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jeudi, 04 octobre 2007

En souvenir de Julien Freund

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En souvenir de Julien Freund

par Alessandra COLLA

Le 10 septembre 1993, Julien Freund nous a quitté silencieusement. En Europe, il était l'un des plus éminents philosophe de la politique, une référence obligée pour tous ceux qui voulaient penser celle-ci en dehors des sentiers battus. La presse n'en a pas fait écho.

Né à Henridorff, en Alsace-Lorraine, en 1921, il s'engage dans les rangs de la résistance au cours de la seconde guerre mondiale. Dans l'immédiat après-guerre, il enseigne d'abord la philosophie à Metz, puis devient président de la faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg, dont il assurera le développement.

Inspiré initialement pas la pensée de Max Weber, un auteur peu connu dans la France de l'époque, Freund élabore petit à petit une théorie de l'agir politique qu'il formule, en ses grandes lignes, dans son maître-ouvrage, L'essence du politique (1965).

«Le politique est une essence, dans un double sens: d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes: l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même».

Ou encore: «La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique  - à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne».

Freund, sur base de cette définition de l'essence du politique, soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'œuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est «un art de la décision», fondé sur trois types de relations: la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi.

Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique: elle légitimise l'usage de la force de la part de l'Etat et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'Etat n'est plus souverain; sans souveraineté, l'Etat n'est plus l'Etat. Mais un Etat peut-il cessé d'être «politique»? Certainement, nous répond Freund:

«Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société».

On perçoit dans ces textes issus de L'essence du politique  la parenté évidente entre la philosophie de Julien Freund et la pensée de Carl Schmitt.

Particulièrement attentif aux dynamiques des conflits, ami de Gaston Bouthoul, un des principaux observateurs au monde de ces phénomènes, Freund fonde, toujours à Strasbourg, le prestigieux Institut de Polémologie  et, en 1983, il publie, dans le cadre de cette science de la guerre, un essai important: Sociologie du conflit, ouvrage où il considère les conflits comme des processus positifs: «Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi».

Ainsi, sur base de telles élaborations conceptuelles, révolutionnaires par leur limpidité, Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue «comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts».

Dans un livre largement auto-biographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la renaissance (1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique. C'est le Prof. Dr. Piet Tommissen qui aura l'insigne honneur de publier la version finale de ce travail, à coup sûr aussi fondamental que tous les précédents. Le Prof. Dr. Piet Tommissen sera également l'exécuteur testamentaire et le gérant des archives que nous a laissé le grand politologue alsacien.

Dott. Alessandra COLLA.

(la version italienne originale de cet hommage est paru dans la revue milanaise Orion, n°108, sept. 1993; adresse: Via Plinio 32, I-20.129 Milano; abonnement pour 12 numéros: 100.000 Lire).

lundi, 01 octobre 2007

Hommage à Hellmut Diwald

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Hommage à Hellmut Diwald

 

Né le 13 août 1924 dans le pays des Sudètes, plus précisément à Schattau en Moravie méridionale, le professeur Hellmut Diwald a quitté la vie le 26 mai 1993. Fils d'ingénieur, il s'était d'abord destiné à suivre les traces de son père: il suit les cours de l'école polytechnique de Nuremberg et y décroche son premier diplôme. Mais c'est à l'université d'Erlangen qu'il trouvera sa véritable vocation: l'histoire, l'événémentielle et celle des religions et des idées. De 1965 à l'année de sa retraite, il a enseigné l'histoire médiévale et moderne dans l'université qui lui avait donné sa vocation. Auparavant, il avait travaillé sur les archives d'Ernst Ludwig von Gerlach, un homme politique conservateur et chrétien de l'époque de Bismarck, avait rédigé une monographie sur le philosophe Dilthey et publié plusieurs études, notamment sur Ernst Moritz Arndt, père de la conscience nationale allemande (mais qui a eu un grand retentissement en Flandre également, si bien qu'il peut être considéré à Anvers, à Gand et à Bruxelles comme un pater patriae), et sur l'évolution des notions de liberté et de tolérance dans l'histoire occidentale.

 

Ces premiers travaux scientifiques permettent de comprendre quel homme fut Hellmut Diwald, quelle synthèse il a incarnée dans sa vie intellectuelle et militante: homme de progrès dans le sens où il s'inscrit dans la tradition émancipatrice des Lumières et de la Prusse, il ne conçoit pas pour autant cette émancipation comme un pur refus de tout ancrage historique et politique, mais au contraire, à l'instar du romantique Arndt et du conservateur von Gerlach, comme la défense d'un ancrage précis, naturel, inaliénable, dont l'essence est de générer de la liberté dans le monde et pour le monde. Cet ancrage, ce sont les nations germaniques, nations d'hommes libres qui se rebiffent continuellement contre les dogmes ou les institutions contraignantes, contre les coercitions improductives. Cette notion germanique de l'homme libre a donné la réforme, les lumières pratiques du XVIIIième siècle frédéricien ou joséphien, ou, chez nous, le mythe d'Uilenspiegel. Elle est donc à la base du progressisme idéologique, avant que celui-ci ne deviennent fou sous l'impact de la révolution française et du messianisme marxiste.

 

Hellmut Diwald doit sa notoriété à un ouvrage paru en 1978: une «histoire des Allemands» inhabituelle, où notre auteur inverse la chronologie en commençant par l'histoire récente pour remonter le cours du temps. Cette originalité n'est pas une simple facétie de professeur. En effet, les historiens allemands de notre après-guerre n'ont cessé de juger l'histoire allemande comme le préliminaire à l'horreur nationale-socialiste. Tous les événements de cette histoire étaient immanquablement jugés à l'aune du national-socialisme, ramenés à l'une ou l'autre de ses facettes. Reductio ad Hitlerum: telle était la manie, lassante, répétitive, morne, de tous les zélotes de la profession qui travaillaient à réaliser une seule obsession: tenir leur peuple à l'écart de l'histoire qui se jouait désormais à Washington ou à Moscou, à Pékin ou à Tel Aviv. Tout retour de l'Allemagne sur la scène de l'histoire réelle aurait signifié, pour ces savants apeurés, le retour d'une tragédie à l'hitlérienne. On peut évidemment comprendre que les Allemands, après deux défaites, aient été échaudés, dégoûtés, rassis. Mais ces sentiments sont justement des sentiments qui ne permettent pas un regard objectif sur les faits historiques. En inversant la chronologie, Diwald se voulait pédagogue: il refusait d'interpréter l'histoire allemande comme une voie à sens unique débouchant inévitablement sur la dictature nationale-socialiste. S'il y a pourtant eu ce national-socialisme au bout de la trajectoire historique germanique, cela ne signifie pas pour autant qu'il ait été une fatalité inévitable. L'histoire allemande recèle d'autres possibles, le peuple allemand recèle en son âme profonde d'autres valeurs. C'est cela que Diwald a voulu mettre en exergue.

 

Du coup, pris en flagrant délit de non-objectivité, les compères de la profession, ont crié haro sur Diwald: en écrivant son histoire des Allemands, il aurait «banalisé» le national-socialisme, il l'aurait traité comme un fragment d'histoire égal aux autres. Pire: il ne l'aurait pas considéré comme le point final de l'histoire allemande et aurait implicitement déclaré que celle-ci demeurait «ouverte» sur l'avenir. Pendant deux ans, notre historien a subi l'assaut des professionnels de l'insulte et de la délation. Sans changer sa position d'un iota. Meilleure façon, d'ailleurs, de leur signifier le mépris qu'on leur porte. Mesquins, ils ont voulu «vider» Diwald de sa chaire d'Erlangen. Ils n'ont pas obtenu gain de cause et se sont heurtés au ministre de l'enseignement bavarois, Maier, insensible aux cris d'orfraie poussés des délateurs et des hyènes conformistes.

