mardi, 23 septembre 2025
Pas de censure pour les amis de la censure! - Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà

Pas de censure pour les amis de la censure!
Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà
Werner Olles
La cérémonie funéraire du militant conservateur Charlie Kirk, assassiné le 10 septembre par un « monstre d’extrême gauche » (selon le président américain Donald Trump), fut aussi émouvante qu’impressionnante. Plus de 100.000 citoyens y ont assisté, parmi lesquels Trump lui-même, le vice-président Vance et d’autres membres du gouvernement, ainsi que des représentants de premier plan du mouvement MAGA et du Parti républicain. L’assassinat de Kirk – commandité par l’élite globaliste, exécuté par un sympathisant de l’organisation terroriste d’extrême gauche « Antifa », dont l’interdiction est désormais, à juste titre, préparée par le président américain – a eu lieu selon le principe bien connu: « Punis-en un, éduque-en cent ! ».
En réaction aux commentaires haineux et écœurants dans les médias et programmes de gauche, qui ont diffamé Kirk à titre posthume en prétendant qu'il était un « prédicateur de haine », un « extrémiste de droite » et un « homophobe » – alors que celui-ci discutait ouvertement et sans réserve avec tous les courants politiques, et, en tant que chrétien évangélique profondément croyant, traitait même ceux qui étaient d’un avis radicalement opposé au sien avec respect et patience –, certaines mesures ont été prises, avec l’approbation du gouvernement américain, contre les calomniateurs et propagateurs de haine se réclamant d'une certaine gauche. Ils ont alors probablement ressenti pour la première fois de leur existence pourrie les effets de la « cancel culture » qu’ils avaient eux-mêmes inventée pour réduire à tout jamais au silence leurs adversaires classés, à tort ou à raison, à "droite".
Bien entendu, la télévision publique allemande, dont il faut payer la redevance sous contrainte, était également prise de panique voire d’effroi. On n’avait visiblement pas pu imaginer que la situation puisse un jour s’inverser si les choses changeaient comme aux États-Unis. En effet, les habituels « rats et mouches à merde » du petit univers médiatique (dixit Franz-Josef Strauß), nichés dans les médias publics, pro-antifa, ont de nouveau laissé libre cours à leur fondamentalisme hypertrophié se réclamant des "droits de l’homme" – tandis qu'ils sont soutenus par le prétendu syndicat allemand des journalistes (DJU). Un certain Elmar Theveßen accusa Kirk, contre toute évidence, d’avoir appelé ou applaudi à la combustion d’homosexuels, tandis que la célèbre Dunja Hayali feignit d’abord la compréhension avant de dénoncer Kirk, en substance, comme un «diviseur» et un «polarisateur».
Que retenir de tout cela ? L’Allemagne doit d’abord être reconstruite en reformant un peuple, une nation, un État, afin de mettre un terme à l’action de telles créatures, qui, serviteurs d’intérêts étrangers et hostiles, n’ont aucune notion de ce que signifient l’honneur, la dignité et la décence. Cette réforme de la société doit commencer par un retour planifié et énergique à la normalité, y compris la mobilisation et l’orientation de la majorité amorphe, exactement comme cela se passe aux États-Unis. La division de la société est donc nécessaire et inévitable, et elle doit surtout être sans compromis et porter sur les valeurs fondamentales.

Lors de la cérémonie en hommage à Charlie Kirk, sa veuve Erika prit aussi la parole, et dans un discours bouleversant, elle pardonna, en tant que chrétienne croyante, au meurtrier de son mari et père de ses deux enfants. Cette grandeur d’âme rappelle, dans son humilité et sa foi profonde, la veuve de Benito Mussolini, Donna Rachele, qui, lors d’un dîner dans une trattoria romaine, fut observée par un groupe d’hommes à la table voisine. L’un d’eux finit par se lever, s’approcha d’elle et dit doucement: «Pardonnez-moi, Signora, mais en tant que partisan, j’ai été l’un des meurtriers de votre mari. Pouvez-vous me pardonner?». Donna Rachele le regarda longuement et en silence, se leva finalement, étreignit l’homme, fit un signe de croix et dit: «Je te pardonne, mon fils!».
Donald Trump, qui, contrairement à Charlie Kirk, bien qu’il l’ait admiré, n’est pas un conservateur particulièrement croyant mais plutôt un révolutionnaire conservateur, ne put se résoudre à cela lors de son discours lors de la cérémonie. Il assuma sa haine envers la gauche, les globalistes, les bandes terroristes de la mouvance Antifa, l’État profond et l’assassin de son ami Charlie. Comme pour tous les révolutionnaires et toutes les révolutions, il s’agit toujours de pouvoir, bien sûr aussi de vengeance – ce que beaucoup oublient malheureusement – et d’une transformation structurelle de la société. La métapolitique ne peut donc jamais être un but en soi, mais au mieux une des méthodes pour atteindre un objectif. Nous ignorons si Trump a lu Gramsci, Evola ou Carl Schmitt, nous pensons toutefois que c'est peu probable.

Intuitivement, cependant, il a compris l’essentiel et refuse de mener des débats pseudo-intellectuels, qui se déroulent dans le vide au lieu de discuter et de fixer des contenus concrets et des objectifs précis. Ce qu’il envisage plutôt, c’est sans doute un État méritocratique, illibéral et basé sur la démocratie directe, une variante non totalitaire d’un autoritarisme qu'il nous faudra étudier sans la grever des virus gauchistes-libéraux et relevant de cette extrême gauche typiquement ouest-européenne, de ces maladies culturelles métastatiques en cartel avec un pouvoir dégénéré et un establishment gaucho-écolo-woke, prêt à tout crime pour conserver le pouvoir, même par la terreur, les assassinats et les trahisons de toutes sortes. Pour Trump, il semble donc évident que la droite révolutionnaire ne se laissera plus jamais imposer la censure, mais qu’elle la réservera dorénavant à ses ennemis mortels.
Après le lâche assassinat de Charlie Kirk, la situation est maintenant plus claire pour tous: la gauche et les libéraux, les globalistes et la canaille politico-médiatique à leur service sont prêts à tuer ou du moins à justifier et défendre à tout moment les meurtres commis par leurs compagnons de route. C’est bon à savoir, car – comme nous, les renégats de l'extrême-gauche, l’avons appris en 1967/68 – « Si l’ennemi nous combat, c’est bon et non mauvais ! » (Mao Tsé-Toung). Peut-on haïr cet ennemi ? Oui, car comme l’amour, la haine fait partie des émotions humaines normales. Certes, la loi chrétienne de l’amour s’applique, et Jésus lui-même haïssait le péché et non le pécheur, mais son combat visait aussi le mal personnifié. Qui ne parvient pas à la haine peut du moins mépriser nos ennemis, mais jamais les sous-estimer, car contrairement à nous, ils sont capables de commettre tout le mal imaginable.
Werner Olles
19:44 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, charlie kirk, états-unis |
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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon
Alexandre Douguine
Animateur : Le sommet de l’OCS est sans doute l’événement numéro un, deux et trois, probablement, au monde aujourd’hui : du point de vue de la géopolitique, de l’économie, de la sécurité et de sa place dans l’espace médiatique. Selon vous, qu’est-ce qui prime dans ce cas, quand on commence à parler du sommet de Tianjin ?
Alexandre Douguine : Oui, c’est quelque chose de fondamental. Peut-être que ce sera précisément le point de bascule. En gros, le multipolarisme, tel qu’il est incarné dans l’OCS et les BRICS, repose sur trois piliers principaux: la Russie, la Chine et l’Inde. Trois États-civilisations incontestés. Trois pôles autonomes. Voilà ce qu’est le multipolarisme. Au départ, ce multipolarisme s’est construit prudemment, pourrait-on dire. L’idée était de le créer en dehors de l’Occident, mais pas contre l’Occident. Et si l’Occident l’avait accepté, on ne peut exclure qu’il aurait eu sa place dans ce monde multipolaire.
Mais ensuite est survenu un moment très intéressant. L’arrivée de Trump après Biden et les mondialistes, qui rejetaient catégoriquement le monde multipolaire et tentaient de préserver l’unipolarité, — Trump est arrivé avec un programme très complexe. D’un côté, il disait: je suis contre le mondialisme, je suis pour l’ordre agencé par les grandes puissances. On pouvait donc supposer qu’il s’intégrerait d’une certaine manière dans ce programme multipolaire, en essayant de maintenir le leadership des États-Unis, mais en renonçant aux plans mondialistes. Mais cela ne s’est pas produit. Trump a commencé à menacer les BRICS, à imposer de nouvelles sanctions, à poser des ultimatums à la Russie avec divers délais, à imposer des tarifs à tout le monde, et bien sûr, le point culminant a été l’imposition d’un tarif de 50% contre l’Inde parce qu'elle achetait prétendument du pétrole russe. En réalité, l’Occident achète lui-même ce même pétrole russe à l’Inde, et la Chine, qui achète également du pétrole russe, ne prête aucune attention aux menaces américaines, alors que Trump ne lui impose pas de tels tarifs élevés. Cela donne une image très contradictoire de la politique étrangère américaine. On a l’impression que l’Occident est en crise, d’autant plus qu’il y a des adversaires mondialistes qui sont contre Trump et contre le monde multipolaire, donc encore plus dangereux. Et Trump paraît osciller entre ce mal absolu et le multipolarisme. Un pas d’un côté, un pas de l’autre. Au début, il semblait qu’il accepterait, et même Marco Rubio a déclaré que nous vivions dans un monde multipolaire, que l’Amérique se fasse grande, que les autres rendent grandes l’Inde ou la Chine — on ne parlait pas de la Russie, mais en tout cas, pourquoi ne serions-nous pas de la partie? Ils se rendent grands, eux, et nous aussi, sans demander la permission à personne. Il semblait que ceci pouvait se passer pacifiquement. Mais ensuite, la situation a basculé: Trump a commencé à détruire cela, à saboter, à attaquer, à faire pression. Et là, une chose intéressante s’est produite: les tentatives de Trump — naïves, sporadiques, incohérentes — de détruire le monde multipolaire ont commencé à le renforcer.
Dans la structure du monde multipolaire, il existait des contradictions substantielles entre l’Inde et la Chine. Mais après l’introduction des tarifs contre l’Inde, que ne paient pas les Indiens eux-mêmes, mais ceux qui achètent les produits indiens en Occident, donc aux États-Unis — c’est-à-dire les contribuables américains, même si le volume des exportations va bien sûr diminuer —, l’Inde, en tant qu’État-civilisation souverain, ce que Modi souligne de toutes ses forces en parlant de la nécessité de décoloniser la conscience indienne, se voit obligée non seulement de se rapprocher de nous, ce qui se produit déjà, mais aussi de se rapprocher de son concurrent régional — la Chine. Modi n’était pas allé en Chine depuis six ans, et voilà qu’il vient au sommet de l’OCS, rencontre Xi Jinping. Il s’avère donc que Trump, en cherchant à détruire le monde multipolaire et en menaçant de nouvelles sanctions les pays qui refusent le dollar, contribue à sa formation, malgré lui. Plus il agit agressivement, plus les pays cherchant à promouvoir la multipolarité passent à des règlements dans leurs propres monnaies, plus ils se consolident. Si l’on ajoute à cela l’attitude scandaleuse de Trump envers le Brésil, on obtient un autre pôle important. Le Brésil ne participe pas à l’OCS, mais dans les BRICS c’est un pays clé. Le monde islamique et l’Afrique observent cela.

