La Russie est un sujet prolifique pour journalistes et experts en tant que puissance résiduelle de l’ex-Union Soviétique soucieuse de s’offrir un rang conforme à ses ambitions mondiales. De fait, fantasmes et réalités ne cessent de se bousculer lors de nombreux papiers commentant les actions des dirigeants ou sur les évènements pouvant survenir au sein de cette fédération eurasiatique.
Certains auteurs n’ont pas manqué de faire part de leur atterrement quant à la méconnaissance ou à la vision faussée véhiculées par les médias traditionnels comme modernes. L’un deux, Alexandre Latsa, se proposant d’offrir une vision dissonnante comme il l’écrit lui même quant aux faits relatés. Résident permanent à Moscou, il intervient régulièrement en diverses publications pour exprimer son point de vue lorsque ce n’est pas sur son propre espace d’information numérique. Je l’ai par conséquent interrogé quant aux diverses problématiques régulièrement ou récemment soulevées afin qu’il puisse expliciter la teneur des enjeux comme apporter ses corrections idoines.
Alexandre, bonjour. Pour commencer, abordons un sujet récurrent dans les journaux occidentaux concernant la démographie Russe. On continue de percevoir la Fédération de Russie comme un pays à la dérive en ce domaine, quelle est votre observation sur le sujet?
Il est encore fréquent de lire que la Russie perdrait « un million d’habitants / an », pourtant c’est inexact, la Russie est sortie de la situation démographique réellement catastrophique dans laquelle elle s’est retrouvée suite à l’effondrement de l’URSS.
Bien sur tout n’est pas réglé, mais la population a cessé de diminuer.
En 1991, la population de l’URSS était de 292 millions d’habitants et la population de la Russie dans ses frontières actuelles s’élevait à 148,3 millions d’habitants. 1991 est une date charnière puisque c’est l’année durant laquelle la population cesse d’augmenter et la mortalité dépasse la natalité. L’effondrement politique et économique qui frappe la Russie durant la décennie qui va suivre verra un déclin démographique sans précédent.
Juste quelques chiffres pour “bien” comprendre la gravité de la situation et imaginer le chaos total, économique, politique, hospitalier et donc sanitaire que ce pays à traversé durant les « libérales années 90 ». L’espérance de vie s’est effondrée à un niveau inférieur au niveau Péruvien ou Indonésien, l’excédent de décès durant cette période était le double de l’excédent de décès du aux difficiles conditions de vie des civils en Russie durant le second conflit mondial (!).La Russie connu un regain de maladies qui n’existaient même plus dans nombre de pays du 1/3 monde : diphtérie, typhus, choléra, fièvre typhoïde et une explosion des maladies sexuellement transmissibles comme le Sida, à tel point que le chef de file de l’épidémiologie Russes estima que au rythme des années 90, 10 millions de personnes seraient contaminées en 2005. Cette explosion était due à l’explosion de la prostitution (par nécessité économique) mais aussi à la drogue, la Russie étant en 1998 le principal marché du monde. En 1998 on estimait à 5 millions le nombre de drogués du pays soit 3% de la population. Si les jeunes consommaient de la drogue, les plus vieux buvaient. Une enquête de 1998 prouva que 50% des hommes buvaient en moyenne plus de ½ litre de vodka par jour. Rien qu’entre 1990 et 1998, furent recensés : 259.000 suicides, 230.000 décès par empoisonnement (de vodka), et 169.000 assassinats. Alors que de plus en plus de Russes mourraient, surtout, de moins en moins naissaient.Les enfants qui naissaient n’avaient cependant pas tout gagné. En 1998, un million d’enfants errait dans les rues des villes de Russie. Tout cela entraîna un déclin démographique implacable. Les conséquences vont être tragiques, dès 1996 la population de la Russie va commencer à diminuer, pour atteindre 142,8 millions d’habitants en 2006. Soit sur 10 ans une perte nette de 5,5 millions d’habitants ! Pour la seule année 2005, la population a diminué de 780.000 habitants, ce qui est absolument considérable.
En 2005 fut mis en place le fameux plan démographique confié au futur président Dimitri Medvedev. De quoi s’agit t-il ? D’un plan d’aide à la natalité, offrant des primes financières à partir du second enfant mais également tout une batterie d’aides diverses et de facilités économiques. Ce capital maternel (appelé Mat Kapital) étant recevable 3 ans après la naissance. Les résultats ont été fulgurants, : en 2006, la population à baissé de 600.000 habitants, en 2007 de 300.000 habitants et en 2008 de 100.000 habitants. En 2009, la population n’a pas baissé, elle a même légèrement augmenté (de 35.000 personnes) pour se stabiliser à 141,9 millions d’habitants. L’accroissement des naissances a été constaté dans 70 territoires de la Fédération et la réduction des décès dans 73 territoires sur les 83. Symbole de cette renaissance démographique, la Sibérie puisqu’entre 2000 et 2009 la natalité y a augmenté fortement : en 2000 98.000 enfants sont nés en Sibérie et en 2009 174.000. Selon la ministre russe de la Santé et du Développement social Tatiana Golikova la stabilité démographique s’explique principalement par l’accroissement des naissances : 1,76 million de Russes ont vu le jour en 2009, c’est-à-dire plus de 2,8% que en 2008, seulement 1,714 million. La ministre s’est engagée à ce que : « le déclin démographique cesse en 2011 avec une population stabilisée et un taux de mortalité égal au taux de natalité ».
Désormais, la natalité étant repartie à la hausse (première phase du plan démographique), celui ci entre donc dans sa seconde phase qui est destinée à notamment faire baisser la mortalité. Sont visés notamment les décès causés par des maladies comme la tuberculose, les décès sur la route, les décès dus à la consommation de drogues, les décès dus à la consommation d’alcool ou d’alcool frelaté, responsables de la mort annuelle de 500.000 personnes. En outre le pouvoir Russe cherche aussi à faire baisser le nombre d’avortement qui est un des plus élevés au monde (en 2008, pour 1,714 million de naissance, ont été recensés en Russie près de 1,234 million d’avortement). Enfin, le but est qu’en 2020, le niveau de vie atteigne 75 ans pour les citoyens Russes.
En 2010, sur le premier semestre de l’année, le rythme se poursuit puisque le nombre de naissances (868.936) y est de 2,3% plus élevé que sur le premier semestre 2009 (849.267), soit 19.569 naissances en plus. La mortalité est nettement en baisse avec une chute de 1,8% entre le S1 2010 (1.010.988 décès) et le S1 2009 (1.029.066 décès) soit 18.078 décès en moins. Il semble possible d’envisager que la population Russe stagne ou augmente cette année, malgré la surmortalité malheureuse et exceptionelle due à la canicule cet été.
Il est à noter que cet automne 2010, un grand recensement fédéral aura lieu en Russie dont je publierai les résultats sur mon blog. Enfin pour clore cette question démographique, et revenir sur ce que l’on peut souvent lire à savoir que la population Russe devrait s’effondrer et s’élever à 137 millions en 2035, voir 100 millions en 2050, sachez que trois scénarios démographiques sont prévus par le pouvoir Russe, une prévision basse envisage une population stabilisée à 128.000.000 d’habitants en 2030, une prévision moyenne envisage une population de 139.372.000 d’habitants en 2030 et enfin une prévision haute de 148.000.000 d’habitants en 2030. On est donc assez loin des prévisions catastrophistes que l’on peut lire ici et la.
Un autre sujet qui revient périodiquement serait l’existence de dissensions entre le Premier Ministre Vladimir Poutine et le Président Dmitri Medvedev : quelle consistance donner à ces allégations selon vous?
Aucune et pour deux raisons majeures. Le culte du secret Russe, couplé à la très importante verticalité du pouvoir Russe fait qu’il est impossible de tirer quelque conclusion que ce soit à ce niveau. Bien sur ce scénario fait “fantasmer” des gens qui n’apprécient que peu la ligne politique que Vladimir Poutine et Dmitri Medevdev défendent tant sur le plan de la politique extérieure, que sur la politique intérieure. Il y a des gens ouvertement hostiles à une Russie forte, indépendante, non alignée à l’OTAN et qui réconstitue son influence dans le monde, et surtout sur les trois zones clefs que sont l’Europe, le Caucase et l’Asie centrale. Personne ne peut prévoir l’avenir, ni savoir ce qui se passe “dans” les murs du Kremlin mais ce qui est certain, c’est que l’obsession grandissante d’une soi disant tension entre les deux hommes me fait penser à l’affaire du troisième mandat de Vladimir Poutine. Il est intéressant de voir la coalition hétéroclite qui “rêve de” cette guerre au sommet, il y a bien sur la presse traditionelle francaise, et certains analystes, comme le Réseau Voltaire, des personnalités comme Michel Drac (lire les entretiens sous l’article) mais également divers mouvements d’ultra-droites Russes ou encore l’opposition libérale.
Pour ma part, au jour d’aujourd’hui, il n’y a aucun signe perceptible je répète d’une quelconque tension entre les deux hommes. Je crois plutôt à un partage voulu des rôles : Medvedev fait le gentil, et Poutine le méchant, soit l’inverse de la situation de aout 2008 pendant la guerre en Géorgie. Le tandem marche à la perfection la récente “démission” du maire de Moscou en est la preuve. Cette démission fait suite aux « départs » des présidents dinosaures du Tatarstan et du Bashkortostan cette année, ce qui témoigne de la volonté du pouvoir de rafraichir la vie politique, tout en “luttant” contre la corruption, le tout de concert.
La récente catastrophe écologique et humaine qui a frappé la Russie cet été, je veux parler des incendies, a donné lieu dans les journaux à nombre de commentaires acerbes quant à la gestion du sinistre par l’exécutif Russe, ces propos étaient-ils justifiés selon vous?
Non, la presse a largement exagéré la situation, mais également les “théoriques” responsabilités politiques liées. Même la situation à Moscou, sous la fumée à été exagérée. J’ai passé l’été à Moscou, ai travaillé tous les jours, la vie ne s’est pas arrêtée et les Moscovites ont patiemment attendu que le climat change et que la pluie arrive. Il convient d’étudier les faits, et de comprendre l’environnement assez particulier. La Russie n’est pas le Poitou-Charentes, c’est un pays grand comme 31 fois la France et plus de 2 fois les états unis. Le nombre de pompiers y est deux fois inférieur à celui de la France (22.000 contre 55.000) et ceux-ci ne sont pas vraiment “rôdés” à la lutte contre des incendies de cette ampleur tout simplement parce que cela arrive très rarement.
La moitié du territoire Russe est boisée (800 millions d’hectares) et de nombreuses parties de ces forêts sauvages (donc non entretenues) sont des zones relativement vides ou les arbres sont en grande partie des résineux. En outre, la construction a été anarchique et les villages sont relativement éparpillés, souvent pas alimentés en eau courante, les maisons étant en bois.
Dans ces conditions lorsque des flammes de la hauteur d’un immeuble de 6 ou 7 étages se propagent à 30 km/heure sur cent ou deux cents maisons en bois sans eau courante et habitées par des personnes âgées, et que le principal « poste » de pompier est à 20 Kilomètres de la, que faire ?
Néanmoins si l’on regarde les chiffres de plus près, on s’aperçoit que finalement les 975.000 Hectares qui ont brûlés ne représentent « que » 0,05% du territoire Russe. A titre de comparaison en France chaque année, brûle également cette proportion de territoire, alors que en Amérique, c’est presque le triple, soit 0,18% du territoire qui brûle chaque année. On oublie vite que par exemple en Amérique en 1991 l’incendie d’Oakland Hills avait détruit 2.900 maisons et tués 25 personnes, ou que l’incendie de Cedar en 2003 avait lui détruit 4.847 maisons. Je donne cette comparaison avec un pays comme l’Amérique qui est très lourdement équipé, préparé et avec de nombreux pompiers pour montrer qu’il est très difficile de répondre au feu. Mais enfin lorsque chaque année en Amérique brûle 3 fois ce qui a brûlé en Russie cet été 2010, on n’entend aucun journaliste marteler que la responsabilité est celle du pouvoir démocrate ou républicain en place.
Pour ces événements comme pour beaucoup d’autres la presse étrangère Occidentale, française en tête se discerne par sa mauvaise foi et son non professionnalisme. Les journalistes et autres correspondants ne sont généralement que des exécutants insipides, aux ordres de rédactions directement sous influence du « politique ». J’étudie intensément le traitement médiatique Français de la Russie, pays dans lequel je vis, et travaille, c’est incroyable. Il y a une volonté parfaitement claire de discréditer ce pays, de le faire passer pour une dictature, une sorte de 1/3 monde noir, rouge et brun, dans lequel il n’y aurait aucune liberté et qui ne partagerait pas les valeurs «Paneuropéennes ». Pour cela tous les moyens sont bons, même lorsque des catastrophes climatiques éclatent. A ce titre, le comportement du grand reporter de France2 qui m’a contacté est explicite : un grand reporter que l’on voit tous les jours à la télévision et que l’on imagine sérieux me contacte dans un seul but : « tenter de montrer les failles du système Poutine », il faut lire l’échange que j’ai reproduit sur mon blog, et noter cette obsession compulsive de « démontrer les failles du système Poutine », finalement peu importe qu’elles existent ou pas, peu importe la réalité et les faits, l’important est de faire ce que la rédaction demande, et de le faire gober aux téléspectateurs.
Cette obsession poutinophobe qui a frappé nombre de journalistes, pigistes et correspondants de presse ne me semble pouvoir se justifier que par l’excès de CO2 respiré, et se traduire par de dogme suivant : « La Russie se calcine, c’est la faute à Poutine ». Je note que la presse a également oublié de préciser que des mesures ont été prises, notamment la création d’une agence fédérale des forêts pour parer à une ce qu’une telle situation se reproduise.
L’enfumage médiatique à un fondement, politique, voir même géopolitique. La Russie est “la” puissance émergente qui inquiète l’Ouest américano-centré, car elle n’est pas sous contrôle de l’OTAN. C’est une puissance nucléaire, politique, et qui à une vision du monde qui ne « cadre » pas avec le projet unipolaire que certains espèrent pour le monde de demain. C’est une puissance souveraine, et l’affirmation de cette souveraineté est la grosse raison du matraquage médiatique dont elle est victime dans la presse Occidentale.
L’on avait beaucoup parlé en 2003 d’un axe Paris-Berlin-Moscou inédit dans l’Histoire, qu’en reste-t-il près de sept ans après ? Quelle place l’Europe occupe-t-elle dans la géostratégie Russe?
La Russie répète qu’elle appartient à l’Europe par la voix de son ministre des affaires étrangères Serguey Lavrov , je cite : « La Russie se voit comme une partie de la civilisation européeenne » ou encore : « La fin de « la guerre froide » et la globalisation ont donné des arguments solides en faveur de la coopération collective « sur toute espace entre Vancouver et Vladivostok ». La Russie est fondamentalement un pays Européen. L’argument qui est de dire que l’occupation tataro-mongole (300 ans) aurait séparé la Russie de l’Europe ne tient pas. C’est un argument que l’on n’oppose pas à l’Espagne qui a subi 700 ans d’occupation Arabe ni aux pays des Balkans qui ont subi 600 ans d’occupation Ottomane.
La relation UE/Russie me semble parasitée par le facteur Américain. Après l’élection de Vladimir Poutine en 2000, la Russie était dans les meilleures dispositions envers “l’Ouest”, comme l’a montré le soutien Russe formel à l’Amérique après le 11 septembre. En retour, la stratégie de pression et de containment s’est accrue, notamment dans l’étranger proche de la Russie, et en 2003, deux évenements majeurs, la guerre en Irak, puis l’affaire Kodhorkovski ont considérablement retendu les relations. Lors du second mandat de Vladimir Poutine, de 2004 à 2008, le climat s’est détérioré avec l’ouest (UE et Etats Unis), à cause notamment des révolutions de couleur et l’adhésion des états Baltes à l’UE notamment. La manipulation Ukrainienne lors de la guerre du gaz a été très mal ressentie à Moscou, et la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN vu comme une trahison, à mettre en lien avec le bombardement de la Serbie en 1999. Le sommet de la tension à été atteint en aout 2008, lors de la guerre en Géorgie, durant laquelle l’OTAN a été indirectement impliqué dans un assaut militaire qui à couté la vie a des casques bleux Russes sous mandat de l’ONU. Comme l’a dit Sergey Lavrov : « Depuis 20 ans la Russie aspirait à construire de nouvelles relations avec l’Occident, sans rencontrer très souvent la compréhension et des échos adéquats ».
Bien sur durant cette dernière décennie, la Russie a pu développer des partenariats solides avec certain pays de l’UE, mais étrangement, peu avec l’UE elle-même. Il faut s’avouer que l’UE « est siamoise de l’OTAN » comme dirait Pierre Lévy, à tel point que Javier Solana est passé directement du secrétariat général de l’Alliance au poste de Haut-représentant de l’UE. Or l’OTAN reste pour les Russes la principale menace, selon la « nouvelle doctrine militaire Russe » signée par le président Russe en février 2010.
L’UE est bien sur devenue le premier partenaire commercial de la Russie, mais celle-ci est son principal fournisseur d’énergie. Si l’on regarde pays par pays, c’est la Chine qui est désormais le premier partenaire commercial de la Russie en fevrier 2009. Au sein de l’Union européenne, l’Allemagne, loin devant l’Italie et la France. Par conséquent le projet « Paris-Berlin-Moscou » semble tourner à un projet « Berlin-Moscou ». Mais actuellement les fondements du partenariat sont plus basés sur des interdépendances économiques que sur une réelle alliance politique et une vision du monde en commun, cela car l’UE est pour l’instant un géant économique mais un nain politique, très relié à la vision très OTANisé du monde, ce qui n’est pas le cas de la Russie. Pourtant la encore, les propositions Russes de création d’une architecture Européenne de sécurité témoignent de la bonne foi de nos partenaires Russes et de leur vision cohérente du futur européen commun qu’ils souhaiteraient.
Pouvez-vous expliciter les liens entre Téhéran et Moscou, une relation qui ne paraît pas aussi simple telle qu’énoncée par certains commentateurs?
La relation Russie/Iran est une affaire à diverses facettes. La Russie n’a cessé de soutenir l’Iran de façon diplomatique, et commerciale également. La récente inauguration de la centrale de Bouchehr (projet avait été initié par le groupe allemand Siemens avant la révolution islamique de 1979, puis interrompu peu après le déclenchement de la guerre Irak-Iran en 1980 et dont le chantier a été repris en 1994 par la Russie) témoigne de ce partenariat économique réel. Bien sur l’IRAN est un pays sous sanctions, et surveillé par la communauté internationale mais la Russie s’est toujours opposée, et continuera probablement à s’opposer aux sanctions trop unilatérales du conseil de sécurité des Nations-Unies. Certes la récente décision Russe de ne pas livrer de missiles S-300 à l’état Iranien semble brouiller les cartes, mais je doute que des transferts de technologie n’aient pas déjà eu lieu, à un moment ou un autre, vu la longue présence de la Russie en Iran et on peut même envisager que peut être que le système similaire que l’IRAN affirme être en train de développer est « d’inspiration » Russe. Après tout une agence Iranienne a affirmé il y a quelques mois que : « l’Iran disposait de quatre missiles destinés à doter les systèmes de DCA S-300, dont deux lui ont été vendus par la Biélorussie et deux par un vendeur resté inconnu ». Intox ou réalité ? Quoi qu’il en soit
Il faut envisager la situation vue de l’angle de Moscou. La Russie n’a « pas » aujourd’hui intêret à un quelconque regain de tension ou d’une nouvelle course aux armements avec l’ouest alors même qu’elle est en train de reprendre l’avantage sur nombre de theâtres d’opérations « prioritaires pour elle » qu’elle avait « momentanément perdu », comme l’Asie centrale, l’Ukraine ou le Caucase. Or de très nombreux autres paramètres interviennent, l’intense activité Turque dans le Caucase et les rapprochements Irano-Turcs, les capitaux Iraniens en Géorgie, ou le soutien Turc à l’Azerbaidjan qui sont des points assez sensibles et peut être que les petites « sanctions » Russes sont des avertissements à l’Iran. Peut être également la Russie a-t-elle déjà reçu les gages d’une non action militaire contre l’Iran ?
Je souhaiterais cependant rappeler qu’il n’est pas possible d’envisager des problèmes aussi complexes de façon simpliste. On a pu lire ça ou là des analyses alarmistes imaginant que la Russie pourrait soutenir l’Iran par anti américanisme, et même devenir une espèce de porte parole du monde musulman antisioniste, mais les choses doivent être observées avec moins de manichéisme. Aujourd’hui la Russie pense d’abord à ses intérêts, comme tout pays souverain. Son intérêt dans la région est une « realpolitique », pragmatique et équilibrée et qui a pour but de consolider sa position politique et économique. Malgré ce refus de livraison des missiles à l’Iran, la relation entre les deux pays devrait rester assez stable, la Russie continuant de soutenir diplomatiquement l’Iran. Du reste, lorsque les manifestations de 2009 ant pouvoir ont eu lieu en Iran (on a parlé de tentative de révolution de couleur en Iran), les meetings de l’opposition ont vu de très violents slogans anti Russes, ce qui en dit très long.
Quel regard et action guident la Fédération de Russie en Asie Centrale qui est devenue avec les années une zone d’intérêt comme d’inquiétude dans les chancelleries? Certains experts parlent d’un jeu d’échecs entre les puissances locales émergentes, la Chine, la Russie et les Etats-Unis : votre opinion sur le sujet?
L’Asie centrale est une zone stratégique et très convoitée, c’est le theâtre du « grand jeu » du siècle dernier, d’opposition des empires. Finalement les Anglais en ont été expulsés, les Russes aussi et les Américains sont sur la même pente. L’inde et la Chine tentent des approches non guerrières, plus commerciale.
Seul le Kazakhstan semble avoir bien défini son projet de coopération étroite avec la Russie, et se situe à un autre niveau économique, son PIB / habitant étant égal à celui de la Turquie. Pour des raisons évidentes linguistiques, historiques, stratégiques et géographiques, l’Asie centrale est une « zone » du monde dans laquelle la Russie souhaite clairement augmenter sa présence et son influence. La vague de Russophobie lié au nationalisme d’indépendance post Soviétique semble plus ou moins tassée et nombre de ces états restent encore finalement relativement dépendants de la Russie, notamment économiquement, via par exemple les grosses minorités présentes sur le territoire Russe. Enfin ces état sont relativement démunis face aux diverses déstabilisations régionales: les révolutions de couleurs et les instabilités politiques liées, l’Islamisation et les risques terroristes liés, la déstabilisation régionale due à l’aventure militaire en Afghanistan, la pression économique Chinoise (transasia) etc etc … Ce sont autant de défis que la Russie doit également relever, avec relativement « peu » d’alliés réels pour l’instant. Sa seule chance à mon avis est de tisser des liens bilatéraux très forts avec les gouvernements de ces états et de développer une coopération multi-échelle très poussée. En cela les récentes grandes manœuvres au Kirgystan sont exemplaire des progrès de la diplomatie Russe, à l’œuvre dans cette région. Enfin les états d’Asie centrale sont membres d’une organisation militaire régionale très importante, qui est l’Oganisation de la coopération de Shanghai, avec la Russie. Par conséquent, il est plausible que l’Asie centrale voit un retour d’un grand jeu version 2.0, je rajouterais cependant un acteur essentiel à mon avis et que vous n’avez pas cité : la Turquie.
Quels seraient selon vous les axes de développement diplomatiques majeurs de la Russie pour ces prochaines années?
Ils sont triples à mon avis et à des échelles différentes.
Tout d’abord la Russie va essayer de resserrer les liens avec les nations Européennes, l’approfondissement des relations avec l’Allemagne, les récentes « détentes » avec la Pologne ou l’Ukraine par exemple sont l’illustration de cette « nouvelle » politique européenne de la Russie. Curieusement, cette alliance « Allemagne-Pologne-Ukraine » était vue par certains stratèges Américains (Zbigniew Brzezinski notamment) comme la future colonne vertébrale de la sécurité Européene et de l’OTAN « contre » la Russie. Or c’est l’inverse qui est en train d’arriver, la proposition d’architecture de sécurité collective européenne Russe est d’ailleurs à mon avis extrêmement réaliste et constructive.
Ensuite la Russie tente de se placer au cœur de l’Asie, consciente du basculement du monde en cours. Le partenariat avec la Chine est particulièrement à l’ordre du jour mais la Russie tisse des liens bilatéraux de plus en plus poussés également avec la Mongolie, le Japon ou encore le Vietnam, ainsi qu’avec les Corées. Cette « offensive » vers l’Asie a selon moi des symboles forts, vers la Chine tout d’abord qui est depuis l’année dernière le premier partenaire commercial de la Russie et enfin à travers la diversification de l’approvisionnement énergétique d’une région qui est en plein développement économique et pourrait d’ici le milieu du siècle supplanter l’Europe dans ses besoins. Enfin la création de l’OCS est symbolique, la Russie étant le seul pays « Européen » membre de cette organisation, montrant bien la son positionnement géopolitique cohérent avec sa géolocalisation : au cœur de l’Eurasie.
