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mardi, 15 septembre 2020

Armin Mohler

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Armin Mohler

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans un excellent livre, le deuxième tome de La Révolution conservatrice allemande. Sa philosophie, sa géopolitique et autres fragments (Éditions du Lore, 2018, 333 p., 28 €), Robert Steuckers revient à diverses reprises sur une personnalité exceptionnelle des idées outre-Rhin : Armin Mohler.

Né à Bâle en Suisse le 12 avril 1920 et décédé à Munich le 4 juillet 2003, Armin Mohler appartient à la génération fondatrice de la Neue Recht. Irrité par le conformisme petit-bourgeois helvétique, l’adolescent se rebelle et revendique un « radicalisme de gauche » qu’il jugera plus tard bien trop « communiste de salon ». Il se détourne toutefois assez vite de ce gauchisme puérile et montre un intérêt certain pour le national-socialisme. En février 1942, alors soldat, il déserte, franchit la frontière du Reich et veut rejoindre la Waffen SS. Reconnu inapte, il étudie pendant un an à Berlin l’histoire de l’art, puis retourne en Suisse où il est arrêté. Jugé, il écope d’un an de prison.

En 1947, il recense La Paix d’Ernst Jünger. Le texte attire l’attention de l’auteur d’Orages d’acier. Armin Mohler devient son secrétaire particulier de 1949 à 1953. Plus politique, Armin Mohler regrettera qu’Ernst Jünger se détache de son engagement national-révolutionnaire de l’Entre-deux-guerres. Entre-temps, il présente sous la direction de Karl Jaspers sa thèse de doctorat sur la Révolution conservatrice allemande que les éditions Pardès publieront en français en 1993.

51zWzYZusRL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgÀ partir de 1953, Armin Mohler s’installe en France. Il travaille pour les journaux allemands et suisses alémaniques Die Zeit, Die Welt et Die Tat. Il lit Maurice Barrès, Léon Bloy et Georges Sorel qu’il estime dans un livre de 2000 non traduit comme le « Grand-père » de la Révolution conservatrice. Ses amis se nomment Michel Mourre, le provocateur lettriste pré-situationniste, et le futur académicien José Cabanis. Revenu en Allemagne, Armin Mohler s’investit en politique. Ce directeur – gérant de la prestigieuse fondation Carl Friedrich von Siemens écrit pour les revues jeune-conservatrice Criticón de Caspar von Schrenk-Notzing, nationaliste Deutsche Nationale-Zeitung de Gerhard Frey et nationale-conservatrice Junge Freiheit de Dieter Stern. Il y tiendra longtemps une tribune bimestrielle : « Chronique de l’interrègne ». Récipiendaire malgré des polémiques fomentées par la gauche du Prix Conrad-Adenauer en 1967, il donne des cours à l’Université d’Innsbruck en Autriche. Proche du GRECE et d’Alain de Benoist, il collabore à Éléments et à Nouvelle École.

Dans la décennie 1960, Armin Mohler se rapproche du « Taureau de la Bavière », Franz Josef Strauss, le charismatique président de la CSU (Union sociale chrétienne). Rédacteur de ses discours, il tente de le conseiller en vain, car la CSU maintient des positions atlantistes et libérales. « Avec un homme de gauche, dit-il, je peux encore m’entendre, car il a souvent compris une partie de la liberté. Avec un libéral, il n’y a pas de compréhension possible. »

Favorable à la réconciliation franco-allemande, il développe un discours euro-gaullien. Admirateur du Général De Gaulle et des institutions de la jeune Ve République, il se prononce pour une Europe régalienne libérée de l’emprise des blocs occidental et soviétique. Ce lecteur assidu de Carl Schmitt recherche un vrai « ordre concret », récuse le romantisme politique, se méfie de l’écologie et se proclame « nominaliste ».

Ses analyses historiques contrastent avec le ronron intellectuel. Dans le court recueil Généalogie du fascisme français. Dérives autour du travail de Zeev Sternhell (Éditions du Lore, 2017) où l’on trouve aussi un texte dense et brillant de Robert Steuckers, Armin Mohler revient avec brio sur « Zeev Sternhell, nouvel historiographe du fascisme ». Son interprétation du fascisme n’est pas anodin. Dans un entretien accordé au Leipziger Volkszeitung des 25 et 26 novembre 1995, il voit dans le fascisme un existentialisme qui « résulte de la rencontre entre les déçus du libéralisme et les déçus du socialisme. C’est alors que naît ce que l’on appelle la Révolution conservatrice ».

Auteur dès 1958 d’un ouvrage précurseur sur La droite française, puis en 1974 d’un autre dont le titre fera bientôt fortune, Vu de droite, Armin Mohler préfère se dire « de droite » plutôt que « conservateur ». À la fin des années 1980, il aide le mouvement de Franz Schönhuber, Die Republikaner. S’il applaudit la réunification allemande de 1990, il œuvre pour réconcilier tous les Allemands. Il s’élève par conséquent contre la « repentance névrotique » permanente de l’Allemagne en histoire. Il s’oppose logiquement à d’éventuels procès de dirigeants de la République démocratique allemande.

Au soir de sa vie, malade, il approuve l’orientation de la revue Sezession de Götz Kubitschek. Or cette revue de grande qualité ne cache pas aujourd’hui sa proximité intellectuelle avec l’AfD et en particulier avec Der Flügel (« L’Aile »), le courant national-folciste du Thuringeois Björn Höcke, auto-dissous au début de cette année afin d’éviter les persécutions de l’actuelle police politique allemande. Par l’intermédiaire de Sezession, Armin Mohler a donc pu diffuser sa vision du monde. Celle-ci a enfin trouvé un terreau favorable dans les Länder de l’Est. C’est un nouvel exemple riche en promesses que, même disparus, certains penseurs continuent à influencer le monde.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 34, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 8 septembre 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

PS : Dernière chronique lue à l’antenne, car, victime d’une censure interne inacceptable, Thomas Ferrier arrête son émission. Merci, Thomas, de m’avoir permis de chroniquer en toute liberté quelques belles figures européennes. Le combat continue !

jeudi, 10 septembre 2020

Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen Vermächtnis eines Nationalisten

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Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen

Vermächtnis eines Nationalisten

von Uwe Sauermann

Ernst Niekisch (1889–1967) war ein politischer Denker und faszinierender Autor, der sich von der extremen Linken zum Visionär des deutschen Nationalismus entwickelte. Dennoch wurde er 1939 vom Volksgerichtshof zu einer lebenslangen Zuchthausstrafe verurteilt. Warum dieser Nationalist und zugleich Antifaschist mit Hitlers Nationalsozialismus kollidieren musste und heute noch Interesse verdient, geht aus diesem Buch „Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen“hervor. Er war ein „unbedingter“ Nationalist, der trotz gänzlich veränderter Umstände heutigen „Nationalkonservativen“ als Test für die Ernsthaftigkeit ihres Anliegens dienen und auch Linke verunsichern kann.

Armin Mohler: „Im vorliegenden Buch wird sichtbar, dass Sauermann sich mit einer Intensität, Ausdauer und Exaktheit in den Komplex Niekisch hineingearbeitet hat, die bisher noch kein anderer in dieses Thema investierte. Er hat die Wirkung Niekischs bis in die entlegensten Zeitschriften und politischen Gruppierungen hineinverfolgt – und das, ohne die großen Linien aus dem Auge zu verlieren, und mit einer erfreulichen Sicherheit in der Beurteilung von Personen und Situationen.

Ich habe mich seit meiner Jugend mit Niekisch befaßt und hielt mich immer für einen ganz guten Kenner dieses Mannes. Bei der Lektüre dieses Buches habe ich nicht nur viel hinzugelernt, sondern mußte auch einige liebgewordene Meinungen über Niekisch auf Grund von Sauermanns Beweisführung aufgeben oder doch zumindest nuancieren.

Das vorliegende Buch von Uwe Sauermann zeigt, daß man auch über sehr nahe und kontroverse Zeitgeschichte wissenschaftlich zu arbeiten vermag, wenn man, bei aller Engagiertheit, die eigenen Vorurteile zurückstellt und die Geduld aufbringt, sich um auch geschichtliche Vorgänge in ihrer Einzigartigkeit und steten Andersartigkeit zu kümmern.“

Über den Autor

Uwe Sauermann studierte in München und Augsburg Politische Wissenschaften, Neueste Geschichte und Völkerrecht. Seine Dissertation ist die hier vorliegende Schrift. Obwohl es danach mehrere Veröffentlichungen zu Niekisch gab, ist Sauermanns Werk bis heute die materialreichste und gelungenste Analyse von Ernst Niekischs Zeitschrift „Widerstand“. Uwe Sauermann war später für das öffentlich-rechtliche Fernsehen tätig. Er war schon vor dem Ende der DDR Korrespondent in Ost-Berlin und Leipzig, produzierte zeitgeschichtliche Filme und berichtete danach für die ARD u. a. aus Indien, Irak und Afghanistan.  Er lebt heute in Berlin.

ISBN 978-3-938176-81-8

464 Seiten, gebunden, fester Einband

Wenn Sie sich für „Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen“ interessieren, können wir Ihnen ebenfalls folgende Bücher empfehlen:

“Conservative Revolution” in England—a Sketch

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“Conservative Revolution” in England—a Sketch

Fergus Cullen

Ex: https://ferguscullen.blogspot.com

“Conservative Revolution” is a phrase unfamiliar to English politics (as self-identification) or to English scholarship (as well-defined category in the history of political thought).

C.R. in Germany originated as a self-identification (Dietz [b], n. 33 to chap. 1, pp. 215–6) tied up in a self-perception of “German uniqueness” (Sonderweg) (Mohler [b], part 2). That C.R. in Germany is as disputed—from without, in scholarship—as the nation’s “special path” (Klemperer) is a sign of the category’s potency.

Since C.R., rather than a narrowly- and contingently-delimited movement or ideology, is an “attitude” (Mohler [b], p. 229)—a setting oneself against “the Ideas of 1789” on the one hand, and the timidity of mere conservatism on the other—it ought to obtain, in potency if not in act, beyond Germany’s borders.

Dugin explores C.R. in Russia; Veneziani in Italy. Mohler (a) makes some suggestions re. France.

The possibility of C.R. in England was suggested first by Hoeres, then by Dietz (a). Hoeres suggests T. E. Hulme as a figure significantly analogous to German Conservative Revolutionists. Dietz (a) suggests that “neoconservative” Conservative Party circles around Douglas Jerrold and Charles Petrie might constitute an analogue to the Jungkonservativen (see Mohler [b], part 5.2).

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T. E. Hulme

Dietz revises his position slightly in (b), detailing “Neo-Tory” goings-on in and around the Conservative Party between the Wars. “Neo-Toryism,” in Dietz’s outline, is regrettably unknown by English politics (as self-identification) and scholarship (as well-defined and potent category). His analogies are worth developing; but he leaves valid analogies unmade. I’ll just sketch both here.

Mohler’s taxonomy (b, part 5):

(1) Young Conservatives;

(2) national-revolutionaries; and the

(3) folkish,

(4) “leaguish” and

(5) peasant movements.

English analogues:

(1*) Neo-Tories, sensu lato;

(2*) (rather lacking) fascists, and fascist-adjacent (Independent) Labour elements;

(3*) e.g., the English Mistery and Array;

(4*) e.g., the British Fascisti, and the Kibbo Kift;

(5*) e.g., Rolf Gardiner, H. J. Massingham, the Soil Association, etc.

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Within 1* one can distinguish those more strictly stuck to the Party (Neo-Tories) from more independent minds like the Hulme–Storer circle (influenced by Maurras, Lasserre and the Action Française), the Eliot circle (influenced by the A.F. and by Nationalist Spain), and the Nietzscheans Anthony M. Ludovici, J. M. Kennedy and George Pitt-Rivers. (In his absolute elevation from democratic politics, the latter three’s mentor Oscar Levy can at most be considered an outer limit of 1*. Another limit might be the “die-hard” peers—e.g., Willoughby de Broke—and their associates—e.g., Arthur Boutwood.) The proximity of 1 to 1* went so far as direct collaboration: e.g., Wilhelm Stapel’s contribution to the English Review (Dietz [b], p. 99).

Tories who went beyond sympathy to fascist collaboration or identification mark 1*’s shading into 2*. Mohler, approaching C.R. from within, and maintaining associations with post-War “mere conservatism,” must discount National Socialism from the C.R.’s ranks; though scholarship must feel free to count such defectors from (Independent) Labour to fascism as Oswald Mosley and John Beckett among 2*. Perhaps a Social Crediter like Ezra Pound might designate a limit?

imageshargrave.jpgIn which case, with John Hargrave (photo), of the Kibbo Kift, and then the Green Shirt Movement for Social Credit, and with Rotha Lintorn-Orman, in her move from pioneering Girl Guide to British Fascist, 2* shades into 4*. Rolf Gardiner is an emblematic figure here. Born in Berlin, and a writer in German, he was a conduit for Bündische ideas.

Gardiner was also a correspondent of Walther Darré, and equally emblematic of 5*. There was no true Landvolkbewegung in England. 5* could only ever be an agrarian Conservative Revolution “from above.” Middle-class romanticism re. “Merry England” and “the land” were inextricably involved. Henry Williamson might mark an outer limit; while a collaborator with Mosley, he was basically unpolitical. The modern organic movement’s roots are, via Jorian Jenks, Gardiner and the Soil Association, to be found in 5*.

As for 3*, this is more a theme than a distinct current. A folkish organisation like the English Mistery really belongs to 1*.

Photo: Oscar Levy

2741114.jpgThe influence of Nietzsche is almost as important in England as in Germany. Levy’s “Nietzsche Movement in England” is a C.R.-adjacent current. Ludovici began in Levy’s movement to become important within the English Mistery, as well as the illiberal wing of the eugenic movement. An overlooked aspect of Hulme qua philosopher is his similarity to Nietzsche (in “Cinders,” especially). A feature shared by many of the sects thrown together in the pages of The New Age—Social Credit, Toryism, Marxism, guild socialism, Fabianism, Gurdjieffism, etc., etc.—is an interest in Nietzsche.

This latter indicates the proximity of C.R.E. to what was called “Lebensreform” (life-reform) in the German case (Mohler [b], p. 59, f.). That is, an arguably utopian, though frequently illiberal, will to seize and mould human life itself. See also Gardiner’s, and the eugenicist Caleb Saleeby’s, advocacy for nudism. Re. the suffragette–fascist “pipeline,” take Mary Richardson, Mary Sophia Allen, etc.

The “Generation of 1919” (Moeller van den Bruck: ibid.,, p. 86) energized the C.R. in England as in Germany. See Dietz (b)’s discussion of “the War books controversy” (part 3.1.3., p. 36, ff.). T. E. Hulme’s anti-pacifism is another case in point. Pound was a latecomer: compare “Mauberley” (“E.P. Ode,” IV–V) to, e.g., Cantos XXX, LXXII–III.

Revolted as they were by the Ideas of 1789, the bourgeois revolution in England came a century earlier. The “Glorious Revolution” (sic…the “Inglorious Rebellion,” Jerrold’s term, is rather better) was denounced by Neo-Tories as the ruination of Merry England (Dietz [b], part 3.2.2); Pound’s Ghibellinism (see Cantos LXXII–III), and the conversion to Catholicism (or High-Church Anglicanism) of, e.g., Arnold Lunn and T. S. Eliot, express the same anti-bourgeois, neo-Mediaeval tendency. Consider in this connection the neo-Mediaevalism of guild socialist and New Age-contributor A. J. Penty. The Arts and Crafts movement—qua Lebensreform!—is an important foreshadow of the C.R.E.

Note. A thorough survey of the Conservative Revolution in England (provisionally 1910–39) is my ongoing project. I shall writing more—much more, I hope—on the subject.

Bibliography

Bernhard Dietz (a), “Gab es eine ‘Konservative Revolution’ in Grossbritannien?” Vierteljahrshefte für Zeitsgeschichte, 54 (2006), pp. 607–37.

— (b), Neo-Tories (London: Bloomsbury, 2018).

Aleksandr Dugin, Konservativnaia revoliutsiia (Moscow: Arktogeia, 1994).

Peter Hoeres, “T. E. Hulme,” Zeitschrift für Politik, 55 (2003), pp. 187–204.

Klemens von Klemperer, Germany’s New Conservatism (Princeton: Princeton U. Press, 1968).

Armin Mohler (a), interview with Éléments, 80 (1994).

— (b), Conservative Revolution in Germany (Whitefish: Radix, 2018).

Marcello Veneziani, La rivoluzione conservatrice in Italia (Milan: Sugarco, 1994).

mercredi, 09 septembre 2020

En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans ! Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

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En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans !

Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

Par Karlheinz Weißmann

A Rottingdean, un petit port sur la côte du Sussex, il n’est guère aisé de trouver une place de parking. Finalement, nous avons pu garer la voiture à proximité de l’église Sainte-Marguerite où l’on peut admirer quelques magnifiques vitraux du pré-raphaëlite Edward Burne-Jones.

Quelques secondes avant que je ne franchisse le portail d’entrée, j’ai saisi mon portable dans le fond de ma poche pour l’éteindre. Mais mon regard tomba sur un bref indice annonçant une nouvelle « Vision de l’ennemi chez Mohler dans le dernier Die Zeit ». Je n’ai pu résister : Burne-Jones pouvait attendre ; je voulais d’abord savoir ce que ce message et sa pièce jointe contenaient.

Il s’agit d’un texte de l’hebdomadaire Die Zeit (édition du 7 juillet 2016), écrit par un journaliste connu, Volker Weiss, sur Armin Mohler, « père fondateur » de la « nouvelle droite ». Ce concept, dans cet article, recouvrait tout : de Pegida à Junge Freiheit, des hommes vêtus dans le style Oxford-Karo aux identitaires, de l’AfD à une « boite à penser » de la Saxe-Anhalt.

indexamges.jpgCe n’était pas une crise, ce n’était pas un problème concret, ce n’était pas davantage une analyse de la situation qui avait généré ces phénomènes politiques. Ils ne devaient leur émergence et leur succès qu’au seul effet de la pensée du défunt Armin Mohler. Or celui, ajoutait le rédacteur de Die Zeit, n’avait rien d’un penseur original. Car Mohler n’avait fait que recycler le « nationalisme folciste » du temps de la République de Weimar. Bien sûr, les protagonistes actuels de la « nouvelle droite » n’atteignaient plus le niveau des Moeller van den Bruck, Oswald Spengler, Carl Schmitt ou Ernst Jünger. Mais, voilà, elles avaient mûri les graines que Mohler, avec son livre Die konservative Revolution in Deutschland, avait semées.

Beaucoup de noms ont été oubliés, sauf le sien…

Si Mohler avait encore vécu, il aurait été transporté d’enthousiasme et plus encore par l’illustration du texte que par le texte lui-même. Cette illustration montrait un Mohler relativement jeune, le mégaphone à la main, qui, apparemment, agitait les masses qui envahissaient les rues en brandissant des drapeaux bleus de l’AfD, des bannières noir-rouge-or, des drapeaux de Wirmer (celui que Stauffenberg avait fait sien, ndt) et des bannières de guerre de l’ancien Empire, pour refuser l’islamisation et pour envoyer Merkel au diable.  Mohler se serait jeté sur la page du journal, muni d’une paire de ciseaux et d’un bâton de colle, pour en tailler des versions photocopiables au format DINA4, pour les compléter de quelques remarques, à l’encre ou au marqueur et les envoyer par voie postale à ses amis, ses connaissances et ses sympathisants.

Cela n’a pas pu se passer : Armin Mohler, né il y a plus de cent ans à Bâle, le 12 avril 1920, est mort le 4 juillet 2003 à Munich. Mais les idées qu’il a lancées ont effectivement de l’effet encore et toujours. Non pas exactement à la façon dont se l’imaginent ce monsieur Weiss, les antifas, les libéraux trouillards et les théoriciens bien installés qui glosent à qui mieux-mieux sur la démocratie mais elles ont de l’effet, de l’influence, bien davantage que ne le croient ceux qui ne raisonnent qu’en termes de gros tirages et de maisons d’éditions bien situées.

C’est certain : dans l’après-guerre, il y a eu d’autres intellectuels de droite ou des conservateurs plus fins que Mohler, plus éprouvés, qui écrivaient encore des best-sellers ou qui, d’une manière ou d’une autre, parvenaient à réussir une carrière universitaire. Hélas, ces conservateurs chevronnés, plus personne ne les connait. Leurs noms sont oubliés, leurs livres n’ont été que des succès momentanés, leurs idées sont devenues anachroniques, n’ont pas eu vraiment de l’importance, n’ont eu aucune influence sur les mouvements intellectuels.

1cff9242069970646420f65ae437f75b.jpgOn devra toutefois constater que Mohler n’a laissé qu’un petit nombre d’écrits réellement personnels : on citera, outre son œuvre principale consacrée à la révolution conservatrice, Was die Deutschen fürchten et Die Vergangenheitbewältigung ; mais il ne faut pas oublier, qu’à côté de ces livres-là, il y a eu toute une série d’essais qui ont sans nul doute laissé, chez leurs lecteurs, des impressions bien plus fortes comme, par exemple, Der faschistischen Stil ou Liberalenbeschimpfung.

Il avait une tendance à collectionner les papiers…

Au cours des dernières décennies de son existence, Mohler n’a pas vraiment écrit d’épais volumes. Cela ne s’explique pas seulement par le fait que la « petite forme » lui plaisait davantage ou parce qu’il avait une propension frénétique à rechercher et à collectionner vieux papiers et grimoires, activités qui ont exigé leur tribut sous forme de « temps de vie ». On peut aussi l’expliquer par le fait qu’il ne pouvait plus rien publier dans un cadre qu’il jugeait adéquat.

Pour comprendre cela, il faut se rappeler dans quelle mesure, en tant que très jeune homme puis en tant qu’homme un peu plus âgé, il plaçait un grande confiance en la protection. C’était vrai dès sa rupture avec les gauches, après l’échec de sa tentative aventureuse de s’engager comme volontaire dans la Waffen-SS pour participer au combat planétaire de la « nouvelle Europe » contre le bolchevisme.

Mais ce fut d’autant plus vrai au début de sa carrière en Allemagne, quand il fut le secrétaire d’Ernst Jünger ou quand il devint dans les années 50 le correspondant de plusieurs journaux en France, dont Die Zeit. Bien entendu, cela valait aussi quand il reprit la tâche de diriger la Fondation Siemens après son retour en Allemagne.

Le recul prudent de bon nombre de ses disciples l’a beaucoup déçu

Très tôt, Mohler acquit la réputation d’être un « enfant terrible ». C’est justement cette réputation qui a éveillé l’intérêt d’un certain public, après l’effondrement d’un « Etat commissarial » et la poursuite de l’existence menaçante d’un autre, a acquis une conscience bien claire de ce que signifient la liberté d’expression et la pluralité des opinions.

Les débats, au cours des décennies de l’après-guerre, étaient encore ouverts, d’une ouverture que l’on imagine à peine aujourd’hui. Des hommes et des femmes de vues différentes s’y exprimaient ; des conservateurs et des libéraux, des « Carolingiens » et des nationaux, des croyants et des athées, des catholiques et des existentialistes. Dans des questions comme l’armement atomique ou les liens transatlantiques, lorsque quelqu’un comme Mohler intervenait et prenait une position originale, on considérait que c’était un enrichissement du débat et non pas un danger pour le consensus ou le départ d’un processus menaçant la cohésion de la société.

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Mohler a compris petit à petit que cette situation changeait fondamentalement. La révolte étudiante des années 60, il l’a décrite avec suffisance, au départ, bien qu’avec une certaine bienveillance pour la révolte de la jeune génération. D’après lui, le problème n’était pas de voir la gauche sur les barricades mais la masse des bourgeois lâches qui préféraient se retirer de tout plutôt que d’engager la lutte.

Mohler refusait de croire que les « Secondes Lumières », telles qu’elles se proclamaient, allaient tenir le haut du pavé pendant longtemps. Il ne croyait pas davantage que les portes, qui étaient fermées pour lui, resteraient verrouillées à jamais. Le projet de la revue Criticon, qu’il lance en 1970 avec son ami Caspar von Schrenck-Notzing, s’est constitué par les deux hommes imaginaient que le roll back n’allait pas durer.

L’influence de ses textes demeure

Cet espoir s’est avéré faux. Par voie de conséquence, Mohler a dû se contenter de Criticon et des petites maisons d’édition de la mouvance droitière. Ce fut une ombre qui assombrit ses vieilles années. A cela se sont ajoutés la déception quant à l’échec d’une carrière universitaire et l’abandon de ses disciples qui se cherchaient une niche ou qui abjuraient leurs convictions. Sur le plan personnel, ce fut bien amer, surtout que cela entraînait, lui semblait-il, une rupture dans la continuité.

Mais Mohler ne s’est pas résigné. A sa façon particulière, à sa manière inhabituelle, il tenté de définir ce qu’était « être de droite ». Ce qui unit cette mouvance de droite, c’est le sentiment tragique de la vie, lequel induit une dialectique particulière : « La différence la plus fondamentale entre un homme de gauche et un homme de droite réside en ceci : l’homme de droite a toujours conscience de sa finitude. C’est ce qui le retient de formuler de grands projets irréalisables et d’esquisser des utopies à l’infini comme le fait allègrement l’homme de gauche. Cependant, conscient de sa finitude, il veut expérimenter la naissance nouvelle, la création nouvelle, il s’engage sans arrière-pensées à façonner des visions synthétiques, bien centrées sur elles-mêmes, qu’il oppose au chaos. La différence entre gauche et droite n’est donc pas la différence entre pessimisme et optimisme ».

unnamedamej.jpgSi l’on cherche à expliquer ce qu’il reste de la pensée de Mohler, alors il faut laisser tomber ce qu’il a souvent lui-même (et aussi ses adversaires) mis au centre de ses préoccupations. Son « nominalisme » n’avait guère de consistence tout comme sa critique du christianisme, sa vision « technocratique » n’a nullement été une solution pour la mouvance conservatrice, son orientation « gaullienne » n’a quasi convaincu personne. En revanche, ce qui est incontournable dans sa manière de saisir le monde, c’est son analyse de « la période axiale du conservatisme ».  

Comme jadis, il vaut toujours la peine de lire ses analyses de la Vergangenheitsbewältigung en Allemagne, soit le processus de dégager par une propagande et une métapolitique systématique les Allemands de leur passé. De même il faut toujours lire sa définition réalitaire  du politique à la manière de Carl Schmitt. Poser ce constat revient à souligner que l’influence de penseurs comme Mohler ne peut être mesurée par le simple fait que quelqu’un se penche sur les éditions de ses livres. L’influence d’un homme comme Mohler est une influence qui découle de la lecture de ses travaux, ce que Mohler, lui-même un lecteur insatiable, a toujours souligné.

Voilà pourquoi il faut s’attendre, aujourd’hui, à trouver dans un restaurant de Berlin, un jeune homme bien entraîné physiquement, portant une barbe fournie et bien soignée, du genre hipster qui se présente dans la conversation : il a servi dans les unités du  KSK, a ensuite travaillé quelques années dans le domaine de la sécurité ; puis, quand on lui pose la question de savoir ce qui l’amène dans un cercle néo-conservateur comme le nôtre, il nous répond avec un petit sourire : « Ah, je vais vous le dire, quand j’avais seize ans, un livre d’Armin Mohler m’est tombé entre les mains ».

Armin Mohler / Karlheinz Weißmann: Die Konservative Revolution in Deutschland 1918–1932. Ein Handbuch. Ares-Verlag, 2005, gebunden, 643 Seiten, 49,90 Euro

 

jeudi, 27 août 2020

Zur Nietzsche-Rezeption Arthur Moeller van den Brucks

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Armin Thomas Müller:

Zur Nietzsche-Rezeption Arthur Moeller van den Brucks

 
Vortrag an der Universität Freiburg, Februar 2017
 

"Julien Freund: testigo del siglo XX" con Jerónimo Molina

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Entrevistas por el mundo:

"Julien Freund: testigo del siglo XX" con Jerónimo Molina

 
Hablamos con el profesor de la Universidad de Murcia, Jerónimo Molina Cano sobre la vida y la obra de Julien Freund.
 
Jerónimo Molina Cano es un polemólogo e historiador de las ideas políticas y jurídicas.
 
 
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mercredi, 26 août 2020

Droit et démocratie chez Carl Schmitt. Avec Ninon Grangé, Rainer Maria Kiesow, Daniel Meyer et Augustin Simard à la Maison des Sciences de l'Homme

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Droit et démocratie chez Carl Schmitt. Avec Ninon Grangé, Rainer Maria Kiesow, Daniel Meyer et Augustin Simard à la Maison des Sciences de l'Homme.

Durée : 1 heures 43 minutes 4 secondes

Pour écouter: http://ekouter.net/droit-et-democratie-chez-carl-schmitt-avec-ninon-grange-rainer-maria-kiesow-daniel-meyer-et-augustin-simard-a-la-maison-des-sciences-de-l-homme-5181#

Description :
Quatre livres de ou sur Carl schmitt on été récemment traduit en français : La loi désarmée. Carl Schmitt et la controverse légalité/légitimité sous Weimar (Augustin Simard, Éditions de la MSH, 2009), Légalité et légitimité (Carl Schmitt, traduit par Christian Roy&Augustin Simard, Éditions de la MSH, 2016), Loi et jugement. Une enquête sur le problème de la pratique du droit (Carl Schmitt, traduit de l'allemand et présenté par Rainer Maria Kiesow, Éditions de l’EHESS, 2019) et Carl Schmitt. Nomos, droit et conflit dans les relations internationales (Ninon Grangé, PUR, 2013).


C'est donc à une rencontre sur l'histoire politique des concepts du droit (légalité/légitimité, loi/jugement, etc.) (re)pensés par Carl Schmitt et étroitement liés au constitutionnalisme que nous avons droit, en compagnie des auteurs et traducteurs des livre pré-cités, qui s'avèrent être également parmi les meilleurs spécialistes au plan international de l'œuvre du plus grand juriste allemand du XXe siècle.

jeudi, 13 août 2020

Futur Imparfait : Ernst Jünger

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Futur Imparfait : Ernst Jünger

Le roman Héliopolis d'Ernst Jünger

Ernst Jünger imagine dans son roman dystopique Héliopolis paru en 1949, un dispositif mobile. Le phonophore est bien un concept de smartphone avec toutes les possibilités et les usages contemporains : « Transmet les programmes de tous les émetteurs et des agences d’informations, académies, universités, ainsi que les émissions permanentes de l’Office du Point et des Archives centrales. Permet de consulter tous les livres et tous les manuscrits, si du moins les archives centrales en ont pris en enregistrement sonore et que l’Office du Point les a mis dans son catalogue; peut se brancher sur les théâtres, concerts, bourses, tirages de loterie, assemblées, bureaux de vote et conférences, et peut faire l’office du journal, d’agence de renseignement idéale, de bibliothèque et d’encyclopédie. Met en communication avec tout autre phonophore au monde.»

samedi, 01 août 2020

Notes on Schmitt’s Crisis & Ours

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Notes on Schmitt’s Crisis & Ours

131214840-carl-schmitt.jpgLike many of his books, Carl Schmitt’s The Crisis of Parliamentary Democracy (1923) is a slender volume packed with explosive ideas.[1] [2] The title of the English translation is somewhat misleading. The German title, Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus, is more literally rendered The Intellectual-Historical Position of Contemporary Parliamentarism. But the word “crisis” is still appropriate, because parliamentary democracy in Weimar Germany really was in crisis. Moreover, Schmitt’s diagnosis of the cause is of permanent value, because all parliamentary democracies have the same basic weakness.

By “contemporary” parliamentarism, Schmitt specifically means “liberal-democratic parliamentarism.” Let’s define these terms.

Schmitt does not think that voting is essential to democracy. Democracy is simply the idea that a government is legitimate if it expresses the will of the people, the demos. But Schmitt recognizes that a dictator can sometimes express the will of the people better than the people can at the ballot box or their representatives can in parliament (p. 28).

This is because the will of the people is not necessarily what the people happen to want at the moment they cast their votes. Instead, it is what people really want, which basically means what they ought to want, on the Socratic assumption that what we really want is the good. If we all want the good, but some of us are mistaken about what the good is, then it is possible that someone else—say, a dictator—might know what the people want better than they do.

For convenience, I am going to call what the people really want—and ought to want—“the common good,” although Schmitt does not use this language.

Schmitt is not really clear about what is essential to liberalism. He claims that the separation of powers, open parliamentary debate, and a free press are essential to liberalism (p. 3). But these are just manifestations of the underlying liberal motive, which is the protection of individuals from state power. Liberals believe that all individuals have rights that exist prior to society and argue that individual rights should trump appeals to the common good.

Liberals have many opinions about the common good. Some deny that it exists. Others think it exists but is unknowable. Others claim that it exists and can be known, but it cannot be secured by state action. Therefore, the best we can hope is that the common good somehow emerges as the unintended consequence of individuals and groups selfishly pursuing their private interests. Still other liberals might think that the common good is real, knowable, and securable by the state, but that individual rights always have a superior claim.

Democracy is not necessarily liberal. Democracy can justify virtually any state action by appeals to the common good, especially in emergencies. Liberalism is not necessarily democratic, because monarchical regimes can also secure individual rights. For instance, Thomas Mann rejected the Weimar Republic for monarchy on essentially liberal grounds: “I want the monarchy. I want a passionately independent government, because only it offers protection for freedom in the intellectual as well as the economic sphere. . . . I don’t what this parliament and party business that will sour the whole life of the nation. . . . I don’t want politics. I want competence, order, and decency.”[2] [3]

Schmitt does zero in on the essence of parliamentarism, which is talk. The very word parliament comes from the French parler, to speak, and refers to arriving at government decisions—executive, judicial, and above all, legislative—by means of discussion (p. 5). Parliament is, therefore, essentially pluralistic, whereas a monarchical regime or a democratic dictatorship has a unitary decision-maker.

9783428154647.jpgThe rationale for making decisions in parliament, as opposed to reposing them in the hands of a single man, is that even the wisest man may benefit from hearing other points of view. We are more likely to arrive at the best possible decision if a number of people bring different perspectives and bodies of knowledge to the table. But the process only works if all parties are open to being persuaded by one another, i.e., they are willing to change their minds if they hear a better argument. This is what argument in “good faith” means, as opposed to merely shilling for a fixed idea.

Although Schmitt does not use this language, we can speak of parliament as an edifying institution, meaning that participation in parliamentary debate helps us improve ourselves by replacing personal opinions with common truths. But good-faith participation in parliamentary dialogue requires a constant effort to transcend selfish attachments to one’s own ego, opinions, and interests in order to serve the common good. Such public-spiritedness and objectivity are rare and precious virtues, the products of a rigorous form of education. We’re not all born that way.

Parliamentarism is not necessarily democratic, because even monarchical regimes can have parliaments. Democracies are not necessarily parliamentary, because the will of the people can be carried out by a dictator (pp. 16, 32). Parliamentarism is not necessarily liberal, because monarchies and democracies can be parliamentary without granting individual rights against the state. And liberalism need not be parliamentary, since monarchical and dictatorial regimes can protect individual rights.

Because liberalism, democracy, and parliamentarism don’t necessarily entail one another, liberal-democratic parliamentarism is a synthesis that is prone to instability and crisis. Specifically, Schmitt argues that parliamentary democracy is undermined by liberalism.

Schmitt does not openly state his own preferences, but he seems to favor the democratic idea of legitimacy. He also argues that parliamentary democracy can work, but only under certain conditions. One of the central problems of politics is maintaining the unity of society. When unity fails, we face one of the greatest political evils: civil war. Given the importance of unity, it seems risky, even reckless, to bring a plurality of voices and interests into the very heart of the state and encourage them to debate about the common good. But that is the essence of parliamentarism.

According to Schmitt, a society can risk parliamentary debate only if two important conditions are met.

First, the differences between the various parties need to exist against a backdrop of relative homogeneity, the more homogeneity the better: of race, culture, language, religion, manners, and morals (p. 9). Thus the people and their government will remain one, even if parliament is deeply polarized over a particularly thorny issue like slavery or abortion.

Second, even within largely homogeneous societies, the franchise is generally limited to a particular subgroup—such as male property owners—to increase the quality of electoral decision-making. This increases the homogeneity of decision-makers even further. In short, a society can afford to enshrine disagreement in the heart of its government only when everyone is pretty much the same, thus the unity of society is not at risk.

Schmitt argues that liberalism undermines parliamentary democracy because of “the contradiction between liberal notions of human equality and democratic homogeneity” (p. 15). Parliamentary democracy presupposes a certain kind of equality that Schmitt characterizes as “substantial,” meaning simply the homogeneity of the society at large and of the electorate in particular (pp. 9, 10, 15). Liberalism undermines substantive equality with its abstract and universal equality. Liberalism sees no reason to confine democracy to a single society or to a single stratum within a society. Thus it lobbies to abolish the distinction between citizen and foreigner and to broaden the franchise as much as possible, regardless of sex, education, age, or intelligence.

9782713227714-475x500-1.jpgLiberalism’s abstract egalitarian zeal has never resulted in a global liberal democracy or the enfranchisement of every infant or imbecile (p. 16). Indeed, such goals are impossible. But it has undermined the conditions that make good-faith parliamentary discussions possible.

As the diversity and inclusiveness of a society increase, the voices and interests represented in parliament become increasingly diverse as well. Too much diversity, however, makes it difficult to arrive at any sort of consensus. There are too many shades of opinion to reconcile, too many interests to accommodate.

To reach any agreement at all, parliament can no longer be an edifying institution, in which people grow by exchanging opinions for truth. Instead, it must become a very different kind of institution, in which people no longer seek to transcend what economists call “given preferences.” Instead, they seek simply to satisfy their given preferences through trade (p. 6). Parliament, in effect, becomes a marketplace where agreement is based not on arriving at a common truth about the common good, but simply arriving at an exchange that satisfies the private interests of all parties. And, since in trade, the highest bidder takes the prize, the more liberal a parliamentary democracy is, the more oligarchical it becomes.

Of course, liberal democracies don’t dispense entirely with parliamentary debate. Instead, they turn it into a farce. The sordid little deals that allow liberal democracy to “work” are still, technically, “corruption” and “bad faith.” Thus they cannot be struck in public debate in the parliamentary chamber. Instead, they are made in the antechamber, the proverbial “lobby” (p. 7). Lobbying takes place behind closed doors: in secret committees, private clubs, discreet dinners, and other smoke-filled rooms. What’s more, everybody knows it, and as this cynicism spreads, the legitimacy of liberal democracy collapses, people start looking for alternatives, and a crisis is at hand.

It is important to note that the essential weakness of liberalism is not just its abstract and universalistic notion of equality. Another factor is its conception of rights and interests as essentially private and material, as opposed to the idea of the common good.

One can imagine a liberal parliamentary democracy without the reckless abstract and universalist egalitarianism that abolishes borders and standards for the franchise. But absent a robust conception of the common good, liberalism’s essentially private and material concept of political rights and interests will inevitably lead to political corruption, cynicism, and collapse, as the nation’s material patrimony is privatized and its spiritual patrimony is allowed to simply rust away and be replaced with global consumer crap culture.

Liberal democratic politicians have long been infamous for their anti-intellectualism, casual corruption, and cowardice. This follows directly from bourgeois liberalism, which conceives of all interests as essentially private and material, differing only in degree, and thus accommodatable through exchange. The idea of absolute differences of principle seems to them like a dangerous form of fanaticism, but bourgeois politicians are eager to appease such fanatics, most of whom are found on the Left. This is why bourgeois societies continually drift to the Left.

Schmitt argues that the crisis of liberal democracy opens the door to a takeover by the Left. Hence chapter 3 of his book treats “Dictatorship in Marxist Thought” and chapter 4 discusses “Irrationalist Theories of the Direct Use of Force,” focusing mainly on French syndicalist Georges Sorel. But in chapter 4, Schmitt also holds out the possibility of an equally vital Right-wing alternative to liberal democracy.

Georges_Sorel_(cropped).jpgSchmitt isn’t always forthcoming about his own political preferences, but sometimes his rhetoric tips his hand. The first three chapters of Crisis are quite dry, and Schmitt’s arguments only really come into focus in the 1926 Preface to the Second Edition. But chapter 4 crackles with enthusiasm as Schmitt discusses Sorel’s Reflections on Violence, as well as Russian anarchist Mikhail Bakunin, French anarchist Pierre-Joseph Proudhon, and Spanish Catholic reactionary Juan Donoso Cortés. Then Schmitt ends by arguing that nationalism and fascism are more consistent with Sorel’s ultimate premises than are Communism, socialism, or anarcho-syndicalism.

Anarchism derives from the Greek anarchia (ἀναρχία), meaning the lack of an arche (ἀρχή ) or first principle.  For Bakunin and Proudhon, anarchism is not simply a rejection of top-down political order, but a rejection of a metaphysical first principle (God) and an epistemological first principle (reason). Anarchism replaces top-down political order with spontaneous, bottom-up, social self-organization. God is replaced by the dynamism of nature. Reason and science are replaced with animal vitality, spontaneity, imagination, art, and action. For Sorel, the opposite of rational self-possession is the enthralling power of myth and the spontaneity of action, especially violence that both expresses and releases vital energies by smashing the political and economic machines of priests, kings, and capitalists. To give you a sense of his style, I am going to quote Schmitt’s summary of Sorel’s thinking at length:

. . . Its center [i.e., the center of Sorel’s theory] is a theory of myth that poses the starkest contradiction of absolute rationalism and its dictatorship, but at the same time, because it is a theory of direct, active decision, it is an even more powerful contradiction to the relative rationalism of the whole complex that is grouped around conceptions such as “balancing,” “public discussion,” and “parliamentarism.”

The ability to act and the capacity for heroism, all world-historical activities reside, according to Sorel, in the power of myth. . . . Out of the depths of a genuine life instinct, not out of reason or pragmatism, springs the great enthusiasm, the great moral decision, and the great myth. In direct intuition, the enthusiastic mass creates a mythical image that pushes its energy forward and gives it the strength for martyrdom as well as the courage to use force. Only in this way can a people or class become the engine of world history. Wherever this is lacking no social and political power can remain standing. And no mechanical apparatus can build a dam if a new storm of historical life has broken loose. Accordingly, it is all a matter of seeing where this capacity for myth and this vital strength are really alive today. In the modern bourgeoisie, which has collapsed into anxiety about money and property, in this social class morally ruined by skepticism, relativism, and parliamentarism, it is not to be found. The governmental form characteristic of this class, liberal democracy, is only a “demagogic plutocracy.” Who then, is the vehicle of great myth today? Sorel attempted to prove that only the socialist masses of the industrial proletariat had a myth in which they believe, and this was the general strike. . . . It has arisen out of the masses, out of the immediacy of the life of the industrial proletariat, not as a construction of intellectuals and literati, not as a utopia; for even utopia, according to Sorel, is the product of a rationalist intellect that attempts to conquer life from the outside with a mechanistic scheme.

From the perspective of this philosophy, the bourgeois ideal of peaceful agreement, an ongoing and prosperous business that has advantages for everyone, becomes the monstrosity of cowardly intellectualism. Discussing, bargaining, parliamentary proceedings appear a betrayal of myth and the enormous enthusiasm on which everything depends. Against the mercantilist image of balance, there appears another vision, the warlike image of a bloody, definitive, destructive, decisive battle (pp. 68–69)

Sorel claims that the myth that animates the proletariat is “the general strike” in which the entire proletariat brings the economy to a halt until its demands are met.

1313074-Pierre_Joseph_Proudhon.jpgSchmitt then hastens to add that a similar vision of a bloody final reckoning was found on the Right: “In 1848 this image rose up on both sides in opposition to parliamentary constitutionalism: from the side of tradition in a conservative sense, represented by a Catholic Spaniard, Donoso Cortés, and in radical anarcho-syndicalism in Proudhon. Both demanded a decision. . . . Instead of relative oppositions accessible to parliamentary means, absolute antitheses now appear” (p. 69). But the tireless talk of bourgeois parliamentarians is all about evading the necessity of decision in the face of hard either/ors, about evading the existence of real enmity. “In the eyes of Donoso Cortés, this socialist anarchist [Proudhon] was an evil demon, a devil, and for Proudhon the Catholic was a fanatical Grand Inquisitor, whom he attempted to laugh off. Today it is easy to see that both were their own real opponent and that everything else was only a provisional half-measure” (p. 70). Schmitt clearly hungers for a similar clarity in Weimar and saw the rise of Fascism in Italy as the present-day nemesis of the Left.

Donoso Cortés was at heart a backwards-looking, reactionary monarchist. But Schmitt does not mention here that Donoso Cortés believed that monarchy no longer really existed. There were still kings, but even they did not believe in the legitimacy of monarchy. Instead, the fount of political legitimacy had passed to the people. Thus Europe’s remaining monarchs simply followed liberal democrats, who in turn followed the far Left: “Only in socialism did he see what he call instinct (el instinto) and from which he concluded that in the long run all the parties were working for socialism” (p. 70). Unfortunately, the Left was leading the entire world to perdition.[3] [7] Thus, Donoso Cortés embraced the idea of a reactionary dictatorship not merely to protest or retard but to reverse the “progress” of the Left. He was, therefore, something of a forerunner of modern Fascism, which Schmitt discusses in the conclusion of his book.

Juan-Donoso-Cortés.jpgSchmitt closes with an immanent critique of Sorel. First, Schmitt argues that Sorel himself ultimately subordinates proletarian myth and violence to rationalism, because the goal of the revolution is to take control of the means of production. But the modern economic system is of a piece with bourgeois democracy, thus “If one followed the bourgeois into economic terrain, then one must also follow him into democracy and parliamentarism” (p. 73). This does not strike me as particularly persuasive. When Schmitt was writing, the example of Imperial Japan showed that one can have a modern industrial economy without liberal democracy.

But one can’t have a modern industrial economy without rationalism, thus: “should this economic order develop even further, should production intensify even more, which Sorel obviously also wants, then the proletariat must renounce its myth. Just like the bourgeoise, it will be forced, through the superior power of the production mechanism, into a rationalism and mechanistic outlook that is empty of myth” (p. 73). This is a much more persuasive argument, for syndicalism becomes a farce if the proletariat overthrows gods, kings, and capitalists, only to refashion itself in their image.

But how can one consolidate the victory against rationalism and disenchantment into an entirely new form of society? Schmitt’s answer is that one needs a stronger myth than the general strike: namely nationalism.

Schmitt then discusses how Marxist and syndicalist ideas became fused with nationalism. The “bourgeoisie” as a figure of contempt was “first created by the aristocracy” then “propagated in the nineteenth century by romantic artists and poets” (p. 74). Marx and Engels then picked it up and, despite the pseudo-scientific sheen of Hegelian dialectics, transformed the bourgeoise into “an image of the enemy that was capable of intensifying all the emotions of hatred and contempt” (pp. 73–74).

When the Marxist myth of the bourgeoisie migrated to Russia, “it was able to give new life to the Russian hatred for the complication, artificiality, and intellectualism of Western European civilization . . .” (p. 74). At this point, Marxism “seized a myth for itself that no longer grew purely out of the instinct for class conflict, but contained strong nationalist elements” (p. 74). This fusion of Marxism and Russia’s anti-Western national identity probably helped Communism take root in Russia first: “Proletarian use of force had made Russia Muscovite again” (p. 75).

This, Schmitt argues, “shows that the energy of nationalism is greater than the myth of class conflict” (p. 75). Moreover, Sorel’s other examples of the power of political myth include the German and Spanish wars of liberation against Napoleon which again prove that “the stronger myth is national”; “. . . whenever it comes to an open confrontation of the two myths, such as in Italy, the national myth has, until today always been victorious” (p. 75).

Schmitt doesn’t say why the national myth is more powerful than the myth of the general strike, but surely one factor is that the national myth embraces the whole of a people, not just the workers, and draws its energy from more threads of identity than just economic deprivation. As Schmitt notes:

In national feeling, various elements are at work in the most diverse ways, in very different peoples. The more naturalistic conceptions of race and descent, the more typical terrisme of the Celtic and Romance peoples, the speech, traditions, and consciousness of a shared culture and education, the awareness of belonging to a community with a common fate or destiny, a sensibility of being different from other nations—all of that tends toward a national rather than a class consciousness today. (p. 75)

This passage also throws a good deal of light on Schmitt’s remarks on the homogeneity that makes democracy possible. Schmitt, however, emphasizes that democracy requires even more homogeneity among electors, hence the limitation of the franchise based on age, sex, social class, education, and other factors.

Schmitt’s contemporary example of the superiority of the myth of the nation to that of the proletariat is the rise of Fascism in Italy:

Until now the democracy of mankind has only once been contemptuously pushed aside through the conscious appeal to myth, and that was an example of the irrational power of the national myth. In his famous speech of October 1922 in Naples before the March on Rome, Mussolini said “We have created a myth. This myth is a belief, a noble enthusiasm: it does not need to be reality; it is a striving and a hope, belief and courage. Our myth is the nation, the great nation which we want to make into a concrete reality for ourselves.” In the same speech he called socialism an inferior mythology. (p. 76)

41RraM+VGpL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgThe nineteenth century was the age of parliamentary liberal democracy. The twentieth century is the age of political myths. The rise of political myth is itself “the most powerful symptom of the decline of the relative rationalism of parliamentary thought” (p. 76). The Left may be the gravedigger of liberal democracy, but it offers no real alternative, simply modern materialism and rationalism stripped of the liberal charms of freedom and private life.

But the Left, quite unwittingly, has laid “the foundation of another authority, . . . an authority based on the new feeling for order, discipline, and hierarchy” (p. 76). A decade later, Schmitt cast his lot with the German party of national rebirth. The age of discussion was over; the age of myth had begun.

Nearly a century later, what light does Schmitt’s Crisis throw on our own? Schmitt is absolutely correct that liberalism’s mania for opening borders and lowering standards has made modern democracies increasingly dysfunctional.

As for the alternatives to liberal democracy, Left and Right versions still exist. But the myth of the general strike is completely dead. The proletariat was successfully wooed by both fascism and liberal democracy, so the Left now disdains the white working class as reactionaries and instead seeks to mobilize non-whites and sexual outsiders against the white majority. The new Leftist myth is of white guilt and non-white aggrievement. It is now so dominant that the United States is tearing itself to pieces. The American center-Right has completely capitulated to the mob. Their strategy is to do nothing and hope that the mob gets tired, so Republicans will not have to exercise courage.

The myth of the nation, however, is still very much alive. Liberal democracy and communism defeated fascism in the Second World War, but they did not defeat nationalism. Indeed, the Allies defeated the Axis only by drawing upon their own national myths. Currently, the liberal-democratic establishment is coddling the Left that is actively working to destroy it. Thus, for the time being, the nationalist Right should do nothing. Never interrupt your enemies when they are destroying one another.

But the center cannot hold. Eventually, a space will be cleared for a new confrontation of myths: the myth of white guilt, degradation, and death vs. the myth of white pride and regeneration. We call it White Nationalism. Before that confrontation comes, though, we need to ensure that our myth is the stronger.

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Notes

[1] [10] Carl Schmitt, The Crisis of Parliamentary Democracy, trans. Ellen Kennedy (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1985).

[2] [11] Quoted in Ellen Kennedy’s Introduction, Crisis, p. xxiv

[3] [12] See Schmitt’s fuller discussion of Donoso Cortés in Political Theology: Four Chapters on the Concept of Sovereignty (1922), trans. George Schwabb (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1988), chapter 4, “On the Counterrevolutionary Philosophy of the State.”

 

 

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dimanche, 28 juin 2020

Le Traité du Sablier, Ernst Jünger

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Le Traité du Sablier, Ernst Jünger

 
 
Introduction du séminaire intitulé « Initiation, transmission, transformation.
Rites de passage et figures de passeurs de l’Antiquité à nos jours », avec Françoise Bonardel.
 
Pour accéder à l'intégralité de l'échange: https://www.baglis.tv/ame/initiations...
Le site de Françoise Bonardel : http://www.francoise-bonardel.com
 
 
Remerciements à Lorant Hecquet et sa librairie L'Or des Etoiles, de Vézelay, organisatrice du séminaire http://www.ordesetoiles.fr
 
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mardi, 02 juin 2020

Carl Schmitt, le meilleur ennemi du libéralisme

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Carl Schmitt, le meilleur ennemi du libéralisme

Conférence de Jean Leca

 
Dans cette conférence de novembre 2001, Jean Leca s'intéresse à la pensée de Carl Schmitt et au rapport de celui-ci à la philosophie politique. Il note que Carl Schmitt est une référence importante pour les philosophes continentaux, notamment Hayek, et pour les philosophes politiques alors même que selon Carl Schmitt il ne peut y avoir de philosophie politique.
 
De même, il n'y a pas de normativité morale : au fondement de la normativité, il y a la juridicité et non la moralité. Si l'on se met à agir pour des raisons morales, en politique, c'est le meilleur moyen de susciter une violence incontrôlable.
 
La guerre, inscrite dans la politique comme le mal dans la création, ne saurait avoir de justification morale ou rationnelle. Elle n'a qu'une valeur existentielle, particulière. Parce que l'identité personnelle est d'abord polémique (l'être humain se définit par opposition, par inimitié), un monde sans guerre serait un monde sans être humain.
 
Jean Leca analyse ensuite la critique schmittienne de la non-théorie politique du libéralisme: il n' y a pas de politique libérale sui generis, il n'y a qu'une critique libérale de la politique.
 
 

vendredi, 29 mai 2020

De la mobilisation en période de pandémie. Neuf extraits commentés de La mobilisation totale d’Ernst Jünger

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De la mobilisation en période de pandémie. Neuf extraits commentés de La mobilisation totale d’Ernst Jünger

par Baptiste Rappin

Ex: http://www.juanasensio.com

 

Ernst Jünger dans la Zone.

Baptiste Rappin dans la Zone.

La présente «crise», qui provoqua le confinement de plusieurs milliards d’êtres humain en raison de la pandémie mondiale du coronavirus baptisé Covid-19, qui, autrement dit, installa une sédentarité et un immobilisme contraints, s’accompagna paradoxalement d’une exigence de mobilité qui prit la forme, précise et non fortuite nous le constaterons par la suite, de l’appel à la mobilisation totale. La nation se mobilise, les hôpitaux se mobilisent, les entreprises se mobilisent, les associations se mobilisent, les universités et les chercheurs se mobilisent, les «ados» se mobilisent, bref, tout le monde se mobilise…

ej-mt.jpgCe fut l’idoine occasion de relire l’essai d’Ernst Jünger, qui, paru en 1930, porte précisément le nom de La mobilisation totale (Éditions Gallimard, coll. Tel, 1990), et d’en proposer quelques extraits choisis et commentés afin d’éclairer, par le recul qui tient à la distance temporelle, c’est-à-dire de manière inactuelle, la déconcertante actualité que nous vécûmes et continuons à vivre.

Quelques mots toutefois, en guise de préambule, à propos dudit ouvrage : La mobilisation totale se présente comme un court texte, à peine quarante pages réparties en neuf parties dont nous extrairons de chacune un passage qui nous semble significatif du point de vue de l’analyse de la contemporanéité. L’essai tente de cerner la rupture anthropologique, qu’Ernst Jünger juge non seulement décisive mais également irréversible, que la Première Guerre Mondiale a introduite dans le cours de l’histoire humaine.

Premier extrait

«Nous nous emploierons […] à rassembler un certain nombre de faits qui distinguent la dernière guerre – notre guerre, cet évènement le plus considérable et le plus décisif de notre époque – de toutes celles dont l’histoire nous a livré le récit» (§ 1, p. 98).

C’est tout d’abord à un effort de discernement que se livre l’écrivain : bien des guerres se ressemblent, bien des guerres sont comparables, bien des guerres procèdent d’une même logique. La Première Guerre Mondiale, quant à elle, introduit une discontinuité, de telle sorte qu’elle ne saurait être ramenée à un étalon déjà connu, bien identifié; elle possède, autrement dit, un caractère inédit, qu’Ernst Jünger, à travers ce court texte qui sert en réalité de laboratoire à un essai décisif : Le Travailleur, cherche à mettre au jour. cms_visual_1099299.jpg_1541772104000_292x450.jpgN’anticipons guère, car les critères de démarcation apparaîtront bien assez tôt, mais notons ceci afin d’établir un pont avec l’actualité : comprendre l’événement, pour Jünger, ne consiste pas à répéter mécaniquement, machinalement si l’on peut dire, les analyses précédentes et les schémas explicatifs préétablis; cela consiste, tout au contraire, à cerner sa spécificité, et à poser sur lui les justes mots afin de le faire advenir en tant que tel à la conscience collective. Telle fut très certainement la première faute, de nature épistémologique mais aux conséquences politiques, du Président Emmanuel Macron et de son équipe gouvernementale qui n’eurent de cesse de parler d’un virus comme d’un ennemi et d’une épidémie comme d’une guerre, des choix lexicaux et sémantiques pour le moins malheureux qui sont à mon sens en partie responsables de comportements a priori irrationnels comme la razzia des commerces (attention, indispensable précision, par ces propos, je n’excuse ni ne cautionne en aucune manière ces agissements dignes de pourceaux dépourvus de toute faculté de juger).

Deuxième extrait

«La meilleure manière de faire apparaître le caractère spécifique de cette grande catastrophe consiste sans doute à montrer qu’elle a été pour le génie de la guerre et l’esprit de progrès l’occasion de conclure une alliance étroite» (§ 2, p. 98).

Voilà une remarque qui me paraît souligner le caractère à proprement parler critique du progrès : il n’est en effet que des esprits simples, dogmatiques ou utopiques, pour concevoir le progrès comme l’écoulement d’un long fleuve tranquille ou comme la paisible marche vers un paradis terrestre à portée de mains. La réalité est plus chaotique, plus erratique, parce que le système capitaliste non seulement nécessite la révolution permanente des moyens de production – l’innovation dans toutes ses déclinaisons : économique, technologique, organisationnelle, sociale, citoyenne, écologique, parentale, éducative, etc. –, mais possède en outre le don de profiter de chaque catastrophe pour étendre son empire et accentuer son emprise : telle est en effet la «stratégie du choc», si justement décrite par Naomi Klein, qui joue de la perte de repères et de l’angoisse engendrées par la crise pour délivrer une ordonnance sur-mesure. Et si la Première Guerre Mondiale, selon Jünger, fut l’occasion de la conclusion d’une alliance entre «le génie de la guerre et l’esprit de progrès», alors il y a fort à parier, et à craindre, que l’association d’un coronavirus conquérant et d’un esprit de progrès tout aussi tenace servira de tremplin à la post-industrialisation de la France qui se traduira – et se traduit déjà – par des investissements massifs dans le numérique, le développement de juteux marchés pour l’industrie pharmaceutique, l’installation accélérée d’une société de la surveillance ainsi que par le recours accentué aux techniques managériales gages d’efficacité et d’adaptation. Je préfère prévenir ici toute illusion : le monde d’après sera identique au monde d’avant, mais en pire.

Troisième extrait

«On peut suivre désormais l’évolution au cours de laquelle l’acte de mobilisation revêt un caractère toujours plus radical dès lors que, dans une mesure croissante, toute existence est convertie en énergie, et que les communications subissent une accélération accrue au profit de la mobilité […]» (§ 3, p. 106).

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Qui dit guerre dit mobilisation : non seulement la mise sur pied de guerre de l’ensemble des forces armées, voire même de tous les citoyens susceptibles de participer à l’effort, mais aussi l’orientation de toutes les ressources, matérielles et technologiques, financières et organisationnelles, vers la victoire, seule issue désirée, escomptée, espérée, lorsque le combat s’engage. C’est en toute logique que la rhétorique belliqueuse déployée par nos dirigeants s’accompagne d’un appel à la mobilisation générale : celle-ci est toutefois d’une ampleur sans précédent, puisque l’ennemi est, comme les dieux du panthéisme, possiblement partout, à telle enseigne que l’enrôlement concerne certes les soldats et les citoyens, mais cible également les enfants, les femmes, les personnes âgées, qui, eux aussi, sont sommés de convertir leur existence en énergie. On pourrait dire de ce point de vue que l’épidémie confirme et entérine la mutation du paradigme guerrier qu’avait déjà accompli le terrorisme.

Mais la mobilisation est de surcroît une mise en mouvement : les énergies deviennent en effet disponibles quand elles se trouvent libérées de toute attache et enclines à la mobilité, si bien que toute mobilisation se trouve inséparable d’une structure logistique de gestion des flux, d’hommes, de matières, d’informations. C’est précisément ici que l’attaque surprise du coronavirus dans sa version 2019 devient, pour l’observateur, digne d’intérêt : car jamais, me semble-t-il, la mobilité de la cognition n’a-t-elle été à ce point découplée de la mobilité des corps. Confinés dans nos foyers, consignés à demeure comme des enfants punis dans leur chambre, nos corps, privés de leur élémentaire liberté de mouvement, demeurent immobiles alors que nos pensées ne laissent pas de circuler sur la Toile, à tel point, d’ailleurs, que nos vies n’auront jamais été aussi dépendantes et intégrées au Réseau, par la grâce duquel, Dieu soit loué, nous travaillons à distance, nous achetons à distance, nous prenons l’apéro à distance, nous baisons à distance.

D’une telle situation, je tire deux leçons : d’une part, que le sous-équipement numérique que la présente crise a révélé accélèrera, par des investissements massifs, la digitalisation de notre pays; d’autre part, le confinement restera la première expérience collective d’une vie transhumaniste post-incarnation dans laquelle le corps aura enfin avoué sa superfluité.

Quatrième extrait

«Néanmoins, le versant technique de la mobilisation totale n’en constitue pas l’aspect décisif. Son principe, comme le présupposé de toute technique, est au contraire enfoui plus profond : nous le définissons ici comme disponibilité à être mobilisé» (§ 4, p. 115).

001065708.jpgLe Réseau est une chose, notre appétence et notre célérité à nous y soumettre une autre. Jünger, qui aura sur ce point très largement anticipé et influencé les développements de Heidegger dans La question de la technique, conférence dans laquelle ce dernier affirme notamment que «l’essence de la technique n’est pas la technique», met en évidence qu’aucun dispositif technique ne parvient à s’encastrer dans le tissu social, c’est-à-dire à devenir un système sociotechnique, s’il n’est précédé d’une révolution anthropologique qui, dans les mentalités et les structures de la croyance collective, légitime l’usage dudit dispositif. Pourquoi donc le confinement, présenté comme un acte de mobilisation, et désormais les règles du déconfinement, qui ne sont autres que la poursuite de la mobilisation sous une forme nouvelle, se trouvent-t-ils aussi largement respectés ? Il est vrai que la peur de la maladie et la crainte de l’amende y sont pour quelque chose, je ne le nie pas; mais c’est au fond le principe directeur de notre société qui oriente nos actions, pour les uns, qui se limitent à respecter les consignes, de façon minimaliste, pour les autres, qui n’hésitent guère à prendre directement part au combat en cousant des masques et en imprimant des visières (masques et visières, dont la pénurie annonce la future fortune de proches du pouvoir, c’est une évidence qui ne requiert aucune boule de cristal), de manière engagée voire fanatique.

Quel est ce principe que Jünger situe à la racine de la mobilisation, et que tant Heidegger qu’Anders identifieront comme le tuf même de la société industrielle ? Il s’agit de la disponibilité, c’est-à-dire l’état ou le fait de se trouver à disposition de quelqu’un ou de quelque chose. En d’autres termes, loin d’attendre le tonitruant appel de la mobilisation pour se faire énergies, nos existences sont déjà prêtes et disposées à être mobilisées, n’attendant même que cela, d’être mobilisées, puisque pour les Modernes, le mouvement c’est la vie, mobilisées donc, c’est-à-dire à la fois convoquées, réquisitionnées et ordonnées à la finalité de la victoire. Les «ressources humaines», le «facteur humain», le «capital humain» ne sont pas qu’expressions techniques réservées aux seules entreprises : ces mots, dans toute leur crudité, disent tout simplement la condition des derniers hommes que nous sommes devenus : des outils à la recherche permanente d’un emploi.

Cinquième extrait

«Mais cela n’est rien par rapport aux moyens dont on disposait à l’ouest (en Amérique) pour mobiliser les masses. Il ne fait pas de doute que la civilisation soit plus étroitement liée au progrès que la Kultur; qu’elle sache parler sa langue naturelle dans les grandes villes surtout, et s’entende à manier des notions et des méthodes qui n’ont rien à voir avec la culture, auxquelles même celle-ci s’oppose. La culture ne peut être exploitée à des fins de propagande […]» (§ 5, p. 125).

Je dois ici préciser au lecteur, avant tout commentaire, que le couple civilisation-culture, dans l’Allemagne de l’entre-deux guerres, se présente sous la forme d’une opposition irréductible héritée de la période romantique : d’un côté, celui de la Kultur, la naturalité des liens socio-historiques qui lient les hommes dans une communauté organique de destin; de l’autre, celui de la civilisation, l’artificialité engendrée par les progrès techniques de la société industrielle. Jünger perpétue cette dichotomie, ce dont témoigne assurément le pont tendu entre civilisation et urbanité.

Ce cinquième extrait introduit un nouvel élément indispensable à la bonne compréhension de la mobilisation : les références dernières, en l’occurrence la disponibilité pour la société industrielle, exigent une mise en scène, c’est-à-dire l’intercession de symboles, par l’entremise de laquelle elle s’adresse à ses destinataires. Jadis occupée par la religion et les mythes dont les récits se théâtralisent dans des liturgies, cette fonction se trouve aujourd’hui dévolue à la propagande – les termes de «propagande», «relations publiques» et «marketing» seront dans ce texte considérés comme synonymes –, comme si la médiation, elle aussi, devait se plier à la logique générale de substitution du technique (la «manufacture du consentement» selon la si révélatrice expression de Walter Lippmann) au symbolique.

978849661442.JPGIl n’est guère étonnant que Jünger tienne ses propos, lui qui assiste à l’émergence des relations publiques dont le chef d’œuvre inaugural demeure l’incroyable Propaganda d’Edward Bernays. Quant à nous, c’est la télévision et ses experts, ce sont les journaux et leurs éditorialistes, ce sont toutes ces associations subventionnées et leurs porte-paroles illuminés, qui anesthésient toute liberté d’esprit afin d’imposer la disponibilité en principe de vie. Peut-être l’opposition que Jünger dresse entre civilisation et culture suggère-t-elle d’ailleurs une issue qu’il faudrait prendre à la lettre, au mot : la campagne ne serait-elle pas la clef des champs, elle qui demeure encore un peu, malgré tout, allergique au baratin du nouveau monde ?

Sixième extrait

«La mobilisation totale, en tant que mesure décrétée par l’esprit d’organisation, n’est qu’un indice de cette mobilisation supérieure accomplie par l’époque à travers nous» (§ 6, p. 127-128).

La mobilisation totale n’épuise toutefois pas l’esprit de l’époque, elle ne constitue qu’un aspect partiel d’un phénomène encore plus général, plus englobant, dont elle sert toutefois de révélateur; car, la crise, en tant qu’elle désigne le point culminant de la maladie, est synonyme de moment de vérité. La mobilisation totale qui est déclarée face à l’attaque ne fait ainsi que mettre en évidence ceci : que l’époque ne cesse de nous mobiliser, en temps de paix comme en temps de guerre, qu’elle ne laisse pas de nous rendre encore et toujours disponibles, qu’elle cherche, à travers tous les moyens possibles, à nous employer, à nous rendre utiles et fonctionnels, qu’elle a fait de nous des «types adaptables», formulation positive de l’expression «unadaptable fellows» qu’on lit sous la plume aiguisée de Günther Anders, c’est-à-dire des organismes psychologiquement modifiés.

Tel est l’esprit d’organisation qui donne à l’époque son triste visage : rien ne saurait résister à une entreprise d’optimisation, rien ne saurait demeurer en retrait sans être exploité – la planète est une immense mine de matières premières –, il n’est aucune de nos qualités qui ne doive se mettre au service d’une production, s’ordonner à une fin de performance. On l’observe d’ailleurs aux curriculum vitae et aux lettres de motivation de candidats au recrutement qui n’hésitent plus à faire de l’organisation de leur vie personnelle un gage de réussite de leur carrière professionnelle, à présenter leurs voyages touristiques comme l’occasion de développer des compétences interculturelles, à rendre compte de leur engagement associatif comme d’une expérience managériale. La transitivité de l’efficacité est parfaite, qui atteste de l’omniprésence de son idéologie.

Septième extrait

«Nous avons expliqué qu’une grande partie des forces progressistes avait été mobilisée par la guerre; et la dépense d’énergie ainsi entraînée était telle qu’on ne pouvait plus rien réinvestir dans la lutte intérieure» (§ 7, p. 134-135).

Après la métaphysique, le retour à la politique. Il est évident que la mobilisation totale qui suit la guerre déclarée au souverain virus conduit à un épuisement complet, autant dû à l’atrophie de corps immobilisés, confinés, empêchés, qu’à l’usure de psychismes sidérés par les écrans du «télétravail»; il est tout aussi obvie que la mobilisation générale, celle qui est quotidiennement requise par l’esprit d’organisation, produit une fatigue structurelle, un dépérissement lent et continu, une torpeur et une anesthésie qui constituent très certainement le premier frein à toute action authentiquement révolutionnaire. La disponibilité permanente entraîne une adhérence, sinon une adhésion, à l’époque, si bien que l’intempestivité, que je pourrais littéralement et abusivement définir comme l’action de pester intelligemment contre son temps, paraît bien disparaître des radars, si ce n’est à titre de vestige de l’ancien monde.

eae1fe006afadd2fa6a8ec97d94e657d.pngLe président Emmanuel Macron le sait bien, et si vraiment il l’ignore, une quelconque huile l’aura bien averti : la colère gronde, dont l’intensité n’a d’égale que son niveau d’incompétence et d’incurie – sans compter l’irritation née de ces invraisemblables et insignifiantes envolées technico-lyriques («un été apprenant et culturel» ! : «mdr» aurait-t-on envie de rétorquer) qui circulent en boucle sur les réseaux sociaux. L’épuisement de l’opposition, non pas celle qui se met douillettement en scène à l’Assemblée Nationale en attendant que le fatum de l’alternance produise son effet, mais celle qui s’empare des ronds-points de l’Hexagone et refuse de se laisser institutionnaliser par le jeu de la représentation, l’épuisement de cette opposition-là, qui se trouve aujourd’hui mobilisée en première ligne dans les hôpitaux, les commerces et les ateliers, représente très certainement le gage d’une certaine tranquillité intérieure, c’est-à-dire de sa possible réélection, à condition, par conséquent, de maintenir l’état d’exception jusqu’à ce qu’il soit accepté comme normal et que le régime autoritaire, dictatorial, s’installe dans notre quotidien avec le statut de l’évidence. Le tout assorti de concessions qui ne le sont point : remaniement ministériel, retour de la souveraineté, tournant écologique, visions du monde d’après qui ne sera plus jamais le même, etc.

Huitième extrait

«Le progrès se dénature en quelque sorte pour faire ressortir son mouvement à un niveau très élémentaire, après une spirale accomplie par une dialectique artificielle; il commence à dominer les peuples sous des formes qu’on ne peut déjà plus distinguer de celles d’un régime totalitaire, sans même parler du très bas niveau de confort et de liberté qu’elles offrent. Un peu partout, le masque de l’humanitarisme est pour ainsi dire tombé; et l’on voit apparaître un fétichisme de la machine […]» (§ 8, p. 137).

Le progrès, qui prend aujourd’hui la forme de la «transformation digitale», mot d’ordre que l’on entend autant dans les entreprises, petites et grandes, que dans les écoles et les collectivités, promet la liberté mais sème la terreur. Comment Bernard de Clairvaux, le Saint, n’y aurait-il pas pensé quand il affirma, locution devenue proverbiale, que «l’enfer est pavé de bonnes intentions» ? C’est tout sourire que le progrès engendre le pire, c’est au nom de l’humanité et du Bien qu’il installe une domination d’un nouveau genre. Car si le régime totalitaire «classique» repose avant tout sur une idéologie, celle de la race, celle de la classe, qui reconfigure la société en lui imposant de nouveaux régimes de normativité, le progrès, dont le docteur Frankenstein de Mary Shelley fournit une idoine personnification, accouche d’un monstre froid, impersonnel et intégralement artificiel : la méga-machine, l’hydre hyper-connectée dont la prolifération ne connaît pas de terme, car tel est le propre du Réseau, que de toujours s’étendre, se répandre, se propager, sans autre ambition que son propre prolongement, sans autre souci que son accroissement de puissance.

Les masques tomberaient-ils, malgré la propagande, en dépit de la mobilisation ? Certains d’entre nous, trop peu bien entendu, ont pris goût à une vie décélérée et exempte des tourbillons et de l’agitation du quotidien, réalisent que cette liberté retrouvée les renvoie, par contraste, à leur ordinaire condition de servilité, se disent qu’au fond ils se satisferaient bien d’un prolongement de cette parenthèse enchantée. Ils ont même retrouvé une certaine forme de mesure et de sérénité dont le fol emballement de la vie moderne les avait privés (et ils en furent les complices volontaires, nous le savons bien !) : mais que valent ces gouttes d’eau dans l’océan de dispositifs digitaux, que peuvent ces minuscules prises de conscience contre le Grand Déferlement ?

Neuvième extrait

«À travers les failles et les jointures de cette tour babylonienne, notre regard découvre aujourd’hui déjà un monde apocalyptique dont la vue glacerait le cœur du plus intrépide. Bientôt l’ère du progrès nous semblera aussi énigmatique que les secrets d’une dynastie égyptienne, alors que le monde lui avait en son temps accordé ce triomphe qui, un instant, auréole d’éternité la victoire» (§ 9, p. 139).

Robots-Square.jpgLe progrès a pour nous un statut d’évidence; non plus le progrès moral (celui qui croit au perfectionnement de l’individu raisonnable par l’éducation), non plus le progrès historico-politique (celui qui imagine la construction d’un avenir radieux par des citoyens rationnels épousant le sens de l’Histoire), mais, bien sûr, le progrès technique qui, sûr de son statut d’idole et de son implacable force, lance ses rouleaux-compresseurs mécaniques, automatiques, numériques, à l’assaut des vieilleries de la civilisation, écrase les traditions, casse les institutions et concasse les corps intermédiaires, broye le langage pour lui substituer le grincement assourdissant des rouages et le bruit diffus de l’information. Non, ce n’est pas un monde que détruit le progrès; non ce n’est pas seulement une ère qui prend fin sous les coups de butoir de la méga-machine; non, Messieurs les relativistes, notre époque ne saurait se diluer dans une histoire générale du mal et de ses manifestations. Jamais les assemblages anthropologiques qui garantissent la pérennité de l’espèce humaine ont-ils été aussi durement mis à l’épreuve; jamais une société («société» qui s’est, soit dit en passant, dilué dans le «social», dilution ou dissolution qui mériterait à elle seule un article entier) n’a-t-elle adopté, pour seul mode de reproduction, la fabrique d’êtres opérationnels. Telle est bien, au fond, l’énigme que nous laissons à nos survivants ou, hypothèse osée mais stimulante, à une civilisation extra-terrestre qui découvrirait les décombres de la nôtre. Si l’espèce humaine, je veux dire : réellement humaine, venait à survivre à cette catastrophe, alors nos descendants s’interrogeront, avant peut-être de baisser les bras devant l’insondable mystère du progrès : mais de quelle folie ont-ils été pris, nos ancêtres de la société industrielle, pour précipiter la civilisation dans l’apocalypse ?

mercredi, 13 mai 2020

Oswald Spengler and the Destruction of Intelligence - Matt Raphael Johnson

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Oswald Spengler and the Destruction of Intelligence

Matt Raphael Johnson

 
Spengler cannot be summarized in an hour. Therefore, we concentrate on one important element of his thought, that around which all other elements revolve: the distinction between culture and civilization.
 
Culture is the organic state; the natural life. Civilization is the decay of that state into formalism and quantity. Authority turns into power. In thought, this is manifest in the over-formalization of the intellect and the rise of the mass-intellectual. This intellectual is not a scholar, he's an actor in a role. He's the pseudo-intellectual.
 
This lecture will briefly discuss Spengler in relation to the mass-intellectual and the means to tell the phoney from the legitimate scholar. It is an unpleasant excursion into the world of fakery and fraud.
 
Presented by Matt Johnson

dimanche, 12 avril 2020

Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne

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Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne (21.01.2010)

 
 
Ringvorlesung der Nietzsche-Forschungsstelle der Heidelberger Akademie der Wissenschaften am Deutschen Seminar der Universität Freiburg in Zusammenarbeit mit dem Studium generale. Gottfried Benn nannte Nietzsche das "größte Ausstrahlungsphänomen der Geistesgeschichte". Entscheidend wirkte er auf Thomas Mann, Hofmannsthal, Musil, Benn, Freud und Heidegger. Zahlreiche Autoren weltweit stehen bis heute im Bann seines revolutionär modernen Denkens. Ausgehend von Erfahrungen des 19. Jahrhunderts, entwickelte Nietzsche eine intellektuelle Sprengkraft, die bestehende Wertvorstellungen, gewohnte Formen des Philosophierens und auch die Konventionen der Wissenschaft erschütterte. An der Schwelle zum 20. Jahrhundert wurde er eine Leitfigur moderner Lebensphilosophie, Kulturkritik und Anthropologie. Die Vorlesungsreihe, bei der führende Nietzsche-Spezialisten zu Wort kommen, will alle diese Aspekte umfassend beleuchten.
 

mardi, 31 mars 2020

Homenaje a Oswald Spengler

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Homenaje a Oswald Spengler

Armin Mohler

Traducción: Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

Hay muchas maneras de ignorar los pensamientos de los grandes hombres, y de vivir como si esos pensamientos nunca hubieran sido expresados. En 1980, cualquier espectador en la Alemania Federal habría visto precisamente eso. Celebramos el centenario del nacimiento de Oswald Spengler. Incluso en los homenajes ofrecidos al filósofo, uno habría encontrado, objetivamente, lagunas. Algunos subrayaron la importancia de la filosofía spengleriana de la historia, cuyas profecías serían confirmadas por los acontecimientos; pero así evitaron abordar las afirmaciones políticas del autor de La decadencia de Occidente. Otros querían "rescatar" al político Spengler convirtiéndolo en antifascista y estudiando sólo muy superficialmente los vínculos que existían entre Spengler, Hitler y el nacional-socialismo. No diré nada de los "brillantes" ensayistas que trabajaron prodigiosamente en su estudio de Spengler para sacar tan poco de él.

El Spengler total

Fue otro gran hombre, Herbert Cysarz (nacido dieciséis años después de Spengler), quien pudo comprender verdaderamente a Spengler en su totalidad. El homenaje que ofreció, en el número de enero de la revista Aula, editada en Graz, Austria, comenzó con estas palabras:

"Ningún historiador contemporáneo ha conocido una gloria tan grande como Oswald Spengler. Ninguno ha sido, en su vida, tan incontestablemente original. Este hombre, hostil a toda la literatura y a todo idealismo, totalmente alejado del mundo abstracto de las letras, ha examinado los grandes temas y las múltiples capas de la Historia, y ha subrayado, como ningún hombre lo ha hecho hasta ahora, la intensidad que reside en la voluntad y la acción. Ha dado al mundo una nueva forma de concebir lo político, con una particular manera de ver, pensar y presentar la Historia."

No cabe duda de que Cysarz comprende que Spengler es más que un historiador: en lo que respecta a su obra, escribe, sigue siendo un signo del destino que se manifestó en el cambio de nuestra época.

Un hombre de la misma generación que Cysarz, Ernst Jünger, escribió cosas de este tipo en los años 20... Aunque su tono fuera más comedido, no tan lleno de patetismo. En un artículo político muy importante de esa época (por cuya reedición en las obras completas de Jünger no deberíamos esperar, claro está), expresa una opinión compartida por muchos de sus contemporáneos: por un cerebro del calibre de Spengler, estarían encantados de dar todo un Parlamento.

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Las debilidades del trabajo de Spengler

Una recepción tan entusiasta de la totalidad de la obra de Spengler no significa que aprobemos todos sus detalles, por lo demás, sin formular ninguna crítica. Spengler no es un superhombre: él también tenía sus debilidades. Además de las profecías que se cumplieron de hecho están las que no se han cumplido. Los profundos estudios de Spengler sobre las diversas culturas de la Historia nos obligan a señalar que no todos los dominios de la actividad humana creativa le son igualmente familiares. Por ejemplo, el estilo literario de Spengler no siempre puede estar a la altura de sus temas; esto no debe aturdirnos, ya que estos textos despiertan las emociones más fuertes. Los enemigos de Spengler también se deleitan en citar frases que muestran cierto "kitsch". Además, Spengler sufre una debilidad como muchos visionarios: lo más inmediato se le escapa. Por lo tanto, según él, el gran poeta de su generación no es ni Stefan George ni Rainer Maria Rilke, sino Ernst Droem, que, con razón, ha languidecido en la oscuridad.

Muy reveladora es la reacción del autor de la Decadencia de Occidente al envío, por parte de un joven escritor, de uno de los libros más importantes de nuestro siglo. En 1932, Ernst Jünger envió a Spengler, con sus más cálidos saludos, su libro titulado Der Arbeiter (El Trabajador). Spengler se contentó con hojear el libro y responder:

"En Alemania, el campesinado sigue siendo una fuerza política. Y cuando uno se opone al campesinado - supuestamente moribundo - el "Obrero" - es decir, el trabajador manufacturero - uno se distancia de la realidad, y se excluye de toda influencia en el futuro..."

Como Spengler no leyó el libro, no podía saber que Jünger no hablaba del obrero de la fábrica. Pero es bastante sorprendente que sobrevalore las potencialidades políticas del campesinado que, unos años más tarde, sería completamente aniquilado.

Obstrucción interna

29976181.jpgNi estos pocos puntos ciegos, ni los extraños aspectos de la vida de Spengler, deben desviar nuestra atención de la masa de su trabajo. Este hombre sensible usaba una máscara, adoptó un estilo que no debe ser tomado directamente. Por lo tanto, los admiradores de Spengler deberían evitar confundir su verdadera personalidad con esa "máscara Cesárea" que usó en sus numerosas apariciones públicas.[i]

Los detractores de Spengler, por su parte, intentarán no describirlo, a la luz de su vida privada, como una especie de extraño tótem de la burguesía decadente.

Por supuesto, la vida solitaria de Spengler permite ciertas suposiciones. Nació el 29 de mayo de 1880, hijo de un alto funcionario postal, en Blankenburg en Harz.[ii] No fue su padre, un hombre apacible, quien dominó el hogar familiar, sino su madre, una criatura medio loca, devorada por ambiciones pseudo-artísticas. Adornó su gran apartamento con tal cantidad de muebles, que el joven Oswald y sus tres hermanas tuvieron que dormir en los desvanes bajo las vigas.

Después de defender una disertación sobre Heráclito, Spengler se convirtió en profesor de matemáticas y ciencias naturales en un instituto de secundaria (Gymnasium). La posterior muerte de su madre no le dejó una gran herencia, pero le permitió vivir sin trabajar: desde 1911 hasta su muerte por un ataque al corazón el 7 de mayo de 1936, vivió retirado como investigador independiente en Munich, en un inmenso apartamento de estilo Gründerzeit (el estilo de los años 1870-80), repleto de enormes muebles y situado en la Widenmayerstraße. Una de sus hermanas lo atendía.

Viajaba poco y sólo mantenía un círculo de conocidos restringido. Rechazó el puesto de profesor que le ofrecieron. Quedó trastocado por la Primera Guerra Mundial. Esta vida parece dominada por el feroz rechazo de todo contacto humano. No sabemos nada de ninguna relación erótica. Desde el principio, hubo un repliegue hacia la interioridad. Y en Spengler, los únicos resultados que nos interesan son los productos de ese aislamiento después de 1917. La castidad de esta existencia no es en absoluto un argumento contra el trabajo de Spengler. Así como el aislamiento en una celda monástica no sería un argumento contra Agustín.

Más allá del optimismo y el pesimismo

En la historia de las ideas, el sentido de la obra de Spengler reside en que, en estado de crisis, devuelve a la conciencia los fundamentos "subterráneos" del pensamiento, con un vigor que recuerda al de un Georges Sorel. ¿Y cuáles son estos fundamentos "subterráneos"? Es el pensamiento resueltamente realista iniciado por Heráclito y la escuela del Pórtico (Stoa). Es un pensamiento que siempre ha renunciado a los falsos consuelos y a la organización del destino de los sistemas fundados en pseudo-órdenes cósmicos. De manera magistral, Spengler confronta a la generación de la guerra con este pensamiento. Su estilo era una curiosa mezcla de "monumentalidad" clásica y expresionismo, realizada con pinceladas de fuertes colores. Y fueron precisamente los que más profundamente habían experimentado el colapso del mundo burgués (el del "espectáculo de marionetas" [Puppenspiel]) los que escucharon su llamamiento.

Este pensamiento se sitúa más allá del optimismo y el pesimismo. El título que el editor eligió para la obra maestra de Spengler (La decadencia de Occidente) engaña. Es posible que Spengler, en privado, deplorara el colapso de un mundo que le era querido. Pero su obra no deplora nada: más bien nos sorprende que la Historia sea un movimiento único de surgimiento y declive, y que no haya nada que el hombre pueda hacer sino afrontar esta realidad con compostura, en el lugar que el destino le ha asignado. Esto es lo que impide a Spengler identificarse con el Tercer Reich, y lo que le llevó en 1933, en su última obra, Jahre der Entscheidung (Años Decisivos), a enfrentarse al NSDAP por su ceguera en política exterior. Para Spengler, la política exterior, por ser un combate, es primordial con respecto a la política interior, que a su vez insiste en la importancia del bienestar. Por lo tanto, el carácter híbrido del nacionalsocialismo aparece claramente: como socialismo, alimenta una fuerte tendencia a la utopía, aunque también conoce la fascinación de la melodía heraclítea.

Sin duda, ninguna praxis política es posible sin una cierta dosis de esperanza, y sin alusiones a un orden (cósmico) dotado de sentido (teleológico). Sólo una minoría de individuos puede sostener la mirada de la Gorgona. Dentro de esta minoría, el porcentaje de hombres de acción es mayor que el de los intelectuales, o sacerdotes, o de otros fabricantes de opinión. En todo caso, los discípulos de Heráclito poseen un consuelo propio, que sacan precisamente de lo que constituye, para los demás, una fuente de terror. La lectura de Spengler nos demuestra el doble aspecto del pensamiento de Heráclito.

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Inflexibilidad

De manera muy pertinente Herbert Gysarz cita dos frases que muestran de manera insuperable lo que separa a Oswald Spengler de la sociedad liberal, como de cualquier tipo de dictadura del bienestar (ya sea roja o marrón). La primera de estas frases dice: "Los hechos son más importantes que las verdades". La segunda: "La vida no es sagrada". Este es el lado duro de la filosofía de Spengler; y es en El Hombre y la Técnica (1931), un libro ajeno a toda ambigüedad, donde Spengler lo subraya más particularmente, para desafiar toda la cháchara de nuestro siglo.

Heinz Friedrich, en su artículo en Die Welt, escrito para el centenario del filósofo, ofrece fórmulas aún más precisas. Comienza con el hecho de que el propio Spengler es un discípulo declarado de Goethe y Nietzsche. El propio Cysarz dice que la noción spengleriana de destino muestra más afinidad electiva con las sagas germánicas y el heroísmo trágico de Shakespeare que con el humanismo clásico. Friedrich escribe, en un idioma nada Spengleriano (¡habla de "verdades"!):

Al final de la era del caos, los ciudadanos deben habituarse no sólo a llegar a tomar conciencia de las verdades, sino también a vivirlas y a convivir con ellas. Como dijo Goethe, no sólo la naturaleza es insensible, sino también la historia; porque, parafraseando a Spengler, se podría decir que conserva más características naturales que las que nos gustaría admitir. Por consiguiente, es con una absoluta indiferencia que ella ignora nuestras esperanzas y temores.

Para Friedrich, lo que es nietzscheano en esto es el diagnóstico que representa la decadencia como una debilidad vital: "El agente de la vida, el factor favorecido del eterno devenir es, para Nietzsche, la voluntad de poder". Friedrich añade una advertencia: "La voluntad de poder, reconocida por Nietzsche como principio vital, es cualquier cosa menos el orgullo biológico y muscular que aún hoy queremos que signifique". Esta concepción vulgar de las cosas es compartida por los adeptos de Nietzsche como por sus adversarios. Simplemente significa que toda la vida siente el impulso de afirmarse a sí misma. Spengler es más que un discípulo de Nietzsche: lo completa y lo transforma. La contribución personal de Spengler a esta escuela de pensamiento es cumplir algo que encontró en Nietzsche en forma de un llamamiento.

Los colores de la vida

Quien se resiste a la mirada de la Gorgona no se aparta del mundo. Al contrario: ve el mundo de una manera más intensa, más plástica, más colorida. Esta es la paradójica verdad del asunto. La mirada de la esperanza, por otra parte, sólo puede ver coherencias, leyes, y, por esta razón, desvía su atención de lo particular para perderse en lo general: desencanta al mundo.

Hay que tener en cuenta cómo los Weltanschauungen dominantes, que son un lúgubre pastiche de la insípida ideología de la Ilustración y del cristianismo secularizado, han transformado el mundo, para el hombre mediocre, en un conjunto de tristes esquemas. Es el resultado de una visión bien definida de la Historia (en la Historia, el hombre descifra el mundo para comprenderlo). ¿De dónde, en esta visión, saca su valor la vida? De algo que se alcanzará en un futuro lejano, después de una larga evolución, y después de nuestra propia muerte. Nada es en sí mismo; todo existe sólo en la medida en que significa otra cosa, que está "detrás".

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La vida se ve entonces reducida a una racionalidad mediocre, que excluye todas esas grandes efervescencias que conducen a las alturas o a las profundidades; el hombre se mueve entonces dentro de una angosta estrechez, que no le ofrece nada más que la satisfacción de sus necesidades físicas. Por encima de esta estenosis sopla un tibio aliento de ética conductista. Arnold Gehlen llamó a esto "eudaimonismo masivo". Las masas están constituidas por individuos aislados, que no están enraizados en nada sólido, que no están enredados en una estructura de hormigón, que vagan sin rumbo en lo "general".

Es en este contexto que el ciclón spengleriano debe ser entendido: rompe la monotonía de lo que se llama a sí mismo "moderno", y reinvierte el mundo con tonalidades vibrantes. En la visión Spengleriana, el hombre ya no se manifiesta como una "generalidad", que comparte con todos sus semejantes. Al contrario, pertenece a una cultura específica, que no puede ser reducida a ninguna otra cosa, pero que tiene su propio significado. Toda cultura es de naturaleza totalmente litúrgica, porque de todo lo que produce surge el símbolo con el que se identifica y por el que se distingue. Spengler vio a estas culturas viviendo como viven las plantas: con sus fases de crecimiento y declive. Cada una de estas fases de crecimiento ocupa su propio rango. ¡Qué fuerte suena una melodía en su evocación del fin de una cultura o del Cesarismo! Podríamos citar con placer páginas enteras del primer volumen de La Decadencia:

"Una vida real se lleva a sí misma. No está determinada por el intelecto. Las verdades se sitúan más allá de la Historia y de la vida. [...] Los pueblos de la cultura son formas efímeras del río de la existencia. [...] Para mí, el pueblo (Volk) es una unidad de alma (Seele). [...] La mirada se libera de los límites de la vigilia. [...] Lo que confiere valor a un solo hecho es simplemente el mayor o menor poder de su lenguaje formal, la fuerza de sus símbolos. Más allá del bien y del mal, lo superior y lo inferior, lo necesario y lo ideal."

Todavía debemos añadir una última palabra sobre el alemán que fue Oswald Spengler. No evocó la pluralidad de culturas para sublimarse a través del exotismo. Escribió sus libros para los alemanes que vivieron el colapso del Reich. Spengler no lleva a los alemanes ante un tribunal de "generalidad", sino que los confronta con su especificidad, en el espejo de su historia. En todos los escritos de Spengler, uno siente su convicción de que los alemanes han jugado en el pasado un papel particular, y que los prusianos lo jugarán en el futuro. Estas convicciones de Spengler obviamente desmienten el deseo de mantener la mentalidad frustrada que reina hoy en día.

Versión inglesa de Fergus Cullen: https://ferguscullen.blogspot.com/2020/03/armin-mohler-homage-to-oswald-spengler.html. Con nuestro agradecimiento.

Versión francesa: http://www.archiveseroe.eu/spengler-a48363374

[i] [* Nota del autor. Podríamos, por supuesto, discutir el buen gusto de publicar la foto de Spengler en su lecho de muerte. Esta foto prueba, sin embargo, que esta máscara no impregnó de forma duradera la fisonomía de Spengler].

[ii] [** Nota del autor. Otro protagonista de la revolución conservadora que vino de esta ciudad es August Winnig. Nació dos años antes que Spengler en 1878, y era hijo de un sepulturero].

 

lundi, 30 mars 2020

"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

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"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

Armin Mohler, Nouvelle École 27-28 (1975).

Del tipo de hombre que concede una importancia especial a la historia, queremos decir que es un ser que se siente incómodo en este presente y que busca volver en sus sueños a las épocas que ama y, por esta razón, podemos decir que es "conservador". Para describir esta actitud, que hoy en día comienza a parecer una epidemia, se ha acuñado el término "nostalgia". La nostalgia es un fenómeno con múltiples aspectos y, a la luz de estos, no resulta fácil emitir un juicio. Pero parece que no depende de unas actitudes intelectuales fundamentales. Hay conservadores nostálgicos y conservadores que no lo son, mientras que un sinnúmero de no conservadores experimentan una intensa nostalgia. De todas formas, la nostalgia no es un elemento constitutivo del conservadurismo; y el hecho de que uno sea o no nostálgico no es lícito concluir que alguien es o no es conservador.

  1. La historia está cerca

La mayoría de los malentendidos sobre el tema de la historia provienen del hecho de que la consideramos distante en el tiempo. Ciertamente la historia no es inmediatamente perceptible. Pero no por ello tiene menos importancia en el presente. Podríamos concebir nuestra relación con ella según el modelo de la holografía, que fue introducido en 1948 por Dennis Gabor. Se trata esencialmente de un nuevo tipo de "fotografía", capaz de representar tanto los contornos como el reverso de un objeto, aunque nuestro ojo sólo puede tomar su propia perspectiva. El hombre sin sentido histórico es como quien se ve en un espejo: se ve a sí mismo como si estuviera transcrito en una superficie, con las distorsiones y omisiones que esto conlleva. Tener sentido histórico significa no contentarse sólo con esta dimensión. Y, para seguir con la imagen que hemos tomado como ejemplo, estudiar la historia significa sostener un segundo espejo detrás de la cabeza, o todo un sistema de espejos, para verse desde todos los ángulos y así lograr una distancia con respecto a uno mismo.

  1. La historia no es una clase académica.

El beneficio que se obtiene de la historia es generalmente de orden moral. Alabamos los ejemplos que esperamos igualar. Afirmamos que nos ayuda a evitar los errores de los demás. Y así sucesivamente. Los historiadores no han escatimado esfuerzos en lo que se refiere a estos supuestos efectos directamente educativos de la historia. Los sucesores de los grandes hombres son generalmente pocos en número; y los errores se ensayan fatigosamente. Si la historia tiene un efecto educativo, éste se manifiesta de la forma menos directa, por decir algo.

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  1. La historia permite una observación verificable

La historia tiene un poder disciplinario porque su función es la misma que la de la experimentación en el dominio de las ciencias naturales: la historia ofrece la única posibilidad de efectuar una observación verificable a nivel humano, tal como la experimentación la ofrece a nivel de la naturaleza. Esta observación es más fácil de hacer ya que la filosofía se ha degradado a un modesto papel de secretario en las reuniones interdisciplinares. La lógica tiene ciertamente sus inducciones, pero sólo en abstracto. Lo que tratamos de distinguir en el ámbito humano, como "naturaleza", "alma" (Seele) y "espíritu" (Geist), está tan íntimamente enredado que la lógica se esfuerza por comprenderlo. ¿Qué podría decir realmente verificable sobre una cosa, una persona, un evento humano? Podría decir qué es, en qué se convertirá con el tiempo y cómo cambia mientras tanto. Sobre los detalles puede haber diferencias de opinión: en términos generales, sin embargo, un consenso es posible.

  1. La verificabilidad no lo es todo

Quien comenta los severos límites de la observación verificable se expone generalmente a la sospecha de querer desvalorizar toda observación adelantada. Pero no tendría sentido actuar de esta manera: sería decir que cualquier intento de volver a las raíces, cualquier proyecto de gran envergadura debería ser limitado en consecuencia, y que la fuerza creativa en el hombre debería dejarse marchitar. En la esfera de la acción humana, la historia tiene una función particular: "verificabilidad" no significa otra cosa más. Y llamar a esa función "compensatoria" sería minimizarla: ya que la experiencia de la historia puede tener dos efectos contrarios y radicalmente opuestos.

  1. A través de la historia experimentamos lo complejo

Seguiría siendo una de esas simplificaciones inadmisibles, como en el caso de la cuestión de la nostalgia, decir que el "conservador" experimenta la historia como un absurdo. Algunos autores han utilizado la metáfora de "lo in-significativo" ("l'in-signifiant") para denotar aquello que aparece efectivamente en todo acontecimiento histórico: a saber, el hecho de la experiencia de que la historia representa siempre un exceso con respecto a los esquemas interpretativos que tratamos de atribuirle en el pensamiento. La experiencia fundamental según la cual "el mundo no es divisible", es decir, que el pensamiento humano y la realidad nunca pueden coincidir, alcanza en la dimensión histórica una intensificación que se podría comparar con un "efecto estéreo". La historia es una escuela de humildad: todos los intentos de explicación monocausal (o incluso bi- y tricausal) se hacen añicos contra ella, y nos hace conscientes del carácter complejo de toda realidad. Esto no tiene por qué molestarnos, ni siquiera desalentarnos, sino todo lo contrario: de una manera difícil de definir (e inexplicable en términos racionales), esto puede -de hecho- impulsarnos a una apreciación más profunda. Al darnos cuenta de lo complejo que es el mundo, vivimos una especie de segundo nacimiento.

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  1. A través de la historia experimentamos la forma.

"Darle un significado a lo que no tiene significado" es igualmente una fórmula de la que debemos desconfiar. Desmiente una psicología un tanto escuálida. Es cierto que el mundo no tiene sentido y que, como el hombre no puede vivir sin sentido, pues bien, se construye uno. Pero la relación que debemos tener con la historia es aún más esencial. Este "segundo nacimiento" no sólo consiste en la experiencia de la complejidad del mundo, sino que también reside en nuestro impulso de contraponer a lo complejo (Benn o Montherlant dirían "contra el caos") una forma, una configuración. Lo que nos mueve profundamente en la historia es que el hombre siempre busca, precisamente a partir de esta experiencia de una realidad compleja, e incluso en las situaciones más desesperadas, dejar todavía un rastro detrás de él. Aunque sólo sea un rasguño en una realidad tan compacta, como dijo Malraux en alguna parte, con esa brillante despreocupación que hizo suya.

El hombre de la Aufklärung [Ilustración] dirá: "No es mucho". Nuestra respuesta sólo puede ser: "Pero lo es".

Tomado de : https://ferguscullen.blogspot.com/2020/01/armin-mohler-be...

dimanche, 29 mars 2020

Ernst Jünger et notre apocalyptique médecine moderne

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Ernst Jünger et notre apocalyptique médecine moderne

par Nicolas Bonnal

Le conseil d’actualité du maître :

« …On a déjà vu guérir bien des malades condamnés par les médecins, mais jamais celui qui s’est laissé aller… Eviter les médecins, s’en reposer sur la sagesse du corps, mais prêter à ses avis une oreille attentive, c’est pour le bien-portant la meilleure des ordonnances. Il en va de même du Rebelle, qui doit s’aguerrir en vue de situations où toute maladie autre que mortelle est considérée comme un luxe. »

Ce livre est indispensable car il dénonce la montée du monstre – et du mouton – technocratique et  postmoderne. Je cite encore des extraits du Traité du rebelle, ou le recours aux forêts (traduction Henri Plard) :

« Quant à la santé, le modèle que chacun en porte en lui-même, c’est son corps intangible, créé au-delà du temps et de ses vicissitudes, qui transparaît dans l’enveloppe physique et dont l’efficace n’est pas moins sensible dans la guérison. Toute guérison met en jeu des vertus créatrices.

Dans l’état de parfaite santé, telle qu’elle est rare de nos jours, l’homme possède aussi la conscience de cet acte d’une créature divine, dont la présence met autour de lui un nimbe visible.

Nous trouvons encore chez Homère la connaissance d’une telle fraîcheur, dont son monde est animé. Nous trouvons, unie à elle, une libre sérénité et plus les héros s’approchent des dieux, moins ils deviennent vulnérables – leur corps gagne en spiritualité.

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Actuellement encore, le salut dépend de ce rapport et il importe que l’homme se laisse guider par lui, ne dût-il que l’entrevoir. Le malade, non le médecin, est souverain, dispensateur d’une guérison qu’il tire de résidences inexpugnables. Il n’est perdu que si c’est lui qui perd l’accès de ces sources. L’homme semble souvent, dans son agonie, égaré, en quête de quelque objet. Il trouvera l’issue, en ce monde ou dans l’autre. On a déjà vu guérir bien des malades condamnés par les médecins, mais jamais celui qui s’est laissé aller.

Eviter les médecins, s’en reposer sur la sagesse du corps, mais prêter à ses avis une oreille attentive, c’est pour le bien-portant la meilleure des ordonnances. Il en va de même du Rebelle, qui doit s’aguerrir en vue de situations où toute maladie autre que mortelle est considérée comme un luxe.

Quoi qu’on pense de ce monde de sécurité sociale, d’assurances-maladie, de fabriques de produits pharmaceutiques et de spécialistes – on est plus fort quand on peut se passer de tout cela.

Un trait suspect et qui doit inciter à une extrême vigilance, est l’influence croissante que commence à exercer l’Etat sur l’administration de la santé, en se couvrant le plus souvent de prétextes philanthropiques. En outre, le médecin étant, dans bien des cas, relevé de son secret professionnel, il faudra recommander la défiance envers toute consultation. Car on ne sait jamais dans quelles statistiques on est classé, ni s’il n’y en a pas d’autres que celles des organismes médicaux. Toutes ces fabriques de santé, avec des médecins fonctionnaires mal payés, dont les cures sont surveillées par la bureaucratie de la Sécurité sociale, sont suspectes et peuvent se muer tout d’un coup en figures inquiétantes, sans même que la guerre les y oblige. Il n’est alors nullement impossible, pour dire le moins, que leurs fichiers scrupuleusement tenus fournissent ces pièces au vu desquelles on pourra être interné, châtré ou liquidé.

L’énorme clientèle que recrutent les charlatans et les guérisseurs ne s’explique pas seulement par la crédulité des masses, mais aussi par leur méfiance envers la pratique de la médecine et plus spécialement sa tendance à l’automatisme. Ces thaumaturges, malgré toute la grossièreté de leurs procédés, diffèrent cependant des médecins sur deux points importants : d’abord, ils traitent le malade comme un tout ; puis ils présentent la guérison comme un miracle. Tel est le trait qui satisfait un instinct demeuré sain et sur lequel se fondent les guérisons.

Le monde des assurances, des vaccins, de l’hygiène minutieuse, du prolongement de la moyenne de vie représente-t-il un gain réel ? Il ne vaut pas la peine d’en débattre, puisque ce monde continue à s’épanouir et que les idées sur lesquelles il s’appuie ne sont pas encore épuisées. Le navire poursuivra sa course, au-delà même des catastrophes. »

Un seul commentaire : oui, le navire de la modernité poursuit sa route, et « bien au-delà même des catastrophes ! ».

vendredi, 27 mars 2020

Evola and Italian Philosophy, 1925–49: Three Biographical and Bibliographical Essays

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Evola and Italian Philosophy, 1925–49: Three Biographical and Bibliographical Essays

by Gianfranco de Turris, Stefano Arcella & Alessandro Barbera

Translation by Fergus Cullen

The following essays all appeared in Vouloir 119–121 (1996), the supplement to the revue Orientations, edited by Robert Steuckers. They centre on Julius Evola’s relations with the two major figures of Italian philosophy in the interwar period.

In “Evola, ultime tabou?” (pp. 1–3), Gianfranco de Turris asks if the rehabilitation enjoyed by such philosophers as Giovanni Gentile, previously denounced as Fascist, might be afforded to Evola. He briefly sketches the case in his favour: unlike the marginal crank of post-War imagination, Evola seems to have maintained relations with such figures of the first rank as Gentile and Benedetto Croce. In “Gentile/Evola: une liaison ami/ennemi…” (pp. 3–5) Stefano Arcella examines Evola’s fertile collaboration with Gentile and Ugo Spirito on the Enciclopedia Italiana. And in “Quand Benedetto Croce ‘sponsorisait’ Evola” (pp. 5–7) Alessandro Barbera investigates the Croce connection, looking in some detail at the correspondence between Evola, Croce, and the publisher Laterza.

French originals:

1—http://www.archiveseroe.eu/evola-a48672110

2—http://www.archiveseroe.eu/gentile-a126198308

3—http://www.archiveseroe.eu/croce-a126196870

PDF of this translation:

https://www.academia.edu/42191919/Evola_and_Italian_Philo...

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Gianfranco de Turris

Evola: the Last taboo?

by Gianfranco de Turris

gdtlivre.jpgWe will surely remember 1994 better than 1984, which Orwell immortalised by writing his celebrated apocalyptic book predicting an ultra-totalitarian world in which we all would have been irredeemably crushed. We will not remember it solely for the political event of 27 March in Italy, but above all for the consequences that this “reversal” might (I insist on the conditional!) have in the cultural sphere. Whatever one may thing of the victory of Berlusconi and his allies, it has already had a first result: the organisation of a colloquium dedicated to the personality of Giovanni Gentile; it was held in Rome on 20 and 21 May 1994 on the initiative of the leftist municipal council (which does honour to the Italian left, as does the other colloquium it dedicated to Nietzsche). We remember he whom we always defined as the “philosopher of Fascism,” fifty years after his death, when he was assassinated by a commando of communist partisans in Florence on 15 April 1944. After having beaten a long and sinuous intellectual course, many post-Marxist philosophers, such as Colletti, Marramao and Cacciari, claimed him for an authentic figure of the left, at least in a decent part of his work.

So Gentile recovers all his dignity for the “official” culture in Italy: of course, this concerns first of all Gentile the philosopher, and not the man and political militant. All the same, his rehabilitation as a philosopher marks a step forward in the liberation of spirits. So the last taboo for Italian intellectuals remains Julius Evola, as Pierluigi Battista nicely put it in the columns of Tuttolibri. Now, this year we also commemorate the twentieth anniversary of Evola’s death (11 June 1974). For Gentile, Italian official culture has at last come to accept, after a half-century and only some years before the year 2000, the position and importance of the “actualist” and Fascist philosopher. For Evola, on the contrary, a silence is always held, even is, imperceptibly, one feels that something is in the process of changing.

Luciferian Dilettante

Evola, in official culture, is thrown from one extreme to the other: on the one hand, he’s a demon, the Devil, an almost Luciferian personage, an ultra-racist to whom salvation is never to be granted; on the other, he’s culture’s sock-puppet, the inexact dilettante, unscientific and superficial, a clown of esotericism, “il Divino Otelma.” In interesting ourselves in him, we then risk toppling into the laughable, unless a more authorised voice begins to speak of him.

So there is still much work to be done on Evola, whether it be as a thinker of multiple interests, as an organiser of colloquia and promoter of intellectual initiatives between the Wars, as a man of culture and innumerable contacts, who received many suggestions from his contemporaries and gave in his turn.

During the twenty years that have passed since his death, few things have been done on his work and person in Italy; and these were the work of a small number of those who had always referred to Evola. We’ve found neither the time nor the manpower. It’s a bitter truth; but it’s so. It suffices to consider archival research: to reconstitute the facts and ideas, to fill in the “voids” in the life and in the evolution of Evolian thought, we need the documents; and these are still not all archived. The documents exist: it suffices to go and search where one thinks they might be found…

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For example, we don’t have access to the complete documentation on the relations between Evola and the Italian philosophical world of the ’20s and ’30s: Croce, Gentile, Spirito, Tilgher… We only finally know what Evola recounts of himself in his “spiritual autobiography,” The Path of Cinnabar. Ultimately, we know what we can deduce of his positions on diverse philosophical systems and on what we surmise intuitively. In general, we only know the views and opinions on Evola of the historians and academics who have especially studied that period of Italian culture: and they say that Evola was an isolated, marginal figure; that his ideas were not taken into consideration; that he was a singular, if not folkloric, figure. But do these opinions really correspond to reality?

We believe that we can today affirm that things were not so simple: that Evola was more relevant in his epoch than we’ve believed him to be. And we affirm this on the basis of a series of indications, hidden until today. The Roman weekly L’Italia settimanale is cataloguing these indications for the first time in a special supplement, in the hope of provoking debate and research.

Sponsored by Croce?

