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jeudi, 02 septembre 2021

Les États-Unis ont un plan pour la suite des événements en Afghanistan mais ce n’est pas un plan de paix

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Les États-Unis ont un plan pour la suite des événements en Afghanistan mais ce n’est pas un plan de paix

Par Moon of Alabama

Je veux faire savoir aujourd'hui que le travail de l'Amérique en Afghanistan se poursuit. Nous avons un plan pour la suite, et nous le mettons en œuvre.

Le nom de code du plan que le secrétaire Blinken est en train de mettre en œuvre n’a pas été communiqué officiellement. Il sera probablement appelé « Eternal Revenge » ou quelque chose dans le genre.

Les États-Unis n’ont jamais été bon perdant. Le président Biden et Blinken non plus. Ils vont se venger du tollé que leur évacuation chaotique des troupes et des civils d’Afghanistan a provoqué. Les talibans en seront tenus pour responsables, alors même qu’ils avaient, à la demande des États-Unis, escorté des groupes de citoyens américains jusqu’aux portes de l’aéroport de Kaboul.

On peut anticiper ce que leur plan implique en examinant le processus qui a conduit à la résolution d’hier du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’Afghanistan. La résolution complète n’a pas encore été publiée, mais le rapport de l’ONU en donne l’essentiel :

Le Conseil de sécurité exhorte les talibans à assurer un passage sûr hors d'Afghanistan.

Treize des 15 ambassadeurs ont voté en faveur de la résolution, qui exige 
en outre que l'Afghanistan ne soit pas utilisé comme refuge pour le terrorisme. Les membres permanents, la Chine et la Russie, se sont abstenus.

Comme la résolution ne fait que « demander instamment », elle est évidemment minimale et non contraignante. Ce n’est pas ce que les États-Unis voulaient obtenir. Ils en voulaient une beaucoup plus forte, assortie de sanctions possibles (voir « tenir les talibans responsables » ci-dessous) si les talibans ne la respectaient pas.

Avant la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, la France et la Grande-Bretagne avaient proposé de créer une « zone de sécurité » à Kaboul. Cette demande a été silencieusement abandonnée, probablement en raison des préoccupations de la Chine et de la Russie concernant la souveraineté de l’Afghanistan.

Le 29 août, Blinken s’était entretenu avec le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, au sujet d’une résolution contraignante. Le compte rendu du département d’État sur cet appel a été minimal :

Le secrétaire d'État Antony J. Blinken s'est entretenu aujourd'hui avec le 
conseiller d'État et ministre des Affaires étrangères de la RPC, Wang Yi,
de l'importance pour la communauté internationale de tenir les talibans
responsables des engagements publics qu'ils ont pris concernant le passage

en toute sécurité et la liberté de voyager des Afghans et des ressortissants
étrangers.

Le compte rendu de la Chine révèle que les sujets de discussion ont été beaucoup plus nombreux que cela :

Selon Wang, la situation en Afghanistan a subi des changements fondamentaux, et 
il est nécessaire que toutes les parties prennent contact avec les talibans et
les guident activement. Les États-Unis, en particulier, doivent collaborer avec la communauté
internationale pour fournir à l'Afghanistan l'aide économique, l'aide à
la subsistance et l'aide humanitaire dont le pays a besoin de toute urgence,
aider la nouvelle structure politique afghane à assurer le fonctionnement
normal des institutions gouvernementales, maintenir la sécurité et la
stabilité sociales, freiner la dépréciation de la monnaie et l'inflation,
et s'engager rapidement sur la voie de la reconstruction pacifique, a-t-il
ajouté.

Les États-Unis ont bloqué les réserves de la Banque centrale d’Afghanistan, ont arrêté tout paiement budgétisé à l’Afghanistan et ont ordonné au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale de bloquer leurs programmes pour l’Afghanistan.

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Cela paralysera toutes les fonctions de l’État afghan. La Banque mondiale est par exemple actuellement chargée de payer les enseignants et le personnel médical afghans. L’Afghanistan connaît une sécheresse et devra importer de grandes quantités de nourriture. Avec ses avoirs étrangers bloqués, il n’a aucun moyen de le faire.

La Chine est clairement consciente que l’Afghanistan connaîtra une catastrophe humanitaire si les États-Unis poursuivent leur blocus économique.

Il y a aussi le danger du terrorisme auquel les États-Unis n’ont pas su faire face :

Wang a exhorté les États-Unis, sur la base du respect de la souveraineté et de 
l'indépendance de l'Afghanistan, à prendre des mesures concrètes pour aider
l'Afghanistan à lutter contre le terrorisme et la violence, au lieu de pratiquer
la politique du deux poids deux mesures ou de combattre le terrorisme de manière
sélective. La partie américaine connaît clairement les causes de la situation chaotique
actuelle en Afghanistan, a noté Wang, ajoutant que toute action à entreprendre
par le CSNU devrait contribuer à apaiser les tensions au lieu de les intensifier,
et contribuer à une transition en douceur de la situation en Afghanistan plutôt
qu'à un retour à la tourmente.

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La Chine est particulièrement préoccupée par le « Mouvement islamique du Turkestan oriental » (MITO) basé dans l’est de l’Afghanistan, que l’administration Trump avait retiré l’année dernière de sa liste de terroristes, alors que l’organisation continue de cibler la Chine. L’administration Biden n’a fait aucune tentative pour renouveler la désignation terroriste du MITO.

La Russie a les mêmes préoccupations, comme l’a expliqué son représentant permanent, Vassily Nebenzia, après s’être abstenu de voter la résolution :

Nous avons dû le faire parce que les auteurs du projet avaient ignoré nos 
préoccupations de principe. Tout d'abord, en dépit du fait que le projet de résolution a été proposé dans
le contexte d'une attaque terroriste odieuse, les auteurs ont refusé de mentionner
État Islamique et le "Mouvement islamique du Turkestan oriental", des organisations
qui sont internationalement reconnues comme terroristes, dans le paragraphe sur
le contre-terrorisme. Nous interprétons cela comme une réticence à reconnaître
l'évidence et une tendance à diviser les terroristes entre "les nôtres" et
"les leurs". Les tentatives de minimiser les menaces émanant de ces groupes
sont inacceptables. Deuxièmement, au cours des négociations, nous avons souligné le caractère inacceptable
et les effets négatifs de l'évacuation du personnel afghan hautement qualifié pour
la situation socio-économique du pays. S'il subit une "fuite des cerveaux", le
pays ne sera pas en mesure d'atteindre les objectifs de développement durable.
Ces éléments qui sont vitaux pour le peuple afghan n'ont pas été reflétés dans
le texte de la résolution. Troisièmement, les auteurs n'ont pas tenu compte de notre proposition d'indiquer
dans le document les effets négatifs du gel des avoirs financiers afghans sur
la situation économique et humanitaire du pays, et de mentionner le fait que
l'aide humanitaire à l'Afghanistan doit impérativement respecter les principes
directeurs de l'ONU, stipulés dans la résolution 46/182 de l'AGNU.

La première préoccupation mentionnée par Nebenzia reconnait les préoccupations chinoises. La deuxième est basée sur une préoccupation que les talibans avaient soulevée lorsqu’ils ont refusé de prolonger l’évacuation par les États-Unis de la population afghane éduquée. La troisième est la plus importante.

La Russie avait proposé de lever le blocage des avoirs afghans. Les États-Unis ont rejeté cette proposition. Il est donc évident que les États-Unis ont l’intention de les maintenir en place. Ils s’en serviront pour formuler des exigences que les talibans seront incapables de satisfaire.

Dans le même temps, les États-Unis utiliseront les membres de l’ISPK (ISIS-K) et de l’« Alliance du Nord » en Afghanistan pour poursuivre la guerre et rendre impossible toute tentative de gouverner l’Afghanistan de manière fructueuse.

Ils accuseront ensuite les talibans des mauvais résultats.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

La CIA utilise ISIS-K pour garder un pied en Afghanistan

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La CIA utilise ISIS-K pour garder un pied en Afghanistan

Par Moon of Alabama

Il y a une autre histoire derrière les récents événements terroristes en Afghanistan. Nous allons tenter de la retracer.

Au fil des ans, plusieurs rapports publiés par le Réseau d’Analystes Afghans (AAN) concernant État islamique dans la province du Khorasan (ISKP ou ISIS-K) montrent que ce groupe est composés de militants venant de groupes pakistanais. Un rapport de 2016 décrit en détail comment ils ont été encouragés par l’État afghan :

Les combattants de État Islamique qui ont créé la filiale Khorasan étaient des 
militants pakistanais installés depuis longtemps dans les districts du sud-est
de Nangarhar, dans les montagnes de Spin Ghar ou ses contreforts, de l’autre
côté de la frontière où vivaient les groupes tribaux, du côté pakistanais de
la ligne Durand. Avant de choisir de rejoindre ISKP, ces militants opéraient sous différentes
marques, principalement sous l'égide du Tehrik-e Taleban Pakistan (TTP).
Depuis 2010, la plupart de ces militants arrivent à Nangarhar, principalement
en provenance de groupes tribaux d'Orakzai, du Nord-Waziristan et de Khyber.

Le Pakistan affirme que TTP est soutenu par le RAW, les services secrets indiens. Ils pourraient également avoir contribué à financer une autre filiale, ISKP.

Dans l'espoir de les utiliser contre le Pakistan, le gouvernement afghan a commencé 
à courtiser certains de ces combattants, selon certains anciens vivant dans les
tribus qui participent à l'établissement des relations et qui ont abrité les
militants invités. ... Toutefois, les efforts déployés par les services de renseignements afghans,
la Direction nationale de la sécurité (NDS), pour courtiser les militants
pakistanais dans le Nangarhar ne se sont pas limités au Lashkar-e Islam ou

aux militants de Khyber. Des anciens des tribus et des habitants d'Achin,
Nazian et Kot témoignent que des combattants des filiales d'Orakzai et de
Mohmand, appartenant à différentes factions du TTP, ont été autorisés à
circuler librement dans la province et à se faire soigner dans les hôpitaux
publics. Lorsqu'ils se déplaçaient en dehors de leur centre dans les districts
du sud de Nangarhar, ils n'étaient pas armés. Lors de conversations confidentielles avec l'AAN, des représentants du gouvernement
ont confirmé ce type de relations entre des militants pakistanais et la NDS,
comme en ont les anciens des tribus et les politiciens pro-gouvernementaux de
Jalalabad. Ils ont décrit cet état de fait comme une réaction de représailles

à petite échelle au soutien institutionnalisé, plus large et de plus longue portée,
apporté par le Pakistan aux talibans afghans dans leur lutte contre le gouvernement
afghan.

Le NDS de l’État afghan était une agence proxy de la CIA. Au milieu des années 1990, le chef des services de renseignement de l’Alliance du Nord, Amrullah Saleh, a été formé par la CIA aux États-Unis. Après que les États-Unis ont renversé le gouvernement taliban, Saleh est devenu le chef de la NDS. La NDS entretenait également des relations étroites avec les services secrets indiens.

Alors que les États-Unis prétendaient combattre État islamique en Irak et en Syrie (ISIS), des rapports concordants émanant de diverses parties affirmaient que des membres du noyau dur d’ISIS avaient été extraits d’Irak et de Syrie par des hélicoptères américains banalisés et transférés à Nangarhar où ils ont renforcé les militants de l’ISKP.

Hadi Nasrallah @HadiNasrallah - 1:18 UTC – 28 Aout 2021

En 2017 et 2020, la chaîne syrienne SANA rapportait que des hélicoptères américains 
avaient transporté entre 40 et 75 militants ISIS de Hasakah, dans le nord de la
Syrie, vers une "zone inconnue". La même chose a été signalée pendant des années
en Irak par l'UMP, ainsi que des rapports selon lesquels des hélicoptères américains
ont largué de l'aide à ISIS.

Comme le résume Alex Rubinstein :

La liste des gouvernements, des anciens responsables gouvernementaux et des 
organisations de la région qui ont accusé les États-Unis de soutenir l'ISIS-K
est longue et comprend le gouvernement russe, le gouvernement iranien, les médias
du gouvernement syrien, le Hezbollah, un groupe militaire irakien soutenu par
l'État et même l'ancien président afghan Hamid Karzai, qui a qualifié le groupe
d'"outil" des États-Unis ...

Comme en Irak et en Syrie, l’utilisation par la CIA d’islamistes ultra-militants a entraîné un retour de bâton, les militants attaquant de plus en plus l’État afghan. L’armée américaine a finalement jugé nécessaire d’intervenir contre eux. Mais la lutte sur le terrain a surtout été menée par les talibans, qui ont reçu à cette fin le soutien direct de l’armée de l’air américaine.

Les opérations des talibans ont été couronnées de succès et la propagation d’ISKP dans l’est de l’Afghanistan a été bloquée. Au lieu de s’emparer ouvertement de nouvelles zones, l’ISKP a alors eu recours à des attentats-suicides sensationnels contre des cibles vulnérables à Kaboul. En mai 2021, par exemple, une voiture piégée placée devant une école de filles hazara à Kaboul a tué plus de 90 personnes, dont la plupart étaient des enfants.

La CIA et la NDS disposaient aussi de militants qui luttaient contre les talibans. Ils avaient développé et construit des forces spéciales organisées en plusieurs bataillons (NDS-01 à -04 et la Khost Protection Force (KPF)). Ces escadrons de la mort contrôlés par la CIA disposaient de leur propre soutien par hélicoptère :

Depuis 2018, la CIA est engagée dans un programme visant à tuer ou capturer des chefs 
militants, nom de code ANSOF, précédemment Omega. Les effectifs de la CIA sont
complétés par du personnel provenant du Commandement des opérations spéciales
de l'armée américaine. Mi-2019, l'ONG Human Rights Watch déclarait que "les forces de frappe afghanes
soutenues par la CIA"
ont commis "de graves abus, certains équivalant à des crimes
de guerre"
depuis fin 2017.

Le rapport 2019 de HRW note :

Ces forces d'attaque ont tué illégalement des civils lors de raids nocturnes, 
fait disparaître de force des détenus et attaqué des établissements de santé
pour avoir prétendument soigné des combattants insurgés. Les victimes civiles
de ces raids et opérations aériennes ont augmenté de façon spectaculaire au
cours des deux dernières années.

Après la prise de Kaboul par les talibans, il est devenu évident que la CIA allait devoir mettre un terme à son programme de « lutte contre le terrorisme » et qu’elle perdrait le contrôle d’une grande partie de son activité (de drogue) en Afghanistan.

Alors que Kaboul tombait, au moins une de ses unités afghanes, soit quelque 600 soldats, a reçu l’ordre d’aider à garder l’aéroport de Kaboul.

NDS 01 Unit @NDS_Afghanistan - 11:50 UTC - Aug 17, 2021

Nous viendrons

Nous servirons aussi nos compatriotes.

#انشاء_الله #Kabul #ANDSF

Les forces afghanes de la CIA se sont chargées de garder les portes et les tours :

Les Américains ont fait appel à plusieurs centaines de commandos de la Direction 
nationale de la sécurité de l'ancien gouvernement afghan pour limiter l'accès
à certaines portes de l'aéroport, afin d'empêcher la foule de submerger l'aéroport. ... Les commandos de l'ancien NDS devraient être parmi les derniers à quitter le pays
lors de l'évacuation, servant d'arrière-garde avant d'être évacués par avion, selon
des responsables américains et afghans.

Certains membres de cette unité à la gâchette facile ont eu un incident de tir ami avec des soldats allemands. Les troupes afghanes de la CIA présentes à l’aéroport vont être évacuées. D’autres unités, dont les KPF, se rendraient dans la vallée du Panjshir, où une nouvelle « Alliance du Nord », dirigée par Amrullah Saleh et Ahmad Massoud, est censée se constituer. Les talibans tentent de les traquer.

Jeudi, un kamikaze a attaqué une porte de l’aéroport de Kaboul où de nombreuses personnes attendaient d’être évacuées. État Islamique en a revendiqué la responsabilité :

L'attentat suicide de jeudi à Kaboul et la panique qui a suivi ont tué plus de 150 
civils (dont une trentaine de Britanno-afghans), 28 combattants talibans et 13
soldats américains. Avant l'attentat, un porte-parole des talibans avait déclaré à RT qu'ils avaient
averti les États-Unis de l'imminence d'une attaque par ISPK.

Il est difficile de comprendre pourquoi les États-Unis, après avoir été avertis, n’ont pas pris davantage de précautions contre une telle attaque.

La plupart des victimes de l’attaque n’ont pas été causées par le kamikaze mais par les gardes postés sur le mur et dans les tours de garde entourant l’aéroport.  « La plupart des victimes » avaient des blessures par balle sur le haut du corps et les balles venaient d’en haut. Cela a maintenant été confirmé par de multiples sources :

Sangar | سنګر پیکار @paykhar - 13:02 PM – 28 Aout 2021

"La plupart des victimes de l'explosion de l'#KabulAirport n'ont pas été tuées 
par l'explosion mais par les balles tirées sur elles par les Américains"
. Faisal, de la chaîne Kabul Lovers, a interviewé des travailleurs humanitaires

à l'hôpital d'urgence de #Kaboul et voici ce qu'ils ont à dire : video

Les médias américains tentent d’ignorer ces rapports. Ce n’est qu’au plus profond d’un long article du New York Times que l’on trouve ces lignes :

Pour la première fois, des responsables du Pentagone ont reconnu publiquement 
la possibilité que certaines personnes tuées à l'extérieur de l'aéroport jeudi
aient pu être abattues par des membres des services américains après
l'attentat suicide. Les enquêteurs cherchent à savoir si les tirs provenaient des Américains postés
à la porte d'embarquement ou de État Islamique.

Ce ne sont ni les Américains à la porte ni État Islamique, mais très probablement les escadrons de la mort afghans de la CIA postés dans les tours de garde qui ont causé le massacre.

L’analyse de l’attaque par le Washington Post est tout aussi trompeuse :

Plusieurs hommes armés ont ensuite ouvert le feu sur les civils et les forces 
militaires. Une filiale locale de État Islamique a revendiqué la responsabilité
de l'attaque.

Deux jours après l’attaque la CIA, CNN, a publié une interview de Clarissa Ward avec un commandant présumé d’ISKP, qui aurait été enregistrée il y a deux semaines dans un hôtel de Kaboul. La raison pour laquelle CNN a flouté le visage de l’homme n’est pas expliquée.

Comme RT le titre de façon moqueuse :

« La CIA tweete une interview de la CIA par la CIA » : Les téléspectateurs réagissent à l’interview de CNN avec le commandant d’ISIS-K, qui a été soudainement diffusée et qui est « sinistrement prophétique ».

Un jour après l’attaque de l’aéroport, la CIA a également tué un « planificateur » présumé d’ISKP à Jalalabad qui n’avait rien à voir avec l’attaque de l’aéroport.

Dion Nissenbaum @DionNissenbaum - 10:43 UTC – 29 Aout 2021

Une vidéo exclusive du @WSJ montre les conséquences d'une attaque de drone 
américain, qui a utilisé un missile "Flying Ginsu", contre État Islamique en
Afghanistan. Le Pentagone affirme qu'il n'y a pas eu de victimes civiles. Un
témoin oculaire affirme qu'une femme figure parmi quatre blessés. Une vidéo exclusive montre les conséquences d'une attaque de drone américaine
en Afghanistan.

Dire qu’il s’agirait d’un missile « Flying Ginsu », qui ne contient pas d’explosifs, est incompatible avec les importants dégâts causés par des éclats d’obus, que l’on peut voir dans la vidéo ci-dessus.

Passons maintenant aux choses importantes.

Si ISKP est, comme indiqué ci-dessus, un produit de la CIA/NDS et si les gardes de l’aéroport qui ont tué la « plupart des victimes » de l’attaque sont des forces spéciales afghanes dirigées par la CIA, tout cela pourquoi faire   ?

Nous trouverons peut-être la réponse dans un autre article du New York Times intitulé :

Au milieu du chaos afghan, une mission de la CIA qui persistera pendant des années

Alors que la guerre d'Afghanistan touche à sa fin, la CIA s'attend à ce que 
son objectif principal s'éloigne progressivement du contre-terrorisme - une
mission qui avait, en deux décennies, transformé l'agence en une organisation
paramilitaire axée sur les chasses à l'homme et les meurtres - pour revenir à
un espionnage traditionnel orienté vers des puissances comme la Chine et la Russie. Mais les deux explosions mortelles de jeudi sont les dernières d'une rapide
série d'événements qui se déroulent depuis l'effondrement du gouvernement
afghan et la prise de contrôle du pays par les talibans et qui bouleversent
ce plan. Tel un trou noir ayant sa propre attraction gravitationnelle,
l'Afghanistan pourrait coincer la CIA dans une mission complexe de
contre-terrorisme pour les années à venir.

La pauvre CIA, replongée dans une coûteuse mission de « contre-terrorisme » en Afghanistan et ailleurs, qui était censée prendre fin alors que… eh bien, alors qu’un groupe terroriste créé par la CIA envoie un kamikaze à l’aéroport de Kaboul et que les forces afghanes dirigées par la CIA abattent une foule de réfugiés.

On pourrait aussi considérer cela comme la revanche de l’État profond contre l’ordre du président Biden de se retirer d’Afghanistan.

C’est ce même État profond qui nous a valu quatre années de « Russiagate », lorsqu’un autre président était également enclin à rappeler les troupes américaines à la maison et à limiter ainsi les champs d’opération de la CIA.

Pour que leur point de vue soit parfaitement clair, les auteurs de la CIA s’exprimant dans le NYT émettent, dans leur dernier paragraphe, cette menace pas vague du tout :

Toute attaque terroriste en provenance d'Afghanistan exposerait M. Biden à 
des critiques féroces de la part de ses adversaires politiques, qui lui
reprocheraient d'avoir pris la décision de retirer les troupes américaines
du pays - un autre facteur susceptible d'entraîner une pression intense de
la Maison-Blanche sur les agences d'espionnage pour qu'elles se concentrent
sur l'Afghanistan.

La pression de la Maison-Blanche sur les agences d’espionnage ? Non, plutôt la pression exercée par la CIA sur la Maison-Blanche pour qu’elle puisse continuer ses petites affaires en Afghanistan.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

lundi, 30 août 2021

Qu'est-ce qu'Isis-K, le cauchemar des talibans qui a frappé à Kaboul ?

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Qu'est-ce qu'Isis-K, le cauchemar des talibans qui a frappé à Kaboul ?

Francesca Salvatore

Ex: https://it.insideover.com/terrorismo/cosa-e-isis-k-talebani-stato-islamico-khorasan.html

La peur était dans l'air depuis plusieurs jours et, ces dernières heures, les hypothèses d'une attaque imminente ont été reprises dans les médias et dans les rapports de 007. Alors que l'on tente de comprendre l'entité et la matrice des attentats qui ont ensanglanté Kaboul ces dernières heures, Isis, suspect numéro un des massacres, est une fois de plus le cauchemar de l'Occident mais aussi des talibans. Et c'est précisément cette formation qui risque de transformer le pays en une bombe à retardement, bien plus que les talibans, contribuant à la déstabilisation de toute la région. Presque tous les voisins de l'Afghanistan - la Chine, le Pakistan, l'Iran - ont des appréhensions à cet égard: pour l'Asie, bien mieux que les Talibans, au contraire, avec lesquels toutes ces puissances ont déjà une expérience de coopération.

Qu'est-ce que Isis-K?

Concrètement, la cellule tant redoutée est celle dite Isis-K, la branche afghane de l'État islamique, selon les services de renseignement américains, soupçonnée de préparer depuis un certain temps une attaque visant à frapper l'OTAN et les Afghans en fuite. Le groupe a déjà revendiqué l'acte: des massacres vraisemblablement coordonnés par le leader actuel Shahab al Mujair, un ancien Qaediste nommé au poste suprême en avril 2020.

La variante afghane d'Isis a une genèse relativement récente et a rassemblé des adeptes au cours des cinq dernières années, se rendant responsable des principales attaques contre la capitale, "disputant" aux Talibans le record des attaques contre des cibles militaires et civiles. Cette division découle des rivalités internes au pays, fondées sur les divergences avec les Pachtounes, coupables de marchandage avec la CIA et l'Occident tout entier. La naissance du groupe a eu lieu dans la province de Khorasan, à la frontière avec le Pakistan, où de nombreux commandants qui avaient échappé aux forces talibanes ont décidé d'embrasser le drapeau noir. Cependant, ce même groupe a également vu ses combattants rejoindre les talibans afghans. Contrairement aux talibans, Isis-K avait clairement exprimé son intention de lancer des attaques contre les puissances occidentales et l'ONU, au-delà des retraits militaires et de leurs échéances. Isis-K se targuait d'environ 800 combattants en octobre 2018 et atteignait un pic de taille en 2016 avec jusqu'à 4000 membres militants, destinés, peut-être, à augmenter.

Où le mouvement était-il pendant toutes ces années ?

Au cours de ses premières années d'existence, le groupe s'est emparé de quelques districts dans l'est de l'Afghanistan et a progressivement étendu sa présence dans le nord. Cependant, sa progression a été rapidement freinée par les forces de sécurité afghanes et les talibans. Bien qu'elle ait été empêchée d'atteindre une certaine puissance de feu, d'envahir des villes et des quartiers, sa capacité à mener des opérations de sabotage et des attaques complexes telles que des attentats-suicides, des explosions de grosses bombes et des assassinats ciblés est restée intacte.

En 2016, Isis-K a mené six attaques à Kaboul, puis 18 en 2017 et 24 en 2018. Plus d'un millier de civils ont été tués dans des dizaines d'attaques, dont certaines très récentes et exemplaires par leur exécution et leur ciblage: 55 morts dans l'attaque d'une école de filles à Kaboul le 8 mai, 12 morts dans l'attaque d'une mosquée à Shakar Darah dans la province de la capitale le 16 mai, 20 morts à l'université de Kaboul en novembre 2020, 29 morts dans le raid sur une prison à Jalalabad.

Entre-temps, ses miliciens se sont également consacrés à la propagande, appelant à de nouvelles attaques en Occident à l'occasion de massacres comme celui d'Orlando ou d'épisodes isolés de terrorisme islamique qui ont touché l'Europe.

Quelques points faibles

Pour le moment, les forces dont dispose Isis-K sont nettement inférieures aux forces financières, militaires et politiques des Talibans. Par exemple, elle ne dispose pas d'un véritable sanctuaire: mis en déroute à la hâte dans la province du Helmand, les miliciens sont restés enracinés dans celle du Nangarhar, qui s'étend dans une zone grise de trafics et d'intrigues où domine l'Isi, les services secrets pakistanais.

Le groupe a également perdu ses dirigeants les uns après les autres dans des attaques de drones, des bombardements et des opérations terrestres. Ce que l'on craint aujourd'hui, en revanche, ce sont deux phénomènes concomitants possibles: le pouvoir de fascination de l'État islamique sur les jeunes étudiants islamistes et d'éventuelles défections de commandants talibans si cette cellule devait grossir à l'excès; cette seconde hypothèse semble toutefois la moins probable des deux au vu de l'image solide que le groupe exécutif taliban donne de lui-même ces dernières semaines.

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Deux courants différents de l'Islam

La veine islamiste de cette cellule apparaît résolument plus radicale que ce que nous connaissons de l'État islamique et, dans le même temps, nettement plus puriste que les talibans eux-mêmes. Les deux groupes se sont affrontés sur de nombreuses autres questions, notamment le trafic de drogue, qui sert à financer en partie le militantisme. Par exemple, Isis-K estime que la culture du pavot à opium n'est pas respectueuse de la foi islamique, une activité approuvée par les Talibans. La société afghane appartient principalement à l'école de pensée islamique hanafite, qui est compatible avec l'islam des talibans. La branche K de l'État islamique, quant à elle, suit une interprétation salafiste stricte de l'islam. De nombreux rituels islamiques, qui ont presque pris la forme de coutumes et de traditions pachtounes, autorisés par les hanafites, sont considérés comme non islamiques et hérétiques par les salafistes.

Ergo, pour ses miliciens la guerre permanente et la charia sont le verbe.

Ce à quoi il faut s'attendre

Pour l'heure, les sources de renseignement semblent donner les forces d'Isis-K en approche de Kaboul, faisant craindre de nouvelles attaques dans les prochaines heures. Dans ces phases délicates, cette menace risque de jeter de l'huile sur le feu afghan, rendant plus complexe la sortie des forces occidentales mais, en même temps, l'installation des Talibans. Le risque est que le pays se transforme en une bataille à mort entre les deux différentes déclinaisons islamistes, avec de graves dommages pour les civils. Si ces forces venaient à grossir leurs rangs et à gagner des avant-postes, leur progression - paradoxalement - pourrait être beaucoup plus dangereuse pour l'Afghanistan que la reconquête des talibans.

