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samedi, 15 février 2020

Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

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Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

Ex: http://notes-geopolitiques.com

Constamment mise à jour et rééditée, l’Introduction à l’analyse géopolitique d’Olivier Zajec (Le Rocher, 2018), publiée pour la première fois en 2013, est en passe de devenir un classique, et son auteur l’une des figures universitaires marquantes de sa génération.

Très impliqué dans la réflexion stratégique, c’est aussi un pédagogue qui excelle dans l’art de sensibiliser le grand public aux questions complexes, comme l’illustre son superbe album de 2017, Frontières (Chronique Editions).

Il n’en était que plus indiqué pour nous parler de son parcours, de sa vision de la géopolitique, et des évolutions que connaît cette discipline, instrument indispensable, résume-t-il, pour « saisir l’alterité » et comprendre les transformations du monde.

Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

63318573_14150726.jpgSpykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

71skiYG2LXL.jpgL’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’oeuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

affolement-monde-beandeau.pngDans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

Sans les humanités, nous analysons à vide.

9782707178329.jpgDu point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

Comment a été reçu votre dernier livre ?

Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

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Pour en savoir plus sur Olivier Zajec:

Olivier Zajec, 43 ans, est maître de conférences en science politique à la faculté de droit de l’université Jean Moulin – Lyon III (EA 4586), où il a fondé et dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD).

Agrégé et docteur en Histoire des relations internationales (Paris-IV Sorbonne), diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr et de Sciences-Po Paris, il est membre du Conseil scientifique et chef du cours de géopolitique de l’École de Guerre (Paris) depuis 2015.

Conférencier à l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN), à Paris Sorbonne Université Abou Dhabi (PSUAD) et au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM), il est chargé de recherches à l’Institut de Stratégie Comparée (ISC, Paris) et directeur adjoint de la revue Stratégique.

En même temps, il collabore régulièrement à diverses publications de défense et de relations internationales : Le Monde diplomatique, Défense et sécurité internationale (DSI), Res Militaris, Conflits, La Revue de Défense nationale.

Il prépare actuellement un ouvrage consacré aux fonctions politiques de la guerre dans les relations internationales.

Olivier Zajec est l’auteur de nombreux articles et de divers ouvrages, dont :

La Mesure de la Force. Traité de stratégie de l’École de Guerre, (avec Martin Motte, Jérôme de Lespinois et Georges-Henri Soutou), Paris, Tallandier, avril 2018 (voir CLES, HS 81, janvier 2019, notre entretien avec Martin Motte) ;

Frontières. Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui, Paris, Éditions Chronique, septembre 2017 (Prix « L’Épée » 2018) ;

French Military Operations, dans Hugo Meijer and Marco Wyss (dir.), The Handbook on European Armed Forces, Oxford University Press ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Introduction à l’analyse géopolitique. Histoire, outils, méthodes, quatrième édition revue et augmentée, Paris, Éditions du Rocher, septembre 2018 ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Hyperconnectivité et souveraineté : les nouveaux paradoxes opérationnels de la puissance aérienne, Défense et sécurité internationale, septembre 2017 ;

Security studies et pensée stratégique française : de la vision globale à la myopie contextuelle, Res Militaris. Revue européenne d’études militaires, hors-série France : opérations récentes, enjeux futurs, décembre 2016 ;

Nicholas J. Spykman, l’invention de la géopolitique américaine, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, mars 2016 (Prix Albert Thibaudet 2016) ;

Carl von Clausewitz en son temps : die Natur des Mannes, lecture critique de Bruno Colson, Clausewitz, Paris, Perrin, 2016, Stratégique, n° 114, décembre 2016.

dimanche, 09 février 2020

Carl Schmitt spiegato ai giovani

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Carl Schmitt spiegato ai giovani

Intervista con Niccolò Rapetti

Ex: https://ragionipolitiche.wordpress.com

La complessità e la irriducibilità a formule del pensiero politico di Carl Schmitt sono immediatamente evidenti guardando alla sua travagliata fortuna scientifica. Si tratta innanzitutto di un reazionario cattolico, un conservatore compromesso nel regime hitleriano; negli anni però la sua critica anti-imperialista e anti-liberale ha iniziato a piacere molto anche alla sinistra e pur nel suo evidente anti-americanismo il suo libro Il nomos della Terra è oggi lettura obbligata per gli ufficiali di marina americana. Professor Carlo Galli, mi viene spontanea una domanda: di chi è Carl Schmitt?

51nlk4lnd+L._SX326_BO1,204,203,200_.jpgÈ un grande giurista del diritto pubblico e del diritto internazionale, che ha avuto il dono di un pensiero veramente radicale, e la sorte di vivere in un secolo di drammatici sconvolgimenti intellettuali, istituzionali e sociali. Ciò ne ha fatto anche un grande filosofo e un grande scienziato della politica; e lo ha esposto a grandi sfide e a grandi errori.

È innanzitutto necessario chiarire la posizione di Schmitt nella storia delle idee e del diritto: Carl Schmitt è «l’ultimo consapevole rappresentante dello jus publicum europaeum, l’ultimo capitano di una nave ormai usurpata». Che cos’è lo jus publicum europaeum? Come e quando inizia il suo declino, che Schmitt attraversò «come Benito Cereno visse il viaggio della nave pirata»?

Lo jpe è l’ordine del mondo eurocentrico della piena modernità; un ordine che è anche Stato-centrico, al quale Schmitt sa di appartenere anche se è ormai in rovina. Un ordine, per di più, che egli stesso decostruisce, mostrando che si fondava sul disordine, cioè non solo sull’equilibrio fra terra e mare ma anche sulla differenza di status fra terra europea e terre extra-europee colonizzate. Il declino di quell’ordine nasce quando si perde la consapevolezza della sua origine di crisi: quando l’uguaglianza formale fra Europa e non-Europa viene affermata nelle teorie (gli universalismi dell’economia, del diritto, delle teorie politiche democratiche e della morale) e nella pratica (l’imperialismo delle potenze anglosassoni, la loro – interessata – esportazione del capitalismo e della democrazia). Cioè per Schmitt dai primi anni del XX secolo.

Come si coniugano gli elementi «febbrilmente apocalittici» (teologia) e quelli «causticamente razionali» (diritto) nel pensiero politico di Carl Schmitt? In che posizione si trova il giurista Schmitt nei confronti di tecnica e teologia, diritto positivo e katechon?

Schmitt non è un apocalittico in senso proprio, nonostante sia così interpretato da Taubes. La teologia è, nel suo pensiero, un punto di vista, sottratto all’immanenza moderna, a partire dal quale comprendere diritto e politica, e le loro dinamiche. La teologia non ha la pretesa di essere una sostanza fondativa (Schmitt non è un fondamentalista) ma è anzi la consapevolezza dell’assenza di sostanza (di Dio), nell’età moderna. Questa assenza, che Schmitt reputa irrimediabile, è la spiegazione del fatto che la modernità è instabile, e che il suo modo d’essere è l’eccezione: questa richiede la decisione perché si possano formare ordini, e continua a vivere dentro gli ordini e le forme, che quindi non possono mai essere chiusi, razionali, neutralizzati. Da ciò deriva anche l’importanza del potere costituente, ovvero dell’atto sovrano che fonda un ordine a partire da una decisione reale sull’amico e sul nemico. E da ciò anche la tarda insistenza sulla terra (sulla concretezza spaziale) come possibile fondamento stabile degli ordini.

Considerando la distinzione politica fondamentale Freund-Feind, che opinione può avere Schmitt di tendenze fondamentali del suo e del nostro tempo, universalismo e pacifismo, che escludono per definizione l’idea di nemico?

418dj-pLosL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgSchmitt pensa – e lo spiega in tutta la sua produzione internazionalistica, dal 1926 al 1978 – che ogni universalismo e ogni negazione della originarietà del nemico siano un modo indiretto per far passare una inimicizia potentissima moralisticamente travestita, per generare guerre discriminatorie. Per ogni universalismo chi vi si oppone è un nemico non concreto e reale ma dell’umanità: un mostro da eliminare. Perché ci sia pace ci deve essere la possibilità concreta del nemico, non la sua criminalizzazione, secondo Schmitt.

Dopo aver annunciato la morte dello Stato nel saggio Il Leviatano di Hobbes, Schmitt teorizzò un’alternativa al potere statale, adeguata alla nuova concezione globale del pianeta che conservando la natura plurale del politico, potesse compiere la grande impresa «degna di un Ercole moderno»: domare la tecnica scatenata. Stiamo parlando dei Grandi Spazi, la cui formulazione è contenuta nella conferenza L’ordinamento dei grandi spazi nel diritto internazionale scritto nel 1939. Ce ne può parlare?

Il Grande Spazio, o Impero, è la risposta di Schmitt al Lebensraum nazista. Non ha caratteristiche biologiche, ma è in pratica la proposta di egemonia di una forma politica all’interno di uno spazio geografico-politico in cui continuano a esistere altre forme politiche non pienamente sovrane. Il GS è più che una sfera d’influenza, perché è gerarchicamente organizzato al proprio interno e perché è chiuso a influenze esterne; ed è diverso dallo Stato perché non è del tutto omogeneo giuridicamente: perché non è un «cristallo». I GS sono i soggetti di una concezione plurale delle relazioni internazionali; le due superpotenze del secondo dopoguerra, invece, per Schmitt erano due universalismi (capitalismo e comunismo) in lotta fra di loro e in instabile equilibrio.

Negli interrogatori dell’immediato dopoguerra Schmitt difese strenuamente la propria concezione del nuovo ordinamento spaziale chiarendone la differenza rispetto alla vera dottrina politica del Terzo Reich cioè lo spazio vitale razziale-biologico. È però indubbio che nel grande spazio come pensato da Schmitt si annidi un antisemitismo coerente con ciò che è condizione sine qua non della teoria: un rapporto forte e concreto tra etnia-popolo e terra civilizzata. Il nemico quindi, per Schmitt, non è l’ebreo in quanto Un-mensch (sotto-uomo, razza inferiore), ma l’«ebreo assimilato» che si pone come elemento sradicante della territorialità e della concretezza di una cultura. Dove sta allora la verità, che cosa direbbe sull’imputato e sull’imputazione: ideologia o scienza?

In Schmitt ideologia e scienza non sono distinguibili: ogni scienza è orientata,  storica; è affermazione di un ordine concreto, oltre che ricostruzione genealogica degli ordini. L’antisemitismo, poi, è presente in tracce più o meno evidenti in buona parte della filosofia tedesca – da Hegel a Schopenhauer, da Marx a Heidegger –, in forme diverse e con significati diversi; nei grandi filosofi non è mai determinante – ovvero, non è il motivo che dà origine al filosofare –: l’ebreo è utilizzato come un esempio di non-appartenenza, di individualistico sradicamento, di coscienza infelice e al contempo aggressiva. Il capitalismo, il socialismo e  la tecnologia sono spiegati anche (certo, non soltanto – soprattutto nel caso di Marx –) attraverso l’ebraismo, insomma. Questo atteggiamento – che è presente con forse maggiore virulenza anche nella destra francese – è ai nostri occhi gretto, insensato, pericolosissimo e tendenzialmente criminale. Schmitt, come persona, è stato antisemita in seguito al suo cattolicesimo (una delle fonti dell’antisemitismo in Europa; ma anche Lutero era violentemente antisemita), senza però che l’antisemitismo fosse particolarmente rilevante o importante nel suo pensiero; la sua adesione al nazismo, che a suo tempo ha sorpreso tutti,  non è dovuta all’antisemitismo ma a un misto di disperazione (per la caduta di Weimar, che aveva cercato vanamente di salvare), di orgoglio (la pretesa di poter guidare il nazismo verso un pensiero «civilizzato» e verso la soluzione della crisi dello Stato) e di ambizione (la chiamata in cattedra a Berlino, la vicepresidenza della associazione dei giuristi tedeschi, il ruolo tecnico rilevantissimo nella stesura di alcune leggi costituzionali come quella dei «luogotenenti del Reich» – 1933 –, la nomina a consigliere di Stato prussiano). Data la struttura radicale del suo pensiero, cioè dato il nichilismo che dopo tutto vi alberga e che gli impedisce ogni valutazione di carattere morale, e dato anche il suo precedente larvato antisemitismo, Schmitt non ha avuto remore nell’adeguarsi all’antisemitismo nazista – ben diverso da ogni altro – che pure non gli apparteneva, e che ha prodotto effetti terribili e grotteschi nei testi da lui scritti dal 1933 al 1936 (anno della crisi del suo rapporto con il regime), con alcuni strascichi nel libro hobbesiano del 1938 e nei testi «segreti» del primo dopoguerra (in realtà scritti per essere pubblicati postumi). In generale, per lui l’ebraismo è un altro nome del liberalismo (il problema è che nella fase nazista è trattato come la causa del liberalismo). La responsabilità politica, morale e storica è tutta sua; gli studiosi devono sapere che la forza del suo pensiero sta altrove, e al tempo stesso devono sapere che quel pensiero è indifeso davanti a questo tipo di aberrazioni (ma anche ad altre analoghe, di altro segno).

1200px-Grabstein_Carl_Schmitts.jpegCarl Schmitt si è spento nel 1985 a Plettenberg in Westfalia alla veneranda età di 97 anni. Ciò significa che il suo sguardo non supera la «cortina di ferro» e si estende solo alla realtà della guerra fredda. Anche durante questo delicato periodo Schmitt ha continuato la sua attività di studioso e attento indagatore delle questioni di diritto internazionale dei suoi anni. Si espresse quindi sul dualismo USA-URSS, vedendo in esso una tensione verso l’unità del mondo nel segno della tecnica che avrebbe sancito l’egemonia universale di un «Unico padrone del mondo». Superando il 1989, e guardando al presente, possiamo dire che gli Stati Uniti dopo il ’91 hanno definitivamente preso scettro e globo in mano? L’American way of life è il futuro o il passato? Già Alexandre Kojève, per esempio, parlava di un nuovo attore politico e culturale e di una possibile «giapponizzazione dell’occidente».

Lascerei da parte Kojève, a suo tempo affascinato da Schmitt ma studioso di tutt’altra provenienza e di altre ambizioni. Quanto al resto, non è vero che gli Usa siano stati i padroni solitari del mondo, se non forse negli anni Novanta quando hanno affermato che il cuore del nomos della Terra è il benessere del cittadino americano. Hanno esportato la democrazia, e in realtà il loro capitalismo, ovunque e con ogni mezzo, praticando guerre presentate come azioni di polizia internazionale, con o senza la copertura dell’Onu. Ma hanno anche trovato resistenze ovunque: i terrorismi che spesso hanno armato, e  che si sono rivoltati contro di loro; ma anche soggetti geo-politici e geo-economici abbastanza forti da essere in grado di  affermare le proprie pretese – Cina, Russia, Iran, la stessa Germania con la sua forza economica di esportazione, solo per fare qualche esempio –. In ogni caso, gli Usa hanno dovuto assumere, dopo la crisi del 2008, una postura difensiva: protezionismo, per difendersi da economie più dinamiche della loro; ritiro militare da aree un tempo strategiche, come parte del Medio Oriente; scarsa propensione a interventi massicci in aree di crisi (che è la vera differenza fra l’amministrazione Trump e quelle democratiche che lo hanno preceduto); severa compressione della omogenea diffusione del benessere nella loro società. Resta invariato il diritto che gli Usa rivendicano ed esercitano di intervenire ovunque nel mondo con azioni mirate contro i loro nemici, che ora come sempre essi criminalizzano. Ma oggi non sono i padroni del mondo: l’Eurasia (Cina e Russia) ha un peso pari a quello dell’Euro-America (a parte il fatto, importantissimo, che entrambe queste macro-realtà sono divise al loro interno).

Al conflitto parziale e regolato tipico dello jus publicum europaeum (1648-1914) Schmitt contrapponeva la moderna guerra discriminatoria condotta per justa causa dove il nemico è concepito come criminale sul piano legale e inferiore moralmente. Le parti in conflitto non si pensano più come justi hostes, nemici reali che si riconoscono reciprocamente come sovrani sui propri confini, ma esprimono una guerra giusta che legittima l’impiego dei moderni mezzi di annientamento. La guerra regolare e circoscritta diventa allora con i due conflitti mondiali, totale e discriminatoria alla stregua di una guerra civile su scala mondiale; una guerra non tra regolari eserciti ma in cui anche i civili e la proprietà privata diventano oggetto di annientamento attraverso i bombardamenti aerei. Eppure in questa lucida e terribile diagnosi Schmitt aveva ancora la forza della speranza e concludendo il Dialogo sul nuovo spazio scrive: «sono convinto che dopo una difficile notte di minacce provenienti da bombe atomiche e simili terrori, l’uomo un mattino si sveglierà e sarà ben felice di riconoscersi figlio di una terra saldamente fondata». La questione, invece, oggi non solo è irrisolta ma si è radicalizzata lasciandoci uno Schmitt spaesato. Come si configura una guerra in un mondo globalizzato dove «le uniche linee generate dall’economia che siano geograficamente leggibili sono quelle degli oleodotti» e la religione torna ad essere politica e fortemente identitaria?

Oggi la guerra non ha più, prevalentemente, le forme della guerra totale che ha assunto nella Seconda guerra mondiale. Ma resta una guerra discriminatoria, come fu quella: democrazia contro terrorismo, Bene contro Male (concetto reversibile, com’è evidente). Nell’età globale, poi, in un mondo reso indistinto dall’omogeneità spaziale richiesta dal capitalismo, con l’ausilio dell’elettronica, si è rafforzata la tendenza verso la guerra discriminatoria, poliziesca, asimmetrica (Stati – e i loro contractors– contro bande armate, in mezzo a popolazioni civili): una guerra globale che scavalca i confini e che piomba dall’alto ovunque siano lesi gli interessi di alcune grandi potenze. Una guerra, certo, che – da entrambi i lati – non rispetta i vecchi parametri: distinzione fra interno ed esterno, fra civile e militare, fra nemico e criminale, fra pubblico e privato, fra religione e politica. Una guerra tanto lontana dai modelli tradizionali che un generale inglese ha potuto scrivere, citando John Lennon, «war is over».

Che cosa rimane dello studio di Schmitt sulla figura del combattente partigiano nell’epoca del terrorismo islamico e delle «crociate» americane per la democrazia e la libertà? Oggi il partigiano è ancora «l’ultima sentinella della terra»?

La figura del partigiano, elaborata da Schmitt nei primissimi anni Sessanta del XX secolo, è uno dei tentativi di pensare il ‘politico’ – in sé destabilizzante – in modo concreto e relativamente stabile: il che è possibile perché il partigiano è tellurico, perché difende un territorio. Il partigiano è portatore di inimicizia reale, non assoluta: combatte per uno scopo, non per mera volontà di distruggere. Non è un terrorista, un figlio dell’universalismo, della tecnica, di una volontà di dominio  globale. Se al tempo di Schmitt il partigiano poteva essere il vietcong (il che provocò a Schmitt qualche precoce simpatia a sinistra), oggi non è chiaro dove e con chi possa essere identificato.

9780199916931.jpgLa grande questione dello Schmitt del secondo dopoguerra, concentrato su questioni di diritto internazionale, è l’urgenza di un «nuovo nomos della terra» che supplisca ai terribili sviluppi della dissoluzione dello jus publicum europaeum. Porsi il problema di un nuovo nomos significa considerare la terra come un tutto, un globo, e cercarne la suddivisione e l’ordinamento globali. Ciò sarebbe possibile solo trovando nuovi elementi di equilibrio tra le grandi potenze e superando le criminalizzazioni che hanno contraddistinto i conflitti bellici nel ’900. A scompaginare il vecchio bilanciamento tra terra e mare, di cui l’Inghilterra, potenza oceanica, si fece garante nel periodo dello jus publicum europaeum, si aggiunge, però, una nuova dimensione spaziale: l’aria. L’aria non è solo l’aereo, che sovverte le distinzioni «classiche» di «guerre en forme» terrestre e guerra di preda marittima, ma è anche lo spazio «fluido-gassoso» della Rete. Grazie ai nuovi sviluppi della politica nel mondo si rende sempre più evidente come l’era del digitale non apra solamente nuove possibilità (e nuovi problemi) per l’informazione e la comunicazione, ma si configuri, nella grande epopea degli uomini e della Terra, come l’ultima, grande, rivoluzione spaziale-globale. Come possono rispondere le categorie del nomos di Carl Schmitt al nuevo mundo del digitale?

Se Schmitt non è solo il pensatore del conflitto indiscriminato, ma di un conflitto che è destinato a produrre un ordine, sia pure transitorio e mai neutrale, è chiaro che allora non convive bene né col capitalismo mondializzato, né con la tecnica globalizzata, né con la dimensione fluida e virtuale della Rete. In realtà, un significato contemporaneo di Schmitt sta in varie altre circostanze: inizia un’età post-globale, e per molti versi post-liberaldemocratica (ma non necessariamente post-statuale), contrassegnata da un nuovo pluralismo politico fra Grandi Spazi (non chiusi economicamente, però: questo è il problema) e quindi da un nuovo rilievo delle logiche geopolitiche e geostrategiche (di cui Schmitt è stato interprete originale e non pedissequo); nascono nuove richieste di sovranità anche in Occidente, dove prima regnava l’ideologia del mercato; la gestione della politica è sempre più spesso affidata a esecutivi forti, che agiscono attraverso «stati d’eccezione» più o meno espliciti; le dinamiche dell’esclusione interna verso i «diversi» si fanno più esplicite e il conflitto si fa più aspro (anche su questioni simboliche di fondo). Ma più ancora che di una importanza di Schmitt per decifrare il presente, è da sottolineare il suo grandissimo rilievo per decifrare la modernità e la sua crisi; per ri-codificare e ri-trascrivere la storia intellettuale, istituzionale e politica degli ultimi tre secoli (si pensi solo ai suoi libri sul parlamentarismo, sulla dittatura, sulla costituzione); per criticare genealogicamente e per decostruire il razionalismo e il pensiero dialettico. È questo rilievo critico – da assumere in modo non a-critico – a spiegare l’immensa  fortuna attuale di Schmitt nella letteratura scientifica, filosofico-politica, a livello davvero mondiale, tanto a  destra quanto a  sinistra, tanto in Europa quanto nelle Americhe e in Asia: attraverso Schmitt si ri-pensa il rapporto fra ragione e politica, fra opacità e  trasparenza, fra conflitto e ordine.

vendredi, 07 février 2020

Gisela Horst Panajotis KondylisLeben und Werk – eine Übersicht

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Gisela Horst

Panajotis KondylisLeben und Werk – eine Übersicht

564 Seiten | Broschur | Format 15,5 × 23,5 cm

Epistemata Philosophie, Bd. 605

58,00 | ISBN 978-3-8260-6817-1 

Kondy13k.jpgDieses Buch enthält erstmals umfangreiche biografische Daten des Philoso-phen und Ideengeschichtlers Panajotis Kondylis (1943–1998) und einen in-haltlichen Überblick über sein umfangreiches Werk. – Kondylis promovierte in Heidelberg und verfasste bedeutende geistesgeschichtliche Standardwerke zum Konservativismus, zur europäischen Aufklärung, zur Dialektik, zur Mas-sendemokratie und zur Metaphysikkritik, und er bezog als Autor Stellung zum politisch-sozialen Zeitgeschehen. Sein Beitrag zur Philosophie besteht in anthropologischen Grundeinsichten, die in Macht und Entscheidung und Sozialontologie entwickelt werden. Er lieferte zwei Beiträge zum histori-schen Lexikon Geschichtliche Grundbegriffe und war Träger von Ehrungen und Preisen, u.a. erhielt er den Wissenschaftspreis der Humboldtstiftung, war Fellow des Berliner Wissenschaftskollegs und Träger der Goethemedaille.Die AutorinGisela Horst (geb. 1946) kennt Kondylis aus persönlichen Gesprächen; nach Ende ihrer beruflichen Tätigkeit als Naturwissenschaftlerin studierte sie Lite-ratur- und Geschichtswissenschaft an der Fernuniversität in Hagen und ver-fasste dort eine Dissertation zu Leben und Werk von P. Kondylis bei Prof. Dr; Peter Brandt

jeudi, 06 février 2020

Julien Freund : La fin des conflits ?

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Julien Freund : La fin des conflits ?

par Chantal Delsol

Ex: https://www.chantaldelsol.fr

Communication prononcée au colloque Julien Freund, Strasbourg, 2010

On sait que Julien Freund ne croit pas à la fin possible des conflits dans le monde humain. C’est bien d’ailleurs ce postulat, fondamental dans sa philosophie, qui l’avait opposé à son premier directeur de thèse, Jean Hyppolite, l’avait conduit à chercher un autre directeur de thèse qu’il avait trouvé en la personne de Raymond Aron, et avait occasionné un débat pathétique et drolatique avec Hyppolite lors de la soutenance de thèse.

L’accusation d’utopisme porté par Freund aux pacifistes ne l’englue pas dans un empirisme cynique, mais laisse la porte ouverte à une espérance qui est d’une autre sorte. Je voudrais montrer que cet idéal, outre qu’il marque l’empreinte religieuse dans l’esprit de notre auteur, signe la marque de son temps : il n’a pas pu voir quel genre de « fin des conflits » est attendue aujourd’hui, tout autre que celle des utopies présentes à son époque. Ce qui montre l’inscription de sa pensée dans une époque, en même temps que sa pérennité.

Appartenant à cette minuscule espèce des intellectuels non-marxisants de son temps, Freund use une bonne partie de son énergie à argumenter contre les utopies de la paix universelle. Il aime partir de l’argument kantien : si les rois européens ont réussi à éteindre les conflits privés sur leurs terres afin de constituer des Etats souverains nantis du monopole de la violence légitime, pourquoi un Etat universel ne pourrait-il un jour éradiquer les conflits inter-étatiques ? L’idée est belle, elle appelle l’instauration du souverain bien, si l’on veut apercevoir que le bien, inverse du diabolos, est lien, sumbolos – donc paix et fraternité. Mais l’instauration du souverain bien, déclinée comme un programme politique international, est simplement « l’un des rêves du socialisme ». La paix sous cet aspect universel et abstrait est une valeur non médiatisée, donc impraticable, car dès qu’il faudra en donner la définition, les conflits se développeront à ce sujet (« rien n’est plus ‘polémogène’ que les idées divergentes sur la perfection », Politique et Impolitique, Sirey, 1987, p.207). Pour Freund, les conflits existent simplement parce que les hommes nourrissent des croyances et des attachements, au nom desquels ils se querellent, et vouloir annihiler les conflits serait vouloir priver les hommes de pensée. Si l’on reprend un slogan actuel qui marque la misanthropie de notre contemporain : « les animaux, eux, au moins, ne se battent que pour manger », on pourrait dire que pour anéantir les conflits humains il faudrait tous nous décerveler, nous ramener à l’état animal… Cela signifie que l’Etat mondial ne sera pas soustrait, parce qu’unique, aux querelles et combats internes, d’autant qu’il pourra aisément, parce qu’unique, se retourner contre ses peuples (qui jugera le juge ultime ?). Freund se saisit lui aussi de la conclusion du dernier Kant : un Etat mondial serait despotique.

Il reste que la notion de « nature humaine », expression que Freund utilise souvent -je préfèrerais « condition humaine », qui est moins statique et moins fondée dans une dogmatique-, est plurivoque.

La « nature humaine » sous entend des caractères humains immuables et enracinés dans des spécificités : essentiellement, ici, quand il s’agit de la pérennité des conflits, la liberté humaine devant l’impossibilité d’atteindre la Vérité, et donc le débat infini entre les croyances ; et en même temps, l’enracinement de l’homme dans une culture particulière qu’il ne pourra que défendre face aux autres et contre les autres.

Mais aussi, la « nature humaine » comprise dans la dimension de l’espérance, sous entend que l’homme partout et toujours vise le bien parfait, entendu universellement comme un lien.

jfdec.jpgAinsi, la paix est un idéal, et en tant que telle, comme l’espérance d’Epiméthée, elle mérite nos efforts plus que nos ricanements. Il est juste que nous fassions tout pour faire advenir une paix lucide, sachant bien qu’elle ne parviendra jamais à réalisation. En ce sens, l’aspiration à la société cosmopolite est une aspiration morale naturelle à l’humanité, et vouloir récuser cette aspiration au nom de la permanence des conflits serait vouloir retirer à l’homme la moitié de sa condition. En revanche, prétendre atteindre la société cosmopolite comme un programme, à travers la politique, serait susciter un mélange préjudiciable de la morale et de la politique. Parce que nous sommes des créatures politiques, nous devons savoir que la paix universelle n’est qu’un idéal et non une possibilité de réalisation. Parce que nous sommes des créatures morales, nous ne pouvons nous contenter benoîtement des conflits sans espérer jamais les réduire au maximum. Le « règne des fins » ne doit pas aller jusqu’à constituer une eschatologie politique (qui existe aussi bien dans le libéralisme que dans le marxisme, et que l’on trouve au XIX° siècle jusque chez Proudhon), parce qu’alors il suscite une sorte de crase dommageable et irréaliste entre la politique et la morale. Mais l’espérance du bien ne constitue pas seulement une sorte d’exutoire pour un homme malheureux parce qu’englué dans les exigences triviales d’un monde conflictuel : elle engage l’humanité à avancer sans cesse vers son idéal, et par là à améliorer son monde dans le sens qui lui paraît le meilleur, même si elle ne parvient jamais à réalisation complète.

Or sur quoi repose cette notion d’idéal, et l’espérance qui la fonde ? Sur une vision du temps fléché, vision apparue avec les judéo-chrétiens et poursuivie à partir de la saison des Lumières grâce à la croyance au Progrès. Julien Freund se situe dans le temps fléché.

Dans la conclusion de Politique et Impolitique, Freund évoque la désaffection du politique, désaffection en plein développement. Il la lie au désir de destruction qui caractérise les courants extrêmes de son époque, et il évoque la complexité croissante des problèmes et l’identification de la politique et de la technique. Mais Freund n’a pas connu le développement tout récent d’un âge vraiment technocratique, notamment à partir du « gouvernement » européen depuis le début des années 90. Il s’agit là d’une gestion plutôt que d’un gouvernement, d’une administration au sens où Platon prétendait qu’ « il n’y a pas de différence de nature entre une grande oikos et une petite polis » (aussitôt critiqué à ce sujet par Aristote dans La Politique). Freund n’a pas connu le déploiement récent de l’idée de « gouvernance », et la fascination qu’exerce sur nous l’idée de consensus.

Le consensus, « mot-hourrah », représente une aspiration permanente depuis la fin du XX° siècle, et traduit la méfiance vis à vis du vote majoritaire en vigueur en Europe depuis le XIII° siècle (et même depuis le VII° siècle dans les monastères). Le consensus était le système de décision qui prévalait dans toutes les assemblées populaires anciennes, depuis le purhum mésopotamien jusqu’au fokonolona merina malgache, en passant par les diverses assemblées populaires de la plupart des peuples avant l’apparition des régimes autocratiques. Le regain du consensus se développe d’abord aujourd’hui dans les sociétés scandinaves, mais il se déploie dans les organisations internationales (ce qui est logique, puisque chaque pays y représente une souveraineté : il faut s’y soumettre dans la plupart des cas à une sorte de liberum veto). Le consensus est à la mode dans les instances dites de gouvernance, assemblées horizontales censées se substituer à la souveraineté et à la contrainte gouvernementale, ou au moins s’y surajouter. La gouvernance, type de gouvernement sans gouvernement, voudrait remplacer le débat entre les visions du monde par la négociation des intérêts. Dans un monde dénué désormais de croyances et d’idéologies communes, et marqué par le matérialisme, la querelle entre les finalités (ou guerre des dieux) est censée être remplacée par un compromis entre les intérêts matériels (on peut négocier les intérêts, mais on ne peut négocier les croyances).

L’appel au consensus s’accompagne de la récusation de la démocratie, récusation présente depuis peu d’années (alors que la démocratie se trouvait encore en pleine gloire après la chute du Mur). Les perversions démocratiques (corruptions des gouvernants), la lassitude des citoyens marginalisés (absentéisme électoral massif), l’accusation d’incompétence des citoyens devant des décisions de plus en plus complexes, et en outre, le soupçon devant un peuple conservateur voire sauvage (vote sur les minarets en Suisse), apportent de l’eau au moulin des antidémocrates et suscite l’avènement d’une ère technocratique, du gouvernement des experts – dans son Livre Blanc de la Gouvernance, la Commission européenne parle d’expertise et non de gouvernement. C’est, en termes grecs, le remplacement de la polis par l’oikos.

