jeudi, 12 octobre 2023
A. Douguine: Les empires en tant que civilisations
Les empires en tant que civilisations
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/imperii-kak-civilizacii?fbclid=IwAR1bHougxF3DilQYNtamq7sn9f7REvFUFQw7OPu3nrOH9MDCPMqYDEOnnm4
En avant vers l'Empire !
Le thème de l'Empire va inévitablement revenir sur le devant de la scène. Le terme "État-Civilisation", introduit dans la circulation scientifique par notre ami le penseur chinois Zhang Weiwei [1], signifie essentiellement "Empire".
Lors de la dernière réunion du club Valdai, et plus tôt dans ses discours politiques, Poutine a directement qualifié la Russie d'"État-Civilisation". En substance, il s'agit d'une déclaration annonçant une trajectoire idéologique et morale vers l'avènement d'un réel empire. Non pas d'un point de vue historique, mais d'un point de vue technique.
L'empire est une forme d'organisation politique supranationale avec un centre de décision stratégique unique (incarné par l'empereur) et une grande variété de sujets locaux (des communautés aux ethnarchies et aux polities à part entière), unissant le "Grand Espace" et ayant une spécificité civilisationnelle (religieuse, culturelle, idéologique) prononcée.
Il est possible de rejoindre l'Empire de manière pacifique, mais il est également possible de le rejoindre de manière non pacifique. S'il y a harmonie avec les limitrophes, ils peuvent conserver une souveraineté partielle et, dans le cas de l'Empire, il n'est pas si important que les États frontaliers étroitement liés à l'Empire soient indépendants ou en fassent partie. Ils font définitivement partie du "Grand Espace" et c'est ce qui importe le plus. Tant qu'ils se comportent correctement, ils peuvent se considérer comme des États-nations. S'ils commencent à se rebeller contre l'Empire et à travailler pour un autre Empire, leur sort ne devrait guère être enviable. Cela s'applique non seulement à l'Ukraine et aux autres États post-soviétiques, mais aussi à Taïwan et à bien d'autres.
Un seul empire
Le monde unipolaire est considéré comme un empire unique (en fait, les États-Unis et leurs satellites, réunis au sein de l'OTAN et d'autres blocs). Le politologue américain contemporain Niall Ferguson, travaillant grâce à des subventions de la famille des banquiers Rothschild [2], a montré comment l'idée impériale s'est progressivement insinuée dans le discours politique américain contemporain [3]. Alors que les États-Unis se considéraient comme une République, et l'Empire, en particulier l'Empire britannique [4], était perçu, chez eux, comme quelque chose de négatif, contre lequel les Américains, épris de liberté, se sont battus pendant la guerre d'indépendance; plus tard, peu à peu, l'idée d'un Empire mondial a commencé à s'imposer aux élites américaines, jusqu'à ce que les néoconservateurs prononcent haut et fort le mot tant convoité. L'Amérique s'est effectivement déclarée "Empire" régnant sur l'humanité. Les élites libérales mondialistes du monde entier étaient d'accord avec eux.
Mais une autre partie de ces élites a rejeté cette vision des choses. Cette autre partie devint progressivement si influente qu'elle en vint à rejeter purement et simplement l'hégémonie américaine et à se déclarer "Empires" (au pluriel), c'est-à-dire "États-Civilisations". C'est cela, en fait, la multipolarité.
Un aperçu critique de l'Empire de l'Occident peut être trouvé chez les auteurs de gauche Negri et Hardt [5], chez le célèbre sociologue Emmanuel Todd [6] ou dans la catégorisation politique profonde et inhabituelle d'Alain Soral [7].
Sept Empires : le projet multipolaire
Le monde multipolaire est la coexistence de plusieurs Empires, pleinement souverains, d'abord à l'égard des Etats-Unis, ce qui contrarie la prétention de ces derniers à l'unicité et à l'universalité, mais aussi souverains les uns à l'égard des autres.
Aujourd'hui, le monde présente progressivement les caractéristiques d'une Heptarchie multipolaire, c'est-à-dire que le modèle des sept Empires se dessine.
- 1) L'Empire occidental (USA + UE + vassaux).
- 2) L'Empire eurasien (Russie + espace post-soviétique, empire qui ne se réalise pas par la douceur mais par le carnage). C'est notre État-Civilisation qui se reconstruit à neuf, dont Poutine a parlé à Valdai.
- 3) L'empire chinois (Chine continentale + Taïwan et un certain nombre d'États qui s'étendent vers la Chine depuis l'orbite de "One Belt-One Road").
- 4) L'empire indien (le Bharat, le Népal, le Bangladesh et les entités d'Asie du Sud-Est qui s'étendent jusqu'à l'Inde).
- 5) L'Empire islamique (un bloc potentiel d'États islamiques, dont les pôles les plus importants sont l'Arabie saoudite + les pays arabes sunnites, l'Iran chiite, le Pakistan, la Turquie, l'Indonésie, les pays du Maghreb et tous les autres).
- 6) L'Empire latino-américain (basé sur l'union du Brésil et de l'Argentine avec l'adhésion du reste des pays d'Amérique ibérique - jusqu'aux États des Caraïbes et au Mexique).
- 7) L'Empire africain (Empire du plateau mandingue autour du Mali + l'oekumène bantou central et méridional + Éthiopie et monde couchitique).
Le premier Empire, qui prétend toujours être le seul(valable et en place), s'est formé après l'effondrement de l'URSS et, bien qu'agonisant, s'efforce toujours de maintenir son hégémonie. Malgré toutes les crises, il est encore assez fort - plus fort que tous les autres, mais uniquement si l'on prend chacun de ces empires séparément. Mais il est déjà inférieur à l'alliance des autres empires non occidentaux selon un certain nombre d'indicateurs clés (économiques, démographiques, de ressources et même idéologiques).
Les trois empires suivants - qui, soit dit en passant, ont une très longue histoire séculaire, voire millénaire - la Russie, la Chine et l'Inde - sont en phase de formation active. En fait, ils sont déjà des pôles souverains indépendants qui renforceront et étendront leur influence et seront achevés.
L'Empire islamique, dont il serait logique de faire de Bagdad le centre (il s'agirait alors d'une sorte de nouveau califat abbasside), est uni par une religion puissante et une idéologie fondée sur celle-ci, mais il est politiquement fragmenté.
Les empires africain et latino-américain sont encore à l'état de projets, mais un certain nombre de mesures concrètes sont prises pour aller dans le sens de la formation d'un "Etat-Civilisation".
Les six empires, à l'exception de l'empire occidental, c'est-à-dire les États de civilisation actuels ou potentiels, sont aujourd'hui réunis dans la structure élargie des BRICS après Johannesburg. L'année prochaine, la Russie présidera les BRICS, et il est grand temps de promouvoir la multipolarité et de la renforcer autant que possible sur les plans idéologique, économique, énergétique, financier, politico-militaire et stratégique. Pour que la multipolarité existe, nous devons tous ensemble écraser la prétention à l'unicité de l'Empire occidental. Pas l'Empire lui-même, mais sa prétention. Les peuples du monde sont appelés à briser l'orgueil mondialiste de l'Occident. C'est en fait ce que la Russie fait aujourd'hui en Ukraine.
L'Opération militaire spéciale est le premier conflit chaud entre l'unipolarité et la multipolarité.
Trois pôles purement potentiels
Par souci d'équité, nous pouvons supposer, de manière purement théorique, trois autres "grands espaces". Si l'Occident se scinde entre l'Amérique et l'Europe, alors l'UE, bien sûr, ayant préalablement rejeté les élites globalistes atlantistes et porté au pouvoir les continentalistes de type gaullien, pourrait devenir un pôle distinct. Mais cela n'est pas encore à l'ordre du jour.
Il est tout aussi spéculatif d'imaginer une civilisation bouddhiste sous l'égide du Japon. Mais le Japon est aujourd'hui totalement dépendant de l'Occident et ne mène pas de politique indépendante.
Et le "Grand Espace" de l'Océanie, qui se transforme progressivement en une zone de confrontation militaro-stratégique entre l'Empire chinois et l'Empire américain, est une valeur encore très insaisissable. Et il aurait pu en être autrement. Mais on ne peut guère s'attendre à ce que de braves Mélanésiens, Papous, Aborigènes australiens et Maoris militants soient capables de soulever une révolte anticoloniale contre les Anglo-Saxons. À moins, bien sûr, qu'on ne les aide à le faire. L'Afrique l'a fait, et ça a marché. Cesera plus compliqué, mais ça vaut le coup d'essayer - vers les autres pôles.
Eh bien, bonjour mon Empire !
Si les empires reviennent, il est grand temps de comprendre leurs racines historiques, de comprendre leurs origines et l'idéologie qui leur correspond. C'est un sujet tout à fait passionnant qui permet de comprendre beaucoup de choses sur ce que nous sommes, nous les Russes. Et nous sommes le peuple de l'Empire. Nous l'avons été, nous le sommes et nous le serons, quel que soit le nom qu'on nous donne et quelle que soit l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Le temps viendra et nous nous en rendrons compte à nouveau. Après tout, l'URSS était aussi une sorte d'"Empire" au sens technique du terme, comme nous l'avons souligné. Et certainement une "civilisation d'État". Nous devons simplement nous rendre compte que c'est notre destin.
Le livre en trois volumes de Konstantin Malofeev "Empire" [8] et mon ouvrage philosophique généraliste "Genèse et Empire" [9] seront très utiles pour se familiariser en profondeur avec ce sujet. Ensuite, en suivant la bibliographie détaillée et exhaustive, chacun pourra avancer dans cette direction, en choisissant librement ses itinéraires - à l'Ouest et à l'Est, dans le passé et dans l'avenir.
Notes:
[1] Zhang Weiwei. The China Wave: Rise of a Civilizational State. Beijing: World Century Publishing Corporation, 2012.
[2] Фергюсон Н. Дом Ротшильдов. Пророки денег. 1798—1848. М.: Центрполиграф, 2019.
[3] Ferguson N. Colossus: The Rise and Fall of the American Empire. NY.: Penguin Press, 2004.
[4] Фергюсон Н. Империя: чем современный мир обязан Британии.М.: Астрель, Corpus, 2013.
[5] Хардт М., Негри A. Империя. М.: Праксис, 2004.
[6] Todd E. Après l’empire - Essai sur la décomposition du système américain est un essai. P.: Gallimard, 2002.
[7] Сораль А. Понять Империю. Завтра: глобальное управление или восстание народов? М.: Академический проект, 2017.
[8] Малофеев К.В. Империя. В 3 т. М.: АСТ, 2020-2021.
[9] Дугин А.Г. Бытие и Империя. М.: АСТ, 2022.
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dimanche, 24 septembre 2023
La métaphysique de combat de Kémi Seba
La métaphysique de combat de Kémi Seba
par Georges FELTIN-TRACOL
« Et si […] le salut de notre peuple aux quatre coins du monde passait tout simplement par l’éloignement définitif de l’Occident, ce de manière physique, psychique, métaphysique, afin de redevenir nous-mêmes ? » « Et si c’était cela, la décolonisation réelle ? ». Celui qui prône cette rupture radicale s’appelle Kémi Séba dans son nouvel essai, Philosophie de la panafricanité fondamentale (Éditions Fiat Lux, 2023, 198 p., 20 €).
Né à Strasbourg en 1981, Stellio Capo Chichi s’intéresse très tôt au kémitisme qui exalte la civilisation égyptienne selon un tropisme négrocentré. Il s’inscrit dans une vision du monde ouvertement traditionnelle. Il oppose d’ailleurs le traditionalisme, « ensemble de modalités constituant une voie initiatique menant les êtres qui la suivent à la compréhension de la métaphysique, autrement dit : - la connaissance de l’Être suprême, - la connaissance du monde invisible, - le respect de la hiérarchie spirituelle, - l’homme avec la nature » à la coutume qui en serait son « altération ». « Maladie de l’ère moderne », « la coutume symbolise la quintessence du cérémonialisme (des manifestations clinquantes prétendument spirituelles, surtout réalisées pour nourrir l’ego ethno-culturel) ».
Son interprétation des cycles historiques met en confrontation directe les Noirs qui appartiennent aux « populations primordiales » au monde moderne, manifestation implacable de l’actuel Âge de Fer. Les Blancs en sont le principal vecteur. L’auteur évoque leurs terribles ancêtres, les impitoyables Yamnayas, qui détruisirent de hautes civilisations noires, capables de se rendre en Amérique centrale. En s’établissant dans le monde entier, « les contre-valeurs occidentales sont devenues des valeurs universelles, normatives ». Kémi Séba entend au contraire libérer les siens de cette emprise. Si « le terme “ panafricanité “ […] renvoie à une unité des Africains et afrodescendants qui n’est pas à construire mais qui est, en soi, si l’on revient à la racine de nos êtres, un état de fait partout dans le monde », il adopte un raisonnement global qui concerne aussi bien les Africains et les Afro-Américains que les peuples noirs d’Asie (Aeta des Philippines, Andamanais du golfe du Bengale, Senang de Malaisie, Dravidiens du Sud indien et même Aïnous du Japon) et d’Océanie (les Salomoniens et les Aborigènes d’Australie). Ainsi en appelle-t-il à « l’unité métaphysique des peuples noirs » d’autant que « la matrice de l’humanité était le peuple négro-africain ». Il sait que son point de vue unitaire « fera forcément grincer des dents les ethnistes belliqueux, les tribalistes mentalement miséreux et autres fondamentalistes religieux haineux ». Sa conception du fait africain, voire de sa dimension intrinsèquement noire, ne correspond donc pas aux analyses de Bernard Lugan qui qualifie le panafricanisme d’utopie politique.
La métaphysique de l’histoire de Kémi Séba s’inspire de la théorie théosophique de l’histoire. Les théosophes, vilipendés par René Guénon, estiment que chaque cycle historique engendre sa propre « race-racine ». Dans le cadre du New Age des décennies 1990 – 2000, des occultistes occidentaux pensaient que la présence noire était antérieure à l’irruption de l’homme blanc. Ils estimèrent en outre que les Noirs de l’Âge de Bronze traditionnel étaient si violents qu’ils paient maintenant les conséquences (l’esclavage, par exemple) via leur karma collectif au cycle suivant : l’Âge de Fer.
Kémi Séba reprend aussi à son compte la thèse de la psychiatre afrocentriste Frances Cress Welsing (1935 – 2016) qui assure que « les Blancs seraient […] le fruit des populations noires originelles dont la peau aurait connu une maladie provoquant une dépigmentation sévère », d’où leur profonde négrophobie. Élucubrations isolées ? On lisait dans L’Express du 14 octobre 2021 sous la plume d’un certain Bruno D. Cot qu’« il y a encore 10.000 ans, nous étions noirs aux yeux clairs ». L’« Afropéen » serait par conséquent un Noir présent dès l’origine sur le sol européen. Pourquoi alors s’opposer aux migrants venus du Sud de la Méditerranée ? On remarquera que Kémi Séba n’aborde pas les peuples asiatiques jaunes et amérindiens rouges.
De haut en bas: Frances Cress Welsing, Abdias do Nascimento et son ouvrage principal sur le "quilombismo".
L’auteur promeut le quilombisme du Brésilien Abdias do Nascimento (1914 – 2011) qui, dans sa jeunesse, s’engagea dans le mouvement intégraliste. Le quilombisme désigne « l’organisation communautaire, le redéploiement de la culture afro-brésilienne, en revalorisant l’endogamie communautaire, le solidarisme noir économique, la connaissance de soi ». Chaque groupe noir devrait former son propre quilombo. Ensuite, « tous les quilombos d’Amérique du Nord ou du Sud, d’Europe de l’Ouest ou de l’Est, du Proche-Orient, du Moyen-Orient, du Maghreb, d’Asie, d’Océanie devront être dans la dynamique de la panafricanité fondamentale, reliés au trône de notre peuple sur Terre qu’est le continent africain en vue de former un État fédéral ». En effet, le dessein final « est que puisse, à la place des 54 États et de toutes les diasporas noires, s’instituer un État fédéral de tous les peuples noirs qui s’intitulerait les “ Quilombos-Unis de Kemet “ (Kmt étant le véritable nom de l’homme noir) ».
Conséquent, Kémi Séba ne désire aucun « front de la Tradition ». Il convient en revanche que « nous devons parfois passer des alliances avec des entités pour qui nous pouvons éprouver de l’hostilité mais qui, pour X ou Y raison, ont le même ennemi que nous ». Ethno-différencialiste cohérent, le président de l’ONG Urgences panafricanistes affronte « le Système à tuer les peuples ». Ses objectifs tactiques peuvent se recouper de manière ponctuelle avec les initiatives des Européens identitaires et nationalistes-révolutionnaires les plus radicaux. Contrairement à ce que profèrent ces détracteurs qui le dépeignent en « suprémaciste noir », Kémi Séba est d’abord et avant tout un « primordialiste noir » d’Afrique.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 84, mise en ligne le 19 septembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.
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mercredi, 20 septembre 2023
Le libéralisme liberticide
Le libéralisme liberticide
par Fabrizio Pezzani
Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-liberismo-liberticida
La pensée unique libérale ou néolibérale d'aujourd'hui prétend trouver ses premières racines et sa légitimité dans les écrits d'Adam Smith, en particulier dans son ouvrage La richesse des nations écrit en 1767 et portant sur la signification du libre arbitre régulé par la main invisible du marché. Mais la véritable pensée de Smith est totalement asymétrique par rapport à cette interprétation. Le libéralisme, dans ce sens, devient une fin, et non un moyen comme Smith le pensait, et contribue à la formation d'un modèle d'analyse économique consacré exclusivement à une technicité exagérée et à une finance hégémonique qui a coupé ses liens avec les racines morales et sociales de cette science.
Pour comprendre la véritable pensée de Smith, il est nécessaire de le replacer dans l'histoire de son temps et de considérer ses œuvres dans leur intégralité, en commençant par la Théorie des sentiments moraux écrite en 1759 avant la Richesse des nations dont la lecture est fondamentale pour comprendre sa pensée. Le 18ème siècle, au cours duquel Adam Smith a vécu, est un siècle révolutionnaire d'un point de vue culturel, préparé par le siècle précédent au cours duquel le procès de Galilée et la révolution de Newton ont déterminé l'indépendance de la science face à l'unité de vie et de pensée qui avait été déterminée par la religion. Le 18ème siècle est le siècle des Lumières - le temps des lumières - où la pensée spéculative va affirmer la liberté de l'homme dans sa réalisation, le rôle de la raison et le principe d'une rationalité qui n'est pas absolue mais soumise à un ordre moral supérieur. Kant écrira la Critique de la raison pure et ouvrira la voie à l'idéalisme allemand et au matérialisme historique.
Les révolutions américaine et française clôtureront le siècle avec la déclaration des droits universels de l'homme - liberté, égalité et fraternité - en tant que fins absolues éloignées de l'intérêt personnel exclusif et égoïste. Smith, spécialiste écossais des Lumières, partage avec David Hume le rôle du "principe de sympathie" en tant que régulateur des relations humaines et de la capacité à s'identifier à l'autre. Le libre arbitre est affirmé, mais les choix individuels, tout en poursuivant l'intérêt personnel, doivent être soumis à l'intérêt collectif. En fait, écrit-il, le boulanger vend du pain en fonction de son intérêt personnel mais doit s'identifier aux besoins de ceux qui l'achètent, une forme de "concurrence collaborative" pourrait-on dire aujourd'hui. Pour lui comme pour ses contemporains, il était clair que les limites morales étaient insurmontables et que l'équilibre social devait être atteint en brisant l'égoïsme et l'altruisme qui définissent la conscience morale; des questions qu'il avait abordées dès le début de sa carrière en tant que chercheur dans le cadre de la philosophie morale qu'il enseignait.
Progressivement, au cours du siècle suivant - le 19ème siècle - la culture rationnelle et les sciences exactes ont pris le dessus et, selon les mots de Pascal, "l'esprit de géométrie" l'a emporté sur "l'esprit de finesse" et les raisons du cœur ont été de moins en moins écoutées par la raison. Ainsi le principe de sympathie collective sera remplacé par le principe d'utilité personnelle.
La vérité ne devient alors que ce qui se voit, se touche et se mesure et les sciences positives qui interprètent la vérité deviennent elles-mêmes des vérités incontestables et de savoirs instrumentaux prennent le statut de savoirs moraux et finalistes. Le "mirage de la rationalité" s'affirme, une illusion de la science plus dangereuse que l'ignorance.
Même l'économie subit cette mutation génétique et, de science sociale et morale, elle acquiert la nature de science positive et exacte et dicte les règles de la vie: on ne gagne pas pour vivre mais on vit pour gagner et on échange les fins contre les moyens comme l'avait indiqué Aristote avec le terme "chrématistique"; une richesse qui affame disait-on en rappelant le mythe du roi Midas. Lorsque la fin devient la maximisation de l'intérêt individuel, le libéralisme pris comme fin, exactement à l'opposé de Smith, affirme la loi du plus fort et aussi la normalisation des comportements illicites qui contribuent à définir une société perpétuellement conflictuelle et individualiste. Les dommages collatéraux de la réalisation de la fin sont l'inégalité, le chômage, la pauvreté et la dégradation morale. Dans les sociétés humaines, cependant, il devient difficile de comprendre les limites - les points de non-retour - au-delà desquels les dommages collatéraux deviennent primordiaux et, tôt ou tard, les calamités fatales de la guerre et de la classe s'affirment.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à un libéralisme qui, poussé à son terme, tue la liberté - un oxymore - et devient "liberticide". Nous sommes encore confrontés à un absolutisme culturel qui semblait avoir été vaincu par les expériences douloureuses du siècle dernier, mais qui nous apparaît aujourd'hui sous un jour trompeur.
L'économie doit se réconcilier avec sa nature de science morale et sociale, "un nouveau paradigme est nécessaire car ce qui est en jeu est plus que la crédibilité de la profession ou des décideurs politiques qui utilisent ses idées, mais la stabilité et la prospérité de nos économies" (Stiglitz, Il Sole24Ore, 2010) et de nos sociétés.
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jeudi, 03 août 2023
Lifestyle-Left: la gauche selon les modes de vie commercialisés
Lifestyle-Left: la gauche selon les modes de vie commercialisés
Diego Fusaro
Bron: https://posmodernia.com/lifestyle-linke-la-izquierda-de-l...
Des phénomènes comme la gay pride sont présentés par l'ordre dominant du discours comme des moments essentiels d'émancipation face à un patriarcat résiduel et homophobe. En réalité, ils ne sont que des manifestations d'adaptation sociale à l'American way of life propre au capitalisme postmoderne, complété par la substitution de la lutte des classes par un conflit de genre et d' "engouements sexuels", par définition interclassiste et donc fonctionnel au maintien de l'ordre dominant. Ce dernier réussit, à chaque fois, à évacuer complètement la priorité politique des classes dominées de la sphère des apparences, c'est-à-dire qu'il supprime, ou du moins atténue, la contradiction asymétrique entre le capital et le travail. Cette contradiction est idéologiquement évacuée au profit d'un conflit de genre totalement abstrait, dans lequel l'homosexuel riche et l'homosexuel pauvre convergent du même côté dans la lutte fictive pour la conquête des droits individuels des consommateurs.
La domestication de tout élan révolutionnaire anti-systémique est obtenue par la distraction, où l'on réoriente les énergies positives vers des conflits issus de la "diversité" et par l'adhésion aux modules de la coolitude post-moderne. Cela se traduit par l'ostentation de l'extravagance et de l'excentricité qui, tout en confirmant la rupture avec l'ancien ordre de valeurs bourgeois et prolétarien, sont pleinement compatibles avec la logique du turbo-capitalisme postmoderne et néo-hédoniste, qui promeut toute transgression fonctionnelle à la conquête de nouveaux espaces pour le marché et tout anticonformisme conforme au nouveau schéma de dérégulation économique et consumériste. La vie entre les barreaux de la cage technocapitaliste n'a cessé de se dégrader entre extravagance et aliénation. Et la gauche, en tant que parti du mouvement et de la transgression, se reconfirme comme partie prenante de la sanctification théorico-pratique de la marche triomphale du capital et des classes dominantes.
Il ne faut pas non plus oublier que l'ère post-héroïque a depuis longtemps remplacé le héros par la victime : être une victime - c'est-à-dire un sujet qui n'a rien fait, mais à qui on a fait quelque chose - confère prestige et immunité contre la critique. Qu'il s'agisse d'un groupe, d'un individu ou de l'environnement lui-même, la victime est le sujet passif par excellence ; elle coïncide avec celui qui a souffert et mérite donc le respect, dans le triomphe de cette résilience qui, ce n'est pas un hasard, est la "vertu" que les magnats cosmopolites apprécient le plus dans les masses subalternes. De plus, la victime a un droit par définition, dans la mesure où on lui a pris quelque chose : de la faiblesse d'avoir souffert, on passe, sans interruption, à la revendication et au désir de compensation.
Enfant de la "culture du narcissisme", de l'égocratie galopante et de la nouvelle culture de la victime vindicative, le jus omnium in omnia apparaît comme le fondement ultime de la civilisation de la libéralisation individualiste tous azimuts de la consommation et des mœurs. Les fantasques batailles arc-en-ciel qui, dans le quadrant gauche, ont remplacé les luttes "rouges" contre le capital et l'impérialisme, se résolvent en fin de compte en revendications pour le capital et l'impérialisme: pour le capital, puisqu'il s'agit, de facto, de batailles libérales-progressistes contre toute limite traditionnelle encore résistante à la libéralisation individualiste de la consommation et des coutumes; pour l'impérialisme, puisqu'elles passent sans réserve au soutien direct de la "mission civilisatrice" - avec le bombardement intégré de la civilisation du dollar et son interventionnisme moralisateur commis au nom de la suppression des droits civils - dans les régions du monde qui ne sont pas encore soumises au mode de production et d'existence capitaliste.
Conformément au nouveau régime de pouvoir postmoderne, caractéristique de la civilisation nihiliste de l'arc-en-ciel, ce sera le désir individuel - et lui seul - qui assumera le statut de loi en l'absence de loi. Une fois de plus, la rébellion anarchique de la gauche arc-en-ciel post-marxiste ne s'oppose pas au pouvoir néolibéral, mais le soutient et le sanctifie idéologiquement. En même temps, comme cela est devenu évident depuis le tournant post-bourgeois et ultra-capitaliste de 1968, elle n'est plus autoritaire et focalisée sur l'hypertrophie de la loi, mais est elle-même devenue anarcho-capitaliste et laxiste, permissive et hédoniste.
D'une part, à travers les batailles de caprices arc-en-ciel, la néo-gauche glamour abandonne définitivement le terrain de la lutte anticapitaliste contre l'exploitation et le classisme, qu'elle accepte désormais comme physiologique, sinon comme fécondante et "créative": elle ne s'occupe que de problèmes hors sujet faisant ainsi l'impasse sur la question du travail, de l'économie et du social, dont s'occupe souverainement la droite de l'argent.
En revanche, avec les caprices de la consommation arc-en-ciel, la gauche du costume, outre qu'elle favorise la distraction des masses de la question sociale et de la lutte contre le capital, promeut la dissolution de la société en un atomisme de "machines désirantes" - pour reprendre la définition de Deleuze - : les machines désirantes exigent que chacun de leurs caprices de consommation individuels soit légalement reconnu comme une loi. La gauche devient ainsi une Lifestyle-Left, qui met l'accent non pas sur le travail et les droits sociaux, mais sur la libéralisation des modes de vie individuels. Au lieu du peuple et de la classe ouvrière, dans l'ordre discursif de la néo-gauche patronale, il n'y a plus que des individus conçus comme des machines à désirer. Ils doivent être "orthopédiqués", libérés de tout lien résiduel avec les communautés et les traditions et, dulcis in fundo, écrasés sous le modèle du consommateur, qui a autant de droits que ses caprices peuvent être transformés en marchandises en fonction de l'argent dont il dispose.
En ce sens, le cas de l'"utérus de substitution", que le néo-langage politiquement correct a pieusement rebaptisé "maternité de substitution", reste emblématique. Dans la plupart de ses actions, la gauche néolibérale n'est plus capable de reconnaître dans une telle pratique l'aboutissement de l'aliénation, de l'exploitation et de l'objectivation, résultant du fait que le ventre de la femme est dégradé en "stock à vendre", que l'enfant à naître est souillé en tant que marchandise à la demande, et que les femmes des classes inférieures sont dégradées et condamnées à recourir à ces pratiques en raison de leur propre condition économique. Ayant intériorisé le regard omniprésent du capital et l'anthropologie du libre désir, la gauche trash défend vigoureusement l'abomination de l'utérus de substitution comme une expression de la "liberté de choix" et comme un "droit civil", comme une "opportunité" et comme un "désir" qui doit être légalement protégé. Une fois de plus, dans le triomphe du néolibéralisme progressiste, la conquête mercantile de l'ensemble du monde de la vie ne trouve plus dans la gauche un rempart d'opposition, mais une de ses justifications théoriques ; et ce, une fois de plus, sur la base de la forma mentis selon laquelle tous les tabous et toutes les limites doivent être brisés parce que c'est précisément la raison ultime du progrès.
Comme le montre notre livre intitulé Difendere chi siamo (Ed. Rizzoli, 2020), le système globocratico-financier vise à déconstruire toute identité collective (Nation et Classe, Peuple et Etat, Communauté et Patrie) et, en général, toute identité ut sique. En effet, il reconnaît dans le concept même d'identité un rempart inopportun de résistance à la généralisation de la culture du néant caractéristique de la marchandise et de son nihilisme relativiste post-moderne. Plus concrètement, la dynamique dialectique du développement du capital procède en détruisant les identités collectives résistantes et, en même temps, en protégeant et en " inventant " des identités organiques à la société de consommation, d'autant plus si elles parviennent à diviser horizontalement le front des offensés. Les seules identités autorisées et célébrées à l'heure de la désidentification omnihomologisante coïncident avec celles des minorités capitalistes globales : c'est-à-dire avec celles des acteurs sociaux dont l'idéologie représente l'enveloppe de légitimation morale du nouvel ordre social, centré sur le capitalisme financier sans frontières pour atomes-consommateurs libéraux-libertaires.
Quel plus grand succès du pouvoir néo-capitaliste que celui obtenu en provoquant la lutte des exploités homosexuels et des exploités hétérosexuels au lieu de la coopération par le bas contre l'exploiteur, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel ? Les micro-conflits sectoriels promus par le nouvel ordre symbolique des gauches postmodernes sont par définition horizontaux et interclassistes, donc fonctionnels à la reproduction du pouvoir néolibéral : ils évacuent complètement les priorités politiques, sociales et économiques des classes dominées de la sphère d'apparition. Et elles les remplacent, de manière distrayante et compensatoire, par des luttes abstraites et horizontales ; des luttes grâce auxquelles l'homosexuel riche et l'homosexuel pauvre, la femme exploiteuse et la femme exploitée, le ploutocrate noir et l'homme noir démuni, convergent fictivement du même côté de la lutte.
La lutte de classe de la base contre le sommet est ainsi fragmentée et rendue invisible par la production artificielle de luttes internes - de luttes " diversitaires " - sur le front des offensés, désormais divisés selon des différenciations promues ad hoc par l'ordre du discours hégémonique. Et la gauche, qui - pour le dire avec Bobbio - était à l'origine du côté de l'égalité, prend de plus en plus le parti des différences et de la défense de la diversité; et ce non seulement parce qu'en adhérant au néolibéralisme elle défend la vision compétitive et asymétrique de la société, mais aussi dans la mesure où elle assume comme son propre front de lutte et d'organisation politico-culturelle la bataille "diversitaire" pour les différences et les minorités.
De plus, ces combats revendicatifs et différentialistes - des mouvements féministes aux gay pride - ne visent pas à renverser les structures dominantes, mais à y être pleinement reconnus en tant que minorités. Les exclus se montrent inclus de la même manière qu'ils dénoncent leur exclusion: en effet, ils ne contestent pas un système fondé sur l'exclusion (et qui, à ce titre, mérite d'être aboli), mais se reprochent égoïstement de ne pas avoir été inclus dans ce système. Lequel est littéralement all inclusive, puisqu'il aspire à inclure tout et tous dans son périmètre aliéné en n'affirmant qu'une seule distinction : la distinction économique. C'est là que réside le faux interclassisme homogénéisant de la civilisation marchande, qui brise toutes les différences pour que la différenciation économique, fondement du classisme, puisse régner partout, sans limite.
Le phénomène de protestation Black Lives Matter, que la gauche trash a élevé à sa propre conception, peut également être interprété de la même manière. L'objectif déclaré de cette révolte protestataire, qui a éclaté en 2020, n'était pas la reconnaissance sacro-sainte de l'égale dignité et de l'égalité de tous les hommes, qu'ils soient noirs ou blancs. Il s'agissait au contraire de créer - ou de renforcer - un conflit "sectoriel" développé horizontalement entre les Noirs et les Blancs, en laissant entendre, sans trop de déguisement, que les hommes blancs étaient, en tant que tels et sans exception, à blâmer.
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mardi, 01 août 2023
La dictature de la ploutocratie financière
La dictature de la ploutocratie financière
Diego Fusaro
Source: https://posmodernia.com/la-dictadura-de-la-plutocracia-financiera/
Grâce aux processus de supranationalisation et à l'ordre du discours dominant, les peuples eux-mêmes sont de plus en plus convaincus que les décisions fondamentales ne dépendent pas de leur volonté souveraine, mais des marchés et des bourses, des "liens extérieurs" et des sources supérieures s'inscrivant dans un sens transnational. C'est cette réalité que les peuples, c'est-à-dire ceux d'en bas, "doivent" simplement seconder électoralement, en votant toujours et seulement comme l'exige la rationalité supérieure du marché et de ses agents.