La vallée de Panjsher - le talon d'Achille des Talibans ?

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La vallée de Panjsher - le talon d'Achille des Talibans?

Amalendu Misra

Pendant très longtemps, les habitants de la vallée ont été connus comme des insurgés indomptables. Une fois encore, un mouvement de résistance s'y dessine.

La vallée de Panjsher et ses habitants ont une réputation particulière. Située à environ 90 miles de Kaboul, dans la région du centre-nord de l'Afghanistan, la vallée est une sorte d'aberration. Elle abrite la plus grande population ethnique tadjike du pays, soit quelque 100.000 habitants dans la vallée, habitants que l'on appelle les "perdants persistants".

Pendant très longtemps, les habitants de la vallée ont été connus comme des insurgés indomptables. Il est certain que, pendant près de 50 ans, de tous les districts et provinces d'Afghanistan, cette région particulière a défié avec succès tous les malfaiteurs, tant internes qu'externes, dans sa quête pour préserver la liberté et l'autonomie de l'Afghanistan. La vallée de Panjsher est le centre indomptable de la guérilla afghane depuis des décennies. Si l'Afghanistan est le cimetière des empires, la vallée de Panjsher est le cœur de ce cimetière.

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Lorsque les chars soviétiques ont envahi l'Afghanistan en 1979, les habitants de la vallée, menés par le légendaire commandant de la guérilla Ahmad Shah Masood, les ont fait disparaître dans le sang. Le même Masood s'est opposé aux milices rivales qui se sont opposées à la formation d'un gouvernement central après le départ des Soviétiques en 1989. Il mènera à nouveau son peuple contre les redoutables talibans (interdits dans la Fédération de Russie) avant d'être assassiné par Al-Qaida (également interdit dans la Fédération de Russie) le 9 septembre 2001.

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Nous devons tourner notre attention vers cette vallée de Panjsher, invincible et libre d'esprit, et vers ses habitants, comme une alternative possible à la crise actuelle en Afghanistan. En parlant de l'expansion du contrôle des talibans sur l'Afghanistan, nous avons tendance à oublier que de tous les districts et provinces du pays, c'est la vallée de Panjsher qui les a défiés. Fidèle à sa réputation, ses habitants se distinguent et sont plus invaincus que jamais. Il n'est pas surprenant que cette région attire maintenant rapidement un mouvement de résurgence contre les talibans. Mais la vallée peut-elle à nouveau s'élever contre le pouvoir des talibans et faire honneur à son ancienne gloire de vainqueur de la tyrannie?

Une horreur pour les Talibans

De nombreux itinéraires ont été empruntés par d'anciens dirigeants du gouvernement afghan soutenu par les États-Unis qui tentaient de fuir le pays. Certains ont fui l'Afghanistan, d'autres ont pris le maquis, d'autres encore se sont retirés dans la vallée du Panjsher. Le vice-président Amrullah Saleh en a fait son refuge et sa base. Ancien disciple du Lion du Panjsher, Ahmad Shah Masood, Saleh prétend maintenant ostensiblement être le président intérimaire légitime en vertu de la constitution afghane après la fuite d'Ashraf Ghani. Réfugié dans la vallée, il parle aussi de former une résistance unie contre les talibans. Mais la vallée et ses habitants peuvent-ils se montrer à la hauteur de leur réputation et redevenir des catalyseurs de la future défaite des talibans ?

Si l'on en croit les rapports des médias sociaux, il semble que diverses figures de l'opposition se rassemblent lentement mais sûrement dans la vallée. Parmi eux, l'ancien ministre de la défense, le général Bismillah Mohammadi, figure en bonne place. On y retrouve également Ahmad Masood, le fils déterminé et provocateur d'Ahmad Shah Masood, qui lui ressemble étrangement.

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Depuis ce foyer de résistance, Saleh et Ahmad Masood appellent à des représailles contre les talibans. Pour sa part, M. Saleh a déclaré sur Twitter: "Je ne me prosternerai jamais, jamais et en aucun cas devant les terroristes talibans. Je ne trahirai jamais l'âme et l'héritage de mon héros Ahmad Shah Masood, seigneur de guerre, légende et mentor. Je ne décevrai jamais les millions de personnes qui m'ont écouté. Je ne serai jamais sous le même toit que les Talibans. JAMAIS."

C'est également ce qu'a indiqué très clairement Ahmed Masood dans un récent article du Washington Post: "Quoi qu'il arrive, mes combattants moudjahidines et moi-même défendrons le Panjsher comme le dernier bastion de la liberté afghane. Notre moral n'a pas souffert. Nous savons par expérience ce qui nous attend. Saleh et Masood espèrent que leur allégeance jurée et leur lien de sang avec le héros le plus célèbre de l'histoire récente de l'Afghanistan inciteront la population à former des unités de résistance. Reconnaissant que le terrain de la vallée est idéal pour une guerre défensive dans les montagnes, et bien sûr, sentant son aura légendaire de défi, des milliers d'anciens soldats afghans se sont également retirés dans la vallée.

Pendant qu'ils se regroupent et planifient leur stratégie, les principaux défis auxquels sont confrontés ces adversaires talibans sont le soutien militaire, économique et logistique indispensable pour mener à bien une telle mission. Malgré toute sa beauté, la vallée est enclavée et difficile d'accès. Si la résistance se tourne vers les talibans, elle aura besoin de toute l'aide qu'elle peut obtenir de la part d'étrangers acquis à sa cause. Comme il fallait s'y attendre, le chef des Panjsher, Ahmad Masood, a clairement fait savoir à la communauté internationale que pour résister efficacement aux talibans, "ils ont besoin de plus d'armes, de plus de munitions et de plus de fournitures". Qui pourrait leur venir en aide ?

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Il existe déjà une certaine résistance régionale externe à la prise de pouvoir par les Talibans. Le Tadjikistan, avec ses liens ethniques avec la vallée, pourrait fournir un soutien essentiel si celle-ci devient un foyer de résistance. Le lieutenant-général Zahir Agbar, ambassadeur d'Afghanistan au Tadjikistan, ancien responsable de la sécurité avant d'occuper son poste diplomatique, a déjà promis que le Panjsher deviendrait une tête de pont pour les Afghans qui souhaitent poursuivre la lutte contre les Talibans. Selon lui, le "Panjsher s'oppose fermement à quiconque veut réduire les gens en esclavage".

L'Inde, qui a été expulsée sans ménagement de l'Afghanistan après avoir tenté pendant 20 ans d'établir des liens avec ce pays, n'aurait rien pu souhaiter de mieux qu'un mouvement de résistance se développant dans la vallée du Panjshir. Pendant la guerre civile des années 1990, elle a fourni un important soutien militaire et économique à l'Alliance du Nord dirigée par Ahmad Shah Masood.

Le fait que les talibans ne traitent pas équitablement la minorité chiite hazara (photo, ci-dessous) du pays (qui a été maltraitée par le groupe dans le passé) pourrait attirer l'ire de Téhéran. N'oublions pas que l'Iran a été un soutien essentiel de l'Alliance du Nord lorsque les talibans étaient au pouvoir de 1996 à 2001. Des accords avec les États-Unis sont également envisageables. Si les intérêts de Washington sont mis à mal par les talibans, il se peut qu'il soutienne à nouveau un front intérieur qui se soulève contre les nouveaux dirigeants de Kaboul.

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Une nouvelle guerre civile ?

Il va sans dire que si les habitants de la vallée du Panjshir décident de croiser le fer avec les talibans et d'offrir une résistance, ils pourraient sérieusement entraver la capacité de ces derniers à imposer un gouvernement unifié au mélange complexe de régions et de groupes ethniques de l'Afghanistan. Il convient de rappeler que les Tadjiks de langue farsi de l'ouest et du nord de l'Afghanistan, y compris ceux de la vallée de Panjsher, se sont toujours opposés aux Pachtounes du sud et de l'est qui forment le noyau des Talibans. Un Panjsher libre et militant peut également encourager d'autres chefs régionaux, chefs de milice et seigneurs de guerre qui ont maintenant été renversés par les talibans à résister.

Tout au long de leur histoire, les Afghans sont rarement restés unis sous une autorité centralisée. Malgré les menaces constantes qui pèsent sur l'existence de l'État, dans le passé, les différents groupes ethniques du pays n'ont jamais exprimé leur solidarité avec l'idée d'une cause nationale. C'est en grande partie ce défi permanent qui a contribué à la chute du gouvernement d'Ashraf Ghani. Dans ces circonstances, compte tenu des énormes griefs nourris par divers groupes, chefs et citoyens, il est peu probable que les talibans soient en mesure de former un "véritable" et "inclusif" gouvernement d'unité nationale dans un avenir prévisible. C'est précisément ce système de calcul qui pourrait devenir une arme décisive dans l'arsenal des adversaires des talibans.

Source : https://katehon.com/ru/article/pandzhsherskaya-dolina-ahillesova-pyata-talibov

Le court-circuit djihadiste provoqué par les États-Unis

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Le court-circuit djihadiste provoqué par les États-Unis

par Alberto Negri

Source : Alberto Negri & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-cortocircuito-jihadista-degli-stati-uniti

Scénarios. Ne gouvernant pas le chaos qu'ils ont eux-mêmes créé, les Américains ont tenté ensuite de l'utiliser à leur profit en Irak, en Libye et en Syrie. Nous sommes à l'avant-garde de nouveaux troubles. Et pas seulement en Afghanistan.

Il y a des djihadistes utiles et d'autres non. Il vaut mieux manœuvrer les djihadistes que les combattre, ont pensé les Américains après les échecs en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie. Avec les talibans, on peut aussi trouver un accord: ainsi, en 2018 déjà, ils ont demandé aux Pakistanais, parrains des talibans, de libérer le mollah Baradar (photo, ci-dessous) et les danses de Doha ont commencé. Un spectacle que tout le monde a apprécié parce que personne, à cette époque, ne s'y est opposé.

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Bien sûr, il fallait vendre les Afghans qui avaient cru en l'Occident aux anciens bourreaux, mais la Maison Blanche n'est nullement tourmentée de scrupules, tant avec Trump qu'avec Biden. Après tout, en octobre 2019, Trump avait vendu les Kurdes, courageux alliés des États-Unis contre Isis, à la Turquie d'Erdogan: où est le mal à le faire à nouveau? Après tout, l'OTAN et les Européens digèrent tout.

C'est en utilisant des extrémistes islamiques que les États-Unis ont commencé leurs aventures dans ces régions: dans les années 1980, avec le Pakistan et l'Arabie saoudite, ils ont soutenu les moudjahidines afghans contre l'URSS. Beaucoup étaient des djihadistes, mais en Occident, nous les appelions "combattants de la liberté". Ce fut un succès: l'URSS a perdu la guerre et s'est retirée en 1989, laissant un gouvernement qui a duré seulement trois ans de plus.

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Ensuite, les Américains ont également tenté en Syrie, avec la complicité de la Turquie d'Erdogan, de renverser Bachar El Assad: mais là, ils ont été stoppés en 2015 par la Russie renaissante de Poutine.

Lesdjihadistes avaient également contribué, à l'époque, à éliminer le régime de Kadhafi en 2011. Des guérilleros libyens et des djihadistes revenant d'Irak et d'Afghanistan étaient transportés de la Libye vers la Turquie pour traverser le territoire syrien avec des Tunisiens, des Tchétchènes, des Marocains, etc. La secrétaire d'État Hillary Clinton, dont l'équipe comprenait alors Toni Blinken, l'actuel chef de la diplomatie américaine, a pensé former une alliance de complaisance avec les djihadistes libyens anti-Assad en envoyant l'ambassadeur Chris Stevens à Benghazi: il a été tué par les salafistes d'Ansar Al Sharia le 11 septembre 2012. Et Clinton a perdu la Maison Blanche.

EN NE GÉRANT PAS le chaos qu'ils avaient eux-mêmes créé, les Américains ont essayé de l'utiliser contre leurs rivaux. En Irak, les États-Unis se sont retirés sous la présidence d'Obama en 2011, laissant le pays à son sort après l'avoir envahi en 2003 avec le mensonge des armes de destruction massive: le pays est tombé aux mains d'Al-Qaïda puis d'Isis.

Ces djihadistes ont été utiles pour enliser l'Iran, parrain du gouvernement local: en 2014, les Pasdarans et les milices chiites ont dû intervenir pour arrêter le califat aux portes de Bagdad. Bloquer le Croissant chiite et le mettre sous pression était le véritable objectif géopolitique de Washington. Une fois la mission accomplie, les Américains ont livré les Kurdes au massacre par les Turcs, éliminé Al Baghdadi et, le 3 janvier 2020, tué le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad avec un drone.

Maintenant, les États-Unis sont partis, pour la deuxième fois, même de l'Irak, laissant la place à l'OTAN avec un contingent sous le commandement de l'Italie. Et après la défaite à Kaboul, nous devons croiser les doigts, car ils laissent généralement une terre brûlée derrière eux.

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LES ACCORDS DE DOHA étaient censés rendre l'Afghanistan aux Talibans, complices d'Al-Qaïda le 11 septembre 2001, mais aussi héritiers des moudjahidines préférés des antisoviétiques. En bref, il s'agissait d'une bonne opération pour s'effacer et rétablir "l'ordre" après avoir constaté l'échec de l'exportation de la démocratie libérale.
Lorsqu'ils ont commencé à négocier au Qatar, les Etats-Unis étaient conscients qu'ils allaient démanteler la "bulle" pro-occidentale dans un Afghanistan déjà contrôlé à 50% par les Talibans. Il suffisait d'un coup de vent et tout s'effondrait entre leurs mains.

Le 2 juillet, les États-Unis ont fermé de nuit la base de Bagram, sans prévenir l'armée afghane, en coupant l'électricité et l'eau: Kaboul était alors déjà perdue. Le message a été dévastateur pour le moral des soldats afghans qui se sont également retrouvés sans couverture aérienne en raison du retrait des techniciens et des contractants. Le timing a été mal calculé et les États-Unis et l'OTAN se sont retrouvés dans le chaos de l'aéroport et dans une évacuation plus chaotique que celle de Saigon 1975, où, toutefois, il n'y avait pas de kamikazes à affronter.

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ISIS-KHORASSAN ne sort pas de nulle part. Fondée en 2015, elle a mené quelque 70 attaques et a massacré le 8 mai 55 étudiants à Kaboul. Les Américains, l'armée afghane, les talibans et même Al-Qaïda s'étaient mobilisés pour la combattre. Avec l'attaque de Kaboul, Isis-K avait quatre objectifs : 1) frapper les États-Unis ; 2) saper la crédibilité de l'"ordre" taliban ; 3) frapper le rival Al-Qaïda ; 4) envoyer un message au djihad mondial, de l'Asie à l'Afrique du Nord, du Moyen-Orient au Sahel. Le retrait américain peut provoquer un effet domino sur la sécurité internationale.

Ce que nous voyons est un avant-goût du chaos à venir en Afghanistan et dans d'autres régions critiques du monde. Maintenant, raccourcir le délai et fuir laisserait, selon la plupart des estimations, des centaines de citoyens américains et des milliers de collaborateurs afghans bloqués en territoire hostile. Tous les candidats deviennent des otages. Mais rester plus longtemps serait une invitation à de nouvelles attaques terroristes contre l'aéroport par Isis-K et, après le 31 août, par les Talibans eux-mêmes. Le court-circuit djihadiste, déclenché il y a 40 ans par les États-Unis, électrocute et incinère ses opérateurs maladroits.

Kaboul aujourd'hui signifie la fin de l'impérialisme. Nous n'avons plus besoin de l'OTAN

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Kaboul aujourd'hui signifie la fin de l'impérialisme. Nous n'avons plus besoin de l'OTAN

Entretien avec le diplomate italie Sergio Romano

Propos recueillis par Umberto De Giovannangeli

Source : Il Riformista & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/kabul-e-la-fine-dell-imperialismo-noi-non-abbiamo-bisogno-della-nato

"Kaboul est la fin de l'impérialisme, de l'occupation de l'Afghanistan, illimitée dans le temps", a déclaré l'ancien ambassadeur Romano.

sergio-romano-il-rischio-americano-9788830420205-3-197x300.jpgLes leçons sont toujours les bienvenues lorsqu'elles sont données par des "professeurs" qui ont maîtrisé le sujet avec sagesse et avec une réelle indépendance politique et intellectuelle. Une leçon d'histoire et de géopolitique. Il s'agit de celle accordée à Il Riformista par l'un des analystes les plus autorisés en matière de politique étrangère, un profond connaisseur de la "planète USA", ainsi que de celle de la Russie : l'ambassadeur Sergio Romano. Au cours de sa longue et prestigieuse carrière diplomatique, il a été, entre autres, ambassadeur auprès de l'OTAN et ambassadeur à Moscou (1985-1989), dans l'Union soviétique de l'époque. Il a été professeur invité à l'Université de Californie et à Harvard, et a enseigné aux Universités de Pavie, Sassari et Bocconi à Milan. Parmi ses nombreux écrits, citons, à propos de l'Amérique, Il rischio americano (Longanesi, 2003) ; Il declino dell'impero americano (Longanesi, 2014) ; Trump e la fine dell'American dream (Longanesi, 2017).

En août 2019, l'ambassadeur Romano a écrit un article pour le Corriere della Sera qui, à la lumière des événements actuels, a une sorte de valeur prophétique, et cela, dès le titre: "Afghanistan, la guerre inutile". Et les risques du retrait américain. "Les 18.000 soldats que le président Trump veut retirer d'Afghanistan sont présents dans la région depuis 18 ans. Ils sont arrivés en octobre 2001, avec quelques milliers de soldats européens, lorsque le gouvernement américain, après l'attaque terroriste d'Al-Qaïda contre les tours jumelles, a demandé au gouvernement de Kaboul d'extrader son chef, Oussama ben Laden, qui avait trouvé refuge dans le pays. Les Afghans ont invoqué le devoir sacré d'hospitalité et les forces américaines ont répondu en envahissant l'Afghanistan. Ils ont gagné rapidement sur le terrain, mais ont dû se rendre compte qu'une victoire militaire dans les montagnes de l'Afghanistan peut être illusoire. Les Britanniques et les Russes l'avaient déjà appris lorsqu'ils se sont disputé le pays au XIXe siècle, dans un jeu qui a duré plusieurs décennies et qui a été appelé le "grand jeu". Les Soviétiques l'ont également appris lorsqu'ils sont intervenus militairement en 1979...". L'Amérique avait l'intention de participer à ce "grand jeu". En perdant.

Fuite, trahison, reddition de l'Ouest. Beaucoup se sont aventurés à définir les événements en Afghanistan. Ambassadeur Romano, quelle est votre clé d'interprétation?

Je ne veux pas aller trop loin, mais je pense que pour comprendre les événements d'aujourd'hui, il est bon de remonter dans le temps, dans ce cas à l'époque des empires coloniaux qui ont caractérisé l'histoire des États-Unis et de l'Europe pendant de nombreuses décennies. Aujourd'hui, les empires coloniaux sont en train de disparaître. Ces empires n'ont plus aucune raison d'exister. Mais un certain désir de continuer à récupérer les pouvoirs perdus existe toujours dans les sociétés politiques des États-Unis, de l'Europe, de l'Occident en général. Il y a toujours une tentative de récupérer les espaces perdus. L'Afghanistan est donc devenu, pour ainsi dire, le morceau le plus convoité, notamment en raison du grand désordre qui y a toujours régné. Tout cela a ouvert des perspectives. Cela dit, il faut se demander si tout cela avait un sens dès le départ. Parce que, franchement, à l'époque des empires coloniaux, cela avait un sens: il y avait une compétition, cette compétition était en quelque sorte justifiée par les relations internationales et aussi dans certains cas par des considérations purement économiques, c'est-à-dire qu'il y avait là quelque chose qui pouvait être utile aux divers protagonistes en place et donc ils ont tous essayé de mettre la main dessus. Dans cette affaire afghane, il y a une note de contre-temps, ce qui la rend parfois même un peu ridicule. Ce jeu de l'impérialisme défunt....

8830439924SRam9788830439924-195x300.jpgEn Europe, et aussi dans notre pays, un doigt accusateur a été pointé sur Joe Biden. Et maintenant, Trump a rejoint le mouvement. Considérez-vous le président américain comme un "traître" pour les Afghans ?

Non. Au contraire, cela me suggère une autre considération qui concerne les États-Unis en particulier. Je dis cela parce que je ne me souviens pas d'une autre situation dans laquelle un président américain a été une victime de ce genre, esclave de motifs strictement électoraux. Une petite élection qui se profile à l'horizon, une visite dans un endroit où il y a des gens qui, je l'espère, voteront pour moi aux prochaines élections, mais je sais qu'ils ont ce désir particulier, cette fixation particulière... Bref, non seulement les États-Unis font partie des pays qui, d'un point de vue impérial, sont les plus menacés, parce qu'ils sont en train de perdre ce qu'ils avaient, si, du moins, on pouvait considérer qu'ils possédaient réellement l'Afghanistan, mais, de plus, ils sont aussi très conditionnés par des considérations purement électoralistes. Et les considérations de cette nature produisent d'autres difficultés et problèmes. C'est ainsi et ce sera encore le cas pendant un certain temps.

En parlant de ça, précisément. Il y a vingt ans, l'intervention militaire en Afghanistan était justifiée comme un acte nécessaire dans la guerre contre le terrorisme, après l'attaque des tours jumelles. Maintenant, Biden, s'adressant en rafale au peuple américain, prétend que cet objectif a été atteint avec l'expulsion d'Al-Qaïda d'Afghanistan et l'élimination d'Oussama Ben Laden. Mais si c'est le cas, que faisons-nous dans ce pays depuis tout ce temps ?

Ici aussi, il faut revenir une fois de plus à ce problème de la crise des empires coloniaux. Lorsque les empires coloniaux sont devenus plus acceptables qu'ils ne l'avaient été dans le passé mais davantage critiqués par une partie de l'opinion publique, il est arrivé que de nombreux pays tentent de leur donner une couverture sublime en disant qu'ils étaient des pays de bons maîtres philanthropiques, qu'ils aideraient les générations futures de leurs citoyens coloniaux à devenir des citoyens modernes. Nous nous sommes tous, d'une manière ou d'une autre, promus ainsi en tant que maîtres, en tant qu'enseignants généreux dans un monde colonial, comme pour racheter notre passé de colonialistes et, en même temps, pour préserver une présence, parce que c'était ce qui était vraiment prévu. Et donc nous constatons ces situations, où les gens justifient leur présence ou leur désir d'être présents, avec un bel alibi moral. Ce en quoi il faut croire, ce sur quoi il faut parier ces jours-ci est plutôt limité, mais quant au sujet de notre conversation, je dirais que cette condescendance post-colonialiste est ce qui s'est réellement passé, et cela, permettez-moi d'ajouter, en regardant ces vingt années.

519YWQ7XUYL._SX336_BO1,204,203,200_.jpgEn parlant d'empires. L'Afghanistan a été appelé, historiquement, "le cimetière des empires". Est-ce aussi le "cimetière" de l'OTAN ?

J'avoue qu'il ne faut jamais dire oui d'avance à quelque chose que l'on veut mais qui ne s'est pas encore réalisé. Parce que franchement, si cela devait se produire, je dirais tout d'abord que cela découle d'une certaine logique. Parce que l'OTAN aussi est dans une situation similaire à certains égards, d'un point de vue politique et moral, à ce que je vous disais tout à l'heure, c'est-à-dire similaire à ces empires qui se promeuvent comme enseignants, missionnaires, savants. L'OTAN est également à la recherche d'un rôle international. Avec la fin de la guerre froide, l'OTAN aurait dû se retrouver dans la catégorie des organisations internationales au chômage. Et comme à un certain moment, certaines personnes, même de bonne foi, ont pensé qu'après tout, l'OTAN représente encore un lien de l'Europe avec les États-Unis qu'il ne serait pas prudent de gâcher, il y a donc cette tentative de l'OTAN de se réévaluer, de démontrer qu'elle a encore un but, une certaine utilité. Je regarde surtout vers nous, vers l'Europe, parce qu'en Europe il y a des pays et des groupes sociopolitiques qui raisonnent en ces termes sur l'OTAN. Ce discours de revalorisation de l'OTAN en ces termes présente un inconvénient extraordinaire pour nous, Européens. Parce que cela nous fait oublier que le prochain mouvement de l'Union européenne devrait être de reconstruire la CED, la Communauté Européenne de Défense, qui avait été par la suite torpillée par le Parlement français. Nous devons faire revivre la CED. Elle ne s'appellera plus comme ça, elle s'appellera l'Union européenne de défense ou quelque chose comme ça. Nous n'avons plus besoin de l'OTAN. Nous avons besoin de l'Union européenne de défense (UED).

En Italie, un débat s'est ouvert sur le fait de négocier ou de ne pas négocier avec les Talibans. Entre-temps, le directeur de la CIA a rencontré le chef des talibans à Kaboul il y a quelques jours. Comment dire? N'y a-t-il pas un peu d'hypocrisie dans tout ce tapage?

Je dois dire que le réalisme finit toujours par l'emporter. Et même ceux qui se sont exposés en déclarant qu'il était impossible de parler aux talibans finiront tôt ou tard par dire qu'il faut parler aux talibans. Il s'agit d'un type de logique qui présente de nombreux inconvénients. Car lorsque vous parlez à une organisation qui est si éloignée de ce que nous considérons comme la démocratie politique, ou l'État de droit, ou encore l'égalité des sexes, etc., c'est comme si vous l'aviez promue, autorisée à exister. J'avoue que cela me dérange un peu. L'idée que nous devions parler à ces gens m'agace. Bien sûr, chacun a sa propre justification pour exister, mais parler à ceux qui, à moins de changer d'avis, continueront à être ce qu'ils ont toujours été, eh bien, c'est vraiment difficile à accepter. Ils sont la négation de tout ce que nous considérons comme utile pour le plus grand nombre de personnes possible. Ils sont exactement le contraire. Parce que les Talibans ne sont pas une formation politique. Ce sont des "missionnaires". Et raisonner avec les missionnaires n'est jamais facile, et parfois c'est même carrément  inutile.

lundi, 23 août 2021

La chute de Kaboul : le retour des Talibans et ses implications géopolitiques

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La chute de Kaboul : le retour des Talibans et ses implications géopolitiques

Ex: https://katehon.com/ru/article/padenie-kabula-vozvrashchenie-talibov-i-geopoliticheskie-posledstviya

En quelques jours, l'Afghanistan a vu s'effondrer le pouvoir établi par les Américains après l'intervention de 2001. En l'espace d'une semaine, les talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) ont occupé 24 des 36 provinces et pris le contrôle des frontières. En quelques heures, les principales villes du pays sont tombées, le président Ashraf Ghani a démissionné et s'est enfui, et les talibans sont entrés triomphalement dans Kaboul. Les changements en Afghanistan pourraient affecter toute la géopolitique de l'Eurasie. De nombreux experts comparent l'effondrement des structures étatiques et militaires du régime pro-américain en Afghanistan à l'effondrement du Sud-Vietnam après la signature de l'"accord de paix de Paris" en 1973.

Toutefois, à cette époque, le retrait des troupes américaines a marqué leur défaite et la victoire de leur principal adversaire géopolitique, l'URSS. Maintenant, malgré toutes les critiques à l'encontre des Américains, on ne peut pas dire que leur retrait signifie une victoire automatique pour l'un de leurs principaux adversaires géopolitiques, la Russie ou la Chine.

Contexte

Contrairement à la thèse selon laquelle l'Afghanistan est le "cimetière des empires", l'espace des vallées montagneuses inaccessibles a été conquis et incorporé aux formations impériales continentales à de nombreuses reprises dans l'histoire. Depuis l'ère achéménide (6ème siècle avant J.-C.), le futur Afghanistan a été conquis par les Perses, les Grecs et les Macédoniens, les Parthes, les Tokhariens, les Hephtalites, les Turcs, les Arabes et les Mongols. L'Afghanistan faisait partie de l'empire de Tamerlan et de ses successeurs, puis fit partie de l'empire moghol. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle qu'une seule puissance, l'"Empire Durrani", s'est formée sur le territoire de ce que nous appelons aujourd'hui l'Afghanistan.

