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dimanche, 17 mai 2020

Ortega y Gasset, la philosophie et la vie

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Ortega y Gasset, la philosophie et la vie

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« Toute vie est plus ou moins une ruine dans les décombres de laquelle nous devons découvrir ce que la personne aurait voulu avoir été ». En écrivant cette phrase à propos de Goethe, dans un des textes qu’il a consacrés à ce dernier durant les années 1930 et 1940, le philosophe espagnol José Ortega y Gasset ne songeait-il pas spécialement à lui-même ? Les biographes de Goethe, faisait-il remarquer, ont essentiellement décrit sa vie de l’extérieur, contribuant ce faisant à façonner une statue qui donne de lui une image mensongère. En les invitant et en s’employant lui-même à reconstruire sa vie « de l’intérieur », par la comparaison de ce qu’elle a effectivement été et du rêve qui animait l’écrivain, Ortega ne faisait qu’appliquer l’idée, au cœur de sa philosophie, que toute vie est définie par une « vocation » que chacun parvient plus ou moins à réaliser, dans un combat de tous les jours très difficile à gagner  : « la vie est de manière constitutive un drame, parce qu’elle consiste en la lutte frénétique contre les choses et contre notre propre caractère pour accomplir ce que nous sommes en projet ».

Il est cependant difficile de ne pas faire un lien tout particulier entre la phrase citée et la vie d’Ortega y Gasset lui-même, dont l’histoire est celle « d’une frustration et […] d’un succès insuffisant » déclare Jordi Gracia en ouverture du remarquable livre qu’il vient de lui consacrer. Publié dans la collection « Españoles Eminentes » dans laquelle sont notamment déjà parues des biographies de Miguel de Unamuno et Pío Baroja – deux écrivains par rapport auxquels (et en grande partie contre lesquels), Ortega s’est défini dans sa jeunesse – cet ouvrage se distingue des précédentes biographies du philosophe par la grande attention qui y est portée à sa personnalité.

Une image nuancée et complexe

51H2WYJTFWL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgLa littérature sur Ortega y Gasset est extraordinairement abondante. Longtemps, elle s’est limitée à la présentation et l’étude de ses idées philosophiques, sociologiques, politiques et esthétiques. Ce n’est qu’assez récemment que sont apparues les premières biographies en bonne et due forme. Deux des plus fouillées, par Rockwell Gray et Javier Zamora Bonilla, coordinateur de la nouvelle édition des œuvres complètes d’Ortega en dix volumes, sont essentiellement, pour reprendre l’expression utilisée par le premier de ces deux auteurs à propos de son livre, des biographies « intellectuelles ». En filigrane de l’exposé des idées d’Ortega et de leur évolution, un certain nombre d’aspects de sa vie personnelle et de son caractère y étaient toutefois évoqués. Jordi Gracia va plus loin encore dans cette direction, en s’appliquant à mettre en évidence, grâce à l’exploitation de nombreux documents dont certains inédits (notes privées, correspondance), le jeu serré des interactions entre la personnalité d’Ortega, ses idées et les péripéties de sa vie. Dense, touffue, farcie de citations et rédigée sur un ton souvent subjectif, personnel et passionné, épousant les reliefs et les sinuosités de la vie intellectuelle et émotionnelle d’Ortega plutôt que de présenter de manière linéaire, distante et méthodique les événements de son existence et le contenu de ses œuvres, cette biographie, dont la lecture profitera surtout à ceux qui sont déjà un peu familiers des théories du philosophe et de sa trajectoire, jette sur le personnage une lumière nouvelle.

javier-zamora-bonilla-ortega-y-gasset-D_NQ_NP_878042-MCO28655681105_112018-F.jpgL’image qui ressort de ce portrait est nuancée et complexe. C’est celle d’un homme « d’une intelligence insolente […] impérialement sûr de lui et souriant, plaisantin, jovial, fanfaron et séducteur », d’un travailleur forcené et infatigable doté d’une imagination puissante, mais aussi d’un homme anxieux, tourmenté et non sans contradictions, s’efforçant avec opiniâtreté de surmonter des faiblesses dont il était en partie conscient, vulnérable au découragement et qui a traversé plusieurs épisodes de dépression psychologique paralysante. Comme l’indique sans équivoque la première phrase du livre, c’est aussi l’image d’un homme pouvant penser que sa vie avait été, au moins partiellement, un échec. Pour quelles raisons ?

Dans son élogieux compte rendu de l’ouvrage de Jordi Gracia, Mario Vargas Llosa, lecteur assidu d’Ortega y Gasset et grand admirateur du philosophe en qui il voit un héraut du libéralisme humaniste, évoque le « grand échec » qu’a représenté pour Ortega l’impossibilité de traduire dans les faits ses idéaux politiques. C’est assurément dans ce domaine que la distance entre ses ambitions et la réalité a été la plus grande et la plus lourde de conséquences. Fils de l’écrivain et journaliste José Ortega Munilla, directeur du supplément littéraire du journal El Imparcial, petit-fils, par sa mère, du fondateur de ce même journal, rejeton, en un mot, de la bourgeoisie intellectuelle, cultivée et progressiste madrilène de la fin du XIXe siècle, Ortega y Gasset a embrassé dès sa jeunesse les idéaux de cette génération dite « de 1914 » dont il  allait devenir la figure la plus notoire. Les représentants de la génération précédente, dite « de 1898 », Unamuno, Baroja et d’autres écrivains comme Azorin et Valle-Inclán, exprimaient dans leurs œuvres une vision tragique, irrationaliste et volontiers pessimiste de la vie et étaient fortement attachée à l’identité espagnole. Les membres de ce nouveau groupe, dont les plus connus et représentatifs, à côté d’Ortega, étaient ses deux amis le médecin lettré Gregorio Marañon et l’écrivain et journaliste Ramón Pérez de Ayala, l’écrivain et politicien Manuel Azaña et le diplomate Salvador de Madariaga, étaient par contre de fervents rationalistes, tournés vers l’action et animés par la volonté de moderniser l’Espagne et de l’ouvrir à l’Europe en s’appuyant sur une élite intellectuelle sensible à l’idéal du progrès et acquise aux valeurs du libéralisme.

Un libéral conservateur

Dans un premier temps, Ortega apparaît avoir identifié cet idéal avec celui du socialisme, un socialisme non marxiste de caractère social-démocrate qui le séduisait au plan intellectuel au moins autant que strictement politique : « Ce qui attirait Ortega dans le socialisme, observe pertinemment Javier Zamora Bonillo, était sa rationalité ». Sa vision politique évoluera assez rapidement. « Dans sa maturité, résume Gracia, [Ortega] a été un libéral conservateur cherchant à redéfinir le libéralisme démocratique, identifiant les deux totalitarismes des années trente comme de néfastes régressions à un état antérieur au libéralisme du XIXe siècle [et cherchant] à protéger ce libéralisme contre les conséquences négatives et les faiblesses des démocraties modernes ». Dans son livre le plus connu et le plus traduit, La Révolte des masses, Ortega se livre ainsi à un plaidoyer pour les valeurs du libéralisme éclairé en mettant en garde, dans un esprit proche des réflexions de Tocqueville au sujet des dérives de la démocratie, contre les dangers liés à la massification des individus, une massification dont il voyait dans le nazisme et le communisme à la fois l’expression extrême et le produit le plus dévastateur.

Mais Ortega n’eut la satisfaction, ni de pouvoir appliquer ses idées politiques lui-même, ni de les voir mettre en œuvre par d’autres. À deux reprises, il s’engagea dans la politique active, pour s’en retirer chaque fois rapidement. La deuxième occasion est la plus connue. Quelques semaines avant la proclamation de la seconde république espagnole, qui mit fin, au mois d’avril 1931, à la dictature du général Primo de Rivera, premier ministre du roi Alphonse XIII durant les dernières années de la restauration monarchique, Ortega avait fondé avec Gregorio Marañon et Ramón Pérez de Ayala un mouvement intellectuel et politique baptisé « Agrupación al Servicio de la República ». Transformé en parti, il remporta aux élections suffisamment de voix pour faire élire Ortega au Parlement. Choqué par les excès du parti républicain, Ortega démissionna de son siège au bout de quelques mois, en déclarant renoncer à toute vie politique active. Peu de temps après, le déclenchement de la guerre d’Espagne allait le placer face à un choix impossible.

Un choix impossible

La position politique d’Ortega pendant et après le conflit a donné lieu à d’innombrables gloses et commentaires. Plus personne, à présent, n’ose affirmer que le silence public qu’il s’est imposé reflétait une stricte neutralité. Homme d’ordre, abhorrant le communisme, Ortega, à l’instar de ses amis libéraux Marañon et Perez de Ayala, souhaitait à titre privé la victoire du camp nationaliste, qu’ils considéraient tous les trois comme un moindre mal face au risque de voir s’établir en Espagne un régime totalitaire. Parce qu’il avait malgré tout signé, dans des circonstances très discutées (peut-être suite à des menaces), un manifeste en faveur des républicains, craignant pour sa vie et sa sécurité, il choisit de s’exiler. À Paris tout d’abord, puis en Argentine où il s’était déjà rendu plusieurs années auparavant et avait eu l’occasion de donner des conférences, à Lisbonne, enfin, où il établit sa résidence et resta domicilié jusqu’à sa mort, en dépit de séjours en Espagne durant les dernières années de sa vie, régulièrement entrecoupés de voyages dans d’autres pays.

18982430389.jpgCes années furent les plus pénibles de l’existence d’Ortega. À Paris, où s’était également réfugié Gregorio Marañon, il souffrit de graves problèmes de santé qui mirent ses jours en danger. En Argentine, la fréquentation de milieux conservateurs lui valut l’opprobre des intellectuels progressistes, avec pour effet de le placer dans une situation de terrible isolement. L’étrange théorie du penseur comme prophète condamné à la solitude qu’il développa à ce moment dans plusieurs articles, à rebours de sa vision de toujours du rôle de l’intellectuel, pourrait être interprétée, suggère judicieusement Eve Giustiniani, comme une tentative d’auto-légitimation de cette solitude forcée – preuve supplémentaire, s’il était nécessaire, de l’impact permanent des épisodes de sa vie sur sa pensée.

De manière générale, les anciens républicains et ceux qui avaient sympathisé avec leur cause accusaient Ortega d’avoir trahi leur idéal. Ils furent confortés dans ce sentiment lorsqu’en 1946, dix ans après la victoire des troupes du général Franco et l’instauration de la dictature militaire, le philosophe décida de réapparaître officiellement en Espagne et de s’y exprimer publiquement. L’initiative était malheureuse, parce qu’elle pouvait être (et a effectivement été) interprétée comme une caution apportée au régime franquiste. « Le drame d’Ortega » résume très bien Andrés Trapiello dans son histoire des écrivains dans la guerre civile espagnole Les Armes et les Lettres, « fut d’être un libéral dans un monde qui n’acceptait pas le libéralisme, d’être obligé, par conséquent, de choisir un camp quand aucun n’était accueillant à ses idées et aucun, bien entendu, ne s’accordait à son tempérament pacifique, érudit et intellectuel ».

Mais Ortega a-t-il réellement été franquiste ? Certains l’ont soutenu et tenté de le démontrer, en premier lieu Gregorio Morán dans El Maestro En El Erial, un livre brillant et à bien des égards très éclairant sur la vie politique et intellectuelle espagnole d’après-guerre et la personnalité d’Ortega, mais dont, dans sa radicalité, la thèse centrale apparait fragile, tant elle implique de solliciter les témoignages et les documents. Jordi Gracia, qui connaît très bien l’histoire des intellectuels sous le franquisme pour l’avoir étudiée dans plusieurs ouvrages, est au contraire d’avis qu’Ortega n’a jamais été franquiste au sens fort et strict du mot. On peut aisément le suivre sur ce point.

91fZQW8xy5L.jpgÀ l’évidence, Ortega n’avait en effet aucune sympathie intellectuelle pour l’idéologie franquiste. Résolument agnostique (par fidélité avec ses convictions sur ce plan, sa famille, à sa mort, refusa les funérailles religieuses qu’envisageaient les autorités), il se sentait à des années-lumière du conservatisme clérical et religieux du parti de Franco. Il est incontestable qu’une partie des phalangistes au pouvoir se sont emparés de certaines de ses idées dans le but de fournir au régime une légitimité intellectuelle. Mais de cela on ne peut le tenir responsable. On ne peut pas non plus vraiment lui reprocher d’avoir naïvement pensé que le régime franquiste pouvait évoluer dans le sens de la démocratie. On peut par contre lui faire grief de s’être laissé aller, par manque de courage ou par opportunisme, à tenir des propos et à prendre des initiatives qu’il aurait pu éviter, ainsi que d’avoir continuellement maintenu autour de sa position politique une ambiguïté troublante. Il la paiera lourdement : regardé avec méfiance par les opposants au régime comme par les responsables de celui-ci, il passera les vingt dernières années de sa vie dans une situation peu claire et inconfortable en Espagne, ne bénéficiant d’une réelle reconnaissance sans réserve et sans arrière-pensées qu’en dehors des frontières du pays.

Des États-Unis d’Europe

Ortega est par ailleurs mort deux années trop tôt pour pouvoir assister au triomphe de l’idée de l’unification européenne dont il avait été un pionnier sous la forme, dans La Révolte des masses, de l’appel à la création des « États-Unis d’Europe ». Cette idée, Ortega la défendait au nom du principe « L’Espagne est le problème, l’Europe la solution », un slogan très révélateur de ses préoccupations profondes. Dans son célèbre portait contrasté d’Unamuno et Ortega y Gasset, Salvador de Madariaga met bien en évidence combien il n’est pas simple de caractériser les deux hommes dans leurs rapports à l’Espagne et l’Europe. Avocat de l’hispanité et férocement attaché à l’université de Salamanque au cœur de l’Espagne la plus hispanique, mais polyglotte et intellectuellement cosmopolite, Unamuno peut cependant être considéré comme un véritable esprit européen et universel. Face à lui, Ortega, peu à l’aise dans d’autres langues en dépit de sa grande maîtrise passive de l’allemand et dont l’œuvre, dit très bien Rockwell Gray, « semble souvent plus résolument programmatique dans son besoin de mesurer tout ce qui est européen aux besoins de l’Espagne », bien qu’à première vue davantage européen, se révèle en réalité plus espagnol que son aîné. C’est ce qu’avait d’ailleurs bien aperçu un des rares penseurs français à s’être intéressés à lui, Albert Camus, qui écrivait à son propos : « [Ortega y Gasset] est  peut-être le plus grand écrivain européen après Nietzsche, et pourtant il est difficile d’être plus espagnol ».

Essayiste, homme de presse et d’édition (il a fondé un quotidien, El Sol, cinq revues, dont El Spectator et laRevista de Occidente et une maison d’édition), commentateur politique, agitateur d’idées, analyste de la société, Ortega se voyait et se présentait avant tout comme un philosophe. Dans ce domaine, ce qu’il a réalisé a-t-il été à la hauteur de ses aspirations ? Rationaliste fervent, Ortega respectait la science. Comme l’a montré l’historien des sciences José Manuel Sanchez Ron, il avait même une assez bonne connaissance (certes de seconde main et approximative) de certaines disciplines et réalisations, par exemple la théorie de la relativité en physique. Pour Ortega, aux yeux de qui la véritable justification de la science moderne n’était pas sa capacité à énoncer des vérités sur la réalité, mais le succès des réalisations techniques auxquelles elle a donné lieu, la connaissance scientifique n’était cependant qu’une expression subalterne de la raison. Dans son esprit, la véritable connaissance était la connaissance philosophique.

« Moi et mes circonstances »

Des milliers de pages ont été écrites sur la philosophie de José Ortega y Gasset, dont il demeure difficile de se faire une image d’ensemble parfaitement cohérente. Bien qu’il ait toujours prétendu avoir conçu un système, Ortega était en effet par tempérament un penseur non-systématique. Ses idées n’ont de surcroît jamais cessé d’évoluer, en conformité avec une des thèses centrales de sa philosophie. C’est ce que lui-même soulignait en commentant en ces termes une de ses affirmations les plus fameuses : « « Je suis moi et mes circonstances ». Cette phrase, qui apparaît dans mon premier livre [Meditaciones del Quijote] et qui condense […] ma pensée philosophique n’est pas simplement l’énoncé de la doctrine que mon œuvre expose et propose, elle est elle-même une illustration de cette doctrine. Mon œuvre est, par essence et dans son existence même, circonstancielle. »

518YDWHJ9ZL.jpgEsprit curieux et lecteur vorace, Ortega a emprunté des idées ou des concepts à de nombreux penseurs, pour les mettre au service d’une intuition centrale : « le socle de toutes mes idées philosophiques, écrira-t-il, est l’intuition du phénomène de la vie humaine ». L’idée que l’objet de la philosophie ne peut être que l’existence humaine dans ce qui fait sa singularité – le fait qu’elle ne se réduit pas à sa réalité biologique et possède une dimension historique au plan individuel et collectif –  Ortega l’a trouvée dans la lecture de penseurs comme Nietzsche, Bergson et surtout Wilhelm Dilthey, psychologue et philosophe allemand qu’il considérait comme « le philosophe le plus important de la seconde moitié du XIXe siècle ».

Dans un ouvrage par ailleurs exceptionnellement intelligent et d’une grande richesse, l’historien John T. Graham s’efforce d’établir l’existence d’une influence déterminante du pragmatisme du psychologue américain William James sur les idées d’Ortega. Il est difficile de l’exclure complètement, mais on a beaucoup de peine à se convaincre qu’elle a eu l’importance que lui attribue Graham. De manière générale, Ortega, qui a étudié à Leipzig, Berlin et Marbourg, mettait au plus haut la philosophie allemande, dont deux écoles de pensée contemporaines, le néo-kantisme d’Hermann Cohen et Paul Natorp, et (surtout) la phénoménologie d’Edmund Husserl et Max Scheler, l’ont significativement marqué. De l’une et l’autre il héritera certaines idées, tout en soulignant rapidement ce qu’il percevait comme leurs limitations. Du néo-kantisme, par exemple, il retiendra l’insistance sur le rôle central de la raison dans la structuration de l’expérience humaine et la volonté de construire une philosophie de la culture et de l’éducation, tout en lui reprochant de manquer par un excès d’intellectualisme la réalité de l’existence humaine. Dans le même esprit, il accusera la phénoménologie de s’en tenir à l’analyse de la conscience. Ces penseurs allemands ne furent toutefois pas ses seules sources d’inspiration. Chez Unamuno, par exemple, dont il dénonçait pourtant avec véhémence l’irrationalisme et le spiritualisme, Ortega a trouvé (à tout le moins retrouvé) une de ses idées fondamentale, celle du caractère foncièrement tragique de la vie.

À partir de tous ces éléments, Ortega réalisera une synthèse très personnelle organisée autour du concept de « raison vitale » qui lui permettait, pour reprendre la belle formule de Fernando Savater, de « combiner lucidité intellectuelle […] et urgence vitale ». Au bout d’un certain temps, cette « raison vitale » sera élargie à la dimension collective de l’Histoire sous la forme de la « raison historique ».  « L’Ortega de la maturité, résume Jordi Gracia,  n’est ni kantien ni néokantien, mais un exemple rare de déserteur de la phénoménologie par l’intermédiaire du néo-nietzschéisme, moins préoccupé par les problèmes du savoir et de la théorie de la connaissance […] que par l’étude des conditions historiques de l’existence humaine ».

Un leitmotiv des remarques d’Ortega au sujet des philosophes du passé et des penseurs contemporains qui l’ont inspiré est qu’ils ne se sont pas montrés assez « radicaux » – « radical » et « radicalité » sont des mots clés de son vocabulaire et de sa pensée – et qu’il convient donc de les « dépasser ». Une des raisons de ceci est qu’il ne trouvait pas chez eux l’écho de son intuition fondamentale de l’existence humaine. Une autre, sans doute plus déterminante, est qu’Ortega, très soucieux d’affirmer son originalité et sa supériorité, ne supportait guère l’idée d’avoir des rivaux. Lorsque les vues de Husserl, dans La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, semblèrent se rapprocher de sa théorie de la raison historique, il ne tarda pas à souligner tout ce qui dans les idées du père de la phénoménologie manquait pour rendre compte de ce que le concept qu’il avait lui-même forgé permettait d’expliquer.

La découverte de Heidegger

CtT2VeeWcAEpakA.jpg large.jpgUn choc considérable à cet égard a été la parution, en 1927, de L’Être et le Temps, l’ouvrage qui a fait connaître Martin Heidegger. À plusieurs endroits de son livre, Jordi Gracia évoque le bouleversement qu’a engendré chez Ortega la découverte de la philosophie de Heidegger, dont la proximité apparente des idées avec les siennes ne pouvait manquer de le perturber. Conformément à son habitude, Ortega prit soin de se distancer de Heidegger en pointant du doigt ce qu’il critiquait comme les faiblesses de sa pensée : dans un premier temps ce qu’il appelait son pessimisme, bien illustré dans son esprit par le rôle dévolu dans L’Être et le Temps à l’angoisse comme révélateur de la condition humaine ; plus tard ce qu’il présentait à juste titre comme la dérive de la pensée de Heidegger vers des considérations de caractère religieux et théologique, lorsque ses préoccupations ont évolué d’une philosophie de l’existence à des réflexions ontologiques (sur la nature de l’être en général).

Un des rares endroits de son œuvre où Ortega s’étend un peu sur la pensée de Heidegger est une longue note de bas de page d’un de ses textes sur Goethe. Significativement, après y avoir qualifié L’Être et le Temps de « livre admirable », il s’empresse de faire remarquer qu’« on peut à peine trouver [dans cet ouvrage] un ou deux concepts importants qui ne préexistaient pas, parfois avec une antériorité de trois ans, dans [ses propres] livres.» Cette question d’antériorité était d’autant plus sensible pour lui que plusieurs de ses élèves et disciples portaient aux nues le philosophe allemand. (Ortega n’aura l’occasion de rencontrer Heidegger qu’en 1951, à la satisfaction apparente des deux hommes qui, semble-t-il, s’apprécièrent beaucoup).

Il est une autre parenté d’esprit encore plus flagrante qui semble avoir échappé à Ortega, vraisemblablement parce qu’il n’a jamais lu très attentivement l’auteur concerné. Dans une réflexion sur le thème d’Ortega et la sagesse, qui est en réalité une plongée au cœur même de sa pensée, le philosophe Jesús Mosterín énumère tous les termes et les expressions qu’il utilise pour faire référence à l’idée centrale et fondamentale de sa philosophie : « Vocation ; vocation inexorable ; vocation vitale ; destin ([employé dans le sens] non de ce qui doit se passer et se passe, mais de ce qui devrait se passer et souvent ne se passe pas) ; destin intime ; destin exclusif ; plan vital ; programme vital ; programme d’existence ; projet vital ; projet d’existence ; projet d’être ; vie-projet ; mission […] ».

À la lecture de cette liste, comme de tout ce qu’Ortega a écrit sur ce thème, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec les idées d’un philosophe dont le nom n’a curieusement été que rarement associé au sien (essentiellement par Alfred Stern et à sa suite John Graham), celui de Jean-Paul Sartre. « La thèse fondamentale d’Ortega », rappelle Mosterín, « est que chaque vie humaine est caractérisée par une vocation déterminée de manière univoque, indépendante de la volonté [de la personne concernée] et de ses capacités ». On est vraiment très près, ici, du concept de « projet existentiel » au cœur de l’anthropologie philosophique du Sartre d’avant la rencontre avec le marxisme, et au centre des études biographiques qu’il a consacrées à Baudelaire, Genet et Flaubert.

Comme Sartre, rempli de lui-même

Les points communs ne s’arrêtent pas là. Comme chez le premier Sartre, les concepts d’«authenticité » et de « vie authentique » jouent un rôle important dans la pensée d’Ortega. Et entre la « situation » du premier et les « circonstances » du second, la différence n’est pratiquement que de mot. Si manifestes qu’elles soient, ces ressemblances ne témoignent nullement d’une influence directe dans un sens ou un autre. Les idées d’Ortega étaient formées plusieurs années avant que Sartre n’énonce les siennes, et rien n’indique que Sartre ait été significativement influencé par le philosophe espagnol, qu’irritait d’ailleurs de manière générale l’ignorance de son œuvre par les existentialistes français.

51Jyu7IgSEL.jpgLe parallèle pourrait être poussé plus loin encore, jusqu’à inclure un trait psychologique particulier des deux hommes, leur attitude face aux penseurs et aux artistes dont ils traitaient. Ortega analysait la vie de Goethe, Velasquez ou Goya à la lumière de leur « vocation fondamentale » exactement comme Sartre lisait celle des écrivains dont il parlait en référence à leur « projet existentiel ». Mais l’un et l’autre tendaient de surcroît à se projeter dans la vie et la personnalité des créateurs sur qui ils écrivaient, d’une façon qui conférait aux portraits qu’ils livraient d’eux le caractère d’autoportraits implicites et déformés. Comme Sartre, Ortega était rempli de lui-même, même si c’est d’une manière très différente, la forme particulière d’orgueil de Sartre lui interdisant cette vantardise dans laquelle le philosophe espagnol tombait volontiers. Mais, comme lui, il a réussi à faire de cette caractéristique psychologique une force, en développant une vision de la vie qui, tout en nous parlant ostensiblement de lui-même, possède à l’évidence une portée universelle.

Ortega était conscient de la valeur de ses idées, et s’il a pu éprouver un sentiment d’échec et de frustration au plan philosophique, ce n’est pas de n’être pas parvenu à en formuler qui fussent fortes. C’est de ne pas avoir réussi à les présenter sous une forme systématique. « Nous avons la chance », faisait remarquer l’écrivain mexicain Octavio Paz, « qu’Ortega n’ait jamais cédé à la tentation du traité ou de la somme ». Cette affirmation est à la fois exacte et inexacte. Elle est exacte en ce sens qu’il est heureux que les idées d’Ortega nous aient été transmises sous une autre forme, dans laquelle il excellait. Mais il est faux qu’il n’ait jamais tenté de leur conférer une forme plus systématique. Il s’y est au contraire longtemps évertué, mais sans succès. Comme tous les autres biographes d’Ortega, Jordi Gracia évoque le triste feuilleton de deux projets de livres, indéfiniment reportés, dans lesquels Ortega aurait voulu respectivement condenser ses idées sociologiques et sa philosophie de la raison vitale et de la raison historique. Ils ne verront jamais le jour, en tous cas pas de son vivant (le premier, L’homme et les gens, sera publié à titre posthume), parce qu’Ortega, pourtant un travailleur acharné, n’avait pas le type de caractère nécessaire pour mener à bien ce type d’entreprise.

Essais, articles et conférences

« La première chose à dire au sujet de mes livres », reconnaissait-il d’ailleurs volontiers, « est que ce ne sont pas à proprement parler des livres ». De fait, dans les dix mille pages de ses œuvres complètes, on ne peut identifier qu’un seul livre originellement conçu et voulu comme tel, le premier qu’il ait publié, lesMeditaciones del Quijote, qu’on pourrait d’ailleurs en réalité considérer comme l’assemblage de deux textes indépendants. Tous ses autres ouvrages sont des collections réalisées après coup d’articles de journaux ou de revues, de textes de conférences ou de divers essais de circonstances sur un même thème, assortis le cas échéant de textes d’introduction, de préfaces et de postfaces écrits pour les besoins de la cause. C’est notamment le cas de La Révolte des masses, dont, dans l’édition sous lequel nous le connaissons, le corps du texte, directement dérivé d’articles parus dans la presse, est flanqué d’un « Prologue pour les Français » et d’un « Épilogue pour les Anglais » rédigés respectivement huit et neuf ans plus tard à l’occasion de la publication de traductions de l’ouvrage, dans lesquels Ortega introduit un certain nombre de précisions, de nuances et d’idées nouvelles.

oygquikote.jpgSi Ortega a choisi de s’exprimer presque exclusivement de la sorte, c’est certainement pour pouvoir toucher un large public, en conformité avec ce qu’il voyait comme son rôle d’éducateur de l’élite. Mais c’est aussi pour des raisons liées à son caractère et sa personnalité, justement soulignées par son disciple Julian Marias : « Écrire un livre requiert un tempérament bien plus ascétique que celui d’Ortega. […] Le caractère voluptueux des sujets [qu’il traitait], qu’Ortega ressentait intensément d’une manière qui faisait de lui non seulement un intellectuel, mais un écrivain au sens plein du terme, le distrayait très fréquemment et l’entraînait vers des questions secondaires et, surtout, vers de nouveaux sujets […]».

Le nombre très important de textes de conférences dans son œuvre illustre de surcroît ce fait qu’Ortega était avant tout un homme de la parole prononcée plutôt qu’écrite. « Ortega aimait parler, bavarder, converser. Probablement plus qu’écrire » rappelle José Lasaga Medina dans le très utile petit livre qu’il lui a consacré. Dénonçant la « tristesse spectrale de la parole écrite », il trouvait l’expression orale mieux accordée à la fluidité de la pensée, comme à la mobilité foncière de l’objet de la philosophie, la vie humaine. Comme souvent avec lui, cette justification théorique était aussi le reflet de dispositions et de préférences personnelles : au témoignage unanime de ceux qui ont eu l’occasion de l’écouter, Ortega était un orateur et un débatteur exceptionnellement brillant au magnétisme puissant, dont les conférences et les interventions lors des innombrables « tertulias » (réunions intellectuelles) qu’il a animées au cours de sa vie laissaient ses auditeurs et interlocuteurs remplis d’admiration. C’est avec raison que Mario Vargas Llosa fait de ce point de vue le rapprochement avec Isaiah Berlin, auquel Ortega fait songer non seulement par sa conception essentiellement philosophique, politique et éthique (plutôt qu’économique) du libéralisme, mais aussi par des caractéristiques comme son incapacité à mener à bien des projets de livres annoncés de longue date, sa franche prédilection pour l’expression orale et le brio de ses exposés improvisés ou formels.

Canotier et voitures décapotables

Au plan personnel, enfin, la vie de José Ortega y Gasset peut-elle être considérée comme une réussite ? En dépit de son admiration palpable pour l’homme, Jordi Gracia ne cherche nullement à dissimuler les défauts, les faiblesses de caractère et les traits psychologiques les moins plaisants d’Ortega, souvent relevés avec amusement, indulgence, affliction, sévérité ou cruauté selon les cas par ses contemporains et plusieurs de ses biographes, de moins en moins réservés à ce sujet à mesure que le temps passe. Déterminé, sous l’emprise de ses préjugés idéologiques à son égard, à proposer d’Ortega un portrait à charge au plan humain également, Gregorio Morán, par exemple, multiplie les anecdotes qui ne montrent guère le philosophe à son avantage. Son parti pris est évident. Mais sous une forme atténuée, on retrouve sous la plume d’autres commentateurs un certain nombre de ses observations indignées ou sarcastiques sur ses traits de personnalité les moins flatteurs.

cochenueva.jpgAu titre de ceux-ci, l’écrivain Javier Cercas énumère ainsi « [la] pédanterie d’Ortega, son snobisme, sa tendance aux jugements arbitraires, son nationalisme mal dissimulé, son autoritarisme de salon [et] son goût pour les gens prétentieux », caractéristiques dont Jordi Gracia, tout en soulignant à l’envi ses qualités (sa générosité intellectuelle, son courage dans l’adversité, son tempérament combatif et passionné), ne tente pas de faire davantage mystère que des traits physiques et de comportement qui leur sont liés et sont autant de composantes de l’image qu’il voulait donner (et que nous avons) de lui : l’élégance vestimentaire extrême, le canotier et les voitures décapotables décapotées même en hiver, habitude dont la combinaison avec l’assuétude à la cigarette, a-t-on dit, a pu contribuer aux problèmes respiratoires dont il a souffert durant toute sa vie.

Un des aspects les plus embarrassants de la personnalité d’Ortega est son attitude à l’égard des femmes et sa vision du monde féminin. Au moins aussi fasciné par la figure de Don Juan que son ami Marañón, qui lui a consacré un livre, Ortega, qui adorait plaire et séduire en général, aimait tout particulièrement plaire aux femmes et les séduire par son verbe éclatant. Appréciant et recherchant la société des femmes, qu’il affirmait préférer à celle des hommes, il éprouvait un vif plaisir à s’entourer de femmes belles, riches et intelligentes. C’était le cas de deux des trois femmes dont, selon Jordi Gracia, il fût le plus éperdument amoureux au cours de sa vie, la plus fameuse étant l’éditrice et écrivain argentine Victoria Ocampo. En contradiction apparente avec ce goût affiché pour les femmes cultivées, et en dépit du fait que parmi ses plus brillants élèves, collègues et interlocuteurs figuraient des femmes (Maria Zambrano, Rosa Chacel), Ortega défendait toutefois dans ses écrits des opinions sur les femmes, leurs capacités intellectuelles et leur place dans la société qu’on a justement pu qualifier de « préhistoriques », archaïques et particulièrement conservatrices, même pour un homme de sa génération.

À l’instar de Gregorio Marañon, libéral dans beaucoup de domaines mais professant sur ce point des vues terriblement traditionnelles en les appuyant sur la thèse d’un déterminisme hormonal presque absolu de la psychologie masculine et féminine, Ortega, « antiféministe congénital » aux dires de sa fille Soledad, n’envisageait pratiquement pour la femme d’autre fonction dans la société que d’adoucir le caractère belliqueux des hommes et d’offrir à ceux-ci le spectacle de leur beauté et la possibilité de s’élever au-dessus d’eux-mêmes dans l’exaltation de la passion amoureuse.

Solitude radicale

L’excellente opinion qu’Ortega avait et exprimait de lui-même et cette volonté de singularité si prononcée qu’elle le poussait à refuser l’idée d’avoir des disciples, ont à l’évidence profondément affecté ses relations avec son entourage. Jordi Gracia attire l’attention sur ce fait remarquable que dans la totalité de ses lettres avec presque tous ses correspondants Ortega emploie le vouvoiement : « En dehors des membres de sa famille, la seule personne qu’il tutoie est Victoria Ocampo, et ceci sans doute à l’initiative de cette dernière. Cette incapacité à moduler les relations personnelles, à descendre de son piédestal, est significative. » La solitude radicale dont parlait Ortega, conclut Gracia, n’était pas seulement métaphysique, elle avait aussi un caractère personnel.

« Quand je mourrai », écrivait José Ortega y Gasset à l’âge de vingt-et-un ans, « j’espère que ma vie aura laissé un sillon profond et fécond dans l’histoire de l’Espagne ». Lorsqu’un cancer des voies digestives l’emporta en 1955, à l’âge de soixante-douze ans, pouvait-il avoir le sentiment d’avoir réalisé cette ambition de jeunesse ? À la question « Ortega y Gasset est-il le plus grand philosophe contemporain de langue espagnole ? », Gracia répond par cette autre question, rhétorique : « En existe-t-il un autre ? ». L’absence de réelle concurrence a certainement contribué à la stature acquise par la figure d’Ortega en Espagne. Elle n’explique cependant pas à elle seule qu’il soit presque impossible pour un intellectuel de langue espagnole aujourd’hui d’ignorer Ortega : la vigueur de sa pensée et la qualité littéraire de ses écrits y sont tout de même pour beaucoup.

D’un autre côté, d’être espagnol ne l’a pas toujours servi. S’il avait été français ou anglais, faisait observer Mario Vargas Llosa (mais il n’est pas le seul à s’être exprimé de la sorte), il serait aujourd’hui aussi célèbre que Jean-Paul Sartre ou Bertrand Russel. Il y a du vrai dans cette affirmation, dont il ne faudrait cependant pas conclure que l’œuvre d’Ortega est ignorée en dehors de l’Espagne et, plus généralement, du monde hispanophone. En Allemagne, par exemple, elle fait l’objet d’une grande attention, tout comme aux États-Unis – il n’est pas fortuit que deux des meilleurs ouvrages existant sur Ortega, sa biographie par Rockwell Gray et la discussion de ses idées philosophiques et de leur origine par John Graham, soient dus à des auteurs américains. C’est moins le cas, il est vrai, en Grande-Bretagne, et encore moins en France, où l’œuvre d’Ortega à quelques exceptions près (par exemple Alain Guy, Paul Aubert et Eve Giustiniani pour l’époque récente), n’a guère bénéficié de l’intérêt qu’elle mérite.

978841740820.JPGUne pépinière d’idées

Dans son propre pays, la personne et l’œuvre de Ortega y Gasset, après avoir dominé la vie intellectuelle, ont successivement connu les deux types de périodes de purgatoire qu’un penseur ou un écrivain peut traverser : une  première de son vivant, durant les vingt dernières années de sa vie au cours desquelles sa position ambigüe à l’égard du régime franquiste l’a contraint à mener une vie publique largement exempte de reconnaissance et d’honneurs officiels, sans pour autant bénéficier de l’aura attachée à l’opposition franche à la dictature ; la seconde posthume, au cours des premières décennies qui ont suivi sa mort, en conséquence du désintéressement du monde intellectuel espagnol, tout occupé à découvrir, avec le retour de la démocratie, d’autres horizons que celui de la pensée nationale, pour un auteur trop rapidement perçu comme dépassé. Aujourd’hui, grâce notamment au travail d’archives et d’édition réalisé par la Fondation José Ortega y Gasset dirigée par la fille du philosophe (aujourd’hui Fundación José Ortega y Gasset – Gregorio Marañón), une nouvelle génération d’historiens et de critiques est en train de redécouvrir Ortega, en qui il est presque commun à présent de voir, pour employer l’expression de Jordi Gracia, « un penseur pour le XXIe siècle ».

Après avoir souffert l’indignité de l’oubli, Ortega mérite-t-il ce que certains pourraient appeler un excès d’honneur ? José Ortega y Gasset a énormément écrit et s’intéressait à une étonnante variété de sujets : « Anatomie d’une âme dispersée », cette expression utilisée dans le titre d’un de ses articles de jeunesse consacré à Pío Barojà, fait remarquer Gracia, pourrait tout aussi bien lui être appliquée. Son œuvre abondante et peu structurée est de qualité inégale. Si brillants que soient certains des essais qu’il a rédigés durant ses dernières années (par exemple ses réflexions sur Leibniz et ses portraits de Velasquez et Goya), il est généralement reconnu que c’est dans la première partie de sa vie que se concentre le meilleur de son œuvre. Ortega est par ailleurs resté aveugle ou insensible à beaucoup de choses. Convaincu de la supériorité de la pensée allemande, il a presque totalement ignoré la philosophie analytique anglo-saxonne contemporaine. Et s’il admirait Proust, ses vues sur l’art et la littérature modernes étaient souvent sommaires et dédaigneuses.

Dans l’ensemble, cependant, Ortega est un penseur robuste, puissant et original. Dans son désordre apparent, son œuvre, pour reprendre la jolie métaphore de Fernando Savater à son sujet, est une véritable « pépinière d’idées ». Il n’est guère de page de ses écrits qui ne contienne deux ou trois réflexions stimulantes et autant de formulations heureuses et mémorables. En dépit des facilités d’écriture qu’il s’accordait par intermittence avec indulgence, ces expressions hyperboliques et ces phrases trop somptueusement fleuries que l’écrivain catalan Josep Pla appelait des « orchidées verbales » et le critique Rafael Sánchez Ferlosio des « ortegajos », Ortega était un écrivain de grand talent et un remarquable styliste s’exprimant dans une langue à la fois élégante et précise, musclée, rythmée, expressive et imagée.

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Les obsèques de José Ortega y Gasset (1955).

Quoi qu’il en soit des mérites de son œuvre (et ils sont hors de doute), on ne peut en tout cas qu’être frappé par le degré auquel la vie d’Ortega y Gasset vérifie ses idées sur la vie. Est-ce parce qu’il vivait en conformité avec sa conception de l’existence humaine, objet central de ses réflexions et, à son opinion, de la philosophie ? Parce que ses idées et sa philosophie sont largement le produit et le reflet de sa vie et de la manière dont il l’a vécue ? Ou parce que ces idées sont justes et capturent une caractéristique essentielle de toute vie ? Un peu de ces trois choses à la fois, sans doute, raison pour laquelle, de tous les philosophes, Ortega y Gasset est sans doute un de ceux dont on peut le moins ignorer la vie, dont il était par conséquent le plus nécessaire et utile d’écrire, une nouvelle fois, la biographie.

Michel André

Ortega y Gasset: rationalisme, utopisme et raison historique à l'âge de la complexité et de la post-modernité

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Ortega y Gasset: rationalisme, utopisme et raison historique à l'âge de la complexité et de la post-modernité

par Irnerio Seminatore

1. La modernité et le monde contemporain

La réponse qu'Ortega y Gasset apporte à l'analyse du monde contemporain procède de sa réflexion sur l'origine et l'historicité de la ''Raison''.C'est une réponse anticipatrice, lorsqu'il dégage les traits saillants de la poétique historique et la naissance d'une stratégie cognitive d'importance capitale, la ''révolution galiléenne''.

C'est un pari existentiel, à l'accent stoïcien, lorsqu'il décrit la condition anthropologique de l'homme, confronté à la crise des certitudes et à celle de l'esprit rationaliste. C'est une critique aristocratique des sociétés, qu'il conçoit sous l'angle de l'action conjointe et fondatrice des élites, de la tradition et des croyances. C'est enfin une réponse actuelle, lorsqu'il s'en prend aux philosophies et aux doctrines de la modernité, éditées à partir d'utopies, d'esprit de système, de théories ou de lois.

Ortega y Gasset devance son temps.

Il ne cesse de répéter que « la vie est la seule réalité radicale », que « la vie concrète, celle de tout individu est, en son essence, circonstance et, avant tout, appartenance à la circonstance... ».L'horizon du devenir a un centre et un point d'ancrage permanents : c'est l'homme, maître unique de son destin !

L'eschatologie du salut n'est que la toile de fond, où l'homme sécularise son besoin d'absolu.

Opposée à la Raison abstraite, à l'idée de « nécessité » ou de providence, appliquées à la société par la Weltanschauung rationaliste, Ortega y Gasset met l'accent sur l'abîme que celle-ci creuse entre le monde des idées et la situation concrète de l'homme. La volonté rationaliste veut faire coïncider à tout prix et a-priori des constructions et des projets idéaux avec la réalité vivante. Cette forme de rationalisme est à la base du radicalisme de la « raison pure », dont le radicalisme politique n'est qu'une conséquence.

Observant les événements de son temps, Ortega y Gasset y décèle les fondements de « l'esprit révolutionnaire, qui résident en une attitude radicale face à la réalité...; en une forme d'activisme doctrinaire. L'esprit révolutionnaire- dit-il – est traversé de part en part par le projet de matérialiser l'utopie, la fille de la raison pure calquée sur l'histoire ».

Puisque la vie est un devenir, la vie humaine ne peut être tenue pour une chose; elle n'a pas une nature définie ou préétablie, dont la consistance réside en un vérité, fixe et immuable. Sa seule réalité est un « facendium », un « que hacer », « un événement à caractère dramatique », bref, un heurt permanent avec la circonstance.

41Su+1tnUPL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgÀ tout moment et dans toute conjoncture; l'homme est acculé à un choix. Par ce choix, il affirme sa vocation profonde qui confère au projet humain la portée d'un engagement, dans lequel l'individu risque la perte de son existence et celle de son âme.

Substance migrante dans les formes infinies de l'être, l'homme s'investit dans le temps, en accord ou en opposition avec les multiples variations des croyances, car « on vit toujours à partir de certaines croyances ».

La vie humaine, en sa vocation authentique, demeure quête de sens et recherche de foi. C'est ainsi qu'elle est créativité et, de ce fait, histoire et seule historicité possible. Toute abstraction ne peut qu'apparaitre anti-historique, puisqu'elle ne possède pas, en soi, la faculté de juger et de résoudre les problèmes de l'homme. 

2. La Raison et la « Raison Pure »

La « Raison Pure » n'est pas, pour Ortega y Gasset, la Raison, car nous entendons «par Raison, la capacité de penser vrai et, par conséquent, de connaître l'être des choses». « L'idée de Raison inclut, à l'intérieur de soi, les thèmes de la vérité, de la connaissance et de l'être »; elle est donc vecteur d'une conception éthique, d'une certaine forme de savoir et d'une représentation particulière de la réalité, naturelle ou sociale. Or, d'après Ortega y Gasset, la Raison du « Discours de la méthode » n'était pas toute la Raison, mais seulement la « raison pure », celle des concepts et des objets mathé­matiques.

« La Raison pure n'est pas l'intelligence, mais une manière poussée aux extrêmes de faire fonctionner la Raison... Au lieu de créer un contact avec les choses, elle s'en éloigne et cherche la fidélité la plus exclusive dans ses propres lois internes... Cet usage pur de l'intellect, cette pensée « more geometrico », est appelé d'habitude rationalisme. Il serait peut-être plus exact de l'appeler « radicalisme ».

« Le radicalisme politique n'est pas une attitude originelle, mais une conséquence. On n'est pas radicaux en politique, puisqu'on est politiquement radicaux, mais parce que, avant, on est intellectuellement radicaux. ». Le radicalisme, comme renversement du rapport entre la vie et les idées, consistant à vouloir plier la réalité au projet, à s' éloigner de celle-là et à en dédaigner les formes, à faire de l'idée la seule valeur et la seule chose juste, bonne et belle, s'accomplit en l'amour pour l'idée.

La politique devient politique d'idées et la vie doit se mettre au service d'un concept, d'un système de concepts. « Toute la culture scientifique moderne depuis sa fondation par Descartes, s'est prévalue de disciplines radicales ». « La solidité de son œuvre a su résister à trois siècles d'assauts et d'expériences, pour décliner seulement aujourd'hui (1940). Cette solidité était due au radicalisme de sa méthode». Or, la crise de cette méthode se commue en une « crise de la foi en la Raison ».

Depuis la Renaissance, « le drapeau de la coexistence européenne, c'était la Raison, faculté, pouvoir, ou instrument, sur lequel l'homme avait cru pouvoir compter, pour éclairer son existence, orienter ses actions et résoudre ou contrôler ses conflits ».

La plus flagrante manifestation de cette crise apparaît dans le paradoxe, par lequel « nous avons bouclé la boucle des expériences politiques, comme le démontre le fait ajoute-t-il - qu'aujourd'hui (1937), les droites promettent des révolutions et les gauches proposent des tyrannies ».

3. La vie humaine et le monde des idées

La-Rebellion-de-las-masas.jpgVers 1860, Dilthey, considéré par Ortega y Gasset comme le plus grand penseur de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, fit la découverte d'une nouvelle réalité philo­sophique, celle de la « vie humaine ». La vie, rappelle ce dernier, n'est point « quelque chose de dérivé ou de secondaire, mais le constituant de l'idée elle-même ».

Lorsque les hommes tournent le dos à la réalité, ils « tombent amoureux des idées comme telles ». Ce « renversement radical de la relation entre la vie et les idées, devient alors l'essence véritable de l'esprit révolutionnaire ». « Une idée, forgée sans autre but que de la rendre parfaite comme idée, quelle que soit sa pertinence à la réalité, est ce que nous appelons utopie ».

Rationalisme, radicalisme et pensée « more geometrico » sont des utopismes. Or, depuis les origines, la connaissance et l'action appartiennent à deux domaines distincts.

Connaître ce n'est point changer !

Pour connaître le monde, il suffit d'une hypothèse ou d'une conjecture, pour le changer, il faut des capitaines et des forces. « L'intelligence n'a pas créé les peuples, elle n'a pas fabriqué les nations ». Or, puisque « la politique est réalisation », elle doit forcément entrer en contradiction avec l'idée ou l'utopie, en tant que promesse irréalisée d'une réconciliation définitive de l'Histoire.

Toute révolution se propose la chimère de réaliser une utopie plus ou moins complète. La tentative, inexorablement, fait échec. L'échec suscite le phénomène jumeau et antithétique de toute révolution : la contre-révolution. Nouvel échec, nouvelle réaction.. , et ainsi successivement, jusqu'au moment où la conscience sociale commence à soupçon­ner que le mauvais résultat n'est pas dû à l'intrigue des ennemis, mais à la contradiction même du projet utopique ».

4. L'Esprit Rationaliste et l'Esprit Révolutionnaire

L'époque de l'esprit rationaliste et de l'esprit révolutionnaire qui s'y accompagne, liée au refus du passé et donc au rejet de ses usages et de ses croyances, est due au triomphe de l'individualisme. Celui-ci répudie la tradition et, de ce fait, est obligé de reconstruire l'univers idéalement, fictivement, dans la tête et par la seule raison, aux moyens des idées pures, des axiomes et des principes. En ce sens, le « révolutionnaire » ne se révolte pas véritablement contre les abus de son temps, car il ne serait alors qu'un réformateur, il se « révolte contre les héritages » et donc contre la tradition.

« La révolution - affirme-t-il - n'est pas une barricade, mais une attitude de l'esprit ». Elle veut faire table rase du passé. Cependant, « la chose la moins essentielle dans les vraies révolutions, c'est la violence ». L'essentiel y est une attitude spirituelle, une vision du monde.

C'est ainsi que Ortega y Gasset perçoit tout à la fois la valeur fondatrice des croyances, qui sont à la base des grandes mutations de l'histoire et l'importance parallèle, pour la vie de l'homme, de la tradition et de la continuité historiques. Pour la sauvegarde de son équilibre créatif, de ses racines et de sa mémoire, l'homme moderne revendique son « droit à la continuité ».

La crise du présent est, en même temps, une crise de l'individualisme et une crise, non pas des principes premiers ou des valeurs suprêmes, mais de leur absence. D'où le désenchantement. L'époque que nous vivons est celle de l'âme désenchantée. Notre époque n'est point une époque de réaction, qui est toujours le « parasite de la révolution », mais la phase d'une évolution de la civilisation vers un nouveau développe-ment de la spiritualité. Le développement de la civilisation par époques, induit une correspondance dans les phases de développement de l'homme. Ainsi, « d'une attitude spirituelle de type traditionnel, on passe à un état d'esprit rationaliste et de celui-ci à un régime de mysticisme ». La troisième phase est donc celle de la désillusion, de l'âme facile, docile et servile.

autour-de-galilee-1139283-264-432.jpgL'ère révolutionnaire, dans laquelle la politique se trouvait au centre des inquiétudes humaines », où la politisation intégrale de la vie avait atteint son apogée, cette période de ferveur intense est révolue. Elle représentait une évidente aberration de la perspective sentimentale, car « l'homme moderne, qui a montré sa poitrine sur les barricades de la révolution, a montré sans équivoque qu'il attendait la félicité de la politique ».

Lorsque « la politique a été exaltée à un si haut niveau d'espoir et de dévouement », demandant trop d'elle, il est normal qu'à « la politique des idées, succède une politique des hommes et des choses... L'ère révolutionnaire se conclut simplement, sans phrases, sans gestes, résorbée dans une sensibilité nouvelle ».

Dans une période d' affection pour l'intelligence, « l'intellectuel, comme professionnel de la raison pure... a accompli son devoir, consistant à se trouver sur la brèche anti-traditionaliste, ... et il a obtenu le maximum d'influence, d'autorité et de prestige... ». Dans la période de « déclin des révolutions, les idées ne sont plus le facteur historique primaire » des grands changements historiques. Une « réforme de l'intelligence » et un nouveau rapport entre élites et masses, intellectuels et sociétés, prennent la relève dans la poursuite du cycle.

5. L'évolution des Civilisations

Le schéma des successions dans l'évolution d'une civilisation, allant du traditionalisme (ou du réalisme), au rationalisme (et donc à la révolution et à l'utopie), puis au pragmatisme (ou au désenchantement) et enfin au mysticisme (c'est-à-dire au spiritua­lisme), nous fournit-il une grille de lecture, adéquate à l'intelligibilité de notre temps ?

Si, comme l'affirme Ortega y Gasset dans « les époques d'âme traditionaliste s'organisent les nations », par « un mode traditionnel de réagir intellectuellement, (qui) consiste dans le souvenir du répertoire des croyances reçues des ancêtres » et « si l'âme primitive, quand elle naît, accepte le monde constitué qu'elle trouve... gouverné par un seul principe et disposant d'un seul centre de gravité, la tradition », la naissance, puis le développement de l'individualisme, contiennent la négation de ce monde.

« Le mode individualiste d'agir, tourne le dos à tout ce qu'il a reçu... cette pensée qui ne vient guère de la collectivité immémoriale, qui n'est pas celle des « pères », cette création sans ascendance... doit être nécessairement une Raison ».

Or, puisque pour Ortega y Gasset « la vie humaine est nécessairement histoire », la réalité humaine, à cause de son dynamisme et de son historicité, consiste à procéder du passé vers le futur. La seule limite de l'expérience humaine réside pour Otega y Gasset dans le passé. « Les expériences de vie restreignent le futur de l'homme... car l'homme n'a pas une nature, mais... une histoire ».

La signification du combat intellectuel d'Ortega y Gasset, se trouve en somme définie pour une part, par son refus du rationalisme et de l'idéalisme utopique, et pour l'autre, par la critique du monisme dominant de son temps, le prophétisme matérialiste et son eschatologie.

Estimant toujours possible les retours en arrière, l'histoire, loin d'être le lieu de réconciliation de la Raison est, pour Ortega y Gasset « une perpétuelle succession de deux classes d'époques » ; époques de formation d'aristocraties et, avec elles, de sociétés et époques de décadence de ces aristocraties et, avec elles, de désagrégation des sociétés». Rien de plus frappant, que ce diagnostic colporte un dédain pour la période que nous vivons, une période « servile et mystique », signalée par la « lâcheté et la superstition ».

6. La Scène Planétaire : vers une fin de l'Âge idéologique

La coexistence actuelle d'univers mentaux et de cultures-mondes, vivant différem­ment la communauté et la vie, agissant selon les modalités les plus disparates, magiques, sacralisées, laïcisées, rationalisantes et utopiques, cette coexistence hétérogène des valeurs de référence, comporte des segmentations éthico-culturelles multiples. Le champ des agirs socio-politiques est déchiré entre communauté et individualisme, traditions et rationalisme, croyances et modernité, puisqu'il sous-tend plusieurs types de devenirs, jusqu'ici disparates et irréductibles, sous l'empire d'une même universalité historique. La scène du monde est ainsi caractérisée par l'interdépendance croissante de l'huma­nité et par une complexité inégalée des univers physiques et mentaux. Une gestation permanente de la poétique historique annonce des futurs aléatoires et des avènements de mondes incertains et proches, au sens de l'Apocalypse de Saint-Jean.

978842068608.gifImmédiatement, nous observons la fin provisoire de l'âge idéologique et de l'utilisa­tion, bonne ou mauvaise, de celle-ci. Cela ne signifie point leur disparition définitive, car les utopies et les rêves réapparais-sent perpétuellement dans le siècle, et ils en constituent la trame imaginaire. Les sociétés développées ont refusé le fanatisme et le millénarisme, au profit d'une phase d'apaisement de leurs conflits. Elles ne pourront vivre longtemps dépossédées de leurs âmes. Nous assistons sûrement à une accélération du temps, à l'irruption d'un autre univers mental, où les contradictions frontales seront atténuées et les schémas dialectiques ne seront plus en mesure de rendre compte de l'histoire telle qu'elle est. Dans la perspective d'un avenir, où les buts de la vie humaine seront partiellement profanes, tout en demeurant pour une part transcendants, les anciennes croyances ne pourront que réapparaître dans la vie historique.

7. L'Europe et l'Histoire Universelle

À la faveur des grandes découvertes géographiques, précédées par la double révolution, industrielle et française, les sociétés européennes ont pris conscience de leurs particularités et de leurs différences, par rapport aux autres ensembles humains. D'où la réflexion sur la morphologie de l'Histoire Universelle.

Le goût pour les faits de civilisations a suscité un bilan sur le coût social du progrès, ainsi que sur les avantages et les inconvénients de la Modernité. L'opposition de tradition et de raison, d'intellect et d'âme, la dissolution des sociétés traditionnelles, des anciennes hiérarchies et cadres de vie, a fait l'objet de débats inépuisables. En leur sein, le libéralisme et le socialisme ont été deux variantes idéologiques de l'industrialisme naissant, les deux toiles d'un même rêve de libération ou de liberté. Leurs étiques, complémentaires et contradictoires, ont ainsi différemment modulé les thèmes de l'individualisme et du projet collectif. Ils se sont différemment inclinés face à des archétypes idéaux et à des formes plus ou moins poussées de spiritualisation implicite, sans épuiser, ni l'un ni l'autre, la soif assoupie de religiosité et de transcendance.

La vision pluraliste du monde, que suppose l'incohérence du réel et l'anarchie incompatible des valeurs, s'est, tour à tour, opposée à la vision moniste de la réalité, prétendant à la cohérence fondamentale de l'ordre social et, en perspective, à un type d'organisation, fondée sur la synthèse de valeurs compatibles. Or, la variété des civilisations et des croyances et la multiplicité des régimes politiques nous force au constat, exaltant pour les uns et désarmant pour les autres, qu'il ne pourra jamais y avoir de synthèse de valeurs compatibles.

Le temps des conciliations définitives et l'état des réalités planétaires sont irréductibles aux différents types de monismes, philosophiques, scientifiques ou naturels. Seuls la foi, la religion et le rêve puisent dans le domaine de l'unique et de l'ultime. « Toute sorte de métaphysique - dit Durkheim - n'est que le mythe qu'a la société d'elle-même ».

8. Le spirituel, le religieux et le politique face à l'Histoire

De nos jours, l'appel à la religion n'est plus utilisé comme modèle pour expliquer l'architecture transcendante du monde, à la manière des interprétations du sacré et de l'origine révélée de l'Univers, mais pour affermir une identité et une continuité historiques. Le spirituel a fait sa rentrée en politique, à l'Est de l'Europe, comme fait de connais­sance, comme révision critique de l'histoire, comme individualité et particularité du « destin occidental », pour souligner le caractère contingent et passager des solutions politiques ou des formes d'État et de gouvernement. La religion, rejetée dans le silence, devient une garantie de la pérennité des identités culturelles endormies et des droits fondamentaux de la personne humaine.

Un nouveau type d'opposition se creuse entre l'idéologie, comme justification du pouvoir, et le spirituel, comme légitimation authentique de l'autorité et ressourcement des vieilles consciences nationales. Ainsi, le miracle occidental, comme miracle de l'émergence historique de l'individua­lisme, ne correspond plus à une vision du monde, fondée sur des certitudes.

Sans violer les traditions et les âmes, la conception dominante de l'histoire de l'époque contemporaine, et plus particulièrement de la post-modernité, réfute toute sorte de réduc­tionnisme, philosophique, économique ou politique.

portada_el-tema-de-nuestro-tiempo_jose-ortega-y-gasset_201503052051.jpgLibéralisme et religions y apparaissent sous un regard nouveau. Le libéralisme est un corpus doctrinal qui ne prêche pas de certitudes et vit uniquement dans le présent. L'avenir éloigné le laisse insensible, l'histoire lui apparaît profane, le règne de la liberté dépend d'un projet et d'un pari, profondément individuels. Les conceptions, religieuses et libérales, ont toutefois un point commun. Elles fournissent une base pour résister aux tyrannies de l'histoire. Les premières, rappelant la critique permanente du monde et de la contingence, les autres, se référant aux ambitions et aux finalités de la vie humaine, perpétuellement relatives, insyndicales et arbitraires, plongées dans un univers réversible et incertain.

Le monde ne peut adopter l'uniformisation par une seule religion, avec ses prétentions d'universalité et d'absolu et la politique ne peut épouser aucune religion, sauf que pour mieux dominer les âmes, car le propre de la politique, c'est de vivre dans le siècle et d'en résoudre les problèmes. La religion est, par sa nature, exclusive, car celui qui croit en une vérité absolue ne peut considérer qu'il y en ait d'autres dans le monde.

L'histoire n'en est pas à sa fin, comme le prétend Fukuyama, car elle est un théâtre d'évènements, résultant d'une pluralité de principes et de motivations, d'une multitude d'intérêts et de doctrines, irréductibles à une conciliation définitive.

Berceau et en même temps tombeau des philosophies et des idéaux, auxquels sont rapportés le sens des évènements et l'ordre du devenir immanent, l'histoire aura la durée des contradictions de l'humain.

« La conscience de la finitude de tout phénomène historique et de toute situation humaine ou sociale, ainsi que la conscience de la relativité de toute sorte de foi, n'est qu'un pas vers la libération de l'humanité » (Dilthey).

Cette libération ne peut comporter d'apaisements définitifs.

Au regard d'une finalité intelligible, aucune des conditions ou des idéalités qui mènent le monde, n'a une fonction première, aucune ne détermine les autres de façon exclusive, toutes sont ouvertes sur l'ensemble et cet ensemble ne forme jamais un système, ne se fige jamais en une structure, ne peut être ordonné à une loi, à un but ou à un principe. Cette irréductibilité à un principe premier est aussi une irréductibilité à une fin ultime.

9. Modernité, complexité et questionnements

La fin de l'histoire ne sera pas pour demain. Aucun système de concepts ne pourra la réduire à un monisme efficient ou à une dialectique d'opposition irréconciliables.

A l'âge de la complexité, de nouveaux paradigmes s'imposent, pour fonder un nouveau dialogue entre l'homme et la nature, ainsi que de nouvelles possibilités de description et de compréhension de la société. Cet âge de mutation de la rationalité et de la connaissance est en réaction vis-à-vis des canons de la tradition scientifique de type classique, érigée sur des hypothèses et modèles, fermées et réductionnistes.

La fin des matérialismes, traduisant au niveau politique, les conceptions mécanistes et linéaires de la connaissance jadis dominantes, ainsi que d'autres formes de déterminisme, ouvre-t-elle la voie à des révolutions des esprits et des âmes, à des changements promé­théens des leviers de l'espérance humaine?

Le nihiliste refuse les faiblesses de l'espoir et renie à l'ordre existant le mérite de survivre. L'idéaliste est incapable d'accepter le divorce de la vérité et du monde et ne peut exalter que l'éthique de la conviction. Il oscille ainsi entre l'intégrisme négateur de la réalité et l'utopisme du recommencement perpétuel. Le réaliste ne dispose guère de concepts et de théories, clos, définitifs et fixes, mais d'un ensemble de convictions et de coordonnées, par définition innombrables, dispersées dans l'infini inépuisable de l'expérience.

A quelle catégorie d'exhortations ou de projets s'inspireront les énergies de la politique pour guérir le mal séculaire de l'homme ?

Le pessimisme protège des illusions, que le cynisme interdit de cultiver. Or, s'il ne peut y avoir de projet rationnel ou de politique scientifique, peut-il exister d'action politique sans espérance et de prophétie sans illusions ?

A quels buts et à quels dieux veut-il servir l'homme, qui va à la politique en citoyen et au combat pour la liberté en modéré, avec la conviction de servir la cité et non les Princes, qui croit à la solidarité entre les êtres, sans faire de concessions aux passions des foules ou à la foi brûlante des prophètes ?

A quelle République de l'Esprit veut-il obéir, dans la vie et dans l'action, le radical sans tomber dans l'utopie d'une société unifiée, pacifiée et homogène qui, justifiant la corruption inévitable des institutions représentatives, favorise les tentations des despotismes?

Comment établir une hiérarchie entre les valeurs de la science ou de la raison et celles de la vie ou de la passion et comment les inscrire dans le cadre des convictions globales de l'homme?

L'engagement qui éliminerait la raison ou la science de l'horizon de nos choix tomberait dans le relativisme le plus total ; celui qui en ferait un fétiche et un idole, les poserait en substituts d'une croyance religieuse. Or, comment prendre partie en politique, si l'ordre temporel se sécularise totalement et la science élimine la religion et désenchante le monde?

Si l'engagement, politique et métaphysique, devient l'expression d'une condition, faite à l'homme par la connaissance, de dépouiller la totalité de toute signification, l'irrationalité et le probabilisme domineraient le champ de l'historicité et toute perspective d'action collective serait, ainsi dissoute. De quels arguments s'armeront alors les hommes, pour affronter l'avenir et réfuter les prétentions des utopistes ou des prophètes, à déterminer nos valeurs et à nous dicter des conduites au nom d'un futur totalement écrit à l'avance et d'un bonheur collectivement garanti pour toujours ?

En insistant sur les limites des déterminismes, économiques, scientifiques ou religieux, Ortega y Gasset refuse toute hiérarchie des univers spirituels, ordonnés à un but ultime. Homme tragique et, dans le même temps, homme de science, il garde la conviction que la connaissance réserve un espace à la foi, que la « raison » récuse et considère que le champ de la politique est celui où les passions humaines vivent en permanence dans le conflit, que seul le monde spirituel peut transcender, dans une quête, jamais éteinte, d'absolu.

dimanche, 03 mai 2020

Tomislav Sunic: Die entstellte Identität

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Erstmal veröffentlicht  in Volk und Bewegung, 2-2020

Die entstellte Identität

(Bevölkerungsaustausch und Umvolkung nach 1945)

von Dr. Tomislav Sunic

Vermischte Völker und organisierte Masseneinwanderung sind Konzepte kapitalistischer und kommunistischer Ideologen. Der Kapitalismus will den unbegrenzten Waren-, Geld- und Personen- transfer, um den Profit zu erhöhen, der Kommunismus will entwurzelte und manipulierbare Menschen als Proletariatersatz. Beide Ideologien sind Relikte des merkantilistischen 19. Jahrhunderts, leugnen Völker, Rassen und Traditionen. Wiewohl Sieger im Zweiten Weltkrieg, haben sie bei der Gestaltung einer Friedensordnung versagt und versuchen die Welt in den Strudel ihres Niederganges hineinzuziehen. Der kroatische Diplomat und Dozent Tomislav Sunic geht den ideologischen Ursachen nach.

     *  *

Wir müssen zuerst einige Begriffe klären. Worte wie Bevölkerungsaustausch oder Umvolkung werden in der BRD-Medienlandschaft vermieden. BRD-Politiker benutzen meistens das Wort „Flüchtlinge“, wenn sie über die derzeitige Umvolkung reden. Der Sprachgebrauch in der BRD ist ein besonderer Fall, da alle politischen Redewendungen sowie alle politischen Begriffe in der BRD seit 1945 einer neuen Bedeutung unterliegen sollen. Je nach dem herrschenden Zeitgeist, je nach der politischen Sprachregelung werden manche Worte inflationär gebraucht oder vermieden. Die Wahl des Modewortes „Flüchtling“ soll Hilfsbereitschaft wecken. Dieses sentimentale Wort, statt des zutreffenden Wortes Einwanderer oder Migrant, soll die deutschen Nachkriegs-Schuldgefühle wachhalten und das Kriegsziel der ethnischen Vermischung mit außereuropäischen Migranten erreichen. Dies wird mit dem weitgehenden Asylrecht in Art. 16a des Grundgesetzes angesteuert, wobei Art. 16b ignoriert wird, der eine Einreise aus sicheren Drittländern untersagt. Weniger als 5 Prozent sind echte Flüchtlinge oder Vertriebene, aber selbst nach der Ablehnung des Asylstatus werden diese Einwanderer weiterhin geduldet und bezahlt. Die Frage, warum die Emigranten nicht in den benachbarten Ländern mit verwandter Kultur bleiben wollen, nämlich  Jordanien, Türkei, Saudi Arabien, sondern alle nur in Richtung Deutschland gehen, ist längst beantwortet: Hier gibt es die größte Aufnahmebereitschaft und finanzielle Ausstattung. Das Wort Flüchtling ist falsch, das Wort Migrant ist zu abstrakt, das Wort Wirtschaftsflüchtling kaum gebräuchlich.

9781912079391.jpgHinsichtlich der „Umvolkung“ oder des „Bevölkerungsaustausches“ sollte man darauf hinweisen, daß es dies immer schon gegeben hat und immer  geben  wird.  Vor   kurzem  gab es mehrere kleine Bevölkerungs-Austauschaktionen im ehemaligen Jugoslawien, wobei viele Kroaten, muslimische Bosniaken und  Serben in Bosnien ihre ehemaligen Wohnorte verlassen mußten. Vertreibung wäre hier ein besseres Wort für diese Aktion, da dieser Bevölkerungsaustausch in Ex-Jugoslawien mitten im Kriege stattgefunden hat.

In den 1920er Jahren gab es einen großen aber geregelten Bevölkerungsaustausch zwischen Griechenland und der Türkei. Solange ein Bevölkerungsaustausch freiwillig stattfindet, etwa nach einer Volksabstimmung, kann man sie akzeptieren. Das einzige Problem ist die Wortwahl. Anfang des 18ten Jahrhunderts gab es einen friedlichen Bevölkerungsaustausch im Heiligen Römischen Reich Deutscher Nation, wobei Hunderttausende Deutsche nach Ost- und Südosteuropa übersiedelten, nachdem sie dort als Siedler gerufen worden waren. Hier wäre es angemessen, von einer Völkerwanderung zu reden. Zwischen 1944 und 1947 gab es wieder einen gigantischen Bevölkerungsaustausch,  wobei über 12 Millionen Deutsche  gewaltsam  in das geschrumpfte Kerndeutschland vertrieben wurden. Hier ist allerdings der Begriff „Bevölkerungsaustausch“ unangemessen, da die blutige Vertreibung mehr als zwei Millionen Menschenleben kostete. Zudem war Deutschland Ende 1945 kein Schlaraffenland für die Vertriebenen; es war völlig zerbombt. Hier passen vielmehr   die   Worte „Flüchtling“ und „Vertriebene“, da diese Menschen aus dem Osten vor Tod oder Deportation fliehen mußten.  Über die  richtige  Wortwahl  in Bezug auf heutige außereuropäische Neuankömmlinge in der BRD kann man sich tagelang streiten.

Ursachen der Umvolkung

Die heutigen Systemmedien nehmen Fremdenhaß und Gewalttaten, also die Folgen der Masseneinwanderung, zum Anlaß, den Deutschen eine fehlende Bereitschaft zur Aufnahme von Einwanderern zu unterstellen. Viele „Experten“ wollen in bezahlten Studien die Wurzeln des Fremdenhasses analysieren. Nun, diese Wurzeln sind vielfältig. Nicht der Islam und nicht die außereuropäischen Migranten haben eine Schuld an diesem neuen Völkeraustausch. Die Hauptschuld liegt in der Ideologie des Liberalismus, im Multikulturalismus und ihren verschiedenen modernen Ablegern.

Es geht hier auch nicht um einen geheimen Plan von ein paar bösen Leuten oder eine Verschwörungstheorie angesichts des realen Bevölkerungsaustausches, der jetzt in Europa im Gange ist. Es gibt freilich übernationale Gruppen und Lobbies, die von   diesem Völkeraustausch profitieren, was aber nicht heißen muß, daß diese Gruppen alleine geheime Pläne schmieden. Sie folgen vielmehr einem Denkmuster.

Die heutige Umvolkung ist völkerrechtlich im Einklang mit dem liberalistischen Fortschrittsglauben. Dieser Fortschrittsglaube beruht auf dem Grundsatz der unbeschränkten Bewegung von Menschen und Waren, wobei folgerichtig auch Menschen zu Waren werden. Dieser liberalistische Grundsatz ist in UN- und EU-Dokumenten fest verankert. Der Händler oder der Spekulant duldet keine Grenzen und keine Staaten, und schon gar keine Völker, er sieht nur eine anonyme große Konsumgesellschaft. Dem Händler ist es egal, wer sein Kunde ist; ob sein Kunde Inder, Kroate oder Afrikaner  ist  – er will nur Profit machen. Der Zuzug  außereuropäischer  Migranten in die BRD, in die gesamte EU ist die logische Folge der Dynamik des Liberalismus und seines Ablegers Globalismus, und das ist ein Prozess, der schon rund zweihundert Jahre dauert.1) Wir haben die Auswirkung dieser Dynamik schon in der Mitte des 19ten Jahrhunderts gesehen.

9200000079458232.jpgDeswegen ist jegliche Kritik an der Masseneinwanderung ohne eine vorhergehende Kritik am liberalen Handel bzw. am Kapitalismus sinnlos. Und umkehrt. Die kleinen kriminellen Migrantenschlepper, die meistens aus dem Balkan stammen, sind nur ein Abbild der großen Gutmenschen-Migrantenschlepper, die in unseren Regierungen sitzen. Auch unsere Politiker, ob sie in Brüssel oder in Berlin sitzen, befolgen nur die Regeln des freien Marktes.

Auch die Linke irrt sich, wenn sie sich für die Masseneinwanderung ausspricht. Die Migranten  gelten  für die Linken als Ersatzproletariat. Die Linken schieben gerne „Menschenrechte“ vor und behaupten,  daß es keine Unterschiede  zwischen Menschen, Völkern und Rassen gäbe, und daß unsere ethnischen, geschlechtlichen, rassischen oder völkischen Identitäten ein bloßes Sozialkonstrukt seien, die man immer mit einer anderen Identität austauschen könne. Es ist auffallend, daß die linken Weltverbesserer, die ständig von Gleichheit und Austauschbarkeit aller Völker und Menschen träumen,    nie die  enormen Wohlstandsunterschiede zwischen dem globalen Establishment und den Migranten antasten wollen, sondern diese ökonomischen Ungleichheiten hinnehmen. Sie kommen auch nicht auf die Idee, die Fluchtursachen anzuprangern oder eine Hilfe in der Heimat der Migranten zu organisieren (siehe Beitrag „Das Sachs-Konzept“ in Ausgabe 1-2020). Nach Alain de Benoist: „Wer den Kapitalismus kritisiert und gleichzeitig die Einwanderung billigt, deren erstes Opfer  die lohnabhängige  Arbeiterschaft ist, sollte besser die Klappe halten. Wer die Einwanderung kritisiert, aber über den Kapitalismus schweigt, sollte das Gleiche tun“. 2)

Die BRD ist heute ein idealer Migrantenstaat, da sie seit 1945 ein krankes Land mit hochneurotischen Regierungen ist. Wenn man die Lage in der BRD oder in ganz Europa verstehen will, besonders in Bezug auf den Zuzug außereuropäischer Migranten, muß man immer wieder nach 1945 zurückblicken. Die BRD ist seit 1945 ein halb-souveräner Staat. Die von Panik geplagten BRD-Politiker, mit ihrer permanent geschwungenen Nazikeule, haben sich aus der Geschichte verabschiedet und haben dem Begriff des Politischen freiwillig entsagt. Die Schuldkultur der BRD-Etablierten erklärt, warum Deutschland  heute an der Spitze der sogenannten Willkommenskultur rangieren muß.  Deutsche Schuldgefühle gegenüber der ganzen Welt sind aber keine Garantie dafür, daß morgen oder übermorgen ein  feindlicher  Staat der heutigen BRD ein solches philanthropisches und selbsthassendes Verhalten honorieren wird. Wenn ich mich verweigere, meinen Feind als solchen zu benennen, wird das nicht heißen, daß mein Feind dasselbe tun wird. Genau das Gegenteil passiert. Immer mehr Politiker, sowohl europäische als auch außereuropäische, sehen die BRD als einen labilen Sicherheitsfaktor.

Außerdem bedeuten deutsche Gesten der Menschenliebe gegenüber den „Anderen“ längst nicht, daß die Anderen sich auf gleiche freundliche Art morgen gegenüber den Deutschen benehmen werden. Die meisten Leute in Merkels Umfeld sind sich dieser  neurotischen  Lage  in der BRD völlig bewußt; sie glauben jedoch, daß sie die sozialen Spannungen abbauen könnten, indem sie immer weiter dem Selbsthaß frönen und die Rolle des Prügelknaben weiterspielen.

US-Kriege und linker Fortschrittsglaube

Wieder benötigen wir einige Begriffserklärungen. Wir müssen einen wichtigen Unterschied zwischen Anlaß und Ursache der heutigen Migrationsströme erkennen. In jedem Fall sind die Migranten auch Opfer dieses globalistischen-liberalistischen Systems.  Die  wichtigsten  Anlässe zur jetzigen Umvolkung waren gescheiterte amerikanische Kriege am Anfang der neunziger Jahre des vorigen Jahrhunderts im Mittleren Osten und in Afrika sowie der Zusammenbruch des Mythos von guten und intelligenten Dritt-Welt-Ländern einschließlich der linken Fortschrittsprognosen für diese Völker. Die Entkolonialisierung Afrikas und Südasiens hat nicht Stabilität sondern mehr Chaos in Afrika und Asien verursacht. Dies waren die Anlässe für die heutigen Migrationsströme - aber nicht die Ursachen. Die Ursachen des heutigen Völkeraustausches liegen anderswo.

9200000086943706.jpgNatürlich könnte der heutige Bevölkerungsaustausch von jedem europäischen Staat jederzeit gestoppt oder auch rückgängig gemacht werden, solange Politiker Mut zur Macht haben, solange sie politische Entscheidungen treffen wollen, oder anders gesagt, solange sie die Entschlossenheit zeigen, den Zuzug der Migranten aufzuhalten.

Warum fehlt es bei deutschen Politikern am Mut zur politischen Entscheidung in Bezug auf den Einwanderungsstopp? Die Antwort ist leicht zu erraten: Seit dem Ende des Zweiten Weltkriegs fehlt es bei den Politikern in der BRD (aber auch in der EU) am Willen zur Macht. Diplomatisch gesagt, es fehlt ihnen der Begriff des Politischen. Allerdings ist solch unpolitisches Verhalten der heutigen BRD-EU-Politiker völlig im Ein- klang mit ihrem Zweckoptimismus, der aus dem Gründungsmythos des liberalen Systems seit 1945 herrührt. Das apolitische Verhalten der Regierenden in der BRD, in Europa und Amerika ist gar keine Überraschung für uns, da die zugrundeliegende Ideologie des Systems keine politische Souveränität der Völker dulden darf. Demzufolge sind Politiker eher lohnabhängige Angestellte des Systems. Dazu kommt die Angst der neurotischen BRD-Politiker, ihre Entscheidung über eine Abschiebung von Migranten könnte als  Faschismus oder Rassismus gebrandmarkt werden. Das ist ein Stigma, das kein deutscher Politiker über sich ergehen lassen darf.  „Der  Antifaschismus ist eine Fundamentalnorm der politischen Kultur Deutschlands seit 1945.“ 3)

Das verlorene deutsche Ich - oder die BRD-Doppelgänger

Es gibt im deutschen Kulturgeist eine besondere Neigung zur Selbstverleugnung. Diese Selbstverleugnung erzeugt den Typ eines Doppelgängers, der den Andersartigen nachahmt. Wir sehen diesen Typ des Doppelgängers bei vielen Romantikern, wie z.B. in E.T.A. Hoffmanns Novelle „Der Sandmann“, wo sich die Hauptfigur in einen Automaten verliebt, der einer schönen Frau ähnelt. Wir sind heute Zeuge einer solchen Automatenliebe, das heißt des Identitätsverlusts bei vielen Deutschen. Ein Beispiel sind die bußfertigen Pilgerfahrten deutscher Politiker nach Israel. Kanzlerin Angela Merkel hat vor einigen Jahren bei ihrem Besuch in Israel gesagt: „Für uns und auch für die deutsche Seite ist das (Israel) ein Teil unserer Identität.“  Das ist eine pastorale Selbsttäuschung, die häufig bei BRD-Politikern vorherrscht, zumindest in Verbindung mit einem bestimmten Amt. 4)

Über das deutsche politische Doppelgängertum, das sich in Selbsthaß, Selbstzensur, und Hypermoral gegenüber Drittweltbürgern offenbart, kann man lange reden. Diese geistige Beeinträchtigung, die sich  in zersplitterter Identität offenbart, hat der Dichter Gottfried Benn in seinem Gedicht „Verlorenes  Ich“  gut beschrieben. Friedrich Nietzsche hat seinerseits diese angstgetriebene, liberalistisch-weltverbessernde Hypermoral bei vielen deutschen Politikern schon vor fast 150 Jahren erkannt. „Wenn aber Goethe mit gutem Rechte gesagt hat, daß wir mit unseren Tugenden zugleich auch unsere Fehler anbauen, und wenn, wie jedermann weiß, eine hypertrophische Tugend – wie sie mir der historische Sinn unserer Zeit zu sein scheint – so gut zum Verderben eines Volkes werden kann wie ein hypertrophisches Laster: so mag mich nur einmal gewähren lassen“. 5) Diese deutschen Mimikry-Vorgänge, deren wir Zeuge sind, haben heute eine pathologische Grenze erreicht, wobei die BRD-Politiker ihre Gutmütigkeit gegenüber Fremden immer wieder verdoppeln müssen, um damit ihre vorgebliche historische Sünde besser loswerden zu können. Zum großen Teile ist deratige Mimikry Folge der alliierten Umerziehung, deren Ziel es war und noch immer ist, eine neue Menschenart herzustellen. Ja, den „Neuen Menschen“ wollte ja auch der Kommunismus.

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Disponible aux éditions du Lore: http://www.ladiffusiondulore.fr

Es wird oft übersehen, besonders bei den Linken in der  BRD,  daß  die Migranten gar keine homogene Masse darstellen; sie bekriegen sich auch gegenseitig. Unter Annahme einer real entdeutschten BRD werden sich die verschiedenen Bevölkerungsgruppen dann gegenseitig bekämpfen, was jetzt schon sichtbar wird. Hier soll man hinzufügen, daß Rassismus und Fremdenfeindlichkeit nicht nur ein Kennzeichen der Deutschen oder der „weißen Männer“ sind. In Amerika zum Beispiel, gibt es täglich kleine Zusammenstöße zwischen vielen schwarzen und hispanischen Banden. Zudem sind die Amerikaner ostasiatischer und japanischer Abstammung traditionell sehr feindselig gegenüber den Afro-Amerikanern und Latinos eingestellt. Aber derzeit soll nur den Weißen Schuld und Reue eingeimpft werden.

Die heilige Wirtschaftlichkeit

Es gibt in Westeuropa heute keinen einzigen Staat, der noch ethnisch und kulturell homogen ist, wie das noch vor ca. 50 Jahren der Fall war. Anders in Osteuropa. Im Durchschnitt besteht gegenwärtig die Bevölkerung jedes einzelnen westeuropäischen Staates aus ca. 15 % Bewohnern nichteuropäischer  Abstammung. In den USA beträgt dieser nichteuropäische Anteil sogar fast 50 %. Diesbezüglich kann man freilich über eine neues buntes Abendland reden, dessen  Parallelgesellschaften wenig Gemeinsamkeiten haben und früher oder später Unruhen und Kleinkriege zwischen und  inmitten der Neuankömmlinge auslösen werden. Der Grund, daß es derzeit noch keine massiven zwischenrassischen Konflikte in Westeuropa und Amerika gibt, liegt an der Tatsache, daß die USA und Westeuropa noch immer relativ wohlhabende Länder sind deren großzügige Sozialabgaben an außereuropäische Migranten den sozialen Frieden bewahren. Das westliche System und dessen kleiner Ableger, die EU, so wie wir es heute kennen, basiert seit 1945 auf dem Glauben an die „heilige Wirtschaftlichkeit“ , wie es einst von dem deutschen Soziologen Werner Sombart benannt wurde. 6) Dieses System, in dem der Fortschrittsglaube eine neue Religion geworden ist, wird zugrundegehen, sobald diese heilige Wirtschaft kein Heil für ihre multiethnischen Bewohner mehr auszuschütten vermag.

Chroniques-des-temps-postmodernes.jpgDemzufolge stellt sich die Frage, was bedeutet es heute, ein guter Europäer zu sein? Ist ein Bauer im ethnisch homogenen Rumänien oder Kroatien ein besserer Europäer, oder ist ein Nachkomme der dritten Generation eines Somaliers oder Maghrebiners, der in Berlin oder Paris wohnt, ein besserer Europäer?

Man soll auch sehr skeptisch sein gegenüber zahlreichen rechtsorientierten Gruppen in der BRD und Europa, die von einem Krieg gegen Muslime reden. Eines soll hier unterstrichen werden: Wenn ein neuer Bürgerkrieg in der BRD oder Europa ausbricht, wird es kein Krieg lediglich zwischen Europäern und Nicht- Europäern sein. Dieser Krieg wird keine klare Linie zwischen Feind und Freund aufzeigen. Viele linksorientierte Bürger werden auf der Seite der Migranten kämpfen. Hier sollen wir auch klar zwischen Religion und ethnischer Zugehörigkeit unterscheiden. Die meisten Zuwanderer, die jetzt  nach  Europa hineinströmen, sind tatsächlich muslimische Nicht-Europäer. Aber Religion und Nationalität sind keine Synonyme. Es gibt europäische Muslime wie die Bosniaken z.B., aber es gibt auch Muslime in Pakistan oder Somalia. Die haben gar nichts miteinander gemeinsam.

Identitäten erkennen

Die aktuellen nicht-europäischen Migrantenströme aus der Türkei könnten einerseits den Europäern helfen, indem sie sich selbst ihrer gemeinsamen europäischen biokulturellen Wurzeln bewußt werden. Anderseits könnten diese nichteuropäischen Migranten die  uralten zwischen-europäischen Auseinandersetzungen weiter vertiefen. Hier ein Beispiel: Derzeit gibt es ca. 20.000 bis 30.000 außereuropäische Migranten im benachbarten dysfunktionalen Staat Bosnien, wo vor kurzem drei verfeindete europäische Völker - Kroaten, muslimische Bosniaken und Serben - sich bekriegten und nun zusammenleben müssen. Die serbischen Verwaltungsbezirke im serbischen Teil Bosniens wollen diese Migranten nicht behalten, und statt dessen verschieben sie diese an die kroatische Grenze. Die kroatisch-serbische Spannung, die immer noch da ist, kann sich noch vertiefen. Ähnliches kann morgen geschehen, wenn sich z.B. Polen entschließt, Quotenmigranten nicht aufzunehmen, sondern sie der Frau Merkel überläßt. Dann könnten leicht die alten polnisch-deutschen Abneigungen neu geweckt werden.

Hier ist die große Frage für den guten Europäer: Wollen wir weiterhin auf unsere historischen  Kleinstaatereien und Auseinandersetzungen beharren, oder wollen wir unsere gemeinsame Identität verteidigen?

Die Kritik am Islam, wie sie bei vielen Rechten gängig ist, hat auch keinen Sinn, wenn man übersieht, daß die lautesten Befürworter der muslimischen Einwanderung die großen Kirchen, der Papst und die deutschen und amerikanischen Bischöfe sind und nicht die Antifaschisten. Das Christentum ist, ebenso wie der Islam, eine universale Offenbarungs- Religion. Beide kommen aus dem Judentum, das seine Quelle im Orient hat - nicht in Europa.  Der  Zuzug der Migranten wird heute psychologisch und per Gesetz von den Kirchen und dem Vatikan unterstützt und gesteuert. 7) Oft wird die Rolle etwa des höheren katholischen Klerus in Amerika und Europa im Bezug auf heutige außereuropäische Migrantenströme übersehen. Das Verhalten der Kirche steht ohnehin völlig im Einklang mit der christlichen Ökumene, bzw. dem christlichen Universalismus. Der Papst plädierte im Januar dieses Jahres nochmals für die Aufnahme der außereuropäischen Migranten mit den Worten: „Christen sollten den Migranten die Liebe Gottes, die von Jesus Christus offenbart wurde, zeigen, weil dies die Christen der Einheit, die Gottes Wille für uns ist, noch näher bringt". 8)

Um die Wurzeln dieses Bevölkerungsaustauschs und seiner Auswirkungen zu beseitigen, müssen wir demzufolge zunächst kritisch mit den Gleichheitslehren auseinandersetzen. Was wir jetzt im Westen beobachten, ist die endgültige und logische Folge der egalitären und universalen Lehre, die das Christentum seit zweitausend Jahren predigt. Die Lehre von der Gleichheit aller Menschen taucht heute freilich als Metastase in der Ideologie des Liberalismus, des Kommunismus und seiner verschiedenen egalitären und globalistischen Sekten, wie z.B. des Antifaschismus, auf. Sie alle predigen das Ende der Geschichte in einer großen multikulturellen und transsexuellen Umarmung.

Cover-Boek-Sunic.pngDie einzige Waffe, sich gegen den heutigen Völkeraustausch zu wehren, liegt in der Wiedererweckung unseres biologisch-kulturellen Bewußtseins. Ansonsten werden wir weiterhin nur die hohlen Floskeln der christlichen, liberalen oder kommunistischen Multikulti-Ideologie wiederkäuen. So richtig es ist, die Antifa oder den Finanzkapitalismus anzuprangern, dürfen wir nicht vergessen, daß die christlichen Kirchen die eifrigsten Boten des großen Bevölkerungsaustauschs sind.

Fußnoten:

1)   T. Sunic, “Historical Dynamics of Liberalism: From Total Market to Total State”, Journal of Social, Political & Economic Studies (winter 1988, vol. 13 No 4).

2)    Alain de Benoist, „ Immigration: The Reserve Army of Capital“ (übersetzt von T. Sunic), The Occidental Observer, April 2011.

3)   Prof. Dr. Hans-Helmuth Knütter, „Ein Gespenst geht um in Deutschland Deutschland driftet nach links!“ (Hamburg: Die Deutschen Konservativen, 2008).

4)   Siehe auch FAZ, “Verantwortung für die Shoa ist Teil der deutschen Identität“, der 2. Februar, 2005.

5)          F. Nietzsche, Unzeitgemäße Betrachtungen (1893 Berlin: Herausgegeben von Karl-Maria Guth, 2016), S.71.

6)     Cf. Werner Sombart, Der Bourgeois, cf. „Die heilige Wirtschaftlichkeit“; (München und Leipzig: Verlag von Duncker and Humblot, 1923), 137-160.

7)     Cf. T. Sunic, « Non-White Migrants and the Catholic Church: The Politics of Penitence, » The Occidental Observer, April, 2017.

8)       Catholic News Agency, „Papst Franziskus: Migranten willkommen zu heißen, kann Christen vereinen“, den 22. Januar 2020.

 

samedi, 02 mai 2020

C'est par l'émergence de ses peuples que l'Europe survivra

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Robert Marie Mercier:

C'est par l'émergence de ses peuples que l'Europe survivra

Comment comprendre l'évolution de notre continent sans faire recours à l'Histoire ?

"Chaque peuple n'a pas un sang qui lui soit propre; mais il a toujours sa propre culture, le réseau des valeurs morales et esthétiques qui ont été élaborées au cours de siècles et qui constituent la spécificité de sa physionomie. C'est là l'élément qui, même si nous parvenions à des unions politiques plus vastes, telle l'Europe unie, ne sera jamais anéanti et qui distinguera, à l'intérieur de l'Europe, chaque peuple européen... Et il ne doit pas être anéanti car c'est de lui que provient non seulement la force créatrice de chaque société isolée, mais aussi la force de l'union de toutes ces sociétés" (Constantin Tsatsos - Président de la république grecque).

Aujourd'hui chacun s'accorde à penser que le monde est en crise et, quand bien même la pensée dominante voudrait limiter cette crise au seul aspect financier, il est évident que ce n'est que l'épiphénomène d'une crise structurelle du système mondialiste. Pendant des siècles, les peuples ont vécu en conscience de ce qu'ils étaient, de l'héritage qu'ils portaient et du devoir de transmission qui leur incombaient. A cet égard, les artistes étaient l'avant-garde des dépositaires de la mémoire collective des peuples et par cette maintenance de la mémoire la plus longue de véritables éveilleurs de peuples. En ce temps là, on pouvait véritablement parler d'intellectuels organiques. D'ailleurs, c'est en Italie que l'émergence de cette prééminence de la culture sur le politique fut conceptualisée.

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Gramsci s'est intéressé de près au rôle des intellectuels dans la société. Il disait notamment que tous les hommes sont des intellectuels, mais que tous n'ont pas la fonction sociale d'intellectuels. Il avançait l'idée que les intellectuels modernes ne se contentaient pas de produire du discours, mais étaient impliqués dans l'organisation des pratiques sociales. Ils produiraient le sens commun, c'est à dire ce qui va de soi. Ainsi les intellectuels engagés joueraient un rôle majeur en produisant des évidences qui détruiraient le sens commun produit, selon lui, par la bourgeoisie.


Il établissait de plus une distinction entre une « intelligentsia traditionnelle » qui se pense (à tort) comme une classe distincte de la société, et les groupes d'intellectuels que chaque classe génère « organiquement ». Ces intellectuels organiques ne décrivent pas simplement la vie sociale en fonction de règles scientifiques, mais expriment plutôt les expériences et les sentiments que les masses ne pourraient pas exprimer par elles-mêmes. L'intellectuel organique comprendrait par la théorie mais sentirait aussi par l'expérience la vie du peuple.


La nécessité de créer une culture propre aux travailleurs est à mettre en relation avec l'appel de Gramsci pour un type d'éducation qui permette l'émergence d'intellectuels qui partagent les passions des masses de travailleurs. Les partisans de l'éducation adulte et populaire considèrent à cet égard Gramsci comme une référence. On attribue à Gramsci la phrase : « Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté », la citation exacte est (traduit littéralement de l'italien) : « Je suis pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste par la volonté »


La conscience de la mission incombant à l'intellectuel (et donc à l'artiste) dans la société est apparu comme une évidence à un créateur comme Pier Paolo Pasolini. Pier Paolo Pasolini est un écrivain, poète, journaliste, scénariste et réalisateur italien qui est né le 5 mars 1922 à Bologne. Il a eu un destin hors du commun et finira assassiné, sur la plage d'Ostie, à Rome, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975. Son œuvre artistique et intellectuelle est politiquement engagée et a marqué la critique. Doué d'éclectisme, il se distingue dans de nombreux domaines. Connu notamment pour un engagement à gauche, il se situera pourtant toujours en dehors de l'institution. Il sera un observateur féroce des transformations de la société italienne de l'après-guerre. Son œuvre va susciter de fortes polémiques et provoquera des débats par la radicalité des idées qu'il y exprime. Il va se montrer très critique envers la bourgeoisie et la société consumériste italienne émergente en prenant très tôt ses distances avec un certain esprit contestataire de 1968.

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Donc, dans l'Italie de l’immédiat après-guerre, ce fut assurément le poète et metteur en scène Pier Paolo Pasolini qui représentera le mieux la figure de l'intellectuel organique. Pasolini eut cette révélation en se recueillant devant les cendres de Gramsci. Autodidacte et jouissant d'une grande influence au sein du monde artistique transalpin, il devient la clef de voute du cinéma italien illustré par les œuvres de Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Luchino Visconti, Franco Zeffirelli, Vittorio de Sica ou de Luigi Comencini, Pietro Germi, Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola. A cette époque, le cinéma italien était un des meilleurs au monde et projettait un œil très critique sur la société moderne déstructurante. Mais, après l'assassinat de Pasolini, l'ensemble du champ culturel italien va être totalement bouleversé.


Dans les années qui suivirent, un ensemble d'innovations technologiques et administratives - la télévision câblée ou la possibilité de créer des chaînes privées financées par la publicité, vont modifier profondément le paysage audio-visuel. L'exemple significatif est représenté par un entrepreneur en bâtiment, Silvio Berlusconi, qui après avoir fait fortune dans l'immobilier, va s'engouffrer dans ce nouveau marché potentiel. En quelques années, ses trois chaînes de télévision (Canale 5, Italia 1, Retequattro), puis la holding financière Fininvest et le groupe de communication Mediaset créés pour les contrôler, ne deviennent pas seulement le premier opérateur privé de la communication dans la Péninsule, mais, surtout, développent le mercantilisme et la pornographie à tous les niveaux de la vie culturelle. C'est l'arrêt de mort du cinéma italien qui, depuis la "libération" (de Païsa de Roberto Rossellini, 1946 à "La pelle" (la peau) de Liliana Cavanni d'après le roman de Curzio Malaparte, 1981) était devenu l'un des plus talentueux de la planète.

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Après cette décadence culturelle (que subirent tous les pays européen, sous l'effet pervers du mondialisme) nous apparait, depuis le début des années 2000, de nouvelles perspectives. Car aujourd'hui, Internet et la révolution numérique permettent aux cultures des nationalités opprimées d'accéder à l'hégémonie par rapport aux systèmes étatisés (voire mondialisés) qui les ont submergées.


On pourrait prendre l'exemple de l'Ecosse où, les réseaux sociaux ont joué un rôle primordial, depuis que l'âge légal du vote pour le scrutin sur l'indépendance a été abaissé à 16 ans. Or, dans cette bataille du web, le camp du oui l'a emporté largement au sein des générations montantes même si, finalement, le non a triomphé du fait, essentiellement, du vote des retraités : les jeunes de 16 et 17 ans ont choisi le oui à 71%, tandis que les plus de 65 ans privilégiaient le non à 73%. Et, pourtant, si c'était, finalement, les nationalistes écossais qui avaient gagné ? Ils vont obtenir encore plus de pouvoirs - alors qu'ils en avaient déjà beaucoup - ce qui ne peut manquer de susciter de nouvelles contradictions chez leurs adversaires à Londres et ailleurs. Une affaire à suivre quand ces générations montantes seront aux affaires…

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Tout aussi intéressant est l'exemple catalan. Le processus d'accès à l'autonomie commence, dans les années 1970, par l'engagement de plasticiens de renom comme Joan Miró, Antoni Tàpies ou Miquel Barceló, qui affirment haut et fort leur "catalanité" (les artistes intellectuels organiques). Ils seront relayés, au niveau des mass-médias, par les chanteurs-compositeurs de la nouvelle chanson catalane (Lluís Llach, avec "L'estaca «). En quelques décennies, un vaste mouvement se développe. Il autorise, peu à peu, la culture catalane à supplanter celle que l'Etat espagnol avait imposée. A partir de là, le gouvernement de Barcelone décidera d'organiser, en toute illégalité par rapport aux lois espagnoles, une consultation électorale (avec une question simple : "Voulez-vous que la Catalogne devienne un Etat ? Dans le cas d'une réponse affirmative, voulez-vous que cet Etat soit indépendant ?") qui sera interdite par l'état central espagnol. Mais, le ver barcelonais est désormais dans le fruit madrilène.

Et la France, me direz-vous, dans tout ça ?

Il faut quand même se souvenir que "la dernière barricade" sur le sol français (ne comptons pas la "révolution d'opérette" de Mai 1968) date, en fait, de Mai 1871 au sein de cette "république une et indivisible".


Déjà, lors de l'insurrection de 1848 qui signe l'échec de la Seconde République, c'est la structure centralisatrice hexagonale (enfin presque hexagonale, puisqu'à cette époque le Comté de Nice et la Savoie n'ont pas encore été annexés) qui va profiter de cet évènement : c'est Napoléon III qui, finalement, tire les marrons du feu de l'insurrection de février et, surtout, de celle, désespérée, du mois de juin suivant. Le 2 décembre 1851, son coup d'Etat militaire installe une chape de plomb sur l'hexagone tout entier. Flaubert va en rendre compte en 1857 : il sera condamné pour "outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs" pour l'avoir écrit Madame Bovary. Quant à Victor Hugo, il devra prendre la route de s'exil : d'abord à Bruxelles puis à Guernesey. Il faudra une défaite militaire de première importance, celle de la Guerre franco-allemande de 1870-71, pour qu'un autre système politique, la Troisième République, puisse voir le jour. Et pourtant, cela était prévisible et inscrit dans les archives historiques de ce pays. Je vais citer, ici, le cardinal de Richelieu, au siège de La Rochelle, en 1627, dont la citation reprise dans son Testament politique paru en 1688 montre bien que la visée globale de ce système centralisateur n’a pas changé depuis trois siècles : "L’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade ". Et, dans ce domaine, la république jacobine ne cède en rien aux monarchies.

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A première vue, cet Etat-nation singulier ne semble pas concerné par ce qui se passe autour de lui. Son équilibre interne a longtemps reposé sur ces trois piliers inébranlables qu’étaient le service militaire, le fisc et l’école communale. De plus, ces institutions avaient uniformisé les comportements des Français et créé un imaginaire collectif dans lequel ils se reconnaissaient: la débrouillardise, le système D antidote à la bureaucratie, les mythiques prouesses amoureuses dont ils se sont toujours glorifié et l'art culinaire. Bref, la cause pourrait être à tout jamais entendue sans que l'élection d'un maire nationaliste dans la principale ville de Corse ou le développement d'un vigoureux esprit entrepreneurial transfrontalier au Pays Basque puissent y changer grand chose. Alors que tous les pays voisins ont, depuis longtemps, mis en place de puissantes communautés régionales (Espagne), une régionalisation dynamique (Italie et Royaume-Uni) ou un véritable système fédéraliste (Suisse, Allemagne et Belgique), la France, de par son exception culturelle, serait elle donc vouée à l'uniformité, au centralisme et à la standardisation ? Pas forcément, même si, il faut en être conscient, ce sera plus dur qu'ailleurs à cause de l'histoire de ce pays qui s'est construit, non par l'adhésion des peuples mais par la conquête et l'annexion de ces mêmes peuples. Cela dit, l'histoire n'est écrite nulle-part et rien n'est éternel.


CLS-rh.jpgJe voudrai, à présent, citer une personnalité incontestable et incontournable, telle que celle de Claude Levi-Strauss: " Car, si notre démonstration est valable, il n'y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l'on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l'échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité". (Claude Levi-Strauss - "Races et Histoires").


C'est ainsi, alors que les leviers de pouvoir et d'information (?) officiels cherchent à nous démontrer que l'histoire a un sens qui irait vers une cité mondiale unique, que la réalité les rattrape en démontrant le contraire. Cela explique tous leurs efforts et les moyens colossaux développés pour tenter d'infléchir les mentalités dans leur sens.

Malheureusement, les forces centrifuges sont nettement plus fortes, naturellement, que les forces centripètes. La nature a toujours eu tendance à aller vers la diversité et non pas vers l'uniformité. Même si la "machine à broyer les cultures" pendant du "système à tuer les peuples" veut aller à l'encontre de cette tendance naturelle, il y a encore, sûrement, bien des raisons d'espérer. Et, c'est d'ailleurs, véritablement, la seule issue pour l'Europe (je parle ici de notre Vieux Continent et non pas du machin baptisé U.E) de survivre: c'est par l'émergence des toutes ses cultures et la renaissance de ses peuples que notre vieille Europe (et sa civilisation) survivra.

"Rien ne serait plus contraire à la vérité que de voir dans l'affirmation de l'identité culturelle de chaque nation, l'expression d'un chauvinisme replié sur soi-même. Il ne peut y avoir de pluralisme culturel que si toutes les nations recouvrent leur identité culturelle, admettent leurs spécificités réciproques et tirent profit de leurs identités enfin reconnues" (M. Amadou Mahtar M'Bow - directeur général sénégalais de l'UNESCO).

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Mathieu Bock-Côté: « l’université est de plus en plus hostile à un authentique pluralisme intellectuel »

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Entretien: Mathieu Bock-Côté, «l’université est de plus en plus hostile à un authentique pluralisme intellectuel»

Mathieu Bock-Côté : Théoriquement, mais je dis bien, théoriquement, l’université devrait être le lieu du libre examen de toutes les idées, de tous les problèmes, sous le signe d’un savoir qui se sait par définition inachevé, qui n’a jamais la prétention d’être une vérité révélée, définitive, incontestable. Si elle était fidèle à elle-même, elle verrait dans la curiosité intellectuelle une authentique vertu philosophique. Telle n’est pas la réalité, hélas. En philosophie politique comme en sciences sociales, certaines tendances idéologiques qui ne veulent pas se reconnaître comme telles sont absolument hégémoniques et dominent complètement la vie académique. Elles travaillent à exclure ceux qui ne s’y reconnaissent pas et plus encore, ceux qui les défient, en les transformant en parias académiques. De manière plus large, il faudrait parler de l’idéologisation des sciences sociales, qui paradoxalement, prétendent plus que jamais se conformer à une exigence de scientificité tout en contribuant à la normalisation théorique d’abracadabrantes lubies. Ne nous laissons pas bluffer.

MBC-pc.jpgN’oublions pas non plus le rôle de certains groupuscules étudiants associés à l’ultragauche ou à certaines franges extrêmes de « l’antiracisme » ou du « féminisme » qui entendent encadrer la parole sur les campus, en distinguant ceux qui ont le droit de s’exprimer et ceux qui ne l’ont pas. De leur point de vue, la liberté d’expression n’est qu’une ruse « conservatrice » servant à légitimer l’expression de propos haineux ou discriminatoires — c’est ainsi qu’ils ont tendance à se représenter tous les discours qui s’opposent à eux frontalement. Ces groupuscules au comportement milicien n’hésitent pas à verser dans la violence, et pas que verbale, et cela, avec la complaisance d’une partie du corps professoral, qui s’enthousiasme de cette lutte contre les « réactionnaires » et autres vilains. Ils entrainent avec eux des étudiants emportés par une forme d’hystérie collective dont les manifestations font penser à la scène des deux minutes de la haine chez Orwell. Nous pourrions parler d’ivresse idéologique : des idées trop vite ingérées et mal comprises montent à la tête de jeunes personnes qui se transforment en vrais fanatiques.

On comprend, dès lors que l’université est de plus en plus hostile à un authentique pluralisme intellectuel. Cela ne veut pas dire qu’on ne trouve pas de nombreux professeurs qui font un travail admirable, dans le domaine qui est le leur, mais que certaines questions jugées sensibles seront laissées de côté, tant le prix à payer est élevé pour les explorer librement. Évidemment, certains parviennent à se faufiler dans ce système de plus en plus contraignant. Convenons qu’ils ne sont pas si nombreux et qu’ils le seront de moins en moins. Et les jeunes chercheurs qui entrent dans la carrière comprennent vite quelle posture adopter s’ils veulent être admis dans l’institution. Certaines adoptent des positions qui ne sont pas vraiment les leurs, dans l’espoir de donner des gages idéologiques pour favoriser leur reconnaissance institutionnelle. Ils se croient rusés, mais à force de faire semblant, ils finissent par croire à ce qu’ils disent et se laisser piéger par leur propre stratégie. Il vaudrait la peine de relire La pensée captive de Czeslaw Milosz sur la schizophrénie propre aux milieux intellectuels dans les régimes idéocratiques.

Campus Vox : Vous avez écrit un ouvrage sur « l’Empire du politiquement correct » et vous dénoncez au Québec la culture victimaire et les fables des oppressions, pensez-vous que cette culture soit aussi présente en France ?

Mathieu Bock-Côté : Je la dénonce au Québec, certes, mais comme vous l’aurez noté dans mon livre, je la dénonce en France et ailleurs dans le monde. Aucune société occidentale ne me semble épargnée par cette tendance : c’est en se présentant comme la victime du grand méchant homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans qu’on peut accéder à l’espace public aujourd’hui et y obtenir une position favorable, symboliquement privilégiée. Contre lui, tout est permis : il incarne le mal dans l’histoire. Il faut en finir avec lui en démantelant ses privilèges pour qu’un nouveau monde lavé de ses péchés advienne, en renaissant à travers une diversité sacralisée. Il y a une prime à la revendication minoritaire, pour peu qu’elle participe à la dénonciation rituelle d’une civilisation décrétée raciste, sexiste, homophobe, transphobe et ainsi de suite. Chez vous, par exemple, le discours indigéniste se normalise de plus en plus dans le langage médiatique, il se banalise, et à travers lui, on assiste à la racialisation des rapports sociaux, comme on le voit avec cette effrayante manie qui se veut aujourd’hui progressiste de ramener les individus à la couleur de leur peau en les classant dans une petite catégorie identitaire dont ils ne pourront tout simplement plus s’extraire. Mais il n’est pas présent qu’aux extrêmes : certaines figures politiques associées à la majorité présidentielle, en France, parlent ce langage et le placent au cœur de ce qu’on appelle le progressisme.

MBC-mc.pngCampus Vox : Vous évoquez souvent le déconstructivisme, en quoi cette idéologie peut tuer l’université française ?

Mathieu Bock-Côté : Il y a dans la logique déconstructrice une forme de tentation du néant. Elle décrète, en fait, que le réel n’existe pas, que le monde n’est que discours. Il y aurait une plasticité infinie de la matière sociale. On comprend l’idée : si tout peut être déconstruit, tout peut être reconstruit, à partir d’un autre plan. Nous retrouvons la matrice de l’utopisme, à l’origine du totalitarisme. On peut ainsi soumettre le monde à ses fantasmes. Le constructivisme prépare  théoriquement le terrain à une ingénierie sociale de plus en plus ambitieuse et militante. C’est dans cet esprit qu’on en trouve plusieurs, aujourd’hui, pour contester l’existence de l’homme et de la femme, non seulement en rappelant que la signification du masculin et du féminin ont évolué à travers l’histoire, ce qui est incontestable, mais en cherchant à nier l’empreinte même de la nature sur la culture. Et ceux qui refusent de se soumettre à ce discours sont suspectés d’obscurantisme. Comment ne pas voir là une forme de lyssenkisme ? Le réel n’existe plus, c’est même une catégorie réactionnaire, puisqu’il vient limiter la prétention des idéologues à soumettre l’entièreté de la société à leur vision du monde. Il n’est plus possible de chercher à dégager des invariants anthropologiques : ceux qui relèveraient de la terrible pensée de droite ! De ce point de vue, derrière le constructivisme, on trouve un impensé religieux : celui d’idéologues qui se croient démiurges et qui veulent avoir le pouvoir de décréer le monde pour ensuite le recréer dans un acte de pure volonté.

Ajoutons, puisque ce n’est pas un détail, que cela contribue à un terrible appauvrissement théorique des sciences sociales en général et de la sociologie en particulier, dans la mesure où elle ne sait rien faire d’autre que déconstruire, toujours déconstruire, tout déconstruire. Elle en devient terriblement lassante en plus de ne plus rien parvenir à expliquer.

Campus Vox : Dans une de nos vidéos on voit un jeune militant communiste invectiver un jeune militant de la cocarde en lui disant : « vous êtes pour le mérite », comment en est-on arrivé là ?

Mathieu Bock-Côté : Pour certains, le mérite est une fiction libérale cherchant à normaliser sous le signe du succès individuel la reproduction de rapports de pouvoir entre groupes antagonistes, en lutte au sein d’une structure de domination qui avantage les uns et désavantage les autres. Nous retrouvons ici une forme de marxisme primaire, qui pense les rapports sociaux sous le signe d’une guerre civile plus ou moins maquillée par le droit. Dans cette logique, l’individu avec ses efforts, son travail, ses talents, ses limites, n’existe tout simplement plus, et il faut déconstruire la possibilité même de son émancipation, qui serait toujours illusoire, sauf dans certains cas marginaux, insignifiants statistiquement. À cela, il faut répondre simplement en rappelant que la réalité sociale ne se laisse pas comprimer dans une telle théorie et que si nul ne conteste l’existence des déterminants sociaux sur l’existence humaine, il est insensé de postuler qu’ils l’écrasent totalement, surtout dans une société démocratique. Le mérite est l’autre nom donné à la possibilité pour l’individu d’avoir une certaine emprise sur son destin et de s’accomplir. Une société qui congédie cette idée, qui la décrète impossible, fait le choix d’abolir l’individu et la possibilité de son émancipation. Dans le cas de la France, cela consisterait aussi à abolir la meilleure part de l’idéal républicain.

Campus Vox : Il y a peu l’université française était encore épargnée par les dérives des universités nord-américaines, notamment racialistes. On voit bien dans le travail de recherche que l’on a mené et par les témoignages des étudiants que les ateliers non mixtes, les problématiques de races arrivent en force au cœur de l’université, l’exception universaliste française n’est-elle plus qu’un rêve ?

D5pf8YnW4AMNZRy.jpgMathieu Bock-Côté : L’université française était-elle autant épargnée qu’on l’a dit ? Une chose est certaine, la vie intellectuelle française n’était pas épargnée par le sectarisme. Il suffirait de se rappeler l’histoire de l’hégémonie idéologique du marxisme, d’abord, puis du post-marxisme, dans la deuxième moitié du XXe siècle, pour s’en convaincre. Cela dit, il est vrai que la France est aujourd’hui victime d’une forme de colonisation idéologique américaine — on le voit par exemple avec l’application systématique sur la situation des banlieues issues de l’immigration de grilles d’analyse élaborées pour penser la situation des Noirs américains, comme si les deux étaient comparables ou interchangeables. La sociologie décoloniale s’autorise cette analyse dans la mesure où elle racialise les rapports sociaux, évidemment.

La France, plutôt que de devenir une province idéologique de l’empire américain, devrait plutôt chercher à préserver sa singularité — sa remarquable singularité. La France a sa propre manière de penser la culture commune, la nation, les rapports entre les sexes, et tant d’autres domaines de l’existence humaine. Mais ne nous trompons pas : l’universalisme français est un particularisme inconscient de l’être. L’idée que la France se fait de l’universel est liée à son histoire, et plus particulièrement, à l’identité française — chaque peuple, en fait, élabore sa propre idée de l’universel. Il nous faudrait retrouver une certaine idée de la diversité du monde, en nous rappelant que les peuples ne sont pas des populations interchangeables et qu’on ne saurait voir dans les cultures des amas de coutumes superficielles, ne modelant pas en profondeur les comportements sociaux.

Campus Vox : On a vu récemment Caroline Fourest dénoncer cette nouvelle « génération offensée », peut-on dire qu’il y ait une prise de conscience en France de ces nouveaux phénomènes ?

51SFAe8QnDL._SX307_BO1,204,203,200_.jpgMathieu Bock-Côté : Cela fait des années que ceux qu’on appelle les conservateurs (mais pas seulement eux) tiennent tête au politiquement correct et il est heureux de voir qu’ils ont du renfort. Jacques Parizeau, l’ancien Premier ministre du Québec, disait, à propos de ceux qui rejoignaient le mouvement indépendantiste : « que le dernier entré laisse la porte ouverte s’il vous plaît ». Les conservateurs peuvent dire la même chose dans leur combat contre le régime diversitaire. L’enjeu est historique : il s’agit de préserver aujourd’hui la possibilité même du débat public en rappelant que le pluralisme intellectuel ne consiste pas à diverger dans l’interprétation d’un même dogme, mais dans la capacité de faire débattre des visions fondamentalement contradictoires qui reconnaissent néanmoins mutuellement leur légitimité. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra tenir tête à la tyrannie des offensés qui entendent soumettre la vie publique à leur sensibilité, et qui souhaitent transformer tout ce qui les indigne en blasphème. La France n’est pas épargnée par le politiquement correct, mais elle y résiste, en bonne partie, justement, parce qu’elle dispose d’un espace intellectuel autonome d’un système universitaire idéologiquement sclérosé. On peut croire aussi que la culture du débat au cœur de l’espace public français contribue à cette résistance. C’est en puisant dans leur propre culture que les Français trouveront la force et les moyens de résister au politiquement correct

mercredi, 29 avril 2020

«Pour la Troisième Voie solidariste» disponible en espagnol

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«Pour la Troisième Voie solidariste» disponible en espagnol

par Bastien VALORGUES

Quinze mois après la sortie dans la collection « Idées » aux Bouquins de Synthèse nationale de Pour la Troisième Voie solidariste de Georges Feltin-Tracol, les éditions Fides au riche catalogue viennent à leur tour de le faire paraître en Espagne. Leur directeur, Juan Antonio Llopart, milita naguère au sein de mouvements qui se réclamaient du tercérisme.

À l’occasion de cette traduction, Georges Feltin-Tracol a revu, enrichi et corrigé les textes. Il en aussi modifié l’agencement. Ceux-ci sont désormais regroupés autour d’un thème commun dans cinq parties différentes : « Après le Bastion social », « Un autre socialisme », « Pour le solidarisme », « Sur la troisième voie » et « En entreprise ». Inexistante dans l’original français, cette répartition donne au livre un ton plus incisif qui, ajouté à la somme historique qu’il représente, propose un vaste panorama d’idées politiques, sociales et économiques anti-conformistes majeures.

Le lecteur hispanophone découvre ainsi le gaullisme de gauche, la troisième voie défendue par Bruno Mégret alors délégué général du Front national, l’ergonisme de Jacob Sher révélé par Robert Steuckers dans les revues Orientations et Vouloir, l’histoire tourmentée des solidaristes russes du NTS, les essais de Serge Ayoub de relancer une troisième voie sociale et nationale, la vision du socialisme chez Jean Mabire ou le point de vue percutant de Philippe Schleiter sur le monde de l’entreprise. L’aventure du Bastion social, trop tôt interrompue par un assassinat légal (un gouvernement d’amateurs a prononcé sa dissolution), y tient une large part.

Juan Antonio Llopart a en effet tenu que le lecteur des éditions Fides connaisse cette expérience étonnante qui se rapproche des initiatives nationalistes-révolutionnaires du Hogar social espagnol. Inspirées par le précédent CasaPound – Italie, leurs actions non conformes subissent les mêmes discriminations ainsi que diverses vexations de la part des gouvernants en faillite de la droite financière et de la gauche cosmopolite (à moins que cela soit le contraire…).

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Cette édition dont l’intention évidente ne se restreint pas à la seule Espagne, mais s’adresse à l’Amérique hispanique, comporte deux textes inédits spécialement rédigés pour la circonstance. Avec « Après le Bastion social », Georges Feltin-Tracol dresse le bilan du Bastion social. Il insiste sur les nombreuses avanies que ce jeune et dynamique mouvement a subies de la part des antifas, des municipalités, des journalistes et des préfectures. Il attire par ailleurs l’attention sur de fâcheux travers dus trop souvent à la grande jeunesse des militants, à leur dépendance complète aux réseaux sociaux et à leur faible propension à accepter (et à appliquer) une réelle discipline, personnelle et collective. Ces manquements ont pu nuire à telle ou telle section locale du Bastion social.

Le second texte est la préface de l’auteur pour le lecteur espagnol. Georges Feltin-Tracol revient sur les racines ibériques de la troisième voie qui récuse autant le collectivisme marxiste que l’étatisme bureaucratique et l’individualisme libéral. Comme pour la France, l’Espagne est un terrain propice aux expériences tercéristes : le carlisme, le phalangisme, le national-syndicalisme, voire certaines tendances du nationalisme basque ou catalan. Cette exhaustivité se retrouve au-delà de l’Atlantique avec le péronisme argentin, le premier chavisme vénézuélien ou l’indigénisme andin.

En attendant d’éventuelles traductions allemandes, anglaises, italiennes, néerlandaises, portugaises ou russes, il faut se féliciter qu’après Elementos para un pensamiento extremo en 2018, un nouveau titre de notre ami rédacteur en chef d’Europe Maxima paraisse à l’étranger. Remercions le courage éditorial de Fides, saluons son formidable travail esthétique autour du livre et souhaitons que Por une Tercera Via Solidarista incite les Espagnols et les Américains romans à mieux comprendre l’urgence d’une troisième voie politique, sociale et économique plus que jamais… justicialiste !

Bastien Valorgues

• Georges Feltin-Tracol, Por une Tercera Via Solidarista, Ediciones Fides, 2020, 204 p., 20 €.

mardi, 21 avril 2020

Tchernobyl, coronavirus: l'Etat face à la catastrophe

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Tchernobyl, coronavirus: l'Etat face à la catastrophe

Par Benoit Comte

La mini-série Chernobyl expose avec un réalisme certain les causes et les conséquences de l’explosion du réacteur n°4 de la Centrale nucléaire de Tchernobyl survenue le 26 avril 1986. Cependant, le visionnage récent de ces 5 épisodes nous a laissé perplexe.

En effet, cette production grand public, par les thèses qui y sont soutenues sur les responsabilités des uns et les actions des autres, nous révèle deux écueils majeurs de notre civilisation occidentale : l’un prend la forme d’un impensé quand l’autre n’est que l’expression d’un inconscient des plus naïfs.

Nous ne ferons donc aucune considération esthétique sur l’œuvre elle-même et ne révélerons pas les rebondissements de l’intrigue, mais développerons quelques remarques qui entrent en résonance particulière avec la crise sanitaire actuelle causée par la pandémie de maladie à coronavirus.

 1. L’origine du désastre

Financée par deux maisons de production américaine et anglaise, l’œuvre dont nous parlons offrait à l’anticommunisme primaire une belle occasion d’expression. Sans surprise, on assiste au procès du communisme en général et de la société soviétique en particulier, véritable « système du mensonge », incapable de se regarder en face pour ce qu’elle est vraiment ni de se remettre en cause, le népotisme prévalant sur toute autre logique. Ce jugement, bien qu’il recouvre une part de vérité, ne nous semble pas aller au cœur du problème, sachant qu’une constatation similaire pourrait être faite de nos brillantes institutions actuelles, françaises et européennes.

cherno.jpgNon, le fond du problème est ailleurs et nos sociétés libérales souffrent de la même faiblesse que le système soviétique, à savoir celle à laquelle toute société complexe, au sens que Joseph Tainter donne à ce terme dans L’Effondrement des sociétés complexes, doit faire face lorsqu’elle se retrouve confrontée à une crise de grande ampleur. De ce point de vue, les sociétés complexes sont vues comme des organisations de résolution de problèmes qui sont toutes invitées à trouver une solution à une équation insoluble : ces problèmes appellent des solutions de plus en plus coûteuses à mesure que la société se complexifie. Il s’agit là de la décroissance du rendement marginal, soit la diminution du rendement par unité supplémentaire d’investissement. C’est la loi d’airain du déclin civilisationnel…

Toutes les économies modernes hautement intégrées (et donc interdépendantes) sont ainsi confrontées aux mêmes défis et aux mêmes crises potentielles : c’est là le grand impensé de notre temps.

Et là où réside la différence, c’est que l’URSS, malgré tous ses travers, avait encore un état digne de ce nom qui n’obéissait pas uniquement à des motifs idéologiques ou à des logiques de marchés déterritorialisés. Pour gérer une crise de cette ampleur et, passés les premiers instants de déni, rappelons que l’URSS a quand même mobilisé plus de 600 000 personnes pendant plusieurs mois (plusieurs années pour certains d’entre eux), sacrifié des millions de tonnes de matériels militaires et civils et relocalisé les 115 000 personnes résidant dans un rayon de 30 km autour de la catastrophe nucléaire. Quel État occidental serait aujourd’hui capable de mener une telle politique de salut public ?

 2. La résistance s’organise

Revenons à la mini-série. Les « méchants » et les « tyrans » y sont incarnés par les membres de l’État-parti quand les « gentils » et les « résistants » se trouvent… chez les scientifiques ! Véritable force d’opposition au mensonge, ces êtres qui ont pour métier de rechercher la vérité dans un domaine précis auront évidemment la même attitude lorsqu’ils devront agir dans la sphère publique, au mépris des conséquences personnelles plus ou moins désagréables que leurs prises de position pourraient leur faire encourir.

Cette représentation naïve, bien évidemment fausse, nous révèle cette fois l’inconscient qui sous-tend notre civilisation occidentale : la société n’y est plus conçue que comme un système technologique dont la réponse aux questions qui se posent n’a plus à faire débat, mais nécessite la consultation d’un expert dont on exécutera les recommandations. C’est bien évidemment le scientifique, ce héros des temps modernes, qui représente dans notre inconscient l’archétype de l’homme soucieux de vérité à qui l’on devrait se référer, plutôt qu’aux passions des foules et aux décisions impétueuses d’une caste politicienne plus intéressée à sa propre quête de pouvoir qu’à l’intérêt général. La réalité historique était toute autre : l’URSS a produit un nombre important de scientifiques de très haut niveau dont la plupart étaient tout à fait alignés sur la politique du Parti.

Là encore, nous devons prendre du recul. Comme toute la philosophie politique nous l’a enseigné depuis l’Antiquité, le but le plus élevé qu’une collectivité politiquement instituée puisse atteindre est justement de s’assigner une fin commune, considérée comme un bien et poursuivie en tant que telle par une communauté de destin. Cette leçon, récemment rappelée par un Castoriadis en France ou les penseurs communautariens aux États-Unis, s’est depuis noyée dans les « eaux glacées » de la gouvernance, du management et de l’ingénierie sociale.

La question de la finalité politique n’existe plus, seule la roue incessante des problèmes immédiats à résoudre continue à tourner, indéfiniment…

 3. Et maintenant ?

Nous vivons dans une société complexe qui a été bâtie par l’action conjointe de l’État et du marché, chacune ayant leur logique propre. La première de ces deux entités n’étant plus que l’ombre d’elle-même, comment la prochaine crise de grande ampleur sera-t-elle traversée et quelles en seront les répercussions ?

Pierre Legendre, dans son Fantômes de l’État en France, fait la généalogie de cette institution de pouvoir central et nous aide à en comprendre le dépérissement. Dans notre pays, l’idée nationale est inséparable de la forme étatique et la vitalité du lien social en est grandement tributaire.

Acculé qu’il est par les assauts du management, ce « montage fiduciaire » multiséculaire est au plus mal et l’on peut réellement s’interroger, avec inquiétude, sur la façon dont la crise sanitaire actuelle sera traversée. En ressortirons-nous vainqueur ou plutôt fragilisé, voire vaincu ? Sommes-nous en train d’assister à l’instant de vérité d’un système à bout de souffle ?

Affronter un défi de la taille d’une pandémie mondiale nécessite des ressources matérielles considérables du fait de la nature du système économique dans lequel nous évoluons, et une foi dans les capacités d’action administratives de l’État, expressions concrètes du pouvoir. L’on aura compris que ces deux dimensions sont aujourd’hui particulièrement fragilisées.

Avec un peu de provocation et un brin de malice, on pourrait même se demander si l’amateurisme de nos gouvernants ne réussirait pas l’exploit de nous faire regretter un état fort et autoritaire, tel celui commandé par les soviétiques, au moins capable d’actions effectives en temps de crise…

dimanche, 19 avril 2020

Pourrissement des élites : pour une analyse du cas français...

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Pourrissement des élites : pour une analyse du cas français...
par Denis Collin
Ex: http://www.metapoinfors.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Collin, cueilli sur le site La Sociale et consacré à la décomposition accélérée des élites françaises. Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Denis Collin est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la philosophie, à la morale et à la pensée politique, dont Introduction à la pensée de Marx (Seuil, 2018) et Après la gauche (Perspective libres, 2018).

Pourrissement des élites

Pour une analyse du cas français

Il n’y a pas de société sans élite. Ce cons­tat est désa­gréa­ble pour tous ceux qui, comme moi, tien­nent l’égalité pour une vertu fon­da­men­tale. Mais c’est un fait. Nous ne pou­vons guère nous passer de chefs capa­bles de pren­dre des bonnes déci­sions sans trop ter­gi­ver­ser, de pen­seurs qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez. Aucun État ne peut se passer d’un corps de fonc­tion­nai­res com­pé­tents, intè­gres et connais­sant les lois et les tech­ni­ques de l’admi­nis­tra­tion. Qu’on le veuille ou non, toutes ces tâches ne peu­vent être exer­cées par tous. Pour deve­nir un bon méde­cin, il faut beau­coup de temps et de connais­san­ces et per­sonne ne peut s’impro­vi­ser méde­cin.

Le pro­blème est bien connu : com­ment conci­lier l’idéal démo­cra­ti­que avec la néces­sité que les élites gou­ver­nent de fait. Il doit demeu­rer un libre jeu, conflic­tuel, entre le peuple et les grands, pour parler comme Machiavel. Les lois fon­da­men­ta­les doi­vent être adop­tées par le peuple tout entier et les élites doi­vent être élues par le peuple et doi­vent lui rendre des comp­tes. La répu­bli­que idéale n’a pas d’autres prin­ci­pes. Le pro­blème tient à ce que dans une société divi­sée en clas­ses socia­les aux inté­rêts diver­gents et même anta­go­nis­tes, les élites sont sélec­tion­nées par leur com­pé­tence, mais aussi et sur­tout par leur ori­gine sociale. Ceux d’en haut finis­sent en haut ! Vilfredo Pareto a consa­cré un tra­vail monu­men­tal à cette ques­tion en mon­trant les dif­fi­cultés de la sélec­tion des élites et la néces­sité de la cir­cu­la­tion des élites.

Si nous reve­nons main­te­nant à la situa­tion fran­çaise, il faut faire un cons­tat ter­ri­ble : celui de la décom­po­si­tion accé­lé­rée des élites. En rajeu­nis­sant le per­son­nel poli­ti­que et en contri­buant à l’éjection d’une bonne partie de la vieille classe poli­ti­que, le macro­nisme a mis en lumière l’extra­or­di­naire effon­dre­ment du niveau intel­lec­tuel des élites ins­trui­tes dans notre pays. La bêtise crasse, la vul­ga­rité, l’absence de tout sens moral et l’incom­pé­tence acca­blante domi­nent ces nou­vel­les élites, cette classe des « cré­tins éduqués » si bien carac­té­ri­sée par Emmanuel Todd. Chaque jour, pres­que chaque heure, un des per­son­na­ges haut placés du gou­ver­ne­ment pro­fère quel­que énormité qui va ali­men­ter les réseaux sociaux. La porte-parole du gou­ver­ne­ment, Sibeth Ndiaye excelle dans ce domaine, mais elle s’est tout sim­ple­ment mise dans les pas de son « Jupiter » dont les peti­tes phra­ses sur les gens qui ne sont rien, les chô­meurs qui n’ont qu’à tra­ver­ser la rue, etc. ont donné le ton géné­ral. Lallement et Castaner, Aurore Bergé et Amélie de Montchalin, Élisabeth Borne qui les a dépas­sées (les bornes) en niant la néces­sité pour les éboueurs d’avoir des mas­ques, cette dépu­tée LREM, méde­cin de son état, qui affirme que gou­ver­ne­ment a volon­tai­re­ment menti sur les mas­ques pour mieux obli­ger les Français à se laver les mains : la gale­rie des mons­tres n’en finit pas.

Trransformations sociales du mode de production capitaliste

Il serait absurde de penser qu’un hasard malen­contreux a permis à cette assem­blée de pren­dre le pou­voir. Contrairement à l’idée que 99 % des citoyens s’oppo­se­raient à 1 % de salo­pards, il faut admet­tre que la stra­ti­fi­ca­tion sociale, les modes de for­ma­tion et l’évolution tech­no­lo­gi­que ont pro­duit ces gens.

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La France, c’est bien connu main­te­nant et nous le véri­fions cruel­le­ment ces jours-ci, est un pays lar­ge­ment désin­dus­tria­lisé — à la dif­fé­rence de nos voi­sins alle­mands et ita­liens (on oublie que la deuxième puis­sance indus­trielle de l’UE n’est pas la France, mais l’Italie). La désin­dus­tria­li­sa­tion affai­blit le poids des élites scien­ti­fi­ques et tech­ni­ques. À l’époque des Trente Glorieuses, l’appa­reil d’État était dominé par les « grands corps » issus des pres­ti­gieu­ses écoles d’ingé­nieurs (Polytechnique, Mines, Ponts et Chaussées). Ces gens n’étaient for­cé­ment des modè­les d’huma­nisme ni d’huma­nité, mais au moins on peut pré­su­mer qu’ils savaient de quoi ils par­laient. En outre, leur exis­tence sociale dépen­dait de l’exis­tence d’une indus­trie forte et de la péren­nité des orien­ta­tions stra­té­gi­ques de l’État. L’orien­ta­tion vers les ser­vi­ces et le com­merce au détri­ment de l’indus­trie date de Giscard d’Estaing, grand euro­péiste. Elle sera pour­sui­vie par Mitterrand, en dépit de vel­léi­tés contrai­res entre 1981 et 1983 et par tous les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs depuis. Macron n’est que l’abou­tis­se­ment d’un héri­tage par­ti­cu­liè­re­ment lourd.

La délo­ca­li­sa­tion mas­sive de la pro­duc­tion vers les pays à bas coûts de main-d’œuvre se pro­jette dans l’ensem­ble du corps social. Les ouvriers et les tech­ni­ciens de l’indus­trie ont vu leurs effec­tifs fondre. Des pans entiers de l’indus­trie (tex­tile, sidé­rur­gie, électroménager) ont qua­si­ment dis­paru. Les auto­mo­bi­les « fran­çai­ses sont mas­si­ve­ment fabri­quées en dehors de nos fron­tiè­res, notam­ment pour les peti­tes cita­di­nes et gammes moyen­nes sur les­quel­les la marge de profit est plus faible quand elles res­tent fabri­quées en France. Est appa­rue une nou­velle classe moyenne supé­rieure de mana­gers, com­mer­ciaux, com­mu­ni­cants, DRH, etc. dont les com­pé­ten­ces tech­ni­ques et scien­ti­fi­ques sont net­te­ment moin­dres, mais dont l’arro­gance sur­passe bien vite les pires des anciens élèves de l’X. Cette classe moyenne supé­rieure mène une vie aisée. Ses enfants trus­tent les bonnes écoles. Elle parle sys­té­ma­ti­que­ment une langue qui mélange des restes de fran­çais avec le glo­bish. Elle com­porte plu­sieurs mil­lions d’indi­vi­dus. Certains sont direc­te­ment des pro­fi­teurs de ce nou­veau sys­tème et beau­coup d’autres sont seu­le­ment des aspi­rants, mais qui veu­lent y croire parce qu’ils pen­sent qu’ils le valent bien. Cette classe supé­rieure (entre la moyenne supé­rieure et la vrai­ment supé­rieure) est géné­ra­le­ment “pro­gres­siste” : elle aime le “high tech”, les voya­ges, la com­mu­ni­ca­tion et ne sou­haite pas trop s’encom­brer de res­tric­tions. Elle est aussi sou­vent sym­pa­thi­sante de la cause ani­male, et elle est favo­ra­ble au mul­ti­cultu­ra­lisme avec d’autant plus de fer­veur qu’elle vit dans ses pro­pres quar­tiers, notam­ment les cen­tres-villes “gen­tri­fiés”. Point commun : la haine des “gilets jaunes”, ces ploucs qui fument et rou­lent au gazole, comme l’avait dit un cer­tain ancien minis­tre, le sieur Benjamin Grivaux, dis­paru pré­ma­tu­ré­ment de la scène poli­ti­que pour avoir voulu faire concur­rence à Rocco Siffredi…

Des socio­lo­gues comme Christophe Guilluy ou des poli­to­lo­gues comme Jérôme Sainte-Marie ont com­mencé d’ana­ly­ser ces trans­for­ma­tions socia­les, mais c’est un tra­vail qu’il fau­drait pour­sui­vre afin d’en com­pren­dre toutes les impli­ca­tions.

L’éducation nouvelle et la fin de la culture générale

La culture géné­rale a tou­jours eu pour fina­lité la for­ma­tion intel­lec­tuelle des clas­ses domi­nan­tes. De Gaulle le disait clai­re­ment : “La véri­ta­ble école du com­man­de­ment est la culture géné­rale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exer­cer avec ordre, de dis­cer­ner dans les choses l’essen­tiel de l’acces­soire (…) de s’élever à ce degré où les ensem­bles appa­rais­sent sans pré­ju­dice des nuan­ces. Pas un illus­tre capi­taine qui n’eût le goût et le sen­ti­ment du patri­moine et de l’esprit humain. Au fond des vic­toi­res d’Alexandre, on retrouve tou­jours Aristote.” Tout est dit ! C’est pour cette raison que le mou­ve­ment ouvrier tra­di­tion­nel a tou­jours reven­di­qué pour les pro­lé­tai­res l’accès à cette “école du com­man­de­ment”. Dans les écoles de for­ma­tion des partis “marxis­tes” on fai­sait lire Marx et Engels, mais aussi Balzac et Hugo. On y véné­rait l’his­toire autant que la poésie.

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À partir du moment où le gou­ver­ne­ment cède la place à la gou­ver­nance, où la com­mu­ni­ca­tion enva­hit tout le champ public autant que privé — ce qui com­mence au début du XXe siècle — la culture géné­rale authen­ti­que n’est plus d’aucune uti­lité. Symbolique : la sup­pres­sion de l’épreuve de culture géné­rale à l’entrée de Sciences Po Paris — une école “pres­ti­gieuse” qui depuis long­temps n’était le plus sou­vent que “science pipeau”. La poli­ti­que n’a plus besoin de culture, comme la direc­tion de l’indus­trie n’a plus besoin d’ingé­nieurs. Une classe diri­geante culti­vée peut être aussi cruelle et cyni­que qu’une classe diri­geante inculte — si la culture avait un rap­port quel­conque avec le bien, on le sau­rait. Mais une classe diri­geante inculte n’a aucun sens des pers­pec­ti­ves d’avenir, y com­pris de son propre avenir. L’ensei­gne­ment des vertus ayant com­plè­te­ment dis­paru, il ne peut plus en émerger quel­que grand homme, quel­que vision­naire.

Toutes les “réfor­mes” de l’école depuis 1968 ont eu comme prin­ci­pale fina­lité l’abais­se­ment du contenu des dis­ci­pli­nes ensei­gnées, entraî­nant l’indif­fé­rence crois­sante à l’idée de vérité objec­tive. Tout bon com­mu­ni­cant le sait : la vérité n’existe pas, elle n’est que ce que l’on par­vient à faire croire. La péda­go­gie n’est rien d’autre qu’une tech­ni­que de per­sua­sion. L’idée n’est pas neuve. Elle est propre au sys­tème tota­li­taire, ainsi que l’a bien montré Hannah Arendt — on peut lire avec profit son livre sur Du men­songe à la vio­lence. La fin de la culture géné­rale impli­que également la fin du rap­port au passé. Ce qui est ins­crit d’une manière ou d’une autre dans l’idéo­lo­gie du “pro­gres­sisme” s’impose avec d’autant plus de per­fi­die qu’on mul­ti­plie les com­mé­mo­ra­tions qui n’ont pas d’autre fin que de réé­crire le passé, comme le fait Winston dans 1984.

L’élite gou­ver­nante réunie der­rière la figure de Macron — on a main­tes fois raconté com­ment Macron a été choisi par l’élite tant étatique (ins­pec­tion des finan­ces) que capi­ta­liste — est à la fois inculte (il suffit d’avoir entendu Macron essayer de s’élever spi­ri­tuel­le­ment pour com­pren­dre pour­quoi il n’a pas passé l’agré­ga­tion de phi­lo­so­phie) et douée pour le bara­tin. Ils font tous imman­qua­ble­ment penser à un ven­deur de voi­tu­res d’occa­sion, ce qui est un peu injuste pour les ven­deurs de voi­tu­res d’occa­sion. Dans l’atti­tude de ces gens dans la crise du coro­na­vi­rus il y a une part d’affo­le­ment devant une situa­tion qui les dépasse, parce qu’il faut faire autre chose que de la com­mu­ni­ca­tion et que les manuels de réso­lu­tion de pro­blè­mes n’indi­quent pas la pro­cé­dure à suivre.

Ce qui atteint les clas­ses domi­nan­tes rejaillit sur les clas­ses domi­nées. On le sait depuis long­temps, ce sont sou­vent les intel­lec­tuels issus des clas­ses domi­nan­tes qui ont apporté leurs armes aux domi­nés. Marx et Engels n’étaient pas des gros pro­duc­teurs de plus-value ! Au lieu de ces mou­ve­ments des clas­ses domi­nan­tes vers les clas­ses popu­lai­res, nous avons aujourd’hui une “rébel­lion” orga­ni­sée, patron­née, finan­cée par les grands capi­ta­lis­tes qui y voient une oppor­tu­nité com­mer­ciale autant qu’une idéo­lo­gie par­fai­te­ment adé­quate à leur monde, les mou­ve­ments “anti-dis­cri­mi­na­tion” de tous les cin­glés de la Terre, fémi­niste 2.0, LGBTQ+++, déco­lo­niaux de tous poils et amis des isla­mis­tes qui trus­tent les postes à l’Université, orga­ni­sent les col­lo­ques les plus déments sur fonds publics et orga­ni­sent la chasse aux sor­ciè­res contre ceux qui gar­dent un peu de bon sens.

