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mardi, 20 novembre 2012

Le Shâhnâmeh ou Livre des Rois de Ferdowsi

Le Shâhnâmeh ou Livre des Rois de Ferdowsi

par Arefeh Hedajazi

Ex: http://mediabenews.wordpress.be/

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Abolghâssem Hassan ben Ali Ferdowsi, grand maître de la langue persane, fut une personnalité aussi légendaire que ses héros. Du jeune noble, lettré et bien élevé, qui décide de transcrire sous forme d’un immense ouvrage épique les légendes et les mythes de l’ancienne Perse, au vieux sage usé et fatigué qui, vers la fin de sa vie, nous conte les tourments de son âme en peine, l’itinéraire de ce héros inclassable et obstiné est unique. Il fut noble dehghân, poète de cour, satiriste, chef de file du mouvement sho’oubbieh et surtout, l’auteur du Shâhnâmeh ou Livre des Rois, recueil épique de 120 000 vers, où l’histoire de l’Iran ancien rejoint celle des autres civilisations antiques. Même si, pour les persanophones du monde entier, Ferdowsi est non seulement un poète, mais il constitue également un patrimoine personnel destiné à chaque membre de cette communauté. La vie de ce maître est, telle celles de ses héros, entourée de légendes et de mystères qui ne donnent que plus de valeur à la place qu’il tient unanimement dans le cœur de tout iranien.

Dans la traduction arabe du Shâhnâmeh réalisée par Albandâri datant approximativement de l’année 1223, le nom de Ferdowsi est « Mansour ben Hassan ». Il apparaît ailleurs sous le nom de « Hassan ben Ali » ou  » Hassan ben Eshagh Sharafshâh ». Pour les chercheurs, c’est la version de la traduction arabe du Livre des Rois par Albandâri qui paraît la plus probable. Son patronyme « Abolghâssem Ferdowsi » est quant à lui unanimement accepté et il n’existe pas de doute au sujet de son exactitude.

Ferdowsi est né à Baj dans la région de Touss. La date précise de sa naissance est inconnue mais les divers recoupements permettent de croire qu’il est né en 940 ou 941. De ses études, on ne sait pas grand-chose mais il connaissait certainement la littérature persane et arabe. Certains pensent que Ferdowsi aurait pu être zoroastrien. C’est une idée totalement fausse. Comme toujours avec les auteurs, le meilleur moyen de connaitre exactement leur biographie est de prendre en compte ce qu’ils en ont dit dans leurs œuvres. D’après les biographes officiels et Ferdowsi lui-même, il était musulman chiite, d’une optique proche de celle des Mo’tazzelleh. C’est ce que dit également Nezâmi Arouzi dans ses Quatre Articles. Ferdowsi présente son chiisme dans l’introduction du Shâhnâmeh :

Tu ne verras point de tes deux yeux le Créateur

Ne les fatigue donc point à Le voir

Par ailleurs, dans beaucoup d’autres vers, il loue l’Imam Ali et c’est dans son Hajvnâmeh, recueil satirique, qu’il montre le plus franchement son appartenance au chiisme. D’autre part, Ferdowsi s’est toujours montré fidèle à ses idéaux et son patriotisme ne doit pas être pris pour une tendance zoroastrienne. Le Maître de Touss était monothéiste, et en de très nombreux endroits de son Livre des Rois, il loue Dieu l’unique et parle de Son Unicité et de Son Immatérialité. Sa plus célèbre louange est celle qui introduit

le Shâhnâmeh :

Tu es le haut et le bas de ce monde

Je ne sais point ce que Tu es,

Tu es tout ce que Tu es.

Ferdowsi était noble et descendait d’une très vieille famille de propriétaires terriens. Cette naissance et cette situation familiale jouèrent sans aucun doute un rôle important dans la formation du jeune Ferdowsi. Premièrement car en tant que noble persan, il s’était familiarisé très jeune avec l’histoire mythique de l’Iran antique. Il est intéressant de noter qu’en la matière, Ferdowsi n’est que le digne héritier des Khorâssânis : quand les Arabes musulmans envahirent l’Iran en l’an 641, toute la cour sassanide, ainsi que les grands administrateurs de cet empire immense se réfugièrent dans la région du Khorâssân, qui comprenait également à cette époque une partie de la Transoxiane. C’est pourquoi, après l’arabisation forcée de la culture iranienne qui ne s’est pas fait sans résistance, ainsi qu’avec la politique de discrimination raciale mise en œuvre par les califes omeyyades, la région du Khorâssân, géographiquement la plus lointaine de la capitale du califat, devint le centre de la résistance iranienne culturelle, religieuse et même militaire et politique. Ce d’autant plus que le Khorâssân était, dès avant l’islam, une satrapie particulièrement importante étant donné qu’elle avoisinait les tribus nomades et très peu civilisées de l’Asie centrale et que par conséquent, les habitants avaient depuis très longtemps un patriotisme à la limite du chauvinisme qui ne fit que s’exacerber avec les exactions arabes. Après l’invasion arabe et la migration de l’élite sassanide, qui parlait une langue noble, le dari, c’est-à-dire la langue du « darbar » (la cour), cette province devint le bastion des défenseurs de l’identité persane, symbolisée par le dari. C’est par la voie de cette langue, qui se répandit rapidement et perdit son statut de langue privilégiée, que les légendes et les mythes de l’ancienne Perse, rassemblés dans des textes religieux tels que le Khodâynamak ou « Le Livre divin », ou dans des semi biographies narrant l’histoire des rois perses, telles que les multiples Tâj namak ou « Livre des couronnes », commencèrent à circuler, narrés par les conteurs ambulants ou sous forme de contes pour enfants. C’est pourquoi Ferdowsi le Tousssi, pur enfant du Khorâssân, connaissait, comme tous les habitants de cette région, les mythes de l’Iran préislamique.

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Siyâvosh et Afrâsiyâb sur le terrain de chasse, artiste inconnu, Shâhnâmeh du Shâh Esmâïli, 1564

Il est d’ailleurs intéressant de souligner ici le rôle des vieilles familles patriciennes de propriétaires terriens, les « dehghâns », d’où était issu Ferdowsi, dans la préservation du patrimoine littéraire et culturel persan. En effet, lors des premiers siècles de l’histoire de l’Iran islamique, à l’époque où la politique d’arabisation des Ajams ou adorateurs de feu qu’étaient les Iraniens au regard des Arabes était appliquée par les califes avec la plus grande rigueur, ce furent ces familles qui, beaucoup plus que les rois, furent les mécènes des artistes persans et les protecteurs du patrimoine culturel iranien.

L’autre importance qu’eût le statut familial de Ferdowsi dans la rédaction de son livre fut l’aspect financier. En tant que propriétaire, Ferdowsi vécut et travailla son ouvrage magistral sur ses terres sans être inquiété par la nécessité d’avoir un emploi. Il est vrai que trente-cinq après le commencement de la rédaction du Livre des Rois, le poète n’était plus qu’un octogénaire fatigué et appauvri, ayant perdu ses terres, sa fortune engloutie par son œuvre, qui cherchait un mécène.

La rédaction du Shâhnâmeh

C’est vraisemblablement dès avant la mort de Daghighi, son prédécesseur dans la rédaction du Shâhnâmeh, que Ferdowsi a commencé à versifier les mythes anciens. Semblable en cela en la plupart des poètes du Xème siècle, Daghighi est un poète très peu connu. La plupart des auteurs de cette période ne sont connus qu’à travers les œuvres des autres écrivains ou de par quelques rares vers qui nous sont parvenus à travers les anthologies. De Daghighi, l’on sait qu’il fut poète lyrique, qu’il vécut à la cour des Ghaznavides et qu’il était très talentueux, au point d’en être célèbre dans cette cour pourtant si riche en poètes. Grâce à son talent, Daghighi était capable de manier tous les genres et de jongler avec tous les styles. C’est pourquoi, quand en poète Khorassani, il décida comme tant d’autres avant lui, de mettre en vers les mythes de la Perse, il put, comme il l’avait fait en tant qu’auteur lyrique, impressionner en tant que poète épique dans son Gashtasbnâmeh. Mais Daghighi avait un mauvais caractère, querelleur et belliqueux. Ses contemporains poètes ont préféré garder le silence à ce sujet ou se sont cantonné à y faire allusion. Ferdowsi dit de lui que, malgré sa jeunesse, ses dons et son talent, il avait le mal en lui et que c’est de par sa propre faute qu’il perdit la vie. En effet, Daghighi mourut jeune, tué par son esclave, alors qu’il avait à peine rédigé cinq cents distiques de son Gashtasbnâmeh.

C’est probablement la mort de Daghighi, qui n’avait qu’à peine eu le temps d’entreprendre sa compilation des mythes de l’Iran antique, qui provoqua chez Ferdowsi le désir de continuer cette compilation. D’après les divers recoupements, on a estimé que le travail de la rédaction du Shâhnâmeh fut définitivement entamée entre les années 980 et 982, à une époque très troublée par les dissensions qui opposaient les trois héritiers du gouverneur de Khorâssân, et les escarmouches ravageuses qui opposaient les armées du roi samanide à celle du roi bouyide, que Ferdowsi évoque dans son ouvrage. Autre indice, Ferdowsi fait également état d’une famine violente l’année où il termina la version première du Livre des Rois ; d’après un historien du XIIème siècle, Attabi, cette famine sévit de 992 à 994, ce qui correspond à la date déterminée par les chercheurs.

D’après les recherches des biographes, à ce moment là, Ferdowsi avait déjà exercé sa plume à versifier quelques unes des légendes anciennes.

Parmi les divers travaux d’écriture que Ferdowsi avait déjà amorcés quand il commença la rédaction du Shâhnâmeh, l’on peut citer la légende de « Bijane et des sangliers », également connue sous le nom de « Bijane et Manijeh ». Cette légende, qui forme l’un des chapitres du Livre des Rois, a été très visiblement écrite par un Ferdowsi à la plume encore inexpérimentée, un Ferdowsi qui n’a pas encore trouvé sa vitesse de croisière et son style particulier, précis et puissant, c’est-à-dire par Ferdowsi jeune, quelques années avant qu’il ne se lance de façon sérieuse dans la rédaction de son œuvre. La légende de « Bijane et les sangliers » est donc le premier chapitre rédigé du Livre des Rois. D’ailleurs, cette légende était visiblement très connue au Xème siècle car de nombreux auteurs l’ont cité dans leurs ouvrages. On peut mentionner les vers de Manoutchehri, qui compare la nuit à la chevelure de Manijeh et au puits de Bijane, ainsi que quelques uns des vers de Ferdowsi lui-même, qui prouvent que cette légende inspirait à l’époque non seulement les gens de lettres, mais également et beaucoup plus les architectes, les décorateurs et les graveurs.

Quand il commença sa « compilation », Ferdowsi ne possédait pas encore le manuscrit du Gashtasbnâmeh. En effet, Daghighi venait à peine de mourir et son ouvrage inachevé n’avait pas encore été copié pour le public. C’était un vrai désagrément pour Ferdowsi car il avait besoin de cet ouvrage en tant que référence. Son rythme de travail risquait de se ralentir lorsqu’un ami bienfaiteur lui fit don du manuscrit du Shâhnâmeh d’Abou-Mansouri, le plus vieux des Shâhnâmeh en prose connu à ce jour.

Ce Shâhnâmeh ainsi que celui d’Aleman furent les deux principaux ouvrages de référence de Ferdowsi dans la mesure où le maître se servit de références écrites. Car contrairement à ce que les chercheurs ont longtemps cru, de nombreux chapitres du Shâhnâmeh ne trouvent pas leur source dans les deux ouvrages de référence cités plus haut. De fait, ces chapitres faisaient partie des contes et des légendes qui circulaient librement dans la société du Khorâssân et qui étaient connus par tous.

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Garsiva rencontre Siyâvosh, artiste inconnu, Shâhnâmeh, XVe siècle

Ainsi, Ferdowsi raconte dans l’un de ces chapitres qu’une nuit, l’inspiration lui manquant, son épouse, le voyant troublé et énervé, lui prépara une collation qu’elle lui servit tout en lui narrant en pahlavi l’une de ces légendes. Cette légende fut la référence principale du chapitre de Rostam et Esfandyâr. Il est intéressant de noter que Ferdowsi précise que la légende lui fut contée dans la langue pahlavi. Comme nous l’avons précisé plus haut, c’est avant d’avoir accès au manuscrit du Livre des Rois d’Abou-Mansouri que Ferdowsi commença à mettre en vers certaines légendes de l’ancienne Perse. C’est pourquoi, il n’avança pas dans l’ordre classique. Il préféra choisir les épisodes légendaires selon ses propres goûts et selon le plan général qu’il avait pour son Livre des Rois. C’est donc après avoir rédigé le livre dans son intégralité qu’il le remania entièrement et plaça les épisodes selon son propre flair littéraire, tout en les reliant ensemble par des vers de « connexion ». De plus, la comparaison du Livre des Rois de Ferdowsi avec l’Histoire des rois perses, ouvrage qui est quasiment une traduction du Livre des Rois d’Abou-Mansouri montre parfaitement que de nombreux chapitres du Shâhnâmeh de Ferdowsi, tels les épisodes de « Bijane et Manijeh », « Rostam et Sohrâb » ou « Rostam et le démon Akvane » n’ont pas été inspirés par le Shâh-Nâmeh d’Abou-Mansouri mais plutôt par le Azad sar, recueil préislamique iranien de légendes à l’auteur inconnu.

Lorsque Ferdowsi débuta la rédaction du Livre des Rois, il se plaça très probablement sous la protection d’un seigneur de la région de Touss, dont on ne connaît pas le patronyme et il serait par trop inexact de s’en tenir à des estimations approximatives. Cet homme, qui disparut de façon mystérieuse quelques années plus tard, éprouvait, selon le Livre des Rois, énormément de respect pour Ferdowsi qu’il traitait avec les plus grands égards et Ferdowsi avoue que les encouragements de ce seigneur lui furent précieux dans la continuation de son travail.

Quelques années plus tard, ce fut Hossein Ghotaybeh, l’envoyé du calife à Touss, qui devint le mécène de Ferdowsi.

Il y également deux des grands de Touss et de Bâj qui le soutinrent financièrement lors de la rédaction du Shâhnâmeh et Ferdowsi fait également état d’eux dans son Livre des Rois. Mais leur nom n’est pas lisible et change d’un manuscrit à l’autre. C’est pourquoi ils sont toujours anonymes et il ne reste d’autre choix que de faire des suppositions au sujet de leur identité.

Après avoir entamé la rédaction de son ouvrage, le Maître de Touss chercha un seigneur digne de ce nom pour lui dédicacer son livre phénoménal. Des seigneurs de la région, aux yeux de Ferdowsi, aucun ne méritait de se voir dédicacer le Shâhnâmeh et il chercha longtemps un grand roi pour lui offrir son livre.

D’autre part, l’on sait qu’une version première du Shâhnâmeh a été rédigée par Ferdowsi et terminé en 994, c’est-à-dire quatorze ans après avoir commencé son travail. Cette version ne fut dédiée à personne mais elle est devint célèbre dans les siècles suivants et c’est cette version qui a été traduite en arabe par Albandâri. Elle est cependant beaucoup moins complète que les deux versions principales.

En réalité, de nombreux manuscrits du Shâhnâmeh furent copiés du vivant de Ferdowsi, alors qu’il travaillait encore sur ce livre. C’est pourquoi les manuscrits existants ont chacun des versions propres et uniques.

Grâce aux multiples copies qui se firent du Shâhnâmeh du vivant de Ferdowsi, ce dernier, déjà auparavant reconnu comme grand lettré, devint de plus en plus célèbre. C’est ainsi que sa célébrité grandissante dépassa même les murs du palais du roi Mahmoud le Ghaznavide, le seul qui fut jugé digne par Ferdowsi de se voir dédicacer le Livre des Rois. Il est vrai que le Maître de Touss regretta très vite sa décision, étant donné les conséquences assez désastreuses qui en découlèrent pour lui.

C’est soit par l’intermédiaire de Nasr ben Nasser-e-Din Saboktakin, le frère du roi, soit par celui du ministre Abol Abbâs Fazl ben Ahmad, que les deux grands, le roi et le poète, se rencontrèrent en l’an 1003 ou 1004. C’est à cette époque que Ferdowsi décida de réviser son œuvre et d’y louer le roi ghaznavide, pour ainsi pouvoir échapper à sa pauvreté qui commençait sérieusement à se transformer en misère. En effet, trente ans après avoir débuté la rédaction du Livre des Rois, il ne restait à Ferdowsi qu’une petite partie de son héritage de patricien. Il s’en plaint d’ailleurs avec fierté vers la fin de son œuvre, quand il précise qu’après trente ans, il ne lui reste ni jeunesse, ni grâce, ni vigueur et surtout, ni argent. Quand le poète et le roi se rencontrèrent pour la première fois, la réputation de ce nouveau Livre des Rois avait déjà dépassé les frontières de la région et les grands et les savants se faisaient copier des manuscrits de ce monument littéraire, mais personne parmi eux ne s’avisait d’aider financièrement le vieux gentilhomme de Touss. Cette mauvaise fortune obligea donc Ferdowsi à dédier son livre à Mahmoud le Ghaznavide, à qui pourtant il était en tout point opposé. Le poète avait alors soixante-cinq ou soixante-sept ans.

Il est plus probable que l’intermédiaire entre le roi et le poète ait été Abol Abbâs Fazl ben Ahmad Esfareyeni, le vizir du roi, ainsi que quelques uns des vers du début de l’histoire de « Keykhosrow et Afrassiâb » nous le font penser. On peut déduire de ces vers que le ministre de Mahmoud était un homme cultivé et un grand lettré, amateur de littérature persane et protecteur et mécène de ce qu’il considérait dès cette époque comme le seul patrimoine purement persan qui pourrait rester et être préservé tout au long des siècles troublés que traversait l’Iran.

Les caractéristiques du Shâhnâmeh

Dans le Shâhnâmeh, Ferdowsi a essayé dans la mesure du possible de rester fidèle aux légendes manuscrites ou orales qui existaient en grand nombre dans cette région de l’Iran, préservées avec chauvinisme par les Persans restés fidèles à leurs traditions par esprit de contradiction avec les Arabes. Mais cette fidélité ne signifie pas que Ferdowsi avait simplement été un compilateur : tout en respectant la trame originale du récit, le maître donne libre cours à sa puissance narrative pour faire du Livre des Rois un monument épique unique au monde.

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Le fils de Fereydoun et les filles de Sarv au banquet du roi yéménite, attribué à Qâsem Ali, Shâhnâmeh du Shâh Tahmâsb, XVIIe siècle.

Comme avant lui Homère et comme des siècles plus tard Balzac et Hugo, Ferdowsi est le maître de la description. Il fait quasiment vivre les personnages antiques sous le regard enchanté du lecteur. C’est pourquoi son chef d’œuvre est toujours aussi moderne. Nous vivons la vie de Rostam, nous partageons les peines et les angoisses de ce héros humain, qui contrairement aux héros surhommes de Homère, est un homme comme les autres, qui se trompe, qui a parfois mal, souvent besoin d’aide ; un homme faible et orgueilleux comme tant d’autres, qui vit les mêmes joies et peines.

Ferdowsi décrit les personnages, les champs de batailles, les beuveries et autres orgies, les palais, les forêts et les démons avec une vivacité qui fait les délices du lecteur moderne. C’est surtout dans la description des scènes de bataille qu’il atteint l’apogée de son pouvoir narratif incroyable.

Dans le Livre des Rois, de même que dans toutes les œuvres épiques, le lecteur se voit confronté à des sentiments de patriotisme et de fierté nationale, ainsi qu’à des exagérations délicieuses et littéralement incroyables, des événements inattendus et logiquement impossibles, et parfois à l’amour du héros. Les histoires d’amour du Livre des Rois donnent un charme tout particulier à ce livre.

Ferdowsi commence d’habitude ses chapitres avec un prêche à caractère moral. Ainsi, il prologue ses chapitres en incitant le lecteur à prendre leçon de ce qu’il va lire et à en tirer une morale efficace dans sa propre vie. Et tout en narrant les histoires conformément à la trame traditionnelle de l’intrigue, il ne se prive pas d’orner le récit par des rajouts stylistiques qui font tout le charme de l’histoire. C’est pourquoi l’importance du talent de conteur qu’est celui de Ferdowsi doit être absolument prise en compte lors de la lecture de son Livre des Rois.

On peut également suivre la trace du poète dans son œuvre quand il parle de lui-même ou des personnages réels qu’il a connus ou qui lui sont liés d’une manière ou d’une autre. Ici aussi, ses descriptions sont puissantes et vivaces, dix siècles plus tard, nous avons l’impression d’avoir affaire à des contemporains, vivant sous nos yeux.

Quant au style de Ferdowsi en soi, il est très difficile d’en parler. On peut simplement dire que Ferdowsi est, comme Saadi, le maître incontesté de la simplicité et comme Saadi, ce qu’il écrit est facile à lire mais impossible à imiter, ainsi que le prouvent plusieurs centaines de tentatives d’imitation. Le style de Ferdowsi est limpide, clair, sans préciosité langagière, tout cela sans pour autant éviter les figures stylistiques. Mais il le fait avec tant de raffinement et tant de précision que le lecteur ne garde de sa lecture que l’impression d’une chute vraie dans le temps et d’une participation quasi personnelle à une bataille antique pour ne pas dire préhistorique. Même lors de l’usage de figures stylistiques, usage beaucoup plus fréquent qu’on ne le l’imagine à la simple lecture du texte, Ferdowsi préserve sa parole souple, bien faite et simple.

Ses comparaisons et métaphores portent bien la marque de leur temps. En effet, à l’époque des Samanides et au début du règne des Ghaznavides, la poésie persane possédait une fraîcheur et une simplicité qu’elle perdit au fil des siècles. Le langage de Ferdowsi est aussi imaginatif, haut en couleur, simple, et efficace dans sa simplicité que celui de la plupart des poètes de son époque.

Malgré ses connaissances étendues dans les sciences de son époque, il utilise rarement des termes scientifiques ou philosophiques. Ce n’est que dans des contextes particuliers, par exemple lorsqu’il veut disserter sur Dieu, ou l’infini ou épiloguer un chapitre de façon à en tirer des conclusions moralisantes, qu’il use de ce genre de termes. Et même dans ce cas, l’utilisation de termes savants se fait de manière très simple, sans appuyer et sans entrer dans des dissertations.

Le Livre des Rois est l’une des sources les plus importantes aujourd’hui disponibles des anciens mots persans. Car sans ce livre, le persan, à l’époque parfaitement dominé par l’arabe, aurait disparu, comme les langues des autres pays conquis par les Arabes musulmans qui se sont en grande majorité arabisés.

Les phrases et les expressions du Shâhnâmeh sont en général simples et sans aucune ambigüité. Les noms du Shâhnâmeh sont tous utilisés de manière conforme à la plus stricte des rhétoriques et, judicieusement placés, ils donnent à l’ensemble un maximum de beauté. C’est le langage utilisé par Ferdowsi dans cette œuvre, tenant à utiliser dans la mesure du possible du plus pur persan, qui a permis la préservation de centaines de mots de la langue persane qui, même s’ils n’ont guère été utilisés par la suite par les écrivains et poètes, ont ainsi échappé à la disparition. Cela ne veut bien sûr pas dire que Ferdowsi n’a absolument pas utilisé des mots arabes. En effet, même si la plupart des mots du Livre des rois sont en pur persan, l’on rencontre quand même un certain nombre de mots arabes. Ces derniers sont pour la plupart simples et étaient -et le sont toujours- communément utilisés par les Persans. C’est pourquoi, on les rencontre également dans les ouvrages de poésie des contemporains ou même des proches prédécesseurs du Maître. Quant aux mots arabes inusités à l’époque, ils sont quasi inexistants et dans les rares cas où le poète les a choisis, il s’est souvent trompé dans leur usage.

Dans l’histoire d’Alexandre, conté dans le Livre des Rois, la présence des mots arabes est beaucoup plus palpable. Il y a dans cet épisode beaucoup plus de mots arabes que dans le reste des histoires de l’ouvrage. La raison en est que la référence principale du maître de Touss pour ce chapitre fut la traduction arabe du Livre d’Alexandre, qui avait été originellement un texte grec et qui avait été ensuite traduit en pahlavi, syriaque et arabe et finalement, de l’arabe, avait été retraduit en persan.

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Siyâvosh traverse le feu, artiste inconnu, Shpahnâmeh du Shâh Tahmâsb.

L’examen du Livre des Rois met en évidence le fait que la persistance et l’obstination de Ferdowsi à utiliser des mots persans, ne sont pas le résultat d’un chauvinisme exacerbé par les exactions des califes arabes. Le Maître de Touss n’a fait qu’user de la langue ordinaire alors en vigueur dans le Khorâssan. En effet, le Khorâssân, – aujourd’hui la Transoxiane-, était loin du centre du califat, où la langue arabe régnait en maître, c’est pourquoi les habitants de cette région ont continué pendant très longtemps à parler un persan proche du persan préislamique. De plus, Ferdowsi était assez influencé dans son langage poétique par les œuvres de référence dont il se servait et qui étaient pour la plupart, soit en pahlavi, soit en persan traduit du pahlavi. C’est donc pour cette raison que le chapitre d’Alexandre, où Ferdowsi a utilisé une référence en langue arabe, est rédigé dans un langage plus « arabisé ».

Quant à ce qui est des idées personnelles de Ferdowsi, nous les rencontrons souvent au cours de la lecture du Shâhnâmeh. Il arrive souvent à l’auteur d’argumenter sur des notions philosophiques. Pourtant, Ferdowsi attaque parfois violemment les philosophes qu’il considère bavards et incapables de montrer une voie bonne à suivre.

Chaque fois qu’il l’a jugé nécessaire, Ferdowsi moralise et tente de montrer la voie la plus juste et la plus sage. Il est en la matière l’un des plus grands auteurs moralisateurs. Certains de ses conseils font partie de la structure de l’histoire qu’il conte, tels ceux que donne le sage Bozorgmehr, sage qui revient de façon récurrente dans le Livre des Rois. Quant aux conseils et prêches qui ne faisaient pas originellement partie de la structure du conte et qui ont été rajoutés par Ferdowsi, ils sont souvent placés à la fin de l’épisode, qui conte dans la plupart des cas la mort d’un héros ou d’un roi.

La première chose qui frappait Ferdowsi quand il mettait en scène la mort d’un de ses personnages était l’infidélité et l’inconstance du monde. Mais pour lui, cette inconstance de la vie ne doit pas mener au désespoir, au contraire, il faut tenter de bien vivre, de vivre sagement et d’être bon.

Le Livre de Rois, son importance et ses traductions

Etant donné l’influence et l’impact énorme du Livre des Rois sur l’ensemble de la population persanophone mondiale, et ce depuis l’existence de cet ouvrage magistral, la généralisation de sa lecture par toutes les catégories sociales et l’importance simplement littéraire de cette œuvre, après Ferdowsi, de nombreux poètes tentèrent de créer de pareilles œuvres épiques, contant l’histoire, les mythes, les légendes et les épisodes religieux de l’Iran, mais aucune de ces œuvres n’eut le succès du Shâhnâmeh, aucun poète ne réussissant à égaler son auteur de génie.

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Le tombeau de Ferdowsi à Touss

L’influence du Shâhnâmeh ne se limita pas au seul territoire persanophone et très vite, ce livre fut traduit en d’autres langues par des étrangers influencés par sa beauté et sa puissance narrative. La première traduction de cette œuvre est celle de Ghavâmeddin Albandâri al Esfahâni qui le traduisit en vingt et un ans, de 1223 à 1244, sur l’ordre de l’émir de Damas. Cette traduction fut faite d’après le manuscrit original du Livre des Rois. Une autre traduction fut effectuée deux siècles plus tard, en turc, par Ali Afandi. Des traductions intégrales ou partielles du Livre des Rois de Ferdowsi sont également disponibles en arménien, géorgien, gujrati, anglais, français, allemand, russe, espagnol, italien, danois, latin, polonais, magyar, suédois, etc.

Parmi ces traductions, la plus importante est celle de Schack en allemand et celle de Jules Mohl en français. Il y a également une traduction versifiée allemande de l’histoire de Rostam et Sohrâb, faite par Friedrich Rückert. Il y a de même une traduction anglaise de cette même histoire, par Atkinson, en vers, et une traduction intégrale du Livre des Rois en vers par l’italien Pazzi, de même qu’une traduction versifiée de l’histoire de Rostam et Sohrâb en russe par Joukovski. Les orientalistes ont fait beaucoup de recherches au sujet du Livre des Rois. On pourrait notamment citer le travail de Jules Mohl dans son introduction au Livre des Rois ainsi que celui de Nِldeke en allemand dans son Das Iranische Nationalepos, qu’il publia en 1920.

Aujourd’hui, plus de mille ans après la rédaction du Shâhnâmeh de Ferdowsi, ce livre épique aux trésors inépuisables n’a pas fini d’intéresser les chercheurs et les mythologistes de tous horizons. En effet, au delà d’un ouvrage littéraire monumental, cet ouvrage est la compilation de légendes et de mythes souvent plus anciens que l’histoire et qui partagent de nombreux traits communs avec ceux de toutes les autres civilisations. A ce titre, ils intéressent de nombreux chercheurs. Cependant, il est aujourd’hui évident que les recherches concernant le Shâhnâmeh n’ont fait que commencer et que de nombreux aspects et dimensions de ce livre sont encore à découvrir.

Arefeh Hedjazi pour la Revue de Téhéran

dimanche, 18 novembre 2012

Come l’Iran elude il blocco occidentale. Il Triangolo del petro-oro Turchia-Dubai-Iran

Come l’Iran elude il blocco occidentale. Il Triangolo del petro-oro Turchia-Dubai-Iran

di Tyler Durden

Fonte: aurorasito

Negli ultimi mesi vi è stata molta speculazione errata sul perché l’Iran, escluso dal regime di mediazione SWIFT sui petrodollari, vedrebbe implodere la propria economia mentre il paese non ha accesso ai verdoni, non potendo quindi effettuare scambi internazionali; il fattore trainante dietro le sanzioni internazionali che cercano di rovesciare il governo dell’Iran facendo morire la sua economica. Mentre vi sono stati periodi d’inflazione rilevante, finora il governo locale sembra essere riuscito a metterci una pietra sopra, frenando la speculazione del mercato grigio, e l’Iran continua a operare più o meno grazie ai suoi allegri metodi nel commercio internazionale, che è certamente vivo, in particolare con la Cina, la Russia e l’India quali principali partner commerciali. “Come è possibile tutto questo” si chiederanno coloro che sostengono l’embargo totale occidentale sul commercio iraniano? Semplice, l’oro. Perché mentre l’Iran potrebbe non avere accesso ai dollari, ha ampio accesso all’oro. Questo di per sé non è una novità, ne abbiamo parlato in passato: l’Iran ha importato notevoli quantità di oro dalla Turchia, nonostante le smentite del governo turco. Oggi, per gentile concessione della Reuters, sappiamo esattamente ciò che sarà l’equivalente della Grande Via della Seta del 21° secolo, e quanto sia stato efficace l’Iran, da bravo topolino da laboratorio, nel sottrarsi al grande esperimento dei petrodollari da cui, secondo la saggezza convenzionale, non ci sarebbe scampo. Vi presento il petro-oro.
Tutto inizia, contrariamente alle smentite ufficiali del governo, in Turchia. La Reuters spiega: “Corrieri che trasportano milioni di dollari in lingotti d’oro nei loro bagagli volano da Istanbul a Dubai, da dove l’oro viene inviato in Iran, secondo fonti del settore che conoscono il business. Le somme in gioco sono enormi. I dati commerciali ufficiali turchi suggeriscono che quasi 2 miliardi di dollari in oro sono stati inviati a Dubai per conto di acquirenti iraniani, ad agosto. Le spedizioni aiutano Teheran a gestire le sue finanze di fronte alle sanzioni finanziarie occidentali. Le sanzioni, imposte sul controverso programma nucleare iraniano, l’hanno in gran parte escluso dal sistema bancario globale, rendendogli difficile poter effettuare trasferimenti internazionali di denaro. Utilizzando l’oro fisico, l’Iran può continuare a muovere le sue ricchezze al di là delle frontiere.”
Quindi …. l’oro è denaro? In altre parole viene ampiamente accettato; si tratta di una riserva della ricchezza, ed è un mezzo di scambio? Huh. Qualcuno lo dica al Presidente. Potrebbe non esserne a conoscenza. Pare proprio di sì, almeno nei paesi che non vivono giorno per giorno sul bordo del quadrilione di dollari in derivati, ragione delle armi di distruzione immediata e di massa. “Ogni moneta nel mondo ha una identità, ma l’oro è un valore senza identità. Il suo valore è assoluto dovunque tu vada“, ha detto un trader di Dubai che conosce il commercio dell’oro tra la Turchia e l’Iran. L’identità della destinazione finale dell’oro in Iran non è nota. Ma la scala delle operazioni attraverso Dubai e la sua crescita improvvisa, suggeriscono che il governo iraniano vi abbia un ruolo. Il commerciante di Dubai e altre fonti familiari al business, hanno parlato con Reuters in condizione di anonimato, a causa della sensibilità politica e commerciale della questione. Che cosa ottiene in cambio la Turchia? Qualunque sia, l’Iran risponde alle esigenze della Turchia, naturalmente. “L’Iran vende petrolio e gas alla Turchia, con pagamenti effettuati a istituzioni statali iraniane. Le sanzioni bancarie statunitensi ed europee vietano i pagamenti in dollari o euro, così l’Iran viene pagato in lire turche. La lira ha un valore limitato nell’acquisto di merci sui mercati internazionali, ma è l’ideale per fare baldoria acquistando oro in Turchia.” E così, in un mondo in cui evitare il dollaro viene considerato dalla maggioranza una follia, Turchia e Iran, in silenzio ed efficacemente, hanno creato la loro scappatoia, in cui le risorse naturali sono scambiate con una valuta locale, che viene scambiata con l’oro, e che poi viene utilizzato dall’Iran per acquistare qualsiasi cosa, e tutto ciò di cui necessita, da tutti quegli altri paesi che non rispettano l’embargo imposto dagli Stati Uniti e dagli europei. Come quasi tutti i paesi dell’Africa. Perché l’oro parla, e i petrodollari camminano sempre più.
Ciò che è inquietante, è che anche Dubai sia entrato nella partita, e le tre vie di transazione potrebbero presto diventare il modello per tutti gli altri paesi che non hanno paura di subire l’ira dell’embargo dello Zio Sam: “A marzo di quest’anno, quando le sanzioni bancarie hanno cominciato a mordere, Teheran ha effettuato un forte aumento di acquisti di lingotti d’oro dalla Turchia, secondo i dati sul commercio del governo turco. L’esportazione d’oro verso l’Iran dalla Turchia, uno dei maggiori consumatori e depositari di oro, è arrivata a 1,8 miliardi di dollari a luglio, pari a oltre un quinto del deficit commerciale della Turchia di quel mese. Ad agosto, tuttavia, un improvviso crollo delle esportazioni turche d’oro dirette in Iran, è coinciso con un balzo delle sue vendite del metallo prezioso negli Emirati Arabi Uniti. La Turchia ha esportato un totale di 2,3 miliardi dollari in oro ad agosto, di cui 2,1 miliardi dollari erano in lingotti d’oro. Poco più di 1,9 miliardi, circa 36 tonnellate, sono stati inviati negli Emirati Arabi Uniti, come dimostrano gli ultimi dati disponibili dell’Ufficio di Statistica della Turchia. A luglio la Turchia ha esportato solo 7 milioni in oro negli Emirati Arabi Uniti. Nello stesso tempo, le esportazioni d’oro dalla Turchia dirette verso l’Iran, che oscillavano tra 1,2 miliardi e circa 1,8 miliardi di dollari ogni mese da aprile, sono crollate a soli 180 milioni ad agosto. Il commerciante di Dubai ha detto che da agosto, le spedizioni dirette verso l’Iran sono state in gran parte sostituite da quelle attraverso Dubai, a quanto pare perché Teheran voleva evitare la pubblicità. ‘Il commercio diretto dalla Turchia verso l’Iran si è fermato perché c’era semplicemente troppa pubblicità in giro’, ha detto il commerciante. Concessionari, gioiellieri e analisti di Dubai hanno detto di non aver notato alcun grande ed improvviso aumento dell’offerta sul mercato dell’oro locale ad agosto. Hanno detto che ciò suggerisce che la maggior parte delle spedizioni negli Emirati Arabi Uniti venga inviata direttamente in Iran. Non è chiaro come l’oro passi da Dubai all’Iran, ma vi è una corrente di scambi tra le due economie, in gran parte condotta con i dhow di legno e altre navi che attraversano il Golfo, a una distanza di soli 150 chilometri nel punto più stretto. Un commerciante turco ha detto che Teheran è passata alle importazioni indirette perché le spedizioni dirette venivano ampiamente riportate sui media turchi e internazionali, all’inizio di quest’anno. ‘Ora sulla carta sembra che l’oro vada a Dubai, non in Iran’, ha detto.”
Che cosa succede se gli Stati Uniti chiedono che lo scambio tra Dubai e l’Iran finisca? Niente: un altro paese si affretterà a sostituirlo nel triangolo d’oro, e poi un altro, e poi un altro ancora. Dopo tutto, sono pronti ad intervenire nelle condizioni molto redditizie della domanda/offerta delle transazioni. Proprio come avviene nel flusso bancario che sostiene il mercato delle obbligazioni e degli stock scambiati giorno per giorno. Che cosa accadrebbe se la stessa Turchia si ritirasse? “Gli acquirenti possono anche voler rendere i loro acquisti meno vulnerabili a qualsiasi possibile interferenza da parte del governo della Turchia. Lo stretto rapporto della Turchia con l’Iran ha cominciato a scadere da quando i due stati si trovano sui lati opposti della guerra civile in Siria, con la Turchia che sostiene la caduta del presidente Bashar al-Assad e l’Iran che rimane il più fedele alleato regionale di Assad.” Quindi, ancora la stessa cosa: l’Iran semplicemente troverebbe un paese della regionale che ha bisogno di greggio, e molti, molti di costoro sono in giro, e offrirebbe uno scambio oro-greggio che manterrebbe il mini-ciclo petro-oro a galla. Eppure assai ironicamente, nonostante tutte le ostilità palesi tra l’Iran e la Turchia sulla Siria, le due nazioni continuano a trattare, suscitando la domanda su quanto credibili siano tutte quelle storie sull’animosità medio-orientale tra questo o quel paese, o questa o quella fazione o etnia. Non c’è da sorprendersi: l’oro supera tutte le differenze. Tutte.
Infine, la realtà è che nessuno, in realtà, infrange alcuna regola. Non vi è alcuna indicazione che con il commercio di oro Dubai stia violando le sanzioni internazionali contro l’Iran. Le sanzioni delle Nazioni Unite vietano l’invio di materiali connessi al nucleare in Iran e congelano i beni di alcuni individui e imprese iraniani, ma non vietano la maggior parte del commercio. Gli Emirati Arabi Uniti non hanno ancora rilasciato i dati relativi al commercio per agosto. Dai funzionari della dogana di Dubai non è stato possibile avere un commento, nonostante i ripetuti tentativi di contattarli. I dati commerciali turchi confermano che l’oro viene trasportato per via aerea a Dubai. Secondo i dati, 1450 milioni dollari di oro turco esportato, in totale, ad agosto sono stati spediti tramite l’ufficio doganale nell’aeroporto Ataturk. Quasi tutto il resto, 800 milioni, è stato spedito dal più piccolo aeroporto di Istanbul, il Sabiha Gokcen. Le esportazioni totali di tutte le merci della Turchia verso gli Emirati Arabi Uniti, sono ammontate a 2,2 miliardi di dollari ad agosto. Di tale somma, 1,19 miliardi dollari sono stati registrati presso l’aeroporto Ataturk, mentre 776 milioni dollari sono stati registrati al Sabiha Gokcen. Un broker doganale che fa affari nell’Ataturk, ha detto che i corrieri si imbarcano sui voli per Dubai della Turkish Airlines e della Emirates, portandosi il metallo nel bagaglio a mano, per evitare il rischio di perderlo o di vederselo rubato. L’importo massimo di lingotti d’oro che è permesso prendere a un passeggero è di 50 kg, ha detto. Ciò suggerisce che durante agosto, diverse centinaia di voli dei corrieri potrebbero aver portato l’oro a Dubai per conto dell’Iran. “E’ tutto legale, dichiarano, danno il loro codice fiscale e tutto viene registrato, quindi non c’è nulla di illegale in questo“, ha detto il broker. “Al momento, c’è un bel po’ di traffico a Dubai. Anche a settembre e ottobre l’abbiamo visto.”
I dati sul commercio mostrano che quasi 1400 milioni di dollari delle esportazioni dalla Turchia agli Emirati Arabi Uniti, ad agosto, provenivano da una o più società con un numero di codice fiscale registrato nella città costiera di Izmir, la terza più grande della Turchia. I funzionari doganali dell’Ataturk hanno rifiutato una richiesta della Reuters di fornire i documenti di identificazione degli esportatori, dicendo che le informazioni sono riservate. L’identità delle società che gestiscono il commercio non poteva essere confermata. I commercianti hanno detto che a causa del rischio di attirare attenzioni indesiderate da parte delle autorità statunitensi, solo poche aziende sono disposte a mettersi in gioco. E il gioco è fatto: un sistema libero perfettamente controbilanciato, in cui si fanno transazioni e nessuna traccia viene lasciata. Ancora più importante, questo è il piano per il futuro, come sempre più paesi eludono l’assoggettamento al regime dei petrodollari, così onnipresente nel secolo passato, ma che si sta lentamente e inesorabilmente spostando a beneficio dei paesi che non sono insolventi, e che in realtà producono cose necessarie per il resto del mondo.

Traduzione di Alessandro Lattanzio - SitoAurora


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mercredi, 14 novembre 2012

Indian Summer of the Neocons

Indian Summer of the Neocons

The irresistible appeal of attacking Iran

 
 
 
Indian Summer of the Neocons 
 
Gulf War III: These ladies have an intuitive grasp of American foreign policy.
 

Sometimes empires just die, but often they have one last spurt before they go, and more often than not the spurt is all part of the dying. A good analogy is the Indian Summer, a period of unexpectedly warm weather that appears to turn the tide of approaching Winter. Less astute minds are sure to mistake this as proof of eternal summer and get frostbitten later. Those believing in the permanence of American hegemony are in for a similar nasty surprise, especially as in the coming years we are going to see the reassertion once again of American power.

This last hurrah won’t have the same post-9-11 naivety about turning everyone into "instant Americans" by giving them “democracy,” “freedom,” and cell phones over the craters of their bombed-out homes; even though that shrill note will probably continue to resonate through the propaganda. No, the new Neocons who will further this policy will be motivated much more by a cynical sense of realpolitik, realfinanz, and the increasingly jarring clatter of the gears of the machine that once smoothly ran the world.

It is not particularly important who wins the Presidential election today. Romney is a better fit with the dynamic of a late season assertion of American power; Obama a better fit with the economic decline powering it. Whoever is elected President, we will see a similar trajectory, whereby the hegemonic power of America will be asserted not as a burgeoning of true, broad-based power as it was in the post-WWII period, but instead as a flashy gesture disguising frailty and ultimate collapse.

Fall Guy

The crucible for this last act of overextended power will of course be Iran, the perfect fall guy because you just know they are not going to vary their route – their route being the one that leads towards a nuclear capability to balance that of Israel. Right on schedule, just when Uncle Sam wants to remind the world of what he looked like 50 years ago with his shirt off, the Iranians can be relied on to provide a convenient casus belli, especially if you have a few experts and a pet media to help refine the evidence and airbrush the fact that Israel and Pakistan have no business owning nukes either.

There is a tendency to view the coming war with Iran too narrowly. It is typically presented as an issue of security for Israel with a side order of protecting the free flow of Gulf oil and therefore that panacea of all dreams, the global economy. The security of the cute little tyrannies that dot the southern shore of the Gulf also gets the occasional mention. The real issue however is the maintenance of US power vis-à-vis its major global rivals set against a general background of its decline.

Riddled with flaws and weaknesses that are only getting worse, America is the yesterday man of tomorrow, but at least today the country still has some killer assets – and I don’t just mean its drones (either of the media or aeronautical variety).

The growth of America’s weaknesses means that its assets can no longer be kept on the shelf to exert their silent and secret power, but must now be vigorously milked for all they are worth. This is what will determine American foreign policy in the coming years, and impel it into inevitable war.

First the weaknesses: America is not a country in the conventional sense. This means it is held together artificially and mainly through bribery. Ultimately this means imports from China and elsewhere. This weakness is enshrined in the shape of the US economy. Modern Americans are incapable of enduring a fraction of the hardship, discipline, and endurance which workers in China, Japan, or even parts of Europe are capable of. This means that America is fighting a natural tendency to decline to levels of poverty where it can develop these traits again, but such a decline would inevitably rip the country apart. So, the inevitable must not be allowed to happen, and the only way to stop this is with magic money. But magic money is like the emperor with no clothes. Sooner or later the inconvenient child is bound to point the finger, and spark off the mass perception of nudity. Already the Emperor has unfastened his top button and unzipped his fly.