Enfin la Russie cherche à avoir toute sa place dans le monde musulman, le pays comprenant une très forte minorité musulmane, estimée à 20 millions de personnes. La Russie a une très forte composante orientale (Tatare, Caucasienne, Centro-asiatique) qu’elle souhaite faire valoir, et se place désormais comme un partenaire proche de nombre de pays musulmans, Arabes ou Asiatiques. A ce titre, elle est par exemple depuis 2005 observateur de l’Organisation de la conférence Islamique.
L’on pointe souvent du doigt le fait que ce pays dépend énormément pour sa santé économique de l’extraction et la commercialisation de ses ressources fossiles, la Russie est-elle capable à terme d’être moins dépendante de cette manne très liée aux fluctuations des cours mondiaux?
Cette inquiétude me semble relativement obsolète. Aujourd’hui, la tendance est à la baisse des prix industriels et à la hausse des prix des matières premières. La démographie mondiale, la demande des pays émergents et l’épuisement progressif de certaines ressources minières devraient soutenir cette tendance dans le long terme. En conséquence, on constate que la dette de tous les pays industriels occidentaux augmente de façon alarmante, pendant que les pays exportateurs de matières premières accumulent les réserves de change.
La Russie profite pleinement de cette situation, et a mis en œuvre de grands programmes de modernisation de la société et de l’économie. Cemois de novembre 2010, le chômage est revenu à son niveau d’avant la crise et la croissance du PIB devrait être de 4 ou 5% pour 2010 et 2011, les réserves de change restent a un niveau élevé, le rouble est stable, et ces conditions permettent de financer ces programmes sans endetter l’état. Dans le domaine social, le programme démographique a déjà des résultats mesurables dont nous avons parlé au début de cet entretien mais d’autres résultats très positifs ont été obtenus depuis 2000 : les revenus réels de la population ont plus que doublé, les revenus des retraités ont triplé et le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté été diminué par deux. En ce début d’année, quatre projets dits “nationaux” (santé, enseignement, logement et agriculture) ont été lancés, projets dont le financement devrait approcher 4,5 milliards d’euros et destinés à encore relever le niveau de vie de la population.
La relative désindustrialisation post Soviétique est certes réelle et les écueils sont nombreux, mais il y a vraiment une volonté affichée du pouvoir, maintenant que la société politique et civile est relativement organisée et stable (effets des premiers mandats Poutine) d’instaurer une politique économique pragmatique. Le point de départ public pourrait en être le discours de Medvedev « Go Russia » de novembre 2008. Des progrès sont constatables à vue d’œil, que ce soit des améliorations dans le fonctionnement de l’administration (réduction du nombre de fonctionnaires), ou des infrastructures, du souhait d’attrait de capitaux étrangers ou encore de la lutte anti corruption. En outre de nombreux projets sont en cours, comme un projet d’OS Russe, un nouveau moteur de recherche Russe, une nouvelle voiture électrique Russe, un téléphone Russe à deux écrans, la création d’une Silicon-Valley Russe ou faire de la capitale un centre financier. Le président Russe, Dimitri Medvedev, a aussi confirmé son souhait de faire de la Russie un des leaders mondiaux de la nanoindustrie, dont le marché devrait selon lui atteindre en 2015 entre 2000 et 3000 milliards de dollars, soit 10 fois plus qu’aujourd’hui. Enfin un plan fédéral immense à pour objectif de développer la Sibérie sur 10 ans.
Bien sur, tout cela n’est que peu retranscrit dans les médias Occidentaux, mais les médias Russes en parlent beaucoup, je ne peux que conseiller aux lecteurs intéressés et non Russophones de lire Ria Novosti en Français ou encore mon blog Dissonance, qui fait notamment écho des avancées économiques en Russie.
Yannick Harrel, Cyberstratégie Est-Ouest