"Les marchés apprendront aux Italiens à voter comme il faut", affirmait solennellement, en 2018, le commissaire européen à la programmation financière et au budget, Günther Oettinger, condensant en une phrase le sens de la "démocratie compatible avec le marché". Et, en termes convergents, l'eurotechnocrate Jean-Claude Juncker avait catégoriquement affirmé qu'"il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens" ("Le Figaro", 29.1.2015). Des thèses comme celles qui viennent d'être évoquées, concernant une séparation prétendument nécessaire entre la représentation populaire et la sphère de la décision politique, auraient été considérées jusqu'à récemment comme des attaques réactionnaires, autoritaires et inadmissibles contre la démocratie. Avec la "bifurcation" de 1989, en revanche, elles sont devenues hégémoniques dans l'ordre du logos dominant : à tel point que quiconque ose les contester de quelque manière que ce soit est répudié comme "populiste" et "souverainiste".
La droite et la gauche néolibérales appliquent chacune aujourd'hui les mêmes recettes économiques et sociales. Et ces dernières ne sont plus le fruit d'une négociation politique démocratique, puisque la souveraineté économique et monétaire des États-nations souverains a disparu. Les recettes sont donc imposées de manière autocratique par des institutions financières supranationales, qui ne sont pas légitimées démocratiquement (BCE, FMI, etc.). Et comme la droite bleue et la gauche fuchsia ne remettent pas en question les processus de dé-démocratisation et de supranationalisation de la prise de décision (qu'elles facilitent d'ailleurs le plus souvent), toutes deux finissent par légitimer la souveraineté de l'économie post-nationale et, avec elle, celle de la classe apatride de la ploutocratie néolibérale, qui se cache toujours derrière l'anonymat apparent d'entités "raisonnablement suprasensibles" telles que les marchés, les bourses ou la communauté internationale.
Déjà en 1990, Norberto Bobbio affirmait que "par gauche, nous entendons aujourd'hui la force qui est du côté de ceux qui sont en bas, et par droite la force qui est du côté de ceux qui sont en haut". Même alors, Bobbio décrivait en détail la nature du clivage dans le cadre du capitalisme dialectique moderne, dans lequel la gauche représentait les intérêts des dominés (ceux d'en bas) et la droite les intérêts des dominants (ceux d'en haut). Cependant, Bobbio n'a pas déchiffré l'obsolescence de ce schéma herméneutique dans le cadre du nouveau capitalisme absolu-totalitaire: dans son scénario, comme cela devrait être clair maintenant, la gauche, pas moins que la droite, représente la partie, les intérêts et la perspective de ceux qui sont au sommet.
Par conséquent, au-delà de la perfide dichotomie droite-gauche, il est impératif de re-souverainiser l'économie afin de rétablir la primauté de la décision souveraine et, enfin, d'établir la souveraineté populaire, c'est-à-dire la démocratie en tant que κράτος du δῆμος. Car la souveraineté populaire coïncide avec une communauté maîtresse de son destin, donc capable de décider de manière autonome des questions clés de sa propre existence. La dichotomie entre le socialisme et la barbarie n'a pas cessé d'être valable : avec la novitas fondamentale, cependant, que tant la droite que la gauche se sont ouvertement rangées du côté de la barbarie. Par conséquent, un nouveau socialisme démocratique d'après la gauche doit être façonné.
Les intellectuels organiques au service du capital - le nouveau clergé post-moderne - et les politiques inféodés au pouvoir néo-libéral - droite bleue et gauche fuchsia - maintiennent les classes dominées, le Serviteur national-populaire, à l'intérieur de la caverne mondialisée du capital. Elles convainquent les dominés que c'est le seul système viable. Et ils les incitent à choisir entre des alternatives fictives, qui sont également basées sur l'hypothèse de la caverne néolibérale comme un destin inéluctable, sinon comme le meilleur des mondes possibles. Contre le nouvel ordre mental et la mappa mundi forgée par le clergé intellectuel à l'appui du pôle dominant, nous devons avoir le courage d'admettre que l'antithèse entre la droite et la gauche n'existe aujourd'hui que virtuellement, en tant que prothèse idéologique pour manipuler le consensus et le domestiquer dans un sens capitaliste, selon le dispositif typique de la "tolérance répressive" par lequel le citoyen du monde se voit offrir un choix "libre" d'adhérer aux besoins systémiques. En fait, le choix est inexistant dans la mesure où les deux options au sein desquelles il est appelé à s'exercer partagent, au fond, une identité commune: la droite et la gauche expriment de manière différente le même contenu dans l'ordre du turbo-capitalisme. Et c'est ainsi qu'elles provoquent l'exercice d'un choix manipulé, dans lequel les deux parties en présence, parfaitement interchangeables, alimentent l'idée de l'alternative possible, qui en réalité n'existe pas. Ainsi, l'alternance réelle entre la droite et la gauche garantit non pas l'alternative, mais son impossibilité.
C'est pourquoi, pour réaliser la "réorientation gestaltiste" qui nous permet de comprendre le présent et de nous orienter dans ses espaces par la pensée et l'action, il est nécessaire de dire adieu sans hésitation et sans remords à la dichotomie déjà usée et inutile entre la droite et la gauche. C'est pourquoi l'abandon de la dichotomie ne doit pas s'échouer dans les bas-fonds du désenchantement et de l'apaisement de toute passion politique pour le rajeunissement du monde: la passion durable de l'anticapitalisme et de la recherche opérationnelle d'arrière-pensées ennoblissantes doit au contraire se déterminer dans la tentative théorico-pratique de théoriser et d'opérer de nouveaux schémas et de nouvelles cartes, de nouvelles synthèses et de nouveaux fronts avec lesquels revivre le "rêve d'une chose" et le pathos anti-adaptatif alimenté par les désirs d'une liberté plus grande et meilleure. Pour paraphraser l'Adorno de Minima Moralia, la liberté ne s'exerce pas en choisissant entre une droite et une gauche parfaitement interchangeables et également alliées au statu quo. Elle s'exerce en rejetant, sans médiation possible, le choix manipulé et en proposant de véritables alternatives qui pensent et agissent autrement, au-delà de l'horizon aliéné du capital. Il faut refuser l'alternance, pour redonner vie à l'alternative.
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Qu'est-ce que la géopoétique ? - Partie 2
Qu'est-ce que la géopoétique ?
Partie 2
Partie 1: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/07/29/qu-est-ce-que-la-geopoetique-premiere-partie.html
Source: https://katehon.com/ru/article/chto-takoe-geopoetika-chast-2
La géopoétique n'a pas encore été définie comme une discipline à part entière. Elle s'oppose donc à la géopolitique comme une sorte d'alternative humaniste à la géopolitique, souvent comme une tentative de réunir l'homme et la nature afin d'éviter une future catastrophe causée par l'homme.
On peut également affirmer que le concept de "géopoétique" n'est en aucun cas une définition scientifique, mais un terme trompeur, c'est-à-dire une sorte d'aimant sonore qui a une ressemblance extérieure avec les termes. Cependant, en déchiffrant le mot "géopoétique" à partir du grec, on peut identifier les sèmes suivants à l'intérieur du mot : "geos" - "terre" + "poétique" - "art, création". Il s'agit donc d'une discipline esthétique qui comprend la compréhension artistique du développement des territoires géographiques et des paysages, la compréhension de leur sphère mythique et épique, ainsi que des œuvres multigenres, la compréhension de l'influence mutuelle du monde de la géographie et du monde de la littérature (ainsi que du monde de l'art), et la généralisation des phénomènes susmentionnés.
La géopoétique s'articule autour de quatre axes principaux :
Artistique
Il s'agit de textes littéraires, souvent fondés sur l'épopée ou le mythe, qui décrivent de manière métaphorique la relation à la Terre en tant que planète. Elle peut également être considérée comme un reflet littéraire du mouvement ésotérique New Age.
En ce qui concerne les représentants de la géopoétique artistique, il convient de distinguer deux figures monumentales qui ont influencé le développement de la géopoétique en général.
Il s'agit tout d'abord de l'auteur du terme "géopoétique", le Français Kenneth White. K. White, en homme honnête, a admis que la paternité du terme lui avait été injustement attribuée et qu'il n'avait fait qu'exprimer des idées qui s'étaient déjà retrouvées dans divers contextes littéraires et scientifiques. En 1989, Kenneth White a fondé l'Institut international de géopoétique afin de faire progresser la recherche dans le domaine interculturel et transdisciplinaire qu'il avait développé au cours de la décennie précédente.
En octobre 2005, Kenneth White a donné une série de trois conférences dans le cadre du projet géopoétique : "North Atlantic Investigations", "Returning to Territory" et "Feeling the Far North". Mais l'œuvre la plus monumentale de White est Le Plateau de l'Albatros. Introduction à la géopoétique, 1994). En ce qui concerne la géopoétique, Kenneth écrit dans Le Plateau de l'albatros... : "Il conviendrait peut-être de décrire comment et quand le concept est apparu au cours de mon travail. L'idée n'avait pas encore pris forme, mais le mot a commencé à se glisser dans mon discours et dans mes écrits dès la fin des années 1970. Il semblait capable de relier de nombreuses significations différentes, qui n'étaient pas entièrement définies. On m'a récemment suggéré que le mot avait déjà été utilisé dans des contextes littéraires et scientifiques. Je ne l'oublierai pas. Mais ce que je préconise, ce n'est pas le droit d'inventer le terme, mais son interprétation poétique. Non pas le mot, mais la libération d'un nouveau sens. Ce sens a pris forme dans mon esprit et s'est incarné lors d'un voyage que j'ai effectué le long de la côte nord du golfe du Saint-Laurent en 1979. Je cite mon carnet de notes de l'époque : "Les eaux de la baie m'ont attiré vers la vaste étendue blanche du Labrador. Un nouveau mot est apparu dans mon cerveau : géopoétique. Comme une exigence d'aller au-delà du texte historique et littéraire pour trouver la poésie du vent et la capacité de penser comme le flux d'une rivière. Qui vit ? Telle est la question. Ou peut-être est-ce un appel. Un appel qui vous attire vers l'extérieur. De plus en plus loin. Si loin que vous cessez d'être la personne que vous connaissiez si bien auparavant et que vous devenez juste une voix, une voix sans nom, qui raconte les innombrables merveilles du nouveau monde. Bien sûr, il faut que cela arrive. Peut-être déjà ici et maintenant...".
Kenneth White est l'auteur de vingt-cinq essais, quatorze textes en prose et plus de vingt textes lyriques.
La deuxième figure n'est pas seulement l'auteur, mais aussi le traducteur Vassili Golovanov, qui a présenté de nombreuses œuvres de White en russe et est devenu son disciple en Russie. Vassili a commencé sa carrière avec le livre "Tachanki s Yuga", consacré à l'histoire du mouvement insurrectionnel makhnoviste (en Ukraine pendant la guerre civile russe, ndt). Avec R. Rakhmatullin, A. Baldin, D. Zamyatin et V. Berezin, il a été membre du groupe de recherche littéraire "Putevoy Zhurnal", dont l'action la plus marquante a été l'expédition "Aux ruines de Tchevengur". Vassili a écrit ce qui suit sur la géopoétique : "Le terme "géopoétique" est souvent utilisé ces derniers temps et s'est déjà séparé du terme familier de "géopolitique". Une clarification s'impose. La géopoétique n'est pas dérivée de la géopolitique comme une sorte de rime conditionnelle, et encore moins comme un concept pris à l'opposé. Le projet géopoétique est le résultat d'une recherche indépendante, de véritables voyages qui se sont déroulés dans une réflexion polyvalente. L'un des fondateurs de la nouvelle discipline, l'écrivain écossais Kenneth White, qui vit et travaille en France et parcourt le monde, a d'abord défini le champ d'intérêt de la géopoétique dans le cadre de la géographie existentielle. Ainsi, commençant le jeu avec son propre nom (White), il construit l'image-archétype de "l'espace blanc", incluant l'ancien nom de l'Écosse - Alba, développant parallèlement des motifs celtiques dans l'interprétation de la couleur blanche comme centre de la palette universelle, et trouve à la fin un certain module d'ordonnancement de l'espace, l'échelle blanche de White (les tautologies sont inévitables).
Il est révélateur que Kenneth White lui-même définisse les limites de l'application de son outil non pas tant dans l'espace (accrétion à l'ouest, par l'ouest), mais dans le temps. Les limites de son "White" sont le Nouveau Temps, qui a commencé au moment de la découverte de l'Amérique, le Nouveau Monde. Maintenant que le Nouveau Temps s'est épuisé dans l'hypertrophie du comptage, de la technologie numérique, de l'application verbale de la postmodernité, et ainsi de suite, White part à la recherche du temps suivant. Dans ce contexte, son module White prend une projection historiosophique".
Projectif
Comme son nom l'indique, cette orientation est basée sur une sorte de projet ou d'expérience, appliquée à des projets culturels et scientifiques, à de nouveaux mythes paysagers et territoriaux ou à la révision artistique d'anciens mythes.
Cette orientation est le résultat du Forum de la culture contemporaine du Bosphore, anciennement dirigé par Igor Sid (non seulement le modérateur du projet, mais aussi l'auteur du livre "Geopoetics"). Selon I. Sid : "La géopoétique est un nouveau concept international qui acquiert les caractéristiques d'un terme scientifique et couvre les formes les plus diverses d'interaction créative de l'homme avec l'espace géographique, les territoires et les paysages : voyage méditatif, littéraire-artistique, projectif-appliqué, recherche et autres. Dans la définition scientifique la plus générale, la géopoétique est "le travail sur les images et/ou les mythes du paysage-territoire (géographique)".
Scientifique
Cette orientation est associée à l'étude de la poétique, aussi bien des territoires locaux que de la considération à grande échelle. Elle occupe à juste titre une place importante dans le travail d'analyse des philologues et des critiques littéraires. Parmi les érudits célèbres qui ont apporté une contribution significative dans ce domaine, citons : M. L. Gasparov, V. I. Shirina, A. A. Korablev, V. V. Abashev, N. I. Polevoy, Y. M. Lotman et V. M. Guminsky. Bien entendu, cette liste de chercheurs en géopoétique n'est pas exhaustive, mais ce sont ces scientifiques qui ont été à l'origine de cette orientation.
En outre, la direction de la géopoétique scientifique, en tant que direction formée, a été initiée en 1996 par le Club géopoétique de Crimée, qui a organisé la première (1996) et la deuxième (2009) conférences internationales sur la géopoétique.
Négatif
Il s'agit de la littérature dite dystopique qui traite des catastrophes causées par l'homme. C'est un concept proposé par le groupe de recherche Lausanne-Sorbonne des slavistes (Edouard Nadtochy, Anastasia de la Fortel, Anne Coldefi-Focard) "sur la base d'une synthèse de toutes les déterritorialisations locales dépourvues de mémoire et de signification sociale - qu'il s'agisse des "non-lieux" de l'urbanisme, qu'il s'agisse de l'"abandon" industriel, des sites de catastrophes naturelles et technologiques, des anomalies naturelles, ou des sites de tourisme noir tels que les camps abandonnés, les prisons et les lieux de mort de masse".
Un exemple frappant de cette orientation peut être donné par des œuvres telles que : "Tchernobyl" de E. Liverbarrow, "Kholochye. Chernobyl saga" de V. Sotnikov, "Dyatlov Pass, or the Mystery of the Nine" de A. Matveev.
L'image esthétique dans la géopoétique
Dans leurs travaux, V. V. Abashev et M. P. Abasheva ont donné la définition la plus objective de l'image géopoétique, à savoir : "L'image géopoétique est une "image symbolique du territoire dans son ensemble", dans laquelle "le territoire, le paysage <...> sont compris comme une instance significative dans la hiérarchie des niveaux du monde naturel et deviennent des sujets de réflexion esthétique et philosophique <...> le paysage est conceptualisé <...> et ses caractéristiques dominantes font l'objet d'une compréhension symbolique". En d'autres termes, l'image géopoétique n'est pas seulement un constructeur de la conceptosphère de l'auteur, mais aussi une image du monde, de l'expérience de l'humanité, de l'expérience de l'interaction entre l'homme et l'espace - et tout cela passe par la réflexion de l'auteur et l'hyperbolisation subjective des sensations dans le texte.
La colline de Svyatogor
Comme exemple de géopoétique dans la littérature russe, j'aimerais citer la figure de Velemir Khlebnikov et ses essais. Mais avant cela, je tiens à préciser que la fonction esthétique du langage est liée à l'attention portée à la forme linguistique/parole du texte. Les œuvres littéraires classiques sont construites sur le principe de la politesse linguistique (c'est-à-dire sans éclats et sans insultes, sans vocabulaire prétentieux et vulgaire), et si elles contiennent des jargonismes, des pléonasmes et un vocabulaire stylistiquement réduit, leur utilisation justifie le fragment artistique. Par exemple, pour créer l'image d'un héros antisocial.
Mais il est important de se rappeler que si le lecteur ne comprend pas la langue de l'œuvre, ne comprend pas la forme, il ne sera pas en mesure d'évaluer le sens et le poème lui semblera mauvais, car l'esthétique de l'œuvre sera fortement réduite. Par exemple, le poème de Velimir Khlebnikov:
Nous sommes des enchanteurs et des churrays.
Charmant là, charmant ici,
Ici un churakhar, là un churakhar,
Ici un churil, là un churil.
De la churinya les yeux de la churinya.
Il y a un churavel, il y a un churavel.
Charari ! Churari ! Churel !
Charel ! Charesa et churesa.
Et churaisya et charelsya.
Bien que la poésie de Khlebnikov exclue presque la fonction esthétique de la langue russe, ses essais conservent un intérêt territorial et des analyses approfondies. Ses essais "La colline de Svyatogor" (1908) et "Sur l'élargissement des limites de la littérature russe" (1913) sont un reflet vivant de la direction artistique de la géopoétique. Ainsi, dans le premier essai, Khlebnikov estime que la poésie est : "La slavité russe a fait écho aux voix étrangères et a laissé muet le mystérieux guerrier du nord, le peuple-mer".
"Et l'on ne devrait pas reprocher au grand Pouchkine lui-même qu'en lui les nombres sonores de l'être du peuple - le successeur de la mer, remplacés par les nombres de l'être des peuples - obéissant à la volonté des anciennes îles ? <...> Tout moyen ne veut-il pas aussi être une fin ? Ce sont les voies de la beauté du mot, différentes de ses buts. L'arbre de la haie donne des fleurs et lui-même. <Et resterons-nous sourds à la voix de la terre : "Donnez-moi une bouche ! Donnez-moi une bouche !" Ou resterons-nous les oiseaux moqueurs des voix occidentales ? <...> Et les rusés Euclide et Lobachevsky n'appelleront-ils pas onze vérités impérissables les racines de la langue russe ? Ils verront dans les mots les traces de l'esclavage de la naissance et de la mort, appelant les racines - Dieu, les mots - l'œuvre de la main de l'homme. <...> Et si la vie et l'existence dans la bouche de la langue du peuple peuvent être comparées à la dolomie d'Euclide, alors le peuple russe ne peut-il pas s'offrir le luxe, inaccessible aux autres nations, de créer une langue - comme la dolomie de Lobachevsky, cette ombre de mondes étrangers ? Le peuple russe n'a-t-il pas droit à ce luxe ? L'intelligence russe, toujours avide de droits, renoncera-t-elle à ce qui lui est donné par la volonté même du peuple : le droit de créer des mots ? <Qui connaît le village russe, connaît les mots formés par l'heure et vivant le siècle du papillon de nuit". En d'autres termes, Khlebnikov a littéralement appelé la poésie "la voix du territoire/paysage".
Dans l'essai "Sur l'élargissement des limites de la littérature russe" (1913), V. Khlebnikov ne se contente pas de parler de la poésie comme d'une voix du territoire/paysage. Khlebnikov a non seulement fait appel aux travaux de l'un des premiers géo-descripteurs, N. M. Przhevalsky, mais il a également écrit: "En Russie, on a oublié l'État de la Volga - l'ancien Bolgar, Kazan, les anciennes voies vers l'Inde, les relations avec les Arabes, le royaume de Biarm. Le système d'appanage, à l'exception de Novgorod, de Pskov et des États cosaques, est resté en dehors de son champ d'action. Elle ne remarque pas chez les Cosaques le plus bas degré de noblesse, créé par l'esprit de la terre, qui rappelle les samouraïs japonais. Dans certains endroits, elle fait l'éloge du Caucase, mais pas de l'Oural et de la Sibérie avec l'Amour, avec ses légendes les plus anciennes sur le passé des gens (Orochons). La grande frontière des 14ème et 15ème siècles, où se sont déroulées les batailles de Kulikovo, Kosovo et Grunwald, ne lui est pas du tout connue et attend son Przewalski". En d'autres termes, il a directement déclaré que différentes parties de la Russie "attendent leur Przewalski".
Aujourd'hui, pour comprendre la géopoétique du texte régional, les ouvrages consacrés au Nord russe, à la Crimée, à la Transouralienne (Oural, Sibérie, Altaï) ont fait l'objet des recherches les plus approfondies.
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mardi, 04 juillet 2023
La fin de la démocratie et la montée de la pensée unique
La fin de la démocratie et la montée de la pensée unique
par Fabrizio Pezzani
Source : Fabrizio Pezzani & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-fine-della-democrazia-e-l-affermazione-del-pensiero-unico
L'État éthique est défini comme la forme institutionnalisée par les philosophes Hobbes et Hegel, dans laquelle l'institution étatique est la fin ultime vers laquelle les actions des individus doivent tendre pour la réalisation d'un bien universel.
Au fil du temps, cependant, le concept d'État éthique a pris une composition différente et en est venu à revêtir une dimension totalitaire dans laquelle le bien et le mal sont le résultat d'une imposition indépendante de ce qui devrait être le contrat de base entre l'État et le citoyen. Thomas Hobbes est considéré comme le père de la philosophie politique moderne avec sa prise de distance par rapport à la réflexion du monde classique sur la socialité et la politique de l'homme ; Hobbes inaugure la méthode contractualiste où les hommes trouveront des règles communes en sacrifiant une partie de leur liberté en échange de la protection et du respect des règles établies et se référeront à un seul grand représentant institutionnel qu'il définit comme le Léviathan ; en ce sens, Hobbes est défini comme le principal théoricien de l'État absolu ou de l'absolutisme dans lequel le souverain est considéré comme étant au-dessus de la loi universelle.
Après Hobbes, Hegel (illustration, ci-dessus), le philosophe idéaliste, définit l'État comme une substance éthique consciente d'elle-même ; l'État est la plus haute expression de l'éthique, une théorie qui contraste fortement avec le droit naturel et le contractualisme de la philosophie politique moderne. L'État, affirme Hegel, est la source de la liberté et de la norme éthique pour l'individu, il est la fin suprême et l'arbitre absolu du bien et du mal.
Cependant, l'État hégélien n'est pas un véritable État absolutiste et totalitaire, mais une unité organique vivante qui doit s'adapter aux circonstances évolutives naturelles de la société humaine. Pour Hegel, l'État éthique est le dernier moment de l'esprit subjectif et objectif, Hegel affirme que la liberté est et reste à tout moment la condition historique de la philosophie depuis la Grèce antique. Pour Hegel, une combinaison du bien commun et du bien personnel doit être trouvée dans l'État dans les limites dues à l'interaction des individus. La position de Hegel a ensuite été contrée par la critique de Karl Popper, qui a défini l'État éthique comme une société fermée, par opposition à l'État de droit propre à une société ouverte.
La théorie de l'État éthique a ensuite été reprise au 20ème siècle pour expliquer les États fasciste et communiste, qui étaient en fait des États totalitaires dans lesquels les libertés individuelles étaient réprimées selon les règles supérieures du "Léviathan" de Hobbes.
Les constitutions démocratiques successives qui ont régi l'État de droit jusqu'au siècle dernier fondent leur existence sur un équilibre fragile entre le droit et la liberté, entre l'intérêt général et la protection des minorités qui s'oppose à la pensée unique.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans un état éthique oppressif car si la démocratie libérale reconnaît et défend la liberté d'expression avec comme limite la protection de la dignité humaine, l'extrémisme progressiste voudrait, au contraire, censurer tout ce qui n'est pas conforme à la pensée unique proposée par une élite qui semble viser une gouvernance mondiale et impose ses propres règles du bien et du mal qu'elle définit en fonction d'un changement culturel qui répond à des intérêts supérieurs. La culture de l'annulation (cancel culture) est la représentation la plus destructrice d'un monopole culturel qui efface la liberté d'expression et la véritable démocratie dont la survie est de plus en plus en jeu.
La culture de l'annulation sévit dans les universités où l'on interdit aux enseignants non alignés de s'exprimer, sur les places où l'on démolit des statues comme celle de Churchill déclaré fasciste et celles de Lincoln posé comme raciste et de Colomb également campé comme raciste, et même dans le journalisme où l'on impose des modes d'expression qui ne heurtent la sensibilité de personne, puis dans la politique qui chevauche la pensée unique et le débat sur le genre et l'économie verte deviennent les chevaux de bataille d'une pensée unique qui, dans la non-pensée de la société, devient un despotisme culturel sans freins. Entendre la secrétaire du DP faire l'éloge d'une société libre sans freins sur le genre, énumérer plus de dix acronymes auxquels elle pourrait ajouter les Indiens Apaches, les Mescaleros, les Hutus, les pygmées de Bornéo, sans faire de bruit mais en se montrant comme un exemple d'universalité, tout cela a du sens. C'est ainsi que l'on passe de l'Etat de droit à l'Etat éthique absolutiste où la censure, la démission, la répression et la mise au pilori sont la fin des non-alignés ; le phénomène est endémique dans les pays anglo-saxons sans repères éthiques et moraux, prompts à gommer le peu de culture qu'ils possèdent.
L'attaque contre la démocratie libérale s'appuie sur un populisme sécuritaire qui redécouvre l'État fort qui protège le citoyen de plus en plus seul, sans défense et désorienté, mais aussi plus facile à dominer et à gouverner, et donc l'État éthique entre de force dans la vie des particuliers, proposant des modèles absolus à suivre de manière ordonnée, perturbant le système social qui est à la merci de la pensée unique.
A côté du genre, mythe et bible, l'économie verte sert des intérêts supérieurs mais risque de ruiner la classe moyenne et de bouleverser la hiérarchie sociale où les super-riches imposent leur "culture de l'annulation", indifférents aux drames sociaux qu'ils sont en train de créer.
Le monde occidental est en train de creuser sa propre tombe avec une forme de nihilisme extrême et désespéré qui prône un mondialisme sans règles morales. Le mondialisme est une idéologie complexe qui oppose une apparente liberté débridée à un contrôle social invasif et parfois criminel et à un contrôle toujours plus profond et invasif des opinions exprimées par les acteurs sociaux. Nous vivons dans une liberté éphémère qui devient condamnable si nous allons au-delà des opinions autorisées et des idées politiquement correctes, nous vivons dans une illusion de liberté sans limites, hédoniste sans limites morales qui sont l'expression d'un minimum de décence mais gouvernée par une oligarchie étroite qui contrôle, guide et punit sans pitié les pauvres et innocents transgresseurs.
Nous sommes dans un monde éthéré, fait de jeux et d'illusions, mais en proie à une pensée unique qui s'est donné pour objectif de changer le monde ; pourtant, face à cette descente aux enfers, il ne semble pas y avoir une seule voix de protestation, mais un troupeau sans fin de lemmings qui se jettent dans le ravin.
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vendredi, 30 juin 2023
Nous vivons l'éclipse de la conscience - Interview Carlos X. Blanco
Nous vivons l'éclipse de la conscience
Source: Revista Naves en Llamas, nº 22 (2023), 13-20.
Entretien avec Carlos X. Blanco, docteur en philosophie et expert en sciences cognitives
Quelle est l'importance de la philosophie dans le développement de l'intelligence artificielle et comment les philosophes peuvent-ils contribuer à ce domaine ?
Un service minimum rendu par la philosophie est l'analyse du langage utilisé, la critique et le remaniement des concepts. Cette tâche, en philosophie, est obligatoire, c'est quelque chose que nous devons toujours faire. C'est une tâche indispensable, pas la seule, comme le préconisait la philosophie analytique anglo-saxonne, mais une tâche très importante. C'est ainsi que nous éviterons de tomber dans la rhétorique ou l'empilement de mots, et que nous irons vers la vraie science. L'expression "intelligence artificielle" est un oxymore, une figure de style comme "un fer à repasser en bois". La grammaire espagnole permet de construire des expressions qui sont des contradictiones in terminis, ce qui est parfois très bien à des fins poétiques, par exemple, mais la grammaire philosophique, qui est la logique même ou le système de rationalité de l'être humain, l'interdit.
Une fois l'oxymore " intelligence artificielle " dénoncé, on peut entrer dans un double champ d'analyse : a) ontologique (qu'est-ce qui est dans le monde, qu'est-ce que l'intelligence, se demander si l'intelligence n'est pas -essentiellement- une manifestation du vivant) ; et b) gnoséologique (que sont les " sciences cognitives ", quel est le statut gnoséologique de la discipline dite de " l'intelligence artificielle " et de la psychologie cognitive.
Je me suis consacré à ces questions il y a 30 ans, en rédigeant ma thèse de doctorat. Déjà à l'époque, j'entrevoyais les répercussions désastreuses d'une discipline inventée, d'un réductionnisme brutal, d'un intérêt capitaliste tardif à élever la technologie au rang d'autel et à détruire l'humanité. Bien sûr, dans mon département, composé essentiellement d'ignorants, personne ne m'a écouté.
Comment définiriez-vous l'intelligence artificielle d'un point de vue philosophique ?
C'est le projet d'éradication de l'être humain. Ce projet, soutenu par des millions de dollars, a une longue histoire. Aujourd'hui, nous ne le voyons plus que comme un projet technologique qui permettra aux géants de la technologie d'accumuler d'énormes plus-values au détriment d'une structure anthropologique reconnaissable. Et cet aspect est réel et effrayant, mais il doit aussi être compris dans sa "généalogie", et pas seulement dans son présent. Le nominalisme, c'est-à-dire la scolastique décadente du XIVe siècle qui commence à voir le monde comme une simple collection de faits isolables et directement intuitifs par l'esprit : c'est dans Ockham que se trouve la racine de l'individualisme féroce. C'est déjà l'individu-atome des néo-libéraux anglo-saxons en termes d'anthropologie et de politique, et c'est le symbole atomique du cerveau intégré dans un "langage de la pensée", comme le voulait Jerry A. Fodor (photo).
À ma connaissance, personne n'a voulu voir le lien entre l'individualisme nominaliste et l'atomisme de l'esprit comme des éléments essentiels d'un projet visant à faire de l'homme une machine. Ce n'est pas que l'intelligence artificielle rende les machines "humaines". Au contraire, l'objectif est de faire de l'homme une machine, ce qui est techniquement possible et beaucoup plus lucratif et... métaphysiquement, mortel.
Selon vous, quelles sont les implications éthiques et morales du développement de l'intelligence artificielle avancée ?
Il est nécessaire d'étudier, comme je l'ai déjà dit, la généalogie de la modernité, afin de comprendre les développements futurs possibles. Le nominalisme et l'individualisme, à la fin du Moyen Âge. Empirisme et rationalisme, à l'époque moderne. L'homme comme machine à traiter des symboles et à suivre une grammaire mentale universelle, au XXe siècle. Entre les deux, le libéralisme et le contractualisme : nous sommes des pièces dans un cadre, des atomes discrets et remplaçables soumis à une grammaire qui nous domine et nous traverse. Eh bien, il faut extrapoler à partir de là vers l'avenir. Nous devenons de plus en plus des "pièces", avec de moins en moins d'"âme".
Gardons à l'esprit que l'histoire de l'humanité est l'histoire de l'esclavage sous les formes les plus diverses. L'homme, en général, a été traité comme une bête et comme une "chose" selon les paradigmes juridiques et politiques les plus bizarres et les plus différents. L'homme est un jus extrait qui sert d'"instrument vocal" et de bête à acheter et à vendre, une propriété sur laquelle le maître a le "droit d'user et d'abuser". Le jus extractible n'est pas seulement la force de travail de l'esclave, mais aussi sa capacité à donner du plaisir et du divertissement aux autres, etc. Depuis des siècles, la marchandisation et la réification de l'être humain est un fait que le capitalisme n'a fait que renforcer et consacrer. Dans cette ligne, à partir de cette base, la soi-disant intelligence artificielle va plus loin : non seulement l'homme corporel - dans son ensemble et dans ses parties - mais aussi l'homme intérieur doivent être transformés en marchandises. Chaque recoin de son âme (volitive, affective, intellectuelle) doit être colonisé et vendu.
Que pensez-vous du concept de "conscience" dans l'intelligence artificielle et de la manière dont il pourrait affecter notre compréhension de l'esprit humain et de la conscience ?
La conscience dans l'intelligence artificielle est traitée de façon magistrale dans le plus grand film philosophique de tous les temps: 2001, l'Odyssée de l'espace. Hal 9000 a une conscience, une conscience "de". Dans le cas présent, il s'agit de la "conscience de la mort". Les astronautes doivent éteindre (de manière irréversible) un dispositif. Mais cet appareil, le super-odénateur qui contrôle le vaisseau spatial, a la "conscience de". Hal 9000 a peur de la mort et tue pour vivre. La conscience même de la mort nous identifie en tant qu'être humain, et HAL 9000 était donc humain. La conscience n'est pas une "substance" qui abrite un animal ou une machine.
La conscience est une intentionnalité, c'est-à-dire une référence ou une relation qui transcende celui qui en fait l'expérience. C'est une sorte d'ouverture à d'autres réalités (transcendance), surtout si ces réalités sont d'autres consciences. Les programmes et les robots d'aujourd'hui ne sont pas conscients, mais ils usurpent des fonctions anthropologiques qui étaient conscientes. On le voit dans l'éducation : on veut faire des enfants occidentaux des bêtes droguées au porno et aux jeux vidéo, en leur épargnant des efforts, et en épargnant à l'État l'obligation de mieux embaucher et former les enseignants. La conscience disparaît dans la numérisation de l'éducation. Nous vivons l'éclipse de la conscience.