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Au XIXe siècle, le territoire est devenu un espace de rivalité entre les empires russe et britannique, ce que l'on a appelé le "Grand Jeu". La Russie se déplace vers le sud, en Asie centrale et vers l'Iran. L'impératif général de la géopolitique russe était d'atteindre les "mers chaudes". La Grande-Bretagne craint une menace militaire russe pour l'Inde et cherche à bloquer les mouvements russes vers le sud. En général, cette stratégie a été mise en œuvre: l'émirat d'Afghanistan est devenu un protectorat britannique et la plupart des territoires de l'ethnie pachtoune - le principal groupe ethnique d'Afghanistan - ont fait partie de l'Inde britannique (qui est passée au Pakistan après la décolonisation).

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Au vingtième siècle, l'Afghanistan est redevenu une arène de confrontation russo-britannique. En 1919, après avoir déclaré sa pleine indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, le royaume d'Afghanistan est devenu le premier État à reconnaître la Russie soviétique. L'Afghanistan (ainsi que l'Iran) intéressait l'Allemagne nationale-socialiste. Pendant la guerre froide, l'URSS a réussi à maintenir l'Afghanistan dans sa sphère d'influence. Cependant, l'accent mis sur l'introduction de l'idéologie marxiste et de la modernisation dans un pays traditionaliste après le renversement de la monarchie en 1973, et surtout la révolution d'avril 1978, a conduit à la déstabilisation du pays.

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L'invasion soviétique en 1979 a fait de l'Afghanistan un front clé de la guerre froide, où les États-Unis (soutenus par l'Arabie saoudite et le Pakistan) ont apporté une aide maximale à l'opposition islamiste.

Le fondamentalisme islamique pendant la guerre froide et le moment unipolaire

Le fondamentalisme sunnite (tant le wahhabisme que d'autres formes parallèles d'islam radical interdites en Russie), contrairement au fondamentalisme chiite, plus complexe et géopolitiquement ambigu, a servi à l'Occident à contrer les régimes laïques "gauchistes", socialistes ou nationalistes et le plus souvent pro-soviétiques. En tant que phénomène géopolitique, le fondamentalisme islamique faisait partie de la stratégie atlantiste, œuvrant pour la puissance maritime contre l'URSS en tant qu'avant-poste de la puissance terrestre.

L'Afghanistan était un maillon de cette stratégie géopolitique. La branche afghane du radicalisme islamique a été mise en lumière après l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979. À cette époque, une guerre civile avait déjà éclaté en Afghanistan, où l'Occident et ses alliés inconditionnels de l'époque, le Pakistan et l'Arabie saoudite, soutenaient les radicaux islamiques contre les forces laïques modérées désireuses de s'allier avec Moscou. Il n'y avait pas de vrais libéraux ou communistes, mais il y avait une confrontation entre l'Ouest et l'Est. Ce sont les fondamentalistes islamiques qui ont parlé au nom de l'Occident.

Lorsque les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan, l'Occident a soutenu encore plus activement les radicaux islamiques contre les "occupants athées". La CIA a envoyé en Afghanistan Oussama ben Laden, qui a ensuite créé Al-Qaïda (une organisation interdite dans la Fédération de Russie), et a été ouvertement incitée à faire la guerre aux communistes par Zbigniew Brzezinski.

En plaçant cette période des années 80 sur une ligne de temps géopolitique : l'Afghanistan des années 80 était un champ de confrontation entre deux pôles. Les dirigeants laïques se sont appuyés sur Moscou et les moudjahidin sur Washington.

Le retrait soviétique en 1989 est l'un des symptômes de la défaite géopolitique de l'URSS dans la guerre froide. Pour l'Afghanistan lui-même, elle a marqué la poursuite de la guerre civile qui a abouti en 1996 au transfert du pouvoir sur la majeure partie du pays au mouvement fondamentaliste des Talibans, originaire du Pakistan. 

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La deuxième décennie géopolitique de notre chronologie se situe dans les années 1990. C'est à ce moment-là que l'ordre mondial unipolaire ou "moment unipolaire" (par Charles Krauthammer) est établi. L'URSS s'effondre, et les forces islamistes cherchent activement à opérer dans les anciennes républiques soviétiques, surtout au Tadjikistan et en Ouzbékistan. La Fédération de Russie est également en train de devenir une zone de guerre pour les radicaux islamiques pro-américains. Cela concerne principalement la Tchétchénie et le Caucase du Nord, mais aussi la région de la Volga. L'Occident continue d'utiliser ses alliés pour attaquer le pôle eurasiatique. Dans un monde unipolaire, l'Occident - désormais le seul pôle - utilise les anciens moyens pour achever (car cela semblait alors irréversible) un adversaire vaincu.

En Afghanistan même, dans les années 1990, la montée des talibans commence. Il ne s'agit pas seulement d'une tendance au fondamentalisme, mais d'une force qui unit le plus grand groupe ethnique d'Afghanistan - les tribus nomades pachtounes, descendants des nomades indo-européens d'Eurasie. Leur idéologie est une excroissance du salafisme, apparentée au wahhabisme et à Al-Qaïda (interdit dans la Fédération de Russie). "Les Talibans sont opposés à d'autres forces, principalement sunnites, mais ethniquement distinctes - les Tadjiks indo-européens et les Turcs ouzbeks, ainsi que les Hazaras iranophones mixtes(photos de jeunes filles,ci-dessous), qui professent l'islam chiite. Les talibans sont à l'offensive ; leurs adversaires - principalement l'Alliance du Nord - sont en retraite. Les Américains soutiennent les deux, mais l'Alliance du Nord cherche le soutien pragmatique des ennemis d'hier : les Russes.

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Au cours des années 90, la Russie, ancien pôle opposé dans un monde bipolaire, s'est progressivement affaiblie et, dans un monde de plus en plus unipolaire, l'islamisme radical entretenu par l'Occident est devenu un fardeau désagréable pour les États-Unis, de moins en moins pertinent dans ce nouvel environnement. Cependant, l'inertie du fondamentalisme islamique est si grande qu'il n'est pas prêt de disparaître au premier ordre de Washington. En outre, son succès oblige les dirigeants islamiques à prendre la voie d'une politique indépendante. En l'absence de l'URSS, les fondamentalistes islamiques commencent à se penser en tant que force indépendante et, en l'absence de l'ancien ennemi (les régimes "de gauche" pro-soviétiques), ils tournent leur agression contre le maître d'hier.

En 2001, les États-Unis ont imputé à l'organisation d'Oussama ben Laden, un Saoudien qui avait auparavant collaboré avec les États-Unis pour aider les moudjahidines afghans, les attentats contre les tours jumelles du World Trade Centre à New York et contre le Pentagone. La direction d'Al-Qaïda (interdite dans la Fédération de Russie) étant basée en Afghanistan, les États-Unis ont lancé une invasion du pays sous le prétexte d'une "guerre contre le terrorisme". Le 20e anniversaire de l'occupation américaine commence et, parallèlement, les États-Unis envahissent l'Irak en 2003.

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La fin de l'"Empire" - ou un repli tactique ?

Le pourquoi et la raison du retrait des Américains sont des questions essentielles. Le retrait a été planifié et promis par Donald Trump, et la plupart du contingent a été retiré sous Obama, et il ne restait plus beaucoup d'Américains ces dernières années. Pour Trump, il s'agissait d'une décision compréhensible de réduire la présence mondiale, de se recentrer sur le Pacifique au lieu du Moyen-Orient, et davantage sur l'Amérique elle-même.

Joe Biden est un mondialiste, mais les mondialistes les plus radicaux, les néoconservateurs, étaient contre le retrait d'Afghanistan. Des acteurs comme l'intellectuel mondialiste - indicateur de la volonté du "gouvernement mondial" conventionnel, j'ai nommé Bernard Henri Levy - l'étaient aussi. Peut-être était-ce l'affaiblissement de l'empire américain lorsqu'une présence en Afghanistan a été jugée inutile et pesante.

Nous assistons donc peut-être à l'effondrement des États-Unis, qui ne peuvent plus se permettre de répartir leurs ressources autant qu'ils le faisaient auparavant.

Toutefois, il est préférable de partir du principe que les Américains ont une sorte de plan précis concernant le retrait des troupes. Même si ce plan n'existe pas aujourd'hui, cela ne signifie pas qu'il n'émergera pas en situation. Toutefois, ce plan sera déjà sans ambiguïté réaliste, c'est-à-dire orienté non pas vers la diffusion de la démocratie et des valeurs libérales, mais vers la création de conditions favorables pour les États-Unis en termes d'équilibre des forces. En général, la présence américaine en Afghanistan était déjà un plan bien défini - derrière la façade de la lutte contre le terrorisme et le projet de création d'un État national, Washington a créé un gouvernement fantoche et une armée fantôme, qui n'avait pas de réelle puissance de combat: sans chars, sans artillerie et sans avions, elle n'agissait que comme une force de soutien pour les envahisseurs américains et l'OTAN. Après le refus des États-Unis de soutenir directement les troupes officielles en Afghanistan, elle s'est tout simplement évaporée, bien qu'elle ait tenté d'opposer une résistance dans certaines villes.

Les intérêts des acteurs extérieurs, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni, sont de déstabiliser l'Afghanistan après leur départ. Il est logique d'attendre d'eux qu'ils travaillent à la fois avec les dirigeants talibans et les militants sur le terrain.

L'Afghanistan est géographiquement situé de telle sorte qu'il constitue une base idéale pour déstabiliser également l'Asie centrale, donc la Russie, la Chine (à proximité du Xinjiang), l'Iran et le Pakistan. C'est-à-dire qu'elle est l'épicentre des pressions exercées sur les pôles actuels et potentiels d'un monde multipolaire.

En savoir plus sur les Talibans

Le mouvement taliban qui arrive au pouvoir est très diversifié. Ils ne sont ni wahhabites ni salafistes (représentants d'un "islam pur" qui nie les traditions tribales). Il existe des tendances rigoristes et soufies au sein du mouvement, bien que l'école d'islam Deobandi, relativement puritaine, prédomine. Les Talibans se décrivent comme des défenseurs du madhhab Hanafi de l'Islam sunnite dans sa version traditionnelle afghane. Dans l'ensemble, il s'agit de fondamentalisme avec une forte connotation nationaliste pachtoune.

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Il y a aussi les Talibans pakistanais Tehreek-e-Taliban Pakistan (PTT), qui sont répandus parmi les Pachtounes au Pakistan. Il a été formé en 2007 et est le groupe d'opposition armé le plus important et le plus actif du Pakistan. Il a été formé par plusieurs petits groupes opérant dans les zones tribales du Pakistan et, dans une moindre mesure, dans la province de la Frontière du Nord-Ouest (aujourd'hui le Khyber Pakhtunkhwa), et a toujours été presque entièrement composée de Pachtounes. L'armée pakistanaise a mené des opérations de ratissage contre eux et le TTP a répondu par des attaques terroristes, y compris contre des civils qui n'étaient associés que de loin à l'État pakistanais.

En 2020, le TTP a montré des signes de résurgence, ses membres ayant perpétré plus de 120 attaques, et ces dernières semaines, le groupe a intensifié ses activités au Waziristan. Rien qu'en juillet 2021, le TTP a mené 26 attaques.

Il est intéressant de noter que le TTP a récemment déplacé la plupart de ses membres de l'est de l'Afghanistan, où il était basé depuis plusieurs années, et qu'il bénéficie désormais du patronage du réseau Haqqani dans le sud-est. Le réseau Haqqani, longtemps considéré par les États-Unis comme une organisation insurrectionnelle distincte, est une composante des talibans afghans mais jouit d'un haut degré d'autonomie. Le réseau Haqqani a également été identifié par certains experts comme la composante des talibans la plus proche des services de sécurité pakistanais. Il est révélateur que le réseau ait accepté de rompre ses liens avec le TTP il y a quelques années sous la pression des autorités pakistanaises.

Maintenant, tous ceux qui se battent sous la bannière des talibans sont unis par un adversaire commun. Cependant, une fois qu'il aura disparu, les dirigeants du mouvement seront confrontés à la question de la formation d'un champ étatique unifié dans une situation où les chefs de guerre sur le terrain commencent à se partager le pouvoir. La question sérieuse est de savoir si les talibans seront en mesure de construire un État viable garantissant la sécurité de ses voisins dans un environnement pacifique. Une situation pourrait théoriquement se produire où des seigneurs de la guerre individuels dans certaines régions commenceraient à fournir une base pour des organisations extrémistes plus radicales visant la Russie, l'Iran, la Chine et les pays d'Asie centrale.

Un cri de désespoir occidental

Les évaluations de la situation en Afghanistan par les analystes occidentaux ne sont pas sans intérêt. Par exemple, il existe une opinion selon laquelle la chute de Kaboul est bénéfique pour Moscou. Selon le Royal United Services Institute (Grande-Bretagne), "les troubles en Afghanistan ont donné à la Russie l'occasion d'accroître son influence en Asie centrale. Les talibans contrôlent la majeure partie de la frontière entre l'Afghanistan et le Tadjikistan, le pays le plus pauvre de la région, qui a déjà accueilli de nombreux réfugiés afghans et s'est tourné vers Moscou pour obtenir de l'aide. Le Tadjikistan abrite l'une des rares bases étrangères de la Russie, avec plus de 6000 soldats russes, et est membre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie, une alliance plus petite et plus faible que le Pacte de Varsovie pendant la guerre froide.

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La Russie a déployé des troupes à la frontière entre l'Afghanistan et le Tadjikistan et a déclaré que l'OTSC était "prête à déployer tout son potentiel militaire pour aider le Tadjikistan" si la situation en Afghanistan se détériorait. Au cours des prochains mois, la Russie et les pays d'Asie centrale effectueront une série d'exercices à la frontière afghane afin de maintenir leurs forces armées en état de repousser toute incursion extrémiste en provenance d'Afghanistan.

Entre-temps, les pays d'Asie centrale - peut-être à la demande de Moscou - ont rejeté les demandes de Washington d'autoriser le stationnement sur leur territoire de certaines troupes américaines quittant l'Afghanistan. Quoi qu'il en soit, compte tenu de leur besoin d'assistance militaire, ils sont probablement d'accord avec la Russie pour dire que si 100.000 soldats de l'OTAN dirigés par les États-Unis ne parviennent pas à stabiliser l'Afghanistan, ils n'y parviendront pas avec une présence militaire plus réduite en dehors du pays.

Sur un autre plan, les impératifs politiques ont modifié l'attitude de la Russie à l'égard du Pakistan, qui a soutenu les talibans. Pendant la guerre froide, Moscou considérait le Pakistan comme un foyer d'extrémisme déstabilisateur en Asie centrale et du Sud. Mais avec le retrait américain visible à l'horizon politique depuis 2014, la Russie a tout cherché, des armes et vaccins contre le COVID-19 aux investissements dans un gazoduc allant de Karachi à Lahore, auprès du Pakistan, dans l'espoir qu'Islamabad utilise son influence auprès des talibans pour promouvoir un accord de paix en Afghanistan."

Dans l'ensemble, la diplomatie et la crédibilité internationale de la Russie seront soumises à un nouveau test dans l'arène politique intérieure de l'Afghanistan. Si un accord de paix global peut être conclu, il pourra être porté à l'actif de Moscou. En cas d'escalade de la violence, les autres scénarios dépendront des situations spécifiques. D'une manière ou d'une autre, la Russie donne la priorité à la sécurité régionale.

Luke Hunt, spécialiste de l'Afghanistan, note ironiquement qu'"en 2009, CNN a rapporté que certains experts pensaient que l'armée américaine payait des miliciens pour qu'ils quittent les talibans dans le cadre d'un soi-disant "programme de loyauté temporaire". Les seigneurs de la guerre sont payés pour se battre, et parfois ils sont payés pour ne pas se battre, et dans les semaines qui ont précédé la chute de Kaboul, les militaires se sont évaporés, et les seigneurs de la guerre ont simplement ouvert les portes et laissé les talibans entrer dans leurs convois de SUV japonais. La question est de savoir qui les a payés. Pour trouver des indices, nous devrions regarder qui a le plus à gagner du retour au pouvoir des talibans. En clair, une offensive de cette ampleur n'aurait pas été possible à l'insu du Pakistan ou de ses services de renseignement, qui sont passés maîtres dans l'art de chuchoter depuis les coulisses."

Si cette observation est vraie, les États-Unis tenteront de venger sur le Pakistan pour leur honte et leur perte de crédibilité. Cela éloignera Islamabad de Washington et, surtout, fera le jeu de la Chine, qui est le principal sponsor et partenaire stratégique du Pakistan.

Il y a aussi l'opinion que la fuite de Kaboul était pire que celle de Saigon. Et Biden a été l'auteur de facto de la pire catatrophe de la politique étrangère américaine.

Et un éditorial du Wall Street Journal accuse l'administration de la Maison Blanche de ce qui s'est passé :

"La déclaration faite samedi par le président Biden, qui s'est lavé les mains de l'Afghanistan, mérite d'être considérée comme l'une des plus honteuses de l'histoire, faite par le commandant en chef à un tel moment de recul des Américains. Alors que les talibans s'approchaient de Kaboul, Biden a envoyé une réaffirmation du rejet des États-Unis qui le dédouanait de toute responsabilité, rejetait la faute sur son prédécesseur et, plus ou moins, poussait les talibans à prendre le pouvoir dans le pays. Avec cette déclaration de reddition, la dernière résistance de l'armée afghane s'est effondrée... Les djihadistes que les États-Unis ont renversés il y a 20 ans pour avoir hébergé Oussama ben Laden vont maintenant faire flotter leur drapeau au-dessus du bâtiment de l'ambassade américaine à l'occasion du 20e anniversaire du 11 septembre."

Aujourd'hui, pour la grande majorité des analystes politiques et des stratèges américains, le retrait d'Afghanistan est considéré comme une défaite cuisante.

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Prévisions

Que réserve l'Afghanistan et ses voisins ? Il existe certaines tendances à court terme.

Les talibans eux-mêmes, qui sont déjà assez centralisés, tenteront d'achever la réorganisation administrative et de soumettre finalement toutes les factions militantes. Parallèlement, les talibans tenteront d'acquérir une légitimité internationale en mettant en avant leur vision d'un État - l'émirat d'Afghanistan.

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Et comme la principale source de revenus des Talibans est le trafic de drogue, cela restera un problème pour ses voisins. En outre, un grand nombre de réfugiés sont attendus. Certains ont déjà franchi la frontière du Tadjikistan. Parmi les pays d'Asie centrale, le maillon faible est le Turkménistan, qui n'est membre d'aucun bloc militaire ou traité de sécurité régionale. La seule chose qui les garde en sécurité est le tampon du désert. D'une manière ou d'une autre, il s'ensuivra un afflux de réfugiés dans différentes directions depuis l'Afghanistan - certains fuiront effectivement par crainte des talibans, tandis que d'autres chercheront simplement une vie meilleure à l'étranger en se déguisant. Il est également important de souligner la possibilité que des extrémistes s'infiltrent dans d'autres pays en se faisant passer pour des réfugiés. Étant donné que des émissaires de l'ISIS (interdit dans la Fédération de Russie) opèrent dans le nord de l'Afghanistan et que les talibans les considèrent comme leurs ennemis, ces terroristes chercheraient également à fuir le pays.

Il faut également garder à l'esprit que l'exemple des Talibans peut servir d'inspiration à divers islamistes en Asie centrale.

Si l'on évalue l'équilibre entre les défis et les opportunités, des défis en matière de sécurité attendent tous les voisins de l'Afghanistan et la Russie. Beaucoup dépend maintenant des pays de la région qui négocient et communiquent avec les talibans eux-mêmes. L'implication du Pakistan est également importante. Il faut garder à l'esprit le conflit entre New Delhi et Islamabad, où l'Afghanistan était également un facteur important. Auparavant, les autorités pakistanaises ont accusé l'Inde d'utiliser l'Afghanistan comme une plate-forme par procuration contre le Pakistan, où sont déployés un réseau d'espions indiens et des cellules de séparatistes baloutches.

À long terme, il est intéressant de voir si ces développements auront une incidence sur la poursuite de l'effondrement de la Pax Americana. Dans une configuration unipolaire, les États-Unis n'ont pas conservé le contrôle de ce territoire géopolitique clé. Il s'agit maintenant de savoir si une réaction en chaîne d'effondrement se produira pour les États-Unis et l'OTAN, similaire à l'effondrement du camp socialiste, ou si les États-Unis conservent la puissance critique pour rester le numéro un mondial, même si ce n'est pas le seul acteur.

Si l'Occident s'effondre, nous vivrons dans un monde différent, dont les paramètres sont encore difficiles à imaginer, et encore moins à prévoir. Plus probablement, il ne s'effondrera pas encore. Il est au moins plus pragmatique de supposer que, pour l'instant, les États-Unis et l'OTAN restent les instances clés, mais dans le nouvel environnement - essentiellement multipolaire.

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Dans ce cas, il ne leur reste qu'une seule stratégie en Afghanistan. Celle qui est décrite de manière assez réaliste dans la dernière (8e) saison de la série d'espionnage américaine "Homeland". Là-bas, le scénario prévoit que les talibans avancent vers Kaboul et que le gouvernement fantoche pro-américain s'enfuit. S'élevant contre les impérialistes néocons paranoïaques et arrogants de Washington, le représentant du réalisme dans les relations internationales (le sosie d'Henry Kissinger au cinéma) Saul Berenson insiste sur la nécessité de négocier avec les talibans et d'essayer de les réorienter à nouveau contre la Russie. Autrement dit, la seule chose qui reste à faire pour Washington est de revenir à sa vieille stratégie de la guerre froide. Si le fondamentalisme islamique ne peut être vaincu, il doit être dirigé contre ses adversaires - nouveaux et en même temps anciens. Et surtout contre la Russie et l'espace eurasien.

C'est ce dont Joe Biden discute aujourd'hui dans le bureau ovale: comment s'assurer que l'Afghanistan des talibans dirige son agression vers le nord.

Un défi afghan pour la Russie

Que doit faire la Russie ? Du point de vue géopolitique, la conclusion est sans ambiguïté: l'essentiel est de ne pas laisser se concrétiser le plan américain (raisonnable et logique pour eux), qui vise à maintenir son hégémonie. Pour ce faire, il est nécessaire d'établir des relations avec le type d'Afghanistan qui est maintenant établi. Les premières étapes des négociations avec les talibans ont déjà été franchies par le ministère russe des Affaires étrangères. Et c'est un geste très judicieux.

En outre, la politique en Asie centrale devrait être revigorée avec l'aide d'autres centres de pouvoir qui cherchent à accroître leur souveraineté.

Il s'agit avant tout de la Chine, qui s'intéresse à la multipolarité et notamment à l'espace afghan, qui fait partie du territoire du projet One Belt, One Road.

Ensuite, il est très important de se rapprocher du Pakistan, qui devient de jour en jour plus anti-américain.

L'Iran, de par sa proximité et son influence sur les Hazaras (et pas seulement), peut également jouer un rôle important dans le règlement de la question afghane. Certains accords entre Téhéran et les Talibans ont probablement déjà été conclus, comme en témoignent les processions du Muharram qui se déroulent actuellement dans les centres de population chiites en Afghanistan.

La Russie doit certainement protéger et intégrer davantage ses alliés - le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kirghizstan, ainsi que le Turkménistan, léthargique sur le plan géopolitique - dans ses plans militaro-stratégiques.

Si les talibans n'expulsent pas les Turcs en raison de leur participation à l'OTAN (comme l'a déclaré précédemment le porte-parole des talibans), des consultations devraient alors être établies avec Ankara également.

Le plus important est peut-être de persuader les pays du Golfe, surtout l'Arabie saoudite et l'Égypte, de ne pas jouer une fois de plus le rôle d'un outil obéissant entre les mains d'un empire américain qui s'incline vers son déclin.

Moscou dispose désormais de nombreux outils sur tous ces fronts. Il est également important d'étouffer le bruit sémantique des agents étrangers ouverts et secrets en Russie même, qui sont maintenant occupés à travailler à partir de l'ordre américain de diverses manières. L'essentiel est d'empêcher Moscou de poursuivre une stratégie géopolitique efficace en Afghanistan et de perturber (ou du moins de reporter indéfiniment) l'établissement d'un monde multipolaire.

 

 

Le commentaire de Massimo Fini:  Les vérités cachées sur l'Afghanistan

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Le commentaire de Massimo Fini:  "Les vérités cachées sur l'Afghanistan"

On lira ici la sévère réprimande du grand intellectuel non-conformiste italien : "Dans les "derniers jours de Saigon" à la sauce afghane, il y a des implications grotesques. Dans un discours à la nation, Joe Biden a accusé les soldats de l'armée gouvernementale de ne pas être capables de se défendre. N'est-ce pas les Américains eux-mêmes, ainsi que certains de leurs alliés, dont l'Italie, qui se sont chargés de "former" l'armée loyaliste ?"

par Massimo Fini

Massimo Fini est un intellectuel libre qui a toujours été en dialogue avec le monde des non-alignés, critique du globalisme. Culture de la figure du Mollah Omar, il écrit dans Il Fatto quotidiano sur la question afghane, qui met en évidence les contradictions profondes de l'Occident par rapport aux dynamiques du grand jeu. Nous proposons à nos lecteurs le dernier article de l'intellectuel lombard sur la chute de Kaboul.

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Dans les "derniers jours de Saigon" à la sauce afghane, il y a des implications grotesques. Dans un discours à la nation, Joe Biden a accusé les soldats de l'armée gouvernementale de ne pas être capables de se défendre. Mais comment se fait-il que ce soient les Américains eux-mêmes, ainsi que certains de leurs alliés, dont l'Italie, qui se soient chargés de "former" l'armée loyaliste ? L'Italie n'a peut-être pas été d'un grand secours puisqu'un de nos soldats, en essayant d'expliquer aux Afghans comment utiliser les armes, s'est tiré une balle dans la jambe. Peut-être qu'avant de se voir attribuer la fonction de "formateur", il aurait dû être formé. Cette histoire n'est pas sans rappeler celle du joueur portugais Figo, appelé à enseigner dans une école de football. Pour montrer comment tirer un penalty à la place du ballon, il a heurté le sol et s'est fracturé la cheville.

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Biden et tous ses partisans occidentaux ne pensent-ils pas, plutôt, que les soldats du gouvernement n'ont opposé aucune résistance, peut-être parce que la majorité de la population afghane préfère être gouvernée par les Talibans, qui sont toujours des Afghans, plutôt que par des étrangers ou leurs partisans?

Dans la confusion générale, il est nécessaire, pour la énième fois, de revenir à quelques points fixes.

L'agression occidentale de 2001 contre l'Afghanistan, qui a été couverte par l'ONU, a été motivée par la tragédie des tours jumelles dont les talibans auraient été complices. Le New York Times et le Washington Post, journaux dans ce cas au-dessus de tout soupçon, ont documenté que l'attaque contre l'Afghanistan avait été planifiée six mois avant le 11 septembre. De même, quelques années plus tard, il a été établi que les dirigeants talibans de l'époque n'étaient absolument pas au courant de l'attaque contre les tours jumelles. De toute façon, comme l'a rappelé Travaglio et comme nous l'avons écrit au moins cent fois, il y avait des Saoudiens, des Tunisiens, des Égyptiens, des Yéménites et des Arabes de toutes sortes dans ces commandos, tout sauf des Afghans, et même pas des Talibans. Et il n'y avait pas d'Afghans, encore moins de Talibans, dans les cellules réelles ou présumées d'Al-Qaïda découvertes plus tard.

De plus, à l'hiver 1998, après les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salaam, Bill Clinton a proposé au mollah Omar d'éliminer Ben Laden, considéré comme l'inspirateur de ces attentats. Omar s'est dit prêt à le faire, à condition que les Américains cessent de bombarder les hauteurs de Khost, où ils pensaient que se cachait le calife saoudien, faisant des centaines de victimes civiles. Mais au dernier moment, Clinton a fait marche arrière. Et ce sont des documents du Département d'État de 2005 qui nous le rappellent. De plus, les Talibans ont trouvé Ben Laden chez lui. Massud l'avait fait venir du Soudan pour l'aider à combattre un autre "seigneur de guerre", son adversaire historique, Heckmatyar. Bien que les Afghans, qui ne sont pas arabes, détestaient Ben Laden, en Afghanistan toutefois, il jouissait d'une certaine popularité parce que, avec ses ressources personnelles, il avait construit des hôpitaux, des routes, des infrastructures, c'est-à-dire ce que nous aurions dû faire et ce que nous n'avons pas fait en vingt ans d'occupation, sauf dans une mesure ridicule.

Un autre mensonge monumental, qui continue à circuler, est celui qui nous affirme que les Talibans étaient soutenus par les services secrets pakistanais. Si c'était le cas, ils auraient au moins eu des missiles sol-air Stinger. Ce sont précisément les Stingers, fournis par les Américains aux trop célèbres "seigneurs de la guerre", qui ont convaincu les Soviétiques d'abandonner le terrain (face aux occupants occidentaux, les Talibans n'avaient ni force aérienne ni anti-aérienne). Et l'une des offensives les plus dévastatrices contre les Talibans a été lancée par l'armée pakistanaise, sous la direction du général américain David Petreus, dans la vallée de Swat: "Après la première semaine de bombardements, les morts ne se comptaient plus. Au contraire, les réfugiés pouvaient, eux, être comptés. Ils étaient au moins un million." (Le Mollah Omar, p. 159). Le Corriere della Sera titrait: "Un million de personnes fuient les talibans", mais elles fuyaient en réalité les bombardements de l'armée pakistanaise.

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Ceux qui ont à craindre aujourd'hui en Afghanistan ne sont pas les civils, hormis les principaux "collaborationnistes" qui pourraient légitimement prendre les armes, comme cela s'est toujours fait depuis la nuit des temps, mais le membre de l'ISIS. Les Talibans combattent l'ISIS depuis son entrée en Afghanistan en 2015. Le 16 juin 2015, le mollah Omar écrit une lettre ouverte à Al Baghdadi dans laquelle il avertit le calife de ne pas tenter de pénétrer en Afghanistan "car nous menons une guerre d'indépendance qui n'a rien à voir avec vos délires géopolitiques". Il ajoute: "Vous divisez dangereusement le monde islamique. La lettre n'est pas signée directement par Omar mais par son numéro deux, Mansour. Peut-être est-ce parce qu'Omar était mourant ou peut-être, comme le prétendent les versions occidentales, parce qu'il était déjà mort en 2013 (bien qu'il me semble très improbable que la mort d'un leader aussi prestigieux puisse être cachée aux Afghans pendant deux ans). En tout cas, la lettre exprime la pensée du Mollah Omar.

Maintenant que les Talibans n'ont plus à se battre en même temps contre les occupants occidentaux et contre l'ISIS, vont balayer celui-ci hors du pays. Ce ne sera pas facile car les combattants d'ISIS sont aussi de redoutables guerriers, et ils ne se soucient pas de mourir, alors que les Talibans n'ont pas cette vocation au martyre. Cependant, ils ont une connaissance bien supérieure du terrain, ce qui est l'un des facteurs qui leur ont permis de vaincre les armées occidentales, bien plus puissantes.

Les journalistes de Tolo TV, qui était la télévision d'État pendant toute l'occupation occidentale, ne sont pas très tranquilles. Certaines ONG peuvent ne pas être très discrètes, sauf si elles sont appelées Emergency ou des structures établies de manière similaire. Beaucoup de ces ONG, du moins au début, étaient remplies de filles qui se rendaient en Afghanistan pour faire l'expérience d'une sorte de "tourisme extrême". Ils ont donné la fessée en short, heurtant ainsi la sensibilité des Afghans. Après tout, même dans notre pays, une femme ne pourrait pas se promener les seins nus sur la Piazza Duomo, alors qu'en Afrique noire, c'est la coutume. Ce sont des sensibilités différentes qui doivent être respectées. Rien ne sera fait à ces filles, si elles sont encore là, elles seront simplement renvoyées. Comme elles le méritent.

Mais c'est une question que je pose à nos ministres de la défense et des affaires étrangères, Di Maio. Qu'avons-nous fait en Afghanistan, nous les Italiens, à part "former" militairement les Afghans? C'est déjà risible en soi car si nos enfants naissent avec des sucettes dans la bouche, les leurs naissent avec des kalachnikovs entre les mains, c'est-à-dire qu'ils savent utiliser des armes dès leur plus jeune âge. Dès que nous sommes arrivés là-bas, la première chose que nous avons faite a été de construire une église, ce qui n'était pas exactement un besoin primaire là-bas. Bien sûr, nous aurons fait d'autres choses par la suite, mais nous aimerions que les ministres en question et le gouvernement fassent un rapport détaillé au Parlement sur ce qu'a été réellement notre contribution civile en Afghanistan au cours des 20 dernières années.

Il Fatto Quotidiano, 21 août 2021
Source: https://www.barbadillo.it/100393-il-commento-di-m-fini-le-verita-nascoste-sullafghanistan/

vendredi, 20 août 2021

Alexandre Douguine: L'Afghanistan : Une chronologie géopolitique

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L'Afghanistan: une chronologie géopolitique

Alexander Douguine

La prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan et la fuite honteuse des Américains et de leurs alliés nécessitent une étude plus large des changements fondamentaux de la géopolitique mondiale. L'Afghanistan a été un indicateur de ces changements au cours des 50 dernières années. C'est à lui qu'ont été associées les fractures dans l'architecture globale du monde. Bien sûr, ce n'était pas la cause des transformations géostratégiques, mais plutôt un miroir dans lequel se reflétaient, plus clairement que partout ailleurs, les changements fondamentaux de l'ordre mondial.

Le fondamentalisme islamique dans un monde bipolaire

Commençons par la guerre froide et le rôle qu'y a joué le facteur du fondamentalisme islamique (principalement sunnite et salafiste). Le fondamentalisme sunnite (à la fois le wahhabisme et d'autres formes parallèles de l'islam radical - interdites dans la Fédération de Russie), par opposition au fondamentalisme chiite, plus complexe et controversé sur le plan géopolitique, a servi à l'Occident pour s'opposer aux régimes laïques de gauche, socialistes ou nationalistes, et le plus souvent pro-soviétiques. En tant que phénomène géopolitique, le fondamentalisme islamique faisait partie de la stratégie atlantiste, œuvrant pour la puissance maritime contre l'URSS en tant qu'avant-poste de la puissance terrestre. 

L'Afghanistan était un maillon de cette stratégie géopolitique. La branche afghane du radicalisme islamique a été mise en exergue après l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979. À cette époque, une guerre civile avait déjà éclaté en Afghanistan, où l'Occident et ses alliés inconditionnels de l'époque - le Pakistan et l'Arabie saoudite - soutenaient uniquement les radicaux islamiques contre les forces laïques modérées enclines à une alliance avec Moscou. Il n'y avait pas de véritables libéraux ou de communistes là-bas, mais il y avait une confrontation entre l'Occident et l'Orient. Ce sont les fondamentalistes islamiques qui ont parlé au nom de l'Occident.

Lorsque les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan, l'Occident est devenu encore plus actif en soutenant les radicaux islamiques contre les "occupants athées". La CIA a fait venir en Afghanistan Oussama Ben Laden et Al-Qaida (une organisation interdite dans la Fédération de Russie), que Zbigniew Brzezinski a ouvertement encouragés à combattre les communistes. 

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Nous reportons cette période des années 80 sur la ligne du temps géopolitique: L'Afghanistan des années 80 est un champ d'affrontement entre deux pôles. Les dirigeants laïcs s'appuyaient sur Moscou, les moudjahidines sur Washington.

Le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan par Gorbatchev signifie la fin de la guerre froide et la défaite de l'URSS. La prise de Kaboul par des factions rivales de moudjahidin et l'exécution du président Najibullah en 1996 - malgré le chaos et l'anarchie - ont signifié une victoire pour l'Occident. La défaite dans la guerre d'Afghanistan n'est pas la raison de l'effondrement de l'URSS. Mais c'était un symptôme de la fin de l'ordre mondial bipolaire. 

Les radicaux islamiques dans un monde unipolaire : inutiles et dangereux

La deuxième décennie géopolitique de notre chronologie se situe dans les années 90. À cette époque, un ordre mondial unipolaire ou un moment unipolaire est établi (C. Krauthammer). L'URSS se désintègre et les forces islamistes tentent activement d'opérer dans les anciennes républiques soviétiques - principalement au Tadjikistan et en Ouzbékistan. La Fédération de Russie est également en train de devenir une zone de guerre pour les radicaux islamiques pro-américains. Cela concerne tout d'abord la Tchétchénie et le Caucase du Nord. L'Occident continue d'utiliser ses alliés pour attaquer le pôle eurasiatique. Dans un monde unipolaire, l'Occident - désormais le seul pôle - achève (comme il semblait alors, de manière irréversible) un adversaire vaincu par les anciens moyens.

En Afghanistan même, dans les années 90, commence la montée en puissance des Talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie). Ce n'est pas seulement l'une des options du fondamentalisme, mais c'est aussi la force qui unit le plus grand groupe ethnique d'Afghanistan - les tribus nomades pachtounes, les descendants des nomades indo-européens d'Eurasie. Leur idéologie est l'une des variantes du salafisme, proche du wahhabisme et d'Al-Qaida (organisations interdites dans la Fédération de Russie). Les Talibans (organisation interdite dans la Fédération de Russie) sont opposés à d'autres forces - principalement sunnites, mais ethniquement indo-européennes, surtout des Tadjiks et, aussi, les Ouzbeks turcs, ainsi qu'à un peuple mixte iranophone - les Hazaras professant le chiisme. Les Talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) avancent, leurs adversaires - principalement l'Alliance du Nord - reculent. Les Américains soutiennent les deux, mais l'Alliance du Nord cherche un soutien pragmatique auprès des ennemis d'hier - les Russes.

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En 1996, les Talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) prennent Kaboul. Les États-Unis tentent d'améliorer les relations avec les talibans (organisation interdite dans la Fédération de Russie) et de conclure un accord sur la construction du pipeline transafghan.

Au cours des années 90, la Russie, ancien pôle opposé à l'Occident dans un monde bipolaire, ne cesse de s'affaiblir, et dans les conditions de l'unipolarité croissante, l'islamisme radical, entretenu par l'Occident, devient pour lui un fardeau désagréable, de moins en moins pertinent dans les nouvelles conditions. Cependant, le résilience du fondamentalisme islamique est si grande qu'il ne va pas disparaître au premier ordre de Washington. De plus, ses succès obligent les dirigeants des pays islamiques à s'engager sur la voie d'une politique indépendante. En l'absence de l'URSS, les fondamentalistes islamiques commencent à se percevoir comme une force indépendante et, en l'absence d'un vieil ennemi (les régimes de gauche pro-soviétiques), tournent leur agression contre leur maître d'hier. 

La rébellion contre le maître

La deuxième décennie de notre chronologie se termine le 11 septembre 2001 par une attaque terroriste sur New York et le Pentagone. La responsabilité en incombe à Al-Qaeda (organisation interdite dans la Fédération de Russie), dont le chef est aux mains des Talibans (organisation interdite dans la Fédération de Russie) en Afghanistan. Une fois de plus, l'Afghanistan s'avère être le témoin d'un changement radical dans l'ordre mondial. Mais maintenant, le pôle unipolaire a un ennemi extraterritorial, le fondamentalisme islamique, qui peut théoriquement être partout, et par conséquent, les États-Unis, en tant que pôle unique, ont toutes les raisons de mener un acte d'intervention directe contre cet ennemi omniprésent et nulle part fixe. Pour cela, l'Occident n'a pas besoin de demander la permission à qui que ce soit. À cette époque, la Russie apparaît encore comme un géant faible et en voie de désintégration. 

A partir de ce moment, les néoconservateurs américains ont déclaré le fondamentalisme islamique - hier allié de l'Occident - comme leur principal ennemi. Une conséquence directe de cela fut l'invasion des États-Unis et de leurs alliés en Afghanistan (sous le prétexte de capturer Oussama Ben Laden et de punir les Talibans qui l'abritaient - une organisation interdite dans la Fédération de Russie), la guerre en Irak et le renversement de Saddam Hussein, l'émergence du projet de "Grand Moyen-Orient", qui présuppose la déstabilisation de toute la région avec la modification des frontières et des zones d'influence.

La Russie n'empêche alors pas l'invasion américaine de l'Afghanistan. 

C'est ainsi que commence l'histoire des vingt ans de présence des forces armées américaines en Afghanistan, qui s'est terminée hier.

L'Afghanistan et le déclin de l'Empire

Que s'est-il passé pendant ces 20 ans dans le monde et dans son miroir - en Afghanistan? Pendant cette période, le monde unipolaire, s'est sinon effondré, du moins est entré dans une phase de désintégration accélérée. Sous la direction de Poutine, la Russie a tellement renforcé sa souveraineté qu'elle a pu faire face aux menaces internes de séparatisme et de déstabilisation et revenir en tant que force indépendante sur la scène mondiale (y compris au Moyen-Orient - Syrie, Libye et, en partie, Irak). 

La Chine, qui semblait complètement absorbée par la mondialisation, s'est révélée être un acteur extrêmement habile et est devenue, étape par étape, une gigantesque puissance économique ayant son propre agenda. La Chine de Xi Jiangping est un Empire chinois restauré, et non une périphérie asiatique de l'Occident contrôlée de l'extérieur (comme elle pouvait sembler dans les années 90). 

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Fondamentalistes de l'EIIL en Syrie.

À cette époque, le statut du fondamentalisme islamique a également changé. De moins en moins souvent, les États-Unis l'utilisaient contre leurs adversaires régionaux (bien que parfois - en Syrie, en Libye, etc. - ils l'utilisaient encore), et de plus en plus souvent, l'anti-américanisme était au premier plan chez les fondamentalistes eux-mêmes. En effet, la Russie a cessé d'être un bastion de l'idéologie athée communiste et adhère plutôt à des valeurs conservatrices, tandis que les États-Unis et l'Occident continuent d'insister sur le libéralisme à l'américaine, l'individualisme et les LGBT +, en en faisant la base de leur idéologie missionnaire dans le monde. L'Iran et la Turquie se sont rapprochés de Moscou sur de nombreuses questions. Le Pakistan a forgé un partenariat étroit avec la Chine. Et aucun d'entre eux n'était plus intéressé par la présence américaine - ni au Moyen-Orient, ni en Asie centrale.  

La victoire complète des talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) et la fuite des Américains signifient la fin du monde unipolaire et de la Pax Americana. Comme en 1989, le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan a signifié la fin du monde bipolaire.  

Surveiller l'avenir

Que va-t-il se passer en Afghanistan au cours de la prochaine décennie? C'est le point le plus intéressant. Dans une configuration unipolaire, les États-Unis n'ont pas conservé le contrôle de ce territoire géopolitique clé. C'est un fait irréversible. Beaucoup de choses dépendent maintenant de savoir si une réaction en chaîne de désintégration des États-Unis et de l'OTAN commence, semblable à l'effondrement du camp socialiste, ou si les États-Unis conserveront un potentiel de puissance critique afin de rester, sinon le seul, du moins le premier acteur à l'échelle mondiale. 

Si l'Occident s'effondre, alors nous vivrons dans un monde différent, dont les paramètres sont difficiles à imaginer, et encore moins à prévoir. S'il s'effondre, alors nous y réfléchirons. Il est plus probable qu'il ne s'effondre pas jusqu'à présent (mais qui sait - l'Afghanistan est un miroir de la géopolitique, et il ne ment pas). Mais nous partirons du fait que, pour l'instant, les États-Unis et l'OTAN restent les autorités clés - mais déjà dans des conditions nouvelles - en fait, multipolaires.

Dans ce cas, ils n'ont qu'une seule stratégie en Afghanistan. Celle qui est décrite de manière assez réaliste dans la dernière (8ième) saison de la série d'espionnage américaine "Homeland". Là, selon le scénario, les Talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) s'approchent de Kaboul, et le gouvernement fantoche pro-américain s'enfuit. Contre les impérialistes néocons paranoïaques et arrogants de Washington, le représentant du réalisme dans les relations internationales (le double de Henry Kissinger au cinéma) Saul Berenson insiste pour négocier avec les talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) et tenter de les réorienter à nouveau contre la Russie. En d'autres termes, il ne reste plus à Washington qu'à revenir à la vieille stratégie qui a été testée dans les conditions de la guerre froide. S'il est impossible de vaincre le fondamentalisme islamique, il est nécessaire de le diriger contre ses adversaires - nouveaux et en même temps anciens. Et avant tout contre la Russie et l'espace eurasien.

Tel sera le problème afghan au cours de la prochaine décennie.

L'Afghanistan : un défi pour la Russie

Que doit faire la Russie ? D'un point de vue géopolitique, la conclusion est sans ambiguïté: l'essentiel est de ne pas laisser se réaliser le plan américain (raisonnable et logique pour eux et pour toutes les tentatives de maintien de leur hégémonie). Pour cela, il est bien sûr nécessaire d'établir des relations avec cet Afghanistan, qui est sur le point d'être créé. Les premières étapes des négociations avec les Talibans (une organisation interdite dans la Fédération de Russie) ont déjà été franchies par le ministère russe des Affaires étrangères. Et c'est une démarche très intelligente.

En outre, il est nécessaire d'intensifier la politique en Asie centrale, en s'appuyant sur d'autres centres de pouvoir qui cherchent à accroître leur souveraineté. 

Il s'agit principalement de la Chine, qui est intéressée par la multipolarité et notamment par l'espace afghan, qui fait partie du territoire du projet One Road - One Belt. 

De plus, il est très important de rapprocher nos positions du Pakistan, qui devient chaque jour un peu plus anti-américain. 

L'Iran, en raison de sa proximité et de son influence sur les Khazoréens (et pas seulement), peut jouer un rôle important dans le règlement afghan. 

La Russie doit certainement protéger et intégrer davantage le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kirghizstan dans les plans militaro-stratégiques de ses alliances, ainsi que le Turkménistan, qui est en léthargie géopolitique. 

Si les talibans n'expulsent pas durement les Turcs en raison de leur participation à l'OTAN, des consultations devraient être établies avec Ankara. 

Et peut-être surtout, il est très important de convaincre les pays du Golfe, et surtout l'Arabie Saoudite et l'Egypte, de refuser de jouer à nouveau le rôle d'un instrument soumis aux mains de l'Empire américain, qui tend à décliner. 

Bien entendu, il est souhaitable d'étouffer le vacarme médiatique orchestré par des agents étrangers déclarés et dissimulés en Russie même, qui vont maintenant commencer à remplir l'ordre américain de différentes manières. Il s'agit essentiellement de bloquer la mise en œuvre par Moscou d'une stratégie géopolitique efficace en Afghanistan et de perturber (ou du moins de reporter indéfiniment) la création d'un monde multipolaire.

Nous verrons l'image de l'avenir et les principales caractéristiques du nouvel ordre mondial dans un avenir proche. Et une fois encore, tout se passe au même endroit : en Afghanistan.

jeudi, 19 août 2021

Comment Alexandre le Grand a triomphé en Afghanistan

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Davide Montingelli

Comment Alexandre le Grand a triomphé en Afghanistan

Ex: http://novaresistencia.org/2021/08/14/como-alexandre-o-grande-triunfou-no-afeganistao/

Le retrait des troupes américaines d'Afghanistan avec l'avancée des Talibans rappelle le retrait soviétique il y a plusieurs décennies, ainsi que d'autres tentatives ratées d'occupation permanente de l'espace afghan. Pourtant, il y a quelques millénaires, Alexandre le Grand a conquis, pacifié et occupé les terres afghanes, fondant des villes, installant des colons grecs et laissant un héritage qui a duré des siècles. Comment y est-il parvenu ?

Le retrait américain d'Afghanistan est le sujet du moment. Après 20 longues années, ce que nous avons glané, à part les morts et les blessés, c'est une poignée de sable et l'ombre de la défaite. Chaque grand empire a échoué dans ce pays. Cependant, quelqu'un a réussi en Afghanistan, et les noms de villes aujourd'hui tristement connues, comme Herat et Kandahar, nous le disent. Ces deux centres urbains de l'antiquité ont été fondés sous le nom d'Alexandrie. Oui, Alexandre de Macédoine a réussi là où beaucoup d'autres après lui ont échoué. Mais comment a-t-il fait ? Un récit complet serait trop long, mais nous pouvons nous concentrer sur quelques éléments clés.

Les choix occidentaux en matière de contre-insurrection ont souvent ignoré la dimension militaire, oubliant que les talibans étaient une menace à détruire. Dans plusieurs cas, les États-Unis et leurs alliés se sont engagés dans une véritable course à la popularité, confondant popularité et autorité. Deux choses très différentes, surtout dans une société comme celle de l'Afghanistan.

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Alexandre a cependant adopté une ligne de conduite très différente, car il a dû faire face à des tribus finalement peu différentes de celles qui peuplent l'Afghanistan aujourd'hui.

Avant tout, le dirigeant macédonien a offert à la population une alternative tangible de stabilité, de sécurité et de développement économique. Alexandre était bien préparé à atteindre ses objectifs sans utiliser d'armes, mais il était fermement convaincu de la grande importance des moyens guerriers dans la contre-guérilla. Enfin, il s'est adapté au type de guerre irrégulière et asymétrique qui s'est présenté à lui dans la région.

Bien sûr, les actions d'Alexandre doivent être replacées dans leur contexte temporel : nos démocraties ne pourraient jamais entreprendre un certain type d'action aujourd'hui. Cependant, de nombreuses leçons auraient pu être tirées.

Le plus important est peut-être que la contre-guérilla n'est pas quelque chose qui se situe en dehors des limites de la stratégie de guerre. La contre-guérilla est une guerre, avec un ennemi à anéantir.

Alexandre ne l'a jamais oublié, les Occidentaux l'ont manifestement fait.

mercredi, 18 août 2021

La véritable idéologie qui anime les Talibans

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La véritable idéologie qui anime les Talibans

Emanuel Pietrobon

Ex: https://it.insideover.com/politica/i-talebani-oltre-gli-stereotipi-e-le-apparenze.html

Les talibans sont revenus au pouvoir après vingt ans et pour l'Afghanistan, l'Asie centrale et l'Eurasie, à moins d'un revirement radical, une nouvelle phase historique s'ouvre. Une phase qui, selon certains, pourrait être marquée par un retour à l'instabilité de type terroriste des premières années des années 2000 - l'ère de la guerre contre la terreur - mais qui, selon d'autres, pourrait réserver de grandes et imprévisibles surprises - parmi lesquelles une stabilisation du théâtre afghan fonctionnelle pour catalyser la matérialisation des rêves eurasiens de la Russie et de la Chine et, donc, pour accélérer la multipolarisation du système international.

Ce sont les événements d'un avenir proche qui donneront raison aux premiers ou aux seconds, c'est-à-dire à ceux qui craignent les talibans ou à ceux qui se réjouissent de leur ascension, mais en attendant, nous disposons déjà de quelques éléments utiles à la formulation d'une prédiction. Nous savons, par exemple, que les talibans de Hibatullah Akhundzada ne cherchent pas l'auto-marginalisation, mais la reconnaissance internationale. Et nous savons qu'ils aimeraient acquérir la légitimité qui leur fait défaut aujourd'hui de diverses manières: amnistie générale pour les concitoyens ayant travaillé avec l'Alliance atlantique, ouverture aux investissements étrangers, inauguration d'un processus de réconciliation nationale et, enfin et surtout, mise en place d'un régime politique (très) conservateur mais non fondamentaliste.

Encore une fois, ce seront les événements du futur proche qui confirmeront ou non la bonté des proclamations des Talibans 2.0 - qui, par rapport à leurs prédécesseurs, semblent être plus "sociaux", c'est-à-dire plus enclins à utiliser le Net pour promouvoir leur image - mais une chose est sûre comme l'or: ils sont et restent des pragmatiques, ils sont et restent la manifestation la plus puissante de la géopolitique pakistanaise et ils sont et restent les porte-parole d'une force sociale plutôt nombreuse et représentative de l'Afghanistan pluri-ethnique - cela ne s'expliquerait pas, sinon, l'incapacité de l'Occident à offrir aux Afghans une alternative culturelle valable pour les érudits du Coran - dont les véritables origines remontent au Grand Jeu - Dost Mohammed Khan -, dont les valeurs s'inspirent du code d'honneur pachtoune (Pashtunwali) et dont l'interprétation de l'Islam est ancrée dans les enseignements de l'école déobandi.

La méthode pachtoune

Les tribus qui peuplent les terres sauvages et montagneuses d'Afghanistan vivent de dictons et de proverbes: ils sont leur pain quotidien, l'un de leurs principaux moyens d'exprimer leurs sentiments, leurs émotions et leurs pensées. Et si vous voulez comprendre l'éternel et incompréhensible puzzle qu'est l'Afghanistan, il vous suffit d'étudier les dires des gens qui y vivent, en particulier les Pachtounes.

Parce que les Pachtounes sont le groupe ethnique prédominant en Afghanistan. Ce sont les Pachtounes qui, inflexibles, indomptables, pugnaces et fiers, sont au centre des chroniques des conquérants européens depuis l'époque d'Alexandre le Grand. Et ce sont les Pachtounes qui, dit-on, trouvent toujours un chemin, même lorsqu'ils atteignent le sommet d'une montagne escarpée, et portent toujours une épée pour défendre l'honneur de l'Islam et de leurs frères.

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Il est essentiel de pénétrer dans l'esprit et le cœur des Pachtounes : le mouvement taliban est en effet une manifestation politico-religieuse appartenant largement à l'univers pachtoune, comme le montrent et le prouvent l'identité ethnique, les valeurs, le système organisationnel et la foi de ses membres. Parce que les Talibans, tout comme les Pachtounes, croient au Pashtunwali (la voie des Pachtounes, également connue sous le nom de code de vie) - même s'ils l'ont déformé et instrumentalisé pour satisfaire leur propre agenda -, ils se réunissent en jirga (l'assemblée des anciens), respectent les chefs tribaux (Khans) et pratiquent une forme particulière et hétérodoxe d'Islam (Deobandi).

Par certains aspects, le Pashtunwali rappelle l'ancien code d'honneur albanais, le Kanun, et repose sur treize piliers, dont trois sont considérés comme fondamentaux. Les trois piliers fondamentaux sont l'hospitalité envers le visiteur (melmastia), l'octroi de la protection et de la reddition aux ennemis qui le demandent (nanawatai) et la vengeance sanglante (nyaw aw Badal), qui ne connaît ni limites ni trêve.

Les dix autres piliers, que le temps a rendu aussi importants que les trois premiers, sont le devoir de courage face aux envahisseurs (turah), la loyauté envers la famille, les amis et la tribu (wapa), le respect de son prochain et de la création (khegara), le respect de soi-même et de sa famille (pat aw Wyar), la défense de l'honneur des femmes (namus) et des faibles (nang), la chevalerie (merana), la défense des coutumes et des traditions (hewad), la résolution des conflits par l'arbitrage (jirga) et la loyauté inébranlable envers Dieu (groh).

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Le groh explique, par exemple, pourquoi les talibans sont opposés à toute forme de sécularisation et d'exclusion du sacré hors de la vie publique. Le nanawatai, en revanche, explique pourquoi les érudits du Coran ont pardonné les policiers, les soldats et les agents du gouvernement qui ont déposé les armes et changé de couleur au premier (et unique) avertissement. Et le turah est le pilier qui, depuis l'époque d'Alexandre le Grand, encourage les Pachtounes à défendre leur terre avec un sens de l'abnégation plus unique que rare.

L'affreux nyaw aw Badal, en revanche, est la charnière qui légitime toutes les brutalités que les talibans ont coutume de commettre contre les ennemis qui ne se rendent pas ou ne renient pas leurs croyances : des lapidations aux pendaisons, et des tortures aux viols. Le nyaw aw Badal est la raison pour laquelle le dernier président de la République démocratique d'Afghanistan a été écorché vif, sans aucune pitié, puis pendu en plein centre de Kaboul. Le nyaw aw Badal explique pourquoi des hordes d'Afghans tentent de quitter le pays et pourquoi de nombreuses autres personnes, là où il n'y a ni caméras ni témoins, sont exécutées sur ordre des tribunaux talibans.

La foi des Talibans

Le Pachtoune, le redoutable berger-guerrier qui, au fil des siècles, a vaincu les Macédoniens, les Britanniques, les Soviétiques et les Américains, transformant l'Afghanistan en cimetière des empires, vit non seulement en respectant les règles non écrites du Pachtounewali, mais aussi en observant strictement les dictats des imams et des oulémas de l'école Deobandi.

Le déobandisme est né à l'époque du Grand Jeu dans l'Inde actuelle. Les fondateurs, parmi lesquels nous nous souvenons de Fazlur Rahman Usmani, Mehtab Ali, Nehal Ahmad, Muhammad Qasim Nanautavi et Sayyid Muhammad Abid, croyaient que la colonisation britannique du sous-continent aurait déterminé un processus de décadence des coutumes avec pour terminus une désislamisation totale. Un scénario auquel les musulmans indiens ne pouvaient échapper que d'une seule manière: en créant un nouvel islam, plus rigide, plus pur, plus ethnocentrique et, surtout, plus anti-impérialiste.

Ce type d'islam, conçu pour résister à la colonisation civilisatrice des occupants britanniques, aurait été forgé au sein de l'école Darul Uloom Deoband - créée à Deoband, dans l'Uttar Pradesh, en 1866 - dont il tire son nom. Influencé par le hanafisme, le maturidisme et les pratiques dérivées du soufisme, le déobandisme a historiquement invité les fidèles à vivre l'islam comme les purs ancêtres (al-salaf al-ṣāliḥīn) - à l'instar du wahhabisme - et a connu une première phase d'expansion qui a duré jusqu'au premier quart du XXe siècle, le répandant entre La Mecque et Kuala Lumpur.

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Le facteur ethnocentrique, l'accent mis sur le retour aux origines et la centralité de l'approche anti-impérialiste ont toutefois pris le dessus avec le temps sur l'universalisme et la modération, pour finir par déterminer une radicalisation de cette intéressante et intrigante école de pensée qu'est (ou était?) le déobandisme.

La radicalisation des enseignements déobandi est un phénomène qui a précédé et, en partie, accompagné l'émergence de la question afghane, et donc des moudjahidines et des talibans. Car, si au moment de la fondation, l'Ennemi était représenté par les Britanniques, avec l'avancée de la guerre froide, il deviendra l'Union soviétique. Et les musulmans qui acceptent moins l'impérialisme, en 1979 comme en 1866, trouveront dans le déobandisme une ancre à laquelle ils pourront s'accrocher pour résister à la force écrasante de la massification et défendre leur foi et leur ethnie.

En fin de compte, les Talibans ont réussi à surmonter l'obstacle imposant de la fragmentation ethno-tribale de l'Afghanistan en s'appuyant sur le pouvoir adhésif de ces deux facteurs que sont la culture (Pashtunwali) et la religion (Deobandi). Deux "substances adhérentes" qui leur ont permis, d'abord, de légitimer l'établissement d'un émirat aussi fermé (pachtoune) qu'ouvert (islamique) et ensuite de survivre pendant les années de l'occupation euro-américaine, en prospérant et en se reproduisant dans les montagnes et les zones rurales, d'où ils ont patiemment préparé la reconquête de tout le Pays.

Chine, Russie, Turquie et Pakistan : le nouveau "Grand Jeu" est en marche.

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Chine, Russie, Turquie et Pakistan : le nouveau "Grand Jeu" est en marche

Lorenzo Vita

Ex: https://it.insideover.com/politica/cina-russia-turchia-e-pakistan-si-muove-il-grande-gioco-afghanistan.html

La chute de Kaboul ouvre des scénarios nouveaux: qui prendra la place laissée vacante par le retrait des États-Unis? Peut-être personne. Peut-être tous, en divisant le pays. Ou peut-être y aura-t-il une puissance capable de l'emporter sur une autre. Pour l'instant, il est impossible de faire des prédictions. Ce qui est certain, en revanche, c'est que la diplomatie des autres puissances régionales s'est employée, depuis quelque temps, à enrayer une catastrophe largement prévisible.

Après avoir sécurisé le personnel, les chancelleries travaillent maintenant sur la manière de gérer ce qui semble désormais être définitivement un nouveau régime : l'Émirat islamique d'Afghanistan. L'envoyé du Kremlin en Afghanistan, Zamir Kabulov, a confirmé que l'ambassadeur à Kaboul rencontrera les talibans mardi. M. Kabulov a déclaré à Radio Echo Moskvj que la réunion ne constituait toutefois pas un accord pré-écrit: "La reconnaissance ou non dépendra de ce que fera le nouveau régime". Le représentant russe à Kaboul, l'ambassadeur Dmitry Zhirnov, a expliqué à Russia 24 que les talibans avaient garanti leur engagement en faveur d'un "Afghanistan exempt de terrorisme et de trafic de drogue, où les droits de l'homme seront respectés". "Un pays qui aura de bonnes relations avec le monde entier". Mais l'ambassadeur lui-même s'est montré prudent. L'ordre qui est venu de Moscou semble être d'accorder une attention particulière à la situation nouvelle: les talibans, après tout, sont très bien connus dans les hiérarchies militaires et politiques russes. Et c'est pourquoi de nombreuses variables vont peser sur la reconnaissance de l'émirat : à commencer par la question du terrorisme, très chère au Kremlin. La Russie ne semble pas particulièrement satisfaite de ce qui se passe en Asie centrale, et c'est l'une des raisons pour lesquelles elle a mobilisé ses troupes pour des exercices qui ressemblent aussi à un avertissement.

La reconnaissance du gouvernement taliban interroge également Pékin. La Chine n'a jamais nié avoir tissé un réseau de relations avec les "étudiants coraniques", comme en témoigne la rencontre à Tianjin, en juillet, entre le ministre Wang Yi et une délégation de talibans dirigée par le mollah Abdul Ghani Baradar. Ainsi, au lendemain de la chute de Kaboul, le gouvernement de la République populaire a donné ses premières instructions. La porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Hua Chunying, a déclaré que son pays avait l'intention d'entretenir une "coopération de bon voisinage et amicale" avec l'Afghanistan, en assumant "un rôle constructif dans la paix et la reconstruction".

L'objectif est d'intégrer le pays dans le projet stratégique "One Belt One Road". Toutefois, comme le rapporte Agi, il ne faut pas oublier les liens du nouvel émirat avec les fondamentalistes islamiques, qui inquiètent également la Chine. C'est ce qu'a expliqué l'ancien ambassadeur en Iran, Hua Linming, au South China Morning Post. "Le groupe a des liens tellement profonds et complexes avec des groupes extrémistes et terroristes, a déclaré le diplomate chinois, qu'il est trop tôt pour dire à quel point la Chine doit être inquiète." Ouverture, donc, mais sans dose excessive d'optimisme. Le chaos et l'insurrection islamiste sont des éléments qui font réfléchir tout le monde, même le Politburo chinois. Et il est clair qu'il sera important de comprendre non seulement comment la Chine se comportera, mais aussi ce que fera le rival stratégique qui pourrait entrer dans le jeu en Asie centrale : l'Inde.

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La Turquie, le seul pays de l'OTAN qui semble s'intéresser à l'Afghanistan, aussi pour des intérêts stratégiques purement nationaux, observe également avec attention ce qui se passe à Kaboul. Recep Tayyip Erdogan, qui avait proposé de rester en charge de l'aéroport de la capitale afghane après le retrait des forces occidentales, craint désormais une vague de réfugiés prêts à franchir la frontière turque après avoir traversé l'Iran. Comme le rapporte l'agence Anadolu, le président turc s'est exprimé depuis Istanbul avec son homologue pakistanais, Arif Alvi, pour rappeler l'engagement conjoint d'Ankara et d'Islamabad en faveur de la sécurité en Afghanistan. C'est un élément à prendre en compte, étant donné que les relations entre les deux pays se sont également renforcées sur le plan militaire. Ce n'est pas un hasard si les deux dirigeants se sont rencontrés à Istanbul pour le lancement d'un navire construit dans les arsenaux turcs. Erdogan a également téléphoné au Premier ministre pakistanais, Imran Khan, pour décider des prochaines étapes. Un axe intéressant qui parle aussi chinois, sachant que le Pakistan a depuis longtemps renforcé ses liens stratégiques avec Pékin et que la Turquie, oscillant constamment entre l'Ouest et l'Est, n'a jamais nié avoir une forte attirance pour les sirènes de l'Est.

Les propos du propre envoyé de la Russie pour l'Afghanistan pèsent également sur la Turquie. Dans une interview accordée à Echo Moskvj, Kabulov a pointé du doigt précisément les fonds du Golfe Persique. Et il est clair que si la délégation des Talibans se trouvait à Doha, au Qatar, la connexion avec les Turcs risque d'être trop facile. L'alliance entre le dirigeant turc et le Qatar est bien connue. Et ces mots sur les Talibans "soutenus par certains fonds islamiques, principalement basés dans la région du Golfe Persique" risquent d'être un message russe à toutes les forces impliquées dans la région. Ankara inclus.

mardi, 17 août 2021

Afghanistan, le jeu des ombres. Un livre pour comprendre

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Afghanistan, le jeu des ombres. Un livre pour comprendre

par Marco Valle

Ex: https://www.destra.it/home/afghanistan-il-gioco-delle-ombre-un-libro-per-capire/

Rudyard Kipling a dédié ses plus beaux poèmes - The Barrak Room Ballads - aux humbles soldats de la reine Victoria, aux pauvres Tommies qui défendaient les limes de Britannia, le grand royaume de la veuve Windsor. Les vers racontent le labeur et la misère, l'héroïsme et la tragédie: le fardeau de l'empire à travers les yeux de la fine ligne rouge, cette fine ligne rouge qui s'étend de l'Afrique et de Hong Kong jusqu'aux portes de l'Afghanistan, la frontière du Nord-Ouest. Une fine ligne rouge de fusils, d'uniformes, d'hommes.

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Une "ballade" en particulier frappe par sa crudité. Dans Le jeune soldat britannique, le vétéran donne à la recrue de précieux conseils, qu'ils soient d'ordre pratique ou comportemental, jusqu'à l'horrible vérité finale: "Et quand tu seras blessé et abandonné,/et que les femmes afghanes viendront découper ce qui reste,/Tire ton fusil et tire-toi une balle dans la tête/et va vers ton Dieu de soldat".

Un avertissement qui n'est pas anodin et qui confirme combien le souvenir des guerres anglo-afghanes (1839-42 et 1878-80) était encore brûlant à l'aube du 20ème siècle. Pour les Britanniques, ce fut un véritable cauchemar, synonyme de terribles défaites - bien pires, pour la tranquillité de nos anglophiles, qu'Amba Alagi ou Adua... - dont le point culminant fut la folle retraite de Kaboul en 1842: une marche vers la mort qui engloutit 4500 soldats et plus de 14.000 civils.

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Mieux vaut oublier. Rien d'étrange: les Britanniques (et leurs historiens...) sont des spécialistes de l'effacement, de l'amnésie. Les guerres afghanes (comme les défaites devant les Zoulous et les sanglantes escarmouches du Soudan avec les Mahdistes) ne sont que des détails. Minimaux. Sans importance. Pour l'édition britannique, donc, l'épiphanie de l'empire mort est toujours une bonne affaire. Ceux d'outre-Manche, comme l'intendance de la mémoire napoléonienne, suivent le mouvement.

Heureusement, un historien écossais, William Dalrymple, s'est enfin attaqué au désastre de l'armée anglo-indienne en Asie centrale. Avec un regard neuf. Dans son livre Return of a King. The battle for Afghanistan (Bloomsbury, 2013), l'universitaire calédonien a enquêté sur l'échec des expéditions d'Albion en Asie centrale. Il a essayé de comprendre les raisons, les motifs et les contextes.

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Le diagnostic de Dalrymple est impitoyable. Pour Londres, aux XIXe et XXe siècles, l'Afghanistan était le bastion avancé contre l'avancée des Russes tsaristes (le Grand Jeu décrit par Kipling dans Kim) vers les mers chaudes et l'Inde, le joyau de la couronne. D'où l'idée irréfléchie de conquérir une terre invincible. Une folie militaire et une folie politique. L'auteur souligne méticuleusement l'inexpérience des généraux et leur sous-estimation des capacités militaires des tribus pachtounes et tadjikes, sans oublier l'incapacité des politiciens à comprendre la complexité de la réalité tribale afghane.

Les histoires d'avant-hier sont terriblement similaires à celles d'hier (l'invasion soviétique) et d'aujourd'hui (la "mission" occidentale). Les similitudes sont pressantes, les coïncidences surprenantes. Les mêmes frontières, les mêmes clans, les mêmes routes, les mêmes lieux. Le résultat est identique: la retraite, la descente du drapeau. Une défaite, aujourd'hui, qui est malheureusement aussi italienne. L'Afghanistan, une fois de plus, se confirme comme le "tombeau des empires".

D'où les questions. Pourquoi ce pays inhospitalier et extrêmement pauvre a-t-il toujours été la cible de conquêtes et le théâtre de conflits ? Pourquoi cette terre désolée et désolante est-elle incontrôlable et ses peuples - une mosaïque d'ethnies, un puzzle de clans et de familles - indomptables? Depuis Alexandre le Grand, l'Afghanistan reste pour les étrangers une énigme, une équation impossible. Pourquoi?

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Eugenio Di Rienzo apporte une réponse sérieuse, articulée et non conventionnelle dans son livre Afghanistan, il Grande Gioco. Ce professeur, qui enseigne l'histoire moderne à l'université Sapienza de Rome et dirige la glorieuse Nuova Rivista Storica, reconstitue les événements d'Afghanistan avec une formidable impertinence, les replaçant magistralement dans les processus géopolitiques de l'époque. S'appuyant sur une excellente documentation (fruit d'un remarquable travail d'archivage), Di Rienzo explique les événements actuels en nous ramenant en 1914. Aux "canons d'août". Quand tout a commencé.

Quelques jours après l'assassinat à Sarajevo de l'héritier de François-Joseph, l'Europe explose. La longue vague meurtrière a également atteint le lointain émirat de Kaboul, la destination la plus ingrate (hormis le Tibet théocratique et les divers confettis de la péninsule arabique) pour tout diplomate de carrière. Soudain, cet État asiatique reculé est devenu partie intégrante d'un conflit mondial. Au milieu de mille difficultés, une mission germano-ottomane atteint la capitale pour convaincre l'émir Habibullah de rejoindre un hypothétique mouvement panislamique et de déclencher une guerre contre l'Inde britannique et la Russie tsariste. Un choix stratégique et géopolitique intelligent mais irréaliste. La grande révolte musulmane reste une illusion et les lignes de front se stabilisent loin, trop loin, du regard du monarque.

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Le prudent souverain - bien qu'anglophobe et russophobe - fait la sourde oreille, se met à l'affût des armées turco-germaniques et, finalement, éconduit poliment le Lawrence teutonique avec beaucoup de belles paroles mais sans engagement. La mission est un échec - comme toutes les autres tentatives insurrectionnelles pro-germaniques au Moyen-Orient et en Asie - mais Berlin n'a pas oublié Kaboul. Après la chute du Kaiser, la République de Weimar - un État beaucoup plus sérieux que l'image fatale qui l'entoure encore - a relancé une politique asiatique aussi dénuée de préjugés qu'ambitieuse, fixant l'Afghanistan comme l'un de ses repères géo-économiques.

Entre 1923 et 1939, l'Allemagne, redevenue une puissance industrielle sans appétit territorial, se propose comme le partenaire idéal de l'émirat misérable mais fier et investit des capitaux importants pour la modernisation du Pays. Une présence dynamique qui a immédiatement alarmé ses encombrants voisins: le gouvernement britannique à Delhi et l'Union soviétique. Au fil des ans, les deux puissances ont cherché à marginaliser les Allemands envahissants et ont tenté de satelliser le pays à leur avantage. Dans un inquiétant "jeu d'ombres", les Soviétiques et les Britanniques ont à plusieurs reprises fomenté des troubles internes et menacé d'invasion et de chantage économique. En vain. Chose incroyable, malgré les crises dynastiques, les querelles de clans et la terrible misère du peuple, Kaboul a su préserver sa liberté d'action et une politique étrangère autonome, apparemment ambiguë, mais payante.

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À cette époque, comme le rappelle le Prof. Di Rienzo, l'Italie de Mussolini tentait également de se tailler un espace politique et économique en Asie centrale. Avec des résultats mitigés. Malgré les efforts de nos diplomates - au premier rang desquels l'ambassadeur Piero Quaroni (photo) - les relations et les échanges sont restés modestes. La faute, une fois de plus, à des visions étroites et dépassées. Passatiste. Le mot de l'auteur: "Comme cela s'est produit pour l'affaire de l'exploitation des ressources pétrolières irakiennes, la politique étrangère italienne, ancrée au dogme de l'"acquisition territoriale" et incapable de comprendre le concept moderne de "sphère d'influence", s'est révélée inadéquate pour affronter la diplomatie expérimentée des anciens États coloniaux, en écartant l'absence d'un dessein stratégique différent de la protection des intérêts de l'"arrière-cour méditerranéenne". Un retard culturel qui marquera (et pénalisera) l'intervention guerrière italienne de juin 1940 et les événements ultérieurs. Un fait important sur lequel Mme Mogherini devrait réfléchir.

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Passons à l'année 1939. Cette année-là, les inquiétudes britanniques atteignent leur paroxysme avec l'annonce du pacte Molotov-Ribbentrop. L'accord entre les deux principales puissances totalitaires - un processus complexe, admirablement étudié par le professeur et Eugenio Gin dans Le potenze dell'Asse e l'Unione Sovietica (Rubbettino editore) - a bouleversé le cadre géopolitique de l'époque. Partout. Même en Afghanistan. Comme le souligne Di Rienzo, "grâce à cet accord, les anciennes ambitions russes d'atteindre les Dardanelles, le golfe Persique et le golfe du Bengale se sont combinées à celles du Troisième Reich, qui était déterminé à démanteler les positions de suprématie acquises par la France et l'Angleterre au Moyen-Orient, en Asie et en Inde, en utilisant l'accord construit entre l'irrédentisme arabe, l'extrémisme islamique et le nazisme".

Une opportunité unique, pleine d'implications extraordinaires mais incroyablement perdue. Gaspillée. Quoi qu'il en soit, au cours de ces mois, l'Afghanistan est redevenu central. La cour poussiéreuse de Kaboul était au centre de mille manœuvres, complots et conspirations; le col de Khyber, la frontière, se transformait soudain en un petit front de la grande guerre mondiale. Les tribus (bien payées par les agents de l'Axe) se soulèvent, les nationalistes indiens attendent fébrilement les ennemis de la Grande-Bretagne. Un jeu inconnu mais mortel dans lequel l'Italie, grâce à Quaroni, a joué un rôle important. Ensuite, tout s'est enchaîné rapidement: la rupture entre Hitler et Staline, la campagne de Russie, Stalingrad, l'effondrement de l'Allemagne. En 1943, avec pragmatisme, les seigneurs afghans oublient leurs sympathies hitlériennes et reprennent leur politique d'équilibre entre l'URSS et l'Occident. Les Britanniques n'étant plus dans le coup, c'est au tour des Américains et (à nouveau) des Soviétiques. Le roi Zaher Shah (un homme cultivé et désenchanté, amoureux de l'Italie) et son Premier ministre (ainsi que son beau-frère) Mohammed Daoud demandent à tous de l'argent, des armes et la tranquillité. Un équilibre précaire, mais fonctionnel. Pour l'Afghanistan et le monde.

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En haut, Zaher Shah; en bas, Mohammed Daoud qui le renversa en 1973.

Tout s'est arrêté en 1973. Daoud détrône son parent royal et proclame une république bizarre avec le soutien de généraux pro-soviétiques. En 1978, en guise de remerciement, les communistes locaux ingrats l'ont massacré, lui et toute sa famille, ont inventé une improbable révolution ouvrière afghane, puis ont immédiatement commencé à se massacrer entre eux. En décembre 1979, dégoûté par les camarades afghans, le sénescent secrétaire général du Parti communiste soviétique, Leonid Brejnev, ordonne l'invasion. Ce qui devait être une simple opération de police (l'aide habituelle à un "parti frère") est devenu une tragédie qui a déclenché la (sacro-sainte) rébellion contre l'Armée rouge et déterminé - encadré dans les manœuvres ambiguës des Saoudiens et des Pakistanais - le soutien des USA aux fondamentalistes de partout (y compris le jeune et "fiable" milliardaire saoudien d'alors, Oussama Ben Laden).

Tout s'est terminé en 1989 avec l'implosion de l'URSS. Une victoire pour l'Occident. Du moins, apparemment. Peu, très peu ont compris (et comprennent) les risques et les dangers que réservent le "scorpion afghan" et cette tranche aride et vide du globe. L'incroyable myopie des chancelleries, l'étrange insouciance des services secrets doivent faire réfléchir.

Eugenio Di Rienzo ne fait aucune concession. Lorsque l'"empire du mal" soviétique s'est effondré, aucun président, aucun analyste et aucun général "n'a prévu à ce moment-là que la même force qui avait écrasé l'Armée rouge violerait, un matin de septembre 2001, le ciel de New York, transformant pour des milliers d'Américains la guerre des autres en une guerre chez eux".

En conclusion, l'heure est au réalisme politique. D'analyse et de froideur. De projets historiques. Malheureusement, depuis des décennies, le monde occidental est à court de "nouveauté", il a cessé de penser en termes de grande politique. Les erreurs sont lourdes, peut-être sans remède. Au Levant, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie centrale. En Afghanistan. L'auteur est pessimiste. Nous avons peur à juste titre.

"Et les femmes afghanes viennent couper ce qui reste,/ Te traîner jusqu'à ton fusil et te tirer dans la tête/ Et aller à ton Dieu comme un soldat".

Eugenio Di Rienzo, AFGHANISTAN, il Grande Gioco, Salerno editrice, Rome 2014, 189 p., 12,00 euros

lundi, 16 août 2021

Afghanistan : le nouveau Vietnam américain

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Afghanistan: le nouveau Vietnam américain

Les Talibans s'empressent de prendre le contrôle de toutes les villes afghanes, avec l'objectif non encore déclaré de prendre Kaboul. Des nouvelles déchirantes nous parviennent du pays, où des multitudes fuient devant l'avancée des milices islamiques.

Il convient de noter que les informations sur ce qui se passe sont dramatiques, contrairement à d'autres guerres, comme celle du Yémen, où les raids aériens de l'alliance dirigée par l'Arabie saoudite, qui massacrent des civils et des enfants depuis des années, n'ont pas obtenu un millième de la couverture médiatique accordée à la guerre contre les Talibans.

Mais ce n'est pas sur l'habituelle myopie des médias que nous voulons nous concentrer, mais sur les nouvelles elles-mêmes.

Comme d'habitude, il est difficile de s'extraire du chaos informationnel, et le bombardement médiatique empêche souvent de poser les questions les plus banales.

En particulier, sur la férocité des milices en question. Si vous remarquez, il n'y a pas de reportages sur les massacres de civils, qu'ils soient massifs ou plus limités.

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Tout au plus, les médias font-ils état de mariages forcés, les talibans entrant dans les maisons et mariant les femmes de force. Une pratique odieuse, mais qui pourrait aussi être le fruit de la propagande, qui utilise des événements réels en les amplifiant au-delà de toute proportion.

En ce sens, la réitération automatique de telles nouvelles, qui rebondissent sur les médias toujours de la même manière, comme cela se passe pour les nouvelles diffusées sur le réseau par les bots, est suspecte.

Il ne s'agit pas d'une campagne à la Isis

Mais au-delà de la véracité de la nouvelle, il reste qu'il s'agit de la pratique la plus féroce dénoncée à ce jour. On ne parle pas de massacres aveugles, même si les morts ne manquent pas.

Compte tenu de l'emphase médiatique ci-dessus, cela signifie simplement que, du moins pour le moment, aucun massacre n'a lieu. C'est-à-dire que les milices islamiques, lorsqu'elles prennent le contrôle d'une zone, n'infligent pas autant de violence à la population.

Nous ne disons pas qu'ils distribuent des fleurs en arrivant à un endroit, ni que la guerre en cours est une bonne chose, que toutes les guerres ont leurs horreurs, mais que c'est une guerre comme une autre et surtout complètement différente de celle menée en Syrie et en Irak par Isis et al Nusra - milices auxquelles les talibans sont souvent associés - dont les conquêtes ont été émaillées d'horreurs innommables.

Ce à quoi nous assistons est, avec toutes les limites de l'affaire, une guerre de libération: après vingt ans d'occupation américaine, les Afghans reprennent leur pays.

Bien sûr, elle est dirigée par des milices islamiques, mais ceux qui voulaient combattre l'envahisseur n'avaient pas d'autre choix qu'eux. Et de nombreux Afghans ordinaires, qui considéraient la présence américaine comme une honte, se sont joints à eux.

Parmi ceux-ci, certainement aussi beaucoup qui ont vu leurs proches exterminés par des drones de fabrication américaine (" accidents " qui peuvent arriver, surtout si des centaines de milliers de bombes sont larguées du ciel, comme le titre du magazine du MIT: "Life in the most bombed country in the world").

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En outre, les rebelles n'ont pas l'exclusivité de la férocité, étant donné que Rashid Dostum, un ancien chef de guerre au CV jonché de crimes innommables, a été appelé à diriger l'armée de Kaboul (si ce n'est sur la suggestion des États-Unis, en tout cas avec leur placet).

L'Afghanistan comme le Vietnam

Dans les médias américains, la guerre afghane trouve souvent des parallèles avec celle du Vietnam, qui s'est également terminée par le retrait précipité des troupes américaines.

Si précipité que lorsque les marines se sont retirés de l'aéroport stratégique et symbolique de Bagram, ils l'ont fait de nuit, sans même en informer les Afghans stationnés sur la base.

Les médias américains s'interrogent sur la défaite, car c'est bien de cela qu'il s'agit, comme cela est désormais clair pour tous. Et sur le fait que ce résultat était clair depuis un certain temps.

À tel point qu'Ishaan Tharoor, dans le Washington Post, explique que les présidents américains étaient au courant dès 2005-2006, mais ont décidé de fermer les yeux. C'est exactement ce qui s'est passé avec le Vietnam.

Car, comme pour le Vietnam, aucun d'entre eux ne veut entrer dans l'histoire comme le président qui a perdu une guerre, ni surtout n'a eu le courage de défier frontalement les faucons, sauf Trump à la fin de son mandat.

Biden a eu ce courage et s'est retiré, réalisant la promesse de Trump (et s'attirant la haine des faucons, qui montent une campagne pour rester dans le pays: l'emphase médiatique ci-dessus sert à cela).

Des engagements violés. Par qui ?

Bien sûr, les pactes prévoyaient que les Talibans concluent un accord avec Kaboul. Mais quelqu'un a rompu les pactes, et peut-être pas seulement les talibans, puisque la campagne d'opposition à la décision présidentielle s'est accompagnée de quelques bombardements effectués par des B-52, dont les bombes sont encore moins intelligentes que les autres (et qui ne sont probablement que la partie émergée de l'iceberg d'opérations plus obscures et secrètes).

De plus, l'accord était très difficile. Si l'on se met à la place des talibans - mutatis mutandis - c'est comme si, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on avait demandé à Paris de trouver un accord avec Vichy.

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Ainsi, la parole reste aux armes, à l'armée afghane, armée et entraînée par les Etats-Unis, qui fond comme neige au soleil, alors qu'elle est trois fois supérieure à l'ennemi.

L'effondrement de l'armée a été décrété par les défections massives, qui indiquent le taux d'adhésion à la prétendue "démocratie" afghane créée par Washington, mais qui ont également permis d'éviter des affrontements plus féroces.

Pour l'instant, Biden maintient son point de vue, étant même capable d'afficher l'immense coût de la guerre en Afghanistan (1,5 trillion de dollars) face à des résultats aussi minimes. Mais la situation est magmatique et évolutive: comme pour les autres pays dévastés par des guerres sans fin, le chaos variable produit par ces guerres défie toute prévision et tout contrôle.

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/52685/afghanistan-il-nuovo-vietnam-americano

jeudi, 12 août 2021

Les Etats-Unis se retirent d'Afghanistan: nouveaux scénarios géopolitiques en Asie centrale

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Enric Ravello Barber:

Les Etats-Unis se retirent d'Afghanistan: nouveaux scénarios géopolitiques en Asie centrale

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/08/eeuu-se-reita-de-afganistan-nuevos.html#.YRQgx0A6-Uk

La folie interventionniste des "néo-con" - des ex-trotskystes pour la plupart - sous l'administration de George Bush a provoqué un irréalisme belliciste qui a eu pour point d'orgue les invasions de l'Irak et de l'Afghanistan.

En réalité, la présence américaine en Afghanistan remonte à bien plus loin, avant même l'intervention soviétique, comme le reconnaît lui-même Zbigniew Brzezinski : "C'est le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l'assistance clandestine aux opposants au régime pro-soviétique de Kaboul. Et j'ai écrit une note au Président expliquant qu'à mon avis, une telle assistance provoquerait une intervention militaire soviétique" (1).