 

Diwald n'a pas cessé de travailler pendant que ses ombrageux collègues vitupéraient, complotaient, s'excitaient, pétitionnaient. En 1981, avec Sebastian Haffner, un homme de gauche éprouvé et un anti-fasciste au-dessus de tout soupçon, et Wolfgang Venohr, historien et réalisateur d'émissions télévisées, il participe en 1981 à la grande opération de réhabilitation de l'histoire prussienne, dont le point culminant fut une grande exposition à Berlin. Parallèlement à cette série d'initiatives «prussiennes», Diwald travaillait à un sujet qui nous intéresse au plus haut point dans le cadre de notre souci géopolitique: une histoire de la conquête des océans. Deux volumes seront les fruits de cette recherche passionnante: Der Kampf um die Weltmeere  (1980) et Die Erben Poseidons. Seemachtpolitik im 20. Jahrhundert  (1987). Conclusion de Diwald au bout de ces sept années de travail: l'Allemagne a perdu les deux guerres mondiales sur l'Atlantique, parce que sa diplomatie n'a pas compris le rôle essentiel de la guerre sur mer.

 

Au cours de toute sa carrière, Diwald, auteur classé arbitrairement à droite à cause de son nationalisme d'émancipation, n'a jamais perdu la réunification allemande de vue. Cet espoir le conduisait à juger très sévèrement tous les ancrages à l'Ouest qu'essayait de se donner la RFA. Chacun de ces ancrages l'éloignait de sa position centre-européenne et des relations privilégiées qu'elle avait eu l'habitude de nouer avec la Russie. Diwald était donc un critique acerbe de la politique du Chancelier Adenauer, dont l'objectif était l'intégration totale de la RFA dans la CEE et dans le binôme franco-allemand. Inlassablement, Diwald a critiqué le refus adénauerien d'accepter les propositions de Staline en 1952: neutralisation de l'Allemagne réunifiée. Ce refus a conduit au gel des positions et condamné la RDA à la stagnation communiste sous la houlette d'apparatchiks pour lesquels le Kremlin n'avait que mépris.

 

La vie exemplaire de Diwald, clerc au service de sa patrie, nous lègue une grande leçon: l'historien ne peut en aucun cas faire des concessions aux braillards de la politique. Sa mission est d'être clairvoyant en toutes circonstances: dans l'euphorie du triomphe comme dans la misère de la défaite. Pour l'un de ses amis proches, venu lui rendre visite peu de temps après le diagnostic fatidique qui constatait la maladie inéluctable, Diwald a prononcé cette phrase qui fait toute sa grandeur, qui scelle son destin de Prussien qui conserve envers et contre tout le sens du devoir: «Pourvu que je puisse régler toutes les affaires en suspens qui traînent sur mon bureau avant de m'en aller». Hellmut Diwald, merci pour votre travail.

 

Robert STEUCKERS.

 

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vendredi, 18 mai 2007

Hommage à Monique Crokaert

Hommage à Monique Crokaert, poétesse, épouse de Marc. Eemans, décédée le 4 janvier 2004.

Ce texte a été lu le jour de ses obsèques par Robert Steuckers.

Chers parents, chers amis,

Il est l’heure de prendre congé définitivement de Monique, aujourd’hui, en cette triste journée de janvier. Monique, la fille de Jacques, cet esprit politique génial, jamais remplacé et surtout irremplaçable, Monique l’effrontée, Monique la poétesse, Monique la compagne de Marc, Monique qui aimait la vie mais qui n’en avait plus le goût depuis la mort de son grand artiste de mari, nous a quittés, il y a un peu plus d’une semaine.

Une page d’histoire se termine ainsi, trop abruptement. Des souvenirs poignants et incommunicables viennent de s’effacer. Une époque de créativité extraordinaire, artistique, littéraire et philosophique, s’éteint encore un peu plus, avec la disparition de Marc et de Monique à quelque cinq ans d’intervalle, plongeant ce Pays encore un peu plus dans la froide obscurité du Kali Youga.

La langueur qui s’était emparée de Monique depuis le 28 juillet 1998, quand Marc s’est éteint, est sans nul doute empreinte d’une immense tristesse, mais elle nous interpelle, aujourd’hui, au-delà de sa mort. En effet, cette langueur est un appel, qu’elle a lancé à nous tous sans toujours cherché à bien se faire comprendre, un appel pour que nous continuions à œuvrer pour faire connaître, pour défendre la mémoire des peintures, des poèmes, de la pensée mystique de Marc, pour nous souvenir à jamais des poèmes de Monique, pour nous replonger dans l’œuvre politique de Jacques Crokaert.

Car tel était bel et bien le message de cette langueur, et parfois de cette rage, qui a progressivement exténué Monique au cours de ces cinq dernières années. Il serait incorrect de ne pas y répondre, car c’était, au fond, son vœu le plus cher. Que cette formidable mobilisation de l’intellect, de la volonté, de la sensibilité, de l’esprit n’ait pas été qu’un simple passage voué au néant. Que ce formidable feu d’artifice ne soit pas qu’une beauté éphémère. Qu’il y ait pour lui un lendemain. Une réhabilitation totale et définitive.

Tel était le contenu de mes conversations avec Monique au cours de ces cinq dernières années.

Je vous demande donc à tous, selon vos moyens, de réaliser son vœu, si ardent, si noble, si pressant, et de le lui promettre, ici, devant sa pauvre dépouille, devant celle qui ne pourra plus jamais nous parler, nous enjoindre de travailler, ou, même, —et je le dis avec tendresse— de nous « engueuler » parce que les choses ne bougent pas assez vite à son gré. Justement parce que la verdeur occasionnelle de son langage ne sera plus, pour aucun d’entre nous, un aiguillon ou un agacement, je vous demande de continuer ce travail.

Adieu, Monique, nous allons tous regretter tes poèmes, ta nostalgie de Marc, ta fidélité très difficile, vu les circonstances, à son œuvre, nous allons aussi regretter ta verdeur langagière, tes remontrances corsées, comme nous avons aimé les rouspétances de Marc, aigri d’être sans cesse boycotté par les Iniques.

Adieu, donc, et nous travaillerons, pour que les « Fidèles d’Amour » reprennent le flambeau et leur rôle de guide d’une humanité régénérée, pour que les « Lumières archangéliques et michaëliennes » resplendissent à nouveau, comme l’a voulu Marc pendant de longues décennies de combat mystique et philosophique.

Adieu, Monique, tu nous manqueras, parce que tu incarnais, tant bien que mal, parfois en tâtonnant, parfois en te débattant, plusieurs pages sublimes de l’histoire de notre pays. Adieu, mais, pour ne pas t’oublier, nous parlerons et reparlerons de ce qui t’a été si cher au cœur.

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lundi, 07 mai 2007

Le "principe résistance" chez Niekisch

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Le "principe résistance" chez Niekisch

Birgit RÄTSCH-LANGEJÜRGEN, Das Prinzip Widerstand. Leben und Wirken von Ernst Niekisch, Bouvier Verlag, Bonn, 1997, ISBN 3-416-02608-X, DM 49,80.