Comment l'intelligence artificielle pourrait-elle changer la façon dont nous comprenons des concepts tels que l'identité, la vie privée et l'autonomie personnelle ?
Ils ont déjà changé. C'est un fait. Et ce qui risque d'arriver, c'est que les droits et attributs fondamentaux de la personne disparaîtront. La personne finira par devenir une fiction, quelque chose qui existe légalement sur le papier mais qui ne correspond à aucune structure ontologique. Nous assistons à un processus de vidange, d'"usurpation" des facultés humaines. De même qu'à l'époque du fordisme et du taylorisme, pour être ouvrier, il n'était pas nécessaire d'être une "personne", il était plus intéressant, comme le disaient les premiers "managers" du capitalisme, d'embaucher des gorilles dressés... aujourd'hui, le système veut des consommateurs sans identité réelle. Ce capitalisme aliénant a fait disparaître des milliers de métiers, des milliers de compétences et de traditions que les gens portaient en eux depuis des générations. Eh bien, maintenant, l'assaut n'est pas seulement dirigé contre le "savoir", mais aussi contre les attributs fondamentaux de l'être humain. Pour ce faire, ils suppriment le père, la mère, l'enseignant et toute forme d'autorité et de source de règles. Les règles sont fixées par le Grand Dispositif et dans chaque enfant il doit y avoir un terminal (le téléphone portable) avec lequel conduire la créature jusqu'à ce qu'elle devienne un légume et une marchandise.
Quels défis éthiques pensez-vous que nous devrons relever avec l'adoption généralisée de l'intelligence artificielle dans divers secteurs de la société ?
-La conversion ultime de l'homme en une chose. Nous voyons aujourd'hui l'étape intermédiaire, avec l'animalisme. L'humanité occidentale s'est tellement dégradée, s'est tellement habituée à se voir en termes animaliers, qu'il n'y a aucun problème à attribuer des droits aux animaux. Pour beaucoup de gens, même ceux qui sont passés par l'université (et parmi eux les pires), un animal de compagnie vaut plus qu'un enfant. L'étape suivante est le scénario que des écrivains comme Asimov avaient déjà envisagé il y a des décennies, lorsque j'étais enfant : les lois de la robotique. Un robot acquerra des droits sur les humains, et même les humains deviendront des assistants, des appendices et des esclaves des robots. Grand paradoxe, car le mot robot signifie esclave. Mais tout cela est déjà présent dans le Capital de Marx : l'aliénation devant la machine.
Quelle est votre opinion sur le rôle de l'intelligence artificielle dans la prise de décision, en particulier dans des situations critiques telles que la justice, la médecine et la sécurité ?
Aujourd'hui, l'intelligence artificielle prend déjà des décisions essentielles en matière financière, de communication, etc. Si vous avez un compte Twitter, vous vous ferez facilement insulter par des "bots", c'est-à-dire des profils étranges, remplis de messages incohérents (beaucoup de textes en anglais, des mèmes absurdes, etc.), parce qu'ils ne sont pas humains, mais les "bots" qui vous insultent ont été déclenchés par quelqu'un d'humain au début de la chaîne, qui lance sa campagne en toute connaissance de cause. Il en va de même pour les investissements : l'avenir d'un pays entier est décidé par une machine, mais qui est le fils de sa mère qui a décidé que - à son tour - une machine décide ? Soyons francs : ce qui se passe avec le monstre cybernétique qui nous envahit est un raffinement d'un monstre précédent, le monstre bureaucratique. Un subordonné doit commettre un acte cruel, moralement douteux, mais... le règlement l'exige, le supérieur le décide. Et c'est fait. Lorsque nous parlons de "programme" ou d'"algorithme", il y a également une tentative évidente d'éviter la responsabilité, qui est toujours humaine. Mais il y a toujours une responsabilité. On vous dit que "cette (technologie) est irréversible"... mais vous pouvez aussi résister. Il faut qu'il y ait des gens qui se lèvent et assument la responsabilité des décisions prises. Trop c'est trop.
Quels arguments philosophiques peuvent soutenir ou réfuter la possibilité que les machines développent des émotions ou une certaine compréhension des sentiments humains ?
Une expérience corporelle intégrale. Si un jour il y a des "réplicants" comme ceux de Blade Runner, l'autre grand film philosophique sur l'I.A., dont les corps et les cerveaux s'accumulent de diverses manières. dont les corps et les cerveaux accumulent de l'expérience (et pas seulement des "données"), comme quelque chose de vivant et d'interagissant, alors nous pourrions faire de telles attributions (la machine "aime", la machine "craint", etc.). Il s'agirait d'une évolution, d'un devenir vers la subjectivité. Ce qui va se passer, c'est qu'il y aura des hybrides, je le crains. Des hybrides, des êtres biologiquement humains avec de nombreuses prothèses qui changent essentiellement notre conception de l'esprit, du sentiment, de l'action, etc. Et il sera alors très difficile de savoir quand cette nouveauté, cette autre réalité para-anthropologique, est apparue.
Selon vous, quelles sont les principales préoccupations philosophiques liées à la dépendance de l'homme à l'égard de l'intelligence artificielle et comment pouvons-nous relever ces défis ?
Pour moi, ce qui est inquiétant, c'est la disparition de la figure de l'enseignant et de l'éducation elle-même, telle que certains d'entre nous la conçoivent encore. Les GAFAM, tout le réseau industriel qui alimente le transhumanisme, veulent supprimer la chaîne de transmission et la continuité de la culture, et réaliser ainsi l'équivalent du "gorille dressé" de l'époque de Taylor et Ford. Avec la disparition du maître, et de la famille elle-même, la mutation anthropologique est servie. Le Grand Dispositif sera le seul "éducateur", il sait ce qu'il faut faire. Et, bien sûr, le Nouvel Ordre Mondial aura les applaudissements et la complicité de millions d'imbéciles qui se verront tout enlever, ayant collaboré à leur propre destruction de tout ce qui est beau et précieux dans la vie. Rappelez-vous ce qui a dû se passer dans votre banque : une gentille employée, celle qui s'est toujours occupée de vous avec professionnalisme et sourire, vous apprend patiemment à utiliser la banque en ligne. Aujourd'hui, cette femme est au chômage. C'est la même chose dans l'éducation : des milliers d'enseignants sont enthousiasmés par la "numérisation" de l'enseignement. Ce qu'ils font, c'est s'incliner devant Google, Microsoft et autres, creuser leur propre tombe et dégrader leur profession.
Face aux défis : la résistance. Être des traditionalistes au sens le plus noble et le plus granitique du terme.
Dans quelle mesure pensez-vous que l'intelligence artificielle peut reproduire ou surpasser la créativité et l'intuition humaines ?
-Elle ne va pas la reproduire ou la dépasser. Elle la détruira. Les artistes disparaissent déjà. Vous n'allez pas payer un euro pour une œuvre originale réalisée par un humain. Il y a plein d'applications qui écrivent des poèmes, peignent des tableaux, composent des chansons et des symphonies. Les thèses de doctorat et les articles journalistiques peuvent être générés par des machines, et le problème est que l'être humain lui-même - déprofessionnalisé et déshumanisé - admet être un émetteur (et non un créateur) de cochonneries. Je le vois dans ma profession : il y a des enseignants qui se limitent à projeter des films en classe et à poser des questions d'examen avec Kahoot (qui est une application qui pose et corrige automatiquement les questions d'examen). Pour se consacrer à ces bêtises pseudo-pédagogiques, il vaudrait mieux qu'ils s'en aillent. L'étudiant a le droit de recevoir une Master Class. Il y a trop d'hommes de main des machines. Les machines nous dépasseront si nous, les humains, nous laissons dégrader.
Quelle est votre opinion sur la possibilité d'accorder certains droits juridiques ou considérations morales à des entités dotées d'une intelligence artificielle avancée ?
Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un processus de dégradation anthropologique induite. Il existe, me semble-t-il, une nouvelle mystique maçonnique, beaucoup plus puissante que la franc-maçonnerie traditionnelle (bien qu'elle s'appuie également sur elle), qui souhaite des "mutations anthropologiques" constantes, et qui a pour idéal religieux une véritable folie : une Harmonie Universelle de tous les Frères de la Race Humaine. Pour atteindre cette folie inaccessible, ils n'hésitent pas à créer des massacres et à transformer le corps, l'âme et l'essence d'êtres humains normaux. L'ultra-humanisme de l'intelligence artificielle conduit nécessairement au transhumanisme et à l'idéologie criminelle. L'Agenda 2030, et tous les Agendas qui suivront, sont criminels, maçonniques, délirants et despotiques. La mystique de l'amélioration constante, mais non transcendante comme le prétend le christianisme, conduit au génocide.
Nous sommes terrifiés à l'idée qu'il est plus coûteux, pénalement ou administrativement, de tuer un rat qu'un enfant. Nous sommes terrifiés à l'idée qu'un être humain devienne l'esclave d'un robot. Mais le temps nous le dira. Ces choses sont déjà en train de se produire. Et les changements législatifs consacrent souvent des réalités qui, comme un voleur dans la nuit, s'insinuent et se répandent sans que l'on s'en aperçoive.
Pensez-vous que les nouvelles IA soient idéologiquement, politiquement, culturellement, etc. biaisées ?
Le capitalisme néolibéral. C'est le grand biais sous-jacent. Lorsque j'ai analysé les origines des "sciences cognitives", y compris l'IA et la psychologie cognitive, dans ma thèse soutenue en 1993 à l'université d'Oviedo, j'ai observé que les fondations et autres "payeurs" - privés ou publics, surtout militaires - étaient très intéressés par la création de ce que j'ai appelé un "humanisme computationnel". De manière suspecte, depuis la fin des années 1950, les Américains ont ramené dans le monde académique une philosophie mentaliste dépassée pour promouvoir - sur le plan pratique - l'exact contraire de toute anthropologie spiritualiste ou personnaliste : non pas fabriquer des machines intelligentes, mais voler l'esprit des hommes. Nous voler ce qu'il y a de plus propre à nous tous, êtres destinés par Dieu à être intelligents et appelés à être maîtres de la Création. La "quatrième révolution industrielle" promue par les crapules de Davos est un arrêt de mort pour l'humanité. Une sorte de "résolution finale", mais cette fois-ci sur l'ensemble de l'humanité. Ce ne sont plus des nazis, comme ceux du 20ème siècle, qui limitaient leur zèle génocidaire à des peuples spécifiques (juifs, slaves, etc...). Ce sont maintenant des ultra-nazis qui vont anéantir, si on les laisse faire, l'ensemble de l'humanité.
Je vous remercie de nous avoir accordé cet entretien.
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L'intelligence artificielle il y a trente ans et aujourd'hui
L'intelligence artificielle il y a trente ans et aujourd'hui
Source: Naves en Llamas, nº 22 (2023), 21-24
Carlos X. Blanco
Docteur en philosophie et expert en sciences cognitives.
En 1993, au département de philosophie et de psychologie de l'université d'Oviedo, j'ai présenté ma thèse pour l'obtention du titre de docteur en philosophie. Mon travail s'intitulait "Gnoseología de la Psicología Cognitiva" (Gnoséologie de la psychologie cognitive) et, dans ses différents chapitres, je traitais assez longuement du statut des disciplines qui - déjà à l'époque - promettaient de révolutionner la science et la technologie et, en fin de compte, de modifier la condition humaine elle-même. Mon analyse, réalisée en grande partie avec les outils de la théorie de la clôture catégorielle (Gustavo Bueno), ne se limitait pas à cette école de psychologie qui utilisait ce qu'on appelle la "métaphore informatique", qui comprenait l'esprit humain (et animal) comme un système de traitement de l'information. Au-delà, j'ai estimé que l'analyse devait inclure une critique de cette sorte de "club" de connaissances qui - aux États-Unis - commençait à s'appeler "sciences cognitives". Il s'agissait d'un ensemble de connaissances très hétérogènes, mais unies par une approche et des méthodologies dites "computationnelles".
L'intelligence artificielle (I.A.), née bien avant le "club" des sciences cognitives, se sentait ici (nous parlons des années 1980) comme la maîtresse de maison, la reine qui pouvait faire la leçon et donner des mandats aux autres sciences (c'est-à-dire la psychologie, la linguistique, l'anthropologie, les neurosciences...). C'est elle, l'I.A. régnante, qui offrirait un cadre commun, une vision du monde, une méthodologie, etc. aux autres. Même la philosophie (qui, dans le monde anglo-saxon, était avant tout la philosophie analytique, la philosophie de l'esprit) devait intégrer ses arguments et ses analyses dans la sphère informatique (Fodor, Dennet).
A l'époque, mes collègues du département et mes étudiants ne comprenaient pas l'importance d'une telle analyse. Il ne s'agissait pas seulement de critiquer le "mentalisme" d'une telle vision du monde et de l'homme. Gustavo Bueno, au sujet de la gnoséologie de la psychologie, avait des vues très crues, curieusement très proches du béhaviorisme. Cela explique la présence dans mon comité de thèse, outre le célèbre philosophe (en tant que président), d'une paire de psychologues philosophes (Marino Pérez et Juan Bautista Fuentes), qui entendaient par matérialisme en psychologie exactement ceci: le "béhaviorisme". Ils étaient - ou sont peut-être encore - deux disciples de Bueno qui appliquaient certaines bonnes théories aux sciences du comportement. Dans ces années-là, ils hybridaient Skinner avec Ortega et Bueno, c'est-à-dire qu'ils étaient déterminés à faire la quadrature du cercle et à fabriquer des fers à repasser en bois. Une absurdité typique des universités hispaniques, si enclines à l'arbitraire et à la stérilité. Le comportementalisme qui leur plaît tant n'est rien d'autre qu'une idéologie d'origine américaine qui ne produit qu'une vision mécanique et aliénante de l'être humain; cette vision comportementaliste et mécanique était également cachée, dès le début, dans toute l'approche computationnelle, de sorte qu'à Oviedo (Fuentes est professeur à la Complutense, mais a été "adopté" par Oviedo dans plusieurs aspects), il n'y avait pas beaucoup d'instruments ni de personnes pour faire une critique adéquate.
L'application de cette méthode d'analyse des sciences et des connaissances que Gustavo Bueno a conçue, la théorie de la fermeture, a nécessité la rectification et le remaniement des outils utilisés, en fonction des connaissances en question. L'intelligence artificielle, celle qui intéresse vraiment le philosophe (et non une simple technologie de programmation, de simulation de comportements, etc.) n'est pas une science : c'est un projet ontologique transformateur, enfant du capitalisme le plus destructeur et prédateur, aujourd'hui dirigé par la Silicon Valley, Big Tech, les GAFAM... Ce n'était pas une simple métaphore au service du mentalisme des cognitivistes.
Si ces philosophes et psychologues "matérialistes" m'ont lu calmement, je ne pense pas qu'ils aient jamais saisi ma proposition. Une proposition que je n'ai pas pu approfondir après 1993, faute de soutien pour ma carrière universitaire. Dans ma thèse de doctorat, je mettais en garde contre l'émergence dangereuse d'un "humanisme computationnel" selon lequel les frontières entre la machine, l'être vivant et l'être humain deviendraient floues. Un "humanisme computationnel" se présentait comme un cadre philosophique pour la promesse d'un monde plus confortable et plus heureux, où les humains seraient mécanisés. Ainsi, le processus de réification se poursuivrait, le capitalisme verrait de nouvelles barrières tomber : tout peut être marchandisé, tout entre sur le marché. Non seulement la terre, l'eau, l'air, la sueur humaine, les organes et les vies organiques. Même les processus mentaux et l'intimité de l'homme sont destinés à être commercialisés. L'idéologie transhumaniste dont nous parlons tant aujourd'hui n'est rien d'autre qu'une mise à jour du projet des "sciences cognitives et informatiques" que j'ai analysé dans les années 1980.
Un "humanisme computationnel" proclamé comme cadre philosophique pour la promesse d'un monde plus confortable et plus heureux, où les humains seraient mécanisés. Ainsi, le processus de réification se poursuivrait, le capitalisme verrait de nouvelles barrières tomber : tout peut être marchandisé, tout entre sur le marché. Non seulement la terre, l'eau, l'air, la sueur humaine, les organes et les vies organiques. Même les processus mentaux et l'intimité de l'homme sont destinés à être commercialisés. L'idéologie transhumaniste dont nous parlons tant aujourd'hui n'est rien d'autre qu'une mise à jour de ce projet de "sciences cognitives et informatiques" que j'ai eu la chance d'analyser dans les années 1980.
L'intelligence artificielle n'était pas une véritable "science", mais elle n'était pas non plus une simple "technologie", entendue comme l'application pratique de la science. Elle impliquait plutôt la création d'une ontologie alternative. Mais il ne s'agissait pas d'un simple jeu académique. Au MIT, à Carnegie Mellon, dans les universités californiennes, etc., il n'y avait pas un simple désir d'être moderne et de dire au monde : "Arrêtez avec la vieille métaphysique européenne poussiéreuse. Nous sommes en train de dompter la métaphysique avec des ordinateurs ! Il n'en est rien. Il s'agissait de quelque chose de bien pire, de terrible.
L'ontologie alternative qu'ils proposaient avait un caractère viral et usurpateur. Il s'agissait de s'introduire dans toutes les branches du savoir, scientifique-technique et humaniste, pour se nourrir du noyau vivifiant de chacune d'entre elles et, tel un parasite, la supplanter définitivement en jetant les parties inutiles dans l'évier. Par exemple, l'Intelligence Artificielle a converti en qualia, c'est-à-dire en subjectivité résiduelle, non calculable, tout ce qui signifiait sentiment, expérience, phénomène interne, le plus caractéristique de toute psychologie philosophique non comportementaliste. Mais le projet qui se forgeait, je le répète, véritable prélude au transhumanisme d'aujourd'hui, allait beaucoup plus loin. Comme s'il s'agissait d'un véritable attrape-nigaud, l'Intelligence Artificielle de l'époque (rappelons que trois décennies se sont écoulées depuis que j'ai fait ce travail) promettait de réduire les figures de l'Esprit Objectif, au sens de Hegel, à de simples structures symboliques manipulables : la Culture, non pas au sens subjectif, c'est-à-dire la formation d'un individu, mais au sens objectif et suprapersonnel, allait être dévorée par les algorithmes.
Je ne pense pas que mes supérieurs, mes collègues enseignants ou mes étudiants l'aient vu. C'est une occasion manquée. Ils n'ont pas saisi les implications d'une critique de l'Intelligence Artificielle à l'époque, une critique centrée non seulement sur sa faiblesse épistémique, mais sur sa "férocité" ontologique. Il ne s'agissait pas de dénoncer l'I.A. comme une simple pseudo-science (ce qu'elle est), ni d'en rester à une simple critique idéologique (dire que c'est un mécanicisme aliénant, une aberration où l'homme se dégrade en se réduisant à une chose, une machine). Comme je le dis, il y a beaucoup plus de cire que de cire qui brûle. Ces critiques épistémologiques et idéologiques sont des critiques valables, et elles sont également présentes dans mon travail, mais j'étais beaucoup plus intéressé à remettre en question le statut ontologique (pas seulement gnoséologique) de ces technologies et pseudo-technologies au service du Grand Capital, bien payé à l'époque par l'argent des Yankees. Des pratiques et des discours qui allaient conduire l'humanité à son détrônement définitif et à son asservissement ultérieur.
Vers l'esclavage. Un monde où il n'y a plus de Droit, parce que les algorithmes jugent ; un monde où il n'y a plus d'Art, parce que les algorithmes créent ; un monde où il n'y a plus d'Etat, parce que le monde entier est régi par des programmes "qui font et défont" ce qui convient au Grand Capital... De quel monde s'agit-il ?
Face aux prétentions d'un prétendu "humanisme informatique", le véritable humanisme est un retour à l'artisanat. Le bon professeur donne des cours de maître, qui sont uniques, personnels et intransmissibles. Aucun ordinateur ne remplacera les architectes des cathédrales gothiques. Aucun robot ne remplacera le travailleur manuel qui met du soin et de l'expérience dans les objets qui sortent de ses mains. L'approche mécaniste, comme l'approche "biocentrique", ou toute autre approche qui met l'être humain en marge, est une alliée du totalitarisme. En tant qu'"artisan" et penseur anthropocentrique, j'ai déclaré la guerre aux technologues et aux économistes depuis de nombreuses années. Le monde est celui que l'homme transforme avec ses mains, son amour, son expérience. La science et la technologie qui ne nous permettent pas d'être des personnes sont des déchets et de la camelote.
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lundi, 26 juin 2023
Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul
Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul
par Pierluigi Fagan
Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/propaganda
Ce livre de Jacques Ellul sur la propagande a été écrit en 1962, donc sans des phénomènes tels que l'Internet et les réseaux sociaux, la mondialisation, la télévision privée, les chaînes de télévision en ligne, la diffusion par satellite et par câble, la mobilité cellulaire, la segmentation statistique psychographique et le Big Data. Cependant, le livre d'Ellul reste un ouvrage de référence pour l'étude du phénomène 'propagande", tel qu'il est encore enseigné dans de nombreuses facultés (avec Bernays, Lasswell, Dobb jetant toujours un coup d'œil en privé sur Goebbels, un coup d'oeil grossier mais efficace). La première considération à faire est de savoir combien de penseurs, en Europe mais souvent aussi aux Etats-Unis, avaient dans les années 60 des idées très claires sur les contours fondamentaux de la société qui est encore la nôtre, une société devenue pire sous certains traits. Plutôt que de porter un jugement d'actualité, nous devrions nous demander pourquoi nous redécouvrons aujourd'hui mille et une fois une eau chaude qui avait déjà été chauffée pour de bon il y a soixante ans. Il est clair qu'un des problèmes majeurs qui se pose aux idées et aux systèmes mentaux critiques et donc non dominants est leur dispersion dans le temps, ils ne s'accumulent pas, ils ne font pas masse.
L'auteur, Ellul, est un Français inclassable. Historien du droit, théologien protestant, critique de la société technique telle qu'abordée par Gunther Anders, de tendance anarcho-libertaire, marxologue non marxiste, il a anticipé les thèmes de la décroissance. Jacques Ellul est ici dans le rôle du sociologue, peut-être sa spécialité la plus complète et la plus pointue.
Compte tenu du sujet et de l'actualité récente, il convient de commencer par dire qu'"il y a propagandiste et propagandiste". Le premier est souvent un fonctionnaire du système qui doit fondre psychologiquement les individus en une masse pour qu'ils se conforment au système. Cela s'applique aussi bien aux dictatures qu'aux démocraties ou pseudo-démocraties. Selon Ellul, la propagande (qui coïncide avec la diffusion d'une image précise de l'homme et du monde qui lui donne raison et sens) est une nécessité pour les sociétés modernes et techniques, quel que soit le régime politique. Le propagandiste connaît la psychologie sociale, l'individu, la psychologie profonde, la sociologie, la mythologie, les formes religieuses, de sorte que, du haut de son pouvoir cognitif, il méprise le propagandisé, même s'il l'a bien étudié, ou peut-être à cause de cela.
Elle implique le rationnel et l'irrationnel, le public et le privé, le conscient et l'inconscient, ainsi que tous les médias possibles et imaginables, ceux-ci étant toujours la propriété de l'État ou des capitalistes, comme en Occident. Mieux vaut un seul média, ou au moins quelques-uns et accordés entre eux.
Dans les sociétés "libérales", la liberté ,e peut se mouvoir que dans deux camps qui se détestent et sont incapables de dialoguer, d'où la mortification de la pâle prétention au pluralisme démocratique au profit d'un bipolarisme de fait. De toute façon, deux pôles font le milieu du jeu, et c'est donc finalement la structure de pouvoir qui gouverne de toute façon. Cela cristallise les images du monde à partir d'un puissant travail de simplification dont le propagandiste est l'artisan.
Que d'angoisses dues à l'impréparation et à la peur engendrées par la cascade de nouvelles incompréhensibles, inquiétantes et anxiogènes ! Puisque les pouvoirs ont toujours besoin d'une légitimité donnée par le peuple et qu'on voit mal comment des gens qui travaillent huit heures par jour, plus le temps passé dans les transports et le temps destiné aux soins personnels, peuvent savoir vaguement quoi que ce soit sur l'économie, la finance, la technologie, la géopolitique, la culture, la politique, la société, l'avenir, l'environnement, etc, Ce sont des mots à la mode, des mantras, des refrains pré-packagés, des slogans, des témoignages, des experts, des fragments de rationalité lubrifiés avec d'importantes doses d'émotivité pour des cerveaux faibles, distraits, sans mémoire, dépendants, déstabilisés et rendus incertains par une ignorance évidente, avides de Vérité et de bonnes choses à penser.
Aujourd'hui, avec des problèmes de plus en plus complexes et globaux, la propagande devient de plus en plus exaspérante, pointilliste, des étincelles d'attention déconnectées du tout, des kaléidoscopes impressionnistes. L'efficacité de la propagande est conditionnée par son immensité enveloppante, sa continuité, sa cohérence invisible, sa répétitivité et, de façon perverse, son utilité pour donner de la raison et du sens à ce qui n'en a pas. Plus il y a de "sens" moins il y aura de dissidence.
La connaissance et l'exploitation scientifique des mécanismes de contagion et de synchronisation des masses, du fait que, comme le disait Durkheim, "le groupe pense et agit d'une manière complètement différente de celle dont ses membres individuels penseraient et agiraient s'ils étaient isolés", de l'isolement mutuel actuel entre des personnes qui ne transmettent pas réciproquement des informations et des connaissances (elles ne débattent pas) mais proposent des données et des interprétations provenant d'une source unique, le public qui se fait une opinion ou plutôt acquiert l'opinion qu'on lui donne puisqu'il n'a pas le temps ou les outils pour se faire sa propre opinion, créent la situation idéale. La propagande, comme la publicité, n'invente presque rien, elle pêche parmi les préjugés, les stéréotypes, les catégorisations, les modèles, les traditions, les conformismes, les mythes profonds (il y a une faim primitive de mythe, surtout du côté masculin), qui existent déjà (la Nation, le travail, le Héros, le bonheur, la liberté).
Un mythe éternel est celui du Grand Homme que l'on adore tout en le manipulant et en l'entubant; un autre de ces grands hommes (Berlusconi) vient de mourir, un "grand homme" qui a recodé nos codes socioculturels, éthiques, moraux et politiques sous les applaudissements convaincus de ses adorateurs propagandistes. Je me suis mis en tête de faire la liste des orphelins éplorés à son enterrement, de Boldi à Razzi, un instantané sociologique du niveau de l'imaginaire national de ces trois dernières décennies, puis j'ai laissé tomber, c'est de toute façon inutile par les temps qui courent. Si l'imbécile était capable de se rendre compte qu'il en est un, il n'en serait pas un.
La taxonomie d'Ellul est élaborée. Il y a la propagande politique et sociologique, verticale et horizontale, l'agitation et l'intégration (modèle de lutte des partis, puis de gouvernement qui change radicalement d'arguments et de ton), le rationnel et l'irrationnel. En Occident, elle tend à s'adapter à une société de masse individualiste et abrutissante après la destruction ou l'affaiblissement de toute structure intermédiaire. Les allusions au prototype américain de son époque donnent l'idée d'un véritable "rayonnement social", ce sont les formes, les modes, les symboles mêmes de notre société environnante qui communiquent avant qu'on leur ordonne de parler.
Un autre sociologue plus récent, George Ritzer (2005), a publié dix livres en anglais jusqu'à il y a deux ans, avec un livre sur la "forme McDonal"d de nombreuses structures sociales: efficacité, calculabilité, prévisibilité, uniformité dans un univers de McUniversité, McMedia, McChildren et, en fin de compte, une McConscience de soi. Tout cela rayonne avec cohérence directement de la société, le discours propagandiste ne devenant qu'un simple accompagnement. La nécessité de simplifier le discours correspond à la nécessité de simplifier la société. Ses effets ne sont pas superficiels et transitoires, ils façonnent l'esprit avant le contenu par les formes, par exemple en dichotomisant tout (bien-mal, juste-mal), en jugeant avant même d'analyser, en ordonnant la pensée dans les chemins déjà tracés (dont on sait déjà où ils aboutissent de toute façon), en étant obsédé névrotiquement par le présent pour que les causes s'échappent, en ne se demandant jamais "pourquoi"... en essayant bien sûr de dépasser les réponses de pacotille des historiettes qui nous sont assénées.
Dernièrement, pousser compulsivement des boutons sur un parallélépipède plat à tenir devant ses yeux. L'efficacité de la propagande a pour condition préalable l'immensité enveloppante, la continuité, la cohérence invisible, la répétitivité.
L'autre soir, je suis tombé sur une soirée Rampini sur la 7, avec pour thème les Etats-Unis d'Amérique (et dont le decorum reproduisait les couleurs et les formes du drapeau) suivie d'une autre sur la Chine. Selon Rampini, qui revendiquait fièrement sa nouvelle citoyenneté américaine, les Etats-Unis sont forts, inatteignables et gagnants dans tous les grands domaines de la puissance (armes, dollar, PIB, technologie, démographie) et le resteront, heureusement pour nous, encore longtemps. Le seul problème, c'est que ces derniers temps, ils semblent manquer de confiance en eux (zut !).
J'ajouterai encore quelques remarques sur cette Nathalie Tocci, "experte" convoquée pour nous expliquer les choses. La dame semble diriger un think tank italien de politique internationale. Mais l'on découvre sur son site qu'il reçoit près de 50% de ses fonds d'"organismes et fondations étrangers" (pas de honte). La dame avait tendance, lorsqu'elle parlait des Etats-Unis, à hausser les pointes intérieures de ses sourcils puis à les abaisser, comme si elle parlait sous les traits d'un pauvre petit chaperon rouge en proie aux mille embûches de la forêt mondiale. Lorsqu'elle parlait de la Russie et de la Chine, elle faisait l'inverse, abaissant les pointes intérieures et relevant les pointes extérieures, comme si elle parlait du grand méchant loup qui s'apprêtait à dévorer la pauvre grand-mère. Après tout, il était tard dans la soirée et les histoires à dormir debout ont leur public. Je me suis senti nostalgique de Luttwak.
Nous en sommes à la régression infantile des opinions publiques, qui va de pair avec un autre concept de la sociologie contemporaine, la "gamification", c'est-à-dire l'introduction de mécanismes de jeu dans des environnements non ludiques tels que l'internet, les systèmes sociaux, d'apprentissage ou d'entreprise, en sollicitant une participation active et "spontanée". Le récent déclin qualitatif des propagandistes correspond à celui des propagandistes et, plus généralement, à l'esprit du temps.
Je termine sur une note positive, que faire, quels antidotes, comment surmonter cette condition de servitude psycho-intellectuelle volontaire, propédeutique à la servitude volontaire de participation à la termitière sociale au rythme des tambours joués pour nous par les propagandistes du système ? Le temps. Passer du travail sur les choses au travail sur soi, gagner du temps à consacrer à l'auto-formation de sa mentalité. Une mentalité, formée a maintenir une distance critique par rapport à la propagande, brise la magie, l'enchantement, devient immunisée, regarde de haut le fatras propagandiste, rompant ainsi la servitude volontaire. Mais au milieu de plus de tradition, plus de travail, plus d'ordre, plus de justice, plus de liberté, plus d'innovation, plus de sécurité, plus d'opportunités, la propagande politique semble unanime à éviter de promettre le seul plus dont vous avez besoin pour décider pour vous-mêmes, juger par vous-mêmes, agir avec le plein sens de vous-mêmes: le plus de temps.
Moins de travail, plus de temps, moins de propagande. C'est l'utopie ultime et irréalisable.
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vendredi, 16 juin 2023
Multipolarité et multilatéralisme
Multipolarité et multilatéralisme
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/ru/article/mnogopolyarnost-i-mnogostoronnie-otnosheniya
Il existe plusieurs termes similaires dans les sciences politiques occidentales qui rendent confus le contexte de l'émergence d'un ordre mondial multipolaire. Outre le terme de multipolarité, les mots "multipolarité" et "multilatéralisme" sont également utilisés. Cependant, si nous les déconstruisons, il sera évident qu'ils ont une signification différente. Avec la multipolarité, tout est plus ou moins clair, même si, encore une fois, en Occident, la polarité a d'abord été comprise comme une définition géographique, et comme il n'y a que deux pôles sur la Terre, le Nord et le Sud, elle a certaines connotations.
À l'époque de la guerre froide et de la bipolarité, elle soulignait même un certain caractère naturel des deux pôles. Cependant, si nous partons d'un point de vue différent, il pourrait y avoir beaucoup plus de pôles. En partant de l'explication de Martin Heidegger dans son Parménide, nous arrivons à la conclusion qu'il peut y avoir autant de pôles que de nations, et il y a ici un certain lien avec le concept de quatrième théorie politique d'Alexandre Douguine, où le Dasein est proposé comme base pour la projection et la fixation d'objectifs dans le temps et l'espace, qui se déploie dans les processus politiques.
En ce qui concerne le multipolarisme, il est immédiatement évident que nous parlons d'une sorte de construction idéologique. La terminaison -isme nous renvoie aux modèles politiques théoriques et pratiques les plus divers, du communisme et du marxisme au libéralisme et au fascisme. Par conséquent, le multipolarisme apparaît comme un concept parapluie, bien qu'il n'existe pas d'idéologie du "multipolarisme" ou du "multipolarisme" en tant que telle. Il existe des visions disparates de la formation d'un système politique mondial multipolaire. D'une part, les États constituent certes des pôles, d'autre part, les pôles peuvent aussi être des alliances et des pactes, et enfin, ils peuvent être des civilisations (qui coïncident parfois avec des États, comme dans le cas de la Russie, de l'Inde et de la Chine).
Néanmoins, le terme multipolarisme lui-même peut servir de point de référence, de phare pour stimuler le développement des aspects pratiques de la multipolarité.