Après 20 ans de présence militaire et, selon un récent rapport du Watson Institute de l'Université Brown (Providence, Rhode Island), une dépense économique estimée à 2261 milliards de dollars et un bilan humain de 238.000 morts, tués dans des opérations anti-talibans tant en Afghanistan qu'au Pakistan, le président américain Joe Biden a déclaré le 8 juillet: "Nous avons mis fin à la plus longue guerre de l'histoire" (2).  Si l'objectif de la guerre était de mettre fin au règne des talibans, et que Biden annonce le retrait tout en reconnaissant le contrôle des talibans sur l'Afghanistan, il est clair que le bilan de la guerre est la défaite des États-Unis, qui après de nombreuses années de présence militaire n'ont pas atteint leur objectif, bien au contraire.

Les interventions américaines en Irak et en Afghanistan, qui ont toutes deux échoué, ont conduit les États-Unis à une impasse géostratégique pendant deux décennies clés. Son erreur lui a permis de passer du stade où ils étaient la seule puissance mondiale hégémonique à celui de l'ascension imparable de la Chine et de la réémergence de la Russie en tant que puissance mondiale - après l'effondrement de l'URSS -, notamment après la deuxième guerre de Tchétchénie, un tournant dans l'ascension militaire de Moscou.

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Ayant accepté leur défaite militaire, les États-Unis ont convenu avec les talibans de se retirer d'Afghanistan. Washington est conscient que dans quelques mois, les talibans renverseront le gouvernement actuel et domineront l'ensemble du territoire afghan, et pas seulement celui de la majorité pachtoune - à laquelle ils appartiennent.  Les talibans ont tiré les leçons des erreurs du passé et ont désormais pris le contrôle militaire de toutes les frontières du pays, laissant les seigneurs de guerre non pachtounes totalement isolés de tout contact extérieur et rendant leur position militaire aussi ridicule qu'intenable.

Les négociations de l'administration Biden avec les talibans se concentrent sur les deux points que la Maison Blanche entend continuer à contrôler après son retrait militaire.

- Contrôle du commerce de l'opium. Comme l'administration américaine l'a répété à plusieurs reprises, "nous ne sommes pas venus en Afghanistan pour lutter contre le commerce de l'opium", non seulement ils l'ont toléré, mais, de surcroit, ils ont collaboré avec ce commerce de l'opium tout au long du processus interventionniste. L'opium afghan représente 80 % de l'opium mondial et est principalement contrôlé par les talibans et accessoirement par le gouvernement actuel, en phase terminale, de Kaboul.

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Washington y a toujours été impliqué, prenant une part importante en échange de la non-intervention. L'argent de la drogue est utilisé pour payer les services de renseignement et les opérations spéciales "secrètes". Le contrôle de l'opium présente un second intérêt dans la mesure où l'opium atteint, entre autres, la Russie, où la consommation d'opium chez les jeunes Russes constitue un problème majeur de santé publique.  Une autre branche de la route de l'opium atteint l'Europe occidentale via la Turquie, mais la consommation de ces opiacés en Europe occidentale est assez faible.

- L'Afghanistan, sous le contrôle des talibans, est un centre d'expansion du djihadisme islamique, en particulier dans deux directions : dans la province chinoise du Xianjang, ce qui pose des problèmes à Pékin, et en Asie centrale et dans les républiques musulmanes de Russie, ce qui pose des problèmes à Moscou. En fait, les Talibans ont soutenu le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, qui a attaqué l'ancienne république soviétique depuis ses bases afghanes. Cette attaque a été la seule occasion où il a été nécessaire de mobiliser l'Organisation du traité de sécurité collective (une alliance militaire défensive dont la Russie est le noyau) pour repousser une agression extérieure contre l'un de ses États membres.

La Chine et la Russie ont défini leurs stratégies.

Ni la Russie ni la Chine n'ont la moindre intention de laisser les talibans faire de l'Afghanistan le déstabilisateur islamiste de l'Asie centrale, ce que la Maison Blanche souhaite en revanche. Moscou et Pékin ont leur propre stratégie et les deux gouvernements ont organisé des rencontres avec les chefs talibans, qu'ils reconnaissent déjà comme des interlocuteurs valables, en ignorant l'actuel gouvernement terminal de Kaboul.

Du côté russe, le 9 juillet à Moscou, un entretien a eu lieu avec une délégation de talibans dirigée par Abadul Latif Mansur (3). La Russie s'intéresse à l'Asie centrale pour étendre la Communauté économique eurasienne et contrôler l'islamisme dans la région. Elle n'est pas disposée à laisser le nouveau gouvernement taliban faire dérailler ses plans, ni à permettre aux talibans de s'allier à la Turquie pour renforcer la présence de cette dernière dans cette région clé de l'Asie centrale. La Russie a clairement fait savoir qu'elle n'était pas disposée à répéter des situations telles que l'attaque naguère lancée par le Mouvement islamique d'Ouzbékistan. Moscou, qui a fait plusieurs démonstrations récentes de son énorme puissance militaire, a clairement exprimé sa position.

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Le géopolitologue russe Alexandre Douguine a écrit dans un article (4) que "la Russie doit agir activement pour empêcher la situation en Asie centrale de dégénérer en chaos et en instabilité, et à cette fin, Moscou doit agir en coopération avec l'Iran, le Pakistan, mais aussi avec la Chine, l'Inde et les États du Golfe, en accordant un rôle crucial dans la stabilité de la région à la coopération avec la Turquie". Douguine poursuit en affirmant que "l'Occident", c'est-à-dire les États-Unis et l'Union européenne, devrait être exclu du théâtre de l'Asie centrale. La vérité est que l'UE n'a aucune chance d'agir sur cette scène clé pour la stabilité mondiale, et - comme dans le cas de la Syrie - son seul rôle sera celui d'une victime de l'instabilité créée dans cette région. Le retrait chaotique des États-Unis provoquera une nouvelle crise des réfugiés en Europe occidentale. En d'autres termes, l'erreur stratégique de la Maison Blanche sera payée de cette manière par l'Europe (5).

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Du côté chinois, la rencontre entre la délégation des talibans, conduite par le mollah Abul Ghani, et le ministre des affaires étrangères de Pékin, Wang Yi, a eu lieu le 28 juillet dans la ville chinoise de Tianjin. Pékin a pu imposer aux Afghans l'engagement que Kaboul ne soutiendrait pas le Mouvement islamique du Turkestan oriental, un groupe musulman ouïghour actif dans la région chinoise du Xinjiang, peuplée de musulmans. D'autre part, le départ des États-Unis et une nouvelle situation politique en Afghanistan permettront d'importants investissements économiques chinois, principalement dans les infrastructures, qui seront très bien accueillis par le futur gouvernement taliban (6). Car, comme le rappelle la journaliste italo-suisse Chantal Fantuzzi, il est clair pour la Chine que le retrait de ses troupes est une défaite pour les Etats-Unis, et Pékin va profiter de cette défaite (7).

Enric Ravello.

Notes:

(1) https://www.voltairenet.org/article185558.html

(2) https://www.larazon.es/internacional/20210708/q3wuztib55h4pcmmlel4cwvw7a.html

(3) https://asiatimes.com/2021/07/for-russia-the-taliban-a-necessary-evil/

(4) http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/07/20/la-russie-retourne-en-afghanistan.html

(5) https://www.elmundo.es/internacional/2021/07/07/60e4948621efa06a468b4593.html

(6) https://elpais.com/internacional/2021-07-28/china-y-los-talibanes-consolidan-su-acercamiento.html

(7) https://www.ticinolive.ch/2021/07/30/la-cina-convoca-i-talebani-biden-ha-fallito/

mercredi, 04 août 2021

Afghanistan et Iran, la stratégie du chaos des États-Unis

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Afghanistan et Iran, la stratégie du chaos des États-Unis

par Alberto Negri

Ex : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/afghanistan-e-iran-la-strategia-del-caos-degli-stati-uniti

Après-guerre au Proche- et au Moyen-Orient? Pas vraiment. En substance, il s'agit d'économiser la présence militaire directe, comme ce fut le cas en Afghanistan ou en Irak, et de laisser se consumer les foyers de guerre ou de résistance: ce sont alors des guerres dites "par procuration", menées avec la vie d'autres acteurs sur le terrain. Voilà à quoi ressemblait déjà l'Irak, ainsi que la Syrie, sans oublier la Libye et maintenant le nouveau chapitre de l'histoire des "guerres par procuration" s'ouvre en Afghanistan.

À qui profite le chaos en Afghanistan, causé par le retrait des États-Unis, retrait qui était aussi tout à fait prévisible, étant donné que les talibans sont à l'offensive depuis au moins trois mois ? Certainement pas aux Afghans et pas même à l'Iran, où l'ultraconservateur Ebrahim Raisi vient de prendre ses fonctions de président, négociant avec les États-Unis sur les sanctions, à la tête d'un pays écrasé par l'embargo et la pandémie, qui a toujours été un adversaire des talibans.

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Avant le retrait américain, les Iraniens pouvaient accepter, voire encourager, les talibans à déstabiliser Kaboul, mais ils ne peuvent tolérer leur retour au pouvoir comme cela s'annonce aujourd'hui. Même si une délégation de Talibans a été reçue à Téhéran - ainsi qu'à Moscou et à Pékin - tout le monde se souvient qu'en 1998, ils ont massacré onze diplomates iraniens à Mazar el Sharif et qu'ils font maintenant subir le même sort à la population chiite afghane et aux Hazaras.

En Afghanistan, il y a le risque d'une guerre civile sanglante qui pourrait se transformer en un autre conflit entre chiites et sunnites, comme ce fut le cas en Irak, d'abord avec Al-Qaïda, puis avec la montée du califat. C'est dans un moment pareil que les bureaux stratégiques de la République islamique ont dû pleurer la mort au combat du général Qassem Soleimani, éliminé par les États-Unis en 2020 à Bagdad.

La guerre américano-israélo-iranienne se poursuit par tous les moyens disponibles, des provocations aux attentats contre les scientifiques iraniens, en passant par les raids aériens américains et israéliens en Syrie et en Irak contre les milices pro-chiites et les Pasdarans: on en parle peu, sauf lorsque les tensions explosent dans le Golfe d'où vient le pétrole, comme ce fut le cas avec le navire israélien touché par un drone à Oman (deux morts). L'Iran va bientôt se retrouver sous pression sur trois fronts, dans le Golfe, à l'Est et à l'Ouest, et cette fois, il n'y aura plus de Soleimani pour diriger le tourbillon sanglant qui ravagera le Moyen-Orient.

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Tout cela se produit en raison d'un choix américain bien précis: créer le chaos et l'exploiter à son avantage et à celui des alliés de Washington, d'Israël aux monarchies du Golfe qui font partie ou gravitent autour du pacte d'Abraham, voulu naguère par Trump.
C'est la "stratégie du chaos" qui est mise en œuvre, de l'Afghanistan à la Libye, par diverses administrations républicaines et démocrates, y compris, jadis, par le vice-président d'Obama, Joe Biden. En substance, il s'agit d'économiser la présence militaire américaine directe, comme ce fut le cas en Afghanistan ou en Irak, et d'entretenir sciemment les foyers de guerre ou de résistance: ce sont les guerres dites "par procuration", menées avec la vie d'autres acteurs que les Marines ou l'infanterie US. L'Irak a été le théâtre d'une telle guerre, tout comme la Syrie, la Libye et maintenant le nouveau chapitre de ce type précis de conflit va s'amorcer en Afghanistan.

Biden est un type contradictoire. D'une part, il reprend les négociations avec Téhéran sur l'accord nucléaire de 2015 voulu par Obama et annulé par Trump en 2018, mais en même temps il bombarde les alliés de l'Iran en Irak et en Syrie. Même en Irak, l'administration américaine se retire en apparence du jeu en laissant la présence militaire principale à une mission de l'OTAN qui sera placée sous le commandement de l'Italie. En bref, les États-Unis créent des problèmes, comme ils l'ont fait avec la guerre de 2003 contre Saddam, et nous paierons les pots cassés pendant des décennies, tout comme cela s'est produit en Libye en 2011, lorsque, avec les Français et les Britanniques, les Etats-Unis ont attaqué Kadhafi.

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Certains se souviendront de la réaction de la secrétaire d'État Hillary Clinton au lynchage et à l'assassinat de Kadhafi, une phrase rappelée par l'analyste américaine Diana Johnstone dans sa biographie judicieusement intitulée "Hillary Clinton, reine du chaos" : "Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort", une devise qu'elle a prononcée suivie d'un grand rire. Tony Blinken, l'actuel secrétaire d'État, était alors le partisan le plus acharné de l'attaque contre la Libye. Oui, la Libye même dont le ministre des Affaires étrangères Di Maio vient de revenir, dans les rangs de ceux qui n'abandonnent pas même face à l'évidence et continuent de remercier les États-Unis pour je ne sais quelle faveur.

Il faut noter qu'en 2019, alors que Khalifa Haftar assiégeait Tripoli et le gouvernement Sarraj - légitimement reconnu par l'ONU - les États-Unis se sont abstenus de bombarder le général en Cyrénaïque, laissant Erdogan occuper la Tripolitaine, avec tous les déboires que cela a entraîné pour l'Italie. Pourquoi les États-Unis, toujours prêts à bombarder n'importe qui, n'ont-ils rien fait ? C'est simple: parce que le général Haftar est soutenu par l'Egypte et les Emirats, deux pays clients des armes américaines, et les Emirats ont également conclu le fameux pacte d'Abraham avec Israël.

La guerre en Afghanistan était condamnée dès le départ, affirme à juste titre l'essayiste indien Pankaj Mishra. Pourtant, les fausses nouvelles ont alimenté une initiative qui a coûté un nombre considérable de vies et des centaines de milliards de dollars, laissant l'Afghanistan dans un état pire qu'avant. Il n'est pas non plus nécessaire d'invoquer le cliché de l'Afghanistan comme "cimetière d'empires" pour se rendre compte que les Talibans étaient une force résiliente et potentiellement changeante. Mais ce qui nous apparaît comme un échec - comme l'Irak, la Libye ou la Syrie - ne l'est pas si l'on applique la stratégie américaine du chaos. Il y a toujours une Dame Clinton ou un de ses héritiers prêt à rire.

samedi, 31 juillet 2021

Biden ne mettra pas fin aux « guerres sans fin ». Il en prépare même de nouvelles

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Biden ne mettra pas fin aux « guerres sans fin ». Il en prépare même de nouvelles

Par Moon of Alabama

Daniel Larison écrit que la politique étrangère de Joe Biden est probablement pire que celle de Trump :

Le bilan de la politique étrangère de Joe Biden en tant que président au cours 
de ses six premiers mois a été aussi mauvais que ses critiques non-interventionnistes
et anti-guerre le craignaient. Biden a pris une décision importante et correcte
qu'il semble suivre jusqu'au bout, à savoir le retrait des dernières troupes
américaines d'Afghanistan, mais même dans ce cas, il y a des raisons de s'inquiéter
que les forces américaines soient relocalisées dans d'autres pays voisins et que
la guerre contre les talibans se poursuive de loin. Sur presque tous les autres
fronts, Biden n'a pas seulement échoué à défaire certaines des politiques les
plus mauvaises et les plus destructrices de son prédécesseur, mais dans de
nombreux cas, il les a ancrées et renforcées.

Biden n’a pas réussi à arrêter la guerre américano-saoudienne au Yémen. Il maintient des troupes en Irak et en Syrie. Son retrait d’Afghanistan s’avère être un leurre. Il sabote le retour aux accords sur le nucléaire iranien.

Les États-Unis, en contradiction avec leur accord avec les Talibans passé à Doha, ont relancé une campagne de bombardement aérien les visant et vont probablement la poursuivre pendant des années :

Le plus haut général américain chargé de superviser les opérations en Afghanistan 
n'a pas voulu dire dimanche soir si les frappes aériennes américaines contre les
talibans prendraient fin le 31 août, date que les responsables avaient précédemment
fixée comme limite pour ces attaques. Le général Kenneth F. McKenzie Jr, chef du Commandement central des États-Unis,
a refusé de s'engager à mettre fin au dernier levier militaire qu’ont les États-Unis
contre les talibans : les frappes aériennes. ...  

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Les talibans ont réagi furieusement aux frappes, affirmant que c’étaient une 
violation de l'accord négocié entre le groupe militant et les États-Unis en 2020. L’intensité des frappes contre les talibans reflète un nouveau sentiment d'urgence
à Washington qui considère que le gouvernement afghan est en danger. "Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur l'avenir des frappes
aériennes américaines après le 31 août"
, a déclaré le général McKenzie aux

journalistes après avoir rencontré le président afghan, Ashraf Ghani, et ses
collaborateurs plus tôt dans la journée.

Les talibans ont récemment fait un gros travail de diplomatie en se rendant à Moscou, Pékin et Téhéran. Avec le Pakistan, qui continue à fournir aux talibans des armes et de la main-d’œuvre, ces pays préparent un avenir où les talibans auront le contrôle total du gouvernement afghan, ou du moins un rôle important dans celui-ci. Ils ont promis d’investir en Afghanistan, même si le pays est dirigé par les talibans.

Mais les États-Unis s’opposeront à la reconstruction de la Route de la soie entre la Chine et l’Iran. Ils n’autoriseront pas que ces investissements en Afghanistan soit en sûreté. Au lieu de contrôler l’Afghanistan pour leurs propres besoins, comme ils l’ont fait pendant leur occupation, les États-Unis feront désormais tout leur possible pour empêcher les autres de profiter du pays.

Après avoir fait pression sur le président afghan pour qu’il laisse la place à un gouvernement provisoire, Biden le soutient à nouveau. Lors d’un appel téléphonique vendredi dernier, Biden s’est engagé à soutenir pleinement la ligne intransigeante maintenue par Ghani :

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Le président Joseph R. Biden, Jr. s'est entretenu aujourd'hui avec le président 
Ashraf Ghani d'Afghanistan. Le président Biden et le président Ghani ont discuté
de la situation en Afghanistan et ont réaffirmé leur engagement envers un partenariat
bilatéral durable. Le président Biden a insisté sur le soutien continu des États-Unis,
notamment en matière de développement et d'aide humanitaire, au peuple afghan, y
compris aux femmes, aux filles et aux minorités. Le président Biden et le président
Ghani ont convenu que l'offensive actuelle des talibans est en contradiction directe
avec la prétention du mouvement à soutenir un règlement négocié du conflit.
Le président Biden a également réaffirmé l'engagement des États-Unis à continuer
d'aider les forces de sécurité afghanes à se défendre.

Mais le gouvernement de Ghani n’a aucune chance de survie. Les talibans contrôlent les frontières de l’Afghanistan et peuvent se financer grâce aux droits de douane et aux taxes. Ghani n’aura donc pas les revenus nécessaires pour faire fonctionner l’État. Maintenant, Biden lui promet de donner 4 milliards de dollars par an à l’armée afghane tout en ayant peu de contrôle sur la façon dont cet argent sera dépensé. Ghani et son entourage feront de leur mieux pour piller cet afflux d’argent.

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Au lieu de laisser l’Afghanistan tranquille pour se trouver un nouvel équilibre, Biden est en train de réorganiser le Grand Jeu, dont l’Afghanistan sera à nouveau la première victime.

Pendant sa campagne, Biden avait promis de rejoindre l’accord nucléaire avec l’Iran. Mais aucune action n’a suivi. Les pourparlers avec Téhéran ont commencé trop tard et ont été remplis de nouvelles exigences que l’Iran ne peut accepter sans diminuer ses défenses militaires.

L’arrogance de l’administration Biden se manifeste pleinement lorsqu’elle croit pouvoir dicter ses conditions à Téhéran :

Si les États-Unis déterminent que l'Iran n'est pas prêt à revenir à la mise en œuvre 
complète de l'accord, ou que le programme nucléaire iranien a progressé à un point
tel que les limites de non-prolifération de l'accord ne peuvent pas être récupérées,
ils exploreront d’autres options, y compris pour renforcer l'application des sanctions
économiques, mais ils espèrent ne pas en arriver là, a-t-il dit. "Nous verrons s'ils sont prêts à revenir", a déclaré le haut diplomate américain.

Ce n’est pas l’Iran qui a quitté l’accord JCPOA approuvé par l’ONU. Ce sont les États-Unis qui sont revenus sur cet accord et ont réintroduit une campagne de sanctions « pression maximale » contre l’Iran. L’Iran a déclaré qu’il était prêt à réduire à nouveau son programme nucléaire dans les limites de l’accord JCPOA si les États-Unis supprimaient toutes les sanctions. C’est l’administration Biden qui refuse de le faire tout en formulant de nouvelles exigences. Il est évident que cela ne fonctionnera pas.

Aujourd’hui, le guide suprême iranien Ali Khamenei a rencontré le gouvernement sortant du président Rohani et a mis en garde le gouvernement entrant contre tout espoir que les États-Unis changent leur position déraisonnable :

Khamenei.ir @khamenei_ir - 9:20 UTC - 28 juil. 2021

Les autres devraient utiliser l'expérience du gouvernement de M. Rouhani. L'une 
de ces expériences est la méfiance envers l'Occident. Pour cette administration,
il est devenu clair que faire confiance à l'Occident n'est pas utile. Ils n'aident
pas et ils frappent partout où ils peuvent. Quand ils ne le font pas, c'est parce
qu'ils ne peuvent pas. Les administrations devraient absolument éviter de lier leurs plans à des négociations
avec l'Occident, car celles-ci échoueront certainement. Cette administration aussi, lorsqu'elle s'est appuyée sur des négociations avec
l'Occident et les États-Unis, elle a échoué, et lorsqu'elle s'est appuyée sur le
potentiel national, elle a réussi. Lors des récentes négociations nucléaires, les Américains sont restés obstinément
sur leur position. Lorsqu'ils font des promesses ou sur le papier, ils disent qu'ils
vont lever les sanctions, mais dans la pratique, ils ne l'ont pas fait et ne le
feront pas. Puis ils disent que de nouveaux articles doivent être ajoutés à un
accord qui a déjà été signé. L'Occident et les États-Unis sont totalement injustes et malveillants dans leurs
négociations. Ils n'hésitent absolument pas à violer leurs engagements. Dans l'accord
précédent, ils ont violé leurs engagements et ils ne donnent aucune garantie qu'ils
respecteront leurs engagements à l'avenir non plus.

Si les États-Unis ne reviennent pas dans l’accord JCPOA, sans imposer d’autres conditions, l’Iran finira par quitter l’accord et poursuivra son programme nucléaire comme il l’entend. Cette tactique intransigeante de Biden sera un échec total. On peut se demander ce que l’administration Biden a prévu de faire lorsque cela se produira.

Comme le résume Larison :

La politique étrangère de Biden est jusqu'à présent largement constituée d'échecs 
à atteindre ses objectifs déclarés et d'échecs à renverser les pires politiques
qu'il a héritées de Trump. Dans certains cas, Biden n'a même pas fait l'effort de
d’inverser les choses. L'administration Biden aime utiliser l'expression "America
is back" comme devise de sa politique étrangère. À en juger par les six premiers
mois de Biden, cela signifie simplement que l'Amérique est de retour aux mêmes
politiques destructrices et inhumaines que celles que nous avons menées pendant
des décennies.

Au lieu de mettre fin aux « guerres sans fin », comme Biden l’avait promis pendant sa campagne, il prolonge les anciennes tout en préparant le terrain pour de nouvelles.

C’est un choix qui ne sera pas bon pour les États-Unis d’Amérique.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

mercredi, 21 juillet 2021

Quelle est la stratégie de l’OCS pour l’Afghanistan?

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Quelle est la stratégie de l’OCS pour l’Afghanistan?

Par Andrew Korybko 

Source: https://lesakerfrancophone.fr/ & OneWorld

L’Organisation pour la Coopération de Shanghai ferait bien de coordonner les actions de ses membres pour contenir les menaces terroristes émanant d’Afghanistan vers les pays frontaliers, telle ISIS-K, d’encourager un compromis politique entre Kaboul et les Talibans, et d’élaborer un plan pour développer le potentiel de connectivité porté par ce pays ravagé par la guerre, afin d’assurer sa stabilité à long terme.

L’avenir de l’Afghanistan est plus incertain que jamais, sur fond d’avancée rapide des Talibans dans tout le pays au lendemain du retrait militaire étasunien qui va se terminer le 31 août. La plupart des observateurs prédisent une période intense de guerre civile si le groupe, qui reste considéré comme terroriste par de nombreux pays, comme la Russie — malgré le fait que Moscou les a pris pragmatiquement pour interlocuteurs au fil des années dans les dialogues de paix, ne parvient pas à prendre les principales villes de l’Afghanistan qui restent à ce jour sous contrôle du gouvernement. Le chaos résultant pourrait créer une opportunité dangereuse, en laissant ISIS-K étendre sa présence dans le pays, et même devenir une menace de sécurité majeure pour l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Les États-Unis abandonnant de fait leurs engagements anti-terroristes, peut-être pour des raisons machiavéliques visant à provoquer ce même scénario, il en revient donc à l’OCS d’assurer la sécurité régionale à leur place.

Ce groupe comprend la plupart des républiques d’Asie Centrale (RAC, à l’exception du Turkménistan), la Chine, l’Inde, le Pakistan, et la Russie, l’Afghanistan, le Bélarus, l’Iran et la Mongolie y ont le statut d’observateur, cependant que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, le Cambodge, le Népal, le Sri Lanka et la Turquie sont des partenaires de dialogue. L’un des mandats de l’OCS est de faire face de manière conjointe aux menaces de terrorisme, séparatisme, et d’extrémisme et d’améliorer la coopération économique entre ses membres. Si l’on considère les événements qui s’enchaînent rapidement décris au premier paragraphe de la présente analyse, il s’ensuit donc que les pays membres de l’OCS ont un intérêt naturel à travailler ensemble lorsqu’il s’agit de l’Afghanistan. Cette coopération peut prendre des formes ayant trait à la sécurité, politiques, et économiques. L’aspect sécurité a trait à un soutien aux deux États jouxtant l’Afghanistan, surtout le Tadjikistan très fragile, qui sort d’une guerre civile ; le volet politique peut œuvrer à faciliter le dialogue entre les parties combattantes. Le volet économique, quant à lui, est relatif au potentiel de connectivité de l’Afghanistan.

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Pour développer un peu plus, il a été signalé que presque 1600 soldats afghans ont fui dans le Tadjikistan voisin au cours des dernières semaines, afin d’échapper à l’avancée rapide des Talibans dans le Nord du pays. Spoutnik a rapporté que le groupe a permis une traversée en masse de la frontière pour poursuivre ses opérations sans entrave, et chacun sait que les Talibans n’entretiennent pas de projets d’expansion territoriale. Il est par conséquent extrêmement improbable qu’ils constituent une menace pour le Tadjikistan ou envers une autre RAC. Malgré cela, l’incertitude qui prévaut quant à l’avenir de l’Afghanistan pourrait déboucher sur d’importants flux de réfugiés, surtout si ISIS-K se met à exploiter la situation. Pour cette raison, le président Poutine a récemment promis à son homologue tadjik un soutien total pour assurer la sécurité de sa frontière. Il ne fait aucun doute que la base militaire russe implantée dans ce pays est parfaitement en mesure de remplir cette mission si on lui demande, mais le sujet n’en constitue pas moins une excellente opportunité pour les membres de l’OCS de coopérer plus étroitement sur le front de la sécurité.

À ce stade, sa structure régionale anti-terroriste (SRAT) n’a pas encore connu le feu de l’action. L’OCS est constituée de membres très divers, et n’a pas expérimenté à ce stade de coopération en matière de sécurité hormis les exercices très symboliques qui sont menés de temps à autre. L’efficacité de l’organisation serait fortement améliorée si le Tadjikistan demandait son assistance, quand bien même ce ne serait qu’afin de constituer un « exercice en conditions réelles » de soutien à la mission menée par les Russes. Cela n’implique pas non plus de déploiement prolongé de soldats sous bannière de l’OCS, car une telle mission pourrait aussi bien être accomplie par un partage accru de renseignements en passant par cette structure, ainsi que le déploiement d’un soutien matériel approprié. Bien que l’Inde soit en rivalité avec la Chine et le Pakistan, ces trois pays pourraient mettre leurs différends de côté de manière pragmatique afin d’acquérir l’expérience de sécurité multilatérale qui pourrait être utile pour le traitement des crises régionales futures, qu’elles aient trait à l’Afghanistan ou non.

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La seconde dimension de la stratégie de l’OCS pour l’Afghanistan devrait voir l’ensemble des membres faire de leur mieux pour encourager un compromis politique entre Kaboul et les Talibans. Reuters a rapporté cette semaine que ces derniers comptent présenter un plan de paix au cours des discussions qui devraient avoir lieu le mois prochain, ce qui pourrait dans les faits constituer un ultimatum pour empêcher le déplacement que l’on pense qu’ils projettent en direction de la capitale. Les Talibans réfutent qu’une telle attaque soit à l’étude de leur côté, mais les observateurs craignent que celle-ci pourrait devenir inévitable si Kaboul refuse de se soumettre à leurs exigences. Afin d’éviter l’instabilité prononcée qui suivrait probablement cette bataille, il relève de l’intérêt de l’OCS de veiller à ce que les Talibans et Kaboul parviennent à un accord au cours de la prochaine phase de discussions. Le gouvernement afghan est déjà fortement démoralisé du fait du retrait étasunien, et son allié officiel étasunien sera prochainement moins capable que jamais de le défendre une fois effectué son retrait, au mois de septembre, si bien que ce scénario est bien possible.

C’est là que réside la troisième partie des actions que l’OCS peut mener pour aider l’Afghanistan : présenter les fondamentaux d’une proposition d’intégration économique régionale, pour démontrer à l’ensemble des parties prenantes intérieures que la paix serait véritablement dans l’intérêt de chacun. L’accord du mois de février entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, prévoyant la construction d’une voie ferrée trilatérale (que l’on nomme souvent PAKAFUZ en prenant les premières lettres du nom de chacun des trois pays) pourrait débloquer le potentiel d’intégration supercontinentale de ce pays ravagé par la guerre, en rapprochant enfin l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Cela pourrait amener à l’établissement d’un nouvel axe économique allant de la Russie en Europe centrale jusque l’Inde en Asie du Sud, que l’on pourrait désigner sous le nom de Couloir de l’OCS. Cette proposition ambitieuse devrait idéalement être présentée à Kaboul ainsi qu’aux Talibans par l’OCS, comme une proposition d’ensemble, avec l’assistance de tous les membres de l’OCS durant la prochaine séance de discussions de paix à venir au mois d’août.

Le temps manque pour en présenter tous les détails, mais chaque pays pourrait apporter une chose ou une autre à ce projet, même des promesses générales d’assistance financière (par dons ou prêts) ainsi que d’expertise technique. La chose la plus importante est que les deux parties en guerre (mais surtout l’obstinée Kaboul) comprennent que parvenir à un compromis pragmatique servirait l’ensemble des intérêts de l’Eurasie, pas uniquement leurs intérêts propres, et que le corps multipolaire très prometteur du supercontinent est bel et bien en jeu dans ce débat. L’OCS doit agir et pas se contenter de parler, d’où la nécessité de mettre de côté certains des différends existants entre ses membres pour présenter conjointement un projet crédible à cette fin (qu’importe le manque de détails à ce stade, au vu du peu de temps qui est disponible). La bonne volonté et la confiance qui pourraient faciliter un tel processus pourraient fortement être stimulées par la proposition énoncée ci-avant, quant à une assistance en matière de sécurité accordée au Tadjikistan.

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Pour assembler l’ensemble, c’est l’OCS qui porte la responsabilité de montrer la voie pour s’assurer que la situation en Afghanistan ne rentre pas prochainement dans une spirale de perte de contrôle, ce qui créerait un terrain fertile pour l’expansion régionale d’ISIS-K. Le bloc ne peut parvenir à cela qu’en contenant conjointement de telles menaces terroristes envers les RAC avoisinantes comme le Tadjikistan, en encourageant Kaboul et les Talibans à parvenir de manière pragmatique à un compromis politique au cours de la prochaine phase de pourparlers de paix qui aura lieu en août, afin de prévenir une intensification de la guerre civile afghane. Opportunité en sera également d’aider Kaboul et les Talibans à discuter d’un projet crédible pour transformer l’Afghanistan en pièce centrale du couloir de l’OCS qui est proposé, depuis l’Europe de l’Est jusque l’Asie du Sud. Certes, cela fait beaucoup pour une organisation qui n’a encore jamais été confrontée à une véritable crise, sans compter sur le caractère urgent de la crise afghane, mais tout ou partie de ce qui est proposé ici est bel et bien réalisable, pourvu que la volonté politique soit au rendez-vous.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

mardi, 20 juillet 2021

La Russie retourne en Afghanistan

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La Russie retourne en Afghanistan

Alexandre Douguine

Parlons de l'Afghanistan. Le retrait des troupes américaines constitue un tournant très sérieux dans l'équilibre global des forces en géopolitique d'Asie centrale. Dans un avenir prévisible, le mouvement radical des Talibans, qui unit les Pachtounes, le plus grand groupe ethnique d'Afghanistan, arrivera au pouvoir d'une manière ou d'une autre. Il s'agit d'une force extrêmement active, et il y a quelques raisons de croire que les reculs honteux des Américains, qui, comme d'habitude, ont abandonné leurs laquais collaborationnistes à leur sort, vont tenter de retourner les talibans contre leurs principaux adversaires géopolitiques dans la région, la Russie et l'Iran.

La Chine sera elle aussi directement touchée, car l'Afghanistan est un élément essentiel du projet d'intégration "One Belt One Road". Les talibans pourraient également servir de base à une escalade dans le Xinjiang, en mobilisant et en soutenant les islamistes ouïghours.

En outre, la montée en puissance des talibans pourrait déstabiliser la situation en Asie centrale dans son ensemble et, dans une certaine mesure, créer des problèmes pour le Pakistan lui-même, qui est de plus en plus libéré de l'influence américaine.

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Les Américains sont entrés en Afghanistan dans un environnement géopolitique très différent. La Russie était extrêmement faible après les années 90 et semblait avoir été mise au placard. Pour être en sécurité dans ce modèle unipolaire, les Américains ont décidé de renforcer une présence militaire directe au sud de la Russie et, ce faisant, d'éliminer les forces du fondamentalisme islamique qui servaient précisément les intérêts géopolitiques occidentaux, surtout à l'époque de la guerre froide.

Aujourd'hui, après avoir évalué les changements survenus dans le monde et, surtout, la transformation de la Russie et de la Chine en deux pôles indépendants, de plus en plus indépendants de l'Occident mondialiste, les États-Unis ont décidé de revenir à leur stratégie précédente. En retirant leur présence militaire directe dans un Afghanistan exsangue, les États-Unis tenteront de se décharger de toute responsabilité et de faire subir à d'autres l'inévitable contrecoup que constitueront les talibans, qui sont, on le sait, extrêmement militants.

Dans une telle situation, Moscou a décidé à juste titre d'être proactive. La consolidation du pouvoir des talibans n'étant qu'une question de temps, il ne faut pas attendre de voir comment et quand le régime actuel, collaborationniste et pro-américain, sera renversé. Il faut négocier avec les Pachtounes maintenant. Comme nous l'avons vu récemment lors de la visite d'une délégation de talibans à Moscou. Les Talibans sont désormais une entité indépendante. Et l'approche réaliste de Poutine exige que l'on tienne compte d'un tel acteur, parce que cet acteur est là, sur le terrain, et s'est avéré inébranlable.

La déstabilisation de toute l'Asie centrale est inévitable si on laisse la situation en Afghanistan se dégrader. Cela affectera directement le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Turkménistan - c'est-à-dire que cela n'affectera pas directement les intérêts de la Russie et de l'OTSC.  Par conséquent, la Russie doit assumer la responsabilité de ce qui se passe dans le prochain cycle de l'histoire sanglante de l'Afghanistan.

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Ici, la Russie devrait agir en tenant compte de la structure en mosaïque de la société afghane - les intérêts des groupes ethniques non pachtounes d'Afghanistan - Tadjiks et Ouzbeks, ainsi que les chiites Hazaras et la minorité ismaélienne du Bodakhshan - devraient certainement être pris en compte. La Russie a été trop longtemps et trop profondément impliquée dans le labyrinthe afghan pour être enfin apte à comprendre les subtilités de la société afghane. Cette connaissance, ainsi que le potentiel stratégique de la Russie et son prestige accru, constituent un avantage très sérieux.

La coopération de la Russie à la préparation d'un avenir afghan en harmonie avec d'autres acteurs régionaux - avec l'Iran et le Pakistan ainsi qu'avec la Chine, l'Inde et les États du Golfe - est cruciale. La Turquie, un partenaire difficile mais aussi tout à fait souverain, pourrait servir de courroie de transmission vers l'Occident.

Mais l'essentiel est d'exclure sciemment l'Occident - principalement les États-Unis, mais aussi l'Union européenne - du nouveau formatage eurasiatique en gestation qui devra rapidement résoudre le problème afghan. Ils ont montré ce dont ils sont "capables" pour résoudre l'impasse afghane. Cela s'appelle en bref et simplement : un échec total.  Rentrez chez vous, et nous ne voulons plus vous voir en Asie centrale à partir de maintenant. L'Eurasie est aux Eurasiens.

Cela ne signifie pas que le problème afghan sera facile à résoudre sans l'Occident. Ce ne sera certes pas facile. Mais avec l'Occident, ce n'est pas possible du tout.

Source: https://www.geopolitica.ru/article/rossiya-vozvrashchaetsya-v-afganistan

dimanche, 11 juillet 2021

Afghanistan: les États-Unis partent, la Turquie arrive?

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Afghanistan: les États-Unis partent, la Turquie arrive?

Ex: https://katehon.com/ru/node/78007

On ne sait pas encore si Ankara sera en mesure de conclure un accord avec les talibans et de poursuivre la mission de l'OTAN.

Récemment, plusieurs médias ont diffusé des informations selon lesquelles, après le retrait définitif de l'armée américaine d'Afghanistan, l'armée turque pourrait prendre sa place. Au moins, pour assurer la sécurité de l'aéroport international de Kaboul, car il existe un risque élevé que les Talibans (organisation interdite en Russie) - pour des raisons objectives et des particularités de leur politique - puissent plonger la capitale du pays dans le chaos.

Ces déclarations ont donné lieu à plusieurs interprétations principales :

1) La Turquie remplacera les États-Unis parce qu'elle est membre de l'OTAN. L'accord aurait en fait été conclu lors du dernier sommet de l'Alliance de l'Atlantique Nord - et Joe Biden aurait trouvé un terrain d'entente avec Recep Tayyip Erdogan. Ainsi, Washington confie la sécurité (probablement partielle) de l'Afghanistan à la Turquie, tandis qu'Ankara obtient ses dividendes, y compris la possibilité de promouvoir une stratégie de pan-turquisme dans la région.

2) La Turquie a pris sa propre décision et a négocié avec les Talibans sur cette question. En outre, le Pakistan, qui est le partenaire stratégique de la Turquie et qui a une certaine influence sur les talibans, aidera Ankara de toutes les manières possibles. Tout cela se fait contre la volonté des États-Unis, et la Turquie se considère comme un nouveau centre géopolitique suffisamment fort en Eurasie pour mener sa propre politique.

3) L'explosion de nouvelles était délibérée afin de sonder les attitudes à l'intérieur et à l'extérieur de la Turquie, de faire des évaluations appropriées, d'identifier les faiblesses de cette approche, et d'identifier les forces qui ont activement critiqué ou soutenu le concept.

Cependant, il est difficile de dire avec quel sérieux ces forces particulières en Turquie s'attendaient à entrer en Afghanistan - et comment elles représentaient exactement leur présence. Il est possible que l'expérience de l'utilisation des Frères musulmans en Libye ait incité la Turquie à appliquer la même méthodologie de force par procuration (sous la direction directe des supérieurs turcs) en Afghanistan également. Mais le développement de cette histoire a montré certaines inadéquations entre le désir et la capacité.

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Mohammad Naeem, président du Politburo des Talibans, a accordé une interview à la chaîne de télévision kurde Rudav le 3 juillet 2021. A la question "Que pensez-vous de la nouvelle selon laquelle la Turquie aurait hérité des bases américaines et d'un aéroport en Afghanistan ? Comme vous le savez, il y a des pourparlers entre les États-Unis et la Turquie sur cette question", il a répondu comme suit :

"La question des troupes étrangères et de leur retrait a déjà été finalisée. Selon notre traité, toutes les forces doivent être retirées, sauf les missions diplomatiques. Cette question a été finalisée. Tous ceux qui veulent rester dans notre pays, nous les considérerons définitivement comme des envahisseurs. Ils ne devraient pas rester ici avec la force militaire. Cependant, nous aurons de bonnes relations avec chacun d'entre eux... Nous attendons un soutien international des pays voisins et régionaux. Nos relations avec les autres pays seront bonnes, mais la présence de forces étrangères est totalement rejetée."

Le porte-parole des talibans a donné une réponse évasive. D'une part, il a rejeté la présence militaire de quiconque, mais d'autre part, il n'a ni confirmé ni nié l'éventuelle participation future de la Turquie à la sécurisation de divers sites en Afghanistan. La présence militaire peut être différente de la mise en œuvre de mesures de sécurité, y compris celles dans lesquelles les talibans eux-mêmes ont un intérêt. Puisque, théoriquement, les Talibans peuvent faire appel à des forces extérieures pour n'importe quelle tâche.

Mais la position américaine sur le retrait et la poursuite de la coopération avec les autorités afghanes officielles donne une image plus claire.

Lors d'une conférence de presse du 2 juillet 2021, le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a déclaré :

"Dans le cadre de notre processus de retrait en cours, le secrétaire à la défense a approuvé un plan visant à transférer le commandement de notre mission en Afghanistan du général Scott Miller au général Frank McKenzie. Ce transfert devrait prendre effet à la fin de ce mois.

Le général McKenzie conservera toute son autorité en tant que commandant des forces américaines en Afghanistan. Il continuera d'exercer son autorité pour mener toute opération antiterroriste nécessaire à la protection du territoire national contre les menaces émanant de l'Afghanistan.

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Et il dirigera les efforts des États-Unis pour développer des options de soutien logistique, financier et technique pour les forces afghanes une fois que notre retrait sera terminé. Dans le cadre de ce nouvel accord, le secrétaire d'État a également approuvé la création de la force avancée américaine en Afghanistan, qui sera dirigée par le contre-amiral de la marine Peter Waisley. Le commandement du contre-amiral Waisley sera basé à Kaboul et sera soutenu par le brigadier général Curtis Buzzard, qui dirigera la Direction de la sécurité de la défense en Afghanistan.

Ce bureau sera basé au Qatar et fournira un soutien financier aux forces de défense et de sécurité nationales afghanes, y compris, à terme, un soutien pour la maintenance des avions. Ce changement de structure et de direction et le transfert aujourd'hui de la base aérienne de Bagram aux forces de défense et de sécurité nationales afghanes sont des étapes clés de notre processus de retrait, qui reflètent une présence militaire américaine plus réduite en Afghanistan.

Cette présence continuera à se concentrer sur quatre points au cours de la période à venir. Premièrement, protéger notre présence diplomatique dans le pays. Deuxièmement, le soutien aux exigences de sécurité à l'aéroport international Hamid Karzai. Troisièmement, des conseils et une assistance permanente aux forces de défense et de sécurité nationales afghanes, selon les besoins. Et quatrièmement, le soutien à nos efforts de lutte contre le terrorisme."

La décision de créer ce commandement supplémentaire a été prise par le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, le même jour, le 2 juillet. Il convient de noter que la semaine dernière, le chef du Pentagone s'est rendu au Tadjikistan et en Ouzbékistan, où il a discuté des questions de sécurité régionale et de la coopération avec l'armée américaine.

Nous constatons donc que le contingent américain limité restera en Afghanistan après tout. On ignore si cela s'inscrit dans le cadre des accords conclus avec les talibans (par exemple, autoriser la présence de missions diplomatiques pourrait automatiquement signifier disposer de personnel spécialisé pour assurer la sécurité de ces missions).

L'équipe du contre-amiral Weasley serait au moins à Kaboul, comme indiqué officiellement. Il est possible que les États-Unis et les autorités officielles qu'ils soutiennent tentent de créer une ceinture de sécurité stable autour de Kaboul et des zones spéciales supplémentaires à l'intérieur de la capitale, comme cela a été fait lors de l'occupation de Bagdad en Irak.

La chef de la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), Deborah Lyons, a rencontré l'équipe de négociation des Talibans à Doha le 6 juillet. Les deux parties ont convenu que les pourparlers de paix devaient être la seule solution pour un règlement politique en Afghanistan. Cependant, la veille, les Talibans avaient pris le contrôle de la frontière nord du pays en combattant, montrant ainsi exactement le type de politique qu'ils poursuivaient. La situation reste tendue, et si la violence s'intensifie, des milliers de nouveaux réfugiés sont prêts à se déverser dans les pays voisins, à savoir l'Iran, le Pakistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan.

vendredi, 09 juillet 2021

Afghanistan, Pakistan : l’échec américain...

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Afghanistan, Pakistan : l’échec américain...

Général Jean-Bernard Pinatel

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com/

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel, cueilli sur Geopragma et consacré à l'échec américain en Asie centrale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

Afghanistan, Pakistan : l’échec américain

Le 4 juillet 2021, jour de  l'« independance day », les Etats-Unis achèveront leur retrait d’Afghanistan mettant un terme à 20 ans de guerre, la plus longue de leur histoire au cours de laquelle au 13 avril 2021  ils avaient perdu 2 349 soldats et avaient déploré 20 149 blessés.

Pour effectuer un retrait de leurs troupes d’une façon honorable, le 12 septembre 2020, les Américains ont lancé la nième négociation intra afghane avec les Talibans. Mais pas un seul observateur de bonne foi peut croire que les Talibans voudront les poursuivre après le 4 juillet. Pourquoi ? Parce qu’en Afghanistan les Etats-Unis ont fait face à une guerre révolutionnaire dans laquelle les objectifs religieux des talibans « instaurer un ordre islamique et vertueux pour remplacer l’ordre païen et corrompu » se sont entremêlés avec les objectifs mafieux des trafiquants de pavot. En effet, devant la nécessité de financer leur guerre et de s’attacher la complicité des campagnes, les Talibans ont décidé de faire des producteurs et des trafiquants de pavot, leurs compagnons de route alors qu’avant l’invasion américaine ils les exécutaient. Cette interdépendance nous la retrouvons dans nos banlieues. Elle est la cause des échecs de la politique de réconciliation que le Président Kasaï a tenté plusieurs fois de négocier. Pour les Talibans il n’est pas question de composer avec un pouvoir corrompu, pour les trafiquants, la paix est synonyme de développement économique et donc de fin de leur business alors qu’en temps de guerre, la culture du pavot et leur trafic sont une condition de survie pour la population rurale.

Même la représentante spéciale de l’ONU Mme Lyons n’y croit pas. Tout en saluant diplomatiquement les avancées dans les pourparlers de paix entre l’Afghanistan et les Talibans, puisque les deux parties ont annoncé le 2 décembre 2020 « qu’elles avaient formé un comité de travail chargé de discuter de l’ordre du jour », elle s’est inquiétée d’une violence incessante qui reste « un obstacle sérieux à la paix ». 

En effet, entre le 13 juillet et le 12 novembre 2020, 9600 atteintes à la sécurité attribuées aux Talibans à Al Qaida ou à Daech ont été recensées dans tout le pays. En octobre et novembre 2020, les engins explosifs improvisés ont ainsi causé 60% de victimes civiles de plus qu’à la même période en 2019. Et au dernier trimestre 2020, le nombre d’enfants victimes de violences a augmenté de 25% par rapport au trimestre précédent.  Les attaques contre les écoles ont été multipliées par quatre.

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Même à Kaboul, les Américains et les forces gouvernementales n’arrivent pas à assurer la sécurité.  Le 8 mai 2021, deux mois avant le retrait total des forces américaines, une explosion devant une école pour filles à Kaboul fait au moins 85 morts et des centaines de blessés ; 8 jours plus tard le 15 mai 2021, un attentat revendiqué par Daech dans une mosquée soufi, a occasionné plus de 60 morts et plusieurs centaines de blessés.  

Comment expliquer cet échec de la première puissance militaire et économique du monde.

La première cause de cet échec est l’inadaptation totale de la politique de défense, de la stratégie opérationnelle et de l’armée américaine à la menace.

La première erreur stratégique des conseillers de Bush junior a été de croire que l’on pouvait gagner cette guerre sans modifier la doctrine d’emploi de leurs forces classiques prévue pour des combats de haute intensité. Conformément à la doctrine militaire américaine, ils ont mené comme en Irak jusqu’en 2009 une guerre à distance sans mobiliser et entrainer des troupes locales et en causant des pertes considérables à la population.

L’inadaptation de cette stratégie opérationnelle est résumée par le colonel Michel Goya dans ses « impressions de Kaboul », je cite : « une mission moyenne de deux heures de vol, sans tir, d’un chasseur bombardier américain équivaut presque à la solde mensuelle d’un bataillon Afghan ».

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Bien plus, Michel Goya dans « les armées du chaos » donne un exemple édifiant de l’inefficacité de cette guerre à distance, je cite : « des statistiques montrent qu’il faut aux américains une moyenne de 300 000 cartouches pour tuer un rebelle en Irak ou en Afghanistan ». Le chef de bataillon d’Hassonville du 2ème REP écrivait en écho dans le Figaro du 20 avril 2010 : « L’une des clés du succès du contingent français dans sa zone de responsabilité est d’être parvenu à contrôler nos ripostes et de ne tirer que pour tuer des cibles parfaitement identifiées ».

Ce choix initial a entrainé des pertes considérables dans la population tant en Afghanistan qu’au Pakistan. L’étude « Body count » menée par des médecins légistes anglo-saxons, que l’on peut télécharger sur le web, chiffre entre 2003 et 2011 à au moins de 150 000 civils tués par les frappes américaines en Afghanistan et de l’ordre de 50 000 au Pakistan.

Cette analyse est confirmée par le Général Stanley Cristal qui, prenant le commandement du théâtre d’opérations en juin 2009, déclare dans son premier discours aux troupes américaines « je crois que la perception causée par les pertes civiles est un des plus dangereux ennemis auquel nous devons faire face ».

La seconde raison de cet échec est que Washington a cru qu’il pourrait gagner ce conflit local sans adapter sa stratégie diplomatique et militaire mondiale qui considérait la Chine et la Russie comme les deux menaces principales. C’est une erreur récurrente des Américains, ils croient toujours qu’ils peuvent ménager la chèvre et le chou.

Ainsi depuis le début du XXIème, les Etats-Unis confrontés à la montée en puissance de la Chine, ont initié un partenariat stratégique avec l’Inde. En 2005, les deux pays ont signé un accord-cadre de défense de dix ans, dans le but d’étendre la coopération bilatérale en matière de sécurité. Ils se sont engagés dans de nombreux exercices militaires combinés et l’Inde a acheté d’importantes quantités d’armes américaines ce qui fait des États-Unis l’un des trois principaux fournisseurs d’armement de l’Inde après la Russie et Israël.

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Ce partenariat stratégique avec leur ennemi héréditaire, a inquiété les stratèges pakistanais qui ont revu à la baisse leur engagement aux côtés des Etats-Unis au moment même où les Américains avaient besoin d’une collaboration sans faille du Pakistan pour gagner la guerre en Afghanistan.  En effet, les Talibans sont majoritairement des Pachtounes qui représentent 40% de la population afghane et leur ethnie est présente de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan. Ainsi les Américains n’ont jamais pu obtenir une coopération efficace pour éviter que le Pakistan ne constitue une base arrière pour les Talibans. En effet les dirigeants pakistanais, obnubilés par leur conflit avec l’Inde, doivent prendre en compte la possibilité que les Talibans puissent revenir un jour au pouvoir à Kaboul. Or l’Afghanistan est pour eux un allié vital car il leur offre la profondeur stratégique qui leur manque face à l’Inde.

De même, en se rapprochant de l’Inde, les Américains ouvraient la porte à la Chine qui s’est empressée de nouer un partenariat stratégique avec le Pakistan.  Il s’est rapidement concrétisé par une très importante coopération militaire et économique. Le New-York Times du 19 décembre 2018 écrit je cite : « depuis 2013, année de lancement des routes de la Soie le Pakistan est le site phare de ce programme : le corridor industriel actuellement en travaux à travers le Pakistan – environ 3 000 kilomètres de routes, de voies ferrées, d’oléoducs et de gazoducs – représente à lui seul un investissement de quelque 62 milliards de dollars ». 

Pour la partie chinoise, un double impératif stratégique a guidé sa signature : la sécurisation de ses voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz en bâtissant une voie terrestre d’acheminement évitant le détroit de Malacca et pouvant à terme aller jusqu’à l’Iran et la lutte « contre les trois fléaux » qui menacent le Xinjiang chinois : terrorisme, extrémisme, séparatisme. Trois mois après cette signature Ben Laden était exécuté par des navy seals américains ; coïncidence troublante quand on sait qu’il était l’instigateur de nombreux attentats islamistes en Chine.

Depuis cette coopération stratégique n’a fait que se renforcer. En mai 2019, le vice-président chinois Monsieur Wang a effectué une visite au Pakistan au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président et le Premier ministre pakistanais du renforcement des relations bilatérales. M. Wang a déclaré que la Chine et le Pakistan étaient des “amis de fer”.

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Par ailleurs les Américains ont rejeté avec dédain l’aide des Russes que Poutine a proposée juste après le 9/11. Le 2 octobre Poutine avait rencontré le secrétaire général de l’OTAN à Bruxelles et lui a proposé l’aide de la Russie contre Al-Qaida notamment au Tadjikistan où stationnait la 201 division de fusiliers motorisés russe ; en Ouzbékistan où ils possèdent une base aérienne à Ghissar. Mais pour le complexe militaro-industriel américain l’opposition avec la Russie était à l’époque vitale car elle leur permettait de justifier un budget militaire qui était pourtant dix fois supérieur à celui de la Russie alors que la menace militaire chinoise était alors insignifiante.

20 ans plus tard pour Biden et ses conseillers, il est temps de tourner la page et d’éviter une alliance stratégique de la Russie avec la Chine et je partage l’analyse de Renaud Girard qui dans Figaro vox met la rencontre Biden-Poutine du 16 juin 2021 à Genève sous la raison de leur intérêt commun : freiner l’ascension de la Chine. Certes cela ne se fera pas en un jour mais cela permet d’identifier que l’absence de vision stratégique à long terme des hommes politiques occidentaux et par conséquence l’absence de prise en compte des conséquences des stratégies mondiales des grands acteurs internationaux sur les théâtres d’opération régionaux ne permet pas de gagner les guerres régionales.

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Macron devrait s’en inspirer et, plus que l’appui significatif des européens que nous recherchons désespérément sans succès depuis 10 ans, c’est de celui de la Russie dont nous avons besoin au Sahel. J’ai publié en 2011 un livre intitulé « Russie alliance vitale » où je montrai que ce pays était notre meilleur allié face à l’islamisme et à la montée en puissance de la Chine. Malheureusement Sarkozy, Hollande et Macron, vassaux zélés de Washington, se sont lancés en Libye, Syrie et Sahel dans des opérations extérieures sans mettre en place le contexte diplomatique qui aurait permis de transformer nos victoires militaires en succès politiques.

En conclusion :

Le retrait américain marque la fin de la domination anglo-saxonne sur l’Asie centrale que les britanniques avaient établis depuis le milieu du XIXème siècle et une preuve de plus de la montée en puissance de l’Asie face à l’Occident. La France qui se prépare à modifier sa stratégie dans le Sahel devrait tirer les leçons de cet échec américain en Afghanistan et au Pakistan.

Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 28 juin 2021)

lundi, 24 mai 2021

Bref bilan de la situation en Afghanistan

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Bref bilan de la situation en Afghanistan

Par Amedeo Maddaluno

Ex : https://www.eurasia-rivista.com/

"Il y a maintenant 2500 membres des services militaires américains en Irak et 2500 en Afghanistan. Il s'agit du plus faible nombre de troupes américaines en Afghanistan depuis le début des opérations dans ce pays en 2001. (...) À son point culminant en 2011, il y avait 98.000 soldats américains dans le pays " [1].

Ma thèse est que l'intervention occidentale en Afghanistan a été la plus grande "drôle de guerre", la plus grande guerre-farce, de toute l'histoire contemporaine. Le résultat militaire final de l'intervention montre que les États-Unis et leurs satellites n'ont jamais vraiment essayé de gagner la guerre.

