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mardi, 07 février 2023

Vivre n'est pas nécessaire, naviguer est une nécessité !

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Vivre n'est pas nécessaire, naviguer est une nécessité !

Ernesto Milà

Source: https://info-krisis.blogspot.com/2018/09/365-quejios-151-vivir-no-es-necesario.html

Je me plains toujours que nous ne voyageons pas assez et que nombreux sont ceux qui tentent de reconstruire le mode de vie de leur propre pays au cours de leurs rares voyages. J'ai vécu en Bolivie avec des Italiens. Nous étions un groupe sympathique de Français, d'Italiens et d'un Espagnol, moi. Les Italiens insistaient chaque jour pour manger des pâtes, des pâtes, rien que des pâtes et toujours des pâtes. Un jour, alors que je leur reprochais que ce régime était trop monotone, ils ont introduit une variante : l'antipasto, c'est-à-dire ce qui précède les pâtes... une simple salade insipide et sans grand éclat. Or à La Paz, il y avait une excellente viande (bien que mal coupée) et des plats absolument délicieux (à commencer par le "pique macho" ou les "salteñas"). La même chose m'était arrivée avec les mêmes entreprises dans différentes parties du monde. Au Venezuela, par exemple, la seule chose que mes compagnons de voyage acceptaient était de manger une grande variété de fruits tropicaux pour le dessert. Je ne me plains pas de cela, que je considère comme un souvenir du temps où la camaraderie était vécue avec une intensité que je n'avais jamais connue auparavant (comme si le risque augmentait la fraternité entre égaux), mais du fait que maintenant, lorsque je ne voyage que pour le plaisir de faire connaissance, je rencontre les mêmes attitudes.

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Pompée, nous dit Plutarque, a donné un slogan à ses marins lorsqu'ils hésitaient à mettre le cap sur Rome à cause de la tempête : "Navigare necesse est, vivere non est necesse", une phrase qui peut avoir quelques variantes mais qui se traduit toujours par "Naviguer est une nécessité, vivre n'est pas nécessaire". Vivre peut être synonyme de végéter. La voile est synonyme de connaissance du monde. Le monde - même si nous le réduisons au monde digne d'être connu - est grand, riche et diversifié. Il ne s'agit pas de "multiculturalisme", auquel un "noble voyageur" peut aspirer, car, en fin de compte, il ne s'agit pas d'adopter une forme de "relativisme" (indiquant qu'il n'y a pas de culture supérieure à une autre) et d'égalitarisme (indiquant que toutes les cultures sont égales), mais une manière de confirmer ses propres racines.

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Lorsque je voyage, je me souviens que je suis un fils de la péninsule ibérique, d'un État qui s'appelle aujourd'hui le Royaume d'Espagne, hier il s'appelait la Couronne d'Aragon et avant cela Hispaniae Gotorum et même avant cela Hispaniae et bien avant cela Iberia, le pays du grand fleuve, l'Ebero (l'Ebre). Lorsque je voyage, je me rappelle que j'appartiens à la culture gréco-latine, que je suis le fils et l'héritier d'une longue tradition culturelle présente dans toute l'Europe et que dans chaque pays, dans chaque région, elle revêt des caractères différents. Du centre de Lisbonne à la tour Belém, il y a un monument érigé à l'époque de l'Estado Novo en l'honneur des bandeirantes (équivalent de nos conquérants). Face à l'Atlantique, c'est l'un des monuments les plus puissants que je connaisse, et il synthétise les valeurs de notre race (ou va-t-il désormais s'avérer que la race ne peut être mentionnée ?). C'est une incitation au voyage, une invitation à abandonner notre vie sédentaire, à prendre notre équipement et à partir sur n'importe quel itinéraire. Il rappelle qu'un beau jour, après la Reconquête, les peuples ibériques ont pris la mer. Le Portugal est allé plus loin que quiconque et a été clair, dès le premier instant, sur sa vocation maritime.  

La phrase de Plutarque, attribuée à Gnaeus Pompée, serait probablement restée le patrimoine des latinistes si Gabriele D'Anunzio - "il poeta" - ne l'avait récupérée en 1919 pour une entreprise héroïque : la conquête de Fiume, et si Mussolini n'avait intitulé ainsi son célèbre article dans Il Popolo d'Italia du 1er juin 1920. Dans les deux cas, elle a été prise pour indiquer le mépris des petits besoins quotidiens et l'exaltation des grands idéaux et des modes de vie héroïques. Caetano Veloso et Pessoa, puisque nous sommes au Portugal, l'ont également fait leur.

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Interviewé par la télévision portugaise, M. Pérez Reverte a déclaré hier qu'il ressentait la nostalgie des années 30, lorsque les gens croyaient en ce qu'ils défendaient. Il a cité des communistes, des fascistes et des nationaux-socialistes, à tort ou à raison, qui croyaient qu'il était possible d'instaurer un monde nouveau dans lequel les gens ne mourraient ni de faim ni d'ennui, mais consumaient leur vie pour un idéal. Moi aussi, je suis nostalgique de cette époque. La nostalgie est cette blessure que Jünger a évoquée en se rappelant qu'il avait vécu, ajoutant que seule la mort pouvait guérir la cicatrice. Je me soigne moi-même, en voyageant.

J'ai évoqué plus haut les "nobles voyageurs", personnages mystérieux de l'antiquité classique, on ne savait pas d'où ils venaient ni où ils allaient, mais ils se distinguaient toujours par le "style" et la valeur de leurs enseignements. Dans l'Antiquité, ils étaient synonymes d'"initiés" (un concept que l'on pourrait traduire par "ceux qui ont appris à voir le monde tel qu'il est"). Dans mon ancien blog infokrisis, vous trouverez un article sur les "nobles voyageurs". Il a été écrit en 1982, alors que je vivais encore dans la clandestinité et que j'étais rentré en Espagne pour retourner en Ibéro-Amérique : LES NOBLES VOYAGEURS D'AUTRE TEMPS. Peut-être pouvez-vous comprendre pourquoi nous avons presque tous un besoin irrépressible de voyager et pourquoi ceux d'entre nous qui ressentent ce besoin ressentent la voix de la course.

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Don Quichotte était l'un de ces "nobles voyageurs" :

"Je suis un chevalier. En tant que tel, je vivrai et mourrai si cela plaît au Très Haut. Je marche sur le chemin étroit de la chevalerie, méprisant les richesses, mais pas l'honneur. J'ai vengé des torts, redressé des torts et puni l'insolence. Je n'ai d'autre intention que celle d'être juste, et je ne cherche qu'à faire du bien au monde entier. Un homme qui pense, un homme qui agit de cette manière, mérite-t-il d'être appelé un fou ? Je demande Vos Miséricordes".

Pour lui, la voile était bien plus importante que la vie. Je me plains que dans le pays de Don Quichotte, ce style a été abandonné: soit on est un touriste, soit on vit du tourisme.

dimanche, 27 mars 2022

Le Président-Roi et le "sidonisme" de Fernando Pessoa

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Le Président-Roi et le "sidonisme" de Fernando Pessoa

En lui, le poète portugais a identifié une figure de leader charismatique et idéalisée

par Brunello Natale De Cusatis

Source: https://www.barbadillo.it/103719-il-presidente-re-e-il-sidonismo-di-fernando-pessoa/

Dans son sens actuel, le terme "sidonisme" fait référence à une période spécifique et circonscrite de l'histoire et de la politique portugaises sous la présidence du major Bernardino Cardoso da Silva Sidónio Pais (1872-1918) (photo).

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Cet homme à l'éducation républicaine fait son apparition sur la scène politique en septembre 1911, lorsque le Premier ministre de l'époque, João Chagas, lui confie le Trésor. Après les premières divisions au sein des républicains en 1912, il rejoint le parti unioniste de Brito Camacho. De 1913 à 1916, il est ambassadeur à Berlin. Le 5 décembre 1917, il retourne au Portugal et prend la tête d'une insurrection de soldats qui s'opposent à l'entrée en guerre du Portugal aux côtés des Alliés. Le soulèvement, auquel de larges pans de la population, opprimée par de lourdes restrictions économiques et alimentaires après la guerre, ont déclaré leur solidarité, a été victorieux. Le 8 décembre, un régime autoritaire et présidentiel est instauré, avec l'élection directe, au suffrage universel, du chef de l'État, Sidónio lui-même, qui occupe également le poste de Premier ministre. Cette expérience s'est terminée le 14 décembre 1918, le jour de son assassinat.

Tels sont, en résumé, les événements historiques liés au "Président-Roi" et à sa "Nouvelle République" (pour la distinguer de la précédente, l'"Ancienne République"), deux expressions inventées par Fernando Pessoa qui, peu après l'instauration du régime dictatorial sidonien, écrira :

     "nous souhaitons saluer le Dr Sidónio Pais, président de la République, par la volonté du Destin, par le droit de la Force, des droits supérieurs au suffrage emprunté qui l'a élu" [PESSOA, 2018 : 189].

Je crois qu'aucun critique aujourd'hui ne peut remettre en question l'hétérodoxie de la pensée de Pessoa. Une position impolitique de base (dans la lignée de celle de Manni, où la figure du Dichter, le poète médiateur entre la réalité et la dimension fantastique et mythico-symbolique de l'existence, s'oppose à la figure du Literat, le simple intellectuel organique) qui ne l'aurait pas empêché de s'intéresser à plein temps et publiquement à certains moments des événements sociopolitiques d'un pays, le Portugal de l'époque, qu'il considérait "nationalisé" et sans identité propre. Il n'est pas rare, selon ce que j'ai déjà eu l'occasion de souligner ailleurs, qu'il l'ait fait à partir d'une position qu'il n'est pas déplacé ni contradictoire de définir comme "réaliste" (1).

Pessoa était incontestablement anti-démocratique et anti-parti. Son soutien "passif" à la République parlementaire, dicté par sa répulsion pour la monarchie constitutionnelle portugaise (1820-1910), ne durera que quelques mois. En fait, il s'est vite rendu compte que le régime républicain parlementaire, établi au Portugal le 5 octobre 1910, n'était rien d'autre que la continuation, "à un niveau inférieur", du constitutionnalisme, une "monarchie sans roi" qui avait encore intensifié la décadence et la nationalisation du pays (2).

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Son système idéal de gouvernement, le seul et unique vrai "régime naturel", était la "monarchie pure" (3). Encore plus approprié, écrira-t-il, "pour une nation organiquement impériale comme le Portugal" (4). Toutefois, lorsqu'il arrivera à la conclusion réaliste de l'impraticabilité de la monarchie absolue dans les conditions modernes, il optera pour la République présidentielle. Autrement appelée, dans le célèbre Ultimatum de 1917 signé par son hétéronyme Álvaro de Campos, "Monarchie scientifique" : rien d'autre qu'une République monarchique, c'est-à-dire une monarchie non dynastique, "absolument spontanée" et gouvernée par un "Roi-Media" (5). Ce personnage sera peu après identifié par l'orthonyme Pessoa à Sidónio Pais :

    "Roi né, sa royauté, / ne pouvant l'hériter de ses ancêtres / avec une plénitude mystique / de Dieu il l'a héritée" (PESSOA, 2010 : 43).

Ceci dit, il est toutefois nécessaire de contextualiser le "sidonisme" de Fernando Pessoa au sein de son "sébastianisme" plus général. En effet, le sens qu'il donnait à ce terme allait au-delà de la simple contingence du moment historique, se rapportant à un discours beaucoup plus large et complexe, c'est-à-dire au caractère prophétique qui imprégnait tout son être.

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En 1557, à la mort de Jean III d'Avis, son petit-fils Sébastien, âgé de trois ans seulement et fils de l'infant Jean, monte sur le trône. En cet "enfant-souverain" (à qui le peuple avait donné le surnom de "Le Désiré" et qui n'assumera le gouvernement qu'à l'âge de quatorze ans, en 1568), le Portugal, déjà loin de la gloire et de la splendeur des mythiques exploits d'outre-mer, avait placé l'espoir de sa propre renaissance complète, tant morale que politico-économique.

Issu d'un milieu chrétien-mystique et partisan convaincu, pour son pays, du rôle de défenseur de la chrétienté et de celui d'une grande puissance impériale, Sébastien décide, malgré le désaccord de certains conseillers, d'intervenir massivement en Afrique du Nord. Ici, au Maroc, une situation de danger territorial et commercial alarmante pour l'Europe était apparue en raison de l'influence croissante des Turcs. Une armée potugaise d'environ 20.000 hommes est rassemblée et affronte le 4 août 1578 à Al-ksar el Kebir l'armée marocaine du sultan Mumaly 'Abd al-Malik, dont le contingent dépasse les 50.000 hommes. Pour les Portugais, la bataille inégale se transformera en un "holocauste" héroïque, avec quelque 7000 morts, dont le souverain lui-même. L'impossibilité de retrouver le corps de Sébastien a fait entrer celui-ci dans la légende, marquée par l'attente messianique de son retour et bientôt transformée en mythe national.

Les conséquences de cette défaite et de la disparition relative du "Désiré" seront fatales pour le pays. Deux ans plus tard, en 1580, à la mort du cardinal Henri, l'oncle de Sébastien, qui avait pris le pouvoir en l'absence d'un héritier direct de Sébastien, le Portugal est annexé à l'Espagne. Philippe II de Castille, neveu d'Emmanuel Ier d'Avis, avait en effet réussi à l'emporter sur les autres candidats aspirant à la succession, sanctionnant entre autres son couronnement par la victoire de ses troupes sur les Portugais, commandés par Antoine Ier, à la bataille d'Alcantara le 25 août 1580. La soi-disant "double monarchie" ou "ère philippine" a duré soixante ans, jusqu'au 1er décembre 1640, lorsqu'un soulèvement - d'abord du palais, puis du peuple - a mis fin à l'occupation espagnole et que Jean, duc de Bragance, a été acclamé roi sous le nom de Jean IV.

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Jusqu'à ce point, les faits historiques, auxquels, cependant, selon les Sébastianistes, qui représentaient alors la majorité dans le pays, avaient apporté des événements superhistoriques : Jean IV, le principal artisan de l'expulsion de l'envahisseur, n'aurait été rien d'autre que la réincarnation du "Désiré".

Il est clair, cependant, que le mythe de Sébastien ne s'est pas arrêté avec Jean IV. L'une des caractéristiques du mythe est précisément celle de sa perpétuation. Cela explique, par exemple, comment après la mort de ce souverain, survenue en 1656, le père António Vieira a prophétisé, en interprétant à la fois certains textes bibliques et le Trovas de Bandarra (6), la résurrection de Jean IV lui-même, vu comme le futur empereur du Cinquième Empire judéo-chrétien (7). Ce même royaume, définitif et éternel, qui, selon les mots du prophète Daniel - lorsqu'il interpréta le rêve de Nabuchodonosor, roi de Babylone - "ne sera jamais détruit et ne sera pas transmis à un autre peuple : il écrasera et anéantira tous les autres royaumes, tandis qu'il durera éternellement" [Daniel, c. 2 : 44].

Tout cela signifie que le "Sébastianisme" a également son propre contenu idéologico-politique, puisque le type d'idée impériale qui le distingue et auquel il aspire contraste fortement avec un autre type d'idée impériale présent dans la péninsule ibérique : D'un côté, précisément dans le modèle sébastianiste, nous avons la revendication d'un Portugal portugais, c'est-à-dire nationaliste ; de l'autre, selon un autre modèle, un Portugal étranger, celui, pour être clair, de l'époque philippine (1580-1640) et, plus tard, dans un autre contexte, celui des Lumières, des positivistes et des rationalistes [cf. QUADROS, 1982-1983 : 199].

Lors d'une enquête, menée en 1926 par un journal de Lisbonne, Pessoa a eu l'occasion de déclarer :

    "Il n'y a qu'un seul type de propagande par lequel le moral d'une nation peut être relevé : la construction ou le renouvellement et la diffusion multiforme conséquente d'un grand mythe national. Instinctivement, l'humanité déteste la vérité, car elle sait d'instinct qu'il n'y a pas de vérité, ou que la vérité est inaccessible. Le monde est dirigé par des mensonges ; celui qui veut le réveiller ou le diriger devra lui mentir de manière exaltée, et le fera avec d'autant plus de succès qu'il se ment à lui-même et se convainc de la vérité du mensonge qu'il a créé. Nous avons, heureusement, le mythe de Sebastian, qui a des racines profondes dans le passé et l'âme portugaise. Notre travail est donc plus facile ; nous n'avons pas à créer un mythe, seulement à le renouveler. Commençons à nous imprégner de ce rêve, à l'intégrer en nous, à l'incarner. Une fois cela fait, chacun de nous en toute indépendance et seul avec lui-même, le rêve se propagera sans effort dans tout ce que nous disons ou écrivons, et l'atmosphère sera créée où tous les autres, comme nous, le respireront. Alors, un phénomène imprévisible se formera dans l'âme de la nation, d'où surgiront les Nouvelles Découvertes, la Création du Nouveau Monde, le Cinquième Empire. Le roi Don Sebastiano sera revenu" (8).

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Mais qu'est-ce que Pessoa entendait, au fond, par "Sébastianisme" ? Eh bien, dans l'une de ses nombreuses notes sur le sujet, il aurait écrit :

    " Dans un sens symbolique, Don Sebastiano est le Portugal : le Portugal qui a perdu sa grandeur avec Don Sébastien et qui ne la retrouvera qu'avec son retour, un retour symbolique - comme, par un mystère merveilleux et divin, sa vie elle-même avait été symbolique - mais dans lequel il n'est pas absurde d'espérer " [PESSOA, 2018 : 323].

Il est important de souligner comment Pessoa, dans cette note, revient sur ce qu'il appelle de manière paradigmatique " le symbolisme de l'Histoire ", puisque " le symbole est né avant les ingénieurs " (9). Tout ce qui existe, dit-il, tourne autour de la "forme" et de l'"âme". D'où la croyance en la possibilité réelle du retour de Don Sebastiano, qui se ferait par un phénomène de "métempsycose" :

    "Principes essentiels :

/ 1. Là où il y a forme, il y a âme. La forme est ce qui fait d'une chose ce qu'elle est. Ainsi, un arbre a une forme. Une bataille, une certaine bataille, et pas une autre, a aussi une forme. Plus la chose est grande, plus sa forme lui est propre. On ne peut pas rendre sa forme à une bataille. Une fois que cela s'est produit, cela ne se répète pas. Les événements ont des âmes. Les événements sont des hommes.

/ 2. la métempsycose. L'âme est immortelle et, si elle disparaît, elle revient pour apparaître lorsqu'elle est évoquée à travers sa "forme". Ainsi, à la mort de Don Sebastiano, si nous parvenons à évoquer en nous quelque chose qui ressemble à la forme de l'âme de Don Sebastiano, "ipso facto" nous l'aurons évoqué et son âme entrera dans la forme que nous avons évoquée. Par conséquent, lorsque vous aurez créé quelque chose dont la forme est identique à celle de la pensée de don Sébastien, il sera revenu, non seulement au sens figuré, mais réellement, dans sa présence concrète, même si ce n'est pas physiquement dans sa personne. Un événement est un homme ou un esprit sous une forme impersonnelle.

/ 3. la prophétie est la vision des événements sous leur forme corporelle. C'est le contraire de ce que nous avons dit plus haut. Une bataille qui va avoir lieu apparaît avec une forme, humaine ou autre, avant qu'elle ne se déroule. Parce qu'il peut avoir une forme humaine, parce qu'il l'a vraiment.

/ 4. La prophétie peut parfois (ou toujours) s'appliquer à diverses choses. Cela n'invalide pas la prophétie. C'est que divers événements sont un seul événement, c'est-à-dire une seule entité sous diverses formes. Ainsi, si une prophétie représente éventuellement Don Sebastiano, Don Jean IV, Don Pierre IV (ou V), la République et bien d'autres choses, cela ne signifie pas que la prophétie est fausse. Cela signifie qu'il est la prophétie d'une seule chose sous diverses formes, et qu'il exprime l'essentiel qui traverse toutes les formes.

/ 5. Avec don Sebastian, la grandeur de la Patrie est morte. Si la Patrie sera à nouveau grande, elle reviendra, "ipso facto", Don Sebastiano, non seulement symboliquement parlant, mais réellement" [IDEM : 321-322] (10).

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Ces notes - prises par Pessoa pour un livre, jamais terminé, intitulé Sébastianisme - datent probablement d'avant la mort de Sidónio Pais. Cela expliquerait l'absence du "Presidente-Roi" de la liste des "formes" représentatives d'"une seule entité", c'est-à-dire de celles que plus tard, y compris Sidónio lui-même, l'écrivain portugais définira (et il ne pouvait en être autrement, puisque le mythe, dans le sens que lui donne Pessoa, est essentiellement un "phénix" qui, à chacune de ses morts, renaît de ses propres cendres) "les fausses formes du Réel voilé" [IDEM : 337-338 (337)] (11).

Entre-temps, il est indiscutable, et l'ode écrite à sa mémoire le prouve, qu'en Sidónio - aussi longtemps qu'il a vécu et durant son éphémère apparition à la barre du destin du Portugal - Fernando Pessoa a identifié une figure de leader charismatique, telle qu'il la concevait et l'idéalisait, qui "Fleurit émergeant du marécage de la nation, / aube de la Rédemption" dans laquelle "s'incarna une fois le roi / don Sebastian" [PESSOA, 2010 : 49].

Notes:

(1) Sur l'inséparabilité de la "double âme" de Pessoa, celle "poétique" et celle "théorico-politique", voir mon article Contemplation et réalisation - Pessoa sociologue et théoricien politique [voir DE CUSATIS, 19941], ainsi que mes introductions aux deux volumes de Fernando Pessoa : Ecrits sur la sociologie et la théorie politique [voir DE CUSATIS, 19942 : 9-40] et Politique et prophétie. Notes et fragments 1910-1935 [cf. DE CUSATIS, 2018 : 35-50].

(2) Voir, sur ce thème : PESSOA, 2018. En particulier, les écrits et notes correspondants contenus dans les sections I (pp. 53-94) et IV (pp. 185-230).

(3) Voir son article-essai L'opinione pubblica, dans PESSOA, 1994 : 121-144 (133).

(4) Note biographique [écrite par Fernando Pessoa le 30 mars 1935], dans IDEM : 47-51 (50).

(5) Cf. Ultimatum, dans IDEM : 85-103 (102).

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(6) Gonçalo Anes, le "Nostradamus portugais", dit Bandarra (1500?-1545), cordonnier de profession, fut, pour ses prophéties, tout comme le Père António Vieira, accusé de judaïsme et donc jugé et condamné en 1541 par le Tribunal de l'Inquisition portugaise. Ses célèbres Trovas (1ère édition posthume : Paraphrase et concordancia de alguas propheçias de Bandarra, çapateiro de Trancoso, por Dom Ioam de Castro, Lisboa 1603) ont, au fil des âges, été interprétés de manière répétée et différente, y compris par Pessoa lui-même [cf. PESSOA, 2018 : 301-319].

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(7) Célèbre père jésuite et missionnaire portugais (1608-1697), qui a longtemps vécu au Brésil, où il a œuvré en faveur des Indiens réduits en esclavage. Conseiller spirituel et politique de Jean IV de Bragance, il fut l'un des plus éminents champions de la "Restauration", ainsi qu'une figure de proue du panorama littéraire, non seulement baroque, de l'expression portugaise. Sa vaste œuvre comprend les célèbres Sermões (1679-1684) et la non moins célèbre História do Futuro, publiée à titre posthume en 1718. En 1665-1667, il a été jugé et condamné par l'Inquisition pour un manuscrit (Esperança de Portugal, Quinto Impero do Mundo. Primeira e segunda vida de El-Rei D. João IV, escritas por Gonçalo Eanes Bandarra e comentadas por Vieira, em carta ao bispo do Japão : D. André Fernandes) jugée hérétique car elle prophétisait la résurrection de Jean IV, mort en 1656 [voir VIEIRA, 1951-54].

(8) [Enquête] Déclaration de l'écrivain Fernando Pessoa, dans PESSOA, 1994 : 161-168 (167-168). Fondamentalement, comme le souligne Ángel Crespo, ces déclarations sont une prise de position publique pour les sceptiques et les anti-sexobastianistes (alors nombreux parmi les intellectuels positivistes portugais dont le plus grand représentant était António Sérgio), " dans laquelle Pessoa dissimule sa propre foi ésotérique accréditée et indubitable afin de convaincre les menteurs, en prétendant être l'un d'entre eux " [CRESPO, 2014 : 532].

(9) [Interview] Que pensez-vous de notre crise ? [...], dans PESSOA, 1994 : 142-152 (149).

(10) Il s'agit fondamentalement d'un "sébastianisme rationnel" (expression propre à Pessoa) qui se réfère à la fois à un savoir de type gnostique, d'inspiration judéo-chrétienne et ésotérique à la fois, et, à y regarder de plus près, à un "rationalisme thomiste", selon lequel le monde de la connaissance est également fondé sur des représentations abstraites ("intellect possible" par opposition à "intellect agissant").

(11) Néanmoins, Sidónio sera toujours considéré par Pessoa comme un cas à part de toutes les autres "fausses formes de la Vraie Voilée" : "Des trois fausses Voilées [dans ce cas, les deux autres sont Jean IV de Bragance et le Marquis de Pombal] c'est sans doute Sidónio qui était celui qui portait l'auréole mystique relativement la plus grande. Pombal, non seulement en raison de la nature de son travail, mais aussi en raison de son caractère et du rationalisme auréolé de son époque, n'était enveloppé d'aucune atmosphère mystique. Don Juan IV l'était, à la fois parce qu'il apparaissait directement au centre du sentiment sébastianiste, et parce que sa venue coïncidait avec la Restauration, avec le véritable Premier Avènement de Don Sebastian [...]. / Sidónio, cependant, qui a sans aucun doute porté haut le mysticisme subconscient de la nation, n'est pas apparu au centre du sentiment sébastianiste, ni à une époque quelque peu mystique, et son arrivée n'a pas coïncidé avec quelque chose d'apparemment plus remarquable que l'aversion nationale pour les gouvernements républicains, contre lesquels il a réagi. Par conséquent, la vague mystique que Sidónio soulève est plus considérable que celle de Don Juan IV" [PESSOA, 2018 : 337-338 (338)].

* * *

[Cet article, révisé et mis à jour ici, est apparu pour la première fois dans mon essai introductif au volume : Fernando Pessoa, À la mémoire du Président-Roi Sidónio Pais, cité : 9-31 (21-31).

Toutes les traductions du portugais, tant des textes de Pessoa que des références critiques, sont de ma responsabilité].
 

Bibliografia di riferimento

– CRESPO, Ángel, 2014. La vita plurale di Fernando Pessoa. Nuova edizione tradotta, curata e annota da Brunello N. De Cusatis. Edizioni Bietti, Milano.

– DE CUSATIS, Brunello, 19941. Contemplazione ed attuazione – Pessoa sociologo e teorico della politica. In «Futuro Presente», n. 5 (autunno 1994): 9-21.

– DE CUSATIS, Brunello, 19942. Introduzione, in Fernando Pessoa, Scritti di sociologia e teoria politica, cit.: 9-40.

– DE CUSATIS, Brunello N., 2018. Introduzione alla prima edizione, in Fernando Pessoa, Politica e profezia. Appunti e frammenti 1910-1935, cit.: 35-46.

– PESSOA, Fernando, 1994. Scritti di sociologia e teoria politica. A cura di Brunello De Cusatis. Settimo Sigillo, Roma.

– PESSOA, Fernando, 2010. Alla memoria del Presidente-Re Sidónio Pais. Saggio introduttivo e traduzione di Brunello De Cusatis. Nuova Edizione riveduta. Edizioni dell’Urogallo, Perugia.

– PESSOA, Fernando, 2018. Politica e profezia. Appunti e frammenti 1910-1935. A cura di Brunello N. De Cusatis. Nuova edizione riveduta. Edizioni Bietti, Milano.

– QUADROS, António, 1982-1983. Poesia e filosofia do mito sebastianista. 2 voll. Guimarães & C.ª, Lisboa: I.

– VIEIRA, Padre António Vieira, 1951-54. Obras escolhidas, 12 voll. Por António Sérgio e Hernâni Cidade. Sá da Costa, Lisboa: VI, 1-66.

[Cet article, révisé et mis à jour ici, est apparu pour la première fois dans mon essai introductif au volume : Fernando Pessoa, À la mémoire du Président-Roi Sidónio Pais, cité : 9-31 (21-31).

Toutes les traductions du portugais, tant des textes de Pessoa que des références critiques, sont de ma responsabilité].

mardi, 10 novembre 2020

Fernando Pessoa. Un cartulaire héraldique

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Luc-Olivier d’Algange:

Fernando Pessoa. Un cartulaire héraldique

A André Coyné

         L'idée d'Empire domine l'œuvre diverse de Fernando Pessoa. Le désir d'embrasser la multiplicité, de ressaisir les innombrables aspects de l'âme, d'être, enfin soi-même, le masque de toute vie et de toute chose, de s'en approprier l'essence par les communions et les ruses du personnage,- tout cela témoigne d'un dessein littéraire qui commence avant la page écrite et s'achève après elle, en des oeuvres vives, ardentes et impressenties, que l'on peut dire philosophales. De l'Alchimie et, d'une manière plus générale, de la tradition hermétique et néoplatonicienne occultée par le triomphe des théories matérialistes, les poètes demeurent, en Europe, les ultimes ambassadeurs. L'œuvre de Pessoa ne fait pas exception à cette règle méconnue qui associe la grandeur poétique, l'audace visionnaire et la fidélité à la plus lointaine tradition.

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Alors que la science profane travaille par déductions sur le mécanisme et les quantités du monde sensible, la science hermétique œuvre, par l'analogie, au sacrement des qualités et des essences. L'une s'interroge sur le comment, l'autre donne réponse au pourquoi. La différence est capitale, et ce n'est pas le hasard si tant de poètes modernes, enclins à la spéculation, retrouvèrent, dans la tradition hermétique, les grandes lignes de leur dessein poétique.

         « Avec l'aide et l'assistance de Dieu, écrivit Pic de la Mirandole, l'Alchimie met en lumière toutes les énergies cachées de par le vaste monde. Comme le vigneron greffe le cep sur l'orme et sur l'espalier, le mage, l'Alchimiste sait unir et pour ainsi dire marier terre et ciel, énergies inférieures et énergies supérieures ». Cette coïncidence des contraires, qui dépasse également l'opposition philosophique du réalisme et du nominalisme, il est facile de comprendre en quoi elle séduisit Fernando Pessoa. La hiérogamie cosmique, le dépassement du dualisme en des noces miroitantes, impériales, apparente ici la nostalgie de la conquête et le pressentiment des retrouvailles, la poésie et l'Empire. Par le Grand-Oeuvre solaire, le regret de l'Age d'Or devient l'annonce du Retour, l'adepte se substituant au temps, et disposant du pouvoir de transfigurer la nature :« L'eau céleste et indestructible, écrit Bernard Gorceix, le feu intangible de l'empyrée, se trouvent finalement unis, par le ciel cristallin, par la sphère des astres, par la flore, la faune, par les pierres et les mines, à l'eau corporelle, lentement distillée et volatilisée, pour l'édification de ces cieux nouveaux et de cette terre nouvelle dont rêve l'Alchimiste. » Il ne s'agit donc pas seulement de repérer dans les poèmes de Pessoa des images alchimiques mais bien de montrer que le principe de l'œuvre, en ses ramifications hétéronymiques, s'identifie à la genèse et à l'accomplissement d'un secret d'or impérial, « identique à l'or de la nature, non seulement comme effet mais aussi comme cause ».

         « De même, écrit Pessoa, que l'intelligence dialectique, que l'on nomme raison, régente et ordonne tous les éléments de la connaissance scientifique, de même, l'intelligence analogique, qui n'a aucun nom particulier, régente et ordonne tous les éléments de la connaissance ésotérique. La perfection de l'œuvre matérielle est un tout parfaitement constitué, dans lequel chaque partie a sa place et concourt selon son mode et son grade à la formation de ce tout; la perfection de l'œuvre spirituelle est l'exacte correspondance entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'âme et le corps. » Le Grand-Œuvre consiste alors à trouver, dans le temps, par la science analogique des astres et de la lumière, l'angle prophétique s'ouvrant sur l'au-delà du temps, qui est le cœur du temps, tel l'instant, île de cristal se tenant immobile dans la déroute universelle, sous la voûte ordonnatrice du graal-miroir.

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Ainsi, par fidélité au dieu dorique de la lumière, l'alchimiste défie le règne de Kronos, afin de vaincre la durée profane et l'histoire elle-même, par le sens semblable à une lance de feu qui l'interrompt et la transcende pour la très-grande gloire de l'Esprit dont il est dit dans L'Apocalypse d'Hermès (traité anonyme du dix-septième siècle) : « Il vole vers le ciel par le monde intermédiaire. Nuage qui monte vers l'aurore, il introduit dans l'eau son feu qui brûle, dans le ciel il a sa terre clarifiée. »

         Sans doute sommes nous fondés à voir dans l'intelligence analogique qui, précise Pessoa, « n'a aucun nom particulier » une exigence de la poésie en tant que moyen de connaissance et imagination créatrice, pour reprendre l'expression rendue célèbre par les magistrales études de Henry Corbin sur Ibn'Arabi, Sohravardî ou Ruzbehân de Shîraz. L'imagination créatrice, on le sait, est cet espace médiateur entre le sensible et l'intelligible, entre la multiple splendeur du monde sensible et l'unificente clarté des Idées, où s'inscrivent les signes, les Symboles, les silhouettes ou les icônes de la sagesse divine. Car l'Idée est avant tout une chose vue dans le matin profond et les promesses de l'intelligence « qui n'a encore aucun nom particulier »; elle advient comme un scintillement sur la surface des eaux, comme une vision que l'on reconnaît, l'expérience visionnaire n'étant rien d'autre que le moment de la plus haute intensité, dans l'épopée de la réminiscence.

A l'exemple des poète-philosophes néoplatoniciens, tels que Jamblique ou l'Empereur Julien, Fernando Pessoa ne juge pas exclusives l'une de l'autre la réflexion philosophique et l'expérience visionnaire. Tout au contraire, il entreprend d'éclairer l'une par l'autre afin de retrouver, en amont, l'expérience originelle de la pensée, l'ingénuité primitive de l'accord parfait, d'une sagesse qui, dans sa plénitude, renonce à s'affirmer pour telle :  « Lorsque viendra le Printemps, écrit Alberto Caiero, si je suis déjà mort, les fleurs fleuriront de la même façon, et les arbres ne seront pas moins verts qu'au Printemps passé. »

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De l'arbre généalogique des hétéronymes de Fernando Pessoa, Alberto Caiero serait en quelque sorte le tronc. De lui se réclament l'érudit et subtil Ricardo Reis et le sauvage et futuriste Alvaro de Campos. D'Alberto Caeiro à Alvaro de Campos, la distance est la même que celle qui sépare Héraclite et Proclus, le pré-socratique et le néoplatonicien,- le « découvreur de la nature » et le chantre de la violence « ultimiste », gnostique païen aspirant sans doute à la même « innocence des sens », pour reprendre l'expression de Nietzsche, mais devant, pour l'atteindre, passer par toutes les outrances de la révolte, de l'imprécation et de l'apostasie. En ce sens Alvaro de Campos est plus proche de nous. Son inquiétude et son tumulte sont davantage à notre ressemblance que la sérénité de Caiero, infiniment désirée mais perdue comme sont perdus pour nous, « affreusement perdus », l'Age d'Or dont parlait Hésiode et la silencieuse enfance, et l'Empire, cet idéal androgyne.

         L'Idée d'Empire, en ouvrant une troisième voie entre l'isolement égotiste et le nivellement collectif, ressuscite aussi une certaine forme d'espoir « méta-politique ». Diversité ordonnée, hiérarchie au sens étymologique du terme, fondant le principe de l'Autorité sur le sacré et non plus sur le pouvoir temporel, l'Empire dont rêve Pessoa est à la ressemblance  du beau cosmos miroitant, de cette « terre clarifiée ». Obscurcie par ses parodies successives, l'Idée d'Empire est devenue aujourd'hui presque incompréhensible. « Tout Empire qui n'est pas fondé sur un impérialisme spirituel est un cadavre régnant, une mort sur un trône » écrit Fernando Pessoa. Il importe ici de retrouver le sens du discernement et ne plus confondre totalité et totalitarisme, unité et uniformité, autorité et pouvoir, gloire et réussite, métaphysique et idéologie, intransigeance et fanatisme, principes et valeurs.

         Alors que les valeurs et les idéologies concernent, selon la formule de Raymond Abellio « l'espèce humaine en tant qu'espèce, dans son ensemble ou ses sous-ensembles », les principes concernent l'être humain dans sa solitude et dans sa communion. Les valeurs relèvent d'une appartenance grégaire et utilitaire. Les principes obéissent à l'unique souveraineté de l'Esprit et témoignent d'une vocation héroïque, ascétique, ludique ou contemplative : « En créant notre propre civilisation spirituelle, écrit Pessoa, nous subjuguerons tous les peuples; car il n'y a pas de résistance possible contre les forces de l'Esprit et des arts, surtout lorsqu'ils sont organisés, fortifiés par des âmes de généraux de l'Esprit. »

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Comment définir exactement cet impérialisme ? Pessoa propose la formule: « Un impérialisme de poètes ». En effet, écrit-il, « l'impérialisme des poètes dure et domine; celui des politiciens passe et s'oublie s'il n'est rappelé par le chant des poètes. » L'avenir du Portugal, et, par voie de conséquence, de l'Europe, sortie enfin de la pénombre de son activisme somnambulique, est déjà écrit pour qui sait lire dans les strophes de Bandarra. Cet avenir, explique Pessoa, c'est d'être tout: « Ne tolérons pas qu'un seul dieu reste à l'extérieur de nous-mêmes. Absorbons tous les dieux ! Nous avons déjà conquis la Mer; il ne nous reste qu'à conquérir le Ciel en laissant la Terre aux autres... Etre tout, de toutes les manières, parce que la vérité ne peut exister dans la carence. Créons ainsi le Paganisme Supérieur, le Polythéïsme Suprême ! »

La rimbaldienne « alchimie du Verbe » la quête de « l'étincelle d'or de la lumière nature » s'anime ainsi d'une impérieuse exigence d'étendre le domaine du Sens. Vasco de Gamma des mers et des cieux intérieur, Pessoa ne cherche point à se perdre dans les abysses de l'indéterminé ou de l'absurde, mais de conquérir. En son dessein cosmogonique et impérial, il suit l'orientation du Soleil-Logos. De même que Sohravardî voulut réactualiser la sagesse zoroastrienne de l'ancienne Perse tout en demeurant fidèle à la plus subtile herméneutique abrahamique, Pessoa nous promet le retour de Dom Sébastien, un matin de brouillard, précédant le triomphe du Cinquième Empire : « Par matin, précise Pessoa, il faut entendre le commencement de quelque chose de nouveau,- époque, phase ou quelque chose de similaire. Par brouillard, il faut entendre que le Désiré reviendra caché et que personne ne s'apercevra de son arrivée et de sa présence. »

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Le retour au « paganisme » que suggérait Alvaro de Campos pour en finir avec le matérialisme « qui exprime une sensibilité étroite, une conception esthétique réduite, puisqu'il ne vit pas la vie des choses sur le plan supérieur » n'est en rien un refus de la transcendance  mais un appel aux vastes polyphonies de l'Ame du monde, écharpe d'Iris et messagère des dieux : « Inventons, écrit Pessoa, un Impérialisme Androgyne réunissant qualités masculines et féminines; un impérialisme nourri de toutes les subtilités féminines et de toutes les forces de structuration masculines. Réalisons Apollon spirituellement. Non pas une fusion du christianisme et du paganisme, mais une évasion du christianisme, une simple et stricte transcendantalisation du paganisme, une reconstruction transcendantale de l'esprit païen

         « Une reconstruction transcendantale de l'esprit païen ». La formule qui n'est paradoxale qu'en apparence mérite d'être méditée. Elle nous reporte directement à cette période faste du néoplatonisme païen qui, de Plotin à Damascius, œuvre comme l'écrit Antoine Faivre « à poser une procession intégrale, une transcendance intransigeante, alliée à une immanence mystique ». Et cela tout en opérant la convergence des Arts sacrés et des religions du Mystère héritières de l'Egypte pharaonique. Il ne s'agit donc nullement ici d'une régression vers une religiosité naturaliste, ou panthéïste, mais, tout au contraire, de l'édification, selon les hiérarchies platoniciennes d'une véritable métaphysique établissant  clairement la distinction entre la nature et la Surnature. Mais là encore distinction ne signifie point séparation. La dualitude est nuptiale; et si le soleil que l'on célèbre n'est point le soleil physique mais, à travers lui le soleil métaphysique du Sens, du Logos, alors l'ascendance matutinale de l'astre est l'image de l'exhaussement de la conscience humaine hors de sa gangue naturelle, son élévation glorieuse, impériale. Le projet de reconstruction de Fernando Pessoa s'éclaire ainsi des subtiles couleurs du monde antérieur.

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Messages, cartulaire héraldique du drapeau portugais, égrène, pour reprendre l'expression de Armand Guibert « un rosaire où s'enchaînent les grains du Merveilleux: le roi Jean Premier, fondateur de la dynastie des Aviz y est adoubé Maître du Temple; Dona Filipa de Lancastre, son épouse, saluée Princesse du Saint-Graal; apostrophant le Saint-Connétable Nun'Alvarès, le poète évoque Excalibur, épée à l'onction sainte, que le roi Arthur te donna. » L'anamnésis, le ressouvenir de la Parole Délaissée est la seule promesse.

Luc-Olivier d’Algange                                                               

mardi, 29 octobre 2019

Frémissements populistes au Portugal

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Frémissements populistes au Portugal

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le 6 octobre 2019 se tenaient des élections législatives au Portugal. Au cours des jours précédant ce scrutin, la grosse presse cosmopolite ne cessa pas de vanter la clique politicienne locale.

Bien qu’arrivée en tête aux élections de 2015, la droite modérée qui se désigne « sociale-démocrate », bel aveu de modération avancée, est incapable de s’entendre au point de laisser le pouvoir aux forces de gauche. Le Parti socialiste d’Antonio Costa négocie âprement avec son ennemi historique, le Parti communiste, et avec le Bloc de gauche, une sorte de condensé lusophone de Mélenchon et de Besancenot. Costa constitue un gouvernement socialiste homogène qui bénéficie du soutien parlementaire des communistes et des gauchistes. Cette alliance inédite n’empêche pas le Portugal d’appliquer une politique économique décidée par la troïka FMI – BCE – Commission de Bruxelles. La violence économique de l’austérité néo-libérale s’édulcore seulement de mesures progressistes d’ordre sociétal.

La médiacratie hexagonale s’extasie surtout de l’absence de tout signe de populisme. Le discours national-identitaire n’est guère audible dans l’opinion portugaise malgré une immigration croissante due à la conjonction de deux phénomènes : l’installation de plus en plus fréquente de ressortissants d’anciennes colonies ultra-marines et l’arrivée des retraités francophones et anglophones. Leur présence favorise la hausse rapide des prix de l’immobilier aux dépens des Portugais eux-mêmes.

Les résultats électoraux voient le vote socialiste croître de 4,3 points et remporter vingt sièges supplémentaires. Antonio Costa est sûr de retrouver son poste de Premier ministre. Le Bloc de gauche garde ses dix-neuf sièges tandis que la Coalition démocratique unitaire, un regroupement de diverses formations dont les communistes et les Verts, n’en a plus que douze, soit cinq de moins. L’alliance gouvernementale est reconduite avec une préférence – implicite – accordée au Bloc de gauche.

La politique sociétaliste de Costa suscite cependant une forte défiance populaire. Outre une abstention élevée (46,5 %), le mouvement environnementaliste et proto-animaliste de centre-gauche Personnes – Animaux – Nature s’emparent de trois autres sièges, soit un total de quatre élus. Mouvement de droite nationale, le Parti national rénovateur ne recueille que 15 272 suffrages (0,3 %), une perte de 0,2 point. Cet échec cuisant s’explique par le (modeste) succès de CHEGA !.

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Fondé le 9 avril 2019, CHEGA !, c’est-à-dire « ASSEZ ! », est dirigé par un professeur de droit de 36 ans, André Ventura. Il entre au Parlement avec 66 442 voix (1,30 %). Cet ancien adhérent du Parti social-démocrate entend importer au Portugal les méthodes du voisin espagnol Vox et, lusophonie oblige, l’activisme du président brésilien Jair Bolsonaro. CHEGA ! ne verse pas dans l’euroscepticisme et pencherait plutôt vers l’Alliance des conservateurs et réformateurs européens dorénavant dominée par le PiS polonais. Hostile à l’islam et au mariage gay, ce jeune parti politique promeut une ligne nationale-libérale conservatrice. Il s’affiche libéral en économie, nationaliste sur le plan culturel et conservateur dans le domaine sociétal. À l’instar de Vox, il se déclare irréprochable sur certains sujets supposés controversés et prend par conséquent bien soin de ne pas être confondu avec le RN français, la Lega italienne et l’AfD allemande.

Par cette élection surprise, l’illusion d’une Lusitanie préservée de tout affreux populisme, se dissipe enfin. Faut-il y voir une conséquence indirecte de la polémique de l’été ? En août dernier, le maire socialiste de Santa Comba Dao, Leonel Gouveia, proposa l’édification d’un musée, ou plutôt d’un centre d’étude et d’interprétation du régime de l’enfant de la commune, Antonio Salazar, le président du Conseil de l’« État nouveau » (1933 – 1974). Le 11 septembre suivant, à l’initiative du groupe communiste, le Parlement vota grâce à l’abstention d’une « droite » toujours aussi pleutre, une condamnation de ce projet qui offenserait la mémoire des « victimes » du salazarisme.

André Ventura est bien seul. Et alors ? Pendant près de vingt-huit ans, Jair Bolsonaro fut un député fédéral isolé et méprisé. En dépit d’un changement fréquent d’étiquette partisane, cet isolement politique le préserva des compromissions politicardes. Le président de CHEGA ! a-t-il commencé une longue marche qui en fera un jour le Bolsonaro du Portugal et de la Vieille Europe ?

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 144, mise en ligne sur TV Libertés, le 21 octobre 2019.

samedi, 03 février 2018

Fernando Pessoa

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Fernando Pessoa

Fernando Pessoa was the greatest Portuguese poet of the modern era and arguably one of the most interesting and protean literary figures of the twentieth century. His vast body of work, some of which remains unpublished, includes hundreds of poems as well as essays on philosophy, religion, literature, and politics. His verse combines avant-garde modernism with pagan mysticism and a vision of national rebirth.

Following the death of his father, his family moved to Durban, South Africa, where the young Pessoa spent most of his childhood. Coincidentally Durban was also the hometown of the South African poet Roy Campbell, who hailed Pessoa as a modern Camões.[1] [2] In Durban Pessoa learned to write fluently in English and received a thorough education in English literature. His first major success came at 15, when he won an award for an English-language essay. He returned to Lisbon two years later and enrolled in the University of Lisbon but dropped out two years later and became an autodidact. During this time he spent his days at the National Library of Portugal and read widely. He spent the rest of his life in Lisbon, making a living as a translator of commercial correspondence.

FP-por1.pngOne of his earliest influences was Thomas Carlyle, whose concept of the “hero as poet” as described in Heroes, Hero-Worship, and the Heroic in History made a particular impression on him; from a young age, Pessoa saw his vocation as a poet as an heroic, almost messianic calling.

Although Pessoa was active in Portuguese literary circles, he was mostly unknown outside of Portugal during his lifetime. He achieved posthumous literary fame when it was discovered upon his death that he had left behind a trunk full of several thousand pages of unpublished work. The ordeal of editing and cataloguing his works is still in progress.

Pessoa is best known for his use of numerous literary alter egos, which he termed heteronyms. Behind each heteronym was a meticulously crafted persona possessing a complex biography and a distinct temperament, worldview, and writing style. He used more than 70 heteronyms over the course of his life, beginning with adolescent experiments in creating elaborate fictional newspapers complete with news, poems, jokes, and essays authored under various heteronyms. The three main heteronyms he consistently used were Alberto Caeiro, a man of humble origins and lover of nature; Ricardo Reis, a classics scholar and Stoic; and Álvaro de Campos, a naval engineer, world traveler, and Futurist dandy. His heteronyms frequently engaged in dialogues with each other and criticized each other’s works. Pessoa’s work is rife with seeming contradictions, like the man himself: by turns nostalgic and futuristic, cerebral and impassioned, decadent and ascetic, etc.

Among his heteronyms was one “semi-heteronym,” the quasi-autobiographical Bernardo Soares. Pessoa wrote The Book of Disquiet, his greatest prose work, under Soares’s name. (He ascribed the first part to Vicente Guedes and the second to Soares.) The Book of Disquiet is at once a novel, poem, philosophical essay, character study, and “autobiography without events.”[2] [3] Guedes/Soares is an introspective loner with a melancholy temperament, not unlike Pessoa. An bookkeeping assistant by day, he feels imprisoned by the tedium of modern office life and becomes thoroughly disillusioned with the modern world. He finds refuge in cultivating within himself an attitude of aristocratic detachment and complete disinterest in the outside world and escaping into a dreamlike parallel reality. Much of the text reads like fragmentary recollections of dreams and is suffused with rich lyricism and mystical, surreal imagery.

The second phase of the book opens with a statement on religion in the modern world: “I was born at a time when most young people had lost their belief in God for much the same reason that their elders had kept theirs—without knowing why.”[3] [4] Soares then identifies “the worship of Humanity, with its rituals of Liberty and Equality” as a modern substitute for religion and scorns the hollow ideals of liberalism and egalitarianism.[4] [5] Pessoa in his own writings was likewise a fierce critic of the modern cult of “humanity” on the grounds that internationalism had the effect of erasing natural human differences and believed it did little to fill the spiritual vacuum of modernity. In his view this void could only be filled through the creation of art: instead of seeking to express reality, art must itself become reality.

Soares heaps especial scorn upon liberal reformers and their crudely optimistic faith in humanity. Indeed his political apathy and his detachment from the modern world lead him to condemn political revolutionaries of all stripes. Being self-aware, he recognizes that this stance is a symptom of modern decadence but ultimately remains perpetually suspended in a liminal realm between action and inaction (again much like Pessoa himself). This state of unease and ambiguity characterizes The Book of Disquiet both thematically and in a literal sense, as the work was never completed and consists of disjointed fragments, aphorisms, etc. The novel provides a fascinating mirror into the psychology of modern man and the quest to find meaning amid a decaying society.

Pessoa is best known for The Book of Disquiet among the general public, but in his homeland he is primarily known for his 1934 epic poem Message, one of the few works he published during his lifetime and the only one published in Portuguese. He did not write in standard Portuguese but instead in the orthography used before the First World War, which lends the poem an antiquated feel in the original. It consists of 44 short poems grouped into three parts, representing three stages of Portugal’s history. Message became a Portuguese national epic and soon after its publication won second prize in a contest organized by the propaganda branch of António Oliveira de Salazar’s corporatist regime.

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The first part, “Brasão” (“Coat of Arms”), has in turn five sections: The Fields, The Castles, The Escutcheons, The Crown, and The Crest, each representing a component of the coat of arms of the Kingdom of Portugal. The coat of arms remains a Portuguese national symbol and is thought to date back to the reign of Afonso I (known as “the Conqueror” and “the Founder”), the first king of Portugal. The shield of the coat of arms can be found on the modern Portuguese flag. The first poem, “The Fields of the Castles,” refers to the bordure of castles in Portugal’s coat of arms that represent Moorish castles conquered by the Kingdom of Portugal during the Reconquista. Pessoa begins by invoking Portugal’s role in the Age of Discovery, describing the European continent as a woman whose face—Portugal—stares westward. The second, “The Fields of the Escutcheons,” refers to the escutcheons in the center of the shield. Each escutcheon bears five white dots, thought to represent the five wounds of Christ, or alternatively the five wounds suffered by Afonso Henriques in the Battle of Ourique (in which he defeated the Moorish Almoravids). Here he defends the notion that glory is borne from misfortune and struggle.

The 17 remaining poems in the first part consist of poems in honor of Portuguese heroes. He begins with Ulysses. According to legend, Lisbon was founded by Ulysses on his journey home from Troy, and Roman authors referred to the city as “Ulyssippo”/”Olissippo.” Pessoa believed that the roots of Portuguese culture lay in ancient Greece and was fascinated with classical antiquity. (Indeed, Lusitanian mythology incorporated the influences of both Celtic and Greco-Roman mythology.) He deems Ulysses one of the founders of the Portuguese nation, despite that he exists only in legend:

Myth is the nothing that is everything.
The very sun that breaks through the skies
Is a bright and speechless myth—
God’s dead body,
Naked and alive.