La destruction du sens moral

Ce qui a dis­paru, ainsi que l’a très bien montré Diego Fusaro, c’est la “cons­cience mal­heu­reuse”, c’est-à-dire l’exis­tence au sein de la classe domi­nante de la cons­cience de la contra­dic­tion entre les idéaux intel­lec­tuels et moraux au nom des­quels elle a ins­tauré sa domi­na­tion (liberté, égalité, fra­ter­nité) et la réa­lité de cette domi­na­tion. Tous ces res­sorts de la vie sociale qui expri­ment la “force de la morale” [1] ont été pro­gres­si­ve­ment sup­pri­més. Entre un mora­lisme puri­tain et anxio­gène et la des­truc­tion du “Surmoi” (au sens freu­dien), on aurait dû trou­ver une juste mesure. La cri­ti­que du mora­lisme s’est trans­for­mée en cri­ti­que de la morale et en apo­lo­gie du “style décom­plexé”. Sarkozy avait fait l’éloge de la “droite décom­plexée”. Que veut dire “être décom­plexé” ? C’est assez simple : mentir sans même avoir honte quand on se fait pren­dre la main dans le sac, n’avoir aucune com­pas­sion réelle pour les plus fai­bles, sauf, si c’est utile de mani­fes­ter une com­pas­sion feinte qui n’entraîne aucune action, mépri­ser ceux qui se trou­vent plus bas dans l’échelle sociale (les fameu­ses “gens qui ne sont rien”), et plus géné­ra­le­ment refu­ser toute contrainte d’ordre moral et consi­dé­rer que la réus­site en termes d’argent est le seul cri­tère qui vaille. Dans un tel monde, la cor­rup­tion et les passe-droits sont nor­maux. Un Benalla est pro­tégé et peut faire ce qu’il veut. Les titu­lai­res de fonc­tions poli­ti­ques se consi­dè­rent comme les pro­prié­tai­res des lieux qu’ils occu­pent — voir le couple Macron à l’Élysée. Cette pour­ri­ture se pro­page de haut en bas — la sou­mis­sion totale ou pres­que de la magis­tra­ture au pou­voir exé­cu­tif en est un exem­ple. “Le pois­son pour­rit par la tête” dit un pro­verbe.

Certes, rien de tout cela n’est vrai­ment neuf. Les scan­da­les émaillent la vie de toutes les répu­bli­ques. Mais ce qui est nou­veau, c’est qu’il n’y a même plus de scan­dale. L’immo­ra­lisme a pignon sur rue et ceux qui invo­quent la morale ne sont plus craints, mais trai­tés comme des niais incu­ra­bles, reli­quats du “monde d’avant”. On a léga­lisé l’eutha­na­sie obli­ga­toire pen­dant cette crise sani­taire sans qu’il y ait le moin­dre débat et sans qu’on entende la moin­dre pro­tes­ta­tion. La vie humaine a un coût, n’est-ce pas. Et si cela passe aussi faci­le­ment, c’est que les esprits sont pré­pa­rés depuis long­temps, parce que, depuis long­temps, règne le “tout est pos­si­ble” — un slogan dont Hannah Arendt avait montré qu’il est un des slo­gans du sys­tème tota­li­taire.

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Tous les pays d’Europe ne sont pas également atteints par ce mal qui décom­pose les élites fran­çai­ses. Le contrôle de la morale publi­que reste assez fort dans les pays pro­tes­tants d’Europe du Nord. Plus géné­ra­le­ment, le par­le­men­ta­risme aide à réfré­ner les déli­res des puis­sants, y com­pris dans un pays où la cor­rup­tion est endé­mi­que comme l’Italie. La France qui se pensa jadis comme le phare intel­lec­tuel et poli­ti­que de l’Europe, est aujourd’hui dans la pire des situa­tions. “Ma France”, celle de Jean Ferrat peine à sur­vi­vre sous le tas de fumier de la caste. Pourtant, il reste un peu d’opti­misme. Emmanuel Todd dit les choses à sa manière : les clas­ses supé­rieu­res ont bloqué l’ascen­seur social, donc les meilleurs éléments des clas­ses popu­lai­res res­tent “en bas” et donc logi­que­ment la bêtise se concen­tre en haut ! Voilà où est l’espoir.

Denis Collin (La Sociale, 5 avril 2020)

Note :

[1] Voir La force de la morale par Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, à paraître à l’automne 2020 aux éditions « Rouge et Noir ».

mardi, 14 avril 2020

Saul Alinsky mentor luciférien de Hillary Clinton Barack Obama et tant d’autres

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Saul Alinsky mentor luciférien de Hillary Clinton Barack Obama et tant d’autres

par Michael C. Behrent (2008)

Ex: https://www.geopolintel.fr

L’article qui vous est proposé aujourd’hui est peut être le plus important qu’il nous soit possible de lire pour comprendre l’organisation stratégique de nos sociétés planétaires.
Les cycles de crises et les mouvements sociaux que nous observons depuis nos naissances nous plongent dans l’incompréhension des inversions de valeurs au travers des lois qui sont votées au parlement de chaque gouvernement dans le monde.


La pandémie de Coronavirus est à ce jour révélatrice de l’architecture de nos « démocraties ». Le professeur Raoult initiateur du traitement à la chloroquine a été conspué de tous bords, alors qu’il est peut être le sauveur attendu, celui qui s’oppose au "système. Il n’est pas rétribué par le lobbying des laboratoires et propose une vision de soin qui s’oppose à la méthode CRISPR Cas 9, le bistouri de l’adn, possible vecteur de création d’arme bactériologique dans les laboratoires P4 et par l’ancienne société Monsanto (associée à Bill GAtes), aujourd’hui Bayer, pour transformer le vivant et perpétuer cette chaine de la dette alimentaire en s’octroyant le monopole des semences.


Si l’on réfléchi, la pénurie de masques est tout aussi incompréhensible et rendu possible par le mensonge d’Etat. Ces masques ne sont pas indispensables pour notre système médical selon la porte parole de l’Elysée alors qu’ils furent la solution dans les pays comme Taiwan et la Corée du sud avec un nombre de morts infime. Tout est inversé il n’y a pas de logique sauf envers ce que l’on appelle le « système ».
Ce système est parfois exposé dans des informations qualifiées de « complotistes » ou de « Fake news » par le « système » médiatique, qui fabrique l’opinion publique.

 

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Le livre de chevet de nos dirigeants s’appelle « psychologie des foules » de Gustave Le Bon paru en 1895. Ce livre parle de L’homme et les sociétés, dans le domaine des sciences humaines et sociales. L’étude de l’homme passe de l’anthropologie a la psychologie et Le Bon fait ainsi paraître en un mouvement (presque) continu, Lois psychologiques de l’évolution des peuples (1894), Psychologie des foules (1895), Psychologie du socialisme (1898), Psychologie de l’éducation (1902), La psychologie politique et la défense sociale (1910), Les opinions et les croyances (1911) et La Révolution française et la psychologie des révolutions (1912).


Quand à la domination que nous subissons et qui est exposée dans chaque gouvernement de ce monde à quelques exceptions, le mentor celui qui influence le gendarme de la planète c’est Saul Alinsky.


Personne n’a entendu parler de celui qui est le grand architecte de la révolution des valeurs inversées. Adorateur d’Al Capone et créateurs des Chicago Boys comme Clinton Obama et pour la France Dominique Strauss-Kahn.


C’est lui qui a crée le concept de la « gauche » américaine. A lui seul il explique pourquoi nous avons un système communiste pour le peuple et un système capitaliste pour l’élite. Et pour en revenir aux inversions de valeurs, le maître de Saul Alinsky s’appelle LUCIFER a qui il dédit son livre « Rules for Radicals. » qui démontre que pour intégrer les hautes sphères des dirigeants il faut en passer par l’initiation de sociétés secrètes qui ont été combattue par le président assassiné John Fitzgerald Kennedy.

« Et laissez-moi vous dire quelque chose sur Saul Alinsky », poursuit Carson. « Il a écrit un livre intitulé Rules for Radicals. Il reconnaît Lucifer, le radical originel qui a gagné son propre royaume. Pensez-y maintenant. »
Ben Carson

Alinsky a été interrogé sur la reconnaissance de Lucifer dans son interview de mars 1972 avec le magazine Playboy vers la fin de sa vie, un chant du cygne que tous les adorateurs d’Alinsky connaissent. Voici l’échange, qui a eu lieu à la toute fin de l’interview :
Playboy : Ayant accepté votre propre mortalité, croyez-vous en une vie après la mort ?
Saul Alinsky : Il me semble parfois que la question que les gens devraient se poser n’est pas « Y a-t-il une vie après la mort » mais "Y a-t-il une vie après la naissance ? Je ne sais pas s’il y a quelque chose après cela ou non. Je n’ai pas vu les preuves d’une manière ou d’une autre et je pense que personne d’autre ne l’a vu non plus. Mais je sais que l’obsession de l’homme pour la question vient de son refus obstiné de faire face à sa propre mortalité. Disons que s’il y a une vie après la mort, et que j’ai mon mot à dire à ce sujet, je choisirai sans réserve d’aller en enfer.

Playboy : Pourquoi ?

Alinsy : L’enfer serait le paradis pour moi. Toute ma vie, j’ai été avec les pauvres. Ici, si vous êtes un pauvre, vous êtes à court d’argent. Si vous êtes un pauvre en enfer, vous êtes à court de vertu. Une fois en enfer, je commencerai à organiser les démunis là-bas.

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Saul Alinsky, la campagne présidentielle et l’histoire de la gauche américaine

Situé au croisement de la tradition du « self-made man » et de l’autogestion à l’américaine, Saul Alinsky est la figure de proue d’un mouvement qui a profondément marqué l’histoire du progressisme aux États-Unis. Michael C. Behrent dresse ici le portrait du père fondateur du community organizing, dont l’histoire a inspiré aussi bien Hillary Clinton que Barack Obama.

Les primaires démocrates viennent de se terminer aux États-Unis. Elles ont permis à l’opinion publique de mesurer la distance qui sépare les deux candidats, distance qui a tant mobilisé – au risque de la diviser – la gauche américaine. Mais au moment où cet affrontement-là cède la place à celui qui opposera Obama à McCain, revenons sur un héritage intellectuel et politique que les deux candidats démocrates partagent : l’enseignement de Saul Alinsky.

Si Alinsky est quasiment inconnu en France, c’est parce qu’il fut un militant et un penseur résolument américain – dans ses croyances, ses références et ses méthodes. Aux États-Unis, il est généralement reconnu comme le père fondateur du community organizing, terme que l’on pourrait traduire de manière approximative par « animation de quartier », mais dont le sens est à la fois plus politique et plus radical : il se réfère aux activités par lesquelles un animateur aide les habitants d’un quartier défavorisé à faire valoir leurs droits, que ce soit en exigeant de l’administration des HLM de mettre les logements sociaux aux normes sanitaires en vigueur, ou en demandant aux banques implantées dans le quartier d’offrir des taux d’intérêts plus raisonnables.

Né lui-même dans un ghetto de Chicago en 1909, Alinsky est issu d’une famille juive originaire de la Russie. Après des études à l’université de Chicago, il s’intéresse à la criminologie et obtient une bourse lui permettant de suivre de près la vie des gangs urbains : il développera ainsi une grande estime pour celui d’Al Capone, qu’il considère comme un vaste service public informel. Mais surtout, à partir de 1938, il trouve sa vocation lorsqu’il décide d’« organiser » le quartier Back of the Yards, le fameux ghetto dont les conditions de vie atroces ont été portées au grand jour par le roman d’Upton Sinclair, La Jungle (1905). C’est là qu’Alinksy mettra pour la première fois en œuvre des méthodes dont il fera plus tard un système. Son idée fondamentale : pour s’attaquer aux problèmes sociaux, il faut bâtir des « organisations populaires » (« People’s Organizations ») permettant aux populations de se mobiliser. Ces méthodes s’avéreront fructueuses aussi lorsqu’il organisa - toujours à Chicago - aux débuts des années soixante « The Woodlawn Organization » (TWO), du nom d’un quartier noir menacé par les efforts dits de « rénovation urbaine » de l’université de Chicago. Il fonda aussi l’Industrial Areas Foundation (IAF), une association où de nombreux futurs organizers (« animateurs de quartier ») apprendront la « méthode Alinsky » pour l’appliquer un peu partout dans le pays.

La « méthode Alinsky »

Bien qu’il fût avant tout un homme d’action, Alinsky tenta, dans plusieurs textes, d’expliquer les principes qui guident sa démarche. Son radicalisme puise ses racines dans l’histoire américaine – une histoire traversée avant tout par l’idée de la démocratie, qui a animé les penseurs radicaux américains depuis toujours, des révolutionnaires de Boston en 1776 jusqu’aux fondateurs du mouvement syndical, en passant par les jeffersoniens et les militants œuvrant pour l’abolition de l’esclavage. Citons-en trois principes qui constituent, pour lui, autant de tabous à lever :

51C7fTNjkAL._AC_SY400_.jpg1) Le pouvoir. Alinsky est loin d’épouser une vision irénique de la démocratie. Le principe primordial de l’organizer est celui du pouvoir. Le pouvoir, soutient-il, est « l’essence même, la dynamo de la vie » (dans certains textes, il ira jusqu’à citer Nietzsche)
. « Aucun individu, aucune organisation ne peut négocier sans le pouvoir d’imposer la négociation ». Ou encore : « Vouloir agir sur la base de la bonne foi plutôt que du pouvoir, c’est de tenter quelque chose dont le monde n’a pas encore fait l’expérience—n’oubliez pas que pour être efficace, même la bonne foi doit être mobilisée en tant qu’élément de pouvoir ». Malheureusement, poursuit-il, la culture moderne tend à faire de « pouvoir » un gros mot ; dès qu’on l’évoque, « c’est comme si on ouvrait les portes de l’enfer. »

Surmontant ce moralisme gênant, l’organizer identifie le pouvoir dont une communauté dispose, pour ensuite lui montrer le plaisir à l’éprouver – pour ensuite, enfin, le manier à ses propres fins.

2) L’intérêt propre. Si le pouvoir est le but de l’organizer, son point d’appui est l’intérêt propre (self-interest), un autre terme considéré souvent comme tabou. Pour organiser une communauté, il doit faire appel à ses intérêts (et les convaincre qu’il n’y a pas de honte à agir sur cette base) tout en identifiant ceux des personnes qui y ont font obstacle. « Douter de la force de l’intérêt particulier, qui pénètre tous les domaines de la politique, insistera Alinsky, c’est refuser de voir l’homme tel qu’il est, de le voir seulement comme on souhaiterait qu’il soit ».

3) Le conflit. Mais puisque celui qui essaie de faire valoir son intérêt particulier se heurte souvent aux intérêts de quelqu’un d’autre, l’organizer doit accepter le conflit non seulement comme inéluctable, mais même comme désirable – car rien ne mobilise autant que l’antagonisme. Sa tâche doit être « de mettre du sel dans les plaies des gens de la communauté ; d’attiser les hostilités latentes de beaucoup, jusqu’au point où ils les expriment ouvertement ; de fournir un canal dans lequel ils puissent verser leurs frustrations passées… ».
Loin d’être un mal nécessaire, le conflit est « le noyau essentiel d’une société libre et ouverte ». Si la démocratie était un morceau de musique, selon Alinsky, « son thème majeur serait l’harmonie de la dissonance ».

Ces principes ne font que traduire, dans un langage théorique, les tactiques utilisées par Alinsky et ses disciples à Chicago et ailleurs. Puisque l’organizer cherche avant tout à faire prendre conscience aux laissés-pour-compte de leur propre pouvoir, sa première tâche, lorsqu’il arrive dans une communauté, est de repérer ceux qui sont susceptibles de la mobiliser, en faisant appel aux « leaders locaux ». Alinsky travaillait ainsi beaucoup aussi avec les églises, qui constituent souvent la colonne vertébrale des quartiers défavorisés aux Etats-Unis, et entretenait notamment d’excellentes relations avec l’Eglise catholique (dans une lettre à Jacques Maritain, Alinsky ira jusqu’à dire, avec son sens d’humour habituel, qu’il est le deuxième juif le plus influent dans l’histoire du christianisme...).

L’organizer doit, d’autre part, écouter patiemment les habitants pour pouvoir identifier leurs problèmes. Une fois une tâche identifiée, plusieurs méthodes peuvent s’imposer. Pour faire bouger une administration, les habitants peuvent rassembler des informations gênantes et menacer de les distribuer à la presse, ou inviter un responsable municipal à une réunion de quartier pour lui faire part de leur grief. Mais ils peuvent également opter pour des méthodes plus rudes. Pour dénoncer l’insuffisance de l’administration, par exemple, ils peuvent faire pression sur la municipalité en organisant une grève d’impôts, ou encore débarquer en masse dans les bureaux d’un fonctionnaire, refusant de partir avant que celui-ci ne leur accorde, sur-le-champ, la réunion tant de fois reportée (de préférence, sous le regard des caméras de télévision locale). Ou encore : faire un sit-in dans les locaux d’une banque fréquentée par un propriétaire malhonnête ou dans ceux d’une compagnie d’assurances qui pénalise les quartiers défavorisés ; déposer des sacs d’ordures devant une agence de santé dont on estime qu’elle ne remplit pas ses obligations ; manifester devant la maison du propriétaire des taudis de banlieue ; ou encore, se coucher devant les bulldozers lorsque la municipalité se lance dans la rénovation urbaine sans l’approbation des personnes concernées...

La « méthode Alinsky » exerça une influence considérable sur le militantisme et les formes de contestation sociale aux Etats-Unis, tant par son propre travail (notamment à travers l’Industrial Areas Foundation et la Woodlawn Organization) que par les « organizers » qu’il a formés et les associations qui ont suivi son exemple. Parmi ceux passés par son école figure en particulier César Chávez, le militant pour les droits civiques et le fondateur des United Farm Workers, le syndicat qui a organisé la célèbre « grève des raisins » en Californie en 1965.

Cependant, Alinsky a toujours été un personnage controversé dans l’histoire du mouvement social américain - réputation, d’ailleurs, qu’il entretenait lui-même avec enthousiasme. Certains le considéraient comme trop radical et trop diviseur, tandis que d’autres — surtout le mouvement étudiant des années soixante — étaient gênés par son réformisme et son apathie idéologique. De son côté, il ne cachait pas son mépris pour des organisations comme Students for a Democratic Society (SDS) ou le Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) : de Jerry Rubin et Abbie Hoffman, les leaders des « Yippies » (Youth International Party). Il disait qu’ils n’étaient « pas fichus d’organiser un déjeuner, encore moins une révolution ».


Rules_for_Radicals.pngSurtout, Alinsky reconnaissait que les valeurs dénoncées par cette jeunesse en colère étaient justement celles auxquelles les pauvres pour lesquels il a milité aspiraient : en 1967, il remarquera : « Les gosses du SDS me disent : ‘Alinsky, tu sais ce que tu fais ? Tu organises les pauvres au nom de valeurs décadentes, ruinées, bourgeoises, et matérialistes.’ Et je me trouve en train de répondre : ‘Vous savez ce qu’ils veulent, les pauvres, dans ce pays ? Ils veulent une part plus grande dans ces valeurs décadentes, ruinées, bourgeoises ».

Les associations d’inspiration alinskienne travaillaient en collaboration avec les pouvoirs publics voire les chefs d’entreprise (Marshall Field III, le millionnaire de Chicago, siégea par exemple dans le conseil de direction de l’IAF) plutôt que s’engager dans une lutte « gauchiste ». Son héritage, partagé entre ses tactiques de dissident et des instincts foncièrement réformiste, est donc complexe.

Alinsky, Clinton et la critique du welfare

A l’automne 1968, alors que l’Amérique ne s’est pas encore remise des assassinats de Marin Luther King et de Robert Kennedy, et qu’elle a encore en tête les images des émeutes qui ont éclatées lors de la convention démocrate de Chicago, portant ainsi au grand jour l’opposition à la guerre au Vietnam, une étudiante de Wellesley College, âgée de vingt-deux ans, férue de politique et de justice sociale, décide de consacrer son mémoire de fin d’études à Saul Alinksy. Elle s’appelle encore Hillary Rodham. Dans son mémoire, qu’elle intitule (en citant T. S. Eliot) There is only the fight : an analysis of the Alinsky model, la future candidate à l’investiture démocrate médite la pensée et la carrière d’Alinsky – et, en passant, égrène quelques brins de sa propre vision politique, à l’époque encore en gestation. Au moins laisse-t-elle entrevoir ses préoccupations.

Alinsky la fascine autant par sa soif insatiable de la justice que par sa critique acerbe de la morale chrétienne version middle class, dans laquelle la jeune Hillary a baigné pendant son enfance et qui fait peu de place aux notions comme le pouvoir, le conflit et l’intérêt particulier. D’autre part, Alinsky est à la fois radical et réformiste. Elle remarque que ce qu’il professe « ne sonne pas très ‘radical.’ Ses paroles sont les mêmes que l’on entend dans nos écoles, chez nos parents et leurs amis, chez nos pairs ». Mais elle souligne : « La différence, c’est qu’Alinsky y croit vraiment ».


La possibilité de fonder une contestation sur des principes globalement reconnus est sans doute attirant pour une jeune femme tentée par les grandes luttes des sixties, mais qui choisit de rester dans le « système ». Enfin, Hillary porte un intérêt manifeste pour la place centrale qu’Alinsky accorde à la notion de « communauté ». Le problème qui hante sa pensée est celle « de la quête d’une communauté viable ».

En particulier, il nous oblige à penser ce que signifie une « communauté » à l’âge de l’industrialisation et de la société de masse – si, dans ce contexte, une communauté peut encore exister. Alinsky, qu’Hillary rencontre en complétant son mémoire, est impressionné par la jeune étudiante : il lui propose de venir travailler pour son association. Elle refusera, décidant plutôt de poursuivre des études de droit à Yale (où elle fera la connaissance d’un certain Bill Clinton…).

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Alinsky n’aura-t-il été qu’un intérêt passager d’une jeune étudiante passionnée par la politique ? Peut-être. On peut néanmoins considérer la carrière d’Hillary Clinton à la lumière de cet engouement estudiantin pour le community organizer. Son intérêt pour la notion de communauté et les valeurs de solidarité qu’elle véhicule se retrouveront, par exemple, dans son militantisme en faveur des droits de l’enfant et de l’assurance sociale. D’autre part, le pragmatisme d’Alinksy, ainsi que son allergie aux idéologies, rejoignent curieusement les valeurs de la « troisième voie » clintonienne. Clinton remarque ainsi dans son mémoire qu’Alinsky s’intéresse à l’idée d’appliquer ses méthodes à la classe moyenne américaine qui, elle aussi, éprouve un sentiment d’impuissance (powerlessness) devant « ces guerres que l’on suit sur les écrans de télévision ».

Mobilier la classe moyenne – n’est-ce pas ce que tentent les époux Clinton dans les années 1990, lorsqu’ils repartent à la conquête des couches sociales que leur parti semble avoir abandonné ? D’autre part, tout en militant pour les plus pauvres, Alinsky ne cache pas sa suspicion à l’égard de l’Etat-providence, surtout à l’égard de la « guerre contre la pauvreté » menée par le Président Lyndon Johnson dans les années 1960, qu’il qualifiera de « pornographie politique ». Alinsky se vantait de n’avoir jamais rien fait pour les pauvres, comme voulaient le faire les bureaucrates bien-pensants de Washington : il n’a fait que travailler avec eux, les aidant à chercher eux-mêmes des solutions à leurs problèmes.

C1 Alinsky.jpgSitué au croisement de la tradition du « self-made man » et d’une sorte d’autogestion à l’américaine, Alinsky insiste toujours sur la nécessité des pauvres de pourvoir à leurs intérêts, mêmes « bourgeois » et « décadents », et nourrit un profond mépris pour les « libéraux » (au sens américain du terme, donc la gauche) qui, en prétendant connaître les intérêts profonds des couches sociales démunies, ne font que les infantiliser. Mais de là à rejoindre les critiques libérales (au sens européen) de l’Etat-providence ? Rappelons qu’en 1996, le président Clinton, appuyé par les Républicains, adopta la loi sur la « responsabilité personnelle » (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act, PRWORA), qui supprima de nombreuses allocations destinées aux plus démunis (en particulier celles destinées aux enfants), en les remplaçant, au niveau des Etats fédérés, par une politique dite de « workfare », qui lie le droit aux prestations sociales à l’obligation de travailler (même dans des conditions indignes). Clinton annonça à cette occasion que « l’ère du big government » est terminé aux Etats-Unis. En dépit de son engagement profond pour les pauvres, Alinsky et sa méthode ne constituent-ils pas, par le biais de leur critique des aides gouvernementales au nom du savoir-faire spontané de la communauté, la voie détournée vers le « workfare » ?

La principale leçon que les Clinton retiendront d’Alinsky est cependant sa vision du pouvoir. L’analyse qu’ils font de l’expérience des années 1960, de l’ère Nixon et du scandale de Watergate, mais aussi du déclin du Parti démocrate à l’époque de Reagan, est précisément celle d’Alinsky : la noblesse des principes ne vaut strictement rien sans le pouvoir. Alinsky s’en prend à ceux qu’il appelle les « liberals » (et qu’il oppose aux « radicals »), c’est-à-dire ceux pour qui tous les moyens ne peuvent pas être justifiés par la noblesse du but. Railleur, Alinsky cite La Rochefoucauld : « Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui ».


Lorsque les Clinton se défendent contre ceux qui leur reprochent de vouloir accaparer le pouvoir à tout prix, on peut imaginer que ce proverbe est leur réplique secrète. Dans son mémoire, Hillary Clinton note avec intérêt que selon Alinsky, contrairement à l’idée reçue, rien n’est plus facile en politique que d’être moral : « Il y a deux voies qui mènent à tout : la voie basse et la voie haute. La voie haute est la plus facile. Il suffit à parler des principes et de se montrer angélique à l’égard des choses que l’on ne pratique point. La voie basse est plus la rude. C’est la tâche de faire ressortir une conduite morale de son intérêt personnel ».

Cela aurait pu être la devise de la campagne menée par Hillary Clinton contre Obama : il ne suffit pas d’inspirer les auditeurs par des belles phrases et par son éloquence ; la politique est l’art des résultats ; s’il faut être méchant et déshonnête pour faire un peu de bien, s’il faut être un peu démagogue pour mobiliser la rage des démunis, soit.

Alinsky dans le parcours d’Obama

Le paradoxe, pourtant, c’est que celui que Clinton accuse d’être trop idéaliste est passé par la même école qu’elle. En 1985, Barack Obama, ayant tout juste reçu son diplôme de Columbia, désirant participer au changement social dans le même esprit que les luttes pour les droits civiques des années 1960, mais ne sachant trop comment, répond à une publicité publiée dans le New York Times par le Calumet Community Religious Conference (CCRC). Cette association, qui cherche à faire des églises dans le South Side de Chicago, le célèbre ghetto noir, des forces militantes, est animée par plusieurs disciples d’Alinksy (Mike Kruglik, Gregory Galluzzo et Gerald Kellman) qui veulent recruter des jeunes noirs pour gagner la confiance d’une communauté qui les regarde (ils sont blancs et pour la plupart juifs) avec méfiance.

Agé tout juste de vingt-quatre ans, Obama arrive dans le South Side. Aussitôt, il reçoit son baptême du feu d’organizer, aidant une communauté à obtenir un bureau de placement pour les chômeurs, ou encore portant son soutien aux efforts des résidents d’un HLM pour obtenir le désamiantage de leurs logements.

Obama consacre presque deux cents pages à cet épisode dans ses mémoires, Dreams from my father. Certes, comme l’observe le journaliste Ryan Lizza, « il n’y aucune discussion de la théorie qui sous-tendait son travail et qui guida ses maîtres. Alinsky est la couche absente de ce récit ».


s-l300.jpgMais Obama évoque le pouvoir de séduction qu’exerça sur lui le langage alinskien au cours de sa formation comme organizer : « L’action, le pouvoir, l’intérêt particulier. J’aimais ces concepts. Ils témoignaient d’un certain réalisme, d’un refus temporel pour le sentiment ; la politique, et non la religion ».

A son tour, Obama enseignera à d’autres la méthode que la CCRC lui a apprise.

Toutefois, même si son nom n’est jamais mentionné, les mémoires d’Obama contiennent une critique implicite d’Alinsky – partielle, sans doute, et pourtant claire. D’abord, Obama, dans le South Side, suggère qu’il arrive parfois aux organizers de surestimer l’importance de l’intérêt particulier – ou, du moins, qu’ils le conçoivent de manière trop étroite. Les motivations des résidents du South Side qu’il mobilisa dépassaient le simple intérêt matériel ; ils étaient aussi animés par un intérêt spirituel, ou plutôt un désir de sens, une capacité d’offrir un récit significatif de leur identité. Il apprend que « l’intérêt particulier que j’étais sensé chercher s’étendait bien au-delà des problèmes immédiats, qu’au delà des banalités, des biographies sommaires, et des idées reçues, les gens portent dans leur for intérieur une explication essentielle d’eux-mêmes. Des histoires pleines de terreur et de merveilles, clouées d’événements qui les hantent ou les inspirent encore. Des histoires sacrées ».

Ce qui commence, pour Alinsky, en politique, finit chez Obama en mystique.

La méthode d’Alinsky est mise en question par Obama à un autre niveau encore. Alinsky, nous l’avons vu, assume sans regret le fait que la politique entraîne le conflit, et que la stigmatisation de l’autre peut être une puissante force de mobilisation. Mais quel sens cette idée peut-elle avoir pour une communauté qui vit quotidiennement la conséquence d’une telle stigmatisation - en l’occurrence, la communauté noire américaine ? Une réaction tout à fait logique, qu’Obama rencontre au South Side, est le nationalisme noir, qui assume la stigmatisation, mais en la projetant sur les blancs. Obama développera plus tard un certain respect pour cette attitude, surtout lorsqu’il se rendra compte à quel point les Noirs ont intégré le racisme dont ils sont victimes. La haine des Blancs constitue, pour les Noirs, un « contre-récit enfouit profondément à l’intérieur de chacun, au centre duquel se trouvent des Blancs : certains cruels, d’autres ignorants, parfois un seul visage, parfois l’image anonyme d’un système qui prétend contrôler nos vies. J’étais forcé de me demander si les liens de communauté pouvait être restauré sans un exorcisme collectif de la figure spectrale qui hantait les rêves noirs ».

Mais surtout, il finira par conclure que la haine, même justifiée, est sans issue. Il acceptera, en quelque sorte, la psychologie d’Alinsky, mais pas sa politique.

Ce qu’enseigne, en fin de compte, l’école d’Alinsky, est un mélange de romantisme et de rudesse, d’une soif pour la justice atteinte par des moyens impitoyables. Hillary Clinton semble y avoir puisé pour formuler sa vision non-idéologique du progrès social, tout en tenant fortement compte de sa leçon sur la centralité du pouvoir et de sa conquête, nécessaires à toute politique digne de son nom. Barack Obama, en appliquant la méthode d’Alinsky à Chicago, cherche à donner aux impuissants une preuve de leur propre puissance—tout en critiquant l’intérêt conçu en dehors de toute visée spirituelle, en même temps qu’il se méfie des conséquences de la stigmatisation d’autrui dans la poursuite du pouvoir.

Mais que se passe-t-il lorsque les enfants d’Alinsky passent à la politique politicienne ? Citons le maître : « Le moi de l’organizer est plus fort et plus monumental que le moi du leader. Le leader est poussé par un désir pour le pouvoir, tandis que l’organizer est poussé par un désir de créer. L’organizer essaie dans un sens profond d’atteindre le plus haut niveau qu’un homme puisse atteindre—créer, être ‘grand créateur,’ jouer à être Dieu ».

Aux supporters d’Obama et d’Hillary de reconnaître leur candidat dans cette phrase…

Michael C. Behrent , le 10 juin 2008

La conception de la nation de Fichte

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La conception de la nation de Fichte

Le philosophe Johann Gottlieb Fichte, né à Rammenau, près de Dresde, en 1762, et décédé à Berlin, en 1814, est une des grandes figures de l’Idéalisme allemand, aux côtés d’Emmanuel Kant (1724-1804), de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et de Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854).

Parmi les productions littéraires les plus connues de Fichte figurent les Discours à la nation allemande, tenus durant l’hiver 1807-1808, alors que les armées de Napoléon occupent la Prusse, à Berlin et publiés en 1808 dans cette ville. Ils visent à réveiller le sentiment national allemand et à la réalisation d’un État regroupant les Allemands.

Au sein de l’introduction de la tr411000640.jpgaduction française parue en 1992 à l’Imprimerie Nationale à Paris(1) et réalisée par le philosophe français, né en 1948, Alain Renaut, ce dernier se pose la question de la conception de la nation mise en avant par Fichte : celle née de la Révolution française, qui considère que le Tiers état la constitue, ou celle du romantisme allemand, « dont on a parfois soutenu qu’elle avait émergé avec la notion herderienne(2) de Volksgeist »,(3) qui veut que seuls les descendants de membres de la nation appartiennent à cette dernière ?

La nation révolutionnaire

« Plutôt qu’un corps auquel on appartient, la nation révolutionnaire est un édifice que l’on bâtit à partir d’un lien contractuel, qu’il faut donc penser en termes de volonté. La nation désigne ici l’ensemble des sujets contractants et décidant de remettre le pouvoir à la volonté générale. Ainsi Robespierre, en mai 1790, s’appuie-t-il sur une telle idée pour récuser que le roi soit un ‘’représentant de la nation‘’ : il en est, dit-il, le ‘’commis et le délégué‘’, détenteur de ‘’la charge suprême d’exécuter la volonté générale‘’. Politiquement, l’horizon de l’idée de nation, entendue sur ce mode, est donc la communauté démocratique, définie par l’adhésion volontaire à des principes publiquement programmés, tels que ceux de la Déclaration des droits de l’homme. Et il faut préciser que, dans cette logique, il n’y a par le monde plusieurs nations que parce qu’il y a plusieurs régimes politiques, dont les principes ne sont pas tous ceux de la démocratie et de l’État de droit : la différence entre nations est politique, donc de fait, et non pas naturelle, donc de droit, je veux dire : infrangible. »(4)

En conséquence, la frontière marque la limite de l’application du contrat social et n’est pas une limite territoriale ou ethnique. L’appartenance nationale n’est pas une détermination naturelle, mais « un acte d’adhésion volontaire à la communauté démocratique ou au contrat social. »

« La nationalité se résorbe ainsi dans la citoyenneté et elle se définit moins comme un lien affectif que comme une adhésion rationnelle à des principes ; la patrie, au sens révolutionnaire du terme, c’est la communauté démocratique en tant que patrie des droits de l’homme, et si les citoyens sont des ‘’enfants de la patrie‘’, c’est avant tout en tant qu’ils constituent les héritiers de la Révolution – l’héritage se définissant précisément comme celui des droits de l’homme. »(5)

fichte.jpg« Si la nationalité procède d’un acte d’adhésion volontaire, l’accès à cette nationalité relève d’un libre choix : dans la logique révolutionnaire, il suffit de déclarer son adhésion aux droits de l’homme et, à partir de 1791, à la Constitution, pour devenir français.(6)

Une demande d’adhésion peut dans cette optique être imposée, mais ne conduit pas à un refus. Le citoyen peut aussi, toujours selon cette vision, perdre la nationalité à partir du moment où il décide de ne plus adhérer à ces valeurs.

Jusqu’en 1799, Fichte se dit français, « sans d’ailleurs, à son vif désespoir, rencontrer quelque écho du côté de l’administration républicaine. »(7)

La nation issue de la Révolution française est donc amenée à englober l’ensemble des individus de la planète, lorsque ceux-ci auront adhéré à ses valeurs.

La nation romantique

La nation selon les romantiques se situe aux antipodes du concept de celle-ci développé lors de la Révolution française. Elle est fondée sur l’idée qu’il existe des différences naturelles entre les hommes et que la nationalité est liée à la naissance, la « naturalisation » n’étant qu’un pis-aller. La nationalité peut être refusée, notamment à ceux qui disposent d’une connaissance trop faible de la langue nationale. La nationalité ne se perd pas, même si l’individu vit dans un autre endroit du monde.

Le tournant

La question qui se pose est de savoir quand l’idée de nation est passée, au sein de l’espace germanophone, du concept des Lumières à celui du romantisme.

Alain Renaut rejette l’idée que Herder est à l’origine de ce tournant et met en avant le fait que ce dernier n’a jamais expressément utilisé la notion de Volksgeist et que Isaiah Berlin (1907-1999) a montré que Herder reste universaliste : « C’est en premier lieu le romantisme allemand, à partir des Schlegel notamment, qui, à travers sa critique bien connue de toute forme d’humanisme abstrait, en viendra ainsi à l’affirmation corrélative d’une hétérogénéité absolue des cultures nationales. »

Il précise que si la vision de la nation née en France est passée en Allemagne, celle née dans les territoires germanophones a aussi pénétré la France.

Johann_G._Fichte_Karikatur.jpgL’idée fichtéenne de nation

L’idée de nation chez Johann Gottlieb Fichte relève-t-elle des Lumières ou du romantisme se demande Alain Renaut. Il met en avant le fait que la conception de la nation évolue chez Fichte : ses textes les plus anciens attribuent au terme de nation un sens proche de celui des Lumières, alors que dans les Discours à la nation allemande, ce concept glisse vers celui du romantisme.

Au sein de la vision fichtéenne, de l’époque des Discours à la nation allemande, de la nation figurent des éléments qui renvoient à la conception romantique de cette dernière : la langue, la valorisation du Moyen Âge et la mise en relation de la défaite de la Prusse et de « la destruction par le rationalisme de l’important facteur de cohésion nationale qu’avait été la religion ».(8)

Cependant, des éléments de critique du romantisme sont également contenus au sein des Discours à la nation allemande. En effet, le renvoi au Moyen Âge de Fichte est dirigé vers les villes libres et pas vers les princes et la noblesse, donc pas vers les « ordres ». Fichte ne se rallie donc pas à un modèle antithétique à la démocratie émergeant des Lumières. Alors que les romantiques exaltent le catholicisme, Fichte prend position en faveur de la Réforme. Bien que Fichte enracine l’idée de nation dans la langue, il écrit, au sein d’une lettre datant de 1795 : « Quiconque croit à la spiritualité et à la liberté de cette spiritualité, et veut poursuivre par la liberté le développement éternel de cette spiritualité, celui-là, où qu’il soit né et quelle que soit sa langue, est de notre espèce, il nous appartient et fera cause commune avec nous. Quiconque croit à l’immobilité, à la régression et à l’éternel retour, ou installe une nature sans vie à la direction du gouvernement du monde, celui-là, où qu’il soit né et quelle que soit sa langue, n’est pas allemand et est un étranger pour nous, et il faut souhaiter qu’au plus tôt il se sépare de nous totalement. »(9)

Il considère donc que tous ont la possibilité de devenir allemands à partir du moment où ils adhèrent « aux valeurs universelles de l’esprit et de la liberté. »(10)

« Un tel patriotisme et le cosmopolitisme, Fichte le suggérait en 1806 dans ses Dialogues patriotiques,(11) ne s’excluraient nullement : on ne naît pas Allemand, on le devient et on le mérite. »(12)

D’autre part, si les Discours à la nation allemande refusent le romantisme politique, ils critiquent sévèrement les Lumières, au moins sur trois points. En effet, ceux-ci accusent ces dernières d’avoir détruit le lien religieux entre les individus qui séparent désormais leurs intérêts personnels de la destinée commune. De plus, la conception de l’éducation des Lumières, qui vise à réaliser le bonheur de l’individu et évacue tout idéal moral, renonce à former l’homme, « à aller contre la nature pour faire surgir la liberté, elle vise seulement à ‘’former quelque chose en l’homme’’, par exemple tel ou tel talent ; on présuppose ainsi que le libre arbitre existe naturellement, qu’il n’y a pas à le former, mais seulement à lui donner tel ou tel objet. […] À l’éducation des Lumières, les Discours opposent alors une éducation qui, loin de valoriser la nature et le culte du bonheur, ne présuppose pas la liberté, mais la forme par contrainte de ce qui représente en nous la nature. »(13)

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Les Allemagnes en 1813

Et encore, l’idéal politique des Lumières consistant en « une sorte d’automate où chaque rouage serait forcé de contribuer à la marche de l’ensemble, simplement par intérêt bien compris » est voué, selon Fichte, à l’échec.

Fichte renvoie les Lumières et le romantisme dos-à-dos, leur reprochant à tous deux la primauté de la nature individuelle sur la loi. En conséquence, en 1807-1808, le concept de nation de Fichte est-il une transition entre celui des Lumières et celui du romantisme, ou une troisième idée de celui-ci fondée non pas sur une appartenance ou une adhésion à la nation, « mais pensée en termes d’éducabilité » ?

Fichte estime donc que toute personne peut adhérer à la communauté nationale, dès lors qu’elle reconnaît les valeurs de l’esprit et de la loi. Mais, « il nous lègue aussi cette considération selon laquelle la liberté, qui fonde l’adhésion, est, non une liberté métaphysique, transcendant le temps et l’histoire, mais toujours une liberté-en-situation, bref, que, pour s’exercer de façon significative, cette liberté doit s’inscrire dans une culture et une tradition pour lesquelles les valeurs de l’esprit et de la loi ont un sens. Comment toutefois penser cette inscription ? […] Fichte a conçu en fait que le signe visible de l’inscription d’une liberté au sein d’une culture et d’une tradition consiste dans la capacité d’être éduqué, dans l’éducabilité aux valeurs de cette liberté et de cette tradition. De là son insistance sur l’éducation nationale comme éducation à la nation. De là aussi […] qu’il a pu mettre en avant l’importance de la donnée linguistique, hors laquelle l’éducabilité est problématique, mais sans faire de cette donnée une condition sine qua non, comme l’eût fait une théorie de la nation fondée, non sur l’éducabilité, mais sur l’appartenance. »(14)

Ce modèle a permis à Fichte de dénoncer la conception de la nation, tant des Lumières que du romantisme, et au-delà de celle-ci de ces deux systèmes de pensées.

Notes

(1) Johann Gottlieb Fichte (présentation, traduction et notes d’Alain Renaut), Discours à la nation allemande, Imprimerie nationale, Paris, 1992.

(2) Johann Gottfried Herder est né en 1744 et mort en 1803.

(3) Esprit du peuple ou génie national.

(4) Johann Gottlieb Fichte, Discours à la nation allemande, p. 13.

(5) Ibid., p. 14.

(6) Ibid.

(7) Ibid.

(8) Ibid., p. 29.

(9) Ibid., p. 32.

(10) Ibid.

(11) (Traduction par Luc Ferry et Alain Renaut), in : Johann Gottlieb Fichte, Machiavel et autres écrits philosophiques et politiques de 1806-1807, Payot, Paris, 1981.

(12) Johann Gottlieb Fichte, Discours à la nation allemande, p. 32-33.

(13) Ibid., p. 36.

(14) Ibid., p. 42-43.

 

lundi, 13 avril 2020

De la technocratie et de la Terreur

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De la technocratie et de la Terreur

par Jean-Gilles Malliarakis

Ex: https://insolent.fr

mercredi, 01 avril 2020

Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

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Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

par Arnaud Imatz

Le réalisme politique ne jouit pas en France d’une bonne réputation, ni dans les milieux académiques, ni dans les médias mainstream. Si dans les pays Anglo-saxons, en Amérique hispanique et dans le reste de l’Europe (en Italie tout particulièrement), l’intérêt ne se dément pas pour « l’école de pensée réaliste », dans l’Hexagone, elle est le plus souvent balayée d’un revers de main, taxée d’idéologie antidémocratique, manichéenne, opportuniste et désespérante, perçue comme une idéologie de dominants qui refusent de penser le changement et l’avenir. Le silence de la grande presse parisienne sur la remarquable synthèse du professeur Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie. Pourquoi le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, publiée en novembre dernier (Toucan / L’Artilleur, 2019), n’est qu’un révélateur de plus de cette censure « soft » mais efficace.

71ukXAUZq2L.jpgRéputé l’un des meilleurs politologues du monde hispanique, l’académicien Negro Pavón a beau montrer que le réalisme politique n’est pas une famille politique homogène mais un point de vue de recherche et d’étude qui vise à éclairer les règles de la politique, qu’il n’est pas la défense du statu quo, qu’il part de l’évidence des faits mais ne se rend pas devant eux, qu’il ne se désintéresse pas des fins dernières mais reconnaît au contraire la nécessité vitale des finalités non politiques (le bonheur et la justice), rien ne peut ébranler la foi de ses adversaires, ennemis autoproclamés de toute pensée « machiavélienne », ou plutôt, selon leurs dires, « machiavélique ». Dans le fond, on le sait, le postmodernisme (mélange de néo-marxisme et de néo-libéralisme), n’est qu’une rébellion contre la réalité. Et le péché capital que redoutent ses thuriféraires est moins la « démagogie populiste », comme on l’entend ad nauseam, que le « sain scepticisme politique ». Une manière de penser qui, précisément, fait dire à Pavón,  au grand dam de nos pseudo-progressistes, qu’il y a une condition essentielle pour que la démocratie politique soit possible et sa corruption beaucoup plus difficile: « il faut que l’attitude à l’égard du gouvernement soit toujours méfiante ». Et encore, citant Bertrand de Jouvenel : « le gouvernement des amis est la manière barbare de gouverner ».

Simone Weil, Bertrand de Jouvenel, Raymond Aron, Jules Monnerot ou Julien Freund, pour ne citer qu’eux, ont tous, à un moment ou à un autre de leurs vies et à des degrés divers, fait l’amère expérience de cette méfiance et de cette hostilité que suscitent le « sain scepticisme politique ». Mais en la matière, la victime, l’exclus ou le réprouvé par excellence est assurément le polémologue Gaston Bouthoul, tombé injustement dans l’oubli depuis des décennies. À l’occasion du 40e anniversaire de sa mort (1980-2020), le politologue de l’Université de Murcie, Jerónimo Molina Caro, déjà connu pour ses travaux sur Raymond Aron et Julien Freund, nous offre une véritable somme sur la vie et l’œuvre de « Gaston Bouthoul, Inventor de la Polemología » (Centre d’études politiques et constitutionnelles de Madrid, Prix Luis Díez del Corral).

mini_magick20190404-31551-1ulxni0.pngGaston Bouthoul (Boutboul selon son certificat de naissance), est né dans la petite ville côtière de Monastir en Tunisie, le 8 mai 1896. Élevé au sein d’une famille bourgeoise de la communauté juive d’Afrique du Nord, le jeune Gaston parle le français, le dialecte arabe de la région et l’italien. Une fois ses études secondaires terminées, il quitte Tunis pour Paris, mais il restera toujours très attaché à son pays de naissance. En mai 1916, il s’inscrit à la faculté de droit et de lettres de la Sorbonne, puis, en juillet 1918, à l’Université de Lyon. De retour à Paris, en novembre 1918, dès la fin de la Première guerre mondiale, il acquiert la nationalité française.

Bouthoul obtient successivement deux doctorats en 1924 et en 1931: un premier doctorat en sciences juridiques et sciences politiques et économiques à la Sorbonne, avec une thèse « principale » sur La durée du travail et l’utilisation des loisirs et une thèse « secondaire » Étude sociologique des variations de la natalité dans les faits et la doctrine ; puis,un deuxième doctorat en lettres, section philosophie, à l’Université de Bordeaux avec une thèse « principale » sur L’invention (dans laquelle il défend la psychologie sociale et s’oppose au sociologisme de Durkheim) et une thèse « secondaire » sur Ibn-Khaldoun, sa philosophie sociale.Le génial aventurier politique et érudit, Ibn Khaldoun (1332-1406), né à Tunis et mort au Caire, sorte de machiavélien avant la lettre, théoricien de la décadence et de ses causes historiques, conduit très tôt Bouthoul à adhérer au réalisme politique.

En 1923, Bouthoul se marie avec Vera Betty Helfenbein, une jeune femme brillante, née à Odessa. Avocate, écrivaine et peintre, Betty côtoie le milieu intellectuel de la capitale où elle introduit son mari, qui se lie d’amitié avec une pléiade d’intellectuels dont Jacques Prévert et le francophile et francophone Ernst Jünger. L’amitié avec l’auteur de Sur les falaises de marbre ne se démentira pas. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à deux reprises, en 1950 et 1951, le couple recevra Jünger dans sa résidence d’été d’Antibes.

La carrière universitaire semble s’ouvrir à Bouthoul, mais ses affinités intellectuelles, fort éloignées de la sociologie durkheimienne, qui est alors hégémonique en France, rendent difficiles son intégration dans les milieux académiques. Intellectuel libre, chercheur indépendant, il est rétif à se plier aux conventionnalismes, aux formalités et servitudes de la vie académique. Sa vertu et son caractère l’éloignent des chapelles et des coteries mais le revers de la médaille est son exclusion des postes universitaires importants. Personnalité non-conformiste, membre du Club des « Savanturiers » fondé par Boris Vian et Raymond Queneau, Bouthoul étonne, choque même les bien-pensants.

Gaston et Betty Bouthoul ont néanmoins un avantage appréciable : l’indépendance financière que leur assure la profession d’avocats bien établis laquelle les met à l’abri des revers et chausse-trapes académiques. Les deux défendront les intérêts de clients et d’amis célèbres dont, dans le cas de Gaston Bouthoul, Jacques Prévert, Henri Langlois, fondateur de la cinémathèque française, ou les enfants naturels de Picasso.

51lwf6+xpnL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgC’est en 1922 que le nom de Gaston Bouthoul est mentionné pour la première fois dans la Revue internationale de sociologie, organe de l’Institut international de sociologie fondé par le sociologue René Worms (1893). À partir de 1926, cette revue réputée est dirigée par un ami de Bouthoul, Gaston Richard, un disciple de Durkheim devenu anti-durkheimien. Collaborateur régulier de la Revue internationale de sociologie mais aussi du Mercure de France, le futur polémologue recense et commente les néo-machiavéliens italiens Roberto Michels, Gaetano Mosca et Vilfredo Pareto. Pacifiste, se situant politiquement au centre-gauche, Bouthoul adhère à la franc-maçonnerie et collabore, semble-t-il, avec Paul Reynaud. Mais ses prises de position partisanes sont accidentelles au regard de son scepticisme politique foncier. Personne n’a plus souligné que lui « l’extrême pauvreté intellectuelle de la vie politique », la persistance dans le temps de quelques idées politiques basiques qui permettent de parler d’une infrastructure psychologique ou mentale dont les effets opèrent constamment sur la pensée et l’action politique. La politique est, selon lui, le degré le plus bas de l’activité intellectuelle. N’importe qui peut aspirer à une brillante carrière s’il est capable de réciter quelques slogans.

Bouthoul contribue aux travaux du Congrès international et intercolonial de la Société indigène, publiés en 1931, sous la tutelle de Lyautey. Sa communication porte sur l’amélioration des conditions sociales en Tunisie. Durant les années 1920 et 1930, il fréquente assidument l’École coloniale et dirige la Revue d’Afrique (de 1928 à 1939). C’est l’époque ou le radical-socialiste, Albert Sarraut, ministre et président du gouvernement, justifie la colonisation comme une « œuvre de solidarité humaine », une obligation civilisatrice, le droit du fort à aider le faible, une entreprise d’association et de prolongation de l’Europe. Les colonies ne sont pas seulement des marchés mais la création d’une nouvelle humanité. Leur finalité n’est pas purement matérielle ou économique mais leur objectif est de développer un nouvel idéal moral, de créer une nouvelle tradition intellectuelle commune, un nouveau type humain imprégné de deux cultures. Optimiste, Bouthoul croit en la possibilité d’un islam français. Il se déclare partisan d’un fédéralisme européen (« l’autonomie ou l’indépendance dans l’interdépendance » diront pour leur part Edgar Faure ou Albert Camus dans les années 1950) qui repose sur l’autonomie des différentes régions de l’empire français. Plus tard, des considérations démographiques le convertiront en un partisan de l’abandon de l’empire.

A la fin des années trente, Bouthoul commence à s’intéresser à l’étude du « phénomène-guerre » et écrit dans la Revue de Défense nationale. En 1940, grâce à ses bonnes relations avec l’imam de la mosquée de Paris, il obtient un certificat d’appartenance à la religion musulmane qui le protège lui et sa femme sous l’Occupation. En janvier 1941, le couple se replie sur Antibes. Amis de l’écrivain-résistant René Laporte, les Bouthoul retrouvent chez lui Aragon, Georges Auric, Cocteau, Eluard, Claude Roy, Pierre Seghers, André Verdet et bien d’autres.

718T0q1iQgL.jpgLa profonde impression que produit la Deuxième guerre mondiale sur Bouthoul – l’hécatombe européenne et les effets de l’arme atomique -, réoriente sa vie intellectuelle. De retour à Paris en 1945, il fonde l’Institut Français de Polémologie pour l’étude scientifique des causes des guerres (IFP). La polémologie, c’est l’étude de la guerre considérée comme un phénomène d’ordre social et psychologique. Bouthoul cherche à remplacer le pacifisme idéologique par un pacifisme scientifique, c’est-à-dire une conception de la paix fondée sur l’étude multifactorielle du « phénomène guerre ».

Dès les années 1950-1960, les grandes lignes de sa pensée sont déjà nettement tracées. Bouthoul, dénonce la saturation ou l’inflation démographique, l’amoncellement humain, qui met en péril le respect de la dignité de la personne et son progrès moral. Il rejette la prétendue relation de causalité purement quantitative entre l’augmentation de la population et le progrès établie par les démographes populationnistes. Néomalthusien optimiste (alors que Malthus est un pessimiste), il combat le populationnisme par crainte et haine de la guerre. Il réfute le populationnisme d’Alfred Sauvy, fondateur et directeur de l’Institut National d’Études Démographiques. Il s’oppose au populationnisme du républicain de centre gauche Zola, comme à celui du socialisme militant (utopique, marxiste et social-démocrate lequel sera partisan de la lutte des classes… jusqu’au triomphe du Welfare State). La dépopulation est pour les populationnistes un symptôme non équivoque de décadence car elle impose à la nation une « atmosphère déprimante ». À l’inverse, pour Bouthoul le propre des civilisations qui optent résolument pour la quantité est la tendance à devenir chaque fois plus inhumaine.

La solution du problème de la guerre et de la paix n’est pas, selon lui, dans les doctrines politiques, ni juridiques, ni morales, ni économiques, mais dans la science et le savoir. Ou la polémologie ou la guerre ! A l’adage traditionnel, romain et clausewitzien, Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre), et à celui du pacifisme rhétorique, Si vis pacem, para pacem (Si tu veux la paix, organise la paix), Bouthoul préfère la devise, Si vis pacem, gnosce bellum (Si tu veux la paix, comprend la guerre). Les incriminations et les discours contre la guerre ne servent à rien ; l’important, c’est la connaissance de l’agressivité collective et des conditions qui la suscitent.

md1207020186.jpgBouthoul étudie la périodicité des guerres, leurs causes présumées et leurs fonctions sociales. Il remet en question toute forme de déterminisme économiciste qu’il soit d’inspiration libérale ou marxiste. Ce n’est pas l’économie, mais la démographie qui est « le facteur numéro 1 »  de la guerre. Ni le dirigisme économique ni le libre-échange influent décisivement sur l’agressivité des nations. Il ne faut pas nier l’influence des facteurs psychologiques, culturels ou économiques, mais les circonstances de nature démographique sont celles qui comptent le plus.

La guerre n’est pas une maladie sociale, ni une pathologie collective, mais l’expression constante et régulière du dynamisme biologique et démographique, une fonction stable de la biologie sociale qui s’exerce sous les prétextes les plus variés. La guerre est innée et acquise, un fait de nature et un fait d’histoire, ses racines sont dans l’animalité de l’homme, mais aussi dans son humanité et dans sa sociabilité projetées dans le devenir historique. La guerre est un phénomène sociologique ou psychologique plus que politique. Elle n’est pas intentionnelle, mais plus nécessaire et fatale que volontaire et optionnelle. Elle est indépendante, au moins en partie sinon totalement, de la volonté humaine. Elle ne dépend ni de la souveraineté, ni de la forme de gouvernement, mais du déséquilibre démo-économique et de l’agressivité collective.

Alors que pour Clausewitz la guerre a pour finalité la destruction de l’ennemi afin de lui imposer notre volonté. Pour Bouthoul, la guerre a comme finalité la « relaxation » démographique. Pour l’un, la guerre est un phénomène historique et contingent (la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens), pour l’autre, elle est un phénomène périodomorphique. La guerre a une fonction double : générique et spécifique. La première, est destructive (mortalité supplémentaire) et réductrice (effondrement de la natalité). La seconde, quintessence de la polémologie, consiste en l’élimination de jeunes garçons, une constante dans l’histoire des idées politiques et sociales. La causalité du phénomène guerre est majoritairement démographique. Ainsi, l’indépendance de l’Algérie sous De Gaulle s’explique par une conscience aigue du problème démographique qui plane sur la métropole : que deviendrait le haut niveau de vie de la France si quelques millions d’Africains arrivaient sur son territoire ?

La traversée du désert de Bouthoul se prolonge pendant plus de vingt ans. C’est seulement à partir de 1966 que son Institut prend vraiment son essor. Tout commence à changer lorsqu’il se lie d’amitié avec Lucien Poirier. C’est la première rencontre providentielle pour lui. Théoricien de la dissuasion nucléaire, principal représentant de la stratégie française de l’après-guerre, le général Lucien Poirier est un proche du gaulliste, ministre des armées, futur premier ministre, Pierre Messmer. Poirier fait appel à la collaboration de Bouthoul pour la Revue militaire d’information. Les finances de l’IFP s’améliorent et sa revue  Guerres et Paix est publiée aux PUF, de 1966 à 1970.

La seconde rencontre heureuse et inespérée de Bouthoul est celle de la journaliste pacifiste, femme de lettres et femme politique, Louise Weiss, qui assume le secrétariat général de l’IFP, de 1964 à 1971. En 1967, un Centre de sociologie de la guerre, dépendant de l’institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, est crée et dirigé par  le général Victor Werner enthousiaste divulgateur des thèses de Bouthoul. Un autre ami proche, le professeur de philosophie politique, Julien Freund, fonde l’Institut de polémologie de l’Université de Strasbourg (1970). La dédicace du livre de Freund Utopie et violence (1978) à Gaston Bouthoul et à la mémoire de sa femme Betty témoigne de leur proximité.

En 1971, paraît le premier numéro des Études polémologiques ; les membres du comité d’honneur de cette nouvelle revue de l’IFP sont pour la plupart des intellectuels du Collège de France et de l’Institut de France (Braudel, Fourastié, Guitton, Rueff etc.). Deux collaborateurs de Bouthoul sont parmi les plus actifs, Hervé Savon, chercheur au Collège de France et le général René Carrère.

la-surpopulation-dans-le-monde.jpgDurant toute sa vie, Bouthoul publie des centaines d’articles et une bonne vingtaine de livres dont les titres sont éloquents. Parmi eux citons : Cent millions de morts (1946), Huit mille traités de paix (1948) [pas moins de 8000 traités de paix « qui devaient durer éternellement » ont été conclus entre l’année 1500 av. J.-C. et 1860], Les guerres, éléments de polémologie (1951), Le phénomène-guerre (1962), Sauver la guerre : lettre aux futurs survivants (1962), La surpopulation dans le monde (1964), L’art de la politique (1969), L’infanticide différé (1970), Essais de polémologie ( 1976) ou encore, en collaboration avec René Carrère et Jean-Louis Annequin, Le Défi de la guerre de 1740 à 1974 (1976) et Guerres et civilisations (1979).

Bouthoul a été critiqué pour son « monocausalisme » démographique, sa corrélation trop simpliste entre démographie et guerre (Alfred Sauvy, Paul Vincent, Raymond Aron) ou sa « délocalisation » des conflits (Yves Lacoste). Il lui a été aussi fait le reproche moral de justifier la guerre en lui attribuant une fonction sociale. Mais en réalité, il présente la polémologie comme un chapitre de la sociologie dynamique, générale, en raison du grand nombre de facteurs interdépendants qu’elle implique (depuis l’anthropologie et l’ethnologie démographique, jusqu’à l’économie, en passant par le droit et la psychologie). S’il croit en la primauté des facteurs démographiques, il n’a jamais affirmé que la surpopulation ou les perturbations démographiques sont l’unique cause de la guerre. Selon lui, « La surpopulation ne conduit pas nécessairement à la guerre, mais elle est une situation dans laquelle s’activent les institutions destructives. La prépondérance de l’une ou de l’autre sera déterminée par la mentalité, la conjoncture politique et idéologique, la technique, la tradition et bien sûr le hasard ».De sorte que « bien qu’on ne peut pas affirmer scientifiquement une relation certaine de causalité entre la perturbation démographique et la naissance des conflits… celle-ci peut favoriser les conditions qui créent le lien polémogène ».

Avec un pourcentage majoritaire de sa population entre 20 et 35 ans, nous dit Bouthoul, un peuple est plus belligène et agressif. C’est au fond la doctrine du Youth Bulge des sociologues anglo-saxons d’aujourd’hui pour qui, lorsque dans un peuple la population des jeunes (entre 15 et 24 ans) dépasse les 20%, les possibilité de conflit intérieur ou de guerre extérieure se multiplient. Une société majoritairement gérontocratique et féminine est en revanche moins agressive.

Victime d’une grave maladie, Bouthoul décède en décembre 1980. Quelques mois plus tôt, il a accepté que l’IFP soit dissous et absorbé par la Fondation pour les Études de Défense nationale (1980). Respectant sa volonté, René Carrère en devient le directeur et Christian Schmidt, de l’université Paris IX Dauphine, le directeur adjoint. La FEDN sera à son tour dissoute, en 1992, sur proposition du ministre socialiste Pierre Joxe.

Sans projection universitaire, sans postérité véritable, surtout après la perte irréparable d’Hervé Coutau-Bégarie (2012), fondateur de l’Institut de stratégie comparée, et malgré les efforts méritoires de Myriam Klinger, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, Gaston Bouthoul a semblé pendant des années condamné à être ignoré, méconnu et oublié. Mais grâce au livre passionnant et remarquablement documenté de Jerónimo Molina Cano, Gaston Bouthoul, inventeur de la polémologie. Guerre, démographie et complexes belligène, il n’en est rien. C’est avec impatience qu’on attend sa traduction et sa publication en France.

Arnaud Imatz est historien des idées, membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne.

lundi, 30 mars 2020

Dante et saint Augustin, millénarisme et théorie politique

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Dante et saint Augustin, millénarisme et théorie politique

par Sylvain Métafiot

Ex: http://www.mapausecafe.net

Article initialement paru sur Philitt

Poète mais également homme politique et penseur chrétien, Dante Alighieri développe l’idée que la monarchie terrestre peut restaurer la pureté humaine d’avant la Chute. Il dégage le pouvoir de l’intellect humain, désormais libre, substituant en cela la notion d’humanité à celle de chrétienté. Une vision qui fait suite aux réflexions d’Augustin d’Hippone sur la dualité entre Empire et Royaume divin dans l’Empire romain chrétien, un millénaire plus tôt.

En 1295, en pleine opposition florentine entre guelfes (partisans du Pape) et gibelins (partisans de l’Empereur), Dante Alighieri fait son entrée dans la vie publique. Proche des guelfes blancs (famille Vieri de’Cerchi) il est exilé et condamné à mort par le clan des guelfes noirs (famille Donati) en 1302. Le 31 mars 1311 l’auteur de La Divine Comédie écrit une lettre (5e Épître) à tous les princes d’Italie pour annoncer le triomphe d’Henri VII venu, selon lui, libérer les Italiens de l’esclavage dans lequel ils se trouvent. Dans cette invective contre la résistance de la commune de Florence, Dante stigmatise la rébellion des partisans du pape contre l’empereur. Or, dans d’autres textes, le poète dénonce l’état de corruption dans lequel se trouvent certaines terres de l’Empire, dont l’Italie.

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Dans le chant XVI du Purgatoire, Dante et Virgile cherchent leur chemin à travers l’épaisse fumée du cercle des ombres abandonnées à la colère. Ils rencontrent Marc Lombard qui, à travers ses paroles, leur sert de guide. Il leur parle des causes de la corruption contemporaine, expliquant l’origine de l’âme et exposant l’opposition entre le passé et la coexistence des deux soleils (l’empereur et le pape).

Dans ce passage, Dante reformule ainsi la doctrine chrétienne du libre-arbitre selon laquelle la liberté est la libre soumission à Dieu (dans le chant V du Paradis, Dante examine plus avant la relation de l’âme librement sujette à Dieu). Le problème qu’il soulève est la facilité avec laquelle l’âme dérive de sa juste destination. Or, un guide est nécessaire pour empêcher cette dérivation. L’âme est donc indissociable du frein des lois. Son chemin est indiqué par les deux grands guides terrestres devant paver le chemin du salut. Ce qui se traduit par la dénonciation de la corruption contemporaine de l’extinction du temporel par le spirituel. Pour Dante, le pape néglige cette faculté de discerner ce qui est le propre de la justice : le pouvoir temporel papal est une des causes de cette corruption de la vertu. Dix siècles plus tôt, entre 413 et 426 précisément, alors que l’Empire romain débutait sa christianisation, Augustin élaborait sa parabole politique sur le salut et le mal.

La Cité de Dieu de Saint Augustin

Selon Augustin, « deux amours ont fait deux cités : l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi, la cité céleste ». Ces deux cités mystiques (ou idéelles) coexistent dans chaque être humain. La cité terrestre étant une forme de défiguration de la cité de Dieu. Celle-ci n’est cependant pas l’Église terrestre, de même que la cité terrestre ne se confond pas avec l’Empire ou l’État, malgré d’évidentes similitudes (leur objectif est la paix : l’harmonie et l’ordre pour la cité céleste, la domination pour la cité terrestre). Il y a une hiérarchie dans la cité céleste : l’asservissement des choses matérielles de la cité terrestre, le désordre intérieur de chacun fait entrer en compétition et en guerre avec les autres pour imposer un ordre arbitraire. Le peuple est « une multitude d’être raisonnables associés par la participation dans la concorde aux biens qu’ils aiment ». Dans la cité terrestre la justice est masquée par la poursuite des biens matériels. Il faut respecter les lois pour qu’une paix, relative et imparfaite, soit maintenue.

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Notons que, selon l’historien de la pensée politique Michel Senellart, chez Saint Augustin le péché ne provient pas de la chair mais de la volonté d’Adam : la corruption de la chair est la conséquence du péché originel. La volonté humaine est impuissante et tombée dans la servitude. Selon Senellart « L’État en tant qu’organe de répression a donc son rôle à jouer dans la discipline apostolique ». Toutefois, si l’homme se trouve incapable d’instaurer un ordre harmonieux, dans la paix et la concorde, l’idée de sociabilité n’est pas absente de la pensée d’Augustin. L’homme doit bénéficier de la grâce divine pour éloigner l’ignorance et le péché.

Si l’Église et l’État sont deux structures imparfaites, quel est leur rôle dans le Salut ? « Quelle place accorder au Prince, à l’Empereur ? » se demande Augustin. Les souverains temporels, comme les souverains pontificaux, pourraient avoir le droit de gouverner leurs sujets respectifs. L’État peut aider à corriger la volonté humaine, mais il n’est pas bon en lui-même et est victime des hommes. L’Empire joue un rôle providentiel en favorisant l’expansion de l’Église. Mais la providence divine est inconnue aux hommes. Tout ce qui est terrestre n’est que provisoire. Augustin ôte ainsi toute signification eschatologique à l’Empire. Il ouvre la perspective d’une expansion de l’église hors du temps et de l’espace romain (même s’il ne souhaite pas la fin de Rome).

La doctrine des « deux glaives » et les « dualistes »

Le XIIe siècle voit l’apparition de thèses hiérocratiques (système de gouvernement représenté par une caste religieuse), notamment la théorie des deux glaives de Bernard de Clairvaux (1090-1153). Ce dernier réinterprète certains passages des écritures, comme celui de l’Évangile selon saint Luc dans lequel les apôtres voulant défendre Jésus lui disent : « Maître, il y a ici deux glaives » et Jésus de répondre « cela suffit ». La notion de glaive prend ici un sens punitif : le glaive de la parole divine peut traduire la colère de Dieu ; tandis que le glaive royal punirait les méchants et récompenserais les bons. Les deux pouvoirs se distinguent autant qu’ils concordent entre eux. Dans l’Église, des voix s’étaient élevées affirmant que les princes tenaient leurs glaives des prêtres, d’où une soumission du pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Saint Bernard affirme que les deux glaives reviennent à l’Église, le pape étant le vicaire du Christ. Puisque les deux pouvoirs poursuivent le même but (le salut), il est nécessaire que le vicaire du Christ possède le pouvoir suprême. On ne peut utiliser le glaive matériel sans l’assentiment du Pape et celui-ci peut utiliser son pouvoir sur toute action coercitive.

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Pour les décrétalistes (jurisconsultes experts dans la connaissance des règles ecclésiastiques), c’est la souveraineté du pape qui assure l’empereur de la plénitude de son pouvoir. Les canonistes expriment tout de même une grande prudence dans la suprématie pontificale. Ils établissent une voie moyenne entre juristes purs qui autonomisent le politique et un gouvernement hiérocratique de la chrétienté mettant le pouvoir temporel sous soumission totale du Pape. Le juriste Étienne de Tournai (1128-1203) affirme ainsi que « dans le même acte, sous le même roi, existe deux peuples, et selon eux deux genres de vie, et selon eux deux principes, et selon eux un double ordre de juridiction […] le droit divin et le droit humain rend à chacun ce qui lui appartient et toutes choses seront à leur place ». De son côté, le légiste Huguccio de Pise (1140-1210) attaque la théorie des deux glaives : « Il y a eu un empereur avant qu’il y ait eu un pape, et un empire avant qu’existe une papauté. Et c’est pour signifier que les deux puissances doivent êtres divisées et séparées qu’il fut dit : il y a ici deux glaives ». Au siècle suivant les décrétalistes se rallieront aux formulations de saint Bernard : une dualité de fonction au sein d’un seul corps, l’Église.

La Monarchie universelle de Dante

Revenons au poète florentin. Dans La Monarchie universelle (1313), Dante cherche à démontrer la légitimité du caractère romain de l’Empire. Dans le premier livre, il montre que la nécessité de cette monarchie provient de la raison et de la providence. Du point de vue de la raison, la monarchie universelle se déduit de la nécessité d’une paix universelle. Dante cherche ensuite à définir le propre de l’intellect humain. La pensée et l’action étant les actions matérielles de l’homme, la paix universelle est le seul moyen pour arriver à la destination naturelle de l’homme. S’inspirant d’Aristote il affirme que lorsque plusieurs choses ont une même fin il est nécessaire qu’une chose règle et gouverne les autres. Détenteur en lui-même d’une nature corruptible et incorruptible l’homme possède deux finalités : il tend à la fois vers une béatitude terrestre et une béatitude céleste. De fait, Dante élabore deux voies (à la façon des deux soleils dans le chant XVI du Purgatoire vu plus haut) :

  • La voie corruptible, fondée sur l’ordre de la nature, la béatitude terrestre, les enseignements des philosophes (l’empereur conduit les hommes au bonheur grâce à la philosophie), les vertus naturelles, etc.
  • La voie incorruptible, basée sur l’ordre de la grâce, la béatitude céleste, l’enseignement spirituel, les vertus théologiques, la révélation de l’esprit saint à travers laquelle le pape conduit au bonheur.

Il convient toutefois de ne pas exagérer le dualisme de Dante. Proche des canonistes du XIIe siècle, il cherche à penser une autonomie pleine et entière de la monarchie universelle à l’égard de la papauté. Mais la monarchie ne s’identifie pas avec l’empire qui, lui, est en complète déliquescence. Dante veut refonder un ordre universel en accord avec la justice divine. Cette dualité est pensée selon un équilibre harmonique : il ne peut y avoir de conflit entre la foi et la raison, car les deux autorités, venant de Dieu, n’ont qu’à se développer selon leurs natures respectives pour s’accorder.

dante-02.jpgEnfin, dans la 6e Épître, Dante reprend les thèses fondamentales de la Monarchie. Il utilise cette doctrine comme un argument dans la critique de la notion de liberté : Florence, en affirmant son indépendance vis-à-vis de l’Empire et sa liberté à se gouverner elle-même (en choisissant ses magistrats), rejette la vraie liberté, considérée comme un héritage sacré garantie par une longue habitude. Dante attribue aux Florentins la volonté de considérer le pouvoir impérial comme caduque. Il concède pourtant que l’autorité impériale a négligée l’Italie. C’est pourquoi il assimile cette revendication de liberté à une affirmation absurde. Il prétend discerner dans la réalité des temps les signes divins de la providence. Il donne ainsi les instruments théoriques d’une déconstruction de la réalité florentine : la liberté comme privation de la sagesse. La plus haute réflexion politique de Dante s’achève ainsi sur un trône vide dans le chant 30 du Paradis de la Divine Comédie.

Sylvain Métafiot

jeudi, 26 mars 2020

L’esprit de droite

Il existe probablement autant de définitions du concept de droite qu’il existe de personnes s’en revendiquant. Tous ont leur propre opinion sur ce que signifie être de droite, ce qui ultimement, mène à une division de la droite que la gauche ne semble pas connaître. L’indépendance d’esprit est certes une qualité, et il faut rejeter le rigorisme propre au camp de la gauche, mais celle-ci ne devrait pas nuire à une certaine forme d’unité.

Pour parvenir à rallier la droite sous une même bannière, le jeune Louis Le Carpentier, auteur sérieux qui nous a déjà gratifiés de quelques ouvrages chez Reconquista Press, vient de produire L’esprit de droite.

D’abord, il définit la droite comme étant animée par trois grandes idées phares, soit les « valeurs familiales », l’« esprit d’entreprise » et l’« identité nationale ». Ce sont là pour lui les trois impondérables qui définissent la pensée de droite, « radicalement – c’est-à-dire dans sa racine -, conservatrice, entreprenaliste, et nationaliste ». Les divisions actuelles proviennent quant à lui du fait que certains courants mettent davantage l’emphase sur une de ces valeurs, au détriment des deux autres.

Dans son court ouvrage, facile à lire et à digérer, Le Carpentier nous offre un portrait de l’homme de droite. En fait, à bien le lire, ce n’est pas tant une description de ce qu’est l’homme de droite, mais de ce qu’il devrait être. Il nous propose ainsi un guide du « comment être un homme de droite conséquent » ou même simplement « comment être un homme d’honneur dans ce monde sans honneur ».

Il préconise, à l’instar de Dominique Venner, le stoïcisme comme façon d’être. Du côté des valeurs, il met en avant la vertu, le respect de la hiérarchie, la liberté, mais assujettie aux devoirs, car ceux-ci l’emportent sur les droits. On le comprend, ce que Louis Le Carpentier nous exhorte de faire, c’est de devenir des paladins modernes, des chevaliers, preux et sans reproches.

En fin d’ouvrage, il nous présente aussi brièvement un court traité philosophique – qui tranche avec la lourdeur habituelle des travaux de ce genre – qui permet de démonter en quelques pages les sophismes de la démocratie et du progressisme. On ressent bien l’influence thomiste de ce penseur pour qui le bien commun prime tout.

Seulement, peut-être parce que je ne me suis jamais qualifié de droite et que ce n’est pas là une position stratégique ou esthétique, quelques points me semblent pour le moins discutables. À mes yeux, son attachement à l’impérialisme, au colonialisme et à la libre entreprise me semble non seulement dépassé, mais aussi non-désirable en soi. Par exemple, le colonialisme a toujours mené à des catastrophes, car la démographie l’a toujours emporté sur les autres considérations comme le pouvoir politique. De même, la libre entreprise n’est pas le modèle le plus humain de concevoir l’économie, de nombreuses alternatives, comme la gestion de l’offre notamment ou les coopératives, existent, il faut simplement s’y intéresser.

Malgré ces critiques, il n’en demeure pas moins que cet ouvrage tombe à point nommé. Avec le confinement, nous sommes seuls avec nous-mêmes et justement, Louis Le Carpentier nous offre, tel un philosophe brandissant un miroir, une occasion unique d’introspection, car avant de changer le monde, il faut d’abord être en mesure de se changer soi-même.

Louis Le Carpentier, L’esprit de droite, Reconquista Press, 2020.

dimanche, 22 mars 2020

Helmut Schelsky

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Helmut Schelsky

Ex: https://alchetron.com

Helmut Schelsky (14 October 1912 – 24 February 1984), was a German sociologist, the most influential in post-World War II Germany, well into the 1970s.

Biography

Schelsky was born in Chemnitz, Saxony. He turned to social philosophy and even more to sociology, as elaborated at the University of Leipzig by Hans Freyer (the "Leipzig School"). Having earned his doctorate in 1935 (thesis [tr.]: The theory of community in the 1796 natural law by Fichte), in 1939 he qualified as a lecturer ("Habilitation") with a thesis on the political thought of Thomas Hobbes at the University of Königsberg. He was called up in 1941, so did not take up his first chair of Sociology at the (then German) Reichsuniversität Straßburg in 1944.

s-l1600.jpgAfter the fall of the Third Reich in 1945, Schelsky joined the German Red Cross and formed its effective Suchdienst (service to trace down missing persons). In 1949 he became a Professor at the Hamburg "Hochschule für Arbeit und Politik", in 1953 at Hamburg University, and in 1960 he went to the University of Münster. There he headed what was then the biggest West German centre for social research, in Dortmund.

In 1970, Schelsky was called to be a professor of sociology at the newly founded Bielefeld University (creating by the way the only German full "Faculty of Sociology", and the "Centre of Interdisciplinarian Research" ("Zentrum für Interdisziplinäre Forschung" [ZiF] at Rheda), planned to be a 'German Harvard'). However, his new university changed very much, due to the years of student unrest all over Europe and North America, so he returned to Münster in anger, in 1973, for another five years. Having been a busy and successful publisher and editor all his life, he wrote several more books, against the Utopian way to approach Sociology, as fostered by the Frankfurt School, and on the Sociology of Law, but died a broken man in 1984.

Schelsky and German sociology

The "Leipzig School" (the social philosopher Hans Freyer, the anthropologist Arnold Gehlen, the philosopher Gotthard Günther), rich in the talents of a first generation, was of strong theoretical influence on Schelsky. But Freyer also dreamt of building up a sociological think tank for the Third Reich - quite differently to most other sociologists, e. g. to the (outspoken) anti-Hitlerian Ferdinand Tönnies (University of Kiel) and to Leopold von Wiese (University of Cologne), and to the émigrés (e. g. to Karl Mannheim, and to the up-and-coming René König, Paul Lazarsfeld, Norbert Elias, Theodor Adorno, Rudolf Heberle, and Lewis A. Coser). Freyer's ambitions failed miserably, the Nazi power elite monopolizing ideology, but helped the talented (and former Nazi) student Schelsky in his first career steps.

HS-arbeit.jpgAfter the Second World War, no longer a National Socialist, Schelsky became a star of applied sociology, due to his great gift of anticipating social and sociological developments. He published books on the theory of institutions, on social stratification, on the sociology of family, on the sociology of sexuality, on the sociology of youth, on Industrial Sociology, on the sociology of education, and on the sociology of the university system. In Dortmund, he made the Social Research Centre a West German focus of empirical and theoretical studies, being especially gifted in finding and attracting first class social scientists, e.g. Dieter Claessens, Niklas Luhmann, and many more.

It helped that Schelsky was an outspoken liberal professor, without any ambition to create adherents - a rare bird among German mandarins. He helped another 17 sociologists qualify as lecturers (outnumbering in this any other professor in the Humanities and Social Sciences) and anticipated the boom in sociological chairs at German universities. Manning them, he was professionally even more successful than the outstanding remigrants René König (Cologne) and Otto Stammer (Berlin) - the Frankfurt School starting to be of influence only after 1968.

Hsch-sex.jpgSchelsky was able to design Bielefeld University as an innovative institution of the highest academic quality, both in research and in thought. But the fact that his own university had moved away from his ideas hit him hard. His later books, criticizing ideological sociology (very much acclaimed now by conservative analysts) and on the sociology of law (quite influential in the Schools of Law) kept up his reputation as an outstanding thinker, but fell out of grace with younger sociologists. Moreover, his fascinating analyses, being of highest practical value, went out of date for the same reason; only by 2000 did new sociologists start to read him again.

References

Helmut Schelsky Wikipedia

samedi, 21 mars 2020

Freyer, Hans (Johannes)

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Freyer, Hans (Johannes)

Elfriede Üner

Ex: http://www.uener.com

(Lexikon Artikel im "Lexikon des Konservatismus", Leopold-Stocker-Verlag, Graz/Stuttgart 1996)

geb. 31.7.1887 Leipzig; gest. 18.1.1969 Ebersteinburg/Baden-Baden.

Deutscher Philosoph und Soziologe; Schwerpunkte historische politische Soziologie und Kulturtheorie der Industriegesellschaft.

Revolution-von-rechts-e1547504426465-210x300.jpgDer Sohn eines sächsischen Postdirektors erhielt seine Gymnasialausbildung am königlichen Elitegymnasium zu Dresden-Neustadt, studierte von 1907 bis 1911 in Leipzig Philosophie, Psychologie, Nationalökonomie und Geschichte, u.a. bei Wilhelm Wundt und Karl Lamprecht, in deren universalhistorischer Tradition er seine ersten Arbeiten zur Geschichtsauffassung der Aufklärung (Diss. 1911) und zur Bewertung der Wirtschaft in der deutschen Philosophie des 19. Jahrhunderts (Habilitation 1921) verfaßte. Nach zusätzlichen Studien in Berlin mit engen Kontakten zu Georg Simmel und Lehrtätigkeit an der Reformschule der Freien Schulgemeinde Wickersdorf kämpfte F. mit dem Militär-St.-Heinrichs-Orden ausgezeichnet im Ersten Weltkrieg. Als Mitglied des von Eugen Diederichs initiierten Serakreises der Jugendbewegungverfaßte F. an die Aufbruchsgeneration gerichtete philosophischen Schriften: Antäus (1918), Prometheus (1923), Pallas Athene (1935). Von 1922 bis 1925 lehrte er als Ordinarius hauptsächlich Kulturphilosophie an der Universität Kiel, erhielt 1925 den ersten deutschen Lehrstuhl für Soziologie ohne Beiordnung eines anderen Faches in Leipzig und widmete sich von nun an der logischen und historisch-philosophischen Grundlegung dieser neuen Disziplin. In Auseinandersetzung mit dem Positivismus seiner Lehrer und mit der Philosophie Hegels sollten typische gesellschaftliche Grundstrukturen herausgearbeitet und ihre historischen Entwicklungsgesetze gefunden werden. Darüber hinaus ist für F. die Soziologie als konkrete historische Erscheinung, erst durch die abendländische Aufklärung möglich geworden, Äußerung einer vorher nie dagewesenen gesellschaftlichen Emanzipation zur wissenschaftlichen Selbstreflexion, drückt deshalb als "Wirklichkeitswissenschaft" in der Erfassung des gegenwärtigen gesellschaftlichen Wandels auch den kollektiven Willen aus, ist also als Wissenschaft zugleich politische Ethik, die die Richtung des gesellschaftlichen Wandels zu bestimmen hat.

81BnL7dXLWL.jpgF. war ab 1933 Direktor des Instituts für Kultur- und Universalgeschichte an der Leipziger Universität. Als neu gewählter Präsident der Deutschen Gesellschaft für Soziologie legte er diese 1933 still, um eine politische "Gleichschaltung" zu verhindern. Den damaligen europäischen politischen Umbrüchen brachte F. als Theoretiker des Wandels zunächst offenes Interesse entgegen, fühlte sich der theoretischen Erfassung dieser Entwicklungen verpflichtet und war deshalb nie aktives Mitglied einer politischen Partei oder Bewegung; er wurde später der "konservativen Revolution" der zwanziger Jahre als "jungkonservativer Einzelgänger" (Mohler) zugeordnet. Die vor 1933 noch idealistisch formulierte Konzeption des Staates als höchste Form der Kultur (1925) hat F. im Lauf der bedrohlichen politischen Entwicklung revidiert in seinen Studien über Machiavelli (1936) und Friedrich den Großen (Preußentum und Aufklärung 1944) durch einen realistischen Staatsbegriff, der ausschließlich durch Gemeinwohl, langfristige gesellschaftliche Entwicklungsperspektiven und durch prozessuale Kriterien der Legitimität gerechtfertigt ist: durch den Dienst am Staat, der aber den Menschen keinesfalls total vereinnahmen darf, sowie die Prägekraft des Staates, der dem Kollektiv ein gemeinsames Ziel gibt, aber dennoch die Freiheit und Menschenwürde seiner Bürger bewahrt. Insbesondere gelang F. in der Darstellung der Legitimität als generellem Gesetz jeder Politik eine dialektische Verknüpfung des naturrechtlichen Herrschaftsgedankens mit der klassischen bürgerlich-humanitären Aufklärung: Nur die Herrschaft ist legitim, die dem Sinn ihres Ursprungs entspricht - es muß das erfüllt werden, was das Volk mit der Einsetzung der Herrschaft gewollt hat.

Als Gastprofessor für deutsche Kulturgeschichte und -philosophie an der Universität Budapest (1938-45) verfaßte F. sein größtes historisches Werk, die "Weltgeschichte Europas", eine Epochengeschichte der abendländischen Kultur. Von den politischen Bestimmungen der Amtsenthebung nicht betroffen lehrte F. ab 1946 wieder in Leipzig, wurde 1947 nach einer durch G. Lukács ausgelösten ideologischen Debatte entlassen, war danach Redakteur des Neuen Brockhaus in Wiesbaden, lehrte 1955 bis 1963 Soziologie an der Universität Münster und nahm mehrere Gastprofessuren in Ankara und Argentinien wahr. 1958 leitete er als Präsident den Weltkongreß des Institut International de Sociologie in Nürnberg und wurde mit dem Ehrendoktor der Wirtschaftswissenschaften in Münster (1957) und der Ingenieurswissenschaften an der Technischen Hochschule in München (1961) ausgezeichnet.

41IpH1pl9ML._SX311_BO1,204,203,200_.jpgZentraler Gesichtspunkt seiner Nachkriegsschriften war die gegenwärtige Epochenschwelle, der Übergang der modernen Industriegesellschaft zur weltweit ausgreifenden wissenschaftlich-technischen Rationalität, deren "sekundäre Systeme" alle naturhaft gewachsenen Lebensformen erfassen. F. weist nach, wie diese Fortschrittsordnung zum tragenden Kulturfaktor wird in allen Teilentwicklungen: der Technik, Siedlungsformen, Arbeit und Wertungen. Seine frühere integrative Perspektive einer Kultursynthese wird ersetzt durch den Konflikt von eigengesetzlichen, künstlichen Sachwelten einerseits und den "haltenden Mächte" des sozialen Lebens andererseits, die im "Katarakt des Fortschritts" auf wenige, die private Lebenswelt beherrschende Gemeinschaftsformen beschränkt sind. Jedoch bleibt die Synthese von "Leben" und "Form", von Menschlichkeit und technischer Zivilisation für F. weiterhin unerläßlich für den Fortbestand jeder Kultur, im krisenhaften Übergang noch nicht erreicht, aber durchaus denkbar jenseits der Schwelle, wenn sich die neue geschichtliche Epoche der weltumspannenden Industriekultur konsolidieren wird. F.s Theorie der Industriekultur, kurz vor seinem Tode begonnen, ist unvollendet geblieben. Sein strukturhistorisches Konzept der Epochenschwelle hat in der deutschen Nachkriegssoziologie weniger Aufnahme gefunden, während es in der deutschen Geschichtswissenschaft wesentlich zur Überwindung einer evolutionären Entwicklungsgeschichte beigetragen hat und eine sozialwissenschaftlich orientierte Strukturgeschichtsschreibung einleitete, wofür F.s Konzept der Eigendynamik der sekundären Systeme ebenso ausschlaggebend war.

F. hielt andererseits an einem gegen die Sachgesetzlichkeiten gerichteten Begriff der Geschichte als souveräne geistige Verfügung über Vergangenheit fest. Die Annahme einer selbstläufigen Entwicklung ist nach F. dem Geschichtsdenken des 19. Jahrhunderts verhaftet, ein modernes historisches Bewußtsein hat solchen Chiliasmus abgetan. Geschichte als Reservoir von Möglichkeiten für konkrete Zielformulierungen kann Wege öffnen zur Bewältigung der Entfremdung durch sekundäre Systeme. Zugleich weist F. auf die Paradoxie eines rein konservativen Handelns hin: Ein Erbe nur zu hüten ist gefährlich, denn es wird dadurch zu nutzbarem Besitz, zum Kulturbetrieb entwertet; ebenso wird die Utopie, durchaus förderlich als idealtypische oder experimentelle Modellkonstruktion, als konkrete Zukunftsplanung zum Terror einer unmenschlichen wissenschaftlichen Rationalität. Diese Paradoxien beweisen für F. die Wirklichkeitsmacht der Geschichte, die weder bewahrt, geformt noch geplant, sondern nur spontan gelebt werden kann. F.s bleibender Beitrag besteht in der dialektischen Verschränkung und Nichtreduzierbarkeit der Dimensionen von politischer Herrschaft, wissenschaftlicher Rationalität und der sozialen Willens- und Entscheidungsgemeinschaft und in der Charakterisierung dieses dialektischen Verhältnisses als die eigentliche Dimension des "Politischen", die auch im gegenwärtigen "technisch-wissenschaftlichen Zeitalter" nicht an Bedeutung verloren hat.

Literaturverzeichnis Hans Freyer bis etwa 1994

Bibliographie:

E. Üner: H. F.-Bibliographie, in: H. F.: Herrschaft, Planung und Technik. Hg. E. Üner, Weinheim 1987, S. 175-197.

Schriften:

Die Geschichte der Geschichte der Philosophie im achtzehnten Jahrhundert (Phil. Diss.), Leipzig 1911; Antäus. Grunlegung einer Ethik des bewußten Lebens, Jena 1918; Die Bewertung der Wirtschaft im philosophischen Denken des 19. Jahrhunderts (Habil.), Leipzig 1921; Theorie des objektiven Geistes, Leipzig-Berlin 1923; Prometheus. Ideen zur Philosophie der Kultur, Jena 1923; Der Staat, Leipzig 1925; Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, Leipzig-Berlin 1930; Revolution von rechts, Jena 1931; Pallas Athene. Ethik des politischen Volkes, Jena 1935; Das geschichtliche Selbstbewußtsein des 20. Jahrhunderts, Leipzig 1937; Machiavelli, Leipzig 1938; Weltgeschichte Europas, Wiesbaden 1948; Die weltgeschichtliche Bedeutung des 19. Jahrhunderts, Kiel 1951; Theorie des gegenwärtigen Zeitalters, Stuttgart 1955; Schwelle der Zeiten, Stuttgart 1965.

Editionen:

Gedanken zur Industriegesellschaft, Hg. A. Gehlen, Mainz 1970; Preußentum und Aufklärung und andere Studien zu Ethik und Politik, Hg. E. Üner, Weinheim 1986; Herrschaft, Planung und Technik. Aufsätze zur politischen Soziologie, Hg. E. Üner, Weinheim 1987.

Literatur:

J. Pieper: Wirklichkeitswissenschaftliche Soziologie, in: Arch. f. Soz.wiss. u. Soz.pol. 66 (1931), S. 394-407; H. Marcuse: Zur Auseinandersetzung mit H. F.s Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, in: Philos. Hefte 3 (1931/32), S. 83-91; E. Manheim: The Sociological Theories of H. F.: Sociology as a Nationalistic Paradigm of Social Action, in: H. E. Barnes, ed., An Introduction to the History of Sociology, Chicago 1948, S. 362-373; L. Stern: Die bürgerliche Soziologie und das Problem der Freiheit, in: Zs. f. Geschichtswiss. 5 (1957), S. 677-712; H. Lübbe: Die resignierte konservative Revolution, in: Zs. f. die ges. Staatswissensch. 115 (1959), S. 131-138; G. Lukacs: Die Zerstörung der Vernunft, Neuwied-Berlin 1962; H. Lübbe: Herrschaft und Planung. Die veränderte Rolle der Zukunft in der Gegenwart, in: Evang. Forum H. 6, Modelle der Gesellschaft von morgen, Göttingen 1966; W. Giere: Das politische Denken H. F.s in den Jahren der Zwischenkriegszeit, Freiburg i. B. 1967; F. Ronneberger: Technischer Optimismus und sozialer Pessimismus, Münster/Westf. 1969; E. Pankoke: Technischer Fortschritt und kulturelles Erbe, in: Geschichte i. Wiss. u. Unterr. 21 (1970), S. 143-151; E. M. Lange: Rezeption und Revision von Themen Hegelschen Denkens im frühen Werk H. F.s, Berlin 1971; P. Demo: Herrschaft und Geschichte. Zur politischen Gesellschaftstheorie H. F.s und Marcuses, Meisenheim a. Glan 1973; W. Trautmann: Utopie und Technik, Berlin 1974; R. König: Kritik der historisch-existentialistischen Soziologie, München 1975; W. Trautmann: Gegenwart und Zukunft der Industriegesellschaft: Ein Vergleich der soziologischen Theorien H. F.s und H. Marcuses. Bochum 1976; H. Linde: Soziologie in Leipzig 1925-1945, in: M. R. Lepsius, Hg., Soziologie in Deutschland und Österreich 1918-1945, Kölner Zs. f. Soziol. u. Sozialpsychol., Sonderh. 23, 1981, S. 102-130; E. Üner: Jugendbewegung und Soziologie. H. F.s Werk und Wissenschaftsgemeinschaft, ebd. S. 131-159; M. Greven: Konservative Kultur- und Zivilisationskritik in "Dialektik der Aufklärung" und "Schwelle der Zeiten", in: E. Hennig, R. Saage, Hg., Konservatismus - eine Gefahr für die Freiheit?, München 1983, S. 144-159;E. Üner: Die Entzauberung der Soziologie, in: H. Baier, Hg., H. Schelsky - ein Soziologe in der Bundesrepublik, Stuttgart 1986, S. 5-19; J. Z. Muller: The Other God That Failed. H. F. and the Deradicalization of German Conservatism. Princeton, N. J. 1987; E. Üner: H. F.s Konzeption der Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft, in: Annali die Sociologia 5, Bd. II, 1989, S. 331-369; K. Barheier: "Haltende Mächte" und "sekundäre Systeme", in: E. Pankoke, Hg., Institution und technische Zivilisation, Berlin 1990, S. 215-230; E. Nolte: Geschichtsdenken im 20. Jahrhundert, Berlin-Frankfurt/M. 1991, S. 459-470; E. Üner, Soziologie als "geistige Bewegung", Weinheim 1992; H. Remmers: H. F.: Heros und Industriegesellschaft, Opladen 1994; E. Üner: H. F und A. Gehlen: Zwei Wege auf der Suche nach Wirklichkeit, in: H. Klages, H. Quaritsch, Hg., Zur geisteswissenschaftlichen Bedeutung A. Gehlens, Berlin 1994, S. 123-162.

jeudi, 12 mars 2020

INAPTOCRATIE OU INEPTOCRATIE

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INAPTOCRATIE OU INEPTOCRATIE

par Bernard PLOUVIER

En 2006, lorsque l’État fédéral tarda à venir au secours des sinistrés US de l’ouragan Katrina, un journaliste accola le néologisme d’Ineptocracy au gouvernement de George W. Bush – qui, en comparaison de son lamentable successeur Obama, est ensuite passé pour un gestionnaire rigoureux des Finances américaines, même si sa politique étrangère, orientée par les néo-conservateurs judéo-US, fut désastreuse, moins toutefois que celle du crypto-islamiste Barack-Hussein Obama, durant le règne duquel le terrorisme djihadiste fut très mal combattu par les innombrables services secrets des USA.

David Remer, journaliste et sujet de Sa Gracieuse Majesté britannique, a repris le terme, en 2012, pour qualifier le spectacle pitoyable de la vie politique et administrative française. Depuis lors, rien n’a changé. Et l’on pourrait affirmer, sans encourir le risque d’être taxé de méchanceté, qu’il en va ainsi depuis 1981, c’est-à-dire lorsque la France – Mitterrand régnant ou faisant semblant de régner – a été intégrée aux fééries de l’économie globale et de la mondialisation des vies politique et pseudo-culturelle.

Le néologisme Ineptocracy est une chimère grammaticale (l’adjectif anglais « Inept » étant accolé au verbe grec antique utilisé pour signifier l’art de commander : « kratein »). Au plan sémantique, sont interchangeables, en langue française, les adjectifs « inapte » et « inepte », pour l’excellente raison que nos « chefs » sont à la fois l’un et l’autre… et ceci est fort logique.

Que nos élus et nos agents de la haute administration (en France, nos merveilleux Énarques) se révèlent parfaitement inexperts à diriger la répression de la délinquance et de la criminalité n’étonnera personne, puisqu’ils ont ordre d’accepter une immigration islamique de masse, brutale, inculte, pratiquant avec virtuosité trafics de drogues et d’armes, vols et rackets, assassinats pour cause religieuse et règlement de comptes entre bandes rivales, enfin viols, coups et blessures, prostitution organisée, en plus de l’expression la plus ordurière d’un racisme quotidiennement exprimé.

Si l’on en doute, il suffit d’étudier ce qui se passe à Nantes ou Brest, de Roubaix ou de Saint-Étienne, dans les banlieues de Rouen, Toulouse, Lyon, Marseille et, bien sûr, les zones situées au Nord et à l’Est de Paris. 2 000 cités ou quartiers de « non-droit », c’est le triste bilan de nos inaptes-ineptes nationaux.

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Qu’élus, économistes, experts ès n’importe quelle spécialité, s’avèrent incapables de gérer l’économie du pays au mieux des intérêts de la Nation, ne peut surprendre que les niais. Ils ne dirigent rien, recevant leurs ordres par des circuits complexes, de telle façon que le chef théorique de l’État ignore parfois jusqu’à l’identité des véritables décideurs.

Élus et hauts-fonctionnaires ne sont guère utiles aux intérêts des Nations. Cela n’est que trop vérifié : corruption omniprésente ; influence des sectes maçonniques, des lobbies opposés islamique et juif ; détournement d’argent public en faveur de sociétés privées et d’organisations non-gouvernementales aux finances opaques ; quasi impunité (sauf règlement de comptes personnels ou politiques) des Banksters et des chefs d’entreprises malhonnêtes, des élus et des hauts-fonctionnaires peu délicats dans leur gestion ; lâche complicité de l’immigration-invasion musulmane… le tout par absolue soumission – admirablement rétribuée, cela va sans dire – au seul vrai Pouvoir de notre époque : l’Économique.

À quoi sert de ruminer la définition des dictionnaires anglo-américains du mot Ineptocracy, soit : le gouvernement des moins capables, des incompétents notoires, élus par une majorité de minables, puisque le système mis en place dans les années 1980 et suivantes exige en tous pays d’économie globale la simple obéissance des pseudo-chefs d’États et de gouvernements aux ukases des patrons de l’hyper-big business.

La conclusion s’impose d’elle-même. Les nations du bloc globalo-mondialiste ne peuvent rien attendre du résultat d’élections, systématiquement faussées par le matraquage médiatique et par les énormes quantités d’unités de compte octroyées pour le financement de tous les partis dits de gouvernement… nos bons maîtres laissent à l’électorat la joie de mettre aux apparences du Pouvoir le pantin à la mode du jour. Et la loi du nombre – démocratie oblige – fait le reste : 75% de non- et de peu doués ne peuvent qu’élire les plus beaux démagogues, ceux qui promettent la lune – résorption du chômage, réduction des impôts, croissance économique, sécurité, égalité etc. – sans effort !

En conséquence, si les nations exploitées par le système globalo-mondialiste veulent se sortir de l’ineptie ambiante et de l’inaptitude des « chefs », elles doivent ou s’insurger (ce qui ne va jamais sans tueries ni destructions effarantes de biens) ou mettre en place, par la mobilisation d’une grande majorité d’électeurs, de véritables régimes populistes. L’étude de l’histoire offre des exemples que chacun est libre de méditer.

Julien Freund e la Talassopolitica

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Julien Freund e la Talassopolitica

Sul numero 02/2018 di Rivista di Politica possiamo leggere un’interessante coppia di articoli: Ernesto C. Sferrazza Papa, Topolitiche del Conflitto. A partire dalla traduzione italiana di La thalassopolitique di Julien Freund e appunto La talassopolitica. Spazio e tempo della politica nell’era tecnologica. Il perché questi saggi siano oggi importanti è presto detto: la politica del XXI secolo è dominata da un mainstream mediatico e accademico in cui dominano temi quali cooperazione, organismi sovranazionali oltre che concetti, come diritti umani e interventi umanitari, che in linea teorica dovrebbero appartenere a tutta l’umanità senza distinzione; la realtà però è che la politica internazionale non può prescindere da due elementi centrali, ovvero il Tempo (la Storia) e lo Spazio (la Geografia). La riflessione di Freund va appunto nella direzione di analizzare il nuovo (il testo è del 1985) spazio politico in connessione con la tecnologia.

Il breve lavoro di Freund nasce come postfazione della traduzione francese di Land und Meer di Carl Schmitt e quindi si inserisce in un dibattito politico e filosofico ben preciso che ruota intorno al concetto di geopolitica. Freund condivide con l’autore tedesco sia la natura conflittuale della politica identificabile nel nesso amico-nemico, sia l’idea che la storia umana possa essere interpretata come una lotta tra due diverse tipologie di potenze: continentali e quindi telluriche i cui elementi centrali sono lo Stato e la sovranità; marittime che sono mobili e più fluide. In questa interpretazione spaziale della politica internazionale Freund pone poi l’accento su due considerazioni centrali: il ruolo degli Oceani e in particolare dell’Oceano Pacifico è centrale; l’emisfero Sud sta aumentando il suo peso relativo. Ne consegue che il ruolo dell’Europa è destinato a declinare sempre più visto che è l’unico dei continenti a non avere uno sbocco sul Pacifico. In questo contesto acquisisce quindi un ruolo centrale la talassopolitica, ovvero il pensare le forme della politica partendo dalle loro manifestazioni su uno spazio oceanico (il che esclude quei casi storici di potenze marittime legate però a mari interni come il Mediterraneo).

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Vi è un altro elemento della riflessione di Freund da prendere in considerazione, ovvero il ruolo della tecnologia. Infatti, se sulla terraferma è possibile muoversi e spostarsi senza l’uso della tecnologia, negli oceani ciò diviene semplicemente impossibile e dunque è il progredire della tecnologia che ha portato l’Oceano ad acquisire il ruolo centrale che Freund gli riconosce. L’autore francese fa però un ulteriore passo in questa direzione, poiché afferma che con il sottomarino nucleare si è rovesciato il tradizionale rapporto tra terra e mare, ovvero ora è la terra alla mercé del mare perché con il sottomarino nucleare, in grado di operare in modo indipendente senza bisogno, quasi, di rifornimenti, viene meno anche la centralità delle basi terresti per il controllo dei mari e soprattutto minaccia direttamente la terra con i suoi missili e con l’elemento sorpresa che è innato nell’arma.


È dunque la talassopolitica, insieme alla tecnologia, a dover essere presa come elemento centrale per lo studio della politica internazionale. La geopolitica rimarrà importante, ma per i rapporti interni alle singole regioni, mentre a livello globale serve ragionare in termini appunto di talassopolitica.

Freund è un autore relativamente poco noto in Italia, anche se sono disponibili in italiano varie opere (qui un interessante trittico scritto da Campi per inquadrare l’autore e il suo pensiero sulla guerra), ma questa sua riflessione seppur appartenente ancora al periodo della Guerra Fredda ci appare molto utile per almeno due ragioni principali. Primo, pone al centro della riflessione politica il problema degli spazi e quindi della geografia. Troppo spesso nella politologia contemporanea e negli studi sulla politica internazionale si concede spazio a statistiche, dati e riflessioni etico-morali senza prendere minimamente in considerazione gli spazi politici e geografici dove le azioni si svolgono. In realtà lo Spazio influenza profondamente la Politica ed è un elemento da prendere sempre in considerazione, specie se, come oggi, quegli spazi politici stanno mutando radicalmente. Secondo, riflette sui grandi mutamenti politici e tecnologici che influenzano il nostro mondo e offre interessanti spunti sul tema dell’irregolare, ovvero il partigiano, rispetto agli oceani e quindi emerge come il terrorista di oggi sia come la figura del pirata più che del corsaro, il quale seguiva direttive di uno Stato.


Una lettura interessante che aiuta a comprendere meglio gli Spazi della politica internazionale del XXI secolo.

 

samedi, 07 mars 2020

Carl Schmitt. Die Militärzeit 1915 bis 1919

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Neueste Geschichte:
E. Hümsert u.a. (Hgg.):
Carl Schmitt. Die Militärzeit 1915 bis 1919
Titel
Die Militärzeit 1915 bis 1919. Tagebuch Februar bis Dezember 1915. Aufsätze und Materialien
 
Autor(en)
Schmitt, Carl
Herausgeber
Hüsmert, Ernst; Giesler, Gerd
Erschienen
Berlin 2005: Akademie Verlag
Anzahl Seiten
VIII, 587 S., 10 s/w Abb.
Preis
€ 49,80
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Reinhard Mehring, Institut für Philosophie, Humboldt-Universität zu Berlin

cover_book-35195__120.jpgDer Nachlass Carl Schmitts ist eine reiche Quelle. Fast wundert es aber, dass er so reichlich sprudelt. Denn seine Edition wurde nicht generalstabsmäßig geplant. Das lag auch an Schmitt selbst. Zwar entwickelte der zahlreiche interpretative Strategien im Umgang mit seiner Rolle und seinem Werk. Anders als etwa Heidegger organisierte er aber seine posthume Überlieferung nicht im großen Stil. Er betrieb keine Fusion von Nachlassinterpretationspolitik und Nachlasseditionspolitik, bei der interpretative Strategien kommenden Editionen vorarbeiteten. Initiativen zu einer großen Werkausgabe scheiterten deshalb auch nach Schmitts Tod. Damals wurde eine Chance vertan, denn personell und institutionell haben sich die Bedingungen nicht verbessert. Schmitts letzte Schülergeneration, die „dritte“ Generation bundesdeutscher Schüler (Böckenförde, Schnur, Quaritsch, Koselleck etc.), tritt ab und den Institutionen geht das Geld aus. Heute ist keine historisch-kritische Gesamtausgabe in Sicht. Die Zukunft ist solchen Projekten auch nicht rosig. Das gerade erschienene Berliner „Manifest Geisteswissenschaften“ etwa, ein revolutionäres Dokument der „Beschleunigung wider Willen“, plädiert für eine Überführung akademischer Langzeitvorhaben in „selbständige Editionsinstitute“.[1] Vor Jahren hätte sich wahrscheinlich noch staatlicher Beistand finden lassen. Heute ist das schwieriger. Einige letzte Schüler und Enkelschüler sowie Duncker & Humblot und der Akademie-Verlag schultern die editorischen Aufgaben allein im Aufwind der internationalen Resonanz. Es gibt eine Arbeitsteilung: Die juristisch besonders einschlägigen Schriften publiziert Schmitts alter Hausverlag Duncker & Humblot. Auch nachgelassene Texte wie das „Glossarium“[2] und der Briefwechsel mit dem spanischen Naturrechtler Álvaro d’Ors [3] erschienen dort. Andere Texte aber veranstaltete der Akademie-Verlag, dessen früherer Leiter Gerd Giesler, Mitherausgeber des jüngsten Tagebuch-Bandes, mit Schmitt (wie auch Ernst Hüsmert) noch über viele Jahre befreundet war.

Das bei Lebzeiten publizierte Werk ist nun nahezu komplett greifbar. Vier aufwändige Editionen erschienen mit apologetischen Zielsetzungen. Helmut Quaritsch [4] verteidigte Schmitts Sicht des Völkerrechts in seinen kommentierten Ausgaben eines Rechtsgutachtens über das „Verbrechen des Angriffskrieges“ sowie der Antworten Schmitts im Rahmen der Nürnberger Prozesse. Günter Maschke [5] ergänzte Schmitts Sammlung „Verfassungsrechtliche Aufsätze“ um zwei weitere Bände und realisierte damit in anderer Weise Überlegungen, die Schmitt selbst früher noch erwogen hatte. Nur die Schriften zur deutschen Verfassungsentwicklung stehen heute aus. Einiges davon ist unproblematisch, anderes jedoch nicht. Soll man eine Kampfschrift wie „Staat, Bewegung, Volk“ von 1933 wieder auflegen? Bedenken liegen nahe. Gralshüterische Mauern aber gibt es im Umgang mit Schmitt heute nicht mehr. Der Nachlass ist offen und die intensiven Debatten der letzten Jahre haben zu einem abgeklärten Umgang geführt. Schmitt rückte uns auch menschlich-allzumenschlich näher. Die bisher publizierten Briefwechsel bieten hier manche Überraschungen. Völlig neue Einblicke eröffnen aber die Tagebücher. Im Verblüffungsgang des Werkes sind sie die jüngste Überraschung. Man wusste zwar, dass Schmitt Tagebuch schrieb. Umfang und Gehalt aber waren kaum zu ahnen. Ähnlich wie bei Thomas Mann tauchen sie als Chronik des Lebens fast unverhofft auf. Zwei Bände sind inzwischen erschienen; weitere Tagebücher bis 1934 kündigen die Herausgeber nun im Vorwort an (S. VIII).

2003 erschien ein erster Band über die (vorwiegend) Düsseldorfer Jahre.[6] Er zeigte ein Leben wie aus einem Roman Kafkas oder Robert Walsers: hin und her geworfen zwischen der juristischen Fron des Rechtsreferendars bei einem dämonischen „Geheimrat“ und der Hohezeit des Liebesglück einer waghalsigen ersten Ehe. Seltsam überzeichnet und irreal erschienen die Bedrängnisse und Exaltationen dieses Lebens. Wie im Bunten Blatt wartete der Leser auf Fortsetzung. Nun ist sie da. Auch diesmal ist für Überraschungen gesorgt. Der zweite Band umfasst die Münchener Militärzeit im Verwaltungsstab des stellvertretenden Generalkommandos des 1. bayerischen Armee-Korps, die biografisch bislang weithin im Dunklen lag. Neben dem Tagebuch vom 6. Mai bis 29. Dezember 1915 sowie einem kurzen Anhang enthält er einen Dokumentationsteil über die Tätigkeit bis 1919 sowie eine Auswahl aus Veröffentlichungen der Jahre 1915 bis 1919. Dazu kommen interessante Abbildungen, Briefe und Materialien sowie ein Anhang. Anders als im ersten Band füllt das Tagebuch weniger als ein Drittel. Über zweihundert Seiten umfasst der Dokumentationsteil, knapp einhundert Seiten die Auswahl wichtiger Veröffentlichungen, die bisher schlecht zugängig waren und besonderes Interesse finden werden. Dieser Aufwand mag überraschen. Gerade auch in Ergänzung zum ersten Band macht die extensive Edition aber einen guten Sinn. Liest man den ersten Band wie einen Roman der Wirrnis, so spiegelt der zweite jetzt eine Wendung zur Reflexion und Objektivation der eigenen Lage und Problematik, durch die Schmitt seine existentielle Krise allmählich distanziert und überwindet. Er wechselt das literarische Genre, bricht sein Tagebuch ab, weil er stärkere Formen der Distanzierung gefunden hat.

Das Tagebuch zeigt Schmitt am neuen Ort, in neuer Funktion und Tätigkeit. Wir lernen den Stabssoldaten in den prägenden Jahren seiner Absage an Boheme und Romantik und des Scheiterns seiner ersten Ehe genauer kennen. Man könnte von einer formativen Phase oder auch Inkubationsjahren sprechen. Hier lebte Schmitt seine Neigung zur Boheme aus. Hier wurde er zu dem gegenrevolutionären Etatisten, den wir aus der Weimarer Zeit kennen.

Das Tagebuch beginnt mit der Ankunft in München. Das „Leben in der Kaserne“ ist zunächst die Hölle (S. 23). Schmitt erlebt den „Gott dieser Welt“ (S. 28f.), das Recht, von der Seite der „Vernichtung des Einzelnen“ (S. 64, vgl. 130). Der Straßburger Lehrer Fritz van Calker, nunmehr Major, holt ihn bald ins Münchner Generalkommando. Schmitt beschließt den „Pakt mit dieser Welt“, um dem Frontdienst zu entkommen. An die Stelle des Geheimrats tritt nun ein „Hauptmann“. Stand Schmitt im ersten Band zwischen Cari und „Geheimrat“, leidet er nun am „Gegensatz zwischen dem Generalkommando und Cari“ (S. 72). „Militär und Ehe; zwei schöne Institutionen“, vermerkt er ironisch (S. 90, vgl. S. 106). Beides findet er fürchterlich und gerät darüber erneut in lamentable Krisen. Ein ganzes Spektrum von Todesarten phantasiert er durch. Schmitt lebt in der ständigen Angst, seine langweilige Tätigkeit als Zensor gegen die Front eintauschen zu müssen, und streitet sich mit seiner angeschwärmten Frau. Jahre später, 1934, wird er in einer verfassungsgeschichtlichen Kampfschrift den „Sieg des Bürgers über den Soldaten“[7] beklagen. Hier erfahren wir nun, wie es um diesen kriegsfreiwilligen „Soldaten“ im Ersten Weltkrieg steht: Er verachtet den Krieg und das Militär, hasst den „preußischen Militarismus“ und die „Vernichtung des Einzelnen“ durch den Staat, der er doch Anfang 1914 noch in seiner späteren Habilitationsschrift „Der Wert des Staates und die Bedeutung des Einzelnen“ rechtsphilosophische Weihen erteilte. Wir sehen einen Menschen im ständigen Hader mit sich selbst, der unter seiner Zerrissenheit leidet. Schmitt steht im existentiellen Entscheidungszwang. Militär und Ehe kann er nicht beide bekämpfen. Vor Cari flüchtet er zum Staat.

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Im Büro hat er zumeist „nichts“ zu tun. Den „Mechanismus des täglichen Berufslebens“ (S. 64) nimmt er als „Gefängnis“ wahr, obgleich er mittags meist wieder draußen ist. Er trifft sich regelmäßig mit Freunden. Einige unterstützen ihn finanziell. Unter der Bank schreibt Schmitt ab Mai 1915 seine Studie über Theodor Däublers Nordlicht-Dichtung. Sein Kriegsdienst beschränkt sich, scheints, auf Gutachten über die Entwicklung des Belagerungszustandes, das Erteilen von „Passierscheinen“ und andere Genehmigungen sowie auf die Briefzensur und Beobachtung literarischer Pazifistenkreise, die im Dokumentationsteil eingehender nachgewiesen ist. Für die „Kerls in Berlin“ will Schmitt sich nicht totschlagen lassen (S. 71). Pazifistischer Literatur aber erteilt er die „Beschlagnahmeverfügung“ (S. 73). Dabei schämt er sich seiner Tätigkeit als Zensor (S. 85). „Pfingstsonntag. Den ganzen Tag auf dem Büro. Es ist entsetzlich, so eingespannt zu sein; eine lächerlich dumme Arbeit, Polizeistunden-Verfügungen, albern“ (S. 72). Schmitt erlebt den Krieg 1915 mehr als Papierkrieg und leidet unter der Verschlechterung der Schokoladenqualität. Jenseits allgemeiner Schmähungen des „Militarismus“ finden sich keine politischen Bemerkungen. Der Frontverlauf existiert in diesen Aufzeichnungen nicht. Von den „Ideen von 1914“ oder glühendem Nationalismus und Etatismus findet sich in den frühen Tagebüchern insgesamt fast keine Spur. Darüber kann man sich gar nicht genug wundern.

Seine literarischen Feindbeobachtungen verkauft Schmitt an eine Wochenzeitung. Auszüge aus seinen Berichten in der „Hamburger Woche“ sind abgedruckt. Durch die Tätigkeit als Zensor lernt er die literarische Avantgarde genauer kennen. Mit ästhetischem Gefallen liest Schmitt manche Schriften, die er dann verbietet. Weil Aphorismen ihm zusagen, schickt er einem „gescheiten, verstandeskräftigen Juden“ seine Monografie über den Staat, worüber der sich wundert (S. 88, 91). Assessor August Schaetz (S. 112 ff.) taucht auf, dem später, zum Gedenken an seinen Soldatentod, der „Begriff des Politischen“ gewidmet ist. Zum Scheiden er, zum Bleiben Schmitt erkoren. Am 6. September 1915 stellt Schmitt noch kategorisch fest: „Ich werde mich in einer Stunde vor Wut über meine Nichtigkeit erschießen.“ (S. 125) Doch am nächsten Tag erhält er vom Verlag die Zusage für das Däubler-Buch und vom Generalkommando den Auftrag, einen Bericht über das Belagerungszustands-Gesetz zu schreiben, den er höhnisch kommentiert: „Begründen, dass man den Belagerungszustand noch einige Jahre nach dem Krieg beibehält. Ausgerechnet ich! Wofür mich die Vorsehung noch bestimmt hat.“ (S. 125) Seine Studie über „Diktatur und Belagerungszustand“ [8] wird ein Erfolg. Das Thema bahnt ihm den weiteren Weg. Die Diagnose einer Verschiebung der Gewaltenverhältnisse wird seine wichtigste verfassungspolitische Einsicht.

Der „Militarismus“ versetzt ihn weiter in Angst und Schrecken. Schmitt empfindet, „wie berechtigt es ist, vor dem Militärregime Angst zu haben und eine Trennung der Gewalten und gegenseitigen Kontrollen einzuführen“ (S. 135). Nachdem die Nordlicht-Studie abgeschlossen ist, kommt Däubler für einige Tage zu Besuch und die Freundschaft geht in die Brüche. Schmitt fühlt sich ausgenutzt und abgestoßen (S. 142ff.). Der Straßburger Lehrer Fritz van Calker schlägt ein „Habilitationsgesuch nach Straßburg“ (S. 157) vor, was Schmitt begeistert aufnimmt.

Wieder einmal erweist sich Calker als rettender Engel. Er lehrte Schmitt eine politische Betrachtung des Rechts; beide planten einst sogar eine gemeinsame „Einführung in die Politik“ [9]; Calker rettete Schmitt aus dem Düsseldorfer Ehedrama nach München, zunächst in die Kaserne, dann ins Generalkommando, und ermöglichte ihm später während des Militärdienstes die Habilitation. Diese Rückkehr nach Straßburg erscheint nun als paradiesischer „Traum“ (S. 157). „Das ist das richtige Leben“ (S. 162), notiert Schmitt. Als aus Straßburg nicht gleich Nachricht kommt, vermutet er eine Intrige des Geheimrat (S. 169). Doch auch diese Sorge ist überspannt. Auch der Geheimrat, der uns in den ersten Tagebüchern kafkaesk begegnete, wird sich als Förderer erweisen, indem er Schmitt seine erste feste Dozentur an der Münchner Handelshochschule vermittelt. Der Band dokumentiert dies durch Briefe zur beruflichen Entwicklung (S. 503ff.). Der wichtigste Mentor aber bleibt der Straßburger Doktorvater. Calker steht 1933 noch hinter der Berufung nach Berlin, weil er sich beim Minister Hans Frank, auch ein Schüler Calkers, für Schmitt einsetzte.[10] Schmitts schnelle Karriere in der Weimarer Republik wurde gerade durch die frühen Kontaktnetze ermöglicht, die in den Tagebüchern so gespenstisch begegnen. Nur Calker kommt bei Schmitt stets positiv weg. Ihm widmete er 1912 seine Studie „Gesetz und Urteil“.[11] Doch in seinen späteren Schriften erwähnt er ihn fast überhaupt nicht mehr. Der Name des wichtigsten Mentors ist aus Schriften und Nachlass geradezu vertilgt. Erst in den Tagebüchern taucht er wieder auf.

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Unentwegt rätselt Schmitt selbst über seinen problematischen Charakter. Er bringt ihn auf eine Formel. Schmitt empfindet sich als „Prolet“ und möchte ein Buch schreiben: „Der Prolet, oder: Der Plebejer. [...] Sein Instinkt: sich zu ducken und sich zu strecken, wie es kommt. Er ist ad alterum.“ (S. 124, dazu vgl. S. 448) Was Schmitt an sich bemerkt, rechnet er immer wieder auch Richard Wagner und dem Judentum zu: die „Abhängigkeit von der Meinung anderer“ (S. 173). Das Spiegelgefecht um Selbst- und Fremdhass, Freund-Feind-Identifikationen, treibt Schmitt in diesen Aufzeichnungen bis zur Selbstparodie. Im Licht von Nietzsches Wagnerkritik nimmt er Wagners antisemitische Disjunktion von Wagnerianismus und Judentum zurück, wenn er beiden das gleiche Syndrom, die gleiche Abhängigkeit von der Meinung der anderen unterstellt, den Vater des modernen, postchristlichen Antisemitismus seinerseits als „Juden“ (S. 115) brandmarkt und als „eine rein interne jüdische Angelegenheit“ (S. 164) betrachtet. Viel Literatur steckt im Antisemitismus. Schmitt dekonstruiert ihn als Spiegelgefecht in der literarischen Tradition Heines, Wagners und Friedrich Nietzsches. Aus den Verstrickungen der modernen Weltanschauungen, die Schmitt in einen Topf wirft (S. 176), flüchtet er zum Katholizismus. So ärgerlich vieles auch klingt, muss man nicht alles auf die Goldwaage legen. Schmitt sieht seinen Feind durchaus schon als „die eigne Frage als Gestalt“ an.

Das Tagebuch endet mit der Entscheidung für Straßburg. Schmitts Verfahren ist durch den Wiederabdruck der Probevorlesung gespiegelt. Der Band greift durch weitere Texte noch über das Jahr 1916 hinaus. Wichtig ist hier vor allem der Abdruck der Beiträge zur Zeitschrift „Summa“. Durch dieses Texttriptychon konfrontiert Schmitt seinen satirischen „geschichtsphilosophischen Versuch“ über „Die Buribunken“ mit einer theologisch anspruchsvollen „scholastischen Erwägung“ über „Die Sichtbarkeit der Kirche“ und vermittelt beides über die rechtsphilosophische Verhältnisbestimmung von „Macht und Recht“. Sinnvoll ist auch die Beigabe der kurzen Satire auf Karl Kraus sowie der Vorbemerkung zur Ausgabe einer romantischen Autobiografie. Diese kleine Veröffentlichung spiegelt Schmitts biografische Entscheidung: den Sprung in den Glauben, für den offenbar auch die Begegnung mit Theodor Haecker und Kierkegaard wichtig war. Ein Vorlesungsauszug über Bodin kündigt die Ausarbeitung der Souveränitätslehre an, die dann ins nächste Kapitel der Biografie gehört.

Das Thema der Münchener Militärzeit ist die Entscheidung für Etatismus und Katholizismus, die Schmitt seinen existentiellen Krisen abrang und die er privatim, psychobiografisch, kaum vertreten konnte. Wir sehen eine doppelte Fluchtbewegung: eine Flucht aus der Zeit und in die Zeit. Zunächst flieht Schmitt in die Zeit, indem er sich von seinem ruinösen Privatleben abwendet und dem gegenrevolutionären Staat verschreibt. Später flieht er auch aus der Zeit: zum Katholizismus, wie es sein Dadaistenfreund Hugo Ball [12] in seinen Tagebüchern „Flucht aus der Zeit“ beschrieb.

Nun erst ist die Münchner Militärzeit material erschlossen. Sie erscheint in ihrem eigenartigen Profil gegenüber der Düsseldorfer Jugendkrisis sowie der zweiten Münchener Zeit an der Handelshochschule. Diese Zeit von 1919 bis 1921, die erste feste akademische Stellung noch vor dem Wechsel nach Greifswald, wurde bisher kaum zur Kenntnis genommen. Auch dafür sind nun neue Gleise gestellt. Schmitt war nicht nur akademisch frühreif, sondern machte auch schnelle berufliche Karriere. Schon im Generalkommando saß er recht fest im Sattel. Die Front blieb ihm erspart. Ab 1919 war er dann, 31-jährig, als Dozent mit glänzenden Aussichten etabliert. Beruflich jedenfalls wurde er bald zum „Glückspilz“ (S. 521ff.), was die Tagebücher zunächst kaum erahnen lassen.

Das Gewicht dieses zweiten Bandes liegt nicht zuletzt in der gedankenreichen Einleitung, sorgsamen Kommentierung und Zusammenstellung. Dass Schmitt mit der – 1919 erscheinenden – „Politischen Romantik“ auch seinen eigenen Ästhetizismus niederrang, war lange bekannt. Schon Karl Löwith hatte es bemerkt. Der zweite Band zeigt nun, dass diese existentielle Entscheidung durch die objektivierende Phase der Zensorentätigkeit im Generalkommando hindurchging. Hier begegnet das Leben der Boheme aus der Perspektive staatlicher Repression. Wir kannten bereits den Romantiker, der die politische Romantik exekutiert. Hier haben wir den Etatisten, der den Staat hasst. Er bestätigt die Generalthese seiner Habilitationsschrift nicht als General Dr. von Staat mit geschwollener Brust. Schmitt findet den „Wert des Staates“ in einer moralischen „Vernichtung des Einzelnen“, die ihm die existentielle Rettung aus seinen Exaltationen bedeutete.

Anmerkungen:
[1] Gethmann, Carl Friedrich u.a. (Hgg.), Manifest Geisteswissenschaften, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, Berlin 2005, S. 9, vgl. S. 25f.
[2] Schmitt, Carl, Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947 bis 1951, hg. v. von Medem, Eberhard, Berlin 1991.
[3] Herrero, Montserrat (Hg.), Carl Schmitt und Álvaro d’Ors. Briefwechsel, Berlin 2004.
[4] Quaritsch, Helmut (Hg.), Carl Schmitt. Das internationalrechtliche Verbrechen des Angriffskrieges und der Grundsatz ‚Nullum crimen, nulla poena sine lege’, Berlin 1994; Ders., Carl Schmitt. Antworten in Nürnberg, Berlin 2000.
[5] Schmitt, Carl, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916 bis 1969, hg. v. Maschke, Günter, Berlin 1995.
[6] Schmitt, Carl, Tagebücher. Oktober 1912 bis Februar 1915, hg. v. Hüsmert, Ernst Berlin 2003; dazu meine Besprechung , in: H-SOZ-U-KULT vom 21.1.2004 <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/rezensionen/2004-1-039>. Inzwischen ist (2005) eine zweite, korrigierte Auflage erschienen.
[7] Schmitt, Carl, Staatsgefüge und Zusammenbruch des zweiten Reichen. Der Sieg des Bürgers über den Soldaten, Hamburg 1934.
[8] Schmitt, Carl, Diktatur und Belagerungszustand, in: Ders., Staat, Großraum, Nomos, Berlin 1995, S. 3-20.
[9] Das geht aus einem erhaltenen Brief van Calkers an Schmitt vom 30.10.1922 hervor (Hauptstaatsarchiv NRW, Nachlass Carl Schmitt, RW 265-2492). Im Erscheinungsjahr der Erstfassung des „Begriffs des Politischen“ publizierte Calker dann seine „Einführung in die Politik“ (München 1927), die aus Vorlesungen hervorging.
[10] Brief Friedrich van Calkers vom 14.6.1933 an Schmitt (Nachlass Carl Schmitt, RW 265-2493).
[11] Schmitt, Carl, Gesetz und Urteil. Eine Untersuchung zum Problem der Rechtspraxis, 1912, München 1968, vgl. S. VIII.
[12] Ball, Hugo, Flucht aus der Zeit, Luzern 1946.

vendredi, 28 février 2020

Itinéraire posthume de l’antilibéralisme schmittien. Un héritage incontournable ?

Itinéraire posthume de l’antilibéralisme schmittien. Un héritage incontournable ?

Une critique de Tristan Storme
Ex: https://www.raison-publique.fr

arton276-c1eeb.jpgEditeur : Armand Colin
Collection : Le Temps Des Idées
Nb. de pages : 400 pages
Prix : 21 euros.

Référence : Critique publiée dans Raison publique, n° 8, avril 2008, pp. 153-165.

- Jan-Werner Müller, Carl Schmitt : Un esprit dangereux, trad. par Sylvie Taussig, Paris, Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2007, 400 p.

Publié à l’origine en anglais il y a cinq ans, l’ouvrage de Jan-Werner Müller, Carl Schmitt : Un esprit dangereux, aujourd’hui traduit en français dans la collection « Le temps des idées » dirigée par Guy Hermet, tombe à point nommé dans le monde universitaire et intellectuel francophone, où il n’est pas rare d’entendre que ce « Hobbes du vingtième siècle » [1] n’aurait plus rien à nous livrer. Schmitt, un esprit à la fois brillant et dangereux — ou, pourrait-on dire, dangereux en raison de son talent indéniable — a connu la crise de la république de Weimar, les deux guerres mondiales, la séparation de l’Allemagne et la Guerre froide ; son œuvre vieille de soixante-dix ans est, quelque part, le parangon des meurtrissures que porta le siècle récemment écoulé [2]. En mai 1933, le juriste rhénan adhérait à la NSDAP, donnant du crédit au régime hitlérien au travers de nombreux textes rédigés durant cette période. S’il prend néanmoins ses distances à l’égard du Führer dès 1936, il ne reniera jamais son antisémitisme philosophique, comme l’atteste avec virulence le recueil de ses journaux publié après sa mort, en 1991. C’est cette compromission qui fait d’ailleurs question ; les commentateurs se sont interrogés, en vue de savoir jusqu’à quel point un tel ralliement se répercuta sur les écrits schmittiens ultérieurs. Certains exégètes ont aussi pris le parti d’affirmer que les prémisses analytiques de l’adhésion de Schmitt au nazisme se découvraient à la lecture de ses livres de jeunesse. Depuis quelques années, semblables questionnements ont été au cœur des débats français. Mais force est de reconnaître qu’en dépit de son passé funeste, Carl Schmitt semble avoir suscité l’intérêt d’auteurs très différents et joué un rôle particulièrement influent dans l’évolution des discussions politico-philosophiques contemporaines. Dans son ouvrage, Jan-Werner Müller, professeur à l’université de Princeton, s’attèle à examiner de près la réception essentiellement européenne (surtout allemande) de l’œuvre du juriste rhénan ou, comme il le dit si bien lui-même, à « constituer une histoire critique de "ce que Schmitt a signifié" pour le vingtième siècle. » [3]

Dans une première partie, intitulée « Un juriste allemand au vingtième siècle », Müller retrace chronologiquement, et avec érudition, le parcours biographique et intellectuel de Carl Schmitt, depuis la rédaction de ses deux thèses de doctorat jusqu’au retranchement du savant dans son village natal du Sauerland, au lendemain du procès de Nuremberg. Pointant du doigt les contradictions et les arguments forts de la pensée de Schmitt, l’auteur compose le portrait d’un jeune publiciste qui, dès l’amorce de sa carrière, s’employa à forger et à affûter un arsenal théorique destiné à mettre à mal le libéralisme bourgeois, le parlementarisme dominé par les intérêts d’une frange sociétale non représentative. La doctrine libérale, qui refuse de discerner ses ennemis et de reconnaître le primat de la décision, participerait du phénomène d’envahissement de l’État par la société dont serait responsable la prolifération des associations économiques. À la lecture des premiers chapitres, on comprend rapidement qu’aux yeux de Müller, l’antilibéralisme constitue la pierre angulaire, le motif central de la pensée politique de Schmitt, telle qu’elle s’est déployée durant les années vingt. Le philosophe de Weimar s’est évertué à rendre la mass democracy compatible avec l’autoritarisme, par l’intermédiaire d’une théorie de la représentation à même de rendre publiquement présent le peuple rassemblé. Il oppose sa définition particulière de la démocratie aux conceptions libérales de la notion qui l’identifient à une simple addition des voix des individus esseulés dans l’isoloir. Müller n’aurait pas pu procéder autrement qu’en restituant le contexte d’énonciation des philosophèmes schmittiens, dans la mesure où l’examen de l’impact de cette pensée représente le centre névralgique de son étude. Puisqu’il opère de la sorte, il peut éminemment tenter, dans la suite du récit, de répondre à la question de savoir ce qui, en dehors de la conjoncture contextuelle, est susceptible d’être extirpé et de survivre à son fondateur.

Depuis les travaux de Dirk van Laak [4], Carl Schmitt : Un esprit dangereux est certainement, à ce jour, l’examen le plus exhaustif qui a trait à la réception allemande, et plus largement européenne, des idées schmittiennes. Müller sillonne l’héritage du juriste, auteur par auteur, tout en évitant soigneusement le travers qui consisterait à débusquer des « schmittiens » partout, au détour de la moindre citation ; il rapporte en substance les nombreux débats pointus et spécialisés qui animèrent l’histoire des idées politiques de l’après-guerre, livrant des tendances, des filiations qu’il ne cherche nullement à plaquer sur une typologie embarrassante. Les arguments des successeurs et des interlocuteurs intellectuels de Carl Schmitt sont livrés dans toute leur singularité discursive. Si bien qu’il est difficile qu’échappe au lecteur le fait que Schmitt ait pesé de manière considérable sur les raisonnements de nombre de ses contemporains. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quoique privé d’enseignement et écarté des universités, Carl Schmitt, ayant refusé de se soumettre à la dénazification, reçoit furtivement dans sa demeure à Plettenberg une minorité influente de penseurs qui participèrent à la mise sur pied de la nouvelle structure étatique ouest-allemande : Nicolaus Sombart, Hanno Kesting, Reinhart Koselleck, Roman Schnur, Armin Mohler ou encore Ernst-Wolfgang Böckenförde, pour ne citer que quelques noms. Il n’est donc pas faux d’affirmer, avec Habermas, que « l’histoire de cette influence a[urait] une valeur fondatrice pour l’État allemand. » [5] L’ombre de l’auteur de La notion de politique a effectivement plané sur les controverses d’après la guerre et accompagné le façonnage théorique du paysage juridico-polititque de la RFA. Devant le triomphe de l’adversaire américain, Schmitt, qui refusa de faire contrition et de consacrer la mise au ban de l’unité politique allemande, a permis d’assurer « la continuité d’une tradition allemande qui aurait été mise en cause. » [6] Tenu en dehors du « système », à l’écart des lieux déterminants, il est devenu une figure d’inspiration emblématique pour toute une série de jeunes théoriciens qui n’hésitèrent aucunement à puiser, dans son œuvre, des conceptions plutôt mal perçues à l’époque. Ses réflexions, conservatrices et autoritaires, furent relayées ; elles alimentèrent les discussions relatives à la rédaction d’une Constitution pour l’Allemagne de l’Ouest, exhumant l’option d’une protection de la démocratie renaissante contre ses ennemis antidémocratiques. L’idéal d’un État fort fut puissamment reconduit dans les écrits d’Ernst Forsthoff, schmittien devant l’Éternel, bien décidé à remettre l’État au-dessus de la société et des intérêts conflictuels qui animeraient cette dernière.

9783428159802.jpgMais l’œuvre du publiciste de Weimar n’a pas seulement eu écho à travers les travaux d’auteurs plus ou moins conservateurs : la réception de la pensée du juriste a pour spécificité d’être étonnamment polarisée. Jürgen Habermas lui-même, l’un des plus farouches contempteurs du théoricien du politique, n’a pas manqué de reconnaître l’exactitude du constat de Schmitt qui conclut à une déliquescence de la logique parlementaire. L’histoire de l’ « espace public » suit, en effet, à la lettre l’analyse que soumet Carl Schmitt de la transformation progressive du parlementarisme [7]. Dans son ouvrage, Müller rapporte que Henning Ritter, le fils de Joachim Ritter, avait déjà laissé sous-entendre qu’il existerait « une relation entre la pensée de Habermas et celle de Schmitt » [8] ; plus récemment, et en France qui plus est, Philippe Raynaud a défendu la thèse suivant laquelle la pensée du défenseur du patriotisme constitutionnel serait particulièrement redevable de celle du juriste allemand, « dans la mesure même où elle s’est constituée contre le décisionnisme de Schmitt » [9]. Phénomène plus curieux encore, une partie des doctrinaires libéraux prit l’initiative de libéraliser la pensée « du plus brillant ennemi du libéralisme qu’ait vu le siècle. » [10] Certains envisagèrent de composer un libéralisme amendé, capable de répliquer aux défis lancés par le juriste rhénan. Schmitt aurait diagnostiqué avec précision et acuité les failles et les faiblesses de la doctrine libérale, formulant des « questions percutantes » qui tourmentèrent les orthodoxies libérales ; il demeurerait entièrement envisageable de remédier aux problèmes de la neutralité et de la stabilité politique, deux béances qui fragiliseraient les théories libérales, en redéployant différemment les concepts du juriste — à se confronter aux anamnèses du philosophe conservateur, le libéralisme en ressortirait grandi. Parmi d’autres, Odo Marquard et Hermann Lübbe « s’efforcèrent de libéraliser des pans entiers de sa pensée pour la mettre au service de la démocratie libérale, c’est-à-dire pour la fortifier et lui donner de meilleurs outils pour qu’elle soit à même de relever des défis antilibéraux. » [11] Il en résulte « un mélange instable de priorités libérales et de moyens non libéraux. » [12] Lübbe s’est notamment risqué à prélever la méthode décisionniste chez Schmitt, dans l’optique assumée de renforcer la démocratie libérale. Cependant, comme l’indique Müller, une pareille entreprise dévoile avec clarté les limites d’une compatibilité des concepts schmittiens avec la pensée libérale, vu que Lübbe, par exemple, se voit contraint de délier la stabilité politique du principe de justification publique. Mais l’extrême droite ne demeure pas en reste ; elle s’est, elle aussi, penchée sur les arguments avancés par le juriste. En effet, sur une autre case de l’échiquier politique, la Nouvelle Droite française, menée par Alain de Benoist, a pour sa part multiplié les références à Schmitt afin de préserver la particularité des peuples contre l’universalisme libéral abstrait [13].

Au bout de chaque avenue, détaillée par Müller, qu’empruntèrent les nombreux « héritiers » de Carl Schmitt, aussi divers fussent-ils, émerge l’antilibéralisme pérenne du savant de Plettenberg. D’autres exégètes ont également émis une semblable hypothèse, sans toutefois l’étayer avec force détails comme l’a fait Jan-Werner Müller [14]. La tangibilité patente de la mondialisation socio-économique qui, d’autre part, s’étend au nom de principes éthiques (l’exportation des Droits de l’Homme), « ranime en permanence la tentation de reprendre la critique que Schmitt a dirigé contre un libéralisme tour à tour impuissant ou hypocrite » [15] — de la reprendre ou de s’en inspirer, de l’amender et de la prolonger. Les questions posées par le penseur conservateur ainsi que les diagnostics qu’il énonce ont connu une prorogation considérable au vu de la chronologie qu’a bâtie Müller. Il y a d’ailleurs fort à parier que les thèses et les outils conceptuels forgés par Schmitt en son temps n’ont pas terminé de nous livrer leurs vertus heuristiques, qu’elles demeurent susceptibles de nous révéler leur « actualité » potentielle.

En filigrane, Müller met le doigt sur deux phénomènes majeurs, qu’il analyse pour partie, et qui touchent de très près à l’héritage des théories politiques de Carl Schmitt. Ces deux questions ont trait à l’usage on ne saurait plus actuel — souvent polémique — des idées du juriste rhénan. Incontestablement, elles attestent de l’actualité manifeste de certains pans importants de la pensée de Schmitt, elles témoignent du caractère indéniable de l’héritage schmittien. D’un côté, à l’heure de la mondialisation, le post-marxisme semble éprouver toutes les difficultés du monde à se (re)définir : pour pallier un « manque » conceptuel, des théoriciens de la gauche radicale ont vu en Schmitt une formidable source d’inspiration disposée à redorer un blason obsolescent. D’autre part, bien qu’il est (ou qu’il fût) coutumier de dépeindre l’auteur du Nomos de la Terre comme le héraut de la cause statonationale, il semblerait que celui-ci ait pu léguer un attirail systématique habilité à penser positivement l’intégration macro-régionale, et plus particulièrement européenne, ainsi que moult arguments à même de souligner les faiblesses potentielles de toute construction continentale.

LES TOURMENTS THÉORIQUES DU POST-MARXISME : LE CONFLIT EN GUISE DE POLITISATION

Après la chute du mur de Berlin, Müller le répète à plusieurs endroits de son livre, une certaine gauche post-marxiste devait redécouvrir la pensée politique de Carl Schmitt. Les accointances de la gauche avec les concepts du théoricien conservateur ne relèvent toutefois pas d’une situation entièrement inédite. Depuis les années soixante, plusieurs auteurs ou mouvements radicaux se sont intéressés de près aux écrits du juriste, à commencer par Joachim Schickel, maoïste de son état. La Théorie du partisan, publiée en 1962, et l’optimisme général que purent inspirer à Schmitt les luttes anticoloniales n’y sont pas pour rien dans l’intérêt de la gauche qui essaie de penser le rôle de la guérilla dans les limites d’une idéologie révolutionnaire [16]. Peu de temps plus tard, toujours en Allemagne, Johannes Agnoli ressuscitait la critique schmittienne du parlementarisme, arguant que l’organe représentatif aurait développé une structure profondément oligarchique qui, de fait, ne représenterait plus le peuple mais l’État [17]. À la même période, en Italie, Mario Tronti et les « Marxisti Schmittiani » empruntaient le syntagme de l’ami et de l’ennemi — critère spécifique du politique —, l’interprétant sous la forme d’une compréhension renouvelée de l’antagonisme de classes [18]. On le voit, les récents emprunts à gauche ne sont pas sans posséder quelques antécédents de marque. C’est probablement chez Antonio Negri et Giorgio Agamben que le recyclage équivoque de concepts schmittiens pour une analyse ou pour une résolution normative des problèmes politico-philosophiques contemporains s’avère le plus frappant. Alors qu’Agamben mobilise le paradigme de l’ « état d’exception », Negri réfléchit le « pouvoir constituant » en s’appuyant notamment sur La dictature [19]. La visibilité retentissante des thèses et des prescriptions de ses deux auteurs a fait prendre conscience de l’ampleur d’un phénomène d’actualité, celui d’un « schmittianisme » (ou d’un « schmittisme ») de gauche. Selon Yves Charles Zarka, qui persiste a pensé que Schmitt est l’auteur de documents et non d’une œuvre, si l’extrême droite en vient à faire appel à Carl Schmitt, ce serait là « une chose naturelle », puisqu’elle ne ferait que « revendiquer ce qui lui appartient et selon une rhétorique habituelle », mais que la gauche radicale « prenne le même chemin », voilà un phénomène quelque peu incongru qui, d’après le spécialiste français de Hobbes, témoignerait d’une « crise idéologique » profonde du post-marxisme [20]. Pourquoi donc — car il est vrai qu’une telle inspiration ne semble pas aller de soi — une partie de la gauche actuelle s’est-elle empressée de recourir aux philosophèmes d’un conservateur aguerri qui, par surcroît, se compromit un temps avec le Reich hitlérien ?

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Dans un ouvrage publié il y a peu, Jean-Claude Monod tente d’apporter une première explication à ce curieux syndrome, en précisant que « les lectures marxistes de Schmitt pourraient faire l’objet d’une étude en soi » [21]. Il existerait sinon une réelle connexité, du moins une connivence notable, entre la pensée marxiste et celle du publiciste de Weimar : elles consacreraient, toutes les deux, l’existence d’une distinction conceptuelle originale. À la fois sanctifiée par Schmitt et par les théories marxistes, « la dissociation du libéralisme et de la démocratie » légitimerait un certain type de violence — celle de la classe ouvrière dans le cas des épigones de l’auteur du Capital. Mais, d’un autre côté, « la dissociation du politique et de l’étatique », constat malheureux dans La notion du politique, permettrait à l’extrême gauche actuelle de libérer le peuple — le pouvoir constituant — du joug de la souveraineté du prince [22]. Cette proximité analytique aurait rendu possible un emploi réfléchi (et infléchi) des thèses de l’ancien partisan du Troisième Reich. Les outils empruntés par « les schmittiens de gauche ou d’extrême gauche » leur auraient surtout permis de dénoncer l’un des travers de l’ordre libéral, à savoir le sapement de l’État de droit par le biais de procédures d’exception totalement banalisées [23]. La traduction en français du livre de Müller met à la portée du lectorat francophone un constat qui, quoique formulé quelques années auparavant, s’apparente grandement à celui de Monod. Néanmoins, le professeur de Princeton insiste plus particulièrement sur le fait que la gauche aurait trouvé chez Schmitt une réponse, qu’elle juge sans doute déterminante, dans l’objectif de pallier le besoin d’une repolitisation de la lutte contre le libéralisme triomphant ; c’est-à-dire le besoin d’une constitution de l’unité politique face à l’adversaire capitaliste. « En particulier, nous dit Müller, la pensée de Schmitt est censée compenser l’absence du politique et, plus encore, l’absence d’une théorie de l’État dans le marxisme. » [24] Partant du théoricien du politique, la gauche d’inspiration schmittienne finirait par célébrer le retour du conflit international ouvert, afin de s’opposer à l’universalisme libéral qu’elle calomnie pour cause de son hypocrisie. Plutôt que de concevoir « un modèle d’action politique à proprement parler », elle se borne à « réaffirmer la nature inévitablement conflictuelle du politique » (soit qu’elle estime cela comme une nécessité véritable, soit qu’un engagement dans une telle direction lui paraît préférable au triomphe du marché mondial) [25]. Dans tous les cas, il semble pour Müller que le post-marxisme souffre d’insuffisances théoriques, dans son combat contre le libéralisme, et qu’à ce titre, la pensée du plus fidèle détracteur de la doctrine libérale a pu tenir lieu d’expédient.

9782707149701.jpgSi en Allemagne ou en Italie, les emprunts contemporains aux théories de Schmitt peuvent prendre appui sur de véritables précédents, Zarka souligne qu’il s’agit en réalité d’un « phénomène assez nouveau en France » [26] — l’étude de Müller se cantonne d’ailleurs principalement aux deux premiers pays cités, et l’auteur ne cache pas que le « terme » de son parcours introspectif ne soit que « tout provisoire » [27]. Daniel Ben Saïd et Étienne Balibar ont, entre autres, eu recours à la pensée du juriste, ce dernier soutenant pour sa part que « pour connaître l’ennemi, il faut aller au pays de l’ennemi. » [28] Les réflexions de Balibar, ancien élève d’Althusser, nous apparaissent comme une piste conséquente, dans l’optique de concilier le « schmittianisme de gauche » (antilibéral) avec le refus de consacrer l’avènement du conflit comme mode d’être du politique. L’exigence d’une politisation — ou, plus simplement, d’une définition d’un « état » politique — peut déboucher, en dernière instance, sur « une résistance à la violence » [29]. Le philosophe français reconnaît sans ambages que le juriste rhénan a pesé sur l’histoire des idées politiques ; il n’a du reste pas hésité à affirmer, dans sa préface à la traduction du Der Leviathan de Schmitt, que la pensée de celui-ci était « l’une des pensées les plus inventives » [30] du vingtième siècle. C’est en s’adossant à la théorisation schmittienne de la souveraineté, qui lui apparaît « indispensable » pour comprendre l’ensemble des discours ayant trait « aux limites d’application » d’un tel concept [31], que Balibar a pu développé « la thèse d’un extrémisme du centre », taxant l’État de droit libéral d’être doté d’une « face d’exception » qui participerait à l’exclusion des anormaux et des déviants [32]. Mais cette prise en considération des arguments antilibéraux du juriste, que Balibar actualise et façonne, ne l’a pas empêché de questionner les « effets destructeurs de la violence, y compris de la violence révolutionnaire. » [33] La violence détruirait la possibilité même de la politique dont le maintien nécessiterait « un moment propre de civilité », c’est-à-dire un moment à l’issue duquel serait introduit l’impératif de l’anti-violence. À bien lire Balibar, il n’est pas certain que schmittianisme et post-marxisme soient incapables d’avancer de concert vers la génération d’une action politique de gauche.

LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE OU L’OUBLI DE L’ÉLÉMENT PROPREMENT « POLITIQUE »

Il peut sembler inadapté, à première vue, de formuler l’hypothèse d’un rapprochement plausible entre la pensée politique de Carl Schmitt et les considérations théoriques actuelles autour de la construction européenne. Nicolas Sombart, qui a fréquenté le juriste déchu à Plettenberg, a réprouvé le fait que la plupart des lecteurs du publiciste découvraient, selon lui, « le faux Schmitt », à savoir le « concepteur de cette machine célibataire qu’est l’ "État" » [34], alors que l’auteur du Nomos de la Terre avait surtout su diagnostiquer le déclin de la forme étatique moderne qui serait parvenue à son terme. Avec le passage à l’ère globale, les Européens devraient songer à remplacer l’État, vieilli et poussiéreux, « par des formes d’ "unité politique" substantielles, véritablement souveraines. » [35]

41YfDNAAdOL.jpgDepuis une dizaine d’années, les études schmittiennes se sont élargies à la question d’un prolongement continental et européen de la notion du « politique ». Ce phénomène naissant, encore à l’état d’un décantage initial, fut impulsé, pour l’essentiel, par les recherches de Christoph Schönberger et d’Ulrich K. Preuss [36]. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le penseur conservateur s’était effectivement donné pour objectif de réfléchir sur l’avenir du Vieux Continent, désormais pris en étau entre les deux puissances dominantes. La « reconstruction » européenne, telle qu’il la voyait se dessiner, lui apparaissait comme une entreprise menée à l’encontre des Allemands vaincus et qui manquait, par ailleurs, de se pourvoir des attributs du politique. À la vue d’une Europe « kidnappée par des esclaves » [37] et soumise au dictat des vainqueurs, Schmitt conçoit un équilibre mondial reposant sur l’instauration d’un pluriversum de « grands espaces ».

Après 1945, le juriste rhénan revoit sa théorie du Großraum qu’il avait mise, dans un premier temps, au service du régime nazi. Celle-ci prévoit la suppression des entités étatiques en tant que lieux de souveraineté et leur incorporation au sein d’un espace « aux limites indéterminées, ou plutôt flexibles » [38], où chacun des peuples phagocytés disposerait de droits différentiels. Sous l’impulsion d’un « centre », du Reich allemand, un grand espace européen unifierait le Vieux Continent sur la base d’un critère d’appartenance christique (ou chrétien), constituant de fait une réponse appropriée au dépérissement progressif du concept d’État. Carl Schmitt n’a de cesse d’identifier l’Europe à la chrétienté ; cette dernière représenterait une solide alternative au bloc soviétique et au bloc libéral — marxisme et libéralisme étant tous deux la conséquence d’un noyau métaphysique athée et de croyances immanentistes. Se composerait, dès lors, un ordre mondial fondé sur la coexistence de plusieurs blocs autonomes — les grands espaces — qui permettrait ainsi un rééquilibrage des puissances. Tomas Kostelecky, en particulier, s’autorise à interpréter la notion de Großraum comme l’analyse intéressante d’un effacement tendanciel des frontières [39]. Schmitt aurait pressenti le déplacement progressif du lieu de la souveraineté depuis les entités étatiques vers un grand espace européen, préfigurant de ce fait l’avènement d’une construction d’échelle continentale.

L’élargissement des frontières géographiques s’accompagne, dans la théorie du penseur conservateur, d’une révision des limites « nationales » : la théorisation d’un Großraum passe inévitablement par une redéfinition du concept de nation. « Une Europe démocratique avait d’abord besoin d’un peuple européen homogène » [40], ce que la croyance en Jésus-Christ était toute disposée à fournir. Schmitt estime qu’un pacifisme morne ne peut, en aucun cas, prodiguer les propriétés vertueuses du politique. Dans sa construction de l’après-guerre, l’Europe aurait omis de fonder le patriotisme européen sur l’identification d’un autre, d’un ennemi, de se fonder sur l’homogénéité du peuple chrétien à même d’édifier une forme authentiquement politique pour le continent. Le savant de Plettenberg bat en brèche l’idéal du refus de la puissance ; il souhaite faire de l’Allemagne le « pôle impérial » d’une nation chrétienne, refusant d’un même geste la sanction des triomphateurs et l’élaboration d’une formule politique « neutre ».

Les questions de l’État-nation — et des relations internationales —, de la souveraineté, de l’ordre juridique européen, soulevées par Schmitt à son époque, sont actuellement consubstantielles au problème de l’intégration européenne. C’est assez logiquement que les raisonnements de ce dernier paraissent susceptibles, au jour d’aujourd’hui, de trouver une utilité particulièrement éloquente dans le cadre des discussions théoriques relatives à l’idée d’Europe. Si les écrits du juriste permettent d’attaquer systématiquement les thèses « néo-cosmopolitiques » et de nourrir l’ensemble des discours « souverainistes », nous rejoignons Müller sur le fait qu’il est également tout à fait pensable que de tels textes puissent peser sur les réflexions des néo-kantiens et des libéraux, dans l’optique bien différente de solidifier le modèle cosmopolitique. Il semble que s’il souhaite prendre effet, le cosmopolitisme y gagnerait beaucoup à prendre en compte « la dialectique schmittienne de la souveraineté et de l’unité politique forgée à peine de vie et de mort » [41], en vue d’envisager, en fin de compte, d’y échapper complètement. Müller formule, en filigrane, l’hypothèse suivante : probablement que ceux qui relèvent le défi de réfléchir à de nouvelles identités supranationales devront, d’une manière ou d’une autre, se mesurer aux philosophèmes de Carl Schmitt, afin d’imaginer les moyens nécessaires au dépassement de l’homogénéité et de l’hostilité [42]. Le penseur conservateur pourrait, semble-t-il, nous aider, a contrario, à penser (à renforcer ?) le domaine du métanational. Existerait-il une thématique plus actuelle en théorie politique ?

CONCLUSION

Yves Charles Zarka a tout récemment précisé la distinction qu’il avait opérée entre les œuvres et les documents, lorsque dans un article paru dans Le Monde au lendemain de la publication en français du Der Leviathan de Schmitt, il avait affirmé que les textes du juriste allemand appartenaient à la catégorie des documents [43]. Il écrit que « ce qui fait le caractère particulier du document est d’être inscrit dans un moment historique dont il est un témoignage, d’en être d’une certaine manière inséparable. En revanche, une œuvre nous interpelle au-delà de son temps, en dehors du contexte où elle a été écrite pour nous parler aussi bien de son temps que du nôtre. En ce sens, […] Schmitt est l’auteur de documents. » [44] Durant l’espace d’un demi-siècle, Carl Schmitt a influé sur l’ensemble du spectre politique, de l’extrême gauche italienne à la Nouvelle Droite française — et il continue de le faire de manière posthume. Il reste à espérer que la traduction en langue française de l’ouvrage de Jan-Werner Müller fera prendre conscience du poids et de l’importance qu’ont pu prendre les diagnostics et les anamnèses souvent judicieuses de l’adversaire le plus virulent du libéralisme — ce qui n’a jamais contraint ses lecteurs de partager les suggestions normatives qui corroborent l’analyse. S’obstiner à discréditer à tout prix la pensée du savant de Plettenberg au point de refuser que les écrits de ce dernier constituent une œuvre, au motif qu’entachés par le nazisme, ils n’auraient plus rien à nous dire d’actuel, est un tour de passe-passe plutôt difficile à réaliser.

Une critique de Tristan Storme

 
Pour citer cet article :

Notes

[1] L’expression est de George D. Schwab, « un chercheur de l’université de New York » qui, écrit Müller, fut « à l’origine de la redécouverte américaine de Schmitt » (Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 302).

[2] Nous paraphrasons ici la formule d’Étienne Balibar : « Carl Schmitt est le plus brillant et donc [nous soulignons] le plus dangereux des penseurs d’extrême droite » (BALIBAR, Étienne [entretien avec], « Internationalisme ou barbarie », propos recueillis par Michael Löwy et Razmig Keucheyan, SolidaritéS, n° 30, mercredi 2 juillet 2003, p. 22, texte disponible sur : http://www.solidarites.ch/index.php... ).

[3] Op. cit., p. 9.

[4] Cf. surtout VAN LAAK, Dirk, Gespräche in der Sicherheit des Schweigens : Carl Schmitt in der politischen Geistesgeschichte der frühen Bundesrepublik, Berlin, Akademie Verlag. 1993.

[5] HABERMAS, Jürgen, « Le besoin d’une continuité allemande. Carl Schmitt dans l’histoire des idées politiques de la RFA », trad. par Rainer Rochlitz, Les Temps Modernes, n° 575, juin 1994, p. 31.

[6] Ibid., p. 32.

[7] Schmitt a développé sa compréhension de l’évolution du régime parlementaire dans Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (Parlementarisme et démocratie, trad. par Jean-Louis Schlegel et préface de Pasquale Pasquino, Paris, Seuil, coll. « Essais », 1988).

[8] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 369.

[9] RAYNAUD, Philippe, « Que faire de Carl Schmitt ? », Le Débat, n°131, septembre – octobre 2004, p. 165.

[10] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 13.

[11] Ibid., p. 169. C’est nous qui soulignons.

[12] Ibid., p. 184.

[13] « 13. L’intégrisme européen et l’essor de la (des) nouvelle(s) droite(s) européennes », in ibid., pp. 288-303.

[14] Claire-Lise Buis affirme, parmi d’autres, que « l’antilibéralisme est bien un élément fondamental de regroupement des fidèles schmittiens » (« Schmitt et les Allemands », Raisons politiques, n°5, février 2002, p. 151).

[15] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 29.

[16] « 8. Le Partisan dans le paysage de la trahison : la théorie de la guérilla de Schmitt — et ses partisans », in ibid., p. 204-219.

[17] « La critique du parlementarisme », in ibid., pp. 240-248.

[18] « Schmitt et la haine de classes : les Marxisti Schmittiani », in ibid., pp. 248-253.

[19] Cf. notamment AGAMBEN, Giorgio, État d’exception. Homo sacer, II, 1, trad. par Joël Gayraud, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003 ; NEGRI, Antonio, Le pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, trad. par Étienne Balibar et François Matheron, Paris, PUF, coll. « Pratiques théoriques », 1997.

[20] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt, après le nazisme », Cités, n°17, 2004, p. 148.

[21] MONOD, Jean-Claude, Penser l’ennemi, affronter l’exception. Réflexions critiques sur l’actualité de Carl Schmitt, Paris, La Découverte, coll. « Armillaire », 2007, p. 21.

[22] « Les usages opposés de Schmitt : une longue histoire », in ibid., pp. 21-31.

[23] Ibid., p. 107.

[24] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 302.

[25] Ibid., p. 310 ; pp. 321-322.

[26] ZARKA, Yves Charles, Un détail nazi dans la pensée de Carl Schmitt, suivi de deux textes de Carl Schmitt traduits par Denis Trierweiler, Paris, PUF, coll. « Intervention philosophique », 2005, p. 92.

[27] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 343.

[28] BALIBAR, Étienne (entretien avec), loc. cit., p. 22.

[29] Cf. BALIBAR, Étienne, « Violence et civilité. Sur les limites de l’anthropologie politique », in GÓMEZ-MULLER, Alfredo, La question de l’humain entre l’éthique et l’anthropologie, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2004. Le texte est disponible sur : http://ciepfc.rhapsodyk.net/article... .

[30] « Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes », préface à : SCHMITT, Carl, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, p. 8.

[31] BALIBAR, Étienne, « Prolégomènes à la souveraineté : la frontière, l’État, le peuple », Les Temps Modernes, n°610, septembre – octobre – novembre, 2000, p. 50.

[32] « Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes », préface à : SCHMITT, Carl, op. cit., p. 11. C’est l’auteur qui souligne.

[33] BALIBAR, Étienne (entretien avec), « Internationalisme ou barbarie », propos recueillis par Michael Löwy et Razmig Keucheyan, SolidaritéS, n° 30, mercredi 2 juillet 2003, p. 23.

[34] « Promenades avec Carl Schmitt », in SOMBART, Nicolaus, Chroniques d’une jeunesse berlinoise (1933-1943), trad. par Olivier Mannoni, Paris, Quai Voltaire, 1992, p. 324.

[35] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 342.

[36] Cf. WAGNER, Helmut, « La Notion juridique de l’Union européenne : une vision allemande », trad. par Pascal Bonnard, Notes du Cerfa, n°30(a), février 2006, pp. 1-13. Le texte est disponible sur : http://www.ifri.org/files/Cerfa/Not... .

[37] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 203.

[38] KERVÉGAN, Jean-François, « Carl Schmitt et "l’unité du monde" », Les études philosophiques, n° 1, janvier 2004, p. 13.

[39] Cf. KOSTELECKY, Tomas, Aussenpolitik und Politikbegriff bei Carl Schmitt, München, Neubiberg-Institut für Staatwissenschaften, 1998.

[40] Carl Schmitt : Un esprit dangereux, p. 14. C’est nous qui soulignons.

[41] Ibid., p. 337.

[42] « Une ère post-héroïque ? Après la nation, l’État — et la mort politique », in ibid., pp. 336-338.

[43] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt, nazi philosophe ? », Le Monde, n° 17998, vendredi 6 décembre 2002, p. VIII.

[44] ZARKA, Yves Charles, « Carl Schmitt ou la triple trahison de Hobbes. Une histoire nazie de la philosophie politique ? », Droits – Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n° 45, 2007, p. 177.

Le droit des peuples réglé sur le grand espace de Carl Schmitt

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Le droit des peuples réglé sur le grand espace de Carl Schmitt

par Karl Peyrade

Ex: https://www.lerougeetlenoir.org

Avec Le droit des peuples réglé sur le grand espace (1939-1942), Carl Schmitt commence à s’intéresser, dans le cadre de son analyse juridique et géopolitique, à la question de l’espace. Le droit international public est désigné par le juriste allemand comme le droit international des gens, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à un Etat territorialement délimité dans un pays homogène. Le concept de grand espace apparaît au XIXe siècle avec l’idée de territoires équilibrés. Dans la tradition juridique française initiée par Jean Bodin puis reprise par les jacobins, ce sont plutôt les frontières naturelles qui ont servi à justifier l’expansion gallicane. A l’opposé, la logique de grand espace valide le droit des peuples à forte population à dominer sur les autres. La conception française s’articule sur un schéma géographique tandis que la notion de grand espace est liée à un déterminant démographique.

41Slx8ar6bL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgCe paradigme spatial apparaît très explicitement dans la doctrine Monroe de 1823. Cette théorie américaine revendique l’indépendance de tous les Etats américains, interdit leur colonisation par des Etats tiers et défend à ceux-ci d’intervenir en leur sein. Elle crée donc un corpus de règles ayant vocation à s’appliquer à un grand espace qui est l’espace américain. La difficulté réside dans le fait que la doctrine Monroe a évolué avec le temps. Elle est passée d’un non-interventionnisme catégorique à un impérialisme intransigeant, d’une neutralité à une position morale donnant le droit de s’ingérer dans les affaires des pays du monde entier. « L’aversion de tous les juristes positifs contre une telle doctrine est bien compréhensible ; devant pareille imprécision du contenu normatif, le positiviste a le sentiment que le sol se dérobe sous lui », ironise l’auteur. En fait, les américains ont modifié leur interprétation de la doctrine Monroe au fil du temps et de leurs intérêts. La raison d’Etat se passe facilement des débats juridiques car contrairement à ce que de nombreux juristes pensent, dans la lignée du positivisme juridique, le droit ne créé rien. Il est simplement le reflet d’un rapport de forces. Les marxistes le désigneraient comme étant une superstructure.

D’après Talleyrand, l’Europe est constituée de relations entre Etats. Monroe est le premier à parler de grand espace. Le grand espace repose sur l’idée d’inviolabilité d’un espace déterminé sur lequel vit un peuple avec un projet politique. Il suppose aussi l’absence d’intervention dans les autres espaces. Au départ, ce principe était donc interprété dans un sens continentaliste. Mais à l’arrivée, on débouche sur un interventionnisme capitaliste et universaliste avec le triomphe de l’interprétation britannique. Le passage de la neutralité à l’impérialisme américain s’incarne particulièrement en la personne du président Wilson (1917). Ce dernier a fait du principe local du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes un principe à valeur universelle. Carl Schmitt critique cette « réinterprétation de la doctrine Monroe, au départ idée concrète du grand espace, géographiquement et historiquement déterminée, en principe général d’inspiration universaliste, censé valoir pour la Terre entière et prétendant à l’ubiquité ».

Le principe de sécurité des voies de communication britanniques constitue un bon exemple de notion universaliste au profit de l’impérialisme anglo-saxon. Contrairement aux Etats-Unis et à la Russie, il n’existe pas de continuité spatiale dans l’empire britannique qui est une addition de possessions émiettées sans espace déterminée et sans cohérence. Afin de justifier la sécurité des voies de communication, les anglais ont adopté des principes universalistes permettant d’assimiler l’empire britannique au monde. En effet, les anglais régnaient sur la mer. Ils avaient donc intérêt à ce que les voies maritimes soient sécurisées au nom de leur principe de sécurité des voies de communication leur permettant d’intervenir partout et de dominer les espaces maritimes des pays neutres. A titre d’exemple, ils ont empêché le monopole français sur le Canal de Suez en invoquant le principe de droit naturel des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cela n’a en revanche pas fonctionné à Panama où les américains leur ont justement opposé la doctrine Monroe.

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Philosophiquement, la vision universaliste du monde trouve sa source dans la théorie du droit naturel du XVIIe siècle qui trouve son apogée dans le concept de liberté commerciale forgée au XIXe siècle. Il ne faut pas confondre la loi naturelle qui vient de Dieu et le droit naturel selon lequel les hommes naissent tous avec des droits inhérents à leur personne humaine. Ainsi, au-delà des caractéristiques ethniques, culturelles ou religieuses, l’homme parce qu’il est homme dispose de certains droits fondamentaux. L’avènement des droits de l’homme constitue l’aboutissement suprême de la théorie du droit naturel.

A l’inverse de cette théorie, la logique des grands espaces n’a pas de portée universaliste. Elle intègre l’évolution historique des grandes puissances territoriales ayant de l’influence sur des pays tiers. Le paradigme n’est donc plus national mais spatial. Au sein de l’espace dominé par une grande puissance règne la paix en raison de l’exigence de non-intervention. Mais en dehors de cet espace, l’intervention redevient possible. Carl Schmitt reprend le concept allemand d’empire pour l’adapter aux particularités de son époque. L’impérialisme répond au contraire à une vision supra ethnique, capitaliste et universaliste. L’auteur plaide pour le Reich allemand contre les deux universalismes de son temps : l’URSS socialiste et la révolution mondialo-libérale occidentale. Il faut rappeler que la pensée schmittienne n’est en aucun cas une pensée racialiste ce que les membres de la SS n’ont pas manqué de lui reprocher. Elle s’appuie en revanche sur un peuple constitué historiquement et ayant conscience de lui-même. Pour Schmitt, le concept d’empire est traversé par les mêmes idées, la même philosophie, ancré dans un grand espace et soutenu par un peuple.

« Les autres concepts de l’espace, désormais indispensables, sont en premier lieu le sol, à rattacher au peuple par une relation spécifique, puis celui, corrélatif au Reich, débordant l’aire du peuple et le territoire étatique, du grand espace de rayonnement culturel, mais aussi économique, industriel, organisationnel […] L’empire est plus qu’un Etat agrandi, de même que le grand espace n’est pas qu’un micro-espace agrandi. L’Empire n’est pas davantage identique au grand espace ; chaque empire possède un grand espace, s’élevant par là au-dessus de l’Etat spatialement déterminé par l’exclusivité de son domaine étatique, au-dessus de l’aire occupée par un peuple particulier. »

Plusieurs conceptions peuvent découler de cette notion de grand espace. Une acception purement économiste pourrait le voir uniquement comme le lieu de l’échange commercial avec d’autres grands espaces. La vision impériale, et non impérialiste, aboutirait à des relations entre empires basés sur des grands espaces. Au sein de ces grands espaces, des relations interethniques pourraient voir le jour. Sous réserve de non-ingérence de puissances étrangères, des relations interethniques pourraient même naître entre empires différents. La notion d’empire permet, contrairement à l’universalisme des droits de l’homme, de conserver les Etats et les peuples.

Juridiquement, l’espace est traditionnellement abordé par le droit de la manière suivante : le droit privé l’appréhende à travers l’appropriation d’une terre tandis que le droit public le considère comme le lieu d’exercice de la puissance publique. Les théories positivistes voient le droit comme « un ordre intimé par la loi ». Or, « les ordres ne peuvent s’adresser qu’à des personnes ; la domination ne s’exerce pas sur des choses, mais sur des personnes ; le pouvoir étatique ne peut donc se déterminer que selon les personnes ». Le positivisme juridique n’admet donc l’espace que comme un objet relevant de la perception, déterminé selon le temps et l’espace. Au fond, il s’agit d’un espace vide sur lequel s’exerce le pouvoir étatique. A l’inverse, Carl Schmitt part de l’espace pour fonder tout ordre juridique. L’auteur note l’influence juive au sein du droit constitutionnel allemand sur le concept d’espace vide : « Les rapports bizarrement gauchis qu’entretient le peuple juif avec tout ce qui touche au sol, à la terre et au territoire découlent du mode singulier de son existence politique. La relation d’un peuple à un sol façonné par son propre travail d’habitation et de culture, et à toutes les formes de pouvoir qui en émanent, est incompréhensible pour un esprit juif. » Le juriste allemand conclue son ouvrage en insistant sur le vocable juridique du Moyen-Âge qui avait une dimension spatiale (Stadt = site, civitas = cité, Land = terre etc.) et en constatant que la négation de l’espace conduit à la négation des limites ce qui aboutit à l’universalisme abstrait.

« Ces considérations ne visent certes pas à prôner le retour vers un état de choses médiéval. Mais on a bien besoin de subvertir et d’éliminer un mode de pensée et de représentation regimbant à l’espace, dont le XIXe siècle marque l’avènement, et qui gouverne encore la conceptualisation juridique tout entière ; en politique internationale, il va de pair avec l’universalisme déraciné, négateur de l’espace et par là sans limite, de la domination anglo-saxonne des mers. La mer est libre au sens où elle est libre d’Etat, c’est-à-dire libre de l’unique représentation d’ordre spatial qu’ait pu penser le droit d’obédience étatique. »

nomos.jpgOuvrage court mais très exigeant, Le droit des peuples réglé sur le grand espace constitue une bonne introduction à l’ouvrage majeur Le nomos de la terre qu’écrira par la suite Carl Schmitt. Ecrit dans un style toujours clair sans être universitaire, le livre présente le grand mérite d’être en avance sur son temps. A une époque où l’on réfléchissait encore en termes de nation, il anticipe largement les grandes évolutions du monde. Aujourd’hui, comment nier que le monde est traversé par une logique de blocs animés par une puissance dominante. L’espace américain est dominé par les Etats-Unis, l’espace asiatique par la Chine et l’espace eurasiatique par la Russie. Il n’y a guère que l’Europe qui ne suit pas cette évolution. En effet, au lieu de s’ancrer dans son espace culturel et religieux, elle a préféré se dissoudre dans un système technico-économique abstrait sous-tendu par les inévitables droits de l’homme. A trop nier l’espace, on finit par nier l’homme comme produit d’un enracinement culturel pour aboutir à l’homme-marchandise.

Karl Peyrade

dimanche, 23 février 2020

The Revolutionary Conservative Critique of Oswald Spengler

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The Revolutionary Conservative Critique of Oswald Spengler 

Ex: https://motpol.nu

Oswald Spengler is by now well-known as one of the major thinkers of the German Conservative Revolution of the early 20th Century. In fact, he is frequently cited as having been one of the most determining intellectual influences on German Conservatism of the interwar period – along with Arthur Moeller van den Bruck and Ernst Jünger – to the point where his cultural pessimist philosophy is seen to be representative of Revolutionary Conservative views in general (although in reality most Revolutionary Conservatives held more optimistic views).[1]

To begin our discussion, we shall provide a brief overview of the major themes of Oswald Spengler’s philosophy.[2] According to Spengler, every High Culture has its own “soul” (this refers to the essential character of a Culture) and goes through predictable cycles of birth, growth, fulfillment, decline, and demise which resemble that of the life of a plant. To quote Spengler:

A Culture is born in the moment when a great soul awakens out of the proto-spirituality of ever-childish humanity, and detaches itself, a form from the formless, a bounded and mortal thing from the boundless and enduring. It blooms on the soil of an exactly-definable landscape, to which plant-wise it remains bound. It dies when the soul has actualized the full sum of its possibilities in the shape of peoples, languages, dogmas, arts, states, sciences, and reverts into the proto-soul.[3]

There is an important distinction in this theory between Kultur (“Culture”) and Zivilisation (“Civilization”). Kultur refers to the beginning phase of a High Culture which is marked by rural life, religiosity, vitality, will-to-power, and ascendant instincts, while Zivilisation refers to the later phase which is marked by urbanization, irreligion, purely rational intellect, mechanized life, and decadence. Although he acknowledged other High Cultures, Spengler focused particularly on three High Cultures which he distinguished and made comparisons between: the Magian, the Classical (Greco-Roman), and the present Western High Culture. He held the view that the West, which was in its later Zivilisation phase, would soon enter a final imperialistic and “Caesarist” stage – a stage which, according to Spengler, marks the final flash before the end of a High Culture.[4]

Perhaps Spengler’s most important contribution to the Conservative Revolution, however, was his theory of “Prussian Socialism,” which formed the basis of his view that conservatives and socialists should unite. In his work he argued that the Prussian character, which was the German character par excellence, was essentially socialist. For Spengler, true socialism was primarily a matter of ethics rather than economics. This ethical, Prussian socialism meant the development and practice of work ethic, discipline, obedience, a sense of duty to the greater good and the state, self-sacrifice, and the possibility of attaining any rank by talent. Prussian socialism was differentiated from Marxism and liberalism. Marxism was not true socialism because it was materialistic and based on class conflict, which stood in contrast with the Prussian ethics of the state. Also in contrast to Prussian socialism was liberalism and capitalism, which negated the idea of duty, practiced a “piracy principle,” and created the rule of money.[5]

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Oswald Spengler’s theories of predictable culture cycles, of the separation between Kultur and Zivilisation, of the Western High Culture as being in a state of decline, and of a non-Marxist form of socialism, have all received a great deal of attention in early 20th Century Germany, and there is no doubt that they had influenced Right-wing thought at the time. However, it is often forgotten just how divergent the views of many Revolutionary Conservatives were from Spengler’s, even if they did study and draw from his theories, just as an overemphasis on Spenglerian theory in the Conservative Revolution has led many scholars to overlook the variety of other important influences on the German Right. Ironically, those who were influenced the most by Spengler – not only the German Revolutionary Conservatives, but also later the Traditionalists and the New Rightists – have mixed appreciation with critique. It is this reality which needs to be emphasized: the majority of Conservative intellectuals who have appreciated Spengler have simultaneously delivered the very significant message that Spengler’s philosophy needs to be viewed critically, and that as a whole it is not acceptable.

The most important critique of Spengler among the Revolutionary Conservative intellectuals was that made by Arthur Moeller van den Bruck.[6] Moeller agreed with certain basic ideas in Spengler’s work, including the division between Kultur and Zivilisation, with the idea of the decline of the Western Culture, and with his concept of socialism, which Moeller had already expressed in an earlier and somewhat different form in Der Preussische Stil (“The Prussian Style,” 1916).[7] However, Moeller resolutely rejected Spengler’s deterministic and fatalistic view of history, as well as the notion of destined culture cycles. Moeller asserted that history was essentially unpredictable and unfixed: “There is always a beginning (…) History is the story of that which is not calculated.”[8] Furthermore, he argued that history should not be seen as a “circle” (in Spengler’s manner) but rather a “spiral,” and a nation in decline could actually reverse its decline if certain psychological changes and events could take place within it.[9]

md30309192093.jpgThe most radical contradiction with Spengler made by Moeller van den Bruck was the rejection of Spengler’s cultural morphology, since Moeller believed that Germany could not even be classified as part of the “West,” but rather that it represented a distinct culture in its own right, one which even had more in common in spirit with Russia than with the “West,” and which was destined to rise while France and England fell.[10] However, we must note here that the notion that Germany is non-Western was not unique to Moeller, for Werner Sombart, Edgar Julius Jung, and Othmar Spann have all argued that Germans belonged to a very different cultural type from that of the Western nations, especially from the culture of the Anglo-Saxon world. For these authors, Germany represented a culture which was more oriented towards community, spirituality, and heroism, while the modern “West” was more oriented towards individualism, materialism, and capitalistic ethics. They further argued that any presence of Western characteristics in modern Germany was due to a recent poisoning of German culture by the West which the German people had a duty to overcome through sociocultural revolution.[11]

Another key intellectual of the German Conservative Revolution, Hans Freyer, also presented a critical analysis of Spenglerian philosophy.[12] Due to his view that that there is no certain and determined progress in history, Freyer agreed with Spengler’s rejection of the linear view of progress. Freyer’s philosophy of culture also emphasized cultural particularism and the disparity between peoples and cultures, which was why he agreed with Spengler in terms of the basic conception of cultures possessing a vital center and with the idea of each culture marking a particular kind of human being. Being a proponent of a community-oriented state socialism, Freyer found Spengler’s anti-individualist “Prussian socialism” to be agreeable. Throughout his works, Freyer had also discussed many of the same themes as Spengler – including the integrative function of war, hierarchies in society, the challenges of technological developments, cultural form and unity – but in a distinct manner oriented towards social theory.[13]

41KpKuhd2tL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgHowever, Freyer argued that the idea of historical (cultural) types and that cultures were the product of an essence which grew over time were already expressed in different forms long before Spengler in the works of Karl Lamprecht, Wilhelm Dilthey, and Hegel. It is also noteworthy that Freyer’s own sociology of cultural categories differed from Spengler’s morphology. In his earlier works, Freyer focused primarily on the nature of the cultures of particular peoples (Völker) rather than the broad High Cultures, whereas in his later works he stressed the interrelatedness of all the various European cultures across the millennia. Rejecting Spengler’s notion of cultures as being incommensurable, Freyer’s “history regarded modern Europe as composed of ‘layers’ of culture from the past, and Freyer was at pains to show that major historical cultures had grown by drawing upon the legacy of past cultures.”[14] Finally, rejecting Spengler’s historical determinism, Freyer had “warned his readers not to be ensnared by the powerful organic metaphors of the book [Der Untergang des Abendlandes] … The demands of the present and of the future could not be ‘deduced’ from insights into the patterns of culture … but were ultimately based on ‘the wager of action’ (das Wagnis der Tat).”[15]

Yet another important Conservative critique of Spengler was made by the Italian Perennial Traditionalist philosopher Julius Evola, who was himself influenced by the Conservative Revolution but developed a very distinct line of thought. In his The Path of Cinnabar, Evola showed appreciation for Spengler’s philosophy, particularly in regards to the criticism of the modern rationalist and mechanized Zivilisation of the “West” and with the complete rejection of the idea of progress.[16] Some scholars, such as H.T. Hansen, stress the influence of Spengler’s thought on Evola’s thought, but it is important to remember that Evola’s cultural views differed significantly from Spengler’s due to Evola’s focus on what he viewed as the shifting role of a metaphysical Perennial Tradition across history as opposed to historically determined cultures.[17]

In his critique, Evola pointed out that one of the major flaws in Spengler’s thought was that he “lacked any understanding of metaphysics and transcendence, which embody the essence of each genuine Kultur.”[18] Spengler could analyze the nature of Zivilisation very well, but his irreligious views caused him to have little understanding of the higher spiritual forces which deeply affected human life and the nature of cultures, without which one cannot clearly grasp the defining characteristic of Kultur. As Robert Steuckers has pointed out, Evola also found Spengler’s analysis of Classical and Eastern cultures to be very flawed, particularly as a result of the “irrationalist” philosophical influences on Spengler: “Evola thinks this vitalism leads Spengler to say ‘things that make one blush’ about Buddhism, Taoism, Stoicism, and Greco-Roman civilization (which, for Spengler, is merely a civilization of ‘corporeity’).”[19] Also problematic for Evola was “Spengler’s valorization of ‘Faustian man,’ a figure born in the Age of Discovery, the Renaissance and humanism; by this temporal determination, Faustian man is carried towards horizontality rather than towards verticality.”[20]

Finally, we must make a note of the more recent reception of Spenglerian philosophy in the European New Right and Identitarianism: Oswald Spengler’s works have been studied and critiqued by nearly all major New Right and Identitarian intellectuals, including especially Alain de Benoist, Dominique Venner, Pierre Krebs, Guillaume Faye, Julien Freund, and Tomislav Sunic. The New Right view of Spenglerian theory is unique, but is also very much reminiscent of Revolutionary Conservative critiques of Moeller van den Bruck and Hans Freyer. Like Spengler and many other thinkers, New Right intellectuals also critique the “ideology of progress,” although it is significant that, unlike Spengler, they do not do this to accept a notion of rigid cycles in history nor to reject the existence of any progress. Rather, the New Right critique aims to repudiate the unbalanced notion of linear and inevitable progress which depreciates all past culture in favor of the present, while still recognizing that some positive progress does exist, which it advocates reconciling with traditional culture to achieve a more balanced cultural order.[21] Furthermore, addressing Spengler’s historical determinism, Alain de Benoist has written that “from Eduard Spranger to Theodor W. Adorno, the principal reproach directed at Spengler evidently refers to his ‘fatalism’ and to his ‘determinism.’ The question is to know up to what point man is prisoner of his own history. Up to what point can one no longer change his course?”[22]

MOM-ND.jpgLike their Revolutionary Conservative precursors, New Rightists reject any fatalist and determinist notion of history, and do not believe that any people is doomed to inevitable decline; “Decadence is therefore not an inescapable phenomenon, as Spengler wrongly thought,” wrote Pierre Krebs, echoing the thoughts of other authors.[23] While the New Rightists accept Spengler’s idea of Western decline, they have posed Europe and the West as two antagonistic entities. According to this new cultural philosophy, the genuine European culture is represented by numerous traditions rooted in the most ancient European cultures, and must be posed as incompatible with the modern “West,” which is the cultural emanation of early modern liberalism, egalitarianism, and individualism.

The New Right may agree with Spengler that the “West” is undergoing decline, “but this original pessimism does not overshadow the purpose of the New Right: The West has encountered the ultimate phase of decadence, consequently we must definitively break with the Western civilization and recover the memory of a Europe liberated from the egalitarianisms…”[24] Thus, from the Identitarian perspective, the “West” is identified as a globalist and universalist entity which had harmed the identities of European and non-European peoples alike. In the same way that Revolutionary Conservatives had called for Germans to assert the rights and identity of their people in their time period, New Rightists call for the overcoming of the liberal, cosmopolitan Western Civilization to reassert the more profound cultural and spiritual identity of Europeans, based on the “regeneration of history” and a reference to their multi-form and multi-millennial heritage.

Lucian Tudor 

 

Notes

[1] An example of such an assertion regarding cultural pessimism can be seen in “Part III. Three Major Expressions of Neo-Conservatism” in Klemens von Klemperer, Germany’s New Conservatism: Its History and Dilemma in the Twentieth Century (Princeton: Princeton University Press, 1968).

[2] To supplement our short summary of Spenglerian philosophy, we would like to note that one the best overviews of Spengler’s philosophy in English is Stephen M. Borthwick, “Historian of the Future: An Introduction to Oswald Spengler’s Life and Works for the Curious Passer-by and the Interested Student,” Institute for Oswald Spengler Studies, 2011, <https://sites.google.com/site/spenglerinstitute/Biography>.

[3] Oswald Spengler, The Decline of the West Vol. 1: Form and Actuality (New York: Alfred A. Knopf, 1926), p. 106.

[4] Ibid.

[5] See “Prussianism and Socialism” in Oswald Spengler, Selected Essays (Chicago: Gateway/Henry Regnery, 1967).

[6] For a good overview of Moeller’s thought, see Lucian Tudor, “Arthur Moeller van den Bruck: The Man & His Thought,” Counter-Currents Publishing, 17 August 2012, <http://www.counter-currents.com/2012/08/arthur-moeller-van-den-bruck-the-man-and-his-thought/>.

[7] See Fritz Stern, The Politics of Cultural Despair (Berkeley & Los Angeles: University of California Press, 1974), pp. 238-239, and Alain de Benoist, “Arthur Moeller van den Bruck,” Elementos: Revista de Metapolítica para una Civilización Europea No. 15 (11 June 2011), p. 30, 40-42. <http://issuu.com/sebastianjlorenz/docs/elementos_n__15>.

[8] Arthur Moeller van den Bruck as quoted in Benoist, “Arthur Moeller van den Bruck,” p. 41.

[9] Ibid., p. 41.

[10] Ibid., pp. 41-43.

[11] See Fritz K. Ringer, The Decline of the German Mandarins: The German Academic Community, 1890–1933 (Hanover: University Press of New England, 1990), pp. 183 ff.; John J. Haag, Othmar Spann and the Politics of “Totality”: Corporatism in Theory and Practice (Ph.D. Thesis, Rice University, 1969), pp. 24-26, 78, 111.; Alexander Jacob’s introduction and “Part I: The Intellectual Foundations of Politics” in Edgar Julius Jung, The Rule of the Inferiour, Vol. 1 (Lewiston, New York: Edwin Mellon Press, 1995).

[12] For a brief introduction to Freyer’s philosophy, see Lucian Tudor, “Hans Freyer: The Quest for Collective Meaning,” Counter-Currents Publishing, 22 February 2013, <http://www.counter-currents.com/2013/02/hans-freyer-the-quest-for-collective-meaning/>.

[13] See Jerry Z. Muller, The Other God That Failed: Hans Freyer and the Deradicalization of German Conservatism (Princeton: Princeton University Press, 1987), pp. 78-79, 120-121.

[14] Ibid., p. 335.

[15] Ibid., p. 79.

[16] See Julius Evola, The Path of Cinnabar (London: Integral Tradition Publishing, 2009), pp. 203-204.

[17] See H.T. Hansen, “Julius Evola’s Political Endeavors,” in Julius Evola, Men Among the Ruins: Postwar Reflections of a Radical Traditionalist (Rochester: Inner Traditions, 2002), pp. 15-17.

[18] Evola, Path of Cinnabar, p. 204.