Drôle de guerre

Faisons comme si le gouvernement de Kaboul - allié ou plutôt marionnette de l'Occident - n'était pas corrompu jusqu'à la moelle et sous l'emprise des éternels seigneurs de la guerre du féodalisme afghan, les catamounts (les pumas) qui contrôlent le pays depuis les guérillas antisoviétiques des années 1980.

Faisons comme si les talibans - eux-mêmes beaucoup plus intéressés par le trafic de drogue que par la restauration d'un islam pur des origines - ne jouissaient pas d'un réel consensus au sein de la population du pays, surtout dans les zones peuplées par l'ethnie pachtoune, mais aussi partout où l'on s'impatiente de la voracité et de l'inefficacité des fonctionnaires du gouvernement afghan internationalement reconnu. Evitons alors de parler du soutien tribal, logistique et de renseignement dont les talibans afghans ont pu bénéficier au Pakistan, allié des USA depuis la guerre froide [2]! Appeler cela une "mission de paix" et non une "guerre" lorsqu'on est sous le feu de l'ennemi, et donc viser non pas l'anéantissement de l'ennemi mais sa propre retraite, profite à l'ennemi non seulement sur le plan moral, mais sur le plan militaire réel: il sait qu'il lui suffira d'attendre un quinquennat de plus, un an de plus, un mois de plus, mais que la victoire est déjà certaine.

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Le bilan stratégico-militaire

Dans une "mission de paix", la police et l'armée du pays satellite sont armées et formées, en espérant que ces hommes auront envie de se battre (éventuellement contre les talibans et non pas en retournant leurs armes contre leurs propres "alliés") et de se battre par loyauté envers un État qui n'en est plus un, et non pas par loyauté envers leur propre groupe ethnique, clan, patron local. Ils effectuent des missions "réactives", sortant de la forteresse pour repousser une attaque, regagner le terrain perdu, tout au plus pour une action de décapitation des chefs ennemis - mieux si, toutefois, elle est menée par des drones. Attention, nous ne soutenons pas la thèse infondée selon laquelle, en vingt ans, les États-Unis et leurs alliés n'ont pas mené de missions offensives, ni que leurs troupes satellites locales n'ont pas combattu ou enregistré de pertes. Nous constatons les effets irréalistes de ces opérations, qui ont pu apporter quelques succès tactiques dans le contexte d'un désastre stratégique annoncé - et voulu -[3]. Les États-Unis semblent avoir vraiment voulu se battre en Afghanistan au tournant des années 2010-2011 [4], alors que, de toute façon, d'après ce que nous savons, le nombre de troupes américaines ne dépassait pas celui des troupes soviétiques (la contribution des alliés, si l'on exclut le Royaume-Uni et quelques autres, n'a pas été décisive pour la guerre). Nous savons tous comment l'URSS en est arrivée là [5]. Pas de leçons apprises? Avec pas plus de 100.000 hommes, on ne peut pas contrôler un pays comme l'Afghanistan, au-delà des seules phases offensives et des saisons. Avec 100.000 hommes, vous contrôlez la plupart des routes principales et des grands centres urbains, en gérant de temps en temps des offensives spécifiques. En déployant si peu d'hommes sur un vaste territoire à l'orographie très compliquée, non seulement il n'est pas possible de porter des coups décisifs à l'ennemi, mais cela signale également que l'ennemi ne veut pas en recevoir: ce sont précisément les erreurs déjà commises par les Soviétiques, au-delà de tactiques plus ou moins efficaces[6]. Cela n'est pas seulement indiqué à l'ennemi, mais aussi à la population civile - qui sait déjà qui sera le véritable gagnant: si les soldats américains peuvent rentrer chez eux, les civils afghans ne le peuvent pas, et ils s'activent donc pour collaborer avec le futur maître du pays.

C'est là que réside le problème, dans ce que la littérature militaire appelle le "point d'équilibre" de l'ennemi: dans le cas d'une insurrection, il s'agit de la population civile. C'est la population civile qui doit voir sa sécurité garantie par un monopole sûr de la force, qu'il faut empêcher d'entrer en relation avec l'ennemi (et vice versa) [7]. Les civils doivent être isolés de l'ennemi, persuadés par la présence constante de leurs propres troupes sur chaque territoire (oui: par la force, et non par des paquets cadeaux!) qu'il ne gagnera pas, persuadés qu'il ne sera pas celui qui garantira leur sécurité demain. Il faut isoler l'ennemi des civils, l'empêcher de les atteindre, ne pas lui accorder de sanctuaires, mais le traquer constamment et transformer la guérilla de prédateur en proie [8]. Un travail qui, en Afghanistan, n'a pas été fait avec continuité, mais - pire ! - en signalant à l'ennemi que l’on ne voulait pas en supporter le coût.

Un bilan géopolitique

Pourquoi ce manque de volonté de se battre? En raison du refus des Européens et des Américains de supporter les coûts de conflits sans fin dans des pays aux noms imprononçables, des usines de papier et d'encre ont été gaspillées. Et pourtant, les Américains et les Européens ont mené ces guerres.

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Plus raffinées sont les réflexions d'Edward Luttwak sur "l'ère post-héroïque", le moment à partir duquel des sociétés vieillissantes à la démographie stagnante deviennent réticentes à s'engager dans la violence.

Pourtant, les Américains et les Européens étaient prêts à accepter cette violence lorsqu'ils sont allés en Afghanistan, tout comme les Russes étaient prêts à se sacrifier en Tchétchénie pour sauver leur pays de la désintégration: un taux de tolérance à la violence plus élevé que celui démontré en Afghanistan au cours de la décennie précédente.

C'est indéniable et irréfutable : les sociétés jeunes ont tendance à être beaucoup plus enclines à utiliser des armes à feu; mais toutes les sociétés jeunes ne sont pas automatiquement dans ce cas, et toutes les sociétés plus anciennes ne le sont pas. Beaucoup dépend des opportunités offertes aux jeunes; beaucoup dépend des enjeux.

Quel était, en Afghanistan, le véritable enjeu ? Parlons de géopolitique sans nous plonger dans les méandres tortueux des coulisses de la traque de Ben Laden, mort dans son cottage d'une petite ville pakistanaise endormie comme un "petit bourgeois". Chausser les bottes en Afghanistan, c'était montrer à l'opinion publique américaine et européenne que "l'on faisait vraiment quelque chose" contre le terrorisme; c'était planter son drapeau au cœur du continent eurasien, dans la zone la plus chaotique du "Grand Moyen-Orient". Dès le départ, la cible principale n'était pas vraiment l'Afghanistan, mais l'Irak, et c'est le Proche-Orient! Maintenant que le Grand Moyen-Orient et le Proche-Orient ne présentent plus de forces ennemies capables de défier frontalement les Etats-Unis, il suffit d'adopter la stratégie du leading from behind, en déléguant la protection de la zone tantôt à des alliés, tantôt à des satellites, et en favorisant le chaos autant que possible. La Chine fait face à l'Indo-Pacifique, pas à l'Asie centrale: il est donc parfaitement normal que le casse-tête d'un Afghanistan instable à la frontière du Sinkiang repose entièrement sur les épaules de la Chine, ainsi que sur celles de Moscou et de Téhéran: il n'y a jamais eu de moment plus propice au désengagement du pays. Le prétexte selon lequel "on fait quelque chose contre le terrorisme et pour l'avenir des Afghans", de moins en moins utile, sera bientôt oublié.

Trop de dépenses pour un simple prétexte ? Il ne s'agissait pas d'un simple "récit": c'était l'effet d'un moment stratégique où l'intervention directe dans le Grand Moyen-Orient était la stratégie des États-Unis. Les dépenses n'étaient pas non plus excessives; ou plutôt, elles étaient immenses financièrement, mais militairement, elles n'ont jamais dépassé 100.000 hommes.

"En 1969, plus de 500.000 militaires américains étaient stationnés au Vietnam" [9].

NOTES

[1] Jim Garamone, U.S. Completes Troop-Level Drawdown in Afghanistan, Iraq, www.defense.gov, 15 Gennaio 2021

[2] Pour quel motif Islamabad devrait renoncé à avoir un gouvernement à Kaboul qui soit sous son propre contrôle et qui ne serait pas, par exemple, philo-indien comme celui d’aujourd’hui car il s’agira toujours, pour le Pakistan, d’éviter d’être encerclé par deux fronts et de se doter d’un hinterland géopolitique ?

[3] Gastone Breccia, Missione fallita. La sconfitta dell’Occidente in Afghanistan, Il Mulino, 2020

[4] The Associated Press, A timeline of U.S. troop levels in Afghanistan since 2001, www.militarytimes.com, 6 Luglio 2016

[5]The Afghan War quickly settled down into a stalemate, with more than 100,000 Soviet troops controlling the cities, larger towns, and major garrisons and the mujahideen moving with relative freedom throughout the countryside.” In Encyclopedia Britannica, Soviet invasion of Afghanistan 1979, www.britannica.com

[6] Gianluca Bonci, La guerra russo-afgana (1979-1989), LEG Edizioni, 2017

[7] David Kilcullen, Counterinsurgency, C Hurst & Co Publishers Ltd, 2010

[8] Daniele Raineri, Come si fa la guerra al Califfo: l’Iraq come la Rhodesia?, www.analisidifesa.it, 10 Maggio 2015

[9] Encyclopedia Britannica, Vietnam War 1954–1975, www.britannica.com, voce a cura del Prof. Ronald H. Spector.

Amedeo Maddaluno

Amedeo Maddaluno est un contributeur régulier d'Eurasia depuis 2013 - tant la version électronique que la version papier - concentrant ses contributions et son activité de recherche sur les zones géopolitiques du Proche-Orient, de l'espace post-soviétique et de l'espace anglo-saxon (britannique et américain), zones du monde où il a eu l'occasion de travailler et de vivre ou de voyager. Il s'intéresse aux questions militaires, stratégiques et macroéconomiques (il a obtenu un diplôme en économie en 2011 avec une thèse sur l'histoire de la finance à l'université Bocconi de Milan). Il a publié trois livres sur des sujets géopolitiques, dont le dernier, Geopolitica. Storia di un'ideologia, a été publié en 2019 par GoWare - et il est membre de la rédaction du site Osservatorio Globalizzazione, un centre d'études stratégiques dirigé par le professeur Aldo Giannuli de l'université d'État de Milan.

lundi, 17 mai 2021

La CIA et d’autres préparent une nouvelle résistance afghane contre les talibans

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La CIA et d’autres préparent une nouvelle résistance afghane contre les talibans

Par Moon of Alabama

Le 9 septembre 2001, Ahmad Shah Massoud, le commandant d’un front anti-taliban dans le nord de l’Afghanistan, était tué par deux kamikazes. Massoud, d’ethnie Taijik, avait combattu contre l’occupation soviétique, puis contre des seigneurs de guerre rivaux et enfin contre les Talibans. Massoud et les groupes sous son commandement contrôlaient moins de 10 % de l’Afghanistan. Ils étaient financés par les services secrets américains, français et britanniques. (Amrullah Saleh, le chef du renseignement de Massoud, avait reçu une formation de la CIA à la fin des années 1990).

Après le 11 septembre, la CIA et les forces spéciales américaines ont rencontré les alliés de Massoud, leur ont donné beaucoup d’argent pour engager davantage de combattants et ont soutenu leur marche sur Kaboul par des frappes aériennes massives. Deux mois plus tard, les talibans battaient en retraite, en rentrant chez eux ou se retirant au Pakistan. Les États-Unis ont installé les différents seigneurs de guerre et criminels qui avaient combattu sous Massoud comme nouveau gouvernement.

C’était une erreur. C’est le comportement criminel de ces seigneurs de guerre qui avait conduit le public à soutenir la prise de pouvoir des talibans. L’installation au gouvernement des chefs de guerre qui avaient pillé le pays garantissait le retour des talibans.

En 2006, les talibans étaient de retour. Depuis lors, ils ont repris le contrôle de plus de la moitié de l’Afghanistan. Malgré l’énorme puissance de feu « occidentale » utilisée par les États-Unis et leurs alliés, ils n’ont trouvé aucun moyen d’empêcher le rétablissement du pouvoir des talibans. Finalement, le président Trump a négocié un cessez-le-feu avec eux qui permettait aux États Unis de se retirer d’Afghanistan sans subir de nouvelles pertes.

Hier, les derniers soldats américains ont quitté l’aéroport de Kandahar, autrefois la plus grande base américaine du sud de l’Afghanistan :

Les États-Unis ont achevé leur retrait de l'aérodrome de Kandahar, dans le sud 
de l'Afghanistan, qui était autrefois la deuxième plus grande base militaire du
pays pour les forces américaines, ont indiqué des responsables vendredi.  

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La province de Kandahar était le berceau des talibans et a connu ces derniers 
mois d'intenses affrontements entre les militants résurgents et les forces afghanes. Des frappes aériennes américaines ont été lancées depuis la base la semaine
dernière pour aider les forces afghanes à repousser une offensive majeure
des talibans. "Ils ne nous ont pas officiellement remis la base, mais je peux confirmer
qu'ils l'ont quittée mercredi"
, a déclaré Khoja Yaya Alawi, porte-parole

de l'armée afghane à Kandahar. "Ils ont remis toutes les installations aux forces afghanes", a ajouté
Massoud Pashtun, le directeur de l'aéroport de Kandahar.

Ce retrait d’Afghanistan ne convient pas à la CIA et aux autres services secrets. Ils savent que les talibans vont bientôt écraser le gouvernement afghan et régner à nouveau sur le pays. Mais ils veulent garder un pied en Afghanistan pour continuer leurs ingérences et agir contre divers ennemis présumés, qu’il s’agisse de l’Iran, du Pakistan ou de la Chine. Il y a aussi le commerce de la drogue qui permet à l’agence d’obtenir des fonds hors comptabilité.

Ils envisagent donc maintenant de revenir à la situation de septembre 2001 et de recommencer :

Les agences d'espionnage occidentales évaluent et courtisent des dirigeants 
régionaux extérieurs au gouvernement afghan qui pourraient être en mesure de
fournir des renseignements sur les menaces terroristes longtemps après le
retrait des forces américaines, selon des responsables américains, européens
et afghans. ... Parmi les candidats envisagés aujourd'hui pour la collecte de renseignements
se trouve le fils d'Ahmad Shah Massoud, le célèbre combattant afghan qui a
mené la lutte contre les Soviétiques dans les années 1980, puis contre les
talibans en tant que chef de l'Alliance du Nord la décennie suivante. Le
fils - Ahmad Massoud, 32 ans - a passé ces dernières années à essayer de
faire revivre l'œuvre de son père en rassemblant une coalition de milices
pour défendre le nord de l'Afghanistan. Les Afghans, les Américains et les Européens affirment qu'il n'y a pas de
coopération officielle entre M. Massoud et les services de renseignement
occidentaux, même si certains ont tenu des réunions préliminaires. Si la
C.I.A. et la D.G.S.E. française s'accordent à dire qu'il pourrait fournir
des renseignements, les avis divergent quant à savoir si M. Massoud, qui
n'a pas fait ses preuves en tant que dirigeant, serait capable de commander
une résistance efficace.

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Pourquoi diable les services secrets « occidentaux » veulent-ils une « résistance efficace » contre le régime taliban en Afghanistan ? Pourquoi, après plus de 40 ans, ne peuvent-ils pas, au moins pour une fois, arrêter de mettre le bazar dans ce pays ?

Massoud junior a fait ses études en Iran et en Grande-Bretagne :

Après avoir terminé ses études secondaires en Iran, Massoud a suivi pendant un 
an un cours militaire à l'Académie militaire royale de Sandhurst. En 2012, il
a commencé un diplôme de premier cycle d’études sur la guerre au King's College
de Londres, où il a obtenu sa licence en 2015. Il a obtenu son master en politique
internationale à la City, Université de Londres, en 2016.

Sandhurst et Kings College peuvent donner une bonne éducation quand on se prépare à être un caniche de haut niveau pour l’ancien empire. Mais ils ne permettent pas de diriger qui que ce soit en Afghanistan. Contrairement à son père, Massoud junior n’a jamais combattu dans une guerre ou même contre un chef de guerre concurrent. Il n’a aucune crédibilité dans la rue.

Pourtant, certains responsables « occidentaux » veulent soutenir Massoud dans la nouvelle guerre civile qu’il envisage :

Les différents gouvernements et responsables alliés ont des opinions différentes 
sur M. Massoud et la viabilité de son mouvement. Les Français, qui étaient des
partisans dévoués de son père, considèrent que ses efforts sont pleins de
promesses pour organiser une véritable résistance au contrôle des Talibans. David Martinon, l'ambassadeur de France à Kaboul, a déclaré qu'il avait observé
M. Massoud de près au cours des trois dernières années et l'a désigné pour un
voyage à Paris afin de rencontrer des dirigeants français, dont le président.
"Il est intelligent, passionné et c'est un homme intègre qui s'est engagé
envers son pays"
, a déclaré M. Martinon. Washington est plus divisé, et certains analystes du gouvernement ne pensent

pas que M. Massoud soit capable de construire une coalition efficace.

Malgré cela, quelqu’un le finance secrètement :

Ces derniers mois, la rhétorique de M. Massoud s'est durcie, s'en prenant 
au [président Ashraf] Ghani lors d'une récente cérémonie à Kaboul, et
ses efforts pour obtenir un soutien international sont devenus plus agressifs.
En plus de tendre la main aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à la France,
M. Massoud a courtisé l'Inde, l'Iran et la Russie, selon des personnes au fait
de ses démarches. Des documents des services de renseignement afghans suggèrent
que M. Massoud achète des armes - par le biais d'un intermédiaire - à la Russie.

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Les services « occidentaux » n’ont-ils rien appris au cours des 20 dernières années ? Quel est le but du financement d’une résistance contre les Talibans ? Quel est, s’il vous plaît, l’état final souhaité pour l’Afghanistan et est-il même théoriquement réalisable ?

Nous pouvons ne pas aimer la façon dont les talibans vont diriger l’Afghanistan. Mais ils se sont avérés être la seule force capable de créer un environnement quelque peu stable et pacifique pour les habitants de ce pays.

Pourquoi ne pouvons-nous pas juste en rester là ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

samedi, 24 avril 2021

Activité diplomatique intense en Russie et en Turquie en avril au sujet de l'Afghanistan

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Activité diplomatique intense en Russie et en Turquie en avril au sujet de l'Afghanistan

Gaston Pardo

Ex : http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestra...

Le président américain Joe Biden a annoncé que l'intervention militaire américaine en Afghanistan prendra fin le 11 septembre 2021 et que le dernier soldat américain quittera le pays plusieurs semaines avant le 20e anniversaire de l'invasion et de la conquête de ce pays d'Asie centrale par les États-Unis, le 7 octobre 2001.

Biden est le troisième président américain à s'être engagé à mettre fin à la guerre en Afghanistan. Même si les quelque 3500 derniers soldats quittaient le pays, des milliers d'agents de la CIA, de mercenaires et de troupes paramilitaires continueraient à soutenir le gouvernement du président Ashraf Ghani.

Mais l'annonce de Biden offre l'occasion de faire le point sur la plus longue guerre de l'histoire des États-Unis, qui a apporté des souffrances indicibles au peuple afghan, gaspillé de vastes ressources aux dépens d'une société américaine trompée sur les véritables motifs de l'invasion.

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Le World Socialist Web Site révèle que 100.000 Afghans sont morts dans la guerre, selon les comptes officiels, ce qui est sans doute un chiffre incomplet. Les États-Unis ont mené cette guerre en recourant aux méthodes de la "contre-insurrection", c'est-à-dire à la terreur: bombardement de fêtes de mariage et d'hôpitaux, assassinats par drones, enlèvements et torture. Dans l'une des atrocités ultimes de la guerre, en 2015, un avion américain a mené une attaque d'une demi-heure contre un hôpital de Médecins sans frontières à Kunduz, en Afghanistan, tuant 42 personnes.

La Turquie accueillera à Istanbul, en avril 2021, une nouvelle conférence sur le processus de paix entre le gouvernement afghan et les talibans, avec la participation des Nations unies et de pays tels que les États-Unis et la Russie. Ce processus n'implique pas que Doha, la capitale du Qatar, cesse d'être le centre des négociations de paix, a expliqué le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, dans une interview accordée à l'agence de presse étatique Anatolia. L'omniprésence des officiels turcs dans toutes les réunions est révélatrice du poids de la géostratégie de leur pays dans l'issue régionale qui ne concerne que les peuples du Turkestan.

La coexistence de deux scénarios qui auraient été inacceptables par le passé est en vue. Alors que l'influence du livre de Zbigniew Brzezinski Le grand échiquier prévaut encore dans la géostratégie américaine, qui consacre le droit de la géopolitique américaine au Moyen-Orient, le rôle dominant de la Turquie croît dans un projet transcendantal pour l'Islam ottoman qui inclut dans un premier temps l'ensemble du Turkestan est admis.

Turkestan oriental et occidental

Le Turkestan est une région historique d'Asie centrale située entre la mer Caspienne et le désert de Gobi, peuplée principalement de peuples turcs occupant une superficie de plus de 5 millions de km2 en Europe orientale et en Asie.

Le Turkestan oriental, également connu sous le nom de Sinkiang ou d'Uyghuristan, est un terme politique aux significations multiples selon le contexte et l'usage. Le terme a été inventé par des turcologues russes comme Nikita Bichurin au XIXe siècle pour remplacer le terme Turkestan chinois, qui désignait le bassin du Tarim dans la partie sud-ouest de la province de Sinkiang de la dynastie des rois, indique Wikipedia.

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Au début du XXe siècle, les séparatistes ouïghours et leurs partisans ont utilisé le Turkestan oriental (ou "Uyghurestan") pour désigner l'ensemble du Sinkiang ou un futur État indépendant dans l'actuelle région autonome ouïghoure du Sinkiang (dont la capitale serait Urumchi). Ils rejettent le nom "Sinkiang" (Xinjiang) en raison de la résonance probablement chinoise qu'il reflète, et préfèrent "Turkestan oriental" pour souligner le lien avec les autres groupes turcs de l'ouest.

Turkestan occidental

Le Turkestan occidental ou Turkestan russe (en russe, Русский Туркестан, Russkiy Turkestan), était un territoire appartenant aujourd'hui au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan, au Turkménistan, à l'Ouzbékistan, et faisait autrefois partie de l'Empire russe. C'était un territoire de 3.076.628 km², avec 7.721.684 habitants (1897).

Annexion à l'Empire russe

L'Empire russe, après les conquêtes d'Astrakhan et d'Orenbourg, a tenté à plusieurs reprises de prendre le pouvoir dans les steppes du sud. Après l'échec de l'expédition militaire contre le khanat de Khiva en 1717, au cours de laquelle Aleksandr Bekovitsj-Tsjerkasski et tous les membres de l'expédition ont été tués ou vendus comme esclaves, les Russes ont attendu plus d'un siècle avant de s'intéresser à nouveau à la région. Le Turkestan était sous le contrôle de l'Empire russe depuis le début du 18e siècle.

Un joli butin

La région de la mer Caspienne, à laquelle l'Afghanistan offre un accès stratégique, contient environ 270 milliards de barils de pétrole, soit à peu près 20 % des réserves prouvées du monde. Il contient également 665 trillions de pieds cubes de gaz naturel, soit environ un huitième des réserves mondiales de gaz.

L'intervention américaine en Afghanistan n'a pas commencé en 2001, mais en juillet 1979, lorsque l'administration Carter a décidé d'aider les forces qui combattaient le gouvernement soutenu par les Soviétiques, dans le but, comme l'a dit le conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, de "donner à l'URSS sa guerre du Vietnam".

Après l'invasion soviétique en décembre 1979, la CIA a collaboré avec le Pakistan et l'Arabie saoudite pour recruter des "fondamentalistes" islamiques afin qu'ils se rendent en Afghanistan et y mènent une guérilla. C'est grâce à cette opération qu'Oussama ben Laden a pu se rendre en Afghanistan et que l'agence a activé Al-Qaïda sans sa présence.

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De même, les talibans sont le produit des armes et de l'entraînement pakistanais, du financement saoudien et du soutien politique des États-Unis. Bien que le groupe fondamentaliste ait vu le jour dans des camps de réfugiés au Pakistan sous la forme d'une sorte de "fascisme clérical", sous-produit de décennies de guerre et d'oppression, l'administration Clinton a approuvé sa capture en 1995-1996 comme la meilleure chance de rétablir la "stabilité".

mardi, 20 avril 2021

Non, le soldat Ryan n'a pas sauvé les Afghans

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Non, le soldat Ryan n'a pas sauvé les Afghans

par Fulvio Scaglione

Source : Fulvio Scaglione & https://www.ariannaeditrice.it/
 
L'Afghanistan, le retrait et la honte
 
Joe Biden a annoncé le retrait des troupes américaines (3000 hommes) et, par conséquent, des troupes de l'OTAN (7000 hommes) d'Afghanistan. Et il a choisi une date suggestive, le 11 septembre, le jour des tours jumelles, pour parachever le retrait. Inutile de s'appesantir sur le fait que, là aussi, le nouveau président suit les traces de son prédécesseur, ne prenant que quelques mois de marge de manœuvre en plus:il programme ce retrait pour septembre non pas pour mai, comme l'avait suggéré Donald Trump. Deux autres faits importent davantage, que M. Biden a lui-même soulignés, du moins partiellement. La première, c'est que cette guerre de vingt ans a été un échec colossal. Les États-Unis ont dépensé à eux seuls deux trillions de dollars (deux mille milliards) pour la mener à bien, une somme qui aurait pu être utilisée pour prendre l'Afghanistan et le rendre à nouveau neuf. Pour la combattre, 3541 soldats internationaux sont morts, près de  000 soldats afghans, des dizaines de milliers de guérilleros et, surtout, environ 200.000 civils qui, selon les statistiques les plus crédibles, ont été tués à 40% par ceux qui étaient venus de l'autre bout du monde (y compris d'Italie, ndlr) pour les libérer.
 
Et quel est le résultat ? Selon toute vraisemblance, nous assisterons d'ici quelques mois à une répétition de la guerre civile des années 90, car les talibans sont réapparus bien renforcés, au point de pouvoir s'asseoir à la table des négociations de paix en tant qu'interlocuteurs faisant autorité. Il est clair qu'ils ont des plans très très différents pour l'avenir de l'Afghanistan de ceux qui, avec plus ou moins de succès, gouvernent dans l'ombre des canons de l'OTAN. Et selon toute probabilité, ce seront les talibans qui l'emporteront, forts du consensus grâce auquel, surtout dans les campagnes, ils n'ont jamais perdu. Comme dans un jeu de l'oie pervers, nous allons donc revenir presque exactement au point de départ. Vingt ans et 300.000 morts plus tard.
 
L'autre fait, incroyable si l'on s'éloigne de la vision américano-centrée qui a dominé pendant des décennies, est que ce retrait est la réplique d'autres retraits. Celui du Vietnam, par exemple. Ou celle, beaucoup plus proche de nous, de l'Irak, décrétée en 2011 par Barack Obama, qui avait Biden comme adjoint à la Maison Blanche. En Irak, nous savons comment cela s'est passé. George Bush Jr. et Tony Blair ont inventé un tas de mensonges sur les armes de destruction massive pour mener leur guerre coloniale. Ils ont ainsi produit une vague de violence et de destruction responsable de nombreux massacres (environ 15.000 soldats de différentes nationalités, des soldats et des contractants irakiens sont morts, au moins 30.000 soldats de l'armée de Saddam Hussein, au moins 50.000 insurgés et un nombre de civils que personne n'a pu ou voulu préciser, mais qui se chiffre en centaines de milliers de personnes), de la déstabilisation de toute une région et de ces ressentiments qui, plus tard, ont ouvert la voie à Al-Qaïda et à Isis.
 
Et pourtant, à chaque fois, on aboutit à un retrait plus ou moins retentissant, dont on parle comme d'un mérite, d'un geste astucieux, et non comme de la conséquence inévitable d'un formidable entêtement et d'une impitoyable politique. Je me  trouvais en Afghanistan en 2001, lorsque cette folie qui a duré vingt ans a commencé. Je suivais l'avancée de l'Alliance du Nord et il était clair à un kilomètre à la ronde qu'il s'agissait d'une fausse guerre, gagnée d'avance en achetant le consentement des tribus contre les talibans. Comme toujours, l'achat de la victoire n'a pas été difficile. Acheter la paix, en revanche, s'est avéré impossible. Vous verrez, dans vingt ans, ils feront la même chose avec la Syrie. Et ils diront les mêmes choses qu'aujourd'hui.