Evola maintained far more complex relations with Croce and Gentile that we’ve believed for many decades. Can we imagine an Evola “sponsored” by Croce? An Evola, collaborator with the Enciclopedia Italiana, patronised by the Mussolinian regime and directed by Gentile? An Evola close to Adriano Tilgher? An Evola in direct contact with Ugo Spirito? We can now divine that these relations were pursued more than we imagined them; but we have neither formal proofs nor the documents that definitively attest to them. The “isolated figure” was not, ultimately, isolated; the marginalised personage, as well, was not marginalised as we wished to say; the intellectual who, under Fascism, had amounted to not much, or missed out on everything, had been, ultimately, of more impact that we’d thought him. I think that we must seek out and recognise our fault: that of not having contemplated this sooner, and having given a truncated picture of Evola; with a complete vision of Evolian words and deeds, we may be able to refute many commonplaces. This won’t be possible unless the Croce Archives at Naples and the Gentile Foundation at Rome agree to let us consult the documents they hold and that concern the relations of Croce and Gentile with Evola.

Better late than never. The future will tell, after our work is done, whether Evola will always be, for progressivist culture, a taboo, will be the Devil, a clown…

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Stefano Arcella

Gentile and Evola: Friends and Enemies

by Stefano Arcella

The relations between Evola and Gentile have always been seen from the perspective of conflict, from the perspective of profound differences between the respective philosophical orientations of the two men. Evola, in his speculative period (1923–7), elaborated a conception of the absolute individual, representing a decisive overcoming of idealist philosophy in all its multiple formulations—notably those of Croce’s idealism and Gentile’s actualism. Evola, in reaching the end of his speculations, already approached the threshold of tradition, understood and perceived as openness to transcendence, and towards esotericism (as an experimental method for the knowledge and realisation of the self). His speculative period had thus been a necessary step on his path towards Tradition.

For all that, in the history of the relations between these two thinkers, there is an element that has remained utterly unknown before now: if we make ourselves aware of it, we acquire a clearer, more direct and more complete vision of the bond that united these two men—enemies to all appearances. This element is the correspondence between Evola and Gentile, which we can now consule, thanks to the courtesy the Fondazione Gentile has shown. This correspondence dates to the years 1927–9, to the time during which Evola directed the revue Ur, a publication aimed at working out a science of the Self, and which was subsequently titled a “revue of esoteric science.”

It was at this time that Gentile, with his collaborators, prepared a work of great scientific importance: the Enciclopedia Italiana, of which he was the first director. The first volume of this gargantuan work, commissioned by the Mussolinian regime, was produced in 1929. The following tomes appeared quarterly.

The most significant letter, at least from an historico-cultural perspective, is that sent by Evola to Gentile on 2 May 1928 (the year in which Imperialismo pagano was published). This letter is on paper with the letterhead of the revue Ur; it thanks Gentile heartily for having acted upon his wish to collaborate on the Enciclopedia Italiana; and Evola, in what follows, makes reference to his friend Ugo Spirito regarding the areas that might fall within his expertise.

This collaboration is confirmed in a letter of 17 May 1929, in which Evola reminds Gentile that the latter entrusted the writing of certain entries to Ugo Spirito, who in turn entrusted them to him. In this letter, Evola doesn’t specify precisely which entries are concerned, which makes our researches more difficult. Currently, we have identified with only one entry with certitude, relating to the term “Atanor,” signed with the initials “G.E.” (Giulio Evola).

These points can be verified in the volume Enciclopedia Italiana: Come e da chi è stata fatta, published under the auspices of the Istituto dell’Enciclopedia Italiana in Milan in 1947. Evola is mentioned in the list of collaborators (Evola, Giulio, p. 182); and also mentioned are the initials which he used to sign the entries of his expertise (G. Ev.), as well as the specialism in which his expertise was incorporated: “occultism.” This term designates the specialisation of the Traditionalist thinker, and not an entry in the Encyclopaedia. Furthermore, the citations, which this little introductory volume indicates beside the matter treated, suggest the volume on which Evola collaborated especially: it was vol. V, published in 1930, whose first entry was “Assi,” and last “Balso.”

Currently, we seek to identify precisely the notes prepared by Evola himself for this volume. We account for the fact that a good number of entries weren’t signed, and that the preparatory material for the Encyclopaedia must constantly be recategorised and put in order under the auspices of the Archivio Storico dell’Enciclopedia Italiana, because these masses of documents were dispersed in the course of the Second World War. Indeed, one part of the documentation had been transferred to Bergamo under the Social Republic.

Another element lets us verify Evola’s participation in this work of broad scope: Ugo Spirito mentions the name Evola in a text of 1947 among the writers of the Encyclopaedia in the domains of philosophy, economy and law. Identical indications are found in vol. V of 1930.

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On the basis of his data, further considerations are in order. The fact that Evola wrote to Gentile on paper with the Ur letterhead, on 2 May 1928, is not random.

Evola was not a man who acted at random, above all when he might be put in contact with a philosopher of Gentile’s standing, a figure of the first rank in the Italian cultural landscape of the era. Evola then didn’t present himself to the theoretician of actualism in a personal capacity, but as the representative of a cultural thread which found its expression in Ur, the revue of which he was the director. Evola hereby attempted to formalise esoteric studies and sciences within the bounds of the dominant culture, at the historical moment at which Mussolinian Fascism triumphed. This purpose is divined immediately when one knows that the discipline attributed especially to Evola in the Encyclopaedia was “occultism.”

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Giovanni Gentile

Gentile then accepts Evola’s collaboration, which represents, in fact, an avowed recognition of the qualifications of the theoretician of the absolute individual, as well as an indication of the attention given by Gentile to the themes treated in Ur, beyond the convictions that oppose one man to the other, and the irreducible differences of a philosophical order that separate them. Evola’s collaboration on the Encyclopaedia directed by Gentile proves that the latter counted him among the first rank of scientific minds, the cultural prestige of which was incontestable in the Italy of that epoch. From these epistolary exchanges between Evola and Gentile, we can deduce, today, a lesson which the two philosophers bequeath us in concert: they both show themselves capable of harmoniously integrating coherences to which they are strangers—coherences which contradict their own principles—which attests to an openness of spirit and a propensity for dialogue; to fertile confrontation and to collaboration, even and above all with those who express a marked otherness in character and ideas. Coherence is a positive force: it is not the rigidity of him who shuts himself up in sterile isolation. A fair play upon which it suits to meditate at this moment, at which some shout their heads off for a new inquisition.

For fifty years, we have witnessed an uncritical, misguided and unfounded demonization of our two thinkers; we’ve observed a gulf of incomprehension, of barriers which, happily, we might begin to break today, in view of the processes of transformation at work in the world of culture. All the same, the degradation of cultural debate in the aftermath of anti-fascism or party spirit is an unhappy reality of our era. To reverse the trend, it suits to return the spotlight on these bonds between Evola and Gentile—between two philosophers belonging to entirely different and opposite schools—in order to launch a debate at the Italian national level; to re-examine the roots of our recent history; to recuperate what has been unjustly stifled since 1945 and scrubbed from our consciousness in a burning fever of damnatio memoriae.

In conclusion, besides the path that the consultation of the Laterza archives offers us to explore the relations between Croce and Evola, we would also like to consult the letters of Croce; but alas, the Croce Archives have told us in so many words that “those letters are not consultable.” These are politics diametrically opposed to those practiced by the Fondazione Gentile, which itself permits one to consult, without difficulty, the letters of which I’ve informed you.

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Alessandro Barbero

When Benedetto Croce “Sponsored” Evola

by Alessandro Barbero

Julius Evola and Benedetto Croce. In appearance, these two thinkers are very distant from one another. That said, for a certain period of their coexistence, they were in contact. And it wasn’t an ephemeral episode, but a link of long standing, lasting for almost a decade, from 1925 to 1933. To be more precise, we should say that Croce, in this relation, played the part of “protector,” and Evola the role of “protégé.” This relation began when Evola entered the prestigious Areopagus of authors at the publisher Laterza of Bari.

In the ’30s, Evola published many works with Laterza, which have been reissued post-War. Now, today, we still don’t know the details of these links within the publisher. In fact, two researchers, Daniela Coli and Marco Rossi, have already furnished us in the past with intelligence on the triangular relation between Evola, Croce and the publisher Laterza. Daniela Coli approached the question in a work published ten years ago with Il Mulino (Croce, Laterza e la cultura europea, 1983). Marco Rossi, for his part, raised the question in a series of articles dedicated to the cultural itinerary of Julius Evola in the ’30s, and published in Renzo de Felice’s review Storia contemporanea (6, December 1991). In his autobiography, The Cinnabar Path (Scheiwiller, 1963), Evola evokes the relations he maintained with Croce, but tells us very little, ultimately: far less, in any case, than we can divine today. Evola wrote that Croce, in a letter, did him the honour of appraising one of his books: “Well ordered, and underpinned by reasoning quite exact.” And Evola adds that he knew Croce well, personally. The inquest leads us straight to the archives of the publishers at Bari, currently deposited at the State archives of that town, which might consent to furnish us with far more detailed indications as to the relations having united these two men.

The first of Evola’s letters that we find in Laterza’s house archives isn’t dated, but must trace to the end of June 1925. In this missive, the Traditionalist thinker replies to a preceding negative response, and pleads for the publication of his Teoria dell’individuo assoluto. He writes:

It is assuredly not a happy situation in which I find myself, I, the author, obliged to insist and to struggle for your attention on the serious character and interest of this work: I believe that the recommendation of Mr. Croce is a sufficient guarantee to prove it.

Theory of the Absolute Individual

The liberal philosopher’s interest is also confirmed in a letter addressed by Laterza to Giovanni Preziosi, send on 4 June of the same year. The publisher writes: “I have had on my desk for more than twenty hours the notes that Mr. Croce sent me concerning J. Evola’s book, Teoria dell’individuo assoluto; and he recommends its publication.” In fact, Croce visited Bari around 15 May; and it was on this occasion that he transmitted his notes to Giovanni Laterza. But the book was published by Bocca in 1927. That was the first intervention, of a long series, by the philosopher in Evola’s favour.

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Some years later, Evola returned to knock at the door of the Bari publisher, in order to promote another of his works. In a letter sent on 23 July 1928, the Traditionalist proposed to Laterza the publication of a work on alchemical Hermeticism. On this occasion, he reminded Laterza of the Croce’s intercession on behalf of his work of a philosophical nature. This time once more, Laterza responded in the negative. Two years passed before Evola reoffered the book, having on this occasion obtained, for the second time, Croce’s support. On 13 May 1930, Evola wrote: “Senator Benedetto Croce communicated to me that you do not envisage, in principle, the possibility of publishing one of my works on the Hermetic tradition in your collection of esoteric works.” But this time, Laterza accepted Evola’s request without opposition. In the correspondence of that era between Croce and Laterza that one finds in the archives, there are no references to this book of Evola’s. This is why we may suppose that they had spoken of it in person at Croce’s house in Naples, where Giovanni Laterza has in fact stayed some days previous. In conclusion, five years after his first intervention, Croce succeeded finally in getting Evola into Laterza’s catalogue.

The third expression of interest on the part of Croce probably originated in Naples, and concerns the reedition of Cesare della Riviera’s book, Il mondo magico degli Heroi. Of the dialogues relative to this reedition, we find a first letter of 20 January 1932, in which Laterza complains to Evola of having failed to find notes on this book. A day later, Evola responds and asks that he be procured a copy of the original second edition, that he might cast an eye over it. Meanwhile, on 23 January, Croce wrote to Laterza:

I have seen in the shelves of the Biblioteca Nazionale that book of Riviera’s on magic; it’s a lovely example of what I believe to be the first edition of Mantova, 1603. It must be reissued, with dedication and preface.

The book ended up being published with a preface by Evola and his modernised transcription. A reading of the correspondence permits us to admit the following hypothesis: Croce had suggested to Laterza to entrust this work to Evola. The latter, in a letter to Laterza dated 11 February, gave his view and judged that “the thing was more boring that I’d thought it would be.”

The Anthology of Bachofen’s Writings

The fourth attempt, which was not welcomed, concerned a translation of selected writings by Bachofen. In a letter of 7 April 1933, to Laterza, Evola wrote:

With Senator Croce, we once mentioned the interest which might receive a translation of passages selected from Bachofen, a philosopher of myth much in vogue today in Germany. If this thing interests you (it might eventually join the “Modern Culture” series), I can tell you what it concerns, taking into account the opinion of Senator Croce.

In fact, Croce was preoccupied by Bachofen’s theses, as a series of articles from 1923 demonstrates. On 12 April, Laterza consults the philosopher: “Evola wrote me that you had spoken of a volume that would compile passages selected from Bachofen. Is it a project that we ought to take into consideration?” In Croce’s response, dated the following day, there is no reference to this project; but we ought to account for one fact: the letter has not been conserved in its original form.

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Benedetto Croce

Evola, in any case, had not rejected the idea of producing this anthology of Bachofen’s writings. In a letter of 2 May, he announces that he proposes “to write to Senator Croce, that he might remind him of to what he had alluded” in a conversation between the two. In a second letter, dated to 23, Evola asked of Laterza if he in turn had asked the opinion of Croce, while confirming that he’d written to the philosopher. Two days later, Laterza declares not “to have asked Croce for his opinion” regarding the translation, because, he adds, “he fears lest he approve of it.” This is clearly a deceit. In fact, Laterza had asked the opinion of Croce; but we still don’t know what this opinion was, nor what had been decided. The anthology of selected writings of Bachofen was finally produced, many years later, in 1949, by Bocca. From 1933, the links between Evola and Croce seem to come to an end, at least from what the Laterza house archives permit us to include.

To find the trace of a reconciliation, we must refer ourselves to the post-War period, when Croce and Evola almost met once more in the world of publishing, but without the Traditionalist thinker noticing. In 1948, on 10 December, Evola proposed to Franco Laterza, who had just succeeded his father, to publish a translation of a book by Robert Reininger, Nietzsche e il senso de la vita. After having received the text, on 17 February, Laterza wrote to Alda Croce, the daughter of the philosopher: “I enclose to you a manuscript on Nietzsche, translated by Evola. It seems to me a good work; might you see if we can include it in the ‘Library of Modern Culture’?” On 27 of the same month, the philosopher responds. Croce considers that the operation might be possible; but he provides a few reservations all the same. He postpones his decision till Alda’s return, who was a few days in Palermo. The final decision was taken in Naples, around the 23 March 1949, in the presence of Franco Laterza. The opinion of Croce is negative, seemingly under the influence of his daughter Alda. On 1 April, Laterza confirms to Evola that “the book was much appreciated [without specifying by whom] on account of its quality,” but that, for reasons of “expediency,” it had been decided not to publish it. The translation appeared much later, in 1971, with Volpe.

This refusal to publish puzzled Evola, who didn’t know the real whys and wherefores. A year later, in some letters, returning the issue to the table, Evola raised the hypothesis of a “purge.” This insinuation irritated Laterza. Following this controversy, relations between the writer and the publisher cooled. In the final analysis, we can conclude that Evola was introduced to Laterza thanks to Croce’s interest in him. He left on account of a negative opinion offered by Alda, Croce’s daughter, on one of his proposals.

jeudi, 26 mars 2020

Ernst Jünger entre panique, système et rebelle

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Ernst Jünger entre panique, système et rebelle

par Nicolas Bonnal

Le système occidental use de la peur pour se maintenir. Virus, terrorisme, chiites, climat nationalisme, fascisme, Chine, sexisme, Poutine, ce qu’on voudra, tout justifie l’agenda.

Nous autres antisystèmes sommes aussi soumis à un feu croisé d’affolements divers : troisième GM, faillite du système, acheter de l’or, fin des religions, culture Illuminati, disparition des libertés, de l’eau, de l’air, du reste… On en deviendrait drôle ! Cela n’empêche pas de continuer de cliquer et de laisser Assange à ses bourreaux.

Un qui en a bien parlé de cette conjonction du monde automatique moderne et de la croissance corrélée de la panique est Ernst Jünger. Traité du rebelle, XIII…

71LDopSYPwL.jpg« La peur est l’un des symptômes de notre temps. Elle nous désarme d’autant plus qu’elle succède à une époque de grande liberté individuelle, où la misère même, telle que la décrit Dickens, par exemple, était presque oubliée. »

Jünger évoque justement le Titanic ; on se souvient du succès effarant de ce film répugnant. Il écrit donc :

« Comment ce passage s’est-il produit ? Si l’on voulait nommer l’instant fatal, aucun, sans doute, ne conviendrait mieux que celui où sombra le Titanic. La lumière et l’ombre s’y heurtent brutalement : l’hybris du progrès y rencontre la panique, le suprême confort se brise contre le néant, l’automatisme contre la catastrophe, qui prend l’aspect d’un accident de circulation. »

Jules Verne a bien montré que l’automatisme (la civilisation mécanique) croissait avec la peur. Voyez les 500 millions de la Bégum qui montre la montée du péril parano allemand sur fond de grosse industrialisation. Il y a une grosse promesse, raconte Jünger, mais elle croît avec un grand risque et une grosse trouille :

« Il est de fait que les progrès de l’automatisme et ceux de la peur sont très étroitement liés, en ce que l’homme, pour prix d’allégements techniques, limite sa capacité de décision. Il y gagne toute sorte de commodités. Mais, en contrepartie, la perte de sa liberté ne peut que s’aggraver. La personne n’est plus dans la société comme un arbre dans la forêt ; elle ressemble au passager d’un navire rapide, qui porte le nom de Titanic, ou encore de Léviathan. Tant que le ciel demeure serein et le coup d’œil agréable, il ne remarque guère l’état de moindre liberté dans lequel il est tombé. Au contraire : l’optimisme éclate, la conscience d’une toute-puissance que procure la vitesse. Tout change lorsqu’on signale des îles qui crachent des flammes, ou des icebergs. Alors, ce n’est pas seulement la technique qui passe du confort à d’autres domaines : le manque de liberté se fait sentir, soit que triomphent les pouvoirs élémentaires, soit que des solitaires, ayant gardé leur force, exercent une autorité absolue. »

Jünger a vu le lien entre les mythes grecs et le progrès technique, comme Anouilh, Giraudoux, Domenach, Cocteau et quelques autres. Le Titanic n’est pas seul en cause. C’est aussi le syndrome du radeau de la méduse, épisode affreux de notre histoire et qui rappelle que la méduse nous transforme en pierres (en cœurs de pierre).

Et nous finissons comme des bougies dans un tableau de Bosch :

« On pourrait élever une objection : d’autres ères de crainte, de panique, d’Apocalypse ont suivi leur cours, sans que ce caractère d’automatisme vînt les renforcer, leur servir d’accompagnement.

Laissons ce point : car l’automatisme ne prend ce caractère terrifiant que s’il s’avère être l’une des formes, le style même de la fatalité, dont Jérôme Bosch donnait déjà une représentation incomparable. »

Mais Jünger souligne l’essentiel. Nous crevons de trouille et c’est la marque du monde moderne (la vie aurait dû rester un « risque à courir, pas un problème à résoudre », comme dit un Bernanos écœuré) :

« On constatera que presque tous, hommes ou femmes, sont en proie à une panique telle qu’on n’en avait plus vu dans nos contrées depuis le début du Moyen Age. On les verra se jeter avec une sorte de rage dans leur terreur, en exhiber sans pudeur ni retenue les symptômes. »

On veut se cacher (collapsologues, catastrophistes, apocalyptiques, à vos bateaux, à votre or, à vos cavernes !) :

71XW0DHwSNL.jpg« On assiste à des enchères où l’on dispute s’il vaut mieux fuir, se cacher ou recourir au suicide, et l’on voit des esprits qui, gardant encore toute leur liberté, cherchent déjà par quelles méthodes et quelles ruses ils achèteront la faveur de la crapule, quand elle aura pris le pouvoir. »

L’automatisme progresse évidemment avec la panique, et dans le pays qui reste le plus avancé, l’Amérique :

« La panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même. » 

Jünger va même plus loin ici :

« Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques. »

Nous avons parlé du rôle narcotique de l’info dans un texte ici-même, en citant Platon, Théophraste, Fichte et Thoreau. Reprenons Thoreau :

« À peine un homme fait-il un somme d’une demi-heure après dîner, qu’en s’éveillant il dresse la tête et demande : « Quelles nouvelles ? » comme si le reste de l’humanité s’était tenu en faction près de lui. Il en est qui donnent l’ordre de les réveiller toutes les demi-heures, certes sans autre but ; sur quoi en guise de paiement ils racontent ce qu’ils ont rêvé. Après une nuit de sommeil les nouvelles sont aussi indispensables que le premier déjeuner. »

« Dites-moi, je vous prie, n’importe ce qui a pu arriver de nouveau à quelqu’un, n’importe où sur ce globe ? »

Nous risquons toujours la guerre avec la Chine et la Russie, comme durant la Guerre Froide. Jünger remarque :

« Il est certain que l’Est n’échappe pas à la règle. L’Occident vit dans la peur de l’Est, et l’Est dans la peur de l’Occident. En tous les points du globe, on passe son existence dans l’attente d’horribles agressions. Nombreux sont ceux où la crainte de la guerre civile l’aggrave encore.

La machine politique, dans ses rouages élémentaires, n’est pas le seul objet de cette crainte. Il s’y joint d’innombrables angoisses. Elles provoquent cette incertitude qui met toute son espérance en la personne des médecins, des sauveurs, thaumaturges. Signe avant-coureur du naufrage, plus lisible que tout danger matériel. »

Ce naufrage n’est pas très prometteur d’autant que la solution semble impossible. Jünger envoie promener le yoga, pourtant recommandé avec la Kabbale dans Sex in the City :

« Reste à signaler une source d’erreurs – nous songeons à la confiance en l’imagination pure. Nous admettrons qu’elle mène aux victoires spirituelles.

Mais notre temps exige autre chose que la fondation d’écoles de yoga. Tel est pourtant le but, non seulement de nombreuses sectes, mais d’un certain style de nihilisme chrétien, qui se rend la tâche trop facile. On ne peut se contenter de connaître à l’étage supérieur le vrai et le bon, tandis que dans les caves on écorche vifs vos frères humains. »

Reconnaissons que nous avons progressé. On les écorche moins vifs, on les bourre vifs et on les surinforme vifs. Mais passons. Jünger encore pour conclure (si c’est encore possible) :

« Car nous ne sommes pas impliqués dans notre seule débâcle nationale ; nous sommes entraînés dans une catastrophe universelle, où l’on ne peut guère dire, et moins encore prophétiser, quels sont les vrais vainqueurs, et quels sont les vaincus. »

Comme on sait Jünger défend le recours aux forêts. Comme on sait aussi les montagnes sont bourrées de parkings payants et nous venons d’apprendre que dans les Pyrénées la ballade sera payante. On paie un automate…

Jünger définit son rebelle :

« Quant au Rebelle, nous appelons ainsi celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l’univers, se voit enfin livré au néant. Tel pourrait être le destin d’un grand nombre d’hommes, et même de tous – il faut donc qu’un autre caractère s’y ajoute. C’est que le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir. Est rebelle, par conséquent, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l’entraîne dans le temps à une révolte contre l’automatisme et à un refus d’en admettre la conséquence éthique, le fatalisme. »

Sources:

Jünger – Traité du rebelle, le recours aux forêts –archive.org

 

samedi, 21 mars 2020

Ernst Jünger et nos paniques modernes

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Ernst Jünger et nos paniques modernes

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Ernst Jünger et nos paniques modernes : « La panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même… Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques.»

Le système encense l’effroi. Terrorisme, chiites, climat, racisme, fascisme, Chine, sexisme, virus, Poutine, ce qu’on voudra, tout justifie l’agenda.

Nous autres antisystèmes sommes aussi soumis à un feu croisé d’affolements divers : troisième GM, faillite du système, acheter de l’or, fin des religions, culture Illuminati, disparition des libertés, de l’eau, de l’air, du reste…

Un qui en a bien parlé de cette conjonction du monde automatique moderne et de la croissance corrélée de la panique est Ernst Jünger. Traité du rebelle, XIII…

« La peur est l’un des symptômes de notre temps. Elle nous désarme d’autant plus qu’elle succède à une époque de grande liberté individuelle, où la misère même, telle que la décrit Dickens, par exemple, était presque oubliée. »

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Jünger évoque justement le Titanic ; on se souvient du succès effarant de ce film répugnant. Il écrit donc :

« Comment ce passage s’est-il produit ? Si l’on voulait nommer l’instant fatal, aucun, sans doute, ne conviendrait mieux que celui où sombra le Titanic. La lumière et l’ombre s’y heurtent brutalement : l’hybris du progrès y rencontre la panique, le suprême confort se brise contre le néant, l’automatisme contre la catastrophe, qui prend l’aspect d’un accident de circulation. »

Jules Verne a bien montré que l’automatisme (la civilisation mécanique) croissait avec la peur. Voyez les 500 millions de la Bégum qui montre la montée du péril parano allemand sur fond de grosse industrialisation.

Jünger a vu le lien entre les mythes grecs et le progrès technique, comme Anouilh, Giraudoux, Domenach, Cocteau et quelques autres. Le Titanic n’est pas seul en cause. C’est aussi le syndrome du radeau de la méduse, épisode affreux de notre histoire et qui rappelle que la méduse nous transforme en pierres (en cœurs de pierre).

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Et nous finissons comme des bougies dans un tableau de Bosch :

« On pourrait élever une objection : d’autres ères de crainte, de panique, d’Apocalypse ont suivi leur cours, sans que ce caractère d’automatisme vînt les renforcer, leur servir d’accompagnement.

Laissons ce point : car l’automatisme ne prend ce caractère terrifiant que s’il s’avère être l’une des formes, le style même de la fatalité, dont Jérôme Bosch donnait déjà une représentation incomparable. »

Mais Jünger souligne l’essentiel. Nous crevons de trouille et c’est la marque du monde moderne (la vie aurait dû rester un « risque à courir, pas un problème à résoudre », comme dit un Bernanos écœuré) :

« On constatera que presque tous, hommes ou femmes, sont en proie à une panique telle qu’on n’en avait plus vu dans nos contrées depuis le début du Moyen Age. On les verra se jeter avec une sorte de rage dans leur terreur, en exhiber sans pudeur ni retenue les symptômes. »

On veut se cacher (collapsologues, catastrophistes, apocalyptiques, à vos bateaux, à votre or, à vos cavernes !) :

 « On assiste à des enchères où l’on dispute s’il vaut mieux fuir, se cacher ou recourir au suicide, et l’on voit des esprits qui, gardant encore toute leur liberté, cherchent déjà par quelles méthodes et quelles ruses ils achèteront la faveur de la crapule, quand elle aura pris le pouvoir. »

L’automatisme progresse évidemment avec la panique, et dans le pays qui reste le plus avancé, l’Amérique :

« La panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même. » 

Jünger va même plus loin ici :

« Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques. »

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Nous risquons toujours la guerre avec la Chine et la Russie, comme durant la Guerre Froide. Jünger remarque :

« Il est certain que l’Est n’échappe pas à la règle. L’Occident vit dans la peur de l’Est, et l’Est dans la peur de l’Occident. En tous les points du globe, on passe son existence dans l’attente d’horribles agressions. Nombreux sont ceux où la crainte de la guerre civile l’aggrave encore.

La machine politique, dans ses rouages élémentaires, n’est pas le seul objet de cette crainte. Il s’y joint d’innombrables angoisses. Elles provoquent cette incertitude qui met toute son espérance en la personne des médecins, des sauveurs, thaumaturges. Signe avant-coureur du naufrage, plus lisible que tout danger matériel. »

Jünger encore pour conclure (si c’est encore possible) :

« Car nous ne sommes pas impliqués dans notre seule débâcle nationale ; nous sommes entraînés dans une catastrophe universelle, où l’on ne peut guère dire, et moins encore prophétiser, quels sont les vrais vainqueurs, et quels sont les vaincus. »

Comme on sait Jünger défend le recours aux forêts. Comme on sait aussi les montagnes sont bourrées de parkings payants et nous venons d’apprendre que dans les Pyrénées la ballade sera payante. On paiera un automate. Mais ne paniquons pas !

Bonne continuation…

Sources

Jünger – Traité du rebelle, le recours aux forêts – archive.org

Freyer, Hans (Johannes)

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Freyer, Hans (Johannes)

Elfriede Üner

Ex: http://www.uener.com

(Lexikon Artikel im "Lexikon des Konservatismus", Leopold-Stocker-Verlag, Graz/Stuttgart 1996)

geb. 31.7.1887 Leipzig; gest. 18.1.1969 Ebersteinburg/Baden-Baden.

Deutscher Philosoph und Soziologe; Schwerpunkte historische politische Soziologie und Kulturtheorie der Industriegesellschaft.

Revolution-von-rechts-e1547504426465-210x300.jpgDer Sohn eines sächsischen Postdirektors erhielt seine Gymnasialausbildung am königlichen Elitegymnasium zu Dresden-Neustadt, studierte von 1907 bis 1911 in Leipzig Philosophie, Psychologie, Nationalökonomie und Geschichte, u.a. bei Wilhelm Wundt und Karl Lamprecht, in deren universalhistorischer Tradition er seine ersten Arbeiten zur Geschichtsauffassung der Aufklärung (Diss. 1911) und zur Bewertung der Wirtschaft in der deutschen Philosophie des 19. Jahrhunderts (Habilitation 1921) verfaßte. Nach zusätzlichen Studien in Berlin mit engen Kontakten zu Georg Simmel und Lehrtätigkeit an der Reformschule der Freien Schulgemeinde Wickersdorf kämpfte F. mit dem Militär-St.-Heinrichs-Orden ausgezeichnet im Ersten Weltkrieg. Als Mitglied des von Eugen Diederichs initiierten Serakreises der Jugendbewegungverfaßte F. an die Aufbruchsgeneration gerichtete philosophischen Schriften: Antäus (1918), Prometheus (1923), Pallas Athene (1935). Von 1922 bis 1925 lehrte er als Ordinarius hauptsächlich Kulturphilosophie an der Universität Kiel, erhielt 1925 den ersten deutschen Lehrstuhl für Soziologie ohne Beiordnung eines anderen Faches in Leipzig und widmete sich von nun an der logischen und historisch-philosophischen Grundlegung dieser neuen Disziplin. In Auseinandersetzung mit dem Positivismus seiner Lehrer und mit der Philosophie Hegels sollten typische gesellschaftliche Grundstrukturen herausgearbeitet und ihre historischen Entwicklungsgesetze gefunden werden. Darüber hinaus ist für F. die Soziologie als konkrete historische Erscheinung, erst durch die abendländische Aufklärung möglich geworden, Äußerung einer vorher nie dagewesenen gesellschaftlichen Emanzipation zur wissenschaftlichen Selbstreflexion, drückt deshalb als "Wirklichkeitswissenschaft" in der Erfassung des gegenwärtigen gesellschaftlichen Wandels auch den kollektiven Willen aus, ist also als Wissenschaft zugleich politische Ethik, die die Richtung des gesellschaftlichen Wandels zu bestimmen hat.

81BnL7dXLWL.jpgF. war ab 1933 Direktor des Instituts für Kultur- und Universalgeschichte an der Leipziger Universität. Als neu gewählter Präsident der Deutschen Gesellschaft für Soziologie legte er diese 1933 still, um eine politische "Gleichschaltung" zu verhindern. Den damaligen europäischen politischen Umbrüchen brachte F. als Theoretiker des Wandels zunächst offenes Interesse entgegen, fühlte sich der theoretischen Erfassung dieser Entwicklungen verpflichtet und war deshalb nie aktives Mitglied einer politischen Partei oder Bewegung; er wurde später der "konservativen Revolution" der zwanziger Jahre als "jungkonservativer Einzelgänger" (Mohler) zugeordnet. Die vor 1933 noch idealistisch formulierte Konzeption des Staates als höchste Form der Kultur (1925) hat F. im Lauf der bedrohlichen politischen Entwicklung revidiert in seinen Studien über Machiavelli (1936) und Friedrich den Großen (Preußentum und Aufklärung 1944) durch einen realistischen Staatsbegriff, der ausschließlich durch Gemeinwohl, langfristige gesellschaftliche Entwicklungsperspektiven und durch prozessuale Kriterien der Legitimität gerechtfertigt ist: durch den Dienst am Staat, der aber den Menschen keinesfalls total vereinnahmen darf, sowie die Prägekraft des Staates, der dem Kollektiv ein gemeinsames Ziel gibt, aber dennoch die Freiheit und Menschenwürde seiner Bürger bewahrt. Insbesondere gelang F. in der Darstellung der Legitimität als generellem Gesetz jeder Politik eine dialektische Verknüpfung des naturrechtlichen Herrschaftsgedankens mit der klassischen bürgerlich-humanitären Aufklärung: Nur die Herrschaft ist legitim, die dem Sinn ihres Ursprungs entspricht - es muß das erfüllt werden, was das Volk mit der Einsetzung der Herrschaft gewollt hat.

Als Gastprofessor für deutsche Kulturgeschichte und -philosophie an der Universität Budapest (1938-45) verfaßte F. sein größtes historisches Werk, die "Weltgeschichte Europas", eine Epochengeschichte der abendländischen Kultur. Von den politischen Bestimmungen der Amtsenthebung nicht betroffen lehrte F. ab 1946 wieder in Leipzig, wurde 1947 nach einer durch G. Lukács ausgelösten ideologischen Debatte entlassen, war danach Redakteur des Neuen Brockhaus in Wiesbaden, lehrte 1955 bis 1963 Soziologie an der Universität Münster und nahm mehrere Gastprofessuren in Ankara und Argentinien wahr. 1958 leitete er als Präsident den Weltkongreß des Institut International de Sociologie in Nürnberg und wurde mit dem Ehrendoktor der Wirtschaftswissenschaften in Münster (1957) und der Ingenieurswissenschaften an der Technischen Hochschule in München (1961) ausgezeichnet.

41IpH1pl9ML._SX311_BO1,204,203,200_.jpgZentraler Gesichtspunkt seiner Nachkriegsschriften war die gegenwärtige Epochenschwelle, der Übergang der modernen Industriegesellschaft zur weltweit ausgreifenden wissenschaftlich-technischen Rationalität, deren "sekundäre Systeme" alle naturhaft gewachsenen Lebensformen erfassen. F. weist nach, wie diese Fortschrittsordnung zum tragenden Kulturfaktor wird in allen Teilentwicklungen: der Technik, Siedlungsformen, Arbeit und Wertungen. Seine frühere integrative Perspektive einer Kultursynthese wird ersetzt durch den Konflikt von eigengesetzlichen, künstlichen Sachwelten einerseits und den "haltenden Mächte" des sozialen Lebens andererseits, die im "Katarakt des Fortschritts" auf wenige, die private Lebenswelt beherrschende Gemeinschaftsformen beschränkt sind. Jedoch bleibt die Synthese von "Leben" und "Form", von Menschlichkeit und technischer Zivilisation für F. weiterhin unerläßlich für den Fortbestand jeder Kultur, im krisenhaften Übergang noch nicht erreicht, aber durchaus denkbar jenseits der Schwelle, wenn sich die neue geschichtliche Epoche der weltumspannenden Industriekultur konsolidieren wird. F.s Theorie der Industriekultur, kurz vor seinem Tode begonnen, ist unvollendet geblieben. Sein strukturhistorisches Konzept der Epochenschwelle hat in der deutschen Nachkriegssoziologie weniger Aufnahme gefunden, während es in der deutschen Geschichtswissenschaft wesentlich zur Überwindung einer evolutionären Entwicklungsgeschichte beigetragen hat und eine sozialwissenschaftlich orientierte Strukturgeschichtsschreibung einleitete, wofür F.s Konzept der Eigendynamik der sekundären Systeme ebenso ausschlaggebend war.

F. hielt andererseits an einem gegen die Sachgesetzlichkeiten gerichteten Begriff der Geschichte als souveräne geistige Verfügung über Vergangenheit fest. Die Annahme einer selbstläufigen Entwicklung ist nach F. dem Geschichtsdenken des 19. Jahrhunderts verhaftet, ein modernes historisches Bewußtsein hat solchen Chiliasmus abgetan. Geschichte als Reservoir von Möglichkeiten für konkrete Zielformulierungen kann Wege öffnen zur Bewältigung der Entfremdung durch sekundäre Systeme. Zugleich weist F. auf die Paradoxie eines rein konservativen Handelns hin: Ein Erbe nur zu hüten ist gefährlich, denn es wird dadurch zu nutzbarem Besitz, zum Kulturbetrieb entwertet; ebenso wird die Utopie, durchaus förderlich als idealtypische oder experimentelle Modellkonstruktion, als konkrete Zukunftsplanung zum Terror einer unmenschlichen wissenschaftlichen Rationalität. Diese Paradoxien beweisen für F. die Wirklichkeitsmacht der Geschichte, die weder bewahrt, geformt noch geplant, sondern nur spontan gelebt werden kann. F.s bleibender Beitrag besteht in der dialektischen Verschränkung und Nichtreduzierbarkeit der Dimensionen von politischer Herrschaft, wissenschaftlicher Rationalität und der sozialen Willens- und Entscheidungsgemeinschaft und in der Charakterisierung dieses dialektischen Verhältnisses als die eigentliche Dimension des "Politischen", die auch im gegenwärtigen "technisch-wissenschaftlichen Zeitalter" nicht an Bedeutung verloren hat.

Literaturverzeichnis Hans Freyer bis etwa 1994

Bibliographie:

E. Üner: H. F.-Bibliographie, in: H. F.: Herrschaft, Planung und Technik. Hg. E. Üner, Weinheim 1987, S. 175-197.

Schriften:

Die Geschichte der Geschichte der Philosophie im achtzehnten Jahrhundert (Phil. Diss.), Leipzig 1911; Antäus. Grunlegung einer Ethik des bewußten Lebens, Jena 1918; Die Bewertung der Wirtschaft im philosophischen Denken des 19. Jahrhunderts (Habil.), Leipzig 1921; Theorie des objektiven Geistes, Leipzig-Berlin 1923; Prometheus. Ideen zur Philosophie der Kultur, Jena 1923; Der Staat, Leipzig 1925; Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, Leipzig-Berlin 1930; Revolution von rechts, Jena 1931; Pallas Athene. Ethik des politischen Volkes, Jena 1935; Das geschichtliche Selbstbewußtsein des 20. Jahrhunderts, Leipzig 1937; Machiavelli, Leipzig 1938; Weltgeschichte Europas, Wiesbaden 1948; Die weltgeschichtliche Bedeutung des 19. Jahrhunderts, Kiel 1951; Theorie des gegenwärtigen Zeitalters, Stuttgart 1955; Schwelle der Zeiten, Stuttgart 1965.

Editionen:

Gedanken zur Industriegesellschaft, Hg. A. Gehlen, Mainz 1970; Preußentum und Aufklärung und andere Studien zu Ethik und Politik, Hg. E. Üner, Weinheim 1986; Herrschaft, Planung und Technik. Aufsätze zur politischen Soziologie, Hg. E. Üner, Weinheim 1987.

Literatur:

J. Pieper: Wirklichkeitswissenschaftliche Soziologie, in: Arch. f. Soz.wiss. u. Soz.pol. 66 (1931), S. 394-407; H. Marcuse: Zur Auseinandersetzung mit H. F.s Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, in: Philos. Hefte 3 (1931/32), S. 83-91; E. Manheim: The Sociological Theories of H. F.: Sociology as a Nationalistic Paradigm of Social Action, in: H. E. Barnes, ed., An Introduction to the History of Sociology, Chicago 1948, S. 362-373; L. Stern: Die bürgerliche Soziologie und das Problem der Freiheit, in: Zs. f. Geschichtswiss. 5 (1957), S. 677-712; H. Lübbe: Die resignierte konservative Revolution, in: Zs. f. die ges. Staatswissensch. 115 (1959), S. 131-138; G. Lukacs: Die Zerstörung der Vernunft, Neuwied-Berlin 1962; H. Lübbe: Herrschaft und Planung. Die veränderte Rolle der Zukunft in der Gegenwart, in: Evang. Forum H. 6, Modelle der Gesellschaft von morgen, Göttingen 1966; W. Giere: Das politische Denken H. F.s in den Jahren der Zwischenkriegszeit, Freiburg i. B. 1967; F. Ronneberger: Technischer Optimismus und sozialer Pessimismus, Münster/Westf. 1969; E. Pankoke: Technischer Fortschritt und kulturelles Erbe, in: Geschichte i. Wiss. u. Unterr. 21 (1970), S. 143-151; E. M. Lange: Rezeption und Revision von Themen Hegelschen Denkens im frühen Werk H. F.s, Berlin 1971; P. Demo: Herrschaft und Geschichte. Zur politischen Gesellschaftstheorie H. F.s und Marcuses, Meisenheim a. Glan 1973; W. Trautmann: Utopie und Technik, Berlin 1974; R. König: Kritik der historisch-existentialistischen Soziologie, München 1975; W. Trautmann: Gegenwart und Zukunft der Industriegesellschaft: Ein Vergleich der soziologischen Theorien H. F.s und H. Marcuses. Bochum 1976; H. Linde: Soziologie in Leipzig 1925-1945, in: M. R. Lepsius, Hg., Soziologie in Deutschland und Österreich 1918-1945, Kölner Zs. f. Soziol. u. Sozialpsychol., Sonderh. 23, 1981, S. 102-130; E. Üner: Jugendbewegung und Soziologie. H. F.s Werk und Wissenschaftsgemeinschaft, ebd. S. 131-159; M. Greven: Konservative Kultur- und Zivilisationskritik in "Dialektik der Aufklärung" und "Schwelle der Zeiten", in: E. Hennig, R. Saage, Hg., Konservatismus - eine Gefahr für die Freiheit?, München 1983, S. 144-159;E. Üner: Die Entzauberung der Soziologie, in: H. Baier, Hg., H. Schelsky - ein Soziologe in der Bundesrepublik, Stuttgart 1986, S. 5-19; J. Z. Muller: The Other God That Failed. H. F. and the Deradicalization of German Conservatism. Princeton, N. J. 1987; E. Üner: H. F.s Konzeption der Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, in: Annali die Sociologia 5, Bd. II, 1989, S. 331-369; K. Barheier: "Haltende Mächte" und "sekundäre Systeme", in: E. Pankoke, Hg., Institution und technische Zivilisation, Berlin 1990, S. 215-230; E. Nolte: Geschichtsdenken im 20. Jahrhundert, Berlin-Frankfurt/M. 1991, S. 459-470; E. Üner, Soziologie als "geistige Bewegung", Weinheim 1992; H. Remmers: H. F.: Heros und Industriegesellschaft, Opladen 1994; E. Üner: H. F und A. Gehlen: Zwei Wege auf der Suche nach Wirklichkeit, in: H. Klages, H. Quaritsch, Hg., Zur geisteswissenschaftlichen Bedeutung A. Gehlens, Berlin 1994, S. 123-162.

mercredi, 18 mars 2020

Ernst Jünger & The End Times by Tomislav Sunić: The Balkanization of The System

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Ernst Jünger & The End Times by Tomislav Sunić: The Balkanization of The System

 
 

samedi, 07 mars 2020

Carl Schmitt. Die Militärzeit 1915 bis 1919

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Neueste Geschichte:
E. Hümsert u.a. (Hgg.):
Carl Schmitt. Die Militärzeit 1915 bis 1919
Titel
Die Militärzeit 1915 bis 1919. Tagebuch Februar bis Dezember 1915. Aufsätze und Materialien
 
Autor(en)
Schmitt, Carl
Herausgeber
Hüsmert, Ernst; Giesler, Gerd
Erschienen
Berlin 2005: Akademie Verlag
Anzahl Seiten
VIII, 587 S., 10 s/w Abb.
Preis
€ 49,80
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Reinhard Mehring, Institut für Philosophie, Humboldt-Universität zu Berlin

cover_book-35195__120.jpgDer Nachlass Carl Schmitts ist eine reiche Quelle. Fast wundert es aber, dass er so reichlich sprudelt. Denn seine Edition wurde nicht generalstabsmäßig geplant. Das lag auch an Schmitt selbst. Zwar entwickelte der zahlreiche interpretative Strategien im Umgang mit seiner Rolle und seinem Werk. Anders als etwa Heidegger organisierte er aber seine posthume Überlieferung nicht im großen Stil. Er betrieb keine Fusion von Nachlassinterpretationspolitik und Nachlasseditionspolitik, bei der interpretative Strategien kommenden Editionen vorarbeiteten. Initiativen zu einer großen Werkausgabe scheiterten deshalb auch nach Schmitts Tod. Damals wurde eine Chance vertan, denn personell und institutionell haben sich die Bedingungen nicht verbessert. Schmitts letzte Schülergeneration, die „dritte“ Generation bundesdeutscher Schüler (Böckenförde, Schnur, Quaritsch, Koselleck etc.), tritt ab und den Institutionen geht das Geld aus. Heute ist keine historisch-kritische Gesamtausgabe in Sicht. Die Zukunft ist solchen Projekten auch nicht rosig. Das gerade erschienene Berliner „Manifest Geisteswissenschaften“ etwa, ein revolutionäres Dokument der „Beschleunigung wider Willen“, plädiert für eine Überführung akademischer Langzeitvorhaben in „selbständige Editionsinstitute“.[1] Vor Jahren hätte sich wahrscheinlich noch staatlicher Beistand finden lassen. Heute ist das schwieriger. Einige letzte Schüler und Enkelschüler sowie Duncker & Humblot und der Akademie-Verlag schultern die editorischen Aufgaben allein im Aufwind der internationalen Resonanz. Es gibt eine Arbeitsteilung: Die juristisch besonders einschlägigen Schriften publiziert Schmitts alter Hausverlag Duncker & Humblot. Auch nachgelassene Texte wie das „Glossarium“[2] und der Briefwechsel mit dem spanischen Naturrechtler Álvaro d’Ors [3] erschienen dort. Andere Texte aber veranstaltete der Akademie-Verlag, dessen früherer Leiter Gerd Giesler, Mitherausgeber des jüngsten Tagebuch-Bandes, mit Schmitt (wie auch Ernst Hüsmert) noch über viele Jahre befreundet war.

Das bei Lebzeiten publizierte Werk ist nun nahezu komplett greifbar. Vier aufwändige Editionen erschienen mit apologetischen Zielsetzungen. Helmut Quaritsch [4] verteidigte Schmitts Sicht des Völkerrechts in seinen kommentierten Ausgaben eines Rechtsgutachtens über das „Verbrechen des Angriffskrieges“ sowie der Antworten Schmitts im Rahmen der Nürnberger Prozesse. Günter Maschke [5] ergänzte Schmitts Sammlung „Verfassungsrechtliche Aufsätze“ um zwei weitere Bände und realisierte damit in anderer Weise Überlegungen, die Schmitt selbst früher noch erwogen hatte. Nur die Schriften zur deutschen Verfassungsentwicklung stehen heute aus. Einiges davon ist unproblematisch, anderes jedoch nicht. Soll man eine Kampfschrift wie „Staat, Bewegung, Volk“ von 1933 wieder auflegen? Bedenken liegen nahe. Gralshüterische Mauern aber gibt es im Umgang mit Schmitt heute nicht mehr. Der Nachlass ist offen und die intensiven Debatten der letzten Jahre haben zu einem abgeklärten Umgang geführt. Schmitt rückte uns auch menschlich-allzumenschlich näher. Die bisher publizierten Briefwechsel bieten hier manche Überraschungen. Völlig neue Einblicke eröffnen aber die Tagebücher. Im Verblüffungsgang des Werkes sind sie die jüngste Überraschung. Man wusste zwar, dass Schmitt Tagebuch schrieb. Umfang und Gehalt aber waren kaum zu ahnen. Ähnlich wie bei Thomas Mann tauchen sie als Chronik des Lebens fast unverhofft auf. Zwei Bände sind inzwischen erschienen; weitere Tagebücher bis 1934 kündigen die Herausgeber nun im Vorwort an (S. VIII).

2003 erschien ein erster Band über die (vorwiegend) Düsseldorfer Jahre.[6] Er zeigte ein Leben wie aus einem Roman Kafkas oder Robert Walsers: hin und her geworfen zwischen der juristischen Fron des Rechtsreferendars bei einem dämonischen „Geheimrat“ und der Hohezeit des Liebesglück einer waghalsigen ersten Ehe. Seltsam überzeichnet und irreal erschienen die Bedrängnisse und Exaltationen dieses Lebens. Wie im Bunten Blatt wartete der Leser auf Fortsetzung. Nun ist sie da. Auch diesmal ist für Überraschungen gesorgt. Der zweite Band umfasst die Münchener Militärzeit im Verwaltungsstab des stellvertretenden Generalkommandos des 1. bayerischen Armee-Korps, die biografisch bislang weithin im Dunklen lag. Neben dem Tagebuch vom 6. Mai bis 29. Dezember 1915 sowie einem kurzen Anhang enthält er einen Dokumentationsteil über die Tätigkeit bis 1919 sowie eine Auswahl aus Veröffentlichungen der Jahre 1915 bis 1919. Dazu kommen interessante Abbildungen, Briefe und Materialien sowie ein Anhang. Anders als im ersten Band füllt das Tagebuch weniger als ein Drittel. Über zweihundert Seiten umfasst der Dokumentationsteil, knapp einhundert Seiten die Auswahl wichtiger Veröffentlichungen, die bisher schlecht zugängig waren und besonderes Interesse finden werden. Dieser Aufwand mag überraschen. Gerade auch in Ergänzung zum ersten Band macht die extensive Edition aber einen guten Sinn. Liest man den ersten Band wie einen Roman der Wirrnis, so spiegelt der zweite jetzt eine Wendung zur Reflexion und Objektivation der eigenen Lage und Problematik, durch die Schmitt seine existentielle Krise allmählich distanziert und überwindet. Er wechselt das literarische Genre, bricht sein Tagebuch ab, weil er stärkere Formen der Distanzierung gefunden hat.

Das Tagebuch zeigt Schmitt am neuen Ort, in neuer Funktion und Tätigkeit. Wir lernen den Stabssoldaten in den prägenden Jahren seiner Absage an Boheme und Romantik und des Scheiterns seiner ersten Ehe genauer kennen. Man könnte von einer formativen Phase oder auch Inkubationsjahren sprechen. Hier lebte Schmitt seine Neigung zur Boheme aus. Hier wurde er zu dem gegenrevolutionären Etatisten, den wir aus der Weimarer Zeit kennen.

Das Tagebuch beginnt mit der Ankunft in München. Das „Leben in der Kaserne“ ist zunächst die Hölle (S. 23). Schmitt erlebt den „Gott dieser Welt“ (S. 28f.), das Recht, von der Seite der „Vernichtung des Einzelnen“ (S. 64, vgl. 130). Der Straßburger Lehrer Fritz van Calker, nunmehr Major, holt ihn bald ins Münchner Generalkommando. Schmitt beschließt den „Pakt mit dieser Welt“, um dem Frontdienst zu entkommen. An die Stelle des Geheimrats tritt nun ein „Hauptmann“. Stand Schmitt im ersten Band zwischen Cari und „Geheimrat“, leidet er nun am „Gegensatz zwischen dem Generalkommando und Cari“ (S. 72). „Militär und Ehe; zwei schöne Institutionen“, vermerkt er ironisch (S. 90, vgl. S. 106). Beides findet er fürchterlich und gerät darüber erneut in lamentable Krisen. Ein ganzes Spektrum von Todesarten phantasiert er durch. Schmitt lebt in der ständigen Angst, seine langweilige Tätigkeit als Zensor gegen die Front eintauschen zu müssen, und streitet sich mit seiner angeschwärmten Frau. Jahre später, 1934, wird er in einer verfassungsgeschichtlichen Kampfschrift den „Sieg des Bürgers über den Soldaten“[7] beklagen. Hier erfahren wir nun, wie es um diesen kriegsfreiwilligen „Soldaten“ im Ersten Weltkrieg steht: Er verachtet den Krieg und das Militär, hasst den „preußischen Militarismus“ und die „Vernichtung des Einzelnen“ durch den Staat, der er doch Anfang 1914 noch in seiner späteren Habilitationsschrift „Der Wert des Staates und die Bedeutung des Einzelnen“ rechtsphilosophische Weihen erteilte. Wir sehen einen Menschen im ständigen Hader mit sich selbst, der unter seiner Zerrissenheit leidet. Schmitt steht im existentiellen Entscheidungszwang. Militär und Ehe kann er nicht beide bekämpfen. Vor Cari flüchtet er zum Staat.

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Im Büro hat er zumeist „nichts“ zu tun. Den „Mechanismus des täglichen Berufslebens“ (S. 64) nimmt er als „Gefängnis“ wahr, obgleich er mittags meist wieder draußen ist. Er trifft sich regelmäßig mit Freunden. Einige unterstützen ihn finanziell. Unter der Bank schreibt Schmitt ab Mai 1915 seine Studie über Theodor Däublers Nordlicht-Dichtung. Sein Kriegsdienst beschränkt sich, scheints, auf Gutachten über die Entwicklung des Belagerungszustandes, das Erteilen von „Passierscheinen“ und andere Genehmigungen sowie auf die Briefzensur und Beobachtung literarischer Pazifistenkreise, die im Dokumentationsteil eingehender nachgewiesen ist. Für die „Kerls in Berlin“ will Schmitt sich nicht totschlagen lassen (S. 71). Pazifistischer Literatur aber erteilt er die „Beschlagnahmeverfügung“ (S. 73). Dabei schämt er sich seiner Tätigkeit als Zensor (S. 85). „Pfingstsonntag. Den ganzen Tag auf dem Büro. Es ist entsetzlich, so eingespannt zu sein; eine lächerlich dumme Arbeit, Polizeistunden-Verfügungen, albern“ (S. 72). Schmitt erlebt den Krieg 1915 mehr als Papierkrieg und leidet unter der Verschlechterung der Schokoladenqualität. Jenseits allgemeiner Schmähungen des „Militarismus“ finden sich keine politischen Bemerkungen. Der Frontverlauf existiert in diesen Aufzeichnungen nicht. Von den „Ideen von 1914“ oder glühendem Nationalismus und Etatismus findet sich in den frühen Tagebüchern insgesamt fast keine Spur. Darüber kann man sich gar nicht genug wundern.

Seine literarischen Feindbeobachtungen verkauft Schmitt an eine Wochenzeitung. Auszüge aus seinen Berichten in der „Hamburger Woche“ sind abgedruckt. Durch die Tätigkeit als Zensor lernt er die literarische Avantgarde genauer kennen. Mit ästhetischem Gefallen liest Schmitt manche Schriften, die er dann verbietet. Weil Aphorismen ihm zusagen, schickt er einem „gescheiten, verstandeskräftigen Juden“ seine Monografie über den Staat, worüber der sich wundert (S. 88, 91). Assessor August Schaetz (S. 112 ff.) taucht auf, dem später, zum Gedenken an seinen Soldatentod, der „Begriff des Politischen“ gewidmet ist. Zum Scheiden er, zum Bleiben Schmitt erkoren. Am 6. September 1915 stellt Schmitt noch kategorisch fest: „Ich werde mich in einer Stunde vor Wut über meine Nichtigkeit erschießen.“ (S. 125) Doch am nächsten Tag erhält er vom Verlag die Zusage für das Däubler-Buch und vom Generalkommando den Auftrag, einen Bericht über das Belagerungszustands-Gesetz zu schreiben, den er höhnisch kommentiert: „Begründen, dass man den Belagerungszustand noch einige Jahre nach dem Krieg beibehält. Ausgerechnet ich! Wofür mich die Vorsehung noch bestimmt hat.“ (S. 125) Seine Studie über „Diktatur und Belagerungszustand“ [8] wird ein Erfolg. Das Thema bahnt ihm den weiteren Weg. Die Diagnose einer Verschiebung der Gewaltenverhältnisse wird seine wichtigste verfassungspolitische Einsicht.

Der „Militarismus“ versetzt ihn weiter in Angst und Schrecken. Schmitt empfindet, „wie berechtigt es ist, vor dem Militärregime Angst zu haben und eine Trennung der Gewalten und gegenseitigen Kontrollen einzuführen“ (S. 135). Nachdem die Nordlicht-Studie abgeschlossen ist, kommt Däubler für einige Tage zu Besuch und die Freundschaft geht in die Brüche. Schmitt fühlt sich ausgenutzt und abgestoßen (S. 142ff.). Der Straßburger Lehrer Fritz van Calker schlägt ein „Habilitationsgesuch nach Straßburg“ (S. 157) vor, was Schmitt begeistert aufnimmt.

Wieder einmal erweist sich Calker als rettender Engel. Er lehrte Schmitt eine politische Betrachtung des Rechts; beide planten einst sogar eine gemeinsame „Einführung in die Politik“ [9]; Calker rettete Schmitt aus dem Düsseldorfer Ehedrama nach München, zunächst in die Kaserne, dann ins Generalkommando, und ermöglichte ihm später während des Militärdienstes die Habilitation. Diese Rückkehr nach Straßburg erscheint nun als paradiesischer „Traum“ (S. 157). „Das ist das richtige Leben“ (S. 162), notiert Schmitt. Als aus Straßburg nicht gleich Nachricht kommt, vermutet er eine Intrige des Geheimrat (S. 169). Doch auch diese Sorge ist überspannt. Auch der Geheimrat, der uns in den ersten Tagebüchern kafkaesk begegnete, wird sich als Förderer erweisen, indem er Schmitt seine erste feste Dozentur an der Münchner Handelshochschule vermittelt. Der Band dokumentiert dies durch Briefe zur beruflichen Entwicklung (S. 503ff.). Der wichtigste Mentor aber bleibt der Straßburger Doktorvater. Calker steht 1933 noch hinter der Berufung nach Berlin, weil er sich beim Minister Hans Frank, auch ein Schüler Calkers, für Schmitt einsetzte.[10] Schmitts schnelle Karriere in der Weimarer Republik wurde gerade durch die frühen Kontaktnetze ermöglicht, die in den Tagebüchern so gespenstisch begegnen. Nur Calker kommt bei Schmitt stets positiv weg. Ihm widmete er 1912 seine Studie „Gesetz und Urteil“.[11] Doch in seinen späteren Schriften erwähnt er ihn fast überhaupt nicht mehr. Der Name des wichtigsten Mentors ist aus Schriften und Nachlass geradezu vertilgt. Erst in den Tagebüchern taucht er wieder auf.

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Unentwegt rätselt Schmitt selbst über seinen problematischen Charakter. Er bringt ihn auf eine Formel. Schmitt empfindet sich als „Prolet“ und möchte ein Buch schreiben: „Der Prolet, oder: Der Plebejer. [...] Sein Instinkt: sich zu ducken und sich zu strecken, wie es kommt. Er ist ad alterum.“ (S. 124, dazu vgl. S. 448) Was Schmitt an sich bemerkt, rechnet er immer wieder auch Richard Wagner und dem Judentum zu: die „Abhängigkeit von der Meinung anderer“ (S. 173). Das Spiegelgefecht um Selbst- und Fremdhass, Freund-Feind-Identifikationen, treibt Schmitt in diesen Aufzeichnungen bis zur Selbstparodie. Im Licht von Nietzsches Wagnerkritik nimmt er Wagners antisemitische Disjunktion von Wagnerianismus und Judentum zurück, wenn er beiden das gleiche Syndrom, die gleiche Abhängigkeit von der Meinung der anderen unterstellt, den Vater des modernen, postchristlichen Antisemitismus seinerseits als „Juden“ (S. 115) brandmarkt und als „eine rein interne jüdische Angelegenheit“ (S. 164) betrachtet. Viel Literatur steckt im Antisemitismus. Schmitt dekonstruiert ihn als Spiegelgefecht in der literarischen Tradition Heines, Wagners und Friedrich Nietzsches. Aus den Verstrickungen der modernen Weltanschauungen, die Schmitt in einen Topf wirft (S. 176), flüchtet er zum Katholizismus. So ärgerlich vieles auch klingt, muss man nicht alles auf die Goldwaage legen. Schmitt sieht seinen Feind durchaus schon als „die eigne Frage als Gestalt“ an.

Das Tagebuch endet mit der Entscheidung für Straßburg. Schmitts Verfahren ist durch den Wiederabdruck der Probevorlesung gespiegelt. Der Band greift durch weitere Texte noch über das Jahr 1916 hinaus. Wichtig ist hier vor allem der Abdruck der Beiträge zur Zeitschrift „Summa“. Durch dieses Texttriptychon konfrontiert Schmitt seinen satirischen „geschichtsphilosophischen Versuch“ über „Die Buribunken“ mit einer theologisch anspruchsvollen „scholastischen Erwägung“ über „Die Sichtbarkeit der Kirche“ und vermittelt beides über die rechtsphilosophische Verhältnisbestimmung von „Macht und Recht“. Sinnvoll ist auch die Beigabe der kurzen Satire auf Karl Kraus sowie der Vorbemerkung zur Ausgabe einer romantischen Autobiografie. Diese kleine Veröffentlichung spiegelt Schmitts biografische Entscheidung: den Sprung in den Glauben, für den offenbar auch die Begegnung mit Theodor Haecker und Kierkegaard wichtig war. Ein Vorlesungsauszug über Bodin kündigt die Ausarbeitung der Souveränitätslehre an, die dann ins nächste Kapitel der Biografie gehört.

Das Thema der Münchener Militärzeit ist die Entscheidung für Etatismus und Katholizismus, die Schmitt seinen existentiellen Krisen abrang und die er privatim, psychobiografisch, kaum vertreten konnte. Wir sehen eine doppelte Fluchtbewegung: eine Flucht aus der Zeit und in die Zeit. Zunächst flieht Schmitt in die Zeit, indem er sich von seinem ruinösen Privatleben abwendet und dem gegenrevolutionären Staat verschreibt. Später flieht er auch aus der Zeit: zum Katholizismus, wie es sein Dadaistenfreund Hugo Ball [12] in seinen Tagebüchern „Flucht aus der Zeit“ beschrieb.

Nun erst ist die Münchner Militärzeit material erschlossen. Sie erscheint in ihrem eigenartigen Profil gegenüber der Düsseldorfer Jugendkrisis sowie der zweiten Münchener Zeit an der Handelshochschule. Diese Zeit von 1919 bis 1921, die erste feste akademische Stellung noch vor dem Wechsel nach Greifswald, wurde bisher kaum zur Kenntnis genommen. Auch dafür sind nun neue Gleise gestellt. Schmitt war nicht nur akademisch frühreif, sondern machte auch schnelle berufliche Karriere. Schon im Generalkommando saß er recht fest im Sattel. Die Front blieb ihm erspart. Ab 1919 war er dann, 31-jährig, als Dozent mit glänzenden Aussichten etabliert. Beruflich jedenfalls wurde er bald zum „Glückspilz“ (S. 521ff.), was die Tagebücher zunächst kaum erahnen lassen.

Das Gewicht dieses zweiten Bandes liegt nicht zuletzt in der gedankenreichen Einleitung, sorgsamen Kommentierung und Zusammenstellung. Dass Schmitt mit der – 1919 erscheinenden – „Politischen Romantik“ auch seinen eigenen Ästhetizismus niederrang, war lange bekannt. Schon Karl Löwith hatte es bemerkt. Der zweite Band zeigt nun, dass diese existentielle Entscheidung durch die objektivierende Phase der Zensorentätigkeit im Generalkommando hindurchging. Hier begegnet das Leben der Boheme aus der Perspektive staatlicher Repression. Wir kannten bereits den Romantiker, der die politische Romantik exekutiert. Hier haben wir den Etatisten, der den Staat hasst. Er bestätigt die Generalthese seiner Habilitationsschrift nicht als General Dr. von Staat mit geschwollener Brust. Schmitt findet den „Wert des Staates“ in einer moralischen „Vernichtung des Einzelnen“, die ihm die existentielle Rettung aus seinen Exaltationen bedeutete.

Anmerkungen:
[1] Gethmann, Carl Friedrich u.a. (Hgg.), Manifest Geisteswissenschaften, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, Berlin 2005, S. 9, vgl. S. 25f.
[2] Schmitt, Carl, Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947 bis 1951, hg. v. von Medem, Eberhard, Berlin 1991.
[3] Herrero, Montserrat (Hg.), Carl Schmitt und Álvaro d’Ors. Briefwechsel, Berlin 2004.
[4] Quaritsch, Helmut (Hg.), Carl Schmitt. Das internationalrechtliche Verbrechen des Angriffskrieges und der Grundsatz ‚Nullum crimen, nulla poena sine lege’, Berlin 1994; Ders., Carl Schmitt. Antworten in Nürnberg, Berlin 2000.
[5] Schmitt, Carl, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916 bis 1969, hg. v. Maschke, Günter, Berlin 1995.
[6] Schmitt, Carl, Tagebücher. Oktober 1912 bis Februar 1915, hg. v. Hüsmert, Ernst Berlin 2003; dazu meine Besprechung , in: H-SOZ-U-KULT vom 21.1.2004 <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/rezensionen/2004-1-039>. Inzwischen ist (2005) eine zweite, korrigierte Auflage erschienen.
[7] Schmitt, Carl, Staatsgefüge und Zusammenbruch des zweiten Reichen. Der Sieg des Bürgers über den Soldaten, Hamburg 1934.
[8] Schmitt, Carl, Diktatur und Belagerungszustand, in: Ders., Staat, Großraum, Nomos, Berlin 1995, S. 3-20.
[9] Das geht aus einem erhaltenen Brief van Calkers an Schmitt vom 30.10.1922 hervor (Hauptstaatsarchiv NRW, Nachlass Carl Schmitt, RW 265-2492). Im Erscheinungsjahr der Erstfassung des „Begriffs des Politischen“ publizierte Calker dann seine „Einführung in die Politik“ (München 1927), die aus Vorlesungen hervorging.
[10] Brief Friedrich van Calkers vom 14.6.1933 an Schmitt (Nachlass Carl Schmitt, RW 265-2493).
[11] Schmitt, Carl, Gesetz und Urteil. Eine Untersuchung zum Problem der Rechtspraxis, 1912, München 1968, vgl. S. VIII.
[12] Ball, Hugo, Flucht aus der Zeit, Luzern 1946.

vendredi, 28 février 2020

Itinéraire posthume de l’antilibéralisme schmittien. Un héritage incontournable ?

Itinéraire posthume de l’antilibéralisme schmittien. Un héritage incontournable ?

Une critique de Tristan Storme
Ex: https://www.raison-publique.fr

arton276-c1eeb.jpgEditeur : Armand Colin
Collection : Le Temps Des Idées
Nb. de pages : 400 pages
Prix : 21 euros.

Référence : Critique publiée dans Raison publique, n° 8, avril 2008, pp. 153-165.

- Jan-Werner Müller, Carl Schmitt : Un esprit dangereux, trad. par Sylvie Taussig, Paris, Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2007, 400 p.

Publié à l’origine en anglais il y a cinq ans, l’ouvrage de Jan-Werner Müller, Carl Schmitt : Un esprit dangereux, aujourd’hui traduit en français dans la collection « Le temps des idées » dirigée par Guy Hermet, tombe à point nommé dans le monde universitaire et intellectuel francophone, où il n’est pas rare d’entendre que ce « Hobbes du vingtième siècle » [1] n’aurait plus rien à nous livrer. Schmitt, un esprit à la fois brillant et dangereux — ou, pourrait-on dire, dangereux en raison de son talent indéniable — a connu la crise de la république de Weimar, les deux guerres mondiales, la séparation de l’Allemagne et la Guerre froide ; son œuvre vieille de soixante-dix ans est, quelque part, le parangon des meurtrissures que porta le siècle récemment écoulé [2]. En mai 1933, le juriste rhénan adhérait à la NSDAP, donnant du crédit au régime hitlérien au travers de nombreux textes rédigés durant cette période. S’il prend néanmoins ses distances à l’égard du Führer dès 1936, il ne reniera jamais son antisémitisme philosophique, comme l’atteste avec virulence le recueil de ses journaux publié après sa mort, en 1991. C’est cette compromission qui fait d’ailleurs question ; les commentateurs se sont interrogés, en vue de savoir jusqu’à quel point un tel ralliement se répercuta sur les écrits schmittiens ultérieurs. Certains exégètes ont aussi pris le parti d’affirmer que les prémisses analytiques de l’adhésion de Schmitt au nazisme se découvraient à la lecture de ses livres de jeunesse. Depuis quelques années, semblables questionnements ont été au cœur des débats français. Mais force est de reconnaître qu’en dépit de son passé funeste, Carl Schmitt semble avoir suscité l’intérêt d’auteurs très différents et joué un rôle particulièrement influent dans l’évolution des discussions politico-philosophiques contemporaines. Dans son ouvrage, Jan-Werner Müller, professeur à l’université de Princeton, s’attèle à examiner de près la réception essentiellement européenne (surtout allemande) de l’œuvre du juriste rhénan ou, comme il le dit si bien lui-même, à « constituer une histoire critique de "ce que Schmitt a signifié" pour le vingtième siècle. » [3]

Dans une première partie, intitulée « Un juriste allemand au vingtième siècle », Müller retrace chronologiquement, et avec érudition, le parcours biographique et intellectuel de Carl Schmitt, depuis la rédaction de ses deux thèses de doctorat jusqu’au retranchement du savant dans son village natal du Sauerland, au lendemain du procès de Nuremberg. Pointant du doigt les contradictions et les arguments forts de la pensée de Schmitt, l’auteur compose le portrait d’un jeune publiciste qui, dès l’amorce de sa carrière, s’employa à forger et à affûter un arsenal théorique destiné à mettre à mal le libéralisme bourgeois, le parlementarisme dominé par les intérêts d’une frange sociétale non représentative. La doctrine libérale, qui refuse de discerner ses ennemis et de reconnaître le primat de la décision, participerait du phénomène d’envahissement de l’État par la société dont serait responsable la prolifération des associations économiques. À la lecture des premiers chapitres, on comprend rapidement qu’aux yeux de Müller, l’antilibéralisme constitue la pierre angulaire, le motif central de la pensée politique de Schmitt, telle qu’elle s’est déployée durant les années vingt. Le philosophe de Weimar s’est évertué à rendre la mass democracy compatible avec l’autoritarisme, par l’intermédiaire d’une théorie de la représentation à même de rendre publiquement présent le peuple rassemblé. Il oppose sa définition particulière de la démocratie aux conceptions libérales de la notion qui l’identifient à une simple addition des voix des individus esseulés dans l’isoloir. Müller n’aurait pas pu procéder autrement qu’en restituant le contexte d’énonciation des philosophèmes schmittiens, dans la mesure où l’examen de l’impact de cette pensée représente le centre névralgique de son étude. Puisqu’il opère de la sorte, il peut éminemment tenter, dans la suite du récit, de répondre à la question de savoir ce qui, en dehors de la conjoncture contextuelle, est susceptible d’être extirpé et de survivre à son fondateur.

Depuis les travaux de Dirk van Laak [4], Carl Schmitt : Un esprit dangereux est certainement, à ce jour, l’examen le plus exhaustif qui a trait à la réception allemande, et plus largement européenne, des idées schmittiennes. Müller sillonne l’héritage du juriste, auteur par auteur, tout en évitant soigneusement le travers qui consisterait à débusquer des « schmittiens » partout, au détour de la moindre citation ; il rapporte en substance les nombreux débats pointus et spécialisés qui animèrent l’histoire des idées politiques de l’après-guerre, livrant des tendances, des filiations qu’il ne cherche nullement à plaquer sur une typologie embarrassante. Les arguments des successeurs et des interlocuteurs intellectuels de Carl Schmitt sont livrés dans toute leur singularité discursive. Si bien qu’il est difficile qu’échappe au lecteur le fait que Schmitt ait pesé de manière considérable sur les raisonnements de nombre de ses contemporains. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quoique privé d’enseignement et écarté des universités, Carl Schmitt, ayant refusé de se soumettre à la dénazification, reçoit furtivement dans sa demeure à Plettenberg une minorité influente de penseurs qui participèrent à la mise sur pied de la nouvelle structure étatique ouest-allemande : Nicolaus Sombart, Hanno Kesting, Reinhart Koselleck, Roman Schnur, Armin Mohler ou encore Ernst-Wolfgang Böckenförde, pour ne citer que quelques noms. Il n’est donc pas faux d’affirmer, avec Habermas, que « l’histoire de cette influence a[urait] une valeur fondatrice pour l’État allemand. » [5] L’ombre de l’auteur de La notion de politique a effectivement plané sur les controverses d’après la guerre et accompagné le façonnage théorique du paysage juridico-polititque de la RFA. Devant le triomphe de l’adversaire américain, Schmitt, qui refusa de faire contrition et de consacrer la mise au ban de l’unité politique allemande, a permis d’assurer « la continuité d’une tradition allemande qui aurait été mise en cause. » [6] Tenu en dehors du « système », à l’écart des lieux déterminants, il est devenu une figure d’inspiration emblématique pour toute une série de jeunes théoriciens qui n’hésitèrent aucunement à puiser, dans son œuvre, des conceptions plutôt mal perçues à l’époque. Ses réflexions, conservatrices et autoritaires, furent relayées ; elles alimentèrent les discussions relatives à la rédaction d’une Constitution pour l’Allemagne de l’Ouest, exhumant l’option d’une protection de la démocratie renaissante contre ses ennemis antidémocratiques. L’idéal d’un État fort fut puissamment reconduit dans les écrits d’Ernst Forsthoff, schmittien devant l’Éternel, bien décidé à remettre l’État au-dessus de la société et des intérêts conflictuels qui animeraient cette dernière.

9783428159802.jpgMais l’œuvre du publiciste de Weimar n’a pas seulement eu écho à travers les travaux d’auteurs plus ou moins conservateurs : la réception de la pensée du juriste a pour spécificité d’être étonnamment polarisée. Jürgen Habermas lui-même, l’un des plus farouches contempteurs du théoricien du politique, n’a pas manqué de reconnaître l’exactitude du constat de Schmitt qui conclut à une déliquescence de la logique parlementaire. L’histoire de l’ « espace public » suit, en effet, à la lettre l’analyse que soumet Carl Schmitt de la transformation progressive du parlementarisme [7]. Dans son ouvrage, Müller rapporte que Henning Ritter, le fils de Joachim Ritter, avait déjà laissé sous-entendre qu’il existerait « une relation entre la pensée de Habermas et celle de Schmitt » [8] ; plus récemment, et en France qui plus est, Philippe Raynaud a défendu la thèse suivant laquelle la pensée du défenseur du patriotisme constitutionnel serait particulièrement redevable de celle du juriste allemand, « dans la mesure même où elle s’est constituée contre le décisionnisme de Schmitt » [9]. Phénomène plus curieux encore, une partie des doctrinaires libéraux prit l’initiative de libéraliser la pensée « du plus brillant ennemi du libéralisme qu’ait vu le siècle. » [10] Certains envisagèrent de composer un libéralisme amendé, capable de répliquer aux défis lancés par le juriste rhénan. Schmitt aurait diagnostiqué avec précision et acuité les failles et les faiblesses de la doctrine libérale, formulant des « questions percutantes » qui tourmentèrent les orthodoxies libérales ; il demeurerait entièrement envisageable de remédier aux problèmes de la neutralité et de la stabilité politique, deux béances qui fragiliseraient les théories libérales, en redéployant différemment les concepts du juriste — à se confronter aux anamnèses du philosophe conservateur, le libéralisme en ressortirait grandi. Parmi d’autres, Odo Marquard et Hermann Lübbe « s’efforcèrent de libéraliser des pans entiers de sa pensée pour la mettre au service de la démocratie libérale, c’est-à-dire pour la fortifier et lui donner de meilleurs outils pour qu’elle soit à même de relever des défis antilibéraux. » [11] Il en résulte « un mélange instable de priorités libérales et de moyens non libéraux. » [12] Lübbe s’est notamment risqué à prélever la méthode décisionniste chez Schmitt, dans l’optique assumée de renforcer la démocratie libérale. Cependant, comme l’indique Müller, une pareille entreprise dévoile avec clarté les limites d’une compatibilité des concepts schmittiens avec la pensée libérale, vu que Lübbe, par exemple, se voit contraint de délier la stabilité politique du principe de justification publique. Mais l’extrême droite ne demeure pas en reste ; elle s’est, elle aussi, penchée sur les arguments avancés par le juriste. En effet, sur une autre case de l’échiquier politique, la Nouvelle Droite française, menée par Alain de Benoist, a pour sa part multiplié les références à Schmitt afin de préserver la particularité des peuples contre l’universalisme libéral abstrait [13].

Au bout de chaque avenue, détaillée par Müller, qu’empruntèrent les nombreux « héritiers » de Carl Schmitt, aussi divers fussent-ils, émerge l’antilibéralisme pérenne du savant de Plettenberg. D’autres exégètes ont également émis une semblable hypothèse, sans toutefois l’étayer avec force détails comme l’a fait Jan-Werner Müller [14]. La tangibilité patente de la mondialisation socio-économique qui, d’autre part, s’étend au nom de principes éthiques (l’exportation des Droits de l’Homme), « ranime en permanence la tentation de reprendre la critique que Schmitt a dirigé contre un libéralisme tour à tour impuissant ou hypocrite » [15] — de la reprendre ou de s’en inspirer, de l’amender et de la prolonger. Les questions posées par le penseur conservateur ainsi que les diagnostics qu’il énonce ont connu une prorogation considérable au vu de la chronologie qu’a bâtie Müller. Il y a d’ailleurs fort à parier que les thèses et les outils conceptuels forgés par Schmitt en son temps n’ont pas terminé de nous livrer leurs vertus heuristiques, qu’elles demeurent susceptibles de nous révéler leur « actualité » potentielle.

En filigrane, Müller met le doigt sur deux phénomènes majeurs, qu’il analyse pour partie, et qui touchent de très près à l’héritage des théories politiques de Carl Schmitt. Ces deux questions ont trait à l’usage on ne saurait plus actuel — souvent polémique — des idées du juriste rhénan. Incontestablement, elles attestent de l’actualité manifeste de certains pans importants de la pensée de Schmitt, elles témoignent du caractère indéniable de l’héritage schmittien. D’un côté, à l’heure de la mondialisation, le post-marxisme semble éprouver toutes les difficultés du monde à se (re)définir : pour pallier un « manque » conceptuel, des théoriciens de la gauche radicale ont vu en Schmitt une formidable source d’inspiration disposée à redorer un blason obsolescent. D’autre part, bien qu’il est (ou qu’il fût) coutumier de dépeindre l’auteur du Nomos de la Terre comme le héraut de la cause statonationale, il semblerait que celui-ci ait pu léguer un attirail systématique habilité à penser positivement l’intégration macro-régionale, et plus particulièrement européenne, ainsi que moult arguments à même de souligner les faiblesses potentielles de toute construction continentale.

LES TOURMENTS THÉORIQUES DU POST-MARXISME : LE CONFLIT EN GUISE DE POLITISATION

Après la chute du mur de Berlin, Müller le répète à plusieurs endroits de son livre, une certaine gauche post-marxiste devait redécouvrir la pensée politique de Carl Schmitt. Les accointances de la gauche avec les concepts du théoricien conservateur ne relèvent toutefois pas d’une situation entièrement inédite. Depuis les années soixante, plusieurs auteurs ou mouvements radicaux se sont intéressés de près aux écrits du juriste, à commencer par Joachim Schickel, maoïste de son état. La Théorie du partisan, publiée en 1962, et l’optimisme général que purent inspirer à Schmitt les luttes anticoloniales n’y sont pas pour rien dans l’intérêt de la gauche qui essaie de penser le rôle de la guérilla dans les limites d’une idéologie révolutionnaire [16]. Peu de temps plus tard, toujours en Allemagne, Johannes Agnoli ressuscitait la critique schmittienne du parlementarisme, arguant que l’organe représentatif aurait développé une structure profondément oligarchique qui, de fait, ne représenterait plus le peuple mais l’État [17]. À la même période, en Italie, Mario Tronti et les « Marxisti Schmittiani » empruntaient le syntagme de l’ami et de l’ennemi — critère spécifique du politique —, l’interprétant sous la forme d’une compréhension renouvelée de l’antagonisme de classes [18]. On le voit, les récents emprunts à gauche ne sont pas sans posséder quelques antécédents de marque. C’est probablement chez Antonio Negri et Giorgio Agamben que le recyclage équivoque de concepts schmittiens pour une analyse ou pour une résolution normative des problèmes politico-philosophiques contemporains s’avère le plus frappant. Alors qu’Agamben mobilise le paradigme de l’ « état d’exception », Negri réfléchit le « pouvoir constituant » en s’appuyant notamment sur La dictature [19]. La visibilité retentissante des thèses et des prescriptions de ses deux auteurs a fait prendre conscience de l’ampleur d’un phénomène d’actualité, celui d’un « schmittianisme » (ou d’un « schmittisme ») de gauche. Selon Yves Charles Zarka, qui persiste a pensé que Schmitt est l’auteur de documents et non d’une œuvre, si l’extrême droite en vient à faire appel à Carl Schmitt, ce serait là « une chose naturelle », puisqu’elle ne ferait que « revendiquer ce qui lui appartient et selon une rhétorique habituelle », mais que la gauche radicale « prenne le même chemin », voilà un phénomène quelque peu incongru qui, d’après le spécialiste français de Hobbes, témoignerait d’une « crise idéologique » profonde du post-marxisme [20]. Pourquoi donc — car il est vrai qu’une telle inspiration ne semble pas aller de soi — une partie de la gauche actuelle s’est-elle empressée de recourir aux philosophèmes d’un conservateur aguerri qui, par surcroît, se compromit un temps avec le Reich hitlérien ?

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Dans un ouvrage publié il y a peu, Jean-Claude Monod tente d’apporter une première explication à ce curieux syndrome, en précisant que « les lectures marxistes de Schmitt pourraient faire l’objet d’une étude en soi » [21]. Il existerait sinon une réelle connexité, du moins une connivence notable, entre la pensée marxiste et celle du publiciste de Weimar : elles consacreraient, toutes les deux, l’existence d’une distinction conceptuelle originale. À la fois sanctifiée par Schmitt et par les théories marxistes, « la dissociation du libéralisme et de la démocratie » légitimerait un certain type de violence — celle de la classe ouvrière dans le cas des épigones de l’auteur du Capital. Mais, d’un autre côté, « la dissociation du politique et de l’étatique », constat malheureux dans La notion du politique, permettrait à l’extrême gauche actuelle de libérer le peuple — le pouvoir constituant — du joug de la souveraineté du prince [22]. Cette proximité analytique aurait rendu possible un emploi réfléchi (et infléchi) des thèses de l’ancien partisan du Troisième Reich. Les outils empruntés par « les schmittiens de gauche ou d’extrême gauche » leur auraient surtout permis de dénoncer l’un des travers de l’ordre libéral, à savoir le sapement de l’État de droit par le biais de procédures d’exception totalement banalisées [23]. La traduction en français du livre de Müller met à la portée du lectorat francophone un constat qui, quoique formulé quelques années auparavant, s’apparente grandement à celui de Monod. Néanmoins, le professeur de Princeton insiste plus particulièrement sur le fait que la gauche aurait trouvé chez Schmitt une réponse, qu’elle juge sans doute déterminante, dans l’objectif de pallier le besoin d’une repolitisation de la lutte contre le libéralisme triomphant ; c’est-à-dire le besoin d’une constitution de l’unité politique face à l’adversaire capitaliste. « En particulier, nous dit Müller, la pensée de Schmitt est censée compenser l’absence du politique et, plus encore, l’absence d’une théorie de l’État dans le marxisme. » [24] Partant du théoricien du politique, la gauche d’inspiration schmittienne finirait par célébrer le retour du conflit international ouvert, afin de s’opposer à l’universalisme libéral qu’elle calomnie pour cause de son hypocrisie. Plutôt que de concevoir « un modèle d’action politique à proprement parler », elle se borne à « réaffirmer la nature inévitablement conflictuelle du politique » (soit qu’elle estime cela comme une nécessité véritable, soit qu’un engagement dans une telle direction lui paraît préférable au triomphe du marché mondial) [25]. Dans tous les cas, il semble pour Müller que le post-marxisme souffre d’insuffisances théoriques, dans son combat contre le libéralisme, et qu’à ce titre, la pensée du plus fidèle détracteur de la doctrine libérale a pu tenir lieu d’expédient.

9782707149701.jpgSi en Allemagne ou en Italie, les emprunts contemporains aux théories de Schmitt peuvent prendre appui sur de véritables précédents, Zarka souligne qu’il s’agit en réalité d’un « phénomène assez nouveau en France » [26] — l’étude de Müller se cantonne d’ailleurs principalement aux deux premiers pays cités, et l’auteur ne cache pas que le « terme » de son parcours introspectif ne soit que « tout provisoire » [27]. Daniel Ben Saïd et Étienne Balibar ont, entre autres, eu recours à la pensée du juriste, ce dernier soutenant pour sa part que « pour connaître l’ennemi, il faut aller au pays de l’ennemi. » [28] Les réflexions de Balibar, ancien élève d’Althusser, nous apparaissent comme une piste conséquente, dans l’optique de concilier le « schmittianisme de gauche » (antilibéral) avec le refus de consacrer l’avènement du conflit comme mode d’être du politique. L’exigence d’une politisation — ou, plus simplement, d’une définition d’un « état » politique — peut déboucher, en dernière instance, sur « une résistance à la violence » [29]. Le philosophe français reconnaît sans ambages que le juriste rhénan a pesé sur l’histoire des idées politiques ; il n’a du reste pas hésité à affirmer, dans sa préface à la traduction du Der Leviathan de Schmitt, que la pensée de celui-ci était « l’une des pensées les plus inventives » [30] du vingtième siècle. C’est en s’adossant à la théorisation schmittienne de la souveraineté, qui lui apparaît « indispensable » pour comprendre l’ensemble des discours ayant trait « aux limites d’application » d’un tel concept [31], que Balibar a pu développé « la thèse d’un extrémisme du centre », taxant l’État de droit libéral d’être doté d’une « face d’exception » qui participerait à l’exclusion des anormaux et des déviants [32]. Mais cette prise en considération des arguments antilibéraux du juriste, que Balibar actualise et façonne, ne l’a pas empêché de questionner les « effets destructeurs de la violence, y compris de la violence révolutionnaire. » [33] La violence détruirait la possibilité même de la politique dont le maintien nécessiterait « un moment propre de civilité », c’est-à-dire un moment à l’issue duquel serait introduit l’impératif de l’anti-violence. À bien lire Balibar, il n’est pas certain que schmittianisme et post-marxisme soient incapables d’avancer de concert vers la génération d’une action politique de gauche.

LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE OU L’OUBLI DE L’ÉLÉMENT PROPREMENT « POLITIQUE »

Il peut sembler inadapté, à première vue, de formuler l’hypothèse d’un rapprochement plausible entre la pensée politique de Carl Schmitt et les considérations théoriques actuelles autour de la construction européenne. Nicolas Sombart, qui a fréquenté le juriste déchu à Plettenberg, a réprouvé le fait que la plupart des lecteurs du publiciste découvraient, selon lui, « le faux Schmitt », à savoir le « concepteur de cette machine célibataire qu’est l’ "État" » [34], alors que l’auteur du Nomos de la Terre avait surtout su diagnostiquer le déclin de la forme étatique moderne qui serait parvenue à son terme. Avec le passage à l’ère globale, les Européens devraient songer à remplacer l’État, vieilli et poussiéreux, « par des formes d’ "unité politique" substantielles, véritablement souveraines. » [35]

41YfDNAAdOL.jpgDepuis une dizaine d’années, les études schmittiennes se sont élargies à la question d’un prolongement continental et européen de la notion du « politique ». Ce phénomène naissant, encore à l’état d’un décantage initial, fut impulsé, pour l’essentiel, par les recherches de Christoph Schönberger et d’Ulrich K. Preuss [36]. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le penseur conservateur s’était effectivement donné pour objectif de réfléchir sur l’avenir du Vieux Continent, désormais pris en étau entre les deux puissances dominantes. La « reconstruction » européenne, telle qu’il la voyait se dessiner, lui apparaissait comme une entreprise menée à l’encontre des Allemands vaincus et qui manquait, par ailleurs, de se pourvoir des attributs du politique. À la vue d’une Europe « kidnappée par des esclaves » [37] et soumise au dictat des vainqueurs, Schmitt conçoit un équilibre mondial reposant sur l’instauration d’un pluriversum de « grands espaces ».

Après 1945, le juriste rhénan revoit sa théorie du Großraum qu’il avait mise, dans un premier temps, au service du régime nazi. Celle-ci prévoit la suppression des entités étatiques en tant que lieux de souveraineté et leur incorporation au sein d’un espace « aux limites indéterminées, ou plutôt flexibles » [38], où chacun des peuples phagocytés disposerait de droits différentiels. Sous l’impulsion d’un « centre », du Reich allemand, un grand espace européen unifierait le Vieux Continent sur la base d’un critère d’appartenance christique (ou chrétien), constituant de fait une réponse appropriée au dépérissement progressif du concept d’État. Carl Schmitt n’a de cesse d’identifier l’Europe à la chrétienté ; cette dernière représenterait une solide alternative au bloc soviétique et au bloc libéral — marxisme et libéralisme étant tous deux la conséquence d’un noyau métaphysique athée et de croyances immanentistes. Se composerait, dès lors, un ordre mondial fondé sur la coexistence de plusieurs blocs autonomes — les grands espaces — qui permettrait ainsi un rééquilibrage des puissances. Tomas Kostelecky, en particulier, s’autorise à interpréter la notion de Großraum comme l’analyse intéressante d’un effacement tendanciel des frontières [39]. Schmitt aurait pressenti le déplacement progressif du lieu de la souveraineté depuis les entités étatiques vers un grand espace européen, préfigurant de ce fait l’avènement d’une construction d’échelle continentale.

L’élargissement des frontières géographiques s’accompagne, dans la théorie du penseur conservateur, d’une révision des limites « nationales » : la théorisation d’un Großraum passe inévitablement par une redéfinition du concept de nation. « Une Europe démocratique avait d’abord besoin d’un peuple européen homogène » [40], ce que la croyance en Jésus-Christ était toute disposée à fournir. Schmitt estime qu’un pacifisme morne ne peut, en aucun cas, prodiguer les propriétés vertueuses du politique. Dans sa construction de l’après-guerre, l’Europe aurait omis de fonder le patriotisme européen sur l’identification d’un autre, d’un ennemi, de se fonder sur l’homogénéité du peuple chrétien à même d’édifier une forme authentiquement politique pour le continent. Le savant de Plettenberg bat en brèche l’idéal du refus de la puissance ; il souhaite faire de l’Allemagne le « pôle impérial » d’une nation chrétienne, refusant d’un même geste la sanction des triomphateurs et l’élaboration d’une formule politique « neutre ».

Les questions de l’État-nation — et des relations internationales —, de la souveraineté, de l’ordre juridique européen, soulevées par Schmitt à son époque, sont actuellement consubstantielles au problème de l’intégration européenne. C’est assez logiquement que les raisonnements de ce dernier paraissent susceptibles, au jour d’aujourd’hui, de trouver une utilité particulièrement éloquente dans le cadre des discussions théoriques relatives à l’idée d’Europe. Si les écrits du juriste permettent d’attaquer systématiquement les thèses « néo-cosmopolitiques » et de nourrir l’ensemble des discours « souverainistes », nous rejoignons Müller sur le fait qu’il est également tout à fait pensable que de tels textes puissent peser sur les réflexions des néo-kantiens et des libéraux, dans l’optique bien différente de solidifier le modèle cosmopolitique. Il semble que s’il souhaite prendre effet, le cosmopolitisme y gagnerait beaucoup à prendre en compte « la dialectique schmittienne de la souveraineté et de l’unité politique forgée à peine de vie et de mort » [41], en vue d’envisager, en fin de compte, d’y échapper complètement. Müller formule, en filigrane, l’hypothèse suivante : probablement que ceux qui relèvent le défi de réfléchir à de nouvelles identités supranationales devront, d’une manière ou d’une autre, se mesurer aux philosophèmes de Carl Schmitt, afin d’imaginer les moyens nécessaires au dépassement de l’homogénéité et de l’hostilité [42]. Le penseur conservateur pourrait, semble-t-il, nous aider, a contrario, à penser (à renforcer ?) le domaine du métanational. Existerait-il une thématique plus actuelle en théorie politique ?

CONCLUSION

Yves Charles Zarka a tout récemment précisé la distinction qu’il avait opérée entre les œuvres et les documents, lorsque dans un article paru dans Le Monde au lendemain de la publication en français du Der Leviathan de Schmitt, il avait affirmé que les textes du juriste allemand appartenaient à la catégorie des documents [43]. Il écrit que « ce qui fait le caractère particulier du document est d’être inscrit dans un moment historique dont il est un témoignage, d’en être d’une certaine manière inséparable. En revanche, une œuvre nous interpelle au-delà de son temps, en dehors du contexte où elle a été écrite pour nous parler aussi bien de son temps que du nôtre. En ce sens, […] Schmitt est l’auteur de documents. » [44] Durant l’espace d’un demi-siècle, Carl Schmitt a influé sur l’ensemble du spectre politique, de l’extrême gauche italienne à la Nouvelle Droite française — et il continue de le faire de manière posthume. Il reste à espérer que la traduction en langue française de l’ouvrage de Jan-Werner Müller fera prendre conscience du poids et de l’importance qu’ont pu prendre les diagnostics et les anamnèses souvent judicieuses de l’adversaire le plus virulent du libéralisme — ce qui n’a jamais contraint ses lecteurs de partager les suggestions normatives qui corroborent l’analyse. S’obstiner à discréditer à tout prix la pensée du savant de Plettenberg au point de refuser que les écrits de ce dernier constituent une œuvre, au motif qu’entachés par le nazisme, ils n’auraient plus rien à nous dire d’actuel, est un tour de passe-passe plutôt difficile à réaliser.

Une critique de Tristan Storme

 
Pour citer cet article :

Notes

[1] L’expression est de George D. Schwab, « un chercheur de l’université de New York » qui, écrit Müller, fut « à l’origine de la redécouverte américaine de Schmitt » (Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 302).

[2] Nous paraphrasons ici la formule d’Étienne Balibar : « Carl Schmitt est le plus brillant et donc [nous soulignons] le plus dangereux des penseurs d’extrême droite » (BALIBAR, Étienne [entretien avec], « Internationalisme ou barbarie », propos recueillis par Michael Löwy et Razmig Keucheyan, SolidaritéS, n° 30, mercredi 2 juillet 2003, p. 22, texte disponible sur : http://www.solidarites.ch/index.php... ).

[3] Op. cit., p. 9.

[4] Cf. surtout VAN LAAK, Dirk, Gespräche in der Sicherheit des Schweigens : Carl Schmitt in der politischen Geistesgeschichte der frühen Bundesrepublik, Berlin, Akademie Verlag. 1993.

[5] HABERMAS, Jürgen, « Le besoin d’une continuité allemande. Carl Schmitt dans l’histoire des idées politiques de la RFA », trad. par Rainer Rochlitz, Les Temps Modernes, n° 575, juin 1994, p. 31.

[6] Ibid., p. 32.

[7] Schmitt a développé sa compréhension de l’évolution du régime parlementaire dans Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (Parlementarisme et démocratie, trad. par Jean-Louis Schlegel et préface de Pasquale Pasquino, Paris, Seuil, coll. « Essais », 1988).

[8] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 369.

[9] RAYNAUD, Philippe, « Que faire de Carl Schmitt ? », Le Débat, n°131, septembre – octobre 2004, p. 165.

[10] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 13.

[11] Ibid., p. 169. C’est nous qui soulignons.

[12] Ibid., p. 184.

[13] « 13. L’intégrisme européen et l’essor de la (des) nouvelle(s) droite(s) européennes », in ibid., pp. 288-303.

[14] Claire-Lise Buis affirme, parmi d’autres, que « l’antilibéralisme est bien un élément fondamental de regroupement des fidèles schmittiens » (« Schmitt et les Allemands », Raisons politiques, n°5, février 2002, p. 151).

[15] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 29.

[16] « 8. Le Partisan dans le paysage de la trahison : la théorie de la guérilla de Schmitt — et ses partisans », in ibid., p. 204-219.

[17] « La critique du parlementarisme », in ibid., pp. 240-248.

[18] « Schmitt et la haine de classes : les Marxisti Schmittiani », in ibid., pp. 248-253.

[19] Cf. notamment AGAMBEN, Giorgio, État d’exception. Homo sacer, II, 1, trad. par Joël Gayraud, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003 ; NEGRI, Antonio, Le pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, trad. par Étienne Balibar et François Matheron, Paris, PUF, coll. « Pratiques théoriques », 1997.

[20] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt, après le nazisme », Cités, n°17, 2004, p. 148.

[21] MONOD, Jean-Claude, Penser l’ennemi, affronter l’exception. Réflexions critiques sur l’actualité de Carl Schmitt, Paris, La Découverte, coll. « Armillaire », 2007, p. 21.

[22] « Les usages opposés de Schmitt : une longue histoire », in ibid., pp. 21-31.

[23] Ibid., p. 107.

[24] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 302.

[25] Ibid., p. 310 ; pp. 321-322.

[26] ZARKA, Yves Charles, Un détail nazi dans la pensée de Carl Schmitt, suivi de deux textes de Carl Schmitt traduits par Denis Trierweiler, Paris, PUF, coll. « Intervention philosophique », 2005, p. 92.

[27] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 343.

[28] BALIBAR, Étienne (entretien avec), loc. cit., p. 22.

[29] Cf. BALIBAR, Étienne, « Violence et civilité. Sur les limites de l’anthropologie politique », in GÓMEZ-MULLER, Alfredo, La question de l’humain entre l’éthique et l’anthropologie, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2004. Le texte est disponible sur : http://ciepfc.rhapsodyk.net/article... .

[30] « Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes », préface à : SCHMITT, Carl, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, p. 8.

[31] BALIBAR, Étienne, « Prolégomènes à la souveraineté : la frontière, l’État, le peuple », Les Temps Modernes, n°610, septembre – octobre – novembre, 2000, p. 50.

[32] « Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes », préface à : SCHMITT, Carl, op. cit., p. 11. C’est l’auteur qui souligne.

[33] BALIBAR, Étienne (entretien avec), « Internationalisme ou barbarie », propos recueillis par Michael Löwy et Razmig Keucheyan, SolidaritéS, n° 30, mercredi 2 juillet 2003, p. 23.

[34] « Promenades avec Carl Schmitt », in SOMBART, Nicolaus, Chroniques d’une jeunesse berlinoise (1933-1943), trad. par Olivier Mannoni, Paris, Quai Voltaire, 1992, p. 324.

[35] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 342.

[36] Cf. WAGNER, Helmut, « La Notion juridique de l’Union européenne : une vision allemande », trad. par Pascal Bonnard, Notes du Cerfa, n°30(a), février 2006, pp. 1-13. Le texte est disponible sur : http://www.ifri.org/files/Cerfa/Not... .

[37] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 203.

[38] KERVÉGAN, Jean-François, « Carl Schmitt et "l’unité du monde" », Les études philosophiques, n° 1, janvier 2004, p. 13.

[39] Cf. KOSTELECKY, Tomas, Aussenpolitik und Politikbegriff bei Carl Schmitt, München, Neubiberg-Institut für Staatwissenschaften, 1998.

[40] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 14. C’est nous qui soulignons.

[41] Ibid., p. 337.

[42] « Une ère post-héroïque ? Après la nation, l’État — et la mort politique », in ibid., pp. 336-338.

[43] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt, nazi philosophe ? », Le Monde, n° 17998, vendredi 6 décembre 2002, p. VIII.

[44] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt ou la triple trahison de Hobbes. Une histoire nazie de la philosophie politique ? », Droits – Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n° 45, 2007, p. 177.

Le droit des peuples réglé sur le grand espace de Carl Schmitt

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Le droit des peuples réglé sur le grand espace de Carl Schmitt

par Karl Peyrade

Ex: https://www.lerougeetlenoir.org

Avec Le droit des peuples réglé sur le grand espace (1939-1942), Carl Schmitt commence à s’intéresser, dans le cadre de son analyse juridique et géopolitique, à la question de l’espace. Le droit international public est désigné par le juriste allemand comme le droit international des gens, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à un Etat territorialement délimité dans un pays homogène. Le concept de grand espace apparaît au XIXe siècle avec l’idée de territoires équilibrés. Dans la tradition juridique française initiée par Jean Bodin puis reprise par les jacobins, ce sont plutôt les frontières naturelles qui ont servi à justifier l’expansion gallicane. A l’opposé, la logique de grand espace valide le droit des peuples à forte population à dominer sur les autres. La conception française s’articule sur un schéma géographique tandis que la notion de grand espace est liée à un déterminant démographique.

41Slx8ar6bL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgCe paradigme spatial apparaît très explicitement dans la doctrine Monroe de 1823. Cette théorie américaine revendique l’indépendance de tous les Etats américains, interdit leur colonisation par des Etats tiers et défend à ceux-ci d’intervenir en leur sein. Elle crée donc un corpus de règles ayant vocation à s’appliquer à un grand espace qui est l’espace américain. La difficulté réside dans le fait que la doctrine Monroe a évolué avec le temps. Elle est passée d’un non-interventionnisme catégorique à un impérialisme intransigeant, d’une neutralité à une position morale donnant le droit de s’ingérer dans les affaires des pays du monde entier. « L’aversion de tous les juristes positifs contre une telle doctrine est bien compréhensible ; devant pareille imprécision du contenu normatif, le positiviste a le sentiment que le sol se dérobe sous lui », ironise l’auteur. En fait, les américains ont modifié leur interprétation de la doctrine Monroe au fil du temps et de leurs intérêts. La raison d’Etat se passe facilement des débats juridiques car contrairement à ce que de nombreux juristes pensent, dans la lignée du positivisme juridique, le droit ne créé rien. Il est simplement le reflet d’un rapport de forces. Les marxistes le désigneraient comme étant une superstructure.

D’après Talleyrand, l’Europe est constituée de relations entre Etats. Monroe est le premier à parler de grand espace. Le grand espace repose sur l’idée d’inviolabilité d’un espace déterminé sur lequel vit un peuple avec un projet politique. Il suppose aussi l’absence d’intervention dans les autres espaces. Au départ, ce principe était donc interprété dans un sens continentaliste. Mais à l’arrivée, on débouche sur un interventionnisme capitaliste et universaliste avec le triomphe de l’interprétation britannique. Le passage de la neutralité à l’impérialisme américain s’incarne particulièrement en la personne du président Wilson (1917). Ce dernier a fait du principe local du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes un principe à valeur universelle. Carl Schmitt critique cette « réinterprétation de la doctrine Monroe, au départ idée concrète du grand espace, géographiquement et historiquement déterminée, en principe général d’inspiration universaliste, censé valoir pour la Terre entière et prétendant à l’ubiquité ».

Le principe de sécurité des voies de communication britanniques constitue un bon exemple de notion universaliste au profit de l’impérialisme anglo-saxon. Contrairement aux Etats-Unis et à la Russie, il n’existe pas de continuité spatiale dans l’empire britannique qui est une addition de possessions émiettées sans espace déterminée et sans cohérence. Afin de justifier la sécurité des voies de communication, les anglais ont adopté des principes universalistes permettant d’assimiler l’empire britannique au monde. En effet, les anglais régnaient sur la mer. Ils avaient donc intérêt à ce que les voies maritimes soient sécurisées au nom de leur principe de sécurité des voies de communication leur permettant d’intervenir partout et de dominer les espaces maritimes des pays neutres. A titre d’exemple, ils ont empêché le monopole français sur le Canal de Suez en invoquant le principe de droit naturel des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cela n’a en revanche pas fonctionné à Panama où les américains leur ont justement opposé la doctrine Monroe.

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Philosophiquement, la vision universaliste du monde trouve sa source dans la théorie du droit naturel du XVIIe siècle qui trouve son apogée dans le concept de liberté commerciale forgée au XIXe siècle. Il ne faut pas confondre la loi naturelle qui vient de Dieu et le droit naturel selon lequel les hommes naissent tous avec des droits inhérents à leur personne humaine. Ainsi, au-delà des caractéristiques ethniques, culturelles ou religieuses, l’homme parce qu’il est homme dispose de certains droits fondamentaux. L’avènement des droits de l’homme constitue l’aboutissement suprême de la théorie du droit naturel.

A l’inverse de cette théorie, la logique des grands espaces n’a pas de portée universaliste. Elle intègre l’évolution historique des grandes puissances territoriales ayant de l’influence sur des pays tiers. Le paradigme n’est donc plus national mais spatial. Au sein de l’espace dominé par une grande puissance règne la paix en raison de l’exigence de non-intervention. Mais en dehors de cet espace, l’intervention redevient possible. Carl Schmitt reprend le concept allemand d’empire pour l’adapter aux particularités de son époque. L’impérialisme répond au contraire à une vision supra ethnique, capitaliste et universaliste. L’auteur plaide pour le Reich allemand contre les deux universalismes de son temps : l’URSS socialiste et la révolution mondialo-libérale occidentale. Il faut rappeler que la pensée schmittienne n’est en aucun cas une pensée racialiste ce que les membres de la SS n’ont pas manqué de lui reprocher. Elle s’appuie en revanche sur un peuple constitué historiquement et ayant conscience de lui-même. Pour Schmitt, le concept d’empire est traversé par les mêmes idées, la même philosophie, ancré dans un grand espace et soutenu par un peuple.

« Les autres concepts de l’espace, désormais indispensables, sont en premier lieu le sol, à rattacher au peuple par une relation spécifique, puis celui, corrélatif au Reich, débordant l’aire du peuple et le territoire étatique, du grand espace de rayonnement culturel, mais aussi économique, industriel, organisationnel […] L’empire est plus qu’un Etat agrandi, de même que le grand espace n’est pas qu’un micro-espace agrandi. L’Empire n’est pas davantage identique au grand espace ; chaque empire possède un grand espace, s’élevant par là au-dessus de l’Etat spatialement déterminé par l’exclusivité de son domaine étatique, au-dessus de l’aire occupée par un peuple particulier. »

Plusieurs conceptions peuvent découler de cette notion de grand espace. Une acception purement économiste pourrait le voir uniquement comme le lieu de l’échange commercial avec d’autres grands espaces. La vision impériale, et non impérialiste, aboutirait à des relations entre empires basés sur des grands espaces. Au sein de ces grands espaces, des relations interethniques pourraient voir le jour. Sous réserve de non-ingérence de puissances étrangères, des relations interethniques pourraient même naître entre empires différents. La notion d’empire permet, contrairement à l’universalisme des droits de l’homme, de conserver les Etats et les peuples.

Juridiquement, l’espace est traditionnellement abordé par le droit de la manière suivante : le droit privé l’appréhende à travers l’appropriation d’une terre tandis que le droit public le considère comme le lieu d’exercice de la puissance publique. Les théories positivistes voient le droit comme « un ordre intimé par la loi ». Or, « les ordres ne peuvent s’adresser qu’à des personnes ; la domination ne s’exerce pas sur des choses, mais sur des personnes ; le pouvoir étatique ne peut donc se déterminer que selon les personnes ». Le positivisme juridique n’admet donc l’espace que comme un objet relevant de la perception, déterminé selon le temps et l’espace. Au fond, il s’agit d’un espace vide sur lequel s’exerce le pouvoir étatique. A l’inverse, Carl Schmitt part de l’espace pour fonder tout ordre juridique. L’auteur note l’influence juive au sein du droit constitutionnel allemand sur le concept d’espace vide : « Les rapports bizarrement gauchis qu’entretient le peuple juif avec tout ce qui touche au sol, à la terre et au territoire découlent du mode singulier de son existence politique. La relation d’un peuple à un sol façonné par son propre travail d’habitation et de culture, et à toutes les formes de pouvoir qui en émanent, est incompréhensible pour un esprit juif. » Le juriste allemand conclue son ouvrage en insistant sur le vocable juridique du Moyen-Âge qui avait une dimension spatiale (Stadt = site, civitas = cité, Land = terre etc.) et en constatant que la négation de l’espace conduit à la négation des limites ce qui aboutit à l’universalisme abstrait.

« Ces considérations ne visent certes pas à prôner le retour vers un état de choses médiéval. Mais on a bien besoin de subvertir et d’éliminer un mode de pensée et de représentation regimbant à l’espace, dont le XIXe siècle marque l’avènement, et qui gouverne encore la conceptualisation juridique tout entière ; en politique internationale, il va de pair avec l’universalisme déraciné, négateur de l’espace et par là sans limite, de la domination anglo-saxonne des mers. La mer est libre au sens où elle est libre d’Etat, c’est-à-dire libre de l’unique représentation d’ordre spatial qu’ait pu penser le droit d’obédience étatique. »

nomos.jpgOuvrage court mais très exigeant, Le droit des peuples réglé sur le grand espace constitue une bonne introduction à l’ouvrage majeur Le nomos de la terre qu’écrira par la suite Carl Schmitt. Ecrit dans un style toujours clair sans être universitaire, le livre présente le grand mérite d’être en avance sur son temps. A une époque où l’on réfléchissait encore en termes de nation, il anticipe largement les grandes évolutions du monde. Aujourd’hui, comment nier que le monde est traversé par une logique de blocs animés par une puissance dominante. L’espace américain est dominé par les Etats-Unis, l’espace asiatique par la Chine et l’espace eurasiatique par la Russie. Il n’y a guère que l’Europe qui ne suit pas cette évolution. En effet, au lieu de s’ancrer dans son espace culturel et religieux, elle a préféré se dissoudre dans un système technico-économique abstrait sous-tendu par les inévitables droits de l’homme. A trop nier l’espace, on finit par nier l’homme comme produit d’un enracinement culturel pour aboutir à l’homme-marchandise.

Karl Peyrade