This hero who cast anchor here,
Because he never was, slowly came to exist.
Without ever being, he sufficed us.
Having never come here,
He came to be our founder.

Thus the legend, little by little,
Seeps into reality
And constantly enriches it.
Life down below, half
Of nothing, perishes.[5] [6]

Next is a poem in honor of Viriathus, a military leader who led the revolts of the Lusitanians (an Indo-European tribe of Celtic origin concentrated in modern-day Portugal) against the Romans during the 2nd century B.C. The remaining titles include Afonso Henriques, who became the first king of Portugal; his parents, the Count and Countess of Portugal; King John I; Prince Henry the Navigator; King Sebastian I; Nuno Álvares Pereira; and others.

King Sebastian I was of particular significance for Pessoa. Toward the end of his life, Sebastian embarked upon a crusade against the Kingdom of Morocco. Ignoring the advice of his top advisors, he marched inland with his entire army. In the Battle of Alcácer Quibir in 1578 (dramatized in Donizetti’s Dom Sébastien), the Portuguese army was routed and it was thought that Sebastian perished, although his body was never found. The absence of an heir to the throne following Sebastian’s death ignited the Portuguese succession crisis of 1580, and Portugal was thrown into turmoil. Philip II of Spain gained control of the Portuguese throne in 1581, uniting Spain and Portugal under the Iberian Union. This marked the beginning of Portugal’s decline. Since Sebastian’s death was never confirmed, many Portuguese hoped that one day he would return to save the nation. A cult grew around this “king in the mountain” myth and Sebastian became Portugal’s equivalent of King Arthur. It was prophesied that one day Sebastian would return and lead Portugal into a new era of imperial glory.

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The second part, “Mar Português” (“Portuguese Sea”), is a paean to Portuguese maritime exploration during the Age of Discovery. Here Pessoa eulogizes explorers such as Vasco da Gama, Bartholomeu Dias, and Ferdinand Magellan and describes their journeys at sea. The following short poem describes Vasco da Gama’s ascension following his death, invoking the Titans and the gods of Olympus and comparing da Gama to Jason, leader of the Argonauts:

The Gods of the storm and the giants of Earth
Halt the rage of their war and gape.
In the valley leading up to the skies
A silence falls; then there’s a stirring
And a specter rising in veils of mist.
Fears flank it while it lingers; its vestige
Rumbles in distant clouds and flashes.

On the earth below, the shepherd freezes
And his flute falls as in rapture he sees,
By the light of a thousand thunderbolts,
The sky’s vault open to the Argonaut’s soul.[6] [7]

The title of the third part, “O Encoberto” (“The Hidden One”), refers to a revelation attributed to St. Isidore of Seville, who envisioned that a Messiah would arrive known as “O Encoberto.” This prophecy was popularized during the sixteenth century by a cobbler by the name of Gonçalo Anes (“O Bandarra”); King Sebastian was thought to be “O Encoberto.” In the first two sections, Pessoa invokes the voice of Sebastian and prophesies that he will return, in spirit if not in body, and bring about the Fifth Empire. (He identifies the first four “empires” as Greece, Rome, Christendom, and Europe.) Followers of Sebastianism looked to Daniel 2 in the Bible, in which Daniel interprets the four metals of the statue in Nebuchadnezzar’s dream to signify four great kingdoms that will be followed by a fifth, as a prophecy of the Fifth Empire. In the third section, Pessoa describes the current state of Portugal and states that the hour has come for the prophecy to be fulfilled.

Imperialism deserves criticism from an ethnonationalist point of view. It negates the idea of self-sovereignty and represents the tyranny of commerce and financial greed. Portugal specifically also played a leading role in the Atlantic Slave Trade, which ultimately had disastrous consequences. Nonetheless it is necessary to distinguish the heroism and courage of European explorers during the Age of Discovery from the mercantile greed that was the driving force of colonialist expansion. “Who wants to pass beyond Bojador,” Pessoa writes in “Mar Português” (the Portuguese explorer Gil Eanes was the first to discover a route around Cape Bojador, known for its cold winds and violent storms), “must also pass beyond pain.” Carl Schmitt was highly critical of “thalassocratic” colonial empires but nonetheless admired “the intrepid performance of seamen in their sailing ships, the high art of navigation, the solid training and strict selection of a particular human type fit for it,” which he contrasted with “modern, hazard­-free, and technicized maritime traffic.”[7] [8]

Furthermore Pessoa’s vision of the Fifth Empire does not represent a revanchist imperative to conquer the world and reinstate colonialism and imperialism. Rather he envisioned that Portugal would stand at the forefront of a global literary and artistic renaissance and would regain national dignity through cultural renewal. The Sebastianism of Message represented a symbolic national myth that he believed would unite the Portuguese people.

Message has often been compared to Camões’s Os Lusíadas, an epic poem chronicling Vasco da Gama’s discovery of a sea route to India. Both invoke heroic and nationalistic themes. Both are also reminiscent of ancient epics, particularly Os Lusíadas. The opening lines of Os Lusíadas recalls Virgil’s Aeneid and are followed by an episode in which the Olympian gods and goddesses gather to deliberate over Vasco da Gama’s voyage and split into two parties, one favoring the Portuguese and the other in opposition to them. The gods accompany da Gama throughout his journey and Greco-Roman mythology in general figures prominently throughout the poem.

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Pessoa’s greatest inspiration was ancient Greece. He was an avid Hellenist and dreamed of a renaissance of the ancient gods. This point of view is shared among his heteronyms. He articulated his views on religion most thoroughly through Antonio Mora, a disciple of Caeiros, who wrote some treatises on the subject and argued that paganism was the religion most in harmony with nature. His most interesting argument here involves a discussion of how a Christian, pantheist, materialist, and pagan would perceive any given object. Regarding Christians, he remarks: “Whoever values something because it was created by ‘God’ values it not for what it is but for what it recalls. His eyes behold the object, but his thoughts lie elsewhere.”[8] [9] For the materialist, each object is simply “a screen through which he atomistically peers, just as for the pantheist it is a screen or window for perceiving the Whole, and for the creationist a screen through which to see God.”[9] [10] Only the pagan is capable of perceiving reality to the full. Pessoa under his own name laid out a similar view in his writings on what he termed “sensationism.”

Mora also cites the polytheism and plurality inherent in paganism and argues that this lends it greater objectivity: “Reality, when it first appears to us, is multiple. By referring all received sensations to our individual consciousness, we impose a false unity (false to our experience) on the original multiplicity of things.”[10] [11] Pessoa believed that metaphysical subjectivism lay at the root of modern decadence. His use of heteronyms thus represented an extension of his religious views and an attempt to reflect nature in all its plurality.

Mora’s remark on being a pagan in the modern world will resonate with dissidents:

What relationship can an age like this one have with a spiritual heir to the race of constructors, with a soul inspired by paganism’s glorious truths? None, except one of instinctive rejection and automatic scorn. We, the only dissenters from decadence, are thus forced to assume an attitude that, by its nature is likewise decadent. An attitude of indifference is a decadent attitude, and our inability to adapt to the current milieu forces us to just such an attitude. We don’t adapt, because healthy people cannot adapt to a sick milieu, and since we don’t adapt, it is we who are sick. This is the paradox in which those of us who are pagans live.[11] [12]

In 1924 Pessoa founded a short-lived literary journal called Athena in which he published essays, poems, and translations under his three main heteronyms as well as his own name. These included translations from the Greek Anthology, Ricardo Reis’s Horace-inspired classical odes, and selections from Alberto Caeiro’s The Keeper of Sheep. The journal both eulogized pagan antiquity and stood at the vanguard of literary modernism; it represented “a denial of the old querelle des Anciens et des Modernes, and an impressive attempt to find an ancient form of dramatic art in modern times.”[12] [13]

Athena was an attempt to revive the movement surrounding the similarly short-lived journal Orpheu, which dissolved after the publication of two issues in 1915. It was responsible for introducing modernism to Portugal and was named for Orpheus to symbolize its forward-looking orientation. Orpheu represented a wide variety of literary currents ranging from Symbolism to Futurism. The most notable poems in Orpheu were the poems of Pessoa’s Álvaro de Campos. In “Opiario,” written while sailing through the Suez Canal on an eastward voyage, he describes with despair his opium addiction and the tedium of life aboard his ship. Directly following was “Ode Triunfal,” which takes place later in his evolution (although in reality Pessoa wrote it earlier), a Futurist ode to modern technology that extols the “great human tropics of iron and fire and strength.” There was also “Ode Maritima,” in which a man on a deserted quay gazes at a faraway steamer; “a steering wheel begins to turn, slowly” in his imagination, launching a stream-of-consciousness ode to “shipwrecks, far-off voyages, dangerous crossings,” pirate adventures, and so forth.

FP-6.jpgPessoa was also fascinated with the occult and wrote extensively on the subject, largely under his own name. In 1915, he began translating theosophist texts and later claimed to have become a medium with the ability to produce automatic writing. He also claimed to have “sudden flashes of ‘etheric vision'” that enabled him to perceive certain symbols and “auras.”[13] [14] He later came to distance himself from Theosophy, however, objecting to what he saw as its egalitarian premise and the theosophical ideal of a universal brotherhood of humanity, which in his view rendered it scarcely different from Christianity and liberal humanism (which he referred to as Christianity’s secular equivalent).

Pessoa also maintained a correspondence with Aleister Crowley. An avid astrologer, he first made contact with Crowley in 1930 by pointing out an astrological error in his Confessions. Crowley visited Portugal later that year and Pessoa aided him in faking his death. He also translated Crowley’s “Hymn to Pan” into Portuguese.[14] [15]

The glorification of Sebastianism as national myth in Message had an occult component. Pessoa’s vision of the Fifth Empire was a spiritual one and the arc of Message represents a religious quest, both on an individual and national level. The final part of Message alludes to Arthurian legend throughout (the Holy Grail, Excalibur, Sir Galahad). In “O Desejado” (“The Yearned-for One”), the narrator exhorts Sebastian to lift up Excalibur, his “anointed sword.” In “O Encoberto” (the poem that gives the final part its name), Pessoa also links Sebastianism with Rosicrucianism.

Pessoa is frequently compared to W. B. Yeats: in addition to their shared interest in the occult (Yeats was a member of the Hermetic Order of the Golden Dawn) and their use of alternate personae (Yeats’s “masks” and Pessoa’s heteronyms), both were “mystical nationalists” who wrote poetry of a pagan, heroic character through which they sought to bring about a renaissance in their respective nations. Pessoa admired Yeats’s poetry and was influenced by the Irish Literary Revival. The following lists some parallels between the two regarding their shared “underlying mythopoeic goal” and is worth quoting:

Pessoa’s concept of the ‘Portuguese soul’ is analogous to what Yeats calls ‘the permanent character of the race’ in ‘First Principles.’ Not only that, but he also attributes the same characteristics to it as those which Yeats attributed to the Celts in ‘The Celtic Element in Literature,’ namely an adventurous, tragic and mystical nature. The similarities extend to Pessoa’s characterization of the ‘Portuguese soul’ as originating from ancient dreams, which recalls Yeats’s depiction of his ideal of ‘Unity of Culture’ as ‘a nationwide multiform reverie.’ Yeats believed that by drawing on his country’s legends and folklore, a poet could reveal the Anima Mundi, or rather ‘a Great Memory passing on from generation to generation.’ Pessoa also believed that poets should derive their inspiration from ‘o que nas almas há de superindividual’ [that which is supra-individual in souls].[15] [16]

Also like Yeats, Pessoa was a man of the Right who opposed modern liberalism and egalitarianism. He described the ideal state as an “aristocratic republic” governed by an elite based on merit (rather than birth).[16] [17] Although he had reservations about fascism in his later years, he criticized it nonetheless from a right-wing perspective.

As a young man, Pessoa was a staunch opponent of monarchy and the Catholic Church, which he considered to be corrupt, moribund institutions and to which he attributed Portugal’s decline. (Other factors he associated with Portugal’s decline were “foreign influence, the oligarchy of political bosses, and the decline ofWestern civilization itself.”)[17] [18] He initially supported the First Portuguese Republic and was associated with the Portuguese Renaissance, a movement of intellectuals who sought to lend the republic cultural legitimacy, but turned against the new government when it became clear that it had not improved upon the flaws of the recently deposed monarchy. He supported the military coup d’état on May 28, 1926, which he believed would reinvigorate the nation following the failure of the republic. In a pamphlet written in 1928, he argued that military dictatorship was a useful temporary measure through which national consciousness could be strengthened.[18] [19] He also supported Salazar’s Estado Novo for this reason. However, he later began to grow disillusioned with Salazar and criticized the regime’s ban on Freemasonry and what he perceived as Salazar’s lack of interest in cultural affairs.

FP-7.jpgThe theme of decay and the need for national regeneration runs throughout his political writings, particularly his unfinished “History of a Dictatorship,” a survey of modern Portuguese history in which he attempts to outline the causes for Portugal’s decline.[19] [20] Pessoa viewed the state as akin to an organism that, on account of its inherent plurality, possesses a natural tendency toward disintegration. Like the ancients, he held that unity ought to be the principle aim of politics and that achieving national unity would enable the state to resist decline. He writes in “The Portuguese Regicide and the Political Situation in Portugal”:

Let us apply to the organism called the state the general law of life. Which are the elements (composing the cells) of this organism? Obviously the people, that is, the individuals composing the nation. Which is then, in the state, the force that integrates, which is the force that disintegrates? There is an exact analogy—how could there not be, since both are living “bodies”?—with the individual organism. Thus, in the state, obviously, the disintegrating force is that which makes the people many—their number—and the integrating force is that which makes them one, a people—the unification of sentiments, of character brought about by identity of race, of climate, of history, etc.[20] [21]

Pessoa also commented on certain political events outside of Portugal, particularly in his English-language poetry. At 16, he wrote a sonnet on the Second Boer War entitled “Joseph Chamberlain,” a scathing indictment of Chamberlain’s role in causing the war and the brutal treatment of the Boers in South Africa. He also drafted a sonnet in which he excoriated Lord Horatio Herbert Kitchener, the man responsible for the establishment of concentration camps during the war. He commended the Irish volunteers who had sided with the Boers and also lent support to Irish nationalism.[21] [22]

In his short story The Anarchist Banker, Pessoa takes aim at modern capitalism and classical liberalism. It takes the form of a conversation between a cigar-smoking senior banker and a younger interlocutor. The banker is a left-wing anarchist who sets out to argue that his being a banker does not contradict the ideals of liberty and equality that he espouses. Indeed he argues that financial acquisitiveness is the logical culmination of his ideals, and by extension of modern liberalism. In order to obtain true freedom and equality (the two main pillars of modernity), he argues that man must be freed from all existing social structures. But he is averse to any collective attempts to foment revolution due to the fact that social hierarchies will inevitably arise in any group (the banker is realistic about natural disparities in talent and willpower among humans, in spite of his hope that human inequality will eventually be eliminated). Thus he advocates the pursuit of pure self-interest, arguing that “we should all work for the same end, but separately.”[22] [23] Due to the fact that money/commerce is the prevailing “social fiction” in the modern age, the end goal of social liberation is, to his mind, best achieved by simply making as much money as possible; the erosion of this “social fiction” would then pave the way for complete societal upheaval. It is a compelling argument that sheds light on some of the contradictions behind the underlying axioms of modernity.

The best collections of Pessoa’s work in English translation are The Selected Prose of Fernando Pessoa (2001), Fernando Pessoa & Co: Selected Poems (1999), and A Little Larger Than the Entire Universe: Selected Poems (2006).

Notes

[1] [24] George Monteiro, “Fernando Pessoa: an Unfinished Manuscript by Roy Campbell,” Portuguese Studies, vol. 10 (1994): 126. Pessoa and Campbell attended the same high school, although not at the same time. Campbell translated some of Pessoa’s poems and had intended to write a book on him.
[2] [25] Fernando Pessoa, The Book of Disquiet, trans., Margaret Jull Costa (New York: New Directions Books, 2017), 191.
[3] [26] Ibid., 146. Pessoa wrote “opening passage” in the margins of this fragment and Richard Zenith’s translation places it at the beginning of the book.
[4] [27] Ibid., 147.
[5] [28] Zenith’s translation.
[6] [29] Zenith’s translation.
[7] [30] Carl Schmitt, Land and Sea, trans. Simona Draghici (Washington, D.C.: Plutarch Press, 1997), 54.
[8] [31] The Selected Prose of Fernando Pessoa, trans. Richard Zenith (New York: Grove Atlantic, 2001).
[9] [32] Ibid.
[10] [33] Ibid.
[11] [34] Ibid.
[12] [35] Steffen Dix, Portuguese Modernisms: Multiple Perspectives in Literature and the Visual Arts (New York: Routledge, 2011).
[13] [36] The Selected Prose of Fernando Pessoa.
[14] [37] For more information on their correspondence see Marco Pasi and Patricio Ferrari, “Fernando Pessoa and Aleister Crowley: New discoveries and a new analysis of the documents in the Gerald Yorke Collection,” Pessoa Plural, vol. 1 (Spring 2012).
[15] [38] Patricia Silva-McNeill, Yeats and Pessoa: Parallel Poetic Styles (New York: Routledge, 2010), 94.
[16] [39] José Barreto, “‘History of a Dictatorship’: An Unfinished Political Essay by the Young Fernando Pessoa,” trans., Mario Pereira. In Patricio Ferrari & Jerónimo Pizarro, eds., Fernando Pessoa as English Reader and Writer (Dartmouth, MA: Tagus Press, 2015): 132.
[17] [40] Barreto, 139.
[18] [41] The Selected Prose of Fernando Pessoa.
[19] [42] Barreto, 110.
[20] [43] Fernando Pessoa, The Transformation Book, eds., Nuno Ribeiro and Claudia Souza (New York: Contra Mundum Press, 2014), 12-13.
[21] [44] See Carlos Pittella, “Chamberlain, Kitchener, Kropotkine—and the political Pessoa,” Pessoa Plural, vol. 10 (Fall 2016).
[22] [45] The Selected Prose of Fernando Pessoa.

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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mardi, 30 mai 2017

Fundamentos Filosóficos para a Nova Direita

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Fundamentos Filosóficos 

para a Nova Direita

por 

Autor: Robert Steuckers
Título: “Fundamentos Filosóficos para a Nova Direita
Nº páginas: 64
Formato: livro de bolso
ISBN: 978-1546616146
Preço: 5 €

A primeira questão que se deve colocar hoje a qualquer pessoa interessada pelo universo da Nova Direita (ND) na Europa é saber por que razão este movimento causou escândalo, suscitou tantas reacções negativas nos círculos do pensamento convencional? (…)”
 
“(…) Afirma um mundo, um relato (da história dos povos), diferente daquele que domina a cena política ou cultural. Ela vira as costas ao vício da crítica pela crítica, da crítica como instrumento para aperfeiçoar pequenas correcções marginais, de engenharia social, sem interpelação radical e global do que está decididamente estabelecido e sufoca, oprime e oblitera as potencialidades fecundas que não esperam mais que uma coisa: manifestar-se.”
 
Robert Steuckers (1956) é um teórico belga da Nova Direita, que tem em Friedrich Nietzsche, Julius Evola, Ernst Jünger e Jean Thiriart as suas principais influências e referências. Em 1973, com 17 anos, aderiu ao GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), também denominado Nova Direita, um movimento intelectual de cariz europeísta e que tinha por objectivo rearmar ideologicamente a direita. Fundador da revista Orientations, em 1980, passa a colaborar na revista Nouvelle École, em 1981, a convite de Alain de Benoist. Em 1983, afasta-se do GRECE e funda o EROE (Études, recherches et orientations européennes), tendo como órgão de expressão a revista Vouloir.  Robert Steuckers é autor de uma vasta obra literária e tem colaborado no campo da formação ideológica com diversos organismos políticos.
 
Edição limitada e numerada à mão.

vendredi, 24 juin 2016

Al Andalus, future conquête de Daech?

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Bob Woodward:

Ex: http://www.decryptnewsonline.com

Les aéroports portugais sont sous haute surveillance. Après des menaces du groupe djihadiste Etat islamique, le Portugal renforce ses mesures de sécurité.


Le pays a renforcé les mesures de sécurité notamment dans les aéroports après la publication d'un message non authentifié du groupe djihadiste Etat islamique proférant à nouveau des menaces contre Lisbonne.


Le Portugal dans le viseur de Daech? Le pays a renforcé les mesures de sécurité notamment dans les aéroports après la publication d'un message non authentifié du groupe djihadiste Etat islamique proférant à nouveau des menaces contre Lisbonne. C'est ce qu'ont indiqué jeudi soir les services de sécurité portugais.
"Les mesures de sécurité nécessaires ont été prises, y compris dans les aéroports", après les informations faisant état de ce message, a déclaré Helena Fazenda, secrétaire générale du Service de sécurité interne du Portugal, citée par l'agence de presse Lusa.


Ce message, attribué aux djihadistes et diffusé mardi sur les réseaux sociaux, qui mentionne le Portugal comme une cible potentielle, n'a pas été authentifié officiellement mais est pris au sérieux par les autorités portugaises, selon le journal local Expresso. Le niveau d'alerte terroriste au Portugal a été toutefois maintenu à un niveau modéré, 3 sur une échelle de 5.


Et les autorités n'avaient pas renoncé à organiser mardi à Leiria (centre) le match amical entre les sélections de football portugaise et belge, déplacé au Portugal après les attentats qui ont fait 32 morts et 340 blessés à l'aéroport et dans le métro de Bruxelles.


Fin janvier, un djihadiste luxembourgeois d'origine portugaise de 27 ans nommé Steve Duarte avait déjà menacé le Portugal ainsi que l'Espagne, dans une vidéo diffusée par l'Etat islamique, selon les autorités portugaises citées par Expresso. Il compte parmi la dizaine de djihadistes d'origine portugaise dans les rangs de l'EI.


Dans cette vidéo, un homme encagoulé assure que l'EI veut rétablir Al-Andalus, nom des territoires de la péninsule ibérique sous domination musulmane entre les 8e et 15e siècles. Il cite les villes de Tolède et Cordoue.


cid0001291.jpgLe Portugal a renforcé ses mesures de sécurité (notamment dans les aéroports) après la diffusion d’un message non authentifié du groupe Etat Islamique qui profère des menaces contre Lisbonne. « Les mesures de sécurité nécessaires ont été prises, y compris dans les aéroports, après les informations faisant état de ce message » a déclaré Helena Fazenda, secrétaire générale du Service de sécurité interne du Portugal, citée par l’agence de presse Lusa.


Le message, diffusé mardi 29 mars sur les réseaux sociaux n’a pas officiellement été authentifié, mais il est pris très au sérieux par le gouvernement portugais, a révélé le journal Expresso.


Le niveau d’alerte terroriste a malgré tout été maintenu au niveau modéré 3, sur une échelle de 5 et le match amical entre les sélections de football portugaise et belge n’a pas été annulé.


Dans ce message, un homme encagoulé assure que Daech veut rétablir Al-Andalus. Il s’agit du nom des territoires de la péninsule ibérique qui étaient sous la domination musulmane au Moyen-Age, entre le VIIème et XVIème siècle.


Toujours selon Expresso, fin janvier, un djihadiste luxembourgeois d’origine portugaise de 27 ans avait déjà menacé le Portugal (et l’Espagne) dans une vidéo. La propagande est l’une des principales armes de Daech. L’organisation terroriste exhibe ses otages, les filme et diffuse les images sur les réseaux sociaux. Selon une enquête menée par le quotidien britannique «The Sunday Times», c’est un groupe de Portugais qui réaliserait les vidéos…

L’une des dernières mises en scène macabres est celle de l’immolation par le feu du pilote jordanien Maaz al-Kassasbe diffusée le 3 février 2015. La vidéo d'une vingtaine de minutes, avec effets spéciaux, pourrait être l’œuvre de cinq djihadistes portugais. Sachant, selon The Sunday Times, que ce sont eux qui sont derrière les films de décapitation.

«En s’adressant à ses adversaires, l’organisation les discrédite et crée une terreur qui précède son action militaire. La fuite tragique de Mossoul des soldats de l’armée irakienne fut provoquée par une panique inspirée entre autres par ces vidéos», expliquent Thomas Flichy de la Neuville et Olivier Hanne sur le site spécialisé La chaire cyber Défense.

A la tête de ce groupe portugais, Nero Sareiva , 28 ans. Ce père de quatre enfants converti à l’islam habitait l’est de Londres où il s’est radicalisé avant de rejoindre la Syrie en 2012. Comme ses compagnons, il était surveillé par les services de renseignements britanniques qui assurent qu’il a un rôle majeur dans l’enregistrement des films de décapitation, précise le journal britannique.


Message to America the Islamic state is making a new movie. Thank u for the actors.
— Nero Saraiva (@NeroSaraiva) 10 Juillet 2014

En juillet 2014, il avait adressé un message aux Américains sur son compte Twitter annonçant la préparation d'un «film» et en remerciant les «acteurs». Un peu plus d'un mois plus tard, la vidéo de la décapitation de l'otage américain James Foley, intitulée «Message à l'Amérique » est mise en ligne. C'est la première du genre et elle sera suivie par les vidéos d'autres otages occidentaux avec toujours la même mise en scène.

«Que ce soit sous la forme du péplum, du western, du thriller ou de la science-fiction, Daech, comme al-Qaïda avant lui, manie à la perfection les codes de l’impérialisme culturel», explique Claire Talon, journaliste arabisante, dans Mediapart (lien payant).

The Sunday Times affirme que les cinq membres du groupe portugais ont tous basculé dans l'extrémisme à Londres avant de se retrouver en Syrie. Ils seraient liés au bourreau des otages occidentaux, un Britannique identifié comme étant «Jihadi John» déjà identifié par les renseignements du Royaume-Uni.

lundi, 25 avril 2016

Route de la soie, route des épices

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Route de la soie, route des épices

Ex: http://www.huyghe.fr

Un secret est toujours loin : enfoui sous les apparences, ou hors de portée. Y compris géographiquement. Le cheminement vers sa découverte se confond alors avec le chemin concret par où transitent des hommes, des marchandises ou des informations. Tel est le cas de la soie et des épices qui ont donné leur nom à des routes : leurs secrets consistent en histoires de voyages. D'Est en Ouest, circulaient des produits rares et inconnus, de l'Occident vers l'Orient, des marchands et prédicateurs en attendant des colonisateurs.

Soie et épices sont intimement liées parce qu'ils évoquent des lieux ou tout est différent, plus chaud, plus parfumé, plus raffiné, plus luxueux, plus sensuel. Elles servent à la glorification des dieux et des puissants et à l'ornement de la beauté ; leur origine exotique stimule l'imaginaire. C'est l'idée qui ressort déjà des premières mentions de ces produits dans la littérature latine. Ne dit on pas que c'est le roi des Sères, tout à l'Orient du monde qui produit le fil merveilleux qui permet aux Romaines de laisser transparaître la peau laiteuse de leurs seins ? Ne croit-on pas que la cannelle si parfumée et qui l'hiver rend le vin meilleur, est cachée comme le sont les diamants dans une vallée protégée par des aigles immenses ? Et les moralistes se plaignent de ce que les romains se ruinent pour acquérir ces produits de luxe venus de pays inconnus. L'idée même d'exotisme, ou l'attirance pour l'Orient leur doit beaucoup ; les progrès de la connaissance, de la géographie, de la navigation, bref la découverte réelle du monde, leur doit davantage encore.

Dans les deux cas, secret d'un savoir et secret d'une origine se mêlent. Pour obtenir deux produits dont l'Occident raffole depuis Rome, le tissu et les graines qui servent autant à la médecine qu'à la cuisine, il a fallu d'abord identifier les pays d'où ils venaient, la Chine, les Indes et les îles aux épices. Il a fallu les atteindre, et pour cela lancer des expéditions. Mais il a fallu aussi s'emparer des supports du secret, des cocons de vers à soie dans un cas, de quelques graines dans l'autre.

La soie a plus souvent traversé les montagnes et les steppes à dos de chameau, les épices ont plutôt voyagé dans les cales des bateaux. Parfois leurs routes se croisaient ou fusionnaient au hasard, d'une guerre ou d'un traité pour que les marchandise parviennent à Rome, à Byzance. Il y a donc des périodes où les expressions de route de la soie et route des épices désignent les mêmes itinéraires marchands ; rouleaux de tissus et sacs odorants se mêlaient dans les mêmes caravanes et dans les mêmes soutes. Certes les deux routes n'ont pas fonctionné de même manière. Sur la route de la soie, c'est le secret, disons l'art de la sériciculture, qui a voyagé d'Orient en Occident jusqu'à ce que l'on sache produire de la soie en France. Sur la route des épices, au contraire ce sont les marchands puis les soldats qui ont progressé tant que les Européens n'ont pas atteint les terres où poussaient les épices, et que les grandes compagnies dites des Indes ne s'en sont pas assuré le monopole. Tracée par une logique de la transmission ou par une logique de la conquête, la route s'est toujours assimilée à une lente révélation.

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Un secret de quatre mille ans

Une des plus célèbres légendes chinoise raconte que la princesse Xi Ling Shi fit tomber par hasard un cocon accroché à un mûrier des jardins impériaux dans une tasse de thé bouillant. Elle déroula un fil interminable qui lui parut si beau qu'elle le fit tisser, puis fabriqua une étoffe douce et fine. Elle obtint de l'Empereur d'élever les vers qui rongeaient les feuilles de mûrier. Ce souverain serait Houang Ti à qui la légende prête également l'invention de l'écriture. Dès l'origine, la soie est liée à l'empereur. Le tissu de soie ne servait pas seulement à tisser des vêtements somptueux, mais aussi à tracer des idéogrammes. Les premiers exemples d'écriture chinoise sur soie datent de 750 avant notre ère. Et la Chine elle-même est connue pendant toute l'Antiquité comme le pays des Sères, c'est-à-dire de la soie, sera.

La sériciculture remonte au néolithique chinois et, trois mille ans avant Jésus Christ, les techniques de tissage étaient déjà sophistiquées ; elles permettaient d'obtenir de la soie unie comme de la soie brodée qui accompagnaient dans l'au-delà les puissants. C'est dans une tombe princière que se retrouve la première preuve du voyage de la soie vers l'autre extrémité de l'Eurasie, au VIe siècle avant notre ère dans une sépulture du Bade Wurtemberg. Lorsque l'on découvrit dans le tombeau de Philippe de Macédoine, le père d'Alexandre le Grand, des bandelettes de soie s'est tout de suite posée la question de leur origine : était-elle chinoise ? Quelles routes ont emprunté ces premiers échantillons, qui les a offerts aux Princes, qui les a jugés assez précieux pour qu'ils les accompagnent dans leur voyage funèbre ? L'exportation de soie avait-elle un caractère exceptionnel ? Difficile d'établir une chronologie précise d'un des plus longs secrets de l'histoire, ou plutôt d'un secret double celui de l'origine du tissu et celui de sa fabrication, la sériciculture.

Son exceptionnelle durée tient à la volonté délibérée des empereurs chinois, toutes dynasties confondues. Ces empereurs qui exercent un monopole sévère, contrôlent la production comme les marchés, décident de qui pourra porter quelle qualité. Ils édictent des arrêts de mort contre quiconque oserait faire franchir les frontières à un seul oeuf ou cocon de vers à soie. Le secret sera ainsi maintenu jusqu'au cinquième siècle de notre ère environ. Pour parvenir à ce résultat, il fallut sans doute un système de surveillance sans faille car la sériciculture occupait des milliers de gens et les plantations de mûriers couvraient des provinces entières. L'enjeu était énorme, cette industrie est un secret d'État: la soie étant tout bonnement une unité monétaire. Rare, inimitable, issue d'une source que pouvaient contrôler les autorités, de qualité relativement constante, facile à stocker, à diviser et à mesurer, la soie présente toutes les qualités d'une unité d'échange commode. A certaines époques, en Chine, les impôts se paient en rouleaux de soie, comme le salaire des fonctionnaires; la somptuosité des cadeaux impériaux, se mesure à la même aune, comme la dot des princesses ou des aristocrates. Sous les Tcheou une dizaine de siècles avant notre ère un écheveau de soie s'échange contre cinq esclaves et un cheval. Pour la Chine, laisser fuir une chose (un grain de vers à soie) et une information (toute la technique d'élevage) équivaut à une catastrophe. Cela reviendrait, pour un État moderne à perdre sa planche à billets et à laisser divulguer la formule chimique de son papier-monnaie. Soie et souveraineté chinoise étaient intimement liées.

C'est du reste pour une raison géopolitique grave que la soie franchit vraiment la Grande Muraille. Au second siècle avant notre ère, les empereurs Han assiégés par des barbares nomades ancêtres des Huns ont besoin d'alliés et de chevaux. Pour acheter les deux, la Chine doit donner ce qu'elle a de plus précieux, ce qui ne s'exportait que par infimes quantités ; la soie devient un produit d'échange. Cette décision a des conséquences incalculables : la Chine s'ouvre au commerce et au monde extérieur. Ainsi naît la fameuse Route de la soie. Par le relais des caravanes traversant l'Asie centrale ou des navires contournant le sous-continent indien, la soie et bien d'autres marchandises circulent d'une extrémité à l'autre de l'Eurasie. Vers le début de notre ère, un commerçant indien sait évaluer la valeur d'un ballot de soie en sesterces romains, et, à Rome même, l'empereur s'inquiète de la perte que provoque l'importation de soie : à certaines époques, elle s'échange exactement contre son poids en or et le Trésor du plus puissant Empire tout à l'Ouest s'épuise.

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Des élevages de mûriers à sa destination finale, la soie suit un si long chemin, passe par tant d'intermédiaires et de frontières, est si protégée et entourée de tant de légendes et de périls que, sur les bords de la Méditerranée, nul ne sait que le fil est produit par le cocon des papillons. On ignore à plus forte raison comment le traiter : les mieux informés disent que la soie "pousse sur les arbres". Les romains sont fous de cette étoffe qu'ils découvrirent, dit la légende, au cours d'une bataille contre les Parthes. Leurs étendards brillants et bruissants étaient faits de ce tissu inconnu. Il ne fallut pas longtemps pour que les patriciennes n'aient plus qu'une envie : se vêtir de robes si fines qu'elles peuvent passer à travers un anneau. Mais le tissu parvient par les pistes d'Asie Centrale, et est contrôlé par des intermédiaires, dont justement les Parthes. Aucun voyageur latin n'a franchi leur territoire, tout au plus a-t-on appris que la soie provenait du pays dit des Sères. L'Europe ignore même qui ils sont cet à quoi ils ressemblent.: "Les premiers hommes que l'on connaisse (en ce pays) sont les Sères célèbres par la laine de leurs forêts. Ils détachent le duvet blanc des feuilles en l'arrosant d'eau ; puis les femmes exécutent le double travail de dévider les fils et de les tisser. C'est avec un travail si compliqué, c'est dans des contrées si lointaines qu'on obtient ce qui permettra à une matrone de se montrer en public avec un étoffe transparente. Les Sères sont civilisés ; mais semblables eux-mêmes aux animaux sauvages, ils fuient la société des autres hommes et attendent que le commerce viennent les trouver." Ce que Pline écrit dans son Histoire naturelle est le premier texte occidental qui propose une explication de l'origine et de la fabrication la soie.

sparte10.jpgLe géographe Pausanias au second siècle de notre ère se rapproche un peu plus de la vérité quand il dit : "Quant aux fils dont les Sères font leurs vêtements, ils ne proviennent pas d'une écorce, mais ils ont une origine différente que voici. Il existe dans leur pays un petit animal, que les Grecs appellent ser, mais auquel les Sères eux-mêmes donnent un autre nom ; la grandeur de cet animal est double de celle du grand scarabée ; pour le reste, il ressemble aux araignées qui font leurs toiles sur les arbres, et il a huit pattes comme les araignées. Les Sères élèvent ces animaux en leur construisant des cages appropriées à la température de l'hiver et de l'été ; et le travail de ces animaux est une fine trame qui se trouve autour de leurs pattes". Nous sommes loin encore du secret révélé. Pour pouvoir produire de la soie, il faut pouvoir maîtriser toute une série de techniques dont les bases : sélectionner et cultiver le mûrier blanc, reconnaître le Bombyx mori, savoir l'élever et pour cela disposer de lieux humides à température constante entre 20 et 25°, protéger le vers pendant qu'il file son cocon, conserver un certains nombre de ceux ci pour la reproduction, étouffer la chrysalide avant qu'elle n'ait percé le cocon (sinon ceux-ci peuvent être cardés et donner l'équivalent de la soie sauvage), et, bien sur, dévider sans le rompre le fil qui peu mesurer entre 900 et 1200 mètres.

Il faut des mois, des années pour qu'un ballot franchisse le continent passant de mains en mains ; c'est assez pour que la vérité se perde en chemin. Y a-t-il eu des tentatives de contact ? La chronique chinoise parle d’une mission impériale envoyé en Inde en 58 ap. J.C. On sait aussi comment, aux alentours de la fin du premier siècle de notre ère, période où l’empire parthe contrôle les relations commerciales avec l’Occident, la Chine cherche à se passer de ce coûteux intermédiaire. En 97, un envoyé chinois vers l'Occident est parvenu à la frontière de la Perse mais les capitaines des navires lui racontent tant d'horreurs sur les difficultés qui l'attendent qu'il préfère renoncer. Des missions d'explorations occidentales ne donnent pas de meilleurs résultats. Vers la même période, il court sur les zones désertiques du Taklamakan des histoires de villes englouties, de mirages, d’esprits qui appellent les voyageurs pour les égarer, tout à fait semblables à celles que rapporteront onze siècles plus tard les voyageurs médiévaux. Aux facteurs multiples qui pourraient expliquer la pauvreté des renseignements conservés il faudrait ajouter que pendant l'Antiquité au moins, en un point capital du trajet, véritable borne frontière de l’Empire des Sères, le commerce se pratique “à la muette” : vendeurs et acheteurs déposent en un lieu convenu, qui la marchandise, qui le prix proposé et lorsque l’on est parvenu à un accord (parfois sans se voir) chacun remporte sa part de l’échange, toujours sans un mot. Peu importe que ces marchands muets aient eu peu de chances d’être de véritables Chinois, ce procédé d’évitement réduisant le commerce au seul échange des valeurs (et pratiqué en d’autres lieux et à d’autres époques) suffirait à expliquer bien des ignorances.

Transporter, transformer

La Route de la soie offre l'exemple d'un paradoxe. D’une part y circulent les richesses les plus rares et avec elles nombre de connaissances et d’influences culturelles. D’autre part, les hommes s’ignorent, et s’inventent sans se connaître. A Rome on dit les Chinois de très grande taille, aux yeux bleus et aux cheveux rouges. Les Chinois au contraire se plaisent à imaginer les Romains tout à fait comparables aux habitants de l’Empire du Milieu. Pareilles fables se perpétuent des siècles. Les Chinois appellent Rome le Da Qin (la grande Chine), tandis que, de leur côté les Romains rêvent du Pays des Sères, le peuple qui fabrique la soie. En dépit des relations commerciales qui s’intensifient, il faudra attendre le XIIIe siècle, avec le temps des Mongols, et quelques voyageurs médiévaux dont Marco Polo n'est que le plus illustre, pour que les mondes européen et chinois commencent à se connaître. Et ce n’est qu’au temps des missions jésuites en Chine, au XVIe siècle que les Européens acquerront des connaissances géographiques et historiques acceptables sur la Chine tandis qu’en retour celle-ci commencera vraiment à soupçonner à quoi ressemble le monde occidental. La route de la soie a donc bien fonctionné comme un lien entre les peuples de l'Eurasie, comme la grande voie des relations commerciales, religieuses et culturelles. C'est un fonctionnement à plusieurs temps : la chose (la soie marchandise), la connaissance de la chose (au sens des techniques et moyens de la sériciculture), les hommes (des marchands de l'Antiquité aux voyageurs et missionnaires médiévaux) et la connaissance des hommes (telle qu'on peut la mesurer par la diffusion de manuscrits ou de récits) ont toujours été comme décalées.

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Pourtant la soie finit par échapper à l'Empire du Milieu. Plusieurs récits proposent une description de l'évasion des graines. Comme celui rapporté par Hiuan-Tsang, un des pèlerins chinois partis à la recherche des Soutras bouddhiques en Inde. Tout au long de son voyage au milieu du VIIe siècle, il tient son journal et note ce qu'il voit et ce qu'il entend sur les pays qu'il traverse. Parmi ces histoires il raconte comment un des premiers rois du Khotan parvint à fabriquer de la soie. Au début du V° siècle la soie tissée circule entre la Chine et les pays d'Asie centrale ; elle fait même l'objet d'un trafic qui enrichit nombre d'intermédiaires, certaines tribus turques, l'Empire perse, etc., mais personne ne sait la produire. Celui qui y parviendra s'enrichira considérablement. Pour cela il faut se procurer mûriers et vers à soie. "Le roi (du Khotan), ayant appris que le royaume de l'Est (la Chine) en possédait y envoya un ambassadeur pour en obtenir. A cette époque, le prince du royaume de l'Est les gardait en secret et n'en donnait à personne, et il avait défendu sévèrement aux gardes des frontières de laisser sortir de la graine de mûriers et de vers à soie. Le roi de Khotan, dans un langage soumis et respectueux, demanda en mariage une princesse chinoise. Le prince du royaume de l'Est qui avait des sentiments de bienveillance pour les peuples lointains, accéda sur le champ à sa demande. Le roi de Khotan ordonna à un ambassadeur d'aller au devant de son épouse, et lui donna les instructions suivantes : "Parlez ainsi à la princesse du royaume de l'est : "Notre royaume n'a jamais possédé de soie : il faut que vous apportiez des graines de mûriers et de vers à soie ; vous pourrez vous même vous faire des vêtements précieux."

La princesse n'hésita pas à enfreindre les édits impériaux qui punissaient de mort quiconque exportait graines de vers et de mûriers. Pleine d'astuce elle en cacha dans la ouate de son bonnet "Quand elle fut arrivée aux barrières, le chef des gardiens fouilla partout, à l'exception du bonnet de la princesse qu'il n'osa visiter." La princesse organisa la première production de soie ordonnant par un décret gravé sur une pierre :"Il est défendu de tuer les vers à soie. Quand tous les papillons des vers à soie se seront envolés, on pourra travailler les cocons. Quiconque enfreindra cet ordre sera privé du secours des dieux". C'est pourquoi poursuit le pèlerin chinois, "ce royaume possède des vers à soie et personne n'oserait en tuer un seul."

Les premiers principes de la sériciculture venaient de quitter le pays des Sères, la princesse avait exporté l'élevage du vers à soie et l'indispensable secret du mûrier.
Monopoles

Les princes d'Asie centrale n'étaient pas les seuls à vouloir s'emparer du secret. Byzance n'en pouvait plus de payer des sommes énormes à ses ennemis perses pour importer la soie brute que ses ouvriers savaient travailler mais dont on ignorait la source. L'Empire va mener une guerre de l'ombre et multiplier les sources d'information et d'approvisionnement. Procope de Césarée, décrit comment pour éviter de passer par les Perses Justinien, vers 531, envoya des ambassadeurs chez les rois chrétiens de l'Éthiopie et d'Himyar (le sud du Yémen). Ces missions furent vaines : "Les Éthiopiens, ne pouvaient acheter de la soie aux Indiens, car les marchands perses s'installaient toujours aux ports où accostaient les navires indiens (ils vivent dans un pays voisin) et ils avaient coutume d'acheter leurs cargaisons entières. Quant aux Himyarites, il leur semblait difficile de traverser un pays qui était un désert et si grand que sa traversée était un long voyage, comme de s'opposer à un peuple bien plus guerrier qu'eux mêmes".

cb0d64b55311d9cee84edda021bfe19d_large.jpgPour conserver leur monopole les Perses étaient disposés à payer le prix fort et à acheter tout ce qui était à vendre dans tous les lieux qu'ils pouvaient atteindre. La seconde partie se joue avec le représentant d'un peuple nouvellement venu sur la scène internationale : les Sogdiens. C'est un peuple de marchands qui se répandront de la mer de Chine à Byzance en de nombreux comptoirs ou même simples communautés commerçantes installées dans des cités du bout du monde. Comme le dit la chronique officielle des Tang : "Les gens du pays de Sogdiane sont tous d'habiles commerçants ; partout où l'on peut faire du profit ils sont allés". Ils se sont fixés à l'Est de l'Oxus la mythique ville de Samarcande est leur capitale. A l'époque c'est un centre important où se croisent des commerçants et voyageurs venus du monde entiers. La fresque des ambassadeurs qui est exposé au Musée d'Afrasyab-Samarcande montre des Chinois, des Persans, des Coréens, etc.. et il ne faut pas beaucoup d'imagination pour deviner que parmi eux se glissaient des espions et des aventuriers de toutes sortes. Ils ont d'abord essayé de vendre la soie du Khotan aux Perses qui pour montrer leur mépris la brûlent. Dépités, ils sont allés voir les Byzantins. On a même conservé le nom de l'ambassadeur marchand qui est arrivé à la cour de Justinien (482-465), un certain Maniakh qui réussit au bout de son entreprise à ouvrir une route de la soie en évitant l'Empire sassanide.

Justinien utilisa aussi des agents secrets très spéciaux. C'est encore à Procope de Césarée que nous devons l'histoire. Un jour des moines arrivèrent à Byzance, ils se firent introduire auprès de l'empereur et lui offrirent le vrai secret de la soie. Ils lui expliquèrent : "Nous avons résidé longtemps dans une région où il y plusieurs cités indiennes bouddhistes et qui se nomment Serinda. L'élevage du ver à soie y est pratiqué ; si vous le voulez nous vous en rapporterons le secret." Les moines précisèrent alors que la soie était produite par "certains vers à qui la nature avait enseigné cet art et rendu aisée leur tâche". Ils ajoutèrent : "Il est impossible à cause de la distance de rapporter des chenilles vivantes, mais nous aurons recours à une ruse. Les graines de ces vers sont constituées par une multitude d'oeufs. Longtemps après la ponte, les autochtones les recouvrent de fumier en les chauffant ainsi pendant un temps suffisant pour que les animaux naissent. Ils nous sera facile de cacher ces oeufs une fois que les chenilles auront pondu". Justinien leur promis ce qu'ils voulurent. Les moines peut-être s'agissait-il de ces moines bouddhistes qui parcouraient les chemins en s'appuyant sur leur long bâton , dérobèrent les graines, les rapportèrent nous dit la légende dans leurs bâtons creux, et les livrèrent à l'Empereur. Cette fois, Byzance pouvait produire de la soie.

La nouvelle industrie fut protégée d'éventuels espions par les peines les plus lourdes. A nouveau la soie devenait synonyme de secret d'État. Les Empereurs ne prenaient pas moins au sérieux sa symbolique : peine de mort pour qui osait fabriquer certaines variétés de pourpre réservées à la cour, châtiments terribles pour qui aurait tenté de débaucher ou faire fuir les ouvriers des ateliers impériaux, stricts contrôles douaniers... Du reste la soie n'était-elle pas cotée à un prix équivalent en esclaves et sa circulation strictement contrôlée ? La soie impériale surveillée par la terrible bureaucratie servait à payer les serviteurs de l'État, à remplir ses caisses, mais aussi à doter les monastères, à glorifier Dieu et l'Empire grâce au plus désirable des ornements. Lorsque les Arabes propageant l'islam eurent conquis les terres de l'Asie centrale à l'Atlantique la sériciculture se répandit avec eux.

Après avoir conquis la Perse, ils développèrent l'élevage de la soie autour de la Méditerranée. Seuls les Européens, les Francs, étaient exclus du secret. Il leur faudra quelques siècles pour maîtriser toutes les étapes qui, depuis l'élevage de chenilles de bombyx mori aboutit aux brocarts mêlés de fils d'or et d'argent que revêtaient les princes de l'Église et du monde.

220px-Roger_II_Sicily.jpgAu XIIe siècle seulement le roi normand Roger II établit en Sicile une industrie de sériciculture ; un siècle plus tard, les tisserands s'installeront en Italie et en Espagne, en attendant la France et l'Angleterre : l'Europe est enfin en mesure de fabriquer le tissu dont elle rêve depuis longtemps. Le plus long secret de l'histoire a été gardé quatre millénaires.

Quant aux routes terrestres, leur cycle historique s’achève au XVe siècle, après la mort de Tamerlan. Il se voulait le successeur de Gengis Khan. De Samarcande, sa capitale, il avait étendu son pouvoir jusqu’à Bagdad, Hispahan et l’Indus, s’apprêtait à conquérir la Chine. Après son règne, il n’y a aura plus de grand empire des steppes au coeur des routes de la soie. Vers la même époque, la nouvelle dynastie chinoise de Ming décide de fermer l’Empire aux relations extérieures : la construction de bateaux hauturiers est punie de mort et les caravanes se font plus rares.

Routes et obstacles

Peu après d’autres acteurs entrent en scène dans le commerce entre Est et Ouest. Les Portugais lancent les grandes explorations. A la fin du XVe siècle, ils ouvrent la voie des Indes par le cap de Bonne de Espérance. Désormais les nouveaux découvreurs vont “faire des chrétiens et chercher des épices”; ils ouvrent le chemin de l’Extrême Orient aux missionnaires dont les fameux jésuites, en attendant compagnies européennes des Indes. Le négoce de la soie subsiste mais bien d’autres produits la supplantent; tout l’Ancien Monde est maintenant accessible et connu; le mythe des routes de la soie vient de mourir. La route des épices, vient, elle de connaître un renouveau décisif.

Elle n'est pourtant pas nouvelle. Dès l'expédition d'Alexandre les aromates de l'Océan Indien sont connus en Europe. Les botanistes grecs mentionnent la cannelle, la cardamome et le poivre. Avant la soie les Romains connaissent le poivre, la cannelle, le safran et toutes sortes de produits culinaires et médicaux. Pline l'Ancien cite particulièrement la cannelle "si rare et si appréciée qu'elle est vouée aux honneurs par les grands du jour. L'empereur Vespasien est le premier qui ait dédié dans le temple du Capitole et dans celui de la Paix des couronnes faites de cinnamomum (cannelle) incrustée dans de l'or ciselé." Le poivre est importé en si grandes quantités qu'il provoque une hémorragie d'or et d'argent. Quand le roi wisigoth Alaric s'emparera de Rome en 410 il réclamera une rançon payée en poivre : 5000 livres ; de même, peu après, quand Attila menace Théodose II empereur de Constantinople, il se fait payer en poivre pour épargner la ville.

Notre mot épices vient du latin species, qui signifie marchandises rares. Rares, mais pas inconnues : le monde romain sait parfaitement que les épices proviennent des Indes avec lesquelles il a établi des liens commerciaux, de l'île de Ceylan, voire de Malaisie. Depuis que le Grec Hippale a inventé l’art de naviguer en fonction de la mousson au I° siècle, les navires marchands savent se rendre aux pays des épices.

Cela annonce une course qui va durer des siècles, saigner l’Europe de ses métaux précieux. mais aussi lui faire découvrir le monde puis le conquérir. Même si la Bible et Hérodote parlent des caravanes d’épices, la partie se joue surtout sur mer. Qui circule dans l’océan Indien, y a ses escales et ses comptoirs est maître des épices. Après la chute de l'Empire romain, il y aura toujours une puissance intermédiaire qui s'interpose entre le monde occidental et les pays des épices. Il y a coupure entre l'Océan Indien et l'Europe. personne n'imagine contourner l'Afrique.

Les navires perses puis byzantins se risquent jusqu’à Ceylan et la côte de Malabar. Les triomphes de l’Islam séparent le monde méditerranéen de tout accès aux pays des plantes parfumées. Mer Rouge et golfe Persique sont interdits aux navires chrétiens. Le marin arabe, lui, est partout chez lui sur la route de la mer Rouge à la mer de Chine. Les marchands indiens ou malais avec qui il traite sont souvent des coreligionnaires et il a ses mosquées et ses entrepôts jusqu’à Canton.

Les croisades réapprendront les épices aux Occidentaux. Ils fréquenteront les marchés du Levant et seront plus avides encore d'épices, symbole de luxe par excellence. On en raffole dans la cuisine et on leur attribue mille pouvoirs curatifs. Mais ils sont achetés à Beyrouth ou au Caire, et il faut passer par l’intermédiaire vénitien qui fonde sur ce commerce une grande partie de sa puissance.

Au XVe siècle, au début des grandes découvertes européennes, les épices arrivent par deux voies. La route maritime commence par le trajet des jonques chinoises et bateaux malais. Ils amènent les épices orientales, y compris les rarissimes muscade et girofle qui ne poussent qu'aux Moluques jusqu'à Ceylan et la côte de Malabar. Là, interviennent les Perses et Egyptiens qui, par la mer Rouge, mènent les épices jusqu'aux échelles du Levant, où les Vénitiens viennent s'approvisionner. Le tout donne lieu à la multiplication du prix d'étape en étape et à la perception de lourdes taxes par les puissances intermédiaires. Par terre, les caravanes contournent le désert du Turkestan jusqu'à Bassorah et à la Perse ou encore passent par la vallée de l'Indus via l'Afghanistan : c'est le même trajet que la route de la soie. Deux épices ont un statut à part : le clou de girofle et la noix de muscade dont on dit qu'ils proviennent d'îles au delà du détroit de Malaca. Les Arabes les achètent à des intermédiaires généralement malais. Les savants de l'Islam, s'ils donnent une place à ces épices dans leurs traités de pharmacopée, se contentent très vaguement d'en situer l'origine vers Java.

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Mais, par terre ou par mer, les Européens sont incapables de s'approvisionner directement. Débarquer aux Indes, emplir ses cales de poudres odorantes, poivre de Malabar, cannelle de Ceylan s’en retourner, et les vendre vingt fois leur prix tel est longtemps le rêve des aventuriers, marchands et princes d’Europe. L'un d'eux, Henri de Portugal, dit le Navigateur lance systématiquement des expéditions le long de la côte africaine, accumule les informations géographiques ou pratiques sur la route des Indes. À ce stade, il n'y a pas de secret ou de mystère des épices à proprement parler. Chacun sait que ce sont des plantes qui poussent aux Indes, à Ceylan, dans des îles plus orientales. Certes, il court des légendes sur les Indes fabuleuses. Certes l'Europe se fait une représentation géographique erronée de l'Océan Indien que la plupart s'imaginent, sur la foi des auteurs antiques, comme une mer close. Certes, l'erreur de Christophe Colomb parti chercher les épices des Indes par la voie occidentale et prenant Cuba pour la Chine témoigne spectaculairement des aléas de la géographie de l'époque. Certes, techniques de navigation, rapports de pilotes et surtout cartes sont considérées comme de vrais secrets militaires et les histoires d'espionnage ne manquent pas. Mais les épices ne sont pas protégées par des mystères ou par la dissimulation. Il est simplement impossible d'atteindre les sources d'approvisionnement. Des voyageurs sont parvenus sur place mais pas avec une caravelle dont on puisse remplir les cales plus quelques canons pour inciter les souverains locaux à ne pas s'opposer au remplissage des dites cales.

Ce sera bientôt chose faite. En 1498, Vasco de Gama passe le cap de Bonne Espérance et parvient à Calicut après avoir contourné l'Afrique. Suivent quelques guerres, et l’arrivée des Portugais en Chine et au Japon, et leur installation au delà du détroit de Malaca. En 1557, ils installent même une enclave sur la côte chinoise, à Macao.Magellan, parti en 1519 pour son tour du monde fait escale aux Moluques, ne manque pas de faire provision de muscade et de girofle . Il incite les Espagnols à s'emparer de ces îles. Pour peu de temps : en 1529, le pape partageant l'Orient par le traité de Saragosse donne les îles aux épices aux Portugais.

Grandes compagnies et grands secrets

Le XVIIe siècle est celui des Hollandais. Tandis que les compagnies des Indes fleurissent dans toute l'Europe, en quelques décennies, les Hollandais arrachent aux Lusitaniens leurs comptoirs d’outre mer. Les Hollandais, ou plutôt la V.O.C., Compagnie Unifiée de Indes Orientales, plus puissante qu’un État, et qui s’approprie des territoires. Il n’est plus question d’exclusivité sur la cannelle qui se trouve en Inde, à Ceylan et en Indonésie, ni sur le poivre en Inde et dans tout l’Extrême Orient voire à Madagascar. Subsistent deux monopoles absolus : ceux de la muscade et surtout du clou de girofle cultivés exclusivement aux Îles aux Épices, les Moluques. Elles appartiennent à la V.O.C., dont les tribunaux et les gibets protègent le privilège. "Il n'a y a point disait un Français en 1697 d'amants si jaloux de leurs maîtresses que les Hollandais ne le sont du commerce de leurs épices"

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La V.O.C. est la première grande compagnie capitaliste, dotée de prérogatives étatiques : battre monnaie, avoir une armée, signer des traités, administrer la justice, y compris la peine de mort dont elle n'est pas avare. Les dirigeants de la compagnie, les très puissants membres du Comité des XVII, s'adressent aux États généraux de Hollande sur un pied d'égalité Ils leur écrivent qu'il considèrent leurs possessions des Indes orientales comme des propriétés privées, ne relevant que de leurs actionnaires. De ce fait, ils ont, proclament-ils, le droit de céder ces biens à qui ils veulent fut-ce au roi d'Espagne ou à tout autre ennemi de leur pays. Libérée de toute contrainte politique, les Portugais éliminés, les Européens éloignés, les populations locales sous le joug, la V.O.C. n'a à se soucier que de deux choses : protéger son monopole et maintenir le prix des épices.

Elle contrôle flux et stocks. Pour soutenir le cours des clous de girofle et noix de muscade, les Hollandais en détruisent périodiquement les réserves. La cérémonie a lieu à Batavia, l'actuelle Djakarta; elle est connue comme la "fête de l'incendie des Épices". Parfois aussi, ce sont les stocks accumulées à Amsterdam qui sont détruits. En 1760, un Français assiste ainsi à la crémation d'années d'épices accumulées dans les greniers afin d'en garantir la rareté et d'en soutenir le cours. Deux jours de suite, un brasier public consomme l'équivalent de millions d'argent de France en girofle et muscade. Les spectateurs de cette invraisemblable cérémonie de destruction ont les pieds plongés dans plusieurs centimètres de l'huile parfumée et probablement les narines pleines d'une des odeurs les plus capiteuses qui soit.

La V.O.C. a une autre obsession : le secret des plants. Elle entend interdire qu'une seule racine puisse être cultivée ailleurs que sur les terres qu'elle contrôle : une multitude d'îles difficiles à surveiller où contrebande et piraterie sont des traditions séculaires, où les roitelets locaux ne sont pas sûrs et où les agents des autres grandes compagnies, anglaises, françaises, suédoises ou autres ne demandent qu'à s'infiltrer. Il n'y a que deux solutions : restreindre les surfaces cultivées aux zones les plus faciles à contrôler, puis les truffer de gardes et soldats. Il s'agit de faire régner la terreur pour guérir contrebandiers et espions de la tentation d'exporter une racine, ou d'acheter une simple carte.

La V.O.C. instaure la monoculture chaque fois qu'elle le peut pour restreindre les zones à surveiller à quelques champs gardés comme des forteresses. Ailleurs on détruit. Parfois contre le gré des chefs locaux, parfois en les achetant pour obtenir le droit d'arracher des plants. Parfois aussi, la Compagnie s'empare par la force d'îles sans intérêt stratégique immédiat, mais où des concurrents pourraient songer à cultiver les mêmes épices ou des contrebandiers à s'installer : c'est le cas à Macassar dans les Célèbes. Par la violence, l'obstination et la discipline, la V.O.C. obtient ce qu'elle veut : la monoculture et le monopole Autre avantage : les territoires ainsi spécialisés seront plus dépendant économiquement de la Compagnie et de ses importations.

Louis-Antoine_de_Bougainville.jpgBougainville au cours de son tour du monde, est déporté par la mousson entre les Malouines et l'Inde. La mer le contraint à chercher refuge aux Moluques. Il résume le système de spécialisation des îles." Par ce moyen, tandis que la cannelle ne se récolte que sur Ceylan, les îles Banda ont été seules consacrées à la culture de la muscade ; Amboine et Uleaster qui y touche à la culture du gérofle sans qu'il soit permis d'avoir du gérofle à Banda ni de la muscade à Amboine. Ces dépôts en fournissent au-delà de la consommation du monde entier. Les autres postes des Hollandais dans les Moluques ont pour objet d'empêcher les autres nations de s'y établir, de faire des recherches continuelles pour découvrir et brûler les arbres d'épicerie et de fournir à la subsistance des seules îles où on les cultive."

Les indigènes sont parfois déportés, comme aux îles de Banda et vendus comme esclaves à Java. Opérations policières contre les trafiquants et répression militaire des révoltes alternent. Les Hollandais eux-mêmes sont épiés et contrôlés. Les marins et les employés qui travaillent sur place sont tenus, lorsqu'ils repartent, de rendre toutes les cartes et documents qu'ils posséderaient. Un malheureux Batave qui avait conservé un bout de plan et s'était fait prendre à le montrer à un Anglais est fouetté, marqué au fer, et déporté dans une île déserte. Dans d'autres cas, c'est le gibet. La Compagnie multiplie les garnissons ; elle expulse les étrangers et ne laisse débarquer les marins ou voyageurs que sous bonne garde. Bougainville lui-même, lors de son escale forcée aux Moluques est accueilli par des soldats menaçants. Le résident de l'île exige de savoir le motif de cette escale, fait remplir une déclaration écrite à Bougainville et lui interdit de mouiller dans les eaux territoriales de la Compagnie, malgré les prières que lui fait le Français au nom de la simple humanité de le laisser prendre des vivres et des secours.

Dans la course aux épices, notre pays paraît plutôt en retrait. Sous Colbert, est née une compagnie des Indes qui aura des comptoirs comme Surate, Chandernagor, Masulipatam et Pondichéry. A la suite d’une révolte à Madagascar en 1674, les Français commencent à peupler les Mascareignes où ils créent une escale pour leurs navires sur la route des Indes. Cela ne fait pas de la compagnie française une très redoutable rivale de la V.O.C. Pourtant c'est un Français qui violera le secret des épices hollandaises.

Voleur d'épices

Voler des plants et les acclimater dans nos possessions, tel est le projet d'un jeune homme téméraire, en 1748. Lyonnais et nullement marin de vocation, ancien séminariste, missionnaire indocile, auquel un boulet anglais, rencontré en mer de Chine, a enlevé le bras et la vocation ecclésiastique (on ne peut bénir sans main droite !), se pique de littérature et de science. Ce personnage imaginatif au nom prédestiné : Pierre Poivre, sera le plus grand voleur d’épices de l’histoire : mais cela lui prendra un quart de siècle.

Envoyé par la Compagnie avec une frégate pour le “commerce de la Chine” et afin de “découvrir des épiceries fines” et de les transplanter sur nos terres, Poivre rapporte d’une première expédition en Cochinchine des plants de riz et des vers à soie, mais de girofle point. Aux Philippines, il s’informe des îles aux épices et finit même en 1752, peut-être grâce à quelque trafiquant de Manille, par se procurer une poignée de noix de muscade. Il les introduit en île de France cousues dans son habit pour en tirer cinq malheureux plants qui périssent, peut-être assassinés par un botaniste jaloux. Seconde tentative en 1755 : Poivre trouve d’autres plants à Timor : nouvel échec, sans doute nouveau sabotage. Du coup, il rentre en France et s’y marie.

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Le jeune couple retourne aux Mascareignes en 1768, Pierre étant nommé intendant des îles de France et de Bourbon que la Compagnie découragée a rétrocédées au roi. Pendant ce séjour, les Poivre reçoivent des visiteurs illustres : Bernardin de Saint-Pierre qui tombe amoureux de la belle mais fidèle Françoise et Bougainville achevant son tour du monde. Poivre l’intendant n’oublie pas les rêves de Poivre l’aventurier et envoie des frégates vers les Moluques. Ses envoyés trompent la surveillance des Hollandais, et, avec la complicité d’indigènes heureux de se venger de l’occupant, finissent par réussir. En 1770 deux frégates conduites par Poivre font le voyage aux Moluques sans se faire prendre par les sbires de la V.O.C. ni par les pirates. Elles ramènent en île de France 454 pieds de muscadiers et 70 girofliers. Poivre les cultive dans le jardin des Pamplemousses à Port-Louis, capitale de l'île de France. Le jardin est devenu un centre botanique expérimental sans égal. Et pour son couronnement le roi Louis XVI recevra un cadeau dont la royauté rêvait depuis longtemps : une noix de muscade produite en Terre de France. Des plants sont envoyés à l'île Bourbon et en Guyane française. Les larcins de Poivre seront les ancêtres des cultures de Zanzibar, de Madagascar, des Antilles, des Comores et des Seychelles. À ce moment le blocus hollandais est devenu sans efficacité et leur monopole est perdu.

Giroflier et muscade ont disparu des Mascareignes ; de l’épopée des voleurs d’épices ne subsiste guère qu’une curiosité touristique : le château de Mon Plaisir construit sous la Bourdonnais et son jardin royal du quartier des Pamplemousses au nord ouest de Maurice. C’est là que l’obstiné Poivre se livrait à ses tentatives de transplantation, et, arrachant le secret des îles secrètes et odorantes, condamnait la route aux épices.

dimanche, 10 avril 2011

Europa am Ende

Europa am Ende

Michael Grandt

Immer neue EU-Krisengipfel, immer mehr Geld, das in das marode Euro-Währungssystem gepumpt wird und immer weitere europäische Länder, die vor dem Bankrott stehen. Doch unsere »Volksvertreter« wollen das alles nicht wahrhaben. Milliarden über Milliarden unserer Steuergelder versenken sie in einem Fass ohne Boden. Dabei ist eines klar: Der Euro und damit die EU sind am Ende.

Mehr: http://info.kopp-verlag.de/hintergruende/europa/michael-grandt/europa-am-ende.html

mardi, 12 octobre 2010

12 octobre 1943: les Alliés anglo-saxons occupent les Açores

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12 octobre 1943 : les Alliés anglo-saxons occupent les Açores

 

Les Alliés pourront occuper les Açores, y établir des bases aéronavales et faire relâche dans les ports de l’île, suite à des accords secrets anglo-portugais où Londres force la main à Lisbonne, en lui rappelant un traité signé au 19ème siècle et scellant une alliance entre les deux pays. Par cet accord, plusieurs centaines de kilomètres sur le territoire océanique ne seront plus livrés au bon vouloir des sous-marins allemands. Hitler perd définitivement la bataille de l’Atlantique. Rétrospectivement, nous pouvons en conclure que les Açores sont un archipel de très grande importance stratégique pour l’Europe et pour le contrôle de l’Atlantique à partir des côtes du Vieux Continent. Elles permettent notamment de contrôler la route vers les Amériques et de surveiller les côtes marocaines. Il ne s’agit pas seulement de « confettis d’Empire », de résidus de la grandeur passée du Portugal mais d’une position stratégique de toute première importance qu’il ne s’agit pas de perdre.

mercredi, 31 mars 2010

Après la Grèce, le Portugal... le scénario de contagion est en marche

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Après la Grèce, le Portugal... le scénario de contagion est en marche

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Après la Grèce, le Portugal est-il en passe de devenir le nouveau « maillon faible de l’Europe ? » L’agence de notation financière Fitch a annoncé, mercredi 24 mars, qu’elle abaissait d’un cran la note de la dette à long terme du Portugal, de « AA » à « AA-« , faisant part de ses inquiétudes sur les déficits et la solvabilité du pays. Jeudi, en fin de matinée, la Bourse de Lisbonne a plongé de plus de 2,2 %.

Ce changement de notation, qui survient à la veille du débat au Parlement portugais du programme de stabilité et de croissance du pays, « montre que le scénario de contagion en Europe, que l’on a beaucoup évoqué ces derniers mois, est en train de se matérialiser », souligne Marie de Vergès, du service Économie du « Monde, » qui explique les fondements de cette décision et les conséquences qu’elle peut avoir. (Cliquez ici pour écouter son analyse.)

L’agence Fitch a justifié sa décision par la crainte « d’éventuelles conséquences de la crise sur l’économie portugaise et sur ses finances publiques à moyen terme, compte tenu de la fragilité structurelle du pays et de son fort endettement ». « Même si le Portugal n’a pas été affecté outre mesure par la crise mondiale, les perspectives de reprise économique sont plus faibles que pour les 15 autres membres de la zone euro, ce qui va peser sur ses finances publiques à moyen terme », a développé Douglas Renwick, un responsable de Fitch.

Cet abaissement reflète les contre-performances budgétaires du Portugal en 2009, avec un déficit de 9,3 % du PIB, contre 6,5 % prévu par Fitch en septembre. Le gouvernement portugais a réaffirmé son « ferme engagement » à redresser ses finances publiques. 

« Dans la situation actuelle de nervosité et de volatilité des marchés financiers internationaux (…), il est fondamental que le Portugal démontre un ferme engagement politique dans la mise en œuvre du programme de stabilité et de croissance, en vue de redresser les comptes publics et réduire le déficit extérieur par une récupération de la compétitivité », a déclaré le ministère des finances.

Le gouvernement table par ailleurs sur une hausse de ses recettes grâce à la suppression de nombreux bénéfices fiscaux et un vaste plan de privatisations sur fond de reprise timide de la croissance (+0,7% prévu en 2010).