Dans le cas du multilatéralisme, nous sommes confrontés à une approche totalement différente des affaires internationales. Il s'agit d'un modèle proposé par les États-Unis sous l'administration de Barack Obama pour renforcer l'hégémonie de Washington. Seulement, le leadership américain dans ce format n'est pas si évident. C'est un peu comme la méthode "nudge" du behaviorisme social que Cass Sunstein (qui a également travaillé dans l'administration de la Maison Blanche sous Obama) a proposée. Le titre de l'un de ses livres, The Illusion of Choice, illustre parfaitement le principe du multilatéralisme. Les autres pays ont l'illusion d'avoir des connexions diverses et variées, mais toutes (en politique, en économie, en logistique, etc.) sont incluses dans la toile d'un système mondial contrôlé par un seul acteur - les États-Unis.
Au sein des Nations unies, l'accent est souvent mis sur le multilatéralisme et un certain nombre d'agences spécialisées opèrent dans ce sens. Toutefois, comme dans le cas de la réglementation de l'internet, il y a des tentatives évidentes de la part d'une partie d'augmenter le nombre de voix au détriment des unités opérationnelles fictives, c'est-à-dire les entreprises privées, qui sont censées avoir le droit de participer à l'élaboration de nouvelles normes. Les États-Unis tentent ainsi d'utiliser cet outil pour maintenir leur domination.
Cependant, même parmi les partisans de la multipolarité et les critiques de l'hégémonie américaine, on entend parfois ce terme. Cela crée une certaine confusion. C'est pourquoi une révision adéquate et une utilisation réfléchie de la terminologie sont nécessaires. En développant une nouvelle approche des relations internationales (en particulier lorsqu'il s'agit d'une théorie non occidentale des relations internationales), les rudiments associés au mondialisme parasitaire doivent être éliminés.
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mardi, 13 juin 2023
L'évolution du conservatisme américain
L'évolution du conservatisme américain
par le comité de rédaction de Katehon
Source: https://www.ideeazione.com/levoluzione-del-conservatorismo-americano/
Le conservatisme américain est l'une des deux principales idéologies de la philosophie politique américaine (avec le libéralisme), une idéologie qui a été formulée pour la première fois dans l'ouvrage de Russell Kirk, Conservative Mind (1953), qui est devenu la source de ce courant politique. Les origines du conservatisme moderne aux États-Unis renvoient à l'Amérique du début des 18ème et 19ème siècles, conçue comme un projet de société moderne aux fondements capitalistes et individualistes.
Le développement initial du conservatisme américain modéré-libéral traditionnel s'est transformé au fil du temps en politique libertaire (avec son individualisme radical) et néo-conservatrice (avec son hyper-mondialisme). Les conservateurs américains, qui représentent une variété de courants, s'appuient sur les idées exposées dans les œuvres d'Alexis de Tocqueville, d'Edmund Burke, d'Adam Smith, de Milton Friedman et de Friedrich von Hayek. [cf. Toropov E.A. The winding path of American conservatism : from Russell Kirk to the neoconservatives].
Dans le contexte politique, le conservatisme américain s'oppose aux "idéologies" [cf. Kirk R., The Conservative Mind, New York, 1953], est un mouvement qui défend les valeurs dites "américaines", qui s'expriment par une minimisation de l'influence de l'État sur l'économie et par les libertés individuelles des citoyens américains, ainsi que dans le soutien aux valeurs traditionnelles et chrétiennes.
Le conservatisme américain en tant que courant politique s'est formé en présence d'un large éventail de problèmes sociaux, notamment les problèmes liés à l'immigration, à la révolution industrielle et à la domination du mode de vie bourgeois.
À un moment donné de l'histoire américaine, les protestants d'orientation nativiste et anticatholique se sont qualifiés de conservateurs.
Le pays étant protestant à plus de 95 % en 1840, la plupart des protestants n'étaient pas particulièrement heureux à l'idée de partager leur pays avec les catholiques irlandais, qui s'installaient massivement aux États-Unis, fuyant les problèmes économiques qui frappaient l'Irlande. L'afflux de catholiques a donné naissance au parti nativiste "Know-Nothing Party" ou, selon l'appellation officielle, au "Native American Party". Les militants du parti exigeaient que les écoles publiques organisent des lectures quotidiennes de la Bible et interdisaient aux catholiques d'y enseigner. Les positions anti-catholiques sont si fortes qu'aux élections de 1856, le candidat du Native American Party, Millard Fillmore (photo, ci-dessus), obtient près de 25 % des voix, soit le deuxième meilleur résultat obtenu par un tiers parti dans l'histoire du pays.
En ce qui concerne les questions politiques, il convient de s'attarder sur la situation interne des États-Unis qui s'est développée après la victoire du "Nord" dirigé par Lincoln lors de la guerre civile (1861-1865). Le parti républicain, qui est devenu la force politique dominante, avait des positions progressistes et soutenait de vastes réformes sociales et une plus grande intervention de l'État dans l'économie. Il a soutenu la création du système de la Réserve fédérale (Fed), a investi dans une urbanisation massive, a soutenu la Prohibition, le droit de vote des femmes et a modernisé d'autres domaines de la vie publique américaine auxquels s'opposaient les conservateurs du Sud. Pour tenter de maintenir le statu quo et sa domination politique, l'idéologie républicaine s'est transformée au fil du temps en un conservatisme bourgeois. Un événement emblématique a été la manipulation des élections en faveur des républicains en échange de la fin de la réintégration des États du Sud enclins au séparatisme (le Texas en est un exemple). La "reconstruction" radicale, qui impliquait l'armée et les procureurs du Nord, a radicalement affecté la formation des identités régionales dans les États du Sud.
Le rythme de la croissance industrielle et l'émergence de grands propriétaires de capitaux ont minimisé les différences entre les républicains et les démocrates. Cependant, plus tard, dans les années 1960, le conservatisme a reçu un nouvel élan en raison des problèmes internes qui s'étaient accumulés aux États-Unis. Le taux de criminalité élevé, la révolution sexuelle, le problème de l'avortement, la crise énergétique, l'échec de la guerre du Viêt Nam, le scandale du Watergate : tous ces problèmes ont éveillé l'intérêt d'une partie de la société américaine pour la défense de ses valeurs traditionnelles à travers la formation de mouvements et d'organisations conservateurs.
Les organisations conservatrices aux États-Unis
Le mouvement conservateur aux États-Unis est constitué d'un vaste groupe d'organisations politiques et idéologiques unies par une position commune sur la préservation des valeurs traditionnelles dans le pays. Leurs origines remontent au milieu du 20ème siècle, lorsque des organisations bénévoles sont apparues dans tout le pays pour lutter pour la préservation des valeurs traditionnelles et résister aux réformes imposées par les "progressistes".
Dans les années 1960, le mouvement conservateur aux États-Unis est devenu si fort et si influent qu'il a conduit à la création de nombreuses institutions dont les activités visaient à défendre les valeurs traditionnelles des Américains.
Les organisations conservatrices ont différents types d'activités, depuis les groupes de réflexion, où les conservateurs effectuent un travail d'analyse, jusqu'aux activités publiques des organisations chrétiennes, qui visent à renforcer les valeurs familiales.
Les organisations conservatrices les plus connues aux États-Unis sont les suivantes :
- Tea Party - Créé en réponse à la crise économique de 2008, le mouvement politique conservateur-libertaire Tea Party prône la réduction de l'appareil gouvernemental, la baisse des impôts et des dépenses publiques, la réduction de la dette nationale et du déficit budgétaire, ainsi que le respect de la Constitution américaine.
- L'institut Heartland soutient les politiques d'économie de marché. L'orientation politique du Heartland Institute est décrite comme conservatrice et libertaire. L'institut promeut le déni du changement climatique, soutient les droits des fumeurs et la privatisation des ressources publiques, y compris la privatisation des écoles. Il soutient les réductions d'impôts et s'oppose aux subventions et aux allègements fiscaux pour les entreprises individuelles, ainsi qu'à un rôle plus important du gouvernement fédéral dans les soins de santé.
- La Heritage Foundation est un institut de recherche stratégique américain qui mène un large éventail de recherches en matière de politique internationale. Elle a une orientation néo-conservatrice. Elle s'est engagée à soutenir l'expansionnisme américain.
- Le Council for National Policy est une organisation faîtière et un groupe de réseautage pour les activistes conservateurs et républicains aux États-Unis. Le Conseil a été fondé en 1981, sous l'administration Reagan, par Tim Lahay et la droite chrétienne pour "donner plus d'importance et de force à la promotion du conservatisme".
- Focus on the Family est une organisation sociale chrétienne évangélique américaine. Elle œuvre pour "nourrir et protéger l'institution de la famille telle qu'elle a été établie par Dieu et pour promouvoir la vérité biblique dans le monde entier". L'organisation produit des programmes radio, des magazines, des vidéos et des enregistrements audio sur des questions conservatrices.
- La John Birch Society (JBS) est un groupe politique américain de droite. La John Birch Society se considère comme un opposant au soi-disant "gouvernement mondial" et soutient l'idée de réduire l'immigration aux États-Unis et de limiter l'influence des institutions internationales telles que les Nations unies, l'ALENA et d'autres accords de libre-échange.
Les néoconservateurs, une mutation du conservatisme américain
Le néoconservatisme est un mouvement politique et intellectuel apparu aux États-Unis dans les années 1960. Il s'agit d'une combinaison d'idées conservatrices et libertaires associées à une politique étrangère active basée sur les idéaux de "démocratisation" et d'expansionnisme américains.
Les néoconservateurs se distinguent par leur volonté d'établir l'hégémonie américaine sur la scène internationale en promouvant les valeurs occidentales, qu'ils considèrent comme universelles.
Les grandes figures du mouvement néoconservateur, comme Norman Podhoretz et Irving Kristol, prônent un monde unipolaire en s'opposant à l'URSS et en éliminant les concurrents des États-Unis de la scène politique internationale. En politique intérieure, les néoconservateurs s'opposent aux programmes sociaux et gouvernementaux qui, selon eux, dévalorisent le "mode de vie américain" et menacent la sécurité nationale.
Parmi les exemples d'activités des néocons, on peut citer leur rôle dans le soutien aux opérations du Golfe en 1991, les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak, et leur soutien à l'usage de la force dans d'autres régions.
Parmi les figures les plus influentes du mouvement néoconservateur moderne figurent Irving et William Kristol, Dick Cheney et Paul Wolfowitz.
Les paléoconservateurs en opposition aux néoconservateurs
Parallèlement, un courant de "paléoconservatisme" a vu le jour. Contrairement aux néoconservateurs, les paléoconservateurs adhèrent à une interprétation directe du droit constitutionnel et rejettent toutes les expériences sociales imposées à la société. Ils s'opposent également au militarisme international américain et à la volonté de "démocratiser le monde", en soulignant l'importance de la liberté et de la souveraineté nationale.
Les paléoconservateurs s'opposent aux politiques néoconservatrices menées sous la présidence de George W. Bush, qu'ils considèrent comme orientées vers l'expansionnisme américain et la promotion de la "démocratie" dans d'autres pays par tous les moyens. En outre, les paléoconservateurs rejettent le concept de "guerre préventive" et défendent l'idée de souveraineté nationale.
Les paléoconservateurs (par exemple Patrick Buchanan - photo) ont également critiqué les politiques fiscales du gouvernement fédéral, défendant l'idée d'une intervention minimale de l'État. Les paléoconservateurs prônent de sévères restrictions à l'immigration, la décentralisation, l'isolationnisme et un retour à l'éthique et à la morale conservatrices en matière de genre, de culture et de société.
Le libertarianisme en tant que pseudo-conservatisme
De nombreux conservateurs américains se qualifient eux-mêmes de libertariens. Le libertarianisme de droite implique l'absence d'influence du gouvernement sur la liberté individuelle et la vie économique de la société. Les idéaux économiques du libertarianisme consistent en des relations de libre marché et de libre concurrence. En outre, selon les idées libertaires, les fonctions de l'État devraient être transférées au marché et remplacées par des initiatives individuelles, ce qui, d'une certaine manière, est cohérent avec les idées du mondialisme, où la plus haute autorité institutionnelle sera le "marché" impersonnel. Les auteurs qui ont influencé la formation du libertarianisme sont A. Smith, J. S. Mill, les représentants de l'école autrichienne d'économie, en particulier L. von Mises et F. von Hayek, ainsi que l'économiste américain M. Friedman.
Les libertariens sont largement représentés sur la scène politique américaine. À l'initiative de l'activiste civil américain David Nolan, le Parti libertarien des États-Unis a été fondé en 1971. Selon la vision du monde du parti, "les libertariens s'opposent fermement à toute ingérence du gouvernement dans vos décisions personnelles, familiales et professionnelles". Ils estiment que "tous les Américains devraient être libres de vivre leur vie et de poursuivre leurs intérêts comme ils l'entendent, tant qu'ils ne nuisent pas à autrui". La position du parti s'est renforcée au fil des ans, indiquant une augmentation de l'individualisme et de l'égoïsme dans la société américaine.
Si l'on parle du libertarianisme comme d'un courant politique conservateur, il se concentre sur les questions économiques en ignorant l'identité collective américaine et ses aspects culturels inhérents. En revanche, pour d'autres mouvements conservateurs, le contexte culturel et historique des États-Unis revêt une grande importance. Pour les conservateurs traditionnels, le mouvement libertarien est associé à une vision commune des questions économiques et à un accent mis sur la liberté individuelle, qui ne doit toutefois pas être déformée par l'idéologie.
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jeudi, 08 juin 2023
Le césarisme : entre hégémonie et contre-hégémonie
Le césarisme : entre hégémonie et contre-hégémonie
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/cesarismo-entre-la-hegemonia-y-la-contrahegemonia
L'État que nous avons déjà eu maintes fois l'occasion de décrire, qui est imprégné d'hégémonie, mais qui lui résiste en partie, est un État césariste. Il dit : "Je n'entrerai pas demain (dans le jeu), je resterai aujourd'hui (ce que je suis), que mon aujourd'hui soit éternel". Le césarisme est un État qui ne s'oppose pas à l'hégémonie, mais qui se fige simplement dans le temps, devenant un moyen de dissuasion pour l'hégémonie afin de réaliser sa prochaine étape, mais seulement en tant qu'obstacle (temporaire) sur le chemin de l'hégémonie.
Le césarisme est une tentative d'interagir avec l'hégémonie et de s'y opposer en même temps. Le désir d'interagir avec l'hégémonie de cette manière consiste à la laisser partiellement entrer et, simultanément, à l'éviter tout aussi partiellement. Par exemple, la Fédération de Russie contemporaine est un cas typique de césarisme selon les termes de Gramsci.
Formellement, l'État césariste peut proclamer : "Nous sommes pour la souveraineté ! Mais si l'hégémonie est à l'intérieur comme le moule qu'elle est - idéologiquement, technologiquement, économiquement - alors il importe peu que cet État soit pleinement intégré dans l'hégémonie ou non. Peu importe de quel côté vient l'hégémonie : le fait de prendre un iPhone vous inclut déjà dans l'hégémonie, parce qu'il y a déjà différents programmes qui suivent votre profil, qui vous examinent. Vous êtes inclus dans leur réseau. L'hégémonie est un réseau, un rhizome.
La ligne de démarcation entre hégémonie et césarisme, d'une part, et entre contre-hégémonie et césarisme, d'autre part, sont des aspects fondamentaux de la science politique de Gramsci.
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jeudi, 25 mai 2023
Eloge de la théorie de la conspiration
Eloge de la théorie de la conspiration
Nicolas Bonnal
Ce texte date de 2016 ; en réalité nous avons été (comme toujours) le premier à attaquer les fact-checkers et les chasseurs de complotistes – en nous aidant de notre maître, le super-cerveau juif libertarien Murray Rothbard qui expliquait qu’en chassant le recours à la conspiration on chasserait bientôt toute explication en matière d’Histoire, de vaccin, de virus ou de Reset – ou de réchauffement. Mais le goy étant ce qu’il est (et le Talmud ayant raison là-dessus : ce n’est même pas un animal, d’ailleurs Céline et Drumont sont d’accord), on finira très mal…
Récemment un beau cerveau du parti socialiste, œuvrant pour la Fondation Jaurès, chasseur et rogue dénonciateur des « conspi-racistes », a décrit, dans un rapport rédigé dans un style à coucher dehors, les membres de la nébuleuse conspiratrice qui « menace la démocratie » à travers le monde, ses empires et son hexagone...
Et cela a donné :
« C'est un milieu interlope que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche, ex-« Indignés », souverainistes, nationaux-révolutionnaires, ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIème Reich, militants anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11-Septembre, antisionistes, afrocentristes, survivalistes, adeptes des “médecines alternatives”, agents d’influence du régime iranien, bacharistes, intégristes catholiques ou islamistes. »
Le bonhomme de neige passe naturellement pour un expert. Sans doute dénoncera-t-il aussi les 86% de Français qui ne voteront pas François Hollande au premier tour l'année prochaine. Faudra-t-il les interner avec les autres ?
Mais venons-en au point sérieux.
C'est la CIA qui a lancé l'expression « théorie de la conspiration » au moment où, lors de l'assassinat Kennedy, tous les « roseaux pensants » ont refusé de s'incliner vers la thèse officielle. Tout le monde officiel s'est tu par lâcheté alors, mais c'est un autre problème, dont La Boétie, inspirateur des libertariens américains, avait déjà rendu compte.
Le film d'Oliver Stone JFK a bien montré au monde entier que le coupable Oswald ne peut pas avoir été coupable ; il fait donc partie, ce gros produit hollywoodien, de la nébuleuse de la conspiration que veut faire interner le socialiste désigné plus haut. Et comme le film a été produit par Arnon Milchan, homme d'affaires israélien et parrain de la bombe atomique dans son propre pays, on se demande comment le serpent cessera de se mordre la queue.
Depuis presque deux siècles, l'histoire se confond avec l'actualité médiatique et ses instruments ; or la pauvre est rarement satisfaisante, sauf pour les imbéciles qui oublient tout. Comme on sait aussi, il y a plein d'assassinats fort mal expliqués qui entraînent des événements catastrophiques : tel assassinat à Sarajevo entraîne la première guerre mondiale, tel autre à Paris la nuit de cristal et la deuxième guerre mondiale, tel attentat enfin la guerre du Vietnam ou la course au chaos planétaire américain. Comme le remarque Debord dans ses fastueux Commentaires :
« Il est difficile d’appliquer le principe Cui prodest ? dans un monde où tant d’intérêts agissants sont si bien cachés. De sorte que, sous le spectaculaire intégré, on vit et on meurt au point de confluence d’un très grand nombre de mystères. (1)»
Paradoxe : les théoriciens de la conspiration se veulent les dénonciateurs de la conspiration étatique ou oligarchique. Et cela finit comme dans le jeu d'enfants, « c'est celui qui dit qui l'est » : celui qui dénonce le criminel conspirateur devient le conspirateur criminel à ausculter et enfermer ! Il y a là un front naturellement - et non conspirativement - hétérogène qui donne enfin raison au socialiste de tout à l'heure. La théorie de la conspiration, c'est le tiroir des choses inclassables de Boris Vian. On rêve du parti politique qui, larguant l'Europe aux anciens parapets ou cet Etat-nation fatigué, refléterait ces aspirations, ou plutôt ces... expirations.
Il y a deux niveaux dans la théorie de la conspiration : un qui va s'en prendre à un événement scandaleusement truqué par le pouvoir et ses médias (Kennedy, 11 septembre, mai 68, alunissage Apollo) ; et celui qui va considérer que c'est notre vision de l'histoire qui est tout simplement corrompue, et ce depuis deux siècles que l'histoire a prétendu - à l'époque romantique - devenir une science.
Sur le premier point je citerai encore Guy Debord :
« Tous les experts sont médiatiques-étatiques, et ne sont reconnus experts que par là. Tout expert sert son maître, car chacune des anciennes possibilités d’indépendance a été à peu près réduite à rien par les conditions d’organisation de la société présente. L’expert qui sert le mieux, c’est, bien sûr, l’expert qui ment. Ceux qui ont besoin de l’expert, ce sont, pour des motifs différents, le falsificateur et l’ignorant. »
On connaît les experts en armes de destruction massive, les experts en traités de commerce, les experts en terrorisme et en état d'urgence, les experts en viande avariée et en changement climatique, les experts en assassinat au gaz syrien, les experts en viols ou en déplacement de population au Kosovo, - que le courageux journaliste Jacques Merlino avait remis à leur place.
Malheureusement il y a un lien entre la fumisterie perpétuelle de l'info aux ordres et la réécriture permanente de notre histoire ; il y a un lien important entre le déclin de l'histoire et celui de l'événement comme nouvelle. Debord évoque d'ailleurs, toujours dans ses Commentaires, avec une juste grandiloquence, la « décadence de l'explication »:
« Avec la destruction de l’histoire, c’est l’événement contemporain lui-même qui s’éloigne aussitôt dans une distance fabuleuse, parmi ses récits invérifiables, ses statistiques incontrôlables, ses explications invraisemblables et ses raisonnements intenables. »
Car il y a un autre problème : celui de la destruction de l'histoire par les historiens modernes en général, surtout depuis l'époque romantique et scientifique. D'un coup l'histoire a été dépeuplée de ses Turenne et de ses Bayard, remplie de forces magiques, aveugles, de machinations. L'être humain ne fut plus considéré comme un facteur historique majeur, mais comme un simple champ de forces. Citons Nerval et son Aurélia pour comprendre le Zeitgeist de cette gothique et scientifique époque romantique:
« Il me semblait voir une chaîne non interrompue d'hommes et de femmes en qui j'étais et qui étaient moi-même... Cette pensée me conduisit à celle qu'il y avait une vaste conspiration de tous les êtres animés pour rétablir le monde dans son harmonie première, et que les communications avaient lieu par le magnétisme des astres, qu'une chaîne non interrompue liait autour de la terre les intelligences dévouées à cette communication générale, et les chants, les danses, les regards, aimantés de proche en proche, traduisaient la même aspiration.»
On croirait le monde des réseaux du web...
Cette vision pythagoricienne ou novalisienne liée à un ineffable enchaînement va donner le fatalisme historique, le socialisme, le racisme, le bellicisme aussi, dont les démocraties occidentales ne sont pas sorties. Elle met fin, comme l'a vu Philippe Muray, au rationalisme et accompagne le darwinisme et le culte béat de la science. On se consolera en rappelant que Thucydide aussi décrit très bien (dans les discours de Périclès notamment) les mécanismes sophistiques qui font de la démocratie athénienne un empire thalassocratique toujours en guerre. Un empire thalassocratique créé au vingtième siècle a aussi prétendu conquérir l'espace en son temps et avoir posé quelques pieds sur la lune. ..
La crise de la science historique n'échappa bien sûr pas au bon Alexis de Tocqueville :
« Les historiens qui vivent dans les temps démocratiques ne refusent donc pas seulement à quelques citoyens la puissance d’agir sur la destinée du peuple, ils ôtent encore aux peuples eux-mêmes la faculté de modifier leur propre sort, et ils les soumettent soit à une providence inflexible, soit à une sorte de fatalité aveugle. (2)»
On se mettra d'accord pour dire que la vision magique de l'histoire favorise bien sûr la théorie de la conspiration. Cette théorie de la conspiration est liée à un monde mal expliqué, digne de l'histoire « racontée par un idiot et pleine de bruit et de fureur »... Comme dit Sartre dans sa bien belle et bizarre étude sur Mallarmé, tout le monde dénonce au XIXème siècle un complot (le complot juif, le complot maçon, le complot carbonaro, le complot jésuite...) parce qu'il y a un « complot permanent de la bourgeoisie ! ». Lui-même tombe dans la théorie de la conspiration en prétendant la dénoncer, comme l'idiot du village médiatique socialiste cité plus haut, qui veut enfermer tout le monde pour sauver la vérité démocratique estampillée par PPDA et l'actualité en bandeau.
Tocqueville ajoute, inquiété par cette vision tronquée de l'histoire qui dénie à l'homme son rôle sur sa vie, homme conditionné par Darwin - puis par les sciences sociales :
« On dirait, en parcourant les histoires écrites de notre temps, que l’homme ne peut rien, ni sur lui, ni autour de lui. Les historiens de l’Antiquité enseignaient à commander, ceux de nos jours n’apprennent guère qu’à obéir. Dans leurs écrits, l’auteur paraît souvent grand, mais l’humanité est toujours petite. »
Notre écrivain ajoute dans le même chapitre, de sa plume incomparable, ces lignes qui rempliront de fierté Barack O. ou Erdogan:
« Si cette doctrine de la fatalité, qui a tant d’attraits pour ceux qui écrivent l’histoire dans les temps démocratiques, passant des écrivains à leurs lecteurs, pénétrait ainsi la masse entière des citoyens et s’emparait de l’esprit public, on peut prévoir qu’elle paralyserait bientôt le mouvement des sociétés nouvelles et réduirait les chrétiens en Turcs. »
Dès lors on comprend le besoin d'une partie de l'opinion d'avoir des explications, même mauvaises. Et il y aura donc plusieurs niveaux dans la théorie de la conspiration : celle qui va délirer sur les juifs ou les jésuites, les patrons ou les communistes, et celle qui va chercher de comprendre par exemple les origines d'une guerre et la notion d'Etat profond. Les historiens libertariens américains ont dénoncé le rôle obscur des Lincoln, Wilson, Roosevelt dans l'édification d'un Etat américain tentaculaire, surendetté, dangereux, boutefeu et surpuissant. On peut donner ici une petite liste de ces universitaires qui se réclament de la théorie de la conspiration sans avoir rien à voir avec le lumpen-prolétariat intellectuel des antisémites et autres. John T. Flynn (fabuleux sur Roosevelt), Murray Rothbard, George Morgenstern (excellent sur Pearl Harbor), Ralph Raico, John Denson, Butler Shaffer, tous sont autant de grands noms qui voient que l'histoire officielle en Amérique manque vraiment d'éthique ou d'élémentaire logique.
Debord, qui reste un des rares héritiers de Tocqueville en France, remarque à ce propos – toujours dans les Commentaires :
« L’imbécillité croit que tout est clair, quand la télévision a montré une belle image, et l’a commentée d’un hardi mensonge. La demi-élite se contente de savoir que presque tout est obscur, ambivalent, “monté” en fonction de codes inconnus. Une élite plus fermée voudrait savoir le vrai, très malaisé à distinguer clairement dans chaque cas singulier, malgré toutes les données réservées et les confidences dont elle peut disposer. C’est pourquoi elle aimerait connaître la méthode de la vérité, quoique chez elle cet amour reste généralement malheureux. »
On se demande d'ailleurs comment « l'imbécillité qui croit que tout est clair » va se faire expliquer tout à l'heure le 11 septembre, puisqu'on accuse tour à tour l'Etat US (thèse non plus de Chritopher Bollyn, mais des alliés saoudites !), l'Arabie saoudite, puis l'Iran – en ayant tout bonnement abandonné le pauvre Ben Laden dont personne ne veut plus parler !
Mais le secret de l'imbécillité, notamment en France et en Amérique, pays frères et rivaux du messianisme démocratique, est de creuser encore plus bas, même quand elle a touché le fond.
Sur cette nécessité donc de l'explication réaliste d'un événement ou d'une guerre, le grand historien et économiste Murray Rothbard (photo) a écrit les lignes suivantes – que nous ne traduisons pas :
« Car une recherche de "conspirations", aussi erronées que soient souvent les résultats, signifie une recherche de motifs et une attribution de responsabilité individuelle pour les méfaits historiques des élites dirigeantes. Si, cependant, une tyrannie, une vénalité ou une guerre d'agression imposée par l'État n'était pas provoquée par des dirigeants d'État particuliers, mais par des «forces sociales» mystérieuses et obscures, ou par l'état imparfait du monde - ou si, d'une manière ou d'une autre, tout le monde était coupable (« Nous sommes tous des assassins », proclame un slogan commun), alors il ne sert à rien que quiconque s'indigne ou se soulève contre de tels méfaits. En outre, un discrédit des « théories du complot » - ou en fait, de tout ce qui sent le « déterminisme économique » - rendra les sujets plus susceptibles de croire aux raisons de « bien-être général » qui sont invariablement avancées par l'État moderne pour s'engager dans toute action agressive. Actions. (3)»
Car ce ne sont pas les forces sociales qui mènent aux guerres, mais les élites politiques dégénérées...Suivez la situation en Pologne ou en Syrie.
Malicieux, Rothbard souligne donc que l'histoire conspirative – très culottée - recherche elle des motivations et des responsabilités, par-delà les forces aveugles ! On croirait lire Tocqueville... ce grand penseur a aussi encensé la Servitude volontaire de La Boétie.
Il rappelle aussi la menace juridique-étatique derrière tout cela, et il a raison.
On constate que Rothbard est aussi un peu agacé par les « forces sociales », forces cousines de ces « sciences sociales » auxquelles Zygmund Dobbs, dans un livre célèbre des années soixante, a rendu un hommage très rebelle (Céline aussi s'est défoncé contre le « sozial »). Mais ce que souligne Rothbard c'est que notre Etat moderne si fort impose son histoire, son archi-texture, ses moyens, ses credos pour conditionner ses citoyens-sujets. L'Etat d'ailleurs impose sa vision du monde comme ses impôts. Et ses historiens deviennent ses percepteurs ou ses sergents recruteurs, nous en savons quelque chose un peu partout. Les Etats endettés (debitum, le péché en latin) n'ont jamais été aussi prégnants ou accablants en Amérique ou dans le monde dit libre. Les mêmes administrations qui chassent le conspirateur font la chasse au passé. Comme en 1793 d'ailleurs (c'est pour cela que l'Etat-nation...).
Bossuet ou Michelet ou Malet-Isaac n'ont donc pas à être préférés l'un à l'autre, sinon pour des raisons stylistiques ; pour le reste il servent un agenda conquérant, qui va nous imposer après la dislocation de la liberté médiévale (un historien libertarien nommé Hoppe est même féodaliste) le culte du courtisan et de son roi-soleil, les ravages du Palatinat, la dévastation de la Hollande ou, en mode républicain, l'instruction obligatoire et donc les massacres de la première Guerre mondiale, réalisée sous les auspices de la pauvre Jeanne d'Arc béatifiée après le 11 novembre.
Après Tocqueville, Céline avait aussi compris qu'il fallait se méfier de l'histoire – comme d'ailleurs Paul Valéry. Je cite le premier - Céline :
« Comme le système était excellent, on se mit à fabriquer des héros en série, et qui coûtèrent de moins en moins cher, à cause du perfectionnement du système. Tout le monde s’en est bien trouvé. Bismarck, les deux Napoléon, Barrès aussi bien que la cavalière Elsa. La religion drapeautique remplaça promptement la céleste, vieux nuage déjà dégonflé par la Réforme et condensé depuis longtemps en tirelires épiscopales. »
C'est un étonnant professeur d'histoire nommé Princhard qui tient ce discours pacifiste à Bardamu. Et il insiste sur le peu d'avenir des pacifistes en démocratie – qui n'ont pas attendu Churchill ou Saddam Hussein pour être traités de munichois... la démocratie étant dans un monde qui n'est jamais « assez sûr pour elle » (Woodrow Wilson) se doit d'être toujours en guerre. Ceux qui ne sont pas en guerre sont des traîtres à la solde de l'ennemi. Le leader socialiste Eugene Debs fut condamné pour pacifisme à dix ans de prison sous Wilson, avant d'être libéré par le président Harding, lui-même damné pour isolationnisme.
« Les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu’on s’en empare et qu’on les écartèle ! Et les trucide aussi de treize façons et bien fadées ! Qu’on leur arrache pour leur apprendre à vivre les tripes du corps d’abord, les yeux des orbites, et les années de leur sale vie baveuse ! (4)»
Car Céline a compris que l'histoire officielle servira surtout à tuer et à justifier des guerres (aujourd'hui : Syrie, Irak, Libye, Ukraine...). Ceux qui ne veulent pas de ces guerres seront des mutinés conspirateurs.
Et Valéry, ce bel esprit isolé en son temps, témoigne à son tour, après un siècle passé à célébrer Valmy, les ancêtres gaulois, Napoléon ou les croisades :
« L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. (5)»
Nous ne nous sommes pas éloignés du sujet. La théorie de la conspiration est donc une critique pacifiste de l'Histoire officielle. Les historiens dits conspiratifs sont plutôt des savants et des pacifistes, les historiens et les commentateurs systémiques (qui peuvent être d'extrême-droite : voyez Bainville et les sourcilleux bataillons de l'A.F.) sont plutôt des bellicistes, parce qu'ils expliquent mal (le terrorisme, les forces sociales, l'impérialisme...) ou pas du tout les événements concernés, ou parce qu'ils les recyclent et les manipulent pour aider les politiques et leurs commanditaires à préparer les guerres suivantes (Johnson pour le Vietnam, Bush pour le Moyen-Orient). Toute l'histoire de la deuxième guerre mondiale vient ainsi d'être réécrite pour justifier la prochaine guerre contre la Russie qui sauvera une deuxième fois le « soldat Ryan » mais en terminera avec l'Europe.
Nicolas Bonnal
Notes:
(1) Debord, Commentaires sur le Société du spectacle
(2) Tocqueville, De la Démocratie 2, Première partie, Chapitre XXI
(3) Murray Rothbard, a libertarian manifesto, p. 80-81
(4) Voyage au bout de la nuit, p. 80.
(5) Regards sur le monde actuel, « de l'Histoire ».
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mardi, 23 mai 2023
Alexandre Douguine: la logique de l'hégémonie
La logique de l'hégémonie
Par Alexandre Douguine
Source: https://dzen.ru/media/dugin/the-logic-of-hegemony-646785d19d26e37d86c42fdb?fbclid=IwAR0DcUEBIF3_AWKtrvQahf8MxyoyKBAraNse_eGygkqaHOT9_IGJ8PHlZ5E&utm_referer=l.facebook.com
Il n'y a donc qu'une seule hégémonie. L'hégémonie est le capitalisme, la société capitaliste occidentale moderne. Mais le capitalisme ne se transforme pas immédiatement en hégémonie. Qu'est-ce qui le transforme en hégémonie ? La logique interne de l'hégémonie elle-même.