Ainsi, le sommet de l’OCS met en lumière un détail important: la construction du monde multipolaire, la formation de nouveaux pôles civilisationnels souverains se déroule dans toutes les situations — aussi bien lorsque l’Occident n’y fait pas obstacle, en allégeant la pression, que lorsqu’il y fait obstacle. On peut comparer cela à la navigation à la voile. Ceux qui ont déjà dirigé un voilier savent qu’on peut aller vers le même but dans la même direction, quel que soit le vent. S’il est favorable, on positionne les voiles d’une façon; s’il est latéral, d’une autre; même un vent de face permet d’avancer efficacement vers l’objectif, si l’on est un bon marin.
Ainsi, Poutine, Xi Jinping et Modi démontrent une maîtrise brillante de l’art de la navigation. Quelle que soit la situation à l’Ouest, qui est déjà en train de s’effondrer, avec ses protestations internes, Trump ne donnant plus signe de vie depuis plusieurs jours — beaucoup en Amérique se demandent: que lui est-il arrivé? Lui qui ne passait jamais une journée sans publier sur les réseaux, sans prononce de discours, sans donner d'interview, et le voilà soudainement absent. L’Occident est en crise: tantôt certaines de ses composantes meurent, tantôt non, tantôt elles se tirent dessus, tantôt elles soutiennent les uns, puis les autres, créent des conflits et des guerres. Mais le voilier du monde multipolaire va vers son but, indépendamment de la tempête qui secoue cet Occident manifestement à la dérive. C’est très important d'en prendre bonne note.
Animateur : Permettez une question en complément. Peter Navarro (photo), économiste et ancien conseiller de Trump, a récemment accusé l’Inde d’arrogance. Vous venez d’évoquer l’opposition. Il a déclaré, avec une assurance étonnante: pourquoi ne nous rejoignent-ils pas, ces Indiens? Pourquoi achètent-ils du pétrole russe? Etc. Ma question est la suivante: est-ce, selon vous, encore une incompréhension de la mentalité des Chinois, des Indiens, des Russes et de ces civilisations en général, ou bien s’agit-il d’une pression obstinée et délibérée, d’un vent contraire, quoi qu’il arrive ?
Alexandre Douguine : Si nous avions affaire à des mondialistes, c’est-à-dire à l’administration démocrate — Biden, Kamala Harris — ou aux politiciens qui tirent les ficelles en Europe, je répondrais sans hésiter: ils ne considèrent personne d’autre qu’eux-mêmes comme des sujets à part entière. Ils imposent leur propre programme, et tout ce qui s’en écarte doit, selon eux, être détruit, brisé, transformé, convaincu par la pression ou la tromperie. Tout doit se faire selon leur plan: il ne doit y avoir qu’un seul pôle — le pôle global, tous les autres doivent être dissous, les élites, surtout économiques, intégrées à la classe dirigeante globale, tout doit être monopolisé, contrôlé. Leur seule forme d’interaction avec l’Inde, avec nous, avec la Chine, est donc de dire et de répéter: "Rendez-vous!". Si vous ne vous rendez pas aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera après-demain. Mais vous devez vous rendre, comprendre que, hormis l’idéologie libérale mondialiste, rien n’existe, il n’y a pas de souveraineté, pas d’intérêts régionaux, il n’y a qu’un sujet global du développement, une économie globale, le BlackRock global avec ses bulles et pyramides financières qui absorbent et détruisent l’économie réelle. C’était ainsi jusqu’à récemment, et dans une certaine mesure cela le reste.

Mais quand Trump est arrivé, il a dit: j’agirai autrement. Lui et ses proches partisans — J.D. Vance, Elon Musk, Tulsi Gabbard, des gens du mouvement MAGA (Make America Great Again) — ont déclaré: le modèle mondialiste ne nous convient plus. Nous allons nous concentrer sur nos problèmes internes, renforcer l’Amérique comme un pôle autonome. Au début, il y avait des allusions, voire des formulations explicites: que les autres se débrouillent. S’ils veulent leur souveraineté, tant mieux, s’ils veulent mener leur propre politique, qu’ils négocient ou qu’ils s’opposent à nous. Nous saurons repousser les conflits, nous saurons apprendre à négocier. C’est un modèle tout autre. Le trumpisme, du moins au départ, reconnaissait la qualité de sujet (autonome) à l’Inde, à la Chine, à la Russie. D’où la volonté de mettre fin aux interventions, aux conflits, au financement d’organisations terroristes comme en Ukraine actuelle. Mais, à en juger par les neuf premiers mois de l’administration Trump, ils n’ont pas poursuivi cet objectif. Ils sont sans cesse ramenés à l’ancien mondialisme, via les néoconservateurs.
Par des gens comme Navarro — d’abord, il n’est pas porte-parole officiel, ensuite, Elon Musk disait qu’il n’y avait personne de plus stupide que Navarro dans l’entourage de Trump. Ils s’échangent des commentaires peu flatteurs, mais il y a des gens autour de Trump qui, sans être mondialistes, sont trop primitifs, pensent à court terme, dans l’immédiateté. Leur logique déstabilise à la fois le mondialisme et le trumpisme initial. Prenons l’anecdote du clignotant défectueux: un conducteur idiot demande à un autre, encore plus idiot, de vérifier si le clignotant fonctionne. Il répond: ça marche, ça marche pas, ça marche, ça marche pas. Navarro et ce segment de l’entourage de Trump raisonnent de la même façon — par cycles courts. S’ils étaient un peu plus intelligents, ils diraient: le clignotant fonctionne, il clignote, c’est son but. Mais eux évaluent la politique — vis-à-vis de l’Inde, de la Russie, de la Chine, du Venezuela, du Moyen-Orient, de l’Europe, du Brésil — selon le principe: ça marche, ça marche pas. Aujourd’hui amis, dans 15 minutes ennemis. Pour les mondialistes, si tu échappes à leur contrôle, tu es un ennemi, on te détruira, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera plus tard. Les mondialistes agissent de façon cohérente, sans hésitation, cherchant à maintenir le monde unipolaire, empêchant l’émergence du multipolarisme. C’est le mal pur, une politique suicidaire, qui refuse de reconnaître la réalité. Mais au moins elle est cohérente. Les mondialistes corrompent les élites, détruisent les sujets politiques, fomentent des révolutions de couleur, déclenchent des guerres, diabolisent. Mais l’entourage de Trump n’agit de façon cohérente ni comme les mondialistes, ni comme ils l’avaient promis au départ. Cela provoque de la confusion, du désarroi, de l’embarras. Le comportement actuel de l’administration Trump, c’est de susciter de l’embarras, c'est ne faire ni l’un ni l’autre. Ni du pur mondialisme, ni le trumpisme crédible.
Animateur : Il y a donc une multipolarité interne — dans la tête de Trump.
Alexandre Douguine : Oui, cela y ressemble. De plus en plus de gens disent que cela frise le trouble psychique. Exemple du clignotant: aujourd’hui vous êtes amis, demain ennemis. À chacun on donne un délai: dans 10 jours, faites ce qu’on vous dit de faire. Dix jours passent, rien n’est fait, tout est oublié. Cela tangue, ça rappelle la bipolarité. Un pôle — le mal mondialiste, dont Trump semble se distancier, l’autre — la bonne voix: rends l’Amérique grande, cesse les interventions grossières dans les affaires internationales, comme le faisaient tes prédécesseurs. Mais ces voix se recouvrent. On a la sensation d’une personnalité divisée, d’une conscience incapable de se concentrer sur une seule ligne. Dès que Trump suit la bonne voix, la mauvaise se fait entendre, il retombe sur la ligne mondialiste. La deuxième voix dit: tu trahis tes intérêts. C’est, au fond, comme un marin débutant.

Mais Poutine, Xi Jinping, Modi — ce sont des leaders qui pensent sur le long terme. Ils construisent non seulement la situation internationale, mais aussi les régimes politiques, les idéologies de leurs pays dans une perspective lointaine, au-delà de leur propre vie. Ils sont mortels, mais leurs actions créent un ordre mondial où il n’y aura pas d’alternative au multipolarisme et à la souveraineté civilisationnelle. Trump, lui, est un homme de passage, avec un ego immense. Il ne sait pas où mener l’Amérique, son navire. Il ne veut pas aller là où l’emmenaient les démocrates, mais il ne peut plus aller là où il l’avait promis à ses électeurs.
Animateur : Permettez une question philosophique. Le multipolarisme — si on poursuit la métaphore des navires — ce sont des navires différents. Ils sont construits différemment, ils ont des structures et des voiles différentes, tout diffère — sur le plan religieux, national, géopolitique. Selon vous, où doit se situer le point d’appui, quand on parle d’une telle union géopolitique globale de l’éléphant, de l’ours et du dragon, ces trois grandes puissances ? Sur quoi doivent-elles s’appuyer ?
Alexandre Douguine : Tout d’abord, le principe d’ennemi commun n’a jamais été aboli dans la stratégie mondiale. Et ce n’est pas tout à fait l’Amérique, c’est le mondialisme. Le monde unipolaire mondialiste est une menace concrète qui vise chacune de ces nations. Le dragon, l’ours et l’éléphant ont un ennemi commun, qui veut détruire chacun d’eux, supprimer la souveraineté civilisationnelle de ces pays, de ces civilisations. Sur ce point, face à une telle pression constante — sur nous, sans doute encore plus, puisqu’on nous a imposé une guerre contre notre propre peuple —, cet ennemi commun devient un facteur de cohésion.
De plus, nous sommes prêts à reconnaître le droit à la qualité de sujet de l’autre. Les trois pôles du monde multipolaire sont d’accord: s’il n’y a pas de christianisme en Chine, ce n’est pas grave, c’est leur tradition. Les Hindous estiment que l’absence d’hindouisme en Russie n’est pas un problème. Les Chinois sont sûrs que le confucianisme est pour un système fait pour eux, pas pour l’exportation dans le monde. C’est un aspect important de notre identité, de notre idéologie. Nous rejetons ce qui est imposé de l’extérieur, nous défendons nos paradigmes civilisationnels, mais nous ne les imposons pas aux autres. Cela nous distingue de notre ennemi commun.
L’Occident collectif et mondialiste veut imposer à la Chine, à l’Inde, à nous sa propre vision. Ils ne nous écoutent pas. Notre christianisme orthodoxe ne doit pas exister, pas plus que l’hindouisme ou le confucianisme. Il doit y avoir la promotion des LGBT (interdite en Fédération de Russie), la migration, l’individualisme, l’idéologie des droits de l’homme, Greta Thunberg, l’écologie. Et, bien sûr, BlackRock doit tout diriger. Nous rejetons cela tous ensemble, mais nous n’imposons même pas à nos ennemis notre propre modèle. C’est la différence fondamentale entre la philosophie du multipolarisme et celle du mondialisme.

Animateur : Parlons de l’Organisation des Nations unies. Vladimir Poutine l’a évoquée dans une interview à l’agence de presse chinoise Xinhua, avant même le début du sommet de l’OCS. La Russie plaide pour une réforme de l’ONU, pour l’intégration des pays du Sud global. Première question, étant donné que le sujet est vaste: quel est, à votre avis, l’anamnèse et le diagnostic de l’état actuel de l’ONU, et une réforme globale est-elle possible dans les conditions actuelles ?
Alexandre Douguine : Il faut faire un bref retour historique. L’ONU est née à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, une époque de vainqueurs et de vaincus. Parmi les vainqueurs, il y avait des forces principales et des forces périphériques. L’ONU est une structure créée par les principaux vainqueurs. En fait, c’est ce qu’on appelle le monde de Yalta, où tous sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, tous sont souverains, mais pas vraiment.
En réalité, deux blocs de vainqueurs étaient véritablement souverains: l’Occident capitaliste, qui a vaincu l’Allemagne nazie, et l’Est communiste. Cette structure, y compris la représentation des pays au Conseil de sécurité de l’ONU, reflète cet état de fait. Progressivement, à mesure que les blocs oriental et occidental se sont popularisés, un troisième pôle a émergé — le Mouvement des non-alignés, où l’Inde a d’ailleurs joué un rôle important. Mais la situation n’était pas équitable: le troisième pôle oscillait et naviguait entre le pôle communiste et le pôle capitaliste. En réalité, tout était déterminé par l’équilibre des forces entre le communisme et le capitalisme. Voilà ce qu’était l’ONU.
La structure du droit international reflétait l’équilibre des forces des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon n’y figuraient pas du tout — ils étaient considérés comme des territoires occupés faisant partie de l’Occident capitaliste, et c’est tout. Il n’existait pas d’autres pôles. L’Union soviétique représentait un vrai pôle à part entière. On disait de Gromyko (photo), ministre des Affaires étrangères de l’URSS — qu'il était «Monsieur Non»: car à tout ce que proposaient les capitalistes, il répondait non, chez nous, socialistes, marxistes, l’avis est autre. À chaque thèse correspondait une antithèse, mais la possession de l’arme nucléaire et une certaine parité des armements, surtout stratégiques, excluaient un conflit direct. Les conflits se déroulaient via des guerres par procuration — en Corée, au Vietnam, en Afrique, en Amérique latine. Certains soutenaient un pôle, d’autres l’autre. Le droit international reflétait cet équilibre de forces.
À strictement parler, il n’existe pas de vrai droit international — c’est une illusion de le croire. Il y a ceux qui pouvaient faire quelque chose, et ceux qui ne le pouvaient pas. Entre ceux qui avaient réellement du pouvoir — les souverains —, un accord se nouait dans un système bipolaire, et tous les autres étaient contraints de s’y plier. Voilà ce qu’était l’ONU. Quand l’Union soviétique est tombée, l’un des pôles du système international s’est auto-dissous, s’est évaporé. Dans les années 1990, souvenez-vous de notre politique: nous disions que nous n’avions plus de souveraineté, que l'Occident, lui, était souverain, que nous suivions son sillage, que nous faisions partie de la civilisation occidentale, de la Grande Europe, que nous n’étions plus l'antithèse de l'Occident.
L’Occident alors envisageait de créer une Ligue des Démocraties: pourquoi maintenir ce résidu d’un monde bipolaire, cette chimère, ce membre fantôme? Construisons un système unipolaire, où nous établirons les règles de l’ordre libéral, la fin de l’histoire, l’hégémonie mondiale de l’Occident, et tous les autres devront s’y plier. C’est cela, la Ligue des Démocraties. Mais nous avons résisté un peu, et d’autres pays ne voulaient pas non plus reconnaître officiellement leur statut de vassaux dans ce modèle unipolaire, et l’ONU a ainsi survécu jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, nous avons un autre système — ni bipolaire, ni unipolaire comme dans les années 1990, mais multipolaire. C’est la troisième grande configuration. L’ONU ne nous convient plus, car elle reflète encore l’inertie du monde bipolaire et le renforcement du monde unipolaire.

Poutine a accusé l’ONU d’avoir été prise en main par les partisans du mondialisme, qui refusent de reconnaître d’autres facteurs. L’ONU en elle-même n’est pas une panacée. Le monde multipolaire que nous construisons à travers l’OCS, les BRICS, et d’autres structures, qui sont justement polycentriques, doit devenir le prochain modèle du droit international. Dans la définition de ce qui est bien ou mal, doivent participer l’Occident, nous, les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains, les musulmans, les Africains. Voilà ce qu’est le droit international. Si chacun de ces pôles détient une puissance suffisante — économique, militaire, idéologique, diplomatique, industrielle —, alors ce pôle pourra affirmer: je considère que c’est ainsi. Nous ne pouvons pas revenir au système de Westphalie, où chaque État reconnu est souverain — cela n’a jamais réellement fonctionné. Déjà il y a cent ans, au 20ème siècle, les pays étaient répartis en blocs. Il y avait encore le bloc fasciste, mais là non plus, les États individuels n’étaient pas souverains — ils s’effondraient dès que la main d’Hitler s’abattait sur eux. Idem pour notre bloc de l’Est et pour l’Occident global. Après la chute de l’Europe hitlérienne, il restait deux pôles, et il n’y avait plus d’États-nations. Comme l’a bien remarqué Krasner, spécialiste des relations internationales, la souveraineté est une hypocrisie.
Nous comprenons que certains États ne sont pas souverains, mais à l’ONU, leur voix pèse autant que celle de la Chine ou de l’Inde. C’est une parodie, une farce. Ceux qui sont réellement forts et capables de défendre leur souveraineté doivent établir les règles du droit international. L’Occident veut que ce soit seulement lui. Cela ne nous convient pas. Le droit international de demain doit se construire sur les principes du multipolarisme, vers quoi nous tendons. Ce sommet est lié à cet objectif. Pas à pas, d’une démarche assurée et d’acier, les trois grandes puissances bâtissent un monde multipolaire, que d’autres rejoignent. Certains courent vers l’Occident — inutile de montrer du doigt nos anciens amis qui se sont éloignés. Mais beaucoup de pays choisissent le nouveau droit international fondé sur le multipolarisme.
Animateur : D’après votre réponse, la question suivante s’impose. Nous voyons le système des grandes organisations internationales — l’UNESCO, l’AIEA, l’OMC, le CIO, l’OMS, et d’autres. Toutes montrent aujourd’hui leur inefficacité, sont critiquées, surtout l’AIEA, qui, comme on le constate, n’arrive pas à résoudre le problème nucléaire iranien et se trouve toujours à la remorque. Au final, on dirait que les organisations globales deviennent subordonnées à certains blocs. Là où le bloc Russie-Chine-Inde est fort, c’est lui qui dirige l’organisation, sans plus tenir compte de Vanuatu ou du Cap-Vert.
Alexandre Douguine : Vous avez tout à fait raison, mais le fait est que tous ces soi-disant instituts globaux que vous avez cités n’obéissent en réalité qu’à un seul bloc. Ils sont inefficaces parce que l’Occident est devenu inefficace. Ce sont des instruments de l’hégémonie occidentale. Ils ne satisfont plus ceux qui ne sont plus satisfaits par l’Occident. C’est tout. Ce ne sont pas des organisations mondiales, elles n’en ont que le nom. Ce sont des proxies occidentaux. L’Occident et ses représentants dans d’autres pays, la Banque mondiale, l’OMC — tout est construit sur la base des intérêts de l’Occident. Dès que quelque chose ne plaît pas à l’Occident, comme la Chine qui a appris à jouer selon leurs règles et les bat à leur propre jeu, ils changent aussitôt les règles, imposent de nouvelles exigences. Peut-être que Trump a été soutenu, y compris par l’État profond, parce qu’on comprend qu’il faut changer quelque chose. Mais ni les mondialistes, ni Trump ne sont d’accord pour créer un modèle multipolaire juste, et tout est donc bloqué à ce niveau.
Il est nécessaire de construire des structures internationales, des systèmes, des organisations, peut-être des centres missionnaires ou des règles de coopération économique, qui s’appuieront sur nos intérêts souverains. Les pays des BRICS, de l’OCS, les partisans du monde multipolaire ont la chance de créer de véritables systèmes internationaux, soutenus par leur propre souveraineté. C’est vers cela que nous allons. Les structures internationales existantes sont des vestiges du monde unipolaire. Il est révélateur que Trump l’ait compris, menaçant de sortir de l’ONU, de l’OTAN, de l’OMS, de l’OMC. Chaque jour, nous entendons de ce côté-là de l’océan des menaces de retrait de ceci ou de cela. C’est devenu trop évident. Quand une partie se fait passer pour le tout, c’est de la contrefaçon, de l’imposture, et la supercherie devient flagrante. Ces organisations sont le prolongement des services secrets occidentaux, et il n’est donc pas étonnant qu’on ne leur fasse plus confiance. Les nouveaux instituts doivent être créés par ceux qui partagent la vision d’un monde multipolaire.

Et l’Occident alors ? Qu’il accepte nos règles — pas seulement celles de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, mais des règles de consensus. Si l’Amérique veut redevenir grande, elle doit reconnaître l’inévitabilité du multipolarisme. La question est celle de la coordination et du concert de ces civilisations, où l’Amérique et l’Europe, si vous voulez, trouveraient leur place. Mais avec les dirigeants européens actuels, cela ne marchera pas. Ils seront balayés. Ursula von der Leyen, Macron, Starmer, Merz — ce sont les pions d'un gouvernement d’occupation mondial, qui ne respecte pas ses peuples. Ils les traitent pire que les autres. C’est une élite d’occupation. Je pense que les peuples d’Europe — d’Angleterre, de France, d’Allemagne —, lors de soulèvements, lascèreront littéralement ces élites, comme avant, lors des révolutions. En Amérique, la société, Trump et ses partisans montrent qu’ils comprennent la nécessité de sortir de la situation actuelle par d’autres moyens. Dans l’idéologie MAGA, il y a théoriquement la possibilité de participer au concert des pôles mondiaux. Tulsi Gabbard, chef des services de renseignement américains, a décrit à plusieurs reprises comment les États-Unis pourraient s’intégrer dans le monde multipolaire à des conditions privilégiées, en créant de nouveaux instituts internationaux justes, reflétant les intérêts de tous. Il pourrait y avoir des conflits, de la concurrence, mais la Russie, l’Inde, la Chine montrent déjà comment parvenir au consensus. C’est important.
Animateur : En partant de votre réponse, parlons d’intégration. Le sommet de l’OCS a uni le Sud global, mais il s’agit maintenant non pas tant de cela que du défilé militaire et de la célébration du 80ème anniversaire de la victoire sur le Japon. Les États-Unis étaient un acteur clé du théâtre d’opérations du Pacifique, et la capitulation fut signée à bord du cuirassé Missouri. Ils sont membres à part entière non seulement de la coalition anti-hitlérienne, mais aussi de la coalition anti-japonaise. Ma question: l’absence de Trump et de l’Amérique à cette célébration, leur exclusion, ainsi que le silence de Trump sur le sommet de l’OCS — est-ce une erreur de l’Amérique, une action délibérée de l’OCS ou, avant tout, de la Russie et de la Chine ? Comment évaluez-vous ce vide du point de vue américain ?
Alexandre Douguine : Tout d’abord, contrairement à nos adversaires, nous reconnaissons la justesse historique et la contribution de l’Amérique à la victoire sur Hitler et sur le Japon militariste. Nous ne le nions pas. Notre mémoire est juste. Nous nous souvenons que ce sont eux qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, mais nous leur rendons hommage: dans ce conflit, ils étaient de notre côté. De notre côté, il n’y a eu aucune démarche agressive pour exclure les Américains. Je suis convaincu que c’est leur choix. Ils ne veulent pas avoir affaire au monde multipolaire. Ils voient la Chine, l’Inde, la Russie gagner en puissance, résister sans faiblir aux tarifs et à la pression dans la nouvelle et capricieuse manière d'agir de Trump. Il n’a rien à dire. Frapper du poing sur la table ou lancer une roquette ne marche plus, il doit donc ravaler son agressivité.

Depuis quelques jours, on a l’impression que la santé de Trump laisse à désirer. Peut-être s’est-il surmené. Alex Jones l’a prévenu : Monsieur le Président, vous avez l’air étrange, votre discours, votre logique… C’est toujours Trump, mais un peu différent. Des rumeurs circulent sur une situation encore plus grave. Nous ne lui souhaitons pas la mort, plutôt un prompt rétablissement. Nous sommes justes même envers nos ennemis. Trump n’est pas le pire qui puisse nous arriver. Il n’a pas pu garder la confiance de beaucoup, a échoué sur de nombreux fronts. Cela pourrait tourner au cauchemar pour les relations internationales, ce n’est pas à exclure. Mais humainement, l’absence de ce vieux dirigeant ne nous réjouit pas. Qu’il se rétablisse, divertisse l’humanité et intègre l’Amérique dans le monde multipolaire, même contre sa volonté. Il est en train de le faire. Nous sommes prêts à composer avec les deux visages de Trump. Si le vent contraire continue, s’il poursuit sa politique de destruction à la façon d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, cela ne nous empêchera pas d’avancer vers notre but. S’il cesse de s’opposer, tant mieux — nous sommes prêts à tendre la main et l’intégrer aux BRICS. Si tout peut se résoudre pacifiquement — parfait. S’il faut poursuivre l’affrontement ou aller vers l’escalade, ce n’est pas notre choix, mais nous sommes prêts. Nous devons répondre à une seule question: comment garantir nos intérêts, renforcer la souveraineté et construire un monde multipolaire. Personne ne doit en douter. C’est la stratégie de notre État. Nous avons choisi cette voie fermement et nous n’arrêterons pas avant la victoire finale.
Comment se comporteront les États-Unis ou d’autres acteurs mondiaux ? — S’ils acceptent le monde multipolaire, ce sera le meilleur scénario. À Anchorage, nous étions proches d’un accord, puis nous nous sommes éloignés. S’ils ne l’acceptent pas, nous combattrons, nous défendrons nos positions. Nous combattons en Ukraine le modèle unipolaire, l’Occident collectif. Tout le monde le comprend. Nous gagnerons — par la paix, si possible, ou par la guerre, mais nous ne dévierons pas de notre chemin. L’élection même de Trump montre qu’ils doutent de la voie mondialiste. Ils ont choisi un homme qui promettait le contraire. Il n’a pas tenu ses promesses, il a reculé. Mais il lui reste trois ans. Nous pouvons voir arriver beaucoup de choses encore. L’essentiel, c’est de miser fermement sur nous-mêmes, sur la Grande Russie, sur notre victoire, notre liberté et notre indépendance.
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La misère de l’atlantisme

La misère de l’atlantisme
Santiago Mondejar Flores
Source: https://posmodernia.com/la-miseria-del-atlantismo/
Étant donné que le plus grand consommateur de produits relevant de la «légende noire» semble être, de loin, le public espagnol, il ne devrait pas surprendre que la célèbre boutade d’Arturo Pérez-Reverte — selon laquelle les Espagnols se seraient trompés de Dieu à Trente — soit rapidement devenue, dans certains cercles, un quasi-dogme, de ceux que Roger Scruton a qualifiés d’«oikophobes» (qui répudient leur propre héritage et leur foyer ethno-géographique)¹.
Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins surprenant de constater le mélange d’indolence intellectuelle et de crédulité de ceux qui reprennent sans examen l’affirmation du romancier et académicien selon laquelle, à Trente, l’Espagne aurait choisi un Dieu autoritaire et rétrograde au lieu d’un Dieu progressiste, comme ceux du nord de l’Europe, et que ce choix nous aurait installés dans la soumission, le retard, l’analphabétisme et la répression.
Car la réalité, c’est que, tandis qu’aux Pays-Bas et en Angleterre proliféraient les techniciens, les financiers et les marchands, l’Espagne, à son âge d’or (c’est-à-dire après 1492), comptait un nombre notable d’académiciens, grâce à l’essor des universités et des collèges majeurs aux 15ème et 16ème siècles, ce qui a permis un développement remarquable des théories du droit international et du droit commercial, sans oublier les travaux fondamentaux de la disputatio métaphysique, l’un des piliers de l’apogée culturel du Siècle d’or qui a fait essaimé dans toutes l’Europe quantité d’imitateurs de la littérature espagnole, comme Molière².

Comme l’a finement observé Miguel de Unamuno (photo) : «Cela ne sert à rien d’y revenir, notre don est avant tout un don littéraire, et tout ici, même la philosophie, devient littérature… et si nous avons une métaphysique espagnole, c’est la mystique… est-ce mauvais, est-ce bon ? Pour l’instant, je ne tranche pas, je dis seulement que c’est ainsi. … et comme il y a, et doit y avoir, une différenciation du travail spirituel tout comme du travail corporel, tant chez les peuples que chez les individus, il nous a été attribué cette tâche»³.
Bien sûr, dans un pays où la francisation est une institution nationale, il est commode et tentant de recourir à l’argumentaire de Max Weber exposé dans son «Éthique protestante et l’esprit du capitalisme», et de réciter sans y penser deux fois les louanges de l’éthique protestante et la promotion de valeurs telles que l’autodiscipline, le travail méthodique et l’accumulation rationnelle de la richesse⁴, même si, malgré le fait d’avoir choisi le même Dieu que l’Espagne à Trente, Venise et Gênes disposaient déjà, du 12ème au 15ème siècle, de systèmes financiers avancés, de réseaux commerciaux internationaux et d’une culture économique fortement développée, tout comme Florence, la Flandre, la Bavière, la Rhénanie et le Bade-Wurtemberg.
Un chapitre à part concerne le mythe de la tolérance religieuse réformée, sous l’égide duquel le principe du cuius regio, eius religio fut instauré dans les territoires luthériens du Saint-Empire romain germanique, autorisant les princes allemands à imposer leur foi à tous leurs sujets, comme ce fut le cas en Saxe et en Hesse, où les catholiques furent persécutés et leurs églises fermées après la consolidation du luthéranisme ; les ordres religieux furent supprimés et les monastères confisqués pour renforcer le pouvoir politique et financier des princes locaux.

Pour sa part, Calvin (portrait) instaura un régime de surveillance théologique qui régulait aussi bien les actes liturgiques que la morale privée, l’intolérance doctrinale et l’élimination de la dissidence étant la norme dans sa république théocratique⁵. Et que dire d’Oliver Cromwell, leader puritain anglais, sous le Protectorat duquel eut lieu la sanglante répression religieuse en Irlande, où les biens de l’Église catholique irlandaise furent confisqués, les églises catholiques profanées et pillées (avec une brutalité qui rappelle le modus operandi de l’État Islamique à Palmyre).
Le paroxysme puritain culmina dans des massacres incluant des exécutions arbitraires de catholiques. De plus, son régime abolit les théâtres, imposa des normes morales rigoristes et subordonna la vie civile aux diktats de la religion protestante⁶.

Pourtant, c’est bien cette variété particulière du protestantisme qui, au final, imposa sa mentalité à l’échelle globale : après avoir trouvé refuge aux Pays-Bas en 1608 à cause du rejet dans leur terre natale, la faction la plus radicale des puritains séparatistes anglais partit vers l’Amérique du Nord en 1620, s’établissant dans le Massachusetts. Ces colons, et ceux qui allaient bientôt suivre, n’étaient pas nécessairement les plus cultivés d’Europe, mais les plus audacieux : radicaux dans l’action plus que dans la réflexion, ils méprisaient le passé et vénéraient l’avenir, de sorte que cette orientation temporelle vers le futur devint progressivement l’épine dorsale du caractère national américain.
La confiance dans la nouveauté, plus qu’une vertu individuelle, est le produit d’une pression sociale : l’esprit nord-américain exige enthousiasme, adaptabilité et optimisme, et tolère peu la mélancolie, la nostalgie et l’introspection qui flottent toujours dans l’atmosphère des cafés européens.
Pourtant, cet optimisme peut devenir religieux, chargeant d’un sens quasiment sacré l’économie, la famille, les rites sociaux et même le sport : il idéalise plus qu’il ne questionne, se protégeant du doute par des certitudes fonctionnelles, reflet d’un caractère forgé dans l’immensité d’un territoire sauvage ; aussi libre qu’incertain, où l’Américain, détaché des traditions européennes, construisit son identité dans un vide physique et moral. Cette vastitude, géographique et morale, favorise l’expérimentation et le pragmatisme, mais exige l’action pour leur donner sens : sa culture de masse méprise le loisir contemplatif, privilégiant utilité, rapidité et impact.

Les arts et la pensée se subordonnent ainsi à l’efficacité, et l’idéalisme, mesuré en résultats quantifiables, devient statistique, ce qui, à son tour, a généré un matérialisme moral valorisant le quantitatif au détriment du qualitatif. En conséquence, et faute d’une tradition spéculative, en Amérique du Nord, le spirituel est devenu fonctionnel⁷.

Lorsque Tocqueville voyagea en Amérique dans les années 1830, il n’observa pas seulement une expérience politique nouvelle, mais une spiritualité idiosyncratique. Contrairement au modèle européen, où la religion s’entrelace avec le pouvoir politique ou fait l’objet de conflits sécularisateurs, aux États-Unis la religion se révèle comme une force sociale autonome, profondément influente dans la vie civique.
Tocqueville identifia cinq caractéristiques fondamentales de la relation entre religion et démocratie aux États-Unis: premièrement, la religion — particulièrement dans sa forme protestante, sobre et éthique — sert de fondement moral à la liberté, offrant un cadre de vertus civiques qui renforcent l’autodiscipline et limitent les excès de l’individualisme libéral; deuxièmement, la séparation entre l’Église et l’État, sans impliquer une rupture entre religion et société, permet à la foi de conserver sa vitalité sans être absorbée par le pouvoir politique ; troisièmement, le pluralisme religieux et la tolérance, loin de fragmenter le corps social, favorisent un consensus tacite sur le rôle moral de la religion ; quatrièmement, le pragmatisme spirituel, orienté vers la vie quotidienne et éloigné des disputes dogmatiques, confère à la religion un caractère fonctionnel et pratique ; et enfin, l’engagement communautaire, où les églises agissent comme des acteurs sociaux assurant un certain équilibre entre liberté individuelle, moralité publique et cohésion sociale⁸.
Pourtant, plus récemment, il a émergé dans la sphère évangélique américaine un totum revolutum, prenant la forme d’un syncrétisme théologico-politique qui amalgame le dispensationalisme eschatologique, le pentecôtisme charismatique et un nationalisme chrétien militant, constituant une matrice religieuse structurellement analogue à l’ébionisme judéo-chrétien des premiers siècles, ce qui représente un tournant dans l’imaginaire religieux américain, remplaçant en grande partie le pragmatisme moral tocquevillien par une théologie de l’anticipation apocalyptique⁹.


Cette convergence produit une synthèse eschatologique contemporaine qui interprète l’histoire comme un combat cosmique entre le Bien et le Mal, dans lequel certaines nations sont conçues comme des instruments privilégiés de la volonté divine. Son axe central, le dispensationalisme, fut conçu au 19ème siècle par John Nelson Darby (illustration, ci-dessus) et diffusé largement par la Scofield Reference Bible, qui présente une lecture littérale de la Bible avec des interprétations partiales, divisant l’histoire en « dispensations » et accordant à l’Israël ethnique un rôle central dans l’accomplissement des temps, ce qui justifie un sionisme chrétien inconditionnel et une vision apocalyptique de la politique internationale.
De son côté, le pentecôtisme, initialement marginal et apolitique, a évolué vers des formes de néo-pentecôtisme nationaliste qui interprètent la politique comme un champ de guerre spirituelle, promouvant un littéralisme biblique radical et une morale réactionnaire⁹.

Ces éléments convergent dans le nationalisme chrétien, une doctrine qui sacralise l’identité nationale, prône la subordination de la loi civile à la « loi de Dieu » et postule une mission eschatologique pour certaines nations appelées à conduire la bataille contre les forces du mal, retrouvant un ordre moral supposément perdu. Cette configuration théopolitique présente des analogies structurelles surprenantes avec l’ébionisme des 1er au 4ème siècles, dans des aspects tels que la centralité du messianisme littéral, la normativité de la loi religieuse, l’élection d’un peuple comme axe du plan divin, la fusion entre foi et identité nationale et le rejet de l’universalisme pluraliste.
Ainsi, bien que séparés par des siècles et des contextes doctrinaux différents, l’ébionisme ancien et ce sionisme chrétien contemporain partagent une logique commune : l’intégration de la religion, de la morale et de la nation à travers une eschatologie combative et providentialiste, qui redéfinit profondément le rôle de la foi dans la sphère publique et reconfigure le sens même de la nation, de l’histoire et du salut⁹.
Tout cela a inséré la spiritualité américaine dans un cadre théopolitique global. Si Tocqueville admirait la capacité de la religion à contenir le matérialisme, ces nouvelles interprétations évangéliques tendent à utiliser la foi comme une lentille d’interprétation de la géopolitique mondiale, en plus de donner lieu à des dérives religieuses telles que la « théologie de la prospérité » du pentecôtisme, qui renverse le rôle de la religion comme frein au matérialisme, interprétant la richesse comme un signe de bénédiction divine¹⁰.
La spiritualité nord-américaine contemporaine a donc connu une profonde métamorphose, qui constitue, au fond, une réponse à la complexité sociale, démographique et culturelle de l’Amérique contemporaine : urbanisation, migration, mondialisation, sécularisation et polarisation politique. La spiritualité n’est plus simplement un support moral de la démocratie, mais un champ de bataille symbolique où se disputent le sens du bien commun, l’identité nationale et le futur politique de la nation.
Comme nous pouvons le constater dans le cas du conflit Israël-Iran, certaines lectures et rhétoriques bibliques (par exemple, voir l’interview de Tucker Carlson avec le sénateur Ted Cruz du 18 juin 2025) peuvent agir comme des forces performatives dans la politique internationale. Il ne s’agit pas seulement du fait que les croyants attendent l’accomplissement de la fin des temps, mais aussi qu’ils peuvent agir de manière à le provoquer ou à l’accélérer. L’eschaton, ainsi compris, cesse d’être un avertissement prophétique pour devenir une directive géostratégique.
La théologie dispensationaliste et ses dérivés articulent une vision eschatologique dans laquelle le conflit entre Israël et l’Iran et la reconstruction du Troisième Temple sont des éléments fondamentaux pour l’accomplissement du plan divin. Cette vision du monde, en devenant moteur de la politique étrangère et de la défense, configure un scénario où les croyances religieuses influencent directement la géopolitique contemporaine, ce qui n’a pas seulement des conséquences de grande portée pour la stabilité régionale et globale, mais vide le volontarisme atlantiste européen du contenu qu’il a pu avoir à d’autres époques¹¹.
Bibliographie/Notes:
(1) Scruton, R. (2004). England and the need for nations. London: Civitas.
(2) Brufau Prats, R. (1992). La Escuela de Salamanca y el nacimiento del derecho internacional moderno. Ediciones Rialp.
(3) Unamuno, M. de. (1995). En torno al casticismo. Madrid: Espasa-Calpe.
(4) Weber, M. (2001). The Protestant ethic and the spirit of capitalism (T. Parsons, Trans.). London: Routledge. (Original work published 1905).
(5) Höpfl, H. (1982). The Christian polity of John Calvin. Cambridge: Cambridge University Press.
(6) Fraser, A. (2007). Cromwell: Our chief of men. London: Phoenix.
(7) Bellah, R. N. (1991). The broken covenant: American civil religion in time of trial (2nd ed.). Chicago: University of Chicago Press.
(8) Tocqueville, A. de (2008). La democracia en América (trad. J. A. González). Alianza Editorial. (Obra original publicada en 1835).
(9) Sutton, M. A. (2014). American apocalypse: A history of modern evangelicalism. Cambridge, MA: Harvard University Press.
(10) Bowler, K. (2013). Blessed: A history of the American prosperity gospel. Oxford: Oxford University Press.
(11) Gooren, H. (2010). Religious Conversion and Disaffiliation: Tracing Patterns of Change in Faith Practices. Palgrave Macmillan.
15:03 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, atlantisme, dispentionalisme, états-unis, religion, protextantisme, sionisme chrétien, théopolitique |
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Le 3 septembre, l’Occident s'est éteint - L’intuition d’Alexandre Douguine

Le 3 septembre, l’Occident s'est éteint
L’intuition d’Alexandre Douguine
Carlos Javier Blanco
Source: https://www.aporrea.org/ddhh/a344711.html
Il y a une intuition juste dans la pensée d’Alexandre Douguine: la Russie, bien qu’étant une partie essentielle de l’Europe, n’a pas d’autre choix que de se tourner vers l’Asie et de s’y unir.
Qui peut nier que la Russie fait partie de l’Europe ? Qui va réfuter que l’Europe ne serait rien, et n’aurait jamais été qu'un rien, sans la nation russe?
Je l’ai déjà souvent exprimé dans mes écrits, par exemple dans mon article «Les deux empires», écrit comme préface à l’œuvre classique de Walter Schubart L’Europe et l’Âme de l’Orient (Ed. esp.: Fides, Tarragone, 2019). À l’Ouest, l’Espagne a contenu les hordes afro-asiatiques qui prétendaient plonger l’Occident chrétien dans une œcumène exclusivement islamique. L’Espagne fut le rempart contre l’Islam durant plus de dix siècles (huit siècles de Reconquista et au moins deux siècles de surveillance en Méditerranée). Ce que fit le Royaume des Asturies-Léon à partir de 722 s’est élargi sur le plan géographique avec l’Empire des Habsbourg espagnols à l’époque moderne: rempart ou katechon face à l’essor atroce et irrésistible de l’hérésie protestante, prélude du libéralisme actuel, du nihilisme et du capitalisme, idéologies et formes matérielles de dissolution de la culture classique, catholique et humaniste. Et rempart contre le Turc.

Le katechon espagnol à l’Ouest était symétrique au katechon russe à l’Est. Ce qui, de Rome, passa à Oviedo, León, Madrid, soit un esprit impérial de résistance au Mal, fut analogue à l’esprit de Byzance (la seconde Rome) qui passa à Moscou. Cette substance spirituelle transmise fut celle d’un empire katechonique qui mit un frein aux hordes turques ou tatares et sauva également la culture classique, le christianisme (orthodoxe) et l’humanisme, en les adaptant aux peuples slaves et autres populations asiatiques voisines.

Frein, résistance et conservation combative (katechon) à l’Ouest comme à l’Est. Des empires, et non des impérialismes, qui freinèrent et firent naître des nations. Au milieu, l’Europe et la Méditerranée plongées dans la confusion, la déchirure nihiliste et la lutte fratricide pendant des siècles.
Il est significatif que cette Europe même, déchirée par le libéralisme, le capitalisme financier le plus atroce et le plus vorace, nihiliste et anti-traditionnel, n'ait jamais cessé de donner traîtreusement des coups de pied à la Russie, à la Grande Russie. Ses mystiques, romanciers, compositeurs, ses révolutionnaires, ses athlètes, ses scientifiques sont la chair et le sang de l’Europe. Imaginez-vous une Europe sans Tchaïkovski? Je ne dirai pas qu'elle serait une excroissance, mais ce serait une Europe pauvre et grise. Cette Europe envahie par des allogènes venus de partout trouve sa réserve humaine en Russie. Malheureusement, là-bas non plus, il ne naît plus beaucoup d’enfants.

Les nazis ukrainiens, tant appréciés par le bouffon Zelensky, aimés par l’OTAN et les Américains, n’ont été qu’un instrument conçu pour dresser tous les murs possibles entre l’Europe amputée (cette Europe d'eunuques, castrée parce que vivotant, en marge, sans la Russie), d'une part, et sa partie essentielle qu’est la Fédération de Russie et d’autres nations sœurs (l’Ukraine elle-même, la Biélorussie, et d’autres encore), d'autre part. Le sabotage du Nord Stream n’a pas été un simple «sabotage» mystérieux. Ce fut un acte imposé par l’hégémon américain, cherchant à s’assurer la domination coloniale de l’Europe, écartée de sa partie intégrale et essentielle, la Russie. Il fallait affamer (du point de vue énergétique) l’Europe, pour que la Russie se tourne vers la Chine et les autres puissances asiatiques de plus en plus lassées du comportement hooliganesque des puissances anglo-saxonnes.
La connexion énergétique russo-chinoise est d'une ampleur considérable et elle est désormais irréversible. La fringale de gaz et d’énergie de l’Europe sera chronique, et cette Europe humiliée sera dépendante d’un fournisseur cher, peu fiable, décadent et probablement non durable pour ses besoins futurs: elle sera dépendante des Américains. Plus que les nazis ukrainiens, rejetons des néonazis actuels d’Israël, d’Allemagne, de l’Anglosphère, etc., ce sont les Américains qui ont forcé la Russie à embrasser le géant chinois, à renforcer ses liens avec l’Inde, à regarder vers une Asie émergente, ne voyant à l’Ouest qu’une meute de chiens nains et dégénérés, de la taille d’une souris, excités par un maître américain qui, dans sa chute, n’a pas peur de détruire le concept qu’il a lui-meme inventé: «l’Occident».
Douguine a vu juste. Le philosophe russe n’est certes pas l’inventeur du concept d’« Eurasisme », mais il est, selon moi, celui qui l’a le mieux actualisé et qui l’a explicité de la façon la plus pédagogique qui soit. La Russie, bien qu’elle aurait dû être essentielle à l’Europe, doit se transcender elle-même et construire – de façon impériale – une réalité supérieure, l’Eurasie, c’est-à-dire un grand bloc continental destiné au sauvetage des idéaux classiques et traditionnels (valeur sacrée de la personne, respect des traditions plurielles des peuples, défense de la communauté, lutte contre le matérialisme et le nihilisme). Douguine sait que l’Europe (occidentale) n’est pas prête à participer à cette mission. Il y eut d’autres grands visionnaires d’une Eurasie : Thiriart, Faye… Peut-être pensaient-ils d’abord à une union des petits caniches européens, débarrassés du maître américain, et sauvés par le grand ours russe. Mais l’ours russe doit aussi penser à se sauver lui-même. Or la série ininterrompue de provocations subies par la nation russe semble ne jamais devoir finir.
Alors que j’écris ces lignes, en ce mois de septembre 2025, je le fais tout en étant stupéfait par les déclarations des dirigeants occidentaux appelant à la guerre, exigeant des sacrifices pour lancer un réarmement ambitieux, aboyant aux portes de leur grand voisin de l’Est. Il y a quelques heures à peine, une sorte d’état d’alerte a été déclenché suite à l’incident de prétendus drones russes tombés sur le sol polonais. De nouveau, la Pologne victimaire veut des ennuis, comme en 1939, demandant à être envahie. La Pologne agressive, en tant que tentacule des « James Bond » britanniques, entre de nouveau en action. Les citoyens européens n’apprennent jamais rien de l’Histoire. La Pologne victimaire, tout comme Israël est également victimaire, est un pays qui brandit ses lettres de créance de peuple malmené par les géants, de peuple malheureux, persécuté par les impérialistes, de peuple déguisé en enfant battu et victime d’abus intolérables. Européen: méfie-toi des victimaires ! Ils pleurent pour susciter ta pitié, mais n’hésiteront pas à te pousser dans l’abîme. La colombe polonaise est, derrière les apparences, un faucon anglo-saxon.

L’Europe, si elle continue à rester « l’Occident », tombera dans l’abîme. Être «l’Occident», c’est être le jouet des Anglo-Saxons, un jouet qu’une fois brisé ils jetteront. Et la catastrophe s’approche inexorablement. Le lien énergétique russo-chinois est dorénavant irréversible et ambitieux; le lien russo-germanique, lui, est brisé à jamais. Il aurait été de nature énergétique et, d’une manière générale, économique, mais il aurait représenté aussi le premier pas vers un rapprochement spirituel. C’était précisément l’idéal de Walter Schubart, une Europe «johannique» que la partie russophobe du nazisme a détruite.
Cette russophobie d’origine partiellement nazie et entièrement anglo-saxonne a crû de manière inattendue ces derniers temps. Toute personne sensée aurait supposé que des nations petites et détruites par la Seconde Guerre mondiale (dont l’Allemagne ou la Pologne, mais aussi toutes les autres) aspireraient à un monde de paix et de coexistence amicale entre les peuples. Depuis 1945, sous la loi de la Guerre froide, il avait toujours été politiquement correct de se montrer pacifiste. Les enfants des écoles de notre continent ont dessiné des millions de colombes blanches de la paix et chanté des rengaines de John Lennon pendant des décennies. Maintenant, les masques sont tombés: le petit nationaliste polonais et le petit nazi allemand, qui n’est jamais mort spirituellement, reprennent consistence, avec, à la clef, une russophobie de la pire espèce, déjà que celle des nationalismes suprémacistes, rancuniers et de clocher était mauvaise.

L’intuition de Douguine va se confirmer. L’Eurasie qui va se forger à partir du 3 septembre 2025 s’est déjà révélée au monde lors d’un grand défilé de l’armée chinoise et en entendant les paroles des dirigeants souverains qui évoquent avenir et civilisation, à l’opposé de Trump et d'Ursula, qui parlent de réarmement, de privations, de menaces et de douleur. Cette Eurasie va s’imposer, que cela nous plaise ou non. Les visionnaires occidentaux qui voulaient une Eurasie «de Lisbonne à Vladivostok» ne verront pas facilement leur rêve se réaliser, en y incluant les nations occidentales. L’Eurasie du 3 septembre 2025, celle de l’OCS et des BRICS en constante expansion, laissera hors de «la civilisation» ces chiens de rue pleins de puces (corruption, incompétence, arrogance, ignorance) qui aboient au nom de l’OTAN, de l’Union européenne et des «valeurs de l’Occident».
Chine, Russie, Inde (cette dernière a encore de nombreux comptes à régler) et d’autres puissances asiatiques en voie de «déconnexion» émancipatrice (comme le dirait plus ou moins Samir Amin) à l’égard des États-Unis, sont de grands États qui formeront l’Eurasie du 21ème siècle. Les petits chiens de l’Occident, capables de mordre la jambe de ceux qu’ils ont toujours désignés comme ennemis mais désormais incapables de créer une civilisation en phase avec les impératifs de notre temps, continuent à marcher vers cet abîme: «d’un pas ferme, le regard fixé devant soi».
Le drame n’a guère de remède. En Europe, il manque «le sujet émancipateur», c'est-à-dire le peuple. Le degré d’anomie, de nihilisme, d’atonie et de dépravation mentale (qui inclut la paresse) dans les nations occidentales est tel qu’à un niveau populaire, elles ont laissé leurs élites ploutocratiques jouer avec leur vie, leur patrie et leur avenir. À l’époque de ma jeunesse, des déclarations comme celles de Merz, Macron, Starmer, Ursula ou d’autres membres de cette bande criminelle, qu’auraient-elles signifié comme conséquence? Pour la moitié de ce que ces gens-là nous disent aujourd'hui, de leurs mensonges et leurs absurdités, les capitales de notre Europe auraient été, il y a des décennies, remplies de gens en colère, pancartes à la main, exigeant leur démission, la sortie immédiate de l’OTAN, ainsi que des demandes de condamnation pour crimes de guerre présumés. Il ne faut pas oublier qu’il existe une énorme responsabilité partagée avec la Russie dans la mort d’un million et demi d’Ukrainiens.
Il manque en Europe un peuple organisé, un peuple dans la rue qui commence à contester ces criminels « européistes » qui méritent de siéger sur le banc des accusés lors d’une seconde version du procès de Nuremberg. Il manque un peuple éduqué à l’histoire récente du continent. L’Europe a été détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, et la partie non libérée par les Soviétiques n’a eu d’autre choix que d’abandonner toute prétention à une véritable souveraineté, l’Union européenne (et ses institutions antérieures, comme la CEE) n’étant que de simples instruments au service des Américains et de la gouvernance néolibérale de pays dont les élites se sont, dès le départ, soumises aux diktats américains.
Les puissances européennes – toutes, sans exception – traînaient derrière elles une histoire tristement célèbre d’exploitation coloniale du «Tiers Monde». La décolonisation bâclée et criminelle qui a suivi la défaite collective de l’Europe en 1945 n’a fait que préparer la nouvelle colonisation – plus économique que gouvernementale – que les États-Unis préparaient. Il semblait que la torche de la Statue de la Liberté à New York allait éclairer le Sud global, libéré des génocidaires français, britanniques, néerlandais, etc.
Mais le « Tiers Monde » a très vite compris qu’ils n’avaient fait que changer de maîtres. Dès qu’un dirigeant ou une force politique nationaliste ou socialiste résistait aux diktats de Washington, il était rapidement éliminé par des assassinats, des enlèvements, des coups d’État, des insurrections, des invasions. La CIA, comme le MI6, le Mossad et tous les autres tueurs à gages des États occidentaux, ont proclamé depuis 1945 (si ce n’est avant) leurs «valeurs». Le Sud global sait maintenant très bien ce que signifie vraiment la «défense des valeurs occidentales».
L’Eurasie qu’a pressentie Douguine n’est plus celle de Thiriart ou de Faye, mais celle d’une communion spirituelle entre l’élément européen et l’élément asiatique, magnifiquement représentée par Russes et Chinois. Cette communauté spirituelle ne doit pas être négligée à l’avenir. Il ne s’agit pas seulement de commerce de gaz, de minerais rares, de ressources technologiques, ni seulement de coopération scientifique, militaire, etc. Tous ces aspects matériels sont fondamentaux, et ces liens matériels dont l’Europe occidentale est absente sont forts, de plus en plus forts. Mais Douguine n’oublie pas l’aspect métaphysique, sans lequel on ne construit ni civilisations ni empires. La Russie et la Chine furent des empires, en effet. Mais des empires civilisateurs, comme le fut l'empire hispanique. Il faut distinguer empire et impérialisme. Dans toute création humaine, il y a des erreurs et des boucheries, mais les deux empires qui ont subi tant d’humiliations et de morts ont le droit de se reconstruire, malgré leurs erreurs. Et c’est pourquoi, aujourd'hui, c’est l’heure de la Russie et de la Chine. Ces deux empires-nations-civilisations furent les vrais « gagnants » de la Seconde Guerre mondiale, furent les numéros un et deux sur la liste des peuples les plus massacrés: des millions de héros et de martyrs anéantis par l’impérialisme nazi-allemand et japonais. Peu après le silence des armes en 1945, le bruit de la mort se fit de nouveau entendre. Si le critère de Churchill, ce Hitler britannique qui restera à jamais une honte pour l’humanité, avait prévalu, la guerre mondiale n’aurait jamais pris fin, et la fragmentation et l’asservissement de la Russie et de la Chine auraient eu lieu. Le socialisme autoritaire et la ténacité héroïque de deux grands peuples les ont sauvés de toutes les machinations anglo-saxonnes.
Les peuples d’Europe se lèvent, très lentement, contre les élites atlantistes et soumises à l’anglosphère. Souvent, ils le font sous les habits et les modes dites de «l’extrême droite». Mettez-y l’étiquette que vous voulez: populistes, eurosceptiques, xénophobes. Dans mon pays, l’Espagne, une partie importante de ce qu’il reste de la «gauche» fait carrière universitaire ou obtient une ridicule projection sociale en «faisant le chasse aux fascistes». Ces livres aux titres et contenus aussi absurdes que « L’extrême droite 2.0 » ou « Les nouvelles outres du nationalisme » vont dans le même sens que l’antifascisme proclamé, vulgaire stratégie « anti » de la gauche libérale de Soros. Tandis que la gauche a trahi, en grande partie, le marxisme, les peuples et les travailleurs, se mettant entre les mains de gens sinistres comme Soros, Biden et, en général, les grands fonds d’investissement mortifères, leurs pions cherchent des fascistes avec un zèle inquisitorial digne de meilleures causes. Ils n’ont pas compris le changement d’époque.

Le véritable monde socialiste, la véritable patrie des travailleurs unis, n’est possible que dans le cadre d’un grand bloc continental fortement armé (avec les armes dissuasives du plus haut niveau), doté d’énormes ressources énergétiques, humaines et technologiques. Une masse de plusieurs millions d’hommes et de kilomètres carrés. Les sottises distillées depuis mai 68 puent les machinations de la CIA de tous leurs pores, il suffit de lire un peu en dehors des pages atlantistes qui se prétendent « progressistes ». Cette masse continentale et humaine nommée Eurasie peut domestiquer et vaincre le pire bâtard du néolibéralisme, à savoir le néolibéralisme de marque et de poigne « occidentale », le néolibéralisme anglo-saxon. La cause socialiste est la cause de ce Sud global armé de fortes armées défensives, d’ouvriers et de paysans bien formés et de ressources matérielles suffisantes pour créer un nouvel ordre mondial. L’Occident, avec ses « brokers » et ses « antifascistes » (les deux faces d’un Janus), ne possède rien de tout cela. L’Occident, depuis ce 3 septembre, est mort et plus que mort.
12:47 Publié dans Actualité, Eurasisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, eurasisme, eurasie, alexandre douguine |
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