Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 29 juin 2021

Poutine et Xi blindent leur Axe. Mais l'UE risque l'échec

poutinejinping.jpg

Poutine et Xi blindent leur Axe. Mais l'UE risque l'échec

Lorenzo Vita

Ex: https://it.insideover.com/politica/putin-e-xi-blindano-lasse-ma-per-lue-si-rischia-il-fallimento.html

Vladimir Poutine et Xi Jinping ont convenu de prolonger le traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, espérant être les garants et le symbole d'un "nouveau type de relations internationales" à une époque de "changements turbulents". Xi a parlé de cet accord renouvelé comme d'"une pratique vivante pour construire un nouveau type de relations internationales" et que "peu importe le nombre d'obstacles à surmonter" car ce que nous vivons, selon le président chinois, est une période caractérisée par des "crises multiples". Ces propos ont également été partagés par M. Poutine, qui a souligné qu'il s'agit d'un "mécanisme de coordination bilatérale à plusieurs niveaux qui n'a pas d'équivalent dans la pratique mondiale". La Chine et la Russie, selon le président de la Fédération de Russie, peuvent jouer un rôle de "stabilisateurs" des différentes crises internationales.

La Chine et la Russie se rapprochent, alors. Encore une fois. Et c'est un message qui ne peut être sous-estimé, surtout s'il est inséré dans le contexte international délicat dans lequel l'accord est conclu. Surtout en termes de timing.

Après la rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine, il semblait que l'Occident et Moscou commençaient enfin à se parler sans ériger de murs entre les deux blocs, mais le dernier geste de l'Union européenne, à savoir le rejet de l'accord franco-allemand sur un nouveau dialogue avec la Russie, a mis fin (pour l'instant) à la première timide saison de dégel de l'ère Biden. Une démarche qui n'a pas plu à Angela Merkel ni même à Emmanuel Macron, convaincus qu'il s'agissait du début de l'autonomie stratégique de l'Europe par rapport au monde et surtout de la confirmation du caractère toujours moteur de l'axe entre la France et l'Allemagne.

1037721921_0 16 2752 1504_1000x541_80_0_0_d8c75d132fd3c0c4cbc088f54d101e40.jpg

Ce n'était pas le cas. L'Union européenne a montré une fois de plus qu'elle n'a aucune volonté particulière de parler d'une seule voix et de rouvrir le canal avec la Russie. Et tandis que l'Allemagne et la France nouent de nouvelles relations avec le Kremlin (notamment Berlin par le biais de Nord Stream 2), Poutine se tourne à nouveau vers l'Est, Xi Jinping renouant les fils de l'axe asiatique après que Biden ait clairement indiqué qu'il souhaitait parler au président russe comme un adversaire reconnu et non plus comme un partenaire secondaire dans cet immense système politique, militaire et économique. Un arrêt qui a mis dans le tiroir, pour le moment, les rêves d'un possible nouveau tournant dans le style de la "pratique de la mer" de la mémoire italienne.

Pour Poutine et Xi, le signal est double. Et pas nécessairement identiques pour cette raison. Du côté russe, le chef du Kremlin a voulu démontrer, après le sommet avec le leader de la Maison Blanche, qu'il n'est lié à aucun schéma idéologique. Poutine se sent libre de parler à l'Ouest et à l'Est et, s'il n'accepte pas d'être évincé de la tête d'une superpuissance, il ne peut certainement pas se montrer trop conciliant vis-à-vis des demandes américaines de détachement progressif de son voisin chinois. Et il est certain que le passage du navire britannique devant la Crimée ainsi que l'arrêt de l'initiative européenne d'un sommet avec Moscou ne peuvent être considérés comme des gestes d'ouverture envers la Fédération, qui peine déjà à trouver une véritable approche proactive vis-à-vis de l'Occident. En bref, l'impression est que Poutine a voulu faire comprendre, après ces incidents et surtout quelques heures avant le sommet du G20, que la Russie est un pays qui a une ligne stratégique claire et une politique étrangère qui ne se plie pas au duopole sino-américain.

HMS-Defender-a-franchi-la-frontiere-maritime-de-la-Russie-en-mer-Noire-2.jpg

Du côté chinois, le signal est tout aussi clair. Xi doit faire comprendre aux États-Unis qu'il n'a pas subi de revers diplomatique ces derniers mois. Et si la nouvelle présidence américaine a organisé le sommet avec Poutine et réaffirmé l'unité du G7 et de l'OTAN précisément contre Pékin, le leader chinois peut tranquillement montrer qu'il a d'excellentes relations avec le Kremlin au point d'obtenir des accords d'une importance fondamentale et de pouvoir les définir comme des facteurs de stabilisation mondiale. Pékin lance donc un signal de dialogue avec Moscou mais aussi un avertissement à Washington, manifestant dans la réalité ce danger redouté par beaucoup, à savoir que l'orbite chinoise a désormais intégré la Russie et que Moscou est toujours plus orientée vers l'espace asiatique que vers l'espace européen. Un bloc géographiquement immense, dans lequel les capitaux et la technologie chinois se combinent à la force militaire et à la projection stratégique russes.

Pour les États-Unis, il est clair que ce renouvellement des accords de coopération est un signal d'alarme. Mais c'est surtout un signal d'alarme pour l'Europe qui, après l'échec de la première tentative de dialogue avec la Russie et après avoir confirmé son adhésion à la ligne anti-chinoise imposée par Washington, se retrouve aujourd'hui à avoir des problèmes avec Moscou et Pékin en même temps. Le flop de l'accord franco-allemand réitère le refroidissement des relations euro-russes qui rappelle la saison qui a définitivement éloigné Poutine de l'Occident. Si du point de vue des relations avec la Chine, même l'absence physique de Wang Yi pour le G20 (le ministre ne sera qu'en liaison vidéo) est un signe que quelque chose a changé dans les relations entre le Vieux Continent et l'ancien Empire du Milieu. L'UE risque d'avoir commis une nouvelle erreur sur la voie de l'autonomie stratégique. Et cet alignement russo-chinois sera fondamental non seulement en Asie, mais aussi en Afrique, véritable banc d'essai de l'Union européenne dans le monde.

vendredi, 25 juin 2021

La rencontre Biden-Poutine et le "moment-charnière" de l'OTAN - Orient-Occident, la fatalité d'un affrontement

6052cd3_965cc45f71664deb8313bb9b90d0274e-965cc45f71664deb8313bb9b90d0274e-0.jpg

IERI - Institut Européen des Relations Internationales: info@ieri.be
 

La rencontre Biden-Poutine et le

"moment-charnière" de l'OTAN

 

Orient-Occident, la fatalité d'un

affrontement

 

Irnerio Seminatore

 

Le contexte général

Dans un contexte d'incertitudes, de tensions internationales et de désaccord de fond sur l'utilité de rencontrer le chef du Kremlin, aggravées par une pandémie politiquement douteuse, se sont tenus les Sommets du G7, de l'Otan, la Conférence USA-UE et la rencontre bilatérale Biden-Poutine.

Ces réunions, promues pour essayer de faire front commun face à la Chine ont été conçues comme un tout et seront analysées comme telles.

Au prélude des quatre journées de rencontres, le Sommet du G7 aux Cornouailles, s'est attelé à casser l'idée d'un déclin de l'Occident et du caractère obsolète du néo-libéralisme. Le souci de stabiliser le système économique mondial a pris la forme d'une tentative de régler les différends commerciaux (aéronautique, sidérurgie, fiscalité des multinationales etc.) et de définir une stratégie pour la création de grandes infrastructures, à l'image des "routes chinoises de la soie", à destination des pays émergents. Les thèmes de discussions et les limites des débats se sont soldés par une caractérisation sans nuances des régimes politiques des pays adverses, taxés d'être illibéraux (Russie) ou anti-démocratiques (Chine).

Le problème de l'unité ou de la crédibilité

Le problème politique de la crédibilité de l'Alliance (Sommet de l'Otan du 14), a été politiquement précédé par celui d'un autre type de crédibilité, celui de l'unité intérieure de l'Amérique, ébranlée socialement et racialement, par le passage de la tornade trumpienne, par celles de l'"America first", de la culture "woke" et d'un exercice déstabilisant du droit de vote aux minorités, préjugeant de la défense des droits de l'homme sur la scène internationale.

Ainsi le Sommet sur le "moment charnière" de l'Alliance en vue du "Duel du Siècle" est à corréler avec la réunion des 7 pays plus industrialisés, le G7 et, in fine, par la journée du 15 à Bruxelles, consacrée aux relations bilatérales USA-UE ! Leurs buts communs était évidents! Donner la priorité à l'isolement de la Chine et, à la désescalade avec la Russie. L'idée de créer une alliance mondiale des démocraties à deux pôles, l'Otan pour le théâtre européen et le Quad (Usa, Japon Australie et Inde) pour l'Asie-Pacifique, a justifié, en arrière fond, deux projets, une indépendance politique et une autonomie stratégique de l'Europe, à sortir de son état d'hibernation et la recherche d'un apaisement vis à vis de la Russie. Face à la résilience de l'Alliance atlantique et à l'influence grandissante de la Chine, la menace immédiate est apparue celle de la Russie (Ukraine et Bélarus, Pays Baltes) et la restauration de la confiance de la part des opinions, décisive à tous les égards.

La solidité d'un recours à l'Art 5 du traité, a été in fine reconfirmée (automatisme de la solidarité transatlantique et assurance dissuasive de la garantie de protection).

Quant au prolongement de la part des USA, pour la durée de cinq ans du traité "New Start (février 2021), facteur de stabilité stratégique et pilier de l'architecture internationale de maîtrise des armements nucléaires, la nouvelle dimension des bouleversements stratégiques a été reportée à la définition du futur concept stratégique "Otan 2030", à adopter au Sommet de Madrid de 2022.

cover-r4x3w1000-60c7460093dfc-000-9c46j6.jpg

Ainsi, en conclusion, l'objectif annuel du Sommet de l'Otan du 14 juin 2021 a été atteint sur deux points:

- le renforcement de l'Otan, quant à sa crédibilité et sa cohésion politiques, identifiées par son Secrétaire Général, à "un moment charnière", autrement dit à la difficile transition du multilatéralisme à la multipolarité, et, au plan budgétaire, à un accroissement du budget de 260 milliards depuis 2014

- la préparation aux défis sécuritaires de demain, identifiés aux menaces représentées par la Russie et surtout par la Chine, "puissance militaire sûre d'elle même" et "intrinsèquement menaçante pour les États-Unis" (Jan Bond du Center for European Reform). Rétif à toute unité affichée E. Macron a voulu préciser que "la Chine ne fait pas partie de la géographie atlantique". Il semblerait refuser ainsi, le principe d'une rivalité systémique, ne concernant que les États-Unis.

Cependant, en passant des objectifs conjoncturels aux objectifs historiques et en considérant ce moment comme un tournant, ce sommet a eu pour finalité essentielle, d'évaluer la cohésion de l'alliance et la subordination de tous à l'autorité d'un seul, le Leader de groupe, Hégémon. Autrement dit, son destin et son rôle d'ordonnateur du monde, face aux deux perturbateurs supposés, la Russie et la Chine.

Orient et Occident

Le destin de l'Occident, parvenu à son "moment charnière", est né il y a vingt cinq siècles d'un autre tournant, la bataille des Thermopyles et de la poussée de Xerxès, roi des Perses, vers la Grèce antique. Ce vieux destin, porté par le "Fatum" tragique de la culture hellène, revient aujourd'hui aux grandes puissances de l'Orient, Gog, Magog et la Nation de l'Islam, et pourrait durer tout autant.

Une erreur stratégique, masquée de fatalité consisterait à accepter, voire favoriser une coopération froide et inégale entre la Russie et la Chine, oubliant le fameux piège de Thucydide.

Plus proche de nous et à propos de l'Asie Mineure,l'application des clauses du Traité de Sèvres (1920), sur le démembrement de l'Empire Ottoman et sa constitution en État national, a vu jadis l'humiliation d'Ankara, des génocides et de grands transferts de populations, sur lesquels revient la nostalgie d'Erdogan, soucieux de renverser ce traité et de reparcourir ce chemin à l'envers.

Au titre des spéculations invérifiables mais non invraisemblables, peut on dire que le principal défi à l'ordre civilisationnel du monde d'aujourd'hui n'est guère la puissance ni l'hégémonie, mais la civilisation occidentale elle même et que celle-ci demeure le fondement d'un système de conceptions et de forces qui, avec une philosophie et une métaphysique propres, ont façonné l'histoire de l'humanité?

Le "moment charnière" de l'Otan, la prise de conscience historique et la subordination de la démocratie à l'Hégémonie

Ainsi, qu'une alliance politique et militaire (l'Otan), à son "moment charnière" fonde sa prise de conscience historique sur un tournant, dans l'évolution de l'humanité toute entière et du monde comme géopolitique accomplie, est un paradoxe sans précédents.

41Wri1XYSNL.jpg

liuminfu.jpg

Du point de vue conjoncturel l'antagonisme sino-américain a pris le dessus sur le rapprochement russo-chinois, de telle sorte que la logique de la contingence transforme la nature traditionnelle des concepts et que la démocratie devient un instrument de l'hégémonie (et pas le contraire); une modalité pour garder ou pour atteindre le pouvoir global, puisque la protection et la sécurité sont conditionnées par l'obéissance (Hobbes).

Dès lors le débat sur le "destin national" (Liu Mingfu) quitte le terrain du politique pour devenir le mode de penser d'une civilisation en marche et d'un puissant univers qui ré-émerge et s'affirme (Chine).

La menace n'est plus seulement d'ordre militaire mais repose dans l'unité organique d'un "sens", qui mobilise les esprits et les forces de toute une époque et trouve sa forme accomplie non pas dans un régime politique précaire et abstrait (la démocratie et l'universalisme politique régnant et contingent), mais dans l'empire, la forme "perfectissima" du gouvernement des hommes, transcendant la politique et les changements séculaires des équilibres des pouvoirs.

Pouvons nous dire avec certitude qu'une hégémonie politico-culturelle sur l'Eurasie, plus encore qu'une supériorité politico-stratégique menace l'indépendance des autres États du monde et l'existence même de leur souveraineté?

Rien n'est moins sûr, car le critère de l'ami et de l'ennemi reste latent dans la politique intérieure et sert à briser toute opposition (Navalny, Hong-Kong), remettant en cause la distinction traditionnelle de légalité et de légitimité, poussée à son extrême dans la politique internationale. L'ennemi devient une puissance objective et c'est là, dans les "moments charnière" de Stoltenberg, que la tension latente devient active et maintient l'histoire du monde en mouvement

La confiance stratégique et la coopération authentique d'un Sommet pourront elles interdire, freiner ou retarder la confrontation ou le "duel du siècle"? De la part de qui et sous quelle forme viendra-t-elle la décision? Sera-t-elle individuelle ou collective, proche ou à long terme, vue l'énormité des enjeux et la rupture de la digue, fissurée par l'antagonisme des mondes, qui retient l’Himalaya et le Tibet de leur glissement tectonique vers les deux Océans, indien et Pacifique?

Rappelons que:

- "l'Alliance Atlantique est une alliance politique et militaire à caractère défensif entre les peuples des deux bordures de l'Atlantique et elle a pour but de promouvoir les valeurs démocratiques, de résoudre pacifiquement les différends et de décider par consensus.

Ces principes ont ils la même valeurs à l'intérieur d'une même civilisation, ou à l'extérieur de celle-ci, et deviennent-ils caduques entre civilisations hétérogènes?

USA- UE

Avant de rejoindre Poutine à Genève, l’aplanissement des relations commerciales avec l'UE apparaissait indispensable. Ici aussi, l'idée de faire un front commun face à la suprématie chinoise en matière d'aviation et de contrer les pratiques déloyales de Beijing a permis d'enterrer le conflit entre Airbus et Boeing, qui a duré 16 ans sur le soutien de la part des deux administrations à leurs industries respectives. Ce différend a déjà coûté 10 milliards de dollars aux deux entreprises. La volonté de coopération a prévalu enfin dans le but d'aborder d'autres importants défis mondiaux et a coïncide avec la présentation du rapport du Haut Représentant Européen pour les Affaires Étrangères et de Sécurité, Mr J.Borrel au titre "Riposter, contraindre, dialoguer".

La rencontre Biden-Poutine

Or, des quatre journées des colloques précédents, Biden et Poutine ont tiré profit d'une clarification concernant la multiplications des contentieux. Le but en a été de maintenir les contacts et les canaux de communication, maîtrisés par deux hommes aux styles si différents; expérimenté en politique étrangère le premier (Biden) et calculateur le deuxième, à faible légitimité interne l'américain et au consensus indiscuté le russe. Un style qui, du côté atlantique, se fonde sur l'exigence de prédictibilité et de stabilité stratégiques, dictées à un Occident plein de doutes, qui a interdit aux capacités américaines, engagées sur deux fronts, de prendre l'avantage stratégique sur la Chine.

Représentants d'un pays divisé (l'américain) et d'une opposition verrouillée dans l'autre et donc, respectivement, en position de faiblesse et de force, le Russe n'exigeant rien en contre-partie et l'Américain se satisfaisant d'une rhétorique démocratique creuse.

Russia_USA_nuclear_weapons_220213.jpg

Le désaccord entre les deux pays ont porté cependant sur trois points dirimants:

A.

- les lignes rouges respectives, sur lesquelles il est impossibles de transiger, sous peine d'écroulement des deux pouvoirs et de leur glissement dans le chaos

- pour la Russie (l'adhésion de l’Ukraine à l'Otan,perçue comme une menace existentielle),

- pour les États-Unis (les attaques directes par le cyberespace, décuplicatrices d'actions subversives et de paralysie infrastructures vitales, qui appartiennent désormais au domaine de la sécurité nationale).

En effet le monde interconnecté du XXIème siècle multiplie les possibilités d'actions offensives et les anciennes techniques de désinformation, d'intoxication et de propagande, qui ont changé d'échelle, grâce aux réseaux sociaux, interfèrent dans les processus électoraux au plus haut niveau et restreignent ou altèrent le concept de souveraineté, comme capacité de décision et de réponse, dont l'importance militaire, stratégique et sociétale brouille les postures d'attaque et de défense.

B.

- le deuxième regroupement de questions, a concerné la stabilité stratégique, à l'échelle globale et européenne, ainsi que toutes les questions connexes, exigeant confiance et transparence sur un problème existentiel

C.

- les questions virtuellement coopératives (non prolifération, conflits régionaux), ont constitué le troisième regroupement de questions à résoudre et ont fait partie de la troisième corbeille

Cependant, au delà de leurs divergences Biden et Poutine avaient un intérêt commun et partagé, la montée en puissance de l'Empire du milieu. La recherche de la stabilité, totalement antinomique par rapport à l’habilitée de Poutine de surfer sur l'imprévisible, n'interdiraient pas, en théorie, une convergence stratégique à long terme entre l'Amérique et la Russie et la possibilité d'aborder ensemble d'importants défis mondiaux. Cette hypothèse autoriserait une certaine coopération dans la résolution de conflits régionaux (Afghanistan et Iran). De surcroît la rencontre Biden-Poutine a apporté la preuve du caractère creux de toute rhétorique de fermeté et, en conclusion, du caractère incontournable de la Russie à l'échelle globale.

Orient-Occident. La fatalité d'un affrontement

Or, les réflexions inspirées par la rencontre Biden-Poutine ne peuvent nous tromper ni nous bercer d'illusions.

Leur face à face est inscrit dans un désaccord fondamental, que résume bien l’expression latine Pugna cessat, bellum manet! (la bataille cesse, mais la guerre demeure).

La paix de notre temps découle, par sa nature précaire, de la latence belliqueuse du conflit, "l'intention hostile". Conformément à des préoccupations étendues, opinions et analystes s'interrogent sur le type de paix que nous vivons, d'équilibre au niveau du système et d'hégémonie ou d'empire, selon les acteurs et les sous-systèmes régionaux.

Une autre caractéristique frappe les esprits, épris par l'angoisse des rendez vous qui nous attendent, l'hétérogénéité des civilisations et leur choc annoncé, face à la fatalité de la guerre, dont la dialectique oppose les États, les sociétés et la constellation d'acteurs, exotiques et sub-étatiques, qui peuplent le monde de la multipolarité et qui sont porteurs à leur tour de subversions, de révolutions et d'utopies.

150675_6914591_updates.jpg

En ce qui concerne l'Europe, la suggestion de faire de celle-ci une puissance d'équilibre entre l'Amérique et la Russie, aurait la signification historique de prévenir et d'arbitrer un conflit éventuel entre l'Est et l'Ouest et d'unifier en un seul sous-système l'hémisphère nord de la planète, en sauvegardant la civilisation de l'Occident du tsunami superposé de l'islamisme et de l'Orient confucéen.

Cependant nous pouvons en déduire politiquement, par une sorte d'analogie hasardeuse, que la perte de l'unité stratégique de l'Occident, la crise des démocraties, l'émergence de régimes autoritaires et l'ère de la démondialisation actuelle, coïncident avec une période d'amplification des dangers, représentés par des ruptures de la rationalité dissuasive et, au niveau conventionnel, par des combats déréglés, hybrides et hors limites.

Enfin, compte tenu de l'hétérogénéité du système, cette situation engendre une stratégie défensive de la part de l'Hegemon, consistant à anticiper la dissidence de membres importants de la communauté d'appartenance (sortie de la Grande Bretagne de l'UE et éloignement de l'UE des États-Unis), en maintenant au même temps la cohésion des alliances (OTAN).

La rivalité existante passera-t-elle d'une confrontation froide à une forme d'antagonisme chaud ? Les désillusions d'Obama, d'avoir voulu instaurer un dialogue de confiance avec Xi Jinping, constituent aujourd'hui le socle de l'accord bipartisan sur un "containement" de la Chine, qui dépasse largement les fractures irréparables de la société américaine.

Or, si l'histoire du monde se fera au XXIème siècle en Asie, la dynamique multipolaire la plus dangereuse et qui pourra prendre la forme d'une "rupture tectonique", sera l'inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis et la Chine.

Ce tournant justifie la prise de conscience historique du "containement" des Thermopyles de l'antiquité, défini de "moment charnière" par le Secrétaire Général de l'Otan, Jens Stoltenberg, un moment symbolique, concernant la poussée millénaire de l'Orient sur l'Occident.


Bruxelles le 21 juin 2021.

mardi, 20 avril 2021

Un Russe nommé Poutine

w1280-p1x1-2020-06-23T153716Z_1889883054_RC23FH9SIWF3_RTRMADP_3_RUSSIA-PUTIN-TAXATION.jpg

Un Russe nommé Poutine

Ex: Compte vk de Jean-Claude Cariou

Recension: Héléna PERROUD, Un Russe nommé Poutine, Editions du Rocher, 2018, 314 pages.

Héléna Perroud est l’une des meilleures spécialistes de la Russie en France et elle a eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises Vladimir Poutine. Dans son dernier livre, Héléna Perroud nous permet de mieux comprendre la personnalité de l’un des hommes les plus puissants de la planète. La trajectoire de cet homme, qui inquiète autant qu’il fascine en Occident, est analysée par une femme au parcours singulier qui l’a rencontré à plusieurs reprises. Française de langue maternelle russe, familière des cercles de pouvoir russes et français, et connaissant aussi intimement la Russie « ordinaire », elle a voulu avec cet ouvrage, reposant sur de nombreux entretiens, y compris à l’Élysée et au Kremlin, faire comprendre au public français comment Vladimir Poutine est perçu par les Russes. Agrégée d’allemand, Héléna Perroud a été collaboratrice à l’Élysée au cabinet du Président Chirac. Elle a dirigé l’Institut français de Saint-Pétersbourg entre 2005 et 2008. Depuis 2015, elle exerce une activité de conseil entre la France et la Russie, et elle effectue de nombreux déplacements en Russie dans ce cadre.

ynwFC6QMgoA.jpg

A travers cet ouvrage, elle croise ce qu’elle sait des réalités de la vie russe de ces dernières décennies avec ce qu’elle sait du regard que peuvent porter les Occidentaux sur la Russie et l’homme qui la dirige. Et elle tente de répondre sans a priori idéologique à cette question si souvent entendue : Qui est Vladimir Poutine ?

Elle apporte un éclairage sur l’homme, qu’il plaise ou non, qui préside aux destinées de la Russie depuis le 31 décembre 1999 et sur qui par quatre fois se sont portées les voix de dizaines de millions de ses compatriotes. Elle essaye de le voir surtout avec un œil russe, l’œil de Saint-Pétersbourg, de Moscou et des « profondeurs » du pays, comme on dit là-bas. Car elle a trop longtemps vu en Russie des correspondants de grands journaux occidentaux qui ne connaissaient pas le russe et rédigeaient leurs articles sur les seules bases des réunions de presse de l’ambassade des Etats-Unis.

russia-must-sees-1-formatted.jpg

Au-delà de la biographie, replacée dans son contexte historique, de Vladimir Vladimirovitch Poutine, ce livre tente de faire comprendre pourquoi les Russes, dans leur majorité, croient toujours en lui et comment il incarne une certaine idée de la Russie en ce début du XXIe siècle.

Une partie de l’explication tient dans le fait que Vladimir Poutine n’est pas un homme de Moscou, ni un apparatchik, ni un fils d’apparatchik. Il n’est pas issu de l’élite dirigeante de la capitale. C’est un provincial, à l’aise avec les petites gens et à l’aise dans la nature et il sait parfaitement cultiver cette image aux yeux des Russes .

Il a la particularité de vouloir réconcilier les deux Russie, la grandeur tsariste et celle de l’URSS, pour écrire une histoire apaisée. Il se voit avant tout comme un homme au « service » de la Russie, voulant rétablir la place de celle-ci dans le monde.

***
Interview d'Héléna PERROUD:

" Vous nous permettez de comprendre l’âme russe et la façon dont Vladimir Poutine aborde l’histoire de la Russie, qu’il prend dans son intégralité, alors que vous nous rappelez que nos dirigeants français ont tendance à ne commencer l’histoire de France qu’en 1789 et qu’ils parlent plus souvent de la République que de la France…

C’est un point fondamental pour bien comprendre ce que Poutine essaie de faire avec son pays : il essaie de le réconcilier avec son histoire. On ne comprend pas Poutine si l’on ne comprend pas dans quelle histoire il s’inscrit. En Russie, on s’inscrit dans le temps long et on se projette loin devant. C’est vrai, nos dirigeants français parlent beaucoup plus de la République que de la France. Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir, le 31 décembre 1999, il s’agit d’un pays qui est très jeune puisque la Fédération de Russie n’existe que depuis 1991. L’élection du 18 mars 2018 a été la septième élection d’un président au suffrage universel. Donc, la démocratie russe est extrêmement jeune, mais l’histoire de la Russie est millénaire. Le cœur de la Russie historique a commencé à Kiev à la fin du neuvième siècle. La décennie 90 a été très compliquée pour les Russes et Poutine arrive après l’effondrement de l’URSS, qui a duré 70 ans, et après deux événements tragiques pour les Russes avec des millions de pertes humaines : la révolution de 1917 et la résistance contre les nazis, avec plus de 30 millions de morts.

unnamrmo.jpg

Vous rappelez d’ailleurs le lourd tribut payé par les Russes lors de la Seconde Guerre mondiale…

Les Russes ont payé un prix très élevé à cette victoire. Dans les entretiens entre Oliver Stone et Vladimir Poutine, il y a une séquence très intéressante, lorsque Stone lui dit que les Occidentaux ne se rendent pas compte du prix payé par les Russes : « Vous avez donné tout ce que vous aviez… » C’est une question d’Américain. Et Poutine a une réponse de Russe : « Non, on n’a pas donné tout ce que nous avions, on a donné jusqu’à la dernière goutte de notre sang… » Cela veut dire que l’on a donné tout ce que nous étions. C’est l’être côté russe et c’est l’avoir côté américain…

Sur la question de la démocratie, vous montrez à quel point les avancées sont importantes, mais vous insistez sur cette volonté des Russes d’avoir un État fort et, surtout, de placer Vladimir Poutine au-dessus des querelles internes… Il y a là une autre forme de vision de la démocratie…

J’ai visionné des centaines d’heures de vidéos de Vladimir Poutine et de ses opposants, tout en russe, et il y a une séquence très intéressante où Vladimir Poutine dialogue avec un chanteur de rock de Saint-Pétersbourg. C’est d’ailleurs un chanteur très populaire que je connais bien. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense et à descendre dans la rue pour participer à des manifestations lorsqu’il n’est pas d’accord… C’est Iouri Chevtchouk du groupe DDT et Poutine lui dit que la Russie n’a pas d’autre avenir que démocratique : « Il n’y a que dans une société démocratique qu’un homme peut librement s’épanouir, librement travailler au bien de sa famille et librement travailler au bien de son pays ». C’est toujours l’idée du patriotisme qui est le fil rouge de l’action de Poutine. Mais Poutine a le souvenir d’un événement qui a traumatisé les Russes, que les Occidentaux ne connaissent pas bien : c’est en octobre 1993, lorsque Boris Eltsine a fait tirer sur le Parlement communiste avec des milliers de morts à Moscou. Le souci principal de Poutine, c’est la concorde civile. Il sait qu’il peut y avoir de la violence en Russie et, lorsqu’il arrive au pouvoir, la violence est très importante en Tchétchénie. Ce souci fait qu’il faut d’abord assurer la sécurité et la paix, et ensuite introduire des éléments de démocratie.

404813.ori.jpg

Vous citez quand même les Russes qui disent avec humour que « le taux de mortalité est très élevé chez les opposants… »

Il ne faut pas faire d’humour avec ces choses-là, mais c’est une remarque de l’homme de la rue et des observateurs occidentaux… Il y a une violence physique sur la scène politique russe, elle existe, mais le souci de Poutine et de son équipe est de la minimiser. Il y a des journalistes qui ont dénoncé des faits graves comme Anna Politkovskaïa, assassinée en bas de chez elle le jour de l’anniversaire de Poutine, ce qui a eu une signification particulière, choquant énormément de Russes. Elle dénonçait notamment les exactions de l’armée en Tchétchénie. Il y a eu le meurtre de Boris Nemtsov en février 2015, alors qu’il rentrait du restaurant un soir. Mais il ne faut pas faire de raccourcis trop rapides entre ces assassinats et le Kremlin. Il y a eu des procès, les exécutants ont été jugés et ils sont tous en prison. Sur la question des commanditaires, il n’y a pas de réponse précise… Mais dans l’équipe très rapprochée de Poutine, depuis octobre 2016, il y a un homme qui était un ami très proche de Boris Nemtsov, Sergueï Kirienko, et il doit même le début de sa carrière politique à Nemtsov. Donc, les choses sont beaucoup plus compliquées que ce que l’on peut voir au premier coup d’œil…

Il y a eu une réelle volonté de Vladimir Poutine de se rapprocher de l’Europe et des États-Unis. Cependant, la première humiliation du peuple russe, c’était le bombardement de la Serbie en 1999 car il ne pouvait rien faire pour leurs frères serbes…
C’était la première humiliation sérieuse sur le plan extérieur. Il y a eu ensuite un événement majeur qui a vraiment traumatisé les esprits en Russie : c’était le naufrage du sous-marin nucléaire Koursk, très peu de temps après l’arrivée de Poutine au pouvoir, car les Russes n’ont rien pu faire pour les 118 marins qui ont péri dans cet accident effroyable. L’armée russe était dans une situation de désastre.

Vous étiez à l’Élysée en 1999 : comment avez-vous vécu le bombardement sur la Serbie ?

À titre personnel, je ne vous dirai rien… Il est dramatique de penser que l’on ait pu connaître de tels événements au cœur de l’Europe. Dans les années 90, il y a eu aussi les tickets de rationnement dans les villes russes, tout cela au cœur de l’Europe aussi… C’était une décennie vraiment très dure pour les Russes.