Le capitalisme entre dans la phase d'hégémonie à un certain moment, lorsque l'universel, qui est dans sa structure même, commence à prévaloir sur les questions nationales individuelles. Il n'y a qu'une seule hégémonie, elle est universelle et surgit dans toutes les sphères de la vie. Devenue explicite, elle commence à abolir les États-nations et à les soumettre complètement.
Ce que nous avons vu dans la mondialisation des années 1990, que Gramsci n'a pas pu voir, c'était un monde unipolaire qui commençait à se dessiner, et il y avait hégémonie. L'hégémonie n'est pas apparue immédiatement, elle a toujours été enfermée dans le capitalisme, dans son effort d'universalisation. Mais le capitalisme a atteint le stade mondialiste à une certaine période historique, lorsque la domination de l'Occident capitaliste sur toutes les autres alternatives est devenue explicite et s'est affirmée historiquement. C'est à ce moment-là que l'hégémonie est devenue elle-même.
Par conséquent, les idées de Gramsci ont pris toute leur acuité précisément après l'effondrement de l'Union soviétique, qui a convaincu tout le monde que le concept d'hégémonie était le concept le plus efficace. En décrivant l'hégémonie, il décrivait le monde des années 1990: une ère d'hégémonie, un monde unipolaire où la démocratie politique libérale, l'économie capitaliste, les systèmes politiques du parlementarisme électoral, la culture techno-centrique, la liberté d'ouvrir des réseaux - tout cela a commencé à pénétrer dans toutes les sociétés.
Et que fait l'hégémonie ? Elle ouvre et brise les structures nationales. Kamala Harris arrive et détruit le partisan non encore dompté de la souveraineté. Pourquoi ? Parce que l'hégémonie ne peut être combattue de l'intérieur même de l'hégémonie. Parce que l'étape précédente - l'hégémonie représentée par le nationalisme, la souveraineté et l'État-nation - fait partie de la même hégémonie. Elle fait partie du passé, et l'hégémonie mondiale est l'avenir, vers lequel nous sommes attirés par toutes les forces.
L'hégémonie est une structure similaire à celles des pirates informatiques qui attaque l'ennemi en cherchant les points faibles de son système de défense et qui, une fois pénétré, le décompose déjà de l'intérieur. Par conséquent, un État-nation qui accepte partiellement l'hégémonie devient complètement vulnérable, perméable à celle-ci, ce qui conduit finalement à son absorption.
L'hégémonie fonctionne de manière sophistiquée. Elle envahit par la force militaire les États qui ne possèdent pas d'armes nucléaires. Elle s'introduit dans les États qui disposent d'une certaine forme d'administration nationale par le biais de la culture. Elle pénètre dans les États dotés d'armes nucléaires par le biais de réseaux et de finances. Elle pénètre la civilisation chinoise par le biais du libéralisme, en commençant par les zones côtières.
L'hégémonie est un additif moisi qui se répand par le biais des médias, d'Internet, des prêts bancaires, de l'éducation, de l'école, de la famille, de toutes les formes de connexion; par le biais de la restauration, du cinéma, de la participation au processus politique moderne. Tous ces éléments sont des formes d'action hégémonique qui, à proprement parler, ne sont pas intrinsèques à l'homme en principe. L'hégémonie ajuste la structure du comportement humain, l'encourageant à faire ce qui n'est pas logique de son point de vue, mais qui l'est du point de vue de ce moule.
L'hégémonie n'est pas l'arbitraire ; c'est la logique du processus historique de l'ère moderne. Et l'État-nation n'est pas une alternative à l'hégémonie - ce n'est qu'un obstacle temporaire, et cet État-nation déclare la constitution, les droits de l'homme, la forme de production capitaliste, la démocratie libérale, les élections, et envoie culturellement ses représentants à l'Eurovision. Du point de vue de Gramsci, la question de l'élimination de cette formation n'est qu'une question de temps.
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vendredi, 19 mai 2023
Le néolibéralisme ne meurt jamais
Le néolibéralisme ne meurt jamais
Aucune catastrophe, financière ou sanitaire, ne semble pouvoir ébranler la capacité du système économique à surmonter les crises, à changer et à s'adapter aux circonstances.
Claudio Freschi
Source: https://www.dissipatio.it/il-neoliberismo-non-muore-mai/?...
Le terme "néolibéralisme" a été utilisé de manière si large et si diverse, parfois même de manière inappropriée, qu'il a été difficile d'en définir précisément la signification.
Comme nous le savons, le libéralisme est un système économique fondé sur la liberté absolue de production et d'échange, dans lequel l'intervention de l'État est autorisée dans de rares cas, essentiellement lorsque l'initiative privée ne répond pas aux besoins de la communauté. Bien que ses racines soient lointaines, cette école de pensée s'est développée grâce à ce que l'on appelle l'école autrichienne, avec des économistes comme Friedrich Hayek et Ludwig von Mises, et a connu une grande popularité au début du siècle dernier.
Avec la grande crise de 1929 et la dépression qui s'ensuivit, le retour des politiques keynésiennes visant à atteindre le plein emploi (avec un recours important aux dépenses publiques), a éclipsé pendant quelques décennies l'idée d'un libéralisme absolu, qui a dû attendre les années 1970 pour revenir à la mode. Mais à cette époque, les choses ont changé : l'avancée politique des sociaux-démocrates en Europe a définitivement discrédité l'idée classique d'un libéralisme prêt à tolérer une pauvreté généralisée au nom d'une richesse croissante concentrée dans les mains d'un petit nombre.
C'est là que le terme néolibéralisme a commencé à faire son chemin, pour désigner ce courant de pensée qui acceptait volontiers la nécessité d'une intervention de l'État pour amener la plupart des gens au-dessus d'un certain seuil de revenu minimum. Mais une fois ce seuil atteint, il n'y aurait plus lieu de s'inquiéter des inégalités sociales, politiques ou économiques. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, les États-Unis de Ronald Reagan et, dans une plus large mesure encore, le Chili de Pinochet, soutenus par de prestigieux économistes de l'école de Chicago, étaient des exemples d'un système combinant des degrés divers d'autoritarisme avec des politiques de libre-échange plutôt radicales. Rien à voir avec le souci légitime de la liberté d'expression qui animait les grands penseurs libéraux depuis John Stuart Mill, mais tout à fait dans la ligne de la pensée de Hayek pour qui l'enjeu fondamental était de préserver la liberté d'action de l'individu tout en minimisant l'ingérence des différents gouvernements.
Malgré la fin de ces expériences plutôt "extrêmes", la conception néolibérale a dominé le monde occidental au cours des quarante dernières années. Une idée de l'économie de marché, avec le moins de régulation possible, sous des gouvernements déterminés à maîtriser les dépenses publiques et à assainir les budgets. En temps de crise, le dogme du petit État a été largement, voire temporairement, mis de côté au nom d'un pragmatisme politique souvent issu de calculs électoraux, mais l'idéologie de base est toujours restée.
La crise financière de 2009 a ébranlé les fondements du néolibéralisme. L'incapacité totale des économistes du courant dominant à prédire une catastrophe d'une telle ampleur a semblé mettre fin, sinon aux idées, du moins à la crédibilité de la plupart de ces universitaires, mais une fois que les marchés ont retrouvé un semblant de normalité, il est apparu clairement que l'idéologie néolibérale était loin d'être défunte.
Même la pandémie de Covid 19, récemment déclarée, a semblé mettre un terme à l'idée d'un marché tout-puissant qui, avec le temps, résout tous les problèmes en rétablissant l'équilibre sans aucune intervention extérieure. Des millions d'emplois ont disparu, des secteurs productifs entiers se sont effondrés, la bourse s'est effondrée, des milliards de crédits sont devenus progressivement irrécouvrables, créant une telle urgence que la nécessité d'agir dépassait largement le cadre des idéologies.
Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et même dans l'Union européenne austère, les politiques prudentielles ont été abandonnées avec de gigantesques injections de liquidités sur le marché et un recours massif aux dépenses publiques. Mais même dans ce cas, les annonces d'un renoncement définitif au néolibéralisme, suite aux événements déclenchés par la pandémie, ne se sont pas concrétisées. Au contraire, le retour de l'inflation a donné plus de force à tous ceux qui espéraient un retour à des politiques budgétaires strictes et, en général, à une réduction du rôle de l'État.
Certains pensent que le coup de grâce au néolibéralisme pourrait venir du pays même qui a fait du marché sa raison de vivre, les États-Unis d'Amérique. De nombreux analystes soulignent que le président Biden a passé les deux premières années de son mandat à promettre, comme l'ont souvent fait ses prédécesseurs, une expansion massive de la "protection sociale" et, en général, de puissants investissements publics. On se souvient que, dans l'un de ses premiers discours au Congrès, le président avait tenu à rappeler la centralité de l'intervention de l'État dans la construction des infrastructures qui ont permis à l'Amérique de devenir une grande puissance mondiale.
Mais malgré ces déclarations d'intention, et l'antipathie naturelle des démocrates pour le reaganisme, aucune véritable stratégie économique alternative n'avait jamais été formulée. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a ouvertement parlé d'un nouveau "consensus de Washington", c'est-à-dire d'un principe directeur de la politique économique de la Maison Blanche qui tend à encourager l'intervention de l'État plutôt qu'à s'y opposer, à renforcer les protections des travailleurs plutôt qu'à déréglementer, et à réduire l'interdépendance économique entre les nations plutôt qu'à l'encourager. M. Sullivan a ensuite défini le nouveau modèle économique américain comme une critique ouverte du néolibéralisme, estimant que ce dernier repose sur trois hypothèses manifestement erronées. La première est que "les marchés alloueront toujours les ressources de manière productive et efficace", la deuxième est que "toute croissance est une bonne croissance" et la troisième que "l'intégration économique et la mondialisation rendront les nations plus responsables et favoriseront un processus de paix mondial".
Mais ce projet, qui, selon la plupart des enthousiastes, mettra fin à l'engouement des Américains pour le néolibéralisme, se heurte à un obstacle potentiellement insurmontable, à savoir que le "consensus de Washington" tant vanté pourrait manquer de... consensus. Ce n'est pas un mystère que l'idée d'augmenter les impôts et les dépenses publiques ne fait pas vraiment partie de l'agenda politique des Républicains. Et sans la coopération du parti de l'éléphant, il est fort probable que l'espoir de voir se concrétiser un nouveau paradigme économique allant au-delà du néolibéralisme reste lettre morte.
La vérité est que l'attrait du néolibéralisme, même s'il a été affaibli par diverses crises, reste fort parce qu'il est inhérent à la logique du capitalisme mondial. Sa nature est changeante, il évolue et s'adapte en fonction des situations. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu'il continue à vivre comme il l'a toujours fait, en se transformant en fonction des différentes conditions, en surmontant les obstacles, en s'adaptant à la pensée commune, mais sans jamais changer ses paramètres de base. Pour paraphraser Mark Twain : "Désolé de vous décevoir, mais la nouvelle de la mort du néolibéralisme est largement exagérée".
A propos de l'auteur Claudio Freschi
Après des études d'économie, il est entré dans le monde des marchés financiers où il travaille depuis 30 ans. Passionné de voyages, d'échecs et de John Maynard Keynes, il collabore avec diverses publications imprimées et en ligne, écrivant sur la politique et l'économie.
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mardi, 16 mai 2023
Capitalisme sénile et démolition contrôlée
Capitalisme sénile et démolition contrôlée
par Fabio Vighi
Source: https://sinistrainrete.info/neoliberismo/25140-fabio-vighi-capitalismo-senile-e-demolizione-controllata.html
Sur quels principes repose le capitalisme sénile ? Je résumerai cinq d'entre eux et discuterai ensuite de leur imbrication :
1) La dette. Le seul chemin vers l'avenir du capitalisme continue d'être pavé de programmes de création d'argent. Créer de l'argent à partir de rien, pour le mettre en mouvement sous forme de crédit, est la seule stratégie monétaire qui nous permette d'ignorer l'abîme qui s'ouvre déjà sous nos pieds - comme le personnage de dessin animé qui, après avoir couru dans le précipice, continue à courir dans les airs en défiant la gravité. Or, comme le montre la violente vague inflationniste actuelle - toujours à deux chiffres en Europe - la force de gravité est désormais irrésistible.
2) Les bulles. Les bulles spéculatives, alimentées par le mouvement perpétuel du crédit, constituent le seul mécanisme significatif de production de richesse. C'est pourquoi l'unique préoccupation des gestionnaires du "capitalisme de crise" est d'empêcher les méga-bulles de se dégonfler. Mais comme l'ultra-finance détruit la "société du travail", la vie humaine devient un surplus inutilisable, un énorme surplus improductif à administrer de manière créative.
3) Démolition contrôlée. Le dumping salarial et la concurrence vers le bas pour les emplois dévastés par l'automatisation technologique sont l'autre facette du paradigme de la bulle. Pour que les marchés spéculatifs puissent continuer à léviter, la société du travail (article 1 de la Constitution italienne) doit être progressivement mais radicalement réduite, car l'hypertrophie financière actuelle exige la démolition de la demande réelle. En d'autres termes, le "capitalisme de consommation" est recyclé en "capitalisme de gestion de la misère collective", ce qui entraîne un changement de récit idéologique.
4) Les urgences. La phase terminale de la civilisation capitaliste est caractérisée par l'idéologie intrinsèquement terroriste de la permacrise ou - pour paraphraser Guy Debord - de "l'urgence intégrée permanente", qui doit occuper chaque seconde de notre vie. En ce sens, la récente pseudo-pandémie n'a servi que de précurseur. Ne nous leurrons pas : un monde qui défend avec autant de fanatisme sa propre implosion nous réserve encore bien des surprises.
5) La manipulation. La propagande médiatique à l'ère de l'hyper-connexion numérique est naturelle, il est donc normal que le capitalisme terminal en profite. En y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une confluence obstinée de stupidité et de calcul. Comme l'avait prédit George Orwell bien avant la télévision et Internet, la frontière entre le mensonge et la réalité est floue : "Le processus [de contrôle de l'opinion publique] doit être conscient, sinon il ne pourrait être exécuté avec suffisamment de précision, mais il doit aussi être inconscient, car sinon il ne pourrait être dissocié d'un vague sentiment de mensonge et donc de culpabilité"[1]. Plus précisément, la manipulation exige "la dislocation permanente du sens de la réalité, par laquelle il manque un point de référence objectif dans le monde extérieur pour juger de la vérité et de la réalité des choses"[2]. Jean Baudrillard a appelé le résultat de ce processus l'hyperréalité : puisque la distance entre le réel et sa représentation médiatique est perdue, la seule réalité à laquelle nous pouvons nous référer est celle qui est "informée" par les médias.
Le délire du mouvement perpétuel
Après avoir épuisé les astuces monétaires, les élites financières se sont acculées. Le système spéculatif basé sur l'endettement, gonflé pendant des décennies par l'impression monétaire et la suppression des taux d'intérêt, ne peut plus être maintenu sans d'importants "dommages collatéraux". C'est ainsi que tombe le masque de la "science lugubre" de l'économie bourgeoise (selon la célèbre définition de Thomas Carlyle), et son illusion que l'argent peut se reproduire de manière autonome, comme par le biais d'un mécanisme de mouvement perpétuel. L'inflation structurelle actuelle est le premier symptôme évident d'une métastase qui se propage rapidement dans le corps social, obligeant une grande partie de la population - y compris les classes moyennes de plus en plus insolvables - à choisir entre mettre de la nourriture sur la table et payer les factures. Il devrait être clair maintenant que toute politique monétaire expansive - nécessaire pour soutenir le secteur financier - provoquera une nouvelle érosion du pouvoir d'achat, rendant ainsi indispensables de nouvelles mesures coercitives pour contrôler les masses appauvries. L'alternative capitaliste à ce scénario est que les banques centrales continuent à augmenter les taux jusqu'à ce que les bulles éclatent - de la poêle à frire au feu.
Dans le système financier actuel, l'illusion du mouvement perpétuel fonctionne de la manière suivante : l'expansion du crédit attire l'argent vers les actifs d'investissement, dont la valorisation augmente à mesure que la demande s'accroît. Une partie des actifs dopés sert de garantie pour d'autres prêts, ce qui déclenche un cercle vicieux dans lequel le crédit alimente la valorisation des actifs qui alimente la garantie qui alimente le crédit. Comme notre existence est désormais entièrement accaparée par l'expansion de la liquidité, la seule chose qui compte réellement est de continuer à utiliser l'effet de levier du capital de crédit. Et tant que l'illusion du mouvement perpétuel perdure - ainsi que l'affabulation idéologique correspondante - les obligations de financement de la dette peuvent être reportées. Mais si les taux d'intérêt augmentent et que les garanties perdent de la valeur, la panique s'installe et les gens commencent à vendre - en mode grégaire. À mesure que les garanties se détériorent, les actifs risquent de devenir inférieurs à l'encours de la dette, ce qui finit par épuiser les liquidités jusqu'à l'éclatement de la bulle. Il est bon de savoir que nous approchons de cette dernière phase, dans laquelle la création de richesse spéculative sans substance se transforme en une spirale mortelle pour la bulle de la dette : les valorisations s'effondrent, les garanties se réduisent, le crédit s'effondre. Le paradoxe de notre époque est que l'argent spéculatif qui gonfle les bulles financières n'a aucune substance de valeur ; mais si les bulles éclatent, c'est l'enfer.
L'Occident mondialisé a déjà hypothéqué une grande partie de ce qu'il possède (et ne possède pas). En d'autres termes, les États, les entreprises et les ménages ne possèdent plus rien d'autre que leur dette. Et comme le casino mondial continue de menacer de faire faillite - comme l'a annoncé, tout récemment, la faillite de la Silicon Valley Bank - les détenteurs du pouvoir financier savent qu'ils doivent agir vite s'ils veulent garder intacts leurs privilèges systémiques. En effet, ils ont compris que pour continuer à inonder les marchés de liquidités artificielles, il faut conduire l'économie réelle, déjà en chute libre, vers la stagflation. L'instrument pour y parvenir est sous nos yeux : un autoritarisme sournois et rampant légitimé par l'urgentisme à jet continu ; un nouveau fascisme dans une version néo-féodale, hyper-numérisée et faussement solidaire (de " gauche ") - comme pour se servir d'un antifascisme archéologique et maniériste, purement prétexte, comme Pasolini l'avait parfaitement compris dans les années 1970[3]. [Inaugurée en grande pompe par la pseudo-pandémie, la dynamique implosive est aujourd'hui reprise par les banques centrales qui, en augmentant les taux, ne font que titiller l'inflation, mais dépriment en revanche la demande réelle.
À cet égard, la récente hausse des coûts de l'énergie doit être considérée dans son contexte comme faisant partie de la tentative plus large de décompression d'un système hautement inflammable - l'équivalent du désamorçage d'une bombe atomique. Les sanctions contre la Russie ont été dès le départ une farce misérable et, pour l'Europe, un exercice masochiste peu raffiné. Il suffit de considérer que, compte tenu de la dynamique du commerce mondial, la Russie sanctionnée vend du pétrole et du gaz à l'Inde et à la Chine au rabais, qui les exportent ensuite vers l'Europe (et les États-Unis) au prix fort. De même, le véritable objectif de la "lutte contre le changement climatique" prônée par les multinationales à travers le dogme des investissements ESG - officiellement inauguré en 2020 par la lettre "net zero" de Larry Fink (PDG de BlackRock) - est d'imposer des niveaux de vie inférieurs aux classes populaires qui, il y a quelques années encore, étaient exhortées à poursuivre l'utopie d'une consommation débridée. L'Ukraine peut être considérée comme un symbole tragique de cette démolition contrôlée : grâce à une guerre par procuration qui se prolonge indéfiniment, l'infrastructure industrielle du pays est cyniquement détruite. Ce n'est pas une coïncidence si, le 28 décembre, Larry Fink lui-même et Volodymir Zelensky, aujourd'hui déifié, se sont mis d'accord sur un programme d'investissement pour reconstruire l'Ukraine, confirmant le schéma désormais familier selon lequel la dévastation d'une société entière devient une opportunité d'expansion financière. C'est pourquoi l'Occident envoie des centaines de milliards de dollars à l'Ukraine, au lieu de négociateurs de paix.
Le point que nous ne pouvons ignorer est le suivant : la démolition contrôlée de la demande réelle est l'autre face du capitalisme ultra-financiarisé. Cela signifie que le capital ne peut continuer à s'autoreproduire qu'en creusant le fossé entre une poignée de nababs qui contrôlent l'argent et l'information, et la plèbe appauvrie qui, pour cela, doit 1. ne rien posséder et en être heureuse (selon le fameux slogan du WEF) ; 2. sacrifier ses libertés individuelles (selon le fameux slogan du WEF). sacrifier leurs libertés individuelles (y compris la liberté d'expression, de plus en plus étouffée par un "discours culturel" grotesquement surréglementé) ; 3. abandonner leur droit à l'existence à l'État, dont le rôle biopolitique est d'administrer ce droit au nom du capital transnational. Cette dérive perverse du "capitalisme de crise" a été largement sous-estimée - et c'est un euphémisme - par notre intelligentsia de gauche, même "radicale" (de Noam Chomsky à Slavoj Žižek) qui, comme les chiens de Pavlov, salivait à la perspective du "retour de l'État" comme un signe certain d'émancipation.
La déprimante myopie de la gauche a été particulièrement agressive lors de la récente "pandémie", qu'il faut comprendre non pas comme la peste bubonique du nouveau millénaire, mais comme un coup d'État financier rendu possible par la plus grande et la plus spectaculaire opération de lavage de cerveau que l'humanité ait jamais connue. L'urgence a servi à masquer un fait en soi assez banal : c'est (c'est) le système qui est atteint d'une maladie mortelle, et non la population mondiale. Paradoxalement, la gauche continue de se précipiter au chevet du capitalisme en soins intensifs, si malade qu'elle ne peut que feindre un dynamisme qu'elle ne possède pas à travers la mobilisation globale de la violence, de la peur, de la distraction, et des récits faussement éthiques ou salvateurs correspondants. COVID-19 a été avant tout une pandémie de peur, dont les conséquences restent à voir. Lorsqu'un "vaccin" expérimental est présenté comme une potion magique (le fameux 95 % d'efficacité !) contre une maladie dont le taux de survie est de 99,8 %, même dans l'esprit de nos intellectuels publics, notoirement allergiques à l'exercice de la pensée critique, le doute devrait au moins s'installer. De même, personne n'a ressenti de honte lorsque Pfizer a admis n'avoir jamais eu la moindre idée de la capacité de ses sérums à interrompre la transmission du virus - alors que cette même histoire a été vendue au public comme une vérité scientifique incontestable à l'origine de l'imposition de la vaccination de masse et de la discrimination qui en découle. Question (rhétorique) : jusqu'où la gauche est-elle allée à droite si elle ne reconnaît même pas le tour de passe-passe criminel du capitalisme d'urgence ? En soutenant l'implosion mondiale sous de faux prétextes éthiques, la majeure partie de la gauche actuelle fait le travail de la droite plus efficacement que la droite elle-même.
Peu importe à quel point la perception de l'escroquerie pandémique commence à s'imposer, la plupart d'entre nous préfèrent encore la solution de l'autruche : mieux vaut (prétendre) ne pas savoir que de s'interroger sur son propre niveau de naïveté (ou de collusion). Mais il ne sert à rien de récriminer. Il me semble plutôt important de revenir au point clé de toute l'affaire : Virus a été le bouclier invisible utilisé pour retarder un effondrement bancaire et financier face auquel la crise de 2008 aurait semblé une aventure bucolique ; en même temps, il a inauguré une stratégie pan-urgence visant à la gestion top-down de l'avilissement de masse - non seulement dans les périphéries du monde capitaliste, mais maintenant aussi en son centre. Nous sommes ainsi persuadés d'accepter l'effondrement lent mais inexorable de la civilisation capitaliste comme une fatalité : une stagflation un peu féerique, provenant de facteurs extérieurs largement incontrôlables (la pandémie, la guerre en Ukraine, le changement climatique, des politiciens ou des banquiers corrompus) plutôt que de la décomposition en cours de notre mode de production. Outre les dégâts, bref, la dérision.
Le grand bal des bulles
De nombreux problèmes critiques ont menacé le casino financier mondial au cours de l'année 2022. Au total, les actions et les obligations ont perdu plus de 30 000 milliards de dollars, malgré les rachats records des entreprises (qui gonflent artificiellement le prix des actions). L'indice Nasdaq a clôturé l'année à - 33 %, la pire performance depuis 2008. Le volume mondial de la dette à rendement négatif s'est contracté, passant de 18 400 milliards de dollars en décembre 2020 à 686 milliards de dollars en décembre 2022 (ce qui, malgré l'euphorie trompeuse des médias, est une mauvaise nouvelle pour la bulle de la dette, car cela signifie que les obligations sont en train de s'effondrer). Bien sûr, les hausses de taux sont principalement responsables de la perte de valeur du marché. Cependant, l'extraordinaire rebond des principales bourses mondiales au début de l'année 2023 suggère que les marchés continuent de bénéficier du soutien inconditionnel des banques centrales. Il est difficile de douter que ces dernières ne soient pas prêtes à revenir sur le terrain avec des injections monétaires explicites dès qu'elles le jugeront nécessaire - certainement derrière le bouclier de la prochaine urgence inévitable.
En outre, alors que l'indice mondial de liquidité se détériore rapidement (après plus d'une décennie de croissance artificielle), le dernier jour de l'année 2022 a été marqué par un record historique de dépôts en reverse repo à la Fed de New York : 2,5 trillions de dollars provenant de 113 contreparties. Cela signifie que pendant que les gens ordinaires se démènent pour payer leurs hypothèques et leurs factures, les investisseurs garent d'énormes quantités de liquidités à la Fed, car le mécanisme de prise en pension garantit des rendements plus élevés et plus sûrs que d'autres investissements (le taux de prise en pension actuel est de 4,57 %). L'utilisation massive de ces contrats signifie que d'importants volumes de liquidités insignifiantes avec un énorme potentiel inflationniste sont absorbés par la Fed, qui tente alors de geler la base monétaire en l'empêchant d'apparaître directement comme une demande réelle. En outre, c'est au moins depuis les années 1990 que, pour exorciser l'inflation des bulles, les banques centrales font tout leur possible pour que d'énormes masses d'argent restent emprisonnées dans le système financier. Mais cette stratégie est désormais obsolète, car la masse de capital fictif a été gonflée à un point tel qu'elle ne peut plus être supprimée. Au contraire, elle a depuis longtemps commencé à cannibaliser l'économie réelle.
Depuis le début du millénaire, notre monde est l'otage du clonage des bulles financières - technologiques, immobilières, souveraines, etc. - qui dépendent toutes de la création effrénée de liquidités et de la suppression des taux par les banques centrales. Mais surtout, ce clonage soutient la production réelle, c'est-à-dire la reproduction de nos sociétés. L'ancienne logique capitaliste s'est donc inversée : les bulles spéculatives sont désormais des moteurs systémiques, alors qu'elles étaient auparavant des phénomènes isolés dans le temps et dans l'espace. Leur caractère ontologique actuel les rend incomparables à la bulle des tulipes hollandaises de 1630 ou à la bulle de la South Sea Company de 1720 (construite sur les profits de la traite des esclaves). Lorsque ces bulles ont éclaté, elles ont laissé place à de nouveaux cycles d'accumulation réelle, c'est-à-dire fondés sur l'exploitation intensive de la force de travail. Aujourd'hui, cependant, une bulle qui éclate ne peut aspirer qu'à se transformer en une autre bulle. Cela signifie qu'une grande partie de la production réelle a déjà été accaparée par le processus spéculatif. Dans le même temps, la chaîne financière a atteint une déconnexion presque totale de la chaîne de valeur du travail, comme le certifie aujourd'hui même Morgan Stanley. Nous sommes donc étranglés par un mécanisme invisible et auto-alimenté, dont l'extraordinaire abstraction empêche la plupart de le comprendre.
Récapitulons le point central. L'expansion d'une bulle nécessite de l'"air chaud" sous la forme de liquidité de la dette. Le poumon du système est le marché obligataire, le lieu virtuel où s'échangent les titres de créance. Si des capitaux sont nécessaires pour investir ou pour financer les dépenses publiques (y compris les guerres), des obligations sont émises, qui obligent l'émetteur à rembourser le coût à une date d'échéance et à un taux d'intérêt déterminés. Les entreprises émettent des obligations, tout comme les gouvernements. S'endetter pour investir, c'est la stratégie de l'effet de levier qui fait gonfler la "bulle du tout" du capitalisme actuel, comparable à un château de papier construit sur une mare d'essence. En 2019, cette chaîne de Ponzi a de nouveau frôlé la crise de nerfs en raison du comportement hystérique des produits dérivés toxiques, et en particulier de la hausse soudaine des taux d'intérêt sur le marché américain (crise du repo de septembre 2019). La "pandémie", comme j'ai tenté de le reconstituer dans un article de 2021, était la réponse mondiale au risque d'un Armageddon financier qui avait atteint le point de déclenchement. Selon des données récemment rendues publiques par la Réserve fédérale de New York, rien qu'en 2019-2020, un total de 48 000 milliards de dollars sous forme de prêts à taux préférentiels a été versé par la Fed aux mégabanques de référence sujettes aux défaillances - un chiffre inimaginable, même pour les comploteurs les plus fous. Cette injection monétaire extraordinaire n'aurait pas été possible sans les blocages et autres restrictions sociales, qui ont contribué à "isoler l'économie réelle de la détérioration des conditions financières" - pour citer le document de juin 2019 de la Banque des règlements internationaux.
Nous approchons maintenant de l'heure des comptes pour le capitalisme ultra-financier. La mèche de la prochaine bombe spéculative est, comme prévu, le marché de la dette - et elle a déjà été allumée. Les obligations ne suivent plus la loi désormais mythologique de l'offre et de la demande. Selon cette loi, lorsqu'une obligation est très demandée, son prix augmente, tandis que son rendement (et donc son taux d'intérêt) diminue ; inversement, lorsque la demande d'obligations diminue, le prix diminue également, tandis que le rendement (et le taux d'intérêt) augmente. Des taux obligataires élevés devraient donc servir de soupape de sécurité pour toute bulle spéculative, puisqu'ils dénotent théoriquement une fuite de liquidités. En d'autres termes, à mesure que le coût de la dette augmente, le marché obligataire devrait se dégonfler, empêchant ainsi la surchauffe de l'économie elle-même. Cependant, l'ensemble du métavers financier est depuis longtemps systématiquement faussé par les banques centrales qui, par des injections massives de liquidités au cours des dernières décennies, ont créé un Frankenstein aujourd'hui incontrôlable. Les fortes turbulences actuelles sur les principaux marchés obligataires suggèrent que les banques centrales n'ont plus de lapin à sortir de leur chapeau. Si, en théorie, il n'y a pas de limite à la création de liquidités pour les achats d'obligations, les conséquences ne sont plus gérables par la seule politique monétaire. Comme les deux années de pantomime pandémique auraient dû nous l'apprendre, les élites se préparent à une guerre sociale totale, qui passe d'abord par l'asphyxie progressive de l'économie réelle.
Le potentiel destructeur de l'avalanche de dettes est si effrayant qu'il doit être caché. En décembre dernier, la BRI a souligné que la dette mondiale hors bilan détenue par les institutions financières et les fonds s'élevait à plus de 80 000 milliards de dollars, soit un montant supérieur à la masse totale des obligations en dollars, des opérations de pension et des billets de trésorerie en circulation. Il s'agit de dettes dérivées hors bilan, principalement des instruments spéculatifs complexes tels que les swaps de devises. Selon la BRI, cette dette invisible est passée de 55 à 80 000 milliards de dollars en dix ans, avec des opérations de change quotidiennes de 5 000 milliards de dollars. Les institutions financières et les fonds de pension américains détiennent deux fois plus d'obligations de swap que le montant de la dette en dollars dans leurs bilans. Les banques étrangères détiennent 39 000 milliards de dollars de dette dérivée cachée, soit "plus de 10 fois leur capital". Ce fardeau de la dette est une bombe à retardement au cœur de l'économie mondiale.
Alors qu'au lendemain de la crise financière mondiale de 2008, la Fed a déclaré son intention d'imposer un régime rigoureux de tests de résistance aux banques d'importance systémique mondiale, la révélation par la BRI d'une dette dérivée non déclarée nous ramène aux années fastes de la présidence de la Fed par Alan Greenspan (1987-2006), lorsque Wall Street a été autorisée à construire la montagne de produits dérivés toxiques qui a ensuite explosé en 2008. Que rien n'ait changé est aujourd'hui un secret de polichinelle, car la frénésie du crédit est le modus operandi du système depuis maintenant quatre décennies. Cependant, un environnement de plus en plus interconnecté présente un risque spontané de contagion. La dette libellée en dollars devenant plus onéreuse en raison de la hausse des taux d'intérêt, la défaillance d'une banque mondiale ou la vente d'actifs financiers accompagnée d'un krach sont des possibilités réelles, comme l'a montré la récente faillite de la Silicon Valley Bank (16ème banque américaine). Par conséquent, le système doit trouver des raisons de rester liquide à tout prix.