Dans cette étude universitaire sur la personnalité et les engagements politiques d'Ernst Nie­kisch, l'auteur ajoute, en fin de volume, une étude sur la réception de Niekisch dans les mi­lieux qualifiés de "nouvelle droite" en Allemagne ("Neue Rechte"). Force est de constater qu'en Allemagne la distinction entre "nouvelle droite" et "nationalisme révolutionnaire" n'est pas aussi claire qu'en France. Ce qu'il est convenu d'appeler la "Neue Rechte", Outre-Rhin, ti­re une bonne part de ses origines du corpus nationaliste révolutionnaire des années 60 et du début des années 70. Ce corpus national-révolutionnaire allemand était engagé sur le plan social et fort similaire, dans ses démarches, au mouvement de 67/68, surtout dans sa lut­te contre le duopole impérialiste de Yalta. Birgit Rätsch-Langejürgen retrace l'histoire de la ré­ception de Niekisch par le groupe "Sache des Volkes" (= Cause du Peuple), par des au­teurs comme Wolfgang Strauss, Wolfgang Venohr, Michael Vogt et Marcus Bauer. Elle mon­tre également que la réception de Nie­kisch par les groupes NR a conduit à un glissement à "gau­che", dans la mesure où, dans une structure comme le NRKA ("Commission NR de Coor­dination"), d'anciens militants communistes travaillent à déconstruire l'anti-égalitarisme pré­sent dans le NR ouest-allemand, première mouture, afin de donner de la consistance au mes­sage solidariste de ces groupes: ces militants ex-communistes ont notamment analysé les positions de Niekisch dans la République des Conseils de Bavière. L'objectif final était de pro­mouvoir une quintuple révolution, tout à la fois, nationale, socialiste, écologiste, culturelle et démocratique. Au début des années 80, en pleine contestation de l'installation de missiles américains sur le sol allemand, la critique traditionnelle des NR contre les deux super­puis­san­ces se mue en une volonté de renouer avec l'URSS, comme au temps de Niekisch, car l'URSS est la seule puissance capable de résister durablement au capitalisme globaliste. Dans la mosaïque très diversifiée des nouvelles droites allemandes, des divers partis natio­na­listes et des groupes NR, la réception de Niekisch a été "ambivalente", conclut Birgit Rätsch-Langejürgen.

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mercredi, 14 mars 2007

L'hommage de Ph. Randa à J. Mabire

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A jamais parmi nous

Le magnifique testament de Jean Mabire

Voilà dix ans que ses amis savaient Jean Mabire très malade, mais tous avaient fini par ne plus y penser. Jusqu’à ses dernières forces, il a poursuivi son œuvre, appelée à devenir une référence majeure. « Ecrire, dit-il, doit être un jeu dangereux. C’est la seule noblesse de l’écrivain, sa seule manière de participer aux luttes de la vie. »

« Si quelqu’un mérite bien le paradis des chrétiens, c’est assurément lui ! Il n’y croyait peut-être pas, mais il a vécu sur Terre comme un vrai chrétien, et même bien davantage que certains qui s’autoproclament comme tel sans en respecter les plus simples préceptes. »
Jean Bourdier

N é le 8 février 1927, Jean Mabire ne fêtera donc pas ses 80 ans « parmi nous ». Depuis mercredi dernier, 28 mars, il a rejoint tous les personnages historiques qu’il fit revivre dans ses cent et quelques livres publiés, tous ses amis partis avant lui, et ceux qui furent tout autant l’un que l’autre. Il rendait ainsi dernièrement un ultime hommage à Christian de La Mazière, le « rêveur casqué et blessé », dans la chronique littéraire qu’il tenait à « National Hebdo ». Souffrant de la même grave maladie, il lui demandait, voici quinze jours, de ne pas marcher trop vite car il savait qu’il n’allait pas tarder à le rejoindre. Gageons que Christian de La Mazière l’a entendu et donc attendu sur le chemin de ce royaume où l’honneur et la fidélité unissent ceux qui ont bravé, leur vie durant, le conformisme intellectuel.

Le chantre de « tous les braves »

Jean Mabire avait d’abord voulu être dessinateur et graphiste ; il avait fondé voilà un demi-siècle un atelier d’art graphique, « Les Imagiers normands ». Puis il se fit journaliste, d’abord à la normande « Presse de la Manche », puis dans des organes très engagés (« L’Esprit Public », « Europe Action », « Défense de l’Occident », « Dualpha », « Eléments ») puis très « droitiers » (« Valeurs actuelles »,  « Spectacle du Monde », « Minute », « Le Choc du Mois ») et enfin à « National Hebdo », où le convièrent voilà quinze ans Roland Gaucher et Jean Bourdier, et qu’il ne quitta plus.

Il ne faudrait pas oublier non plus ses multiples collaborations aux revues historiques (« Historia », « Enquête sur l’Histoire », « Visages de l’Histoire » et, bien sûr, « Hommes de Guerre », qu’il dirigea) ou régionalistes (« Heimdal », « Vikland », « Haro », « Hellequin »…) Une telle carrière rendrait déjà envieux bien des professionnels de la presse, mais avant tout, mais surtout, Jean aura été historien.

Le grand public le connaît pour ses récits de guerre et parmi ceux-ci, plus encore pour ses livres sur les unités de la Waffen SS européenne. Des livres qu’il ne reniait certes pas, mais dont il s’exaspérait qu’on lui parle parfois exclusivement, alors qu’ils ne représentent qu’un tiers environ de son œuvre. Un tiers seulement ? Oui, mais un tiers qui ne passa pas inaperçu dans les années soixante-dix et quatre-vingt du siècle dernier. Il n’était pas rare, alors, de voir les « casques à boulons» signés Jean Mabire en pile dans les rayons des grandes surfaces. Il y a moins de vingt-cinq ans de cela et il semble aujourd’hui que ce fut il y a un siècle…

Ce succès devait occulter celui, tout aussi réel, mais moins voyant, de ses récits consacrés aux Chasseurs alpins (lui-même étant un ancien du 12e bataillon de chasseurs alpins), aux paras américains et anglais de la Seconde Guerre mondiale, aux samouraïs (avec Yves Bréhéret) ou encore aux guerriers de la plus Grande Asie et tout particulièrement au baron Raoul Ungern von Sternberg. La postérité lui rendra un jour justice d’avoir voulu être le chantre de « tous les braves », quelles qu’aient été leur nationalité, leurs convictions ou leur engagement…

Libre en amitiés

On l’oublie trop souvent, Jean Mabire a été aussi un grand historien de la Normandie, du Nord et de la mer. A ce titre, il cultivait des amitiés qu’on ne lui aurait pas devinées : par exemple celle de Gilles Perrault (ex-président de Ras l’front) ou celle de Jean-Robert Ragache, grand maître du Grand Orient de France, avec lequel il signa une Histoire de la Normandie, trois fois rééditée. A ce propos, je lui demandais un jour son avis sur la franc-maçonnerie. Il me répondit, amusé : « Personne ne m’a jamais proposé d’y entrer, même pas mes amis francs-maçons dont beaucoup s’imaginent sans doute que j’en suis… »

Ce que tout le monde savait en revanche, c’est qu’« à la religion des autels et des livres », il préférait « la croyance aux bois et aux sources ». Ce à quoi ses amis très catholiques, comme Jean Bourdier, répondent en chœur, depuis mercredi dernier : « Si quelqu’un mérite bien le paradis des chrétiens, c’est assurément lui ! Il n’y croyait peut-être pas, mais il a vécu sur Terre comme un vrai chrétien, et même bien davantage que certains qui s’autoproclament comme tel sans en respecter les plus simples préceptes. »

Sans doute ai-je toujours été un lecteur type de Jean Mabire : adolescent, je m’enflammais aux exploits des guerriers qu’il faisait revivre. A peine majeur (de la majorité d’avant Giscard), je les délaissais pour ses livres politiques (Drieu parmi nous, La Torche et le Glaive, Thulé, Le Soleil retrouvé des Hyperboréens, Les Grands Aventuriers de l’Histoire : les Eveilleurs de peuple…). Puis, jeune homme, je découvrais ces autres aventuriers qui le fascinèrent tout autant et dont il fut le biographe : Bering, Roald Amundsen, Ungern, Patrick Pearse… Enfin, ayant largement dépassé la quarantaine, je reste à jamais fasciné par ses portraits d’écrivains qu’il nous a offerts chaque semaine dans sa chronique « Que lire ? ».

Que lire ? Mabire !

C’est une œuvre d’une tout autre ampleur que ses récits de guerre, sa quête incessante de l’Ultima Thulé ou ses aspirations régionalistes (il fut co-fondateur de l’Union pour la Région Normande qui donnera naissance en 1971 au Mouvement normand). Les sectaires lui reprocheront d’avoir osé parler de tel auteur, « inverti » notoire, qui n’a donc pas sa place dans la littérature ! De tel autre, communiste, et donc complice du diable ! De tel autre enfin, qui était du camp des vaincus de 1945 et n’a de ce fait plus même droit au qualificatif d’écrivain !

On trouve une preuve de l’honnêteté intellectuelle de Jean Mabire à travers chacun de ses portraits d’écrivains : pas une seule mesquinerie raciste, politique, religieuse, littéraire, n’entache sa volonté manifeste de pousser le lecteur à lire, toujours et encore, et souvent à découvrir un auteur. Ainsi commence l’éternité d’un écrivain lorsqu’on sauvegarde son souvenir, c’est-à-dire son « âme ».

« Que lire ? » est non seulement la grande œuvre de Jean Mabire, mais un testament magnifique qu’il laisse à ses innombrables lecteurs passés, présents et futurs. Un jour, peut-être, on dira « le Mabire » comme on disait hier « le Lagarde et Michard ». Nous serons quelques-uns à dire que nous le Mabire, l’homme, nous l’avons connu. Et aimé.

Philippe Randa

Les cinq premiers tomes de Que lire ?, de Jean Mabire, sont disponibles aux éditions Dualpha (www.dualpha.com ou Dualpha diffusion, BP 58, 77522 Coulommiers Cedex) au prix unitaire de 26,00 euros. Les deux tomes suivants paraîtront prochainement.

 

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samedi, 17 février 2007

R. Steuckers: Hommage à J. Thiriart

Robert STEUCKERS:

Hommage à Jean Thiriart (1922-1992)

http://www.voxnr.com/cc/d_thiriart/EpkyVAElkVXDVMELnk.sht...

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jeudi, 01 février 2007

R. Steuckers: rencontres avec Marc. Eemans

Robert Steuckers :

Mes rencontres avec Marc. Eemans

C’est Daniel Cologne, collaborateur des revues Défense de l’Occident et Totalité, qui m’a mis en contact avec Marc. Eemans. C’était en 1978. Daniel Cologne revenait voir ses parents  —dont je n’oublierai jamais l’immense gentillesse ni le sourire de sa maman—  à Bruxelles régulièrement, car il travaillait entre Genève et Paris. Lors de ces visites, il me donnait souvent rendez-vous pour discuter de Julius Evola et de tout ce qui tournait autour de son œuvre, de la Tradition et de René Guénon. Ce jour-là, il était enchanté d’avoir pris contact avec l’un des derniers représentants du surréalisme historique qui s’intéressait également à Julius Evola. Je ne percevais pas encore très bien quel pouvait être le rapport entre le mouvement Dada et les surréalistes de Breton (dont je n’avais lu, à l’époque, que L’anthologie de l’humour noir), d’une part, et l’univers traditionnel auquel Evola nous avait initiés, d’autre part. Cologne m’a annoncé, ce jour-là, que Marc. Eemans exposait ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, à Saint-Gilles-lez-Bruxelles. Avec l’enthousiasme juvénile, sans hésiter, j’ai sauté dans le premier tramway pour rencontrer Eemans. Il était assis au fond de la galerie, devant un bureau de taille impressionnante, et feuilletait un magazine, le nez chaussé de ses lunettes à grosses montures noires. Il m’a reçu chaleureusement, enchanté de découvrir qu’Evola avait encore de très jeunes adeptes, y compris à Bruxelles. Je me suis empressé de lui dire que je n’étais pas le seul, que je lui ferai rencontrer mes copains, surtout le regretté Alain Derriks, passionné de traditionalisme (et de bien d’autres choses de l’esprit). Jef Vercauteren, qui avait tenté quelques années auparavant de lancer des cercles évoliens en Flandre, avait malheureusement disparu dans un accident d’automobile en 1973, tout comme Adriano Romualdi, le jeune disciple politisé d’Evola, mort la même année en Italie, dans des circonstances analogues. Eemans pensait enfin réaliser le vœu de Jef Vercauteren, travailler après lui à promouvoir en Flandre et aux Pays-Bas le corpus légué par Evola. 

Cette rencontre dans la galerie de la Chaussée de Charleroi est donc à l’origine du lancement de la section belge du Centro Studi Evoliani, appelation qu’Eemans avait reprise de l’initiative parallèle de Renato del Ponte, l’homme qui avait transporté les cendres du Maître sur le sommet du Monte Rosa, selon ses dispositions testamentaires, et dirigeait la revue Arthos. Cette rencontre est aussi à l’origine des longues conversations à bâtons rompus que j’ai eues avec Eemans pendant plusieurs années.

 

Le «Centro Studi Evoliani»

Grâce à la générosité et l’enthousiasme de Salvatore Verde, haut fonctionnaire de la CECA en poste aux Communautés Européennes, le Cercle Evola de Bruxelles a pu démarrer et organiser régulièrement des réunions privées où l’on discutait surtout des derniers numéros de Totalité parus, des initiatives de Georges Gondinet (son bref essai La nouvelle contestation  a eu un grand retentissement dans notre petit groupe), de Philippe Baillet et de Daniel Cologne en France et en Suisse. Parfois nous sortions du cadre strictement évolien, notamment quand, pendant une après-midi entière, nous avons évoqué la figure de Martin Heidegger, dont la revue Hermès, fondée avant-guerre par Marc. Eemans (j’y reviens !), avait publié les premiers textes traduits en français. A l’époque, Alain Derriks (1954-1987), moi-même et quelques autres amis potassions essentiellement Les écrits politiques de Heidegger  de Jean-Michel Palmier (L’Herne, 1969). Au cours de cette réunion, j’ai été très impressionné par une amie germaniste de Marc. Eemans qui nous a admirablement lu, avec une diction superbe et poignante, le discours qu’avait rédigé le philosophe de la Forêt Noire sur la figure du martyr politique le plus célèbre de l’Allemagne de Weimar : Albert-Leo Schlageter.

 

Une autre fois, dans un salon privé de la rue de Spa, j’ai présenté maladroitement un texte de Nouvelle école sur la notion d’empire, dû à la plume de Giorgio Locchi. A cette occasion, j’ai rencontré Pierre Hubermont, ancien écrivain prolétarien de sensibilité communiste, détenteur en 1928 du Prix de la littérature prolétarienne, directeur de la revue La Wallonie  et animateur principal des Cercles Culturels Wallons (CCW) pendant la seconde guerre mondiale, sans jamais avoir renié ses idéaux communistes et prolétariens de fraternité internationale. Pierre Hubermont était presque nonagénaire en 1978-79 : il m’a prodigué des conseils avec la patience d’un grand-père affable, a renforcé en moi la conscience impériale, seule garantie de paix en Europe. Au-delà de la barrière des années et des expériences, souvent insurmontable, nous étions d’accord, lui, l’octogénaire avancé, mûri par les revers mais indompté, et moi, le jeune freluquet qui venait à peine de franchir le cap de ses vingt ans. L’effondrement du Saint-Empire, surtout après 1648, a ouvert la boîte de Pandore en Europe, ce qui nous a menés aux boucheries de 14-18 et à l’enfer de la deuxième guerre mondiale. Deux choses chez Pierre Hubermont m’ont également frappé ce jour-là et sont restées gravées dans ma mémoire : une diction et un verbe choisis, une précision de langage dépourvue de froideur, où l’enthousiasme était intact, malgré les adversités de la vie qui ne l’avaient pas épargné.

 

On le voit : des commentaires sur l’aventure éditoriale de Totalité  et des péripéties du mouvement évolien en Italie (avec Romualdi, Freda et Mutti) aux exposés sur Pareto, Heidegger, Wirth, Guénon, Dumézil, Eliade, Coomaraswamy et aux souvenirs de l’époque surréaliste, le Cercle Evola a été une bonne école, une école d’éveil sans contrainte. Les plus jeunes assistants —après les séances et dans une autre salle où nous fumions de longs cigares cubains et buvions soit du whisky sec soit du vin rouge, parfois jusqu’à une franche ébriété—  se passionnaient bien évidemment pour La désintégration du système de Freda et pour toutes les formes qu’avait prises la quête de l’inflexible “Capitaine” de Padoue à l’époque : exploration des écrits de Celse et de l’Empereur Julien (que les Chrétiens nomment “L’Apostat”), de Porphyre (ses Discours contre les Chrétiens), de Sallustius (Sur les dieux et sur le monde), etc. Mutti a un jour avoué sa surprise à Baillet : qui pouvaient donc être cette équipe de Bruxellois qui commandaient jusqu’à cinq exemplaires de chaque livre du catalogue de ses éditions… ?

 

Des conversations à bâtons rompus…

Entre ces réunions, je rendais souvent visite à Eemans, qui n’habitait pas loin de l’école de traducteurs-interprètes où j’étais inscrit. Nos conversations, comme je viens de le dire, étaient à bâtons rompus, presque toujours autour d’un solide verre de Duvel, trouble et mousseuse, pétillante et traîtresse (la potion magique des Brabançons) : Marc. Eemans me parlait souvent d’Elsa Darciel (comme il en parle dans “Soliloque d’un desperado non nervalien”, cf. infra). Elsa Darciel était une amie chorégraphe de notre peintre. Elle avait connu le dissident politique américain Francis Parker Yockey lors de ses quelques passages à Bruxelles, avant qu’il ne meure mystérieusement dans une prison du FBI en 1961. Eemans évoquait aussi les philologues germanistes wagnérisants qui avaient marqué ses années d’athénée à Termonde (E. Soens et J. Jacobs, Handboek voor Germaansche Godenleer, Gand, 1901) et éveillé ses goûts pour les mythes et les légendes les plus anciennes. Plus tard, cet engouement s’exprimera dans les colonnes de l’édition néerlandaise de Hamer, où l’empreinte d’un autre grand spécialiste de l’antiquité germanique s’est fait sentir, celle de Jan De Vries.

 

Marc. Eemans était une source intarissable d’anecdotes, de potins, d’histoires drôles, forçant son interlocuteur à voir le monde des arts et des lettres par le petit bout de la lorgnette. Il ne cessait de se moquer des travers et des vanités des uns et des autres, se montrant par là foncièrement brueghelien et brabançon (bien qu’il soit originaire de Flandre orientale). Les sots s’insurgent souvent devant un tel franc parler. Justement parce qu’ils sont sots. Pour moi, cette absence totale d’indulgence devant le spectacle des vanités humaines a été la grande leçon de Marc. Eemans. Tant le petit monde du surréalisme d’avant-guerre que celui de la collaboration ou celui des cénacles culturels de l’après-guerre n’échappaient à ses moqueries. Un leitmotiv  revenait toutefois sans cesse : les Pays-Bas (Nord et Sud confondus) ont une spécificité ; cette spécificité s’exprime par les arts plastiques, par les avant-gardes et les audaces qui s’y manifestent. Pour lui, ni le Paris des intellectuels à la mode ni l’Allemagne nationale-socialiste, avec son obsession de l’“art dégénéré”, n’avaient le droit de s’ingérer dans la libre expression de ces arts donc de cette spécificité. Eemans, même dans les coulisses de la collaboration intellectuelle, est resté, sans compromis, un avocat de l’art libre. Une position libertaire intransigeante et inconditionnelle qu’oublient aujourd’hui beaucoup de donneurs de leçons, de moralistes à la petite semaine, de fonctionnaires subsidiés de la culture (avec carte de parti et affiliation au syndicat).

 

La revue «Hermès»

Lors de ces conversations, immanquablement, nous avons un jour évoqué la revue Hermès, qu’il avait fondée avec René Baert dans les années 30. Il m’en a montré des exemplaires, les derniers en sa possession. Un petit tas de revues, ô combien émouvant et précieux. Je me rappelle de les avoir feuilletées avec dévotion : sur les couvertures apparaissaient les noms de Henry Corbin, de Karl Jaspers, de Martin Heidegger, de Henri Michaux, de Bernard Groethuysen, etc. Marc. Eemans avait été leur éditeur. Il avait œuvré au sommet le plus vertigineux de la culture européenne de ce siècle et une inquisition barbare l’avait chassé de cet olympe. Il en avait la nostalgie. On le comprend.

 

Hermès est une ouverture sur la dimension mystique de la pensée européenne (et non-européenne). Bien avant Jacques Derrida, qui nous demande aujourd’hui, au nom du multiculturalisme, de nous ouvrir à l’Autre en explorant les traditions métaphysiques et philosophiques non-occidentales et la mystique (notamment arabe et juive), Eemans et Baert avaient clairement indiqué cette voie, au moins trente ans avant lui. Plus tard, Henri Michaux, lui aussi, membre de cette rédaction bruxelloise, évoquera ses “ailleurs”, bouddhistes ou taoïstes (et non pas seulement des “ailleurs” issus de l’expérimentation de toutes sortes de stupéfiants, mescaline et autres).

 

L’intérêt de Marc. Eemans pour Evola provient de cette quête et de cette ouverture qu’il fut l’un des premiers à pratiquer dans notre pays. En compulsant chez lui les exemplaires d’Hermès, qu’il me montrait, j’ai eu la puce à l’oreille et je n’ai plus jamais cessé de considérer cette piste comme essentielle. Déjà, en première candidature de philologie germanique aux Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles, en 1974-75, j’avais eu l’audace de lier Héraclite, Goethe et Eliade, dans une exploration multidirectionnelle du mythe du feu, de la notion de l’éternel retour et du défi prométhéen. Je ne renie rien de cette ébauche de jeune étudiant, certes fort immature, mais néanmoins correcte dans son intention, corroborée a posteriori par des lectures plus savantes et plus attentives. Cette percée philosophique, plus acceptante et joyeuse que critique et rigoureuse, en direction de l’univers immense de l’extra-philosophicité avait déplu à la vieille fille lugubre et sinistre, décharnée et hagarde, qui pontifiait et pontifie encore et toujours dans cet établissement d’enseignement. Quelques jours avant la rédaction de ces lignes d’hommage à Eemans, un de ses étudiants me mimait ses grimaces coutumières, me paraphrasait ses tics langagiers ; en vingt-cinq ans, rien n’a changé : la pauvresse répète les mêmes bouts de phrases, prononce les mêmes salmigondis, n’a toujours pas écrit d’articles bien charpentés pour expliciter ses positions. Quel gâchis et quelle tragédie ! Elle devrait relire les textes de Nietzsche sur la sclérose des établissements d’enseignement : bonne thérapie du miroir. Outre l’ouverture à Hermès et la leçon d’Eemans, ponctuée de moqueries bien senties, deux livres m’ont aidé à poursuivre ces recherches, tout à la fois philosophiques et extra-philosophiques, toujours dans l’esprit d’Hermès : celui de l’Indien G. Srinivasan, The Existentialist Concepts and the Hindu Philosophical Systems (acheté à Londres en 1979 dans une librairie de la Gt. Russell Street, à un jet de pierre du British Museum) et celui de l’Américain John D. Caputo, The Mystical Element in Heidegger’s Thought, acquis à Bruxelles dix ans plus tard.

 

«Fedeli d’Amore» et «Lumières victoriales»

 

Corbin, collaborateur d’Hermès,  a exploré le mysticisme soufi et iranien pendant toute sa vie. Ses recherches ont certainement suscité quelques idées-forces chez Marc. Eemans. Corbin a étudié l’œuvre d’Ahmad Ghazâli, centrée autour de la notion de “pur amour”. Celle-ci a été reprise en Occident par Dante et ses Fedeli d’Amore, philosophes non abstraits, en route dans le monde, sous la conduite de l’Intelligence en personne (la “Madonna Intelligenza”). L’Amour qui compénétre tout, qui meut l’univers a toujours été une constante dans la pensée de Marc. Eemans, sans qu’il ait jamais négligé les amours plus charnels. “Nous étions de terribles hétéros”, déclarait-il, dans un entretien de 1990 accordé à Ivan Heylen, journaliste flamand de Panorama. Les “Platoniciens de Perse” avaient ouvert la pensée iranienne islamisée à la sagesse de l’ancien Iran avestique, retournant ainsi aux sources pré-islamiques et pré-chrétiennes de notre culture indo-européenne. Avec Sohrawardî, la pensée iranienne avait redécouvert la “haute doctrine de la Lumière”, une théosophie que l’on qualifie d’“orientale” par opposition à l’avicennisme occidental, devenu impasse de la pensée. Sohrawardî critiquait les péripatéticiens (disciples d’Avicenne) parce qu’ils limitaient les Intelligences, les êtres de lumière au nombre de dix (ou de 55) et s’appuyaient uniquement sur le raisonnement discursif et l’argumentation logique. C’est là une clôture qu’il convient de faire éclater, pour accepter la multitude de “ces êtres de lumière que contemplèrent Hermès et Platon, et ces irradiations célestes, source de la Lumière de Gloire et de la Souveraineté de Lumière (Ray wa Khorreh) dont Zarathoustra fut l’annonciateur”. Corbin parle à ce niveau d’une philosophie qui postule vision intérieure et expérience mystique, orientale (où l’“Orient” indique la voie et signifie concrètement l’ancienne Perse avestique). La vision intérieure permet à l’homme de capter ces “splendeurs aurorales”, expression du Flamboiement primordial, de la Lumière de Gloire (Xvarnah pour les Zoroastriens, Khorreh pour les Perses et Farr/Farreh  pour la forme parsie actuelle), cette énergie “qui cohère l’être de chaque être, son Feu vital, ses Lumières “victoriales”, archangéliques et michaëliennes (Michel étant l’Angelus Victor)”.

 

Ce détour par Corbin (cf. Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964) explique le passage graduel qu’ont effectué Eemans (et Evola) en partant du dadaïsme et/ou du surréalisme pour aboutir aux Traditions, mais explique aussi l’engagement ultérieur d’Eemans et de Baert aux côtés du “Feu vital” qu’ils ont cru percevoir dans les nouvelles idéologies des années 30 en général et dans le national-socialisme en particulier (ses dimensions wagnériennes et ses “cathédrales de lumière”). Cette “vision aurorale” des Platoniciens persans, qui s’est identifiée chez nos deux intellectuels bruxellois au Reich du swastika de feu (dixit Montherlant dans Le solstice de juin), s’est terminée tragiquement pour Baert ; elle a laissé beaucoup de désillusions et d’amertume dans le cœur de Marc. Eemans. Dommage qu’il n’ait jamais parlé ni sans doute entendu parler de l’Ordre fondé par Corbin, le “Cercle Eranos” qui a duré jusqu’en 1988 et qui se voulait une “milice de vérité”, un “Temple”, une chevalerie zoroastrienne, où l’on retrouvait également Mircea Eliade... Corbin disait : «Eranos n’était possible qu’en un temps de détresse comme le nôtre… En un temps où toute vérité authentique est menacée par les forces de l’impersonnel, où l’individu abdique son devoir de différer devant la collectivité anonyme, où pour celle-ci l’individualité même signifierait culpabilité, nous aurons été du moins l’organe d’un monde qui depuis la “descente des Fravartis sur Terre” n’a pas succombé aux forces démoniaques, et nous aurons contribué à la traditio lampadis, parce que ce monde impérissable aura été notre passion…». Le Prof. Gilbert Durand, qui confesse avoir été actif dans les “rencontres d’Eranos” ajoute : Renversement radical du monde de détresse au profit de l’appel secret et permanent qu’est cet “envers des ténèbres”. Eemans a-t-il eu connaissance de ce “Cercle Eranos” ? Il ne m’en a jamais parlé mais c’eût peut-être été un havre pour lui, un espace de consolation dans l’adversité…

 

Feu d’Héraclite, étincelle de Maître Eckhart, énergie de Schiller, élan vital de Bergson, lumière de la tradition ouranienne chez Evola, voilà autant de signes de la vitalité et de l’intensité impérissable des grands élans de la Tradition. C’est à ce monde-là qu’appartenait Eemans, c’est de ce monde-là qu’il avait la nostalgie, c’est de sa disparition qu’il souffrait, dans l’épaisseur sans relief du monde quotidien. Dans la recherche triviale mais nécessaire du pain quotidien  —sa hantise, sa cangue, il ne cessait de le répéter—, il sentait cruellement la blessure de l’exil. Un exil vécu dans sa propre patrie, gouvernée par des cuistres et devenue sourde à l’appel de tout Feu vital.

 

Bon nombre de souvenirs se bousculent encore dans ma tête : son intervention vigoureuse pour clore le bec d’un médiocre et grossier contradicteur de Jean Varenne lors d’une conférence du GRECE-Bruxelles ; la rencontre avec Paul Bieh­ler, exégète d’Evola ; sa présence lors de la conférence de Philippe Baillet à la tribune d’EROE, chez le regretté Jean van der Taelen ; la soirée mémorable chez lui, après un séminaire du GRECE-Bruxelles sur la Sociologie de la révolution de Jules Monnerot (aussi un ancien du surréalisme), où son épouse Monique Crokaert m’a remis son recueil de poèmes, Sulfure d’Alcyone (d’où je tiens à extraire ces quelques vers :

 

«Il fait soleil dans mon cœur.

 

Je donne, je redonne, j’ai tout donné

 

A celui qui m’aime et me vénère.

 

Je l’ai quitté pour un temps d’évanescence.

 

Je m’en veux.

 

Mes pas sont des tendresses qui deviennent délires.

 

J’aspire à sentir l’effluence de celui que j’aime»).

 

Boisfort, Termonde, Saint-Hubert

Ensuite, il y a eu les vernissages et les hommages officiels, celui de Boisfort en 1982 dans la superbe Chapelle de Boondael, pour le 75ième anniversaire d’Eemans, avec un discours de Jean-Louis Depierris et un autre de Jo Gérard, en la présence de l’inoubliable “Alidor”, alias “Jam”, dans le civil Paul Jamain, le caricaturiste le plus drôle et le plus féroce du XXième siècle en Belgique, le compagnon de Hergé avant-guerre, disparu en 1994, laissant orpheline toute la presse satirique du royaume. Ce jour-là, Alidor a été un formidable boute-en-train. L’hommage de sa ville natale, Termonde (Dendermonde) en 1992, pour son 85ième anniversaire, a été particulièrement chaleureux. Les drapeaux des XVII Provinces claquaient au vent, suspendus aux mats de l’hôtel de ville, dans un superbe jeu de couleurs chatoyantes. Eemans avait également organisé en 1992 une rétrospective Saint-Pol Roux (1861-1940) à Saint-Hubert dans les Ardennes. Le symbolisme de Saint-Pol Roux et sa volonté de représenter une réalité idéelle, son style sombre, fait de métaphores imagées à la façon du surréalisme, étaient autant d’éléments qui fascinaient Eemans. Il avait réussi à attirer vers cette manifestation des spécialistes français, britanniques et allemands de cet auteur né en Provence et mort en Bretagne. A 85 ans, Eemans était toujours sur la brèche, sur le front de la vraie culture, tandis que la culturelle officielle vaquait à ses vraies bassesses.

 

Le dernier voyage

J’ai appris le décès de Marc. Eemans en revenant de notre dernière université d’été à Trente au Tyrol et de celle qu’avait organisée Jean Mabire en Normandie, trois jours plus tard ; quelques instants aussi après avoir appris la disparition de Maurice Bardèche, également âgé de 91 ans. Mabire m’a dit à mon retour de son université d’été qu’il avait reçu la dernière lettre d’Eemans, un jour après sa mort. Preuve simple, et sublime dans sa simplicité, que la lucidité et la fidélité n’ont jamais quitté notre surréaliste réprouvé, qu’il tenait son courrier à jour, soucieux de semer et de semer encore, même en terre aride, jusqu’à son dernier souffle. Il a tenu parole. Là, dans ce qui n’est qu’apparemment un détail, est son ultime grandeur. Une semaine ou deux après mon retour de Normandie, son épouse Monique m’a averti personnellement, m’a dit qu’il nous avait définitivement quittés et elle m’a aussi annoncé que Marc avait souhaité la dispersion de ses cendres dans les eaux de l’Escaut ou de la Mer du Nord. Finalement, l’autorisation a été donnée de procéder à cette cérémonie peu fréquente, au large d’Ostende. Le rendez-vous fut fixé au 25 septembre 1998. Une cinquantaine d’artistes, d’amis et d’admirateurs ont pris place à bord d’un bateau, pour accompagner Marc. Eemans dans son dernier voyage. La mer et le ciel étaient merveilleux, ce jour-là, tout en tons pastel, un bleu-gris avec scintillements argentés pour les flots, un bleu d’une douceur caressante pour le ciel. Les cendres de Marc se sont écoulées vers la mer, frôlant la coque de bois du vieux bateau de pêcheurs, requis pour cette mission funéraire. Deux bouquets ont été lancés à l’eau l’un par les mains tordues de chagrin de son épouse et l’autre par un ami, plus ferme mais aussi très ému. Un autre ami a entonné le «J’avais un Camarade», avec la forte voix et l’inébranlable conviction qu’on lui connaît depuis toujours.  Le bateau a tourné deux fois autour des bouquets, lentement, exécutant deux vastes mouvements de circonférence, permettant à chacun de se recueillir, avec toute la sérénité qu’il convenait, avec cette Gelassenheit  que nous a enseignée Heidegger. Une très belle cérémonie. Inoubliable.

 

Robert STEUCKERS.

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jeudi, 25 janvier 2007

G. Hupin: Définir Mabire

«C’était alors notre guerre, à nous qui l’avions durement faite, hors-la-loi des deux côtés, loin des politiciens, des moralisateurs et des propagandistes.»

Jean Mabire, capitaine parachutiste

DEFINIR MABIRE

Lorsque la mort nous a séparé d’un de nos maîtres, peut-être du plus précieux, le mouvement nous vient spontanément de le revisiter, de lui recomposer dans notre esprit figure et gestes, de le redéfinir. En remarquant aussitôt, pour Jean Mabire, à quel point une définition lui sied mal, lui fait injure même. Comme elle fait injure à quiconque, mais à lui plus qu’à tout autre sans doute. André Maurois, par ailleurs plutôt décevant, apporte une lumière à cette question quand il dit : «Je ne reconnais de justice que d’une personne, mon tailleur, car il reprend chaque fois mes mesures.»

Pour mesurer Jean Mabire, ce qui convient, ce n’est pas simplement la justice, laquelle n’est que comptable, mais la justesse, qui tient de l’harmonie. Pour ce qui est de marquer ses mesures à notre ami, on ne risque rien à conclure qu’il maîtrisait une grande intelligence. Surtout quand on a entendu Jean Haudry, linguiste excellentissime, admettre que le mot intelligence peut signifier, en même temps qu’une aptitude à lire entre les lignes du livre de la vie, une disposition à se lier de manière intime. Pour calibrer l’intelligence de Jean Mabire, il sautait aux yeux que le QI ne pouvait suffire. On se doit noter ici qu’il bénéficiait d’une mémoire éléphantine, durable comme le bronze, et d’une capacité alexandrine de ranger et de classer ses souvenirs.

Cette substance est, en effet, celle bien plus vaste de l’intelligence à vivre, et à vivre dès lors en bonne intelligence, celle qui ouvre à tous les degrés de l’amitié que distingue Aristote. Depuis le bon voisinage et les petits cadeaux qui l’entretiennent, jusqu’à la distillation très pure de la personne véritablement sociale dans l’instantanéité de sa vérité. Notre Maître Jean ne professait-il pas que pour nous le socialisme est une forme d’amitié ?

En plus de l’intelligence du cœur, notre ami avait l’intelligence du goût, laquelle requiert une sincérité encore plus loyale, une pointilleuse finesse qui, plus que la balance du pharmacien, évoque la boussole du marin. Pierre Vial a sans doute encore à l’esprit l’image de Jean Mabire louvoyant le nez en l’air entre les bancs de brume et les îles heureuses d’une exposition bruxelloise de Fernand Knopff. Aussi éprouvons-nous un pincement de regret de n’avoir pu transformer l’essai projeté d’une visite au Musée Breker et, bien sûr, dans la lancée -pourquoi ne pas rêver ?-, d’un pèlerinage à l’île de la grande santé, la terre de la sainteté, Heligoland, pour laquelle Jean Mabire cultivait une piété particulière.

Je n’ai pour ma part pas eu le temps de devenir vraiment son ami, bien que je l’aie côtoyé durant plus de trente ans, mais par épisodes, comme un cousin d’une province lointaine. Je n’en ressens pas vraiment de regret et me découvrirais même, à son souvenir, une sorte d’attente confiante qui dispose assez bien à l’idée de réincarnation. Un peu comme il a lui-même entretenu, je crois, une amitié post mortem avec Drieu la Rochelle, dont on peut penser qu’il complétait l’intelligence.

En tout cas celle de l’écriture, sachant admirablement ajuster, sans lourdeur ni fadeur, la forme au fond. Avec, en fin de compte, une grande modestie, laquelle avant d’être le propre du bon ouvrier est la politesse des génies. D’ailleurs, outre cet écrivain excellent, Jean Mabire n’était-il pas avant tout un lecteur d’une très haute fidélité, d’une humilité qu’il n’est pas contradictoire de qualifier également de haute. L’une comme l’autre lui permettaient, et même exigeaient de lui, qu’il écrive sur des confrères écrivains, dont il savait fort bien qu’ils ne lui rendraient jamais la pareille, exactement tout le bien qu’il avait pu trouver chez eux. Par honnêteté pour eux, par honnêteté pour lui-même, par honnêteté pour ses lecteurs.

On ne doit pas douter qu’il nourrissait à l’endroit de ceux-ci un sentiment de responsabilité qu’il n’est pas excessif de qualifier de royale, pour ce que cet adjectif exprime de sacré. J’avais un jour cru sottement lui plaire en évoquant, à propos de la probité de l’écrivain, l’objectivité du juge intègre. Pour moi, ce dernier doit au moins savoir d’abord qu’il est irrésistiblement subjectif. Il doit ensuite avoir l’honnêteté de distinguer, avant de prononcer son jugement, ceux au détriment de qui il regretterait d’avoir commis une erreur judiciaire de ceux en faveur de qui il ne se pardonnerait pas de s’être trompé. Jean Mabire m’a alors regardé pensivement et le long silence qu’il a laissé durer entre nous a été à la mesure de sa délicatesse. C’est de manière indirecte qu’il m’a répondu enfin, en évoquant seulement le problème de l’objectivité des témoins. Comme si sa prétention n’était pas de juger, ni même de plaider, mais avant tout de témoigner aussi exactement que possible. Sans peur et sans haine. La leçon du maître, dans sa délicate discrétion, a porté bien plus que ne l’aurait fait une démonstration logique. J’en ai conservé un sentiment mêlé à la fois de honte et d’admiration. Et de gratitude.

Aujourd’hui que l’éveilleur s’est endormi, voilà que c’est à nous de tenir la veille et de battre le rappel des âmes fidèles.

Georges Hupin

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jeudi, 18 janvier 2007

In Memoriam Jean Mabire (Deutsch)

In Memoriam Jean Mabire

 

 

 

Am 29. März 2006, starb der normandische Schriftsteller, Literaturkritiker und Militärhistoriker Jean Mabire in seiner bretonische Wahlstadt Saint-Malo. Er war 79. Als Jugendlicher musste er 1944 seine Heimat in der damals rein idyllischen Normandie fluchten, weil die Westalliierten ihre übliche Bombenteppichstrategie ausübten, wobei etliche Tausende unschuldiger Zivilisten davon Opfer wurden. Nach dem Kriege studierte er Literatur und schrieb als allererster eine Dissertation über den berühmten faschistischen Schriftsteller Pierre Drieu La Rochelle, der, wie er selbst, ein Kind der Normandie war. Jean Mabire engagierte sich erst für eine Renaissance der Normandie, studierte gründlich die nordisch-skandinavische Vergangenheit dieser Kanalprovinz, ihre mittelalterliche Geschichte und ihre bekannten Schriftsteller und Denker wie etwa Tocqueville, Flaubert, Sorel und Drieu. Ende der 50er Jahre, Anfang der 60er Jahre wird er als Reserveoffizier mobilgemacht und kämpfte in Algerien in einem Alpenjägerverband gegen algerische Partisanen im Aurèsgebirge. Danach, wie damals manche Offiziere, fühlte er sich von der gaullistischen Regierung im Stich gelassen, und engagierte sich im europäisch-nationalen Kampfverband „Europe Action“, zusammen mit seinem Freund Dominique Venner, der heute die Zeitschrift „Nouvelle Revue d’Histoire“ herausgibt. Das Experiment endete leider in einem Fiasko und sowohl Mabire als Venner nahmen den Entschluss, metapolitisch den Kampf weiterzuleiten: der Eine kämpfte bis zum letzten Atemzug, der Andere steht noch immer tapfer auf der Bresche.

 

 

 

So entstand ein Werk breiten Umfangs. Mabire rehabilitierte so vergessene Figuren wie der deutsch-baltische Freiherr Fjodor von Ungern-Sternberg, der die Kavallerie-Division der Weissgardisten-Armee in Ostsibirien leitete. Später zeichnete der italienische Graphiker Hugo Pratt auf Grundlage von Mabires Buch eine weltberühmt gewordene Bilderzählung, in der sein Held Corto Maltese den sogenannten „Verrückten Baron“ trifft. Für Mabire ist der Stoff jeder wertvollen Literatur die menschliche Kraft, Abenteuer zu wagen. Unger-Sternberg verkörperte dieses Ideal, war eine solche Figur. In diesem geistlichen Kontext wurde Mabire in den 70er Jahren der französische Militärhistoriker der deutschen und europäischen Waffen-SS, der französischen Alpenjäger, der deutschen Fallschirmjäger, der britischen Rotbaretten, uzw. Diese Monographien erschienen beim grossen Pariser Verlagshaus Fayard. Er wurde dabei berühmt, viel gelesen, ohne je ausgeschlossen zu werden, da sein strahlender Charismus jede Schwierigkeit wunderlich wegwischen konnte.

 

 

 

Weiter hat er Anfang der 80er Jahre, eine Serie gestartet, die er leider nicht weiterschreiben konnte, was er sehr bedauerte: Monographien über Männer, die er „Volkerwecker“ nannte, wie Grundvigt in Dänemark, Padraig Pearse in Irland, Petöfi in Ungarn. Mabire blieb insofern dieser Grundidee der Volksbefreiung durch geistlicher Rückkehr zu einer idealen entfremdungsfreien Vergangenheit treu, wie zur Zeit seines jugendlichen Engagements für die Wiedergeburt seiner verliebten Heimat, der Normandie. Neben seiner Beschäftigung als Militärhistoriker oder als Historiker schlechthin, schrieb Mabire auch jede Woche eine bemerkenswerte literarische Chronik für das Wochenblatt „National Hebdo“. Mabire hat so ein enzyklopädisches Werk geleistet, da er unbekannt gewordene Autoren, die sehr in ihrer Zeit gelesen wurden, wieder entdeckt bzw. rehabilitiert hat. Man liest verblüfft wie viele Schriftsteller im Laufe der letzten anderthalben Jahrhunderts, eben diese Mabirsche Mischung aus Abenteuer, Wagnis, Reiselust, Behauptung, Sinn für Geschichte in ihren Büchern dargestellt haben. Der Zeitgeist, der zur heutigen verblassten „politischen Korrektheit“ uns jämmerlich geleitet hat, hat die Erinnerung an diese früher Erfolgsautoren buchstäblich ausgewischt. Zeichen der Zeit! Indiz einer Orwellschen Welt!

 

 

 

Um hier Schluss zu machen, möchte ich gern noch meine letzte Begegnung mit Jean Mabire erwähnen. Er war Anfang Dezember 2005 in Brüssel, wo wir zusammen gegessen haben zur Gelegenheit eines Freundschaftsmahls der Gesellschaft der Freunde des non konformen Schriftstellers Jean Raspail. Pausenlos und systematisch mit seiner hellen Stimme und seinem unvergleichbaren Sinn für Nuancen, hat Jean Mabire über seine Ideen, seine neuesten  Entdeckungen gesprochen, als ob die Krankheit nicht heimtückisch da war. Eine männliche Haltung, die bloss Lästigkeiten wie ein langsam wirkender Krebs ignoriert, handelnd wie er überhaupt nicht da war. Ein Beispiel für jeden von uns! Dann kam das allerletzte Handschütteln, lang, fest und kräftig, mit dieser ungebrochenen männlichen Stärke eines Freikorps-Offiziers, und auch mit diesem tiefen kraftvollen blauen Blick, wo noch so viele vitale Kraft stak. Dieser Blick bleibt für immer in meinem Gedächtnis geprägt. Ende Januar kam ein gelassener Abschiedsbrief an alle Freunde, wo Mabire sein eigenes Ende ankündigte. Europa hat einige Wochen später, einer seiner besten Söhne verloren.

 

 

 

Robert  Steuckers.

 

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