9216874b0bae2136364e7f25855d3bcf.jpg

La Russie a beaucoup aidé l’Occident dans sa lutte contre le terrorisme, mais elle a le sentiment de ne pas avoir été remerciée à sa juste valeur. Elle vit aussi comme un échec le fait de ne pas être considérée comme un pays européen à part entière…

Ce sentiment est tout à fait juste, parce que la culture russe est une culture européenne à bien des égards. Imaginez ce que serait la culture européenne sans les Russes, sans Tchaïkovski, sans Pouchkine ou sans Dostoïevski… Pour un homme comme Poutine, ce sentiment est encore plus important parce qu’il est originaire de la ville la plus européenne de Russie, Saint-Pétersbourg, et c’est ce qui m’a frappé en vivant trois ans à Saint-Pétersbourg, lorsque j’ai eu le bonheur de diriger l’institut français de Saint-Pétersbourg, que j’ai fait déménager – d’ailleurs sans le faire exprès – à l’adresse natale de Sacha Guitry. Il y a des clins d’œil de l’histoire à tout moment dans cette ville. Pour un homme comme Poutine, le caractère européen de la Russie est évident et c’est ce qu’il dit dans une autobiographie publiée en mars 2000. Les Russes n’ont même pas à se demander s’ils sont européens, ils le sont, avec un pays qui est plus large que l’Europe stricto sensu. Poutine est aussi le dirigeant le plus européen que la Russie ait connu depuis les Romanov : à l’exception d’Andropov, les autres dirigeants russes n’ont pas connu l’Europe aussi intimement que Poutine. Il a vécu en Allemagne, entre 1985 et 1990, certes en Allemagne de l’Est, puisqu’il était envoyé au titre de sa mission au KGB. C’est un homme qui maîtrise parfaitement l’allemand et c’est le seul à avoir eu cette expérience de vie ordinaire. Il a donc vécu la vie d’un Allemand ordinaire pendant quelques années.

Il y a aussi une occasion manquée pour la France, car Saint-Pétersbourg est une ville francophile et vous dites qu’à la sortie de l’aéroport, on voit encore des grandes affiches publicitaires en français…

C’est manifeste. En ce moment, quand vous arrivez à Saint-Pétersbourg, vous avez une grande publicité en français pour les baignoires Jacob Delafon et vous avez un autre panneau très important pour un grand magasin, construit par un Belge, qui s’appelle « Au Pont Rouge » et, sur la grande façade, il est écrit en français et en russe « Chaussures, ganterie… » Très honnêtement, il est plus difficile de trouver au monde un peuple plus francophile que les Russes !

ngu-new.jpg

Malheureusement, le peuple russe n’a pas le sentiment de recevoir en retour l’amour qu’il nous porte. Vous évoquez les sanctions à l’égard de la Russie et vous soulignez que cela a pénalisé nos agriculteurs en profitant à ceux d’Afrique du Nord…

Les sanctions étaient une bêtise de la part des Occidentaux, car elles n’ont pas impacté les Russes. À l’origine, les Occidentaux voulaient désolidariser les Russes de Poutine mais, sur un plan politique, on a vu que les élections législatives de 2016 ont donné beaucoup plus de voix au parti « Russie unie » de Poutine et il y a eu de nombreuses chansons et de réactions populaires aux sanctions en disant : « Nous sommes derrière notre président et nous allons accroître notre production ! » La réaction était : « Vous, les Occidentaux, vous ne comprendrez jamais rien à la Russie ! » Du jour au lendemain, les magasins ont vu disparaître de leurs rayons, en raison de l’embargo sur certains produits alimentaires, les viandes, les poissons, les fruits et légumes venus d’Europe. D’abord, ils les ont remplacés par d’autres importations en provenance d’Afrique du Nord, mais ils ont surtout appris à produire ce qu’ils ne pouvaient plus importer. Je donne des chiffres précis dans le livre sur la viande porcine et le blé, et la Russie prend les marchés qui étaient traditionnellement ceux de la France. Le chancelier autrichien a même dit que les sanctions avaient coûté aux Autrichiens 0,3 % de leur PIB.

Vous revenez sur le divorce de Vladimir Poutine, qui s’est déroulé dans des conditions très dignes. L’explication officielle était : « Je me concentre sur la patrie… »

Cette explication était étonnante. Il n’y a pas eu de communiqué, mais il était devant les caméras, avec sa femme, lors de l’entracte lors de la représentation d’un ballet. Il ne fait pas référence à ses trente ans de mariage et il dit : « Elle a été à son poste, en tant que première dame, pendant neuf ans, elle a fait son devoir et elle a monté la garde… » Il emploie un vocabulaire militaire et il précise que c’est une femme qui n’aime pas du tout la vie publique, qui n’aime pas les caméras et qui n’aime pas les déplacements en avion. Or, Poutine se déplace énormément. Il fait des milliers de kilomètres chaque semaine, ce sont les dimensions de la Russie, et cette vie n’était pas faite pour elle, donc il la libère de cette tâche. On peut prendre cela comme on veut, mais il essaie de mettre à l’ombre sa femme et ses filles. Il n’aime pas du tout en parler et il demande aux journalistes de comprendre ce souci de ne pas leur faire subir le fait d’être leur père, en leur laissant vivre une vie normale.

vladivostok-russie.jpg

Cependant, il y a un grand échec, c’est la difficulté qu’à la Russie de contrôler son image à l’extérieur… Ils n’ont pas Hollywood…

Il y a deux points sombres en Russie : l’image extérieure et la démographie. Leur souci majeur est l’enjeu démographique. C’est un pays immense, le plus grand pays du monde, avec une population qui n’est pas à la hauteur de la superficie du pays. Quand on essaie de faire le bilan, entre 1990 et 2010, la Russie a perdu 5 millions d’habitants, ce qui est énorme. Le taux de fécondité est de 1,16 enfant par femme quand il arrive au pouvoir. Évidemment, cela ne suffit pas, donc il fixe pour objectif la famille de trois enfants : c’est la famille modèle, le minimum syndical qu’il demande aux familles russes. Pour cela, il a déployé un arsenal financier important en aidant beaucoup les familles. Aujourd’hui, le pays est à 1,76. Il a su inverser cette tendance et cela veut dire que les Russes vont mieux et qu’ils croient en l’avenir de leur pays. Ce mieux-être est associé aux années Poutine. Sur l’influence de la Russie dans le monde, l’image pourrait être meilleure, Poutine se soucie de ce sujet, les instruments du « soft power » existent et ils ont été théorisés. Ce vecteur d’influence vise surtout à faire comprendre, c’est d’abord de l’explication de texte. Il y a eu un classement international sur le succès de l’apprentissage de la lecture chez les enfants de 9 à 10 ans et la France n’arrête pas de dégringoler, puisqu’elle est 34e. Or, les Russes sont premiers devant Singapour. Les Russes savent former leurs jeunes générations, donc ce sont des gens qui ont sans doute des choses à nous dire, mais il faut savoir les entendre."

mardi, 06 avril 2021

Comprendre les PSYOPs anti-Poutine : une préparation à la guerre

SIPA_AP22554340_000003.jpg

Comprendre les PSYOPs anti-Poutine: une préparation à la guerre

Source The Saker Blog

Il n’est pas exagéré de dire que dans la mythologie de l’Empire anglo-sioniste, Poutine est quelque chose d’apparenté à Satan ou, du moins, qu’il est une sorte de « Sauron » qui incarne le mal. Et nous avons tous entendu que récemment Biden, au cours d’une interview enregistrée, a déclaré que Poutine est « un tueur ». Lorsqu’on lui a donné la possibilité d’adoucir une telle déclaration, Jen Psaki n’a rien fait de tel. Nous pouvons donc conclure qu’il s’agissait d’une caractérisation officielle, délibérément planifiée, du dirigeant russe.

Ce type de langage n’a jamais été utilisé par les responsables occidentaux pendant la guerre froide, du moins pas au plus haut niveau. Alors pourquoi cette haine bouillonnante envers Poutine ?

Intro : Une cause pour un prétexte

Ce n’est pas parce qu’il est un ex employé du PGU, KGB, SSSR. Yuri Andropov était un ancien président du KGB, et il a beaucoup fait pour renforcer le KGB, son personnel et ses opérations. Pourtant, personne ne l’a jamais traité de tueur. Ce n’est pas non plus à cause de la Crimée ou du Donbass, du moins pas directement, car lorsque l’URSS a envahi la Tchécoslovaquie et, avant cela, la Hongrie, les politiciens occidentaux n’ont pas traité Khrouchtchev ou Brejnev de « tueurs ». Ce n’est pas pour avoir descendu le MH-17 (les dirigeants occidentaux savent tous que ce sont des mensonges créés par les services spéciaux occidentaux), parce qu’il y a eu pas mal d’avions de ligne civils abattus par divers États, mais cela n’a pas donné lieu à ce genre de diabolisation totale des dirigeants de ces États. Je pourrais continuer, mais vous avez compris : même si nous analysons soigneusement toutes les accusations portées contre Poutine, nous constatons que le type de diabolisation totale dont il a fait l’objet est assez unique dans son intensité et sa portée.

Il y a une énorme différence entre les concepts de « cause » et de « prétexte », et tous les exemples que j’ai donnés ne sont que des prétextes. Nous allons donc examiner les causes réelles d’une telle haine aveugle pour Poutine.

Voici une autre liste de raisons possibles : tout d’abord, il est indéniable que si Eltsine a presque détruit la Russie en tant que pays, Poutine a, à lui seul, « ressuscité » la Russie en un temps étonnamment court. D’un pays en lambeaux et d’une population qui ne souhaitait rien d’autre que de devenir la prochaine Allemagne ou, à défaut, la prochaine Pologne, Poutine a fait de la Russie la plus forte puissance militaire de la planète et a complètement remodelé la perception que les Russes ont d’eux-mêmes et de la Russie. En outre, Poutine a utilisé la moindre mesure prise par l’Occident (comme les sanctions, les boycotts ou les menaces) pour renforcer davantage la Russie (par des moyens tels que la substitution des importations, les conférences internationales et les manœuvres militaires). Plus important encore, Poutine a dissocié la Russie d’un grand nombre d’institutions ou de mécanismes contrôlés par les États-Unis, un geste qui a aussi énormément servi la Russie.

061774282103-web-tete.jpg

Les politiciens américains ont parlé d’un pays dont l’économie était « en lambeaux » et d’une « station-service se faisant passer pour un pays ». Mais dans le monde réel (zone B), l’économie russe s’est bien mieux comportée que les économies occidentales et, quant à la « guerre de l’énergie » entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie, elle s’est soldée par une défaite catastrophique pour les États-Unis et un triomphe pour la Russie et, dans une moindre mesure, l’Arabie saoudite.

Puis vint la Covid-19 et le désastre épique pour mauvaise gestion de cette crise par l’Occident. De plus, le contraste entre la façon dont la Russie (et la Chine !) a géré la crise et ce que l’Occident a fait ne pouvait pas être plus grand. Quant au fait que la Russie soit le premier pays à créer un vaccin (à l’heure actuelle, pas moins de trois en fait ; la Russie est sur le point de commercialiser un autre vaccin, cette fois pour protéger les animaux contre la Covid-19) et, pire encore, le pays qui a créé le meilleur vaccin de la planète – c’est un désastre de relations publiques pour l’Occident et il n’y a rien que l’Occident puisse faire pour en atténuer le choc. Au contraire, les choses ne font qu’empirer, comme le montrent tous les blocages à venir en Europe – à mettre en parallèle avec cette photo de l’heureux Lavrov en Chine portant un masque sur lequel est écrit « FCKNG QRNTN » ! [merde à la quarantaine, NdT]

Mais ce n’est pas non plus la vraie raison, comme le montre le fait que l’Occident détestait déjà Poutine bien avant la Covid-19.

La victoire « volée » de la guerre froide

En vérité, l’Occident a une très longue liste de raisons de haïr Poutine et tout ce qui est russe, mais je crois qu’il y a une raison qui les surpasse toutes : les dirigeants occidentaux croyaient sincèrement avoir vaincu l’URSS pendant la guerre froide (des médailles ont même été fabriquées pour commémorer cet événement) et, après l’effondrement de l’ancienne superpuissance et l’arrivée au pouvoir d’une marionnette alcoolique et désemparée, le triomphe de l’Occident était total. Du moins en apparence. La réalité, comme toujours, étant beaucoup plus compliquée.

[Aparté : les causes et les mécanismes de l'effondrement de l'Union soviétique 
ne sont pas notre sujet aujourd'hui, je me contenterai donc d'indiquer que je
ne crois pas que l'URSS se soit "effondrée" mais qu'elle a été délibérément
détruite par l'appareil du PCUS qui a décidé de briser le pays afin que le
Parti et la Nomenklatura restent au pouvoir, non pas à la tête de l'URSS,
mais à la tête des différentes républiques ex-soviétiques. Les dirigeants
faibles et les idéologies auxquelles personne ne croit vraiment n'incitent
pas les gens à se battre pour leurs dirigeants. C'est pourquoi la monarchie
russe s'est effondrée, c'est pourquoi la démocratie maçonnique de Kerenski
s'est effondrée et c'est pourquoi l'Union soviétique s'est effondrée (c'est
aussi l'une des raisons les plus probables de l'effondrement final des
États-Unis en tant qu'État)].

Poutine, qui n’était pas très connu en Occident ni, d’ailleurs, en Russie, est arrivé au pouvoir et a immédiatement inversé la chute de la Russie dans l’abîme. Il s’est d’abord attaqué aux deux menaces les plus urgentes, les oligarques et l’insurrection wahhabite dans le Caucase. De nombreux Russes, dont moi-même, ont été absolument stupéfaits par la rapidité et la détermination de ses actions. En conséquence, Poutine s’est soudainement retrouvé l’un des dirigeants les plus populaires de l’histoire de la Russie. Dans un premier temps, l’Occident a subi une sorte de choc, puis s’est installé dans un processus rappelant le « modèle Kübler-Ross » et, enfin, dans une frénésie russophobe jamais vue depuis le régime nazi allemand, pendant la Seconde Guerre mondiale.

vladimir-poutine-russie.jpg

Pour comprendre pourquoi Poutine est le Diable incarné, nous devons comprendre que les dirigeants de l’Occident collectif ont vraiment pensé que cette fois-ci, après un millénaire d’échecs et de défaites embarrassantes, l’Occident avait finalement « vaincu » la Russie qui deviendrait maintenant un territoire sans leader, sans culture, sans spiritualité et, bien sûr, sans histoire, dont la seule utilité serait de fournir des ressources à « l’Occident triomphant ».

Ensuite, les dirigeants anglo-sionistes de l’Empire ont exécuté l’opération sous faux drapeau du 11 septembre qui leur a donné le prétexte nécessaire à la Grande Guerre contre le Terrorisme, mais a complètement détourné leur attention de la soi-disant « menace russe », simplement parce qu’en 2001, il n’y avait pas de menace russe. Il y avait donc une certaine logique derrière ces mouvements. Et puis, « soudainement » (du moins pour les dirigeants occidentaux), la Russie fut « de retour » : en 2013, la Russie a bloqué l’attaque prévue des États-Unis et de l’OTAN contre la Syrie (le prétexte ici était les armes chimiques syriennes). En 2014, la Russie a apporté son soutien au soulèvement de la Novorussie contre le régime ukrainien de Kiev et, la même année, la Russie a également utilisé son armée pour permettre à la population locale de voter lors d’un référendum pour rejoindre la Russie. Enfin, en 2015, la Russie a stupéfié l’Occident avec une intervention militaire extrêmement efficace en Syrie.

Dans cette séquence, la Russie a commis deux types de « crimes » très différents (du point de vue anglo-sioniste, bien sûr) :

  • Le crime mineur de faire ce que la Russie a réellement fait et
  • le crime beaucoup plus grave de ne jamais avoir demandé à l’Empire la permission de le faire.

L’Occident aime traiter le reste de la planète comme une sorte de partenaire junior, avec un champ d’action très limitée et presque aucune autonomie réelle (le meilleur exemple est ce que les États-Unis ont fait à des pays comme la Pologne ou la Bulgarie). Si et quand un tel pays « junior » veut faire quelque chose pour sa politique étrangère, il doit absolument demander la permission à son grand frère anglo-sioniste. Ne pas le faire s’apparente à de la sédition et de la révolte. Dans le passé, de nombreux pays ont été « punis » pour avoir osé avoir une opinion ou, plus encore, pour avoir osé agir en conséquence.

Il ne serait pas inexact de résumer tout cela en disant que Poutine a fait un doigt d’honneur à l’Empire et à ses dirigeants. C’est ce « crime des crimes » qui a réellement déclenché l’hystérie anti-russe actuelle. Très vite, cependant, les dirigeants (pour la plupart désemparés) de l’Empire se sont heurtés à un problème extrêmement frustrant : alors que l’hystérie russophobe a eu beaucoup d’écho en Occident, elle a provoqué un puissant retour de flamme en Russie en raison d’un mouvement typique de « judo » à la Poutine : loin d’essayer de supprimer la propagande anti-russe de l’Occident, le Kremlin a utilisé son pouvoir pour la rendre largement disponible (en russe !) par le biais des médias russes (j’ai écrit à ce sujet en détail ici et ici). Le résultat direct a été double : premièrement, l’« opposition » dirigée par la CIA/MI6 a commencé à être fortement associée aux ennemis russophobes de la Russie et, deuxièmement, le grand public russe s’est rallié à Poutine et à sa position inflexible. En d’autres termes, en qualifiant Poutine de dictateur et, bien sûr, de « nouvel Hitler », les PSYOP occidentales ont obtenu un avantage limité dans l’opinion publique occidentale, mais se sont totalement tiré une balle dans le pied vis à vis du public russe.

J’appelle cette étape la « phase un de la PSYOP stratégique anti-Poutine ». Quant au résultat de cette PSYOP, je dirais non seulement qu’elle a presque complètement échoué, mais je pense qu’elle a eu, en Russie, l’effet inverse de celui escompté.
Un changement de cap s’imposait donc de toute urgence.

La réorientation des PSYOP américaines contre Poutine et la Russie

Je dois admettre que j’ai une très mauvaise opinion de la communauté du renseignement américain, y compris de ses analystes. Mais même l’ennuyeux « spécialiste de la zone Russie » a fini par comprendre que dire à l’opinion publique russe que Poutine était un « dictateur », un « tueur de dissidents » ou un « empoisonneur chimique d’exilés » entraînait un mélange typiquement russe de rires et de soutien au Kremlin. Il fallait faire quelque chose.

C’est ainsi qu’un petit malin, quelque part dans un sous-sol, a eu l’idée suivante : il est absurde d’accuser Poutine de choses qui le rendent populaire dans son pays, alors dressons une nouvelle liste d’accusations soigneusement adaptées au public russe.

Appelons cela la « phase deux de l’opération PSYOP anti-Poutine ».

Et c’est ainsi qu’a commencé l’affaire des « Poutine est de mèche avec ». Plus précisément, ces accusations ont été déployées par les PSYOP américaines et ceux qui sont à leur solde :

  • Poutine désarme la Syrie
  • Poutine va vendre le Donbass
  • Poutine est une marionnette d’Israël et, en particulier, de Netanyahu.
  • Poutine est un traître corrompu ne tenant pas compte des intérêts nationaux russes.
  • Poutine autorise Israël à bombarder la Syrie (voir ici)
  • Poutine vend les richesses de la Sibérie à la Chine et/ou Poutine soumet la Russie à la Chine.
  • Poutine est corrompu, faible et même lâche.
  • Poutine a été vaincu par Erdogan dans la guerre du Haut-Karabakh.

Les points ci-dessus sont les principaux sujets de discussion immédiatement approuvés et exécutés par les PSYOPs stratégiques américaines contre la Russie.

Ont-elles été efficaces ?

Oui, dans une certaine mesure. D’une part, ces « PSYOPS anti-russes améliorées » ont été immédiatement reprises par au moins une partie de ce que l’on pourrait appeler « l’opposition patriotique interne » (dont une grande partie est très sincère et sans aucune conscience d’être habilement manipulée). Plus toxique encore a été l’émergence d’un mouvement néo-communiste (ou, comme Ruslan Ostashko les appelle souvent « emo-marxistes ») assez bruyant (que j’appelle personnellement une sixième colonne) qui a commencé une campagne de propagande interne anti-Kremlin centrée sur les thèmes suivants :

  • « Tout est perdu » (всепропальщики) : c’est la thèse qui dit que rien en Russie n’est bien, tout est soit faux soit mauvais, le pays s’effondre, ainsi que son économie, sa science, son armée, etc. etc. etc. C’est juste une sorte de défaitisme, rien de plus.
  • « Rien n’a été accompli depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir » : cette position est étrange, car il faut une gymnastique mentale absolument spectaculaire pour ne pas voir que Poutine a littéralement sauvé la Russie de la destruction totale. Cette position n’explique pas non plus pourquoi Poutine est si détesté par l’Empire (si Poutine faisait tout de travers, comme, disons, Eltsine, il serait adoré en Occident, pas détesté !)
  • « Toutes les élections en Russie ont été volées. » Ici, la 5e colonne (dirigée par la CIA/MI6) et la 6e colonne doivent être d’accord : selon les deux, il est absolument impossible que la plupart des Russes aient soutenu Poutine pendant tant d’années et il est impossible qu’ils le soutiennent encore maintenant. Sans parler du fait que la grande majorité des sondages montrent que Poutine était, et est toujours, la personnalité politique la plus populaire de Russie.

a27d0f2c2f38686799f47d1a2dcc5461--putin-family-vladimir-poutine.jpg

Enfin, le grand dérapage de la réforme des retraites n’a certainement pas aidé Poutine à améliorer sa cote de popularité. Il a donc dû prendre des mesures : il a « adouci » certaines des pires dispositions de cette réforme et, finalement, il a réussi à mettre sur la touche certains des pires intégrationnistes atlantiques, dont Medvedev lui-même.

Malheureusement, certains sites web, blogs et individus prétendument pro-russes ont montré leur vrai visage en prenant le train en marche de cette deuxième campagne stratégique de PSYOP, probablement dans l’espoir d’être plus remarqués ou d’obtenir des fonds, ou les deux. D’où toutes les sornettes sur la collaboration entre la Russie et Israël ou sur un Poutine « vendu », que nous avons vues si souvent ces derniers temps. Le pire, c’est que ces sites web, ces blogs et ces personnes ont gravement induit en erreur et perturbé certains des meilleurs amis réels de la Russie en Occident.

Aucun d’entre eux ne répond jamais à une question très simple : si Poutine est un tel vendu, et si tout est perdu, pourquoi l’empire anglo-sioniste déteste-t-il autant Poutine ? En presque 1000 ans de guerre (spirituelle, culturelle, politique, économique et militaire) contre la Russie, les dirigeants de l’Occident ont toujours détesté les vrais patriotes russes et ils ont toujours aimé les (hélas nombreux) traîtres à la Russie. Et maintenant, ils détestent Poutine parce qu’il serait un mauvais dirigeant ?

Cela n’a absolument aucun sens.

Conclusion : une guerre est-elle inévitable maintenant ?

Les États-Unis et l’OTAN ne s’engagent pas dans des opérations stratégiques de maintien de la paix simplement parce qu’ils aiment ou n’aiment pas quelqu’un. L’objectif principal de ces PSYOPs est de briser la volonté de résistance de l’autre partie. C’était également l’objectif principal des deux PSYOP anti-Poutine (phase 1 et phase 2). Je suis heureux d’annoncer que les deux phases de ces PSYOPs ont échoué. Le danger ici est que ces échecs n’ont pas réussi à convaincre les dirigeants de l’Empire de la nécessité de changer de cap de toute urgence et d’accepter la « réalité russe », même si elle ne leur plaît pas.

Depuis que l’administration « Biden » (le « Biden collectif », bien sûr, pas la plante en pot) a pris (illégalement) le pouvoir, nous avons assisté à une forte escalade des déclarations anti-russes. D’où le dernier « hou, c’est un tueur » – ce n’était pas l’erreur d’un esprit sénile, c’était une déclaration soigneusement préparée. Pire encore, l’Empire ne s’est pas limité à des paroles, il a également effectué quelques « mouvements de corps » importants pour signaler sa détermination à rechercher une confrontation encore plus poussée avec la Russie :

  • Il y a eu beaucoup de bruits de sabre en provenance de l’Ouest, et surtout des manœuvres militaires plutôt malavisées (voire carrément stupides) près de la frontière russe ou le long de celle-ci. Comme je l’ai expliqué un milliard de fois, ces manœuvres sont vouées à l’échec d’un point de vue militaire (plus on se rapproche de la frontière russe, plus les forces militaires occidentales sont en danger). Politiquement, cependant, elles sont extrêmement provocantes et, par conséquent, dangereuses.
  • La grande majorité des analystes russes ne croient pas que les États-Unis et l’OTAN attaqueront ouvertement la Russie, ne serait-ce que parce que ce serait suicidaire (l’équilibre militaire actuel en Europe est fortement en faveur de la Russie, même sans utiliser d’armes hypersoniques). Ce que beaucoup d’entre eux craignent maintenant, c’est que « Biden » déclenche les forces ukrainiennes contre le Donbass, « punissant » ainsi l’Ukraine et la Russie (la première pour son rôle dans la campagne présidentielle américaine). Je suis plutôt d’accord avec ces deux déclarations.

En fin de compte, l’empire anglo-sioniste a toujours été raciste à la base, et cet empire l’est toujours : pour ses dirigeants, le peuple ukrainien n’est que de la chair à canon, une nation de troisième ordre sans intérêt et sans dirigeants qui a dépassé son utilité (les analystes américains comprennent que le plan américain pour l’Ukraine s’est soldé par un nouveau fiasco spectaculaire, comme ces plans délirants finissent toujours par le faire, même s’ils ne le disent pas publiquement). Alors pourquoi ne pas lancer ces gens dans une guerre suicidaire contre non seulement la LDNR mais aussi la Russie elle-même ? Bien sûr, la Russie gagnera rapidement et de manière décisive la guerre militaire, mais politiquement, ce sera un désastre en termes de relations publiques pour la Russie, car l’« Occident démocratique » accusera toujours la Russie, même si elle n’a clairement pas attaqué la première (comme ce fut le cas le 08.08.08) [En Géorgie, NdT].

J’ai déjà écrit sur la situation absolument désastreuse de l’Ukraine il y a trois semaines, je ne vais donc pas tout répéter ici, je dirai simplement que depuis ce jour, les choses ont encore empiré : il suffit de dire que l’Ukraine a déplacé beaucoup de blindés lourds vers la ligne de contact, tandis que le régime de Kiev a maintenant interdit l’importation de papier toilette russe (ce qui montre ce que la bande au pouvoir considère comme des mesures importantes et nécessaires). S’il est vrai que l’Ukraine est devenue un État totalement défaillant depuis le coup d’État néonazi, on constate aujourd’hui une nette accélération de l’effondrement non seulement du régime ou de l’État, mais aussi du pays dans son ensemble. L’Ukraine s’effondre si rapidement que l’on pourrait créer un site web entier pour suivre l’évolution de cette horreur, non pas jour après jour, mais heure après heure. Il suffit de dire que « Ze » s’est avéré être encore pire que Porochenko. La seule chose que Porochenko a fait et que « Ze » n’a pas fait (encore !) est de déclencher une guerre. À part cela, le reste de ce qu’il a fait (par action ou inaction) ne peut être qualifié que de « encore la même chose, mais en pire ».

La guerre peut-elle être évitée ?

Je ne sais pas. Poutine a donné aux Ukronazis un avertissement très sévère (« des conséquences graves pour le statut d’État de l’Ukraine en tant que tel »). Je ne crois pas une seconde que quiconque au pouvoir à Kiev se soucie de l’Ukraine ou de son statut d’État, mais ils sont assez intelligents pour comprendre qu’une contre-attaque russe pour défendre la LDNR et, plus encore, la Crimée, pourrait inclure des frappes de précision ciblées sur « le leadership » avec des missiles avancés. Les dirigeants ukronazis seraient bien avisés de réaliser qu’ils ont tous une cible peint sur la tête. Ils pourraient également réfléchir à ceci : qu’est-il arrivé à tous les chefs de gangs wahhabites en Tchétchénie depuis la fin de la deuxième guerre de Tchétchénie ? (Indice : ils ont tous été retrouvés et exécutés). Cela suffira-t-il à les arrêter ?

Peut-être. Espérons-le.

Mais nous devons maintenant garder à l’esprit que dans un avenir prévisible, il ne reste que deux options pour l’Ukraine : « une fin horrible ou une horreur sans fin » (expression russe).

Le meilleur scénario pour la population ukrainienne serait une scission (relativement pacifique, espérons-le) du pays en plusieurs parties gérables.
La pire option serait sans aucun doute une guerre à grande échelle contre la Russie.

combinaison-de-photos-du-president-russe-vladimir-poutine-et-du-president-ukrainien-volodymyr-zelensky_6197760.jpg

À en juger par la rhétorique qui émane de Kiev ces jours-ci, la plupart des politiciens ukrainiens soutiennent fermement l’option n° 2, d’autant plus que c’est également la seule option acceptable pour leurs maîtres étrangers. Les Ukrainiens ont également adopté une nouvelle doctrine militaire (qu’ils appellent « stratégie de sécurité militaire de l’Ukraine ») qui déclare la Russie État agresseur et adversaire militaire de l’Ukraine (voir ici pour une traduction automatique du texte officiel).

Cela pourrait être la raison pour laquelle Merkel et Macron ont récemment eu une vidéoconférence avec Poutine (« Ze » n’était pas invité) : Poutine pourrait essayer de convaincre Merkel et Macron qu’une telle guerre serait un désastre pour l’Europe. Pendant ce temps, la Russie renforce rapidement ses forces le long de la frontière ukrainienne, y compris en Crimée.

Mais toutes ces mesures ne peuvent pas dissuader un régime qui n’a pas de dirigeants. L’issue sera décidée à Washington DC, pas à Kiev. Je crains que le sentiment traditionnel d’impunité totale des dirigeants politiques américains ne leur donne, une fois de plus, l’impression qu’il y a très peu de risques (pour eux personnellement ou pour les États-Unis) à déclencher une guerre en Ukraine. Les dernières nouvelles sur le front américano-ukrainien sont la livraison par l’US Navy de 350 tonnes d’équipement militaire à Odessa. Pas assez pour être militairement significatif, mais plus que suffisant pour inciter le régime de Kiev à attaquer le Donbass et/ou la Crimée.

En fait, je ne m’étonnerais même pas que « Biden » lance une attaque contre l’Iran pendant que le monde regarde l’Ukraine et la Russie se faire la guerre. Après tout, l’autre pays dont la position géostratégique s’est gravement dégradée depuis que la Russie a déplacé ses forces en Syrie est Israël, le seul pays que tous les politiciens américains serviront fidèlement et quel qu’en soit le coût (y compris le coût humain pour les États-Unis). Les Israéliens exigent une guerre contre l’Iran depuis au moins 2007, et il serait très naïf d’espérer qu’ils ne finissent pas par obtenir gain de cause. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il y a la crise que le chutzpah condescendant qu’est Bliken a déclenchée avec la Chine et qui, jusqu’à présent, n’a abouti qu’à une guerre économique, mais qui pourrait aussi s’intensifier à tout moment, surtout si l’on considère les nombreuses provocations anti-chinoises récentes de la marine américaine.

Actuellement, les conditions météorologiques dans l’est de l’Ukraine ne sont pas propices à des opérations militaires offensives. La neige continue de fondre, créant des conditions routières très difficiles et boueuses (appelées « rasputitsa » en russe) qui entravent considérablement le mouvement des forces et des troupes. Ces conditions vont toutefois changer avec l’arrivée de la saison chaude, et les forces ukrainiennes seront alors idéalement positionnées pour une attaque.

En d’autres termes, à moins d’un développement majeur, nous pourrions être à quelques semaines seulement d’une guerre majeure.

The Saker

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

dimanche, 14 février 2021

Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

cover-r4x3w1000-5aaa7f0ae1ae3-000-10y8pr.jpg

Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

 
 
par Pepe Escobar
Ex: http://www.zejournal.mobi

Le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie a un air d’inévitabilité historique qui met les États-Unis et l’UE à l’épreuve.

Les futurs historiens pourraient l’enregistrer comme le jour où le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, habituellement imperturbable, a décidé qu’il en avait assez :

« Nous nous habituons au fait que l’Union Européenne tente d’imposer des restrictions unilatérales, des restrictions illégitimes et nous partons du principe, à ce stade, que l’Union Européenne est un partenaire peu fiable ».

Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, en visite officielle à Moscou, a dû faire face aux conséquences.

Lavrov, toujours parfait gentleman, a ajouté : « J’espère que l’examen stratégique qui aura lieu bientôt se concentrera sur les intérêts clés de l’Union Européenne et que ces entretiens contribueront à rendre nos contacts plus constructifs ».

Il faisait référence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE qui se tiendra le mois prochain au Conseil européen, où ils discuteront de la Russie. Lavrov ne se fait pas d’illusions : les « partenaires peu fiables » se comporteront en adultes.

Pourtant, on peut trouver quelque chose d’immensément intrigant dans les remarques préliminaires de Lavrov lors de sa rencontre avec Borrell : « Le principal problème auquel nous sommes tous confrontés est le manque de normalité dans les relations entre la Russie et l’Union Européenne – les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique. C’est une situation malsaine, qui ne profite à personne ».

Les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique (mes italiques). Que cela soit clair. Nous y reviendrons dans un instant.

Dans l’état actuel des choses, l’UE semble irrémédiablement accrochée à l’aggravation de la « situation malsaine ». La chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait échouer le programme de vaccination de Bruxelles. Elle a envoyé Borrell à Moscou pour demander aux entreprises européennes des droits de licence pour la production du vaccin Spoutnik V – qui sera bientôt approuvé par l’UE.

Et pourtant, les eurocrates préfèrent se plonger dans l’hystérie, en faisant la promotion des bouffonneries de l’agent de l’OTAN et fraudeur condamné Navalny – le Guaido russe.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, sous le couvert de la « dissuasion stratégique », le chef du STRATCOM américain, l’amiral Charles Richard, a laissé échapper avec désinvolture qu’il « existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si elles percevaient qu’une perte conventionnelle menaçait le régime ou l’État ».

indexREU.jpg

Ainsi, la responsabilité de la prochaine – et dernière – guerre est déjà attribuée au comportement « déstabilisateur » de la Russie et de la Chine. On suppose qu’elles vont « perdre » – et ensuite, dans un accès de rage, passer au nucléaire. Le Pentagone ne sera qu’une victime ; après tout, affirme STRATCOM, nous ne sommes pas « enlisés dans la Guerre froide ».

Les planificateurs du STRATCOM devraient lire le crack de l’analyse militaire Andrei Martyanov, qui depuis des années est en première ligne pour expliquer en détail comment le nouveau paradigme hypersonique – et non les armes nucléaires – a changé la nature de la guerre.

Après une discussion technique détaillée, Martyanov montre comment « les États-Unis n’ont tout simplement pas de bonnes options actuellement. Aucune. La moins mauvaise option, cependant, est de parler aux Russes et non en termes de balivernes géopolitiques et de rêves humides selon lesquels les États-Unis peuvent, d’une manière ou d’une autre, convaincre la Russie « d’abandonner » la Chine – les États-Unis n’ont rien, zéro, à offrir à la Russie pour le faire. Mais au moins, les Russes et les Américains peuvent enfin régler pacifiquement cette supercherie « d’hégémonie » entre eux, puis convaincre la Chine de s’asseoir à la table des trois grands et de décider enfin comment gérer le monde. C’est la seule chance pour les États-Unis de rester pertinents dans le nouveau monde ».

L’empreinte de la Horde d’Or

Bien que les chances soient négligeables pour que l’Union européenne se ressaisisse sur la « situation malsaine » avec la Russie, rien n’indique que ce que Martyanov a décrit sera pris en compte par l’État profond américain.

La voie à suivre semble inéluctable : sanctions perpétuelles ; expansion perpétuelle de l’OTAN le long des frontières russes ; constitution d’un cercle d’États hostiles autour de la Russie ; ingérence perpétuelle des États-Unis dans les affaires intérieures russes – avec une armée de la cinquième colonne ; la guerre de l’information perpétuelle et à grande échelle.

Lavrov affirme de plus en plus clairement que Moscou n’attend plus rien. Les faits sur le terrain, cependant, continueront de s’accumuler.

Nord Stream 2 sera terminé – sanctions ou pas – et fournira le gaz naturel dont l’Allemagne et l’UE ont tant besoin. Le fraudeur Navalny, qui a été condamné – 1% de « popularité » réelle en Russie – restera en prison. Les citoyens de toute l’UE recevront Spoutnik V. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine continuera de se renforcer.

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à ce gâchis russophobe malsain, une feuille de route essentielle est fournie par le Conservatisme russe, une nouvelle étude passionnante de philosophie politique réalisée par Glenn Diesen, professeur associé à l’Université de la Norvège du Sud-Est, chargé de cours à l’École supérieure d’Économie de Moscou, et l’un de mes éminents interlocuteurs à Moscou.

9781138500327.jpg

Diesen commence en se concentrant sur l’essentiel : la géographie, la topographie et l’histoire. La Russie est une vaste puissance terrestre sans accès suffisant aux mers. La géographie, affirme-t-il, conditionne les fondements des « politiques conservatrices définies par l’autocratie, un concept ambigu et complexe de nationalisme, et le rôle durable de l’Église orthodoxe » – impliquant une résistance au « laïcisme radical ».

Il est toujours crucial de se rappeler que la Russie n’a pas de frontières naturelles défendables ; elle a été envahie ou occupée par les Suédois, les Polonais, les Lituaniens, la Horde d’Or mongole, les Tatars de Crimée et Napoléon. Sans parler de l’invasion nazie, qui a été extrêmement sanglante.

Qu’y a-t-il dans l’étymologie d’un mot ? Tout : « sécurité », en russe, c’est byezopasnost. Il se trouve que c’est une négation, car byez signifie « sans » et opasnost signifie « danger ».

9780367264918.jpg

La composition historique complexe et unique de la Russie a toujours posé de sérieux problèmes. Oui, il y avait une étroite affinité avec l’Empire byzantin. Mais si la Russie « revendiquait le transfert de l’autorité impériale de Constantinople, elle serait forcée de la conquérir ». Et revendiquer le rôle, l’héritage et d’être le successeur de la Horde d’Or reléguerait la Russie au seul statut de puissance asiatique.

Sur la voie de la modernisation de la Russie, l’invasion mongole a non seulement provoqué un schisme géographique, mais a laissé son empreinte sur la politique : « L’autocratie est devenue une nécessité suite à l’héritage mongol et à l’établissement de la Russie comme un empire eurasiatique avec une vaste étendue géographique mal connectée ».

« Un Est-Ouest colossal »

La Russie, c’est la rencontre de l’Est et de l’Ouest. Diesen nous rappelle comment Nikolai Berdyaev, l’un des plus grands conservateurs du XXe siècle, l’avait déjà bien compris en 1947 : « L’incohérence et la complexité de l’âme russe peuvent être dues au fait qu’en Russie, deux courants de l’histoire du monde – l’Est et l’Ouest – se bousculent et s’influencent mutuellement (…) La Russie est une section complète du monde – un Est-Ouest colossal ».

Le Transsibérien, construit pour renforcer la cohésion interne de l’empire russe et pour projeter la puissance en Asie, a changé la donne : « Avec l’expansion des colonies agricoles russes à l’est, la Russie remplace de plus en plus les anciennes routes qui contrôlaient et reliaient auparavant l’Eurasie ».

Il est fascinant de voir comment le développement de l’économie russe a abouti à la théorie du « Heartland » de Mackinder – selon laquelle le contrôle du monde nécessitait le contrôle du supercontinent eurasiatique. Ce qui a terrifié Mackinder, c’est que les chemins de fer russes reliant l’Eurasie allaient saper toute la structure de pouvoir de la Grande-Bretagne en tant qu’empire maritime.

Diesen montre également comment l’Eurasianisme – apparu dans les années 1920 parmi les émigrés en réponse à 1917 – était en fait une évolution du conservatisme russe.

9780755607013.jpg

L’Eurasianisme, pour un certain nombre de raisons, n’est jamais devenu un mouvement politique unifié. Le cœur de l’Eurasianisme est l’idée que la Russie n’était pas un simple État d’Europe de l’Est. Après l’invasion des Mongols au XIIIe siècle et la conquête des royaumes tatars au XVIe siècle, l’histoire et la géographie de la Russie ne pouvaient pas être uniquement européennes. L’avenir exigerait une approche plus équilibrée – et un engagement avec l’Asie.

Dostoïevski l’avait brillamment formulé avant tout le monde, en 1881 :

« Les Russes sont autant asiatiques qu’européens. L’erreur de notre politique au cours des deux derniers siècles a été de faire croire aux citoyens européens que nous sommes de vrais Européens. Nous avons trop bien servi l’Europe, nous avons pris une trop grande part à ses querelles intestines (…) Nous nous sommes inclinés comme des esclaves devant les Européens et n’avons fait que gagner leur haine et leur mépris. Il est temps de se détourner de l’Europe ingrate. Notre avenir est en Asie ».

Lev Gumilev était sans aucun doute la superstar d’une nouvelle génération d’Eurasianistes. Il affirmait que la Russie avait été fondée sur une coalition naturelle entre les Slaves, les Mongols et les Turcs. « The Ancient Rus and the Great Steppe », publié en 1989, a eu un impact immense en Russie après la chute de l’URSS – comme je l’ai appris de mes hôtes russes lorsque je suis arrivé à Moscou via le Transsibérien à l’hiver 1992.

Comme l’explique Diesen, Gumilev proposait une sorte de troisième voie, au-delà du nationalisme européen et de l’internationalisme utopique. Une Université Lev Gumilev a été créée au Kazakhstan. Poutine a qualifié Gumilev de « grand Eurasien de notre temps ».

56317170._UY2234_SS2234_.jpg

Diesen nous rappelle que même George Kennan, en 1994, a reconnu la lutte des conservateurs pour « ce pays tragiquement blessé et spirituellement diminué ». Poutine, en 2005, a été beaucoup plus clair. Il a souligné :

« L’effondrement de l’Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle. Et pour le peuple russe, ce fut un véritable drame (…) Les anciens idéaux ont été détruits. De nombreuses institutions ont été démantelées ou simplement réformées à la hâte. (…) Avec un contrôle illimité sur les flux d’information, les groupes d’oligarques ont servi exclusivement leurs propres intérêts commerciaux. La pauvreté de masse a commencé à être acceptée comme la norme. Tout cela a évolué dans un contexte de récession économique des plus sévères, de finances instables et de paralysie dans la sphère sociale ».

Appliquer la « démocratie souveraine »

Nous arrivons ainsi à la question cruciale de l’Europe.

Dans les années 1990, sous la houlette des atlantistes, la politique étrangère russe était axée sur la Grande Europe, un concept basé sur la Maison européenne commune de Gorbatchev.

Et pourtant, dans la pratique, l’Europe de l’après-Guerre froide a fini par se configurer comme l’expansion ininterrompue de l’OTAN et la naissance – et l’élargissement – de l’UE. Toutes sortes de contorsions libérales ont été déployées pour inclure toute l’Europe tout en excluant la Russie.

Diesen a le mérite de résumer l’ensemble du processus en une seule phrase : « La nouvelle Europe libérale représentait une continuité anglo-américaine en termes de règle des puissances maritimes, et l’objectif de Mackinder d’organiser la relation germano-russe selon un format à somme nulle pour empêcher l’alignement des intérêts ».

Pas étonnant que Poutine, par la suite, ait dû être érigé en épouvantail suprême, ou « en nouvel Hitler ». Poutine a catégoriquement rejeté le rôle pour la Russie de simple apprentie de la civilisation occidentale – et son corollaire, l’hégémonie (néo)libérale.

Il restait néanmoins très accommodant. En 2005, Poutine a souligné que « par-dessus tout, la Russie était, est et sera, bien sûr, une grande puissance européenne ». Ce qu’il voulait, c’était découpler le libéralisme de la politique de puissance – en rejetant les principes fondamentaux de l’hégémonie libérale.

411rXFGcgZL._SX310_BO1,204,203,200_.jpgPoutine disait qu’il n’y a pas de modèle démocratique unique. Cela a finalement été conceptualisé comme une « démocratie souveraine ». La démocratie ne peut pas exister sans souveraineté ; cela implique donc d’écarter la « supervision » de l’Occident pour la faire fonctionner.

Diesen fait remarquer que si l’URSS était un « Eurasianisme radical de gauche, certaines de ses caractéristiques eurasiatiques pourraient être transférées à un Eurasianisme conservateur ». Diesen note comment Sergey Karaganov, parfois appelé le « Kissinger russe », a montré « que l’Union soviétique était au centre de la décolonisation et qu’elle a été l’artisan de l’essor de l’Asie en privant l’Occident de la capacité d’imposer sa volonté au monde par la force militaire, ce que l’Occident a fait du XVIe siècle jusqu’aux années 1940 ».

Ce fait est largement reconnu dans de vastes régions du Sud global – de l’Amérique latine et de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.

La péninsule occidentale de l’Eurasie

Ainsi, après la fin de la Guerre froide et l’échec de la Grande Europe, le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie ne pouvait qu’avoir un air d’inévitabilité historique.

La logique est implacable. Les deux pôles géoéconomiques de l’Eurasie sont l’Europe et l’Asie de l’Est. Moscou veut les relier économiquement en un supercontinent : c’est là que la Grande Eurasie rejoint l’Initiative Ceinture et Route chinoise (BRI). Mais il y a aussi la dimension russe supplémentaire, comme le note Diesen : la « transition de la périphérie habituelle de ces centres de pouvoir vers le centre d’une nouvelle construction régionale ».

D’un point de vue conservateur, souligne Diesen, « l’économie politique de la Grande Eurasie permet à la Russie de surmonter son obsession historique pour l’Occident et d’établir une voie russe organique vers la modernisation ».

Cela implique le développement d’industries stratégiques, de corridors de connectivité, d’instruments financiers, de projets d’infrastructure pour relier la Russie européenne à la Sibérie et à la Russie du Pacifique. Tout cela sous un nouveau concept : une économie politique industrialisée et conservatrice.

Le partenariat stratégique Russie-Chine est actif dans ces trois secteurs géoéconomiques : industries stratégiques/plates-formes technologiques, corridors de connectivité et instruments financiers.

Cela propulse la discussion, une fois de plus, vers l’impératif catégorique suprême : la confrontation entre le Heartland et une puissance maritime.

Les trois grandes puissances eurasiatiques, historiquement, étaient les Scythes, les Huns et les Mongols. La raison principale de leur fragmentation et de leur décadence est qu’ils n’ont pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

La quatrième grande puissance eurasiatique était l’empire russe – et son successeur, l’URSS. L’URSS s’est effondrée parce que, encore une fois, elle n’a pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

Les États-Unis l’en ont empêchée en appliquant une combinaison de Mackinder, Mahan et Spykman. La stratégie américaine est même devenue connue sous le nom de mécanisme de confinement Spykman-Kennan – tous ces « déploiements avancés » dans la périphérie maritime de l’Eurasie, en Europe occidentale, en Asie de l’Est et au Moyen-Orient.

Nous savons tous à présent que la stratégie globale des États-Unis en mer – ainsi que la raison principale pour laquelle les États-Unis sont entrés dans la Première et la Seconde Guerre mondiale – était de prévenir l’émergence d’un hégémon eurasiatique par tous les moyens nécessaires.

Quant à l’hégémonie américaine, elle a été conceptualisée de façon grossière – avec l’arrogance impériale requise – par le Dr Zbig « Grand Échiquier » Brzezinski en 1997 : « Pour empêcher la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, pour garder les affluents souples et protégés, et pour empêcher les barbares de se rassembler ». Le bon vieux « Diviser pour mieux régner », appliqué par le biais de la « domination du système ».

C’est ce système qui est en train de s’effondrer – au grand désespoir des suspects habituels. Diesen (photo) note comment, « dans le passé, pousser la Russie en Asie reléguait la Russie dans l’obscurité économique et éliminait son statut de puissance européenne ». Mais maintenant, avec le déplacement du centre de gravité géoéconomique vers la Chine et l’Asie de l’Est, c’est un tout nouveau jeu.

glenn-disen-e1581866530918.jpgLa diabolisation permanente de la Russie-Chine par les États-Unis, associée à la mentalité de « situation malsaine » des sbires de l’UE, ne fait que rapprocher la Russie de la Chine, au moment même où la domination mondiale de l’Occident, qui dure depuis deux siècles seulement, comme l’a prouvé Andre Gunder Frank, touche à sa fin.

Diesen, peut-être trop diplomatiquement, s’attend à ce que « les relations entre la Russie et l’Occident changent également à terme avec la montée de l’Eurasie. La stratégie hostile de l’Occident à l’égard de la Russie est conditionnée par l’idée que la Russie n’a nulle part où aller et qu’elle doit accepter tout ce que l’Occident lui offre en termes de « partenariat ». La montée de l’Est modifie fondamentalement la relation de Moscou avec l’Occident en permettant à la Russie de diversifier ses partenariats ».

Il se peut que nous approchions rapidement du moment où la Russie de la Grande Eurasie présentera à l’Allemagne une offre à prendre ou à laisser. Soit nous construisons ensemble le Heartland, soit nous le construisons avec la Chine – et vous ne serez qu’un spectateur de l’histoire. Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’un axe inter-galaxies Berlin-Moscou-Pékin. Des choses plus surprenantes se sont produites.

En attendant, Diesen est convaincu que « les puissances terrestres eurasiatiques finiront par intégrer l’Europe et d’autres États à la périphérie intérieure de l’Eurasie. Les loyautés politiques se déplaceront progressivement à mesure que les intérêts économiques se tourneront vers l’Est et que l’Europe deviendra progressivement la péninsule occidentale de la Grande Eurasie ».

Voilà qui donne à réfléchir aux colporteurs péninsulaires de la « situation malsaine ».

Traduit par Réseau International

***

Borrell-Lavrov-800x450.jpg

«Qui veut la paix prépare la guerre»: la Russie annonce être prête en cas de rupture des relations avec l'UE

La Russie est prête à rompre ses relations diplomatiques avec l’Union européenne si cette dernière adopte des sanctions créant des risques pour les secteurs sensibles de l‘économie, a déclaré ce vendredi le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, sur la chaîne YouTube Soloviev Live.

« Nous y sommes prêts. [Nous le ferons] si nous voyons, comme nous l’avons senti plus d’une fois, que des sanctions sont imposées dans certains secteurs qui créent des risques pour notre économie, y compris dans des sphères sensibles. Nous ne voulons pas nous isoler de la vie internationale mais il faut s’y préparer. Qui veut la paix prépare la guerre ».

De nouvelles sanctions en vue

Cette semaine, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a annoncé, après sa visite à Moscou, la possibilité de nouvelles sanctions. Il s’est dit préoccupé par les « choix géostratégiques des autorités russes ».

Condamnant les autorités pour avoir emprisonné en janvier l’opposant Alexeï Navalny et les qualifiant de « sans pitié », Josep Borrell a notamment indiqué dans son blog que sa visite avait conforté son opinion selon laquelle « l’Europe et la Russie s’éloignaient petit à petit l’une de l’autre ».

Les propos tenus à Moscou

Lors de sa visite dans la capitale russe du 4 au 6 février, Josep Borrell avait vanté le vaccin Spoutnik V, le qualifiant de « bonne nouvelle pour l’humanité ». Il avait en outre espéré que l’Agence européenne pour les médicaments l’enregistrerait.

Il avait également dit qu’il y avait des domaines dans lesquels la Russie et l’UE pouvaient et devaient coopérer, et que Bruxelles était favorable au dialogue avec Moscou, malgré les difficultés.

Anastassia Verbitskaïa - Sputnik

lundi, 08 février 2021

La méfiance de Vladimir Poutine à l’égard des réseaux sociaux occidentaux

indexVP.jpg

La méfiance de Vladimir Poutine à l’égard des réseaux sociaux occidentaux

L’Etat doit protéger la liberté sur l’Internet

Le Président russe Poutine a abordé tout récemment un des thèmes les plus importants de e 21ème siècle : celui de la toute-puissance grandissante des médias sociaux. Dans un discours adressé aux gagnants d’un concours tenu dans l’ensemble du territoire russe, « L’enseignant de l’année », Poutine a souligné que le rôle de l’Etat était de défendre la liberté d’expression sur l’Internet, face aux prétentions de Facebook, WhatsApp, etc. Pour le chef du Kremlin, ces entreprises contrôlent toujours davantage, par le biais de la censure, la conscience des gens

Poutine a mis ses interlocuteurs en garde, en leur rappelant que les consortiums médiatiques décident seuls et arbitrairement en matière de censure des contenus, sans tenir compte des conséquences de leurs décisions. Les plateformes n’étant finalement, a-t-il ajouté, que des « entreprises ».

Il a poursuivi : « Et quel est le souci premier de toute entreprise ? Faire du profit. Cela leur est bien égal que tel ou tel contenu lèse les gens auxquels il s’adresse. Ces entreprises modernes de TI commencent à contrôler de plus en plus la conscience des hommes ».

Poutine, ensuite, a toutefois bien signalé qu’il y a certes de bonnes raisons de limiter l’accès à certains contenus mais, simultanément, il a aussi constaté que les dirigeants de la Russie se devaient de réfléchir à la question et de réagir. Il a précisé qu’aucune décision ne devait être prise qui conduirait à limiter les libertés des gens, surtout la liberté de voter selon sa conscience et la liberté d’expression.

Les paroles de Poutine n’ont pas été prononcée au hasard. Plus récemment encore, il avait abordé la thématique dans son discours du Forum Economique International de cette année 2021. On peut considérer que c’est là une réaction aux véritables orgies d’effacement et de bannissement que venaient de commettre les plateformes médiatiques et les réseaux sociaux américains, visant tout particulièrement le président sortant Donald Trump. Les consortiums justifiaient leurs actions inquisitoriales en prétendant se soucier d’une expansion probable de la violence aux Etats-Unis.

Bon nombre de voix russes avaient manifesté leur inquiétude face à ce précédent commis par ces grands consortiums. La porte-paroles du ministère russe des affaires étrangères, Maria Sakharova avait dit que de telles actions inquisitoriales équivalaient « à une explosion nucléaire dans le cyberspace ». Elle avait ajouté que cette démarche constituait une attaque contre les valeurs démocratiques dont se réclame l’Occident.

Pavel-Durov-Plans--1-Billion-Loan-for-Telegram.png

Pavel Durov, le fondateur russe du réseau social VKontakt et du service de messagerie Telegram, avait fait part de son souci quant à l’avenir de la liberté d’expression. Le duopole Apple-Google constitue une menace pour la liberté d’expression car, selon Durov, « il pouvait causer des bannissements complets, peu importe quelles applications on utilise ». Durov faisait évidemment allusion à l’interdiction et au sabordage de « Parler », chassé de l’ « iOS-store » après que les partisans de Trump ont quitté les autres réseaux sociaux pour aller s’exprimer sur « Parler ».

Article paru sur : https://zuerst.de

Poutine, le philosophe Ivan Iline et «L’ascension jusqu’aux sommets des meilleurs»

Iljin02.jpg

Poutine, le philosophe Ivan Iline et «L’ascension jusqu’aux sommets des meilleurs»

https://www.politiquemagazine.fr

Sur quels fondements philosophiques s’appuient la politique nationale et internationale de Vladimir Poutine ? Découvrir et lire Ivan Iline, théoricien de l’unité et de la spécificité russe.

Le 3 octobre 2005, le cinéaste russe Nikita Mikhalkov, ami proche du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, est parvenu, étant à la tête du Fonds pour la culture russe, à faire transférer au monastère Donskoï à Moscou, en même temps que les cendres du général Anton Denikine, celles d’un quasi inconnu en Russie (sauf de quelques intellectuels, en particulier Soljenitsyne) – bien que ses œuvres complètes aient été enfin publiées [1]. On murmure que c’est le fils d’un avocat filleul d’Alexandre II et d’une luthérienne convertie, tous deux inscrits sur la Table des rangs qui, depuis Pierre le Grand, précise le degré des serviteurs de l’État. Son nom ? Ivan Alexandrovitch Iline. Mort en Suisse en 1954.

Le 12 décembre 2013, Vladimir Poutine, dans son adresse à l’Assemblée fédérale, se réfère à Nicolas Berdiaev lorsqu’il veut préciser ce qu’il entend par un conservatisme qui refuse la révision systématique des valeurs, la famille au premier chef : « Le sens du conservatisme n’est pas d’empêcher d’aller de l’avant vers le haut, mais d’empêcher de reculer et de retomber dans le chaos obscur et l’état primitif[2] ». Conserver pour défendre, défendre pour avancer, mais sur une voie propre, les concepteurs de « l’idée russe » au XIXe, au XXe, y voient pour la Russie le salut. Dont Ivan Iline.

Début janvier 2014, quelques semaines avant l’entrée en Crimée de troupes « pro-russes » non identifiées, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs, gouverneurs des régions de la Fédération reçoivent en cadeau de Nouvel An La philosophie de l’inégalité de Nicolas Berdiaev (1918), La justification du bien de Vladimir Soloviev (1897) et Nos tâches, d’Ivan Iline (1956), où l’on trouve ceci : « Si le choix de ces nouveaux hommes russes réussit et se réalise rapidement, alors la Russie se relèvera et renaîtra en l’espace de quelques années. Si ce n’est pas le cas, la Russie tombera du chaos révolutionnaire dans une longue période de démoralisation postrévolutionnaire, de déclin et de dépendance envers l’extérieur[3]. »

Mikhail_Nesterov_Portrait_of_Ivan_Ilyin_cr.jpg

Au Forum de la Jeunesse « Tauride » du 10 au 20 août, qui se tient en Crimée six mois après le référendum du 16 mars grâce auquel Moscou a constitué comme nouveaux sujets de la Fédération de Russie la république de Crimée et la ville de Sébastopol, Boris Mejouev, rédacteur aux Izvestia, philosophe, politilogue, insiste sur le fait que la Russie doit « s’édifier comme une civilisation séparée ». Dans quelles conditions ? C’est là qu’il est utile de se remémorer Ivan Iline, hanté par le démembrement de son pays ; pour lui la défense des valeurs traditionnelles ne se sépare pas de l’idée d’un État solide, qui défend son unité par la force si nécessaire ; en quoi il s’opposait à Tolstoï, qui prônait le pacifisme[4]. L’identité nationale est vue comme un rempart contre la standardisation culturelle, déjà à l’œuvre, de fait, dans le libéralisme occidental.

Février 2015, le philosophe et journaliste français Michel Eltchaninoff publie chez Actes Sud Dans la tête de Vladimir Poutine, un essai dont le mérite est aussi de faire le point, à l’occasion des événements de Crimée, sur les influences d’ordre philosophique qui pourraient déterminer ou infléchir la politique du président de la Fédération de Russie. L’ouvrage, récompensé par le Prix de la Revue des deux mondes, apporte éclaircissements et nuances. S’il est vrai que la philosophie inspire davantage nombre de « têtes pensantes » autour de Poutine, dont Vladimir Iakounine, plutôt que Poutine lui-même, dont la passion va au judo – pourtant les références implicites ou explicites à Ivan Iline se multiplient dans ses discours. Elles sont particulièrement saillantes lors de ses interventions au club Valdaï[5]. Qui est Ivan Iline ?

71S4klAYxnL.jpg

Une pensée de l’État dans l’exil

Une formation de juriste lui ouvrit un temps une carrière de professeur de droit. Puis une vie décentrée dans l’exil, en Allemagne (Stettin) et en Suisse (Zollicon), et ce après condamnation à mort, commuée en embarquement sur ce « bateau des philosophes » où Berdiaev s’est trouvé aussi, en 1922. Une pensée politique hantée par la dislocation de l’État russe, tentée mais un moment seulement par le national-socialisme[6], finalement plus bienveillante à l’égard de Mussolini. Pensée qui se construit autour de trois notions : le sens de l’État (et non du parti) ; le respect du droit (non comme lettre froide mais disposition intimement incarné) ; le patriotisme (plutôt que le nationalisme). Voilà résumé l’essentiel. L’œuvre d’Ivan Iline compte environ cinquante livres et mille articles, en russe, en allemand, en français. Elle prend sens pour nous si on l’approche sous un angle qui paraîtra à première vue paradoxal : les libertés – l’angle le plus pertinent à en croire l’essayiste Ivan Blot[7].

La plus importante est la souveraineté, entendue au sens de la non-dépendance d’un État à l’égard de quelque autre dans les domaines considérés comme vitaux, où l’unité historique de la nation, sa sécurité présente, son devenir prochain risqueraient d’être engagés. C’est la leçon de la guerre civile qui parle : celle de Russie, de 1917 à 1922. Mais il me souvient aussi comment le président Hollande, qui proposait en 2012 à Poutine une conversation à propos des anti-missiles, s’est vu opposer une fin de non-recevoir immédiate : tant que la France serait sur ce point tributaire des États-Unis, aucune conversation ne serait ouverte avec elle.

Autre liberté majeure aux yeux d’Ivan Iline, celle de cultiver son identité nationale, au sein d’un ensemble où l’unité reste assurée par l’élément ethnique et culturel russe, par opposition au relativisme absolu qui a mené l’Europe à oublier ses origines et à perdre, en même temps que ses traditions, son identité, au bénéfice d’un multiculturalisme qui en outre l’affaiblit. Voici ce que dit Poutine au club Valdaï en septembre 2013 : « La Russie a toujours évolué au sein d’une “complexité florissante” en tant qu’État-civilisation, consolidé par son peuple russe, le langage russe, la culture russe, l’Église orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles du pays. C’est précisément le modèle d’État-civilisation qui a formé notre entité étatique. Il a toujours cherché à s’accommoder souplement à la spécificité ethnique et religieuse de territoires particuliers, afin d’assurer la diversité dans l’unité[8] ».

Leont'ev.jpg

La réalité d’une inspiration

Même si c’est au moine et diplomate Constantin Leontiev (1831-1891) que Poutine fait explicitement référence – cet autre champion d’une Russie messianique sous réserve qu’elle crée une civilisation slavo-asiatique propre, distincte de l’européenne, et centrée sur Constantinople –, le propos renvoie à toute la hantise d’Ivan Iline de sauvegarder l’unité en respectant les « libertés locales ». La diversité naturelle du monde est « une donnée de Dieu », dit encore Poutine ; mais surtout les émeutes à caractère xénophobe de 2006 (Carélie), 2009 et 2013 (Moscou) sont passées par là.

C’est, avec cette citation, le moment de marquer deux limites à l’influence qu’ont pu avoir tel ou tel philosophe sur le virage que Poutine, au lendemain de son élection de 2012, est censé avoir pris. D’une part il est avant tout un homme d’action, d’autre part, Ivan Iline, on l’a compris, est loin d’avoir l’exclusivité. Outre Léontiev, il faudrait citer le panslaviste Nikolaï Danilevski (1822-1885), qui insiste sur le fait que la Russie et les Slaves composent un ensemble culturel unique ; le philosophe converti Vladimir Soloviev (1853-1900), convaincu que la recherche de la perfection, qui est la fin de notre espèce, s’incarne dans la famille et la patrie ; le naturaliste Lev Goumiliev (1912-1992), pour qui l’énergie vitale qui fait défaut en Occident surabonde en « Eurasie » ; ou le métropolite de Pskov, Tikhon Chevkounov, présumé confesseur de Poutine, pour qui il en est de la Russie d’aujourd’hui comme de Byzance : toutes sortes de dangers la pressent de toutes parts.

Illustration : « Le guide sert au lieu de faire carrière, combat au lieu de faire de la figuration, frappe l’ennemi au lieu de prononcer des mots vides, dirige au lieu de te vendre aux étrangers. » Ivan Iline

[1]. De 1998 à 2003.

[2]. Berdiaev, De l’inégalité, 1918.

[3]. Chapitre La tâche principale de la Russie.

[4]. La résistance au mal par la force, 1925.

[5]. Cercle de réflexion créé en 2004 près du lac Valdaï, région de Novgorod, par l’agence Ria Novosti.

[6]. Auquel il deviendra vite suspect, étant même arrêté par la Gestapo.

[7]. Conférence au cercle de l’Aréopage du 21 juin 2016.

[8]. Discours à Valdaï – 19 septembre 2013, http://en.kremlin.ru/events/president/news/19243.

dimanche, 07 février 2021

Les discours de Poutine et Xi à Davos laissent entrevoir un avenir différent

5cf1dbfba3104842e4b06376.jpeg

Les discours de Poutine et Xi à Davos laissent entrevoir un avenir différent

Par James O’Neill

Ex : https://geopol.pt

Le Groupe des Nations réunies de Davos a récemment tenu son assemblée annuelle par voie électronique, le coronavirus a permis d’éviter pour la première fois la réunion en face à face. Les États-Unis étaient représentés par John Kerry, l'un des nombreux démocrates recyclés des années Obama. La Russie était représentée par son président, Vladimir Poutine, et la Chine, pour la première fois depuis 2017, par son président Xi Jinping. Les médias occidentaux ont largement ignoré la contribution de ces deux derniers, mais ce qu'ils avaient à dire était significatif et mérite d'être examiné de plus près.

Poutine avait reçu un exemplaire d'un livre en 2019, écrit l'un des principaux organisateurs de la conférence, un ami personnel, Klaus Schwab. Le livre s'intitule La quatrième révolution industrielle, écrit par Schwab lui-même. Poutine a utilisé le contenu du livre comme l'un des principaux thèmes de son discours.

Le thème du livre avait évidemment été dépassé par les événements liés au coronavirus en 2020, mais il fournissait quand même plusieurs points de discussion importants que Poutine a utilisés pour structurer son discours. Il a noté que le Covid-19 avait accéléré de nombreux problèmes structurels préexistants dans l'économie mondiale, en particulier ce qu'il a appelé les effets cumulatifs des problèmes sous-économiques qu'il a identifiés comme la raison principale de la croissance instable.

Cette croissance déséquilibrée a conduit à une exacerbation croissante de nombreux problèmes internationaux. Faisant référence à l'inégalité croissante dans l'économie mondiale, il a rejeté la faute directement sur le 1% le plus riche qui domine aujourd’hui les revenus et les profits. Cela a conduit à une exacerbation croissante de nombreux problèmes internationaux.

S'attendre à ce que ces problèmes soient identifiés, et encore moins traités, était peu probable, notamment parce que les grands médias ne sont pas susceptibles d'identifier la source du problème, étant donné que leurs propriétaires sont en grande majorité le même 1%. Le degré de rhétorique de la propagande en politique étrangère s'accroît. Bien que cela n’a pas été dit directement, il est évident que la Russie a longtemps été victime de la désinformation massive des médias occidentaux.

Poutine a souligné qu'il pouvait s'attendre à ce que la nature des actions pratiques devienne plus agressive, y compris la pression sur les pays qui résistent aux tentatives de puissances qu’il n’a pas nommées, mais très clairement il faisait allusion aux États-Unis, qui utilisent des barrières commerciales illégitimes, des sanctions et d'autres restrictions dans les domaines de la finance, de la technologie et du cyberespace pour contrôler les récidivistes.

Le résultat final d'un tel jeu, sans règles, ou du moins un ensemble de règles pour les élites qui peuvent être modifiées à volonté et arbitrairement, augmente de façon critique le risque d'une action militaire unilatérale.

Poutine a identifié quatre priorités que le monde doit adopter afin d'éviter ces conséquences désastreuses. Tout d'abord, il faut que les conditions de vie soient confortables pour tous. Ce sera extraordinairement difficile à réaliser et il n'a donné aucun indice réel sur la manière dont le problème pourrait être surmonté.

Deuxièmement, l'objectif doit être que chacun ait un emploi qui assure une croissance et un revenu durables et l'accès à l'éducation tout au long de la vie, qu'il a défini comme absolument essentiel.

Troisièmement, les gens doivent être sûrs de recevoir des soins médicaux de qualité.

Quatrièmement, quel que soit le revenu familial, les enfants doivent recevoir une éducation décente.

Ces demandes n'étaient pas exhaustives, mais elles constituent sans aucun doute la base essentielle d'une vie civilisée. De nombreux pays y sont déjà parvenus, notamment les pays scandinaves et la Nouvelle-Zélande. Même entre les pays dits développés, il existe des inégalités flagrantes qui ne seront pas surmontées dans un avenir immédiat.

Cette triste réalité a été reconnue dans le commentaire final de Poutine lorsqu'il a déclaré que la concurrence et la rivalité entre les pays n'ont jamais cessé, elles ne cesseront jamais. Le défi consistera à faire en sorte que la rivalité ne se transforme pas en guerre.

Le discours de Xi

Xi, pour sa part, a identifié quatre grandes tâches auxquelles le monde contemporain est confronté. Premièrement, le monde doit "intensifier" la coordination des politiques macroéconomiques afin de promouvoir une croissance forte, durable, équilibrée et inclusive de l'économie mondiale.

Deuxièmement, a-t-il dit, le monde doit "abandonner les préjugés idéologiques et suivre conjointement un chemin de coexistence pacifique, d'avantage mutuel et (en utilisant une expression avec laquelle il est identifié) de coopération mutuellement bénéfique.

Les différences entre les sociétés ne sont pas, en soi, alarmantes. Ce qui est alarmant en revanche, a-t-il observé, c'est "l'arrogance, les préjugés et la haine". Xi a très franchement identifié un problème majeur comme étant les tentatives visant à "imposer les uns aux autres sa propre histoire, sa culture et ses systèmes sociaux".

Cette dernière phrase doit être lue et assimilée par de nombreux dirigeants occidentaux, dont notamment l'Australie, qui perçoivent la croissance de la Chine comme une menace existentielle pour leur propre existence. Il n'y a pas de preuves pour étayer ces craintes, mais elles sont un refrain constant dans l'analyse des médias occidentaux.

Troisièmement, a déclaré Xi, le défi consiste à mettre fin à la fracture entre les pays développés et les pays en développement. La croissance des pays en développement permettrait d'asseoir la prospérité et la stabilité sur des bases plus solides.

Quatrièmement, nous devons nous unir contre les défis mondiaux. Aucun problème mondial ne peut être résolu par un seul pays, aucun pays ne peut imposer volontairement le découplage, la rupture d'approvisionnement et infliger des sanctions pour créer l'isolement et l’ostracisme de tiers, car cela ne ferait que pousser le monde à la division et à la confrontation.

Et ce qui peut être considéré comme un défi direct aux prétentions occidentales de jouir d'un monopole à l'appui de leur interprétation du droit, Xi a déclaré que "nous devons rester attachés au droit international et aux règles internationales plutôt que de rechercher notre propre suprématie". La gouvernance internationale, a-t-il dit, devrait être basée sur "les règles et le consensus atteint entre nous, et non sur l'ordre donné par une puissance ou un groupe de puissances".

Cette dernière phrase suffirait à créer l’émoi parmi les puissances occidentales, qui ont trop longtemps revendiqué le monopole des "règles basées sur l'ordre international". Ce qu'ils veulent vraiment imposer, ce sont leurs règles et leur ordre. Xi envoyait un message clair : cette époque est révolue et le droit international signifie simplement qu'au lieu de préserver l’intégrité de quelques riches dont les diktats au cours des 70 dernières années ont été la source de conflits sans fin pour le monde dans son ensemble et l’origine d'avantages accumulés pour eux seuls.

Il est douteux que l'Occident écoute Poutine ou Xi, et encore moins qu'il change leur comportement. Mais le monde a changé. Plus vite les anciennes puissances occidentales reconnaîtront qu'elles changent et modifient leur comportement, plus vite nous aurons des chances d'atteindre les objectifs si clairement établis par Poutine et Xi. La couverture médiatique limitée de ces deux discours en Occident n'est pas de bon augure. Cependant, comme le montrent les multiples accords conclus par diverses nations dans la région de la Grande Eurasie, le vieux monde disparaît rapidement. Plus vite ce processus de ressac sera reconnu, plus le monde sera sûr.

Publié à l'origine dans New Eastern Outlook

samedi, 06 février 2021

Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

a85bf6c2304a1619a436a874e2149584.jpg

Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

Mikhail Khazin

Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru

A propos du capitalisme « inclusif »

Je dois dire à tous ceux qui défendent les théories du complot qu'ils ne devraient pas lire ce texte : je n'écrirai rien qui ait un rapport avec la création du capitalisme inclusif qui est promu par le pape, les Rothschild et les Rockefeller (1). Pour cela, il vaut mieux lire la presse officielle.

Mais, et il est très important de le souligner, l'existence même d'un tel projet ne nous dit rien sur son propre contenu : les déclarations officielles sont souvent faites pour ne pas révéler la vérité et visent plutôt à cacher le contenu réel du projet.

Mais les gens sont très intéressés par ce sujet et écrivent beaucoup. Nous allons donc essayer de comprendre le problème en nous basant sur la façon dont nous comprenons nous-mêmes ce problème. Mais ce que nous écrivons ici est précisément une tentative et non une réponse à la question de savoir ce qui se passe. Notre perspective est donc la suivante : il existe un système de projets mondiaux, qui sont décrits de manière très détaillée dans notre livre Bridge to the Future. Nous avons fait valoir que face à ces projets mondiaux, il existe un certain nombre de projets civilisationnels qui n'ont pas encore atteint un niveau mondial, bien qu'ils tentent parfois de devenir une alternative.

Nous avons décrit ces six projets dans notre livre. Trois de ces projets sont mondiaux :

  • Le projet juif global (le "Plan Salomon", le "Nouveau Londres") ;
  • Le projet mondial "occidental" (également connu sous le nom de Finintern, dont le centre est à New York et dont le point focal est le FMI et Wall Street) ;
  • Le projet islamique mondial (aujourd'hui défendu par la Turquie).

Et les trois autres projets sont de nature civilisationnelle et visent à prendre le pouvoir ou à devenir des projets au niveau mondial. C'est le cas :

  • L'une d'elles est la relance du projet capitaliste classique qui est coordonné par le Vatican ("L'Internationale noire", l'aristocratie européenne, les francs-maçons, etc ;)
  • Le projet chinois qui a abandonné (peut-être temporairement) le projet global "Rouge" et qui est mené par une série de clans militaires ;
  • La Russie en tant que projet de civilisation qui hésite entre plusieurs options telles que l'"Internationale noire" (suivant l'idée que "Moscou est la troisième Rome"), le retour au projet global "Rouge" ou la création d'un centre de civilisation régional avec la Chine et est connu sous le nom de "Nouvelle Horde".

Par exemple, qu'est-ce que Brexit ? C'est une alternative à 1936 (lorsque le projet global "occidental" a réussi à remplacer le roi Edward VIII par le père de l'actuelle Reine et a ainsi vaincu les groupes qui appartenaient à l'élite dirigeante de l'Angleterre), c'est-à-dire au coup d'État que les banquiers ont fini par perdre.

Très probablement, jusqu'en 1936, Londres était dirigée par des représentants du projet juif (des représentants de "l'aristocratie noire" de Venise, qui, par l'intermédiaire de la Hollande, ont réussi à prendre le pouvoir en Grande-Bretagne pendant la "Glorieuse Révolution" de 1688). Cela explique le fait que tous les empires d'Europe continentale se sont effondrés à la suite de la Première Guerre mondiale et que les Britanniques sont les seuls à être restés intacts. Eh bien, Londres a toujours eu une relation difficile avec le Vatican.

Gardons à l'esprit que la "vieille" aristocratie (c'est-à-dire l’aristocratie continentale) d'Europe occidentale a tenté de se venger après la défaite de 1918 et pour cela, elle a soutenu Hitler, car elle considérait l'Angleterre comme son principal ennemi. Mais ils ont échoué et ont été contraints de se tourner vers l'Est et nous en connaissons les résultats. Soit dit en passant, toute la campagne antisémite que le NSDAP a encouragée à ses débuts visait à chasser les Juifs de Palestine, c'est-à-dire qu'elle était dirigée contre l'Angleterre elle-même.

Signalons quelque chose d'important. Depuis les années 1920, le projet juif se sent menacé par les banquiers, c'est-à-dire par l'élite du projet "occidental" qui, après la création du système de la Réserve fédérale aux États-Unis, a fini par s'installer dans ce pays. Et c'est pourquoi, depuis la fin des années 1920, ce projet a cherché à se connecter avec la NSDAP. Eh bien, à la suite de l'Holocauste, les principales victimes ont été les Juifs d'Europe de l'Est, dont une partie importante s’était installée sur ce territoire en provenance de l'ancienne Babylone et de la Khazarie. En d'autres termes, ils n'avaient rien à voir avec l'histoire de l'Empire romain et de l'Europe médiévale et, en général, étaient porteurs d'une notion du sacré complètement différente.

Au fait, le gendre de Trump représente les Hassidim, il a des ancêtres qui viennent de Khazarie. Cela nous permettrait d'approfondir l'histoire très complexe des relations que les Juifs du monde ont avec toutes les distinctions de la judaïté, et c'est un sujet que nous n'aborderons pas ici. Je ne tirerai qu'une seule conclusion de tout cela: en général, Trump, malgré son alliance avec le Vatican contre le projet global "occidental", ne constitue pas un tout en soi, lié au seul projet juif. Il est possible que si le projet de "Nouvelle Horde" (également connu sous le nom de "Grande Eurasie") réussit, Trump se joigne à ce projet, puisque la Khazaria fait partie de la zone des Grandes Steppes.

En ce moment, l'"Internationale noire" tente de mener sa deuxième revanche (elle a sa base d'opérations en Allemagne et a également un accord avec le Vatican), mais cette deuxième offensive a une faiblesse : il lui manque un modèle économique complet et cohérent qui lui donnerait les moyens nécessaires pour un projet de grande envergure. L'Allemagne et l'UE "vivent" aujourd'hui exclusivement sur le potentiel d'émission du dollar, qui est contrôlé par l'élite qui est à la tête du projet "occidental". Et comment agir dans une telle situation ? Les modèles économiques du projet capitaliste mondial sont désespérément dépassés et personne n'est capable de les adapter à la modernité : tous les experts sur lesquels ils comptent ont été formés selon les modèles du libéralisme. Le projet capitaliste est donc entré dans la phase de création d'un réseau et est principalement soutenu par les nationalistes. Et en Europe continentale, les nationalistes ne sont au pouvoir que dans quelques très petits pays.

Gardons à l'esprit que nous, les Russes, comprenons que ces ressources existent, mais que, de leur point de vue, nous devrions, au mieux, devenir un partenaire junior (et tout cela nous a été démontré de manière très dure par la Grande guerre patriotique). En Russie, la "cinquième" colonne se développe, mais pas la libérale, mais la "troisième colonne" comme le Tsarevich Hosha, toutes sortes de princes et autres marginaux que même pas 3% de la population soutient. Mais à mesure que la situation en Russie s'aggrave et, si aucune alternative n'est créée, ils finiront par accroître leur influence.

La situation à Londres s'est améliorée ! En fait, ils ont pu placer leur candidat aux Etats-Unis en 2016 (dans le cadre de la même logique nostalgique du "vieux" capitalisme), mais, l'important, c'est que maintenant il a perdu ! Le projet "occidental" a pris sa revanche sur les États-Unis et toutes les autres forces en présence doivent d'une manière ou d'une autre décider de ce qu'elles vont faire maintenant ! Gardons à l'esprit que le projet "occidental" a ses propres problèmes, tout d'abord : son principal outil, celui avec lequel ils ont pris le contrôle du monde entier à la fin des années 80, l'émission de dollars, a complètement épuisé son utilité. Mais, pour l'instant, les dollars peuvent être imprimés en n'importe quelle quantité et Trump n'est plus en mesure de l'empêcher.

Londres a donc recommencé à jouer. Ils ont un problème : le projet "occidental" domine dans l'UE, aux États-Unis et, de plus, on ne sait pas exactement quel rôle la Russie joue dans tout cela (car la Russie est sous le contrôle du projet "occidental" sur le plan financier et économique). La Russie a besoin de ressources propres (sa propre zone monétaire) dont elle ne dispose pas encore. Et Londres (sous le contrôle du projet juif) a commencé à promouvoir l'une des nombreuses factions qui existent dans le réseau du projet islamique mondial. Non pas Daesh, qui était auparavant promu par le projet "occidental", mais un autre, que l'on peut conditionnellement appeler le "califat rouge" dont le centre se trouve en Turquie (à Istanbul). L'objectif est de créer sur la base du monde arabe une zone monétaire avec Londres comme centre.

D'où, soit dit en passant, le conflit avec Israël. Londres n'a pas besoin d'Israël dans la nouvelle version du Moyen-Orient qu'elle crée (car Israël interfère avec son projet de califat rouge). Le projet "occidental" n'a pas non plus besoin d'Israël, car dans le cadre de cette confrontation interne entre Juifs, les sionistes ne sont pas en bons termes avec le secteur financier. Mais l'aristocratie européenne et le Vatican ont réellement besoin des Juifs (tant qu'Israël existera, les intérêts séculiers de l'État juif prévaudront sur les intérêts sacrés du projet  juif). À l'époque, Clinton était prêt à capituler devant Israël et Trump y était prêt aussi.

Eh bien, maintenant, comme promis, je vais parler un peu du capitalisme "inclusif". Le pape, comme on peut le constater, fait partie de l'"Internationale noire" et est l'un des éléments moteurs de ce projet de réseau capitaliste. Les Rothschild font partie du projet juif qui a pris le pouvoir à Londres, mais ils se trouvent dans une situation extrêmement précaire : la menace d'un nouveau Trump se profile à l'horizon.

Les Rockefeller sont la partie américaine du projet qui anime ce réseau capitaliste. Et qui est l'ennemi commun de tous ? L'élite à la tête du projet "occidental". Et pourquoi ont-ils besoin d'une alliance ? Selon la logique que nous avons exposée, la réponse est évidente : ils ont besoin d'un nouveau modèle de croissance économique qui soit différent de la question du dollar ! Ils doivent d'abord détruire le projet "occidental", puis s'occuper des autres projets. Et le projet "occidental" n'a pas encore été battu.

Notons que le Pape a longtemps essayé d'aller dans cette direction, il y a quelques années un fonds spécial d'environ 100 millions a été créé qui était censé financer un certain nombre de recherches pertinentes (j'ai même publié un document sur la création de ce fonds qui existe quelque part et était ouvert aux investissements) ... Mais l'astuce n'a pas fonctionné, ils n'ont pas trouvé de spécialistes capables de mettre en œuvre un tel programme. Et maintenant, ils font la deuxième tentative. La tâche principale de cette coopération est de trouver un mécanisme de développement qui permettra de vaincre enfin le projet global "occidental".

Et tous les autres projets, où en sont-ils ? La Chine s'attend à une crise inévitable, l'arrivée de Biden lui permet de retarder cet effondrement pour un certain temps, c'est-à-dire d'accumuler toutes sortes de réserves. Xi a déjà annoncé une transition pour lancer une série d'activités étatiques (sinon la Chine ne survivra pas du tout car elle ne pourra pas s'orienter vers le marché intérieur), mais il manque à la Chine un projet global ! La Chine est mal comprise au-delà de ses propres frontières, elle ne dispose pas de ce que l'on a récemment appelé le "soft power". Elle peut essayer de revenir au projet "Rouge", mais elle doit encore former un personnel important pour pouvoir le développer et la crise n'a pas encore commencé. Dans l'ensemble, ils ont encore des options, mais ils se trouvent dans un moment assez difficile.

Le projet juif a également été réactivé après le "Brexit", mais ils ont peu de ressources et sont confrontés à une inévitable guerre éclair. Soit ils remporteront une victoire rapide, soit ils subiront une défaite inévitable. Cela explique l'activité que Londres développe en Transcaucasie : elle a choisi la Turquie comme bélier et comme instrument, j'ai déjà écrit à ce sujet. Et ils doivent remporter une victoire rapide (c'est-à-dire qu'ils pourront former leur propre zone monétaire) ou la Grande-Bretagne, dans le cadre de l'histoire mondiale, cessera d'être considérée comme une grande puissance. Certes, le projet juif peut être relancé, mais la Grande-Bretagne va disparaître.

Le projet capitaliste a déjà perdu une de ses Blitzkriege et il lui est maintenant très difficile de manœuvrer politiquement, aussi espère-t-il, par ses récentes démarches politiques, s'allier à la Russie. Le seul obstacle sur son chemin est Poutine. C'est pourquoi une attaque très agressive contre Poutine se développe, qui est non seulement soutenue par le projet "occidental" (on comprend bien pourquoi l'élite de ce projet craint tant que Poutine n'entame une purge illibérale dans leur pays), mais qui trouve également un écho auprès de toute l'élite européenne. La seule différence est que les premiers détestent totalement la Russie (avec Poutine), tandis que les seconds sont tout à fait disposés à accepter la Russie, même en tant que partenaire junior, mais sans Poutine.

En fait, j'ai presque entièrement décrit le rapport de force. Seule la Russie a été exclue de ce scénario. Mais ici, je ne dirai rien pour l'instant, puisque Poutine n'a pas encore fait son choix. Plus précisément, je veux dire que la Russie manœuvre dans un scénario très difficile sans montrer à personne son véritable plan. Ici, comme lorsque l'on fait du vélo, il est beaucoup plus facile de rouler que d'être surpris par la façon dont on le fait. On ne peut donc qu'admirer le talent de Poutine, ce sera une autre affaire quand il prendra sa décision et il ne fait aucun doute qu'à ce moment-là, les partisans des autres projets finiront par détester cette décision.

Note :

  1. https://katehon.com/ru/article/zakulisa-snimaet-maski

jeudi, 28 janvier 2021

Vladimir Poutine lève les restrictions Covid : la Russie revient à la normale

1440x810_cmsv2_93f5f2fe-ca51-5322-81d3-3d3b84952de2-4756230.jpg

Vladimir Poutine lève les restrictions Covid : la Russie revient à la normale

Par Boris Guenadevitch Karpov

Source : https://www.maurizioblondet.it

Allant à l'encontre de la paranoïa des gouvernements occidentaux, Vladimir Poutine a annoncé aujourd'hui le retour à la normale en Russie : "En Russie, la situation due aucoronavirus se stabilise ; les restrictions imposées en rapport avec la pandémie peuvent être progressivement levées. En général, la situation épidémiologique dans le pays se stabilise progressivement. Ce matin, j'ai écouté les rapports : nous avons déjà plus de personnes guéries que de personnes malades. Le nombre de personnes infectées est en baisse ; il est inférieur à 20 pour mille. Cela permet de supprimer tranquillement les restrictions imposées”.

Actuellement, dans la plupart des régions de la Fédération de Russie, il y a déjà très peu de restrictions depuis l'été dernier, par rapport aux pays occidentaux : tous les services et les magasins fonctionnent (les bars et les restaurants de plusieurs régions doivent fermer à 23h00 ... en théorie. En pratique, beaucoup ne ferment qu'à l'aube...). Les seules limitations sont l'obligation (là encore très théorique) de porter un masque dans les transports et les magasins, et la limitation du taux d'occupation à 50 % dans les cinémas, les musées, etc. De plus, la population suit pour la plupart très peu d'instructions stupides : le masque est rarement porté, ou sous le menton. Quant aux "distances sociales"... Regardez une photo prise il y a quelques jours dans le métro de Moscou.

Le sens de la déclaration de Vladimir Poutine est très politique : elle montre au clan des mondialistes en Russie, dirigé par le maire de Moscou qui veut renforcer les mesures d'alignement sur les pays occidentaux, que son jeu est terminé. En août, c'était déjà Vladimir Poutine qui avait ordonné au maire de Moscou de lever la quarantaine (le maire avait reçu un appel téléphonique en pleine réunion pour préparer l'annonce de la poursuite de la quarantaine et avait déjà commencé à envoyer des SMS pour informer la population. Selon un témoin, le maire n'a rien dit pendant 2 à 3 minutes, et à la fin de la communication, il a déclaré que la quarantaine avait été levée).

La semaine dernière, c'est encore le président qui a ordonné au maire de Moscou de suspendre l'enseignement "à distance" qu'il avait introduit en octobre pour la plupart des étudiants. Aujourd'hui, donc, le président Poutine déclare au niveau national que les choses ont assez duré. Qu'il y ait là une justification électorale à cette décision, vu le déclin de la popularité du maire de Moscou à 80% d'insatisfaits, et le déclin de la popularité de Poutine avec un énorme 40% d'insatisfaits, cela semble clair.

Alors qu'à l'Ouest, les pays rivalisent de paranoïa pour savoir qui enfermera sa population le plus longtemps et le plus durement, Vladimir Poutine met la Russie hors du plan mondialiste.

On retiendra également les nouvelles mesures que la Russie a inscrites dans sa Constitution (par exemple le mariage = exclusivement Homme plus Femme, la réaffirmation de la foi en Dieu, la prédominance des lois russes sur les lois internationales, etc.) qui montrent clairement la voie choisie, aux antipodes du projet de société mondialiste.

Le vol électoral perpétré par Biden et ses complices aux États-Unis va rapidement entraîner l'Europe occidentale dans une mondialisation forcée. Hier, Macron a prêté allégeance à Biden lors de leur premier entretien téléphonique.

La Russie s'établira alors comme une oasis souveraine dans un monde devenu fou. C'est d'ailleurs pour éviter cette dualité que les mondialistes se forcent à des tentatives de révolte fomentées par la "5e colonne" dirigée par Navalny et quelques oligarques. Mais’’la Russie dispose des ressources humaines, financières et militaires nécessaires pour tracer sa propre voie’’, quelles que soient les réactions des mondialistes.

La déclaration faite aujourd'hui par Vladimir Poutine sur la fin de la folie pandémico-répressive montre qu'il y a un retour de bâton, qui devrait être suivi par d'autres dans les semaines à venir.

samedi, 17 octobre 2020

Qui a peur de l’ours russe?

images.jpg

Archives: article de 2007

RUSSIE. Poutine taxé d’antidémocrate à cause de sa bataille contre les oligarques

Qui a peur de l’ours russe?

Ex: http://www.30giorni.it

Interview de Maurizio Blonde, auteur de Stare con Putin? «Le processus d’intégration entre Europe et Russie est dans les faits. Il s’agit simplement de l’accompagner en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts»

Interview de Maurizio Blondet par Davide Malacaria

«Russie et Europe ne peuvent que s’intégrer de plus en plus, en une sorte de destin manifeste». Celui qui prononce ces mots est Maurizio Blondet, qui a été longtemps l’une des signatures les plus en vue d’Avvenire, le quotidien des évêques italiens pour lequel il a signé de nombreux éditoriaux. Blondet a abandonné depuis longtemps les défis du quotidien catholique pour se dédier à un quotidien en ligne, Effedieffe.com, une publication aux teintes plutôt fortes, mais toujours intéressante et bien documentée. Il a récemment publié Stare con Putin? [ Soutenir Poutine? ndr], l’ouvrage qui sera l’objet de notre interview. Nous l’avons rencontré avant le sommet informel entre le président des États-Unis, George Bush, et le président de la Fédération russe, Vladimir Poutine, qui s’est tenu au début de juillet dans le Maine, dans la résidence de Bush senior. Une rencontre qui a fait naître des espérances. Mais celles-ci restent à vérifier.
Pourquoi être du côté de Poutine?
 
 
 
 
MAURIZIO BLONDET: Je crois que le président russe, après le 11 septembre et le début de ce que l’on a appelé la guerre contre le terrorisme, a représenté un point de stabilité, d’équilibre dans le monde. Et puis, l’Europe ne peut trouver que des bénéfices à s’intégrer avec la Russie. Malheureusement, les bureaucrates de Bruxelles s’y opposent: les Barroso, les Solana, des personnes qui sont à la tête de l’Europe sans aucune investiture populaire et qui ne font que compliquer cette intégration. Peut-être parce qu’ils doivent obéir à d’autres, à des gens qui n’ont aucun intérêt à ce processus.

À savoir?

BLONDET: Avant tout, les États-Unis. Il y a des gens qui voudraient marginaliser la Russie et en faire une petite puissance asiatique.

index.jpg

Une thèse vaguement conspirationniste...

BLONDET: Pas du tout. Je vous lis un passage d’un essai écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski, ancien secrétaire d’État avec Carter: «L’Ukraine, nouveau et important espace sur l’échiquier euroasiatique, est un pilier géopolitique parce que son existence même comme pays indépendant permet de transformer la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire euroasiatique. La Russie sans l’Ukraine peut encore se battre pour sa situation impériale, mais elle deviendra un empire substantiellement asiatique, probablement entraîné dans des conflits éreintants avec les nations de l’Asie centrale, qui seraient soutenues par les États islamiques, leurs amis du sud [...]. Les États qui méritent le plus fort soutien géopolitique américain sont l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et (en dehors de cette région) l’Ukraine, dans la mesure où ils sont tous les trois des piliers géopolitiques. Ou plutôt, c’est l’Ukraine qui est l’État essentiel, dans la mesure où elle pèsera sur l’évolution future de la Russie». Cette lecture est utile pour comprendre ce qui est arrivé dans ces dernières années. Ce texte a été écrit bien avant que n’éclatent les “révolutions colorées”.

Des révolutions colorées...

BLONDET: La révolution orange en Ukraine, la plus importante du point de vue géopolitique, la révolution rose en Géorgie, et puis celles des Pays baltes et des pays asiatiques comme l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, toutes financées par les États-Unis à travers une myriade d’organisations non gouvernementales qui ont poussé comme des champignons à l’intérieur de ces États, en dépit du fait qu’il y ait aux États-Unis des lois qui interdisent de manipuler les sociétés civiles des autres pays. J’ai aussi parlé, dans mon livre, de l’homme le plus important de la révolution kirghize, l’Américain Mike Stone qui, en plein milieu des troubles, crée un journal dans lequel on apprend les gens à faire la grève de la faim, à organiser une manifestation, à faire de la résistance passive... et quand les autorités lui coupent l’électricité, il réussit quand même à imprimer grâce à des générateurs que l’ambassade américaine au Kirghizstan met gentiment à sa disposition. Une autre figure singulière est celle de Kateryna Chumachenko, la femme de Viktor Yushenko, leader de la révolution orange et l’actuel président de l’Ukraine. Née à Chicago, elle était fonctionnaire de la Maison Blanche sous Ronald Reagan et ensuite au Ministère du Trésor. À la Maison Blanche, elle était membre du Public Liaison Office et elle avait pour spécialité de gagner des sympathies pour les politiques reaganiennes auprès des groupes anticommunistes de l’Est européens, en particulier les dissidents ukrainiens. Ce ne sont que quelques exemples.

Vous parliez des révolutions qui ont eu lieu dans les pays de la Russie asiatique...

BLONDET: Il s’agit de pays caucasiens et de ceux qui, s’étendant de la mer Caspienne à la Chine, séparent au sud la Russie de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan. Des États fondamentaux d’un point de vue géopolitique, dans la mesure où ils mettent la Russie en communication avec la mer Caspienne, riche, entre autre, de pétrole et de gaz naturel, mais surtout parce qu’ils constituent les voies de transit des oléoducs russes. Actuellement, l’armée américaine enrôle des marines en Géorgie; elle n’a plus de volontaires américains, parce que ces derniers offrent leurs services à des entreprises privées qui paient mieux, alors les États-Unis sont obligés d’aller chercher des renforts pour leur armée dans des pays de ce genre... Mais les choses n’ont pas marché exactement comme le voulaient les stratèges néocons: Après une période de subordination aux nouveaux patrons occidentaux, les politiciens locaux de certains de ces pays ont commencé à tisser de nouveaux liens avec Moscou. D’ailleurs, la Russie est beaucoup plus proche d’eux que les États-Unis, et il est impossible de ne pas en tenir compte.

Et pourtant, après le 11 septembre, les États-Unis et la Russie apparaissaient unis contre la menace terroriste.

BLONDET: À l’époque, les États-Unis croyaient pouvoir manœuvrer la Russie. Or tout est devenu plus compliqué lorsqu’au contraire, Poutine a commencé à faire une politique qui a petit à petit sorti la Russie du chaos organisé dans lequel elle était tombée avec Eltsine. Il y a réussi aussi grâce aux revenus du gaz et du pétrole. La guerre contre l’Irak, qui représentait dans l’esprit des stratèges américains un pas vers l’hégémonie mondiale, en causant une hausse du prix du pétrole, a eu pour eux un effet qu’ils ne souhaitaient pas en aidant le redressement économique de la Russie... Et Poutine a utilisé le pétrole pour assainir la nation, au lieu de remplir les poches des quelques oligarques comme cela se passait sous Eltsine, quand un petit groupe de magnats sans scrupules se sont accaparés pour quelques sous et grâce à leurs accointances avec l’ancien président russe, les énormes richesses du pays.

Les oligarques... il y a entre eux et Poutine une guerre souterraine.

BLONDET: Et c’est la raison pour laquelle le président russe a été l’objet de si nombreuses attaques du côté occidental. Jusqu’à l’arrestation du magnat Mikhaïl Khodorkovski en octobre 2003, les relations avec l’Occident étaient bonnes. Après, elles n’ont fait que se détériorer: depuis, Poutine a été accusé d’attenter à la démocratie et que sais-je encore... En effet, l’arrestation de Khodorkovski a été le signal de l’inversion de tendance, le signal que les temps des vaches grasses était fini pour les oligarques, que le nouvel habitant du Kremlin n’aurait pas toléré les exactions de ces personnages qui bénéficiaient de l’appui de la finance internationale. Khodorkovski était devenu le patron de Youkos, le plus grand groupe pétrolier russe, en déboursant 309 millions de dollars pour acquérir 78% des actions... le lendemain, à la bourse russe, le groupe montrait sa vraie valeur: 6 milliards de dollars. Évidemment, l’argent n’appartenait pas à Khodorkovski, mais il lui avait été prêté par des financiers internationaux connus auxquels il s’apprêtait à revendre le groupe avant d’être arrêté.


Vladimir Poutine pendant le sommet informel avec le président des États-Unis George W. Bush dans le Maine, dans la résidence de Bush senior, le 2 juillet 2007

Vladimir_Putin_and_George_W._Bush.jpg

Vous faites allusion, dans votre livre, aux rapports entre les oligarques et les terroristes tchétchènes.

BLONDET: Ce n’est pas un mystère que Chamil Bassaev, le terroriste qui a revendiqué le massacre de Beslan dans lequel ont péri 394 personnes dont 156 enfants, était le chef des gardes du corps de Boris Abramovich Berezovsky, le plus puissant de ces oligarques, actuellement “exilé” à Londres. Aslan Maskhadov, un autre chef de la guérilla tchétchène, lui aussi impliqué, entre autre, dans le massacre de Beslan, était l’un des gardes du corps de Berezovsky... mais il y aurait bien des choses à dire sur la guérilla tchétchène. Quand, au cours d’une fusillade, les troupes russes tuent Rizvan Chitigov, alors numéro trois de la guérilla, ils trouvent sur lui la plaque caractéristique des marines, sur laquelle est gravée son identité, et la carte verte, à savoir le permis de séjour permanent aux États-Unis. Juste pour dire que les États-Unis, eux aussi, ont intérêt à maintenir la plaie de la guerre tchétchène ouverte, comme un fer au flanc de la Russie...

Désormais, presque tous les oligarques russes se sont réfugiés à l’étranger...

BLONDET: Mais ils ont encore des accointances à l’intérieur de la Russie. N’oublions pas qu’ils ne sont pas nés d’hier. Ce sont des hommes qui viennent de la nomenclature soviétique, avec des liens solides dans la police et dans les services secrets, au point que Poutine, qui leur fait en partie obstacle, est en partie obligé de pactiser avec eux. Poutine a placé ses hommes dans les postes qui comptent, mais il ne peut pas contrôler tout ce qui se passe en Russie.

Anna Politkovskaïa, une journaliste qui ne lésinait pas ses critiques envers Poutine, a été assassinée en octobre dernier. Cet homicide a jeté une ombre sur le président russe.

BLONDET: Je crois que c’était justement cela l’objectif des assassins. Il est évident que le seul qui n’avait aucun intérêt à cet assassinat était justement Poutine. Personnellement, je suis convaincu que cette journaliste a été la victime sacrificielle immolée sur l’autel de l’anti-impérialisme russe. Certains milieux ont pensé qu’elle était plus utile morte que vive. Je tiens néanmoins à souligner que le vacarme médiatique de cet homicide a été excessif. Un autre crime édifiant a connu un tout autre sort médiatique: peu avant la journaliste, a été tué Andreï Kozlov, vice-président de la Banque centrale russe, un homme de premier plan de la Fédération russe. Kozlov était en train de mener une enquête sur le recyclage et il s’apprêtait à retirer des licences bancaires, un geste ruineux pour certains milieux financiers. Bien évidemment, Kozlov n’agissait pas en opposition à Poutine, et c’est pour cela que ce crime est passé presque inaperçu en Occident.

Un autre assassinat édifiant, celui d’Alexandre Litvinenko, décédé en novembre 2006. Encore des accusations contre Poutine...

BLONDET: On a beaucoup parlé du polonium, la substance radioactive avec laquelle il a été empoisonné... mais peut-on vraiment croire que Poutine ait donné l’ordre de tuer quelqu’un en utilisant une substance qui laisse des traces partout, au point que pour trouver le coupable, il suffit d’en suivre le sillage radioactif? À mon avis, comme la Politkovskaïa, Litvinenko a été, lui aussi, une victime sacrificielle pour discréditer le président russe, même si dans ce cas, il y a une variante. Le pauvre Litvinenko n’est pas mort tout de suite, mais il a beaucoup parlé au cours de sa longue agonie en donnant une quantité prodigieuse d’interviews dans lesquelles il a lancé des accusations contre les dirigeants russes (et là aussi, il y a de quoi sourire en pensant à un mandant qui laisse à sa victime le temps de parler si longtemps... il y a des méthodes beaucoup plus rapides pour tuer). Ce qui est curieux, c’est qu’étant donnée la situation, personne ne pouvait accéder à son chevet. Toutes ses déclarations ont été recueillies par la seule personne autorisée à rencontrer le moribond, un certain Alex Goldfarb, qui agit comme une sorte de porte-parole du moribond. C’est lui qui rapporte les paroles de Litvinenko à l’extérieur, qui explique et qui accuse... Dans mon livre, je fais remarquer que des traces de polonium ont été retrouvées aussi dans les bureaux de Berezovsky. Je crois que ce détail devrait être approfondi.

La Maison Blanche a récemment annoncé qu’elle installera un nouveau système antimissile en Pologne pour faire obstacle, disent les Américains, à une éventuelle menace iranienne. Cette démarche a suscité des réactions négatives à Moscou.

BLONDET: C’est évident, car cette initiative est perçue par les Russes, à juste titre, comme une menace envers eux. L’ouverture que Poutine a faite en réponse, lorsqu’il a proposé de créer une collaboration entre États-Unis et Russie pour déployer ce bouclier antimissiles dans un État asiatique, a dérouté les néocons. Ils ne peuvent pas dire non, parce que cette proposition est plus que raisonnable – d’ailleurs on ne voit pas ce que la Pologne a à voir avec l’Iran – mais ils chercheront à la faire capoter par tous les moyens. Nous verrons ce qui va se passer.

Poutine avec Benoît XVI, le 13 mars 2007

unnamedpb16.jpg

Pensez-vous, vous aussi, que l’Iran soit une grave menace internationale?

BLONDET: Lorsque Bush s’est rendu en Inde il y a quelque temps, il a offert à cette nation une collaboration pour développer une technologie nucléaire; or c’est exactement ce qu’il ne veut pas qu’ait l’Iran. En réalité, pour les néocons, l’attaque contre l’Iran est devenue une véritable obsession. Il y a quelque temps, Brzezinski a dit, en s’adressant au Congrès américain, que l’actuelle administration américaine serait capable de faire un attentat en territoire américain en l’attribuant aux islamistes, pourvu que cela leur donne un prétexte pour attaquer l’Iran...

Paradoxal... mais n’aviez-vous pas dit que Brzezinski était partisan d’une politique agressive de la part des États-Unis?

BLONDET: Brzezinski, comme Kissinger, est un stratège politique qui, à juste titre, s’inquiète du destin de sa propre nation et en recherche la prospérité, même si c’est parfois par des méthodes discutables. Mais il s’agit de personnes qui connaissent les voies de la politique et de la diplomatie, ce qui n’a rien à voir avec la folie des néocons, partisans de la guerre préventive, de l’exportation de la démocratie à coups de canons, du réaménagement du Moyen-Orient sur la base des directives de la droite israélienne... une folie qui s’est greffée sur la vieille politique américaine en la dénaturant. Il y a une différence entre les uns et les autres, une différence qui a débouché sur un conflit ouvert.

Revenons à Poutine. Vous disiez que l’intégration entre Russie et Europe...

BLONDET: ... n’apporterait que des bénéfices. En réalité, cette intégration est déjà en train de se construire, jour après jour. Il y a une ligne ferroviaire à grande vitesse en cours de construction entre l’Allemagne et la Russie, et celle-ci sera reliée à une ligne entre Russie et Chine. De cette manière les marchandises chinoises, celles d’une certaines valeur évidemment, pourraient arriver en Europe par voie terrestre, en évitant des routes plus longues et plus coûteuses. C’est dans cette même perspective que se situe la construction d’un gazoduc sous la mer Baltique qui, contournant la Pologne, fournira l’Europe en évitant que cette précieuse ressource ne passe à travers les territoires des démocraties de l’Est, asservies aux États-Unis. En somme l’intégration est dans les faits. Il s’agit seulement d’accompagner ce processus, en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts.

Dans ces dernières années, de nombreux analystes ont noté un rapprochement entre la Russie et la Chine.

BLONDET: Il y toujours eu de la méfiance entre les deux géants asiatiques. La politique agressive menée par les États-Unis a eu pour effet de rapprocher ce qui a toujours été éloigné. Des synergies militaires, économiques et commerciales sont nées entre la Chine et la Russie, mais il n’est pas dit que ce processus soit destiné à se développer ultérieurement. La Chine a un destin asiatique, la Russie a un destin européen. Il est bon de le souligner.
 

jeudi, 26 mars 2020

Aïkido stratégique – Poutine ouvre les portes de l’enfer devant les États-Unis

5-29-740x431@2x.jpg

Aïkido stratégique – Poutine ouvre les portes de l’enfer devant les États-Unis


Par Tom Luongo

Source Strategic Culture

Je suis un grand joueur de jeux de société. Je ne suis pas trop pour les classiques comme les échecs ou le go, préférant les plus modernes. Mais, quoi qu’il en soit, en tant que personne qui apprécie le délicat équilibre entre stratégie et tactique, je dois dire que la maîtrise des horloges par le président russe Vladimir Poutine m’impressionne.

Car s’il y a jamais eu un moment où Poutine et la Russie pouvaient infliger un maximum de souffrance aux États-Unis via leur talon d’Achille, les marchés financiers et leur soif inextinguible de dette, c’est ce mois-ci, juste au moment où le coronavirus atteignait ses côtes.

Comme je l’ai dit, je suis un grand joueur de jeu de société et j’aime particulièrement les jeux où il y a un équilibre délicat entre la puissance des joueurs, qui doit être maintenue pendant que ce n’est pas leur tour. Les attaques doivent être contrecarrées, mais juste assez pour empêcher la personne d’avancer, et pas au point où vous ne pourriez plus vous défendre lors du tour du joueur suivant.

Tout cela au bénéfice de la survie du jeu jusqu’à ce que vous trouviez le moment idéal pour percer et remporter la victoire. Après avoir regardé Poutine jouer à ce jeu au cours des huit dernières années, je crois fermement qu’il n’y a personne, en position de pouvoir aujourd’hui, qui le comprenne mieux que lui.

Et je crois que cette décision de briser l’OPEP+ et ensuite de regarder Mohammed bin Salman briser l’OPEP était le grand mouvement de renversement du style judo de Poutine. Et ce faisant, en moins d’une semaine, il a complètement paralysé le système financier américain.

Le vendredi 6 mars, la Russie a dit niet à l’OPEP […pour une réduction de la production de pétrole pour maintenir les cours]. Le mercredi 11, la Réserve fédérale avait déjà doublé ses interventions quotidiennes sur le marché des REPO, le refinancement des banques au jour le jour, pour maintenir la liquidité bancaire à un niveau suffisant, car les banques ne voulaient plus prendre en pension les bons du Trésor US qui affichaient des taux d’intérêt trop élevés.

Le 12 à midi, la Fed a annoncé 1 500 milliards de dollars de nouvelles facilités de REPO, y compris des contrats à trois mois. À un moment donné pendant la négociation ce jour-là, l’ensemble du marché du Trésor américain s’est tari. Personne n’a fait d’offre pour les actifs financiers les plus liquides et recherchés au monde.

Pourquoi ? Les prix étaient si élevés que personne n’en voulait.

Non seulement nous avons eu une expansion massive des interventions sur le marché REPO par la Fed, mais en plus pour une durée plus longue. C’est un signe clair que le problème est presque sans issue. Les opérations sur le marché  REPO de plus de trois jours sont dans ce contexte une rareté.

BN-PN477_TRUMPF_P_20160823170237.jpg

La Fed qui a besoin d’ajouter 1 500 milliards de dollars en pensions sur trois mois signifie clairement qu’elle envisage le prochain problème à la fin du trimestre, et même au-delà.

Cela signifie, en bref, que les marchés financiers mondiaux sont complètement paralysés.

Et pire que ça…. L’intervention de la Fed n’a pas marché.

Les actions ont continué à fléchir, l’or et d’autres actifs refuges ont été durement touchés par une inversion des flux de capitaux à partir des États-Unis. Dans la foulée immédiate de la décision de Poutine, le dollar a été chahuté alors que les investisseurs européens et japonais, qui avaient empilé les actions US comme refuge, ont liquidé leurs positions et ramené le capital à la maison.

Cela a duré quelques jours avant que Christine Lagarde n’organise son show, à la foire de la Banque centrale européenne, pour dire à tout le monde qu’elle n’avait pas de réponses autres que d’augmenter les achats d’actifs et de continuer à faire ce qui a échoué dans le passé.

Cela a déclenché la phase suivante de la crise, où le dollar commence à se renforcer. Et c’est là que nous en sommes maintenant.

Et Poutine comprend qu’un monde inondé de dettes est un monde qui ne peut plus se payer la devise nécessaire pour rembourser la dette, libellée dans cette devise, dont le coût est en forte augmentation.

Cela exerce une pression supplémentaire sur les rivaux géopolitiques de la Russie en les obligeant à se concentrer sur leurs préoccupations nationales plutôt que sur celles de l’étranger.

Pendant des années, Poutine a supplié l’Occident de mettre fin à sa folle belligérance au Moyen-Orient et en Asie. Il a fait valoir avec éloquence aux Nations Unies et dans des interviews que le moment unipolaire était révolu et que les États-Unis ne peuvent maintenir leur statut de seule superpuissance mondiale si longtemps. La dette finirait par saper sa force qui, au bon moment, se révélerait bien plus faible qu’elle ne le croyait.

Cela ne convient pas au président Trump, qui croit à l’exceptionnalisme américain. Il se battra pour sa version de « America First » jusqu’au bout, en utilisant toutes les armes à sa disposition. Le problème avec cette attitude de «ne jamais reculer» est que cela le rend très prévisible.

banfracking.jpeg

L’utilisation par Trump de sanctions contre l’Europe pour arrêter le gazoduc Nord Stream 2 était stupide et à courte vue. Il s’est ainsi assuré que la Russie serait impitoyable dans sa réponse, et ne retarderait son projet que de quelques mois.

Trump était facile à contrer sur ce coup là. Signer un accord avec l’Ukraine, désespérément à court d’argent, pour faire transiter le pétrole, et rediriger le navire poseur de tuyaux vers la Baltique pour terminer le pipeline Nord Stream 2.

Et avec les prix du gaz naturel en Europe, déjà dans les chaussettes à cause d’une offre excédentaire et d’un hiver doux, il n’y a finalement pas beaucoup de temps ou d’argent perdu. Mieux vaut faire baisser le prix mondial du pétrole bien en dessous des coûts de production aux États-Unis, ce qui garantit que le précieux Gaz Naturel Liquéfié de Trump reste hors du marché européen, alors que le mythe de l’autosuffisance énergétique des États-Unis disparaît dans les cendres des produits financiers dérivés […de la dette astronomique accumulée pour financer la fracturation de l’huile de schiste non rentable.]

Maintenant, Trump fait face à un effondrement du marché bien au-delà de sa capacité à y répondre, et même à le sonder. Alors que la Russie est dans la position unique de réduire les coûts du pétrole pour un grand nombre de personnes, tout en surmontant le choc du système globalisé grâce à ses économies.

Parce que l’argent se déplace là où se trouvent les meilleurs rendements, les prix élevés du pétrole et du gaz étouffent le développement des autres industries. La baisse du prix du pétrole, non seulement dégonfle toutes les bulles financières gonflées par les États-Unis, mais elle dégonfle également une partie de la puissance de l’industrie pétrolière du pays. Cela donne à Poutine la possibilité de continuer à diriger l’économie russe selon des axes moins ciblés que l’énergie. Le pétrole et le gaz bon marché signifient une baisse du retour sur investissement dans les projets énergétiques, ce qui, à son tour, permet au capital disponible de se déployer dans d’autres domaines de l’économie.

Poutine vient de dire au monde qu’il n’exploite pas les ressources pétrolières et gazières de son pays comme une vache à lait, mais plutôt comme un élément important d’une stratégie économique différente pour le développement de la Russie.

C’est comme regarder quelqu’un jouer la première mi-temps d’un jeu avec une stratégie, et passer ensuite à une autre à mi-parcours, profitant de la négligence de son adversaire.

Cela se voit rarement, mais quand ça marche, les résultats peuvent être spectaculaires. Jeu, set, et match, Poutine.

Tom Luongo

Traduit par jj, relu par Kira pour le Saker Francophone

samedi, 14 mars 2020

Le projet de nouvelle constitution russe et l'avenir de Poutine

TASS_26645080-3.jpg

Le projet de nouvelle constitution russe et l'avenir de Poutine

par le Général Dominique Delawarde

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Sous le titre : Le Parlement russe autorise Vladimir Poutine à se représenter en 2024, le journal le Monde vient de publier une "fake news" de plus qui sera abondamment commentée par la presse mainstream occidentale.(voir le lien ci après)

Cet article est de Dominique Delawarde, membre de notre comité de rédaction

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/10/le-parlement-russe-autorise-vladimir-poutine-a-se-representer-en-2024_6032499_3210.html

C'est une Fake news, au moins pour le titre, car le parlement russe n'était actuellement qu'en phase finale d'approbation d'un "PROJET" de constitution. Ce "PROJET" devra être approuvé ou rejeté par référendum par l'ensemble du peuple russe qui, seul, autorisera ou refusera les changements constitutionnels proposés. On fait encore des référendums dans ce pays et le parlement n'y a pas tous les pouvoirs.La Russie n'est pas la France .....

Que s'est-il passé à la Douma ?

La députée Valentina Terechkova, ancienne cosmonaute et première femme à avoir effectué un vol dans l'espace en 1963, est la dernière intervenante au débat sur le projet de constitution. Elle propose un amendement au projet de Constitution avant le vote final. Elle dit ceci : « Pourquoi tourner autour du pot ? pourquoi imaginer des constructions artificielles ? Regardons les choses honnêtement : si les gens le veulent et si la situation l'exige, il faut permettre au président en exercice de se présenter à nouveau à ce poste. ».

 Transformé en amendement, la proposition de Valentina Terechkova est adopté à une écrasante majorité. Le référendum aura lieu dans 6 semaines, le 22 avril prochain. Il projet sera très probablement voté, ce qui me réjouit pour deux raisons:

 1 - Poutine représente aujourd'hui le seul contre pouvoir solide à l'OTAN dont on connaît la propension à générer le chaos et la mort sur la planète depuis 1995.
(Au cours du dernier quart de siècle, 1 million de bombes ont été larguées par des pays membres de l'OTAN, agissant en coalition de circonstance, sur des pays qui n'avaient agressé aucun des membres de l'Organisation).
https://www.breizh-info.com/2019/11/19/130735/lotan-artisane-de-paix-ou-fautrice-de-troubles-et-de-chaos-general-2s-dominique-delawarde-le-13-novembre-2019

Garder Poutine jusqu'à 2036 sera probablement un bien pour son pays qu'il a remis sur pied entre 2000 et 2020 et surtout un bien pour le maintien de la paix sur la planète entière, par le retour à "l' équilibre de la terreur". Il serait bon que les fous furieux "néoconservateurs" des Etats Unis, de l'UE et de l'OTAN qui entendent régenter le monde en fonction de leurs seuls intérêts trouvent quelques "garde-fous" sur leur chemin.

 2 - Poutine a manoeuvré merveilleusement, comme à son habitude. Il n'a pas proposé lui même cet amendement, il a laissé une députée mondialement connue le faire et le parlement voter. Mais Poutine a proposé lui même des amendements à la Constitution qui vont droit au coeur d'une partie importante de l'électorat russe et de l'homme que je suis, citoyen d'un pays en déliquescence économique, politique, sociale, morale et sociétale. Ces amendements correspondent aux valeurs qui sont les miennes : Ainsi du respect de la « foi en Dieu », de l'interdiction du mariage homosexuel ou de la protection par l'Etat d'une «vérité historique », souvent mise à mal par les occidentaux qui ne cessent de la ré-écrire à leur avantage (notamment sur la 2ème guerre mondiale).

En conclusion, si le projet de nouvelle constitution est voté par référendum et si Poutine décide de rester jusqu'à 2036, il pourrait dépasser la longévité au pouvoir de la grande Catherine II, impératrice de Russie. Avec son expérience et celle de son ministre des affaires étrangères Lavrov, avec la complicité active de Xi Jingping, président à vie de son pays, il pourrait s'opposer avec succès aux velléités guerrières des "gouvernements de passage inexpérimentés" de chacun des grands pays d'une coalition occidentale en déclin. Notons au passage que les tenants du pouvoir des grands pays de l'OTAN sont de plus en plus mal élus, que leur opinion publique est profondément divisée et que ces états membres de l'OTAN sont, eux même, divisés entre eux.

Dominique Delawarde.

lundi, 09 mars 2020

La Russie de Poutine, entre despotisme oriental et démocratie souveraine

czar-vladimir-putin-2-e1443958495842.jpg

La Russie de Poutine, entre despotisme oriental et démocratie souveraine

par Jure Georges VUJIC

La Russie n’a jamais été une démocratie à l’occidentale. En annonçant les nouvelles réformes constitutionnelles, Vladimir Poutine le prouve une fois de plus, en mettant fin après douze ans de « tandémocratie », une démocratie à la russe où le pouvoir était partagé en apparence entre Poutine et Dmitri Medvedev à la tête de l’exécutif bicéphale russe depuis 2008.

Il est vrai que les analyses ne manquent pas pour identifier ce type singulier de démocratie poutinocentrée et l’on parle de « démocratie dirigée », d’oligarchie, d’autocratie, de nouveau tsarisme (D. Trenin), de néo-féodalisme autoritaire (S. Rabinovitch), de corpocratie (J.-R. Raviot)… Les vocables typologiques ne manquent pas pour qualifier ce régime qui conjugue les tendances libérales et réformistes, conservatrices et étatistes. Pourtant si l’on se réfère à la période depuis son retour au Kremlin en 2012 après l’interlude Medvedev, le système poutinien d’apparence plus libéral, pencherait fortement vers l’autoritarisme, la personnalisation du pouvoir, la centralisation. Et, depuis la récente démission du gouvernement, certains parlent d’une nouvelle concentration de pouvoir qui ouvrirait la voie à une autocratie à vie. Et pourtant, contrairement à ce courant politiste démocentriste qui voit des formes démocratiques un peu partout, il est utile de se référer à l’actualité des travaux de Karl August Wittfogel sur les despotisme orientaux.

Wittfogel et les despotisme orientaux

Selon les thèses de Wittfogel, le modèle même du despotisme oriental était constitué par les «sociétés hydrauliques», les grands travaux d’irrguation et la maîtrise de l’eau, lesquels étaient à la base même de la constitution de grands États et d’empires, comme la Chine, l’Égypte ou la Mésopotamie.

L’URSS de Staline s’inscrivait dans la continuation de cette forme étatique de « production asiatique », lorsque Staline, entreprenait de grands travaux «hydrauliques » : creusement de canaux, liaisons entre les grands fleuves (par exemple le Don et la Volga). Le contrôle de vastes espaces supposait un renforcement de la centralisation bureaucratique et étatique. Et c’est pourquoi Wittfogel élargissait cette catégorie de despotisme oriental à l’Union soviétique, en tant que déclinaison russe du « Pouvoir total », le communisme soviétique étant selon lui à l’origine des sociétés disciplinaires, coercitives ou autoritaires, une version russe de la technocratie organisatrice évoquée par James Burnham. À la suite de la parenthèse chaotique du régime eltsinien, la reprise en main de l’État post-soviétique russe par Poutine s’est elle aussi accompagnée d’une vaste refonte institutionnelle et politique, marquée par le renforcement du dirigisme étatique dans l’économie et par une politique de grands travaux d’infrastructures initiée par Poutine lui-même.
Cette politique de grands travaux s’inscrit dans la continuité historique des deux vagues des grands travaux staliniens à partir de 1930, et la modernisation de Moscou voulue par Khroutchev dans les années 60.

putinreligion.jpg

La politique de Vladimir Poutine entendait initier une troisième vague avec la rénovation de Saint-Pétersbourg, la construction de douze grands stades en Russie, d’une vingtaine d’aéroports et de centaines de kilomètres d’autoroutes…

Sans oublier l’immense ouvrage de préparation de la ville de Sochi, du littoral de la mer Noire et des montagnes du Caucase à l’accueil des Jeux Olympiques d’hiver 2014. L’administration russe de régime poutiniste (qui lui-même était membre de la Société russe de géographie) était consciente de la fragilité des infrastructures et du manque de cohésion du territoire russe, aggravés depuis l’éclatement de l’URSS en 1991, et se lancera dans une restructuration en profondeur l’ensemble des réseaux d’infrastructure du pays.

Le poutinisme incarnation de l’État long

L’autre élément en commun avec le modèle du despotisme oriental est la concentration, voire la personnalisation du pouvoir, qui s’appuie sur le contrôle de l’opinion publique.

Si l’on se souvient que la peur structurelle est inhérente au système totalitaire soviétique et à sa stabilité même à l’époque moderne, la Russie de Poutine même en s’appuyant sur l’appareil politico-policier omniprésent, doit cependant compter avec la postmodernité d’un pouvoir qui doit reposer sur le consentement de l’opinion publique majoritaire, sur un softpower russe, une sorte de « Russan way of life », suffisamment intégrateur et attractif, plus que sur le seul hardpower répressif.

Et c’est précisément dans ce contexte que s’incrivent les dernières décisions poutiniennes et la démission du dernier gouvernement rufsse. En effet, ayant pris conscience du fort mécontentement social qui monte en Russie depuis plusieurs années et de la baisse relative de sa popularité, Vladimir Poutine entend rénover son image de marque pour développer un nouveau discours axé sur les priorités sociales et démographiques des régions russes (et cela depuis 2018), l’innovation et le développement économique de la Russie. En étant conscient de la baisse de popularité du Président Medvedev, Poutine entend rajeunir et renforcer le gouvernement en faisant le parrainage d’une nouvelle génération patriotique de cadres technocratique, au profil méritocratique, indépendant si possible des réseaux oligarchiques et des clans, pour en faire une « réserve » générationnelle d’une nouvelle élite gouvernementale des nouveaux hauts cadres de l’État, qui assurera la pérennité, non plus du seul président Poutine, mais du poutinisme après 2024, qui devrait incarner alors cette nouvelle figure de « l’État long » que certains qualifient de système corpocratique, de « capitalisme d’État » – une adaptation postmoderne du despotisme oriental à l’heure globale. Postmoderne car, en dépit de sa volonté de « restaurer son statut de puissance dans un monde devenu multipolaire » et de son repositionnement géopolitique sur la scène internationale (Moyen-Orient, Syrie, etc.), la Russie reste tout de même encore une puissance militaire asymétrique profitant, d’une part, de l’arsenal civil et militaire ex-soviétique mais pâtissant, d’autre part, de forces conventionnelles réduites et à moderniser.

La pérennité de la puissance de l’État russe ne sera effective que si certains problèmes sont résolus à terme : le gaspillage énergétique et la question environnementale, les phénomènes de ségrégation socio-spatiale et l’opulence ostentatoire des « nouveaux Russes » (dont une cinquantaine de milliardaires), le « déclin démographique inquiétant », et son rapport paternaliste avec l’« étranger proche » dans ses relations avec les ex-républiques soviétiques. De puissance montante, elle pourrait très vite redevenir puissance relative et déclinante. En choisissant d’osciller entre une « ligne directe », d’asseoir une  légitimité populaire et la nécessité de consolider dans le temps long le rôle historique de la Russie en tant qu’empire autoritaire, la Russie poutiniste s’expose à deux processus centrifuge inhérents à toute construction néoimpériale et multinationale : le risque de sur-extension (l’« imperial overstretch » de Paul Kennedy) de sa puissance militaire et économique, et la volonté d’émancipation souveraine et nationale des peuples du giron moscovite.

putin-vladimir-russia.jpg

Démocratie souveraine ?

Il est vrai que la définition du despotisme, catégorie occidentalo-centriste bien commode des Lumières pour classer les gouvernements et les civilisations, relevait de Montesquieu qui influença Wittfogel (« le pouvoir d’un seul, sans loi et sans règle »), aboutissant à une orientalisation du despotisme, alors que la démocratie occidentale peut être aussi bien contaminée par les despotisme, ce que relevait déjà Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique. Selon ce dernier, la société démocratique recèle des dangers profonds, au premier rang desquels la tendance à la centralisation qui, dans la recherche de l’égalité, y sacrifie trop souvent la liberté et les droits des individus. Il faut rappeler aussi que Wittfogel considérait les États-Unis comme une société hydraulique (avec ses nombreux travaux d’aménagement fluvial) au même titre que l’Union Soviétique, mais cependant « non despotique », alors que dans les faits, les États-Unis puissance impériale bi-océanique, de par leur histoire d’expansion géopolitique mondiale, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, peuvent être à juste titre qualifiés de despotisme démocratique par l’exportation parfois manu militari du modèle de la démocratie de marché et de la religion des droits de l’homme.

Vladimir Sourkov, vice-président du gouvernement, a développé en 2005-2006 la conception de « démocratie souveraine », à savoir une démocratie qui ne se soumet pas aux influences étrangères et où les élections expriment non pas l’opposition des intérêts, mais l’unité du peuple et du pouvoir. On se souvient que Poutine avait déclaré que la démocratie occidentale reposait sur l’illusion du choix. Si le choix démocratique n’est qu’une illusion, il est bien plus sain de le rejeter en faveur du rôle historique que la Russie a toujours assumé : celui d’un Empire autoritaire. Selon lui, il ne s’agit pas de l’imposition d’un modèle autoritaire d’en-haut, mais du choix libre de la société russe.

Cependant, cette vision sourkovienne de démocratie souveraine se heurte au paradoxe multinational et multiconfessionnel de l’ensemble Russe et renvoie à l’analyse schmittienne, selon laquelle la condition préalable à toute forme de démocratie réelle et fonctionnelle est la présence d’une population homogène.

D’autre part, l’histoire du déclin des despotisme orientaux et de l’Empire soviétique a démontré que ces empires multinationaux reposaient eux aussi sur l’illusion de la force éternelle et que la plupart ont dû céder à long terme, à ce que Thimoty Garton Ash désigne par « l’ottomanisation », à savoir la poussée de l’autonomie et de l’indépendance des colonies et territoires périphériques de l’empire ottoman.

Selon Daniel Vernet, en dépit de l’occidentalisation de la politique étrangère russe, la Russie semble peiner à choisir entre les quatre options qui se présentent à elle : le modèle chinois, le réformisme musclé, la lutte antiterroriste ou la « double occidentalisation », qui garantirait son insertion durable dans le « mainstream » des relations internationales.

Cependant, l’annexion de la Crimée et le conflit avec l’Ukraine ont accéléré la mutation vers un système où le nationalisme grand-russe et l’anti-occidentalisme confortent le fameux complexe russe d’obsidionalité, ce sentiment de l’encerclement et de menace perpétuelle.

Jure Georges Vujic.

Notes

• Daniel Vernet, Le Rêve sacrifié, Paris, Odile Jacob, 1994.

Daniel Vernet, La Renaissance allemande, Paris, Flammarion, 1992.

• Daniel Vernet, URSS, Paris, Le Seuil, 1990.

• Karl August Wittfogel, Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1957, en français, Le Despotisme oriental. Étude comparative du pouvoir total, traduit par Michèle Pouteau, Paris, Éditions de Minuit, 1964.

• Thimoty Garton Ash, History of the Present. Essays, Sketches, and Dispatches from Europe in the 1990s, Allen Lane, 1999.

• D’abord mis en ligne sur Polémia, le 2 février 2020.

guns-and-religion-how-american-conservatives-grew-closer-to-putins-russia.jpg

lundi, 10 février 2020

Poutine en Commandeur

vladimir-putin-krystal-m.jpg

Poutine en Commandeur

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le 15 janvier dernier, à la suite du discours annuel du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, devant l’Assemblée fédérale regroupant la Douma d’État et le Conseil de la Fédération et en présence des ministres et des autres corps constitués, le président du gouvernement Dmitri Medvedev en place depuis plus de sept ans présentait sa démission et celle de son équipe. Le président russe l’acceptait aussitôt et nommait Mikhaïl Michoustine nouveau Premier ministre.

Le discours présidentiel a surpris tous les observateurs puisque Vladimir Poutine y annonce une série de réformes constitutionnelles valables pour 2024 au terme de son quatrième et ultime mandat. Au pouvoir depuis 1999, le président russe aspire en effet à une retraite… active, car il ne peut pas ne pas se préoccuper de l’avenir de son pays. Il a toujours en mémoire l’erreur majeure de Medvedev en 2011 qui en s’abstenant entérina la chute de Kadhafi en Libye. Alors président du gouvernement, Vladimir Poutine ne put pas s’opposer à cette décision catastrophique pour l’équilibre géopolitique du Sahel. Il s’inquiète aussi des événements survenus au Kirghizistan voisin. En août 2019, le président kirghize Sooronbay Jeenbekov a fait arrêter son prédécesseur, Almazbek Atambaev, qui venait de voir son immunité levée par les députés.