En effet, la seule option sur la table semble être la grande dévaluation. Certains analystes financiers prédisent depuis longtemps que la masse d'obligations la plus lourde de l'histoire sera tôt ou tard balayée par un tsunami de liquidités électroniques, créées à l'aide d'un clavier d'ordinateur. Bien qu'actuellement déguisés en faucons, les banquiers centraux pourraient bientôt - peut-être grâce à l'échec de la banque start-up de la Silicon Valley - redevenir des colombes, faisant définitivement couler les monnaies pour sauver les marchés obligataires. Une bulle de la dette se transformant en bulle de la monnaie ouvrirait ainsi la voie à un système basé sur une monnaie numérique centralisée (CBDC, Central Bank Digital Currency) - expérimentée depuis des années et actuellement envisagée par pas moins de 114 pays. Les entités transnationales telles que la BRI, le WEF, le FMI et la Banque mondiale sont confrontées au dilemme suivant : comment sauver les bulles en nous faisant croire que la contraction économique (une sorte d'effondrement au ralenti) est le résultat d'une série malheureuse d'événements d'urgence auxquels nous devrons nous adapter non seulement par la force, mais aussi spontanément, avec un esprit de sacrifice. C'est pourquoi les marionnettistes du capitalisme de crise sont si prompts à s'approprier une rhétorique traditionnellement de gauche : ils savent bien que ce n'est qu'au nom d'un prétendu idéal de "solidarité collective" que les masses appauvries seront capables d'accepter de nouvelles formes de domination déguisées en sacrifices nécessaires. Ainsi, la préservation tyrannique d'un mode de production aujourd'hui révolu nous est vendue pour deux bouts de fausse monnaie humanitaire.
Les voies de la valeur sont révolues
Le véritable changement de paradigme au sein du capitalisme a eu lieu il y a quelques décennies, avec l'émergence d'un nouveau type de capital financier, qualitativement différent du précédent[4] Depuis au moins les années 1980, l'abstraction financière n'est plus l'appendice d'une "abstraction économique réelle" en plein essor - le lien social fondé sur la correspondance entre un temps de travail donné et une somme d'argent donnée (le salaire). La pseudo-industrie financière représente aujourd'hui la dernière version grotesque d'un modèle de société misanthropique né il y a environ cinq siècles, lorsque la force de travail "libérée" de la contrainte féodale est apparue pour la première fois sur le marché en tant que marchandise. Cependant, un gouffre s'est aujourd'hui creusé entre la chaîne de crédit artificiellement élargie et la masse totale de valeur extraite du travail. L'embarras de la science économique officielle face à ce gouffre correspond à son incapacité à comprendre que l'argent et la valeur ne coïncident pas, qu'ils ne représentent pas la même entité. Depuis le tournant du millénaire, nous avons assisté à un énorme transfert de liquidités vers les marchés obligataires et immobiliers, qui ont généré des bulles sans précédent d'argent sans valeur, c'est-à-dire de liquidités non soumises à la médiation du travail productif, non seulement aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi en Chine et en Europe. Cela a créé un mélange qualitativement nouveau de finance spéculative et d'économie basée sur la production et la consommation de biens réels.
Pendant un certain temps, la "fuite en avant" du crédit sans substance n'a pas généré d'inflation. Aujourd'hui, cependant, il est absurde de continuer à croire que la masse de capital fictif et spéculatif reste emprisonnée dans le secteur financier. Au contraire, il a déjà colonisé le monde réel, érodant à la fois notre pouvoir d'achat et le modèle de capitalisme dans lequel nous nous berçons encore d'illusions. Dans ce contexte, la limitation interne de la valeur de l'accumulation réelle agit comme un moteur externe, poussant le capital dans l'espace virtuel de la circulation transnationale des actifs financiers, qui est alimentée par des masses croissantes de dettes auto-cannibalisantes. Il ne s'agit pas simplement de la corruption pathologique du modèle original du capitalisme, mais de la conséquence logique de sa crise historique et structurelle.
À partir de la troisième révolution industrielle, dans les années 1970, l'utilisation de l'automatisation technologique (microélectronique) pour réduire les coûts de production et accroître la compétitivité a rendu le travail salarié producteur de valeur de plus en plus superflu, inhibant ainsi la création de nouvelle plus-value et déclenchant la spirale implosive. Depuis lors, la pyramide s'est inversée : l'appendice financier de la société de travail est devenu sa base. C'est pourquoi nous sommes aujourd'hui tous otages de la grande illusion qui fait du capital financier un dispositif en mouvement perpétuel, censé être sans répercussion sur le monde réel. Cependant, le travail improductif mondial ayant dépassé le point de non-retour, le choc de la dévaluation est inévitable : un choc économique destiné à se transformer en traumatisme violent pour la conscience sociale dans son ensemble.
Un système de bulles de l'ordre de grandeur actuel ne peut coexister avec une croissance réelle basée sur la production et la consommation de masse. Si le volume actuel de capital fictif circulait librement, il déclencherait l'hyperinflation qui a été exportée jusqu'à présent dans les périphéries négligées du monde globalisé[5]. Le scénario de fin de civilisation dans lequel nous sommes entrés est le résultat de l'extraordinaire croissance de la dépendance au crédit au cours du 20ème siècle ; ce qui signifie avant tout que la monnaie n'a pas pu conserver sa forme antérieure, c'est-à-dire la convertibilité en or. La Première Guerre mondiale a déjà montré qu'il n'était plus possible de financer un conflit avec une monnaie liée à l'or. L'augmentation de la dette provoquée par la Seconde Guerre mondiale et le boom fordiste qui s'en est suivi ont conduit à la décision, en 1971, d'abandonner l'étalon-or. Dès lors, l'argent s'est accéléré dans le vide, ce que la théorie économique bourgeoise (ou néoclassique) n'a jamais compris dans ses implications les plus profondes. Le keynésianisme n'était qu'une tentative de sauver le capitalisme de lui-même, notamment par le biais du fétichisme des dépenses déficitaires : plus de dette publique censée ranimer la flamme de l'économie du travail. Les mouvements syndicaux d'inspiration marxiste n'ont jamais pleinement assimilé la critique de la valeur de Marx. Ils se sont plutôt concentrés sur des luttes de redistribution plus que légitimes, mais presque toujours dans l'horizon ontologique du capital lui-même. Après 1971, l'argent compris comme "réserve de valeur" est devenu une simple convention sans fondement objectif dans le lien social. La conséquence logique de cette perte de substance-valeur - qui, avec le néolibéralisme, a conduit à l'idéologie de la "croissance sans emploi" - est la dévaluation structurelle : soit par l'inflation, soit sous la forme d'une violente vague déflationniste déclenchée par un krach boursier.
Cette tendance est désormais irréversible. Aucun secteur de l'économie ne peut réactiver un cycle d'accumulation réelle et nous ramener à quelque chose de vaguement similaire au boom fordiste, également alimenté par des injections extraordinaires de crédit public. Lorsque le fordisme a implosé, il n'était plus possible de mobiliser une nouvelle main-d'œuvre de masse. C'est pourquoi le capital spéculatif fictif est aujourd'hui le deus ex machina qui compense la perte permanente de la plus-value totale. Le rêve d'une croissance infinie soutenue par la consommation de masse tourne au cauchemar. La phase dystopique dans laquelle nous sommes entrés se caractérise par une productivité sans travail productif, ce qui signifie tout simplement que la "société du travail" est en train de disparaître. Certes, de nombreuses entreprises continueront à tirer d'énormes profits de technologies de plus en plus sophistiquées et de l'exploitation de la main-d'œuvre précaire, mais le lien social organisé autour du travail salarié ne peut que continuer à se déliter.
L'acquisition d'un sens de la perspective critique sur l'implosion en cours du capitalisme sénile nécessite, comme condition préalable, de résister à l'agression de la propagande provenant de l'infosphère. Les grands médias ne nous informeront jamais sur les causes d'une économie structurellement insolvable, pour la simple raison qu'ils sont une émanation de ce système. Au lieu de cela, ils tentent de nous convaincre de chercher ailleurs : pandémies, guerres, préjugés culturels, scandales politiques, catastrophes naturelles, ovnis, extraterrestres, cyberattaques, etc. Alors que les médias s'efforcent aujourd'hui de cacher un effondrement que les gens vivent à fleur de peau, ils ont appris à rejeter la faute sur des événements exogènes. Le mal est toujours projeté ailleurs. En vérité, la crise actuelle se présente comme la deuxième vague de la même crise de 2008, s'inscrivant dans un effondrement systémique si aigu que sa cause est aujourd'hui scientifiquement occultée par des manipulations d'urgence.
Comprendre notre condition exige l'effort de penser contre soi-même, car, en règle générale, un sujet qui "appartient organiquement à une civilisation ne peut identifier la nature du mal qui la mine"[6] Le conformisme et l'"ignorance béate" sont infiniment plus contagieux que la force nécessaire pour affronter les contradictions systémiques. La plupart d'entre nous ne veulent pas se réveiller du tout, préférant croire que cette crise n'est due qu'à des erreurs, à la corruption ou à des problèmes techniques. La raison défensive, cependant, rabaisse la vitalité de la pensée, colonise la conscience et favorise notre adhésion inconsciente aux catégories obsolètes d'une civilisation épuisée.
Toute civilisation s'immunise en traçant une ligne de démarcation entre son ordre constitutif et le Mal. Ce dernier doit être projeté à l'extérieur du corps social pour donner au discours dominant l'illusion de la cohérence. Or, une civilisation mondiale au bord de la défaillance par rapport à sa propre valeur (l'auto-valorisation de la valeur appelée capital) ne peut plus se contenter d'ennemis partiels et localisés : elle doit agiter le spectre d'un Mal global et omniprésent. C'est pourquoi, après avoir remplacé la "pandémie", la guerre en Ukraine a été présentée dès le départ comme une sorte de synecdoque de la Troisième Guerre mondiale. La peur du virus a été remplacée par l'horloge de l'Apocalypse. La guerre devient ainsi le prolongement idéal de la Covid : un écran idéologique qui sert avant tout à masquer la douloureuse réalité quotidienne, de la récession à l'inflation structurelle en passant par les licenciements massifs. De plus, en traçant une frontière entre nous (moralement et culturellement supérieurs) et eux (les barbares), la guerre permet à la fois l'expansion monétaire (en finançant le complexe militaro-industriel, comme la "pandémie" avait financé Big Pharma) et l'expansion idéologique. À cet égard, la tension géopolitique entre le modèle occidental mondialisé dirigé par les États-Unis et le monde multipolaire en devenir (BRICS+) doit être comprise comme un effet de l'effondrement économique en cours, plutôt que comme son dépassement potentiel. La "nouvelle guerre froide" est déjà un fait, si personne d'autre que Morgan Stanley ne nous informe que la préparation du nouvel ordre multipolaire est désormais une priorité.
Quelle que soit la position de chacun sur l'échiquier géopolitique, le problème commun à tous les États capitalistes (et à l'aristocratie transnationale qui les chapeaute) sera de contrôler les vagues violentes de protestation dues à l'augmentation de l'appauvrissement des masses. Il suffit de jeter un coup d'œil à la récente déclaration du G20 à Bali, ou au dernier programme du WEF à Davos, pour se rendre compte que la principale préoccupation des élites est de s'assurer que les niveaux croissants de pauvreté sont gérés par des "solutions globales", allant de l'identité numérique à l'introduction de monnaies numériques contrôlées par le haut (CBDC). La coopération mondiale est le slogan idéologique des ultra-riches qui, voyageant en jet privé pour se mettre d'accord sur des mesures de lutte contre le changement climatique telles que les traqueurs d'empreinte carbone, savent qu'ils doivent tenir en laisse les populations et les sociétés stagnantes. À cet égard, l'esprit de seigneuriage néo-féodal de notre époque est bien représenté par le "modèle d'enfermement" : d'une part, nous avons tendance à oublier que des millions d'êtres humains socialement exclus vivaient déjà dans des conditions d'enfermement effectives bien avant la pandémie, confinés dans des bidonvilles de banlieue ou dans les périphéries rurales du monde, sans accès à l'emploi ou aux produits de première nécessité ; d'autre part, nous savons que les enfermements vécus dans la "pandémie" serviront de prototype pour nous "protéger" contre les traumatismes d'urgence à venir.
Il est donc essentiel de comprendre que nous sommes confrontés à un effondrement socio-économique généralisé, qui prend désormais la forme d'une dissolution du contrat social - comme en témoigne l'effondrement de la participation des citoyens à la pantomime du vote. Les véritables détenteurs du pouvoir (l'aristocratie transnationale dont la politique est la servante) continueront à favoriser les conflits et les divisions de toutes sortes pour masquer l'implosion du système et promouvoir le changement de paradigme autoritaire. Aujourd'hui, toute hostilité, géopolitique ou autre, commence et finit dans l'enfer du capitalisme de crise, soutenu par la machine de propagande. La fin du socialisme dans les années 1980 a levé le voile de Maya. Depuis, comme le dirait un bouddhiste, "le dualisme est une illusion" : il n'y a qu'un seul dogme socio-économique, et il ne fonctionne plus. Maintenir le capitalisme de consommation en vie en étendant la dette à l'infini est désormais impossible, ou ouvertement autodestructeur. La montagne de reconnaissances de dettes a dépassé ce que nous possédons comme garantie (nos actifs, notre force de travail, notre "vie nue"), tandis que l'argent se transforme en papier usagé. La Grande Réinitialisation est une tentative de répondre à cette crise terminale en augmentant l'emprise sur nos vies - tandis qu'autour de nous grandit l'anxiété silencieuse d'une fin du monde imminente, peut-être la seule émotion qui puisse encore nous sauver.
Notes:
[1] George Orwell, 1984 (Milan : Mondadori, 1950), p. 239.
[2] Ibid, p. 201.
[3] Cf. Pier Paolo Pasolini, Il fascismo degli antifascisti (Milan : Garzanti), 2018.
[4] Cf. Robert Kurz, Schwarzbuch Kapitalismus. Ein Abgesang auf die Marktwirtschaft (Francfort : Eichborn Verlag), et The Capital World. Globalization and Internal Limits of the Modern Commodity-Producing System (Milan : Meltemi, 2022).
[5) Des cycles d'hyperinflation dans le monde globalisé ont eu lieu en Bolivie (1985), en Argentine (1989), au Pérou (1990), au Nicaragua (1991), en Bosnie (1992), en Ukraine (1992), en Russie (1992), en Moldavie (1992), en Arménie (1993), au Congo (1993), en Yougoslavie (1994), en Géorgie (1994), en Bulgarie (1997), au Venezuela (2016), au Zimbabwe (2007/09 et 2017), au Liban (2020-aujourd'hui), etc.
[6] Emile Cioran, La tentation d'exister (Milan : Adelphi, 1984), p. 27.
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La guerre sans fin
La guerre sans fin
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/la-guerra-infinita/
À l'heure où j'écris ces lignes, la grande contre-offensive ukrainienne du printemps est peut-être en cours. Je dis "peut-être", car il n'y a rien de plus incertain qu'une action militaire aussi longtemps planifiée et claironnée. À tel point qu'il est difficile de lire la réalité des événements derrière l'écran de fumée de la propagande partisane. Laquelle ne tend pas à informer, bien au contraire. La désinformation, c'est ce que les maîtres de l'ombre à l'époque soviétique appelaient la "desinformatzia".
Cependant, depuis quelques semaines, des actions offensives sont menées par les FAU (Forces Armées Ukrainiennes). Les Russes y répondent en élargissant la portée de leurs raids aériens. Compte tenu également du contrôle presque total qu'ils exercent sur l'espace aérien.
Cependant, ces actions, aussi intensifiées soient-elles, ne donnent pas l'impression qu'elles peuvent réellement affecter le cours général du conflit.
Elles semblent surtout viser à donner un signal aux alliés occidentaux de Kiev. Et à justifier les nouvelles demandes d'argent et d'armement de Zelensky.
Comme je l'ai dit, le risque paradoxal est que cette contre-offensive ukrainienne pousse Moscou à étendre la zone de conflit. Et à se doter d'armements toujours plus lourds et dévastateurs. Ce qu'elle semble déjà faire.
Jusqu'à présent, la volonté de Poutine de limiter le conflit, qui n'est pas désigné par hasard par l'euphémisme "opération spéciale", était évidente. L'objectif russe était de prendre le contrôle de l'ensemble du Donbass. Et, en perspective, d'empêcher l'installation de bases de l'OTAN en Ukraine.
Au-delà de l'armement utilisé, une guerre visant à redéfinir les zones frontalières. Et à avoir des effets diplomatiques. Bref, plus proche des guerres de succession du 18ème siècle que d'un conflit moderne visant à anéantir l'adversaire.
Mais dans les guerres de succession, les belligérants avaient une sorte d'accord tacite. Ou, du moins, une compréhension commune des limites du conflit. Et de ses objectifs.
Dans le cas présent, en revanche, la vision russe de l'opération dite spéciale n'a pas d'équivalent sur l'autre front.
Par "l'autre front", je n'entends évidemment pas les illusions de Zelensky et de ses hommes au pouvoir à Kiev, ni les forces armées ukrainiennes. Ni aux forces armées ukrainiennes. Qui, dans ce jeu, ne sont que de la chair à canon consommable.
L'autre front est représenté par Washington. Avec ses satellites européens. Et l'objectif peu subtil de l'élite dirigeante actuelle à la Maison Blanche (et derrière elle) est l'anéantissement de la puissance russe. Un dernier redde rationem.
Ce qui a été appelé, précisément par les Américains, "la stratégie de l'anaconda". C'est-à-dire étouffer lentement Moscou, l'envelopper d'ennemis et la contraindre à des conflits territoriaux permanents. Aujourd'hui l'Ukraine, demain la Transnistrie et la Géorgie... après-demain qui sait ?
On peut donc penser que l'actuel conflit russo-ukrainien n'est qu'une étape, la plus visible à ce jour, d'une longue, très longue guerre. Une guerre que l'on pourrait qualifier d'interminable. Ou, du moins, dont les limites temporelles sont très éloignées de notre présent. Une nouvelle guerre de Cent Ans, mais à l'échelle mondiale.
Bien sûr, il est aujourd'hui presque impossible de faire des prévisions à long terme.
Moscou pourrait réagir à ce ruissellement par un féroce retournement de situation. C'est-à-dire en déployant tout son potentiel de guerre. Même nucléaire.
C'est peu probable, du moins tant qu'un homme politique compétent comme Poutine est au Kremlin. Mais, comme je l'ai dit, il est impossible de prédire l'avenir.
En outre, le risque d'utilisation d'armes nucléaires tactiques se situe plutôt du côté occidental. Du moins tant que les démocrates conserveront le pouvoir à Washington. Et c'est là qu'il faut faire une, trop longue, réflexion sur la perspective du retour de Trump à la Maison Blanche. Et sur le temps qu'il reste à Biden et aux siens.
Et puis, il y a le Convive de pierre. Pékin.
Les Chinois sont habitués, bien plus que les Américains, les Européens et les Russes, à penser à long terme. Et ils savent comment gérer une guerre sans fin.
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vendredi, 14 avril 2023
Sur la question de la "religion civile"
Sur la question de la "religion civile"
Igor Igorevitch Murog
Source: https://katehon.com/ru/article/k-voprosu-o-grazhdanskoy-religii
L'approche phénoménologique de l'étude de la "religion civile"
Du point de vue de la sociologie phénoménologique, dont le fondateur Alfred Schütz a développé les idées d'Edmund Husserl, le monde objectif est connu par un homme concret. Le monde qui nous entoure est certes objectif, mais il ne commence à nous importer que lorsqu'il est perçu et exploré par notre conscience subjective. La microsociologie est une branche particulière de la science qui étudie l'interaction et la communication dans la vie quotidienne entre les personnes.
Ainsi, au cours de notre vie, nous rencontrons de nombreuses réalités créées par la science, la religion ou l'art, mais la réalité de la vie quotidienne, que nous rencontrons tous les jours, que nous le voulions ou non, est celle qui nous concerne le plus. Cette réalité inclut la "religion civile", un phénomène qui n'est pas tant mauvais ou bon qu'inévitable.
Les premiers moyens par lesquels l'homme commence à connaître sont les sens : voir, goûter, sentir, toucher. Mais ils ne sont en aucun cas suffisants pour appréhender le monde dans sa globalité. Les impressions reçues par les sens sont chaotiques et ont besoin d'être ordonnées. C'est pourquoi l'homme a commencé à organiser les expériences sensorielles en phénomènes présentant des caractéristiques communes. Comme les phénomènes du monde environnant sont perçus par tous les membres de la communauté, l'individu, après les avoir identifiés, entre en interaction avec les autres, en étant sûr qu'ils ressentent le monde de la même manière.
C'est ainsi qu'est apparu progressivement un ensemble de connaissances communément appelées "sens commun" [18], partagées par tous les êtres humains et leur permettant de coexister pleinement. Cependant, cette catégorie n'est pas du tout immuable, car au fur et à mesure que la société se développe et se complexifie, de nouveaux rôles sociaux apparaissent et, par conséquent, ils donnent lieu à de nouvelles réalités. Ainsi, chaque individu voit le monde de manière légèrement différente, le bon sens lui permettant de comprendre les autres.
La particularité du monde actuel est qu'il est très multiforme et que les représentants des différents groupes sociaux construisent, recréent leurs réalités de différentes manières. La tâche des phénoménologues est de donner la représentation la plus objective possible du monde en comprenant les autres points de vue. Ce faisant, ils ne sont pas très intéressés par les différences objectives. L'accent est mis sur la manière dont certaines constructions sociales sont perçues au niveau de la conscience ordinaire. Ainsi, chaque individu est, dans une certaine mesure, en mesure d'influencer le sens commun social sur lequel se fondent la systématisation et la définition des concepts objectifs qui constituent la connaissance scientifique.
Cependant, l'individu, en tant que membre d'un groupe social particulier, utilise une échelle de valeurs propre à son groupe dit d'appartenance et ses conceptions de la réalité sont similaires à celles de ses membres. Comme son groupe social n'est pas le seul existant et qu'il en existe d'autres, leurs mondes intersubjectifs peuvent être très différents. Soulignons ici que le monde intersubjectif contient des connaissances qui comprennent des croyances ainsi que des éléments de croyance, qui sont réels dans le sens où ils sont définis par les participants eux-mêmes dans l'interaction [12].
C'est ainsi qu'émergent des groupes de "nous" et de "eux". Lorsqu'il interagit ou migre d'un groupe à un autre, un individu doit au moins être conscient qu'il sera confronté à un ordre socioculturel différent, ce qui peut conduire à des situations problématiques, voire à des conflits.
Par exemple, à l'époque soviétique, de nombreux citoyens des républiques soviétiques se considéraient comme appartenant au groupe socio-ethnique des "Russes", alors considéré comme prestigieux. De même, certains hommes d'affaires d'aujourd'hui ne sont pas enclins à s'identifier à des entrepreneurs, mais préfèrent s'identifier à la classe ouvrière ou aux intellectuels, ce qui se reflète en fin de compte dans leur pensée et leur comportement.
Se trouvant dans un certain environnement socioculturel, l'individu en assimile les valeurs au cours de la communication quotidienne et se fait une certaine idée du groupe social "d'origine" lui-même et de la place que l'on y occupe. Dans le processus de socialisation, l'individu commence à comparer "nous" et "eux", ce qui est le point de départ de la formation d'une identité sociale qui influencera inévitablement le choix des stratégies de vie, ainsi que la volonté même d'interagir avec les membres d'autres groupes sociaux, d'une manière ou d'une autre.
Nous pouvons l'observer chaque fois que quelqu'un parle ou agit en fonction d'un certain "nous". En outre, en fonction des valeurs socioculturelles dominantes dans la société, les attitudes à l'égard du groupe autre, "eux", changent, comme on peut l'observer dans les réalités russes contemporaines. Par exemple, à l'époque soviétique, les coupables de tous nos malheurs étaient "eux-bourgeois" et "eux-Américains". Aujourd'hui, il ne reste plus que ces derniers.
Nous devons donc comprendre où les sociétés russe et américaine ont des points communs et où elles divergent complètement. Il est important de passer de la simple collecte de faits à l'examen de questions essentielles à la survie de l'ensemble de la communauté humaine, c'est-à-dire les questions centrales de la relation des hommes entre eux et de la relation de l'homme à Dieu.
Les fondements religieux de la civilisation du mondialisme
Comme on l'a dit, dans la société pré-moderne, il y avait une image unifiée du monde et il était assez facile pour le petit groupe de personnes qui la composait, comme une famille ou une communauté, d'interagir. Plus tard, cependant, le besoin s'est fait sentir de s'organiser en communautés plus larges, dont les membres ont commencé à comprendre et à construire à leur manière une image du monde qui les entoure. Il en est résulté une grande quantité d'informations et la nécessité de les stocker pour un fonctionnement et une coopération réussis. La perception holistique du monde a donc été remplacée par une perception à multiples facettes. Au fil du temps, les méthodes de traitement des données se sont de plus en plus éloignées de la pensée naturelle et leur rôle s'est accru, ce qui a donné lieu à l'émergence de structures imaginatives.
De grands groupes de personnes, des familles aux nations, ont pu collaborer à grande échelle sur la base d'une idée commune qui existait dans leur esprit et les a aidés à construire des villes et même des empires entiers avec des centaines de millions de personnes.
La "fiction" commune s'est progressivement inscrite dans la conscience collective. En la reproduisant, en répétant les exploits des héros des mythes, en accomplissant des rites, en incarnant les archétypes de leur conscience sous une forme symbolique, les gens sacralisaient le temps historique, en y introduisant un certain sens supérieur qui les aidait à s'élever au-dessus des problèmes de la vie quotidienne ; en conséquence, la "fiction" (ou "mythe") était très durable et, au fil du temps, à partir de simples légendes et du folklore local, elle s'est transformée en idéologies nationalistes autour des États modernes. C'est ainsi que sont apparues diverses croyances, divinités, rituels et, finalement, la ou les premières religions. Dans les cercles académiques, ces phénomènes sont qualifiés de "fictions", de "constructions sociales" et de "réalités imaginaires" [15, p. 69]. Cela semble important, car "la mythologie n'est pas définie par l'histoire d'un peuple, au contraire, son histoire est définie par sa mythologie" [9].
Cependant, la plupart des gens ne sont pas prêts à accepter que l'ordre dans lequel ils vivent n'existe que dans leur imagination. La raison en est que l'ordre imaginé est subjectif et intersubjectif, c'est-à-dire qu'il existe dans l'imagination interpénétrée de millions de personnes. Il est ancré dans le monde réel : d'une part, la géographie, la flore et la faune limitent notre perception, tandis que d'autre part, l'ordre imaginaire lui-même, qui semble plus proche de la réalité que le monde environnant réel, la limite également et crée sa propre réalité. Il façonne nos désirs : nous naissons dans un certain environnement socioculturel ; par conséquent, nos désirs émergent sous l'influence des idées dominantes dans la société (romantisme, capitalisme, humanisme).
Samuel Huntington, dans son livre Le choc des civilisations, affirme que depuis les années 1990, la concurrence des systèmes sociopolitiques, économiques et idéologiques a été remplacée par une concurrence des civilisations [14]. Dans ce contexte, les civilisations sont les plus grands groupes qui se distinguent les uns des autres principalement par la religion. Mais il existe un autre indicateur de la macro-culture civilisationnelle : la langue [2].
Outre les civilisations "régionales" bien connues, on assiste au 21ème siècle à la formation de ce que l'on appelle communément la "civilisation universelle" ou la civilisation du mondialisme. V.L. Inozemtsev a même comparé la "théorie de la mondialisation" à la doctrine religieuse qui, selon lui, n'est en fait rien d'autre que l'"occidentalisation" qui a commencé au milieu du 15ème siècle, l'"expansion du modèle de société "occidental" et l'adaptation du monde aux besoins de ce modèle". [8, p. 58].
Sachant que la culture est la clé de la révolution, que la religion est la clé de la culture et que l'homme est en principe un être religieux, chaque civilisation, en fonction de ses orientations de valeurs, possède l'une ou l'autre forme de religion. En fait, c'est la religion qui détermine en fin de compte les valeurs.
Quant aux orientations de valeurs du mondialisme, elles sont le produit de l'aboutissement du développement de la société et de la culture ouest-européennes, d'une simplification extrême et d'une dévalorisation extrême. Les besoins culturels supérieurs, les valeurs élevées et la diversité culturelle sont simplifiés à l'extrême et rabaissés au niveau matériel.
Sa Sainteté le patriarche Kirill, dans son rapport à l'ouverture des 21èmes lectures internationales de Noël en 2013, a déclaré : "Nous devrions faire la distinction entre les valeurs inventées et celles qui ne le sont pas, nous devons faire la distinction entre les valeurs inventées par l'homme et celles révélées par Dieu. Les premières sont relatives, éphémères et changent souvent avec le cours de l'histoire et le développement des lois de la société humaine. Les secondes sont éternelles et immuables, tout comme Dieu est éternel et immuable [6].
Au lieu du développement, ces valeurs conduisent à la dégradation, en promouvant activement la satisfaction de besoins essentiellement personnels, en générant une culture de l'égoïsme, la priorité des besoins matériels, la consommation de masse, les intérêts du moment et, par conséquent, à l'oubli de l'histoire [17].
Il convient de noter que dans le monde moderne, la plupart des sociétés sont caractérisées par le pluralisme religieux, de sorte que la base de l'unité de la société est inévitablement la "religion civile", qui est la base de la civilisation du mondialisme.
Changements axiologiques dans le monde moderne
Il existe des religions théistes, qui placent Dieu au centre, et des religions humanistes, qui placent l'homme au centre. Dans ce contexte, on entend par religion un système de valeurs fondé sur la croyance en un ordre supérieur indépendant de l'homme, sur la base duquel il affirme des valeurs universelles absolues. Comme on peut le constater, ces dernières sont très populaires à notre époque. Et de ce point de vue, l'humanisme, le communisme, le capitalisme, le libéralisme et le nazisme peuvent bien être qualifiés en quelque sorte de "religion".
Ainsi, si l'on parle du capitalisme, il ne s'agit pas seulement d'une doctrine économique, mais d'un ensemble de règles qui suggèrent aux gens comment se comporter, penser, enseigner et éduquer leurs enfants. La croissance économique, ou la voie qui y mène, est le bien suprême, car c'est la justice, la liberté et même le bonheur qui en dépendent. Le capitalisme repose sur la croyance en une croissance économique constante. Et alors qu'au Moyen-Âge, des millions de personnes ont été détruites par la "juste" colère des "guerres saintes", des croisades et de l'Inquisition, aujourd'hui, le capitalisme détruit indifféremment des millions de personnes pour des raisons d'opportunité économique ou politique.
Si nous nous tournons vers la famille, qui a traditionnellement été la base de l'ordre social, aujourd'hui le marché et l'État remplissent ses fonctions et ses tâches, ainsi que celles de la communauté locale. C'est l'État qui cultive et nourrit consciemment les valeurs humanistes libérales par opposition aux valeurs familiales. L'opinion publique, les psychologues professionnels, les législateurs, tous tendent à dispenser les enfants de la discipline et de la responsabilité au sein de la famille, de l'obligation d'obéir à leurs aînés. La littérature romantique et plus encore les médias présentent souvent l'individu comme un combattant de l'État et du marché, alors qu'il n'existe que grâce à eux. Car les idéaux qui inspirent l'individu à se battre pour les droits et les libertés sont les outils obéissants de l'État et la pierre angulaire à travers laquelle la mythologie de l'État existe.
La relation État-marché-individu n'est pas facile à construire, mais elle fonctionne. La plupart des besoins matériels sont satisfaits par les États et les marchés, qui cultivent des communautés imaginaires et les adaptent à leurs besoins. Les deux exemples les plus importants de communautés d'État et de marché sont la nation et les consommateurs, et le nationalisme et le consumérisme sont les deux idées fondamentales qui en découlent.
Mais la libération de l'individu a des conséquences. Comme chaque individu est capable de choisir sa propre voie dans la vie, les engagements de la vie, en particulier les engagements familiaux, sont de plus en plus difficiles à prendre, car il n'y a pas de fondement moral solide. Ainsi, avec l'approbation tacite de l'État, les familles et les liens sociaux s'effritent.
La science est une autre "religion" du 21ème siècle. Nous vivons aujourd'hui à l'ère de la révolution scientifique et technologique. Afin de stabiliser et d'unifier la société, la culture mondiale moderne a répandu la foi dans les technologies et les méthodes d'investigation scientifique qui offrent des possibilités sans précédent de connaître le monde. La foi dans le pouvoir du progrès technologique peut, à bien des égards, remplacer même la vérité de la religion traditionnelle.
L'une des plus grandes forces de la science moderne est sa flexibilité par rapport à des lois qui semblent déjà immuables ; elle est curieuse et capable d'aller "au-delà", ce qui la distingue de toutes les traditions antérieures. Sa volonté d'écarter rapidement les théories qui ont échoué lui permet de se développer de manière dynamique.
En d'autres termes, la science, à chaque découverte, est capable de reconnaître l'ignorance collective des questions les plus importantes. Charles Darwin, par exemple, n'a fait qu'émettre des hypothèses sur l'origine des espèces et la relation entre l'homme et le singe, mais il n'a pas insisté sur le fait qu'il avait résolu l'énigme de la vie, car il s'est rendu compte que les données de la paléontologie étaient encore insuffisantes. Les physiciens tentent toujours de surmonter l'impasse des infinis mathématiques et de modéliser le passé du Big Bang, ainsi que d'expliquer le fonctionnement simultané des lois de la mécanique quantique et de la relativité générale dans l'univers.
Chaque nouvelle découverte donne lieu à des débats acharnés entre théories concurrentes. On peut l'observer dans les débats sur la gestion la plus efficace de l'économie, lorsqu'une partie peut être absolument confiante dans ses méthodes, mais que la prochaine crise financière ou l'éclatement de la bulle boursière prouve son échec et oblige à revoir l'ensemble de la discipline
Il arrive que, sur certaines questions, tous les faits existants soient en faveur d'une seule hypothèse existante, et celle-ci est alors postulée, mais la communauté scientifique est toujours prête à remettre en question sa véracité avec l'apparition de nouvelles découvertes [11]. Tout cela a conduit à un problème entièrement nouveau auquel nos ancêtres n'ont pas eu à faire face. Les connaissances de bon sens accumulées au fil des siècles, qui ont déjà permis à des millions de personnes d'interagir efficacement, peuvent désormais être remises en question.