Another important weakness that America has is the power of the Jewish or Zionist lobby, supplemented by the religious right. This is a problem for two reasons. First it leads to unnecessary military involvements – both Afghanistan and Iraq can be laid at the door of this unholy relationship. Secondly, the anti-US sentiments of the Islamic world threaten to undermine the status of a dollar. Recent years have seen moves to decouple oil rich economies from the petro-dollar. The existence of a viable alternative world reserve currency in the Euro makes these dangers very real. And later something even better may come along.

Unused Assets

Now its strengths: America’s main strength has always been its position, a large secure continental landmass with unhindered access to the two largest oceans. This has made it the ideal country to carry out Alfred Mahan’s vision of world hegemony through sea power, something it has improved on by bottling up other major continental powers through its alliances with Japan and Britain, its two unsinkable aircraft carriers. Much of the Chinese anger directed at Japan recently over the issue of the insignificant Senkaku rocks is provoked by the way that US allies like Japan and Taiwan effectively serve as a fleet of blockading ships. More than this, China’s vast thirst for oil can only be quenched with supplies from the Middle East and Africa that America can easily cut off anytime it chooses. The main goal of Chinese foreign policy is to overcome this strategic weakness.

Secondly, although America is a major oil importer itself, it is relatively self-sufficient and secure in this respect compared to other major powers. Part of this is because it is now mainly a consumer economy rather than an industrial one. Also, in recent years domestic oil production has boomed to the point where the US is now tipped to overtake even Saudi Arabia as the biggest oil producer. A good conspiracy theorist could make much of this surprising revelation – almost as if a major Gulf war has been in the offing for the past few years of rising production.

A third strength that America has is its political and economic unity. Although the economy has major and even terminal flaws, the fact that it is united is a clear strength, especially with regard to the Eurozone, which is struggling in the no-man’s land between monetary union and deeper economic union during an economically difficult period.

A fourth strength is the US’s ability to project power. Although the campaign in Afghanistan in particular has revealed the limitations of US military power against Fourth Generation Warfare, the US is still able to control much of the world’s airspace and sea lanes. Even though it would be defeated if it entered certain of the 'houses' in the 'global village,' it still controls most of the streets between those houses.

This also gives the US the glamour of Superpower status that helps to sustain the perceived value of the dollar against inflationary economic policies, and so helps the machinery of domestic bribery on which unity and everything else depends.

These strengths, it should be noted, really come into their own when set against the weaknesses of America’s main rivals for global power, namely China and the EU, whose strengths, by the way, are equally potent when set against America’s weaknesses. These strengths and weaknesses can be summarized as follows:

US weaknesses vis-à-vis its rivals

Ethnic disunity and the financial costs this brings (vs. China/ to a lesser extent the EU)
Lack of toughness and discipline of its people (vs. China/ to a lesser extent the EU)
Reliance on debt-financed spending (vs. China/ to a lesser extent the EU)
Resistance to the dollar caused by pro-Israel foreign policy (vs. the EU)


US strengths vis-à-vis its rivals

Military power projection and global positioning (vs. China/ to a lesser extent Russia)
Relative energy independence (vs. China and the EU)
Political and economic unity (vs. the EU)
Superpower status (vs. China/ to a lesser extent the EU)

There is a kind of negative complementariness between America’s strengths and those of its rivals. If Europe and China are allowed to strengthen, the US will weaken by a similar amount.

For example, if the Eurozone is allowed to recover and consolidate its monetary and economic union this will provide the basis for an alternative reserve currency that would not only be popular with Islamic countries but also China and Russia, keen to see America weakened. Also, any weakening in America’s power projection and global positioning would create a vacuum that, in the Western Pacific, would be filled by China, which is keen to protect and control the sea lanes it depends on. Such a weakening of US prestige would also undermine the power of the dollar and lead to a vicious cycle.

These factors create the machinery, which, if worked one way, leads to the collapse of American Imperial power, but if worked the other, offers the possibility of hamstringing America’s opponents and extending US power for a few more decades.

If America was capable of slow and gentle decline as pre-multicultural Britain was, it might be easy to accept the end of the American Imperium, but the ending of Empire is also likely to have an enormous economic and social cost, with the essential falsity of the present economy being revealed, a process that would effectively tear the nation apart.

The unacceptable nature of such a fate provides the impulse for America to move the other way, whoever gets elected today; which leads us back to the prospect of war with Iran.

Iran having nuclear weapons only matters to the USA because it matters to Israel, as the Iranians would be no more likely to nuke anything than Israel. But Iran’s nuclear ambitions provide a convenient casus belli that can be sold to the unwarlike, consumerist masses, and which would allow America to capitalize on its strengths relative to its main rivals.

The nature of such a war would be largely confined to the skies with some peripheral naval and land operations. The war aim would be to destroy Iran’s air force and nuclear research capabilities. The war, however, would actually be directed at other powers, with Iran serving the role of surrogate enemy.

It would interrupt oil supplies possibly for weeks or even months to a degree which the wars against Afghanistan and Iraq never did. While post-election America would suffer from the resultant spike in oil prices, it would bear up a lot better than either China or the EU. The crisis would lead to a short period of intense economic dislocation as oil prices shot up and businesses closed down, at least temporarily. This would send a sharp signal to China that America controlled its sea lanes and oil supply. It would also turn one of China's strengths – the hard-working self-reliance of its population – into a weakness with sudden unemployment possibly feeding into public unrest. Furthermore it would also turn an American weakness – its underclass-bribing welfare system – into a strength.

In the Eurozone a sudden economic crisis like this would likely create enormous strains on an already fragile and unbalanced system, causing sharp increases in government borrowing costs for some nations, and possibly seeing countries like Greece and Spain exiting the Euro, or even new countries emerging like Catalonia or Northern Italy. This picture of confusion and division would further diminish the status of the Euro as a rival world currency to the dollar. Meanwhile the “flight to safety” caused by the war would strengthen the dollar.

The Mighty Donut

While a war against Iran serves a useful local goal for America’s Middle Eastern allies, it also has clear benefits for America’s global position, on which its domestic economy depends. Peace makes the world focus on the hole in the American donut; war makes it focus instead on the doughy ring.

There is a kind of impersonal necessity at work, so forget which telegenic narcissistic autocue-reading sociopath  is riding the presidential golf buggy.

Failing empires cannot afford the luxury of unutilized assets because this makes these assets effectively a punitive tax on that empire, one that its rivals do not share. America’s control of the seas and air is more than worthless in a world that is entirely peaceful; it is debilitating. It’s all hole and no donut!

To capitalize on these assets a certain amount of chaos is needed. The war against Iran and its repercussions for China and Europe, America’s real rivals, provides a nice, measured degree of this. For these reasons, limited war and a period of reassertion of American power is extremely likely.

But what will be the unintended consequences of this? In the case of Europe, further economic dislocation can only be good news for the continent’s nationalists. While for China and Russia, the exercise of US power will only impel them to strengthen their alliance and develop their ability to project power. There will also be attempts to draw Japan away.

The consequences in the Middle East will be more complex, but America’s blatant use of power for the benefit of Israel and the Gulf states will create a deep animus that may serve to unite Sunnis and Shiites against their common enemy. In other words, short-term gains in American power will be paid for through long-term losses.

mardi, 13 novembre 2012

Le golfe Persique : entre histoire millénaire et conflits actuels

Le golfe Persique : entre histoire millénaire et conflits actuels

par Sarah Mirdâmâdi

Ex: http://mediabenews.wordpress.com/  

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1) Le golfe Persique : entre histoire millénaire et conflits actuels

Le Golfe Persique (khalidje fârs en persan) a une riche histoire datant de plus de cinq millénaires. Carrefour commercial et lieu d’échange permanent entre Orient et Occident, il est devenu, à la suite de la découverte des premiers gisements de pétrole il y a à peine plus d’un siècle, une zone stratégique au centre de tensions et d’enjeux économiques et géopolitiques sans précédent au niveau régional et international. Plus récemment, le nom même de ce golfe a été l’objet d’une importante controverse ayant entraîné des réactions en chaîne et des tensions politiques entre certains pays arabes et pro arabes l’ayant rebaptisé « Golfe Arabique » ou plus simplement « le Golfe », et les Iraniens faisant valoir la dimension historique irréfutable de l’appellation de « Golfe Persique ».

Cette étendue maritime s’étend sur une surface d’environ 233 000 km². Sa limite occidentale est marquée par le Shatt el-Arab ou « Arvand Roud » en persan, et par le détroit d’Ormoz et le Golfe d’Oman à l’est. Le Golfe Persique borde les côtes de l’Iran, de l’Irak, de l’Arabie Saoudite, de Bahreïn, du Koweït, des Emirats Arabes Unis ainsi que du Qatar. Il mesure environ 1000 km de long et 200 à 350 km de large, avec une profondeur moyenne d’environ 50 m, la profondeur maximale ne dépassant pas 100 mètres. Il est en partie alimenté par divers fleuves iraniens et irakiens, ainsi que par les eaux de l’Océan indien poussées par les courants et pénétrant dans le Golfe par le détroit d’Ormuz.

Historique

Le Golfe Persique a été sous l’influence de nombreuses cultures antiques dont les cultures sumérienne, babylonienne et perse. Les premières traces de civilisation datent de plus de cinq millénaires, lors de l’émergence du royaume de Sumer dans la basse Mésopotamie antique (Sud de l’Irak actuel) puis, au 3e millénaire av. J.-C., du royaume d’Elam situé en bordure du Golfe Persique, au sud-ouest de l’Iran actuel. La conquête du royaume de Babylone par les Perses au VIe siècle av. J.-C. et l’extension considérable de l’empire achéménide qu’elle entraîna consacra l’influence perse dans la zone. Cette prédominance fut ensuite maintenue par les Séleucides, les Parthes et les Sassanides, qui étendirent l’influence perse sur les régions côtières arabes de l’ouest, notamment au travers de nombreux flux de migrations perses. Ceci participa notamment au renforcement des échanges et des liens entre les côtes est et ouest du Golfe Persique.

Cependant, le Golfe Persique semble ainsi avoir été le cœur d’importants échanges commerciaux dès l’époque des Assyriens et des Babyloniens. Après avoir connu un certain déclin sous l’Empire romain, notamment du fait de l’importance accrue de la Mer Rouge, il acquit de nouveau une importance commerciale durant le règne des Sassanides, ainsi que sous le califat Abbaside de Bagdad, au milieu du VIIIe siècle. Ainsi, le port de Sirâf en Iran fut l’une des principales plaques tournantes commerciales régionales aux IXe et Xe siècle. Si la chute du califat abbaside et l’influence mongole qui se développa dans la zone au XIIIe siècle marquèrent un certain déclin de la zone, et une réduction considérable du volume des échanges, une certaine « renaissance commerciale » eut lieu à partir du XVIe siècle, avec la hausse de la demande européenne pour les produits d’orient – notamment les épices – et l’extension considérable de l’influence du Portugal dans la zone. Celle-ci qui se traduisit notamment par le contrôle de nombreux ports dont plusieurs situés au sud de l’Iran, des îles de Qeshm et d’Ormuz – où l’on peut d’ailleurs encore visiter les ruines des citadelles portugaises d’antan – ainsi que, sur la côte Ouest, le contrôle de Bahreïn, Mascate, et du Qatar actuels. Leur domination fut par la suite remise en cause par les Safavides sur la côte est, et quelque peu fragilisée par le développement de l’influence ottomane sur la côte ouest à la suite de la conquête de l’Irak, qui ne parvint pas pour autant à s’emparer des places fortes portugaises de la zone. Aux XVIIIe et XIXe siècles, sous prétexte d’endiguer le développement de la piraterie dans la zone, l’Angleterre parvint à asseoir sa domination sur la majorité des places commerciales de la zone ainsi qu’à contrôler l’exportation des marchandises de ses colonies vers l’Europe. Au début du XXe siècle, elle renforça sa présence notamment en s’assurant une véritable mainmise sur l’exploitation des gisements pétroliers, récemment découverts dans la zone [1], au travers de l’Anglo-Iranian Oil Company, convertissant le Golfe Persique en un enjeu géostratégique sans précédent. D’autres gisements furent ensuite découverts du côté ouest, et leur exploitation connut une croissance exponentielle après la Seconde Guerre mondiale, ces derniers étant pour la majorité contrôlés par les Etats-Unis. L’influence anglaise connut une fin brutale en Iran avec la tentative, avortée, de nationalisation de l’industrie pétrolière par Mossadegh, même si elle fut maintenue au sein de nombreux Etats bordant la zone, notamment les Emirats Arabes Unis actuels, le Koweït, Oman ou encore le Qatar.

Ressources naturelles et enjeux stratégiques

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Œuvres naturelles réalisées à partir de sable et de pierres à l’occasion d’un festival artistique environnemental sur le Golfe Persique

De par sa position stratégique et ses nombreuses ressources naturelles, la région fut constamment au centre d’enjeux et de conflits d’intérêts divers. Dès le 3e millénaire avant J.-C., outre son rôle de lieu de transit des marchandises, tout un commerce s’organisa autour de la vente des perles présentes dans les eaux du Golfe Persique, qui concentre sans doute les lits d’huîtres perlières les plus anciens de l’humanité. A titre d’anecdote, le plus ancien collier de perles ou « collier de Suse » jamais retrouvé aurait ainsi appartenu à une reine de la Perse Antique et daterait d’environ 2400 ans. Ce fut néanmoins la découverte des premiers gisements de pétrole qui provoqua une véritable révolution économique et commerciale dans la zone, et conféra au Golfe Persique l’importance stratégique majeure dont il jouit aujourd’hui. Outre Al-Safaniya, le plus grand champ pétrolier du monde, cette zone détient également d’importantes réserves de gaz.

En outre, le Golfe Persique recèle une faune et une flore très riches, notamment de nombreux récifs de coraux et des huîtres. Cependant, ces dernières ont considérablement été endommagées par l’exploitation excessive du pétrole ainsi que par les récentes guerres ayant affecté la région, que ce soit la guerre Iran-Irak (1980-1988) ou, plus récemment, la deuxième guerre du Golfe (1990-1991), ou encore l’invasion américaine en Irak en 2003.

En 1985, un Conseil de Coopération du Golfe a été créé à Abu Dhabi, sous la pression des Etats-Unis, et dont les membres sont composés de six pays arabes de la zone. Outre son objectif de maintenir une certaine stabilité économique et politique dans la zone, le but ultime de cet organisme, qui était de créer un marché commun dans la zone, a été atteint en janvier 2008 avec la mise en place du Marché Commun du Golfe. Plus officieusement, cette structure vise également à contrer l’influence iranienne dans la région et avait également pour but, avant sa chute, de limiter celle du régime baasiste de Saddam.

Golfe Persique ou Golfe Arabique ? Les raisons d’un conflit

L’influence perse millénaire dans la région a conduit depuis des siècles l’ensemble des géographes, historiens, archéologues et voyageurs de tous horizons à qualifier de « Persique » cette étendue maritime, comme l’attestent les documents historiques et cartographiques des époques passées. Si des documents historiques datant de l’époque achéménide évoquant un « Golfe Persique » n’ont pas été retrouvés, ce nom semble avoir été d’usage dès cette époque. Certains récits consacrés à la narration des voyages de Pythagore évoquent également que le roi achéménide Darius Ier aurait nommé l’ensemble de cette étendue maritime la « Mer de Pars ».

Si, comme nous l’avons évoqué, l’appellation de « Golfe Persique » fit l’objet d’un vaste consensus durant des siècles, dans les années 1960, l’émergence du panarabisme et le renforcement des rivalités arabo-persanes ont incité certains pays arabes, notamment l’Arabie Saoudite et les pays situés en bordure du Golfe Persique, avec le soutien de la Grande-Bretagne, à adopter le terme de « Golfe Arabique » pour désigner cette zone. Cette tendance fut renforcée et encouragée par l’anti-iranisme de l’Occident à la suite de la Révolution islamique, ainsi que pour des motivations économiques et diplomatiques. A titre d’exemple, dans les questions de politique régionale et liées au pétrole, l’usage de l’expression « Golfe Arabique » a eu tendance à se répandre dans certains milieux officiels pro-arabes et occidentaux. Si le Bureau des Etats-Unis pour le nommage géographique (United States Board on Geographic Names) a officiellement consacré l’usage de « Golfe Persique » en 1917, l’évolution de la conjoncture internationale et certains intérêts stratégiques ont parfois rendu cet emploi flexible : ainsi, au cours des dernières décennies, les autorités américaines ont autorisé l’emploi de « Golfe Arabique » lors de la réalisation de transaction avec certains Etats arabes pétroliers, tout en proscrivant l’utilisation de l’expression de « Golfe Persique » aux Emirats Arabes Unis, après que ces derniers aient officiellement revendiqué l’appellation de « Golfe Arabique ».

Cependant, ce fut l’emploi par la National Geographic Society de l’expression « Golfe Arabique », inscrite entre parenthèses comme version alternative sous « Golfe Persique », dans la nouvelle édition de son Atlas géographique mondial en 2004 qui déclencha véritablement l’ire des Iraniens, qui se manifesta notamment par la création de nombreux sites internet et de pétitions en ligne. Ces protestations conduisirent également le gouvernement iranien à prohiber la diffusion des publications de la Société dans le pays jusqu’à la publication, à la fin de l’année 2004, d’une note de mise à jour de l’Atlas spécifiant qu’ « historiquement et plus communément connu sous le nom de Golfe Persique, cette étendue d’eau est appelée par certains « Golfe Arabique« .

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Carte de H.Bunting, 1620, Hanovre
Carte extraite de l’ouvrage Description du Golfe Persique par des Cartes Historiques, Bonyâd-e Irân shenâsi, 2007.

A la suite de cette affaire, un numéro de la revue The Economist ayant évoqué le Golfe Persique sous le simple qualificatif de « Golfe » dans l’une de ses cartes, fut également interdit de distribution en Iran. Suite à cette affaire, le gouvernement iranien a également mis en place un comité technique chargé d’examiner les conditions permettant d’interdire l’importation de marchandises diverses, – notamment des vêtements sur lesquels figure une carte de la région -, portant l’inscription de « Golfe Arabique », en Iran.

Faisant l’objet de nombreuses controverses et pétitions, l’affaire a été portée au niveau des Nations Unies qui, lors de sa 33e session en 2006, a confirmé l’appellation de « Golfe Persique » comme étant la seule appellation officielle acceptée pour cette zone et employée par l’ensemble des membres des Nations-Unies. Cette décision fut notamment appuyée par de nombreux documents historiques et cartes anciennes : ainsi, les cartes des historiens de la Grèce antique évoquent le « Limen Persikos », les Latins le nommant quant à eux le « Sinus Persicus ». Durant les premiers siècles de l’Islam, les plus éminentes figures intellectuelles de cette période tels que Aboureyhân Birouni, Massoudi, Balkhi, Khwârizmi… font tous référence au « Golfe du Fars », ou encore à la « Mer du Fars » (al-Bahr al-Farsi) ou « de Pars » pour désigner le Golfe Persique actuel. En outre, selon plusieurs documents historiques, il semble que l’expression de « Golfe Arabique » servait auparavant à désigner la mer Rouge actuelle. On retrouve notamment cet emploi dans les écrits d’Hécatée de Milet, historien grec du Ve siècle av. J.-C., ainsi que dans l’un des écrits d’Hérodote qui évoque la mer rouge en parlant du « Golfe Arabique ». D’un point de vue historique, l’appellation de Golfe Arabique ferait donc référence à une toute autre zone que celle qu’elle prétend actuellement désigner.

Le conflit n’est pas éteint pour autant, les deux expressions continuant à être utilisées abondamment de façon informelle. La majorité des pays arabes emploient ainsi l’expression « Golfe Arabique » et certains, tel que les Emirats Arabes Unis, ont même été jusqu’à interdire l’emploi de « Golfe Persique ». De nombreuses propositions de noms alternatifs ont été évoquées, comme celles de « Golfe Arabo-persique » ou tout simplement de « Golfe » qui ont été cependant loin de faire l’unanimité, particulièrement du côté iranien, qui a vu dans la dernière expression une tentative à peine déguisée, conduisant peu à peu à l’abandon du nom historique du lieu. Le « Golfe islamique » n’a également pas été retenu.

Dans le but de faire valoir les droits du nom historique du site, de nombreuses publications de cartes ou croquis anciens de grands géographes ou réalisés par des voyageurs plus ou moins connus, sur lesquelles figurent le nom de « Golfe Persique » et ses dérivations issues de différents musées, instituts géographiques, archives historiques et ouvrages anciens ont été édités en Iran au cours des dernières années. Le plus connu demeure l’ouvrage magistral intitulé Description du Golfe Persique dans les cartes historiques [2] publié en 2007 par l’Institut d’Iranologie et rassemblant de nombreuses cartes historiques d’Orient et d’Occident qui, outre leur dimension esthétique, révèlent les racines historiques indéniables de cette appellation.

 

2) Du « Sinus Persicus » au « golfe Persique »

Représentation occidentale du golfe Persique de l’Antiquité au XVIIIe siècle

L’Atlas historique du Golfe Persique a été publié en novembre 2006 en Belgique par l’édition Brepols, dans la prestigieuse collection de « Terrarum Orbis ». Cet atlas est le résultat d’une collaboration fructueuse entre l’Ecole pratique des Hautes études de Paris, l’Université de Téhéran et le Centre de documentation du ministère iranien des Affaires étrangères, dans un projet de recherche scientifique et académique qui a duré deux ans. La publication d’un atlas de cartes historiques du Golfe Persique se justifie par de nombreux motifs. La raison principale, pour les auteurs, était qu’un tel travail n’avait jamais été entrepris dans une démarche savante, malgré le grand intérêt que les historiens et les géographes ont toujours éprouvé pour cette région du monde.

L’Atlas historique du Golfe Persique contient des reproductions d’une centaine de cartes occidentales ayant contribué de manière significative à l’évolution de la cartographie du Golfe Persique aux XVIe , XVIIe et début du XVIIIe siècle.

La cartographie occidentale du Golfe Persique révèle une vérité historique importante : depuis l’antiquité gréco-romaine, cette région maritime a toujours été connue par sa nomination d’origine : le « Sinus Persicus » des Latins qui devient le « Golfe Persique » dans les langues modernes européennes.

Les Grecs

Bien qu’Hérodote n’en fasse pas mention, le Golfe Persique était sans doute connu des Grecs depuis le VIe siècle avant J.-C., principalement grâce au périple de Scylax [1] sur ordre de Darius Ier. Mais c’est l’expédition de Néarque [2], depuis les bouches de l’Indus jusqu’à l’Euphrate, qui fit véritablement entrer le Golfe Persique dans la connaissance grecque à la fin du IVe siècle. Aux IIIe et IIe siècles, Eratosthène [3] construisit par raisonnement la première carte du monde à l’échelle, en distribuant selon un réseau de méridiens et de parallèles les données empiriques recueillies auprès des voyageurs grecs. Le Golfe Persique jouait un rôle important dans cette structuration mentale de l’œcoumène fondée sur la symétrie, car il était placé sur le même méridien que la mer Caspienne considérée par les Grecs comme un golfe de l’Océan extérieur et non pas comme une mer fermée.

Les Romains

Les conditions politiques et économiques dominant au temps de l’empire romain ne furent pas favorables à la collecte de données très précises et à la formation d’un tableau beaucoup plus détaillé sur le Golfe Persique. Rome n’atteignit l’Euphrate que de façon exceptionnelle. Le commerce romain avec l’Orient passait davantage par la mer Rouge. La découverte et l’usage de la mousson, à une date indéterminée entre le Ier avant et le Ier siècle après J.-C., favorisèrent des liaisons directes entre l’Egypte et l’Inde. On retrouve donc essentiellement, chez les auteurs latins, les données recueillies par Néarque. Pour les Latins, le Golfe Persique était, tout comme la mer d’Oman, une division de l’Océan indien. Dans la représentation cartographique des Romains, après une entrée qui ressemble à un cou, le Golfe Persique se développe en prenant la forme d’une tête humaine ; la mesure de sa circonférence est indiquée dans les cartes dessinées à l’époque. Les alluvions du Tigre et de l’Euphrate ont provoqué, dans ces cartes, une avancée du littoral : les îles les mieux connues sont celles d’Icare (île de Faylakah, en face des côtes du Koweït) et de Tylos (Bahreïn) ; les huîtres perlières et le corail abondent. Cette richesse en marchandises précieuses est accompagnée d’une profusion de légendes merveilleuses : les régions voisines sont aussi celles où habitent des êtres étranges. Des monstres marins, baleines et serpents de mers, des îles dangereuses ou fantastiques complètent le tableau dressé par l’imaginaire romain.

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Carte réalisée par Yodows Hondius et Petrus Bertius, Amsterdam, 1616

Dans toutes ces descriptions, en conséquence d’une erreur remontant à Néarque, le Sinus Persicus (Golfe Persique) n’apparaît guère distinct de la mer Erythrée (mer Rouge, en grec), expression qui peut désigner aussi bien la mer Rouge que l’ensemble de l’Océan indien. D’autre part, durant le haut Moyen آge, la mare Rubrum (mer Rouge, en latin), du fait de la couleur qui la caractérisait, avait un contenu de réalité beaucoup plus riche que celui de Sinus Persicus (Golfe Persique), dont le nom renvoyait au peuple perse qui habitait ses rivages.

Le Moyen Âge

Nombre de textes médiévaux reproduisent la même structure d’ensemble des régions allant de l’Egypte à l’Inde. La mer Rouge (c’est-à-dire l’Océan indien, pour les géographes européens de l’époque) y est divisée en deux golfes : Mare Rubrum (la mer Rouge) qui sépare l’Egypte de l’Arabie, et le Golfe Persique qui sépare l’Arabie de l’ensemble formé par la Mésopotamie, la Susiane (Suse), la Perse, et la contrée de Carmanie (Kermân). En réalité, les cartes médiévales les plus anciennes, par delà leurs différences formelles, montrent la persistance des conceptions antiques dans la pensée des cartographes du Moyen آge. C’est la raison pour laquelle l’alignement Caspienne/Golfe Persique de la carte antique d’Eratosthène se repère sur beaucoup de cartes médiévales.

Au XVIe siècle : la cartographie portugaise du Golfe Persique

La cartographie occidentale du XVIe siècle est fortement influencée par les explorations d’une petite nation de marins qui est devenue, à l’époque, un acteur important de manière assez inattendue : le Portugal. Bien que d’autres voyageurs européens, et principalement italiens, aient exploré certaines régions d’Asie à la fin du Moyen آge, ce sont les expéditions portugaises qui ont transformé l’image de l’Eurasie et de l’Afrique de manière si radicale que, rapidement, celle-ci a fini par s’approcher de ce qu’elle est aujourd’hui.

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                                                                                                                                                                      Carte de Gerardus Mercator, Duisbourg, 1578

L’un des tournants les plus significatifs dans le processus d’apprentissage cartographique orchestré par les Portugais a eu lieu en 1502, lorsque la carte « Cantino » a été dessinée à Lisbonne. En réalité, cette carte était une copie illégale d’un document secret appartenant au bureau royal des affaires étrangères de la couronne portugaise.

En ce qui concerne le Golfe Persique, la carte « Cantino » est intéressante car elle montre le peu d’informations dont disposaient les Portugais sur cette région avant d’y accoster finalement eux-mêmes. Au début, les Portugais n’ont pas trouvé de cartes arabes ou perses du Golfe Persique, et ils ont donc dû s’en remettre à l’ancien modèle ptoléméen. Les voyageurs portugais avaient entendu parler des fabuleuses richesses de Hormuz, mais ils n’ont atteint le Golfe d’Oman et l’entrée du Golfe Persique qu’en 1507, quand Alfonso de Albuquerque4 a gagné la région pour la première fois. L’occupation portugaise d’Hormuz était considérée comme une étape essentielle vers le contrôle total du commerce du Moyen-Orient qui passait par la mer Rouge et le Golfe Persique.

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Carte d’Abraham Ortelius, Anvers, 1577

Les voyages et les expéditions militaires des Portugais dans le Golfe Persique ont eu un impact important sur la cartographie du Golfe Persique. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les Portugais étaient les seuls marins occidentaux qui naviguaient dans les eaux du Golfe Persique. Il est important de mentionner que les cartographes portugais ont continué à travailler sur de nouvelles cartes du Golfe Persique à la fin du XVIe siècle et pendant tout le XVIIe siècle. Mais les innovations les plus importantes du XVIIe siècle concernent la cartographie néerlandaise.

Au XVIIe siècle : la cartographie néerlandaise du Golfe Persique

Les Pays-Bas sont devenus le centre de la cartographie européenne, bien avant que les navires néerlandais aient accosté en Orient. Des cartographes éminents tels que Gerardus Mercator [4] et Abraham Ortelius [5] étaient originaires des ports commerciaux de Louvain et Anvers. Or, Anvers entretenait des relations anciennes avec le Portugal. Les relations étaient particulièrement solides parce que les Pays-Bas faisaient partie des territoires des Habsbourg et étaient donc liés politiquement à la péninsule Ibérique. Mercator, qui est principalement connu pour être l’inventeur de l’atlas moderne, a conçu plusieurs globes et cartes pour Charles Quint. A la même époque, cet empereur, qui était également le roi d’Espagne, a subventionné le travail de ce cartographe néerlandais.

Dans leur connaissance de l’Asie, les cartographes flamands et hollandais, tout comme les autres cartographes européens, dépendaient des Portugais qui étaient les premiers européens à obtenir des informations directes sur le terrain. Cet état de fait a persisté durant plusieurs décennies, pendant lesquelles les marchants flamands et hollandais achetaient les produits asiatiques presque exclusivement à Lisbonne et laissaient aux Portugais un monopole incontesté sur l’Océan indien. Cependant, le port d’Amsterdam était alors en train de devenir le nouveau centre du commerce européen et la cartographie fit bientôt son apparition dans cette ville prospère.

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                                                                                                                                                                                      Carte de Guillaume de L’isle, Paris, 1742

La Compagnie hollandaise des Indes orientales a été fondée en 1602. Les fonctionnaires hollandais qui voyageaient sur les navires de la Compagnie dessinaient de plus en plus de cartes. Toutefois, les données sur le Golfe Persique étaient encore presque exclusivement d’origine portugaise. Cela ne devait changer que dans les années 1640. En 1622, face à l’assaut des troupes perses, les Portugais subirent une défaite et perdirent le contrôle de l’île perse d’Hormuz. L’année suivante, la Compagnie hollandaise des Indes orientales établit un comptoir à Ispahan, capitale des Safavides, et conclut un traité commercial avec l’empereur perse Shah Abbas Ier. Les décennies suivantes sont marquées par des contacts croissants entre la Perse et les Pays-Bas. Les relations se sont détériorées en 1637 et la Compagnie hollandaise des Indes orientales a adopté une stratégie agressive à partir de 1645, imposant un blocus sur Bandar Abbas et bombardant la forteresse des Safavides sur l’île de Qeshm.

La cartographie néerlandaise du Golfe Persique a ainsi subi, au milieu du XVIIe siècle, un changement fondamental. Alors que cette activité se résumait à ses débuts à la reproduction de cartes portugaises et italiennes, elle est devenue une pratique de plus en plus innovante centrée sur le regroupement méthodique des données sur le terrain par les capitaines et les topographes.

Malgré beaucoup de hauts et de bas, le commerce et la navigation néerlandais dans le Golfe Persique ont prospéré durant le XVIIe siècle, soutenus par plusieurs missions diplomatiques réussies auprès des souverains safavides. Le commerce des Pays-Bas avec la Perse safavide n’a décliné que lors de la dernière décennie du XVIIe siècle, et ce, du fait de la crise économique générale en Perse : l’invasion afghane et la crise de la dynastie safavide en 1722 ont fini par dégrader les relations, même si les Afghans n’ont pris Bandar Abbas qu’en 1727. La Compagnie hollandaise des Indes orientales a néanmoins ouvert en 1738 un nouveau comptoir à Bushehr, et un autre en 1752 sur l’île de Kharg. Mais les Néerlandais ont dû quitter la région en 1758. Globalement, les relations entre les Pays-Bas et la Perse sont demeurées tendues pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle.

Aux XVIIe et XVIIe siècles : la cartographie française du Golfe Persique

La France a été le premier pays à essayer de défier la domination hollandaise sur le champ de la cartographie maritime au XVIIe siècle. La cartographie des territoires d’outre-mer et des océans devenait ainsi une priorité dans le processus de la centralisation mené par Louis XIV et son ministre Colbert.

Il est cependant important de noter que la cartographie française était aussi profondément enracinée dans des traditions étrangères que celles des autres nations. En 1666, Louis XIV fonda l’Académie royale des sciences, l’équivalent français de la Royal Society anglaise. Dans la même année fut créé le corps mixte, militaire et civil, des Ingénieurs du Roi. Les cartes produites par les Ingénieurs du Roi furent publiées en 1693 dans Le Neptune Français. Le dépouillement visuel et la grande clarté et lisibilité en étaient les caractéristiques importantes. Il est intéressant de savoir que Le Neptune Français fut publié la même année à Amsterdam en trois langues différentes (français, néerlandais et anglais). Le projet avait visiblement un grand potentiel commercial.

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Carte de Pieter Van der Keere, Amsterdam, 1610

En ce qui concerne le Golfe Persique, il paraît que l’impact réel de ces développements de la cartographie française sur les cartes du Golfe Persique n’est pas tout à fait clair. En effet, la présence française dans le Golfe Persique fut fragile pendant cette période historique. Contrairement aux Portugais et aux Hollandais, les Français ne réussirent jamais à imposer une présence commerciale ou militaire permanente dans cette région. Même les contacts diplomatiques avec la Perse ne permirent jamais aux Français d’obtenir une présence importante dans la région du Golfe Persique. La première initiative diplomatique sérieuse fut prise sous le règne de Shah Abbas II, dans les années 1660. Les ambassadeurs français à Ispahan informèrent Colbert des possibilités commerciales et politiques qui s’offraient alors en Perse. Louis XIV envoya alors une ambassade en Perse, et en 1665, Shah Abbas II fit sortir un ordre concédant à la Compagnie française des Indes orientales le privilège d’ouvrir un comptoir à Bandar Abbas. Ce ne fut cependant qu’en 1669 qu’une petite flotte de trois vaisseaux français arriva à Bandar Abbas. L’un d’eux fit escale au comptoir français, tandis que les deux autres avancèrent jusqu’à Bassora.

Bien que Shah Abbas II rénova les privilèges en 1671, la Compagnie française ne fit pas de progrès sur le terrain car elle se débattait avec de sérieux problèmes financiers. Peu après, le comptoir de Bandar Abbas était abandonné. Par ailleurs, la dynastie safavide était sur le point de succomber, et sa politique commerciale décadente empêcha l’établissement de relations commerciales permanentes entre la France et la Perse jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Il faut cependant noter que depuis le milieu du siècle les cartes françaises du Golfe Persique s’améliorèrent de façon très considérable même si les navigations étaient occasionnelles dans la région. Ceci s’explique peut-être par une sensibilité cartographique croissante en France, plutôt que par une remontée de l’activité navale sur le terrain.

 

1) Le golfe Persique : entre histoire millénaire et conflits actuels par Sarah Mirdâmâdi pour la Revue de Téhéran

Notes

[1] Le premier gisement pétrolier fut découvert à Soleymanieh en 1908.

2) Du « Sinus Persicus » au « golfe Persique » par Babak Ershadi pour la Revue de Téhéran

Notes

[1] Scylax (VIe siècle av. J.-C.), navigateur et géographe grec, originaire du Caire. Engagé par Darius Ier, il explora les côtes du golfe Persique et de la mer Erythrée (la mer Rouge).

[2] Néarque (IVe siècle av. J.-C.), navigateur grec et lieutenant d’Alexandre, originaire de Crète. Ayant reçu le commandement de la flotte d’Alexandre, il descendit l’Indus avec l’armée, puis il entreprit une exploration des côtes de la mer Erythrée (la mer Rouge) et du golfe Persique jusqu’à l’embouchure de l’Euphrate.

[3] Ratosthène (v. 276-v. 194 av. J.-C.), mathématicien, astronome, géographe et poète grec qui mesura la circonférence de la Terre avec une surprenante précision en déterminant astronomiquement la différence de latitude entre les cités de Syène (aujourd’hui Assouan) et d’Alexandrie, en Égypte.

[4] Mercator, Gerardus (1512-1594), qui fut géographe, cartographe et mathématicien flamand. En 1568, il conçut et réalisa un système de projection de cartes qui porte maintenant son nom. Dans ce système, des lignes parallèles représentent les méridiens, et les parallèles sont des lignes droites qui coupent les méridiens à angle droit. Très utilisée en navigation, la projection de Mercator permet de tracer une route en ligne droite entre deux points sur la carte et de la suivre sans modifier la direction de la boussole.

[5] Ortelius, Abraham (1527-1598), cartographe et géographe flamand qui produisit le premier atlas moderne, intitulé Theatrum Orbis Terrarum (1570). Cet atlas contenait 70 cartes, qui constituaient la plus grande collection de l’époque. Elles représentaient ce qui se faisait de mieux à l’époque, même si beaucoup de ces cartes étaient des copies et que certaines contenaient des erreurs.

dimanche, 11 novembre 2012

Henri Corbin, orientaliste et iraniste

Henri Corbin, orientaliste et iraniste

par Jean MONCELON 

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« Je suis orientaliste et iraniste : tout cela et rien que cela » 

A Matthias Körger

Henry Corbin est né à Paris le 14 avril 1903, dans une famille protestante – sa mère mourra quelques jours après sa naissance. Une licence de philosophie en 1925 et des cours avec Gilson l’orientent vers l’étude de l’arabe (Langues O) et l’École Pratique des Hautes Études d’où il sort diplômé en 1928.

           La même année, il entre à la Bibliothèque Nationale où il rencontre Louis Massignon dont « une inspiration du ciel » va décider de sa vocation : « Je lui parlais des raisons qui m’avaient entraîné comme philosophe à l’étude de l’arabe, des questions que je me posais entre la philosophie et la mystique, de ce que je connaissais, par un assez pauvre résumé en allemand, d’un certain Sohravardî… Alors Massignon eut une inspiration du ciel. Il avait rapporté d’un voyage en Iran une édition lithographiée de l’œuvre principale de Sohravardî, Hikmat al-Ishrâq : « la Théosophie orientale ». Avec les commentaires, cela formait un gros volume de plus de cinq cents pages. « Tenez, me dit-il, je crois qu’il y a dans ce livre quelque chose pour vous. » Ce quelque chose, ce fut la compagnie du jeune shaykh al-Ishrâq qui ne m’a plus quitté au cours de ma vie »  [1]. De cet épisode date ce qu’on pourrait appeler la naissance spirituelle de Henry Corbin, en ce sens, comme il le dira lui-même, que par cette rencontre, « [son] destin pour la traversée de ce monde était scellé ». Sohravardî incarne, en effet, un certain « style de conscience et de vie spirituelle » auquel Henry Corbin restera fidèle toute sa vie, qui ajoute d’ailleurs que le sens et la portée de la philosophie du shaykh al-Ishrâq débordent son cadre : « Elle est une forme de l’aventure humaine, qu’il importe à l’homo viator de méditer spécialement de nos jours. »

           corbin9782226215680g.jpg  Les années suivantes, jusqu’en 1936, le voient suivre les cours de Massignon, Gilson, Puech, Benveniste, Koyré, à Paris et surtout accomplir plusieurs séjours en Allemagne, à Bonn, Hambourg et Marburg, où il découvrira Swedenborg, « dont l’œuvre immense, dira-t-il, allait ainsi m’accompagner tout au long de ma vie », et où il fera la connaissance de Rudolf Otto, en 1930 : « Comment dire l’éblouissement d’un jeune philosophe débarquant à Marburg au début de juillet 1930 ? L’enchantement des lieux, de cette « colline inspirée » ne vivant que par et pour l’Université, les magnifiques forêts alentour… ». Quelques années plus tard, c’est à Freiburg, durant le printemps 1934, qu’il rendra visite au philosophe Heidegger – qu’il rencontrera à plusieurs reprises ensuite et dont il sera le premier traducteur en France, avec Qu’est-ce que la métaphysique ? en 1939.

            L’Iran et l’Allemagne furent assurément les deux patries d’élection de Henry Corbin. L’essentiel, toutefois, est de comprendre, comme il y invite lui-même, que ces deux patries furent, dans sa vie, « les points de repères géographiques d’une Quête qui se poursuivait en fait dans les régions spirituelles qui ne sont point sur nos cartes. » Il dira à ce sujet : « Je ne suis ni un germaniste ni même un orientaliste, mais un philosophe poursuivant sa Quête partout où l’Esprit le guide. S’il m’a guidé vers Freiburg, vers Téhéran, vers Ispahan, ces villes restent pour moi essentiellement des « cités emblématiques », les symboles d’un parcours permanent »[2].

            Henry Corbin s’était marié en 1933 avec Stella Leenhardt, « Stella matutina », à qui il dédicacera son œuvre majeure, En Islam iranien, en 1971, en ces termes : « Stellae consorti dicatum ». Parmi les amitiés de ces années, il faut signaler celle de Jean Baruzi et surtout celle du philosophe russe Nicolas Berdiaev. C’est de lui qu’il tient l’idée d’une Eglise de Jean succédant à l’Eglise de Pierre, qui inaugurerait le règne du Paraclet (selon Joachim de Flore) et qui serait, « non pas la tutrice des pauvres », mais l’Eglise éternelle et mystérieuse « découvrant en elle le vrai visage de l’homme et de son extase vers les sommets »[3].

En 1939, Henry Corbin part pour une mission de six mois à l’Institut français d’archéologie d’Istanbul où la guerre le retiendra finalement jusqu’en 1945. C’est là qu’il préparera l’édition des œuvres de Sohravardî : « Au cours de ces années, pendant lesquelles je fus le veilleur du petit Institut français d’archéologie mis en veilleuse, j’appris les vertus inestimables du Silence, de ce que les initiés appellent la « discipline de l’arcane » (en persan ketmân). L’une des vertus de ce Silence fut de me mettre seul à seul en compagnie de mon shaykh invisible (…). A longueur de jour et de nuit, je traduisis de l’arabe (…). Au bout de ces années de retraite, j’étais devenu un Ishrâqî, et l’impression du premier tome des œuvres de Sohravardî était presque achevée »[4]. A la mi-septembre 1945, il part pour Téhéran et lance le projet d’un département d’Iranologie au sein du nouvel Institut français. Il en assurera la direction jusqu’en 1954 et créera la fameuse « Bibliothèque iranienne ».

Cette « Bibliothèque iranienne » répondait pour Henry Corbin à un double objectif qui était, d’une part, de prouver l’existence d’une « philosophie proprement et originairement shî’ite » et, d’autre part, que l’on prenne « au sérieux », selon ses mots, le projet sohravardien de « ressusciter la théosophie des Sages de l’ancienne Perse ». L’objectif a été pleinement atteint, et nous sommes nombreux aujourd’hui à se reconnaître une dette envers Henry Corbin qui nous aura fait découvrir non seulement Sohravardî, mais aussi Haydar Âmolî, Mollâ Sadrâ Shîrâzî et surtout Rûzbehân Baqlî Shîrazî, pour ne rien dire des extraordinaires textes ismaéliens qui se trouvent désormais à notre disposition, en langue française. A la mort de Henry Corbin, Mircea Eliade fera remarquer : « Il est mort en ayant accompli à peu près tout ce qu’il s’était promis de réaliser », et il devait avoir en tête certainement cette « Bibliothèque iranienne ». C’est d’ailleurs l’existence de celle-ci qui a permis à son promoteur d’écrire, vers la fin de sa vie, en 1978 : « Nous n’en sommes plus, certes, à croire que la pensée en Islam ne soit représentée que par les cinq ou six grands noms de philosophes qui furent connus de la Scolastique latine. Mais combien faudra-t-il de temps encore pour que l’on soupçonne le nombre de monuments de pensées et de chefs-d’œuvre spirituels, tant en arabe qu’en persan, dont l’homme cultivé de l’Occident a généralement tout ignoré jusqu’ici ? Combien plus de temps encore faudra-t-il pour que le trésor de leur pensée rentre dans ce que l’on appelle le « circuit culturel », et vienne fructifier jusque dans les colloques de bonne volonté qui pourraient enfin aborder l’essentiel » [5].

Cela pourrait constituer assurément le programme d’une Unité de recherche « Henry Corbin », consacrée à l’Iran.

Pendant quelque cinquante ans la propriété de Madame Fröbe-Kapteyn, à Ascona, « sur les rives du lac majeur », en Suisse, a été le centre symbolique d’une communauté de chercheurs spirituels, parmi lesquels on peut citer outre Corbin, Massignon, Jung, Denis de Rougemont, Rudolf Otto, Gershom Scholem, Mircea Eliade, etc. Henry Corbin a donné sa première conférence à Ascona en 1949, inaugurant une collaboration qui durera jusqu’à sa mort. Or, Eranos a représenté infiniment pour lui : « Ce que nous voudrions appeler le sens d’Eranos, et qui est aussi tout le secret d’Eranos, c’est qu’il est notre être au présent, le temps que nous agissons personnellement, notre manière d’être. C’est pourquoi nous ne sommes peut-être pas « de notre temps », mais nous sommes beaucoup mieux et plus : nous sommes notre temps. Et c’est pourquoi Eranos n’a même pas de dénomination officielle ; ni de raison sociale collective. Ce n’est ni une Académie, ni un Institut, pas même quelque chose que l’on puisse, suivant le goût du jour, désigner par des initiales. Non, ce n’est pas un phénomène de notre temps »[6].