[19] Robert Steuckers, “Evola & Spengler”, Counter-Currents Publishing, 20 September 2010, <http://www.counter-currents.com/2010/09/evola-spengler/> .

[20] Ibid.

[21] In a description that applies as much to the New Right as to the Eurasianists, Alexander Dugin wrote of a vision in which “the formal opposition between tradition and modernity is removed… the realities superseded by the period of Enlightenment obtain a legitimate place – these are religion, ethnos, empire, cult, legend, etc. In the same time, a technological breakthrough, economical development, social fairness, labour liberation, etc. are taken from the Modern” (See Alexander Dugin, “Multipolarism as an Open Project,” Journal of Eurasian Affairs Vol. 1, No. 1 (September 2013), pp. 12-13).

[22] Alain de Benoist, “Oswald Spengler,” Elementos: Revista de Metapolítica para una Civilización Europea No. 10 (15 April 2011), p. 13.<http://issuu.com/sebastianjlorenz/docs/elementos_n__10>.

[23] Pierre Krebs, Fighting for the Essence (London: Arktos, 2012), p. 34.

[24] Sebastian J. Lorenz, “El Decadentismo Occidental, desde la Konservative Revolution a la Nouvelle Droite,”Elementos No. 10, p. 5.

samedi, 22 février 2020

William Galston’s Anti-Pluralism

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William Galston’s Anti-Pluralism

William A. Galston
Anti-Pluralism: The Populist Threat to Liberal Democracy
New Haven: Yale University Press, 2018

“It is time for an open and robust debate on issues of immigration, identity politics, and nationalism that liberals and progressives have long avoided.”—William Galston

Galston is right. I will debate any liberal or progressive about these topics, and if they don’t want to debate me, I will help arrange a debate with whomever they prefer. Contact me at editor@counter-currents.com [2].

William Galston (born 1946) has had a long career spanning both political theory and practice. He received his Ph.D. in political theory from the University of Chicago and has strong Straussian credentials, although he aligns himself with the center-Left, not the neocons. (Arguably, this is a distinction without a difference.) Galston has taught in the political science departments of the University of Texas at Austin and the University of Maryland. He is now affiliated with the centrist Brookings Institution. Galston has worked for the presidential campaigns of John Anderson, Walter Mondale, Bill Clinton, and Al Gore. He was deputy assistant for domestic policy in the Clinton White House from January 1993 to May 1995.

Galston’s Anti-Pluralism: The Populist Threat to Liberal Democracy presents itself as a “liberal-democratic” centrist polemic against the populist Right, in much the same vein as Francis Fukuyama’s Identity: Contemporary Identity Politics and the Struggle for Recognition (2018, see my review here [3], here [4], and here [5]) and Mark Lilla’s The Once and Future Liberal: After Identity Politics (2017, see my review here [6]).

But Galston, like Fukuyama and Lilla, received a Straussian education, so chances are good that his arguments are not entirely straightforward. Indeed, all three books can also be read as polemics against the Left, since they argue that Left-wing excesses are the driving force behind the rise of Right-wing populism. Therefore, if the “liberal democratic” establishment wishes to take the wind out of the sails of Right-wing populism, it needs to rein in the excesses of the far Left.

Galston’s theoretical account of liberal democracy is pretty much standard centrist boilerplate. His theoretical account of populism depends heavily of Jan-Werner Müller’s extremely flawed book What Is Populism?, which I have reviewed [7] already.

For Galston, following Müller, liberal democracy is essentially “pluralist” and populism is “anti-pluralist.” By this, he does not mean that liberal democracies recognize that every healthy society balances the needs of the family, civil society, and the state. Nor does he mean that a healthy polity has differences of opinion that might express themselves in a plurality of political parties. Nor does he mean that a healthy society has different classes. Nor does he mean the separation of powers or the mixed regime. Populists can embrace all those forms of pluralism, but without liberalism.

Instead, for Galston and Müller, pluralism just means “diversity,” i.e., the presence of minorities, which he describes as “helpless” and in need of protection from the tyranny of the majority. By “minorities,” Galston doesn’t mean the people who lose a vote—a group that changes with every vote—but rather more fixed minorities, such as social elites and ethnic minorities.

But what if some minorities are not helpless but actually dangerously powerful? What if liberal democracy has long ceased to be majority rule + protection for minorities? What if liberal democracy has become, in effect, minority rule? What if these ruling minorities are so hostile to the majority that they have enacted policies that not only economically pauperize them, but also destroy their communities with immigration and multiculturalism, and, beyond that, seek their outright ethnic replacement? Liberal democracy is really just a euphemism for minority rule, meaning rule by hostile elites. Naturally, one would expect some sort of reaction. That reaction is populism.

Galston understands this. He recognizes the four major trends that Roger Eatwell and Matthew Goodwin argue are responsible for the rise of populism in their book National Populism: Revolt Against Liberal Democracy: popular distrust of elites, the destruction of communities by immigration and multiculturalism, the economic deprivation—falling largely on the working-class and middle-class—caused by globalization, and the consequent political dealignments in relation to the post-war center-Left/center-Right political establishment. (See my discussions of Eatwell and Goodwin here [8], here [9], and here [10].)

In his Introduction, Galston notes that “The people would defer to elites as long as elites delivered sustained prosperity and steadily improving living standards” (p. 2). Galston actually describes elitism as a “deformation” of liberal democracy: “Elitists claim that they best understand the means to the public’s ends and should be freed from the inconvenient necessity of popular consent” (p. 4).

People stopped trusting elites when economic globalization, immigration, and multiculturalism started making life worse, and not just economically but also in terms of culture and public safety (crime, terrorism): “A globalized economy, it turned out, served the interests of most people in developing countries and elites in advanced countries—but not the working and middle classes in the developed economies . . .” (p. 3). “Not only did immigrants compete with longtime inhabitants for jobs and social services, they were also seen as threatening long-established cultural norms and even public safety” (p. 3).

Galston outlines how our out-of-touch, hostile, increasingly panicked establishment can head off populism before it leads to genuine regime change:

. . . there is much that liberal democratic governments can do to mitigate their insufficiencies. Public policy can mitigate the heedlessness of markets and slow unwanted change. Nothing requires democratic leaders to give the same weight to outsiders’ claims as to those of their own citizens. They are not obligated to support policies that weaken their working and middle classes, even if these policies improve the lot of citizens in developing countries. They are certainly not obligated to open their doors to all newcomers, whatever the consequences for their citizenry. Moderate self-preference is the moral core of defensible nationalism. Unmodulated internationalism will breed—is breeding—its antitheses, an increasingly unbridled nationalism. (p. 5)

The Left, of course, has no problem using public policy to rein in markets, but they vehemently reject Galston’s “moderate self-preference,” which is what some people would call putting “America first.” The American Left is committed to open borders, which will pauperize the American middle and working classes as surely as Republican deindustrialization and globalization.

In chapter 6, “Liberal Democracy in America: What Is to Be Done?,” Galston recommends prioritizing economic growth and opportunity and making sure it is widely shared by everyone. The “second task requires pursuing three key objectives: adopting full employment as a principal goal or economic policy; restoring the link between productivity gains and wage increases; and treating earned and unearned income equally in our tax code” (p. 87). In effect, Galston proposes halting the decline of the American middle class that has been ongoing for nearly half a century by ensuring that productivity gains go to workers, not just capitalists. As a populist, these are policies that I can support.

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Galston also suggests that a corrective to the decline in labor unions and worker bargaining power due to globalization can be offset by measures to “democratize capital through . . . worker ownership of firms, that share the gains more broadly” (p. 99).

Of course productivity can be raised in two ways: by making labor more productive through technological and organizational improvements—or simply by cost-cutting. Practically all the “productivity” gains of globalization are simply due to cost-cutting by replacing well-paid white workers with poorly paid Third Worlders, either by sending factories overseas or by importing legal and illegal immigrants. If public policy is to promote genuine economic growth, it needs to promote genuine increases in productivity, which means technological innovations, as well as better education and all-round infrastructure.

But technology doesn’t just make workers more productive. It also puts them out of work. However, if workers have no incomes, then they cannot purchase the products of automation. (Production can be automated, but consumption can’t.) So how can we maintain technological growth, a healthy middle class, and consumer demand at the same time? Galston points to a partial solution:

. . . the public should get a return on public capital the benefits of which are now privately appropriated. When the government funds basic research that leads to new medical devices, the firms that have relied on this research should pay royalties to the Treasury. When states and localities invest in infrastructure that raises property values and creates new business opportunities, the taxpayers should receive some portion of the gains. One might even imagine public contributions to a sovereign wealth fund that would invest in an index of U.S. firms and pay dividends to every citizen. (p. 99)

The key point is that when machines put us out of work, we should not fall into unemployment but rise into the class of people who live on dividends. A more direct route to the same outcome would be to adopt Social Credit economics, including a dividend or Universal Basic Income paid to every citizen. (For more on this, see my essay, “Money for Nothing [11].”)

Galston does not mention simple, straightforward protectionism, but there are sound arguments for it, and the arguments against it have been refuted. (See Donald Thoresen’s review [12] of Ian Fletcher’s Free Trade Doesn’t Work.)

The bad news for National Populists is that Galston’s proposals, if actually adopted, would significantly retard our political success. The good news is that Galston’s proposals are simply what Eatwell and Goodwin call “National Populism lite,” which means that Galston is abandoning globalism in principle. What he refuses to abandon is the existing political establishment, which he thinks will retain power only by abandoning globalism.

Another piece of good news is that the establishment will probably never listen to Galston. They are fanatically committed to their agenda. They are not going to drop their commitment to globalism in favor of nationalism, even if it is the only way to preserve themselves. Galston is trying to appeal to the rational self-interest of the existing elites. But they are not rational or even especially self-interested. Sometimes people hate their enemies more than they love themselves. But National Populists would implement Galston’s policies, and more. So perhaps he is rooting for the wrong team.

A third piece of good news is that Galston realizes that economic reforms are not enough. Galston also cites studies showing that populist Brexit and Trump voters were not motivated solely by economic concerns (pp. 76–77). They were also motivated by concerns about identity. Since Galston is talking primarily about white countries, National Populism is a species of white identity politics. Since Left-wing populism rejects nationalism and white identity politics (and only white identity politics), it can only address white voters on economic issues, which means that it has less electoral appeal than Right-wing populism.

As I never tire of pointing out, what people want is a socially conservative, nationalistic, interventionist state that will use its power to protect the working and middle classes from the depredations of global capitalism. The elites, however, want social liberalism and globalism both in politics and economics.

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The two-party system is designed to never give the people what they want. The Republicans stand for conservative values and global capitalism. The Democrats stand for liberal values and the interventionist state. When in power, the parties only deliver what the elites want, not what the people want.

The consequence is neoliberalism: an increasingly oligarchical hypercapitalist society that celebrates Left-wing values. Galston offers interesting support for this thesis by quoting Bo Rothstein, “a well-known scholar of European social democracy” who argues (these are Rothstein’s words) that “The more than 150-year-old alliance between the industrial working class and the intellectual-cultural Left is over” (p. 103). Rothstein elaborates:

The traditional working class favors protectionism, the re-establishment of a type of work that the development of technology has rendered outdated and production over environmental concerns; it is also a significant part of the basis of the recent surge in anti-immigrant and even xenophobic views. Support of the traditional working class for strengthening ethnic or sexual minorities’ rights is also pretty low. (p. 103)

Since the Left’s values are the “exact opposite,” Rothstein proposes that the Left ally with the “new entrepreneurial economy.” Hence the marriage of some of the biggest corporations on the planet—Facebook, Apple, Amazon, Microsoft, Google—with trannies, POCs, Muslims, feminists, and global warming fantasists. This coalition thinks it will win through replacing the white working and middle classes with non-whites. Galston notes that Democratic Party circles in the US hold essentially the same views:

The best known have based their case on long-cycle demographic shifts. There is a “rising American electorate” made up of educated professionals minorities, and young people, all groups whose share of the electorate will increase steadily over the next two generations. These groups represent the future. The white working class, whose electoral share has dwindled in recent decades and will continue to do so, is the past. This does not mean that the center-left should ignore it completely. [For instance, on economic matters.] It does mean that there should be no compromise with white working-class sentiments on the social and cultural issues that dominate the concerns of the rising American electorate coalition. (p. 103)

This is a crystal-clear statement of the White Nationalist thesis that the Left is counting on—and promoting—the slow genocide of whites [13] through race-replacement immigration in order to create a permanent Left-wing majority. What could possibly go wrong? Galston drily notes that “This was the theory at the heart of Hillary Clinton’s presidential campaign.”

Obviously, there was going to be a reaction. The Left has been partying like whites are already a minority, but that’s not true yet. White demographic decline is obviously a serious threat if we do nothing about it. But there is nothing inevitable about white demographic decline. It is the product of particular political policies. Thus it can be reversed by different policies. And, as Eatwell and Goodwin argue in National Populism, we still have some decades to turn things around, although of course the time frame varies from country to country. Furthermore, National Populist political movements, once they break through, are highly competitive because, unlike the center-Left and center-Right, we will actually give the people what they want, for a change.

Galston is well aware that the center-Left cannot compete with National Populists on economic ground alone:

If concessions on cultural and social issues are ruled out, appeals to the white working class will have to be confined to economics. . . . The difficulty, as we have seen, is that the audience for this economic appeal cares at least as much about social and cultural issues. Immigration, demographic change, and fears of cultural displacement drove the Brexit vote, and they were the key determinants of Donald Trump’s victory. . . .

So the American center-left has a choice: to stand firm on social and cultural issues that antagonize populism’s most fervent supporters, or to shift in ways for which it can offer a principled defense. It is time for an open and robust debate on issues of immigration, identity politics, and nationalism that liberals and progressives have long avoided. (pp. 103–104)

Galston is absolutely correct here. The Left will not win by bread alone. It needs to address questions of values and identity. But it can’t really do so without abandoning its own values and identity. We really do need open and honest debate on immigration, identity politics, and nationalism, but the Left cannot permit this, because they know they’ll lose.

Galston also recognizes that tribal sentiments—meaning a preference for one’s own—are an ineradicable part of human nature. Because of this, “The issue of national identity is on the table, not only in scholarly debates, but also in the political arena. Those who believe that liberal democracy draws strength from diversity have been thrown on the defensive. Large population flows . . . have triggered concerned about the loss of national sovereignty” (p. 95).

Galston approvingly quotes Jeff Colgan and Robert Keohane’s statement that “It is not bigotry to calibrate immigration levels to the ability of immigrants to assimilate and to society’s ability to adjust” (p. 96). Of course, assimilation is the opposite of multiculturalism. Galston suggests that US immigration policies should shift toward meritocratic concerns about economic contribution, put increasing emphasis on English fluency, and demand greater knowledge of American history and institutions. The main virtue of these proposals is that they would dramatically decrease the numbers of immigrants (p. 96). I heartily agree with Galston’s final remarks on immigration:

One thing is clear: denouncing citizens concerned about immigration as ignorant and bigoted (as former British prime minister Gordon Brown did in an ill-fated election encounter with a potential supporter) does nothing to ameliorate either the substance of the problem or its politics. (p. 96)

But again, Leftists are unlikely to take Galston’s advice. If the Left moved away from moralistic condemnations of immigration skepticism and actually debated the topic, they would simply lose. Indeed, one of the reasons why the Left supports race-replacement immigration is because they have given up on convincing white voters and simply wish to replace them.

Galston also chides Leftists for their arrogance. One of the strongest predictors of Left-wing values is the amount of time people spend in higher education, especially the liberal arts and social sciences. This does not mean that such people are genuinely educated, of course, but they are flattered into thinking they are more enlightened and intelligent than ordinary people, which feeds into populism:

Put bluntly, if Americans with more education regard their less educated fellow citizens with disrespect, the inevitable response of the disrespected will be resentment coupled with a desire to take revenge on those who assert superiority. . . . elites have a choice: they can try to take the edge off status differences or they can flaunt them. . . . It is up to privileged Americans to take the first step by listening attentively and respectively to those who went unheard for far too long. (p. 102)

Galston is right, of course, but there is little likelihood that this recommendation—or any of his others—will be heeded. The pretense of intellectual superiority, no matter how hollow, is close to the core of Leftist identity. To win by abandoning one’s identity feels like losing to most people. Thus they will tend to hold fast to their identities and hope that somehow reality will accommodate their wishes.

William Galston is a perceptive, rational, and courageous writer. I can’t help but respect him, even though he is on the other side. He is a liberal democrat. I am an illiberal democrat. He wants to preserve the current establishment. I don’t. Given that the current establishment has fundamentally betrayed our people—with the Left openly pinning its hopes on the slow genocide of whites and the Right too stupid and cowardly to stop it—we need genuine regime change.

Even though Anti-Pluralism is a critique of National Populism, I find it a highly encouraging book. Rhetorically, the book was often cringe-inducing. Evidently Galston thinks that to communicate difficult truths to liberals, they need a great deal of buttering up. But in terms of its substance, Galston—like Fukuyama and Lilla—concedes many fundamental premises to National Populists, and the only way he can envision stopping National Populism and keeping the existing political establishment in power is by adapting National Populism lite. In short, he has all but conceded us the intellectual victory. Our task is now to achieve it on the political plane.

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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[7] reviewed: https://www.counter-currents.com/2018/12/what-populism-isnt/

[8] here: https://www.counter-currents.com/2018/12/beyond-the-alt-right-toward-a-new-nationalism/

[9] here: https://www.counter-currents.com/2019/07/national-populism-is-here-to-stay-2/

[10] here: https://www.counter-currents.com/2019/11/uppity-white-folks-and-how-to-reach-them/

[11] Money for Nothing: https://www.counter-currents.com/2012/01/money-for-nothing/

[12] review: https://www.counter-currents.com/2015/09/free-trade-doesnt-work/

[13] genocide of whites: https://www.counter-currents.com/2015/09/white-genocide/

vendredi, 21 février 2020

ACTUALITÉ DE CARL SCHMITT: Les notions de politique, de guerre discriminatoire et de grands espaces

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ACTUALITÉ DE CARL SCHMITT:

Les notions de politique, de guerre discriminatoire et de grands espaces

Sur le NOMOS de la Terre et la dissolution de l'ordre européen

par Irnerio Seminatore

Ex: http://www.ieri.be

TABLE DES MATIÈRES

La République de Weimar et ses débats

L'ami et l'ennemi

La théorie moderne de l’État

La dissolution de l'ordre européen

Union européenne et Confédération d’États. De la guerre inter-étatique à la "guerre civile mondiale"

Ordre cosmopolitique, logique de la terre  et droits circonscrits

Le "pluriversum" comme nouvel ordre planétaire

Le Nomos de la Terre, la criminalisation de l'ennemi et la géopolitique des grands espaces

Types de Guerre et ordres juridiques

L'unification des théâtres et la sécurité collective

Conflits et systèmes d'équilibre: C.Schmitt et H.Kissinger

Le dilemme de l'ordre international. Système de règles ou système de forces? 

L'Europe, la démondialisation et les dangers du consensus de masse.

**********************************************

La République de Weimar et ses débats

Carl Schmitt (1888-1985),  figure centrale  de la "révolution conservatrice" allemande fut l'une des personnalités  marquantes du débat constitutionnel  de la République  de Weimar, puis de la montée et triomphe du national-socialisme des années 20 et 30.

Ses ouvrages et en particulier "La notion de politique" ne cessèrent d'être les références de base de la politologie allemande de l'époque.

Quant à cette notion, il bouleversa les paradigmes de la politique, comme lieu de discrimination de l'ami et de l'ennemi et dans le sillage  de celle-ci  il décela les fondements  des concepts de souveraineté et de décision, en gardant pour maîtres Machiavel, Bodin et Hobbes. Sa contribution est au confluant de doctrines et de situations diverses et elle est  redevable,pour l'aspect doctrinal de  la mise en relation de la métaphysique et de la théologie politiques, propres à  la tradition de la "Respublica Christiana" du Moyen Age , avec le rationalisme de la politique moderne et, pour la conjoncture politique et intellectuelle, de  la période d'incertitudes et d'instabilité, ouverte par le Traité de Versailles et par le passage de l'Empire allemand à la République de Weimar.

Lorsque parut, en 1927, la "Notion de politique", la plupart des politistes déduisaient la spécificité de la politique de la théorie générale de l’État. Or la politique est une activité primordiale, consubstantielle à la constitution de la société et précède l'invention moderne  de l’État, forme historique et périssable de la politique. Puisque Schmitt refuse de définir la politique par le droit ou par l'institution de l’État, il en radicalise le trait essentiel, celui d'une "relation spécifique et fondamentale, ne se laissant déduire d'aucune autre relation et à laquelle on peut réduire toute autre activité et tout motif politique, qui est celle de l'ami et de l'ennemi".

Dans la conception de Schmitt le primat du  politique sur le droit est fondé sur la distinction, selon laquelle le politique est constituant et le droit régulateur. Ce primat repose en effet  sur une décision souveraine, qui rend effectives, en temps de crise ,les situations d'exception, car "il n'existe pas de normes, que l'on puisse appliquer au cahos".

"Souverain est qui décide de l'exception en situation d'exception. En effet la normalité ne prouve rien et l'exception prouve tout, car la règle ne vit qu'à partir  de l'exception". Dans ces conditions, la dictature souveraine préserve l'unité, face au danger d'une situation prolongée de crise. Ici le risque extrême est la dangerosité existentielle de l'ennemi, à combattre et à anéantir. Dans ce cas la dictature du souverain rétablit l'ordre détruit, le droit bafoué et la sécurité menacée , par un pouvoir d'exception et d'urgence.

L'ami et l'ennemi

C'est par le primat du politique qu'on peut faire le partage entre l'ami et l'ennemi, fondement du concept de politique dans sa réalité existentielle, lorsque l’État est mis lui même en question et qu'une lutte est à mener sans limites juridiques.

La distinction entre l'ami et l'ennemi est d'exprimer le"degré d'intensité d'un lien, ou d'une séparation, d'une association ou d'une dissociation". Quant à la figure de l'ennemi, il s'agit d' un ennemi public (hostis) et non privé (inimicus), contre lequel une guerre est toujours possible.Or, pour qu'une guerre soit déclarée contre l'ennemi interne ou extérieur, il faut qu'un certain type d'ordre soit  remis en cause. Or,à l'époque de Weimar,cette remise en cause concernait la stabilité politique, par l'absence d'un État fort et d'une économe saine. Ce fut alors la raison pour laquelle, dès cette période, la constitution de l’État opposa C.Schmitt à l'inspiration libérale de la période et à la démocratie de masse, professés par les courants sociaux démocrates, en raison de leur capacité  de dissolution de l' homogénéité sociale du pays.

L'homogénéité est ici à entendre comme l'accord de tous sur les décisions fondamentales de l'être politique, ce qui constitue une masse en unité. Or la substance  de cet ensemble   est de l'ordre des sentiments et des affects, tandis que sa dissolution résulte de la problématisation de la raison moderne, sans foi ni transcendance.

Poussant plus loin sa critique de la  paralysie de la démocratie de Weimar, et opposant à l'idéologie du progrès  l'image de l’État qui décide et qui gouverne, Carl Schmitt blâme  la neutralisation et la dépolitisation du régime des partis, le parlamentarisme érodé et la ploutocratie, ainsi que la "passivité" de la bourgeoisie, comme classe "discutidora" (Donoso Cortès) et devient un partisan de "l’État fort" et  de la "démocratie plébiscitaire".

51mFmfLmnNL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgLa théorie moderne de l’État


Quant à la Constitution de la République de Weimar, paralysée par le pluralisme des intérêts particuliers et le libéralisme montant, considéré comme l'indécision organisée au sein de débats parmementaires sans fin, l’État se  rend incapable, selon Schmitt,  d'affronter la démocratie de masse. En se démarquant des droits de l'homme universel, indépendants du droit positif,  Schmitt soutient l'idée que toute constitution politique résulte d'un ordre qui se rend effectif par le droit, sans s'identifier à celui-ci. Or, dans toute constitution le souverain,( homme ou office), crée le cadre des conditions préalables du droit, l'ordre fondateur, la constitution.  Sous cet angle, l’État moderne est  légitimé démocratiquement, mais la démocratie, comme régime politique, est conditionnée à son tour, par la forme d’État et par l'homogénéité du peuple.
Enfin, en matière de relations internationales, Schmitt est à considérer comme le dernier représentant du " Ius Publicum Europaeum", le courant de pensée qui esquissa la trame du droit public européen, fondé sur la reconnaissance de la légalité et légitimité du "droit à la guerre" des États , au XVI ème et XVIIème siècles, tant exalté au XVIIIème, remis en cause par la Révolution française, repris avec le Congrès de Vienne en 1815 et prolongé jusqu'à l'universalisme abstrait de la Société des Nations et des Nations Unies au XXème siècle.

La dissolution de l'ordre européen


L'universalisme des institutions internationales   du premier et du deuxième après guerre, est tenu comme inapte à concevoir la variété des formes de la communauté juridique mondiale , car fait défaut à la Société des Nations et aux Nations Unies "toute pensée constructive  et toute substance d'une communauté" de peuples.

Quant au système international international publique, l'architecture  de celui-ci ne peut être assurée par une quelconque application de la "théorie pure du droit" ,à la Kelsen, dérivée d'une "Grundnorm", car celle-ci est de nature logico-transcendentale et  occulte l'origine profonde des normes.

D'après le Traité de Versailles et vis à vis  de l'Allemagne, les institutions universelles prolongeraient, pour Schmitt, sous un manteau juridique formel, la situation de guerre, derrière un ordre de façade et une paix "inauthentique".

Dans le cadre d'une situation européenne instable ou menaçante, la possibilité de l’État de s'autoconserver repose, pour Schmit, sur une action qui émane de sa souveraineté et de son autonomie, la capacité d'une décision  d'exception.

Ainsi , la survie  d'une communauté politique a besoin d'un État pourvu du "ius belli", car la guerre comme inimitié radicale ne peut exister que d’État à État et seul l’État peut lui consacrer des ressources vitales.

Sous cet angle, l’État qui mène une politique pacifiste ou humanitaire cesse d'être un sujet politique ou une unité significative du système international (Union européenne), car seul l’État, caractérisé par un rapport stable à son territoire et qui reste dans une relation de possession naturelle avec lui,  peut assurer l'auto-conservation d'une société.

41-mdkcq6IL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgUnion européenne et Confédération d’États. De la guerre inter-étatique à la "guerre civile mondiale"

La naissance de l'Union Européenne,dans les années 50, anticipant sur un monde pacifié, remplace l'ancien ordre étatique autour d'un concept dépolitisé et fonctionnel, l'intégration régionale, se situant entre les deux niveaux, du globalisme  et les États nationaux classiques. Elle marque la fin de la géopolitique traditionnelle, comme rivalité entre sujets belliqueux et résiste à la tendance continentale et eurasienne  des "grands espaces", ainsi qu'à la diversification du monde multipolaire.

Sa constitution d'acteur incomplet, lui interdit de se ranger du coté des puissances eurasiennes  et de pratiquer un jeu d' équilibre  et de contre-poids entre le pouvoir thalassocratique dominant et la logique continentale du Heartland. Par ailleurs elle participe du politéisme des valeurs,  propre à l'universalisme  mondialiste et ne peut saisir les occasions de l'ère post-moderne, pour profiter de la reconfiguration du monde.

Avec le désencrage de la Grande Bretagne du continent  se confirme  la prépondérance des puissances de la mer sur celles de la terre et la déterritorialisation du pouvoir d'éversion, qu'il prenne la forme du néo-terrorisme global ou d'autres formes de conflit armé. Ceci  implique  une transformation de la guerre inter-étatique en "guerre civile mondiale". La politique devient une simple potentialité d'opposition et de révolte, au cœur d'un universalisme nihiliste. Dans ce contexte le processus de démondialisation en cours, avec l'irruption du politique  et le retour sécuritaire de la forme étatique, implique une revendication d'indépendance et d'initiative stratégique, autrefois impensable, vis à vis de l'Amérique. Cette revendication postule également une réforme institutionnelle profonde .Selon l'ancien président de la Commission, Jacques Delors, l'Union européenne devrait s’inspirer du modèle de la confédération d’État et des capacités d'action de troisième force. Conçue en revanche comme espace euro-atlantique et comme appendice de l'Amérique, sa liberté de manœuvre est limitée, bien qu'elle puisse se donner le but commun de la conservation politique, si son existence politique était assortie d'un "ius belli". Or, l'objectif historique d'Hégémon est d'éviter la constitution d'un bloc continental eurasien, le Heartland, rivalisant avec les États-Unis. Pour rappel, l'évolution planétaire du monde, depuis l'effondrement de l'Union Soviétique a comporté une déterritorialisation des sociétés, dépourvues de frontières et la soumission du monde à la logique des flux, ou, en définitive,à la logique de la mer. Au même temps l'élargissement de l'Union européenne et de l'Otan vers les grands espaces d'Asie a substitué le principe d'ordre des relations internationales, de l'universalisme abstrait du droit international public aux rapports de force du réalisme classique.

Ordre, cosmopolitisme, logique de la terre et droits circonscrits


L'affaiblissement des États souverains, débuté dans les entre deux guerres,  fait perdre aux conflits leur caractère limité aux profit des notions de guerre illimitée et  d'alliances militaires, qui coïncident aujourd'hui, avec les pôles de pouvoirs d'un système désormais planétaire.

Par ailleurs, l'apparition des grands espaces, depuis le XVIème siècle avec la découverte des Amériques, pose  le problème d'un nouvel ordre, qui puisse devenir le fondement de nouvelles légitimités et allégeances.

Avec le "Nomos de la terre"(1950) Schmitt exprime l'exigence d'une réflexion qui rende possible l'instauration de ce  nouveau droit et identifie cette condition dans l'enracinement des  nouvelles lois dans la logique de la terre , comme unités d'un ordre et d'un espace circonscrits.

La  condition de l'espace est primordiale, pour Schmitt, car elle définit le fondement de la légalité internationale,  toute forme d' ordre comportant  une délimitation de l'espace. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la modernité occidentale peine à imposer des formes de pouvoir stables, puisqu'elle a remplacé l'ordre concret de la terre par l'ordre abstrait de la loi . On comprendra mieux l'opposition de Schmitt à la pensée positiviste (H.Kelsen) et à l'idéal cosmopolitique (E.Kant),car Schmitt fait appel au substrat originel de toute société, la terre,comme fondement ancestral du droit

L'occultation de l'origine des normes par H.Kelsen, fait rappeler à Schmitt la  conception pluraliste des sources du droit, comme socle de toutes les manifestations  de l'ordre social

Il en découle que tout peuple, est lié à son environnement géopolitique, dont il est empreint et que la négation, par les universalistes, de tout enracinement à une source de vie, est une négation des souverainetés qui s'y exercent.

La conception actuelle du "nouvel ordre mondial" (W.Bush) rompt avec la diversité des attachements aux sols, politiques et moraux, civils et religieux, par l'universalisme fictif d'un modèle  unique,le régime démocratique, comme modèle de déracinement et d'aliénation culturelle.

Ainsi , à titre de prévention, le "pluri-versum" des peuples et des États, qui  est le nom schmittien de la multipolarité actuelle,représente  la succession historique des souverainetés européennes et leur dépassement, dans  la perspective des "grands espaces" et dans l'irruption planétaire d' un ordre global.

9783428074716-fr.jpgLe "pluriversum" comme nouvel ordre planétaire

A la fin du deuxième conflit mondial, Schmitt tire le bilan de l'affaiblissement de l’État souverain et de la  fin du système international euro-centrique. Le constat d'un universalisme sans espace et d'un normativisme abstrait, dépourvu  d'une légalité sur  laquelle fonder des accords, pousse Schmitt à interroger le nouvel ordre planétaire, afin de dégager les règles communes à une pluralité d'acteurs dissemblables. Ça lui saute aux jeux avec évidence que le nouvel ordre ne peut être le produit d'une logique juridique, mais d'un ordre spatial délimité. Le nouveau Nomos,se dessine ainsi, comme"la forme immédiate, par laquelle l'ordre social et politique d'un peuple, devient spatialement visible". La lecture planétaire  de Schmitt est celle d'une diversification du monde en grands espaces autonomes, globalement opposés à l'universalisme de la puissance hégémonique et alternatif à un univers d'Etats-Nations déclinant. Le Nomos de la Terre, la criminalisation de l'ennemi et la géopolitique des grands espaces

Avec "Le Nomos de la Terre" (de 1950), Schmitt consacre sa réflexion aux relations internationales, une constante omniprésente de sa conception de la politique. Il semble même que les relations extérieures aient constituées une priorité sur la politique intérieure, où le critère de l'ami et de l'ennemi reste latent. Schmitt remonte en effet, dans cet ouvrage, aux origines ancestrales du droit inter-étatique, émanant de l'Europe, jusqu'au début de l'âge moderne, après l'effacement de la République Chrétienne et la fin des guerres de religions. Il repère là un ordre spatial, précédant l'ordre juridique, car, pour être concret et non "utopique", tout ordre juridique est , pour Carl Schmitt, un ordre de la terre et une délimitation territoriale . Contre " l'humanisme neutralisant" de More et d’Érasme, qui deviendra plus tard, la philosophie de la paix internationale de la Société des Nations et des Nations Unies, Schmitt, vise la limitation de la guerre et non la criminalisation de celle-ci (avec ses corrélats de crimes et d'atrocités). qui conduisent  à la "guerre totale" et à la volonté d'anéantissement de l'ennemi. En effet la criminalisation de l'ennemi en droit international du XXIème siècle par les tenants de la sécurité collective des Nations-unies, se démarque de la conception des juristes  du "Ius Publicum Europaeum", qui faisaient abstraction de la "guerre juste",sur la base du concept de guerre entre souverainetés, réciproquement égales et menant des guerres limitées. La philosophie  du nomos de la terre  est ainsi, pour résumer,  la limitation de la guerre, finalité essentielle de tout droit international, une guerre envisagée sous l'angle des transformations, qui lui font subir l'extension des "théâtres" et la nouvelle "géopolitique" de l'ordre juridique.

Types de guerre et ordres juridiques

Ainsi et de manière analytique Schmitt y met en évidence les transformations de la relation entre guerre et ordres normatifs.

Ainsi ,dans la "guerre juste", élaborée par les théologiens du Moyen Age,sous la double autorité du Pape et de l'Empereur, garants suprêmes d'un droit des gents, chrétien, européen et terrien , l'inégalité des adversaires était une supposition bien réelle, qui faisait de ce type de conflit une guerre unilatérale et limitée, au delà de la qualification juridique de la "iusta causa".

La guerre- duel, entre souverainetés régulières des temps modernes ( issues du traité de Westphalie, 1648 ), fondée sur l'égalité formelle des belligérants, demeurait bilatérale et circonscrite.

En revanche la guerre discriminatoire ou guerre sanction du XXème siècle tend à devenir totale,  sous l'effet des conceptions universalistes et "utopiques", étendues à un ordre global (l'émisphère occidental) et comporte la criminalisation de l'ennemi, dans  le but de l'éradiquer, en agresseur et en coupable, rabaissé au rang de criminel. L'exemple majeur a été  le Traité de Versailles, qui manqua à sa tache primordiale de rétablir la paix.

L'ouvrage est reparti en  quatre grandes sections, qui  scandent  l'élargissement de la scène géopolitique et différencient les nouveaux  théâtres sur la base de stratégies euro-centriques du monde.

A_La première partie repose sur l'idée que tout ordre juridique est situé dans une région du monde  et ancré dans les clôtures d'un sol. Une "prise de terres" ancestrale est donc le titre de légitimité fondamental de tout ordre juridique, qui implique souvent une action de guerre.

B-La deuxième  traite de l'expansion coloniale européenne vers le Nouveau Monde. Elle se traduit par la découverte  des Amériques et la délimitation de champs d'action distincts entre l'Espagne et le Portugal par deux lignes globales, fixant leurs zones respectives d'influence,de commerce et d'évangélisation ( traité de Tordesillas, 1494),intégrées par des "lignes d'amitié" assignées aux deux puissances neutres ,la France et la Grande Bretagne. Au delà régnait, en principe, par  convention admise ,un état de nature sans foi ni loi, où une guerre de conquête sans limites pouvait opposer les belligérants européens. La guerre était corsetée en Europe, dans l'utilisation de la violence armée,par l'impératif religieux de la République Chrétienne, de telle sorte que Grotius et  Pufendorf formalisèrent le "ius gentium", oubliant que le titre de légitimité des États souverains d'Europe découlait de la "découverte" et de "l'occupation" des terres des Amériques.

C-La troisième partie parvient à la description de la guerre-sanction. En effet, comme suite à une "prise de terre" planétaire de la part des puissances européennes s'affirme la coexistence de deux ordres concrets   aux statuts distincts, le statut homogène de la mer et les statuts hétérogènes des terres.
C'est seulement la puissance globale qui opère la  jonction entre ces deux ordres et garantit un équilibre de pouvoir entre terre et mer (l'Angleterre d'abord et les États-Unis ensuite), conforme à ses intérêts géopolitiques. On passe ainsi, à la fin du XIXème ,de l'ordre territorial et souverain de l'Europe, celui du "Ius publicum europaeum", purement inter-étatique, à un ordre d'essence mixte, qui distingue les relations  métropolitaines étatiques (ou européennes), des rapports  coloniaux, non étatiques  et non européens. Les grandes transformations géopolitiques entraînent avec elles ,des changements importants dans les deux sphères,  du droit privé et du droit publique, qui sont respectivement, topique et  concret le premier( le commerce) et utopique et abstrait le deuxième ( les droits universels). Dans le même temps la guerre devient limitée et d'occupation (en Europe),  mondiale , totale, illimitée et d'anéantissement (dans les deux hémisphères) La figure de l'ennemi change également de statut et configure la puissance hostile en ennemi de l'humanité, en figure éversive, par rapport à celle d'un acteur local, bien identifié et souverain . Le processus de criminalisation de la politique étrangère et mondiale s"achève enfin , par une plongée tragique, non pas dans  l'anarchie hobbesienne, mais dans une sorte de nihilisme apocalyptique.

D-Dans la quatrième partie Schmitt approfondit la dichotomie des deux ordres, métropolitain et colonial et analyse la fin du dualisme, qui a caractérisé le  "ius publicum européum", suite à l'émergence d'un droit international indifférencié, par l'affirmation  de la notion d'Occident au niveau planétaire (XXème siècle).

L'unification des théâtres et la sécurité collective

Les théâtres de guerre, jadis séparés, sont unifiés conceptuellement par une vision universaliste et utopique de l'ordre mondial, assurée par l'abstraction du droit, la moralisation des litiges et la doctrine de la sécurité collective (la SdN  et les ONU). Une sécurité,garantie  par l'interventionnisme de l'acteur hégémonique (les Etats-Unis), ou encore, par l'adoption d'une repartition territoriale du monde, qui intègre la conception "multipolaire" de la planète, dans  la défense concrète  du nouveau nomos  atlantique et globaliste, aujourd'hui à son déclin.

9783428158065.jpgSchmitt, en  excluant toute conception universaliste du droit international parvient à la conclusion que l'ordre du monde ne peut se réaliser sans antagonismes entre les grands espaces, ou sans la domination d'un centre sur sa périphérie. Toutefois il reconnaît l'exigence d'une autorité supérieure, en mesure de trancher sur les différends et les tensions entre forces régulières et irrégulière, intérieures et extérieures. Il est incontestable que l’État moderne se distingue de tous les autres, pour avoir dompté,  à l'intérieur de ses frontières,  la relation ami-ennemi , sans l'avoir totalement supprimée.

Par ailleurs et dans  l'ensemble de son œuvre, Schmitt semble privilégier la priorité de la politique extérieure sur la politique interne, confirmée par sa recherche en matière de droit international public, qui porte sur le  principe de limitation de la guerre et sur la source de stabilité,  constituée par l’enracinement géopolitique  de tout système normatif.

Ainsi se conclut l'immense effort de théorisation, entrepris sous la République de Weimar et achevé, en ses grandes lignes, avec le "Nomos de la Terre".

On passe du cadre intellectuel de la politique interne  et donc de la distinction entre l'ami et l'ennemi, avec, en corrélat, la problématique de l’État moderne et de ses oppositions intérieures maîtrisables , à l'ordre imprévisible des relations internationales de l'âge planétaire.

Conflits et systèmes d'équilibre : C. Schmitt et H. Kissinger

La conclusion du système de pensée schmittien, élaboré au courant de trente ans, viendra de Carl Schmitt lui même, avec l'observation selon laquelle :" La pratique du "Ius publicum Europaeum" tendait à comprendre le conflit, dans le cadre d'un système d'équilibres. Désormais on les universalise, au nom de l'unité du monde".

Conclusion à laquelle parviendra également H.Kissinger dans "L'Ordre du Monde", lorsqu'il essaie de définir l'ordre souhaitable du XXIème siècle,  sur le modèle de la paix  de Westphalie (1648), rappelant  que "La paix de Westphalie ne reflétait pas une perspective morale unique, .......mais reposait sur un système d’États indépendants, acceptant que leurs ambitions respectives soient freinées par l'équilibre général des forces, réduisant l'ampleur des conflits ".

Le dilemme de l'ordre international. Système de règles ou système de forces?

Comment parvenir à la constitution d'une structure d'ordre ,capable de limiter les conflits et de préserver la paix ,dans un monde global?

C'est la question ontologique du système international actuel.

Par un système de règles admises et respectées, qui limitent  la liberté d'action des États, ou par un équilibre des forces, qui interviennent en cas d'effondrement des règles?

41tQLwk8LyL.jpgCe dilemme et cette  problématique rapprochent Schmitt et Kissinger, au delà de leur plaidoirie respective en faveur de l'Allemagne ou des Etats- Unis.

Deux éléments sont aujourd'hui communs à l'analyse des réalités internationales et apparaissent tout à fait incontournables, la multiplicité des acteurs, des civilisations et des cultures et, à l'opposé, l'unicité du cadre d'action, l'unité d' un monde clos, limité et interdépendant .

En revanche deux moyens demeurent optionnels: celui des règles communes d'ordre conventionnel et celui du système des forces, aux références divergentes et aux objectifs incompatibles.

Nous retrouvons dans ce dilemme de l'art de gouverner et de la High Polics l'éternelle opposition entre la loi et la force,  au service de l'idéal de la paix et de la sécurité, auquel ont consacré leurs esprits Schmitt et Kissinger,le premier avec la dialectique de l'ami et de l'ennemi, le deuxième dans la perspective du consensus et du rôle de l"Amérique, les deux en l'absence de la figure du perturbateur radical , la figure du peuple.

L'Europe, la démondialisation et le danger du consensus de masse

Au moment où l’irruption de la politique dans un monde dépolitisé, éveille  les peuples sous la bannière inattendue du populisme ou de l'éversion violente, suggérant l'exigence d'un nouveau compromis historique entre le démos et les élites, le danger de la "guerre civile mondiale" vient de l'absence conjointe du consensus de masse et de la négation de normes universelles observées.

Il en découle la perte de contrôle des pouvoirs, affranchis de la logique des équilibres et des contre-poids assurés au système de Westphalie par l'assurance des rapports de force, désagrégés aujourd'hui par le choc des civilisations et des cultures, qui engendrent un ordre chaotique du monde et une vision nihiliste de l’avenir.

 

 

samedi, 15 février 2020

Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

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Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

Ex: http://notes-geopolitiques.com

Constamment mise à jour et rééditée, l’Introduction à l’analyse géopolitique d’Olivier Zajec (Le Rocher, 2018), publiée pour la première fois en 2013, est en passe de devenir un classique, et son auteur l’une des figures universitaires marquantes de sa génération.

Très impliqué dans la réflexion stratégique, c’est aussi un pédagogue qui excelle dans l’art de sensibiliser le grand public aux questions complexes, comme l’illustre son superbe album de 2017, Frontières (Chronique Editions).

Il n’en était que plus indiqué pour nous parler de son parcours, de sa vision de la géopolitique, et des évolutions que connaît cette discipline, instrument indispensable, résume-t-il, pour « saisir l’alterité » et comprendre les transformations du monde.

Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

63318573_14150726.jpgSpykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

71skiYG2LXL.jpgL’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’oeuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

affolement-monde-beandeau.pngDans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

Sans les humanités, nous analysons à vide.

9782707178329.jpgDu point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

Comment a été reçu votre dernier livre ?

Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

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Pour en savoir plus sur Olivier Zajec:

Olivier Zajec, 43 ans, est maître de conférences en science politique à la faculté de droit de l’université Jean Moulin – Lyon III (EA 4586), où il a fondé et dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD).

Agrégé et docteur en Histoire des relations internationales (Paris-IV Sorbonne), diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr et de Sciences-Po Paris, il est membre du Conseil scientifique et chef du cours de géopolitique de l’École de Guerre (Paris) depuis 2015.

Conférencier à l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN), à Paris Sorbonne Université Abou Dhabi (PSUAD) et au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM), il est chargé de recherches à l’Institut de Stratégie Comparée (ISC, Paris) et directeur adjoint de la revue Stratégique.

En même temps, il collabore régulièrement à diverses publications de défense et de relations internationales : Le Monde diplomatique, Défense et sécurité internationale (DSI), Res Militaris, Conflits, La Revue de Défense nationale.

Il prépare actuellement un ouvrage consacré aux fonctions politiques de la guerre dans les relations internationales.

Olivier Zajec est l’auteur de nombreux articles et de divers ouvrages, dont :

La Mesure de la Force. Traité de stratégie de l’École de Guerre, (avec Martin Motte, Jérôme de Lespinois et Georges-Henri Soutou), Paris, Tallandier, avril 2018 (voir CLES, HS 81, janvier 2019, notre entretien avec Martin Motte) ;

Frontières. Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui, Paris, Éditions Chronique, septembre 2017 (Prix « L’Épée » 2018) ;

French Military Operations, dans Hugo Meijer and Marco Wyss (dir.), The Handbook on European Armed Forces, Oxford University Press ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Introduction à l’analyse géopolitique. Histoire, outils, méthodes, quatrième édition revue et augmentée, Paris, Éditions du Rocher, septembre 2018 ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Hyperconnectivité et souveraineté : les nouveaux paradoxes opérationnels de la puissance aérienne, Défense et sécurité internationale, septembre 2017 ;

Security studies et pensée stratégique française : de la vision globale à la myopie contextuelle, Res Militaris. Revue européenne d’études militaires, hors-série France : opérations récentes, enjeux futurs, décembre 2016 ;

Nicholas J. Spykman, l’invention de la géopolitique américaine, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, mars 2016 (Prix Albert Thibaudet 2016) ;

Carl von Clausewitz en son temps : die Natur des Mannes, lecture critique de Bruno Colson, Clausewitz, Paris, Perrin, 2016, Stratégique, n° 114, décembre 2016.