Le manque de fiabilité de ces "mythes" communs nous amène à nous demander comment préserver l'unité de la société et comment assurer le fonctionnement des États et des institutions internationales dans de telles conditions.
Toutes les tentatives contemporaines de stabilisation de l'ordre sociopolitique sont contraintes à l'une des deux méthodes les plus éloignées de la science. La première consiste à prendre une théorie scientifique et à la déclarer comme étant la vérité finale et absolue, comme l'ont fait les nazis lorsqu'ils ont proclamé que leur politique raciale était une extension de l'impeccable théorie biologique. La seconde consiste à laisser la science tranquille et à vivre selon une vérité absolue non scientifique. C'est la stratégie de toutes les religions du monde ainsi que de l'humanisme libéral, qui repose sur une croyance dogmatique en la dignité et les droits uniques de l'homme.
D'autre part, la science est obligée de s'appuyer sur des croyances religieuses et idéologiques parce qu'elle s'en sert pour justifier ses énormes dépenses et donc pour recevoir des financements (13). Elle est façonnée par des intérêts économiques, politiques et religieux avec lesquels elle est interconnectée, d'une manière ou d'une autre. L'orientation de la recherche est rarement définie par les scientifiques eux-mêmes. L'étroite corrélation entre la science, le pouvoir et la société a été, et continue d'être, l'un des principaux moteurs de l'évolution historique.
Ainsi, la science et le capitalisme ont déterminé le destin du développement du monde selon les principes européens. Cette symbiose, associée à la mentalité "explorer et conquérir" des conquérants européens, a également été adoptée au 21ème siècle.
Selon Robert Bellah, la religion dans la société passe par cinq stades de développement : primitif, archaïque, historique, moderne et moderne [4, p. 268]. Il semble que la société occidentale soit dominée par la religion moderne "d'affirmation du monde", avec sa recherche de principes éthiques personnels, son subjectivisme croissant et son désir d'amélioration continue de l'ensemble de la culture de la société et des valeurs du système personnel, tandis que la Russie et l'ensemble de la civilisation orientale, si l'on suit la qualification de R. Bellah, se trouvent au stade de la religion historique. En outre, nous appartenons à des civilisations différentes. Si nous examinons attentivement la structure hiérarchique de la société occidentale et la comparons à celle de la société orientale, nous constatons que la première est basée sur l'individualisme et la seconde sur le collectivisme, c'est-à-dire que la civilisation occidentale est basée sur l'égocentrisme, tandis que la civilisation orientale est basée sur la conscience communautaire.
Les valeurs fondamentales et la culture sont différentes dans l'Europe moderne, aux États-Unis, dans le monde occidental en général et dans le monde oriental, y compris la Russie. Ainsi, chaque Américain, au niveau de sa conscience quotidienne, sait quelles sont les valeurs fondamentales de sa culture : la liberté, le règne de la démocratie et la réussite matérielle (le rêve américain). Ces valeurs sont enracinées en Europe, puisque les États-Unis sont un pays d'immigrants. Cependant, les États européens sont relativement petits en termes de territoire et de population, de sorte que, comme la plupart des petits groupes ethniques, ils sont caractérisés par le nationalisme, qui déborde parfois au-delà de leurs frontières. Ainsi, l'Europe, si l'on peut dire, en est en permanence "enceinte" : pour l'Allemagne du 20ème siècle, il s'agit de sa forme extrême - le fascisme ; pour la Grande-Bretagne - l'ancien empire colonial - l'oppression passée des colonies et l'exploitation de la population autochtone ; pour la France - le problème des migrants utilisés comme main-d'œuvre ; pour la Grèce - la situation actuelle de l'orthodoxie mondiale.
Ainsi, les origines du nationalisme et du racisme se trouvent dans l'individualisme, dans une attitude arrogante à l'égard des "autres" et dans la conscience de sa propre supériorité ethnique. Comme dans les relations interpersonnelles, lorsque l'on se comporte de manière égoïste et que l'on tente d'imposer son point de vue, tout en négligeant et en ignorant ses propres défauts et en n'essayant pas de comprendre ou d'entendre l'autre partie, en croyant que son opinion est la seule correcte et en la faisant passer pour une vérité évidente. Quant aux Américains, ils ne peuvent s'empêcher d'exporter leurs valeurs à cause de tout cela. Pourtant, le christianisme, la famille et l'éthique du travail sont au cœur de la civilisation européenne.
La plupart des gens ont tendance à considérer la hiérarchie de leur société comme naturelle, comme la seule possible. Elle est constituée de nombreux facteurs, puis solidifiée et transmise de génération en génération, tandis que certaines personnes la modifient de temps à autre.
Aujourd'hui, l'humanité se trouve au seuil d'une civilisation mondiale et il y a plusieurs raisons à cela. L'une des plus importantes est l'expansion continue de la civilisation anglo-saxonne. Il est difficile d'affirmer que la vie socio-culturelle s'unifie selon les principes occidentaux. Elle conduit à la formation d'un nouveau type de civilisation mondiale et, semble-t-il, sa religion unificatrice devrait être universelle et missionnaire. Il s'agit donc de créer une nouvelle théologie mondiale. Bien que la mondialisation en tant que telle ait commencé au cours des derniers siècles, l'idée même d'un ordre universel est née il y a bien longtemps. Au cours du premier millénaire, trois ordres mondiaux universels avaient déjà émergé : économique - l'argent, politique - les empires, religieux - les religions mondiales.
La civilisation émergente n'a donc pas de nouvelle raison d'être. Elle est seulement renforcée par de nouveaux "mythes" au fil du temps. Nous croyons en tel ou tel ordre non pas parce qu'il s'agit d'une vérité objective, mais parce que cette croyance nous permet d'interagir et de transformer la société.
Notre connaissance de l'ordre des choses est tirée de la culture, et les fondements de cette connaissance se trouvent dans la théologie chrétienne. Une question légitime se pose: n'y a-t-il pas des chrétiens aux États-Unis, en Europe, en Russie? Le rêve américain est partagé par tous dans le désir d'avoir un travail qu'ils aiment, de réussir et de subvenir dignement aux besoins de leur famille. Il n'y a rien de mal à cela. Cependant, tout le monde a besoin d'un but élevé, et ce qui se passe aujourd'hui, c'est que l'on abaisse délibérément les normes morales d'une personne.
De notre point de vue, c'est parce que les valeurs civiques, comme la technologie moderne, ont échappé au contrôle de l'humanité. Après tout, que s'est-il passé avec les réseaux sociaux ? D'abord, ils n'étaient qu'un outil de réseautage social, puis le bouton "J'aime" a été inventé, après quoi une véritable guerre pour l'attention des gens en fonction de leurs préférences a commencé, le but étant que les gens passent le plus de temps possible sur leur gadget et, par conséquent, qu'ils en tirent le plus d'argent possible (rappelez-vous la croyance en la croissance économique). L'homme est incapable de se contrôler, c'est la technologie qui le fait maintenant.
Les valeurs civiques subissent pratiquement la même transformation. Dans ses premiers travaux, R. Bellah a prouvé que la "religion civile" était bien institutionnalisée, soigneusement pensée et élaborée. Mais maintenant que nous voyons ce qui se passe dans le monde, il est juste de dire que les valeurs civiques ne sont plus dans les limites du bon sens et de la bonne volonté, et le protestantisme, avec son désir d'adapter Dieu à sa convenance en le rendant commode, a eu des conséquences si désastreuses que les Européens sont confrontés à la christianophobie et que des lois contraires aux canons bibliques ont été votées dans leurs pays.
Être et non paraître
Comme nous l'avons déjà mentionné, la mythologie nationale est incroyablement importante car elle reproduit l'ethnicité [1]. En ce sens, un code commun de compréhension du bien, du bon et du mauvais est d'une importance capitale. La Russie a l'avantage que la religion est actuellement dans sa phase historique de développement et que les valeurs morales traditionnelles prévalent. Mais elle a aussi un inconvénient. Disposant d'un énorme potentiel, nous n'investissons pas dans les infrastructures, ce qui donne l'impression que la Russie est un pays arriéré. Il semble que ce soit précisément parce que notre psychologie nationale n'a pas l'attitude nécessaire pour transformer le monde qui nous entoure par le biais d'un travail professionnel.
Dans le cas des États-Unis et de l'Europe moderne, cette fonction importante est confiée à l'État, car les lois adoptées et les "valeurs" imposées d'en haut ont la priorité sur celles qui sont transmises de génération en génération et qui sont élevées au sein de la famille. Il s'agit là de la plus grande privation de liberté qui soit : vivre selon les lois imposées d'en haut par une minorité.
Pourquoi cela est-il devenu possible ? Parce que les chrétiens, et pas seulement les chrétiens, la plupart des personnes de bonne volonté remarquent comment les choses fonctionnent et ont des points de vue similaires. La réponse est la suivante : il y a des personnes au pouvoir ou dans des structures proches du pouvoir qui, pour une raison ou une autre, ou pour un avantage, acceptent et communiquent de telles attitudes venues d'en haut. La question de savoir pourquoi elles agissent ainsi reste ouverte. On peut supposer qu'elles sont animées par des passions et qu'elles n'agissent pas pour le bien.
Quelle est l'alternative ? L'hégémonie européenne a pris fin au 20ème siècle lorsque la "capitale du monde" s'est déplacée à l'étranger. Des guerres telles que la guerre du Viêt Nam et la guerre d'Algérie ont prouvé que même les superpuissances peuvent être vaincues si elles transforment une guerre locale en une question d'importance mondiale. Au 21ème siècle, il est possible que l'hégémonie américaine prenne fin.
Les chrétiens sont confrontés à de nouveaux défis à chaque époque, et il est important de comprendre quel est le défi actuel et comment y répondre. Les grands Cappadociens - Saint Basile le Grand, Saint Grégoire le Théologien et Saint Jean Chrysostome - qui ont été capables d'expliquer l'enseignement de l'Évangile dans leur langue hellénique moderne, constituent pour nous un excellent exemple. Leur exemple est inspirant et peut être repris.
La société russe ne peut être considérée comme orthodoxe et pratiquante que nominalement, car en matière de foi, elle n'est pas suffisamment éclairée et, comme l'ont montré certains événements de ces dernières années (par exemple, les rassemblements en faveur d'Alexey Navalny, les manifestations contre la guerre, l'émigration), elle n'est pas politiquement monolithique. Par rapport à la société occidentale, notre approche éthique, fondée sur des valeurs, diffère sensiblement. Par exemple, la majorité de nos concitoyens sont contre la promotion de l'homosexualité, la justice des mineurs, etc. Ces opinions sont fondées sur la "mythologie" et le code de compréhension du bien et du mal qui caractérisent la collectivité territoriale.
Pour contrer l'individualisme et trouver une alternative saine à la démocratie et à la liberté dans l'interprétation occidentale, il est nécessaire d'avoir quelque chose de propre qui aiderait à unir non seulement les citoyens de la Russie, mais qui pourrait également être offert au monde entier.
Dans notre histoire, de nombreux érudits et philosophes ont tenté de le faire, à commencer par le moine Philothée et son idéologie "Moscou est la troisième Rome", en passant par le comte S. S. Uvarov, qui a formulé la théorie de la nationalité officielle, et plus tard les philosophes N.A. Berdiaev, I.I. Ilyin et d'autres [10 ; 16 ; 5 ; 7].
Mais aujourd'hui, nous vivons une période de vide idéologique et la Constitution de la Fédération de Russie stipule qu'aucune idéologie ne peut être reconnue comme l'idéologie officielle de l'État. Parallèlement, si nous nous référons à l'expérience des États-Unis, la "religion civile" américaine n'est ni prescrite ni dogmatique, mais elle existe et consolide un immense pays multinational, multiculturel et multireligieux. Cela est rendu possible par les valeurs fondamentales de la civilisation occidentale, qui sont parfaitement adaptées à la conscience nationale et correspondent à la compréhension commune qu'ont les Américains du bien et du mal.
Il semble que le moment soit venu d'utiliser l'expérience historique de notre pays et, en tenant compte de sa plate-forme civilisationnelle et religieuse, de proposer sa propre "mythologie", simple et compréhensible, qui conviendrait à tous les citoyens russes, quelle que soit leur appartenance religieuse et nationale. Selon nous, des valeurs fondamentales telles que la foi, la justice et la paix pourraient servir de base. Les définitions de ces concepts sont déjà inscrites dans le document "Valeurs fondamentales - la base de l'identité nationale" [3] adopté en 2011. Le document "Valeurs fondamentales - base de l'identité nationale" [3], adopté en 2011 lors de la réunion du Conseil mondial du peuple russe, contient les définitions suivantes :
- La foi est la foi en Dieu, le souci de préserver les traditions religieuses des peuples, l'incarnation de ces traditions dans les actes, la fidélité aux convictions et aux principes de vie fondés sur la morale, y compris ceux des personnes non religieuses ;
- La justice, entendue comme l'égalité politique et sociale, la juste répartition des fruits du travail, une rémunération digne et des sanctions équitables, la juste place de chaque personne dans la société et de la nation dans le système des relations internationales ;
- La paix (civile, interethnique, interreligieuse) - la résolution pacifique des conflits et des contradictions dans la société, la fraternité des peuples, le respect mutuel des particularités culturelles, nationales et religieuses, la conduite non conflictuelle des discussions politiques et historiques.
Aujourd'hui, il est important de comprendre que l'époque dans laquelle nous vivons est caractérisée par le dynamisme et que tout change très rapidement. La propagande actuelle en Russie met l'accent sur le patriotisme et la Victoire, mais le patriotisme seul et la conscience d'être une nation victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ne suffisent pas. Les générations se succèdent et l'histoire est soumise à des remises en question et à des déformations délibérées. Et l'idée générale, à travers la reproduction d'éléments culturels et informationnels, nous incite à dépenser toute notre énergie pour sa réalisation et à y mettre notre vie.
Ainsi, aujourd'hui, la lutte pour les valeurs morales traditionnelles en dehors de la loi divine et du sens commun est la tâche prioritaire des chrétiens modernes, et il est important d'utiliser tous les moyens disponibles, en particulier tous les canaux culturels et médiatiques, à cette fin. Mais il ne suffit pas d'en parler, même si ce n'est pas négligeable. Contrairement aux États-Unis, où il suffit d'agir dans le cadre de la "religion civile", dans notre pays, il est important d'être, c'est-à-dire de professer dans la vie ces principes, et pas seulement de les respecter formellement. Cela vaut pour chaque citoyen de notre pays, qu'il soit musulman ou chrétien, russe, bachkir ou tatar.
HÉRAUT DES SCIENTIFIQUES INTERNATIONAUX N° 4, 2022 (22).
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3. Базисные ценности - основа общенациональной идентичности. URL: http://www.patriarchia.ru/db/text/1496038.html (дата
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4. Белла Р. Социология религии // Американская социология. Проблемы, перспективы, методы. М.: Прогресс, 1972. С. 265-281.
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lundi, 13 février 2023
Le socialisme orthodoxe et les "images de l'avenir"
Le socialisme orthodoxe et les "images de l'avenir"
Andrei Kosterin
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/socialismo-ortodosso-e-immagini-del-futuro?fbclid=IwAR0GkdOUmZH2qAyNF5wHjplNlFafretXSCp5Sl2bjqHtWGmj8gxN4pKavlc
I.
Les critiques modernes du socialisme ressemblent parfois à des névrosés qui ont subi dans leur enfance un "traumatisme" dont ils ne se souviennent même pas (mais dont ils ont été informés par des "bienfaiteurs" comme Soljenitsyne) et auquel ils attribuent tous leurs échecs, ceux qui se sont effectivement produits et ceux qui, pour la plupart, ne se sont jamais produits (le phénomène du "profit perdu"). Mais s'il n'y avait pas eu de révolution - nous serions 500 millions, comme l'a dit Mendeleïev, mais s'il n'y avait pas eu de révolution - la Russie serait une idylle bénigne comme dans L'été du Seigneur d'Ivan Chmelev, et s'il n'y avait pas eu de révolution - la Russie aurait obtenu Constantinople, les détroits et serait devenue une puissance mondiale égale à la Grande-Bretagne. La liste de ce qui aurait pu arrivé "s'il n'y avait pas eu de révolution" est vraiment inépuisable.....
C'est une position très confortable, une position de déterminisme historique (sinon de fatalisme) pour expliquer le présent par le passé. Mais cette position a un défaut évident: elle ne laisse aucune place à l'avenir. L'avenir est strictement déterminé par le passé: la Volga se jette dans la mer Caspienne. Point final.
Le Projet Blanc, arrivé au pouvoir dans les années 1990, a eu une occasion historique de construire son avenir. Cependant, les idéologues et les maîtres d'œuvre du nouveau Projet Blanc étaient moins préoccupés par l'avenir que par le passé. Non seulement ils ont souillé le passé, prenant un plaisir presque masochiste à le dénigrer, mais ils ont agressivement implanté ce point de vue dans la conscience publique. Et l'avenir ? Il n'y avait pas d'avenir dans cette production idéologique blanche-libérale. Tandis que les "conservateurs" et les directeurs dans les coulisses de la vengeance avaient une vision d'avenir, avec une idéologie suicidaire de consommation frivole, radicalement égoïste et pas trop moralement chargée qui nous a été imposée: "Vivez ici et maintenant", "Prenez tout de la vie", "Ne vous laissez pas dépérir", "Laissez le monde entier attendre"...
On pourrait dire que le Projet Blanc n'avait pas de plan, ou qu'il n'était pas destiné à tout le monde, mais seulement à quelques privilégiés. Les masses se voyaient offrir au mieux une "porkopolis", un état de sobriété sur le modèle du "socialisme" scandinave. Le peuple russe frissonnera bientôt devant une image aussi terne et vulgaire de l'avenir (comme il a frissonné à la fin des années 1980 devant le "goulash-communisme" de Khrouchtchev-Brejnev, qu'il a jeté impitoyablement du bateau de l'histoire).
Après la crise de 2008, cependant, il est rapidement apparu que l'économie capitaliste mondiale ne dispose pas des ressources nécessaires pour rendre toute l'humanité heureuse, même avec une maigre ration de ragoût et de lentilles. Selon une récente confession diplomatique du diplomate en chef de l'UE, Josep Borrell: "L'Europe est un jardin, nous avons créé ce jardin... Tout [ici] fonctionne, c'est la meilleure combinaison de liberté politique, de perspective économique et de cohésion sociale... Le reste du monde n'est pas vraiment un jardin". La plupart du reste du monde est une jungle. Et la jungle peut envahir le jardin". Bolivar ne peut pas supporter deux personnes et, comme les événements ultérieurs l'ont montré, le premier candidat à l'expulsion du jardin des fleurs était la Russie.
Un deuxième projet, le "capitalisme inclusif" de Klaus Schwab, dépeint un avenir encore plus décourageant. 'Le camp de concentration électronique", "l'esclavage numérique": cette liste est loin d'être exhaustive avec ses épithètes dont les "capitalistes inclusifs" ont réussi à se faire gratifier par les esprits avisés de la tendance conservatrice.
II
Nous pouvons anticiper l'objection selon laquelle la version libérale du projet blanc, tel que décrit ici, est loin d'être exhaustive. Il existe également une aile droite-conservatrice, monarchiste et parfois nationaliste (le "Projet russe") qui s'oppose implicitement à l'aile libérale décrite ci-dessus (le "Projet occidental"). C'est vrai, mais, au grand regret de tous, le Projet russe est largement engagé dans la même chose que le Projet occidental : un ressentiment sans fin et une confusion tout aussi infinie avec le Projet rouge. Le Projet russe n'est pas tant préoccupé par la lutte contre l'hégémonie du Projet occidental que par les phobies du Projet rouge, mort depuis longtemps.
Alors pourquoi le Projet russe est-il plus disposé à s'aligner sur le Projet occidental que sur le Projet rouge ? En partie parce que le Projet rouge est également hétérogène et peut être décomposé en deux composantes: la composante marxiste (Komintern) et la composante relevant de la gauche conservatrice, nationale-bolchevique - également des projets occidentaux et russes, mais en tant que parties non pas du Projet blanc, mais du Projet rouge. Il est révélateur qu'en s'opposant au Projet rouge, la droite conservatrice russe pointe toutes ses flèches principalement sur le projet du Komintern, plaçant le projet national-bolchevique en dehors de sa critique.
La raison principale est que le Projet Blanc ne dispose pas d'une "image de l'avenir". N'en ayant pas devant elle comme étoile directrice (ou du moins dans la mémoire du Navigateur), elle s'immerge dans le passé, idéalisant certains moments et en diabolisant d'autres. Bien sûr, le projet de la droite conservatrice russe (que l'on peut qualifier sans trop d'erreurs de "projet orthodoxe") a une image du futur : l'idéal de la Sainte Russie. Cet idéal est beau et élevé, et confère à ses partisans, les orthodoxes, la grâce de Dieu et la foi dans le triomphe de la vérité du Christ sur terre.
Cependant, cet idéal est trop élevé, trop détaché du monde des mortels, trop étranger. Le croyant, à moins qu'il ne se soit entièrement consacré au service de Dieu et retiré dans un monastère, n'ayant aucun moyen de combiner le Haut avec le Bas, est condamné à mener une double vie. L'idéal reste un idéal inaccompli et la vie quotidienne oblige à devenir, au mieux, un "prisonnier de la conscience" et, au pire, à rechercher le compromis et à se résigner au péché de cupidité, presque universellement répandu.
Les partisans du projet orthodoxe se rangent le plus souvent du côté de l'"uranopolitisme" (rejet de toute méthode sociale d'organisation du monde), invoquant le salut individuel et s'appuyant sur la célèbre maxime de saint Séraphin de Sarov: "Tiens fermement l'esprit de paix et des milliers seront sauvés autour de toi". Cette maxime est excellente, mais comment s'applique-t-elle à l'environnement spirituel et social d'aujourd'hui ? Peut-on sauver des gens qui non seulement ne veulent pas être sauvés, mais qui deviennent furieux à la simple mention de l'orthodoxie ? Et sommes-nous très différents des Corinthiens, que l'apôtre Paul a essayé d'admonester en disant: "Ne vous y trompez pas : les mauvaises fréquentations corrompent les bonnes mœurs"?
Ce serait la moitié du problème de cette illusion: on veut être sauvé en une seule personne, que Dieu lui vienne en aide. Cependant, réalisant l'impossibilité de réaliser l'idéal de la Sainte Russie en tant qu'idéal social à partir de la position de l'uranopolitisme, les partisans de ce dernier commencent à lutter contre ceux qui ont un idéal social et cherchent à le réaliser. Et ce sont précisément les partisans du Projet rouge qui sont les premiers à être attaqués. Nous constatons ici une surprenante unanimité des projets occidentaux et orthodoxes, qui leur permet de s'unir (bien que tactiquement) dans le cadre du projet blanc.
III.
Une alternative à la vision moderniste, consistant à dire "l'avenir se construit à partir du passé", est la vision traditionaliste, très vraie et très chrétienne, qui nous dit "le temps s'écoule de l'avenir vers le passé": "La raison principale n'est pas la "cause causale", mais la "cause-but", c'est-à-dire "pour quoi faire ?". Nous avons cessé de comprendre ce pour quoi nous vivons : nous survivons, nous luttons ou nous essayons de résister. En effet, cette disparition d'une raison d'être, la disparition d'un futur significatif - ceci est devenu fatal <...> en effet, le temps découle du futur, le temps a un but. C'est comme si nous avions oublié ce but, nous avons oublié la dimension future. C'est juste que le passé prédétermine notre présent à tel point que notre présent est déjà devenu le passé pour le futur. Et puis il n'y a pas d'avenir, il s'échappe, il recule... En fin de compte, peu importe ce qui était, ce qui est - seul compte ce qui sera. L'objectif est bien plus important que la source ; le rendement est bien plus important que le résultat. Réfléchissons au but, au sens, permettons à l'avenir de venir en nous, permettons à l'avenir de se produire, sinon sous le tas du passé nous ne pourrons même pas le regarder.
Comme s'ils écoutaient Douguine, les idéologues du "Projet rouge" placent l'avenir au centre, s'efforçant de toutes leurs forces de l'atteindre, quel qu'en soit le coût. Le Projet rouge est tombé sur un terrain fertile: le peuple russe, qui ne peut vivre sans avenir, qui est prêt à endurer n'importe quelle adversité pour le bien de l'avenir, la victoire et seulement la victoire est importante. Et pour le prix, ils ne résisteront pas à l'attrait de cet avenir. Dans ce contexte, nous devons considérer tous les innombrables sacrifices, crimes et souffrances du peuple russe - tout était justifié par un grand objectif : non seulement survivre et rester dans l'Histoire, mais aussi restaurer la grande mission, presque oubliée: l'établissement de la Vérité de Dieu sur terre, la Vérité russe. Dans le sens orthodoxe, ce sacrifice expiatoire du peuple russe sur la croix était justifié et avait une profonde signification historique et symbolique. Le peuple est allé à la Croix pour le triomphe de la vérité du Christ. Et c'est la victoire de la Grande Victoire Patriotique qui a prouvé la validité du Projet Rouge dans sa réincarnation stalinienne (nationale-bolchévique).
Avec toute notre profonde sympathie pour la période stalinienne de l'histoire russe, nous sommes forcés d'admettre son incohérence spirituelle à bien des égards. L'"image de l'avenir" dessinée par les bolcheviks était marxiste, moderniste. Ce n'était pas la Sainte Russie, mais une carte dessinée à la hâte, au crayon rouge, sans autres couleurs ni nuances. C'était un régime d'héroïsme diurne, où il n'y avait pas de demi-mesures et où seules et exclusivement des réponses radicales se manifestaient. Dans un changement de paradigme, le sujet radical a assumé l'autorité. Dans les années 1920, les "commissaires aux casques poussiéreux" sont devenus tels - ils ont pris l'entière responsabilité d'eux-mêmes, car ils étaient les opérateurs de l'image du futur dont ils rêvaient et que nous lisons dans les films soviétiques de l'ère stalinienne.
Les bolcheviks construisaient le paradis sur terre et ne s'en cachaient pas. Staline croyait-il à cette hérésie chiliastique? Il est peu probable que nous le sachions - et Staline est tombé dans une telle "force majeure" qu'il n'a pas eu le temps de réfléchir à ce sujet. La collectivisation, l'industrialisation, la Grande Guerre patriotique, la restauration de l'économie, la création d'un bouclier nucléaire: toutes ces tâches ont exigé un effort énorme, une super-concentration des ressources et du pouvoir entre les mains de l'État. C'était du socialisme, mais d'un genre particulier: un socialisme de mobilisation, autoritaire et forcé.
Et lorsque, après la mort de Staline, il a été possible de respirer tranquillement et de désactiver le mode de mobilisation d'urgence, le socialisme a également été éteint de manière quelque peu imperceptible, mais pas immédiatement. L'idéal a commencé à s'estomper, le "bien-être des travailleurs" est devenu une fin en soi. L'idéal du socialisme tardif était vulgaire et ingrat, c'est pourquoi il a été rejeté sans regret par le peuple russe. Cependant, les idéologues de la perestroïka, profitant de la crise spirituelle soviétique tardive, ont tout chamboulé: ils ont diabolisé le socialisme en général tout en réhabilitant la bourgeoisie.
Était-il possible de sauver le socialisme soviétique ? Il s'agit d'une question difficile. Comme nous le savons, la genèse du système détermine son fonctionnement. Le capitalisme, né de l'expansion coloniale, du vol et de l'exploitation, était devenu par essence une forme de vol et de violence légalisée d'une partie de la société contre une autre. de certains pays contre d'autres. Le socialisme soviétique, qui a commencé comme un socialisme marxiste, n'est jamais sorti du lit de Procuste de la théorie européenne. Elle n'a jamais laissé Dieu, le souffle bienveillant et animateur du Saint-Esprit, entrer dans son centre.....
IV.
Alors que le capitalisme est critiqué sur la base des valeurs, le socialisme l'est rarement et est critiqué presque exclusivement sur les aspects historiques de sa réalisation. Bien sûr, on peut et on doit critiquer le socialisme marxiste pour sa position athée et profondément matérialiste.
Mais si nous essayons, dans l'esprit de la synthèse Rouge-Blanc, de prendre tout le meilleur du projet Rouge-Blanc et de proposer le socialisme orthodoxe comme image de l'avenir de la Russie, qui, à part les dogmatiques les plus obstinés, aura de sérieuses objections à cette tentative grandiose ?
Les idées du socialisme orthodoxe circulent depuis longtemps dans la pensée publique, rencontrant l'incompréhension, le rejet ou la critique pour les défauts du "vieux" socialisme. Alors, peut-être le temps est-il venu de prendre plus au sérieux les idées du socialisme orthodoxe, qui non seulement dresse un tableau imaginaire de l'avenir, mais trace également la route pour y parvenir?
Le socialisme orthodoxe est né dans la communauté de Jérusalem, dans cet exemple béni de communauté chrétienne primitive que saint Jean Chrysostome ne se lassait pas d'admirer : "Voyez comme elle a immédiatement réussi : (en se référant à Actes 2:44) non seulement dans les prières, non seulement dans l'enseignement, mais aussi dans la vie ! C'était une compagnie angélique, car ils n'appelaient rien à eux... Avez-vous vu le succès de la piété ? Ils renoncèrent à leurs biens et se réjouirent, et grande fut leur joie, car les biens qu'ils avaient gagnés étaient plus grands. Personne ne s'est rebellé, personne n'a envié, personne ne s'est disputé, il n'y avait pas d'orgueil, il n'y avait pas de mépris, tout le monde acceptait l'instruction comme un enfant, tout le monde était accueilli comme un nourrisson... Il n'y avait pas de parole froide: à moi et à toi; c'est pourquoi il y avait de la joie pendant le repas. Personne ne pensait qu'il mangeait le sien; personne ne (pensait) qu'il mangeait celui d'un autre, bien que cela semble être un mystère. Ils n'ont pas considéré ce qui était étranger, car c'était au Seigneur; ils n'ont pas non plus considéré ce qui était à eux, mais ce qui appartenait aux frères.
N'est-ce pas le signe le plus vrai que la cause du socialisme orthodoxe est entre les mains du Seigneur ?
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Le Héros : la métaphysique du malheur
Le Héros : la métaphysique du malheur
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/hero-metaphysics-unhappiness?fbclid=IwAR0E9JjBdN_McmWtfvWatl4zLqI-IJbHPwGdqLv6P6GZoVK9VNNZ5Yt_cPM
Si nous nous débarrassons de la dimension céleste, alors nous n'avons plus que la dimension humaine. Si nous nous débarrassons de la dimension terrestre, alors nous avons Dieu. Mais c'est dans le héros que nous avons l'intersection entre la terre et le ciel.
Au début, il y a simplement l'humain (un être terrestre), puis il y a le Grec, puis il y a Dieu. Cela revient à dire que le Grec est le chemin vers le héros (la civilisation grecque est la civilisation héroïque) et que le héros est le chemin de l'humain vers Dieu. Il en était ainsi pour Homère et jusqu'aux néoplatoniciens, puis avec certains changements, cela restait vrai dans le christianisme.
Le héros est le chemin de Dieu vers l'humain, et de l'humain vers Dieu. À travers le héros, Dieu peut connaître ce qui ne le caractérise pas, par exemple la souffrance. D'où la notion que les âmes des héros sont les larmes des dieux. Car Dieu est dépassionné, serein, éternel, et rien ne le dérange, alors que l'homme est passionné, a mal, souffre, est tourmenté, connaît le dénuement, l'humiliation, la faiblesse et les doutes. Dieu ne connaîtra jamais la passion, la douleur et la perte, et il ne parviendra pas à connaître l'essence de l'homme sans avoir son propre fils ou sa propre fille héroïque qui permet à Dieu de faire l'expérience du cauchemar, de l'horreur et des profondeurs du dénuement et de la privation inhérents à l'être humain. Dieu ne s'intéresse pas aux personnes prospères et à celles qui réussissent, et leurs réalisations ne sont rien en comparaison de la sienne.
Et pourtant, l'homme, souffrant, tourmenté, aux prises avec son destin, est une énigme pour Dieu.
Et pourtant, Dieu pourrait vouloir se transcender, transcender son propre dépassement, sa propre félicité, et goûter au dénuement - c'est-à-dire transcender l'absence de félicité pour faire l'expérience de la souffrance (πάθος en grec) et de l'affliction. C'est le héros qui permet à Dieu de ressentir la douleur et qui permet à l'être humain de découvrir l'expérience de la béatitude, de la grandeur, de l'immortalité et de la gloire.
L'héroïcité est donc une instance ontologique et simultanément anthropologique, une verticale le long de laquelle se déroule le dialogue du divin et de l'humain (ou du céleste et du terrestre).
Mais là où il y a un héros, il y a toujours une tragédie. Le héros porte en lui la souffrance, la douleur, la rupture, la tragédie. Il n'existe pas de héros heureux et chanceux, car tous les héros sont nécessairement malheureux et infortunés. Le héros est un malheur malheureux.
Pourquoi ? Parce qu'être à la fois éternel et temporel, dépassionné et souffrant, céleste et terrestre, est l'expérience la plus insupportable pour un être quel qu'il soit, une condition que l'on ne souhaiterait pas à son ennemi.
Dans le christianisme, la place des héros a été prise par les ascètes, les martyrs et les saints. De même, il n'y a pas de moines heureux ou de saints heureux. Ils sont tous humainement, profondément malheureux. Cependant, selon un récit différent, céleste, ils sont bénis. En tant que bienheureux, ils sont les endeuillés, les persécutés, ceux qui souffrent de la calomnie, ceux qui ont faim et soif dans le Sermon sur la Montagne. Ce sont les malheureux bénis.
Un humain est transformé en héros par une pensée qui aspire vers le ciel mais retombe sur terre. Un humain est transformé en héros par la souffrance et le malheur qui le déchirent toujours, le tourmentent, le torturent et le tempèrent. Cela peut se produire dans la guerre ou dans la mort atroce d'un martyr, mais tout aussi bien sans guerre et sans mort.