Vladimir Poutine sait que le pouvoir à Moscou n’est pas monolithique. Son assise repose sur différents clans qui correspondent imparfaitement au clivage entre libéraux et siloviki (membres des organes de sécurité), et entre technocrates et « Saint-Pétersbourgeois ». En arbitre suprême, Vladimir Poutine garantit la bonne marche de l’ensemble malgré de féroces et fréquentes frictions internes. Comment dès lors en maintenir la cohésion, la cohérence et la pérennité ?

Soucieux de respecter la Constitution qui interdit plus de deux mandats consécutifs, le président russe a d’abord tenté d’accélérer l’intégration toujours inachevée de la Russie et du Bélarus dans leur État de l’Union datant de 1997 et de 1999. Si cette union s’était réalisée, le président russe aurait pu prétendre à une éventuelle présidence supranationale. Il aurait ainsi imité Slobodan Milosevic qui, de président de la Serbie (1989 – 1997), passa à la présidence fédérale de la Yougoslavie (1997 – 2000), et Milo Dukanovic tour à tour président (deux fois) et Premier ministre (cinq fois) du Montenegro. Mais le président bélarussien Alexandre Loukatchenko a refusé ce scénario, rendant pour l’occasion la monnaie de sa pièce au locataire du Kremlin qui lui avait interdit de visiter à l’improviste les gouverneurs régionaux russes au début des années 2000. Respectueux de la souveraineté étatique, sauf peut-être pour l’Ukraine, Vladimir Poutine a renoncé à cette option.

La démission surprise en 2019 du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev l’a en revanche fortement intéressé. Noursoultan Nazerbaïev n’est plus chef de l’État; il conserve cependant le titre de « Chef de la nation », continue à présider à vie le Conseil de sécurité du Kazakhstan et dirige le parti au pouvoir. Il se met donc en arrière-plan tout en gardant un droit de regard sur les questions vitales du pays. Le dirigeant kazakh s’inspire de l’exemple chinois de Deng Xiaoping qui, bien que retraité politique dès 1990, bénéficia d’une primauté de fait jusqu’à son décès en 1997. Il sut préparer les décennats de Jiang Zemin et de Hu Jintao (1993 – 2013).

Conscient enfin de l’impopularité du gouvernement fédéral, de l’impéritie du parti Russie unie et des faiblesses intrinsèques de la fédération russe, Vladimir Poutine organise sa succession et sculpte sa future statue de Commandeur. Le prochain président russe sera contraint à deux mandats uniquement. Le président du gouvernement et les ministres dépendront de la Douma d’État. La Cour constitutionnelle, le Conseil de la Fédération et d’autres organes administratifs verront leur influence s’accroître. Tout restera néanmoins polarisé par Vladimir Poutine, président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie dont Dmitri Medvedev en tant qu’ancien chef de l’État en est déjà l’adjoint, et du Conseil d’État. À l’instar du Politburo soviétique ou du Conseil de discernement iranien, cette dernière structure regrouperait autour de Poutine le président russe, le chef du gouvernement, les présidents des deux chambres, les gouverneurs régionaux, voire les représentants des conglomérats économiques (Gazprom et le complexe militaro-industriel).

Ne s’abaissant plus dans la politique quotidienne, domaine du Premier ministre, ni dans le maintien de l’unité fédérale, mission du prochain président, Vladimir Poutine se réservera pour la Grande Politique. Il supervisera ainsi son successeur en matière diplomatique et militaire. Le Vatican a déjà son pape émérite, Benoît XVI. Il est fort possible qu’après 2024, voire peut-être avant, la Russie ait son propre président émérite, le grand Revizor de l’État-continent.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 158, mise en ligne sur TV Libertés, le 4 février 2020.

samedi, 08 février 2020

La trilogie (involontaire) de Poutine

putin_1184.jpg

La trilogie (involontaire) de Poutine

Ex: http://www.dedefensa.org

29 décembre 2019 – Les Russes viennent de marquer deux avancées fondamentales dans les domaines de la stratégie nucléaire intercontinentale et dans celui de la stratégie régionale. En même temps, ou plutôt précédant immédiatement ces deux annonces, il y a l’affirmation que la Russie mène désormais la course aux armements, ce qui en termes dialectiques est extrêmement différent de la simple affirmation de la possession d’armes nucléaires supérieures à celles de l’adversaire : dans ce dernier cas, l’affirmation est un constat statique de supériorité ; dans celui de “la course aux armements”, l’affirmation est celle de la dynamique de la puissance opérationnelle comparée.

• Sur ce dernier point, on a lu un texte du  25 décembre 2019, où Poutine affirme que la Russie possède désormais une supériorité stratégique nucléaire, bref qu’elle mène la “course aux armements” comme l’ion disait durant la Guerre froide, donc qu’elle peut prétendre de facto à une attitude de supériorité dans le domaine stratégique. Nous notions ceci qui a une grande dimension psychologique, pas seulement voulue et élaborée, mais qui existe de factodu fait de l’affirmation de la situation compétitive à laquelle pousse le comportement de la partie américaniste : « Pour la première fois d’une façon publique et spectaculaire, Poutine a parlé des armements russes explicitement en termes de supériorité comparée, sur n’importe quel autre pays et y compris le plus puissant d’entre eux, et non plus en termes de capacités opérationnelles et d’avancement technologique brut. Ainsi, ses paroles ont-elles une résonnance politique claire et nette, et non plus une résonnance seulement militaire et stratégique ; et une résonnance politique impliquant non pas nécessairement un défi mais dans tous les cas l'affirmation d'une supériorité stratégique comme outil de la politique de sécurité nationale russe, pour protéger les intérêts russes, éventuellement hors de Russie. »
 • L’annonce d’un marché avec l’Algérie d’avions de combat russes les plus avancés et les plus puissants, marché qualitativement d’une extrême importance qui bouleverse les positions stratégiques en Méditerranée et sur le flanc Sud de l’Europe : 14 Su-34, 14 Su-35 (tous deux de “quatrième génération et demi”), et 14 Su-57 de cinquième génération. On a vu hier quelques observations  qu’à notre sens  il convient de faire à cet égard.
• D’autre part, la mise en service du système de planeur hypersonique type AvantGard, un système stratégique continental/global contre lequel aujourd’hui aucune défense ni contre-mesure ne sont possibles et qui place les USA dans une très délicate position d’infériorité stratégique. AvantGard évolue à 27 Mach (plus ou moins 30 000 km/h : on peut écouter, ou réécouter pour beaucoup, Jean-Pierre Petit  sur ce sujet des armes hypersoniques russes, très éclairant malgré l’arrogance sans vergogne de l’intervieweur, – on est Français et “expert” ou on ne l’est pas, certes...).

44b2e5ac50c136ed1dd62f053e3c23b9.jpg

Bien entendu, nous nous étendons un peu plus sur ce dernier point qui, d’un point de vue stratégique au plus haut niveau concevable, d’un point de vue opérationnel et d’un point de vue de supériorité, marque un point sans surprise depuis qu’on connaît l’existence de ces armes, mais d’un formidable poids symbolique acquis entre la chose annoncée et la chose accomplie. Les AvantGardont commencée à être livré en mai dernier et leur déploiement opérationnel a été annoncé  le 27 décembre  comme effectif (« Une vidéo publiée vendredi par le ministère russe de la Défense montre les têtes de planeurs hypersoniques en train d'être chargées sur des missiles en silos. Pour l'instant, les AvantGard seront montés sur les missiles balistiques UR-100N (ou SS-19 Stiletto, comme les appelle l’OTAN), jusqu’à ce que le Sarmat RS-28 soit prêt à entrer en service. »)

Les Russes n’ont certainement pas dissimulé leurs nouveaux armements, bien au contraire ils en font grande publicité depuis les déclarations de Poutine de mars 2018, ce qui a paradoxalement permis aux zombieSystème occidentaux d’affirmer pendant quelques mois sinon un an qu’il s’agissait un bluff de plus du satanique Poutine. Cette ligne de dénégation des affirmations russes s’est poursuivie malgré la confirmation quasi immédiate de leur véracité par les chefs  militaires US, comme par exemple l’affirmation du chef du Strategic Command d’alors, le général Hyten, en août 2018, selon lequel, les USA n’avaient aucune défense possible contre ces armes dont il ne mettait pas une seconde en doute l’existence.

Voici un long commentaire  de Robert Bridge sur l’entrée en service de l’AvantGard et sur tout ce que l’entrée en service de ce système introduit comme facteurs nouveaux dans la situation russe et, surtout, dans la situation des relations russo-américanistes. (Décidément relations, du côté US, plus “américanistes ”que jamais, bien plus qu’américaines”.) 

« “Nous n'avons aucune défense qui pourrait nous empêcher d'utiliser une telle arme contre nous”, c’est ainsi que le général John Hyten, alors à la tête du Strategic Command, l’a présenté à la Commission des services armés du Sénat en mars 2018, peu après que Poutine ait confirmé l’existence d’AvanGard et de plusieurs autres systèmes hypersoniques.
» Dans une grande démonstration de confiance, Moscou a même montré AvanGard aux inspecteurs américains le mois dernier, dans le cadre d'un effort pour améliorer la transparence dans l'observation du dernier traité limitant les armes nucléaires. La Russie a proposé de prolonger le plus récent traité START [sur les armes stratégiques nucléaires, signé en 2011, lors du mandat Obama]au-delà de février 2021, mais Washington n’a toujours pas répondu, dans un sens ou l’autre.
» La Russie est la seule nation qui déploie actuellement des missiles hypersoniques [de tous types...] [...]Selon Poutine, les scientifiques militaires russes travaillent également à la mise au point de défenses contre de telles armes, – s’il peut en exister.
» Plus tôt cette semaine, M. Poutine a tenu à dire que la Russie est maintenant en avance sur les autres pays en ce qui concerne une technologie d'armement majeure, contrastant avec le fait que l'URSS toujours été en retard pendant la guerre froide.
» Au lieu de cela, ce sont maintenant les États-Unis qui s’efforcent de rattraper leur retard. Un contrat pour le développement d'un système planant pouvant atteindre Mach 5 vient d'être attribué au début de cette année, avec une date de lancement prévue pour 2023.
» L’existence d'AvanGard rend également plus urgent le développement d'intercepteurs basés dans l’espace qui pourraient théoriquement cibler les missiles pendant la phase de propulsion, avant que les têtes hypersoniques puissent être lancées. C’est peut-être la mission du nouveau commandement US Spatial Force.
» C'était aussi l’objet des fantasmes du Pentagone dans les années 1980, lorsque le président Ronald Reagan a lancé l’initiative ‘Star Wars’. Bien qu’elle n’ait pas représenté grand-chose en réalité, il est généralement admis aux USA qu’elle a entraîné l'URSS dans une course aux armements coûteuse qui a finalement conduit à la faillite et à l’effondrement du communisme.
» Alors que les universitaires russes contestent cette thèse, Moscou semble l’avoir mise à l'épreuve. Des armes hypersoniques pourraient maintenant obliger Washington à agir comme il dit que les Soviétiques l’ont fait, et à doter le Pentagone de nouvelles et vastes ressources qui sont nécessaires ailleurs, alors que la dette nationale s'élève à $23 000 milliards. Une raison de plus de vouloir sérieusement faire la paix avec le monde, plutôt que de chercher à le dominer. » 

0057fd9600ca719d017fde4d2ef0dffb_900.jpg

On observera ses remarques très intéressantes sur la fin du texte où Bridge faut une comparaison inversée par rapport à l’intrigue USA-URSS-SDI (“guerre des étoiles” de 1983-1989) ; et même comparaison doublement inversée puisqu’outre l’échange des vainqueurs et des vaincus, il y a la  la différence essentielle  que “la guerre des étoiles” (ou SDI pour faire sérieux)  Made-In-Reagan  n’a jamais eu lieu puisque le système envisagé en 1982, directement extrait des comics de SF et des studios d’Hollywood, n’a jamais existé en tant que tel tandis que les systèmes hypersoniques russes sont là et bien là ...

L’analogie doublement invertie que l’on relève dans ce cas a sans aucun doute un très grand intérêt, notamment par rapport à la psychologie du côté US, c’est-à-dire par rapport à ce qu’elle nous dit, rétrospectivement mais durablement jusqu’aux temps actuels où elle perdure plus forte que jamais, de sa propre pathologie. Pour le reste, et autant à cause de cette psychologie que des situations d’impuissance bureaucratique et de corruption du gaspillage qui rend l’amoncellement d’argent contre-productif où se trouvent les USA aujourd’hui, nous  avons déjà dit pourquoi nous doutons radicalement que les USA puissent refaire leur retard sur la Russie, voire le combler en partie, voire même l’empêcher de grandir.

Comment Kissinger a vieilli

Certes, le mot “trilogie” s’emploie en général pour les œuvres littéraires ou de création, en général artistique, ou même technologique puisque nous sommes dans des temps où l’art prend de bien étranges chemin. Cela nous permet aussi bien d’employer ce mot pour le domaine du rapport des forces, de la grande stratégie et de la communication qui anime tout cela. Ainsi parlerons-nous pour ces trois nouvelles russes d’une “trilogie de Poutine” … Nos lecteurs, qui ont l’esprit vif, comprendront qu’il y a, à côté du “dur” que sont les systèmes comme AvantGard et le Su-57, une bonne part de symbolisme qui, en ces temps ce communication exacerbée et de réalité pulvérisée, permet souvent d’approcher une  vérité-de-situation.

De cette “trilogie de Poutine”, nous dirons :
1). Qu’elle permet d’énoncer une nouvelle vérité stratégique dans toute sa puissance dynamique ;
2). Que notre conviction, qui n’est pas de “source sûre” comme en réclament nos censeurs-Système, est que Poutine, malgré toute sa finesse ou peut-être à cause d’elle, ne l’a pas voulu ainsi et qu’il y est venu sans véritablement mesurer toutes les dimensions de l’acte qu’il posait ; 
3). Qu’il y a donc la mise en place de l’expression d’une “nouvelle vérité stratégique”, selon une volonté dont nous avons peine à identifier d’où elle vient, sinon notre conviction à nouveau qu’elle n’est pas d’origine humaine mais plutôt l’arrangement des événements eux-mêmes.

avangard hypersonic glide vehicle.png.jpg

Cette “trilogie de la nouvelle vérité stratégique” plaçant la Russie au-dessus des autres comprend :
1). d’abord l’arme suprême, ou “arme absolue” de l’époque stratégique qui s’ouvre, que constitue l’hypersonique inarrêtable, sous la forme d’AvantGard, vitesse de 27 Mach, capacités d’évolutions très marquées, ceci et cela le rendant absolument impossible à intercepter à moins d’entrer dans la science-fiction ; capacités nucléaires intercontinentales et globales. Cette “arme absolue” de son temps remplace l’ancienne “arme absolue” qu’étaient les ICBM et les SLBM classiques et seuls les Russes en disposent avec une avance qui se compte en nombre d’années et l’intention affirmer d’en poursuivre le développement ;
2). Ensuite l’arme politico-stratégique permettant de couvrir des zones stratégiques jusqu’alors quasiment hors de portée avec les systèmes les plus sophistiqués (le Su-57 qui “annule” le F-35 et met en question la domination aérienne dans des zones jusqu’alors incontestablement OTAN/BAO, tout cela sans prêter une seconde d’attention à l’opérationnalité de ces armes souvent factices ou simulacres, mais en ne considérant que l’aspect communicationnel puisqu’il y en a encore pour croire à la magie de la technologie stealth) ;
3). Enfin l’autorité que confèrent ces systèmes, qui permet à une voix autorisée d’affirmer une hiérarchie où elle se place en tête (au sommet) sans crainte d’être contredite.

On comprendra qu’il s’agit en soi d’un événement important. Ce n’est pas trois événements qui s’affirment dans la même séquence sans influer les uns sur les autres, mais trois événements qui s’enchaînent, s’influencent, et finalement fusionnent en un, c’est-à-dire un événement nouveau qui est de nature différente que la simple addition des trois. (Même différence  qu’entre les concepts de “mondialisation” et “globalisation”.) La puissance stratégique russe, qui est désormais définie par des systèmes et des doctrines dynamiques qui dominent tous les autres, affirme par la voix de Poutine qui l’a définie en la plaçant dans une hiérarchie comme absolument dominante. Quoi que veuillent réellement Poutine et les Russes, cette posture stratégique n’est plus défensive et purement nationale (pour la défense du territoire national) comme elle était strictement définie jusqu’ici, mais conduite à s’inscrire dans l’équation du rapport des forces en affirmant sa supériorité stratégique.

Le paradoxe est qu’à force de crier “au loup” à propos d’une puissance russe qui ne voulait pourtant pas s’inscrire dans la grande équation du rapport des forces (“course aux armements”), les narrativeUS et du bloc-BAO ont fini par “forcer” les Russes par y entrer. D’une certaine façon Poutine continue sa démonstration du 1ermars 2018 qu’il avait ponctuée d’un “Cette fois, vous allez nous écouter !”, signifiant par là que l’exposition de ces nouveaux systèmes conduiraient les divers tourmenteurs de la Russie, USA en premier, à enfin écouter la Russie et ses propositions de bon voisinage stratégique. Il n’en fut rien...

Le paradoxe se poursuit et devient alors que si l’on observe le chemin parcouru et les outils ainsi déployés selon ce que nous nommons “la trilogue de Poutine”, il semble bien qu’il faille que la Russie proclame sa supériorité stratégique pour espérer qu’on l’écoute ; qu’elle devienne en vérité la “menace” qu’on prétend qu’elle est depuis 2014 (Ukraine, Russiagate, etc.), pour exiger qu’on l’entende...

En 1973, au moment des négociations SALT et alors que des généraux US s’inquiétaient d’éventuelles concessions faites à l’URSS qui pourraient donner à cette puissance la “supériorité stratégique”, Kissinger s’écriait : « Au nom de Dieu, qu’est-ce que cela signifie, “supériorité stratégique”, à ce niveau de capacité de destruction ! » C’était l’époque où les stratèges raisonnaient encore et admettaient que la dissuasion réglait tout et qu’il fallait tout faire, y compris la coopération entre adversaires, pour éviter un conflit nucléaire où tous seraient anéantis. 

Mais Kissinger est vieux et les stratèges ne raisonnent plus et préfèrent s’en remettre à l’affectivisme, et l’idée de la “supériorité stratégique” dans l’ère nucléaire est redevenue tout à fait acceptable, et le conflit nucléaire qui va avec également ; l’affectivisme des narrative, l’“exceptionnalisme” américaniste, le suprémacisme anglo-saxon et occidental, le progressisme-sociétal ont infecté toute la pensée stratégique et ont annihilé la conscience de la puissance de destruction des armements nucléaires en lui substituant une morale et une vertu humanitariste s’exprimant sans la moindre vergogne par des méthodes néo-impérialistes. C’est pourquoi dans les premières années qui ont suivi depuis 9/11, on a entendu à plus d’une reprise les thèses de la possibilité d’attaque nucléaire US contre la Russie, une first strike nucléaire stratégique éliminant la Russie en tant que telle de la contre-civilisation postmoderne.

Henry-Kissinger-e1463516488909-640x400.jpg

Par conséquent, et même s’il ne s’agit que de communication, l’affirmation d’une “supériorité stratégique” qui ne peut plus être contestée, l’affirmation de la “trilogie de Poutine” prend tout son poids. Même Kissinger, qui a vu disparaître l’ère de la mesure prudente et de la raison cynique, ne dit plus aujourd’hui ce qu’il disait en 1974. Ainsi Poutine et la Russie sont-ils obligés, parce que c’est la seule position d’où on les écoute, de s’affirmer comme la première puissance stratégique en termes de capacités de destruction, un peu selon les termes de l’“idéal de puissance” qu’ils repoussent par ailleurs de toutes leurs forces. Mais nous sommes dans l’ère du simulacre, de l’inversion, où rien ne peut se faire qui ne passe par le fameux coup du “faire aïkido”, de sans cesse utiliser la force de l’adversaire pour la retourner contre lui ; dans ce cas, la situation revenant quoi qu’en aient voulu les uns et les autres, les différents acteurs, à retourner contre le Système l’idéologie favorite de la  politiqueSystème qu’est cette “idéal de puissance”.

... Savoir ce que tout cela donnera, c’est prétendre beaucoup. La seule observation qui compte est bien de constater encore une fois l’extraordinaire vulnérabilité de cette extraordinaire puissance que représente le Système, – logique surpuissance-autodestruction.

dimanche, 19 janvier 2020

Le discours de Poutine sur l’état de la nation : centré sur le peuple russe et son avenir

AI2x4BBpWzoKNAA8xrxCsb3DB5IPLhYV-2.jpg

Le discours de Poutine sur l’état de la nation : centré sur le peuple russe et son avenir


Par Andrew Korybko 

Source news.cgtn.com

Le président Poutine s’est adressé à l’Assemblée fédérale ce 15 janvier, pour la première fois de l’année 2020, prenant de l’avance sur sa traditionnelle allocution annuelle, qui avait d’habitude lieu un peu plus tard dans l’année. Son discours sur l’état de la nation s’est presque entièrement intéressé sur l’amélioration de la qualité de vie du peuple russe, en soulignant fortement les importants impacts sociaux des projets de développement national de la Russie [National Development Projects (NDP)], et sur les moyens à employer au service de cette vision ambitieuse.

Une part importante de son discours était consacrée à l’accroissement du taux de natalité, par l’application de diverses incitations d’État, comme une augmentation des prestations sociales aux familles, en particulier celles disposant de faibles revenus. Il a également déclaré que les allocations de maternité seraient désormais versées dès le premier enfant — elles étaient jusqu’ici versées uniquement à partir du second. Poutine a répété à plusieurs reprises l’importance pour la Russie d’améliorer sa situation démographique, et a également insisté sur le fait que l’ensemble des politiques sont influencées, d’une manière ou d’une autre, par ce facteur.

Il ne s’agit pas pour les Russes de faire plus d’enfants pour la beauté du geste, mais de proposer un très haut niveau de vie aux futurs citoyens de la fédération. Pour servir cet objectif, Poutine a annoncé que l’État prodiguerait trois repas chauds et équilibrés à chaque enfant inscrit en école primaire, que des investissements de modernisation des écoles allaient être réalisés afin que les enfants disposent d’une éducation numérique leur permettant de trouver leur place dans la future économie technologique, que les salaires des enseignants allaient augmenter, et que plusieurs initiatives allaient suivre afin d’encourager les étudiants, via des changements dans les cursus, à poursuivre des carrières en matières scientifique, technologique, d’ingénierie, et mathématiques.

Des bourses d’études seront également distribuées en plus grand nombre pour ceux qui veulent poursuivre leur éducation secondaire dans ces matières. Le sujet de la santé est particulièrement important, a ajouté Poutine, et le gouvernement fera le maximum d’efforts pour améliorer également ce secteur, à la fois en poursuivant les investissements en la matière, et en coordonnant le chemin de carrière des soignants, pour qu’ils disposent d’emplois garantis dans les régions où leur présence est le plus nécessaire. Le président de Russie s’est montré particulièrement fier du fait que l’espérance de vie de son pays connaît actuellement ses plus haut niveau jamais atteint, cependant que le taux de mortalité infantile connaît son plus bas. Il a également affirmé que ces tendances positives doivent impérativement continuer de progresser à l’avenir.

Cette poussée socio-économique est fortement facilitée par deux grandes réalisations acquises au fil des années, à savoir la capacité de la Russie à se défendre pour les décennies à venir (une allusion à ses missiles hypersoniques de pointe), et le fait que son budget s’est enfin stabilisé.

Ces réussites ont permis au gouvernement de s’intéresser à la qualité de vie de ses citoyens, mais la constitution doit également être amendée pour ce faire. Comme l’a dit Poutine, le système politique et la société civile russes sont devenus assez matures pour s’offrir ces changements, nécessaires à la transformation de la Russie en État providence du XXIème siècle, à ce moment pivot.

article_5d0d8ad3ccb659_02580497.png

Parmi les suggestions qu’il a proposé d’ajouter à la discussion en vue d’une direction plus responsable, on trouve : interdire les postes de la fonction publique aux citoyens étrangers ou aux résidents à l’étranger, en vertu de raisons de sécurité ; et préciser la relation entre les différents niveaux de gouvernement, ainsi que les trois branches principales du pouvoir.

Sur ce dernier point, tout en réaffirmant la nécessité pour la Russie de rester une république présidentielle, Poutine a affirmé que l’Assemblée fédérale devrait disposer de plus grandes responsabilités dans la formation du gouvernement. Cela peut s’interpréter comme une poursuite de la tendance à déléguer les responsabilités aux représentants de l’État, et ainsi donner plus de pouvoir aux citoyens.

Dans l’ensemble, cette allocution de Poutine à l’Assemblée fédérale était beaucoup plus autocentrée que les précédentes. Cela résulte du fait que la situation internationale et économique de la Russie s’est stabilisée au point où le temps est venu de s’intéresser de près à ces sujets, pour préparer au mieux le pays à la longue période d’incertitude que le monde connaît depuis peu.

Investir dans son peuple est la bonne politique à mener, et le lancement d’une concertation nationale quant à une réforme constitutionnelle l’est également. Avec quatre années restantes comme président de la Fédération de Russie, Poutine se prépare à laisser un héritage durable qui profitera aux générations futures de la Russie.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Note du Saker Francophone

Difficile pour un Français de lire ce texte sans penser 
à l'héritage social du général de Gaulle aux Français, et
au rayonnement de la France dans le monde au cours des
années 1960… D'un point de vue français, si l'on
s'amuse à comparer les pays en leurs états actuels,
la population de la Russie est à peu près le double de
celle de la France ; et le PIB de la Russie est à peu
près la moitié de celui de la France. Sur le papier,
la richesse de chaque Français est donc le quadruple
de la richesse de chaque Russe. La différence est que
la France s'enlise dans une Union supranationale qui
impose des décisions de l'extérieur ne bénéficiant pas
aux Français, avec un argument que la France seule
ne ferait pas le poids dans le monde
. La trajectoire de la Russie est une preuve éclatante

de la fausseté de cet argument de propagande
même si en parité de pouvoir d'achat, la Russie
est devant la France et au niveau de l'Allemagne,
avec il est vrai un matelas de matière première
qui est une sacré sécurité.

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

mardi, 07 janvier 2020

De Byzance à Poutine : la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident...

poutineorthodoxe.jpg

De Byzance à Poutine : la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident...

par Stéphane Audrand

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un texte de Stéphane Audrand, cueilli sur Theatrum Belli et consacré à la grande stratégie russe. Stéphane Audrand est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles.

De Byzance à Poutine – Éléments de réflexions sur la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident

La Russie effraye, fascine parfois, suscite peurs et antagonismes, mais le plus souvent dans l’incompréhension la plus totale et les clichés les plus simplistes. Son utilisation des instruments de puissance nous échappe, nous déconcerte, voire nous révulse, tant la pratique russe s’éloigne des codes occidentaux et notamment de la dichotomie « soft » et « hard » power.

Ainsi, l’incident en Mer d’Azov en 2018 ou les déclarations de Vladimir Poutine concernant la promesse du « paradis pour les Russes » en cas de guerre nucléaire ont attiré les réflexions les plus baroques [1]. C’est en vain que les commentateurs et les analystes tentent d’appliquer les grilles d’analyse occidentales à la situation russe. Leur inadéquation ne semble avoir pour conséquence que de disqualifier la Russie : ni « occidentale » ni « asiatique », l’espace russe semble failli, voué à l’échec et par conséquent stigmatisé. Par un ethnocentrisme qui serait comique s’il n’était porteur de risques, les Européens comme leurs alliés d’outre-Atlantique multiplient les représentations caricaturales de la politique de Vladimir Poutine, sans en percevoir la logique ou en la dénonçant comme intrinsèquement « mauvaise ». Ainsi, on souligne souvent l’incapacité de Moscou à « terminer » une guerre, citant les situations bloquées de longue date, du Haut-Karabagh à l’Ossétie, du Donbass à la Transnistrie. De même, on s’offusque des menées propagandistes, de l’instrumentalisation du droit international, du double discours, de la prétention russe (censément hypocrite) à négocier tout en bombardant… Comprendre l’autre, principe de base des relations internationales, semble bien difficile s’agissant de la Russie.

Les déterminants de la stratégie russe nous échappent, en grande partie parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans notre héritage occidental de la guerre, dont le modèle mental est marqué par l’apport essentiel de deux auteurs : Saint Thomas d’Aquin et Carl von Clausewitz. Du premier nous avons hérité la propagation occidentale de la théorie de la guerre « juste », seule justification possible au déchaînement de la violence que la tradition romaine et chrétienne du droit ne peut considérer que comme une entorse au gouvernement des lois et à l’injonction de charité. D’où la limitation de la guerre à la puissance publique, au prix d’une cause juste et d’une intention bornée par l’intérêt général [2].

Au second nous devons la mystique de la guerre « totale », moment de la politique qui consiste en un acte de violence pour contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté [3]. Loin d’être antinomique, les deux approches se complètent et toute la théorie dominante moderne des conflits en Occident tourne autour de ces deux môles : il n’est de guerre possible que si elle est légitimée par le droit et la morale et il n’est de guerre envisageable que par la recherche de la victoire, moment politique par lequel le vaincu se soumet au vainqueur, à travers un ensemble de conditions – de capitulations – qui marquent la fin du « temps de guerre » et le retour au « temps de paix », au gouvernement par les lois. L’organisation même de la sécurité collective après 1945 autour de l’idée de l’Organisation des nations unies repose sur ces deux piliers de la guerre « juste » et de la guerre « politique » et marqua le triomphe mondial des conceptions occidentales : la Charte des Nations unies disqualifie la guerre comme « instrument » dans les mains du pouvoir, en dehors du rétablissement collectif de la sécurité ou de la légitime défense individuelle des Etats. Pour aller plus loin, on peut même penser que l’idée que le soft power puisse être décorrélé du hard power est une conséquence moderne de ce raisonnement : la puissance armée ne peut pas être « incluse » dans les autres pouvoirs, elle doit cohabiter « à côté » [4].

Byzantine Herakl.jpg

À l’opposé, la pratique russe moderne s’inscrit dans une toute autre tradition épistémologique qui emprunte largement à un héritage byzantin dans lequel le strategikon de l’empereur Maurice remplacerait à la fois Thomas d’Aquin et Clausewitz et ferait figure de « code opérationnel », comme l’a remarqué Edward Luttwak [5]. L’héritage byzantin irrigue la tradition russe de l’usage de la force et de la puissance, et il a influencé à la fois la mystique du pouvoir (impérial ou étatique) et l’exercice de l’usage de la force, qu’elle soit armée ou non. D’une part, il n’y a pas forcément de recherche d’une « victoire » nette, car la perception de celle-ci est différente et car le continuum du pouvoir en action remplace la dichotomie « Guerre et Paix ». C’est l’ascendant qui compte. D’autre part, il n’y a pas la même obsession pour la justice de l’action car le gouvernement des lois n’est pas perçu comme prépondérant. C’est en Occident qu’a émergé l’idée que le princeps, le gouvernant, pourrait lui-même être soumis en temps ordinaire au droit, même lorsqu’il se trouve être le législateur unique [6].

L’Empire byzantin souffre d’une réputation peu flatteuse en Occident, entretenue par des siècles d’ignorance et d’approximations historiques dont la première est bien son qualificatif même. Jamais les habitants de cet empire ne se qualifièrent eux-mêmes de « Byzantins ». En leur temps, ils étaient appelés et se nommaient Romaioi, Romains, parce qu’ils furent d’abord et avant tout, non pas « les continuateurs » de l’Empire romain, mais bien l’empire romain lui-même. Il faut rappeler cette réalité : dans un environnement hostile, entouré d’ennemis, comptant bien peu d’alliés, faisant face aux Perses, aux Slaves, aux Arabes, Turcs et Latins, l’Empire romain d’Orient persista jusqu’en 1453 en tant qu’entité politique. Un empire de plus de mille ans ne peut être réduit à la vision qu’en colporte l’historiographie occidentale, mettant en avant « décadence », « querelles byzantines » et « duplicité » dans le sillage d’Edward Gibbon. Au contraire, il faut reconnaître sa capacité d’adaptation et de reconfiguration, pour tenir compte des affaiblissements qu’il dut affronter et admettre qu’il fut dirigé pendant longtemps par une élite éclairée et soucieuse du bien commun [7].

Le lien historique de Byzance avec la Russie s’est construit par la christianisation des Slaves, du IXe au XIe siècle. Alors que les principautés slaves demeurèrent morcelées jusqu’au XIIIe siècle, la foi orthodoxe fut un ciment certain d’unité sociale et culturelle, à l’image du catholicisme romain en Occident. Pour autant, ce n’est pas avant le XVIe siècle que le « messianisme russe » se développa, quelque soixante ans après la chute de Constantinople. L’idée centrale, mise à profit par l’État moscovite naissant, fait de Moscou la « troisième Rome », celle qui n’échouera pas, après que la première Rome soit tombée sous les coups barbares du fait de son hérésie et la deuxième, Constantinople, sous les coups des Turcs et par la trahison des Latins [8]. Ce messianisme moscovite servit tour à tour l’affirmation du pouvoir tsariste, l’idéologie panslaviste et même, plus tard, le marxisme soviétique. Il se cristallisait toujours autour de l’élection de Moscou comme axis mundi et de la responsabilité russe pour porter la seule civilisation de la « vraie foi » (qu’elle soit orthodoxe ou – momentanément – marxiste-léniniste) [9].

L’examen du « code opérationnel byzantin » et sa mise en regard avec les actions du Kremlin sur la scène mondiale montrent d’importantes corrélations qui s’expliquent par cette tradition de la littérature byzantine, comme si, après une parenthèse rationaliste et « occidentaliste » de quelques siècles ouverte par Pierre le Grand et refermée par Michael Gorbatchev, les Russes renouaient avec leur héritage épistémologique antique, héritage d’ailleurs revendiqué ouvertement par le Kremlin [10]. On voit s’inscrire dans cette tradition orientale une toute autre vision de l’exercice de la puissance, qui préside à la perpétuation d’un empire encerclé par des adversaires multiples et qui voit dans sa perpétuation même son ambition principale. Il faut durer en s’adaptant, malgré les faiblesses de l’Empire.

byzance3.jpg

Premières similitudes avec l’espace russe actuel, l’encerclement et la perception de menaces multiples, mais aussi l’idée que « vaincre est impossible ». L’Empire byzantin – conservons cette dénomination par commodité – ne pouvait pas compter sur un quelconque verrou territorial pour protéger une géographie exposée de toutes parts. Les Vandales, les Goths, Perses, Slaves, Arabes, Turcs, Latins… Les ennemis se succédèrent sans fin aux frontières de l’Empire et la disparition de l’un ne faisait que la place de l’autre, à l’image des barbares gothiques vaincus en Italie pendant la reconquête justinienne, et qui furent « remplacés » par les Lombards, ruinant les coûteux efforts de l’Empire [11].

Le fait que la Russie actuelle se perçoive comme menacée dans ses frontières continue d’échapper à la majorité des observateurs occidentaux, qui préfèrent mettre en avant l’expansionnisme russe et la menace qu’il représente pour ses anciens États « vassaux ». L’Europe a ainsi totalement épousé le point de vue des États de l’ancien Pacte de Varsovie, sans chercher à comprendre celui de Moscou. Envahie à trois reprises en moins de cinquante ans au début du XXe siècle [12], la Russie ne préserva son indépendance qu’au prix de millions de morts et de destructions d’une ampleur colossale. On peut comprendre que l’idée de l’invasion marqua les esprits et que le recul de la frontière « le plus loin à l’ouest possible » devint une obsession. Si le dénouement du second conflit mondial avait paru enfin donner à l’espace russe la profondeur stratégique nécessaire à sa protection, la liquidation à marche forcée de l’URSS fit reculer la frontière de positionnement des troupes de 1 300 km, de la frontière de l’ex « Allemagne de l’ouest » à celle de la Lettonie. La situation stratégique actuelle de la Russie est objectivement celle d’un empire certes encore puissant militairement, mais affaibli démographiquement, démembré et encerclé, et pas d’une puissance en expansion : les forces de l’OTAN sont à moins de 600 km de Moscou. Les trajectoires économiques et démographiques ont à ce point divergé depuis la chute du Mur de Berlin que la Russie, malgré son territoire et ses immenses ressources, ne dispose plus que de la population combinée de la France et de l’Allemagne et du PIB de l’Italie. Dans ces conditions, peut-on reprocher à Vladimir Poutine de se sentir « menacé » par l’OTAN qui agrège près d’un milliard d’habitants, avec un PIB vingt fois supérieur ? Bien entendu, cela ne doit pas conduire à négliger ou ignorer la menace qu’il peut représenter en retour, mais plutôt à la considérer comme une perception de sa propre faiblesse sur le long terme.

Le pouvoir moscovite est tout simplement conscient qu’il ne peut pas « gagner » face à l’Occident : son objectif de (re)sanctuariser la Russie tout en affaiblissant ses adversaires doit être compris dans ce contexte limité. Du reste, s’il est souhaitable que l’Europe soit faible militairement pour la Russie, elle demeure le client indispensable du gaz russe et se trouve ainsi liée dans une situation de dépendance. Encerclée, la Russie l’est aussi en Asie : le Japon et la Corée du Sud ne sont pas perçus autrement que comme des tremplins américains, tandis que la Chine, partenaire et allié de circonstance, constitue une menace de long terme perçue comme telle à Moscou. La relance favorable des négociations avec le Japon à propos des îles Kouriles est ainsi la concrétisation de cette crainte russe face à la Chine, qui justifie sur le moyen terme une tentative de rapprochement avec les adversaires potentiels de Pékin. Là encore on voit la marque byzantine d’une diplomatie à la fois opportuniste et dénuée d’aprioris moraux : seul compte l’intérêt de l’Empire et s’il est possible de diviser ses adversaires à peu de frais, c’est toujours souhaitable, même au prix de renversements apparents d’alliance. L’instrumentalisation des ventes d’armes à la Turquie est ainsi un bon exemple par lequel, à bon compte, Moscou accentue la division de l’OTAN [13].

ivan4.jpg

S’il y a utilisation récurrente de la force armée par Moscou depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, c’est d’une part car elle constitue pour l’instant une des dernières cartes maîtresses de la Russie, et d’autre part car la situation russe n’est perçue fort justement que comme ne pouvant qu’inexorablement se dégrader : l’économie de rente reste tributaire du pétrole et du gaz dont les cours sont corrélés, la démographie est sinistrée et les tensions sociales sont à la hausse, ce qui justifie d’agir au plus tôt, l’attente n’étant porteuse que d’une détérioration de la situation globale et d’une réduction des options stratégiques. On évoque souvent les « succès » de Vladimir Poutine, mais on oublie aussi les limites de son action. Ainsi, si la Russie a occupé une place laissée vide au Proche Orient par le recentrage stratégique vers l’Asie voulu par Barack Obama, elle a été incapable de conserver son ancienne influence dans les Balkans, réduite à la Serbie, et dont l’évolution actuelle est beaucoup moins marquée par l’empreinte de Moscou qu’en 1999 pendant la crise du Kosovo. En outre, l’intervention en Syrie ne passionne plus les foules et le pouvoir se fait discret sur le sujet. En Afrique, la Russie a pu avancer, notamment via ses mercenaires et quelques ventes d’armes, comme en Centrafrique, là encore à la faveur du recul des occidentaux, mais la position reste opportuniste et fragile [14].

Cet opportunisme typiquement byzantin s’explique en partie par le manque de moyens, mais aussi par la perception de l’impossibilité pratique de la « victoire », voire de son inutilité : mieux vaut agir quand c’est possible, mais sans se laisser entraîner dans des conflits trop coûteux. Les Byzantins comprirent en effet, tout comme les Russes actuellement, que l’idée de victoire « totale » contre un adversaire puissant était un leurre et que la rechercher faisait courir le risque de la sur-expansion et de l’épuisement : vaincre totalement un adversaire absorbait d’énormes ressources matérielles, humaines et fiscales, usait l’Empire et n’aboutissait, au final, qu’à faire « de la place » pour qu’un nouvel adversaire face auquel la situation impériale serait compromise par l’épuisement. Loin de sécuriser l’Empire, l’anéantissement d’un adversaire était donc perçu comme trop coûteuse et contre-productive, un « paradoxe de la stratégie », compris comme tel, notamment par l’Empereur Isaac Comnène qui théorisait qu’en temps de faiblesse, « l’augmentation est une diminution » [15].

À l’anéantissement, les Byzantins préféraient l’affaiblissement de l’adversaire, en usant d’abord d’influence politique et diplomatique. Le recours à la force était toujours possible, mais ne devait pas placer l’Empire en position de s’épuiser. Cette approche, née dans la douleur face aux Perses, aboutit à la création de « conflits larvés » entre tierces parties, insolubles mais qui divisaient les adversaires tout en les maintenant fixés sur des enjeux mineurs. C’est une approche qui choque en Occident : d’une part nous avons tendance à considérer qu’il doit y avoir « un » adversaire principal (celui contre lequel s’exerce la violence de la guerre juste) et d’autre part qu’il doit être vaincu, totalement, pour résorber la tension morale que crée le conflit. D’où cette impression, absurde à l’échelle historique, que l’Histoire prenait fin en 1989 [16] : l’adversaire principal, l’URSS, s’étant effondré, la victoire mondiale de l’Occident et de son système politico-économique semblait évidente et définitive. Toute conflictualité devenait parfaitement secondaire en l’absence d’adversaire légitime à la démocratie libérale. On sait ce qu’il advint des dividendes de la paix, acquis sous forme de « subprimes »

Victory-Day-c4cd-ff15e-ff60d.jpg

Dans l’approche russe, la conflictualité, loin de fragiliser la situation sécuritaire, y contribue dans un paradoxe orwellien qu’on pourrait résumer par « la guerre (larvée) c’est la sécurité ». Ainsi, l’abcès de Transnistrie s’insère comme un « coin » entre Ukraine et Moldavie. De même, l’Ossétie du Sud « fixe » la Géorgie sur le plan territorial, tout comme le séparatisme du Donbass contribue à affaiblir l’Ukraine et sécurise l’annexion de la Crimée : aucun besoin de « résoudre » ces conflits. Dans un cas comme dans l’autre, l’intérêt de Moscou est que cela continue [17]. Même l’intervention dans le conflit syrien doit se comprendre, en partie, comme une action de protection par fixation de l’adversaire aux frontières. Loin d’être une extravagante aventure ultramarine, l’intervention en Syrie en 2015 était perçue à Moscou comme l’impérieuse nécessité de protéger les marches du Caucase. On oublie facilement que la même distance sépare la Russie de la Syrie et Paris de Marseille : environ 650 km. Le containment puis la réduction, en Syrie, de l’enclave djihadiste répond ainsi à un objectif immédiat de protection du Caucase, qui explique notamment la facilitation au départ des djihadistes organisée en sous-main par les services russes, mais aussi le « redéploiement » des survivants en Ukraine après la chute de Daech [18].

Cette compréhension de l’instrumentalisation des conflits non comme un moteur de l’expansion territoriale massive mais plutôt comme une avancée prudente du glacis stratégique par la création d’un « tampon instable » permet ainsi d’analyser le comportement russe actuel. Ayant perdu des provinces perçues comme « historiquement russes » (la Biélorussie, l’Ukraine) ou « indispensables » à la sécurité (Pays Baltes, Géorgie), la Russie cherche à reconstituer un espace stratégique suffisant qui mette Moscou à l’abri de toute tentative étrangère. Ainsi, il ne faut pas tant craindre par exemple une invasion en bonne et due forme de la Pologne ou des Pays Baltes que des tentatives de déstabilisation et de neutralisation, par agitation de minorités, armées à peu de frais avec des surplus d’armements et encadrées par des supplétifs. Or face à ce genre de conflit, l’OTAN, pensé pour les guerres de haute intensité, est démuni. Quelle serait la réaction de l’alliance si la Lituanie ou la Géorgie – si elle finit par rejoindre l’Alliance – invoquaient l’article V du Traité de l’Atlantique nord face à des « bandes armées » ?

Prolongeant l’idée que la conflictualité puisse être contributive à la sécurité dans la durée, la Russie de Vladimir Poutine ne distingue pas « temps de guerre » et « temps de paix » et a une approche globale (on pourrait dire « systémique ») de la diplomatie. Même si les Russes, dans le triomphe rationaliste du XVIIIe siècle, ont pu se rallier, pour un temps au moins et partiellement, à la vision occidentale de la guerre, ils s’en sont éloignés de nouveau, depuis la chute de l’URSS. Ainsi on comprend mieux la stupeur outrée des observateurs qui frappent de duplicité Vladimir Poutine lorsqu’il prétend négocier la paix pendant que l’aviation russe bombarde la Syrie. De même, la volonté de Moscou de discuter en même temps des quotas de gaz transitant par l’Ukraine et du conflit au Donbass, alors que ni les Européens ni Kiev ne voient (ou ne veulent voir) le rapport suscite crispations et incompréhensions. Il ne s’agit là encore que d’un avatar de conceptions occidentales ethno-centrées. Au demeurant, l’idée qu’il y a un « temps pour la négociation » et un « temps pour les armes » qui seraient mutuellement exclusifs est récente et, au final, on peut s’interroger sur sa pertinence. Elle ne se justifiait guère que pendant le second conflit mondial, en raison de la dimension idéologique irréconciliable des forces en présence. Mais une étude de la conflictualité sur le long terme montre que, en Occident comme en Orient, la règle est que les diplomates continuent de se parler pendant les combats. On peut même considérer, comme le suggère Luttwak à propos des Byzantins, que la diplomatie est encore plus importante pendant la guerre car elle permet de recruter de nouveaux alliés tout en divisant les coalitions adverses. En allant plus loin, on peut s’étonner que l’OTAN ait, dans sa doctrine opérationnelle, une vision tout à fait systémique des crises, marquant un continuum du politique à l’économique et au militaire et qui prend en compte les aspects diplomatiques du centre de gravité, mais que les dirigeants de l’Alliance atlantique, eux, soient souvent incapables de s’approprier la vision « technique » de leurs propres états-majors [19].

L’influence et la parole sont également des points de convergence entre la pratique byzantine et russe. Déjà au Moyen-âge, les Latins dénonçaient la « duplicité des Grecs » et se plaignaient de leur manque de parole. L’attachement occidental à la notion de « Vérité » n’a fait que croître avec le triomphe du rationalisme, de la méthode scientifique et du gouvernement par les lois. À l’opposé, Byzantins comme Russes percevaient et perçoivent encore la nécessité de raconter des « histoires » adaptées à chaque situation. Au temps pour les fake news, l’important est pour Moscou d’occuper le terrain de la communication, y compris par la désinformation. La démoralisation de l’adversaire par la mise en avant de ses faiblesses compte plus d’ailleurs que la propagande valorisante et c’est la méthode que pratiquent, au quotidien, Russia Today ou Sputnik. C’est une évolution marquée depuis la chute de l’URSS : Moscou ne cherche plus à proposer un système de valeurs opposé à celui de l’Occident, mais plutôt à le discréditer afin de démoraliser les populations, spécifiquement en Europe, en construisant la prophétie (hélas assez auto-réalisatrice) d’Européens « condamnés car moralement faibles ». L’approche du domaine « cyber » diffère ainsi radicalement de celle de l’Occident, en ce qu’elle s’inscrit dans la continuité avec les sujets informationnels et médiatiques [20].

maskirovka.jpgLe recours à la désinformation d’ailleurs est un des points fondateurs de la « déception » (ruse, diversion, feinte) ou, dans le jargon militaire russe moderne, de la maskirovka. Si des historiens militaires modernes au nombre desquels David Glantz ou Jean Lopez ont exposé l’importance de l’art opératique soviétique et son apport à la pensée militaire moderne, ils sont également mis en exergue le rôle crucial de la déception et de la désinformation pendant l’accomplissement de la manœuvre de haute intensité [21]. Ici se dessine encore la continuité entre opérations armées, diplomatie et influence. Il n’y a pas de soft ou hard power, mais une puissance, que l’on exerce en même temps « par les arts, les armes et les lois ». La déception byzantine ou russe est tout à la fois un outil d’affaiblissement de l’adversaire, le démultiplicateur des forces par la surprise opérationnelle qu’elle permet et le garde du corps mensonger d’une vérité qui doit être gardée secrète : conscients de l’impossibilité de préserver les secrets de manière absolue, les Byzantins le rendaient invisible au milieu du mensonge. Dans ce domaine spécifique du renseignement on voit encore des similitudes frappantes avec la doctrine russe de préservation du secret par le doute et le flou, aux antipodes d’une conception occidentale de préservation du secret par la protection, le silence et la sécurisation d’un fait rationnel unique et univoque.

maskirovkaéééé.png

Ainsi, la déception offre le bénéfice de créer de la confusion et d’affaiblir l’adversaire sans combat ou en préalable à celui-ci. Un des avantages conférés par la déception est l’économie des forces. Il s’agit là d’un point commun notable entre l’Empire Byzantin et la Russie actuelle : dans les deux cas, on est face à un ensemble impérial disposant de forces de grande qualité, mais coûteuses à reconstituer en cas de pertes. Il faut donc les utiliser avec parcimonie et ne pas hésiter à avoir recours à des alliés, des mercenaires ou des « proxies » qu’on ira chercher avant ou pendant le conflit pour limiter l’engagement des forces impériales. Bien qu’ayant été couramment pratiquée en Occident, la déception semble à la fois passée de mode et emprunte d’inefficacité et de disqualification morale. Sans doute est-ce un avatar de l’obsession de la guerre « juste » : la ruse, le mensonge sont par essence des comportements négatifs qu’un État agissant au nom d’une juste cause devrait se restreindre d’employer. Ainsi se creuse le fossé entre le monde du renseignement et celui des opérations, pour des raisons souvent plus idéologiques qu’organisationnelles [22].

La Russie est sortie des conceptions soviétiques qui prévoyaient l’engagement massif de grands corps blindés pour disloquer en profondeur l’adversaire [23]. L’armée russe rénovée par Vladimir Poutine depuis 2008 s’est reconstituée autour de « pointes de diamant » : des unités de choc équipées en matériel modernisé qui sont, certes, supérieures en effectifs aux forces de haute intensité européennes, mais qui ne peuvent plus compter comme dans les années 1970 sur une écrasante supériorité numérique. Le gros des effectifs demeure équipé d’armes anciennes et n’a qu’une aptitude douteuse à la manœuvre interarmées, tout en pouvant fournir utilement des contingents de blocage, d’occupation ou de disruption. Ainsi, à la manière des Byzantins, les Russes sont intervenus en Syrie de manière limitée, pour « encadrer » leurs alliés. Si l’effort russe, considérable au regard des moyens économiques disponibles, a fourni au régime syrien conseillers, appui aérien et d’artillerie, moyens logistiques, antiaériens et de renseignement, le gros du travail d’infanterie a été fait sur le terrain par les supplétifs de la nébuleuse iranienne, complétés de quelques forces spéciales [24]. L’ère n’est plus à la manœuvre des grands corps blindés de l’Armée Rouge, mais plutôt aux « coups de main » opportunistes, comme dans le Strategikon. La situation dans le Donbass est partiellement similaire. Certes on voit le retour de la « haute intensité » en périphérie de l’Europe avec des engagements de centaines de chars lourds, mais là encore en usant d’unités de supplétifs, de « volontaires » qui permettent de ne pas engager les unités de pointe du dispositif de choc, dont la vocation est à la fois d’impressionner, d’aider à la régénération organique et de constituer une réserve de dernier recours : la Russie n’a pas envie d’affronter l’Occident sur le terrain militaire [25].

Cette mise en perspective de quelques éléments saillants des similitudes entre l’art stratégique et opérationnel byzantin et les manœuvres de la Russie de 2018 permet de mieux cerner à la fois les méthodes de Vladimir Poutine, mais aussi ses limites et les raisons de notre propre incompréhension.

On pourrait objecter que la présence des arsenaux nucléaires rend invalide cette approche, par la transformation profonde de l’art de la guerre. Il n’en est rien. De fait, le paradoxe moderne de la dissuasion serait plus compréhensible pour un penseur byzantin que pour son homologue occidental. L’idée que des armes puissent avoir leur meilleure efficacité par leur inutilisation, tout comme celle que la sécurité puisse être fille de la terreur, sont au cœur du paradoxe de la stratégie, de la résolution du dilemme de la convergence des contraires [26]. Mais le dernier point, peut-être le plus important, dans lequel s’inscrit l’arme nucléaire, est celui que nous avons évoqué en introduction : l’idée de durer. L’arme nucléaire offre un sanctuaire temporel à la Russie. Cette sanctuarisation apparaît particulièrement importante en Orient, face à la poussée chinoise en Sibérie et à la très forte disproportion des forces qui serait celle d’un conflit le long de l’Amour.

Même si elle pourrait apparaître à un penseur marqué par l’idée occidentale de progrès, la perpétuation de la civilisation – russe ou byzantine – comme objectif fondamental de la grande stratégie est certainement un pivot épistémologique important, qui donne une résilience particulière à la société russe en période de crise. Et, au fond, il vaut mieux sans doute avoir un objectif clair mais peu séduisant sur le plan idéologique (celui de durer) que de chercher en circonvolutions quel pourrait bien être l’objectif commun de progrès en Europe, en dehors de l’approfondissement de l’efficacité des marchés et de la concurrence libre et non faussée…

Stéphane AUDRAND (Theatrum Belli, 17 décembre 2019)

Notes :

(1) https://www.dailymail.co.uk/news/article-6292049/Putin-sa...

(2) En toute rigueur, c’est à Cicéron que revient d’avoir formalisé le premier l’idée de la guerre juste, dans La République (II, 31 et III, 37). Repris par Saint Augustin qui y adjoint l’idée chrétienne de contribution au Salut, elle est ensuite formalisée par Thomas d’Aquin. Voir LEVILLAYER A. « Guerre juste et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », in Revue de l’histoire des religions, tome 3, 2010,  p. 317-334.

(3) Définition au chapitre 1 de « De la Guerre », paragraphe 2.

(4) Ce qui n’est finalement que la traduction du fameux « Cedant arma togae, concedat laurea linguae » de Cicéron.

(5) Une grande partie de cet article repose sur les analyses développées par EDWARD LUTTWAK dans son excellent ouvrage La Grande Stratégie de l’Empire byzantin, Paris, Odile Jacob, 2010 (édition originale anglaise 2009).

(6) Sur l’émergence du gouvernement des Lois on pourra se rapporter aux travaux d’Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres, Cours au collège de France, 2012-2014, Paris, Fayard, 2015, 515 pages.

(7) NORWICH, J.J., A Short History of Byzantium, First Vintage Books, New York, 1982, 430 pages, pp. 382-383.

(8) Timothy Ware, L’orthodoxie, Bruges, 1968, DDB, 480 pages, p. 150-151.

(9) Spécifiquement sur le ce « messianisme » on pourra lire DUNCAN P.J.S., Russian Messianism, third Rome, revolution, communism and after, New York, Routledge, 2000.

(10) CHRISTOU T., The Byzantine history of Putin’s Russian empire, sur The Conversation – http://theconversation.com/the-byzantine-history-of-putin...

(11) DUCELLIER A., Byzance et le monde orthodoxe, Paris, Armand Colin, 1986, page 91. L’Empereur Maurice – l’auteur du Strategykon – tenta de se maintenir en Italie largement pour des questions de prestige, et on peut penser que les coûts de cette entreprise pesèrent dans sa réflexion stratégique.

(12) En 1914-17 et en 1941-45 par l’Allemagne et, on l’oublie souvent, en 1920 par la Pologne, dont les troupes s’emparèrent de Kiev et Minsk. L’intervention des puissances occidentales contre la Révolution marqua aussi les esprits car elle montra l’encerclement de l’espace russe, les alliés débarquant sur toutes les côtes de la future URSS.

(13) FACON. I., Export russe des systèmes anti-aériens S-400 : intentions stratégiques, atouts industriels et politiques, limites, Défense & Industrie n°13, juin 2019, 4 pages.

(14) « Russie Afrique : le retour » – Affaires Étrangères du 19 octobre 2019. https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangere...

(15) Cité par DUCELLIER A., op. cit, page 15.

(16) FUKUYAMA F., La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992. Faisons au moins justice à Francis Fukuyama en reconnaissant que son livre comporte bien plus de nuances et d’hésitations sur la validité de sa théorie que ne le suggèrent à la fois ses adversaires et ses thuriféraires.

(17) Autant de crises, dont les ferments étaient connus et documentés depuis la chute de l’URSS. Ainsi, pour le cas de l’Ukraine et de la Crimée, on pourra relire BREAULT Y., JOLICOEUR P. et LEVESQUE J., La Russie et son ex-empire, Paris, Presses de Science Po, 2003, pages 105-115.

(18) https://www.la-croix.com/Monde/Europe/djihadistes-Caucase...

(19) SHAPE, Allied Command Operations – Comprehensive Operations Planning Directive COPD, 2013, 444 pages, voir en particulier pages 21, 26, 63 et 88 à 91.

(20) CONNEL, M. et VOGLER, S., Russia’s Approach to Cyber Warfare, CAN, Washington, 2017, 38 pages, pp. 3-6.

(21) Voir GLANTZ D., Soviet Military Deception in the Second World War, New York, Routledge, 2006.

(22) KEEGAN J., dans son ouvrage Intelligence in War, Londres, Pimlico, 2004, réfléchit ainsi sur les limites du renseignement dans la conduite des opérations. Il s’inscrit plutôt dans le droit fil de Clausewitz pour lequel, face au brouillard de la guerre et aux forces de frictions, il est coûteux et peu efficace de rajouter de la confusion.

(23) Voir LOPEZ J., Berlin, Paris, Economica, 2010, pages 75-88 pour une brillante synthèse francophone de l’évolution doctrinale soviétique de la bataille en profondeur, manœuvre opérationnelle la plus aboutie sans doute de l’ère de la guerre mécanisée.

(24) KAINIKARU S., In the Bear’s Shadow: Russian Intervention in Syria, Air Power Development Centre, Canberra, 2018, 192 pages, pp. 81-96.

(25) Autour de 600 chars ukrainiens. Voir l’audition du général P. Facon par la commission de la défense nationale et des forces armées – CR74 du 25 septembre 2018. Le général Facon note d’ailleurs l’importance du déni d’accès dans l’approche russe, très byzantine : il ne s’agit pas tellement de rechercher la décision de manière immédiate par la manœuvre, le feu et le choc, mais d’entraver la capacité adverse à le faire par déni d’accès terrestre et/ou aérien.

(26) Sur le paradoxe de la stratégie et son prolongement nucléaire, voir LUTTWAK E. N., Le grand livre de la stratégie, Paris, Odile Jacob, 2001, pages 21-23 et 205-207.

samedi, 21 décembre 2019

The Real Code of Putinism

putincouv.jpg

The Real Code of Putinism

Ex: https://www.americanthinker.com

Today's Russia is in the most critical stage of its ideological design.  Its beginning was laid in the article by Vladislav Surkov (aide to the Russian president) under the symbolic title "Long-lasting state of Putin."  The piece was widely discussed by the expert community in Russia and abroad.  Many took this article as a signal that Putin was not going to leave after his presidential term's expiration in 2024 and was preparing his domestic public and international community for this through his éminence grise (as Surkov is often called).  However, with a detailed analysis of the processes that occur in modern Russia, one can come to deeper conclusions.

Vladimir Putin has ruled the country since 2000, and over these 19 years, influence groups around him have been fighting each other for a special position and status.  Unlike most of his associates, Putin is indeed an ideologically motivated leader who perceives himself not just as a politician and an official, but as a sovereign, such as Peter the Great and Alexander III — the beloved emperors of the current Russian leader.

Being aware of the internal construction of Putin's philosophical vision, various people were trying to form an ideological concept that would reflect the mission and goals of modern Russia.  Some wrote about the idea of a "special civilizational path."  It suggested that Moscow would not copy the Western model of development and would not declare itself a part of the Asian world as well.  Others sought to revive the long-forgotten formula "Moscow as the Third Rome" that in fact declared Russia the heir to the fallen Byzantine Empire.  Some suggested a consensus option to combine Western and Eastern civilization codes.  Undoubtedly, there are also groups that do not consider having any ideology important; they offer to copy certain points of the most successful government projects around the world.  However, there is no question of whether Russia needs an ideology or not because Putin is absolutely convinced of the vital necessity of its existence.

There are several reasons for this approach.  Firstly, the president understands that this is about his legacy.  For a psychological type of leader like Putin, the way history remembers him is crucial.  And it is not about love and admiration of the generations to come.  It is difficult to find a politician in Russian and world historiography who could be given an unambiguous assessment.  Discussions continue about everyone without exception, from Alexander the Great to Ronald Reagan.  The key fact is the transformation when a mortal politician becomes an immortal image and an object of constant study for future generations.  Secondly, the Russian leader is convinced that people who were born and raised in independent Russia should have clear guidelines in order to at least preserve the integrity of the country.  So far, Vladislav Surkov was the one who truly managed to systemize the views and ideas of the president.  Putin's aide divided the history of Russian statehood into four parts: the Rus' of Ivan the Third, the Russian Empire of Peter the Great, the Soviet Union of Vladimir Lenin, and the Russia of Vladimir Putin.

The new ideology that is called Putinism is uniting principles and foundations that have remained unchanged throughout all the historical stages of the development of Russia.  Its foundation is the concept of National Democracy.  It implies that the process of democratization and the formation of an active civil society is inevitable but it should not be carried out according to any foreign model.  The Russian nation, like any other, has its civilizational, social, and cultural features.  Today, 190 peoples live in Russia, and most of them retain their language, traditions, and mentality.  From this point of view, Moscow is always under the permanent threat of external forces using any interethnic disagreements for their purposes.  If, for example, a political decision was made to allow same-sex "marriage" in the deeply conservative regions of the North Caucasus, Tatarstan, and Siberia, riots would begin.  And they would lead to the most unpredictable consequences.  For a large part of the progressive West, this may sound wild.  Yet for Russia, it is a matter of national security.

 

It is important to understand that Russia is not limited to Moscow or Saint Petersburg.  These cities, like any major megalopolises, are centers of the dominance of progressive and liberal ideas.  No one will argue with the fact that the United States does not begin and end in New York and California; there are also Texas, Tennessee, Utah, and other states.  The victory of Donald Trump vividly demonstrated that it was conditional Texas and Kentucky that were the heart of America, not Massachusetts and Rhode Island.  The situation is similar in Russia: Putin is guided by the mood of the regional majority, not the liberal minority of the capital.  There are a lot of sensitive problems, and any Russian ruler has to maintain internal balance in order to keep the country's physical integrity.  This is an extremely difficult task.  At certain periods of time, Emperor Nicholas II, and then the last general secretary of the Central Committee of the CPSU, Mikhail Gorbachev, did not cope with this task.  This resulted in the collapse of the Russian Empire and the USSR, respectively.  Thus, the essence of Sovereign or National Democracy is in a banal formula: everything has its time.  In other words, Putinism advocates an evolutionary rather than a revolutionary model of development.

The next crucial element is the inviolability of the mission to maintain territorial integrity.  Why is this so important to Putin?  The answer lies in the dynamics of extension and contraction of Russian territory.  The Russian Empire was the third-largest ever-existing country after the British and Mongol Empires.  It included the Baltic states, part of Poland, Bessarabia, Finland.  Replacing the Empire, the Soviet Union became smaller, losing control of many territorial units.  Then the collapse of the USSR led to the formation of 15 independent republics.  Moreover, centrifugal processes were observed inside independent Russia in the '90s: two Chechen wars, separatist sentiments in Tatarstan, Siberia, and the Far East.  Given this, Moscow has to be sensitive to any threats to territorial integrity because the next collapse will actually mean the end of Russian history.  Based on this, the policy of territorial expansion (or "gathering lands") has strategic importance for Russia.

Most of the countries that were part of the Russian Empire and the Soviet Union performed two significant functions.  The first is an external security function — pushing the borders of the Empire along the entire perimeter, which was of fundamental importance while conducting defensive wars.  It is difficult to imagine how the results of the military campaigns of Napoléon Bonaparte in 1812 and Hitler's Germany in 1941–1945 would have developed without the factor of "deep borders."  The second is the internal defense or controlled decay function.  With the collapse of the Empire, countries located on the periphery and semi-periphery leave, and the core is retained — Russia itself with its internal subjects.

From here follows the next point of the concept of Putinism — returning the post-Soviet space to the sphere of strategic dominance of Moscow.  To achieve this goal, it is important for President Putin to solve two tasks: to provide closer geopolitical integration of Belarus with Russia and to develop high-quality mechanisms of influence on Ukraine.  The Russian leader is deeply convinced that Russians, Ukrainians, and Belarusians comprise a unified nation that should be gathered under the leadership of the Kremlin sooner or later.  This is how it was in the imperial and Soviet periods.  The third task is to prevent the entry of traditional post-Soviet countries (the Baltic countries are not considered) into the North Atlantic Alliance.

putinsoldat.jpg

In global politics, Putin sees his mission in revising the results of the Cold War.  He is convinced that the collapse of the Soviet Union was due to the weakening of the center's influence, the indecisiveness of the authorities and the internal intrigues of hostile agents of influence.  Putinism rejects any idea that Russia lost to the United States and should now forget about its geopolitical ambitions.  At the same time, being a pragmatist, Putin realizes that today Moscow does not have sufficient resources to claim world domination.  It is important for the Russian leader that the most powerful actors in the international community develop clear rules for the game.  For Putin, the ideal model combines past systems.  The basis should be sovereignty and the principle of non-interference in each other's internal affairs (Westphalian system), the balance of power (Vienna system), and separation of responsibilities (Yalta and Potsdam system).  From the standpoint of Putinism concept, such an architecture will return Russia the status of great power and force the rest of the countries to reckon with its opinion and interests.

The fundamental feature of the new ideology is that Russia does not regard the West as its enemy.  Moscow sees a certain way of the civilizational and political future of Europe where neoliberal philosophy has set the tone for the past twenty years.  Today, other trends are visible.  One of them is the strengthening of the right-wing conservative powers: Boris Johnson in Britain, the regime of Viktor Orbán in Hungary, the party of Sebastian Kurz in Austria, Euroskepticism in Italy, France, Greece, and Germany.  The basic request of the new generation of European politicians can be described simply: more sovereignty, less dependence.  Even leaders such as Emmanuel Macron state the need for an independent European security system.  This is exactly what Russia wants to see in Europe.  It is important for Putin that Europeans rely solely on their pragmatic interests in building a political and economic dialogue with Moscow.  This narrative is becoming more and more popular in the Old World.

Areg Galstyan, Ph.D. is a regular contributor to The National Interest, Forbes, and The American Thinker.

samedi, 26 octobre 2019

Moyen-Orient. Que contient le mémorandum d'accord Erdogan-Poutine ?

erdopoutine.jpg

Moyen-Orient. Que contient le mémorandum d'accord Erdogan-Poutine ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Ce mémorandum a été signé par les deux présidents lors de leur rencontre à Sotchi le 21 octobre. Son contenu vient d'être rendu public.

La rencontre a duré 7 heures, ce qui est considérable compte tenu du temps disponible pour les chefs d'Etat. A la fin de la rencontre ils ont signé un mémorandum conjoint dont le contenu est désormais connu. Dans ce document Recep Erdogan et Vladimir Poutine confirment leur plein accord à la nécessité de conserver l'unité politique et l'intégrité du territoire de la Syrie sous la présidence de Bashar al Assad, ainsi que leur volonté de conserver la sécurité au sein de la République turque.

Sur ce dernier point, ils ont confirmé leur détermination à combattre le terrorisme islamique et à ne pas accepter les prétentions de séparatistes visant à démembrer le territoire turc. Par le terme de séparatiste, ils désignent en particulier les mouvements kurdes visant à reconstituer un grand Kurdistan qui engloberait notamment le Kurdistan turc. 

Ils ont également assuré que le contrôle désormais assuré par la Turquie après son offensive militaire des derniers jours sur un couloir dit de sécurité long de 120 km et large de 32 située sur le territoire syrien ne sera pas remis en question. Il inclut les agglomérations de Tel Abyad et Ras Al Ayn. Ceci signifie concrètement que l'armée turque n'opérera plus désormais en dehors de cette zone. En revanche, la police militaire russe et les gardes-frontières syriens veilleront à ce que les unités militaires kurdes dites People's Protection Units (YPG) s'éloignent d'au moins 30 km de la bordure sud du couloir de sécurité. C

Ceci fait, fin octobre prochain, la zone sera contrôlée conjointement par des unités militaires russes et turques. Cependant, l'armée syrienne pour sa part conservera le contrôle des villes de Qamishly, Manbij et Tal Rifat.

Le mémorandum fait aussi des préconisations concernant la facilitation du retour des réfugiés ayant fui cette zone et la détection des terroristes pouvant s'y infiltrer, ainsi que ceux se trouvant dans des prisons kurdes au nord-est de la Syrie qui retrouveront la liberté. Selon certaines sources, ces terroristes mêlés de divers criminels pourraient être plus de 15.000. La plupart sont détenus dans les prisons kurdes de Shaddali, Hasakah et Allya. Ils se sont livrés à de nombreux crimes tels que décapiter les femmes kurdes et éventrer leurs enfants. Les Kurdes voudraient qu'ils soient jugés et punis en conséquence. Or le retrait précipité des YPG ne facilitera pas cette tâche, que les Russes n'auront certainement pas pour le moment les moyens de reprendre à leur compte. Le ministre de la défense russe Sergey Shoigu vient cependant de souligner l'importance de ce problème, ceci d'autant plus que ces terroristes proviennent de Russie et de divers pays européens et ne manqueront pas d'y retourner si leurs gardiens kurdes sont obligés d'abandonner leurs postes. rien n'est fait pour les en empêcher.

Lors de leur rencontre à Sotchi, ni Recep Erdogan ni Vladimir Poutine n'ont examiné ces questions essentielles à la sécurité de la région. Ils n'ont pas non plus abordé la question des 12.000 réfugiés vivant actuellement dans des camps dans les provinces de Al-Hasakah and Deir Ez-Zor. Certains de ces camps sont de très grande taille. Des dizaines de milliers de femmes, enfants et vieillards y vivent dans des conditions très précaires, manquant d'eau, de nourriture et de médicaments. Les maladies infectieuses s'y multiplient, notamment l'hépatite, les troubles intestinaux et la tuberculose. Nul parmi les ONG occidentales si promptes à dénoncer les atteintes aux droits de l'homme de Bashar al Assad n'évoque ces questions.

Un autre point n'a pas été abordé, malgré son importance. Il concerne le fait que les Américains, en dépit de leur retrait progressif de la région, conservent des contingents militaires importants pour protéger les gisements de pétrole appartenant aux compagnies pétrolières américaines ou convoités par elles. La récente rencontre du vice-président américain Mike Pence et de Recep Tayyip Erdogan à Ankara n'avait pas, comme l'on pouvait s'en douter, abordé cette question. La plupart des observateurs neutres constatent que les Américains ne sont pas venus au moyen orient en Iran pour combattre les djihadistes. Ils les auraient au contraire le plus souvent approvisionnés en armes et vivres. Ils sont venus pour y défendre leurs intérêts pétroliers. On imagine mal aujourd'hui qu'ils puissent cesser de le faire.

On notera que la Turquie, bien que membre de l'Otan et à cet égard alliée des Etats-Unis, confirme son statut d'allié de fait de la Russie. Washington laisse faire, compte tenu sans doute de l'importance géopolitique de ce pays;

Note au 26/10

On nous écrit: En France, un certain nombre de mouvements musulmans dits salafistes, c'est-à-dire encorageant le terrorisme, sont soutenus par le gouvernement turc. Beaucoup de mosquées sont directement fiancées par le Qatar, l'Arabie Saoudite, l'Algérie ou le Maroc. Nous sommes la proie d'un certain nombre de puissances étrangères qui veulent s'emparer de la France.

mercredi, 24 avril 2019

Modi-Poutine: alliance stratégique ?

Modi_putin_.jpg

Modi-Poutine: alliance stratégique ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

L'on avait déjà noté que l'Inde et la Russie s'étaient mises d'accord sur une certaine convergence stratégique, associant d'ailleurs la Chine, au sein du BRICS. Il en résulte que l'Inde ne partage pas vraiment les objectifs américains au Moyen-Orient.
Ceci n'a d'ailleurs pas empêché l'Inde, sous la présidence de Narendra Modi, d'accepter les pressions américaines au plan international et dans le même temps de faire un large appel aux importations d'armes venant du complexe militaro-industriel des Etats-Unis.

Il reste que l'on a été surpris de voir l'Inde accepter un décret de Vladimir Poutine conférant à Modi la plus haute distinction honorifique russe. Il s'agit de la promotion dans l'Ordre de St André l'Apôtre dit en anglais Order of St Andrew the Apostle the First-Called. Cette distinction avait été abolie sous le régime soviétique et rétablie en 1998. Modi est le premier chef d'Etat occidental à recevoir cette distinction. Les observateurs considèrent que cette distinction, loin d'affaiblir l'audience politique de Modi en Inde, contribuera grandement à augmenter ses chances dans les futures « élections présidentielles.

Le décret russe indique que Modi a été décoré pour les services exceptionnels qu'il a apporté au partenariat stratégique entre l'Inde et la Russie, ainsi que pour le développement des relations amicales entre les deux peuples. Modi en retour a remercié Poutine avec une effusion remarquée. « Je suis très honoré de recevoir cette distinction prestigieuse. « J'en remercie le président Poutine et le peuple russe. Les racines de l'amitié entre la Russie et l'Inde sont anciennes et profondes. L'avenir de notre partenariat est brillant. Celui-ci avait déjà apporté à nos citoyens respectifs de nombreuses retombées positives.

Les observateurs extérieurs, notamment à Washington, ont été surpris de voir les témoignages de reconnaissance de Narendra Modià l'égard du président russe. Ils ont été plus encore surpris de voir Vladimir Poutine interférer, certes indirectement, mais d'une façon pouvant être lourde de conséquences, dans le processus électoral intéressant un chef d'Etat extérieur. Il avait toujours tenu a éviter de telles interventions officielles.

Rappelons cependant que Modi avait pris certains risques en acceptant l'acquisition de missiles russes de défense S-400 pour un montant de 6 milliards de dollars. Il négocie actuellement par ailleurs la mise en place d'une devise autre que le dollar pour les transactions avec la Russie.

Image Narendra Modi et Vladimir Poutine en 2018
 

lundi, 18 mars 2019

Les sources philosophiques de Vladimir Poutine

putinchapka.jpg

Les sources philosophiques de Vladimir Poutine

 
Par Xavier Moreau
commentaires ouverts sur ► http://stratpol.com/philosophie-poutine
 

lundi, 11 février 2019

Moscou-Rome, germe d'un “désordre nouveau”

psdim.jpg

Moscou-Rome, germe d'un “désordre nouveau”

Textes PhG

Le président russe Poutine a accepté de se rendre en Italie, durant le premier semestre de l’année, – « avec un vif plaisir », a-t-il dit. On trouve les précisiins nécessaires dans le texte ci-dessous, de Spoutnik-français bien entendu et sur recommandation des officines de bienpensance de l’équipe du suivi orwellien de la communication de la phalange qui nous dirige, ici en France. L’intérêt tout factuel de ce texte est qu’il rend compte de l’intensité considérable des relations officielles, et échanges de visites de responsables politiques, – surtout dans le sens Italie vers la Russie, – ces derniers mois. Mais la visite de Poutine a une réelle importance à cause du contexte de la situation au sein de l’UE, des divisions sur deux fronts souvent curieusement contradictoires entre États-Membres, 1) essentiellement entre deux “modèles” qui s’affrontent (en gros, “modèle globaliste“ contre “modèle populiste”), et 2) accessoirement sur la question des relations avec la Russie.

L’Italie tient un rôle considérable dans cette situation de tensions de désordre et d’affrontement, notamment et surtout dans le fait de sa querelle avec la France. La France, dans le seul ensemble de la direction et des macronistes qui affrontent les GJ, est d’une part l’archétype grossier du “modèle globaliste” ; d’autre part, et pour encore accentuer l’antagonisme, elle est singulièrement dans une période antirussiste à cause des croyances grotesques du président-FakeNews qui effectue un gros travail de causerie-Café du Commerce, et de la nomenklatura d’auto-désinformation qui l’entoure. L’affrontement avec l’Italie est donc particulièrement fécond, et même brutal, les deux Vice-Premiers italiens Salvini-DiMaio maniant la communication sans prendre de gants, mais aussi non sans efficacité (leur brutaité fait partie de leur tactique de communication).

Voici le texte de Spoutnik-français, du 9 février : « Vladimir Poutine a accepté l'invitation à se rendre en Italie et les dates concrètes de cette visite seront fixées d'un commun accord plus tard, a déclaré dans une interview à Sputnik l'ambassadeur de Russie à Rome, Sergueï Razov. “En ce qui concerne la visite du Président russe en Italie, l'invitation a été reçue et acceptée avec plaisir. Les dates précises seront déterminées par canaux diplomatiques et annoncées dans les règles établies”, a-t-il souligné.

» Le Premier ministre italien, Giuseppe Conte, avait précédemment exprimé l'espoir de pouvoir bientôt recevoir le Président russe dans la capitale italienne. L'ambassadeur d'Italie à Moscou, Pasquale Terracciano, a précisé pour sa part que Vladimir Poutine était attendu à Rome durant la première moitié de cette année. “Je ne voudrais rien anticiper, mais il est évident qu'une telle visite sera un élément clé de nos relations bilatérales”, a fait remarquer Sergueï Razov.

» L'ambassadeur russe en Italie a indiqué que Moscou et Rome maintenaient  un dialogue politique  actif. Ainsi, Giuseppe Conte s'était rendu en visite officielle en Russie en octobre dernier et avait été reçu par Vladimir Poutine et le Premier ministre, Dmitri Medvedev. Plusieurs ministres russes, dont le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, ont également visité l'Italie dernièrement. En novembre, Dmitri Medvedev a assisté à la Conférence sur la Libye à Palerme, la Russie participant de manière constructive à la solution de ce problème international “prioritaire pour nos collègues italiens”, a poursuivi Sergueï Razov.

» ll a rappelé dans ce contexte la récente visite à Moscou de la présidente du Sénat italien, Maria Elisabetta Alberti Casellati, qui a eu des négociations intenses avec son homologue russe, Valentina Matvienko, et le président de la Douma, la chambre basse du parlement russe, Viatcheslav Volodine. “La présidente du Sénat italien s'est vu accorder la possibilité – ce qui n'arrive pas souvent – de prendre la parole à une réunion de la chambre haute du parlement russe.” Une visite du président de la Chambre des députés italienne, Roberto Fico, est prévue pour mars prochain à l'invitation de la direction de la Douma, notamment pour prendre part à une réunion de la ‘Grande commission interparlementaire’, a encore noté Sergueï Razov. “De tels contacts et visites au sommet ne sont pas seulement importants en soi-même, mais aussi parce qu'ils donnent une impulsion appropriée au renforcement des relations sur différents axes et secteurs de la coopération”, a-t-il ajouté pour conclure. »

Cette visite de Poutine en Italie semble s’inscrire dans une longue suite de rencontres, à commencer par la visite du Premier ministre Conte à Moscou à l’automne 2018 comme premier acte de l’Italie du nouveau gouvernement vers la Russie. Mais ce n’est là que l’apparence chronologique. En vérité, la visite de Poutine a une importance considérable, qui tranche sur toutes les rencontres précédentes (même si celles-ci ont évidemment préparé le terrain), essentiellement pour deux raisons :

1) parce que c’est Poutine et qu’il vient en Italie, au cœur de l’Europe, au moment où l’Europe traverse une phase délicate pour sa sécurité avec la sortie des USA du traité FNI dans une atmosphère absolument échevelée d’antirussisme ; et

 2) parce que cette visite s’effectue à un moment crucial de tension et d’affrontement au sein de l’UE et du bloc-BAO entre deux modèles, – le “modèle globaliste” (la France du gang Macron & Cie) et le “modèle populiste” (l’Italie populiste qui n’arrête pas de cogner sur Macron via les GJ, symboliquement si l'on veut).

L’aspect le plus intéressant de cette situation se situe par rapport à deux facteurs contradictoires qui ne devraient faire qu’un en bonne logique politique, –  mais qu’est-ce donc qu’une “bonne logique politique” aujourd’hui ? Ces deux facteurs sont : 1) la politique étrangère absolument antirussiste de Washington D.C. lorsqu’elle est “D.C.-la-folle”, particulièrement dans le contexte de la situation européenne et de l’OTAN ; et 2) les sentiments et la position de Trump par rapport à la politique populiste, notamment dans ses interférences par rapport aux vagues migratoires, point d’autant plus important à mesure que l’on se rapproche des élections présidentielles de 2020.

• L’attaque contre la Russie est le cœur brûlant de la politique d’agression du Système telle qu’elle est activée depuis “D.C.-la-folle”, avec ses neocons, son Russiagate, l’establishment des deux ailes (démocrate et républicaine) du “parti unique” qui est la courroie de transmission des forces de sécurité nationale (CMI dont le Pentagone, services de renseignement, presseSystème, etc.). On sait que c’est un domaine où la position de Trump est confuse, difficile à définir, insaisissable, faite de non-dits et de voltefaces, etc. Certains jugeraient que les Italiens prennent un très grand risque d’isolement, d’autant qu’ils trouveront assez peu de soutien, si pas du tout, à l’OTAN où l’alignement est de rigueur, y compris et chez les plus grands et courageux pays comme la France, dont le président entretient une haine coriace contre l’Italie comparée à une “léproserie nationaliste”.

• D’autre part et au contraire, les Italiens populistes, qui ont surtout bâti leur succès sur une politique rigoureuse face à l’immigration, rencontrent complètement dans ce domaine le sentiment de Trump et son “Mur” mitoyen et mexicain. L’éminent éditorialiste et vénérable tête pensante des paléoconservateurs populistes Patrick Buchanan vient de consacrer un texte à la position politique de Trump, où il dit que ce président (que Buchanan soutient) a trouvé la seule voie pour se faire réélire, qui est une politique anti-migratoire qui a énormément d’échos dans son électorat. L’Italie populiste est le pays européen favori d’un Bannon, qui reste proche de Trump sur ces questions des flux migratoires, et la position anti-UE de Salvini-Di Maio ne peut que plaire à Trump. Dans ce cas, l’Italie n’est pas du tout isolée, y compris dans le champ transatlantique...

• Un cas typique de cette incertitude est celui de la Pologne par rapport à l’Italie. La Pologne ne peut que s’opposer de toutes ses forces et de toute sa haine antirussiste au rapprochement de l’Italie et de la Russie, et dans ce cas le jugement de l’isolement italien est renforcé. Mais retournons le verre à moitié plein et observons le verre à moitié vide : on sait aussi que la Pologne, à cause de sa politique migratoire et son souverainisme, est attaquée au sein de l’UE, qu’elle y est isolée, et qu’elle n’a pas de meilleure alliée que l’Italie, que l’Italie est sa meilleure garante contre un isolement au sein de l’UE...

Encore n’avons-nous évoqué que les cas les plus flagrants des pays les plus importants, dans cette sorte de “désordre nouveau”. Toutes les relations intra-européennes et transatlantiques sont faites de ces contradictions qu’on dissimule depuis des années. La démarche italienne vers la Russie les expose en pleine lumière... Cela laisse à voir, si l’on veut, que “le roi est nu”, ou, dans tous les cas, habillé de bric et de broc jusqu’à faire se demander de quel royaume ce roi est-il le souverain. La Russie et l’Italie détiennent la recette d’un désordre de type nouveau. S’ils sont habiles, les deux pays en useront pour semer la discorde chez l’ennemi, – c'était la stratégie favorite de De Gaulle.

samedi, 24 novembre 2018

Un tournant dans la politique étrangère allemande

heiko-maas-in-russland.jpg

Un tournant dans la politique étrangère allemande

par Irnerio Seminatore

L'alliance pour le multilatéralisme et l'autonomie stratégique de l'Europe dans la redéfinition des relations euro-atlantiques.

La nouvelle responsabilité franco-allemande face à une géopolitique planétaire.

Heiko Maas et l'UE, "pilier de l'ordre international".

La tribune du quotidien allemand Handelsblaat du 22 août, portant la signature du Ministre des Affaires Étrangères Heiko Maas a marqué un tournant historique dans la diplomatie de la République Fédérale Allemande depuis sa constitution en 1949.

Heiko Maas a plaidé pour une révision de la politique étrangère de son pays et pour une "autonomie stratégique" de l'Europe, en faisant de l'Union Européenne "un pilier de l'ordre international".

Cette convergence, de l'Allemagne et de l'Union Européenne, permettra-t-elles d'instaurer "un partenariat équilibré" avec les États-Unis d'Amérique?

Pour l'heure c'est un tournant marquant de la diplomatie du Mittelage.

Après avoir surmonté les "limites de la politique rhénane"de H.Khol et de  la "voie allemande" de Schröder, la politique étrangère allemande a-t-elle tourné le dos à la "puissance discrète" de A.Merkel, en réagissant aux provocations  souverainistes de D.Trump et à la fragmentation décisionnelle de l'U.E, face aux nouveaux défis de l'ordre mondial?

Suffira-t-il à l'Allemagne et, avec elle, à l'Europe, de remplacer le concept global d'hégémonie par l'idéologie juridique du multilatéralisme et de la sécurité collective aux promesses aléatoires, en oubliant la décomposition géopolitique de la suprématie américaine, qui a pris la forme, sous Obama, d'une série de "deals régionaux" conçus pour la pérenniser?

La  déclaration de Heiko Maas, évoquant sa prise de distance avec les États-Unis évoque implicitement trois moments significatifs de l'histoire allemande et souligne ainsi la lente maturation de sa politique étrangère depuis la fin de la bipolarité:

- le "Rapport K.Lamers-W.Schauble" de 1994 sur les nouvelles responsabilités de l'Allemagne, suite à la réunification du 3 octobre 1990 et à la lecture d'une Europe reconfigurée, à partir des "intérêts nationaux allemands", jusqu'ici tabou.

- la déclaration informelle de M.me Merkel à Munich, en mai 2017, sur l'émancipation de l'Europe vis à vis des États-Unis et sur l'impératif des européens "de prendre en main leur destin". Ajoutons, dans le même sens, la déclaration du Président de la République française à l’Élysée du 27 août 2018, à l'occasion de la réunion annuelle des Ambassadeurs de France, sur "l'indispensable"autonomie stratégique de l'Europe" et sur une redéfinition générale de la politique extérieure et de défense de l'Europe".

- le Sommet de l'Otan des 12 et 13 juillet 2018 à Bruxelles, sur le partage du fardeau de la défense euro-atlantique et sur la menace du retrait des États-Unis de l'Alliance. La remise en cause de celle-ci s'est exprimée sous la forme du "veto", adressé par Trump à la Chancelière A.Merkel, à propos de la réalisation du " Nord Stream 2" et d'une politique énergétique moins dépendante de la Russie.

Quant au chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, dans son interview du 22 août au journal "Handelsblaat" redessine les contours d'une "nouvelle stratégie américaine" vis à vis de l'Allemagne et définit  les bases "d'un renouveau de la collaboration" avec l'allié transatlantique, en partenariat avec les autres pays européens.

Ce renouveau aurait pour fondement "le multilatéralisme", déjà rejeté  antérieurement par D.Trump, qui lui préfère le souverainisme et s’appuierait sur deux piliers:

- un "partenariat équilibré" entre les USA et l'UE

- une alliance avec tous les pays attachés au droit, aux règles contraignantes et à une concurrence loyale, au delà de l'U.E et sur la scène internationale. La carence de cette alliance est de ne pas tenir compte ni des rapports des forces, ni de l'esprit de système, autrement dit, des regroupements multipolaires du monde. Elle apparaît, de ce fait, en décalage avec les référents permanents de la politique globale et en syntonie avec les positions d'une négociation permanente et toujours précaire de l'ordre mondial.

Le changement de cap de la politique américaine vis à vis de l'U.E.- confirme le ministre allemand - a commencé  bien avant l'élection de Trump - et devrait survivre à sa présidence".

En effet, constate-t-il, " l'Atlantique est devenu politiquement plus large" de ce qu'il n'était à l'époque de la bipolarité, car la profondeur stratégique de l'Eurasie replace la menace et les dangers vers l'Asie-Pacifique.

poutineMM.jpg

Les implications de la notion "d'autonomie stratégique "européenne

Les implications de ce tournant, qui sont imposées aux européens, comportent un double volet, interne et extérieur:

-à l'extérieur,

-induisant une reconsidération des relations de l'U.E.avec la Russie dans le cadre d'une architecture régionale de sécurité

-faisant de l'Europe "une puissance d'équilibre" entre Washington et Moscou. Ce positionnement inverserait la logique du "triangle stratégique" Washington- Moscou-Bruxelles, par l'adoption des recommandations de Kissinger des années 1970, selon lesquelles l'Europe doit être toujours plus proche de Washington ou de Moscou,que l'Amérique de la Russie ou Moscou de Washington.

à l'intérieur,

-poussant à une révision des fondements de toute construction politique, concernant la légitimité et la souveraineté, bref les conceptions de la démocratie, du pluralisme  et des autres formes de gouvernement.

- faisant évoluer les relations entre institutions européennes  et États-membres vers un modèle politique, organisé sur la base d'une hiérarchie contraignante , sans  avoir résolu les deux aspects majeurs de l'histoire européenne, ceux  de unité politique et du leadership.

Ainsi l'ensemble des défis posés par la notion "d'autonomie stratégique" situe cette perspective dans le long-terme, dont le calendrier échappe à toute maîtrise raisonnable et condamne cette idée à une rhétorique ordinaire.

Macron/Merkel, l'"armée européenne" et la nouvelle responsabilité franco-allemande

Or l'imprégnation de cette notion est revenue à la surface le 6 novembre dernier, à l'avant-veille des commémorations du centenaire de la "Grande Guerre 14-18",
dans l’exhortation aux européens du Président Macron, de créer une "armée européenne", pour protéger l'Europe des visées russes, américaines et chinoises.

Cette expression, reformulée en terme de "défense européenne", a été reprise par Macron dans l'enceinte du Bundestag allemand, le dimanche 11 novembre, lors des cérémonies du Volkstrauertag, consacrées aux victimes de guerre, dans le but "de ne pas laisser glisser le monde vers le chaos" et de "construire les outils de souveraineté", afin que l'Europe ne soit pas "effacer du jeu" par les grandes puissances.

"Nous devons élaborer une vision, nous permettant d'arriver un jour à une véritable armée européenne", a repris Angela Merkel à Strasbourg, devant le Parlement Européen le mardi 13, mais"pas une armée contre l'Otan", situant sa constitution dans un avenir lointain; le temps de corriger le strabisme divergent entre la France et l'Allemage. la première fixant ses priorités au Sud, la deuxième à l'Est.

Il a été observé (J.H.Soutou) que trois conditions doivent être remplies, pour répondre à ce défi:

- l'existence d'une culture stratégique commune et, de ce fait, d'une lecture partagée du système international et de ses menaces
- des moyens de défense adéquats, inclusifs d’États-majors doués de capacités de commandement opérationnels, en complément de l'Otan
- d'un budget européen, dont on ignore l'ordre de grandeur.


Les européens confrontés à l'hostilité de l'administration américaine.


Devenir un pilier de l'ordre international et instaurer une fonction de puissance d'équilibre entre Washington et Moscou, d'après le ministre allemand des affaires étrangères, sont-ils des objectifs compatibles avec l'exercice d'un "vrai dialogue de sécurité avec la Russie", prôné par les vœux du Président Macron?

En effet, dans le contexte de la nouvelle donne de sécurité transatlantique, l'autonomie stratégique de l'Europe pour se protéger des États-Unis, pouvait-elle échapper à la réaction de Trump, la jugeant "très insultante" pour le pays qui a volé au secours de la France par deux fois au cours du XXème siècle?

Le nouvel état d'insécurité du monde laisse les européens divisés et tétanisés, car le système immunitaire sur lequel a été bâtie la suprématie allemande,est aujourd'hui anéanti.
Le stress de l'urgence efface, en République Fédérale, le tabou du leadership et la faiblesse de l'économie ne compense pas, en France, l'hardiesse rhétorique des propos de Macron.

MM-bleu.jpg

Mais comment l'Europe peut-elle bâtir son unité, si la compétition pour le primat fertilise les esprits et la Pologne, porteuse de nouvelles perspectives stratégiques, se propose comme l'allié le plus sûr des États-Unis et si elle fédère autour d'elle des projets et des pays (l'initiative des trois mers,Baltique, Adriatique et Mer Noire), en matière d'énergie et de conceptions politiques et culturelles, qui allègent la dépendance de l'Europe vis à vis de Moscou et accroissent l’indépendance politique de la Pologne vis à vis de l'U.E?

Comment par ailleurs le divorce de la Grande Bretagne de l'Union Européenne et son choix, inacceptable pour les brexiters durs, entre la vassalisation à l'Union et le chaos d'une reddition sans conditions, pourrait -il ne pas se répercuter à l’intérieur du continent, plongeant l'Europe dans la solitude et dans la division?


La rétrospective historique et ses enseignements

Déjà le choix entre l'Europe européenne et l'Europe atlantique s'était posé dans les années cinquante/soixante, associé aux deux conceptions de la construction européenne, l'Europe des Patries et l'Europe intégrationniste, la première indépendante mais alliée des États-Unis, la deuxième tributaire d'une allégeance, qui mettra sa sécurité, au travers de l'Otan, dans les mains tutélaires du "Grand Frère" anglo-saxon et cherchera sa lumière dans les yeux de son maître.


Ce même dilemme se propose aujourd'hui, dans un système international devenu multipolaire, où la priorité n'est plus la révision de Yalta et de ses sphères d'influences et, par conséquent, des périls d'une confrontation permanente et générale, imputable à la "question allemande",mais  d'entrer pleinement dans une géopolitique planétaire, où le monde sera post-américain et post-occidental et imposera à l'Europe, sur tous les échiquiers, une montée en puissance d'autres acteurs et une diversification des fonctions d'influence, de dissuasion et de contrainte.

Dans ce nouvel environnement stratégique, l'accroissement des inconnues et des incertitudes, est signalé par la dégradation de la confiance des européens vis à vis de la nouvelle administration américaine et par le déploiement aux marges orientales du continent du projet russe d'ouverture eurasienne, ressenti comme une menace géopolitique.
 
C'était dès lors inévitable, qu'un rééquilibrage de l'axe euro-atlantique s'impose et que l'idée d'une armée européenne, à dominante franco-allemande, soit sortie de l'amnésie et proposée aux opinions et aux gouvernants, si l'Europe ne veut être effacée par les rivalités des grandes puissances.

On rajoutera à ces observations la fin du processus d'unification fonctionnelle de l'UE ( ordo-libéral ou bismarcko-keynésien), et l'urgence, pour l'Europe, de se positionner vis à vis de la Chine montante et d'autres grands pays asiatiques (Iran, Inde,Pakistan, Japon ), par le retour sur la scène mondiale des unités politiques rodées par l'expérience séculaire de la diplomatie et de l'histoire, les Nations.
 
Ça sera désormais par les alliances et par la coopération organisée entre les États européens, que seront abordées  les relations de sécurité et d'équilibre du système pluripolaire, en bannissant les prétentions universalistes de l'Occident et en embrassant en commun, comme "une vérité transcendante", les besoins mystiques et immanents de la foi.

Dans ce cadre, la pérennité des nations, qui vivent dans le temps, prévaudra sur la précarité des régimes et des formules de gouvernement, qui sont les produits de rapports aléatoires dans la vie turbulente des peuples et des conjonctures civilisationnelles.

Par ailleurs l'extension planétaire des "sociétés civiles" et la compétition entre "système de valeurs", supportant la compétition stratégique entre les États, englués dans le brouillard d'une guerre globale contre le terrorisme islamiste et dans  le maelström d'une immigration invasive et conquérante, imposeront  au monde une  configuration éthico-politique aux pôles raciaux et religieux multiples et, de ce fait, à une démultiplication des menaces, démographiques et culturelles.

C'est dans ce contexte, assombri et déstructuré par le rejet de la démocratie et de la "raison", que l'idée émancipatrice d'une volonté armée tire sa justification et sa légitimité, celles d'une nécessité défensive et existentielle, dictée par le "Struggle for Life" et éclairé par la foudre tardive d'une prise de conscience humiliante sur la solitude géopolitique et stratégique de l'Europe, que seul un rappel du réalisme politique, de l’égoïsme des intérêts et de la logique de la force peuvent soustraire au glissement désespéré et irrésistible vers la pente de la guerre, du déclin et de la mort.

Bruxelles, le 21 novembre 2018

If you have received this e-mail in error please delete it from your mailbox or any other storage mechanism.
 
Information
Email : info@ieri.be
Site internet : http://www.ieri.be

dimanche, 29 avril 2018

La Révolution "Poutinique" : on en discute avec Guillaume Faye et Yann-Ber Tillenon

poutineélu18.jpg

La Révolution "Poutinique" : on en discute avec Guillaume Faye et Yann-Ber Tillenon

Poutine un Diable plébiscité ? Que révèlent les préventions européennes à l'égard de l'homme d'état russe si confortablement élu par son peuple...