Ces évolutions extrêmement rapides traduisent une nouvelle manière de voir la société, en terme de fin attendue des conflits. Elles sous entendent :

– la recherche de la paix comme unique horizon : répondant à la fatigue du fanatisme partout présent au XX° siècle, fanatisme suscité par la multiplicité des croyances. On pouvait dire : fiat justitia pereat mundus, on pouvait dire : que le monde périsse, pourvu qu’il nous reste la classe pure ou la race pure, au moins on ne peut plus dire : que le monde périsse, pourvu qu’il nous reste la paix, ce serait contradictoire dans les termes.

– des sociétés marquées par le soin exclusif de la vie quotidienne, qui se négocie toujours, et probablement la gouvernance indique-t-elle des sociétés corporatistes ou « organiques », communautaires selon les adeptes de la philosophie pragmatiste qui se trouve à la pointe de ces changements de mentalité.

– la fin des idéologies, certes, mais plus encore : la fin des visions du monde pluralistes au sens de la fin des croyances en des « vérités » plurielles.

Le consensus, qui remplace l’attente d’un monde meilleur par la recherche permanente de la paix, enferme le monde social en lui-même et par là nous sort de la flèche du temps. La vie morale sans recherche de vérité nous replace dans le monde de la sagesse qui avait cours avant les monothéismes et qui a cours dans toutes les civilisations hors la nôtre. C’est là un changement de monde tel que Freund n’a pu le prévoir. Cela ne remet pas en cause sa pensée, selon laquelle le monde politique s’enracine dans le conflit, et selon laquelle le conflit demeure essentiel à l’humain, parce que les tragiques questions humaines sont médiatisées par de multiples cultures. Car même dans les sociétés structurées par des sagesses, les conflits surviennent pour des raisons de territoires ou de puissance, hors les conflits religieux ou idéologiques inexistants. C’est dire que dans l’avenir, les combats idéologiques ont toute chance d’être remplacés, non par la paix consensuelle qui est encore une utopie, mais par des conflits d’identités : la fin des « vérités » de représentation (liberté, justice, droits de l’homme), engendrera le retour des « vérités » d’être (patries, tribus).

Il n’en reste pas moins que cette tentative nouvelle pour biffer les conflits était difficile à prévoir dans la seconde moitié du XX° siècle, même si les appels étaient fréquents dès après-guerre à la féminisation du monde (Giono, Camus, Gary) qui en est un signe avant-coureur. Freund se situe dans un monde dominé par les idéologies, qu’il récuse, et dans la vision du temps fléché, qui lui inspire l’idéal d’une paix toute kantienne (s’agissant du dernier Kant). La rupture dans laquelle nous sommes se produit juste après lui. Nous aimerions qu’il soit encore là pour analyser cet aspect du post-moderne qu’il n’a pas pu voir.

mercredi, 05 février 2020

L’entreprise : être ou ne pas être un État souverain…

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L’entreprise : être ou ne pas être un État souverain…

par Valérie Bugault
Ex: http://www.zejournal.mobi

Le chemin du droit de l’entreprise : de la perte de souveraineté de l’État à la dictature universelle.

Une récente manifestation médiatique arrive à point nommé pour illustrer la réalité politique de la question juridique de l’entreprise.

Le droit de l’entreprise est au cœur de la souveraineté des États car il est le lieu privilégié où s’affrontent les forces économiques globalistes menées par les banquiers et les forces politiques légitimistes menées par les États. N’en déplaise aux esprits faux, la traduction de la souveraineté est éminemment juridique, aussi il n’existe pas de souveraineté politique sans souveraineté juridique. Dit autrement, la souveraineté politique passe de façon essentielle par la souveraineté juridique. Derrière tous les faux semblants et les jérémiades des actuels dirigeants économiques, qui contrôlent en réalité l’État français, est un principe général : « Dieu se rit des hommes – et des États – qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » On ne peut dans le même temps à la fois jouer le jeu globaliste de ses adversaires, tout de droit anglo-saxon vêtu, et déplorer son propre asservissement, c’est-à-dire son impuissance et sa domination !

Qu’en est-il de la souveraineté juridique française ? Sa disparition est parfaitement illustrée par l’évolution juridique du droit de l’entreprise. De ce point de vue, la France, comme la plupart des pays du monde, a abandonné son pouvoir régalien de régulation au profit de la mise en œuvre réglementaire illimitée du pouvoir de ses créanciers – les banquiers globalistes. Concrètement, la France a abandonné sa capacité a générer une économie politique autonome – comprendre « non contrôlée par les banquiers globalistes » – lorsqu’elle a refusé au Général De Gaulle la mise en œuvre juridique de la souveraineté économique, qui passait par un renouveau du droit de l’entreprise.

Alors que l’oligarchie compradore française faisait politiquement « tomber », en 1969, le chef de la France Libre, pour ne pas avoir à mettre en œuvre le principe général de « l’entreprise participative », je fus moi-même en 2005 – de longues décennies plus tard – bannie du système universitaire pour avoir eu l’audace de proposer une réforme de l’entreprise qui lutte contre l’anonymat et la prédation financière en réimposant la notion de contrôle économique, lequel passe par le rétablissement de frontières juridiques (1). Ma propre théorie juridique de l’entreprise avait pour objet d’éviter et même d’interdire la généralisation de l’immixtion dans la gestion des entreprises par les banquiers fournisseurs de crédit, immixtion déplorée dans l’article sur Goldman Sachs ci-dessus mentionné. Par ce choix de l’éviction des intrusions bancaires, ma théorie de l’entreprise reprenait les fondamentaux de « l’entreprise participative ». Or, il faut comprendre que quarante ans durant, tous les efforts politiques avaient été consciencieusement fait pour effacer toute trace juridique de l’entreprise participative dans les enseignements universitaires ! Sans revenir sur cet épisode épique de ma propre vie, il convient d’insister sur les tenants et les aboutissants d’une conception strictement financière de l’entreprise qui nous vient des pays anglo-saxons. Car, in fine, l’immixtion des banquiers dans la gestion des entreprises, qui se manifeste notamment par des actions sur le choix des dirigeants, a pour corollaire une prise de pouvoir des banquiers globalistes sur l’intégralité de la vie économique d’un pays.

Le pouvoir hégémonique des banquiers sur l’entreprise et sur l’économie des pays a été – sans surprise – véhiculé par le droit anglo-saxon.

Si le droit « anglo-saxon » a pris le contrôle politique du monde, aussi bien au niveau des institutions internationales qu’à celui des institutions nationales, c’est parce qu’il est conçu, depuis 1531, comme un instrument des puissants pour asservir les populations. Le « droit anglo-saxon » n’est pas à strictement parler du « droit », il est un moyen d’asservir les masses.

Depuis que les puissances d’argent ont pris, en occident, le contrôle du phénomène politique, le « droit anglo-saxon » a naturellement été utilisé par ces dernières car il est le plus adapté à leur entreprise de domination. Utile à la domination des puissants contre les humbles, le « droit anglo-saxon » repose sur deux piliers essentiels :

Premièrement, le prétendu « droit » anglo-saxon n’est pas du « droit » à strictement parler car il ne cherche à établir de façon générale ni « justice », ni « intégrité », ni « vérité », il cherche simplement à assurer la domination de quelques-uns sur la majorité ;

Deuxièmement, le prétendu « droit » anglo-saxon s’est construit, depuis le XVIème siècle, conformément au « positivisme juridique », c’est-à-dire en opposition au droit continental traditionnel qui véhiculait le principe opposé de « droit naturel ». Le positivisme juridique est la liberté d’établir, sans limite qualitative et quantitative, autant de règles qu’il est utile aux puissants de le faire. Ce positivisme s’est peu à peu techniquement imposé en France et en Europe continentale à la faveur de deux phénomènes : d’une part, matériellement, par le système du « Parlement représentatif » et d’autre part, théoriquement, par la « théorie pure du droit » d’Hans Kelsen.

Pour en revenir à l’entreprise, son évolution juridique a suivie, en France, celle de l’inversion du rapport de force entre banquiers globalistes et État politique : elle a validé, au fil du temps, la domination irrémédiable des entreprises par les quelques actionnaires actifs, majoritaires en terme relatif et la plupart du temps minoritaires en terme absolu, souvent réellement anonymes.

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Cette prise de pouvoir actionnarial et financier sur l’entreprise s’est brutalement accélérée lors de la mise en œuvre en France et dans le monde de la théorie dite de l’Agence, laquelle a notamment – parmi beaucoup d’autres vilenies – justifié l’introduction en France des stock-options, transformant les dirigeants des grandes entreprises en serviteurs dociles des intérêts patrimoniaux dominants.

Faisant fi de la tradition française, conforme au droit continental, de l’entreprise, le législateur a fini par rejeter la conception institutionnelle de l’entreprise, pour désormais considérer cette dernière comme un « nœud gordien », un simple enchevêtrement contractuel, dans lequel les plus forts sont toujours les « meilleurs ». Dire que l’entreprise est une institution signifie que l’entreprise, en tant qu’institution juridique, a une fonction politique d’organisation sociale qui relève de l’intérêt commun ; dire que l’entreprise est le simple siège d’un nœud contractuel, a pour effet juridique de livrer cette dernière aux contractants les plus forts, lesquels sont les principaux propriétaires de capitaux.

C’est ainsi que fut bannie du paysage juridique français l’entreprise participative en 1969 et ma propre théorie de l’entreprise en 2005.

Les enjeux politiques de ces bannissements successifs sont les suivants : l’entreprise ne doit en aucun cas échapper aux dominants économiques pour bénéficier à la collectivité, elle doit rester sous le complète dépendance des fournisseurs de crédits, ces derniers ayant pour objectif avoué la prise de contrôle politique totale et l’établissement d’un gouvernement mondial.

J’ai longuement décrit (2) comment l’entreprise avait dégénéré – au niveau mondial – en concept congloméral et comment ces conglomérats étaient aujourd’hui considérés comme des institutions qui soumettaient les États ; ces derniers étant aujourd’hui internationalement ravalés au rang de simple acteur économique non dominant, c’est-à-dire soumis.

Or précisément, l’entreprise participative, tout comme ma propre théorie de l’entreprise, en tant qu’elles sont les héritières du droit continental traditionnel, permettraient de s’opposer à cette domination capitalistique mondiale. Malheureusement en France les instances décisionnaires, politiques, universitaires et juridiques (qu’elles soient ou non fonctionnaires), sont soumises à la domination des principaux détenteurs de capitaux ; elles ont, par esprit de cour ou par corruption avérée, renoncé à lutter.

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Les dirigeants français de tout bord ont, depuis 1969, renoncé au principe de liberté, d’indépendance et de souveraineté, pour suivre la voie ignoble de l’asservissement et de la collaboration. Tant et si bien que nous assistons aujourd’hui à une nouvelle évolution du droit de l’entreprise qui, comme toujours, suit l’évolution des rapports de force entre « fait économique » et « fait politique ». Validant l’abjuration définitive du concept étatique, les « dirigeants politiques » français ont permis une nouvelle évolution de l’entreprise allant dans le sens, bien compris, de l’intérêt bancaire supérieur mais paré de vertus collectives que les banquiers ont faites leurs. Ainsi, conformément aux développements initiés par le Club de Rome, qui seront matérialisés plus tard par les Giorgia Guidestones, l’entreprise devient un enjeu « écologique ». L’entreprise est dès lors sommée de répondre aux défis environnementaux tels que compris par les puissances économiques dominantes, lesquelles ont parfaitement intégré l’insoutenabilité de leur domination par le jeu capitalistique dans un univers où les ressources naturelles sont limitées. Nous avons ainsi vu apparaître le RSE, ou Responsabilité Sociale de l’Entreprise, avant de voir la naissance, récente, de l’entreprise à mission (3). Conformément à la méthode des petits pas traditionnellement utilisée par la caste bancaire monopoliste, le fondement initial du « volontariat » s’atténue peu à peu pour bientôt se transformer en droit impératif, rigoureusement sanctionné. Nous avons ici, en matière d’évolution du droit de l’entreprise, la même méthodologie que celle appliquée à l’évolution du droit de propriété.

L’objectif ultime étant la disparition juridiquement validée de la liberté et de la démocratie, afin de laisser la place à la dictature bancaire universelle.

Derrière les faux semblants de la prise en compte de l’intérêt commun – intérêt commun entièrement défini à l’aune de celui des dominants financiers – l’entreprise est vouée à devenir un des instruments, juridiquement validé, de la dictature universelle. Conformément à la volonté des dominants économiques, le droit de l’entreprise va devenir un droit dictatorial chargé de mettre en œuvre la dictature universelle parée de « vert » mais armée de rouge sang.

L'auteur, Valérie Bugault, est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

Notes:

(1) Cf. « La nouvelle entreprise » publiée en 2018 aux éditions Sigest ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-la-nouvelle... ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-les-raisons...

(2) Lire « La nouvelle entreprise », publié en 2018 aux éditions Sigest

(3) Cf. Loi dite Pacte : https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/...

lundi, 03 février 2020

Pour lire et relire Julien Freund

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Pour lire et relire Julien Freund

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Né le 9 janvier 1921 dans une famille nombreuse d’origine ouvrière et paysanne présente dans la commune lorraine de Henridorff en Moselle et décédé le 10 septembre 1993 à Colmar, Julien Freund appartient aux grands penseurs du politique, ce politique qu’il étudia dans une thèse dirigée par Raymond Aron, soutenue en 1965 et parue sous le titre de L’Essence du politique.

freund-politique.jpgD’abord instituteur pour pallier la disparition brutale de son père, le germanophone Julien Freund se retrouve otage des Allemands en juillet 1940 avant de poursuivre ses études à l’Université de Strasbourg repliée à Clermond-Ferrand. Il entre dès janvier 1941 en résistance dans le réseau Libération, puis dans les Groupes francs de combat de Jacques Renouvin. Arrêté en juin 1942, il est détenu dans la forteresse de Sisteron d’où il s’évade deux ans plus tard. Il rejoint alors un maquis FTP (Francs-tireurs et partisans) de la Drôme. Il y découvre l’endoctrinement communiste et la bassesse humaine.

Après-guerre, il milite un temps à l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), une petite formation charnière de centre-gauche de la IVe République, et au SNES (Syndicat national de l’enseignement secondaire). Il s’intéresse à la philosophie et en particulier à Aristote. C’est au début des années 1950 qu’il découvre le décisionnisme de Carl Schmitt. Las de l’instabilité gouvernementale, il se félicite du retour au pouvoir du Général De Gaulle en 1958 et approuve la Ve République dont il estime les institutions adaptées au caractère polémologique du politique français.

Philosophe, Julien Freund est aussi sociologue, politologue et, avec Gaston Bouthoul, polémologue, c’est-à-dire analyste du conflit. Dans La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984), il considère en effet qu’il faut « savoir envisager le pire pour empêcher que celui-ci ne se produise (p. 386) ». Son tempérament bien trempé, son goût pour la provocation et son refus de déménager à Paris sans oublier une vive hostilité au gauchisme culturel le marginalisent au sein de l’univers feutré et guindé de l’enseignement supérieur. Il prend d’ailleurs sa retraite anticipée dès 1979 à l’âge de 58 ans. Il profite du village alsacien de Villé.

Il collabore à Éléments et à Nouvelle École, et participe à plusieurs colloques du GRECE et du Club de l’Horloge dont il est l’un des douze maîtres à penser. En préface de L’impératif du renouveau. Les enjeux de demain (Albatros, 1983) de Bruno Mégret et des Comités d’Action républicaine, il avoue que « par profession et par goût je suis amoureux des idées, mais je déteste les flatteries de l’intellectualisme, égaré dans les abstractions et les fictions superficielles (p. 7) ». Cette attitude le distingue de ses mornes collègues. Il écrit avec une ironie certaine en préface de son essai de 1970, Le Nouvel Âge. Éléments pour une théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière et Cie, coll. « Études sur le devenir social ») : « Je suis un réactionnaire de gauche (p. 9). » Il ajoute plus loin qu’« en réalité, les notions de droite et de gauche me sont devenues indifférentes; ce sont des catégories dans lesquelles je ne pense pas politiquement (idem) ».

Dans L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991), ce catholique au chef toujours couvert d’un béret, se proclame « Français, gaulliste, européen et régionaliste ». Favorable à la réconciliation franco-allemande, il s’oppose néanmoins à la CED entre 1952 et 1954 avant de le regretter bien plus tard parce que, sans communauté militaire européenne effective, le projet continental perd toute consistance réelle. D’ailleurs, s’interroge-t-il dans La fin de la Renaissance (PUF, coll. « La politique éclatée », 1980), « les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre ? (p. 7) » Il ne le pense pas, car « nous ne sommes pas simplement plongés dans une crise prolongée, prévient-il encore dans ce même ouvrage, mais en présence d’un terme, du dénouement d’un règne qui s’achève; un âge historique, celui de la Renaissance, est en train de se désagréger. L’Europe est désormais impuissante à assumer le destin qui fut le sien durant des siècles. Nous assistons à la fin de la première civilisation de caractère universel que le monde ait connue (p. 8) ». Un an auparavant, sa préface de L’impératif du renouveau exprimait son inquiétude lucide : « L’Europe est recroquevillée sur ses frontières géographiques, n’ayant guère plus d’autre puissance que sur elle-même, encore qu’il subsiste des vestiges de son ancienne grandeur. Elle a juste eu le temps de mettre en route la technologie moderne, mais l’exploitation lui échappe. Par rapport à ce qu’elle fut il y a à peine une cinquantaine d’années, elle est en déclin. Elle n’échappe pas aux vicissitudes historiques qui ont frappé toutes les civilisations, en dépit des progrès accomplis par chacune. C’est dans ce contexte de décadence que la France et l’Europe sont appelées à opérer leur renouveau. Elles ne pourront conjurer cette menace et réaliser leur redressement qu’à la condition d’assumer pleinement la situation actuelle, sans se perdre dans les rêveries prophétiques, utopiques ou nostalgiques.

1533951443_9782130377764_v100.jpgLa politique se fait sur le terrain, et non dans les divagations spéculatives (p. 13). » Il relève dans son étude remarquable sur la notion de décadence que « si les civilisations ne se valent pas, c’est que chacune repose sur une hiérarchie des valeurs qui lui est propre et qui est la résultante d’options plus ou moins conscientes concernant les investissements capables de stimuler leur énergie. Cette hiérarchie conditionne donc l’originalité de chaque civilisation. Reniant leur passé, les Européens se sont laissés imposer, par leurs intellectuels, l’idée que leur civilisation n’était sous aucun rapport supérieure aux autres et même qu’ils devraient battre leur coulpe pour avoir inventé le capitalisme, l’impérialisme, la bombe thermonucléaire, etc. Une fausse interprétation de la notion de tolérance a largement contribué à cette culpabilisation. En effet, ni les idées, ni les valeurs ne sont tolérantes. Refusant de reconnaître leur originalité, les Européens n’adhèrent plus aux valeurs dont ils sont porteurs, de sorte qu’ils sont en train de perdre l’esprit de leur culture et le dynamisme qui en découle. Si encore ils ne faisaient que récuser leurs philosophies du passé, mais ils sont en train d’étouffer le sens de la philosophie qu’ils ont développée durant des siècles. La confusion des valeurs et la crise spirituelle qui en est la conséquence en sont le pitoyable témoignage. L’égalitarisme ambiant les conduit jusqu’à oublier que la hiérarchie est consubstantielle à l’idée même de valeur (p. 364) ».

Ce conservateur libéral mécontent attaché au primat du régalien avance encore dans La fin de la Renaissance qu’« une civilisation décadente n’a plus d’autre projet que celui de se conserver (p. 22) ». Cette sentence réaliste explique le relatif effacement de son œuvre. Non réédités, ses ouvrages sont maintenant très difficiles à trouver chez les bouquinistes tandis que plusieurs manuscrits inédits attendent toujours quelques hardis éditeurs. Cette éclipse éditoriale contraste avec l’audience croissante de ses textes dans le monde hispanophone, dans le domaine germanophone, en Russie et chez les Anglo-Saxons. La découverte de Julien Freund à l’étranger coïncide avec la traduction soutenue des écrits de Carl Schmitt, y compris en Chine, en Corée et au Japon !

Par une franche liberté de ton, Julien Freund demeure un homme non seulement « mal-pensant », mais surtout intempestif, car « la vie est fondamentalement différenciation concrète et non universalisation abstraite (préface à L’impératif du renouveau, p. 7). Il avait deviné que le « festivisme » dépeint par Philippe Muray aboutirait à une nouvelle tyrannie postmoderniste. « Quand la transgression n’est plus occasionnelle mais devient un usage courant, ce qui s’accompagne en général d’une augmentation constante des effectifs de la police, on risque de péricliter insensiblement dans un État policier (La Décadence, p. 4). » Lire Julien Freund, c’est pouvoir aiguiser son intellect afin de mieux lutter contre le conformisme ambiant.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 32, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 28 janvier 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

dimanche, 02 février 2020

Yoram Hazony’s The Virtue of Nationalism

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Yoram Hazony’s The Virtue of Nationalism
 

Ex: https://www.unz.com

Yoram Hazony is an Israeli political theorist. He has a BA in East Asian studies from Princeton and a Ph.D. in political theory from Rutgers. While at Princeton, he founded a conservative publication, the Princeton Tory. An orthodox Jew and a political Zionist, he is the president of the Herzl Institute in Jerusalem. He is also the chairman of the Edmund Burke Foundation, the purpose of which seems to be to nudge conservatism in America and Europe in a more nationalist direction.

The Virtue of Nationalism is a lucidly written, trenchantly argued antidote to the anti-nationalist sentiments that dominate mainstream politics, both Left and Right. Hazony seeks to defend the nation-state as the best form of government, pretty much for everyone. Hazony defines a nation as “a number of tribes with a shared heritage, usually including a common language or religious traditions, and a past history of joining together against common enemies” (p. 100). Hazony defines a nation-state as “a nation whose disparate tribes have come together under a single standing government, independent of all other governments” (p. 100).

HazonyNationalism.jpgHazony defines the nation-state in contradistinction to two alternatives: tribal anarchy and imperialism. Tribal anarchy is basically a condition of more or less perpetual suspicion, injustice, and conflict that exists between tribes of the same nation in the absence of a common government. Imperialism is an attempt to extend common government to the different nations of the world, which exist in a state of anarchy vis-à-vis each other.

Hazony’s primary example of tribes coming together to form a state is the tribes of Israel, whose history may well be entirely fictional. There are, however, historical examples of such “tribal” unification from the 19th century, when different Italian “tribes” came together in the Kingdom of Italy, and different German “tribes” came together to form the Second Reich. However, in the 19th and 20th centuries, it was far more common for nation-states to emerge by separating themselves from empires.

Hazony’s appeals to the Bible considerably weaken his argument but reveal his primary audience: American Protestant Zionists. Thus the first part of The Virtue of Nationalism offers a historical narrative in which nationalism was created by the ancient Israelites, suppressed by various ancient empires—Assyrian, Babylonian, Persian, Hellenistic, Roman, Catholic, and Islamic—then revived after the Reformation and codified in the Peace of Westphalia.

In Chapter III, “The Protestant Construction of the West,” Hazony claims that Protestant political thought rests on two Old Testament principles. First, legitimate governments must protect the common good of the people and uphold Christianity. Second, different nations have the right to self-determination, i.e., to govern themselves without the interference of others.

In Chapter VII, “Nationalist Alternatives to Liberalism,” Hazony distinguishes between the “neo-Catholic” approach, which upholds the Biblical principle of legitimacy but rejects nationalism for empire; the “neo-nationalist” view which rejects Biblical legitimacy but embraces the nation-state; and the “conservative” or “traditionalist” viewpoint, which embraces both Biblical legitimacy and nationalism.

Hazony, of course, favors the third, as would most Protestant Zionists, but it should be noted that only the second option is consistent with the American separation of church and state. Moreover, only the second option is consistent with the many European nations that are now post-Christian.

71SNg-fRfgL.jpgHazony argues that nationalism has a number of advantages over tribal anarchy. The small states of ancient Greece, medieval Italy, and modern Germany wasted a great deal of blood and wealth in conflicts that were almost literally fratricidal, and that made these peoples vulnerable to aggression from entirely different peoples. Unifying warring “tribes” of the same peoples under a nation-state created peace and prosperity within their borders and presented a united front to potential enemies from without.

But if the nation-state has such advantages, why stop there? Why not continue the process by unifying nation-states into empires? Wouldn’t that expand the realm of peace and prosperity, in principle to the whole globe?

Hazony prefers to stand with the nation-state. Political unification can lead us that far, but no farther. Thus he spends a good deal of time criticizing imperialism in all its forms: religious, ethnic, and secular, including liberalism, federalism, and civic nationalism. It is the best part of his book.

Hazony doesn’t like the word sovereignty, claiming it smacks of absolutism and rationalism. But he paraphrases the concept when he speaks of “collective freedom,” “non-interference in the internal affairs of other national states,” and “a government monopoly of organized coercive force within the state” (p. 177).

A nation is either sovereign or it isn’t. A sovereign state does not take orders from other entities. It controls its internal affairs. It does not suffer other armed powers within its borders. It stands on terms of equality with other sovereign states, no matter how large or small. It has the right to say “no” to other states and international bodies.

Imperialists seek to obfuscate this hard either/or with euphemisms like “federalism,” “subsidiarity,” and the risible EU newspeak “pooled sovereignty.” Federalism and subsidiarity are attempts to coax states to give up their sovereignty by assuring them that they will retain autonomy in all matters that are unimportant to the center. But on important matters, they are not allowed to say no. Thus when advocates of empire assure nations that they will be allowed to control their internal affairs, they will enjoy no more sovereignty than an Indian reservation. Pooled sovereignty means that EU member states can vote on EU policies, but they have to abide by majority decisions. They have no veto power, which means that they are not sovereign when it counts, which is when one wants to say “no.”

According to Hazony, the nation-state is superior to imperialism because:

  • Nationalism “offers the greatest possibility for collective self-determination.”
  • Nationalism “inculcates an aversion to the conquest of foreign nations.”
  • Nationalism “opens the door to a tolerance of diverse ways of life.”
  • Nationalism “establishes a life of astonishingly productive competition among nations as each strives to attain the maximal development of its abilities and those of its individual members.”
  • The “powerful mutual loyalties that are at the heart of the national state give us the only known foundation for the development of free institutions and individual liberties.” (p. 10)
  • Nationalism also reduces the amount of hatred and violence in the world (Part Three: Anti-Nationalism and Hate).

Hazony makes it clear that the tribes that are candidates for political unification in a nation-state already belong to the same nation. They share a common language, religion, and culture. In short, a nation is an ethnic group.

The collective freedom maximized by nation-states is the freedom of ethnic groups to live by their own lights—and to allow different peoples to do the same, hence tolerance and an aversion to empire. Hazony puts this point very beautifully in the Conclusion of his book:

The nationalist, we may say, knows two very large things, and maintains them both in his soul at the same time: He knows that there is great truth and beauty in his own national traditions and in his own loyalty to them; and yet he also knows that they are not the sum of human knowledge, for there is also truth and beauty to be found elsewhere, which is own nation does not possess. (p. 231)

9789657052068.jpgThe “mutual loyalty” at the heart of nation-states is a product of a common ethnicity. How does ethnic unity make free institutions possible? Every society needs order. Order either comes from within the individual or is imposed from without. A society in which individuals share a strong normative culture does not need a heavy-handed state to impose social order.

The move from nation-state to empire requires that peoples lose their collective sovereignty. Beyond that, because empires by nature contain many nations, the empire cannot depend upon a common culture to produce order and civility. These must, therefore, be imposed mechanically by the state. Thus empires erode free institutions.

Hazony offers a very strong critique of civic nationalism and the idea that a state can be ethnically neutral (Chapter XVI: “The Myth of the Neutral State”). Hazony thinks it is inevitable that the boundaries of states do not precisely coincide with nations. Not all Poles live in Poland, and some non-Poles do. But if all states are multiethnic, then shouldn’t they be ethnically “neutral”? Shouldn’t they base their unity on something other than ethnicity, such as a civic creed?

Hazony rejects this as a delusion. Even supposedly universalistic civic creeds are actually the products of particular ethnic groups. Their persistence through time depends on these ethnic groups. These ethnic groups might fool themselves into thinking that they are simply “humanity” and their principles are “universal,” but the minority groups who live with them are never fooled. Hazony claims that, whether we admit it or not, the core of every nation has to be an ethnic group that imposes its basic norms and ways of life on minorities.

Hazony also deals with the common argument that nationalism produces hatred and conflict, whereas high-minded globalist/imperialist schemes will give rise to peace and love. But everybody hates somebody. Globalists, Hazony points out, are energetic haters as well. They are also willing to unleash vast and devastating wars to bring peace and love to the far corners of the map.

411TCU-+pEL._SX315_BO1,204,203,200_.jpgIn fact, Hazony argues, imperialism is far more conducive to hatred and violence than nationalism.

Nationalists are particularists, and liberal globalists are universalists. Nationalists believe that it is legitimate for multiple states with different values and ways of life to exist, whereas liberal globalists implicitly deny the legitimacy of all non-liberal states and ways of life. Thus for liberal globalists, every other state is a potential target of hatred and war. Thus every conflict is potentially global. And every enemy should in principle be destroyed, for if no other regime is really legitimate, with whom can one reach a settlement? For globalists, the globe is the only natural limit for hatred, fighting, and political expansion.

Particularists, by contrast, have only petty hatreds and petty conflicts, which are confined to small areas and can be concluded in a relatively brief time with a negotiated peace, because nationalists regard it as legitimate for other nations to exist, even when they make war against them.

Liberal globalists have an inflated sense of themselves, for they believe that they represent not just a particular regime but the interests of all humanity. This means that they regard their enemies as the enemies of all humanity. This makes their hatreds more intense and their conflicts more protracted and deadly, because how can one not be at war with the enemies of humanity? (There are, of course, material limits to war, which often force globalists to stop fighting sooner than they would like.) Nationalists find it easier to avoid war and conclude peace because they don’t have inflated senses of their own goodness and their enemies’ evil.

An important theme of The Virtue of Nationalism is the critique of liberalism. Hazony claims liberalism is false because it begins with a false image of man: a rational actor loyal only to himself, shorn of any attachments to collectives—for instance, the family, tribe, and nation into which every individual is born. On top of this false anthropology, liberalism erects a false ethics and political philosophy: the only legitimate claims that can be made on a rational individual are those he chooses for himself. The only legitimate institutions are those that a rational individual would choose for himself.

Liberal man is basically identical to economic man. The rational, self-interested behavior of liberal man finds its purest expression in the marketplace. By making the behaviors of economic man normative, liberalism dissolves non-economic social institutions like family, tribes, and nations. All individuals emerge from these collectives, which impose unchosen relationships on individuals and evoke strong feelings of attachment, which can cause individuals to risk and sacrifice their lives to preserve these collectives. Hazony calls such collective attachments “loyalties” (p. 65). The liberal individualist project seeks to dissolve all unchosen relationships and to make all loyalties contingent on loyalty to the self.

Hazony argues that liberalism is an inherently imperialistic ideology. Nations are collectives. But only individuals matter to liberals. Because all men are the same insofar as they are rational, self-interested agents, all boundaries between political entities are morally meaningless. Liberals also believe that only liberal regimes are legitimate. Thus liberals have no moral objections to overthrowing illiberal regimes, particularly if this coincides with economic interests.

Hazony emphasizes that although nationalists reject imperialistic globalist institutions, nationalism is itself a vision of the best world order. Thus in Chapter XVIII he outlines “Some Principles of the Order of Nationalist States.”

First, he claims that “the order of national states . . . grants political independence to nations that are cohesive and strong enough to secure it” (p. 176). The core of cohesiveness is ethnic, which means that a proposed state that lacks a core ethnic group is not a candidate for independence. The most cohesive state of all, of course, would be entirely ethnically homogeneous.

As for being “strong enough to secure” independence: Why this concession to Realpolitik? If a nation is strong enough to secure its independence, it doesn’t really need international recognition. It is nice, but not necessary. It is precisely the peoples that cannot secure their independence on their own that need to depend on an international order of nationalist states. Many such countries exist today. Andorra, Lichtenstein, Monaco, the Vatican, and San Marino do not have the ability to establish their independence by force of arms. But that is true of most states. There is not a single nation in Europe that is a military match for the United States or Russia. Hazony thinks that small states that cannot secure their independence are doomed to become non-sovereign protectorates of larger states. But there are alternatives: Small states can secure their independence by allying themselves with other sovereign states, and they can appeal to the moral and political principles upheld by an international order of nationalist states.

The second principle is “non-interference in the internal affairs of other national states” (p. 177). Does this apply to all sovereign states, or just the nationalist ones? Does it not apply, then, to empires? This would be problematic, because, as I will discuss at greater length later, when Hazony claims that nation-states can contain minority groups under the dominion of a core ethnic population, it is hard to distinguish them from empires. This is particularly the case when Hazony argues that even empires that claim to be based on universal principles have an ethnic character.

cf204a130708bf5ad104fecc59436619-w204@1x.jpgThe third principle is “government monopoly of organized force within the state” (p. 177), as opposed to tribal anarchy. A failed state is one in which different ethnic groups create their own militias.

The fourth principle is the “maintenance of multiple centers of power” (p. 180), which is the old doctrine of maintaining a balance of power so that one state, or group of states, never becomes powerful enough to destroy the sovereignty of the rest.

The fifth principle is “parsimony in the establishment of independent states” (p. 182). The moral principle of nationalism need not lead simply to breaking up larger national units into smaller ones. Sometimes, as in the case of the reunification of Germany, one sovereign entity can be annexed to another one.

The sixth principle, “Protection of minority nations and tribes by the national government” (p. 183) is designed to prevent tribal anarchy and a failed state. Some tribal peoples are too small to be sovereign nations. But they should be given as much autonomy as possible short of that, because it is the right thing to do and because it is the best way to avoid conflict.

As for irreconcilably disgruntled tribes and minorities, the only solution Hazony envisions is repressing them. But other solutions are possible. Some tribes might be large enough to form their own nations, and if they are not happy with their current status, the international order of nationalist states should help negotiate their path to sovereignty, to avoid conflict and maximize opportunities for divergent cultural evolution. Disaffected minority groups from neighboring nations might be encouraged to join them, by moving people, by moving borders, or a combination of the two.

The seventh and final principle is the “non-transference of the powers of government to universal institutions” (p. 184).

As I read through The Virtue of Nationalism and tried to imagine objections, the main one is: “Nationalism leads to hatred and violence. Just look at the Nazis.” Hazony’s response to this is that Hitler wasn’t a nationalist. He was an imperialist.

But it is not that simple. In truth, Hitler was both. Thus we need another distinction besides nationalism vs. imperialism. We need to distinguish between good and bad forms of nationalism. When Hitler talked about bringing scattered German tribes under a common government, he was practicing the good form of nationalism. When he talked about Lebensraum in the East at the expense of other nations, that’s the bad sort of nationalism.

The bad nationalist demands freedom for his own nation but denies it to other nations. The bad nationalist stokes the pride and patriotism of his nation, then pits it against other nations. This is how European nations built vast colonial empires. Bad nationalism passes over into empire, but it does not cease to blacken the name of nationalism. Hence it might be more persuasive to grant that there is simply a bad form of nationalism.

51JEt3BkNhL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgThe difference between good nationalism and bad nationalism is simple: Good nationalism is universalist. A good nationalist wants to ensure the sovereignty of his own people, but does not wish to deny the sovereignty of other peoples. Instead, he envisions a global order of sovereign nations, to the extent that this is possible. Hazony, however, wishes to stop short of the idea of a universal right to self-determination, which I will deal with at greater length later.

Clearly, The Virtue of Nationalism has many virtues. Every defender of nationalism will benefit from its arguments. But this book also has several vices. Hazony is dismissive of kinship — and more broadly, race — as the biological substratum of community. He is too willing to dismiss the idea of ethnic homogeneity which makes his conception of the nation indistinguishable from an empire. Finally, he is mistaken to reject the idea of a universal principle of national self-determination. I will deal with these topics in a separate essay that compares The Virtue of Nationalism to The White Nationalist Manifesto.

(Republished from Counter-Currents Publishing by permission of author or representative)

jeudi, 30 janvier 2020

»Volk, Nation und Staat« Dr. Dr. Thor v. Waldstein auf der 20. Winterakademie des IfS

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»Volk, Nation und Staat« Dr. Dr. Thor v. Waldstein auf der 20. Winterakademie des IfS

 
Der Jurist und Politikwissenschaftler Dr. Dr. Thor v. Waldstein sprach im Rahmen der 20. Winterakademie (10.-12. Januar 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) vor 150 Schülern und Studenten in Schnellroda über die Lektüre grundlegender Autoren, die zu den Grundpfeilern Volk, Nation und Staat forschten und publizierten.
 
Weitere Informationen zu Thor v. Waldstein: https://antaios.de/autoren/thor-v.-wa...
Weitere Informationen zum IfS und zu den halbjährlichen Akademien des Instituts: https://www.sezession.de https://www.staatspolitik.de
 

mercredi, 29 janvier 2020

Pour une France des métiers

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Pour une France des métiers

Par Franck BULEUX

Ex: https://metainfos.fr

La contestation qui ne faiblit pas est, si l’on ne tient pas compte de la subversion appuyée par les syndicats révolutionnaires, liée à la préservation de situations particulières, spécifiques, les fameux régimes dits spéciaux. Certaines de ces situations peuvent se révéler certes manifestement abusives, d’autres justifiées ; dans l’ensemble des situations, le temps a produit le souhait de la conservation de ces droits.

On le sent, que nous soyons en phase ou non avec ces revendications spécifiques, la France rejette ce concept d’« universalité » ou d’« universel » qui ne correspond en rien aux identités professionnelles de la France. On peut considérer assez simplement, qu’il existe des travaux plus difficiles physiquement que d’autres, limitant parfois l’espérance de la vie humaine. On peut aussi s’interroger sur le fait qu’un chauffeur de bus de la RATP (les transports franciliens) puisse liquider sa retraite dès 52 ans alors qu’un chauffeur de bus dans les autres régions doive attendre l’âge légal, c’est-à-dire 62 ans.

Oublions un peu ces travers, et essayons de nous placer au niveau macroéconomique. Si les mots ont un sens, les conventions collectives, créées en 1919, permettent de définir, en matière de droit du travail, des règles spécifiques aux branches d’activité, aux métiers. Dans certaines activités, il est utile de travailler le dimanche, dans d’autres, c’est superflu, voire inutile. Pourquoi uniformiser ce qui peut être spécifique ? Pourquoi faire d’une utile exception un principe ? L’égalitarisme est le principe le plus nocif de toute situation car il transforme une volonté d’équilibre (l’égalité) en système sectaire.

Bien sûr, la convention est une norme infra-légale, c’est-à-dire qu’elle ne peut être que plus favorable aux dispositions légales, sauf si la loi l’y autorise, ce qui limite son application mais rappelle la primauté législative. Les conventions collectives permettent d’ajuster l’application des lois selon le contexte et de prendre en compte la spécificité de chaque métier.

Or, ces conventions collectives, signées par les représentants syndicaux représentatifs des salariés et des employeurs, doivent être le socle de toute réforme de notre système économique.

La faiblesse syndicale (le taux des salariés syndiqués ne dépasse pas 8 % et encore les salariés de droit public font monter ce chiffre…) nous fait comprendre qu’il est temps de prendre en compte les besoins des métiers et non des permanents syndicaux. La confédération syndicale est une aberration, regroupant de facto des fédérations dont les revendications sont, par essence, diverses, voire opposées. La confédération n’est qu’un regroupement d’intérêts, seule la fédération a un sens.

Lors d’un colloque voici quatre ans, j’avais déjà donné mon avis sur l’élargissement des membres des conventions collectives, notamment auprès des retraités issus des métiers.

On parlera de corporatisme comme une horresco referens mais il s’agit de jouer sur les mots : une convention collective est une forme de corps social, donc de corporatisme. Le problème n’est pas le nom de l’institution mais la portée de ses pouvoirs et la désignation de ses membres, c’est-à-dire le choix de la représentativité réelle.

La peur du syndicalisme bloque souvent l’employeur, alors qu’il est question d’intérêts communs permettant de développer une entreprise, forme de structure alliant capital et travail. Il n’est pas insensé, effectivement, de rappeler que les pratiques des syndicats révolutionnaires ont beaucoup fait pour développer la peur du syndicalisme.

La France des métiers doit devenir une réalité : il n’y a, nulle part, d’universalité sinon pourquoi certaines conventions prévoient 10 semaines de congés par an et 15 mois de salaire par an ?

La révolution sociale appelle à une forme de conseil des métiers (à quoi sert le Conseil économique, social et environnemental ?) qui permettrait de réguler les conventions collectives. Le travail est probablement une des valeurs essentielles de notre civilisation, il serait temps de la valoriser.

Le simple terme « travail » est aujourd’hui déconsidéré : les jeunes cherchent un « job » tout en espérant, comme ils disent, une « année de césure » (terme très à la mode signifiant une année où on ne fait… rien !), les seniors espèrent un « boulot » en attendant la fin de l’activité et la retraite. Bref, nous ne sommes pas loin du tripalium, objet de torture qui a donné le mot… travail.

Le travail n’est ni un châtiment divin, ni l’exploitation d’un groupe social sur un autre, l’expression conjuguée du chistianno-marxisme n’exprime en rien la réalisation de l’individu par le travail, salarié ou non.

Au-delà du statut des individus, le métier doit être reconnu au sein de chaque convention, employeurs, salariés et retraités doivent trouver leur place symbolisant l’activité.

Renouer, aussi, avec l’apprentissage, véritable passage vers le métier, qui permettrait à de nombreux jeunes de s’épanouir au sens d’un atelier ou un bureau plutôt que dans des endroits où la haine de la France est répétée en boucle et mise en application en moins de temps qu’il n’en faut que pour former un artisan…

On comprendra qu’il faudra (pas de verbe au conditionnel mais au futur) restaurer le Premier mai, fête du Travail et non des syndicats révolutionnaires (les syndicats réformistes ne défilent même plus ou alors en régions pour éviter de se compter dans la capitale). On comprendra aussi qu’il est temps de restaurer la valeur travail… Ah bien sûr, elle n’est pas au fronton de nos établissements publics.

Il serait probablement le temps de l’ajouter : pas de liberté sans travail, l’égalité de toutes et de tous par le travail et la fraternité au cœur du travail.

samedi, 25 janvier 2020

Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World

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Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World

by Dongxian Jiang

 Ex: https://www.voegelinview.com

Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World: Reorienting the Political, Kai Marchal and Carl K.Y. Shaw, eds. Lanham, Lexington Books, 2017.

51SaQUAXfmL._SX331_BO1204203200_-e1527628158686.jpgCarl Schmitt and Leo Strauss are extremely popular in China, especially in Mainland China—this is no longer a secret in the Western academia. As early as 2003, Stanley Rosen had already told the Boston Globe that “A very, very significant circle of Strauss admirers has sprung up, of all places, China.”[1] Then, in 2010, Mark Lilla, after returning from a visit to Chinese universities, published a widely-circulated article in the New Republic, reporting that there was a “strange taste in Western philosophers” among Chinese scholars and college students, i.e. their strange obsession with Leo Strauss and Carl Schmitt.[2] A 2015 article published on “The China Story” website by Flora Sapio further described the reception of Carl Schmitt by China’s New Left intellectuals and showed the author’s concern with the potential danger of Schmitt’s legal and political theory.[3] Schmitt and Strauss have become philosophical and political stars in China is well-known in the Western world. The question that still puzzles people is—Why?

It is in line with this growing visibility of China’s “Schmitt-Strauss fever” that Kai Marchal and Carl K.Y. Shaw edited this current volume on Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-speaking World, a long-waited contribution to the decoding of and engagement with this enigmatic intellectual phenomenon. The greatest virtue of this volume is, as the two editors say in the Introduction, that “while individual authors may differ in their evaluation of the nature of this reception and its possible implications,” they all agree that this intellectual phenomenon should be treated in a serious way (p. 13). Taken as a whole, this volume is currently the most in-depth discussion in the entire world of the Chinese receptions of Schmitt and Strauss, and should be recommended to anyone who is interested in Chinese intellectual history in the post-Mao era.

Readers who are intrigued by the Schmitt-Strauss fever in the Sinophone world would naturally ask three questions, and they expect that this volume would answer them from different angles. First, why are Schmitt and Strauss so popular in China (the “Why” question)? Second, how do Chinese intellectuals use Schmitt’s and Strauss’s political thought to participate in China’s political debates? And third, how can liberals respond to these Chinese Schmittians and Straussians, if they are using Schmitt’s and Strauss’s “illiberal” thought to express their discontent with the Western modernity? The contributors in this volume aim to do all these jobs, but as I shall demonstrate, several drawbacks of the book might have made it unsuccessful to fulfill readers’ expectations. Specifically, I shall argue, while the volume contains detailed answers to the second question, it does not provide persuasive and sufficient accounts of the “Why” question. In addition, though the volume aims to engage with the Chinese Schmittians and Straussians, the strategies that some contributors use may not be promising in the Chinese context.

As a book dealing with the Chinese reception of Schmitt and Strauss, several chapters are devoted to the analysis of the writings of Chinese Schmittians and Straussians, with a focus on how they use Schmitt’s and Strauss’s ideas to address distinctively Chinese issues. The chapters by Shaw, Marchal and Nadon are especially helpful for readers to know who the Schmittians and Straussians are in China and how they are politically motivated to invoke Schmitt’s and Strauss’s authorities. These close analyses, based on first-hand textual evidence, provide solid bases for the contributors in this volume to engage with the Chinese thinkers, and to show what they are getting right and where they are going wrong.

In terms of the historical accounts of China’s reception of Schmitt and Strauss, contributors have made significant efforts in reconstructing the historical context of China’s post-Mao period and in explaining why certain Schmittian and Straussian ideas have resonance in this particular circumstance. For example, Shaw is very successful in providing “a contextual and immanent analysis which demonstrates the rationale of the receptions, the inner logic of the theoretical reconstructions, and their relevance for contemporary Chinese intellectual debates” (p. 40). Similarly, Charlotte Kroll reconstructs the legal and political issues that Chinese intellectuals cared about when Schmitt was introduced, and connects Schmitt fever with what Jan-Werner Mueller calls “Schmitt’s globalization” in the 1990s. Before unfolding his engagement with and critique of Liu Xiaofeng’s interpretation and application of Strauss’s political thought in the Chinese context, Marchal presents an overview of the intellectual trajectories of China’s leading Straussians and briefly explains why Strauss is attractive to scholars who are concerned with the “nihilism” issue in the post-Maoist China.

However, as the Schmitt-Strauss fever is the most enigmatic, even “strange” intellectual phenomenon in contemporary China, this volume should have devoted more efforts to the investigations into the “Why” question. A reasonable account of this phenomenon must answer 1) why it is in this particular historical moment that Schmitt and Strauss become authoritative for many Chinese intellectuals, and 2) why it is Schmitt and Strauss, not other critics of Western modernity and liberal democracy, that especially attract the attentions of Chinese intellectuals. In the 1980s and 90s, for example, one of the most fashionable things to do among China’s leading intellectuals was to discuss Nietzsche, Heidegger, Sartre, and Foucault. Why these critics of modernity and liberal democracy, either from the Left or the Right, did not trigger a similar wave of anti-liberalism in China is a question that all scholars interested in Chinese political thought should painstakingly think about. Therefore, a contextualized account of the Schmitt-Strauss fever is not complete if there lacks a comprehensive investigation of China’s reception of Western thought in general, and of China’s reception of anti-Enlightenment and illiberal thought in particular. This, I admit, is not an easy task, but is worth doing if we really take the Schmitt-Strauss fever in China seriously.

Another thing that this volume should have done is an excavation of the pre-Schmittian and pre-Straussian writings of intellectuals like Liu Xiaofeng and Gan Yang, to name a few, because these writings may provide some clues for explaining their intellectual transformations. Contributors like Marchal and Nadon have mentioned that Liu and Gan were not Schmittians and Straussians from the very beginning of their academic lives, but what they have not fully elaborated is that these two figures were active liberals before encountering Schmitt and Strauss. In the 1980s and early 90s, Liu was a “cultural Christian” advocating for China’s radical transformation from “traditional culture” to Christianity, but his political position was by and large liberal. Gan asked Confucianism to modernize itself in order to embrace modern values such as individual rights, equality, pluralism, and democracy. Before their encounter with Schmitt and Strauss, they were obsessed by various “illiberal” or “anti-liberal” philosophers in the West, such as Nietzsche, Heidegger and Sartre, but this obsession did not prevent them from appreciating Berlin, Habermas and Rawls. Just one year before Liu Xiaofeng’s open conversion to Strauss’s political thought and his embrace of illiberalism, he was using public reason liberalism to criticize Charles Taylor and his Chinese followers who wanted to use communitarian insights to fight for the Confucian causes.

After his Straussian turn, however, Liu has been increasingly intolerant of liberal political theory, thinking that a return to the “classical mentality” is incompatible with the pursuit of liberal reform in China. A detailed description of Liu’s “liberal years” may make his sudden but whole-hearted conversion to Schmitt and Strauss more enigmatic, but may also provide hints about whether his particular and idiosyncratic conception of liberalism actually paved way for his later conversion to anti-liberalism. For example, a close reading of his early works shows that the pursuit of an “absolute value” is a constant theme in his liberal years, and that his discomfort with value pluralism to some extent foreshadows his embrace of Strauss’s political thought.

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The absence of detailed and sound explanations of the Schmitt-Strauss fever may be remedied if the Chinese Schmittians and Straussians in this volume could take this opportunity to explain why they think that China needs Schmitt and Strauss for imagining its political future. Readers may have the expectation to look for direct articulations and defenses of their motivations for invoking the authority of Schmitt and Strauss. The volume contains three articles written by Mainland Chinese and Taiwanese scholars who are sympathetic toward Schmitt and Strauss.

Among them, however, only Chuan-Wei Hu’s is a straightforward defense of Strauss in the Taiwanese context and an articulation of why Strauss matters for Taiwan’s democracy. The other two “Mainland” pieces, surprisingly, refrain from providing any direct answers to the “Why” question, and thus miss the opportunity for Mainland Chinese Schmittians and Straussians to make a case for themselves. Han Liu’s chapter, which argues that the global diffusion of constitutionalism and judicial guardianship is a bad thing, does not provide any positive proposals for China to design an alternative legal system in accordance with Schmittian insights, despite his merely one-paragraph assertion that “China should pay attention to its own political culture, however defined, to ground a firm constitutional authority” (pp. 134-5).

The chapter by Jianhong Chen, a leading Mainland Straussian, provides an excellent reinterpretation of Strauss’s political thought, and he argues, against various Western scholars, that Strauss should not be understood as a conservative thinker merely defending the status quo, because political philosophy as Strauss understands is still a radical “negation” of actual politics, thus preserving a utopian and normative dimension. By claiming that Heinrich Meier’s interpretation of Strauss is a myth (pp. 197-8), Chen hints that Liu Xiaofeng’s reception of Strauss might also be mistaken, because Liu encountered Strauss largely through Meier’s secondary literature. But, again, Chen does not elaborate the possible implications of his understanding of Strauss, such as whether Strauss can be used in a way to challenge the political status quo in China. If readers who are not able to read Chinese want to understand why Schmitt and Strauss are important for China from an indigenous perspective, they can read Wang Tao’s article published in the Claremont Review of Books, in which he provides an explanation and justification of China’s reverence for Strauss.[4]

Lastly, the most significant accomplishment that this volume has achieved is a theoretical engagement with the Chinese Schmittians and Straussians. The contributors believe that this wave of anti-liberalism in China inspired by Schmitt and Strauss should be taken seriously, and this volume is a valuable addition to the intercultural conversation in the burgeoning field of comparative political theory. Chapters written by Shaw, Wenning, Nadon and Marchal are recommended for readers who are looking for evaluations of the Schmitt-Strauss fever. Among these four chapters, Shaw and Marchal are generally critical of the Chinese Straussians, arguing that they either fail to grasp Strauss’s true spirit or distort his key teachings. Wenning has a similar critical attitude toward Chinese Schmittians and claims that these scholars have not recognized the “internal complexity” (p. 82) of Schmitt’s thought. Based on his discussion of Schmitt’s later writings, to which few Schmitt scholars have paid adequate attention, Wenning shows how this underappreciated dimension of Schmitt’s political thought might have the potential to overcome the one-sidedness of the current Chinese reception of Schmitt. In contrast, Nadon provides the most positive evaluation of the Chinese reception of Strauss, and contends that Liu Xiaofeng may ultimately “articulate a new and inspiring vision of what Chinese civilization could be” (p. 12).

A theme that unifies many contributors in this volume is their worry that some leading Chinese intellectuals in this fever, most notably Liu Xiaofeng, have an extremely hostile attitude toward liberalism and liberal democracy. While their discontent with Western cultural hegemony should be sympathized, contributors still feel that liberalism as a universal value should be defended in the Chinese context. As Marchal and Wenning have exemplified, one strategy to criticize Chinese Schmittians and Straussians is to show that they are misinterpreting Strauss and neglecting the internal richness of Schmitt. However, I wonder whether this is a promising strategy for engaging with these anti-liberal scholars.

Take Marchal’s chapter as an example, the underlying logic of his strategy is that if Chinese intellectuals get Strauss correctly, then they should have used Strauss for different purposes, rather than merely justifying China’s particular tradition and extant authoritarian regime. Based on his comparison of Strauss and Liu Xiaofeng, he argues that Liu’s use of Strauss “leads to a number of fundamental distortions” of Strauss’s claims in On Tyranny, that “instead of having discerned Strauss’s esoteric messages, Liu may thus have misunderstood his teacher” (p. 184), and that “Liu Xiaofeng’s project is being played out according to a very different agenda than Strauss’s original project,” which Strauss “likely never anticipated” (p. 181). In a word, “It is quite remarkable that the Chinese Straussian Liu Xiaofeng can relate to Strauss’s critique of liberal democracy without further ado in a non-liberal, non-democratic society (which China undoubtedly still is)” (p. 186).

However, what makes Marchal’s comparison of Strauss and Liu problematic is that he applies a double standard when interpreting Strauss’s and Liu’s works respectively. In terms of Strauss, Marchal is fully aware that his works are notoriously enigmatic, and recognizes that reconstructing a “real Strauss” is extremely difficult, so he carefully chooses what he thinks the “more convincing and theoretically plausible” secondary literature, and based on these, provides a charitable reading of Strauss’s political philosophy, i.e., Strauss as an eternal sceptic and critical friend of liberal democracy. When it comes to Liu, he chooses Liu’s most “Straussian book” to date, Republic and Statecraft, as a target for criticism, because he thinks that Liu misapplies Strauss’s teachings in On Tyranny in this book. However, the problem with his reading of Liu is that he does not attempt to use the same method to decode Strauss’s and Liu’s writings, thus making his understanding of Liu dubious and uncharitable.

As Liu himself claims in the afterword of this book, Republic and Statecraft is an expansion of his reading notes of Xiong Shili’s lengthy letter to Mao Zedong.[5] In this book, there is no place where Liu openly articulates his own positions, and, like Strauss, he hides his own ideas behind his textual analysis of Xiong’s letter. Xiong was a well-known New Confucian philosopher in twentieth century China who claimed that modern values such as equality and democracy could be interpreted from the Confucian canons. When the CCP came to power in 1949, Xiong decided to stay in the Mainland, and wrote a series of letters to Mao to make a plea for the protection of China’s traditional culture by arguing that the revolutionary spirit was compatible with Confucianism. In one letter, Xiong expressed his admiration of Mao by claiming that Mao was a modern reincarnation of the ancient sage-king, and that his authoritarian rule was necessary for China to realize freedom and democracy. Liu finds this letter extremely interesting, and uses a Straussian hermeneutics to interpret Xiong’s thought.

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Marchal is aware that Liu is practicing Straussian hermeneutics in this book, but surprisingly, he unreflectively presumes that Liu affirms and praises Xiong’s ideas. Without presenting any quotations from this book, Marchal argues that “[Liu’s] argumentation in Republic and Statecraft strongly suggests that Liu regards Xiong Shili’s attempt to ground Mao’s revolution in the horizon of traditional Chinese culture as meaningful” (p. 188). It is true that Liu does admire Mao in recent years, but this does not necessarily mean that Liu expresses his admiration in a way similar to Xiong’s. His other Straussian writings show his disapproval of the attempt in the twentieth century to develop modern values from within the Confucian tradition, because the Straussian teaching of “transcending the modern horizon” inspires him to praise classical Confucianism, in which, according to him, moral and political hierarchy is the core of the authentic Confucian spirit. As Xiong belongs to the New Confucian school and speaks highly of equality and democracy, it is highly probable that Liu, in his Republic and Statecraft, fundamentally disagrees with Xiong’s ideas. Therefore, while reading Strauss in a charitable way, Marchal to a large degree provides an uncharitable reading of Liu. This double standard fatally discredits his claim that Liu distorts Strauss’s thought, as Liu may easily retort that Marchal is distorting Liu’s thought in the first place.

However, even if Marchal could distribute his charity evenly to Strauss and Liu, the effectiveness of his strategy in combating Chinese anti-liberalism is still doubtful. After all, to what extent is Liu distorting Strauss is a highly contestable issue, as Strauss himself is an extremely enigmatic political thinker. For Marchal, the “real Strauss” he identifies is a Strauss constantly skeptical about Western modernity but never attempts to offer any positive account of a radical alternative, not to mention actively pursues such an alternative in political actions (p. 176). In contrast, Liu distorts Strauss in the sense that he wants to craft a concrete alternative based on the Chinese tradition, and tends to put this project into action.

Were Marchal to do a close analysis of Liu’s interpretations of Strauss, he would quickly find that Liu is almost familiar with Strauss’s entire corpus, and it is extremely difficult to claim that Liu distorts Strauss without going through all his quotations of Strauss’s original texts. In particular, what Marchal does not mention in this chapter is that Liu is especially interested in Strauss’s “theologico-political predicament,” i.e., the tension between the philosopher and the political society. According to Strauss, it is the philosopher’s virtue to constrain its eagerness to challenge the conventions, customs, moral codes, religions, superstitions, laws, and political authorities of the political society, because a replacement of these nomoi with pure reason will lead to the very disintegration of the political society. Therefore, the philosopher should uphold and gently improve the nomoi in his exoteric teachings, while conceal his true philosophical teachings in his esoteric writings.

What Liu takes from Strauss is that a philosopher in the Chinese context should do the same thing, but this leads him to protect the extant values and political authority which Chinese people have inherited from the ancient times, against the encroachment of Enlightenment thought from the modern West. Liu’s construction of the Chinese nomoi might be wrong and politically motivated, as Marchal shows in his chapter, but this does not mean that Liu’s understanding of Strauss per se is also mistaken. After all, Strauss never anticipated that his thought would be applied someday in a non-Western society, so he did not set a rule for approvable applications, despite his criticism of totalitarianism and communism. Therefore, instead of “distorting” Strauss, one might say that Liu is “extending” Strauss in the Chinese context.

Therefore, if Marchal really wants to criticize Chinese Straussianism and defend liberal principles, his call for a correct understanding and application of Strauss in Mainland China may not work well. Even if there is a correct understanding of Strauss, the application of Strauss might be “beyond right and wrong,” and Marchal actually accepts that “[Strauss’s] writings encourage alternative readings in the context of non-Western intellectual traditions” (p. 174). In the “Conclusion” of his chapter, Marchal hopes that “it may be possible that other forms of Chinese Straussianism may preserve a genuinely critical, zetetic force,” a “more balanced understanding of the cultural differences between East and West,” and a less nationalist defense of the authoritarian regime (p. 191).

However, if Marchal really wants to achieve these goals and give liberalism a try in China, one may wonder whether Strauss is the “Mr Right”—Why not drop Strauss and resort to other liberal thinkers in the West for intellectual resources? After all, as primarily a critic of modernity and liberal democracy, Strauss not only upsets liberals in China but also liberals in the Western world. His mystical genre and his unwillingness to engage in public dialogues make him unfit for defending liberalism, let alone defending liberalism in the Chinese context. As the prospect of liberalism in China has been increasingly bleak in recent years, the need for a straightforward defense of basic liberal principles is needed. Building a liberal-friendly team of Straussianism in China as Marchal hopes is not impossible if some scholars can do what American Straussians did after 2001, i.e., defending Strauss while reconciling him with liberal democracy, but people caring about the future of Chinese liberalism may wonder whether Strauss is really an indispensable intellectual authority at all. After all, why should liberals play the game whose rules are one-sidedly settled by their rivals, instead of opening a new field to play?

Finally, at the end of my review, I should point out that even if the volume offers a variety of insights, it should have had some stylistic improvements for readers to have a better reading experience. Key arguments should be presented clearly in the beginning of each chapter, and convoluted expressions should be avoided. Therefore, readers interested in the Chinese reception of Schmitt and Strauss can start from this volume, but they have good reasons to wait for better works on this subject to be done.

Notes

[1] Jeet Heer, “The Philosopher the Late Leo Strauss has Emerged as the Thinker of the Moment in Washington, but His Ideas Remain Mysterious. Was He an Ardent Opponent of Tyranny, or an Apologist for the Abuse of Power?” Boston Globe, May 11, 2003.

[2] Mark Lilla, “Reading Strauss in Beijing,” New Republic, 2010, http://www.newrepublic.com/article/magazine/79747/reading-leo-strauss-in-beijing-china-marx#, accessed March 19, 2014.

[3] Flora Sapio, “Carl Schmitt in China,” The China Story, Oct 7, 2015, https://www.thechinastory.org/2015/10/carl-schmitt-in-china/, accessed March 31, 2018.

[4] Wang Tao, “Leo Strauss in China,” Claremont Review of Books, Spring 2012, accessed March 19, 2014, http://www.claremont.org/publications/crb/id.1955/article_detail.asp.

[5] Liu Xiaofeng, Gonghe yu jinglun 共和与经纶 (Republic and Statecraft), Beijing, Sanlian chubanshe, 2012, 303-4.

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Dongxian Jiang

Dongxian Jiang is a Ph.D. Candidate in Political Theory at Princeton University where he is also the Laurance S. Rockefeller Graduate Prize Fellow at Princeton’s University Center for Human Values. He is working on a dissertation justifying liberal principles in the Chinese context.

vendredi, 24 janvier 2020

Le premier Carl Schmitt

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Le premier Carl Schmitt

En cette rentrée où nous n’avons pas beaucoup de traductions de grands textes de sciences sociales à nous mettre sous la dent, on peut se réjouir que les Éditions de l’EHESS nous offrent l’accès à un texte clé d’un auteur dont le soupçon qui l’entoure, à juste titre au vu de son engagement nazi, nous fait trop oublier qu’il a été un très grand juriste : Carl Schmitt, qui publia Loi et jugement en 1912.


Carl Schmitt, Loi et jugement. Une enquête sur le problème de la pratique du droit. Trad. de l’allemand et présenté par Rainer Maria Kiesow. EHESS, 167 p., 22 €


Loi-et-jugement.jpgDe l’œuvre proprement juridique du jeune Carl Schmitt, disons de celle d’avant 1933, nous possédons en français Théorie de la constitution (1928, PUF 1993), La valeur de l’État et la signification de l’individu (1914, Droz 2003), mais il nous manquait jusqu’aujourd’hui un petit ouvrage de 1912 intitulé Loi et jugement, qu’Olivier Beaud, dans sa préface à l’édition française de Théorie de la constitution, qualifie de « véritable recherche de théorie du droit abordant les questions les plus fondamentales ».

Carl Schmitt a vingt-trois ans en 1912 et ce qui fascine dans ce texte, de jeunesse mais déjà très maîtrisé, c’est, avec la rigueur du questionnement, le souci constant d’éviter l’amalgame, la confusion et le malentendu ; l’éclairage qu’il jette sur la notion de décision telle que l’entendra l’auteur de la Théologie politique tout au long de sa vie. Rééditant Gesetz und Urteil en 1969, Carl Schmitt met lui-même en perspective son travail, en souligne les enjeux pour la pratique du droit d’abord, et laisse entendre toutes les conséquences que « l’autonomie de la décision », qu’il cherche à dégager, peut avoir sur la doctrine de l’État et de la souveraineté. Et il prévient qu’une « polémique farouche » a voulu travestir sa conception de la décision en « un acte fantastique de l’arbitraire ». Nous voilà avertis : si nous voulons évaluer l’œuvre de Schmitt, nous ne pouvons pas nous priver de lire Loi et jugement, car s’y trouve le « sens originel » dans sa « simplicité » de ce que signifie décider.

Alors que fleurissent les doctrines du droit dans le monde germanique de l’époque, mais aussi dans l’ensemble de l’Europe, Schmitt s’intéresse à la pratique. Mais il ne va pas le faire en sociologue, sa confrontation avec Marx et Weber n’a pas encore eu lieu, encore moins en psychologue – sans cesse dans l’ouvrage, Schmitt cherche à se démarquer de la psychologie et en particulier de celle du juge –, mais en restant à l’intérieur du droit, cherchant à élaborer une sorte de théorie de la pratique du droit possédant – l’auteur tient à éviter le terme d’autonomie – un « critère autochtone » par rapport au théorique. Hans Kelsen, le père de la Théorie pure du droit, n’a encore publié en 1912 que ses Problèmes fondamentaux de la doctrine du droit constitutionnel, mais il représente déjà le positivisme normatif que Schmitt s’emploie à disqualifier.

Le point de départ est une question (bien entendu elle-même « décisive », puisqu’elle décide déjà de ce qu’est l’ordre juridique ; en même temps, comme le dit Schmitt dans son avant-propos, elle « est décidée » par la pratique) : « quand une décision judiciaire est-elle correcte ? ». Commence alors un extraordinaire cernement de la question qui rappelle la méthode débouchant sur la définition du critère, et donc de l’essence, pour Schmitt, du politique. Ce n’est ni le comment on décide, ni les statistiques de décisions correctes, ni les diverses opinions sur leur correction ; la question n’interroge pas non plus l’histoire de la pratique, ni l’évolution historique des idéaux, mais « le critère de rectitude qui est spécifique à la pratique du droit ».

Une fois ce que l’on recherche déterminé, Schmitt se livre à la réfutation de différentes thèses : celle de la rectitude d’une décision par sa « conformité à la loi » ou à la « volonté du législateur » qui au mieux transforme le jugement en opération logique (« logicisme de la justice ») de subsomption du cas particulier sous la norme générale, au pire réduit le juge à un « automate ». De ce point de vue, Schmitt se démarque aussi bien de l’herméneutique jurisprudentielle, identifiant interprétation correcte et décision correcte, que du mouvement connu sous le nom d’« école libre du droit » (Freirechtsschule) qui cherchait à élargir de manière extra-juridique (jugements moraux, culture) le concept de loi et de norme et auquel Schmitt reproche d’être incapable à la fin de dégager un critère de rectitude autre que celui du normativisme juridique (la conformité à la loi).

Pour découvrir ce critère de rectitude spécifique, il faut d’abord bien distinguer la doctrine du droit et la pratique du droit, ce que Schmitt appelle sa « détermination » (Rechtsbestimmtheit ; à ce point central du texte, le traducteur fait opportunément remarquer que le terme de Besttimmtheit vient de la logique de Hegel, mais il ne va pas malheureusement plus loin dans son commentaire), autrement dit le moment où le juge statue sur un cas, dit le droit (iurisdictio ou iurisfactio), énonce, en le créant ainsi dans sa détermination hic et nunc, le to dikaion (le juste). Le résultat de cette opération ne peut être déduit, son caractère aléatoire et risqué ne peut être effacé. La motivation du jugement ne peut se superposer parfaitement à la décision. La pratique découvre là son autonomie, le droit statué n’existe pas avant le jugement, comme une pure et simple application. Il est produit. Ce qui ne fait pas pour autant du juge un législateur.

À la fin, quel est ce critère de rectitude appartenant de « manière autochtone à la pratique du droit » ? Une décision judiciaire est correcte si « l’on peut admettre qu’un autre juge aurait décidé de la même manière ». C’est ici que le décisionnisme du jeune Schmitt, mais il nous a prévenus que la polémique ultérieure avait défiguré son concept, doit devenir l’objet de toutes les attentions. Invoquer « l’autre juge », c’est introduire une collégialité, la position collective de gens de métier ; au-delà, c’est faire appel à une sorte de sensus judiciarii d’une société, d’une époque, bref, c’est réintroduire l’histoire et la sociologie, là où pourtant Schmitt voulait les écarter.

Mais introduire le tiers, c’est aussi consacrer un mouvement constant dans l’histoire moderne du droit, celui de la hiérarchisation des juridictions et de la complexité des relations entre les différentes cours. Surtout, en appeler à « l’autre juge » consiste à circonscrire le jugement dans la « prévisibilité » et la « calculabilité », même dans le cas où un jugement serait rendu contra legem. Ceux qui ont lu Derrida, et le Derrida lecteur de Schmitt pour qui l’expression schmittienne de « décision calculable » serait un oxymore, seront surpris par cette reprise (en main ?) soudaine du concept de décision, tout à coup arraché à l’indétermination (et pour cause puisque Schmitt parle de « détermination du droit ») au risque, au saut, à l’incommensurabilité des motifs et de l’acte de jugement. Mais on comprend que tous ces points qui caractérisent la rectitude de la décision autorisent Schmitt à penser qu’ainsi il échappe au « fantastique de l’arbitraire ».

L’auteur d’Ex captivitate salus ne réécrit pas en 1969 son texte de 1912 sous le coup de la querelle. Encore une fois, il nous indique que sa réflexion sur l’autonomie de la décision n’est pas restée sans conséquences sur la définition de la souveraineté étatique. En 1912, il cherche à isoler le propre de la pratique correcte du droit et veut en discerner le critère déterminant, et l’on découvre que ce n’est pas tant la décision qui l’intéresse que la mise au jour du degré d’autochtonie de la pratique du droit par rapport à la doctrine, et la définition de ce qu’est l’ordre juridique.

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Peut-on affirmer que Schmitt, pour le politique, va suivre le même cheminement, guidé par la même préoccupation ? Répondre à cette question permettrait, non pas d’oublier son engagement nazi, mais de savoir si nous pouvons conserver la recherche du critère du politique (sans conserver la différence ami/ennemi) sans forcément se focaliser sur la souveraineté (est souverain celui qui décide) mais au contraire, comme semble s’y essayer en ce moment même Bruno Latour, sur l’autonomie de la pratique politique.

jeudi, 23 janvier 2020

Pour un progressisme de droite

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Pour un progressisme de droite

Par Romain d’Aspremont,

auteur de « Penser l’Homme nouveau : Pourquoi la droite perd la bataille des idées »

Ex: http://www.rage-culture.com

Si la droite perd, c’est qu’elle évolue au sein d’un logiciel chrétien. Les sociétés occidentales sont fondamentalement marquées par la morale chrétienne ; il n’est pas étonnant que l’idéologie gauchiste s’y épanouisse – et, sur le temps, ne cesse de gagner du terrain – tandis que les droitistes doivent perpétuellement batailler pour paraître fréquentables. C’est le principe même du Bien qui doit basculer de l’égalitarisme vers l’élitisme, et du pacifisme vers la compétition et la lutte.

41-KRsa2LPL.jpgLa seconde raison de la défaite perpétuelle de la droite, c’est son conservatisme. Les réaco-conservateurs assimilent trop souvent l’avenir à un déploiement inéluctable des forces progressistes. Ils en viennent à prendre l’objet (l’avenir) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même. Le futur étant devenu synonyme d’avancées « progressistes », l’unique remède ne pourrait être que son contraire – le passé – plutôt qu’un avenir alternatif. Or il y a là une forme de défaitisme, comme si la droite assimilait sa propre déconfiture, ratifiant le monopole de la gauche sur l’avenir. Puisque l’Histoire n’est qu’une longue série de victoires progressistes, c’est l’avenir lui-même qu’il faudrait brider, plutôt que les acteurs qui le façonnent. Ralentir le temps et sanctuariser certaines institutions apparaît alors comme la solution par défaut.

Cette analyse, plus ou moins consciente, est une variante de la croyance en un progrès linéaire : l’avenir n’est plus une irrésistible ascension, mais une lente décadence. Ainsi, tout en ridiculisant l’idée d’un « sens de l’Histoire », les réaco-conservateurs considèrent implicitement que le temps fait le jeu de la gauche. S’il leur arrive – du bout des lèvres – de se satisfaire d’une nouveauté, ils n’iront jamais jusqu’à batailler pour la faire advenir, non plus qu’ils ne mobiliseront leur énergie intellectuelle pour concevoir un nouveau « de droite ». Leurs forces sont toutes entières consacrées à faire l’éloge du passé. 

Le progressisme au sens strict repose sur des postulats infirmés par l’Histoire. Le pacifiste et le jouisseur finissent toujours par se soumettre au guerrier. Mais le conservatisme lui-même n’en repose pas moins sur des présupposés erronés, car les projets d’Homme nouveau, loin de se réduire à des utopies illusoires, sont un des moteurs de l’Histoire. 

 La posture d’un Schopenhauer, qui écrit « le progrès, c’est là votre chimère, il est du rêve du XIXème siècle comme la résurrection des morts était celui du Xème, chaque âge a le sien », n’est plus tenable. La véritable erreur, c’est de croire que les chimères sont sans prise sur le réel – surtout quand ces chimères peuplent les cerveaux des élites. Chaque époque a sa conception particulière du progrès, et ceux qui se refusent à proposer la leur doivent renoncer à écrire l’Histoire. De même, Nietzsche peut bien déclarer que le Progrès est « une idée fausse », il n’empêche que sa philosophie du surhomme est progressiste – progressiste de droite.

Notre ennemi ne doit pas être le progressisme au sens large, mais uniquement le progressisme de gauche. Non pas l’idée de progrès, mais la direction que veulent lui faire prendre nos adversaires. Car « l’idée de progrès constitue moins une idéologie que la présupposition de toutes les idéologies, systèmes de représentations et de croyances proprement modernes ». C’est pourquoi la droite doit développer son propre progressisme, qui doit viser la réunification de l’Occident (plutôt que la défense des Etats-nations) et encourager l’évolution anthropologique (plutôt que sanctifier la tradition). Par définition, le futur a toujours raison du passé. Aussi, le duel du Passé et de l’Avenir doit s’effacer au profit d’un choc entre un avenir de gauche et un avenir de droite.

Notre progressisme doit promouvoir une exigence de dépassement, sur tous les plans, y compris moral. Cette morale sera « vitaliste » : valorisant tout ce qui élève l’espèce et combattant ce qui la bride, l’affaiblit et la mutile. Appliquée aux débats sociétaux qui suscitent le plus de crispations, son verdict sera différent de celui des réaco-conservateurs. Ainsi, la PMA et la GPA sont souhaitables dans la mesure où elles élèvent le capital biologique et intellectuel des Occidentaux (ingénierie génétique).

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Romain d'Aspremont

Un progressisme de droite ne doit pas borner son horizon au domaine anthropologique (entreprise de création d’un homme nouveau) ; il doit l’étendre au domaine institutionnel et étatique. Faute de proposer une vision de l’Europe qui soit autre chose qu’un simple retour à l’ère gaullienne – « l’Europe des nations » – les souverainistes se privent du formidable potentiel mobilisateur propre à tout idéal nouveau. Philippe de Villiers explique que ceux qui ont affronté le traité de Maastricht ont cru combattre un super-État (une entité politique susceptible d’incarner une Europe-puissance, pesant en propre sur la scène internationale), pour ensuite découvrir que le projet européen n’a jamais été de bâtir les Etats-Unis d’Europe, mais de substituer l’économique (le marché) au politique.

En fait, les souverainistes ont bien fait de s’opposer à Maastricht, mais pour de mauvaises raisons. En effet, le dépassement des nations et l’unification de l’Europe ne sont pas des idées condamnables en soi ; elles méritent d’être évaluées à l’aune de l’idéal qui les porte. Le malheur n’est pas que l’Europe soit gouvernée par un « despotisme doux et éclairé » (Jacques Delors), mais que ce despotisme soit anti-européen dans l’âme. Or, par une ruse de l’Histoire, les Européistes nous ont offert le cadre institutionnel et administratif pouvant servir notre vision de l’Europe : plutôt que de détruire ces leviers de pouvoir, emparons-nous-en afin d’impulser une renaissance civilisationnelle, qui passe par la création des Etats-Unis d’Europe, puis des Etats-Unis d’Occident (Etats-Unis d’Amérique, Russie, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande compris).

Les souverainistes ne jurent que par l’État-nation et le retour à l’ordre ancien. Dans de nombreux domaines (immigration, éducation, justice), ce retour est vital, mais il faut se rappeler que les États-nations sont eux-mêmes issus de l’effondrement de l’Empire romain christianisé. Ils sont la conséquence lointaine des invasions barbares du Ve siècle, et une fragmentation de l’unité politique de la chrétienté. Car enfin, l’âme européenne vaut plus que le respect tatillon de la souveraineté des États-nations. Ne confondons pas le moyen – les institutions – et la fin – la pérennité des cultures nationales et de la civilisation européenne. À ceux qui prétendent que cette dernière est un fantasme, et que seules existent les cultures nationales, qu’ils parcourent donc le monde et ils distingueront sans peine ce qui relève de la nuance (les différentes cultures européennes) de ce qui relève de la différence essentielle (les civilisations).

Notre projet doit être la restauration de l’Europe unie, plutôt que le combat acharné pour la pérennité de son éclatement. Il ne s’agit pas de pratiquer une fuite en avant vers le dépassement des États-nations mais, puisque ce dépassement se fera, avec ou sans nous, il nous faut en avoir la maîtrise. Trop longtemps, les défenseurs de l’âme européenne ont laissé aux européistes le monopole de l’idéal européen. Les souverainistes se cantonnent soit à une négation (NON à l’Europe fédérale), soit à une nostalgie gaulliste (OUI à l’Europe des nations). Il nous faut penser un horizon nouveau, sans quoi l’histoire du continent sera écrite par nos adversaires, notre rôle se limitant à celui de retardateur, grippant provisoirement l’engrenage de la déconstruction civilisationnelle.

L’Europe des nations, les souverainistes vous le répètent, c’est l’Europe du « bon sens ». Mais l’homme n’est pas qu’un être de raison. Pour Carl Gustav Jung, l’homme a un besoin de sacré. Mais il a également un besoin d’idéal et d’utopie. S’il est disposé à se sacrifier pour fonder une nation, il ne l’est plus quand il s’agit de la rafistoler. L’Europe des nations est un conservatisme ; il lui manque la force du nouveau. Or le Neuf est souvent nécessaire à la sauvegarde de l’Ancien.

Nous sommes tellement habitués à voir le pouvoir politique européen déconstruire notre civilisation et nos identités nationales, que nous réagissons avec hostilité à toute idée de pouvoir européen, que nous assimilons à l’idéologie remplaciste. Or, le lieu du pouvoir ne préjuge pas de son contenu ; à nous d’en édifier un qui œuvre à notre renaissance civilisationnelle. 

Nietzsche écrit ainsi: « Ce qui m’importe […] c’est l’Europe unie. Pour tous les esprits vastes et profonds du siècle, la tâche où ils ont mis toute leur âme a été de préparer cette synthèse nouvelle et d’anticiper à titre d’essai l’« Européen » de l’avenir.  Aux heures de faiblesse seulement, ou quand ils vieillissaient, ils retombaient dans les perspectives étroites de leurs patries ».

Nous vous conseillons de lire également « Pour un transhumanisme de Droite » du même auteur

Références :
 1. F. Nietzsche, L’Antéchrist, § 4, Oeuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.
2. Pierre-André Taguieff, Les contre-réactionnaires, Le progressisme entre illusion et imposture, Denoël, 2007, p. 243.
3.  Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015.
4.  Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, tome II, Gallimard. p. 293. 

Et si on revenait sur le corporatisme?

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Et si on revenait sur le corporatisme?

Suite à l’excellent texte sur le corporatisme de Franck Buleux qui a d’ailleurs été remarqué par de nombreux sites (https://metainfos.fr/2020/01/05/la-voie-du-corporatisme/) , nous publions en complément cette

Brève introduction à l’économie corporatiste

« L’État, arbitre du jeu social, a pour rôle de préparer l’avenir tout en rendant le présent supportable »

Jean Meyer, Le poids de l’État, 1983.

L’État corporatiste a pour unique but de gérer le Bien commun aussi correctement que possible, compte tenu de circonstances difficiles : état de guerre, population globalement assoupie qu’il convient d’adapter à un rythme de travail moderne, progrès à réaliser en matière de productivité et de rationalisation de la production et de la distribution, ou encore crise économique internationale, voire mondiale, induite par des psychopathes spéculateurs dont aucun ne sera jamais puni pour ses agissements qui auront ruiné la vie de dizaines de millions de chômeurs et de leurs familles, sans oublier que ces agissements antisociaux conduisent volontiers à une guerre.

Le corporatisme est né d’une réflexion sur le travail, sur les motivations des travailleurs et sur l’optimisation de l’économie à l’échelle d’un pays. Ce type de régime politico-social a pour buts de « socialiser les prix » de vente, en annihilant le parasitisme induit par un trop grand nombre d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs, de fixer le plus juste prix pour ne léser personne, enfin de contrôler la qualité de la production. On y reconnaît les dominantes de l’économie de l’Occident médiéval… « Rien de nouveau sous le soleil » !

Le corporatisme moderne, né au XXe siècle, a également pour but de susciter un grand élan collectif national, en luttant contre l’individualisme égoïste, héritage des penseurs européens des XVIe–XVIIIe siècles et de leurs « droits de l’homme » acquis par simple naissance, et contre la stérile poursuite des biens matériels, héritage du « sot XIXe siècle ». Dans l’optique corporatiste moderne, le travail doit devenir une bataille pour la prospérité de la patrie et celle de chaque famille de travailleur (pour amateur : longues digressions métaphysiques in Louis Rosenstock-« Franck », 1934). De façon simple, le travail, manuel, intellectuel ou technique doit être considéré à la fois « un droit et un devoir ».

md30337424503.jpgLes organisations professionnelles sont composées de représentants élus et de véritables experts désignés par l’État : elles renferment, en proportions à déterminer par une loi, des chefs d’entreprise, des cadres, des employés et des ouvriers, de l’industrie et de l’artisanat, de l’agriculture, de la pêche et des transports, des professions libérales et d’employés de l’État. Elles ont pour rôles de régler les conditions de travail et de rémunération, d’organiser la formation initiale des apprentis et la formation continue des travailleurs, voire de présider au regroupement des petites entreprises pour en accroître la rentabilité, économiser des matières premières et standardiser la production (Dauphin-Meunier, 1941 ; Denis, 1941 ; Bouvier-Ajam, 1943). C’est un régime particulièrement adapté à la gestion des crises économiques et sociales.

Même en dehors d’une période de crise, le corporatisme a son utilité : les chambres économiques doivent superviser, coordonner, dynamiser ou moderniser les parties les moins performantes de l’économie nationale. Selon les cas, il peut s’agir d’extraction minière, de production agricole, d’actions sur les eaux et forêts ou l’urbanisme, mais aussi de regroupement d’entreprises industrielles trop peu rentables

L’organisation corporatiste a bien évidemment dans ses attributions le règlement à l’amiable et par négociations directes des conflits du travail, avec recours, en cas d’échec, à une Cour des corporations. Ce régime rend inutiles les grèves des salariés et le lock-out patronal, authentiques « crimes collectifs », privant des familles entières de leur gagne-pain. Benito Mussolini, homme de grand bon sens, les considérait de ce fait « plus graves, par leurs conséquences, que les crimes individuels » (Marlio, 1938).

Les organisations professionnelles règlementent les questions d’hygiène sur les lieux de travail et surveillent l’organisation du tourisme, des activités sportives et culturelles, notamment pour détecter et punir les escrocs, qui détournent à des fins personnelles des crédits aux affectations trop vagues.

Le Parlement ne doit plus être composé de rhéteurs n’ayant aucune expérience réelle du travail effectif, mais être une Chambre des Corporations, où les députés sont élus par les employeurs, les salariés et les retraités. Les chômeurs sont provisoirement exclus du corps électoral.

La chambre des Corporations et les organisations professionnelles désignent les administrateurs des régimes d’assurance-vieillesse, d’assurance-maternité, d’assurance-invalidité et la réparation des accidents du travail.

Le régime corporatiste élabore, tout naturellement, une Charte du Travail, qui fixe la journée de travail, identique pour les salariés du privé et pour les fonctionnaires, réduits en nombre au minimum incompressible, étant entendu que la durée légale du travail hebdomadaire peut varier selon les emplois. Le travail de nuit doit être interdit aux femmes (sauf dans les professions de santé) et aux moins de 18 ans.

Elle doit introduire les notions de juste rémunération du travail – en se référant au salaire réel et au pouvoir d’achat et non à une valeur absolue. Des primes de rendement, d’efficacité et de fidélité à l’entreprise doivent moduler le salaire en fonction de l’activité réelle des salariés : il n’existe pas plus d’égalité dans la quantité et la qualité de travail que d’égalité des capacités physiques, intellectuelles et morales entre travailleurs. Le principe de la participation de tous les travailleurs aux bénéfices de leur entreprise est une mesure de justice sociale tellement évidente qu’on est étonné de ne pas le voir appliqué en tout pays.

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Enfin, par cette Charte du travail, la politique et la lutte des classes sont interdites dans les entreprises. Le système corporatiste est financé par une cotisation sur les salaires : la Chambre des Corporations fixe les quotas demandés aux employeurs et aux salariés.

C’est à l’État et aux corporations qu’il revient de réduire le nombre des intermédiaires dans le circuit économique et de comprimer à un niveau raisonnable les marges bénéficiaires des producteurs, transporteurs et détaillants.

L’État joue son rôle en matière d’imposition et de taxations. Idéalement, l’on doit réduire les taxes à la consommation, qui touchent les familles les plus nombreuses (en Italie fasciste, elles furent ramenées entre 2 et 3% ad valorem selon les marchandises) ; l’impôt progressif sur tous les revenus est équitable, à condition que les tranches supérieures ne soient pas tellement élevées que les travailleurs les mieux payés en viennent à réduire leur activité.

Les droits de succession en ligne directe et entre époux devraient être réduits, pour améliorer la transmission des biens agricoles, des petits commerces et des petites entreprises. Enfin, la taxation des bénéfices industriels et commerciaux doit être telle qu’elle encourage les administrateurs à préférer l’autofinancement à la répartition des bénéfices entre gros actionnaires. L’impôt doit frapper durement l’agiotage boursier, la propriété des titres devant être nominative, tandis qu’une provision de 25% doit être exigée pour tout ordre d’achat à terme. La haine des spéculateurs pour un régime économique est un excellent reflet de son équité.

De même, l’État doit aider les exportations et interdire les ententes monopolistes visant à maintenir de hauts prix de vente pour les produits indispensables à la vie courante.

En cas de guerre ou de crise économique internationale, l’État se doit d’intervenir pour protéger la production nationale de façon à éviter un chômage de masse, pour contingenter les importations – surtout celles qui représentent une concurrence déloyale de la part de pays ne respectant pas la protection des brevets, tolérant l’emploi de quasi-esclaves ou mettant sur le marché des objets de pacotille… de nos jours, les archétypes de pays malhonnête sont la Chine et quelques pays d’Orient extrême ou moyen, généralement à majorité mahométane… c’est un fait reconnu que l’islam encourage l’esclavage des non-mahométans, même s’il est devenu politiquement incorrect d’affirmer cette évidence !

En cas de crise grave, l’État doit plus que jamais combattre les intermédiaires, en faisant disparaître ceux dont l’activité est de type parasitaire, et doit impérativement renvoyer dans leurs pays d’origine les immigrés inutiles. Il doit injecter une part du produit des impôts dans de grands travaux visant à créer des infrastructures d’utilité publique.

En résumé, le rôle de l’État est d’encadrer, de réguler l’activité économique, qui doit rester privée, car nul n’aime travailler efficacement et beaucoup, s’il n’a l’espoir d’en tirer un bénéfice, pour lui-même et pour sa famille. De ce fait, les dirigeants de l’État doivent refuser la solution de facilité à court terme, inefficace et stérilisante à moyen et long termes : celle des nationalisations qui feraient de chaque corporation la propriétaire des établissements industriels.

s-l300.jpgL’économie corporatiste fut la solution adoptée par les populistes du XXe siècle. Comme l’a très justement écrit Hilaire Belloc (in L’État servile, de 1912) : « Le contrôle de la production des richesses revient, en définitive, à contrôler la vie humaine ».

Bibliographie

H. Belloc : The servile state, Foulis, Londres, 1912 (disponible sur le Net)

M. Bouvier-Ajam : La doctrine corporative, SIREY, 1943

A. Dauphin-Meunier : Produire pour l’homme, Plon, 1941

H. Denis : La corporation, P.U.F., 1941

L. R. Franck (le R. désigne le vrai patronyme de l’auteur : Rosenstock) : L’économie corporative fasciste en doctrine et en fait. Ses origines historiques et son évolution, Librairie Universitaire Gamber, 1934 (digression métaphysique sur l’économie politique)

L. Marlio : Le sort du capitalisme, Flammarion, 1938

J. Meyer : Le poids de l’État, P.U.F., 1983

samedi, 18 janvier 2020

“Qu’est-ce que le réalisme politique ?”

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“Qu’est-ce que le réalisme politique ?”

par Arnaud Imatz

Introduction d’Arnaud Imatz au livre de Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie. Pourquoi le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple est un leurre, L’Artilleur / Toucan, 2019.

Oligarchie.jpgSourcé et documenté, mais en même temps décapant sans concessions et affranchi de tous les  conventionnalismes, ce livre atypique sort résolument des sentiers battus de l’histoire des idées politiques. Son auteur, Dalmacio Negro Pavón, politologue renommé dans le monde hispanique, est au nombre de ceux qui incarnent le mieux la tradition académique européenne, celle d’une époque où le politiquement correct n’avait pas encore fait ses ravages, et où la majorité des universitaires adhéraient avec conviction, – et non par opportunisme comme si souvent aujourd’hui -, aux valeurs scientifiques de rigueur, de probité et d’intégrité. Que nous dit-il ? Résumons-le en  puisant largement dans ses analyses, ses propos et ses termes:

Historiquement, le monde n’a pas connu d’autre forme de gouvernement que celle du petit nombre (la minorité dirigeante), et tout gouvernement a besoin de l’appui de l’opinion. Il n’y a pas de communauté politique sans hiérarchie ; pas de hiérarchie sans organisation, pas d’organisation sociale qui ne se concrétise sans la direction d’un petit nombre. C’est ce qu’on appelle la loi de fer de l’oligarchie. Derrière toutes les formes de gouvernement connues (monarchie, aristocratie, démocratie – selon la classification classique -, démocratie et dictature – selon la classification moderne), il n’y a qu’une minorité qui domine l’immense majorité. Les multiples variantes possibles dépendent du mode de rénovation de cette minorité et des limites et contrôles auxquels cette minorité se soumet dans l’exercice du pouvoir. Les positions oligarchiques ne sont jamais disputées par les masses ; ce sont les différentes factions de la classe politique qui se les disputent. Les gouvernés n’interviennent pas dans ce litige permanent si ce n’est comme vivier des nouveaux aspirants au pouvoir, comme vivier des nouvelles élites. Les gouvernés sont des spectateurs, parfois des animateurs, rarement des arbitres.

Lorsqu’une oligarchie est discréditée, elle est invariablement remplacée par une autre en quête de prestige, c’est-à-dire de légitimité d’exercice, prête s’il le faut à utiliser la démagogie. La souveraineté populaire est un mythe qui permet aux oligarques tous les abus et toutes les arnaques imaginables.L’utopiste qui rêve qu’il est possible d’éliminer l’égoïsme en politique et de fonder un système politique sur la seule moralité n’atteint pas la cible, pas plus d’ailleurs que le réaliste qui croit que l’altruisme est une illusion et que toute action politique est basée sur l’égoïsme. En dehors des éternels naïfs, le consensus politique – expression collective de la loyauté de la classe politique envers elle-même -, ne trompe que ceux qui veulent se tromper eux-mêmes, par convenance personnelle ou pour obtenir quelques faveurs. Les problèmes politiques ne peuvent pas être résolus définitivement. En politique il n’y a de place que pour le compromis.

Que dire de la démocratie en Europe ? Elle est moins une religion qu’une superstition, un substitut, un succédané ou une apparence de foi, qui est née des religions de la politique. Elle est, « une hypocrisie organisée » disait Schumpeter, elle se réduit à l’opportunité que les oligarchies partitocratiques  offrent aux gouvernés de se prononcer périodiquement sur une option, généralement limitée, après avoir procédé à une grande opération d’information ou de marketing auprès de l’opinion publique.

Cela dit, et malgré tout, il semble qu’une grande partie du peuple soit de plus en plus consciente de l’existence de la loi de fer de  l’oligarchie. Mais à l’inverse, de plus en plus craintive, l’oligarchie resserre au maximum les vis qui assujettissent le demos au singulier supermarché qu’est l’État des partis. On sait les réactions d’hostilité, de mépris et de peur que suscitent les mouvements populistes et les rébellions populaires du genre « Gilets jaunes » dans  la quasi-totalité de l’establishment[1] européen.

dalmacio-negro.jpgUne révolution a besoin de dirigeants, mais l’étatisme a infantilisé la conscience des Européens. Celle-ci a subi une telle contagion que l’émergence de véritables dirigeants est devenue quasiment impossible et que lorsqu’elle se produit, la méfiance empêche de les suivre. Mieux vaut donc, une fois parvenu à ce stade, faire confiance au hasard, à l’ennui ou à l’humour, autant de forces historiques majeures, auxquelles on n’accorde pas suffisamment d’attention parce qu’elles sont cachées derrière le paravent de l’enthousiasme progressiste.

Les analyses, les interrogations et les propos sévères, souvent même très corrosifs, de Negro Pavón ne risquent guère de lui faire des amis parmi le petit nombre des détenteurs du pouvoir, ni parmi leurs soutiens souvent serviles du monde politique, économique et médiatico-culturel, mais de cela il n’en a cure Anciennement professeur d’histoire des idées politiques à l’Université Complutense de Madrid, actuellement professeur émérite de science politique à l’Université San Pablo de Madrid, membre de l’Académie royale des sciences morales et politiques, auteur d’une bonne vingtaine de livres[2] et de plusieurs centaines d’articles, il n’a plus rien à prouver. Fin connaisseur de la pensée politique européenne classique et moderne, excellent polyglotte, lecteur invétéré de tous les grands auteurs européens[3] et américains, il nous convie à un remarquable parcours à travers l’histoire de la politique occidentale en même temps qu’il nous donne un diagnostic lucide et pénétrant de la réalité de l’Europe et de l’Occident actuels.

Pavón se rattache ouvertement à l’École du réalisme politique. Il n’est donc pas inutile, avant de lui céder la plume, de rappeler à grands traits ce qu’est cette École de pensée si souvent objet de malentendus, de tergiversations et de caricatures. Qu’entend-on par réalisme politique ou par tradition de pensée machiavélienne (et non machiavélique) de la politique ? Avant de répondre, il nous faut mentionner l’habituel argumentaire dépréciatif de ses adversaires. Le réalisme serait selon eux le culte de l’époque, une idéologie manichéenne, pragmatique, opportuniste, fataliste et désespérante, une idéologie de dominants, de chantres du conformisme, qui fait de l’instant une fin, qui considère le présent indépassable, qui refuse de penser le changement et l’avenir. Mais ce réquisitoire, aujourd’hui si répandu, n’est somme toute qu’une illustration de plus des méfaits de l’enfumage idéologique. Il n’est pas sans rappeler l’Anti-Machiavel du despote éclairé (ou obscur) Frédéric II, qui avait été écrit pour séduire et abuser l’Europe des philosophes. Comme disait l’annonce des films de fiction de ma jeunesse: « toute ressemblance avec des situations réelles existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». Nous le verrons, le réalisme politique est au contraire une méthode d’analyse et de critique complète, intense et radicale de tout pouvoir constitué.

À proprement parler, le réalisme politique n’est ni une école homogène, ni une famille intellectuelle unitaire. C’est seulement un habitus, une disposition d’esprit, un point de vue d’étude ou de recherche qui vise à éclairer les règles que suit la politique[4]. Ce n’est pas la défense du statu quo, la défense de l’ordre établi ou la doctrine qui justifie la situation des hommes au pouvoir comme le prétendent faussement ses adversaires. Le réalisme politique part de l’évidence des faits, mais il ne se rend pas devant eux. Il ne se désintéresse pas des fins dernières et se distingue en cela du pseudo-réalisme de type cynique qui réduit la politique à la seule volonté de puissance, au règne et au culte de la force à l’état pur. Le réaliste politique authentique est un homme avec des principes, une morale, une profonde conscience des devoirs et des responsabilités de l’action politique. La prudence, la sagesse, l’équilibre, le sens de la responsabilité et la fermeté de caractère sont les clefs de sa pensée.

978847209552.JPGLe réaliste authentique affirme que la finalité propre à la politique est le bien commun, mais il reconnait la nécessité vitale des finalités non politiques(le bonheur et la justice). La politique est selon lui au service de l’homme. La mission de la politique n’est pas de changer l’homme ou de le rendre meilleur (ce qui est le chemin des totalitarismes), mais d’organiser les conditions de la coexistence humaine, de mettre en forme la collectivité, d’assurer la concorde intérieure et la sécurité extérieure. Voilà pourquoi les conflits doivent être, selon lui, canalisés, réglementés, institutionnalisés et autant que possible résolus sans violence.