Le Monde

mercredi, 07 octobre 2009

Politische Information über Portugal

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Politische Information über Portugal

 

Portugal hat ja auch letztes Wochenende gewählt

Dort gibt es auf der "Rechten" (im weitesten Sinne) zwei Parteien,

die rechtsliberalen Sozialdemokraten (in der deutschen Presse oft konservativ genannt)

http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Social_Democrata
http://www.politicadeverdade.com/

und das rechtskonservative demokratisch-soziale Zentrum (in der deutschen Presse oft als Rechtspopulisten erwähnt), die mit über 10 Prozent ein recht gutes Ergebnis einfuhren. Hier ist man katholisch-konservativ, gegen Zuwanderung und Abtreibung...

http://de.wikipedia.org/wiki/Centro_Democr%C3%A1tico_e_Social_%E2%80%93_Partido_Popular
http://www.cds.pt/

Die weitere Parteienlandschaft Portugals ist stark linkslastig. Kommunisten gemeinsam mit Grünen in einem Bündnis gemeinsam im Parlament, und dann neben den regierenden Sozialisten noch ein trotzkistisch beeinflusster Linksblock, zudem gibt es bei den nicht vertretenen Parteien auch mehrere weitere Marxisten.
Ich bin aber noch auf drei weitere interessante rechte Parteien gestoßen, die allerdings alle nicht einen Prozent bei der Wahl bekommen haben.

Die Monarchisten - Partido Popular Monárquico

http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Popular_Mon%C3%A1rquico
http://www.ppm.pt/
(auf die Flagge klicken)

Die "Rechtsradikalen" - Partido Nacional Renovador
(scheint so etwas wie eine gemäßigte NPD zu sein; Übrigens mal ein Beispiel für gelungenen "Entrismus" von rechts)

http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Nacional_Renovador
http://www.pnr.pt/
(die Internetseite war heute nicht vorhanden, gestern war ich aber noch drauf. Vielleicht ein Umbau? Vielleicht sind sie auch enttäuscht vom schlechten Wahlergebnis (ich glaube 0,2 Prozent))
Somit einige Bilder, als sinnliche Ergänzung:
http://3.bp.blogspot.com/_TGTJ1-LWGo4/SFfAPPzhBjI/AAAAAAAAABw/IErlzWF-wIQ/s320/Revista.JPG
http://img242.imageshack.us/img242/7199/pnr2hy6.png
http://ofogodavontade.wordpress.com/2009/08/15/nacional-e-social/
http://portugalmensal.blogspot.com/2008_05_01_archive.html
http://aspirinab.com/ficheiros/eca-pnr.jpg

Am interessantesten erscheint mir allerdings die Partei, die bei der Wahl am allerwenigsten Stimmen erhalten hat. Wirkt irgendwie alles sehr positiv.
Die ökologisch-konservative "Partei der Erde" - Partido da Terra

http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_da_Terra
http://www.mpt.pt/mpt2009/index.php

Nun vielleicht ist das für den ein oder anderen interessant, vor allem wenn man Portugiesisch versteht.

jeudi, 24 septembre 2009

Où es-tu Sebastiao?

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Où es-tu Sebastiao ?

 

Où il ne sera fait mention ni d’Amélie Nothomb ni de Frédéric Beigbeder, encore moins de Yannick Haenel et pas davantage de Justine Lévy, mais d’un roman portugais, Le Retour des caravelles, du dénommé Antonio Lobo Antunes, dans son édition de poche.

 

Quel eût été le destin des grands découvreurs, immortalisés face à l’Atlantique dans la pierre du Padrao dos Descobrimentos, suivant en file indienne à la conquête du monde l’Infant Henri le Navigateur (1394-1460) une caravelle à la main, s’ils avaient vécu dans le Portugal démocratique et européen, régime semi-présidentiel du football, du liège et du vin ? L’explorateur ivrogne Vasco de Gama errerait dans les ruelles de Lisebone, mendiant de quoi se saouler à tous les Ricardo Reis, Bernardo Soares et Alvaro de Campos à lunettes et col amidonné, boutiquiers, petits fonctionnaires aux prétentions poétiques trop pressés (par leurs femmes, leurs comptables, le fisc, l’heure) pour lui accorder la moindre attention. Fernao Mendes Pinto[1] tiendrait à Bélem au bord du Tage une baraque à frites de l’avis général trop grasses avec, punaisé au-dessus du frigo, un portrait de François Xavier, le saint patron de tous les amateurs d’origami. Pour survivre, Sébastien - Dom Sebastiao, le roi caché dont la défaite contre l’Infidèle à Alcazarquivir en 1578 fit crouler l’Empire portugais - vendrait des souvenirs du salazarisme sur les terrasses du vieux port, fumeur de haschich en tongues et chemise hawaïenne poignardé au petit matin par un dealer cap-verdien moins compréhensif que les autres. Quant à Camoes,[2] le poète borgne, il voyagerait aujourd’hui en classe économique, pour signer chez quelque richissime libraire brésilien collectionneur de vieilleries incongrues la version de poche des Lusiades, avec danseuses nues et palmiers sur la couverture. Où il croiserait en chemin ce fou de père Vieira,[3] prêchant devant un attroupement d’enfants métisses suceurs de canne à sucre des sermons autrefois prestigieux juché sur une caisse à savon, entre deux inhalations de colle.

         Adieu Goa, Luanda, Bissau, Lourenço Marques ; immergé dans le flot des pieds-noirs portugais qui débarquent hébétés à Lisebone de retour des colonies perdues (Guinée-Bissau en 1973, Angola et Mozambique en 1975), Pedro Alvares Cabral,[4] hier encore la gloire du Portugal, l’explorateur des côtes du Mozambique et de l’Inde, le découvreur du Brésil, n’a d’autre choix que de déambuler dans la ville, traînant les restes de son père dans un cercueil. L’enfant blond et le sébastianisme, vous connaissez ? demande-t-il aux Infantes que lutinent goulûment des amiraux décatis sous le regard soupçonneux de leurs proxénètes mauresques. Il m’aime, c’est sûr. Un jour, il m’emmènera... Et le troisième Portugais ? L’esprit polycontinental ? Le Manifeste de l’Atlantisme ? « Nous, peuple ultramarin, laissons la Terre à d’autres, car une plus grande aventure nous attend. » Mais la statue de Camoes à Lisebone est devenue la cible favorite des pigeons chieurs de fiente (« Que voulez-vous qu’on y fasse ? La municipalité est désargentée, et de toute façon on n’empêchera jamais les pigeons de chier où ça leur chante ! ») et Don Quichotte le nom du cheval de steeple-chase le mieux coté de la saison. Pourquoi crois-tu que nous ayons inventé le fado, imbécile, sinon pour mépriser Dieu qui nous a abandonnés.

Sur la plage, devant l’océan, Dominique de Roux,[5] tout de blanc vêtu, le bas de son pantalon en lin recouvert de la poussière rouge caractéristique des pistes angolaises, continue de scruter l’horizon à la recherche du Cinquième Empire et pleure la perte de Jonas Savimbi,[6] tandis que le flux et le reflux des vagues se chargent d’effacer le dessin tracé dans le sable par Pessoa.[7] Il répète tout le temps la même chose, racontent les immigrés sino-cubains mitigés de conseiller tchécoslovaque du village voisin contre un paquet d’américaines. Un truc comme : « Il fera la paix partout au monde. »

Et Antonio Lobo Antunes de s’en retourner, son livre sous le bras, au service psychiatrique en hôpital qu’il dirige.

LS



[1] Ecrivain et navigateur portugais (1509-1583)

[2] Luis de (1525-1580)

[3] Antonio Vieira, jésuite, écrivain et diplomate portugais (1608-1697)

[4] Navigateur portugais (1467-1526 ?)

[5] Ecrivain, éditeur et activiste français (1935-1977)

[6] Jonas Malheiro Savimbi, nationaliste angolais, chef du mouvement révolutionnaire UNITA (1934-2002)

[7] Ecrivain et poète portugais (1888-1935)

vendredi, 20 février 2009

Introduction to the Portuguese National-Syndicalist Movement

Flavio Goncalves

Introduction to the Portuguese National-Syndicalist Movement

Lecture delivered at the VI Young Eurasian Intellectuals Congress in the Moscow State University, 27th of November, 2008, Russia - http://evrazia.info/

Rolao Preto When we mention National-Syndicalism people always remember the Spanish version and ignore the Portuguese version of the phenomenon, pushed by Rolao Preto and many other Portuguese activists.

National-Syndicalism was hated by both the New State dictatorship in Portugal and by the Communist opposition; the Communists like to forget that they were not the only political movement prosecuted by the government.

I will not give you the History of this movement, but solely it’s political leanings that caused it’s members to be considered as “Fascists” by the Left and as “Communists” by the Right.

It was a workers oriented movement that also had many intellectuals, they wore blue jean shirts because those were the shirts the Portuguese proletariat used at the time.

They defended the implementation of a family wage to the housewife’s, considering that taking care of one’s home and family was a very hard and important work that should be paid as such.

They had workers unions that included both farmers and factory workers along with white collar and blue collar workers, they were not Right-wingers nor Left-wingers given that they believed that those labels were just another way of dividing the Nation’s population.

They preached that wealth should only be produced by work, not by speculation and usury as it was then, and still is now: only hard work should be rewarded with the creation of wealth.

All families should have the right to a house, without mortgage, that is: you and your family should have a house without having to pay for it to the banks for the rest of your life to own it!!

Local power should be very strong as opposed to central power that corrupts, as all powers do.

They also opposed the accumulation of political, private and governmental positions, something still very fashionable in today’s Portugal, where politicians also work for private companies and even state owned companies gathering several wages instead of solely one.

They were also the first ones preaching anti-colonialism, Portugal should create something off the likes of the British Commonwealth instead of keeping it’s imperial rule, they were very much ahead of their time.

For preaching a creed that was beyond Capitalism, Liberalism and Communism they were forced into exile, prosecuted and sent to jail by the far-Right government and attacked on the streets by the far-Left and the Communists that hated their popularity among the working classes.

They were even referred to as “National-Communists” for defending a strong sense of national community at the same time that they supported class war (of the oppressed against the oppressors) and workers emancipation.

There is much to discover still about this movement given that the New State dictatorship did it’s best to erase it from memory and after the Portuguese revolution the Democrats did the exact same thing, we have still much to research about this movement that gathered under a single banner thousands willing to fight both a far-Right government and a far-Left empty opposition.

mardi, 17 février 2009

Ode aos soldados do Império

Ex: http://ofogodavontade.wordpress.com/

À memória do soldado desconhecido, caído em combate por todas as Goas do Império, pela pena de Amândio César…

NECROLOGIA PARA UM SOLDADO DA ÍNDIA

Os jornais publicaram nomes,
Muitos nomes,
Não se sabe ao certo quantas linhas de nomes:
O TEU NÃO ESTAVA LÁ!

Eram nomes, muitos nomes,
Não se sabe ao certo quantas linhas de nomes!
Eram milhares de nomes de vivos:
O TEU NÃO ESTAVA LÁ!

Nas linhas, muitas linhas de nomes,
Vinham altas patentes e soldados rasos,
Hierarquicamente e por ordem alfabética:
O TEU NOME NÃO ESTAVA LÁ!

Não! O teu nome não podia estar ali:
Tu morreste em Goa, à vista de Goa,
Que morria quando tu morreste.
Por isso ficaste abandonado e só,
Junto de Goa moribunda.

Tão abandonado e tão só
Como a pistola metralhadora,
Agora inútil,
Agora inútil porque tu morreste
E Goa morreu contigo!

Há-de florir, vermelha,
Uma flor nascida do teu sangue.
As folhas serão verdes
Como a última imagem dos teus olhos baços.

É o último reduto,
Será a última bandeira hasteada em Goa,
Na terra ocupada pelo invasor,
Depois que alguém ergueu ao céu azul
A branca bandeira do medo e da ignomínia!

Não vens na lista de nomes,
Em nenhuma das linhas dos nomes:
O TEU NOME NÃO PODIA ESTAR ALI!

Mas, quando uma jovem manducar
Colher a flor vermelha que sobrou do teu martírio,
Aspirar o perfume solene dessa flor cortada
E perder seus olhos pretos no verde das folhas tenras,
ENTÃO SIM, TU ESTARÁS ALI!

Ali ressuscitado,
Ali vigilante como a sentinela,
Até que tornem os fantasmas dos soldados de Albuquerque
Para castigarem o orgulho sacrílego do invasor.

Tu, anónimo soldado,
Morto na terra escaldante de Goa,
És a imagem do Governador
Que à vista dela morreu.
Tu, sim, és da estirpe de Albuquerque,
Nunca vassalo…

Amândio César, “Não posso dizer adeus às Armas”, A.G.U. 1970, pp64-67

mercredi, 03 décembre 2008

Pena e Espada

Lista de novidades no Pena e Espada,
o "combate pelas ideias em forma de blog",
por Duarte Branquinho.


27/11/2008

Céline regressa em português A Ulisseia traz Céline de volta ao panorama editorial português, com uma nova edição de "D'un château l'autre", desta vez com o título "Castelos Perigosos" e com tradução de Clara Alvarez.



Continuar a ler: http://penaeespada.blogspot.com/2008/11/cline-regressa-em-portugus.html

21/11/2008

Dualidade de critérios Processo
Imperdível o post d'A Cidade do Sossego sobre o que os media poderiam chamar "processo do PSD", ou seja a detenção de Oliveira e Costa, se utilizassem os mesmos critérios do dito "processo dos nacionalistas" do ano passado.

Cartaz
O Corcunda fala do cartaz do BE com a mensagem "O Governo protege os banqueiros. E quem protege as pessoas?", um claro crime de ódio, dada a atitude discriminatória, e aguarda a actuação de Sá Fernandes. Eu vi um cartaz igual em Entrecampos e lembrei-me do recorrente argumento "anti-racista" de "não se pode dizer ciganos e portugueses, porque os ciganos são portugueses". Mas quando são os "donos da verdade" a dizer que os banqueiros não são pessoas, tudo bem...

http://penaeespada.blogspot.com/2008/11/dualidade-de-critrios.html

20/11/2008

«La Nouvelle Revue d'Histoire» n.º 39

Está nas bancas o número 39 de «La Nouvelle Revue d'Histoire», cujo tema é "1918 A grande ilusão". No editorial intitulado "Os equívocos do nacionalismo", o director conclui: "De Paris a Berlim e mesmo até São Petersburgo, o nacionalismo de detestação substituiu o antigo patriotismo carnal, o sentimento interior e forte de identidade. Sentimento que fazia ainda Voltaire dizer em 1751 que a Europa formava uma espécie de República partilhada em vários Estados, mas tendo todos os mesmos princípios, desconhecidos nas outras partes do mundo".



 

 

 

 

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A norma do caos

Há muito de autobiográfico em "O Pintor de Batalhas". Neste romance que é uma reflexão profunda e intensa, Arturo Pérez-Reverte conta a história de André Faulques, um fotógrafo de guerra que se refugiou numa torre de vigia do século XVIII à beira do Mediterrâneo, onde, solitário, pinta um grande fresco na sua parede. A troca da câmara fotográfica pelos pincéis tem uma razão, que é o mote deste livro: "Se, como defendiam os teóricos da arte, a fotografia recordava à pintura o que esta nunca devia fazer, Faulques tinha a certeza de que o seu trabalho na torre recordava à fotografia o que esta era capaz de sugerir, mas não de conseguir: a vasta visão circular, contínua, do xadrez caótico, regra implacável que governava o acaso perversoa ambiguidade do que governava o quê não era em absoluto casualdo mundo e da vida. Aquele ponto de vista confirmava o carácter geométrico dessa perversidade, a norma do caos (...)".
Continuar a ler: http://penaeespada.blogspot.com/2008/11/norma-do-caos.html


Blog em destaque:

A Cidade do Sossego -- http://acidadedosossego.blogspot.com/

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Esta é a mailing list do blog Pena e Espada. Se não quiser voltar a recebê-la envie uma mensagem com o título "retirar" para penaeespada@gmail.com.
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http://penaeespada.blogspot.com/


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dimanche, 27 avril 2008

Rolao Preto et l'intégralisme lusitanien

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Rolão Preto et l'intégralisme lusitanien

 

Francisco de Barcelos Rolão Preto, né le 5 février 1894 au Portugal, est le père d'une idéologie que l'on a nommée "l'intégra­lis­me lusitanien". Etudiant à Louvain, au Collège portugais, il ap­prend à connaître personnellement, à Paris, en pleine guer­re, en 1917, les principaux représentants du nationa­lis­me français: Barrès, Maurras, Daudet, Bainville. Plus tard, dans les années 30, il fonde le "Mouvement National-Syn­di­caliste Portugais", avec son ami Alberto de Monsaraz. L'or­gane de ce parti est “A Revolução”. A la différence du fas­cisme de Mussolini et du national-socialisme de Hitler, l'in­tégralisme lusitanien de Preto rejette toute divinisation de l'Etat, racines catholiques obligent. Mais malgré cette pa­ren­té catholique avec le régime de Salazar, le MNS est in­ter­dit et Preto prend la route de l'exil, vers l'Espagne voisi­ne. Il y rencontre José Antonio Primo de Rivera, avec qui il coopère pour rédiger, notamment, les fameux “27 points doctrinaux” de la Phalange. Quand éclate la guerre civile espagnole, Preto lutte aux côtés des camarades de José Antonio, orphelins de leur chef. Après la révolution des œil­lets en 1974, âgé de 80 ans, Preto fonde le PPM (Parti Po­pulaire Monarchique). Il meurt le 19 décembre 1977. En 1994, le Président Mario Soares, lui octroie, à titre post­hume, la “Grande Croix de l'Ordre de l'Infante D. Henrique” pour récompenser "son patriotisme et son amour de la li­ber­té”. Une étude brève et succincte sur ce personnage hors du commun peut se lire sur la grande toile, en langue por­tugaise: José Manuel Alves Quintas, «Rolão Preto e o In­tegralismo Lusitano»,

http://www.dundee.ac.uk/politics/cphrc/jose.htm... (Robert Steuckers).

 

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