A partir de 1955, Henry Corbin partagera son temps entre Paris et Téhéran, entre son enseignement à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (de janvier à juin)[7], où il succèdera à Louis Massignon, à la Section des Sciences Religieuses[8], et la direction du Département d’Iranologie de l’Institut franco-iranien (docteur honoris causa de l’Université de Téhéran en 1958).

corbin_henry.jpgEn 1959, paraît son Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabî dont la rédaction fut, selon ses propres termes, « un nouveau point de départ, un moment privilégié dont la clarté illumina la route suivie depuis lors », puis en 1961, grâce à Marie-Madeleine Davy, Terre céleste et corps de résurrection [9]. Ces deux ouvrages connaîtront l’un et l’autre une deuxième édition, respectivement en 1975 et 1978.

           D’autres ouvrages seront publiés, après 1959, qui récapitulent l’ensemble des travaux de Henry Corbin en matière d’ésotérisme ou de gnose. Il est indispensable de bien comprendre que l’ésotérisme selon Henry Corbin, c’est d’abord la théosophie mystique et surtout la gnose, en relation avec l’enseignement qu’il avait retiré de la fréquentation des textes ismaéliens et qui lui fera affirmer : « La gnose shî’ite est par excellence l’ésotérisme de l’Islam » [10]. En cela, bien sûr, Henry Corbin parait fort éloigné d’un René Guénon, par exemple, et de l’ésotérisme « traditionnel », tandis qu’en termes d’ésotérisme chrétien, cette orientation de son œuvre l’inscrit plutôt dans la lignée de Swedenborg, de Novalis, et surtout de Jacob Boehme. Parmi ces ouvrages, il faut citer, par exemple, son Histoire de la philosophie islamique, en 1968. C’est aussi son Anthologie des philosophes iraniens depuis le XVIIème siècle jusqu’à nos jours. Ce sont surtout ses quatre volumes d’En Islam iranien, publiés à partir de 1971.

            En 1974 vient sa retraite universitaire pendant laquelle il continue à donner des conférences et à séjourner en Iran. Il fonde aussi à Paris une Université Saint-Jean de Jérusalem qu’il définit comme un « Centre international de recherche spirituelle comparée ». « Son esprit : celui d’une chevalerie spirituelle » et quant à sa finalité : « Ménager enfin, écrira-t-il, en la cité spirituelle de Jérusalem, un foyer commun, qui n’a jamais encore existé, pour l’étude et la fructification spirituelle de la gnose commune aux trois grandes religions abrahamiques, bref l’idée d’un œcuménisme abrahamique fondé sur la mise en commun du trésor caché de leur ésotérisme »[11]. Cette idée a occupé les dernières années de la vie de Henry Corbin Malheureusement son Université de Saint Jean de Jérusalem ne lui a pas survécu. Sans doute parce que son ambition était trop élevée, et pourtant s’il est un message de son oeuvre qu’il conviendrait de prolonger, de revivifier, c’est bien celui d’une communauté des ésotéristes « de partout et toujours » unis dans ce projet commun : « Faire face ensemble, nous tous les Ahl al-Kitâb [les Gens du Livre], écrivait-il, en reprenant ensemble notre aventure théologique depuis les origines, pour qu’au lieu de nous séparer, l’aventure cette fois nous rassemble. »

            Henry Corbin meurt à Paris le 7 octobre 1978.

Il n’aura pas de disciples – pas plus que René Guénon – « Il était et reste un maître parce qu’il libérait et libère en chacun de ceux qui le lisent son propre futur »[12], dira de lui Christian Jambet. Mais aussi son œuvre ouvre des perspectives qui ne peuvent plus être ignorées, parce qu’elles intéressent notre avenir, l’avenir même de l’Occident. Sous ce rapport, la comparaison avec l’œuvre d’un René Guénon ne manque pas d’intérêt. C’est ainsi que Michel Le Bris remarque : « Voyez comme l’Orient spirituel de Henry Corbin est éloigné de l’Orient de Guénon ! L’un y apprend à lire, en retour, ce qui fut, sans doute, l’âme vivante de l’Occident, l’autre, quoiqu’il prétende, y trouve le prétexte de s’en écarter toujours plus – la lecture qu’il fait des mystiques d’Occident, de ce point de vue, me paraît catastrophique. L’un veut réconcilier la philosophie des « Orientaux de l’Orient » et des « Orientaux de l’Occident », pour la chance d’une mutation de l’Occident, (…) – l’autre tire une sombre jouissance de la prédication de sa mort fatale »[13].

Pour Henry Corbin, il existait autant d’« orientaux » en Occident qu’en Orient. En aucune manière il ne soumettait la connaissance ésotérique à l’adhésion à une religion et c’est aussi en cela que son propos intéresse notre futur : « Chacun des ‘orafâ [des gnostiques] d’Orient et d’Occident, écrit-il, ne peut penser et peser les choses qu’en termes d’intériorité et d’intériorisation, ce qui veut dire faire en soi-même une demeure permanente aux philosophies, aux religions, vers lesquels le conduit sa Quête. Et il ne peut que garder son secret : Secretum meum mihi. Le secret du château de l’Âme. »

Pour conclure ces aperçus biographiques, on donnera le témoignage d’une Iranienne, Shusha Guppi : « Henry Corbin était un mystique protestant, espèce rare parmi les Français, et il parlait de la façon la plus émouvante de ce qu’il appelait « le génie de la Perse », qui avait produit de grands philosophes et d’immenses poètes, avait presque inventé l’amour, et lui avait en tout cas donné, en poésie, son expression la plus haute pour des générations et des générations futures. Puis exprimant son admiration pour mon pays d’adoption, il me parla des mystiques anglais, tels que Julienne de Norwich, et de toute cette tradition ésotérique dont le monde anglo-saxon a vu le déclin à dater de la Réforme. Nous parlâmes aussi de politique et d’une manière générale, de l’état du monde. Il était très au fait, et se montra préoccupé, de problèmes fondamentaux : la démographie, le pillage des ressources naturelles, l’écart qui allait s’élargissant entre nantis et démunis, avec toutes ses conséquences… Je l’entends encore conclure :

- A propos d’un malade, on dit que son état est grave mais pas désespéré; à propos du monde, on pourrait dire que son état est désespéré, mais qu’heureusement tout cela n’a rien de grave! »[14].

Sohravardî

Le maître de Henry Corbin aura été finalement un jeune théosophe perse, Sohravardî, mort tragiquement le 29 juillet 1191, à l’âge de 36 ans, dont le projet était rien de moins que de « ressusciter la philosophie de la Lumière des sages de l’ancienne Perse ». De ce projet grandiose que Sohravardî paiera de sa vie, puisqu’il fut condamné à mort à Alep, Henry Corbin en a été le commentateur « oriental » en Occident, mais le mot « oriental » est ici placé entre guillemets, selon ce que Henry Corbin en dira dans son Prélude à L’Archange empourpré : « Le Shaykh al-Ishrâq nous a appris les sens spirituel des mots « Orient » et « Occident » (…). Lors donc que nous parlons avec lui de « l’exil occidental », il ne s’agit pas d’une mise en accusation des pays d’occident au sens géographique, pas plus que, lorsque nous parlons de « théosophie orientale », il s’agit tout simplement de se rendre tout simplement à l’Orient géographique pour la trouver » [15].

Cette précision faite, la théosophie « orientale » (hikmat al-Ishrâq) de Sohravardî a inspiré nombre des recherches de Henry Corbin, à commencer par la doctrine ishrâqî elle-même et ses développements à travers les œuvres de ses disciples qu’il nomme « les Platoniciens de Perse ». Mais, elle a surtout influé sa Quête personnelle. Pour cette raison, il n’est pas inutile de rappeler, après lui, les caractéristiques essentielles de la doctrine ishrâqî qui sont, d’une part, « la volonté délibérée de renouer avec la théosophie de la Lumière professée par les sages de l’ancienne Perse », et, d’autre part,  une « spiritualité dont la caractéristique est de conjoindre indissociablement la recherche philosophique de la Connaissance et la fructification de cette Connaissance en conversion, une métamorphose intérieure de l’homme ». Il s’agit là d’un thème majeur de Henry Corbin et qui fait de lui un gnostique, au sens où la gnose est essentiellement une « connaissance salvifique », et même une « connaissance amoureuse » au sens où l’entendra cette fois un autre de ses maîtres, Rûzbehân Baqlî de Shîrâz (1128-1209) dont il parlera comme d’un Maître Eckhart « qui aurait écrit quelque chose comme l’histoire de Tristan et Yseult ». La formule est heureuse, s’agissant de l’« Enfant divin », comme l’appelait Louis Massignon[16].

Pour revenir à Sohravardî deux œuvres en particulier méritent l’attention, Le Récit de l’Exil occidental qui est un traité initiatique, portant sur la voie ésotérique qui conduit « l’exilé » dans le pays d’Occident jusqu’à sa patrie « orientale », sa vrai patrie. (Nous en avons parlé ce matin). Le second traité s’intitule le Vade-mecum des fidèles d’amour. Il s’agit également d’un récit initiatique qui éclaire singulièrement l’expérience intérieure d’un Dante et de ceux que l’on appelle après lui les fedeli d’amore.

A l’origine de toute initiation à l’Ordre des fedeli d’amore se place une expérience amoureuse – qui est le point de départ d’un développement spirituel, au cours duquel l’amour deviendra un amour de passion[17]. Mais ce développement reste réservé à un petit nombre : « Amour n’ouvre pas à n’importe qui la voie qui conduit à lui ». Comme pour n’importe quelle initiation, l’être épris doit en manifester les dispositions. Mais dès qu’Amour en vient à constater qu’il en a les aptitudes, il « envoie vers lui Nostalgie qui est son confident et son délégué, afin que celui-ci purifie la demeure et n’y laisse entrer personne ». Il s’agit donc d’une première étape dans le développement personnel de l’être sincèrement épris qui est celle de l’initiation. Ensuite, « il faut qu’Amour fasse le tour de la demeure et descende jusque dans la cellule du cœur. Il détruit certaines choses ; il en édifie d’autres ; il fait passer par toutes les variantes du comportement amoureux ». C’est au terme de cette seconde étape que se produit « l’illumination » – ce que symbolise le Cuore gentile selon Dante, à savoir « le cœur purifié, c’est-à-dire vide de tout ce qui concerne les objets extérieurs, et par là-même rendu apte à recevoir l’illumination intérieure ». C’est alors qu’Amour « se résout à se rendre à la cour de Beauté ». Dans cette dernière étape, l’être épris devra connaître « les étapes et les degrés par lesquels passent les fidèles d’amour » et surtout il devra « donner son assentiment total à l’amour ». C’est à cette condition que l’initié devient un fidèle d’amour et « c’est après cela seulement que seront données les visions merveilleuses ».

Rulman Merswin et l’Île verte

On ne peut manquer d’évoquer, même brièvement, à propos de l’itinéraire spirituel de Henry Corbin, la figure de Rulman Merswin.

Rulman Merswin, né en 1307 et mort en 1382, issu d’une importante famille de banquiers strasbourgeois, se retira de la vie publique pour entrer en une retraite spirituelle de quatre années (Tauler est alors son confesseur), après lesquelles il fit l’acquisition d’un ancien couvent bénédictin à l’abandon, en un lieu dit l’Île Verte : « L’Île Verte de Strasbourg, écrit Henry Corbin, fut un centre spirituel des chevaliers johannites où se développa au XIVème siècle une forme de spiritualité caractérisée par le nom de ceux qui en sont le centre, à savoir le nom d’ « Amis de Dieu » (Gottesfreunde) » [18]. « Chevaliers johannites », simplement du fait que la présence ecclésiale dans ce couvent de l’Île Verte fut confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, tandis que Rulman Merswin précisait que le couvent devait être « une maison de refuge où puissent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désireraient fuir le monde et se consacrer à Dieu, sans cependant entrer dans un ordre monastique ».

Mais il y a plus dans l’histoire de l’Île Verte. Rulman Merswin et les Amis de Dieu se trouvèrent rapidement en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la voie spirituelle qu’ils se sont choisie, par une série de missives (de 1363 à 1380) et d’écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre du maître de la Sainte Écriture, Le Livre des Cinq hommes « qui décrit la société idyllique du Haut Pays ».

Pour Henry Corbin, il paraît superflu de rechercher l’identité de cet « Ami de Dieu du Haut Pays », tout comme il serait vain de tenter de localiser le Haut Pays sur une carte de géographie, car « personne n’en eut connaissance, qui ne s’en approcha par la voie intérieure ». L’essentiel est aux yeux de Corbin que l’« Ami de Dieu du Haut Pays » ait été, selon ses propres termes, « le pôle des Amis de Dieu de l’Ile Verte des Johannites », autrement dit qu’il ait été le Maître intérieur de Rulman Merswin lui-même. Or, qui est le Maître intérieur ? C’est celui qui guide l’initié, non plus en ce monde-ci, mais bien dans les contrées au-delà de l’Orient du monde terrestre.

Tel est le secret de l’identité de l’« Ami de Dieu du Haut Pays ».

Henry Corbin assimila ce dernier au XIIème Imâm [19] de la tradition shî’ite et en tira la conclusion qu’il existe en ce monde « une élite spirituelle commune aux trois rameaux de la tradition abrahamique », dont l’éthique « prend origine aux mêmes sources et vise la même hauteur d’horizon. »

Le monde imaginal

« Le contact entre Dieu et l’homme se fait « entre Ciel et Terre », dans un monde médian et médiateur »

Selon le mot du philosophe Christian Jambet, Henry Corbin a ressuscité « la métaphysique de l’imaginal en terre d’islam ». Et l’on peut tenir cette « résurrection » comme un apport les plus significatifs de son œuvre. Deux ouvrages, déjà cités, permettent de préciser la notion de « monde imaginal ».

corbinhenr9782070724079FS.gifDans le premier de ces ouvrages, L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabî, il dira : « Que l’on entende pas le mot « images » au sens où de nos jours on parle à tort et à travers d’une civilisation de l’image ; il ne s’agit jamais là que d’images restant au niveau des perceptions sensibles, nullement de perceptions visionnaires. Le mundus imaginalis de la théosophie mystique visionnaire est un monde qui n’est plus le monde empirique de la perception sensible, tout en n’étant pas encore le monde de l’intuition intellective des purs intelligibles. Monde entre-deux, monde médian et médiateur, sans lequel tous les événements de l’histoire sacrale et prophétique deviennent de l’irréel, parce que c’est en ce monde-là que ces événements ont lieu, ont leur « lieu ».

Dans le second, Corps spirituel et terre céleste, le Prélude à la deuxième édition (1978) s’intitule « Pour une charte de l’Imaginal »[20]. On y lit ceci : « La fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales se définit par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part, elle « imaginalise » les formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle s’est dégradée en « fantaisie », ne secrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. »

L’apport le plus remarquable chez Henry Corbin est par conséquent d’avoir « revivifié » pour l’Occident ce mundus imaginalis « qui n’est ni le monde empirique des sens ni le monde abstrait de l’intellect » – dont la notion – et donc la réalité – s’était éclipsée depuis plusieurs siècles de pieux agnosticisme et de Lumières. On conviendra qu’il s’agit de quelque chose qui éclaire considérablement le sens de notre pèlerinage vers nos origines, vers l’Orient, cette nostalgie du « paradis perdu », qui aiguise notre sentiment d’exil en ce monde et avive, pour les uns, le désir eschatologique du monde à venir, pour les autres, l’attente de leur délivrance.

L’ismaélisme

« Il y a l’ismaélisme et rien »

            L’ismaélisme est une branche du chiisme.

Que sait-on de l’ismaélisme ? Généralement, on en connaît la légende des Assassins et du Vieux de la Montagne. On connaît également le prodigieux essor culturel et spirituel de la dynastie des Fatimides au Caire (909-1130). On sait parfois qu’il existe des Ismaéliens au Yémen et aussi que l’Aga Khan est le chef spirituel d’une importante communauté ismaélienne. Pourtant l’ismaélisme est beaucoup plus que ces quelques clichés. Nous en donnerons ce bref aperçu historique.

Ja’far al-Sadîq, le sixième Iman de la descendance de ‘Alî ibn Tâlib, avait désigné comme successeur et héritier spirituel son fils aîné Ismâ’il. Celui-ci meurt  prématurément en 754 et Ja’far al-Sâdiq transfère alors son investiture à Mûsâ al-Kâzim, frère cadet d’Ismâ’il, qui deviendra le septième imâm de la lignée, en 756. Mais, autour du jeune Ismâ’il s’était constitué un groupe de disciples particulièrement fervents et de tendance « ultra-chiites », selon le mot de Corbin, qui refusèrent ce transfert et reportèrent leur allégeance sur la personne du fils d’Ismâ’il, Muhammad. Ce sont les premiers Ismaéliens qui forment ce que Henry Corbin désigne comme le proto-ismaélisme. Suit une période assez mal connue durant laquelle se succèdent les descendants de Muhammad, jusqu’à l’avènement de la dynastie des Imams Califes fatimides du Caire. Celle-ci commence en 909, avec le règne de Obadayallah al-Mahdi (mort en 934). Mais deux siècles plus tard, en 1094, le huitième Imam Calife, Al-Mustansir bi’allah, donne son investiture à son fils cadet al-Mustali bi’llâh, au lieu de Nizâr son fils aîné. La communauté fatimide se divise alors et les partisans de Nizâr fondent ce qu’on appellera l’Ismaélisme réformé d’Alamût, du nom de cette forteresse, au sud-ouest de la Mer Caspienne, qui en devient le centre. C’est là que le 8 août 1164, l’Imam Hassan ‘alâ dhikrihi’s-salâm, grand maître d’Alamût, proclame la Grande Résurrection : « Ce qu’impliquait la proclamation, écrit Henry Corbin, ce n’était rien de moins que l’avènement du d’un pur Islam spirituel, libéré de tout esprit égalitaire, de toute servitude de la Loi, une religion personnelle de la Résurrection, parce qu’elle fait découvrir et vivre le sens spirituel des Révélations prophétiques »[21].

L’ismaélisme s’inscrit ensuite dans une hiérohistoire.

Chaque religion est apparue, en effet, successivement à l’un des six « jours » (six époques) de la « création du cosmos religieux ». Ainsi les Mazdéens sont-ils apparus au troisième jour, les Juifs au quatrième, les Chrétiens au cinquième et les Musulmans au sixième jour. Chaque religion a voulu arrêter à son propre « jour » cette création du cosmos religieux, or si chaque « jour » ou période est inaugurée par un prophète, elle se prolonge par une succession d’Imams, jusqu’à ce que Dieu suscite un nouveau « jour ». Ces saints Imams qu’ils soient visibles ou invisibles sont les dépositaires du sens caché de la Loi qui préside à chaque période, de cette Religion divine qui forme l’ésotérisme de la religion littérale et qui est professée par les Amis de Dieu, les disciples, les fidèles de l’Imam. Ce sont eux qui « propagent leur appel en secret et en observant strictement la discipline de l’arcane, car le monde terrestre ne peut jamais resté privé, fût-ce un seul instant, de celui qui en est le contrepoids devant Dieu, qu’Il soit manifesté publiquement et à découvert, ou qu’il doive resté caché et incognito »[22].

Ce « contrepoids », c’est l’Imam, le « pôle mystique » de notre monde[23].

Mais l’Imam est beaucoup plus que cela, ou plutôt de sa fonction de « pôle mystique », découlent nombre d’autres attributions.

Il est celui qui détient le sens ésotérique de la Loi révélée par le Nâtiq, le prophète « énonciateur de la Loi religieuse »[24], et par conséquent le « dépositaire » de la Religion divine.

Il est aussi le Pôle céleste et le Maître intérieur de chacun de ses fidèles.

Il est enfin la « théophanie éternelle », grâce à quoi les adeptes, les amis de Dieu, contemplent le visage divin.

A ce sujet, Henry Corbin usait d’un diagramme explicitant cette dernière idée de « théophanie » : « Si nous voulions nous figurer la situation par un diagramme, écrivait-il, nous pourrions nous représenter deux ellipses se recoupant l’une l’autre, telles que le foyer compris dans le champ de leur intersection soit un foyer commun à l’une et à l’autre. Ce foyer commun figurerait l’Imâm. Il y a polarité entre le Deus absconditus et sa Forme théophanique, sa Face qui est l’Imâm ; et il y a polarité entre cette Face et l’homme à qui elle se montre comme Face divine. Mais il n’y a pas de polarité entre l’Absconditum et l’homme »[25]

            Conclusion

S’agissant de l’ismaélisme, Henry Corbin a accompli pleinement sa vocation de « passeur », car Henry Corbin a été un remarquable « passeur », au moins en un sens profane, – en mettant à la disposition de ses lecteurs occidentaux tout un corpus d’œuvres « orientales » qui demeureraient encore sans lui inconnu, – mais surtout, en un sens ésotérique, dès lors qu’il ne s’est pas contenté de traduire, mais de transmettre quelque chose de leur enseignement ésotérique, en une langue exceptionnelle. Il disait lui-même : « Parler, c’est traduire… d’une langue angélique en une langue humaine. » C’est ce que Marie-Madeleine Davy qui fut intime avec lui avait si bien compris – de même qu’elle avait compris que sa vocation était de vivre pour cette Terre qu’il avait « découverte » et, aussi, qu’il était entré vivant dans la mort : « Henry Corbin, était un homme « ressuscité » avant d’aborder l’autre rive. Il portait sur son visage et dans ses yeux le scintillement de son appartenance. Dans ses ouvrages et lors de ses conférences, il a su faire passer le monde des anges »[26]. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre le sens de sa vocation et de sa destinée, l’essentiel restant que l’homme professe « authentiquement » sa Foi.

On peut se faire une idée de cette Foi de Henry Corbin avec ces mots écrits, le 24 avril 1932, au bord d’un lac de Dalécarlie : « Terre, Ange, Femme, tout cela est une seule chose que j’adore et qui est dans cette forêt ».

La Terre dont il est question est le monde de Hûrqalyâ, le mundus imaginalis, ou encore la « Terre des visions », la Terre céleste

L’Ange est l’ange de la destinée, le Double céleste de l’âme « qui lui vient en aide et qu’elle doit rejoindre, ou au contraire perdre à jamais, post-mortem, selon que sa vie terrestre aura rendu possible, ou au contraire impossible, le retour à la condition « célestielle » de leur bi-unité », comme il expliquera dans un autre de ses ouvrages les plus révélateurs, intitulé L’homme et son ange.

C’est en référence à cet ange que Mircea Eliade dira : « Il est mort avec sérénité tant il était sûr que son ange gardien l’attendait. »

Enfin, la Femme – Stella matutina – qui manifeste un mystère qui est celui de l’Eternellement-Féminin – « Un Eternellement-Féminin, antérieur même à la femme terrestre, parce qu’antérieur à la différenciation du masculin et du féminin dans le monde terrestre, de même que la Terre supracéleste domine toutes les Terres, célestes et terrestres, et leur préexiste » [27] – que Corbin interprète ainsi – et nous touchons alors au plus près son secret : « C’est d’un monde où socialisation et spécialisation n’arracheraient plus à chaque âme son individualité, sa perception spontanée de la vie des choses  et du sens religieux de la beauté des êtres ; un monde où l’amour devrait précéder toute connaissance ; où le sens de la mort ne serait que la nostalgie de la résurrection. Si tout cela même peut être encore pressenti, la conclusion du second Faust nous l’annonce comme un mystère de salut qu’accomplit l’Eternellement-Féminin, comme si l’appel ne pouvait venir d’ailleurs pour qu’il y soit répondu avec un assentiment confiant – l’appel impérieux : « Meurs et deviens ! » [28]

Jean Moncelon


[1] Henry Corbin, « Post-scriptum biographique à un Entretien philosophique », Henry Corbin, Cahier de l’Herne, 1981, pp. 40-41

[2] Henry Corbin, « De Heidegger à Sohravardî », Idem, p.24

[3] Nicolas Berdiaev, Le sens de la création, cité par Henry Corbin, En Islam iranien, Gallimard, IV, 1978, p.446.

[4] Henry Corbin, « Post-scriptum biographique à un Entretien philosophique », Henry Corbin, Cahier de l’Herne, op. cit., p.46

[5] Henry Corbin, Corps spirituel et Terre céleste, op. cit., p.137.

[6] Henry Corbin, « Le temps d’Eranos »,  Henry Corbin, Cahier de l’Herne, op. cit. p.260

[7] L’Institut Français de Recherche en Iran a publié un résumé des conférences de Henry Corbin à l’École Pratiques des Hautes Etudes de 1955 à 1979, sous le titre : «Itinéraire d’un enseignement », IFRE, Téhéran, 1993

[8] « Le cher Massignon n’était pas étranger à cette élection. Je connaissais son souci, et quelles que fussent nos différences de pensées, il me considérait comme le plus proche de lui pour prolonger la direction qu’il avait donnée aux recherches, sinon quant à leur contenu, du moins quant à leur sens et à leur esprit » Henry Corbin, « Post-scriptum biographique… », op. cit., p.47

[9] Lors de la seconde édition, en 1978, Corbin modifiera ce titre qui deviendra : Corps spirituel et Terre céleste.

[10] On se rappelle de son mot : « Il y a l’ismaélisme et rien ».

[11] « Post-scriptum biographique à un Entretien philosophique », op. cit. p.53.

[12] Christian Jambet, « Le guide intérieur », in Henry Corbin, Suhrawardî d’Alep, Fata Morgana, p.16

[13] Michel Le Bris, « Pour en finir avec les guerres de religion », René Guénon, Dossier H, L’Age d’Homme, 1984, p.221. Voir aussi dans le même Dossier H, Frédérick Tristan, « Réflexions sur René Guénon : « Je ne doute pas que Guénon aurait suspecté Corbin d’agir en poète, lorsque Corbin l’accuse d’une logique trop étroite. Mais il faut avoir vu le visage anguleux et jaune de Guénon et la face épanouie de Corbin pour comprendre comment la révélation utilise le tempérament autant que la nature. Le dieu du désert n’est pas celui de la forêt ni de l’océan », p.206

[14] Shusha Guppi, A girl in Paris, 1991 (traduction français, Phébus, 1996), p.118.

[15] Henry Corbin, Prélude à L’Archange empourpré de Sohravardî, Fayard, 1976, p.XXIII.

[16] Massignon aurait préféré d’ailleurs que Corbin se complaise plus dans la compagnie de Rûzbehân Baqlî que de Sohravardî ou d’Ibn ‘Arabî. Il le lui écrira, dans une lettre du 8 juillet 1958.

[17] Amour de passion qu’il ne faut pas confondre avec l’amour passion des romantiques !

[18] Henry Corbin, En Islam iranien, Gallimard, 1978, IV, p. 392.

[19] « Il y a un pacte de fidélité conclu pré-existentiellement entre l’Imâm et ses fidèles (…). Et ce ne fut pas le moindre enseignement de nos recherches de constater que nos théosophes shî’ites avaient identifiés le XIIe Imâm aussi bien avec le Saoshyant des zoroastriens qu’avec le Paraclet annoncé dans l’Évangile de Jean », idem, p391.

[20] Cette « Charte de l’Imaginal » a séduit un certain nombre d’intellectuels français comme Christian Jambet, Gilbert Durand, Michel Le Bris, etc.

[21] Pour un exposé complet, voir Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1986.

[22] Henry Corbin, L’homme et son Ange, Fayard, 1983, p.187. Autrement dit, pour les chiites en général, et les Ismaéliens en particulier, « au temps ou au cycle de la mission prophétique (nobowwât) succède le temps ou le cycle de la walayât ou de l’initiation spirituelle par les Amis de Dieu ».

[23] Pour le chiisme duodécimain, ce pôle est le Douzième Imam, qui vit actuellement une période d’occultation.

[24] C’est en ce sens que l’Imâm est appelé al-Sâmit, le Silencieux.

[25] Henry Corbin, Face de Dieu, face de l’homme, Flammarion, 1983, p.247

[26] Elle dira aussi : « L’homme ressuscité porte dans son regard les reflets d’une nouvelle aurore, on pourrait v parler d’un regard d’éternité. Cette éternité colore l’écriture, la sculpte, révèle le secret de la profondeur. A certains instants elle éveille un écho chez le lecteur, le cœur de celui-ci s’anime. Envahi par une chaleur insolite, le cœur devient brasier. »

[27] Henry Corbin, Corps spirituel et Terre céleste, op. cit., p.94.

[28] Cf. Henry Corbin, Cahier de l’Herne, op. cit., p.22

samedi, 10 novembre 2012

Histoire : le Kurdistan et les Kurdes

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Histoire : le Kurdistan et les Kurdes

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1) Heurts et malheurs de l’Histoire kurde

Avant le 16ème siècle, le Kurdistan tel qu’il est connu et reconnu aujourd’hui, avec son découpage en quatre parties, était une des régions de l’Iran. Il fut abandonné par les rois safavides à l’empire Ottoman en 1514, lors de la bataille de Tchâldorân, avant d’être partagé entre l’Iran, la Syrie, la Turquie et l’Iran à la fin de la Première Guerre Mondiale. Malgré les hauts et les bas de leur histoire, les Kurdes continuent cependant à pratiquer une langue commune qui témoigne de leur unité culturelle. Jusqu’à présent, et malgré l’adversité, ces derniers sont parvenus à conserver leur union, leur solidarité, et leur identité transnationale. Durant l’Antiquité, les Kurdes habitaient les régions orientales de la Mésopotamie et l’Iran-vitch. Leur territoire n’a jamais cessé de changer d’appellation au cours de l’histoire. Il fut nommé Kura Gutium par les Sumériens, Kurdasu par les Elamites, Qardu par les Babyloniens et Carduchoi par les Grecs. Sous les Seldjoukides, à l’époque du Sultân Sandjar, le nom de Kurdistan fut définitivement choisi pour cette région.

Au 7ème siècle av. J.-C le Kurdistan irakien d’aujourd’hui constituait une partie de l’empire assyrien. Lorsqu’Assurbanipal, l’empereur assyrien, mourut en 633 av. J.-C, Cyaxare le roi mède s’allia aux Babyloniens contre les Assyriens. En 614 av. J.-C, Cyaxare traversa les chaînes montagneuses du Zagros et assiégea la capitale assyrienne, Assur, en 614 av. J.-C. Après s’être emparé des autres villes assyriennes (dont Ninive, en 613 av. J.-C. où s’était caché le dernier roi assyrien), Cyaxare accepta le pacte de paix babylonien et parvint de la sorte à asseoir fermement son royaume. Désormais, cette région occupée allait devenir partie intégrante de la Perse, sous les Achéménides, les Séleucides, les Arsacides et les Sassanides. D’après Xénophon [1], les habitants kurdes de Zagros furent recrutés par l’armée achéménide pour soutenir le conflit engagé contre Alexandre le macédonien. Strabon [2] et Eratosthène [3] ont également évoqué la troupe kurde de Xerxès III qui fut en lutte contre l’armée d’Alexandre.


Certaines sources comme Noldke (1897) considèrent que les tribus kurdes du sud et du centre de l’Iran, nommés les Martis, ont émigré à la suite des conquêtes sassanides vers le nord-ouest de l’actuel Iran, dans la région de Kurdu, et qu’ils ont assimilé la culture et les noms des habitants kurdes de cette région. Ce furent eux qui participèrent aux guerres, aux côtés des Sassanides et les Arsacides contre les Romains byzantins. Pendant cette période, les Romains appelaient les Kurdes iraniens Kardukh ou Kardikh en rappelant ainsi le nom de leur région. Sous les Sassanides, l’actuel Irak se nommait Assurestân ou Irânchahr (« la ville d’Iran »). Ce pays était partagé en douze provinces et la région kurde d’Irak formait la province de Châd-pirouz. Les villes kurdes les plus importantes de l’époque étaient Garmiân (l’actuelle Karkouk) et Achap (actuellement Emâdieh).

Avec les invasions arabes (dirigée par le calife Omar) entre les années 634 et 642, les régions kurdes de l’Iran, et notamment Arbil, Mosel et Nassibine, tombèrent aux mains des Arabes. Après la mort d’Omar, son successeur Osman envahit de nouveau les régions kurdes du nord. Mais les Iraniens, et bien entendu les Kurdes, s’insurgèrent à plusieurs reprises contre le gouvernement arabe pour libérer leur région et regagner leur autonomie. Mohammad-ibn-e Tabari [4] se souvient de l’une de ces rebellions : « …le même jour on entendit dire qu’à Mosel, les kurdes s’étaient révoltés. Mossayebn-e Zohaïr, le gouverneur de Koufa, proposa à Mansour, calife abbasside, d’y envoyer son ami Khaled pour réprimer les insurgés. Mansour accepta et Khaled devint le gouverneur de Mosel. » (Histoire de Tabari, 11ème tome, p. 4977) En 1910, lors des fouilles archéologiques dans la province de Souleymanieh, les archéologues ont trouvé une peau de bête sur laquelle on pouvait lire en langue kurde et en écriture pehlevi un poème constitué de quatre vers. Ce poème qui fut plus tard nommé « Hormozgân », rappelle l’invasion arabe et le triste souvenir des destructions commises à cette époque. Selon les archéologues, ce poème fut composé aux premiers jours de l’occupation arabe. La traduction qui suit est tout d’abord issue du pehlevi, avant d’être traduit du persan vers le français (par l’auteure de ces lignes) :

Les temples sont détruits et les feux sont éteints
Les grand mo’bed [5] se sont cachés
Le cruel arabe a ruiné
Les villages ouvriers, jusqu’à la ville de Sour
Ils ont capturé les femmes et les enfants pour l’esclavage
Les hommes braves s’éteignent dans leur sang
Le culte de Zarathoustra resta sans tuteur
Ahoura-Mazda n’a plus de pitié pour personne

Sous les Abbassides, le pouvoir du gouvernement central ne cessa de diminuer, offrant ainsi une bonne occasion aux gouvernements non-alignés de se révolter et de réclamer leur autonomie à l’est et à l’ouest de l’Iran. Les Tâhirides, les Samanides et les Saffârides s’emparèrent de l’est de l’Iran tandis que les Hassanouyehs, les Bani-Ayyârâns, les Buyides, les Hézâr-Aspiâns, les Mavânides et les Ayyubides occupèrent l’ouest du pays. Durant cette période, le terme « kurde » s’appliquait à une tribu iranienne sous l’emprise arabe.

Au 11ème siècle, avec l’arrivée au pouvoir des turcomans Seldjoukides, sous le règne du Sultân Sandjar en 1090, les Kurdes fondèrent pour la première fois de leur histoire, un Etat à proprement parler kurde, qui prit le nom de Kurdistan. Hamdollâh Mostowfi fut le premier, en 1319, à mentionner dans son livre Nezha-t ol-Gholoub le nom du Kurdistan et de ses seize régions : « …le Kurdistan et ses seize régions, Alâni, Alichtar, Bahâr, Khaftiân, Darband, Tâj-khâtoun, Darband-Rangi, Dezbil, Dinvar, Soltân-Abâd, Tchamtchamâl, Cahrouz, Kermânchâh, Hersin, Vastâm sont limités aux Etats arabes, au Khûzistân, à l’Irak et à l’Azerbaïdjan… ». Les atabegs turcomans gouvernèrent également le territoire kurde pendant une très longue période. Les descendants de Saboktakin prirent en main les affaires de la ville et de la région d’Arbil entre 1144 et 1232, et les Ourtukides régnèrent à Halab et à Mardine entre 1101 et 1312.

Pendant l’invasion mongole et suite à sa défaite, le roi Jalâl-eddin Khârezmchah, poursuivi par les mongols, s’enfuit vers les territoires kurdes. Ces derniers détruisirent toutes les provinces kurdes afin de débusquer le roi iranien. Ce qui ne l’empêcha pas de régner pendant un certain temps à l’ouest de l’Iran, mais aussi, d’être finalement assassiné en 1213. Houlâkou-khân le Mongol, après avoir conquis les régions centrales de l’Iran, prit le chemin de Hamedân et de Kermânchâh à destination de Baghdâd. Une fois de plus en 1259, en chemin pour conquérir l’Arménie, les Mongols assiégèrent les régions kurdes de l’Iran. Sous le règne des Ilkhanides (branche mongole constituée de convertis à l’Islam) les Kurdes s’emparèrent d’Arbil en 1297. Progressivement, après la mort du roi mongol Mohammad Khodâbandeh, le pouvoir des Kurdes s’intensifia, et ce, jusqu’à la chute des Mongols en 1349. Malgré leurs efforts, les Kurdes ne parvinrent pas à former un gouvernement autonome. A peine libérés de l’emprise mongole, ils se retrouvèrent sous la coupe des Turcomans Gharâ-ghoyunlous qui cédèrent leur place aux Agh-ghoyunlous. Avec l’arrivée de Tamerlan en Iran, les régions kurdes ne tardèrent pas à tomber, et cette fois, en obligeant les Kurdes à s’enfuirent à travers monts et vaux, simplement pour préserver leur vie.

Sous les Safavides, le roi Chah Ismaël propagea le chiisme partout en Iran. Les Kurdes, sunnites, devinrent méfiants envers le roi et adhérèrent à l’empire Ottoman, ennemi sunnite des Safavides. Après la défaite de Chah Ismaël face au Sultan Selim au cours de la bataille de Tchâldorân en 1514, vingt-cinq gouverneurs kurdes rallièrent l’empire Ottoman en ouvrant ainsi un nouveau chapitre de l’histoire des Kurdes. L’Iran perdit de ce fait, l’essentiel de ses régions kurdes. Désormais, le problème territorial rendait les Kurdes conscients de leur importance politique dans la région. Pendant de longues années, l’empire Ottoman gouverna la majorité des contrées kurdes (jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale et jusqu’à la chute des Ottomans en 1918, qui rendit l’autonomie et la liberté à la région de Kurdistan, aux territoires arabes, à l’Asie mineure et aux Balkans).

Quant à la région du Kurdistan, bien qu’un jour elle ait appartenue à l’Iran dans sa totalité, elle se retrouva partagée entre quatre pays, l’Iran, la Syrie, la Turquie et l’Irak mais, également, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Le Kurdistan n’est jamais parvenu à proclamer son autonomie, et jusqu’à présent, le peuple kurde reste aux prises avec les problèmes politiques. Aujourd’hui, le nombre des habitants kurdes dans les quatre pays est de vingt-cinq millions, dont sept millions sont de nationalité iranienne. En Iran, les régions où l’on communique en langue kurde comprennent les provinces de l’Azerbaïdjan de l’est, l’Ilâm, le Kurdistan, Kermânchâh et le Khorâssân du nord. Pourtant, d’autres provinces de l’Iran comprennent des populations kurdes qui ne constituent cependant qu’une minorité, à l’exemple des provinces du Guilân, des villes de Ghazvin et de Qom, de la région de Fars, du Mazandarân, de Hamedân et du Baloutchistan.

2) Géographie historique du Kurdistan

Les tribus kurdes sont parmi les tribus aryennes ayant émigré sur le plateau iranien il y a quelques millénaires. L’histoire pré islamique de ce peuple n’est pas connue avec précision. Le poète Ferdowsi les considérait comme les descendants des jeunes hommes ayant échappé au mythologique roi Zahâk, qui s’étant réfugiés dans la montagne, n’en étaient jamais redescendus. La langue persane moderne des premiers siècles de l’Hégire quant à elle, donne le sens pasteur et montagnard au mot « kurde ». On a retrouvé dans des documents sumériens, akkadiens, babéliens et assyriens, des noms de peuples qui rappellent les noms kurdes. Le plus proche d’entre ces noms de peuples, dont la situation géographique et la description justifient également l’origine kurde, est le nom des « Kordoukhoy », nom que l’on croise également dans l’ouvrage de Xénophon. Ce peuple vivait dans les montagnes situées entre l’Irak et l’Arménie, en particulier en un lieu aujourd’hui appelé « Zekhou », situé à soixante kilomètres au nord-ouest de Mossoul en Irak.

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Montagnes du Kurdistan situées en Irak

Polybius (200-120 av. J.-C.) parle également de peuples vivant dans le sud de l’actuel Azerbaïdjan, nommés les « Kourtivi » ou « Kortii ». Strabon et Tite-Live précisaient que certaines tribus appartenant à ce peuple vivaient également dans la province du Fars. Effectivement, depuis l’époque antique jusqu’à aujourd’hui, des nomades kurdes vivent dans les Fârs.

L’histoire kurde préislamique n’est pas connue avec précision mais après l’islam, les géographes et historiens musulmans qui ont compilé l’histoire du monde islamique n’ont pas manqué de citer les Kurdes. Cela dit, les Kurdes étant considéré comme un peuple parmi d’autres, les détails historiques ou une histoire uniquement focalisée sur ce peuple n’existent pas. Et c’est uniquement à l’époque safavide qu’un premier livre historique, de langue persane, le Sharaf nâmeh de Badlisi, se concentre uniquement sur le peuple kurde.

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Pont safavide, Sanandadj

Au moment de l’invasion arabe, c’est en l’an 637 ou 641 que les Arabes occupèrent les fortifications kurdes. En l’an 643, au moment de la conquête du Fârs, les Kurdes de cette province participèrent à la défense des villes de Fasâ et de Dârâbjerd. La conquête des villes de Zour et de Dârâbâd, villes kurdes de la région, se fit en l’an 642. Abou Moussa Ash’ari vainquit les Kurdes en l’an 645, et en l’an 658, les Kurdes de la région d’Ahwâz dans le sud participèrent à la révolte de Khariat Ibn Râshed contre l’Imâm Ali et après la mort de Khariat, nombre d’entre eux furent également tués.

En l’an 708, les Kurdes du Fârs se soulevèrent et cette révolte fut réprimée dans le sang par le cruel gouverneur Hojjâj Ibn Youssef. En l’an 765, les Kurdes de Mossoul se soulevèrent à leur tour et le calife abbasside Mansour envoya Khâled Barmaki les réprimer encore une fois durement. En l’an 838, l’un des chefs kurdes des alentours de Mossoul, Ja’far Ibn Fahrjis se révolta contre le calife abbasside Mu’tasim et le calife envoya son célèbre chef de guerre Aytâkh pour l’écraser. Aytâkh, après une violente guerre, tua Ja’far, ainsi que beaucoup de ses hommes et prit en esclavage de nombreux Kurdes, emportant avec lui les chefs tribaux et les femmes. L’un de capitaines turcs du calife, au nom de Vassif qui avait participé à cette guerre, se réserva à lui seul pour tribut 500 Kurdes. En l’an 894, sous la direction du chef Hamdan Ibn Hamdoun, les bédouins arabes passèrent une alliance avec les Kurdes des régions de Mossoul et Mardin et déclarèrent la guerre à Mu’tadid, le calife abbasside de l’époque, ce qui conduisit à la mort et à la défaite de nombre d’entre eux.

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Pont de Gheshlâgh, Sanandadj

En l’an 926, sous le califat d’Al-Muqtadir bi-llah et l’émirat de Nâsser-o-Dowleh Hamdâni, les Kurdes de Mossoul se révoltèrent de nouveau. Entre les années 938 et 956, un dénommé Deyssâm, membre des kharijites, de père arabe et de mère kurde, rassembla sous son égide les Kurdes de l’Azerbaïdjan et déclara la guerre aux Al-e Mosâfer et autres émirs locaux de la région. Sa révolte fut réprimée et il mourut en prison. Aux Xe, XIe et XIIe siècles, les Shaddâdian, dynastie kurde, régnèrent en tant que suzerains locaux sur la plupart des régions kurdes. Cette dynastie appartenait à la grande tribu kurde des Ravardi, également tribu d’origine des dynasties ayyoubides, fondée par Saladin, lui-même kurde, qui régnèrent en Syrie, dans le Croissant fertile et en Egypte.

En l’an 1004, Azed-o-Dowleh Deylami, fatigué des raids kurdes sur son territoire, déclara la guerre aux Kurdes de Mossoul et après les avoir vaincus, ordonna la destruction de leurs fortifications et l’exécution de la majorité des chefs kurdes. En l’an 983, dans la région de Ghom, Mohammad Ibn Ghânem se rallia aux Kurdes Barzakani et se révolta contre le roi Fakhr-o-Dowleh Deylami. Ce dernier envoya d’abord Badr Ibn Hosnouyeh en mission de paix, mais les négociations traînèrent en longueur et la révolte fut finalement réprimée. Mohammad Ibn Ghânem mourut donc en captivité. L’un des importants événements du règne de Sharaf-o-Dowleh Deylami (982-989) fut sa bataille contre Badr Ibn Hosnouyeh à Kermânshâh qui se termina par la victoire de Badr, qui prit alors le contrôle d’une grande partie de l’ouest iranien. Il fut tué en 1014 par la tribu kurde des Jowraghân. Shams-o-Dowleh, le fils de Sharaf-o-Dowleh profita de cette occasion pour annexer l’ensemble des territoires que son père avait perdu. Il y avait les régions Shâpourkhâst (actuelle ville de Khorramâbâd), Dinvar, Boroujerd, Nahâvand, Asad Abâd et une partie d’Ahwâz.

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Vue générale de la ville de Bâneh

Il semble que l’expression Kurdistan fut pour la première fois utilisée par les Seldjoukides pour distinguer les régions kurdes de la région du Jebâl qui comprenait l’Azerbaïdjan, le Lorestân, et une partie des montagnes du Zagros dont le centre était à l’époque la région de Bahâr, situé à dix huit kilomètres au nord-ouest de Hamedân, puis Tchamtchamâl, près de l’actuelle ville de Kermânshâh. Le Kurdistan n’échappa pas non plus aux massacres et aux ravages de l’invasion mongole. Cette région fut ravagée une autre fois à l’époque des Tatars et de Tamerlan.

Shâh Esmâïl, premier roi de la dynastie chiite safavide, n’essaya guère de se rapprocher des Kurdes, sunnites. Les Ottomans sunnites tentèrent ainsi de s’allier aux Kurdes. Sous le règne safavide, la majorité des territoires kurdes appartenaient à l’Iran.

Après les Safavides, avec la prise de pouvoir par les Zend, famille aux racines kurdes, pour la première fois les Kurdes devinrent les dirigeants de l’Iran. Vers la fin du règne des Zend, la tribu des Donbali, grande tribu kurde, régnait sur une bonne partie de l’Azerbaïdjan de l’Ouest. Leur capitale était la ville de Khoy. Au XIXe siècle, les Kurdes vivant sur le territoire ottoman exprimèrent plusieurs fois leur désir d’indépendance au travers la création des gouvernements locaux kurdes. En 1878, le Sheikh Obbeydollâh Naghshbandi eut l’idée de créer un Etat indépendant kurde sous l’égide de l’Empire ottoman. En 1880, ses partisans occupèrent les régions des alentours d’Oroumieh, Sâvojbolâgh, Marâgheh et Miândoâb et l’armée iranienne eut à les repousser hors des frontières. En 1946, Ghâzi Mohammad profita de l’occupation alliée en Iran et avec l’appui de l’armée soviétique, – qui occupait la moitié nord de l’Iran -, annonça la création de la République Populaire du Kurdistan, avec pour capitale Mahâbâd. Cette république éphémère tomba après le retrait des Forces Alliées.

 Afsâneh Pourmazâheri (1) Heurts et malheurs de l’Histoire kurde

et Arefeh Hedjazi 2) Géographie historique du Kurdistan

Bibliographie :
- MINORSKII Vladimir Fedorovich, trad. TABANI Habibollâh, le Kurde, Kord, ed. Gostareh, Téhéran, 2000
- MOHAMMADI, Ayat, Survol de l’histoire politique kurde, Seyri dar târikh-e siâsi kord, ed. Porsémân, Téhéran, 2007
- RINGGENBERG Patrick, Guide culturel de l’Iran, Iran, ed. Rozaneh, Téhéran, 2005

Notes

[1] Historien, essayiste et chef militaire grec (430-352 av. J.C.) il naquit dans une famille riche et reçut les enseignements d’Isocrate et de Socrate.

[2] Géographe grec (58- 25 av. J.-C.) ses mémoires historiques ne nous sont guère parvenues, mais sa géographie fut en grande partie conservée. Il y pose certaines questions relatives à l’origine des peuples, à leurs migrations, à la fondation des empires et aux relations de l’homme et de son milieu naturel.

[3] Astronome, mathématicien et géographe grec (276-196 av. J.-C) auteur de travaux en littérature, en philosophie, en grammaire et en chronologie, directeur de la bibliothèque d’Alexandrie, il est surtout connu par son « crible » une méthode pour trouver les nombres premiers et par l’invention d’un instrument de calcul, le « mésolabe ».

[4] Historien et théologien arabe (838-923) il passa l’essentiel de sa vie à Baghdâd et fut ensuite professeur de droit et de Hadith. Il écrivit une histoire universelle de la Création jusqu’à 915. Sa deuxième grande œuvre est son commentaire du Coran.

[5] Prêtre zoroastrien.

mercredi, 07 novembre 2012

Omar Khayyâm

Omar Khayyâm – aperçu sur sa vie et ses principales œuvres

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Hojjat al-Haqq Khâdjeh Imâm Ghiyâth ad-Din Abdoul Fath Omar Ibn Ibrâhim al-Khayyâm Neyshâbouri, plus connu sous son pseudonyme Khayyâm, naquit à Neyshâbour, ville située au nord-est de l’Iran actuel. On ignore la date précise de sa naissance mais la plupart des chercheurs penchent pour 1048. Il est néanmoins certain qu’il vécut de la première moitié du XIe siècle à la première moitié du XIIe siècle. Les historiens sont unanimes pour le savoir contemporain du roi seldjoukide Djalâl ad-Din et de son fils Soltân Sandjar. Savant remarquable de son époque, il choisit le pseudonyme de « Khayyâm » (qui signifie « fabricant de tente ») en référence au métier de son père qu’il n’a probablement pas exercé lui-même, contrairement à Attâr (droguiste) qui pratiquait lui-même le métier dont il porte le nom.

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Omar Khayyâm

Enfant et adolescent, Omar Khayyâm étudia sous la direction des grands maîtres de son époque tels qu’Emâm Mowaffagh Neyshâbouri, considéré comme le meilleur professeur du Khorâssân. La légende, fausse, veut que Abou Hassan Nezâm-ol-Molk, le célèbre vizir, et Hassan Sabbâh aient partagé l’enseignement de ce maître. Et ces trois hommes auraient convenu que celui des trois qui atteindrait le premier la gloire ou la fortune y introduirait également les deux autres.

Khayyâm étudia aussi la philosophie avec Mohammad Mansouri. C’est ce maître qui initia Khayyâm à l’œuvre et à la pensée avicenniennes, qu’il apprécia et continua d’étudier jusqu’à la fin de sa vie.

Il vécut plus tard à Samarkand où il écrivit deux traités. Il y écrivit aussi, avec l’appui d’Abou Tâher Abd al-Rahmân Ahmad, le juge suprême de Samarkand, son livre très important intitulé Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre). Il alla ensuite à Balkh, important centre scientifique de l’époque, pour y approfondir ses connaissances et bénéficier des grandes bibliothèques de cette ville.

A son retour à Neyshâbour, il était déjà reconnu en tant que savant. Le roi Malek Shâh l’invita à ce titre à faire partie de l’équipe chargée de la réforme du calendrier solaire. Il accepta et participa lors de ce projet, à la construction d’un observatoire à Ispahan. Il travailla aussi pendant quelques temps comme astrologue à la cour, sans pour autant croire à l’astrologie. Il travailla plusieurs années sur son ouvrage mathématique Risâla fi sharh iskhâl mâ min Mosâdirât Kitâb Oqlidos (Traité sur quelques difficultés des définitions d’Euclide). Après les morts de Malek Shâh et de son vizir Nezâm-ol-Molk, Khayyâm perdit ses mécènes et l’Etat arrêta de subvenir aux frais de l’observatoire de Khayyâm, qui mourut quelques temps plus tard à Neyshâbour.

Son tombeau se trouve au sud-est de Neyshâbour, près des tombeaux d’Attâr et de Kamâl al-Molk. On ne connaît pas la date exacte de la construction de son premier tombeau, qui fut de nombreuses fois changé au cours des siècles. Son tombeau actuel a été construit en 1962.

Khayyâm, mathématicien et astronome

De son vivant, Khayyâm était surtout connu comme mathématicien, astronome et philosophe. Ses études sur les équations cubiques sont remarquables et représentaient une découverte importante dans le domaine de mathématiques. Il traite ce sujet dans son traité le plus connu Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre). Il fut le premier mathématicien à déclarer qu’il était impossible de tracer des équations cubiques par le seul moyen des mesures et des boussoles et il se servit lui-même des tracés de coniques pour les résoudre. Il découvrit d’ailleurs que les équations cubiques ont plus d’une racine réelle. Il étudia également et commenta les œuvres d’Euclide et écrivit un traité sur quelques-unes de ses définitions.

Auteur d’études sur les nombres, il définit les nombres comme une quantité continue et présenta alors pour la première fois une définition des nombres réels positifs. Il signala aussi que du point de vue mathématiques, on pouvait diviser toute quantité en parties infinies.

Dans son ouvrage intitulé L’Histoire des mathématiques, Carl B. Boyer considère Khayyâm comme l’un des plus grands précurseurs de l’algèbre dans la période qui suit les mathématiques grecques et indiennes. Selon lui, Khayyâm connaissait le triangle connu aujourd’hui sous le nom de Pascal, bien avant celui-ci. Ernest Renan considérait aussi Khayyâm comme un érudit de mathématiques.

Khayyâm composa également Zidj-e Mâlekshâhi (Les tables astronomiques) et participa à la réforme du calendrier persan, à la demande du roi seldjoukide Malek Shâh. Khayyâm introduisit l’année bissextile et mesura la longueur de l’année comme étant de 365,24219858156 jours. L’année djalâli, ainsi réformée, est plus exacte que l’année grégorienne qu’on créa cinq siècles plus tard. ہ la fin du XIXe siècle, on calcula la longueur de l’année comme étant de 365,242196 jours et ce n’est qu’aujourd’hui qu’on tient la longueur de l’an de 365,242190 jours. Le calendrier solaire dont on se sert actuellement en Iran doit donc son exactitude à ce grand savant.

Khayyâm poète

Khayyâm, considéré de son vivant comme savant, est aujourd’hui célèbre pour ses poèmes. Peu de ses contemporains connaissaient ses quatrains et rares sont les historiens de l’époque qui le citent dans les anthologies de poètes. Le premier à le faire fut Emâdeddin Kâteb Esfahâni, dans son anthologie Farid al-Ghasr en 1193, soit presque une cinquantaine d’années après la mort de Khayyâm.

Khayyâm a exprimé ses sentiments et ses idées philosophiques dans de beaux et courts poèmes épigrammatiques appelés Robâiyât ; au singulier robâi, qu’on pourrait traduire en français, faute de terme propre, par le mot « quatrain ». Le robâi est composé de quatre vers, construits sur un rythme unique, le premier, le second et le quatrième rimant ensemble, le troisième étant un vers blanc. Le premier poète iranien connu pour ses robâi est Roudaki, mais ceux de Khayyâm occupent une place à part.

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Le plus ancien exemplaire manuscrit des Robâiyât, actuellement conservé à Oxford, date de 1477. Il comprend cent cinquante-huit quatrains attribués à Khayyâm et rassemblés trois siècles après sa mort. Il existe tant d’exemplaires manuscrits de cette œuvre qu’il est aujourd’hui très difficile de savoir lesquels de ces quatrains sont vraiment de Khayyâm. D’ailleurs, le nombre des robâiyât varie d’un exemplaire à l’autre. Dans les manuscrits les plus anciens, les quatrains attribués à Khayyâm vont de 250 à 300. Mais plus on s’approche de l’époque actuelle, plus le nombre des quatrains attribué à Khayyâm tend à augmenter. La plupart des chercheurs attestent uniquement l’authenticité d’une centaine de ces quatrains. En 1934, Sâdegh Hedâyat prépara une édition comprenant les quatrains 56 et 78 à 143. Quelques années plus tard, les chercheurs littéraires Foroughi et Ghani publièrent une édition corrigée de 178 des quatrains. Parmi les autres recherches faites à ce propos, celle du danois Arthur Christensen est également remarquable. Celui-ci est l’auteur de deux ouvrages à ce propos : Les recherches sur les Ruba’iyat d’Omar Khayyâm, écrites en français et publiées en 1905 à Heydenberg, et Etudes critiques sur les Ruba’iyat d’Omar Khayyâm Khayyâm, en anglais, qui furent publiées à Copenhague en 1927.

Khayyâm au-delà des frontières de l’Iran

Khayyâm est aujourd’hui mondialement connu pour ses Robâiyât, traduits dans la plupart des langues du monde.

En Occident, le premier à l’avoir fait découvrir est l’Anglais Thomas Hide qui, dans son livre L’Histoire de la religion des Perses, des Parthes et des anciens Mèdes, traduisit en latin certains quatrains de Khayyâm et les publia à Oxford.

Au début du XVIIIe siècle, l’ambassadeur britannique à la cour de Fath Ali Shâh Qâdjâr publia une première traduction anglaise de certains quatrains de Khayyâm. En 1818, Joseph von Hammer Purgstall, l’orientaliste autrichien, dans son livre L’Histoire littéraire des Iraniens traduisit des passages de Khayyâm en allemand.

Cependant celui qui ouvrit le chemin de la célébrité de Khayyâm en Europe fut l’un des directeurs de l’école sanscrite de Calcutta qui fit connaître Khayyâm et ses idées à son élève Fitzgerald, à qui les Robâiyât doivent leur célébrité mondiale.

Ce fut la traduction anglaise d’Edward Fitzgerald qui fit connaître au grand public, en 1859, l’œuvre poétique de Khayyâm et qui servit de référence aux traductions dans beaucoup d’autres langues. Cette traduction, d’abord peu connue, obtint quelques années plus tard un grand succès. Cette traduction souleva cependant de nombreuses discussions : ce livre était-il une vraie traduction ou son auteur mystérieux voulait dissimuler sa vraie identité en se présentant comme un simple traducteur ? Les éditions suivantes rendirent les quatrains célèbres dans le monde entier, et les Robâiyât devinrent le livre le plus vendu après la Bible et les pièces de Shakespeare. Entre les années 1895 et 1929, quatre cent dix éditions de ce livre ont paru en anglais et plus de sept cents livres, articles, compositions théâtrales et musicales s’en sont inspirés. Les francophones ont également fait de nombreuses recherches sur Khayyâm et ses œuvres qui seront abordées dans un autre article de ce dossier. Durant la seconde moitié du XIXe et tout au long du XXe siècle, plusieurs traductions des Robâiyât furent publiées dans différentes langues. Il faut signaler que ce n’était pas seulement cet ouvrage qui attirait l’attention des étrangers, mais également le travail et les traités scientifiques de Khayyâm. Les œuvres de Khayyâm, en particulier ses Robâiyât, inspirèrent de nombreux écrivains, poètes et artistes dont Marguerite Yourcenar, Amin Maalouf, Granville Bantock, Jean Cras, Ernest Renan ou Jose Louis Lopez.

« Les » lectures de Khayyâm en France

Les célèbres Robâiyât de Khayyâm ont fait l’objet d’un très grand nombre de traductions en différentes langues occidentales. Si la première et la plus fameuse fut la traduction anglaise de Fitzgerald, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs traductions françaises des Quatrains ne tardèrent pas à être publiées. Les fameux poèmes suscitèrent de nombreux débats concernant la personnalité de leur auteur : Khayyâm était-il un hédoniste ou même un ivrogne aux penchants nihilistes avide de profiter des jouissances de l’instant présent ? Ou était-il plutôt un grand mystique ayant exprimé les mystères de l’existence au travers d’un langage très chargé symboliquement, mais n’en révélant pas moins une intense profondeur spirituelle ? Entre ces deux visions du personnage, des dizaines d’autres « Khayyâm » ont été évoqués et parfois argumentés au cours d’âpres échanges par articles interposés. Si l’ensemble de ces controverses ne nous apporte peut être pas beaucoup d’éclairage sur qui fut réellement Khayyâm, elle a néanmoins l’intérêt de nous révéler certains aspects de la mentalité et de la vision du monde de plusieurs grands écrivains du XIXe et du XXe siècles.

Le début d’une controverse

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Théophile Gautier

La première traduction anglaise des Robâiyât de Khayyâm, réalisée en 1859 par Fitzgerald, passa au départ presque inaperçue. Ce dernier y présentait Khayyâm comme un penseur et philosophe profond, mais n’en étant pas moins habité par de profondes souffrances métaphysiques qu’il ne pouvait consoler qu’en se réfugiant dans des plaisirs terrestres comme les femmes ou le vin. Selon Fitzgeral, loin d’être métaphorique, le langage de Khayyâm décrit donc ses souffrances et ses quelques refuges dans ce monde. Une première traduction française réalisée par Nicolas – de bien moins bonne qualité que celle de Fitzgerald – fut publiée quelques années après en 1867. Nicolas avait été consul plusieurs années dans la ville iranienne de Rasht et y avait appris le persan. Il avait également fréquenté plusieurs dervishes qui l’avaient orienté vers une interprétation gnostique des quatrains : loin de faire référence au vulgaire jus de raisin, le vin ou les femmes évoqués par Khayyâm ne pouvaient être compris que dans le cadre d’un riche symbolisme exprimant la quête mystique d’un Khayyâm en constante recherche d’élévation et de spiritualité. Va ici commencer une controverse entre les deux traducteurs et qui oppose une lecture littéralise et « terrestre » des quatrains à une lecture plus symbolique et spirituelle. Fitzgerald ne tarde donc pas à répondre à Nicolas que son interprétation du personnage est fausse : le vin ne fait aucunement référence à la divinité, et le pauvre Monsieur Nicolas n’est que la victime de « l’endoctrinement des soufis » qu’il a fréquentés en Iran. [1] De nombreux intellectuels suivirent avec passion le débat, dont la presse se fit également l’écho. La controverse favorisa néanmoins une première réédition de la traduction de Fitzgerald et aida grandement à sa diffusion. La controverse entre Fitzgerald et Nicolas fut à l’origine de l’émergence de deux visions totalement différentes de Khayyâm en Angleterre et en France : Khayyâm demeura un hédoniste fataliste chez les Anglais, tandis que la conception d’un Khayyâm aux aspirations mystiques ou du moins plus ambigües s’enracina dans l’Hexagone.

La projection de désirs et espérances multiples

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Ernest Renan

Après la controverse entre Fitzgerald et Nicolas, Renan fut l’un des premiers à reprendre la plume sur le sujet : prenant davantage position pour la lecture littéraliste de Fitzgerald, il défendit la vision d’un Khayyâm dépravé et dissimulateur : « Mystique en apparence, débauché en réalité, hypocrite consommé, il mêlait le blasphème à l’hymne, le rire à l’incrédulité. » [2] Renan étudia également la personnalité de Khayyâm à travers la notion de « race » très en vogue à l’époque, pour faire de ce dernier l’archétype d’une endurance et d’un art de la dissimulation (taqiyya) qu’il qualifia de propre aux Aryens. Selon lui, c’est cette disposition qui a permis au cours de l’histoire aux Iraniens de conserver leur riche culture face à de nombreux envahisseurs. L’hypocrisie n’est donc pas ici blâmable, elle est au contraire le reflet d’une intelligence et d’une force de caractère.

Force est de constater que la plupart du temps, Khayyâm semble être un personnage où chacun projette ses propres espérances et craintes, et où se reflète les a priori ou les besoins de chaque auteur. Ainsi, Fitzgerald était lui-même un poète semble-t-il quelque peu désabusé et n’ayant pas réussi à trouver un sens réel à son existence. Il fait donc de Khayyâm son compagnon imaginaire, qui l’aide à sortir de son impasse en lui suggérant de jouir de l’instant présent et non de se noyer dans des tourments métaphysiques. La tendance mystique de Nicolas projetait au contraire sur le poète toutes ses aspirations à trouver un sens au monde au-delà du silence de la matière.

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Judith Gautier, env. 1880

Théophile Gautier s’est également intéressé à plusieurs auteurs persans dont Khayyâm, qu’il découvrit de façon fortuite non pas chez un libraire, mais lors d’une promenade en canot sur la Seine en compagnie de sa fille Judith : ils y firent alors la rencontre d’un prénommé Mohsen Khân, en train de déclamer à voix haute un quatrain de Khayyâm, et qui s’avèrera être un diplomate iranien en mission à Paris à l’époque. Des liens d’amitiés se tissèrent entre le diplomate et Judith, qui permirent à cette dernière d’apprendre de nombreux quatrains qu’elle récitait ensuite à son père. [3] Mohsen Khân proposa ensuite à Judith de se marier avec lui et de le suivre en Perse, ce dont son père la dissuada. Cette rencontre permit ainsi à Théophile Gautier d’avoir un contact « vivant » avec les quatrains de Khayyâm, qui l’amena également à se poser la question de la personnalité de leur auteur : un libertin, tel que semble l’entendre Mohsen Khân, ou un mystique, comme l’affirme Nicolas ? Dans un article publié dans le Moniteur Universel, Gautier va livrer sa propre vision du personnage : ni mystique ni débauché, Gautier fait de lui une sorte de poète qui appréciait fort le vin de Neyshâbour sans être non plus insensible aux plaisirs immatériels. Loin d’être contradictoire, le vin joue au contraire le rôle de « pont » entre ces deux aspirations, l’ivresse matérielle permettant soi d’atteindre une certaine extase mystique, soi d’oublier le tourment des angoisses de ce monde. Gautier adopte donc une position médiane : « Khayyâm cherchait dans le vin cette ivresse extatique qui sépare les choses de la terre et enlève l’âme au sentiment de la réalité… Certes, de toutes les manières d’anéantir le corps pour exalter l’esprit, le vin est encore la plus douce, la plus naturelle, et, pour ainsi dire, la plus raisonnable. » [4] Plus loin, Gautier penche néanmoins davantage pour un Khayyâm fataliste, qui cherche à noyer sa détresse nihiliste dans la douceur du vin : « Quel profond sentiment du néant des hommes et des choses, et comme Horace, avec son carpe diem de bourgeois antique et son épicurisme goguenard est loin de cette annihilation mystique qui recherche dans l’ivresse l’oubli de tout et l’anéantissement de sa personnalité ! Kèyam ne s’exagère pas son importance, et jamais le peu qu’est l’homme dans l’infini de l’espace et du temps n’a été exprimé d’une façon plus vivre. » [5] Lorsqu’il rencontra Khayyâm, Gautier avait cependant rédigé la majorité de ses grandes œuvres ; l’influence de l’auteur des Robâiyât est donc peu présente dans ses écrits. Cette figure de poète aux élans tantôt mystiques tantôt nostalgiques fut reprise par certaines figures littéraires françaises. Ce fut notamment le cas du dramaturge Maurice Bouchor, qui publia en 1892 une pièce intitulée Le songe de Khéyam et y repris dans ses grandes lignes l’interprétation de Gautier. Quelques années plus tard, Jean Lahor écrivit un ouvrage mettant en scène Khayyâm intitulé Illusion : le poète iranien se fait l’écho des pensées de l’auteur concernant l’omniprésence de la mort et son inquiétude face à la fragilité de l’existence. Il évoque également la problématique de l’existence du mal : selon lui, les Aryens ont cherché la réponse à cette question dans plusieurs écoles de pensées : d’abord le panthéisme, puis le pessimisme et le nihilisme. Ils glissèrent vers le stoïcisme et fondèrent finalement l’humanisme, que Lahor décrit comme étant la religion par excellence. Dans cette esquisse de l’évolution de la pensée perse, il situe Khayyâm dans la fin de la première partie, comme recherchant un remède ultime aux souffrances du monde dans la jouissance et l’ivresse de chaque instant, pour échapper à l’idée et à la fatalité de la mort. Dans son ouvrage parsemé de vers, il reprend des images clés de l’œuvre de Khayyâm en évoquant constamment de beaux corps devenus terre, et de dialogues entre les morts et les vivants qui seront bientôt appelés à les rejoindre :

Cette poussière, cette ordure
Ces os épars étaient jadis
La forme lumineuse et pure
D’une femme aux blancheurs de lys,
Jetant des rayons de tendresse […]
Ce que vous êtes, nous l’étions ;
Vous serez ce que nous sommes.
Voici les sages près des fous ;
Plus de brunes ici, ni de blondes.
Vous qui passez, regardez-nous,
C’est le dénouement de ce monde. [6]

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Jean Lahor

Khayyâm fut également l’objet d’attention d’André Gide, qui avait lu avec attention la traduction de Fitzgerald. Certains passages de son ouvrage Les nourritures terrestres ne sont ainsi pas sans rappeler certains thèmes des fameux quatrains. Comme les autres, Gide construisit « son » Khayyâm, dans lequel ses idées pouvaient trouver l’écho qu’il recherchait. Au début du XXe siècle, Khayyâm était connu par la majorité des écrivains et intellectuels français. En Angleterre, la traduction de Fitzgerald avait alors conquis de nombreux foyers. Dès la fin du XIXe siècle, tout un ensemble de clubs réservés aux admirateurs de Khayyâm furent fondés dans plusieurs pays d’Europe : il s’agissait pour certains de simples groupes de lecture et de partage d’une passion commune, tandis que pour d’autres, il s’agissait d’appliquer dans sa vie quotidienne la pensée – ou plutôt ce que l’on en comprenait – d’Omar Khayyâm. L’un des premiers du genre fut fondé en 1892 en Angleterre : il mêlait l’hédonisme à la vénération de Khayyâm et de Fitzgerald, mort près d’une décennie plus tôt. Sa traduction étant parue en 1859, il fut décidé que le nombre des membres du club n’excèderait pas 59 personnes. En 1900, un club du même genre fut fondé aux Etats-Unis. Il semble cependant que la France ne connût pas un tel phénomène : Khayyâm continuait de captiver plutôt l’attention d’écrivains et d’artistes isolés. Parallèlement à ces influences littéraires, de nouvelles traductions et recherches dont certaines étaient basées sur des sources persanes furent engagées. L’un de ces nouveaux traducteurs de Khayyâm fut Charles Grolleau, qui publia une nouvelle traduction des quatrains en 1902. Il fut bientôt suivi de Fernand Henry, qui proposa à son tour sa traduction des poèmes de Khayyâm.

La question de l’authenticité des quatrains

Parallèlement à ces nouvelles traductions, une controverse concernant l’originalité de la pensée de Khayyâm éclata aux Etats-Unis à la même époque : tout commença lorsqu’un membre du club des omaristes américains prénommé Amin al-Rayhâni traduisit le recueil d’un poète syrien aveugle appelée Abou al-Alâ al-Ma’arri ayant vécu près d’un siècle avant Khayyâm, et dont les idées ressemblaient à s’y méprendre à celles exprimées dans les Robâiyât. De nombreuses discussions furent alors engagées sur l’authenticité de la pensée de Khayyâm : Al-Ma’arri avait-il influencé ce dernier ? Au même moment, une autre controverse concernant l’authenticité de la majorité des quatrains de Khayyâm fut lancée par des chercheurs comme l’iranologue Arthur Christensen, qui affirma que seulement une douzaine de quatrains pouvaient être attribués avec certitude à Khayyâm. Face à ce double affront, un ouvrage de Georges Salmon intitulé Un précurseur d’Omar Khayyam ou le poète aveugle dans lequel il compare les œuvres des deux poètes et en conclut que tout séparait en réalité ces deux auteurs : le contenu de leur œuvre, la distance géographique, et les dates. Toute influence était donc impossible.

La « projection » des inquiétudes sociales ou personnelles de différents écrivains français n’en continua pas moins par la suite : ainsi, en 1905, le poète et essayiste anarchiste Laurent Tailhade publia Omar Khayyam ou les poisons de l’intelligence où il louait les idées libertaires de Khayyâm tout en lui reprochant d’avoir abusé de ce qu’il appelait les « poisons de l’intelligence », c’est-à-dire le vin et tout ce qui altère la raison de l’individu – choses dont l’auteur avait semble-t-il lui-même abusé dans sa jeunesse. Le monologue permet donc de passer à une sorte de dialogue fictif mettant en scène Khayyâm comme le reflet de ses propres erreurs.

Durant la première décennie du XXe siècle, d’autres poètes tels que Jean-Marc Bernard ou Georges Salmon s’inspirèrent également de Khayyâm dans leurs œuvres.

Après la Première Guerre mondiale, le mouvement conjoint de traductions et d’influences se poursuivit. En 1920, Claude Anet, journaliste qui avait passé plusieurs années en Iran, publia une traduction des Robâiyât et fut suivi par une nouvelle traduction de Franz Toussaint agrémentée de nombreuses gravures. Pour la première fois, ce travail était le fruit d’une collaboration d’un Français avec un Iranien, Ali Nowrouz. Cet ouvrage illustré connut un grand succès et contribua à une diffusion encore plus importante de l’œuvre de Khayyâm.

Durant cette période, la question de l’authenticité des quatrains fut de nouveau discutée et reprise par le même Arthur Christensen, qui revit ses critères et affirma que près de 125 quatrains pouvaient être attribués avec certitude à Omar Khayyâm. La controverse resta cependant ouverte jusqu’à la découverte d’un manuscrit datant de 1259 par Arthur Arberry en Angleterre qui contenait 172 quatrains, qui n’étaient selon l’auteur du manuscrit qu’une « sélection ». D’autres découvertes de manuscrits à Téhéran et aux Etats-Unis suivirent et permirent d’invalider les thèses selon lesquelles les quatrains originaux de Khayyâm ne se limiteraient qu’à une dizaine.

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Arthur Christensen

L’influence sur les écrivains resta constante, notamment chez des écrivains comme Marguerite Yourcenar. En 1943, l’écrivain Alexandre Arnoux publia une œuvre où l’influence de Khayyâm est omniprésente intitulée CVII quatrains. Cette œuvre était parsemée de vers où étaient abordés les grands thèmes khayyâmiens de la mort, de la place de l’homme dans l’univers, et de la fragilité de l’existence. Il faisait ainsi de Khayyâm une sorte de philosophe naturaliste, loin du mystique présenté un siècle plus tôt pas Nicolas. Quelques années après, le poète belge Jean Kobs publia les Roses de la nuit, dont les poèmes reprenaient également les mêmes grandes thématiques des quatrains, et faisaient dialoguer morts et vivants. D’autres traductions furent réalisées, dont celles de Maurice Chapelain en 1969, qui reste considérée comme l’une des plus belles. Suivirent ensuite les traductions plus récentes, telles que celles de Gilbert Lazard ou encore de Vincent-Mansour Monteil.

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les Robâiyât de Khayyâm ont donc fait l’objet de l’attention de nombreux auteurs, poètes et dramaturges français. Si certains se sont juste contentés de les traduire, de nombreux auteurs se sont emparés du style et de certains motifs des quatrains pour y refléter leur propre pensée, engager un dialogue avec eux-mêmes et leur conception du monde, ou encore exprimer leurs inquiétudes existentielles et dénoncer certains maux de leur temps.

Notes

[1] Fitzgerald, Edward, Works, p. 13. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[2Journal Asiatique, juillet-août 1868, pp. 56-57. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[3] Judith Gautier évoque cette rencontre dans son ouvrage intitulé Le second rang du collier.

[4] Gautier, Théophile, L’Orient, II, 82. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[5] Ibid.

[6] Lahor, Jean, Illusion, p. 27. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.


Quelques œuvres de Khayyâm
- Zidj-e Mâlekshâhi (Les tables astronomiques)
- Resâleh dar sehat-e toroq-e hendesi barâye estekhrâj djazr va ka’b (Méthode pour l’extraction des racines carrées et cubiques)
- Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre)Risâla fi sharh iskhâl mâ min Mosâdirât Kitâb Oqlidos (Traité sur quelques difficultés des définitions d’Euclide)Robâiyât
- Poèmes arabes
- La traduction persane du sermon d’Avicenne sur le monothéisme


 

Bibliographie :
- Mostafâ Badkoubeyi Hezâveyi, Nâbegheh-ye Neyshâbour (Le génie de Neyshâbour), éd. Farâyen, 1995.
- Djavâd Barkhordâr, “Khayyâm-e Dâneshmand” (Khayyâm le savant), in revue Dâneshmand, n° 588, 2010.
- Djahânguir Hedâyat, Khayyâm-e Sâdegh (Le Khayyâm de Sâdegh)(Ensemble des œuvres de Sâdegh Hedâyat sur Khayyâm), Téhéran, éd. Tcheshmeh, 2005.
- Seyyed Akbar Mir Ja’fari, “Hakim Omar Khayyâm”, in revue Moa’llem, n°16, mai 2007
- Abolfazl Mohâdjer, « Pir-e Pegâh khiz » (Le Maître matinal), in Hamshahri, le 18 mai 2005.
- Ruba’iyat, trilingue (anglais, français, persan), avec l’introduction de Saïd Nafissi, Téhéran, éd. Namak, 2004.
- http://www.khayyam.info/persian/khayyam_persian09.htm

- Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.
- Fitzgerald, Edward, Rubaiyat of Omar Khayyam, edited by Daniel Karlin, Oxford University Press, 2009.

la Revue de Téhéran

samedi, 13 octobre 2012

Iran, Syria and the Balance of Power in the Middle East

The "Resistance Bloc" is Fighting for Its Life

Iran, Syria and the Balance of Power in the Middle East

by PATRICK COCKBURN
 
 
Turkish artillery is firing across the border into Syria. Explosions have torn apart buildings in Aleppo, Syria’s largest city, making their floors collapse on top of each other so they look like giant concrete sandwiches. The country resembles Lebanon during its civil war, the victim of unbearable and ever-escalating violence but with no clear victor likely to emerge.

In Iran, Syria’s most important ally in the region, sanctions on oil exports and central bank transactions are paralysing the economy. The bazaar in Tehran closed after violent protests at a 40 per cent fall in the value of the currency, the rial, over the past week. Demonstrators gathered outside the central bank after finding they could no longer get dollars from their accounts. Popular anger is at its highest level since the alleged fixing of Iran’s presidential election of 2009.

Will these events lead to a change in the balance of power at the heart of the region? Iran and Syria were the leaders for the past 10 years of the so-called “resistance bloc”, the grouping that supported the Palestinians and opposed the US-led combination that brought together Arab dictatorships and Israel in a tacit alliance. This anti-American bulwark was at the height of its influence between 2006 and 2010 after the failed US invasion of Iraq and Israel’s bombardment of Lebanon and Gaza.

At first, the Arab Spring seemed to favour the “resistance bloc”. Without Syria and Iran having to lift a finger, President Hosni Mubarak and President Zine el-Abidine Ben Ali were driven from power in Egypt and Tunisia. And Bashar al-Assad seemed confident, in the first months of 2011, that his opposition to the US, Arab autocracies and Israel would protect him against the revolutionary wave.

Eighteen months later, it is the “resistance bloc” that is fighting for its life. Turkey is becoming ever more menacing to Syria and impatient of American restraint. After the US presidential election, Washington could well decide that it is in its interests to go along with Turkish urgings and give more military support to the Syrian opposition. The US might calculate that a prolonged and indecisive civil war in Syria, during which central government authority collapses, gives too many chances to al-Qa’ida or even Iran. It has had a recent example of how a political vacuum can produce nasty surprises when the US ambassador to Libya, Christopher Stevens, was killed in Benghazi last month.

An ideal outcome from the American point of view is to seek to organise a military coup against the Syrian government in Damascus. Zilmay Khalilzad, a former US ambassador to Iraq and Afghanistan, wrote recently in Foreign Policy magazine that the US should take steps “empowering the moderates in the opposition, shifting the balance of power through arms and other lethal assistance, encouraging a coup leading to a power-sharing arrangement, and accommodating Russia in exchange for its co-operation”.

By becoming the opposition’s main weapons’ suppliers, the US could gain influence over the rebel leadership, encourage moderation and a willingness to share power. Mr Khalilzad envisages that these moves will prepare the ground for a peace conference similar to that held at Taif in Saudi Arabia in 1989 that ended Lebanon’s 15-year civil war. It is also what the US would have liked to have happened in Iraq after 1991.

More direct military involvement in Syria could be dangerous for the US in that it could be sucked into the conflict, but outsourcing support for the rebels to Saudi Arabia and the Sunni monarchies of the Gulf may be even riskier. Arms and money dispensed by them are most likely to flow to extreme Sunni groups in Syria, as happened when Pakistani military intelligence was the conduit for US military aid to the Afghan Mujahideen in the 1980s.

Instead of a fight to the finish – and that finish would probably be a long way off – a peace conference with all the players may be the only way to bring an end to the Syrian war. But it is also probably a long way off, because hatred and fear is too deep and neither side is convinced it cannot win. The Kofi Annan plan got nowhere earlier this year because the government and rebels would only implement those parts of it that favoured their own side.

How does Iran view its endangered regional position in the Middle East? Iran’s policy is usually a mixture of practical caution and verbal crudity – the latter often represented to the outside world by President Mahmoud Ahmadinejad. But in its struggles with the Americans in Iraq after 2003, Iran was realistic and seldom overplayed its hand. It may be under pressure from sanctions now, but its situation is nothing like as serious as it was during the Iran-Iraq war of 1980 to 1988. More recently, Iranians joked that only divine intervention could explain why the US had disposed of its two main enemies, the Taliban and Saddam, in wars that did more good to Iran than the US.

But the success of sanctions on oil exports and Iranian central bank operations seems to have caught Tehran by surprise. Oil revenues have fallen and the cost of food, rent and transport is up. In recent years, Iranians have become big foreign travellers, but last week were stopped withdrawing rials from their dollar accounts. No wonder they’re angry.

But enemies of the Iranian regime should not get up their hopes too early. An Iranian journalist in Tehran sympathetic to the opposition said to me last year that “the problem is that the picture of what is happening in Iran these days comes largely from exiled Iranians and is often a product of wishful thinking”. The Iranian regime is far more strongly rooted than the Arab regimes overthrown or battling for survival. The Iranian-led bloc in the region may be weaker, but it has not disintegrated.

PATRICK COCKBURN is the author of “Muqtada: Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq

jeudi, 11 octobre 2012

Aux USA on a déjà prévu un Moyen Orient sans Israël

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Aux USA on a déjà prévu un Moyen Orient sans Israël !!!

par Mireille DELAMARE

Ex: http://www.polemia.com/    

Un article étonnant qui mérite, bien sûr, investigations et vérifications. Prélevé sur le site iranien francophone IRIB, publié en pleine campagne électorale américaine, il prévoit des changements stratégiques et géopolitiques insoupçonnables. « Alors que Paris, Londres, Berlin prennent stupidement leurs désirs pour des réalités et planifient l’après-Assad en Syrie, à Washington on a déjà envisagé l’après-Israël dans un rapport intitulé : " Preparing For A Post Israel Middle East " (se préparer pour un Moyen-Orient post-Israël). » De quoi s’agit-il ?
Géopolitique fiction, canular, argument purement électoral, intox ? Le rapport, sinon sérieux, semble authentique si l’on tient compte des fonctions très officielles de ses auteurs. A les en croire, « la disparition du régime judéo-sioniste est sérieusement envisagée à Washington et pas seulement à Téhéran. »
Polémia

IRIB – Alors que Paris, Londres, Berlin prennent stupidement leurs désirs pour des réalités et planifient l’après-Assad en Syrie, à Washington on a déjà envisagé l’après-Israël dans un rapport intitulé : « Preparing For A Post Israel Middle East » (se préparer pour un Moyen-Orient post-Israël). Cette analyse de 82 pages a été réalisée à la demande de la communauté du renseignement américain regroupant pas moins de 16 agences dont le budget annuel dépasse les 70 milliards de dollars. Preuve donc que la disparition du régime sioniste est sérieusement envisagée à Washington et pas seulement à Téhéran.

Ce document « Preparing For A Post Israel Middle East » conclut que les intérêts nationaux américains et israéliens divergent fondamentalement. Les auteurs de ce rapport affirment qu’Israël est actuellement la plus grande menace pour les intérêts nationaux américains car sa nature et ses actions empêchent des relations normales entre les Etats-Unis et les pays arabes et musulmans et dans une mesure croissante avec la communauté internationale.

Cette étude a [donc] été réalisée à la demande de la communauté du renseignement américain comprenant 16 agences avec un budget annuel de 70 milliards de dollars. Cette communauté du renseignement comprend les départements de la marine, de l’armée de terre, de l’armée de l’air, des corps de Marines, des garde-côtes, le ministère de la défense et agence de renseignement, les départements de l’Energie, de la sécurité intérieure, l’Etat, le Trésor, l’agence de lutte anti-drogue, le FBI, l’agence de sécurité nationale, l’agence de renseignement géo spécial, l’agence de reconnaissance nationale et la CIA.

Parmi les conclusions de ce rapport on trouve :

 

  • Israël, compte tenu de son occupation brutale [et] sa bellicosité, ne peut pas être sauvé, tout comme le régime d’Apartheid de l’Afrique du Sud n’a pu l’être alors même qu’Israël a été le seul pays « occidental » à entretenir des relations diplomatiques jusqu’en 1987 avec l’Afrique du Sud et a été le dernier pays à se joindre à la campagne de boycott avant que le régime ne s’effondre ;
  • la direction israélienne est de plus en plus éloignée des réalités politiques, militaires [et] économiques du Moyen-Orient en accroissant son soutien aux 700.000 colons illégaux vivant en Cisjordanie occupée ;
  • le gouvernement de coalition post-travailliste Likoud est profondément complice et influencé par le pouvoir politique et financier des colons et devra faire face à de plus en plus de soulèvements civils domestiques avec lesquels le gouvernement américain ne doit pas s’associer ou s’impliquer ;
  • le Printemps arabe et le réveil islamique a, dans une large mesure, libéré une grande partie des 1,2 milliard d’Arabes et Musulmans pour lutter contre ce qu’une très grande majorité considère comme une occupation européenne illégale, immorale et insoutenable de la Palestine et de la population indigène  ;
  • le pouvoir arabe et musulman qui s’étend rapidement dans la région comme en témoignent le Printemps arabe, le réveil islamique et la montée en puissance de l’Iran, se fait simultanément – bien que préexistant – avec le déclin de la puissance et de l’influence américaines, et le soutien des Etats-Unis à un Israël belliqueux et oppressif devient impossible à défendre ou  à concrétiser compte tenu des intérêts nationaux américains comprenant la normalisation des relations avec les 57 pays islamiques ;
  • l’énorme ingérence d’Israël dans les affaires intérieures des Etats-Unis par l’espionnage et des transferts illégaux d’armes : cela comprend le soutien à plus de 60 « organisations majeures » et approximativement 7.500 fonctionnaires américains qui obéissent aux diktats d’Israël et cherchent à intimider les médias et les organisations gouvernementales ; cela ne devrait plus être toléré ;
  • le gouvernement américain n’a plus les ressources financières ni le soutien populaire pour continuer à financer Israël. Ce n’est plus envisageable d’ajouter aux plus de 3 mille milliards de dollars d’aide directe ou indirecte d’argent des contribuables versés à Israël depuis 1967, ces derniers s’opposant à ce que l’armée américaine continue de s’impliquer au Moyen-Orient. L’opinion publique américaine ne soutient plus le financement et les guerres étatsuniennes largement perçues comme illégales pour le compte d’Israël. Cette opinion est de plus en plus partagée en Europe, en Asie et au sein de l’opinion publique internationale ;
  • les infrastructures d’occupation ségrégationniste d’Israël sont la preuve d’une discrimination légalisée et de systèmes de justice de plus en plus séparés et inégaux qui ne doivent plus être directement ou indirectement financés par les contribuables américains ou ignorés par les gouvernements des Etat-Unis ;
  • Israël a échoué comme Etat démocratique autoproclamé et le soutien financier et politique américain ne changera pas sa dérive comme Etat paria international ;
  • les colons juifs manifestent de plus en plus un violent racisme rampant en Cisjordanie soutenu par le gouvernement israélien devenu leur protecteur et leur partenaire ;
  • de plus en plus de juifs américains sont contre le sionisme et les pratiques israéliennes, inclus les assassinats et les brutalités à l’encontre des Palestiniens vivant sous occupation, les considérant comme des violations flagrantes du droit américain et international et cela soulève des questions au sein de la communauté juive américaine, eu égard à la responsabilité de protéger (R2P) (1) des civils innocents vivant sous occupation ;
  • l’opposition internationale à un régime de plus en plus d’Apartheid se fait l’écho de la défense des valeurs humanitaires américaines ou des attentes américaines dans le cadre de des relations bilatérales avec les 193 pays membres de l’ONU.

Le rapport se termine en préconisant d’éviter des alliances rapprochées auxquelles s’oppose la majeure partie du monde entier et qui condamnent les citoyens américains à en supporter les conséquences.

A l’évidence Israël va se précipiter sur ce rapport bientôt publié pour faire pression sur les deux candidats à la présidentielle américaine, Obama et Romney, pour voir qui des deux en minimisera le plus les conclusions, s’engageant même à le ranger au placard en promettant d’accroître l’aide financière et militaire à l’entité coloniale judéo-sioniste fossoyeuse de l’Empire américain.

Mireille Delmarre
IRIB (iran French Radio)
3/09/2012

Note de la rédaction : voir http://en.wikipedia.org/wiki/Responsibility_to_protect

Correspondance Polémia – 25/09/2012

vendredi, 21 septembre 2012

Problématique et prospective géopolitiques de la question pakistanaise

 

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Andrea Jacopo SALA:

Problématique et prospective géopolitiques de la question pakistanaise

 

Ce sont les événements qui ont immédiatement suivi la fin de la seconde guerre mondiale qui constituent le point de départ à analyser pour comprendre les tensions qui ont affecté la zone la plus méridionale du continent asiatique. La fin des empires coloniaux et la volonté d’émancipation des nations émergentes ont entraîné un partage nouveau des territoires, tenant compte des réalités culturelles qui, auparavant, avaient cohabité sous une hégémonie étrangère unique, britannique en l’occurrence. On ne peut nullement se référer au découpage arbitraire que les puissances dominantes et coloniales ont imposé car elles sont une des causes premières des tensions qui ont ensanglanté ces pays, lesquels, aujourd’hui encore, présentent des cicatrices difficilement guérissables. Ces cicatrices, béantes, sont autant de bonnes opportunités pour tous ceux qui veulent s’immiscer dans les querelles intérieures et dans les contentieux diplomatiques qui affectent ces pays du Sud et du Sud-est de l’Asie, comme si les castes dirigeantes de l’Occident avaient la nostalgie du statut colonial d’antan, que ces jeunes nations ont rejeté; ces castes préfèrent encore et toujours contrôler ces pays indirectement, au bénéfice de leurs prorpes intérêts, plutôt que de prendre acte, sereinement, des maturations et des changements qui se sont effectués au fil du temps.

 

Il faut donc esquisser un bref panorama historique des événements les plus marquants qui ont accompagné la désagrégation de l’ancien “Raj” britannique, ainsi que de leurs conséquences directes, puis il faut passer au tamis toutes les problématiques liées au terrorisme, car ce terrorisme est un des moyens les plus utilisés pour intervenir dans et contre les choix politiques posés par les anciennes colonies britanniques, aussi pour s’immiscer dans les potentialités émergentes germant dans ces pays mêmes et pour freiner ou ralentir les nouvelles perspectives géopolitiques qui se révèlent réalisables depuis quelques temps.

 

Après le “Raj” britannique

 

Le “Raj” britannique des Indes (au pluriel!), on le sait, a été subdivisé en deux pays, le Pakistan et l’Inde, en 1947. C’était l’aboutissement de cette longue lutte indienne pour l’indépendance qui s’était radicalisée dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, lutte dont les vicissitudes sont bien connues du public occidental grâce à la fascination qu’avait exercée sur bien des esprits la forte personnalité politique et spirituelle que fut Mohandas Karamchand Gandhi. Parallèlement au Parti du Congrès National Indien (PCNI), dont le “Mahatma” (Gandhi) était le membre le plus influent, existait aussi le Parti de la Ligue Musulmane (PLM), dirigé par Mohammed Ali Jinnah, tout aussi âpre dans sa lutte contre le colonialisme britannique. Dans une première phase de la lutte pour l’indépendance indienne, le PLM était allié au PCNI puisqu’ils avaient des objectifs communs. Mais, dès que les Britanniques promirent de résoudre la question indienne en renonçant à toutes prérogatives coloniales dans la région, les rapports entre le leader musulman et Gandhi se sont détériorés: tandis que le “Mahatma”, inspiré par les thèses théosophiques, rêvait d’une seule et unique nation indienne où coexisteraient pacifiquement plusieurs religions, Mohammed Ali Jinnah revendiquait l’instauration d’un Etat exclusivement islamique. La résolution du problème fut confiée à Lord Mountbatten qui a accepté la requête des Musulmans et a, par voie de conséquence, partagé le territoire du “Raj” britannique entre les dominions du Pakistan et de l’Inde.

 

Le plan Mountbatten contenait toutefois beaucoup d’approximations et de concessions arbitraires (et parfois inutiles), si bien qu’on ne pouvait guère le faire appliquer tout en voulant maintenir la paix: la zone d’influence du Pakistan était divisée fort maladroitement en un Pakistan occidental et un Pakistan oriental, séparé l’un de l’autre par un immense territoire sous juridiction indienne; de nombreux territoires, comme le Cachemire, n’avaient été attribués officiellement à aucun des deux nouveaux Etats souverains; malgré la volonté affichée d’attribuer aux uns et aux autres des territoires sur base de critères religieux et culturels, la partition laissait des zones à majorité hindoue au Pakistan et des zones à majorité musulmane au nouveau “dominion” de l’Inde.

 

 

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A cette situation délicate s’ajoutaient les prétentions chinoises sur quelques territoires de l’ancien “Raj” britannique. Le tout a enflammé la région pendant la seconde partie du 20ème siècle, aux dépens des populations. Pas moins de quatre guerres ont sévi et, suite à l’une d’elles, la zone baptisée par Lord Mountbatten “Pakistan oriental” est devenue indépendante, avec l’aide des Indiens, pour devenir l’actuel Bengladesh; la région du Cachemire a été divisée selon les lignes des fronts où s’étaient successivement affrontés Pakistanais, Indiens et Chinois. Il ne faut pas oublier non plus les nombreuses migrations qui ont suivi la partition, où les Hindous quittaient en masse les territoires sous juridiction pakistanaise-musulmane et où les Musulmans quittaient les zone attribuées à la nouvelle Inde indépendante, majoritairement hindoue. Ces transferts de population ont eu des effets fortement déstabilisants pour les équilibres internes des deux nouveaux Etats. Entretemps, alors que l’Inde optait pour la voie de la modernisation sous l’impulsion du gouvernement de Nehru, le Pakistan fut secoué par une série de coups d’Etat militaires, renversant à intervalles réguliers les régimes démocratiques.

 

Terrorisme et guerre au terrorisme

 

Après avoir déployé une politique fièrement hostile aux Etats-Unis sous la houlette de Zulfiqar Ali Bhutto, qui a ouvert le Pakistan aux technologies nucléaires, le pays tombe ensuite sous une nouvelle dictature militaire, dirigée par le Général Muhammad Zia-ul-Haq et fortement inspirée par le fondamentalisme musulman. La période de la dictature de Zia-ul-Haq fut celle d’une collaboration étroite avec les bandes anti-soviétiques actives dans le conflit afghan; ensuite, l’amitié entre Zia-ul-Haq et le chef d’une faction insurrectionnelle afghane, Gulbuddin Hekmatyar —appuyée par un financement d’au moins 600 millions de dollars en provenance des circuits de la CIA et transitant par le Pakistan— favorisait un soutien direct à la puissante guérilla intégriste qui luttait contre les Soviétiques (1).

 

L’existence même d’Al-Qaeda est issue de ce contexte conflictuel entre, d’une part, le gouvernement légal afghan, soutenu par l’Union Soviétique, et, d’autre part, l’insurrection des “moudjahiddins”. D’après l’ancien ministre britannique des affaires étrangères, Robert Cook, Al-Qaeda serait la traduction en arabe de “data-base”. Et ce même Cook affirmait dans un entretien accordé à “The Guardian”: “Pour autant que je le sache, Al-Qaeda était, à l’origine, le nom d’une ‘data-base’ (base de données) du gouvernement américain, contenant les noms des milliers de moudjahiddins enrôlés par la CIA pour combattre les Soviétiques en Afghanistan” (2). Ce que confirme par ailleurs Saad al-Fagih, chef du “Movement for Islamic Reform” en Arabie Saoudite: Ben Laden s’est bel et bien engagé, au départ, pour s’opposer à la présence soviétique en Afghanistan (3). Si cet appui initial des Américains à de telles organisations (qui seraient ensuite partiellement passées dans les rangs du terrorisme anti-occidental) explique les raisons stratégiques qui ont forcé les Etats-Unis à se rapprocher des organisations fondamentalistes islamiques, celles-ci, dès qu’elles ne fournissent plus aucun avantage stratégique et ne servent plus les intérêts géopolitiques immédiats de Washington, deviennent automatiquement “ennemies” et sont donc combattues en tant que telles.

 

Dans cette logique, on peut s’expliquer la ruine actuelle du Pakistan, sombrant dans le chaos sous le regard des Américains. Après la chute du régime de Zia-ul-Haq et pendant toute la durée du régime de Pervez Mucharraf, le gouvernement du Pakistan a été continuellement accusé de soutenir les talibans (4), surtout depuis l’opération, parachevée avec succès, visant l’arrestation du troisième personnage dans la hiérarchie d’Al-Qaeda, Khalid Shaykh Muhammad. Dans un tel contexte (et un tel imbroglio!), le ministre indien des affaires étrangères n’a pas hésité à déclarer “que le Pakistan a échoué dans ses projets d’éradiquer le terrorisme qui puise ses racines sur son prorpe territoire”: c’était immédiatmeent après les attentats de Mumbai (Bombay) (5). Ce bref rapprochement entre l’Inde et les Etats-Unis, prévisible et dirigé contre le Pakistan, ne devrait pourtant pas mener à une éventuelle intervention occidentale dans la zone du Cachemire, vu que tous les Etats impliqués dans cette zone se sont toujours montrés très rétifs à des interventions extérieures, même si de telles interventions pouvaient faire pencher la balance dans le sens de leurs propres intérêts géopolitiques. Il me paraît inutile, ici, d’évoquer la prétendue exécution du terroriste Osama Ben Laden, justement sur le territoire du Pakistan lui-même.

 

Mais pourquoi les relations américano-pakistanaises se sont-elles détériorées à ce point, et de manière assez inattendue?

 

Le tracé des gazoducs

 

La Pakistan est devenu membre observateur de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) en 2005, ce qui constitue déjà un motif d’inquiétude pour les pays inféodés à l’OTAN. Cependant, ce qui constitue probablement la cause principale de la mobilisation des énergies et des médias pour discréditer la République Islamique du Pakistan est la proposition des Iraniens, séduisante pour les Pakistanais, de construire un gazoduc qui reliera les deux pays et dont Islamabad a prévu la parachèvement pour 2014. Le projet initial aurait dû également impliquer l’Inde, dans la mesure où un terminal du gazoduc y aurait abouti, mais les pressions américaines ont empêché l’adhésion de l’Inde au projet suggéré par l’Iran.

 

 

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Le projet déplait à l’évidence aux Etats-Unis non seulement parce qu’il renforce les relations entre deux pays islamiques mais aussi et surtout parce que le nouveau choix du Pakistan est diamètralement contraire aux plans prévus pour un autre gazoduc, le gazoduc dit “TAPI”, qui devrait partir du Turkménistan et passer par l’Afghanistan et le Pakistan pour aboutir en Inde, tout en étant étroitement contrôlé par des investisseurs américains.

 

Dans ce jeu, la région du Beloutchistan joue un rôle de premier plan, région habitée majoritairement par une ethnie très apparentée aux Pachtouns. Les Pachtouns sont un peuple originaire de régions aujourd’hui afghanes et se sont rendus tristement célèbres pour leurs violences et pour leurs velléités indépendantistes (tant en Iran qu’au Pakistan), sans oublier leurs trafics d’opium et d’héroïne qui posent quantité de problèmes au gouvernement pakistanais.

 

Les jeux stratégiques demeurent toutefois peu clairs et peu définis jusqu’à présent, si bien qu’il me paraît difficile de se prononcer d’une manière définitive sur les problèmes de la région. Le Pakistan reçoit encore et toujours un soutien financier de la part des Etats-Unis, en provenance directe du Pentagone; officiellement, cet argent sert à lutter contre le terrorisme mais, forcément, on peut très bien imaginer qu’il s’agit surtout de convaincre Islamabad de refuser l’offre iranienne.

 

Andrea Jacopo SALA,

Article paru sur le site italien http://www.eurasia-rivista.org/ en date du 6 août 2012.

 

Notes:

 

(1)   http://it.wikipedia.org/ Entrée sur Gulbuddin Hekmatyar.

(2)   http://www.guardian.co.uk/ , 8 juillet 2005

(3)   http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/binladen/interviews/al-fagih.html/

(4)   http://www.asiantribune.com/index.php?q=node/3231/

(5)   http://www.repubblica.it/2008/11/sezioni/esteri/india-attentato-3/dimissioni-capo-provincia/dimissioni-capo-provincia.html/

 

lundi, 17 septembre 2012

Réflexions sur deux points chauds: l’Iran et la Syrie

Robert STEUCKERS:

Réflexions sur deux points chauds: l’Iran et la Syrie

 

Conférence prononcée à l’Université de Gand, Hoveniersberg, 8 mars 2012

 

L’Iran

 

La première chose qu’il faut impérativement dire quand on prend la parole à propos de l’Iran, c’est de rappeler que ce pays a été le première empire créé par un peuple de souche indo-européennes au cours de l’histoire, dès 2500 ans avant J.C. Le dernier Shah d’Iran, vers la fin de son règne, avait commémoré l’événement fondateur de l’impérialité iranienne à Persépolis par une fête d’une ampleur extraordinaire, à laquelle toutes les têtes couronnées de la planète avaient participé. Ensuite, l’Iran est la terre matricielle de la religion zoroastrienne, première tentative de dépassement d’une religiosité purement mythologique, à l’époque historique lointaine que des auteurs comme Karl Jaspers et Karen Armstrong nomment, très justement, la période axiale de l’histoire, période où se cristallisent les valeurs indépassables sur lesquelles se fondent les grandes civilisations, les empires ou les forces religieuses. Le zoroastrisme pose la figure du dirigeant charismatique qui forge une morale exemplaire et qui, pour l’asseoir dans la société, est accompagné d’une suite de gaillards vigoureux, armés de gourdins (de massues) et d’arcs. C’est dans cette suite de Zoroastre qu’il faut voir l’origine de tous les ordres de chevalerie, introduits en Europe par les cavaliers sarmates (donc iraniens) recrutés par l’Empire romain pour défendre ses frontières, les “limes”. Ces Sarmates, zoroastriens au départ et souvent devenus mithraïstes, ont été casernés en “Britannia” (Angleterre) et au Pays de Galles où ils ont résisté longtemps aux Angles et aux Saxons et ont été à la base des mythes arthuriens, considérés jusqu’à date récente comme “celtiques”. On les retrouve aussi le long du Rhin (le musée romain-germanique de Cologne expose des pierres tombales de cavaliers sarmates) et dans nos régions, surtout le long de la Meuse. Les Alains, peuple cavalier proche des Sarmates et des Scythes, accompagnent les Suèves et les Wisigoths dans leur conquête de l’Espagne. Les régions où ils s’installent, dans le Nord de la péninsule, résisteront à l’invasion maure et c’est précisément dans ces régions-là que les ordres de chevalerie populaires naîtront, enrôlant de simples paysans ou des pélerins arrivés à Compostelle pour former le noyau dur des armées de la reconquista.

 

Querelles entre islams (au pluriel!)

 

L’islamisation totale de l’Iran sera fort lente jusqu’aux temps de Shah Abbas (16ème siècle), qui fera du chiisme la religion de l’Empire perse, en guerre contre les Ottomans, champions du sunnisme. Pour que l’islam soit devenu dominant en Perse, il aura fallu attendre 400 ans après la conquête de ce vaste pays par les armées des successeurs de Mahomet. Le zoroastrisme s’est longtemps maintenu, tandis que le chiisme y cohabitait conflictuellement avec le sunnisme. Ce long conflit entre chiites et sunnites nous ramène à l’actualité: le conflit sous-jacent du Moyen Orient, fort peu mis en exergue par nos médias, oppose en effet l’Arabie saoudite, puissance championne du sunnisme le plus intransigeant, sous sa forme wahhabite, et l’Iran, champion du chiisme. En Orient, les guerres sont éternelles: le passé ne passe pas, est toujours susceptible d’être réactivé car il faut venger les ancêtres, un affront, une défaite. L’Orient, dans ses réflexes, a l’avantage de ne pas connaître d’idéologie progressiste qui efface, ou veut effacer, des mémoires et du réel matériel les forces d’antan, les forces immémoriales. Ce conflit chiite/sunnite, et surtout sa résilience, peut apparaître paradoxal à tous ceux qui ne perçoivent dans l’islam qu’un seul bloc, uni et indifférencié. C’est là une vision simpliste, fausse et juste bonne à générer de la propagande à bon marché. A l’instar d’Yves Lacoste, géopolitologue français et éditeur de la remarquable revue “Hérodote”, il convient, pour être sérieux, de parler des “islams”, si l’on veut poser des analyses cohérentes sur les conflits qui traversent non seulement la sphère musulmane dans son ensemble mais aussi sur les inimitiés qui animent les communautés islamiques immigrées en Europe et que le personnel politique, policier et juridique contemporain, inculte et abruti, est incapable de comprendre donc de prévenir (la “prévoyance”, vertu cardinale des “bons services” selon Xavier Raufer) voire de réprimer à temps. Les affrontements entre chiites et sunnites, voire entre d’autres communautés qui ont l’islam ou le “coranisme” pour dénominateur commun, permettent à des “empires”, hier le britannique, aujourd’hui l’américain, de pratiquer la politique du “Divide ut impera”, de diviser pour régner. C’est ainsi que, tacitement hier, de plus en plus ouvertement aujourd’hui, l’Arabie saoudite est désormais un allié d’Israël dans la lutte contre l’Iran, voulue par Washington et que les schématismes propagandistes des islamophobes hypersimplificateurs ou des fondamentalistes islamiques délirants ou des islamophiles présents dans toutes les “lunatic fringes”, qui veulent voir dans les conflits actuels une lutte entre “Judéo-Croisés” et “Bons (ou Mauvais) Musulmans” sont totalement faux: il y a, d’un côté, l’alliance “Wahhabito-judéo-puritano-croisée” et, de l’autre, les “fondamentalistes chiites/khomeynistes”. Dans les deux camps, il y a des musulmans et ils s’étripent allègrement. De même, la guerre civile qui fait rage aujourd’hui en Syrie est un conflit entre Alaouites et Sunnites; ceux-ci, sous l’impulsion des Wahhabites saoudiens, considèrent les Alaouites, détenteurs du pouvoir à Damas, comme des hérétiques, proches des chiites. Une fois de plus, ce conflit interne à la Syrie démontre que les inimitiés entre factions musulmanes ont plus de poids, au Proche- et au Moyen-Orient, que la césure, souvent mise en exergue dans nos médias, entre l’Occident et l’Islam, n’en déplaisent aux islamophobes ignares que l’on entend gueuler à qui mieux mieux pour des histoires de caricatures, de foulard ou de bidoche ovine, histoires dont on se passerait d’ailleurs bien volontiers sous nos cieux. Les Américains, bien au courant de ces clivages, peuvent ainsi réactiver de vieux conflits afin de faire triompher leurs projets dans le “Grand Moyen Orient”, qu’il s’agit, selon eux, d’unifier sur le plan économique, pour en faire un marché ouvert aux productions des multinationales américaines, et de balkaniser sur le plan politique, notamment en redessinant, sur le long terme, la carte de la région selon les vues d’un Colonel des services américains, Ralph Peters.

 

Des Qadjar aux Pahlevi

 

Quand, dans la première décennie du 20ème siècle, la dynastie perse des Qadjar n’a plus pu contrôler le pays, et que celui-ci a plongé dans le chaos, suite à une tentative de réforme constitutionnelle où l’Iran aurait dû adopter la constitution belge (!), le père du dernier Shah, Reza Khan, colonel d’une unité de cosaques iraniens, prend le pouvoir et se fait proclamer empereur en 1926. Son objectif? Faire de la Perse, qu’il rebaptise “Iran”, un pays moderne, selon les règles du despotisme éclairé, pratiquées en Turquie, à la même époque, par Mustafa Kemal Atatürk. Cette modernisation ne peut s’effectuer, on s’en doute, sous la houlette du clergé chiite (les Chiites ayant un clergé, contrairement aux Sunnites; c’est là la grande différence entre les deux orientations de l’islam moyen-oriental; on peut dire aussi que le clergé chiite est une forme islamisée et dégénérative des fameuses “suites zoroastiennes”, dont la mission était d’imposer la morale politique à un cheptel humain trop souvent indiscipliné). La modernisation selon Reza Khan passe a) par une gestion iranienne de la rente pétrolière, b) par la construction de voies de chemin de fer pour désenclaver la plupart des régions du pays et pour relier les ports du Golfe Persique à la Mer Caspienne, c) par la constitution d’une marine capable d’imposer les volontés iraniennes dans les eaux du Golfe. La volonté de gérer la rente pétrolière se heurtera à la mauvaise volonté britannique car Londres détenait tous les atouts de la “Anglo-Iranian”. La construction du chemin de fer se fera grâce à des ingéneiurs suisses, scandinaves et allemands. Des officiers italiens se chargeront de moderniser la flotte iranienne, fournie en bâtiments construits dans les chantiers navals de la péninsule. En 1941, Britanniques et Soviétiques violent délibérément la neutralité iranienne; dans la foulée, la RAF détruit la flotte iranienne dans les ports du Golfe. Reza Khan est envoyé en exil, d’abord dans les Seychelles, ensuite en Afrique du Sud où il meurt d’un cancer qu’on ne soigne pas comme il le faudrait. De 1941 à 1978, son fils, Mohammed Reza Pahlevi occupe le trône, avec le soutien des Américains, un soutien qui, de la part de Washington, sera d’abord total, puis de plus en plus réticent. Le jeune Shah opte pour une “protection” américaine parce que les Etats-Unis n’ont pas de frontières communes avec l’Iran, tandis que l’URSS brigue l’annexion des régions azerbaïdjanaises du Nord de l’Iran, cherche à les fusionner avec la république Socialiste Soviétique de l’Azerbaïdjan et tandis que les Britanniques, avant l’indépendance et la partition de l’Inde, cherchaient à inclure les provinces beloutches de l’Est iranien dans la partie beloutche de l’actuel Pakistan.

 

Les mémoires de Houchang Nahavandi

 

1359833_6708795.jpgLes mémoires du dernier ministre de l’éducation nationale du Shah Mohammed Reza Pahlevi, Houchang Nahavandi, réfugié à Bruxelles suite à la révolution de Khomeiny, nous apprennent le déroulement véritable de la révolution iranienne. Sa fille Firouzeh Nahavandi confirme les hypothèses paternelles dans un mémoire universitaire très intéressant (ULB), présentant pour l’essentiel un panorama général des partis politiques iraniens. Pour Houchang Nahavandi, c’est essentiellement Harry Kissinger, en tant que “tête pensante” en coulisses inspirant tous les macrostratégistes américains, et ce sont ensuite les présidents démocrates John F. Kennedy, Lyndon B. Johnson puis Jimmy Carter, contrairement au républicain Richard Nixon, qui n’ont pas voulu d’une “concentration de puissance” sur le territoire du plus ancien “empire” de l’histoire mondiale, même si sur ce territoire règnait un allié loyal. La stratégie d’utiliser les “droits de l’homme” pour fragiliser un Etat sera tout de suite appliquée à l’Iran du Shah, dès sa nouvelle théorisation, sous la présidence de Carter. Simultanément, elle sert à boycotter les Jeux Olympiques de Moscou et reçoit une “traduction” destinée au public français, celle que propageront les “nouveaux philosophes”, anciens gauchistes anti-communistes, recyclés dans la défense de l’Occident sous prétexte de diffuser un “socialisme à visage humain”, antidote à la “barbarie”. Les “droits de l’homme”, en tant qu’idéologie libérale et “bourgeoise” (disaient les penseurs d’inspiration marxiste), avaient été soumis à une critique philosophique serrée dans les années 60: la pensée en faisait une “illusion idéaliste”, un “embellisement” plaqué sur les laideurs ou les dysfonctionnements sociaux générés par le libéralisme, un irréalisme destiné à tromper les peuples, à leur fournir un nouvel “opium”, qui prendrait le relais de la religion. Dès les prémisses du “cartérisme”, les intellectuels américains à la solde des “services”, puis leurs émissaires français que sont les “nouveaux philosophes”, les réexhument de l’oubli, de la géhenne des pensées battues en brèche par la critique philosophique (marxiste, structuraliste et autre), et en font une arme contre le marxisme-léninisme au pouvoir en URSS et dans le bloc de l’Est d’abord, contre tous les autres pouvoirs qui ont l’heur de déplaire hic et nunc à l’hegemon américain. Parmi ceux-ci: le système mis en place (mais non parachevé) du dernier Shah.

 

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Photo: Houchang Nahavandi

 

Pourquoi cette hostilité à l’endroit d’un Etat, d’un pouvoir et d’un souverain théoriquement “alliés”? Pour un faisceau de quatre motifs, parmi d’autres motifs, que je sélectionne aujourd’hui pour étayer ma démonstration:

 

1.

Le Shah, sous prétexte de se montrer féal à l’égard de l’alliance qui le lie aux Etats-Unis par le Pacte de Bagdad, puis par le CENTO, équivalent de l’OTAN dans la région entre Bosphore et Indus, cherche continuellement à renforcer son armée. Celle-ci devient trop puissante aux yeux de Washington. La marine impériale iranienne se montre capable d’intervenir avec succès dans le Golfe Persique (à Bahrein en l’occurrence). Son aviation, équipée d’appareils américains, se révèle prépondérante dans la région (ses pilotes seront impitoyablement éliminés dans la première phase des épurations khomeynistes, quand, parmi les épurateurs, siégeaient quelques Irano-Américains, disparus par la suite, une fois leur mission accomplie, cf. les mémoires d’Houchang Nahavandi). L’élimination du Shah visait donc à affaiblir l’armée d’un allié qu’on ne voulait pas trop fort, surtout que sa position géographique sur les hauts plateaux iraniens lui permettait de contrôler, du moins indirectement, quelques régions clefs comme le Golfe, le prolongement afghan des hauts plateaux, la Mésopotamie. Cette possibilité de contrôle et d’élargissement implicite, en faisait une puissance autonome potentielle en dépit de son inclusion dans le CENTO, alliance où la Turquie servait de maillon commun avec l’OTAN.

 

La politique nucléaire du dernier Shah

 

2.

Le Shah avait ensuite amorcé une politique nucléaire. L’hostilité à l’Iran, pour des raisons nucléaires, n’est donc pas nouveau, ne date pas d’Ahmadinedjad. Le Shah avait conclu des accords nucléaires avec la France (encore gaullienne) et l’Allemagne; il investissait une part de la rente du pétrole dans l’industrie atomique européenne. Le but prioritaire de l’Iran n’est pas de se doter d’un armement nucléaire mais de s’équiper d’un nucléaire civil performant car la rente du pétrole, si elle était doublée d’une production complémentaire d’énergie via les centrales nucléaires, aurait permis au Shah et permettrait à Ahmadinedjad de se donner une confortable autarcie énergétique permettant un envol industriel, un armement conventionnel efficace pour l’armée (sur terre, sur mer et dans les airs) et, surtout, à terme, de développer une diplomatie indépendante dans l’espace que le Shah appelait “l’aire de la civilisation iranienne” (ou qu’Ahamadinedjad pourrait appeler le “réseau chiite”, plus réduit et plus dispersé, donc moins efficace, que l’aire envisagée par le “Roi des Rois”). Aujourd’hui, pour l’Iran, la nécessité de se doter d’un nucléaire civil et de vendre un maximum de pétrole est plus impérative et potentiellement plus lucrative que jamais. En effet, la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon oblige l’Empire du Soleil Levant à importer plus de pétrole, notamment d’Iran en dépit des appels au boycott lancés avec tant d’insistance depuis Washington. La France et l’Allemagne ne songent plus à réactiver la politique atomique qu’elles pratiquaient avec le Shah: Paris ayant abandonné sa diplomatie indépendantiste gaullienne et Berlin montrant sans cesse une timidité nucléaire incapacitante, vu le poids politico-parlementaire des Verts (qui font indirectement la politique de Washington en plongeant les pays européens dans la dépendance pétrolière). Le Brésil, lui, a également lancé des programmes nucléaires et pratique d’ores et déjà une diplomatie indépendante dans le Nouveau Monde et ailleurs, en s’alignant sur le BRIC. Le Pakistan, pourtant théoriquement allié des Etats-Unis, a vendu de la technologie nucléaire à l’Iran (et à la Libye), au vu et au su des Américains qui ne s’en sont jamais plaint. L’idée centrale qu’il convient de retenir ici, c’est que l’Iran est, géographiquement parlant, le centre du fameux “Grand Moyen Orient” (GMO) que veulent unifier les Américains sous leur égide discrète et que ce centre ne peut pas avoir d’autre détermination politique et (géo)stratégique que celles qu’imposent les Etats-Unis, faute de quoi l’unification économique espérée, le grand marché rêvé du GMO, ne se réalisera pas ou se réalisera au bénéfice d’autres hegemons. C’est l’enjeu actuel du fameux “Grand Jeu”, commencé au 19ème siècle pour la maîtrise des régions iraniennes, afghanes et pakistanaises entre l’Empire britannique et l’Empire russe. L’Iran est en effet, depuis toujours, le maillon le plus fort et le plus important sur la chaîne formée par les Etats ou royaumes entre les côtes de la Méditerranée orientale et la Chine, chaîne que les stratégistes, notamment à la suite de Zbigniew Brzezinski, nomment la “Route de la Soie”.

 

3.

Pour Washington, il s’agit aussi, comme auparavant pour les Britanniques, d’empêcher toute forme de tandem irano-russe. Le Shah avait signé des accords gaziers avec Brejnev. Aujourd’hui, sous Ahmadinedjad, l’influence russe augmente en Iran, bien que les Iraniens se méfient instinctivement, par tradition historique, de ce voisin trop proche et trop puissant, tenu éloigné de ses frontières depuis l’émergence des nouvelles républiques indépendantes du Turkménistan et de l’Ouzbékistan, auparavant soviétiques.

 

Les Américains craignent l’émergence d’une diplomatie iranienne indépendante

 

4.

Ce que les Américains, avec leurs présidents démocrates, craignaient le plus, c’était l’émergence progressive d’une diplomatie impériale iranienne indépendante. En Europe occidentale, De Gaulle avait déjà inauguré la sienne, assortie de ventes d’appareils Dassault Mirage en Amérique latine, dans d’autres pays de l’OTAN, en Inde et en Australie, sans compter les manoeuvres navales communes entre le Portugal, la France, l’Afrique du Sud et plusieurs pays d’Amérique latine dans l’Atlantique Sud, faisant rêver l’écrivain Dominique de Roux, à un “Cinquième Empire”, pour l’essentiel inspiré du poète portugais Pessoa et de facture franco-lusitanienne (Brésil compris). Dans ses mémoires, publiées après la tragédie de la révolution khomeyniste, le Shah explicite ce qu’il entendait par “aire de la civilisation iranienne”. Celle-ci s’étendait de la Palestine à l’Indus voire aux zones islamisées de la vallée du Gange en Inde, au Golfe Persique et à toutes les côtes avoisinantes de l’Océan Indien. Toutes ces régions ont subi, à un moment ou à un autre de l’histoire, une influence iranienne. L’Iran, par une politique culturelle adéquate et/ou par une politique d’aide économique, devait retrouver l’influence perdue (ou amenuisée) dans ces régions. Ensuite, dans une perspective de coexistence pacifique et de dégel entre les blocs, le Shah entend ouvrir un dialogue économique avec l’URSS. Avec l’Europe, les relations sont excellentes, de même qu’avec l’Egypte. Mieux, le système préconisé par le Shah parvient à surmonter l’antique hostilité entre l’Arabie saoudite, sunnite et wahhabite, et la Perse chiite: en 1975, les deux souverains s’entendent dans le cadre de l’OPEC, créant par là même un tandem qui ne convient guère aux puissances anglo-saxonnes qui entendaient garder une maîtrise totale sur le pétrole moyen-oriental. Le Shah entretient aussi de bons rapports avec l’Inde, qui souhaitait maintenir le pourtours de l’Océan Indien en dehors de la rivalité Est/Ouest, au nom des principes de non alignement prônés par Nehru. En Afghanistan, pays pour partie chiite, le Shah développe un programme d’aide qui, à terme, aurait partiellement fusionné les deux pays, tout en soustrayant Kaboul à toute influence soviétique directe. Le souverain iranien agissait de la sorte en se croyant l’allié privilégié des Etats-Unis et en prenant au sérieux l’idée de coexistence pacifique entre deux blocs aux systèmes différents. En développant sa diplomatie de rapports bilatéraux, le Shah enfreignait plusieurs règles tacites fixées par la Grande-Bretagne d’abord, par les Etats-Unis ensuite. Il créait un pôle de puissance dans son pays même, alors que les Anglais avaient toujours voulu une Perse faible et “protégée”. Il entretenait de bons rapports commerciaux (surtout gaziers) avec l’URSS, en dépit de son appartenance au CENTO, donc à l’un des trois piliers des alliances occidentales sur le “rimland”, s’étendant de l’Egée aux Philippines. La politique anglaise avait toujours voulu éviter tous contacts positifs entre la Perse, pièce maîtresse sur le “rimland” et pays-charnière entre le Machrek arabe et le sous-continent indien, et la Russie/URSS. L’Afghanistan, depuis les théories du géopolitologue Homer Lea et de Lord Curzon (disciple de Mackinder), devait demeurer un espace soustrait à son environnement, un espace neutralisé où ne devaient intervenir ni la Russie (selon les règles du “Grand Jeu”) ni l’Angleterre ni, a fortiori, une Inde ou un Pakistan devenus indépendants ni une Perse qui aurait récupéré les atouts de sa puissance d’antan. En déployant un tel zèle, le Shah s’était rendu, à son insu, totalement insupportable aux yeux des stratégistes américains, héritiers dans la région des réflexes géostratégiques de l’Empire britannique. Il fallait donc lui mettre des bâtons dans les roues et, après les accords pétroliers irano-saoudiens, le chasser du pouvoir, pour remettre en selle des esprits falots ou obscurantistes, rétifs à toute modernité, sans visions de grande envergure: le projet s’est soldé par un fisaco (partiel) parce que les aires impériales, surtout en Orient, ont longue mémoire. Une mutation de signe au niveau idéologique, niveau superficiel, simplement superstructurel, n’élimine pas pour autant les réflexes profonds, pluriséculaires voire plurimillénaires.

 

Pour l’Europe, mai 68; pour l’Iran, Khomeiny

 

9782951741539.jpgEn modernisant l’Iran, en exaltant le passé perse, y compris le passé pré-islamique, en jugulant l’influence des mollahs et en installant dans le pays un islam politiquement “quiétiste” et religieusement plus fécond, en soulignant les aspects les plus lumineux de l’islam perse (ceux qu’ont étudié avec tout le brio voulu un Henry Corbin et ses disciples, dont Christian Jambet), le Shah voulait donner un lustre à son projet de “révolution blanche”, une révolution imposée d’en haut, impliquant une modernisation totale des systèmes d’enseignement, une industrialisation et une redistribution adéquate de la rente pétrolière. Cette “révolution blanche” a été un échec, surtout à cause du boom démographique qui amplifiait chaque année la tâche à accomplir, en alourdissant considérablement le budget alloué aux oeuvres de la “révolution blanche”, dont la création d’un réseau scolaire performant, y compris pour les filles. Rien que le projet d’une telle “révolution” pouvait fâcher les stratégistes américains: mis à part le modèle occidental, ouvert, bien entendu, aux multinationales, ces stratégistes ne toléraient pas l’éclosion de systèmes différents, et finalement auto-centrés, fussent-ils non communistes, dans les Etats du “rimland” inféodés aux commandements américains de l’OTAN, du CENTO et de l’OTASE (Asie du Sud-Est). Par ailleurs, les projets gaulliens de “participation” et d’“intéressement”, de Sénat des régions et des professions, ont été torpillés par les événements de mai 68, mascarade festiviste-révolutionnaire, aux ingrédients délirants, aux perspectives impraticables (celles qui nous ont menés à l’impasse dans laquelle nous marinons et végétons actuellement). On sait désormais, grâce aux recherches fouillées du Prof. Tim B. Müller de Berlin (Humboldt-Universität), que les “services” ont téléguidé, depuis des officines américaines où pontifiait notamment un Herbert Marcuse, l’émergence de cette “contre-culture”, en Allemagne comme en France, pour créer les conditions d’un enlisement permanent, équivalent à un “politicide” constant (cf. Luk van Middelaar). Le régime des mollahs, autour de la personnalité de l’Ayatollah Khomeiny, devait être l’équivalent iranien de notre “mai 68”, la fabrication destinée à enliser pendant longtemps l’Iran dans l’“impolitisme” (Julien Freund).

 

Guerre Iran/Irak et “Irangate”

 

Ce régime, dit “théocratique”, qui renverse d’abord la hiérarchie chiite qualifiée de “quiétiste”, se met en place dès le départ du Shah, en 1979. Les Etats-Unis, leurs “alliés”, tout le cortège des branchés et des post-soixante-huitards, les gauchistes durs et mous à l’unisson, applaudissent au départ du Shah, posé comme un “tyran”, exactement de la même manière que l’est aujourd’hui le brave ophtalmologue Bachar al-Assad. Cette vaste clique dûment médiatisée, téléguidée depuis Washington, imagine alors avoir jeté les bases d’une “démocratie” parlementaire à l’occidentale en Iran, avec des partis de gauche et des partis religieux (qui, avec l’aide de quelques ONG américaines, seraient devenus aussi inconsistants que les démocrates-chrétiens en Europe occidentale), flanqués de quelques libéraux agnostiques travaillant à maintenir “ouvertes” la société et l’économie iraniennes. C’était déjà le projet des Britanniques dans la première décennie du 20ème siècle: imposer à l’Iran une constitution de modèle belge. Les stratégistes américains étaient sûrement moins naïfs et plus cyniques: avec Khomeiny, et ses élucubrations, ils pensaient avoir trouvé le bonhomme qui allait plonger l’Iran dans le chaos et l’obscurantisme, ruinant du même coup tous les projets du Shah, projets modernisateurs et générateurs de puissance politique. A l’intérieur de la révolution iranienne cependant, les Pasdaran, ou “Gardiens de la Révolution”, dont faisait partie Ahmadinedjad, finissent par donner le ton et se révélent foncièrement anti-américains, au nom du théocratisme khomeiniste, certes, mais aussi au nom du nationalisme iranien (le souvenir de la révolution manquée de Mossadegh en 1953). Très rapidement, les relations s’enveniment: les Pasdaran prennent le personnel de l’ambassade américaine en otage. Riposte américaine: déclencher une guerre par personne interposée. Le champion de l’Amérique dans l’arène sera l’Irak nationaliste et sunnite de Saddam Hussein. Pendant huit années consécutives, les deux pays vont se déchirer au cours d’une guerre de position. L’Iran perd son trop-plein démographique: toute une jeunesse est sacrifiée dans la lutte contre l’Irak, soutenu aussi par l’Arabie saoudite, parce qu’il est tout à la fois arabe et sunnite. Le soutien occidental à Saddam Hussein n’est toutefois pas constant et total: quand les Irakiens conquièrent trop de terrain, les Etats-Unis, et même Israël, livrent des armes à l’Iran. Ce sera la fameuse affaire de l’Irangate.

 

 

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Les déboires d’Ahmadinedjad

 

Ahmadinedjad est dans le collimateur parce qu’il est certes un représentant de la “révolution khomeiniste” de 1978-79, parce qu’il est un ancien pasdaran qui a participé à la prise d’otages dans l’ambassade des Etats-Unis (ce qui est une entorse inacceptable aux règles de bienséance diplomatique) mais surtout parce que, derrière sa façade islamo-fondamentaliste et “khomeiniste”, il est pour l’essentiel un nationaliste iranien qui se rappelle de l’affaire Mossadegh de 1953 et qui veut moderniser son pays. Il annulle ainsi les espoirs des stratégistes américains des années 70 de voir l’Iran plonger pour longtemps dans un chaos passéiste (et non pas “progressiste” comme l’Europe; en bout de course, ce passéisme et ce progressisme, tous deux fabriqués, reviennent au même; tous deux plongent les polities, qui en sont affectées, dans l’impolitisme). Ahmadinedjad veut donc une modernisation, qui ne passe pas par un effacement des réflexes archaïques de l’islam et qui s’opère par l’adoption d’un programme nucléaire civil. C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter les heurts survenus, depuis la fin de l’année 2010, entre Ahmadinedjad et son entourage pasdaran, d’une part, et le pouvoir islamo-conservateur des mollahs antimodernistes, d’autre part. Cet affrontement tourne aujourd’hui au désavantage d’Ahmadinedjad. Il y a six jours, le 2 mars, celui-ci vient de subir une importante défaite électorale. La majorité est désormais aux mains des mollahs les plus conservateurs, regroupés autour de la personnalité de Seyyed Ali Khamenei. Les islamo-nationalistes d’Ahmadinedjad sont donc en minorité et affrontent toutes les manoeuvres de déstabilisation perpétrées par leurs adversaires. Notons au passage que ces élections n’ont amené au pouvoir aucun des “réformistes” soutenus par les médias occidentaux, tant les platitudes philosophiques, que l’on nous oblige à aduler aux nom des “Lumières”, font sourire l’électeur iranien, fût-il un homme modeste. Les forces en présence en Iran sont toutes, officiellement, hostiles à l’Occident. Ahmadinedjad, le 2 mars 2012, a perdu deux villes importantes, Ispahan et Tabriz, ce qui diminue considérablement ses chances pour les présidentielles de 2013. Les résultats de ces élections pourraient donc très bien annuler, à terme, les spéculations de guerre formulées à tour de bras par les médias, puisque le départ d’Ahmadinedjad, après un verdict négatif du scrutin présidentiel, n’autoriserait plus la propagande belliciste. Notons aussi que plusieurs figures de l’entourage d’Ahmadinedjad sont accusées de “sorcellerie” par les islamistes les plus intransigeants, qui font ainsi le jeu des Américains, dans la mesure où le résultat évident d’une éviction du pôle pasdaran de la révolution islamique de 1978-79, signifierait un arrêt du processus de modernisation de l’Iran, entre autres choses, par le truchement d’un programme nucléaire civil.

 

Dans la situation actuelle de l’Iran, il convient de retenir trois facteurs importants:

◊ L’embargo contre l’Iran ne fonctionne pas: le Pakistan, l’Inde et la Chine continuent à se fournir en brut iranien, tandis que le Japon se présente comme client depuis la fermeture de la centrale nucléaire de Fukushima. Deux options s’offrent alors à l’Amérique, qui entend réaliser dans la région, par aiilleurs incluse tout entière dans l’espace relevant de l’USCENTCOM, sa grande idée de marché du “Grand Moyen Orient”: ou le retour à un modus vivendi avec l’Iran ou la guerre.

 

Demain: un modus vivendi avec l’Iran?

 

◊ L’option de retrouver un modus vivendi avec l’Iran demeure toujours ouverte, à mon avis. Elle est formulée par le professeur irano-américain Trita Parsi (John Hopkins University), par une politologue comme Barbara Slavin (USA Today) et par un ancien haut fonctionnaire de la CIA, Robert Baer. L’Iran redeviendrait le principal allié des Etats-Unis dans la région, même avant Israël (ce qu’Israël ne souhaite pas car l’Etat hébreu serait alors obligé de composer avec les autorités palestiniennes) et, autour de la masse géographique compacte qu’est le territoire iranien, le fameux GMO pourrait enfin se former par agrégations successives. On reviendrait en quelque sorte à la case départ: l’espace de la “civilisation iranienne”, qu’évoquait le Shah dans ses mémoires, deviendrait le GMO, auquel il correspond dans une large mesure et où un nouvel Iran, dénationalisé et émasculé, en constituerait la masse géographique centrale (Trita Parsi). Il se constituerait sous l’égide américaine et damerait le pion à la Russie et à la Chine en Asie centrale, tandis que ce nouvel Iran, non nucléaire, pourrait exporter son pétrole vers l’Inde et le Japon, en consacrant sa rente pétrolière non pas à la création d’un outil nucléaire civil, ou à un équivalent chiite de la “révolution blanche” du Shah, mais à l’achat de produits américains destinés à la consommation de masse.

 

◊ L’autre option est celle que l’on craint en ce moment: la guerre. Vu la non intervention des Etats-Unis en Syrie, vu l’enlisement en Irak et en Afghanistan, vu aussi la discrétion de la participation américaine à l’hallali contre la Libye, vu les risques énormes qui risquent de survenir au Pakistan, il n’y a pas lieu de penser qu’une guerre future contre l’Iran se fera sur les modèles de 2001 (Afghanistan) et de 2003 (Irak), le territoire iranien étant trop vaste pour être quadrillé sans lourdes pertes et trop montagneux pour permettre des opérations aisées sur le plan conventionnel. La stratégie employée sera probablement double: encerclement/étranglement de l’Iran par l’installation de bases américaines dans tous les pays voisins, ce qui est déjà réalisé; ou bombardement des seuls sites nucléaires iraniens, comme Israël l’avait fait en Irak en 1981 (en apportant ainsi une aide indirecte à l’Iran de Khomeiny). Zbigniew Brzezinski est opposé à une guerre directe: pour ce stratégiste, théoricien de la maîtrise de la “Route de la Soie”, ce serait une catastrophe car les forces américaines y serait clouées plus longtemps encore qu’en Afghanistan, ce qui alourdirait le budget américain et fragiliserait la position hégémonique des Etats-Unis dans le monde, risquant aussi de ruiner le projet de GMO; ensuite l’Iran a la capacité de bloquer le trafic maritime dans le Golfe Persique, ce qui triplerait voire quadruplerait le prix du pétrole en quelques semaines seulement.

 

La Syrie

 

Le nom de la Syrie est ancien, il est celui d’une province romaine, qui n’a toutefois pas eu des frontières constantes. Dans la région, les Romains, puis les Byzantins, ont changé plusieurs fois le tracé des frontières provinciales de leur Empire. Après un premier effondrement des armées de l’Empire byzantin, la Syrie, jusqu’alors chrétienne, du moins depuis le règne de Constantin, est conquise par la première vague des combattants arabo-musulmans, sortis de la péninsule arabique sous la conduite des premiers héritiers de Mohamet. La Syrie, majoritairement sémitique dans sa population, et parlant araméen, s’assimilera vite au nouveau monde musulman. Ajoutons que dans l’Empire byzantin, secoué par les querelles entre iconodules (adorateurs d’images représentant Dieu, le Christ, Marie et les saints) et iconoclastes, hostiles à toute représentation du divin ou de figures divinisées par des images ou des sculptures, les Syriens étaient majoritairement iconoclastes, rejetaient les images comme le feront plus tard les musulmans, mais que les chrétiens araméens restitueront par fidélité à l’idéal religieux grec-orthodoxe. Ce ne sera pas le cas en Iran ou en Inde, terres non sémitiques, où images et miniatures, véritables chefs-d’oeuvre de finesse et de précision, seront longtemps une tradition. L’iconoclasme est une attitude religieuse souvent propre au monde sémitique, indépendamment de l’islam. L’iconodulisme est en revanche une option esthétique plutôt indo-européenne. Au début du 16ème siècle, la Syrie arabe est conquise par les Ottomans turcs, venus d’Anatolie, appuyés par des mercenaires ou des janissaires balkaniques. Pendant 400 ans, la Syrie sera une part constitutive importante de l’ensemble ottoman. Les Turcs, comme les Romains, modifieront souvent le tracé des frontières de leur province syrienne. Cette situation perdurera jusqu’en 1918 où, à l’issue de la première guerre mondiale, la Syrie, conquise par les Britanniques et les Arabes hachémites sous la conduite du fameux Lawrence d’Arabie, passe sous mandat français. Les Hachémites, pour prix de leurs efforts aux côtés des Britanniques, voulaient obtenir, pour l’un des leurs, le trône de Syrie. Ils souhaitaient qu’un royaume se constituât autour de Damas, pour se prolonger jusqu’au Sud de la Palestine et pour jouxter ainsi leurs terres ancestrales du Hedjaz dans l’Ouest de la péninsule arabique.

 

 

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Wahhabisme saoudien

 

Cette péninsule, matrice de l’islam, n’était pas, à l’époque un royaume uni: à l’Ouest, les Hachémites dominaient les terres du Hedjaz au Nord, tandis que le Yémen, jadis riche grâce à son commerce avec l’Afrique subsaharienne, dominait celles du Sud-Ouest. A l’Est, face aux côtes iraniennes du Golfe Persique, vivaient des tribus arabes chiites, en conflit larvé avec les sunnites d’obédience wahhabite. Au centre, dans le Nejd, régnaient les ressortissants de la famille des Séouds et les religieux wahhabites, inspirés par l’islam fondamentaliste, de facture hanbaliste, qu’avait théorisé un imam particulièrement combattif au 18ème siècle. Dans les années 30, les Séouds wahhabites vont conquérir toutes ces provinces périphériques, appuyé par un mouvement de combattants-pionniers, l’Ikhram. Les Hachémites devront quitter leurs terres d’origine et se contenter des trônes de Transjordanie et d’Irak, deux mandats britanniques. Les chiites de la péninsule arabique et des régions proches du Yémen vivront désormais sous le knout wahhabite. Forte du pétrole après les accords américano-saoudiens de 1945, suite à l’entrevue Roosevelt/Ibn Séoud sur un bâtiment de l’US Navy en Mer Rouge, l’Arabie saoudite soutient partout dans le monde les mouvements hanbalites, wahhabites et salafistes, avec la bénédiction tacite des Etats-Unis. Une figure, présentée comme le porte-paroles d’un islam modéré ou d’un très hypothétique “euro-islam” à faire émerger au sein de nos sociétés, telle Tariq Ramadan, appartient à cette mouvance. Il est le neveu de Saïd Ramadan, agent notoire de la CIA en Allemagne dès les années 50, appartenant au mouvement des Frères musulmans, également hanbalite et hostile au pouvoir pragmatique et efficace des “Jeunes officiers” égyptiens, autour de Gamal Abdel Nasser, affublé par ses ennemis fondamentalistes du sobriquet, soi-disant infâmant, de “Pharaon”. Saïd Ramadan contribuera à démanteler les réseaux musulmans travaillant pour les services allemands, des réseaux qui étaient, par la force des choses, plus pro-européens dans leurs options stratégiques, afin de les remplacer par des imams relevant de leur seule obédience et téléguidés par les Etats-Unis. Saïd Ramadan a brisé, et définitivement, les ressorts d’un véritable “euro-islam” que son neveu, paradoxalement, appelle de ses voeux, mais cette fois pour paralyser les polities européennes et faire émerger en leur sein des éventuelles “cinquièmes colonnes” au profit du tandem américano-wahhabite, véritable alliance entre les fondamentalismes protestant/puritain et islamiste.

 

Les espoirs hachémites de recevoir un trône à Damas étaient d’avance pures illusions. Les Accords Sykes-Picot de 1916 contenaient un protocole secret: la France devait recevoir le mandat de gérer le Liban et la Syrie; la Grande-Bretagne de gérer l’Irak, la Transjordanie et la Palestine. En 1917, Lord Balfour déclare que les Juifs pourront avoir “un foyer en Palestine”, ce qui ne signifie pas recevoir la Palestine (toute entière) comme foyer. Les Hachémites acceptent cette solution, donc aussi le foyer juif en Palestine, ce qui a pour effet aujourd’hui que toute une littérature palestinienne, non entachée de fondamentalisme, fustige cette attitude, notamment sous la plume d’un écrivain comme Said K. Aburish, auteur d’une saga familiale montrant la collusion hachémito-britannique et d’une histoire très critique de “l’ascension et du déclin de la famille Séoud”, mercenaire des intérêts américains. Une littérature que des “services” européens idéaux feraient bien de lire pour correspondre enfin à la qualité que préconise un Xavier Raufer, une qualité qui met la capacité de prévoir au premier rang de ses priorités. En 1918-19, les Hachémites acceptent cette présence sioniste parce que l’armée britannique –qui avance d’Aqaba à Damas et chasse les Turcs avec l’appui des cavaliers et chameliers arabes du Colonel Lawrence– est flanquée d’une “Jewish Legion”, composée pour partie de sionistes issus de Russie, qui étaient opposés à la révolution bolchevique et voulaient continuer la guerre aux côtés des alliés occidentaux. Parmi eux, Weizmann et Ben Gourion, ainsi que le sioniste de droite le plus virulent, qui, contrairement à ses jeunes disciples les plus radicaux, demeurera toujours fidèle aux Anglais: Vladimir Jabotinski. Au départ, Hachémites et sionistes étaient liés par leur commune appartenance aux armées de l’Empire britannique. La rupture entre Arabes et sionistes viendra plus tard, quand la majorité des colons juifs installés dans le “foyer juif en Palestine”, militeront dans des formations socialistes ou communistes, auxquelles s’opposeront les autochtones arabes, plus traditionnels dans leurs réflexes politiques.

 

Le mandat français

 

C’est dans le cadre de cette mutation post-ottomane que la Syrie tombe sous administration française et l’éphémère royaume syrien de l’Hachémite Fayçal est effacé de la carte, après une bataille où les Bédouins d’Arabie, ceux-là même qui avaient suivi Lawrence, sont écrasés à Maysalun: dans la foulée, Fayçal s’enfuit et les territoires accordés au titre de mandat à la France sont divisés, avec, d’une part, un “Grand Liban” (créé le 1 septembre 1920), dominé par les maronites chrétiens, et, d’autre part, une Syrie privée de presque tout son littoral. Les alliés avaient jugé que les peuples de la région n’étaient pas encore assez “mûrs” pour bénéficier d’une indépendance. D’où l’expédient du “mandat”. L’Irak recevra des Britanniques une indépendance formelle et limitée dès 1932 mais le nationalisme indépendantiste irakien se dressera contre Londres en 1941, sous l’impulsion du ministre Rachid Ali qui voudra s’aligner sur l’Axe. La Syrie devra attendre 1946 pour accéder à une indépendance complète.

 

Sultan_Pasha_al-Atrash.jpgLa période du régime français ne sera pas une ère de paix. Très vite, en 1925-26, la Syrie se révolte, à commencer par le “Djebel druze” dans le Sud, sous l’impulsion de Sultan Pacha al-Atrash (photo; 1891-1982) et sous la direction éclairée du Dr. Abd al-Rahman al-Shahbandar (1880-1940). Sultan Pacha al-Atrash avait déjà organisé des révoltes contre les Ottomans, récurrentes en Syrie depuis le début du 17ème siècle, ainsi qu’un premier soulèvement de peu d’ampleur en 1922-23. La révolte, druze au départ, générale par la suite, donne naissance à une idéologie nationaliste “grande syrienne”, visant l’unification des territoires aujourd’hui libanais, syriens et palestiniens, tout en manifestant une hostilité à la “Déclaration Balfour” (“Yasqut wa’d Balfour!”). Cette révolte, contrairement à celle d’aujourd’hui contre le pouvoir de Bachar al-Assad, était surtout le fait de la majorité sunnite: dans les minorités, sauf chez les Druzes d’al-Atrash, on cherchait plutôt la protection des Français. La révolte druze a donc été inattendue: c’est l’horreur qu’a provoqué un gouverneur local français, un certain Capitaine Carbillet, en voulant appliquer à la lettre les élucubrations “progressistes” et soi-disant “anti-féodales” de la révolution française et du jacobinisme le plus obtus, qui a déclenché le soulèvement. Carbillet et sa clique se mêlaient de tous les aspects de la vie des autochtones, critiquaient les traditions et les règles de leur droit traditionnel, dans une optique totalement différente de celle d’un Maréchal Lyautey au Maroc, soucieux de respecter les traditions politico-religieuses chérifaines. Trois chefs du clan al-Atrash furent attirés dans un piège par le Haut Commissaire français, le Général Maurice Sarrail, et emprisonnés à Palmyre: cette arrestation de trois parlementaires fut l’incident qui mit le feu aux poudres. En juillet 1925, les Druzes emportent une première victoire, qui est immédiatement suivie d’une répression impitoyable de la part de la puissance mandataire, ce qui entraîne l’adhésion à la révolte des nationalistes de Damas, menés par le Dr. Abd al-Rahman al-Shahbandar qui venait, le 5 juin 1925, de créer son parti, le “Parti du Peuple”. La colonne druze, en marche vers Damas, est défaite par l’aviation française et la cavalerie marocaine le 24 août. Les révoltés syriens optent alors pour la guérilla. Le 18 octobre, un commando d’une soixantaine d’insurgés s’infiltre dans Damas. Sarrail ordonne aussitôt de mitrailler et de bombarder la ville, lui infligeant des destructions effroyables, qui choquèrent les Britanniques et provoquèrent à Paris une campagne de presse hostile au Haut Commissaire, laché par la gauche et le parti “républicain”. La droite, qui n’aimait pas ce général “républicain” et maçon, ne l’épargna pas. Il mourut en mars 1928 dans l’indifférence générale.

 

 

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Projet de partition de la Syrie sous le mandat français

 

Il est remplacé par Henry de Jouvenel, un civil, qui ne parvient pas tout de suite à mater la révolte: elle se poursuivit pendant tout l’hiver, jusqu’au printemps de l’année 1926. Les insurgés campaient en lisière de Damas et harcelaient les troupes françaises. La répression fut très féroce: villages incendiés, habitants mâles massacrés, fusillades de prisonniers sur les places publiques de Damas, déportations de villageois soupçonnés de soutenir la rébellion, nouveaux bombardements de la capitale. A Hama, Fawzi al-Qawuqji, ancien officier ottoman passé aux troupes de Fayçal et Lawrence puis rallié à la France, déclenche une seconde révolte pour faire diversion et disperser les forces françaises, ce qui entraîne le bombardement de la ville et la destruction de ses plus beaux quartiers par des tirailleurs sénégalais excités par leurs officiers blancs.

 

La France empétrée dans le Rif, en Syrie et dans la Ruhr

 

La férocité de la répression, qui s’explique en partie parce que la France faisait face à deux révoltes simultanément; elle devait donc réagir vite devant ces deux dangers qui menaçaient ses positions à l’Ouest et à l’Est de la Méditerranée: en Syrie, elle peut agir seule; dans le Rif (au Maroc), elle doit se concerter avec l’Espagne. Les révoltes syrienne et rifaine sont aussi contemporaines de la grève générale des ouvriers allemands, dressés contre l’occupation de la Ruhr. Paris ne peut intervenir en Rhénanie avec toute la vigueur voulue, vu la mobilisation de ses forces au Levant et en Afrique du Nord. En Allemagne, elle n’a pas le soutien de Londres et ne peut compter que sur un soutien mitigé de la Belgique. Les événements de Syrie dans les années 20 du 20ème siècle sont peu connus, sont généralement oubliés et ne font l’objet d’études scientifiques que depuis peu de temps. Une fois la révolte syrienne matée et la guerre du Rif terminée, la France pratique au Levant la politique du “Divide ut impera”, créant des autonomies locales pour les chrétiens, les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Ces derniers bénéficient de largesses incroyables, dont ne bénéficiaient pas, à l’époque, les Bretons ou les Alsaciens, eux aussi à soumis à une féroce répression judiciaire parce qu’ils réclamaient des droits linguistiques. Les Kurdes, eux, peuvent parler leur langue, reconnue sur le plan administratif dans l’espace du mandat syrien. Le résultat de cette politique fait que la Syrie, jusque aujourd’hui, est restée un tissu de zones ethno-religieuses centrées autour de villes-marchés. Le pays est peu centralisé. Son unité politique, après la seconde guerre mondiale, est certes le résultats d’un nationalisme anti-français mais aussi une création due à l’action d’un parti nationaliste et socialiste, le “Baath”. L’idéologie de ce parti a été pour l’essentiel théorisée par des chrétiens du Levant. Le “Baath” accède au pouvoir en 1963, devenant du même coup l’assise portant l’Etat, même après les défaites militaires de 1967 et de 1973 face à Israël, à la suite desquelles survient le problème de l’eau, du “stress hydrique” du Golan, plateau regorgeant de sources, comme le Plateau de Langres en France, véritable château d’eau alimentant la Seine et plusieurs de ses affluents, la Meuse et la Sâone (affluent du Rhône).

 

L’armée, pilier modernisateur de l’Etat syrien

 

Le Baath organise la Syrie post-mandataire, après les hésitations des années 50, où la vie politique syrienne était troublée et indécise, comme en France sous la IV° République. Ce nouveau pouvoir baathiste est centré sur l’armée, qui devient l’école de la nation. Au sein du peuple, on recrute les jeunes hommes capables, on les forme, on en fait des officiers qui encadrent la nation.

 

36zagr.jpgDans un document militaire secret de 1966, cité par un historien de la Syrie qui fut diplomate néerlandais, Nikolaos van Dam (1), l’auteur anonyme rappelle que les “représentants de l’impérialisme” multiplient les efforts pour réserver l’encadrement de l’armée aux “classes bourgeoises” dans les pays en voie de développement. L’armée reste ainsi aux mains des mêmes oligarques et est maintenue à l’écart de la politique, réduisant de la sorte les armées à de simples “soupapes de sécurité” qu’on appelle uniquement en cas de besoin pour les renvoyer ensuite dans leurs casernes. Il faut donc remplacer l’armée de métier par une “armée idéologique”, explique l’officier baathiste anonyme qui a rédigé le document de 1966 dans le ton socialiste et “tiers-mondiste” de l’époque. Cette “armée idéologique” (donc, en l’occurrence, “baathiste”) doit travailler en permannence à réaliser les objectifs émancipateurs de la masse populaire et à éliminer les injustices. Le “soldat idéologique” est un homme dévoué à sa nation, qui a reçu une éducation adéquate, reposant sur les principes libérateurs et défensifs du Baath, “de manière à ce que l’on puisse se fier à lui, porteur d’une arme, afin qu’il soit une barrière insurmontable contre tous les ennemis: les ennemis de la nation arabe, les ennemis des classes deshéritées qui travaillent dur, les ennemis de l’Unité (syrienne), de la liberté et du socialisme, qu’ils soient des ennemis intérieurs ou extérieurs” (p. 171). “Dans une armée idéologique, les méthodes classiques et professionnelles, basées sur le mercenariat et sur la force aveugle, disparaissent et sont remplacées par de nouveaux rapports reposant sur l’attachement (à la nation), sur la compréhension mutuelle et sur une foi partagée en une destinée commune” (p. 171). “La nature de notre lutte pour l’indépendance, et le fait que les distinctions de classe tranchées n’existent pas dans notre société, a ouvert la possibilité à un groupe de fils de paysans, de travailleurs, de personnes ne disposant pas de gros revenus, d’entrer à l’Académie Militaire (...) pour devenir plus tard le noyau dur révolutionnaire de l’armée, lui permettant de réaliser son rôle historique qui est de superviser la vie du pays et de la nation arabe...” (p. 172). L’armée est donc une “milice” constituée d’un type nouveau de “moine-soldat”, ancré dans la substance populaire.

 

Le Baath et l’armée contre les “Frères Musulmans”

 

Cette valorisation laïque de l’armée comme “bouclier” contre les facteurs de désunion et de sectarisme a pour mission de créer un “Syrien nouveau”, détaché de toutes les formes de sectarisme religieux conduisant à toutes sortes de séditions (le “factionalisme”). La mise sur pied d’une telle “armée idéologique” implique de supprimer, dans la société syrienne, toutes les discriminations imposées parfois aux minorités comme les chrétiens (11% de la population), aux Druzes et aux Alaouites (dont est issu le clan al-Assad). L’objectif des nationalistes syriens d’inspiration baathiste était donc de mettre fin à toutes les polarisations opposant les Sunnites (majoritaires) aux minorités religieuses, d’éliminer le “factionalisme” druze au sein des forces armées et de contrer les menées des Frères Musulmans, incitant les Sunnites majoritaires à discriminer les représentants d’autres communautés religieuses. Aujourd’hui nous assistons à la revanche des “Frères”, dont une révolte, en 1982, avait été matée à Hama par l’action conjuguée de l’armée et des milices baathistes. Cette insurrection de Hama venait après une tentative d’assassinat du Président Hafez al-Assad par les “Frères” le 26 juin 1980. C’est à partir de ces événements sanglants que le binôme armée/parti a reçu une coloration plus “alaouite”. Depuis lors, une guerre civile larvée oppose les “Frères” aux Alaouites et aux baathistes. Le déchaînement actuel des passions, exploité par Israël, les Etats-Unis (avec son élite “puritaine” protestante), la France (avec ses “nouveaux philosophes”’), le Qatar et les Wahhabites saoudiens, s’explique par l’alliance entre ces puissances et les “Frères” pour éliminer un régime lié à l’Iran (vu la parenté religieuse entres Chiites iraniens et Alaouites syriens) et allié à la Russie (à laquelle il accorde des facilités maritimes et navales sur la côte méditerranéenne). La guerre civile actuelle a été annoncée voici trente-deux ans dans une “Déclaration de la Révolution islamique en Syrie”, proclamée en novembre 1980. Cette déclaration appelait les Alaouites “à venir à la raison avant qu’il ne soit trop tard” (p. 107). C’est également dans cette “Déclaration” de novembre 1980, qui promet de “garantir les droits de toutes les minorités”, que les Alaouites sont déclarés “kuffar”, c’est-à-dire “hérétiques” ou “rénégats” de la vraie foi et “idolâtres” (“mouchrikoun”), donc cibles idéales d’une djihad permanente. Contre la volonté de l’“armée idéologique” de demeurer “laïque”, “transconfessionnelle” et “anti-factionaliste”, la “Déclaration” des “Frères” entend au contraire vider l’armée de tous ses éléments non sunnites, appartenant aux “minorités”, afin qu’elle ne réflète que la seule majorité jugée “orthodoxe”, à l’exclusion de tous ceux que l’on campe comme “hérétiques” ou “idolâtres”. Des événements tragiques ont secoué la Syrie en 1981: les “Frères” commettaient des attentats sanglants à Damas contre l’armée et contre le bureau du Premier Ministre; en Egypte, ils assassinaient Sadate (6 octobre). Ces violences ont été le prélude des événements actuels et présentent les mêmes clivages, sauf que le camp des “Frères”, à l’époque, ne bénéficiaient pas du soutien des bellicistes américains et de leurs porte-voix européens. Fin février 1982, cette première guerre civile syrienne prend fin.

 

Les Alaouites, facteur peu connu en Europe occidentale

 

Les Alaouites sont un facteur peu connu en Europe occidentale. On ne peut faire toutefois l’équation entre les Alaouites syriens, chiites, et les Alevis turcs, également victimes de la majorité sunnite. En Turquie, les Alevis sont soit des chiites déguisés en milieu majoritairement sunnite, comme en Syrie, soit des convertis récents ou moins récents, qui ont bien voulu devenir musulmans pour sortir de la “dhimmitude” sans pour autant adhérer aux rigorismes du sunnisme orthodoxe et pour garder une religiosité joyeuse et festive. Parmi les Alevis turcs, on trouve aussi des chamanistes centre-asiatiques (issus des groupes de cavaliers turkmènes ou ouzbeks recrutés par l’armée ottomane), des chrétiens orthodoxes, grecs ou arméniens, des zoroastriens (notamment parmi les Kurdes) voire des juifs, notamment de rite hassidique. Actuellement, bon nombre d’Alevis turcs soutiennent l’armée contre le néo-islamisme d’Erdogan. Pour eux, l’armée turque, laïque, est un rempart contre les exactions sunnites qui n’ont pas manqué de se manifester brutalement: plusieurs pogroms anti-alévis ont effectivement eu lieu en Turquie au cours de ces deux dernières décennies. En Turquie, les Alevis sont donc un mélange de convertis en surface. En Syrie, ce sont des chiites qui ont quelque peu modifié leurs rites pour survivre au sein d’un Empire ottoman majoritairement sunnite. La disparition de la tutelle ottomane après 1918 a rendu aux Alaouites syriens la possibilité de se rapprocher du chiisme, ce qui explique l’alliance iranienne actuelle. En Turquie, la prise du pouvoir par Erdogan et l’AKP, il y a dix ans, a amorcé un processus de démantèlement de cette armée laïque, voulue par Mustafa Kemal Atatürk. Le binôme Erodgan/Gül représente un islam, apparemment modéré, qui veut assurer la prééminence du sunnisme en Turquie. Les deux hommes ont milité dans le mouvement “Milli Görüs”, jadis jugé “extrémiste” par le “Verfassungschutz” allemand. Ce mouvement, à la fois nationaliste et islamiste, s’est fait le relais de ceux qui ont toujours voulu maintenir ou restaurer la domination du sunnisme propre à l’Empire ottoman, un sunnisme mis à l’écart sous la république fondée par Atatürk. Avec l’AKP d’Erdogan, ce sunnisme évincé va prendre sa revanche et chasser à son tour l’armée turque du pouvoir qu’elle détenait depuis près de huit décennies. Avec Gül, qui a des liens avec les Frères musulmans, cette tendance s’accentuera et explique pourquoi la rupture s’est effectuée entre la Turquie et la Syrie en août 2011: Gül avait demandé à Bachar al-Assad de prendre des “Frères” dans son gouvernement. Pour le leader syrien, c’est là une requête impensable, vu les événements de 1980-82 à Hama et à Damas, où les “Frères” ont déclenché une guerre civile dans le but d’éliminer tous les ressortissants de minorités religieuses (chrétiennes comme musulmanes) de l’appareil de l’Etat. L’acceptation de “Frères” dans un gouvernement syrien aurait signifié un abondon total et complet de l’option “transconfessionnelle” du baathisme et la fin de la domination discrète, non officielle, des clans alaouites. Dans la querelle qui a opposé Bachar al-Assad et le binôme Gül/Erdogan en août 2011, le président syrien a refusé la centralisation sunnite hostile aux minorités et maintenu son adhésion aux principes “transconfessionnels” du baathisme, pour qui le “sectarisme”, d’où qu’il vienne, fût-ce de la majorité, ruine le projet d’une grande Syrie forte, arabe et socialiste, où tout exclusivisme islamiste empêcherait la fusion avec un Liban partiellement chrétien. Pour les islamistes, dits “modérés”, autour de Gül et Erdogan, al-Assad est un “anti-démocrate”, tel que le fustige l’Occident des ONG américaines et des “nouveaux philosophes” de Paris. Pour les alliés saoudiens ou qataris de ces fondations américaines ou de ces pseudo-philosophes du “prêt-à-penser”, al-Assad, en tant qu’Alaouite est un “hérétique”: nous avons là la collusion des fondamentalismes bellicistes, l’islamiste et l’occidentaliste.

 

L’alliance entre Saoudiens, Al-Qaedistes et Américains

 

Les Saoudiens, dans ce jeu, luttent donc contre les Alaouites, considérés comme “hérétiques”, et contre tout Etat, dans l’aire arabo-musulmane, qui fonctionne correctement mais sans se référer à des idéologèmes coraniques. Ce que nous pourrions considérer comme de la “bonne gouvernance” au Proche et au Moyen Orient, parce qu’elle assure la paix civile, difficile à imposer dans un espace où il y a tant de turbulences permanentes, est dénoncée comme “mauvaise gouvernance” par l’alliance étonnante que représentent aujourd’hui les Etats-Unis, la nouvelle philosophie, la nouvelle gauche soixante-huitarde marquée par cette “nouvelle philosophie”, les “Frères Musulmans” et le fondamentalisme islamiste de facture wahhabite. Nous vivons ici une situation confuse et floue (à dessein), martelée par les médias conformistes, comme l’avait déjà dénoncée un Georges Orwell, quand il disait que “la vérité est mensonge et le mensonge, vérité”. Dans le cadre de la collusion entre Wahhabites et occidentalistes (soi-disant de “gauche”), signalons tout de même qu’Abdel Hakim Belhaj, combattant d’Al Qaeda devenu gouverneur de Tripoli en Libye suite à l’élimination de Kadhafi, soutient la politique belliciste de l’américanosphère et donc le discours sur les “droits de l’homme” que débitent depuis trente-cinq ans les philosophes bellicistes de la place de Paris. Curieux allié! De même, Ayman al-Zahwari, chef d’Al Qaeda depuis la mort de Ben Laden, appelle à la djihad contre la Syrie. Il ajoute, pour rendre la situation plus confuse encore pour les ignorants et les crédules, qui avalent tout ce que racontent les médias, que Bachar al-Assad est un allié des Etats-Unis... On s’aperçoit des “trucs” de la manipulation planétaire: devant un public arabe, on accuse le “grand méchant” du moment d’être un allié des Etats-Unis; en Europe, on raconte qu’il est un “ennemi de la démocratie”, donc de l’Occident. Pendant ce temps, la télévision iranienne, qui, elle, soutient al-Assad, au nom d’une solidarité entre chiites, dénonce l’alliance entre “les Frères Musulmans, la maison royale des Séouds, les cabbalistes juifs et la franc-maçonnerie des services secrets anglo-saxons avec leurs rituels paléo-égyptiens”. Dont acte. En Flandre, on a peine à imaginer qu’est désormais allié à Al Qaeda le sycophante libéral-thatchérien Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge du gouvernement “arc-en-ciel” et nouvel ami du belliciste vert Cohn-Bendit (celui qui, vu ses obsessions d’ordre sexuel, devait “aller se tremper le cul dans une piscine” selon le ministre de De Gaulle, Alain Peyrefitte). Eh oui, ce Verhofstadt hurle dans le même concert qu’Ayman al-Zawahri, chef d’Al Qaeda!

 

L’embarras d’Israël

 

Israël a une position mitigée. Pourquoi? Tel Aviv souhaite la stabilité dans les conflits régionaux, dont il est partie prenante, veut des ennemis bien profilés, auxquels il s’est habitué au fil du temps et des affrontements. Déjà, la disparition de Moubarak en Egypte fragilise les positions israéliennes sur le front du Sinaï, les néo-islamistes sunnites égyptiens pouvant dans un avenir plus ou moins proche être prompts à aider les combattants du Hamas, lui aussi sunnite, ce qui mettrait en danger la frontière israélienne dans le Neguev, surtout après l’abandon du Sinaï lorsque la paix a été signée avec l’Egypte de Sadate et Moubarak. Alors, si al-Assad tombe, qui viendra au pouvoir après lui à Damas? Les “Frères”? Des Wahhabites assimilables à Al-Qaeda? Ou sera-ce le chaos complet? Certes, Israël déteste Bachar al-Assad, surtout pour son soutien au Hizbollah chiite, pour être le fils de son père Hafez al-Assad qui avait refusé de signer les accords sur le Golan et pour son alliance panchiite avec l’Iran d’Ahmadinedjad. Mais Israël sait que l’Iran a toujours, au cours de son histoire plurimillénaire, soutenu des sectes, des mouvements religieux, des séditions politico-religieuses et surtout le particularisme juif dans l’espace syro-palestinien, contre les Romains (on peut avancer l’hypothèse que les Esséniens et les premiers Chrétiens étaient une de ces antennes parthes dirigées contre Rome), puis, plus tard, contre les Byzantins, les Ottomans et aujourd’hui contre l’alliance américano-israélienne. Cette donne était connue des services israéliens, qui avaient parfaitement su gérer l’antagonisme qui les opposait à Damas: quid, s’il faut changer demain de stratégie, former de nouveaux agents, repérer de nouveaux ennemis, tenir d’autres discours dans les médias au risque de troubler un électorat israélien déjà suffisamment composite et versatile? Israël, suite aux suggestions d’un Colonel américain, Ralph Peters, propose une division de la Syrie en petits Etats ethnico-religieux, exactement comme l’avaient voulu les Français, à l’époque du mandat. Par ailleurs, si al-Assad soutient le Hizbollah chiite et anti-israélien, vainqueur de Tsahal au Liban pendant l’été 2006, le Hamas palestinien, lui, sunnite et tout autant anti-israélien notamment dans son bastion de la Bande de Gaza, soutient les insurgés anti-baathistes de Syrie, au même titre qu’Erdogan et les “nouveaux philosophes”, dont beaucoup de réclament d’une “judéité” franco-républicaine et émancipée à la sauce 68. Or voilà que ces petits messieurs tout pleins de jactance et d’hystérie, ces pompeux donneurs de leçons, ces “intellectuels faussaires”, souvent pro-sionistes à tous crins, se retrouvent dans le même bâteau que les sectataires du Hamas! Raison supplémentaire pour dire qu’Israël aurait préféré le statu quo à la nouvelle soupe, au nouvel imbroglio!

 

Les thèses historiques de Luttwak sur les empires romain et byzantin

 

Parmi les voisins d’Israël, la Syrie dispose de la meilleure armée. C’est un motif pour Israël de voir disparaître le système baathiste qui inspire force, puissance et popularité à la chose militaire en Syrie. Mais, par ailleurs, l’armée et le baathisme sont des phénomènes connus de l’Etat hébreu qui savait comment y faire face. Pour les Etats-Unis, la campagne médiatique contre la Syrie, le baathisme et le pouvoir alaouite et l’orchestration de la guerre civile sont des actions dirigées non pas tant contre la Syrie en soi, avec laquelle ils s’étaient accommodés jusqu’ici, mais contre l’Iran dont le seul allié, en dehors du vieux territoire persan, est désormais la Syrie du clan al-Assad, pourtant alliée des Etats-Unis lors de la première guerre contre l’Irak.

 

 

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Si l’allié syrien (et donc méditerranéen) de l’Iran est éliminé, celui-ci est aussitôt affaibli. En déployant cette stratégie, les Etats-Unis se prennent, comme ils aiment à le faire depuis une ou deux décennies, pour les héritiers géopolitiques de Rome dans la région. Afin d’expliquer les turbulences post-soviétiques en Asie centrale, le long de la “Route de la Soie”, on se réfère souvent à la géostratégie mise au point par Zbigniew Brzezinski dans plusieurs ouvrages, articles ou essais, dont “Le grand échiquier” (“The Grand Chessboard”). On parle beaucoup moins des travaux historiques d’Edward Luttwak sur la stratégie de l’Empire romain, publié fin des années 80 et sur la stratégie de l’Empire byzantin, paru plus récemment. L’ouvrage sur la stratégie de l’Empire romain explique comment il faut tenir la “trouée pannonienne”, soit l’espace aujourd’hui hongrois entre Danube et Tisza, et le Delta du Danube ou la Dobroudja (frontière roumano-bulgare), pour se rendre maître de tout l’espace méditerranéen et sud-européen (à l’Ouest du Rhin et au Sud du Danube). L’ouvrage sur l’Empire byzantin explique les stratégies à adopter pour la maîtrise des Balkans (ce qui est accessoire pour les Etats-Unis maintenant) et pour la domination du Proche Orient ou Levant, ce qui nous ramène à la problématique que nous abordons aujourd’hui. Les Etats-Unis (avec leur appendice israélien) se trouvent face à l’Iran dans la région, exactement comme l’Empire romain du temps des Parthes (bataille de Carrhae en 53 av. J.C.; maîtrise très momentanée des provinces d’Assyria et de Mesopotamia entre 115 et 117) ou que l’Empire byzantin face aux Sassanides.

 

Le jeu dissimulé du néo-ottomanisme

 

Les enjeux de la lutte entre Rome et Byzance, d’une part, et les Parthes ou la Perse, d’autre part, se situent tous à l’Est du territoire syrien actuel, zone d’affrontements entre empires depuis la plus haute antiquité, depuis l’Empire hittite et les royaumes Mittani. Même si aujourd’hui les Etats-Unis dominent les territoires assyriens et mésopotamiens d’Irak, que Rome n’a pu contrôler que pendant deux ans, l’Iran conserve un atout dans cette région fragile, celui de pouvoir inciter les populations chiites à la révolte. L’instabilité irakienne actuelle prouve amplement cette hypothèse, que l’on relativisera en rappelant que les attentats anti-chiites qui ponctuent la vie quotidienne à Badgad sont sans nul doute des formes particulièrement cruelles d’intimidation de la population chiite arabe du Sud du pays, alliées potentielles des Iraniens. La stratégie persane a toujours été par ailleurs, du temps des Romains comme du temps des Byzantins, de semer des troubles, par sectes ou communautés religieuses interposées, dans l’espace syrien (du Taurus au Sinaï). Bachar al-Assad et son clan alaouite servent de levier éventuel aux Iraniens dans la région du Levant, où Ahmadinedjad et les mollahs y sont les héritiers stratégiques des Parthes et des Sassanides: c’est ce levier potentiel que les Etats-Unis entendent détruire aujourd’hui, comme les Romains et les Byzantins souhaitaient se débarrasser de tous les alliés potentiels des Parthes ou des Sassanides. Si on rappelle que, pour bon nombre d’observateurs et d’historiens, l’Empire ottoman était, volens nolens, l’héritier stratégique de Rome et de Byzance dans la région depuis sa conquête de la Syrie et de la Palestine au 16ème siècle, le néo-ottomanisme d’Erdogan, Gül et Davutoglu pourrait s’interpréter comme une stratégie indirecte des Etats-Unis contre l’Iran, dans la mesure où l’allié turc au sein de l’OTAN opte pour une forme de diplomatie apparemment indépendante, ancrée dans l’histoire locale sans plus faire référence à l’universalisme occidentaliste, une nouvelle diplomatie turque qui reste malgré tout, malgré son travestissement en néo-islamisme sunnite, “romaine-byzantine” dans son essence, donc anti-perse et conforme aux visions américaines théorisées par Luttwak. Byzance avait en effet voulu reconquérir l’Ouest de l’Empire romain d’Occident (jusqu’à l’Espagne) afin de disposer de suffisamment de ressources pour affronter les Sassanides, tout en défendant la Syrie contre les infiltrations perses et en pariant sur les chrétiens de la péninsule arabique contre les païens arabes et les Juifs, alliés des Sassanides. Aujourd’hui, les chiites ou les alaouites voire bon nombre de chrétiens araméens remplacent les païens sémites et les Juifs d’Arabie dans le jeu de l’Iran, tandis que les chrétiens arabes pro-byzantins des 6ème et 7ème siècles sont remplacés par les sunnites turcs, saoudiens et les “Frères Musulmans” dans la stratégie néo-byzantine commune des Etats-Unis, de la Turquie, des Frères Musulmans et des wahhabites saoudiens contre la Syrie et l’Iran.

 

L’Iran, dans ce contexte conflictuel, n’a plus guère d’alliés: au Liban, le Hizbollah, certes vainqueur en 2006, est sur la défensive et ne peut contrôler l’ensemble du pays. La Syrie est pour le moment neutralisée par une guerre civile dont on ne peut prévoir l’issue (sera-ce comme en Syrie même au printemps 1982 ou comme en Libye en 2011?). La Libye est hors jeu et appartient désormais à la zone “OTAN”, tout en étant gouvernée par des anciens activistes d’Al-Qaeda (à BHL, la jactance, aux al-qaedistes, le terrain). L’Erythrée et le Soudan, plutôt favorables à l’Iran, sont trop éloignés. Si la Syrie tombe et devient ipso facto une arrière-cours de la Turquie, membre de l’OTAN, le Hizbollah disparaîtra faute de soutien, ce qui soulagera Israël. L’Iran ne disposera plus d’une “tête de pont” sur la côte méditerranéenne. La France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont donc soutenu d’anciens activistes d’Al-Qaeda en Libye et en soutiennent d’autres, avec les “Frères Musulmans”, en Syrie aujourd’hui. L’opposition syrienne reçoit 6 milliards de dollars par an. Ce soutien à des activistes d’Al-Qaeda doit nous contraindre à poser une question: qui était réellement Ben Laden? Un militant religieux anti-impérialiste ou un agent des Etats-Unis, appelé à lancer partout des opérations “fausse bannière” (false flag)? La question demeure ouverte...

 

Conclusion

 

Nous venons d’expliciter les racines du conflit syrien actuel, qui remonte au mandat français, aux troubles des années post-mandataires et à l’insurrection anti-baathiste des “Frères Musulmans” entre 1980 et 1982. Revenons aux événements d’aujourd’hui, sur le terrain. A Homs, récemment, l’armée régulière syrienne a capturé 1500 prisonniers, appartenant à l’armée des insurgés: la plupart de ces combattants étaient des étrangers; parmi eux, douze Français, dont un colonel de la DSGE. Cet épisode est tu ou minimisé par les médias. La France négocierait la libération de ses ressortissants en demandant l’intercession de la Russie de Poutine. Sarközy et Cameron, dans une déclaration commune, avaient annoncé “que les coupables seraient punis”, avouant, en quelque sorte, qu’il y a bel et bien intervention occidentale aux côtés des insurgés syriens or l’article 68 de la Constitution française stipule “qu’il est interdit de mener une guerre secrètement sans l’approbation du Parlement sous peine d’être déféré devant la Haute Cour de Justice”. Alors, dans le cas qui nous préoccupe, y a-t-il, en France aujourd’hui, “estompement de la norme” comme on dit pudiquement en Belgique quand la justice ne fait pas correctement son travail...? A la fin du mois de février 2012, 75 pays se sont réunis à Tunis pour décider de geler les avoirs de la Banque Nationale de Syrie, pour entendre l’Arabie saoudite déclarer qu’elle allait financer les rebelles syriens et leur fournir des armes (celles-ci viennent alors d‘un pays arabe et non pas d’une puissance occidentale que l’on pourrait accuser de “néo-colonialisme”). De son côté, Hilary Clinton menace: “Assad paiera le prix fort pour avoir bafoué les droits de l’homme, ses jours sont comptés”. Comme étaient comptés les jours de Kadhafi? Devons-nous réellement participer à ce genre de chasse à l’homme digne du Far West? Devons-nous tolérer qu’un homme politique fini et usé comme Verhofstadt cherche encore à se faire de la publicité en appelant au carnage comme il le fit déjà pour la Libye? Le “Conseil National Syrien” (CNS), embryon d’un gouvernement post-Assad, déclare certes qu’il protègera les minorités, tenant ainsi exactement le même langage que les Frères Musulmans en 1980-81 qui, simultanément, demandaient l’exclusion de tous les minoritaires hors des rouages de l’Etat. Les minorités pour leur part sont inquiètes et soutiennent plutôt le régime baathiste ou cherchent la protection des Russes comme au temps de l’Empire ottoman. Elles ont le souvenir de ce qui est advenu des chrétiens (toutes obédiences confondues) en Irak, elles savent ce qui advient des Coptes d’Egypte et elles se rappellent des incendies des monastères orthodoxes serbes par les bandes kosovars. Dans le monde arabe, les minorités, chrétiennes, chiites ou autres, ne survivent que sous les régimes laïques et militaires, où elles ne sont pas réduites à des communautés de citoyens de seconde zone. Elles sont persécutées quand les “Frères Musulmans” ou les wahhabites ou les salafistes prennent le pouvoir car, pour elles, c’est alors le retour à une dhimmitude pure et dure.

 

L’Europe, si elle avait été un véritable sujet politique, aurait dû plaider pour le statu quo en Libye, en Egypte et en Syrie, quitte à négocier dur avec les pouvoirs militaires ou avec les dynastes “kleptocrates” en place pour aboutir à des solutions satisfaisantes. Avec le mixte explosif de “Frères” et d’Al-Qaedistes arrivé au pouvoir avec l’appui diplomatique d’Hilary Clinton, avec les avions de combat de Sarközy et de l’OTAN, avec les mercenaires recrutés par le Qatar, grâce aussi au relais médiatique qu’ont été BHL et ses imitateurs, l’Europe, voisine immédiate de l’Afrique du Nord et du Levant, est désormais cernée sur son flanc méridional par une zone de turbulences sur laquelle elle n’a plus le moindre contrôle ni la moindre influence, vu la cassure Europe/Islam due à un rejet général, dans tous les pays européens, de l’immigration en provenance des pays musulmans, vu la disparition des laïcismes militaires et la fin annoncée des communautés chrétiennes d’Orient (lesquelles servaient jadis d’interfaces entre les deux aires civilisationnelles). La crise économique, surtout dans des pays comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie, fragilise encore davantage ce flanc sud de notre sous-continent. C’est la raison pour laquelle il faut se montrer extrêmement vigilant en trois points: le détroit de Gibraltar, l’espace maritime entre Sicile et Tunisie, l’Egée, sans oublier Chypre. Ces zones doivent être verrouillées, soustraites par tous les moyens à des influences dangereuses ou des flux migratoires déséquilibrants; il ne faut faire, en ces zones-clefs, aucune concession d’ordre géopolitique.

 

Les désastres libyen, égyptien, tunisien et syrien démontrent, s’il fallait encore le démontrer, que les interventions, directes ou déguisées, des Etats-Unis dans le Vieux Monde, et plus particulièrement, en ce qui nous concerne, dans l’espace euro-méditerranéen ou proche-oriental, ne conduisent qu’à des désordres difficilement surmontables, qu’à des ressacs de puissance pour l’Europe (et, partant, pour toutes les puissances européennes en dépit de la subsistance tenace d’antagonismes inter-européens, hélas toujours repérables). Carl Schmitt et Karl Haushofer nous ont rendu attentifs à ce type d’intervention “hors espace”, qui représentent toujours des modi operandi équivalant à des guerres indirectes perpétrées par les puissances thalassocratiques contre les puissances continentales ou contre les puissances du “rimland”, mi-maritimes (ou potentiellement maritimes) et mi-continentales. Les interventions “hors espace” (“raumfremd”) ne visent pas l’ordre mais le désordre, le chaos; elles visent à affaiblir à moyen ou long terme des puissances posées clairement comme ennemies ou qui sont simplement différentes, émergentes ou potentiellement génantes. Les collaborateurs européens de ces entreprises américaines (par immixtions saoudiennes et qataries interposées) sont des traitres purs et simples à l’endroit de leurs propres polities ou des opportunistes, en quête d’un privilège quelconque, ou des naïfs, incapables d’analyser la situation historique de grandes régions proches de l’Europe dont le devenir, positif ou négatif, influence nécessairement la marche des affaires en notre sous-contient et qui, de plus, ont une importance géostratégique cruciale sur la masse continentale eurasiatique et sur le pourtour de l’Océan Indien et des mers annexes, comme le Golfe ou la Mer Rouge, qui s’approchent, en leurs extrémités de la Méditerranée orientale. Il y a bel et bien une alliance entre Washington et les fondamentalistes islamistes contre l’Europe et, aujourd’hui, contre la principale puissance du concert européen, c’est-à-dire la Russie de Poutine, lequel d’après les dépêches détournées par Julian Assange dans le cadre de l’affaire dite de “Wikileaks”, est le seul personnage politique de caractère en Europe.

 

Robert STEUCKERS.

 

Notes:

 

(1) Nikolaos van DAM, The Struggle for Power in Syria – Politics and Society under Asad and the Ba’th Party, I. B. Tauris, London, 1979-2011.

 

Bibliographie:

 

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-          Mohamed SIFAOUI, “L’oncle Sam et les Frères musulmans”, sur http://mediabenews.wordpress.com/

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-          Claudia STODTE, “Laila unter der Lupe”, in: Der Spiegel/Geschichte, Nr. 2/2010.

-          Stéphane de TAPIA, “Tigre et Euphrate: les positions turques”, in: Moyen-Orient, n°4, févr.-mars 2010.

-          Bernhard TOMASCHITZ, “Contre la Syrie, les armes de la subversion”, sur http://euro-synergies.hautetfort.com/ (original allemand in: zur Zeit, Nr. 3/2012).

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-          Tigrane YEGAVIAN, “Le chaudron syrien”, in: Carto, n°6, juillet-août 2011.

-          Tigrane YEGAVIAN, “Repères minorités: les relatios entre les chrétiens et le régime Al-Assad”, in: Moyen-Orient, n°12, oct.-déc. 2011.

 

Articles anonymes:

 

-          AA, “Un plan israélien pour le démembrement de la Syrie”, sur: http://french.irib.ir/info/

-          AA, “Le rapport de la Ligue Arabe donne des preuves de l’implication de la CIA, du MI6 et du Mossad derrière les violences en Syrie”, sur http://mediabenews.wordpress.com/

-          AA, “La crise iranienne de plus en plus intégrée dans la crise générale”, sur http://mbm.hautetfort.com/ (11/01/2012).

-          AA, “Survol historique de la Syrie et des Alaouites”, sur http://mediabenews.wordpress.com/ (24/01/2012).

 

Ouvrages/Articles lus après rédaction:

 

-          Paul DELMOTTE, “Le retour du Colonel Peters”, sur http://mbm.hautetfort.com/ (04/05/2012).

-          Mathieu GUIDERE, “Nouvelle géopolitique de l’islamisme”, in: Moyen-Orient, n°15, juillet-sept. 2012.

-          Bernard HOURCADE, “Iran-Occident: la fin d’une guerre froide?”, in: Moyen-Orient, n°15, juillet-sept. 2012.

-          Tancrède JOSSERAN, Florian LOUIS & Frédéric PICHON, Géopolitique du Moyen-orient et de l’Afrique du Nord – Du Maroc à l’Iran, PUF, Paris, 2012.

-          Peter LOGGHE, “Domineert Qatar straks de gehele Arabische ruimte?”, in Nieuwsbrief Deltastichting, Nr. 57, Maart 2012.

-          Michael LÜDERS, Iran: Der falsche Krieg – Wie der Westen seine Zukunft verspielt, C. H. Beck, München, 2012.

-          Romain MIELCAREK, “Syrie: du mensonge à la vérité – le jeu dangereux de la propagande”, in: Pays émergents, mai-juin 2012.

-          Mansouria MOKHEFI, “Le Golfe arabo-persique, quelle puissance arabe?”, in: Moyen-Orient, n°15, juillet-sept. 2012.

-          Valentina NAPOLITANO, “Le Hamas dans la tourmente révolutionnaire syrienne”, in: Moyen-Orient, n°15, juillet-sept. 2012.

-          Antoine UYTTERHAEGHE, “Syrië, de strategische inzet”, sur http://www.uitpers.be/ (12/03/2012).

-          Claus WOLFSCHLAG, “Mediales Trauerspiel im Syrienkonflikt”, sur http://www.jungefreiheit.de/ (19/04/2012).

-          Tigrane YEGAVIAN, “L’impasse syrienne”, in: Carto, n°12, juillet-août 2012.

 

vendredi, 15 juin 2012

Les tensions augmentent entre l’Iran et l’Azerbaïdjan

Les tensions augmentent entre l’Iran et l’Azerbaïdjan

Ex: http://medianews.wordpress.com/

Les relations déjà tendues entre l’Iran et l’Azerbaïdjan qui opère comme un avant-poste des Etats-Unis et d’Israël dans la mer Caspienne, ont continué de se détériorer ces derniers jours.

 

Il y avait eu un durcissement de ton de part et d’autre suite au Concours Eurovision de la Chanson qui s’est tenu cette année à Bakou. Le 29 mai, l’Azerbaïdjan avait empêché un influent imam iranien d’entrer dans le pays après que les Islamistes iraniens ont qualifié le concours de la chanson de « parade pour homosexuels. » Il y a eu des protestations réciproques dans les deux pays durant le concours. Téhéran et Bakou ont depuis tous deux rappelé leur ambassadeur.

Le 30 mai, le gouvernement de Bakou avait aussi envoyé une note à Téhéran lui demandant des informations sur le lieu de séjour de deux écrivains d’Azerbaïdjan qui auraient disparu en Iran. Les médias russes parlent maintenant ouvertement d’une « guerre diplomatique. »

La raison de ces relations tendues est l’étroite collaboration de l’Azerbaïdjan avec les Etats-Unis et Israël dans les préparatifs de guerre contre l’Iran. Téhéran a accusé plusieurs fois le gouvernement de Bakou d’être impliqué dans les assassinats de scientifiques nucléaires iraniens qui ont été très probablement perpétrés par des agences du renseignement américain et israélien. L’Iran se sent à juste titre menacé par le réarmement systématique de l’armée d’Azerbaïdjan qui est assuré par Israël et les Etats-Unis.

Les Etats d’Azerbaïdjan, de Russie, du Turkménistan, du Kazakhstan et d’Iran se querellent depuis des années au sujet d’un relevé de frontière dans la mer Caspienne riche en pétrole dont le statut territorial n’a pour cette raison toujours pas été défini. Tahir Zeynalov, analyste de l’Académie diplomatique d’Azerbaïdjan, a dit au journal en ligne Eurasianet.org que l’Azerbaïdjan aura à se défendre contre d’éventuelles tentatives de l’Iran d’effectuer des forages d’exploration pétrolière dans la région que son pays pourrait revendiquer « comme étant le nôtre. »

Durant le récent Concours Eurovision de la Chanson, deux vaisseaux garde-côtes d’Azerbaïdjan ont patrouillé dans le port de Bakou et il y a des divulgations d’articles de presse associant cette manoeuvre à de prétendues menaces de l’Iran. En réaction à cette provocation ouverte, l’Iran a procédé à des exercices militaires impliquant six navires de guerre près de la frontière avec l’Azerbaïdjan.

L’armée de l’Azerbaïdjan, et particulièrement la marine, a été systématiquement réarmée ces dernières années par les Etats-Unis. Entre 2010 et 2011, les dépenses militaires de l’Azerbaïdjan sont passées de 3,95 pour cent à 6,2 pour cent du PIB, voire 3,1 milliards de dollars. Dans un télégramme de 2009 du gouvernement américain, publié par WikiLeaks, l’Azerbaïdjan est décrit comme « un partenaire important dans la guerre contre le terrorisme. » Les dirigeants de l’Azerbaïdjan avaient soutenu les guerres contre le Kosovo, l’Irak et l’Afghanistan.

La dépêche dit aussi: « En tant que partie intégrante du plan d’action individuel pour le partenariat de l’OTAN (NATO Individual Partnership Action Plan), l’Azerbaïdjan a promis d’accroître la capacité de ses forces navales pour empêcher les menaces dans la mer Caspienne et pour apporter sa contribution dans la lutte contre le terrorisme. A cette fin, le ministre de la Défense travaille en étroite collaboration avec le Département d’Etat à la Défense des Etats-Unis depuis deux ans … Les plongeurs et les commandos de la marine de l’Azerbaïdjan ont reçu un entraînement et de l’équipement de la part des Etats-Unis.

L’Azerbaïdjan est non seulement riche en pétrole et en gaz, qui est largement exporté vers les Etats-Unis et l’Union européenne, mais elle est aussi un important pays de transit pour des ressources provenant du reste du bassin Caspien et d’Asie centrale. La dépêche précitée l’indique clairement : « L’un des intérêts clé américain est ici la capacité de l’Azerbaïdjan à continuer à produire et à exporter des ressources en hydrocarbures provenant de réserves qui sont situées au large de la mer Caspienne. »

Israël est aussi directement impliqué dans l’armement de l’Azerbaïdjan. En février de cette année, Bakou a accepté d’acheter d’Israël des armes d’une valeur de 1,6 milliard de dollars. Les nouveaux systèmes d’armes commandés à Israël comprennent des missiles basés en mer et des drones. Grâce au soutien des Etats-Unis et d’Israël, Bakou dispose à présent d’une marine plus lourdement armée dans la région Caspienne que la Russie.

Selon un rapport publié par le magazine américain Foreign Policy, Israël a maintenant accès aux bases aériennes près de la frontière au Nord de l’Iran, d’où des frappes aériennes pourraient être lancées contre Téhéran.

On a aussi pu voir la semaine dernière à quel point l’Azerbaïdjan est impliqué dans les préparatifs de guerre contre l’Iran, dans un article du Washington Post détaillant la suggestion absurde d’une tentative d’assassinat présumé de l’Iran contre des responsables américains en Azerbaïdjan. (Voir : « Washington Post airs another unlikely Iranian assassination plot »)

La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, est attendue à Bakou le 6 juin pour rencontrer le président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, et le ministre des Affaires étrangères, Elmar Mamedyarov. A l’ordre du jour figurera le conflit du Haut-Karabakh (Nargorny-Karabagh), une région au sujet de laquelle l’Azerbaïdjan a été en conflit pendant des années avec son voisin l’Arménie.

Le conflit territorial au sujet du Haut-Karabakh est un motif important pour le soutien que l’Azerbaïdjan apporte à présent aux Etats-Unis et à Israël. En cas de guerre au sujet du Haut-Karabakh, la Russie et l’Iran se rallieraient à l’Arménie tandis que l’Azerbaïdjan compterait évidemment sur un soutien de Washington.

La question de l’Iran est aussi d’une importance capitale. Selon le journal en ligne de l’Azerbaïdjan AKZ.az, les experts s’attendent à ce que Clinton discute du « programme de la guerre contre le terrorisme et de l’aide à l’Azerbaïdjan, » et du « rééquipement technique des services secrets de l’Azerbaïdjan. »

La Turquie qui appuie aussi une intervention militaire contre la Syrie, et qui joue actuellement un rôle de premier plan pour équiper les rebelles syriens, envoie quatre hauts responsables militaires comme occasion de manifester publiquement son soutien à Bakou, en soulignant les liens de longue date qui existent entre Ankara et ce pays de langue turque. L’agence d’information russe Regnum a cité une source anonyme proche de l’armée turque disant : « Par cette mesure, la Turquie veut faire comprendre à l’Iran qu’elle ne laissera pas l’Azerbaïdjan toute seule. »

Clara Weiss

samedi, 09 juin 2012

L'Iran et l'Algérie, cibles de Washington et Ryad

L'Iran et l'Algérie, cibles de Washington et Ryad

Manoeuvres presque ouvertes de l'impérialisme américain et wahhabite


Michel Lhomme
Ex: http://mbm.hautetfort.com/

 
Les pays du Golfe avouent ouvertement souhaiter la création d’une alliance géopolitique autonome incluant au départ deux ou trois pays, dont l’Arabie Saoudite et le Bahreïn. Pourquoi cette soudaine précipitation? Les dirigeants du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG), qui comprend l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, le Qatar, les Emirats arabes unis et le sultanat d’Oman, ne cachent pas leur inquiétude face aux ambitions régionales de l’Iran. Le Bahreïn, dirigé par la dynastie sunnite Al Khalifa, est, en particulier, le théâtre, depuis le début du « printemps arabe », d’une contestation de la majorité chiite, soutenue en sous-main par l’Iran, qui a des vues sur le territoire insulaire.
 
Un destin commun ?
 
Par ailleurs, le Qatar, l’Arabie saoudite mais aussi les Frères Musulmans d’Egypte, semblent déterminés à faire chuter l’Algérie. Anna Marie Lisa, présidente honoraire du Sénat belge, accuse ouvertement l'Arabie Saoudite «d’œuvrer à déstabiliser volontairement les frontières sud de l'Algérie », à travers notamment, le financement des salafistes et de groupes djihadistes. Pour l’Arabie saoudite, l'Algérie devra payer, tôt ou tard, pour avoir combattu le terrorisme durant les années 1990. Ceci se produit au moment où de l'argent, provenant de paiements de rançons d’otages européens et des spoliations en Libye arrivent, de la façon la plus illégale qui soit, aux terroristes sévissant dans la région, et plus particulièrement au Nord du Mali, devenu indépendant. En tout cas, cette déclaration confirme qu’il y a bien (ce que nous vous disons ici depuis plusieurs mois déjà: affaire libyenne etc) une déstabilisation en cours de l’Algérie, entretenue par des bailleurs de fonds saoudiens.
 
Eric Denussy, directeur du Centre français de recherches sur le terrorisme, et ancien officier des services secrets, a tiré récemment la sonnette d'alarme : «La situation est très grave. L'Algérie est considérée par le Qatar et l'Arabie Saoudite, et par l'alliance entre les USA et les Frères musulmans, comme le domino du « printemps arabe » qui n'est pas tombé et qui doit tomber, coûte que coûte». L'Otan et les Américains nul doute participent en secret à cette démarche de vouloir reconfigurer le Maghreb et le Machrek, ainsi que le Sahel, par terrorisme interposé et mercenaires richement payés. D’ailleurs, certains pays auraient largué des armes, profitant aux terroristes du GIA, devenu GSPC puis AQMI, après que les terroristes eurent été défaits en Algérie et qu’ils eussent fuient vers le Sud. Pour l’instant, après des législatives sans fraude véritable, l'Algérie, qui se sent menacée, tient bon et n'a pas chuté, malgré toutes ces tentatives de déstabilisation, y compris du côté marocain (le problème du Polisario évoqué au Conseil Européen).
 
Mais au Mali, la crise s’obscurcit et il est un peu difficile d’y voir vraiment clair. La moitié septentrionale de son territoire est toujours sous le contrôle de rebelles touareg, d’islamistes armés et de divers groupes criminels. Un nouveau groupe armé, dénommé Front de Libération Nationale de l’AZAWAD (FLNA), qui revendique 500 éléments, avait annoncé, le 8 avril, sa création dans le Nord-Est du pays. Il se proclame indépendant du groupe islamiste Ansar Dine, dirigé par Iyad Ag Ghali qui a participé aux accords d’Alger de 2006 entre Bamako, la rébellion touarègue et le Mouvement National de Libération de l’AZAWAD (MNLA).
 
 
Cette nouvelle formation se présente comme un mouvement laïc et explique sa création par l’abandon” de la région par l’Etat malien depuis des années. Il aurait pour objectif la libération de l’AZAWAD, l’instauration d’un climat de confiance entre ses communautés, la sécurisation des personnes et des biens et l’instauration d’un cadre de dialogue pour une paix durable” dans la région, dont le FLNA ne définit pas les limites géographiques et qui, par voie de conséquence, pourraient inclure des territoires algériens et nigériens !
 
Aux côtés de tous ces mouvements touaregs, religieux ou laïcs, du Nord Mali, on retrouve, bien entendu, des éléments du Polisario et ceux de l’AQMI, dont un des chefs, Mokhtar Belmokhtar, vient justement de refaire surface à Gao, avec ses partisans, à la faveur des enlèvements de sept diplomates algériens. Un autre groupe, et pas des moindres, a également signalé sa présence à Gao. Il s’agit du mouvement islamiste nigérian Boko Haram, mouvement violent et extrêmement puritain, très anti-chrétien et dont au moins une centaine d’éléments ont été signalés récemment au Nord du Mali. Par ailleurs, l’exécutif MNLA aurait proposé à l’Algérie son aide pour la libération des diplomates enlevés et son leader, Bilel Ag Cherif, aurait décidé d’enquêter sur les circonstances de ces enlèvements.
 
Face à cette nouvelle donne, les Algériens ont fermé leurs frontières avec le Mali. Mais une telle décision, aussi ferme soit-elle, reste toujours problématique dans cette région : parler de « fermeture des frontières » dans une zone de nomades, cela-t-il encore un sens ? Est-ce qu’elles ont jamais existé, d’ailleurs ? N’est-ce pas comme si on voulait arrêter le vent du sud de souffler ? C’est bien connu, les terroristes d’AQMI et les narcotrafiquants passent par les postes frontières et présentent leurs papiers aux douaniers, aux gardes frontières et aux militaires algériens qui grouillent dans le secteur sans pour cela être forcément inquiétés. Les dollars circulent.
 
L'Algérie prise au piège?
 
C’est pourquoi, à moins de construire un mur sur tout le parcours de cette frontière de plus de 1200 kms, il est réellement impossible de fermer cette passoire, où immigrants, terroristes et contrebandiers se faufilent comme bon leur semble. Le Sud algérien paraît donc bel et bien le ventre mou du pays dans lequel circulent des terroristes d’AQMI et des contrebandiers mais aussi des déstabilisateurs étrangers, payés par les Etats du Golfe.
 
Le ministère algérien de la Défense a annoncé avoir déployé des avions de transport militaires et des hélicoptères aux bases de l’extrême sud et a mis en état d’alerte maximum 3 000 hommes des forces spéciales de l’armée et des unités militaires de la sixième, troisième et quatrième région militaire, notamment dans les wilayas de Tamanrasset, Ghardaïa, Biskra, Bechar et Adrar. Certains se demandent, comme de faux naïfs : pourquoi l’Algérie n'avait pas, plus tôt, lutté contre AQMI et la criminalité transnationale ?
 
Pour l’AQMI, il était, sans doute pour elle plus judicieux de refiler le bébé au Mali (consolidation d’un glacis protecteur) et quant à la drogue venue de Guinée-Bissau, elle rapporte forcément beaucoup au passage. N’oublions pas que toutes les productions du pays (l’agriculture étant moribonde) se concentrent actuellement au Sud, au Sahara où se retrouvent toutes les richesses du pays (hydrocarbures, or, fer).
 
En conclusion, s’il est possible d’émettre l’hypothèse que l’enlèvement des diplomates algériens, la proclamation de l’indépendance de l’AZAWAD par un groupe proche d’Alger et la présence d’AQMI et autres groupes islamiques radicaux sont, directement ou indirectement, liés à l’Algérie, la grande puissance régionale du coin, il est indéniable que sur le terrain, l’opération malienne n’est pas seulement une opération montée de toutes pièces par les autorités militaro-civiles algériennes pour redorer leur blason à l’approche des élections législatives en Algérie.
 
Dans ce pullulement de groupes militarisés divers, la situation sur le terrain est bien trop confuse pour ne pas déceler aussi la rivalité de courants servant d’autres intérêts, comme ceux des monarchies du Golfe ou de l’OTAN, dans la perspective d’une déstabilisation cruciale de l’Algérie ou encore, discrètement, des intérêts chinois, dans la perspective d’un contrôle par Pékin du Niger tant convoité.
 
En tout cas, la seule chose assurée, c’est que, en dehors du coup d’Etat qui a ébranlé le pouvoir légitime au Mali, tous les événements qui secouent aujourd’hui le Nord de ce pays sahélien ne sont que la conséquence trouble d’un jeu de domino dangereux engagé par l’Otan, l’Occident et les pays du Golfe dans la région (Tunisie, Lybie, Egypte). En voulant déstabiliser demain l’Algérie, c’est le Maghreb, en tant que bloc institutionnel qui serait alors géopolitiquement menacé en tant que tel. La démarche algérienne pour contrer le terrorisme au Sahel aurait besoin, à la lumière du drame malien, d’une profonde mise à jour de ses tenants et aboutissants, voire même peut-être d’une petite aide de l'ex-mère patrie. Paris ne peut, sans conséquences directes, laisser tomber aujourd’hui Alger.

samedi, 02 juin 2012

La Turquie face au front Syrie-Irak-Iran

La Turquie face au front Syrie-Irak-Iran

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Après avoir «perdu» la Syrie, la Turquie serait elle en train de perdre l’Irak?


- Cérémonie de fin de formation de recrues de l’armée irakienne à Kirkourk, dans le nord du pays. REUTERS/Ako Rasheed. -

Comme un air de déjà vu, déjà entendu. Après Bachar el-Assad, c’est au tour de Nouri al-Maliki, le premier ministre irakien, de renvoyer l’ancienne puissance ottomane dans ses cordes. Alors que les Turcs pouvaient, en Irak comme en Syrie, se prévaloir de beaux succès économiques et d’une percée politico-diplomatique, le climat entre Ankara et Bagdad se dégrade à grande vitesse (après celui entre Ankara et Damas, l’année dernière). La rupture n’est, ici, pas encore totalement consommée. Mais pour combien de temps encore?

Le 9 mai, Ankara refuse de livrer à Bagdad l’ancien vice-président irakien, Tarek al-Hachémi. Recherché pour avoir commandité l’assassinat de plusieurs officiels, objet d’une «notice rouge» d’Interpol, c’est un sunnite qui a regretté que l’Irak soit devenu un véritable couloir d’acheminement d’armes iraniennes à destination de la Syrie.

En avril, un autre rival du Premier ministre irakien, le président de la région kurde autonome d’Irak Massoud Barzani, avec lequel Ankara a noué d’étroits liens (commissions conjointes, ouverture d’un consulat turc, visites de ministres et omniprésence des entrepreneurs turcs) est reçu en grandes pompes.

Il  accuse Nouri al-Maliki de se conduire en dictateur et s’oppose à la vente par les Etats-Unis de F-16 à Bagdad. On voit mal l’ancien peshmerga Barzani lancer des opérations militaires contre le PKK (mouvement séparatiste kurde en guerre contre Ankara depuis 28 ans et dont les bases arrières se situent dans les montagnes d’Irak du nord) – ce serait un suicide politique. Mais le Président de la région kurde autonome d’Irak peut resserrer l’étau logistique et psychologique autour des rebelles qui sévissent, à partir de son territoire.

Les Kurdes d’Irak, partenaires fiables

Paradoxalement, Massoud Barzani, proche des Israéliens, constitue désormais le seul partenaire vraiment fiable des Turcs dans la région.

A peine les troupes américaines parties qu’en janvier, le ton était donné: trois roquettes tirées sur l’ambassade de Turquie à Bagdad. Cette attaque faisait suite au coup de téléphone de  Tayyip Erdogan à  Nouri al-Maliki,  durant lequel le Premier ministre turc se serait inquiété du sort fait au bloc Iraqiya d’Iyad Allawi, un  ancien baassiste, chiite,  opposé à Nouri al-Maliki et soutenu par la Turquie avec financements largement saoudiens. En jeu: l’équilibre confessionnel et politique de  la coalition gouvernementale mise laborieusement sur pied à la suite des élections de mars 2010.

Depuis plusieurs années, la Turquie intervient dans la politique intérieure irakienne, et ne s’en cache pas. Elle  cherche, selon Beril Dédéoglu, professeure turque de relations internationales, à  «limiter l’emprise d’al-Qaïda sur les sunnites et à gagner le cœur des chiites pour les détourner de l’Iran». 

«C’est en prenant de telles initiatives que la Turquie pourrait conduire la région au désastre et à la guerre civile», aurait rétorqué, une fois le combiné raccroché, le Premier ministre irakien.

Nouvelle passe d’armes verbales, crescendo, en avril. Après avoir été  accusé par son alter égo turc de monopoliser le pouvoir, d’«égocentrisme» politique et de discriminations à l’égard des groupes sunnites dans son gouvernement, Nouri al-Maliki  déclare que la Turquie est sur le point de se transformer en un «Etat hostile» pour «tous».

Téhéran, puissance de référence

C’est «la fin d’une période d’innocence: les Turcs commencent à prendre des coups au Moyen-Orient, ce qui n’est pas nouveau, mais ça l’est pour l’AKP (le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002), suggère le chercheur Julien Cécillon. L’Irak et par extension le Moyen-Orient, deviennent plus une zone à risque qu’un espace d’opportunités pour la Turquie», selon le co-auteur de «La Turquie au Moyen Orient, le retour d’une puissance régionale?» (dirigé par D. Schmidt, IFRI, 2011).

En couverture de l’ouvrage publié en décembre 2011, une photo montre R .T Erdogan et N. al-Maliki, debout côte à côte et au garde-à-vous sur le tarmac de l’aéroport de Bagdad. La photo qui veut symboliser le «nouvel espace de déploiement de la puissance turque» ne remonte qu’à 2009. Elle parait pourtant presque «datée», d’une autre époque : quand certains faisaient référence au «modèle turc» et  la Turquie se flattait d’être une «source d’inspiration» pour les pays arabes.

Les Turcs sont en train de réaliser qu’ils ont aussi peu d’influence sur Nouri al-Maliki qu’ils n’en avaient sur Bachar al-Assad. Et que Téhéran reste la puissance de référence,  à Bagdad comme à Damas. Mais «Ankara a déjà les mains pleines avec Assad et  souhaite  éviter un autre scénario de choc!», analyse Sinan Ulgen, également chercheur associé à Carnegie Europe à Bruxelles. Or comme la Syrie, l’Irak est crucial pour les ambitions régionales de la Turquie.

D’abord économiquement: les routes d’Irak sont essentielles pour que les camions turcs –désormais interdits de Syrie— accèdent aux marchés proche-orientaux. L’instabilité politique irakienne empêche la croissance économique du pays sur laquelle misent les hommes d’affaires turcs (la grande majorité des compagnies étrangères en Irak sont turques et ce sont elles qui reconstruisent le pays). De même qu’elle bride l’exploitation des richesses pétrolières et gazières pour l’acheminement desquelles la Turquie constitue un important pays de transit.

Paix froide Ankara-Téhéran

Et puis, «la déstabilisation du pays, quelques mois après le rapatriement des troupes américaines est de mauvaise augure pour le maintien de l’ordre politique en Irak», prédit Sinan Ulgen, directeur d’Edam, un think-thank turc. «Les risques d’une désintégration de l’Irak sont bien plus élevés qu’en Syrie», ajoute la professeure Béril Dédéoglu, et pourraient conduire à la  constitution d’un Etat kurde indépendant au nord du pays. Une perspective que craignent les autorités civiles et militaires turques, en guerre depuis 28 ans contre «leur» propre mouvement séparatiste kurde, le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan).

Soner Cagaptay du  Washington Institute for Near East Policy nuance: «Ankara juge que le gouvernement de Maliki est autoritaire et qu’il prend ses ordres à Téhéran. Mais elle ne s’affole pas autant qu’elle a pu le faire par le passé d’une division de  l’Irak».  

L’idée d’un Kurdistan indépendant au nord de l’Irak ne constitue donc plus un cauchemar absolu pour Ankara. «Pour autant qu’il conserve les gisements pétroliers de Kirkouk, obtienne un quasi contrôle de Mossoul, et ne s’adjoigne pas une partie du territoire kurde de Syrie!», précise Béril Dédéoglu, spécialiste de relations internationales parfois consultée par le gouvernement turc. Lequel aurait eu connaissance des plans d’indépendance «déjà prêts» de Massoud Barzani.

On assiste donc actuellement au réalignement de Bagdad aux côtés du régime syrien et de l’Iran face à une Turquie qui soutient, elle, l’opposition au régime de Bachar al-Assad. «Il est probable que Téhéran continue à encourager Bagdad contre  Ankara,  en espérant qu’en retour la Turquie s’inclinera face à Assad», avertit Soner Cagaptay. Longtemps en «paix froide», les pouvoirs turc et iranien se sont rapprochés ces dernières années, mais en 2011 Téhéran a très mal pris qu’Ankara autorise l’installation du bouclier antimissile aérien de l’Otan sur son territoire.

C’est donc peut-être un front Iran-Irak-Syrie qui se dessine face à une Turquie moins repliée sur elle-même. L’esquisse d’une recomposition régionale?

L’un des scénarios verrait la Turquie à la tête d’un bloc sunnite, peut-être allié à l’Occident, et opposé à l’Iran et son fameux «croissant chiite» dont la continuité territoriale («du Tadjikistan au sud-Liban») aurait été contrariée par la dislocation de l’Irak et la création d’un Etat kurde au nord avec une entité sunnite au centre du pays.

Un tournant stratégique «sunnite» pour la Turquie, dont la politique étrangère à l’égard de la Syrie, et dans une moindre mesure de l’Irak ne fait cependant pas du tout l’unanimité: ni dans son opinion publique (en particulier dans la minorité alévie, une branche proche des chiites) ni pour le principal parti d’opposition (CHP, le parti républicain du peuple) ni même, en ce qui concerne la Syrie, jusqu’au président de la République de Turquie, Abdullah Gül.

Ariane Bonzon

mardi, 15 mai 2012

Robert Steuckers:lezing "Arabische Lente", Hasselt, 8 mai 2012

Robert Steuckers:

Lezing "Arabische Lente"

Hasselt, 8 mai 2012

lundi, 14 mai 2012

Syrië & Iran: Een reëel-historische visie

http://omroepodal.podomatic.com/entry/2012-05-03T15_19_10-07_00

http://podcast.radiorapaille.com/show/rapaille-reportages/item/2431-syri%C3%AB-iran-een-re%C3%ABel-historische-visie

Syrië & Iran: Een reëel-historische visie

Geschreven door

Lezing door Robert Steuckers voor NSV! Gent op 08-03-2012

Iran: schurkenstaat en bedreiging voor de wereldvrede of land in isolement gedreven?
Syrië: onderdrukte massa in opstand tegen een dictator of een Egyptische wissel van de wacht?


Voor beide landen zijn de voorbeelden reeds gekend. In Irak zijn 9 jaar na de start van de oorlog nog steeds geen massavernietigingswapens gevonden, laat staan vrede. Libië wacht nog steeds op haar democratie die de NAVO-interventie ze in de schoot zou werpen. Intussen horen we telkens dezelfde verhalen weer terugkomen en dringt de vraag op of we geen self-fulfilling prophecy in de hand werken.


Robert Steuckers is een van de meer ervaren geopolitieke experts van het land. Hij houdt onder andere een blog in zeven talen bij (http://euro-synergies.hautetfort.com/). Tijdens de conflicten in Libië hield hij voor NSV! Hasselt reeds een diepgaande uiteenzetting (http://www.youtube.com/watch?v=Q_nAXrbnP4Y).

Een uitgelezen kandidaat om deze conflictzones toe te lichten!


 

lundi, 07 mai 2012

La Russie se prépare à contrer une frappe militaire israélo-américaine contre l’Iran

La Russie se prépare à contrer une frappe militaire israélo-américaine contre l’Iran
Ex: http://mediabenews.wordpress.com/

Au cours de ces quelques derniers mois, la Russie a entrepris d’intenses préparatifs pour parer à une éventuelle frappe militaire perpétrée par Israël et les Etats-Unis contre l’Iran. Selon de récents rapports, l’état-major russe s’attend cet été à une guerre contre l’Iran qui aurait d’énormes répercussions non seulement au Moyen-Orient mais aussi dans le Caucase.

Les troupes russes au Caucase ont été techniquement renforcées et un bataillon de missiles situé dans la Mer caspienne a été placé en attente. Les patrouilleurs lance-missiles de la flotte caspienne ont à présent jeté l’ancre au large de la côte du Daguestan. L’unique base militaire russe dans le Caucase du Sud, qui se situe en Arménie, est également en état d’alerte pour une intervention militaire. L’automne dernier, suite à une intensification du conflit en Syrie, la Russie avait envoyé son porte-avions Kousnetsov au port syrien de Tartous. Des experts pensent que la Russie pourrait soutenir Téhéran en cas de guerre, du moins sur un plan militaire et technique.

Dans un commentaire publié en avril, le général Leonid Ivashov, président de l’Académie des problèmes géopolitiques, a écrit qu’une « guerre contre l’Iran serait une guerre contre la Russie » et il appelé à une « alliance politico-diplomatique » avec la Chine et l’Inde. Il a dit que des opérations étaient entreprises de par le Moyen-Orient dans le but de déstabiliser la région et d’agir à l’encontre de la Chine, de la Russie et de l’Europe. La guerre contre l’Iran, écrit Ivashov, « atteindrait nos frontières, déstabiliserait la situation dans le Caucase du Nord et affaiblirait notre position dans la région caspienne. »

Dans le cas d’une guerre contre l’Iran, la préoccupation principale de Moscou concerne les conséquences pour le Caucase du Sud. L’Arménie est l’unique alliée du Kremlin dans la région et entretient de liens économiques étroits avec l’Iran, alors que la Géorgie et l’Azerbaïdjan voisins entretiennent des liens militaires et économiques avec les Etats-Unis et Israël.

Ce que le Kremlin craint avant tout, c’est que l’Azerbaïdjan ne participe aux côtés d’Israël et des Etats-Unis à une alliance militaire contre l’Iran. L’Azerbaïdjan partage ses frontières avec l’Iran, la Russie, l’Arménie et la Mer caspienne et est, depuis le milieu des années 1990, un important allié militaire et économique des Etats-Unis dans le Caucase du Sud, abritant plusieurs bases militaires américaines.

Les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan sont d’ores et déjà très tendues. Téhéran a, à plusieurs reprises, accusé Bakou d’avoir participé à des attaques terroristes et d’avoir commis des actes de sabotage très vraisemblablement en collaboration avec des agences de renseignement israéliennes et américaines. Ces dernières années, l’Azerbaïdjan a doublé ses dépenses militaires et a scellé en février un accord d’armement avec Israël s’élevant à 1,6 milliards de dollars américains et comprenant la fourniture de drones et de systèmes de défense anti-missiles.

A en croire des sources haut placées du gouvernement Obama, Mark Perry a dit fin mars au journal américain Foreign Policy que Bakou avait donné à Israël une autorisation d’accès à plusieurs bases aériennes près de la frontière Nord de l’Iran et qui seraient susceptibles d’être utilisées lors d’une frappe aérienne contre Téhéran. Le magazine cite un haut responsable du gouvernement américain qui aurait dit que, « Les Israéliens ont acheté un aéroport et cet aéroport se nomme Azerbaïdjan. » Perry a prévenu que : « Les experts militaires doivent à présent prendre en considération un scénario de guerre qui inclut non seulement le Golfe persique mais aussi le Caucase. »

Le gouvernement de Bakou a immédiatement nié le rapport mais le rédacteur en chef du journal d’Azerbaïdjan, Neue Zeit, Shakir Gablikogly, a prévenu que l’Azerbaïdjan pourrait être embarqué dans une guerre contre l’Iran.

Même s’il devait s’avérer que l’Azerbaïdjan n’est pas le point de départ d’une attaque israélienne contre l’Iran, le danger existe qu’une guerre ne mène à une escalade militaire d’autres conflits territoriaux telle la querelle entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de Nagorny-Karabakh. Cette région est indépendante depuis 1994, date de la fin de la guerre civile, mais le gouvernement de Bakou, les Etats-Unis et le Conseil européen insistent pour qu’elle soit considérée comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Au cours de ces deux dernières années, il y a eu des conflits répétés à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et les commentateurs ont mis en garde que le conflit risquait de se transformer en une guerre impliquant la Russie, les Etats-Unis et l’Iran.

Lors d’une récente interview accordée au journal russe Komsomolskaya Pravda, l’expert militaire russe Mikhail Barabanov a dit que les conflits sur les territoires de l’ex-Union soviétique pourraient résulter en une intervention militaire en Russie. Toute intervention opérée dans la région par les Etats-Unis ou toute autre puissance de l’OTAN entraînerait « un risque inévitable de recours à l’arme nucléaire. » La Russie possède le deuxième plus grand arsenal nucléaire du monde après les Etats-Unis.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Eurasie est devenue, en raison de son importance géostratégique, l’épicentre des rivalités économiques et politiques ainsi que des conflits militaires entre les Etats-Unis et la Russie. L’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie forment un pont entre l’Asie centrale riche en ressources et la Mer caspienne d’une part et l’Europe et la Mer Noire de l’autre.

Les Etats-Unis cherchent depuis les années 1990 à gagner de l’influence dans la région grâce à des alliances économiques . En 1998, le vice-président américain d’alors Richard Cheney avait déclaré, « A ma connaissance, je ne peux pas me rappeler une époque où une région a si soudainement connu une aussi grande importance stratégique que la région caspienne. »

Dans son livre Le Grand Echiquier (1998), Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sûreté du président Jimmy Carter, avait écrit : « Une puissance qui domine l’Eurasie contrôlerait les deux tiers des régions les plus avancées et économiquement les plus productives du monde. En Eurasie se concentrent environ les trois quarts des ressources énergétiques connues du monde. »

L’importance cruciale de la région réside dans son rôle de zone de transit pour l’approvisionnement énergétique d’Asie vers l’Europe en contournant la Russie. En soutenant des projets d’oléoduc alternatifs, Washington a cherché à affaiblir les liens russes avec l’Europe qui est lourdement tributaire du pétrole et du gaz russes.

Jusque-là, la Géorgie est le pays clé pour le transit des livraisons de gaz et de pétrole et s’est trouvée au cour des conflits de la région. La « révolution des roses » de la Géorgie en 2003 fut incitée par Washington pour installer Mikhail Saakashvili au pouvoir comme président dans le but de sauvegarder les intérêts économiques et stratégique des Etats-Unis dans la région. Cette révolution a mené à une intensification des tensions avec Moscou en vue d’arriver à une suprématie géostratégique. La guerre entre la Géorgie et la Russie à l’été 2008 a représenté une aggravation des rivalités entre les deux pays avec la possibilité de s’élargir en une guerre russo-américaine. Les relations entre la Russie et la Géorgie restent très tendues.

L’influence américaine dans le Caucase et en Asie centrale a décliné significativement ces dernières années. En plus de la Russie, la Chine est devenue une force majeure dans la région, établissant des liens économiques et militaires importants avec les Etats d’Asie centrale tels le Kazakhstan. Bien que la Russie et la Chine demeurent des rivaux, ils ont conclu une alliance stratégique dans leur concurrence avec les Etats-Unis. Pour les Etats-Unis, une guerre contre l’Iran représente une nouvelle étape dans leur confrontation croissante avec la Chine et la Russie pour le contrôle des ressources de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.

Clara Weiss

vendredi, 04 mai 2012

Le retour du Colonel Peters

La carte du "Grand Moyen-Orient" dessinée par Ralph Peters (lieutenant-colonel retraité de l'US Army) et raillée par bon nombre d'incrédules et niais n'ayant jamais lu le "Grand échiquier" de Brzezinski, revient à la une; avérée par l'actualité.

Le retour du Colonel Peters

Paul Delmotte

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peters2.jpgEn juin 2006, le lieutenant-colonel retraité de l’US Army, Ralph Peters, s’était fait connaître par la publication dans l’Armed Force Journal d’une carte de sa main (voir ci-dessous) envisageant une complète refonte des frontières du « Grand Moyen-Orient » où G.W.Bush projetait d’injecter la démocratie parlementaire – et de marché ! – à l’occidentale.

Certes, à l’époque tant l’énormité de ces modifications et le fait qu’apparemment, il ne s’agissait que de la publication d’une carte autorisaient à penser que les propositions du colonel Peters resteraient de simples élucubrations.

Pourtant, une série d’informations récentes pourrait toutefois indiquer que la fameuse carte n’a peut-être pas été reléguée au fond d’un tiroir poussiéreux.

Vers un Grand Azerbaïdjan ?

Mark Perry, auteur de Talking to Terrorists. Why America must engage with its enemies (Basic Books, 2010), révèle dans un article paru en mars et basé sur des fuites de Wikileaks[1] la coopération militaire aussi poussée que mal connue entre l’Azerbaïdjan et Israël et montre que l’usage de bases aériennes azerbaïdjanaises, dont celle de Sitalcay, pourrait permettre aux avions israéliens de bombarder, le cas échéant, plus efficacement l’Iran puisqu’il pourraient s’y poser après leurs raids plutôt que de devoir faire l’aller-retour vers leurs bases de départ. Toutefois, dans le même texte, Perry rappelle qu’en février 2012, un membre du parti au pouvoir à Bakou, capitale de la république dynastique et pétrolière d’Azerbaïdjan, en très bon termes avec l’Occident, a demandé à son gouvernement de rebaptiser le pays en Azerbaïdjan du Nord, appel qui relève d’un irrédentisme souhaitant « réunifier la patrie » en y rattachant les provinces azériphones du Nord-ouest de l’Iran[2], considérées comme l’Azerbaïdjan du Sud. Rappelons que plus de15 millions d’Azéris (selon les chiffres iraniens, apparemment minimisés) vivent dans le nord-est de l’Iran contre 9,1 millions en Azerbaïdjan même. D’où les craintes iraniennes d’un séparatisme azéri, qui s’était déjà manifesté, avec l’appui de l'URSS à la fin de la 2ème Guerre mondiale, par la création d’un Gouvernement populaire d'Azerbaïdjan séparatiste et hostile au Chah[3]. Une appréhension renouvelée à Téhéran suite à la naissance d’un Azerbaïdjan indépendant à la faveur du démantèlement de l’URSS.

Limitons-nous à observer que sur la carte du colonel Peters : le très récalcitrant Iran devrait se voir amputer au Nord-ouest de la région azérie de Tabriz, au Sud-ouest du Khouzistan arabophone et, au Sud-est, de sa province baloutche.

Un « Baloutchistan libre » ?

Tout récemment, le blog Atlas Alternatif titrait : « Des républicains américains veulent faire éclater le Pakistan » et faisait état d’une série d’auditions, le 8 février 2009, de la sous-commission des Affaires étrangères de la Chambre des États-Unis consacrées aux « violations des Droits de l’Homme au Baloutchistan », sous l’égide du député républicain de Californie Dana Rohrabacher. Rencontre qui avait soulevé la colère du gouvernement pakistanais. Étaient en effet conviés à ces auditions, outre des universitaires, des délégués d’Amnesty International et de Human Rights Watch, ce qui n’a rien d’étonnant vu le thème des rencontres, mais aussi le lieutenant-colonel Ralph Peters…

Autre « petite chose » à souligner : l’an dernier, l’ambassadeur US au Pakistan, Cameron MUNTER, a réitéré la demande de son gouvernement d’ouvrir un consulat au Baloutchistan[4].

Or, pour ce qui est du Pakistan, Peters envisageait l’amputation de sa province du Baloutchistan et la réunion de cette dernière avec les régions baloutches du sud-est de l’Iran pour former un État libre du Baloutchistan, doté ipso facto d’une importante façade sur l’océan indien avec, en son milieu, le port de Gwadar. C. à d. une remise en cause de la Ligne Goldschmid (1871) par laquelle Londres avait délimité la frontière entre l’Iran et son Empire des Indes, ligne frontalière reprise en 1947 par le Pakistan.

L’on sait déjà qu’au Baloutchistan – qui forme 42% du territoire du Pakistan, mais dont les 7 millions de Baloutches ne forment que 5% de sa population – opèrent des groupes tribaux armés, ulcérés non seulement de voir leur région négligée par Islamabad, mais faire l’objet d’une politique de peuplement pachtoune et pendjabi. S’ajoute à cela le fait que le sous-sol du Baloutchistan recèlerait d’immenses ressources en gaz et en pétrole.

Casser le « collier » chinois

Par ailleurs, la valeur stratégique du Baloutchistan s’est vue multipliée par la création, financée par la Chine lors de la décennie écoulée, d’un port en eaux profondes à Gwadar qui devrait constituer le terminal d’un gazoduc venant du Turkménistan. Ceci au risque d’aggraver le mécontentement de certains Baloutches, le nouveau port menaçant à leurs yeux d’accroître la fuite des ressources de la région et de créer principalement de nouveaux emplois parmi les « immigrés » du reste du Pakistan. Pour la Chine par contre, le projet de Gwadar comporte plusieurs avantages, ce qui justifie peut-être les accusations pakistanaises d’une aide de l’Inde à la guérilla baloutche. Gwadar désenclave en effet les provinces ouest de la Chine (Xinjiang), offre à sa marine des facilités portuaires situées à l’ouest de l’Inde et proches du « verrou stratégique » du détroit d’Ormuz, et permet à la RPC un approvisionnement, énergétique, à partir de l’Afrique et du Moyen-Orient, plus « terrestre », échappant donc en partie au contrôle américain des routes maritimes du Sud-est asiatique.Un « Baloutchistan libre » parrainé par Washington et Delhi et obtenant la haute main sur Gwadar n’aurait-il pas l’avantage d’ôter l’une des plus belles perles du « collier »[5] stratégique que Pékin tente de constituer à l’ouest de l’Inde et au nord de l’océan Indien ? Et cela alors même que le putsch du 7 février dernier aux Maldives, immédiatement cautionné par les Etats-Unis et la « plus grande démocratie du monde » que serait l’Inde, pourrait bien avoir mis fin aux souhaits chinois d’ajouter, avec une base de sous-marins dans l’atoll maldivien de Marao, une nouvelle pièce à leur parure.

La guerre de l’ombre que livrent des agents américains et israéliens dans plusieurs régions de l’Iran non-persanophones (Azerbaïdjan-occidental, Khouzistan, Sistan-Baloutchistan) n’est plus qu’un secret de polichinelle. Une guerre qui se déroule à l’occasion, avec une collaboration tacite… d’Al-Qaïda, à laquelle serait « affilié » le Jundullah, groupe sunnite du Baloutchistan iranien (le Sistan-Baloutchistan) partisan d’un système fédéral en Iran, qui, depuis 2005, s’est fait remarquer par une tentative d’assassinat de M. Ahmadinejad (septembre 2005), ses enlèvements de soldats iraniens, ses attentats contre des casernes de l’armée ou des Gardiens de la Révolution[6] ou contre des mosquées[7] ou des manifestations religieuses chiites[8], malgré le coup dur qu’a constitué pour l’organisation la capture et l’exécution, en juin 2010, de son leader Abdolmalek Righi.

Un peu plus à l’Ouest : un « réduit » alaouite ?

Par ailleurs, Fabrice Balanche, Maître de conférences à l’Université Lumière-Lyon II [9], écrivait dans la dernière parution d’Alternatives internationales (n°54, mars 2012) qu’en cas de débâcle du régime syrien, « le clan Assad peut tenter de créer grâce à ses moyens militaires un réduit dans la région alaouite, sur la côte, avec l’aide de Moscou et de Téhéran ». Or, ce « réduit alaouite » figure bel et bien sur la carte du colonel Peters, mais… inclus dans un « Greater Lebanon », un « Plus grand Liban », qui ferait main basse sur toute la côte syrienne jusqu’aux frontières turques, privant cette fois la Syrie, de surcroît dûment amputée de ses régions nord-est au profit d’un « Kurdistan libre », de toute façade maritime.

peters3.jpgDe même, à la mi-mars, New Lebanon[10]estimait que « la vieille idée du mandat français » revenait à l’ordre du jour, « l’enclave alaouite [pouvant] devenir un État indépendant si Assad perdait tout contrôle sur Damas », et précisant que le clan Assad chercherait dans ce cas à élargir le « réduit alaouite » à la région de l’Idlib pour qu’il s’étende jusqu’à la frontière turque au-delà de laquelle vivent quelque 15 millions d’alévis.

Question : « le rejet régional et international » et « le refus total » de la Turquie d’un tel projet sont-ils aussi assurés que semble le penser New Lebanon ?

Sarkozy, apprenti Pandore

En Libye, la proclamation, le 6 mars dernier, de l’autonomie partielle de la Cyrénaïque, l’est du pays, par le cheikh Ahmed Zoubaïr Al-Senoussi, au demeurant neveu de l’ex-roi Idriss Al-Senoussi et s’exprimant au nom de quelque 3000 chefs de tribus et personnalités, est certes dues à des facteurs locaux – projet de loi électorale sur base démographique, sentiment d’abandon du « cœur de la révolution » en faveur de Tripoli – mais les accusations de projets séparatistes liés à la concentration des richesses pétrolières dans cette même région et bénéficiant d’un soutien occulte de « puissances étrangères » ne sont pas à rejeter sans plus.

Toujours en Libye, mais au Sud, les combats entre Toubous et tribus arabes dans la région de Sebha qui auraient fait quelque 150 morts entre le 26 et le 31 mars, pourraient ranimer les aspirations au séparatisme de ces mêmes Toubous.

À suivre donc…

 

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Carte élaborée par le Lieutenant-Colonel américain Ralph PETERS et publiée dans le Armed Forces Journal en juin 2006. Peters est colonel retraité de l'Académie Nationale de Guerre US. (Carte sous Copyright 2006 du Lieutenant-Colonel Ralph Peters) – Source : Mahdi Darius NAZEMROAYA, Le projet d'un « Nouveau Moyen-Orient ». Plans de refonte du Moyen-Orient, in Mondialisation.ca, 11 décembre 2006

1er avril 2012

Paul DELMOTTE

Professeur de Politique internationale à l’IHECS

Source : Investig'Action michelcollon.info

[1] L’Azerbaïdjan, le terrain d’atterrissage secret d’Israël (http://www.slate.fr/story/52415/israel-iran-azerbaidjan-g...)

2] Provinces d’Azerbaïdjan occidental et oriental, d’Ardabil, de Zanjan et, partiellement, celles d’Hamadan et de Qazvin

3] Velléités séparatistes que l’on a cru voir se réveiller avec les manifestations survenues en 2006, e. a. à Nagadesh.

[4] Selon I.SALAMI, in Palestine Chronicle, 28.10.11

[5]L’on appelle poétiquement « stratégie du collier de perles » les efforts de la Chine en vue de s’assurer une série de bases navales pour mieux assurer ses approvisionnements énergétiques moyen-orientaux. À part Gwadar, les autres perles sont Chittagong (Bangla-Desh), Sittwe, Coco, Hiangyi, Khaukpyu, Mergui, Zadetkui Kyun (Myanmar), des bases en Thaïlande et au Cambodge, Hanbatota (Sri-Lanka). Depuis l’an dernier, un accord avec les Seychelles envisage la construction d’installations de réapprovisionnement de la marine chinoise.

[6] Comme en octobre 2009 (42 morts)

[7] Comme à Zahedan, en mai 2009 (25 morts) ou en juillet 2010 (26 morts)

[8] Comme à Chabahar en décembre 2010

[9] Auteur de La région alaouite et le pouvoir syrien (Karthala, 2006) et de l’Atlas du Proche-Orient arabe (PUPS-RFI, 2012), F.Balanche a également collaboré au volumineux et incontournable ouvrage dirigé e. a. par notre compatriote Baudouin Dupret, La Syrie au présent. Reflets d’une société, Sindbad/Actes Sud, 2007

[10] Courrier International, 22-28 mars 2012

jeudi, 26 avril 2012

La Turquie a perdu la confiance de l’Iran

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Ferdinando CALDA:

La Turquie a perdu la confiance de l’Iran

 

Les dernières démarches d’Ankara à l’encontre de la Syrie et sur le pétrole ont fait qu’Istanbul n’a pas été choisie comme siège des pourparlers “5 + 1”

 

“La date et le lieu des prochains pourparlers peuvent certes être importants mais le contenu de ces négociations sera encore plus significatif”. Cette phrase, que l’on pourrait prendre pour une lapalissade, a été prononcée par le ministre des affaires étrangères iranien, Ali Akbar Salehi, mais n’est vraie que pour partie. La preuve? Elle nous est fournie par la délicate question de fixer le prochain siège des pouparlers entre l’Iran et le groupe “5 + 1” (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine, Allemagne), qui devait se tenir les 13 et 14 avril 2012.

 

Là, nous avons encore un mystère. Au départ, on semblait avoir désigné Istanbul pour site de ces nouveaux pourparlers, surtout après la visite, début avril, du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan à Téhéran. La grande ville turque avait accueilli la rencontre précédente, au début de l’année 2011. Le gouvernement turc était tout prêt à accueillir le nouveau sommet et Salehi lui-même avait indiqué Istanbul comme “le meilleur lieu pour la reprise des négociations”.

 

Quelques jours plus tard, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait annoncé publiquement que les pourparlers se tiendraient à Istanbul. Très vite, les démentis se sont succédé. De Moscou, de Bruxelles et de Téhéran sont arrivées les notes diplomatiques signalant que le siège des pourparlers n’avait pas encore été fixé. Des sources iraniennes et irakiennes ont suggéré Bagdad comme alternative possible à Istanbul. Le ministre des affaires étrangères irakien, Hoshiyar Zebari a déclaré début avril 2012 avoir reçu une requête en ce sens, provenant d’une délégation iranienne. Il s’est dit “prêt à accueillir ce sommet”. D’autres sources ont émis l’hypothèse que la Syrie pourrait être le pays-hôte.

 

De toutes les façons, Istanbul semble avoir été écartée définitivement. “La Turquie est désormais exclue des intentions du Parlement et du gouvernement (iraniens)”, a déclaré, pour sa part, le chef de la commission des affaires étrangères du Majlis (le Parlement iranien), Allaeddine Bouroujerdi à la télévision iranienne en langue arabe, Al-Alam, confirmant du même coup la proposition faite aux Irakiens.

 

Tout cela s’est passé après la visite d’Erdogan en Iran —où le premier ministre turc avait défendu bec et ongles le droit des Iraniens à développer un nucléaire civil. Qu’est-ce qui a fait qu’Istanbul, aux yeux des Iraniens, est passé du statut de siège privilégié à celui d’éventualité à éviter?

 

A coup sûr, les divergences sur la question syrienne ont joué. Téhéran défend la légitimité du régime d’Al-Assad tandis qu’Ankara cherche à exercer un contrôle sur les Kurdes de Syrie et s’est rangé sans nuance du côté des rebelles. Dans la première décade d’avril, les soi-disant “Amis de la Syrie” se sont réunis à Istanbul. Au cours de cette réunion, les “amis”, avec, en tête, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et le Qatar, ont décidé de fournir de l’argent et des équipements aux miliciens de l’opposition syrienne qui combattent l’armée légale de Damas. Cette initiative ne fait nullement l’unanimité: la Russie, la Chine, l’Irak et bien sûr l’Iran, ne partagent pas ce point de vue. Et aucun de ces pays n’a participé à cette réunion.

 

Mais les tiraillements entre la Turquie et la République Islamique d’Iran ne se limitent pas à cela. Quelques heures à peine après le départ d’Erdogan de Téhéran, où il n’avait rencontré que très brièvement le président Ahmadinedjad et l’ayatollah Ali Khamenei, la TUPRAS, soit la plus importante société turque de raffinement du pétrole, a annoncé une réduction de 20% dans ses importations d’hydrocarbures iraniens. Cette option est d’autant plus étonnante quand on se rappelle que la Turquie s’était vantée d’entretenir des échanges commerciaux importants avec l’Iran, dans la mesure où elle dépendait pour un bon tiers de ses besoins énergétiques du brut iranien. C’est là une décision que les Iraniens, non sans raison, ont interprété comme une soumission inacceptable aux diktats de Washington qui, depuis longtemps déjà, fait pression sur ses alliés pour qu’ils diminuent leurs importations de pétrole en provenance de l’Iran. “La Turquie est l’esclave des Etats-Unis et d’Israël et le gouvernement turc finira très bientôt par être haï par ses propres citoyens, s’il continue sur cette voie”, a dit un ancien membre de la Commission des affaires étrangères du Parlement iranien, Esmaeel Kosari.

 

En fin de compte, en prenant cette initiative de réduire ses importations de brut iranien, la Turquie risque de perdre la confiance de l’Iran qui avait pourtant été jusqu’à faire sembler d’ignorer l’appartenance turque à l’OTAN et l’affaire du bouclier anti-missiles; la Turquie perd ainsi la possibilité, qu’elle avait fait entrevoir, de devenir la puissance médiatrice entre l’Iran et les Etats-Unis, notamment dans la question fort délicate du nucléaire. Dans un passé très récent, cette position d’éventuelle médiatrice avait donné au gouvernement turc un prestige discret dans la région et au-delà. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas de voir l’Irak tenter de prendre la place de la Turquie comme puissance médiatrice entre l’Iran et l’Occident.

 

Ferdinando CALDA.

( f.calda@rinascita.eu ).

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 5 avril 2012; http://www.rinascita.eu ).

Le gouvernement de Bagdad se rapproche de l’Iran

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Ferdinando CALDA:

Le gouvernement de Bagdad se rapproche de l’Iran

 

Le pouvoir exécutif irakien d’Al-Maliki s’éloigne de plus en plus des Pays du Golfe, notamment dans la question syrienne

 

Les derniers événements qui agitent le Proche Orient, surtout la question syrienne et le nucléaire iranien, mettent en lumière un fait nouveau: l’éloignement graduel entre l’Irak et les Pays arabes du Golfe, concomitant d’un rapprochement Irak/Iran. Cette tendance, observable, a pour conséquence visible la violence accrue marquant le conflit opposant Chiites et Sunnites (plus les Kurdes) à l’intérieur même de l’Irak et dans toute la région. Dans cette optique, il est bien naturel que le premier ministre irakien Nouri Al-Maliki (qui est Chiite) se rapproche de la République Islamique d’Iran, qui, elle aussi, est chiite et ennemie des Arabes sunnites du Golfe, surtout de l’Arabie Saoudite.

 

Pourtant, une alliance hypothétique entre Bagdad et Téhéran, dans une optique anti-saoudienne, apparaît à plus d’un observateur comme a-typique, surtout si l’on tient compte de l’histoire récente. Beaucoup de citoyens, dans les deux pays, se souviennent de la guerre sanguinaire qui a opposé l’Irak de Saddam Hussein (où les membres du parti Baath au pouvoir étaient généralement sunnites) à l’Iran islamiste-chiite dans les années 80 du 20ème siècle. Saddam Hussein, dans ce conflit, avait bénéficié de l’appui des Pays arabes-sunnites du Golfe. Dans le “nouvel” Irak, toutefois, les Chiites ont acquis un poids politique considérable, notamment suite à la “dé-baathisation” imposée par les Américains.

 

Depuis, la distance entre Bagdad et Téhéran s’est réduite. On l’a vu lors de la réunion de la Ligue Arabe qui s’est tenue fin mars 2012 à Bagdad. A cette occasion, Al-Maliki a répété qu’il n’était pas d’accord avec les formes d’ingérence dans les affaires intérieures de la Syrie, blâmant du même coup la décision des Pays du Golfe d’appuyer les milices armées hostiles à Al-Assad. Cette position d’Al-Maliki est partagée par les Iraniens.

 

Ce n’est pas un hasard non plus si ce sommet de Bagdad a été boycotté par de nombreux pays arabes. Des vingt-deux membres de l’organisation, seuls huit étaient présents à Bagdad: le Soudan, la Tunisie, la Palestine, les Comores, la Libye, le Liban et le Koweit. Le Qatar et l’Arabie Saoudite avaient envoyé des émissaires. Le premier ministre du Qatar, le Cheikh Hamad Bin Yassem Al Thani a justifié le profil bas adopté par son pays lors de ce sommet en le qualifiant de protestation contre la marginalisation des Sunnites d’Irak, perpétrée par le nouveau régime de Bagdad.

 

Un autre fait a contribué à augmenter la tension entre l’Irak et le Qatar: la visite, ces jours-ci, du vice-président sunnite Tarek Al-Hashemi à Doha, capitale qatarie. Al-Hashemi est recherché pour terrorisme par le gouvernement de Bagdad et s’est réfugié dans le Kurdistan irakien. Non seulement le gouvernement du Qatar a refusé catégoriquement de répondre à la requête des Irakiens d’extrader le vice-président fugitif mais ce dernier a cru bon, après sa visite à Doha, de prendre l’avion pour Riad, rendant Al-Maliki encore plus furieux. Le gouvernement de Bagdad est donc à couteaux tirés avec ses voisins arabes-sunnites du Golfe et tend de plus en plus à prendre l’Iran comme interlocuteur privilégié.

 

Ce glissement vers l’Iran est aussi prouvé par la disponibilité des Irakiens à accueillir les négociations entre la République islamique d’Iran et le groupe “5 + 1” (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne) qui doivent porter sur le nucléaire iranien. En devenant le médiateur de référence entre Téhéran et l’Occident dans une question aussi délicate, l’Irak pourrait accroître son influence dans la région, ce qui permettrait au gouvernement d’Al-Maliki de mieux gérer les “frondes” intérieures qui déchirent son pays: celles des Sunnites et des Kurdes.

 

Ferdinando CALDA.

( f.calda@rinascita.eu )

Article paru dans “Rinascita”, Rome, 5 avril 2012 – http://rinascita.eu/ .

jeudi, 05 avril 2012

Günter Grass difende l’Iran con una poesia

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Günter Grass difende l’Iran con una poesia

di Andrea Tarquini (Günter Grass)

Fonte: La Repubblica [scheda fonte]


Il testo del Nobel per la letteratura rifiutato dal settimanale di Amburgo "Die Zeit"
Attacco anche alla Germania per la fornitura di sottomarini allo Stato ebraico

Torna in campo Günter Grass. E lo fa con testo poetico destinato a suscitare polemica. Il Nobel della letteratura sostiene che il vero pericolo per la pace è Israele e non l´Iran, il deterrente nucleare israeliano e non l´arsenale che Ahmadinejad starebbe costruendo.
Rieccolo in campo, torna come sempre, da intellettuale impegnato di tutto il lungo dopoguerra, a lanciare le provocazioni più scomode possibili. Decenni fa in campagna elettorale per Brandt cancelliere della pace, questa volta sul tema caldo mondiale del momento, i piani atomici iraniani: secondo lui il vero pericolo per la pace è Israele e non l´Iran, il deterrente nucleare israeliano e non l´arsenale che Ahmadinejad sta costruendo. Di chi parliamo? Di Guenter Grass. Il Nobel per la letteratura, il massimo scrittore tedesco vivente, con la poesia che pubblichiamo vuole aprire un dibattito che si annuncia confronto lacerante, a livello globale.
"Quel che deve essere detto", s´intitola la lirica. In uno stile politico-didattico che ricorda il Brecht più impegnato e aggressivo, Grass lancia un attacco durissimo contro la politica dello Stato d´Israele, e contro la Repubblica federale. Perché, in nome della responsabilità per il passato chiamato Olocausto e del nuovo ruolo di potenza-leader di Berlino, la Germania di Angela Merkel ha fornito a prezzi stracciati sei sottomarini ultramoderni alla Hel ha´Halama le Israel, la Marina israeliana. Sottomarini che possono sparare missili da crociera.
Un´arma made in Germany per l´ultima difesa, deterrente da minacciare di usare per non usarlo, come fu con le atomiche tra Usa e Urss nella guerra fredda. In tecnica e strategia militari moderne, spieghiamolo al lettore, i missili lanciati da sottomarini servono a una risposta nucleare a un attacco nucleare subìto, non a un primo colpo. Il primo colpo atomico lo spari con i missili terrestri, come quelli che Teheran acquista in Corea del Nord. E non Gerusalemme e Washington, bensì l´Agenzia internazionale per l´energia atomica (Aiea) che fu guidata dal grande politico egiziano Mohammed el Baradei, denuncia per prima il programma atomico iraniano.
Grass non è d´accordo, non ci sta. Nel poema parla del deterrente israeliano come "minaccia alla pace". Una minaccia, si potrebbe sottintendere, va eliminata. Parla degli U-Boot tedeschi per Gerusalemme scrivendo di "crimine prevedibile, e nessuna delle nostre scuse cancellerebbe la nostra complicità". E denuncia "l´ipocrisia dell´Occidente". Tirades non nuove: da sempre Grass è un grande polemista, non solo un grande letterato. Anni fa, in "im Krebsgang", raccontando del piroscafo Wulhelm Gustloff carico di civili e silurato dai russi nel Baltico, dipinse i tedeschi in qualche modo come vittima della Seconda guerra mondiale. Più tardi, dopo un lunghissimo silenzio, in "Sbucciando la cipolla", confessò di aver prestato servizio nelle SS da giovane, credendoci. Passato e presente si confondono nell´eterno dramma tedesco. Ma questa volta è anche diverso. Die Zeit, l´illustre settimanale di Amburgo, ha rifiutato di pubblicare la poesia. La pubblicherà invece oggi (insieme a Repubblica, El Paìs, e a Politiken in Danimarca) la liberal Sueddeutsche Zeitung. «Grass è il più noto e massimo scrittore tedesco vivente, un Nobel, è sempre stato nel dibattito politico non si censura, si pubblica, in una certa misura i media sono anche bacheche, e Grass è uno dei tedeschi più famosi nel mondo», mi dice Heribert Prantl, direttore nella direzione collegiale della Sueddeutsche.
«Non si può censurare Grass, anche se si ritengono fuorvianti alcune sue opinioni», continua Prantl. «Forse riceverà applausi da una parte, interviene con una poesia nel dibattito, posso solo accettare l´intervento come contributo lirico al dibattito». Non si censurano i grandi intellettuali, insomma, neanche quando possono violare gravi tabù della Memoria o travisano la realtà odierna. La discussione è lanciata.


Quello che deve essere detto"
di Günter Grass


Perché taccio, passo sotto silenzio troppo a lungo
quanto è palese e si è praticato
in giochi di guerra alla fine dei quali, da sopravvissuti,
noi siamo tutt´al più le note a margine.

E´ l´affermato diritto al decisivo attacco preventivo
che potrebbe cancellare il popolo iraniano
soggiogato da un fanfarone e spinto al giubilo organizzato,
perché nella sfera di sua competenza si presume
la costruzione di un´atomica.

E allora perché mi proibisco
di chiamare per nome l´altro paese,
in cui da anni - anche se coperto da segreto -
si dispone di un crescente potenziale nucleare,
però fuori controllo, perché inaccessibile
a qualsiasi ispezione?

Il silenzio di tutti su questo stato di cose,
a cui si è assoggettato il mio silenzio,
lo sento come opprimente menzogna
e inibizione che prospetta punizioni
appena non se ne tenga conto;
il verdetto «antisemitismo» è d´uso corrente.
Ora però, poiché dal mio paese,
di volta in volta toccato da crimini esclusivi
che non hanno paragone e costretto a giustificarsi,
di nuovo e per puri scopi commerciali, anche se
con lingua svelta la si dichiara «riparazione»,
dovrebbe essere consegnato a Israele
un altro sommergibile, la cui specialità
consiste nel poter dirigere annientanti testate là dove
l´esistenza di un´unica bomba atomica non è provata
ma vuol essere di forza probatoria come spauracchio,
dico quello che deve essere detto.

Perché ho taciuto finora?
Perché pensavo che la mia origine,
gravata da una macchia incancellabile,
impedisse di aspettarsi questo dato di fatto
come verità dichiarata dallo Stato d´Israele
al quale sono e voglio restare legato
Perché dico solo adesso,
da vecchio e con l´ultimo inchiostro:
La potenza nucleare di Israele minaccia
la così fragile pace mondiale?
Perché deve essere detto
quello che già domani potrebbe essere troppo tardi;
anche perché noi - come tedeschi con sufficienti colpe a carico -
potremmo diventare fornitori di un crimine
prevedibile, e nessuna delle solite scuse
cancellerebbe la nostra complicità.

E lo ammetto: non taccio più
perché dell´ipocrisia dell´Occidente
ne ho fin sopra i capelli; perché è auspicabile
che molti vogliano affrancarsi dal silenzio,
esortino alla rinuncia il promotore
del pericolo riconoscibile e
altrettanto insistano perché
un controllo libero e permanente
del potenziale atomico israeliano
e delle installazioni nucleari iraniane
sia consentito dai governi di entrambi i paesi
tramite un´istanza internazionale.

Solo così per tutti, israeliani e palestinesi,
e più ancora, per tutti gli uomini che vivono
ostilmente fianco a fianco in quella
regione occupata dalla follia ci sarà una via d´uscita,
e in fin dei conti anche per noi.

(Traduzione di Claudio Groff)

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dimanche, 01 avril 2012

Le cas du Jundallah

Jundallah, groupe terroriste redoutablement djihadiste, contre lequel lutte l'Iran. Ce groupe hyper dangereux est utilisé par certains occidentaux, notamment israéliens pour l'assassinat des savants iraniens. Son danger est réel et direct alors que...

La guerre iranienne contre le terrorisme. Le cas du Jundallah

Par Didier CHAUDET*, http://mbm.hautetfort.com/

Enseignant à Sciences Po

 

Géopolitique de l’Iran: Enseignant à Sciences Po, Didier Chaudet démontre que les Iraniens mènent en ce moment leur propre guerre contre le terrorisme. Plus précisément contre un groupe utilisant des moyens terroristes, et appelé « Jundallah », « les Soldats d’Allah ». L’auteur en présente les racines et s’interroge sur les influences extérieures.

LA « guerre contre le terrorisme » a été, dès le départ, assez mal nommée. On épargnera aux lecteurs la critique la plus facile, répétée ad nauseam, qui dit qu’on ne fait pas la guerre à un moyen d’action. On rappellera plutôt qu’il s’agit d’une guerre américaine contre ce que les Américains considèrent comme du terrorisme. Ou même, parfois, comme une simple menace terroriste. De ce point de vue, en fait, tout ce qui semble s’opposer, de près ou de loin, à l’influence américaine, notamment de la part d’Etats moyens ou faibles, devient terrorisme. C’est ce qui explique pourquoi l’Iran a été inclus dans l’ « Axe du Mal », alors que le pays avait abandonné l’emploi du terrorisme comme moyen d’action, et surtout ne pouvait pas être associé ni au 11 septembre 2001, ni au djihadisme sunnite. L’inclusion de ce pays dans la liste aura été d’autant plus choquante que la République islamique a été d’une aide non négligeable dans la lutte contre les Taliban. L’insulte a été d’autant plus mal ressentie par les Iraniens qu’ils mènent en ce moment leur propre guerre contre le terrorisme. Plus précisément contre un groupe utilisant des moyens terroristes, et appelé « Jundallah », « les Soldats d’Allah ».

Les racines du Jundallah

Quelles sont les racines de ce mouvement terroriste ? Elles se confondent avec les tensions entre le centre, persan et chiite, et la périphérie à l’est, sunnite et baloutche. Plus exactement dans la province du Sud-Est appelée Sistan-Baloutchistan. C’est dans cette province artificielle, créée par Rezah Shah [1] dans les années 1930, que vivent les Baloutches iraniens (1,5 millions de personnes) [2]. Ces derniers représentent un peuple qui comme les Kurdes, est divisé entre plusieurs Etats. Ici une séparation entre l’Afghanistan, l’Iran, et le Pakistan. Encore une fois comme les Kurdes, les Baloutches ont gardé le sentiment d’une identité forte, et sont considérés par les centres qu’ils dominent comme farouchement attachés à leur indépendance. Rien d’étonnant à cela : tout comme les Pachtounes, ils ont à l’origine une structure tribale qui leur a permis historiquement de mieux résister au centre persan. Et depuis le Grand Jeu, les Baloutches, en tant que peuple transfrontalier, ont été au cœur d’un réseau de contrebande particulièrement important. Et cela est tout particulièrement vrai au niveau du trafic d’armes, qui aura été conséquent tout au long du 20ème siècle. Là aussi, on peut faire une comparaison avec les Pachtounes. Dans les deux cas, cela donne aux peuples évoqués les moyens de s’opposer physiquement au centre quand le besoin s’en fait sentir, et une grande familiarité à l’emploi des armes. De fait, l’Iran n’a réussi à contrôler ses Baloutches qu’à partir des années 1930. D’abord indirectement, en utilisant les chefs tribaux, ou « Sardars ». Puis plus directement, par la force, par une politique visant à liquider les chefs traditionnels. Et si la Révolution khomeyniste a suscité des espoirs chez les nationalistes baloutches, ils ont vite été dissipés. Au début de ladite révolution, ce sont les Gardiens de la Révolution qui ont pris en main le territoire. Téhéran s’est alors imposé particulièrement durement [3]. Malgré la chute du Chah, c’est donc la continuité qui l’a emporté : la population baloutche en périphérie se ressent, de par sa situation, comme un groupe de citoyens de seconde zone, vivant dans un environnement économique trop peu développé.

Nationaliste et djihadiste anti-chiite

Ce dangereux cocktail de tensions historiques, de manque d’influence politique, et de misère économique, est bien sûr le terrain rêvé pour un groupe violent. Cela a expliqué la naissance du PKK chez les Kurdes turcs. Et le groupe Jundallah en tant que tel a émergé à cause de cette situation locale. Mais il serait simpliste d’en rester là : le Jundallah ne se définit pas uniquement comme nationaliste. Le groupe s’est formé à partir d’une idéologie djihadiste anti-chiite proche de celle d’Al Qaïda et des Taliban. De fait, les combattants du Jundallah sont les héritiers de deux décennies d’influence extrémiste venant du voisinage de l’Iran : on pense notamment aux écoles religieuses basées au Pakistan, qui ont été financées par des activistes de la péninsule arabique, mais aussi par Saddam Hussein. Pendant la guerre Iran-Irak, en effet, l’excitation des tensions à l’intérieur de l’Iran semblait de bonne guerre [4]. Il y a eu également une influence des Taliban sur les Baloutches, surtout en territoire pakistanais. Une telle situation a eu une influence sur le nationalisme baloutche en terre iranienne. Se battant en terre chiite, certains Baloutches iraniens trouvaient dans l’extrémisme sunnite une idéologie qui pouvait être attrayante. Et surtout, une idéologie qui leur donnait des alliés naturels, parmi les groupes actifs en Afghanistan et au Pakistan. Ces liens sont très clairs dès la création du mouvement, en 2003 : « les Soldats d’Allah » auraient été créés sur un territoire contrôlé par le Taliban pakistanais le plus important du moment, Nek Mohammed Nazir (mort en 2004). Le jeune fondateur et leader du Jundallah, Abdel Malik Rigi, a d’ailleurs été formé à la mosquée Binori. C’est dans cette même mosquée que nombre de Taliban et de djihdistes pakistanais ont été endoctrinés [5]. Si on ne peut pas associer directement Al Qaïda et le Jundallah avec les sources accessibles, on sait malgré tout que le groupe a des liens avec les Taliban pakistanais combattant Islamabad. Ils ont également des relations avec le Lashkar-e-Jhangvi, un mouvement terroriste anti-chiite frappant au Pakistan [6]. Les liens avec les Taliban afghans semblent clairs également : la naissance du mouvement se fait post-2001, une fois que les combattants baloutches du mollah Omar sont revenus au pays après la chute du régime tenu par les Taliban. Ces liens avec les forces les plus extrémistes d’Asie du Sud expliquent leurs tactiques de terreur, au sens propre. Il s’agit ainsi du premier groupe ayant usé de la décapitation contre des représentants des forces de l’ordre iranien, pour mieux marquer les esprits. A partir de 2008, ils ont introduit l’utilisation de l’attentat suicide en territoire iranien. En mai 2009, le Jundallah s’est directement impliqué dans une logique de guerre sectaire : un attentat a frappé une importante mosquée chiite de Zahedan, la capitale du Sistan-O-Baloutchistan, pendant la prière du soir. 19 personnes sont mortes, et 60 ont été blessées [7]. Certes, par la suite, le leader du groupe, Rigi, a été capturé. Mais si le groupe a été décapité, il n’a pas disparu, loin de là. En fait, en décembre 2010, on a encore eu la preuve de la force de frappe sanglante du groupe, même sans Rigi à sa tête. Deux attentats suicide ont visé une procession religieuse chiite dans le port de Chabahar, et ont fait au moins 40 morts [8]. De fait, le groupe bénéficie encore d’une situation locale et régionale assez « favorable » pour continuer à exister.

Quelles influences extérieures ?

Cette analyse ne serait pas complète sans réfléchir aux possibles influences extérieures face au phénomène Jundallah. Certes, très clairement, le groupe terroriste est d’abord né de tensions locales et régionales. On ne peut pas considérer le groupe comme une créature inventée par des forces hostiles à Téhéran. Malgré tout, on connaît les tensions, parfois sanglantes, entre l’Iran d’une part, et les Etats-Unis, Israël, ou d’autres acteurs. On ne peut pas nier que l’idée d’une utilisation par des forces extérieures des ennemis intérieurs de l’Iran puisse être considéré « de bonne guerre ». Nous allons donc passer en revue les différents « suspects », et mettre en avant ce que la littérature ouverte nous dit de leur implication.

A la question : « Les Occidentaux soutiennent-ils le Jundallah ? », on peut répondre « Probablement non ». Ici, quand on parle d’Occidentaux, on pense en fait, en premier lieu, aux Américains. Il est très probable que ces derniers mènent des actions clandestines en Iran. Des ordres exécutifs, signés fin 2004 et en 2005 par le président G. W. Bush, ont donné au Pentagone la possibilité de mener des actions clandestines sans passer par la CIA. Et donc sans possibilité de contrôle de la part du Congrès. Les opérations secrètes menées par des services américains sont généreusement dotées à cette période, et on sait qu’elles ont eu lieu [9]. De même, selon certains analystes, il y aurait eu prise de contact avec le Jundallah, mais uniquement dans le cadre d’une collecte de renseignements. Selon Robert Baer par exemple, cela n’est pas allé plus loin, le groupe se montrant vite incontrôlable, et surtout, dangereusement proche d’Al Qaïda [10]. A partir de là les informations ouvertes nous amènent à penser que Washington a fait en sorte d’éviter à tout prix tout contact avec les djihadistes baloutches. Quoi qu’on pense des Américains, ils sont, tous comme les Iraniens d’ailleurs, des acteurs relativement rationnels sur ce dossier : soutenir le terrorisme en Iran amènerait le régime à revenir à ses vieux démons, et à soutenir le tourisme transnational contre les Etats-Unis et ses alliés. Mais tout le monde n’est pas aussi prudent : il semblerait que les Israéliens aient utilisé le Jundallah dans leur lutte contre le régime iranien [11]. Des « memos » de la CIA tendent à prouver que des membres du Mossad, les services secrets israéliens, se sont fait passer pour des agents de la CIA. Ils ont utilisé cette couverture pour recruter des membres du Jundallah. Plusieurs officiels liés aux services de renseignements américains, encore actifs ou à la retraite, ont confirmé les informations livrées par ces documents. On a déjà vu les services israéliens travailler avec une autre force considérée comme terroriste, le MEK, ou « Moudjahidine du Peuple ». Ces derniers auraient travaillé ensemble, notamment pour assassiner les scientifiques nucléaires iraniens [12]. Les informations de la CIA dévoilées par le journal Foreign Policy, n’ont donc, en soi, rien d’étonnant. Israël joue une partition à court terme, pour obtenir des gains rapides dans sa lutte indirecte contre Téhéran. Le problème de cette approche est qu’elle finance un groupe djihadiste potentiellement dangereux au delà de l’Iran. Et cette façon de procéder ne peut qu’avoir des répercussions régionales, et nourrir le complotisme et l’anti-américanisme autant en Iran qu’au Pakistan, et dans les pays alentours. Car même si les Américains sont responsables, des questions restent sans réponse, comme : pourquoi les Américains n’ont-ils pas stoppés leurs alliés israéliens ? Il s’agissait d’abord d’inertie politique. Mais pour les Pakistanais, les Iraniens, les Moyen-Orientaux, hélas, cela ressemble à une division des tâches entre Occidentaux, qui a un impact diplomatique désastreux.

L’influence extrémiste sunnite venant notamment de la péninsule arabique

On sait également que le groupe extrémiste est proche des Taliban, notamment de la variation pakistanaise de cette mouvance. Indirectement, l’influence extrémiste sunnite venant notamment de la péninsule arabique est donc également responsable : ici on ne fait que retrouver une énième conséquence de la « guerre froide » opposant Arabie Saoudite et Iran. Et malgré les fantasmes que ce pays suscite, si le Pakistan est indirectement impliqué aujourd’hui, c’est d’abord en tant que base de repli, et de victime des tensions entre chiites et sunnites. Il serait difficile pour Islamabad de soutenir un groupe qui s’oppose avec fermeté au pipeline Iran-Pakistan-Inde (IPI), essentiel pour la sécurité énergétique du pays [13]. Et depuis le second semestre 2011 au moins, nombreux sont ceux à Islamabad qui applaudissent au début de rapprochement entre Iran et Pakistan. Dans un tel contexte la coopération anti-terroriste existe bien entre les deux pays. Et on peut dire que Rigi a été capturé en partie grâce aux services pakistanais [14]. Mais il n’est pas impossible que pendant ses premières années, les services pakistanais aient laissé le Jundallah se développer sans objection de leur part. Après tout, l’Iran a de très bonnes relations avec l’Inde, et un tel groupe peut toujours servir comme moyen de pression. Mais quel que soit le niveau de tolérance pakistanais, voire de connivence de la part de certains individus, dans un passé proche, il faut éviter le fantasme d’un ISI tout puissant ici. Mais même en excluant Islamabad, un à deux alliés des Américains peuvent donc être considérés comme jouant, au moins indirectement, un jeu dangereux avec le Jundallah et d’autres forces utilisant le terrorisme comme moyen d’action. Une telle attitude ne fait que renforcer les faucons iraniens, mais aussi des esprits plus modérés. Pour un pays déjà frappé par des sanctions non négligeables depuis plus de deux décennies, cela ne peut être que la preuve d’une opposition radicale à l’Iran en tant que puissance moyenne. Cette politique qui ne fait que nourrir les extrêmes est bien entendu, potentiellement dangereuse pour les intérêts des Américains et de leurs alliés européens, au Proche-Orient et en Afghanistan.

Le Jundallah est d’abord le produit de tensions intérieures et régionales

En bref, à bien des égards, le Jundallah semble être le produit de tensions d’abord intérieures et régionales. Pour l’Iran aussi, tant que l’Afghanistan ne sera pas stabilisé, le terrorisme ne sera pas éradiqué sur son territoire à l’est. Et tant que le problème terroriste au Pakistan continuera à frapper ce pays, il soutiendra l’extrémisme sunnite en territoire chiite. En cela, en fait, on voit que l’Iran et les Etats-Unis ont, à bien des égards, des objectifs communs en AfPak, allant dans le sens d’une stabilisation de la région. La guerre iranienne contre le terrorisme peut offrir des points d’entente entre Téhéran et l’Occident. Un tel sujet devrait être plus au cœur des discussions avec la République islamique aujourd’hui. Toute possibilité de dialogue est impossible tant que tout est considéré comme secondaire hors le dossier nucléaire. Une victoire du djihadisme anti-chiite et anti-occidental en AfPak est sans doute un danger sécuritaire autrement plus réel qu’une arme nucléaire non encore obtenue, qui sera sans doute bien rudimentaire, et bien limité face à l’arsenal russe ou américain. Si on est sérieux dans la lutte contre les réseaux terroristes, on devrait savoir se concentrer sur les véritables menaces, et non en rester à une logique de Guerre froide en relations internationales.

Copyright Mars 2012-Chaudet/Diploweb.com

[1] Qui fut Chah d’Iran jusqu’en 1941.

[2] Cette province a spécifiquement été créée pour contrôler les Baloutches. Le Sistan se trouve au nord du Baloutchistan et sa population est persane et chiite. C’est de cette partie de la province qui nourrit l’administration pour l’ensemble du territoire. Voir Stéphane Dudoignon, Voyage au pays des Baloutches (Iran, début du XXIème siècle), Paris : éditions Cartouche, 2009, p.86.

[3] Adun Koolstadt Wiig, « Islamist Opposition in the Islamic Republic : Jundullah and the spread of extremist Deobandism in Iran », FFI Report, juillet 2009, p.11.

[4] Idem, p.19.

[5] Pepe Escobar, « Jundallah versus the mullahtariat », Asia Times, 21 octobre 2009, atimes.com

[6] Amir Rana, « Enemy of the State : Lashkar-e-Jhangvi and Militancy in Pakistan », Jane’s Information Group, 5 aout 2009, janes.com

[7] BBC News, « Iran : Many die in Zahedan mosque bombing », 28 mai 2009, news.bbc.co.uk.

[8] Al Arabiya, « Undallah remains a danger and a thorn in Iran’s side », 19 janvier 2011, alarabiya.net.

[9] Seymour Hersh, « Preparing the Battlefield », The New Yorker, 7 juillet 2008, newyorker.com.

[10] Robert Baer, « Iran’s Biggest Worry : Growing Ethnic Conflict », Time, 21 octobre 2009, time.com.

[11] Les informations ici viennent d’un article qui a particulièrement fait du bruit il y a deux mois à Washington : Mark Perry, « False Flag », Foreign Policy, 13 janvier 2012, foreignpolicy.com

[12] Muhammad Sahimi et Richard Silverstein, « Israel Iran attack ? What goes around comes around », The Christian Science Monitor, 21 février 2012, csmonitor.com.

[13] Pepe Escobar, op.cit.

[14] Conclusions sur le sujet d’entretiens menés entre Islamabad et Karachi en novembre et décembre 2011.

lundi, 19 mars 2012

L'Inde menacée de sanctions pour le refus de réduire les achats de pétrole à l'Iran

L'arrogance des Etats-Unis met à l'index l'Inde pour ses achats pétroliers à l'Iran. Ils envisagent des sanctions contre l'Inde à partir de l'été. Il serait temps qu'une politique commune de rétorsion économique se prenne au BRICS contre les USA.

L'Inde menacée de sanctions pour le refus de réduire les achats de pétrole à l'Iran

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Photo: EPA
 
     
Les États-Unis pourraient imposer des sanctions contre l'Inde, si elle ne restreint pas les importations du pétrole iranien, rapporte Bloomberg.

La loi, qui est entrée en vigueur aux États-Unis, pénalise tout pays pour le règlement du pétrole iranien par le biais de la Banque centrale d'Iran, si ce pays ne réduit pas significativement le volume des achats de pétrole à Téhéran dans la première moitié de cette année. Et si l'Inde ne le fait pas, le président des États-Unis sera obligé d'introduire des sanctions contre ce pays à partir du 28 juin, a indiqué l'agence en citant des responsables américains.

L'Inde achète à l'Iran, en moyenne 328.000 barils de pétrole par jour. Le pays est le troisième plus grand importateur de pétrole iranien, après la Chine et le Japon.

dimanche, 11 mars 2012

L’art de la guerre : Iran, la bataille des gazoducs

La redistribution des cartes énergétiques en direction de l'Asie est en jeu dans la guerre de l'information entre l'Iran et l'Occident, mais elle est bien cachée par ce dernier.

L’art de la guerre : Iran, la bataille des gazoducs
par Manlio Dinucci

Ex: http://mbm.hautetfort.com/

 

Sur la scène de Washington, sous les projecteurs des media mondiaux, Barack Obama a déclamé : « En tant que président et commandant en chef, je préfère la paix à la guerre ». Mais, a-t-il ajouté, « la sécurité d’Israël est sacro-sainte » et, pour empêcher que l’Iran ne se dote d’une arme nucléaire, « je n’hésiterai pas à employer la force, y compris tous les éléments de la puissance américaine » (étasunienne, NdT). Armes nucléaires comprises donc. Paroles dignes d’un Prix Nobel de la paix. Ça, c’est le scénario. Pour savoir ce qu’il en est vraiment, il convient d’aller dans les coulisses. A la tête de la croisade anti-iranienne on trouve Israël, l’unique pays de la région qui possède des armes nucléaires et, à la différence de l’Iran, refuse le Traité de non-prolifération. Et on trouve les Etats-Unis, la plus grande puissance militaire, dont les intérêts politiques, économiques et stratégiques ne permettent pas que puisse s’affirmer au Moyen-Orient un Etat qui échappe à son influence. Ce n’est pas un hasard si les sanctions promulguées par le président Obama en novembre dernier interdisent la fourniture de produits et de technologies qui « accroissent la capacité de l’Iran à développer ses propres ressources pétrolifères ». A l’embargo ont adhéré l’Union européenne, acquéreur de 20% du pétrole iranien (dont 10% environ importé par l’Italie), et le Japon, acquéreur d’un pourcentage analogue, qui a encore plus besoin de pétrole après le désastre nucléaire de Fukushima. Un succès pour la secrétaire d’état Hillary Clinton, qui a convaincu les alliés de bloquer les importations énergétiques venant d’Iran contre leurs propres intérêts mêmes.

L’embargo cependant ne fonctionne pas. Défiant l’interdiction de Washington,Islamabad a confirmé le 1er mars qu’il terminera la construction du gazoduc Iran-Pakistan. Long de plus de 2mille Kms, il a déjà été réalisé presque entièrement dans son tronçon iranien et sera terminé dans celui pakistanais d’ici 2014. Il pourrait ensuite être étendu de 600 Kms jusqu’en Inde. La Russie a exprimé son intérêt à participer au projet, dont le coût est de 1,2 milliards de dollars.

Parallèlement, la Chine, qui importe 20% du pétrole iranien, a signé en février un accord avec Téhéran, qui prévoit d’augmenter ses fournitures à un demi million de barils par jour en 2012. Et le Pakistan aussi accroîtra ses importations de pétrole iranien. Furieuse, Hillary Clinton a intensifié la pression sur Islamabad, utilisant la carotte et le bâton : d’un côté menace de sanctions, de l’autre offre d’un milliard de dollars pour les exigences énergétiques du Pakistan. En échange, celui-ci devrait renoncer au gazoduc avec l’Iran et miser uniquement sur le gazoduc Turkmenistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, soutenu par Washington. Son coût est estimé à 8 milliards de dollars, plus du double que prévu initialement.

A Washington, c’est cependant la motivation stratégique qui prévaut. Les gisements turkmènes de gaz naturel sont en grande partie contrôlés par le groupe israélien Merhav, dirigé par Yosef Maiman, agent du Mossad, un des hommes les plus influents d’Israël. Mais la réalisation du gazoduc, qui en Afghanistan passera par les provinces de Herat (où sont les troupes italiennes) et de Kandahar, est en retard. En l’état actuel, c’est celui Iran-Pakistan qui a l’avantage. A moins que les cartes ne soient redistribuées par une guerre contre l’Iran. Même si le président Obama « préfère la paix ».

Edition de mardi 6 mars 2012 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2...

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

samedi, 10 mars 2012

La chute du gouvernement syrien favoriserait une attaque contre l’Iran

La chute du gouvernement syrien favoriserait une attaque contre l’Iran.

Des troupes britanniques et qataries préparent une incursion militaire par la Turquie

Ex: http://mediabenews.wordpress.com/

 

Selon Aviation Week, « les nouvelles installations syriennes perfectionnées servant à la collecte de renseignements et à la surveillance à distance » représentent un obstacle à une attaque israélienne contre l’Iran.

Soulignant la coopération entre la Syrie et l’Iran, l’article explique :

La chute du gouvernement du président Bachar Al-Assad pourrait créer un chaos qui protégerait une attaque des États-Unis ou d’Israël contre l’Iran. Autrement, la Syrie pourrait fournir à l’Iran une alerte rapide. (David Fulghum, Syria Key To Iranian Defenses Against West, 6 mars 2012.)

Cette information appuie l’argument avancé par plusieurs médias indépendants voulant que « la route vers Téhéran passe par Damas ». Selon de nombreux reportages, l’insurrection armée en Syrie, appuyée par l’étranger, est une opération clandestine visant à renverser le gouvernement syrien, le seul allié de l’Iran dans la région. Les médias dominants occidentaux continuent de présenter l’insurrection comme un mouvement de contestation pacifique, même si la secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton a admis qu’Al-Qaïda en faisait partie.

L’article d’Aviation Week mentionne que la chute de Bachar Al-Assad affaiblirait l’Iran et faciliterait une attaque des États-Unis et d’Israël.

On ajoute qu’une attaque contre l’Iran par Israël se ferait « par l’espace aérien de la Syrie, de la Turquie, de la Jordanie ou de l’Arabie Saoudite ».

Toutefois, les systèmes de renseignement perfectionnés de la Syrie permettent dorénavant la surveillance électronique « d’Israël, de la Jordanie et du nord de l’Arabie Saoudite », ainsi qu’une station radar installée sur le Mont Sannine, « dominant le plateau du Golan, occupé par Israël, ainsi que la plaine de Bekaa, contrôlée par le Hezbollah et la Syrie ».

Les améliorations apportées par les Russes aux systèmes syriens serviront par ailleurs à « suivre les trajectoires navales et aériennes des États-Unis et d’Israël dans l’est de la Méditerranée, y compris en Grèce et à Chypre (où les États-Unis possèdent leur propres installations vouées au renseignement) ».

D’autres reportages affirment que des troupes britanniques et qataries établies à Homs « sont en train d’ouvrir la voie à une incursion militaire clandestine [de la Syrie] par la Turquie ». (British and Qatari troops already waging secret war in Syria?- 13 undercover French army officers seized in Syria, Lanka Newspapers, 6 mars 2012.)


Julie Lévesque