser dans un environnement de conflit chaud".

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La géographie de la confrontation en mer Noire et en mer Égée rappelle la doctrine de la "patrie bleue" (Mavi Vatan) du géopoliticien turc moderne, l'amiral Cem Gürdeniz. L'objectif principal de la doctrine est le renforcement du contrôle turc sur les régions de la mer Noire, de la mer Égée, du golfe Persique et de la mer Rouge, la perception des États-Unis comme une puissance hostile et la recherche d'un terrain d'entente avec la Russie en tant qu'adversaire de l'hégémonie maritime américaine.

Ultimatum turc

Une autre question sérieuse qui démontre les différences entre l'OTAN et la Turquie est l'admission de la Suède et de la Finlande dans l'Alliance. L'expansion proposée de l'OTAN dans le nord pour inclure la Suède et la Finlande ne peut pas encore surmonter l'opposition de la Turquie. Malgré les déclarations du ministère suédois des Affaires étrangères sur des discussions "constructives" à Ankara, les dirigeants turcs indiquent qu'ils maintiendront leur position et insistent pour que toutes les demandes soient satisfaites.

Auparavant, les parlements et les gouvernements de la Suède et de la Finlande ont approuvé les demandes d'adhésion à l'OTAN. Ils devraient être examinés lors du sommet de l'OTAN à Madrid à la fin du mois de juin. Toutefois, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré le 13 mai que son pays ne laisserait pas les deux pays rejoindre l'Alliance de l'Atlantique Nord si certaines conditions n'étaient pas remplies. Il s'agit principalement du soutien de la Suède et de la Finlande aux séparatistes kurdes opérant en Syrie, de la fourniture d'asile et d'armes aux séparatistes et aux terroristes, et des activités permanentes des structures de Fethullah Gülen dans les pays scandinaves. Ankara demande également à Stockholm de lever l'embargo sur les armes à destination de la Turquie.

Il ressort des déclarations des responsables turcs que les demandes ne visent pas seulement la Finlande et la Suède, mais aussi d'autres membres de l'OTAN. Outre les membres potentiels de l'OTAN, le 13 mai, Erdogan a accusé un membre de longue date de l'Alliance, les Pays-Bas, d'abriter des terroristes. Le 1er juin, le dirigeant turc a étendu ses allégations, affirmant que les organisations terroristes sont soutenues non seulement par la Suède et la Finlande, non seulement par les Pays-Bas, mais aussi par l'Allemagne et la France.

Des revendications ont été formulées à l'encontre des pays européens qui ont imposé des restrictions à la coopération en matière de défense avec la Turquie en raison de leurs actions contre les séparatistes kurdes et les États-Unis. Washington a humilié la Turquie en refusant de participer au programme de production et de fourniture de chasseurs-bombardiers multirôles F-35 après qu'Ankara ait acheté des systèmes de défense aérienne russes S-400. Aujourd'hui, la Turquie tente de montrer qu'elle cherchera à modifier son statut inégal au sein de l'Alliance, sinon elle ralentira son expansion vers le nord.

Officiellement, il n'existe pas de mécanisme tel que le "droit de veto" à l'OTAN. Toutefois, l'article 10 du Traité de l'Atlantique Nord de 1949 stipule que les membres de l'OTAN "peuvent inviter tout autre État européen capable de développer les principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord à adhérer au présent Traité" uniquement par "consentement général". Par conséquent, Ankara pourrait empêcher l'invitation de la Finlande et de la Suède à l'OTAN. Tous les récents élargissements de l'OTAN ont également exigé des membres existants de l'Alliance qu'ils signent les protocoles d'adhésion des nouveaux membres, puis les ratifient.

Dans un article du magazine britannique The Economist, Recep Tayyip Erdogan a laissé entendre que les relations avec l'OTAN pourraient se détériorer si les préoccupations de la Turquie ne sont pas prises en compte : "Nous pensons que si les membres de l'OTAN appliquent deux poids deux mesures dans la lutte contre le terrorisme, la crédibilité de l'Alliance sera menacée.

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"La sortie de l'OTAN doit être mise à l'ordre du jour"

En Turquie même, un débat public animé a eu lieu sur la nécessité de l'adhésion du pays à l'OTAN et sur les perspectives d'admission de la Suède et de la Finlande. Le 12 mai, dans une interview accordée aux médias turcs, Ismail Hakkı Pekin (photo), lieutenant-général à la retraite et ancien chef du renseignement militaire sous le chef d'état-major des forces armées turques, a déclaré que "la Turquie devrait opposer son veto à l'expansion de l'OTAN". Selon un officier militaire de haut rang, l'élargissement de l'Alliance conduit à une extension de la confrontation avec la Russie, ce qui pourrait plonger la Turquie dans un conflit inutile. Un autre ancien officier militaire de haut rang, le contre-amiral Deniz Kutluk (photo, ci-dessous), a déclaré que l'expansion de l'OTAN "réduit la sécurité de la Turquie".

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Le partenaire d'Erdogan dans la coalition au pouvoir, Devlet Bahçeli, chef du MHP, a déclaré qu'Ankara pourrait envisager de quitter l'OTAN si ses conditions ne sont pas respectées : "La Turquie n'est pas prise au dépourvu. Si les conditions deviennent inacceptables, la sortie de l'OTAN devrait également être mise à l'ordre du jour comme une option alternative".

En réponse, le leader du "Parti républicain du peuple" Kilichdaroglu (auparavant neutre-positif envers les États-Unis) a proposé de fermer toutes les bases militaires américaines dans le pays. "Les États-Unis ont rempli la Grèce de bases, leur objectif est évident. Si [le parti de Bahceli] présente au Parlement un projet de loi visant à fermer les installations militaires américaines en Turquie, nous le soutiendrons", a écrit le politicien sur Twitter. Ainsi, tant les représentants des autorités que ceux de l'opposition partagent une attitude neutre-négative envers l'OTAN.

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Detlev Bahçeli.

Les frictions entre l'OTAN et la Turquie sont complexes. Elle implique des contradictions sur la question kurde (les États-Unis et leurs alliés utilisent les Kurdes séparatistes comme un outil pour miner les pays du Moyen-Orient et faire avancer leurs intérêts), les différends territoriaux entre la Grèce et la Turquie, et l'expansion économique des entreprises françaises, italiennes et américaines en Méditerranée orientale - la zone des intérêts turcs et de la rivalité franco-turque en Libye et en Afrique en tant que telle. De manière générale, les tentatives de la Turquie moderne de jouer le rôle d'un pôle de puissance souverain, l'un des centres de la civilisation islamique, contredisent l'essence même de l'existence de l'OTAN en tant que pilier militaire de l'hégémonie américaine et de la démocratie laïque libérale en Europe.

Interaction compétitive

Certains experts turcs estiment qu'il est nécessaire d'étendre la coopération avec la Russie dans les domaines où les intérêts coïncident ou ont un adversaire commun, qui devient très souvent les États-Unis.

"Au risque de paraître vulgaire et d'être accusé d'être pro-russe, je dois dire qu'il ne semble pas y avoir d'autre issue pour la Turquie que de prendre le contrôle de la question à travers ses relations avec la Russie - ou plutôt, les relations entre le président Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine, qui ont gagné en profondeur pratique et empirique", a déclaré Suleiman Seyfi Yegun, chroniqueur pour la publication pro-gouvernementale Yeni Safak.

Outre la Syrie, où les Kurdes pro-américains des Forces démocratiques syriennes sont un élément indésirable, la Libye a été mentionnée comme un point de contact possible.

"Pour Washington, tant Moscou que son 'soi-disant allié' Ankara constituent un obstacle au contrôle de la Libye, qui revêt une importance stratégique en Afrique du Nord et en Méditerranée. Déjà en 2020, le Congrès américain a appelé à des sanctions contre la Turquie et la Russie", indique la publication turque Aydinlik. "La Turquie et la Russie pourraient conclure un accord et mettre fin à la politique impérialiste américaine en Libye et dans toute l'Afrique."

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Les opposants à la Turquie et à la Russie ont longtemps surnommé la propension des deux puissances à "l'interaction contradictoire". Ainsi, l'Institut allemand pour les relations internationales et la sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik) note les avantages pour Ankara: "En Syrie, en Libye et dans le Caucase du Sud, il y a plusieurs avantages significatifs que la Turquie peut obtenir en coopérant avec la Russie. L'aide russe en Syrie pourrait empêcher la création d'une autonomie kurde de jure dans le pays. En Libye, la mise à l'écart d'autres partisans de Haftar et du gouvernement de Tripoli pourrait contribuer à garantir les intérêts économiques et politiques turcs, notamment en forçant la Libye à soutenir la revendication de la Turquie concernant les zones économiques exclusives en Méditerranée orientale. Grâce à la coopération turco-azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh, Ankara cherche à accroître sa présence militaire et à engager les dirigeants azerbaïdjanais dans des partenariats contre des tiers dans toute la région. Alors que les relations entre la Russie et la Turquie deviennent encore plus complexes, compte tenu des efforts coordonnés et de la rivalité entre les trois pays, ainsi que d'autres relations bilatérales entre la Turquie et la Russie, les risques liés à chaque théâtre de guerre sont encore réduits. Les deux sont toujours en mesure de contenir les problèmes sur un théâtre de guerre distinct grâce à des contreparties dans divers domaines de leur relation".

Les relations entre la Russie et la Turquie ne sont pas antagonistes, ce que l'on ne peut pas dire des relations d'Ankara avec Washington - et en particulier Washington et Moscou. Dans ces conditions, la Turquie se transforme en un pays qui divise l'unité euro-atlantique. D'autre part, Ankara ne considère plus l'OTAN comme un facteur de sa propre sécurité, mais comme un système relativement hostile qui peut toutefois être partiellement contrôlé. La Turquie n'a pas encore fait un pas décisif vers l'abandon de l'OTAN, mais une puissance souveraine consciente de sa mission de centre du monde islamique est déjà trop proche de cette structure.

mardi, 31 mai 2022

Ukraine, la défaite du modèle allemand: du leader au "paria" du Vieux Continent

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Ukraine, la défaite du modèle allemand: du leader à "paria" du Vieux Continent

par Roberto Iannuzzi 

Source : Il Fatto quotidiano & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/ucraina-la-sconfitta-del-modello-germania-da-leader-a-paria-del-vecchio-continente

La guerre en cours en Ukraine n'est pas seulement un conflit par procuration entre la Russie et l'OTAN, mais un affrontement qui redéfinit l'équilibre des forces entre les deux côtés de l'Atlantique et l'équilibre même des forces au sein du continent européen. Une Europe qui ne peut pas profiter des ressources énergétiques bon marché de la Russie ni commercer avec Moscou (et qui sait, peut-être même pas avec la Chine demain) est fatalement plus dépendante du gaz liquéfié et du marché américain. L'augmentation de la facture énergétique (une tendance déjà amorcée avant le conflit) entraînera une hausse spectaculaire des coûts de production, ce qui se traduira par une baisse de la compétitivité des entreprises européennes et, en fin de compte, par un appauvrissement du vieux continent.

Le cas allemand est vraiment emblématique dans ce contexte. Berlin s'était consacré à la construction d'un modèle économique performant sans prêter attention aux fondements géopolitiques contradictoires sur lesquels il reposait. L'Allemagne a alimenté son industrie en hydrocarbures russes et a utilisé la main-d'œuvre bon marché des pays d'Europe de l'Est, accueillis dans l'UE depuis 2004. Grâce à l'euro, relativement plus faible que le mark, elle a pu facilement exporter ses produits vers le marché unique européen et dans le monde entier, où elle compte les États-Unis et la Chine parmi ses principaux clients. Elle a ainsi accumulé des excédents commerciaux compris entre 5,6 et 7,6 % du PIB au cours des dix dernières années. Bien qu'elle ait fini par dépendre énergiquement et économiquement de la Russie et de la Chine (deux adversaires stratégiques des États-Unis), Berlin est cependant restée militairement subordonnée à Washington, en restant au sein de l'OTAN et en soutenant son élargissement à l'Est, sans développer cette autonomie stratégique européenne dont la force motrice aurait dû être le soi-disant "axe franco-allemand".

Au sein de l'UE, Berlin s'est imposé comme un acteur économiquement hégémonique sans élaborer une vision politique qui renforcerait la cohésion des Etats membres, ni imaginer de solution pour aplanir les inégalités au sein de l'Union. Comme l'a écrit le journaliste allemand Wolfgang Münchau dans le Financial Times en 2020 - sous la direction d'Angela Merkel, l'Allemagne n'a toujours fait que le strict minimum pour assurer la survie de la zone euro, la laissant se traîner d'une crise à l'autre. En Ukraine, Berlin a essentiellement suivi les politiques anti-russes de Washington, croyant naïvement que cela profiterait à la "profondeur stratégique" allemande. Merkel a ainsi soutenu le soulèvement de Maidan à Kiev en 2014, et appuyé les sanctions imposées à Moscou après l'occupation russe de la Crimée. Mais cela ne suffit pas aux États-Unis, longtemps agacés par le modèle mercantiliste allemand et l'Ostpolitik de Berlin.

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Washington avait compris depuis longtemps que Moscou, Pékin et le continent asiatique étaient désormais en mesure d'offrir à l'Allemagne et à l'Europe des possibilités de commerce et d'investissement plus avantageuses que celles des États-Unis. N'ayant plus la force économique de lier le vieux continent à eux comme ils l'avaient fait dans l'après-guerre, les États-Unis n'avaient plus que l'outil coercitif suivant : 1) attirer la Russie dans un conflit en Ukraine, en l'accusant d'être l'agresseur ; 2) construire un nouveau rideau de fer en Europe, en le renforçant par un système de sanctions qui maintiendrait ses alliés dans l'orbite économique américaine ; 3) isoler Moscou, en créant les conditions d'une rupture économique avec la Chine. Transformer l'Ukraine en un pion à jeter en pâture à la Russie a servi à effacer l'alignement naissant entre Berlin, Moscou et Pékin.

L'objectif russe était initialement opposé à l'objectif américain: couper le cordon ombilical qui lie le vieux continent à l'Amérique et créer, avec la Chine et l'Europe dirigée par l'Allemagne, un ordre multipolaire fondé sur l'intégration économique de l'Eurasie. En intervenant en Ukraine, Moscou a manifestement estimé que Berlin et l'Europe n'étaient pas récupérables, et s'est résigné à s'appuyer sur l'axe avec Pékin, se pliant en fait au projet américain d'une nouvelle confrontation des blocs. Dans ce cadre, l'Allemagne, qui était le chef de file de la composante européenne de l'"île-monde" eurasienne, se voit reléguée au rang de "paria" dans un vieux continent qui est à nouveau dirigé par les Américains. Bien qu'il se soit conformé au régime de sanctions voulu par Washington (également destiné à saper les fondements de la compétitivité allemande), le successeur de Mme Merkel, Olaf Scholz, est montré du doigt par les extrémistes européens pro-Kiev, et par le gouvernement ukrainien lui-même, comme un "pacifiste" pro-Poutine parce qu'il rechigne à adopter des politiques encore plus autodestructrices.

Pendant ce temps, le centre de gravité européen de l'OTAN s'éloigne de l'axe franco-allemand au profit d'un arc de pays - de la Grande-Bretagne aux nouveaux candidats à l'OTAN, la Finlande et la Suède, en passant par les républiques baltes et la Pologne - qui ont pris la tête de la croisade anti-russe. Avec Londres qui, ironiquement, pousse l'Ukraine à adhérer à l'UE après le Brexit !

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* Auteur du livre Se Washington perde il controllo. Crisi dell'unipolarismo americano in Medio Oriente e nel mondo (2017).
Twitter : @riannuzziGPC
https://robertoiannuzzi.substack.com/

De la géopolitique à un monde thématique avec des dirigeants post-modernes

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De la géopolitique à un monde thématique avec des dirigeants post-modernes

Alberto Hutschenreuter

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/de-la-geopolitica-un-mundo-tematico-y-con-lideres-posmodernos

Napoléon avait coutume de dire que la géographie gouvernait les nations. Il est fort possible que si le terme "géopolitique", né un siècle plus tard, avait existé à l'époque, le Corse l'aurait préféré à celui de géographie.

Parce que c'est la géopolitique, c'est-à-dire les considérations politiques appliquées aux territoires à des fins liées à l'intérêt national et au pouvoir, qui détermine (dans une large mesure) les décisions prises par les gouvernements, ou plus précisément, par les évaluations des hommes d'État, qui ne sont pas seulement des gouvernants, mais des personnes qui pensent à partir de ce que Karl Deutsch appelait "la cuisine du pouvoir".

Au XXIe siècle, les hommes d'État se font rares. Les derniers sont morts ou ne sont plus en fonction, par exemple Jacques Chirac et Angela Merkel. Bien sûr, il y a des hommes de talent, mais ce n'est peut-être pas la stature stratégique qui fait défaut, mais la configuration dé-géopolitisée et multi-thématique que prend le monde qui freine l'émergence de leaders d'envergure.

Nous avons été privés de véritables hommes d'État pendant longtemps. Ceux du XXe siècle, c'est-à-dire les protagonistes des grands événements mondiaux, Churchill, de Gaulle, Mao, Tito, etc., ont progressivement disparu dans les années 1960 et 1970; et comme l'a dit le professeur Carlos Fernández Pardo, le XXe siècle s'est terminé avec eux. Ensuite, il y a eu des leaders et des penseurs importants à la fin de l'ère bipolaire et de l'ère post-communiste, Reagan, Schmidt, Gorbatchev, Kohl, Mitterrand, etc.

Le 20e siècle a été hautement géopolitique, dans la mesure où les événements majeurs ont été précédés d'événements au cours desquels la politique, les intérêts et les territoires ont interagi, c'est-à-dire qu'il y avait à l'oeuvre des "vannes géopolitiques". La guerre froide a impliqué des logiques idéologiques opposées qui se sont mêlées à la géopolitique. Tout cela exigeait un leadership doté de connaissances politico-territoriales. En Amérique latine même, les dirigeants ayant cette préparation ont prédominé, par exemple Perón en Argentine.

Mais au 21e siècle, il semble que la pluralité des questions ait généré le besoin de leaderships croissants ayant des vues (et des pratiques) liées au parrainage et à l'affirmation d'un nouveau modèle pour les questions mondiales à strates multiples; en d'autres termes, pratiquement rien de ce que nous avons connu et qui a eu un impact sur les humains n'a plus de place ou de sens. Même si ce n'est pas le cas pour tous, on peut observer de tels "nouveaux leaders" dans un certain nombre de pays de l'UE.

Dans cette approche "adamiste", ceux qui soutiennent, par exemple, que l'anarchie internationale, c'est-à-dire l'absence de gouvernement ou d'entité exécutive interétatique, reste un fait des relations internationales, faisant des États les arbitres de ces relations, sont qualifiés de "philo-anarchistes", quelque chose comme les porteurs d'une obsession qui non seulement ne correspond pas à la réalité, mais constitue un obstacle à de nouveaux progrès.

De même, ceux qui considèrent que la géopolitique, l'intérêt national et le pouvoir sont des questions qui restent plus valables que jamais sont qualifiés de "dépassés" qui, comme les autres, restent "attachés", pour reprendre les termes de Richard Falk, à "la permanence du système d'États comme forme optimale de gouvernance mondiale réalisable", et ignorent les préoccupations normatives et les avantages de la coopération. De même, les "anciennes approches" ont tendance à latéraliser les nouvelles questions, comme l'écologie.

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En d'autres termes, l'idée de ce que l'on appelle le "mondialisme" repose sur une force pratiquement imparable venant d'en bas qui "relâche" les forces qui ont toujours marqué les relations internationales d'en haut. Il y a quelques années, le spécialiste Stephen Gill (photo) a simplifié cela d'une manière plutôt intéressante et curieuse lorsqu'il a parlé du "prince postmoderne" pour désigner les questions qui venaient au centre de ces relations : les mouvements sociaux, la technologie, les droits des personnes, l'environnement, la connectivité, la solidarité, etc.

Tolstoï et Gramsci y faisaient déjà référence bien avant, mais les nouveaux sujets ont renouvelé cette tendance qui nous dit qu'un monde nouveau, uni et plein d'espoir est en train de naître.

Dans une large mesure, le manque de grands leaders internationaux est associé au globalisme (qui n'est pas la même chose que la mondialisation), un phénomène anti-géopolitique qui nous dit que : dans un monde de nouveaux enjeux, désirs et logiques sociales, il n'y aura guère de place pour les enjeux dépassés et délétères, les positions conservatrices et l'individualisme. Quoi qu'il en soit, les "nouveaux dirigeants" devront s'identifier au mondialisme, car les dirigeants qui s'identifient aux "anciennes questions", c'est-à-dire la géopolitique, la patrie, l'intérêt national, les valeurs nationales, les capacités, la famille, etc. sont soit rétrogrades, autocratiques, souverainistes et bellicistes et mettent le monde en danger.

De cette façon, le monde, une fois de plus, est configuré (et divisé) en approches et pratiques opposées et conflictuelles. Face à cette configuration, il est et sera important, une fois de plus, de ne pas croire qu'il existe des processus neutres ou détachés de ce qui, proto-historiquement, a été une réalité catégorique : le pouvoir et ses multiples formes d'exercice.

* Publié à l'origine sur : abordajes.blogspot.com

dimanche, 29 mai 2022

La guerre en Ukraine comparée à celles du passé récent

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La guerre en Ukraine comparée à celles du passé récent

par Gennaro Scala

Source : Gennaro Scala & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-guerra-in-ucraina-paragonata-a-quelle-del-recente-passato

Afin de rendre ce qui se passe en Ukraine plus intelligible pour nous, nous devons nous demander comment nous, Occidentaux, comprenons la guerre. Je vais donc essayer d'esquisser une approche comparative avec les guerres du passé récent, qui servira peut-être de base à des développements ultérieurs. De manière plus ou moins non dissimulée, pour la culture occidentale dominante, la meilleure façon de faire la guerre est le modèle dit "Shock and Awe": vous attaquez une nation (sans même déclarer la guerre), larguez un déluge de bombes sur sa capitale et ses principales villes, forçant ainsi l'État attaqué à se rendre. Cependant, bien que ce modèle garantisse des résultats immédiats, à long terme, comme il évite une véritable confrontation avec l'armée ennemie, il ne parvient pas à établir un contrôle sur l'État vaincu, comme on l'a vu en Irak et en Afghanistan. La guerre "d'en haut" fait des dizaines de victimes mais ne parvient pas à briser réellement ceux qui sont prêts à se battre. En général, la masse des combattants survit aux bombardements, car elle constitue la partie la plus active et la plus organisée de la population attaquée. Une véritable défaite de l'armée adverse implique de "descendre sur terre" et d'affronter directement l'armée ennemie, même dans des conditions de nette supériorité technique.

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La dernière véritable guerre menée par les États-Unis a été la guerre du Viêt Nam. L'issue de cette guerre a conditionné les guerres suivantes, car les États-Unis ont évité toute confrontation directe depuis lors. Avec l'augmentation de l'engagement américain à partir de 1965, cette guerre a entraîné une opposition croissante, en particulier de la part des jeunes, avec un refus généralisé de s'enrôler, des manifestations de masse et la montée d'une culture d'opposition qui a abouti à ce que l'on appelle le mouvement de "68". Probablement inattendues, ces protestations ont induit un profond changement dans les relations entre les classes sociales aux Etats-Unis. Peu de temps après, en 1973, l'armée de conscription prenait fin, laissant place à une armée exclusivement professionnelle, et le pacte social qui l'accompagnait, caractérisé par une prospérité généralisée et un quasi plein emploi, prenait également fin. La pauvreté, et avec elle la marginalisation sociale et la petite criminalité généralisée, a commencé à devenir un phénomène courant dans les sociétés américaines. Une transformation immortalisée, par exemple, dans le film Taxi Driver de Martin Scorsese.

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Les manifestations anti-guerre étaient justifiées de tous les points de vue, même ceux qui n'étaient pas purement pacifistes. Tout d'abord, les objectifs de la guerre n'étaient pas bien compris, le pouvoir en place évoquait une "lutte contre le communisme" qui est devenue une lutte contre une sorte de monstre aux contours indéfinis. De plus, la conduite de la guerre par les Etats-Unis, qui consistait à s'attaquer à la société vietnamienne en brûlant des villages entiers, a provoqué de fortes crises morales chez les soldats qui ont été contraints d'attaquer une population envers laquelle ils ne ressentaient aucune inimitié. Le but de la guerre était principalement l'endiguement du communisme, mais si cet objectif était clair pour les classes dirigeantes, pour les soldats des classes inférieures, cet objectif ne semblait pas être une motivation suffisante pour être contraint de faire la guerre. Cet objectif découlait du système américain d'hégémonie mondiale, et n'était pas tant une question idéologique qu'un système de domination mondiale sans finalité concrète. À l'inverse, avec les États-Unis soutenant la résistance afghane, quelque chose de très similaire s'est produit pendant la guerre de l'Union soviétique en Afghanistan, qui fut l'un des facteurs qui ont conduit à l'"effondrement du communisme". Dans cette guerre aussi, il y avait des phénomènes de désaffection populaire, envers une guerre dont on ne comprenait pas les raisons, qui se trouvaient non pas dans un conflit réel avec l'Afghanistan, mais dans la lutte globale contre les USA. Les anciens combattants ont ensuite donné naissance aux premiers groupes d'opposition, ce qui a conduit plus tard à la glasnost de Gorbačëv.

Les mouvements de 68 ont effectivement apporté un changement radical, les motivations de la protestation étaient sacro-saintes mais ont fini par être déclinées en une opposition générique à la guerre de nature essentiellement individualiste, et un rejet générique de la guerre qui évite toute réflexion sur le rôle du conflit dans les relations humaines. La "culture de 68" était née, dans laquelle nous sommes encore partiellement immergés et qui a ensuite été habilement transformée par les médias américains en une autre façon de vendre la culture américaine aux peuples du monde. La base individualiste de cette protestation a fini par correspondre à la reformulation du pacte social après la conclusion de la guerre, que nous pouvons esquisser comme suit :

1) l'État n'exige pas de l'individu qu'il participe à la guerre au péril de sa vie, qui n'est confiée qu'à ceux qui le font professionnellement ;

2) l'État ne garantit pas la participation à la vie sociale par ce mode fondamental qu'est le travail. Cela devient un champ de lutte darwinienne pour l'existence (néo-libéralisme) dans lequel il y a toujours le danger de se retrouver dans le panier des exclus et des sans-abri.

Ce deuxième point a fait l'objet de mystifications considérables, car il est présenté comme le résultat de changements impersonnels dans le système économique. L'économie est conforme à la signification originale du terme, l'"entretien ménager". La concentration du pouvoir économique et le pouvoir coercitif de l'État donnent aux classes dirigeantes un large pouvoir d'"administration" de la société, le secteur économique étant géré précisément comme la propriété des propriétaires du capital. Ainsi, les fortes inégalités sociales et la précarité du travail qui naissent dans ces années-là et qui donneront plus tard naissance au système libéral sont le résultat de la volonté des classes dirigeantes d'exercer une forte pression sur les classes inférieures afin d'inciter une proportion suffisante de la population à choisir "librement" la voie de l'enrôlement dans l'armée, sous peine d'être rejetée dans l'armée des SDF. Cela est possible grâce à la concentration du pouvoir économique et du pouvoir de l'État, qui offrent d'amples possibilités de façonner la société.

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En raison de ce pacte, les classes dirigeantes ne peuvent pas demander aux classes populaires de participer à la guerre, sauf par la forme mystifiée de la "coercition libérale" que nous venons d'évoquer. Mais en même temps, le nombre de morts à la guerre doit être minimal, sinon elle n'apparaîtrait plus comme un aléa naturel du métier, mais comme un véritable sacrifice social. Et en même temps, puisque ce qui motive principalement l'enrôlement est le salaire, trop de risques en feraient un jeu qui n'en vaut pas la chandelle. Pour ces raisons, dans les guerres récentes, les États-Unis ont suivi la méthode "choc et effroi" (Shock and Awe) comme principale modalité de faire la guerre, car elle permet d'obtenir des résultats rapides (mais qui sont finalement annulés à long terme), tout en minimisant les pertes en guerre.

Nous arrivons donc à l'époque actuelle pour montrer comment la guerre en Ukraine représente un nouveau narratif par rapport aux guerres jumelles du Viet Nam et de la guerre soviétique en Afghanistan, qui étaient très similaires dans leurs objectifs et leurs résultats.

La guerre en Ukraine, qui n'est en fait pas appelée "guerre" mais "opération spéciale", a été présentée avec des objectifs limités et très spécifiques. Chaque article de Ria Novosti et des autres principaux journaux russes concernant le conflit en Ukraine comporte un paragraphe final (à la demande évidente du gouvernement) résumant les objectifs du conflit, qui ne fait actuellement référence qu'à la protection et à la libération de la population d'origine russe du Donbass. Initialement, il y avait également une référence à la dénazification, mais elle a maintenant disparu, ce qui reflète probablement le nouveau rétrécissement des objectifs à la seule conquête du Donbass. En outre, des efforts ont été faits pour minimiser les pertes civiles, même au prix de la limitation de l'action de l'armée. L'objectif politique étant d'inclure les populations russophones ou russophiles (et en général celles qui, en Ukraine, ont l'intention de se ranger du côté de la Russie), et donc d'éviter la haine de la population civile, il n'y a pas eu de bombardement de villes, et en général les attaques aériennes et de missiles ont été dirigées vers les infrastructures militaires. Au départ, on a tenté de limiter l'attaque aux infrastructures civiles également, mais avec l'augmentation exponentielle de l'aide militaire occidentale, la nécessité de frapper les routes, les ponts, les chemins de fer et les dépôts de carburant pour limiter le flux d'armes et de carburant vers l'armée ukrainienne est devenue évidente.

La Russie y parviendra probablement à un prix considérable en vies humaines et en termes matériels, comme cela est déjà évident. Mais cela n'a pas entaché le consensus de la population russe, qui a en fait augmenté ces derniers mois, et il est donc clair qu'elle partage les objectifs et les modalités de cette guerre. La Russie a été entraînée dans cette guerre par les États-Unis et la Grande-Bretagne dans le but de perturber son fonctionnement civil et militaire, mais l'effet inverse risque d'être atteint.

Ce qui précède nous indique que depuis l'effondrement de l'Union soviétique, la Russie a fait sa conversion en un système impérialiste-mondialiste alternatif au système capitaliste dirigé par les États-Unis pour lequel le communisme était l'ennemi. Précisons que nous utilisons les deux termes, faute d'une meilleure terminologie, "système impérialiste" et "système mondialiste-impérialiste", dans le sens respectif d'un système composé de différentes entités étatiques, ethniques, religieuses et culturelles avec un groupe hégémonique, mais intégré en son sein et délimité vers l'extérieur. En ce qui concerne le "système impérialiste-mondialiste", nous laissons le mot à la revue italienne de géopolitique Limes, en soulignant que ses éditeurs n'utilisent pas ce terme. "En règle générale, l'empire établit et défend ses limites actuelles. L'Amérique refuse de les fixer. Sa frontière est toujours mobile, jamais définie. Si elle devait fortifier un limes au nom du canon impérial (la référence au mur du Rio Grande, Sagrada Familia de l'architecture frontalière, est intentionnelle), elle risquerait de perdre son identité et son empire d'un seul coup. Si elle ne se limitait pas, elle serait victime de la boulimie d'espace et de pouvoir, la maladie professionnelle des empires" (L'Impero nella tempesta, 1/2021).

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En bref, l'impérialisme-mondialisme est un système dédié à la domination mondiale sans limites définies.

L'Occident sera-t-il capable de se reconvertir en un système impérial aux objectifs spécifiques et délimités ? Sinon, le risque existe que, dans la confrontation avec le monde non-occidental, qui vient de commencer avec le conflit indirect avec la Russie, ce soit plutôt l'Occident qui s'écroule.

Qui vivra verra. Et c'est aussi un vœu pieux.

samedi, 28 mai 2022

Forum économique eurasien: l'Occident sur une trajectoire de collision avec les économies émergentes

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Forum économique eurasien: l'Occident sur une trajectoire de collision avec les économies émergentes

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/05/26/euraasian-talousfoorumi-lansi-tormayskurssilla-nousevien-maiden-kanssa/

L'Union économique eurasienne (qui comprend actuellement la Russie, le Belarus, l'Arménie, le Kirghizstan et le Kazakhstan) organise pour la première fois cette année son propre forum économique. Le coup d'envoi de l'événement, qui se déroulera du 26 au 27 mai, a été donné dans la capitale kirghize, Bishkek.

Le thème du Forum est "L'intégration économique eurasienne à l'ère du changement mondial". Nouvelles opportunités d'investissement".

Plus de 2500 participants de 15 pays de l'Union économique eurasienne et de pays désireux d'approfondir leurs relations avec l'Organisation - la Chine, le Vietnam, d'autres pays asiatiques et l'Amérique latine - prendront part au Forum économique. Plusieurs pays africains et européens ont également exprimé leur intérêt pour la réunion.

Le Forum comprendra une session plénière avec la participation des chefs d'État de l'Union par vidéoconférence, et 21 sessions thématiques pour discuter du "développement des infrastructures de transport et d'énergie, de la politique financière et bancaire, de la coopération industrielle, du commerce électronique, de l'agenda de la jeunesse et des nouveaux domaines de coopération au sein du Conseil économique eurasien".

En ouvrant l'événement, le Premier ministre kirghize Akylbek Žaparov estime que l'Union économique eurasienne "pourra devenir une destination majeure pour l'économie mondiale et contribuer à éliminer les distorsions et les déséquilibres qui se sont développés dans les relations économiques mondiales au cours des dernières décennies".

Le Forum économique se penchera également sur "la promotion et la popularisation de l'idée d'eurasisme". Ceci est lié au "programme jeunesse, qui est l'un des nouveaux domaines de l'intégration eurasienne en termes de large participation des jeunes aux processus de l'Union économique eurasienne".

Lors d'un débat sur l'interaction et la coopération internationales, le représentant de la Biélorussie, le vice-ministre des Affaires étrangères Yuri Ambrazevich, a déclaré que "l'essor de l'Eurasie a lieu au milieu des changements mondiaux". "L'Occident, défendant sa position dominante, se heurtera inévitablement aux pays émergents", a-t-il déclaré.

De nombreux analystes estiment qu'à moyen terme, nous nous dirigeons déjà vers un "monde macro-régional". Ce scénario est soutenu par de nombreux facteurs, et le concept de mondialisation n'est plus défini uniquement en fonction de l'Occident.

"La transition vers un monde multipolaire sera perturbatrice. Les affrontements entre l'Occident défendant sa position dominante et les leaders émergents définissant de nouveaux pôles sont inévitables", confirme M. Ambrazevich.

Selon lui, le conflit actuel en Ukraine est l'une de ces perturbations. "Il est encourageant que le vote de l'ONU [au cours duquel de nombreux pays ont refusé de participer aux sanctions anti-russes] ait montré que de plus en plus de pays non occidentaux décident de poursuivre leurs propres intérêts. Cependant, les nouveaux centres de développement devront travailler dur pour prouver leur droit à l'existence."

"Avant que le monde macro ne voie la lumière du jour, l'ordre mondial subira de nombreux changements. Par exemple, les chaînes de production et de logistique seront raccourcies et confinées à d'énormes clusters régionaux", prédit M. Ambrazevich.

"L'industrie manufacturière jouera à nouveau le rôle principal dans l'économie, avec l'importance croissante de la spécialisation industrielle, qui dépend de la disponibilité des ressources naturelles", a conclu le diplomate biélorusse.

Il a souligné qu'"en se concentrant sur l'autosuffisance, une plus grande résilience aux chocs extérieurs" et "une gouvernance efficace par des gouvernements forts", les macrorégions ont le potentiel de "fournir une alternative à la mondialisation occidentale, d'assurer une distribution plus équitable des ressources et des biens et l'inclusion de tous dans le développement".

"L'ordre mondial libéral rend impossible pour le tiers monde d'atteindre le même niveau de vie que le milliard d'or [la population totale des pays développés]. Le concept occidental de mondialisation cimente ce fossé", a déclaré M. Ambrazevich, qui s'attend à un changement de la situation.

La réunion du Forum économique eurasien est un autre signe que les institutions de l'Occident sont déjà remises en question. Espérons que le souhait du Premier ministre kirghize Zhaparov se réalisera et que la Communauté économique eurasienne deviendra également une union politique, s'enrichissant de nouveaux membres.

vendredi, 27 mai 2022

La Russie, l'Iran et l'Inde créent un troisième pôle d'influence dans les relations internationales

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La Russie, l'Iran et l'Inde créent un troisième pôle d'influence dans les relations internationales

Andrew Korybko

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37812-2022-05-23-12-51-00

Le ministre russe des Transports, Valery Savelyev, vient de reconnaître le rôle vital que joue aujourd'hui l'Iran pour la logistique de son pays grâce au corridor de transport Nord-Sud (NSTC - North South Transport Corridor). Selon lui, les sanctions occidentales sans précédent imposées par les États-Unis en réponse à l'opération militaire russe en cours en Ukraine "ont pratiquement brisé toute la logistique dans notre pays. Et nous sommes obligés de chercher de nouveaux couloirs logistiques".

La principale priorité de son pays est le NSTC à travers l'Iran, notant que trois ports de la mer Caspienne servent déjà de conduits commerciaux avec la République islamique, tout en reconnaissant qu'il reste beaucoup à faire en matière de connectivité terrestre.

Peu après le début de l'opération spéciale de la Russie, il avait déjà été prédit que l'Iran deviendrait beaucoup plus important pour la Russie. En effet, le NSTC fonctionne comme un corridor d'intégration entre les civilisations, reliant la civilisation historiquement chrétienne de la Russie, la civilisation islamique-chiite de l'Iran et la civilisation hindoue de l'Inde, sans oublier d'autres, comme celles d'Afrique et d'Asie du Sud-Est, qui peuvent se relier indirectement à la Russie par cette voie. Il s'agit d'une soupape irremplaçable à la pression économique et financière de l'Occident dirigée par les États-Unis, qui a créé tant de difficultés logistiques pour la Russie ces derniers mois, d'autant plus qu'elle est reliée à l'Inde, qui a défié la pression occidentale en continuant à pratiquer sa politique de neutralité de principe.

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Sans la participation de premier plan de l'Iran au NSTC, la Russie serait isolée de ses indispensables partenaires indiens dont l'intervention décisive lui a évité de manière préventive une dépendance potentiellement disproportionnée vis-à-vis de la Chine à l'avenir. Ce résultat, à son tour, a aidé le monde à dépasser l'actuelle phase intermédiaire bi/multipolaire de la transition systémique mondiale vers la multipolarité qui a vu les relations internationales largement façonnées par la compétition entre les superpuissances américaine et chinoise. Il est de plus en plus possible de parler d'un troisième pôle d'influence représenté par la grande convergence stratégique entre la Russie, l'Iran et l'Inde.

Leurs diplomates ne le reconnaissent pas officiellement, de peur que les superpuissances américaines et/ou chinoises n'interprètent mal les intentions de leurs États-civilisation, mais tous trois tentent officieusement de réunir un nouveau Mouvement des non-alignés ("Néo-NAM"). Ils espèrent servir de centres de gravité égaux au sein du troisième pôle d'influence qu'ils souhaitent créer afin de faire évoluer les relations internationales au-delà de leur phase intermédiaire bi/multipolaire actuelle et vers un système de "tripolarité" qui, espèrent-ils, facilitera inévitablement l'émergence de relations multipolaires complexes. L'objectif de cette démarche est de maximiser leur autonomie stratégique respective dans le cadre de la nouvelle guerre froide vis-à-vis des deux superpuissances.

Les implications internationales de la réussite de leur plan changeraient littéralement les règles du jeu, ce qui explique pourquoi des efforts sont déployés pour les arrêter. Elles ont pris la forme d'une campagne de guerre de l'information menée par l'Associated Press à la tête des grands médias occidentaux dirigés par les États-Unis contre le partenariat stratégique Russie-Iran, tandis que d'autres médias mènent une campagne complémentaire contre le partenariat stratégique Russie-Inde. Les deux ont échoué alors que leurs dirigeants s'appuient sur leur vision du monde multipolaire-conservatrice-souverainiste (MCS) commune pour maintenir le cap malgré une pression considérable après que leurs stratèges leur aient soi-disant assuré que tout finirait par payer, pour peu qu'ils restent patients.

Cela contraste avec son voisin pakistanais, qui semble de manière convaincante être en train de recalibrer sa grande stratégie et le rôle associé envisagé dans la transition systémique mondiale suite à son changement scandaleux de gouvernement. Les signaux contradictoires que ses nouvelles autorités ont envoyés à la Russie, parallèlement à leur rapprochement enthousiaste avec les États-Unis, suggèrent fortement que la vision du monde MCS précédemment épousée par l'ancien premier ministre Khan est progressivement remplacée, à un degré incertain, par un libéralisme unipolaire favorable à l'Occident mondialiste (ULG - Unipolar Liberal-Globalist). Cela complique les processus multipolaires en Asie du Sud et risque d'en isoler le Pakistan dans le pire des cas.

Cependant, le Pakistan n'a aucune intention d'interférer avec le NSTC, même s'il devait s'engager dans un rapprochement complet et extrêmement rapide avec les États-Unis. Cette observation signifie que la grande convergence stratégique entre la Russie, l'Iran et l'Inde va se poursuivre, les deux derniers devenant encore plus importants que jamais pour Moscou en tant que soupapes à la pression occidentale et alternatives fiables pour éviter de manière préventive toute dépendance potentiellement disproportionnée vis-à-vis de la Chine. Le Pakistan était censé jouer un rôle complémentaire dans le Grand partenariat eurasiatique (GPE) de la Russie en servant également à équilibrer la dépendance croissante de Moscou vis-à-vis de Téhéran et de New Delhi, mais cela semble peu probable à la lumière des récents développements.

Avec des relations virtuellement gelées sur le front énergétique qui était conçu comme la base de leur partenariat stratégique espéré, il y a peu de chances que la Russie considère un jour le Pakistan comme plus important pour son "pivot vers l'Oumma" que l'Iran ne l'est aujourd'hui, alors qu'il est en train de le devenir, à moins que ces questions ne soient résolues de toute urgence. Selon toute vraisemblance, elles ne le seront pas, et cette prédiction désastreuse découle de la conjecture selon laquelle les nouvelles autorités pakistanaises considèrent le ralentissement du rythme de son rapprochement avec la Russie comme une "concession unilatérale acceptable" en échange de la poursuite des pourparlers sur l'amélioration des liens avec les États-Unis, qui est leur nouvelle priorité en matière de politique étrangère.

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Bien que de petits pas vers le rétablissement des relations aient été constatés récemment, l'interview du ministre des Affaires étrangères Bhutto à l'Associated Press lors de son voyage inaugural aux États-Unis pour assister à un événement de l'ONU et rencontrer personnellement Blinken a jeté le doute sur l'intérêt d'Islamabad à reprendre les pourparlers sur l'énergie avec la Russie. Selon les médias, il a révélé que "lors de ses entretiens avec Blinken, il s'est concentré sur l'augmentation des échanges commerciaux, en particulier dans l'agriculture, les technologies de l'information et l'énergie". Cela suggère que les États-Unis tentent d'exercer un effet de levier sur le prétendu accord conclu par la Russie avec le Pakistan pour lui fournir des denrées alimentaires et du carburant à un prix réduit de 30 %, et peut-être même d'offrir un rabais moins important, le cas échéant, comme "coût nécessaire" pour améliorer les relations...

Le résultat prévisible de la décision du Pakistan de ne pas reprendre les pourparlers sur l'énergie avec la Russie est que l'importance de l'Iran et de l'Inde dans la grande stratégie russe continuera à croître sans que le facteur d'équilibre pakistanais, que Moscou considérait auparavant comme acquis, ne puisse être contrôlé. Ce ne sera pas un problème, à moins qu'ils ne politisent leur rôle de soupape pour la pression occidentale, ce qu'ils sont réticents à faire de toute façon, car cela pourrait nuire à leurs intérêts communs de MSC dans la transition systémique mondiale par le biais du Néo-MNA. Cependant, il reste important de noter que l'élimination pratique de l'influence équilibrante du Pakistan dans ce paradigme accroît la dépendance de la Russie vis-à-vis de l'Iran et de l'Inde.

Que les relations russo-pakistanaises deviennent stratégiques ou non, comme Moscou l'espérait, et qu'elles contribuent par conséquent à équilibrer le Néo-NAM qu'elle envisage, il ne fait aucun doute que l'axe que la Russie est en train de constituer avec l'Iran et l'Inde continuera à se renforcer, ces trois pays poursuivant conjointement la création d'un troisième pôle d'influence dans les relations internationales. La réussite de ce projet aidera le monde à dépasser la phase intermédiaire bi/multipolaire actuelle de la transition systémique mondiale et, par conséquent, à créer davantage d'opportunités pour les autres pays de renforcer leur autonomie stratégique dans la nouvelle guerre froide.

lundi, 23 mai 2022

Confrontation dans l'Arctique

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Confrontation dans l'Arctique

par le comité de rédaction de Katehon

Source: https://www.ideeazione.com/confronto-nellartico/

L'opération militaire spéciale en Ukraine a entraîné l'imposition de nombreuses sanctions par l'Occident. L'Arctique a également souffert de ces événements. Les activités du Conseil de l'Arctique ont été suspendues et de nombreux projets sont désormais en danger.

Conseil de l'Arctique

Le Conseil de l'Arctique existe depuis 1996. Elle comprend huit États : Danemark, Islande, Canada, Norvège, Russie, Etats-Unis, Finlande et Suède. Le pays qui préside le conseil change tous les deux ans. Les États prennent cette position à tour de rôle. En 2021, la présidence du Conseil de l'Arctique est passé à la Russie.

Les questions prioritaires de l'organisation sont les suivantes : assurer un développement socio-économique durable de l'Arctique, mettre en œuvre des programmes d'étude et de protection de l'environnement, préserver la biodiversité de la région et adapter la vie en fonction du changement climatique.

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L'opération militaire spéciale en Ukraine a entraîné des changements dans les activités du Conseil de l'Arctique.

En mars 2022, sept États membres de l'organisation ont annoncé leur décision de suspendre les travaux du conseil. Des mesures similaires ont été prises suite aux actions de la Fédération de Russie sur le territoire de l'Ukraine.

Les initiateurs du "bloc" de coopération ont noté que le Conseil de l'Arctique a toujours suivi les principes de "souveraineté et d'intégrité territoriale". La Russie, selon eux, ne remplit pas ces conditions. Compte tenu de la violation de ces dispositions, les représentants des États arctiques ont refusé d'assister aux réunions du conseil en Russie.

Le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie a condamné cette décision. Le général Nikolai Korchunov, ambassadeur du ministère russe des Affaires étrangères et haut responsable du Conseil de l'Arctique russe, a déclaré que le "blocus temporaire" entraînerait des risques et des défis en matière de sécurité dans la région. Il a noté que dans cette situation, il est important de préserver les activités de projet de l'organisation.

Korchunov a attiré l'attention sur le fait que le Conseil de l'Arctique a toujours été une plateforme de dialogue dépolitisé. Les questions de sécurité militaire ne sont pas incluses dans le mandat de l'organisation.

"Les documents fondateurs et stratégiques du Conseil expriment clairement la nécessité de préserver l'Arctique en tant que territoire de paix, de stabilité et de coopération constructive. Et à cet égard, il est important de protéger ce format unique d'interaction de l'introduction de questions extrarégionales afin qu'il ne devienne pas leur otage", a commenté le diplomate.

La volonté de l'Occident d'empêcher la Russie de mener des activités de projet dans le monde atteint la limite de l'absurde. Au cours des 25 dernières années, l'Arctique a été une zone de paix et de dialogue. Pour de nombreux analystes, l'interaction des pays de cette région semblait plus que prometteuse.

Les membres du conseil parlent de l'importance de suivre les principes de base de l'organisation. En même temps, ils oublient l'essentiel. Le but de la collaboration dans l'Arctique n'est pas de résoudre les différends politiques. En outre, la stabilité et la coopération constructive énoncées dans les documents de l'organisation ne peuvent être atteintes dans une lutte constante pour la "loyauté" des opinions politiques.

Voix de l'Amérique

Les problèmes dans les relations entre la Russie et l'Occident dans l'espace arctique ont commencé il y a longtemps. En 2019, le conseiller américain à la sécurité nationale John Bolton a annoncé son intention d'augmenter la flotte de navires brise-glace dans la région. Les navires ont été mis en service toute l'année pour contrer la Russie et la Chine dans l'Arctique.

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Contrer la "présence militaire russe croissante" est devenu un domaine d'intérêt clé pour l'Amérique. Les États sont à la traîne derrière la Russie en ce qui concerne le développement de l'Arctique. Bien sûr, cette situation ne leur convient pas.

En février 2022, le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Mikhail Popov, a annoncé la volonté des États-Unis de contester les droits légaux de la Russie dans l'Arctique. Washington prévoit d'obtenir un accès sans entrave aux ressources régionales et à la route de la mer du Nord. Selon M. Popov, ces objectifs américains seront atteints en déployant des destroyers américains équipés d'armes à missiles guidés dans la mer de Barents.

En mars, la secrétaire de l'armée américaine, Christine Wormuth, a déclaré lors d'une vidéoconférence sur la sécurité que le gouvernement américain travaillait activement au renforcement des capacités militaires dans l'Arctique. Elle a noté que ce territoire est d'une importance stratégique. En outre, des exercices avec les alliés peuvent être menés ici.

Les événements ci-dessus suggèrent que les États-Unis sont déterminés à dépasser la Russie et à se débarrasser de sa présence dans la région. Ce sont probablement les Américains qui ont pris l'initiative de suspendre les activités du Conseil de l'Arctique. Dans les conditions d'une opération militaire spéciale, c'est même pratique. Maintenant, la Russie est confrontée à la quasi-totalité du monde. Des sanctions contre l'État russe sont imposées par de nombreux pays. Il était difficile de trouver un prétexte plus efficace pour résister aux activités de la Fédération de Russie.

La position de la Russie

Yury Averyanov, premier secrétaire adjoint du Conseil de sécurité de la Russie, a déclaré en 2021 que l'Occident transforme de plus en plus "les questions environnementales en un outil de pression, de discrimination et de concurrence déloyale". Il a noté que les écologistes nous rappellent régulièrement la conservation des écosystèmes vulnérables de l'Arctique, qui sont situés juste à côté des installations stratégiques de la Russie.

Après le rejet des sept pays participant au Conseil de l'Arctique dans les négociations avec la Russie, le discours du président russe Vladimir Poutine a suivi. Le chef d'État a commenté la situation actuelle et a insisté pour que la mise en œuvre des projets dans l'Arctique ne soit pas retardée. Le chef d'État russe a également déclaré que le pays est prêt à coopérer dans ce domaine.

Dans le cadre de l'endiguement de la Russie dans la région, M. Poutine considère qu'il est particulièrement important de prêter attention au développement de projets sociaux, car de nombreux Russes vivent et travaillent dans les territoires arctiques.

Il est important de noter que la région arctique est importante pour la Fédération de Russie en termes stratégiques et économiques. Tout d'abord, cela est dû à la longueur du littoral qui borde l'Arctique.

Les experts du Bureau du projet de développement de l'Arctique affirment que la dépendance de la technologie à l'égard de l'économie occidentale a considérablement diminué au cours des huit dernières années. La crise ukrainienne, malgré les longues listes de sanctions contre la Russie, a contribué au développement de cette zone.

La position des libéraux russes et des représentants de la sixième colonne, qui estiment que sans l'aide d'autres États, la Russie ne sera pas en mesure de développer l'Arctique, est révélatrice de la rupture avec l'Occident.

Oleg Barabanov, professeur au département des relations internationales de la faculté d'économie mondiale et de politique mondiale de l'école supérieure d'économie de l'université nationale de recherche, directeur du programme du Valdai Club, a partagé ses hypothèses sur cette situation. Il estime que l'opération militaire spéciale en Ukraine et les sanctions qui en découlent auront un impact négatif sur le développement de l'Arctique. Selon lui, dans les conditions créées par l'Occident, la Russie devra développer son industrie nationale de manière indépendante. Par conséquent, le financement sera distribué différemment. Ces tendances peuvent entraîner une diminution de l'intérêt pour l'Arctique, car les projets dans la région ne constituent pas la principale priorité financière.

Le directeur de programme du club Valdai, Timofey Bordachev, estime que si des difficultés surviennent dans ce domaine, elles seront dues, avant tout, à l'insuffisance des capacités technologiques de la Russie. La solution pour sortir de cette situation sera d'attirer des partenaires alternatifs. La Chine peut aider dans ce domaine.

Mise en œuvre du projet

La Fédération de Russie met en œuvre de nombreux projets dans l'Arctique, malgré la confrontation avec l'Occident. Par exemple, le concours international "Arctic 2022" a débuté le 26 avril. Les participants présenteront les développements scientifiques, techniques et innovants visant à développer l'Arctique et le plateau continental. Les candidatures seront acceptées jusqu'au 5 août, les résultats seront résumés et les lauréats seront récompensés en septembre à Saint-Pétersbourg.

Une conférence sur la garantie d'un environnement urbain confortable, intitulée "L'Arctique est un territoire de développement", se tiendra également à la fin du mois de mai. L'événement aura lieu à Yakutsk. Des représentants du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, du ministère de la Fédération de Russie pour le développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique, de la Société pour le développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique, des chefs des régions de la zone arctique russe et des experts de premier plan y participeront.

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Le thème principal de la prochaine conférence est de fournir un environnement urbain confortable pour améliorer le mode de vie et le bien-être de la population arctique.

Il est désormais beaucoup plus difficile pour la Russie de réaliser des projets avec la participation de partenaires internationaux. Les sanctions ont mis en péril une vaste coopération scientifique internationale avec la participation de scientifiques du monde entier, axée sur l'une des régions les plus sensibles aux effets négatifs du changement climatique.

L'expédition en Arctique a été organisée l'année dernière en coopération avec l'Institut polaire suisse. Soixante-dix scientifiques du monde entier sont montés à bord du brise-glace russe. De précieux échantillons de sol et de végétation ont été collectés pendant les travaux.

Dans le cadre de l'opération militaire en Ukraine, il y a eu un problème de livraison de matériel à l'étranger. À la fin de l'expédition, tous les échantillons collectés se trouvaient en Russie. Aujourd'hui, les scientifiques étrangers s'inquiètent de ne pas pouvoir interpréter les résultats de l'étude, qui sont cruciaux pour comprendre les conséquences du dégel rapide du permafrost arctique.

Selon Reuters, en raison de la situation actuelle en Ukraine, de nombreux projets impliquant des institutions scientifiques russes et occidentales ont été affectés et un certain nombre d'expéditions de recherche ont été reportées.

Alors, qu'est-ce qui est le plus important : la résolution des différends politiques ou le succès des activités conjointes dans l'Arctique ? Apparemment, pour l'Occident, la réponse est évidente. Seule la recherche dans le domaine de la fonte des glaciers et de l'amélioration de l'écosystème de la zone arctique est importante pour l'ensemble de la communauté mondiale. Obtenir des résultats positifs dans les plus brefs délais n'est possible qu'en écartant les différences et en unissant les forces.

L'opération militaire spéciale en Ukraine a donné à l'Occident une raison de rejeter la coopération avec la Russie dans l'Arctique. Bien que la Fédération de Russie continue d'investir dans le développement de la région, le régime de sanctions a menacé certains grands projets.

Il est évident que l'Occident continuera à essayer de "neutraliser" la Russie dans l'Arctique et d'y accroître son pouvoir. Toutefois, cela demandera beaucoup plus d'efforts que le "gel" du Conseil de l'Arctique et du régime de sanctions.

23 mai 2022

La Russie souhaite que le transit par voies d'eau entre la mer Caspienne et la mer d'Azov reste ouvert toute l'année

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La Russie souhaite que le transit par voies d'eau entre la mer Caspienne et la mer d'Azov reste ouvert toute l'année

Par Paul Goble

Source : http://moderntokyotimes.com/russia-seeks-to-keep-water-transit-between-caspian-and-azov-seas-open-year-round/

Publication : Eurasia Daily Monitor

La Fondation Jamestown

À l'heure actuelle, Moscou ne peut déplacer des navires, y compris les navires de la Flottille Caspienne, entre la mer Caspienne et la mer d'Azov que pendant environ huit mois de l'année en raison des faibles niveaux d'eau dans le canal Volga-Don. Cependant, en raison du désir du Kremlin de réintégrer et de dominer les anciennes républiques soviétiques au sud de la Russie, y compris l'Ukraine, et de pouvoir utiliser les navires de sa Flottille Caspienne non seulement contre l'Ukraine mais aussi en mer Noire et en Méditerranée, Moscou a maintenant annoncé des plans pour un effort majeur d'élargissement et d'approfondissement du canal. Ces améliorations permettraient aux navires de transiter par le canal Volga-Don 365 jours par an. Les responsables affirment que le projet de 10 milliards de dollars sera achevé en 2030. Et certains d'entre eux suggèrent que les entreprises chinoises joueront un rôle majeur dans cet effort, étant donné que les entreprises russes ne peuvent actuellement pas obtenir de soutien occidental et ne disposent pas de la capacité nationale pour mener à bien une entreprise aussi gigantesque.

Deux gestes importants, bien que largement négligés, ont été faits dans cette direction depuis que le président Vladimir Poutine a lancé l'opération à grande échelle de la Russie en Ukraine le 24 février. D'une part, les responsables russes ont annoncé il y a plusieurs semaines qu'ils poursuivraient les plans annoncés précédemment d'élargir et d'approfondir le canal Volga-Don pour permettre l'utilisation de la voie navigable toute l'année (Rossiyskaya Gazeta, 16 avril 2021 ; Casp-geo.ru, 21 avril 2021 et 6 mai 2022). Cela représente un retard par rapport aux plans antérieurs qui prévoyaient de terminer les travaux d'ici 2028. Pourtant, le fait que Moscou persévère, même dans un contexte de guerre et de renforcement des sanctions occidentales, souligne l'importance du trafic fluvial pour la Russie sur le plan économique, géopolitique et militaire (Casp-geo.ru, 27 septembre 2021). En outre, l'initiative semble marquer la fin de toute possibilité pour la Russie de construire un nouveau canal, encore plus coûteux, à travers le Caucase du Nord, comme beaucoup le réclamaient depuis longtemps dans cette région (voir EDM, 25 juin 2007 et 1er octobre 2010).

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D'autre part, des représentants du groupe chinois CCCC Dredging Group sont venus en Russie à l'approche de cette décision pour discuter avec les gestionnaires d'Astrakhan du canal Volga-Don de la possibilité pour les entreprises chinoises de prendre part aux opérations de dragage pour élargir et approfondir cette voie navigable (Rosmorport.ru, 11 mars). Les responsables russes auraient été réceptifs. Et maintenant qu'il a été décidé de s'attaquer aux limitations du canal - une décision probablement motivée par des considérations de sécurité autant qu'économiques - il semble que la Chine deviendra un acteur majeur dans cet effort. Une telle coopération permettra à la Russie d'utiliser le canal non seulement pour promouvoir un rôle pour elle-même dans le commerce est-ouest de la Chine, mais aussi à des fins militaires et de sécurité. Dans ce dernier cas, même si le projet ne sera pas achevé avant un minimum de huit ans, toute amélioration du canal aidera en fin de compte la Russie à poursuivre sa rude campagne de pression contre l'Ukraine (voir EDM, 31 mai 2018, 27 novembre 2018, 13 avril 2021).

Les tâches auxquelles les entreprises russes et maintenant chinoises sont confrontées pour remettre en état le canal Volga-Don vieux de 70 ans sont énormes. Une grande partie de ses 101 kilomètres de long se remplit de limon, ce qui réduit continuellement la taille et le nombre de navires qui peuvent l'emprunter ; le canal est classé comme ayant une profondeur de 3,5 mètres tout au long de son parcours, mais à de nombreux endroits, la profondeur est bien inférieure à cela. Si quelque 6000 navires et péniches ont transité par lui l'année dernière, la plupart étaient de petite taille, et leur passage était ralenti par le grand nombre d'écluses qu'ils devaient franchir. Ces limitations de taille et de temps ont été particulièrement problématiques lorsque Moscou a voulu déplacer sa flottille caspienne pour faire pression sur l'Ukraine. Beaucoup des plus grands navires de cette flotte sont tout simplement trop grands pour effectuer le passage, ce qui les a laissés embouteillés dans la mer Caspienne (voir EDM, 26 mars 2019). En outre, le fait que le canal soit fermé au moins trois mois par an à cause de la glace signifie que la Russie devra construire ou acheter un grand nombre de nouveaux brise-glace pour qu'il reste ouvert. À son tour, cela limite sa capacité à déployer de tels navires dans la région arctique et l'Extrême-Orient russe, où les brise-glace sont encore plus nécessaires.

Maintenant que la Chine s'est impliquée, éliminant les obstacles posés par le manque d'investissements occidentaux, la reconstruction du canal Volga-Don devrait se poursuivre, bien que très probablement à un rythme plus lent que celui annoncé par Moscou. Néanmoins, si cet effort réussit, même en partie, la voie navigable intérieure sera en mesure d'acheminer le trafic de conteneurs à un coût bien inférieur à celui des chemins de fer de la région. Cela porterait atteinte aux projets ferroviaires soutenus par l'Occident et la Chine dans la région (voir EDM, 19, 20, 2022) et rappellerait que même en ce siècle, le trafic fluvial joue un rôle géo-économique et géopolitique important (voir Jamestown.org, 25 septembre 2020). En outre, non seulement il stimulera le trafic économique dans le sud, mais il permettra à la Russie d'atteindre deux objectifs. Premièrement, elle ouvrira une voie pour que la flottille de la Caspienne quitte cette mer et complète la marine russe, durement éprouvée, dans la mer d'Azov et la mer Noire. Et deuxièmement, il permettra l'intégration du trafic fluvial et des canaux dans le sud de la Russie dans les plans plus larges, souvent rejetés, de Moscou visant à utiliser ses fleuves et ses canaux au nord et à l'ouest pour projeter l'influence russe (voir EDM, 18 février 2020 et 13 mai 2020).

La Fondation Jamestown permet aimablement au Modern Tokyo Times de publier ses articles très estimés. Veuillez suivre et consulter le site Web de la Jamestown Foundation à l'adresse http://www.jamestown.org.

https://twitter.com/Jamestown - Tweets La Fondation Jamestown

https://jamestown.org/program/russia-seeks-to-keep-water-transit-between-caspian-and-azov-seas-open-year-round/

dimanche, 22 mai 2022

Qui gouvernera le système mondial de demain?

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Qui gouvernera le système mondial

 

de demain?

 

Pour quel type d'ordre?

 

Et dans quelle perspective globale?

 
par Irnerio Seminatore

L'ordre européen de l'équilibre des forces entre l'Est et l'Ouest a pris fin le 24 février 2022 avec l'ouverture des hostilités en Ukraine et le principe de légitimité de cet ordre s'est effondré avec les élections du Parlement européen du mois de mai 2019, avec l'affrontement radical entre souverainistes et globalistes, quant au primat du régime politique qui fonde la souveraineté de la loi nationale ou supranationale.


La guerre en Europe et la fin du mythe européen

L'Union Européenne est morte de la fin de son mythe, le déni de la guerre en Europe. Elle est morte du mépris de la dialectique historique, artificiellement apaisée et théoriquement anéantie. Elle s'est éteinte enfin de son absence de vision globale vis à vis de l'Amérique agissante.
 
Quel type de perspective historique reflètera la fin des combats en Ukraine dans le couloir continental de l'Eurasie entre le Khanat de la Horde d'Or des tatars turco-mongols de Crimée et l'espace légendaire qui mène à l'ancienne Novgorod de la Russie profonde? L'ordre européen de demain ne naîtra pas d'une perspective morale unique, imposée par les Monarchies absolues sur les peuples, comme dans la paix de Westphalie (1648), ni d'un rapport mondial des forces, de conception équilibrée, avec une Sainte Alliance des Princes pour le maintien de la stabilité, comme au Congrès de Vienne (1815), après la réintégration de la France, perturbatrice pendant deux siècles, et devenue avec Talleyrand facteur de conservation et de retour à l'ancien régime. Cet ordre ne sera pas la refonte régionale des Nations Unies, nées de San Francisco en 1945, après l'écrasante victoire des Etats-Unis sur le Japon impérial, en garants démocratiques de la paix globale. Les dirigeants de l'Occident, de l'Eurasie et du Pacifique ne se feront plus contre-poids, comme dans le concert européen du XIXème, mais ils joueront aux variables des rapports de pouvoir, de légitimité et de force à l'échelle du monde. Ce sera, dans la meilleure hypothèse, d'un ordre multipolaire, appuyé sur des alliances systémiques.

Le Leadership et l'ordre multipolaire. Qui définit la « grande stratégie »?

Les triangulations stratégiques Etats-Unis, Russie et Chine et, en subordre, les allégeances opportunistes des puissances relatives émergentes conduiront à se poser fatalement la question essentielle de toute coalition : "Qui définit la stratégie ? Qui gouverne le processus de changement par les armes et qui décide du but de guerre sur le terrain des combats ? Avant de traiter du problème de la réconciliation, successive à tout conflit et des règles à définir pour une communauté internationale recomposée, résumons schématiquement les traits de la paix de Westphalie (1648), du Congrès de Vienne (1815) et du concert mondial des Nations Unies (1945).
 
- Equilibre des forces, non-ingérence, inviolabilité des frontières, souveraineté nationale et légitimités multiples et distinctes pour le système de Westphalie.
 
- Quadruple Alliance (Angleterre, Autriche, Prusse et Russie), contre « l'Hydre de la Révolution » et face aux défis à l'ordre territorial (l'Otan de l'époque), Sainte Alliance pour les menaces aux institutions et pour la préservation du « statu quo » intérieur (l'Union européenne ante litteram), en ce qui concerne le Congrès de Vienne.
 
- Définition des objectifs communs et légitimes, pour faire face aux crises émergentes du point de vue du droit international (pour les Nations Unies).
 
Quelles sources d'inspiration et quels modèles d'ordre pour le monde d'après le conflit ukrainien, si la « paix des cimetières » ne régnera pas sur terre, à jamais vitrifiée par une guerre mondiale apocalyptique.

Le monde d'après, néo-machiavélien et chaotique

Il est fort probable que l'ordre planétaire de demain sera celui où des forces centripètes pourront contribuer, en apparence et très partiellement, à définir l'avenir commun et où la reconnaissance de l'unité planétaire s'accompagnera de l'acceptation du nouveau centre de gravité du monde, l'Asie-Pacifique turbulente.
 
Entre-temps le maintien ou le changement de l'Hégémonie (américaine), sera l'objectif prioritaire de la nouvelle phase historique, la phase néo-machiavélienne de l'histoire universelle, qui procédera de la priorité de tout système non chaotique, pour parvenir à l'établissement d'un ordre stable, au moyen d'un désordre organisé.
 
Ce nouvel ordre sera d'apparence démocratique pour éviter l'émergence de nouveaux centres de pouvoir et pour mieux fonder l'urgence d'un leadership ordonnateur, en Sujet-Maître de la Grande Politique. Or, puisque les grandes décisions sont toujours unilatérales, la nouvelle hégémonie sera conforme à la loi naturelle du plus fort, du plus rusé et du plus impitoyable. Le nouvel Hégémon sera de surcroît un décideur sournois, qui dispensera à chacun "sa" vérité et fera en sorte d'alimenter des guerres sans fin.
 
Si l'hégémonie sera l'objectif affiché pour maintenir l'unité du système, les revendications de groupes minoritaires multiples dépasseront, et de loin, le respect dû autrefois aux autorités établies et il n'y aura pas d'uniformité rationnelle des sociétés ni de théories politiques préfigurant un ordre d'avenir. La lente disparition des vieilles doctrines du sacré et de l'immortalité de l’âme, ne permettront pas de faire porter aux Églises une part de la légitimité assurée autrefois par « l' unité des deux glaives », du Trône et de l'Autel. Le seul principe calculable de la rationalité politique, la « Raison d'Etat » ou le visage patriotique de « l'intérêt national », se succèderont selon les cycles aristotéliciens des formes pures et des formes corrompues, dans une conjoncture de transition systémique et de naissance de nouveaux paradigmes. Par ailleurs la diffusion des critiques au concept de hiérarchie et de suprématie sociale, provoquera une accélération dans la dissolution des sociétés traditionnelles, qui avaient trouvé une forme de défense dans les doctrines de la foi et dans le partage de la souveraineté dans les vieilles terres d'Europe, d'Afrique et d'Amérique.

Le non-engagement et le débat sur l'aide militaire

Face à la « menace russe » les pays d'Europe centrale (Pologne, Hongrie, Etats baltes), obligés de choisir entre l'unité de façade proposée par l'Union européenne et l'exigence de protection et de sécurité, garantie par Hégémon à travers l'Otan, choisiront l'asservissement à Hégémon et la guerre contre l'ennemi désigné, voulue par le leader de bloc. Ainsi la vassalité de l'Europe centrale vis à vis de l'Amérique deviendra une nécessité politique et militaire, afin de décourager implicitement l'Allemagne de vouloir unifier demain, le continent par la force, en jouant la carte d'une nouvelle entente stratégique avec Moscou, une réédition de l'Ostpolitik contre les puissances passives de l'Ouest et les illusions politiques de la France de préférer le verbe à l'action et la politique intérieure à la politique internationale et continentale. Au-delà de cet horizon, l'équilibre entre les rivalités européennes se prolongera en une recherche constante des équilibres de pouvoir entre l'Europe occidentale et le reste du monde, autrement dit les puissances montantes du Golfe, de l'Eurasie et de l'Indo-Pacifique. Et ce même équilibre s'étendra à la sphère religieuse, mobilisant l'Islam et l'univers musulman, comme nouveaux et puissants perturbateurs. Ainsi, face à la crise ukrainienne qu'elle aura contribué politiquement à créer et qu'elle aura successivement alimenté en armements (une enveloppe de 1,5 milliards d'euros en 2022, au titre de la « facilité européenne pour la paix », face à 33 milliards de dollars proposés par J. Biden au Congrès), l'Europe survivra-t-elle au défi existentiel du XXIème siècle, dans la recherche d'un ordre mondial qui exige entre partenaires d'alliance un rapprochement des stratégies et des visions du monde, au lieu d'une évolution conflictuelle et d'un affrontement systémique et civilisationnel, conforme aux intérêts américains?

Neutralité et allégeance politique

Un débat, au même temps qu'un combat, est en cours en Europe occidentale sur l'aide militaire et le soutien humanitaire aux populations civiles ukrainiennes, dont la « limite » est représentée par le concept de « non-belligérance », décidé par Moscou. La neutralité politique et non morale, exigée par la Russie à l'adresse de l'Ukraine vis à vis des occidentaux fait partie d'une diplomatie risquée, qui condamne Kijiv au combat et éloigne les perspectives de compromis et de sortie de crise. D'autre part la ligne idéologico-politique, suivie par la Chine et par les pays non-engagés, tache d'éviter qu'ils ne subsistent que deux camps, deux sortes de pays et deux types de régimes aux prises. Pariant sans vraiment y croire sur la victoire de Kijiv sur Moscou, l'Amérique entend clairement affaiblir et épuiser la Russie, par personne interposée, et pousser Zelenski au combat, jusqu'au « dernier homme ». Or, dans l'éloignement d'un compromis, imposé par les Américains à leur agent de Kijiv, comment l'Europe doit elle se définir par rapport aux cinquante-huit pays qui, aux Nations Unies, n'ont pas voté la censure contre Moscou pour son initiative militaire, dictée par son exigence de sécurité et de cohésion intérieure ? Quant au thème de la neutralité, proposée au futur statut de l'Ukraine, la mesure proposée, qui demeure toutefois un des enjeux majeurs du conflit, la finalité d'ordre diplomatique et militaire est moins d'obtenir la capitulation de Kijiv, que d'interdire son entrée dans l'Otan. La forme que pourra prendre cette neutralité constituera une option géopolitique à convenir entre les belligérants et la communauté internationale, puisqu'ils auront le choix, entre neutralité armée (Suède et Suisse), neutralité désarmée (Finlande et Autriche) et une forme générique de neutralisme, qui a confondu, par le passé, une singularité géopolitique (Yougoslavie) et une option idéologico-politique, correspondant à tous les pays qui n'appartenaient pas explicitement à aucun bloc ou regroupement militaire.

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La France et les défis diplomatiques d'Helsinki (1975)

Au titre d'une rétrospective historique, l'issue de la première « guerre froide » a comporté le remplacement des tensions et des crises par le développement d'une coopération paneuropéenne entre nations indépendantes, situées entre l'Atlantique et l'Oural. Ceci a impliqué pour la France, de considérer le pan-européisme comme un moyen pour dépasser l'ordre bipolaire. L'Acte final d'Helsinki réaffirmant le « statuquo » politique et territorial de l'Europe, proclamait la possibilité du changement pacifique des frontières, défendant le principe westphalien de la souveraineté et de la « non-ingérence », à propos des dispositions dites « humanitaires » (échanges de personnes, informations et idées). L'interprétation des pays de l'Est, opposés à la diffusion du « virus de la liberté », soutenue par les occidentaux se fit au nom du traité de Westphalie. En réalité, la lecture qu'en fit chaque partie fut absolument contradictoire, car le vocabulaire commun cachait des réalités politiques divergentes et antagonistes. Les défis diplomatiques d’Helsinki créèrent une désidéologisation de la détente et un dépérissement des blocs, anticipant l'émergence du tripolarisme dans le monde. Face à une situation pour beaucoup similaire le temps n'est-il pas venu de reprendre la tentative d'un Helsinki-2 ?

L'Acte Final D'Helsinki (Août 1975) et la naissance d'une diplomatie triangulaire

L'Acte Final d'Helsinki, marqua la transition de la bipolarité à la diplomatie triangulaire et le début d'une détente qui ne pouvait être limitée aux États. L'actualité de la Conférence d'Helsinki repose aujourd'hui sur le renversement du « jeu d'antagonismes asymétriques » entre Washington-Pékin et Moscou. De facto, l'antagonisme sino-américain a pris le dessus sur le rapprochement russo-chinois, qui était à l'époque improbable, ainsi que sur les relations russo-américaines de stabilisation et de prolongement du Traité New Start concernant le réarmement par la maîtrise des armements. L'influence de l'Acte final sur la scène diplomatique influa, à l'époque, sur le dégel des alliances bipolaires (Otan, Pacte de Varsovie) compte tenu de la crainte de la part de chaque acteur d'une coalition des deux autres contre lui. Cette Conférence permit en Europe l'encadrement de l'Ostpolitik de Willy Brandt pour le règlement diplomatique de la « question allemande » et la normalisation des relations entre RFA et RDA.

Changements de l'échiquier géopolitique et esquisse de prospective stratégique

Le conflit ukrainien actuel, qui a abouti au « Coup d'État de Maïdan » (février 2014), au « retour de la Crimée » à la Russie et au conflit séparatiste concomitant de l'Est de l'Ukraine (Donetsk, Lougansk), a visé à saper l'influence de la Russie et le danger qu'elle représente, aux yeux des Etats-Unis, dans l'espace post-soviétique et dans le monde post-occidental. L'ensemble des dynamiques mentionnées, promues au nom de la démocratie, permet de brosser une esquisse de prospective stratégique, mettant en valeur les caractéristiques générales de la conjoncture.
 
Les éléments retenus interfèrent entre eux et affectent le système dans son ensemble, par leurs répercussions d'ordre général.
 
Ils concernent :
- les hypothèses de conflits entre pôles et les scénarios de belligérance entre alliances continentales et alliances insulaires ;
- la stratégie à adopter par Hégémon vis à vis d'une grande coalition eurasienne et anti-hégémonique (Russie, Chine, Iran) ;
- les incertitudes des nouvelles « coalitions multipolaires » dans un contexte de bipolarisme sous-jacent (Chine-USA) ;
- le système de sécurité ou de défense collectives, qui échappe en large partie aux organes existants (ONU, OTAN, autres...) et aux instances de gouvernance actuelles (G7, G20), et cela en raison des variations de la « mix security » ;
- les combinaisons croisées de la « Balance of Power »et de la « Balance of Threats »; la première  pratiquées par les puissances traditionnelles  et la deuxième par les puissances montantes (comme mélange de menaces et de vulnérabilités) ;
- la démocratisation du feu balistico-nucléaire (ADM) et la généralisation multiforme de nuisances et de terrorisme (Iran, Corée du Nord...) ;
- la dominance offensive de la cyber-guerre et des guerres spatiales, qui induit une modification du rapport de forces entre attaquants et défenseurs (avec une prime à l'attaquant) ;
- l'asymétrie, les guerres hybrides et les conflits non maîtrisées ;
- une tentative d'isolement international de la Russie, comportant une multitude de sanctions économiques et financières, personnelles et de groupe, à l'efficacité douteuse. Ces mesures, impliquant une logique de rétorsions, frappent en retour l'Allemagne (Nord Stream2) et les autres pays européens, suscitant une fracturation de l'unité de camp occidental, déjà compromise par la subordination de la démocratie à l'Hégémonie.
 
Ainsi les institutions universelles, de débat et de prévention, comme foyers de médiation, d'élaboration de règles ou de leurs contestations (ONU, etc.), ont été reléguées à des missions de sécurité collective et à la gestion mineure des tensions
 
Trois observations incitent cependant à la réflexion.
 
Pour la première : la distribution des alliances s'effectue en fonction d'un choix systémique, qui discrimine, comme toujours, entre puissances du « statu quo » et puissances perturbatrices, puissances terrestres et puissances thalassocratiques et concerne principalement l'étreinte de la Russie et de la Chine.
 
La deuxième vaut l'observation de R.Aron ,formulées dans les années soixante selon lequel il ne suffit pas de parler de pôles , mais de savoir que sont politiquement et concrètement ces pôles.
 
Quant à la troisième, la criminalisation de la guerre, rendue exemplaire au procès de Nuremberg pour « Complot contre la Paix » et visant à faire passer l'agression hitlérienne comme crime international, incitant au châtiment des responsables, soulève une objection juridique dans son application éventuelle, même figurée à Poutine, qui tient d'une part au concept de crime et de l'autre à la figure qui l'incarne. S'agit-il de punir l'Etat ou le Chef de l'Etat ? Dans le premier cas la sanction souhaitée concerne la souveraineté, dans l'autre des personnalités identifiées (Poutine et ses plus proches oligarques), au moyen desquelles l'Etat russe est punissable pour les crimes contre la paix et pour les crimes de guerre (thèse des Américains et des médias mainstream). La seule hypothèse applicable serait celle de Winston Churchill, « One man, one man alone! », lorsqu'on peut prouver que la totalité absolue des pouvoirs étaient dans les mains d'un seul homme, incarnant un Etat criminel. Dans ce cas, il faudrait que la communauté des Etats ait adopté le juridisme le plus formel, selon lequel « la guerre est mise hors la loi ». Ce qui n'est pas le cas, puisque la guerre, « ultima ratio regum », demeure légale et légitime. Devant les difficultés que soulèvent les deux hypothèses, les occidentaux, mélangeant morale et politique, opinent pour la responsabilité individuelle, impossible à adopter, mais utile pour démoniser l'adversaire dans une campagne acharnée d'illations et de propagande.

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La guerre en Ukraine, l'aide militaire et ses répercussions politiques aux Etats-Unis

La guerre en Ukraine a relancé un débat aux Etats-Unis entre les deux courants de pensée, les idéalistes interventionnistes, défenseurs de la démocratie libérale et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les réalistes classiques, porteurs du souverainisme et nationalisme américains, sur le rôle des Etats-Unis dans le monde. En l'absence d'un débat équivalent en Europe, le bilan européen ne va pas plus loin d'un appel, générique et peu engageant, sur l'indépendance politique et l'autonomie stratégique et touche indirectement, surtout en France, le débat sur la souveraineté et la supranationalité, ainsi que le fondement, démocratique ou technocratique de leur pouvoir. Il investit le domaine du multilatéralisme et de ses institutions (UE, ONU, institutions de Bretton Woods, FMI, BM...) et donc le rapport entre autorités fonctionnelles et autorités politiques dans la scène internationale. Il a été remarqué (L.Nardon. Le Monde du 5 mai) que, pour le Secrétaire d'Etat, Antony Blinken, la guerre en Ukraine est la transposition du débat interne entre républicains-populistes et idéalistes-progressistes, intégrant l'Ukraine et l'Europe centrale dans une zone de redéfinition de la géopolitique américaine, dont la posture prioritaire est représentée par la menace de l'Empire du milieu. Ainsi l'issue de cette crise, à caractère régional, est resituée à un baromètre des relations globales entre Washington et Moscou.

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La reconfiguration du pouvoir international. Problèmes régionaux et «balance» mondiale

Le Chef d'état-major des armées françaises, Général F. Lecointre (photo), après avoir rappelé que « le risque de conflit va s'accroître d'ici à 2030 » (Le Figaro du 22-23 mai 2021), a conclu son jugement sur la conjoncture stratégique actuelle par la formule « Nous allons vers une réorganisation de l'ordre du monde ». L'examen de ce procès est tout autant de nature politique que stratégique, et vise l'aspect régional et global de la sécurité, par une vue d'ensemble de la conjoncture, « car le cours des relations internationales reste suprêmement historique : en toutes les acceptions de ce terme » (R.Aron). A ce propos et sur le plan politique, le théâtre européen élargi (par l'inclusion des crises en chaîne, allant des zones contestées de l'Europe orientale au Moyen Orient et donc des Pays Baltes, Bélarus et Ukraine au Golfe et à l'Iran, en passant par la Syrie et par la confrontation israélo-palestinienne), peut-devenir soudainement l'activateur d'un conflit interétatique de haute intensité. Cette hypothèse n'est pas nulle et nous pousse à la conjecture que la clé, déterminante et finale, de l'antagonisme régional en Europe, dont l'enjeu est la suprématie d'un État sur le continent, par le contrôle de sa zone d'influence est, aux yeux des occidentaux, la répétition par la Russie des aventures des grands États du passé (Espagne, France et Allemagne). La conclusion d'une pareille aventure se situerait dans la bordure continentale et maritime de l'Eurasie et dans la stratégie du Rimland du monde. Autrement dit, à la frontière indécise entre les problèmes régionaux irrésolus, en Europe ou ailleurs, et les équilibres stratégiques de la « Balance of Power » mondiale, pivotant désormais sur le système asiatique, devenu central. Ainsi, l'actuelle progression vers une guerre générale repropose aux décideurs le dilemme classique, hégémonie ou équilibre des forces, comme dans les guerres du passé. Or, suite à la constitution d'un système asiatique autonome autour de la Chine, comme centre de gravité mondial, la victoire finale, dans un affrontement général, pourrait échapper à la coalition des puissances maritimes, le Rimland, par l'impossibilité d'une conquête ou reconquête de l'Eurasie de la part de l'Amérique et de ses forces coalisées et vassales. Au sein de la triade, Russie, États-Unis et Chine les deux plans d'analyse, régional et planétaire, présentent des interdépendances conflictuelles majeures et caractérisent cette conjoncture comme de « révolution systémique », plus encore que de « transition hégémonique ». Par le biais de la sécurité régionale nous percevons clairement que se met en place une autre organisation de l'ordre du monde et que cet ordre se structure autour d'une compétition sans nuances entre Chine et États-Unis, dans laquelle chaque pays est obligé de choisir son camp, y compris la Russie, qui perdrait son rôle traditionnel d'équilibre.

En ce qui concerne l'Europe, qui a inventé tous les concepts-clés de la vie internationale, la souveraineté, l'État-nation, l'équilibre des forces, l'empire universel et la jalouse émulation ; elle demeurera le seul ensemble du monde moderne à ne jamais avoir connu de structure politique unifiée.

Ainsi en Europe de l'Ouest, dépourvue d'unité et d'identité politique et militaire, la confrontation colporte une déstabilisation des régimes au pouvoir et des formes de sociétés, au cœur desquels s'affrontent des héritages ethniques et culturels antinomiques. Depuis 1945 et le processus de décolonisation l'Europe a perdu la force et la confiance en elle-même, qu'elle a remplacé par le règne de la morale et de la loi, aggravé par l'égarement de ses intérêts et de son rôle. Par ailleurs, déshéritée par le Saint Esprit de la Realpolitik, la construction bureaucratique qui lui a succédé, lui a interdit initiatives et risques, faisant d'une médiocrité souveraine, la reine de toutes les batailles.

Quant aux aspects géopolitiques et stratégiques, la crise des démocraties occidentales engendre deux tentatives contradictoires, l'exigence de compenser les faiblesses internes de l'autorité et de l'État, marquées par le terrorisme et par l'ennemi islamique et la subordination accrue à l'alliance atlantique, l'Otan. La recherche européenne d'une autonomie politique et d'une indépendance stratégique, assurant un équilibre géopolitique entre l'Est et l'Ouest, résulte de la tentative d'échapper aux contraintes de sécurité mondiale et d'une crise asiatique majeure, sous peine, pour l'Europe, de disparaître totalement et de perdre sa marge résiduelle de liberté d'action vis à vis de la Russie et de la Chine. Dans une pareille situation, la Chine, puissance extérieure à l'Europe, mais dominante en Eurasie, serait bénéficiaire d'une lutte à mort entre l'Occident et la Russie et marquerait la prééminence finale sur le monde connu

Irnerio Seminatore est l''auteur de "Multipolarité au XXIe siècle" (VA Éditions).
 

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Les tensions du vingtième siècle derrière le conflit Russie-Ukraine

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Les tensions du vingtième siècle derrière le conflit Russie-Ukraine

Le rôle des États-Unis, le choc entre l'Ours et la Baleine tandis que l'Europe reste une "belle endormie"

par Giuseppe Del Ninno

Source: https://www.barbadillo.it/104453-le-tensioni-novecentesche-dietro-il-conflitto-russia-ucraina/      

Le différend dans la mer d'Azov

La guerre en Ukraine a fait remonter à la surface des mouvements souterrains ataviques, mais elle a aussi confirmé des tendances récentes; de plus, elle a fait exploser des contradictions qui couvaient déjà dans nos sociétés, par exemple en remaniant les distinctions entre la droite et la gauche, au point que les lecteurs de "Avvenire" et de "La Verità" se sont retrouvés sur des positions opposées à l'envoi d'armes en Ukraine, et donc dans le camp opposé à celui occupé par les lecteurs de "Il Giornale", "Corriere" et "Repubblica". Parmi les motions ataviques, il faut surtout compter l'opposition dynamique entre Terre et Mer, déjà théorisée par Carl Schmitt, qui  l'a identifiée dans le conflit entre Rome et Carthage, sa première manifestation dans l'histoire ; or, les événements guerriers qui se déroulent à deux heures de vol de chez nous en représentent une variante typique.

Ce n'est qu'avec l'avènement de l'arme nucléaire et l'extension à la planète entière du scénario sur lequel s'affrontent les nouveaux sujets en lutte pour le Pouvoir que s'est imposée la notion de "guerre par procuration", où les véritables protagonistes - l'un, les Etats-Unis, la baleine symbolique dans la métaphore de Carl Schmitt, l'autre le binôme russo-chinois, souvent dépeint comme un ours - choisissent des représentants théâtraux et tragiques de leurs intérêts respectifs, pour déclencher des conflits qui les impliquent le moins possible.

C'est un scénario que nous avons vu mis en scène depuis la guerre de Corée, avec les États-Unis directement engagés contre cette puissance régionale, mais en réalité contre la République populaire de Chine, comme ce fut également le cas au Vietnam. Dans la suite de l'histoire de ce vingtième siècle que l'on croyait "court", mais qui a étiré ses excroissances malignes jusqu'au vingt-et-unième, la superpuissance américaine a toujours été présente, soit à la première personne, soit comme leader de coalitions, sous le signe de cette "alliance atlantique" qui, par son nom même, souligne son appartenance à la catégorie "mer" : avant l'Ukraine, nous en avons eu un avant-goût en Syrie.

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Dès lors, l'opposition réactivée entre cet ours et cette baleine, qui une fois de plus - après Belgrade et le Kosovo, autres exemples récents - a choisi l'Europe comme lieu de cette conflictualité représentative, atavique et tragique, ne doit pas surprendre. À nos yeux, ce sont donc moins les causes occasionnelles du conflit - que l'on veut de manière simpliste faire remonter et réduire à l'invasion russe de l'Ukraine - qui comptent que ces funestes tendances souterraines que nous avons mentionnées. Avec un minimum de prévoyance et de mémoire historique, le conflit, avec son cortège sanglant de mort et de dévastation, aurait pu être évité.

Quant au rôle évanescent de l'Europe, dans son pâle avatar qu'est l"Union européenne", nous sommes toujours dans le déjà vu: le chimérique "empire de 400 millions d'hommes" rêvé par des légions de politiciens et de penseurs d'orientations les plus diverses, de De Gaulle à Schumann en passant par Jean Thiriart, a ressemblé dès son origine à l'empire byzantin en déclin, destiné à être avalé par la jeune puissance islamique, dans ses diverses configurations impériales. Il n'est pas nécessaire d'en dire trop sur son asservissement à l'OTAN, le bras militaire de l'Hégémonie atlantique: même dans notre propre pays en lambeaux, après l'unanimité initiale pour défendre le pays envahi, des réserves et des distinctions sont émises, presque de tous les côtés de l'échiquier politique, et des questions sont posées sur les intérêts réels des acteurs en jeu. En effet, les Etats-Unis ne cachent pas leur intention fondamentale, qui ne consiste pas tant en un changement de régime qu'en l'usure de la puissance russe jusqu'à son déclassement économique, militaire et politique, jeu, qui plus est, qui se jouerait sur un théâtre éloigné de leur territoire; tandis qu'en Europe - notamment dans certaines de ses composantes comme l'Allemagne et l'Italie, qui dépendent de l'ours russe sur le plan de l'énergie - l'idée d'un éventuel élargissement et prolongement du conflit ne répond à aucune stratégie géopolitique cohérente et rationnelle.

Et à propos de l'Italie, il est à peine utile de noter l'inversion accessoire du rapport Gouvernement-Parlement, ce dernier étant appelé uniquement et de plus en plus rarement à ratifier les choix de l'Exécutif. Ce n'est que lorsqu'il s'est agi d'éviter la dissolution des Chambres - et le résultat défavorable probable d'élections anticipées pour les détenteurs du pouvoir depuis des décennies - que la nature de notre pays en tant que république parlementaire a été invoquée, avec l'assentiment "alimentaire" de nombreux députés et sénateurs, craignant de perdre prématurément leurs salaires et indemnités.

Il y a ensuite un aspect de cette guerre qui, s'il ne s'agissait pas d'un événement tragique, prêterait à sourire, à savoir la connotation "légaliste" de chaque initiative: la Russie de Poutine - et non le peuple russe, s'empresse-t-on de préciser - doit être punie pour avoir violé le droit international avec son "opération spéciale". D'ailleurs, l'une des conséquences de ce conflit se répercute sur l'utilisation des mots: ce n'est pas la guerre, mais précisément une "opération spéciale", et ce n'est pas la reddition du bataillon Azov, mais l'évacuation; ou bien on utilise des périphrases, pour ne pas définir comme "co-belligérants" ou "alliés" ceux qui fournissent des armes à l'une des parties en conflit. Mais quand la politique du pouvoir a-t-elle jamais adhéré aux règles du droit international? La diplomatie du XIXe siècle appelait déjà les traités "chiffon de papier"...

La guerre entre la Russie et l'Ukraine

Et maintenant, il suffirait de rappeler qu'aucune des guerres après 45 n'a été déclarée selon ces règles; sans parler de l'action de l'"intelligence" adverse et de l'organisation des différents "coups d'État": ces arguments suffiraient à démasquer "avec quelles larmes et avec quel sang" s'écrivent chaque politique impériale, chaque relation conflictuelle entre États. Ne parlons pas de la prétention de qualifier de "génocide" les massacres inévitables de tout conflit et d'invoquer les tribunaux internationaux pour frapper les perdants (mais on se garde bien d'appeler la République populaire de Chine à la barre, ne serait-ce que pour établir une responsabilité, dont les contours commencent à se dessiner, à l'égard de cette pandémie dans laquelle nous nous débattons encore). Malheureusement, nous avons vu des génocides au sens strict du terme, et ils n'avaient rien à voir avec ce qui se passe entre Lviv et Kharkiv, entre Kiev et Odessa : il suffit de penser au massacre des Amérindiens, à la persécution des Arméniens et, surtout, à l'Holocauste, pour comprendre ce que signifie le mot "génocide".

Parmi les dégénérescences de la culture "occidentale", en bref, il y a l'intention louable d'encadrer le conflit récurrent entre Léviathan et Béhémoth dans les catégories du droit, pour tenter de l'exorciser; mais le Mythe et la Technologie, qui donnent corps et âme à la Politique, ne se laissent pas gouverner par l'Économie et l'Éthique (en fait, en ce qui concerne ces dernières, les vainqueurs se posent toujours en gardiens et protecteurs de la Morale Unique).  Et bien sûr, le corollaire du Droit - ou son incontournable contrepartie - est la Démocratie, que l'Hégémonie atlantique voudrait imposer au Globe entier, avec le fracs de ses bombes et l succession des coups d'Etat qu'elle organise ; une catégorie de la Pensée grecque transplantée outre-mer et exquisément européenne, qui s'est affinée au cours des millénaires et qu'elle voudrait maintenant imposer à des portions de la planète comme un corps étranger à ces cultures disparates. Dans le conflit russo-ukrainien, il y a aussi le recouvrement hypocrite des intérêts géopolitiques par des arguments de principe vertueux. Malheureusement, si notre Europe est la Belle au bois dormant du conte de fées, il n'y a pas de prince charmant à l'horizon prêt à la réveiller avec son baiser salvateur.

Giuseppe Del Ninno      

samedi, 14 mai 2022

L'Europe peut-elle exister sans la Russie ?

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L'Europe peut-elle exister sans la Russie?

par Michel Pinton

Source: https://www.ideeazione.com/puo-leuropa-esistere-senza-la-russia/

La question qui constitue le titre de cet article a été posée aux participants d'un séminaire que j'ai eu l'honneur d'organiser il y a trente ans. C'était en 1994. La Russie luttait pour émerger des ruines de l'empire soviétique. Sa longue captivité l'avait épuisé. Enfin libre, elle n'avait qu'une seule aspiration : retrouver sa force et être à nouveau elle-même. J'entends par là non seulement retrouver la prospérité matérielle que les bolcheviks avaient dilapidée, mais aussi reconstruire ses relations sociales détruites, son ordre politique effondré, sa culture déformée et son identité perdue.

À l'époque, j'étais membre du Parlement européen. Il me semblait essentiel de comprendre ce qu'était la nouvelle Russie, quelle voie elle empruntait et comment l'Europe occidentale pouvait travailler avec elle. J'ai eu l'idée de conduire une délégation de députés à Moscou pour discuter de ces questions avec nos homologues de la Douma fédérale. J'en ai parlé à Philippe Seguin, alors président de l'Assemblée nationale française, et il a immédiatement accepté mon projet. Les parlementaires russes ont répondu à notre demande en nous invitant à venir immédiatement. D'un commun accord, nous avons décidé d'élargir nos délégations respectives à des experts dans les domaines de l'économie, de la défense, de la culture et de la religion, afin que leurs réflexions éclairent nos discussions.

Seguin et moi n'étions pas seulement poussés par la curiosité envers cette nation alors indécise. Nous nous considérions comme les héritiers d'une école de pensée française selon laquelle l'Europe est une, de l'Atlantique à l'Oural, non seulement sur le plan géographique, mais aussi en termes de culture et d'histoire. Nous étions également convaincus que ni la paix, ni le développement économique, ni l'avancement des idées ne pouvaient être établis sur notre continent si ses nations se déchiraient les unes les autres, voire s'ignoraient. Nous avons voulu poursuivre la politique d'entente et de coopération initiée par Charles de Gaulle de 1958 à 1968 et brièvement reprise en 1989 par François Mitterrand dans sa proposition de "grande confédération européenne".

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L'OTAN : un obstacle à nos projets

Nous savions qu'il y avait un obstacle à notre projet : il s'appelait OTAN. De Gaulle, le premier, n'avait cessé de dénoncer ce "système par lequel Washington tient la défense et par conséquent la politique et même le territoire de ses alliés européens". Il affirmait qu'il n'y aurait jamais de "véritable Europe européenne" tant que ses nations occidentales ne se seraient pas libérées de la "lourde tutelle" exercée par le Nouveau Monde sur l'Ancien. Il avait donné l'exemple en "libérant la France de l'intégration sous commandement américain". Les autres gouvernements n'ont pas osé le suivre. Mais la chute de l'empire soviétique en 1990, et la dissolution du Pacte de Varsovie, semblaient justifier la politique gaulliste: il était évident pour nous que l'OTAN, ayant perdu sa raison d'être, devait disparaître. Il n'y avait plus aucun obstacle à une entente étroite entre tous les peuples d'Europe. Seguin, en homme d'État visionnaire, pourrait envisager "une organisation spécifique de la sécurité en Europe" sous la forme "d'un Conseil européen de sécurité dans lequel quatre ou cinq des grandes puissances, dont la Russie et la France, auraient un droit de veto".

C'est avec ces idées que je me suis rendu à Moscou. Seguin a été retenu à Paris par une contrainte inattendue de la session parlementaire française. Notre séminaire a duré trois jours. L'élite russe est venue avec autant d'enthousiasme que les représentants de l'Europe occidentale. De nos échanges, j'ai tiré une leçon principale : nos interlocuteurs sont obsédés par deux questions fondamentales pour l'avenir de leur nation: qui est russe? Comment assurer la sécurité de la Russie?

La première question découle des frontières arbitraires que Staline avait imposées au peuple russe au sein de l'ancienne Union soviétique. La seconde était la réapparition des souvenirs tragiques des invasions passées. Certains pensaient que les réponses se trouvaient dans le commerce avec l'Europe occidentale, dont les nations avaient appris à négocier leurs limites et à travailler ensemble fraternellement pour le bien de tous. Et puis il y en avait d'autres qui, rejetant l'idée d'une vocation européenne de la Russie, considéraient qu'elle avait son propre destin, qu'ils appelaient "eurasien". Naturellement, c'est le premier groupe que nous avons encouragé. C'est à ce groupe que nous avons apporté nos propositions. Il était dominant à l'époque.

En relisant le compte rendu de ce séminaire trente ans plus tard, mon cœur se serre en redécouvrant l'avertissement que nous avait donné un éminent universitaire, alors membre du Conseil présidentiel : "Si l'Occident ne montre aucune volonté de comprendre la Russie, si Moscou n'acquiert pas ce à quoi elle aspire - un système de sécurité européen efficace - si l'Europe ne sort pas de son isolement, alors la Russie deviendra inévitablement une puissance révisionniste". Elle ne se contentera pas du statu quo et cherchera activement à déstabiliser le continent".

En 2022, c'est exactement ce qu'elle fait. Pourquoi notre génération d'Européens a-t-elle échoué si lamentablement dans l'œuvre d'unification qui semblait à portée de main en 1994 ?

Nous avons tendance à rejeter la faute sur un seul homme : Poutine, "un dictateur brutal et froid, un menteur invétéré, nostalgique d'un empire disparu", que nous devons combattre, voire éliminer, afin que la démocratie, le précieux trésor de l'Occident, puisse également prévaloir à l'Est et y établir la paix. C'est à cette tâche, sous l'égide de l'OTAN, que nous appelle le président américain Joe Biden. Son explication a l'avantage d'être simple, mais elle est trop intéressée pour être acceptée sans examen. Ceux qui ne sont pas dominés par les émotions de l'actualité n'ont aucune difficulté à comprendre que le problème de l'Europe est beaucoup plus complexe et profond.

L'histoire de notre continent au cours des trente dernières années peut se résumer à un éloignement progressif de l'Est de l'Ouest. Dans l'ancien empire soviétique, la principale préoccupation était, et est toujours, de reconstruire des nations qui renoueront avec leur passé et vivront en toute sécurité pour être à nouveau elles-mêmes. Pour la Russie, cela signifie réunir tous les peuples qui revendiquent la patrie, établir des relations stables et de confiance avec les nations sœurs du Belarus, de l'Ukraine et du Kazakhstan, et construire un système de sécurité européen qui la protège des dangers extérieurs.

L'obsession européenne

Les dirigeants d'Europe occidentale ont eu une préoccupation très différente. Depuis la chute du mur de Berlin, ils ont consacré leur attention, leur énergie et leur confiance à ce qu'ils ont appelé "l'Union européenne". Le traité de Maastricht, la construction de la monnaie unique, la "constitution" de Lisbonne - voilà ce sur quoi ils ont travaillé presque à plein temps. Alors qu'à l'Est, ils s'efforçaient de rattraper le temps perdu dans l'histoire nationale, à l'Ouest, les élites se sont laissées emporter par une mystique irrésistible, celle du dépassement des nations et de l'organisation rationnelle de l'espace commun. Le problème de la sécurité ne se pose plus à l'Ouest, puisque tous les différends entre les États membres doivent être réglés par des instances supranationales. La paix dans l'"Union" semblait être définitivement établie. En bref, l'Occident pensait avoir dépassé l'idée de nation et construit un système stable de fin heureuse de l'histoire. La Russie était confrontée à des questions brûlantes sur l'idée de nation et avait un sentiment croissant de rendez-vous déchirants avec l'histoire. Dans ces conditions, l'Est et l'Ouest n'avaient pas grand-chose à échanger, à l'exception du pétrole et des machines-outils, dont le niveau est trop bas pour atténuer leurs futures divergences.

En conséquence, l'OTAN est devenue une pomme de discorde encore plus grave qu'à l'époque des deux blocs. En Europe occidentale, l'organisation militaire dirigée par Washington est considérée comme une garantie bénigne contre les éventuels retournements de l'histoire. Elle permet à ses peuples membres de profiter des "dividendes de la paix" du monde extérieur sans s'en préoccuper, tout comme l'Union le fait pour sa paix intérieure. En Russie, l'OTAN apparaît comme une menace mortelle. C'est l'instrument d'une puissance qui a montré à de nombreuses reprises depuis la chute du mur de Berlin sa volonté d'hégémonie mondiale et de domination sur l'Europe. L'inclusion de la Pologne, des trois États baltes et de la Roumanie, tous si proches de la Russie, dans les territoires couverts par la suprématie américaine a été applaudie en Occident. À Moscou, elle a suscité l'inquiétude et la colère.

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L'échec de la France

Et la France ? Pourquoi n'a-t-elle pas essayé d'empêcher la division progressive de notre continent ? Parce que sa classe dirigeante a toujours choisi d'accorder la priorité absolue à la mystique de l'"Union européenne". En conséquence logique, elle s'est laissée entraîner dans son complément naturel, l'OTAN. Jacques Chirac a participé, à contrecœur bien sûr, mais explicitement, à l'expédition décidée par Washington contre la Serbie. Sarkozy a pris le parti de rapprocher notre pays du système dominé par les Américains. Hollande et Macron nous ont liés toujours plus étroitement à l'organisation dont la tête est de l'autre côté de l'Atlantique. En nous liant toujours plus étroitement à l'OTAN, nos présidents ont perdu une grande partie du crédit international dont jouissait la France lorsqu'elle était libre de faire ce qu'elle voulait.

Un sursaut de conscience les a parfois amenés à rejeter la tutelle américaine et à reprendre la mission que de Gaulle avait commencée. Chirac a refusé de participer à l'agression de Bush contre l'Irak, Sarkozy s'est entendu à lui seul avec Moscou sur les termes d'un armistice en Géorgie, Hollande a négocié les accords de Minsk pour mettre fin aux combats en Ukraine, ils ont tous accompli des actes dignes de notre vocation européenne. Ils ont même réussi à engager l'Allemagne. Mais hélas, leurs efforts ont été improvisés, partiels et de courte durée.

C'est à cause de cette série de divergences que l'Europe a été une fois de plus coupée en deux. La malheureuse Ukraine, située sur la ligne de fracture du continent, est la première à en payer le prix en sang, larmes et destruction. La Russie le revendique au nom de l'histoire. L'Union européenne s'indigne au nom des valeurs démocratiques qui, selon elle, mettent fin à l'histoire. L'Amérique profite de ce différend insoluble pour avancer discrètement ses pions et rendre l'issue de la guerre encore plus compliquée.

Voilà où se trouve l'Europe un tiers de siècle après sa réunification : un abîme de malentendus la divise ; une guerre cruelle la déchire ; un nouveau rideau de fer, imposé cette fois par l'Occident, commence à séparer son espace ; la course aux armements a repris ; et, plus encore que la chute vertigineuse des échanges économiques, c'est la fin des échanges culturels qui menace chacune de ses deux faces. Le grand Européen Jean-Paul II avait coutume de dire que notre continent ne pouvait respirer qu'avec ses deux poumons. Aujourd'hui, en Occident comme en Orient, nous sommes condamnés à ne respirer qu'avec un seul. C'est un mauvais présage pour les deux moitiés. Mais les vrais Européens doivent refuser de se décourager. Même s'ils sont peu entendus aujourd'hui, ce sont eux et eux seuls qui peuvent ramener la paix sur notre continent et lui rendre sa prospérité et sa grandeur.

10 mai 2022

vendredi, 13 mai 2022

Le nouvel ordre multipolaire

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Le nouvel ordre multipolaire

Germán Gorráiz López

Source: https://katehon.com/en/article/new-multipolar-order

Par chaos, nous entendons quelque chose d'imprévisible, quelque chose qui échappe à la vision myope de nos yeux, qui ne peuvent que saisir une pauvre esquisse de l'ensemble, face à des événements qui dépassent les paramètres connus, puisque notre esprit n'est capable de séquencer que des fragments de la séquence totale de l'immense génome du chaos, face auquel nous recourons inévitablement au dit "effet papillon" pour tenter d'expliquer la conjonction vertigineuse des forces centripètes et centrifuges qui finiront par configurer le puzzle disjoint du chaos ordonné qui est en train de prendre forme.

L'"effet papillon", que je viens de mentionner, quand il est transféré à des systèmes complexes, aurait pour effet collatéral l'impossibilité de détecter à l'avance un futur proche, puisque les modèles quantiques qu'ils utilisent ne seraient que des simulations basées sur des modèles antérieurs, pour lesquels l'inclusion d'une seule variable incorrecte ou l'apparition soudaine d'une variable imprévue fait que la marge d'erreur de ces modèles s'amplifie dans chaque unité de temps simulée jusqu'à dépasser la limite stratosphérique de cent pour cent, dont le Brexit serait un paradigme, tout comme l'apparition de la pandémie COVID, l'opération russe en Ukraine et le prochain krach boursier.

Le biologiste français Jacques L. Monod dans son essai Le Hasard et la nécessité (1970) explique que les variables du logos et le hasard de l'évolution humaine seraient des aspects complémentaires de la nécessaire adaptation évolutive des êtres vivants face à des changements drastiques pour assurer leur succès reproductif (leur survie) avec lesquels nous assisterions à l'émergence d'un "scénario téléonomique" par opposition au soi-disant "scénario téléologique" en vigueur dans les sociétés occidentales.

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Le Brexit et le triomphe de Trump marqueront donc la fin du "scénario téléologique" dans lequel la finalité des processus créatifs était planifiée par des modèles finis qui pouvaient intermodéliser ou simuler divers futurs alternatifs et dans lequel l'intention, la finalité et la créativité prévalaient. et son remplacement par le "scénario téléonomique", marqué par des doses extrêmes de volatilité qui affecteront particulièrement les systèmes complexes tels que le changement climatique, la détection et la prévention des épidémies, les flux migratoires, la bourse et le nouvel ordre géopolitique mondial.

Ainsi, l'émergence sur la scène mondiale d'une nouvelle pandémie virale n'a pas été perçue par les experts de l'OMS car notre esprit n'est capable de séquencer que des fragments de la séquence totale de l'immense génome du chaos face à des événements qui dépassent les paramètres connus. De même, ils ont été incapables de reconnaître leur ignorance, puisque la différence entre un sage et un ignorant est que le premier est capable de reconnaître que la sagesse vient de la reconnaissance de l'ignorance, incarnée par la phrase emblématique attribuée à Socrate ("Je sais seulement que je ne sais pas que je ne sais rien").

Dans le domaine économique, la croissance stratosphérique des prix du pétrole brut et de l'énergie obligera les pays à adopter des politiques de décroissance avec la contraction subséquente du commerce mondial et qui provoquera le règlement de la mondialisation économique, ayant comme effets collatéraux la fin du tourisme de masse, le retour des entreprises délocalisées et l'intronisation de l'économie circulaire et des produits ECO-label qui finiront par dessiner le retour aux compartiments économiques isolés à l'horizon des cinq prochaines années.

De même, après la guerre en Ukraine, nous assisterons à la fin de l'unipolarité des États-Unis et de leur rôle de gendarme du monde et à son remplacement par la nouvelle doctrine de la multipolarité ou "géopolitique de pair à pair", formée par la troïka Etats-Unis, Chine et Russie (G3) ainsi qu'à l'irruption sur la scène géopolitique de la nouvelle vague involutive mondiale. Ladite vague involutive serait causée par des causes économiques (le déclin de l'économie mondiale) ; culturelles (le déclin des démocraties formelles occidentales dû à la culture de la corruption) ; politiques (la perte de crédibilité démocratique d'innombrables gouvernements de pays occidentaux et du tiers monde) et géopolitiques (l'émergence d'un nouveau scénario géopolitique mondial après le retour à l'endémisme récurrent de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie).

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Le bâton américain est resté sans carotte

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Le bâton américain est resté sans carotte

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/en/article/american-stick-was-left-without-carrot

Les États-Unis exercent des pressions sur d'autres pays dans le cadre des relations avec la Russie, limitant de fait leur souveraineté!

Les États-Unis ont la capacité d'appliquer de vastes mesures pour exercer des pressions sur d'autres pays, non seulement dans le cadre de relations bilatérales, mais aussi par le biais d'organisations internationales contrôlées telles que le FMI et la Banque mondiale. Bien que ces mesures violent le droit international, elles sont devenues monnaie courante pour les praticiens de la diplomatie préventive, c'est-à-dire des menaces de sanctions ultérieures qui peuvent avoir un effet économique et politique à long terme.

En particulier, il a été noté précédemment que les pays qui votaient contre la position des Etats-Unis à l'ONU, étaient ensuite confrontés à des restrictions dans l'obtention de prêts ou de crédits auprès de ces organisations financières. Ce fut le cas lors du vote pendant l'opération Tempête du désert contre l'Irak. Les États-Unis ont appliqué une option similaire à la Russie. Cela explique la participation d'un si grand nombre de pays en développement à la liste des États qui ont voté contre la Russie à l'ONU.

Dans le même temps, afin d'éviter le coup de bâton américain, la Serbie amie a même voté contre Moscou ! Le président Aleksandr Vucic s'est défendu plus tard en disant que la décision a été prise sous la pression des pays occidentaux, mais la Serbie ne va pas imposer de sanctions contre la Russie. Compte tenu de l'occupation du Kosovo, la Serbie ne dispose pas de sa pleine souveraineté, même en théorie, et elle est donc obligée de trouver un équilibre entre le collectif occidental, au milieu duquel elle est encerclée, et la Russie.

Cependant, elle comprend que la restauration de sa souveraineté ne peut se faire que grâce à l'aide de la Russie, et non aux actions de l'Occident. Le temps le plus proche nous dira comment cette orientation se développera, surtout si l'on considère la récente fourniture d'armes par la Grande-Bretagne aux Kosovars, que Belgrade a considéré comme une action inamicale [i].

Le cas le plus évident d'ingérence américaine récente dans les affaires intérieures d'un autre pays en raison d'une position indépendante est le changement de gouvernement au Pakistan. Le Premier ministre était à Moscou lors du début de l'opération spéciale en Ukraine et a rencontré les dirigeants de notre pays [ii].

Le Pakistan n'a pas voté contre la Russie à l'ONU et a également refusé de condamner Moscou après un appel collectif des ambassadeurs de l'UE. De Washington, par l'intermédiaire de l'ambassadeur pakistanais aux États-Unis, on lui a dit qu'il devait démissionner, sinon ce serait pire pour le Pakistan. Imran Khan n'a pas eu peur de le dire ouvertement lors d'un rassemblement public, où il a déclaré qu'une ingérence évidente de l'extérieur avait eu lieu.

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Mais le coup d'État parlementaire a quand même eu lieu, bien qu'il y ait eu des tentatives pour empêcher un vote de défiance. Il y a maintenant un gouvernement pro-américain au Pakistan, qui a commencé à changer les principaux ministres. Et le "Mouvement pour la solidarité" fait descendre des milliers de ses partisans dans les rues de différentes villes du pays. Des manifestations de masse sont prévues à Islamabad même, à la fin du mois sacré du Ramadan.

Aujourd'hui encore, le Pakistan connaît un niveau record de sentiment anti-américain. Imran Khan a juré de combattre à la fois l'ingérence américaine et le "gouvernement importé", par lequel il entend la coalition actuelle à l'Assemblée nationale de la Ligue musulmane-N et du Parti du peuple pakistanais.

Étant donné la situation fragile du Pakistan, ce "coup d'État" frappera en premier lieu le peuple pakistanais lui-même, qui souffre de turbulences à long terme et d'un manque de stabilité politique.

En Inde voisine, Washington a également tenté d'influencer les décisions relatives à l'interaction entre New Delhi et Moscou.

Lors du sommet 2+2 entre l'Inde et les États-Unis, qui s'est tenu le 12 avril dans la capitale indienne, les questions du conflit en Ukraine et d'éventuelles restrictions commerciales et économiques ont été abordées. Au cours de la conférence ministérielle conjointe, il y a eu une condamnation sans équivoque des morts civils et des appels à un cessez-le-feu immédiat, mais il n'a pas été possible d'obtenir que l'Inde cesse d'acheter des ressources énergétiques russes et même des armes aux États-Unis.

Bien que Blinken et le chef du Pentagone, Lloyd Austin, tentent d'attirer l'Inde dans leur orbite, New Delhi ne croit pas aux promesses et se montre pragmatique quant à l'élargissement de la coopération indo-américaine dans le domaine militaro-technique. La méthode du bâton n'est pas appliquée à l'Inde, même si les États-Unis n'ont pas vraiment de carotte.

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Mais la Turquie a clairement succombé à la pression américaine. La veille, Ankara a annoncé la fermeture du ciel turc aux avions russes se rendant en Syrie. Comme l'a expliqué le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, l'autorisation de vol des avions russes a été délivrée pour trois mois et a été prolongée à plusieurs reprises, et maintenant elle a pris fin. Les Turcs en ont informé Moscou à l'avance. Cela s'applique aussi bien aux avions civils que militaires.

Tout cela ne va évidemment pas sans l'intervention des États-Unis, qui tentent d'exercer une pression maximale sur la Turquie, puisqu'elle ne s'est pas jointe aux sanctions contre la Russie (ce qui affecterait grandement les intérêts de la Turquie elle-même).

En Amérique latine, la Maison Blanche tente également, sinon de mettre sur pied une coalition anti-russe, du moins de forcer certains pays à imposer des sanctions anti-russes. À cet égard, les États-Unis ont obtenu le plus grand succès en Colombie, où de nouvelles élections présidentielles pointent le bout de leur nez et où, dans un contexte d'instabilité sociale aiguë, des accusations se font de plus en plus entendre en direction du Venezuela, où se trouveraient des militaires russes susceptibles de causer quelques dégâts en Colombie.

En outre, le président colombien Ivan Duque a tenu des propos sévères à l'encontre de la Russie, soulignant que les militants des FARC pourraient avoir certains liens avec la Russie. Et en relation avec sa rhétorique, une déclaration spéciale a été faite par la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Mariya Zakharova, notant la nécessité de préserver les relations amicales russo-colombiennes, malgré un tel ton ignorant du chef de la Colombie [iii].

Nous pouvons supposer que l'activité actuelle du département d'État américain, d'une manière ou d'une autre, est liée à la politique anti-russe. Si ce n'est pas directement, c'est au moins indirectement.

Vers le 20 avril, le secrétaire d'État américain Antony Blinken, accompagné du secrétaire à la sécurité intérieure Alejandro Mayorkas, s'est rendu au Panama pour discuter des questions de migration et des sanctions contre la Russie. Officiellement, Blinken a remercié les dirigeants panaméens pour leur position pro-américaine [iv].

Étant donné que pour le Panama, les États-Unis sont le principal partenaire économique et le principal investisseur direct (y compris l'exploitation du canal, où plus de 70 % des marchandises qui y transitent sont destinées aux États-Unis ou en proviennent), il est évident qu'ils suivront les instructions de Washington [v].

En outre, plus tôt, l'Ukraine, par l'intermédiaire de son ambassadeur dans ce pays, a essayé d'obtenir du Panama qu'il ferme le canal pour le passage des navires russes. Cependant, les autorités panaméennes ont refusé d'imposer de telles restrictions, invoquant le statut neutre du canal par rapport aux affaires internationales [vi].

Il est significatif qu'auparavant, l'affaire du dossier Panama contenant des données sur les comptes de divers oligarques ait été utilisée par les États-Unis contre la Russie pour imposer des sanctions supplémentaires [vi]. Il est probable qu'à l'avenir, le Panama imposera des restrictions sur l'utilisation de son pays pour les investissements russes ou un certain type de transactions financières. Mais les principaux acteurs d'Amérique latine résistent encore aux exigences anti-russes de Washington.

Le Mexique a refusé de se conformer aux sanctions contre la Russie, comme il l'a fait précédemment avec Cuba. Il ne faut pas oublier que le président Lopez Obrador est critique à l'égard des États-Unis, même s'il comprend la forte dépendance de son pays vis-à-vis de son voisin du nord [vii] - [viii].

Jusqu'à présent, l'Argentine fait face à cette pression avec succès - le ministre des affaires étrangères de ce pays, Santiago Cafiero, a déclaré que l'Argentine ne prendra pas de telles mesures [ix].

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Le Brésil a généralement condamné les sanctions occidentales contre la Russie car elles exacerbent les conséquences économiques du conflit et nuisent aux peuples qui dépendent des ressources de base.

"[Ces sanctions] peuvent exacerber les conséquences économiques du conflit et affecter la principale chaîne d'approvisionnement", a déclaré début avril le ministre brésilien des Affaires étrangères, Carlos França, en référence à l'embargo imposé par l'Occident, dirigé par les États-Unis, contre la Russie.

Lors d'une audition devant la commission des relations étrangères du Sénat, le ministre brésilien des affaires étrangères a clairement indiqué que de telles mesures visent à réaliser les intérêts d'un petit groupe de gouvernements, tout en nuisant aux autres qui dépendent des ressources de base [x]. Il est nécessaire de prendre en compte la forte dépendance de ces deux pays à l'égard de la fourniture d'engrais russes, dont dépend le secteur agricole du Brésil et de l'Argentine.

Il existe encore de nombreux pays d'Afrique et d'Asie qui ont condamné extérieurement les actions de la Russie à l'ONU, mais qui continuent officiellement à coopérer. Tôt ou tard, Washington leur demandera de se joindre aux sanctions imposées ou d'établir des restrictions spéciales.

Évidemment, cela affectera leur propre souveraineté, et dans ce choix difficile, beaucoup dépend de la volonté politique des dirigeants. Toutefois, la diplomatie russe ne devrait pas attendre les nouvelles machinations du Département d'État, mais plutôt poursuivre activement sa politique étrangère et maximiser la coopération avec les États amis et neutres.

Notes:

[i] https://ria.ru/20220417/serbiya-1783965016.html

[ii] https://www.geopolitika.ru/article/chto-budet-s-pakistanom

[iii] https://mundo.sputniknews.com/20220421/rusia-lamenta-la-retorica-negativa-del-presidente-colombiano-en-su-contra-1124653073.html

[iv] https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-and-homeland-security-secretary-alejandro-mayorkas-panamanian-foreign-minister-erika-mouynes-and-panamanian-public-security-minister-juan-manuel-pino-forero-at-a-joint-pr/

[v] https://www.state.gov/secretary-blinkens-trip-to-panama-commitments-to-a-regional-approach-to-hemispheric-migration-and-to-anti-corruption-efforts/

[vi] https://mundo.sputniknews.com/20220420/el-canal-de-panama-el-arma-que-occidente-no-podra-usar-contra-rusia-1124605364.html

[vii] https://www.telesurtv.net/news/EE.UU.-usara-Panama-Papers-para-imponer-mas-sanciones-a-Rusia-20160407-0026.html

[viii] https://www.business-standard.com/article/international/mexico-declines-to-join-russia-sanctions-seeks-to-stay-on-peaceful-terms-122030200448_1.html

[ix] https://ria.ru/20220423/sanktsii-1785124287.html

[x] https://www.hispantv.com/noticias/brasil/540594/sanciones-rusia-conflicto-ucrania

jeudi, 12 mai 2022

Que faut-il attendre de l'élection présidentielle turque de 2023?

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Que faut-il attendre de l'élection présidentielle turque de 2023?

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/en/article/what-expect-2023-turkish-presidential-election

Pour la Russie, la défaite de Recep Erdogan peut être utile

Des élections présidentielles et législatives auront lieu en République de Turquie à l'automne 2023. Le pays ayant récemment connu une forme de gouvernement présidentiel (ce qui a donné lieu à des accusations d'usurpation du pouvoir par Erdogan de la part de l'opposition et des pays occidentaux), l'essentiel pour l'avenir de la Turquie n'est pas la répartition des sièges au parlement, mais le poste de chef d'État. L'orientation future de notre politique en dépend, tant dans la sphère extérieure que dans les affaires intérieures.

Le Parti de la justice et du développement de Recep T. Erdogan, au pouvoir, dispose aujourd'hui, selon les sondages, d'environ 33 % du soutien des électeurs. Les avoirs économiques créés sous le règne d'Erdogan sont orientés vers la Russie, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie.

Mais la politique étrangère d'Erdogan elle-même est clairement expansionniste - sous lui, la Turquie a pris pied dans le nord de la Syrie et dans certaines parties de l'Irak, a participé aux batailles en Libye et a étendu sa zone économique en Méditerranée, bien que de manière unilatérale. Les méthodes de soft power de la Turquie sont activement utilisées en Asie centrale, en Afrique et dans les Balkans.

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Bien que des mesures conservatrices aient été prises en politique intérieure, comme le retrait de la Convention d'Istanbul, qui rapproche les positions de la Turquie et de la Russie, et assimile aux yeux de l'Occident le président Vladimir Poutine et Erdogan à des dirigeants autocratiques.

Quelles sont les ambitions politiques de l'opposition turque actuelle et des autres forces qui prétendent participer à la construction de l'État ?

Le principal concurrent du parti d'Erdogan est le Parti républicain du peuple aux racines historiques, puisqu'il a été créé par le fondateur de la Turquie moderne, Atatürk Kemal. Selon les sondages de sortie des urnes, ils ont maintenant 28%. Le parti n'a pas de programme et d'idéologie clairement perceptibles. Ils sont un mélange hétéroclite de libéraux de gauche, d'anciens communistes, d'Alevis (c'est-à-dire de minorités religieuses), de groupes laïques, de partisans du mariage homosexuel et d'autres pro-occidentaux.

Ils ont une position pro-allemande prononcée (il faut rappeler qu'un grand nombre de Turcs vivent en Allemagne), d'où l'orientation extérieure vers l'UE. En ce qui concerne l'agenda politique intérieur, ils s'appuient sur une opposition ouverte à Erdogan.

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Le chef du parti est un politicien plutôt âgé, Kemal Kılıçdaroğlu (photo), qui est complètement dépendant des sociétés occidentales et des oligarques turcs liés à l'Europe. Il a déjà annoncé qu'il participerait aux élections en tant que candidat à la présidence. Sur les questions internes du parti, Kılıçdaroğlu est une figure de compromis qui règle les désaccords internes du parti.

Il est assez significatif que l'actuel maire d'Istanbul, Ekrem İmamoğlu, soit plus charismatique et plus performant. Il a également manifesté son intérêt à participer aux élections, mais la direction du parti lui a interdit de se présenter, considérant qu'il valait mieux occuper le poste de chef de la métropole.

Il convient d'ajouter que le parti dispose d'un assez bon financement, et que l'ancienne élite kémaliste le soutient par solidarité. L'Union des industriels et des entrepreneurs de Turquie, qui a précédemment établi des liens avec des structures européennes, est un donateur du Parti républicain du peuple.

Un autre personnage clé du Parti républicain du peuple est Ünal Çeviköz, qui est responsable de la politique étrangère. Ancien employé du ministère turc des Affaires étrangères, il est membre d'une loge maçonnique et a participé en 2019 à une réunion du club Bilderberg.

Il y a aussi le relativement nouveau Parti du Bien (IYI) - ce sont des nationalistes occidentaux, et le parti lui-même a en fait été créé par les États-Unis et l'UE afin d'arracher une partie de l'électorat au parti de Recep Erdogan. Il est paradoxal que les dirigeants de l'IYI s'opposent à la Russie, alors que l'électorat ordinaire nous traite normalement (y compris au sujet de l'opération en Ukraine).

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Le chef du parti est une femme - Meral Akşener (photo), et elle est pro-occidentale dans ses convictions. Ils sont maintenant dans une coalition avec le Parti républicain du peuple. On ne sait pas encore si Meral Akşener se présentera en tant que candidate indépendante à la présidence.

Le Parti démocratique des peuples, qui représentait les intérêts des Kurdes, ne pourra probablement pas se remettre des purges et arrestations massives. Le chef du parti, Selahattin Demirtaş, est un politicien expérimenté, et les représentants locaux ont remporté de nombreux sièges à la mairie lors des dernières élections, mais ils ont tous été arrêtés car soupçonnés d'être impliqués dans le terrorisme. Théoriquement, leurs chances sont bonnes, mais le gouvernement actuel ne leur permet tout simplement pas de consolider officiellement leur victoire et d'étendre leur influence.

Toutefois, les analystes occidentaux soulignent que ce sont les Kurdes qui constitueront un atout important lors des prochaines élections, car ils ont une démographie croissante et comptent de nombreux jeunes de dix-huit ans et plus parmi eux.

Il se murmure qu'un parti trouble-fête pourrait être formé, composé de partisans du clan Barzani du Kurdistan irakien, car ils entretiennent de bonnes relations officielles avec Ankara. Barzani admet le bombardement turc d'une partie du Kurdistan irakien, où se trouve le siège du Parti des travailleurs du Kurdistan.

La question est de savoir comment convaincre la jeunesse kurde de Turquie de rejoindre ce parti, et quelle sera la position concernant la nomination d'un candidat à la présidence. Bien que tout cela ne soit que des affabulations théoriques et qu'il soit tout à fait possible qu'Erdogan poursuive le cours de la répression des Kurdes turcs.

Selon les sondages d'opinion, le Parti démocratique des peuples est le plus russophobe et le plus pro-occidental.

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Enfin, il y a le Parti du mouvement national (dirigé par Devlet Bahçeli - photo). En fait, ce sont les fameux "loups gris", c'est-à-dire les nationalistes religieux. Ils sont maintenant les alliés d'Erdogan. D'ailleurs, de toutes les organisations répertoriées, ce sont les meilleures en Russie.

Et le dernier facteur de la politique turque est l'armée. Mais après une tentative de coup d'État ratée en 2016, l'armée a été sévèrement purgée. Maintenant, ils sont complètement subordonnés à Erdogan, et il n'y a aucune ambition politique parmi les militaires, à moins qu'à un niveau secret profond, il y ait un petit groupe de conspirateurs.

Si l'on parle de chances réelles, compte tenu de la situation actuelle, alors Recep Erdogan a les meilleures positions à l'heure actuelle. Bien que le pays connaisse un niveau élevé d'inflation et que la livre turque se soit effondrée il y a quelques mois, le parti au pouvoir dispose d'une ressource administrative et utilise la situation de la politique étrangère à son avantage.

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À titre d'exemple, nous pouvons citer l'équilibre actuel des relations avec la Russie et l'Ukraine. Pour organiser le flux touristique de la Russie vers la Turquie, une compagnie aérienne supplémentaire est créée. Tandis que des drones Bayraktar sont livrés à l'Ukraine et qu'un soutien diplomatique est apporté.

Et c'est dans ces relations et cet équilibre des forces que la Turquie a un intérêt géopolitique important à affaiblir la Russie. Ce n'est pas un hasard si les Turcs s'intéressent activement à la Crimée et ne la reconnaissent pas comme faisant partie de la Russie, ainsi qu'au Caucase et à la région de la Volga. La Turquie a besoin du projet du panturquisme pour servir de parapluie et de justification à une éventuelle ingérence dans les affaires intérieures de la Russie.

La chaîne de télévision russophone TRT adhère à un cours ouvertement russophobe, qui soutient Navalny et Khodorkovsky, sans parler de l'incitation au séparatisme à l'intérieur de la Russie en mettant l'accent sur l'identité musulmane et turque. Le projet de "génocide circassien" y est également lié, ainsi que divers éléments commémoratifs, tels que des noms de rues en l'honneur de Dzhokhar Dudayev.

Comme le Parti de la justice et du développement se concentre sur l'identité religieuse turque, le souvenir de l'ancienne grandeur de l'Empire ottoman est également très important pour la politique moderne. Et là aussi, il y a une place pour les aspirations anti-russes, car la Turquie rappelle le rôle de l'Empire russe dans la libération des Balkans de la domination turque et une série de guerres russo-turques.

Par conséquent, l'affaiblissement possible de la Russie dans cette région est considéré comme une nouvelle opportunité pour le retour du pouvoir perdu. Et si vous le regardez à travers un prisme religieux, l'expansion turque pour Ankara est aussi la propagation de l'Islam dans de nouveaux territoires. Dans le même temps, la version turque de l'Islam est clairement différente de la version arabe classique.

Par conséquent, il est peu probable que le maintien du pouvoir suprême pour Erdogan conduise à une amélioration des relations avec la Turquie. Au mieux, une coopération pragmatique se poursuivra, notamment en raison de la forte dépendance de la Turquie vis-à-vis des approvisionnements en pétrole et en gaz russes. Mais dans le pire des cas, Ankara se comportera de manière plus persistante et agressive à l'égard de Moscou, et elle devra alors envoyer des signaux explicites, tels qu'une interdiction d'importation de légumes ou une suspension du flux touristique.

Si la situation s'avèrera encore pire, il est difficile d'imaginer quel niveau la confrontation entre la Russie et la Turquie pourra atteindre. Encore une fois, il faut se rappeler que la Turquie est membre de l'OTAN et peut se joindre aux sanctions occidentales à tout moment.

Considérons maintenant la version qui se produirait si des forces pro-occidentales prenaient le pouvoir en Turquie. Par exemple, avec l'aide d'injections financières et d'autres moyens, le chef du Parti républicain du peuple prendra le poste de président.

Tout d'abord, ils commenceront à éliminer les réalisations d'Erdogan, tenteront de revenir au format de la république parlementaire et promouvront activement un système politique laïc. Bien sûr, étant donné leur position pro-occidentale, les Etats-Unis et l'UE les presseront pour qu'ils se dressent contre la Russie. Mais il est peu probable qu'ils renoncent au gaz et au pétrole russes, même s'ils peuvent soutenir certaines des sanctions et le feront très probablement.

En général, il y aura un grand conflit d'intérêts. Cependant, il y aura le chaos à l'intérieur du pays, et compte tenu de cela, il est peu probable que les pro-occidentaux poursuivent une politique étrangère expansionniste. Le plus probable est qu'ils essaieront d'améliorer les relations avec l'UE, et encore une fois, ils attendront naïvement de rejoindre cette association.

Il est certain que les pays musulmans seront sceptiques à l'égard du nouveau gouvernement, ce qui signifie une réduction ou un retrait du soutien des riches États du Golfe. Et un tel affaiblissement de la Turquie sera bénéfique pour la Russie, car avec une approche compétente, il sera possible non seulement de préserver les acquis nécessaires, mais aussi de montrer à la société turque tous les avantages de relations bilatérales véritablement de bon voisinage.

mardi, 10 mai 2022

L'Ukraine, le monde à la croisée des chemins

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L'Ukraine, le monde à la croisée des chemins

par Giacomo Gabellini

Propos recueillis par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/ucraina-il-mondo-...

Entretien avec Giacomo Gabellini auteur du livre "Ukraine, le monde à la croisée des chemins", Arianna Editrice 2022

1) Les frontières de l'Ukraine sont indéfinissables et son identité unitaire s'avère donc floue. L'Ukraine actuelle correspond à la République socialiste soviétique instituée par Staline à la fin de la 2e guerre mondiale. À l'intérieur des frontières ukrainiennes, il existe des populations ethniquement, culturellement, linguistiquement et même religieusement très diverses, telles que des Ukrainiens, des Russes, des Polonais, des Hongrois, des Tatars, etc. ... Par conséquent, avec la rupture définitive des liens politiques, culturels et économiques avec la Russie et la sécession des régions orientales et de la Crimée (territoires pro-russes), l'identité ukrainienne n'apparaît-elle pas comme celle d'un État créé artificiellement, c'est-à-dire sur la base des sphères d'influence russes ou américaines ? Les valeurs unificatrices ne sont-elles pas représentées uniquement par l'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne, c'est-à-dire par l'occidentalisation américaniste et russophobe du pays ? N'assistons-nous pas à une énième reproduction de la logique de Versailles, qui s'est toujours révélée être un échec et un signe avant-coureur de nouveaux conflits potentiels ?

Il est difficile de prévoir avec un haut degré de certitude la configuration que prendra l'État ukrainien. Tout porte à croire, cependant, que le véritable ciment de ce qui restera de l'Ukraine sera un nationalisme aux traits russophobes marqués et un désir de vengeance contre le Kremlin. Beaucoup ont tendance à attribuer ce résultat uniquement à l'attaque déclenchée par la Russie, mais en réalité, la radicalisation du pays représente un phénomène qui était déjà largement observable avant même le déclenchement du Jevromajdan. Il ne faut pas oublier qu'en 2010, le président de l'époque, Viktor Juščenko, arrivé au pouvoir en pleine révolution orange, a décerné le titre de "héros de l'Ukraine" à Stepan Bandera, leader de l'aile maximaliste de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), composée en grande partie de Novorusses catholiques de Galicie, vétérans des campagnes irrédentistes menées contre la Pologne dans les décennies précédant la "grande guerre". Le 21 juin 1941, à l'arrivée des troupes nazies, Bandera proclame l'indépendance de l'Ukraine et participe avec l'OUN et sa branche armée (UPA, l'Armée insurrectionnelle ukrainienne) à la fondation du bataillon Nachtigall, composé de volontaires ukrainiens et soumis à la chaîne de commandement de l'Abwehr (les services secrets militaires allemands). Travaillant aux côtés des envahisseurs et des divisions SS ukrainiennes comme celle de Galicia, l'Oun a activement contribué à l'extermination de dizaines de milliers de Juifs ukrainiens et à la campagne militaire allemande contre l'Union soviétique. L'association avec les envahisseurs a duré plusieurs mois, jusqu'à ce que l'échec de la reconnaissance allemande de l'indépendance ukrainienne, promise à l'Oun à la veille de l'opération Barbarossa, conduise Bandera et ses partisans à retourner leurs armes contre les Allemands. Le chef de l'Oun a ensuite été capturé par la Wehrmacht, puis libéré sur la base d'un accord avec l'Abwehr, qui prévoyait la formation d'une division ukrainienne du Schutz-Staffeln pour aider les troupes allemandes dans la déportation des Juifs et la répression des minorités polonaises. À leur tour, les Polonais ont riposté en s'alliant à l'Armée rouge et en brûlant des villages ukrainiens entiers, ce qui a donné lieu à une guerre civile prolongée et sanglante qui entraînera la mort de plus de 90.000 civils polonais et 20.000 civils ukrainiens. La guérilla antisoviétique menée par l'OUN sous la direction du chef militaire de l'UPA, Roman Šučevič, s'est poursuivie dans les années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais lorsque la perspective de la défaite a commencé à se profiler, un grand nombre de ses figures de proue ont fui à l'étranger. Bandera, son collaborateur de confiance Yaroslav Stetsko et Lev Rebet, ancien membre du gouvernement ukrainien collaborationniste, s'installent à Munich. Bandera et Rebet seront attrapés et assassinés par un tueur à gages du KGB entre 1957 et 1959, tandis que Stetsko a réussi à survivre et à entrer dans les bonnes grâces de certaines personnalités de la politique américaine telles que Ronald Reagan et George H.W. Bush. D'autres militants de l'OUN et de l'UPA profitent de l'intercession du directeur de la CIA, Allen Dulles, pour s'installer au Canada et aux États-Unis, où ils créeront des mouvements d'exil à vocation ultra-nationaliste marquée. Au lendemain de Jevromajdan, on assiste d'une part à un processus de "nationalisation des masses" par la prolifération de statues et de monuments portant le nom de personnalités telles que Bandera, Šučevič et Stetsko. D'autre part, l'inclusion de membres dirigeants de mouvements extrémistes tels que Azov, Aidar, Dnepr, Pravij Sektor, Natzionalnyj Korpus et C-14 dans les corps spéciaux et les rangs de la police, grâce à l'intercession du très puissant ministre de l'intérieur Arsen Avakov. C'est grâce aux efforts d'Avakov et aux ressources mises à disposition par des oligarques de la trempe d'Ihor Kolomojs'kyj - propriétaire de la chaîne de télévision qui a lancé la série Serviteur du peuple, qui a garanti à Zelens'kyj une grande popularité, et principal financier de la campagne électorale de l'ancien acteur - que l'Ukraine a pu devenir un centre de gravité de très haut niveau pour le monde de l'extrême droite, capable d'attirer de nouveaux militants de trois continents différents grâce à une utilisation particulièrement efficace des principaux réseaux sociaux. On se demande quels résultats l'Union européenne espère obtenir en accueillant dans ses rangs un pays constamment tenu en échec par des éléments de ce genre.

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2) La guerre russo-ukrainienne revêt des significations géopolitiques qui vont au-delà des motivations spécifiques du conflit. La crise ukrainienne est, en fait, un conflit arbitré entre les États-Unis et la Russie, dont l'enjeu est l'existence même de deux grandes puissances. La Russie est un empire qui, depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine, est animé par la nécessité de survivre à l'effondrement de l'URSS. La perte de l'Ukraine impliquerait la dissolution de la Russie elle-même, étant donné les liens historiques et culturels et l'interconnexion économique qui existent depuis des siècles entre les deux pays. L'Ukraine serait donc une partie intégrante et une terre ancestrale de la Russie. Pour les États-Unis, leur rôle de puissance mondiale disparaîtrait si un nouvel hégémon eurasien (Europe ou Russie) s'affirmait. La fin du leadership américain en Europe signifierait également la fin de la stratégie d'endiguement de la Chine dans l'Indo-Pacifique. La perspective d'un conflit qui pourrait s'étendre à de nombreux foyers de guerre étendus à l'ensemble de l'Eurasie, donnant lieu à une troisième guerre mondiale, bien que de faible intensité, entre la Russie et les États-Unis de durée indéterminée, n'est-elle pas en train de se dessiner ?

Comme l'a souligné l'influent politologue russe Sergei Karaganov, l'importance de l'Ukraine pour la Russie devrait être fortement réduite. Ce n'est pas tant parce que les liens historiques et culturels incontestables qui unissent les deux pays pourraient également résister à la formidable épreuve de l'agression russe, mais parce que la Russie est une nation inattaquable à tous égards. Toute la campagne de sanctions imposée par les États-Unis et l'Union européenne était fondée sur la prédiction que la Russie ne serait pas en mesure de résister à une longue période de pression économique et financière extérieure, en vertu de la faiblesse structurelle, du retard et des déséquilibres qui caractérisent son système productif. Les principales catégories de produits des exportations russes (pétrole, gaz, matières premières, produits agricoles) dressent le tableau d'une économie relativement peu avancée, à l'exception de quelques éléments discordants (les machines et équipements représentent la quatrième source de revenus d'exportation) et de quelques pics d'excellence dans les domaines aérospatial, informatique et militaire. Les économies avancées d'aujourd'hui, structurées comme elles le sont sur la base des orientations stratégiques suivies depuis les années 1980, reposent avant tout sur des activités à haute valeur ajoutée imputables au secteur tertiaire, qui contribuent bien plus à la formation du PIB que les macro-secteurs inclus dans les secteurs primaire et secondaire. Dans les économies modernes, les services financiers et d'assurance, le conseil, les technologies de l'information, les nouveaux systèmes de communication et le design prédominent sur l'agriculture, l'industrie manufacturière et l'extraction d'énergie et de minéraux. De plus, le PIB de la Russie est encore bien inférieur à celui du Japon, de l'Allemagne, de la France et même de l'Italie, mais il repose sur une production absolument indispensable car non remplaçable pour satisfaire les besoins de base. Les hydrocarbures, les métaux, les céréales, les engrais et le fourrage sont des ressources essentielles pour garantir le chauffage et la sécurité alimentaire et énergétique. Ces conditions sont assurées en période de calme, mais deviennent soudainement chancelantes en présence de situations géopolitiques hautement conflictuelles, dans lesquelles on redécouvre la primauté du pétrole, du gaz, de l'aluminium, du nickel, du blé, des engrais, etc. sur tout le reste. En d'autres termes, la Russie joue un rôle (géo-)économique énormément plus incisif et "lourd" que ce que l'on peut déduire de l'analyse aseptique des données relatives à la taille et à la composition de son PIB, de sorte à lui assurer une capacité de résilience presque inconcevable pour tout autre Pays. Ainsi qu'un éventail d'options alternatives à celle consistant à s'entêter à se tailler un rôle de co-protagoniste dans le "concert occidental". Pour l'Ukraine, cependant, c'est le contraire qui est vrai. Penser que la survie d'un pays aux caractéristiques similaires peut faire abstraction du rétablissement d'une relation de collaboration avec un colosse de la trempe de la Russie, avec laquelle il partage 2 000 km de frontière, est une pieuse illusion.

3) Le régime de sanctions sévères imposé par l'Occident à la Russie vise à provoquer non seulement la défaillance de la Russie elle-même, mais aussi un changement de régime conduisant à la défenestration de Poutine. Selon les plans de Washington, la fin du régime de Poutine entraînerait une nouvelle expansion économique et politique de l'Occident en Eurasie. De tels horizons sont-ils crédibles ? Actuellement, les sanctions ont entraîné une réorientation de la Russie vers l'Asie, avec de nouveaux accords commerciaux avec la Chine et l'Inde, ainsi que le renforcement des relations avec les pays arabes et le Moyen-Orient, pour lesquels l'importation de céréales et d'engrais en provenance de Russie est d'une importance vitale. La création de nouvelles zones commerciales avec des monnaies hors de la zone dollar (notamment le yuan chinois) se profile donc à l'horizon, afin de contourner les sanctions. Verrons-nous une contraction significative de la zone dollar dans le monde entier à court terme ? Par le biais de sanctions, l'Occident veut imposer l'isolement de la Russie dans le contexte mondial. Mais l'espace atlantique, dominé par le dollar, ne va-t-il pas se retrouver isolé et marginalisé tant sur le plan économique que géopolitique ?

Les sanctions n'ont pas réussi à provoquer des changements de régime dans des pays bien moins équipés pour amortir le choc, comme l'Iran et le minuscule Cuba, sans parler de la Russie. Où, comme l'aurait prédit toute personne ayant un minimum de connaissance de l'esprit du peuple russe, un sondage réalisé par le Levada Center (qualifié d'agent étranger par Moscou), qui n'est même pas proche du Kremlin, a certifié que le taux d'approbation de Poutine parmi la population russe est supérieur à 80%. L'attaque contre l'Ukraine a donné une brusque accélération au processus de réorientation géopolitique et économique de la Russie vers l'Est et le Sud, fondé précisément sur l'incapacité structurelle de la Fédération à faire face au commerce international. Les corollaires de ce changement de registre sont l'exclusion du dollar dans le commerce bilatéral, le développement de systèmes de paiement alternatifs à Swift, et la création d'infrastructures de communication alternatives à celles hégémonisées par les Etats-Unis. En bref, la Russie lance une attaque simultanée contre les piliers de l'ordre international sur lesquels les États-Unis ont fondé leur domination. En perspective, le conflit et la campagne de sanctions qui s'ensuit pourraient conduire à une segmentation du scénario international "mondialisé" en blocs géo-économiques beaucoup moins communicants que ce que nous avons vu jusqu'à présent. La première ressemble à une sorte de G-7 élargi avec environ un milliard de personnes, fortement inégalitaire du point de vue des balances commerciales et caractérisé par une position financière nette agrégée profondément négative. Sur le plan politique et culturel, ce bloc - et en particulier son pays le plus puissant, les Etats-Unis - remet en cause avec de plus en plus de vigueur le principe d'égalité formelle des Etats établi par la Charte des Nations Unies afin de préconiser l'introduction d'éléments discriminatoires favorables aux démocraties, qui priveraient peut-être la Russie et la Chine de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Le second tourne autour du "triangle stratégique" - pour reprendre une expression d'Evgenij Primakov - Russie-Chine-Inde, réunissant plus de 3,4 milliards de personnes, associant pour la plupart des pays aux balances commerciales positives et enregistrant une position financière nette globale largement positive. Le "triangle stratégique" Russie-Chine-Inde est un bloc de structures économiques largement complémentaires dont l'énergie, les matières premières, les terres arables, l'industrie, la capacité de consommation et le savoir-faire technologique connaissent une croissance rapide. Ses pays membres sont généralement très impatients face à la prétention des pays occidentaux à être les porte-parole de l'ensemble de la communauté internationale, ce qui exclut clairement toutes les nations qui ne répondent pas aux exigences politiques, économiques et culturelles fixées de manière totalement arbitraire et discrétionnaire par l'alliance euro-atlantique. L'Union européenne est dépendante des importations d'énergie de la Fédération de Russie et survit grâce à des excédents commerciaux toujours plus colossaux, principalement avec les États-Unis et la République populaire de Chine, qui se traduisent par la compression systématique de la demande intérieure par des politiques d'assainissement budgétaire catastrophiques. Les Etats-Unis, avec une dette commerciale stratosphérique (859 milliards de dollars en 2021) et une position financière nette terriblement négative (plus de 13 000 milliards de dollars en 2021), n'ont plus de tissu industriel digne de ce nom, ne produisent que des services et importent toutes sortes de produits grâce à l'impression continue de dollars. Pour les Etats-Unis, l'accélération du processus de détérioration de la position dominante occupée par le dollar depuis 1945 en raison de l'abus de sanctions et des gigantesques déséquilibres structurels qui pèsent sur l'économie nationale représente une menace capitale. Le rééquilibrage d'une situation aussi critique ne peut faire abstraction du "confinement" de l'Amérique du Nord et de l'Europe dans le périmètre d'un espace énergétique-technologique-commercial transatlantique qui garantirait d'abord la rupture des liens de dépendance entre le "vieux continent" et les deux ennemis jurés des Etats-Unis, à savoir la Russie et la Chine. Si le projet de Washington devait aboutir, l'Europe serait confrontée à un avenir de colonie barbare, peu sûre et appauvrie des États-Unis.

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4) La dissolution de l'URSS a déterminé l'expansion de l'OTAN à l'Est. La crise ukrainienne elle-même est tout à fait cohérente avec la stratégie américaine de pénétration en Eurasie, qui impliquerait de déplacer indéfiniment vers l'est les frontières du nouveau rideau de fer. Le démembrement de l'ex-URSS a entraîné une diminution de la composante européenne au sein de la Russie, tant en termes de territoire que de population. La menace expansionniste de l'OTAN a conduit à une réorientation économique et géopolitique de la Russie vers l'Asie. Le développement de l'échange économique croissant et la nécessité d'une défense commune contre l'expansionnisme américain ont donné lieu à l'émergence d'un nouvel axe géopolitique composé de la Chine et de la Russie. Dans ce contexte, pour la Russie, les revenus tirés de la fourniture de gaz à l'Europe ne sont plus aussi cruciaux. La politique américaine de russophobie, déjà historiquement héritée de la Grande-Bretagne, n'est-elle pas responsable de cette conversion de la politique étrangère russe en une politique asiatique ? La mémoire historique devrait mettre en garde l'Occident. Si l'URSS et la Chine de Mao avaient été alliées pendant les années de la guerre froide, quel aurait été le sort de l'Occident ? Et ce n'est pas tout. La dissolution des liens historico-politiques entre la Russie et l'Europe ne signifierait-elle pas la disparition du rôle géopolitique séculaire joué par la Russie en tant que pont entre l'Europe et l'Asie et, en même temps, en tant qu'avant-poste pour défendre l'Europe contre la pénétration asiatique en Europe même ?

La dissolution de l'Union soviétique a été décrite à juste titre par Poutine comme la principale catastrophe géopolitique du 20e siècle, car elle a réduit quelque 25 millions de Russes ethniques vivant en Ukraine, dans les États baltes et en Asie centrale au rang d'étrangers chez eux, voire d'apatrides purs et simples. D'autre part, l'échec substantiel des pourparlers de Pratica di Mare en 2001 et le processus d'expansion de l'OTAN vers l'est ont privé le soi-disant "rideau de fer" d'une localisation géographique précise. Alors que pendant la guerre froide, elle allait "de Stettin à Trieste", pour reprendre une expression formulée par Churchill en 1946, elle va aujourd'hui de Mourmansk à Sébastopol, en passant par l'axe Saint-Pétersbourg-Rostov. La "ligne de front" s'est donc déplacée de 1 200 km vers l'est, à une distance du cœur historique, démographique et économique de la Russie qui n'a jamais été aussi dangereusement réduite depuis l'époque d'Ivan le Grand. La présence de l'Alliance atlantique à proximité des frontières russes prive le Kremlin de l'espace nécessaire à toute forme de repli, obligeant Moscou à réagir à chaque initiative de l'arsenal ennemi avec la dureté et l'imprévisibilité que l'on retrouve chez tout sujet qui se trouve dans les conditions de devoir faire face à des menaces existentielles. D'où la fermeté avec laquelle Poutine a indiqué le maintien de l'Ukraine dans un état de neutralité géopolitique et la permanence de la Biélorussie dans la sphère d'influence russe - avec ou sans Loukachenko - comme les deux "lignes rouges" dont la violation ne sera dorénavant tolérée en aucune manière. Le principal effet généré par la russophobie atlantiste fervente a été de recalibrer l'esprit d'initiative du Kremlin envers l'Est, et en particulier envers la République populaire de Chine. Les relations de coopération entre Moscou et Pékin ne cessent de s'intensifier, notamment dans les domaines sensibles de l'énergie, de la défense et des hautes technologies. Du point de vue américain, la relation de coexistence heureuse établie par le "couple étrange" en question n'est pas destinée à durer pour des raisons historiques, culturelles et géopolitiques qui sont déjà apparues pendant la guerre froide. Contrairement à l'époque où la "diplomatie triangulaire" de Nixon et Kissinger exacerbait les tensions sino-soviétiques, jetant ainsi les bases de l'enrôlement actif de la République populaire de Chine dans le front occidental et, à son tour, de l'isolement de Moscou, la Russie et la Chine poursuivent actuellement des objectifs qui, à bien des égards, coïncident ou sont du moins compatibles, et toutes deux sont ancrées dans la défense de ce droit international que les États-Unis n'hésitent pas à fouler aux pieds avec une systématique obstinée. En d'autres termes, ce sont des nations qui ont identifié - certaines par volonté délibérée (la Chine), d'autres comme un "choix obligatoire" (la Russie) - la trajectoire stratégique à suivre pour procéder au démantèlement de l'ordre mondial défini par la logique atlantiste, auquel l'Europe dans son ensemble reste encore tragiquement ancrée. Tant que le "vieux continent" ne cherchera pas à s'affranchir de la "tutelle" octogénaire des Etats-Unis pour établir une relation de collaboration concrète avec une envergure eurasienne qui redonne à la Russie le rôle fondamental de pont entre l'Est et l'Ouest, il y aura très peu de chances d'enrayer le déclin politique, économique et culturel qui touche l'Europe.

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5) Il est encore largement admis que cette guerre est un piège tendu par l'Occident pour user la Russie et provoquer la chute de Poutine. Selon Poutine, l'invasion de l'Ukraine est "une question de vie ou de mort pour la Russie". Il est clair que cette guerre transcende la question ukrainienne. La détérioration progressive des relations entre la Russie et l'Occident aurait conduit Poutine à un tournant géopolitique historique pour la Russie, qui entraînerait une révision complète de la stratégie de la Russie vis-à-vis de l'Asie et la fin de la politique d'intégration modernisatrice de la Russie à l'Occident. Cette rupture définitive entre la Russie et l'Occident ne va-t-elle pas générer, dans un avenir proche, une transformation radicale des équilibres mondiaux, avec la configuration d'un monde multipolaire, avec la fin de l'unilatéralisme américain et la fin de la mondialisation imposée par le modèle économique néo-libéral made in USA, qui sera remplacée par de nombreuses mondialisations de dimensions continentales ?

À mon avis, les États-Unis ont dépensé des ressources considérables depuis au moins 2004 pour transformer l'Ukraine en un couteau pointé du côté de la Fédération de Russie. En témoignent le soutien non dissimulé à la Révolution orange, l'intensification des relations entre certains oligarques très puissants (Viktor Pinčuk in primis) et le clan Clinton, la pénétration progressive de l'OTAN dans l'appareil de sécurité de Kiev, le soutien manifeste aux forces radicales qui ont dirigé le Jevromajdan, le sabotage des faibles et contradictoires tentatives de médiation de l'Allemagne et de la France (emblématisées par le célèbre "Fuck the European Union ! ", prononcée en 2014 par la fonctionnaire du Département d'État Victoria Nuland à l'ambassadeur des États-Unis à Kiev Geoffrey Pyatt), le maintien artificiel de l'État ukrainien par des crédits non remboursables fournis par le FMI (en violation de ses statuts), la fourniture d'armes et de formations aux forces militaires et paramilitaires ukrainiennes. L'objectif stratégique poursuivi par Washington consistait à ouvrir un fossé irrémédiable entre l'Europe et la Fédération de Russie, car dans la logique des "appareils" américains qui ont toujours manœuvré la politique depuis les coulisses, le danger mortel, encore plus grand que celui incarné par l'avancée à grande échelle de la République populaire de Chine, reste la synergie entre les ressources naturelles et la puissance militaire russe d'une part, et la technologie et la puissance industrielle européennes - et particulièrement allemandes - d'autre part. Mais il y a plus. Le "nouveau rideau de fer" qui s'élève des rives de la mer Baltique à celles de la mer Noire pourrait probablement faire office de barrière contre l'initiative chinoise "Belt and Road", qui menace de transformer l'ancien Empire céleste en point d'appui d'un nouvel ordre international fondé sur le dépassement de la phase unipolaire menée par les États-Unis.

6) Actuellement, l'Ukraine est déjà reconnue comme une partie intégrante de l'Europe. Cependant, les protagonistes exclusifs du conflit russo-ukrainien sont les États-Unis et la Russie, l'Europe étant complètement marginalisée. Si l'Ukraine devait rejoindre l'UE, la politique de domination économique de l'Allemagne serait répétée. C'est-à-dire incorporer l'Ukraine dans l'Europe de l'Est en tant que pays subordonné à l'espace économique allemand. L'Ukraine deviendrait un important fournisseur de matières premières et de main-d'œuvre bon marché, ainsi qu'un territoire attrayant pour les délocalisations industrielles. Mais, je me demande si le modèle d'expansionnisme économique allemand, déjà expérimenté en Europe de l'Est, est reproductible aujourd'hui, compte tenu de l'état du conflit interne et externe en Ukraine, destiné à se prolonger également dans l'après-guerre et en considération du changement profond de la stratégie géopolitique globale américaine ? L'Allemagne n'a-t-elle pas pu se hisser au rang de puissance économique mondiale dans le cadre d'un alignement politique et militaire sur l'Alliance atlantique, c'est-à-dire sur l'OTAN, qui s'oppose désormais aux intérêts de l'Allemagne ?

Au cours des premiers mois de 2014, alors que les tensions internes en Ukraine étaient à leur comble, l'attitude de l'Allemagne était pour le moins ambiguë, mais clairement dictée par le désir de tirer le meilleur parti de cette situation extrêmement critique. Plus précisément, l'ambition de Berlin n'était pas seulement de recruter l'Ukraine en tant que fournisseur direct de matières premières pour l'industrie allemande, mais de l'incorporer dans le bloc manufacturier étroitement soudé que l'Allemagne avait méticuleusement construit depuis la réunification. L'objectif, en d'autres termes, était d'intégrer l'Ukraine dans la périphérie fordiste du pôle industriel allemand, qui comprenait déjà la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie. Sous le prétexte fallacieux d'une pénurie de travailleurs hautement qualifiés dans leur pays, les entreprises manufacturières allemandes voulaient obtenir le feu vert pour étendre à l'Ukraine le phénomène, déjà systématiquement appliqué au reste de l'Europe centrale et orientale, des maquiladoras inversées, en référence aux usines mexicaines où sont assemblés des produits américains à haute valeur ajoutée. Dans ce contexte, l'industrie allemande a gardé son cerveau opérationnel chez elle, transplantant certaines de ses productions phares de l'autre côté de la frontière afin de recomposer cette Europe centrale plus "attractive", pour des raisons culturelles et de proximité géographique, que les usines italiennes, espagnoles et nord-africaines sur lesquelles elle s'était concentrée pendant la guerre froide. L'ambitieux projet expansionniste poursuivi par Berlin s'est soldé par un échec substantiel en raison de l'hostilité non pas tant de la Russie que des États-Unis. En 1990, Berlin avait obtenu de Washington l'autorisation de reconstruire son "arrière-cour" en Europe centrale et orientale - et donc de poursuivre ses propres intérêts économiques - en échange de l'adhésion du pays réunifié au camp occidental, conformément au fameux accord verbal conclu à l'époque par le président Mikhaïl Gorbačëv et le secrétaire d'État James Baker, selon lequel l'Alliance atlantique incorporerait l'Allemagne dans son giron sans s'étendre "d'un pouce" à l'est de l'Elbe. L'accord, dont l'existence a été niée par le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, mais confirmée à la fois par l'ancien ambassadeur américain à Moscou, M. Jack Matlock, et par un document récemment découvert dans les archives nationales britanniques par l'hebdomadaire "Der Spiegel", a été violé depuis 1997, lorsque la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont rejoint l'Alliance atlantique. Le fait est que, de par ses lourdes implications commerciales et géopolitiques, le modèle mercantiliste allemand est entré dans le collimateur de Washington dès l'administration Obama, avec le fameux - et très instrumental - scandale du Dieselgate et les sanctions imposées à la Deutsche Bank, mais c'est sans doute sous Trump que la véritable escalade a eu lieu. Combinée à l'adoption d'une série de mesures protectionnistes, la redéfinition de l'ALENA selon une logique visant manifestement à frapper les exportations allemandes a infligé un coup dur à l'économie allemande, exposée comme nulle autre aux dynamiques extérieures. La position des États-Unis à l'égard de l'Allemagne n'a pas changé de manière significative, même après l'entrée en fonction de l'administration Biden, comme en témoigne la forte pression économique et politique exercée par les États-Unis pour bloquer la construction du gazoduc Nord Stream-2. Une continuité substantielle, prouvant que le mercantilisme teuton pouvait être toléré comme un "mal nécessaire" à l'époque de la guerre froide, certainement pas dans l'ordre géopolitique actuel tendant vers la multipolarité.

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7) Cette guerre pèsera lourdement sur le sort de l'Europe. Incapable de jouer un rôle géopolitique autonome, qui aurait pu éviter cette guerre entre peuples européens, puisqu'une telle stratégie neutraliste aurait impliqué une rupture avec l'OTAN, l'Europe est condamnée à en subir les conséquences économiques et politiques, en tant que zone géopolitique subordonnée aux États-Unis. Surtout, n'y aura-t-il pas un déclassement de la puissance économique allemande, compte tenu de la perte de son importance politique et stratégique en Europe de l'Est, de ses liens énergétiques forts avec la Russie et des perspectives potentielles d'expansion économique dans le commerce avec la Chine ? De plus, avec le réarmement de l'Allemagne dans le contexte atlantique, la perspective d'une transformation de l'Allemagne elle-même, de leader économique incontesté en Europe à puissance géopolitique continentale ayant pour fonction de contenir la Russie en Europe de l'Est et de sauvegarder le leadership américain en Europe, est-elle crédible ?      

La dynamique déclenchée par l'attaque russe contre l'Ukraine a entraîné une nette modification des objectifs initiaux poursuivis par les États-Unis à travers leur manipulation de l'Ukraine, qui consistaient essentiellement à séparer l'Europe de la Russie. La guerre et la campagne de sanctions qui a suivi risquent de faire de l'Europe une colonie, y compris économique, des États-Unis, car elles privent le "vieux continent" des approvisionnements à bas prix en matières premières, en énergie et en produits agricoles sur lesquels repose la compétitivité de son industrie, tout en ouvrant le marché européen aux armes, au gaz de schiste et aux produits agricoles américains. Un renversement des relations commerciales transatlantiques traditionnelles se profile à l'horizon, caractérisé par l'accumulation d'excédents commerciaux structurels avec l'Europe, que les États-Unis - pays débiteur par excellence à tous égards - entendent utiliser pour prolonger leur tendance à l'importation massive de marchandises chinoises, malgré le déclin constant du dollar en tant que monnaie de référence internationale. Dans ce contexte, il est illusoire de penser que par le réarmement, l'Allemagne peut se libérer de la relation de vassalité qui la lie aux États-Unis depuis 1945. Surtout dans la situation actuelle où le parti vert ultra-atlantiste - qui doit son succès à la campagne de propagande incarnée par Greta Thunberg, qui a ponctuellement disparu du radar maintenant qu'il est question d'importer du gaz de schiste américain, avec son impact environnemental littéralement dévastateur - exerce une influence décisive sur la politique du gouvernement dirigé par le chancelier Olaf Scholz. Dans la pratique, l'Europe ne peut même pas imaginer un avenir caractérisé par la reconstruction de sa relation avec les États-Unis sur une base non pas tant de parité, mais au moins de subordination moins marquée que ce n'est encore le cas aujourd'hui.

lundi, 09 mai 2022

L'Occident : le non-être de l'Europe

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L'Occident : le non-être de l'Europe

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/occidente-il-non-essere-dell-europa

Une Europe toujours identique à elle-même

L'Europe s'est-elle retrouvée dans son unité, c'est-à-dire dans l'OTAN ? L'Europe, déjà embaumée et amorphe, s'est-elle transformée en un sujet géopolitique avec le choix atlantiste du terrain ? Non, la subordination soumise et consensuelle de l'Europe à l'OTAN est la manifestation claire et évidente de son aptitude génétique au non-choix. L'Europe reste en hibernation dans son non-être, en tant que territoire continental enchâssé dans l'Ouest atlantique. L'Europe reste subordonnée à la puissance américaine et, qui plus est, éloignée d'un contexte géopolitique mondial qui subit de profondes transformations.

L'UE, désormais en parfaite symbiose avec l'OTAN, ne veut que se préserver, avec sa structure technocratico-financière, son modèle économique néo-libéral, et sa stratification sociale éminemment fondée sur les classes. L'UE est en fait une entité supranationale immobile, qui s'est révélée irréformable dans ses équilibres oligarchiques. L'Europe est, et reste, toujours la même ; ni la crise pandémique ni la guerre en son sein n'ont affecté son manque d'identité. Les urgences récurrentes n'ont pas non plus amené les peuples d'Europe à se repenser et à repenser le rôle de l'Europe dans le monde.

La crise énergétique, déjà présente pendant la phase post-pandémique, a été encore aggravée par le conflit russo-ukrainien. Les propositions d'un accord entre les membres de l'UE sur les achats et les stocks communs d'énergie et l'établissement d'un plafond sur les prix de l'énergie se sont heurtées à un mur d'hostilité de la part des pays frugaux. Les prix de l'énergie sont négociés à la bourse d'Amsterdam. En fait, les prix de l'énergie sont le résultat de la spéculation financière, pas de la guerre. Ont également été rejetés les appels à un nouveau PNR pour faire face à la récession économique naissante et les propositions de partage de la dette contractée par les États pendant la crise de la pandémie. Il convient également de noter la rigidité dont font preuve les pays économes à l'égard d'une éventuelle réforme du pacte de stabilité, dont les faucons de l'austérité réclament le rétablissement en 2023. Ni la pandémie ni la guerre n'ont détourné les élites européennes des projets liés à la révolution numérique et à la transition environnementale. Avec quelles ressources de telles transformations structurelles à grande échelle peuvent être réalisées, nous ne le savons pas. Enfin, la question se pose de savoir quelle part des fonds du PNR sera détournée des investissements structurels pour être utilisée pour l'armement en soutien à la guerre américaine en Ukraine !

L'expansion de l'OTAN à l'est aurait signifié l'exportation vers l'Ukraine du modèle occidental, américaniste dans sa culture et néo-libéral dans son économie. Une Ukraine déracinée de son identité historico-culturelle et intégrée dans la zone d'influence russe, aurait l'américanisme comme seule valeur unificatrice, conformément à sa fonction géopolitique d'avant-poste de l'OTAN en Eurasie. L'Europe de l'OTAN a ainsi été transformée en un terrain intermédiaire fonctionnel pour l'expansion vers l'est du modèle d'entreprise néolibéral. Avec la propagande assourdissante de la guerre médiatique, le courant dominant induit les masses à croire qu'elles vivent dans le meilleur des mondes possibles, à concevoir l'Occident comme une civilisation supérieure, identifiable aux valeurs de la démocratie libérale, de l'égalité et du bien-être généralisé. Mais sans tenir compte du fait que le modèle libéral-démocratique se trouve aujourd'hui à un stade avancé de décomposition en Occident même, puisque l'avènement du néolibéralisme économique a généré une société de plus en plus élitiste et technocratique, avec la disparition progressive de l'aide sociale et du bien-être généralisé.

L'Europe du bien-être consumériste ne pouvait en aucun cas se transformer en une puissance géopolitique. Une puissance mondiale place ses propres objectifs politiques et stratégiques avant la croissance économique et le bien-être de ses citoyens. Cette confrontation/clash entre l'Occident et la Russie entraînera de profonds traumatismes pour l'Europe. L'occidentalisation économique a depuis longtemps conduit l'Europe à sortir de l'histoire. La Russie, quant à elle, affirme son rôle de puissance mondiale en s'appuyant sur des valeurs identitaires. Cette fracture irrémédiable entre l'Occident et la Russie est bien décrite par Pierangelo Buttafuoco dans une récente interview : "Pour l'Occident, la Russie est un ennemi plus hostile même que l'Union soviétique, car des décennies de matérialisme scientifique n'ont pas réussi à égratigner son identité et son esprit. La Russie est la première puissance chrétienne du continent européen, elle a de solides traditions, les Russes croient vraiment en Dieu. Tout ceci est inquiétant et détestable pour ceux qui regardent le monde à travers les yeux de la laïcité et du scientisme occidental.

L'UE : un échec qui se fait attendre

La guerre russo-ukrainienne se déroule depuis 2014 et a connu diverses évolutions. Dans un premier temps, la Russie a occupé la Crimée et le Donbass, suite au coup d'État pro-occidental de la place Maidan en Ukraine. Puis, dans une deuxième phase, l'invasion russe a eu lieu, contrée par la résistance ukrainienne.  Une troisième phase est en cours, dans laquelle les États-Unis et la Russie sont indirectement montés l'un contre l'autre par le biais du soutien de l'OTAN à l'Ukraine.

Au-delà de l'unité monolithique actuelle entre l'UE et l'OTAN, compte tenu de la crise économique et énergétique qui va frapper l'Europe et de l'évidente divergence d'objectifs entre les Etats-Unis et l'Europe (éviction de Poutine et déstabilisation de la Russie pour les Américains - négociation avec la Russie et fin du conflit du côté européen), il ne peut y avoir que de profondes dissensions entre l'OTAN et l'Europe et au sein même de l'UE. Cette guerre a conduit à la mobilisation de l'Europe par les États-Unis, qui veulent protéger leurs intérêts stratégiques par l'action de l'OTAN. Cependant, les charges résultant de la guerre, des représailles russes aux sanctions économiques, ainsi que les coûts de la diversification énergétique, les dépenses d'armement et les conséquences de la crise économique, retombent sur les Européens. La stratégie américaine d'étranglement de la Russie, par le biais de sanctions et d'usure de la guerre, ne peut que conduire à la rupture des relations entre l'UE et la Russie et, par la suite, à l'inclusion (ou l'emprisonnement ?) de l'Europe dans l'espace géopolitique anglo-saxon-atlantique.

En fait, une réorientation géopolitique au sein de l'Europe est en cours. Le centre de gravité de l'Europe s'est déplacé vers l'est. Il faut dire que l'adhésion des pays d'Europe de l'Est à l'UE était conditionnée à leur adhésion à l'OTAN dans une fonction anti-russe. Ce n'est pas une coïncidence si aujourd'hui les pays d'Europe de l'Est, ainsi que les pays du Nord et les pays baltes, avec le soutien de la Grande-Bretagne, sont de fervents partisans d'une confrontation directe entre les États-Unis et la Russie (contrairement aux autres pays européens). Et comme le théâtre du conflit est l'Europe, il est clair que les USA veulent, en exacerbant leur politique de sanctions et leur conflit avec la Russie, provoquer l'éclatement de l'Europe. Si Poutine n'a pas réussi à diviser l'Europe, Biden réussira à la déstabiliser.

L'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est est la cause profonde du conflit russo-ukrainien. Poutine a exigé des garanties écrites que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'OTAN. Mais Biden a refusé toute négociation avec Poutine. Il convient également de noter que l'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est s'est faite en violation ouverte du Traité atlantique et de la Charte des Nations Unies. En effet, le Traité de l'Atlantique prévoit le règlement pacifique des différends internationaux (Art. 1), la défense mutuelle des Etats membres (Art. 5/6), - mais l'Ukraine ne l'est pas - et surtout (Art. 7), que le Traité ne peut affecter les droits et obligations établis par le Statut de l'ONU à l'égard des Etats membres de l'ONU. Il est donc clair que l'expansion de l'OTAN vers l'est constitue une violation ouverte du traité de l'Atlantique et du statut de l'ONU, car elle empiète sur le droit de la Russie à la sécurité, c'est-à-dire celui d'un État membre. L'action de l'OTAN constitue donc une violation flagrante du droit international, comme le souligne Fabio Mini dans un article publié dans Limes n° 2/2022 intitulé "La route du désastre" : "La Russie fait partie des Nations unies et la politique de l'OTAN a porté atteinte à ses droits, compromettant la paix et la sécurité dans le monde entier. La réaction russe est basée sur cette blessure et il est surprenant qu'elle n'ait pas été déclenchée plus tôt.

L'article 10 stipule que les parties <peuvent>, par accord unanime, inviter tout autre État européen capable de favoriser le développement des principes du traité et <contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord> à adhérer au traité.  Lors du sommet de l'OTAN à Bucarest en 2008, le président américain G.W. Bush, malgré l'avis contraire de ses propres services de renseignement, a parlé explicitement de l'admission de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN. Des pays qui ne pourraient pas contribuer à la sécurité de l'Alliance, voire l'aggraver".

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Les effets de la politique de sanctions de Biden contre la Russie seront dévastateurs pour l'Europe, dont le rôle économique dans le monde sera considérablement réduit. Les sanctions n'entraîneront pas le défaut de paiement de la Russie, et encore moins l'implosion du système politique russe, qui s'en trouvera renforcé. Ils n'affecteront pas l'économie américaine, mais l'économie européenne sera détruite. La perte des capitaux européens investis en Russie s'élève à 310 milliards de dollars, tandis que les capitaux américains ne représentent que 14 milliards de dollars. Mais surtout, la hausse des prix de l'énergie provoquera une inflation et une récession économique en Europe, alors que les États-Unis sont autosuffisants en énergie. Les États-Unis visent à remplacer la dépendance énergétique européenne vis-à-vis de la Russie par une dépendance énergétique américaine. La diversification énergétique européenne impliquera l'importation de gaz de schiste américain et la nécessité d'importants investissements dans des usines de regazéification. Le coût du gaz de schiste importé des États-Unis (dont l'impact environnemental est dévastateur) est environ deux fois plus élevé que celui du gaz russe. Sur le sujet des sanctions contre la Russie, cependant, il existe un clivage important entre les pays européens. Giacomo Gabellini déclare dans son livre "Ukraine : le monde à la croisée des chemins" : "Au sein du camp euro-atlantique, cependant, une scission manifeste est apparue, séparant le groupe "extrémiste" formé par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne et les pays baltes, du groupe aspirant à la mise en œuvre d'une désescalade, qui comprend la France, l'Allemagne et - dans une position plus éloignée - l'Italie. Pour eux, au-delà des proclamations grandiloquentes et des déclarations solennelles d'engagement, le rétablissement d'une relation moins conflictuelle avec la Russie est une nécessité économique vitale. En témoignent les déclarations retentissantes du PDG de Basf, l'une des plus grandes entreprises chimiques du monde, qui affirme que l'interruption de l'approvisionnement en gaz russe mettrait en péril la survie des petites et moyennes entreprises allemandes et provoquerait "la pire crise économique en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, capable de détruire notre prospérité".

L'impact décisif sur l'économie européenne de l'arrêt des importations de grains et céréales russes et ukrainiens est également noté. Entre autres choses, les importations alimentaires américaines vont-elles ouvrir les portes de l'Europe aux OGM ? Ainsi, les sanctions contre la Russie ouvriront de nouveaux marchés aux États-Unis, mais, dans le même temps, elles entraîneront la déconstruction de l'économie européenne. En outre, si le conflit devait se poursuivre, il y aurait une fuite inévitable des capitaux de la zone euro instable vers la zone dollar. Un phénomène qui s'est déjà produit plusieurs fois dans le passé se répéterait ainsi : les États-Unis ont souvent stimulé leur propre économie au détriment des pays en crise.

L'UE est un organisme construit sur la base d'un projet d'ingénierie financière totalement artificiel et révèle son incapacité à faire face aux crises récurrentes de la géopolitique mondiale. Pour survivre, l'Europe devra donc, au prix d'affronter des crises et des conflits, se réintégrer dans le contexte historico-politique contemporain, étant donné que cette crise représente pour l'UE un échec annoncé depuis trop longtemps. Gennaro Scala, à propos de la genèse de l'UE, a effectivement déclaré : "On ne peut pas penser à créer artificiellement ce que l'histoire n'a pas créé".

L'Allemagne, entre déclassement économique et réarmement

Cette guerre aura pour effet de bouleverser l'équilibre interne de l'Europe. En effet, outre la déstabilisation de la Russie, les objectifs américains incluent la rupture du lien historique entre Berlin et Moscou. En d'autres termes, les États-Unis visent à détruire la zone d'influence de la puissance économique allemande en Eurasie en mettant sous embargo le gaz et le pétrole russes et en faisant la guerre. Une attaque conjointe des États-Unis et de la Grande-Bretagne contre la suprématie économique de l'Allemagne au nom de la domination européenne est en cours. Les États-Unis veulent frapper le modèle économique allemand, qui s'est construit pendant 20 ans grâce à des relations privilégiées avec la Russie, à l'accès à des approvisionnements bon marché en matières premières et en énergie, et à la délocalisation industrielle vers les pays d'Europe de l'Est. Mais ce sont surtout les exportations allemandes et l'excédent commercial allemand, obtenu grâce à l'adoption de l'euro comme monnaie sous-évaluée par rapport au mark, un facteur qui a largement contribué à accroître la compétitivité des exportations allemandes sur les marchés américains, qui sont attaqués par les États-Unis. Avec cette guerre, Biden entend compléter la stratégie d'affaiblissement de l'économie européenne déjà initiée par Trump avec sa politique tarifaire.

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Cette guerre entraînera le déclassement de la puissance allemande et européenne dans le monde. Le rôle géopolitique central joué par l'Allemagne en Europe dans le contexte de l'évolution de la stratégie géopolitique de l'Amérique va disparaître. Le rideau de fer a été déplacé vers l'est avec le renforcement de la présence de l'OTAN dans les pays baltes et dans les pays du Trimarium (une zone s'étendant de la Pologne à la mer Noire). La stratégie d'endiguement de l'OTAN à l'est de la Russie implique donc la dissolution de la sphère d'influence allemande en Europe orientale, la fin de l'interdépendance énergétique russo-allemande et la fracture des liens géopolitiques entre l'Allemagne et l'Eurasie. Dans le cadre de ce nouvel expansionnisme de l'OTAN, toute aspiration à l'autonomie européenne est écrasée.

Dans cette phase de transformation de la géopolitique européenne, les perspectives du réarmement allemand sont particulièrement importantes. Scholz a annoncé que 100 milliards d'euros, soit plus de 2% du PIB allemand, seront investis dans l'armement au cours des prochaines années. Le réarmement allemand représente-t-il donc un tournant décisif ? L'Allemagne passera-t-elle du statut de puissance économique mercantile à celui de puissance géopolitique ? Dans tous les cas, il s'agit d'un changement politique qui a eu lieu sur une base nationale, et donc certainement pas en vue de créer une armée européenne commune. Le réarmement allemand n'a pas été conçu pour répondre aux besoins de sécurité de l'Allemagne, mais plutôt dans le cadre de la stratégie de l'OTAN visant à contenir la Russie. La nouvelle Allemagne armée devient une puissance continentale, mais dans le cadre de la stratégie américaine de dévolution à l'Europe des coûts de défense du nouveau rideau de fer érigé par l'OTAN à la frontière avec la Russie.

La perspective du réarmement allemand est pleine d'inconnues. L'Allemagne est au bord d'une grave crise économique causée par la hausse des prix de l'énergie, les difficultés d'approvisionnement en semi-conducteurs pour la production industrielle et l'inefficacité de la chaîne de production suite à la pandémie. En outre, le spectre de l'inflation est réapparu, ce qui pourrait avoir un impact traumatisant sur la population allemande, compte tenu de son contexte historique. Dans ce contexte, comment le peuple allemand réagira-t-il à un gouvernement qui décide de consacrer des ressources importantes à l'armement, qui seraient autrement utilisées pour soutenir l'économie et les dépenses sociales afin de faire face à la crise post-pandémique ? Le réarmement allemand s'accompagne d'un déclassement économique et politique de l'Allemagne. Quel impact aura la perspective d'un réarmement allemand en termes anti-russes sur une population qui a vécu pendant des générations dans un climat de pacifisme post-historique et qui comprend des secteurs significatifs de l'opinion publique pro-russe, notamment dans les Länder de l'Est ? Quelqu'un a ironiquement dit, à propos de l'atlantisme servile du gouvernement Draghi, que l'Italie est le Belarus de l'Occident. Mais alors, l'Allemagne du réarmement ne deviendra-t-elle pas la DDR des USA ?

L'Occident : le non-être de l'Europe

La guerre russo-ukrainienne marque la fin de l'ère de la domination américaine globale et unilatérale qui a commencé avec la dissolution de l'URSS. L'échec de l'Union européenne, ainsi que les perspectives d'une future désintégration de l'UE, étaient déjà implicites dans sa genèse même, en tant qu'organe économique et financier supranational enchâssé dans le contexte atlantiste de l'OTAN.

L'Europe n'est pas un sujet géopolitique en tant que partie intégrante de l'Occident atlantique. L'identification entre l'Europe et l'Occident s'est avérée être une contradiction irrémédiable. L'affiliation de l'Europe à l'Occident a signifié une occupation militaire américaine et une souveraineté limitée pour l'Europe. L'Occident représente aujourd'hui le non-être de l'Europe. Toute perspective de souveraineté géopolitique européenne implique la séparation de l'Europe de la zone atlantique occidentale. Il est donc nécessaire d'identifier d'abord l'Occident comme l'ennemi irréductible de l'Europe. Franco Cardini déclare dans son essai "La guerre en Ukraine et l'Europe contre l'Eurasie" : "Ce qui est certain, c'est que les anciennes oppositions sociopolitiques et socioculturelles n'existent plus. Le processus de mondialisation, qui a commencé il y a un demi-millénaire, est presque terminé"... "Face à tout cela, un choix doit être fait : pas immédiatement peut-être, progressivement et sagement sans doute, mais avec une rigueur qui n'est pas encore claire pour tout le monde mais qui le deviendra. Maintenant que l'unanimité artificielle et forcée "pro-Ukraine" (c'est-à-dire pro-OTAN) commence à montrer des signes de métabolisation, alors qu'il devient de plus en plus clair que nous, Européens, paierons une grande partie du fardeau des sanctions insensées contre la Russie, qui sont directement ou indirectement dirigées contre nous aussi, et de celles du réarmement d'une armée qui est "la nôtre" et que nous ne commandons pas et qui n'agit pas sous nos ordres, la décision fondamentale reste la nôtre et uniquement la nôtre : si nous acceptons en tant qu'Européens d'être désormais "ameuropéens" (rappelez-vous l'Amérique amère d'Emmanuel Emmanuel) ou si nous acceptons d'être "ameuropéens" (rappelez-vous l'Amérique amère d'Emmanuel). (vous souvenez-vous de l'America amara d'Emilio Cecchi ?) ou reprendre une voie millénaire qui est la nôtre depuis l'Antiquité et, avec une conscience de plus en plus sévère, se dire "eurasien"... "Aujourd'hui, chacun de nous, Européens, est appelé à choisir s'il préfère vivre dans la périphérie occidentale de l'Eurasie ou dans la périphérie orientale de l'AmEurope. Le soleil s'est toujours levé à l'Est, il est toujours mort à l'Ouest. Laissez-nous décider."

Il y a une guerre en cours entre les États-Unis et la Russie qui transcende la crise ukrainienne. Nous assistons à un affrontement entre deux modèles géopolitiques alternatifs, dont l'issue déterminera des transformations importantes dans le cours de l'histoire des décennies à venir. On oppose la mondialisation néolibérale aux États et aux identités des peuples. Ce n'est pas une coïncidence si les États opposés à la domination américaine sont définis comme des "États voyous". A l'universalisme unilatéraliste américain s'oppose le pluriversalisme multilatéraliste des différentes cultures continentales. Comme le dit Pierangelo Buttafuoco, "D'un côté, il y a l''imperium', les puissances impériales, y compris les États-Unis : comme le dit Dario Fabbri, ce sont les peuples qui ne prennent pas d'apéritifs, qui ont un esprit combatif et des identités plurielles. D'autre part, il y a le "dominium" des Européens, la tentative de réunifier le monde avec une seule identité, un seul projet. Au lieu de perdre du temps avec la propagande, nous devrions réfléchir à une guerre qui défie la mondialisation. Nous, les Occidentaux, sommes convaincus d'avoir le dernier mot sur les événements de l'histoire, mais il existe un dessein mondial où des puissances spirituellement fortes se sont réunies : la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan". L'horizon immanentiste de la post-histoire de l'idéologie libérale est contré par le retour de l'histoire comme dimension naturelle de la vie de l'homme et des peuples.

Ces contrastes réapparaîtront au-delà du conflit actuel. Les conflits entre parties opposées font partie intégrante de la dialectique de l'histoire. Les régimes, les idéologies et les doctrines politiques sont destinés à se dissoudre au cours de l'histoire. Mais les peuples et leurs identités demeurent. Il est donc nécessaire de prendre parti sur la base de ses propres motivations idéales et géopolitiques, indépendamment de l'orientation politique et idéologique des classes dirigeantes des deux puissances en conflit. On ne peut pas être un fan de Poutine ou de Biden. Il est nécessaire de prendre parti parce que la transformation de l'ordre géopolitique mondial est en cours, parce que notre être dans l'histoire est en jeu. Parce que non seulement Poutine est tombé dans le "piège atlantique", mais surtout l'Europe. Nous devons prendre parti, car sinon les États-Unis prendront parti pour nous, en tant que sujets de l'empire mondial atlantique.

Quelle pourrait être la valeur unificatrice d'une alliance entre les peuples d'Europe ? Le rejet de l'américanisme, entendu comme matérialisme consumériste, économisme totalisant, infection mortelle de l'esprit, destruction de l'éthique des communautés humaines, expansionnisme armé de guerres sans fin. Il faut mettre en place un front européen du refus, c'est-à-dire une coalition transversale des peuples, transcendant les États et même les continents. De nouvelles identités et de nouveaux mouvements politiques émergeront de ce rejet, issus de la lutte pour la souveraineté des peuples et des États européens.

L'histoire a subi une accélération soudaine, ce qui implique des choix existentiels avant les choix politiques. L'éloignement de l'histoire conduirait à la dissolution fatale de l'Europe dans le nihilisme de la post-histoire. 

Géopolitique de l'énergie

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Géopolitique de l'énergie

Konrad Rekas (*)

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37592-2022-05-01-20-21-36

Les universitaires ne s'accordent pas sur le fait qu'il existe 45 ou même 83 définitions de la sécurité énergétique. Leur compréhension varie en fonction du pays dans lequel elle est définie, de ses conditions géographiques, culturelles et de conscience. Il existe également différentes priorités au sein des sociétés, en fonction de la position dans la chaîne d'approvisionnement.

La définition la plus largement acceptée, celle de Yegrin, se concentre sur "l'adéquation, la fiabilité et le caractère raisonnable des prix". Mais cela peut indiquer confusément la priorité des intérêts des consommateurs (auxquels même les plus naïfs ont probablement cessé de croire au plus tard à l'automne 2021) et la "rationalité des marchés", ce qui est un oxymore. Non, des facteurs complètement différents sont décisifs et cela est clairement visible dans le choc de stratégies apparemment distinctes, comme le passage aux énergies renouvelables (ER), qui est actuellement présenté comme une réponse au changement climatique et aux actions occidentales liées à la guerre en Ukraine.

Changement (non)naturel

L'introduction de la dimension géopolitique dans l'analyse de la sécurité énergétique dans le contexte des énergies renouvelables ne semble que paradoxale, car cet aspect est souvent ignoré dans les discussions sur la transition énergétique. Mais il est évident que le passage aux ER ne susciterait pas autant d'intérêt de la part de certains gouvernements, notamment européens, sans avantages géopolitiques pour le continent qui ne possède que 1% des réserves mondiales de pétrole et 2% des réserves mondiales de gaz naturel. Les 27 États membres actuels de l'UE et le Royaume-Uni sont dépendants des approvisionnements énergétiques extérieurs. Même s'ils possèdent des réserves fossiles (comme le gaz ou le pétrole), rarement toutes en même temps, et jamais dans les quantités permettant de couvrir toute la demande (gaz néerlandais, pétrole écossais, uranium suédois). C'est pourquoi nous devons distinguer ces questions comme une "géopolitique énergétique" distincte.

Une telle discipline peut être considérée comme jeune, mais certains chercheurs osent établir des parallèles entre les cycles hégémoniques et le combustible fossile dominant: le charbon pour l'hégémonie britannique au XIXe siècle et le pétrole pour la domination américaine. Dans ce contexte, il est crucial, pour les futures considérations de sécurité énergétique, de déterminer si le passage supposé aux ER peut également avoir une dimension géopolitique, éliminant ou du moins affaiblissant la possibilité de l'émergence d'une autre hégémonie mondiale unipolaire.

Qui paie les factures ?

Au contraire, les caractéristiques immanentes de l'ER favoriseraient un réseau multipolaire, avec une implication particulière des acteurs non étatiques, notamment les ONG et la société civile mondiale. Il s'agirait également d'un changement de paradigme significatif au sein des théories des RI, qui déplacerait le fardeau d'une approche géopolitique réaliste, considérant la sécurité énergétique comme un jeu strictement compétitif, vers l'hypothèse d'une "gouvernance énergétique mondiale", basée sur la coopération et l'interdépendance, et donc naturellement pacifique. Une telle transition énergétique comprise signifierait également un changement social, les ER modifiant la forme de la hiérarchie sociale, augmentant l'importance des prosommateurs (c'est-à-dire des producteurs et des consommateurs à la fois), conduisant à un type de société renouvelé.

Cependant, c'est le facteur social qui rejette souvent le changement, les exemples les plus célèbres étant l'île française de Sein et la Crète grecque. L'acronyme courant pour une telle attitude est NIMBY: "Not In My Back Yard", ce qui signifie "Même si je ne remets pas en question la justesse du changement lui-même, je refuse d'en supporter les coûts". Et cette résistance est pleinement justifiée, car les coûts permanents sont toujours du côté des consommateurs et des travailleurs, et les bénéfices dans les comptes bancaires du Capital mondial. La vision même d'une société mondiale heureuse aux besoins minimaux, générant de l'énergie supplémentaire pour satisfaire de petites communautés indépendantes, semble séduire les mouvements anti-système de gauche et de droite, mais elle est clairement utopique et anachronique compte tenu de l'implication des acteurs étatiques et des entreprises mondiales. Ce n'est plus l'initiative de gentils hippies, juste un peu plus âgés, et au niveau de la prise de décision réelle, ça ne l'a probablement jamais été.

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La nouvelle hégémonie

Le concept de l'influence positive sans équivoque des ER sur la réduction des risques géopolitiques est également remis en question. Il est évident que la part croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique réduit l'influence géopolitique des exportateurs de pétrole et de gaz. Les critiques affirment que cela ne peut signifier que des changements dans les postes de direction au sein de la compétition énergétique, sans violer les règles de ce défi.  Juste à la place des fossiles, les exportateurs d'éléments de terres rares (REE / ETR) utilisés dans la production d'infrastructures d'ER gagneraient en importance. Citons par exemple l'embargo imposé par la Chine sur les exportations d'ETR vers le Japon en 2010, les différends sino-américains causés par le subventionnement de la production de panneaux solaires en 2012/2013, le différend sur les subventions aux producteurs d'éoliennes et la controverse sur les tarifs douaniers pour les ETR en Chine ou les relations commerciales entre les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. Jusqu'à présent, ces controverses ont été résolues dans le forum de l'OMS, mais elles prouvent que les tensions en matière de RI ne disparaîtront pas du seul fait de l'évolution technologique de la production d'énergie.

Les universitaires soulignent la menace de chocs d'approvisionnement en ETR utilisés dans la production de véhicules électriques hybrides et de certains types d'éoliennes, provoqués par l'augmentation présumée de la demande de néodyme (augmentation prévue de 7 %) et de dysprosium (même une augmentation de 2600 % !) dans les 25 prochaines années. La demande de lithium utilisé dans les cellules de batterie devrait augmenter de 674 % d'ici 2030. Bien que les critiques admettent que tous les composants des technologies renouvelables avancées ne sont en fait pas si rares et peuvent être explorés dans beaucoup plus de pays que les hydrocarbures. Cependant, l'exploitation des ETR est associée à des coûts environnementaux élevés, difficiles à accepter dans les régions développées du monde, et la production dans les pays périphériques est souvent perturbée, comme dans le cas du cobalt utilisé pour les cellules des batteries, extrait en République démocratique du Congo. Il existe donc un risque potentiel à la fois de verrouillage des technologies basées sur le REL et de menace de nouveaux conflits hégémoniques sur les ressources, qui pourraient se produire, par exemple, dans le désert d'Atacama, riche en lithium.

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Marché mondial totalitaire de l'énergie

La rareté de l'espace peut également être source de litige, alors que les fermes photovoltaïques et au sol pourraient nécessiter jusqu'à 100 fois plus de surface que les infrastructures de production d'énergie non renouvelable. Elle ouvre également la possibilité de conflits potentiels sur les nouvelles divisions du plateau marin pour les installations offshore. Même le fait de baser la coopération énergétique internationale sur le transfert transfrontalier d'électricité semble être controversé. Les partisans d'une telle transition affirment qu'elle favorise une interdépendance pacifique liée à des échanges mutuellement bénéfiques. Selon les critiques, il n'y aura que de nouvelles opportunités de "levier géopolitique" entre les exportateurs et les importateurs d'électricité. Le développement technologique des réseaux de transport, tel que la popularisation de l'UHV, peut créer de nouveaux défis tels que la nécessité d'une gestion globale unifiée du réseau, qui est à son tour en contradiction avec l'hypothèse d'un caractère plus local du nouveau système. Inversement, la dispersion de la production d'électricité peut être considérée comme une incitation au séparatisme et aux mouvements centrifuges. En particulier dans des conditions extrêmes, telles que la guerre ou l'escalade du terrorisme et du cyberterrorisme, cela peut non seulement empêcher l'intégration mondiale planifiée, mais même désintégrer les structures existantes en "îles énergétiques" géopolitiques sans lien entre elles, ce que nous pouvons observer en Libye comme un effet de l'agression occidentale. Le reste doit être géré et gouverné, de manière standardisée et uniforme. La question est de savoir par qui, alors que la transformation énergétique se poursuit au nom du renforcement du paradigme néolibéral, de la déréglementation et de la marchandisation.  La conséquence logique est le Gouvernement Mondial, bien sûr en tant qu'outil dirigé par le Marché Mondial Totalitaire.

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De nouvelles ressources signifient de nouveaux investissements et donc aussi de nouveaux emplois et une stabilisation des revenus pour les pays et les sociétés qui relèvent de nouveaux défis, ce qui est également stabilisant dans le cadre des relations internationales" : ce sont des arguments que nous pouvons souvent entendre de la part des défenseurs des énergies renouvelables (ER). Mais cette hypothèse optimiste ignore ce que les économistes appellent le théorème de Rybczynski et la possibilité d'un "syndrome hollandais" dans les pays qui connaissent une croissance rapide grâce à l'exploitation des éléments de terres rares (ETR). Cela signifie une menace d'absorption de tout le capital et du potentiel d'investissement par un seul secteur, avec la régression des autres, ce qui pourrait être potentiellement déstabilisant.

La pandémie du "syndrome hollandais" et les guerres de brevets

On ne peut évidemment pas exclure l'émergence d'une asymétrie similaire dans les RI comme dans le cas du pétrole et du gaz. Les enthousiastes tentent de nous convaincre qu'il sera plus facile à surmonter et qu'il ne menace donc pas une escalade des tensions ou une domination permanente par quelques acteurs. Et car les cybermenaces ne sont en aucun cas le domaine exclusif des énergies renouvelables, en raison de la propagation de la numérisation également au sein de l'industrie énergétique des combustibles fossiles. Mais cela renvoie à une autre rivalité concernant les droits de propriété intellectuelle et l'accès aux technologies, également la cybersécurité, qui a déjà été contestée dans le cadre de l'ER impliquant la Chine, les États-Unis et l'UE dans le forum de l'OMC. Bien sûr, il n'y a rien pour décourager les vrais croyants. Enfin, ils peuvent toujours insister pour que les critiques pensent noir sur l'ici et maintenant, alors qu'ils s'efforcent d'avoir un avenir radieux. En un mot, c'est peut-être sombre, coûteux et guerrier pour de nouvelles ressources, mais le but est noble et justifie les moyens ! En fait, il y a beaucoup plus d'hypothèses sur ce qui pourrait éventuellement se produire et de pronostics sur la façon dont cela pourrait se produire. Une autre erreur consiste à ne pas distinguer la géopolitique de la transition elle-même des changements géopolitiques supposés qui en découlent. Malgré la relative multiplicité des études, aucune base théorique pour l'analyse géopolitique de la transition énergétique n'a été développée jusqu'à présent.

Gagnants et perdants ?

Bien que nous puissions trouver des listes de gagnants possibles et de perdants probables à la suite de la transition. La première comprend à la fois les pays les plus avancés dans les nouvelles technologies énergétiques et dans leur propre transition vers les ER, ainsi que les pays disposant de réserves d'ER. Le deuxième groupe se compose principalement d'exportateurs de pétrole et de gaz dont les réserves deviendront des actifs échoués à long terme. Ainsi, le palmarès comprend la Suède, la France, l'Islande et la Finlande ainsi que l'Uruguay, la République centrafricaine et la Mongolie. On s'attend également à ce que les États-Unis (actuellement exportateur) et la Chine (actuellement exportateur) et l'UE (actuellement exportateur) soient également sur la liste. Les États-Unis (actuellement exportateurs) et la Chine (principal importateur d'énergie) devraient également améliorer leur situation géopolitique grâce à la transition énergétique. La liste des perdants et des pays les plus exposés semble plus facile à compiler. Toutefois, en utilisant différents indices, seuls quelques noms se répètent, notamment la Russie, le Qatar, le Bahreïn et le Nigeria. Mais étant donné que les universitaires d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ne sont pas d'accord sur la question de savoir si une monétisation plus rapide de leurs ressources ne leur permettrait pas de bénéficier des changements à temps. Le financement de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables par les Émirats arabes unis peut indiquer que les Émirats ont adopté une approche gagnant-gagnant de la transformation énergétique.

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En raison de l'absence de recherches plus approfondies, il est difficile de prévoir le déroulement de la transition elle-même, lorsque des alliances entièrement nouvelles et de nouveaux oligopoles pourraient se former et que le rôle de l'énergie en tant qu'arme pourrait même s'accroître, notamment sous la pression du passage aux énergies renouvelables et du nouvel équilibre des pouvoirs prévu. Les chercheurs ont analysé plusieurs scénarios à cet égard, tous dans le cadre du "concept VUCA", c'est-à-dire en partant du principe que la période de transition sera "volatile, incertaine, complexe et ambiguë". Il est difficile de confronter l'hypothèse d'une démocratisation accrue, d'une participation et d'un rôle croissant des ONG en tant qu'acteurs sociaux du changement à RE avec la position de la Chine, qui bénéficiera de la transition, mais ne montre aucune tendance à changer son propre système politique. Ainsi, il semble que non seulement le nouvel ordre énergétique annoncé et la RI qui en découle sont incertains, mais que le changement lui-même pourrait provoquer plus de turbulences que ses défenseurs ne veulent bien l'admettre. En d'autres termes, les importateurs d'énergie désireux de modifier leur position peuvent considérer le programme de transformation de l'énergie comme bénéfique pour leurs intérêts particuliers, mais pas son emballage, c'est-à-dire la nature supposément populaire et, en général, l'attrait du capitalisme à visage humain et avec une fleur dans les cheveux. Parce que si vous tombez dans le panneau de la propagande, passer aux énergies renouvelables serait une garantie du maintien de la domination mondiale des multinationales, mise en œuvre par les États-Unis.

Il ne s'agit pas seulement de l'opposition des exportateurs actuels, mais aussi de l'attitude des consommateurs d'énergie et des entités commerciales impliquées dans la production et la distribution d'énergie, notamment les grandes compagnies pétrolières et gazières. Du point de vue du consommateur, il est particulièrement important de savoir ce qui distingue la transformation énergétique actuelle des précédentes, c'est-à-dire le passage de la biomasse au charbon, puis du charbon au pétrole et au gaz. Celles-ci étaient liées à l'augmentation de la demande et de la consommation d'énergie, alors qu'aujourd'hui, la principale hypothèse du passage aux ER est la réduction de la consommation, malgré l'augmentation supplémentaire observée de la demande. Elle serait également conforme à la tendance à la désindustrialisation dans les pays du noyau dur, ainsi qu'au déplacement de l'activité économique dominante vers les services. Cela signifie non seulement des actions visant à améliorer l'efficacité, mais aussi un changement de paradigme, qui est l'un des fondements du capitalisme mondial. La pandémie mondiale de COVID-19 était probablement une sorte de test dont nous parlerons plus tard. Ce ne sont donc pas seulement les politiques des États-nations qui sont réellement menacées, mais aussi la totalité des consommateurs mondiaux, notamment ceux qui sont directement exclus de l'énergie. Car il ne s'agit pas des tentatives d'augmentation de l'efficacité énergétique, dont on parle le plus, mais surtout d'un changement de paradigme, d'un changement des fondements du capitalisme mondial. Il s'agit de la fin du consumérisme fordiste.

Transformation à trois vitesses

Dans le contexte de la RI, il faut reconnaître que la consommation énergétique mondiale n'est pas répartie de manière égale. Le plus grand consommateur est la région Asie-Pacifique (43 % en 2017), avec une part nettement plus élevée de charbon dans le mix énergétique. L'Amérique du Nord arrive en deuxième position (21%), consommant principalement du pétrole, mais aussi une part importante de gaz. Et en troisième position se trouve l'Europe (15 %), avec également une prédominance du pétrole et du gaz naturel, mais la plus intéressée à atteindre des objectifs tels que la réduction des émissions de gaz à effet de serre en augmentant la part des ER dans le mix énergétique, avec une réduction simultanée de la consommation et une augmentation de l'efficacité d'au moins 32,5 % d'ici 2030. Jusqu'à présent, la transformation européenne s'est faite en partant du principe que le gaz naturel était un combustible de transition. Un élément important de ce processus est l'Energiewende allemand, actuellement en cours de reformulation en raison de la guerre russo-ukrainienne. Cependant, même avant cela, ce concept a été critiqué non seulement du point de vue des énergies renouvelables, mais aussi en soulignant le dilemme de Jarvis, selon lequel assurer la sécurité énergétique d'un pays peut violer la sécurité énergétique d'un autre pays.

Au moment où l'UE veut accélérer sa transformation, même au prix de visser les radiateurs (dans nos maisons) et d'éteindre les ampoules, d'ici 2029, la consommation d'énergie en Amérique du Nord devrait augmenter jusqu'à 19 %, malgré une demande relativement stable aux États-Unis. Indépendamment de l'hypothèse d'obtenir jusqu'à 50 % d'énergies renouvelables, le pétrole et le gaz (y compris le gaz de schiste) resteront les combustibles de transition pour les États-Unis (Fuentes et al., 2020, pp. 27-28). Les États-Unis déclarent que la sécurité nationale est une priorité, y compris l'autosuffisance énergétique encore principalement basée sur les combustibles fossiles. Il n'est pas certain que les États-Unis décident de maintenir leur position de leader mondial en redéfinissant leur implication dans le passage aux ER et/ou dans le domaine de la technologie nucléaire, qui peut également être une source de tensions dans les IR. La Chine, pour sa part, montre un intérêt croissant pour la diversification énergétique, mais avec la primauté du maintien de la croissance du PIB et de la production industrielle. En avril et octobre 2021, la Chine s'est engagée à réduire la consommation de carbone et les émissions de carbone d'ici 2040 et à augmenter la part de marché des véhicules à énergie nouvelle. Toutefois, les sceptiques considèrent que les objectifs révisés des contributions déterminées au niveau national sont insuffisants et incompatibles avec l'Accord de Paris, qui semble tout à fait conforme aux intentions réelles de Pékin.

Une brève comparaison montre la menace que représentent les différentes vitesses de transition énergétique, qui peuvent constituer une grave menace pour la sécurité internationale. Surtout en raison de priorités éventuellement incompatibles, lorsque la transition énergétique de l'UE est un élément de la politique de sécurité ; pour la Chine, un facteur de croissance, et pour les États-Unis, une méthode pour protéger leur propre position d'hégémonie.

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Le climat est une nouvelle bulle

Il ne faut pas non plus oublier que les véritables acteurs des relations internationales sont les sociétés nationales et transnationales, car leur puissance financière dépasse le PIB de nombreux États et leurs stratégies ont un impact sur la sécurité internationale. Dans la réalité du marché, un argument économique devrait être décisif, comme l'hypothèse selon laquelle les ER seront le secteur énergétique qui se développera le plus rapidement et le plus intensivement au cours des prochaines décennies, ce qui signifie des bénéfices accrus pour les personnes impliquées dans le processus. Écologie : c'est une nouvelle bulle !" disait même le célèbre Gordon Gekko. Comme pour toute chaîne de Ponzi, cela signifie également une augmentation des bénéfices pour ceux qui sont impliqués dans le processus au bon moment.

Dans le cas des entreprises européennes et, dans une moindre mesure, américaines, il est également question d'une pression sociale croissante, d'un environnement culturel en mutation et d'un changement géoculturel, également au sein des entreprises elles-mêmes. Malgré les contradictions apparentes des modèles d'affaires et de gestion typiques des entreprises pétrolières et gazières, et les attitudes jusqu'ici associées aux ER, Royal Dutch Shell, Equinor, Total et ENI ont déjà annoncé leur transformation en "entreprises de transition énergétique". Cela implique de diversifier les paquets d'investissement et de recherche et de déclarer un rôle de leader dans le passage aux énergies renouvelables. Les sociétés américaines ExxonMobil et Chevron, la société britannique BP et la société brésilienne Petrobas ont réagi tardivement à cette nouvelle tendance, qui peut être associée aux politiques de leurs États et à l'accès à des réserves pétrolières plus importantes. BP, comme le Royaume-Uni, qui n'avait auparavant aucune stratégie claire en matière d'énergies renouvelables, a même fini par utiliser des panneaux solaires pour ses besoins internes. Il s'agit d'un levier financier évident qui réduit l'élément d'investissement et l'incertitude technologique. Les grandes compagnies pétrolières et gazières réagissent principalement aux "offres qu'elles ne peuvent refuser" et, historiquement, elles ne se sont jamais souciées de l'opinion publique à leur égard. Cela a eu un impact historique sur la sécurité internationale, les exemples les plus tristement célèbres de l'influence des préoccupations pétrolières étant le coup d'État iranien de 1953 et la crise de Suez de 1956. Contrairement au principe "olsonien" qui consiste à traiter les réglementations gouvernementales et internationales comme un obstacle aux activités commerciales, selon l'approche "stiglerienne", certaines réglementations (dans ce cas, la réglementation climatique) pourraient être soutenues comme un mécanisme permettant d'obtenir un avantage concurrentiel. Les grandes entreprises énergétiques ne sont pas des victimes de la révolution des énergies renouvelables, mais seulement ses moteurs et ses bénéficiaires, tout comme les autres mondialistes.

En fait, dans toute la géoculture occidentale, un principe est en vigueur : "Soyez original et indépendant = répétez ce que font les autres". Ceci est clairement visible dans l'exemple du changement climatique. Alors qu'elle est un élément de base de la géoculture depuis de nombreuses années, le sujet principal des médias et des divertissements, une justification commode pour la politique énergétique des gouvernements et une source de profits énormes pour les entreprises, elle est toujours présentée comme un élément culturel. Et personne ne se rend compte que si les employeurs organisent eux-mêmes une grève du climat, il ne s'agit pas d'une grève, mais d'une entreprise..... Des affaires, bien sûr, pour le capitalisme mondial. Et une menace pour la sécurité internationale.

*Journaliste et économiste polonais

20:21 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : énergie, géopolitique, terres rares | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 08 mai 2022

Technogéopolitique : réinterpréter la formule de Mackinder pour le pouvoir sur le monde

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Technogéopolitique : réinterpréter la formule de Mackinder pour le pouvoir sur le monde 

Par Leonid Savin

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/tecnogeopolitica-reinte...

Dans son ouvrage classique intitulé Democratic Ideals and Reality, Halford Mackinder a souligné que le développement économique de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne au XIXe siècle et les actions ultérieures des gouvernements de ces pays, qui ont conduit à la Première Guerre mondiale, ont été influencés par la même source. - Il s'agit du livre d'Adam Smith Sur la richesse des nations.

En raison des différentes attitudes culturelles, des conclusions différentes ont été tirées et des méthodes différentes ont été utilisées. La Grande-Bretagne était une nation insulaire et utilise sa puissance maritime pour protéger ses intérêts, souvent au détriment des peuples colonisés. Bien que l'Allemagne possèdait également des colonies dans différentes parties du monde, elle donnait davantage le ton aux projets continentaux, d'où l'émergence d'une union douanière et de projets ferroviaires.

Avec le changement actuel de l'ordre technologique mondial, nous observons un phénomène similaire dans différentes régions: malgré les 30 dernières années de mondialisation active, il existe des signes évidents de protectionnisme national tant dans les pays industrialisés que dans les États qui sont encore en train de rattraper leur retard... Seulement, l'accent est désormais mis sur d'autres technologies.

Selon un rapport du Boston Consulting Group et de Hello Tomorrow, les technologies profondes pourraient "changer le monde comme l'a fait Internet". Les investissements dans ce domaine aux États-Unis ont quadruplé depuis 2016 dans des secteurs tels que la biologie synthétique, les matériaux avancés, la photonique et l'électronique, les drones et la robotique, et l'informatique quantique, en plus de l'intelligence artificielle. Alors que le rapport affirme qu'il n'existe pas de technologie profonde, il n'y a qu'une seule approche de la technologie profonde. [i]

Les entreprises deep tech partagent quatre caractéristiques communes: elles sont orientées vers les problèmes (elles ne commencent pas par la technologie pour ensuite chercher des opportunités ou des choses qui peuvent être résolues); elles sont à l'intersection des approches (science, ingénierie et design) et des technologies (96% des entreprises deep tech aux États-Unis utilisent au moins deux technologies). Ils s'articulent autour de trois pôles (matière et énergie, calcul et cognition, et détection, c'est-à-dire capteurs et mouvement); ils vivent dans un écosystème complexe; 83 % d'entre eux fabriquent un produit comportant un composant matériel, notamment des capteurs et de gros ordinateurs.

Ils font partie d'une nouvelle ère industrielle. Ces entreprises entrepreneuriales reposent sur un écosystème d'acteurs étroitement liés. Ils impliquent des centaines ou des milliers de personnes dans des dizaines d'universités et de laboratoires de recherche. Par exemple, Moderna et l'alliance BioNTech avec Pfizer ont utilisé le séquençage du génome pour mettre sur le marché leurs vaccins COVID-19 respectifs en moins d'un an.

Ces entreprises ont bénéficié des efforts de nombreux autres universitaires, de grandes entreprises et du soutien du secteur public. Tous, ainsi que les États-nations, sont des acteurs importants de cette vague de grande technologie qui est déjà en cours aux États-Unis, en Chine et ailleurs, ainsi que dans l'UE et ses États membres. [ii]

En termes de technologie, les composants nécessaires à sa mise en œuvre, tels que les métaux des terres rares et les semi-conducteurs, ainsi que les produits eux-mêmes, comme l'informatique quantique et l'intelligence artificielle, les systèmes sans pilote et automatisés, sont désormais l'enjeu de la confrontation géopolitique. des grandes puissances (et pas seulement).

La formule du pouvoir sur le monde de Mackinder peut maintenant être interprétée quelque peu différemment. Ce n'est pas celui qui contrôle l'Europe de l'Est qui possède le monde, mais celui qui contrôle les technologies critiques et nouvelles.

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Lutte entre la Chine et les États-Unis

En octobre 2021, le bureau américain du directeur du renseignement national a publié une note sur les nouvelles technologies critiques. Il indique que "comme on s'attend à un champ technologique plus large à l'avenir, de nouveaux développements technologiques apparaîtront de plus en plus souvent dans de nombreux pays sans être annoncés. Si la démocratisation de ces technologies peut être bénéfique, elle peut aussi être déstabilisante sur le plan économique, militaire et social.

C'est pourquoi les avancées dans des technologies telles que l'informatique, la biotechnologie, l'intelligence artificielle et la fabrication requièrent une attention particulière pour prévoir les trajectoires des nouvelles technologies et comprendre leurs implications en matière de sécurité." [iii] Les agences de renseignement américaines accordent une attention particulière aux semi-conducteurs, à la bioéconomie, aux systèmes autonomes et aux ordinateurs quantiques.

Auparavant, en juillet 2021, le président américain Joe Biden a publié un décret visant à encourager la concurrence dans l'économie américaine. [iv] Elle est intervenue au milieu de discussions sur la nécessité de dompter le pouvoir croissant des grandes plates-formes technologiques dont la puissance nuit à la concurrence dans l'économie américaine, et sur la nécessité d'aider à maintenir la position des États-Unis en tant que leader technologique mondial face à la concurrence de la Chine.

Dans un communiqué de presse de la Maison Blanche daté du 2021, le président a reconnu l'importance du leadership dans les domaines technologiques critiques, tels que les normes sans fil et de cinquième génération (5G), et a annoncé un nouveau partenariat public-privé entre la National Science Foundation et le ministère de la Défense pour soutenir la recherche sur les réseaux et systèmes de prochaine génération. [v]

Cependant, les chercheurs du Renewing American Innovation Project estiment que le décret maintient le leadership de la Chine dans la 5G et pose donc un risque inutile pour la sécurité nationale, laissant le leadership américain dans cet espace vulnérable. Dans le même temps, la Chine reconnaît à la fois le pouvoir du renforcement des droits de propriété intellectuelle (PI) pour récompenser ses inventeurs, et le pouvoir de la loi antitrust comme outil de politique industrielle, tout en maintenant la viabilité de ses propres entreprises. [vi]

Les brevets sont reconnus comme l'un des seuls outils dont disposent les start-ups, les petites entreprises et les inventeurs pour protéger leurs idées, tandis que les grandes plateformes technologiques disposent de plusieurs autres moyens pour protéger et monétiser leurs idées, comme l'intégration verticale et la formation de conglomérats, où les deux stimulent l'économie. aux grandes plateformes.

C'est pourquoi les grandes plateformes technologiques se sont traditionnellement opposées à l'IA au Congrès et dans les tribunaux pour cette raison, selon les recherches. Les petites entreprises et les inventeurs individuels ne disposent souvent pas des investissements et des capitaux nécessaires pour traduire leurs intentions en produits et services commerciaux à grande échelle ou pour les monétiser sur des marchés connexes.

Au contraire, ils créent souvent des prototypes, espérant trouver d'autres développeurs pour fabriquer et commercialiser plus avant leurs inventions et récupérer leur investissement en recherche et développement (R&D) en concédant des licences de leurs inventions à ces développeurs. Cela est vrai non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour d'autres pays, dont la Russie.

La tendance actuelle est que la réglementation des brevets aidera la Chine à long terme, car elle dissuadera les entreprises américaines d'investir et permettra à Pékin de prendre la tête des normes critiques de la 5G (et de la future 6G).

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Selon la communauté américaine du renseignement, si davantage de réseaux mondiaux fonctionnent avec Huawei et d'autres technologies chinoises, la Chine pourra alors voler des secrets commerciaux, recueillir des renseignements et influencer ses concurrents en fermant les infrastructures de communication et en punissant les détracteurs.

On peut attribuer cela à la politique anti-chinoise de Washington et à la manipulation des données reflétant l'implication croissante de la Chine. Toutefois, si l'on regarde les statistiques objectives, le nombre de délégués associés à des organisations chinoises participant au projet de partenariat de troisième génération (3GPP) a considérablement augmenté ces dernières années.

Ce projet, lancé en 1988, est un organisme de normalisation dont les membres sont les plus grandes entreprises de télécommunications du monde. Gagnant en influence au fil du temps avec l'introduction de la 4G et maintenant de la 5G, le 3GPP s'est retrouvé au centre d'un débat géopolitique sur l'importance de la 5G pour l'économie mondiale.

Pour l'instant, c'est la Chine qui compte le plus grand nombre de représentants d'autres pays. Et en novembre 2021, Huawei possédait le plus grand portefeuille 5G et annonçait le plus grand nombre de familles de brevets (un ensemble de brevets obtenus dans différents pays pour protéger une invention), ce qui en fait le leader et laisse derrière lui des acteurs tels que Qualcomm aux États-Unis, Samsung en Afrique du Sud, la Corée et Nokia en Finlande.

Aucune entreprise ni aucun pays ne peut combler aussi rapidement l'écart de leadership technologique, même si, pour l'instant, les États-Unis et l'Union européenne continuent de tenir la tête en matière de participation aux normes et à certaines technologies. Bien que le nombre de contributions et de divulgations de brevets ne soit pas une indication de la valeur ou de la qualité, ces modèles illustrent l'investissement croissant de la Chine dans la technologie cellulaire pour combler l'écart avec ses concurrents.

Les États-Unis tentent de contrer la Chine à la fois directement et indirectement, en créant de nouvelles initiatives avec leurs partenaires.

Le Conseil du commerce et de la technologie a été lancé lors du sommet États-Unis-UE de juin 2021. [vii]

Ses objectifs déclarés sont les suivants :

- Élargir et approfondir le commerce et les investissements bilatéraux ;

- Le rejet de nouvelles barrières techniques au commerce ;

- Collaboration dans les domaines clés de la technologie, du numérique et de la politique de la chaîne d'approvisionnement.

- Soutien à la recherche conjointe ;

- Coopération dans le développement de normes compatibles et internationales ;

- Promouvoir la coopération dans le domaine de la politique et de l'exécution ;

- Promouvoir l'innovation et le leadership des entreprises européennes et américaines.

Le Conseil comprendra initialement les groupes de travail suivants, qui traduiront les décisions politiques en résultats concrets, coordonneront les travaux techniques et rendront compte au niveau politique :

- Collaboration sur les normes technologiques (notamment l'intelligence artificielle et l'Internet des objets, entre autres technologies émergentes) ;

- Climat et technologies vertes ;

- Sécuriser les chaînes d'approvisionnement, y compris les semi-conducteurs ;

- Sécurité et compétitivité des TIC ;

- Gestion des données et plateformes technologiques ;

- L'utilisation abusive des technologies qui menacent la sécurité et les droits de l'homme;

- Contrôles des exportations ;

- Filtrage des investissements ;

- Promouvoir l'accès des PME aux technologies numériques et leur utilisation ;

- Questions relatives au commerce mondial.

Parallèlement, l'UE et les États-Unis ont établi un dialogue conjoint sur la politique de concurrence en matière de technologie qui se concentrera sur l'élaboration d'approches communes et le renforcement de la coopération en matière de politique de concurrence et d'application des règles dans les secteurs technologiques.

Le 3 décembre 2021, le Département d'État américain et le Service d'action extérieure de l'UE ont publié une déclaration commune sur les consultations de haut niveau sur la région indo-pacifique. Outre les déclarations de valeurs et d'intérêts communs, notamment les tendances actuelles liées à la pandémie de coronavirus et au changement climatique, il existe un certain nombre d'aspects techniques tels que les normes de travail, les infrastructures, les technologies critiques et émergentes, la cybersécurité, etc.

Sont également mentionnés l'approfondissement de la coopération avec Taïwan et l'intégration des initiatives d'infrastructure régionale Build Back Better World et EU Global Gateway. Le premier est mené par les États-Unis et le second par l'UE, respectivement. [Bien sûr, tout cela est fait pour contenir la Chine, y compris l'initiative "Belt and Road".

Il existe des exemples de confrontation flagrante, conduisant à ce que l'on appelle le découplage, c'est-à-dire la rupture des relations commerciales et économiques.

Le 24 novembre 2021, le ministère américain du Commerce a annoncé qu'il imposerait des contrôles à l'exportation à huit entreprises chinoises spécialisées dans l'informatique quantique. Une semaine plus tôt, Bloomberg a fait état de nouveaux contrôles à l'importation mis en place par un groupe industriel chinois quasi-étatique connu sous le nom de "Comité Xinchuan", qui établit effectivement une liste noire des entreprises technologiques détenues à plus de 25 % par des sociétés étrangères qui fournissent des industries sensibles. [X]

Le ministère du Commerce a déclaré dans un communiqué de presse qu'il avait ajouté huit entreprises chinoises spécialisées dans l'informatique quantique à la liste afin "d'empêcher que les nouvelles technologies américaines soient utilisées pour les efforts d'informatique quantique [militaires chinois]".

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Il est interdit aux entreprises américaines d'exporter certains produits à des sociétés cotées en bourse sans demander une licence spéciale au département du commerce, et ces licences sont rares. Une telle liste a été créée à la fin des années 1990 pour répondre au problème de la prolifération des armes, mais est devenue depuis un instrument courant de pression des États-Unis sous couvert de protection de leurs intérêts économiques.

Et cela a entraîné une réaction correspondante de la Chine, comme dans le cas des sanctions contre la Russie. Les analystes chinois affirment que la création du comité Xinchuan et la recherche par la Chine de l'autosuffisance technologique sont le résultat direct des contrôles américains des exportations. Le cabinet de recherche Internet chinois iResearch a déclaré que "la politique d'endiguement des États-Unis, illustrée par la liste des entités, a été un catalyseur direct pour pousser la Chine à établir le secteur Xinchuan... [La liste des entités] a mis en évidence le besoin urgent pour la Chine d'investir davantage dans l'innovation technologique et de produire des technologies clés en Chine".

On prétend également que l'appel du président Xi Jinping à une plus grande autosuffisance technologique était motivé en partie par ce qu'il considérait comme l'impact des restrictions américaines à l'exportation sur Huawei.

En novembre, des rapports ont révélé que le régulateur central chinois de l'Internet a approché les cadres supérieurs du géant Didi Chuxing pour leur demander de proposer un plan visant à retirer la société de la Bourse de New York pour des raisons de sécurité des données. Ces gestes indiquent que le fossé technologique entre les États-Unis et la Chine va se poursuivre, malgré les assurances des deux dirigeants qu'ils sont prêts à résoudre le différend.

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Les partenaires européens de l'OTAN des États-Unis sont également inclus dans la politique anti-chinoise. "La Chine constitue une menace non seulement du point de vue de la défense, mais aussi du point de vue économique, et pose également des défis à court et moyen terme pour la reprise post-pandémique et la transition vers une énergie propre. Ce domaine est la sécurité de l'approvisionnement en matières premières critiques et, en particulier, en éléments de terres rares", indique le site web du Centre international estonien pour la défense et la sécurité. [xi]

Il existe un groupe de 17 éléments dans le tableau périodique qui sont utilisés dans la production de biens de haute technologie, de supraconducteurs, d'aimants et d'armes (et plus récemment dans la production d'énergie propre), de sorte que l'utilisation de ces minéraux a considérablement augmenté la demande. pour eux, mais leur extraction et leur approvisionnement dépendent largement de la Chine.

La Commission européenne a déjà développé un système d'information sur les matières premières et continuera à le mettre à jour et à l'améliorer, mais il reste encore beaucoup à faire. La Commission renforcera son travail avec les réseaux de prospective stratégique afin de développer des preuves solides et des scénarios de planification pour l'offre, la demande et l'utilisation des matières premières dans les secteurs stratégiques.

Ces réseaux assurent une coordination politique à long terme entre toutes les directions générales de la Commission européenne. La méthodologie utilisée pour évaluer la criticité de certaines ressources pourra également être révisée en 2023 afin d'intégrer les dernières connaissances. [xi]

Surmonter les défis

La société de haute technologie Mitre, qui est l'un des contractants du Pentagone, a publié en août 2021 un rapport sur la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Il y est question de préparer une action nationale, c'est-à-dire un effort de collaboration impliquant le gouvernement, l'industrie et le monde universitaire, en réponse aux défis technologiques posés par les avancées et les ambitions de la Chine pour les États-Unis. [xiii]

Nous avons identifié trois recommandations qui sont de nature universelle, c'est-à-dire qu'elles peuvent être appliquées à tout État, y compris la Russie, en s'adaptant aux réalités nationales.

1.

"N'essayez pas trop fort. Plutôt que de supposer que n'importe qui peut identifier et gérer les nombreux facteurs qui stimulent l'innovation technologique et l'adoption dans l'ensemble de l'économie américaine, une politique fédérale prudente en matière de science et de technologie devrait se concentrer sur ce qui est le plus nécessaire pour assurer le succès concurrentiel national dans le domaine de la haute technologie, y compris l'élimination des défaillances réelles et identifiables du marché .....

Nous devons également remédier au manque de financement dans la "vallée de la mort" intermédiaire du cycle de vie technologique, entre la recherche fondamentale et le stade final de la commercialisation : c'est-à-dire les étapes où les nouvelles idées technologiques sont validées et démontrées dans un environnement approprié. Cette zone correspond à peu près à la zone située entre la zone académique traditionnelle de la recherche fondamentale et la zone de confort du secteur privé dans le prototypage et le déploiement de nouvelles applications.

2.

Fournir une approche "techno-systémique". Une stratégie technologique efficace ne doit pas seulement couvrir le développement de nouveaux gadgets en soi, mais aussi prendre en compte les vastes facteurs réglementaires, institutionnels, politiques et même sociologiques associés à l'adoption efficace de la technologie et au développement de nouveaux cas d'utilisation.

Cela nécessite une réflexion sur les "systèmes de systèmes", qui couvre également des questions plus pratiques sur le fonctionnement de l'économie technologique au sens large. De ce point de vue, la gestion de la technologie (par exemple, les normes techniques, les incitations fiscales, la sécurité de la chaîne d'approvisionnement, les contrôles technologiques, le suivi et l'audit du financement de la R&D, une main-d'œuvre de qualité) peut être aussi importante pour le succès que des idées techniques plus intelligentes.

Dans le cadre d'une stratégie scientifique et technologique nationale, c'est le gouvernement qui a un rôle particulier à jouer ici, car pour un tel "technosystème", les enjeux sont souvent liés à des problèmes et à des facteurs, qu'ils soient purement nationaux ou systémiques, comme la sécurité nationale. Il s'agit de questions sur lesquelles les entités du secteur privé ne sont généralement pas incitées à dépenser leurs ressources.

3.

Accrochez-vous à vos valeurs. Selon cette publication, face aux énormes défis économiques et technologiques de la Chine, les États-Unis ne peuvent pas poursuivre une stratégie analogue à la "fusion civilo-militaire" de Pékin, car les dirigeants américains ne doivent pas utiliser la coercition de l'État pour la coopération intersectorielle et l'utilisation des mécanismes du marché à des fins étatiques (en fait, de telles méthodes ont été utilisées dans l'histoire des États-Unis, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale - ndlr).

Il est demandé de veiller, quelle que soit la forme qu'elle prenne, à coordonner les efforts nationaux visant à intensifier la collaboration innovante et volontaire entre les processus publics, privés et éducatifs, ainsi que le financement fédéral de la recherche et du développement des entreprises, avec le rôle clé des organisations à but non lucratif. intermédiaires favorisant la collaboration et régulant les divisions entre les intérêts concurrents.

Outre les décisions politiques, une approche idéologique peut également être utilisée. Eileen Donahue, directrice exécutive du Stanford Global Digital Policy Incubator et ancienne ambassadrice des États-Unis auprès de l'ONU, estime que la numérisation, et notamment l'intelligence artificielle, peut contribuer à renforcer la démocratie libérale et donc la puissance américaine. Elle propose de considérer la concurrence dans le cyberespace à travers le prisme de la rivalité systémique, où la Chine est présentée comme un régime autoritaire qui représente une menace.

Selon elle, "les pratiques technologiques dont nous faisons preuve dans notre contexte national, les normes que nous défendons dans les forums technologiques internationaux et les investissements que nous faisons dans les nouvelles technologies et les infrastructures d'information démocratiques se renforceront mutuellement. Si cet ensemble complexe de tâches est embrassé et traité avec le sens de l'urgence et de l'objectif qu'il mérite, un avenir démocratique prospère et sûr peut être renforcé.

Ce sont les éléments les plus importants sur lesquels nous pouvons construire une société numérique démocratique." Cependant, étant donné les innombrables contradictions au sein des États-Unis, il est difficile de savoir comment mettre cela en pratique.

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Énergie, semi-conducteurs et stockage en nuage

L'énergie propre est un autre domaine technologique prometteur.

Selon une étude du CSIS sur la production d'énergie propre aux États-Unis, une analyse et une évaluation sérieuses de la diversification énergétique et économique sont nécessaires pour optimiser les stratégies actuelles. [xv]

À l'heure actuelle, les sources sans carbone (énergies renouvelables et nucléaire) fournissent un faible pourcentage des électrons qui alimentent les bâtiments et le secteur des transports. Mais au fil du temps et de la croissance de la demande énergétique, les sources d'énergie sans carbone représenteront une part plus importante de la production. 21% des entreprises privées et 61% des gouvernements nationaux ont déjà fixé des objectifs ambitieux de décarbonisation ou d'émissions zéro.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, d'ici 2040, avec une forte croissance de la production d'énergie éolienne et solaire, les énergies renouvelables représenteront environ 47 % du marché mondial de l'électricité, contre 29 % aujourd'hui (voir graphique). En 2050, les sources d'énergie renouvelables représenteront plus de 90 % de la production totale d'énergie et les combustibles fossiles moins de 10 %. [xxi]

Et la transition vers de nouveaux types d'énergie entraînera inévitablement la création d'un nouveau paysage technologique pour les flux énergétiques mondiaux. Actuellement, les chaînes d'approvisionnement complexes et puissantes reliant la production à la consommation sont constituées de pipelines et de routes maritimes avec des infrastructures pour les pétroliers et les gaziers.

Des pourparlers sont déjà en cours pour exporter de l'hydrogène vert vers l'Europe à partir d'endroits où l'électricité renouvelable bon marché est abondante, comme le Moyen-Orient et l'Islande, ou de l'Australie vers le Japon. Il existe déjà des projets de construction de réseaux de transmission d'électricité depuis les zones à fort potentiel de production d'électricité renouvelable vers les centres de demande, comme la ligne de transmission Australie-ASEAN reliant l'Australie à Singapour.

Les technologies du cloud, qui offrent une puissance de calcul et une capacité de stockage de données accrues, constituent un autre domaine critique.

Actuellement, les États-Unis représentent près de 40 % des principaux centres de données Internet et de cloud computing, mais l'Europe, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie-Pacifique affichent des taux de croissance plus élevés. Aujourd'hui, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Australie représentent ensemble 29 % du total. Les fournisseurs mondiaux de centres de données en nuage hyperscale ne sont présents que dans quelques grands marchés émergents, tels que le Brésil et l'Afrique du Sud.

Ils sont principalement situés dans les pays à revenu élevé et moyen supérieur. Parmi les opérateurs hyperscale, Amazon, Microsoft et Google représentent collectivement plus de la moitié de tous les grands centres de données, ainsi que d'autres acteurs clés, dont Oracle, IBM, Salesforce, Alibaba et Tencent. Les plus grands fournisseurs de services en nuage exploitent des centres de données dans le monde entier, segmentant les clients en différentes régions qui peuvent s'étendre sur plusieurs pays, voire des continents entiers.

Les semi-conducteurs figurent également sur la liste des technologies critiques. Récemment, un terme spécial "chipageddon" est apparu, reflétant la pénurie mondiale de puces informatiques qui est apparue l'année dernière. [xviii]

Comme indiqué, tout a commencé par le fait que la demande d'électronique grand public a augmenté en raison de l'enfermement, car de nombreuses personnes ont été contraintes de travailler et d'étudier à la maison.

Les puces semi-conductrices sont également utilisées dans les appareils ménagers, les moniteurs et les automobiles. Par exemple, une voiture moderne peut avoir plus d'une centaine de puces.

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Et la production de 60 à 70 % des puces à semi-conducteurs du monde et de 90 % des puces les plus avancées se fait à Taïwan. En 2021, le manque à gagner qui s'est produit est lié à diverses circonstances. Mais, en fait, la raison en est la sécheresse qui a sévi sur l'île en 2020. Le fait est que la fabrication des puces informatiques est assez laborieuse : il faut environ 8 000 litres d'eau pour produire un seul panneau de puces.

Si le secteur agroalimentaire taïwanais a été le plus sévèrement limité en 2020, les entreprises de puces à semi-conducteurs ont également réduit leurs volumes de production.

Dans ce contexte, l'environnement géographique devient un environnement technostratégique. Compte tenu de l'utilisation de technologies à double usage dans l'armée et de l'importance de l'innovation en matière de défense, les armées des pays leaders mettent également l'accent sur les priorités technologiques.

Le ministère américain de la défense a identifié onze de ces domaines : systèmes de contrôle de combat entièrement en réseau, 5G, technologies hypersoniques, guerre cybernétique/informationnelle, énergie dirigée, microélectronique, autonomie, IA/apprentissage machine, science quantique, espace et biotechnologie, dans lesquels des investissements sont réalisés. attirant activement. [xviii]

La Russie devrait également tirer certaines leçons de la concurrence technologique. Un protectionnisme approprié, la promotion de nos propres développements et le soutien au secteur scientifique et technique ne sont plus des questions d'économie domestique, mais de géopolitique mondiale.

Notes:

[i] https://hello-tomorrow.org/bcg-deep-tech-the-great-wave-of-innovation/

[ii] https://www.bcg.com/publications/2021/deep-tech-innovation

[iii] https://www.dni.gov/files/NCSC/documents/SafeguardingOurFuture/FINAL_NCSC_Emerging%20Technologies_Factsheet_10_22_2021.pdf

[iv] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/07/09/fact-sheet-executive-order-on-promoting-competition-in-the-american-economy/

[v] https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2021/04/27/the-biden-administration-invests-in-research-to-develop-advanced-communications-technologies/

[vi] https://www.csis.org/analysis/promoting-competition-american-economy

[vii] https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3909528

[viii] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_2990

[ix] https://www.state.gov/eu-us-joint-press-release-by-the-eeas-and-department-of-state-on-the-high-level-consultations-on-the -indo-pacifique/

[x] https://www.lawfareblog.com/us-china-tech-decoupling-accelerates-new-export-controls-chinese-quantum-computing-companies

[xi] https://icds.ee/en/chinas-rare-earth-dominance-is-a-security-risk-for-nato-and-western-supply-chain-resilience/

[xii] https://hcss.nl/report/energy-transition-europe-and-geopolitics/

[xiii] https://www.mitre.org/sites/default/files/publications/pr-21-2393-charting-new-horizons-technology-and-us-competitive-success.pdf

[xiv] https://www.justsecurity.org/78381/system-rivalry-how-democracies-must-compete-with-digital-authoritarians/

[xv] https://csis-website-prod.s3.amazonaws.com/s3fs-public/publication/211207_Higman_Clean_Energy_Opportunity.pdf?QdgdC6L90fRgz9F6PgP2F2DEDr0QySI

[xvi] https://www.strategy-business.com/article/State-of-flux

[xvii] https://www.abc.net.au/news/2021-05-07/what-does-chipageddon-have-to-do-with-climate-change/13327926

[xviii] https://cimsec.org/the-influence-of-technology-on-fleet-architecture/

Heartland et Rimland dans la géopolitique de la Chine, de la Russie et des États-Unis: un retour à la lutte pour le Rimland au 21e siècle?

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Heartland et Rimland dans la géopolitique de la Chine, de la Russie et des États-Unis: un retour à la lutte pour le Rimland au 21e siècle?

Par Pedro Sánchez Herráez

Source: https://kontrainfo.com/heartland-y-rimland-en-la-geopolitica-de-china-rusia-y-eeuu-retorno-a-la-lucha-por-el-rimland-en-el-siglo-xxi-por-pedro-sanchez-herraez/

Dans un contexte de reconfiguration géopolitique de la planète, et à une époque où, en raison tant de l'essor des "nouvelles technologies" que de la pandémie de COVID-19, il semble que tout soit nouveau, que tout soit différent (1), que tout reparte de zéro ou, du moins, que nous nous trouvions à un tournant de l'histoire sans parangon, avec peu ou pas de références, et dans lequel tout ce qui précède n'est pas valable et ne sert même pas de point de départ à la réflexion. Après la fin du système bipolaire de la guerre froide, le pouvoir croissant des acteurs non étatiques et l'augmentation de leur capacité d'action contre les États - il suffit de rappeler le 11 septembre et le début de la "guerre contre le terrorisme" qui annonçait une nouvelle ère et la fin des "disputes classiques" - ont semblé mettre un bémol aux théories géopolitiques classiques et ont donné des ailes aux idées de la fin de la rivalité entre les puissances, une réalité qui, pendant des siècles, avait été le moteur et la cause des disputes, des guerres, des accords, des alliances, des trahisons..... C'est pourquoi, apparemment, la recherche de l'hégémonie par une nation et les efforts des autres pour l'éviter, ou au moins pour atteindre un point d'équilibre des forces, un équilibre toujours instable, mais pour le maintien duquel les efforts de toutes sortes et dans tout le spectre de la stratégie (diplomatique, politique, informative, de renseignement, militaire, économique, etc.) des autres nations étaient dirigés, semblaient être une sorte de défi. ) des autres nations, semblait appartenir au passé. Une nouvelle ère s'ouvrait.

Et si en plus, comme à d'autres périodes de l'histoire, les "talibans" d'une tendance ou d'une autre(2), ou des prophètes plus ou moins bien informés ou intéressés théorisent sur la perte de valeur de tout ce qui a précédé sur la base de la nouveauté - qu'elle soit réelle ou non - des nouveaux environnements contestés - de l'espace extra-atmosphérique au domaine cognitif - et que de "nouveaux" termes sont inventés - tels que "influence"(3), "zone grise"(4), "guerre hybride"(5)..., parmi beaucoup d'autres - il se pourrait qu'une interprétation radicale des "nouveautés" conduise au sentiment qu'il n'existe en effet aucun parallèle antérieur pour le moment de contestation globale dans lequel la planète se trouve plongée. Ainsi, la résurgence progressive de la Russie depuis 2000 - sous la direction de Poutine -, le décollage de la Chine et son positionnement comme deuxième économie mondiale en 2011, et son rapprochement dans tous les domaines avec ce qui reste la première puissance mondiale, les États-Unis d'Amérique, ainsi que le néo-ottomanisme croissant de la Turquie et son désir d'expansion, peuvent en être la raison, ou du moins d'influence sur la plupart des territoires de l'ancien Empire ottoman, face, dans une certaine ou grande mesure, à une réduction relative des capacités et peut-être de la volonté d'autres nations ou groupes de nations (comme l'Union européenne) d'occuper une place adéquate dans cette dispute pour "une place au soleil", tout cela peut créer un environnement sans équivalent dans le passé. Et peut-être que c'est le cas, et que rien du passé ne peut servir de point de référence. Ou bien le peut-il ?

Questions du passé : le Rimland ?

Au-delà de l'éternelle querelle entre thalassocraties et tellurocraties (puissances fondées respectivement sur la puissance maritime et la puissance terrestre), ce qui est certain, c'est que l'accès à la mer confère un avantage compétitif à une nation par rapport à celle qui ne possède pas cette possibilité ; pour cette raison, la recherche d'un débouché sur l'océan a été un facteur polémique classique, déclenchant des conflits tout au long de l'histoire de l'humanité. Et si, en plus, ce débouché sur la mer est souhaité à partir d'un espace qui occupe près d'un sixième des terres émergées de la planète, la situation acquiert évidemment une signification et un niveau mondiaux.

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Cette grande masse terrestre du continent eurasien correspond essentiellement à l'espace que la Russie a occupé au cours des siècles dans plusieurs des différentes organisations politiques qui se sont succédé depuis le 18e siècle : l'Empire russe, l'Union soviétique (une partie de celle-ci) et la Fédération de Russie. Et ce n'est pas seulement "la taille qui compte", pas seulement l'espace qui est un facteur de puissance, mais sa position relative sur le continent et sur la planète qui est venue motiver sa définition comme "heartland". Le Britannique Halford J. Mackinder (1861-1947) a écrit en 1904 l'ouvrage The geographic pivot of history(6) dans lequel - sous une forme simplifiée et comme on peut le voir sur l'image ci-jointe - il a identifié le "monde insulaire" (Europe, Asie et Afrique) comme l'essence de la puissance mondiale, et au sein de cette vaste étendue de terre, il a défini un "heartland" - également connu sous le nom de pivot mondial - (coïncidant essentiellement avec l'Empire russe alors existant) ; et a divisé la planète en une "zone pivot", essentiellement ce cœur planétaire, entouré d'un arc (proximal ou marginal) de terre et d'eau autour de lui, laissant le reste des espaces dans un "anneau extérieur" défini.

La fin de la Première Guerre mondiale (1914-1918), outre la disparition de quatre empires, a vu un réarrangement des frontières en Europe et dans une grande partie du Moyen-Orient sans précédent dans le passé.

Cela a conduit Mackinder à indiquer non seulement que la guerre avait réaffirmé son point de vue, mais à l'étendre dans un nouvel ouvrage(8), en réitérant que la puissance qui occupait et dominait le cœur du pays dominerait le monde insulaire, et que celui qui dominait le monde insulaire dominerait la planète. Et il a ajouté un nouvel élément à cette lutte mondiale en soulignant que celui qui dominerait l'Europe de l'Est dominerait le centre du pays, celui qui dominerait le centre du pays dominerait le continent insulaire, et celui qui dominerait le continent insulaire dominerait le monde(9). (9) Évidemment, les critiques et les visions différentes et différentielles n'ont pas manqué (en fait, en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Mackinder a répondu aux propositions de mise à jour de sa théorie par un nouvel essai, The Round World and the Winning of the Peace(10), la réaffirmant ; mais, malgré les différences, le schéma général, avec des nuances, a apparemment continué à avoir des visions et des adeptes similaires.

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Également au milieu de la conflagration, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, Nicholas Spykman (1893-1943) a développé une théorie, largement complémentaire à celle de Mackinder, et qui a été exposée principalement dans son œuvre posthume, The Geography of Peace. Il y reprend également ce concept de heartland, dont il ne nie pas l'importance mais la nuance qu'il a introduite est la signification renouvelée de cet "anneau marginal", cet anneau de circonvallation - qu'il a appelé "Rimland", comme on peut le voir dans l'image ci-jointe - entourant la masse terrestre qui était posée comme l'essence même de la puissance mondiale dans la vision mackinderienne, soit une zone dont le contrôle maintiendrait cette puissance  considérée comme mondiale isolée et incapable d'étendre son pouvoir sur sa périphérie. Par conséquent, il ne s'agissait pas de contrôler le Heartland, il suffirait de l'encercler. Spkyman a donc souligné que les efforts géopolitiques devraient être dirigés vers le contrôle du Rimland, car, a-t-il fait remarquer(11), celui qui le contrôle contrôle l'Eurasie, et celui qui contrôle l'Eurasie contrôle le destin du monde. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de ce que l'on appellera la Guerre froide, les tensions permanentes entre les deux grandes superpuissances, les États-Unis et l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), dans un monde divisé en blocs, une grande partie des litiges se déroulent dans le Rimland, dans cette zone qui permet le confinement ou l'expansion mondiale du heartland, selon qui la domine.

Et de la théorie de Spykman découle ce qui sera connu sous le nom de "politique d'endiguement"(12), qui visait à empêcher l'expansion de l'URSS et qui a été menée dans toute la zone entourant l'URSS - en plus d'autres parties de la planète - en utilisant la diplomatie, l'espionnage, les relations commerciales, la subversion et même l'intervention militaire directe. La nécessité perçue de renforcer ce Rimland est ce qui donnera naissance au plan Marshall(13) (1947), destiné à reconstruire une partie de l'Europe dévastée après la Seconde Guerre mondiale afin d'éviter qu'elle ne devienne une proie facile pour l'adversaire soviétique, et motivera également la "doctrine Truman"(14), (14), énoncé par le président américain Harry Truman en 1947, dans lequel les États-Unis déclaraient qu'ils aideraient tout pays pour l'empêcher de tomber aux mains de Moscou - ou des pays communistes dans leur ensemble, suite à la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Tse Tung en 1949. La Chine, un grand pays physiquement situé dans le Rimland contesté, est devenue un nouveau rival, ce qui a conduit les États-Unis à adopter la "théorie des dominos", selon laquelle il fallait empêcher un pays de tomber aux mains des communistes pour que les autres, comme les pièces du jeu de société susmentionné, ne tombent pas les uns après les autres. De la guerre de Corée (1950) à la guerre en Afghanistan (1979) et à la longue guerre du Vietnam, le Rimland est riche en conflits et a été le terrain d'utilisation de toutes sortes d'outils géopolitiques pour prendre le contrôle de cette grande bande de terre et de ces littoraux.

Après la chute du mur de Berlin en 1989 - et le départ de l'orbite soviétique de tous les pays "satellites" d'Europe de l'Est, un espace clé du Rimland - et la disparition de l'URSS en 1991, il semble que le vingtième siècle ait largement répondu au postulat géopolitique du heartland et de son expansion ou de son endiguement par le biais de différends dans le Rimland. Mais, coïncidence - ou non - ce postulat trouve ses racines, du moins les plus récentes, dans le siècle précédent, le 19e siècle.

L'expression "Grand Jeu", popularisée par Rudyard Kipling après son inclusion dans l'une de ses œuvres les plus connues (15), faisait référence à la lutte entre la Grande-Bretagne, la grande puissance maritime du 19e siècle, et l'Empire russe pour empêcher l'accès de ce dernier à la mer, notamment en Asie centrale, bien que l'expression, au fil du temps et par extension, a fini par s'appliquer à des actions menées sur toute la longueur de l'immense frontière russe, utilisant tout expédient imaginable, de la création d'États tampons (comme dans le cas paradigmatique de l'Afghanistan) au soutien de forces et de mouvements anti-russes locaux, en passant par l'utilisation de puissances rivales (comme dans le cas de l'Empire ottoman) avec la maxime "l'ennemi de mon ennemi est mon ami"... instrumentalisant dans ce "jeu" toutes les mesures (16) à la portée des Britanniques - et évidemment, recherchant l'effet inverse du côté russe (17) - afin d'éviter le contrôle des espaces donnant accès à ce "cœur" depuis l'océan, de manière à permettre à Moscou d'avoir une porte ouverte sur l'océan et sur le monde par laquelle elle pourrait projeter son énorme puissance et son potentiel. Dix-neuvième siècle, vingtième siècle... il semble que les mêmes questions - avec d'autres acteurs - soient abordées avec le même entêtement et la même ténacité... En sera-t-il de même au vingt-et-unième siècle ?

Une question d'actualité: alliance pour le Rimland ?

Au-delà des disquisitions et des arguments, pour et contre, quant à savoir si la planète connaît une nouvelle "guerre froide", ce qui est certain, c'est que le monde est en pleine reconfiguration géopolitique ; et que le monde est en pleine reconfiguration géopolitique ; et que le monde est en pleine nouvelle "guerre froide". Bien que la première puissance mondiale, les États-Unis d'Amérique, ait pivoté ses efforts vers l'Asie-Pacifique depuis 2011, face à la puissance et l'influence croissantes de la Chine, elle a aussi simultanément procédé à un relatif abandon géopolitique de nombreuses régions de la planète - de l'Afrique à l'affaiblissement du lien transatlantique - ce qui a généré un vide qu'exploitent ses concurrents et rivaux.

Mais l'ampleur du défi (le contrôle du Rimland) est énorme, il n'est donc pas possible pour une seule puissance de l'entreprendre; c'est une tâche complexe même pour une superpuissance.

La Russie est une puissance régionale, mais ce n'est pas l'ancienne Union soviétique, même si elle travaille activement à retrouver son statut de potentiel mondial ; la Turquie est un acteur régional puissant, qui tente d'étendre ses capacités et son influence.

La Turquie est un acteur régional puissant, qui cherche à étendre ses capacités et son influence dans cet espace carrefour entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique ; et la Chine, deuxième puissance économique mondiale mais qui présente encore des lacunes dans d'autres domaines (qu'elle comble à toute vitesse) et avec l'aspiration d'être la première puissance mondiale et le désir d'être une superpuissance à part entière, peut-être la superpuissance du 21e siècle.

En termes d'histoire et de potentiel, la Russie a été le champion de la lutte pour le Rimland. Mais confrontée à l'impossibilité de le faire seule, à la réalité de la montée en puissance de ses anciens rivaux - les relations de la Russie avec la Turquie et la Chine sont depuis des siècles loin d'être amicales (17) - et à la nécessité d'assurer un débouché à sa principale source de richesse, la vente d'hydrocarbures - à la fois parce que ces pays sont consommateurs, notamment la Chine, et parce qu'ils sont les points de transit des oléoducs et gazoducs, notamment la Turquie, outre le fait qu'un puissant réseau de ces "artères de la planète" traverse le Rimland contesté, par lequel des flux d'hydrocarbures pourraient s'effectuer hors du contrôle russe, ce qui n'est pas du goût de Moscou - il se pourrait qu'en fin de compte, bien qu'étant des "rivaux stratégiques", une "alliance tactique" ait été forgée qui permet, au moins, à l'"Occident" de refuser le Rimland. Ou du moins pour le moment, pendant que les postes de la région sont occupés.

Russie : l'ours sort à nouveau de la taïga

Pour la Fédération de Russie, pour la Russie, la sécurité de ses frontières, comprise dans un sens très large, a été une obsession tout au long de l'histoire. Par conséquent, sa position par rapport à son ancienne zone d'influence est toujours constante, et il est d'une importance vitale pour les intérêts de la Russie de consolider un périmètre de sécurité qui ne s'arrête pas à ses propres frontières(18). Et, associée à ce fait, s'ajoute la perception constante par la Russie de l'intention récurrente de ses rivaux de tenter de l'encercler et de l'isoler, de la séparer de la mer et de la repousser à l'intérieur de la steppe(19), loin du Rimland, quel que soit le modèle utilisé, qu'il s'agisse du "Grand Jeu" ou de la "politique d'endiguement". Et, au cours de ce siècle, comme le souligne Poutine lui-même, "Une fois que nous avons réussi à stabiliser la situation, une fois que nous nous sommes redressés [dans les années 2000], la politique d'endiguement a été immédiatement mise en œuvre. D'abord, pas à pas, puis de plus en plus. Et plus nous devenions forts, plus la politique d'endiguement devenait forte"(20). (20) Et à cette fin, toujours du point de vue russe, ses rivaux utilisent toutes sortes d'outils géopolitiques, ce qui, parmi de nombreuses autres conséquences, a conduit aux soi-disant révolutions de couleur(21), des révoltes qui, du point de vue de Moscou, ne sont rien d'autre que des subversions sous les auspices des États-Unis, ne sont rien d'autre que des subversions parrainées par d'autres nations, rien d'autre que l'utilisation de l'extrémisme comme outil géopolitique et la redistribution des sphères d'influence(22), rien d'autre qu'une nouvelle tentative pour essayer de séparer la Russie du soi-disant "espace post-soviétique".

Le but de la Russie est de regagner ou du moins de maintenir un haut degré d'influence dans cet espace, soit dans les anciennes républiques qui, avec la Russie, formaient l'URSS (23) - la Russie est jaune sur la carte et le reste des républiques soviétiques dans des couleurs autres que le gris; cette tension est aggravée par la vision panrusse du soi-disant "monde russe" (24), qui inclut non seulement les zones où il y a des minorités ou des groupes de "Russes", mais même les zones qui sont sympathiques à la Russie.

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Comme l'a souligné le président russe de l'époque peu après la guerre avec la Géorgie en 2008, en ce qui concerne les lignes de la politique étrangère russe, Moscou a des régions d'intérêt privilégié, outre bien sûr les régions frontalières, mais pas seulement celles-ci(25). Et les accusations selon lesquelles l'Union européenne (UE) et l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) tentent de pénétrer son glacis sécuritaire(26) ont pris de l'ampleur dans les déclarations de Moscou depuis le milieu de la dernière décennie. Et si la Russie continue de chercher activement à maintenir sa sphère d'influence, cette partie de l'Eurasie qu'elle considère comme essentielle à ses intérêts et à sa sécurité, il n'en est pas moins vrai que la présence croissante de la Chine et de la Turquie met à l'épreuve les capacités de la Russie en Eurasie, Car si les relations sont complexes, il existe des points d'accord avec Pékin - et moins avec Ankara - car en plus de partager la vision d'un monde multipolaire (c'est-à-dire "non dominé par l'Occident"), Moscou ne les considère pas comme une menace pour son ordre interne(27). (27) La nécessité a conduit Moscou, du moins pour l'instant, à se tourner vers ses anciens rivaux pour obtenir un soutien.

Et quels sont les intérêts de ces alliés/rivaux ?

Turquie : le loup hurle à nouveau

La Turquie, en pleine tentative de récupération de la géopolitique néo-ottomane, continue d'employer différents outils pour étendre son influence et sa présence dans cette partie clé du monde.

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Sa propre position en tant que point de passage terrestre entre le Moyen-Orient, l'Europe et l'Afrique - comme le montre l'image ci-jointe reflétant l'ancien Empire ottoman - ainsi que la présence de populations partageant les mêmes idées au Moyen-Orient et en Afrique - ainsi qu'au Moyen-Orient et en Afrique - comme le montre l'image ci-dessous.

La présence de populations apparentées sur le plan ethnique et linguistique, ainsi que de puissants efforts employant toute la panoplie des outils géopolitiques - y compris parfois face à des accusations de soutien au fondamentalisme islamique dans ses formes les plus violentes(28) - pour obtenir une position avantageuse dans la région, en font un acteur à considérer, au moins à l'échelle "régionale" dans ce Rimland contesté. Bien que la Russie et la Turquie, l'Empire russe et l'Empire ottoman, se soient livrés à des guerres continues jusqu'au XXe siècle, dans la quête de Moscou d'un débouché sur la mer, et que dans l'imaginaire et dans leurs visions du monde respectives, ils occupent des positions opposées, au cours de la dernière décennie, ils ont coopéré face aux différends que les deux nations ont avec l'Occident. Ainsi, des projets d'oléoducs et de gazoducs traversant le sol turc afin de transporter les hydrocarbures russes autour de l'Ukraine à la collaboration relative et aux accords conclus dans la guerre syrienne et dans le récent conflit du Nagorno-Karabakh (2020) dans le Caucase, la relation entre les deux puissances est basée sur le pragmatisme, mais sans oublier qu'en Libye, lors de la récente guerre civile, elles se sont rangées dans des camps opposés, ou que les rêves impériaux de la Turquie sont considérés avec suspicion par Moscou, car elles partagent des zones d'influence et un désir de contrôle. Ainsi, de temps à autre, il est possible de trouver des reportages sur la "grandeur des rêves impériaux de la Turquie"(29) dans les médias russes, soulignant l'appétit d'Ankara pour les régions des Balkans, du Caucase et de l'Asie centrale, et la manière dont elle y mène une politique active, voire agressive. La Turquie y voit une occasion d'essayer de restaurer la zone d'influence ottomane, de l'Adriatique à la Grande Muraille de Chine(30), et malgré sa rivalité avec la Russie, elle mène une politique étrangère très active, qui implique des négociations et des accords avec Moscou, soulignant que le 21e siècle sera le siècle de la Turquie (31).

Cependant, la Turquie, membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), en raison de ce néo-ottomanisme et de sa relation avec la Russie, est en désaccord avec plusieurs pays voisins, et même avec d'autres membres de l'OTAN, comme la Grèce et la France, avec lesquels il y a eu des incidents, surtout en Méditerranée orientale ; et en fait, les relations entre la Turquie et les États-Unis sont au plus bas, Washington évoquant même la perte d'un certain niveau de confiance(32). On fait également remarquer que les ambitions de la Turquie sont peut-être trop vastes et que, compte tenu de la nécessité éventuelle de choisir entre Washington et Moscou(33), les avantages pour Ankara seraient plus importants dans le premier cas qu'avec la Russie... le différend est couru d'avance. La maxime consistant à donner la priorité à ses propres intérêts sur toutes les autres questions est donc pleinement valable dans la lutte pour le Rimland... mais cet équilibre peut-il être maintenu face à la véritable puissance du Rimland, la Chine?

Chine : le dragon déploie ses ailes !

L'ascension irrésistible de la Chine au cours des dernières décennies lui a permis de dépasser le stade de "puissance émergente" pour devenir, au cours de la dernière décennie, une puissance "pleinement émergente", ce qui est apparu très clairement lorsqu'elle est devenue la deuxième plus grande économie du monde en 2011, dépassant le Japon.

En septembre 2013, lors d'une visite du président chinois Xi Jinping au Kazakhstan (un pays situé en Asie centrale, au milieu du Rimland), la Chine a lancé(34) la soi-disant Nouvelle route de la soie, une initiative qui sera complétée un mois plus tard par la proposition d'une Route de la soie maritime. Progressivement, la vision et les projets se sont développés en termes de portée, d'intensité et de domaines, ainsi qu'en termes de terminologie, l'acronyme OBOR (One Belt One Road) étant de plus en plus utilisé comme idée principale. Du point de vue chinois, la nouvelle route de la soie ne doit pas être considérée dans une perspective de guerre froide, ni comme un nouveau "plan Marshall", car il s'agit d'un élément de coopération(35) qui, en augmentant les possibilités de mobilité et d'interconnexion, augmentera également les possibilités de croissance économique pour tous les pays impliqués dans l'initiative, créant ainsi une sphère de prospérité partagée.

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Mais cette nouvelle route de la soie - dont l'image ci-jointe montre l'une des diverses approches - envisage de contourner la l'espace centre-asiatique par voie terrestre et maritime et de créer une sphère de prospérité partagée, contournant donc le Heartland sur toute la longueur du Rimland, avec l'intention de la Chine de créer un autre axe majeur par le nord, à travers la Russie elle-même, le long du Transsibérien, qui n'a jamais été au goût de Moscou, indiquant que, bien qu'elle soutienne l'Initiative, elle n'en fait pas partie (36), et qu'elle fera toujours passer ses propres intérêts en premier.

Outre l'expansion de la Chine en Asie, dans la zone indo-pacifique (37) en utilisant, entre autres éléments, cette Initiative, elle se développe également dans de nombreuses régions de l'ancien espace post-soviétique, que ce soit en Asie centrale, dans le Caucase ou en Europe de l'Est même. Et la Russie voit nombre des nations dans lesquelles elle considère avoir un "intérêt privilégié" - selon sa propre terminologie - opter, à des degrés divers, pour le nouveau partenaire asiatique, ce qui entraîne une perte de la capacité d'influence de Moscou dans l'ensemble de son glacis de sécurité ; même au Belarus(38), la présence des investissements chinois est de plus en plus significative, ce qui ne satisfait pas pleinement les intentions et les prétentions russes, car Pékin offre une alternative puissante au précédent quasi-monopole de Moscou.

En effet, dans une zone d'influence russe classique comme les Balkans, la présence chinoise supplante progressivement Moscou ; des nouvelles telles que "la Chine remplace la Russie" comme principal investisseur au Monténégro" (39) ; "La Chine accroît sa présence dans les médias des Balkans"(40), ou "La Chine a dépassé la Russie comme principal allié de la Serbie" (41). D'autre part, et malgré l'approche possibiliste de l'Initiative, celle-ci comprend également, en plus de nombreux défis, la possibilité de plusieurs risques - entre autres, ceux communs à tout grand projet d'infrastructure -(42) : risque de dette et de non-paiement, risques de gouvernance (corruption), risque de travaux inachevés et non terminés, ainsi que risques environnementaux et sociaux. En effet, il est noté que l'Initiative change les villes et menace les communautés(43), alors que des projets massifs de construction d'infrastructures, de parcs d'affaires, de zones logistiques, de ports et d'aéroports, de pipelines, d'oléoducs et de gazoducs et d'autres projets d'infrastructures et de communication, etc. ne tiennent souvent pas compte, surtout dans les régions où la législation est plus laxiste, des aspects fondamentaux pour la qualité de vie et le développement des sociétés.

Le risque le plus analysé jusqu'à présent est ce que l'on appelle le "piège de la dette"(44), c'est-à-dire la situation générée par l'incapacité potentielle des pays à rembourser les prêts accordés et donc à rester dans une situation où ils sont incapables de payer leurs dettes et ainsi d'être laissés entre les mains de leur créancier - dans la plupart des cas, par rapport à l'Initiative, et sous différentes formes, la Chine. Et à cause de l'interdépendance des flux économiques, il est possible que la faillite d'une nation affecte celles qui l'entourent, au moins à l'échelle régionale, ce qui pourrait générer un nouvel "effet domino".

Cela pourrait générer un nouvel "effet domino" qui, comme par le passé, pourrait placer des régions entières du Rimland entre les mains d'une seule puissance. Et l'initiative se développe dans tous les domaines et espaces d'expansion possibles, en utilisant tous les outils géopolitiques disponibles ; dans un environnement pandémique, il est fait référence à la création d'une Route de la Soie saine(45) - liée à la diplomatie des masques et des vaccins pour le COVID-19 -, d'une Route de la Soie numérique(46) - dans le contexte de la lutte pour le déploiement des réseaux mondiaux de télécommunications et des technologies numériques dominantes... et il est même prévu de déployer une route de la soie polaire ! Sur ce dernier point, il faut noter que la Chine a obtenu le statut d'observateur pour l'Arctique en 2013(47), et que sa politique déclarée(48) pour ce nouvel espace en litige, qui, en raison du changement climatique, augmente sa capacité de navigation et l'exploitation de ses richesses, stipule que l'avenir de l'Arctique étant dans l'intérêt de toute l'humanité, sa gouvernance nécessite la participation de tous. Et la Chine est prête, dans le cadre de l'Initiative(49), à participer à toutes les activités dans l'Arctique, de la recherche active de ressources au déploiement de stations de surveillance sur terre, en passant par la création d'un corridor économique bleu dans l'océan Arctique.

Dans ce contexte, il convient de garder à l'esprit que, outre d'autres richesses potentielles, la région de la Sibérie du Nord devient de plus en plus un fournisseur d'hydrocarbures pour la Chine, et que l'intérêt pour la région et le secteur est croissant.

Des accords bilatéraux ont été signés entre Moscou et Pékin, y compris l'acquisition de parts dans le secteur du transport de l'énergie et d'autres infrastructures de transport dans l'Arctique(50) ; cependant, pour la Russie, l'Arctique, autrefois une zone passive en raison de la difficulté d'accès et de mobilité, constitue un nouveau flanc ouvert qui représente une menace puissante pour le cœur du pays et un espace sur lequel il est très actif.

L'Initiative atteint donc des espaces, des environnements, se matérialise dans des actions, génère des perceptions et de l'influence... elle constitue un outil géopolitique de premier ordre, englobant l'ensemble du Rimland - tant par voie terrestre que maritime -, s'aventurant dans la zone arctique et visant même à le faire directement à travers le heartland. La géopolitique à l'état pur. Face à cette réalité, il est souligné(51) que la Chine est très active et d'une manière qui implique fortement la sécurité de l'Alliance (OTAN) elle-même, puisque son contrôle d'une grande partie de l'infrastructure de l'Alliance - des réseaux de télécommunications aux infrastructures de transport et portuaires - affecte directement l'état de préparation, l'interopérabilité et la sécurité des communications des pays ; et que, compte tenu du système politique chinois, la distinction entre les secteurs militaire et civil, à certains niveaux, est très floue, de sorte que l'obtention de technologies et de connaissances du secteur civil, auprès d'entreprises chinoises déployées dans les pays membres de l'Alliance, pour une application ultérieure à des fins militaires n'est pas exclue ; De plus, Pékin planifie et exécute de puissantes campagnes d'information pour influencer les populations et les faiseurs d'opinion des pays de l'OTAN afin de diviser l'Alliance. Dans l'environnement actuel de conflit hybride en zone grise, cette réalité est dangereuse, même si elle peut être difficile à percevoir.

Et l'OTAN elle-même souligne que le concept stratégique de 2010 a été conçu pour une ère précédant la compétition entre grandes puissances ; mais cette ère est désormais à nos portes, et des mesures appropriées doivent donc être prises.

Mais nous sommes maintenant dans cette ère, et devons donc prendre des mesures appropriées(52), car les environnements gris et les conflits hybrides exigent de nouvelles approches de la dissuasion et de la défense. Face à un tel déploiement de capacités, face aux approches et aux positions des puissances qui se disputent le contrôle du Rimland, et dans la perspective d'un bloc de nations qui aspirent à avoir une représentativité et un poids au niveau mondial - ainsi qu'un intérêt direct et vital dans le différend - la question est : qu'en est-il de l'Europe ?

Et l'Europe ?

L'Europe, et surtout l'Europe de l'Est, est un espace très conditionné par cette question, non seulement parce qu'elle est une partie physique du Rimland, mais aussi parce que, si l'on se rappelle Mackinder, puisque c'est le contrôle de l'Europe de l'Est qui permet en fin de compte de contrôler et d'accéder au Heartland, cette partie de l'Europe devient - comme à d'autres moments de l'histoire - l'épicentre du Rimland et d'une bataille de dimension mondiale. Et pour illustrer cette réalité, l'image jointe à ce texte n'est pas celle de Mackinder d'il y a un siècle, elle est contemporaine et reflète la dite Plate-forme 17+1, qui comprend les pays d'Europe de l'Est, des Balkans et des Pays Baltes (53), 17 pays européens et la Chine, unis dans un cadre de coopération économique, commerciale, de développement économique et commercial, et de développement d'un nouveau partenariat mondial.

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Apparemment, l'attitude du continent dans cette lutte mondiale est plus passive qu'active. Les propres contradictions et faiblesses de l'Europe (54) signifient qu'à l'ère du changement mondial, ce n'est pas seulement un échec: cette Europe n'est pas capable d'occuper une position adéquate dans le nouvel ordre qui se dessine, mais cela signifie aussi que son sol est aussi une partie contestée de cette reconfiguration planétaire. Et à une époque où de grands intérêts et de grandes forces sont en jeu, la non-union, voire la désunion, des pays européens pose un sérieux problème et rend impossible toute avancée réelle de l'UE. C'est là un grave problème et montre l'impossibilité de faire face à de puissants intérêts étrangers opposés aux leurs, sans oublier que la défense des valeurs de la démocratie et de la liberté au sens large, dont l'Europe est une référence mondiale, ne peut être défendue sans une position adéquate dans cet ordre.

Même les pays de l'Union européenne, en particulier ceux de l'Est et le soi-disant groupe de Visegrad (55), n'ont aucun problème à faire la sourde oreille à l'Union et à s'occuper des questions importantes d'un point de vue apparemment purement national, parfois en dépit des directives et des règles de Bruxelles. Dans cet environnement complexe, hybride, gris, où l'influence joue un rôle clé, il suffit de dire qu'à une époque aussi complexe que celle que nous vivons, tout comme lors de la première vague de la pandémie, on a inventé le terme de "diplomatie des masques", faisant allusion aux gains politiques recherchés par la livraison de ces éléments de protection à certaines nations, l'expression "géopolitique des vaccins" occupe déjà l'acquis international. Comme tout élément susceptible de générer un soutien, le vaccin contre le virus pandémique est devenu un nouvel instrument géopolitique(56), un moyen de renforcer les liens, de modifier les loyautés et de canaliser les sentiments vers une nation ou une autre, un moyen de gagner de l'influence. Le fait que le vaccin russe Sputnik V soit une propriété d'État signifie que le gouvernement peut clairement et directement décider à qui il est vendu, à qui il ne l'est pas et à quel prix, ce qui en fait un instrument direct de géopolitique pouvant être utilisé en fonction des besoins stratégiques du Kremlin (57) ; À cet égard, le président de la Commission européenne s'est interrogé sur les millions de doses offertes par la Russie à d'autres pays alors que Moscou progresse très lentement dans la vaccination de ses propres citoyens, ce à quoi la Russie répond qu'il s'agit de "politiser un problème de manière infondée [...]"(58).

Dans cette lutte et dans un contexte de pandémie, la géopolitique des vaccins est à son apogée. À tel point que même les pays de l'Union européenne ont demandé (et dans certains cas déjà reçu) le vaccin russe, arguant, selon les termes du Premier ministre slovaque, que la pandémie se moque de la géopolitique (59) ... bien que cette décision ait généré une crise au sein du gouvernement slovaque, étant donné que le vaccin russe (du moins jusqu'à présent) n'a pas été approuvé par l'Agence européenne des médicaments et où il a été suggéré par ceux qui sont en désaccord avec la décision d'accepter Sputnik-V qu'il ne s'agit pas seulement d'un vaccin, mais d'un instrument de guerre hybride (60). Et que des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie envisagent - ou envisagent effectivement - de se procurer des vaccins auprès de la Chine ou même de la Russie(61) - une Russie à laquelle ces nations ne cessent de crier aide et soutien - est pour le moins surprenant. Face aux positions claires et fermes des puissances du Rimland, les ambiguïtés et les paradoxes des autres sont-ils d'une quelconque utilité ?

Conclusion : peut-il n'en rester qu'un ?

Apparemment, les grandes réalités reviennent toujours ; les moyens techniques changent, les possibilités et les domaines de litige évoluent, mais, dans de nombreux cas, les essences restent les mêmes. Et la géopolitique, comme la stratégie, sont des éléments de longue haleine, qui demandent de la clairvoyance et du recul, même si les objectifs peuvent être atteints par des étapes courtes, presque inaperçues. Il semble que, une fois de plus, il y ait une lutte pour le Rimland, menée par d'anciens et de nouveaux acteurs. Et ils "jouent" un jeu dangereux et prétendent, apparemment, dans cette circumnavigation du cœur, maintenir un équilibre qui semble inévitablement devoir disparaître à un moment ou à un autre, en fonction de la progression de l'influence et de la capacité d'action de l'un ou l'autre des principaux acteurs de la lutte. Bien que les choses puissent changer, et que des rivaux séculaires et structurels puissent devenir des alliés, il vaut peut-être la peine de se demander si ce qui se passe à Rimland n'est pas plus qu'une alliance "tactique", limitée dans le temps et l'espace, dans laquelle chacun cherche à obtenir une position avantageuse non seulement pour ses propres intérêts, mais aussi vis-à-vis des alliés du moment en vue d'une éventuelle confrontation ultérieure. Ce calcul du "risque pris" par ces puissances peut être très complexe, surtout lorsque l'un des acteurs est une puissance qui cherche à obtenir la primauté mondiale, qu'un autre a été une puissance mondiale et cherche à retrouver ce statut, et qu'un troisième aspire à gravir plusieurs échelons sur l'échelle de la puissance mondiale... les capacités de tous sont très différentes et les visions du monde elles-mêmes sont non seulement différentes, mais dans une large mesure, opposées.

Et si "un seul peut rester", l'Europe, qui "vit" dans le Rimland... quoi ?

Pedro Sánchez Herráez

Colonel de l'armée espagnole Docteur en paix et sécurité internationale. Membre de la faculté de sciences politiques et de sociologie. Département des sciences politiques et de l'administration I de l'Université Complutense de Madrid. Membre de l'Institut espagnol d'études stratégiques du Centro Superior de Estudios de la Defensa Nacional.

Notes :

1) AKON, Saifullah et RAHMAN, Mahfujur. "Remodeler l'ordre mondial dans l'ère post-COVID-19 : une analyse critique", Chinese Journal of International Review, juillet 2020, DOI : 10.1142/S2630531320500067.  Disponible à l'adresse : https://www.researchgate.net/profile/SaifullahAkon/publication/343098068_Reshaping_the_Global_Order_in_the_Post_COVID19_Era_A_Critical_Analysis/links/5f6ad340458515b7cf46ebf2/Reshaping-the-Global-Order-in-the-PostCOVID-19-Era-A-Critical-Analysis.pdf?origin=publication_detail.

2) Dans ce sens SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. La lucha por el planeta y el futuro de las FAS españolas, Institut espagnol d'études stratégiques, document d'opinion 28/2017, 15 mai 2017. Disponible sur : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_opinion/2017/DIEEEO28-2017_Struggle_Planet_Future_FAS_Espanolas_PSH.pdf

3) Pouvoir d'une personne ou d'un élément de déterminer ou de modifier la façon dont les autres pensent ou agissent. SCANZILLO, Thomas M. et LOPACIENSKI, Edward M. "Influence operations and the human domain", U.S. Naval War College, CIWAG, U.S. Naval War College. Naval War College, CIWAG Case Studies numéro 13, 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://www.hsdl.org/?view&did=814708

4) Espace entre la concurrence pacifique et les conflits armés. JORDAN, Javier. "Escalade dans les stratégies hybrides et la zone grise", Global Stratégies hybrides et zone grise", Rapport de stratégie globale 11/2020. Disponible sur : https://globalstrategy.org/la-escalada-en-las-estrategias-hibridas-y-en-los-conflictos-en-la-zona-gris/

5) Conflit dans lequel toutes sortes de moyens et de procédures sont employés, qu'ils soient "guerriers" ou "non guerriers". SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. Comprender la guerra híbrida... El retorno a los clásicos ?, Instituto Español de Estudios Estratégicos. Institut espagnol d'études stratégiques, Document d'analyse 42/2016, 21 juin 2016. Disponible à l'adresse suivante : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2016/DIEEEA42-2016_Comprendre_la_guerre_hybride_Retour_aux_classiques_PSH.pdf

6) Réimprimé dans The Geographical Journal, volume 170, numéro 4, décembre 2004, pp. 298-321.

7) Ces changements peuvent être vus schématiquement dans TAZMAN, Howard. "Comment la Première Guerre mondiale a changé la carte du monde", Real Clear History, 29 novembre 2018. Disponible à l'adresse suivante :https://www.realclearhistory.com/articles/2018/11/29/how_world_war_i_changed_map_of_the_world_389.html

8) MACKINDER, Halford. "Idéaux démocratiques et réalité. Une étude de la politique de la reconstruction", Henry Holt and Company, New York, 1919.

9) Ibid. p. 194.

10) Publié dans Foreign Affairs, volume 21, numéro 4, juillet 1941, pp. 595-605.

11) SPKYKMAN, Nicholas J. 'The Geography of the Peace', Harcourt Brace, New York, 1944, p. 43.

12) Un bref résumé de ce qu'impliquait la politique d'endiguement peut être trouvé dans WILDE, Robert. "Containment : le plan américain contre le communisme", Thought.Co, 29 octobre 2018. Disponible à l'adresse suivante : https://www.thoughtco.com/what-was-containment-1221496

13) "Histoire du plan Marshall", La Fondation George C. Marshall. Disponible à l'adresse suivante :

14) LE PROJET AVALON, discours du président Harry Truman devant une session conjointe du Congrès, 12 mars 1947, Doctrine Truman. 12 mars 1947, Doctrine Truman. Disponible sur: https://web.archive.org/web/20041204183708/http://www.yale.edu/lawweb/avalon/trudoc.htm

15) L'œuvre en question est "Kim", publiée en 1901, qui a pour cadre la lutte entre l'Empire russe et l'Empire britannique en Asie centrale.

16) HOPKIRK, Peter. "The Great Game : the struggle for Empire in Central Asia", Kodanska America, New York, 1994.

17) Comme simple échantillon AYDIN, Mustafa. "La longue vue sur la rivalité et la coopération turco-russe", FMV, 8 juin 2020. Disponible sur : https://www.gmfus.org/publications/long-view-turkish-russianrivalry-and-cooperation ; YAU, Niva. "Russia and China's quiet rivalry in Central Asia", Foreign Policy Research Institute, septembre 2020. Disponible sur : https://www.fpri.org/wp-content/uploads/2020/09/cap1-yau.pdf

18) PIQUÉ, Josep. "Interpretar a Rusia para una relación posible", Política Exterior, 5 mars 2021. Disponible sur : https://www.politicaexterior.com/interpretar-a-rusia-para-una-relacion-posible/

19) En ce sens, SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. "Marco geopolítico de Rusia : constantes históricas, dinámica y visión en el siglo XXI", dans VVAA, Rusia bajo el liderazgo de Putin. La nueva estrategia rusa a la búsqueda de su liderazgo regional y el reforzamiento como actor global, Instituto Español de Estudios Estratégicos, Cuaderno de Estrategia número 178, Madrid, 2015, pp. 15-77. Disponible à l'adresse suivante : Cliquez pour accéder à CE_178.pdf.

20) "Poutine : les "forces adverses" exploitent le mécontentement social pour alimenter les protestations", Sputnik News, 13 février 2021. Disponible sur : https://mundo.sputniknews.com/20210213/1104021423.html

21) Très succinctement RT, Colour Revolutions, 6 mars 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://actualidad.rt.com/actualidad/168235-revoluciones-colores-golpe-estado

22) 'Poutine : nous devons tirer la leçon des révolutions de couleur dans d'autres pays', RT, 20 novembre 2014. Disponible sur : https://actualidad.rt.com/actualidad/view/147716-putin-rusiarevoluciones-colores-extremismo

23) Dans les pays baltes : Estonie, Lituanie, Lettonie ; en Europe orientale : Biélorussie, Moldavie, Ukraine ; dans le Caucase : Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie ; en Asie centrale : Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan.

24) ZEVELEV, Igor. "La Russie dans l'espace post-soviétique en mutation", Russialist.org, 25 novembre 2020. Disponible sur : https://russialist.org/russia-in-the-changing-post-soviet-space/

25) PRÉSIDENT DE LA RUSSIE, Dmitry Medvedev interview avec les chaînes de télévision russes, 31 août 2008. Disponible sur : http://www.kremlin.ru/events/president/news/1276

26) PIQUÉ, Josep. "Interpretar a Rusia para una relación posible", Política Exterior, 5 mars 2021. Disponible sur : https://www.politicaexterior.com/interpretar-a-rusia-para-una-relacion-posible/

27) MANKOFF, Jeffrey. "Un ours plus gentil, plus doux ? Pourquoi les rumeurs de retraite post-soviétique de la Russie sont prématurées". Center for Strategic & International Studies, 17 décembre 2020. Disponible à l'adresse suivante : https://www.csis.org/analysis/kinder-gentler-bear-why-rumors-russias-post-soviet-retreat-are-premature

28) ALSUMAIDAIE, Mujahed, 'Turkish influence in Central Asia and Islamist extremism', European Eye on Radicalization, 22 juillet 2020. Disponible sur : https://eeradicalization.com/turkish-influence-in-centralasia-and-islamist-extremism/

29) "Illusions impériales : les Turcs pourraient-ils dévorer la Crimée et le reste du sud de la Russie ?", Sputnik News, 15 février 2021. Disponible sur : https://mundo.sputniknews.com/20210215/ilusiones-imperialespodrian-los-turcos-devorar-crimea-y-el-resto-del-sur-de-rusia-1106771069.html

30) MARCOU, Jean et ÇELIKPALA, Mitat. "Regard sur les relations turco-russes : de la rivalité dans un monde bípolaire à la coopération dans un monde euroasitique ?", Institut français d'études anatolinnes, 2020, paragraphe 17. Disponible sur : https://books.openedition.org/ifeagd/3178?lang=es

31) " PM : le 21e siècle sera le siècle de la Turquie ", agence de presse Trend, 17 novembre 2013. Disponible sur : https://en.trend.az/world/turkey/2212128.html

32) VVAA, "Biden gives Turkey the silent treatment", Foreign Policy, 3 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://foreignpolicy.com/2021/03/03/biden-erdogan-turkey-silent-treatment-diplomacy-middle-east-syriacrisisnato/

33) ÖZEL, Soli. "Whither Turkey's ambitions ?", Institut italien d'études politiques internationales, 28 décembre 2020. Disponible sur : https://www.ispionline.it/en/publication/whither-turkeys-ambitions-28798

34) XINHUA, Chronologie de l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route", 24 juin 2016. Disponible sur http://en.people.cn/n3/2016/0624/c90883-9077342.html

35) MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi rencontre la presse, 08 mars 2015. Disponible à l'adresse suivante : https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1243662.shtml

36) SHAH, Ankur. "La Russie desserre sa ceinture", Foreign Policy, 16 juillet 2020. Disponible à l'adresse suivante :

37) PARRA PÉREZ, Águeda. El juego geopolítico de la nueva Ruta de la Seda en Asia Pacífico, Instituto Español de Estudios Estratégicos. Institut espagnol d'études stratégiques, document d'opinion 126/2018, 10 décembre 2018. Disponible sur: http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_opinion/2018/DIEEEO126_2018AGUPAR-RutaSeda.pdf

38) STANDISH, Reid. "Pour tenir Poutine à l'écart, le Belarus invite les États-Unis et la Chine à entrer", Foreign Policy, 1er janvier 2020. Disponible sur : https://foreignpolicy.com/2020/01/01/belarus-lures-us-china-to-forestall-putinrussia/

39) "La Chine remplace la Russie comme premier investisseur au Monténégro", Balkan Insight, 20 octobre 2020. Disponible sur : https://balkaninsight.com/2020/10/20/china-replaces-russia-as-largest-investor-inmontenegro/

40) "China increasing its footprint in Balkan media, study concludes", Balkan Insight, 9 décembre 2020. Disponible sur : https://balkaninsight.com/2020/12/09/china-increasing-its-footprint-in-balkan-media-studyconcludes/

41) "La Chine a dépassé la Russie comme grand allié de la Serbie", Balkan Insight, 6 juillet 2020. Disponible à l'adresse suivante : https://balkaninsight.com/2020/07/08/china-has-overtaken-russia-as-serbias-great-ally/

42) "Initiative "Belt and Road"" La Banque mondiale, 29 mars 2018. Disponible à l'adresse suivante : https://www.worldbank.org/en/topic/regional-integration/brief/belt-and-road-initiative

43) "How China's Belt and Road initiative is changing cities and threatening communities", The Conversation, 2 février 2021. Disponible sur : https://theconversation.com/how-chinas-belt-and-road-initiative-ischanging-cities-and-threatening-communities-153515

44) 'Health Silk Road of China : A new 'Debt trap health Diplomacy' in making', Diplomatist, 29 juin 2020. Disponible sur : https://diplomatist.com/2020/06/29/health-silk-road-of-china-a-new-debt-trap-healthdiplomacy-in-making/

45) AKON, Saifullah et RAHMAN, Mahfujur. "Remodeler l'ordre mondial dans l'ère post-COVID-19 : une analyse critique", Chinese Journal of International Review, juillet 2020, DOI : 10.1142/S2630531320500067, p. 4. Disponible sur : https://www.researchgate.net/profile/SaifullahAkon/publication/343098068_Reshaping_the_Global_Order_in_the_Post_COVID19_Era_A_Critical_Analysis/links/5f6ad340458515b7cf46ebf2/Reshaping-the-Global-Order-in-the-PostCOVID-19-Era-A-Critical-Analysis.pdf?origin=publication_detail

46) "China's Digital Silk Road", Cyber Security Intelligence, 5 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.cybersecurityintelligence.com/blog/chinas-digital-silk-road-5504.html

47) LANTEIGNE, Marc, "Les méandres de la route de la soie polaire", Over the Circle, 15 mars 2020. Disponible sur : https://overthecircle.com/2020/03/15/the-twists-and-turns-of-the-polar-silk-road/

48) LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, Livre blanc, La politique arctique de la Chine, 26 janvier 2018.Disponible sur : http://english.www.gov.cn/archive/white_paper/2018/01/26/content_281476026660336.htm

49) Texte intégral : Vision de la coopération maritime dans le cadre de l'initiative "la Ceinture et la Route", Xinhuanet, 20 juin 2017. Disponible sur : http://www.xinhuanet.com/english/2017-06/20/c_136380414.htm

50) STAALESEN, Atle. "De l'argent chinois pour la route maritime du Nord", The Barents Observer, 12 juin 2018. Disponible sur : https://thebarentsobserver.com/en/arctic/2018/06/chinese-money-northern-sea-route

51) DE MAIZIÈRE, Thomas et WESS MITCHELL, A. "L'OTAN doit faire face à la Chine de front", Foreign Policy, 23 février 2021. Disponible sur : https://foreignpolicy.com/2021/02/23/nato-china-brusselssummit-biden-europealliance/

52) Dans ce sens, l'OTAN, OTAN 2030 : unis pour une nouvelle ère. Analyse et recommandations du groupe de réflexion nommé par le Secrétaire général de l'OTAN, 25 novembre 2020. Disponible à l'adresse suivante : Cliquez pour accéder à 201201-Reflection-Group-Final-ReportUni.pdf.

53) VVAA, 'Empty Shell no more : China's growing footprint in Central and Eastern Europe', Association for International Affairs, Policy Paper, International Affairs, Policy Paper, avril 2020. Disponible sur : https://chinaobservers.eu/wpcontent/uploads/2020/04/CHOICE_Empty-shell-no-more.pdf

54) SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. Europa... ¿semblanzas balcánicas ?, Instituto Español de Estudios Estrategicos, Document d'analyse 05/2021, 03 février 2021. Disponible à l'adresse suivante : http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2021/DIEEEA05_2021_PEDSAN_SemblanzaBalcanica.pdf

55) Slovaquie, Hongrie, Pologne et République tchèque. Sur leur position vis-à-vis de Bruxelles, BBC NEWS, Ce qu'est le groupe de Visegrad, les "mauvais garçons" défiant la France et l'Allemagne dans l'Union européenne, 2 février 2018. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticias-internacional-42879957

56) MOON, Suerie et ALONSO RUIZ, Adrián, La geopolítica de las vacunas contra el COVID-19, Política Exterior 199, 01 janvier 2021. Disponible sur https://www.politicaexterior.com/articulo/lageopolitica-de-las-vacunas-contra-el-covid-19/

57) "Vaccin contre Sputnik V : comment il est passé de la méfiance à l'outil d'influence de la Russie dans le monde", BBC NEWS, BBC NEWS, 15 février 2021. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticiasinternacional-56012192

58) "La Russie est 'perplexe' face aux remarques de Von der Leyen sur les vaccins et dénonce la 'politisation'", Europa Press, 19 février 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.europapress.es/internacional/noticia-rusia-muestra-perpleja-palabras-von-der-leyenvacunas-denuncia-politizacion-20210219144956.html

59) "Sputnik V : pourquoi beaucoup en Russie ont des doutes sur leur propre vaccin", BBC NEWS, 4 mars 2021. Disponible sur : https://www.bbc.com/mundo/noticias-internacional-56266603

60) La coalition au pouvoir en Slovaquie en crise au sujet du vaccin Sputnik-V COVID-19, EURO NEWS, 4 mars 2021. Disponible sur : https://www.euronews.com/2021/03/04/slovakia-s-ruling-coalition-in-crisis-over-sputnik-vcovid-19-vaccine

61) "Certains tendent la main à Israël, d'autres se tournent vers la Russie et la Chine : plusieurs pays de l'UE se dissocient de Bruxelles pour rechercher davantage de vaccins", EURO NEWS, 4 mars 2021 & eldiario, 2 mars 2021. Disponible à l'adresse suivante : https://www.eldiario.es/internacional/acercan-israel-miran-rusia-china-paises-ue-desmarcan-bruselasbuscar-atajos-vacunas_1_7265469.html

SÁNCHEZ HERRÁEZ, Pedro. 21e siècle : le retour à la lutte pour le Rimland ? Document d'analyse IEEE 12/2021.

samedi, 07 mai 2022

En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe

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En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe

par Abdel Bari Atwan

Source: https://www.ideeazione.com/limitando-le-mosse-di-mosca-erdogan-sta-giocando-alla-roulette-russa/

La décision de la Turquie de fermer son espace aérien aux avions militaires et civils russes à destination du nord de la Syrie a surpris de nombreux observateurs. L'annonce de cette décision par le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu aux journalistes turcs lors de sa tournée en Amérique latine a soulevé de nombreuses questions sur ses implications futures pour les relations russo-turques.

Il est peu probable que cette décision ait pu être l'un des résultats d'un accord turco-américain suite à des contacts discrets entre le président Recep Tayyip Erdogan et son homologue américain Joe Biden pour sévir contre la Russie. Contrairement à son prédécesseur Donald Trump, M. Biden estime qu'il est difficile d'assurer la sécurité régionale sans la Turquie, qui est un membre originel de l'OTAN. L'accord entre les deux pays prévoyait donc d'étendre la coopération économique et de répondre aux besoins de la Turquie en matière de défense, notamment en ce qui concerne les systèmes de missiles avancés F-35, Patriot et THAAD.

Il y a plusieurs explications à la décision d'Ankara. La première est que les États-Unis ont fait pression sur la Turquie après qu'il soit apparu que les Russes dirigeaient la bataille de Marioupol et d'autres zones du sud-est de l'Ukraine depuis la base aérienne russe de Hemeimim, dans le nord de la Syrie - d'où étaient menées des attaques stratégiques contre les forces ukrainiennes.

Une deuxième explication possible est qu'Erdogan a réussi à améliorer les relations de son pays avec Washington en profitant du besoin désespéré des États-Unis d'avoir des alliés régionaux dans la guerre par procuration de l'OTAN en Ukraine.

Mais là où l'un perd, un autre gagne. À la suite de la décision surprise de la Turquie, Téhéran a astucieusement proposé d'autoriser les avions russes à utiliser l'espace aérien iranien pour atteindre les bases navales et aériennes du nord de la Syrie. Bien que ces temps de vol puissent être plus longs, il y a des avantages immédiats pour les deux pays, en particulier pour l'Iran, qui a maintenant renforcé davantage sa relation stratégique avec l'axe Russie-Chine. L'Iran n'a pas été ambigu: depuis le début de la crise militaire ukrainienne, il n'a pas condamné les actions de Moscou et est resté tranquillement parmi les alliés tacites de la Russie.

Le président russe Vladimir Poutine s'est montré généreux envers son homologue turc. Il a pardonné à Erdogan son erreur de 2015, lorsque les défenses aériennes turques avaient abattu un avion russe Sukhoi qui avait pénétré pendant quelques secondes dans l'espace aérien de la Turquie, près de la frontière turco-syrienne. Il a fallu une série de sanctions russes de bonne envergure pour que le président turc s'excuse dans toutes les langues, y compris le russe, pour cette mésaventure.

Poutine a fait preuve de compréhension, voire de patience, à l'égard de l'occupation par la Turquie de zones dans le nord de la Syrie, contrairement aux souhaits de ses fidèles alliés à Damas. Toutefois, la dernière décision d'Ankara d'établir une zone d'exclusion aérienne russe ne sera pas si facile à pardonner, surtout si elle est suivie d'autres mesures telles que l'interdiction du passage des navires de guerre russes par les détroits du Bosphore et des Dardanelles vers la Méditerranée, conformément à l'accord de Montreux.

Cela reste une option à la lumière de l'amélioration rapide - bien que furtive - des relations turco-américaines; mais choisir de s'aligner sur Washington au sujet de l'Ukraine risque également d'accroître les coûts militaires, politiques et économiques de la Turquie, un an avant les élections cruciales du pays.

S'aligner davantage sur les États-Unis signifie également qu'Erdogan ne pourra pas continuer à jouer son rôle soigneusement élaboré de médiateur "neutre" dans cette crise, et accueillir la prochaine réunion au sommet entre les présidents turc et ukrainien.

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Les aspirations turques à étendre la coopération commerciale avec la Russie à 100 milliards de dollars par an seront également touchées, et la vente de systèmes de défense antimissile russes S-400 supplémentaires à la Turquie sera peu probable. Plus sérieusement, la Russie pourrait réagir en développant ou en élargissant ses relations avec le parti séparatiste des travailleurs du Kurdistan (PKK) et en soutenant ses opérations en Turquie.

Politiquement parlant, l'opération militaire russe en Ukraine est une question de vie ou de mort pour Poutine. Par conséquent, sa réponse aux mouvements inamicaux d'Ankara sera probablement décisive et pourrait se jouer sur plusieurs fronts :

- Le front syrien : afin de maintenir l'équilibre dans les relations russes avec la Turquie, Poutine s'est fortement opposé au désir des dirigeants syriens d'envahir Idlib pour éliminer les groupes terroristes djihadistes qui y sont basés et rendre le contrôle de ce territoire à Damas. Même si la position de Moscou ne change pas encore, la reprise et l'intensité des opérations militaires russes à Idlib entraîneront la fuite d'un plus grand nombre de Syriens vers le territoire turc, qui accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés syriens.

- Renforcement des relations russo-iraniennes : cela aura un impact négatif sur les ambitions régionales d'Erdogan - notamment en Asie occidentale et centrale - en tenant compte du fait que la Chine, qui constitue le troisième bras, et plus fort, dans cette alliance naissante, est un membre à part entière de cette troïka.

- Le front arabe : Le désir de la Turquie d'améliorer ses relations avec l'Arabie saoudite, l'Égypte et d'autres États du golfe Persique et du monde arabe pourrait être entravé par le rapprochement de ces pays avec la Russie et la Chine, qui coïncide avec la rupture de leurs relations avec leur allié américain traditionnel. L'alliance Russie-Iran-Chine (RIC) peut faire beaucoup en Asie occidentale pour perturber les relations d'Ankara dans la région. Il convient de noter que Riyad n'a pas encore répondu aux ouvertures diplomatiques turques, notamment en ce qui concerne la fermeture du dossier étatique sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Ces derniers mois, le leadership d'Erdogan a été caractérisé par la confusion et la volatilité. Parmi les récents développements politiques, citons le renforcement impopulaire des liens d'Ankara avec Israël, son implication progressive dans la crise ukrainienne et le réchauffement des relations avec Washington. Celles-ci interviennent à un moment critique, non seulement en pleine crise économique nationale, mais aussi un an avant les élections présidentielles et législatives qui menacent sérieusement le pouvoir détenu par Erdogan.

Le président Poutine a peut-être décidé dans un premier temps de fermer les yeux sur la vente par la Turquie des drones Bayraktar qui ont probablement contribué à la mort de quelque 2000 soldats russes en Ukraine, et a accepté à contrecœur le rôle d'intermédiaire joué par la Turquie dans la crise. Au niveau stratégique, cependant, il lui sera difficile de tolérer l'accélération des nouveaux rapports de la Turquie avec l'Occident américanisé.

Il est vrai que la Turquie est une puissance régionale, et qu'elle est militairement forte, mais il est également vrai que le camp dirigé par les États-Unis vers lequel elle penche est en déclin, déchiré par les divisions, et échoue dramatiquement dans son régime de sanctions économiques contre la Russie. De plus, ce camp est confronté à l'alliance de deux superpuissances, d'une troisième nucléaire (l'Inde) et d'une quatrième en devenir (l'Iran), qui représentent ensemble plus de la moitié de la population mondiale.

Le nouveau pari du président Erdogan relatif à la Russie est risqué et pourrait se retourner contre lui au mauvais moment.

4 mai 2022