Le héros cherche sa propre guerre pour lui-même, et s'il ne la trouve pas, il fera place à une cellule, ira rejoindre les ermites et y combattra son propre véritable ennemi. Car la vraie lutte est une lutte spirituelle. Arthur Rimbaud a écrit à ce sujet dans ses Illuminations: "Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille des hommes". Il savait de quoi il parlait.
Comme le disait le néoplatonicien Proclus, un héros est égal à une centaine, voire à des milliers d'âmes ordinaires. Le héros est plus grand que l'âme humaine, car il oblige chaque âme à vivre verticalement. C'est la dimension héroïque qui se cache derrière les origines du théâtre et, par essence, l'éthique de notre foi - c'est l'essentiel que nous ne devons pas perdre, que nous devons chérir chez les autres et cultiver en nous-mêmes.
Notre tâche consiste à devenir profondément, fondamentalement et irrévocablement malheureux. Aussi effrayant que cela puisse paraître. Ce n'est que de cette façon que nous pourrons atteindre le salut.
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vendredi, 03 février 2023
Hybris, le mot clé de la politique américaine
Hybris, le mot clé de la politique américaine
Alexander Bovdunov
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/hybris-la-parola-chiave-della-politica-americana
Mot du jour : ὕβρις (Hybris) est une catégorie négative de la culture grecque classique. Ce mot signifie manque de mesure, arrogance, ivresse du pouvoir, confiance excessive en soi.
Dans le réalisme classique de Hans Morgenthau, basé en grande partie sur l'Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, la catégorie ὕβρις a une signification particulière. Les réalistes, qui proposent un retour aux origines (c'est-à-dire aux Grecs) par opposition aux néo-réalistes, chez qui les concepts d'"équilibre des forces", de "puissance" et d'"anarchie internationale" acquièrent des traits mécaniques, y prêtent une attention fondamentale.
Hans Morgenthau.
Dans cette interprétation, c'est l'ὕβρις qui est la cause du déclin et des défaites d'Athènes. L'absence de la vertu de maîtrise de soi conduit au déclin du pouvoir hégémonique. Seule la maîtrise de soi, une mesure, permet de gouverner efficacement. Sinon, c'est le désastre.
"L'arrogance de la tragédie grecque et shakespearienne, le manque de retenue d'Alexandre, de Napoléon et d'Hitler sont des exemples de situations extrêmes et exceptionnelles", a noté Morgenthau.
Le succès et le pouvoir provoquent l' "ὕβρις", amènent les dirigeants des États, et donc les États eux-mêmes, à surestimer leur capacité à contrôler les événements, ce qui, comme dans les tragédies grecques, conduit au désastre. Les Grecs considéraient l' "ὕβρις" comme la propriété principale du début de l'ère titanique, qui se manifeste dans l'homme, conduisant à la peripeteia - la disparition de la fortune, suivie de la nemesis - le châtiment divin.
Ce n'est pas seulement l'équilibre des forces, mais aussi l'ordre, la loi, le "nomos" qui assurent la stabilité des relations entre les États. Le Nomos exige la mesure. Le manque de mesure et l'arrogance conduisent à l'anomie, qui ne peut être surmontée que par la création d'un nouvel ordre. La tragédie grecque devient un paradigme pour comprendre les relations internationales.
Dans notre histoire, l'"arrogance" de l'unique superpuissance, la violation des normes écrites et non écrites du droit international (nomos) l'ont de facto aboli, le manque de retenue dans la revendication du contrôle de territoires de plus en plus nombreux et l'imposition de ses propres attitudes civilisatrices a conduit à un retour de bâton de la part de la Russie et peut-être à l'avenir de la Chine. Le conflit ukrainien est une conséquence du déclin du pouvoir débridé des États-Unis, causé par le pouvoir lui-même. Mais la dimension tragique ouvre la perspective d'une purification si le nouveau pouvoir est fondé sur la loi sacrée, apportant avec elle l'ordre et la justice. Comme dans l'Antigone de Sophocle, le nouvel ordre naît dans la tragédie, lorsque la tentative de faire respecter la supposée "légalité" relève du titanique et du tyrannique, de l'ὕβρις .
Cependant, on peut continuer à raisonner dans ce sens. Le début d'une période titanique de l'histoire se caractérise non seulement par l'excès, mais aussi par la déficience, par le fait de ne pas aller jusqu'au bout, par l'abandon des limites finales. L'important n'est pas d'être des titans en pensée et en action. L'incertitude des limites, le flou de l'image est une caractéristique de ces pouvoirs. L'ordre exige la clarté, la compréhension, la clarté de l'objectif et la clarté de la vision, littéralement la "théorie".
katehon.com
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mercredi, 01 février 2023
Quand un État est-il vraiment souverain?
Quand un État est-il vraiment souverain?
par Daniele Dell'Orco
Source : Daniele Dell'Orco & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/quand-e-che-uno-stato-e-davvero-sovrano
Le récent débat sur l'envoi de chars Leopard à l'armée ukrainienne a une fois de plus mis en évidence l'extraordinaire faiblesse de la (l'ancienne ?) locomotive de l'Europe : l'Allemagne.
Ce pays qui était considéré il y a encore quelques mois comme une puissance hégémonique sur le Vieux Continent s'est retrouvé littéralement mis à nu en l'espace de quelques mois et ce, dans plusieurs domaines: le domaine politique (l'instabilité persistante de l'ère post-Merkel), le domaine économique (la dépendance énergétique, la crise industrielle due aux sanctions) et le domaine militaire (l'armée réduite au niveau zéro).
Prise en tenaille, l'Allemagne a été contrainte de prendre des décisions contraires à son intérêt national en démantelant des années de planification politique en un temps très court.
C'est une bonne occasion d'utiliser l'exemple allemand comme étude de cas pour comprendre en quoi consiste réellement la "souveraineté" d'un pays.
Les macro-domaines qui donnent à une nation la possibilité d'être le maître de son propre destin (pour le meilleur ou pour le pire) sont au nombre de trois :
- la stabilité politique ;
- la puissance militaire ;
- la stabilité financière.
D'un point de vue politique, quelle que soit la forme de gouvernement que l'on puisse trouver dans les différents pays du monde, un leadership fort dans le cas des autocraties, une confiance massive dans le parti/leader dans les démocraties illibérales, ou un large consensus électoral dans les démocraties libérales (ou un système bipolaire derrière lequel se meut un État profond cohésif, rendant les élections non pertinentes sur de nombreuses questions) sont indispensables pour permettre à un gouvernement de prendre des décisions politiques, économiques (approvisionnement en énergie, État-providence, fiscalité, etc.) et militaires.
Cette dernière instance, l'instance militaire, est un outil indispensable pour affirmer sa souveraineté, a contrario des options prises pendant plusieurs décennies successives, où, dans de nombreux pays européens (en premier lieu ceux qui sont sortis perdants de la guerre mondiale comme l'Italie ou, précisément, l'Allemagne) régnait l'axiome selon lequel il serait plus sage d'externaliser la défense et de réduire les dépenses militaires au minimum parce que "vous pouvez construire des jardins d'enfants avec cet argent". Et c'est ce que nous constatons avec la guerre actuelle: ceux qui disposent d'une armée puissante (Turquie, Israël, Chine, France, en plus des grands acteurs directement impliqués dans le conflit) prennent les décisions, les autres rentrent dans le rang, tête basse.
Une armée "puissante" se mesure évidemment en termes de nombre, mais aussi en termes de préparation, de polyvalence (par exemple, avoir une force aérienne forte et une marine faible ne rend une armée puissante que dans certains scénarios) et surtout de suprématie industrielle et technologique.
Ce point est fondamental: si l'on achète ses propres armements, ou si on les fabrique dans le cadre de ce que l'on appelle officiellement un "partenariat" mais qui est pratiquement un contrat de sous-traitance, on n'est pas souverain, car on n'aurait pas la possibilité de disposer librement de ses propres armes en cas de besoin. Le programme F-35 en est un bon exemple.
Il est développé par Lockheed Martin, BAE et Leonardo, avec de bons emplois (proportionnellement) pour tous.
Mais les technologies, le soutien, le contrôle de leur utilisation sont la prérogative d'une seule puissance (à de très rares exceptions près).
Le potentiel industriel va de pair. Si l'on dispose de ses propres technologies, qu'elles soient obsolètes ou extraordinairement avancées, il faut aussi avoir la capacité pratique de les traduire en armements (donc aussi en potentiel industriel, en matières premières, en personnel, etc.) ou de les contracter à l'étranger avec de "vraies" formes de partenariat.
La stabilité financière est en quelque sorte le ciment de tout cela, car dans le monde globalisé, elle est à toutes fins utiles une arme.
Une dette publique trop importante dans des mains étrangères rend vulnérable.
Un déficit trop important lie les mains des gouvernements et ne permet pas la réalisation du PIB.
Un PIB trop faible crée du mécontentement et de l'instabilité.
Une trop grande instabilité fait des économies la proie d'attaques financières et fait tomber les gouvernements.
Etc.
Aucune de ces sphères n'a la priorité sur l'autre, mais toutes sont autonomes et leur équilibre substantiel aboutit à la plus haute expression possible de la souveraineté.
Cependant, même en cas de déséquilibre, le fait de mettre l'accent sur deux d'entre eux, capable de minimiser les impacts de l'autre (l'exemple de la Turquie, en crise économique perpétuelle, est emblématique) pourrait être acceptable pour autant que l'on travaille sans cesse à les rééquilibrer.
Un déséquilibre dans deux, voire trois, de ces sphères ne peut en aucun cas rendre un pays réellement souverain, mais seulement en véhiculer le sentiment. C'est ce qui est arrivé à l'Allemagne: en temps de paix, elle semblait indestructible, avec le changement de décor, elle se découvre défaillante.
En utilisant ce simple miroir, il est possible de dresser une sorte de "bulletin" pour chaque étude de cas.
De mon point de vue, ces concepts montrent qu'en Europe (y compris au Royaume-Uni), aucun pays ne peut prétendre être véritablement souverain, à l'exception de la France. Laquelle a toutefois connu un déclin progressif au cours des dernières décennies, tant dans le domaine politique (elle est de plus en plus instable malgré une loi électorale qui la met autant que possible à l'abri des renversements antisystème) que dans le domaine financier.
En bref, son équilibre est précaire.
Mais au moins, elle est là.
D'où la raison pour laquelle, à ce jour, les destins de l'Europe ne se décident pas en Europe.
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mercredi, 14 décembre 2022
L'Occident actuel est-il un système économique ou une vision du monde ?
L'Occident actuel est-il un système économique ou une vision du monde?
par Martino Mora
Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-occidente-attuale-e-un-sistema-economico-o-una-visione-del-mondo
"L'Occident actuel est-il un système économique ou une vision du monde ?" Mon ami Mario Iannaccone m'a récemment posé cette question.
Ma réponse est qu'il est les deux à la fois.
C'est un modèle de civilisation que Carl Schmitt a qualifié de "maritime" et que Thomas Mann, Oswald Spengler et bien d'autres ont qualifié de "Zivilisation". C'est un modèle dans lequel l'argent, la science et la technologie, la production et la consommation de marchandises, la centralité de l'individu au détriment de toute communauté, l'exaltation du changement comme "progrès", le rejet explicite ou implicite des croyances religieuses, sont absolument pertinents. En fait, elle coïncide avec les victoires de la "modernité" et de la "postmodernité".
L'un (le système capitaliste) et l'autre (l'idéologie subjectiviste, individualiste-égalitaire) sont étroitement liés et ne survivraient probablement pas séparés. Il s'agit d'une affirmation séculaire, étroitement liée au processus de sécularisation et de déchristianisation, dont ils sont à la fois la cause et la conséquence.
L'exemple le plus flagrant est celui de l'idéologie intouchable des droits de l'homme. Elle ne présuppose pas seulement un monde sécularisé dans lequel l'appartenance religieuse, comme toutes les autres, est considérée comme entièrement secondaire (le fait que les papes conciliaires l'aient prêchée pendant des décennies est un harakiri retentissant, ou seppuku, typique des esprits qui, disons-le pour être bon, sont extrêmement confus), mais ils font clairement référence à la mentalité de l'homo oeconomicus , pour qui toutes les appartenances constitutives (religieuses, culturelles, ethniques, locales/vernaculaires, familiales) sont en fait sans importance face à la nécessité du profit, de la production et de la consommation de biens. Aucune qualité constitutive ne doit subsister, seulement la quantité. Il y a donc l'homme, ou plutôt l'individu, l'ego, et rien d'autre (sauf, justement, avoir ou ne pas avoir d'argent, mais il n'est pas bon de le dire).
C'est le moralisme légal des marchands, et il est en effet inséparable historiquement (Marx avait factuellement raison à ce sujet) de l'installation de la classe bourgeoise, également connue sous le nom de tiers-état.
Au début, les idéologues des droits ont ancré leur anthropologie atomistique dans un hypothétique (et totalement irréaliste) état de nature dans lequel les hommes n'étaient liés par rien. Maintenant qu'elle s'est établie, l'idéologie des droits de l'homme, poussée jusqu'à un "dirittisme/juridisme" général (et de plus en plus laïc), n'a plus besoin d'une fiction théorique comme l'état de nature pour se perpétuer. Tout comme la ploutocratie (le pouvoir des "marchés financiers", c'est-à-dire l'argent) n'en a pas besoin pour vider de son contenu notre pseudo-démocratie.
De l'inséparable mercatisme, l'idéologie des droits de l'homme est - comme le prétendaient Louis De Bonald et Monseigneur Delassus - l'essence de la Révolution, du moins de la Révolution occidentaliste.
Et aujourd'hui, c'est le grand fétiche que le système orgiaque mercantile américaniste utilise, avec son industrie culturelle, pour prendre d'assaut le monde, de l'Ukraine à l'Iran, de la Syrie à Taiwan. Et de la mener à une fin triomphante et belliqueuse.
P.S : Parmi les nombreuses inepties retentissantes inventées par les Lumières, y compris Kant, figure le fait que les marchands ne font pas la guerre. L'histoire a amplement démontré qu'ils la font de manière massive, généralement pour des raisons "humanitaires". C'est-à-dire, constamment.
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dimanche, 04 décembre 2022
Reconsidérer la géoéconomie comme un élément constitutif de l'analyse géopolitique
Reconsidérer la géoéconomie comme un élément constitutif de l'analyse géopolitique
Lorenzo Maria Pacini
Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/reconsiderando-geoeconomia-como-elemento-constitutivo-da-analise-geopolitica
Pour assurer une analyse géopolitique complète, il est fondamental de toujours aussi garder à l'esprit la géoéconomie, une sous-discipline qui devrait être mieux formalisée et structurée pour faciliter son utilisation efficace.
Placer la géoéconomie dans son contexte approprié
Tant dans le contexte scientifique que dans le monde de l'information de masse, on entend beaucoup parler de géopolitique, une discipline de la sphère des sciences politiques et des relations internationales qui étudie une pluralité de sujets, comme l'a défini Carlo Terracciano :
"Cette branche de la Géographie Anthropique qui analyse la relation entre l'Homme et la Terre, entre la Civilisation et la Nature, entre l'Histoire et la Géographie, entre les peuples et leur Lebensraum (Leben = Vie ; Raum = Espace ; Lage = Site/Situation), c'est-à-dire l'espace vital nécessaire à la Communauté étatique, comprise de manière organique, pour vivre, croître, se développer, s'étendre et prospérer : créer du bien-être, de la Civilisation et des Valeurs pour ses membres, vivant ensemble sur le même sol et unis dans une communauté unitaire de destin. Ou, pour le dire dans les termes plus techniques de Luraghi : "La géopolitique est la doctrine qui étudie les phénomènes politiques dans leur distribution spatiale et dans leurs causes et relations environnementales, également considérées dans leur développement". Et encore : "La géopolitique est une synthèse : une vision large dans le temps et l'espace des phénomènes généraux qui lient la perception des facteurs géographiques aux États et aux peuples [1]".
Moins largement, mais de manière non moins importante, on entend parler de la géoéconomie, qui est une sous-discipline [2] de la géopolitique qui se caractérise par l'étude des doctrines et des actions géopolitiques d'un point de vue économique, y compris les processus, les relations et la situation financière des acteurs en interaction.
Afin de mieux définir le cadre dû à la géoéconomie, il est d'abord nécessaire de se pencher sur son développement dans le volet des sciences politiques. La Géopolitique classique (19ème - début du 20ème siècle) percevait le monde comme subdivisé exclusivement sur la base des frontières étatiques, avec le large spectre de catégories urbaines qui se cristallisaient dans l'imaginaire collectif (villes, métropoles, colonies, états, nations, etc.), tandis que la Géopolitique du 20ème siècle a changé d'approche et a commencé à reconnaître la présence de zones et de flux d'influence, dynamiques et tendant à varier dans leur localisation géographique (capitaux, biens, travail, migration, tourisme, Heartland, Rimland, etc.)
Alors que, par conséquent, l'"ancienne" géopolitique ne s'intéressait qu'à la détermination des politiques en fonction de la situation géographique des États, la "nouvelle" a également commencé à étudier l'impact de l'histoire du développement économique, des identités ethniques, confessionnelles et nationales, des conflits sociopolitiques et des transformations financières et monétaires, etc.
Les domaines considérés ont également changé, ajoutant à la géosphère, à l'hydrosphère et à l'atmosphère également la spatio-sphère et l'infosphère (ou cybersphère). Plus récemment, nous avons également assisté à la formation de sous-sphères telles que l'économique (industrielle et commerciale), la financière (monétaire) et la culturelle (art, théâtre, cinéma, mode, musique). Une fois encore, les relations internationales entre les acteurs, telles que les alliances, les accords, les stratégies partagées dans tous les plans d'intérêt susmentionnés, sont de plus en plus prises en compte.
Par conséquent, il est clair qu'actuellement, pour changer le statut géopolitique d'un pays, son influence, son leadership et sa domination, il est nécessaire de modifier la structure des sphères et du monde complexe qui le caractérise.
En essayant de placer la Géoéconomie dans cette vaste agonie, nous pouvons essayer de faire une distinction en macro-zones de la Géopolitique:
- La géo-histoire (ou géo-chrono-politique), qui étudie les constitutions politiques, les doctrines et les actions des États dans l'histoire et dans leur interaction ;
- La géoéconomie, qui aborde les doctrines et les actions géopolitiques d'un point de vue économique ;
- La géo-ethno-politique, qui traite des interactions des différents groupes ethniques, de leur positionnement à la surface de la Terre et des flux migratoires ;
- La géo-confessiono-logie, qui divise le monde en régions dominées par des doctrines religieuses spécifiques et étudie les interactions entre les États ;
- La géo-polémo-logie, qui se concentre sur la composante conflictuelle de la politique, en divisant le monde en zones de conflit et en étudiant leurs possibilités ;
- La géo-futuro-logie, basée sur la prédiction de divers scénarios et situations et sur des hypothèses théoriques de restructuration du monde.
Bien que la distinction puisse sembler quelque peu floue, étant donné l'interpénétration normale des domaines de connaissance décrits, il n'en reste pas moins vrai que les chercheurs en géopolitique tendent de plus en plus à se spécialiser dans les différents domaines, à tracer de plus en plus leurs frontières, un sort typique de toute science au fur et à mesure de son développement.
Il n'est plus possible d'ignorer la spécificité d'un champ disciplinaire sans courir le risque de tomber dans une grave carence scientifique et même avant cela épistémologique, gnoséologique et herméneutique : la géoéconomie doit être reconnue comme telle et être pleinement traitée dans le cadre de la géopolitique.
En étudiant les marchés, la division en sphères d'influence, le choc des intérêts économiques, les dépendances indépendantes du statut, l'espace économique transfrontalier, les devises et les systèmes financiers, la géoéconomie agit comme un outil organisationnel pour la création de la stratégie géoéconomique d'un État, qui détermine sa position dans l'espace géoéconomique mondial.
La statique de la géoéconomie devrait inclure :
- La division industrielle et économique du monde entre les puissances les plus puissantes ;
- La division financière et économique du monde en zones de dominance, l'influence du dollar, de l'euro, du rouble, la zone émergente du yuan, les zones monétaires nationales et le monde des crypto-monnaies ;
- La division du monde entre pays producteurs de matières premières et pays consommateurs de matières premières ;
- La division du monde de l'énergie entre les pays fournisseurs et les pays consommateurs d'énergie ;
- La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs d'armements et d'équipements militaires ;
- La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs de produits agricoles ;
- La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs ;
- La division du monde entre les pays bénéficiant d'un climat favorable et d'une infrastructure touristique développée, et les pays qui sont principalement à l'origine des flux touristiques.
La dynamique de la géoéconomie englobe tous les processus économiques mondiaux qui introduisent des changements dans la structure géoéconomique du monde, notamment :
- les flux de marchandises;
- les flux de main-d'œuvre;
- les flux financiers;
- les flux de touristes;
- les flux d'athlètes et de leurs supporters, etc.
Bien entendu, nous avons affaire à une discipline qui n'est pas encore totalement indépendante - à supposer que les disciplines puissent exister isolément des autres - et qui est plutôt une activité qui se déroule dans un contexte de recherche.
La géoéconomie occupe une place de choix parmi les autres disciplines académiques modernes, notamment l'économie, les sciences politiques, la géographie et l'histoire.
Tout d'abord, du point de vue de la science économique, la géoéconomie est considérée comme une partie de l'économie, une méthode d'étude des processus économiques ; en même temps, il n'y a pas d'unanimité au sein de la science économique, il n'y a pas de consensus sur la place de la géoéconomie.
Deuxièmement, la géoéconomie peut être considérée comme faisant partie de la science géographique, c'est-à-dire comme une sous-discipline géographique dont l'objet est l'étude de la formation des géosystèmes économiques transnationaux, des facteurs spatiaux (géographiques) d'importance internationale.
Troisièmement, elle peut être abordée par le biais de l'économie politique, en étudiant les modèles de développement politico-économique mondial et régional, les interrelations entre les États et les unions économiques entre les pays, la structure politico-économique du monde.
Dans la quatrième partie, la géoéconomie est une combinaison, une certaine synthèse des approches et stratégies géographiques, économiques et politiques. Les processus politiques et économiques ne s'épuisent pas dans un seul géo-espace et ne fusionnent pas non plus au fil du temps. Cela donne aux géographes et aux économistes modernes la possibilité d'appliquer une approche de terrain à leurs recherches, en construisant des sphères d'influence géoéconomiques qui ne coïncident pas toujours avec les frontières d'une nation, les renforçant ou les affaiblissant [3].
Son interface entre l'économie, la géographie et les sciences politiques en fait un nœud crucial pour aborder la complexité du monde contemporain.
Genèse et bref historique de la géoéconomie
L'attachement de l'économie à la politique, à l'histoire, à la géographie et à la culture nationale se retrouve chez de nombreux chercheurs des 19ème et 20ème siècles. Ces approches appartenaient à Fernand Braudel, Immanuel Wallerstein, Fritz Roerig et Friedrich List. La notion même de géoéconomie a été introduite par l'historien français Fernand Braudel [4]. En tant que chercheur en civilisation et spécialiste de l'histoire économique, Braudel a étudié de longues périodes de temps, faisant un usage intensif des statistiques économiques et de la géographie rétrospective afin de créer un vaste paysage historique d'"histoire sans événement", dans lequel les événements sont enregistrés non pas comme des phénomènes locaux de la politique, mais comme des "anomalies" découvertes par l'historien dans le cours naturel de la vie historique de la société. Il a ainsi créé un modèle de recherche original, considérant les "structures de la vie quotidienne" qui ne changent pas avec le temps et sont les conditions matérielles de l'existence de l'État dans un environnement géographique et social donné. Cette approche fait de Braudel (photo) un géopolitologue et un géo-économiste à part entière.
Les auteurs russes ont également utilisé des termes et des arguments géoéconomiques. Au début du 20ème siècle, divers aspects de la vie mondiale, des concepts économiques et géopolitiques ont été développés dans l'économie politique marxiste, la théorie des grands cycles de Nikolaï Kondratiev [5], et la conception tectologique de la société d'Alexandre Bogdanov, les théories des eurasistes. Les principales idées de la géoéconomie russe ont émergé dans le premier tiers du 20ème siècle, une période au cours de laquelle des notions de dynamique économique et géopolitique, telles que les systèmes de domination du capital financier international, les grands cycles commerciaux, le développement régional eurasiatique, etc. ont été introduites.
Nikolaï Kondratiev.
La géoéconomie en tant que concept unificateur de la géopolitique et de l'économie a commencé à être activement utilisée relativement récemment. Le fondateur de la phase moderne de la géoéconomie aux États-Unis est considéré comme étant Edward Luttwak, un historien et géopoliticien américain spécialisé dans les coups d'État et les conflits militaires. Luttwak oppose la géopolitique à la géoéconomie en tant que politique fondée sur la concurrence économique ; selon lui, le comportement des grandes puissances se réalise aujourd'hui comme une incarnation de la logique du conflit dans la grammaire du commerce. La géoéconomie nécessite alors le développement de techniques de défense économique et offensive, car la menace géopolitique d'un État est une menace économique.
Edward Luttwak.
En Europe, dans les années 1980, le politicien et économiste français Jacques Attali, représentant de l'approche néo-mondialiste, était un partisan du concept de géoéconomie. Attali a soutenu avec force que le dualisme géopolitique avait été aboli et que l'avènement d'un monde unique structuré sur les principes de la "géoéconomie" était imminent.
Les principales zones économiques du monde sont l'espace américain, l'espace européen et l'espace de la région Pacifique. Entre ces trois espaces mondialistes, selon Attali [7], il n'y aurait pas de distinctions ou de contradictions particulières, car les types économiques et idéologiques seraient strictement identiques dans tous les cas. La seule différence serait la position purement géographique des centres les plus développés, qui se concentreraient en structurant les régions moins développées situées à proximité spatiale autour d'eux. Une telle restructuration concentrique ne sera possible qu'à la "fin de l'histoire" ou, en d'autres termes, à l'abolition des réalités traditionnelles dictées par la géopolitique. Le mélange de logique géo-économique et néo-mondialiste, c'est-à-dire l'absence d'un opposé polaire à l'atlantisme, est devenu possible après l'effondrement de l'URSS. La néo-mondialisation n'est pas une continuation directe du mondialisme historique, qui présupposait à l'origine la présence d'éléments socialistes dans le modèle final. Il s'agit d'une version intermédiaire entre le mondialisme proprement dit et l'atlantisme. L'intensification, à la fin du 20ème siècle, de l'analyse des dynamiques économiques de longue durée et l'attrait d'un nombre croissant de chercheurs pour l'approche par système mondial ont conduit à l'émergence d'un nouveau paradigme civilisationnel dans lequel l'accent est mis sur les cycles longs de l'hégémonie mondiale.
Une (re)considération nécessaire de la géo-économie
L'essence du vecteur le plus récent du développement mondial est l'entrée du monde dans l'ère du passage d'une vision géopolitique à une vision géoéconomique. Le multipolarisme est désormais une réalité factuelle de plus en plus évidente et il est inévitable de l'envisager également sous l'angle économique et financier, qui en constitue d'ailleurs une partie très importante et inévitable, puisque les processus qui conduisent à une géopolitique multipolaire factuelle sont en grande partie de nature économique. Un nouveau domaine d'accords d'intérêt commun s'est ouvert. L'approche géoéconomique - sa géogenèse - a reçu un profond ancrage théorique et méthodologique. Un nouveau cadre de compréhension du monde a été formé sur la base de notions, de catégories et de significations plus récentes.
Parmi eux, les attributs géoéconomiques tels que l'espace géoéconomique, les frontières économiques pulsantes, les géofinances, l'évolution des formes de marchandises et les thèmes de la communication économique mondiale, le "marché environnemental" avec son effet stratégique, les noyaux de reproduction internationalisée (cycles), les "systèmes-pays" tournés vers l'extérieur et l'intérieur, le comptage du revenu mondial, l'atlas géoéconomique du monde, le regain d'intérêt pour la géologie, les interprétations volumétriques multiformes des situations géoéconomiques, la haute technologie, les guerres géoéconomiques, les contre-attributions géoéconomiques, les premières indications du droit géoéconomique, la transnationalisation ethno-économique, sans oublier le cyberespace avec la numérisation des monnaies et des échanges.
L'impact de la stratégie géoéconomique d'entités supranationales à fort pouvoir financier interagissant avec les États et les macro-structures, telles que le Forum économique mondial, les Nations unies, le Forum économique eurasien, les BRICS, mais aussi Big Pharma et Big Data, en particulier les FANG, dont les activités, les stratégies, les documents et les décisions sont cruciaux à la fois pour comprendre la nature multivariée du développement mondial et pour analyser la centralité réelle de la géoéconomie dans un contexte communicationnel où elle se manifeste faiblement.
Un exemple concret est le niveau de développement économique et social proposé par les Nations Unies, basé sur les critères suivants :
- le niveau de développement économique (PIB/PNB par habitant, structure industrielle des économies nationales, production des principaux produits par habitant, indicateurs de qualité de vie, indicateurs d'efficacité économique) ;
- le type de croissance économique (extensive, intensive, à forte intensité de connaissances) ;
- le niveau et la nature des relations économiques extérieures (déterminés par le degré d'ouverture de l'économie sur le monde, la sophistication des marchés intérieurs, etc ;)
- le potentiel économique du pays.
Sur la base de ces critères, l'ONU identifie des groupes d'États : les pays développés, les pays en développement, les pays à économie en transition, qui constituent des mondes différents sur la carte géo-économique du monde. Ces indicateurs déterminent également la situation géopolitique et géoéconomique de chaque État et l'image géoéconomique du monde dans son ensemble, qui se compose des États en situation géoéconomique.
Il s'ensuit clairement que la formation de stratégies géoéconomiques mondiales et nationales est devenue une tâche importante de la géoéconomie appliquée. La création d'une stratégie mondiale de développement est une tâche complexe et multiforme, qui est entreprise par de nombreuses entités et approuvée, en règle générale, par les participants, en faisant souvent appel à des structures fiduciaires ou consultatives externes, comme dans le cas des grands holdings bancaires qui sont appelés à rédiger les lois financières des États ou à gérer le crédit des banques centrales.
En un sens, cependant, ce mode de fonctionnement donne à la géoéconomie une place plutôt modeste après la justice sociale, c'est-à-dire le dépassement des écarts économiques et des inégalités dans les conditions de vie des citoyens, des peuples du Nord et du Sud, ainsi que de l'Ouest et de l'Est, les questions écosystémiques et l'avènement de nouvelles parodies numériques. Encore une fois, il est inévitable de souligner comment une stratégie globale ne correspond pas à une stratégie valable "pour tous", en rappelant comment les symétries dans un scénario géopolitique multipolaire caractérisent les stratégies géoéconomiques, et vice versa.
La stratégie globale vise à atteindre le développement durable et l'égalisation des pays (en termes de niveau de vie, de critères sociaux et de possibilités de développement). La stratégie géoéconomique d'un État consiste à accroître sa compétitivité dans la lutte pour les marchés mondiaux, à augmenter son influence dans les processus géoéconomiques mondiaux et sa durabilité géoéconomique. C'est peut-être l'un des points les plus importants sur lesquels se joue la revalorisation de la géoéconomie en tant que science sur l'échelle de la géopolitique, devant les autres sciences sociales et politiques : un État ou, dans son ensemble, une macro-zone d'influence et de relations, ne peut pas ne pas tenir compte du succès interne, également en termes d'existence et de continuité, comme point de départ des stratégies internationales et inter-zones. C'est, ipso facto, l'échec pragmatique et même avant cela, l'échec conceptuel de l'unification sous une gouvernance unique. Ce "succès" du multipolarisme, qui a vaincu l'unipolarisme et ouvert de nouvelles cartographies politiques, économiques et existentielles, est le promoteur d'un multigéoéconomisme, dans lequel les sphères d'influence sont afférentes aux pôles géopolitiques d'identité et de pouvoir [8].
Une critique de nature conceptuelle qui, à mon avis, est légitime pour la géoéconomie, toujours en vue d'une réévaluation attentive, est le besoin que cette discipline a d'une plus grande conceptualisation. En effet, il manque des théories sectorielles bien définies et des méta-analyses, ce qui fait que la plupart du temps, la géoéconomie se réfère aux doctrines et théories économiques et géopolitiques, sans pour autant développer les siennes, conformément à ce caractère pluridisciplinaire qui lui est dû. Le risque est de rester une branche avec un développement par inertie, sans libérer son potentiel et sans pouvoir expliquer adéquatement la complexité globale que nous connaissons.
Notes:
[1] Cfr. C. Terracciano, Geopolitica, AGA Editrice, Milano 2020, cap. I.
[2] Sans vouloir chercher à retirer de la dignité à la dite discipline, nous utilisons le terme de"sous-discipline" pour indiquer une "dérivation" et non pas pour poser une hiérarchisation dans les importances.
[3] Danscertains cas, le terme de "géo-économie" est remplacé par d'autres, similaires: G. D. Glovely propose “économie géopolitique”, auquel E. G. Kochetov colle l'adjectif de “globalíste”.
[4] Cfr. F. Braudel, La dinamica del Capitalismo, Il Mulino, Bologna 1977.
[5] Pour approfondir cette idée des plus intéressantes de N. K. Kondratiev, I cicli economici maggiori, a cura di G. Gattei, Cappelli, Bologna 1981.
[6] Para aprofundar: G. Rispoli, Dall’empiriomonismo alla tectologia. Organizzazione, complessità e approccio sistemico nel pensiero di Aleksandr Bogdanov, Aracne, Roma 2012.
[7] J. Attali, Breve storia del futuro, a cura di E. Secchi, Fazi, Roma 2016.
[8] Cfr. L. Savin, Ordo Pluriversalis. La fine della Pax Americana e la nascita del mondo multipolare, prefazione e curatela di M. Ghisetti, Anteo Edizioni, Avellino 2022.
17:08 Publié dans Définitions, Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, définition, géoéconomie, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook