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mercredi, 12 avril 2023

Il faut s'attendre à une recrudescence des cyberattaques contre la Russie dans un avenir proche

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Il faut s'attendre à une recrudescence des cyberattaques contre la Russie dans un avenir proche

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/ru/article/vsplesk-kiberatak-protiv-rossii-sleduet-ozhidat-v-blizhayshee-vremya

Les États-Unis mettront en place un "réseau de réseaux" afin d'acquérir une bonne connaissance de la situation et de permettre une action synchronisée, notamment en accélérant l'extraction et le partage de renseignements.

En mars 2023, l'administration Biden a publié une nouvelle stratégie pour la cybersécurité des États-Unis.

L'adversaire est clairement décrit: "Les gouvernements de la Chine, de la Russie, de l'Iran, de la Corée du Nord et d'autres États autocratiques [...] utilisent de manière agressive des capacités cybernétiques avancées pour atteindre des objectifs qui vont à l'encontre de nos intérêts et des normes internationales généralement acceptées. Leur mépris inconsidéré de l'État de droit et des droits de l'homme dans le cyberespace menace la sécurité nationale et la prospérité économique des États-Unis."

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Il est ouvertement déclaré que les quatre nations seront subverties, que les États-Unis construiront un "réseau de réseaux" pour acquérir une connaissance de la situation et créer les conditions d'une action synchronisée, y compris une vitesse accrue d'extraction et d'échange de renseignements.

Dans le même temps, les initiatives de la Russie et de la Chine visant à établir des règles claires et compréhensibles de gestion du cyberespace mondial continuent d'être ignorées par Washington.

Emily Harding, du Centre d'études stratégiques et internationales, fait remarquer que le gouvernement est déterminé à obtenir ce qu'il veut: "Le gouvernement est déterminé à mettre de l'ordre dans ses affaires... Le bureau du directeur de la cybersécurité nationale et ses partenaires doivent accélérer le bon travail qu'ils ont déjà accompli en collaborant avec les leaders de l'industrie.

L'émergence de cette stratégie a été précédée par le rapport annuel de la Communauté du renseignement des États-Unis, publié en février 2023. Voici quelques extraits de ce rapport :

"On peut dire que la Chine représente aujourd'hui la menace de cyberespionnage la plus large, la plus active et la plus persistante pour les réseaux des secteurs public et privé des États-Unis"....

"L'expertise croissante de l'Iran et sa volonté de mener des opérations cybernétiques agressives en font une menace sérieuse pour la sécurité des réseaux et des données des États-Unis et de leurs alliés"...

"Le programme cybernétique de la Corée du Nord constitue une menace sophistiquée et flexible d'espionnage, de cybercriminalité et d'attaques... Pyongyang possède probablement l'expertise nécessaire pour provoquer des perturbations temporaires et limitées de certains réseaux d'infrastructures critiques et pour perturber les réseaux d'entreprises aux États-Unis".

Il est également dit que "l'exploitation des données sensibles des citoyens américains et l'utilisation illégale de la technologie, y compris les logiciels espions commerciaux et la technologie de surveillance, sont susceptibles de continuer à menacer les intérêts américains".

Un certain nombre de publications et de rapports parus en février 2023 sur les activités militaires en Ukraine ; beaucoup d'entre eux se concentrent sur les cyberattaques. Un certain nombre d'entreprises informatiques ont également publié des rapports à cette date. Google écrit sur les pirates informatiques liés au gouvernement russe. Grafika fait état de manipulations des médias sociaux Facebook et Instagram par des médias affiliés à l'État russe.

Il en va de même pour l'Alliance to Defend Democracies. Le rapport évoque également le rôle de la Chine dans la diffusion de "récits pro-Kremlin". Le Conseil atlantique, un groupe de réflexion de l'OTAN interdit en Russie, a publié un rapport similaire qui est désormais largement cité.

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La réaction en chaîne d'articles et de références à d'autres sources faisant autorité crée un effet de cascade.

Il convient d'attirer l'attention sur le budget 2024 du ministère américain de la défense. Il comprend, pour la première fois, une demande de l'US Cyber Command. Il demande 332,6 millions de dollars pour les opérations et la maintenance du quartier général, 129 millions de dollars pour les achats et 1,1 milliard de dollars pour la recherche, le développement et les essais.

Dans l'ensemble, le ministère américain de la défense demande 13,5 milliards de dollars pour les activités du cyberespace au cours de l'année fiscale 2024. Il y a quelque temps, ce chiffre était de 600 millions de dollars. Les dépenses du Pentagone pour les activités cybernétiques ont été multipliées par plus de 20.

L'armée de terre, l'armée de l'air, la marine et les marines (qui disposent toutes de leur propre budget) ont leurs propres divisions chargées des cyberopérations, et les chiffres indiquent que l'armée américaine accordera la plus grande attention aux cyberopérations dans un avenir proche. Le nombre d'équipes spécialisées passera à lui seul de 142 à 147.

La comparaison de ces données permet de conclure qu'il faut s'attendre à une recrudescence des cyberattaques contre la Russie, mais aussi contre la Chine, l'Iran et la RPDC dans un avenir très proche.

 

19:29 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cyberguerre, guerre de l'information, russie, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 11 avril 2023

Les opérations spéciales et leur impact sur la géopolitique future - Entretien avec Robert Steuckers

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Les opérations spéciales et leur impact sur la géopolitique future

Entretien avec Robert Steuckers

Propos recueillis par Anna Tcherkassova pour ukraina.ru (avril 2023)

Comment les opérations spéciales ont-elles modifié l'équilibre mondial des pouvoirs?

Les géopolitologues définissent l’Ukraine comme une « région-portail » (« gateway region »). Elle est un sas par lequel devraient logiquement, pacifiquement, transiter biens matériels et culturels entre les grands pôles de civilisation. Elle constitue par ailleurs une portion importante sur la route qui part de l’Atlantique, de Lisbonne et de Cadix, vers la Volga et la Caspienne et, au-delà, vers le Kazakhstan et la Chine.  La Crimée a fait partie, dans l’antiquité, de la civilisation grecque centrée sur la Mer Egée ; elle a abrité les comptoirs italiens qui commerçaient avec le reste de l’Eurasie ; Catherine II a voulu en faire le réceptacle d’une civilisation nouvelle, helléno-germano-slave. Pour la Russie, la Mer d’Azov constitue l’ouverture aux mers chaudes, le retour vers les horizons méditerranéens (grecs et égyptiens) et l’accès de l’hinterland russe des bassins du Don et de la Volga à la région pontique, ouverte aux orbes plus écouméniques du Sud et de l’Ouest. L’ensemble formé par l’Ukraine, la Crimée, le Kouban et le littoral de Novorossisk à Soukhoumi en Abkhazie aurait pu devenir la plaque tournante d’échanges fructueux entre toutes les composantes civilisationnelles voisines : espace de la civilisation russe, espace danubien (au départ de la Roumanie et de la Bulgarie), espace caucasien, monde turc-anatolien, espace de peuplement kurde, pays riverains de la Caspienne, littoral caspien de l’Iran.

Les échanges entre ces pôles d’une grande richesse culturelle, en lisière de ce que les géopolitologues et les stratégistes anglo-saxons nomment le « Heartland » ont été délibérément sabotés par les pseudo-élites occidentales, au détriment de l’intérêt de tous les peuples d’Europe et d’Asie.

Lors d’un séminaire récent, tenu dans les Ardennes belges, j’ai eu l’occasion de souligner que l’objectif des thalassocraties de l’anglosphère est de ne permettre aucune convergence de cette nature en lisière du « Heartland » (russe en l’occurrence). Les « rimlands », avec littoraux sur les mers chaudes, ne peuvent avoir de liens étroits avec le « Heartland », qui recèle des matières premières indispensables, tout comme, au-delà de la Tauride (Crimée) antique, l’arrière-pays fournissait blé et bois à la civilisation grecque. Ce refus tenace de voir s’installer durablement des synergies entre « Heartland » et « Rimlands » sans intervention impérialiste émanant d’une périphérie insulaire comme la Grande-Bretagne impériale au 19ème siècle ou comme l’ « Ile du monde » que sont les Etats-Unis bi-océaniques.

Les thalassocraties se sont établies, en réclamant, dès le 17ème siècle, la « liberté des mers », c’est-à-dire la liberté de circuler sur les océans et de maintenir libres de toute intervention les communications maritimes. La réponse à cela ne doit pas être un refus ou un rejet de la liberté des mers mais prendre la forme d’une revendication équivalente sur les terres : la liberté des peuples, dans un esprit multipolaire, d’organiser à leur guise la « liberté des terres », soit la liberté d’organiser les communications terrestres par tous moyens possibles : chemins de fer, canaux, navigation fluviale, etc.

En effet, la nouvelle guerre hybride, qui a commencé dès le Maïdan de Kiev en 2014 (avec le précédent de 2004) et qui a culminé avec l’opération militaire spéciale de février 2022, vise à bloquer les communications terrestres, à en ralentir la promotion, à ériger des murs et des barrières dans les endroits les plus stratégiques, notamment dans les « régions-portails ».

Pour n’évoquer que les régions périphériques de la Russie, je ne citerai que l’Arctique et le Corridor Economique de Transport Nord-Sud (de l’Inde à l’Iran et de celui-ci, via la Caspienne, à la Volga, la Mer Blanche et l’Arctique).

L’Arctique, vu d’Europe occidentale, et surtout depuis la Belgique et les Pays-Bas (les ports d’Anvers-Zeebrugge et Rotterdam), fait partie d’un écoumène comprenant la Mer du Nord, la Baltique, la Mer Blanche et l’Arctique. C’est généralement perçu comme un espace qui fut « hanséatique ». Les marins de nos pays ont toujours tenu à commercer avec Novgorod d’abord, avec la « Moscovie » ensuite, au départ des ports arctiques. L’Ukraine sert de prétexte au Deep State de l’anglosphère pour contrôler complètement ces régions : en effet, les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande (dirigée par une dame appartenant à la catégorie des « Young Global Leaders ») font de la Baltique une Méditerranée septentrionale sous la tutelle totale de Washington. Plus aucun Etat neutre n’est riverain de la Baltique. Et, l’Allemagne mise à part, la Pologne, volontairement inféodée aux Etats-Unis, constitue l’Etat riverain le plus peuplé et désormais le plus militarisé de cette mer intérieure du sous-continent européen.

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Le sabotage des gazoducs germano-russes Nord Stream 1 & 2 plonge l’Etat le plus industrialisé du centre de l’Europe dans la récession économique, avec pour corollaire, la proclamation, par Biden, de l’IRA (Inflation Reduction Act), qui permet aux grandes entreprises européennes (et surtout allemandes) de migrer vers les Etats-Unis où le prix de l’énergie est maintenu à la baisse. Volkswagen a déjà entrepris sa migration vers les Etats-Unis : avec la gestion chaotique de l’immigration en Allemagne depuis 2015 sous Merkel, avec la récession sociale et les salaires insignifiants imposés par le système Hartz IV, le centre dynamique de l’Europe va imploser. Ce qui fut toujours un but de guerre de l’anglosphère.

Pendant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont acheminé du matériel militaire vers l’Union Soviétique envahie par voie maritime nord-atlantique en direction de Mourmansk et d’Archangelsk. De là, ce matériel était envoyé au front par les canaux partant de la Mer Blanche vers les lacs Onega et Ladoga puis vers l’intérieur des terres russes et vers la Volga. Ensuite, d’autres matériels, provenant des Indes britanniques transitaient par l’Océan indien, le chemin de fer transiranien, la Caspienne et la Volga. La victoire soviétique à Stalingrad a permis de maintenir intactes ces deux voies de communication. Aujourd’hui, le transit Arctique/Océan Indien demeure une nécessité pour un monde en paix. Le projet de le réanimer et de le consolider existe : c’est l’INSTC (International North-South Transport Corridor). Les troubles potentiels à fomenter dans le Caucase ou les tentatives de déstabiliser l’Iran (par une variante des révolutions de couleur) participent du sabotage général des projets multipolaires d’assurer la « liberté des terres ». L’otanisation de la Baltique et le sabotage des gazoducs font partie du même projet que le blocage de la « région-portail » ukrainienne. La volonté d’avancer les bases de l’OTAN dans le Donbass, vise à menacer la région de l’embouchure du Don, lié à la Volga par le Canal Lénine, donc à la Caspienne et au tracé de l’INSTC.

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En 2011, les autorités belges et celles gérant le port d’Anvers, voulaient relier la ville portuaire flamande à la Chine. L’entreprise suisse HUPAC de construction de lignes ferroviaires était partie prenante dans le projet. Des négociations ont eu lieu à haut niveau entre Belges et Chinois, avec l’implication des autorités allemandes, russes et ukrainiennes. L’Ukraine devait, dans ce projet eurasien, jouer pleinement son rôle de « région-portail ». L’avantage pour nous était de réduire le temps de transport de moitié par rapport aux communications maritimes et de se projeter vers deux régions du monde : l’Afrique occidentale et l’Amérique ibérique. Comme Bruges au temps de la Hanse, nous aurions été la plaque tournante entre le commerce eurasien (déjà pratiqué par les Vikings, fondateurs de la ville) et le commerce avec la péninsule ibérique et l’Afrique du Nord. Ma position est de travailler à restaurer de tels projets, contre les saboteurs qui sont forcément des traitres à notre destin historique inscrit dans la géographie (à lire : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2011/05/13/quand-les-belges-partent-a-la-conquete-de-la-chine.html ).

Pourquoi Bruxelles soutient-elle la politique de Biden en Ukraine si la quasi-totalité de l'Europe a déjà siphonné toutes les armes à envoyer aux Forces armées ukrainiennes (AFU) ?

L’eurocratie basée à Bruxelles et à Strasbourg est totalement inféodée à Washington. Depuis la timide ébauche d’un Axe Paris-Berlin-Moscou entre Chirac, Schröder et Poutine lors de l’attaque anglo-américaine contre l’Irak en 2003, les services américains se sont efforcés avec succès de remplacer les élites traditionnelles européennes et les diplomates de l’école réaliste par des personnages, généralement amusants comme Sarkozy, qui ont fait la politique des Etats-Unis. En effet, dès que Chirac a disparu de l’horizon politique français, Sarkozy s’est empressé de ramener son pays dans le giron de l’OTAN. Aujourd’hui, Macron est un homme issu des rangs des Young Global Leaders, attaché à l’agence McKinsey : il ne peut faire qu’une politique pro-américaine, en Ukraine comme ailleurs, en se débarrassant de tous les résidus de la diplomatie gaullienne qui survivaient encore vaille que vaille du temps de Chirac. En Allemagne, Schröder a été mis sur une voie de garage et sa participation à la réalisation de Nord Stream a fait qu’il a été victime d’une cabale au sein de son propre parti socialiste. Ce sont en effet les Verts qui sont désormais le fer de lance des Américains en Allemagne. Déjà Joschka Fischer avait prêché la guerre contre la Yougoslavie quand il était ministre des affaires étrangères. Annalena Baerbock, bien que membre du parti des Verts et donc théoriquement de « gauche », infléchit la politique étrangère de l’Allemagne vers celle des néoconservateurs américains autour de Nuland, Kagan et Wolfowitz. Les services américains disposent de personnages dans tous les milieux : les avatars des « nouveaux philosophes » avec Bernard-Henri Lévy en France, les anciens gauchistes avec Daniel Cohn-Bendit en France et en Allemagne, des néolibéraux délirants comme Guy Verhofstadt (qui a signé un livre avec Cohn-Bendit), les macronistes antigaulliens, des sociaux-démocrates à la Sanna Marin en Finlande (la fille est, comme Macron, une Young Global Leader, dont on ne perçoit pas très bien les compétences), les Verts allemands (chez qui tous les éléments neutraliste et pacifistes ont été éliminés) ou d’anciens néofascistes comme Giorgia Meloni (qui a renié ses promesses électorales et qui a fait une politique néoconservatrice dès son accession au pouvoir). On voit poindre à l’horizon de nouveaux candidats à de tels aggiornamenti dans les cercles de gauche comme de droite depuis le déclenchement de l’Opération militaire spéciale. 

Pour moi, l’affaiblissement des armées européennes est voulu : pour le Deep State américain, aucune armée moderne efficace ne peut survivre en dehors de l’US Army ; l’hémorragie du matériel militaire des Etats européens membres de l’OTAN, au profit de l’Ukraine de Zelensky, aura tout simplement pour résultat que, pour remplir à nouveaux les arsenaux, les Etats membres de l’OTAN, surtout ceux qui sont appelés à former l’Intermarium rêvé par les Polonais, devront acheter du matériel américain. Déjà, une dépêche est tombée ce matin : les Estoniens ont livré leurs matériels anciens aux Ukrainiens mais ont facturé au plein prix l’achat de nouveaux matériels à l’Europe de Bruxelles ! La corruption bénéficie de la situation !

L’objectif d’affaiblir les arsenaux européens ne date pas d’hier : les « ventes du siècle » dans les années 1970, quand les Américains ont livré aux pays du Benelux et de la Scandinavie les fameux F-16, c’était au détriment de l’aéronautique française (Bloch-Dassault) et suédoise (SAAB). L’opération s’est répétée très récemment avec le F-35.

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Selon nos informations, une grande partie des pays européens connaissent de graves difficultés économiques et financières à cause des politiques pro-américaines. Y a-t-il une prise de conscience en Europe que c'est la faute des États-Unis et non de la Russie et de Poutine ?

Les difficultés économiques sont évidentes dès le moment où des sanctions frappent le premier fournisseur d’énergie des pays européens, entraînant une augmentation vertigineuse du prix de l’énergie. Le sabotage des gazoducs de la Baltique vise évidemment à pérenniser cette situation. Délibérément, les forces occidentalo-atlantistes cherchent à ruiner l’Europe et à contenir la Russie (tout en grignotant son territoire sur des franges hautement stratégiques). Que les Russes sachent bien que l’Europe, en ses dynamiques profondes, en son idéologie parfois traditionnelle parfois socialiste, n’est pas l’Occident, mixte de déviances religieuses puritaines, d’idéologie whig (rationalisation apparente de ces déviances protestantes) et d’hystérie jacobine sur le mode français : ce sont les tenants de ces délires religieux et libéraux qui ont déclaré la guerre aux puissances qui souhaitent l’avènement d’un monde multipolaire. Aujourd’hui, ces déviances ont pour nom et pour avatar le wokisme des dems américains, le néolibéralisme outrancier à la Macron, le néoconservatisme de Nuland et Kagan et les délires des Verts allemands (rejeté à 85% par la population berlinoise suite à un sondage très récent). Cette situation ne convient à personne dans le Vieux Monde, eurasien et méditerranéen. La vie quotidienne, qui avait déjà été pourrie par les mesures de confinement en 2020, connait un recul inquiétant en qualité : les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter, en même temps que le prix de l’énergie et du carburant pour les véhicules. Les entreprises ferment, incapables de payer les notes de gaz et d’électricité. Le chauffage est diminué dans les cafés et restaurants, où les pauvres viennent chercher une chaleur qu’ils ne peuvent plus se payer à domicile. Le libéralisme occidental se voulait « société d’abondance » et non de pénurie. C’est exactement l’inverse qui se produit aujourd’hui dans nos pays.

Cependant, la propagande, massive dans les médias publics et privés, camoufle cette situation en occultant le réel et en parlant sans cesse de non-événements, tel les entretiens qu’accorde une ministre de Macron à la revue Playboy, telle la généralisation de l’usage de trottinettes dans les grandes villes ou la nécessité de manger des insectes. Les masses sont déboussolées et seuls quelques lucides se rendent compte que la situation ira en se dégradant au fil du temps. Les sanctions ont et auront un effet désastreux.

Qui, selon vous, est le plus intéressé par une résolution pacifique du conflit ukrainien ? La Russie, les États-Unis, l'Ukraine, l'Union européenne ? Pourquoi ?

Les pays intéressés par une solution pacifique sont évidemment ceux qui ont intérêt à ce que les voies de communication terrestres tel le projet « Belt & Road » chinois, l’INSTC prévu par l’Inde, l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Russie, les Etats qui pourraient bénéficier d’un élargissement de la voie maritime arctique, tous les Etats européens qui bénéficiaient du gaz russe bon marché, etc. Il est évident que les peuples d’Ukraine, sans exception, auraient intérêt à ce que cesse cette guerre et que leur pays trouve son rôle de « gateway region », de pays de transit entre l’Europe et l’Asie profonde, entre la Scandinavie et la Méditerranée. L’Europe réelle, débarrassée de son personnel eurocratique, serait également bénéficiaire d’une paix durable en cette région du monde. L’Afrique (et l’Egypte) et la Turquie verraient leurs approvisionnements en maïs et en blé garantis sur le long terme.

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Les Britanniques savent-ils pourquoi la Russie se bat en Ukraine ? Comprennent-ils que la guerre dure depuis 2014, que le non-respect par l'Ukraine des accords de Minsk et le soutien des principaux pays occidentaux à l'Ukraine pour qu'elle s'y conforme ont conduit à ce conflit ?

La stratégie de l’endiguement de la Russie est une vieille stratégie britannique, pensée dès la conquête de la Crimée par les armées de Catherine II. Elle se concrétisera lors de la guerre de Crimée de 1853 à 1856. La Crimée aux mains des Russes était un casus belli pour l’impérialisme britannique du 19ème siècle. Il l’est aujourd’hui pour l’Etat profond américain qui a repris toutes ces stratégies thalassocratiques à son compte et les a incluses dans les visions bellicistes néoconservatrices. La guerre de Crimée a été perdue pour les Russes parce que l’acheminement de troupes par voies terrestres était trop lent et trop compliqué : l’envoi de troupes par mer était plus rapide. La construction du Transsibérien rendait les opérations logistiques plus aisées : du coup, immédiatement après la mise en service de cette voie ferrée transeurasienne, le géographe MacKinder énonce sa théorie du Heartland inaccessible aux blocus navals et qu’il faut contenir aussi loin possible des littoraux atlantiques, indiens et pacifiques. Quelques années plus tard, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, partisan de l’alliance définitive entre l’Empire britannique et les Etats-Unis, met au point, dans son livre The Day of the Saxons, les plans du « containment », stipulant notamment que la zone d’influence russe ne peut pas dépasser la ligne Téhéran/Kaboul ; pour Lea, la Chine républicaine de Sun Ya Tsen devait être une partie du Rimland contrôlé par les « Saxons » et l’Allemagne devait être tenue éloignée des littoraux de la Mer du Nord (la poussant paradoxalement dans une alliance avec la Russie à la veille de la première guerre mondiale !). Ce sont toujours les théories de MacKinder et de Lea qui animent, en leurs versions modernisées par Spykman notamment, les stratégies de l’OTAN. Celles-ci s’appliquent à la Russie quel que soit le régime politique qui la gouverne. En ce sens, on peut parler d’une continuité de l’histoire russe.

Quant à savoir si les Britanniques de base, si l’homme de la rue dans les villes et les campagnes anglaises, se rendent compte ou non des enjeux de la guerre actuelle en Ukraine, je ne peux pas vous répondre : je ne suis plus allé à Londres depuis 2008 (et je n’y suis alors resté qu’un seul jour !). Cependant, il faut tout de même souligner la crise que traverse la Grande-Bretagne aujourd’hui, avec le risque de sécession de l’Ecosse, avec les effets quasi nuls du Brexit, avec une société gangrénée par le wokisme et la cancel culture (qui s’attaque aux meilleures productions de la culture et de la littérature anglaises), par un tissu social détruit par le thatchérisme et ses avatars ultérieurs, etc.  Il n’y a certainement plus de modèle anglais à exporter.

Je vous rappelle tout de même que Merkel elle-même a avoué publiquement que personne, parmi les dirigeants occidentaux et parmi les Européens occidentalisés, n’avait l’intention de respecter les accords de Minsk, alors que ceux-ci prévoyaient la fédéralisation de l’Ukraine et son statut de neutralité, comparable à celui de la Finlande après la seconde guerre mondiale. Or les modalités prévues lors de ces accords de Minsk auraient préservé le statut de « gateway region » de l’Ukraine au bénéfice de tous, aurait permis au complexe hydrographique Mer d’Azov/Don/Volga de fonctionner dans tous les sens, une fois de plus au bénéfice de tous. C’est ce fonctionnement sans heurts que ne veulent pas les stratèges thalassocratiques conventionnels, le Deep State et les néoconservateurs bellicistes. Merkel et Hollande ont joué le rôle de figurants impuissants dans un scénario qui était dicté par ces forces négatives. Toute réédition potentielle de l’Axe informel Paris-Berlin-Moscoua été réduite à néant, une Axe où les dirigeants de la France et de l’Allemagne auraient eu leur mot à dire dans les affaires européennes et auraient pu agir dans les intérêts réels de leurs peuples.

Il n’est plus possible de raisonner dans les termes dictés par le contexte délétère de la seconde guerre mondiale, où l’on campe la Russie actuelle comme une URSS agressive prête à bondir sur l’Europe et une Europe condamnée à se défendre. La seconde guerre mondiale a prouvé l’unité géostratégique de tout l’espace sis entre l’Algarve portugaise et le quadrilatère de Magnitogorsk au sud de l’Oural. Elle a prouvé aussi la nécessité de l’artère stratégique entre l’Arctique et l’Iran. Toutes les forces positives, en Europe et en Russie, doivent s’unir pour faire fonctionner les corridors de communications (Rhin-Alpes, Rhin Danube, Baltique/Adriatique, Arctique/Caspienne, etc.) que la guerre actuelle bloque irrémédiablement et que toute réactivation des conflits dans le Caucase du Sud bloquerait encore davantage. Ces forces positives doivent faire converger leurs réalisations avec les projets chinois dits « Belt & Road Initiative ».   

Une partie importante des forces armées ukrainiennes (AFU) adhère ouvertement aux idées nazies. Cela est évident à la fois dans leurs attributs et dans leur interprétation déformée de l'histoire et des résultats de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi l'Europe soutient-elle le régime nazi, contrairement à ses propres lois ?

Les allusions au nazisme en Ukraine laissent les observateurs lucides d’Europe occidentale pantois. Les anciens, qui ont vécu l’époque où le national-socialisme régnait sur l’Allemagne et sur les pays occupés par les armées de Hitler, n’ont tout de même pas le souvenir de ce folklore sinistre avec des torses masculins tatoués et une « musique » faite de fracas épouvantables. Les nazistes ukrainiens font penser aux Maras du Salvador en Amérique centrale, qui, eux aussi, furent manipulés par des forces extérieures au pays. Ce « nazisme » à Kiev est comparable à toutes ces formes de « contre-culture » nées dans les pays anglo-saxons depuis les années 1950. Dans les années 1980, et encore au début des années 1990, on trouvait en Europe occidentale une contre-culture malsaine, dite « skinhead », qui a décrédibilisé les mouvances nationales dans tous les pays où elle s’est manifestée. Les services secrets s’en servaient d’ailleurs pour cela, pour effrayer le citoyen normal, pour l’induire à ne pas voter pour de nouveaux partis (de gauche ou de droite). Aujourd’hui, cette « contre-culture » n’est plus nécessaire : les services peuvent manipuler plus adroitement les élections, en trafiquant le vote électronique ou en avançant des politiciens qui promettent un changement mais s’alignent sur le système, une fois élu (Sarkozy, Meloni). Cette « contre-culture » de violence verbale, de signes agressifs comme les tatouages de runes ou de croix gammées (ou d’autres chez les Maras salvadoriens), de musique cacophonique, est tolérée en Ukraine parce qu’elle a permis le recrutement de soldats dans la lutte contre les russophones du Donbass. Elle ne serait pas tolérée en Europe occidentale car assimilée, à tort ou à raison, à l’occupant allemand de la seconde guerre mondiale.

dimanche, 09 avril 2023

La directive de Douguine : un concept de politique étrangère comme apothéose de la multipolarité et catéchisme de la souveraineté

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La directive de Douguine : un concept de politique étrangère comme apothéose de la multipolarité et catéchisme de la souveraineté

par Alexandre Douguine

Source: https://tsargrad.tv/articles/direktiva-dugina-koncepcija-vneshnej-politiki-kak-apofeoz-mnogopoljarnosti-i-katehizis-suvereniteta_757277?fbclid=IwAR25RDpH_8x2cNryGFWV1OzQJd5dsYAVDkLegyaUFDqkFirSyeD0za8Qy1o

Le 31 mars, le président russe Vladimir Poutine a approuvé un nouveau concept de politique étrangère. On peut considérer qu'il s'agit de l'accord final dans les changements dans la conscience géopolitique et civilisationnelle des autorités russes, lesquels changement avaient commencé il y a 23 ans avec l'accession de Poutine au pouvoir. C'est seulement maintenant, dans cette version toute récente, que la doctrine de politique étrangère de la Russie prend un aspect nettement contrasté et désormais sans ambiguïté. Cette fois-ci, elle est vraiment dépourvue d'ambiguïtés et d'équivoques.

Il s'agit d'un programme d'action ouvert et complet d'une grande puissance continentale souveraine qui déclare sa vision de l'ordre mondial à venir, de ses paramètres et de ses fondements et qui exprime en même temps sa volonté de fer de construire une telle architecture en dépit de tout niveau de confrontation avec ceux qui essaieraient de l'empêcher de manière rigide et d'imposer un plan extérieur à la Russie, pouvant aller jusqu'à une frappe nucléaire préventive.

L'ossature d'une souveraineté stratégique à part entière

Le concept introduit et utilise tous les termes fondamentaux, cohérents et conformes à la théorie du monde multipolaire et à l'interprétation eurasienne de l'essence civilisationnelle de la Russie. Ainsi, la victoire des partisans de la voie souveraine de l'existence historique de la Russie a finalement été inscrite dans un document stratégique fondamental du programme. Cette clarté et cette cohérence totales et inhabituelles dans la formulation et les définitions sont certainement le résultat de la guerre avec l'Occident collectif, qui est entrée dans une forme directe et féroce, où l'existence même de la Russie est en jeu. Et il est tout simplement impossible de gagner, mais aussi de mener une telle guerre sans principes, règles et attitudes clairs.

Le nouveau concept énonce clairement les règles que la Russie accepte et auxquelles elle souscrit. En outre, elle les formule pour la première fois. Ces règles sont directement opposées à la stratégie mondialiste, à l'unipolarité et à la théorie libérale des relations internationales. Alors que la Russie essayait de trouver des formulations de compromis qui reflétaient à la fois la volonté de souveraineté et la recherche de compromis avec l'Occident, il en va différemment aujourd'hui : la Russie est un État mondial, un pays-continent qui est une civilisation indépendante - avec ses propres orientations, objectifs, origines, valeurs, avec son identité immuable qui ne dépend d'aucune force extérieure. Les Occidentaux et les libéraux russes ont eu beau se battre contre la "voie spéciale", celle-ci a été approuvée par la loi et constitue la principale disposition de la politique étrangère. Les dissidents devront soit l'accepter, soit s'y opposer ouvertement.

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Le 31 mars 2023, les patriotes, les Eurasiens et les partisans de la pleine souveraineté civilisationnelle ont probablement remporté la victoire la plus impressionnante et la plus visible de l'ère post-soviétique. L'idée d'une voie eurasienne russe dans la politique étrangère a triomphé. Le concept a été développé au ministère des affaires étrangères et signé par le président. C'est sur cet arc que le sujet russe - l'épine dorsale d'une souveraineté stratégique à part entière - est désormais situé.

L'adoption d'un concept aussi sérieux et cohérent sur le plan interne nécessitera des changements correspondants dans la doctrine militaire, ainsi qu'un énorme travail d'organisation pour aligner les institutions du pouvoir exécutif, ainsi que l'éducation et l'information, sur les lignes de force entièrement nouvelles. Le Conseil a également un rôle à jouer dans ce processus.

Si le pays ne se contente pas de suivre sa propre voie russe, mais qu'il l'affirme explicitement, tout change. Même flirter avec l'Occident, ses "règles" et ses "critères" n'a aucun sens. L'Occident libéral mondialiste a coupé la Russie d'elle-même et, de surcroît, est entré en confrontation militaire directe avec elle. Avec sa nouvelle doctrine de politique étrangère, la Russie ne fait que corriger cet état de fait.

Les masques sont tombés : nous sommes résolument pour un monde multipolaire, tandis que ceux qui s'y opposent, qui cherchent à préserver l'ordre mondial unipolaire à tout prix, ne sont pas appelés "partenaires", "collègues" ou "amis", mais des ennemis directs, contre lesquels la Russie est prête à lancer une frappe nucléaire préventive si nécessaire.

Ainsi, l'ensemble de la politique étrangère et des processus qui se déroulent sur la scène internationale ont été mis en lumière et sont devenus complètement symétriques. Les élites mondialistes de l'Occident moderne ne cachent pas leur intention de détruire la Russie, de renverser et de traduire en justice son dirigeant, d'anéantir toute initiative en faveur d'un monde multipolaire. Elles fournissent massivement des armes aux néonazis ukrainiens et fomentent partout la russophobie, s'attribuant le droit d'agir comme bon leur semble partout dans le monde.

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La Russie leur répond enfin de la même manière. Nous comprenons vos intentions et votre logique. Mais nous la rejetons totalement. Nous avons l'intention de défendre notre existence et notre souveraineté par tous les moyens, nous sommes prêts à nous battre pour cela et à payer n'importe quel prix.

Le concept de politique étrangère adopté repose sur une position fondamentale - la Russie est proclamée :

- "un État-civilisation distinctif",

- une vaste puissance eurasienne et euro-pacifique",

- un axe autour duquel "le peuple russe et les autres peuples se sont ralliés",

- le noyau d'une "communauté culturelle et civilisationnelle du monde russe".

Voilà l'essentiel. C'est la réponse à une question qui est loin d'être aussi simple qu'il y paraît : qui sommes-nous ? C'est de cette autodéfinition que découle la multipolarité sur laquelle tout le reste est construit. S'il s'agit d'une civilisation, elle ne peut pas faire partie d'une autre civilisation. Ainsi, la Russie ne fait pas partie de la civilisation occidentale (comme l'affirmaient les versions précédentes du concept de politique étrangère), mais d'une civilisation indépendante, souveraine et non occidentale, à savoir le monde russe. Tel est le principe fondamental sur lequel repose désormais la politique étrangère de la Russie.

Le long chemin vers une civilisation souveraine

Poutine a parcouru un long chemin en 23 ans, depuis les premières tentatives prudentes mais résolues de restaurer la souveraineté de la Russie en tant qu'État, presque entièrement perdue dans les années 1990, en reconnaissant que la Russie (bien que souveraine) fait partie du monde occidental, de l'Europe (de Lisbonne à Vladivostok) et partage généralement les valeurs, les règles et les attitudes de l'Occident, jusqu'à la confrontation frontale avec l'Occident collectif, en rejetant catégoriquement son hégémonie, en refusant de reconnaître ses valeurs, ses principes et ses règles comme étant universels et strictement acceptés par la Russie.

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La signature par Poutine, le 31 mars 2023, du nouveau concept de politique étrangère signifie que le chemin menant d'un État souverain dans le contexte d'une civilisation occidentale libérale mondialiste commune à une civilisation souveraine, au monde russe et à un pôle indépendant a été définitivement franchi. La Russie n'est plus l'Occident. L'Occident a été le premier à le proclamer, en lançant contre nous une guerre d'anéantissement. Après un an d'Opération militaire spéciale, nous l'affirmons à notre tour. Non pas avec regret, mais avec fierté.

La définition de la Russie présentée ci-dessus comporte quatre niveaux, dont chacun représente le concept le plus important de la politique étrangère.

    - L'affirmation selon laquelle la Russie est un État civilisationnel signifie que nous n'avons pas affaire à un simple État-nation selon la logique du système westphalien, mais à quelque chose de beaucoup plus grand. Si la Russie est un État-civilisation, elle ne doit pas être comparée à un pays occidental ou non occidental particulier, mais à l'Occident dans son ensemble, par exemple. Ou avec un autre État-civil, comme la Chine ou l'Inde. Ou simplement avec une civilisation représentée par de nombreux États (comme le monde islamique, l'Amérique latine ou l'Afrique). Un État-civilisation n'est pas seulement un très grand État, c'est, comme les anciens empires, les royaumes des royaumes, un État d'États. Au sein de l'État-civilisation, diverses entités politiques peuvent être situées et même être tout à fait autonomes. Selon K. Leontiev, il s'agit d'une complexité florissante, et non d'une unification linéaire, comme dans les États-nations ordinaires du Nouvel Âge.

    - Mais en même temps, la Russie est décrite comme une "vaste puissance eurasienne et euro-pacifique", c'est-à-dire un État souverain fort à l'échelle du continent. Les Eurasiens la qualifient d'"État continental". L'adjectif "vaste" n'est pas utilisé à titre purement descriptif. La véritable souveraineté ne peut être détenue que par des puissances "vastes". Il s'agit ici d'une référence directe à la notion de "vaste espace", qui est une composante nécessaire de la souveraineté stratégique à part entière. Une puissance qui ne répond pas à ces exigences ne peut être véritablement souveraine. Le caractère eurasien et euro-pacifique de la Russie renvoie directement à la pleine reconnaissance de la géopolitique eurasienne et de ses dispositions fondamentales. La Russie-Eurasie dans la philosophie eurasienne est un concept opposé à l'interprétation de la Russie comme l'un des pays européens. Le terme "puissance" lui-même doit être interprété comme un synonyme d'empire.

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La référence au peuple russe et aux autres peuples qui partagent avec les Russes leur destin historique, géopolitique et civilisationnel est très importante. Le peuple russe est devenu un peuple issu de diverses tribus slaves orientales, finno-ougriennes et turques, précisément dans le cadre du processus historique de construction d'une nation. En construisant un État, la nation s'est également construite elle-même. D'où le lien indissociable entre les Russes et leur statut d'État indépendant et souverain. Mais en même temps, cela indique aussi que l'État a été créé par le peuple russe, préservé et soutenu par lui.

    - L'introduction du concept de "monde russe" dans le concept de politique étrangère est très révélatrice. L'État ne coïncide jamais - à de rares exceptions près - avec les frontières de la civilisation. Autour de ses frontières établies, il y a toujours des zones d'influence intensive des débuts de la civilisation. Le monde russe est une zone historique et culturelle circonscrite, qui appartient certainement à la Russie en tant que civilisation, mais qui ne fait pas toujours partie du pouvoir russe. Dans certains cas, lorsque les relations entre les pays sont harmonieuses et amicales, le monde russe peut exister harmonieusement de part et d'autre de la frontière. Mais en présence de conflits interétatiques, l'État-civilisation qu'est la Russie (selon ce concept de politique étrangère) a toutes les raisons de défendre sa civilisation - et dans les cas les plus critiques, d'ignorer les frontières elles-mêmes. Ainsi, le concept de monde russe dans le contexte général de la définition de la Russie clarifie la logique de ses actions dans l'espace post-soviétique et, en particulier, donne à l'OTAN une légitimité doctrinale et une validité idéologique.

L'Occident a perdu son droit moral au leadership

Tout le reste découle de la définition principale du statut de la Russie en tant que civilisation souveraine. Ne ressentant plus le besoin de se conformer à l'Occident global, Moscou, dans son nouveau concept de politique étrangère, attaque directement et durement l'eurocentrisme, rejette l'hégémonie occidentale et assimile la mondialisation à un nouveau cycle d'impérialisme et de colonialisme.

Le texte du concept affirme que le centre de l'humanité se déplace régulièrement vers des régions non occidentales de la planète - l'Asie, l'Eurasie, l'Afrique, l'Amérique latine.

Le modèle de développement mondial sans équilibre qui, pendant des siècles, a assuré une croissance économique supérieure à celle des puissances coloniales en s'appropriant les ressources des territoires et des États dépendants d'Asie, d'Afrique et de l'hémisphère occidental, est irrémédiablement en train de devenir une chose du passé. La souveraineté et les possibilités concurrentielles des puissances mondiales non occidentales et des dirigeants régionaux ont été renforcées.

C'est l'essence même de la multipolarité. L'Occident a non seulement perdu la capacité technique de rester l'hégémon mondial dans les domaines politique, économique et industriel, mais il a également perdu le droit moral de diriger.

L'humanité traverse une ère de changements révolutionnaires. La formation d'un monde plus juste et multipolaire se poursuit.

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Dans ce contexte, l'aspiration de la Russie à renforcer la multipolarité, à coopérer activement avec d'autres États de la civilisation (principalement la Chine et l'Inde) et à soutenir pleinement diverses alliances et associations d'intégration régionale est considérée comme un programme positif.

Afin de contribuer à adapter l'ordre mondial aux réalités d'un monde multipolaire, la Fédération de Russie entend donner la priorité (...) au renforcement du potentiel et à l'accroissement du rôle international de l'association interétatique BRICS, de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), de la Communauté des États indépendants (CEI), de l'Union économique eurasienne (UEE), de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), de la RIC (Russie, Inde, Chine) et d'autres associations interétatiques et organisations internationales, ainsi que de mécanismes impliquant de manière significative la RIC (Russie, Inde, Chine).

Le monde devient irréversiblement multipolaire, mais l'ancien ordre unipolaire n'est pas prêt à abandonner sans combattre. Telle est la principale contradiction de l'ère moderne. Elle explique la signification des principaux processus de la politique mondiale. Le fait est, explique le concept, que l'Occident libéral mondialiste, réalisant que les jours de son leadership sont comptés, n'est pas prêt à accepter les nouvelles réalités et, à l'agonie, commence à lutter désespérément pour la préservation de son hégémonie.

C'est ce qui explique la plupart des conflits dans le monde et, surtout, la politique hostile des élites occidentales à l'égard de la Russie, qui est objectivement devenue l'un des pôles les plus évidents et les plus cohérents de l'ordre multipolaire. C'est précisément parce que la Russie s'est déclarée État de civilisation, refusant de reconnaître l'universalité de l'ordre mondial occidental et de ses règles, c'est-à-dire le modèle unipolaire de l'ordre mondial, qu'elle est devenue l'objet des attaques de l'Occident, qui a constitué une vaste coalition de pays inamicaux contre la Russie et s'est directement fixé pour objectif de priver la Russie de sa souveraineté.

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Les États-Unis d'Amérique (USA) et leurs satellites, considérant le renforcement de la Russie comme l'un des principaux centres de développement du monde moderne et considérant sa politique étrangère indépendante comme une menace pour l'hégémonie occidentale, ont utilisé les mesures prises par la Fédération de Russie pour protéger ses intérêts vitaux en Ukraine comme prétexte pour aggraver leur politique anti-russe de longue date et ont déclenché un nouveau type de guerre hybride. Elle vise à affaiblir la Russie par tous les moyens possibles, notamment en sapant son rôle civilisationnel créatif, sa puissance, ses capacités économiques et technologiques, en limitant sa souveraineté en matière de politique étrangère et intérieure et en détruisant son intégrité territoriale. Cette ligne de conduite de l'Occident est devenue globale et est inscrite dans la doctrine.

Face à cette confrontation, qui constitue le contenu principal de la transition de l'unipolarité à la multipolarité, alors que l'Occident tente par tous les moyens de retarder ou d'interrompre cette transition, la Russie, en tant qu'État-civilisation souverain, en tant que pôle mondial multipolaire stable et fiable déjà établi, déclare sa ferme intention de ne pas s'écarter de la voie choisie, quel qu'en soit le prix.

En réponse aux actions inamicales de l'Occident, la Russie a l'intention de défendre son droit d'exister et de se développer librement par tous les moyens disponibles.

Cela inclut bien sûr le droit d'utiliser contre l'ennemi (qui, dans les circonstances actuelles, est l'Occident collectif qui cherche à maintenir l'unipolarité à tout prix et à étendre son hégémonie), en cas d'attaque directe et même à des fins préventives, n'importe quel type d'armes - jusqu'aux armes nucléaires et aux armes de pointe. Si l'existence même de la Russie souveraine et du monde russe est menacée d'un danger mortel, la Russie est prête à aller aussi loin que nécessaire dans ce cas.

Conditions de coopération

Le nouveau concept définit également les conditions d'une normalisation des relations avec les pays occidentaux. Les pays anglo-saxons, qui sont particulièrement hostiles à la Russie dans cette escalade, sont mis en évidence de manière particulière. Un partenariat renouvelé n'est possible que si les pays occidentaux hostiles et leurs satellites renoncent à la russophobie. En fait, il s'agit d'un ultimatum, exigeant de l'Occident qu'il accepte les conditions de la multipolarité, car l'essence de la russophobie dans le contexte géopolitique n'est rien d'autre que le refus obstiné des élites mondialistes occidentales de reconnaître le droit des États souverains et des civilisations à suivre leur propre voie. C'est la seule raison pour laquelle la Russie se bat aujourd'hui en Ukraine. Sans le contrôle de l'Ukraine, comme le sait tout géopoliticien, la Russie ne pourra pas jouir d'une pleine souveraineté géopolitique et civilisationnelle.

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C'est la signification du monde russe, qui ne coïncide pas avec les frontières des États nationaux, mais qui, lorsqu'il forme le pôle et la transition vers l'État-civilisation, ne peut rester sous le contrôle de structures géopolitiques hostiles. Amicales et neutres - oui (comme le montre l'exemple de l'Union biélorusse), mais leur souveraineté nationale n'est pas menacée. Au contraire, la Russie est prête à jouer le rôle de garant et à contribuer à leur renforcement par tous les moyens possibles - dans les domaines économique, politique et militaro-stratégique. Mais toute tentative visant à séparer la partie du monde russe de la Russie principale sera réprimée par tous les moyens. Et c'est exactement ce qui se passe actuellement.

Priorités, vecteurs et objectifs finaux

La deuxième partie du concept de politique étrangère présente des stratégies spécifiques pour développer les relations entre la Russie et les régions du monde : intégration eurasienne de l'espace post-soviétique, construction d'un partenariat prioritaire avec la Chine, l'Inde, le monde islamique, l'Afrique et l'Amérique latine. Dans chaque domaine, des priorités, des vecteurs et des finalités sont mis en évidence. L'adresse à l'Occident est discrète. Mais sous les formules diplomatiques lourdes, il est facile de lire ce qui suit :

Si les peuples occidentaux trouvent la force de se lever et de se débarrasser de la dictature d'une élite hégémonique maniaque qui mène la civilisation à l'abîme, de mettre en avant de vrais leaders et de porter au pouvoir les forces qui défendront réellement leurs intérêts nationaux, ils ne trouveront pas de meilleur ami et allié que la Russie. Toutefois, la Russie n'a pas l'intention d'apporter une aide active en s'ingérant dans les processus internes de la vie politique des pays hostiles et souligne son respect pour tout choix souverain des sociétés occidentales. La Russie dispose également d'une réponse décente en cas de confrontation directe avec des puissances hostiles, si celles-ci franchissent la ligne fatale. Mais il serait préférable que personne ne la franchisse.

La nouvelle version du concept de politique étrangère est un acte fondamental dans le processus de décolonisation de la Russie elle-même, sa libération du contrôle extérieur.

Si l'on veut que ses dispositions soient prises au sérieux, il faut déjà aligner les activités du ministère des affaires étrangères et des institutions éducatives de base (surtout le MGIMO, encore dominé par des paradigmes complètement différents), réformer Rossotrudnichestvo et Russian World, et promouvoir de nouveaux courants de diplomatie publique qui reconnaissent la Russie comme une civilisation souveraine, tels que le Mouvement russophile international (IRD).

Mais l'affirmation de la Russie en tant qu'État civilisé revêt également une importance considérable et décisive pour la politique intérieure. Après tout, on ne peut pas agir comme un État civilisé en matière de politique étrangère et continuer à faire partie d'un système libéral centré sur l'Occident, en partageant ses approches, ses valeurs et ses principes en matière de politique intérieure, même s'il s'agit d'un État souverain. La politique étrangère est toujours étroitement liée à la politique intérieure. Et c'est là que la Russie, pour défendre sa souveraineté, devra s'engager dans des réformes sérieuses et profondes dans un avenir très proche. Si nous avons, on peut le dire, une politique étrangère souveraine, la nécessité d'une politique intérieure souveraine n'a pas encore été bien comprise.

 

samedi, 08 avril 2023

Le crépuscule de la doctrine Monroe : comment la Chine et la Russie empiètent sur l'Amérique

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Le crépuscule de la doctrine Monroe: comment la Chine et la Russie empiètent sur l'Amérique

Emanuel Pietrobon

Source: https://it.insideover.com/politica/tramonto-dottrina-monroe-cina-russia-sconfinano-america.html

Selon Phil Kelly, géopolitologue non conventionnel, les États-Unis sont le "Heartland" dont parlait Halford Mackinder dans ses ouvrages. Étendus sur une prairie extraordinairement fertile, dotés d'un sol et d'un sous-sol riches en ressources naturelles, des hydrocarbures à l'or bleu, et protégés par deux océans, ils jouissent d'un isolement géostratégique qui leur a permis de se développer presque sans être dérangés.

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Ce n'est pas entre le Turkestan et l'Altaï que se trouve le cœur de la Terre, dit Kelly, mais quelque part entre les Appalaches et le bassin du Mississippi. Et ce n'est pas de l'Eurafrasie, fragmentée, vulnérable aux divisions des thalassocraties et en guerre perpétuelle avec elle-même, que naîtra l'hyperpuissance qui trônera sur le monde. Car cette dernière appartient à ceux qui détiennent le pouvoir sur le cœur de la terre, à savoir les États-Unis.

L'hétérodoxe Kelly a produit une oeuvre dont la lecture est nécessaire pour qui veut se plonger dans les fondements de la puissance américaine, qui ne pourrait exister sans le contrôle des grandes routes commerciales maritimes mondiales - un fardeau hérité de l'Empire britannique -, sans le confinement dans une dimension tellurique des quatre cavaliers eurasiens de l'Apocalypse - Chine, Allemagne, Inde, Russie - et, surtout, sans le maintien dans un état de subalternité des acteurs clés de l'hémisphère occidental, la Doctrine Monroe.

Une doctrine Monroe que les aspirants à l'hégémonie mondiale ont toujours contestée, à commencer par la France de Napoléon III et l'Allemagne wilhelminienne, et qui est aujourd'hui assiégée par deux des quatre cavaliers eurasiens de l'Apocalypse, la Chine et la Russie, et par une constellation de forces régionales et extrarégionales. La guerre mondiale se déroule aussi en Amérique latine.

L'Amérique latine, chaudron du monde

De la préservation et de la protection de la doctrine Monroe dépendent l'existence et la survie du système hégémonique mondial construit par les États-Unis. La remettre en cause revient à se frapper la cage thoracique. Le défier, c'est ouvrir une brèche en direction du cœur de la terre, en sachant que la réaction de l'aigle blessé pourrait être imprévisible. Heartland pour Heartland et le monde devient aveugle.

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C'est la doctrine Monroe qui a fait des États-Unis un empire hémisphérique, les protégeant des menaces de l'Eurafrasie, et c'est pourquoi ils ont fait l'objet d'une attention particulière de la part des aspirants à l'hégémonie mondiale à toutes les époques: la France de Napoléon III, l'Allemagne de Guillaume II et d'Adolf Hitler, l'Union soviétique et, aujourd'hui, la Russie et la République populaire de Chine. Mais sur son endurance, les affronts systémiques mis à part, pèse aussi l'arrivée en Amérique latine d'une série de tournois de l'ombre mûris en Eurasie.

La fin de la guerre froide n'a pas signifié le triomphe de la paix dans les veines ouvertes et saignantes de l'Amérique latine, mais la poursuite de la piraterie dans les Caraïbes, la continuation des guerres civiles éternelles dans la Mésoamérique jamais apaisée et la prolifération d'un nouvel anti-américanisme dans le cône sud. La situation s'est aggravée au fil des ans, parallèlement à l'aggravation de la concurrence entre les grandes puissances, ce qui a entraîné l'entrée des plus importantes rivalités eurasiennes dans le grand chaudron ibéro-américain.

Les Iraniens et les Israéliens s'affrontent dans tout le cône sud, de la Guyane à l'Argentine, se faisant les protagonistes d'attaques flagrantes et d'opérations de blanchiment. Leur rivalité a fait plus de 130 morts et plus de 500 blessés entre Buenos Aires et Panama - le torpillage oublié du vol 901 d'Alas Chiricanas - auquel il faut ajouter l'assassinat du procureur argentin Alberto Nisman. Leur rivalité est le contexte dans lequel il faut lire l'interdiction du Hezbollah dans le sous-continent. Dans leur rivalité entrent en jeu ces forces anti-étatiques que sont les cartels de la drogue latino-américains, avec lesquels le Hezbollah trafique des stupéfiants, blanchit de l'argent et par lesquels il entre en contact avec la politique.

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Iraniens, Turcs et Saoudiens rivalisent pour l'hégémonisation de l'umma latino-américaine, en finançant des campagnes de prosélytisme, en inaugurant des mosquées, des écoles coraniques et des centres culturels, et en créant, dans la mesure du possible, des enclaves religieuses imperméables utiles à la collecte de renseignements et à la conduite du commerce gris. Ils sont suivis de près, pour des raisons similaires mais avec des méthodes et des résultats différents, par les capitaines de l'Internationale djihadiste, d'Al-Qāʿida à l'État islamique, qui sont présents de Mexico à la Triple Frontière.

Primakov contre Monroe

La Russie n'aurait pu réécrire la fin de la guerre froide, retrouver une place honorable à la table des grands de ce monde, qu'en (re)tournant son regard vers le Sud global et en travaillant avec lui pour dépasser le moment unipolaire. Telle était la conviction d'Evgenij Primakov, le théoricien de la transition multipolaire, dont Vladimir Poutine a puisé la richesse des idées et des visions à l'aube de l'an 2000.

Écrire sur la Russie dans l'hémisphère occidental revient à parler de Primakov. L'éminence grise en devenir de Boris Eltsine, torpillée par la suite lors de la crise yougoslave de 1999, qui a conçu et dirigé en 1997 une tournée en Amérique latine - la première d'un gouvernement russe depuis la fin de la guerre froide - dans le but de réaffirmer la présence de Moscou dans le jardin de Washington. Une réponse, pour Primakov, à la présence "des Américains dans la Caspienne, en Asie centrale et dans la Communauté des États indépendants".

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Avec la fin prématurée de l'ère Eltsine, Primakov fut pré-retraité par l'Etat profond mais redécouvert au dernier soir de 1999 et c'est Poutine qui reprendra le dossier latino-américain selon le contenu de la "doctrine Primakov". Mots d'ordre, au moins dans un premier temps - en raison de la priorité donnée au rétablissement des relations avec l'Occident -, modération et proportionnalité.

Le pivotement vers l'Amérique latine de la présidence Poutine a été inspiré par les idées de Primakov, mais aidé par les héritages matériels et immatériels de l'ère soviétique: des avant-postes pro-russes à Cuba et au Nicaragua à l'enracinement de l'anti-américanisme dans de larges segments de la société, de la politique et de l'armée. Des héritages qui ont été nourris et ont conduit à la formation d'axes résistants aux pressions de la superstructure - la doctrine Monroe -, comme avec l'Argentine, le Brésil et le Venezuela, et à la conduite d'interventions hybrides, comme l'envoi de spécialistes de la contre-insurrection à Daniel Ortega et Nicolás Maduro au plus fort des manifestations télécommandées qui menaçaient de les submerger.

Le temps a largement remboursé l'investissement du Kremlin dans le jardin de la Maison Blanche. Les rêves néo-bolivaristes sont morts avec Hugo Chávez, mais le nouvel ordre vénézuélien a survécu à son fondateur et il y a des signes d'une possible rupture du cordon sanitaire dans le cône sud. Le format des Brics a surmonté l'absence du PdL au Brésil, il est en train de s'étendre à l'Argentine et à la Bolivie, où les pro-Morales sont de retour au pouvoir après le coup d'État pro-américain de 2019, et s'efforce de faire une percée dans la dédollarisation du commerce international et intra-américain.

L'histoire a donné raison à Primakov. Car ce que la Russie de l'ère Poutine, exportatrice majeure de produits militaires - périodiquement en tête du classement des principaux fournisseurs d'armes de la région -, gardienne de gouvernements fantoches et propriétaire de bases de collecte de renseignements - au Nicaragua, au Venezuela et à Cuba, où la rumeur court depuis le début de l'année 2000 d'une remise en service de la base de Lourdes - a réalisé là est une démonstration plastique de la lente liquéfaction de la doctrine Monroe.

L'état de crise de la doctrine Monroe, jamais totalement remis des traumatismes de la guerre froide - la grande guerre civile méso-américaine, la saison des dictatures militaires, des morts et des disparus -, a été reconfirmé lors de la guerre en Ukraine, lorsque le jardin par excellence de Washington a refusé en bloc d'envoyer des armes à Kiev, d'appliquer des sanctions à Moscou et s'est révélé, selon les enquêtes de l'OSINT, l'une des régions du Sud global les plus sympathiques au récit russe.

L'Amérique latine, périphérie de la Terre du Milieu

Une menace hémisphérique et un concurrent stratégique. La domination commerciale, les acquisitions stratégiques, le contrôle des infrastructures vitales et les objectifs à long terme font de la République populaire de Chine, aux yeux des États-Unis, une menace hémisphérique et un concurrent stratégique - deux définitions inventées et utilisées dans les cercles politico-militaires.

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Les chiffres de l'agenda latino-américain de Pékin suggèrent en effet l'existence d'un défi sans précédent à la domination hégémonique établie de Washington :

    - Les échanges entre la Chine et l'Amérique latine sont passés de 12 milliards de dollars en 2000 à 450 milliards de dollars en 2021 ; des chiffres qui, en 2022, feraient de la Chine le deuxième partenaire commercial de toute la région, mais le premier de neuf pays et du cône sud ;

    - Trois pays d'Amérique latine ont conclu des accords de libre-échange avec la Chine ;

    - Sept pays d'Amérique latine ont conclu des partenariats stratégiques globaux avec la Chine ;

    - Onze visites officielles de Xi Jinping dans la région entre 2013 et 2021 ;

    - Vingt-et-un pays d'Amérique latine ont signé des documents d'adhésion et/ou de coopération dans le cadre de la mise en œuvre de l'initiative "la Ceinture et la Route" ;

    - 137 milliards de dollars prêtés aux gouvernements latino-américains sur la période 2005-2020 par la Banque de développement de Chine et la Banque chinoise d'import-export ;

Les chiffres ci-dessus, ainsi qu'une menace hémisphérique, parlent de la Chine comme d'une puissance extrarégionale qui, selon le Centre d'études du Liechtenstein, disposerait de ressources suffisantes pour modifier de manière permanente le cadre géoéconomique et géopolitique de l'Amérique latine, dans lequel, à condition qu'il y ait une volonté politique exprimée de la part du PCC, elle pourrait façonner une coexistence compétitive avec les États-Unis.

Le fait que Pékin, malgré l'opposition de Washington, soit devenu une puissance extrarégionale ayant un intérêt (permanent ?) pour la région est également démontré par le fait que, hormis les chiffres du commerce et de l'investissement, il a rejoint les conseils d'administration de la Banque interaméricaine de développement et de la Banque de développement des Caraïbes en tant que membre votant.

L'économie pour influencer la politique. La politique pour remettre en cause la doctrine Monroe et la doctrine des deux Chine. L'investissement dans les infrastructures stratégiques et l'exploitation des métaux précieux et rares pour saper l'hégémonie mondiale des États-Unis. La patience stratégique de l'homo sinicus et la myopie distraite de l'homo americanus sont les meilleurs amis de l'Amérique latine et de la Chine.

L'incrustation et la constance ont récompensé la grande stratégie de la Chine dans l'hémisphère occidental. La légitimité internationale de Taïwan ne tient qu'à un fil, que la pluie de désaveux des pays d'Amérique latine a contribué à raccourcir considérablement et qui pourrait être à nouveau coupé - huit des 14 pays qui reconnaissent encore Taipei se trouvent sur le sous-continent, dont l'un a entamé les démarches administratives pour la transition vers une seule Chine en mars 2023, le Honduras, tandis que les sept autres sont tentés par des promesses d'aide, de commerce, d'investissement et de prêts.

La concurrence sino-américaine sévit dans les mines de métaux précieux et de terres rares et sur les chantiers de grands travaux et d'infrastructures stratégiques, mais la pression des Etats-Unis n'a pas toujours, mais alors pas du tout, l'effet escompté. Car s'il est vrai que le Chili a abandonné l'idée du câble sous-marin Valparaiso-Shanghai, il est tout aussi vrai que le Brésil a été le premier bénéficiaire des investissements directs étrangers de la Chine en 2021 et qu'il est le hub régional de Huawei, que le Pérou a vendu sa plus grande compagnie nationale d'électricité à des acheteurs chinois en 2020, et que dans le Triangle du lithium, on parle de plus en plus le mandarin et de moins en moins l'anglais.

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La doctrine Monroe à l'épreuve du 21ème siècle

L'offre d'une large gamme de produits à bas prix, l'utilisation intelligente du financement humanitaire et de la coopération au développement, ainsi que les stratégies de projection du soft power ont permis à Pékin de se présenter comme une alternative viable aux yeux des Latino-Américains. Les résultats, visibles, tangibles et quantifiables, ont été une avalanche de transitions vers la politique d'une seule Chine, l'entrée dans des secteurs sensibles de la sécurité nationale américaine - tels que les ports stratégiques en Méso-Amérique -, la longévité accrue des gouvernements anti-américains et l'ouverture de centres de collecte de données à potentiel militaire, dont deux au Chili et en Argentine.

La Russie a capitalisé sur l'héritage soviétique de puissance prolétarienne et anticoloniale et a investi dans la projection de puissance douce, trouvant un soutien clé en Chine et réussissant à magnétiser dans la coalition anti-hégémonique l'Église catholique postérieure à Jean-Paul II qui, désillusionnée par les États-Unis en raison de son rôle dans la protestantisation de l'Amérique latine, se trouve aujourd'hui à l'avant-garde du boycott des forces politiques qui sont l'expression des évangéliques et des pentecôtistes, des électeurs obstinément proaméricains. La rencontre entre les deux éminences à La Havane en 2016 comme acte fondateur de l'Entente russo-romaine pour la transition multipolaire.

Anarchie productive - comme au Nicaragua et au Venezuela -, coups d'État - comme en Bolivie 2019 -, sédition - comme au Brésil 2023 -, réouverture de différends territoriaux non résolus - comme dans les Malvinas/Falklands - ; tout est à lire et à encadrer dans la compétition entre grandes puissances, dont l'un des chapitres les plus importants est l'Amérique latine comme en témoignent les nombreux aspects de son sous-sol fertile: la Grande Dépression américaine alimentée par le PCC, les Triades et les Narcos mexicains, l'encerclement diplomatique accru de Taïwan, la non-participation à la guerre en Ukraine, l'adhésion à la lutte contre le dollar et la lente expansion des avant-postes militaires, de Managua à Ushuaia.

La guerre mondiale actuelle se déroule aussi en Amérique latine. Le désir de Washington de regagner une influence décroissante dans l'hémisphère occidental sera susceptible de produire des coups d'État doux ou durs, une anarchie productive, des insurrections, des révolutions colorées, des interférences électorales et, en dernier recours, des interventions militaires chirurgicales de type Urgent Fury. Les réactions de l'axe Moscou-Beijing seront égales et opposées, allant d'opérations de déstabilisation hybrides à des initiatives diplomatiques (l'arrivée de la Pax Sinica dans le sous-continent ?), en passant par des poussées de dédollarisation et des accords militaires. La doctrine Monroe à l'épreuve du XXIe siècle.

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vendredi, 07 avril 2023

La guerre de Crimée (1853-1856) et la russophobie à travers les âges

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La guerre de Crimée (1853-1856) et la russophobie à travers les âges

Nicolas Bonnal

J’ai plusieurs fois évoqué la russophobie dans mon livre sur Dostoïevski ou dans mes textes publiés dans les médias russes (voir liens) ; elle est européenne cette russophobie, elle n’a pas attendu les Américains et elle est solidement enracinée. On peut dire qu’elle s’exprime une première fois dans la conquête de la Russie par Napoléon qui est ainsi décrit par Tolstoï dans Guerre et paix: c’est l’Europe et non la France (40% de la soldatesque) qui se jette à la gorge de la Russie. Chateaubriand (voyez mon texte) est totalement isolé quinze ans plus tard quand il demande à la diplomatie française de se rapprocher de la Russie et d’éviter les ombrageuses Autriche et Angleterre qui déclencheront les conflits qui en terminèrent avec notre civilisation (elle est morte notre civilisation à l’époque de Zweig ou Valéry, c’est son cadavre qui pue en ce moment).

La guerre de Crimée (1853-56, un million de victimes, de faim, de froid, de maladie, etc.), permet à l’Europe presque entière de se défouler. La France (comme toujours bonapartiste, militariste, autoritaire et humanitaire, lisez mon Exception française), l’Angleterre qui sacrifia tous les chrétiens (obsessionnelle habitude) d’Orient pour protéger son adorable empire ottoman (qu’elle sacrifia ensuite avec Lawrence et les sionistes), mais aussi la Sardaigne du très opportuniste Cavour, l’Autriche très ingrate (sauvée par Nicolas en 1848, mais qui mobilisa cent mille hommes) et d’une demi-douzaine d’autres nations font directement et indirectement la guerre à la Russie POUR DEFENDRE L’EMPIRE OTTOMAN. Le contrat chrétien est rompu par les Occidentaux, et la Grande Catherine s’en plaignait déjà.

Ici ce qui m’intéresse c’est de rappeler que tous les gouvernements de ce continent zombi approuvent systématiquement ce que font les Américains. Les Américains ont droit de vie et de mort sur toute cette planète et tout le monde est content en Europe. Vers 1850 c’est l’Europe occidentale – le couple franco-britannique - qui a ce droit (et refusera de le partager avec l’Allemagne) et qui, avant les USA, s’estime le messie des nations sur cette pauvre terre - pour la piller ou la détruire ou la moderniser...

Un historien russe de cette déjà triste époque s’en est rendu compte et il écrit au tzar Nicolas ; je traduis de Wikipédia anglais (tout arrive) :

« Mikhaïl Pogodin, professeur d'histoire à l'Université de Moscou, avait donné à Nicolas un résumé de la politique de la Russie envers les Slaves pendant la guerre. La réponse de Nicolas était remplie de griefs contre l'Occident. Nicolas partageait le sentiment de Pogodine que le rôle de la Russie en tant que protecteur des chrétiens orthodoxes dans l'Empire ottoman n'était pas compris et que la Russie était injustement traitée par l'Occident. Nicolas avait particulièrement approuvé le passage suivant:

« La France prend l'Algérie à la Turquie, et presque chaque année l'Angleterre annexe une autre principauté indienne : rien de tout cela ne perturbe l'équilibre des forces ; mais lorsque la Russie occupe la Moldavie et la Valachie, ne serait-ce que temporairement, cela perturbe l'équilibre des forces. La France occupe Rome et y séjourne plusieurs années en temps de paix : ce n'est rien ; mais la Russie ne songe qu'à occuper Constantinople, et la paix de l'Europe est menacée. Les Anglais déclarent la guerre aux Chinois, qui les ont, semble-t-il, offensés: personne n'a le droit d'intervenir; mais la Russie est obligée de demander la permission à l'Europe si elle se querelle avec son voisin. L'Angleterre menace la Grèce de soutenir les fausses prétentions d'un misérable Juif et brûle sa flotte: c'est une action licite; mais la Russie exige un traité pour protéger des millions de chrétiens, et cela est censé renforcer sa position à l'Est au détriment de l'équilibre des forces. On ne peut rien attendre de l'Occident que de la haine aveugle et de la méchanceté... (Commentaire en marge de Nicolas Ier : « C'est tout l'enjeu »).

C’est tiré du Mémorandum de Mikhail Pogodin à Nicolas Ier, 1853.

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Je ne vais pas trop commenter : l’Occident a tous les droits, la Russie – ou qui que ce soit d’ailleurs – n’en a aucun. Le résultat désastreux de cette guerre mena ensuite où l’on sait. Et il faut comprendre une deuxième évidence : même faible, même risible, l’Occident a la rage et ne s’arrête jamais. Lisez notre livre de prières publié en 1852 par A. Stourdza : parce qu’à part les missiles rien ne peut arrêter ces imbéciles. Ces siècles de la Fin pour reprendre Bernanos sont les siècles de la colère des imbéciles fabriqués à la chaîne (télé ou autre) en Occident depuis l’invention d’un certain Gutenberg. Leur guerre n’en finira pas car elle n’a jamais cessé.

Sources principales :

https://www.dedefensa.org/article/de-gaulle-et-chateaubri...

https://en.wikipedia.org/wiki/Crimean_War

https://en.wikipedia.org/wiki/Mikhail_Pogodin

https://lesakerfrancophone.fr/custine-et-les-racines-du-c...

https://lesakerfrancophone.fr/de-leffondrement-de-la-russ...

https://www.amazon.fr/Autopsie-lexception-fran%C3%A7aise-...

https://www.amazon.fr/Dosto%C3%AFevski-modernit%C3%A9-occ...

https://fr.sputniknews.africa/search/?query=bonnal

https://www.amazon.fr/Livre-pri%C3%A8res-orthodoxes-Tradu...

mardi, 04 avril 2023

Géopolitique des infrastructures 

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Géopolitique des infrastructures 

Source: https://katehon.com/ru/article/infrastrukturnaya-geopolitika

Plusieurs pays tentent d'utiliser les projets d'infrastructure pour exercer leur influence géopolitique. Les initiatives récentes les plus importantes sont celles de la Chine, des États-Unis et de l'Union européenne.

Projet américain Build Back Better

Le plan Build Back Better est un cadre législatif proposé par le président américain Joe Biden entre 2020 et 2021. Il est considéré comme un projet ambitieux par sa taille et sa portée. Il vise à réaliser le plus grand investissement public à l'échelle nationale dans des projets sociaux et d'infrastructure, ainsi qu'à s'appuyer sur des programmes environnementaux qui existent depuis la Grande Dépression.

Si une grande partie du public sait que Build Back Better a les objectifs les plus vastes, tels que la décarbonisation nationale et la réduction des coûts des médicaments, les analystes estiment que le plan constitue également une étape importante dans le développement de l'infrastructure américaine. M. Ricketts, chercheur au Center for American Progress, a expliqué à CNBC que le plan Build Back Better s'appuie sur un projet de loi bipartisan sur les infrastructures d'un montant de 1000 milliards de dollars, que M. Biden a promulgué en novembre 2021.

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Ce projet de loi bipartisan compense le manque d'investissements durables dans les infrastructures traditionnelles des États-Unis: autoroutes, routes et ponts, lignes électriques, infrastructures hydrauliques. Les responsables affirment que "Build Back Better" est un projet de loi sur les infrastructures non seulement pour le 21ème siècle, mais aussi pour l'avenir.

"Nous avons besoin d'un réseau électrique stable et fiable. Mais nous avons également besoin d'un réseau électrique stable, sûr et propre pour éviter les pires effets du changement climatique et construire une véritable économie de l'énergie propre au 21ème siècle, et non l'économie polluante des combustibles fossiles du siècle dernier", a déclaré M. Ricketts.

Les fabricants américains doivent poser des centaines de kilomètres de nouvelles lignes électriques et les producteurs d'énergie doivent repenser leurs modèles économiques pour se concentrer sur les batteries et le lithium. Les sociétés d'ingénierie doivent également tenir compte de l'élévation du niveau de la mer et de l'érosion lorsqu'elles décident de l'endroit où construire des infrastructures de transport plus efficaces.

Pour Wall Street, tout cela signifie plus de revenus, d'emplois et de profits pour les entreprises qui construisent les infrastructures.

Bien que le projet de loi soit susceptible d'être modifié, l'une des principales dispositions de l'actuel projet "Build Back Better" est un ensemble de crédits d'impôt et de réductions d'environ 300 milliards de dollars en faveur de l'énergie propre, des voitures électriques, des bâtiments propres et de la décarbonisation.

Selon la Maison Blanche, une telle structure permettrait, par exemple, de réduire d'environ 30 % le coût de l'installation de panneaux solaires sur le toit d'une maison et de réduire de 12.500 dollars le coût d'une voiture électrique fabriquée aux États-Unis, avec des matériaux américains et une main-d'œuvre syndiquée.

Malgré la surenchère qui règne au Capitole, les investisseurs ne s'inquiètent pas des perspectives du projet de loi et de son potentiel pour les fabricants et les entreprises de construction américains. Les économistes américains divergent dans leurs prévisions du prix final de Build Back Better.

"Le Sénat a toujours été le plus grand obstacle à la législation BBB, et nous nous attendons à ce que la législation soit modifiée avant de passer à la Chambre", a écrit Jan Hatzius, économiste en chef chez Goldman Sachs.

Feroli, de JP Morgan, s'attend à ce que le Build Back Better soit de l'ordre de 1000 à 1500 milliards de dollars. Il a également déclaré que l'impact des événements récents serait plus étendu que les mesures d'urgence prises pour lutter contre le Covid-19 (en référence à la loi CARES et au plan de sauvetage américain).

Mais tout n'est pas rose. Les analystes estiment que les consommateurs sont plus susceptibles de tolérer l'impact de la prolongation du crédit d'impôt pour enfants de l'année prochaine que de rendre les routes plus fluides ou d'augmenter le nombre de stations de recharge pour les voitures électriques. Il pourrait s'écouler des années avant que la plupart des Américains ordinaires ne conduisent des voitures électriques.

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Une ceinture, une route

La première route de la soie a vu le jour lors de l'expansion vers l'ouest de la dynastie chinoise Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.), qui a établi des réseaux commerciaux à travers l'Asie centrale actuelle (Afghanistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan), ainsi qu'à travers l'Inde et le Pakistan actuels au sud. Ces routes s'étendaient sur plus de quatre mille kilomètres jusqu'en Europe.

Le président Xi a annoncé cette initiative lors de ses visites officielles au Kazakhstan et en Indonésie en 2013. Le plan se compose de deux parties: la ceinture économique terrestre de la route de la soie et la route de la soie maritime. Les deux projets ont d'abord été désignés sous le nom d'initiative "Une ceinture, une route", avant de devenir l'initiative "La ceinture et la route".

La vision de M. Xi prévoyait un vaste réseau de chemins de fer, de pipelines énergétiques, d'autoroutes et de passages frontaliers ordonnés, à la fois vers l'ouest - à travers les anciennes républiques soviétiques montagneuses - et vers le sud, en direction du Pakistan, de l'Inde et du reste de l'Asie du Sud-Est. Selon M. Xi, un tel réseau permettrait d'étendre l'utilisation internationale de la monnaie chinoise, le yuan, et de "supprimer le goulet d'étranglement de la connectivité asiatique".

Les motivations de la Chine pour cette initiative sont à la fois géopolitiques et économiques. Xi a promu l'idée d'une Chine plus affirmée, à un moment où le ralentissement de la croissance et les relations commerciales difficiles avec les États-Unis ont contraint les dirigeants du pays à ouvrir de nouveaux marchés pour leurs produits.

Dans le même temps, la Chine souhaite renforcer les liens économiques mondiaux avec ses régions occidentales, qui ont été historiquement négligées. La promotion du développement économique dans la province occidentale du Xinjiang, où un mouvement séparatiste est en plein essor, est une priorité absolue, tout comme la sécurisation des approvisionnements énergétiques à long terme en provenance d'Asie centrale et du Moyen-Orient, en particulier via des routes que l'armée américaine ne peut pas bloquer.

L'initiative "Une ceinture, une route" a également suscité de l'opposition. Pour certains pays qui s'endettent lourdement pour financer la modernisation de leurs infrastructures, l'argent investi dans le projet est perçu comme un potentiel cadeau empoisonné. Selon certains experts, le recours à des prêts à faible taux d'intérêt plutôt qu'à des subventions est une opération trop risquée. Certains investissements dans le projet ont fait l'objet d'appels d'offres non transparents et ont nécessité la participation d'entreprises chinoises. En conséquence, les entrepreneurs ont gonflé les coûts, ce qui a conduit à l'annulation de projets et à des réactions politiques négatives.

Les États-Unis partagent les inquiétudes de certains pays quant aux intentions de la Chine. Le développement des économies de l'Asie du Sud et de l'Asie centrale est un objectif de longue date des États-Unis, qui s'est intensifié depuis le début de la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan et le pivot vers l'Asie du président Barack Obama.

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L'Inde a tenté de convaincre les pays que le JCPOA est un plan de domination en Asie, mettant en garde contre ce que certains analystes ont appelé la stratégie géoéconomique du "collier de perles", selon laquelle la Chine crée un fardeau de dettes insoutenable pour ses voisins de l'océan Indien afin de prendre le contrôle de la région. 

Tokyo poursuit une stratégie similaire, en conciliant son intérêt pour le développement des infrastructures régionales et ses soupçons de longue date à l'égard de la Chine.

Plusieurs pays d'Europe centrale et orientale financent l'OSDP, et des États d'Europe occidentale comme l'Italie, le Luxembourg et le Portugal ont même signé des accords de coopération préliminaires sur des projets de l'OSDP. Leurs dirigeants considèrent la coopération comme un moyen d'attirer les investissements chinois et d'améliorer potentiellement la qualité des offres de construction compétitives des entreprises européennes et américaines.

D'autres pays non membres de l'UE sont d'accord avec cette politique. Le président français Emmanuel Macron a appelé à la prudence, déclarant lors d'un voyage en Chine en 2018 que l'OPOP pourrait faire des pays partenaires des "États vassaux".

Moscou est devenu l'un des partenaires les plus enthousiastes de l'OPOP, bien qu'il ait initialement réagi avec prudence à la déclaration de Xi, craignant que les plans de Pékin n'éclipsent la vision de Moscou d'une "Union économique eurasienne" et n'empiètent sur sa sphère d'influence traditionnelle.

Toutefois, les relations de la Russie avec l'Occident s'étant détériorées, le président Vladimir Poutine a décidé, selon les analystes, de lier sa vision eurasienne à l'initiative chinoise.

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L'Europe unie

Le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) est un réseau de routes, de voies ferrées, d'aéroports et d'infrastructures hydrauliques dans l'Union européenne. Le RTE-T fait partie d'un réseau transeuropéen (RTE) plus vaste, comprenant le réseau de télécommunications (eTEN) et le projet de réseau énergétique (RTE-E ou Ten-Energy).

Les orientations du RTE-T ont été initialement adoptées le 23 juillet 1996 par la décision n°1692/96/CE du Parlement européen et du Conseil de la Communauté sur les orientations pour le développement d'un réseau transeuropéen de transport. En mai 2001, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la décision n°1346/2001/CE modifiant les orientations RTE-T pour les ports maritimes et intérieurs.

En avril 2004, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la décision n°884/2004/CE modifiant la décision n°1692/96/CE sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport. La révision d'avril 2004 a constitué un changement plus fondamental dans la politique du RTE-T, conçu pour prendre en compte l'élargissement de l'UE et les changements subséquents dans les flux de transport.

En 2017, il a été décidé que les réseaux transeuropéens de transport seraient étendus à l'Europe de l'Est pour inclure les États membres du partenariat oriental. L'extension la plus à l'est du réseau transeuropéen de transport atteindra l'Arménie en février 2019.

Axes prioritaires et projets de développement:

Corridor Baltique-Adriatique (Pologne-République tchèque/Slovaquie-Autriche-Italie) ;

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Corridor nordique-baltique (Finlande-Estonie-Lettonie-Lituanie-Pologne-Allemagne-Pays-Bas/Belgique) ;

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Corridor méditerranéen (Espagne-France-Italie du Nord-Slovaquie-Croatie-Hongrie) ;

Corridor Est/Est-Méditerranéen (Allemagne-République Tchèque-Hongrie-Roumanie-Bulgarie-Grèce-Chypre) ;

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Corridor Scandinavie-Méditerranée (Finlande-Suède-Danemark-Allemagne-Autriche-Italie) ;

Corridor rhénan-alpin (Pays-Bas/Belgique-Allemagne-Suisse-Italie) ;

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Corridor Lisbonne-Strasbourg (Portugal-Espagne-France) ;

Corridor mer du Nord-Méditerranée (Irlande-Royaume-Uni-Pays-Bas-Belgique-Luxembourg-Sud de la France, transformé en Irlande-Belgique-Pays-Bas et Irlande-France en raison du Brexit) ;

Corridor Rhin-Danube (Allemagne-Autriche-Slovaquie-Hongrie-Roumanie, axe de la voie navigable) ;

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Corridor Strasbourg-Danube (Strasbourg-Mannheim-Francfort-Würzburg-Nürnberg-Regensburg-Passau-Wels/ Linz-Vienne-Budapest-Arad-Brasov-Bucharest-Constanta-Sulina).

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Le RTE-T comprend deux niveaux : un réseau global et un réseau central. Le réseau central doit être achevé au plus tard en 2030, et le réseau global en 2050.

Dix corridors ont été identifiés comme étant le réseau central, reflétant les principaux itinéraires interurbains du marché national. Six de ces corridors traversent l'Allemagne. Ils sont multimodaux par nature et sont conçus, entre autres, pour renforcer les liaisons transfrontalières au sein de l'Union.

Le réseau global comprend l'infrastructure ferroviaire, l'infrastructure fluviale, l'infrastructure de transport routier, l'infrastructure maritime et les autoroutes, l'infrastructure de transport aérien ainsi que l'infrastructure de transport multimodal. Le réseau central fait partie du réseau global et contient ses nœuds et connexions les plus importants d'un point de vue stratégique. L'ensemble du réseau de voies navigables fait partie du réseau central.

Conformément au règlement RTE, chaque corridor se voit attribuer un coordinateur de l'UE. Il existe en outre des coordinateurs pour les autoroutes de la mer et le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). En consultation avec les États membres, les coordinateurs élaborent des plans de travail pour les corridors et contrôlent leur mise en œuvre.

Le nouveau règlement (CE) n°2021/1153 du Connecting Europe Facility (CEF2), adopté le 7 juillet 2021, définit le niveau de financement de certaines mesures/projets. Dans certains États, comme l'Allemagne, le financement peut couvrir jusqu'à 50% des coûts.

Toutefois, les récents développements liés à la crise croissante de l'économie de l'UE ont quelque peu modifié ces plans ambitieux.

L'occidentalisme, maladie de la civilisation russe 

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L'occidentalisme, maladie de la civilisation russe 

Arkadiy Minakov

Source: https://katehon.com/en/article/westernism-disease-russian-civilization

Septième session du Conseil philosophique, Historiosophie de la Voie russe

Tout récemment, sur la chaîne de télévision Spas, deux personnes très intelligentes discutaient ensemble - le prédicateur Andrei Tkatchev et l'historien et publiciste Felix Razumovsky. Au cours de cette conversation, la thèse suivante a été avancée: malheureusement, les Russes modernes ont détruit leur identité nationale. Celle-ci s'est perdue dans les bouleversements et les catastrophes du 20ème siècle. Aujourd'hui, nous pouvons parler non pas tant d'une conscience nationale que d'une subconscience : quelque chose relevant du réflexe, semblable au mouvement des bras et des jambes d'un bébé, à son babillage, etc. Il me semble que c'est une métaphore qui fonctionne, et je vais essayer d'expliquer pourquoi.

Il n'y a pas si longtemps, j'ai organisé un séminaire sur l'occidentalisme avec un groupe de jeunes gens intéressés, très actifs et qui réfléchissaient. J'ai essayé de sélectionner pour eux des articles plus ou moins "digestes" d'auteurs modernes - des années 1990, du début des années 2000, peut-être des années 2010 - qui traitent de ce sujet, mais d'une manière critique. La base de données électronique la plus réputée, E-library, m'a fourni plusieurs centaines de titres. Imaginez mon étonnement lorsque j'ai découvert que ces centaines d'articles étaient rédigés dans des perspectives absolument non patriotiques. Cela signifie que les représentants de la communauté universitaire, qui sont censés être les sujets les plus conscients dans la formation de la conscience nationale, constituent à cet égard une aire sociale absolument occidentalisée. Je me suis rendu compte que notre société traite l'occidentalisme de manière très, très léthargique lorsque j'ai commencé à compiler une revue historiographique. À proprement parler, l'attitude critique à l'égard de l'occidentalisme n'existe que chez les publicistes, tandis que la classe universitaire est dominée par un discours absolument occidentalisé. J'avais l'intention d'écrire un essai sur ce que l'occidentalisme signifiait en Russie et avant en Rus', et sur ce qu'il avait de négatif. J'aimerais partager ces réflexions avec vous. Encore une fois, il n'existe pratiquement aucune recherche critique moderne sur l'occidentalisme russe.

Commençons par le 17ème siècle. Dans son traité intitulé "La politique", Yuriy Krizhanich - un catholique, un Croate, un partisan de l'unité slave, l'un des premiers panslavistes - introduit et définit le concept d'"extranéité" (de xénomanie). "La xénomanie - l'extranéité - est un amour frénétique pour les choses et les peuples autres, une confiance excessive et frénétique dans les étrangers. Ce fléau mortel a infecté tous nos peuples". Il s'agit évidemment des Slaves du 17ème siècle, mais aussi des Russes. En d'autres termes, les contacts plutôt intensifs entre le sommet de la strate dirigeante et les représentants d'États étrangers au 17ème siècle ont entraîné un affaiblissement considérable des réactions défensives, en premier lieu, du pouvoir suprême. Le même Krizhanich écrit : "Il n'est pas surprenant que l'extranéité de tant de nos dirigeants les ait rendus fous et les ait trompés". Selon lui, les intérêts, les idéologies et les coutumes de l'étranger sont devenus plus importants pour les Russes que les leurs. Je citerai Krizhanich: "Nous octrouons le plus grand honneur et les plus grands revenus aux étrangers... En nous aidant, ils nous ruinent... Ils sèment la discorde... Ils nous offensent par leur commerce... Ils concluent des accords frauduleux... Ils trompent par des cadeaux... Les avantages sont faux, coûteux, malveillants... Les marchands nous poussent à la pauvreté... Ils nous font honte par leurs moqueries et leurs abus... Ils sèment la confusion et l'hérésie et font de nous des esclaves... Ils jouissent d'une vie tranquille, nous laissant l'esclavage et le travail... Vaincus par les armes, ils gagnent par les discours... Ils concluent des alliances qui nous nuisent... Ils concluent avec nous des traités clownesques et ridicules... Ils se moquent de notre amour et de notre humanité... Ils nous trompent sous couvert de médiation... À notre grande honte, ils acceptent notre citoyenneté... Ils enseignent le luxe, les vices, les péchés et les superstitions... Ils nous séduisent par des enseignements vains et faux... Les hérétiques, pour discréditer la vraie foi, blasphèment notre peuple et exagèrent ses péchés..." Comme on peut le constater, la situation n'a guère évolué depuis la seconde moitié du 17ème siècle. Au contraire, on peut dire qu'elle s'est considérablement détériorée.

L'époque de Pierre le Grand. Quelques décennies après La politique de Krizhanich, Pierre Ier, selon la légende, a formulé l'objectif de ses réformes comme suit: "Nous avons besoin de l'Europe pendant plusieurs décennies, puis nous devons lui tourner le dos". Aujourd'hui, on peut dire très clairement qu'il s'agissait d'une déclaration vide et abstraite. En réalité, la passion de Pierre pour les "curiosités" étrangères (selon l'expression de Klioutchevsky) s'est révélée être non seulement un emprunt d'innovations indéniablement nécessaires pour la Russie - science européenne, marine, organisation de l'armée, etc. - mais aussi une augmentation spectaculaire du rôle des étrangers à la cour de Russie. La perte d'une compréhension sobre des intérêts nationaux de la Russie dans la politique étrangère, qui s'est avérée être largement subordonnée aux intérêts des États étrangers pendant une longue période. L'abolition des traditions religieuses et culturelles. L'asservissement de la paysannerie à une échelle sans précédent. Et, surtout, la création d'une classe influente de personnes instruites dont l'objectif principal était de transplanter le modèle européen de civilisation sur le sol culturel et historique russe. D'une certaine manière, on peut parler d'une obsession de l'Occident au sens propre. "L'étranger est devenu une constante de la vie russe".

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Un siècle après le début de la transformation du pays par Pierre le Grand, les premières réactions à ce phénomène ont commencé à se manifester. Dans sa célèbre Note sur la vieille et la nouvelle Russie, Nikolaï Karamzine critique l'activité de Pierre. Karamzin commence à parler du fait que Pierre détruit les coutumes, de l'imitation de Pierre, du cosmopolitisme, du manque d'éducation nationale et de la mauvaise influence de l'environnement étranger. Les réformes de Pierre sont considérées par Karamzin comme le fruit de l'imagination débordante d'un homme qui, ayant vu l'Europe, veut faire de la Russie une Hollande. Karamzin a également noté des éléments tels que la voie violente de l'européanisation - la torture et les exécutions, qui ont servi de moyen de transformation de notre État. En même temps, Karamzin a été l'un des premiers conservateurs russes à souligner qu'un État devait emprunter des informations utiles à un autre et ne pas, en principe, suivre ses coutumes. Il ne comprenait pas comment les vêtements, la nourriture et la barbe des Russes pouvaient interférer avec la création d'écoles, et reprochait même à Pierre la division fatale du peuple entre la classe la plus élevée, celle des "étrangers", et la classe la plus basse, celle des gens du peuple. Il écrit : "Depuis l'époque de Pierre le Grand, les classes sociales supérieures se sont séparées des classes inférieures. Le paysan, le philistin et le marchand russes voyaient les Allemands dans les nobles russes, au détriment de l'unanimité fraternelle de la société". Karamzin a été l'un des premiers à dire que l'abolition du patriarcat et le rejet de leurs propres traditions étaient au cœur de tous ces phénomènes négatifs.

Sous le règne de Nicolas Ier, cet argument a été repris par les slavophiles. Il est intéressant de noter qu'aucun d'entre eux n'a nié la nécessité de cet apprentissage de l'Occident; ils n'ont condamné que l'"extranéité" qui a conduit à la division du monde russe, à la destruction des traditions culturelles russes et à la dégradation morale. Ils ont constaté que le revers de ce phénomène était, comme on dit aujourd'hui, la russophobie interne. Une partie de la classe cultivée s'est mise à haïr les siens et à aimer tous les étrangers.

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C'est en 1812 qu'eut lieu le premier grand essor de la pensée nationale russe. À cette époque, les conservateurs qui ont lutté contre la gallomanie ont été les vainqueurs. Le "Parti russe" a contribué à une puissante vague d'énergie nationale. Des personnalités telles que l'amiral Alexander Chichkov et le général Fiodor Rostopchine ont joué un rôle exceptionnel dans la guerre patriotique de 1812. La pensée russe commence à réfléchir intensément à l'identité russe, aux particularités qui la distinguent de l'Europe. Métaphoriquement, l'Europe et la Russie commencent à être considérées comme des parties d'une galaxie chrétienne autrefois unie, mais qui commence à s'éloigner l'une de l'autre. La thèse selon laquelle "la Russie n'est pas l'Europe" gagne du terrain dans la pensée russe. C'est l'historien Mikhaïl Pogodine qui en a jeté les bases. Il s'agit d'une proclamation du début d'une étape fondamentalement nouvelle dans l'histoire russe, d'un signe de la supériorité de la Russie sur l'Occident. Je dois dire que non seulement les idéologues officiels comme Sergei Uvarov ou Stepan Chevyrev étaient d'accord avec Pogodine, mais aussi de nombreux représentants de la couche intellectuelle libre comme Lioubomoudrov, Venevitinov, Odoïevsky, le Pouchkine de la maturité, Gogol, Tioutchev et les Slavophiles le soutenaient également. La question des différences entre l'histoire russe et l'histoire de l'Europe occidentale a été soulevée clairement et sans équivoque. Tous participent activement à la russification de la culture. C'est l'époque du passage massif de l'élite du français au russe. L'ère de l'apprentissage et de l'imitation a pris fin dans une certaine mesure, et la science et la culture russes ont commencé à porter des fruits assez mûrs.

La vie russe au milieu du 19ème siècle est marquée par la lutte entre deux processus diamétralement opposés : la prise de conscience et la maturation de la civilisation russe originale et la négation de la tradition et de l'héritage culturel russes. Le premier se manifeste dans diverses sphères publiques, culturelles et gouvernementales. La culture russe s'est retournée vers l'héritage patristique byzantin, après ce que Florovsky a appelé la "captivité occidentale". Le phénomène du désert d'Optina, les œuvres de la maturité de Pouchkine, Gogol, Dostoïevski, les slavophiles (Danilevski, Leontiev, etc.), la formation d'une pensée religieuse et philosophique russe originale, la création d'un style russe, et bien d'autres choses encore ont contribué à ce processus. Tout cela est resté en suspens en 1917, parce qu'au même moment, un processus fondamentalement différent était en cours. Au sein des diverses tendances de l'occidentalisme (que j'ai appelées gallomanie, mais il y avait d'autres formes d'"extranéité" radicale), une sorte d'anti-système s'est développé, qui niait tout ce qui était lié aux traditions russes. Au cours de ce processus, les sentiments et les idées qui considéraient la Russie historique comme un objet de destruction inconditionnelle, ou du moins de transformation radicale, ont pris le dessus. Les partisans de ce point de vue soulignent le retard de la Russie par rapport à la civilisation occidentale de référence.

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La première lettre philosophique de Tchaadaïev est le premier manifeste de ce type d'attitude. Si l'on considère ce document indépendamment de l'œuvre principale de Tchaadaïev, qui n'a été connue que dans les années 30 du 20ème siècle, on peut être d'accord avec l'historien de la deuxième vague d'émigration Nikolai Oulianov, qui donne son interprétation de cette lettre philosophique. Il écrit : "La Russie est un bâtard de naissance, elle est un sous-homme parmi les peuples. Quiconque n'a pas remarqué ces déclarations n'a rien compris au sujet des "lettres philosophiques". La conscience nationale russe, dans le processus d'amélioration de soi, a subi, et continuera probablement à subir, la plus grande abnégation, mais passer par là ne signifie pas perdre toute conscience de soi...". Pardonnez à Oulianov son ignorance des lettres ultérieures de Tchaadaïev. Il parle de la perception de la première lettre philosophique par les élites "éduquées" de l'époque. Elles l'ont perçue comme un renoncement national, qui s'est avéré être l'alpha et l'oméga de l'occidentalisation. On peut également rappeler la formule poétique blasphématoire de l'un des non-retournés du royaume de Nicolas, devenu moine catholique, Vladimir Petcherine: "Qu'il est doux de haïr sa terre natale, // Et d'attendre avec impatience sa destruction ! // Et de discerner dans sa ruine // L'aube d'une nouvelle vie pour le monde".

À ces sentiments se sont ajoutées les idées socialistes, qui ont commencé à pénétrer activement en Russie dans les années 40 du 19ème siècle et qui supposaient l'élimination non seulement de la propriété privée, mais aussi de l'État national, de la religion, de la famille et de l'individualité. Un mélange combustible a été créé, une "concoction" idéologique extrêmement dangereuse qui a été perçue sans aucun esprit critique. La mise en œuvre de ces idées sur le sol russe devait conduire à une sorte de semblant de Royaume de Dieu sur terre. On peut dire qu'au cours de la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les idéologies de nature et de genèse résolument occidentales, à savoir le libéralisme, le marxisme, le populisme, etc. ont dominé. Elles ont monopolisé le discours public. Les médias ont également soutenu ces idées. La situation était similaire dans de nombreux départements universitaires. Les publications conservatrices qui tentaient de défendre ce qu'elles appelaient les intérêts nationaux et appelaient au développement créatif de la tradition nationale, à de rares exceptions près, menaient une existence misérable, étaient soumises à la déformation, à la terreur morale et au harcèlement, et étaient en fait largement marginalisées. Bien sûr, il s'agissait d'une crise.

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L'État monarchique russe n'était en rien distinctif, conservateur, etc. Les conservateurs n'ont eu qu'un impact épisodique sur la politique de l'État, mais il ne faut pas en exagérer l'importance. En 1917, ce qui devait arriver arriva. Divers partis et mouvements politiques d'orientation occidentale ont bénéficié d'une occasion sans précédent de mettre en œuvre leurs projets en Russie avec le soutien des forces politiques occidentales. Les mois de février et d'octobre 1917 marquent la réalisation de ces projets. On peut dire que tous les aspects négatifs des événements de 1917-1953 sont largement dus à cette circonstance.

Il convient de noter que depuis les années 1930, une sorte de coup d'État pseudo-conservateur et traditionaliste s'est produit au sein du système lui-même. Après la destruction politique puis physique d'une partie importante de la gauche, le patriotisme soviétique, les appels (notamment dans la propagande militaire) aux faits du passé historique, d'une part, et aux images des grands ducs, des tsars et des généraux (censurées par le parti dans une certaine mesure), d'autre part, sont devenus des éléments importants du pseudo-conservatisme conjoncturel de l'époque. Néanmoins, le déni d'un certain nombre de valeurs fondamentales, classiques et traditionnelles prévalait toujours. Par exemple, les droits de propriété et l'État de droit ont été niés ; il y a eu une lutte constante contre la religion ; le principe de l'internationalisme a été proclamé, etc.

D'une manière ou d'une autre, ces processus se sont approfondis. Dans les années 1960, une réaction traditionaliste a vu le jour. Le parti russe qui met au premier plan la protection des droits du peuple russe, des traditions et de la culture, la primauté des intérêts nationaux sur les intérêts internationaux, etc. est apparu. Les écrivains russes glorifient la campagne russe. La partie illégale du parti russe fait appel à la tradition culturelle, intellectuelle et religieuse russe prérévolutionnaire. Toutefois, ces tendances n'ont eu aucune chance de se concrétiser dans la sphère politique et ont fait l'objet de persécutions à la fin du règne de Youri Andropov. Le terrain était préparé pour la mise en œuvre d'un autre projet occidental.

Le triomphe d'un projet libéral-occidental, mondialiste de surcroît, c'est ce qui s'est passé en 1991. Il y a eu un autre désastre, une fracture civilisationnelle. Le peuple russe, dont une grande partie se trouvait en dehors de la Fédération de Russie, a été divisé. En conséquence, un changement d'identité s'est produit pendant la période soviétique, une partie très importante des Russes vivant sur le territoire de l'Ukraine et de la Biélorussie.

Nous pouvons constater que le plus grand danger actuel est cette maladie de la nation russe qu'est l'"ukrainisme". Mais il s'agit également d'une sorte d'occidentalisme "paysan" vulgaire qui s'est radicalement éloigné de ce qui développait l'identité du monde russe et s'est appuyé sur le choix européen, la russophobie radicale et la pratique des collaborateurs nazis. Maintenant que l'Ukraine est devenue anti-russe, c'est ce que nous voyons.

Le phénomène que j'ai tenté de décrire s'est inscrit dans une tradition politique et culturelle. C'est l'occidentalisme qui produit les formes les plus dangereuses et les plus stimulantes d'"extranéité" politique et culturelle et de conflits, qui ne sont que partiellement contenus pour le moment. On peut dire que pour la classe créative au pouvoir aujourd'hui, les leçons d'histoire sont pour l'avenir en raison de leurs intérêts existentiels vitaux. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur la compréhension de ce phénomène. En tant qu'historien, je peux dire qu'il n'existe pas une seule monographie, pas une seule collection moderne satisfaisante d'articles dans lesquels l'occidentalisme est analysé de manière critique. Il n'y a pas d'histoire cohérente de ce phénomène. Je voudrais souligner une évidence : il est impossible de remettre en question la nécessité même d'étudier les réalisations de l'Occident et de s'en inspirer. Ce sont des procédures absolument nécessaires et normales. Sans elles, une grande partie de l'humanité ne pourrait pas vivre. La Russie, comme tout autre pays, doit beaucoup à l'apprentissage, mais il est également évident que les emprunts dans les domaines scientifique, technique et culturel doivent avant tout renforcer la Russie et sa civilisation, et non l'affaiblir et la diviser dans l'intérêt de rivaux géopolitiques. Seule une bonne compréhension de ce phénomène nous permettra de formuler une stratégie claire de développement de la Russie dans tous les domaines vitaux. C'est l'une des principales tâches de notre communauté intellectuelle moderne.

19:25 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, occidentalisme, occidentalisme russe, histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 02 avril 2023

La leçon géopolitique de l'Alaska dans les relations russo-américaines

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La leçon géopolitique de l'Alaska dans les relations russo-américaines

Par Emanuel Pietrobon (2021)

Source: https://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/la-lezione-geopolitica-dellalaska/

Il fut un temps, lointain, où l'on parlait russe en Alaska. Tout a pris fin lorsque les Romanov, convaincus que cette région était dépourvue de ressources, ont décidé de la vendre aux États-Unis pour un prix ridicule. Ils étaient loin de se douter que cette transaction changerait à jamais le cours de l'histoire, au détriment de la Russie et en faveur des États-Unis.

Entre 1830 et 1835, le sociologue français Alexis de Tocqueville a publié "De la démocratie en Amérique", un essai en deux volumes visant à expliquer les raisons de l'enracinement de la culture démocratique aux États-Unis. Tocqueville est allé bien au-delà d'une simple analyse de la société américaine, car dans ses conclusions, il a consacré des pages à des prédictions personnelles sur les tendances futures aux États-Unis et dans les relations internationales. Selon lui, les États-Unis et la Russie, bien que géographiquement éloignés l'un de l'autre et jusqu'à présent en bons termes, rivaliseront à l'avenir pour "le destin du monde" en raison de leur étendue territoriale, de leurs ambitions intrinsèquement antithétiques et de leurs identités aux antipodes l'une de l'autre.

Le livre fut un succès, mais la prophétie fut ignorée et oubliée pendant un siècle. Elle n'a été récupérée et popularisée qu'après la Seconde Guerre mondiale, avec l'émergence de la guerre froide, la confrontation globale entre le monde dit libre, dirigé par les États-Unis, et l'empire communiste, dirigé par l'Union soviétique. La rivalité géopolitique russo-américaine a ensuite progressivement réapparu vingt ans après la fin de la guerre froide, prenant la forme d'une véritable guerre froide 2.0 au tournant de la fin des années 2010 et du début des années 2020.

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Pourtant, les relations entre la Russie et les États-Unis n'ont pas toujours été caractérisées par des sentiments mutuels de méfiance et de défiance, comme le montre bien la vente de l'Amérique russe (Russkaya Amyerika), ou de l'actuel Alaska. Ce que le tsar considérait à l'époque comme une affaire commode et prévoyante pour la Russie est aujourd'hui lue et jugée par nous, la postérité, pour ce qu'elle a réellement été : la pire transaction de l'histoire. Un mauvais accord dicté par une combinaison d'intérêts contingents et d'erreurs de calcul qui a privé la Russie non seulement d'un territoire riche en ressources naturelles, mais aussi d'un avant-poste géostratégique qui allait s'avérer crucial, dans les années à venir, pour exercer une pression sur les États-Unis et, sans doute, changer le cours de l'histoire.

L'étude de l'affaire de l'Alaska est indispensable pour tous ceux qui entendent raisonner en termes géopolitiques. En effet, il s'agit d'une source d'apprentissage précieuse et inépuisable qui, si elle est correctement exploitée, peut aider les stratèges et les géopoliticiens à ne pas agir en fonction des impulsions et des circonstances, mais selon un autre critère: la rentabilité à long terme.

L'histoire de l'Amérique russe est la suivante: la première colonie a été installée en 1784 et a servi de tête de pont à la Compagnie russo-américaine (RAC) pour établir des comptoirs commerciaux dans les îles Aléoutiennes, dans le Pacifique et sur la côte ouest. Seuls les explorateurs-colonisateurs de la RAC semblaient conscients du potentiel de l'expansion impériale extra-asiatique, c'est-à-dire dans le Pacifique et les Amériques. Les tsars Alexandre Ier et Nicolas Ier sont respectivement à l'origine du retrait d'Hawaï en 1817 et de la vente de Fort Ross (en Californie) en 1841. Deux actions dictées par le désir de se lier d'amitié avec les États-Unis et qui, loin d'améliorer l'image de la Russie à leurs yeux, produisirent l'effet inverse: les Américains y virent l'occasion d'exploiter l'attitude docile de la famille impériale pour expulser définitivement les Russes du continent américain. C'est ainsi qu'en 1857, malgré l'opposition de la RAC, les diplomaties secrètes des deux empires se mettent au travail pour discuter de la question de l'Alaska.

Les négociations ont duré une décennie et se sont terminées le 30 mars 1867. Ce jour-là, l'ambassadeur russe Eduard de Stoeckl et le secrétaire d'État américain William Seward signent le document qui sanctionne le transfert de propriété de l'Alaska pour 7,2 millions de dollars de l'époque, soit environ 121 millions de dollars d'aujourd'hui. Un chiffre risible, aujourd'hui comme à l'époque: 2 cents par acre, 4 dollars par kilomètre carré. En Russie, malgré le caractère manifestement frauduleux de l'accord de cession, l'événement est célébré comme un succès diplomatique qui apportera d'énormes bénéfices: l'argent américain améliorera le budget public, le Kremlin pourra consacrer davantage de ressources (humaines et économiques) aux campagnes expansionnistes en Europe et en Asie, et, de plus, il s'est libéré d'un territoire, l'Alaska, considéré comme aussi stérile que dépourvu de ressources naturelles. Enfin, il y avait l'espoir (mal placé) qu'un tel geste conduirait à la naissance d'une amitié durable avec les Etats-Unis, peut-être dans une tonalité anti-britannique.

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En réalité, la vente de l'Alaska n'a produit ni nourri aucun des avantages annoncés :

    - Le budget du gouvernement et la situation économique dans son ensemble ont continué à se détériorer au cours des décennies suivantes, donnant lieu à une vague de protestations anti-tsaristes et de soulèvements populaires dont l'aboutissement ultime a été la révolution d'octobre. Pour comprendre pourquoi l'Alaska n'a pu améliorer son budget de quelque manière que ce soit, il suffit de regarder les chiffres: le budget impérial de l'époque était d'environ 500 millions de roubles, avec une dette de 1,5 milliard, et le montant reçu était l'équivalent d'environ 10 millions de roubles.

    - Dix ans après l'achat, les colons américains ont découvert les premiers immenses gisements de ressources naturelles, comme le pétrole, l'or et d'autres métaux précieux. Cette découverte a démenti la fausse croyance selon laquelle ils avaient vendu une terre stérile et dépourvue de ressources.

    - La thèse selon laquelle la cession de l'Amérique russe libérerait les ressources humaines et économiques nécessaires aux campagnes en Europe de l'Est, en Asie centrale et en Sibérie est également fausse. Tout d'abord, les coûts d'entretien de la colonie sont supportés par la RAC. Ensuite, sur les 40.000 personnes vivant en Alaska à l'époque de l'accord, la grande majorité était des Amérindiens.

    - Enfin, l'histoire allait rapidement démentir le motif principal de l'opération en Alaska : pas d'alliance entre les deux empires, mais une plus grande discorde.

Le retrait d'Hawaï est, si possible, encore plus grave que l'affaire de l'Alaska: la Seconde Guerre mondiale a montré l'importance de l'archipel pour l'hégémonie militaire sur le Pacifique et l'Extrême-Orient. Si l'Empire russe avait conservé le contrôle d'Hawaï, sans céder l'Alaska, le cours de l'histoire aurait été différent. Imaginer cette uchronie n'est pas difficile :

    - La crise des missiles ne serait pas née à Cuba, mais en Alaska.

    - Les États-Unis n'auraient pas pu prétendre à une quelconque position hégémonique dans le Pacifique.

    - Ils n'auraient pas eu accès à l'Arctique, avec toutes ses implications et conséquences.

    - La qualité de l'endiguement antisoviétique en Eurasie aurait souffert du facteur Alaska, car le Kremlin aurait pu mettre en œuvre un contre-endiguement efficace et étouffant via l'Alaska, Cuba, Hawaï, avec pour résultat final et global la création d'un cordon d'encerclement autour des États-Unis.

L'Alaska nous enseigne que même des territoires apparemment sans importance d'un point de vue stratégique au cours de la première période peuvent s'avérer cruciaux pour perturber et déterminer la structure du pouvoir au cours de la deuxième période. Les conserver à tout prix est donc un impératif stratégique. Comment la connaissance d'une zone peut-elle s'avérer utile tôt ou tard ? Il est vrai que l'avenir est imprévisible et qu'un océan sépare la prévoyance de la clairvoyance, mais certaines tendances peuvent être décryptées : Tocqueville docet.

L'Alaska enseigne aussi que les coûts du maintien d'une sphère hégémonique, d'un espace vital, aussi élevés soient-ils, sont toujours récompensés à moyen et long terme. Les disparités négatives entre les coûts et les bénéfices sont en effet typiques et physiologiques à court terme et tendent à s'estomper progressivement, bien sûr, au fur et à mesure que les bénéfices se répercutent à moyen et long terme dans les dimensions diplomatiques, économiques, géopolitiques et militaires. Dans le cas qui nous occupe, considérez le fait que les États-Unis ont récupéré la totalité des sommes dépensées en Alaska en moins de 20 ans, gagnant cent fois plus que l'argent déboursé en 1867 - grâce à l'exploitation des ressources naturelles - et que, grâce à l'expulsion totale des puissances européennes du continent, ils ont pu concentrer toutes les ressources sur l'hégémonisation de l'Amérique latine.  

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Si les Russes étaient restés en Alaska, les Américains n'auraient pas pu s'étendre avec la même rapidité dans le sous-continent ibéro-américain. Ils auraient dû prêter attention, encore et encore, au front nord. De plus, l'Alaska garantissait aux Etats-Unis un avant-poste dans l'Arctique, un balcon sur le stratégique détroit de Béring, légitimant leurs prétentions et leurs ambitions hégémoniques au pôle Nord - qui prendra de plus en plus d'importance dans les années à venir, changement climatique oblige. L'affaire de l'Alaska a finalement aidé les États-Unis à devenir la première puissance mondiale, leur permettant d'ériger une barrière de protection pour défendre les Amériques, tout en emprisonnant la Russie en Eurasie, en la figeant dans une dimension continentale, dans un état tellurocratique, et en permettant son encerclement multifrontal. Toute puissance, comme la Russie en son temps, est contrainte de faire des choix difficiles concernant le sort de territoires apparemment sans importance. Dans le cadre de la prise de décision, afin d'éviter de commettre des erreurs fatales, il est impératif de se rappeler que l'avenir est aussi imprévisible que l'histoire est sévère. Et s'il est vrai que Historia magistra vitae est, comme le disait Cicéron, alors il y aura toujours quelque chose à apprendre de l'Alaska.

À propos de l'auteur / Emanuel Pietrobon

Né en 1992, Emanuel Pietrobon est diplômé en sciences internationales, du développement et de la coopération à l'université de Turin, avec une thèse expérimentale intitulée "The Art of Covert Warfare", axée sur la création d'un chaos contrôlé et la défense contre celui-ci. Au sein de la même université, il se spécialise dans les études régionales et globales pour la coopération au développement - Focus former Soviet World. Ses principaux domaines d'intérêt sont la géopolitique de la religion, les guerres hybrides et le monde russe, ce qui l'a amené à étudier, travailler et faire de la recherche en Pologne, en Roumanie et en Russie. Il écrit et collabore avec plusieurs publications, dont Inside Over, Opinio Juris - Law & Political Review, Vision and Global Trends, ASRIE, Geopolitical News. Ses analyses ont été traduites et publiées à l'étranger, notamment en Bulgarie, en Allemagne, en Roumanie et en Russie.

Censure: la métaphysique de la culture souveraine

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Censure: la métaphysique de la culture souveraine

Alexandre Douguine

Source: https://katehon.com/ru/article/cenzura-metafizika-suverennoy-kultury

La censure libérale dans l'Occident moderne

Le thème de la censure n'est pas seulement d'une grande actualité pour notre société (surtout dans le contexte de l'Opération militaire spéciale en Ukraine), il est aussi philosophiquement fondamental. La culture occidentale contemporaine recourt de plus en plus fréquemment à la censure, bien qu'elle tente de présenter le libéralisme comme abolissant tout critère de censure. En réalité, qu'est-ce que la censure [1] si ce n'est la forme la plus radicale de censurer toute idée, image, doctrine, œuvre ou pensée qui ne rentre pas dans le dogme étroit et de plus en plus exclusiviste de la "société ouverte"? Aujourd'hui encore, au Festival de Cannes et dans d'autres lieux prestigieux contrôlés par l'Occident, il est impossible de passer sans une panoplie idéologico-délirante minimale nécessaire - soit des formes non traditionnelles d'identité sexuelle, de diversité raciale, de discours anticolonial (et en fait néocolonial libéral), et ainsi de suite. Qu'est d'autre qu'une censure totalitaire et pandémique, que le wokisme (2), c'est-à-dire un appel à tous les citoyens à être "éveillés" et à signaler immédiatement aux autorités compétentes tout soupçon de déviation par rapport aux anti-valeurs libérales - le racisme (la russophobie étant une exception, ici, car la Russie n'est pas politiquement correcte), le "sexisme", le "patriotisme" (là encore, le nazisme ukrainien est une exception; il est le bienvenu car il s'agit d'une lutte contre les "Russes"), l'inégalité entre les sexes (par exemple, la protection de la famille traditionnelle normale)? Et le fameux "politiquement correct" [3], qui nous oblige, avec insistance et sous la menace d'un ostracisme total, à éviter certains termes, expressions, citations, formulations susceptibles d'affecter les sensibilités de la société libérale, n'est-ce pas une censure? Dans l'Occident d'aujourd'hui, nous avons affaire à une véritable floraison de la censure. C'est un fait indéniable, quels que soient les synonymes que l'on puisse inventer pour désigner cette censure.

La Russie est condamnée à la censure aussi bien si elle suit l'Occident que si, au contraire, elle remet en cause, voire rejette directement ses normes et ses règles. Nous sommes déjà entrés dans l'ère de la censure et il nous reste à comprendre véritablement ce qu'elle est.

Le sens de la métaphore

Commençons notre examen de ce sujet important par une métaphore élémentaire (4); soulignons que, même dans les sciences naturelles, telles que la physique, la chimie, la biologie, etc., la construction d'une théorie scientifique commence par une métaphore sensuelle, parfois purement poétique. Sans métaphore, il n'y aurait pas eu l'idée des atomes, des états de la matière, du plasma, des fluides, de la matière elle-même. Il est donc légitime de se poser la question de l'image du censeur et de la censure en tant que telle.

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Généralement, nous avons l'image d'un fonctionnaire limité et méchant, totalement dépourvu de talent et de créativité, qui déteste délibérément l'élément même du talent, la recherche vivante, envie les créateurs et les génies et tente de soumettre tout le monde à la même règle; cette image apparaît immédiatement à l'esprit. Une telle image suscite le rejet et toute discussion ultérieure sur le thème de la nécessité ou non de la censure dans la société car elle est construite autour de cette horrible caricature - un personnage inférieur, bas et vulgaire. Voulons-nous une telle censure et une telle censure? Toute personne sensée répondrait "non", "en aucun cas". La suite de la discussion est claire dès le départ. Certains s'en indigneront sincèrement, d'autres défendront désespérément l'image et son utilité pratique au motif que, sans elle, les choses seraient encore pires. Mais si nous sommes d'accord avec une telle métaphore de départ, nous avons sciemment perdu. Nous ne pourrons pas défendre la censure, ce qui signifie que les libéraux les plus doués pour la polémique et la rhétorique imposeront simplement leur censure à la société - plus élégamment encadrée et couplée à d'autres images clés - les femmes souffrant de l'arbitraire du patriarcat, les minorités ethniques et sexuelles opprimées, les migrants illégaux sans papiers parleront pour ceux qui imposeront d'autres règles de censure. Les victimes - ou plutôt les images artificielles des victimes, les hologrammes soigneusement fabriqués - parleront désormais au nom des juges et même des bourreaux. Et le public ne s'apercevra pas qu'en luttant contre la censure, il s'est retrouvé sous la coupe de censeurs totalitaires, cruels et inébranlables. Ceux-ci ont simplement changé d'image et ne s'appellent plus ainsi. Mais cela ne change pas l'essence de ce qu'ils font et de ce qu'ils imposent à la société.

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Si nous poursuivons la logique de Gaston Bachelard, nous devrions changer l'image du censeur et nous obtiendrons une image tout à fait différente. Imaginons que le censeur soit Michelangelo Buanarotti, sculptant son chef-d'œuvre immortel, la Pietà, dans le marbre. Ce chef-d'œuvre absolu, dans tous les sens du terme, se trouve dans la basilique Saint-Pierre au Vatican. 

Une autre métaphore similaire - peut-être à plus grande échelle, mais moins raffinée et expressive pour l'esprit chrétien - est le Sphinx égyptien, sculpté au milieu du troisième millénaire avant J.-C. à Gizeh, à côté du complexe pyramidal [5].

Si le censeur incarne l'image de Michel-Ange ou celle du Sphinx égyptien, sa fonction est de sculpter dans le potentiel créatif de la société, comme dans un rocher, une image sacrée raffinée et sophistiquée qui corresponde le mieux possible à l'identité collective historique. En d'autres termes, le censeur est une sorte de macro-démiurge dont le matériau (le marbre ou le granit) est la totalité des capacités créatives et des quêtes créatives du peuple. De la roche, le censeur coupe ce qui est superflu et laisse ce qui est nécessaire. Car une grande statue élégante, pleine d'esprit, de sens et d'une énorme vie intérieure créative, émerge ainsi: en coupant le superflu.  Cette élimination, même si elle est douloureuse pour le marbre lui-même, pour la chair du rocher, est un acte de création supérieure. Enlever le superflu signifie laisser le superflu, et le superflu signifie le fondamental, l'essentiel, ce qui était secrètement caché dans le granit, ce qui a été deviné et reconnu en lui, et à partir de là, éventuellement, a été déduit. Le censeur, comme Michel-Ange, est celui qui, dans le bloc de marbre informe, voit la Pietà, c'est-à-dire le Christ et la Mère de Dieu tenant son saint corps dans ses bras. Et en la voyant, il coupe souverainement et librement le superflu qui empêche l'image de pénétrer dans l'élément obscur du minéral.  De même, les anciens Égyptiens de l'époque du pharaon Chephren, en regardant la roche calcaire solide, reconnaissent la figure majestueuse et mystérieuse du Sphinx, celui de leur panthéon, prototype des chérubins célestes, qui combine les caractéristiques animales et humaines dans une synthèse transcendantale inégalable.

Le censeur crée la culture, et pour cela il doit posséder le plus haut degré de souveraineté. Il sait à la fois ce qu'il doit éliminer et ce qu'il doit laisser derrière lui. En fait, le censeur est un créateur, un artiste, mais il n'agit qu'au niveau de toute la société, de tout le peuple. Sa qualité est donc plus importante que celle d'un créateur ordinaire. Un créateur a le droit à l'erreur, à l'expérimentation, à l'échec, à l'insuccès. Le censeur n'a pas ce droit. Il est chargé par la société de ciseler une image que la société, les gens portent dans leur cœur, dans leur âme. Cette image, dont le peuple est porteur, est lourde de dangers. Il n'a pas le droit à l'erreur.

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Le censeur n'est pas un artiste

Il existe une autre différence entre le censeur et l'artiste. Le censeur supprime ce qui n'est pas nécessaire. Il ne remplace pas l'artiste, il n'est pas porteur d'énergie créatrice. Si le censeur était un créateur, il identifierait simplement son travail à celui de la société. Mais c'est un chemin vicieux. Il ferme les directions qui peuvent aller vers l'image recherchée par d'autres voies. Le censeur se distingue de Michel-Ange en ce qu'il ne laisse pas sa signature sous l'œuvre - ainsi que Michel-Ange lui-même sous la Pietà. Il n'est pas un artiste parmi les artistes. C'est un ascète, qui abandonne volontairement son propre potentiel créatif, sa propre volonté, au profit d'une œuvre collective, toute publique, universelle. Il ne crée pas tant qu'il ne laisse les autres créer, mais seulement ceux qu'il identifie lui-même comme les créateurs de la Pietà, et non comme de simples morceaux de matière noire souhaitant être reconnus comme une œuvre d'art. Il élimine les bavures et affine les formes délicates, mais il ne les crée pas lui-même. C'est le travail d'un sculpteur, pas celui d'un peintre ou d'un poète.

Le censeur doit donc être le gardien de l'art et non son créateur spontané. En ce sens, une série de définitions et de formulations de Martin Heidegger dans son ouvrage fondamental De l'origine de l'œuvre d'art est plus que jamais d'actualité.

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Il est révélateur que nous ne connaissions pas le nom des auteurs de l'ancien sphinx égyptien, qui ont reconnu ses traits dans la roche. Ils restent aussi mystérieux que le sphinx lui-même. D'une certaine manière, le censeur-gardien devrait leur ressembler - son anonymat fait partie de son pouvoir souverain.

Le censeur définit les limites, les frontières de ce qui est de l'art et de ce qui n'est que du marbre. Pour ce faire, il doit être lui-même profondément lié à sa culture, comprendre sa logique, son vecteur historiosophique, ses orientations, sa structure. Et pour cela, il doit être complètement et totalement souverain.

Le censeur comme souverain

Il est important de le dire tout de suite : le censeur n'est pas une fonction de l'État. Il ne peut pas être un simple fonctionnaire qui exécute les ordres de quelqu'un. Dans ce cas, nous n'avons pas affaire au censeur, mais à un représentant du censeur, son héraut, son messager, son annonciateur, et la figure du véritable censeur nous est tout simplement cachée dans l'ombre. Le censeur est porteur d'une souveraineté absolue. Il n'est pas engagé par le pouvoir et ne le sert pas, il est une partie de ce pouvoir, son aspect organique orienté vers le domaine de la culture. Les autres aspects du pouvoir souverain s'adressent à d'autres domaines - l'économie, la politique étrangère, la défense, la sphère sociale. Le censeur porte le fardeau de la souveraineté culturelle. Et dans ce domaine, il n'a pas d'autorité supérieure. Qui peut dicter à Michel-Ange ce que doit être la Pietà ou aux Egyptiens anonymes ce à quoi doit ressembler le Sphinx ? Michel-Ange l'a conçue, il l'a créée à partir d'un rocher de marbre. Les Égyptiens ont sculpté le Sphinx dans du calcaire.

Mais bien sûr, Michel-Ange lui-même et les architectes égyptiens ne vivaient pas en vase clos. Michel-Ange faisait partie de la civilisation catholique, véritable fils de la Florence de la Renaissance, porteur d'un esprit historique et géographique très particulier, d'une identité particulière. Quoi qu'il ait créé, il l'a créé au sein du christianisme. Et son œuvre est jugée de cette manière et dans cette optique. La Pietà est plus haute que Michel-Ange, mais dans la conceptualisation et la présentation de la Pietà, il est plus haut que tous les autres. Il est souverain dans un contexte spirituel particulier. Ici, il est complètement libre. Mais il n'est pas libre du contexte lui-même.

Cela apparaît encore plus clairement chez les créateurs du Sphinx. Ils sont la chair et le sang de la tradition sacerdotale égyptienne, ils sont les porteurs d'une sacralité très particulière. Si leur regard reconnaît dans un bloc de pierre informe la figure d'un être du monde spirituel, c'est que le regard lui-même est fondamentalement structuré, éduqué et saturé par les images qu'il capte de l'environnement extérieur. Les Égyptiens portent le Sphinx dans leur âme, au plus profond d'eux-mêmes. Ce Sphinx entretient une relation privilégiée avec leur identité. 

De même, le censeur reflète le destin de son peuple, de sa société, précisément au tournant de l'histoire où il se trouve. L'ayant compris et reconnu, il est par ailleurs libre. Mais il n'en est pas libre. Non seulement le censeur n'est pas libre du pays, de son histoire, de l'identité et du destin du peuple, mais il en est plus dépendant que n'importe quel créateur. Les créateurs peuvent essayer de créer n'importe quoi. Ils ne sont certainement pas exempts de contenu historique et social, mais ils se comportent comme s'ils étaient totalement libres. Leur liberté est limitée par un censeur qui est beaucoup plus responsable de l'histoire qu'eux. Mais lui aussi est limité, mais d'une manière différente. Non pas par le pouvoir, mais par l'être, en le comprenant, en découvrant sa structure, son destin.

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La censure comme institution de justice

Abordons maintenant, avec un peu de retard, l'étymologie et la genèse de la notion de censure, de censeur. Le mot vient du latin censeo - "définir", "évaluer", "donner un sens", ainsi que "penser", "supposer". La racine indo-européenne *kens- "déclarer" en est à l'origine.

Historiquement, l'institut des censeurs est apparu dans la Rome antique et était indépendant des autres branches du gouvernement, qui étaient appelées à donner une évaluation objective de l'état matériel, de l'état des travaux publics et du fonctionnement des institutions publiques, ainsi qu'à contrôler le respect de la moralité. Par essence, le censeur est celui qui est responsable de la justice, de la correspondance entre les normes déclarées de la société et l'état réel des choses. Il s'agit d'un contrôle spirituel du comportement des différentes autorités et instances, fondé sur le fait que les règles et les normes de principe doivent être respectées par tous, qu'ils soient supérieurs ou inférieurs.

En d'autres termes, la censure est un appareil qui garantit la justice. Si une société s'engage à respecter certains idéaux, elle doit les suivre. Et il y a des censeurs pour le faire.

La censure n'est donc pas un instrument de pouvoir dirigé contre les masses, mais une instance transcendante chargée de surveiller la justice à tous les niveaux, au sommet comme à la base, et habilitée à demander des comptes aux uns et aux autres.

Le terme censeo ne signifie donc pas simplement "évaluation", mais précisément une évaluation juste basée sur ce qu'il est, et non sur ce à quoi il ressemble. Il s'agit d'une vérification de l'état réel des choses, indépendamment de la manière dont chacun - jusqu'aux cercles les plus élevés - voudrait le présenter. Si l'on cherche des analogies modernes, la censure au sens romain correspond à la notion moderne d'"audit", c'est-à-dire de vérification objective et impartiale de l'état réel des choses - dans une entreprise, une société, une organisation à quelque échelle que ce soit.

Mais pour garantir l'équité, pour déclarer la valeur réelle, il faut savoir ce qui est juste. Cela suppose que le censeur appartienne à une instance très élevée, qui peut se permettre d'être indépendante du sénat et des magistrats (si l'on prend Rome et son système), c'est-à-dire de toutes les branches et de tous les niveaux du pouvoir. Cette souveraineté ne peut être détenue que par les philosophes qui sont, selon Platon, les gardiens, les "gardiens de l'être", ajoute Heidegger. La censure est donc avant tout l'affaire de la philosophie souveraine.

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La censure transcendantale de Lucian Blaga

La référence de la censure à la philosophie nous oblige à examiner de plus près le contenu métaphysique du concept. Pour ce faire, nous pouvons nous tourner vers le philosophe roumain Lucian Blaga, qui a introduit le concept de "censure transcendantale".

Pour comprendre ce que Lucian Blaga entend par "censure transcendantale", nous devons dire quelques mots sur sa théorie philosophique en général. Blaga commence par dire que l'Être suprême - l'Absolu et le créateur du monde - est le "Grand Anonyme" [7]. Diverses épithètes élogieuses peuvent raisonnablement être appliquées au Grand Anonyme - "Grand", "Puissant", "Un", "Le plus sage", "Éternel", etc., mais une seule est d'une incommensurable pertinence: "Celui qui proclame la Vérité", "le Vrai". Pour Descartes, il est évident que Dieu ne peut pas mentir. Lucian Blaga a tendance à dire le contraire: si le Grand Anonyme révélait la vérité, sa puissance créatrice créerait immédiatement son doublet absolu, ce qui court-circuiterait son plérôme. Il est donc contraint de dire, sinon un mensonge pur et simple, du moins pas toute la vérité, et plus précisément encore, il introduit une censure transcendantale - mais encore une fois non pas dans l'énoncé, mais dans la possibilité fondamentale de son interprétation adéquate. Il peut révéler toute la sagesse, mais il prive d'abord celui à qui il la révèle de la capacité de la comprendre. C'est le sens de la "censure transcendantale". Si Dieu (le Grand Anonyme) créait une création vraiment parfaite et vraie, il se répéterait tout simplement. Mais c'est impossible, car il ne peut y avoir deux "dieux" totalement identiques. Ainsi, selon Lucian Blaga, pour que la création émerge, Dieu doit s'autocensurer. Cette censure consiste à dissimuler certains aspects - supérieurs - de la structure de la réalité.

Blaga introduit les concepts de "conscience paradisiaque" et de "conscience luciférienne" [8]. La première considère Dieu et la réalité dans son ensemble comme un triangle continu. Elle ne saisit pas la présence d'une censure transcendantale et pense l'existence comme si elle n'existait pas. Le second, au contraire, reconnaît la prise, mais se rebelle contre la "censure transcendantale" et cherche à la fissurer (à "devenir Dieu").

Cette ligne de réalité qui sépare la partie positivement accessible de l'être de la partie soumise à la censure transcendantale est ce que Blaga appelle l'"horizon mystérieux". La conscience paradisiaque pense que l'ascension de l'échelle des marches de l'être est ininterrompue, et elle ne remarque pas l'horizon mystérieux, c'est-à-dire le point où la continuité s'interrompt.

La conscience luciférienne est consciente de l'horizon mystérieux et tente avec insistance de décrire cette partie de l'être qui est cachée derrière le voile censuré, en utilisant les mêmes termes et approches que la réalité située sous l'horizon mystérieux. Il en résulte une collision dont nous pouvons clairement voir les échos dans l'état de la civilisation occidentale moderne, qui est devenue sans équivoque luciférienne et cherche à percer les voiles naturels du mystère - déchiffrage du génome, création de l'IA, etc. Le schéma de Lucian Blaga peut être reflété dans la figure suivante.

Blaga lui-même appelle à une troisième voie: ne pas tomber dans la naïveté d'une conscience paradisiaque qui ignore la fissure fondamentale dans la structure de la réalité, mais ne pas non plus se laisser capturer par la rébellion luciférienne. Il faut se concentrer sur l'horizon du mystère, en acceptant le mystère, le sacrement comme quelque chose d'autosuffisant. Oui, Dieu n'est pas connaissable, et la vérité qu'il nous donne ne peut jamais être complète. Il y aura toujours quelque chose qui nous sera caché par un voile impénétrable. Quelque chose sera toujours censuré et nous ne le saurons jamais.

Mais c'est la liberté de créer. Nous sommes libres d'imaginer ce qui se trouve au-delà de l'horizon du mystère, comme bon nous semble. Non pas la science (luciférisme), mais la culture [9], c'est ce que Dieu veut que nous fassions, ce qu'Il nous permet de faire, ce qu'Il nous encourage à faire.

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Dans une telle situation, le censeur prend une signification particulière. Il veille sur l'horizon du mystère pour le préserver de l'orgueil satanique, pour en maintenir l'imprenabilité. La création est libre tant qu'elle respecte le censeur transcendantal. Et le censeur se trouve dans la position de quelqu'un qui est investi d'une mission supérieure: maintenir les proportions de l'être telles qu'elles devraient être pour que le monde existe - exactement dans cet état intermédiaire qui n'est possible que lorsque la vérité est dialectiquement imbriquée dans la non-vérité et jusqu'à la fin, où l'une finit et où l'autre commence, personne ne le saura jamais. Jusqu'à la fin du monde.

La censure en Russie et la Russie

Au-delà de la figure caricaturale du censeur et compte tenu de la charge métaphysique de la "censure transcendantale" dans la philosophie de Lucian Blaga, nous pouvons porter un regard différent sur les faits bien connus qui décrivent l'état de la censure dans l'histoire de la Russie ancienne et plus tard de la Russie impériale. Ainsi, les listes de livres abjurés dans les "Izbornik de 1073" ne sont pas seulement une liste d'hérésies et d'interdictions, mais contiennent également des documents détaillés et bien plus détaillés provenant du saint héritage patristique, qui devraient être pris comme norme et standard. Ici, la description des hérésies sert à former une image plus contrastée de ce qui est convenable et correct. "L'Izbornik sculpte une Pietà ou un Sphinx - décrivant clairement l'image elle-même et contrastant avec les fragments de roche marbrière ou les voies déviantes indues à couper. La négation est inextricablement liée à l'affirmation et, en général, il s'agit de révéler l'image - la vision chrétienne orthodoxe complète de la vérité, de la beauté et de la bonté. En même temps, les profondeurs de la contemplation spirituelle monastique restent cachées. Elles ont leur place dans le domaine de l'horizon des mystères, que l'orthodoxie observe sans tenter de l'envahir ou de la critiquer directement.

Les réformes séculières sous Pierre et ses successeurs ont séparé la censure spirituelle de la censure séculière. Jusqu'au milieu du 18ème siècle, la source de la censure séculière était le tsar lui-même [10] (rappelons ici ce que nous avons dit sur la souveraineté suprême du censeur). Plus tard, les tsars russes ont délégué ce droit à diverses instances - le Sénat, l'Académie des sciences, le ministère de l'éducation publique, le ministère de l'intérieur [11], etc. Mais il s'agit toujours d'une délégation purement "comminatoire" de certains pouvoirs purement souverains du tsar. Il s'agit d'une extension du pouvoir souverain, et non de quelque chose d'indépendant et de particulier.

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Une figure marquante de la censure au 19ème siècle a été le comte Serguei Semionovitch Uvarov, qui a adapté le principe slavophile "Orthodoxie, Autocratie, Nationalité" à l'ensemble du système épistémologique de l'Empire - à la culture, à l'éducation, à la politique, etc. Le monarque a soutenu cette reconnaissance de la justesse slavophile, mais il n'a pas tant formulé le contenu du code de censure suprême qu'il n'a confirmé de son autorité suprême la version proposée. C'est Uvarov lui-même qui joue le rôle de censeur, de gardien de l'horizon mystérieux de la culture russe du 19ème siècle.

Les démocrates révolutionnaires et les bolcheviks, qui se moquaient autant qu'ils le pouvaient de la censure tsariste, ont pris le pouvoir en 1917 et ont suivi exactement la même voie, en introduisant un code de censure strict, mais uniquement sur la base de leur propre idéologie. Au lieu d'une absence de censure (ce qui est tout à fait impossible), les bolcheviks ont introduit leurs paramètres et les ont appliqués de manière beaucoup plus agressive, intolérante et radicale que les censeurs de l'époque tsariste.

Les libéraux contemporains, qu'ils soient russes ou occidentaux, font preuve d'une attitude similaire. Critiquant et ridiculisant sans pitié la censure dans les sociétés et les régimes qu'ils n'aiment pas, ils imposent, dès qu'ils accèdent au pouvoir, leurs propres règles de censure, encore plus dures et intolérantes, répressives et restrictives. Le piratage luciférien de l'horizon des mystères ne conduit pas à la libération de la censure, mais à une véritable dictature, bien que la rébellion elle-même commence par une demande de liberté sans restriction.

Conclusion

La censure existe bel et bien dans la Russie contemporaine. Il n'y a pas de société qui n'en ait pas. Cependant, elle est toujours appliquée par les libéraux en raison de l'inertie des années 90. Ce sont eux qui, ayant usurpé ce droit et n'ayant aucune intention de l'abandonner même dans les nouvelles conditions, continuent à détenir le monopole de la censure dans la Fédération de Russie. Les conditions nouvelles, découlant de l'Opération militaire spéciale, exigent de nouvelles actions, lignes directrices et méthodes de la part des autorités, mais jusqu'à présent, les libéraux y ont fait face par des moyens purement techniques. Le libéralisme, bien qu'associé à la notion de souveraineté, reste le code de la censure. En général, l'élite - y compris, surtout, l'élite épistémologique - est solidaire du code culturel occidental et bloque obstinément le code patriotique - slavophile, orthodoxe. D'où les contradictions avec la logique de censure: tout ce qui correspond avant tout à l'attitude libérale est accepté et soutenu dans la culture, mais associé à la loyauté envers le régime et - même si ce n'est pas le cas - à la reconnaissance de la souveraineté de la Russie. Tout le reste est rejeté. Le censeur souverain du pouvoir ne sculpte toujours pas une image orthodoxe de la société russe, mais un hybride postmoderne de "capitalisme souverain".

Il est évident que nous avons besoin d'un autre censeur et d'une autre censure.

Notes:

[1] Norris P.  Cancel Culture : Myth or Reality // Political Studies. 71. 11 août 2021. P.145-174.

[2] McCutcheon Ch. Speaking Politics word of the week : woke"// The Christian Science Monitor. 25 juillet 2016.

[3] Bernstein D. Vous ne pouvez pas dire ça ! The Growing Threat to Civil Liberties from Antidiscrimination Laws (La menace croissante des lois antidiscriminatoires pour les libertés civiles). Washington : Cato Institute, 2003.

[4] Bachelard G. Le nouveau rationalisme. Moscou : Progress, 1987.

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[6] Heidegger M. Der Ursprung des Kunstwerkes/ Heidegger M. Holzwege. Francfort-sur-le-Main : Vittorio Klostermann, 2003.

[7] Blaga L. Les differreentielles divines. P. : Librairie du savoir, 1990.

[8] Blaga L. Trilogie de la connaissance. P. : Librairie du savoir, 1992.

[9] Blaga L. Trilogie de la culture. P. : Librairie du savoir, 1995.

[10] Tex Ch. M. L'Empire au-delà de la barrière. Histoire de la censure dans la Russie tsariste. Moscou : Rudomino, 2002.

[11] Zhirkov G. V. Histoire de la censure en Russie XIXe-XXe siècles. Aspect-Press, 2001.

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mercredi, 29 mars 2023

Poutine gère le timing pour que l'effondrement anglo-saxon n'entraîne pas le monde dans une guerre nucléaire

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Poutine gère le timing pour que l'effondrement anglo-saxon n'entraîne pas le monde dans une guerre nucléaire

Par Marcelo Ramirez

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/putin-administra-los-tiempos-para-que-la-caida-anglosajona-no-arrastre-al-mundo-a-una-guerra-nuclear-por-marcelo-ramirez/

L'hiver s'est enfin achevé et l'offensive russe attendue n'a jamais eu lieu. Oui, nous avons assisté à une avancée lente mais constante dans la zone la plus fortifiée du Donbass, s'emparant pratiquement de Bakhmut (Artemovsk en russe) et menaçant d'encercler Avdivka.

L'offensive russe repose sur l'utilisation des troupes du Groupe Wagner comme bélier, sans faire appel aux troupes régulières russes et aux fameux Tchétchènes de Kadirov, qui ne jouent pas un rôle de premier plan comme au début.

La Russie a décidé d'utiliser une tactique d'avancées lentes avec un double objectif : diminuer ses propres pertes et augmenter les dommages causés aux troupes de l'OTAN combattant sous le drapeau ukrainien.

Les services de renseignement britanniques, une source bizarre fièrement et fréquemment utilisée par la presse occidentale, répètent cycliquement que la Russie est épuisée, que son armée est inefficace, que les armes russes sont obsolètes et d'autres faits qui ne tiennent pas la route lorsque l'on regarde la réalité. La Russie est confrontée aux 28 pays de l'OTAN, plus ceux qui tentent de la rejoindre et les pays amis, soit une quarantaine de nations. Malgré cela, la Russie a toujours eu l'initiative militaire et, après treize mois, elle continue de donner le ton à la compétition. La question la plus appropriée serait peut-être de savoir si la Russie veut vraiment gagner la guerre contre l'Ukraine, car sa confrontation est en réalité avec l'Occident, c'est-à-dire le monde anglo-saxon et sa périphérie, et elle est vitale.

La Russie s'est attaquée aux villes fortifiées ukrainiennes, de Marioupol à Bakhmut et Avdivka, localités que nous avons déjà mentionnées. Après l'avancée initiale, les troupes ont reculé et se sont concentrées sur les territoires russophones, d'où elles ont infligé d'énormes dégâts aux troupes ennemies. Moscou aurait pu lancer une offensive de toutes ses forces, balayer le régime de Kiev, mais outre les possibilités d'affrontement avec l'OTAN, il y a un point que nous voulons soulever pour essayer de comprendre la stratégie russe. Poutine sait qu'il est en fait confronté à l'ensemble de l'Occident collectif, qui dispose d'un énorme potentiel militaire et d'armes nucléaires.

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La décision de l'OTAN de démembrer la Russie n'est un secret pour personne et les signes se multiplient, qu'il s'agisse de l'avancée aux frontières de la Russie ou de l'encouragement des processus de décolonisation en cours visant à diviser la Fédération en au moins 35 États plus petits. Pour faire face à ce mastodonte militaire et économique, il fallait du temps et une stratégie claire. Les sanctions étaient attendues et ont été résolues de telle sorte que la Russie a enregistré des excédents records depuis le début de l'affrontement armé. Sur le plan économique, la Russie est autonome et soutenue par des pays tels que la Chine. De ce côté, elle est blindée.

Le deuxième aspect à prendre en compte est que l'Occident, dans son effondrement, recherche la guerre comme moyen d'arrêter le processus de perte d'hégémonie qu'il subit. Nous ne pouvons pas ignorer les divers courants politiques internes, comme le trumpisme aux États-Unis, qui s'opposent à l'affrontement avec la Russie. Convaincre l'ensemble de l'establishment et les forces armées elles-mêmes de la nécessité d'une guerre avec la Russie n'est pas une mince affaire et doit avoir des justifications valables pour ceux qui s'y opposent. La Russie a l'occasion d'aiguiser ces contradictions tout en continuant à renforcer et à affaiblir l'appareil militaire et industriel de ses ennemis atlantistes. La stratégie semble consister à impliquer l'OTAN de manière mesurée dans le conflit en Ukraine, sur un terrain et dans des conditions extrêmement défavorables. Ses forces navales, son principal atout militaire, sont trop limitées pour agir et elle n'a pas la possibilité d'envoyer ses troupes directement, du moins actuellement. Les dissensions internes, les problèmes économiques et les sociétés déconstruites de l'Occident offrent à la Russie une excellente occasion de créer un chaudron, un creuset où faire fondre les potentialités du monde atlantiste.

Une avancée dévastatrice mettrait fin au conflit ; cependant, une avancée provocatrice, mais en même temps avec de petites fissures que la propagande de l'ennemi amplifie naturellement, permet à Poutine d'obtenir de l'OTAN qu'elle envoie du matériel, des armes et des munitions à Kiev. L'escalade même du type, de la quantité et de l'ampleur des armements a été progressive, permettant aux militaires russes de détruire méthodiquement l'arsenal et d'affaiblir les structures militaires de l'organisation. Nous voyons sans peine les avertissements des officiers militaires américains sur les problèmes que la presse tente de dissimuler. L'OTAN est à court de munitions, elle a perdu tout son arsenal de l'époque soviétique en Europe de l'Est, mais plus grave encore, elle a démontré que sa capacité de production militaire est inférieure à celle de la seule Russie, qui peut en outre compter sur le soutien de l'Iran, de la Corée du Nord et de la Chine.

Dans le même temps, Moscou a généré des tensions au sein du bloc ennemi, des divergences apparaissent naturellement et l'attitude de Washington, qui subordonne des pays comme l'Allemagne à ses besoins, est une bombe à retardement qui ne demande qu'à exploser. Les pressions internes ont pour toile de fond des sanctions économiques qui se sont comportées comme un boomerang, comme une perte de marchés et de pouvoir d'achat, couplée à des pays producteurs de pétrole qui ne se plient pas aux ordres anglo-saxons, créent un environnement qui appelle à la stratégie d'utilisation de l'Ukraine comme un bélier. L'Occident collectif ne peut soutenir indéfiniment l'effort militaire et économique en Ukraine sans s'affaiblir et se fissurer.

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La Russie sait que le territoire est secondaire dans sa stratégie et qu'il sera la conséquence de son triomphe final, mais en attendant, elle l'utilisera si nécessaire pour écraser les forces ennemies. Les retraits partiels de Moscou ne sont peut-être pas une erreur de calcul, mais bien une stratégie planifiée. Ce n'est pas une consolation pour les imbéciles, comme le prétendent les propagandistes de l'OTAN en expliquant cette possibilité, si la Russie a été capable d'avoir des plans de contingence pour contourner les sanctions et a même acheté une flotte de 300 pétroliers à des armateurs grecs. Cette flotte lui a permis de contourner le blocus pétrolier, faisant échouer la stratégie atlantiste. Cela s'est fait subrepticement alors que l'Occident annonçait des sanctions qui ne seraient pas efficaces simplement parce que Poutine les a anticipées, nous devons penser qu'il y a une forte possibilité que ce à quoi nous assistons soit soigneusement planifié.

La Russie, dans son histoire, a toujours su utiliser les guerres d'usure, même dans des conditions d'attaques relativement surprenantes. Poutine avait déjà commencé à avertir l'Occident de sa politique en 2007, il a donc eu au moins 15 ans pour se préparer à l'affrontement. S'il s'y est préparé dans tous les domaines, il est frappant de constater que dans le domaine militaire, il ne s'agit que d'improvisation, comme nous le dit la presse occidentale.

La Russie a créé des chaudrons où elle fait fondre les armes et les équipements occidentaux tout en utilisant les sanctions à son avantage en bloquant la livraison de matières premières essentielles pour l'industrie militaire, comme le titane et l'antimoine, parmi des dizaines de composants clés. Un Occident qui s'était engagé dans la spéculation financière et la construction d'un monde de papier très utile tant que les nations obéissaient à ses ordres. Mais il a suffi à la Russie de dire que c'en était assez pour montrer que le roi était bel et bien nu. 

Dans le sillage de la Russie, d'autres nations mal à l'aise avec la situation hégémonique des États-Unis se joignent à elle.

La Chine a commencé à démontrer publiquement que son histoire d'amour est avec Moscou, l'Arabie saoudite a conclu un accord jusqu'ici impensable avec l'Iran et Israël, alors qu'elle est l'allié occidental qui avait préféré jusqu'ici rester dans cette position plutôt que de rejoindre les hôtes multipolaires, est devenu une tempête. Cet accord irano-saoudien, réalisé grâce à la diplomatie chinoise, constitue également un socle sur lequel la Chine va supplanter le dollar dans le commerce du pétrole au Moyen-Orient.

L'Inde continue de faire des affaires extraordinaires avec le pétrole russe, malgré les souhaits contraires de l'Occident, la Turquie vacille et si Erdoğan confirme son leadership lors des prochaines élections, nous pourrions assister à des surprises. Le monde non occidental commence à se révolter. Le gouvernement tchadien a déclaré la nationalisation de tous les biens et droits, y compris les permis d'exploitation et de production d'hydrocarbures, appartenant à une filiale de la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil, qui s'est empressée de vendre ses parts, ce que la nation africaine a refusé.

Faut-il plus que ces nouvelles pour comprendre l'effondrement en cours de l'Occident? La politique d'usure pratiquée par la Russie est en train d'éroder son véritable ennemi anglo-saxon. La conviction initiale que l'Occident allait gagner la guerre par l'usure qu'il faisait subir à la Russie s'est évanouie en l'espace de 13 mois. Les notions occidentales d'accords de paix ne sont que la preuve que, comme un boxeur qui a reçu un coup écrasant, il cherche une trêve pour se rétablir. Il serait très étrange que la Russie cède à ce stade, et elle continuera certainement à poursuivre son plan, lentement mais sûrement. Poutine ne peut pas accélérer les choses car l'effondrement anglo-saxon doit se faire de manière à ne pas entraîner le monde dans une guerre nucléaire.

La pression sur la Chine n'a pas fonctionné, le plan de paix est juste t équilibré, et donc inacceptable pour l'Occident, qui serait publiquement défait s'il l'acceptait. Poutine dit donc oui, mais le problème, ce n'est pas moi, c'est Zelensky, tandis que les responsables américains font des déclarations de soutien militaire à l'Ukraine. Les deux parties veulent apparaître comme des artisans de la paix, mais selon leurs propres termes, Poutine veut aller jusqu'au bout contre les structures atlantistes, c'est son objectif. S'il s'arrête maintenant, ce doit être dans des conditions suffisamment claires pour que le monde comprenne que l'OTAN a été vaincue. Cela accélèrerait un effet de cascade avec la sortie du dollar et précipiterait l'effondrement final. L'Occident veut donner une image de paix, mais en même temps montrer qu'il a écrasé la Russie, pour éviter l'effet mentionné ci-dessus. Tant que cette situation perdurera, la Russie poursuivra son action de démolition, sachant que le temps joue en sa faveur.

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Lula, après avoir communiqué avec Biden et les principaux dirigeants occidentaux, annonce un voyage en Chine avec un message pour créer un "Club de la Paix", où Pékin resterait neutre. Les cartes sont désormais claires : Lula est le porte-parole de la proposition occidentale visant à éloigner la Chine de la Russie. Le président brésilien a rejeté la présidence des BRICS cette année, tout en acceptant la présidence du G20, un fait qui parle de lui-même. Le Brésil reste dans l'orbite des États-Unis et la libération de Lula n'a pu se faire qu'avec l'approbation de Washington, tout comme sa victoire lors d'une élection avec un bulletin de vote inexistant face à des allégations de fraude. La réponse de la Chine aurait probablement été un remerciement suivi d'invocations de vœux de paix, mais sa politique a été scellée par le voyage de Xi à Moscou. Cependant, quelque chose semble avoir changé et le discours de Pékin s'est durci ces derniers jours. A cette occasion, il s'est passé quelque chose puisque Lula a suspendu le voyage pour une durée indéterminée en invoquant des problèmes de santé. Il convient de noter que son ministre Haddad a également annulé son voyage en Chine et que l'agenda du président brésilien semble se concentrer sur les questions intérieures brésiliennes.

Le voyage comprenait également une série d'accords commerciaux et technologiques, et l'explication de la pneumonie, qui lui permet toutefois de poursuivre son activité politique, semble en réalité répondre au refus de la Chine de jouer le rôle attendu. Habituellement, de telles initiatives font l'objet d'un accord entre les ministères des affaires étrangères des deux pays, de sorte qu'il n'y a pas de divergences entre les présidents. Dans le cas présent, il est fort probable que l'annonce de Lula ait été unilatérale, ce qui a provoqué un malaise en Chine. Il est possible que l'annulation soit due à la pression de Washington, mais compte tenu de l'ensemble du contexte, cela ne semble pas probable. Les BRICS sont en fait les RICS, la position du Brésil est aujourd'hui celle d'une subordination à Washington et à ses politiques mondialistes, la Russie le sait et c'est pourquoi, malgré la victoire de Lula et son progressisme, les paris de Moscou ont été revus à la baisse. Poutine a longuement travaillé avec la Turquie pour la maintenir dans une position proche, il fera de même avec le Brésil, mais l'axe de ses intentions ne passera pas par les BRICS, du moins pas avant un changement profond dans ce pays. 

En Russie, on espère que la guerre sera terminée avant la fin de l'année. C'est quelque chose que la Russie pourrait faire si elle le voulait vraiment, mais aujourd'hui, la meilleure option semble être de continuer à créer ces chaudrons ukrainiens qui consomment les capacités de l'Occident. Pour ce faire, Moscou doit maintenir une apparence de faiblesse qui encourage l'OTAN à envoyer de plus en plus d'armes, tout en veillant à ne pas nuire à sa population.

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Pourquoi le Royaume-Uni, qui n'envoie que 14 chars Challenger II, insiste-t-il pour envoyer des munitions à l'uranium appauvri ? La réponse est implicite: Londres, qui, contrairement aux États-Unis, est totalement alignée sur son objectif, soupçonne la Russie de jouer le jeu de l'attrition tout en conservant une position confortable. Si ces munitions sont utilisées sur le champ de bataille, elles contamineront des territoires que la Russie a aujourd'hui intégrés dans sa souveraineté et affecteront ses citoyens. Pourra-t-elle, dans ce cas, suivre le plan de destruction lente et systématique de Poutine ou devra-t-elle donner des réponses internes à l'appel à l'action ?

Les paroles de Medvedev sont un guide à suivre car il est celui qui dit ce que Poutine pense mais ne verbalise pas. À la déclaration de la ministre britannique de la défense, Annabel Goldie, selon laquelle elle enverrait des chars équipés de telles munitions, le Russe a répondu que "l'Ukraine doit évaluer les conséquences de l'utilisation d'uranium appauvri et se demander s'il faut ouvrir la "boîte de Pandore" et permettre à l'Occident de fournir de telles munitions". Par ailleurs, Annika Klose, députée allemande, s'est rendue en Argentine la semaine des célébrations du 8M et a déclaré que "les partis progressistes ont besoin d'une plus grande participation des femmes". Est-ce là le problème ?

mardi, 28 mars 2023

Le ministre autrichien des Affaires étrangères plaide pour la raison : "La Russie ne disparaîtra pas du globe"

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Le ministre autrichien des Affaires étrangères plaide pour la raison : "La Russie ne disparaîtra pas du globe"

Source: https://zuerst.de/2023/03/25/oesterreichischer-aussenminister-plaediert-fuer-vernunft-russland-wird-nicht-vom-globus-verschwinden/

Vienne. Le ministre autrichien des Affaires étrangères Alexander Schallenberg (ÖVP), qui n'est en aucun cas un ami de la Russie, a néanmoins appelé à la raison dans les relations entre l'Occident et la Russie. Dans une interview accordée à l'agence de presse Reuters, il a réaffirmé son point de vue selon lequel la Russie continuera à jouer un rôle pour l'Europe à l'avenir. Une déconnexion totale dans tous les domaines est illusoire. "La Russie ne disparaîtra pas du globe et restera notre plus grand voisin. Dostoïevski et Tchaïkovski feront toujours partie de la culture européenne, que cela nous plaise ou non".

Dans ce contexte, Schallenberg a également défendu la Raiffeisen Bank International (RBI), actuellement sous le feu des projecteurs pour ses activités qu'elle maintient en Russie. "Je pense qu'il faut laisser l'église au milieu du village", a déclaré le chef de la diplomatie viennoise. "Seuls 9% des entreprises occidentales se sont retirées de Russie, 91% y sont encore et font ce qui est raisonnable dans la situation : attendre". Choisir une entreprise parmi des centaines de milliers d'autres n'est pas une bonne idée.

Le deuxième établissement financier autrichien examine depuis plus d'un an toutes les options stratégiques pour ses activités en Russie, jusqu'à un retrait. La pression pour se retirer du pays vient surtout de l'Ukraine. Un retrait de Russie ne fait toutefois pas partie de la politique de sanctions, a précisé M. Schallenberg. "Il y a des exigences qui vont bien au-delà de ce qui fait partie des sanctions américaines ou européennes", a déclaré M. Schallenberg, en soulignant que la Bank of America ou UniCredit étaient également présentes en Russie. "La liste est un 'who is who' du monde bancaire occidental" (mü).

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Les atlantistes passent à l'attaque. Pour renforcer la Chine et détruire l'Europe. Et rendre Biden heureux

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Les atlantistes passent à l'attaque. Pour renforcer la Chine et détruire l'Europe. Et rendre Biden heureux

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/atlantisti-allattacco-per-rafforzare-la-cina-e-distruggere-leuropa-e-far-felice-biden/

L'ennemi public numéro 1 ? Pour les idiots atlantistes, ce ne sont pas les femmes mais, inévitablement, la Chine. Alors que faire pour la contrer ? Vous lui donnez la Russie, le plus grand pays, riche en matières premières indispensables au développement de la Chine et à des prix super réduits. Génial ! Un truc de Yankee, sans doute. Mais il ne suffit pas d'être aussi stupide. Il faut en faire plus pour conserver la première place dans le classement de la stupidité. C'est pourquoi vous donnez aussi à la Chine l'Asie centrale. Puis le monde arabe. Et l'Afrique. Et l'Amérique latine.

Mais, consolation, la République tchèque a tourné le dos à Moscou et à la Chine. Ah bon, c'est bien, c'est parfait. C'est comme quand les clercs de la désinformation italienne jubilaient parce que les sanctions contre la Russie avaient été votées par Saint-Marin et non par Pékin: c'est évidemment du 1 contre 1.

Mais voilà que les analystes, fans du pétomane de Washington, assurent que l'alliance entre Moscou et Pékin ne peut pas durer. Car les Russes n'acceptent pas d'être colonisés. On ne voit pas pourquoi ils accepteraient d'être réduits au rang de serviteurs et de majordomes de Biden. Il est certain que la Russie s'affaiblit et a de moins en moins d'influence sur les anciens pays soviétiques d'Asie centrale, à commencer par le Kazakhstan et l'Ouzbékistan. Ils tentent de jouer un jeu autonome entre l'Ouest et l'Est, mais se retrouveront dépendants de Pékin et de son expansion dans la région.

Car la confrontation imposée par les atlantistes a divisé le monde. Et s'il est vrai que Pékin ne soutient pas militairement la guerre russe en Ukraine pour ne pas rompre totalement ses relations commerciales avec l'Union européenne, il est vrai aussi que les intérêts chinois ne se limitent pas à la vente de quatre T-shirts supplémentaires et d'une sauce tomate de qualité douteuse.

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Le chemin de fer de la route de la soie, associé à la création d'un réseau de liaisons navales, avait des objectifs bien plus ambitieux. Si, pour obéir au maître américain, les Européens devront réduire leurs échanges avec Pékin, il est clair que la Chine aura moins d'intérêt à entretenir de bonnes relations avec une Europe asservie. Et elle sera contrainte de changer de cible, en resserrant toujours plus ses liens avec la Russie.

Dépassant, par la force des choses, toute rivalité avec Moscou. Pékin et Le Caire viennent d'annoncer de nouveaux investissements chinois en Égypte pour un montant de 5 milliards de dollars. Mais cela ne refroidira pas les relations entre l'Égypte et la Russie.

D'un côté, donc, les espoirs absurdes de ceux qui veulent fermer les portes du commerce avec Pékin mais exigent de Xi Jinping qu'il oblige Poutine à se retirer du Donbass, et peut-être même de la Crimée, afin d'envenimer définitivement les relations russo-chinoises. Et de l'autre, les majordomes européens qui ne savent pas comment se rendre indépendants de Washington mais qui, au fond d'eux-mêmes, réalisent qu'une telle situation de dépendance conduira à un désastre complet pour le Vieux Continent. Mais ils vont quand même vers la ruine de leurs propres peuples, pour le plus grand plaisir de rimbamBiden.

 

samedi, 25 mars 2023

Soros et les Britanniques démantèlent le soi-disant droit international

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Soros et les Britanniques démantèlent le soi-disant droit international

Alexander Bovdunov

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/soros-e-gli-inglesi-stanno-smantellando-il-cosiddetto-diritto-internazionale

Le 17 mars, la Cour pénale internationale de La Haye a émis des mandats d'arrêt à l'encontre du président russe Vladimir Poutine et de la médiatrice russe pour les droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova. Les responsables russes sont accusés d'avoir provoquer un "déplacement illégal" d'enfants depuis les territoires de la ligne de front.

Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une décision politique. Si les enfants n'avaient pas été retirés des territoires où ils étaient en danger, la Russie aurait été accusée de laisser les enfants en danger. Et si les enfants avaient été envoyés en Ukraine (ce qui est inimaginable dans une situation de guerre), on aurait parlé de "nettoyage ethnique". La CPI a trouvé une excuse commode, d'autant plus que les spéculations sur les enfants sont un excellent moyen d'influencer l'opinion mondiale, en particulier européenne, et un pas de plus vers la diabolisation de la Russie et de ses dirigeants.

Et qui sont les juges ?

Tout d'abord, il convient de préciser ce qu'est la Cour pénale internationale. On la confond avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), basé à La Haye, et avec la Cour internationale de justice des Nations unies. En fait, leur seul point commun est leur localisation à La Haye, capitale de facto des Pays-Bas, où siègent le parlement et le gouvernement néerlandais ainsi que de nombreuses institutions internationales. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice ont tous deux été fondés avec l'approbation des Nations unies. Bien que la Cour pénale internationale ait signé un accord avec les Nations unies, elle n'est pas directement liée à ces dernières. Il s'agit d'une organisation internationale indépendante des Nations unies. Elle existe depuis 2002, date à laquelle son traité fondateur, le Statut de Rome, est entré en vigueur. Seuls les pays qui ont ratifié le traité fondateur sont compétents à son égard. En d'autres termes, ils ont volontairement limité leur souveraineté en faveur de cette structure. Ni la Russie ni l'Ukraine ne sont de tels États.

Cependant, l'instrument de la CPI est très pratique pour utiliser le "droit" comme arme contre la Russie, même s'il n'y a pas de cause réelle. Le fait est qu'au sein des structures de l'ONU, les accusations d'agression, de génocide ou de crimes de guerre sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre. Par exemple, une décision du Conseil de sécurité des Nations unies est nécessaire pour reconnaître une action comme une agression. La Cour internationale de justice est également lente à traiter ce type d'affaires. Principalement parce que la Russie (comme les États-Unis) ne reconnaît pas pleinement sa compétence.

Jusqu'à présent, la plupart des enquêtes de la CPI ont été menées contre des pays africains. En Afrique, la CPI a acquis la réputation d'être un instrument de politique néocoloniale et une menace majeure pour la souveraineté, la paix et la stabilité de l'Afrique.

La réaction des libéraux

Dans toute cette affaire de la CPI, on ne voit pas bien comment un organe international peut traiter de questions relatives à des États sur le territoire desquels sa juridiction ne s'étend pas. Ni la Russie ni l'Ukraine n'ont ratifié le statut de Rome, c'est-à-dire l'accord qui sous-tend la création de la CPI. Dans le passé, cependant, la CPI a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de dirigeants d'un pays qui n'est pas partie à l'accord. Le dirigeant en question est Mouammar Kadhafi, accusé par la CPI de crimes de guerre en 2011, lorsqu'une rébellion armée a éclaté en Libye. Auparavant, la CPI avait délivré un mandat d'arrêt à l'encontre du président soudanais Omar el-Béchir. Toutefois, dans les deux cas, la CPI avait reçu l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies pour mener l'enquête. Aujourd'hui, cette autorisation n'existe pas. En accusant le président russe et la médiatrice des enfants, la CPI remet en cause la souveraineté de la Russie et le système de droit international dans lequel l'ONU a joué, au moins formellement, un rôle-clé. Le remplacement classique d'un ordre mondial dans lequel le droit international, compris comme un ensemble de règles et de procédures claires, jouait au moins un certain rôle, par un "monde fondé sur des règles" dans lequel les règles sont inventées à la volée par les détenteurs autoproclamés de l'autorité morale - les régimes libéraux occidentaux et les ONG libérales.

Le cas de la Cour pénale internationale illustre une contradiction fondamentale entre les approches réalistes et libérales des relations internationales et du droit international. Les réalistes font appel à la souveraineté nationale. Si les États se sont mis d'accord pour la limiter volontairement, la décision leur appartient, mais la limitation ne devrait avoir lieu qu'avec le consentement des États. Les libéraux estiment que les institutions internationales peuvent passer outre cette souveraineté. Selon eux, des institutions dotées d'une juridiction mondiale sont possibles, même si les États n'ont pas volontairement accepté de s'inclure dans cette juridiction.

La voie britannique

Qui dicte les règles de la Cour pénale internationale ? Les trois principaux bailleurs de fonds de l'actuelle CPI sont : 1) George Soros ; 2) le Royaume-Uni, par l'intermédiaire du ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth ; 3) l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme de l'Union européenne, dont les initiatives sont liées au bureau de Soros. La Cour est financée par les contributions des États parties et les contributions volontaires de gouvernements, d'organisations internationales, de particuliers, d'entreprises et autres.

Les États-Unis ne versent aucune contribution à la Cour. Les présidents américains, qu'ils soient démocrates ou républicains, se sont opposés à la compétence de la Cour à l'égard des États-Unis et de leurs citoyens, ainsi qu'à l'égard d'Israël, allié des États-Unis. Le président Trump a même imposé des sanctions contre la CPI. L'administration de Joe Biden a levé les sanctions, mais a annoncé que Washington "continue d'être en désaccord fondamental avec les actions de la CPI sur l'Afghanistan et la Palestine".

Si l'État américain (mais pas les cercles mondialistes) a toujours eu de mauvaises relations avec la CPI, les Britanniques, au contraire, ont activement soutenu l'institution. Principalement parce qu'elle se trouve dans un pays avec lequel les Windsor et de nombreux projets mondialistes, du Bilderberg aux agents étrangers (interdits en Russie) de Bellingcat, ont des liens étroits avec la dynastie régnante.

En 2007, Mabel, comtesse d'Orange-Nassau et en même temps fonctionnaire de Soros, a déclaré : "nous avons poussé à la création de la Cour pénale internationale, qui est maintenant basée à La Haye, faisant de cette ville la capitale internationale de la justice".

L'année dernière, c'est la Grande-Bretagne qui a créé une coalition de donateurs pour faire pression en faveur d'une enquête sur les "crimes russes".  Comme l'ont noté les médias occidentaux, "dans les semaines qui ont suivi le 24 février [2022], la Cour a été "inondée d'argent et de détachements"".  Les participants occidentaux à la CPI n'ont pas lésiné sur les moyens pour financer l'"enquête" sur l'Ukraine. Les États qui ont initié des contributions financières supplémentaires à la CPI comprennent le Royaume-Uni (24 mars 2022 pour un million de livres sterling "supplémentaire"), l'Allemagne (déclarations des 4 et 11 avril pour un million d'euros "supplémentaire"), les Pays-Bas (déclaration du 11 avril pour une "contribution néerlandaise supplémentaire" d'un million d'euros) et l'Irlande (déclaration du 14 avril pour 3 millions d'euros, dont 1 million d'euros "à distribuer immédiatement").

En d'autres termes, les Britanniques (avec ou sans l'accord des Américains) se plantent. C'est le Front Office qui a eu l'idée, il y a près d'un an, d'instrumentaliser la CPI pour traiter avec la Russie. Et ils ont réussi.

vendredi, 24 mars 2023

Alexandre Douguine - Hégémonie: saisir le code culturel

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Hégémonie: saisir le code culturel

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/gegemoniya-zahvat-kulturnogo-koda

Un réseau profondément enraciné d'hégémonie et de ses opérateurs opère ouvertement dans notre société.

Les dirigeants de la Russie et de la Chine critiquent explicitement l'hégémonie occidentale. Il convient de rappeler qu'Antonio Gramsci, qui a élaboré la théorie moderne de l'hégémonie, entendait par "hégémonie" non pas tant la dictature politique directe de certains pays sur d'autres que la création d'un réseau contrôlé depuis le centre de l'hégémonie et imprégnant toutes les sociétés, en contournant facilement les frontières et les restrictions. Ce réseau est créé principalement dans le domaine de la culture, de la science, de l'éducation et de l'information, c'est-à-dire que la société civile est prise en charge en premier lieu. L'introduction d'un modèle économique unique (le capitalisme) dans les sociétés contrôlées par les hégémoniques est également un élément essentiel de l'hégémonie, mais l'essentiel est la capture du code culturel et de l'éducation.

Au cours des 30 dernières années, l'hégémonie en ce sens n'a fait que croître en Russie. Et il ne s'agit pas seulement d'une dépendance à l'égard des importations. Le libéralisme a réussi à établir un contrôle presque total sur la mentalité des Russes - par le biais de l'éducation, de la culture, de la science, des réseaux sociaux. Il est révélateur que cette hégémonie se soit renforcée alors même que les politiques de Poutine devenaient de plus en plus souveraines. La domination des libéraux dans la culture a contrebalancé la croissance de la souveraineté dans la politique. Les autorités, pour l'instant, ne s'en sont pas aperçues. Ainsi, toutes les conditions ont été créées pour la propagation et l'enracinement de l'hégémonie.

Un exemple frappant. Depuis 23 ans, le pays est dirigé par un leader ouvertement et constamment réaliste en matière de relations internationales (RI). Cela ne se reflète dans aucun manuel du MGIMO, qui continue d'être dominé par le paradigme libéral du ministère de la Défense. Les tentatives - même les plus prudentes - visant à modifier cet état de fait sont immédiatement réprimées de la manière la plus sévère qui soit.

Un réseau profondément enraciné d'hégémonie et ses opérateurs opèrent ouvertement dans notre société. Ils jouent le long terme, comptant sur la possibilité qu'un jour il y ait un changement de cap politique, et qu'alors une société civile formée par eux, orientée vers les codes et les principes occidentaux, se manifeste également dans la politique.

La Chine est également confrontée à un danger similaire, mais un groupe dévoué (numériquement énorme) de référents du Comité central du PCC travaille sans relâche pour le neutraliser. Dans notre pays, pratiquement personne n'y prête attention. Et c'est une question qui concerne le Conseil de sécurité et les dirigeants politiques en général.

L'hégémonie n'est pas seulement un concept externe, mais aussi un concept interne. Selon Gramsci, c'est ce qui fait sa force. Et la souveraineté politique ne suffit pas à s'y opposer. Ce qu'il faut, c'est un modèle idéologique alternatif clair, c'est-à-dire une contre-hégémonie.

mardi, 21 mars 2023

Erdogan face à l'épreuve ultime

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Erdogan face à l'épreuve ultime

Alexandre Douguine

Bron: https://www.geopolitika.ru/en/article/erdogan-facing-ulti...

Note du traducteur : Alexandre Douguine analyse ici la situation en Turquie du point de vue russe et dans le cadre actuel de la guerre entre la Russie et l'Ukraine (ou plutôt entre la Russie et l'OTAN) en mer Noire, enjeu de la vieille rivalité russo-ottomane. La situation actuelle implique un changement d'approche significatif. Pour l'Europe (ou pour l'idée de Maison commune), la nécessité d'accepter les arguments d'Erdogan, qui souhaite limiter l'ingérence américaine, va de pair avec un rejet de la politique d'Erdogan consistant à manipuler la diaspora turque contre les sociétés européennes, une manipulation qui aurait lieu même si la marque idéologique notoire des régimes d'Europe occidentale n'était pas le wokisme. 

En Turquie, la date des élections présidentielles a été annoncée. Il s'agira probablement de l'épreuve la plus difficile pour Erdogan jusqu'à présent et sur le plan intérieur -avec le renforcement de l'opposition néolibérale pro-occidentale (en particulier le Parti républicain du peuple), une scission au sein du Parti de la justice et du développement (AKP) lui-même, un grave ralentissement économique, l'inflation, les conséquences d'un monstrueux tremblement de terre. Sur le front extérieur, avec l'intensification du conflit avec les États-Unis et l'Union européenne et le rejet de plus en plus marqué des politiques d'Erdogan par les dirigeants mondialistes de la Maison Blanche.

Lutte pour la souveraineté

L'aspect principal de la politique d'Erdogan est l'importance qu'elle accorde à la souveraineté. C'est le point central de sa politique. Toutes ses activités en tant que chef d'État s'articulent autour de cet axe. Dans un premier temps, Erdogan s'est appuyé sur l'idéologie islamiste, une alliance avec les régimes salafistes sunnites extrêmes du monde arabe. Durant cette période, il a collaboré très étroitement avec les Etats-Unis, les structures de Fethullah Gulen servant de charnière dans cette coopération. Les kémalistes laïques, les nationalistes turcs, de gauche comme de droite, étaient alors dans l'opposition. Cela a culminé avec l'affaire Ergenekon, dans laquelle Erdoğan a arrêté l'ensemble du haut commandement militaire, qui adhérait traditionnellement à l'orientation kémaliste.

À un moment donné, cette politique a cessé de promouvoir la souveraineté et a commencé à l'affaiblir. Après l'opération militaire russe en Syrie et le crash de l'avion turc en 2015, Erdoğan a été menacé : premièrement, les relations avec la Russie se sont détériorées, amenant la Turquie au bord de la guerre ; deuxièmement, l'Occident, insatisfait de la politique de souveraineté, était prêt à renverser Erdoğan et à le remplacer par des collaborateurs plus obéissants - Davutoğlu, Gül, Babacan, etc. Les gülenistes, anciens alliés d'Erdoğan et principaux opposants au kémalisme, sont devenus la colonne vertébrale du complot.

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En 2016, alors que les relations avec la Russie se sont quelque peu clarifiées, l'Occident, en s'appuyant sur les fethullahistes (gülenistes), a tenté d'organiser un coup d'État, qui a toutefois été déjoué. Le fait qu'un nombre important de kémalistes patriotes, d'officiers militaires libérés par Erdogan peu avant le coup d'État, et leur structure politique, le parti Vatan, aient soutenu Erdogan plutôt que les militaires pro-occidentaux au moment critique a été un facteur décisif. Le fait est qu'à ce stade, les nationalistes kémalistes (de gauche comme de droite) avaient compris qu'Erdogan construisait sa politique sur le renforcement de la souveraineté et que l'idéologie était secondaire pour lui.

Étant donné que les conspirateurs gülenistes et les autres Occidentaux qui se sont rebellés contre Erdoğan suivaient servilement l'Occident mondialiste, ce qui conduisait inévitablement la Turquie à un effondrement total et à l'élimination de l'État-nation, les kémalistes ont décidé de soutenir Erdoğan pour sauver l'État. La Russie a également soutenu en partie Erdogan, réalisant que ses ennemis étaient des marionnettes de l'Occident. Les nationalistes turcs du Parti du mouvement nationaliste (MHP) ont également fini par se ranger à ses côtés.

Depuis 2016, Erdoğan a embrassé des positions proches du kémalisme patriotique et en partie de l'eurasisme, proclamant ouvertement la priorité de la souveraineté, critiquant l'hégémonie occidentale et prônant un projet de monde multipolaire. Les relations avec la Russie se sont également progressivement améliorées, bien qu'Erdoğan ait occasionnellement fait des gestes pro-occidentaux. Désormais, la souveraineté est devenue son idéologie et son objectif politique le plus élevé.

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Cependant, l'opposition libérale sous la forme du Parti républicain du peuple (Kılıçdaroğlu - photo), qui s'est d'abord opposée à la ligne islamiste du premier Erdoğan et a ensuite rejeté la souveraineté, a exploité une série d'erreurs de calcul sur le plan intérieur et économique. Il est parvenu à obtenir un certain nombre de postes clés lors des élections, notamment en présentant ses propres candidats à la mairie des deux principales villes, Ankara et Istanbul. Erdoğan s'est également heurté à l'opposition de ses anciens collègues du parti AKP au pouvoir, qui sont également opposés à l'eurasisme et à la souveraineté et orientés vers l'Occident - les mêmes Ahmet Davutoğlu, Abdullah Gül, Ali Babacan, etc.

C'est dans cette situation qu'Erdogan se rendra bientôt aux urnes. L'Occident est manifestement mécontent de lui en raison de sa désobéissance - en particulier sa démarcation contre la Suède et la Finlande, dont la Turquie a empêché l'adhésion à l'OTAN ; la politique relativement indulgente d'Ankara à l'égard de la Russie, contre laquelle l'Occident collectif mène une guerre en Ukraine, a encore irrité les mondialistes de Washington et, surtout, les dirigeants modernes de la Maison Blanche et les élites mondialistes de l'Union européenne n'acceptent catégoriquement pas le moindre soupçon de souveraineté de la part de leurs vassaux ou de leurs adversaires.

Quiconque est prêt à se soumettre à l'Occident doit renoncer totalement à sa souveraineté en faveur d'un centre de décision supranational. Telle est la règle. Les politiques d'Erdogan la contredisent directement, c'est pourquoi Erdogan doit être démis de ses fonctions, à n'importe quel prix. Si l'Occident globalitaire a échoué dans le coup d'État de 2016, il devra tenter de renverser Erdogan lors des élections de 2023, quel qu'en soit le résultat. Après tout, il y a toujours la pratique des révolutions colorées en réserve.

C'est exactement ce que nous avons vu à nouveau en Géorgie, dont les dirigeants, après le départ de l'ultra-occidental et libéral Saakashvili, ont essayé de rendre la Géorgie un peu plus souveraine. Mais cela a suffi à Soros pour activer ses réseaux et lancer une révolte contre l'attitude "trop modérée" à l'égard de la Russie et l'orientation "inacceptablement souveraine" du régime contrôlé par l'oligarque pragmatique Bedzina Ivanishvili.

Erdogan est en train de constituer une coalition politique sur laquelle il pourra compter lors des élections. La colonne vertébrale sera évidemment l'AKP, un parti largement fidèle à Erdogan, mais sans substance et composé de fonctionnaires peu enthousiastes. Techniquement, c'est un outil utile, mais en partie embarrassant. En Turquie, nombreux sont ceux qui attribuent les échecs de l'économie, le développement de la corruption et l'inefficacité du système gouvernemental aux responsables de l'AKP et aux cadres administratifs nommés en leur sein. Si Erdoğan est une figure charismatique, l'AKP ne l'est pas. Le parti prospère grâce à l'autorité d'Erdogan, et non l'inverse.

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Alliés et adversaires d'Erdogan

Les alliés traditionnels seront évidemment les nationalistes turcs du parti Mouvement nationaliste turc de Devlet Bahçeli (photo). Pendant la guerre froide et par inertie dans les années 1990, les nationalistes turcs étaient strictement orientés vers l'OTAN et poursuivaient une ligne antisoviétique (puis antirusse). Dans les années 2000, cependant, leurs politiques ont progressivement commencé à changer. Ils se sont de plus en plus éloignés de l'Occident libéral et se sont rapprochés du vecteur souverain d'Erdogan. Idéologiquement, ils sont plus flamboyants que l'AKP, mais leur radicalisme leur aliène une partie de la population turque. En tout état de cause, l'alliance idéologique et politique avérée d'Erdogan avec Bahçeli est cruciale pour son avenir.

Erdogan peut également compter sur le soutien de mouvements politiques soufis, petits mais influents, qui ne bénéficient pas d'un soutien de masse. Leur rôle est de combler le vide laissé par la défaite des structures gülénistes qui se réclamaient d'un "mouvement soufi". Le soufisme est assez répandu dans la société turque et certains tariqats considèrent Erdoğan comme la figure dont dépend la renaissance spirituelle de la Turquie. Mais la diversité du soufisme turc, ainsi que d'autres courants spirituels - notamment les Alévis et les Bektashi - laisse une large place à d'autres opinions.

Tous les Occidentalistes s'uniront contre Erdogan et il n'est pas exclu que, cette fois, les mondialistes activent un réseau d'agents tant au sein de l'AKP lui-même que dans d'autres structures de l'État. Compte tenu de la situation difficile d'Erdogan, pour des raisons d'âge et de santé, il s'agit peut-être de sa dernière chance - non seulement en tant qu'individu, mais aussi en tant que figure historique qui a lié son destin et sa politique à la souveraineté de l'État turc. S'il réussit maintenant et assure la continuité de la voie en lui donnant une formulation idéologique stricte, il entrera dans l'histoire de la Turquie comme le deuxième Atatürk, le sauveur de l'État à une époque de bouleversements critiques. S'il tombe, il est très probable qu'une série de désastres attende la Turquie, car quiconque prendra sa place sera orienté vers l'Occident, ce qui signifie que l'effondrement de la Turquie à l'avenir est imminent, car les mondialistes n'ont en aucun cas oublié les plans du Grand Kurdistan.

Bien sûr, ils n'ont pas réussi à mettre en œuvre cette provocation pendant la vague de révolutions colorées et après l'invasion de l'Irak et de la Syrie, mais la chute d'Erdogan donnera un nouveau souffle à ces projets. Enfin, les adversaires d'Erdogan seront contraints à une confrontation sérieuse avec la Russie, parce que leurs maîtres de l'OTAN l'exigeront, et ce sera un autre facteur de l'effondrement de la Turquie. Erdogan lui-même sera vilipendé par ses successeurs et l'enchaînement des catastrophes de l'État turc conduira à l'oubli pur et simple de son nom. Erdogan aborde donc ces élections comme s'il s'agissait de sa dernière bataille. Non seulement en tant qu'homme politique, mais aussi en tant que figure historique, véritable leader et symbole de son peuple. Il peut enfin consolider ce statut, mais s'il perd, il risque de le perdre irrémédiablement et n'aura pas d'autre chance.

L'Atatürk vert

Dans cette situation, l'analyse géopolitique suggère qu'Erdoğan dispose d'une autre ressource : moins une ressource de masse qu'une ressource idéologique et d'image. Ce sont les mêmes kémalistes patriotes qui, contrairement au libéral Kemal Kılıçdaroğlu du Parti républicain du peuple, malgré la dure répression pendant l'affaire Ergenekon, se sont rangés aux côtés d'Erdoğan au moment critique et, oubliant les vieilles rancunes, ont pleinement soutenu sa ligne souveraine. Certains milieux qualifient Erdoğan d'"Atatürk vert", c'est-à-dire le dirigeant turc, le leader national aux tendances islamiques. Le visage politique de ce groupe extrêmement influent en Turquie, composé principalement d'officiers militaires de tous grades, est le parti de gauche Vatan, dirigé par le leader charismatique Doğu Perinçek (photo, ci-dessous).

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D'un point de vue électoral, le parti n'était pas du tout représentatif, mais son importance réside ailleurs : il est le centre qui élabore l'analyse géopolitique la plus actuelle de la Turquie, un parti idéologique eurasien avec une position multipolariste et un véritable centre intellectuel de défense et d'illustration de la souveraineté turque. Les journaux Vatan, Aydınlık et Teori, la chaîne de télévision Ulusal, les nombreux blogs et sites web font de cette entité le principal atout. Les liens historiquement forts de Vatan avec la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord doivent également être pris en compte. Pour Erdogan, qui joue désormais contre l'Occident, ce vecteur qu'est ce club anti-mondialisation et multipolariste pourrait s'avérer décisif. Si Vatan est inclus dans la coalition, Erdogan pourra également se délier les mains face à l'Occident : la connexion avec les principaux pôles du monde multipolaire, et en particulier avec la Russie, dont dépend une grande partie de la politique et de l'économie turques modernes, et donc le destin d'Erdogan lui-même, sera solidement assurée.

Erdoğan a démontré tout au long de sa vie qu'il avait un très bon sens de la géopolitique.

Il choisit toujours des alliances qui renforcent la souveraineté turque. Kemal Ataturk lui-même faisait de même. Cependant, si la situation change et que les anciens alliés s'avèrent être un obstacle à l'indépendance et à la liberté de la Turquie, Erdogan est toujours prêt à les sacrifier.

La Turquie se trouve aujourd'hui en équilibre entre un Occident unipolaire et un Orient multipolaire, l'Eurasie. Il en est ainsi depuis l'origine de l'État-nation turc. Mais les proportions de cet équilibre ont été déterminées différemment à chaque tournant de l'histoire. Parfois, il était important de faire un pas vers l'Est (comme l'a fait Kemal Ataturk en s'alliant avec Lénine); à d'autres moments, il s'agissait de faire un pas vers l'Ouest.

Dès lors...

Aujourd'hui, la Russie, autrefois rivale géopolitique de la Turquie, et plus encore les autres pôles du monde multipolaire, ne constituent pas une menace pour la souveraineté turque et c'est un fait objectif ; au contraire, les relations privilégiées avec la Russie et la Chine et le compromis avec l'Iran chiite offrent à la Turquie des avantages vitaux dans sa politique étrangère et intérieure. L'Occident, du moins l'Occident libéral et mondialiste, joue contre Erdogan, et donc contre la souveraineté turque. Un homme politique aussi subtil qu'Erdogan ne peut pas ne pas s'en rendre compte. Il est temps de donner à la souveraineté le statut d'idéologie et de consacrer la multipolarité comme vecteur principal de la politique turque.

Ces élections sont cruciales pour la Turquie. La Russie, dans ces circonstances, malgré ce qui peut apparaître à nos yeux comme une incohérence, une hésitation, une politique de "deux pas à gauche, deux pas à droite", a intérêt à ce que la Turquie reste unie, entière, indépendante et souveraine. Cela n'est objectivement possible qu'avec la Russie, et en aucun cas contre elle. Par conséquent, pour la Russie, Erdogan est le meilleur choix dans les circonstances actuelles.

 

samedi, 18 mars 2023

Course à l'épave de drone : haute tension géopolitique en mer Noire

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Course à l'épave de drone : haute tension géopolitique en mer Noire

Auteur : A.R. 

Source: https://zurzeit.at/index.php/wettlauf-um-drohnenwrack-geopolitische-hochspannung-im-schwarzen-meer/

Les Etats-Unis et la Russie se livrent à une course explosive pour récupérer un drone américain qui s'est écrasé en mer Noire - un jeu avec le feu.

Le crash d'un drone MQ-9 Reaper en mer Noire a créé une nouvelle situation délicate entre la Russie et les États-Unis. Les deux grandes puissances se disputent la récupération de l'épave, tandis que les États-Unis continuent de renforcer leur présence militaire près des frontières russes.

Les tensions géopolitiques augmentent et Washington se montre peu enclin à chercher une solution diplomatique. Au lieu de cela, elle s'engage dans une confrontation dangereuse, avec le risque d'un affrontement direct avec la Russie.

Si la Russie récupère l'épave avant les États-Unis, ce sera une défaite cuisante pour Washington. Le fait que les États-Unis déploient leurs drones "avancés" utilisés pour la reconnaissance près de la frontière russe soulève la question de savoir si les États-Unis cherchent délibérément à envenimer la situation et à provoquer ainsi la Russie.

Les experts appellent à la prudence et soulignent la nécessité d'une approche diplomatique afin de désamorcer la situation et d'éviter une nouvelle aggravation des tensions.

La situation explosive autour de l'épave du drone en mer Noire souligne la situation de conflit entre la Russie et les États-Unis. La stratégie risquée de Washington consistant à provoquer la Russie par une présence militaire dans la région revient à jouer avec le feu. La priorité devrait être donnée à une solution diplomatique afin d'éviter une escalade des tensions et de stabiliser les relations internationales. Nous n'avons pas besoin d'une autre "guerre froide".

 

vendredi, 10 mars 2023

Il n'y a pas seulement le gaz et le pétrole: les Européens dépendent aussi du combustible nucléaire russe

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Il n'y a pas seulement le gaz et le pétrole: les Européens dépendent aussi du combustible nucléaire russe

Source: https://zuerst.de/2023/03/10/nicht-nur-gas-und-oel-die-europaeer-sind-auch-von-russischen-kernbrennstaeben-abhaengig/

Bruxelles/Moscou. Le fait que les Européens se tirent une balle dans le pied en boycottant les importations d'énergie russe n'est pas nouveau. Mais l'UE ne dépend pas seulement du gaz et du pétrole russes, mais aussi du combustible nucléaire russe. Au sein de l'UE, c'est donc surtout la France qui se trouve dans le pétrin.

Des mouvements de retrait se font déjà sentir. Le conseiller municipal viennois en charge du climat, Jürgen Czernohorszky, qui préside le réseau de villes Cities for Nuclear Free Europe (CNFE), conseille ainsi d'exclure complètement le secteur nucléaire des sanctions. "L'UE n'a pas d'autre choix que d'exclure totalement l'énergie nucléaire du dixième train de sanctions récemment adopté contre la Russie. Car l'Europe s'est de plus en plus livrée dans le domaine nucléaire au fil des années", déclare Czernohorszky.

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En France, sans le combustible nucléaire russe, ce n'est pas seulement l'approvisionnement en énergie qui serait menacé, mais aussi la capacité opérationnelle de l'armée - les sous-marins nucléaires français dépendent également du ravitaillement en combustible nucléaire russe.

Dans les anciens pays du bloc de l'Est, l'approvisionnement en énergie est particulièrement dépendant du bon vouloir de la Russie - les éléments combustibles pour les anciens réacteurs nucléaires de type VVER-440 ne peuvent actuellement être fournis que par des entreprises russes. La Hongrie continuera également à dépendre du combustible nucléaire russe - Budapest est en train de faire construire deux nouveaux réacteurs par l'entreprise énergétique publique russe ROSATOM. Budapest s'oppose donc aux sanctions occidentales. (mü)

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Des opérations spéciales à la guerre des civilisations : le bilan de l'année écoulée selon Alexandre Douguine

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Des opérations spéciales à la guerre des civilisations : le bilan de l'année écoulée selon Alexandre Douguine

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/02/27/erikoisoperaatiosta-sivilisaatioiden-sotaan-aleksandr-duginin-arvio-kuluneesta-vuodesta/

Une année s'est écoulée depuis le début de l'opération militaire spéciale russe en Ukraine. Selon le politologue Alexandre Douguine, avec cette opération militaire, la Russie est "entrée dans une guerre totale et difficile", non pas tant avec l'Ukraine, mais surtout avec "l'Occident collectif", c'est-à-dire le "bloc de l'OTAN" (à l'exception de la Turquie et de la Hongrie, qui restent neutres dans le conflit).

Selon Douguine, l'année de guerre a brisé de nombreuses illusions entretenues par toutes les parties impliquées dans le conflit. Douguine ne cherche pas à présenter les choses sous leur meilleur jour, mais il est également conscient des erreurs commises par la Russie. Alors que les rapports des universitaires occidentaux ne remettent pratiquement jamais en question les actions du régime et de l'armée ukrainiens, l'analyse de Douguine est ouvertement critique à l'égard des dirigeants militaires russes.

Les erreurs de l'Occident et de la Russie

L'erreur de calcul de l'Occident a été de s'attendre naïvement à ce que les sanctions économiques contre la Russie fassent tomber le régime de Poutine. "Malgré les vœux pieux de l'Occident, l'économie russe s'est maintenue, il n'y a pas eu de protestations internes à grande échelle et la position de Poutine n'a pas été ébranlée, elle a été renforcée", constate M. Douguine.

Dès le début du conflit, la Russie, consciente de l'effritement de ses relations avec l'Occident, s'est brusquement tournée vers les pays non occidentaux - notamment la Chine, l'Iran, les pays islamiques, mais aussi l'Inde, l'Amérique latine et l'Afrique - et a affiché clairement et résolument son objectif de créer un "monde multipolaire".

"En partie, la Russie essayait déjà d'affirmer sa souveraineté, mais de manière hésitante, pas du tout cohérente, revenant constamment à des tentatives d'intégration à l'Occident mondialisé. Aujourd'hui, cette illusion s'est enfin dissipée et Moscou n'a plus d'autre choix que de poursuivre la construction d'un ordre mondial multipolaire", explique M. Douguine.

Pourtant, même les projets de la Russie ne se sont pas déroulés comme prévu, critique Douguine. Selon lui, le plan consistait en effet à frapper rapidement et de manière préventive en Ukraine, à assiéger Kiev et à forcer le régime de Zelensky à se rendre. Moscou aurait alors mis au pouvoir un politicien local modéré (quelqu'un comme Viktor Medvedchuk ?) et aurait commencé à rétablir les relations avec l'Occident (comme cela s'est produit après l'annexion de la Crimée).

L'affirmation de Douguine contredit les déclarations officielles de la Russie selon lesquelles la prise de Kiev n'a jamais été l'objectif principal de l'opération spéciale, tandis que Douguine attribue l'échec de la prise de Kiev aux premiers stades de l'opération à une direction et une planification militaires médiocres, ainsi qu'à l'absence d'une véritable mentalité de combat.

"Tout a mal tourné", insiste Douguine. La planification stratégique de l'ensemble de l'opération spéciale a été entachée d'énormes erreurs. Le calme de l'armée, de l'élite et de la société, qui n'étaient pas préparés à une confrontation sérieuse avec le régime ukrainien, sans parler de l'Occident collectif, a contribué aux complications.

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"L'offensive s'est enlisée face à la résistance désespérée et féroce d'un adversaire bénéficiant d'un soutien sans précédent de la machine de guerre de l'OTAN. Le Kremlin n'a probablement pas pris en compte la préparation psychologique des nazis ukrainiens à se battre jusqu'au dernier Ukrainien, ni l'ampleur de l'assistance militaire occidentale", explique Douguine.

La Russie n'a pas non plus compris "les effets de huit années de propagande intensive, qui ont alimenté jour après jour la russophobie et le nationalisme hystérique extrême dans la société ukrainienne".

Les étapes de la première année de guerre

Douguine comprend que les amis et alliés de la Russie soient en partie déçus par la première année de l'opération militaire spéciale. Beaucoup pensaient probablement que les capacités militaires de la Russie seraient si importantes et si bien réglées que le conflit ukrainien serait résolu relativement facilement et rapidement.

Au cours des deux premiers mois, la Russie a effectivement réalisé des progrès rapides. Cependant, après une défense acharnée de l'Ukraine et l'échec des négociations de paix, le rythme s'est ralenti. Au cours de l'été 2022, une impasse est apparue sur le front, associée à des actes de terreur ukrainiens qui ont débordé sur la Russie.

Les contre-attaques ukrainiennes sont couronnées de succès grâce aux équipements modernes de l'OTAN et la Russie se retire de Kharkiv et de Kupynsk. Il s'en est suivi une nouvelle levée de boucliers, la déclaration d'une mobilisation partielle et des référendums à Donetsk, Louhansk, Zaporizhia et Kherson sur l'annexion de ces régions à la Fédération de Russie.

La Russie a enclenché une nouvelle vitesse, mais les progrès sont encore lents. Est-ce dû à la résistance de l'Occident armé de l'OTAN ou la Russie mène-t-elle une "guerre d'usure" délibérée pour détruire les ressources de l'Occident de l'OTAN ?

La défaite de l'Ukraine, la victoire de la Russie ?

Quoi qu'il arrive dans un avenir proche, l'Ukraine d'aujourd'hui est déjà condamnée. La Russie cherche à vaincre le régime fantoche pro-occidental de Kiev. Douguine est convaincu qu'à l'avenir, l'Ukraine cessera d'exister en tant qu'État national et indépendant (avec l'opération de changement de pouvoir Maïdan menée par l'Occident, c'est en fait déjà arrivé).

Malgré ses déclarations haineuses, l'Occident n'a aucune raison de pousser le conflit à l'extrême. Même si l'Occident perd toute l'Ukraine, il a déjà gagné beaucoup, et la Russie ne devrait pas représenter une menace critique pour les pays européens de l'OTAN, et encore moins pour les États-Unis. "Tout ce qui est dit dans ce contexte n'est que pure propagande", estime Douguine.

La Russie ne peut accepter rien de moins que la libération de Donetsk, Louhansk, Zaporizhia et Kherson et la préservation de la Crimée. Douguine appelle cette option la "victoire minimale", mais déclare immédiatement après qu'il s'agit d'une solution inadéquate. La "victoire moyenne" serait la libération de l'ensemble de la "Novorossiya", y compris Odessa, Kharkiv et Nikolaïev.

Une "victoire totale" russe libérerait toute la région ukrainienne et rétablirait l'unité historique de la superpuissance eurasienne. Cela signifierait l'abolition du statut d'État de toute l'Ukraine actuelle (à l'origine une invention russe) et la réunification de l'ancienne Russie de Kiev avec le reste de la Russie.

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Le choc des civilisations

Alors que le conflit en Ukraine s'intensifie, la Russie ne traite plus l'Occident comme un "partenaire", mais considère l'alliance comme une menace pour son existence. La Russie a changé de paradigme, passant du réalisme politique à la théorie d'un monde multipolaire, rejetant le libéralisme et défiant la civilisation occidentale moderne, lui déniant le droit d'être universelle, englobante.

L'opération militaire spéciale s'est révélée être un désastre pour la partie libérale de la classe dirigeante russe, qui n'aurait pas voulu d'une telle épreuve de force avec l'Occident. Un an plus tard, la situation s'est encore aggravée et il n'y a pas de retour en arrière possible. Même les oligarques sont devenus patriotes ou ont fui le pays.

Il est devenu évident que la Russie est en guerre contre l'ensemble de la civilisation libérale occidentale moderne et contre les valeurs que l'Occident tente d'imposer à tous les autres. "Ce revirement dans la prise de conscience par la Russie de la situation mondiale est peut-être le résultat le plus important de l'opération militaire spéciale", suggère Douguine.

La défense de la souveraineté s'est transformée en un choc des civilisations. La Russie ne défend plus un régime politique qui, malgré ses différences, partage les attitudes, les critères, les normes, les règles et les valeurs de l'Occident, mais agit comme une civilisation indépendante - avec ses propres attitudes, critères, normes, règles et valeurs.

N'est-ce pas précisément ce que Poutine a proclamé dans ses discours, jetant les bases d'une politique de protection des valeurs russes qui non seulement diffèrent sensiblement du libéralisme, mais qui, à certains égards, en sont l'exact opposé ? C'est en tout cas ce que semble penser Douguine.

Tout le mandat de Poutine a été, selon Douguine, "une préparation à ce moment décisif", mais avant le début de l'opération spéciale, les dirigeants russes s'inscrivaient encore dans le cadre de référents politiques de mouture occidentale.

Aujourd'hui, après une année de dures épreuves et de terribles sacrifices, le schéma a changé : la Russie est consciente d'être un État-civilisation doté d'une identité distincte, que l'élite dominée par l'Occident veut détruire.

Alors que le conflit en Ukraine s'éternise, les contradictions internes de l'Occident ne feront que s'accentuer. L'opération militaire spéciale de la Russie rompt non seulement avec l'Occident de l'OTAN et avec les soldats ukrainiens, mais aussi avec la couche libérale de la société russe. La Russie est en train de devenir un contre-pouvoir crédible à l'ordre occidental. Qui sait, peut-être qu'à un moment donné, l'Occident devra prendre exemple sur Moscou, et non l'inverse ?

lundi, 06 mars 2023

Les buts et objectifs actuels de la Russie dans l'Arctique

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Les buts et objectifs actuels de la Russie dans l'Arctique

Alan Gotchiyaev

Source: https://www.geopolitika.ru/article/sovremennye-celi-i-zadachi-rossii-v-arktike

L'Arctique russe dans le contexte de la crise des relations de la Russie avec les États arctiques.

Les premières explorations de la Russie dans la région arctique ont commencé dès le siècle dernier, il y a plus de cent ans. À cette époque, le ministère des Affaires étrangères de l'Empire russe a envoyé une note aux gouvernements des pays alliés indiquant que la Russie était propriétaire des terres et des îles situées au nord de la côte asiatique de l'empire. Des expéditions ont alors été menées avec les brise-glace Vaigach et Taimyr. En conséquence, les îles Bennett, Herald, Jeanette, Henrietta et Solitude ont été incluses dans l'empire [2, P. 64-66].

Toutes les terres et les îles découvertes depuis 1916 ont ensuite été transférées sous l'administration de la RSFSR en 1924, et deux ans plus tard, le décret du Présidium de la CCE de l'URSS a défini que "le territoire de l'Union de la RSS est constitué de toutes les terres et îles, à la fois découvertes et celles qui pourraient l'être ultérieurement, situées dans l'océan Arctique au nord de la côte de la RSS jusqu'au pôle Nord entre le méridien 320 degrés 4' 35'' à l'est de Greenwich, longeant le côté est de la baie de Vaida jusqu'au repère de triangulation du cap Kekurskoe, et le méridien de 168 deg. 49' 30' à l'ouest de Greenwich, passant par le milieu du détroit séparant les îles de Ratmanov et le groupe Kruzenshtern (Krusenstern) des îles Diomid dans le détroit de Béring" [15 avril 1926 - Le statut juridique des possessions arctiques de l'Union soviétique est déterminé. // GoArctic. 15.04.2020]. Les dispositions de ce décret sont restées pratiquement inchangées jusqu'en 1985, lorsque l'expédition du brise-glace Kapitan Dranitsyn, dirigée par R.R. Gaidovsky, a découvert un nouveau détroit séparant l'île de Northbrook. En conséquence, le détroit a été nommé d'après le chef-découvreur de l'expédition, et les îles sont devenues connues sous le nom de West et East Northbrook [2, P. 67].

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Au 21ème siècle, une étape importante dans la définition des territoires arctiques de la Russie a été la signature du décret "Sur les territoires terrestres de la zone arctique de la Fédération de Russie" du 02.05.2014, selon lequel les districts autonomes de Yamal-Nenets, de Nenets et de Tchoukotka, les régions d'Arkhangelsk et de Mourmansk, la République de Iakoutie et de Komi, le territoire de Krasnoïarsk, les districts de Carélie de Belomorsk, Louhsky et Kemsky ainsi que " les terres et les îles situées dans l'océan Arctique et certains ulus de Iakoutie, qui ont été déclarés territoire de l'URSS par la résolution du Présidium du Comité exécutif central de l'URSS du 15 avril 1926. "Ces territoires faisaient partie de la partie russe de l'Arctique [Décret du Président de la Fédération de Russie "Sur les territoires terrestres de la zone arctique de la Fédération de Russie"].

L'infrastructure côtière de l'Arctique russe est formée par une vingtaine de ports, dont les ports de Khatanga, Naryan-Mar, Sabetta, Dudinka, Dikson, Varandey, Mourmansk, Arkhangelsk, Onega, Mezen, Kandalaksha, etc. En 2017, ces ports de l'Arctique occidental ont traité plus de 70 millions de tonnes de marchandises, dont des ressources naturelles pétrolières et gazières. Dans l'Arctique oriental, les ports maritimes de Provideniya, Beringovsky, Egvekinot, Tiksi, Pevek et Anadyr, construits au milieu du 20e siècle, ont un rôle militaro-stratégique et traitent des volumes de marchandises pas si importants - un peu plus de 1% des marchandises des autres ports de l'Arctique russe [1, P. 95].

Les principaux sont les ports de Nakhodka, Vladivostok et Vanino, qui traitent des blocs de conteneurs pour le stockage de carburant et de lubrifiants, divers types de machines et de matériaux de construction, du carburant, du charbon (qui, entre autres, est transporté vers la RPC depuis les ports de Beringovsky et Pevek), ainsi que des ressources pour les établissements situés le long des rivières Kolyma, Indigirka, Yana, Olenek et Khatanga [Ibid, P. 95].

Malgré les volumes impressionnants de marchandises transitant par les ports, ceux-ci sont longtemps restés dans un état technique moins que parfait. "La plupart des ports maritimes de l'Arctique constituent aujourd'hui le maillon faible du NSR. En raison d'un manque de fonds, les ports n'ont pas modernisé leurs équipements techniques, ni dragué leurs approches et leurs embouchures", a commenté V.A. Popov du Collège maritime du gouvernement russe en 2021 [Les ports arctiques commencent une nouvelle vie. // GoArctic. 16.02.2021]. En raison des problèmes susmentionnés, la rotation des cargaisons et la capacité de débit des ports diminuent constamment. Par exemple, le traitement des marchandises au port de Tiksi est passé de 860.000 tonnes de marchandises depuis 1986 à 33.000 tonnes en 2019, et sa capacité n'est utilisée qu'à 50% maximum (Ibid.).

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Aujourd'hui, l'importance de la recherche dans la région n'a pas diminué, car l'Arctique produit plus de 80 % de son gaz naturel et possède un pourcentage élevé de réserves pétrolières, et parce que la route maritime du Nord est un important corridor de transport et de commerce qui doit être maintenu.

À cette fin, et malgré les sanctions, les diverses crises et l'état technique moins qu'idéal des ports, la construction de nouveaux terminaux dans l'Arctique s'est poursuivie, principalement à proximité des gisements de gaz, de pétrole et de charbon, et l'État a déjà soutenu ces projets à hauteur de plus de 110 milliards de roubles. La corporation d'État Rosatom et le ministère russe des transports, auquel l'administration de la route maritime du Nord doit rendre compte du développement des ports aujourd'hui [Nouveaux terminaux dans la zone arctique de la Russie. // Maritime News of Russia. 06.04.2022].

Par exemple, cinq projets d'investissement d'une valeur de plus de 100 milliards de roubles doivent être mis en œuvre près du port de Mourmansk, ce qui inclut la construction de terminaux pour le transbordement de charbon et de gaz naturel liquéfié. Il est également prévu d'ouvrir le terminal Tuloma ici en 2023 pour desservir PhosAgro, qui produit des engrais minéraux. La holding de pêche Norebo prévoit d'ouvrir le terminal Udarnik pour traiter les cargaisons réfrigérées et congelées. "Rosatom", quant à lui, prévoit de construire un terminal séparé pour le fret par conteneurs d'ici 2024, en espérant que jusqu'à 800.000 conteneurs par an seront expédiés par le NSR à l'avenir. Dans la baie d'Ura, près de Mourmansk, la construction du plus grand complexe de transbordement de gaz naturel liquéfié par Novatek est prévue pour 2023, avec une capacité de plus de 40 millions de tonnes, ce qui coûtera 70 milliards de roubles. À Arkhangelsk, un projet de construction de deux terminaux destinés à traiter les engrais minéraux, les cargaisons de pétrole, les condensats de gaz, etc. sera réalisé en deux phases jusqu'en 2028. Le coût de la construction est estimé à près de 150 milliards RUB. Un terminal Chaika de 10 millions de tonnes est déjà en cours de construction dans le port de Dickson, pour un coût de plus de 18 milliards de roubles, sous les auspices de la société d'infrastructure AEON, et Rosneft prévoit d'y ouvrir le terminal Bukhta Severn en 2024. [Ibid.]

Aujourd'hui, dans le contexte de la position de crise de la Russie au sein du Conseil de l'Arctique, l'aide internationale dans la région s'affaiblit. Néanmoins, comme on l'a appris à la fin de 2022 par les conclusions de N.V. Korchunov, président du Comité supérieur du Conseil de l'Arctique, les pays des BRICS et de l'OCS sont intéressés par la poursuite de la coopération avec la Russie dans la région arctique [Les BRICS et l'OCS sont intéressés par la coopération avec la Russie dans l'Arctique, a déclaré le ministère des Affaires étrangères. // RIA Novosti. 08.12.2022]. En outre, la VIIIe Conférence internationale "L'Arctique : développement durable" ("Arctic-2023") est toujours prévue pour les 2 et 3 mars 2023 à Moscou avec la participation de 600 personnes [VIIIe Conférence internationale de l'Arctique : développement durable. // Arktika-2023].

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En outre, Rosneft, en collaboration avec Innopraktika, un institut de développement non gouvernemental, prévoit de commencer des recherches sur l'impact des facteurs climatiques et anthropiques locaux sur les écosystèmes des mers arctiques dans la mer Blanche à l'été 2023. Des biopréparations seront également développées pour nettoyer les mers du Nord de la pollution par les hydrocarbures. Le but du projet est de réaliser le modèle géologique le plus fiable de l'Arctique russe [Rosneft poursuivra l'exploration de l'Arctique en 2023. // Nezavisimaya Gazeta. 07.02.2023]. Outre le fait qu'une étude approfondie de la région et des projets conjoints entre scientifiques et entreprises permettront de garantir une navigation toute l'année sur le NSR, les problèmes de réchauffement de l'Arctique seront également abordés, car au cours des dernières décennies, les températures y ont augmenté plus rapidement que partout ailleurs dans le monde, à savoir: l'air arctique s'est réchauffé de 4°C depuis 1960. Des chercheurs allemands de l'Université de Potsdam et de l'Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine ont exprimé leur intérêt pour l'Arctique. L'Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine s'est dit préoccupé par ce fait et a souligné qu'avec le réchauffement, la végétation de conifères commence à empiéter sur la toundra et que "si les émissions de gaz à effet de serre tombent à zéro d'ici 2100 et que les températures moyennes n'augmentent pas de plus de 2°C sur l'ensemble du territoire, même dans ce cas, d'ici 2500, il restera environ un tiers de la zone de toundra dans le Chukotka et le Taimyr. Si, d'ici 2100, les émissions de gaz à effet de serre ne sont réduites que de moitié, il ne restera que 5,7 % de la toundra en forêt. [Retrait de la toundra. // Science et vie. 07.06.2022]. Tout cela affectera à la fois la flore et la faune de la région et la population locale.

Cependant, comme nous l'avons déjà noté, la poursuite de la coopération dans la région est remise en question, ce qui est un fait résolument négatif, car l'Arctique était probablement la seule région où la Russie et les pays occidentaux entretenaient des contacts étroits et pouvaient tirer un grand profit du développement conjoint de la région.

Néanmoins, la Russie prévoit toujours de construire diverses installations dans la région et de mener des recherches à grande échelle, tout comme d'autres pays arctiques. En janvier 2023, par exemple, une société minière suédoise a déclaré avoir découvert un important gisement de minéraux de terres rares dans sa partie de l'Arctique. Le gisement a été découvert par une société minière d'État, qui contrôle déjà deux grandes mines de fer au-delà du cercle arctique. Cette découverte s'est vu conférer un statut géopolitique important car elle contribuera à réduire la dépendance à l'égard des approvisionnements en éléments de terres rares en provenance de Chine (environ 60 % des éléments de terres rares sont importés de Chine) (La Suède découvre d'importants gisements de terres rares dans la région arctique. // Site Web socialiste mondial. 01.29.2023].

En Finlande également, dans le contexte de l'évolution des principes et des accents géopolitiques, tant au sein de la région arctique individuelle qu'au niveau mondial, on a décidé cette année de créer une nouvelle politique arctique qui pourrait servir de point de référence dans les nouvelles réalités. Dans le cadre de cet effort, le gouvernement finlandais a invité plusieurs représentants de différents pays à participer à la conférence Arctic Frontiers à Tromsø, en Norvège, la conférence la plus active sur le développement de l'Arctique et une occasion de débat international, pour discuter des changements dans l'Arctique et de la façon dont ils pourraient affecter les pays arctiques et la Finlande en particulier. Dans le même temps, les points clés de la politique arctique finlandaise seraient maintenus à l'avenir. "Le changement climatique et la biodiversité, le développement durable et les droits des peuples autochtones seront les priorités de la politique arctique de la Finlande à l'avenir", ont déclaré les représentants finlandais [La Finlande explore une nouvelle direction pour sa politique arctique. // Nouvelles du Grand Nord. 01.27.2023].

Ainsi, les objectifs et les priorités des pays dans ce bouleversement politique ont commencé à changer, tout comme de nombreux arrangements politiques dans le monde. L'Arctique ne fait pas exception. À l'heure actuelle, il est trop tôt pour dire quels changements fondamentaux les crises peuvent produire dans la région, mais il est juste de dire qu'à ce stade, les États de l'Arctique, y compris la Russie, mènent toujours des recherches, font de nouvelles découvertes et se préparent aux grands changements à venir, avec beaucoup moins de cohésion et de solidarité qu'auparavant.

Liste des sources :

    (1) Zaostrovskikh E.A. Seaports of the Eastern Arctic and supporting zones of the Northern Sea Route. // Regionalistika. 2018. №6. - 106 с. 

    (2) Lukin Y.F. L'Arctique russe se développe avec des îles. // AiS. 2015. №18. - 80 с.

dimanche, 05 mars 2023

Poutine et Lénine, selon Spengler

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Poutine et Lénine, selon Spengler

Constantin von Hoffmeister

Source: https://eurosiberia.substack.com/p/putin-and-lenin-according-to-spengler

Dans les profondeurs sombres et exaspérantes du passé, Spengler a contemplé une figure sinistre connue sous le nom de Vladimir Lénine, un présage de la fin de l'Occident, dont l'existence même menaçait de briser les fondements de la société traditionnelle. Aux yeux de Spengler, Lénine et son parti bolchevique incarnaient les pouvoirs malveillants de la modernité, une force qui menaçait d'engloutir le monde dans un tourbillon de chaos et de destruction. En Lénine, Spengler voyait l'issue inévitable de la descente de l'Occident dans la folie et le désespoir, alors que la culture autrefois grande était consumée par sa propre hubris et avait perdu le contact avec ses racines spirituelles.

Pourtant, dans les profondeurs de l'esprit de Spengler, il aurait pu entrevoir une vision de Vladimir Poutine comme un leader plus banal, s'efforçant de ressusciter la vitalité culturelle et spirituelle de la Mère Russie. Peut-être aurait-il même pu voir en Poutine un symbole de défi contre les forces sinistres de l'âge moderne, celles qui visent à décimer les principes sacrés de la tradition et de la vertu.

Spengler était convaincu qu'au crépuscule du déclin d'une civilisation, une figure formidable et captivante apparaîtrait, capable d'assurer l'ordre et la sécurité par la seule force de sa volonté et de sa personnalité. Cette croyance constituait le fondement de sa thèse de "l'avènement des Césars", qu'il considérait comme un schéma récurrent dans les annales de l'histoire, de tels leaders émergeant souvent au cours de périodes de bouleversements et de catastrophes.

À l'époque actuelle, la notion d'un nouveau César est toujours pertinente, car le globe est en proie à des problèmes contrariants qui exigent un leadership fort et inébranlable. Néanmoins, cette idée a suscité des critiques pour avoir "promu l'autoritarisme et le mépris des valeurs démocratiques". En outre, l'impact qu'un individu peut avoir sur le cours de l'histoire diminue à l'ère de la mondialisation et du progrès technologique. Les défis auxquels les sociétés modernes sont confrontées nécessitent des efforts et des solutions collectives qui dépassent la capacité d'un seul leader, aussi imposant ou magnétique que soit son aura.

Par conséquent, bien que la notion de nouveau César puisse encore conserver une certaine pertinence à notre époque moderne, il est impératif que nous l'examinions à la lumière des obstacles du présent et de la nécessité de trouver des moyens coopératifs pour faire face aux difficultés. Spengler a postulé que lorsque les sociétés entrent dans leur phase finale de déclin, elles ont tendance à engendrer des leaders formidables et séduisants, expérimentés dans la préservation de la loi et de la stabilité par la puissance de leur résolution et de leur présence.

Spengler voyait ces dirigeants comme les Césars de la Rome antique, qui pouvaient maintenir intact un empire en ruine grâce à leur charme personnel et leur volonté inflexible. Il estimait que l'Occident était confronté à une période de déclin comparable à celle de l'Orient, et que ce n'était qu'une question de temps avant qu'un nouveau César ne surgisse pour rétablir l'ordre et la stabilité. Peut-être Poutine, avec son leadership autoritaire et ses efforts pour rétablir la position de la Russie dans le monde, aurait-il été considéré par Spengler comme un prétendant à ce rôle convoité. Spengler a peut-être aussi été conscient des entreprises de Poutine pour rétablir la domination de la Russie sur la scène mondiale.

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samedi, 04 mars 2023

Réorganiser le Heartland: aperçus, suggestions et objectifs possibles dans les stratégies multipolaires

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Réorganiser le Heartland: aperçus, suggestions et objectifs possibles dans les stratégies multipolaires

Par Lorenzo Maria Pacini

Source: https://domus-europa.eu/2023/02/06/riorganizzare-lheartland-panoramiche-suggestioni-e-possibili-obiettivi-nelle-strategie-multipolari-di-lorenzo-maria-pacini/  

Pourquoi est-il nécessaire de réorganiser le Heartlandfsddeeee?

Partons de l'hypothèse que le cadre multipolaire du monde est quelque chose de déjà déclenché et de factuel, mais qui nécessite une organisation au fur et à mesure de sa définition. Il s'agit d'un processus au sein duquel nous nous trouvons, et non d'une étape "formelle" - même si, d'un point de vue géopolitique, nous pouvons parler de formalisme géographique - et qui doit donc être considéré au fur et à mesure de son développement.

Un premier centre d'intérêt possible est le Heartland, le cœur de la Terre, dont Halford Mackinder n'a cessé de nous rappeler qu'il est l'axe géographique de l'Histoire, c'est-à-dire nécessaire pour fixer un plan cartésien de l'existence humaine.

Commençons donc par nous concentrer sur les principaux vecteurs d'activité géopolitique qui amélioreraient qualitativement le potentiel global du Heartland, dont dépend l'existence ou non d'un monde multipolaire. Il s'agit d'une réorganisation stratégique de l'espace entourant la Russie de toutes parts, dans le but de :

    - Rééquilibrer la présence militaire dans les cinq domaines (terre, eau, air, espace, infosphère) du bloc atlantique ;

    - Favoriser le développement de systèmes sociaux différents de ceux qui sont centrés sur l'Occident ;

    - Favoriser le développement de systèmes géo-économiques et financiers en dehors des plateformes contrôlées par l'Occident (notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, Israël et l'Arabie Saoudite) ;

    - Renforcer les acteurs et les promoteurs du multipolarisme ;

    - Permettre aux pays du Heartland, donc en premier lieu à la Russie, d'avoir un accès direct aux points de contact avec le Rimland et le Sealand, et donc aux ports, aux mers chaudes et pas seulement aux mers froides, aux ressources, aux positions stratégiques.

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Comme la diplomatie russe l'a également démontré à plusieurs reprises, notamment depuis le début de l'opération militaire spéciale, le Heartland doit se consolider, accumuler des ressources, mobiliser les structures sociales et passer à une phase de plus grande activité géopolitique ou, plutôt, de plus grande spécificité géopolitique. Tout cela exige un travail politique intense et nécessite une sorte de mobilisation géopolitique, qui a nécessité un examen attentif des instruments, des ressources et des avantages potentiels au cours des années précédentes, sans attirer une attention excessive, du moins pendant la période de développement inertiel. C'est dans ce sens que l'on peut lire les démarches diplomatiques entreprises par la Russie ces dernières années : une révision de ses activités en vue d'assurer des points stables avec les Etats de l'orbite eurasienne, en comptant sur la proximité ethno-sociologique et un intérêt commun à se libérer de l'orbite anglo-américaine. Dans ce cas, un calcul complètement différent est nécessaire pour qu'un ensemble de possibilités complètement différent émerge.

Le début de la construction d'un monde multipolaire passe nécessairement par un changement de conscience de l'élite politique russe, son ouverture à un horizon géopolitique continental et planétaire, sa prise de conscience de sa responsabilité dans le destin de l'espace social, politique, économique et historique qui lui est confié. D'autre part, le mondialisme et la construction d'un monde unipolaire nourrissent méthodiquement l'éducation de plusieurs générations de l'élite américaine, européenne et mondiale dans une clé atlantiste (à travers des clubs privés, des loges, des organisations d'experts, des guildes intellectuelles, des institutions éducatives spécialisées, etc.), qui comprend, entre autres, une étude minimale obligatoire de la géopolitique et d'autres disciplines complémentaires. De même, donc, la création d'un monde multipolaire et la réorganisation du Heartland doivent prévoir un nouvel élan géopolitique et l'éducation des cadres dirigeants des pays impliqués dans le processus, et en cela la Russie a montré, au moins partiellement, qu'elle a réussi à intensifier l'éducation géopolitique (qui, à l'époque de l'URSS, était considérée comme captieuse et subversive), de manière à configurer une ligne qui s'avère, à ce jour, suffisamment stable dans la gestion multilatérale d'un contexte stratégique international. En empruntant ce que le philosophe russe Alexandre Douguine avait déjà souligné à plusieurs reprises, l'élite russe doit prendre conscience qu'elle est l'élite de tout le Heartland, en commençant à penser à l'échelle eurasiatique et non plus seulement à l'échelle nationale. Cette transition n'a pas été automatique mais le résultat d'un processus éducatif, si l'on considère qu'il y a encore quelques années (peut-être quelques mois), une éventuelle adhésion de la Fédération de Russie à l'OTAN était redoutée, non sans une certaine ironie. Il est clair que seule une classe dirigeante adéquatement préparée d'un point de vue géopolitique a été - et sera - en mesure de réaliser la mobilisation géopolitique nécessaire et de mener efficacement une politique active de restructuration de l'ensemble de l'espace eurasien, afin de construire un monde multipolaire et, ce qui est plus compliqué, de le protéger.

Un regard sur la stratégie du Western Heartland

Examinons à présent les paramètres généraux de la manière dont la renaissance du Heartland se déroule et devrait se poursuivre, dans les principales directions de la voie de la construction d'un monde multipolaire, en commençant par l'ouest.

Le premier point fondamental est le modèle sur lequel sont construites les relations entre la Russie et les États-Unis. La situation créée par l'escalade militaire due à l'Opération militaire spéciale, dont nous savons tous qu'elle est le résultat d'un long processus et non d'un événement unique et isolé, n'exclut pas a priori la possibilité d'un nouvel équilibre, précisément par le biais de la diplomatie de l'entre-deux-guerres (celle qui a déjà lieu) et de l'après-guerre. Ce qui pourrait émerger, et qui serait géopolitiquement commode pour l'ensemble du Heartland, c'est l'indépendance vis-à-vis de l'administration américaine et des vues personnelles, politiques et culturelles connexes des États-Unis. Si, en effet, les Etats-Unis ne peuvent s'empêcher de penser et d'agir à leur manière, car c'est le vecteur constant de leur stratégie planétaire (à partir de Woodrow Wilson), le seul qui ait garanti des résultats probants et rapproché les Etats-Unis de la domination mondiale, et donc il ne peut y avoir de raisons ou d'arguments capables de forcer les Etats-Unis à abandonner l'hégémonie mondiale et la construction d'un monde global, il est cependant vrai qu'une défaite militaire redessinerait considérablement non seulement la géographie des frontières, mais plus encore celle du Lebensraum, de l'espace vital géopolitique des Etats européens, qui sont directement limitrophes du Heartland et surtout de la Russie.

Au niveau des écoles de pensée, pour les Etats-Unis, toute autre position vis-à-vis du Heartland, autre qu'une hostilité farouche et constante, est tout simplement considérée comme irresponsable et stupide : tout ce que les Etats-Unis défendent dans la zone du continent eurasien est directement opposé aux intérêts stratégiques du Heartland et à la construction d'un monde multipolaire. Cette vision opposée de l'organisation de l'espace politique de l'Eurasie est un axiome absolu, qui n'admet aucune exception ou nuance. Les États-Unis veulent que l'Eurasie et l'équilibre des forces qui s'y trouvent correspondent le plus possible à l'unipolarisme et à la mondialisation.

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Le Heartland dans son ensemble a cependant une vision exactement opposée, que les dirigeants russes sont en train de comprendre, en se faisant le leader d'un conflit qui, militairement, implique quelques puissances, mais qui, géo-économiquement, en l'espace de quelques mois, a complètement bouleversé l'équilibre international des forces.

L'asymétrie actuelle entre les pays eurasiens et le bloc atlantique est cependant telle qu'elle ne permet pas, à mon avis, un affrontement direct entre puissances, entre terre et mer, du moins pas de la manière classique à laquelle on pourrait s'attendre. L'hybridation de la guerre entraîne la nécessité de plus grandes interactions, en même temps que l'incapacité stratégique et économique de la Russie à s'engager seule dans un conflit mondial, ce qui n'aurait pas été possible même à l'époque de l'Union soviétique. C'est ainsi que les pays voisins entrent en jeu.

Depuis plusieurs années maintenant, malgré un semblant de second degré, la Russie est stratégiquement intéressée par l'absence de présence américaine ou de l'OTAN dans l'espace post-soviétique, alors que les États-Unis sont intéressés par exactement le contraire ; la Russie veut avoir des relations de partenariat direct avec ses voisins d'Europe de l'Est (les pays de l'ancien bloc socialiste), les États-Unis considèrent cette zone comme une zone d'influence primaire, comme un cordon sanitaire empêchant Moscou de se rapprocher de l'UE ; la Russie veut construire un modèle d'intégration avec l'Ukraine et la Biélorussie, les États-Unis ont soutenu la révolution colorée de Kiev et le conflit dans le Donbass. Il est clair que la Russie a tout intérêt à avoir des contacts forts avec les grandes puissances de l'Europe continentale (Allemagne, France, Italie), notamment dans le domaine de la coopération énergétique, en tentant de poursuivre ce qui a déjà été appliqué avec les deux projets Nord Stream et qui se poursuit encore aujourd'hui, malgré les menaces de guerre et l'entrée de fait de ces pays dans le conflit ukrainien ; les États-Unis, par leur influence sur les pays d'Europe de l'Est et certains cercles politiques de l'Union européenne (euro-atlantistes), sabotent ces contacts par tous les moyens possibles, font obstacle aux projets, remettent constamment en question les tracés des gazoducs et tentent même de légiférer afin de légitimer une intervention militaire en cas de situations énergétiques litigieuses avec, bien entendu, une référence principale aux livraisons de la Russie.

L'efficacité des relations russo-américaines des deux côtés est mesurée de manière exactement inverse : le succès de la Russie dans ses relations avec les États-Unis est mesuré par la façon dont Moscou parvient à renforcer la position du Heartland ; les succès des États-Unis sont interprétés de manière exactement inverse, c'est-à-dire par la façon dont ils parviennent à l'affaiblir. Il est donc difficile de penser à une résolution possible, alors que la poussée, des deux côtés, pour l'acceptation d'un nouvel équilibre, d'un statu quo des choses suffisamment commode pour les parties en conflit, est plus probable.

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En ce qui concerne l'Europe, qui est la véritable sacrifiée du conflit encore présent, il existe un modèle complètement différent de l'Union européenne : dans la version élargie de la théorie développée par Mackinder en 1919, l'auteur inclut, outre la Russie, le territoire de l'Allemagne et de l'Europe centrale. L'Europe a une forte tradition continentale, une identité continentale avec une grande variété d'expressions culturelles, sociales et politiques, clairement visibles dans la politique de pays comme la France et l'Allemagne, dans une moindre mesure dans la politique de l'Italie et de l'Espagne. Le développement d'un partenariat stratégique avec ce noyau de l'Europe est une priorité pour la Russie, car c'est sur sa base que le multipolarisme peut prendre forme [1].  Une priorité qui s'est accrue avec le début de l'Opération militaire spéciale, l'Italie en particulier étant extrêmement sensible sur le plan stratégique en raison de l'extension manifeste du conflit au niveau mondial. Pas chez eux, et très probablement déjà dans la conception de ce que nous vivons maintenant, les dirigeants européens dirigés par le Royaume-Uni et les États-Unis ont toujours poussé à sécuriser le Rimland comme un cordon de sécurité à l'expansion de la Russie, dans le but de s'étendre vers l'est (mis en œuvre avec l'OTAN depuis une vingtaine d'années) afin d'encercler autant que possible l'ensemble du Heartland.

C'est exactement l'hypothèse de Mackinder sur la voie de la domination mondiale : "Celui qui contrôle l'Europe de l'Est, contrôle le Heartland ; celui qui contrôle le Heartland, contrôle l'île du monde ; celui qui dirige l'île du monde, dirige le monde" [2].

En observant concrètement la politique nationale des États européens, il est difficile de penser à une rupture possible de l'hégémonie d'outre-mer. Les chefs d'État européens ont une majorité anti-russe et mènent une politique belliqueuse et agressive à l'égard de l'ensemble du Heartland (comme ils le font également à l'égard des pays de l'ex-URSS), ce qui signifie une fermeture préventive et à long terme. L'absence de souveraineté nationale joue, sans l'ombre d'un doute, un rôle central dans cet aspect géopolitique.

Deux possibilités sont intéressantes à ce stade. En ce qui concerne l'Europe de l'Est, la Russie peut présenter un projet constructif, que l'on peut appeler la Grande Europe de l'Est : il devrait se fonder sur les caractéristiques historiques, culturelles, ethniques et religieuses des sociétés d'Europe de l'Est, mais en entrant dans le cours de l'histoire de l'Europe occidentale, ses groupes ethniques slaves et ses sociétés orthodoxes ont été laissés à la périphérie, privés de toute considération légitime et n'ont finalement eu que peu d'influence sur le développement d'un paradigme social, culturel et politique commun au sein de l'Europe occidentale. Les cultures slaves et orthodoxes diffèrent considérablement des sociétés romaines-germaniques et catholiques-protestantes, ce qui ne manquerait pas de susciter une sympathie et une cohésion anthropologiques et religieuses. Si, historiquement, l'Europe occidentale a interprété ces différences en faveur de la supériorité de la culture romano-germanique sur la culture slave et du catholicisme sur l'orthodoxie, dans le cadre d'une approche multipolaire, tout semble différent et l'identité des pays et des peuples d'Europe de l'Est est affirmée comme un phénomène sociologique et culturel indépendant ayant une valeur intrinsèque. La Grande Europe de l'Est peut inclure aussi bien le cercle slave (Polonais, Bulgares, Slovaques, Tchèques, Serbes, Croates, Slovènes, Macédoniens, Bosniaques et Serbes musulmans), que de petits groupes ethniques (comme les Serbes de Lusace) et les orthodoxes (Bulgares, Serbes, Macédoniens, mais aussi Roumains et Grecs). Les seuls peuples d'Europe de l'Est qui ne répondent pas à la définition de slave ou d'orthodoxe sont les Hongrois, mais il ne faut pas oublier leur origine eurasienne, steppique, commune aux autres peuples finno-ougriens, dont la grande majorité vit dans le Heartland et a un caractère culturel eurasien prononcé. La Grande Europe de l'Est pourrait devenir un grand espace indépendant dans le cadre d'une Europe unie. Du point de vue du Heartland, ce serait la meilleure option.

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Une deuxième option, peut-être concrètement plus longue à réaliser, est celle du détachement du bloc européen de la tutelle coloniale anglo-américaine, de la Seapower, afin d'affirmer une géopolitique eurocentrique, indépendante, souveraine, pour une Europe des peuples européens, majoritairement tellurocratique. L'analyse de cette deuxième option mériterait une étude particulière ; il convient toutefois de noter quelques difficultés objectives dans la faisabilité de cette option, au moins à court terme : l'eurocentrisme exige une éducation eurocentrique, un élément qui est pratiquement absent des écoles politiques, géopolitiques et surtout militaires. Ce qui manque, c'est l'élite politique et financière capable d'affirmer l'impératif identitaire, qui plus est dans un contexte multipolaire, idéologiquement plus beau, mais diplomatiquement et stratégiquement beaucoup plus complexe ; ensuite, il faut former les peuples, les citoyens, un processus qui implique de déresponsabiliser des nations entières de près d'un siècle de contrôle hégémonique, une reprogrammation qui n'est pas du tout rapide et dont le succès n'est même pas certain. Une Europe européenne, pour faire un jeu de mots, serait sans doute plus conforme à un monde multipolaire et aussi plus avantageuse pour le Heartland lui-même, dans un pôle d'interaction non russocentrique mais authentiquement indépendant et équilibré.

Lorenzo Maria Pacini

Note:

[1] Au moment de l'invasion unilatérale de l'Irak, qui n'a pas été approuvée par la coalition du Conseil de sécurité de l'ONU (sauf les États-Unis et le Royaume-Uni) en 2001, le profil de l'alliance continentale russo-européenne a pris forme dans l'axe Paris-Berlin-Moscou, lorsque les trois présidents de ces pays (Chirac, Schroeder et Poutine) ont condamné conjointement les actions de Washington et de Londres, exprimant ainsi les intérêts établis du Heartland dans son interprétation la plus large (Russie + Europe continentale). Cela a provoqué une quasi panique aux Etats-Unis lorsqu'ils ont réalisé comment cela pourrait finir pour l'hégémonie mondiale américaine si une telle alliance était approfondie et poursuivie, ils ont donc pris la décision de la démanteler par tous les moyens.

Edward Law, le pionnier du Grand Jeu

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Edward Law, le pionnier du Grand Jeu

Emanuel Pietrobon

Source: https://it.insideover.com/schede/storia/edward-law-il-pio...

L'histoire, disait le philosophe Friedrich Nietzsche, est l'éternel retour du même. Un cycle qui se répète sans fin, où les mêmes événements ont tendance à réapparaître périodiquement sous une forme nouvelle ou déguisée. Un cycle duquel sortent de grands hommes dont les actes restent éternellement imprimés dans l'histoire pour guider les pas de ceux qui viendront après. Un cycle qui ne s'arrêtera jamais, car il est tout simplement inarrêtable.

Aujourd'hui comme hier, demain comme toujours, la dure loi de l'éternel retour du même écrit le présent des contemporains et dessine l'avenir de la postérité. Car notre présent, en effet, est l'ère des grands remakes géopolitiques: des nouvelles guerres russo-turques à la Guerre froide 2.0, en passant par la réédition de la course à l'Afrique et la renaissance du Grand Jeu en Asie centrale. Et ce dernier, le Grand Jeu 2.0, qui, par rapport au passé, est teinté de multipolarité, pourrait être mieux, compris, compris plus profondément en redécouvrant l'un des personnages qui a dominé sa version première : Edward Law, le premier comte d'Ellenborough.

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Origines et éducation

Edward Law (tableau) est né à Londres le 8 septembre 1790. Fils d'artiste - son père était le célèbre Edward Law, MP, baron et Lord Chief Justice de la Cour d'Angleterre et du Pays de Galles -, Law est élevé dans un environnement aristocratique et reçoit une éducation de haut niveau. Il a été formé au Collège d'Eton et au Saint John's College de Cambridge - deux des institutions les plus prestigieuses du Royaume-Uni - où il a été initié aux arts de la politique et de la diplomatie.

En 1812, à seulement vingt-deux ans, le jeune Law entre en politique en portant la chemise des Tories, conservateurs fermement convaincus de la suprématie de l'anglicanisme sur le catholicisme et de la supériorité du pouvoir royal sur le pouvoir parlementaire. Après un premier passage de deux ans en tant que représentant d'un bourg pourri de Cornouailles, qui lui permet d'entrer à la Chambre des communes, il hérite en 1818 à la fois d'un siège à la Chambre des lords et du titre de baron de son père, décédé entre-temps.

Le Grand Jeu

En 1828, après avoir passé exactement une décennie à s'occuper de politique intérieure, Law est nommé Lord Keeper of the Privy Seal par le Premier ministre de l'époque, Arthur Wellesley, également connu sous le nom de Duc de Wellington, et commence à servir au sein du gouvernement en tant que conseiller en affaires étrangères.

Et c'est le duc de Wellington, un homme formé sur les champs de bataille et contre Napoléon, qui aurait entrevu quelque chose en Law : du talent, un sens aigu de la politique internationale. Placé à la tête de la commission de contrôle de l'East India Company, la longa manus de Londres la plus puissante au monde, Law aurait fait preuve d'une incroyable capacité à comprendre les affaires asiatiques, à en saisir la complexité et à soutenir le duc dans la défense des intérêts de la Couronne.

C'est Law, par exemple, qui a compris le caractère de pivot du territoire sous-continental de l'Inde, suggérant au duc de Wellington que sa souveraineté soit transférée de la Compagnie des Indes orientales à la Couronne. Et c'est également Law qui, sur fond d'études à distance de l'Inde, confia à son ami et explorateur Alexander Burnes la mission de visiter l'Asie centrale, inconnue et sauvage, pour tenter de comprendre pourquoi les tsars s'intéressaient tant à son sort (et à son contrôle).

Law allait bientôt s'avérer être le bon homme au bon endroit et au bon moment : le moment où le Grand Jeu a commencé. Fort de la confiance placée en lui par le duc de Wellington, ainsi que de son rôle puissant au sein de la Compagnie des Indes orientales, Law devint l'écrivain de l'ombre du programme de politique étrangère de la Couronne pour l'Asie centrale et l'Indo-Sphère.

Law avait compris une vérité jusqu'alors ignorée par ses compatriotes : l'Empire russe s'étendait dans la sulfureuse et chaotique Asie centrale dans le but d'atteindre l'Inde. Car le rêve caché de tous les souverains de la Troisième Rome, depuis l'époque pré-tsariste, avait toujours été le même : un débouché vers une mer chaude. Et l'Inde, désir des grands dirigeants depuis l'époque d'Alexandre le Grand, représentait l'un des débouchés chauds les plus géostratégiques du supercontinent.

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L'habile stratège avait eu une révélation sur la manière d'empêcher les tsars d'étendre leurs tentacules sur l'Inde, pomme d'or de l'Empire britannique, et de gagner le Grand Jeu qui venait de naître. Une illumination qui fut accueillie favorablement par les dirigeants impériaux et qui reposait essentiellement sur les éléments suivants : la maîtrise de l'Afghanistan, l'anglicisation culturelle du dominion indien, la diplomatie secrète et le recours à des alliances impromptues, toujours anti-russes, avec les seigneurs du désert d'Asie centrale.

Law ne vivra pas assez longtemps pour assister à la conclusion de la plus importante confrontation hégémonique russo-britannique de l'histoire, mais il sera témoin de la concrétisation progressive de sa stratégie : les missions secrètes de Burnes entre l'Asie centrale et le sous-continent indien, l'expédition de Kaboul de 1842, les parties d'échecs avec les émirs afghans Dost Mahommed Khan et Shah Shujah Durrani et, enfin et surtout, l'instrumentalisation des différences interreligieuses et interethniques en Inde dans le but d'affaiblir les familles royales autochtones et de consolider l'hégémonie britannique.

La pertinence de la pensée de Law

En 1844, de retour d'une Asie (temporairement) pacifiée par la guerre, il reçoit une série de récompenses pour ses services à la Couronne, dont le titre de comte d'Ellenborough et la Grand-Croix de l'Ordre de Bath. Il passera les années suivantes à se battre chez lui pour la réduction de l'autonomie de la Compagnie des Indes orientales, pour la poursuite de l'assujettissement de l'Inde et pour attiser les esprits dans le turbulent Turkestan dans une visée anti-russe, consacrant son temps libre à la rédaction d'œuvres monumentales axées sur l'univers civilisationnel indien.

Il meurt en 1871, à l'âge avancé de quatre-vingt-un ans, laissant à la postérité un héritage inestimable en termes de clairvoyance politique et de stratégie diplomatique. Car aujourd'hui, à l'ère du Grand Jeu 2.0, l'ombre du comte d'Ellenborough plane de façon terrifiante sur ces terres indomptées qui s'étendent de Samarcande à Calcutta. Des terres qui, comme l'a montré le droit, peuvent s'avérer plus productives en étant instables qu'en étant stables. Des terres dont la déstabilisation hétérogène a servi et sert encore un large éventail d'objectifs : de l'endiguement de la Russie en tirant parti du tribalisme islamique dans les steppes d'Asie centrale à la réduction des ambitions de grandeur de la puissante mais fragile Inde.

Des terres, celles qui s'étendent de Samarkand à Calcutta, sans négliger le Caucase qui, hier comme aujourd'hui, et demain comme toujours, sont et seront les tranchées dans lesquelles les thalassocraties atlantiques et les tellurocraties eurasiennes se battent et se battront éternellement pour l'hégémonisation de l'île-monde.

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Guillaume Faye vs Alexander Douguine (Français)

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Guillaume Faye vs Alexander Douguine

Constantin von Hoffmeister

Source: https://eurosiberia.substack.com/p/guillaume-faye-vs-alexander-dugin

Guillaume Faye était un philosophe politique et écrivain français qui a inventé le terme Archéofuturisme, qui désigne une synthèse d'idées anciennes et futuristes. Faye pensait que la mondialisation et l'immigration de masse menaçaient le patrimoine culturel et historique de l'Europe et qu'une nouvelle vision était nécessaire pour assurer la survie de la civilisation européenne.

L'attitude de Faye repose sur la préservation des traditions européennes tout en adoptant la technologie et l'innovation. Il a imaginé un monde dans lequel l'Europe perfectionnera sa propre espèce, colonisera l'univers et construira des vaisseaux spatiaux portant le nom de dieux païens. Cette vision est influencée par son concept d'Eurosibérie, un bloc de pouvoir allant de Dublin à Vladivostok, partiellement inspiré des idées du penseur belge Jean Thiriart. Thiriart pensait qu'une Europe unifiée en tant qu'entité géopolitique et culturelle, basée sur le concept d'un super-État européen unifié qui serait suffisamment fort pour rivaliser avec les États-Unis et l'Union soviétique à l'époque de la guerre froide, servirait non seulement de contrepoids aux puissances dominantes de l'époque, mais constituerait également un moyen plus efficace de préserver le patrimoine culturel et l'identité de l'Europe, qu'il percevait comme étant menacés.

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Alexander Douguine est un philosophe politique et activiste russe controversé, connu pour son soutien à l'eurasisme, une idéologie géopolitique qui cherche à unir la Russie à d'autres pays de la région eurasienne afin d'établir une "civilisation eurasienne" contre l'Occident. L'archéofuturisme de Faye s'oppose à l'eurasianisme d'Alexandre Douguine dans le domaine de la philosophie politique. La vision de Faye souligne l'importance de préserver les valeurs traditionnelles et les traditions de l'Europe, qui remontent à la Grèce antique et à l'Empire romain. Il soutient que les idées des Lumières, telles que l'individualisme et la laïcité, ont érodé ces traditions et constituent une menace pour la pérennité de la culture européenne. Douguine, quant à lui, critique l'idée d'une suprématie culturelle européenne et privilégie plutôt un monde multipolaire dans lequel diverses civilisations, dont la Russie et la Chine, peuvent coexister et coopérer.

Les États-Unis étant essentiellement une entité du domaine civilisationnel européen, Faye les considère comme un adversaire plutôt qu'un ennemi. Il met en garde contre les dangers de négliger les idéaux et les traditions de l'Europe et considère la notion d'eurasisme de Douguine comme une menace pour la survie de la civilisation européenne. Douguine, quant à lui, considère l'Occident, qui comprend l'Europe et les États-Unis, comme le principal ennemi et affirme que ses valeurs libérales mettent en danger la survie des autres cultures. Il estime que les Etats-Unis incarnent tout ce qui ne va pas dans le monde moderne et rejette entièrement le concept de suprématie culturelle occidentale.

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Faye et Douguine ont des points de vue opposés sur l'implication de la Russie en Europe. Faye pense que la Russie devrait être membre d'un bloc de pouvoir eurosibérien s'étendant de l'Atlantique au Pacifique, qui serait une entité politique et économique autosuffisante ayant une influence mondiale. Compte tenu de leurs liens culturels et historiques communs, Faye considère la Russie comme un allié naturel de l'Europe et estime que la coopération entre l'Europe et la Russie est essentielle pour l'avenir de la culture européenne. Douguine, en revanche, estime que dans un monde multipolaire, la Russie devrait en prendre la tête en tant qu'unificatrice du cœur de l'Eurasie. Il s'oppose au concept d'une Eurosibérie unifiée (ou "Euro-Russie") en faveur d'un ordre mondial plus fragmenté, dans lequel diverses civilisations coopèrent et se font concurrence. Douguine considère la Russie comme un contrepoids à l'hégémonie culturelle de l'Occident et estime qu'elle doit se battre pour faire avancer les intérêts du monde dit "non occidental".

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Dans son livre Archéofuturisme, Faye discute du transhumanisme. Il examine le potentiel de la technologie à transformer l'humanité et la société tout en mettant en garde contre les dangers d'une foi aveugle dans le progrès technologique. Faye soutient que, si le transhumanisme a le potentiel de faire progresser la médecine et la longévité de manière significative, il comporte également le risque de déshumaniser et de chosifier les individus. Faye prévient également que le transhumanisme pourrait exacerber les inégalités sociales existantes, car seuls les riches peuvent s'offrir des technologies avancées. Douguine a mentionné le transhumanisme dans un certain nombre d'ouvrages, dont son livre La quatrième théorie politique. Douguine critique le transhumanisme comme une idéologie qui aspire à remplacer l'être humain traditionnel par une créature post-humaine technologiquement améliorée, menant finalement à l'abolition de l'humanité telle que nous la connaissons. Le transhumanisme, dit-il, est un symptôme de la fixation du monde moderne sur le progrès technique, qui a entraîné la déshumanisation de la société et l'érosion des valeurs conventionnelles. Douguine soutient que le transhumanisme est une vision du monde néfaste et nihiliste qui menace le destin de l'humanité.

Le conflit entre les visions de Faye et de Douguine illustre le désaccord plus important entre leurs perspectives sur la signification de la tradition et de l'héritage dans le monde moderne. Alors que Faye croit en la nécessité de préserver l'héritage culturel et historique de l'Europe et considère que les Etats-Unis se sont éloignés de leur matrice européenne, Douguine rejette entièrement l'idée de la supériorité culturelle de l'Europe et considère les Etats-Unis comme une menace pour les autres civilisations. Malgré leurs perspectives différentes sur la place de la Russie, Faye et Douguine s'accordent à dire que l'ordre mondial actuel est contrôlé par les valeurs libérales occidentales, qui doivent être remises en question. Faye pense qu'une Europe et une Russie unies sont nécessaires pour combattre cette suprématie, tandis que Douguine soutient un ordre mondial plus fragmenté dans lequel diverses civilisations coexistent pacifiquement. Enfin, leurs perspectives divergentes sur l'implication de la Russie reflètent un différend plus large sur la meilleure approche pour conserver et développer l'héritage culturel et historique de leurs régions.

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Une nouvelle vision de l'Europe peut être produite en combinant les concepts de Faye et de Douguine. Tout en acceptant le progrès technologique, cette vision met l'accent sur la préservation de l'héritage culturel et historique de l'Europe. Le concept de Großraum de Carl Schmitt est utilisé pour imaginer l'Europe comme un espace high-tech de grande taille. Dans cette vision, l'Europe serait membre d'un ordre multipolaire, interagissant poliment avec les autres civilisations. La combinaison de l'accent mis par Faye sur la continuité culturelle et du point de vue multipolaire de Douguine permet à l'Europe de conserver son caractère propre tout en favorisant un ordre mondial plus harmonieux et pacifique. La difficulté, cependant, est de concilier ces points de vue apparemment contradictoires. Il est essentiel de résoudre ce dilemme si l'Europe veut jouer un rôle clé dans le façonnement de l'avenir du monde. Au lieu d'être identifiée par son passé colonial ou sa suprématie culturelle, la vision proposée présente l'Europe comme un leader en matière de technologie et d'innovation.

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La guerre en Ukraine et la nouvelle logique des blocs

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La guerre en Ukraine et la nouvelle logique des blocs

Emanuel Pietrobon

Source: https://it.insideover.com/guerra/guerra-in-ucraina-logica...

Guerres, catastrophes et pandémies : des accélérateurs de tendances. Ils ne créent ni ne détruisent rien : ils provoquent la catalyse, ils accompagnent dans la tombe ce qui était mourant, ils font germer ce qui était quiescent. Ils libèrent des forces qui, jusqu'à l'instant précédant leur apparition, étaient retenues par le katéchon de l'époque.

La troisième décennie du 21ème siècle a prophétiquement commencé par une pandémie et une guerre, deux eschaton des plus puissants et des plus transfigurants, le second amplifiant l'impact mondial du premier, qui, à son tour, a accéléré des phénomènes en marche depuis un certain temps. La re-mondialisation. La redistribution et la dispersion de la puissance mondiale. La recompartimentation du système international en blocs.

La guerre en Ukraine et la pandémie C OVI D 19, en un mot, ont libéré ces forces révolutionnaires et déstabilisatrices, longtemps et durement maintenues sous le seuil de dangerosité par la superpuissance solitaire, les Etats-Unis, forces qui appellent au dépassement du moment unipolaire et, donc, à la fin de la Pax Americana belliqueuse. Et la restructuration de la géographie des pôles et des puissances au niveau international conduira inévitablement à un retour à l'âge des blocs.

Le monde à nouveau divisé en blocs

Le système international se trouve dans une situation qui mélange des éléments post-bismarckiens, c'est-à-dire l'effondrement progressif des architectures multilatérales et concertées, et des éléments post-hitlériens, c'est-à-dire la transformation d'une guerre mondiale par fragments en une guerre mondiale froide. Il s'agit d'une situation qui rend le présent très semblable, mais pas entièrement identique, au passé.

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Notre aujourd'hui est une collection d' "hiers" qui se sont produits entre 1890 et 1939, du déjà-vu. L'amitié sans frontière sino-russe dans une clé anti-américaine est l'actualisation hétérodoxe de l'Entente amicale franco-britannique dans une fonction anti-allemande. L'AUKUS et les différents pactes entre les sœurs de l'Anglosphère sont les équivalents contemporains du Grand rapprochement. Le rêve chinois de Xi Jinping est le remake jaune de la Weltpolitik de Guillaume II. La Russie est l'héritière intolérante d'un vaincu humilié par une défaite totale, dont elle voudrait réécrire certains termes, rappelant parfois le révisionnisme de l'axe Rome-Berlin.

Aujourd'hui, il s'agit d'une collection d'hiers qui se sont produits entre 1946 et 1954, pendant l'octennat transitoire qui a mené le monde vers la guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique. Guerres par procuration, coups d'État et insurrections ont ouvert la voie au grand affrontement hégémonique. Pactes, alliances, projets d'intégration économique et infrastructurelle, conférences internationales comme prélude à la partition du monde en trois sous-mondes, communément appelés blocs.

Les fonctions des blocs

Les blocs. Les guerres interétatiques n'auraient aucun moyen d'affecter l'ensemble du système international si les blocs, c'est-à-dire les alliances d'entraide et les systèmes mondiaux structurés, n'existaient pas, traversant les continents et les idéologies.

La fonction des blocs, à chaque époque, est toujours la même : être le bouclier et la lance de l'hégémon qui les commande. Ils ont été la raison, mais pas l'origine, des trois guerres mondiales du 20ème siècle - deux chaudes et une froide.

Aujourd'hui, sous l'impulsion de la pandémie de CO VI D 19 et de la guerre en Ukraine, la lithosphère connaît à nouveau une fragmentation en plaques. Les deux eschaton ont extraordinairement aggravé la compétition entre grandes puissances, comme l'emblématise l'accélération de phénomènes préexistants tels que le friend-shoring et le découplage sino-américain, donnant une impulsion décisive à la régression mondiale vers l'ère des blocs. Ils sont trois, pour être précis : l'Occident redécouvert, le Mouvement des non-alignés renaissant et la coalition anti-hégémonique sino-russo-iranienne émergente.

L'Occident, un géant aux pieds d'argile

Les États-Unis peuvent se targuer de contrôler un bloc homogène, l'Occident, qui se caractérise par un haut degré de cohésion politique, une proximité culturelle, un développement économique, une supériorité technologique et une systématisation militaire sans équivalent dans le monde - de l'OTAN aux accords bilatéraux de défense mutuelle et de coopération militaire.

L'Occident est un bloc transcontinental à plusieurs niveaux, barycentré entre l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale, mais s'étendant jusqu'à Tokyo et Buenos Aires, dont l'unité interne est garantie et consolidée par le partage de chaînes de valeur, de modes, de tendances, de culture pop, de réseaux sociaux, ainsi que par la présence de sous-alliances de nature variée. L'Occident est un bloc politique, militaire, économique, mais c'est aussi une forma mentis, un mode de vie. Identité et consommation.

Apparemment impénétrable, car fondé sur des valeurs non négociables, l'Occident est un bloc en proie à des limites et à des faiblesses, que le bloc sino-russe en gestation attaque à un rythme croissant depuis les années 2010, et dont la cohésion politique est superficielle. Des inimitiés et des rivalités menacent son intégrité, principalement la guerre souterraine entre Washington et Berlin, et des acteurs égocentriques, comme Budapest et Ankara, se prêtent, quand c'est leur intérêt, au jeu de l'axe Moscou-Pékin.

Le bloc qui ne veut pas être

Le cosmos du Mouvement des non-alignés, aujourd'hui comme hier, sera le principal champ de bataille des deux blocs, qui tenteront de courtiser, déstabiliser ou satelliser les périphéries, les pays géostratégiques et les marchés clés pour le sort de la nouvelle guerre froide.

Le bloc des neutres a historiquement servi de marché d'achat aux blocs belligérants. Car le non-aligné n'est, dans bien des cas, qu'un aligné potentiel qui attend la bonne offre. C'est en arrachant des pays comme l'Indonésie aux griffes du non-alignement socialiste que les Etats-Unis ont pu gagner la compétition avec l'Union soviétique.

La multi-vectorialité des petites et moyennes puissances du Sud mondial qui recherchent une plus grande autonomie vis-à-vis de leurs anciens maîtres peut être considérée comme un non-alignement 2.0. Arabie saoudite, Azerbaïdjan, Égypte, Inde, Kazakhstan, Serbie ; longue est la liste des acteurs qui tentent de se sortir du dilemme de l'alignement en choisissant de ne pas choisir : dialogue avec tous, alliance avec aucun.

Certains succomberont à la pression de voisins inconfortables, d'autres prendront la voie risquée de l'alignement avec des parrains lointains, et d'autres encore tenteront la voie innovante d'un nouveau bloc, égocentrique et identitaire, pour faire contrepoids aux trois dominants - le potentiel du pan-turquisme, symbolisé par le Conseil turc, du latino-américanisme et des panarabismes miniatures ne doit pas être sous-estimé.

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Le grand retour du Mouvement des non-alignés

L'héritier du Second Monde

La Russie, la République populaire de Chine et l'Iran, les trois principaux challengers des Etats-Unis (et de leur bloc), n'ont rien à voir avec l'Occident. Ils ont des sphères d'influence, des points de départ pour la construction de blocs et des projets d'intégration et de coordination ouverts quand à leurs voisins étrangers et quand à d'autres forces intéressées par le dépassement du moment unipolaire dirigé par l'Occident.

L'épigone hétérodoxe du Second Monde est l'ensemble des satellites et organes de l'axe Moscou-Pékin, auquel on pourrait ajouter la ramification iranienne. Mais contrairement au Second Monde de la mémoire belliciste, il s'agit d'un bloc à double orientation, désuni en interne, peu vertébré, culturellement divisé et dépourvu d'identité cyanoacrylate.

L'exacerbation de la concurrence entre les grandes puissances et le renforcement du double endiguement ont facilité l'effondrement de la méfiance sous-jacente et des hostilités ancestrales entre la Russie et la Chine, les incitant à amalgamer l'Union économique eurasienne et l'initiative "la Ceinture et la Route", à revitaliser et à élargir le format des BRICS - peut-être destiné à devenir l'antithèse du G7 -, à apporter leur soutien à l'Iran - un directeur adjoint de longue date qui s'est toutefois montré loyal en cas de besoin - et à investir davantage dans l'internationalisation de leur cause commune : la réforme structurelle du système international.

La guerre froide 2.0 et le destin du monde

Le conservatisme social - la lutte contre l'universalisme occidental -, l'anti-américanisme - la dédollarisation -, et le révisionnisme politique - la poursuite de la transition multipolaire - sont les moteurs du bloc sino-russo-iranien naissant et confus, que l'affirmation croissante de l'éternel Premier Monde encourage à devenir la réincarnation pantocratique du défunt Second Monde.

Le cauchemar de la géopolitique anglo-saxonne d'une grande alliance entre les puissances hégémoniques d'Eurasie dans une fonction anti-atlantiste devient lentement une réalité. L'anti-américanisme est la colle qui a uni les différences de Moscou, Pékin et Téhéran, et pourrait un jour être le casus foederis d'un bloc formel, antagoniste de l'Occident, désireux et capable de mener la bataille de la transition multipolaire comme un seul homme.

Il est peut-être minuit moins une. L'Iran est conscient de la signification profonde des Accords d'Abraham, qui ont surgi des cendres de l'OTAN arabe avortée. L'AUKUS, la radicalisation de la question de Taïwan et le déplacement progressif de l'orientation géostratégique de l'Alliance atlantique vers l'Est encouragent Pékin à appuyer sur l'accélérateur de la rupture de la chaîne d'îles. La Russie a définitivement dit adieu à la saison des compromis perdants-perdants en envahissant l'Ukraine.

Il est peut-être minuit moins une. Minuit du retour officiel à l'ère des blocs formellement opposés dans la guerre froide mondiale, qui a commencé en 1955 avec la conférence de Bandung et la naissance du Pacte de Varsovie. En attendant le carillon, que le Premier Monde tentera de retarder et/ou d'empêcher, nous sommes toujours en 1954 dans le monde.

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vendredi, 03 mars 2023

Etats-Unis, Russie et Chine : l'avenir de l'Ukraine passe par le "triangle des équilibres"

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Etats-Unis, Russie et Chine: l'avenir de l'Ukraine passe par le "triangle des équilibres"

Federico Giuliani

Source: https://it.insideover.com/guerra/usa-russia-e-cina-il-futuro-dellucraina-passa-dal-triangolo-degli-equilibri.html

La Chine a proposé sa solution politique pour la crise ukrainienne, en énumérant 12 points clés. Il ne s'agit pas d'un véritable plan de paix, comme l'ont qualifié certains commentateurs, mais plutôt d'une prise de position visant à exposer, une fois pour toutes, le point de vue de Pékin sur la guerre en Ukraine.

Parmi les propositions chinoises, le respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de tous les pays, un cessez-le-feu et la reprise des négociations. Mais aussi la fin des sanctions contre la Russie, le dépassement de la mentalité de la guerre froide, c'est-à-dire l'affrontement entre blocs idéologiques opposés. On ne trouve cependant pas de condamnation explicite de la soi-disant opération militaire spéciale lancée par le Kremlin, comme s'y attendaient plusieurs gouvernements occidentaux, ni de feuille de route pour faire de la paix une réalité.

Et dire que Volodymyr Zelensky avait initialement accueilli avec prudence le document chinois. "J'ai l'intention de rencontrer Xi Jinping. Ce serait important pour la sécurité mondiale. La Chine respecte l'intégrité territoriale et doit tout faire pour que la Russie quitte le territoire de l'Ukraine", a déclaré Zelensky lors d'une conférence de presse à Kiev.

Il semblait que l'intercession chinoise pourrait remuer les choses en vue d'une éventuelle reprise des pourparlers de paix. Puis quelque chose a changé en l'espace de quelques heures. L'enthousiasme s'est évaporé dès que Mykhailo Podolyak, conseiller principal de Volodymyr Zelensky, a rejeté la proposition "irréaliste" de la Chine pour mettre fin au conflit.

Selon Podolyak, Pékin ne devrait pas "parier sur un agresseur qui a violé le droit international et qui perdra la guerre". Le document chinois a également été accueilli froidement, alors que depuis des mois, les gouvernements occidentaux appelaient Xi Jinping à accroître la pression sur la Russie pour qu'elle cesse les hostilités.

La diplomatie de la Chine

Pourquoi la Chine n'a-t-elle pas publié un plan de paix, se contentant de rédiger un document explicitant sa position ? Pour le comprendre, il est essentiel d'expliquer le fonctionnement de la diplomatie chinoise, qui est très différente de celle adoptée par l'Europe et les États-Unis.

En effet, pour la Chine, la diplomatie n'est pas une négociation. Les responsables chinois soulignent que, toutes proportions gardées, les négociations entre gouvernements occidentaux aboutissent toujours à des principes de base par le biais de la négociation. Eh bien, pour Pékin, c'est exactement le contraire qui s'applique : il faut d'abord se mettre d'accord sur certains principes de base, puis la phase de négociation a lieu.

En d'autres termes, du point de vue chinois, toute négociation se déroule sur la base de principes préalablement convenus. C'est pourquoi la Chine a rédigé un tel document, dont les 12 points clés peuvent être lus comme des principes sur lesquels entamer des pourparlers de paix. En effet, selon la diplomatie chinoise, il serait insensé d'établir une feuille de route sans partager au préalable les règles du jeu, c'est-à-dire les principes de base susmentionnés relatifs à la question à résoudre.

Comme l'a souligné Henry Kissinger, alors que les pays occidentaux ont l'habitude de faire certaines concessions dans les négociations, la Chine met ses principes sur la table jusqu'à ce que l'autre partie accepte la ligne. Dans le sens du "mode de négociation aux caractéristiques chinoises", sans l'acceptation de principes communs, il ne peut y avoir de négociation.

Pour en revenir à la crise ukrainienne, on peut supposer que Pékin sera (éventuellement) plus précis lorsque et si les parties concernées décident de dialoguer sur les bases posées par la diplomatie chinoise.

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A la recherche d'un équilibre

Une fois cette réserve levée, il convient de se demander ce que la Chine cherche à obtenir. Pékin raisonne en termes de relations gagnant-gagnant, elle recherche un équilibre (réel ou supposé) avec tout interlocuteur et dans toute sphère. En d'autres termes, Xi Jinping ne veut pas aller trop loin dans le soutien aux causes de la Russie ni faire le contraire avec l'Europe et les États-Unis.

Nous pouvons penser à un triangle avec les Etats-Unis, l'Europe et la Russie aux sommets et la Chine au milieu. Chaque relation diplomatique chinoise avec chaque acteur doit être équilibrée, tout comme, idéalement, les autres relations des acteurs impliqués dans le dessin géométrique doivent également être équilibrées.

Pour l'instant, le Dragon préfère se concentrer sur l'amitié illimitée avec la Russie (attention : un partenariat, pas une alliance) car Moscou est la partie la plus déséquilibrée dans la relation avec les États-Unis et l'Europe. Lorsque et si le Kremlin rompt l'inertie et se place en position d'"avantage", Xi déploiera davantage d'efforts pour contrebalancer l'action russe.

L'avenir de l'Ukraine dépend de ce jeu complexe de miroirs et d'équilibres. Une réserve fondamentale demeure : sommes-nous sûrs que l'architecture diplomatique envisagée par la Chine convient également aux autres protagonistes de l'affaire ?  

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