Dalmacio Negro Pavón aborde avec rigueur chacune des idées du réalisme politique[5]. Les deux principales se retrouvent dans les titres des deux premiers essais de son livre : La loi de fer de l’oligarchie, loi immanente à la politique et Démystifier la démocratie. Il complète ensuite ces deux essais par un texte plus bref Sur la théologie politique dominante qui porte sur la question théologico-politique, ou si l’on préfère sur les causes existentielles et spirituelles de la situation actuelle, tout particulièrement sur l’importance de l’influence des hérésies théologiques sur la pensée et les attitudes politiques modernes. On pourrait classer l’ensemble des idées de son livre dans l’ordre suivant :

Première idée : le caractère inévitable de l’oligarchie et de la division gouvernants-gouvernés. C’est la fameuse loi d’airain, de bronze ou de fer de l’oligarchie, formulée par Robert Michels. Selon les régimes et les sociétés, nous l’avons dit, la circulation des élites peut être plus ou moins grande, mais en dernière instance, c’est toujours le petit nombre, la minorité qui dirige.

Deuxième idée : La démocratie idéale est irréalisable et les symboles démocratiques sont des fictions. La complexité des problèmes et surtout la dimension des sociétés constituent autant d’obstacles à l’autogouvernement. En général, les hommes politiques le savent, mais tous connaissent aussi l’importance de la magie des paroles. Par ailleurs, les démocraties réelles tendent toujours à se convertir en oligarchies. Plus la démocratie s’organise, plus elle tend à décliner. Plus elle s’organise et plus les possibilités de coaction et de manipulation des masses grandissent. « La démocratie, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » selon la formule célèbre de Lincoln, relève de l’utopie ou de la foi religieuse. La démocratie est une méthode, elle ne saurait être une fin, un  idéal absolu, un impératif moral. L’idéologie démocratique, la foi démocratique, relève de la rhétorique. Elle ne sert qu’à éluder les responsabilités et à écraser l’opposition au nom du peuple.

Troisième idée : la politique ne peut pas faire l’économie d’une vision de l’homme. Le réaliste politique peut penser soit que l’homme est historique, soit, qu’il existe une nature humaine. Mais dans les deux cas, il considère que les pulsions humaines expliquent pour une bonne part le caractère instable des institutions politiques et le caractère conflictuel de la politique.

Quatrième idée : la reconnaissance de la nature intrinsèquement conflictuelle de la politique. La vie sera toujours le théâtre de conflits et de différences. La politique au sens traditionnel est la grande « neutralisatrice » des conflits. Voilà pourquoi la résistance systématique et aveugle à toute forme de pouvoir (la croyance que « le pouvoir est le mal ») constitue une excellente méthode pour accélérer la corruption du pouvoir et entrainer sa substitution par d’autres formes de pouvoir souvent bien plus problématiques et plus despotiques. Ce n’est pas parce qu’un peuple perd la force ou la volonté de survivre ou de s’affirmer dans la sphère politique que la politique va disparaitre du monde. L’histoire n’est pas tendre… malheur au fort qui devient faible !

Cinquième idée : le scepticisme en matière de formes de gouvernement. Il est impossible de prononcer scientifiquement un jugement catégorique sur la convenance de l’un ou l’autre des régimes en place. Il n’y a pas de régime optimal ou parfait. Chaque régime politique est une solution contingente et singulière, une réponse transitoire à l’éternel problème du politique. Tous les régimes sont par ailleurs également soumis à l’usure du temps et à la corruption[6].

Sixième idée : le rejet de toute interprétation mono-causale de la politique comme partiale et arbitraire. Les explications mono-causales « en dernière instance » par l’économie, par la politique, par la culture, par la morale, etc. sont réductionnistes et n’ont aucun sens.

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L’étude des partis politiques et des syndicats, réalisée par Robert Michels au début du XXe siècle, révèle particulièrement bien la caractéristique fondamentale des sociétés: la tendance à l’oligarchie. Un parti politique n’est ni plus ni moins qu’un groupe de personnes qui s’unissent pour conquérir et conserver le pouvoir. Tout le reste (même l’idéologie) est secondaire. Les partis naissent comme des groupes élitistes et se convertissent en organisations de notables ; puis, avec le suffrage universel, ils se transforment le plus souvent en partis de masses. Mais lorsqu’ils s’organisent fortement, ils obéissent toujours à la loi de fer de l’oligarchie. L’analyse des « partis de masse » a mis à nue quelques principes généraux que l’on peut énoncer ainsi :

– Les multitudes sont frappées d’une sorte d’incapacité politique. Lorsqu’elles perdent leurs leaders, elles se retirent et abandonnent le champ politique.

– L’oligarchie est une nécessité sociale. Le principe d’organisation est une condition absolument essentielle pour la lutte politique.

– Ce sont les minorités et non les masses qui se disputent le pouvoir. Les leaders de tous les camps se présentent comme les porte-paroles du peuple, mais en réalité c’est toujours la lutte entre l’ancienne minorité qui défend son hégémonie et la nouvelle minorité ambitieuse qui entend conquérir le pouvoir.

– Le leadership est tendanciellement autocratique. Les leaders ne se contentent pas de vouloir durer, ils veulent toujours plus de pouvoir. L’éloignement des masses, la professionnalisation, le niveau intellectuel et culturel des leaders, la tendance à rechercher le renouvellement par cooptation, voire le népotisme, sont de puissants éléments qui contribuent à l’isolement des leaders. Les rébellions de la base n’ont que d’infimes possibilités de succès.

– Le parti est un instrument de domination. Contrairement à ce qu’ils prétendent les partis sont des organisations qui veulent que les élus dominent les électeurs et que les mandataires dominent les mandants.

– La tendance oligarchique est consubstantielle aux partis. Seule une minorité participe aux décisions du parti et, souvent, cette minorité est ridiculement exiguë.

Conclusion : la démocratie réelle est une oligarchie élue par le peuple. Elle exclut l’usage de la violence physique mais non pas la violence morale (la compétition déloyale, frauduleuse ou restreinte). Deux conditions permettraient de réformer en profondeur la démocratie politique actuelle au bénéfice du peuple. D’abord, les représentés devraient pouvoir recouvrer la liberté de contrôler directement les représentants ou élus qui leur a été abusivement retirée. Il faudrait pour cela instaurer un système électoral majoritaire avec mandat impératif ; les représentants seraient ainsi obligés de respecter le mandat impératif de leurs électeurs respectifs. Enfin, pour que le peuple puisse, sinon diriger et gouverner de fait, du moins s’intégrer et participer durablement à la vie politique, il faudrait que le principe de la démocratie directe soit largement accepté [avec bien sûr le référendum d’initiative populaire (RIP) ou citoyenne (RIC)[7]].

517y-pAX7EL._SX326_BO1,204,203,200_.jpgCela étant, on peut être un sceptique ou un pessimiste lucide mais refuser pour autant de désespérer. On ne peut pas éliminer les oligarchies. Soit ! Mais, comme nous le dit Dalmacio Negro Pavón, il y a des régimes politiques qui sont plus ou moins capables d’en mitiger les effets et de les contrôler. Le nœud de la question est d’empêcher que les détenteurs du pouvoir ne soient que de simples courroies de transmission des intérêts, des désirs et des sentiments de l’oligarchie politique, sociale, économique et culturelle. Les hommes craignent toujours le pouvoir auquel ils sont soumis, mais le pouvoir qui les soumet craint lui aussi toujours la collectivité sur laquelle il règne. Et il existe une condition essentielle pour que la démocratie politique soit possible et que sa corruption devienne beaucoup plus difficile sinon impossible, souligne encore Dalmacio Negro Pavón. Il faut que l’attitude à l’égard du gouvernement soit toujours méfiante, même lorsqu’il s’agit d’amis ou de personnes pour lesquelles on a voté. Bertrand de Jouvenel disait à ce propos très justement: « le gouvernement des amis est la manière barbare de gouverner ».

Arnaud Imatz-Couartou

Docteur d’État ès sciences politiques

Membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne


[1] En théorie on peut distinguer l’establishment (concept anglosaxon désignant la minorité politico-sociale exerçant son contrôle sur l’ensemble de la société), et  l’oligarchie  (petit nombre d’individus, catégorie, classe ou caste dominante détenant le pouvoir et contrôlant la société) de l’élite, minorité d’individus auxquels s’attache un pouvoir dû à des qualités naturelles ou acquises (les « meilleurs » en raison de leurs mérites : race, intelligence, sagesse, éthique, culture, éducation,  richesse, etc.). Mais dans les faits, ces trois concepts recouvrent aujourd’hui une même réalité.

[2] Dalmacio Negro Pavón est un disciple de l’historien des idées politiques, Luis Díez del Corral, qui a été président de l’Académie des sciences morales et politiques d’Espagne et docteur honoris causa de la Sorbonne (1980). Díez del Corral était pendant longtemps rédacteur de la célèbre revue Revista de Occidente fondée par le philosophe José Ortega y Gasset. Parmi les ouvrages de D. Negro Pavón citons plus particulièrement:  Liberalismo y socialismo: la encrucijada intelectual de Stuart Mill, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1976; Comte: positivismo y revolución, Madrid, Editorial Cincel, 1985; El Liberalismo en España, Madrid, Unión Editorial, 1988; Estudios sobre Carl Schmitt, Madrid, Fundación Cánovas del Castillo, 1995; La tradición liberal y el Estado, Madrid, Unión Editorial, 1995; Gobierno y Estado, Madrid, Marcial Pons, 2002; Lo que Europa debe al cristianismo, 3e éd., Madrid, Unión Editorial, 2007; El mito del hombre nuevo, Madrid, Encuentro, 2009; Historia de las formas del Estado. Una introducción, Madrid, El Buey mudo, 2010, Il dio mortale, Piombino, Il Foglio, 2014 et La tradición de la libertad, Madrid, Unión Editorial, 2019.

[3] Soulignons l’intérêt marqué de Negro Pavón pour la pensée politique française, ce dont témoignent les travaux de plusieurs de ses disciples. Il en est notamment ainsi des politologues et philosophes Armando Zerolo Durán, spécialiste de Bertrand de Jouvenel (voir : Génesis del Estado Minotauro. El pensamiento político de Bertrand de Jouvenel, Murcia, Sequitur, 2013), Domingo González Hernández, spécialiste de René Girard (voir:  Hacia una teoría mimética de lo político: René Girard y su escuela, Madrid, UCM, 2015 et René Girard, maestro cristiano de la sospecha, Madrid, Fundación Emmanuel Mounier, 2016) et Jerónimo Molina Cano, doyen de faculté à l‘Université de Murcie, spécialiste de Raymond Aron et de Julien Freund et meilleur connaisseur actuel de la pensée du polémologue Gaston Bouthoul (voir:; Raymond Aron, realista político. Del maquiavelismo a la crítica de las religiones seculares, Madrid, Sequitur, 2013; Julien Freund. Lo político y la política, Madrid, Sequitur, 1999 et Gaston Bouthoul, Inventor de la polemología. Guerra, demografía y complejos belígenos, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 2019).

[4] Parmi les précurseurs on trouve : Thucydide, Aristote, Ibn Khaldoun, Machiavel, Gabriel Naudé, Saavedra Fajardo, Hobbes, Tocqueville, etc. Chez  les contemporains et les modernes on peut citer: Moisey Ostrogorski, Vilfredo Pareto, Robert Michels, Gaetano Mosca, Carl Schmitt, Max Weber, Simone Weil, Raymond Aron, Gaston Bouthoul, James Burnham, Benedetto Croce, Maurice Duverger, Gonzalo Fernández de la Mora, Julien Freund, Bertrand de Jouvenel, Halford Mackinder, Harold Laski. Gianfranco Miglio, Jules Monnerot, Michael Oakeshott, Giovanni Sartori, Éric Voegelin, Jerónimo Molina Cano, Alessandro Campi,  et beaucoup d’autres aux convictions souvent très différentes (libéraux, socialistes, nationalistes, conservateurs, etc.).

[5] Negro Pavón cite et reprend tous les travaux classiques en la matière, notamment ceux de Moisey Ostrogorski (voir : La démocratie et l’organisation des partis politiques, 1903), Vilfredo Pareto (voir : Les systèmes socialistes, 1902-1903), Robert Michels (voir : Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, 1911), Gaetano Mosca (voir : Elementi di scienza política, 1896-1923), Joseph Schumpeter (voir : Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1943) et Gonzalo Fernandez de la Mora (voir : La partitocracia, 1977).

[6] Sur le plan de l’action politique, il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance du  principe d’hétérotélie, transposition de la pensée de l’Apôtre saint Paul « Je fais le mal que je ne veux pas, je ne fais pas le bien que je veux » (Lettre aux Romains). L’hétérotélie, dont Jules Monnerot a élaboré la théorie la plus complète, est la « ruse de la raison » de Hegel, le « paradoxe des conséquences » de  Weber, le « décalage entre le but avoué et le déroulement réel de l’action » de Pareto, « le principe de différence de l’objectif visé et de l’objectif atteint », l’effet pervers ou le résultat qui contredit si souvent l’intention initiale.

[7] A noter qu’à l’origine le RIC figurait parmi les principales revendications du mouvement des « Gilets jaunes » avec la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, la révision des avantages et des privilèges des élus et le rétablissement de l’ISF pour les valeurs mobilières (actions, placements).

vendredi, 17 janvier 2020

Psychologie et propagande : les origines - Conditionnement, inconscient et succès de la propagande

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Psychologie et propagande : les origines

Conditionnement, inconscient et succès de la propagande
 
par François-Bernard Huyghe
Ex: https://www.huyghe.fr


Il n'y a guère de stratégie d'influence qui ne se réclame d'une connaissance approfondie de l'inconscient humain ou ne prétendre à la maîtrise scientifique des mécanismes psychiques. On ne s'étonne plus de voir un pubeur citer Lacan pour présenter sa prochaine campagne, ni d'entendre parler de Programmation Neuro Linguistique dans un stage de vendeurs au porte à porte. L'idée qu'il existe des méthodes qui mettent le message, discours ou image, directement "en prise avec l'inconscient" nourrit la vieille crainte d'une manipulation absolue puisqu'agissant sur nos ressorts les plus secrets.

propaganda.jpgLa publicité est évidemment toujours sous le soupçon. Dans un livre qui avait fait du bruit à l'époque, "la persuasion cachée" de 1957, Vance Packard révélait les stratégies des compagnies publicitaires qui truffaient leurs annonces de textes et images supposés agir sur nos motivations cachées en échappant à la censure du Moi.
Et pour la propagande, on trouve dès 1918, dans le livre intitulé justement "Propaganda" d'Edward Bernays (accessoirement neveu de Freud et se vantant d'utiliser la psychanalyse) l'idée que les masses seraient dirigées par des élites capables d'utiliser toutes les techniques psychologiques.

Mais les grands théoriciens que disent ils de cette perspective effarante ?

Comme on peut s'y attendre, on trouve dès les premières décennies du XX° siècle outils théoriques chez les principaux courants, environnementaliste et psychanalytique.

Ainsi, s'il est un classique de la propagande, c'est bien "Le viol des foules par la propagande politique" de Serge Tchakhotine (1939), un gros pavé expliquant comment l'auteur, socialiste convaincu, avait combattu la propagande nazie par une méthode idéologiquement correcte puisqu'inspirée de Pavlov et surtout hyper efficace puisqu'elle reposait entièrement sur le conditionnement de la population à son insu et par l'exploitation de ses réflexes inconscients par des symboles efficaces. Donc Tchakhotine renvoie à Pavlov.

De Pavlov (1849-1936), tout le monde a retenu l’expérience du chien qui salive. Elle date de 1889 : l’animal est habitué à recevoir sa nourriture après avoir entendu un coup de cloche ; si, au bout d’un temps, la cloche retentit, sans que l’on nourrisse le chien, il continue à baver. Il est conditionné par répétition d’un stimulus (le bruit) associé à un excitant (la nourriture) en vue d’un certain comportement (saliver). Pavlov, réduit l’activité nerveuse supérieure à une suite d’excitation et d’inhibition de réflexes, compliquée par la possibilité d’associer des signaux (stimuli sonores, mais aussi visuels, olfactifs) à des réactions. Pour lui « La vie des êtres supérieurs est l'histoire de la production continuelle et de l'usage incessant de ces nouvelles combinaisons... ».

Pavlov qui reçoit le prix Nobel pour ses travaux en 1904 entend ainsi fonder une psychologie scientifique et certains de ses disciples en sautent facilement à l’idée que l’homme n’est que réflexes conditionnés, d'où le corollaire qu’il est possible de le conditionner scientifiquement.

Fils de pope, père d’un officier de l’armée blanche mort au combat, dénonciateur du régime soviétique dès les années 20, Ian Pétrovitch Pavlov n’avait pas vraiment un profil de parfait bolchevik. Pourtant, il a joui du statut de penseur officiel de la psychologie soviétique.

Il y avait à cela plusieurs raisons. Il était Russe et n’avait pas fui en 1917. Sa volonté de scientificité enracinée dans le physiologique permettait de l’opposer à la psychologie bourgeoise idéaliste. Enfin, en poussant un peu, l’argument du conditionnement pouvait jouer en faveur de l’acquis contre l’inné : les hommes sont foncièrement égaux dans la mesure où tout ce qu’ils deviennent est le résultat de l’influence monde extérieur. Donc, il sera demain possible de produire l’homme nouveau dans la patrie du socialisme. Donc le pavlovisme est conciliable avec le matérialisme historique dialectique et le camarade Staline a raison. C.q.f.d.

Pavlov a surtout, sinon un disciple, du moins un équivalent américain : John Broadus Watson (1878-1958), psychologue et neurologue, fondateur de l’école béhavioriste. Son manifeste « La psychologie telle qu’un behavioriste la voit » le dit sans ambages : la psychologie doit devenir la science qui étudie (certains ajouteront : produit) le comportement humain, hors de toute notion « mentaliste » et subjective telle que volonté, émotions, ego… Bref, foin de l’introspection : l’être humain est une boîte noire réagissant par des comportements à des stimuli. En utilisant et répétant les plus adaptés, on peut « contrôler et conditionner les émotions des sujets humains ». Watson s’efforça de le démontrer par une expérience sur « le petit Albert » : partant du principe que l’enfant n’était mu que par trois émotions basiques peur, rage et amour, il se faisait fort de les provoquer à volonté. Plus tard, il voulut mettre en œuvre sur les consommateurs au sein d’une agence de publicité J Walter Thompson Agency. En dépit de publications importantes (comme Behaviorism en 1924), la seconde partie de sa vie fut surtout consacrée au business.

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Le succès de ses idées est considérable : dès 1913, le béhaviourisme devient un des courants majeurs des sciences sociales américaines (en tout cas, le plus typiquement américain). Le couple stimulus-réponse devient un système explicatif applicable aussi bien à l’éducation des enfants qu’aux événements internationaux : il naît ainsi une théorie behaviouriste des guerres et des violences (elle se propose, bien entendu, d’y porter remède par le conditionnement adéquat dans un bon environnement « non-frustrant »).

Le béhaviourisme nourrit aussi les fantasmes d’une science appliquée à la toute jeune publicité ou dans le domaine de la communication de masse. Les premières études des médias sont imprégnées d’un schéma maintenant très critiqué « de la seringue hypodermique » : le message insufflé par les médias « passe » chez les récepteurs comme le liquide dans les veines du sujet et y produit automatiquement son effet. C’est un schéma « causaliste » : le contenu de la communication A produit un effet B, qui se traduit par un comportement : achat, vote…

Le béhaviorisme rencontre et parfois affronte un autre grand courant intellectuel : la psychanalyse. Avant la guerre, Freud (1856-1939) a déjà posé les fondements de la discipline, largement publié et constitué une première école avec de premières dissensions. Ce qu’il est convenu de nommer « la seconde topique » de la psychanalyse (la représentation des mécanismes psychiques comme interaction entre le ça, le Moi et le Surmoi remplaçant la hiérarchie inconscience, pré conscience, conscience) est en voie d’élaboration. Bref, le freudisme existe même s’il n’a pas l’influence qu’il acquerra quelques décennies plus tard et même si sa thématique n’est pas entrée dans la culture populaire. Pourtant, la terminologie freudienne se prête vite aux détournements et à un usage quasi publicitaire: en se vantant « d’agir directement sur l’inconscient » ou en parlant « d’images qui s’adressent aux couches profondes du psychisme », des professionnels de la « com » donnent vite des bases « scientifiques » de leur action. Tout cela va dans le même sens : l’idée que les masses sont par essence irrationnelles, suggestibles, prêtes à se soumettre à un chef ou à un démagogue.

41JZ1VACJ0L._SX314_BO1,204,203,200_.jpgMais que pensait vraiment Freud ?
Dans un texte de 1921, « Psychologie collective et analyse du moi », le père de la psychanalyse sans traiter à proprement parler de la propagande présente sa position par rapport aux penseurs de l’ère des foules. Il consacre un chapitre élogieux à Le Bon. Il veut fonder ses thèses foncièrement justes sur les bases plus scientifiques de la psychanalyse. Il indique quelques pistes : les foules, ou plutôt les communautés organisées comme dans l’armée ou l’Église ont tendance à s’identifier collectivement à un « idéal du Moi », qui facilite leur obéissance. Dans la foule, non seulement les participants sont dans un état proche de l’hypnose, mais chacun s’identifie à tous les autres et communie dans une même fascination de l’objet d’enthousiasme. Ce mécanisme constitue une régression par rapport au développement psychique de l’humanité, mais reste une possibilité toujours présente… Freud plutôt que de décrire des techniques de conditionnement, même pour les dénoncer, théorisé la disparition de l'individualité et la soumission au groupe comme menace.

De son œuvre, il serait difficile de retirer des recettes pour former une horde de fanatiques. Freud est un individualiste pessimiste, plein du mépris envers le grégaire et rempli de crainte devant les emportements de la masse. Nombre de suiveurs en déduiront qu’une manipulation par les symboles collectifs est scientifiquement programmable et la caution freudienne viendra longtemps renforcer cette vision des cerveaux absorbant la propagande comme l’éponge le liquide.

Genèse de la pensée unique

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Genèse de la pensée unique

par Claude Bourrinet

Ex: https://cerclearistote.com

Recension:

Polymnia Athanassiadi, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive, Paris, Les Belles Lettres, 2010.

« Il n’y eut plus de rire pour personne. » Procope

158342.1577156868.jpgPolymnia Athanassiadi, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Athènes, spécialiste du platonisme tardif (le néoplatonisme) avait bousculé quelques certitudes, dans son ouvrage publié en 2006, « la lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif », en montrant que les structures de pensée dans l’Empire gréco-romain, dont l’aboutissement serait la suppression de toute possibilité discursive au sein de l’élite intellectuelle, étaient analogues chez les philosophes « païens » et les théologiens chrétiens. Cette osmose, à laquelle il était impossible d’échapper, se retrouve au niveau des structures politiques et administratives, avant et après Constantin. L’État « païen », selon Mme Athanassiadi, prépare l’État chrétien, et le contrôle total de la société, des corps et des esprits. C’est la thèse contenue dans une étude éditée en 2010, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive.

Un basculement identitaire

L’Antiquité tardive est l’un de ces concepts historiques relativement flous, que l’on adopte, parce que c’est pratique, mais qui peuvent susciter des polémiques farouches, justement parce qu’ils dissimulent des pièges heuristiques entraînant des interprétations diamétralement apposées. Nous verrons que l’un des intérêts de cette recherche est d’avoir mis au jour les engagements singulièrement contemporains qui sous tendent des analyses apparemment « scientifiques ».

La première difficulté réside dans la délimitation de la période. Le passage aurait eu lieu sous le règne de Marc Aurèle, au IIe siècle, et cette localisation temporelle ne soulève aucun désaccord. En revanche, le consensus n’existe plus si l’on porte le point d’achoppement (en oubliant la date artificielle de 476) à Mahomet, au VIIe siècle, c’est-à-dire à l’aboutissement désastreux d’une longue série d’invasions, ou aux règnes d’Haroun al-Rachid et de Charlemagne, au IXe siècle, voire jusqu’en l’An Mil. Ce qui est en jeu dans ce débat, c’est l’accent mis sur la rupture ou sur la continuité.

Le fait indubitable est néanmoins que la religion, lors de ce processus qui se déroule quand même sur plusieurs siècles, est devenue le « trait identitaire de l’individu ». L’autre constat est qu’il s’éploie dans un monde de plus en plus globalisé – l’orbis romanus – dans un empire qui n’est plus « romain », et qui est devenu méditerranéen, voire davantage. Une révolution profonde s’y est produite, accélérées par les crises, et creusant ses mines jusqu’au cœur d’un individu de plus en plus angoissé et cherchant son salut au-delà du monde. La civilisation de la cité, qui rattachait l’esprit et le corps aux réalités sublunaires, a été remplacée par une vaste entité centralisée, dont la tête, Constantinople ou Damas, le Basileus ou le calife, un Dieu unique, contrôle tout. Tout ce qui faisait la joie de vivre, la culture, les promenades philosophiques, les spectacles, les plaisirs, est devenu tentation démoniaque. La terre semble avoir été recouverte, en même temps que par les basiliques, les minarets, les prédicateurs, les missionnaires, par un voile de mélancolie et un frisson de peur. Une voix à l’unisson soude les masses uniformisées, là où, jadis, la polyphonie des cultes et la polydoxie des sectes assuraient des parcours existentiels différenciés. Une monodoxie impérieuse, à base de théologie et de règlements tatillons, s’est substituée à la science (épistémé) du sage, en contredisant Platon pour qui la doxa, l’opinion, était la source de l’erreur.

Désormais, il ne suffit pas de « croire », si tant est qu’une telle posture religieuse ait eu sa place dans le sacré dit « païen » : il faut montrer que l’on croit. Le paradigme de l’appartenance politico-sociale est complètement transformé. La terreur théologique n’a plus de limites.

Comme le montre Polymnia Athanassiadi, cet aspect déplaisant a été, avec d’autres, occulté par une certaine historiographie, d’origine anglo-saxonne.

Contre l’histoire politiquement correcte

La notion et l’expression d’« Antiquité tardive » ont été forgées principalement pour se dégager d’un outillage sémantique légué par les idéologies nationales et religieuses. Des Lumières au positivisme laïciste du XIXe siècle, la polémique concernait la question religieuse, le rapport avec la laïcité, le combat contre l’Église, le triomphe de la raison scientifique et technique. Le « récit » de la chute de l’Empire romain s’inspirait des grandes lignes tracées par Montesquieu et Gibbon, et mettait l’accent sur la décadence, sur la catastrophe pour la civilisation qu’avait provoquée la perte des richesses antiques. Le christianisme pouvait, de ce fait, paraître comme un facteur dissolvant. D’un autre côté, ses apologistes, comme Chateaubriand, tout en ne niant pas le caractère violent du conflit entre le paganisme et le christianisme, ont souligné la modernité de ce dernier, et par quelles valeurs humaines il remplaçait celles de l’ancien monde, devenu obsolète.

C’est surtout contre l’interprétation de Spengler que s’est élevée la nouvelle historiographie de la fin des années Soixante. Pour le savant allemand, les civilisations subissent une évolution biologique qui les porte de la naissance à la mort, en passant par la maturité et la vieillesse. On abandonna ce schéma cyclique pour adopter la conception linéaire du temps historique, tout en insistant sur l’absence de rupture, au profit de l’idée optimiste de mutation. L’influence de Fernand Braudel, théoricien de la longue durée historique et de l’asynchronie des changements, fut déterminante.

L’école anglo-saxonne s’illustra particulièrement. Le maître en fut d’abord Peter Brown avec son World of late Antiquity : from Marcus Aurelius to Muhammad (1971). Mme Athanassiadi n’est pas tendre avec ce savant. Elle insiste par exemple sur l’absence de structure de l’ouvrage, ce qui ne serait pas grave s’il ne s’agissait d’une étude à vocation scientifique, et sur le manque de rigueur des cent trente illustrations l’accompagnant, souvent sorties de leur contexte. Quoi qu’il en soit, le gourou de la nouvelle école tardo-antique étayait une vision optimiste de cette période, perçue comme un âge d’adaptation.

Il fut suivi. En 1997, Thomas Hägg, publia la revue Symbolae Osbenses, qui privilégie une approche irénique. On vide notamment le terme le terme xenos (« étranger ») de son contenu tragique « pour le rattacher au concept d’une terre nouvelle, la kainê ktisis, ailleurs intérieur rayonnant d’espoir ». Ce n’est pas un hasard si l’inspirateur de cette historiographique révisionniste est le savant italien Santo Mazzarino, l’un des forgerons de la notion de démocratisation de la culture.

La méthode consiste en l’occurrence à supprimer les oppositions comme celles entre l’élite et la masse, la haute et la basse culture. D’autre part, le « saint » devient l’emblème de la nouvelle société. En renonçant à l’existence mondaine, il accède à un statut surhumain, un guide, un sauveur, un intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, entre l’humain et le divin. Il est le symbole d’un monde qui parvient à se maîtrise, qui se délivre des entraves du passé.

police-pensée-2-214x300.jpgPolymnia Athanassiadi rappelle les influences qui ont pu marquer cette conception positive : elle a été élaborée durant une époque où la détente d’après-guerre devenait possible, où l’individualisme se répandait, avec l’hédonisme qui l’accompagne inévitablement, où le pacifisme devient, à la fin années soixante, la pensée obligée de l’élite. De ce fait, les conflits sont minimisés.

Un peu plus tard, en 1999, un tome collectif a vu le jour : Late Antiquity. A Guide to the postclassical World. Y ont contribué P. Brown et deux autres savants princetoniens : Glen Bowersock et Oleg Grabar, pour qui le véritable héritier de l’empire romain est Haroun al-Rachid. L’espace tardo-antique est porté jusqu’à la Chine, et on met l’accent sur vie quotidienne. Il n’y a plus de hiérarchie. Les dimensions religieuse, artistique politique, profane, l’écologique, la sexuelle, les femmes, le mariage, le divorce, la nudité – mais pas les eunuques, sont placées sur le même plan. La notion de crise est absente, aucune allusion aux intégrismes n’est faite, la pauvreté grandissante n’est pas évoquée, ni la violence endémique, bref, on a une « image d’une Antiquité tardive qui correspond à une vision politiquement correcte ».

La réaction a vu le jour en Italie. Cette même année 1999, Andrea Giardina, dans un article de la revue Studi Storici, « Esplosione di tardoantico », a contesté « la vision optimiste d’une Antiquité tardive longue et paisible, multiculturelle et pluridisciplinaire ». Il a expliqué cette perception déformée par plusieurs causes :

  • la rhétorique de la modernité,
  • l’impérialisme linguistique de l’anglais dans le monde contemporain (« club anglo-saxon »),
  • une approche méthodologique défectueuse (lecture hâtive).

Et, finalement, il conseille de réorienter vers l’étude des institutions administratives et des structures socio-économiques.

Dans la même optique, tout en dénonçant le relativisme de l’école anglo-saxonne, Wolf Liebeschuetz, (Decline and Full of the Roman City, 2001 et 2005), analyse le passage de la cité-État à l’État universel. Il insiste sur la notion de déclin, sur la disparition du genre de vie avec institutions administratives et culturelles légués par génie hellénistique, et il s’interroge sur la continuité entre la Cité romaine et ses successeurs (Islam et Europe occidentale). Quant à Bryan Ward-Perkins, The fall of Rome and the End of Civilization, il souligne la violence des invasions barbares, s’attarde sur le trauma de la dissolution de l’Empire. Pour lui, le déclin est le résultat de la chute.

On voit que l’érudition peut cacher des questions hautement polémiques et singulièrement contemporaines.

Polymnia Athanassiadi prend parti, parfois avec un mordant plaisant, mais nul n’hésitera à se rendre compte combien les caractéristiques qui ont marqué l’Antiquité tardive concernent de façon extraordinaire notre propre monde. Polymnia Athanassiadi rappelle, en s’attardant sur la dimension politico-juridique, quelles ont été les circonstances de la victoire de la « pensée unique » (expression ô combien contemporaine !). Mais avant tout, quelle a été la force du christianisme ?

La révolution culturelle chrétienne

Le christianisme avait plusieurs atouts à sa disposition, dont certains complètement inédits dans la société païenne.

D’abord, il hérite d’une société où la violence est devenue banale, du fait de la centralisation politicoadministrative, et de ce qu’on peut nommer la culture de l’amphithéâtre.

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Dès le IIe siècle, en Anatolie, le martyr apparaît comme la « couronne rouge » de la sainteté octroyée par le sens donné. Les amateurs sont mus par une vertu grecque, la philotimia, l’« amour de l’honneur ». C’est le seul point commun avec l’hellénisme, car rien ne répugne plus aux esprits de l’époque que de mourir pour des convictions religieuses, dans la mesure où toutes sont acceptées comme telles. Aussi bien cette posture est-elle peu comprise, et même méprisée. L’excès rhétorique par lequel l’Église en fait la promotion en souligne la théâtralité. Marc Aurèle y voit de la déraison, et l’indice d’une opposition répréhensible à la société. Et, pour une société qui recherche la joie de vivre, cette pulsion de mort paraît bien suspecte.

Retenons donc cette aisance dans l’art de la propagande – comme chacun sait, le nombre de martyrs n’a pas été si élevé qu’on l’a prétendu – et cette attirance morbide qui peut aller jusqu’au fond des cœurs. Le culte des morts et l’adoration des reliques sont en vogue dès le IIIe siècle.

Le leitmotiv de la résurrection des corps et du jugement dernier est encore une manière d’habituer à l’idée de la mort. Le scepticisme régnant avant IIIe siècle va laisser place à une certitude que l’on trouve par exemple chez Tertullien, pour qui l’absurde est l’indice même de la vérité (De carne christi, 5).

L’irrationalisme, dont le christianisme n’est pas seul porteur, encouragé par les religions orientales, s’empare donc des esprits, et rend toute manifestation surnaturelle plausible. Il faut ajouter la croyance aux démons, partagée par tous.

Mais c’est surtout dans l’offensive, dans l’agression, que l’Église va se trouver particulièrement redoutable. En effet, de victimes, les chrétiens, après l’Édit de Milan, en 313, vont devenir des agents de persécution. Des temples et des synagogues seront détruits, des livres brûlés.

Peut-être l’attitude qui tranche le plus avec le comportement des Anciens est-il le prosélytisme, la volonté non seulement de convertir chaque individu, mais aussi l’ensemble de la société, de façon à modeler une communauté soudée dans une unicité de conviction. Certes, les écoles philosophiques cherchaient à persuader. Mais, outre que leur zèle n’allait pas jusqu’à harceler le monde, elles représentaient des sortes d’options existentielles dans le grand marché du bonheur, dont la vocation n’était pas de conquérir le pouvoir sur les esprits. Plotin, l’un des derniers champions du rationalisme hellène, s’est élevé violemment contre cette pratique visant à arraisonner les personnes. On vivait alors de plus en plus dans la peur, dans la terreur de ne pas être sauvé. L’art de dramatiser l’enjeu, de le charger de toute la subjectivité de l’angoisse et du bon choix à faire, a rendu le christianisme particulièrement efficace. Comme le fait remarquer Mme Athanassiadi, la grande césure du moi, n’est plus entre le corps et l’âme, mais entre le moi pécheur et le moi sauvé. Le croyant est sollicité, sommé de s’engager, déchiré d’abord, avant Constantin, entre l’État et l’Église, puis de façon permanente entre la vie temporelle et la vie éternelle.

Cette tension sera attisée par la multitude d’hérésie et par les conflits doctrinaux, extrêmement violents. Les schismes entraînent excommunications, persécutions, batailles physiques. Des polémiques métaphysiques absconses toucheront les plus basses couches de la société, comme le décrit Grégoire de Nysse dans une page célèbre très amusante. Les Conciles, notamment ceux de Nicée et de Chalcédoine, seront des prétextes à l’expression la plus hyperbolique du chantage, des pressions de toutes sortes, d’agressivité et de brutalité. Tout cela, Ramsay MacMullen le décrit fort bien dans son excellent livre, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle.

Mais c’est surtout l’arme de l’État qui va précipiter la victoire finale contre l’ancien monde. Après Constantin, et surtout avec Théodose et ses successeurs, les conversions forcées vont être la règle. À propos de Justinien, Procope écrit : « Dans son zèle pour réunir l’humanité entière dans une même foi quant au Christ, il faisait périr tout dissident de manière insensée » (in 118). Des lois discriminatoires seront décrétées. Même le passé est éradiqué. On efface la mémoire, on sélectionne les ouvrages, l’index des œuvres interdites est publié, Basile de Césarée (vers 360) établit une liste d’auteurs acceptables, on jette même l’anathème sur les hérétiques de l’avenir !

Construction d’une pensée unique

L’interrogation de Polemnia Athanassiadi est celle-ci : comment est-on passé de la polydoxie propre à l’univers hellénistique, à la monodoxie ? Comment un monde à l’échelle humaine est-il devenu un monde voué à la gloire d’un Dieu unique ?

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Son fil conducteur est la notion d’intolérance. Mot piégé par excellence, et qui draine pas mal de malentendus. Il n’a rien de commun par exemple avec l’acception commune qui s’impose maintenant, et dont le fondement est cette indifférence profonde pour tout ce qui est un peu grave et profond, voire cette insipide légèreté contemporaine qui fuit les tragiques conséquences de la politique ou de la foi religieuse. Serait intolérant au fond celui qui prendrait au sérieux, avec tous les refus impliqués, une option spirituelle ou existentielle, à l’exclusion d’une autre. Rien de plus conformiste que la démocratie de masse ! Dans le domaine religieux, le paganisme était très généreux, et accueillait sans hésiter toutes les divinités qu’il lui semblait utile de reconnaître, et même davantage, dans l’ignorance où l’on était du degré de cette « utilité » et de la multiplicité des dieux. C’est pourquoi, à Rome, on rendait un culte au dieu inconnu. Les païens n’ont jamais compris ce que pouvait être un dieu « jaloux », et tout autant leur théologie que leur anthropologie les en empêchaient. En revanche, l’attitude, le comportement, le mode de vie impliquaient une adhésion ostentatoire à la communauté. Les cultes relevaient de la vie familiale, associative, ou des convictions individuelles : chacun optait pour un ou des dieux qui lui convenaient pour des raisons diverses. Pourtant les cultes publics concernant les divinités poliades ou l’empereur étaient des actes, certes, de piété, mais ne mettant en scène souvent que des magistrats ou des citoyens choisis. Ils étaient surtout des marques de patriotisme. À ce titre, ne pas y participer lorsqu’on était requis de le faire pouvait être considéré comme un signe d’incivisme, de mauvaise volonté, voire de révolte. En grec, il n’existe aucun terme pour désigner notion de tolérance religieuse. En latin, l’intolérance : intolerentia, est cette « impatience », « insolence », « impudence » que provoque la présence face à un corps étranger. Ce peut être le cas pour les païens face à ce groupe chrétien étrange, énigmatique, considéré comme répugnant, ou l’inverse, pour des chrétiens qui voient le paganisme comme l’expression d’un univers démoniaque. Toutefois, ce qui relevait des pratiques va s’instiller jusqu’au fond des cœurs, et va s’imprégner de toute la puissance subjective des convictions intimes. En effet, il serait faux de prétendre que les païens fussent ignorants de ce qu’une religion peut présenter d’intériorité. On ne s’en faisait pas gloire, contrairement au christianisme, qui exigeait une profession de foi, c’est-à-dire un témoignage motivé, authentique et sincère de son amour pour le dieu unique. Par voie de conséquence, l’absence de conviction dûment prouvée, du moins exhibée, était rédhibitoire pour les chrétiens. On ne se contentait pas de remplir son devoir particulier, mais on voulait que chacun fût sur la droite voie de la « vérité ». Le processus de diabolisation de l’autre fut donc enclenché par les progrès de la subjectivisation du lien religieux, intensifiée par la « persécution ». Au lieu d’un univers pluriel, on en eut un, uniformisé bien que profondément dualiste. La haine fut érigée en vertu théologique.

Comment l’avait décrit Pollymnia Athanassiadi dans son étude de 2006 sur l’orthodoxie à cette période, la première tâche fut de fixer le canon, et, par voie de conséquence d’identifier ceux qui s’en écartaient, à savoir les hérétiques. Cette classification s’élabora au fil du temps, d’Eusèbe de Césarée, qui procéda à une réécriture de l’Histoire en la christianisant, jusqu’à Jean Damas, en passant par l’anonyme Eulochos, puis Épiphane de Salamine.

Néanmoins, l’originalité de l’étude de 2010 consacrée à l’évolution de la société tardo-antique vers la « pensée unique » provient de la mise en parallèle de la politique religieuse menée par l’empire à partir du IIIe siècle avec celle qui prévalut à partir de Constantin. Mme Athanassiadi souligne l’antériorité de l’empire « païen » dans l’installation d’une théocratie, d’une religion d’État. En fait, selon elle, il existe une logique historique liant Dèce, Aurélien, Constantin, Constance, Julien, puis Théodose et Justinien.

L’édit de Dèce, en 250, est motivé par une crise qui faillit anéantir l’Empire. La pax deorum semblait nécessaire pour restaurer l’État. Aussi fut-il décrété que tous les citoyens (dont le nombre fut élargi à l’ensemble des hommes libres en 212 par Caracalla), sauf les Juifs, devaient offrir un sacrifice aux dieux, afin de rétablir l’unité de foi, le consensus omnium.

Deux autres persécutions eurent lieu, dont les plus notoires furent celles en 257 de Valérien, en 303 de Dioclétien, et en 312, en Orient, de Maximin. Entre temps, Aurélien (270 – 275) conçut une sorte de pyramide théocratique, à base polythéiste, dont le sommet était occupé par la divinité solaire.

Julien.jpgNotons que Julien, le restaurateur du paganisme d’État, est mis sur le même plan que Constantin et que ses successeurs chrétien. En voulant créer une « Église païenne », en se mêlant de théologie, en édictant des règles de piété et de moralité, en excluant épicuriens, sceptiques et cyniques, il a consolidé la cohérence théologico-autoritaire de l’Empire. Il assumait de ce fait la charge sacrale dont l’empereur était dépositaire, singulièrement la dynastie dont il était l’héritier et le continuateur. Il avait conscience d’appartenir à une famille, fondée par Claude le Gothique (268 – 270), selon lui dépositaire d’une mission de jonction entre l’ici-bas et le divin.

Néanmoins, Constantin, en 313, lorsqu’il proclama l’Édit de Milan, ne saisit probablement pas « toute la logique exclusiviste du christianisme ». Était-il en mesure de choisir ? Selon une approximation quantitative, les chrétiens étaient loin de constituer la majorité de la population. Cependant, ils présentaient des atouts non négligeables pour un État soucieux de resserrer son emprise sur la société. D’abord, son organisation ecclésiale plaquait sa logique administrative sur celle de l’empire. Elle avait un caractère universel, centralisé. De façon pragmatique, Constantin s’en servit pour tenter de mettre fin aux dissensions internes génératrices de guerre civile, notamment en comblant de privilèges la hiérarchie ecclésiastique. Un autre instrument fut utilisé par lui, en 325, à l’occasion du concile de Nicée. En ayant le dernier mot théologique, il manifesta la subordination de la religion à la politique.

Mais ce fut Théodose qui lança l’orthodoxie « comme concept et programme politique ». Constantin avait essayé de maintenir un équilibre, certes parfois de mauvaise foi, entre l’ancienne religion et la nouvelle. Pour Théodose, désormais, tout ce qui s’oppose à la foi catholique (la vera religio), hérésie, paganisme, judaïsme, est présumé superstitio, et, de ce fait, condamné. L’appareil d’État est doublé par les évêques (« surveillants » !), la répression s’accroît. À partir de ce moment, toute critique religieuse devient crime de lèse-majesté.

Quant au code justinien, il défend toute discussion relative au dogme, mettant fin à la tradition discursive de la tradition hellénique. On élabore des dossiers de citations à l’occasion de joutes théologiques (Cyrille d’Alexandrie, Théodoret de Cyr, Léon de Rome, Sévère d’Antioche), des chaînes d’arguments (catenae) qui interdisent toute improvisation, mais qui sont sortis de leur contexte, déformés, et, en pratique, se réduisent à de la propagande qu’on assène à l’adversaire comme des coups de massue.

La culture devient une, l’élite partage des références communes avec le peuple. Non seulement celui-ci s’entiche de métaphysique abstruse, mais les hautes classes se passionnent pour les florilèges, les vies de saints et les rumeurs les plus irrationnelles. L’humilité devant le dogme est la seule attitude intellectuelle possible.

Rares sont ceux, comme Procope de Césarée, comme les tenants de l’apophatisme (Damascius, Pseudo-Denys, Évagre le Pontique, Psellus, Pléthon), ou comme les ascètes, les ermites, et les mystiques en marge, capables de résister à la pression du groupe et de l’État.

Mise en perspective

Il faudrait sans doute nuancer l’analogie, la solution de continuité, entre l’entreprise politico-religieuse d’encadrement de la société engagée par l’État païen et celle conduite par l’État chrétien. Non que, dans les grandes lignes, ils ne soient le produit de la refonte de l’« établissement » humain initiée dès le déplacement axiologique engendré par l’émergence de l’État universel, période étudiée, à la suite de Karl Jaspers, par Marcel Gauchet, dans son ouvrage, Le désenchantement du monde. Le caractère radical de l’arraisonnement de la société par l’État, sa mobilisation permanente en même temps que la mise à contribution des forces transcendantes, étaient certes contenus dans le sens pris par l’Histoire, mais il est certain que la spécificité du christianisme, issu d’une religion née dans les interstices de l’Occident et de l’Orient, vouée à une intériorisation et à une subjectivité exacerbées, dominée par un Dieu tout puissant, infini, dont la manifestation, incarnée bureaucratiquement par un organisme omniprésent, missionnaire, agressif et aguerri, avait une dimension historique, son individualisme et son pathos déséquilibré, la béance entre le très-haut et l’ici-bas, dans laquelle pouvait s’engouffrer toutes les potentialités humaines, dont les pires, était la forme adéquate pour que s’installât un appareil particulièrement soucieux de solliciter de près les corps et les âmes dans une logique totalitaire. La question de savoir si un empire plus équilibré eût été possible, par exemple sous une forme néoplatonicienne, n’est pas vaine, en regard des empires orientaux, qui trouvèrent un équilibre, un compromis entre les réquisits religieux, et l’expression politique légitime, entre la transcendance et l’immanence. Le néoplatonisme, trop intellectuel, trop ouvert à la recherche, finalement trop aristocratique, était démuni contre la fureur plébéienne du christianisme. L’intolérance due à l’exclusivisme dogmatique ne pouvait qu’engager l’Occident dans la voie des passions idéologiques, et dans une dynamique conflictuelle qui aboutirait à un monde moderne pourvu d’une puissance destructrice inédite.

Il faudra sans doute revenir sur ces questions. Toutefois, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que nous sommes devenus. De plus en plus, on s’aperçoit que, loin d’être les fils de l’Athènes du Ve siècle avant le Christ, ou de la République romaine, voire de l’Empire augustéen, nous sommes dépendants en droite ligne de cette Antiquité tardive, qui nous inocula un poison dont nous ne cessons de mourir. L’Occident se doit de plonger dans son cœur, dans son âme, pour extirper ces habitus, ces réflexes si ancrés qu’ils semblent devenus naturels, et qui l’ont conduit à cette expansion mortifère qui mine la planète. Peut-être retrouverons-nous la véritable piété, la réconciliation avec le monde et avec nousmêmes, quand nous aurons extirpé de notre être la folie, la « mania », d’exhiber la vérité, de jeter des anathèmes, de diaboliser ce qui nous est différent, de vouloir convertir, persuader ou contraindre, d’universaliser nos croyances, d’unifier les certitudes, de militariser la pensée, de réviser l’histoire, d’enrégimenter les opinions par des lois, d’imposer à tous une « pensée unique ».

Claude Bourrinet

 

Le fascisme selon le conservatisme

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Le fascisme selon le conservatisme

par Georges FELTIN-TRACOL

2019 a marqué les cent ans d’un mouvement qui a révolutionné le monde : le fascisme. Spécialiste de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, Frédéric Le Moal s’intéresse aussi à l’histoire contemporaine de la péninsule italienne. Ainsi cet italophone a-t-il rédigé une biographie de Victor-Emmanuel III en 2015 et fait paraître un ouvrage récent défendant l’action du pape Pie XII. Il a auparavant travaillé sur le régime politique italien entre 1922 et 1943, voire 1945.

L’auteur reconnaît volontiers que le fascisme qui, au contraire du maxisme-léninisme et du national-socialisme, n’a jamais eu de doctrine définitivement fixée, car constitué de divers courants parfois rivaux dont se joue et se sert Benito Mussolini. N’hésitant pas à puiser dans les travaux de Jean de Viguerie, de Xavier Martin et de François Huguenin, Frédéric Le Moal estime que le fascisme provient de la gauche, en particulier de l’extrême gauche.

De gauche à droite…

S’inscrivant dans une historiographie de droite conservatrice libérale catholique, l’auteur le considère en effet comme un « mouvement révolutionnaire aux racines jacobines, risorgimentales [liées au Risorgimento du XIXe siècle] et garibaldiennes, socialiste et nationaliste, ennemi implacable du libéralisme et de l’esprit bourgeois, et qui se voulut religion civile de substitution au christianisme (p. 373) ». Il le démontre d’abord avec les Faisceaux de combat fondés à Milan au programme bolchévico-rousseauiste adopté à San Sepolcro, ensuite sous la République sociale italienne (1943 – 1945) avec le Manifeste de Vérone et la ferme volonté de socialiser les moyens de production industrielle. Cette orientation socialisante revendiquée « convainquit nombre d’antifascistes de gauche à rejoindre les rangs de la RSI, comme l’ancien compagnon de jeunesse de Mussolini Pulvio Zocchi, le philosophe Edmondo Cione ou le journaliste Carlo Silvestri. […] On retrouva aussi à Salò Nicola Bombacci, l’un des fondateurs… du PCI ! (p. 351) ». Entre-temps, durant le Ventennio, le Duce dut composer avec des institutions conservatrices (le roi, l’armée, le grand patronat, l’Église), ce qui donna au régime du licteur une enveloppe réactionnaire, voire contre-révolutionnaire…

61P7DMYjyGL.jpgLa thèse n’est pas nouvelle. En 1984, le Club de l’Horloge sortait chez Albin Michel Socialisme et fascisme : une même famille ?. Ne connaissant pas ce livre, Frédéric Le Moal arrive néanmoins aux mêmes conclusions. Il se cantonne toutefois à la seule Italie en oubliant ses interactions européennes, voire extra-européennes (le péronisme en Argentine). Il circonscrit le fascisme en phénomène italien spécifique. Certes, il mentionne l’influence d’Oswald Spengler sur Mussolini, mais il en oublie le contexte international, à savoir l’existence protéiforme d’une révolution conservatrice non-conformiste. En outre, l’auteur ne souscrit pas à la thèse de Zeev Sternhell pour qui le fascisme italien a eu une matrice française.

Un héritage français contesté

Oui, le fascisme naît au lendemain d’un conflit terrible dans un État récent et inachevé paralysé par une césure Nord – Sud croissante et une classe politique incompétente. L’apport français n’en demeure pas moins essentiel avec l’apport déterminant de Georges Sorel et, plus secondaire, de Charles Maurras. Au risque de l’anachronisme, le boulangisme nancéen du jeune Maurice Barrès relève d’un « proto-fascisme » bien trop vite interrompu. Surgi du socialisme du début du XXe siècle qui ne se confondait pas encore avec la gauche (voir les recherches de Marc Crapez sur ce point dans deux études fondamentales, La gauche réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race en 1996 et Naissance de la gauche en 1998) et qui s’opposait au projet de la droite contre-révolutionnaire, le fascisme est avant tout un volontarisme, un détournement de la Modernité vers une véritable troisième voie anti-libérale et anti-communiste.

Nonobstant ces quelques critiques, Histoire du fascisme de Frédéric Le Moal n’en reste pas moins un ouvrage majeur qu’il importe de lire afin de mieux comprendre une pensée politique plus que jamais vilipendée, trois quarts de siècle plus tard, par de doctes ignards. Malgré les embûches et les circonstances souvent défavorables, l’idéal squadriste de la chemise noire brûle toujours dans l’âme et le cœur des derniers hommes avides de verticalité ontologique radicale.

Georges Feltin-Tracol

• Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Perrin, 2018, 425 p., 23 €.

jeudi, 16 janvier 2020

La République, Temple de la Matière

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La République, Temple de la Matière

par Antonin Campana

Ex: https://www.autochtonisme. com

 

Dans l’imaginaire républicain, un « Etat de droit » est un Etat soumis à un droit supérieur à lui-même, qu’il ne peut violer (naturellement, la République prétend être un « Etat de droit »).

Le droit dont il est question ici est le « droit naturel », tel qu’exposé par exemple dans la déclaration des droits de l’homme, déclaration placée au sommet de la hiérarchie des normes par le régime. Le concept de droit naturel s’appuie sur la conviction que les hommes ont par nature des droits et que ces droits accordés aux hommes par la Nature sont inviolables.

Dans un autre article, nous avions fait remarquer que la nature ne donnait pas plus de droits aux  hommes qu’aux blattes ou aux vers de terre. Penser le contraire relève sans doute d’une superstition animiste quand ce n’est pas de l’outrecuidance et d’un anthropocentrisme méprisant. Nous observions d’autre part que les hommes n’ont jamais connu cet « état de nature » propice à l’exercice de leurs hypothétiques droits naturels, puisqu’ils ont toujours vécu en société. De fait, c’est la société, et non la nature, qui de tous temps concède des droits aux individus, en fonction notamment de ses rapports de forces internes. C’est pourquoi le droit varie avec le temps et d’une société à l’autre. C’est également pourquoi il n’existe pas de droit universel (bien que l’objectif du mondialisme soit d’en imposer un).

Le « droit naturel » relève donc d’une croyance. Ce qui caractérise cette croyance est son absurdité délirante. On peut croire en l’existence de Dieu car personne n’a jamais prouvé qu’il n’existe pas. Soit. Mais croire que la Matière a engendré une nature humaine et que dans sa bonté cette Matière a doté cette nature en particulier de droits spécifiques relève de la confusion mentale !

La doctrine du droit naturel pourrait prêter à sourire si, en 1789, de fervents croyants ne s’étaient imaginés pouvoir construire un système politique sur la base de ce droit imaginaire. Si les droits naturels sont possédés en commun par tous les hommes, se sont-ils dits, alors un système politique traduisant ces droits (les « droits de l’Homme ») et ne les contredisant jamais, pourrait être acceptable par tous les hommes. Ce système politique, la République, serait d’application universelle, c’est-à-dire planétaire, et permettrait alors le « vivre tous ensemble ». C’est ainsi que la foi en la Matière a transformé l’abstraction philosophique sur les droits naturels en une réalité aussi concrète que dramatique : le Grand Remplacement !  

En fait, toute l’idéologie républicaine ainsi que tout l’agrégat humain faisant république, reposent sur une croyance qui sublime la Matière jusqu’à en faire l’avatar du Dieu de l’Ancien Testament ou du Coran. Comme le Dieu terrible de l’Ancien Testament ou du Coran, le Dieu-matière dicte ses commandements, impose sa Loi et détermine un Droit qui doit s’appliquer à tous les hommes, sans exceptions. Comme le Dieu terrible de l’Ancien Testament ou du Coran, le Dieu-matière décrit la juste organisation et le juste fonctionnement de la société. Comme le Dieu terrible de l’Ancien Testament ou du Coran, le Dieu-matière promet le châtiment aux sociétés qui bafoueraient son droit (celles qui ne seraient pas « ouvertes », « démocratiques », métissées, LGBTQ compatibles…). Comme le Dieu terrible de l’Ancien Testament ou du Coran, le Dieu-matière est un Dieu unique et jaloux : il n’existe rien en dehors de la Matière.  

Tout cela fait que la République est à la fois une Eglise et un système politique théocratique. Les droits de l’homme sont moins une religion qu’un credo. La vraie religion, le culte qui est vraiment célébré ici, est celui de la Matière : c’est Elle, la Nature, qui dispense le Droit. Mais la Matière dont il est question, jusqu’à l’Homme lui-même, est vide de toute âme. Elle ne contient aucun principe spirituel. Et c’est justement en raison du divin qui ne s’y trouve pas que la Matière est divinisée en même temps que désacralisée. Pour les croyants, même un homme n’est qu’un agencement de cellule, ou un poids d’os et de chairs. C’est pourquoi on peut le façonner, le modifier, l’augmenter ou le diminuer, l’aspirer quand il est dans le ventre de sa mère, l’effacer quand il est trop vieux. Paradoxalement, et comme le Dieu du Nouveau Testament, les tenants du nouveau culte croient que la Matière se donne en sacrifice pour nous sauver. Par le « Progrès », sorte de théologie qui permet de comprendre les propriétés de la Matière, les hommes accèdent aux lois qui régissent le cœur de celle-ci. Et ils se servent de cette compréhension pour détruire le Monde ! Le culte de la Matière est un culte de la destruction du monde. C’est un culte qui immole ce qui est objet d’adoration. Le culte de la Matière est un culte sacrificiel dont la victime est la Matière elle-même. C’est-à-dire nous.

La République est l’Eglise d’une religion sans spiritualité. Une nouveauté historique ! Cette religion froide a envahi l’ensemble du monde occidental. Celui-ci semble ne plus pouvoir se justifier autrement que par la Matière. Le Dieu d’autrefois a déserté jusqu’à l’Eglise de Rome et se cache désormais dans les derniers bastions de la Tradition ancestrale. L’athéisme, mot frauduleux qui cache souvent le ralliement au Dieu-matière, est aujourd’hui prépondérant. Bref, la Matière semble l’avoir emporté sur le spirituel. Mais que de crimes pour y parvenir ! Les martyrs se comptent par centaines de milliers, notamment aux temps révolutionnaires. Et que dire de la violence intellectuelle, légale, répressive, discriminatoire qui s’est s’exercée durant de longues décennies, et jusqu’à aujourd’hui ?

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Par la violence, cette nouvelle religion a imposé un type de société qui contient en elle-même le principe de sa propre destruction comme le culte de la Matière suppose à terme la destruction de la Matière. Si le Droit de la Matière implique en effet la société ouverte, alors la société ouverte implique la cohabitation avec l’islam, c’est-à-dire la confrontation ! 

La confrontation sera d’autant plus radicale que par certains aspects ces deux religions se ressemblent plus qu’elles ne diffèrent. Les deux religions se réfèrent à un droit fondamental qui demande une soumission totale sous peine de sanctions : la charia ou les droits de l’homme. Les deux religions affirment que ce droit n’a pas été posé par des hommes mais révélé par une transcendance : Dieu ou la Nature/Matière. Les deux religions affirment une forte dimension politique : elles organisent et règlent le fonctionnement de la société selon les lois qui leur ont été révélées. Les deux religions relèvent de l’universalité : elles doivent s’imposer bientôt à la terre entière. Les deux religions règlent les rapports des hommes entre eux : par la praxis chariatique ou par le progressisme sociétal. Les deux religions utilisent la violence et théorisent la « guerre juste » : au Bataclan ou en Syrie. Etc.

 Qui des deux l’emportera ? Pour l’emporter, les fidèles de la Matière devront  employer face à l’islam un niveau de violence terrible, qui suppose l’extermination de plusieurs centaines de milliers d’individus. La Matière, les Autochtones européens de France en savent quelque chose, ne l’emporte sur le spirituel qu’au prix de massacres sans nom. Mais aujourd’hui, la République, ce Temple de la Matière, est-elle en capacité d’exercer sur les musulmans la violence qu’elle exerçât autrefois sur les chrétiens ? Face aux Mohammed Merah qui foisonnent dans les Cités, où sont désormais les Robespierre, les Saint Just ou les Marat ? Je n’en vois plus beaucoup : le culte de la Matière aurait-il détruit les hommes de matière en même temps que la Révolution dévorait ses enfants ?

Antonin Campana 

 

Le conservatisme, une vision politique à reconquérir

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Le conservatisme, une vision politique à reconquérir

par Franck BULEUX

Préalablement à cette intervention, il est loisible d’affirmer que le conservatisme « à la française » est un terme « à la mode », ce qui peut lui donner un aspect positif au temps de la médiacratie (le fameux « quatrième pouvoir » permet d’avoir un certain nombre d’analyses sur ce courant de pensée); de plus, il est à la une de revues amies : la revue Éléments, « La nouvelle vague du conservatisme », et la revue L’Incorrect de décembre 2017, « 100 % conservateur » et surtout, Le dictionnaire du conservatisme est sorti aux Éditions du Cerf en septembre dernier [2017] avec plusieurs contributions d’intellectuels visant à la mise en place d’une école doctrinale conservatrice française.

Je n’ai nul besoin de vous rappeler que le début de la dernière campagne présidentielle avait fait du candidat François Fillon le candidat estampillé « conservateur », le postulant largement favori avant les déboires que l’on connaît. Et d’ailleurs, le candidat conservateur avait largement éliminé les candidats « sociaux-libéraux » (Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire) et bonapartiste (Nicolas Sarkozy) de LR (Les Républicains) lors des deux tours de la primaire de la droite et du centre. Depuis le CNIP (Centre national des indépendants et paysans) et La Droite, devenue DLC (Droite libérale chrétienne) de Charles Millon (dont l’épouse, la philosophe Chantal Delsol œuvre au renouveau du conservatisme, notamment dans le dictionnaire pré-cité), on n’avait pas évoqué – autant et à bon escient – la persistance, voire la perspective, d’un conservatisme national, comme voie alternative politique.

9782204123587-59fb496fddd78.jpgPourtant, la question du conservatisme est complexe car le terme, lui-même, renvoie à des phénomènes – et des réalités – politiques différents, du parti conservateur britannique (les Tories, au pouvoir au Royaume-Uni en alternance démocratique avec le Labour travailliste) au monolithique ancien Parti communiste soviétique (PCUS), dont les caciques étaient qualifiés de « conservateurs », sans doute en partie en raison de leur âge… Une seule chose est sûre, l’absence pérenne – ou presque (l’exception Fillon vaincue par le très progressiste hebdomadaire Le Canard enchaîné) – du terme dans le débat français, depuis la fin de la Révolution française au moins jusqu’à récemment (puisque l’on parle de néo-conservateurs que la gauche morale n’hésite pas, d’ailleurs, à qualifier de « néo-cons » – le discrédit sémantique est toujours au cœur des débats et fonctionne d’ailleurs, mais s’agissant de cette tendance, il s’agit, le plus souvent, de « libéraux américains » – donc, la gauche américaine issue des démocrates – défendant des thèses conservatrices liées à la défense de la nation : identités fédérées réaffirmées, rejet du « politically correct », rejet du fiscalisme…).

Quel est le point commun entre ces différents conservatismes ? Il s’agit d’une prise de conscience d’une menace sur des valeurs, des principes jugés essentiels : on peut probablement parler de conservatisme lors des succès en matière de mobilisation de La Manif pour tous, s’agissant de préserver un droit naturel objectif (droits de l’enfant au sein d’une famille établie) face à des exigences progressistes fondées sur des droits subjectifs (droit à l’enfant de tout individu). Le conservatisme peut aussi s’exprimer sur le terrain des institutions comme sur celui de la proximité : la gastronomie, la valeur touristique de la région, l’écologie terrienne, le respect de valeurs liées au sol… Le retour à la terre, voire le retour de la Terre, est une forme naturelle de conservatisme. Le récent vote corse, est selon moi, plus qu’un dégagisme (alors que des sortants sont réélus…), un vote conservateur lié à l’insularité du territoire et à ses conséquences sur les hommes et l’environnement. L’allégorie du jardin utilisée par Chantal Millon-Delsol dans le Dictionnaire du conservatisme est éclairante, évoquant le conservatisme comme une praxis s’opposant à toute doctrine dont l’objet serait de refaire le monde ex nihilo, forme sublime, et totalement abstraite, de l’expression totalitaire. Le retour aux racines s’oppose clairement aux formes de changement inspirées par les slogans de gauche qu’elle soit marxiste « Du passé, faisons table rase » (la tabula rasa marxiste) ou sociale-démocrate : « Le changement, c’est maintenant ! ». Seules l’intensité révolutionnaire et l’horizon utopique font naître la distinction initiale, bien connue et représentée par les bolcheviks et les mencheviks il y a cent ans. Le conservatisme pensé de cette manière est une forme de traditionalisme, c’est-à-dire la conservation des acquis, notamment issus de la Nature, que l’on soit, à titre personnel, déiste ou non. Le terme des « acquis sociaux » fort prisé des marcheurs de Bastille à Nation pourrait aussi être transformé en « acquis moraux » ou en « acquis culturels » ou « naturels ». Serait-ce choquant ou outrancier ? Poser la question, c’est y répondre. Le retour du conservatisme, c’est d’abord le retour aux fondamentaux.

Alors, si le conservatisme est une sauvegarde d’acquis préexistants, peut-on le considérer strictement comme réactionnaire ?

Si l’on considère que le mouvement conservateur est une réponse à un processus révolutionnaire estimé dangereux pour une collectivité et ses membres, il n’est qu’une réaction à une pensée progressiste extrémiste. Au pire, il s’oppose au fameux sacro-saint « cours de l’histoire » en s’arc-boutant sur un maintien de privilèges exprimé dans un statu quo ante, au mieux, il se refuse à une évolution qu’il estime négative, car dangereuse. Le terme « réaction » renvoie à un retour à un point connu, fixé, du passé; il conduit à une destruction. Une révolution peut être réactionnaire, si ses repères sont dans un passé lointain et révolu, un conservatisme peut éviter une réaction, s’il parvient à pérenniser ce qui est. Le conservateur se situe dans la survivance de ce qui est. Même si, dans la bouche des archéo-gauchistes, réactionnaires et conservateurs sont des synonymes, il est indispensable de dissocier les termes. Il n’est pas question d’un retour abstrait, mais de maîtriser un présent concret.

S’il n’est pas réactionnaire, le mouvement conservateur pourrait-il être révolutionnaire ? A priori, les deux termes semblent procéder d’un oxymore. Pourtant, le conservatisme ne peut pas être considéré comme un vulgaire immobilisme. Un corps social est intrinsèquement dynamique, comme la Nature, il vit, il s’adapte. Face au réactionnaire, le conservateur aménage, améliore, restaure le présent pour éviter le retour à un passé, souvent inconnu. Les Révolutionnaires français étaient le plus souvent excessivement réactionnaires, visant au retour d’un ordre ancien. Le conservateur se nourrit de l’expérience, de la praxis, il utilise le présent comme une substance organique permettant de créer de l’histoire, du devenir. On peut ainsi parler de « conservatisme en mouvement », mettant en place des formes nouvelles, elles-mêmes issus du vivant. Une société est un élément organique dont l’évolution procède de son propre état. Le mouvement conservateur, loin d’être figé, permet à la société de muter à partir d’elle-même et non pas d’une société sans passé.

Un mouvement conservateur, non réactionnaire, peut-il être libéral ?

Au sein des familles idéologiques de la droite (ou des droites), le débat, ici, est essentiel : le plus souvent, il est fait référence à des partis libéraux-conservateurs, c’est-à-dire économiquement libéraux et conservateurs en matière sociétale. Les partis de droite en Occident, du Japon à l’Allemagne, en passant par le Royaume-Uni et l’Espagne, sont souvent considérés comme libéraux et conservateurs. Et pourtant, cette liaison, cette fusion même n’est pas si évidente.

147823.1570500005.jpgEn effet, originellement, l’esprit conservateur est de nature collective : il vise à préserver un ordre naturel préexistant alors que le libéralisme post-révolutionnaire naît du développement des besoins exprimés individuellement. Le conservatisme ne nie pas la liberté mais se rattache davantage à la liberté concrète, plus qu’abstraite, à la liberté collective, plus qu’individuelle. Le triomphe de l’individualisme, état suprême du libéralisme, s’oppose au conservatisme des systèmes normatifs. C’est ici, à mon sens, que le renouveau du conservatisme prend tout son sens : le développement de l’individualisme a contribué à l’effacement des repères collectifs, identitaires, religieux ou culturels. La fin du bien commun a rendu la modernité, expression d’un libéralisme fondé sur l’individu, exécrable pour les « oubliés » du Système. L’extension des droits individuels comme le droit à l’enfant, exalté par les « progressistes », vient à exclure ce bien commun qu’est le droit de l’enfant à vivre au sein d’une famille. Alexandre Soljenitsyne dénonçait déjà, en 1978, dans Le déclin du courage, le matérialisme occidental issu de la société de consommation. Le déracinement, fruit de ce conservatisme anglo-saxon, a touché d’abord les classes populaires souvent qualifiées d’« oubliées » par nos chercheurs sociologues. La France des oubliés, c’est d’abord l’expression d’une société qui a fait de l’individualisme libéral son étalon, son exigence. Or, le conservatisme, forme d’enracinement, aurait pu, pourrait, peut encore venir tempérer ce système économique certes nécessaire mais qui doit constituer un des piliers d’une société tridimensionnelle et non le pilier central.

Le conservatisme, une vision politique à reconquérir.

Le conservatisme est une vision de proximité (le conservatisme n’est pas mondialiste); en effet, chaque territoire a un mode de vie à préserver, ce qui le distingue, là aussi, d’un certain libéralisme, à la vision trop universelle. Vision enracinée d’un territoire défini, le conservatisme produit sa propre essence, son propre progressisme. La vision du progrès n’a de sens que dans le cadre de l’évolution naturelle du vivant. L’homme transforme la Nature, il ne la nie pas. Nier la Nature serait une attitude réactionnaire, la transformer est adapter les besoins des populations à l’univers du possible.

Au-delà de cet enracinement indispensable, les conservateurs devront choisir entre le conservatisme libéral et le national-conservatisme, débat qui existe déjà entre les membres du groupe Conservateur et réformistes européens (70 élus, soit 10 % de l’ensemble des parlementaires et troisième groupe du Parlement en nombre de membres). De nombreux mouvements considérés comme « populistes » sont membres de ce groupe, notamment au Nord de notre Vieux Continent (Parti du progrès danois, les Vrais Finlandais, la Nouvelle Alliance flamande, Droit et justice polonais…).

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Pour en revenir à la France, tout le monde a conscience qu’il a manqué l’électorat populiste à François Fillon au premier tour et l’électorat conservateur à Marine Le Pen au second tour.

Le sujet ne porte pas, ici, sur le populisme. Je n’aborderai donc pas le caractère abstrait de cette expression utilisée aussi bien pour Donald Trump, Bernard Tapie en son temps, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen aujourd’hui. Mais, pour ce qui est du conservatisme, il s’agit bel et bien d’une voie à explorer à la condition de donner à ce mot une expression… révolutionnaire !

Franck Buleux

• D’abord mis en ligne sur EuroLibertés, le 28 janvier 2018.

mercredi, 15 janvier 2020

Les lacunes d’un dictionnaire

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Les lacunes d’un dictionnaire

par Georges FELTIN-TRACOL

Si les fêtes de Noël et du Jour de l’An sont maintenant passées, il est toujours temps de s’offrir Le dictionnaire des populismes sous la direction d’Olivier Dard, de Christophe Boutin et de Frédéric Rouvillois (Éditions du Cerf, 2019, 1213 p., 30 €). Sur la lancée du Dictionnaire du conservatisme paru deux ans auparavant chez le même éditeur, le trio directeur a une nouvelle fois sollicité 107 auteurs de douze nationalités afin de traiter d’un sujet épineux, polymorphe et difficilement définissable : le populisme. Il en découle 263 notices, soit une somme considérable le plus souvent appréciable.

En raison même de la diversité des contributions publiées, les points de vue se recoupent quand ils ne s’opposent pas. Ainsi le journaliste Frédéric Pons, auteur en 2014 d’un essai bienveillant sur Poutine, a-t-il une approche divergente par rapport à « Populisme dans la Russie post-communiste » de la soviétologue russophone néo-conservatrice Françoise Thom chez qui le mur de Berlin semble n’être jamais tombé… La constitutionnaliste à Rennes – I, Anne-Marie Le Pourhiet, bien connue pour sa défense acharnée de la souveraineté, habille pour l’hiver Stéphane Rials et Denis Alland, « deux juristes français qui voyaient dans le Traité constitutionnel européen “ un versant de l’intelligence autorisant le dépassement des vues étriquées héritées des anciennes doctrines ” (pp. 1011 – 1012) ».

La notice de Yannis Constantinides sur « Internet et réseaux sociaux » ne dépareillerait pas dans Le Monde ou Libération. Regrettons par ailleurs que seul soit évoqué le cinéma dit « populiste » français. Pourquoi le film de Franck Capra de 1939, Mr. Smith au Sénat, n’est-il pas mentionné alors qu’il reflète l’idéal d’une partie du populisme étatsunien, c’est-à-dire un gars simple, travailleur, franc et honnête qui se retrouve du jour au lendemain plongé bien malgré lui dans le marigot politicien de Washington ? Cette omission serait vénielle si l’ouvrage ne comportait pas d’autres lacunes patentes.

Benito Mussolini fait l’objet d’une notice et pas Adolf Hitler… Si on trouve de bons textes sur le péronisme et Eva Peron (1919 – 1952), son fondateur et époux, Juan Domingo Peron (1895 – 1974), est absent ! Les analyses sur la chasse et la ruralité sont brillantes au bémol près qu’il manque des notices spécifiquement dédiées à ce mouvement populiste éco-rural original que fut CPNT (Chasse, Pêche, Nature et Traditions) d’André Goustat, auteur de La parole aux terroirs (1994), et de Jean Saint-Josse dont la liste en 1999 obtint avec 6,77 % des voix six sièges au Parlement européen. Certains manques sont criants : la philosophe Chantal Mouffe, théoricienne du « populisme de gauche » ou bien l’auteur de La cause du peuple, la bible du « populisme chrétien », Patrick Buisson.

Pis, ce dictionnaire délaisse volontiers de grandes figures populistes : Getulio Vargas, chef du Brésil de 1930 à 1945 et de 1951 à 1954, le Péruvien Juan Velasco Alvarado dont l’action sociale influença durablement le jeune Hugo Chavez, l’homme politique gaulliste et ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua (1927 – 2015) dont le père était bonapartiste. Sa tentative en 1990 avec Philippe Séguin d’évincer l’aile libérale et pro-européenne du RPR chiraquien, puis sa campagne du non à Maastricht en 1992 s’inscrivaient dans une indéniable lignée populiste.

Hormis une mention bien superficielle dans « Néocommunisme », le Bélarus et son excellent président, Alexandre Loukachenko, sont à peine évoqués. Précurseur visionnaire, le président bélarussien a dès 1994 montré une efficace direction anti-libérale. En outre, par sa personnalité charismatique et la pratique politique en cours à Minsk, le chef d’État bélarussien correspond à tous les critères du populisme. Il en est le paradigme.

Quant à la notice sur la Pologne de l’universitaire et député européen du PiS, Riszard Legutko, elle représente un chef d’œuvre d’omissions volontaires. L’auteur ne s’intéresse pas au second tour très populiste de la première présidentielle en 1990 entre Lech Walesa et le libertarien Stanislas Tyminski. Il n’explique pas non plus que la Pologne connaît fréquemment des poussées populistes de gauche avec le Mouvement Palikot de Janusz Palikot, du centre (Printemps – Wiosna de Robert Biedron) et de droite comme Kukiz’15 du chanteur de rock Pawel Kukiz ou, plus anciennement, la Ligue des familles polonaises. Legutko n’aborde même pas le mouvement populiste polonais par excellence, Samoobrona (Autodéfense de la République de Pologne) d’Andrzej Lepper, syndicaliste et un temps vice-président du Conseil en coalition avec le PiS malgré des positions plus laïques, anti-atlantistes et pro-russes. Son suicide en 2011 ne serait-il pas une manœuvre diabolique des jumeaux Kaczynski ?

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Loin d’être négligeables, ces oublis inexplicables déséquilibrent l’ensemble. Ce Dictionnaire des populismes aurait mérité plus de temps et de collaborateurs supplémentaires. Le populisme ne se développe-t-il pas non plus en Inde du chef du gouvernement fédéral triomphalement réélu Narendra Modi ou en Thaïlande des Premiers ministres en exil Shinawatra (Thaksin et sa sœur Yingluck) ?

Ces quelques critiques ne doivent pourtant pas dérouter le curieux. L’heureux acquéreur saura satisfaire son intérêt pour un style politique plus que jamais d’actualité.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 154, mise en ligne sur TV Libertés, le 6 janvier 2020.

lundi, 13 janvier 2020

Del Estado Neoliberal al Estado de Justicia

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Del Estado Neoliberal al Estado de Justicia

"En el Estado de Justicia la vocación de formar comunidad es fundamental. No se pueden construir vínculos sociales estables con individuos egoístas y materialistas" afirma el autor.

 

“No vamos a salir de esta crisis sólo con planes macroeconómicos o ajustando el déficit fiscal. Esto es más profundo, en lo ético, en lo moral, en los subsuelos en donde se edifica la sociedad visible de nuestro tiempo. Tenemos que buscar la salida y resolver cómo concretamos la Comunidad Organizada”.

Antonio Cafiero

La Globalización Neoliberal

“No puede haber organización económica mundial con el inmenso poderío de unas pocas naciones por un lado y el resto del orbe empobrecido por el otro”.

Antonio Cafiero

La noción de Globalización Neoliberal fue formulada y difundida por las Naciones occidentales anglosajonas. Sus impulsores postulan que explica una inevitable mundialización y que describe un proceso natural del desenvolvimiento de las relaciones internacionales. En realidad, no es la única y necesaria forma de organizar el sistema mundial, sino que representa y que beneficia a los intereses de un grupo reducido de Estados y de corporaciones.

La Globalización Neoliberal impone y justifica la división internacional del subdesarrollo. Su vocación de universalidad la hace totalitaria y sus detractores niegan el derecho a la autodeterminación nacional de los pueblos y de los países del mundo. En su sistema de pensamiento binario existe la libertad de ser neoliberal, pero está suprimida la posibilidad de no serlo.

La Globalización Neoliberal edifica y justifica el caos político en el mundo contemporáneo, que está caracterizado por cinco aspectos:

– Primero: por la existencia de pocas Naciones ricas y de una mayoría de países pobres y subdesarrollados.

– Segundo: hay Naciones soberanas que deciden y que planifican sus proyectos de desarrollo y otras que acatan los mandatos externos.

– Tercero: por el desenvolvimiento de un sistema económico internacional que privatiza ganancias en unos pocos bancos y empresas financieras radicadas en los países centrales; y que en paralelo socializa las pérdidas sobre el conjunto de los pueblos del mundo.

– Cuarto: por la existencia de países que exportan alimentos y que en paralelo y paradójicamente, producen millones de hambrientos. Hay Estados que acumulan deuda externa y al mismo tiempo acrecientan la deuda social. En la división internacional del subdesarrollo los países débiles entregan a las Potencias anglosajonas sus mercados, sus recursos naturales y su soberanía.

– Quinto: por la conformación de un orden político que genera profundas divisiones dentro de cada Nación. El neoliberalismo divide las áreas geográficas entre zonas desarrolladas integradas al consumo capitalista y periferias pobres de descarte social. Políticamente, separa a la elite que decide de la masa que a lo sumo delibera, pero que nunca gobierna. En el terreno social, la Globalización Neoliberal divide a los habitantes de la Nación en tres grandes sectores que son los excluidos, los explotados y los integrados al sistema.

Fundamentos ideológicos de la Globalización Neoliberal

“El neoliberalismo, si bien minoritario como corriente política, trata de instalar –con el auspicio de los poderosos- una cultura hegemónica y se presenta como la ubica alternativa racional al progreso. Sus aires mesiánicos evocan los del marxismo en el siglo pasado. Está tratando de imponer sus creencias, valores, paradigmas al peronismo: se afirma en las supuestas virtudes del mercado máximo y del Estado mínimo y se despreocupa de la autonomía nacional, la igualdad, la equidad y la solidaridad”.

Antonio Cafiero

La Globalización Neoliberal se sostiene en base a una ideología que es asimilada y aceptada por un sector importante de la sociedad. Principalmente, adquiere consenso entre las clases altas y los sectores medios. Los pilares ideológicos en los que se apoyan son los siguientes:

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– El materialismo: las personas se reúnen sobre principios económicos y se integran y se relacionan a partir del mercado con la única finalidad de acumular bienes.

– El individualismo: se niegan los valores de comunidad y se desestima que la cultura nacional pueda edificar un principio de solidaridad social y una unidad de destino.

– La sociedad estratificada: se profundizan las diferencias sociales y se conforman clases antagónicas. Los neoliberales proponen un Estado de clase y le otorgan el poder político al sector económicamente dominante.

– La inmoralidad: se considera a los pueblos como una variable de mercado y se desconoce a la persona humana integral. Es por eso, que proponen la explotación y el descarte social como un supuesto medio para atraer inversiones. No tienen moral y con el objetivo de acumular riquezas están dispuestos a romper todos los códigos culturales e históricos y se comportan más allá del bien y del mal.

– El cosmopolitismo económico: no creen en la capacidad del productor y del trabajador nacional para construir y comandar un programa económico. Le otorgan al capital extranjero el manejo de los principales resortes de la producción y éste actor deja de ser un aliado para conformarse como el centro del proyecto de desarrollo.

– La ideología agroexportadora: proponen orientar toda la actividad productiva al comercio exterior. El mercado interno y la búsqueda de la calidad de vida del pueblo desaparecen como metas del desarrollo. El sector exportador se vuelve el fin de toda la programación económica y deja de ser un medio para el progreso integral del país.

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El Estado de Justicia

“El fin propio de la sociedad civil no consiste solamente en garantizar el respeto a las libertades individuales y a los derechos de cada uno, y asegurar el bien material: debe asimismo procurar el bien verdaderamente humano de la sociedad, que es de orden moral”.

Jaques Maritain

“La ley tiene un oficio moral: es maestra de los hombres en la ciencia de ser libres; y los deberes que impone, cuando es justa, obligan a la conciencia. La prescripción injusta no es formalmente ley; por eso es permitido resistirla”.

Jaques Maritain

En el marco de unos cursos del año 1989 el pensador y político bonaerense Antonio Cafiero, mencionó que “los liberales hablan del Estado de Derecho, nosotros hablamos del Estado de Justicia. Los liberales hablan de los Derechos del Ciudadano, nosotros hablamos de los Derechos del Hombre, que es más que un ciudadano: el hombre es una persona que genera familia, trabajo, profesiones, vida barrial, vida vecinal, partidos políticos y una multitud de acciones sociales. Los liberales creen en la magia del mercado libre, nosotros no creemos en la mano invisible y tampoco creemos en la mano de hierro que ahoga toda iniciativa y conduce toda actividad; creemos más bien en lo que Perón llamaba la “mano que guía”, que es la planificación concertada”.

En la óptica de Cafiero, el Estado de Justicia incluye al Estado de Derecho, pero lo supera ampliamente al proponer la organización de un gobierno y de una comunidad cuya meta es la dignidad, la justicia y la libertad humana. El Estado de Justicia contiene una ética nacional, un humanismo social y una voluntad política de realización histórica.

En la visión doctrinal del pensador bonaerense, la democracia no puede subsumirse a la aplicación de un régimen político formal o meramente procedimental. En realidad, para Cafiero la democracia debe consolidarse como la voluntad de realización de un pueblo en un tiempo histórico. La actividad política no se reduce a lo jurídico institucional, sino que incluye los “derechos sociales, económicos y culturales y hasta espirituales” de un pueblo.

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En el Estado de Justicia la vocación de formar comunidad es fundamental. No se pueden construir vínculos sociales estables con individuos egoístas y materialistas. Destacó Cafiero que los “pueblos no avanzan en la historia detrás de los objetivos de consumo, sino guiados por pasiones elevadas”. El egoísmo del mercado no es un factor de aglutinación social, sino que ese lugar lo ocupan los valores trasmitidos por la cultura y por el legado histórico de un pueblo.

La comunidad no nace de un contrato o de un mero pacto legal y racional, sino que implica la unidad moral y afectiva de la comunidad. La Nación es una unidad política y emocional de destino y no una acumulación gregaria de individuos capitalistas.

El orden internacional

Cafiero consideró que la inmensa desigualdad existente entre las Naciones era un factor desestabilizador del orden mundial. Asimismo, cuestionó el colonialismo, el intervencionismo y las diversas violaciones de la soberanía que ejercieron los organismos internacionales, las Potencias y las corporaciones.

En su óptica, las comunidades tenían que reivindicar el irrenunciable derecho a la autodeterminación política, económica y cultural frente a la Globalización Neoliberal. En el 2006 propugnó forjar un “nacionalismo competitivo” que “defiende la identidad de nuestras naciones y sostiene que la globalización no debe avanzar ignorando las patrias. Que defiende la propiedad nacional de los recursos naturales. Que alienta la participación de las empresas nacionales. Que estimula el orgullo nacional”.

La esfera nacional sería la base para constituir la soberanía regional y la “paulatina ciudadanía latinoamericana”.

El individuo y la comunidad

“La comunidad a la que debemos aspirar es aquella donde la libertad y la responsabilidad son causa y efecto de una alegría de ser fundada en la dignidad propia, donde el individuo tenga algo que ofrecer al bien general y no sólo su presencia muda”.

Antonio Cafiero

Cafiero creyó primordial impulsar la autonomía del individuo en tanto persona y caracterizó críticamente a los Estados comunistas, ya que en el “sistema colectivista no existe la libertad, y el Estado va absorbiendo paulatinamente todas las funciones, insectificando al individuo”. En su ideario, se tenía que garantizar la integridad de la persona y el reconocimiento del justo valor del trabajo.

Por otro lado, consideró que la libertad individual debía ser entendida desde una función social. Los pueblos tenían que actuar a partir de los valores de solidaridad y de patriotismo. El individuo debía asumir la misión de acompañar los fines colectivos del pueblo y de la Nación. En 1989 Cafiero destacó que “al egoísta perfecto lo suplantaremos por la personalidad comunitaria trascendente, queremos al hombre que aspira a un destino superior”.

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La propiedad privada y el Estado social

Para edificar el Estado de Justicia debe refundarse el Estado Liberal. La función del gobierno no puede ser solamente la de garantizar o la de imponer el egoísmo de una clase social. En la óptica de Cafiero el Estado tiene que fijar las directivas políticas y los objetivos tendientes a consumar los derechos de la colectividad. En sus palabras “el bien común es la meta y la razón de ser de todos los actos de gobierno”.

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Cafiero destacó que no hay orden económico viable si no se “respeta la economía nacional como unidad nacional”. En este marco, el Estado debe contribuir a consumar la independencia económica que es la base de la soberanía política nacional. En 1952 mencionó que en el Justicialismo “la riqueza es considerada como un bien individual que debe cumplir una función social”. Nadie tiene derecho absolutos sobre las riquezas de la tierra: ni el hombre, ni la sociedad”.

Tal cual plantea el pensador bonaerense, le corresponde al Estado la indelegable tarea de ser el garante de la justicia distributiva y de la dignidad humana. Destacó que “la solución de los graves problemas de la marginalidad y la pobreza no puede ser librada a las leyes del mercado ni al asistencialismo. Reclama una política común del Estado y las organizaciones libres del pueblo”.

La voluntad política de realización histórica

“El peronismo no es una etapa en la marcha hacia el socialismo democrático o marxista, ni nació para evitar el comunismo, ni puede confundirse con el radicalismo (…) el nuestro es un proyecto específico y original”.

Antonio Cafiero

A lo largo de su destacada trayectoria partidaria, Cafiero reflexionó acerca del origen, de la historia y del futuro del Justicialismo al cual le atribuyó un protagonismo político indelegable. En 1984 mencionó que “el peronismo no será absorbido en otros movimientos en tanto siga expresando un modo de pensar y sentir la Argentina que le es propio e intransferible”.

En su óptica, el peronismo no podía ser caracterizado como un mero mecanismo electoral y tampoco como un sistema de gestión de los problemas sociales.

En su punto de vista, el Justicialismo es una organización y una doctrina humanista en movimiento detrás de una misión trascendente. El peronismo contiene y emana una doctrina de “filiación socialcristiana” que “es al Movimiento lo que el alma al cuerpo”. Es por eso, que sus militantes deben convencerse del valor de su causa y tal cual sostiene Cafiero “no se puede luchar sin verdades”.

El Justicialismo en la perspectiva de Cafiero, es una tradición histórica hecha voluntad política, es una realidad cultural en desenvolvimiento y un Movimiento de realizaciones económicas y sociales.

El peronismo es una causa nacional y democrática por la reparación social y contiene un anhelo de justicia que busca liberar al país y dignificar al hombre argentino en una Comunidad Organizada.

Cafiero sostiene que el “peronismo no nació para las tareas pequeñas; está en política para las grandes causas”. El Justicialismo es un proyecto de desarrollo integral, una emoción en marcha, un pensamiento que se renueva, una mística de grandeza nacional y una fe popular en la capacidad del triunfo de la causa.

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mardi, 07 janvier 2020

Pour la troisième voie solidariste

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Pour la troisième voie solidariste

par la "Fédération des Québécois de souche"

Le dernier ouvrage de Georges Feltin-Tracol, Pour la troisième voie solidariste, est un ouvrage de fond réunissant divers articles offrant des exemples concrets et réels d’alternatives au faux dilemme du libéralisme versus marxisme. Facile à lire et surtout à comprendre, l’auteur, que nous avions interrogé pour Le Harfang cet été, est un penseur libre qui refuse les étiquettes et cherche réellement une voie tierce nous permettant de se sortir du marasme actuel.

Car il faut le dire, le marxisme a échoué – personne ne le niera – et le libéralisme est également en faillite, comme nous le prouve constamment l’actualité économique. Endettement, délocalisations, crises à répétition, effritement des classes moyennes, voilà le bilan sombre du régime où nous sommes, qui ne risque pas de se réformer tout seul avec l’arrivée de la robotisation et de l’automatisation à grande échelle. En fait, loin de s’humaniser, le libéralisme s’est transformé en néo-libéralisme mondialiste, véritable rouleau compresseur des peuples.

Plus que jamais, non seulement une troisième voie est possible, mais elle est nécessaire à notre survie en tant que peuple, en tant que nation et même en tant qu’individus.

Alors, quelle voie emprunter?

Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique, conscient de l’échec des deux grandes idéologies se revendiqua lui-même d’une troisième voie, « au-delà de la droite et de la gauche ». Emmanuel Macron fit de même et osa même se revendiquer d’un certain solidarisme, un terme qui n’a certes pas le même sens dans sa bouche que dans la nôtre. Face à cette tentative de cooptation d’une troisième voie éventuelle, Feltin-Tracol dresse quelques impondérables, quelques éléments d’une véritable troisième voie.

Au niveau macro-économique, donc de la nation, les principes qui doivent être adoptés sont les suivants :

1 – libre marché dans certains domaines,

2 – contrôle étatique dans les domaines d’intérêt général,

3 – formations de coopératives, de mutuelles et autres entreprises de co-gestion ou de co-propriété.

Au niveau micro-économique, donc de l’entreprise, c’est la gestion organique, inspirée notamment des idées de Hyacinthe Dubreuil, qui doit primer. Les travailleurs doivent participer à l’avancement de l’entreprise et en recevoir les justes bénéfices. C’est donc une voie tierce, qui existe sous différents modèles qui refuse l’exploitation des travailleurs par le patronat, comme sous le modèle capitaliste, ou à l’inverse l’opposition entre les travailleurs et le patronat, comme préconisée par le marxisme. Une troisième voie se doit de favoriser la concorde, la bonne entente.

Les exemples concrets de ce genre de gestion foisonnent. Nombreux sont les modèles tercéristes qui furent mis en place au sein d’entreprises pour améliorer le rendement, mais pour également donner un sens au travail des employés qui deviennent de véritables partenaires ou associés, et pas dans le sens que Wal Mart donne à ce terme. Pensons à la vision des gaullistes de gauche qui mettaient de l’avant un partenariat capital-travail ou à celle du Front national historique prédatant son « renouveau libéral » ou encore à l’ergonisme de Jacob Sher ou bien à celle de la Doctrine sociale de l’Église ou du corporatisme catholique de René de la Tour du Pin… les alternatives sont légion !

La première troisième voie qui apparut, historiquement parlant, fut le socialisme. Ceux s’en revendiquant, après la Révolution, voulurent faire en sorte que les droits politiques se doublent de droits économiques. Ni de droite royaliste, bien que la droite royaliste avait à cœur les avancées sociales comme le démontra Maurras qui parlait de l’Ancien Régime comme un État « hiérarchique, socialiste et communautaire », ni de gauche bourgeoise, cette dernière étant souvent la classe exploitant les travailleurs, des socialistes comme Louis-Auguste Blanqui, Pierre-Joseph Proudhon, puis plus tard Georges Sorel, Raoul Roy et Jean Mabire, esquissèrent le schéma d’une société plus juste et équitable. Ces noms, la gauche n’ose pas s’y référer tant ils ont peu de lien avec le programme qu’ils mettent désormais de l’avant et d’ailleurs, comme l’ont bien démontré Jean-Claude Michéa et Thibault Isabel, ces socialistes n’étaient pas « de gauche ». Pourtant, si le socialisme représente une alternative réelle, Feltin-Tracol ne préconise pas l’emploi de ce terme, galvaudé par la gauche et vidé de son sens. Mieux vaut se chercher une autre étiquette que de se coller à celle revendiquée par un François Hollande et un Bernard-Henri Lévy.

GFT-TV-210x300.jpg« Pour une évidente clarté sémantique, écrit-il, il serait préférable de laisser au Flamby normal, à l’exquise Najat Vallaud-Belkacem et aux morts vivants du siège vendu, rue de Solférino, ce mot de socialiste et d’en trouver un autre plus pertinent. Sachant que travaillisme risquerait de susciter les mêmes confusions lexicales, les termes de solidarisme ou, pourquoi pas, celui de justicialisme, directement venu de l’Argentine péronisme, seraient bien plus appropriés. »

À la recherche d’une troisième voix effective, l’auteur nous replonge d’abord dans la vision tercériste promue par Christian Bouchet, puis dans le solidarisme de Jean-Gilles Malliarkis et Jean-Pierre Stirbois, repris depuis quelques années et remis au goût du jour par Serge Ayoub. En fait, le solidarisme est né au XIXe siècle avec le radical Léon Bourgeois et de là se répandit tant en Belgique, qu’en Allemagne et en Russie où on le représentera avec le trident, symbole toujours employé par les solidaristes. En Russie, il connut ses heures de gloire sous le sigle NTS, qui représentait ces solidaristes opposés activement au régime soviétique. Notons que le terme « solidarisme » n’a aucun, absolument aucun, lien avec Québec solidaire qui allie marxisme économique et culturel dans une ambiance post-soixante-huitarde. Le solidarisme tel qu’envisagé par ses défenseurs et théoriciens n’est pas qu’un système économique et représente une réelle alternative aux démocraties libérales.

Pour l’auteur, comme pour les activistes se réclamant aujourd’hui du solidarisme, cette vision du monde s’ancre dans le réel, dans les peuples avec leurs identités propres et de ce fait refuse toute homogénéisation ou folklorisation tels que promues par le libéralisme et même le marxisme. L’identité des régions, des cultures doit être préservée pour que puisse s’articuler une véritable solidarité des peuples. Ce n’est qu’en étant Breton que l’on peu se faire le compagnon de lutte du Québécois. De même qu’un Irlandais fier de ses origines sera à plus à même de comprendre la réalité d’un Corse.

Notons d’ailleurs un fait qu’on ne peut passer sous silence, soit l’intérêt de Feltin-Tracol pour notre Amérique à nous, celle du lys. Il écrit ainsi que le solidarisme doit « soutenir la lutte méconnue des peuples d’ethnie française en Amérique et en Europe (Québécois, Acadiens, Cajuns, Francos, Métis de l’Ouest canadien, Valdôtiens, Wallons, Jurassiens…).

La francité est plus que jamais ce cercle d’appartenance manquant entre la France et une francophonie un peu trop mondialiste. » De savoir que nous ne sommes pas oubliés de nos cousins français fait chaud au cœur.

L’étude de Feltin-Tracol ne se limite pas au solidarisme et l’auteur nous invite à nous plonger dans l’étude du péronisme, du justicialisme argentin, émulé d’une certaine façon par le général Guillermo Rodriguez Lara en Équateur et par une multitude de mouvements d’Amérique latine. L’exhortation d’un Paul Bouchard et des frères O’Leary à nous intéresser à l’expérience de nos frères latins d’Amérique prend ici tout son sens. L’expérience argentine ne démontre-t-elle pas qu’entre le libéralisme et la gauche marxiste peut exister un courant réellement patriote et social?

Le Libyen Mouhamar Kadhafi instaura lui aussi un régime préconisant une voie tierce, affirmant que « capitalisme et marxisme sont les deux faces d’une même réalité ». Il instaura ainsi une gestion participative du travail, les usines étant cogérées par les patrons et les employés. Plusieurs exemples dans le même genre, notamment celui du Libanais Pierre Gemayel, du parti arabe Baas, cofondé par le chrétien orthodoxe Michel Aflak, nous rappellent que si les systèmes de troisième voie sont moins communs que ceux se revendiquant du libéralisme ou du marxisme, ils ne sont pas, loin s’en faut, une utopie irréalisable.

Il souligne aussi le militantisme de fait réalisé par le Bastion social, qui fut interdit depuis, mais qui inspira de nombreuses autres initiatives, dont ici au Québec avec les œuvres pour les démunis réalisées tant par Storm Alliance que par Atalante. Cet activisme mettant en place des organismes solidaires est loin d’être une opération de communication, le social a toujours fait partie des priorités des identitaires. Les problèmes sociaux sont une urgence à laquelle il faut répondre non par des théories ou des slogans, mais par des actions concrètes. Ces actes forment la base de futurs contre-pouvoirs, d’une contre-société s’élevant en marge du système actuel. L’implication sociale n’est pas un correctif apporté pour lutter contre les abus de la société libérale, mais une partie prenante du projet de société.

Ce livre devrait être lu par tous les chefs de PME, mais aussi par les politiciens qui nous gouvernent et qui trop souvent manquent d’originalité, emboîtant automatiquement le pas à leurs prédécesseurs sans jamais ne remettre en question leurs principes. Les exemples mis de l’avant par Feltin-Tracol ne sont ni irréalisables, ni utopiques, il faut seulement accepter de regarder ailleurs et de penser en dehors du cadre rigide que l’habitude et l’inertie nous ont imposé. Au fond, « les positions tercéristes ne sont finalement que des positions de bon sens, une adhésion au bien commun de la civilisation européenne. La troisième voie est au fond l’autre nom de la concorde organique ».

FQS

• Georges Feltin-Tracol, Pour la troisième voie solidariste. Un autre regard sur la question sociale, Les Bouquins de Synthèse nationale, coll. « Idées », 2018, 170 p., 20 €.

• D’abord mis en ligne sur Fédération des Québécois de souche, le 8 décembre 2019.

La voie du corporatisme

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La voie du corporatisme

par Franck BULEUX

Ex: https://metainfos.fr

Dans la réforme des retraites, il est question d’universalité.

Bien entendu, l’universalité en France ne concerne que les personnes résidentes en France, ce qui n’est déjà pas si mal. On se demande parfois à quoi sert le critère de nationalité, mais c’est un autre débat.

Le critère d’universalité implique l’ensemble des personnes, comme le système d’indemnisation des frais de santé, mis à part, il est vrai, le système dit de droit local, qui concerne l’Alsace et la Moselle, soit trois départements du Grand Est.

Ce système universel permet à toute personne de bénéficier de la prise en charge de leurs frais de santé au seul titre de leur résidence stable et régulière en France.

En matière d’assurance vieillesse (lire « retraite »), il a été mis en place des systèmes différents au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. On peut s’interroger sur les deux systèmes de répartition et de capitalisation. Il est simplement nécessaire de rappeler, contrairement à ce qui se dit ou s’écrit ici et là, que la répartition n’offre aucun droit puisque les cotisations sociales de l’année en cours permettent de régler les prestations de cette même année. Il s’agit, purement et simplement, d’un système de solidarité intergénérationnel, sans pérennité garantie. Il n’y a donc aucun « droit acquis » en la matière.

À partir de ce système, inauguré le 14 mars 1941 par le régime de Vichy et repris par le Conseil national de la Résistance (CNR), l’après-guerre a vu l’éclatement des régimes. Chaque régime (quarante-deux) gère ses propres cotisations et verse les prestations dues aux personnes concernées.

La dérive apparaît, non pas dans la différenciation des régimes, mais dans leurs choix subjectifs. On peut, en effet, s’étonner du choix de certains régimes spécifiques. Le régime de la SNCF existait déjà avant 1945, sans doute existait-il un certain corporatisme dès 1909, date de l’entrée en vigueur du régime dit « spécial ». On le voit, rien n’est simple, et le plus souvent la date de 1945 ne sert qu’à sacraliser, qu’à sanctuariser des règles antérieures, du moins pour leurs principes. Il est nécessaire de le rappeler, les prestations sociales, même si elles ont été généralisées, ne sont pas nées à la Libération.

Le mot « corporatisme » employé il y a quelques lignes semble être un « gros mot », c’est-à-dire un mot qui ne doit pas être utilisé. Une corporation est un ensemble de personnes qui exercent la même profession, généralement regroupées dans une association et bénéficiant, comme ce fut le cas aussi bien dans l’Antiquité romaine que sous l’Ancien Régime, d’un ensemble de monopoles et de privilèges. Nous y voilà… « privilèges », c’est-à-dire un droit collectif reconnu par la loi en échange de services : protection d’une profession (numerus clausus) contre la concurrence abusive, voire déloyale, obligation à l’engagement militaire des nobles sous l’Ancien Régime en contrepartie du non-paiement de l’impôt… Un privilège peut donc être octroyé en contrepartie d’une obligation liée à la solidarité nationale comme l’ouverture de services publics tous les jours calendaires.

Vouloir à tout prix l’universalité des systèmes, c’est méconnaître les particularités, nier les particularismes. Que représente l’universalité face aux métiers ? En 1884, les syndicats professionnels ont obtenu l’abrogation de la loi Le Chapelier de 1791 visant à l’interdiction du régime général d’exercice collectif des métiers ouvriers, c’est-à-dire des corporations.

Les syndicats sont, pour la plupart d’entre eux, des confédérations, c’est-à-dire qu’ils représentent des fédérations représentant de nombreux métiers. Pourquoi ? Parce que les exigences des métiers sont différentes, les besoins des salariés aussi. Pourquoi ne pas les prendre clairement en compte ?

Deux systèmes me semblent abusifs : l’universalisme qui ne correspond en rien aux particularismes et l’individualisme qui ne revêt un intérêt qu’en cas de reconnaissance d’un préjudice direct et personnel par un tribunal compétent. Au-delà de l’universalisme et de l’individualisme, il existe le corporatisme, qui peut préserver des droits issus des particularités des métiers. Un « privilège », du latin privilegium (« loi concernant un particulier »), est à l’origine une disposition juridique conférant un statut particulier, statut lié à une situation.

La réforme des retraites nous est présentée comme une ode à l’égalité absolue, pour ne pas dire l’égalitarisme. La République en marche (LREM) comme la plupart des mouvements de droite libérale (la majorité des Républicains) se servent de ce concept pour s’appuyer sur cette réforme libérale. Mais ce n’est pas de libéralisme (système universel et impersonnel) dont nous avons besoin mais de conservatisme, au sens premier du terme. La conservation de notre identité, c’est aussi la préservation de nos métiers, le respect de nos spécificités face à un universalisme niveleur.

Non, il n’y a pas trop de régimes spéciaux, mais il n’y en a pas assez. Le statut des cheminots, longtemps profession réservoir des forces de gauche (voir les liens entre le PCF et la SNCF en 1947 lorsque les communistes ont quitté le gouvernement et l’explosion concomitante des émeutes sociales), est l’arbre qui cache la forêt. Qu’il faille refonder les règles concernant les cheminots, pourquoi pas ? Mais la question essentielle, globale est la mise en place de systèmes liés aux métiers, bref un système corporatiste. Recentrer les métiers (réserver la vente de pain aux artisans boulangers), octroyer des privilèges à certaines professions (le droit de stationner gratuitement en faveur des commerçants ayant pignon sur rue), conserver les trimestres sans cotisations aux mères de famille dans le cadre de la promotion de la natalité (qu’en sera-t-il dans un système dit « à points » puisque, par définition, s’il n’y a pas de revenus, il n’y a pas de points…) Qui évoque cette carence liée au nombre d’enfants ? (https://metainfos.fr/2019/12/24/noel-maternite-le-combat-oublie/ ) moins que nos dirigeants aient déjà décidé que l’immigration et la robotisation ne remplaceront, à court terme, les travailleurs nationaux ? C’est une optique, mais les députés LREM devraient nous le confirmer.

Confier l’expression populaire au législatif est une hérésie, compte-tenu de l’augmentation de l’expression du pouvoir exécutif avec, notamment, la mise en place par le président Chirac du quinquennat. Nous y reviendrons lors d’une prochaine chronique. Hérésie aussi quand on voit le nombre de Français qui ne s’expriment pas lors des élections législatives, dont l’existence ne sert qu’à valider le choix présidentiel du mois précédent : sans compter les bulletins blancs et nuls, plus de 51 % des Français inscrits ne se sont pas déplacés en juin 2017 pour participer à l’éclatante victoire sans appel (sic) des inconnus ou des recyclés (le plus souvent du PS) d’En marche ! Face à cette désaffection, un Conseil national des métiers serait le bienvenu qui permettrait de mobiliser les branches d’activités et le monde du travail.

Il est temps de revenir à une société utilitariste. La notion de corporatisme n’est pas surannée, elle représente l’essence de la nation, celle des intérêts (au sens positif) professionnels, intérêts qui permettent aussi de lier les employeurs et les salariés, hors lutte de classes.

Oui, le corporatisme est une option d’avenir. Il serait temps d’y réfléchir.

vendredi, 03 janvier 2020

Royalisme ontologique ou idéologie royaliste ?

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Royalisme ontologique ou idéologie royaliste ?

par Michel MICHEL

Au début des années 60 (il s’est bien amendé depuis), Alain de Benoist, était alors leader maximo d’une Fédération des étudiants nationalistes qui professait une idéologie panblanchiste (« du Cap à Atlanta »). Sous le pseudonyme de Fabrice Laroche, il avait publié un Dictionnaire du nationalisme dans lequel il définissait le nationalisme comme « l’éthique de l’homme occidental ». Dès lors que l’idée de nationalisme était coupée de la réalité de la communauté française, elle devenait le réceptacle de tous les fantasmes et la source des pires dérives.

Je crains qu’à trop se centrer sur une conception ontologique, sans rapport avec la France réelle, ignorant des obstacles concrets qui résistent à notre action, notre royalisme ne devienne au mieux que l’adhésion à un archétype (qui comme tout archétype se suffit à lui-même) et au pire à une idéologie.

Ce n’est pas la Vie, ni l’Enfance que sauve une mère, c’est son enfant.

Vladimir Volkoff écrivait : « Mieux que des Principes, nous avons des Princes. » C’est cette fidélité à une communauté – la France -, à une histoire particulière, à une famille et à un Prince en chair et en os (et non un support de projections), qui permet aux royalistes d’échapper à la folle raison des idéologies.

J’apprécie bien l’œuvre de Maurras pour fonder le royalisme en raison. Mais le raisonnement doit précisément mener à cette fidélité incarnée, sinon, la pure passion idéologique risque de finir dans les néants de la Légion Charlemagne.

En mettant l’accent sur l’être du royaliste, ne risque-t-on pas d’essentialiser le royalisme ? Je suis royaliste parce que je suis Français et que la monarchie capétienne est constitutive de notre nation. Mais la part helvétique que je tiens de mon grand-père se rebifferait si on voulait imposer une monarchie dans une Suisse qui s’est constituée contre la domination des Habsbourg et se porte relativement bien d’une démocratie tempérée par la décentralisation et des mœurs traditionnelles. Et si j’étais Italien, je ne crois pas que je serais partisan de cette Maison de Savoie qui fut porteuse de ce projet subversif que fut le Risorgimento.

Une ontologie de la Royauté passe encore, les idées platoniciennes et le Roi du Ciel pourraient le faire accepter… Mais essentialiser le royalisme ?

Maurras pouvait écrire : « Je suis de Martigues, je suis de Provence, je suis Français, je suis Romain, je suis humain. » « Être royaliste » n’est pas du même ordre; ce n’est pas une identité essentielle mais une conséquence de l’être Français, le moyen de défendre le bien commun de cette communauté de destins qu’est la France.

De la dérive éthique au prince à la carte

Comme ces fidèles des petites Églises parallèles qui se félicitent d’assister à des messes aux rites les plus raffinés où les volutes des encens capiteux baignent les dentelles et les ors, sans se poser la question de l’Église à laquelle se rattache le desservant ni même si le prêtre a été ordonné par un évêque ayant reçu la tradition apostolique, des royalistes se vouent parfois à un Prince lointain, qui, parce que lointain, ressemble tant à leur idéal de chevalier blanc de conte de fées. « Je ne prétends à rien, je suis » aurait dit Luis Alfonso de Borbon, la formule est belle, mais suffirait-elle à légitimer un prince non-dynaste ?

D’autant plus que cette formule pourrait servir de devise à tous les innombrables descendants secrets de Louis XVII, les Grands Monarques et autres élus sur le mode davidique qui, depuis la Révolution, surgissent dans tous les cantons de France et de Navarre.

Je n’ai aucun mépris pour ces prétendants cachés, j’en connais personnellement trois (dont l’un a été un grand esprit); ils relèvent au moins autant d’une pathologie historique et sociale que d’une maladie mentale individuelle. Quand une société subit un traumatisme majeur, – et l’interruption d’une dynastie vieille de mille ans qui a constitué la France est un traumatisme majeur -, la conscience collective cherche à cautériser cette béance par le déni. Cela se traduit par le sébastianisme au Portugal, les tsarévitchs retrouvés en Russie ou les retours prophétisés de Frédéric Barberousse. Cette conscience malheureuse se cristallise sur celui se croit investi pour « re-présenter » le Roi absent.

Je serais plus sévère pour la petite cour de ceux qui, par démagogie et par goût du rêve, flattent ces crypto-prétendants, comme les adultes feignent de croire au Père Noël devant les petits enfants.

Eh bien ! Chacun de ces élus secrets peut s’écrier : « Je ne prétends pas, je suis. » Cette formule reflète peut-être une conviction intérieure mais n’atteste en rien d’une légitimité dynastique.

Quoiqu’il en soit, je suis assez ancien militant pour me souvenir qu’avant les années 1960, la question dynastique ne se posait pas. La distinction entre orléanistes et légitimistes était obsolète depuis la mort du comte de Chambord (« Les princes d’Orléans sont mes fils »). La branche espagnole des Bourbons n’était pas dynaste; non pas tant à cause du traité d’Utrecht qu’en raison des lois fondamentales du Royaume (le principe de pérégrination est fixé depuis le XVIe siècle), de la jurisprudence (la Cour et les Parlements tenaient en permanence le tableau de l’ordre de succession où les Bourbons d’Espagne ne figuraient pas), et l’esprit des lois (c’est pour ne pas dépendre d’un Carolingien vassal de l’Empereur que les barons et évêques francs élisent Hugues Capet et pour ne pas subir un roi anglais que l’on déterre la vieille loi salique).

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Dans les années 60, le comte de Paris qui s’était éloigné de l’Action Française et fréquentait (horresco referens !) des élus radicaux-socialistes et des syndicalistes, avait soutenu De Gaulle lors d’un référendum et une tentative de Restauration appuyée sur le Général s’était amorcée. Or, la plus grande partie des royalistes s’était engagée dans le combat pour l’Algérie française et vouait une haine viscérale à De Gaulle qui se reporta sur le Prince.

C’est dans ce contexte que le malheureux duc de Ségovie se mit à prétendre à la Couronne de France, avec, dit-on, quelques fonds secrets espagnols, Franco ayant fait le choix de Juan Carlos pour lui succéder, il s’agissait d’écarter une des branches concurrente des Bourbons d’Espagne.

L’Action Française, gardienne de l’orthodoxie royaliste, affaiblie dans la défaite de l’Algérie française, certains royalistes par dépit ou par méconnaissance soutinrent la cause du duc de Ségovie comme les ultras de la Ligue avaient soutenu les Guise par défiance envers une Maison soupçonnée de pactiser avec les Huguenots ou comme la passion anti-communiste avaient amené certains à combattre aux côtés des Allemands sur le front de l’Est.

Les partisans du duc de Ségovie et de ses successeurs relevèrent l’appellation de « légitimistes » et qualifièrent ceux qui continuaient à reconnaître Henri comte de Paris pour leur prince légitime, d’« orléanistes »; ce qui était particulièrement injuste car d’une part ces derniers sont évidemment partisans du Roi légitime et d’autre part ils se réclameront certainement plus des « légitimistes » du XIXe siècle que des « orléanistes » de cette époque.

Curieux « légitimisme » qui se présente comme un purisme mais dont les motivations consistent à choisir son Roi en fonctions de critères idéologiques, et qui aboutit enfin à la multiplication des prétendants de fantaisie…

Car le flottement sur la légitimité dynastique va entraîner chez beaucoup une position d’abstention plus ou moins (mal) justifiée par un pseudo-providentialisme (« Dieu désignera son élu »), ou encore un assez vulgaire pragmatisme (« Je reconnaîtrai le premier qui parviendra à se faire sacrer à Reims »); toutes les spéculations deviennent permises : s’il faut ne tenir compte que de la loi de primogéniture, alors ce sont les Bourbons-Busset qui sont les rois légitimes. Pourquoi pas un roi anglais ? Un Carolingien pour faire l’Europe ? Un Mérovingien qui prétendrait être issu du Christ et de Marie-Madeleine pour profiter de la vogue de Da Vinci Code ? (Tiens je n’ai pas encore entendu parler d’un prétendant qui descendrait de Vercingétorix, la place est à prendre). Et puis finalement pourquoi pas cet illuminé qui se prétend descendant secret de petit Louis XVII ? Pourquoi pas moi ? Et si l’humour m’empêche de suivre cette pente paranoïaque, je me résignerai à proclamer : « Vive le Roi de Patagonie ! »

Je ne crois pas que cette dérive réalise « l’Universelle Monarchie » à laquelle faisait allusion Henry Montaigu; elle en est la caricature.

Mon intention ici n’est pas de traiter de la légitimité dynastique, mais il me semble que le détour sur ce thème illustre les aberrations auxquelles peut aboutir une mentalité qui met trop exclusivement l’accent sur l’éthique et l’esthétique en oubliant tout principe de réalité.

Michel Michel

• D’abord mis en ligne sur Action Française, le 27 novembre 2019.

mardi, 31 décembre 2019

El marxismo cultural como mutación ideológica

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El marxismo cultural como mutación ideológica

Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

En la historia de las religiones se suele considerar que una mutación drástica en el cuerpo de los dogmas da pie a un cisma, una herejía o, sencillamente, a una religión nueva. Los criterios para considerar el grado de ruptura, parcial o radical, con el sistema de creencias precedentes, suelen agruparse en dos grandes grupos: internos y externos. Dentro de los criterios internos, hay mucho campo para la discusión teológico-dogmática. Allí, seguidores de lo viejo y de lo nuevo se enzarzan en agrias peleas en torno al verdadero contenido revelado y doctrinal. Dentro de esta discusión interna, no es posible ser neutral. Todos creen, pero creen de diversa manera. Todos comparten una raíz de creencia o un humus de devoción, pero están dispuestos a morir o dejarse matar por aquello en que difieren. Hay tramos y porciones de racionalidad, pero hay siempre un intangible núcleo duro de fe. Así se escribe la historia de los Concilios, y la historia de muchas herejías, herejías que siempre lo son con respecto a ortodoxias triunfantes. Nunca muere una religión del todo, pero todas mutan y se ramifican por más que sean celosos los correspondientes guardianes de la ortodoxia.

Sabido esto, otro tanto se diga de las ideologías. Las ideologías se comportan de muy parecido modo que las religiones. Como ellas, poseen núcleos duros de dogmatismo e irracionalidad, acaso núcleos inexpugnables e imposibles de purgar en el alma humana. Como las creencias trascendentes, las creencias mundanas de signo político, pues eso es ideología, poseen sus núcleos y sus cinturones opinables, sus iglesias y sus aparatos de propaganda, inmunización, represión y mutación. Las ideologías también mutan, y llegan a volverse adversas al cuerpo dogmático de procedencia. Y al igual que sucede con las religiones, las ideologías poseen segmentos de discusión racional que llegan a envolver a su núcleo fundacional, haciendo así que la verdad que acaso pudieran contener, fruto de una discusión e investigación libres, llegue a envenenarse al contagio con el núcleo al que sirven, y al que ellas envuelven.

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Lo arriba expresado, puede aplicarse estrictamente al marxismo como ideología. Muchos han sido los autores que han comparado el marxismo con una religión. Lo han hecho de forma simplista unos, de manera sistemática y certera otros. Acaso sean los propios marxistas quienes mejor conocen los fosos dogmáticos e irracionales de su doctrina, y sean los más exactos en su lenguaje cuando describen "herejías" revisionistas en su propia doctrina, tribunales "inquisitoriales" en el Partido, y "culto a la Personalidad" en el Amado Líder. El marxismo visto como cuasi religión por sus propios correligionarios, posee una rica historia, precisamente en el decurso de las polémicas entre comunistas, en sus sucesivas Internacionales, en sus desviaciones y escisiones. Esto, en el plano interno. Pero el marxismo como ideología también presenta, desde el punto de vista externo (esto es, ante el analista que no es partícipe de su sistema de creencias) una analogía muy notable con las mutaciones de pensamiento religioso. Así como la mutación de ciertos dogmas judeocristianos dio luz al Islam, y la mutación del catolicismo dio pie al protestantismo y de aquí brotaría, a su vez, el subjetivismo ético, podría emplearse parecido esquema con respecto al marxismo como ideología político-social y económica: su mutación en "marxismo cultural" define los tiempos aciagos que nos tocan.  Describir esa mutación sería tarea digna de un estudio mucho más extenso y hondo que el que ahora podemos ofrecer aquí. Pero vamos a señalar algunas hebras y fragmentos.

La mutación del marxismo stricto sensu, con todas sus variantes, en un marxismo cultural, nunca va a ser reconocida internamente por los propios marxistas, ni por las demás ideologías de izquierda en general. En apariencia, habrá un núcleo duro en el marxismo cultural que los viejos marxistas y marxistas stricto sensu nunca aceptarán. Me refiero a la defensa, conservación y potenciación de un sistema económico capitalista de mercado, ampliamente globalizado, dominado por grandes trasnacionales que, parafraseando a Marx, "no tienen patria". En teoría el marxismo stricto sensu es contrario a esta situación del mundo. Para esta ideología, el capitalismo es la raíz de todos los males, y el hecho de que se degraden los cimientos básicos de la Civilización, como la Familia, la Comunidad, el buen gusto o el sentido de la decencia, sería atribuible exclusivamente al poder del Capital. En efecto, Karl Marx describe la lógica del Capital como una maquinaria implacable, deshumanizada, una apisonadora y trituradora que anulará al individuo. La filosofía de Marx, y su crítica de la Economía Política supone un análisis muy fino, insuperado en su época, de los horrores del capitalismo y de su tendencia inmanente. Pero de una filosofía y de una crítica económico-política pronto hubo de surgir una ideología: el Comunismo como proyecto totalitario estatalista.

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Esta tesis es importante, y llevo años explicándosela a mis alumnos. Las ideologías han podido nacer en el seno de sistemas filosóficos, gestarse en el corazón del corpus producido por grandes pensadores, pero llegan a ser construcciones dogmáticas y anti-filosóficas. Así, por vía de ejemplo: la matriz del liberalismo está en Locke, en su filosofía. La matriz del marxismo, ya sea el socialdemócrata o el leninista, está en Marx. Pero las ideologías no son, en modo alguno, filosofías. Toda ideología es una vulgarización y fosilización de ideas filosóficas, de fragmentos de discurso y crítica que, en su momento y en manos de su creador, pudieron ser racionales, saludables, críticos y vigorizantes, pero que en manos de los epígonos, de los sectarios, de los militantes, acaban siendo rosarios de dogmas, muchas veces inconexos entre sí, y desde luego desconectados de la realidad. Las ideas de Marx, vigorosas en el momento en que surgieron de su cabeza y de su pluma, incomprendidas por el movimiento obrero de aquel momento, no son co-extensivas con la ideología de los marxistas. De la misma manera, los escritos del filósofo liberal por excelencia, John Locke, no son los sofismas ideológicos de los neoliberales.

La Filosofía es el trabajo con las ideas, y a la vez es la crítica constante e implacable de las ideologías. Una idea brota de un suelo real de categorías técnicas, económicas, sociales, culturales. Una idea es una construcción social que trasciende la praxis concreta del hombre pero que surge de ella, la expresa y la trasciende. Una idea es una organización de la realidad. En cambio, la ideología es la elaboración desvirtuada, una esclerosis y fosilización vulgarizada de las ideas.

Distingamos al filósofo del ideólogo. Si el pensamiento neoliberal extremista es un no-pensamiento, que hace del mundo un gigantesco mercado, y del hombre y la naturaleza una simple y llana mercancía, y si el Estado –dimisionario- se pliega más y más a los intereses del Gran Capital-, nuestro John Locke no es el culpable. El filósofo inglés contribuyó a organizar ideas de aquel momento suyo en que se desplegaba la mentalidad burguesa capitalista. Y si el llamado socialismo real fue más bien gulag, el terror, la escasez, la represión, Marx no es el culpable. Marx fue el filósofo revolucionario que fraguó sus ideas para interpretar su realidad en otro momento ulterior a Locke, cuando las relaciones sociales habían pasado a otra fase de explotación intensa del hombre sobre el hombre. Las ideas organizan las categorías sociales y productivas, las expresan y critican. En las ideologías, en cambio, hay siempre elementos dogmáticos, promesas salvíficas, una teología de la Historia que nos marca, de manera irrefutable, no científica, hacia dónde ir.

Es por esto que el llamado marxismo cultural es, en el siglo XXI, la Ideología con mayúsculas, la Ideología por excelencia, reuniendo todos los requisitos señalados arriba. Se trata de una ideología dogmática, como todas, que no es –directamente- fruto de ninguna Filosofía previa (y por tanto no posee un padre fundador concreto). El llamado marxismo cultural es el resultado de una mutación del marxismo ideológico, una aberración dentro del mismo. En modo alguno es una Filosofía, ni siquiera una desviación de ideas filosóficas de algún tipo.

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El marxismo ideológico había degenerado de manera notable en el primer tercio del siglo XX. En las universidades occidentales, tanto como en los movimientos obreros, se había llegado a una situación de estancamiento y polaridad. Por un lado, se vivía el factum de la Unión Soviética, la existencia densa y sólida de la Dictadura del Proletariado, un Estado socialista "realmente existente" que a los ojos de muchos, incluyendo parte de la izquierda occidental más culta y humanista, empezaba a parecer como un verdadero horror. El comunismo mostró sus garras. Una cosa era emprender la crítica del capitalismo, tratar de reformarlo o superarlo, pero conservando los valores fundamentales de la Civilización y otra, muy distinta, era apoyar un régimen totalitario, un Estado policial y terrorista que iba a contradecir todo el derecho natural y la tradición humanista de Europa y, en general, Occidente. Los marxistas apoyaron mayoritariamente ese modelo de Estado policial, colectivista y totalitario al que José Stalin le puso su horrendo sello personal. Ese fue un polo, mientras que el otro, más informado y avisado, optó por elaborar un marxismo no soviético, más crítico y "creativo". Al no depender de la tutela de Moscú, este marxismo occidental pudo liberarse de ciertos dogmas, por ejemplo el economicismo. Así, en las universidades europeo-occidentales y americanas se puso un mayor acento en las "superestructuras", esto es, en el análisis de los factores ideológicos que hacen que el capitalismo pueda crear consenso entre la población, no ya sólo entre las clases beneficiadas por el sistema de dominación, sino incluso entre las que cuentan como clases explotadas.

Así fue como gran parte del marxismo occidental dejó los análisis económico-políticos en un lugar apartado, a modo de preámbulo o presupuesto, para desarrollar en su lugar una "transformación" autónoma de las relaciones sociales e ideológicas capitalistas, al margen o a la espera de una transformación económica efectiva. De esta manera algunos autores marxistas llegaron a convertirse en autoridades "de cabecera" en la izquierda occidental. De la Filosofía de Karl Marx se procedió a una purga y elección de contenidos, obviando aquellos que implicaban la acción violenta para asaltar el poder, la acción de masas cada vez más numerosas y pauperizadas y la tesis del determinismo económico. Los marxistas occidentales obviaron, evidentemente, aquello que había que obviar para que la propia realidad no se les viniera encima, aplastándoles las narices, pues eran profecías incumplidas y hechos contrarios a la realidad. Especialmente en la Europa occidental de la Guerra Fría, dos fueron las influencias seleccionadas para producir un marxismo ideológico que reuniera esos dos requisitos de no identificarse con la U.R.S.S. ni con la revolución, y no esperar a que la base o infraestructura económica se transformara para implantar el socialismo. La primera influencia fue la de Antonio Gramsci, y la segunda la de la Escuela de Frankfurt.

De Antonio Gramsci se toma la idea de hegemonía. El filósofo italiano analizó la "totalidad social", esto es, la sociedad capitalista en la cual el Estado no era, simplemente, una suerte de "comité de empleados al servicio del Capital", sino un organismo mucho más complejo que hace que el Capital garantice el consentimiento y la aceptación del pueblo, siendo el Estado, antes que otra cosa, un agente cultural y educativo, un adoctrinador. Si las fuerzas pro-capitalistas, liberales o conservadoras, habían logrado tanto consentimiento en la sociedad esto era, a los ojos de Gramsci, debido a la cooptación de intelectuales "orgánicos", pedagogos, artistas, escritores, así como gracias al control casi absoluto de la prensa, la escuela, la universidad, el ocio y el espectáculo. De cara a la ingeniería social, que es en el fondo lo mismo que el marxismo cultural, ese control es superestructural y garantiza la continuidad "básica" del sistema capitalista.

Gran parte de la izquierda occidental posterior a la Guerra Fría se volvió interesadamente gramsciana, esto es, "idealista". El control de las ideas, la transformación del hombre para una mejor y mayor explotación capitalista del mundo, que habrá de incluir la mercantilización del ser humano a través de varias fases -su barbarización, su animalización, su cosificación- se hizo más y más necesario para la extensión del programa capitalista de dominación mundial. Hubo un momento, en el siglo XX, en que se descubrió que una interpretación "idealista" del marxismo y una colaboración ideológica del sistema con los intelectuales del izquierdismo era lo más efectivo para proceder a un saqueo sin restricciones de la naturaleza y del ser humano, transformando en mercancía todo cuanto era posible imaginar. El capitalismo descubrió que era conveniente disponer de "superestructuras" izquierdistas.

La otra fuente del marxismo cultural es, por supuesto, la Escuela de Frankfurt. Una corriente mutante del marxismo que se volvió explícita en cuanto a intenciones de obtener un "hombre nuevo", especialmente en la versión del ideólogo Herbert Marcuse quien, haciendo mixtura entre el freudismo y el marxismo, profetizó un estado animalesco de la humanidad futura en el cual el trabajo (y todo cuanto para éste autor implicaba de represión, esfuerzo, abnegación, disciplina) quedaría superado a favor del "juego". Una infancia y adolescencia permanentes en un ser humano irresponsable, dedicado permanentemente al disfrute libidinoso. Los límites entre el juego, el trabajo y el sexo se difuminan en esta teoría, con lo cual la cultura humana se vuelve absolutamente viscosa, sin formas. Esa vida convertida en una fiesta adolescente perpetua es la promesa buscada y promovida desde todos los laboratorios de ingeniería social a partir de Marcuse y su mayo del 68. En las degradadas universidades y escuelas de Occidente, semejante alternativa venció sobre el sueño del "Paraíso Socialista" que, a fin de cuentas todavía contemplaba referencias al valor del trabajo y el sacrificio, defensa de la patria y exaltación de la familia. Por el contrario, la Escuela de Frankfurt y el freudo-marxismo de Marcuse pueden considerar que tales instancias fundamentales de la Civilización son "represivas". Así, para millones de jóvenes europeos y americanos a partir de los años 60 del siglo pasado, la lucha "contra el sistema" devino en una abstracta y ciega lucha contra la Represión, y no en una lucha contra las "insufribles" condiciones económicas que hacían que esos jóvenes estuvieran bien alimentados, matriculados en la universidad y guarecidos por los ingresos de sus padres hasta bien entrada la treintena.

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Lo significativo, para nuestro análisis, no es el por qué esos millones de jóvenes semicultos se acogieron a una ideología que, a fin de cuentas, les liberaba de cargas, obligaciones, una visión de la vida cómoda, "des-represiva" que consagraba la existencia del adolescente haciéndola ideal, perpetua y superior, garantizando su vigencia hasta la vejez en una utópica Sociedad del Bienestar ilimitada, "idealista", infantilmente alzada sobre las nubes como los castillos de los sueños y de los cuentos... Lo importante es otra cosa: el marxismo cultural como mutación ideológica, como anti-filosofía, que implica todo ello está llegando a ser el mecanismo de control de pensamiento de masas más eficaz y omnímodo de la historia pues él mismo provoca el consenso universal buscado. Perpetúa las relaciones de explotación entre países y entre clases sociales, siendo ciegos ante ellas, con la ventaja de que apenas quedan "marxistas auténticos" para analizarlas y denunciarlas. La esclavitud de millones de seres en nuestro planeta queda oculta, en cambio, bajo las demandas de feministas de clase media y media-alta con diplomas universitarios y vida "liberada" que piden cuotas de igualdad. La trata de niños o el comercio de armas en el globo, se oscurecen ante las manifestaciones a favor de la aberración sexual por parte de activistas millonarios o la declaración de los derechos humanos de los simios. La degradación de las condiciones laborales de las personas no tiene el mismo "sex-appeal" en el mercado de las ideologías y de la propaganda que los llamados "derechos de bragueta". Y suma y sigue. El marxismo cultural es la mayor mutación ideológica y la mayor nube negra y tóxica sobre las conciencias del hombre y la mayor trampa de la historia. Posiblemente, la mayor apuesta del capitalismo globalizado tendente a troquelar no ya sólo la sociedad, plegada a sus dictados, sino a troquelar y transmutar la propia naturaleza del hombre.

Publicado originalmente en "Naves en Llamas" (2018; nº 2,pps. 23-32)

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